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plan provisoire - Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

1610 (XXIX-O/99), afin de poursuivre l'examen du Projet de Déclaration ... aux travaux du Groupe est une faiblesse qu'il faudra corriger à l'avenir. ... M. Jaimes Anaya, professeur de droit international au Indian Law Resource .... certains représentants des États observateurs prés l'OEA (France,Espagne, Portugal et Russie).




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UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II)
Droit-Economie-Sciences Sociales





Le pluralisme juridique et les peuples autochtones





Pour le Diplôme d’Etudes Doctorales

en Droit Public



présentée et soutenue publiquement par


M. José del Carmen ORTEGA




JURY :

Directeur de thèse  M. Jean-Pierre FERRIER

Membres du jury : M. Hugues PORTELLI
M. Jean Pierre FERRIER
M. Thierry RAMBAUD







Date de soutenance : le 10 février 2005










































L’UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II) Droit-Economie-Sciences sociales n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émisses dans les thèses, ces opinions devront être considérées comme propres à leurs auteurs.










à Notre Dame de Guadalupe,
Indienne
et protectrice des Indiens































L’auteur exprime sa reconnaissance à toutes les personnes et institutions qui lui ont prêté leur soutien dans cette aventure intellectuelle, particulièrement à mes parents et à ma tante Teresa Ortega ; à S.E. l’Ambassadeur Dory Sanchez de Wetzel ; aux professeurs Tulio Eli Chinchilla, François-Xavier Guerra (R.I.P.), Andrée Lajoie et Jacques Poumarède ; à Matthieu Sauveplane et à André Yinda ; à la Bibliothèque Nationale de France et à l’Université Nationale de Colombie




RESUME DE LA THESE

Au début du XXIème siècle, la légitimité ancestrale des peuples autochtones a été renouvelée grâce aux apports de l’histoire, des sciences sociales et des idéologies militantes. En fait, les autochtones jouissent du même statut juridique que les citoyens des Etats de Droit et, en supplément, l’Etat reconnaît leur statut autochtone. Nous avons ainsi affaire à une duplicité de régimes juridiques, tous les deux étant légitimes.

Nous avons choisi quatre Etats, l’Australie, le Canada, la Colombie et la France d’Outre-Mer (la Nouvelle-Calédonie) où, depuis plus d’une dizaine d’années, les Constitutions, les lois et les arrêts judiciaires reconnaissent les régimes coutumiers et protègent les différences culturelles des peuples autochtones. Le point de départ a été l’ensemble des normes, institutions et mécanismes juridiques mis déjà en place par les Etats. Notre méthode a été plus inductive que déductive ; c’est-à-dire qu’à partir des faits juridiques concernant les peuples autochtones, nous avons essayé de conceptualiser l’ordre juridique des Etats multiculturels.

La Convention n° 169 de 1989 de l’OIT et les constitutions des Etats multiculturels situent les peuples autochtones à l’intérieur des Etats sociaux de droit où ils partagent les valeurs des Droits de l’Homme et les revendications d’autres minorités. L’égalité est le principe juridique qui articule (ou capte) les ordonnancements autochtones et l’Etat : les autochtones demandent l’égalité formelle de leurs ordonnancements par rapport à l’ordre juridique de l’Etat d’une part ; d’autre part, ils revendiquent l’égalité matérielle de leurs droits citoyens et des mesures de discrimination positive pour sortir de l’infériorité de leurs conditions de vie.

L’étude des régimes juridiques des peuples autochtones met en relief l’avènement, pour ainsi dire, d’un droit identitaire qui se donne pour mission de protéger les identités culturelles depuis leur formation, de garantir les liens d’appartenance, de garder les frontières culturelles et d’encadrer juridiquement les glissements identitaires individuels. Un tel droit assume la double fonction de conserver le statu quo et de gérer les recompositions sociales. L’autre trait majeur que l’on trouve chez les peuples autochtones est leur adhésion aux valeurs juridiques des Droits de l’Homme dans un cadre multiculturel.

Les Etats multiculturels ont répondu aux demandes des peuples autochtones par un dédoublement institutionnel et juridique, selon trois formules :
Les autonomies politiques, législatives, judiciaires et administratives (collectivités territoriales, statuts personnels, juridictions coutumières, etc.) ;
Les lois spéciales (d’impôts, multilinguisme, etc.) ;
Les duplicités de régime qui donnent lieu à des situations de pluralisme juridique dans le sens défini par Jacques VANDERLINDEN. Il s’agit d’un pluralisme juridique ‘situationnel’ et pragmatique par opposition à l’approche systémique et conceptuelle des anthropologues du Droit.

L’ordre juridique des Etats et les ordonnancements des peuples autochtones s’enchevê-trent et produisent des ambiguïtés et des hybridations qui défient l’orthodoxie : L’interchan-geabilité des statuts génère aussi des situations de pluralisme juridique où les individus autochtones déploient des stratégies opportunistes pour échapper à la subordination à leur propre ordonnancement juridique. D’autre part, on peut affirmer qu’une telle duplicité des régimes juridiques génère un nouvel espace de liberté pour les individus.

LE PLURALISME JURIDIQUE ET LES PEUPLES AUTOCHTONES

SOMMAIRE

Introduction.

1ère partie. Les diverses reconnaissances des peuples autochtones dans le Droit public interne et international

 Chapitre 1 : le régime australien
Section 1 : la position moderne du problème
Section 2 : la mise en pratique
 
Chapitre 2 : le régime canadien
Section 1 : la Constitution du Canada
Section 2 : le statut légal
Section 3 : la jurisprudence
 
Chapitre 3 : le régime colombien
Section 1 : les régimes colonial et républicain
Section 2 : la Cnstitution de 1991
Section 3 : les politiques d’ethnisation

Chapitre 4 : le régime français de la Nouvelle Calédonie
Section 1 : le principe général en métropole
Section 2 : l’exception de la Nouvelle-Calédonie

Chapitre 5 Le régime international des peuples autochtones
Section 1 : la position de l’ONU face aux traités historiques
Section 2 : la récupération des traités historiques
Section 3 : les accords contemporains

Conclusions de la première partie

2e partie. Les effets des pluralismes juridiques sur la théorie juridique

Chapitre 6 : les effets sur les principes généraux du droit constitutionnel et la théorie constitutionnelle
Section 1 : la suprématie de la Constitution
Section 2 : les peuples multiculturels.
Section 3 : de la légitimité aux légitimités 
Section 4 : valeur juridique et valeurs culturelles.
Section 5 : les constitutions plurielles.

Chapitre 7 : les effets sur les droits subjectifs
Section 1 : les effets sur l’égalité ou l’égalité dans la diversité.
Section 2 : les effets sur les droit fondamentaux.
Section 3 : les effets sur la représentation politique.
 
Chapitre 8 : les effets sur la théorie générale de l’Etat : le réaménagement de l’unité et la diversité
Section 1 : les effets sur l’unité de l’Etat.
Section 2 : l’avènement d’un « fédéralisme personnel ».
Section 3 : les espaces d’autonomie.
Section 4 : la territorialité autochtone.

Chapitre 9 : les dangers posés par le pluralisme juridique
Section 1 : les risques de captation juridique et politique des peuples
autochtones
Section 2 : les risques de dérives utopiques et totalitaires
Section 3 : les risques d’assimilation des peuples autochtones
Section 4 : les risques d’un « gouvernement des juges »

Conclusion

Annexe : Chronologie générale

Cédérom avec la thèse


INTRODUCTION




Le rapport 2004 de l’ONU sur le développement humain « La liberté culturelle dans un monde diversifié » a mis sur le premier plan international « le défi de savoir construire des sociétés intégratrices qui respectent les diversités culturelles ». Les Etats nations prennent conscience de la diversité culturelle, bien que cela n’est pas un phénomène nouveau. En toutes les époques l’humanité a connu des migrations massives, des conquêtes, des colonisations et des processus de fragmentation sociale ou d’intégration de plusieurs cultures ; il suffirait de citer comme exemples historiques la Babylone sous la dynastie Achéménide, l’Empire Romain et l’Union Soviétique.

« La protection des minorités, longtemps envisagée avec circonscription par la communauté internationale des Etats dans son ensemble, en est aujourd’hui devenue un souci fondamental ». Dans cette thèse va s’occuper des peuples autochtones et on laisse de côté d’autres minorités sociales. En 1991 les experts de la Banque Mondiale ont adopté la définition : « Les peuples autochtones sont identifiés dans des zones géographiques particulières par l’existence à des degrés variables des caractéristiques suivantes : a) le ferme attachement aux territoires ancestraux et aux ressources naturelles de ces zones ; b) l’auto-identification et l’identification par les autres comme des membres d’un groupe culturellement distinct ; c) une langue autochtones, souvent différente de la langue nationale ; d) l’existence d’institutions sociales et politiques coutumières ; et e) un mode de production principalement orienté vers la subsistance. »

Aujourd’hui, ces peuples autochtones réclament une reconnaissance juridique égalitaire en tant que sociétés diverses à l’intérieur des Etats de droit. Ceux-ci ont développé des systèmes juridiques unifiés, hiérarchisés et axés autour des normes, surtout depuis la Révolution Française et le positivisme juridique. Au XXIème siècle, sont-ils conciliables ?

Le défi lancé par les peuples autochtones consiste à harmoniser la diversité culturelle avec l’unité juridique et la suprématie de l’Etat. Au départ, l’objet d’étude était circonscrit au pluralisme mis en place dans quatre Etats et au niveau des Nations Unies lorsqu’ils ont reconnu les ordonnancements juridiques des peuples autochtones mais nous nous sommes aperçus que le constitutionalisme des Etats accorde une attention prioritaire aux demandes sociales, en dépit des rigueurs conceptuelles de la théorie constitutionnelle.

De ce fait, la problématique initiale fut vite dépassée par l’ampleur de l’impacte et des sujets juridiques concernés par la diversité culturelle. Le pluralisme juridique est une des tendances actuelles du droit cependant on a trouvé qu’il n’a pas été la seule réponse des Etats vis-à-vis des peuples autochtones. Ce qui a conduit à élargir notre sujet de recherche pour réfléchir sur la portée qu’une telle ouverture des ordres juridiques étatiques produit sur la théorie du droit et en particulier sur la théorie constitutionnelle.

Or il convient de mettre quelques panneaux de signalisation sur la route des théoriciens du droit pour prévenir que l’on passe des Etats nations aux Etats multiculturels et du droit social au droit identitaire. Comme l’exprimait Miguel Alfonso MARTINEZ, le rapporteur spécial de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU en juin 1999 dans son Etude sur les traités, accords et autres arrangement constructifs entre les Etats et les populations autochtones, l’étude des peuples autochtones demande une vision décentrée de la culture, de la société, du droit et de l’histoire et non une vision « euro-centrée ».

Lorsqu’il abordait l’étude du passage de la société holiste de type traditionnel vers la société individualiste de type moderne, Louis DUMONT s’interrogeait si « une enquête de cette ampleur est-elle faisable ? Celui qui s’y livre ne risque-t-il pas d’être taxé d’incompétence et de présomption ? ». La comparaison entre les citoyens égaux et les autochtones met en jeu les conceptions de l’observateur lui-même. La façon de nous concevoir nous-mêmes comme sujets et titulaires des droits n’est évidemment pas indifférente. Le système de valeurs de l’observateur détermine son paysage mental et ses propres implicites lui sont relativement transparents, il les perçoit comme objectifs et naturels. Mais allons-nous changer la théorie du droit de l’Etat de droit pour une anti-théorie ou une sous-théorie issue du droit coutumier ?

Relativiser trop l’Etat de droit, peut conduire au scepticisme, à la négation des réalités juridiques ou à l’arbitraire. Ces risques existent, d’où le besoin d’une philosophie du droit (un cadre conceptuel) forcément issue de la modernité mais affranchie de ses origines grâce à une démarche comparative afin de mettre en perspective les données juridiques des Etats multiculturels sans inférioriser les peuples autochtones. Les risques seraient à écarter dès que les liens communs d’humanité rendent possible le respect de la diversité culturelle.

La diversité culturelle articule deux problématiques majeures : d’une part, les différences culturelles ne se prêtent pas facilement à un traitement normatif qui les réduirait à quelques hypothèses pré-conçues. Il s’agirait soit d’hypothèses identifiées comme récurrentes, soit d’hypothèses choisies d’après les préjugés idéologiques ou les intérêts du législateur. Les dynamiques culturelles échappent aux catégories conceptuelles fixes des juristes. D’autre part, la diversité culturelle se situe d’une certaine façon au-dessus du droit promulgué par les Etats, du fait que le droit positif est en lui-même l’expression d’une culture rationaliste.

Dans la théorie du droit, la situation s’est aggravée au XXème siècle suite au triomphe du positivisme juridique et de la notion weberienne de l’Etat comme détenteur du monopole de la force légitime, auquel il a été facile d’ajouter les monopoles du droit et de la culture légitimes. Heureusement, l’archétype d’Etat social de droit a développé ces monopoles dans le sens des libertés publiques individuelles, éloignant ainsi le risque des totalitarismes politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite.

En fait, le droit et la culture s’enchevêtrent dans leurs différents niveaux. De nos jours, il est difficile d’étudier leurs relations suite à l’emphase sur la communication qui réduit la philosophie du droit, l’axiologie et l’anthropologie au niveau des discours plus ou moins rhétoriques en quête d’un consensus. L’équation autonomie-culture proposée par certains anthropologues du droit suscite la méfiance chez les juristes parce qu’elle présuppose l’acceptation de la culture comme unité sociale et comme valeur juridique, d’une part et d’autre part, parce que les approches culturalistes du droit réduisent l’anthropologie philosophique à l’anthropologie culturelle.

Les pays qui ont adopté le pluralisme juridique en réponse aux demandes de peuples autochtones ont tous conservé leur droit constitutionnel dans son essence tout en nuançant certaines de ses notions. Les régimes étudiés ont en commun : leur adhésion au modèle de l’Etat social de droit, leur participation active dans les processus d’intégration et de mondialisation, l’expérience institutionnelle de la reconnaissance des peuples autochtones et les crises identitaires des peuples autochtones désireux à la fois de revenir à leurs traditions ancestrales, d’exercer tous les droits citoyens et de s’attirer les solidarités d’autres franges de population exclues ou infériorisées.

Le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle des peuples autochtones, est actuellement en chantier. Sa théorie constitutionnelle sera élaborée a posteriori. Chaque pays constitue un cas sui generis, ce qui impose un traitement monographique pour décrire et analyser l’état des lieux juridiques concernant les peuples autochtones.


§ 1 : Le choix des modèles.

Au début de la recherche nous avons pensé à l’Afrique du Sud, à l’Australie, au Brésil, au Canada, au Chili, à la Colombie, à l’Equateur, aux Etats-Unis, à la France d’Outre-Mer, au Guatemala, à l’Inde, au Mexique et à la Nouvelle-Zélande. Le choix s’est fait selon trois critères :
l’infériorité démographique des peuples autochtones par rapport à l’ensemble de la population ; ce qui a exclu le Mexique, le Guatemala et l’Equateur ;
la diversité des régimes juridiques nous a conduit à choisir deux pays de la Commun Law et deux de droit continental, et
la pratique institutionnelle de plus de dix ans de reconnaissance des peuples autochtones aux niveaux constitutionnel, législatif et jurisprudentiel.

Cette expérience a été le critère déterminant parce qu’elle nous a empêché de spéculer purement et simplement sur des acquis récents ou à venir mais nous a permis plutôt de dresser un bilan provisoire sur une durée moyenne qui donne l’impression de se consolider au fil du temps.

Au Canada, les traités historiques des XVIIème et XVIIIème siècles donnent un fondement juridique aux droits ancestraux dans le ius gentium. Les caractéristiques géographiques du pays ont permis de créer de vastes collectivités territoriales gérées par les peuples autochtones, comme le Nunavut. C’est un pays également intéressant parce que les peuples autochtones ne sont pas la seule minorité qui réclame la reconnaissance juridique de leurs spécificités culturelles. Il y a particulièrement le Québec qui joue le rôle ambigu de minorité vis-à-vis de la fédération du Canada majoritairement anglophone et de majorité de référence pour les peuples autochtones habitant le territoire québécois.

L’Australie est un cas intéressant et exceptionnel par le caractère nomade de ses peuples aborigènes pendant 60.000 ans. Une fois sédentarisés et devenus agriculteurs à la façon anglaise, ils ont réussi à obtenir la reconnaissance de leurs terres ancestrales dans un cadre juridique et culturel plus proche de la Common Law que du droit coutumier australien. Une autre raison qui justifie le choix de l’Australie est liée à cette image de culture extrêmement primitive qu’Emile DURKHEIM a diffusée à propos des aborigènes australiens du début du XXème siècle.

La Colombie, notre pays d’origine a été choisi dès le départ pas exclusivement à cause de la meilleure connaissance de son régime constitutionnel mais par les réussites juridiques et politiques obtenues par les peuples indiens à partir de l’entrée en application de la Constitution de 1991, à la veille du Vème centenaire de la découverte de l’Amérique. La Colombie est un des pays où la Convention n° 169 de 1989 de l’OIT a été le plus développé au niveau constitutionnel, aussi bien par l’Assemblée Nationale Constituante qui a rédigé la Constitution, que par la Cour constitutionnelle en tant que gardienne de la suprématie de la Constitution.

Le débat canadien sur les traités historiques des peuples autochtones nous a emmené au débat international sur la validité des accords conclu entre un Etat et un peuples autochtone, ce qui a été le sujet d’une étude approfondie en 1999 au sein de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU. Le droit international est par définition pluraliste ; il prend quelques fois le monisme juridique comme son idéal. Ainsi, le droit international a mis en place des instances politiques et des normativités internationales, non exemptes d’ambiguïtés, puis il fait le saut vers l’unité.

Il faut être bien conscient que le droit et la théorie du droit en France métropolitaine ne reconnaissent pas le pluralisme juridique, ni la diversité culturelle, ni les ordonnancements juridiques autres que la république unitaire, le fédéralisme et le droit européen. Il a donc fallu explorer l’Amérique et l’Océanie pour y découvrir comment les constitutions, les législations et la jurisprudence reconnaissent les ordonnancements juridiques des peuples autochtones. Pourtant, la Constitution de la Vème République avait prévu une ouverture juridique assez généreuse en faveur des peuples d’outre-mer dans la perspective de la décolonisation réalisée dans les années 1960. A l’heure actuelle, la Nouvelle Calédonie représente un laboratoire du pluralisme juridique avec le Sénat coutumier, la reconnaissance de l’ordonnancement juridique Kanak, la juridiction inter-culturelle et la possibilité de conclure des traités internationaux ; des nouveautés que peu de pays ont eu l’audace d’adopter et qui s’expliquent par l’aspect de « colonie » éloignée à laquelle la France veut permettre l’accession à l’indépendance.

En France, la théorie du droit a été profondément marquée par le rationalisme et la méthode déductive du droit issu de la Révolution de 1789. On affirme d’abord les principes de la souveraineté du peuple, la représentation politique, les Droits de l’Homme, la division tripartite des pouvoirs publics et l’égalité des citoyens pour construire (déductivement) par la suite un ordre juridique cohérent, unifié selon le principe de la hiérarchie des normes et la subordination du juge à la loi. Or les peuples autochtones, n’ayant pas connu la Révolution Française ni les principes unificateurs et cohérents qu’elle a établis, ont fait émerger un droit multiculturel par la voie des faits juridiques lorsque les constituants, les législateurs et les juges ont mis fin à l’incapacité civile des autochtones, leur ont accordé les droits citoyens et ont reconnu leurs droits collectifs.


§ 2 : La méthode : partir du recensement des faits juridiques.

La reconnaissance juridique de la diversité culturelle suscite des incohérences ; elle exige les concepts juridiques soient ajustés en fonction des réalités culturelles ; ensuite, il faut reconnaître les identités culturelles et les protéger juridiquement. Cela conduit l’ordonnancement juridique, gardien du statu quo, dans les incertitudes des dynamiques culturelles. Or pour réussir à gérer les glissements identitaires et les basculements des cultures, il faut impérativement accroître les pouvoirs des juges et surtout renouveler la théorie du droit public interne.

La méthode privilégiée dans cette thèse est inductive : esquisser les éléments d’une théorie du droit multiculturel à partir des faits juridiques. La duplicité d’ordonnancements juridiques se situe sur le plan des réalités et défi l’unité et la cohérence juridique des Etats de droit. Or l’unité et la cohérence sont toujours envisagées comme des objectifs à atteindre vis-à-vis des autochtones mais les premières pas des constituants canadiens et colombiens, de la Cour Suprême Australienne et des juges calédoniens lors qu’ils ont commencé à accorder des droits citoyens aux autochtones et à reconnaître leurs ordonnancements coutumiers ne pouvaient pas être cohérents par rapport à l’ensemble du système juridique national.

Les juristes ont besoin de prudence lorsqu’ils réfléchissent sur des principes contraires, comme monisme et pluralisme, homogénéité et diversité, universalisme et particularisme, individualisme et communautarisme, qui risquent de devenir sources de conflits s’ils dépassent le plan abstrait, cohérent et rigide des théories. Lorsque ces principes qui excluent conceptuellement leurs contraires, veulent « atterrir » sur le plan des réalités sociales, ils s’inscrivent sur un système social plus large et relativement incohérent où ils peuvent cohabiter avec leurs contraires jusqu’à se faire tous les deux complémentaires.

Jean RIVERO l’avait exprimé avec pragmatisme et netteté, « En matière juridictionnelle, l’absurde est plus tolérable que l’injuste.» La coexistence de solutions contradictoires données au même problème, en possédant la même force de vérité légale, n’est pas pour satisfaire l’esprit. Du moins ne heurte-t-elle pas en général l’équité.

Ainsi, en matière d’identités culturelles et de diversité, le seuil de diversité acceptable correspond au seuil d’homogénéisation nécessaire. L’individualisme et le communautarisme s’entremêlent, aussi bien pour se supporter que pour se limiter l’un à l’autre, selon une approche identitaire. Universalisme et particularisme ne sont que des perspectives choisies par l’observateur. Montesquieu a affirmé que la grandeur du génie consiste à savoir dans quels cas il faut l’uniformité et dans quels cas il faut des différences.

Heureusement, les approches comparatiste et inter-culturelle facilitent la tâche de dépouiller les formules juridiques des intérêts et des déformations que notre culture a ajouté aux principes et aux valeurs universelles. A partir d’un angle extérieur, une vue globale sur l’ordre juridique nous sort du cadre théorique insuffisant d’une seule culture nationale.

Dans une perspective identitaire, la définition romaine de justice, entendue comme valeur et fin du droit : ius sui unicuique tribuere secundum ordinem civitatem, resterait valable si l’on entend que le droit assume la tâche d’attribuer aux sujets titulaires d’une identité culturelle ce qui leur appartient ou leur revient dans les sociétés multiculturelles du XXIème siècle.

Les délégués politiques qui rédigent les Constitutions, les parlementaires qui légifèrent et les juges qui tranchent des cas inter-culturels complexes s’appuient sur les énoncés normatifs et utilisent les notions et les catégories conceptuelles de la théorie du droit dans une certaine mesure. Ils produisent les constitutions, lois et arrêts sous des motivations assez diverses et variées. En tant que représentants d’intérêts légitimes, pour préserver l’ordre public de la société, pour mettre en place un modèle de société, pour réaliser les valeurs qu’ils professent ou, tout simplement, pour trouver une issue pratique. Voilà les matériaux à partir desquels les faits juridiques sont élaborés : un mélange singulier de politique, d’inertie sociale, d’idéaux des sociétés parfaites, de valeurs devenues juridiques et du hasard.

Quoi faire devant le fait accompli de plusieurs Constitutions qui ont adopté le pluralisme ? Les juristes ne peuvent méconnaître que dans les Etats multiculturels, l’élaboration des normes est un processus analytique complexe qui inclut une réflexion sur les pratiques sociales observées, des considérations sur la justice, la politique et les exigences de la cohérence du système ainsi que la prise en considération des principes généraux.

Les théories du droit interviennent avant et après les faits juridiques mais surtout elles se laissent changer par les faits juridiques, dans un dialogue constant avec la pratique juridique. Autrement dit, une théorie n°1 ne sera plus la même après avoir traversé une zone de turbulences sociales ; elle devient la théorie n°2. Ou bien, les théories parfaites du droit qui distillent une pureté juridique, laissent échapper la vie sociale qui est à la fois conforme au droit et qui lui échappe en partie. Or pour encadrer la multiculturalisme des autochtones et gérer les glissements entre les diverses cultures, l’ordre juridique des Etats dépasse les limites mono-culturelles de ses normes, revendique sa dimension pratique et admet le pluralisme juridique.

Quant au dilemme théorique entre établir des régimes séparés et distincts ou établir des régimes doubles et enchevêtrés, les quatre Etats étudiés ont adopté, de façon pragmatique, des normes spéciales pour les peuples autochtones, ont créé des espaces d’autonomie et ont permis un double statut (autochtone et étatique) dans certains occasions. L’affirmation de l’appartenance autochtone ne requiert pas nécessairement le rejet des non autochtones. Il peut y avoir une forte identification sans adopter une attitude hostile à l’égard des autres.

La conception du droit que nous avons adoptée pour écrire notre thèse est multidimensionnelle : le droit est normatif, pratique et fondé sur des valeurs juridiques. Par sa nature, donc, il obéit à diverses logiques et ce qui peut sembler alogique du point de vue strictement normatif, à certaines occasions, pourrait correspondre à une autre logique. Ainsi, les variables culturelles, autrefois négligées par le droit public, obligent aujourd’hui les Etats à déployer toutes les ressources juridiques dont ils disposent pour protéger les identités culturelles majoritaires et minoritaires.

Les sciences sociales contemporaines ont encouragé l’insertion culturelle des peuples et des cultures autochtones dans la société démocratique de référence. On a ainsi abandonné l’image des peuples sauvages et fermés de la période coloniale pour adopter une approche dynamique et ouverte permettant que les héritages culturels les plus divers soient universalisables et en faisant de l’identité culturelle un élément essentiel de la dignité humaine que le droit est censé protéger.

Le droit garde son caractère de discipline qui prescrit un ordre et des comportements sociaux tandis que les sciences sociales se bornent à décrire, systématiser et faire des analyses sur la vie des sociétés humaines, sans se placer au-dessus du droit dans la hiérarchie des sciences. Par rapport au droit, l’histoire est une science auxiliaire et non pas une source du droit. L’ordre juridique reçoit les apports des sciences auxiliaires comme la sociologie, l’anthropologie, l'histoire et l'économie.


§ 3 : Les sources et leurs limites.

Les anthropologues du droit et des théoriciens du pluralisme juridique de la seconde moitié du XXème siècle ont tenté de construire une théorie du droit pour les peuples autochtones à partir d’un rejet de la suprématie des sources étatiques du droit. Notre choix a été exactement contraire, reconnaître les réalités juridiques dans les Etats, tels qu’elles apparaissent dans les travaux des constituants, législateurs et juges : des articles constitutionnels, des lois spéciales et des jurisprudences concernant les peuples autochtones. Cette production juridique a bâti des ponts inter-culturels sans suffisamment respecter les canons édictés par les théoriciens du droit : les uns, attachés au monisme juridique et au monopole étatique des sources du droit, expriment leur mécontentement, de même que les théoriciens du pluralisme juridique engagés dans la déconstruction des Etats par la mise en place d’autres foyers de droit extra-étatiques.

Les peuples autochtones, eux, se trouvent dans une situation ambiguë et contradictoire. Même lorsqu’ils sont juridiquement reconnus, ils ne se considèrent jamais satisfaits parce que, d’un côté, ils ont besoin d’affirmer leurs différences culturelles en refusant de s’identifier à la société majoritaire et de se soumettre passivement aux autorités et aux lois des Etats, et d’autre côté, les autochtones adressent leurs revendications à l’Etat, qui agit à travers ses autorités, ses lois et ses juges. Ce qui prouverait que les peuples autochtones les acceptent.

Après avoir lu de nombreux ouvrages d’anthropologie juridique sur le pluralisme juridique, nous avons retenu la définition formulée par Jacques VANDERLINDEN en 1991 : le pluralisme juridique est la situation dans laquelle un individu peut, dans une situation identique, se voir appliquer des mécanismes juridiques relevant d’ordres juridiques différents. C’est ce qui pourrait conduire à démontrer que le véritable enjeu du pluralisme juridique n’est pas la reconnaissance d’autres ordonnancements mais la définition du droit ou de l’applicabilité du droit.

Les phénomènes du pluralisme juridique « situationnel » dont parle Jacques VANDERLINDEN se produisent déjà dans les Etats qui reconnaissent les ordonnancements juridiques des peuples autochtones : Ils permettent des montages stratégiques et opportunistes aussi bien de la part des groupes que des individus. Un autochtone peut agir en tant que citoyen des deux cités : pour choisir l’un ou l’autre des ordonnancements, en les hybridant ou en profitant des zones communes aux deux.

Seyla BENHABIB a prévenu que le multiculturalisme constitue l’anti-thèse du modèle webérien, à commencer par la pluralité d’identités culturelles et par l’éclatement de l’uniformité administrative. La ré-articulation du rapport entre particulier et universel est au cœur de la recomposition du monde contemporain. On dirait une nouvelle querelle des universaux.

La conception positiviste du droit, axée sur un monopole étatique des sources du droit, est incompatible avec les conceptions pluralistes des sources du droit. Mais l’Etat de Droit n’équivaut pas au positivisme juridique ; de même que l’Etat nation n’équivaut pas à Etat mono-culturel ; les réalités juridiques montrent que les constitutions de plusieurs pays ont adopté le pluralisme juridique dans le droit public interne, ce qui impose de nuancer la rigueur des postulats positivistes pour bâtir une autre théorie du droit dépassant le monisme juridique. Il serait naïf d’envisager le droit comme un système parfaitement hiérarchisé, d’une plénitude hermétique, sans contradictions et facilement unifié. Le droit n’est d’ailleurs pas renfermé dans une école. On a constaté que dans les quatre pays étudiés, le rôle de la jurisprudence, dont le regard est essentiellement pratique, a été prépondérant jusqu’à présent.

Ce qui compte pour un droit devenu identitaire est la protection de l’identité des personnes face aux éléments formels de la loi, qu’elle soit étatique ou communautaire. A qui accorder la prééminence : aux identités des personnes ou aux éléments formels du droit positif ? Lorsque les ordonnancements juridiques (étatique et autochtone) se situent sur un plan d’égalité formelle, la réponse dépend d’un choix axiologique que, dans les Etats sociaux de Droit, s’inspire des Droits de l’Homme. Ce qui accorde la prééminence axiologique aux personnes et non pas aux éléments formels du droit positif, lesquels ne seraient que des produits culturels de la conscience humaine dans l’histoire. Les termes du problème posé dans ce paragraphe sont forcément elliptiques pour faire allusion à l’une des grandes questions de la philosophie du droit et de la théorie du droit.

Il n’existe pas de règles simples pour construire des sociétés multiculturelles ; il faudra, donc, complexifier les ordonnancements juridiques. En effet, on a constaté que le pluralisme juridique met en évidence la complexité du droit, en obligeant à dépasser la dimension normative dans laquelle s’est renfermé le positivisme juridique. Les valeurs juridiques et les issues pragmatiques, une fois adoptées par la loi ou par la jurisprudence, constituent aussi du droit. Sur la reconnaissance de la dimension pratique du droit et des valeurs juridiques, le pluralisme juridique inductif coïncide avec les théories du pluralisme juridique déductif et se situe ainsi aux antipodes de la théorie pure du droit de Hans KELSEN.

Pour nous situer chronologiquement, il convient de signaler que l’année 1988 a marqué, au niveau mondial, le tournant du paradigme assimilationniste au respect d’un seuil de diversité culturelle. Le réveil identitaire et la reconnaissance de la diversité culturelle ont été marqués par des événements divers, situés à partir des années 1960. Dans la Commonwealth, l’achèvement des processus de décolonisation et de nation building ont exigé l’affirmation d’une identité nationale différente de celle de l’ancienne puissance colonisatrice. En Amérique Latine, deux événements sont à signaler : la Déclaration de Barbados élaborée en 1970 par un groupe d’intellectuels qui demandaient de mettre fin à l’oppression des indigènes et le cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique en 1992.

Les auteurs qui ont analysé les faits juridiques des Etats nous ont guidé dans l’analyse des jurisprudences relatives aux peuples autochtones. Parmi eux : Michael Barry HOOKER qui a publié en 1975 une étude monumentale sur le régime colonial et les duplicités d’ordonnancements juridiques en Océanie, en Canada, en Afrique et en Asie ; Régis LAFARGUE qui a analysé en détail le droit prétorien calédonien ayant précédé les accords de Nouméa et ayant suivi la révision constitutionnelle de 1999 ; Andrée LAJOIE qui a dirigé une équipe de recherche dont les réflexions ont abouti aux notions de valeurs partagées et d’interchangeabilité des valeurs juridiques. Roque ROLDAN a, quant à lui, analysé les développements législatifs et jurisprudentiels qui ont suivi la Constitution colombienne de 1991.

Les cinq premiers chapitres principalement descriptifs, énoncent les faits juridiques bruts, l’histoire juridique des peuples autochtones en quête d’une reconnaissance et les réponses des Etats. Ces chapitres montrent ce que les théoriciens du droit ne considéraient qu’une excentricité : hybrider le droit des Etats avec le droit coutumier, sans respecter la supériorité de l’ordre juridique des Etats civilisés. Dans la deuxième partie, on a essayé d’identifier les lignes de fond, les réflexes peut-être inconscients des juges confrontés à des situations bizarres qu’auparavant l’Etat gérait selon une logique de tolérance des minorités et que la théorie du droit excluait de l’univers juridique civilisé.
















PREMIERE PARTIE :
LES DIVERSES RECONNAISSANCES
DES PEUPLES AUTOCHTONES
DANS LE DROIT PUBLIC INTERNE ET INTERNATIONAL
Chapitre I

LE REGIME AUSTRALIEN



Les relations entre les peuples autochtones australiens et la Common Law ont commencé en 1788 à la suite de l’incorporation unilatérale de la Nouvelle Galles du Sud à la Couronne Anglaise. La doctrine de la terra nullius a fondé l’acquisition de la souveraineté territoriale par la Couronne puis le développement des colonies de peuplement a eu comme conséquence l’application du régime de la Common Law et du système des tenures qui attribue à la Couronne la propriété originaire du sol sur l’ensemble du territoire selon le principe « pas de terre sans seigneur ». Ces concepts juridiques avaient été expliqués avec précision par Blackstone une vingtaine d’années avant l’arrivée des Anglais en Australie dans les célèbres Commentaries on the Laws of England, ouvrage publié en 1765 et qui a exercé une grande influence dès le tout début de la colonisation australienne.

L’appropriation initiale de la terre des colonies avait des fondements bien ancrés dans la culture juridique anglaise. Au XVIIe siècle, John Cotton et John Locke avaient formulé une théorie justifiant cette appropriation par le travail individuel selon le paradigme de l’agriculture à l’anglaise. Le territoire australien utilisé seulement par quelques autochtones pour la chasse et la cueillette, fut considéré comme inoccupé, terra nullius. En conséquence, celui qui en prendrait possession et s’en servirait pour pratiquer l’agriculture à l’anglaise, exercerait son droit. Du point de vue anglais, les indigènes cueilleurs-chasseurs ne possédaient aucun droit sur les terres qu’ils occupaient depuis des siècles et n’avaient « aucun motif de se plaindre ou de se croire lésés » par l’« empiétement » de l’Européen.

Plusieurs décennies plus tard, puisque les peuples autochtones n’ont opposé aucune résistance armée, la South Australia Constitution Act de 1834 a déclaré formellement que ce territoire était sauvage et inhabité. Les colons ont pu réclamer la terre pour eux conformément à la version anglaise de la loi de la nature, compte tenu de leur travail agricole ou pastoral. Cette loi contient les trois piliers du régime colonial australien: le statut de terra nullius, l’attribution originaire du sol à la Couronne et le régime d’une colonie de peuplement orientée vers le développement de l’agriculture.

Le fait que les peuples autochtones ne se soient jamais « civilisés », c'est-à-dire n’ayant pas d’adopté les techniques agricoles anglaises, a contribué à justifier la dépossession de leurs terres ancestrales. La situation a évolué après l’arrêt Cooper v. Stuart de 1889 lorsque le Privy Council, tout en confirmant qu’en 1788 l’Australie était « un territoire pratiquement inoccupé sans habitants sédentaires » , a reconnu le droit des autochtones à la terre, selon les politiques impériales, en donnant la responsabilité au gouvernement colonial de forcer les autochtones à adopter la civilisation en leur apprenant l’agriculture.

Dans la période coloniale, l’Empire Britannique, respectueux des traditions et sensible aux remarques de ses anthropologues, a adopté plusieurs lois pour protéger les droits des autochtones sur leurs terres. Puis d’autres tentatives pour moderniser le régime foncier autochtone n’ont pas manquées. Au XXe siècle l’Australie a vu des tendances favorables à la conservation des ordonnancements autochtones à côté d’initiatives dans le sens contraire. La Constitution australienne du 9 juillet 1900 n’a rien dit sur les droits des peuples autochtones.

Lorsque Emile Durkheim a présenté le système totémique des Aborigènes d’Australie comme la religion la plus primitive qui soit actuellement connue, il a contribué à graver dans l’imaginaire des européens du début du XXe siècle les tribus australiennes comme l’archétype d’une humanité qui se contente d’exister sous le mode du souvenir inoffensif, sans nuire à l’établissement du pays ni prétendre à une quelconque appropriation contemporaine de leurs terres ancestrales.


Section I : La formulation contemporaine du problème.

Aujourd’hui les peuples autochtones rejettent les trois fondements du régime territorial et foncier australien. D’abord, ils insistent sur le fait que le territoire n’est pas inoccupé alors qu’il s’agit d’une condition sine qua non pour que la Couronne s’attribue le titre originaire. Or l’occupation antérieure du territoire par les peuples autochtones aurait dû empêcher l’acquisition de la propriété originaire par la Couronne. Les autochtones refusent donc le critère de l’exploitation agricole à l’anglaise comme seul mode d’occupation légitime de la terre admis par la jurisprudence pour fonder un titre juridique.

Les critiques des peuples autochtones contre l’actuel régime de propriété foncière admettent une double lecture : l’occupation coloniale était illégitime, par conséquent le régime étatique doit être rejeté dans son ensemble ; cette occupation ne serait qu’une sorte d’injustice radicale qui entacherait la légitimité de l’Etat. La deuxième lecture, plus pragmatique, situe les revendications autochtones sous les axiomes de la Common Law de l’Australie et admet que les descendants des peuples autochtones ne vivent pas, au XXIe siècle, dans les mêmes circonstances que les cueilleurs-chasseurs du XVIIIe.

L’évolution juridique du sujet a été assez complexe. A l’époque où la Nouvelle Guinée était sous la juridiction de l’Australie, la Laws Repeal and Adopting Ordinance de 1921 a voulu protéger les droits des autochtones sur leurs terres et s’assurer que les institutions et coutumes tribales restaient en vigueur, tout en les subordonnant à l’ordre juridique en vigueur et dans la mesure où les institutions autochtones ne contredisent pas les principes généraux de l’humanité. Les résultats de cette reconnaissance du droit coutumier n’ont pas été satisfaisants. Puis un arrêt célèbre appelé Geita Sebea v. Territory of Papua, la Haute Court d’Australie a reconnu en 1941 le titre sur la terre selon le droit traditionnel pour le territoire de Papua. Cette jurisprudence sera reprise en 1973 par l’arrêt Daera Guba v. Administrateur de Papua et de la Nouvelle Guinée.

Le gouvernement du Commonwealth a pris l’initiative en 1956 de transformer le droit de tenure coutumier en titres de propriété (freehold) individuelle de la terre pour les seuls autochtones. Par la suite, le Parlement australien a adopté en 1962 la Land Registration Ordinance, un statut pour les titres individuels dont l’application fut confiée au Département Fédéral des Terres et à la Commission des Titres Fonciers. Cette commission est en réalité un tribunal judiciaire indépendant chargé de déterminer les titres fonciers, particulièrement les titres autochtones, et de déclarer les zones d’adjudication. Ces dispositifs individualistes et modernes n’ont pas fonctionné en Australie, comme ce fut le cas en Afrique.

Les contradictions officielles, les inadaptations des règles coutumières mises par écrit par les fonctionnaires coloniaux et les approches divergentes des ethnologues, entre autres raisons, ont conduit en 1963 à une nouvelle législation plus souple, la Native Customs (Recognition) Ordinance, basée sur un mélange des législations anglaises du Protectorat des Îles Salomon et du Ghana. Trois critères encadraient les coutumes :
ne pas contredire les principes de l’humanité ;
ne faire preuve d'aucune incompatibilité profonde à l’égard de la législation ;
ne pas aller contre l’intérêt public.

Certes, la supériorité de la Common Law dans les colonies devait être affirmée d’une façon politique, c’est-à-dire si les circonstances s’y prêtaient, et ces trois critères l’exprimaient juridiquement. Le régime colonial reconnaissait le droit autochtone tout en introduisant des « statuts d’application générale » dont la portée était assez incertaine.

La Native Customs (Recognition) Ordinance abandonnait l’idée de codifier les coutumes autochtones, accordait un grand pouvoir discrétionnaire aux juges pour apprécier les coutumes comme une question de fait et n’imposait aucune procédure stricte. En fait, les deux approches, juridique et anthropologique, ont rendu la situation beaucoup plus complexe.

En ce qui concerne le régime foncier, la Native Customs Ordinance a envisagé de reconnaître les droits de propriété collective sur les terres où les peuples autochtones avaient un contrôle non contesté des terres pour établir le registre des titres de propriété collective. Pourtant dans la plupart des zones, la terre n’était pas appropriée d’une manière collective par les autochtones.

Dans les années 1960, le processus de décolonisation a fortement marqué les autochtones et les non autochtones en les obligeant tous à repenser le peuplement du pays et à reformuler la citoyenneté australienne. A cette époque, le mouvement indigène est sorti de son état d’invisibilité morale et politique pour occuper une position de premier rang dans le débat politique. Les indigènes ont pris au sérieux la décolonisation et ont su profiter de l’occasion pour réinventer leurs revendications identitaires et engager un combat pour la renégociation de leurs droits, de leurs obligations et de leur statut.

En Australie du Sud, l’Aboriginal Lands Trust Act de 1966 a voulu mettre en place un système d’aboriginal trust centralisé entre les mains du Gouverneur pour gérer et développer le territoire. L’Aboriginal Lands Act de Victoria, adopté en 1970, a eu comme objectif d’octroyer sous une autre forme d’aboriginal trust les terres des réserves de Framlingham et du Lac Tyers, en imitant le système anglo-australien de propriété personnelle et de structure familiale.

Lors d’un référendum en 1967, sanctionné par 91% de voix favorables, l’Australie a accordé aux autochtones le droit de vote et les droits sociaux. De cette façon, on est arrivé à une universalisation des droits des citoyens et les autorités fédérales ont acquis la compétence législative sur les aborigènes qui appartenait auparavant aux Etats fédérés. C’est la même solution que les Etats-Unis et le Canada, deux autres régimes fédéralistes issus de la Common Law, avaient adopté depuis le XIX siècle. Après le référendum de 1967, on doit signaler la Commonwealth Racial Discrimination Act de 1975 et la Human Rights and Equal Opportunity Commission Act de 1986. Les peuples autochtones ont acquis le statut citoyen mais non les droits collectifs sur les terres ni l’autonomie pour gérer leurs affaires internes même si normalement les autorités étatiques ne s’y immiscent que faiblement.

La jurisprudence a continué à prendre du retard par rapport aux changements législatifs et politiques en faveur des peuples autochtones. L’arrêt Milirrpun vs Nabalco Pty Ltd. a réaffirmé en 1971 que la propriété royale était le principe fondamental du régime foncier : la Couronne est la source des titres, il ne s’agit pas d’un droit allodial. Le titre natif a ainsi été rejeté par la Cour Suprême du Territoire du Nord ainsi que le lien spirituel et religieux des autochtones avec le territoire.

Sur le plan politique, le gouvernement travailliste de WITHLAM a adopté le multiculturalisme en 1972, peu après le Canada et les Etats Unis. La particularité de l’Australie à la fin du XX siècle fut le souci de favoriser les minorités ethniques récemment arrivées de l’Océanie et d’autres continents. L’ouverture à la diversité culturelle de l’Etat australien n’est aucunement mise en doute mais sa politique consistant à attirer et à intégrer des immigrants va dans un sens contraire à celui des peuples autochtones, qui défendent leurs traditions et préconisent une fermeture du pays aux immigrants.

Les peuples autochtones australiens, se considérant comme étant insuffisamment reconnus, s’écartent volontairement de ce processus du « nation building ». Ils ont adopté une position politique fondée sur un clivage social fondamental qui sépare d’un côté les autochtones et de l’autre, les immigrants (anglais et asiatiques), cette approche est naturellement remise en cause par les autorités australiennes et les autres minorités.

L’Australie a mis en place toute une série de mesures législatives contre la discrimination raciale entre 1975 et 1986. Il y a eu d’abord la Commonwealth Racial Discrimination Act adoptée en 1975 qu’il faudrait considérer comme le plus solide support des droits des autochtones contre l’extinction de leurs titres de propriété par les Etats faisant partie de la fédération d’Australie. Il y a ensuite une loi sur les droits fonciers des aborigènes, l’Aboriginal Land Rights Act adoptée en 1976 et, enfin, la Human Rights and Equal Opportunity Commission Act que le Parlement Australien a voté en 1976, renforçant ainsi les outils de protection des peuples autochtones.

Après ces précédents législatifs et politiques, les débats et conflits concernant la propriété de la terre des peuples autochtones australiens ont culminé en 1992, lorsque le changement jurisprudentiel tant attendu par les peuples autochtones s’est produit avec l’arrêt Mabo.

§ 1 : l’arrêt Mabo v. State of Queensland.

La conséquence de la jurisprudence Mabo v. State of Queensland a été la reconnaissance des titres natifs des autochtones et de les insérer dans le cadre conceptuel de la Common Law. La Haute Cour australienne a appliqué en faveur de la couronne anglaise la doctrine féodale du titre originel et a attribué au peuple autochtone Mériam un droit de tenure dérivé, fondé sur l’occupation continuelle du territoire des Îles Murray. Désormais, la jurisprudence australienne a abandonné la doctrine de la terra nullius et les titres natifs ont été reconnus par la Common Law.

En 1982, Eddie Koiki Mabo et quatre autres aborigènes du peuple Mériam ont revendiqué les titres sur les Îles Murray. Contrairement à la jurisprudence Milirrpum v. Nabalco Pty Ltd de 1971, Eddie Koiki Mabo n’a pas invoqué les relations spirituelles entre le clan et la terre mais une relation matérielle à caractère économique, l’exploitation agricole faisant référence au paradigme de l’agriculture anglaise. C’est cet argument qui a déterminé l’issue du procès en sa faveur.

Le procès Mabo a fait un grand bruit et a soulevé toute une série de réactions pendant les 10 ans qu’il a duré. Le parlement de l’Etat de Queensland a adopté le 15 avril 1985 la Queensland Coast Islands Declaratory Act, loi selon laquelle tous les droits fonciers des habitants des îles du détroit de Torres auraient été éteints sans compensation suite à la déclaration de souveraineté de 1879. Cette loi a été invalidée par la Haute Cour australienne dans l’arrêt Mabo parce qu’elle avait méconnu la Commonwealth Racial Discrimination Act de 1975.

Lors du procès, l’histoire coloniale du peuple Meriam a été bien documentée et la Haute Cour a remarqué que les registres et les recherches anthropologiques montraient que les actuels habitants des îles Murray étaient les descendants du peuple autochtone décrit dans les premiers rapports des Européens. J. Moynihan a décrit comment, vers la fin du XVIIIème siècle, la partie centrale et la partie haute de l’île était un potager cultivé. Il a observé aussi que « dans la Cour de l’Île, il n’est pas surprenant de découvrir que les disputes foncières d’une petite communauté soient décidées par un consensus auquel ils arrivent depuis la considération de divers facteurs. Les règles juridiques de l’Etat auraient fait éclater la vie de la communauté. »

L’arrêt Mabo n’exprime pas le moindre doute quant à la compétence de la juridiction de l’Etat et a spécifiquement défini qu’aucun tribunal n’était pascompétent pour annuler l’acquisition de la souveraineté sur l’Australie par la Couronne au XVIIIème siècle. La doctrine de l’occupation d’une terra nullius, comme mode reconnu par le droit international pour acquérir la souveraineté, fut réexaminé et la Cour arriva à la conclusion que les Îles Murray que l’on croyait désertes étaient, en réalité, habitées par le peuple Mériam que J. Moynihan considérait comme d’authentiques cultivateurs traditionnels. Le peuple Mériam n’était donc pas une simple communauté de cueilleurs chasseurs et la constatation historique de ce fait, vraiment exceptionnelle, produira des effets juridiques également exceptionnels.

La Haute Cour a précisé que dans les années 1870 les îles du détroit de Torres n’appartenaient pas au territoire de Queensland et que les autorités coloniales n’ont pas exercé un contrôle de facto sur les Îles Murray. Mais les choses ont changé lorsque la Couronne a eu besoin d’élargir les bornes maritimes de Queensland afin d’y inclure les îles Murray et Darnley. L’Office Colonial a produit les Lettres Patentes de la reine Victoria à Westminster le 10 Octobre 1878 et qui furent promulguées l’année suivante. Elles ont tenu lieu non seulement de déclaration de souveraineté mais elles ont surtout marqué le début d’une présence d’agents officiels dans les Îles Murray.

Une nouvelle loi, la Colonial Boundaries Act fut nécessaire en 1895 pour lever les doutes de l’Office Colonial sur la légalité de l’annexion des îles Murray par les Lettres Patentes du 10 Octobre 1878, puisqu’à l’époque la colonie avait déjà des institutions représentatives et les limites avaient été fixées par la législation impériale.

Pendant certaines périodes, quelques non autochtones, peu nombreux, ont habité les îles Murray où ils ont travaillé comme missionnaires, fonctionnaires ou pêcheurs mais il n’y a eu aucune migration de population établie de manière permanente et la composante étrangère parmi les ancêtres du peuple Mériam est demeuré faible en comparaison avec les autres communautés qui habitent le détroit de Torres.

Durant la période coloniale, les autorités anglaises ont constaté à maintes reprises le bon fonctionnement du système politique et social autochtone des îles Murray. Dans un rapport officiel d’octobre 1882, le Capitaine Pennefather souligne que “ les natifs sont très tenaces sur leur propriété de la terre et l’île est divisée en de petites propriétés qu’ils se sont transmises de père en fils de génération en génération, ils refusent absolument de vendre leur terre à aucun prix, (…) Ils ont construit de bonnes maisons et cultivent les potagers, ils sont une race fort intelligente et parmi eux un homme blanc est en sécurité ». La Haute Cour a d’ailleurs reconnu un siècle plus tard que le peuple Mériam gardait un profond sens de filiation à l’égard de la société et de la culture des premières époques et que ses membres considéraient que leur identité est très liée aux îles Murray.

Lorsque le gouvernement de Queensland a « réservé » l’île Murray aux aborigènes, une politique de protection du peuple autochtone s’est vite mise en place en février 1882. La même année, une adjudication spéciale de deux acres fut accordée par le Gouvernement de Queensland en faveur de la London Missionary Society mais la présence de cette institution a duré peu de temps sur les Îles puisqu’elle en est partie en 1891.

En application de la politique de protection des autochtones, en 1885, John Douglas, Gouverneur résidant à l’île Thursday a réussi à négocier le départ des non autochtones, arguant que "Harry, le Chef ou primat de l’île Murray, était un despote bénigne dont l’autorité était respectée". En 1886 le Gouverneur a adressé un rapport au Gouvernement de Queensland, mettant en doute la possibilité « d’administrer ces îles sous les lois de Queensland, plus précisément celles qui concernent la terre et la façon dont les ethnies aborigènes peuvent être reconnues comme propriétaires de leurs propres terres ». Ce dernier a également décrit dans un autre rapport official le système de gouvernement en place: "Le gouvernement séculier est dirigé par 'Harry', le chef reconnu ou primat qui est assisté dans son administration par quatre officiers, aussi appelés policiers. 'William', un natif de la Nouvelle Zélande est à la tête du gouvernement spirituel ou théocratique."

Puis, dans son rapport annuel de 1907, le Fonctionnaire Protecteur des Aborigènes de Queensland décrit un régime autochtone et colonial vraiment hybride : « le conseil de Gouvernement est formé par un chef natif ou ‘mamoose’ assisté par des conseillers ou les anciens du village, (…) L’Européen qui enseigne à l’école accomplit les fonctions de greffier et de trésorier de la Cour Native, à laquelle il donne des suggestions ou des conseils s’il est prié de le faire, mais autrement il n’intervient pas dans la gestion des affaires internes. (…) Il peut imposer de punitions ou des peines d’emprisonnement au moyen de petites contraventions mais les contraventions plus graves sont réservées aux autorités de l’île Thursday. L’enseignant européen, greffier de la Cour, enregistre les naissances, les mariages et les décès, il conserve tous les livres et notations officielles et, en tant que trésorier, il mène la comptabilité ».

Une expédition anthropologique de Cambridge a visité les îles Murray en 1898 et observé que « Queensland n’a affecté aucune tenure foncière pour la Cour de l’île. Il n’y a pas de terre commune mais chacun cultive son propre potager dans sa propre portion de terre selon sa convenance. »

Sans s’attarder à demander quel a été le support juridique du « système d’auto-gouvernement » instauré par le gouverneur Douglas, ni analyser la nature de la juridiction de la Cour autochtone de l’île, la Haute Cour australienne a trouvé que le peuple Mériam avait accepté pacifiquement le contrôle des autorités et des fonctionnaires du Gouvernement de Queensland, lequel est devenu un exercice habituel de l’autorité administrative coloniale sur les îles Murray, de sorte que l’annexion formelle fut suivie d’un exercice effectif du pouvoir administratif par le Gouvernement de Queensland.

Ces faits ont suffi à la Haute Cour d’Australie pour affirmer que la souveraineté de la Couronne sur les Îles Murray a été consolidée par le contrôle ininterrompu que les autorités de Queensland y ont exercé. Mais la Haute Cour ne s’est pas interrogé sur la validité de l’acquisition de la souveraineté de la Couronne sur les îles Murray car pareille question n’aurait pas manqué de mettre en relief le débat sur la compétence judiciaire de la Haute Cour.

Pour la Haute Cour australienne, la souveraineté britannique n’a pas éliminé les titres ancestraux du peuple Mériam à la possession, l’occupation et l’exploitation des îles Murray. La Common Law de l’Australie reconnaît le titre natif des peuples autochtones selon les coutumes traditionnelles à condition que celles-ci soient subordonnées à certaines restrictions exprimant la souveraineté de l’Etat. La reconnaissance de l’occupation des îles Murray par le peuple Mériam avant l’acquisition de la souveraineté par la Couronne implique que la Haute Cour abandonne –au moins pour ce cas- la doctrine de la terra nullius comme fondement de la souveraineté pour affirmer que la souveraineté était fondée sur l’exercice ininterrompu de l’autorité coloniale.

Comment interpréter cette évolution jurisprudentielle ? On pourrait penser que, pour la Haute Cour australienne, le constat historique de l’exercice ininterrompu de l’autorité coloniale montre l’acquisition de la souveraineté par la Couronne et que l’occupation antérieure de la terre par le peuple Mériam a aussi une valeur juridique. En acceptant comme valables ces deux ordonnancements, il semblerait que la Haute Cour a cherché à en faire une hybridation : la souveraineté de l’Etat est un axiome déclaré par l’Etat lui-même et fondé sur l’histoire récente mais les titres natifs sont également déclarés par l’Etat et fondés sur l’histoire antérieure qui a survécu jusqu’à nos jours.

La Couronne a acquis la propriété absolue, la possession légale et le pouvoir exclusif d’octroyer des titres sur tout le territoire des îles Murray le 1er août 1879. Ce jour-là, les autochtones n’ont pas été mis au courant de la promulgation des Lettres Patentes à Brisbane sur l’annexion des îles Murray ni de leur incorporation à Queensland et, quand bien même l’auraient-ils appris, le peuple Mériam n’était pas en condition d’apprécier que cela équivalait juridiquement à une expropriation et à l’occupation des territoires qu’ils avaient occupé pendant des siècles. L’élaboration jurisprudentielle de la Haute Cour australienne fut assez pragmatique et originale pour réussir à assimiler l’occupation antérieure au 1er août 1879 à l’occupation postérieure. En fait, l’occupation antérieure a continué sous la souveraineté anglaise et l’arrêt Mabo a reconnu à la fois l’occupation de fait et la souveraineté acquise.

L’arrêt Mabo semble être quelque peu contradictoire lorsqu’il affirme, dans un premier temps, que le régime de colonie de peuplement s’est établi parce que le territoire était inhabité alors que, dans un second temps, la Haute Cour australienne reconnaît qu’il y avait bien des habitants autochtones. La contradiction trouve pourtant une résolution raisonnable si l’on ajoute au fait d’habiter en Australie une condition supplémentaire, inspirée par John Cotton et John Locke, et qui constituerait la source véritable des droits fonciers : avoir une exploitation agricole. De la sorte, les rapports des cueilleurs-chasseurs à la terre ne seraient pas la source des droits fonciers et leur présence n’aurait aucun effet juridique sauf si ces mêmes groupes de cueilleurs-chasseurs devenaient des agriculteurs, comme c’est le cas du peuple Mériam.

La Haute Cour australienne a trouvé un autre argument pour les titres aborigènes dans l’Aboriginal Land Rights (Northern Territory) Act de 1976, lequel parle, à plusieurs reprises, des titres aborigènes par l’usage ou l’occupation traditionnelle. et, d’autre part, cette loi reconnaît que l’occupation traditionnelle peut ne pas être exclusive ; par exemple, un groupe peut avoir un titre aborigène pour réaliser des cérémonies dans un endroit appartenant à un autre groupe. Le rapport des Commissaires de la Terre Aborigène en contient un grand nombre de cas.

De surcroît, la Haute Cour australienne a ajouté que les circonstances qui distinguent le peuple Mériam des autres peuples autochtones ne peuvent pas être invoquées par la Cour pour différencier entre les droits du peuple Mériam et ceux des autres peuples autochtones. Toutefois, établir un tel précepte ne semble pas cohérent dans un système de droit jurisprudentiel, par définition attentif aux nuances et aux circonstances qui distinguent une situation sub iudice d’une autre.

En résumé, l’arrêt Mabo a déclaré :
l’annexion des îles Murray à l’Etat de Queensland en vertu du titre originel de la Couronne sur tout le territoire. Pourtant le titre traditionnel du peuple Mériam sur les Îles Murray a survécu à l’annexion des îles par l’Etat de Queensland et lui donne les droits de possession, occupation et exploitation sur les Îles ;
le titre traditionnel du peuple Mériam est soumis aux compétences du Parlement et du Gouverneur en Conseil de Queensland, lesquels peuvent l’éteindre en exerçant leurs pouvoirs conformément aux lois du Commonwealth. Ainsi, la Haute Cour a invalidé la loi d’extinction sans compensation édicté par l’Etat de Queensland et les actes d’exécution qui l’ont suivi contre le peuples Mériam puisqu’ils ont méconnu la Commonwealth Racial Discrimination Act de 1975 ;
l’adjudication faite en 1882 en faveur de la London Missionary Society et l’adjudication de 1931 sur les Îles Dauer et Waier pour des buts administratifs sont sans valeur face aux droits et privilèges du peuple Mériam fondés sur leur titre natif ;
la terre des Îles Murray n’appartient pas à la Couronne dans le sens de la Land Act de 1962.

Les effets de la jurisprudence Mabo sont ambigus. D’une part, l’acceptation explicite des titres aborigènes et la rhétorique de la Haute Cour en faveur des peuples autochtones ont produit une forte impression, enthousiaste chez les indigénistes et méfiant chez les entreprises minières, forestières et d’élevage de bétail. D’autre part, l’Etat n’a pas renoncé à sa souveraineté et les trois conditions requises pour reconnaître le titre natif sont si difficiles à remplir que, dans la pratique, la voie judiciaire reste presque fermée pour faire reconnaître les titres aborigènes et les autochtones préfèrent la voie des négociations pour obtenir de l’Etat la reconnaissance de leurs titres natifs.

L’arrêt Mabo peut être décrit comme une révolution judiciaire tout autant qu’une décision essentiellement conservatrice, puisque paradoxalement ces deux points de vue sont tous les deux plus ou moins exacts. Avec le recul des douze ans écoulés, les juristes, les législateurs et les chercheurs ont identifié les nouveautés juridiques ainsi que les lignes de continuité de l’arrêt Mabo par rapport à son passé immédiat. La doctrine juridique, les universitaires et les mouvements sociaux de l’Australie furent fortement marqués par les changements introduits ou induits par cet arrêt. Murray Chapman a reconnu en 1995 que l’investissement vis-à-vis de l’exploration et de l’exploitation minière a baissé du fait du danger que les titres natifs représentent pour la sécurité des profits de l’industrie minière.

Après l’arrêt Mabo, on essaie à nouveau de relier les titres natifs aux rapports spirituels que les autochtones entretiennent avec leurs terres. Saunnaugh DORSETT a souligné la place prioritaire que la terre occupe pour le bien-être spirituel des peuples autochtones et a insisté sur le fait que la terre assure non seulement la maintenance physique des peuples autochtones mais aussi le lien avec le temps mythique et avec les esprits ancestraux. Situer le débat sur le registre spirituel lui fait perdre son caractère juridique et renvoie à la supériorité du spirituel sur le matériel. Si l’on situe le débat sur le plan culturel, il semble difficile que l’Etat australien accepte de modifier ses propres représentations culturelles et le type de rapports avec la terre à caractère économique qui fondent le régime foncier de la Common Law.


§ 2 : La Common Law et droit autochtone.

Pour le droit australien, les peuples autochtones contemporains sont les descendants des aborigènes qui habitaient l’Australie et les îles du détroit de Torres au moment du peuplement par des Européens. L’Etat reconnaît qu’ils ont été dépouillés de leurs terres sans aucune indemnité. Aujourd’hui, leurs droits de citoyens sont officiellement reconnus par l’Australie selon les standards internationaux de la Convention Internationale pour l’Elimination de la Discrimination Raciale, la Convention sur les droits Economiques, Sociaux et Culturels, la Convention sur les droits Civils et Politiques, et la Déclaration Universelle des droits de l’Homme. L’Etat ne leur a (encore) pas reconnu un statut supplémentaire, en tant qu’autochtones et il s’agit bien là de leur principale revendication.

La Common Law étant un droit jurisprudentiel et coutumier en soi, c’est à dire non codifié, reposant moins sur la loi et, partant, moins généralisable que le droit continental, les rapports entre la Common Law et le droit autochtone ne sont pas forcément conflictuels. L’énorme distance géographique entre l’Australie et la métropole laissait une grande marge de manœuvre aux autorités coloniales sur place pour choisir et interpréter le droit qu’ils étaient censés applique. D’ailleurs, la Common Law est plus ouverte au pluralisme juridique que le droit continental et permet d’incorporer le droit autochtone avec une relative facilité sous la forme de précédents, de prendre en compte d’autres intérêts légitimes ou d’autres faits juridiques. C’est bien cela qui s’est produit dans le cas de la propriété foncière des autochtones australiens, en faisant bien évidemment quelques ajustements dans la forme et dans les résultats .

Pour Michael Barry Hooker, le droit de la Common Law produit des normes particulières et détaillées qui régissent les situations de fait. Les précédents y jouent un rôle capital, puisque les cas particuliers contiennent la norme de droit et, d’autre part, parce que les méthodes d’interprétation judiciaire sont très strictes. Tandis que pour le droit continental, le droit est plutôt un ensemble de principes d’un haut niveau de généralité et d’une portée universelle, organisés et systématisés. Le juge continental perçoit le droit comme un ensemble et non pas comme une liste de normes, ce qui lui permet de donner une interprétation extensive des normes.

A l’égard de ses colonies, l’Empire britannique n’a pas imposé d’uniformisation juridique au delà des besoins pratiques et concrets des colonies de peuplement. Les autorités impériales ont préféré la formule de l’ « indirect rule » et de ne pas abolir ni le droit ni les institutions autochtones. Conformément à cette prudence juridique, le titre natif est envisagé par les tribunaux australiens dans le cadre conceptuel de la Common Law.

En Australie, seule la Couronne, le parlement impérial ou le législateur du territoire de la province peuvent édicter la Common Law applicables sur ce territoire et les limites de ses effets. En fait, le statut australien des colonies de peuplement n’a pas été modifié par ni le Parlement impérial ni par le législateur.

La propriété foncière dans la Common Law combine des cas de propriété formelle et informelle qui se superposent. La Common Law s’adapte aux relations formelles et informelles de propriété ainsi qu’à leurs répercussions sur l’utilisation de la terre (land use et land cover). Land tenure signifie l’ensemble des droits et des obligations qui concernent la propriété civile et le régime foncier. Par sa conformation particulière, le droit anglais a toujours oscillé entre les trois perspectives différentes de la propriété correspondant aux faits empiriques, aux droits formellement définis et aux devoirs assignés pour l’utilité sociale.

Le régime de propriété de la terre en Australie est très différent de la conception classique du Code Civil. Les droits fonciers, tels qu’envisagés par la Common Law, ressemblent plus à une concession de terres octroyée par la Couronne qu’au droit réel, perpétuel et absolu du Code Civil français. La formule anglaise permet une intervention majeure de la Couronne sur la propriété foncière. En substance, la Common Law offre trois possibilités :
le freehold ou domaine en détention libre, équivalant de la propriété privée individuelle en droit français ;
les leasehold ou domaine en détention en bail, sorte de prérogative donnant le droit d’occuper et d’exercer les attributs de propriétaire sur un territoire pendant une période déterminée : c’est l’équivalent du bail emphytéotique français ;
les licences d’occupation ou d’exploitation limitées dans le temps et dans le contenu juridique, lesquelles ne peuvent pas devenir des droits réels et qui ressemblent aux concessions du droit français.


Depuis la période coloniale, les juges australiens ont toujours été confrontés à l’alternative du choix entre l’approche juridique et l’approche anthropologique, c'est-à-dire d’appliquer la Common Law dans sa rigueur ou de « l’hybrider  avec les considérations anthropologiques pour établir un droit de tenure coutumier qui combinerait le cadre conceptuel du droit foncier anglais avec les relations des autochtones avec la terre. Tâche fort difficile puisque les notions de propriété individuelle ou communale de la Common Law ne correspondent pas aux droits d’usage de la terre par les familles, lignages, clans et groupes autochtones australiens.

Il n’est pas exact de penser que la Couronne Anglaise a appliqué une politique cohérente en Australie. En 1975 Michael Barry Hooker écrivait que l’application de la législation coloniale, malgré la souplesse de la jurisprudence et son relatif respect pour le droit coutumier, a fini par transformer le point de vue des autochtones à l’égard de la terre et, de ce fait, leur structure sociale fut aussi modifiée. Il s’est opéré un processus d’interaction classique entre les notions juridiques autochtones et celles de la Common Law.

Loin de signifier une rupture pour la Common Law, l’arrêt Mabo a ré-institutionnalisé la grille conceptuelle du droit foncier féodal, avec le titre originel attribué à la Couronne et le titre natif en faveur des autochtones, toujours subordonné au titre originel de la Couronne. A première vue, la notion de titre natif réutilise les structures de classification traditionnelles de la Common Law ; pourtant cette notion n’est pas une doctrine médiévale mais une hybridation juridique où l’ensemble des revendications territoriales des peuples autochtones furent nettement réinterprétées et inscrites sous les axiomes de la Common Law.

La Haute Cour australienne a déclaré explicitement qu’elle ne pouvait pas appliquer les notions contemporaines de justice et de droits de l’Homme si ces notions contredisaient les principes et le corps juridique de la Common Law, dont la supériorité n’est pas remise en question : « le droit anglais devient le droit d’un territoire (et non pas simplement le régime personnel des colons). Les colonies de ce type sont appelées ‘colonies de peuplement’. Dans l’hypothèse des habitant indigènes d’une colonie de peuplement qui n’ont pas reconnu la souveraineté, ce territoire pourrait s’acquérir seulement par conquête ou par cession. Les peuples indigènes d’une colonie de peuplement sont ainsi considérés sans droit, ni souveraineté, et assez primitifs quant à leur organisation sociale ». Selon les Commentaires de Blackstone, les plantations et le peuplement des pays lointains permettent de réclamer un droit d’occupation seulement dans trois cas : si les colons trouvent le territoire inhabité et sans culture, si on l’a gagné par conquête ou si le territoire fit l’objet d’une cession par un traité.

Il y a une grande différence entre ces trois types de colonies quant à leur régime juridique : le territoire inhabité, découvert et cultivé par des ressortissants anglais est soumis de ces faits au régime juridique anglais d’une manière immédiate et sa constitution peut être modelée ou reformée par le pouvoir général de surintendance de la nation-mère. L’arrêt Mabo a bel et bien confirmé que l’Australie a été une colonie de peuplement. Dans les cas des territoires conquis ou cédés par un traité, ces pays avaient déjà leur propre droit et cet ancien droit perdure.

Selon une logique typiquement coloniale, l’arrêt Mabo cite Lord Kingsdown, qui considère que lorsque les Anglais s’établissent dans un territoire barbare ou inhabité, ils apportent avec eux non seulement leur droit mais aussi la souveraineté de leur propre Etat. C’est le point de départ du droit australien. Une fois que la Common Law s’est implantée, non pas simplement comme le statut personnel des colons anglais mais comme le droit du territoire pour protéger aussi bien les colons que les habitants autochtones. Les autochtones étaient à ce moment là déjà titulaires de droits ; ils ont droit à être protégés en tant que ressortissants de la Couronne. D’autre part, les juges australiens ne remettent jamais en cause les axiomes de base du système juridique qui a établi leur juridiction puisque cela équivaudrait à douter de leur propre compétence et de la légitimité de la loi qu’ils sont censés appliquer.

Cela dit sur les fondements du système judiciaire de la colonie, la Common Law reste ouvert aux précédents juridiques des peuples autochtones colonisés. L’absence de précédents entraînait pour les juges coloniaux le grave obstacle ne pas pouvoir identifier les faits juridiquement significatifs dans les cultures autochtones. Les juges coloniaux se sont donc tournés vers les études ethnographiques pour se procurer un support. Mais l’ethnographie se montrait parfois trop taxinomique ou simplement descriptive et parfois la démarche des ethnographes était trop empreinte d’idéologies diverses.

§ 3 : le titre natif.

Un titre natif est un titre juridique attributif de la propriété ou d’autres droits voisins en faveur des peuples autochtones sur la terre et sur les eaux, fondés sur le droit des peuples autochtones et reconnu par l’Etat. Sa nature et ses caractéristiques dépendent des lois et des coutumes autochtones. D’après la grille conceptuelle de la Common Law, le titre natif assure les droits des autochtones et protège les intérêts légitimes liés à ce type de titre. Les titres, droits et intérêts autochtones ne sont pas exclusifs d’autres titres de propriété : un peuple autochtone peut, par exemple, avoir d’autres titres fonciers ou des actions en bourse selon le régime ordinaire des droits des affaires.

La reconnaissance des titres natifs a des précédents jurisprudentiels dans plusieurs pays de la Common Law: les Etats Unis, la Nouvelle Zélande, le Canada et le Nigeria. Premièrement, la Cour Suprême américaine dans l’arrêt Johnson contre Mc’Intosh a conclu en 1823 que les tribus possèdent leurs terres en vertu d’un titre indien qui leur donne le droit d’occuper la terre et d’en conserver la possession. En Nouvelle Zélande, l’arrêt R. contre Symonds a reconnu en 1847 les titres natifs ; au Canada avec l’arrêt St Catherine’s Miling & Lumber Co. contre la Reine, en 1888, et au Nigeria avec l’arrêt Amodu Tijani contre Secretary Southern Nigeria, en 1921.

En Australie l’arrêt Mabo a introduit assez tardivement, en 1992, la doctrine des titres natifs. En reconnaissant les droits traditionnels du peuple Mériam sur les trois îles Murray, à l’est du détroit de Torres, la Haut Cour a déclaré également que le titre natif existait pour tous les peuples autochtones de l’Australie, antérieurs aux Instructions de Cook et à l’établissement de la colonie britannique de la Nouvelle Gales du Sud en 1788. En déclarant dans l’arrêt Mabo que le titre natif existe encore sur toutes les portions du territoire où il n’a pas été légalement éteint, la Haute Cour a fortement ébranlé les fondements du droit foncier australien.

Dans les arrêts australiens antérieurs à 1991, le titre originel de la Couronne acquis par occupation d’une terra nullius impliquait que les peuples autochtones n’avaient droit à aucune reconnaissance. Le régime de la Common Law s’est implanté comme si les autochtones n’existaient pas. L’arrêt Mabo a rattrapé cet effacement, cette inexistence du droit foncier autochtone à partir de deux fondements juridiques différents : d’une part le titre originel de la Couronne dû à l’acquisition de la souveraineté et, d’autre part, l’occupation historique des îles avant l’arrivée des Anglais. L’arrêt de la Haute Cour d’Australie ne permet pas le moindre doute quant à l’acquisition de la souveraineté par la Couronne en 1879 sur les îles Murray ni sur le fait que la Common Law était devenue le droit des îles revendiquées par Eddie Mabo.

L’arrêt Mabo fait une distinction radicale entre le titre de la Couronne sur la colonie, de nature politique et qui a trait à la souveraineté, et d’autre part, la propriété de la Couronne sur le territoire de la colonie qu’elle pourrait transférer à quelqu’un d’autre et relèverait du droit privé. L’acquisition d’un territoire, par exemple en Afrique ou en Inde, appartient au domaine du droit International et cela n’entraîne forcement la fin des droits de propriété privée de l’ordre juridique antérieur. Le sort des droits de propriété dépend du mode d’acquisition de la souveraineté : par conquête, par accord de cession ou par occupation d’une terra nullius. Conformément à la Common Law, l’occupation pacifique de l’Australie a joué contre les peuples autochtones : s’ils avaient été vaincus en guerre de conquête, leur système juridique aurait été reconnu. Mais l’Australie n’ayant pas le statut de territoire conquis, le régime foncier anglais s’est implanté sans aucune résistance et les droits des aborigènes sur leurs terres furent simplement ignorés. Un autre statut foncier, celui de terre allodiale, prévu par la Common Law pour les territoires n’ayant été pris par aucun seigneur supérieur, et qui aurait servi pour reconnaître la propriété traditionnelle des peuples autochtones, fut refusé par l’arrêt Attorney General (Nouvelle Galles du Sud) v. Brown en 1847

Le titre natif peut donner lieu à un droit de propriété individuelle ou collective, selon les traditions et les coutumes de chaque peuple autochtones. Le titre natif peut aussi interdire la transmissibilité des droits aux non-autochtones ou restreindre l’accès à la juridiction étatique pour régler les différends fonciers. L’arrêt Western Australia contre Ward, d’août 2002 a précisé que le titre natif est un ensemble de droits de contenu varié, qui sans être analogue au droit de propriété -fief simple-, peut être éteint partiellement et successivement. Ce même arrêt a établi que les minéraux et le pétrole sont la propriété de la Couronne et qu’il n’y a pas de titre autochtone sur ces ressources.

La Common Law d’Australie reconnaît aux peuples autochtones leurs titres natifs sous trois conditions, assez difficiles à réunir :
prouver qu’ils sont les descendants biologiques des habitants originaires ;
avoir gardé leur lien avec le territoire d’une façon continue ;
que le titre n’ait pas été annulé par aucun acte impérial, colonial, du Commonwealth, de l’Etat australien, ni du gouvernement territorial.

Dans tous les cas, il faut apporter au procès judiciaire les preuves des trois conditions ci-dessus et des coutumes, ainsi que l’expertise anthropologique écrite. C’est la raison pour laquelle, en pratique, il serait facile dans un procès judiciaire de prouver l’extinction des titres natifs sans rien reconnaître aux autochtones. En revanche, au Canada, la catégorie constitutionnelle des « droits ancestraux existants » permet une autre issue favorable aux autochtones, là où il n’y a pas de titre natif.

Le contenu et la portée d’un titre natif australien peuvent beaucoup varier. Le titre natif équivaut parfois à la pleine propriété, comme celle du peuple Mériam. Il peut également y avoir des territoires ancestraux qui ont été l’objet d’un acte juridique de reconnaissance ou d’adjudication à un peuple autochtone comme, par exemple, des titres collectifs ou individuels, ces titres sont des titres natifs. Dans d’autres cas, il suffirait d’un droit de chasse ou de pêche dans une zone, ou simplement le droit de s’y rendre périodiquement pour accomplir les rituels ancestraux. L’arrêt The Commonwealth of Australia v. Yarmirr, en 2001 a précisé que les droits et les intérêts protégés par le titre natif peuvent inclure la mer, le sol et le sous-sol marin, ainsi que la pêche, en coexistence avec les droits d’autres personnes sans que, pour autant, les autochtones aient le contrôle des opérations commerciales maritime, en matière de pêche, tourisme, etc…

Sanaugh Dorsett a réussi à identifier trois caractéristiques des titres natifs :
une antériorité à l’établissement de l’Etat, sans ignorer que l’établissement du régime étatique a eu une profonde incidence sur le régime antérieur, qu’il a repris en le transformant ;
un contenu et une portée variables selon les lois et les coutumes traditionnelles des peuples autochtones reconnues par le droit australien ;
un caractère collectif des titres même si à l’intérieur de la communauté il peut y avoir des propriétés individuelles d’après les traditions et les coutumes des peuples autochtones.

Selon l’arrêt Mabo, un titre natif s’éteint lorsque la Couronne ou le gouvernement colonial accordent un autre titre mais cette extinction doit être formalisée par un acte de la législature ou de l’exécutif qui révèle la volonté sans équivoque d’éteindre le titre natif. Cela revient à affirmer la supériorité du droit légiféré sur les ordonnancements juridiques autochtone, bien que traditionnellement le droit légiféré a été considéré comme une greffe étrangère au développement organique de la Common law par voie de précédent.

De ce point de vue, il apparaît clairement que l’Etat souverain ne renonce pas à sa prérogative de mettre fin à la propriété individuelle ou communale pour des raisons de nécessité ou d’utilité publique. Il n’y a donc pas de propriété immobilière qui ne puisse être acquise ou expropriée par l’Etat moyennant le versement d’une indemnité, cela vaut aussi bien pour les titres natifs que pour les titres immobiliers ordinaires. La possibilité d’éteindre les titres natifs est toujours implicite dans la notion d’Etat souverain, bien que réglementée par la Native Title Act, et entourée de garanties en faveur des peuples autochtones.

Certes, l’arrêt Mabo a établi que le Parlement de Queensland et le Gouverneur en Conseil pouvaient éteindre les titres natifs mais cette faculté n’est pas arbitraire. Ils doivent respecter les lois du Commonwealth et se soumettre au contrôle de légalité exercé par les tribunaux. Ce qui a été précisément le cas de la Queensland Coast Islands Declaratory Act édicté par l’Etat de Queensland le 15 avril 1985 et des actes d’exécution qui l’ont suivi contre le peuple Meriam, lesquelles furent invalidés par la Haute Cour dans l’arrêt Mabo puisqu’ils avaient méconnu la Commonwealth Racial Discrimination Act de 1975. Cette loi constitue le meilleur rempart des droits des autochtones contre l’extinction de leurs titres par les Etats, tout comme la Human Rights and Equal Opportunity Commission Act de 1986, qui a renforcé les critères de la non discrimination.

Shaunnagh DORSETT critique l’extinction du titre natif par la constitution d’un autre titre par la Couronne ou par le gouvernement comme impliquant un jugement de valeur qui valorise les intérêts dérivés de la Couronne au détriment des intérêts des peuples autochtones. Une seconde critique souligne le fait qu’en mettant fin aux titres natifs, la Haute Cour a choisi de ne pas considérer l’utilisation actuelle de la terre, qui aurait pu être libre de toute occupation et être reprise par les autochtones si leur titre natif n’avait pas été éteint. Ce dernière critique est pertinente; pourtant la reviviscence des titres natifs mérite une analyse plus prudente.

La Haute Cour a résolu le problème de la reviviscence des titres natifs dans la perspective de la validité et la suprématie de l’ordre juridique étatique, puisque ce problème ne pouvait pas être résolu autrement par le droit public interne. La jurisprudence australienne ne permet pas une reviviscence des titres natifs éteints, qui remettrait en question l’ordre juridique étatique.

D’autre part, la Haute Cour a reconnu que certains peuples autochtones et des habitants du détroit de Torres -différents du peuple Mériam- furent dépossédés de leurs terres ancestrales et qu’ils sont incapables de les récupérer par eux-mêmes. La conclusion que l’arrêt Mabo tire de cette situation avec une bonne dose d’initiative et du réalisme, fut de suggérer la création d’un fond spécial destiné à aider les peuples autochtones à réacquérir la terre. Voilà un bon exemple du gouvernement des juges habituel dans les pays de la Common Law, adresser au Gouvernement une recommandation dans le domaine des dépenses publiques :

« It is also important to recognise that many Aboriginal peoples and Torres Strait Islanders, because they have been dispossessed of their traditional lands, will be unable to assert native title rights and interests and that a special fund needs to be established to assist them to acquire land”.

L’arrêt Mabo contient aussi des instructions aux pouvoirs publics pour garantir que les titulaires d’un titre natif puissent jouir pleinement de leurs droits, lesquels ont besoin d’un développement législatif. Dans l’avenir, les actes limitant les titres natifs devraient être valables seulement après un effort raisonnable pour arriver à un accord avec les peuples autochtones. Il est aussi important que les Australiens non autochtones aient une certitude juridique quant à la validité des actes. Ce sont les objectifs de la Native Title Act.

Section II : la mise en pratique

Les autorités australiennes ont échoué à deux reprises dans les années 1960 pour mettre en place des titres fonciers en faveur des peuples autochtones. D’abord en 1962 avec la Land Registration Ordinance, qui a constitué une tentative de transformation de l’occupation coutumière de la terre en titres freehold individuels, puis en 1963 avec la Native Customs Ordinance, une législation plus souple dont le but était de reconnaître la propriété collective des peuples autochtones.

En 1976, à la suite des travaux de la Commission Woodward créée pour répondre aux demandes du peuple Gurindji, dans le Territoire du Nord, le Parlement a adopté l’Aboriginal Land Rights (Northern Territory) Act qui reconnaît que l’occupation traditionnelle peut ne pas être exclusive et permettre le partage d’un même territoire par des groupes différents dont les droits ne s’excluent pas mutuellement, comme on peut l’imaginer pour des peuples autochtones nomades.

§ 1. Le « Native Title Act » de 1993.

La Native Title Act fut adoptée en 1993 afin de développer les principes de l’arrêt Mabo de l’année précédente et de répondre à une forte campagne d’opposition conservatrice. Le Gouvernement travailliste de M. Keating a dû chercher un compromis entre autochtones et non autochtones. Le législateur, en prenant acte de la jurisprudence de la Haute Cour, a déclaré que le titre natif est reconnu par la Common Law de l’Australie et que le peuple australien a la volonté de redresser les injustices du passé et d’assurer pleinement aux peuples autochtones leurs statut, leurs droits et leurs intérêts ainsi que la riche diversité culturelle de la nation australienne.

La Native Title Act s’est donné comme objectifs, d’une part, de développer et d’entourer de garanties les titres natifs en faveur des peuples autochtones et, d’autre part, de calmer les non-autochtones qui craignaient les développements juridiques et les menaces qu’ils faisaient peser sur leurs droits, leurs titres et leurs intérêts légitimes sur les terres et les eaux. Jusqu’à présent, le principal résultat de cette loi a consisté à circonscrire le débat sur les peuples autochtones en Australie aux titres natifs de sorte qu’il n’y ait pas de place pour une revendication d’autonomie politique ou administrative ni pour la création de collectivités territoriales autochtones comme au Canada ou en Colombie.

Les débats parlementaires furent durs et difficiles car l’opposition conservatrice décida de rejeter dans sa totalité le projet de loi présenté par le gouvernement. Les aborigènes, dont la plate-forme de négociation était la « Déclaration de la Vallée d’Eva » adoptée à Manyallaluk en 1993, ont dû manœuvrer auprès des sénateurs démocrates et écologistes pour assurer le vote de la Native Title Act. C’était la première fois que les aborigènes australiens ont influencé un processus politique national d’une façon aussi directe et soutenue.

Aujourd’hui, les peuples autochtones considèrent que cette loi a établi des conditions et des critères trop exigeants pour prouver et faire reconnaître un titre natif qui soit conforme à la Common Law. Les investisseurs et les industries minières, craignant des possibles dérives de l’arrêt Mabo, ont déployé un intense lobbying et exercé une considérable pression sur les partis politiques afin d’obtenir une issue législative qui les rassure. Une fois que les secteurs sociaux concernés furent arrivés à un compromis, la Native Title Act as été adoptée en 1993 et elle est entrée en vigueur le 1er janvier 1994. La Haute Cour l’a déclarée conforme à la Constitution en 1995.

La sécurité juridique du reste de la communauté australienne a exigé que la Native Title Act donne la nécessaire certitude et protection face à l’éventualité de voir leurs droits, titres, intérêts et actes juridiques invalidés par l’existence antérieure d’un titre natif. Ainsi, l’Etat a déclaré valides les titres accordés, les droits et les intérêts créés en faveur des non autochtones avant l’entrée en vigueur de la loi, sur des territoires réclamés par les autochtones. Un autre instrument créé pour garantir la sécurité juridique fut la création d’un registre de toutes les réclamations foncières formulées par les peuples autochtones

Jusqu’au 1er janvier 1994, date de l’entrée en vigueur de la Native Title Act, les actes du Gouvernement concernant les droits fonciers se classifient en quatre catégories : A, B, C et D. La loi appelle distingue :
les actes de la catégorie A, les freehold grant antérieurs au 1er janvier 1994, qui ont toujours éteint le titre natif ;
les actes de catégorie B, leasehold grant non minier antérieur à la date d’entrée en vigueur de la loi et d’une durée limitée ;
les actes de la catégorie C, leasehold minier antérieur à la date d’entré en vigueur de la loi, qui suspend le titre natif pendant la durée de sa validité juridique ;
et tous les autres actes du Gouvernement antérieurs au 1er janvier 1994 appartiennent à la catégorie D et n’éteignent pas les titres natifs.

A partir du 1er janvier 1994, la possibilité de suspendre en vertu des actes gouvernementaux les titres natifs pour une durée déterminée au profit des non autochtones, constitue une formule juridiquement compatible avec le principe de la non-extinction des titres natifs adopté comme règle générale par la Native Title Act. Un tel acte est soumis à une réglementation assez détaillée.

La plupart des dispositions de la Native Title Act ont un caractère procédural et les amendements ultérieurs sont nombreux. En substance, la législation australienne prévoit trois types de procédures :
une négociation entre toutes les parties concernées avec la médiation du Tribunal National des Titres Natifs.
une négociation sur les mines, arbitrée par la Cour Fédérale.
une décision de la Cour Fédérale reconnaissant un titre natif peut être réexaminée par le Ministère Fédéral, si l’intérêt national l’exige.

En premier lieu, la Native Title Act a établi une procédure spéciale pour la reconnaissance des titres natifs et des intérêts des autochtones en tenant compte, dans la mesure du possible, du caractère spécifique des titres et des intérêts des peuples autochtones. Le Gouvernement fédéral doit, si cela est approprié, faciliter la négociation au niveau régional entre les parties sur deux aspects : d’abord, sur les réclamations foncières des peuples autochtones et de la population insulaire du détroit de Torres et, ensuite, sur les propositions d’utilisation économique de ces terres.

La loi a établi que les organismes compétents reconnaissent une représentation aux peuples autochtones et à la population insulaire du détroit de Torres et qu’ils reçoivent une assistance dans les réclamations des titres natifs ou des compensations, comme l’avait ordonné la Haute Cour dans l’arrêt Mabo. Cette représentation et les négociations de nouveaux accords avec l’Etat constituent les seules traces des droits collectifs.

Le Tribunal National des Titres Natifs créé par la Native Title Act, n’est pas, en dépit de son nom, une instance judiciaire mais un bureau administratif spécialisé qui dépend du Procureur Général et qui assure pour l’essentiel la négociation et la médiation. Il ne décide pas si un titre natif existe ou s’il est légitime : ses fonctions sont limitées à des fonctions d’assistance, d’information et de médiation pour rechercher des accords sur les titres natifs. Ses décisions peuvent être contestées auprès de la Cour Fédérale. Le régime du Tribunal National des Titres Natifs a été modifié en novembre 1997.

Les fonctions de médiation du Tribunal National des Titres Natifs incluent la production des preuves. Mais c’est à la Cour Fédérale qu’il revient de réexaminer les preuves en tenant compte des particularismes culturels et du droit coutumier des peuples autochtones et des populations du détroit de Torres, sans porter indûment préjudice aux autres parties au procès.

A côté du Tribunal National des Titres Natifs, qui est l’organisme central du système administrative chargé des titres natif, il y a l’Indigenous Land Corporation et l’Aboriginal and Torres Strait Islander Fund, créés en 1989 par la loi Aboriginal and Torres Strait Islander Commission Act. On trouve également l’Unité de Recherche sur les Titres Natifs et l’Institut Australien d’Etudes sur les Aborigènes et les Populations Insulaires du détroit de Torres.

La Cour Fédérale détient la juridiction exclusive sur tout ce qui a trait aux titres natifs, sauf les compétences de la Haute Cour d’Australie. La Cour Fédérale peut dispenser de médiation sur un aspect en particulier ou sur l’intégralité de la réclamation. Les parties ont le droit d’attaquer devant la Cour Fédérale :
la décision du Tribunal National des Titres Natifs de négocier un droit ou un autre aspect de la réclamation des titres natifs ;
le payement effectif d’une compensation ;
la façon de liquider la compensation ;
la qualité ou les conditions des personnes qui interviennent dans le procès ;
les contestations entre les personnes intervenant s autour de la compensation, etc…

Les titres natifs sont, en principe, inextinguibles sauf pour des causes et selon la procédure établie dans la Native Title Acte. Les titres natifs peuvent s’éteindre par des actes rigoureusement réglementés, moyennant une juste compensation, par exemple en raison de la réalisation des travaux publics mais si les travaux publics cessent d’exister, il s’opère une reviviscence du titre natif. Dans la plupart de cas, la solution prévue par la loi est la suspension temporaire des droits autochtones, une des figures juridiques les plus intéressantes du droit des peuples autochtones.

§ 2 : l’évolution jurisprudentielle

Le régime de propriété de la terre des autochtones a dû traverser diverses vicissitudes jurisprudentielles avant que l’arrêt Mabo et la loi des titres natifs de 1993 n’hybrident les deux systèmes juridiques des peuples autochtones et de la puissance colonisatrice.

A. l’état de la jurisprudence avant l’arrêt Mabo

1. l’arrêt General Attorney of New South Wales v. Brown.

Dans l’arrêt General Attorney de la Nouvelle Galles du Sud v. Brown, la Cour Suprême de la Nouvelle Gales du Sud a refusé en 1847 le statut de terre allodiale, c'est-à-dire le statut de la terre qui n’a été prise par aucun seigneur supérieur. Dans l’ensemble de notions que la Common Law a accumulé au fil des siècles, le statut de terre allodiale aurait pu servir pour reconnaître la propriété traditionnelle des peuples autochtones. A partir de cet arrêt, l’Australie s’est acheminée vers le principe juridique féodal de l’acquisition par la Couronne de la propriété originaire du sol sur l’ensemble du territoire.

Les raisonnements de l’arrêt s’enchaînent de la manière suivante : depuis que les premiers ressortissants britanniques ont pris possession en 1788 du territoire de la Nouvelle Gales du Sud en nom de leur souverain, la Couronne s’est attribué la souveraineté sur ce territoire. Etant devenu domaine royal selon les lois du Parlement et les actes du gouvernement colonial, c’est le droit d’Angleterre le droit applicable. D’après le droit d’Angleterre, la Couronne a acquis la propriété absolue de tous les territoires inhabités de la colonie, de sorte qu’il ne peut pas y avoir d’autre droit ou intérêt sauf ceux qui dérivent de la Couronne.

Il convient de souligner comment la colonisation et le droit colonial se renforcent mutuellement dans le raisonnement de la Cour. La Cour Suprême en a déduit, comme si tous les territoires étaient inhabités, que la souveraineté de la Couronne s’est implantée dans la totalité du territoire sans aucun obstacle. Dans cet arrêt, les peuples autochtones semblent ignorés voire inexistants.

Juridiquement, il s’agit des colonies de Sa Majesté et non des colonies du peuple Anglais ni des colonies de l’Empire Britannique. Le principe du système juridique féodal signale que toutes les terres appartiennent indirectement ou immédiatement à la Couronne. Le souverain est l’occupant universel de tout le territoire et toute propriété est réputée trouver en lui son origine. Mais dans un pays récemment découvert, ce sont les colons qui ont emmené la Common Law avec eux.

2. l’arrêt Cooper v. Stuart

L’arrêt Cooper v. Stuart de 1889 est la jurisprudence qui a le plus marqué la Common Law australienne. Axé sur la doctrine de la terra nullius, l’arrêt a reconnu le droit des autochtones à la terre, selon les politiques impériales, en donnant la responsabilité au Gouvernement colonial de civiliser les autochtones en leur apprenant l’agriculture. Suite à l’arrêt Cooper v. Stuart, les autorités coloniales ont eu l’intention de faire apprendre l’agriculture aux autochtones pour éviter qu’ils soient dépossédés de leurs terres. Aujourd’hui on ajouterait que dans cette intention figurait également l’objectif de mettre fin à leur rapport traditionnel avec la terre.

L’arrêt Mabo s’est appuyé également sur la doctrine de l’introduction du droit Anglais dans un pays en dehors des domaines royaux contenue dans l’arrêt Cooper v. Stuart. Ainsi lorsque les colons britanniques sont arrivés avec leurs droits politiques en tant que sujets de la Couronne, «les dits colons apportent avec eux seulement autant du droit anglais qu’il serait applicable à leur propre situation et aux conditions d’une nouvelle colonie ». Les prérogatives de la Couronne sur les colons étaient donc limitées et la Common Law devait s’adapter aux circonstances des colonies.

Une autre conséquence juridique de la migration en Australie fut que les colons sont arrivés sous la protection de la Couronne, avec leurs titres, garanties et libertés qu’ils tenaient de leur origine. Parmi ces droits figurait celui de constituer une assemblée législative analogue au Parlement impérial. Créer un autre parlement avec des pouvoirs législatifs a signifié un début d’autonomie pour les colonies.

3. l’arrêt Geita Sebea v. Territory of Papua.

La Haut Cour d’Australie a reconnu dans l’arrêt Geita Sebea v. Territory of Papua de 1941 le titre sur la terre selon le droit traditionnel des autochtones, conformément au régime de l’indirect rule colonial adopté par le Territoire de Papua. Cette jurisprudence sera repris en 1973 par l’arrêt Administrateur de Papua et de la Nouvelle Guinée contre Daera Guba au moment pour la Haute Court d’Australie de reconnaître le titre sur la terre selon le droit traditionnel. Ces deux précédents jurisprudentiels sur la protection des intérêts natifs traditionnels furent invoqués dans l’arrêt Mabo : il ne s’agissait pas de reconnaissance de titres natifs conformes à la Common Law mais de la reconnaissance du droit autochtone et des titres natifs qui en découlent.

4 . l’arrêt Milirrpum v. Nabalco Pty Ltd 

L’affaire Milirrpum v. Nabalco Pty Ltd a commencé en 1963 lorsque deux clans, le peuple Yolngu et le peuple Yirrkala, ont demandé à la Chambre de Représentants la reconnaissance des droits à leurs terres contre une entreprise minière. Après l’échec d’une Commission parlementaire chargée de résoudre le cas, le peuple Yirrkala a tenté de réclamer ses droits auprès des Cours.

En 1971 dans l’arrêt Milirrpum v. Nabalco Pty Ltd la Haute Cour n’a pas accepté le titre natif par deux raisons :
les peuples autochtones ont invoqué, dans cette occasion un lien de nature spirituelle et religieuse avec le territoire ;
ils n’ont pas réussi à prouver que leurs ancêtres habitaient le même territoire au moment de l’annexion de la Nouvelle Galles du Sud.

Quant à l’exigence de reconnaître l’annexion des territoires à l’Etat, elle impliquerait de situer les peuples autochtones à l’intérieur de l’Etat. Shaunnaugh Dorsett refuse cet axiome implicite lorsqu’elle affirme que les titres natifs, par définition se situent avant l’établissement de l’Etat et que si l’on suppose que les titres natifs et étatiques ne peuvent pas exister simultanément, la validité d’un titre exclue forcément l’autre. Les titres natifs dont parle l’arrêt Mabo ne sont pas les mêmes titres natifs que Dorsett revendique. La continuité historique exigée par la jurisprudence Mabo a son origine avant l’établissement de l’Etat, puis elle reconnaît l’établissement de la Common Law et, enfin, l’hybridation de l’ordonnancement autochtone et de la Common Law à l’intérieur de l’ordre juridique de l’Etat australien.


B. l’évolution de la jurisprudence après l’arrêt Mabo

1. l’arrêt People Wik v. State of Queensland.

Dans l’arrêt People Wik v. State of Queensland, la Haute Cour a décidé en 1996, par une majorité de 4 contre 3 que le titre natif ne s’éteint pas du fait des droits de pâturage accordés sous une des formes du droit statutaire. Ainsi, 70% du continent australien est concerné, possédé selon de diverses formes du droit statutaire qui ont en commun de ne pas conférer la terre en exclusivité.

L’arrêt Peuple Wik a orienté la jurisprudence australienne vers la co-existence des titres natif et statutaires, tout en confirmant la subordination du titre natif aux intérêts de la Couronne. La Haute Cour a établi que les droits de pâturage ne confèrent pas la possession exclusive et qu’un titre natif peut co-exister avec les droits de lease. De la sorte, l’arrêt peuple Wik rendait possible de nombreux procès de réclamation de titres natifs vu l’étendu des terres sous droit de lease : 41% de l’Australie du Sud ; 49% du Territoire du Nord ; 37% de l’Australie du Ouest, et 65% de Queensland.

A la suite au débat national intense soulevé par cette jurisprudence, le Gouvernement Howard a amendé la Native Title Act en 10 points malgré l’opposition des peuples autochtones et du parti travailliste alors dans l’opposition.

2. la jurisprudence récente.

Après l’arrêt Peuple Wik, la Haute Cour australienne a adopté plusieurs décisions limitant la signification et la portée des titres natifs.
L’arrêt Fejo v. Northern Territory (1998) a établi que les titres de fief simple produisaient l’extinction définitive de tous les droits et intérêts des peuples autochtones, sans donner lieu à une suspension puis à une reviviscence comme les autochtones l’affirmaient jusqu’à ce moment.
L’arrêt The Commonwealth of Australia v. Yarmirr a reconnu, en 2001 que si les titres natifs incluent la mer, le sol et le sous-sol marin où les autochtones ont le droit de pêcher, ces droit ne sont pas exclusifs et les peuples autochtones n’ont pas le contrôle des opérations commerciales de pêche, tourisme, etc.
L’arrêt Western Australia v. Ward a précisé en août 2002 que les minéraux et le pétrole sont la propriété de la Couronne et que, de ce fait, les titres natifs sur ces ressources étaient éteints. La Haute Cour a expliqué que le titre natif est un ensemble de droits de contenu varié, pas forcement analogue au droit de propriété -fee simple- et qu’il peut être éteint partiellement et successivement.
 L’arrêt Wilson v. Anderson a décidé en 2002 que un droit de pâturage à perpétuité équivalait à un titre de propriété freehold et que, par conséquent, il éteignait le titre natif. Cet arrêt a signifié une grand recul pour les peuples autochtones puisque ce type de droits de pâturage couvre presque 40% de la Nouvelle Galles du Sud.
L’arrêt Rose v. State of South Autralia, du 1er novembre 2002 a reconnu qu’un droit de pâturage peut être accordé sous réserve des droits et des intérêts autochtones circonscrits à l’usage du territoire selon les coutumes ancestrales ; les requérants du peuple Nguraritja ont dû prouver leur lien avec le territoire revendiqué.
L’arrêt Members of the Yorta Yorta Aboriginal Community v. State of Victoria and Ors a nié, en décembre 2002 le titre natif de possession exclusive sur 2.000 kms2 parce que les ancêtres des Yorta Yorta n’avaient pas la possession de leurs terres depuis 1881 et qu’ils ne suivaient plus leurs lois et coutumes traditionnelles.
 
Le seul cas récent décidé en faveur des peuples autochtones fut l’arrêt Yanner v. Eaton, en 1999 à propos de deux petits crocodiles tué par un aborigène. La Haute Cour australienne a reconnu que d’après le Native Title Act les titulaires d’un titre natif n’avaient pas besoin d’un permis de chasse.

§ 3 : les autres revendications autochtones.

Les peuples autochtones australiens ont obtenu d’importants changements juridiques en leur faveur : la validité du titre natif a été reconnu par la jurisprudence et la législation nationales ; le pouvoir des Etats fédérés sur les affaires indigènes a été réduit au plan interne par la Commonwealth Racial Discrimination Act de 1975 et par la jurisprudence Mabo de 1992 et, au niveau de la Commonwealth, par d’autres exigences du droit international que les autochtones ont réussi à forcer à prendre en compte leurs demandes.

L’arrêt Mabo, la Native Title Act et l’arrêt People Wik marquent les progrès obtenus sur le plan juridique par les peuples autochtones en Australie. Certaines notions et doctrines juridiques sur la propriété foncière, décalées de leur contexte jurisprudentiel, effrayent les entreprises et font rêver les militants autochtones d’un retour aux temps antérieurs à 1788. Il convient de signaler que les deux discours s’alimentent réciproquement. Il y a un mouvement social des peuples autochtones assez large et hétérogène dont les revendications restent très politisées.

De tels affrontements rhétoriques n’empêchent pas l’Australie de développer ses exploitations minières et forestières ni les autochtones de participer de plus en plus aux instances et aux mécanismes de concertation prévue dans la Native Title Act. On trouve certains juristes qui travaillent à faire appliquer la doctrine des titres natifs en faveur des peuples autochtones ; d’autres demandent la reconnaissance des droits collectifs, la participation politique et parlementaire et l’autonomie politique des peuples autochtones. Les législateurs en tiennent compte pour mettre fin à l’exclusion des peuples autochtones et pour intégrer leurs demandes dans l’intérêt général, conformément aux principes démocratiques et représentatifs.

Le discours contemporain des peuples autochtones accorde une grande signification au fait qu’ils aient habité l’Australie pendant 60.000 ans avant l’arrivée des Anglais. Bien qu’ils ne pratiquent pas l’agriculture à l’anglaise, les peuples autochtones ont géré le territoire à leur façon, en brûlant la végétation pour assurer la régénération des arbustes qui fleurissent après les incendies forestiers. Certains juristes, comme Shaunnagh Dorsett, considèrent que l’inoccupation étant une conditio sine qua non de la terra nullius, la Couronne n’aurait jamais acquis la souveraineté ni le titre originel.

En Australie les mouvements indigénistes et les partisans d’une réconciliation avec les peuples autochtones ont lancé l’initiative de signer un traité entre le Gouvernement et les peuples autochtones afin de compenser les mauvais traitements subis par les autochtones dans le passé. Dans l’année 2000, les sondages d’opinion ont montré que presque la moitié des Australiens étaient en faveur de cet accord malgré l’opposition qu’il rencontre en Australie, y compris de l’actuel premier ministre conservateur John Howard.

A. la revendication d’autonomie

La Common Law perçoit et traite le titre natif comme un cas particulier ou comme une exception au régime général des titres fonciers, à tel point que la Native Title Act lui a assorti une procédure et un système des preuves spéciales. Seuls les aborigènes du détroit de Torres ont une représentativité et un commissaire spécial en vertu d’un disposition spécifique de la Native Title Act.

En 1986, l’Aboriginal Land Grant (Jervis Bay Territory) Act et en 1987 l’Aboriginal Land (Lake Condah and Framlingham Forest) Act se sont préoccupés des problèmes fonciers dans ces régions particulièrement sensibles, toujours selon la méthode consistant à établir un régime particulier.

Ces avancées masquent le fait que d’autres peuples autochtones n’ont aucune participation dans le système politique et juridique australien ; la revendication de leurs droits collectifs et de leur autonomie n’est encore pas visible. Les voix considérées comme les plus radicales commencent à envisager que les peuples autochtones puissent participer à l’orientation de l’Etat d’une manière substantielle mais la participation des peuples autochtones dans le débat public reste bornée aux sujets fonciers.

L’Australie n’est pas un pays qui rejette le multiculturalisme : sa politique d’attirer et d’intégrer des immigrants sait faire preuve d’ouverture à la diversité culturelle et son processus du « nation building » a l’air assez libéral et moderne. De loin, le mouvement des peuples autochtones australiens donne l’impression de ne pas soutenir les causes sociales des immigrants et d’autres minorités ethniques, à l’inverse de la situation en Colombie ou au Canada. On doute cependant que les peuples autochtones australiens ne s’inscrivent pas dans le courant du pluralisme juridique et du multiculturalisme.

Du point de vue politique, les revendications des peuples autochtones ne peuvent pas conduire à leur renfermement dans des ghettos mais à leur insertion dans un cadre pluraliste d’inspiration identitaire. Il semblerait qu’une reconnaissance positive des cultures des autres populations fasse partie des conditions essentielles pour participer dans une démocratie multiculturelle. Ce qui ne peut se faire sans un retour auto-critique sur son propre système de représentations et de croyances collectives. Autrement dit, le discours de la reconnaissance et du respect de la diversité culturelle a tendance à dépasser la rhétorique essentialiste et immobiliste, qui tend à figer les hommes dans leur culture, pour générer un retour critique sur sa propre culture. Il semblerait que l’attitude traditionaliste des peuples autochtones australiens les conduise à un renfermement identitaire et que l’ouverture au pluralisme juridique et au multiculturalisme entraîne de grosses transformations.

Une partie de la mobilisation des peuples autochtones se fait à travers les instances internationales et les collectifs d’ONG. C’est ainsi qu’en août 1998, un rapport du Comité de l’ONU pour l'élimination de la discrimination raciale, agissant dans le cadre de la procédure d'alerte rapide, a demandé à l’Australie des informations relatives à trois sujets de préoccupation :
les modifications envisagées à la loi de 1993 sur les titres de propriété des aborigènes (Native Title Act) ;
les changements de politique intervenus en ce qui concerne les droits fonciers des aborigènes ;
les modifications apportées aux fonctions du Commissaire à la justice sociale pour les aborigènes et les insulaires du détroit de Torres.

Lors de sa session de mars 1999, le Comité a examiné le rapport préparé en réponse par l'Australie, dans lequel le Gouvernement a détaillé les quatre grands principes établis dans la loi de 1993 sur les titres de propriété des aborigènes, les décisions judiciaires influant sur l'application de la loi de 1993, notamment l'arrêt Peuple Wik v. Queensland, les lacunes de la loi de 1993 et la procédure suivie pour l'élaboration des amendements en conformité avec les quatre principes établis dans la loi ainsi qu’un examen de la loi de 1976 sur les droits fonciers des aborigènes (Aboriginal Land Rights Act).

Dans ses observations finales, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale se dit préoccupé par la conformité des amendements apportés à la Native Title Act avec les obligations internationales de l'Australie ainsi par quatre dispositions spécifiques que la Comité de l’ONU estime discriminatoires à l'égard des détenteurs de titres aborigènes. Le Comité souligne également l'absence de participation effective des communautés aborigènes dans la formulation des amendements. Le Comité s’est déclaré également préoccupé par les modifications proposées à la structure générale de la Commission australienne des droits de l'homme et de l'égalité des chances. Dans la session d'août 1999, le Comité a réaffirmé sa grave préoccupation et a décidé de poursuivre l'examen de cette question par des rapports périodiques sur l'Australie.

B- L’obligation fiduciaire.

La jurisprudence canadienne a établi en 1984 une obligation fiduciaire pour l’Etat afin de garantir les titres natifs. Cette jurisprudence a beaucoup attiré l’attention des juristes australiens qui considèrent qu’un régime d’obligations fiduciaires fournirait un outil jurisprudentiel précieux pour redresser les conséquences de l’extinction des titres natifs produites avant la Native Title Act de 1993 et du fait qu’il est très facile de ne pas reconnaître les titres natifs si les peuples autochtones ne remplissent pas les conditions établies par la jurisprudence Mabo.

Dans le régime canadien, une obligation fiduciaire est fondée sur l’obligation d’exercer loyalement et avec soin des pouvoirs qu’une personne vulnérable a cédés (ou plus souvent, que quelqu’un a cédé à sa place) à une autre personne en lui faisant confiance pour exercer ce pouvoir exclusivement au bénéfice de la partie vulnérable. En l’occurrence, la personne vulnérable est un peuple autochtone, et l’Etat est l’obligé en tant que destinataire de la cession. 

En fait, les rapports fiduciaires entre l’Etat et les peuples autochtones ne se limiteraient pas à une garantie des titres natifs. Leurs contenu et portée peuvent aller beaucoup plus loin dans deux sens : soit pour reconstruire le passé au détriment des colons et des entreprises sur le territoire, soit pour exiger de l’Etat des investissements pour sortir les autochtones de la pauvreté. Dans les deux cas, les obligations fiduciaires exigent la reconnaissance de la souveraineté et de la légitimité de l’Etat, chargé de reconstruire le passé où de mettre en place les programmes de discrimination positive qui s’imposent en vertu de cette obligation fiduciaire.

Etablir un régime d’obligation fiduciaire à la charge de l’Etat se fait, sans aucun doute, au bénéficie des peuples autochtones. Pourtant établir un tel régime présuppose aussi un renforcement de l’Etat pour qu’il soit en mesure d’accomplir ses nouvelles obligations fiduciaires. Dans la même logique, les obligations fiduciaires de l’Etat canadien diminuent au fur et à mesure que les peuples autochtones exercent des compétences étatiques.

L’Australie a choisi de ne pas éteindre les titres natifs alors que la suspension des titres natifs est la règle générale selon la Native Title Act de 1993. D’autre part, il semblerait que la jurisprudence cantonne les peuples autochtones dans leur style de vie ancestrale et qu’elle fait tout son possible pour aménager une coexistence des titres natifs avec les droits des agents économiques miniers, forestiers, poissonniers et autres. Le principe de non extinction conforterait les peuples autochtones tandis que la compatibilité des titres natifs avec les autres titres de la Common Law permettrait le développement et la croissance économique de l’Australie. Dans un tel enjeu, où les législateurs et les juges refusent de mettre fin aux titres natifs, l’obligation fiduciaire n’aurait pas de sens.




Chapitre II

LE REGIME CANADIEN




Le point de départ du régime canadien contemporain est la reconnaissance simultanée de la pleine citoyenneté des autochtones et d’un statut constitutionnel en tant que peuples distincts de la société canadienne. Elle comprend un espace d’autonomie propre et un supplément de droits collectifs et de libertés ancestrales ou issues des traités. C’est une application du dédoublement du régime juridique, typique des systèmes pluralistes.

Le Canada a été un des premiers pays à reconnaître l’antériorité des droits autochtones avec l’arrêt Calder de 1973 qui a créé les notions de titre indien et de droits historiques pour les autochtones assez différente des droits historiques en vigueur en Europe au XIXème et XXème siècles. La Constitution canadienne de 1982 reconnaît d’une manière explicite dans son article 35 trois peuples autochtones : les Indiens, les Inuits et les Métis. On discute toujours s’il s’agit d’une liste fermée à laquelle la jurisprudence ne peut pas ajouter d’autres peuples ou d’autres minorités.

L’Etat canadien s’est engagé, d’un côté, à protéger les structures sociales autochtones et, de l’autre, il se considère obligé de surveiller les peuples autochtones et de les libérer des contraintes traditionnelles, par exemple pour que les femmes indiennes ne soient pas tenues dans une condition inférieure. Pour cela, la jurisprudence utilise la distinction entre mesures de protection externe en faveur des peuples autochtones et les mesures de protection des individus autochtones face aux contraintes internes de leur communauté traditionnelle.

Le régime des peuples autochtones mis en place au XXème siècle au Canada revêt un grand intérêt. Il convient d’en souligner deux aspects majeurs : d’une part une fermeture prématurée de la voie internationale en 1924 lorsque le chef Deskaheh et une partie des Iroquois ont tenté une reconnaissance comme Etat, déclarée irrecevable par la Société des Nations et la Cour Internationale de Justice et, d’autre part, la reconnaissance des droits des peuples autochtones par la Constitution canadienne de 1982 qui a lancé une vaste dynamique de transformations institutionnelles et juridiques. La même année le Premier ministre Pierre Trudeau a répondu à l’indigénisme et aux québécois avec une campagne de type nationaliste pour le « pan-canadisme ».

D’ailleurs, le Canada est un Etat fédéral où l’unité de la population est préservée malgré une grande fragmentation de la société et où cohabitent des formes d’individualisme, de nationalisme et de communautarisme. Pour toutes ces raisons, le Canada est connu comme « l’Etat postmoderne par excellence ».


Section I : la Constitution du Canada

Dans l’histoire coloniale du Canada, on trouve des accords passés entre les peuples autochtones et la France ou l’Angleterre, les deux puissances colonisatrices rivales, jusqu’à ce que le 7 octobre 1763, la Proclamation Royale, après la guerre des 7 ans, marque le triomphe de la Couronne Britannique et assure le développement de la Common Law en Amérique du Nord.

En termes de droit public, la Proclamation Royale a mis fin à la souveraineté externe des peuples autochtones. La jurisprudence canadienne ne reconnaît pas le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones et recommande la voie des accords entre les peuples autochtones, les provinces et l’Etat pour mettre en place une sorte d’autonomie des autochtones tandis que la Cour Suprême des Etats-Unis a, pour sa part, reconnu depuis 1831 le droit à l’autonomie des peuples autochtones.

L’Acte de l’Amérique du Nord Britannique, la première Constitution du Canada, fut adoptée en 1867 par le Royaume Uni lorsque les trois colonies britanniques, le Canada, la Nouvelle Ecosse et le New Brunswick, décidèrent de former une fédération. Sous ce régime, le parlement canadien a adopté en 1876 la loi fédérale sur les Indiens, toujours en vigueur, ainsi que la politique d’isoler les autochtones afin d’assurer leur éducation. Les Indiens et leurs terres réservées ont été placés sous la tutelle du gouvernement fédéral et les provinces pouvaient adopter des lois générales, sous certaines conditions, pour régir la vie des Indiens.

Une première tentative des Indiens pour revendiquer leur caractère de nation, leur culture propre et l’application des traités historiques date de la fin de la première guerre mondiale. Puis le réveil identitaire des peuples autochtones s’est réellement produit en 1969 avec la vive réaction de l’opinion public face à la publication du Livre Blanc dans lequel le Gouvernement annonçait son projet d’abroger le régime d’incapacité civile des autochtones pour les mettre sous le régime civil général. L’initiative gouvernementale a échoué et le Canada a adopté dans les années suivantes une politique multiculturelle à la suite de la mobilisation politique et judiciaire des peuples autochtones tout au long de la décennie 1970.


§1 : la réforme constitutionnelle de 1982

Avant la Constitution de 1982, l’Etat fédéral pouvait éteindre les droits des peuples autochtones de façon unilatérale. Pourtant le droit autochtone était déjà en rapport avec les lois canadiennes, aussi bien fédérales que provinciales, sous diverses formes, en commençant par deux modalités de captation juridique. En premier lieu, le législateur pouvait intégrer des normes coutumières dans les lois, sans dire expressément que ces normes provenaient du droit autochtone. Il pouvait également intégrer une norme coutumière autochtone en la nommant expressément comme, par exemple, la loi indienne de 1876 qui a repris les coutumes autochtones sur l’élection du conseil de bande indienne et sur l’adoption des enfants. Dans un sens négatif, le législateur pouvait écarter une norme coutumière dans une loi en la déclarant illégale, comme le Potlach et la danse du soleil, formellement interdits.

Lors du processus constituant de 1982, certains chefs des peuples autochtones ont annoncé leur intention de se proclamer nations et de réclamer un siège aux Nations-Unies comme une partie des Iroquois l’avaient tenté en 1924 auprès de la Société des Nations, si leurs droits découlant de traités historiques n’étaient pas reconnus dans la nouvelle Constitution. La réforme constitutionnelle de 1982 a entraîné un revirement fondamental, aussi bien au niveau juridique que dans la politique gouvernementale à l’égard des peuples autochtones comme le montre l’intégration des traités de la période coloniale au plus haut niveau de l’ordonnancement étatique interne. Cette formule a été acceptée par les peuples autochtones qui désormais réclament la reconnaissance de leur identité dans le cadre de l’Etat et au sein de la société canadienne conformément aux principes du pluralisme, de la liberté, de la tolérance et de la démocratie. La plupart des peuples autochtones canadiens veulent une intégration différenciée à l’Etat ; d’autres, au contraire, la refusent catégoriquement.

La loi constitutionnelle de 1982 a signifié trois modifications majeures:
d’abord, le rapatriement de la Constitution canadienne ; le Parlement Britannique a transféré au Parlement Fédéral le pouvoir d’amender la Constitution ;
l’adoption d’une Charte canadienne des droits et libertés, le premier texte qui reconnaît des droits aux citoyens du pays, y compris les autochtones ;
les trois nouveaux articles (arts. 25 ; 35 et 37) spécifiques aux peuples autochtones les mettant à l’abri des lois fédérales et provinciales, au moins partiellement.

Il convient de faire une analyse détaillée de ces trois articles constitutionnels.

a) l’article 25 de la Constitution.

Article 25. “ Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés -ancestraux, issus des traités ou autres- des peuples autochtones du Canada, notamment:
a) aux droits ou libertés reconnus par la proclamation royale du 7 octobre 1763;
b) aux droits ou libertés existants issus d’accords sur les revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis ”.

Cet article consacre, d’une part, l’égalité des droits et la pleine citoyenneté des autochtones et d’autre part, la reconnaissance de leur différence et les droits collectifs des peuples autochtones. Autrement dit, l’article 25 reconnaît une double appartenance des individus autochtones : l’appartenance au Canada et l’appartenance aux peuples autochtones. En appliquant la technique du dédoublement des régimes, cette double appartenance se traduit par un régime commun pour tous les canadiens et un régime juridique supplémentaire pour les autochtones.

La Convention n° 169 de 1989 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) consacre dans son article 12 le droit à « l’égalité dans la différence » pour les peuples autochtones. Cet article a obligé les législateurs et la jurisprudence canadiens à dépasser le monisme égalitariste classique pour mettre en place un double régime en faveur des autochtones cumulant l’égalité juridique classique et les différences culturelles.

La Chartre des Droits de 1982 protège également les autochtones et les citoyens non autochtones. Il y a une base d’égalité et de pleine citoyenneté pour les autochtones et, simultanément, un statut constitutionnel en tant que peuples distincts de la société canadienne, ce qui se concrétise par un supplément de droits collectifs et de libertés ancestrales ou issues des traités ou autres. Pourtant la pleine citoyenneté, si chère aux esprits républicains, est refusée par certains groupes autochtones comme l’Union of Ontario Indians parce qu ‘elle leur a été octroyée unilatéralement et parce qu’elle véhicule une captation juridique des différences.

L’énoncé selon lequel l’article 25 « ne porte pas atteinte aux droits » autochtones, dans sa rigueur grammaticale, admet trois interprétations :
1.- La priorité des droits collectifs des autochtones sur leurs droits citoyens modernes. Etant donné que le régime spécial autochtone a rang constitutionnel,  le régime général des libertés et droits citoyens de l’Etat ne s’appliquerait que par subsidiarité aux peuples autochtones.
2.- L’exclusion des peuples autochtones du régime général des droits et libertés démocratiques de l’Etat, pour ne leur appliquer que le régime autochtone pourtant une telle interprétation doit être écartée puisque l’idée d’exclure les autochtones des droits citoyens contredit les autres dispositions constitutionnelles et l’ordonnancement juridique international.
3.- Ou bien, le vœu de rendre compatibles les droits et les libertés collectives des peuples autochtones avec les droits et les libertés démocratiques de l’Etat moderne.

La tournure négative de la phrase indiquerait un compromis apparent ou dilatoire - selon la qualification de Carl Schmitt- où le constituant aurait laissé à plus tard la décision de trancher entre accorder la priorité aux droits collectifs ou procurer la compatibilité des droits collectifs avec les droits et libertés démocratiques de l’Etat moderne.

Pour l’Organisation d’Etats Américains (OEA), les droits collectifs des peuples sont compatibles avec les droits individuels de leurs membres. Will KYMLICKA a mis en relief une différence entre les protections externes et contraintes internes. Ces deux concepts permettront à la jurisprudence de préciser la compatibilité et les frontières entre les droits individuels et les droits collectifs. La protection des peuples autochtones face aux pressions externes exercées par le régime juridique de référence ou par d’autres acteurs externes. Les droits collectifs des peuples autochtones jouissent d’un espace d’autonomie - ou plutôt un seuil d’autonomie - face à l’exercice des pouvoirs, droits et libertés démocratiques de l’Etat moderne. Les mesures de protection des individus face aux restrictions internes des peuples autochtones (contrôle social sur ses membres, l’exercice de l’autorité, l’imposition des sanctions, etc.) exigent des autorités autochtones le respect des droits individuels de leurs subordonnés. Les restrictions internes ainsi que les mesures pour les contrecarrer sont l’objet d’une interprétation interculturelle, qui n’est ni exclusivement libérale ni strictement autochtone.

On peut affirmer que l’Etat canadien s’est, d’un côté, engagé à protéger les structures sociales autochtones des agressions externes et, de l’autre, se considère obligé de surveiller les peuples autochtones pour assurer le respect des libertés individuelles, par exemple, des femmes. Il s’agit là des deux volets de la reconnaissance et de la libéralisation des structures autochtones prônées par Will KYMLICKA, dont l’inspiration libérale n’est pas dissimulée lorsqu’il propose des mesures de protection externe des communautés et de protection interne des individus.

Les peuples autochtones ont voulu fonder sur cet article 25 les autres droits qu’ils revendiquent, principalement « le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale ». Cette revendication a été au cœur des débats des conférences constitutionnelles de 1983 à 1987 sans que les peuples autochtones ne réussissent pour pourtant à la faire reconnaître. Le Gouvernement fédéral et un grand nombre de provinces leur ont proposé, comme formule alternative d’accorder plus de pouvoir dans des domaines bien définis sans faire des collectivités autochtones des enclaves souveraines au sein du Canada. En 1995, le gouvernement fédéral a annoncé officiellement une nouvelle politique favorable à la participation des peuples autochtones au sein de la fédération alors que le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale n’est pas inscrit dans la Constitution et se situe dans le champ politique.

b) l’article 35 de la Constitution.

Article 35 « Les droits existants – ancestraux ou issus de traités - des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

“ Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.

Les paragraphes 3 et 4 ont été ajoutés lors de la Conférence Constitutionnelle de 1983 :

« Il est entendu que sont compris parmi les droits issus des traités, dont il est fait mention au paragraphe 1, les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

“ Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits - ancestraux ou issus des traités - visés au paragraphe1 sont garantis également aux personnes des deux sexes ”.

La nouvelle Constitution consacre, désormais, la reconnaissance officielle de trois types de communautés autochtones distinctes : Indiens, Inuit et Métis du Canada. L’emploie du terme “ notamment ” en français semble signaler que la liste des trois peuples autochtones existants ne serait pas limitative alors que la version anglaise de la Constitution utilise le mot  “ include ” qui écarte l’interprétation extensive de la liste.

Dans le pays, on trouve une grande diversité de nations autochtones ; on peut citer, parmi d’autres, les Mohawk et les Micmac, situés à l’est, les Algonquiens et les Inuit au Québec, les Gitksan et les Haida en Colombie-Britannique. Les identités et les appartenances spécifiques et concrètes sont regroupées par l’article 25 de la Constitution dans les catégories génériques des « Indiens, Inuit et Métis » .

L’article 35 de la Constitution du Canada reconnaît aux peuples autochtones deux types de droits, ancestraux ou issus des traités. Les rapports entre les deux peuvent générer diverses situations :
la compatibilité, par identité de contenu ou harmonie entre les deux sources, la pratique ancestrale et les traités et qui ne pose aucun problème ;
la reconnaissance par un traité de droits non ancestraux gagnés par les autochtones aux cours des négociations ;
la renonciation, par les peuples autochtones, à certains droits ou à un mode d’exercice de leurs droits ancestraux en vue d’acquérir d’autres avantages équivalents par le biais de la négociation.

La dernière hypothèse soulève la question de la disponibilité juridique des droits ancestraux, de la capacité juridique des représentants d’une génération d’un peuple autochtone à modifier l’héritage reçu et leur marge de manœuvre pour le modifier. D’autres interrogations concerneraient l’actualisation et la renégociation des traités signés avant la Constitution. Ces points restent ouverts en attendant les décisions de la jurisprudence au cas par cas.

Le caractère d’« existants » attribué aux droits ancestraux ainsi que la disposition constitutionnelle qui les reconnaît et les confirme ont permis à la Cour Suprême d’interpréter dans l’Arrêt Delgamuukw l’expression « droits existants » comme « droits non éteints en 1982 ». Or, si les droits autochtones sont préexistants à la Constitution, ils ne prennent pas leur source dans la Loi constitutionnelle de 1982. Cette antériorité suggère une sorte de supériorité des droits autochtones par rapport à la Constitution et même l’indisponibilité de ces droits pour les pouvoirs constitués de l’Etat : c’est une conséquence logique de l’article 35 de la constitution qui reconnaît et confirme les droits existants.

On pourrait ajouter que la supériorité des droits collectifs suppose quatre axiomes implicitement admis par la jurisprudence et la doctrine canadienne :
la reconnaissance de la diversité culturelle comme produisant des effets sur le plan juridique ;
le privilège accordé aux droits historiques fondé sur l’antériorité des peuples autochtones ;
la supériorité axiologique des droits collectifs des peuples autochtones sur les européens, responsables des abus coloniaux ;
la nécessité pour l’Etat d’assurer aux peuples autochtones un régime de discrimination positive ;

Les trois premiers axiomes supposent que le peuple colonisateur de l’Etat aie mauvaise conscience ; on dirait même qu’il a perdu leur monopole de la légitimité et que pour être juste le droit de l’Etat doit privilégier les droits des peuples autochtones. Au fond, l’interprétation des textes juridiques et des pratiques coloniales dépend de l’opinion que l’on se fait de la légitimité des revendications autochtones.

En dehors de ce cadre axiomatique implicite, la Constitution serait un projet homogénéisant au service de l’Etat. Dans l'équilibre actuel des forces et selon les schémas conceptuels en vigueur, les droits individuels doivent se concilier avec les droits collectifs des peuples autochtones.

Andrée LAJOIE a prouvé empiriquement au Canada la surdétermination des juges par les valeurs dominantes ; c’est le cas des valeurs juridiques favorables aux minorités et aux peuples autochtones. En France, les valeurs juridiques dominantes sont favorables à l’Etat national. Pour être bref, la théorie du droit appelle ces deux ensembles de phénomènes : modernité et post-modernité juridique.

En principe, les métis ne peuvent pas relever de la loi sur les Indiens de 1876 qui ne régit que les Indiens. Pourtant, les traités conclus au long de l’histoire canadienne entre les colons et les peuples autochtones incluaient les métis en tant qu’autochtones, et apparemment, on leur reconnaissait des droits territoriaux tout comme aux Indiens et aux inuits. Aujourd’hui, cette expression s’applique à un groupe plus vaste et indéterminé de personnes qui possèdent une ascendance mixte indienne et non indienne.

Le paragraphe 4, ajouté en 1983, répondait aux pressions des femmes autochtones, qui se plaignaient du fait que les bandes indiennes agissaient de façon discriminatoire à leur égard. Il s’agit d’un cas typique d’ingérence de l’Etat dans le domaine de la citoyenneté indienne en vue de protéger une partie de la population autochtone contre les abus des restrictions internes.

D’ailleurs, le paragraphe 4 de l’article 35 de la Constitution suggère que les droits personnels fassent parti des droits ancestraux. Le contenu des droits ancestraux canadiens est général et il n’est pas évident à déterminer si le territoire, l’eau, etc… en font partie. La Cour Suprême du Canada a établi, par exemple, que les droits de chasse et de pêche font partie des droits ancestraux.

c) l’article 37 de la Constitution.

L’article 37 a instauré un droit de participation des peuples autochtones dans les conférences constitutionnelles. Dans sa version originale abrogée le 17 avril 1983, cet article était ainsi  rédigé:
37. (1) Dans l'année suivant l'entrée en vigueur de la présente partie, le Premier ministre du Canada convoque une conférence constitutionnelle réunissant les premiers ministres provinciaux et lui-même.
(2) Sont placées à l'ordre du jour de la conférence visée au paragraphe (1) les questions constitutionnelles qui intéressent directement les peuples autochtones du Canada, notamment la détermination et la définition des droits de ces peuples à inscrire dans la Constitution du Canada. Le Premier ministre du Canada invite leurs représentants à participer aux travaux relatifs à ces questions.
(3) Le Premier ministre du Canada invite des représentants élus des gouvernements du territoire du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest à participer aux travaux relatifs à toute question placée à l'ordre du jour de la conférence visée au paragraphe (1) et qui, selon lui, intéresse directement le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest.
Pour faire face aux crises nationales ou aux situations d’urgence, l’Etat canadien dispose de la technique exceptionnelle de la suspension du partage de compétences prévue par la Loi constitutionnelle de 1867 vis-à-vis des provinces. Michel Morin se pose la question de savoir si la même figure serait utilisable à l’égard des peuples autochtones. Si, le moment venu les autorités l’appliquent, cela constituerait une sorte de clause de supériorité de l’Etat.

§ 2 : les modifications apportés par les conférences constitutionnelles.

La première conférence constitutionnelle de 1983 a modifié la rédaction originelle de l’article 37 (Proclamation de 1983 modifiant la Constitution (TR/84-102) en prévoyant la convocation de deux conférences constitutionnelles supplémentaires et d’élargir les sujets de la discussion tout en assurant une participation des représentants des peuples autochtones dans ces travaux :
37.1 (1) En sus de la conférence convoquée en mars 1983, le Premier ministre du Canada convoque au moins deux conférences constitutionnelles réunissant les premiers ministres provinciaux et lui-même, la première dans les trois ans et la seconde dans les cinq ans suivant le 17 avril 1982.
(2) Sont placées à l'ordre du jour de chacune des conférences visées au paragraphe (1) les questions constitutionnelles qui intéressent directement les peuples autochtones du Canada. Le Premier ministre du Canada invite leurs représentants à participer aux travaux relatifs à ces questions.
(3) Le Premier ministre du Canada invite des représentants élus des gouvernements du territoire du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest à participer aux travaux relatifs à toute question placée à l'ordre du jour des conférences visées au paragraphe (1) et qui, selon lui, intéresse directement le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest.
(4) Le présent article n'a pas pour effet de déroger au paragraphe 35(1).

La Conférence constitutionnelle de 1983 a également ajouté un nouvel alinéa à l’article 37 :

“ Les gouvernements fédéral et provinciaux sont liés par l’engagement de principe selon lequel le Premier ministre du Canada, avant toute modification de la catégorie 24 de l’article 91 de la loi constitutionnelle de 1867, de l’article 25 de la présente loi ou de la présente partie:
a) convoquera une conférence constitutionnelle réunissant les premiers ministres provinciaux et lui-même et comportant à son ordre du jour la question du projet de modification;
b) invitera les représentants des peuples autochtones du Canada à participer aux travaux relatifs à cette question ”.

Lors de la première conférence constitutionnelle, les peuples autochtones ont obtenu le droit de participer dans les débats qui les concernent mais ils n’ont cependant pas de droit de veto sur l’adoption d’une réforme constitutionnelle.

Les deux conférences constitutionnelles prévues par le nouvel article 37e  ont été convoquées en 1985 et 1987. La conférence de 1985 a inscrit dans la Constitution l’engagement des gouvernements provinciaux de négocier des accords relatifs à l’autonomie gouvernementale avec les autochtones. Les provinces d’Alberta et la Colombie-Britannique ont refusé de signer de tels accords. L’objectif initial de définir les droits de tout type concernant les peuples autochtones, et particulièrement les droits ancestraux et les droits issus des traités, n’a pas été atteint par les conférences constitutionnelles.

Si les droits ancestraux des peuples autochtones ne sont plus remis en question au Canada, la jurisprudence et le Gouvernement se sont orientés vers une voie plus difficile pour définir leurs contenu et portée ainsi que pour concrétiser le droit inhérent à l’auto-gouvernement : les conventions tripartites entre les peuples autochtones, les provinces et l’Etat.

En plus du principe international du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes que les peuples autochtones transposent dans le droit interne, ces derniers invoquent également d’autres justifications internes, parmi lesquelles quatre ont un caractère historique et culturel et méritent une explication :
l’occupation antérieure à l’arrivée des colons européens : la Cour Suprême du Canada a reconnu cette occupation antérieure, comme fondement pour reconnaître les droits ancestraux des autochtones pourtant toujours dans la cadre de l’Etat de droit ;
la souveraineté antérieure des peuples autochtones : elle devrait se traduire par une autonomie gouvernementale au sein de la fédération canadienne en une sorte de compromis entre la souveraineté autochtone antérieure et la souveraineté canadienne. Pour autant, la souveraineté ne peut être qu’une dans chaque période de l’histoire ;
la conclusions de traités avec les nations autochtones : la signature de tels traités prouve que les européens estimaient les nations autochtones suffisamment autonomes pour conclure des traités avec eux et non pas pour les assujettir. L’ « indirect rule » coloniale a été redéfini afin de lui ôter son sens colonial et la redéfinir comme une relation d’égalité entre anglais et autochtones. Le Ius Gentium serait assimilé au droit international du XXème siècle ;
le caractère essentiel de leur droit à l’autonomie gouvernementale dans l’identité culturelle des peuples autochtones : si ce droit ne leur était pas reconnu, leur culture, en tant que culture distincte de la culture européenne dominante, serait entièrement menacée. Mais, l’équation autonomie-culture relève plus de l’idéologie culturaliste militante que d’une anthropologie de la culture.

§ 3 : la revendication d’autonomie.

La revendication d’une autonomie gouvernementale des peuples autochtones continue au Canada. Sur la base du rapport Penner de 1983, qui a reconnu le droit inhérent des peuples autochtones à un gouvernement distinct du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, les conférences constitutionnelles successives de 1983, 1985 et 1987 ont débattu de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones jusqu’à l’accord de Charlottetown, rejeté par le référendum du 26 octobre 1992. Les instruments internationaux, faisant partie du droit interne canadien en vertu de l’article 25 de la Constitution, cautionnent les demandes d’autonomie.

La visibilité des représentants des peuples autochtones dans l’espace politique national assure un lien important et nécessaire entre les peuples autochtones et la société majoritaire. Leur présence au sein des parlements donne une représentativité et une légitimité majeure aux parlements multiculturels. Pourtant les critiques du « fédéralisme asymétrique » dénoncent le fait que les législateurs indigènes votent des lois dont les peuples autochtones seront exemptés en vertu de leur autonomie législative. Au fond, les critiques contre ce « fédéralisme asymétrique » peuvent être soit un pur argument d’opportunité politique et de tactique parlementaire soit constituer l’expression d’un rejet plus profond de la représentation multiculturelle au sein du parlement en refusant le principe démocratique et le droit de représentation politique à tous les secteurs sociaux d’une pays. Derrière c’est l’idée d’un parlement et d’une société homogène qui s’exprimerait.

La reconnaissance constitutionnelle des droits des autochtones n’empêche pas une attitude contestataire chez les peuples autochtones et une méfiance instinctive à l’égard des propriétaires et des groupes conservateurs de la société majoritaire. Cela constitue une dynamique assez fréquente des interactions entre la majorité et les minorités au sein de la démocratie canadienne. Andrée LAJOIE en donne une explication lucide : l’espace juridique commun entre l’Etat et les minorités a tendance à se déplacer progressivement en faveur des minorités puisque le système juridique national se trouve obligé d’accomplir un rôle d’homogénéisation sociale. Pour ce faire, le droit majoritaire ne peut pas se permettre de se présenter simplement comme le droit majoritaire ; il doit montrer que ses valeurs et institutions juridiques sont universelles, sinon naturelles, c’est à dire qu’ils incluent, au moins en apparence les valeurs juridiques des minorités. Une telle évolution idéologique de la société majoritaire s’accélère lorsque les minorités se montrent habituellement insatisfaites.

Le discours actuel des autochtones qui contestent l’Etat est assez varié. En fait il y a plusieurs discours dont le point commun est les offenses infligées aux autochtones au long de l’histoire et la description de la crise sociale engendrée par domination étatique. Mais les positions politiques se diversifient rapidement par la suite : quelques uns appellent à la solidarité pour sortir de la marginalisation et de l’assujettissement, d’autres réclament un dédommagement pour les torts historiques tandis certains mettent l’accent sur le caractère mondialisé de leur revendication. Très peu plaident en revanche pour un isolement des cultures autochtones dans leur pureté originaire. Charles TAYLOR et Steven ROCKEFELLER expliquent qu’un bon usage du pluralisme en faveur des mouvements sociaux minoritaires devrait prendre comme point de départ une identité universelle commune pour mettre en avant une des identités secondaires afin de mieux défendre les droits des individus et des communautés en situation d’infériorité pour demander, par exemple, une politique de discrimination positive en faveur des peuples autochtones canadiens.

§ 4 : le débat sur la pleine citoyenneté.

En général, la Charte de Droits et la pleine citoyenneté des autochtones sont perçues d’une façon positive. La reconnaissance des peuples autochtones et de leurs droits au niveau de la Constitution canadienne laisse supposer qu’ils sont définitivement à l’abri des politiques d’assimilation et d’intégration. Cependant, certains auteurs soupçonnent que derrière cette façade égalitaire et démocratique d’intégration et d’assimilation sociale se cacherait une stratégie inavouée de transformation des autochtones en membres de la société dominante par rééducation et socialisation avec l’intention de les inciter à renier leur identité par la conclusion des traités, l’apologie constante d’une société multiculturelle et multinationale et les politiques de subordination à des institutions assimilatrices (comme le pensionnat, le rapatriement de pouvoirs politiques aux communautés, les soins de santé, l’éducation et le contrôle territorial). Dans ce sens James TULLY dénonce la mise en place par la société dominante d’une jurisprudence récente de la Cour Suprême du Canada.

Les positions idéologiques et les doctrines juridiques qui refusent la pleine citoyenneté et les droits qui en découlent pour les autochtones - ne rejettent normalement pas les droits collectifs reconnus par l’Etat aux peuples autochtones. Le refus de la citoyenneté ne semble pas une conviction sérieuse mais un outil rhétorique. Parfois, ce refus exprime en effet un rejet profond des axiomes de l’Etat de droit. Si l’Etat refuserait la pleine citoyenneté aux autochtones, cela équivaudrait à nier sa propre définition d’un ordre juste, c’est à dire, fondée sur les principes universels de la dignité humaine, la liberté et l’égalité de tous.

Certes, les relations entre l’Etat et les autochtones se sont intensifiés à la suite du choix des deux parties de reconnaître leurs différences légitimes et de se rapprocher en créant des systèmes juridiques pluralistes et de phénomènes d’hybridation, toujours suspects d’ambiguïtés. Le choix contraire serait celui de l’isolement des cultures, qui produirait des régimes d’exclusion, d’apartheid ou des ghettos, inacceptables pour l’axiologie juridique et condamnés par l’ordre juridique international.

Les chartes des Droits de l’Homme et des droits sociaux, économiques et culturels et leurs mécanismes internationaux de protection juridique ont établi un principe de garantie efficace qui a permis à la jurisprudence de la Cour Inter-américaine des Droits de l’Homme -juridiction à laquelle est soumis le Canada- d’appliquer la Convention n° 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) comme norme complémentaire spéciale en faveur des peuples autochtones. Dans cette convention, il est clair que les autochtones ont tous les droits reconnus par l’ordre juridique international.

§ 5 : la dimension temporelle des droits ancestraux.

En ce qui concerne la date requise pour reconnaître un “ droit ancestral existant ”, l’arrêt Sparrow a établi qu’il fallait entendre « existant » par « existant au jour de la réforme constitutionnelle en 1982 ». Selon l’interprétation de la Cour Suprême, ce concept doit recevoir une interprétation souple permettant aux droits ancestraux d’évoluer dans le temps, c'est-à-dire de garder une « contemporanéité », une actualité par rapport aux besoins des autochtones. A part la date limite de 1982 permettant d’identifier les droits existants, les droits ancestraux n’ont aucune autre exigence d’ancienneté.

Le critère de contemporanéité adopté par la jurisprudence canadienne permet, par exemple, que le rapport à la mère-terre auquel font souvent appel les peuples autochtones n’ait plus un sens traditionnel mais métaphorique. Ainsi, le développement économique des collectivités autochtones est vu par les groupes intéressés comme la version contemporaine de la terre nourricière.

Pourtant, la souplesse et la contemporanéité adoptées par l’arrêt Sparrow impliquent que les droits ancestraux puissent perdre leur contenu ou la portée existants en 1982 face aux enjeux de l’avenir. Comment justifier les changements des droits autochtones imposés par les nouvelles situations ? Pour répondre à ce besoin, la Cour Suprême a fixé un test de justification des atteintes aux droits ancestraux. Ce test constitue une véritable particularité du droit canadien.

Mis à part la date de 1982 pour situer la consolidation d’un droit ancestral, il y a d’autres dates qui pourraient aussi être mises en valeur et reconnues par la jurisprudence comme, par exemple, la date de l’entrée en vigueur des traités du XVII et XVIII siècles, le moment de l’arrivée des colons en chaque région, l’année 1746 de la Proclamation Royale  ou bien 1846 lorsque la Couronne d’Angleterre a réaffirmé officiellement sa souveraineté de sur le Canada ou tout autre date significative identifiée par la jurisprudence.

La doctrine canadienne favorise la continuité de l’occupation de leur territoire par les peuples autochtones. Ainsi, pour le Professeur Andrée LAJOIE, l'absence d’un peuple nomade pendant un certain temps sur un territoire donné n'est pas non plus une preuve de non-occupation. Les cultures nomades se caractérisent par ce type d’absence de tous leurs territoires et ils ne peuvent pas être appréciés selon les mêmes paramètres de continuité temporelle des peuples sédentaires.

L’Etat s’attribue une continuité indéfinie alors qu’il ne serait pas inenvisageable que l’Etat trouve un jour sa fin. Au Canada le décalage des temporalités étatique et autochtones est un enjeu où les défenseurs des autochtones affirment leur antériorité, permanence et supériorité face à l’Etat. Le Professeur Andrée LAJOIE déclara devant la Commission des institutions du Parlement canadien que l'État est un phénomène récent sinon temporaire dans l'histoire de l'humanité. Le professeur James TULLY plaida, quant à lui, pour une relation juste et durable entre les Nations Premières, qui étaient organisées en sociétés et qui occupaient le territoire depuis des temps immémoriaux. On pourrait se demander si les peuples autochtones vont durer plus longtemps que l’Etat.

L’antériorité historique des peuples autochtones par rapport à l’Etat, traduit comme un droit meilleur et le fondement d’une revendication juste, constitue une argumentation tout à fait particulière des Etats jeunes comme l’Australie et la Canada. Dans un vieux continent comme l’Europe, les Etats nationaux n’envisagent pas sous la même perspective les « droits historiques » de l’Allemagne, la France, l’Autriche ou la Serbie. Théodore HERTS, le précurseur de l’Etat d’Israël n’a jamais évoqué l’argument des droits historiques du peuple Juif.

En dépit de nombreuses mobilisations et publications dénonçant les stratégies d’extinction des droits des peuples autochtones sur leurs territoires et de leur autonomie politique par les occidentaux, on peut noter que ces droits des peuples autochtones ne sont actuellement pas en danger. Aujourd’hui, l’heure est à des rééquilibrages profonds des appartenances locales et universelles et, depuis les années 1970, on en registre des changements en faveur des autochtones.

Le 11 mai 2000, suite à l’accord entre les Nisga’a, la Colombie-Britannique et le Canada, le gouvernement Nisga’a Lisims s’est installé et il a adopté ses premières lois. Il s’agit de la première expérience d’un gouvernement autochtone dans une province canadienne. D’autres accords sont en cours de négociation au Québec et en Alberta.

La jurisprudence de la Cour Suprême a affirmé la souveraineté canadienne pour refuser de se prononcer sur l’autonomie gouvernementale en 1996 dans l’arrêt Pamajewon puis pour refuser le droit ancestral des autochtones de commercer librement sans égard à la frontière canado-américaine.

La doctrine des chercheurs canadiens de droit public continue de proposer des innovations audacieuses sur les notions de souveraineté, nations non étatiques, droit non étatique et validité des accords historiques, notions qui défient parfois les acceptions classiques du droit constitutionnel. James TULLY, par exemple, emprunte le propre langage des autochtones lorsqu’il souhaite que les Etats européens obtienne le consentement des peuples autochtones pour légitimer l’exercice de leur souveraineté sur l’Île de la Grande Tortue (id est, le continent américain). D’après Tully, les traités signés entre les puissances colonisatrices n’auraient aucune valeur pour les nations autochtones. Si l’on radicalise un tel postulat, les Etats et les nations autochtones se situeraient dans des univers juridiques incommunicables entre eux.


Section II : le statut légal

L’article 21 de la Constitution de 1867 attribue au législateur fédéral la compétence exclusive pour adopter les lois relatives aux Indiens et aux terres réservées aux Indiens. La loi fédérale sur les Indiens fut adoptée en 1876 et, pour l’essentiel, elle continue d’être en vigueur après les réformes de 1951 et 1985. Pourtant, par le biais des lois d’autorisation, certains domaines sont assez larges passés dans la compétence du législateur provincial.

La loi fédérale reconnaît l’existence juridique des “ bandes indiennes ”, qui regroupent les Indiens et précise les responsabilités des autorités locales dans chaque communauté ainsi que les pouvoirs que le gouvernement fédéral conserve sur les Indiens. Jusqu’en 1985, le fait d’appartenir à une bande indienne était directement lié au statut d’indien. L’autre condition pour l’application de cette loi était de vivre dans des réserves ou des établissements indiens.

Le statut d’indien est fondé sur la filiation et le mariage uniquement ; la loi originale de 1876 ne reconnaît pas le critère de l’auto-identification. La réforme législative de 1985 a reconnu aux bandes indiennes la possibilité d’adopter eux-mêmes des codes d’appartenance et il peut désormais arriver que des personnes n’ayant pas le statut d’indien par filiation ni par mariage puissent désormais faire partie d’une bande indienne si la volonté de la majorité des membres de la bande va dans le sens de leur acceptation. Mais le ministre des affaires indiennes doit donner un avis favorable sur la liste des membres de la bande proposée par les Indiens.

Les deux critères pour l’application de la loi sur les Indiens, le critère personnel et le critère territorial, sont indépendants l’un de l’autre : La loi sur les Indiens s’applique à un indien quand bien même ne vivrait-il pas sur une terre de réserve.

Les articles 5 et 6 de la loi fédérale sur les Indiens établissent que le statut indien appartient aux Indiens de pur sang, à leurs descendants et aux femmes “ non-indiennes ” légitimement mariées à une personne des deux premières catégories. Les femmes “ indiennes ” qui épousaient des hommes non-indiens perdaient d’office leur statut d’indienne, point qui fut réformé en 1985. Désormais les femmes “ indiennes ” qui ont épousé des non-indiens, ainsi que leurs descendants, ont le droit d’être inscrits au registre des Indiens. Les enfants illégitimes issus d’une mère indienne et d’un père non-indien ont également le droit d’être inscrit comme indien. Cette réforme a été adoptée suite à une décision du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU.

La loi fédérale sur les Indiens consacre la reconnaissance de certaines coutumes autochtones, comme le mode d’élection du conseil de bande, un des éléments essentiels du droit des autochtones à se gouverner. En effet, la loi prévoit deux modalités de désignation possibles: le chef et le conseil de bande peuvent être élus selon les modalités prévues aux articles 74 à 80 de la loi, c’est-à-dire conformément au mode canadien. Mais le conseil, ou en l’absence d’un conseil, le chef, peut également être choisi selon la coutume propre à chaque communauté. Le ministre des affaires indigènes conserve, néanmoins, un droit de regard et peut écarter la coutume.

La loi sur les Indiens de 1876 permet également d’appliquer la coutume indienne en matière d’adoption d’un enfant indien. Enfin, la loi sur les Indiens écarte expressément certains rites indiens, comme le Potlach et « la danse du soleil », deux cérémonies autochtones interdites dans certaines provinces.

En matière d’imposition, il y a des exemptions qui en principe ne concernent que les Indiens et les biens situés dans une terre réservée. En dehors de ces limites, les Indiens doivent payer des taxes. Mais l’article 90 de la loi fédérale sur les Indiens a créé une présomption concernant certains biens meubles réputés situés à l’intérieur d’une réserve et, par conséquence, exempts de taxe. Par exemple, une bourse d’étude accordée par le ministère des affaires indiennes à un indien, en vertu d’un traité signé avec des Indiens par le gouvernement fédéral, a été considérée comme un bien personnel situé sur une réserve et donc exempt d’impôt sur le revenu.

D’après la Constitution, une province ne peut adopter des lois en matière autochtone que si la loi fédérale l’autorise. Néanmoins, après la réforme de 1985, ce principe général a changé et les lois provinciales peuvent régir la vie des Indiens vivant dans leur territoire sauf dans les cas prévus par les normes spéciales. La législation provinciale est donc applicable sous réserve de sa compatibilité avec une loi fédérale, un traité ou un règlement de la bande:

“ Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi fédérale, toutes les lois d’application générale et en vigueur dans une province sont applicables aux Indiens qui s’y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure où ces lois sont incompatibles avec la présente loi ou quelques arrêté, ordonnance, règle, règlement ou règlement administratif pris sous son régime, et sauf dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou sous son régime » .

Cet article est à la base du plus grand nombre de recours judiciaires de la part des Indiens qui contestent l’autorité législative des provinces. Une autre loi a autorisé les provinces à légiférer sur les Indiens et leurs terres réservées. En 1997 l’arrêt Delgamuukw a confirmé que la législation provinciale peut limiter un droit ancestral, sans l’éteindre.

D’une façon spéciale, la province du Québec a adopté des lois provinciales pour mettre en application ses obligations issues de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et de la Convention du Nord-Est québécois. Ces textes –la loi fédérale de 1984 et des lois provinciales du Québec– intègrent certains éléments de droit autochtone.

L’effet prévisible de ces autorisations aux provinces de légiférer est que le régime juridique des Indiens et de leurs terres réservées est très variable selon les régions. La situation d’un indien du Québec est très différente de celle d’un autre indien vivant en Ontario. Dans le cas des indiens Cris et Naskapis du Québec, ils ont depuis 1984 un régime fédéral particulier dont les dispositions découlent de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et de la Convention du Nord-Est québécois de 1975 et 1978. La loi fédérale sur les Indiens détermine toujours l’acquisition du statut d’indien.

La mosaïque normative canadienne des peuples autochtones est assez riche et complexe : quelques lois fédérales incorporent des éléments du droit autochtone ; les traités sont susceptibles d’application directe ; les lois provinciales peuvent régir presque tous les domaines ; les ordonnances, les règlements administratifs, les règlements des bandes indiennes, les arrêtés et la jurisprudence régissent aussi la vie des peuples autochtones.

Il peut arriver que, dans certains domaines, comme la sécurité routière, par exemple, trois régimes se superposent et s’appliquent de façon parallèle:
- le règlement fédéral sur la circulation dans les réserves adopté par le gouverneur en conseil en vertu de la loi sur les Indiens;
- le code de sécurité routière d’une province;
- un règlement administratif sur la sécurité routière adopté par le conseil de bande.

La loi fédérale sur les Indiens attribue certains pouvoirs au chef et au conseil de bande qui sont les deux seules autorités émanant des Indiens. Leurs compétences politiques et administratives sont soumises à deux autorités étatiques, le ministre des affaires indigènes et le gouverneur en conseil.

Le conseil de bande peut adopter des règlements dans certaines matières comme l’imposition, la nomination de fonctionnaires de la bande et l’affectation des fonds à la bande et, dans ce dernier cas, sous réserve de l’approbation du ministre des affaires indigènes. Le conseil de bande dispose également d’un pouvoir réglementaire que lui délègue le gouvernement fédéral et qui reste soumis au pouvoir de tutelle du ministre qui peut réformer ces décisions. Ce pouvoir lui permet d’adopter des règlements portant sur les affaires internes de la communauté, comme en matière de la santé, de maintien de l’ordre ou en urbanisme.

Les fonctions d’articulation et d’assouplissement du régime indien spécial sont attribuées à la jurisprudence et à deux autorités de l’Etat : le gouverneur en conseil et le ministre des affaires indigènes, dont les domaines d’action sont fixés par la loi fédérale sur les Indiens. Le gouverneur en conseil a :
- le pouvoir réglementaire en matière de sécurité routière, santé, sécurité et ordre public, ressources naturelles, les locaux et des emprunts financiers ;
. - compétence pour décider l’usage des terres de réserves et l’exploitation des ressources naturelles, l’expropriation et les cessions de droits sur les terres de la réserve ;
- compétence pour la gestion interne des collectivités indiennes, qui lui permet 1° de reconnaître officiellement une bande indienne, 2° de soustraire ou non une bande ou des Indiens à l’application de la loi sur les Indiens, 3° de déterminer l’utilisation de fonds appartenant à une bande, à l’usage et au profit de cette bande, 4° de faire des élections et des référendums, 5° de surveiller l’administration de la justice et enfin 6° d’inspecter l’éducation.
- la réglementation des successions et des prêts aux Indiens.

Le ministre des affaires indiennes et du Nord Canada a des domaines d’action qui recoupent en partie ceux du gouverneur en conseil, à savoir :
assujettir les bandes aux dispositions législatives en matière d’élections ; désavouer certains règlements administratifs adoptés par une bande ; autoriser les dépenses de fonds de capital appartenant à une bande et octroyer des prêts aux bandes.
déclarer un individu inéligible aux élections ; réglementer la distribution de produits agricoles aux Indiens ; octroyer des prêts, gérer les successions des Indiens et annuler le testament d’un indien.
émettre des permis pour exercer des droits dans une réserve ; approuver au préalable le transfert d’un bien vers l’extérieur d’une réserve, ainsi que l’acquisition, le transfert et la destruction de certains biens situés dans la réserve.

Qu’en est-il du statut juridique des Inuit et des Métis ? Le Parlement fédéral détient la compétence législative vis-à-vis des Indiens, qu’il a déléguée aux provinces dans des nombreuses matières ; mais la Constitution ne précise pas si les Inuit et les Métis relèvent des lois fédérales. Dans la pratique ils sont soumis aux lois fédérales et provinciales.

Les Métis sont explicitement considérés comme des peuples autochtones par l’article 35. Cependant, la Constitution canadienne ne précise pas si les Métis relèvent de la compétence exclusive fédérale, comme les Indiens et les Inuit, ou bien de la compétence des provinces. Dans la pratique les provinces légifèrent sur les Métis, qui ne peuvent pas invoquer la compétence fédérale exclusive pour écarter une loi provinciale.

§ 1 : les conventions tripartites.

Le référendum de 1992 a constitué une occasion ratée de mettre en place le droit inhérent à l’autonomie de gouvernement des peuples autochtones. L’accord de Charlottetown, rejeté le 26 octobre 1992, aurait octroyé aux peuples autochtones un « droit inhérent à s’autogouverner » et accordé au Québec un statut spécial en tant que « seule société, au Canada et en Amérique du Nord, ayant une langue et une culture majoritairement francophone ». Après quoi, la jurisprudence de la Cour Suprême recommande les conventions tripartites entre les peuples autochtones, les provinces et l’Etat canadien. La raison est que la voie judiciaire oblige à trancher en droit et que les prétentions doivent être dûment prouvées, ce qui comporte le risque de faire perdre toute autre possibilité de faire valoir les prétentions. En 1995 le gouvernement fédéral a exprimé sa position sur le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones au sein de la fédération. Désormais le gouvernement fédéral encourage la voie de la négociation plutôt que le recours à la juridiction. Voilà une voie institutionnelle praticable, toujours sous le contrôle de la jurisprudence pour définir la portée des droits ancestraux des peuples autochtones.

D’emblée, on doit signaler que les accords tripartites exigent plus de réflexion et obligent à une reconnaissance mutuelle de tous les acteurs en lice. La procédure d’une négociation tripartites, à la fois administrative et politique entre acteurs collectifs, requiert de longues tractations, la construction de consensus difficiles et, surtout, de faire preuve d’un grand réalisme politique. Si, d’une part, l’Etat reconnaît les peuples autochtones, ceux-ci sont obligés en contrepartie de tenir compte de l’existence de l’Etat, de la Constitution, des lois et des juges étatiques. Les labyrinthites juridiques, administratifs et parlementaires que les négociations d’autonomie doivent traverser, assurent la prise en compte par l’Etat des spécificités de chacun des peuples autochtones ainsi que l’apprentissage par ces derniers de la complexité de l’Etat.

Les accords tripartites situent les peuples autochtones au centre de l’enjeu, les obligeant à exprimer leurs raisons dans le langage hybride afin de se rapprocher des deux autres interlocuteurs institutionnels. L’enjeu oblige les tendances centralisatrices et décentralisatrices à s’équilibrer réciproquement. Lorsqu’ils se réunissent pour négocier tous les trois, ils doivent tous modérer leurs positions extrêmes. Parfois, l’Etat fédéral se réserve la fonction d’instance de révision ou d’arbitrage entre les provinces et les peuples autochtones. Apparemment c’est une formule pratique qui conviendrait à une société aussi fragmentée que le Canada post-moderne. Françoise MARTINAT affirme qu’un droit au pluriel correspondrait à une réalité fragmentée et que cette remise en cause de la vision monolithique du droit, sa relativisation est en fait la condition de son renforcement en tant que miroir du réel.

Les accords de revendications territoriales globales visent à clarifier les droits d’accès et de propriété des terres et des ressources et stimulent le développement économique des terres autochtones par l’octroi d’autres droits et avantages tels que des droits de propriété sur certaines terres, de droits de chasse, de participation à la gestion des terres et des ressources, de compensations financières, etc.

Les accords tripartites serviraient à achever la construction de l’Etat canadien fédéral et multiculturel en appliquant les principes de la Constitution de 1982, aussi bien sur le plan constitutionnel que sur le plan administratif. De la sorte, les peuples autochtones pourraient disposer d’institutions sur mesure selon le principe d’adaptation aux circonstances particulières de chaque collectivité territoriale. Le dernier mot sur l’interprétation des droits des autochtones revient toutefois à la Cour suprême du Canada.


§ 2 : la création légale du territoire de Nunavut.

La Chambre des Communes a donné existence juridique à partir du 1er avril 1999 au territoire fédéral du Nunavut permettant aux 21.300 Inuits qui y habitent de bénéficier d’une large autonomie gouvernementale. Auparavant il existait deux entités : le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest.

La création du territoire fédéral du Nunavut a été l’aboutissement des revendications territoriales globales sur plus de deux millions de kilomètres carrés soit plus d’un cinquième de la superficie du Canada. Le 25 mai 1993, l’Entente sur la Revendication Territoriale du Nunavut a été signée à Iqaluit  par les représentants des gouvernements fédéral et territorial et par la Fédération Tungavik du Nunavut. En juin 1993, La Chambre des Communes a voté en juin 1993 deux lois, dont la première concernant l’accord dit « l’Entente du Nunavut » et la deuxième loi créant le Territoire du Nunavut.

L’Etat fédéral a obtenu que les Inuits du territoire renoncent collectivement à certains droits, titres, intérêts et revendications, en échange des titres de propriété sur 355.981 kilomètres carrés , des droits d’exploitation du sous-sol et des ressources sur 37.992 kilomètres carrés. Le reste du territoire du Nunavut demeure propriété du gouvernement fédéral. Le chef autochtone de l’Assemblée des premières nations, Ovide Mercredi, a toujours été contre cet accord de revendications territoriales, considérant que la renonciation aux droits ancestraux sur la terre est inacceptable.

L’Entente prévoyait également le principe d’une compensation financière de 1,15 milliard de dollars pour les Inuits, payé par paiement échelonné sur 14 ans et un fond de 13 millions de dollars placé en fiducie.

La loi a mis en place les nouvelles structures gouvernementales du territoire du Nunavut : une Assemblée législative de 19 députés, élus au suffrage universel, un gouvernement issu de ses rangs ainsi qu’un premier ministre. La structure gouvernementale est fortement décentralisée, formée de 10 ministères situés dans 11 collectivités différentes. Le territoire est organisé en 28 collectivités qui forment 3 régions : Qikiqtaaluk (Île de Baffin), Kivalliq (à l’ouest de la Baie d’Hudson) et Kitikmeot. Le service de police est assuré par la Gendarmerie Royale du Canada. Le droit applicable est celui des Territoires du Nord-Ouest, dans la mesure où il ne soit pas abrogé, modifié ou rendu inopérant pour le territoire de Nunavut.

Le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour Suprême du Nunavut et la Cour d’Appel du Nunavut, dont les juges sont nommés et révoqués par le gouverneur en conseil. Les juges des Cours Suprêmes de Yukon et du Nord-Ouest sont d’office juges de la Cour Suprême du Nunavut. Le gouverneur en conseil peut faire cesser par décret la juridiction du Nunavut.

Le budget du Territoire de Nunavut est voté par l’Assemblée mais son exécution est surveillé par le vérificateur général du Canada. Les biens culturels du Nunavut sont protégés selon les règlements adoptés par le gouverneur en conseil. Un commissaire représente à Sa Majesté et acquiert des biens et fonds pour le compte du gouvernement du Nunavut.

Quant au régime de propriété, l’article 49 de la loi de création du Nunavut a établi la dévolution à Sa Majesté des biens et des fonds suivants :
les biens-fonds acquis avec l’argent du Nunavut ou avec l’argent des Territoires du Nord-Ouest ;
les terres domaniales dont la gestion et maîtrise ont été transférées par le gouverneur en conseil au commissaire du Nunavut ;
la voirie des terres domaniales (chemins, routes, ruelles et sentiers) ;
les biens-fonds acquis par le commissaire de Sa majesté à l’occasion de ventes pour recouvrement d’impôts non payés, aussi bien en Nunavut qu’aux Territoires du Nord-Ouest avant la création du Nunavut.

En guise de conclusion, il faut dire que le droit autochtone se développe en suivant de près le régime canadien. L’autonomie des Teritoires de Nunavut est sous la surveillance du commissaire de Sa Majesté et du gouverneur en conseil qui peuvent intervenir dans les aspects administratifs, juridiques et budgétaires des Territoires.

§ 3 : le régime de propriété foncière.

Le principe politique de l’appartenance à l’Etat fédéral au nom de sa souveraineté est à la base du régime étatique de la propriété foncière au Canada. Sur les terres des provinces, l’Etat fédéral a transféré ses droits de propriété aux provinces. De la sorte, chaque province est maître des territoires qui se trouvent à l’intérieur de ses frontières et sur les territoires fédéraux, l’Etat fédéral est propriétaire des terres.

Sur leurs territoires respectifs, l’Etat fédéral et les provinces peuvent donner aux peuples autochtones soit un droit de propriété sur une parcelle de terre soit la possession ou bien encore un droit d’utilisation exclusif ou non.

Quant à l’exercice des droits dans une réserve indienne, le ministre des affaires indiennes a la compétence pour délivrer des permis et pour approuver au préalable les actes de transfert d’un bien vers l’extérieur d’une réserve, l’acquisition, le transfert et la destruction de certains biens situés dans la réserve. Cette espèce de tutelle fédérale est la contrepartie nécessaire de l’obligation fiduciaire de l’Etat en faveur des titres indigènes.

Pourtant le fondement étatique de la propriété de la terre et les compétences pour surveiller son exercice par les autochtones sont fortement contestés par certains groupes. James TULLY rapporte les revendications globales  des Treaty Seven Elders, l'APN, le Interior Alliance et le B.C. Summit, qui réclament un « titre exclusif » des nations premières sur la totalité du territoire occupé par leurs ancêtres au moment où la Couronne a affirmé sa souveraineté  en 1763. La Commission royale sur les peuples autochtones a refusé une telle prétention et a lancé un appel à conclure des traités dans un esprit de coexistence. La jurisprudence a, pour sa part, encouragé la négociation d’accords entre l’Etat, les provinces et les peuples autochtones.

La souveraineté territoriale de l’Etat est remise en question par certains peuples autochtones du Québec, du Yukon et de la Colombie-Britannique. Ils soutiennent dans une perspective historique que le titre indien sur les terres n’a jamais été expressément cédé à l’Etat canadien. Pour eux, il s’agirait de terres que les autochtones occupent depuis des temps immémoriaux et qu’ils continuent à utiliser. Afin de régler cette affaire les gouvernements fédéral et provinciaux ont mis en place une politique de négociation avec les autochtones, suivant les directives signalées par la jurisprudence de la Cour Suprême.

La loi sur les Indiens reconnaît des droits collectifs à chaque bande indienne et des droits individuels aux membres de ces collectivités. Quant aux bandes indiennes, leurs terres réservées constituent un territoire collectif. La loi sur les Indiens précise que leurs terres sont mises à la dispositions des Indiens à deux fins: l’usage et le profit d’une bande indienne. Les terres détenues collectivement par une bande indienne ainsi que les terres sur lesquelles les Indiens possèdent un droit individuel de possession, bénéficient d’exemptions d’impôts et de la garantie de l’insaisissabilité.


§ 4 : le titre aborigène.

Le titre aborigène permet aux peuples autochtones de revendiquer les terres qu’ils occupaient avant l’arrivée des colons européens et qu’ils continuent à utiliser encore aujourd’hui. Le titre aborigène se situe dans la catégorie des droits ancestraux au sens de la Constitution et sa spécificité réside dans le degré de rattachement au territoire. Or, un droit ancestral peut exister indépendamment d’un titre aborigène.

La jurisprudence de la Cour Suprême exige plusieurs conditions pour prouver l’existence d’un titre aborigène. Il faut que :
le territoire invoqué soit un élément primordial de la culture d’un peuple autochtone ;
l’occupation exclusive soit antérieure à l’affirmation de la souveraineté britannique sur ces terres ;
l’occupation soit demeurée continue après l’affirmation de la souveraineté britannique.

Si l’Etat canadien reconnaît les droits ancestraux, les titres aborigènes peuvent cependant être éteints au cours des négociations en échange d’autres prestations ou conditions pour compenser les indigènes. D’après Isabelle SCHULTE-TENCKOFF, les négociations butent généralement sur la dévalorisation constante du rôle historique des peuples autochtones découlant de l’exigence incontournable de l’extinction du titre foncier autochtone.

Depuis la Loi Constitutionnelle de 1982, l’Etat ne peut plus éteindre un droit ancestral, puisque ce dernier est protégé par la loi suprême du pays. Les gouvernements provinciaux, eux, n’ont jamais eu le pouvoir d’éteindre les droits des autochtones, lesquels relevaient avant 1982 de la compétence exclusive fédérale. Cependant, la Loi Constitutionnelle de 1982 n’empêche pas les lois fédérales ou provinciales (en vertu de l’autorisation accordée dans l’article 88 de la loi sur les Indiens en faveur des provinces) de restreindre les droits ancestraux des autochtones.


Section III : la jurisprudence

Depuis le rapatriement de la Constitution en 1982, la Cour Suprême du Canada est compétente pour interpréter l’article 35 de la Constitution sur les droits reconnus aux autochtones. Bien avant le rapatriement de la Constitution, la jurisprudence favorable aux Indiens était déjà en élaboration. Entre 1939 et 1998, treize arrêts ont marqué le régime canadien concernant les autochtones.

Le rôle joué par la Cour a été et reste toujours considérable dans la matière puisque le gouvernement et le parlement fédéraux se sont abstenus de définir eux-mêmes la portée des droits inscrits dans la Constitution. Au fur et à mesure des litiges, la Cour suprême du Canada a délimité les droits ancestraux et les droits issus des traités. Certains considèrent que de telles décisions reviennent au parlement et aux gouvernements élus démocratiquement et non à des juges nommés et introduirait au Canada le gouvernement des juges.

La Cour suprême a mis en place trois grands principes d’interprétation des droits autochtones qui guident son analyse des droits inscrits dans l’article 35 de la Constitution. De l’application de ces trois principes s’est suivi une interprétation protectrice des droits ancestraux et issus des traités des peuples autochtones du Canada :
l’obligation fiduciaire du gouvernement fédéral envers les autochtones  ;
l’interprétation libérale et généreuse des traités, à partir de l’arrêt Simon de 1985 ;
la résolution des doutes et des ambiguïtés en faveur des peuples autochtones.

La Cour Suprême canadienne dans l’arrêt Re Eskimos de 1939 a interprété au sens large le terme “ indien ” de l’article 91 de la Constitution de 1867 pour y inclure les Inuits et ramener ainsi leurs affaires sous la compétence exclusive du gouvernement fédéral. Auparavant ils relevaient du régime de droit commun de la Common-law puisque la loi sur les Indiens de 1876, dans son article 4, les avait exclus expressément de l’application de la loi sur les Indiens. La Constitution de 1982, en incluant les Inuits parmi la nouvelle catégorie des peuples autochtones, a fait sien l’interprétation posée par l’arrêt Re Eskimos.

Les titres natifs ont eu au Canada un premier précédant en 1888 avec l’arrêt St Catherine’s Miling & Lumber Co. c. la Reine, puis en 1973 l’Arrêt Calder contre la province de la Colombie-Britannique a marqué au Canada un nouveau départ en reconnaissant l’occupation antérieure des peuples autochtones comme fondement du « titre indien », c'est-à-dire d’un droit indépendant des dispositions législatives et dont la source est « l’occupation, la possession et l’usage » historiques des territoires traditionnels ». Ce principe sera repris en 1996 dans l’arrêt Van der Peet. L’arrêt Calder équivaut à l’arrêt Johnson v. Mc’Intosh, de la Cour Suprême américaine de 1823 lorsque le Juge Marshal a conclu que les tribus ont leurs terres en vertu d’un titre indien. En Australie l’arrêt Mabo v. State of Queensland a reconnu en 1992 les titres aborigènes. Dans ces trois pays, le Canada, les Etats Unis et l’Australie, la jurisprudence a reconnu également un « ultimate dominion », un droit radical voire la souveraineté de l’Etat limitant la portée des titres indiens.

L’arrêt Dick de la Suprême Cour canadienne a interprété en 1978 l’article 88 de la Constitution en précisant qu’une loi provinciale est d’application générale, c'est-à-dire qu’elle doit avoir une portée uniforme sur tout le territoire et ne pas viser un groupe particulier de citoyens, ni porter atteinte aux droits d’un groupe particulier de personnes.

Après l’adoption de la nouvelle Constitution du Canada, l’arrêt Guerin contre La Reine, en 1984 a établit l’obligation de fiduciaire du gouvernement fédéral envers les autochtones, une institution très caractéristique du droit canadien. Cette jurisprudence a également établi la nature unique et inaliénable du titre indien comme droit foncier. Cela a bouleversé le régime de responsabilité du gouvernement fédéral à l’égard des autochtones.

L’arrêt Guerin portait sur une réclamation en dommages et intérêts de la bande des indiens Musqueams de Colombie-Britannique contre le gouvernement fédéral. Ce dernier avait conclu dans les années 1950 un bail de location d’une partie des terres de la réserve des Musqueams à un club de golf. Une fois l’accord de la bande obtenu, les discussions se poursuivirent entre le gouvernement et la société privée. Des conditions différentes et moins avantageuses pour les Indiens ont alors été convenues, sans que le gouvernement en informe la bande.

La Cour a établi que le gouvernement était tenu d’administrer les terres de réserves de la meilleure façon qui soit à l’égard des Indiens qui y résident et qu’il n’était pas autorisé à ignorer les conditions verbales discutées avec la bande. Etant donné que le gouvernement fédéral définit unilatéralement le régime juridique des Indiens, les peuples autochtones se trouvent à la merci du pouvoir discrétionnaire du gouvernement fédéral. Dans cette situation l’obligation fiduciaire est la contrepartie obligatoire de ce pouvoir discrétionnaire.

Plus tard, les arrêts Frame v. Smith et Hodgkinson v. Simms ont confirmé l'existence de l’obligation fiduciaire en précisant qu’elle apparaît lorsqu’une personne détient un pouvoir unilatéral ou discrétionnaire dans un domaine qui concerne une personne particulièrement vulnérable. La partie vulnérable a le pouvoir d’exiger de la partie qui détient le pouvoir ou la discrétion qu’elle l’exerce exclusivement à son bénéfice. Une personne cède (ou plus souvent se trouve dans la situation où quelqu’un a cédé à sa place) son pouvoir sur un domaine à une autre personne en lui faisant confiance pour qu’elle exerce loyalement son pouvoir.

Les obligations fiduciaires de l’Etat sont directement proportionnelles à ses pouvoirs de surveillance et d’ingérence sur les peuples autochtones et inversement proportionnelles à l’autonomie des peuples autochtones. Plus l’Etat a de pouvoirs de surveillance et d’ingérence de l’Etat et, corrélativement, moins l’autonomie des autochtones est effective, plus ses obligations fiduciaires sont importantes. Autrement dit, les obligations fiduciaires diminueront dans la même proportion que les pouvoirs de surveillance et d’ingérence de l’Etat et dans la mesure où les autochtones gagneront une autonomie plus grande. Au fond, l’obligation fiduciaire est conçue comme une sorte de responsabilité universelle de l’Etat providence, censé reconnaître tous les droits des peuples autochtones.

Cette responsabilité publique fonctionne selon deux logiques : d’abord, l’Etat garantit la validité des titres fonciers qu’il a attribués et, en ce qui concerne les autres droits ancestraux, l’obligation fiduciaire imposerait à l’Etat une obligation compensatoire ou l’obligation de rétablir les possessions des peuples autochtones dans leur état antérieur. Les prestations sociales modernes revendiquées par les autochtones peuvent s’inscrire aussi dans ce cadre.

Les obligations fiduciaires ne disparaîtront pas mais elles changeront de nature à la suite de l’évolution du rôle des peuples autochtones. En théorie, l’autonomie absolue et la reconnaissance de tous les droits des autochtones libéreraient l’Etat de ses obligations fiduciaires. Dans la pratique, l’autonomie des autochtones sera toujours relative et les obligations fiduciaires de l’Etat serviront de compensation pour ce que l’Etat leur a enlevé jadis. Cela permet d’expliquer et de résoudre les tensions permanentes entre l’Etat et les peuples autochtones : dans la mesure où les autochtones réclament des prestations à l’Etat, ils acceptent de facto son existence et finissent même par réclamer plus de présence de l’Etat.

Quant à la reconnaissance des droits issus des traités pré-confédératifs, la Cour Suprême a décidé en 1985 dans l’arrêt Simon qu’ils liaient le gouvernement fédéral. La Cour Suprême a fait prévaloir le droit de chasse prévu dans le traité de paix et d’amitié, de 1752 entre la Couronne Britannique et le peuple Micmac sur la loi provinciale de la Nouvelle-Ecosse concernant les terres et les forêts. C’est une victoire concrète pour les peuples autochtones. En matière d’interprétation, la Cour a établi le principe d’interprétation libérale et généreuse des traités pré-confédératifs conclus avec les Indiens et, d’autre part, du principe selon lequel les doutes et les ambiguïtés concernant la portée et la définition des droits visés par l’article 35 de la Constitution doivent être résolus en faveur des peuples autochtones. Les traités conclus avec les Indiens doivent être interprétés en faveur de ceux-ci de façon large et libérale. Cet arrêt marque un triomphe d’une grande portée qui a orienté le droit canadien en faveur des peuples autochtones.

L’arrêt Simon contre la Reine a aussi affirmé que les traités autochtones ne sont pas engendrés ni abrogés selon les règles du droit international. Ce qui suggère que les traités historiques n’appartiennent plus au droit international et que, dans la foulée, ils ont été internalisés et que l’accès aux droit international leur serait désormais interdit.

En 1988, l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Paul a précisé que les titres indiens sont un véritable droit sui généris sur les terres et non un simple droit de jouissance et d’occupation, bien qu’il soit difficile à décrire dans la terminologie traditionnelle du droit des biens.

Une des jurisprudences les plus importantes est l’arrêt Sparrow, de 1990, dans lequel la Cour Suprême a précisé que par “ droit existant ” il fallait entendre “existant au jour de la réforme constitutionnelle en 1982 ”. Ce concept doit être interprété d’une façon souple afin de permettre aux droits ancestraux d’évoluer dans le temps, de conserver une contemporanéité par rapport aux besoins des autochtones. L’obligation fiduciaire du gouvernement a été élargie au profit de tous les peuples autochtones et non seulement des Indiens. Une autre nouveauté de cet arrêt a été le test de justification du droit ancestral.

Dans cette affaire, un indien Musqueam de la Colombie-Britannique fut accusé de pêcher avec un filet de 45 brasses de longueur alors que le permis de pêche de subsistance, émis par le gouvernement fédéral à la bande des Musqueams, autorisait les filets d’une longueur maximale de 25 brasses. Sparrow estimait, pour sa défense, que ce droit de pêche était pour sa bande un droit ancestral protégé par la Constitution et que le règlement fédéral devait être annulé pour inconstitutionnalité.

Selon l’article 91 de la Loi Constitutionnelle de 1867, le gouvernement fédéral a la compétence exclusive sur les Indiens et leurs terres réservées. Il est le seul à pouvoir éteindre des droits ancestraux des autochtones et non les provinces. Le critère pour déterminer si un droit a été éteint ou non est “ l’intention claire et expresse ” du gouvernement fédéral. La charge de la preuve de l’extinction du droit appartient au gouvernement.

Par ailleurs, la Cour Suprême a précisé qu’un droit ancestral peut faire l’objet d’une réglementation restrictive, sans que cela signifie que le droit est éteint. Enfin, la non-utilisation, même prolongée, d’un droit ancestral n’entraîne pas son extinction, il peut survivre et être exercé de nouveau dans un contexte contemporain.

La Cour suprême du Canada, saisie de plusieurs litiges mettant en cause des atteintes législatives et réglementaires contre les droits ancestraux, a mis en place une véritable procédure de fond pour contrôler ces atteintes et préserver les droits autochtones, le test de justification des attentes contre les droits ancestraux, lequel comprend deux étapes : vérifier d’abord s’il y a eu une violation du droit ancestral pour examiner ensuite si la violation peut se considérer légitime et nécessaire. Le test est assez complexe et permet plusieurs issues au procès.

Dans la première étape du test, le requérant autochtone doit démontrer l’existence du droit ancestrale et donner la preuve de la violation. Le tribunal détermine s’il y a eu violation du droit ancestral en répondant à trois questions :
la restriction est-elle déraisonnable ?
le règlement est-il indûment rigoureux ?
le règlement refuse-t-il au titulaire du droit ancestral les moyens (alternatifs) d’exercer leur droit ?

Dans la deuxième étape, le tribunal passe au test de légitimation proprement dit : la violation de ce droit est-elle légitime et nécessaire ? Les objectifs poursuivis rendent légitimes les atteintes contre les droits ancestraux dans trois cas :
pour préserver des droits garantis par l’article 35 de la Constitution et pour la conservation et gestion d’un ressource naturelle ;
pour empêcher l’exercice d’un droit qui nuirait l’ensemble de la population ou les autochtones eux-mêmes, et
pour tout autre objectif jugé impérieux et réel par le tribunal hors mis le seul intérêt général qui serait trop vague.

Finalement, si le tribunal conclut que la finalité de l’atteinte portée au droit ancestral était légitime, il va examiner si la violation était nécessaire au regard de l’obligation fiduciaire du gouvernement fédéral.

Sur ce test, il convient de remarquer que les questions à évaluer ont une formulation négative et que le point de départ est la présomption de légitimité des actes des autorités publiques, ce qui a priori favoriserait l’Etat.

La Cour Suprême a estimé, en l’espèce, qu’il fallait donner la priorité absolue à la pêche de subsistance des autochtones. On doit d’abord satisfaire les besoins alimentaires des autochtones en procédant à la répartition de la ressource. Si, par exemple, au cours d’une année donnée le nombre de prises devait être réduit, la totalité des prises permises devrait toutefois leur être allouée.

La Cour a conclu, dans l’espèce, que le règlement fédéral de pêche violait le droit ancestral de pêche de l’indien Musqueam et que cette violation n’était ni légitime, ni nécessaire. Le règlement de pêche de la province a été écarté au profit de la bande de Musqueams.

Le bilan de l’application du test de justification des attentes aux droits ancestraux est très positif. Il a mis véritablement un frein aux pratiques fédérales et provinciales de nier systématiquement l’existence des droits autochtones.

En 1990 l’arrêt Sioui est allé plus loin dans une interprétation large et libérale favorable aux Indiens en reconnaissant comme traité au sens de l’article 35, un document historique datant de 1760 sous le régime français. La Cour Suprême canadienne a précisé que les traités autochtones forment une catégorie à part, des accords sui generis. En insistant sur l’occupation et la souveraineté antérieures des peuples autochtones sur le territoire. L’arrêt Nation Cheroquee v. State of Georgia de la Cour Suprême Américaine (1831) a considéré que les peuples autochtones gardaient des vestiges de souveraineté et que le gouvernement fédéral était leur protecteur. Cette jurisprudence qui a marqué le début de la fidutiallity trust. Ces reconnaissances de l’ancienne souveraineté des peuples autochtones ont mis en évidence le besoin d’une autre notion politique qui puisse remplacer la souveraineté historique dans le droit contemporain.

A partir du référendum de 1992, la jurisprudence canadienne est globalement favorable aux peuples autochtones et recommande la négociation des conventions tripartites entre les peuples autochtones, les provinces et l’Etat canadien pour préciser, au cas par cas, les droits ancestraux et les droits issus des traités ainsi que leur droit à l’autonomie de gouvernement.

La Cour Suprême du Canada a élargi avec l’arrêt Côté de 1996 aux droits issus des traités le champ d’application du test de justification des atteintes aux droits ancestraux. L’affaire portait sur l’entrée des Algonquins dans la zone d’exploitation contrôlée dit « Bras-Coupé-Désert » pour enseigner aux jeunes leurs méthodes traditionnelles de pêche. L’accusation a été fondée sur le refus de payer le droit d’accès à la zone et sur le fait d’avoir pêché sans permis, contrairement aux règlements fédéraux. Les Indiens ont plaidé que leur droit de pêche devait être protégé au titre de l’article 35 de la Constitution.

La Cour a appliqué le test de justification à ces deux règlements. S’agissant du règlement fédéral, la Cour a considéré que l’émission d’un permis de pêche ne constituait pas nécessairement une atteinte à un droit ancestral mais qu’il était inutilement rigoureux à l’endroit des Algonquins et les empêchait d’avoir recours à leur moyen préféré pour exercer un droit. Conformément au test de justification appliqué par la Cour, le règlement fédéral était une atteinte injustifiée au droit ancestral de pêche puisqu’il n’accordait aucune priorité aux autochtones, violant ainsi l’obligation fiduciaire du gouvernement fédéral envers les Algonquins. Le règlement fédéral a donc été laissé inappliqué à leur égard.

Quant au règlement provincial sur les zones d’exploitation contrôlée du Québec, la Cour a considéré qu’il ne portait pas atteinte au droit ancestral de pêche des Algonquins. Ce règlement exigeait le paiement d’un droit d’entrée dans la zone à ceux qui voulaient y pénétrer. Le règlement n’interférait pas avec le droit d’accès des Algonquins dans la zone ; il ne faisait qu’assujettir l’exercice de ce droit ancestral de pêche dans la zone au paiement d’un droit d’entrée. Les frais d’entrée servent à couvrir les coûts d’exploitation des installations et des routes à l’intérieur de la zone, ce qui faciliterait plutôt l’exercice du droit ancestral de pêche des Algonquins.

En 1996, l’arrêt Van Der Peet donnait pour la première fois la définition d’un droit ancestral au sens de l’article 35 de la Constitution après une analyse des raisons de la protection particulière accordée par la Constitution aux peuples autochtones. L’arrêt s’est occuper de la vente par une femme indienne Stodo du poisson pêché en vertu d’un permis de pêche de subsistance, contraire au règlement fédéral de pêche de la Colombie-Britannique ; l’indienne a fait valoir que son droit de vente de poisson était un droit ancestral au sens de l’article 35 de la Constitution.

La Cour Suprême établit une technique –assez flexible- pour déterminer l’existence d’un droit ancestral:
en premier lieu, il faut examiner la nature du droit revendiqué. Et pour cela, il faut tenir compte de la nature de l’acte accompli et revendiqué comme un droit ancestral, de la nature de la loi ou du règlement contesté, et de la coutume, pratique ou tradition revendiquée pour établir l’existence du droit revendiqué ;
en second lieu, la Cour estime qu’il faut déterminer si la coutume, pratique ou tradition constitue un élément fondamental de la culture du peuple autochtone avant le contact avec les européens.

Chaque cause invoquant des droits ancestraux doit être tranchée selon les faits de l’espèce et vaut pour le groupe qui en démontre l’existence. Ainsi, une caractéristique fondamentale peut être déterminante pour un peuple autochtone donné et non déterminant pour un autre peuple. Ainsi, la jurisprudence sur les droits ancestraux n’a pas d’effets erga omnes.

Pour analyser l’importance du droit ancestral, le juge prend en compte l’avis du peuple autochtone en question ainsi que l’existence de la coutume dans une période antérieure au contact des autochtones avec les européens et non pas au moment de l’affirmation par les européens de leur souveraineté sur le territoire canadien. L’interruption d’une activité et sa reprise ultérieure par un groupe autochtone n’est pas un obstacle en soi.

La Cour tient compte de la nature particulière des revendications autochtones et des difficultés qu’il peut y avoir à prouver l’existence d’un droit qui remonte à une époque où les traditions, les coutumes et les pratiques autochtones n’étaient pas consignées par écrit.

Selon la définition élaborée dans l’arrêt Van Der Peet, la Cour Suprême a considéré que le droit de pêche à des fins de subsistance et le droit d’enseigner les pratiques traditionnelles de pêche pour les indiens Algonquins constituaient tous deux des droits ancestraux au sens de l’article 35 de la Constitution. La Cour Suprême a appliqué le test de justification des atteintes aux droits ancestraux pour voir, dans un premier moment, si les règlements invoqués violaient les droits ancestraux des requérants, et dans un deuxième moment, si ces règlements étaient légitimes et nécessaires.

L’Arrêt Adams en 1996 a établi qu’un titre aborigène n’a pas besoin d’être prouvé pour démontrer l’existence d’un droit ancestral et que celui-ci peut exister indépendamment d’un titre aborigène. La Cour Suprême applique le test de justification établi par l’arrêt Sparrow.

Dans cette affaire, un indien Mohawk de la réserve indienne de Akwesasne avait pêché au filet plusieurs centaines de livres de perchaude en dehors des limites de la réserve. Il n’avait pas de permis de pêche, contrairement aux exigences du Règlement de pêche du Québec. La Cour a estimé que le paragraphe 5 du règlement violait le droit ancestral car il soumettait les autochtones à la compétence discrétionnaire du ministre et qu’il ne fixait aucun critère pour limiter cette volonté discrétionnaire. Il restreignait de façon indûment rigoureuse le droit de pêche du requérant. Pour la Cour Suprême l’obligation de fiduciaire de l’Etat envers les autochtones impliquait un encadrement du pouvoir discrétionnaire d’un ministre de porter atteinte à un droit ancestral.

La Cour Suprême a considéré que les droits ancestraux n’étaient pas essentiellement rattachés à un titre aborigène et que le titre ancestral n’était qu’une sous-catégorie des droits ancestraux. Un droit ancestral peut exister indépendamment d’un titre aborigène sur un territoire. Entre autres conséquences, la subordination des titres aborigènes aux droits ancestraux, adopté par la réforme constitutionnelle de 1982, rend plus facile l’extinction des droits sur les terres en échange d’autres droits et avantages dans le cadre des négociations. S’agit-il d’un avantage permettant aux peuples autochtones d’exercer leurs droits bien au-delà de leurs territoires ? Où ne serait-il qu’un pis-aller exemptant l’Etat d’aller plus loin en leur reconnaissant un titre de propriété ?

Si un groupe réussit à démontrer qu’il exerce une coutume, une pratique ou une tradition qui fait partie intégrante de sa culture distinctive, il aura prouvé son droit ancestral, même s’il n’arrive pas à démontrer qu’il a occupé et utilisé le territoire en question suffisamment pour prouver un titre aborigène sur ce territoire.

Dans l’arrêt Delgamuukw de 1997, la Cour Suprême a élargi aux titres aborigènes l’application du test de justification des atteintes aux droits ancestraux. La Cour a établi que, pour prouver un titre aborigène, il fallait l’occupation continuelle d’un territoire d’importance fondamentale pour la culture du groupe avant et après l’affirmation par la Couronne Britannique le 7 octobre 1763 de sa souveraineté sur le territoire. Ainsi, l’arrêt Delgamuukw a réuni les deux éléments fondamentaux du nouveau régime des peuples autochtones : d’un côté, la survivance des droits ancestraux et des titres aborigènes et, d’autre côté, l’affirmation de la souveraineté de l’Etat colonisateur. Une solution d’hybridation du droit étatique et du droit autochtone, qui fut critiqué par son ambiguïté.

L’arrêt Delgamuukw a restreint l’application des lois provinciales aux Indiens, toujours en vertu de l’article 88 de la loi sur les Indiens qui les incorpore. Les lois provinciales ne peuvent éteindre un droit ancestral, y compris le titre foncier, et ne doivent pas porter atteinte à la loi sur les Indiens, à une autre loi fédérale ou à un traité conclu avec les Indiens ni à un règlement administratif adopté par la bande. Au niveau des principes, il est clair que si la loi provinciale est incompatible avec les dispositions de ces textes, elle ne serait pas appliquée. Pourtant l’arrêt Delgamuukw a généré de grandes incertitudes et les Indiens vivant à l’intérieur d’une province ne sont pas à l’abri de toute incursion législative de la part d’une province. En vertu du principe de la réconciliation, certains aspects des droits et des obligations des Indiens se trouvent limités de manière importante par la législation provinciale.

L’arrêt de 1998 sur “ la sécession du Québec ” concerne indirectement les peuples autochtones qui revendiquent leur indépendance. La Cour Suprême a insisté sur la valeur du droit et de la Constitution et sur l’impossibilité pour le Québec de procéder unilatéralement à la sécession qui réaliserait un changement constitutionnel d’une telle ampleur que seule une modification de la Constitution pourrait l’autoriser. La possibilité d’une méconnaissance de la Constitution par les faits politiques n’est pas envisagée par la Cour Suprême puisqu’une telle hypothèse ne relève pas du droit.

La distinction entre des droits ancestraux et des droits fonciers reconnus aux autochtones permet que dans le droit canadien un droit ancestral puisse exister indépendamment d’un titre aborigène sur un territoire. Les droits ancestraux ont le caractère de droits collectifs, bénéficient d’une large protection constitutionnelle et ont reçu un important développement jurisprudentiel. Tandis que les droits fonciers reconnus aux peuples autochtones ont toujours besoin d’un titre conformément au régime foncier de l’Etat. A partir de l’arrêt Guerin c. La Reine les titres des Indiens sur leurs terres sont protégés par l’inaliénabilité de leur intérêt sur la terre et par l’obligation fiduciaire du gouvernement fédéral en faveur des peuples autochtones. Cette obligation fiduciaire comporte une sorte de tutelle de l’Etat sur les actes de gestion et d’exploitation des territoires, exercée par le ministre des affaires indiennes et le gouverneur en conseil.

La Cour Suprême a établi dans l’arrêt Delgamuukw que pour prouver un titre aborigène il fallait l’occupation continuelle du territoire d’importance fondamentale pour la culture du groupe avant et après l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté sur le territoire le 7 octobre 1763.

Quant aux critères et aux techniques pour résoudre les conflits entre les droits ancestraux des peuples autochtones et les compétences publiques ou les droits de la population non autochtone, la Cour Suprême a établi en 1990 un test de justification des atteintes aux droits ancestraux. Les droits autochtones existants en 1982 jouissent de protection constitutionnelle et une interprétation assez souple des droits des autochtones permet leur évolution dans le temps tout en conservant une contemporanéité par rapport aux besoins des autochtones.

Une autre technique d’analyse, adoptée par l’arrêt Van Der Peet en 1996, permet d’identifier les droits ancestraux à partir de la nature du droit revendiqué et de l’existence d’une coutume, pratique ou tradition constitutive d’un élément fondamental de la culture du peuple autochtone avant le contact avec les européens.

Les obligations fiduciaires du Gouvernement s’inscrivent dans la tradition de l’Etat providence en lui imposant les devoirs d’assurer, compenser et compléter les titres fonciers, droits collectifs et prestations sociales revendiquées par les peuples autochtones. Ces obligations gardent un rapport de proportionnalité inverse avec l’autonomie des autochtones, et de proportionnalité directe aux pouvoirs de surveillance et d’ingérence étatique par rapport aux autochtones.

La mobilisation internationale des peuples autochtones du Canada est remarquable à tel point qu’elle mérite un chapitre à part.

Chapitre III 

LE REGIME COLOMBIEN



« Minorités ethniques » est la dénomination juridique consacrée par la Constitution colombienne de 1991 pour les peuples et communautés indigènes mais également pour les communautés noires ou afro-colombiennes et pour la population raïzale descendante des noirs anglophones installés dans les îles de Saint André, Providence en Sainte Catherine, en pleine mer de la Caraïbe depuis le XVII siècle et qui ont conservé leur dialecte et leurs traditions. En 2002 les communautés gitanes furent reconnues comme une minorité par le Département National de Planification (DNP). Or, appeler minorités les indigènes, les noirs, les raïzales ou les gitans implique, par principe, que ces peuples se trouvent dans une situation d’infériorité sociale injuste à laquelle le droit va tenter de remédier.

Au sens historique strict, les seuls autochtones colombiens seraient les quatre-vingt-quatre peuples et communautés indigènes recensés par les anthropologues et par les autorités colombiennes comme descendant des habitants du pays avant la découverte de l’Amérique. L’intégration des autres deux minorités (noire et raïzale) dans la catégorie commune des minorités ethniques s’est faite pendant l’Assemblée Nationale Constituante de 1991 en suivant les critères de diversité ethnique et culturelle, de marginalisation et d’adhésion au modèle d’organisation des indigènes dans la mouvance du cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique.

La consécration constitutionnelle des minorités ethniques oblige à faire une exception à la différentiation faite par l’ONU à partir de 1992 entre les minorités ethniques et les peuples autochtones, devenus désormais de nouveaux sujets juridiques pour le droit international. La Constitution canadienne fait aussi la différence entre les peuples autochtones et les minorités qui bénéficient d’un régime distinct. Une telle différentiation ne produit pas un cloisonnement juridique ni n’empêche les minorités de profiter de la normativité internationale en faveur des peuples autochtones.

Du point de vue démographique, les 785.000 indigènes colombiens représentent 2% de la population du pays, les noirs 18%, les raïzales et les gitans colombiens représentent à peine quelques milliers de personnes. Les revendications territoriales des minorités ethniques ont eu un relatif succès malgré la persistance d’un fort mécontentement. Les indigènes sont propriétaires du 25% du territoire (250.000 kilomètres carrés) et les communautés noires du département du Choco détiennent la propriété collective de quelques cinq millions d’hectares. Il y a 567 resguardos  dont la surface totale est de 36’500.416 hectares et où habitent 800.271 personnes.


Section I : le régime colonial et républicain.

Pendant la période coloniale, la législation des rois d’Espagne a été favorable aux peuples indigènes américains mais malgré leurs vœux de protéger les indigènes et de faciliter leur évangélisation par les Lois des Indes, l’application de ces lois outre-atlantique n’a pas été efficace du tout. Les colons et les autorités coloniales n’ayant pas le même souci que Sa Majesté pour la protection des indigènes, ils se sont permis d’adopter la politique d’obéissance formel tout en laissant inappliquée la législation protectrice des indigènes.

Dès la période coloniale les communautés indigènes, bien qu’expropriées de leurs terres par les Espagnols, furent juridiquement reconnues et leurs structures sociales et traditions hybridées avec la culture espagnole. Les indigènes ont occupé une place « légitime » de subordination dans la hiérarchie sociale. De même pour les Noirs du vice-royaume de la Nouvelle Grenade soumis à l’esclavage, qui ont bénéficié d’une législation coloniale édictée en 1789 et de certaines institutions coloniales comme celle d’une journée de travail où les esclaves gagnaient de l’argent qu’ils pouvaient garder ce qui leur permettait d’acheter la liberté s’ils le voulaient. Les palenques étaient les villages des esclaves en fuite, tolérés par l’Etat colonial. Les « cuadrillas de pardos » ont permis le recrutement des Noirs dans l’armée coloniale et la « mano cambiada » rendait possible un échange de services inter-ethnique.

Aujourd’hui, l’indigénisme militant met sous la dénomination commune de « Blancs européens » plusieurs groupes sociaux de l’époque coloniale qui n’étaient vraiment pas blancs ni européens, comme les créoles et les métis. La domination espagnole était subie par tous les non-espagnols et même par les fils d’espagnols mais dans la pratique la faiblesse de l’Etat colonial fut telle que les indigènes et les Noirs ont réussi à garder certains espaces d’autonomie  et les autorités ont dû accepter les situations qu’elles ne pouvaient pas changer. Puis la République du XIXème siècle a continué cette tradition de faiblesse de l’appareil administratif de contrôle social. Du fait de cette tradition non autoritaire et du métissage, les Colombiens ont une attitude non hégémonique qui leur permet de reconnaître plus facilement la diversité culturelle de leur pays.

Le processus ethnique le plus caractéristique de la Colombie est, sans doute, le métissage profond des indigènes, des noirs et des colons venus de l’Espagne. Par inertie sociale les dynamiques de la période coloniale ont continué après l’indépendance de l’Espagne en 1819 : le métissage, la vie des indigènes dans les resguardos , la formation des communautés paysannes dans les fermes, l’évangélisation par les missionnaires catholiques et l’isolement de quelques peuples indigènes et communautés noires. Les guerres civiles du XIXème siècle n’ont pas concerné les indigènes.

Plusieurs décennies après l’indépendance, la République a adopté en 1858 plusieurs lois mettant fin à la plupart des resguardos indiens. Cette loi a donné naissance à de grands domaines d’élevage ou de culture de tabac travaillés par les Indiens ou les Métis. Pourtant cette transformation fut assez inégale et elle ne s’est jamais consolidée. La République a adopté la loi 89 de 1890 pour confier les tribus indigènes encore « sauvages » aux missionnaires, en conformité avec le concordat conclu en 1887 entre l’Etat et l’Eglise Catholique.

Cette loi a créé un statut largement favorable aux indigènes dont les communautés indigènes ont fait une nouvelle lecture. Sa terminologie est devenue anachronique mais ses dispositions ne contredisent pas forcément la nouvelle Constitution de 1991. Lorsque la Cour Constitutionnelle a examiné la loi 89 de 1890, l’Organisation Nationale Indigène de Colombie ONIC à plaidé pour sa constitutionnalité en se déclarant globalement satisfaite d’institutions comme la reconnaissance des us et coutumes indigènes, la propriété collective de la terre et l’inaliénabilité des resguardos et une juridiction particulière pour les Indiens. Le régime d’incapacité civile a beaucoup contribué à préserver les identités culturelles indigènes ainsi que la propriété des resguardos. Les missionnaires avaient des compétences déléguées par l’Etat pour conduire les indigènes à la vie civilisée mais, par manque de moyens ou par respect pour les cultures indigènes, l’objectif n’a pas été atteint. Et les peuples et communautés indigènes ont conservé leurs traditions et leur spécificité culturelle, tout en empruntant certains éléments et pratiques de la culture majoritaire.

Lorsque l’OIT adopta en 1957 la Convention 107, ratifiée par la Colombie par la loi 31 de 1961, l’assimilation des autochtones était universellement perçue comme la meilleure politique possible. Pourtant, un indigénisme radical a fleuri au Mexique, au Guatemala, au Pérou et en Bolivie et la rupture avec la politique de la Convention 107 s’est produite dans les milieux intellectuels en 1969 avec la création de l’Equipe de recherche sur les sociétés indigènes et paysannes d’Amérique Latine, ERSIPAL au sein du centre de recherche sur l’Amérique latine (CREDAL) à Paris. Jean-François Lecaillon souligne que 1969 fut l’année du réveil indigéniste en Amérique Latine avec les manifestations des Indiens péruviens contre un projet gouvernemental de réforme agraire.

François Chevalier situe en 1968 les premières attaques des jeunes anthropologues contestataires contre les concepts et les modèles indigénistes d’intégration au nom d’une indianité auto-gestionnaire et de l’épuisement du modèle occidental de développement productiviste. On doit remarquer depuis lors la polysémie du terme indien, qui recouvre des réalités bien diverses qui vont du paysan à peau cuivrée ne parlant qu’espagnol jusqu’aux communautés de langue indigène plus ou moins formées par des liens religieux, familiaux et territoriaux.

Selon Michel de Certeau, la Déclaration de Barbados de l’année 1970 a signalé le réveil identitaire des indigène, dont les intellectuels signataires ont critiqué les politiques d’assimilation et ont demandé la fin de l’oppression des indigènes, la reconnaissance de leurs droits à la terre et le respect de leur culture. Un deuxième document fut signé à Barbados par les indigènes. De cette manière, l’approche identitaire fondée sur l’historicité des peuples indigènes a commencé son cheminement en Amérique Latine avec le soutien des intellectuels européens et, singulièrement, français. A l’époque les analyses sociales utilisaient fréquemment la lutte de classes comme grille de lecture et, dans les années 1970, les ouvriers, les paysans et les indigènes figuraient parmi les classes sociales opprimées.

Le débat sur le multiculturalisme en Amérique Latine ne semble pas procéder directement des considérations philosophiques qui depuis les années 1970 opposent les libéraux et les communautariens dans le monde anglo-saxon mais il provient plus certainement du réveil identitaire et politique des peuples indigènes avec le soutien des intellectuels européens.

En Colombie, les organisations indigènes furent regroupées à partir des années 1970. Le Comité Régional Indigène du Cauca (CRIC) créé en 1971 par les Paeces et les Guambianos a réussi à revendiquer des territoires communautaires du Cauca. Puis le CRIC a servi comme modèle pour l’OREWA, l’organisation indigène du département du Choco, créé en 1980.

Au niveau juridique, plusieurs événements législatifs et jurisprudentiels ont suivi les mouvements sociaux et intellectuels de l’indigénisme en Colombie. La jurisprudence de la Cour Suprême de Justice et du Conseil d’Etat a développé sous le régime de la Constitution de 1886 des sujets comme la propriété de la terre, le gouvernement interne et le régime pénal autochtone en anticipant les grandes lignes de la Constitution de 1991. Le 16 novembre 1983, un avis de la chambre du conseil du Conseil d’Etat (formation consultative), fondé sur la Loi 89 de 1890, a reconnu les Cabildos Indigènes comme des « entités publiques à caractère spécial chargées de protéger les indigènes ». Puis la Loi 21 de 1986 a confirmé ce caractère des Cabildos Indigènes. Roque Roldan a souligné le caractère exceptionnel de la jurisprudence colombienne dans l’ensemble des pays de l’Amérique. Pourtant les transformations législatives et jurisprudentielles antérieures à 1991 n’ont encore pas été suffisamment étudiées.

Les communautés noires ont suivi les traces du mouvement indigène. En 1985 le mouvement social Cimarron au département du Choco s’est renforcé et l’Association Paysanne de l’Atrato (ACIA) a commencé à revendiquer en faveur des communautés noires le statut de groupe traditionnel et les droits collectifs établis par la Convention n°169 de 1989 de la OIT. Bien que les indigènes et les Noirs aient des approches différents du territoire et du droit, ils ont adopté dans le département du Choco dans les années 1990 une stratégie conjointe de « défense du territoire bi-ethnique indien et noir ».

Entre 1958 et 1991, les gouvernements colombiens ont décrété souvent des régimes d’exception pour renforcer de manière transitoire l’ordre étatique, traditionnellement et délibérément faible. Les régimes constitutionnels d’exception (état de siège ou état d’urgence) peuvent être analysés comme une manière forte de sortir du pluralisme puisque les graves crises politiques qu’ils tentent de régler supposent la coexistence de plusieurs principes de légitimité qui rivalisent entre eux. En Colombie, les crises sont la conséquence de l’inefficacité de l’Etat dans la gestion de l’ordre public interne face aux attaques des guérillas marxistes et face au terrorisme des trafiquants de drogues. L’Etat n’a jamais déclaré un régime d’exception constitutionnel pour faire face aux revendications indigènes ou noires. De leur côté, les peuples et communautés indigènes ne méconnaissent pas la légitimité de l’Etat colombien. Bien au contraire, ils ont besoin de son renforcement et de son efficacité pour s’assurer leurs droits culturels, sociaux, et économiques ainsi que les prestations et la sécurité qu’ils lui demandent.

Section II : la Constitution de 1991.

La Constitution politique du 4 juillet 1991 a marqué l’ouverture de l’Etat colombien à l’indigénisme. Les différents mouvements indigénistes ont réussi à avoir trois indigènes parmi les 72 membres de l’Assemblée Nationale Constituante. Quatre mois avant la nouvelle Constitution, le Congrès avait adopté la Convention n°169 de 1989 de l’OIT dont les dispositions ont inspiré les institutions indigénistes de la Constitution colombienne. D’autres pays ont commencé à regarder la Colombie comme un modèle. Actuellement, la plupart des constitutions latino-américaines, onze sur vingt et une, ont adopté un modèle multi-culturaliste et de reconnaissance vis-à-vis des indigènes.

La Constitution de 1991 a introduit trois changements de fond à l’approche institutionnelle des question indigènes :
la reconnaissance de la légitimité de la diversité ethnique et culturelle de la population, en accord avec le nouveau modèle d’une démocratie participative et pluraliste;
l’ouverture des institutions au réclamations des peuples et communautés indigènes, qu’il s’agisse de réclamations foncières ou de revendications de droits collectifs, sociaux et culturels;
la création d’institutions politiques et l’adoption de procédures juridiques efficaces pour répondre aux démandes des indigènes. Par exemple, la représentation parlementaire des indigènes, les collectivités territoriales indigènes, la juridiction spéciale indigène et la procédure de tutelle.

La procédure judiciaire de tutelle, établi pour protéger les droits fondamentaux constitutionnels, permet d’abord de garantir les droits fondamentaux des indigènes et ensuite de résoudre les tensions entre ceux-ci et les droits collectifs à l’intérieur des peuples indigènes. Les juges de tutelle se servent d’équivalents inter-culturels pour s’introduire dans les affaires indigènes tout en respectant les spécificités des peuples autochtones. On peut penser que ces juges étatiques interviennent en tant qu’instance supra-indigène ou qu’ils ne sont pas culturellement neutres et qu’ils raisonnent en fonction d’un projet de “nation-building. En fait, les décisions de la Cour Constitutionnelle sont bien acceptées par les peuples indigènes sans remise en cause de la primauté du droit étatique sur les autorités et le droit indigène.

Ces changements ont conduit à la reconnaissance d’une large autonomie politique, administrative, législative et judiciaire des peuples et communautés indigènes, tout en sauvegardant la compatibilité des institutions indigènes avec le régime démocratique de l’Etat et avec les droits fondamentaux consacrés dans la Constitution. Sur le plan des finances publiques, les peuples et communautés indigènes ont gagné le droit à percevoir des subventions du budget de l’Etat, à parité avec les municipalités en fonction de leur taille démographique. Quant à la représentation politique, les indigènes ont droit à des quotas parlementaires : deux sénateurs indigènes sur les 102 sénateurs et un représentant indigène sur les 168 membres de la Chambre de représentants. Roque Roldan Ortéga affirme que la Constitution de 1991 a dépassé les exigences de la Convention n° 169 de 1989 de la OIT en matière de représentation parlementaire et d’autonomie pour définir les formes de gouvernement et d’administration interne des communautés indigènes.

Vingt-deux articles de la Constitution de 1991 contiennent le régime des minorités ethniques :

L’article 7 reconnaît et protège la diversité ethnique et culturelle de la nation colombienne.
L’article 8 consacre l’obligation de protéger les richesses culturelles et naturelles de la nation.
L’article 10 sur les langues officielles, adopte l’espagnol et les langues et dialectes des groupes ethniques, dans leurs territoires, ainsi que l’éducation bilingue.
L’article 63 établit l’inaliénabilité des terres communales des groupes ethniques et des resguardos .
L’article 68 garantit le droit des membres des groupes ethniques à une formation qui respecte et développe leur identité culturelle.
L’article 70 déclare que la culture et ses diverses expressions sont le fondement de la nationalité et reconnaît l’égalité et la dignité de toutes les cultures qui cohabitent dans le pays.
L’article 72 concernant le patrimoine culturel dispose une réglementation spéciale pour les droits des groupes ethniques occupant des sites archéologiques.
L’article 96 accorde la nationalité colombienne par adoption aux membres des peuples indigènes qui partagent les territoires frontaliers, en conformité avec les traités internationaux.
L’article 171 crée la circonscription spéciale nationale pour l’élection de deux sénateurs en représentation des communautés indigènes.
L’article 176 autorise le législateur à créer une circonscription spéciale pour assurer la représentation des groupes ethniques dans la Chambre de Représentants.
L’article 246 attribue aux autorités des peuples indigènes les fonctions judiciaires dans leurs territoires, conformément aux droit et aux procédures propres, pourvu qu’ils ne soient pas contraires à la Constitution et à la loi. La loi coordonnera la juridiction spéciale indigène avec le système judiciaire national.
L’article 286 énonce les territoires indigènes parmi les collectivités territoriales.
L’article 287 développe l’autonomie des collectivités territoriales dans le sens de se gouverner par leurs propres autorités, exercer leurs compétences administratives, gérer leurs ressources et participer des rentes nationales.
L’article 288 assigne à la Loi Organique d’Ordonnancement Territorial la distribution des compétences entre la nation et les collectivités territoriales.
L’article 290 permet la mise à jour périodique des limites territoriales des collectivités territoriales, selon les conditions et les formalités que la loi doit définir.
L’article 321 régule l’insertion des territoires indigènes dans les provinces.
L’article 329 subordonne la formation des entités territoriales indigènes à la Loi Organique d’Ordonnancement Territorial et exige la participation des communautés indigènes concernées.
L’article 330 traite du gouvernement des territoires indigènes par des Conseils intégrés selon les us et les coutumes des communautés, et leur attribue les compétences.
L’article 339 relatif au plan de développement, exige la concertation entre les collectivités territoriales et le Gouvernement national.
L’article 357 assure la participation des resguardos et des communautés indigènes dans les revenus courants nationaux à distribuer entre les municipalités.
L’article 360 détermine que les collectivités territoriales bénéficieront des droits de royalties pour les ressources naturelles non-renouvelables.
Finalement, l’article 361 précise que les collectivités territoriales recevront des royalties pétrolières et minières par l’intermédiaire du Fond National de Royalties.

Quatre autres articles constitutionnels à caractère transitoire furent adoptés par l’Assemblée Nationale Constituante de 1991 pour réguler la mise en place des nouvelles institutions et les droits collectifs des minorités ethniques, sur les aspects suivants :
l’intégration d’une Commission d’Ordonnancement Territorial, article 38e transitoire ;
la création d’un Fond de Solidarité et d’Urgence Sociale pendant cinq ans, article 46 transitoire ;
l’adoption d’une loi spéciale pour les communautés noires, dans un délai de deux ans, en leur attribuant la propriété collective sur leurs terres, article 55 transitoire ;
et l’attribution au gouvernement des facultés législatives pour organiser le fonctionnement des territoires indigènes, en attendant l’adoption de la Loi Organique d’Ordonnancement Territorial, article 56 transitoire.

L’ensemble des articles cités ont mis en place dans le droit public interne un pluralisme juridique à caractère culturel et ethnique. D’abord, l’article 7 de la Constitution de 1991 reconnaît et protège la diversité ethnique et culturelle de la nation colombienne. L’article 70 reconnaît l’égalité et la dignité de toutes les cultures en déclarant la culture et ses diverses expressions comme le fondement de la nationalité. De la sorte, égalité et différence se maintiendront mutuellement dans une constante tension réciproque.

Ainsi, le concept de culture nationale a perdu son unité et a cédé la place à la diversité et au multiculturalisme constitutionnel. L’Etat garde les attributs de la souveraineté et son unité politique mais sur une société colombienne qui reconnaît et protège sa diversité culturelle, juridique et institutionnelle. Les experts nationaux affirment que la Colombie a abandonné le paradigme d’une société nationale homogène pour mettre en place un nouveau modèle de relations entre ses minorités ethniques et la société majoritaire, également plurielle et métisse.

La diversité culturelle trouve son expression politique dans les entités collectivités territoriales indigènes et dans le régime spécial des communautés noires. Toutes les minorités ont le droit à une forme d’organisation qui respecte et développe leur identité culturelle. Les indigènes bénéficient de grands avantages en comparaison avec les communautés noires, comme l’autonomie politique, administrative, législative et judiciaire dans la mesure où cette autonomie s’exerce selon les us et coutumes indigènes et qu’elle ne soit pas contraire à la Constitution ni à la loi et que son exercice assure l’unité nationale. Le gouvernement des territoires indigènes est attribué aux Conseils indigènes ; quant au patrimoine culturel et aux sites archéologiques la Constitution dispose qu’une réglementation spéciale garantira les droits des groupes ethniques qui les occupant.

De la sorte, la Constitution de 1991 inclut dans le peuple et dans l’Etat colombien les peuples et communautés indigènes et leur permet de prendre une part active aux décisions collectives, surtout au niveaux territorial et législatif. La population de l’Etat colombien est appelée peuple et non pas nation : ce mot étant réservé à la personne juridique « Etat colombien ». Les communautés indigènes font partie du peuple de l’Etat et, en même temps, elles y trouvent la garanti de leur droit à la différence culturelle grâce à l’invention d’un double statut juridique : un statut d’égalité citoyenne commun à tous les Colombiens et un statut particulier –supplémentaire- qui traduit juridiquement la diversité ethnique et culturelle de la société.

La nouveauté de ce statut particulier est de n’entraîner aucune infériorité juridique ni aucun privilège en vertu du statut d’égalité citoyenne qui lui est inséparable. Le double statut dont jouissent les peuples et communautés indigènes garantit leur insertion dans l’ordre juridique de l’Etat tout en gardant leur différence ethnique et culturelle.

Au fond, on trouve deux logiques de manière simultanée : une logique d’encadrement général des Indiens et une autre logique de reconnaissance de leur spécificité culturelle. Le double statut est assorti d’une combinaison de deux formules législatives : l’Etat colombien édicte des lois particulières en faveur des peuples autochtones dans quelques rares cas, par exemple sur le service militaire ou pour exempter d’impôts fonciers. Mais dans la plupart des domaines, l’Etat choisit de reconnaître la validité du droit autochtone –les us et coutumes aborigènes-, à égalité avec le droit étatique. Cette deuxième formule constitue un véritable pluralisme juridique et met en valeur le droit et les institutions indigènes. Bien entendu, il y a aussi des domaines frontaliers entre les deux ordonnancements, des seuils à la fois de séparation et de passage.

Le débat canadien sur le fédéralisme asymétrique n’existe pas en Colombie. La majorité de la population accepte que les législateurs indigènes votent des projets de loi dont les peuples autochtones seront exemptés en vertu de leur autonomie législative. Les régimes spéciaux et les espaces d’autonomie politique, législative et judiciaire dont jouissent les autochtones sont majoritairement perçus comme positifs en Colombie et, réciproquement, il n’y a pas comme chez les autochtones du Canada le soupçon de trouver derrière une façade égalitaire et démocratique d’inclusion sociale une stratégie inavouée de transformation et d’assimilation des autochtones en membres de la société dominante par leur subordination à des institutions assimilatrices comme les subventions sociales, l’attribution de pouvoirs politiques aux communautés, la captation juridique, les programmes d’ethno-santé et d’ethno-éducation.

Pour résoudre les problèmes juridiques dérivés des différences conceptuelles et des conflits de valeurs, la Cour Constitutionnelle a signalé quatre règles d’interprétation :
plus les us et les coutumes sont conservés, plus la communauté aura d’autonomie ;
les droits fondamentaux constituent le minimum obligatoire pour tout le monde ;
les lois impératives, ou loi d’ordre public, de l’Etat prévalent sur les us et coutumes, pourvu que ces lois protègent une valeur constitutionnelle supérieur à celle de la diversité ethnique et culturelle ;
les us et coutumes d’une communauté indigène prévalent sur le droit commun dont disposent les particuliers.

La Cour a insisté sur la même approche en adoptant comme règle jurisprudentielle d’interprétation pour les relations inter-culturelles le principe de maximisation de l’autonomie et diminution des restrictions à ce qui est vraiment indispensable pour sauvegarder les intérêts de hiérarchie  supérieure».

La Constitution de 1991 a repris et développé les lignes générales adoptées par l’OIT dans la Convention n°169 du 7 juin 1989 et la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle a assuré la prééminence des coutumes et du droit des peuples autochtones sur la législation nationale dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec les droits fondamentaux. En matière de sanctions pénales, le droit indigène est compatible avec le système juridique national et les normes des droits de l’Homme.

La Cour Constitutionnelle a expliqué en 1994 que les droits fondamentaux pour lesquels le support philosophique donne une portée transculturelle et prétendument universelle constituent une limite juridique au principe de la diversité culturelle aussi bien sur le plan interne qu’international. Ce raisonnement -inspiré par analogie de la primauté des droits de l’Homme en tant que code universel pour la cohabitation et le dialogue entre les cultures et les nations- serait un présuposé pour la paix, la justice, la liberté et la prospérité de tous les peuples. Norberto Bobbio parle d’un consensum omnium gentium, c’est à dire de standards éthiques minimaux universels permettant de transcender les spécificités des cultures et construire un cadre pour l’entente et le dialogue.

En Colombie, la stratégie de captation politique et juridique des peuples autochtones est complète et fonctionne assez bien dans les deux sens grâce à une ouverture institutionnelle de l’Etat et l’intérêt des indigènes pour la participation aux travaux du Congrès ainsi que dans le gouvernement des collectivités territoriales. L’Etat « capte » les indigènes et, d’une manière asymétrique, on pourrait dire que les indigènes « captent » l’Etat. La preuve de cette captation est la présence de quatre sénateurs indigènes sénateurs dans la législature 2002-2006 bien qu’ils ne constituent que 2% de la population. Du point de vue politique, la reconnaissance des indigènes par l’Etat peut être envisagée comme un réaménagement politico-juridique qui sert à renouveler la légitimité de l’Etat.

La jurisprudence considère le pluralisme comme un pilier axiologique de l’Etat social de droit, en harmonie avec le principe de la dignité humaine. Les groupes ethniques sont “des sujets culturels en plénitude, en raison de l’humanité qu’ils incarnent, ils ont le droit de vivre selon leurs croyances et de poursuivre les buts qu’ils estiment plausibles, dans le cadre éthique minimal signalé par la Constitution”. La Cour Constitutionnelle a insisté sur cette position extrêmement libérale en 1996 lorsqu’elle a signalé qu’en aucun cas l’Etat ne pouvait se permettre d’interférer avec les paramètres culturels de l’individu pour lui signaler, de son point de vue, les critères à suivre pour « corriger l’individu ».

Pourtant la subordination à un cadre éthique minimale et l’interdiction faite à l’Etat d’interférer ne suffisent pas pour approfondir le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle. Construire un vrai pluralisme juridique exigera de la part de l’Etat et des peuples indigènes le développement d’un langage commun, l’établissement de procédures, de compétences et de formalités de manière à articuler les ordonnancements juridiques indigènes dans l’Etat de droit et vice-versa et pour déterminer les seuils acceptables de diversité et d’homogénéité culturelle.

Afin de garder toujours de larges espaces d’autonomie, l’articulation des ordonnancements juridiques se réalise au cas par cas, en faisant attention au degré de conservation culturelle de chaque communauté. Lors de l’examen de la situation de la communauté Ika, la Cour Constitutionnelle a conclu qu’elle bénéficiait d’une très large autonomie du fait de son degré de conservation culturelle. La Cour Constitutionnelle n’a pas hésité sur sa propre supériorité hiérarchique lorsqu’elle a affirmé que l’autonomie des peuples indigènes ne peut avoir des limitations que si elle s’oppose aux intérêts ou aux biens juridiques constitutionnels d’une importance supérieure. Certains éléments (intérêts et biens juridiques) de la Constitution sont au-dessus des ordonnancements indigènes.

L’Etat fournit l’ordre juridique de référence et les peuples indigènes acceptent le statut constitutionnel de minorités que leur propose l’Etat. Celui-ci est censé les protéger car ces peuples autochtones, malgré leur souci d’autonomie, ont tendance à se rapprocher du modèle étatique. Les preuves du rapprochement au modèle étatique abondent ; on peut citer notamment la réclamation des droits fondamentaux, sociaux et culturels par les peuples indigènes et la formulation par écrit des traditions juridiques orales de quelques peuples indigènes.

Le paradoxe semble consubstantiel au pluralisme puisque son institutionnalisation aboutit in fine à une nouvelle unité qui tend à nier ce même pluralisme. La Colombie en a fait l’expérience avec le pacte du Front National de 1957 conclu pour consolider la paix après une période de violence politique en alternant les deux partis politiques majoritaires à la présidence et en se partageant l’administration et la judicature entre 1958 et 1974. Ce projet conçu à l’origine pour assurer la diversité politique du pays est devenu progressivement une manière d’assurer le monopole politique des deux partis historiques.

La constitutionnalité des droits autochtones a engagé l’Etat colombien à avancer dans les domaines de l’interculturalité. Jusqu’à présent, le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle des peuples autochtones a permis, grâce aux développements jurisprudentiels, un réaménagement des notions centrales du droit constitutionnel sans pour autant arriver au développement d’une théorie juridique propre. Il est clair que le pluralisme juridique se situe aux antipodes des énoncés généraux et des rigueurs abstraites du positivisme juridique.

En 1997, l’arrêt Gembuel contre Cabildo de Jambalo a signalé les limites minimales que les autorités indigènes doivent respecter au sujet des Droits de l’Homme conformément à un consensus inter-culturel sur ce qui est vraiment intolérable parce qu’il porte attente aux biens les plus précieux de l’homme : le droit à la vie, l’interdiction de l’esclavage, l’interdiction de la torture et la légalité des procédures, des délits et des peines.

L’année suivant, l’arrêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques a précisé que les biens les plus précieux de l’homme, comme sa dignité et le noyau de ses droits fondamentaux limitent les effets de la diversité et de l’autonomie. Pareillement, la forme unitaire d’Etat et l’exigence de ne pas contredire des normes constitutionnelles et légales d’une nature supérieure, limitent les principes de diversité et d’autonomie des communautés indigènes.

Ce qui permet d’affirmer que dans le droit colombien il y a des biens juridiques et des normes étatiques supérieurs à l’autonomie et aux droits collectifs des peuples indigènes et que c’est aux juges d’identifier et d’appliquer au cas par cas les notions juridiques de dignité humaine et le noyau des droits fondamentaux. En poussant plus loin la réflexion, on affirmera que ces deux notions doivent guider le législateur et les autorités administratives, aussi bien étatiques qu’indigènes, lorsqu’ils prennent des décisions concernant les peuples indigènes.


§1 : la territorialité indigène.

La Constitution colombienne de 1991 a développé énormément l’autonomie politique, administrative et financière de toutes les collectivités territoriales : les municipalités au niveau local et les départements au niveau intermédiaire. D’ailleurs, la Constitution a prévu des provinces rassemblant les municipalités et des régions rassemblant les départements. Il en a résulté un enrichissement du régime territorial par de nouvelles figures juridiques et une décentralisation accrue de la Colombie. Parallèlement l’unité nationale s’est relâchée ainsi que les structures de contrôle centralisé.

Les principes constitutionnels de diversité ethnique et de multiculturalisme, qui sont à la base du pluralisme juridique en Colombie, ont diverses manières de se concrétiser. La création des collectivités territoriales indigènes a été une de ces manières avec le statut personnel dont jouissent les membres des peuples autochtones. Dans la tradition juridique colombienne, le statut personnel garde le souvenir de l’époque ancienne lorsque les indigènes étaient civilement incapables et marginalisés dans l’Etat moderne en vertu de leur statut personnel. En revanche, le multiculturalisme le plus récent, associé à la pleine capacité juridique des indigènes, milite en faveur de la diversité d’expression à travers les collectivités territoriales indigènes.

Il est clair que parmi ses éléments principaux du projet politique prôné par les minorités ethniques colombiennes figure la récupération, l’élargissement, la défense du territoire ancestral et la mise ne place d’un système particulier de gouvernement et d’autorités. Selon l'article 357 de la Constitution de 1991 les collectivités territoriales indigènes doivent recevoir tous les ans des dotations du budget général de l’Etat. Dans l’attente de la mise en place de ces entités territoriales indigènes, ces dotations vont aux resguardos et autres communautés indigènes. L’article 25 de la Loi 60 de 1993 a adopté une formule démographique simplifiée pour calculer ces dotations budgétaires. Pour sa part, l’Institut Géographique Agustin Codazzi, IGAG a déjà inclu les entités territoriales indigènes dans la cartographie officielle du pays.

Les collectivités territoriales indigènes furent créées par le texte constitutionnel de 1991 mais la Loi Organique de l’Ordonnancement Territoriale qui devait les développer juridiquement n’a encore pas été adoptée. Malgré cette absence, les resguardos et les peuples indigènes entretiennent déjà des rapports dits « horizontaux » avec les municipalités, les départements et le Ministère de l’Intérieur leur reconnaît une large autonomie. Les resguardos ne sont pas des collectivités territoriales, au sens propre du terme, mais les peuples et les communautés indigènes vivent comme si elles l’étaient déjà, sous le gouvernement de leurs cabildos ou de leurs autorités ancestrales. Le Décret 1088 de 1993, pris sur la base de l’article 56 transitoire de la Constitution de 1991, a donné un caractère public spécial aux autorités indigènes et à leurs associations, afin d’assurer que les peuples indigènes aient des interlocuteurs représentatifs autres que les parlementaires.

L’arrêt Resguardo Ricaurte contre Ministère de l’Intérieur de la Cour Constitutionnelle a ajouté une condition supplémentaire d’égalité au moment de constituer les entités territoriales indigènes selon la future loi fixant les conditions et la procédure pour leur mise en fonctionnement. En principe les resguardos deviendront des entités territoriales indigènes. Deuxièmement, la jurisprudence Resguardo Ricaurte contre Ministère de l’Intérieur s’est substitué au législateur pour signaler que le Ministère de l’Intérieur devrait transformer tous les territoires indigènes en entités collectivités indigènes à condition qu’elles remplissent les conditions exigées par la future loi.

Cet arrêt assimile le régime foncier indigène au régime territorial indigène, ce qui semble discutable bien que les deux régimes soient des régimes spéciaux et qu’ils aient le même titulaire. En effet, la Constitution de 1991 n’a pas fait cette confusion conceptuelle même si les deux régimes ont pour finalité de favoriser les peuples indigènes. Quant à donner des instructions au ministère de l’intérieur sur la façon correcte d’appliquer une future loi, c’est une fonction «  pédagogique » et non pas judiciaire, c’est la formulation d’une hypothèse sur un avenir souhaitable et non sur la réalité.

Le retard du Congrès et de l’exécutif colombiens pour adopter la Loi Organique de l’Ordonnancement Territorial et pour mettre en place formellement les entités territoriales indigènes a été compensé par la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle protectrice des droits fondamentaux et des droits collectifs des autochtones et largement favorable au pluralisme ethnique et culturel. D’autre part, les transferts budgétaires de l’Etat en faveur des resguardos et des communautés indigènes à la suite de la Loi 60 de 1993 et les programmes de santé et d’éducation à destination des populations indigènes ont retardé le sentiment d’urgence à adopter la Loi Organique d’Ordonnancement Territorial et à mettre en fonctionnement les entités territoriales indigènes.

A maintes reprises des projets de Loi Organique d’Ordonnancement Territorial ont été présentés par le Gouvernement et par les parlementaires sans obtenir l’approbation du Congrès colombien. Ces projets sont le résultat de processus de concertation entre les acteurs politiques indigènes et contiennent en général des articles semblables qui assimilent les fonctions et la structure administrative des entités territoriales indigènes à celles des municipalités, déterminent les conditions pour la mise en fonctionnement des entités territoriales indigènes et établissent une procédure administrative et politique préalable avec une consultation populaire. Ils proposent également un régime transitoire pour les peuples et communautés indigènes en « reconstruction », protègent les sites sacrés et d’autres hauts-lieux des cultures indigènes tout en évitant la mise en fonctionnement d’entités territoriales trop petites ou sans ressources suffisantes  et en reconnaissant le droit indigène et les us et coutumes propres pour garantir la perception par les entités territoriales des royalties versées par les compagnies minières et pétrolières.

L’adoption de la Loi Organique de l’Ordonnancement Territorial et la mise en fonctionnement des collectivités territoriales indigènes font craindre chez certains une assimilation des institutions communautaires indigènes aux institutions administratives de l’ordre local et la perte de leurs spécificités culturelles.

Les Indiens hésitent entre l’uniformisation des institutions indigènes et la diversification institutionnelle qui ferait perdre leur unité au mouvement social indigéniste. Il est fort difficile de choisir entre l’union des peuples indigènes et la diversité des peuples indigènes ; car il y a d’un côté, des peuples sédentarisés et agriculteurs dans les montagnes andines et, d’autre côté, des peuples nomades cueilleurs-chasseurs dans la forêt amazonienne. Le débat n’a pas encore été tranché et jusqu’à présent, une grande majorité des indigènes se réclament d’un indigénisme générique mais assez diffus.

Troisièmement, l’inévitable diversité du mouvement social indigène est due au métissage et aux mariages inter-ethniques, au niveau d’éducation universitaire de certains leaders indigènes et au degré différent d’intégration aux marchés agricoles ou artisanaux. Ces trois dynamiques assimilationnistes semblent s’accentuer puisque personne ne veut vraiment les empêcher. La jurisprudence reconnaît la diversité des indigènes lorsqu’elle s’occupe de cas précis où elle tient compte de l’intégration de l’individu indien à la culture majoritaire. La législation des entités territoriales indigènes aura à reconnaître et à réglementer cette diversité à l’intérieur du mouvement social indigène.

Finalement, on trouve deux autres problèmes dans la mise en place des entités territoriales indigènes : la diversité ethnique à l’intérieur des resguardos et le statut des colons et des métis qui occupent le territoire indigène, lequel n’est pas susceptible d’acquisition par prescription. Doit-on expulser les colons ? Pourtant les colons d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec les blancs espagnols qui étaient les maîtres des Indiens à l’époque coloniale. Ils sont plutôt des déplacés ou de déclassés de la société majoritaire et leurs revendications ressemblent beaucoup à celles des indigènes. Dans cette perspective, les colons, les métis et d’autres sympathisants pourraient s’intégrer dans un mouvement social indigéniste plus large, comme cela a été le cas en 2002, lorsque deux millions de Colombiens ont signé une demande adressée au Département National de la Planification, DNP pour la création des entités territoriales indigènes.

Territorialiser une culture ou un peuple indigène implique de le fixer à l’intérieur des bornes géographiques et d’établir des frontières sociales pour leur permettre de garder une identité territoriale. Cette pratique suppose de reconnaître leurs autorités, leur ordonnancement juridique, leur éducation traditionnelle, leurs propres mythes politiques, leur légitimité autre que celle de l’Etat, leur appareil de propagande sociale, à côté de la société majoritaire contrôlé par l’Etat. Dans la perspective étatique, il s’agirait de dédoubler l’Etat pour construire un ordre social en parallèle, en même temps différent et ressemblant à l’Etat.

La reconnaissance et le respect de l’Etat pour les peuples indigènes et leurs cultures et, dans le sens contraire, la reconnaissance et le respect des spécificités de l’Etat par les peuples indigènes est à l’origine d’une relation ambiguë : l’Etat ne peut pas se passer des indigènes, pas plus que ces derniers ne peuvent se passer de l’Etat. Pourtant les termes de cette corrélation sont asymétriques et les conséquences ne sont pas les mêmes pour l’Etat ni pour les peuples indigènes. Les dimensions et les conséquences potentielles d’un enjeu si complexe ne sont pas réductibles à l’horizontalité ni à la verticalité hiérarchique.

La Constitution colombienne de 1991 a garanti aux entités territoriales indigènes un seuil d’autonomie sous l’axiomatique d’un pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle. Les peuples indigènes ont le droit collectif à organiser leur territorialité politique d’une manière raisonnable, compatible avec les autres droits et libertés constitutionnelles. Cela exige que la culture, le droit et l’autorité indigène ne puissent pas s’imposer aux personnes qui habitent la collectivité territoriale mais qui n’appartiennent pas au peuple indigène qui la gouverne.

Lorsque le problème des colons et des occupants du territoire indigène s’est posé au Canada les nouvelles collectivités territoriales autochtones furent créées en combinant les critères démographiques et d’homogénéité, de sorte que la population autochtone soit toujours majoritaire et homogène à l’intérieur de sa collectivité, sans déplacer ni expulser les colons et sans leur imposer la culture, le droit et l’autorité indigène. En Australie, le gouverneur John Douglas résident à l’île Thursday a réussi en 1885 à négocier le départ des non autochtones de l’île Murray afin de restaurer la majorité et l’homogénéité du peuple Mériam. Dans les deux exemples mentionnés, la solution fut construite au cas par cas lors des négociations collectives.

La formule qui a rendu possible la création des collectivités locales autochtones au Canada fut de délimiter le territoire de sorte que la minorité autochtone devienne une majorité à l’intérieur de la sous-unité territoriale. Une telle solution constitue un triomphe des autochtones et assure la cohésion d’un seul peuple autochtone à l’intérieur de son territoire au détriment de l’unité générique des tous les peuples autochtones et de l’indigénisme comme projet national. Etre cantonné dans un territoire ne manquera pas de réduire l’influence de l’indigénisme colombien au niveau national. C’est une question de choix.

Le conflit entre le peuple U’wa et l’entreprise pétrolière Occidental de Colombie a été à l’origine de plusieurs arrêts de la Cour Constitutionnelle concernant la territorialité indigène. Les débats ont inclus la protection de l’environnement, la sécurité et l’ordre public dans le territoire U’wa, la conservation de leur culture et des motifs religieux. En 1997 l’arrêt U’was contre Ministère de l’Environnement a précisé que le droit à la participation de la communauté indigène dans une décision concernant son territoire par la mécanisme d’une consultation était fondamental pour assurer la subsistance du peuple indigène.

Les U’was se sont opposés pour des motifs spirituels à l’extraction du « sang de la mère-terre » (id est, le pétrole). Après plusieurs tentatives de négociation, une vaste mobilisation de l’opinion publique internationale et une série de décisions judiciaires, les werjayás, l’autorité spirituelle suprême chez les U’was ont recommandé laisser faire l’exploration, confiants que leur dieu Sira se chargerait de cacher le pétrole à la compagnie Ecopetrol.


§ 2 : la propriété foncière.

En Colombie, la propriété foncière est régie par un ensemble de principes directeurs de niveau constitutionnel : la prééminence de l’intérêt collectif sur l’intérêt particulier, la définition de la propriété privée comme une fonction sociale qui entraîne des obligations, les devoirs sociaux de l’Etat et des particuliers, la solidarité sociale et la composante écologique de la propriété qui oblige à faire une exploitation rationnelle des ressources afin d’assurer le bien-être de la société et la protection de l’environnement. La propriété est un droit constitutionnel fondamental dont la portée est établie, au cas par cas lors des procédures de tutelle.

Un tel encadrement général de principes directeurs permettrait à la jurisprudence civile et constitutionnelle de préciser la portée des diverses typologies de propriété. Quant à la propriété collective des resguardos et des terres communales des minorités ethniques, les articles 58 et 63 de la Constitution établissent un régime spécial dont les conditions d’exercice et les limitations restent à être définies par les autorités indigènes et par la jurisprudence de Cour Constitutionnelle. Cette jurisprudence a précisé que la propriété collective était un droit-devoir vis-à-vis de l’Etat et des non indigènes. La Cour Suprême de Justice ne s’occupe plus de problèmes juridiques de la propriété collective des resguardos, comme elle le faisait avant la Constitution de 1991.

La propriété de la terre des indigènes a été traditionnellement liée au régime des resguardos, établi dans la période coloniale et qui a survécu à plusieurs tentatives de mettre fin au régime spécial de propriété collective dont ils bénéficient. Actuellement les peuples indigènes sont propriétaires du 25% du territoire (250.000 kilomètres carrés). 

Evidemment la notion juridique de resguardos a beaucoup évolué au fil du temps. La jurisprudence de la Cour Constitutionnelle a signalé que le droit de propriété, collectif en principe chez les peuples autochtones, peut admettre des droits individuels pour chacun des membres de la communauté et des modalités d’appropriation privée de la richesse collective afin d’assurer la subsistance individuelle et familiale, selon les us et coutumes. Un autre arrêt a trouvé que la propriété collective des resguardos constitue un développement de la convention n°169 de l’OIT du 7 juin 1989 qui a établi le droit des peuples autochtones à participer dans l’utilisation, l’administration et la conservation des ressources naturelles existantes dans leurs territoires. A ce titre, la Cour Constitutionnelle a aussi limité le droit de propriété collective sur les ressources naturelles existantes dans le resguardo pour établir l’exercice responsable par les autorités indigènes sur le territoire de leur autonomie.

Concernant les communautés noires, l’article 55 transitoire de la Constitution avait prévu l’adoption d’une loi spéciale pour les communautés noires, dans un délai de deux ans, en leur attribuant la propriété collective sur leurs terres. La Loi 70 de 1993 en fut la réalisation et aujourd’hui les communautés noires du département du Choco ont la propriété collective de cinq millions d’hectares. Comme observation particulière, on doit signaler qu’au Choco il y a des territoires occupés à la fois par les Indiens et par les communautés noires nomades où la propriété collective n’est pas exclusive mais partagée entre les deux minorités ethniques.

Afin d’assurer l’intégralité territoriale et culturelle des peuples indigènes, la Constitution de 1991 a établi l’inaliénabilité, l’imprescriptibilité et l’insaisissabilité des terres, de sorte qu’une personne étrangère à la communauté n’y puisse acquérir aucune propriété foncière. L’expropriation des resguardos n’est possible que pour des motifs supérieurs d’intérêt général, que la Cour Constitutionnelle examine avec une grande rigueur lors des procédures de tutelle.

L'inaliénabilité est considérée par les anthropologues du droit comme une notion civiliste et mono-culturelle qui souligne le caractère extra-commercial de la terre mais il semble que cette notion fut dépassée lorsqu’en 1962 Raymond Verdier a formulé le concept « d’exo-intransmissibilité » dans un cadre multiculturel. Dans le droit colombien, rien n’empêche qu’en vertu de l’autonomie juridique des peuples indigènes, ils établissent sur des parcelles l’équivalent des droits réels du Code Civil selon leur culture, à caractère familial ou individuel.

La Cour Constitutionnelle s’est prononcée pour l’inaliénabilité des resguardos et des terres communales des minorités ethniques dans l’arrêt Bocanegra contre Loi 89 de 1890. Elle a déduit de la Constitution de 1991 la protection de l’intégrité territoriale et culturelle des peuples indigènes par un régime de propriété collective des terres afin d’empêcher la vente et toute autre transaction réalisée par des membres de la communauté indigène. Ce régime spécial favorise une communauté qui bénéficie d’un traitement spécial de protection. Il semblerait donc que « l’endo-aliénation » et la circulation de la terre soient toujours possibles à l’intérieur du peuple indigène.

L’arrêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques a énoncé les droits constitutionnels fondamentaux des communautés indigènes : le droit à la subsistance, dérivé du droit à la vie, le droit à l’intégrité ethnique, culturelle et sociale, le droit à la propriété collective, le droit à participer dans les décisions concernant l’exploitation des ressources naturelles de leurs territoires.

Or, l’arrêt Loaiza contre Incora avait déjà précisé que le droit constitutionnel fondamental à la propriété collective des groupes ethniques impliquait le droit à la constitution de resguardos pour les communautés indigènes. Selon la Cour Constitutionnelle, le droit à la propriété collective a une importance capitale pour les cultures et les valeurs spirituelles des peuples aborigènes puisqu’ils sont leur principal moyen de subsistance et un élément de leur cosmovision et de leur religiosité. Dans une affaire de perturbation de la propriété collective, la Cour Constitutionnelle a signalé que la protection des resguardos, prévue dans la législation, attribue à l’Institut Colombien de la Réforme Agraire (INCORA) le devoir de garantir l’exercice pacifique de la propriété collective en prenant les mesures nécessaires en faveur des groupes exclus ou marginalisés qui pourraient perturber la vie des communautés indigènes dans les resguardos .

Le régime spécial des resguardos entraîne des restrictions aux libertés d’accès et d’aller et venir pour les non indigènes du fait même pour les resguardos d’être une propriété collective d’un peuple dont la culture bénéficie de la protection de l’Etat et des attributions des Conseils indigènes pour veiller à l’application des normes légales sur l’aménagement du territoire et sur le peuplement. Le cas s’est présenté en 1997 lorsque les membres de l’Eglise Pentecôtiste Unie de Colombie (IPUC) qui fréquentaient depuis 39 ans le territoire Arhouaque furent empêchés de s’y rendre. La Cour Constitutionnelle a décidé que les personnes étrangères à la communauté indigène ont des restrictions d’accès mais qu’il n’y a aucune restriction pour les arhouaques membres de cette église. De la sorte, la jurisprudence a protégé la culture arhouaque des influences étrangères et, en même temps, a respecté les conversions individuelles à l’église pentecôtiste.

La Constitution, la loi et les traités internationaux exigent de consulter la communauté indigène comme condition de la validité des décisions administratives concernant les territoires indigènes. Dans certains cas, si l’avis de la communauté indigène manque, l’acte administratif serait inexistant. Pourtant en septembre 1992 à Araracuara, dans le département d’Amazone, l’avis des communautés indigènes de la zone n’a pas été demandé lorsque le ministère de la défense a commencé l’installation d’un radar international de surveillance aérienne pour lutter contre les trafiquants des drogues illicites. Dans l'arrêt Communautés Indigènes du Amazone Moyen contre Ministère de la Défense, la Cour Constitutionnelle a décidé que, malgré l’opposition des peuples indigènes à l’installation du radar l’Etat dans l’exercice de sa souveraineté pouvait souscrire des traités et des accords avec d’autres Etats pour accomplir des finalités comme le maintien de l’ordre public, la lutte contre les trafiquants des drogues illicites et la protection de la population du pays. Le fait que les resguardos soient inaliénables, imprescriptibles et insaisissables n’empêchait pas que les militaires installent les radars avec l’aide d’experts étrangers. La Cour a souligné qu’aucun des droits consacrés dans la Constitution n’est absolu.

La jurisprudence de la Cour Constitutionnelle a rapproché le contenu de la propriété collective des resguardos dont les communautés indigènes sont titulaires, des prérogatives inhérentes au droit de propriété privée de l’article 669 du code civil colombien, typiquement napoléonien. La Cour a précisé que les communautés indigènes jouissent de toutes les prérogatives de la propriété privée, dans laquelle s’inclut le devoir des tiers et de l’Etat de respecter la propriété.


§ 3 : la jurisprudence constitutionnelle

Le pluralisme juridique mis en place en Colombie permets l’application des ordonnancements autochtones et étatique par des juridictions séparées mais qui au fond configurent un système de juridictions culturellement mixte, puisque les juridictions de l’Etat peuvent se saisir des affaires les plus importants et se réservent la tâche de concilier les décisions des juges indigènes, particulièrement en matière pénale, avec les droits fondamentaux et les lois de la République. Lorsque besoin est, les juges de l’Etat demandent des expertises anthropologiques pour mieux comprendre les enjeux des cultures indignes.

La jurisprudence a fait beaucoup avancer le droit inter-culturel tandis que le législateur et l’Exécutif se sont interdits de développer les institutions et les préceptes constitutionnels des minorités ethniques. La Cour Constitutionnelle depuis 1992 a dû résoudre un ensemble de situations diverses et variées concernant les peuples indigènes, auxquels la jurisprudence a été favorable dans la plupart des cas. La jurisprudence a adopté des critères et des règles sur la juridiction spéciale indigène, l’autonomie des peuples et communautés indigènes, la discrimination positive, la liberté religieuse, la participation des minorités ethniques dans les instances administratives et le changement des traditions indigènes, entre autres sujets.

En Colombie, l’action populaire d’inconstitutionnalité permet à tout citoyen colombien de déposer un recours en inconstitutionnalité contre une loi en vigueur auprès de la Cour Constitutionnelle. La compétence de cette Cour est encore plus large lorsqu’elle juge en dernière instance les procès de tutelle pour protéger les droits constitutionnels fondamentaux. En fait, la Cour Constitutionnelle peut se prononcer sur tous les domaines du droit.

Juridiction spéciale indigène

D’après l’arrêt Bocanegra contre Loi 89 de 1890, l’article 246 de la Constitution consacre les quatre éléments centraux de la juridiction indigène :
la possibilité qu’il y ait des autorités judiciaires propres aux peuples indigènes ;
la compétence des peuples indigènes pour établir des normes et des procédures propres ;
la subordination des ces juridictions et normes à la constitution et à la loi ;
la compétence du législateur étatique pour adopter des règles de coordination de la juridiction indigène et du système judiciaire de l’Etat.

Les deux premiers éléments constituent le noyau de l’autonomie judiciaire et législative accordée aux communautés indigènes, tandis que les deux derniers éléments constituent les mécanismes d’intégration des ordonnancements juridiques indigènes dans le cadre de l’ordonnancement juridique national. Voilà un cas classique de conflit de valeurs entre la diversité et l’unité.

Le cas de l’indigène Ananias Narvaez et sa famille, expulsés de la communauté El Tambo en 1992 et dépouillés de leur parcelle de 2 hectares cultivés, a donné à la Cour Constitutionnelle l’occasion de développer les droits fondamentaux à un procès équitable et à la défense et de préciser que l’interdiction constitutionnelle des peines d’exil, de prison à vie et de confiscation sont applicables aux autorités des peuples indigènes. Le Cabildo du Tambo n’avait pas prouvé ni enquêté sur la commission d’un vol, pour lequel Ananias Narvaez et sa famille furent condamnés à la peine d’expulsion de la communauté, ce qui impliquait la confiscation de leur parcelle et la perte de leur identité culturelle, un droit protégé aussi bien par la Constitution que par le droit International.

L’arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo a établi trois limitations sur la juridiction spéciale indigène : le droit fondamental au procès équitable, le principe de proportionnalité matérielle entre le délit et la sanction et le principe de la responsabilité pénale individuelle. La Cour Constitutionnelle a souligné que tous les ordonnancements indigènes sont tenus de respecter le noyau essentiel du droit fondamental au procès équitable. Dans la même occasion, la jurisprudence a affirmé que la juridiction spéciale indigène établie par l’article 246 de la Constitution peut fonctionner d’or et déjà, avant l’adoption de la loi de coordination dont parle la Constitution.

Trois arrêts de la Cour Constitutionnelle de l’année 1996 ont orienté le développement de la Juridiction spéciale indigène : l’arrêt de constitutionnalité Bocanegra contre Loi 89 de 1890, C-139 du 9 avril 1996; l’arrêt de tutelle Gonzalez contre Assemblée Embéra-Chami, T-349 du 8 août 1996, et l’arrêt de tutelle Guainas contre Juge 3e de La Plata, T-496 du 26 septembre 1996.

Dans l’arrêt Guainas contre Juge 3e de La Plata, la Cour Constitutionnelle a élargi les pouvoirs de contrôle des juges étatiques sur les décisions de la juridiction spéciale indigène, en affirmant que la juridiction spéciale indigène ne peut pas méconnaître les normes et les procédures garanties par la constitution et la législation étatique.

C’est à la Cour Constitutionnelle de pondérer les principes de diversité ethnique et culturelle, la portée des droits fondamentaux et le principe de l’unité politique de l’Etat, toujours en fonction des cas concrets et selon les critères d’interprétation signalés par la jurisprudence constitutionnelle et par l’article 9 de la Convention 169 de la OIT. En insistant sur la nécessité de fonder les interprétations sur la casuistique, la Cour laisse comprendre que la jurisprudence constitutionnelle accomplit mieux que le législateur la fonction de coordonner les juridictions étatiques et autochtones.

La compétence coordinatrice attribuée au législateur vis-à-vis de la juridiction spéciale indigène peut en effet générer des effets pervers si elle devient dans la pratique une instance judiciaire supplémentaire pour la partie condamnée ou un moyen de soumettre la juridiction spéciale indigène et le droit coutumier aux juges et au droit étatiques, ce qui produirait une sorte d’« acculturation juridique ».

Bien que le législateur ait la compétence pour adopter des directives de coordination entre le système judiciaire indigène et le national, l’efficacité du droit à la diversité ethnique et culturelle et la valeur du pluralisme exigent un large espace de liberté et d’autonomie en faveur des communauté indigènes. Selon l’arrêt Bocanegra contre Loi 89 de 1890, la meilleure façon de fixer des limites à cette autonomie judiciaire sont les actions ordinaires et l’action de tutelle des droits constitutionnels fondamentaux.

Un projet de loi présenté en mars 2003 fut retiré après la recommandation de la Cour Constitutionnelle de laisser à la jurisprudence, au cas par cas, le soin d’articuler les décisions des juridictions indigènes avec l’ordonnancement juridique national et de ne pas légiférer sur ce sujet-là.

La compétence de la juridiction spéciale indigène et la reconnaissance du droit indigène impliquent l’existence d’un for indigène, lequel conjugue les aspects personnel et géographique, dont l’appréciation dépende des juges. Ces trois institutions, la juridiction spécial, le droit et le for indigènes assurent le respect de la cosmovision particulière de l’individu, bien que ce for ait des dimensions variables et dépende beaucoup des circonstances particulières de la situation à juger. L’appréciation discrétionnaire des cultures concernées confiée aux juges donne lieu à des hypothèses d’articulation et d’hybridation juridique très variées.

On doit souligner que les autorités judiciaires indigènes détiennent une compétence générale qui déborde largement le champ du droit pénal. Ils sont habilités à juger toute affaire qui contreviendrait à l’ordonnancement juridique autochtone, contrairement aux juges de l’Etat qui sont toujours des juges spécialisés. Les catégories juridiques du droit étatique, droit privé-droit public et d’autres clivages n’auraient aucun sens pour le droit autochtone où d’autres domaines peuvent revêtir une transcendance juridique, comme par exemple la magie et les cérémonies traditionnelles.

Il est clair que les conflits intra-ethniques qui surgissent sur un territoire indigène sont du ressort des autorités indigènes, quelle qu’en soit la matière. Pourtant le droit d’accès à la justice, dont tout citoyen est titulaire et qui, en Colombie, a le statut d’un droit constitutionnel fondamental, permettrait à tout citoyen, même s’il n’est pas domicilié dans le territoire indigène, de former un recours contre un indigène auprès de la juridiction spéciale indigène. Si les autorités indigènes refusent de rendre justice, l’alternative est de déposer ce recours devant la juridiction de l’Etat, qui, autrement, manquerait à sa fonction d’administrer justice.

La pleine citoyenneté et la capacité civile des indigènes les habilitent à revendiquer leurs droits devant toutes les autorités administratives et judiciaires de l’Etat. L’existence d’une juridiction spéciale indigène ne diminue pas leur capacité juridique pour revendiquer leurs droits civils, politiques ni économiques, conformément au système juridique national et international en vigueur.

Sanctions pénales

La Cour Constitutionnelle s’est occupé de diverses affaires concernant le droit pénal indigènes. La jurisprudence a permis notamment aux peuples indigènes de punir les fautes contre la morale, comprise comme l’ensemble des us et coutumes de la communauté, ce qui n’est pas contraire à la Constitution mais représente plutôt un extension de l’autonomie que la Constitution colombienne de 1991 a accordé aux communautés indigènes. Les peines de privation de la liberté physique ne sont pas les seules permises par la constitution, il en peut y avoir d’autres selon les us et coutumes indigènes pourvu qu’elles soient raisonnablement compatibles avec la constitution.

Discrimination positive

La Mairie de la ville de Santa Marta a prévu en 1995 un quota de participation de la population noire dans les conseils d’éducation du district de Sainta Marta afin d’assurer l’intégration sociale de la population noire et le pluralisme culturel. La jurisprudence constitutionnelle a reconnu la légitimité de ces programmes de différentiation positive du fait des situations de marginalité sociale dont la population noire colombienne a été victime et qui ont produit des effets négatifs dans l’accès aux opportunités de développement économique, social et culturel.

En 2001, la jurisprudence a repris les critères de la discrimination positive pour déclarer conformes à la Constitution les normes spéciales pour l’accès à la sécurité sociale des minorités ethniques, en affirmant que la reconnaissance et la protection des minorités ethniques et culturelles justifient un régime différentiel et des distinctions rationnelles pour prendre en compte des circonstances de faiblesse.

Liberté religieuse

La Cour Constitutionnelle a déclaré en 1993 l’inconstitutionnalité partielle de la Loi 20 de 1974 d’approbation du Concordat entre l’Etat Colombien et l’Eglise Catholique. L’arrêt Fradique contre Loi 20 de 1974 du 5 février 1993 a précisé que le droit à la liberté de cultes permettait à tout indigène de professer librement sa religion et que l’Etat n’était pas obligé à contribuer au financement des diocèses catholiques dans les territoires de mission. Trois ans plus tard, la jurisprudence a réitéré que ni le gouvernement national ni les autorités ecclésiastiques ne pouvaient intervenir légitimement dans la sphère du gouvernement indigène.

Droit fondamental à la subsistance

Puis, en 1993 l’arrêt Communauté Embéra-Katio contre CODECHOCO a fait la distinction entre les droits collectifs des communautés indigènes et les droits collectifs d’autres groupes pour signaler que les communautés indigènes détiennent un droit fondamental à la subsistance, fondé sur le droit fondamental à la vie et protégé par l’action de tutelle. La Cour Constitutionnelle a affirmé à cette occasion que la communauté indigène est elle-même titulaire des droits fondamentaux tandis que les droits collectifs ordinaires sont des droits diffus protégés par des actions collectives ordinaires. A cette occasion, la Cour a reconnu l’intérêt à agir des associations de défense des droits indigènes en représentation officieuse des communautés indigènes isolées et marginalisées, à l’instar des Embera-Catios du fleuve Chajeradó, en Antioquia.

L’arrêt Communauté Embéra-Katio contre CODECHOCO a condamné cette autorité environnemental de l’Etat à reconstruire l’habitat naturel dévasté par la déforestation et dégradé par des particuliers au nom de la protection du droit fondamental à la subsistance des communautés indigènes qui dépendent de ce bio-système et qui risquaient de subir un « ethnocide », c’est à dire la destruction de leurs conditions de vie et de leur système de croyances.

Travaux publics

En 1992, la Cour Constitutionnelle a tranché une situation assez complexe où deux intérêts collectifs entrait en conflit : l’intérêt des usagers d’une future route et l’intérêt de la communauté indigène de Cristiania qui s’opposait à l’ouvrage parce qu’il allait détériorer la stabilité géologique naturelle du resguardo. La Cour a considéré que si la route concernait un plus grand nombre de personnes et que la communauté indigène de Cristiania pourrait elle-même bénéficié de la route, les droits de la communauté indigène avaient une légitimité supérieure. Par ailleurs, un élargissement de la notion de préjudice irrémédiable en faveur des conditions de vie ancestrales a permis de protéger les droits indigènes. La route a été finalement construite en ajoutant des interventions d’ingénierie sur le terrain instable.

Service militaire.

Le droit fondamental à la subsistance dont les communautés indigènes sont titulaires fut développé par la Cour Constitutionnelle en 1994 à l’occasion de l’étude de la constitutionnalité de l’exemption du service militaire. Les jeunes indigènes habitant au sein de leur communauté selon leur culture traditionnelle jouissent en effet d’une telle exemption alors que les jeunes indigènes intégrés à la société majoritaire n’en bénéficient pas. L’exemption fut trouvé justifié et raisonnable dans le but de préserver les identités ethniques et culturelles en danger suite à leur faiblesse manifeste, ce qui justifie une protection spéciale de la part de l’Etat.

Politiques de colonisation

La Cour Constitutionnelle a établi que la colonisation devait toujours se faire dans le cadre juridique des principes, des droits et des valeurs consacrés dans la Constitution et en respectant les orientations données par les autorités politiques. Les colonisations ne pouvaient pas méconnaître les biens énoncés par l’article 63 de la Constitution : les biens d’usage public, les parcs naturels, les terres communales des minorités ethniques, les resguardos et le patrimoine archéologique de la Nation. En résumé, selon l’arrêt Palma contre Loi 48 de 1993 a établi que seules les tierras baldias pouvaient être colonisées. Pourtant, dans les vingt dernières années de nombreux colons se sont installés, de leur propre initiative, dans les terres des resguardos ou appartenant aux minorités ethniques sans que les autorités indigènes puissent l’empêcher, ni mener des actions pour les expulser. La quasi-totalité des colons contemporains sont des familles paysannes qui n’ont pas d’autres terres à cultiver.

Changement des traditions

Un conflit s’est présenté en 1999 à Saravena entre le droit des nouveaux-nés à la vie et le droit de la communauté U’wa à suivre une de ses traditions qui était inacceptable pour l’ordre constitutionnel. Dans les accouchements de jumeaux, un seul pouvait être gardé et les autres étaient abandonnés dans la jungle. La protection de la vie des enfants a exigé une nouvelle transposition contextuelle de cette notion pour l’harmoniser avec l’ordonnancement juridique national. Pour la Cour Constitutionnelle, le droit des nouveaux-nés à la vie était supérieur à la dite tradition culturelle des U’was. L’institution chargé de la protection de l’enfance, l’Institut Colombien du Bien-être Familiale (ICBF) a gardé les jumeaux Keila Cristina et Juan Felipe Aguablanca en 1999 pendant sept mois, le délais nécessaire pour la communauté U’wa de mener une réflexion collective et une consultation interne en vue de changer la tradition.

Négation de protection

Une action de tutelle devant la Cour constitutionnelle a refusé en 1994 aux indigènes du Département du Vichada la création d’une commission du Registre Civil dans leur territoire afin d’obtenir leurs documents d’identité de citoyen. La Cour Constitutionnelle a estimé que les limitations budgétaires de l’Etat justifiaient cette absence dans les villages indiennes et que les indigènes pouvaient facilement se déplacer jusqu’à la municipalité la plus proche pour y obtenir leurs pièces d’identité.

Guérisseurs

Le métier des sorciers, chamans et guérisseurs selon les pratiques ancestrales des tribus indiennes constitue, selon la Cour Constitutionnelle, une exception à la réglementation et aux contrôles que l’Etat exerce sur les services de santé. Cette exception est protégée par l’article 7 de la Constitution sur la diversité ethnique et culturelle.


Section III : les politiques « d’ethnisation ».

Christian GROS a modélisé trois types de relations inter-ethniques en Colombie : le métissage, « l’ethnisation » et l’hybridation. Ces relations permettent de saisir la logique des différentes dynamiques sociales auxquelles les législateurs et les juristes ont adapté leurs outils conceptuels pour traiter de la diversité culturelle et le multiculturalisme. Il serait difficile de préciser une succession chronologique de ces trois types de relations ; en fait, ils s’enchevêtrent.

Le métissage s’est produit tout au long de l’histoire coloniale et républicaine, non sans conflits. Le métissage a marqué en profondeur la population et les cultures colombiennes. En 1961, G. et A. RIECHEL-DOLMATOFF ont avancé l’idée dans un ouvrage qui a fait date que la personnalité du métis se caractérisait par la peur d’être considéré comme un « indien » et par l’imitation légère des formes externes de la culture dominante, sans se laisser non plus assimiler par elle. Dans le contexte des années 1960, il n’était pas envisageable exalter la culture indigène ni de revendiquer des droits collectifs. L'objectif à atteindre à long terme pour le paradigme du métissage est l’intégration des Indiens au statut citoyen et à la culture républicaine homogène. Il se caractérise par des régimes juridiques spéciaux, par l’incapacité juridique des Indiens purs et de ceux qui n’étaient encore pas intégré à la civilisation, une large marge de manœuvre de la jurisprudence pour décider les affaires de mixité culturelle et suivre les étapes du métissage et le fait pour les missionnaires catholiques de recevoir de l’Etat des fonctions juridiques.

L’« ethnisation positive » ne correspond pas forcément à un autre stade sociologique nettement différencié après le métissage. Pourtant on peut situer son apparition en 1970 à partir de la création du Comité Régional Indigène du Cauca (CRIC) par les peuples Paeces et Guambianos, qui est devenu un modèle pour les organisations indigènes. Dans le domaine juridique, l’ethnisation positive permet d’affirmer les particularismes ancestraux tout en imitant le droit positif. Sur le plan politique, l’ethnisation positive conduit à la participation démocratique dans les enjeux de l’Etat pour demander des revendications en termes de droits collectifs, de prestations sociales ou de redistribution des ressources. L’ethnisation positive s’accompagne d’une forte « rhétorique de l’altérité » qui ne remet pas en cause le droit ni la légitimité l’Etat. En revanche, l’ethnisation négative rejette l’ordre étatique et approfondit la fragmentation sociale afin de profiter de cette conflictualité. L’Etat colombien, n’étant pas remis en cause, a accordé aux indigènes le statut citoyen et un statut supplémentaire, particulier.

L’hybridation culturelle, le troisième modèle, résulte de ce rapprochement des indigènes et des noirs de l’Etat. Christian GROS remarque qu’auparavant, ces deux identités n’avaient pas été si hybrides et si métissées. Pour s’hybrider, l’indigénisme emprunt un discours politique revendicatif plus large que celui de l’ethnisation positive. Une fois politisé, l’indigénisme fait siennes les demandes sociales d’autres groupes et adopte parfois certaines stratégies ou bien intègre dans son discours des éléments du discours religieux, économiques ou du féministe. L’identité indienne et l’appartenance aux peuples autochtones ne sont pas abandonnées mais élargies. De la sorte, les indigènes contribuent à renforcer l’Etat colombien, traditionnellement faible, pour qu’il se mette en condition pour répondre à leurs demandes.

L’indigénisme re-fondé dans les années 1980 constitue le noyau des organisations politisées les plus visibles qui tentent d’assimiler les peuples et communautés indigènes grâce a une histoire renouvelée en incluant les valeurs de l’authenticité, de la protection de l’environnement et de participation communautaire, de la lutte contre la corruption et un récit des offenses partagées par tous. « Les groupes indigènes sont indéniablement privilégiés face aux autres groupes ethniques » comme les afro-colombiens, les raizales et le peuple gitan. Les indigènes incarnent l’altérité sociale ; étant différents en tant que société, ils incarnent aux yeux de l’opinion publique internationale le symbole des projets alternatifs.

Les droits revendiqués par les peuples et communautés indigènes sont suffisamment modérés et raisonnables, si bien qu’ils ont réussi à pénétrer la Constitution et à entretenir des relations plus ou moins bonnes avec les administrations nationale et territoriales pour assurer les services d’ethno-éducation et d’ethno-santé. Les indigènes revendiquent principalement les droits collectifs concernant leur propre identité et la conservation de leur patrimoine culturel et non leur intégration rapide à la société de référence. Personne ne peut affirmer qu’une intégration se produira ou ne se produira pas puisqu’un tel processus demandera trois ou quatre siècles et fera l’objet de grandes incertitudes avant de s’accomplir.

Parce qu’il exprime un mécontentement, le militantisme identitaire a réussi à rassembler les indigénistes radicaux, les indigénistes proches de l’Etat et d’autres secteurs de la société grâce à son discours polysémique et ambiguë. Les divers sensibilités indigènes se sentent à l’aise dans le jeux démocratiques des alliances et des différences ; ils incarnent visiblement les différences culturelles et captent le soutien d’autres secteurs contestataires. La structure de la Constitution colombienne de 1991 et son ouverture aux minorités invite les indigènes à la participation politique jusqu’à devenir des acteurs de l’Etat bien au-delà de leurs territoires, de leur culture de leur taille démographique.

L’entrée en vigueur de la Constitution de 1991 et de la Loi 60 de 1993 ont relancé un processus de re-ethnisation ou de re-indigénisation, c’est à dire un processus de demande de reconnaissance d’une identité indigène pour les individus et les communautés non reconnus jusqu’alors d’indigènes. Le dynamisme prosélyte des partis et des organisations politique indigènes lors des élections générales et territoriales a remis en circulation l’argumentation indigéniste.

Ce n’est ni un hasard ni le résultat de victoires électorales conjoncturelles mais l’aboutissement de plusieurs décennies de formation de cadres politiques et de leaders communautaires en place depuis les années soixante-dix, soit dans les séminaires chrétiens soit dans les universités publiques, comme les Universités nationale d’Antioquia et du Valle où les indigènes disposent d’un système de quotas pour l’accès à l’éducation supérieure.

Les quatre-vingt-quatre peuples indigènes répertoriés par les autorités colombiennes ne sont pas homogènes. Malgré l’inévitable emploi par le législateur de mots génériques comme « indigènes » ou « peuples et communautés indigènes », la réalité montre une grande diversité. On peut classifier les peuples autochtones selon une typologie de trois catégories :
les peuples isolés qui gardent intactes leurs coutumes et leurs traditions et qui vivent dans la marginalisation ;
les peuples qui ont réussi à re-fonder leurs bases de cohésion, grâce à des stratégies de résistance, d’appropriation d’éléments externes ou d’internalisation des représentations positives de l’altérité ;
et les peuples désintégrés, métissés ou assimilés, actuellement en train de reconstruire leurs identités.

Comme on peut le supposer, les systèmes juridiques indigènes sont très différents et les critères jurisprudentiels varient énormément selon la typologie de peuple autochtone. Ainsi, un peuple autochtone isolé aura une plus grande autonomie juridique vis à vis de l’Etat qu’un peuple autochtone en train de se reconstituer avec des métis. En fait, ce qu’on appelle « traditions juridiques » chez des peuples re-fondés n’est d’habitude que l’assemblage de traditions populaires, de rudiments de droit positif avec l’héritage colonial qui se ressoudent grâce à des stratégies essentialistes et à une critique permanente de la société majoritaire.

Le droit étatique a du mal à comprendre le droit indigène, surtout lorsqu’il apparaît mélangé aux débats politiques dont la rhétorique brouille les données juridiques. Souvent il s’agit de groupes ethniques minoritaires qui se réclament des traditions juridiques autochtones et coloniales et dont le premier besoin est d’affirmer leur identité par de nettes positions politiques et par l’accentuation des différences culturelles. Ils veulent être reconnus et protégés par le droit étatique sans pour autant devenir ni rationalistes, ni positivistes, ni universalistes à la façon occidentale. Les indigènes ont leur propre rationalité, leurs propres cosmogonies et leurs propres conceptions de l’homme et de la société, qui ont subi l’influence des cinq siècles de présence coloniale et républicaine et qui les ont inévitablement transformées par rapport à ce qu’elles étaient avant l’arrivée des européens.

En Colombie, les distances culturelles diminuent grâce à la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle, à la législation nationale et au travail des bureaux spécialisés dans l’administration, comme la Direction Générale des Affaires Indigènes du Ministère de l’Intérieur, l’Institut Colombien pour la Réforme Agraire (INCORA) et le Secrétariat Spécial aux Affaires Indigènes du gouvernement d’Antioquia. Il n’y a pas en Colombie un organisme directeur de la politique indigène mais elle est développée de manière sectorielle par les différents ministères.

Le discours indigéniste initial, essentialiste et immobile culturellement parlant, produit un retour critique sur sa propre culture, ce qui peut être considéré comme un signe de maturité sociale et politique. Les peuples indigènes colombiens mènent des débats internes sur leurs inconsistances et tensions identitaires. En dépit des positions qui prétendent montrer un ordre toujours harmonieux, les indigènes Guambianos, Paeces, Yanaconas et Pastos ont eux-mêmes identifié dans leur justice certains disfonctionnements comme un empressement pour trouver et punir un coupable de manière à terminer l’affaire.

L’autocritique ne manque pas d’avoir des conséquences négatives sur les juridictions indigènes. Le manque de garanties et de sérieux de ces juridictions sert de justification à l’Etat pour maintenir la supériorité implicite de ses propres juridictions pénale et constitutionnelle et qui permettre aux juges étatiques de se saisir des crimes les plus graves, d’appliquer les droits fondamentaux et les débats constitutionnels concernant les indigènes.

Le bilan des revendications indigènes est globalement positif puisque ces contradictions maintiennent et renouvellent les liens d’appartenance ethnique. Il y a une superposition de temps et de traditions hétérogènes parfois contradictoires dans le discours indigène mais qui garde une grande capacité de dépasser cette instabilité par la voie des consensus. Leurs exigences, à première vue traditionalistes, sont compatibles avec certains des postulats de la post-modernité politique, comme la fuite de la rationalité accablante des positivistes et la quête d’alternatives, parfois hybrides et sans un grand souci de cohérence et sans que les contradictions théoriques ne les dérangent.

Quant aux communautés noires du Choco, autres minorités ethniques reconnues par la Constitution de 1991, elles ont eu du mal à s’organiser pour exercer leur droit de propriété collective et leur autonomie locale, ce qui a eu pour résultat la dispersion d’efforts et la fragmentation du mouvement national des noirs. Les diverses organisations de la population rurale ont choisi leur indépendance et ont privilégié les rapports directs avec l’Etat. La dynamique de l’ensemble des communautés noires colombiennes a été éclipsée par les revendications des populations noires du Choco.

Les raïzales

La population noire raïzal des îles Saint André, Providence et Sainte Catherine a un culture différente de celles de la majorité des colombiens, des indigènes et des noirs, particulièrement en matière de langue, religion et coutumes. Les raïzales ne sont pas un peuple autochtone dans le même sens que les indigènes mais leur culture particulière est reconnue et protégé par la Constitution de 1991. Deux problèmes graves menacent leur identité: sur le plan juridique, il leur manque un statut particulier et le développement d’activités touristiques et commerciales dans l’île de Saint André a attiré une immigration si nombreuse que les raïzales se trouvent aujourd’hui en situation de minorité. Une telle pression démographique sur un territoire insulaire empêche les raïzales de conserver leur identité culturelle.

La Cour Constitutionnelle a protégé dans de cas ponctuels le patrimoine culturel des raïzales, lequel est aussi patrimoine de toute la nation colombienne. La jurisprudence a revendiqué le droit des raïzales a participer dans la définition de l’aménagement du territoire, la protection des ressources naturelles et la conservation de leur culture en vue d’un développement durable. Le Congrès colombien a adopté la Loi 47 de 1993 déclarant l’anglais comme langue officielle des îles et établissant l’éducation bilingue, en espagnol et en anglais. Jusqu’à présent, cette protection de la langue anglaise constitue la principale mesure de protection culturelle en faveur des raïzales. Aucune loi n’a soumis à des conditions spéciales la vente d’immeubles dans les îles afin de protéger l’identité culturelle des raïzales, comme l’autorise cependant la Constitution de 1991.

Le mouvement social raïzal a présenté l’année 2000 au Gouvernement un projet de loi portant statut raïzal, sans s’être concerté avec les autres organisations et secteurs du mouvement noir du pays sur la stratégie à adopter. Ce projet n’a pas été approuvé.

Apogée de l’indigénisme

L’année 1991 a marqué un tournant nettement favorable aux peuples indigènes colombiens suite à la ratification de l’Accord N° 169 de l’OIT et à l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution. En s’appuyant sur ces deux textes majeurs, la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle colombienne a développé le principe du pluralisme juridique, la diversité culturelle, les droits collectifs et l’autonomie des peuples indigènes. Les droits collectifs fondés sur la diversité culturelle des peuples indigènes ne sont pas à confondre avec les droits collectifs d’autres groupes, comme les consommateurs, protégés par des actions collectives.

Les peuples indigènes colombiens sont propriétaires de 250.000 kilomètres carrés du territoire national, c’est à dire d’un 25% du pays, la plupart sous le régime des resguardos. Depuis 1994, les autorités traditionnelles indigènes touchent directement les ressources transférées par l’Etat dans le cadre de la décentralisation du budget d’investissement social, selon la moyenne nationale d’investissement per capita. Les programmes d’ethno-santé et d’ethno-éducation ont été progressivement mis en place depuis 1989.

En Colombie, le pluralisme est juridique, social, politique et culturel. Ce poly-pluralisme prête à confusions entre les diverses approches. Le pluralisme juridique tend prudemment des passerelles, au cas par cas, entre le droit aborigène et le droit étatique. Le pluralisme social est une notion proche des mouvements sociaux et alternatifs. Le pluralisme politique a deux significations : sur le plan institutionnel, il sert de caution aux différents projets de modernisation et de décentralisation de l’Etat et sur le plan de la « politique politicienne », le pluralisme politique cautionne la consolidation d’un troisième partie politique différent des partis historiques, libéral et conservateur. Finalement, le pluralisme culturel facilite l’ouverture d’un pays traditionnellement fermé et peu ouvert sur le monde extérieur.

D’autre part la notion de pluralisme elle-même n’est pas exempte d’ambiguïtés. On doit bien souligner ses deux composantes : d’abord, le pluralisme implique une diversité évidente pour mobiliser et transformer la société mais le pluralisme contient implicitement l’idée d’unité qui vient renforcer le système juridique, les liens sociaux, l’action de l’Etat et la culture.

Dans les années 1990, l’indigénisme colombien a confirmé la ligne d’action politique contestataire qu’il avait adoptée deux décennies auparavant. Sa condition de minorité la plus visible et le mieux organisée prédispose l’indigénisme à assurer la représentation d’autres minorités et groupes sociaux. Le fait que plus du 75% de la population colombienne soit métisse, permet à l’indigénisme de trouver un écho de sympathie et d’invoquer les ancêtres indiens de la majorité de la population.

L’indigénisme colombien, qualifié par Christian GROS « d’indigénisme positif », n’affronte pas l’Etat de droit d’une manière radical, ni sur le plan politique ni sur le plan juridique. Les revendications ethniques sont des formes légitimes de mobilisation politique et l’action politique des indigènes revêt les modalités d’une participation démocratique. En fait, leurs principales conquêtes juridiques ont été obtenues à l’Assemblée Nationale Constituante de 1991, au Congrès et à la Cour Constitutionnelle.

Du fait d’une combinaison de stratégies variées, les peuples indigènes ont réussi à gagner d’importants espaces politiques dans les différentes structures territoriales de l’Etat. L’indigénisme participe des mouvements sociaux paysan en revendiquant les droits sociaux des exclus et réclame les droits collectifs d’autres minorités, comme les négritudes, et représente à la société civile colombienne dans ses revendications sociales. En effet, les peuples indigènes ont épousé les causes de l’authenticité culturelle, de participation communautaire, de protection de l’environnement, de lutte contre la corruption, de changement politique et d’alternative au bipartisme historique. En fait, il se trouve qu’un mouvement politique élargi constitué autour de l’indigénisme s’est inséré dans le système démocratique pour réclamer un pluralisme juridique à l’Etat colombien.

L’apogée politique de l’indigénisme a été marqué pendant l’année 2000 par l’arrivée au pouvoir du Gouverneur Floro Tunubala dans le département de Cauca, événement d’autant plus surprenant qu’il s’agissait d’un ancien sénateur indigène qui a réussi a battre l’aristocratie libérale du Cauca. En 2002, lors des élections parlementaires 4 sénateurs indigènes ont fait leur entrée au Sénat, dont 2 élus de plus que le quota constitutionnellement fixé pour les indigènes. Dans les élections territoriales du 26 octobre 2003, les indigènes ont remporté le gouvernement du département de Guainia et 9 mairies et ont élu 8 députés départementaux et 215 conseillers municipaux. Dans la Chambre des Représentants il y a aussi un quota fixe d’un représentant élu par les peuples indigènes.

L’indigénisme colombien est aujourd’hui un mouvement national suffisamment consolidé, flexible et ouvert à la participation démocratique. Les peuples indigènes ont acquis le savoir faire nécessaire pour passer des alliances avec des secteurs sociaux proches dans les niveaux local et départemental. Ils ont réussi à faire élire des conseillers municipaux, des maires, des députés départementaux et deux gouverneurs indigènes. Ces mouvements s’articulent en collectifs et coordinations régionales assez complexes qui participent dans l’organisation politique internationale des parlementaires indigènes.

Au niveau latino-américain, la constitutionnalisation des droits collectifs indigènes a un bilan globalement positif, malgré les tensions qu’elle produit. L’OIT et plusieurs ONG internationales considèrent qu’il est important et positif de diffuser l’expérience des peuples indigènes colombiens dans les domaines constitutionnel et législatif.






Chapitre IV

LA FRANCE FACE AU PLURALISME : LA NOUVELLE CALEDONIE



En France, la considération identitaire des minorités ne fait pas partie de la tradition républicaine. Pourtant, la présence des minorités immigrées dans l’hexagone et des peuples autochtones dans les territoires et départements d’outre-mer a demandé depuis longtemps un traitement juridique et institutionnel. L’Etat français en a réussi à traiter les différences faisant preuve de bon sens politique et juridique et en conformité avec sa tradition républicaine. Ainsi, les juristes français ont développé en droit international privé la notion d’ordre public atténué permettant de tenir compte des particularismes des gens appartenant à d’autres cultures juridiques. De même, dans les DOM-TOM, les statuts coutumiers sont reconnus et appliqués aux peuples autochtones.

La France a la tendance à concentrer ses études juridiques sur l’hexagone, dont l’étude occupera une première section de ce chapitre, pour passer au cas exceptionnel de la Nouvelle-Calédonie, dans une seconde section.

Section I : le principe général en métropole.

La France métropolitaine n’a pas de peuples autochtones. Elle est un paradigme d’Etat- nation : de nombreuses migrations et une longue série de guerres ont effacé la trace des premiers peuples. La diversité culturelle et les droits des peuples autochtones furent reconnus dans les possessions coloniales, lesquelles après la décolonisation furent transformées en territoires d’outre-mer (TOM) et les départements d’outre-mer (DOM).

Les principes républicaines de l’unité et l’égalité des droits constituent le régime général, qui a subi d’importantes exceptions établies par le législateur et par la jurisprudence, en vue d’assurer les libertés politiques, de pensée et d’expression, et d’autre part, de procurer une égalité sociale aux populations exclues ou vulnérables.

§1 : l’unité républicaine.

Quant au pluralisme juridique, la devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité » a inspiré un système de droit public unitaire, rationalisé et hiérarchisé qui, depuis deux siècles, nie le multiculturalisme. La France se considère comme l’exemple achevé d’un Etat de droit moderne, où l’Etat est l’unique source du droit. Un tel monisme juridique correspond parfaitement à l’unité de la nation française et à l’exigence du monolinguisme. Le pluralisme politique est, certes, reconnu comme participant de l’essence de la démocratie mais la France soupçonne la diversité culturelle de mener à la destruction de la cohésion nationale du modèle républicain. Les juristes français reviennent volontiers aux valeurs universelles de la Déclaration de Droits de l’Homme et du Citoyen, proclamés pendant la Révolution et incorporés à la Constitution de la Vème République.

Le pluralisme juridique récuserait l’unité nationale, l’universalisme d’un droit rationnel, l’égalité républicaine, le libéralisme individualiste et la distinction entre l’espace public et l’espace privé, soit autant d’axiomes sur lesquels s’appuie le droit public interne dans l’hexagone. Les droits collectifs feraient revivre les corps sociaux intermédiaires abolis par la Révolution Française. Même si cette abolition a subie deux inflexions importantes avec la reconnaissance des syndicats en 1884 et celle des associations en 1901, ces institutions sont intégrées comme des auxiliaires fonctionnels de l'Etat mais sans constituer en aucune manière des sources de droits collectifs. Pourtant le cas tout particulier d’une colonie devenu Territoire d’Outre-Mer, la Nouvelle-Calédonie, montre que la République a su reconnaître en 1998 la diversité culturelle et mettre en place des institutions inspirées par le pluralisme juridique, à l’encontre des traditions françaises.

L’uniformité des lois est un concept lié à l’égalité des citoyens et à l’unité du peuple français. Le choix de l’homogénéité culturelle du peuple français est cohérent avec un Etat soucieux de renforcer l’identité nationale et avec l’universalisme de la théorie juridique française. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une uniformisation absolue de la population française, l’adhésion au modèle unitaire et égalitaire a été constante. Au moins, la jurisprudence s’autorise des exceptions pour reconnaître des faits culturels divers, à l’aide de la sociologie et de l’anthropologie juridiques. L’égalité formelle des citoyens devant la loi empêche l’existence de tout statut pénal dérogatoire, même chez les peuples autochtones dont le statut coutumier est reconnu en matière civile.

La France n’admet pas le pluralisme juridique au niveau de la théorie de l’Etat ni du droit positif mais la société civile française a toujours été largement tolérante comme si la tolérance et la diversité culturelle appartenaient à l’espace privé. Bien évidemment, la tolérance n’est pas une notion juridique, en conséquence on ne peut pas la confondre avec le pluralisme juridique mais la tolérance sert à marquer le seuil de diversité socialement acceptable. Les critères de tolérance adoucissent l’homogénéisation sociale proposée par le droit positif ; c’est à la sociologie juridique de véhiculer les différences culturelles au moment de l’application du droit. Les juges adaptent les normes aux particularismes culturels tout en respectant formellement l’unité, l’égalité, la rigueur du droit positif et la suprématie du législateur.

La France reste attachée à la distinction entre espace public et espace privé, le marqueur de sa modernité politique. Dans l’espace public tous sont libres, égaux et partagent l’identité national ; y participer au nom d’une autre identité, conduirait à ériger la différenciation culturelle en objet politique. Tandis que les différences culturelles appartiennent à la sphère privée et doivent être tenues à un certain écart de l’espace public ; autrement on porterait atteinte contre la liberté et l’égalité citoyennes. C’est sur ce fond que les pouvoirs publics évoquent périodiquement les dangers du communautarisme : l’affirmation d’une identité sub-nationale, d’une autre langue ou des droits collectifs, briserait l’harmonie entre liberté-égalité-identité nationale, considérée comme essentielle pour l’ordre républicain.

L’image de la nation française est fortement associée aux valeurs civiques, républicaines et universelles ; tandis que les groupes sub-nationaux ont une image ethnique, autoritaire et fermée. Un tel choix politique collectif pour renforcer l’appartenance nationale aux dépenses des groupes sous-nationaux constitue une particularité française. Comme on l’a vu dans d’autres pays, l’appartenance simultanée à deux groups, l’un national et l’autre sous-national, ne conduit pas forcément à une bipolarisation, ni au communautarisme autoritaire.

La France craint que la destruction de cet ordre républicain n’enferme les individus dans des structures autoritaires, pourtant d’autres Etats ont érigé les différences culturelles en objet politique en plein espace public, sans pour autant tomber dans le communautarisme autoritaire. Le type d’un Etat unitaire et mono-culturel ne constitue plus un modèle universalisable. Le multiculturalisme s’impose par la force des faits sociaux

L’universalisme juridique a servi à affirmer l’identité républicaine dans l’espace public français tout en permettant un seuil de diversité, acceptable au cas par cas selon la prudence des juges. La tradition républicaine française exige que toutes les expressions légitimes dans l’espace public gardent harmonie avec les Droits de l’Homme, l’égalité des citoyens, l’unité de la Nation, l’individualisme juridique et la solidarité sociale. Hors les principes républicains, point d’identité nationale française.

Quant aux droits collectifs, les mots du comte de Clermont Tonnerre devant la Constituante en septembre 1791 restent en vigueur mutatis mutandis : " Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus, il faut refuser la protection légale au maintien de prétendues lois de leur corporation judaïque ; il faut qu'ils ne fassent plus dans l'Etat ni corps politique, ni ordre ; il faut qu'ils soient individuellement citoyens". La politique unitaire, voire intégrationniste, de la France continue de nos jours face au faible réveil identitaire des corses, des bretons ou des basques. Seule l'Alsace-Moselle a un statut particulier. A l’égard des immigrants musulmans, hindous, africains ou chinois, il n’est pas question de leur reconnaître des formes d’organisations propres ni des droits collectifs, « il faut qu’ils soient individuellement citoyens ».

Liberté et égalité sont des valeurs universelles mais la négation des corps sociaux intermédiaires, de la diversité culturelle et des droits collectifs, n’était que les modalités historiques choisies au XVIII siècle pour mettre fin au régime monarchique et aristocratique. Depuis lors les modalités historiques de la liberté et de l’égalité des révolutionnaires sont considérées comme des concepts immuables ; de sorte que revendiquer des corps sociaux intermédiaires, la diversité culturelle ou des droits collectifs serait nier la identité culturelle de la nation.

Nombre de démocraties libérales reconnaissent des minorités nationales, la diversité culturelle et des droits collectifs. De nos jours, les sciences sociales ont une perception positive des corps sociaux intermédiaires, en tant qu’espaces pour la reconnaissance de l’individu et moyen pour sa participation dans l’Etat. Will Kymlicka affirme que les revendications des identités culturelles dans l’espace public sont compatibles avec un Etat de droit qui garantit les droits des individus. Michael Walzer considère que les groupes particuliers servent comme terrain d’apprentissage de la citoyenneté pour les individus. Pour sa part, Jürgen Habermas admet que les citoyens de l’Etat puissent se reconnaître culturellement à travers plusieurs niveaux d’appartenance simultanée. De telles idées se heurtent à la force des traditions françaises, que les hauts tribunaux et le législateur sont censés préserver.

Un autre trait distinctif de la France est le rejet de l’autonomie des juges par rapport à la loi ; le « gouvernement des juges » est perçu comme une menace de tyrannie et affichée comme une des grandes différences entre le droit Français et la Common Law. D’ailleurs, la suprématie du législateur, la rigueur rationaliste et le goût pour la généralisation ont prédisposé les juristes français à adhérer au positivisme juridique. Mais la loi a ses limitations et, pour répondre aux nouvelles situations les juges ont dû développer et approfondir certaines catégories et concepts consacrés par le législateur ; cette adaptation de la loi positive est devenu source d’innovation juridique. C’est bien le cas des jurisprudences civile et administrative qui ont construit des institutions prétoriennes lesquelles ont préfiguré l’évolution législative. Toujours par analogie ou en développant les principes juridiques implicites dans la loi, c’est à dire, en s’inscrivant dans la culture juridique française qui affirme la supériorité du législatif.

Ces particularismes français relèvent des facteurs historiques. Au XVIII siècle, la Révolution française, à l’opposé de la Révolution américaine, a placé la démocratie sur l’unité plutôt que sur le pluralisme ; cette unité est symbolisée par un corps politique un et indivisible. Tandis que pour les Etats Unis, s’il n’y a pas de pluralisme, on soupçonne que les libertés démocratiques se trouvent menacées. La tradition française est aussi aux antipodes de la Constitution espagnole de 1978, laquelle évoque le pluralisme dès l’article 1 alinéa 1. D’autres Etats qui se réclament de la tradition juridique française, ainsi que les déclarations internationales des droits de l’homme ont pris les valeurs de la liberté, l’égalité et la solidarité, mais ils ont refusé de suivre la France dans l’homogénéisation culturelle, et la négation des corps sociaux intermédiaires et des Droits collectifs, trois sujets clés pour les peuples autochtones.

Il y a un autre renversement de perspective entre les valeurs civiques et républicaines, traditionnellement reconnues à l’Etat Français, et les valeurs ethniques et culturelles des groupes tribaux. Les valeurs civiques et républicaines liées aux Droits de l’Homme de la Révolution française étaient perçues comme des valeurs universelles et garantie de la dignité humaine ; tandis que les valeurs ethniques et culturelles comportaient une fermeture identitaire, conduiraient à la domination des individus et à la méconnaissance des Droits de l’Homme.

Cette infériorisation a priori des peuples autochtones n’est plus acceptée par les sciences sociales, qui partent de l’égale dignité des cultures et qui considèrent les valeurs ethniques comme dynamiques ouvertes et universalisables à partir d’un héritage culturel. L’appartenance à une société concrète est nécessaire pour assurer la dignité humaine de l’« homme situé », et la rhétorique incantatoire de l’égalité formelle a cédé sa place à une égalité plus réelle. Cette préférence pour l’homme et la société concrets s’assortie d’une relativisation de la propre culture ; ainsi, les Droits de l’Homme sont abordés d’après une perspective inter-culturelle. L’exception culturelle française fait que l’Etat et le droit Français n’aient pas la même approche des sciences sociales contemporaines et que la jurisprudence et les autorités françaises refusent de reconnaître formellement des droits collectifs, par exemple aux groupes linguistiques minoritaires, puisque les droits individuels leur suffissent largement.

Quant aux motifs de cet attachement au monisme juridique, hormis la force des traditions républicaines et la mentalité cartésienne des Français, on trouve également de raisons pratiques pour que la France métropolitaine n’adopte pas un régime juridique multiculturel s’il n’y a pas une demande préalable des communautés concernées. Dès la perspective française classique, le droit à la différence serait le symptôme d’un défaut d’intégration sociale, soit par échec, limitation ou effondrement de l’Etat. Ailleurs, les différences culturelles servent des stratégies politiques pour revendiquer les droits sociaux des groupes exclus, tandis qu’en France les programmes administratifs différenciés fournissent efficacement les prestations dont les exclus ont besoin ; ils en sont bénéficiaires en tant que citoyens libres et égaux et, par conséquence les exclus n’ont pas besoin de stratégies identitaires. L’Etat souverain, détenant par définition le monopole de la contrainte légitime, accepte mal la concurrence d’autres appartenances collectives, et un changement si profond, comme la reconnaissance de la diversité culturelle dans l’espace public, ne va pas se produire spontanément.

Quant aux chercheurs et aux universitaires, le pluralisme juridique fondé sur les différences culturelles reste une problématique assez marginale. Norbert ROULAND a publié en 1995 un livre intitulé L’Etat français et le pluralisme. Histoire politique des institutions publiques de 476 à 1792. Le même auteur a dressé en 2000 un bilan assez modeste du pluralisme. Peu nombreux sont ceux qui osent contredire la version française d’unité nationale ; parmi eux, Guillaume CARTIGNY affirme que la formule de l'Etat-nation, qui suppose une large concordance entre unité politique et culturelle, n'est plus adaptée pour les sociétés contemporaines. Dominique ROUSSEAU et Stéphane PIERRE-CAPS ont montré que le constituant, par le terme "unité", n’avait pas nécessairement voulu signifier "uniformité".

Dans le domaine de l’anthropologie juridique, une science auxiliaire du droit, deux centres de recherche travaillent en faveur du pluralisme juridique : le Laboratoire d’Anthropologie Juridique de Paris, fondé par Michel ALLIOT et dirigé par Etienne LE ROI, et le Groupe droit et Culture de l’Université de Nanterre, sous la direction de Raymond VERDIER.
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§ 2 : les ouvertures vers le pluralisme.

En France le pluralisme fut introduit dans la doctrine en 1938 par Georges GURVITCH lorsqu’à la suite de Proudhon, il affirme dans son Essai d’une classification pluraliste des formes de sociabilité, que seule la complexité consciente et voulue dans les études sociologiques rapproche du réel. En 1977 Jean-Guy BELLEY a souligné comment le pluralisme juridique met en relief la complexité croissante de la société qui multiplie les groupes et les enjeux sociaux. Mais le mouvement intellectuel des anthropologues du droit et de la culture en faveur du pluralisme juridique ayant prospéré aux Pays-Bas, fut neutralisé en France dès les années 1970 par le Doyen Jean CARBONNIER dont les ouvrages Sociologie juridique (1972) et Flexible droit (1969) sont étudiés dans les facultés de droit. Le doyen CARBONNIER a, certes, ouvert la tradition juridique française aux analyses sociologiques mais il a empêché le pluralisme juridique naissant de se développer.

En fait, la seule reconnaissance possible de la diversité culturelle est jurisprudentielle ; ce qui fait que les avancées de la diversité culturelle restent toujours limitées aux cas jugés. L’Ecole Nationale de la Magistrature reconnaît dans ses programmes de formation que la jurisprudence ne présente pas le même visage selon le cadre culturel, anthropologique ou géographique dans lequel elle s’applique ; et que la justice rendue par la magistrature française se présente sous un visage différent, selon qu’elle est rendue en métropole ou en Outre-Mer. Le juge applique la règle de droit, mais il s’inscrit chaque fois dans un contexte dont les spécificités sont assez fortes.

Le Conseil Constitutionnel accepte le pluralisme politique dans le régime de la presse et des partis politiques ; toujours subordonné à l’unité et à l’égalité de la République. Le juge constitutionnel, toujours soucieux d’adaptation de la société française au temps présent, entreprend de rénover le fondement même de l’identité nationale sans remettre en cause la tradition révolutionnaire dont elle procède.

La France n’échappe point aux pressions internes et externes vers le pluralisme juridique. La diversité de régimes et le pluralisme juridique ne sont pas étrangers à la France ; l’Alsace et la Lorraine en sont de bons exemples ; puis en Outre-mer il y a déjà des concessions institutionnelles vers un Etat multiculturel. Il est paradoxal que les autorités françaises revendiquent l’« exception culturelle » et se dressent en défenseuses des identités culturelles vis-à vis de la mondialisation et qu’en même temps, la France ne reconnaisse les langues locales (alsacien, breton, occitan, …) qu’à titre partiel pour les études primaires, secondaires et pour le baccalauréat dans son territoire métropolitain.

Les choses se sont passées autrement dans les colonies et dans les actuels départements et territoires d’outre mer, DOM-TOM, où le droit coutumier et le pluralisme juridique ne se trouvent pas confrontés à la pression de l’unité et de l’égalité métropolitaines. Le régime colonial français a été ouvert à la diversité culturelle, comme l’a exprimé S.H. ROBERTS en 1929 en analysant les quatre types de colonialisme: la soumission, lorsque le gouvernement colonial a été exercé exclusivement en faveur de la France, l’autonomie, qui n’a jamais existé dans les colonies françaises, l’assimilation et enfin l’association.

L’assimilation a été définie officiellement dans le Rapport Isaac en 1889 comme «  le système tendant à effacer toute différence entre les colonies et la mère patrie, et qui considère les colonies comme une simple prolongation de la mère patrie au-delà des mers ». Ainsi, les codes civils d’Algérie et de la Cochin-chine furent exclusivement Français. L’objectif de la politique d’assimilation était que les colonisés acquièrent la culture française et deviennent des citoyens français.

L’association a été expliquée par Albert SARRAUT en 1923 comme une relation où la France avait le devoir envers les populations coloniales de développer leurs institutions et d’assurer leur bien-être. Ce souci de développer un gouvernement et des institutions juridiques propres aux colonies a fait que les codes civils de l’Afrique de l’Ouest et de Tonkin aient incorporé les points de vue des autochtones.

Au cours de son histoire, la France a eu en tant que puissance colonisatrice dans les quatre autres continents des rapports avec des peuples autochtones du Canada (Nouvelle France), de l’Afrique, de l’Asie du sud-est, en Guyane, dans la Caraïbe et dans les îles du Pacifique. Pendant la Révolution Française la politique coloniale française a subi une grave crise : Haïti s’est déclaré indépendant ; la Martinique et la Guadeloupe furent prises par les Anglais, et dans la Convention les tendances libérales se sont exprimées par Saint-Just, lorsqu’il a déclaré : « périssent les colonies plutôt que les principes ». D’après Florence GAUTHIER, pour les révolutionnaires le colonialisme était incompatible avec les droits naturels de l’homme et les droits naturels des peuples.

La législation coloniale française fut édictée par l’exécutif. La Charte constitutionnelle de la Restauration, du 4 juin 1814 a établi que les colonies seraient gouvernées selon des lois particulières et d’autres régulations. En fait, les ordonnances royales furent la seule législation coloniale de la période 1814 à 1830. La monarchie orléaniste, dans l’article 24 de la Loi du 24 avril 1833 a continué le système des Ordonnances royales, que la Constitution de novembre 1848 a repris sous la forme de décrets du chef de l’Etat. Le Second Empire a prévu dans la Constitution du 14 janvier 1852 une constitution pour les colonies ; ce fut le sénatus-consulte du 3 mai 1853 qui a attribué à l’Empereur le pouvoir exclusif de légiférer pour les colonies.

Les ministères des Affaires Etrangères, du Commerce, et de la Marine se sont succédés dans l’administration des colonies et des territoires sous protectorat ou sous mandats internationaux confiés à la France. A certaines périodes chaque territoire avait à Paris son propre département dans la structure de l’Administration, ce qui permettait une approche plus individualisée de la Métropole ; mais à d’autres moments, l’uniformité s’est imposée. Il y avait aussi des représentants des populations coloniales qui siégeaient dans le Conseil Supérieur des Colonies, le Haut Conseil Colonial et le Conseil Economique des Colonies, dont les fonctions étaient principalement consultatives. L’Inspection des Colonies a été un département important pour assurer le relais entre les administrations centrale à Paris et coloniales sur place, ce département a encouragé la centralisation.

Un auteur français en a fait la synthèse suivante : « La pratique coloniale suivie par nous depuis 1871 représente une infinité de dosages différents des deux principes d’autonomie et d’assimilation ; ces dosages ont varié non seulement d’une colonie à l’autre mais au cours du temps en ce qui concerne le même territoire. »« La colonisation menée par la IIIème République renoua avec l’objectif de l’intégration, jusqu’en 1895 date à laquelle la conquête de Madagascar infléchira cette politique dans le sens du respect de l’indigène et de ses traditions ».

Dans les colonies, l’application du droit civil relevait plutôt de la politique coloniale et non pas des juges. Seulement en théorie, le droit coutumier devait céder à l’application du Code Napoléon mais cela n’a jamais été pleinement réalisé, faute d’une législation et d’une administration uniformes en France métropolitaine et dans les colonies. La législation coloniale française a été toujours confuse du fait que, dans de nombreux cas, la politique coloniale prenait davantage en compte les particularismes des populations coloniales que les sources législatives du droit colonial. Paradoxalement le modèle du droit Civil Français a commencé à exercer une influence majeure dans les colonies à partir de leur indépendance, ce qui est logique puisqu’il concerne une population supposée homogène.

La France avait compris clairement les exigences juridiques de la diversité culturelle des populations habitant les colonies, aussi bien des autochtones que des non autochtones. Derrière l’archaïsme de la terminologie coloniale se dissimulait des fois une conception de respect des particularismes culturels ; c’est dans ce sens qu’Henri SOLUS a esquissé, en 1927 dans son Traité de la condition des indigènes en droit privé, la notion d’ordre public colonial pour tenter de concilier particularisme coutumier et respect des principes universalistes.

En ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, la France a reconnu dès l’origine aux Mélanésiens des droits fonciers en leur qualité de premiers occupants, au moins du point de vue des normes positives. L’arrêté pris par le gouverneur Feuillet le 24 décembre 1867 a regroupé les tribus en districts sous l’autorité des grands chefs et des chefs coutumiers ; quatre semaines plus tard, l’arrêté du 22 janvier 1868 a établi le régime des réserves foncières mélanésiennes, devenues incommutables, insaisissables et inaliénables. Selon ce régime typiquement communautaire, l’individu s’effaçait face à la tribu, la seule détentrice des droits, obligations et responsabilités. On dirait en langage d’aujourd’hui qu’à cette époque-là la France avait établie un régime d’autonomie et des droits collectifs en faveur des Kanaks. Puis, la rébellion de 1878 a profondément signé l’histoire calédonienne de méfiance à l’égard des Kanaks.

En Algérie, l’intégration de facto à la culture juridique française avant le scrutin d’autodétermination de 1962, était prise en compte. Les « autochtones » (sic) avaient : soit le statut civil de droit commun –ils étaient des Français comme les autres- soit le statut civil de droit local algérien. Le premier statut exigeait la maîtrise de la langue française (lue, écrite, parlée) et un mode de vie se rapprochant du code civil (monogamie ou célibat), c’est-à-dire, l’intégration à la culture juridique française. Tandis que l’indigène musulman était simplement sujet français et ne pouvait pas bénéficier des droits du citoyen français.

En fait, c’est dans les DOM-TOM que le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle a pu se développer, en ayant la prudence nécessaire pour assurer la prééminence des valeurs universelles des Droits de l’Homme sur le relativisme culturel. L’universalisme égalitaire aussi bien que le relativisme culturel furent véhiculés par le diverses tendances de la même société.

La période de Vichy est d’une très grande incertitude. Le pluralisme juridique semble avoir eu lieu lors de la dispute pour la légitimité et la légalité entre le régime de Vichy et la République en exil à Londres. L’ordonnance du 9 août 1944 a annulé tous les actes constitutionnels, législatifs et réglementaires postérieurs au 16 juin 1940. Sur ce sujet, le professeur Michel VERPEAUX considère que dans l’arrêt Papon du 12 avril 2002, le Conseil d’Etat n’a pas tranché ce débat sur une période de l’histoire assez ambiguë dont les lectures évoluent dans le temps. En guise de commentaire, on pourrait ajouter que le pragmatisme et la prudence dont a fait preuve le Conseil d’Etat pour éviter de s’engager, constituent en eux-mêmes un signe en faveur du pluralisme juridique ; en fait, les deux régimes ont cohabité en France pendant ce période et de tous les deux, les juges peuvent tirer des conséquences juridiques.

Dans la doctrine juridique française, Louis FAVOREU a fait une application particulière du pluralisme pour en déduire "la pluralité des enseignements, c’est-à-dire la coexistence d’un enseignement privé à côté de l’enseignement public". La question du pluralisme scolaire ne se pose plus car "il est admis aujourd’hui qu’il doit exister une école privée à côté de l’école publique et que l’Etat doit l’aider à exister" .

Dans le domaine du droit international privé, la doctrine a développé la notion d’ordre public atténué permettant aux juges de tenir compte les traditions et les cultures juridiques étrangères, pour nuancer la rigueur et diminuer la force des critères d’ordre public en vigueur dans l’ordonnancement national, lorsqu’il va s’appliquer aux étrangers en France.

A l’aube du XXIème siècle, trois processus majeurs  contraignent la France à avancer sur la voie du pluralisme juridique : le développement de l’Union Européenne ; la reconnaissance internationale du droit à la diversité culturelle, et l’immigration massive des deux dernières décennies. L’Union Européenne par sa composition est forcement multiculturelle et pluraliste, non pas d’une manière radicale mais dans la mesure ou le droit international de l’intégration l’exige et la survivance des ordonnancements nationaux le permet. La France s’est prise dans ces enjeux identitaires contemporains et, pour assurer son spécificité culturelle, elle aura besoin de revendiquer le pluralisme juridique. Celui-ci n’a pas été absent dans l’histoire française ; peut-être montrer au grand publique les traits pluralistes du droit Français dans le passé, rendrait plus facile la transition du monisme national au pluralisme juridique européen.

Le rejet de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires de 1999 montre combien il serait difficile pour la France de reconnaître la diversité linguistique et culturelle. La révision constitutionnelle sur la langue officielle approuvée le même jour de la l’entrée en vigueur de la Charte européenne des langues régionales, a mis en évidence que la France reste attachée à l’unité linguistique des révolutionnaires. Le questionnaire de l’Abbé Grégoire, envoyé en 1790 à travers toute la France pour rendre compte des langues des nouveaux citoyens, a été à l’origine d’un engagement pour l’unité linguistique, exprimé dans le langage militant propre de la période révolutionnaire: « Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l’émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle italien et le fanatisme parle basque : cassons ces instruments de dommage et d’erreur »

Le projet de 2003 du Traité Constitutionnel propose que l’Union Européenne soit fondée sur « les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, de l’Etat de droit ainsi que de respect des droits de l’homme » ; et le texte précise que « ses valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la tolérance, la justice, l’égalité, la solidarité et la non-discrimination ». Ainsi le pluralisme social aurait des conséquences sur le plan politique sans configurer formellement un pluralisme juridique.

L’Union Européenne a choisi de dépasser le cadre étroit des ordonnancements nationaux sans démanteler les structures étatiques. Ingolf PERNICE explique que la Constitution de l’Union Européenne sera une véritable nouveauté, un « système à plusieurs niveaux » : le Traité constitutionnel européen en cours de négociation, mais aussi les constitutions nationales, voire des constitutions régionales des Etats fédérés. Il reviendra à la jurisprudence et aux acteurs institutionnels, nationaux et européens, de préciser le sens et la portée des normes constitutionnelles européennes.

Un tel changement traduit un problème identitaire et conduit à un rééquilibrage des appartenances et des liens juridiques. Contre le risque de dissolution, l’affirmation des nationalités et des cultures nationales face à l’immigration et à l’intégration européenne est présentée comme une valeur à préserver. Dans ce cadre, le pluralisme juridique représenterait une stratégie intéressante pour l’Union Européenne, à partir d’une multiplication des régimes et d’un dédoublement de l’Etat vers le haut, on arriverait à constituer plusieurs foyers de droit. Les régimes juridiques peuvent se multiplier autant que les appartenances réclamées, jusqu’à un seuil de diversité gérable.

Il y a d’autres modalités de reconnaissance de la diversité juridique en droit public interne, « La France a commencé à accepter l’évolution de l’unité et l’homogénéité nationale avec le nouveau statut pour la Corse en 2000 et avec les institutions républicaines mises en place pour les musulmans français ». Dans les domaine des religions, la reconnaissance de la diversité a commencé à évoluer avec la Charte Chevènement ; l’Accord-cadre Sur l’organisation future du culte musulman en France signé le 3 juillet 2001, et la transformation des modalités d’entente entre l’État et l’Eglise Catholique au sein de la République. A l’occasion du centenaire de la loi de 1905, Olivier Roy a critiqué l’intervention de l’Etat dans la formation des imams pour promouvoir un islam « libéral », le fondamentalisme étant l’ennemie tandis qu’en 1905 on s’était interdit d’intervenir dans le domaine théologique.


§ 3 : la Discrimination positive.

Au niveau conceptuel, la reconnaissance des différences culturelles n’équivaut pas à la discrimination positive pourtant dans les Etats sociaux de droit la différentiation culturelle est assortie de mesures de discrimination positive. Au sens strict, la différentiation culturelle tend à établir des frontières et réglementer les échanges entre les groupes différenciés tandis que la discrimination positive procure un bénéfice à quelqu’un dont la différence consiste en une situation d’infériorité.

La discrimination est un concept double-face, dans le sens qu’elle est toujours positive pour celui qui en bénéficie et négative pour celui qu’elle exclut. C’est sur le plan des valeurs juridiques que l’on peut légitimer ou rejeter les politiques et les mesures de discrimination positive. Il y a des choix axiologiques préalables pour accepter un régime de discrimination positive tandis que la différentiation culturelle il suffit de la constater.

La discrimination positive est une des possibles modalités pour mettre en relation les groupes différenciés. C’est la modalité la plus en accord avec les choix axiologiques d’un Etat de droit et d’une culture fondés sur l’égalité de tous les hommes, sur la dignité humaine, la solidarité humaine, la justice re-distributive, la valorisation des cultures et la paix entre les peuples. Grâce à l’adhésion préalable à ces valeurs, il nous semble évident que la reconnaissance juridique des différences culturelles soit accompagnée de mesures de différentiation positive.

Néanmoins, les approches formelles et abstraites de l’égalité républicaine ont dû être réaménagées lorsque la notion juridique de discrimination positive fut nettement formulée par la Cour Permanente de Justice Internationale de la Société des Nations, pour la première fois le 10 septembre 1923 dans un avis sur la situation des colons allemands en Pologne. Une telle exception au principe de l’égalité a pris son temps pour trouver sa place dans la législation, la jurisprudence et la doctrine juridique françaises. Aujourd’hui l’égalité et la discrimination positive s’harmonisent en vue de parvenir à une égalisation en chances ; la France reconnaît ouvertement que les cas d’infériorité doivent être corrigés par un effort particulier, et que pour rétablir l'égalité des chances, la discrimination positive est nécessaire.

Dans un milieu universaliste et égalitaire, comme celui de la France métropolitaine, où l’Etat applique des politiques intégrationnistes, les mesures de discrimination positive constituent un outil pour l’intégration sociale des exclus, en conséquence son utilisation serait temporaire. Le principe est l’adoption de mesures spéciales temporaires inégalitaires mais à vocation égalitaire. Par contre, dans un milieu différentialiste, où les différences sont des valeurs protégées par l’autorité publique, les mesures de discrimination positive sont permanentes, soit sous la forme d’un régime spécial soit en attribuant des droits collectifs aux groupes différenciés.

Comment construire un ordonnancement juridique pour assurer l’égalité (citoyenne et économique) et l’inégalité (culturelle et politique) réclamées par les peuples autochtones ? Tout d’abord, il convient de préciser que l’égalité et l’inégalité prônées par les peuples autochtones concernent des plans différents, de telle sorte qu’elles ne sont pas contradictoires. Trois réponses s’esquissent : Adopter des régimes spéciaux ; les polysémies juridiques, et le pluralisme juridique, c’est à dire, la présence simultanée de plusieurs ordonnancements juridiques.

Les mesures de discrimination positive sont adoptées en faveur des peuples autochtones, compte tenu de leur situation d’inégalité culturelle, économique, démographique et linguistique, dans le but de conserver ces inégalités comme si elles n’entraînaient aucune infériorité. L’ordonnancement juridique affirme le principe d’égalité malgré les inégalités (différences) sur les divers plans de la vie des sociétés. Bref, l’égalité économique est assurée par l’Etat providence tandis que les différences culturelles sont protégées par l’Etat multiculturel en Nouvelle-Calédonie.

En France, le régime spécial est la formule adoptée pour la Corse avec le transfert de certaines compétences nationales. En Nouvelle-Calédonie, le régime statutaire en vigueur permet un double ordonnancement, voire un pluralisme juridique en faveur des Kanaks. Régis LAFARGUE a reconnu en 2001 que l’expérience néo-calédonienne repose sur une double reconnaissance : la reconnaissance du droit traditionnel et la reconnaissance du pouvoir des magistrats de créer la coutume à partir d’éléments anciens certes, mais aussi d’éléments et de valeurs opportunistes.

En 1999 la France a reconnu la diversité culturelle des Kanaks et ses expressions juridiques légitimes : le statut civil Kanak, le Sénat coutumier et des programmes sociaux en tant que mesures de discrimination positive. Les Kanaks détiennent tous les droits des citoyens, en égalité avec les non-autochtones, et ils bénéficient d’un statut supplémentaire propre. De sorte que ces groupes-ci ne soient pas isolés ni marginalisés et qu’ils puissent conserver leurs différences culturelles.

Il semblerait que pour transformer le droit moniste en pluraliste, l’action d’un mouvement politique -de masses ou d’élites- serait incontournable pour dépasser l’inertie de la jurisprudence et les réflexes conservateurs des législateurs.

§ 4 : les adaptations jurisprudentielles.

La jurisprudence du Conseil Constitutionnel emploie des qualifications juridiques variées comme "pluralisme des courants d’expression socioculturels", "pluralisme des courants d’idées et d’opinions », qui n’ont rien a voir avec le pluralisme juridique et avec les peuples autochtones. On doit signaler que le Conseil Constitutionnel français est un gardien du monisme juridique et de l’unité du peuple français. Pourtant sa jurisprudence a été à l’origine du pluralisme politique comme une valeur constitutionnelle. Le pluralisme politique n’est pas consacré dans sa globalité au delà des deux domaines de consécrations explicites, la politique et la communication.

Le pluralisme politique apparaît dans la jurisprudence constitutionnelle française le 27 juillet 1982, lorsque le Conseil Constitutionnel a évoqué "le caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels" comme un objectifs de valeur constitutionnelle. Puis deux réformes législatives, en 1984 et 1986, en matière de presse écrite ont permis au Conseil constitutionnel de défendre le pluralisme de la presse.

En octobre 1984, le Conseil Constitutionnel a parlé du "pluralisme des quotidiens d’information politique et générale" comme "objectif de valeur constitutionnelle » ; un pluralisme limité au domaine la presse écrite et l’audiovisuelle. Le 26 juillet 1986, le Conseil Constitutionnel a consacré le "pluralisme de la presse" comme "principe de valeur constitutionnelle". La même année, le 18 septembre, le Conseil Constitutionnel déclare que "le pluralisme des courants d’expression socioculturels est en lui-même un objectif de valeur constitutionnel, le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie".

Le 11 janvier 1990, le Conseil Constitutionnel a considéré qu’en matière de limitation des dépenses électorales "l’exigence du pluralisme des courants d’idées et d’opinions constitue le fondement de la démocratie". D’après la jurisprudence constitutionnelle française, le législateur doit constamment veiller à la préservation de cette diversité qui est la condition nécessaire d’un "débat démocratique", au delà du simple pluripartisme.

Le 21 janvier 1994 dans un arrêt relatif à une réforme de la communication, le Conseil Constitutionnel a parlé du "pluralisme des courants d’expression socioculturels", comme "l’une des conditions de la démocratie".

La distance entre la jurisprudence constitutionnelle de 1982 et celle de 1994 est significative : le pluralisme a passé de simple objectif constitutionnel au statut de fondement, exigence et condition de la démocratie. Pourtant ces reconnaissances du pluralisme politique comme un objectif constitutionnel, valeur et principe juridique ne sont aucunement applicables à la diversité culturelle de la population de la France métropolitaine. Pour celle-ci, il n’y a que la reconnaissance, au cas par cas par la juridiction ordinaire des faits sociaux représentatifs de la diversité culturelle.

Il y a eu d’autres références implicites de la jurisprudence au pluralisme, comme la décision du 6 novembre 1996 du Conseil Constitutionnel lorsqu’il a nié le monopole syndical et a encouragé les référendums dans les entreprises, ce qui équivaut implicitement à la consécration d’un pluralisme des titulaires de la représentation syndicale.

Le Conseil Constitutionnel lorsqu’il a dû analyser le statut de la région de la Corse en 1991, a évoqué trois précédents législatifs en matière de reconnaissance des particularismes locaux -à caractère géographico-administratif et non pas identitaires- : En 1947, pour l’Algérie ; en 1965, pour la ville de Paris ; puis pour Paris, Marseille et Lyon ; ce qui a donné lieu à une sorte de « droit à la différence statutaire » des collectivité territoriales. Le refus de la jurisprudence de confondre l’unité (de l’Etat) avec l’uniformité (des structures administratives) a conduit à la reconnaissance graduelle de l’hétérogénéité institutionnelle ; ce qui peut constituer un précédant important pour la diversité culturelle.

Le 22 août 2002 le Conseil constitutionnel a actualisé le contenu et la portée du principe d’égalité : « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que dans l’un et l’autre cas la différence de traitement qu’en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi que l’établit ».

Or, si « le travail théorique du Conseil constitutionnel a aboutit à introduire le pluralisme dans l’édifice de l’Etat de droit » et si à ce titre, « le pluralisme est promu au rang de critère constitutionnel de la démocratie », Stéphane PIERRE-CAPS en déduit –audacieusement- que la tradition unitaire française est en fait relativement souple et que l’on pourrait considérer la France comme « une République multiple et indivisible ».

Mais l’évolution ne va pas si vite. Le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel sont les gardiens de la tradition juridique française et c’est à ces hauts tribunaux de reconnaître sur le plan juridique l’évolution de l’identité nationale. Pour la jurisprudence, il est hors de question de reconnaître officiellement la diversité culturelle et les particularismes des sociétés sub-nationales sous la modalité de droits collectifs ; reconstitues des sociétés primitives serait –aux yeux de la tradition républicaine- une infériorisation des peuples autochtones et supposerait une régression politiquement inacceptable. Bref, la jurisprudence française sur le pluralisme se circonscrit, pour l’instant, à la diversité d’opinions dans une modernité politique et elle a du mal à incorporer la dimension de la diversité identitaire sous la forme de droits collectifs.

Pour la jurisprudence constitutionnelle française le pluralisme serait un élément politique qui oriente l’interprétation du droit dans un Etat démocratique. Il ne s’agirait pas d’un principe juridique. Le Conseil constitutionnel ne consacre pas le pluralisme juridique au sens large, mais des pluralismes à portée restreinte ; en France le pluralisme se circonscrit à la diversité d’opinions.

Le Conseil constitutionnel essaie autant que faire se peut d’interpréter la Constitution comme formant un tout cohérent et homogène, même si des principes contradictoires cohabitent en son sein. Il a la fonction de maintenir le statu quo et la sécurité juridique, d’un côté, et de répondre prudemment aux changements et aux attentes sociales de notre temps.

Au lieu de se lancer vers un système de pluralisme juridique et de droits collectifs, la jurisprudence française tient compte, au cas par cas, des corps sociaux intermédiaires qui structurent et agissent dans la société. Sans les reconnaître explicitement comme des corps sociaux intermédiaires, pour garder la tradition républicaine qui les confina dans l’espace privé. Une telle discrétion s’harmonise assez bien avec une acceptation pragmatique par la jurisprudence et les autorités administratives d’une espèce de « zone d’ombre » dans l’espace public, là où l’Etat connaît les réalités sociales non reconnues par la Loi ou reléguées dans l’espace privé. Les juges, à leur tour doivent toujours se montrer soumis à la loi, bien que cela n’empêche pas les créations juridiques prétoriennes, comme cela arrive dans toutes les sociétés.

La démocratie oscille en permanence entre la diversité politique et les consensus, l’une des modalités possibles d’unité. Au niveau culturel, la diversité et l’unité du peuple entretiennent un rapport en parallèle où les deux principes opposés deviennent complémentaires. Pareillement, les ordonnancements juridiques des systèmes démocratiques, même s’ils adoptent des théories monistes, ils se procurent des issues pragmatiques vers le pluralisme afin d’échapper aux projets d’homogénéisation culturelle, d’unanimisme ou de totalitarisme politique.

Cela permet une relecture des conflits et tensions suscités par la diversité politique et culturelle : ils traduisent une maturité démocratique permettant la cohabitation de la diversité et le respect d’un seuil d’unité. Quant à l’unité du peuple français, il ne s’agit pas d’une uniformisation ni d’une homogénéisation culturelle sinon que la République a définie un seuil de diversité incluant les axiomes de l’unité, la liberté et la nation française, de telle sorte le pluralisme légitime soit aussi républicain.

Or, la construction de l’Europe annonce une autre version du pluralisme. Déjà la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg est très sensible aux contentieux concernant les droits des minorités. L’avenir dira comment les choses vont se passer.

Section II : l’exception de Nouvelle-Calédonie.

Les mélanésiens n’ont accédé à la citoyenneté française qu’en 1946. Désormais, la Nouvelle-Calédonie a été l’objet de plusieurs réaménagements du pouvoir colonial et des tentatives d’indépendance ; une série de 8 statuts, plus ou moins autonomistes ou centralisateurs, ont précédé le régime actuellement en vigueur. Lors d’une crise autonomiste en février 1985 M. Duverger a comparé les plans D. Ukeiwé / E. Pisani pour la Nouvelle-Calédonie en concluant que : « Tout est bloqué parce que les uns s’obstinent à baptiser « autonomie dans la République » ce que les autres appellent « indépendance- association ». C’est une nouvelle querelle du nominalisme en quelque sorte.

Pour les indépendantistes, la souveraineté était une question de principe qui pouvait, dans un premier temps, se satisfaire d’une réponse de principe ; la Front de Libération Nationale Kanake et Socialiste a voulu que la souveraineté Kanake fût officiellement reconnue sur la Nouvelle-Calédonie sans que les instruments de cette souveraineté fussent totalement et immédiatement alloués. Inversement, pour le RPCR, être français, c’était avoir la garantie de conserver un niveau de vie plus qu’un sentiment d’appartenance. Les négociations entre les deux points de vues ont abouti à ce que l’Accord de Nouméa de 1998 utilise l’expression “souveraineté partagée” en parlant de la participation des peuples autochtones et de l’autonomie que l’Etat leur accorde pourtant il ne s’agit pas de la souveraineté en tant qu’attribut de la suprématie politique de l’Etat. C’est dans un sens dérivé de la souveraineté que la participation dans les actes du pouvoir suprême reçoit le qualificatif de souverain ; cela concerne la structure organique, l’exercice des compétences et le fonctionnement de l’Etat.

L’Accord de Nouméa et de Matignon de 1998 a marqué le tournant vers une nouvelle reconnaissance juridique de l’identité culturelle du peuple Kanak ; un tournant qui a été préparé par la mise en place des juridictions coutumières en Nouvelle-Calédonie et par la ré-interprétation de l’article 75 de la Constitution.

Le caractère de peuple d’outre-mer et l’application du droit coutumier signifient que l’Etat français a accepté une exception aux principes de l’unité du peuple et de l’unité normative. La mise en place de telles exceptions s’explique parce que la France semble disposée, le cas échéant, à aller jusqu’à la création d’un Etat indépendant, bien que les parlementaires calédoniens le refusent ; lors du débat de la révision constitutionnelle de 1998 le sénateur calédonien Simon LOUECKHOTE a exprimé que « La proposition visant à intégrer ces dispositions dans le corps même de la Constitution va au-delà de l’argument juridique. Elle confirme notre volonté de demeurer au sein de la République. ».

Aujourd’hui, les 60.000 Kanaks gardent une forte unité culturelle malgré la diversité des 28 langues autochtones. Il existet huit aires coutumières comprenant, chacune, sa propre coutume. La “cohabitation” entre ces différents systèmes juridiques et de valeurs n’est pas toujours évidente ni facile, puisqu’il y a toujours le risque de lancer un processus d'acculturation.

La disposition à accorder l’indépendance à la Nouvelle-Calédonie n’est pas toujours nette, comme le montre la réponse officielle du Représentant permanent de la France au Secrétaire Général des Nations Unies lorsque les pays du Forum du pacifique Sud ont proposé en 1987 à l’ONU « un acte d’autodétermination dont le résultat serait déterminé à l’avance par une restriction du droit de vote sur de bases essentiellement raciales. (…), invoquant notamment la primauté des « droits innés et actifs de la population autochtone », c’est à dire, dans leur esprit, de la seule population d’origine mélanésienne. (…) La thèse réservant le droit de vote à une fraction de la population, notamment sur une base ethnique, est évidemment inacceptable ». La réponse de la France a été très claire dans le sens de ne pas permettre un détournement de la démocratie en bénéfice d’une minorité ethnique. Cela a évité que l’avenir des calédoniens soit décidé par la minorité Kanak.

§ 1 : la Constitution de la Vème République.

La Constitution de la Vème République, modifiée à plusieurs reprises, met à la disposition du législateur un large éventail de régimes possibles pour les Territoires d’Outre-Mer, qui vont de la simple décentralisation à l’éventuelle sécession, en passant par de régimes d’autonomie.

L’article 53 de la Constitution permet de dégager une procédure qui peut aboutir à l’autodétermination des TOM. Il s’agit d’une procédure de sécession dont la mise en œuvre a deux phases : d’abord, la consultation des populations intéressées débouchant sur un résultat positif ; puis le vote d’une loi par le parlement prenant acte de ce résultat et prononçant la sécession par le transfert des compétences. Ce qui n’est pas exactement un droit à l’autodétermination ; sinon un droit à se prononcer pour l’autodétermination, soumis à des procédures et à une compétence d’initiative restreinte. Seul le Gouvernement de la République a la compétence pour convoquer la consultation, ce qui conditionne le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », un élément du droit international transposé en droit interne français.

L’article 73 établi pour les régions et les Départements d’Outre Mer, DOM le droit commun des collectivités territoriales avec des adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières ; ce qui les situe en dehors des principes d’uniformité et d’égalité des régimes.

L’article 74 impose au législateur un traitement spécifique pour chaque Territoire d’Outre-Mer, TOM tenant compte de leurs intérêts propres, ce qui peut aller de la « spécialité législative» à l’autonomie. De la sorte, les Territoires d’Outre-Mer sont, parmi les collectivités territoriales de la République, celles qui bénéficient de la plus large autonomie. Selon l’interprétation de l’article 74, faite par le Conseil Constitutionnel, les statuts des Territoires d’Outre-Mer peuvent faire exception aux articles 34 et 37 de la Constitution, ce qui permet inclure dans les compétences statutaires des matières qui en métropole relèvent de la loi. Pourtant l’assemblée territoriale ne détient formellement aucun pouvoir législatif ; elle est un organe administratif qui intervient dans des matières législatives, justiciables du juge administrati.

En effet, les quatre anciens territoires d’outre-mer devenus des collectivités d’outre mer ont des statuts assez différents :
la Polynésie française est le seul territoire doté d’un statut d’autonomie ;
à Wallis-et-Futuna, l’exécutif territorial est le représentant de l’Etat ;
la Nouvelle-Calédonie bénéficie d’un statut assez autonome et de la reconnaissance du peuple autochtone Kanake ;
les terres australes et antarctiques, où il n’y a aucune population permanente, sont soumises à une centralisation absolue ;

L’île de Mayotte constitue la seule et notable exception qui dispose de longue date de juridictions cadiales aptes à dire un droit local indissolublement lié à la confession musulmane. La constitution de la Vème République a reconnu un “statut de droit local” à Mayotte, qui comprend des règles à la fois coutumières et des règles résultant du rite Chaféite (l’un des quatre rites sunnites) exprimées dans un recueil intitulé Minhadj attwalibine ou Guide des zélés croyants.

Un particularisme remarquable du régime français est la participation des Territoires d’Outre-Mer dans les accords internationaux qui les concernent ; le statut de maintes TOM prévoi que le président du territoire soit « associé et participe au sein de la délégation française aux négociations des accords » intéressant les domaines de compétence du territoire.

L’article 75 de la Constitution est une norme à facettes multiples : « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé. » Chaque époque a donné son interprétation de ce texte, d’abord, pour affirmer un projet d’assimilation puis comme le rempart contre celle-ci en traduisant un droit à la différence. Les deux approches politiques opposées, assimilationniste et identitaire, éclairent et soulignent la plasticité de l’article 75 de la Constitution.

Cet article a repris les termes de l’article 82 de la Constitution de 1946, une norme typiquement coloniale destinée à favoriser l’émancipation individuelle des populations mélanésiennes : « Les citoyens qui n’ont pas le statut civil français conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé. Ce statut ne peut en aucun cas constituer un motif pour refuser ou limiter les droits, et libertés, attachés à la qualité de citoyen français.” De la sorte les Kanaks ont eu à leur disposition deux statuts, le statut coutumier étant sensé disparaître par la dynamique de la civilisation qui imposerait l’autre statut, celui de droit commun.

La Constitution de la Vème République avait accordé le statut coutumier en faveur des Kanaks tout en faisant confiance, sur le long terme, à l'évolution des mœurs et au progrès social, « la notion de statut local devrait disparaître pour laisser place à une complète application de la loi de la République partout en France”. Personne ne s’est inquiété du fait que la porte restât ouverte aux autochtones pour revenir vers le statut coutumier et la Nouvelle-Calédonie a été le seul territoire qui ait eu un nombre relativement significatif de renonciations au statut personnel. Pourtant les choses ne se sont pas passées comme prévu et une évolution judiciaire et jurisprudentielle a renversé le sens originaire et conduit à une mutation matérielle de l’article 75 de la Constitution.

L'ordonnance N° 82-877 du 15 octobre 1982 a créé les assesseurs coutumiers de la juridiction civile, qui ont permis d’hybrider le droit coutumier avec le droit étatique. Au début, il s’agissait d’une approche simplifiée et approximative des différences culturelles mais cette transformation a produit un phénomène de juridiction inter-culturelle où le juge civil lui-même était le garant du dualisme juridique ; de ce fait le pouvoir des juges s’est considérablement élargi puisqu’ils n'étaient pas seulement chargés d’appliquer le droit commun et le droit coutumier, mais aussi de trouver l’équilibre satisfaisant entre principes contradictoires, ce qui est le trait caractéristique d’une juridiction interculturelle. La pratique judiciaire a fait qu’au fil des années le droit civil français acquiert le caractère de « droit supplétif » pour les Kanaks, auquel on a recours en cas de silence de la coutume.

La loi n° 89-378 du 13 juin 1989 a ouvert les juridictions pénales aux particularismes culturels en créant des assesseurs représentant la société civile. Deux sections détachées du Tribunal de Nouméa, l’une à Koné dans la province du Nord et l’autre à Lifou dans la province des Îles, ont eu une composition mixte : en première instance, un magistrat de l’Etat et deux assesseurs coutumiers ; en appel, trois magistrats de l’Etat et deux assesseurs coutumiers. La “médiation pénale coutumière” a relancé le débat sur l’admissibilité de modes communautaires de règlement des conflits. De telles reconnaissances de l'altérité juridique et culturelle se heurtaient au principe typiquement français de l'unité du droit pénal. Ainsi un nouveau pas a été franchi vers la prise en compte d’un ordre public communautaire dans l’accord de Nouméa.

La mise en place de juridictions coutumières à partir de 1990 traduit un nouveau projet social et politique, qui rompait avec la politique assimilationniste d’antan. Les juges de l’Etat ont profité de la dualité juridique, présente dans l’article 75, pour élargir la portée des juridictions grâce aux assesseurs coutumiers ; ce qui a introduit l’approche culturelle dans les analyses jurisprudentielles. L’objectif de cette espèce de « juridiction inter-culturelle » était ambigu puisque les assesseurs coutumiers ont permis d’élargir le contrôle judiciaire sur les rapports intracommunautaires. Les juges adoptaient des décisions pragmatiques sans trop se soucier de la théorie du droit français. En même temps, le droit coutumier a commencé à être mis en oeuvre, grâce à trois techniques jurisprudentielles à savoir :

- La déclaration d’incompétence ratione personae. Face à l’impossibilité de connaître et de mettre en œuvre le droit traditionnel, les juges de l’Etat ont dû éviter le déni de justice et reconnaître les juridictions coutumières.

- L’option tacite de législation. Les juges de l’Etat ont reconnu aux mélanésiens une faculté générale de choisir leur juge et leur droit tant que l’autre partie ne soulève pas l’exception d’incompétence de la juridiction de l’Etat.

- Le recours abusif à l’abandon du statut particulier. Les juges de l’Etat ont intervenu pour éviter que le renonçant soit chassé de sa tribu et dépouillé de tous ses biens pour avoir commis un acte perçu comme attentatoire contre les valeurs et allégeances traditionnelles.

Entre 1989 et 1999 la jurisprudence calédonienne avait fait un rééquilibrage entre les deux statuts, un individu Kanak pouvait perdre le statut de droit commun au profit du statut de droit particulier. En contredisant les termes de la Constitution, qui faisait de l’abandon unilatéral du statut particulier l’expression d’un choix individuel irréversible, la jurisprudence calédonienne avait décidé de lier le statut personnel à l’état de la personne, dont il ne devait être qu’un élément. L’identité culturelle fut introduite dans les catégories juridiques comme un élément de l’état de la personne, une notion proche de l’état civil. La jurisprudence avait créé une sorte de statut personnel souple.

L’individu Kanak avait intérêt à éviter quelques effets du statut de droit commun qui, sous couvert de lui apporter la liberté individuelle, annihilerait ses droits patrimoniaux au sein de sa société d’origine et lui ôterait le soutien d’une solidarité clanique encore vivace. Ainsi, le statut de droit commun, formellement acquis fut vidé de son contenu et la jurisprudence a reconnu la survivance du statut coutumier.

Un cas illustratif de cette ambiguïté et de l’hybridation des statuts juridiques étatique et Kanak dans les années 1990 fut la judicialisation des violences domestiques contre les femmes kanakes, ce qui a marqué un tournant juridique important traduisant l’évolution sociale et culturelle du monde kanak. Il arrivait que les femmes Kanakes ayant fait l’option du droit commun pour échapper à la violence des maris, pères et frères, fussent exclues de la société Kanake sans être pleinement intégrées à la société occidentale. La solution a été de garder la duplicité de statuts et de mélanger des éléments de l’un et de l’autre. Le droit coutumier fut partiellement abandonné, quant à la violence domestique, pour affirmer la partie du statut de droit commun concernant l’égalité des droits des hommes et des femmes conformément au droit et aux valeurs de la République. La nouvelle situation d’hybridation a gardé les droits des femmes Kanakes à caractère familial et patrimonial selon le statut coutumier.

Un autre cas d’ambiguïté et de mélange des statuts de droit commun et coutumier fut celui des enfants nés des parents ayant chacun un régime différent. La situation des métis appartenant de fait aux deux univers culturels a donné lieu à des hybridations juridiques qui empruntaient des éléments aux deux régimes pour gérer juridiquement le basculement graduel vers l’une ou l’autre culture.

Cette évolution jurisprudentielle peut s’analyser aussi en termes de l’égalité des régimes de droit commun et Kanak. Une transformation majeure s’est produite en deux moments : d’abord, lorsque la supériorité du régime de droit commun ne fut plus universellement appliquée ; puis la jurisprudence calédonienne a glissé dans les années 1980 vers l’égalité des statuts civil et coutumier. Deuxièmement, la Cour de Cassation de Paris a transposé en 1991 le principe d’égalité entre les individus en l’égalité entre les ordonnancements juridiques. Au niveau des principes juridiques cela a ouvert la possibilité de mettre entre parenthèse la rigueur du droit moniste pour permettre un certain pluralisme juridique.

Le point de départ a été l’abandon de la position jurisprudentielle du Conseil d’Etat de 1983 sur l’irréversibilité de l’option faite par un citoyen de statut particulier en faveur du droit commun ; le Conseil d’Etat prévoyait implicitement l’extinction des régimes coutumiers et il ne s’attendait pas que quelqu’un ait l’intérêt de faire marche arrière vers un régime de droit particulier. L’individu Kanak qui choisissait le régime de droit commun adhérait définitivement aux libertés individuelles et à l’égalité citoyenne. D’autre part, il y avait des raisons de sécurité juridique pour imposer l’irréversibilité de statut.

La Cour d’appel de Nouméa a affirmé dans plusieurs arrêts la non primauté d’un statut sur l’autre. Ce qui a permis que l’option du droit commun devienne réversible s’agissant des mineurs issus d’un mariage mixte ou de parents de statut particulier, le critère décisif étant la capacité juridique du choix à la majorité d’âge de l’enfant. A cette première atteinte au principe de l’irréversibilité du choix au nom de la non primauté d’un statut sur l’autre, s’est ajoutée progressivement une seconde transformation sans consécration explicite, le fait de la divisibilité du statut personnel ; selon ses activités, le citoyen de statut particulier pouvait relever soit du droit commun, soit du statut particulier. La divisibilité du statut était inévitable dans les enjeux complexes et lorsque les juges ont admis une telle concession cela a mis en danger la sécurité juridique.

Le basculement s’est produit avec l’arrêt Gnibekan contre Kate du 6 février 1991 lorsque la Cour de Cassation a admis implicitement l’égalité de statut, ce qui a remis en cause le caractère univoque du changement de statut et a ouvert la possibilité d’un retour ou d’une accession au statut coutumier. La vérité sociologique devait désormais prévaloir dans le choix du statut.

Quel a été le contenu de l’arrêt Gnibekan contre Kate ? La Cour de Cassation a accepté que le changement de statut personnel n’ait pas d’influence sur le droit applicable en deux hypothèses : premièrement, lorsque l’une des parties demeure de statut coutumier et que l’autre a renoncé à celui-ci, le juge français se trouvant contraint d’appliquer la coutume. Deuxièmement, lorsque des citoyens de statut coutumier demandent au juge français de leur appliquer le droit commun.

Dans la dernière hypothèse la Cour de Cassation a admis que les Kanaks puissent renoncer expressément à la présence des assesseurs coutumiers siégeant aux côtés du juge français dans les sections détachées du Tribunal de Nouméa, composées par un juge français et deux assesseurs coutumiers puisque « ces règles ont trait non à la compétence mais à la composition du tribunal », ce qui empêche les justiciables de choisir la loi directement. Pourtant le choix de la composition du tribunal équivaut dans la pratique à choisir la loi applicable, par une voie indirecte.

Le principe reste intangible, chaque citoyen reste soumis à la loi que lui assigne son statut ; mais les ambiguïtés surgissent de deux circonstances : d’abord la réversibilité, les Kanaks peuvent adopter le droit commun et revenir au droit coutumier ; d’autre part, l’un ou l’autre des statuts leur serait applicable par les sections détachées du Tribunal de Nouméa : avec les assesseurs coutumiers, le droit coutumier ; et sans eux, le droit commun. La compétence n’est pas mise en question, seulement la composition du tribunal, et de ce fait le droit applicable serait le droit coutumier ou le droit commun. Cela conduit à l’interchangeabilité des statuts en termes pratiques.

On peut affirmer qu’à ce moment-là la jurisprudence française, soucieuse de trouver une sortie pragmatique, a ouvert inconsciemment ses portes au pluralisme juridique fondé sur le diversité culturelle. Tout a commencé par l’acceptation de la non supériorité du statut de droit commun sur le statut coutumier puis, du fait de n’être plus infériorisé il n’y a qu’un pas vers l’égalité des statuts. La nouveauté de ce tournant jurisprudentiel a été la reconnaissance de l’égalité entre les deux statuts, un trait essentiel du pluralisme juridique revendiqué par les peuples autochtones.

Néanmoins, la portée de l’arrêt Gnibekan contre Kate de la Cour de Cassation de 1991 ne va pas au-delà du cas concret pour lequel la décision judiciaire a été prise, ni au delà du cadre des territoires périphériques d’Outre-Mer. Il ne s’agit aucunement d’un abandon de l’universalisme égalitaire pourtant ce revirement jurisprudentiel a ouvert la voie pour que les constituants et les législateurs aillent plus loin dans l’accord de Matignon et de Nouméa de 1998 lorsqu’ils ont adopté le régime spécial pour la Nouvelle-Calédonie et le pluralisme juridique pour le peuple Kanak.


§ 2 : l’accord de Nouméa et la révision constitutionnelle de 1998.

L’Accord de Nouméa et de Matignon de 1998 a bouleversé bien des principes du droit public français. Puis la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 a rétabli un titre XIII intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ». Le régime particulier de la Nouvelle-Calédonie a été ré-élaboré selon une perspective de discrimination positive, géographique et culturelle. Le conseiller d’Etat Marcel Pochard l’a exprimé assez clairement dès qu’il a commandé le rapport F. MELIN-SOUCRAMANIEN sur les discriminations positives territoriales.

Il convient de distinguer les spécificités géographiques des spécificités culturelles dans cette perspective de discrimination positive : les premières favorisent la Nouvelle-Calédonie dans son ensemble tandis que les dernières favorisent les Kanaks en ce qui concerne le statut civil des personnes, l’application du droit coutumier et la sujétion aux autorités traditionnelles du peuple Kanak. L’Etat français reconnaît le droit coutumier, qui inclut des lois qui n’émanent pas des représentants de la volonté générale. Bien entendu, depuis 1946 Calédoniens et Kanaks ont la citoyenneté française et reconnaissent les institutions et les autorités de la République Française.

Le régime législatif et administratif spécial de la Nouvelle-Calédonie a pour fondement des critères géographiques ; à son intérieur les particularismes juridiques du peuple Kanake ont été reconnus afin de préserver leur identité culturelle sans l’isoler du contexte calédonien. Le pouvoir constituant a créée en 1998 une citoyenneté préférentielle dans une communauté de destin, conformément à l’Accord de Nouméa et de Matignon. Jean-Yves FABERON explique que la citoyenneté calédonienne complète la citoyenneté française sans la remplacer ; ce qui garde une certaine analogie avec l’article 17 du Traité de la Communauté Européenne, « la citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ».

Il y a de grandes différences entre le statut coutumier des Kanaks et le régime de droit commun calédonien, qui constitue une spécialité géographique de l’ordre juridique de l’Etat français pourtant les équivoques sont nombreux dans l’Accord de Nouméa, la révision constitutionnelle, la Loi organique et la pratique institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, entre le régime législatif et administratif spéciale de ce Territoire d’Outre-Mer et la reconnaissance du statut coutumier des Kanakes.

Le régime particulier d’autonomie de la Nouvelle-Calédonie contient deux types de mesures de protection externe : d’abord, pour les institutions et la population calédonienne face aux possibles excès de la France métropolitaine ; ensuite en faveur du peuple Kanak face aux ingérences des calédoniens. Les deux régimes assurent les rapports des Calédoniens et des Kanaks avec les autorités françaises et calédoniennes, respectivement.

Le préambule de l’Accord de Nouméa de 1998 ne manque pas de culpabiliser l’Etat sous une perspective identitaire, par la colonisation qui « a porté attente à la dignité du peuple kanake qu’elle a privé de son identité (…) il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes ». D’après ce texte politique de « repentance » de l’Etat, la communauté Kanake a le droit à obtenir réparation de l’humiliation historique qu’il a subie. Un tel critère de réparer des fautes historiques, guide l’interprétation des normes en faveur des Kanaks et, par extension (pas très claire), en faveur de tous les Calédoniens.

Les leaders politiques calédoniens préfèrent assurer un haut niveau de vie pour la population et, pour cela, ils ont voulu renforcer les liens politiques et juridiques avec la France, grâce au statut spécial de collectivité territoriale et aux transferts du budget de la métropole. On pourrait craindre que des mesures favorables à la population de la Nouvelle-Calédonie, comme les sur-rémunérations des fonctionnaires et la préférence calédonienne dans les recrutements publics, attirent la population mélanésienne vers le secteur public et que d’autres dispositifs comme les versements du budget de l’Etat deviennent des instruments pour la captation politique du peuple autochtone Kanak.

La France étant un Etat providence riche et sensible aux demandes sociales accorde généreusement des avantages et des subventions aux Kanaks et aux Calédoniens. Ce qui fait que les luttes identitaires du peuple Kanak n’ont pas les accents dramatiques des revendications économiques des peuples autochtones dans les pays en développement.

La société Kanak est organisée hiérarchiquement autour de la grande chefferie. Le grand chef est à la tête du Conseil où chaque autorité coutumière ou clanique a une fonction précise. Les aînés et les cadets, les hommes et les femmes ont des statuts sociaux différents et, par exemple, la hiérarchie entre les sexes suffit à justifier les comportements domestiques violents.

La spiritualité des sociétés kanakes reconnaît un pouvoir surnaturel qui trouve ses racines dans le monde invisible du mythe et de l’esprit des ancêtres. Ainsi, pour des affaires comme une sécheresse prolongée ou une période cyclonique, le grand chef consulte un conseiller particulier réputé pour ses pouvoirs magiques de faire venir le soleil ou la pluie, selon les circonstances

L’ordre juridique français n’est pas fondé sur le mythe de l’esprit des ancêtres ni sur le principe de hiérarchie des sociétés kanakes, ce qui implique l’absence corrélative de principe d’égalité. Les ponts entre la culture kanake et la culture française existent parce que la colonisation a déstructuré les mythes, les us et coutumes, et les fondements socio-politiques de la société Kanake traditionnelle. Le préambule de l’accord de Nouméa se borne à exprimer les regrets de la puissance colonisatrice sans pouvoir faire marche arrière dans l’histoire.

Les juges se trouvent encore en Nouvelle-Calédonie face à des différences frappantes entre le droit commun français et le droit coutumier, qu’ils doivent surmonter : les peines de réprimande et de bastonnade publiques sont contraires au droit pénal français. Chez les Kanaks l’application de la Convention européenne des Droits de l’Homme n’est pas envisageable en raison du fondement culturel avec lequel le droit commun doit composer. Les fautes sont perçues chez les kanaks comme lésant un groupe, un équilibre social. Par exemple, la sanction d’un viol s’applique à la totalité des jeunes d’une localité donnée, garçons et filles, y compris la victime. En droit pénal français la responsabilité est individuelle. Les fondements mêmes du droit commun français sont parfois contradictoires avec la culture kanake ; ainsi le principe de la responsabilité individuelle s’efface devant l’importance du groupe et du clan. Le mariage est un exemple particulièrement topique ; dans les sociétés mélanésiennes, le mariage est encore célébré selon le droit coutumier et il est simplement déclaré devant l’officier de l’état civil. De même, la dissolution du mariage ne repose pas sur l’intervention des autorités officielles, mais sur la réunion des clans qui restent compétents pour défaire l’union qu’ils ont conclue.

L’ambiguïté a toujours caractérisé l’article 75 de la Constitution de 1958, dérogatoire du principe d’indisponibilité de l’état des personnes. Il proclamait indirectement un droit à l’altérité qui a été finalement mis en œuvre d’une façon imprévue : l’individu ne s’est pas émancipé par rapport à son groupe mais c’est la communauté Kanake dont la situation minoritaire fut soulignée, qui a affirmé son autonomie par rapport à la société majoritaire ; et l’Etat a cessé de considérer que le statut coutumier était en voie d’extinction, permettant le passage des Kanaks du statut civil vers le statut coutumier. Un tel renversement de sens s’est réalisé dans les années 1980 et 1990 lorsque les acteurs politiques ont changé l’objectif d’instaurer plus de liberté et d’égalité, conçues à la façon occidentale, pour l’affirmation de la singularité culturelle mélanésienne et une résistance à l’assimilation.

Le destin inattendu de l’article 75 constitue une mutation matérielle de la Constitution suite au mouvement identitaire dans les îles du Pacifique. La République ayant pris acte de l’échec de sa politique d’assimilation, a opéré une transformation de l’article constitutionnel en vertu de la loi organique de 1999, laquelle n’est pas un développement de la norme constitutionnelle.

§ 3 : la loi organique de 1999.

La loi organique du 19 mars 1999 reconnaît juridiquement l’existence du peuple calédonien et du peuple Kanak et prévoie des mécanismes institutionnels pour gérer les recompositions identitaires entre Calédoniens et Kanaks dont les rapports sont actuellement soumis aux tensions dérivées du fait que la Nouvelle-Calédonie, en plein processus de nation building est en train d’intégrer des immigrants ; ce qui crée un climat propice pour la mobilité sociale et l’intensification des échanges entre les Kanaks et calédoniens (descendants d’immigrants ou immigrants récents). Dans ces circonstances, la fermeture du peuple autochtone Kanak dans ses traditions ne semble plus possible ni souhaitable, d’où l’adoption des schémas ouverts et souples de protection en faveur du peuple Kanak tenant compte du contexte multiculturel de la Nouvelle-Calédonie.

La plupart des normes de la Loi organique de 1999 concernent le régime territorial de la Nouvelle-Calédonie ; les autochtones n’y ont été concernés qu’en quatre points : la reconnaissance du peuple Kanak, des autorités coutumières et du statut civil Kanak, et la création du Sénat coutumier.

L’autonomie régionale du département de la Nouvelle Calédonie, d’une part, et la reconnaissance juridique de la diversité culturelle des Kanaks, d’autre part, sont à l’origine de deux régimes différents.   Deux régimes strictement régionaux, le droit calédonien et le droit Kanake donnent lieu, dans la périphérie de l’Etat français, à des phénomènes de pluralisme juridique qui seraient inimaginables en France métropolitaine.

Le département de la Nouvelle-Calédonie bénéficie de 32 transferts de compétences, énumérés dans l’article 22 de la loi organique, parmi lesquels la fiscalité calédonienne, le droit du travail et syndical, l’accès au travail des étrangers et des « autres Français », la protection sociale, le statut civil coutumier, la fonction publique locale, la réglementation des professions libérales et commerciales, le droit des assurances, la procédure civile, la réglementation des marchés publics et des délégations de service public, le droit d’urbanisme et l’enseignement primaire.

Une des institutions politiques hybridées entre le droit public français et le droit coutumier est le pouvoir législatif, où à côté du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, le Sénat coutumier a une compétence législative purement consultative et limitée aux affaires relatives à la coutume et à l’identité Kanak. Le Sénat coutumier sert comme point d’articulation entre la culture Kanake et les autorités du département de la Nouvelle-Calédonie. Il n’est pas le législateur Kanak mais une instance qui participe dans la procédure législative du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, composé de 54 membres issus des assemblées de province, est élu pour cinq ans et désigne, à la proportionnelle, un gouvernement collégial responsable devant lui, dont le président est lui-même élu au scrutin majoritaire par ce gouvernement. Le Congrès calédonien adopte des « lois de pays » sur douze matières énumérées par l’article 99 de la Loi Organique ; ces lois sont susceptibles d’être déférées au Conseil Constitutionnel avant leur promulgation par le haut-commissaire de la République, le gouvernement, le président du Congrès, le président d’une assemblée de province, et un tiers des membres du Congrès calédonien.

Le Sénat coutumier a 16 membres désignés par chaque conseil coutumier selon la coutume, à raison de deux membres par aire coutumière. Les huit aires coutumières sont considérées comme des institutions de proximités des districts coutumiers Kanaks. Les compétences que la loi organique du 19 mars 1999 attribue au Sénat coutumier concernent « Tout projet ou proposition de loi du pays relatifs aux signes identitaires, au statut civil coutumier, au régime des terres coutumières, aux limites des aires coutumières ainsi qu’aux modalités d’élection du Sénat coutumier ». Le président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie doit transmettre au Sénat coutumier tout projet sur ces matières.

Quant à la pratique institutionnelle, dans l’année 2001 le Sénat coutumier a formulé un avis sur le projet de loi du pays relatif au domaine public maritime ; et a abordé d’autres thèmes comme l’Académie des langues Kanak, le fond de garantie des terres coutumières, le procès verbal de palabre, le statut civil coutumier et la médiation pénale. Jusqu’à présent il n’y a eu aucun conflit de compétence entre le Congrès de la Nouvelle Calédonie et le Sénat coutumier.

La révision constitutionnelle et la loi organique de 1999 ont permis aux Kanaks ayant passé au statut de droit commun le retour au statut coutumier ; toujours sous le contrôle des juges de l’Etat. Aujourd’hui, les Kanaks ayant abandonné le statut coutumier peuvent le récupérer partiellement ou totalement. Cela donne pour les femmes Kanakes un régime hybride qui leur assure la protection du droit commun sans qu’elles abandonnent leur communauté Kanake.

Mais la réversibilité du statut civil a ouvert un passage vers l’inter-changeabilité des statuts. Du fait de cohabiter ensemble le droit commun et le droit coutumier se sont ouverts tous les deux, en relâchant leur contrainte sur l’individu. En Nouvelle-Calédonie l’altérité juridique s’est consolidée avec les articles 13 et 15 de la loi organique de 1999.

L’article 13 alinéa 1 permet le retour au statut coutumier :

“Toute personne ayant eu le statut civil coutumier et qui, pour quelque cause que ce soit, a le statut civil de droit commun, peut renoncer à ce statut au profit du statut civil coutumier...”.

Article 15 : - “Toute personne a le droit d'agir pour faire déclarer qu'elle a ou qu'elle n'a point le statut civil coutumier”.

Ces deux articles ont tiré la conséquence qui s’imposait du principe d’égalité des deux statuts et ont transformé l’altérité juridique en interchangeabilité de statut, conformément au choix des individus concernés et selon leurs stratégies. Permettre à l’individu le choix entre deux statuts, transforme la sujétion hiérarchique à l’ordonnancement juridique en une interchangeabilité de plusieurs ordonnancements, ce qui défie la fermeté des liens juridiques et porte atteinte à la sécurité juridique, bien que les individus Kanaks agissent toujours sous le contrôle du juge étatique.

Le régime français a réussi à aménager autrement en Nouvelle-Calédonie l’unité juridique pour s’adapter à la diversité culturelle du peuple Kanak. Le monisme juridique vaut rigoureusement pour la France métropolitaine mais en Nouvelle-Calédonie on trouve que le pluralisme juridique mis en place oblige à raisonner autrement.

De telles incohérences permises par le constituant et le législateur, la jurisprudence s’occupe de les résoudre pour que les Kanaks reviennent sur le bon chemin de l’ordre juridique français. Sauf si la doctrine juridique s’attache à construire une théorie du pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle et qui soit compatible avec la tradition juridique française. On y perçoit comment entre le monisme et le pluralisme juridique il y a des choix intellectuels à faire.

Accepter comme normal l’interchangeabilité juridique brise le principe de l’appartenance unique du citoyen à l’Etat national. Lorsque cette logique d’appartenances multiples et d’Etat multinational s’est instauré dans la société Kanak, les recompositions identitaires et la pluralité d’appartenances peuvent être gérées grâce au pluralisme juridique mis en place par la Loi organique du 19 mars 1999.

Le pluralisme juridique instauré en Nouvelle-Calédonie en faveur des Kanaks relâche les rapports hiérarchiques entre l’individu et l’ordonnancement. La sujétion unique et exclusive est dissout -jusqu’à un certain point- au profit d’un nouvel espace de liberté juridique où l’individu peut choisir l’ordonnancement auquel il veut se soumettre, sans tomber non plus dans le vide juridique. L’individu peut changer d’ordonnancement et adapter le droit, au gré de ses changements d’appartenance sans se couper, à aucun moment, de tout ordonnancement.

La duplicité de régimes laisse des espaces libres que les individus remplissent à leur gré ; ce qui préfigure un modèle communautaire où l’ordonnancement juridique serait librement négocié. Les Kanaks jouissent d’un véritable pluralisme juridique où le fonctionnement de la duplicité des statuts permet l’élaboration d’un droit personnel, voire « à la carte » selon les attentes des populations.

L’Etat n’a pas disparu et il n’est pas absent non plus. Le pluralisme juridique a, certes, semé une ambiguïté permettant à l’individu une marge de manœuvre pour se situer par rapport aux divers groupes mais l’Etat est toujours présent avec ses juges pour surveiller l’interchangeabilité des statuts et gérer les recompositions identitaires dans une perspective multiculturelle. Le défi pour les valeurs républicaines consiste à concilier le respect de l’égalité des individus et leur quête identitaire.

Imposer le droit commun aux Kanaks en niant leur identité culturelle serait ressenti comme un nouvel avatar du colonialisme d’antan. Il n’y a pas de procédure évidente pour concilier les règles coutumières et le droit commun ; la Cour d'appel a précisé, en 2000, la nécessité de procéder en deux temps, en rendant dans un premier temps, une décision sur le droit avant de statuer sur le fond.

Chapitre V

LES TRAITES HISTORIQUES ET LES ACCORDS CONTEMPORAINS



Section I : la position de l’ONU face aux traités historiques

Le droit international et la communauté internationale n’ont jamais ignoré l’existence des peuples autochtones et des minorités nationales à l’intérieur des Etats. A l’époque du Ius Gentium, les Etats concluaient des accords avec ces minorités mais ce n’est plus le cas au XXème siècle depuis que la Société des Nations et l’ONU ont cantonné les minorités dans des instances et forums où ils peuvent s’exprimer, présenter des suggestions et formuler des propositions mais sans pouvoir adopter des normes juridiques internationales.

En 1924, le chef Iroquois Deskaheh et une partie de son peuple ont tenté, sans succès, auprès de la Société des Nations et de la Cour internationale de Justice à Genève d’obtenir l’application par le Canada des accords historiques conclus entre les Iroquois et l’Angleterre. Puis deux études juridiques furent présentées à la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités au sein du Conseil Economique et Social de l’ONU. Le premier rapport a été écrit par l’équatorien José Ramon MARTINEZ COBO en 1986 et s’intitule « Etude du problème de la discrimination envers les populations autochtones » ; il correspond à la période antérieure à la Convention n° 169 de 1989 qui a mis fin au paradigme assimilationiste. Le second rapport de 1999 est l’œuvre du cubain Miguel Alfonso MARTINEZ et s’intitule « Etude des traités, accords et autres arrangement constructifs entre les Etats et les populations autochtones ».

§1 : le rapport Martinez

Le 22 juin 1999 fut rendu publique l’étude du rapporteur spécial Miguel Alfonso MARTINEZ sur les traités, accords et autres arrangement constructifs entre les Etats et les populations autochtones au sein de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU. S’agissant d’une étude dont la finalité a été de contribuer au reviviscence de la reconnaissance des peuples autochtones et qui devait être débattue par le groupe de travail sur les minorités et les populations autochtones puis par une instance politique, la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, le rapport adopte deux formules quant à la nature juridique des Traités conclues par les autochtones : ils gardent formellement le statut international qu’ils ont eu à l’époque du Ius Gentium mais de nos jours ils seraient soumis aux juges étatiques et non aux juges internationaux. D’autre part, l’étude remet en cause l’hégémonie du droit positif pour composer avec la pluralité d’ordonnancements juridiques autochtones.

L’ONU met en relief que les traités historiques furent conclus dans un contexte social, politique et scientifique datant de plusieurs siècles. D’où le dépassement de la souveraineté que les peuples autochtones ont eu à l’époque du Ius Gentium et qui leur était reconnue par les européens avec les implications juridiques de jadis, si différentes des notions contemporaines plus restreintes de « auto-administration », « autonomie », « nation » et « partenariat » qu’habituellement on applique aux peuples autochtones à l’intérieur des Etats.

Le ius gentium se constitue en discipline juridique autonome au début du XIXème siècle avec le concours des diverses traditions européennes et non européennes. A cette époque, le ius gentium s’est occidentalisé et a abandonné sa tradition universaliste séculière fondé sur la doctrine du droit naturel. Les spécialistes situent le ius gentium dans un cadre temporel précis, allant de l’époque des découvertes de l’Amérique jusqu’aux premières décennies du XIXème siècle.

Le résultat des transformations au cours de l’histoire a été la privation des peuples autochtones, ou du moins l’amputation considérable, de trois des quatre attributs essentiels de leur statut originel de nations souveraines :
la juridiction sur leur territoire ;
la capacité de conclure des accords internationaux en tant que sujets du droit international ;
leurs formes spécifiques d’organisation sociale et de gouvernement, sans parler du fort déclin démographique.

Une série de distinctions conceptuelles s’imposent. Le rapporteur MARTINEZ a besoin de faire la distinction entre les peuples autochtones, les minorités nationales et les minorités ethniques bien que tous les trois revendiquent des droits collectifs. Une autre notion à ne pas confondre est celle des peuples opprimés. Finalement, le rapport précise que l’expansion territoriale des nations vers des régions voisines n’est pas assimilable à la colonisation par les puissances européennes des peuples habitant dès temps immémoriaux sur d’autres continents.

Pour répondre aux besoins de l’ONU, le rapport Martinez circonscrit son objet d’étude à l’expansion européenne au-delà des mers, et aux accords et d’autres arrangements toujours constructifs en vigueur à la fin du XXème siècle. Dans cette époque, le droit international des peuples autochtones s’applique exclusivement aux cas de colonisation outre-marine des puissances européennes. Du point de vue géographique, le rapport a concentré son attention sur l’Amérique du Nord et le Pacifique, deux régions où les traités furent utilisés comme outils de la politique coloniale britannique et Française dans un contexte social, politique et scientifique du contexte actuel.

Hormis le Canada et les Etats-Unis, il y a très peu de traités internationaux conclus entre les peuples autochtones et des Etats : aucun en Asie, en Afrique le seul cas connu est celui des Massaïs au Kenya, si bien que la définition onusienne des peuples autochtones devient impropre pour les cas afro-asiatiques où toutes les populations sont autochtones. En Amérique Latine, le seul traité reconnu par le rapporteur MARTINEZ a été les parlamentos mapuches au Chili. Quant à l’Europe, le rapport s’est intéressé au codicille sur les Lapons du traité frontalier de 1751 entre la Suède et la Finlande, d’une part, et le Danemark et la Norvège, d’autre part, lequel n’a jamais été abrogé.

Conscient des limitations historiques et épistémologiques, le rapporteur de l’ONU met en garde également contre le risque d’être prisonnier de la terminologie existante dans le droit international de l’Europe, comme la définition étroite de « traité » et de « conclusion de traité », notions juridiques typiquement occidentales qui entraveraient ou videraient de substance toute réflexion novatrice dans ce domaine. Le choix s’est fait en faveur de la polysémie et d’une réflexion novatrice permettant de favoriser les peuples autochtones, par exemple, le rapporteur propose la notion de « droits des peuples autochtones » incluant les « droits de l’Homme individuels des autochtones », ce qui reviendrait à une version des droits libéraux adaptée aux particularismes des communautés autochtones.

Dès le départ, le rapporteur a été amené à mettre au point des concepts novateurs, axés sur l’avenir des relations entre les populations autochtones et les gouvernements, en tenant compte de trois éléments : l’inviolabilité de la souveraineté, l’intégrité territoriale et les réalités socio-économiques.

La Commission des droits de l’Homme de l’ONU a sa propre identité et une mission institutionnelle : elle ne peut pas méconnaître l’ordre juridique international issu de la Charte de l’Onu et de la Convention de Vienne sur les Traités. La Commission se trouve également conditionnée par son objectif d’assurer la promotion et protection des droits de l’Homme et à laquelle on a ajouté la protection des libertés fondamentales des populations autochtones. De ce fait, les instruments juridiques visant la protection effective des droits des minorités restent axés dans une large mesure sur le droit prédominant sur la scène internationale.

Après une longue série de considérations juridiques, politiques et étiques sur la situation des peuples autochtones, le rapporteur de l’ONU prend une attitude diplomatique pour suggérer que tout conflit éventuel sur l’exercice du droit inaliénable à l’autodétermination des peuples autochtones doit respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale des Etats. Les différends doivent être réglés par des moyens pacifiques, avant tout par la négociation et avec la participation effective des populations autochtones concernées. Le rapport de l’ONU ne prétend pas que la Communauté internationale reconnaisse les peuples autochtones au même niveau que les Etats ni ne greffe des traités d’une autre époque au droit international contemporain en ignorant les changement historiques ni ne disqualifie les nouvelles situations politiques. L’ONU se borne à encourager une sortie négociée aux demandes des peuples autochtones de la fin du XXème siècle, c’est à dire à produire un droit contemporain avec des éléments anciens.

Le rapport Martinez ne reconnaît le caractère de traité international à aucun traité où les peuples autochtones soient parties ni ne considère que les peuples autochtones aient le même statut juridique international que les Etats. Elucider ce que ces actes juridiques ont été au XVIIème et XVIIIème siècles, c’est une question qui relève de l’histoire du droit.

Le rapport Martinez apporte plusieurs innovations conceptuelles, à commencer par des classements des accords en cinq catégories de traités :
les traités conclu entre les Etats et les peuples autochtones ;
les accords entre les Etats ou d’autres entités (collectivités territoriales, groupes de colons, compagnies ayant des concessions, etc.) et les peuples autochtones ;
les autres arrangements constructifs conclus avec la participation des peuples autochtones concernés ;
les traités conclus entre les Etats ayant incidence sur les peuples autochtones comme de tierces parties ;
les situations concernant les peuples autochtones qui ne sont ni parties ni l’objet de tels instruments.

Quant aux accords de droit public interne qui ne sont pas mentionnés dans le rapport Martinez de 1999, on peut ajouter une sous-classification de ces accords en :
accords de droit Public Interne constitutionnalisés ;
accords adoptés comme législation par l’Etat ;
pactes sociaux ;
conventions constitutionnelles implicites à caractère politique, dont parlent Karl Schmidt et Pierre Avril.

Le mandat accordé au rapporteur MARTINEZ demandait de tenir compte des réalités socio-économiques des peuples autochtones et du projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones que le groupe de travail de l’ONU avait commencé à élaborer en 1985. Le rapport final dénonce les inégalités économiques subies par les peuples autochtones vivant dans un Etat multinational moderne : pratiquement dans tous les cas, leur indice de développement social est plus faible, ou moins favorable, que celui des non autochtones avec qui ils coexistent. Il en va ainsi des indicateurs socio-économiques les plus importants : emploi, revenu annuel, mortalité prénatale et infantile, espérance de vie, niveau d’instruction, pourcentage de population carcérale, taux de suicide, etc... Pourtant, les autochtones revendiquent le droit de continuer de se livrer en toute tranquillité à leurs activités économiques traditionnelles.

Le contraste entre la productivité des activités traditionnelles et celle des sociétés développées constitue un décalage qui ne gêne pas les peuples autochtones. Ils ne demandent pas d’avoir la même productivité ni des modes de production identiques mais de ne pas avoir un niveau de vie inférieur en indices socio-économiques. Cela suppose une intervention de l’Etat pour établir des subventions ou de services supplémentaires adaptés à l’organisation sociale et à la culture des peuples autochtones.

Le rapporteur MARTINEZ est conscient que la problématique autochtone et sa solution ne sauraient être abordée sous un angle exclusivement  juridique. Les problèmes auxquels se heurtent les Etats multinationaux sont plutôt politiques et demandent une bonne dose de volonté politique à toutes les parties concernées. Les débats et les argumentations juridiques sont souvent faussés par des justifications rationnelles accumulées au fil des siècles.

Le rapport Martinez décrit les cas conflictuels comme des conflits entre le secteur autochtone et le secteur non-autochtone de la société. Pour l’ONU, derrière l’affirmation que les autochtones appartiennent à l’Etat se trouve la subtilité diplomatique de situer les conflits à l’intérieur d’un Etat et donc de n’impliquer aucune organisation internationale dans la résolution du conflit. L’ONU reconnaît qu’il s’agit de conflits internes d’une même société et non pas de deux sociétés séparées. En revanche les militants des peuples autochtones se plaisent à le souligner qu’il y a des sociétés distinctes.

A la question décisive de savoir si les populations autochtones signataires des traités historiques peuvent être considérées comme des nations au sens du droit international contemporain, le rapporteur de l’ONU répond en faisant la distinction entre les populations autochtones officiellement reconnues comme nations et les populations autochtones qui n’ont pas été officiellement reconnues comme des nations.

Le paragraphe précis est un chef-d’œuvre du langage diplomatique ambigu et délibérément incomplet, afin d’égarer toutes les parties :

« 257. En ce qui concerne la question de savoir si les populations autochtones qui se trouvent dans des pays où certaines ont été officiellement reconnues comme telles (par des nations non autochtones dès les premiers contacts ou ultérieurement) dans le cadres d’instruments juridiques internationaux comme des traités et où d’autres nations ne l’ont pas été, peuvent ou non être considérées comme des nations au sens du droit international contemporain, le Rapporteur spécial pense qu’il y a lieu de faire une distinction entre ces deux cas, même si l’on arrive en dernière analyse à la même conclusion. »

Quelle en est la conclusion ?  Qu’il n’y a pas de réponse explicite, positive ou négative. On fait la distinction entre les populations autochtones officiellement reconnues comme telles et celles non-reconnues. On arrive à la même conclusion dans le cas des populations autochtones qui ont été officiellement reconnues comme telles dans le cadre des traités et peuvent être considérées comme des nations au sens du droit international contemporain et les populations autochtones qui n’ont pas été officiellement reconnues comme telles dans le cadre des traités et ne peuvent pas être reconnues comme des nations au sens du droit international contemporain.

Les risques de confusion se trouvent partout dans le paragraphe 257 :
1.- Entre populations autochtones et nations autochtones au sens du droit international contemporain.
2.- Entre autochtones officiellement reconnus comme populations et autochtones non reconnus officiellement comme nations.
3.- Entre populations autochtones officiellement reconnues comme telles dès les premiers contacts et les populations autochtones officiellement reconnues comme telles ultérieurement.

Pour résoudre cet enchevêtrement, on s’autorisera de simplifier la question et les expressions du paragraphe 257 en résumant la problématique à la question suivante : les populations autochtones signataires des traités historiques peuvent-elles revendiquer leur statut de nations au sens du droit international contemporain ?  

Cela revient à poser, à partir de la distinction principale (celle du n° 2) d’autres questions :
les populations autochtones reconnues juridiquement peuvent-elles transmettre leur reconnaissance juridique aux populations non reconnues et sur quel fondement juridique ?
les populations autochtones non reconnues juridiquement peuvent transmettre leur manque de reconnaissance aux populations reconnues et sur quel fondement juridique ?

Le paragraphe 257 ne donne pas l’élément qui permettrait de résoudre les deux formulations du même problème. Or, il n’y a rien dans le rapport Martinez qui permette d’élargir la reconnaissance juridique des peuples reconnus en faveur des peuples non reconnus. En revanche, l’évolution à rebours, c’est à dire l’internalisation des traités historiques, permet d’élargir la qualité de non-reconnu à ceux qui étaient reconnus.

Il semble que l’omission de toute allusion à « l’évolution à rebours » dans ce paragraphe constitue la clé de la réponse tautologique consistant à dire que les populations autochtones signataires des traités historiques ont été reconnues comme populations autochtones. Mais au moment du passage du Ius Gentium au droit international contemporain, les populations autochtones n’ont pas acquis leur reconnaissance comme des Etats. On pourrait dire que les Etats détiennent le monopole du droit international légitime.

Le langage diplomatique de l’ONU la contrainte à établir une égalité formelle entre peuples reconnus, c'est-à-dire signataires des traités historiques, et peuples non reconnus, bien que cette égalité signifie en réalité un nivellement pas le bas puisque l’omission de toute allusion à « l’évolution à rebours » aboutit à étendre aux peuples reconnus le statut juridique des peuples non reconnus.

La doctrine juridique actuellement dominante au sein de l’ONU est que les populations autochtones sont toujours des populations autochtones et c’est bien ce que dit le paragraphe 257. Les Etats qui se reconnaissent entre eux comme Etats prennent les décisions importantes à l’ONU mais pas les autres peuples ni les populations sous-étatiques. Les peuples autochtones peuvent envoyer leurs leaders aux réunions de l’Instance permanente sur les questions autochtones à l’ONU, à l’Organisation des Etats Américains (OEA) et aux forums internationaux de l’Océanie.

§ 2 : l’internalisation des traités.

« Il faut établir une distinction entre la création du droit et le maintien de ce droit ; le même principe qui soumet un acte créateur de droit au droit en vigueur au moment où naît le droit exige que l’existence de ce droit suive les conditions requises par l’évolution du droit ».

Les traités historiques du XVIIème et XVIIIème siècles se situent aujourd’hui à l’intérieur du droit public interne canadien pour plusieurs raisons :
leur support juridique se trouve dans la Constitution du Canada ;
la juridiction chargée de les appliquer est la juridiction interne et non pas les juridictions internationales ;
aucun Etat ne reconnaît la souveraineté de ces peuples autochtones ;
l’abandon du Ius Gentium en profit du droit international exclusivement étatique.

Selon Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, le Canada et d’autres Etats ont subi un processus “d’internalisation” des traités qui avaient à l’origine le caractère de traités internationaux en vertu d’un transfert graduel du domaine du droit international à celui du droit interne. Ce passage correspond à la consolidation du régime colonial puis de la fédération du Canada et, sur le plan juridique, à l’abandon du Ius Gentium en profit du droit international à la fin du XXème siècle. Le triomphe du positivisme juridique au XXème siècle a contribué à balayer le droit des peuples autochtones de la théorie juridique.

Le processus en sens inverse consisterait à faire passer les traités historiques du droit interne canadien au domaine du droit international. Ce changement pourrait s’appeler « internationalisation » et par cette voie on re-introduirait les peuples autochtones en tant que sujets à part entière du droit international. Mais cela supposerait reformuler en profondeur le droit international sans que cela implique de revenir aux enjeux du XVIIème et XVIIIème siècle.

On peut douter que « l’internationalisation » prônée par les peuples autochtones ait une portée juridique au niveau du droit international pour redonner un statut international aux traités historiques de manière à ce que les peuples autochtones réacquièrent de ce fait leur statut de sujets de droit international. L’internationalisation peut servir comme une stratégie politique pour détourner le consensus national entre les acteurs politiques et permettre aux peuples autochtones de gagner une meilleure position dans les débats nationaux. La stratégie de l’internationalisation est pratiquée par bien d’autres organisations nationales comme, par exemple, les syndicats et les partis politiques.

En fait, les peuples autochtones ont un positionnement politique symbolique dans les instances de l’ONU à la suite du lobbying des Indiens du Canada et des Etats-Unis, sans pour autant devenir sujets de droit international au même niveau que les Etats. Ainsi l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a adopté en 1957 la convention n°107 basée sur l’assimilation des autochtones puis la convention n°169 en 1989. Elle s’est montrée plus soucieuse de changer la terminologie que d’établir un véritable pluralisme juridique. L’article 8 de la convention n°169 de l’OIT n’établie pas de juger sur les bases du droit coutumier mais seulement de le prendre en considération au même titre que les coutumes au moment de juger.

Au Canada, la thèse de l’internalisation s’accorde bien avec la reconnaissance des traités historiques par la Constitution de 1982, la législation canadienne et la jurisprudence de la Cour Suprême, les revendications d’autonomie interne et les accords contemporains entre les peuples autochtones, les provinces et l’Etat. En fait, la majorité des peuples autochtones du Canada invoquent le principe de droit international du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qu’ils transposent sur le plan interne pour justifier l’autonomie gouvernementale qu’ils réclament. Mais, ils doivent se contenter d’une autodétermination interne et se gouverner eux-mêmes au sein du régime canadien. Les peuples autochtones du Canada ne souhaitent pas l’indépendance complète et absolue de l’Etat mis à part quelques groupes vraiment minoritaires.

La doctrine juridique des Etats considère que les traités conclus entre l’Etat et les peuples autochtones relèvent aujourd’hui d’une affaire intérieure à régler selon les mécanismes internes de l’Etat. Dans cette perspective et d’après les jurisprudences canadienne et américaine, les peuples autochtones ne sont pas des peuples au sens de cette expression en droit international, les traités sont des instrument juridiques sui generis et non pas des traités au sens propre. Les traités juridiques internationaux ont été remplacés par la législation des Etats et des accords de droit public interne, soumis aux juridictions nationales.

En appliquant la doctrine onusienne de l’internalisation des traités au cas canadien, il est clair que lorsque les traités historiques furent explicitement constitutionnalisés en 1982, ils ont perdu leur statut de droit international mais ils ont été placés au plus haut niveau du système juridique interne.


§ 3 : les autres positions internationales.

D’autres décisions et documents internationaux concernant les traités conclus par les peuples autochtones méritent d’être mentionnés, comme les décisions du Comité des droits de l’Homme, la convention n°169 de l’OIT, la fin de la notion de terra nullius et le projet de déclaration des droits des peuples autochtones.

1. les décisions du Comité des droits de l’Homme.

L’article 27 du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels de 1966 de l’ONU protège la langue, la culture et la religion des minorités ethniques, religieuses et linguistiques. Il a permis au Comité des droits de l’Homme de recueillir les plaintes des autochtones et d’éteindre les implications de l’article, au moins dans six occasions :
Sandra Lovelace contre l’Etat canadien, qui voulait défendre son statut d’indienne perdu à la suite de son mariage avec un non-indien. La décision rendue  a entraîné la modification de la loi canadienne de 1970 sur les Indiens;
Mikmaq Tribal Society contre l’Etat canadien en 1984 ;
Kitok contre la Suèdeen 1985 ;
Lubicon Lake Band contre l’Etat canadien en 1990 ;
Ilmari Länsman et al. contre Finlande en 1994 ;
Jouni E. Länsman et al. contre Finlande en 1996.

2. la convention n°169 de l’OIT.

La convention n°169 de 1989 de la OIT a remplacé la convention n°107 de 1957, qui était déjà complètement dépassée du fait de son approche intégrationniste. Malgré le progrès représenté par la convention n°169, plusieurs organisations autochtones du Canada ont exprimé leur opposition à sa ratification parce qu’elles la considèrent en retard par rapport aux normes nationales actuellement en vigueur.

3. fin de la notion de terra nullius.

Quant à la thèse de la terra nullius, elle n’est plus recevable selon l’avis rendu par lae Conseil de sécurité de l’ONU sur le Sahara occidental et les Etats ont besoin de passer des accords avec les tribus ou peuples qui l’habitent :

“ Il ressort que les territoires habités par des tribus ou des peuples ayant une organisation sociale et politique n’étaient pas considérés comme des terrae nullius. On estimait plutôt en général que la souveraineté à leur égard ne pouvait s’acquérir unilatéralement par l’occupation de la terra nullius en tant que titre originaire, mais au moyen d’accords conclus avec des chefs locaux (...) ”.

Le Groupe de Travail de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU a préparé un Projet de Déclaration des droits des peuples autochtones dont la version de 1993 propose une disposition inspirée des principes historiques :

“ Les peuples autochtones ont le droit d’exiger que les traités, accords et autres arrangements constructifs conclus avec des Etats ou leurs successeurs soient reconnus, honorés, respectés et appliqués par les Etats conformément à leur esprit et à leur but originel ”.

Le texte proposé par le Groupe de Travail mérite plusieurs commentaires. Il semble que la reviviscence complète de l’esprit et des buts du passé suppose deux solutions difficiles :

un jugement de valeur et un choix pour tout ce qui est constructif pour les autochtones dans les accords historiques. Cela impliquerait identifier ce qui est favorable aux peuples autochtones avec l’intérêt général des Etats ou bien subordonner l’intérêt général à tout ce qui est favorable aux autochtones ;
Ignorer délibérément certains changements historiques, soit pour orienter l’avenir de l’Etat selon l’esprit et le but d’une sorte d’« âge d’or », soit pour reconstruire des enjeux du passé d’une manière anachronique.

Il convient de remarquer que derrière les solutions proposés on retrouve le choix entre une position étatique et position autochtone : l’Etat aurait intérêt à dire que l’intérêt général inclut ce qui est constructif pour les autochtones tandis que les autochtones préféreraient que l’application des traités se fasse en subordonnant l’intérêt général de l’Etat à tout ce qui est favorable aux autochtones. Entre ces deux positions, il serait acceptable pour l’Etat de réorienter son avenir en adoptant quelques éléments de l’« age d’or » autochtone.

Les sous-entendus du projet du Groupe de Travail de l’ONU sont nombreux : les peuples autochtones ont le droit de réclamer le respect des traités uniquement par de moyens pacifiques ; il ne faut pas rouvrir les conflits déjà clos ; les droits de l’Homme ne seront pas méconnus ; il est interdit aux groupes non autochtones de se réclamer autochtones ; le dernier traité formalisé abroge les traités précédents ; les traités historiques ont été conclus par les peuples autochtones du Canada et des Etats-Unis. Comme pour tous les sous-entendus, on n’est jamais sûr de leur validité.

En tous cas, une mauvaise compréhension de l’article proposé par le Groupe de Travail peut se prêter à faire revivre des conflits historiques comme ceux du nationalisme allemand outrancier des années 1930  ou bien à tourner en rond avec des débats infinis sur la précédence entre les Albanais et les Serbes, entre les Israéliens et les Palestiniens, etc.

Une Déclaration des droits n’est pas efficace par elle-même puisqu’elle va avoir besoin d’une instance autorisée pour l’interpréter et pour l’appliquer. Ce qui entraînerait pour les peuples autochtones la possibilité d’accéder à une sorte d’autorité ou de juridiction internationale qui puisse faire valoir leurs droits face aux Etats, comme l’ont prétendu en 1924 le chef Deskaheh et une partie des Iroquois auprès de la Société des Nations et de Cour Permanente de Justice.

D’autre part, l’Organisation des Etats Américains (OEA) a un autre projet de Déclaration des Peuples Autochtones, en date du 30 mai 2003, visiblement plus concerté avec les autorités des Etats et moins fixée sur le passé. En ce qui concerne les traités historiques, voici le texte proposé :

“Article XXIII. Traités, accords et arrangements constructifs. Les peuples indigènes ont le droit à la reconnaissance, observance et application des traités, conventions et d’autres arrangements qu’ils ont pu conclure avec les Etats ou leurs successeurs, conformément à leur esprit et intention, et à faire en sorte qu’ils soient respectés et appliqués par les Etats.”

Or, la mise en place des mécanismes de protection internationale des traités n’est pas facile. Une exigence de protection trop véhémente risque de mobiliser les Etats tiers afin de faire appliquer les instruments internationaux qui favorisent les peuples autochtones ; cela pourrait servir, mutatis mutandis, comme prétexte pour une intervention étrangère comme ce fut le cas de l’Allemagne en 1939 contre ses voisins pour protéger les minorités ethniques allemandes. Pourtant les expériences internationales ne sont pas toujours négatives, l’intervention de l’OTAN en Bosnie en 1999 a bel et bien obéi à un intérêt de protéger une minorité ethnique attaquée. D’où la prudence des organisations internationales face à toute modalité d’intervention ou d’ingérence dans les affaires internes, bien que la souveraineté ne soit plus absolue.

Section II : la récupération des traités historiques.

En 1924 le chef Deskaheh s’est rendu à Genève auprès de la Société des Nations et de la Cour Permanente de Justice internationale, assisté d’un avocat suisse, pour demander l’exécution d’un traité signé en 1750 entre la Fédération Iroquoise des Six Nations et le représentant de Sa Majesté le roi d’Angleterre. La requête a été déclarée irrecevable et le Chef Deskaheh mourut deux ans plus tard. D’après Norbert Rouland, à partir de cette date, les Iroquois n’ont plus continué à se manifester auprès de la Société des Nations comme Etat ou nation mais comme minorités, ou groupes ethniques ou autochtone. Quelques décennies plus tard les peuples autochtones ont repris l’interprétation des traités de la période coloniale, sur le plan interne, comme source d’obligations pour l’Etat canadien. La Constitution de 1982 a incorporé au droit public canadien les accords, historiques et contemporains, puis la jurisprudence et les négociations ont précisé la portée des traités historiques signés avec la France et l’Angleterre.

Ces traités historiques contiennent des énoncés juridiques dont l’interprétation choisie peut produire des effets décisifs sur l’intégrité de l’Etat canadien et modifier complètement le statut des peuples autochtones. Les traités historiques ont-ils le caractère de traités internationaux dans le sens contemporain ? Ou bien, ces traités historiques auraient-ils perdu leur force juridique ? Les traités historiques auront-ils besoin d’une renégociation ou suffira-t-il de les réinterpréter pour les mettre à jour ?

Les traités historiques des peuples autochtones n’ont pas été formellement abrogés ; pourtant une transformation profonde semble certaine du fait de l’« internalisation » des traités historiques par un transfert graduel des relations entre les Etats et les peuples autochtones du domaine du droit international à celui du droit interne. Le régime de l’ONU présuppose que les Etats détiennent la suprématie politique et juridique du droit international. La Convention de Vienne sur le droit des traités a confirmé cette suprématie des Etats. Elle ne s’applique pas aux traités autochtones non pas parce que les traités autochtones ne relèveraient pas per se du droit international, mais du fait que la Convention ne s’applique pas rétroactivement et qu’elle n’engage que les Etats qui y ont adhéré.

Dans ce contexte, les traités historiques peuvent avoir diverses significations comme l’adhésion des peuples autochtones à l’univers juridique des Etats, comme des peuples équivalant aux Etats ou l’incorporation des peuples autochtones à l’Etat signataire en gardant une certaine autonomie interne pour conserver leur ordonnancement juridique.

Dans le premier cas le pluralisme juridique aurait le caractère de droit international public alors que, dans le second cas, le pluralisme juridique se situe dans le domaine du droit public interne.

L’équivoque a été toujours maintenue vis-à vis des peuples autochtones sous le régime de l’indirect rule coloniale. Les traités historiques furent des actes de reconnaissance mutuelle et de fixation des termes d’entente, comme les limites territoriales, la validation des actes juridiques de l’autre société, le commerce, la chasse, la pêche, etc. C’est la preuve du fait qu’aux XVIIème et XVIIIème siècles les peuples autochtones sont entrés dans l’univers juridique moderne, tout en faisant valoir leurs droits, individuels et collectifs, préexistants : Ubi societas, ibi ius.

A partir des traités historiques faisant partie du processus colonisateur, le pluralisme politique et juridique s’est instauré. Les peuples autochtones aussi bien que l’Etat colonial ont renoncé à l’exclusivité de leur légitimité pour admettre la légitimité de l’autre. Puis la complexité de la pratique du droit, le dynamisme des sociétés et l’évolution des concepts ont fait que, sur le plan sociologique, les peuples autochtones et l’Etat ont entamé des processus d’hybridation de longue haleine et que, d’autre part, les notions juridique se sont nuancées et finissent par perdre leur rigueur originaire.

Suite aux mouvements de l’histoire, il arrive que celui qui était perçu comme un envahisseur abusif au début, acquière progressivement une légitimité et que la société primitive, juridiquement infériorisée, devienne une culture ancestrale respectable de laquelle tous se réclament. Nombreux sont les cas d’invasions où les autochtones et les occupants se sont mélangés au bout de quelques siècles : l’Empire Romain, les vagues d’immigration musulmane en Indonésie, le métissage hispano-afro-indien en Amérique Latine, entre autres.

Les traités historiques ont suivi les contingences du système de Ius Gentium et du processus de colonisation dans lesquels ils s’insèrent. Leur validité ne doit pas être surestimée comme préceptes traversant les siècles sans modification de leur portée juridique. L’apparition du droit international contemporain empêche de transposer dans notre époque les traités historiques dans les mêmes conditions qu’au XVIIème et XVIIIème siècles.

D’autre part, dans le droit public contemporain, les changements politiques et l’évolution des mentalités produisent d’importantes transformations que les énoncés abstraits et la rigueur d’une logique formelle n’arrivent pas à saisir. Ainsi, la disparition du Ius Gentium et la consolidation de l’Etat ont laissé sans effet les traités historiques. Mais sur ces points, les choses ne sont pas si claires puisque la constitutionnalisation des traités historiques au Canada et la re-sémantisation de l’indirect rule afin de lui ôter son sens colonial ont fait revivre en 1982 un certain sens d’égalité entre les peuples autochtones et l’Etat.

Il convient de remarquer les axiomes théoriques sous-jacents au raisonnement foncièrement historiciste des défenseurs des traités historiques conclus par les peuples autochtones canadiens :
la priorité de l’histoire sur l’Etat entraîne que l’Etat ne serait plus la source du droit, et que l'histoire de l'humanité prendrait sa place. Cela implique que le droit est antérieur aux Etats, qui ne sont qu’un phénomène récent sinon temporaire dans l'histoire de l'humanité ;
L’histoire donnerait la priorité au droit autochtone, dont la continuité n’est pas mise en doute ; on applique par analogie la maxime romaine prius in tempore potior in iure ; les invasions des peuples autochtones guerriers sont ignorées ;
implicitement chaque ordonnancement juridique reconnaît la légitimité de l’autre, ainsi que la compatibilité et la nécessité réciproques ; voilà le fondement pour une entente de principe, souvent non explicité pendant longtemps par les acteurs livrés aux polémiques ;
la Constitution de 1982 est le support juridique positif du droit autochtone ; l’Etat reconnaît sa pré-existence, et les peuples autochtones, à leur tour, reconnaissent l’existence de l’Etat.

Mais il y a deux effets souvent non explicités par les défenseurs des traités historiques : invoquer les traités historiques entraînerait la reconnaissance par les autochtones du fait et de la légitimité de la présence coloniale, et par conséquence d’un type particulier de relations entre autochtones et colons. Qui plus est, le fait d’accorder un grand poids à l’histoire dans l’interprétation du droit peut conduire soit à une tentative de rétablir l’ordre aboli, soit à une ouverture aux nouveaux enjeux.

L’histoire montre que les sociétés humaines apparaissent et se transforment en permanence et il en va de même pour les institutions politiques et pour les ordonnancements juridiques. En revanche, leurs axiomes théoriques et leurs mythes fondateurs se situent toujours dans une continuité temporelle pour conforter les intérêts qu’ils sont censés protéger. Emprunter ces vérités à l’histoire et à la politique, deux sciences auxiliaires du droit, donne du réalisme aux Etats de droit contemporains et permet de saisir leurs limites.

Les peuples dominateurs les plus puissants tels que les Perses, les Romains et les Aztèques ont trouvé leur fin. Les guerres et les révoltes peuvent faire disparaître un système juridique. Parfois, la disparition des systèmes juridiques se produit graduellement et discrètement, dans le « malentendu opératoire de la politique ». On ne peut pas écarter la possibilité que les Etats actuels disparaissent un jour de même que les tribus, soit violemment soit politiquement, par exemple, sous la pression des structures mondiales ou par la fragmentation de leurs populations ou par un effondrement démographique ou par un processus de colonisation, vecteurs entre autres de profonds changements.

Les traités historiques ne sont pas immuables. Le principe du réexamen périodique des traités ou des éléments des traités, rend possible l'extinction des droits des autochtones selon une tradition qui, en Nouvelle-France, remonte à l’époque de Champlain. Actuellement le gouvernement fédéral veut négocier avec les peuples autochtones selon une formule d’«extinction supplétive», beaucoup plus respectueuse à l’égard des peuples autochtones que les termes utilisés vers 1613 par Champlain avec les Algonquins et les Hurons pour faire la guerre aux Iroquois. Tous les ans ils renouvelaient les ententes et les traités d'alliance qu'ils avaient conclus en faisant des modifications.

Or, le non-usage des droits reconnus par un traité n’entraîne pas leur extinction. La Cour Suprême du Canada a estimé en 1990 dans l’arrêt Sioux que l’extinction d’un traité demanderait le consentement des Indiens qui y sont parties et, d’autre part, l’intention claire et expresse du gouvernement fédéral de mettre fin à ce traité.

Lorsque la jurisprudence se livre dans certaines paragraphes de ses décision à des considérations historiques, c’est pour affirmer le caractère de nations souveraines que les peuples autochtones ont eu dans le passé : “Les documents historiques nous permettent plutôt de conclure que tant la Grande-Bretagne que la France considéraient que les nations indiennes jouissaient d’une indépendance suffisante et détenaient un rôle assez important en Amérique du Nord pour qu’il s’avère de bonne politique d’entretenir avec eux des relations très proches de celles qui étaient maintenues entre nations souveraines (...). Cela indique clairement que les nations indiennes étaient considérées, dans leur relations avec les nations européennes qui occupaient l’Amérique du Nord, comme des nations indépendantes ”.

Mais aujourd’hui, la jurisprudence canadienne considère que les traités historiques font partie de l’ordonnancement juridique interne de l’Etat, en vertu de l’article 35 de la Constitution de 1982. D’autre part, la souveraineté des peuples autochtones n’a pas été traitée comme un droit par la jurisprudence de la Cour Suprême. Pour l’Etat de droit, la souveraineté n’est pas un droit ni de la nation ni des peuples autochtones mais un attribut essentiel de l’Etat que la Cour Suprême du Canada n’a mis en doute en aucun moment.

Le temps historique ainsi que la territorialité sont des éléments constitutifs aussi bien des Etats que des peuples autochtones. Si la continuité historique est interrompue ou si le territoire est perdu, des efforts seront nécessaires pour reconstruire la structure de pouvoir en déplaçant les nouvelles formes d’organisation ayant pris le relais. Bien entendu, l’Etat qui a incorporé des populations diverses, met en place de manière légitime des stratégies pour ne pas perdre son pouvoir politique ni laisser périmer son droit, comme dans le cas de la stratégie de captation juridique des autochtones dont parle Norbert ROULAND.


§ 1 : les enjeux coloniaux.

L’arrivée des colons européens antérieure à la création de l’Etat s’est faite graduellement². Du XVIIème et XVIIIème siècle, les colons européens n’exercent qu’un faible contrôle sur le territoire canadien d’ailleurs tellement immense qu’il a permis la cohabitation des autochtones et des non-autochtones. Les guerres, certes à moindre échelle, n’ont pas manqué entre les autochtones et les colons ou entre les divers peuples autochtones. Or, au début, les colons ont dû compter sur l’aide précieuse des autochtones pour survivre et pour exploiter la pêche, les forêts et les fourrures. Puis la création des établissements permanents a permis des relations prolongées entre les amérindiens et les colons ainsi des liens de coopération et de collaboration se sont tissés.

Cette période est caractérisée également par la conclusion de traités et d’alliances qui montrent à l’évidence que la souveraineté des peuples autochtones n’était pas encore éteinte. On trouve divers types de traités et d’accords, comme :
des cessions territoriales dont le but a été d’assurer l’indépendance résultant des équilibres de pouvoir entre les colons et les peuples autochtones ;
des démarcation des frontières, susceptibles de révisions et d’actualisation comme toutes les questions frontalières entre les Etats ou entre les collectivités territoriales ;
des alliances militaires face aux menaces d’autres puissances coloniales ou d’autres Indiens ; tant que les besoins de sécurité existaient, ces accords ont eu une validité ;
des traités de paix définissant le statut des vaincus et rétablissent un ordonnancement juridique, soit unifié soit pluraliste. L’arrêt Francis v. The Queen de 1885 a refusé de reconnaître aux traités de paix et d’alliance un caractère international ;
des opérations commerciales qui auraient revêtu quelques traits des accords entre sujets de droit international.

En Nouvelle-France, c’est Champlain, qui accepte de se joindre à des Algonquins de la vallée de l’Outaouais et à des Hurons pour aller faire la guerre aux Iroquois. Cette alliance fut importante car elle apporta aux autochtones un appui militaire et technologique et un rôle d’intermédiaire et d’interlocuteur pour la traite des fourrures. Pour les Français, cette alliance leur a permis de constituer des établissements pour le commerce des fourrures et favorisa l’accès aux territoires de leurs nouveaux alliés.

En Amérique du Nord, la colonisation fut caractérisée par une occupation progressive des territoires, par moment ambiguë ou simplement symbolique. Le flou juridique et conceptuel provient du fait qu’il n’y a pas eu de victoire militaire décisive pour soumettre les peuples autochtones ni un document officiel explicite consacrant l’extinction de l’autonomie des peuples autochtones mais un processus de captation juridique et politique mené en douceur et ayant pour effet de produit d’une manière progressive et presque insensible l’extinction de l’autonomie autochtone. L’article 25 de la Constitution du Canada situe un premier moment fort de l’incorporation à la souveraineté territoriale de l’Angleterre le 7 octobre 1763 lors de la Déclaration Royale.

Une lecture de l’ensemble du processus de colonisation du Canada permet d’affirmer que les Européens sont arrivés en tant que colons et conquérants malgré les modestes ressources dont ils disposaient. Le résultat en termes d’expansion de leurs Etats d’origine a été l’annexion des territoires et des populations autochtones, au terme d’une histoire collective antérieure à la Constitution de 1982. Le récit de l’histoire collective sert comme axiome du droit constitutionnel et comme principe d’interprétation de la Constitution. Mais si le remaniement de l’histoire collective est trop profond, pourrait-on aller jusqu’à délégitimer l’ordre juridique en place ?

Il semble que cela serait le cas de certaines régions du Canada où l’histoire détaillée de la colonisation montre des vides importants et où les équivoques sur certains alliances militaires suggèrent que quelques communautés indiennes auraient réussi à garder leur autonomie jusqu’à la Déclaration Royale du 7 octobre 1763. D’autres l’auraient gardée jusqu’à l’application de la Loi sur les Indiens de 1876 et quelques unes jusqu’à la Constitution de 1982. Tels sont les trois moments majeurs de l’insertion des autochtones dans l’Etat mais même de nos jours, certains peuples autochtones continuent de rejeter leur appartenance à l’Etat canadien.

Le système juridique de la période coloniale anglaise de l’indirect rule joue sur l’équivoque quant à l’autonomie des peuples colonisés. La formule n’est pas linéaire et simple ; l’indirect rule établit assez astucieusement une co-relation entre plusieurs éléments : domination politique, autonomie interne et reconnaissance du droit autochtone. Une formule intermédiaire serait-elle meilleure pour dire que les peuples autochtones n’ont été que semi-colonisés ? Cela ressemble au débat infini entre ceux qui voient le verre d’eau à moitié rempli et leurs opposant qui affirment que le verre d’eau est à moitié vide ; débat dont personne n’a jamais réussi à fournir le critère à même de le trancher définitivement.

La problématique autochtone comporte un aspect étique typiquement postmoderne que les analyses historiques conventionnels et les normes positives ne saisissent pas. Bien que les choses ne peuvent pas être ramenées à un moment historique déjà clos, cela n’enlève rien à l’impératif éthique de compenser autrement les torts causés aux peuples autochtones sur le plan spirituel et matériel. Les droits citoyens, les régimes spéciaux et les mesures de discrimination positive en faveur des autochtones que l’Etat canadien et les provinces ont adoptés, s’inscrivent dans ces logiques de reconstruction et de compensation.

Certes, les Etats coloniaux puis l’Etat canadien ont accordé aux peuples autochtones diverses modalités d’autonomie, soit juridique soit de fait. Puis la Loi sur les Indiens de 1876, la Constitution de 1982, d’autres normes juridiques et les traités contemporains, ont accordé des droits citoyens et des prestations aux autochtones en vue de légitimer l’autorité et la normativité de l’Etat après la méconnaissance des traités historiques.

L’histoire politique montre bien comment ont changé les axiomes politiques sous lesquels les colons sont venus au Canada. Ces traités historiques des peuples autochtones ressemblent aux traités du droit international contemporain sous certains aspects, leurs différences de fond sont immenses, aussi bien sur le plan politique que juridique. Lorsque les peuples autochtones revendiquent l’application des traités historiques, les frontières conceptuelles entre le juridique et le politique deviennent floues. Les traités historiques sont ré-interprétés pour élaborer une nouvelle politique favorable aux autochtones et non pas pour imposer juridiquement les traités historiques, d’une manière anachronique aux colons d’aujourd’hui. Le contexte et la signification des textes historiques ont tellement évolués, qu’il semble impossible de reconstruire la portée originaire des traités (texte-enjeux-significations).

L’Etat colonial puis l’Etat du Canada ont méconnu l’autonomie reconnue aux peuples autochtones par les traités historiques du XVIIème et XVIIIème siècles et les ont incorporés comme ressortissants de l’Etat. Le fait de leur avoir accordé un statut de citoyens, des droits et des libertés constitue aujourd’hui les expressions juridiques de cette incorporation. Norbert ROULAND appelle cette transformation la captation juridique des autochtones, dont les événements précis auraient été le Traité de Paris du 10 février 1763, lorsque l’Angleterre et la France ont décidé la partition territoriale de l’Amérique du Nord sans consultation des populations concernées ; puis la Proclamation Royale de 1763 qui a reconnu les droits et libertés des peuples autochtones. Dans le même sens on trouve la loi sur les Indiens de 1876 et finalement la Constitution de 1982.

Serait-il possible de défaire ce chemin ? Il n’est pas possible d’effacer, sur le plan des faits, tout ce qui, positif ou négatif, a été accompli. Cela n’empêche pas de dire que la question reste ouverte dans la mesure ou les transformations juridiques nouvelles peuvent reprendre les formes anciennes que l’on croyait définitivement dépassées, comme c’est le cas de la novation juridique des traités historiques en vertu de la Constitution de 1982, bien que désormais circonscrits au plan du droit public interne.

Les alliances entre les Anglais et les peuples autochtones visaient à obtenir au moins la neutralité des Indiens contre les Français, la reconnaissance de l’autorité de l’Angleterre sur eux ou bien la libération de prisonniers anglais. En retour les Indiens obtenaient un certain nombre de garanties, dont la protection militaire, la liberté de chasser, pêcher et faire le commerce et la remise de produits alimentaires et de présents. Les traités du début ne visaient pas la cession par les Indiens de leurs droits sur leur territoire.

Certains affirment que l’article 35 alinéa 1er de la Constitution canadienne, rapatriée du Royaume Uni, se réfère aux textes historiques conclus entre la Couronne britannique et les autochtones et qu’il ne comprend pas la période Française. Mais si cette interprétation semble trop étroite vis-à vis de la pré-existence historique des droits des peuples autochtones avant l’affirmation de la souveraineté française et britannique, les autochtones, selon Andrée LAJOIE, « étaient là avant nous et leurs droits préexistent à l'affirmation de la souveraineté ». Ce critère est accepté par la jurisprudence canadienne.

La nature juridique des traités historiques et des traités modernes est l’objet de polémiques, de même que les sujets qui les ont conclus. Certes, les traités ont le caractère d’instruments solennels entre un Etat (la Grande Bretagne, le Canada, les provinces) et un peuple autochtone, source de droits et d’obligations réciproques. Ont-ils le statut de droit public international ? Où ne seraient-ils que d’instruments de droit public interne ? Ils ont eu le caractère d’un accord du Ius Gentium jusqu’à la création du nouveau droit international mais à l’heure actuelle les traités appartiennent au droit public interne, étant incorporés par la Constitution du Canada de 1982, laquelle reconnaît les peuples autochtones comme des sujets collectifs du système juridique étatique. La jurisprudence de la Cour Suprême du Canada a implicitement établi que les traités sont les instruments de droit public interne, lorsqu’elle a reconnu que les traités étaient soumis à la Constitution et à la compétence de la Cour Suprême.

Toutefois l’absence de reconnaissance des traités historiques par d’autres acteurs de la communauté internationale et par les juridictions internationales ne permet pas de reconnaître à ces traités la nature d’un traité international.

La Constitution canadienne ne définit pas ce qu’est un traité historique avec les autochtones. Quant aux définitions jurisprudentielles on trouve deux arrêts intéressants de la Cour Suprême du Canada : dans l’affaire Francis v. The Queen de 1885, la Cour a considéré qu’un traité international était “ un acte de l’Exécutif établissant des relations entre deux ou plusieurs Etats, dont l’indépendance est reconnue, agissant en vertu de pouvoirs souverains ”. En 1990 l’arrêt Sioui a précisé que les traités autochtones forment une catégorie à part, des accords sui generis en insistant sur l’occupation et la souveraineté antérieures des peuples autochtones sur le territoire, comme l’arrêt Cheroquee Nation de la Cour Suprême Américaine l’a établi en 1831.

La doctrine constitutionnelle canadienne classifie les traités où les peuples autochtones en deux catégories : les traités historiques, conclus avec les puissances coloniales et les traités modernes, conclus avec l’Etat canadien, comme l’accord tri-partite de 1996 entre le Conseil tribal Nisga’a, le Canada et la Colombie-Britannique.

Le droit public, par sa proximité avec la politique, se permet souvent d’introduire des éléments nouveaux à caractère politique, qui entraînent des transformations profondes, sans expliciter les dérogations ni les ruptures institutionnelles qu’ils présupposent. Le régime colonial britannique de l’indirect rule s’est bien prêté à ce genre d’ambiguïtés. Il en va de même pour le malentendu opératoire dans lequel s’est éteint le Ius Gentium et a été mis en place  le droit international moderne des traités, sans dérogations explicites et peut-être sans prendre pleinement conscience des conséquences négatives pour les peuples autochtones du Canada.

Tout au long de l’histoire de l’humanité, nombreuses sont les transitions politiques où la décadence abuse des symboles et des formalités juridiques vidées de contenu. Le déclin et l’extinction des sociétés politiques parfois ne se formalisent pas dans un acte nette et clair comme un armistice, la division en plusieurs Etat ou l’incorporation à l’empire ou royaume vainqueur. Pour constater l’extinction de l’Empire Romain sur le plan juridique, il a suffi de reconnaître l’institution de nouvelles autorités. Néanmoins, plusieurs siècles plus tard quelques-unes de ces institutions du droit romain ont été remises en vigueur par des dispositions des monarchies du Moyen Age. La Constitution canadienne de 1982 garde un certain parallélisme avec les monarchies européens du Moyen Âge, qui ayant besoin de refonder leur légitimité, et sous le coup d’une nostalgie du droit romain, ont remis en vigueur quelques institutions choisies de la république, du principat et du bas Empire Romain.


§ 2 : les ambiguïtés constitutionnelles.

L’article 25 de la Constitution du Canada comporte un énoncé très ambigu formulé ainsi :

« La présente charte…ne porte pas atteinte aux droits ou libertés… reconnus par la Déclaration Royale du 7 octobre 1763 ».

Elle admet une grande diversité d’interprétations juridiques à caractère téléologique, historique, littéral, formel, etc., dans un sens restreint ou élargi, entre deux pôles :
une confirmation constitutionnelle des droits et libertés des peuples autochtones toujours en vigueur et alors confirmés par la Déclaration Royale de 1763 ;
le renvoie par la Constitution de 1982 à la Déclaration Royale de 1763 pour la détermination de ces droits et libertés des peuples autochtones et non aux conditions originaires préexistantes avec la Déclaration.

Si l’on invoque la Constitution comme source juridique suprême, il faut préalablement lui reconnaître son caractère d’acte fondateur d’un pouvoir étatique, comme le fut –à sa façon- la Déclaration Royale de 1763. Or, l’article 25 de la Constitution et la Déclaration Royale de 1763 ont repris les institutions pré-existantes en les intégrant à l’acte constituant dans son ensemble, c’est à dire en adaptant les institutions pré-existantes. Cela nous conduit à signaler trois étapes :
d’abord, les droits et libertés des peuples autochtones dans la version antérieure à 1763 ;
le régime des droits et libertés des peuples autochtones confirmés et intégrés dans la Déclaration Royale de 1763 ;
et la version 1982 des droits et libertés des peuples autochtones repris de la Déclaration Royale, c’est à dire, confirmés et intégrés dans le cadre constitutionnel de l’Etat canadien indépendant.

La formule employée en 1763 et en 1982 reprend l’histoire politique du Canada en ajoutant le nouveau contexte institutionnel : l’appartenance au Royaume Uni puis à la Fédération du Canada. La tradition est confirmée en même temps qu’elle est modifiée. Ainsi, les traités historiques, les droits et les libertés autochtones acquièrent rang constitutionnel, certes, mais la souveraineté sur le territoire autochtone du Canada revient désormais à l’Etat.

Autrement dit, les traités historiques confirment leur force juridique en adoptant une solution politique et juridique selon laquelle l’Etat canadien ne renie pas sa propre souveraineté. Les traités historiques passent du droit international public au droit public interne, sous un jeu d’apparences et de polysémie qui a permis de capter les peuples autochtones en leur reconnaissant une autonomie interne. Le Ius gentium des XVIIème et XVIIIème était du droit international mais le droit international du XX siècle n’est plus du Ius Gentium. Isabelle Schulte-Tenckhoff a qualifié en 1994 ce processus souterrain sous le vocable technique d’« internalisation des traités historiques ».

Les autochtones sont conscients que la Déclaration Royale de 1763 et l’article 25 de la Constitution canadienne ont pu modifier substantiellement les traités historiques, d’où leur rejet de tout désengagement unilatéral de l’Angleterre de ses alliances historiques. Le raisonnement juridique est valable. Pourtant il n’est pas exact que l’Angleterre se soit désengagée unilatéralement lorsque tout le système de Ius gentium s’est effondré.

D’un point de vu politique, dire que les peuples autochtones détiennent encore leur souveraineté historique d’une façon identique équivaut à nier la souveraineté de l’Etat, en tant que suprématie politique exclusive, sur les peuples autochtones. La souveraineté, par définition, ne peut appartenir qu’à un seul sujet et si l’on parle de souveraineté partagée, on parle d’un autre concept de souveraineté, soit sur un registre politique, soit historique, idéologique ou rhétorique.  Un tel jeu polysémique peut contribuer à améliorer les conditions de vie des peuples autochtones à l’intérieur de l’Etat et le décalage sémantique peut faire évoluer l’Etat moniste vers un Etat pluraliste où la souveraineté serait partagée, mouvante ou disparaîtrait tout simplement.

Pour les constitutionnalistes, il est clair que de la Couronne anglaise a imposé sa souveraineté sur les peuples autochtones. Au fond, on retrouve l’affrontement entre la conception des droits et libertés issus de l’Etat et celle qui situe dans l’histoire le fondement des droits et des libertés.

Le rapport Martinez de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU a admis en 1999 qu’à l’époque du droit de gens, les puissances européennes reconnaissaient largement les peuples d’outre-mer en tant qu’entités souveraines et que les Européens étaient pleinement conscients qu’ils nouaient des relations contractuelles avec des nations souveraines, avec toutes les implications juridiques que cette expression comportait. Dans cette conception, la Conférence de Berlin de 1885 a adopté une définition du droit des gens comme “ le droit applicable aux relations entre toutes les nations de la terre, incluant les populations indigènes du Nouveau-Monde ».

Aujourd’hui les instances juridiques internationales considèrent les peuples autochtones comme des minorités ethniques à l’intérieur des Etats. Leurs traités historiques ne sont plus reconnus comme des « traités » au sens du droit international. Les Conventions de Vienne et de Genève sur le régime des traités ne s’appliquent pas aux traités historiques des autochtones par deux raisons, d’une part parce que ces Conventions n’ont pas d’application rétroactive et, d’autre part, parce qu’elles n’engagent que les Etats qui y ont adhéré. Pour l’instant, les Etats gardent le contrôle des instances juridiques internationales et ils n’admettent que les Organismes Internationaux créés par les Etats et des ONG, avec un statut restreint. L’ordonnancement juridique international n’octroi pas les prérogatives des Etats aux peuples autochtones ni aux minorités ethniques malgré leurs prétentions territoriales et de souveraineté.

Afin d’être présents sur la scène internationale, les peuples autochtones ont emprunté dans les années 1940 la dénomination de minorités ethniques puis ils ont adopté dans le système de l’ONU les traits des organisations non-gouvernementales (ONG). En 1974, la North American Indian Brotherhood (NAIB) a acquis le statut d’ONG consultative auprès du Conseil Economique et Social de l’ONU et, en 1977, l’Indian Treaty Council a également acquis ce statut. Par la suite, 14 ONG indigènes ont réussi à avoir le statut consultatif.

Mais, à partir de 1994, la représentation indirecte des peuples autochtones à travers des ONG a été remise en question par le gouvernement danois dans un document qui a proposé la création d’une instance permanent (Permanent Forum) à l’ONU indépendant des organes des droits de l’Homme. L’année 1995, le nouveau groupe de travail de la Sous-Commission a admis dans ses délibérations les délégués des peuples autochtones autres que les ONG accréditées auprès de l’ECOSOC.

Actuellement, le régime de l’instance permanente sur les questions autochtones et de son Fond Fiduciaire permettent aux leaders des peuples autochtones des divers pays d’avoir accès en tant que tels à l’ONU. Quant aux régimes internes, les peuples autochtones ont déjà gagné dans plusieurs pays des droits collectifs et des espaces d’autonomie politique, juridique et administrative.

Comme l’ont signalé Charles H. ALEXANDROVICZ et d’autres auteurs qui ont étudié les accords entre les peuples autochtones et les Etats, les traités historiques canadiens furent des traités internationaux au sens du droit des gens de l’époque, entre autres raisons parce que le projet colonisateur n’avait atteint que des proportions modestes. Il fallait conclure des traités militaires, commerciaux, d’alliance et de paix.

Les textes des traités historiques sont susceptibles, aujourd’hui, de lectures très différentes selon que l’on choisit la perspective des colons ou celle des peuples autochtones, que la durée des traités était implicitement limitée à quelques années ou indéfinie, que l’on met l’accent sur les textes signés ou sur les intérêts et les finalités de fond ou bien encore si on les analyse d’après le droit de gens de l’époque ou le droit international de nos jours, et ainsi de suite.

Sans prétentions d’orthodoxie ni d’exclusivité, voici quelques unes des réponses possibles :

On peut penser que choisir entre la continuité du Ius Gentium de jadis et le système juridique international d’aujourd’hui exige d’adopter des positions réactionnaires, conservatrices, avant-gardistes, révolutionnaires ou post-modernes ;
le récit historique préalablement adopté détermine le choix intellectuel entre la perspective des colons et celle des peuples autochtones. Au Canada, cette influence du choix historiographique apparaît clairement après la jurisprudence Sioui de 1990 en particulier dans son choix en faveur d’une interprétation aux peuples autochtones ;
Quant à la durée limitée ou indéfinie des traités, l’historicisme veut tenir compte des changements sociaux et politiques et leur reconnaître des effets transformateurs, soit automatiquement soit en exigeant des ré-négociations pour les mettre à jour
Le débat entre la littéralité des textes et les finalités du droit reste toujours ouvert, en laissant l’opportunité aux juges de appliquer strictement les textes, ou de prendre en compte l’axiologie, les fonctions et les finalités du droit.

Les traités historiques posent beaucoup de problèmes d’interprétation. La Cour Suprême du Canada dans les arrêts Simon (1985) et Sioui (1990) a adopté une notion assez large des traités historiques, en incluant les traités conclus sous le Régime britannique et sous le régime français. L’interprétation des textes juridiques et des pratiques coloniales dépende de l’opinion que l’on se fait de la légitimité des revendications autochtones

§ 3 : le régime actuel des traités historiques.

Il n’y a pas de juridiction internationale qui puisse faire valoir les traités historiques conclus par les peuples autochtones. Ils ont été « internalisés », c’est à dire, transférés dans la sphère du droit public interne. Au Canada, les traités historiques et contemporains en faveur des peuples autochtones jouissent d’une large protection constitutionnelle et légale dans le droit public interne, dont le régime est en pleine évolution. Les mécanismes de protection opèrent différemment selon le contenu des traités, par exemple pour des droits collectifs comme le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, la protection n’est pas la même que pour les mesures de discrimination positive mises en place par un accord contemporain.

La Constitution protège les droits découlant des accords. Or, ces ententes ne confèrent pas uniquement des droits aux autochtones mais également d’autres avantages comme des indemnités financières et divers programmes de développement, d’enseignement des langues autochtones, d’éducation autochtone, ou encore, la mise en place de structures administratives autochtones articulées avec les organes de l’Etat. Différentes logiques cohabitent sous la protection constitutionnelle des peuples autochtones. Lorsque le fondement des droits collectifs est la différence culturelle en elle-même, ces droits auront la même durée que les cultures autochtones, supposées permanentes.

Quant aux mesures de discrimination positive, il y aurait deux logiques possibles. Si leur but est de rétablir l’égalité, dans ce cas les avantages n’auraient qu’une justification temporaire jusqu’à leur réussite et les accords pourraient être supprimés. Tous les peuples autochtones ne veulent pas de s’inscrire dans cette logique de développement temporaire. Or, si le droit à la culture autochtone inclut la préservation de leur économie primitive, les aides et les subventions devraient être permanentes puisque l’infériorité économique des peuples autochtones est structurelle et ces derniers ne souhaitent pas abandonner leurs modes de production primitive. Il y aura toujours à côté des inégalités culturelles qu’ils veulent conserver une autre modalité d’égalité par rapport à laquelle les mesures de discrimination positive sont déterminées. Ainsi, les peuples autochtones demandent à la fois d’être égaux et inégaux, par rapport à des paramètres divers.

Une fois situés dans le cadre du droit public interne, les accords historiques et contemporains subissent certaines limitations du fait de leur appartenance au droit public interne d’un Etat. Ces limitations peuvent concerner les matières traitées ou bien découler des régimes d’exception lorsque la continuité de l’Etat est en danger. Il y a des matières comme la défense extérieure, la sécurité intérieure, les relations internationales, la souveraineté territoriale et monétaire du Canada et d’autres aspects de l’intérêt national sur lesquels il serait indispensable que l’Etat conserve un pouvoir éminent. Le fait d’affirmer vis-à-vis de l’Etat des droits collectifs et des programmes sociaux présuppose que l’Etat soit en condition d’accomplir ses obligations et ait toujours les moyens de le faire même s’il traverse une conjoncture difficile. Si la Constitution ne prévoit pas ces conditions, les droits de tous seraient méconnus.

L’incorporation des traités autochtones dans l’ordonnancement constitutionnel implique une relative adaptation du contenu des traités aux principes directeurs, aux valeurs juridiques et aux droits fondamentaux de la constitution. Mais si l’on insiste trop sur l’encadrement des traités dans l’ordre constitutionnel, cela pourrait alourdir l’application des droits, obligations et privilèges issus des traités autochtones constitutionnalisés.

Les traités conclus par les peuples autochtones canadiens sont doublement protégés. D’abord, par la Constitution de 1982 mais aussi par la loi fédérale sur les Indiens de 1876 dont l’article 88 protège les traités autochtones contre les atteintes des législations provinciales. Dans l’arrêt Côté rendu en 1996, la Cour Suprême du Canada a remarqué que la protection accordée par l’article 88 était plus large que celle accordée par l’article 35 de la Constitution puisque cet article est applicable ipso facto et rend inapplicable la loi provinciale qui porte atteinte à un droit autochtone. Voilà un exemple de protection supplémentaire accordée aux traités autochtones. Au Canada, l’inapplicabilité des lois n’est pas possible dans le cas d’une opposition entre une loi provinciale et la Constitution.

Les peuples autochtones ont aujourd’hui de multiples statuts : sur le plan interne celui de collectivités territoriales, de mouvements sociaux et politiques et de populations sub-nationales et sur la scène internationale, le régime des ONG représentant des minorités. La situation peut évoluer dans le sens d’une reconnaissance comme de nouveaux sujets à part entière d’un ordre juridique post-moderne. La progression de leurs droits est assez considérable dans les Etats multinationaux.

L’évolution des Etats constitue une réalité évidente : leurs souveraineté, compétences et structures sont l’objet de profondes transformations. Les Etats s’adaptent pour ne pas perdre le contrôle du système international ni le monopole des sources du droit interne. Dans ce contexte les traités historiques et contemporains des peuples autochtones servent paradoxalement à renforcer l’unité du droit sans pour autant uniformiser ni homogénéiser les populations.

L’arrêt Sioux de la Cour Suprême du Canada a reconnu qu’à l’époque des traités historiques, les nations indiennes jouissaient d’une certaine indépendance et la France et la Grande Bretagne, qui avaient besoin de l’appui militaire et commercial des Indiens pour obtenir le contrôle des territoires et étaient obligées de conclure des traités et des alliances avec les autochtones. Les rapports à cette époque étaient de nation à nation fondés sur le respect et l’entraide mutuelle.

Dans l’arrêt Sioux la Cour Suprême du Canada a élabore quatre critères pour l’interprétation des traités historiques :
adopter une interprétation large et libérale de ce qui constitue un traité ;
tenir compte du contexte historique du traité ;
tenir compte de la perception de chaque partie sur la nature des engagements ;
résoudre les doutes et les ambiguïtés en faveur des autochtones.

Dans l’affaire Sioux, deux frères, membres de la bande des Hurons au Québec, ont campé, coupé des arbres et fait du feu dans le Parc Jacques-Cartier, situé en dehors des limites de leur réserve. Selon eux, ces activités représentaient la pratique de coutumes ancestrales et de rites religieux qui était protégée par un document britannique de 1760 signé par le Général Murray, auquel ils attribuaient valeur de traité, au sens de la loi sur les Indiens et au sens de la Constitution de 1982.

Voici le texte pertinent du traité de 1760 :

« Ils sont reçus aux mêmes conditions que les Canadiens, il leur sera permis d’exercer librement leur religion, leurs coutumes et la liberté de commerce avec les Anglais : nous recommandons aux officiers commandant les postes de les traiter gentiment ”.

La volonté des parties est interprétée par la Cour Suprême selon le contexte historique et les faits qui ont entouré l’élaboration du document.

L’arrêt Sioux aborde l’analyse de la capacité des parties pour s’obliger en vertu du traité de 1760. Concernant les Hurons, la Cour Suprême a estimé que leur capacité de s’engager n’était pas liée à l’occupation historique du territoire d’application du traité. La Couronne pouvait octroyer des droits aux autochtones sur un territoire autre que leurs terres traditionnelles. Quant à la représentation de la Couronne anglaise, la Cour a considéré que les Hurons pouvaient raisonnablement penser que le général Murray avait la capacité d’engager la Couronne.

Dans l’arrêt Sioux, la Cour Suprême a appliqué le document de 1760 simplement sur la base de la Loi Fédérale sur les Indiens sans invoquer la Constitution  comme fondement de sa décision. La Cour a analysé l’incompatibilité du règlement provincial au regard de la loi sur les Indiens et cela lui a suffi pour écarter le règlement provincial.

Un autre apport de l’arrêt Sioux est l’énumération des trois éléments essentiels d’un traité : l’intention de créer des obligations, la présence d’obligations mutuelles et un certain élément de solennité.

Malgré le manque de la signature du chef indien dans le traité de 1760 de l’affaire Sioux, la Cour Suprême du Canada a considéré que la signature n’est pas un élément constitutif essentiel d’un traité. S’agissant de la solennité, la Cour reconnaît les formalités autochtones, telles que la présentation de ceintures ou encore les cadeaux offerts aux alliés, qui montrent bien l’engagement solennel. Considérant tous ces éléments, la Cour Suprême a conclu que le document adopté en 1760 était bien un traité historique.



Section III : les accords contemporains.

§ 1 : les compétences internes des autochtones.

En 1973, le gouvernement canadien a adopté une politique fédérale de règlement des revendications des peuples autochtones par le biais de négociations, sans avoir à recourir aux tribunaux. Puis en 1986, l’Etat a accepté de négocier l’octroi de certaines mesures d’autonomie. Une Commission des revendications des Indiens fut créée en 1991 avec pour mandat de mener des enquêtes et de formuler des recommandations sur la validité des revendications non agréées par le Canada.

Les accords contemporains sont de deux types : les revendications territoriales et les accords d’autonomie gouvernementale mais seuls les accords de revendications territoriales seraient reconnus et protégés par l’article 35 de la Constitution tandis que les accords d’autonomie gouvernementale pourront être remis en cause, à tout moment.

Sur les plans politique et juridique, l’Etat a la priorité sur les peuples autochtones, auxquels il propose de renoncer à une formule unique et uniforme d’autonomie gouvernementale pour tenir compte de la situation très différente d’une communauté autochtone à une autre. Ainsi, l’Etat propose de négocier des ententes plus flexibles en réponse aux besoins spécifiques des peuples autochtones, de leur situation politique, économique, juridique, historique, culturelle et sociale particulière.

Pour l’Etat canadien, les actuels processus de négociations vont déterminer le contenu précis des statuts historiques, les obligations, droits et privilèges des peuples autochtones contemporains. Les nouveaux accords confirmeront l’internalisation des traités originairement de droit de gens et la place de la Constitution de 1982 au sommet des ordonnancements autochtones, à la manière d’une nouvelle formule de l’indirect rule.

En fait, le gouvernement fédéral du Canada a plus de 80 négociations en cours, auxquelles participaient plus de la moitié des communautés Inuits et des Indiens. Un certain nombre d’ententes sur l’autonomie gouvernementale ont déjà été conclues au profit de groupes autochtones. Selon la nouvelle logique, chaque groupe autochtone aura un régime juridique différent des autres.

D’une façon générale, le gouvernement considère que les compétences des peuples autochtones devraient concerner les affaires internes du groupe, les questions faisant partie de sa culture et tous les éléments essentiels pour lui permettre de fonctionner en tant que gouvernement ou institution. Sous cette approche, les négociations portent sur :

l’établissement des structures gouvernementales, réglementations internes,
l’élection et les mécanismes de sélection des dirigeants;
l’appartenance au groupe;
le mariage;
l’adoption et aide sociale à l’enfance;
langues, cultures et religions autochtones;
l’éducation;
la santé;
les services sociaux;
l’application des règles de droit par des tribunaux autochtones ;
la définition d’infractions et des contraventions à leurs règles de droit;
les services de maintien de l’ordre;
le droit de propriété ;
les successions;
la gestion des terres, notamment: zonage, frais de service, régime foncier et accès aux terres;
l’expropriation des terres autochtones pour les fins publiques du gouvernement autochtone;
la gestion des ressources naturelles;
l’agriculture, la pêche, la chasse et le piégeage sur les terres autochtones;
la perception de taxes;
le logement;
le transport local;
la réglementation et exploitation des entreprises situées sur les terres autochtones.

Dans certains de ces domaines, des ententes détaillées devront être conclues afin d’harmoniser les règles de droit applicables alors que dans d’autres une reconnaissance plus générale de la compétence ou du pouvoir des autochtones en la matière pourra suffire. Il existe d’autres domaines susceptibles de déborder le cadre des questions strictement internes du groupe autochtone et qui concerneraient également le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Parmi les domaines susceptibles de conflits, on peut mentionner:
le divorce;
la main-d’œuvre et la formation;
l’administration de la justice de nature criminelle;
les prisons et la liberté conditionnelle;
la protection et l’évaluation environnementales;
la cogestion de pêcheries;
la cogestion en matière d’oiseaux migrateurs;
les jeux de hasard;
la protection civile.

§ 2 : les cas représentatifs des accords contemporains.

Au Canada, on trouve des typologies assez différentes d’accords entre l’Etat, les provinces et les peuples autochtones. La Convention de la Baie James et du Nord québécois fut la première convention moderne, conclue en 1975 puis renégociée en 1993 pour aboutir à la création du Nunavut, territoire fédéral géré par les Inuit. La formule du transfert graduel des compétences fédérales aux gouvernements des peuples autochtones du Manitoba a été adoptée en 1984. Puis, par la convention de Sechelte, la province de la Colombie-Britannique a accordé en 1986 le statut de municipalité à la bande Sechelte, des pouvoirs législatifs au conseil de la bande et des subventions. Une entente-cadre fut signée en 1993 pour le territoire du Yukon où habitent 14 nations indiennes. Dans la province du Québec, qui revendique sa condition de minorité culturelle à l’intérieur de la Fédération du Canada, les autochtones se sont opposés à l’autonomie de la province les vingt dernières années mais les tensions ont diminué dernièrement.

A. La Convention de la Baie James.

La Convention de la Baie James et du Nord québécois, signée le 11 novembre 1975 est le premier des accords de revendications territoriales globales, conclu entre le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec, le Grand Conseil of Cris et la Northern Québec Inuit Association au nom des Inuits du Québec et des Inuits de Port Burwell. Cette convention est rentrée en vigueur en 1984 par une loi fédérale. La politique d’assimilation des peuples autochtones était en marche à cette époque et l'approche utilisée a été celle de l'extinction unilatérale des droits des autochtones en contrepartie des programmes d’éducation, de justice, de santé publique, de protection de l’environnement et de la faune et des indemnités financières. Cette Convention couvre un territoire de 656 000 kilomètres carrés.

En ce qui concerne le régime des terres, la Convention de la Baie James et du Nord québécois établit trois catégories:
les terres de la 1ère catégorie (5 200 kilomètres carrés) sur lesquelles les autochtones ont des droits de propriété et qui sont administrées par des corporations locales et régionales autochtones.
les terres de la 2de catégorie (161 000 kilomètres carrés) où les autochtones ont des droits exclusifs de chasse, de pêche et de piégeage, sans droit d’occupation.
les terres de la 3ème catégorie (la plus grande partie du territoire), qui sont accessibles à toute la population, y compris les autochtones, qui ont des droits non exclusifs de chasse, de pêche et de piégeage.

La convention crée des structures gouvernementales décentralisées, fédérales et provinciales. Le gouvernement fédéral, en signant la Convention, a transféré à la province du Québec une grande partie de son autorité, ce qui a pour effet que la quasi-totalité des institutions étatiques sont désormais sous la responsabilité québécoise.

La convention de la Baie James et du Nord québécois a établi un programme de revenu garanti pour les chasseurs, un régime de protection de l’environnement, la création des corporations publiques locales et régionales et la participation des autochtones dans organismes de cogestion des divers services à la population. En matière d’éducation, la convention a créé une commission scolaire pour les Cris et une autre pour les Inuits et pour les services de santé et d’autres services sociaux, un conseil régional Cri et un autre conseil régional Inuit ont également été mis en place.

La portée des droits cédés par les autochtones dans cette convention demeure encore aujourd’hui à déterminer. D’après les gouvernements, ils auraient réalisé la cession complète et définitive de tout droit sur le territoire tandis que les autochtones signataires estiment que ce qu’ils ont cédé est très limité et surtout que cela ne comprendrait pas leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Un autre différend concerne les droits territoriaux des autochtones qui ont refusé de signer la Convention, comme les Algonquins, les Attimateks, et les Montagnais. C’est un problème classique des négociations collectives auquel n’échappent pas les peuples autochtones.

A première vue, la convention a entraîné une acculturation de la population Inuit notamment ; on a vu apparaître des maisons chauffées, des téléphones, des scooters des neiges, des bateaux à moteur, l’apparition d’entreprises Inuits de type capitaliste et le déclin des petites coopératives autochtones. Cependant, ces changements de mode de vie ont renforcé leur cohésion sociale et leur attachement à d’autres aspects de leur culture comme la langue, l’éducation et les symboles traditionnels.

Pourtant l’application de la convention a soulevé des critiques. Les autochtones ont commencé à dénoncer le manque de reconnaissance de leurs coutumes, la destruction de sites culturels et funéraires sacrés, la destruction de terrains de chasse et de trappe et la bureaucratisation entraînée par l’accord, nécessitant un appareil administratif très lourd qui court-circuitent toute tentative de décision participative. Les tensions politiques ne manquent pas, ni à l’extérieur et ni à l’intérieur des communautés autochtones, entre les partisans du développement de l’accord et les opposants.

Les revendications territoriales globales des Inuits ont abouti à la création officielle, le 1er avril 1999, d’un troisième territoire fédéral, le Nunavut, qui représente la reconnaissance par le gouvernement fédéral de l’identité distinctive des peuples autochtones du Canada. Les 25 ans qui séparent la convention de la Baie de James et du Nord du Québec avec la création du Nunavut mettent en évidence l’évolution des mentalités canadiennes à l’égard à la situation des peuples autochtones.

B. le Manitoba.

En 1984, le gouvernement fédéral a signé une entente avec les Indiens de la province du Manitoba qui prévoit le transfert graduel des compétences détenues par le ministère des affaires indiennes et du nord canadien aux gouvernements des nations premières du Manitoba. Ce processus de transfert de compétences, qui doit durer 6 ans, a tarde à démarrer à cause de la complexité des négociations en matière de compétences et d’autonomie gouvernementale.

Cette entente contient notamment la reconnaissance du droit des premières nations du Manitoba à l’autonomie gouvernementale, l’abrogation de la loi sur les Indiens de 1876 et le maintien du rôle de fiduciaire du gouvernement fédéral à leur égard.

C. Sechelte.

La bande indienne Sechelte a revendiqué son autonomie depuis les années 1970. Après 15 ans de négociations et de consultations, une loi adoptée en 1986 par la province de la Colombie-Britannique lui a accordé le statut d’une municipalité et lui a délégué les pouvoirs de négocier des ententes concernant des dossiers précis, comme conclure des marchés et des contrats, acquérir, vendre et aliéner des biens, dépenser, investir et emprunter de l’argent. La collectivité est autorisée à créer sa propre constitution, établissant son gouvernement, ses critères d’appartenance et ses compétences législatives. La loi prévoit le transfert en fief simple du droit de propriété sur les terres Secheltes et prévoit des subventions administrées par le conseil de bande. Les membres élus du conseil ont le pouvoir d’adopter des lois sur différentes questions, notamment l’accès aux terres Secheltes et le droit d’y résider, l’administration et la gestion des terres appartenant à la bande, l’éducation, l’aide sociale et les services de santé ainsi que l’impôt foncier local.

Certains groupes autochtones ont critiqué le modèle Sechelte, affirmant que c’était une entente de type municipal régie par les lois provinciales. Les Secheltes ont affirmé, de leur côté, que c’est un modèle unique, conçu en fonction de leur situation particulière et que les autres communautés ne sont nullement obligées de s’y conformer.

D. Yukon.

Le Yukon est un territoire fédéral qui renferme 14 nations indiennes différentes. Ces nations représentent 8.000 Indiens sur une population totale de 32.000 personnes. Les négociations ont abouti, le 29 mai 1993, à la signature d’une accord-cadre finale qui établit la base de la négociation du règlement final des revendications territoriales mais aussi des ententes d’autonomie gouvernementale avec chacune des 14 nations du Yukon. La Loi sur l’autonomie gouvernementale des premières nations du Yukon leur donne le pouvoir de légiférer sur les affaires internes (l’utilisation et la gestion des terres, la chasse, la pêche, la réglementation des entreprises, permis et impôts, la langue, la culture, les soins, les services sociaux et l’éducation).

Les constitutions des premières nations précisent les critères d’appartenance, les pouvoirs, la composition et les procédures des organismes de réglementation, les systèmes de rapports financiers et les mécanismes de protection des droits des citoyens. Les programmes et les services sont financés dans le cadre d’ententes quinquennales de transfert financier avec le gouvernement fédéral.

E. Le Québec.

Le mouvement souverainiste de la province du Québec et les peuples autochtones du Québec se rejoignent sur la revendication de leur caractère minoritaire, de la reconnaissance de leur identité culturelle, leur langue et leur revendication des droits collectifs en tant que sociétés distinctes, aux critiques contre le centralisme et à l’invocation du principe international du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Par ailleurs, les deux mouvements incluent des positions assez éloignées : il y a ceux qui proposent une séparation territoriale de l’Etat et ceux qui réclament des espaces d’autonomie politique, administrative et financière à l’intérieur de la fédération du Canada.

Au début de la confédération, le Québec a pu faire valoir sa spécificité parce qu’elle occupait une place éminente au sein de la fédération, par sa démographie et son économie. Aujourd’hui, sa démographie décline et son économie est moins puissante. Au Québec, plus de 83% de la population est francophone et le mouvement souverainiste est intimement lié à la défense de la langue française et de la culture proprement québécoise.

A partir des années 1960, le nationalisme québécois est apparu. Il s’est traduit par une série de négociations avec le gouvernement fédéral sur l’éventuelle adoption d’un statut distinct pour le Québec au sein de la fédération. La possibilité d’une sécession remettrait en cause l’unité territoriale du pays et par là-même la souveraineté de l’Etat fédéral  et a donné lieu à un intense débat constitutionnel qui concerne également les peuples autochtones.

L’accord du lac Meech en 1985 et l’accord de Charlottetown en 1992 auraient pu être l’occasion, pour le Québec, de faire reconnaître par le gouvernement fédéral son statut de société distincte. Aucun des deux accords n’a aboutit. L’accord de Charlottetown fut rejeté lors du référendum national d’octobre 1992. Un second référendum en 1995, au sein de la province du Québec sur l’indépendance totale a donné un résultat de 50,56% des suffrages  en faveur du maintien du Québec au sein de la fédération.

La Cour Suprême a considéré qu’un référendum dont les résultats seraient clairs pour la sécession aurait la valeur de signal politique très fort et non pas la valeur d’un acte constituant en lui-même. Dans un tel cas, il appartiendrait aux gouvernements fédéral et provinciaux de prendre la suite et de réagir à cette volonté populaire qui constituerait une offre de négocier de la part du Québec. La Cour a mis l’accent sur l’importance de respecter la démocratie et d’entamer la négociation entre les gouvernements avant une éventuelle modification de la constitution. La Cour Suprême refuse de répondre à la question de savoir si le Québec constitue un peuple au sens du droit international. La réponse aurait des effets vis-à-vis des peuples autochtones.

Imaginer ce que les peuples autochtones deviendront dans un nouvel Etat québécois met en évidence la part importante de relativité du droit des minorités. Pour construire une identité collective comme minorité, on a besoin d’une majorité à laquelle s’opposer. Pour une minorité militante l’humanité est divisée en deux : nous et les autres. Pourtant les autres ne sont pas homogènes, ni toujours dominants mais il faut penser qu’ils le sont. Actuellement les Québécois comptent sur cet « autre collectif » qu’est la nation organisée comme fédération pour jouer le rôle clé de majorité, tandis que les peuples autochtones entretiennent des rapports dynamiques aussi bien avec les Québécois qu’avec les Canadiens, selon des logiques différentes actuellement en équilibre. Mais les choses iront autrement si les québécois assument le rôle de majorité sans la fédération canadienne au dessus et les autochtones craignent qu’ils sortent perdants d’un tel réaménagement.

En fait, les peuples autochtones du Québec se sont toujours opposés à l’indépendance de la province du Québec. Notamment, lors des débats sur l’Accord du Lac Meech, le député indien Elijah HARPER a utilisé son droit de veto à l’encontre de l’accord qui aurait reconnu la spécificité de la province du Québec. Cette action a provoqué un fort ressentiment anti-indien dans la province.

En 1995, les communautés Cree et Inuit ont organisé leurs propres référendums une semaine avant le référendum québécois sur l’indépendance de la province. Plus de 96% des votants se sont prononcés contre l’indépendance du Québec. L’opposition des peuples autochtones du Québec va à l’encontre même de ce qu’ils revendiquent. Les peuples autochtones s’inquiètent de trois éléments importants qu’ils apprécient du régime canadien :
la loi sur les Indiens ne pourrait plus être invoquée par les Indiens du Québec ;
la reconnaissance et la protection constitutionnelle des droits ancestraux et issus des traités des peuples autochtones ;
les accords de revendications territoriales tels que la Convention de la Baie James et du Nord québécois, protégés par la Constitution fédérale.

An fond, l’attitude des peuples autochtones du Québec montre qu’ils ne sont pas mécontents des institutions et de la législation canadienne et que leur statut de minorité les conditionne pour adopter un tel discours critique. Leur insatisfaction permanente a de causes réelles mais elle peut obéir aussi à une stratégie politique.

La province du Québec mène des négociations depuis 2003 avec les communautés autochtones de Betsiamites, d’Essipit et de Mashteuiatsh, entre autres, à partir d’une distinction entre deux régimes territoriaux :
l’ HYPERLINK "http://www.mce.gouv.qc.ca/innus/" \l "innu_assi" Innu Assi, territoire que les Innus possèdent en pleine propriété;
le  HYPERLINK "http://www.mce.gouv.qc.ca/innus/" \l "nitassinan" Nitassinan, territoire québécois sur lequel les Innus auraient certains droits concernant leurs activités traditionnelles de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette selon la réglementation du Québec.



§ 3 : la renégociation générale des traités historiques.

Le rapport Martinezde l’ONU et les travaux d’Isabelle Schulte-Tenckhoff publiés en 1994 permettent de situer les traités historiques des peuples autochtones du Canada dans le cadre conceptuel du droit de gens qui a précédé le droit international du XX siècle. L’ONU met en relief que les traités historiques furent conçus pour le contexte social, politique et scientifique datant de plusieurs siècles, à une époque où les peuples autochtones vivaient sous le régime de l’indirect rule coloniale.

Quant aux peuples autochtones, le système du droit de gens inclus trois sous-systèmes :
les traités résultant des relations entre les puissances européennes et les peuples autochtones d’outre-mer ;
les traités et accords passés entre les puissances européennes elles-mêmes et appliqués aux peuples autochtones en tant que tierces parties ;
le régime de droit international propre aux peuples autochtones, encore peu étudié.

Pour l’Etat canadien les accords contemporains et les quelques quatre-vingt négociations actuellement en cours avec les peuples autochtones confirment l’internalisation des traités originairement du Ius Gentium et détermine le contenu précis des traités historiques. Un autre objectif pour l’Etat -last but not least- est de faire reconnaître la constitution et l’Etat de droit par les peuples autochtones, lesquels à leur tour apportent de nouveaux éléments à l’Etat.

Un tel processus de transformation du droit public interne entraîne un rééquilibrage profond des institutions politiques et juridiques et demande, entre autre, une redéfinition de certaines notions juridiques. Lorsque les peuples autochtones revendiquent l’application des traités historiques, les frontières entre le politique et le juridique deviennent floues. La politique envahit le droit pour imposer une certaine ré-interprétation des traités historiques. Il s’agit plutôt d’élaborer une nouvelle politique interne favorable aux autochtones et non pas de faire appliquer les traités historiques par des tribunaux internationaux.

Par ailleurs, les peuples autochtones canadiens utilisent les sciences sociales, grâce à leur statut de sciences auxiliaires du droit, pour greffer les traités historiques dans le droit public contemporain. Les juristes échappent à l’anachronisme des traités juridiques en choisissant seulement quelques éléments du passé pour les remettre en vigueur mais non pas la totalité du passé. Par exemple, les accords commerciaux et les alliances militaires du XVIIème siècle ne sont pas remis intégralement en vigueur.

Le Canada en accord avec les peuples autochtones a adopté différents régimes pour leurs terres. Il semblerait que l’uniformité d’un seul régime ne permettre pas les nuances requises pour harmoniser les droits et les besoins des différents groupes sociaux. La pluralité des régimes se retrouve également en Australie.

Certains auteurs, qui se rendent compte qu’il n’est pas possible d’effacer tout ce qui a été accompli de positif ou de négatif, font appel à une temporalité mythique qui ne correspond pas au temps historique. Ils peuvent également décider d’ignorer les continuités et discontinuités historiques des Etats et des peuples autochtones. Paradoxalement, les défenseurs des traités historiques prétendent nier les changements de l’histoire et critiquer le présent. Pourtant il n’y a pas d’anachronisme, puisqu’au fond on produit du contemporain avec des éléments anciens.

Les accords contemporains au Canada se divisent en deux grands types : les accords de revendications territoriales globales qui ont le même statut constitutionnel des traités historiques selon l’arrêt Sioui de 1990 et les accords de contenu administratif, dont les programmes sociaux et mesures de discrimination positive sont susceptibles de modifications.

Bien que les peuples autochtones tiennent un discours éthique et juridique qui culpabilise l’Etat du fait de leurs pertes historiques pour ensuite lui demander des compensations. Cela implique une reconnaissance et un renforcement de l’Etat de sorte qu’il puisse accomplir les obligations que les peuples autochtones exigent de lui. Critiquer l’Etat de droit ne veut pas dire désirer sa fin : c’est la première étape d’un processus visant à obtenir de lui ce qu’on désire. La plupart des peuples autochtones canadiens apprécient le statut acquis sous la Constitution de 1982.  L’opposition des autochtones à l’indépendance du Québec et la célébration d’accords contemporains montrent qu’ils sont conscients des acquis obtenus sous le régime constitutionnel en vigueur.

La logique dominant aujourd’hui les rapports entre les peuples autochtones et l’Etat canadien est la négociation pour élargir la portée des bénéfices en faveur des autochtones et pour légitimer l’Etat après les affres d’un passé colonial affreux. La formule d’«extinction supplétive» des droits donne la possibilité de tout négocier et d’éteindre les droits historiques, tout en étant beaucoup plus respectueuse à l’égard des peuples autochtones. Ainsi les régimes juridiques du passé s’adaptent aux nouveaux enjeux.

CONCLUSIONS DE LA PREMIERE PARTIE


Le pluralisme juridique demandé par les peuples autochtones pour conserver leurs identités culturelles emprunte des éléments propres aux sciences sociales et aux idéologies politiques. Les peuples autochtones fondent leurs revendications aussi bien sur leur passé historique et leurs traditions mythiques que sur les textes récents des constitutions et des lois. Ils ont fait des alliances transnationales avec les mouvements écologistes et les mouvements sociaux alternatifs. A partir des années 1970, les mouvements sociaux des peuples autochtones s’étaient largement internationalisés, de sorte que, avec la mondialisation, ils ont su s'adapter rapidement aux nouveaux enjeux, en adoptant un mode spécifique d’insertion dans le système international plutôt contestataire, ce qui leur permet de bien marquer leurs différences..

En Australie, les institutions et les formules pragmatiques du régime colonial britannique ont pris en compte les peuples aborigènes, d’après les critères politiques et l’avis des anthropologues de l’époque. On a essayé plusieurs fois, pendant sa période coloniale d’assimiler les aborigènes en leur apprenant l’agriculture. En 1992 la Cour Suprême a bouleversé le régime foncier avec l’Arrêt Mabo vs. State of Queensland dont les effets furent encadrés en 1993 par la Native Title Act ; depuis lors le régime foncier a considérablement évolué à partir de la doctrine de la Common Law médiévale. L’Australie est le seul Etat qui a consacré le principe de non-extinction des titres natifs bien qu’il admette des suspensions permettant l’octroi de droits, concessions et titres temporels pour les exploitations économiques minières, agricoles ou d’élevage de bétail. Aujourd’hui, l’Australie est un Etat multiculturel en pleine nation building qui intègre des immigrants asiatiques et océaniens.

Au Canada, les peuples autochtones étaient considérés à l’époque coloniale comme des nations à part et ont conclu des accords avec la France et l’Angleterre. La Constitution fédérale de 1982 a reconnu leurs droits ancestraux et ceux issus des accords historiques. L’arrêt Guerin de 1984 a établi un régime d’obligation fiduciaire qui fait de l’Etat le garant, vis-à-vis des peuples autochtones des pouvoirs qu’ils lui ont cédé. La Cour Suprême du Canada a mis en place d’autres institutions prétoriennes assez intéressantes, comme le test de justification des atteintes. En 1992 un référendum constitutionnel n’a pas reconnu le droit des peuples autochtones à leur autonomie politique, ce qui a été un échec pour les autochtones. Les accords tripartis entre les peuples autochtones, les provinces et la fédération, cherchent à préciser la portée des droits ancestraux. Plusieurs accords furent conclus et plus de 80 sont en cours de négociation.

En Colombie, la plupart des peuples indiens furent détruits par l’occupation coloniale espagnole. Cependant la Couronne avait promulgué des mesures pour protéger les Indiens ; comme les terres des resguardos dont la population était gouvernée par des cabildos indigènes, lesquels subsistent actuellement. La Constitution de 1991 a développé dans 22 articles les lignes maîtresses de la Convention n° 169 de 1989 de l’OIT : L’Etat reconnaît et protège la diversité ethnique et culturelle de la nation ainsi que les territorialités indigènes sous la forme de resguardos et des collectivités territoriales indigènes. Les communautés indigènes jouissent de la propriété collective de leurs terres dont l’étendu est de 250.000 km², soit le 25% du territoire national. De surcroît, elles jouissent d’autonomie politique, administrative, législative et judiciaire dont l’articulation avec l’ordre juridique de l’Etat est garantie par la juridiction constitutionnelle. Le régime des droits fondamentaux, qui intègre un noyau dur et une partie flexible, sert pour protéger les droits des indiens et pour développer les institutions propres à un Etat multiculturel.

La Nouvelle-Calédonie est la preuve de l’ouverture de l’Etat français au multiculturalisme à l’encontre des idées dominantes en France métropolitaine. Le droit commun et le droit coutumier des Kanaks constituent une duplicité de statuts donnant lieu à la réversibilité des statuts et à un usage stratégique des deux statuts. L’égalité formelle des régimes coutumiers et de droit commun, reconnue par la jurisprudence calédonienne, permet des situations de pluralisme juridique. La création des assesseurs coutumiers dans la juridiction civile en 1982, puis dans la juridiction pénale, a mis en place l’équivalant d’une juridiction inter-culturelle.

Une fois disparu le ius gentium, les traités historiques conclus entre les peuples autochtones et les Etats colonisateurs il faudrait les considérer comme définitivement internalisés, c’est-à-dire, que leurs effets juridiques sont passés du plan international au droit public interne de l’Etat. Il est claire que depuis 1923, lorsque la Cour internationale de justice a déclaré irrecevable la requête du chef Deskaheh, il n’est plus question d’appliquer les traités historiques de l’époque du ius gentium. A partir 1974, l’ONU a accordé le statut consultatif aux ONG autoproclamées représentantes des peuples autochtones, mais ce mécanisme a connu une crise en 1984 et, depuis lors, les peuples autochtones accèdent directement aux instances onusiennes. L’ONU ne reconnaît plus de terra nullius et encourage les Etats à reconnaître les peuples autochtones, leurs autorités traditionnelles et leurs ordonnancements coutumiers dans le cadre de l’ordre juridique interne. La Convention n° 169 de 1989 de l’OIT et les constitutions des Etats multiculturels situent les peuples autochtones à l’intérieur des Etats sociaux de droit, où ils partagent les valeurs des Droits de l’Homme et les revendications d’autres minorités.

Le trait commun aux quatre Etats étudiés est l’attribution du statut égalitaire de la citoyenneté à tous, autochtones et non-autochtones, et la reconnaissance d’un statut supplémentaire d’autonomie pour les peuples autochtones. Les peuples autochtones veulent être égaux et inégaux par rapport à des paramètres divers et, pour cela, ils jouissent d’une duplicité de statuts juridiques qui suscite tensions et ambiguïtés. L’égalité joue un rôle majeur en articulant les ordonnancements autochtones et l’ordre juridique de l’Etat : l’égalité formelle entre les deux se situe à la base de tous leurs rapports et, d’autre part, l’égalité matérielle des droits citoyens justifie les mesures de discrimination positive en faveur des autochtones pour les sortir de l’infériorité de leurs conditions de vie.

Mais l’égalité visée a ses limites dans la protection des différences (inégalités) culturelles, lesquelles justifient des mesures permanentes de discrimination positive dont la finalité est double : elles cherchent, d’une part, à rendre les autochtones égaux aux autres citoyens en niveau de vie matérielle et, d’autre part, à perpétuer leurs différences culturelles, particulièrement en ce qui concerne leurs modes de production traditionnels. Pourtant certains autochtones prônent une remise à jour des activités économiques traditionnelles.

Le pluralisme juridique se produit lorsqu’une pluralité d’ordonnancements se reconnaît réciproquement et accepte d’interagir le uns les autres par rapport à une même population. Le Canada et la Colombie sont deux pays où la reconnaissance des droits ancestraux au niveau constitutionnel a produit, sur le plan du droit positif de l’Etat, l’existence d’une multitude d’ordonnancements juridiques semi-autonomes qui s’articulent à l’ordre juridique de l’Etat par trois mécanismes :
les régimes spéciaux souvent proposés par des autochtones soucieux d’assurer la permanence d’un espace juridique commun à l’Etat et aux autochtones ;
les autonomies politiques, administratives, législatives et judiciaires dont la portée est assez diverse et change au gré des basculements identitaires ;
le pluralisme juridique permettant des situations dans lesquelles un individu peut se voir appliquer des mécanismes juridiques relevant d’ordres juridiques différents.











































SECONDE PARTIE :
LES EFFETS DES PLURALISMES JURIDIQUES
SUR LA THEORIE
JURIDIQUE



Chapitre VI

Les Effets du pluralisme juridique
sur les principes généraux du droit constitutionnel
et de la théorie constitutionnelle.



Reconnaître à l’intérieur des Etats les ordonnancements juridiques des peuples autochtones dont les cultures sont assez différentes les unes des autres, modifie en profondeur la théorie et le fonctionnement du constitutionalisme classique. D’abord, parce que le droit public interne reconnaît, dans l’espace public, que les différences culturelles entraînent des conséquences juridiques et, ensuite, parce que passer ainsi du singulier au pluriel signifie beaucoup plus qu’un saut quantitatif et oblige à démonter les principes « évidents et objectifs » du monisme juridique et d’une prétendue homogénéité culturelle, que toute société se procure.

Auparavant reléguées dans l’espace privé, les différences culturelles n’étaient appréhendées par la jurisprudence comme des cas particuliers. Les Etats ayant eu des régimes coloniaux avaient l’expérience du traitement juridique de la diversité culturelle, bien que sous une logique de domination des peuples colonisés et d’infériorisation de leurs cultures. Or, coloniser et tenir pour inférieur une culture différente de la sienne ne sont plus des actions légitimes pour les Etats du XXIème siècle.

Les Etats étudiés et l’ordre juridique international reconnaissent et respectent la diversité juridique et construisent leurs rapports inter-culturels à partir du principe de l’égale dignité des cultures, bien que leur taille démographique et leurs ressources soient inégales. Réfléchir sur les nombreux ordonnancements juridiques autochtones déjà reconnus par les Etats suppose une approche novatrice pour les juristes habitués à une théorie du droit où l’Etat détient le monopole des sources du droit. Les Etats, redéfinis comme multiculturels ajustent les catégories et les concepts de leur droit public.

L’étude des ordonnancements juridiques des peuples autochtones peut se faire de deux façons : soit d’une manière essentialiste et absolue, soit en observant les Etats qui ont reconnu le multiculturalisme et le pluralisme juridique, ce qui relativisent beaucoup la portée des ordonnancements autochtones.

L’essentialisme des cultures peut revêtir le caractère d’étude abstraite sur le multiculturalisme et sur un pluralisme juridique idéalisé. L’essentialisme des cultures peut également devenir une idéologie militante pour mobiliser politiquement les peuples autochtones. Mais avoir une approche idéologique du pluralisme juridique n’est pas une approche juridique.

Lorsque l’on adopte une approche pragmatique des ordonnancements autochtones, on découvre que leurs particularismes s’insèrent dans un ensemble plus complexe, l’ordre juridique des Etats multiculturels où se produisent, entre autres, des situations de pluralisme juridique. En fait, dans les Etats multiculturels les deux choses coexistent avec une relative autonomie : l’ordre juridique étatique et les ordonnancements autochtones. Dans la pratique des quatre pays étudiés, la revendication des particularismes juridiques autochtones présuppose l’affirmation d’un ordre juridique multiculturel, et vice-versa.

On a constaté que l’affirmation des ordonnancements et des cultures autochtones est assortie de la réclamation des droits sociaux (éducation, santé, allocations sociales, etc.) et des revendications politiques pour les peuples autochtones, comme l’attribution du statut de nation pour chaque peuple autochtone culturellement différent. Ce qui peut entraîner le glissement des revendications juridiques et politiques vers des revendications économiques plus tangibles comme les allocations sociales.

Les enjeux complexes où se trouvent les peuples autochtones se prêtent à de nombreux risques de confusion : entre culture et droit ; entre nation et culture comme unité social ; entre particularismes et pluralismes ; entre cultures infériorisées et groupes bénéficiaires des allocations sociales. D’ailleurs, l’essentialisme des cultures ne disparaît jamais complètement de l’horizon politique et il revient souvent sous la forme d’une rhétorique fortement mobilisatrice.

Dans les pays étudiés, les peuples autochtones mettent en avant leurs cultures, par définition différentes de la culture de référence dans laquelle s’inscrit le droit constitutionnel. Les autochtones se présentent comme des victimes injustement infériorisés ; ils affirment la justice de leurs ordonnancements ancestraux et dénoncent l’injustice radicale qui entache les ordonnancements des Etats fondés sur la violence historique ; ils incarnent l’authenticité, la paix et les valeurs positives d’une vie sociale harmonieuse, qui contraste avec l’artifice et la violence de la culture de référence.

Néanmoins, ils préfèrent entretenir des relations avec l’Etat, pour obtenir de lui la reconnaissance de leurs droits collectifs, des compensations  et des programmes sociaux. D’où l’ambiguïté des rapports des peuples autochtones avec l’Etat. Le discours essentialiste et contestataire permet aux autochtones de souligner les contrastes et de se présenter comme l’alternative la plus visible et la plus légitime. Tandis que le pluralisme juridique et le multiculturalisme leur permettent de relativiser les fondements de l’ordonnancement juridique au cœur duquel ils ont besoin d’agir.

Sur le plan politique, les peuples autochtones ne représentent pas exclusivement les différences culturelles ; ils ont plusieurs rôles à jouer : ils symbolisent les groupes infériorisés, authentiques, pacifiques et harmonieux. Bien entendu, ces peuples autochtones ne sont pas les seuls groupes sociaux différents, ni les seuls infériorisés, authentiques, pacifiques ou harmonieux. On pourrait espérer (ou craindre) que les peuples autochtones soient l’avant-garde d’autres groupes sociaux porteurs des revendications et des valeurs semblables.

Le système juridique de référence ne reste pas passif non plus face à ces revendications. L’ordonnancement étatique se considère suffisamment ouvert, universel et flexible pour encadrer les sous-groupes et pour faire face aux phénomènes de fragmentation et de recomposition sociale. L’approche individualiste, la neutralité culturelle et axiologique, la proclamation de l’égalité de tous et la recherche du bien commun prédisposent les Etat à incorporer les groupes différenciés. L’ordonnancement juridique tient compte de la multiplicité de rôles que s’auto-attribuent les peuples autochtones, d’où l’ambiguïté des institutions et des régulations sur les peuples autochtones.

En Australie, au Canada, en Colombie et en Nouvelle-Calédonie, le droit constitutionnel a ajusté quelques unes de ses notions-clés et de ses catégories conceptuelles pour devenir compatible avec le droit des peuples autochtones. L’insertion des ordonnancements des peuples autochtones dans un ordonnancement constitutionnel, dans des conditions plus ou moins équitables, est une démarche assez complexe  et qui va dans une double direction, réalisable seulement dans la mesure où l’Etat et les peuples autochtones veulent reconnaître l’altérité juridique. Les Etats coloniaux en ont fait l’amère l’expérience. Conformément à l’ordre international contemporain, les peuples autochtones minoritaires ne peuvent pas se passer des États et les Etats à leur tour ne peuvent plus ignorer leurs peuples autochtones.

La reconnaissance juridique de l’Etat par les peuples indigènes configure une corrélation à double sens puisque les peuples indigènes, à leur tour, reconnaissent et acceptent les spécificités de l’Etat multiculturel, qu’il leur accorde des droits collectifs et qu’il adopte une des modalités du pluralisme juridique. Même si le point de départ est l’égale dignité des cultures, la corrélation est assez asymétrique et dépende beaucoup des circonstances nationales.

Par définition, les pluralismes juridiques se situent en dehors du monisme sans pour autant se situer en dehors du droit. Dans un système juridique pluraliste la hiérarchisation et la rigueur du positivisme juridique n’existent pas ; seule suffit l’absence d’incompatibilité ou l’application à posteriori d’un vecteur d’unification. Les standards et les critères de cohérence de l’ordonnancement ne sont pas identiques dans le monisme et dans le pluralisme ; par conséquence il faut en tenir compte dans l’analyse.

La reconnaissance de la diversité culturelle entraîne une interprétation nouvelle de la constitution qui met en relief les polysémies et les conflits juridiques à l’intérieur d’un texte constitutionnel. Une telle démarche, à la fois différentialiste et unificatrice, montre l’adaptabilité des institutions juridiques et permet également d’approfondir les notions d’Etat, de constitution, de norme, de souveraineté, de légitimité, des droits culturels et de démocratie pour en déduire des concepts plus larges. Ainsi, ces concepts que notre culture considère universels peuvent devenir encore plus universels à la suite des ajustements exigés par le multiculturalisme.

Les Etats qui ont reconnu les peuples autochtones ont construit des concepts juridiques identitaires et ont développé les mécanismes adaptatifs nécessaires pour incorporer aux sources juridiques formelles aussi bien les cultures autochtones que les discours sociaux et les apports des sciences sociales sur les peuples autochtones. La jurisprudence dispose d’espaces de manœuvre, où elle accepte les jeux de polysémie, se livre à des interprétations ouvertes, applique des politiques de tolérance et construit des équivalents inter-culturels. Ces éléments conceptuels pourront servir pour les sociétés multiculturelles qui s’annoncent pour le XXIème siècle.




Section I : La suprématie de la constitution.

Les phénomènes politiques qui ont accompagné le réveil des peuples autochtones et la poussé des approches identitaires dans les sciences sociales ont obligé à réaménager les notions de suprématie de l’Etat et de constitution sur les plans politique et juridique. La définition de l’Etat comme le détenteur du monopole légitime de la force et, par la suite, de la culture et de l’ordonnancement juridique a dû être nuancée. La crise de la suprématie de l’Etat et de la constitution obéit aussi aux processus d’intégration supra-étatique, où la souveraineté semble devenue obsolète, non essentielle, partagée entre plusieurs titulaires, voire « limitée dans les conditions essentielles de son exercice ».

Si la souveraineté est par définition la puissance au-dessus de tous, cette suprématie réclame l’exclusivité ; autres choses sont les conditions d’exercice de la souveraineté : par le pouvoir constituante, par le législateur ou par les tribunaux suprêmes d’une juridiction. Au sens propre, le pouvoir de l’Etat est souverain, et par extension, les organes titulaires du pouvoir suprême de l’Etat et les actes par lesquels s’exercent ces attributions suprêmes sont dits aussi souverains. Ainsi, le peuple est souverain et un référendum, étant souverain, peut échapper au contrôle de constitutionnalité.

Les Etats ont le réflexe instinctif de sauvegarder globalement la suprématie de leur ordre juridique et de leur légitimité. Pour cela ils n’hésitent pas à adopter des stratégies pragmatiques, à faire de concessions, à tolérer des disfonctionnements, à promulguer des statuts spéciaux ou à adopter des formules fédératives. De la sorte, l’ordonnancement juridique des Etats devient moins rigoureux et conduit ainsi à modifier les constructions théoriques des juristes. On ne peut pas faire l’économie des « scandales juridiques» que de telles nouveautés soulèvent.

Quant aux peuples autochtones étudiés, ils ont préféré entretenir des rapports ambigus avec les Etats et leurs constitutions puisque d’une part, les autochtones acceptent de renforcer les systèmes constitutionnels à condition que leurs ordonnancements autochtones y trouvent une place légitime mais, d’autre part, les peuples autochtones ont réussi à obtenir une véritable autonomie politique, laquelle n’est pas absolu mais elle inclue la reconnaissance et l’application effective des ordonnancements juridiques autochtones.

Les peuples autochtones, soucieux de leur autonomie, ont paradoxalement tendance à se rapprocher du modèle étatique. Leur revendication des droits fondamentaux, des droits sociaux et culturels et la formulation par écrit des traditions juridiques orales sont autant de preuves de leur rapprochement du modèle étatique.

Dans les pays ayant reconnu les peuples autochtones, l’Etat détient toujours la maîtrise de l’espace politique structuré et la constitution garde son unité, matériel et formel, juridique et politique. Les nations s’effacent un peu au fur et à mesure que les cultures gagnent en visibilité comme nouvelle unité politique et sociale. De ce fait, la théorie constitutionnelle classique se trouve éclaté. La reconnaissance de la diversité culturelle relâche, certes, la rigueur des théories juridiques, remet en question les méthodes du rationalisme juridique et montre l’illusion d’une recherche de pureté absolue du droit. Les pluralismes juridiques mis en place pour les peuples autochtones commencent à élaborer une théorie juridique propre, plus pragmatique mais pas encore mûre.

Lorsque l’Etat admet explicitement les peuples autochtones et leurs conceptions particulières du droit, on commence à lire différemment la constitution et les lois et à reconnaître la spécificité des ordonnancements autochtones à l’intérieur de l’Etat. Ces types de pluralisme juridique n’impliquent pas le refus de l’unité du droit. La constitution garde sa suprématie, bien que son unité et sa cohérence accusent l’impacte de la reconnaissance des ordonnancements juridiques autochtones. Les critères d’efficacité et de plénitude du système juridique se trouvent également modifiés.

En revanche, si face à la diversité culturelle et au multiculturalisme déjà mis en place par les ordonnancements constitutionnels, on présuppose que la théorie constitutionnelle se situe au sommet de la hiérarchie des sources du droit, sorte de grundnorm théorique, on doit en déduire que les constitutions, les lois et la jurisprudence ne sont que des sources d’absurdités et de contradictions inacceptables. Or, la théorie constitutionnelle se construit à partir de la constitution sans pour autant devenir constitution. Pareillement, une théorie de l’art n’est pas de l’art.

Les forces politiques et les acteurs institutionnels donnent un contenu concret aux énoncés constitutionnels, qui servent à développer, plus tard, une théorie juridique propre à chaque constitution. Ainsi, le Canada et la Colombie se sont mises à construire leur propre version du pluralisme juridique ; l’Australie tente de cantonner les peuples autochtones dans leurs revendications territoriales et en France métropolitaine, la jurisprudence reste fidèle au monisme juridique, si cher à tradition républicaine, en admettant la diversité culturelle et le pluralisme juridique pour le peuple Kanak dans la lointaine Nouvelle-Calédonie.

La jurisprudence et la doctrine juridique, ces puissants vecteurs d’unification du droit, se sont attachés à concilier l’unité juridique avec la diversité culturelle, en s’inspirant des concepts déjà connus de pluralisme politique et de diversité idéologique. Pourtant la diversité culturelle joue sur un registre plus profond, celui de la cosmovision, de l’anthropologie, des valeurs juridiques et des principes de légitimation. La culture n’équivaut pas à la philosophie, ni n’a la portée universelle de la philosophie mais elle comporte une série de postulats implicites que les communautés humaines acceptent comme objectifs et évidents. L’ethnocentrisme peut parfois amener à percevoir sa propre culture comme supérieure aux autres cultures, voire qu’elle est universalisable.

Auparavant, les choses se passaient autrement : les différences culturelles étaient refoulées ou ignorées ; la tolérance trouvait des issus pratiques dans les zones de non droit situées à la périphérie de l’Etat et de la société ; la jurisprudence s’occupait de résoudre, d’une manière pragmatique et ponctuelle, les conflits culturels traduits en justice ; les administrations coloniales traitaient les cultures des peuples autochtones comme arriérées et les indigènes n’avaient pas la capacité juridique civile ni la force politique nécessaire pour revendiquer la prise en compte de leur droit autochtone.

A partir de l’année 1969 s’est produit un réveil des peuples autochtones qui ont emprunté le langage des opprimés puis adopté la logique identitaire. Le premier discours a donné lieu à des revendications sociales tandis que la reconnaissance de leurs identités s’est concrétisée en institutions de participation politique, statuts personnels, régimes d’autonomie politique et nouvelles territorialités dont le but est de sauvegarder l’identité culturelle des peuples autochtones. Dans les décennies 1980 et 1990 les constitutions et les juridictions des Etats ont commencé à reconnaître les ordonnancements juridiques autochtones,et aujourd’hui les autochtones jouissent de la pleine citoyenneté, de capacité juridique civil, de certains droits collectifs et d’un présence politique relativement importante sur les scènes politiques nationales et internationales.

Dans son article What is legal pluralism ?, John GRIFFITHS avait signalé en 1986 que le pluralisme juridique adopté par un Etat possède trois caractéristiques, qui reconduiraient le droit vers le centralisme juridique :
le système juridique étatique est politiquement supérieur ;
en cas de conflit entre différentes normes, le système juridique étatique prévaut et établi les critères, les compétences et les formalités pour résoudre le conflit ;
les classifications, les descriptions et les analyses des différents systèmes seront fixées par le système juridique étatique.

GRIFFITHS a tout à fait raison : les Etats qui ont adopté le pluralisme juridique n’ont pas renoncé au principe centralisateur bien qu’ils aient accepté de le nuancer, ce qui a entraîné des recompositions non négligeables de l’Etat et, surtout, de la théorie constitutionnelle.

Le pluralisme juridique issu de la diversité culturelle peut emprunter plusieurs formes, plusieurs voies pour faire cohabiter l’unité et la diversité juridiques :
réduire la constitution à un cadre minimal d’institutions, de préceptes et de droits communs aux différentes cultures ;
établir une hiérarchie interne des préceptes constitutionnels ;
signaler, explicitement ou implicitement la portée mono-culturelle ou multiculturelle de certains préceptes constitutionnels ;
admettre diverses lectures d’un même texte constitutionnel, d’après les différents présupposés culturels ;
mettre en relief les valeurs et les principes juridiques qui sont derrière les normes ;
dédoubler l’Etat pour construire des ordres politiques et sociaux sous-étatiques, en parallèle pour les peuples autochtones, lesquels seraient en même temps différents et ressemblants à l’Etat ; ce qui a été le cas des colonisations.

Un pluralisme juridique modéré est possible à l’intérieur d’un système constitutionnel, sans faire appel à aucune supra-constitutionnalité, qui à la fin se révélerait dangereuse pour l’ordre démocratique comme le prévenait le doyen Georges VEDEL. Il y aura à résoudre les inévitables tensions entre les normes constitutionnelles. Les particularismes culturels peuvent opérer comme exception d’inconstitutionnalité (et non pas comme chef d’accusation d’inconstitutionnalité).


§ 1 : le droit devenu identitaire.

La culture dans le sens de l’identité de l’individu, par définition, n’est pas légiférée et réclame son antériorité par rapport à tout ordonnancement collectif (culturel, social ou juridique). L’identité de l’individu est et agit, se construit et évolue dans son milieu social. C’est dans un sens dérivé que l’appartenance collective, le contrôle social et les règles de comportement d’une société humaine s’appellent aussi identitaires et culturels mais –remarquons- en ayant effectué le passage au collectif, ce qui marque une différence importante avec l’identité individuelle.

Lorsque les règles de comportement culturel se trouvent juridiquement formalisées (comme normes, jurisprudence, précédents coutumiers, mythes collectifs, etc.), l’autorité publique peut exiger son accomplissement, on a franchi le seuil juridique: désormais ces règles de comportement relèvent du droit. On pourrait affirmer que le droit rend fermes les mêmes règles de comportement que la culture traite avec souplesse ; autrement dit, que les rapports d’altérité culturelle sont plus libres de coercition que les rapports d’altérité juridique. De la sorte, l’ordonnancement juridique est le prolongement de l’ordonnancement culturel. Mais ces réflexions correspondent à la philosophie du droit et de la culture.

Un droit identitaire se situerait au bout d’une ligne de continuité entre l’identité individuelle, l’appartenance collective à une culture et la formalisation des règles de comportement pour protéger aussi bien l’identité individuelle que l’appartenance collective. A partir du seuil juridique, les autorités publiques exigent toute une série de comportements donnés, par exemple, au patron et au employé, selon la maxime romaine Ius sui unicuique tribuere secundum ordinem civitatis.

Graduellement et imperceptiblement, le droit constitutionnel semble adopter les critères identitaires. Les sciences sociales ne conçoivent plus des sociétés homogènes, comme l’affirmait la théorie classique de l’Etat nation, mais comme un ensemble de majorités et de minorités qui cohabitent, s’organisent et se recomposent en permanence ; ce qui revient aux corps sociaux sous-nationaux (voire intermédiaires) et aux phénomènes d’intégration supra-nationale dont l’avenir est encore inconnu. Philipe REYNAUD prévient qu’on aurait tort de trop vite conclure à l’émergence d’un monde post-national et cosmopolite. Pour l’instant, les Etats deviennent multiculturels et doivent s’occuper de protéger les identités et de gérer la diversité culturelle, comme le constate le rapport de l’ONU sur « La liberté culturelle dans un monde diversifié ».

Pour l’anthropologie et la sociologie contemporaines, l’homme abstrait et universel du libéralisme individualiste se révélé aujourd’hui vide d’identité.  A partir des années 1970, suite aux approches identitaires et culturalistes des sciences sociales, le droit est sensé de procurer un cadre juridique approprié pour l’« homme situé » dans les communautés de proximité. Les Etats libéraux puis les Etats sociaux ont répondu à cette demande en reconnaissant des droits collectifs et des droits fondamentaux dans un contexte multiculturel, ce qui permet d’échapper aux communautarismes fermés tout en assurant une nouvelle version des libertés individuelles qui tienne compte de l’identité des personnes concrètes et de leur insertion social.

Avant le réveil identitaire des années 1970, l’identité culturelle et l’insertion sociale des personnes allaient de soi. Actuellement, les Etats sont sensés assurer une protection juridique des identités culturelles, aussi bien minoritaires que majoritaires. C’est aux individus de se procurer un nouvel espace de liberté entre leurs appartenances multiples ; d’autre part, c’est aux Etats de droit de garantir les conditions pour les recompositions identitaires.

Un tel changement de paradigme est un processus coûteux et difficile. Les juristes d’un Etat de droit se méfient instinctivement des nouveautés et ont le réflexe de mépriser le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle qu’ils associent au droit coutumier, aux enjeux coloniaux et aux peuples aborigènes.

Pourtant le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle n’a pas apparu du jour au lendemain. Les peuples autochtones ont hybridé leurs ordonnancements aux éléments normatifs et théoriques offerts par le droit constitutionnel des Etats. Ainsi la catégorie des droits collectifs développée pour les consommateurs, un autre groupe en situation d’infériorité, se retrouve aujourd’hui ré-élaborée au centre d’un droit identitaire. D’autres concepts de l’Etat libéral comme les droits de l’Homme, la discrimination positive et la participation démocratique, adaptés aux enjeux identitaires, sont fréquemment invoqués par les peuples autochtones.

Les sociétés homogènes et culturellement unifiées n’ont pas besoin d’un droit identitaire qui, d’ailleurs, n’agit pas dans les situations d’harmonie culturelle mais lorsque les tensions culturelles ont atteint une certaine importance. L’approche identitaire élargie le principe juridique de la dignité humaine, des droits fondamentaux en tant qu’êtres humains, à la reconnaissance et protection des besoins spécifiques des personnes membres des groupes culturels.

D’autre part, les ordonnancements qui ont adopté le pluralisme juridique, ont également élargi leur système des sources du droit dans un double sens : premièrement, pour reconnaître les modalités juridiques des peuples autochtones, comme les jugements par consensus, les récits mythiques et la magie et, deuxièmement, pour devenir plus réceptifs aux sciences sociales qui permettent d’expliquer la complexité des faits sociaux.

Le droit identitaire en formation prend les éléments du droit moderne, particulièrement les statuts territorial et personnel, pour en permettre un usage stratégique (politique) qui facilite les recompositions identitaires et la mobilité sociale. Les sciences auxiliaires du droit inspirent les législateurs dans cette démarche et apportent au droit identitaire leurs observations et analyses à travers la jurisprudence.

§2 : les types de normes.

La constitution se trouve toujours au sommet d’un ordonnancement juridique devenu espace juridique multiculturel et inter-culturel, où l’on trouve des préceptes multiculturels à côté des préceptes mono-culturels.

Un pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle des peuples autochtones donnerait lieu à de divers types de préceptes constitutionnels, exclusifs pour l’Etat national dont la société est majoritaire et pour les peuples autochtones (ces deux premiers types sont des normes mono-culturelles) et, enfin, des préceptes partagés issus d’énoncés normatifs partagés entre les différentes cultures, selon deux modalités sémantiques :
une signification unique pour les diverses cultures, c’est à dire, des domaines d’intersection ou polysémiques, voire susceptibles de diverses lectures d’après chaque culture. Entre ces deux modalités sémantiques se jouent les processus de construction et de déconstruction de l’unité et de diversité juridique ;
une articulation technique entre les divers ordonnancements, comme la création d’une juridiction inter-culturelle pour harmoniser les décisions d’origine diverse.

Entre les préceptes mono-culturelles et les préceptes multiculturels existerait une tension comparable à celle qui existe entre les normes générales et les normes spécifiques : si l’on adopte une hiérarchisation, la norme spécifique devrait se subordonner à la norme générale ; en revanche, si l’on choisi de privilégier le régime d’exception, la norme spécifique prévaudra sur la norme générale  et si l’on décide de les hybrider, on trouvera des solutions ad-hoc pour chaque situation. Les normes multiculturelles pourraient prévaloir sur les normes mono-culturelles ou bien le contraire ou encore on choisira d’hybrider le droit des diverses cultures.

§3 : les modèles de constitutions multiculturelles.

Les préceptes mono-culturels et multiculturels se situent dans le texte de la constitution selon trois modèles assez schématiques : confusion des normes dans un seul niveau ou texte constitutionnel, des articles ou des chapitres spécifiques pour les peuples autochtones et une constitution à plusieurs niveaux, voire intégrée par divers textes comme les traités historiques intégrés dans la constitution canadienne de 1982.

Les trois modèles proposés ne se limitent pas simplement à l’emplacement des énoncés constitutionnelles dans le texte de la constitution ; ils concernent plutôt les rapports que chaque précepte entretien avec l’ensemble du système juridique. Il reviendra au régime des sources du droit, aux acteurs institutionnels, nationaux et autochtones ou à la jurisprudence de préciser le sens et la portée des normes constitutionnelles en identifiant un noyau commun aux différentes cultures et un autre niveau exclusif pour la culture nationale de référence.

Le premier modèle, fait de confusion des normes mono-culturelles et multiculturelles dans un même texte mais ayant divers rang juridique, est illustré par la constitution colombienne de 1991, que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Colombie s’est permis de distinguer et de hiérarchiser dans l’arrêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques de 1998. La Cour a précisé que la forme unitaire de l’Etat et les notions juridiques de dignité humaine et de noyau des droits fondamentaux étaient supérieures aux préceptes constitutionnelles de la diversité et de l’autonomie des peuples indigènes. En même temps, l’unité de l’Etat, la dignité humaine et le noyau des droits fondamentaux fonctionnent comme des vecteurs d’articulation, voire d’unification inter-culturelle du droit constitutionnel colombien.

Le deuxième modèle, fait d’articles spécifiques pour les autochtones, est représenté par la constitution de la V République Française qui reconnaît le “statut de droit local” à Mayotte. Ce statut comprend des règles à la fois coutumière et des règles résultant du rite Chaféite (l’un des quatre rites sunnites). Il s’agit d’une norme qui constitutionnalise le particularisme juridique de Mayotte, sans dépasser son cadre territorial et culturel spécifique. La révision constitutionnelle de 1998 concernant la Nouvelle-Calédonie constitue un autre exemple de préceptes spécifiques créant la spécificité juridique à base culturelle

Le troisième modèle, d’une « constitution à plusieurs niveaux » trouve un bon exemple dans la constitution du Canada et les accords historiques conclus par les peuples autochtones, que l’article 35 a constitutionnalisés en 1982.

§4 : l’ouverture du droit constitutionnel.

On pourrait dire que les constitutions ont mis à disposition des juges des perspectives normative, téléologique et axiologique du droit, pour résoudre les conflits juridiques. Ainsi, la jurisprudence jouit d’une ample marge d’appréciation, aussi bien des normes que de la situation à juger. L’ouverture de ces trois perspectives suscite de nombreux problèmes d’interprétation.

La philosophie du droit, les sciences auxiliaires du droit et les différentes cultures sont souvent invoquées par la jurisprudence lorsque le pluralisme est mis en pratique. Il s’agit d’une double transition : entre la philosophie du droit-sciences auxiliaires et le droit, d’une part ; et entre deux cultures différentes, d’autre part. Le droit constitutionnel faisant appel à la philosophie, aux sciences et aux diverses cultures pour se procurer les passerelles dont il a besoin pour intégrer dans son « discours juridique » les autres discours qui circulent dans la société. Or, les crises de la philosophie, les vides des sciences sociales et les disfonctionnements des cultures seront comblés par le droit constitutionnel selon les choix des juges, présentés sous l’égide des principes juridiques.


Section II : les peuples multiculturels

Les peuples autochtones, sous la dénomination de premières nations ou de minorités ethniques, revendiquent les attributs juridiques et les droits collectifs des peuples nationaux du constitutionnalisme classique. Ces demandes des premiers habitants s’inscrivent dans le cadre d’un Etat social de droit qui reconnaît l’égalité des droits et la diversité culturelle. Au début du XXIème siècle, les peuples autochtones rejettent toute diversité qui les infériorise en les plaçant sous la tutelle des sociétés majoritaires.

Les revendications des peuples autochtones se situent également dans le contexte d’une crise profonde des Etats nations due au dépassement des nations sur les plans politique et des sciences sociales, suite aux pressions provenant de l’intérieur, par la monté des régionalismes identitaires et amoindries aussi par la mise en place de structures supranationales. Pour les sciences sociales le peuple ne serait plus une nation unitaire et homogène, comme la croyait la doctrine des Etats-nation, mais plusieurs groupes multiformes dont l’unité fondamentale serait la culture.

Il ne s’agit pas des peuples autochtones situés complètement à l’extérieur de la société majoritaire (en l’occurrence, la nation) mais des peuples reconnus comme une partie intégrante de la société majoritaire mais qui veulent garder leurs différences.



§ 1 : l’exemple de l’Australie.

La constitution australienne du 9 juillet 1900 n’a rien dit sur les peuples autochtones. A partir du référendum de 1967 les individus autochtones ont acquis le statut citoyen sans constituer pour autant ni un peuple ni une nation autochtone. Depuis, l’arrêt Mabo, la Native Title Act et l’arrêt Peuple Wik ont marqué les progrès obtenus sur le plan juridique par les peuples autochtones en Australie. Mais ils n’ont encore pas réussi à obtenir des droits collectifs pour assurer leur autonomie, même si les autorités étatiques ne s’ingèrent actuellement pas dans les affaires internes des peuples autochtones.

La conception du peuple adoptée par l’arrêt Mabo est nettement celle de la monarchie ; le peuple auquel fait allusion cette jurisprudence, soit les colons anglais soit les autochtones, sont les sujets de Sa Majesté ; les colonies sont des colonies de Sa Majesté et non pas des colonies du peuple Anglais ni de colonies de l’Empire Britannique. Les peuples autochtones contemporains furent reconnus comme les descendants directes des aborigènes qui habitaient l’Australie avant l’arrivée des Européens ; mais le fait d’avoir établi une colonie de peuplement a conduit à que ces tribus nomades de chasseurs-cueilleurs soient considérés « sans droit, ni souveraineté, et assez primitifs quant à leur organisation sociale », jusqu’à la reconnaissance des titres natifs du peuple Murray par l’arrêt Mabo.

Les titres natifs de l’arrêt Mabo en 1992 ont potentiellement mis en danger tout le système foncier de l’Australie, et les exploitant miniers et les éleveurs de bétail, se sentant menacés leurs droits, titres et intérêts légitimes sur la terre, ont bloqué l’application et le développement des titres natifs.

Les peuples autochtones, se considérant insuffisamment reconnus, ont choisi de se marginaliser volontairement du processus de nation building et d’adopter une position politique où le clivage social fondamental serait : les autochtones et les immigrants (anglais et asiatiques ensemble). Pour sa part, la société australienne ne sent pas concernée par le clivage autochtones-immigrants ; l’Australie ne se considère nullement mono-culturelle, ni opposé aux autochtones, bien au contraire son ouverture aux immigrants la fait un pays sensible à la diversité culturelle.

Quant à la nature spirituelle et religieuse des liens qui unissent les peuples autochtones avec le territoire, telle qu’elle est plaidée par les peuples autochtones, elle n’a pas été admise par la Haut Cour ni par le législateur australien. Pour les juristes occidentaux, la supériorité du spirituel sur le matériel n’est pas un enjeu inter-culturel mais un débat universel de la philosophie du droit, qui échappe à la compétence des juges et des législateurs. Par ailleurs, les fondements religieux du droit risquent de rouvrir de grands débats à l’intérieur de la culture occidentale. Voilà pourquoi les autorités étatiques séculaires résolvent des conflits politiques ou juridiques concrets mais elles ne tranchent pas un problème de la philosophie du droit, ni ne recherchent les fondements religieux du droit.

Les peuples autochtones des Îles du détroit Torres, ayant une capacité juridique pleine ont besoin, en même temps, de l’assistance de l’Etat pour exercer leurs droits, ce qui montre bien le double registre sur lequel ils se situent : Ils ont la pleine capacité juridique pour réclamer les titres natifs et les compensations, mais pour exercer leurs droits, ils avouent leur situation d’infériorité due à leur culture spécifique. L’arrêt Rose contre l’Etat d’Australie du Sud semble cantonner les peuples autochtones dans leur style de vie ancestrale, ce qui apparemment serait une façon de respecter leurs cultures et qu’en même temps empêche le développement et l’exercice de leurs droits citoyens modernes.

§ 2 : l’exemple du Canada.

Depuis les années 1970, on observe d’importants changements juridiques et politiques en faveur des peuples autochtones, ce qui coïncide avec le renforcement identitaire au Québec et une campagne pour le « pan-canadisme », de type nationaliste.

La constitution du Canada de 1982 énonce les trois peuples autochtones reconnus : les Indiens, les Inuits et les Métis. L’article 25 de la constitution a reconnu comme légitimes les systèmes juridiques des peuples autochtones dont les individus jouissent d’une double appartenance, au Canada et à leur peuple autochtone. L’effet en est une ambiguïté et une duplicité de régimes juridiques, qui se prête aux polysémies et aux jeux stratégiques caractéristiques du pluralisme juridique.

La constitution canadienne a précédé le droit à « l’égalité dans la différence » (Art.2),  adopté par la Convention N°169 de 1989 de l’OIT, qui permet reconnaître juridiquement l’enchevêtrement des cultures par la biais d’un double régime en faveur des autochtones : celui de l’égalité juridique classique et celui des différences culturelles. De la sorte, les principes d’égalité et de différence entretiendront une dynamique et une tension constantes.

Il y a, donc, une base d’égalité et de pleine citoyenneté pour les autochtones, et simultanément un statut constitutionnel en tant que peuples distincts de la société canadienne. Or, la corrélation entre ces deux statuts se concrétise par les droits ancestraux sur le plan des droits collectifs, et par les garanties internes protégeant les individus autochtones face aux restrictions existantes à l’intérieur des peuples autochtones (contrôle social sur leurs membres, l’exercice de l’autorité, l’imposition des sanctions, etc.). Les garanties internes constituent des ingérences de l’ordonnancement libéral de l’Etat dans les peuples autochtones.

L’Etat providence est censé reconnaître au Canada tous les droits des peuples autochtones, les protéger ou compenser leur méconnaissance. Pour cela, la jurisprudence canadienne a créé une sorte de responsabilité de l’Etat vis-à-vis des peuples autochtones, l’obligation fiduciaire qui est une institution typiquement canadienne.

L’équation autonomie-culture constitue un autre particularisme canadien, qui relève de la doctrine et de la jurisprudence du pays, sensibles aux forces politiques internes lesquelles empruntent des argumentaires aux sciences sociales. Dans le droit public d’autres latitudes, la notion de culture ne semble pas suffisamment consistante pour prendre le relais de la nation. De l’extérieur, certains universitaires ressemblent plus au militant indigéniste qu’à un juriste.

§ 3 : l’exemple de la Colombie.

La constitution de 1991 inclut dans le peuple et dans l’Etat colombien les peuples et communautés indigènes, et leur permet de participer activement dans les décisions collectives. Les peuples indiens détiennent une large autonomie politique, législative, judiciaire et administrative, ainsi que des droits collectifs à l’intérieur de l’Etat. D’autre part, les peuples autochtones ont le statut de « minorité ethnique » reconnu par la constitution comme étant dans une situation d’infériorité sociale injuste que l’Etat doit remédier.

Dans une logique de reconnaissance des appartenances multiples, aussi bien au niveau interne qu’international, l’article 96 octroie la nationalité colombienne aux membres des peuples indigènes qui partagent les territoires frontaliers, en conformité avec les traités internationaux. Un tel article constitutionnel pour les Indiens s’accorde bien avec le régime de double nationalité pour les colombiens qui acquièrent une autre nationalité.

La population de l’Etat colombien est appelée peuple et non pas nation ; ce mot est réservé à la personne juridique Etat colombien et à l’ensemble de sa population. Les communautés indigènes font partie du peuple de l’Etat et, en même temps, elles y trouvent garanti leur droit à la différence culturelle, grâce à la mise en place d’un double statut juridique.

Reste à préciser si la sphère juridique particulière sera une pour chaque peuple indien, ou une pour chaque matrice culturelle regroupant les peuples indiens, ou une pour l’identité autochtone générique de tous les peuples indiens. L’indigénisme colombien s’est consolidé comme un projet politique national alternatif, mis en place par la pratique institutionnelle et par les acteurs politiques à partir d’une ethnicité qui dépasse largement les peuples autochtones pour y inclure les métisses, d’autres minorités ethnique et des groupes exclus et mécontents.
Les peuples indiens ont trouvé avantageuse de capter et d’encadrer les sympathies d’autres secteurs sociaux ; comme contre-prestation le mouvement social indigéniste fait siennes les demandes sociales d’autres groupes. C’est ainsi que l’indigénisme colombien adopte certaines stratégies régionales, ou bien élargit son discours avec des éléments religieux, économiques ou de genre. En synthèse, l’identité indienne et l’appartenance aux peuples autochtones n’ont pas été abandonnées mais élargies à l’immense réseau d’organisations associatives, écologistes, politiques et universitaires qui en Colombie et à l’étranger soutiennent l’indigénisme.

La territorialisation effective voulu par la constitution assurerait la cohésion de chacun des peuples autochtones à l’intérieur de son territoire, soit sous la forme de collectivités territoriales indigènes créées en 1991, soit sous la forme des resguardos héritée de la période coloniale et réaménagés par les lois de la république. En plus de cette réserve où l’ordonnancement et l’autorité indienne s’applique selon le critère territorial, les peuples indiens émigrés dans les villes essayent d’y construire des ordonnancements particuliers selon le critère des statuts personnels, ce qui leur permettrait de faire un usage stratégique des deux critères d’application des ordonnancements.

« Les groupes indigènes sont indéniablement privilégiés face aux autres groupes ethniques » , comme les afro-colombiens, les raïzales et le peuple gitan, qui entretiennent des rapports d’alliance et d’émulation avec les indigènes. Ces autres minorités ethniques construisent leur cohésion en utilisant les mêmes stratégies des peuples et communautés indigènes, comme les revendications sociales ; la territorialisation de leurs peuples ; les valeurs de l’authenticité ; la protection de l’environnement, et un récit des offenses partagées par tous.

Les quatre-vingt-quatre peuples indigènes répertoriés par les anthropologues et par les autorités colombiennes ne sont pas homogènes. Malgré l’emploi inévitable dans les textes législatifs de mots génériques comme « indigènes » ou « peuples et communautés indigènes », la réalité montre une grande diversité. On peut classifier les peuples autochtones en trois typologies :
les peuples isolés qui gardent intactes leurs coutumes et leurs traditions et qui vivent dans la marginalisation ;
ceux qui ont réussi à re-fonder leurs bases de cohésion, grâce à des stratégies de résistance, d’appropriation d’éléments externes ou d’internalisation des représentations de l’autre favorables.
et les peuples désintégrés, métissés ou assimilés, actuellement en train de reconstruire leurs identités.

Les critères d’intégration et d’isolement culturel constituent des éléments pragmatiques dont la jurisprudence de la Cour constitutionnelle tient compte pour déterminer : l’applicabilité du droit étatique ou autochtone ; l’autonomie du peuple indien concret ; l’interprétation des normes, et les garanties des individus indiens. Selon la jurisprudence Torres contre Autorités Traditionnalles Arhouaques, un peuple autochtone isolé aura une plus grande autonomie juridique par rapport à l’Etat, qu’un peuple autochtone en train de se reconstituer avec des métis.
§ 4 : l’exemple de la France.
La France métropolitaine conserve son attachement à la nation, conçu comme le peuple « un et indivisible ». La République soupçonne qu’un droit à la diversité détruirait la cohésion essentielle à l’Etat et que le pluralisme serait l’ennemie de l’unité de l’Etat, du peuple et du droit. Ayant disparu le concept de « peuples d’Outre-mer », issue de la période de la décolonisation, aujourd’hui la seule exception à l’unité du peuple français se trouve dans la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 qui a reconnu, au sein d’un peuple français l’identité propre des populations d’Outre-mer, dont les Kanaks.
De la sorte, le droit constitutionnel admet qu’en Nouvelle-Calédonie le peuple Kanak aie plusieurs identités culturelles dont les statuts sont reconnus comme légitimes et appliqués par les juges de la République assistés par les conseillers coutumiers ; ce qui, en fait, produit les phénomènes du pluralisme juridique : co-existence de plusieurs ordonnancements concernant les mêmes personnes ; un usage stratégique des statuts par les individus ; la mise en place d’une juridiction inter-culturelle, et l’application jurisprudentielle des critères pragmatiques pour trancher les affaires.
§ 5 : le traitement international des peuples autochtones.

Le droit international et la communauté internationale n’ont pas ignoré l’existence des peuples autochtones et des minorités nationales à l’intérieur des Etats. A l’époque du Ius Gentium, les Etats concluaient des accords avec ces minorités mais ce n’est plus le cas au XXème siècle depuis que la Société des Nations et l’ONU ont cantonné les minorités à l’intérieur des Etats.

On n’est plus à l’époque du Ius Gentium et dans le droit international contemporain, la condition de peuple autochtone implique aussi leur insertion dans un Etat. Le rapporteur MARTINEZ de l’ONU a eu besoin de signaler la distinction entre les peuples autochtones, les minorités nationales et les minorités ethniques, bien que tous les trois revendiquent des droits collectifs, toujours à l’intérieur des Etats.

Le droit international contemporain circonscrit le concept de peuples autochtones aux cas de colonisation par les puissances européennes des peuples habitant dès temps immémoriaux sur d’autres continents.

Par définition, aucun Etat ne reconnaît la souveraineté des peuples autochtones. Le rapport de l’ONU ne prétend pas que la Communauté Internationale reconnaisse les peuples autochtones au même niveau que les Etats, ni greffe les traités historiques au droit international contemporain.

Après l’« internalisation » des traités historiques, les peuples autochtones doivent se contenter d’une autodétermination interne et se gouverner eux-mêmes au sein de l’Etat. L’ONU se borne à encourager une sortie négociée aux demandes des peuples autochtones de la fin du XX siècle, ce qui conduit à une ré-élaboration du droit ancestral par les acteurs contemporains sous la forme d’accords de droit public interne. Selon la doctrine contenue dans l’avis de Cour Internationale de Justice de l’ONU sur le Sahara occidental, les Etats se trouvent obligés de passer des accords de droit public interne avec les tribus ou peuples autochtones.

§ 6 : l’appréhension par la théorie juridique des peuples multiculturels.

Les Etats étudiés sont des Etats nationaux dont la population autochtone n’a jamais été complètement intégrée à la nation ou bien celle-ci a vécu des processus de fragmentation et de recomposition identitaire. Pour Jean-Guy BELLEY le pluralisme juridique mets en relief la complexité croissante de la société qui multiplie les groupes et les enjeux sociaux. On peut affirmer également que le pluralisme juridique serait une réponse à la complexité, la fragmentation et la recomposition identitaire des sociétés.

Les outils conceptuels qui permettent au droit de répondre aux complexités sociales sont : le fédéralisme, les régimes spéciaux, les fors personnel ou territorial, le recours aux principes généraux, les espaces d’autonomie et les droits collectifs. Pour gérer les tensions à caractère social, culturel, politique ou économique, aujourd’hui, on ajoute le pluralisme juridique, c’est à dire, la reconnaissance d’autres foyers de droit. Ce qui augmentent énormément la souplesse du droit face aux dynamiques sociales.

Le régimes étatiques des peuples autochtones constituent des pluralismes juridiques de type multiculturel, à la base desquels se trouvent des faits socio-culturels objectifs et évidents, de plusieurs siècles d’ancienneté, compatibles avec les autres populations, majoritaires et minoritaires.

Jusqu’à présent la culture n’est qu’une nouvelle variable dont l’ordonnancement juridique tient compte sans en faire une unité juridico-sociale ; ce qui semble peu réalisable du fait de son manque de structuration politique. Un modèle novateur d’« Etat-culture » qui prendrai le relais de l’Etat-nation n’a pas été sérieusement envisagé, de même que les « Etat-ethnies » dont l’homogénéité suscite des craintes depuis les tragiques expériences nazi, rwandaise et serbe. La tendance générale pointe vers le multiculturalisme.

Les Etats-nation ont eu leur apogée entre 1918 et 1950 au niveau international. En France, Raymond CARRE DE MALBERG a marqué la théorie du droit public avec les principes de la Révolution de 1789 et du nationalisme. Mais à l’heure actuelle, les théories juridiques fondés sur la nation sont en crise ; apparemment comme réponse aux recompositions sociales et aux basculements identitaires des pays. Certains théoriciens du droit ont le réflexe conservateur de s’attacher aux structures conceptuelles déjà consolidées et de refuser le passage vers un cadre juridique flexible et pragmatique. Peut-être que l’ouverture vers les nouvelles réalités sociales engendré par la crise des nations n’est pas si négative qu’ils veulent le penser. Si la nation n’est qu’un espace sociale politiquement structuré, sans les exigences d’homogénéité culturelle, historique, linguistique ou ethnique de jadis, la nation deviendra le cadre parfait pour un régime juridique pluraliste et pour un Etat multiculturel.

Les peuples autochtones constituent aussi des espaces sociaux politiquement structurés, selon le concept issu de la sociologie politique. Dans les Etats multiculturels étudiés, les peuples autochtones sont reconnus comme de nouveaux sujets du droit public interne à condition qu’ils disposent d’une organisation sociale, des autorités propres, des ordonnancements juridiques, d’une histoire antérieure aux colonisations et des revendications compatibles avec les valeurs juridico-politiques des Etats libéraux.

Les particularismes des peuples autochtones vont de pair avec une auto-perception de la société majoritaire comme un ensemble éclaté, plus différencié qu’unifié. Les phénomènes d’immigration, émigration et crises culturelles produisent des tensions et des recompositions identitaires qui se projettent sur les peuples autochtones.

La sociologie politique, science auxiliaire du droit public, explique comment dans un premier moment les choques culturels suscitent les approches essentialistes, immobilistes et d’harmonie interne. Une telle façade serait nécessaire pour affirmer la propre culture et souligner l’altérité. Mais le contexte multiculturel, caractérisé par une pluralité d’appartenances, génère un retour critique sur la propre culture qui suscite des réactions contestataires, aussi bien chez la majorité que chez les minorités.

Dans les régimes de démocratie libérale étudiés, on a vu que les peuples autochtones se perçoivent eux-mêmes comme des minorités libérales qui adoptent des discours revendicatifs, passent des alliances avec d’autres groupes contestataires et cherchent des appuies internationaux. Dans ces conditions le renfermement identitaire n’est plus possible et les dynamiques inter-culturelles de basculement et de recompositions identitaires s’installent.

Il peut arriver aussi que l’affirmation de la culture nationale majoritaire et l’approfondissement des différences à l’égard des étrangers soient relancées et réussissent à déjouer les poussées de multiculturalisme interne, comme quoi le retour critique de la majorité serait maîtrisé avant de dépasser les seuils tolérables. Ce qui ne veut pas dire que les différences internes soient étouffées mais gérées autrement.

Or, lorsqu’une nouvelle structure oblige à réaménager en profondeur les espaces politiques pré-existants, la stratégie de l’affirmation identitaire ne marche plus. Dans de telles situations l’ordonnancement juridique devient pluraliste pour gérer l’éclatement d’un groupe social et les phénomènes de glissement, basculement, ambiguïtés identitaires, etc.

Sur le plan de la réalité sociale, on trouve d’abord les tensions et les changements de l’auto-perception des peuples puis, comme réponse, les systèmes juridiques iront encadrer les recompositions sociales et les incertitudes. Par exemple, lorsque les peuples autochtones ont été forcés à devenir des peuples colonisés, et les colons récemment arrivés se percevaient comme un groupe détaché de la mère patrie colonisatrice, tous les deux groupes sont obligés de jouer le multiculturalisme. A partir de ce moment, les peuples autochtones et les colons n’ont pu revenir à ce qu’ils étaient avant.

Au début du XXIème siècle, les peuples autochtones ainsi que les sociétés majoritaires subissent tous l’impacte des intégrations supra-nationales et de la mondialisation. Ce qui fait des peuples autochtones des acteurs politiques de plusieurs enjeux simultanément et de ce fait, ils arrivent a exercer une influence sur les plans étatique, d’intégration et mondial au prix d’ajustements culturels en faveur des identités autochtones génériques ; par exemple, les Kanaks agiront selon leur identité spécifique au niveau de la Nouvelle-Calédonie. Mais s’ils veulent agir au niveau de la zone Pacifique,  ils se trouveront obligés de participer à une identité autochtone générique commun aux peuples du Pacifique, idem s’ils veulent exercer une influence au niveau des peuples autochtones des DOM-TOM Français ou au niveau mondial.

Une telle adaptabilité oblige les peuples autochtones à déployer la richesse de leurs identités culturelles collectives sans s’ancrer dans le passé ni assumer des positions essentialistes. Avoir la possibilité de jouer dans la construction de l’intégration supra-nationale et de la mondialisation, parfois par l’intermédiaire de l’Etat et parfois directement, pousse les Etats à renforcer leurs stratégies de captation politique et juridique en accordant aux autochtones des droits collectifs, des prestations, etc. sur le plan interne.

Le concept de peuple subi diverses tensions et épreuves, autant que l’Etat avec lequel il s’est uni son destin. L’Etat devenu décentralisé, à l’intérieur, et intégré aux structures supérieures, est conduit à redéfinir les groupes sociaux de référence et les appartenances des individus ; ce qui fait croire que les peuples et les nations ont disparu.

On peut simplement changer la définition sociologique traditionnelle de nation, qui supposait une certaine homogénéité culturelle, linguistique et politique pour adopter une autre définition de la sociologie contemporaine, celle d’espace social politiquement structuré, qui serait applicable à la population multiculturelle d’un Etat et aux peuples autochtones situés à l’intérieur des Etats.


Section III : de la légitimité aux légitimités.

Michael Barry HOOKER dans son étude sur le pluralisme juridique des sociétés coloniales et post-coloniales souligne que le pluralisme culturel introduit dans les systèmes juridiques, non seulement une norme étrangère mais son principe de légitimité. Or, la coexistence d’une légitimité moderne, avec les légitimités successorale, spirituelle, traditionnelle et religieuse, propres des peuples autochtones produit de nouvelles tensions puis des phénomènes d’hybridation conceptuelle et la mise en question des théories monistes.

Les hybridations conceptuelles nées du multiculturalisme, sous la pression des forces sociales et politiques, seraient disqualifiées en premier abord si l’on reste ancré dans les critères de légitimation modernes ou autochtones, en état pur. Le fait de ne pas être pleinement moderne, ni parfaitement autochtone, ne veut pas dire être forcément illégitime. Le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle des peuples autochtones défie les théories qui soutiennent le monopole de la légitimité démocratique et rationnelle du droit. Les divers principes de légitimation acheminent vers des formules de transition, forcément éphémères, pour aboutir à de nouvelles synthèses.

La légitimité étant une notion centrale de la théorie politique, elle concerne aussi bien le système politique et la structure organique de l’Etat que l’ordonnancement juridique dans son ensemble et au niveau de chaque élément, norme ou acte juridique. Dans un cadre multiculturel, la légitimité n’est pas transmisse à tous les actes d’une manière automatique, comme le suggérerait un regard systémique et généralisant. Légitimité et légitimation sont des notions dont la portée et la durée varient selon l’objet juridique auquel elles sont attribuées.

En même temps, cette multiplicité dévoile les complexités de la légitimation du droit et montrent leur dynamisme lorsque la culture, l’histoire, les sciences sociales et les idéologies militantes agissent comme vecteurs de légitimation. Au lieu de circonscrire le débat dans les concepts abstraits du droit public, il convient de préciser tout cela en suivant la praxis des Etats multiculturels :

§ 1 : l’exemple de l’Australie.

les militants autochtones dénoncent l’illégitimité de l’occupation coloniale, ce qui conduirait à rejeter le régime étatique dans son ensemble, entaché d’une sorte d’injustice radicale. Une autre lecture critique de la propriété foncière, moins radicale se bornerait à rejeter l’exploitation agricole à l’anglaise comme le seul mode d’occupation légitime de la terre, et revendiquerait la légitimité des rapports traditionnels des peuples autochtones avec la terre.

Le choque entre le rejet radical et l’acceptation de la légitimité de la Common Law serait réglé par la jurisprudence. Une fois qu’une affaire est présenté devant les juges, il est certain que la légitimité des juridictions et les fondements du système juridique ne seront pas remis en cause. En Australie la jurisprudence a neutralisé le rejet radical de la Common Law et a imposé un langage de modération.

La Common Law des anciennes colonies anglaises, pragmatique et ouverte à la diversité culturelle, permets d’incorporer les ordonnancements autochtones sous la forme de précédents, intérêts légitimes et faits juridiques reconnus par la Common Law. Ce qui a donné lieu aux titres natifs, un hybride issu des traditions juridiques anglaises du Moyen Age et des revendications autochtones.

§ 2 : l’exemple du Canada.

la constitution de 1982 reconnaît des droits autochtones de diverse portée et considère légitimes les revendications des peuples autochtones. La jurisprudence de la Cour Suprême a développé généreusement les préceptes constitutionnels concernant les droits ancestraux et les traités historiques des peuples autochtones ; ce qui s’accorde bien avec l’opinion prédominante dans le pays sur la légitimité des droits et revendications autochtones.

Le multiculturalisme contemporain d’une société fragmentée comme le Canada renoue le présent avec les vestiges, encore forts, des périodes coloniale et pré-coloniale. Ainsi, les traités historiques et les droits ancestraux contribuent puissamment à la légitimation de l’Etat et de l’ordonnancement canadiens. La mise en place du pluralisme juridique rends facile la coexistence d’éléments si diverses et variés.

Le Canada n’a remis en vigueur que quelques institutions historiques, choisies pour garder une “ contemporanéit頔 par rapport aux besoins des autochtones. En besoin de se légitimer après les inculpations d’un passé colonial affreux, l’Etat canadien a mis en place les négociations tripartites dont les buts seraient : Reconnaître le droit à une autonomie relative à l’intérieur de l’Etat et élargir les bénéfices en faveur des autochtones. Mais les longues et complexes négociations de plus de 80 conventions tripartites constituent par elles-mêmes une période d’apprentissage et de réflexion sur la nation canadienne et les peuples autochtones. Il en résulte que les peuples autochtones se trouvent aujourd’hui intégrés d’une manière complexe, qui est à la fois positive et conflictuelle.

James TULLY remet en question les fondements mêmes de l’Etat canadien lorsqu’il emprunt le langage des autochtones pour demander que les Etats européens légitiment l’exercice de leur souveraineté sur l’Île de la Grande Tortue (le continent américain), par le consentement des peuples autochtones. Ce qui relèverait d’une forte rhétorique d’altérité ou bien montrerait la nécessité des nouveaux accords entre les peuples autochtones et l’Etat canadien comme source de légitimité pour l’Etat.

La jurisprudence canadienne a établi le test de justification des atteintes contre les droits ancestraux, un dispositif complexe pour évaluer la légitimité des décisions concrètes de l’Etat concernant les peuples autochtones. Comme quoi, la légitimité n’est plus une présomption iuris et de iure, ni une question simple, déterminée globalement par les hauts pouvoirs publics et par les formalités juridiques, mais un élément de la légalité susceptible de vérification judiciaire au cas par cas.

Le point de départ du test de justification est la présomption de légitimité de l’acte de l’autorité publique, ce qui a priori favorise l’Etat. Mais le test de justification montre que légitimité de l’autorité et de sa compétence ne suffissent plus pour trancher les affaires inter-culturelles et que le juge se permet de douter (politiquement) de la légitimité de l’acte juridique. Dans d’autres pays la légitimité n’est pas une question que la juridiction se pose dans les mêmes termes que les juges canadiens devenus sceptiques vis-à-vis du contenu des décisions de l’Etat. Un tel scepticisme ne menace pas l’existence ni la suprématie de l’Etat auquel appartiennent les juges.



§ 3 : l’exemple de la Colombie

Dès la période coloniale les communautés indigènes ont occupé une place « légitime » de subordination dans la hiérarchie sociale ; pareil pour les Noirs soumis à l’esclavage selon le système social de l’époque. Puis la république s’est mis à déconstruire graduellement une telle légitimité par l’abolition de l’esclavage et, très patiemment, par les réformes de la législation qui infériorisait les indigènes par l’évolution de la jurisprudence jusqu’à la constitution de 1991.

Les peuples et communautés indigènes ne méconnaissent pas la légitimité de l’Etat colombien, bien au contraire, ils ont besoin de le renforcer et de le rendre plus efficace pour assurer l’exercice de leurs droits culturels, sociaux et politiques ainsi que l’effectivité des prestations économiques et la sécurité qu’ils lui demandent. Christian GROS appelle ce phénomène « ethnisation positive », et signale qu’elle s’accompagne d’une forte « rhétorique de l’altérité », sans remettre en cause le droit ni la légitimité l’Etat. En Colombie, il n’y a pas de phénomènes importants d’ethnisation négative qui rejette l’ordre étatique et approfondisse la fragmentation sociale dans le but d’accroître la conflictualité sociale.

Les peuples et communautés indiennes soutiennent la constitution de 1991, qui reconnaît la légitimité de la diversité ethnique et culturelle de la population, ce qui s’accorde bien avec le nouveau modèle d’une démocratie participative et pluraliste. Du point de vue politique, la reconnaissance des minorités indigènes, noires et raïzales par l’Etat contribue à renouveler la légitimité de l’Etat, qui aurait gagné ces minorités ethniques en les incorporant à sa base sociale.

Il est à signaler que l’arrêt Gouverneur de Cristiania contre Entreprise Solarte a adopté une approche étonnamment dynamique de la légitimité, lorsque la Cour constitutionnelle a considéré que si bien la construction d’une route concernait un plus grand nombre de personnes et que la communauté indigène de Cristiania serait elle-même bénéficiaire de la route, les droits de la communauté indigène avaient une légitimité majeure. Ce qui a mis en évidence que les décisions de la Cour constitutionnelle parfois deviennent des enjeux politiques très concrets, à décider en termes de légitimité des droits mises en concurrence. Bien entendu, la possibilité de décider sur la légitimité du droit, même dans un cas singulier, élargi énormément les pouvoirs des juges.

§ 4 : l’exemple en France

L’unité de l’ordonnancement juridique et le monopole étatique de la légitimité s’opposent au pluralisme. La théorie française de l’Etat rejets par principe la coexistence d’autres légitimités. En France métropolitaine la jurisprudence et la doctrine n’acceptent pour l’Etat que la légitimité républicaine. Mais la jurisprudence tente de réaménager les concepts pour signaler un seuil de diversité incluant les axiomes de l’unité, la liberté et l’indivisibilité nécessaires pour attribuer une place légitime à la diversité en France. Dans ce sens les quelques auteurs français favorables au pluralisme juridique proposent une approche de complémentarité entre l’unité du droit et un pluralisme assez modeste.

La France n’est pas pluraliste au niveau du droit ; en revanche sa société civile a été tolérante sous l’ancien régime et sous la démocratie libérale. La tolérance a permis la cohabitation de divers types de légitimité et a préparé le basculement vers le nouveau régime.

Le pluralisme politique a des effets juridiques reconnus par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Mais le fondement exclusivement jurisprudentiel de ce pluralisme limite sa portée aux deux domaines de consécration explicite, la communication et la politique, que difficilement (jamais, peut-être) pourront s’élargir en faveur des minorités culturelles habitant en France métropolitaine. Un pluralisme juridique multiculturel serait soupçonné de miner l’unité national, taxé de communautariste et considéré contraire aux principes républicains de liberté et d’égalité.

Par contre, en Nouvelle-Calédonie la légitimité traditionnelle des autorités kanakes a été accepté par l’Etat dès la période coloniale lorsqu’il a établi un dualisme juridique du droit colonial et du droit coutumier. Les révisions constitutionnelles de 1999 et 2002 ont ajouté l’autonomie du peuple Kanak à l’intérieur de la population calédonienne ; ce qui a ajouté au dualisme juridique le pluralisme juridique. La création du sénat coutumier, par la République –on le souligne- a donné une expression institutionnelle concrète à la légitimité kanake ancestrale. On a fait du nouveau avec des éléments anciens.

L’Etat Français a accepté de partager la légitimité du pouvoir avec les peuples autochtones. Une telle cohabitation de deux légitimités heurte la théorie du droit public métropolitain mais l’exception est validée au nom du particularisme géographique et culturelle de la Nouvelle-Calédonie

La jurisprudence civile française s’est trouvé confrontée à des problèmes pratiques comme la protection des femmes kanakes victimes de la violence de leurs maris et, en même temps, le besoin de garantir leurs droits de succession des femmes dans la société kanake ; l’issu pragmatique choisie par les juges fut permettre aux femmes kanakes de récupérer partiellement (pour hériter) le statut coutumier qu’elles avaient perdu en adoptant le statut civil (pour ne pas être battues par leurs maris) ; ce qui revient à mélanger parties du statut coutumier (en l’occurrence, le droit d’hériter) et parties du statut civil (les droits égaux des femmes et des hommes).

Pour renforcer le choix pragmatique qui s’imposait, la jurisprudence s’est permis de créer le principe de l’égalité des statuts Kanak et civil, lequel a été validé ultérieurement par la révision constitutionnelle de 1999 en ouvrant le dualisme juridique au pluralisme juridique, toujours sous le contrôle des juges de la République.

L’impact de l’égalité des statuts sur la théorie du droit n’a encore pas été réalisé. La jurisprudence a transposé sur le plan des droits collectifs, l’égalité républicaine en lui ôtant son contenu individualiste d’égalité des citoyens devant la loi, pour légitimer l’existence simultanée de plusieurs ordonnancements. Dans la pratique la jurisprudence admets que les individus Kanaks puissent faire un usage stratégique des statuts civil et Kanak, c’est à dire, qu’ils choisissent l’ordonnancement auquel se soumettre. Ce qui défie, sur le plan théorique, le principe de la subordination des individus à l’ordonnancement juridique. Mais, sur le plan pratique, tous ces incohérences ont lieu sous le contrôle des juges de la République. Devant les cas de multiculturalisme, les juges produisent le droit en dehors des cadres théoriques en vigueur.

§ 5 : Vers une légitimité multiculturelle

Dans un Etat de droit démocratique le peuple est la source de la légitimité, aussi bien des pouvoirs publics que de l’ordonnancement juridique, selon les procédures rationnelles de représentation et de contrôle politique qui rendent légitimes les organes qui produisent le droit. Une théorie juridique démocratique explique le modus operandi des mécanismes de légitimation politique de l’ordonnancement juridique. Les législateurs et les juges sont sensés tous les deux d’agir rationnellement et au nom du peuple afin d’assurer la légitimité des lois et de la jurisprudence.

Dans les Etats étudiés on trouve des éléments de diverse nature qui peuvent favoriser les autochtones :
le régime démocratique incluant l’égalité des droits, l’intérêt général et la représentation, permets aux autochtones de s’insérer individuellement, ou collectivement sous un système multiculturel, suffisamment souple ;
l’approche pragmatique des juges saura s’adapter aux peuples d’autre culture ;
les droits fondamentaux et les droits de l’Homme constituent des universalismes qui permettent de dépasser les barrières culturelles, et
Le régime d’Etat social de droit offre des allocations économiques et des mesures de discrimination positive en faveur des individus ou des groupes exclus.

Dans le passé, une réponse institutionnelle face aux différences a été la “tolérance culturelle”, c’est à dire, une reconnaissance de ces différences en tant que faits sociaux non légitimes que l’ordonnancement juridique ne pouvait pas éviter. Le principe de tolérance accorde aux juges une permission tacite pour rester aveugles face à certains disfonctionnements du système juridique moniste. La tolérance face aux phénomènes minoritaires suffisait largement pour protéger la culture majoritaire et, dans une mesure minimaliste, pour protéger aussi les cultures minoritaires.

Le principe politique de la tolérance, appliqué par les démocraties libérales, permets la cohabitation de divers types de légitimité, bien qu’il y ait toujours une légitimité prépondérante. Un seuil de tolérance permet d’accepter d’autres légitimités sans contredire ni mettre en danger l’efficacité et la cohérence d’un système juridique, ce qui lui donnerait la souplesse dont il a besoin.

Le pluralisme juridique issu de la diversité culturelle et du multiculturalisme ne se borne pas à placer les ordonnancements juridiques étatique et autochtones, l’un à côté de l’autre. Le pluralisme juridique superpose les uns et les autres sans trop se soucier de la cohérence exigée par les théories monistes du droit. Engagé sur une voie faite d’hybridations, le pluralisme juridique conduit à une redéfinition de la légitimité de l’ordonnancement juridique et à un réaménagement des sources du droit.

Tenir compte des différences culturelles, oblige à déconstruire et à reconstruire différemment la notion de légitimité démocratique que l’on croyait homogène suite au choix politique d’ignorer toute différence culturelle. Or, les légitimités étatique et autochtones se mettent en rapport dans des enjeux très concrets dont le résultat serait un nouvel ordre juridique partagé et complexe.

Droit démocratique. La démocratie facilite énormément l’apparition des pluralismes juridiques, par sa dynamique qui divise la société puis elle-même promeut des consensus. L’ordonnancement juridique d’une démocratie a la tendance à acquérir une dynamique pareil de diversifier et ré-unifier pour devenir un ordonnancement unitaire et pluraliste. Alternativement ou simultanément. Ainsi, dans les démocraties l’ordonnancement juridique véhicule l’identité commune des citoyens et assure leur cohésion sociale et, en même temps, ce même ordonnancement permets l’altérité nécessaire aux individus et aux groupes pour qu’ils affirment leurs identités de citoyens égaux et leurs appartenances particulières. Les individus peuvent changer leurs appartenances identitaires (libéralisme individualiste), et les diverses groupes, devenus institutions culturelles assurent leur continuité en tant que collectivités.

L’ordonnancement juridique d’un Etat ne devienne multiculturel, ni adopte le pluralisme juridique dans le vide politique, ni dans l’indifférence comme le laissaient imaginer les théoriciens du positivisme juridique. Le pluralisme juridique d’origine multiculturel permet au droit étatique d’intégrer les particularismes culturels et les préoccupation les plus concrètes des groupes sociaux qu’autrement se fraieraient chemin par le biais des normes informelles ou non officielles. Lorsque cela arrive l’Etat de droit a l’instinct, ou le besoin, d’intégrer les ordonnancements informelles alternatifs pour se refaire une légitimité et une suprématie. Le droit identitaire et le multiculturalisme surviennent comme une réaction face à la généralité et à l’excessive abstraction des normes étatiques ; d’une certaine façon exprime le besoin d’affirmation identitaire, et sers comme réponse aux demandes de protection des cultures qui se sentent menacées.

Une fois que l’ordonnancement étatique épouse les particularismes locaux et accepte de les incorporer dans les normes. Dans un deuxième moment, la jurisprudence et la doctrine juridique renforcent cette incorporation et complètent la tâche en construisant les « ponts » pour intégrer dans le discours juridique (dogmatique) les divers discours qui circulent dans la société, sous la pression des croyances et des expectatives de la population.

Discrimination positive. Vis-à-vis du mode de production économique, les différences culturelles revendiquées par les peuples autochtones peuvent légitimer aussi bien leurs modes traditionnels de production (chasse, pêche, etc.) que l’adaptation des peuples autochtones aux modes de production de la société majoritaire de référence, ce qui leur assurerait un niveau de vie équivalent.

Or, comme le mode traditionnel de production n’assure pas aux autochtones le même niveau de revenu de la société majoritaire, qu’ils souhaitent toucher pour ne pas se sentir infériorisés, les Etats étudié ont mis en place des mesures de discrimination positive, telles que des allocations ou des subventions sociales en faveur des peuples autochtones. C’est une manière de leur aider, d’une part, à garder le mode de production ancestral de production et, d’autre part, de leur mettre au même niveau des citoyens de la société majoritaire, ce qui suppose une hybridation entre la culture traditionnelle autochtone et le niveau de vie de la société majoritaire.

L’autre possibilité de combler l’écart entre la culture autochtone et niveau de vie de la société de référence consiste à incorporer le mode de production de cette dernière à la vie des peuples autochtones qui gardent d’autres expressions culturelles qui symbolisent le mode de vie traditionnelle. Une telle adaptation des peuples autochtones aux activités économiques et au niveau de vie de la société majoritaire revient à une autre hybridation entre cultures et économies de différentes époques.

Y a-t-il de contradiction ? Dans les deux cas, allocations ou adoption des modes de production modernes, les mesures de discrimination positive font partie d’un jeu complexe de légitimations. Il y aurait plutôt une double logique : les peuples autochtones refusent d’intégrer en même temps l’économie et la culture de la société majoritaire mais ils réclament un revenu égalitaire, ou un niveau de vie qui les intégrerait à la société majoritaire. Les peuples autochtones ne veulent qu’une égalité relative afin de garder leurs différences sur un autre registre. Bref, être égaux et différents.

Dans une société égalitaire et démocratique, il semble normal que la différentiation culturelle se trouve accompagnée de mesures de discrimination positive en faveur des peuples autochtones qui vivent au dessous du niveau économique de la majorité.

Les mesures de discrimination positive produiraient un double effet : consolider les communautés indiennes et ne pas se sentir injustement exclus de la société majoritaire. D’autre part, s’ils acceptent de toucher les subventions et les allocations, ou bien adopter les modes de production contemporains, ils apercevront l’économie de la société majoritaire comme légitime et se rapprocheront du mode de vie de la société majoritaire, sans arriver non plus à s’y intégrer complètement.

Dans les Etats étudiés, les mesures de discrimination positive opèrent comme un vecteur de légitimation des ordonnancements pluralistes et de l’Etat social de droit. En fait, la discrimination positive est une des possibles modalités des relations entre les groupes différenciés : que les plus riches (société majoritaire) aident les plus pauvres (peuples autochtones). Voilà un postulat en accord avec les choix axiologiques d’un Etat qui a pour but le bien-être humain et dont les valeurs juridiques sont : la dignité humaine, l’égalité de tous les hommes, la solidarité humaine, la justice re-distributive, la valorisation des cultures et la paix entre les peuples.

Troubles du monisme juridique. L’apport que le multiculturalisme fait d’éléments exogènes bouleverse la théorie constitutionnelle classique, en l’obligeant à ouvrir ses concepts et ses catégories pour accueillir une avalanche de systèmes juridiques qui, d’emblée, troublent le monisme juridique et empêchent toute prétention de cohérence absolue. La crise du paradigme moniste pour évoluer vers un paradigme pluraliste diminue sensiblement la rigueur rationnelle ; la hiérarchie des normes est remplacée par des seuils de compatibilité, théorique et pratique, entre les différents systèmes juridiques ; on identifie des équivalents culturels pour hybrider le droit étatique et le droit autochtone ; puis, on mets en place une juridiction inter-culturelle afin de gérer pragmatiquement les affaires. Que ce soient les seuils, les équivalents inter-culturels ou les juridictions inter-culturelles, il s’agit de ponts pour unir et séparer les cultures.

Les tensions et les interactions entre les diverses cultures à l’intérieur d’un Etat permettent de découvrir le contenu concret des processus de légitimation, plus profonds que les scrutins, la représentation politique, la conformité aux normes supérieures et l’attribution à une autorité légitime.

D’autre part, les tentatives de légitimer le pluralisme juridique à partir d’une science sociale comme l’anthropologie culturelle, et des discours militants des mouvements sociaux culturalistes explicitent deux éléments que l’approche universaliste avait masqué : les sciences sociales et l’idéologie des militants agissent aussi comme deux vecteurs de légitimation.

Nouveaux critères de légitimité. Les peuples autochtones apportent comme critère de légitimité l’existence visible des différences culturelles à l’intérieur de la société majoritaire. Désormais, les différences culturelles sont perçues comme des expressions de liberté. Les peuples autochtones « font partie » de la société majoritaire (jouissent pleinement des droits des citoyens égaux) tout en restant différents. Comme quoi, l’Etat libéral de droit, devenu l’Etat social de droit, subi une nouvelle transformation vers l’Etat multiculturel de droit, chargé de protéger le contenu concret des identités individuelles et collectives.

L’Etat multiculturel de droit cumulera l’égalité des droits (marqueur libéral) et les prestations sociales (marqueur social) comme critères de légitimité, en ajoutant le volet des droits culturels pour protéger les identités collectives. Son principal souci sera gérer institutionnellement les tensions et les dynamiques sociales, les glissements et les recompositions identitaires afin d’échapper aux logiques abstraites de l’individualisme libéral et au monopole des pressions économiques. Désormais les individus ont besoin d’un support juridique pour construire leur identité et garder leur insertion dans les univers culturels.

Autrement dit, si l’Etat multiculturel n’assure pas efficacement l’égalité des droits ou le niveau de vie économique, on remettra en question sa légitimité. Mais si l’Etat impose une homogénéité culturelle ou permets les vides identitaires (zones de non droit), il ne sera plus légitime.

Lorsque les bouleversements conceptuels remettent en cause la théorie juridique en vigueur, il est normale que les partisans de la théorie juridique menacée expriment leur mécontentement et qualifient l’ingérence des groupes différenciées comme des disfonctionnements du système juridique précédent.

Histoire collective. Les peuples autochtones puissent leur légitimation de l’histoire selon plusieurs approches du passé : Ils voudraient reconstruire le temps mythique de leurs cosmogonies ; où revenir à l’époque du Ius Gentium, lorsque les peuples autochtones de l’Amérique du Nord ont conclu de véritables traités. Pour se légitimer, les peuples autochtones empruntent les argumentaires du traditionalisme politique. Leur histoire comprends aussi bien le passé réel et le discours sur le passé.

Si l’histoire collective est déconstruite et construite autrement, pourrait-on aller jusqu’à délégitimer l’actuel ordonnancement juridique ? Le multiculturalisme étudié permet d’esquisser une réponse en termes pratiques : L’hypothèse de la délégitimation de l’ordonnancement étatique sur-estime le poids de l’histoire comme élément de la légitimité, l’histoire sert à renforcer d’autres vecteurs de légitimité. D’autre part, l’histoire collective n’est pas le monopole d’un groupe social mais une polyphonie de récits qui admets des contradictions et des récits mythiques. Finalement, les évolutions dans l’histoire collective se font graduellement, même très lentement, en laissant l’opportunité aux autres éléments de la légitimité de recomposer ses argumentaires et de mobiliser d’autres ressources au niveau collectif.

Le pluralisme juridique fournit à l’Etat social de droit des éléments nouveaux pour se re-légitimer en incorporant à ses structures les groupes sociaux qui échappaient à son contrôle hiérarchique direct. Dans l’indirect rule coloniale anglaise, il est évident que le pluralisme juridique auquel elle se prêtait a permis à l’Etat colonial de se renforcer graduellement. Dans les cas des peuples autochtones étudiés, le droit étatique construit de légitimités complexes –parfois indirects- pour se faire accepter ; la bannière de la diversité lui permets d’ajouter des éléments hétérodoxes –même incohérents- à l’égard des sociétés aussi bien majoritaire qu’autochtones.

Légitimité multiculturelle. Dans ces circonstances de multiculturalisme, une théorie du droit public pluraliste aura à envisager la légitimité comme un attribut multiculturel, forcement complexe pour être acceptable par les diverses cultures, et suffisamment souple et ambiguë pour encadrer les glissements identitaires. La légitimité multiculturelle serait une construction juridico-politique non exclusivement étatique ni exclusivement autochtone mais un hybride.

Le paradigme du pluralisme juridique, adopté sous la forme d’un principe juridique, implique la coexistence de plusieurs légitimités à l’intérieur d’un même espace politique. Dans ces circonstances, l’Etat n’est légitime que s’il reconnaît qu’il n’a plus le monopole ; cela créé l’ambiguïté convenable pour que les bâtisseurs du nouvel ordre choisissent les éléments qu’ils veulent. Par contre, si la légitimité de l’Etat bloque toute possibilité de légitimer d’autres cultures ou mouvements, un tel affrontement peut conduire aux révolutions politiques.

Lauren BENTON affirme que le pluralisme culturel est exigé comme condition de la légitimité pour les sociétés globalisées, où l'autorité pourrait être localisée à plusieurs endroits, sans avoir à s’organiser de façon hiérarchique. Il peut y avoir des nations sans Etat dont la structure politique est assez ouverte pour permettre de fonctionner simultanément dans plusieurs arènes politiques: les scènes locale, nationale, supra-nationale et même globale. Chaque arène aurait son ordonnancement juridique plus ou moins développé, et l’ensemble doit assurer des conditions de compatibilité moins exigeantes.

Le pluralisme juridique s’installe de plus en plus dans les. sociétés culturellement fragmentées, non consolidées ou en processus de recomposition des appartenances. Jusqu’au point que Will KYMLICKA affirme que les conflits ethno-culturels constituent un enjeu permanent des modernes sociétés occidentales. Dans les systèmes juridiques pluralistes, les ajustements de la légitimité seront une question soumise au prudent contrôle judiciaire.

Les démocraties ont besoin d’assurer l’espace de manœuvre nécessaire pour le dynamisme social. L’Etat de droit a accepté la diversité culturelle afin d’élargir sa base sociale. sans tomber dans l’homogénéisation. De la sorte, les prétentions d’unité et d’uniformité sont amoindries.

Attaques contre la souveraineté de l’Etat. Les défenseurs canadiens et australiens des peuples autochtones développent le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale comme une souveraineté non étatique, une souveraineté « populaire » ou d’un « peuple libre », pourtant de telles notions ne sont encore pas suffisamment mûres.

Lorsque la philosophie du droit a fait crise et que l’anthropologie culturelle et les approches culturalistes ont tenté de prendre sa place, en affirmant que la culture contenait les principes supérieurs pour guider le droit, le juristes ont eu le réflexe pragmatique de ne pas suivre les théories juridiques et d’ouvrir le droit pour y incorporer les changements sociaux et culturels, voire les sources matérielles du droit dont on parlait antan.

Autrement dit, l’ordonnancement juridique étatique ne desserte pas sa fonction ni renonce à sa légitimité, mais il essai de s’élargir en incorporant au droit les discours sociaux de type politique, militant, mythique, etc. Ce que la jurisprudence a toujours fait d’une manière prudente et pragmatique.


Section IV : valeur juridique et valeurs culturelles.


L’approche inter-culturelle et l’analyse de l’altérité impliquent dépasser le cadre de notre univers juridique, axé sur les normes et les institutions étatiques, pour envisager que notre droit n’est pas tout le droit.

Les recompositions identitaires et le rééquilibrage des appartenances, parfois montrées comme des risques de dissolution, ont besoin d’un traitement juridique pour encadrer ces basculements. C’est bien le cas actuellement des sociétés démocratiques majoritaires qui abritent des minorités, dont les divers éléments et expressions sont considérés comme des valeurs juridiques à protéger.

§ 1 : au Canada.

Andrée LAJOIE a prouvé empiriquement la surdétermination des juges par les valeurs dominantes. Les peuples autochtones canadiens prônent pour les valeurs, en premier chef, de l’identité collective ; un rapport métaphorique à la terre nourricière ; l’autosuffisance économique, en exerçant des activités modernes ; l’autodétermination, et le respect de l’environnement. Leur succès s’explique grâce à une coïncidence, au moins partielle, entre les valeurs dominantes et les valeurs autochtones.

La jurisprudence et la doctrine canadiennes ont développé les valeurs juridiques à partir des cas pratiques des peuples autochtones. Les titulaires des droits ont des appartenances multiples et agissent dans un espace juridique commun, inter-culturel ou multiculturel, où se produit une intersection des valeurs. L’espace juridique commun est un enjeu complexe où les sources de droit, les opérateurs juridiques et les titulaires des droits, aussi bien étatiques qu’autochtones, inter-agissent tout en gardant leur spécificité. S’agissant d’une mosaïque culturelle, dont les valeurs juridiques sont diverses et variées, le Canada est plus favorable aux peuples autochtones et aux minorités, qu’un Etat nation européen, socialement et historiquement consolidé.

D’après Andrée LAJOIE, les minorités participent à la création du droit en construisant des valeurs juridiques, lesquelles sont validées par la législation et la jurisprudence. Les deux types de valeurs entretiennent une tension à l’intérieur d’un espace juridique commun dont le fonctionnement est le suivant : l’Etat a tendance à déplacer progressivement ses valeurs en faveur des minorités puisque le système juridique national se trouve obligé d’accomplir un rôle d’homogénéisation sociale, et pour cela le droit majoritaire ne peut pas se permettre de se présenter simplement comme le droit majoritaire, il doit montrer que ses valeurs et institutions juridiques sont universelles, sinon naturelles, c’est à dire qu’ils incluent, au moins en apparence les valeurs juridiques des minorités. Une telle évolution juridique de la société majoritaire s’accélèrerait lorsque les minorités se montrent habituellement exclues et insatisfaites.

La modélisation proposée par Andrée LAJOIE mets en relief la force transformatrice au pluralisme juridique. Il y aurait comme point de départ un ordonnancement juridique unitaire et comme point d’arrivée, un autre ordonnancement juridique unitaire. L’unité et le pluralisme coexisteraient à tout moment pour assurer à l’ordonnancement juridique sa stabilité (conservatrice) et son ouverture aux dynamiques sociales.

§ 2 : dans le régime colombien.

La jurisprudence et la doctrine juridique considèrent que la diversité ethnique et culturelle fonctionne comme une série de valeurs juridiques impératives à l’égard du législateur et de tous les pouvoirs publics. Or, il convient de signaler que ces valeurs identitaires et culturelles opèrent aussi bien en faveur des majorités que des minorités. Les appartenances culturelles de tous seraient sauvegardées par l’ordonnancement juridique.

La jurisprudence colombienne considère le pluralisme comme un pilier axiologique de l’Etat social de droit, en harmonie avec le principe de la dignité humaine ; les groupes ethniques sont “des sujets culturels en plénitude, en raison de l’humanité qu’ils incarnent, ils ont le droit de vivre selon leurs croyances et de poursuivre les buts qu’ils estiment plausibles, dans le cadre éthique minimal signalé par la constitution”. La Cour constitutionnelle a insisté sur cette position extrêmement libérale en 1996, lorsqu’elle a dit qu’en aucun cas l’Etat ne peut se permettre d’interférer les paramètres culturels de l’individu pour lui signaler, de son point de vue, les critères à suivre pour « corriger l’individu ».

La Cour constitutionnelle a rappelé que les valeurs culturelles et spirituelles des peuples indigènes se concrétisent, entre autres, dans le régime propriété collective de la terre établie pour eux par la constitution de 1991. La raison en est que les terres constituent le principal moyen de subsistance et un élément de la cosmovision et de la religiosité des peuples indigènes. De la sorte, la jurisprudence a réussi à rapprocher les modes traditionnels de production économique et les considérations culturelles et religieuses, en les considérant des valeurs juridiques constitutionnelles. Ce que bénéficie d’une protection judiciaire très efficace grâce à la procédure de tutelle des droits fondamentaux.

§ 3 : en France.

Le souci de l’identité culturelle nationale n’entraîne pas une reconnaissance explicite de la diversité culturelle. L’unité et de l’indivisibilité de la République sont déclinées par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat comme l’unité et l’indivisibilité du peuple français, dont la culture serait un élément essentiel. Ce qui n’est pas surprenant puisque l’identité culturelle collective est normalement une des valeurs à protéger dans presque toutes les sociétés, aussi bien étatiques qu’autochtones.

La France ne rejette pas les valeurs culturelles ni les considérations identitaires, lesquelles sont aménagées dans l’espace privé. La distinction entre espace public et espace privé fait partie de la culture française au titre de référant collectif et institutionnel. La législation et la jurisprudence françaises sont sensibles aux considérations culturelles et identitaires lorsqu’il s’agit de protéger l’identité culturelle de la nation, sans pour autant constituer un mono-culturalisme fermé. Les formulations simplifiées de la nationalité française refusent la diversité culturelle et prônent l’assimilation outrancière de toute différence culturelle ; ce qui n’est pas exacte dans la réalité sociale. La preuve en est le dialogue interculturel mené par la France à l’intérieur de l’Union Européenne et l’accueil aux immigrants extra-européens, deux phénomènes à harmoniser avec les valeurs républicaines.

Les valeurs individualistes de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, liberté et égalité des individus ont déjà subi l’impacte des valeurs juridiques de l’Etat social de droit adoptées au XXème siècle lorsque la solidarité gérée par l’Etat fut acceptée comme valeur sociale. La France a changé en douceur et sans traumatismes le paradigme individualiste par le paradigme de l’Etat social de droit.

Le pluralisme juridique contemporain qui défie le monopole étatique des sources du droit n’est pas un phénomène nouveau ; le XIX siècle a déjà vécu le conflit entre l’absolutisme théorique de la loi et le pluralisme des coutumes, entre l’unicité d’un code général et la diversité du droit vivant. Le bon sens et le pragmatisme de la jurisprudence a réussi à nuancer les principes radicaux puis la doctrine a complété la tache de rendre compatibles la loi et les coutumes.

Les formules républicaines originaires se présentaient comme des valeurs universels et garantie de la dignité humaine ; tandis les valeurs ethniques et culturelles produiraient les communautarisme, la fermeture identitaire, la domination des individus et la méconnaissance des droits de l’Homme. Un renversement de perspective s’est produit lorsque les formules idéologiques républicaines d’antan se sont épuisées et les sciences sociales ont valorisé les valeurs ethniques et culturelles. Aujourd'hui l’infériorisation a priori des peuples autochtones n’est plus acceptée par les sciences sociales.

Les choses se passent autrement en France d’Outre-Mer, où la reconnaissance des valeurs juridiques des peuples autochtones compte avec une large tradition coloniale. La constitution de la Vème République a reconnu explicitement la diversité juridique des Départements et Territoires d’Outre-Mer et prévoie des institutions suffisamment détaillées pour éviter que les autorités d’outre-mer ne fassent appel aux valeurs juridiques qui les inspirent. En Outre-Mer, c’est l’Etat lui-même qui a adopté quelques institutions coutumières dans la constitution et la loi, puis les juridictions de l’Etat en Outre-Mer assurent leur contrôle.

Au sujet des valeurs juridiques, le projet de 2003 du Traité constitutionnel propose pour l’Union Européenne le fondement des « valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, de l’Etat de droit ainsi que de respect des droits de l’homme » ; le texte précise que « ses valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la tolérance, la justice, l’égalité, la solidarité et la non-discrimination ».

Ce projet inspire plusieurs commentaires liminaires. D’abord, le pluralisme n’est pas envisagé comme une valeur juridique mais énoncé comme une caractéristique de la société européenne ; ce qui situe le pluralisme au niveau d’une description de la société dont le conséquences sur le plan juridique seraient indirectes ; les valeurs juridiques seraient les identités culturelles (nationales) que le pluralisme protège. Deuxièmement, celle qui es pluraliste est la société européenne non pas la société française ; cela permets aux autorités françaises de continuer à affirmer l’identité nationale, l’unité de la République et l’égalité des citoyens ; la société française serait désormais devenue une minorité au sein de l’Europe, la nouvelle société majoritaire de référence. Troisièmement, les valeurs juridiques sont communes aux Etats membres mais elles ne sont pas forcément identiques ; de la sorte les jeux de polysémies et les tensions sont à prévoir dans les divers niveaux de l’ordonnancement juridique européen. Quatrièmement, il y a plusieurs enjeux pour l’Union Européenne, dont l’avenir reste ouvert aux incidences de la route.

§ 4 : l’ONU.
La Convention N° 169 de l’OIT adopte les valeurs de l’Etat social de droit, et c’est dans ce contexte que les peuples autochtones feront valoir leurs droits à l’égalité et aux différences. Ainsi les ordonnancements étatique et autochtones élargissent et assurent leur application. Dans le rapport Martinez, les raisons à caractère axiologique et historique contribuent à légitimer (politiquement) et à justifier (juridiquement) les mesures permanentes en leur faveur. Le rapport Martinez invoque trois raisons à caractère axiologique : la dignité humaine universelle, les valeurs culturelles des peuples autochtones, et aussi l’impératif éthique de compenser les abus d’autres époques.

§ 5 : les valeurs juridiques multiculturelles.

Une condition préalable pour reconnaître les ordonnancements juridiques des peuples autochtones est abattre les barrières théoriques des ordonnancements toujours normatifs et étatiques permet de sortir de l’encerclement du monisme juridique et du positivisme.

Le positivisme juridique n’est pas du droit en lui-même mais un discours scientifique et universel sur le droit caractérisé par son approche normativiste, niveau d’abstraction, rigueur logique de ses raisonnements et neutralité à l’égard des intérêts sociaux. D’ailleurs, il y a plusieurs théories positivistes sur le droit.

Les Etats étudiés ont accepté implicitement le postulat selon lequel le droit dépasse les normes et les institutions étatiques, ce qui est le point de départ pour reconnaître les ordonnancements autochtones.

Les anthropologues du droit et les juristes partisans du pluralisme juridique perçoivent le positivisme juridique comme un démon dont il faudrait exorciser les ordonnancements étatiques pour saisir les cultures et en tirer les conséquences. Mais les pluralismes juridiques offrent de multiples possibilités, aussi bien pragmatiques que théoriques.

Un pluralisme juridique contrôlé par l’Etat se bornerait à fournir les formules logico-normatives pour articuler les normes étatiques et autochtones sans ouvrir de nouvelles perspectives pour que de divers regards soient portés sur le droit. Tandis que un pluralisme juridique vraiment multiculturel relativise -voire dévalorise- le système juridique normatif et égalitaire en donnant le recul nécessaire pour redécouvrir la multidimensionalité du droit, qui s’ouvre aux valeurs juridiques et aux solutions pragmatiques. Même si celles-ci semblent incohérentes vis-à-vis des principes juridiques purs, d’une notion étroite des valeurs et d’une logique trop rigoureuse.

Les ordonnancements juridiques des peuples autochtones dont les différences furent légitimées, s’inspirent des valeurs égalitaires et inégalitaires qui s’enchevêtrent sans devenir contradictoires grâce à un changement de logique et à la mise en place d’un système juridique pluraliste. Le choix contraire (ne pas légitimer les différences culturelles) conduirait à l’isolement des cultures ; ou produirait des régimes d’exclusion, d’apartheid ou des ghettos, inacceptables pour l’axiologie juridique d’un Etat social de droit et condamnés par l’ordre juridique international.

Réfléchir sur les valeurs constitutionnelles présuppose évidemment reconnaître que les valeurs juridiques font parti de l’ordonnancement et que le droit ne se réduit pas aux énoncés normatifs ni au pragmatisme juridique. Or, les valeurs juridiques se fondent sur les valeurs philosophiques, ceux-ci se situent à l’extérieur de l’ordonnancement juridique mais gardent un contacte permanent avec lui.

Les notions d’espace juridique commun où les valeurs juridiques sont partagées, deux thèse d’Andrée LAJOIE, et la force expansive des valeurs juridiques dont parle Tulio CHINCHILLA, sont importants pour structurer le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle des peuples autochtones.

Grâce à leurs fondements philosophiques, les ordonnancements juridiques ont la possibilité d’accéder aux principes et concepts universels, comme la justice, l’homme, la liberté, la société, la vérité, la connaissance, etc. qui sont l’objet de réflexion de l’anthropologie, l’épistémologie et l’axiologie. Par l’intermédiaire de ces principes et concepts universels, les ordonnancements qui sont les produits de la culture et de l’histoire peuvent communiquer et trouver des équivalents à toutes ses notions, institutions et normes.

En suivant les traces de Louis DUMONT, l’altérité et la diversité culturelle permettent aux théoriciens du droit de découvrir la relativité et l’universalité des phénomènes juridique. Cet universalisme appartient déjà à la philosophie du droit.

C’est sur un plan philosophique où la justice et les autres valeurs, la personne et la société humaine acquièrent un rang inter-culturel et supra-historique, qui n’est pas facile à saisir et à appliquer suite à la crise contemporaine de la philosophie du droit. L’abstraction extrême, la coupure entre connaissance et réalité, l’excès de pragmatisme, l’enfermement dans la logique formelle, etc. conduisent à des impasses et des équivoques que le bon sens juridique des juges réussi à déjouer. Là où les théoriciens du droit ne trouvent parfois d’issue, il faut que les juges fraient une solution juridique.

Certes, le mot valeur a une grande richesse sémantique, qui fait allusion aux valeurs philosophiques, aux valeurs culturelles et inter-culturelles, et finalement aux valeurs juridiques, dont la distinction entre valeurs historiques et valeurs universelles constitue un autre sujet classique de la philosophie du droit.

Une fois que les valeurs sociales ont atteint leur certitude, la philosophie du droit et les décideurs politiques passent le relais aux législateurs et aux juges qui donnent forme juridique aux valeurs. Sauf que ces dynamiques ne s’arrêtent jamais, et que les individus législateurs, juges et, en général, tous les opérateurs juridique font aussi de la philosophie du droit -et de la rhétorique, parfois lourde- et cette confusion de rôles fait revenir le flou.

Le pluralisme juridique a la grande vertu d’ouvrir l’ordonnancement aux dynamiques sociales. En dépassant les cadres normatifs fixes, le pluralisme juridique invoque des valeurs juridiques et reconnaît la dimension pragmatique (donc, limitée) des droits. Il serait inimaginable un pluralisme juridique chargé de garder le statu quo ; ni un pluralisme réduisant le droit à un ensemble de normes spéciales, si complexes et incohérentes soient elles. C’est le droit en action qui semble caractériser la démarche pluraliste.

Le contexte multiculturel des Etats et des peuples autochtones, permet d’envisager le débat classique entre droit naturel et droit positif comme une relation de complémentarité, où le droit naturel sert comme le support ontologique aux formulations des principes et des normes positives. La nature ne nie la culture ni vice-versa. Il n’y aurait pas de contradiction puisque la culture, dont l’ordonnancement juridique fait partie, continue la nature en lui introduisant quelques transformations historiques.

Entre autres voies intellectuelles, l’approche multiculturel du droit aura aidé les théoriciens du droit occidentaux a sortir de leurs univers clos.
 
Le droit multiculturel trouve son sens dans les valeurs juridiques qui l’inspirent au delà de l’affirmation idéologique de la supériorité d’une race ou d’une culture juridique sur les autres. A un moment la série de retours critiques s’arrête parce que le droit a trouvé ses fondements et sa finalité dans la réalité sociale complexe, le support ontologique des constructions culturelles et juridiques.

Affirmer que la culture et le droit sont des faits concrets et particuliers qui peuvent accéder aux universels, permets de construire un discours où ces deux dimensions de la culture et du droit puissent cohabiter, entretenir des tensions et évoluer au fil du temps, en gardant ses particularismes culturels et en s’ouvrant aux universalismes inter-culturels. Cette dernière problématique se situe dans les domaines de la philosophie de la culture et du droit.

Les valeurs juridiques jouent un rôle décisif au moment d’interpréter les énoncés normatifs. La magie de l’interprétation dont parle Norbert Rouland permets, par exemple, que les resguardos colombiens et l’indirect rule britannique soient l’objet de lectures assez diverses : il s’agirait d’institutions de la domination coloniale, ou bien des espaces pour assurer la légitime autonomie des peuples autochtones. Peuvent-ces lectures être complémentaires ? Contradictoires ? Où les deux choses à la fois ?

En fait, chez les peuples autochtones contemporains on trouve des tensions comme la résistance  à l’assimilation. Les institutions coloniales typiquement dominatrices ont subi un renversement de sens (suivi d’un renforcement rhétorique) qui les a transformées en symboles de l’affirmation identitaire des peuples autochtones. Les valeurs juridiques servent à tracer la frontière : sous les valeurs juridiques du paradigme colonial, les Indiens étaient soumis tandis que sous les valeurs juridiques identitaires, les mêmes Indiens se considèrent émancipés.

La transition des autochtones colonisés aux acteurs identitaires produit un certain flou, des ambiguïtés et des hybridations. Puis, le moment arrive où le seuil est net et clair entre les autochtones colonisés d’antan et les acteurs identitaires contemporains ; entre l’assimilation et l’affirmation des cultures autochtones. Les peuples autochtones de nos jours sont aussi bien autochtones que leurs ancêtres ; et en même temps ils sont des peuples contemporains en partie semblables aux colombiens, canadiens, calédoniens et australiens du XXI siècle.

Le droit est un fait social intégral et ses multiples dimensions lui donnent une grande force transformatrice pour agir sur la société et tenter de réaliser la valeur de la justice. Les besoins sociaux obligent à faire évoluer le droit constamment ; entre autres, au gré des rapports entre la société majoritaire et ²ses minorités.

§ 6 : l’insertion contestataire des autochtones.

A première vue, les autochtones rejettent les valeurs démocratiques de l’Etat de droit mais au fond ils ont besoin de renforcer et de ré-orienter valeurs et les éléments d’ouverture de l’Etat dont ils peuvent tirer profit, comme les droits collectifs, les droits de l’Homme, la discrimination positive et la participation démocratique. En fait, les peuples autochtones invoquent stratégiquement leurs ordonnancements traditionnels et quelques éléments du droit constitutionnel des Etats.

Or, comme la subordination pure et simple des peuples autochtones à l’Etat ne leur permettrait pas de garder les différences culturelles ; voilà pourquoi leur mode d’insertion dans l’Etat est celui de la contestation de l’ordre majoritaire auquel ils adhérent pour y préserver leurs particularismes culturels et juridiques. Cet objectif est affiché comme une condition sine qua non de leur acceptation de l’Etat.

L’ordonnancement autochtone non-écrit a commencé a emprunté la technique des normes positives et les institutions ancestrales se trouvent intégrées dans l’Etat par le biais des reconnaissances constitutionnelles explicites ou implicites. De la sorte, l’Etat garde son identité et permets aux peuples autochtones de garder consciemment leur identité.

Pourtant, être conscient de son identité entraîne un retour critique, une réflexion sur soi-même, sur les autres individus et sur la société. Ce qui abouti à la philosophie. Dans le cas du droit et du multiculturalisme, le retour critique porte sur ce qu’on peut appeler les fondements philosophiques du droit, de la culture, de la politique et de l’homme ; et plus largement sur l’anthropologie, l’épistémologie, l’axiologie et la métaphysique qui servent comme fondements d’une théorie du droit.
 
La droit, comme toute autre construction, ne peut pas se bâtir sans un sol, lequel ne fait pas partie de la construction. Ainsi, le droit (monoculturel ou multiculturel) ne peut pas manquer de fondements philosophiques mais le positivisme du XXème siècle a délibérément ont préféré ne pas prendre conscience du sol sur lequel les ordonnancements furent bâtis. Graduellement, le droit reprends conscience de ses fondements philosophiques : l’anthropologie, l’épistémologie et l’axiologie.

Dans les pays étudiés, les revendications des peuples autochtones impliquent qu’ils se présentent comme des peuples injustement infériorisés, ce qui place la justice au dessus de l’ordonnancement étatique et mets en relief sa dimension axiologique. Dénoncer l’infériorisation des ordonnancements autochtones comme une injustice commise par l’Etat, implique dépasser le cadre de l’Etat et de son ordonnancement pour établir ce qui est juridique et juste mais surtout pour affirmer la supériorité des valeurs juridiques sur l’ordonnancement positif des Etats.

Le pluralisme juridique est avant tout une question pratique très concrète sur laquelle on peut revenir pour en faire des théorisations mais les constituants, les législateurs et les juges adoptent des textes ou prennent des décisions juridiques sous la contrainte des enjeux précis.

Le travail correspond aux philosophes de la culture dont les conclusions constitueront le fondement rationnel du pluralisme juridique. En attendant ses conclusions, le droit répond pragmatiquement et provisoirement, sur la base des théories juridiques, des idéologies militantes ou sous les pressions sociales.


Section V : les constitutions plurielles.


La diversité culturelle permets différentes lectures d’un énoncé normatif, ce qui offre un large champ de manœuvre interprétatif aux juges et se prête à de nouvelles antinomies constitutionnelles. Ainsi, les contradictions sont fréquentes entre les droits collectifs et les droits individuels des autochtones ; entre les préceptes autochtones et les droits constitutionnels fondamentaux, et entre les statuts territoriaux et personnelles. S’agirait-il des vrais antinomies inconciliables? Ou de nouvelles situations échappant aux mécanismes habituels d’harmonisation du droit ?

Au Canada, en Colombie, en Australie et en Nouvelle-Calédonie, où les Etats ont mis en place des modalités de pluralisme juridique pour reconnaître la diversité culturelle des peuples autochtones, on constate :
L’ouverture des textes constitutionnels et du droit international aux approches historiques et téléologiques, souvent politiques ou axiologiques ;
La supériorité des droits collectifs sur les droits individuels, bien qu’une telle supériorité ne soit jamais absolue ;
L’effort bienveillant de la jurisprudence pour donner une réponse juridique aux attentes des peuples autochtones ;
La duplicité et l’ambiguïté des régimes applicables, parfois leur inter-changeabilité due aux dynamiques culturelles, à l’instabilité conceptuelle et aux stratégies pluralistes.
Toujours, la supériorité du système juridique étatique sur les systèmes autochtones, remarquée par John GRIFFITHS en 1986.

Une rhétorique simpliste dirait que : Les droits collectifs seraient inacceptables si l’on veut défendre les droits individuels. Ce qui n’est que se retrancher dans la théorie moniste du droit et en tirer les conséquences logiques en déqualifiant les ordonnancements non conformes aux axiomes théoriques du monisme. Il peut y avoir, aussi, des positions ouvertes à un dialogue constructif avec les peuples de culture différente, en empruntant des arguments au bon sens, aux sciences auxiliaires du droit et à la philosophie du droit jusqu’à bâtir une théorie pluraliste du droit.

L’adoption du pluralisme juridique dans les Etats étudiés n’a aucunement signifié la fin définitive du monisme juridique, mais l’application de quelques principes et normes reconnaissant la diversité culturelle, les institutions autochtones et l’interprétation favorable aux peuples autochtones. Dans la pratique, le développement concret du pluralisme juridique dépend des juges, et de la manière qu’ils choisissent le régime applicable.

Si la théorie du droit moniste montre ses limites, le droit dispose toujours de l’autorité des juges et des ressources pragmatiques pour faire face aux innombrables complexités issues du multiculturalisme. La jurisprudence réagit en raisonnant par analogie d’une manière assez créative. En réalisant des transferts de sens, des re-sémantisations des mots, des hybridations conceptuelles, et des ré-interprétations des énoncés ou des normes pour les adapter à une autre culture. De tels virages jurisprudentiels conduisent à des changements de fond dans la théorie du droit, masqués par des malentendus opératoires, des équivoques et d’artifices. En ces occasions, les juristes le manquent pas de dénoncer « le gouvernement des juges » et l’absence de sécurité juridique.

§ 1 : l’Australie.

En Australie, le pluralisme juridique se limite, pour l’instant, à l’ouverture de la Common Law vers les titres natifs fonciers. En 1992 l’arrêt Mabo a introduit au cœur de la tradition et des institutions de la Common Law australienne un élément de déséquilibre important, le refus du régime originaire de la terra nullius peuplée par les colons anglais. Ce qui potentiellement remettait en cause toute la propriété foncière pour satisfaire les revendications des peuples autochtones. Face à de si grandes expectatives et craintes, le législateur a décidé de réglementer minutieusement le titre natif -en fait, de le cantonner- malgré les déclarations grandiloquentes de vouloir redresser les injustices du passé et d’assurer pleinement aux peuples autochtones leurs statuts, leurs droits et leurs intérêts ainsi que la riche diversité culturelle de la nation australienne.

Dans ce cas, l’interprétation novatrice du juge fut rapidement canalisée par le législateur qui a choisi d’assurer la sécurité juridique. Depuis lors, la jurisprudence australienne n’a pas fait des virages interprétatifs forts, bien que le contexte de diversité culturelle en Australie est assez large, du fait des nombreux immigrants qui arrivent en Australie et du processus de nation building qui s’en suit.

§ 2 : le Canada.

Le régime canadien des peuples autochtones est parmi les plus riches en possibilités interprétatives. La constitution de 1982 inclut une norme d’interprétation favorable aux multiculturalisme : « Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. » Ce qui pourrait se prêter à deux lectures différentes, du point de vue linguistico-sémantique : d’une part, l’affirmation des particularismes culturels de chaque groupe et, d’autre part, la reconnaissance des diverses appartenances simultanées chez les individus canadiens. Jusqu’à présent, seulement a prévalu l’affirmation des particularismes des peuples autochtones et des québécois. Ce choix d’une interprétation favorable aux peuples autochtones trouve aussi son fondement dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

L’article 25 de la constitution comporte un énoncé ambiguë « la présente charte… ne porte pas atteinte aux droits ou libertés… reconnus par la Déclaration Royale du 7 octobre 1763 » ; ce qui donnerait lieu à que la relation entre ces deux séries de droits, la charte de 1982 et la Déclaration Royale de 1763, puisse être interprétée raisonnablement comme :
La confirmation des droits et libertés des peuples autochtones qui ont été toujours en vigueur et que la Déclaration Royale avait également confirmé. Le régime général des droits et libertés démocratiques de l’Etat, s’appliquerait de façon subsidiaire aux peuples autochtones.
Une tension entre les droits collectifs des autochtones et leurs droits citoyens modernes. De la sorte,  le régime des peuples autochtones serait complémentaire et subsidiaire du régime général des libertés et droits citoyens de l’Etat. Celle-ci est la solution que la jurisprudence a acceptée pour la plupart des cas.
Le vœu de rendre simultanés ou inter-changeables les droits et les libertés collectives des peuples autochtones avec les droits et les libertés démocratiques de l’Etat moderne.

L’ensemble des textes constitutionnels concernant les peuples autochtones pourrait être analysé d’une manière systémique ou selon une argumentation pro subjecta materia, deux logiques foncièrement unitaires qui conduiraient à conclure que la constitution canadienne se déclare, d’abord, elle même en vigueur puis l’article 25 renvoi la compréhension des droits et libertés des peuples autochtones aux conditions que la Déclaration Royale de 1763 avait établie. Ce qui se prêterait à subordonner /conditionner /harmoniser les droits autochtones aux principes et valeurs constitutionnels supérieurs, ou bien aux conditions historiques de 1763. En dernier ressort, c’est aux juges de préciser la portée des articles de la constitution relatifs aux peuples autochtones.

L’article 35(2) de la constitution énonce les peuples autochtones reconnus: les Inuits, les Indiens et les métis. Or, l’emploie en français le terme “ notamment ” laisserait entendre que la liste ne serait pas limitative. Mais, selon certains auteurs, la version anglaise en utilisant le mot  “ include ” écarte cette interprétation.

Pour l’interprétation des traités historiques, la Cour Suprême du Canada a élaboré en 1990 quatre critères dans l’arrêt Siuoi:
Adopter une interprétation large et libérale de ce qui constitue un traité ;
Tenir compte du contexte historique du traité ;
Résoudre les doutes et les ambiguïtés en faveur des autochtones, et
Tenir compte de la perception de chaque partie sur la nature des engagements.

Dans le schéma des traités historiques on trouve un pluralisme politique et juridique de type international. Les peuples autochtones et les Etats se sont reconnu réciproquement comme des sujets du Ius Gentium ; en conséquence, celui qui était perçu comme un envahisseur abusif au début, acquiert une légitimité ; et la société primitive, juridiquement infériorisée, est devenu une société ancestrale respectable du même niveau que celle de l’Etat.

Au moment du passage du Ius Gentium au droit international contemporain, les peuples autochtones ont subi, certes, une grave perte politique puisque désormais seulement les Etats détiennent le contrôle suprême du droit international. Les traités historiques ont muté de nature juridico-politique : les relations de voisinage, d’alliance ou de vainqueur-vaincu se sont transformées en présence coloniale unilatéralement affirmé par un Etat, et admise ou refusée par les peuples autochtones. Pourtant c’est grâce à leur internalisation que les traités historiques ont réussi à survivre et qu’ils constituent aujourd’hui le fondement d’une légitimité historique respectée par les Etats. Ils sont le point de départ pour une entente de principe, souvent non explicité par les multiculturalistes livrés aux polémiques.

La doctrine juridique canadienne insiste sur le besoin d’une double lecture historique des traités : celle des sources officielles et celle des sources autochtones. En 1996 la Commission Royale sur les Peuples Autochtones a recommandé faire appel à l’histoire des traités transmise oralement au sein des peuples autochtones pour compléter l’interprétation officielle basée sur le document écrit. L’histoire comme vecteur de la légitimation ordonnancements autochtones se traduit dans ce double référence à l’histoire pour l’interprétation des traités, ce qui suggère une valeur égale des deux récits historiques.

Isabelle SCHULTE-TENCKOFF met en relief le Two Row Wampum des Iroquois, qui stipule le principe d’une coexistence entre les peuples sans interférence mutuelle ; une tradition autochtone à mettre en dialogue avec le droit de gens et le droit international des Etats occidentaux.

Néanmoins, la jurisprudence canadienne ne situe pas les peuples autochtones exclusivement dans le passé ni dans un temps mythique, la Cour Suprême a interprété « les droits existants » des peuples autochtones comme « droits non éteints en 1982 », l’année de l’entrée en vigueur de la constitution, en ajoutant comme critère d’interprétation leur contemporanéité par rapport aux besoins des autochtones. L’adaptabilité des droits autochtones existait déjà dans la tradition des Indiens de renouveler tous les ans les ententes et les traités d'alliance en leur introduisant des modifications ; ce qui a permis l’évolution des droits autochtones au fil de temps. De nos jours, il semblerait que les conventions tripartites seraient la meilleure expression de la contemporanéité des droits autochtones.

Puis le « test de justification des atteintes aux droits autochtones » , établi par la Cour Suprême de Canada sert pour contrôler le contenu des droits autochtones et des conventions tripartites contemporaines. De la sorte les deux dispositifs, la contemporanéité et le test, deviennent complémentaires dans la pratique et laissent un vaste champ de manœuvres pour l’interprétation des juges. Il est très clair que le dernier mot revient à la juridiction lorsqu’elle applique le test aux cas concrets.

§ 3 : la Colombie.

En Colombie, les interprétations de la constitution faites par la Cour constitutionnelle sont largement favorables aux demandes et revendications juridiques des indiens. On peut affirmer que dans tous les domaines, l’ordonnancement juridique colombien est sensible à la diversité ethnique et culturelle. La diversité ne se limiterait pas aux minorités ethniques et culturelles existantes à l’intérieur du pays mais qui peut aussi être invoquée en faveur des identités majoritaires, par exemple dans les processus d’intégration supra-nationale.

La constitution de 1991 a proclamé la diversité ethnique et culturelle de la nation et a prévu également plusieurs schémas de protection juridique, se renforçant les uns les autres :
Pour la Cour constitutionnelle il s’agit d’un droit fondamental, et de ce fait la diversité ethnique et culturelle constitue une valeur centrale de la constitution, impérative face au législateur et aux autres pouvoirs publics.
La diversité ethnique et culturelle servirait aussi comme critère d’interprétation de l’ordonnancement juridique colombien, dès que la question de l’appartenance à une minorité ethnique est soulevée.
Enfin, la diversité ethnique et culturelle fonctionnerait comme un espace de revendications légitimes, où se joue le sort des demandes sociales

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle affirme, d’une part, la primauté de la constitution où les peuples autochtones sont déjà reconnus, ce qui devient tautologique : la constitution a la primauté sur les peuples autochtones parce qu’elle les inclut et les protège. D’autre part, la Cour a adopté le critère de « maximiser l’autonomie des communautés indigènes et, par conséquent, minimiser les restrictions à ce qui est vraiment indispensable pour sauvegarder les intérêts de hiérarchie  supérieure». Ce qui constitue une hybridation : les peuples autochtones auront l’autonomie maximale à condition qu’en certains moments ils reconnaissent la primauté de l’Etat.

Les critères d’interprétation de l’article 9 de la Convention 169 de l’OIT sont applicables en Colombie ; ainsi que les quatre règles d’interprétation que la Cour Constitutionnelle colombienne a signalé, concernant les peuples indigènes :
Plus les us et les coutumes se trouvent conservés, plus le peuple indigène a d’autonomie.
Les droits fondamentaux constituent le minimum obligatoire pour tous les particuliers.
Les lois impératives, ou d’ordre public de l’Etat, prévalent sur les us et coutumes, pourvu que ces lois protègent une valeur constitutionnelle supérieure à celle de la diversité ethnique et culturelle.
Les us et coutumes d’une communauté indigène prévalent sur les lois dont les particuliers peuvent disposer, c’est à dire, les préceptes facultatifs.

En dernier instance, c’est à la Cour constitutionnelle de trancher les conflits juridiques inter-culturels ; en appliquant la méthode de la pondération entre la valeur constitutionnelle de la diversité ethnique et culturelle, la portée des droits fondamentaux, et le principe de l’unité politique de l’Etat.

La pondération est un raisonnement judiciaire typiquement pré-normatif ; utilisé en Colombie pour résoudre les conflits juridiques en les situant au niveau des valeurs constitutionnelles. Cette approche axiologique mets en avant les présupposés culturels et identitaires et permets au juge inter-culturel de construire une prémisse majeure ad hoc pour le syllogisme judiciaire.

L’arrêt Augusto Vargas contre Anaïs Moreno décrit avec précision le raisonnement par pondération en prenant en compte les diverses biens juridiques et les intérêts opposés que le juge a à harmoniser dans la situation concrète à juger ; un premier examen des biens juridiques en jeu doit identifier leur hiérarchie dans l’ensemble des valeurs constitutionnelles puis préciser la proportionnalité existante entre eux pour conclure quel droit fondamental prévaut sur les autres. L’harmonisation des biens juridiques, apparemment opposés, se fait dans la situation concrète, en cherchant une compatibilité pratique des normes constitutionnelles, de telle sorte que le juge assure leur efficacité maximale.

Bien entendu, le raisonnement par pondération est subsidiaire du raisonnement par subsumption de la situation de fait dans les prévisions normatives (prémisse majeure du syllogisme).

Le retard –ou l’omission- du législateur étatique pour adopter la loi statutaire de la juridiction spéciales indigène est perçu comme un délais favorable aux développements jurisprudentiels puisque la Cour constitutionnelle considère que sa jurisprudence accomplit mieux que le législateur la fonction de coordonner les juridictions étatiques et autochtones.

§ 4 : la France.

La France a une culture juridique axée sur les lois adoptées par les représentants du peuple souverain, se plaît à rappeler la consigne napoléonienne qui cantonne les juges à se taire et obéir. Un tel paradigme qui s’accorde bien avec l’égalité républicaine n’a pas empêché la création d’un droit prétorien assez important ; il a suffi à la jurisprudence d’exercer discrètement son rôle d’adapter les lois aux situations concrètes et aux nouvelles circonstances de diversité culturelle.

On peut affirmer que la diversité culturelle est acceptée comme principe d’interprétation, permettant aux juges de reconnaître les faits sociaux. Ainsi, lorsque les particularismes culturels sont refoulés au niveau de la vie privé, ils peuvent regagner une place dans l’espace public grâce à la jurisprudence.

D’autre part, la surproduction normative émanant de l’Union Européenne, des instances internationales et des organismes de régulation internes, brouille le système classique des sources du droit et permets de nouvelles possibilités d’interprétation juridique. Ce qui fait que dans la pratique, la prééminence des lois ne soit pas si stricte ni évidente.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel contribue à l’émergence d’une "interprétation pluraliste de l’unité de l’Etat" dans les DOM-TOM, qui sait aménager le pluralisme et l’unité du droit comme deux principes complémentaires et non pas opposés. Norbert Rouland considère que les partisans du multiculturalisme pourraient mieux que les universalistes assurer la perpétuation du modèle républicain, en adaptant les principes d’unité et d’égalité aux nouvelles situations

L’établissement des conseillers coutumiers auprès des juges de l’Etat en Nouvelle Calédonie, a transformé la juridiction nationale en juridiction inter-culturelle, sensible aux différences culturelles et aux droits collectifs.

Le pluralisme politique n’est pas un principe juridique, mais un élément politique qui oriente l’interprétation du droit dans un Etat démocratique. Le pluralisme politique qualifié par le Conseil constitutionnel d’objectif de valeur constitutionnelle joue comme principe d’interprétation pour donner une grande flexibilité au droit public en augmentant considérablement la marge d’interprétation des juges.

§ 5 : l’ouverture de l’interprétation constitutionnelle.

Les potentialités novatrices du pluralisme, pris comme principe d’interprétation sont immenses. Invoquer le pluralisme permet de dépasser les enjeux fixes pour trouver des solutions inédites, ce qui fait craindre pour la sécurité juridique et pour la fonction de garder le statu quo, que les sociétés confient à l’ordonnancement juridique. Ronald DWORKIN considère que le pluralisme comme un principe d’interprétation offre des applications potentielles quasi infinies.

L’Etat multiculturel reconnaît les différences culturelles minoritaires forcément par rapport à une culture majoritaire ou de référence, ce qui a des conséquences pratiques. Le pluralisme juridique entraîne l’ouverture de l’ordonnancement juridique de référence vis-à-vis d’autres foyers de droit mais le pluralisme juridique n’oublie pas l’existence de l’ordonnancement majoritaire ni méconnaît l’identité culturelle de la société de référence. D’autre part, le droit identitaire, multiculturaliste ou pluraliste n’agit pas dans le vide historique ; l’actualisation des potentialités novatrices se produit sous la pression des forces sociales et politiques, ce qui impose des limites concrètes à toute interprétation pluraliste.

L’interprétation qui devient source du droit appartient aux juges, leurs arrêts développant l’inter-culturalité et la multiculturalité préparent le terrain pour les législateurs. Un espace de liberté interprétative est toujours riche en conséquences politiques. Dominique ROUSSEAU considère que la meilleure interprétation est celle qui contribue à faire de la structure complexe (étatique et sociale) dans laquelle s’insère le juge, la meilleure structure politique (au sens large du terme) en lui conférant la meilleure dynamique de sens possible.

Or, lorsque le législateur adopte une norme juridique ou lorsque le juge va l’appliquer, ils agissent sur la présomption que les personnes et les situations concernées appartiennent à la culture et au droit nationaux de référence. De la sorte, une lecture juridique alternative, en clef des cultures minoritaires serait possible uniquement si l’appartenance à la culture nationale de référence a été mise en cause.




























































































Chapitre VII

les Effets du pluralisme juridique sur les droits SUBJECTIFS.



Section I : l’égalité dans la diversité.

A première vue un régime universaliste fondé sur l’égalité juridique semble peu compatible avec un autre régime fondé sur la différence culturelle. Cette impression suppose d’accepter une équivalence entre l’ordonnancement juridique et la culture mais lorsqu’il y a des sociétés multiculturelles, l’ordonnancement juridique lui-même reflète les complexités culturelles de la société et aura à gérer les basculements culturels des populations en assurant la justice.

Les quatre pays étudiés, ayant reconnu la diversité culturelle des peuples autochtones, ont réussi à fonder les régimes multiculturels sur un principe d’égalité dans la différence. L’article 2 de la convention N° 169 de 1989 de l’OIT a affirmé ce principe pour les Etats sociaux de Droit, à l’opposé de l’égalité juridique formelle, de l’individualisme libéral et de l’appartenance à une seule nation, supposée homogène, « Il incombe aux gouvernements, avec la participation des peuples intéressés, de développer une action coordonnée et systématique en vue de protéger les droits de ces peuples et de garantir le respect de leur intégrité. (…) sur un pied d'égalité, des droits (…) »

L’égalité dans la diversité a exigé de mettre fin à l’incapacité civile des individus autochtones ; ils sont à la fois titulaires du statut citoyen de droit commun, pour affirmer l’égalité de ses droits, et du statut autochtone, pour affirmer juridiquement la diversité culturelle. Deux statuts dont l’individu autochtone peut faire un usage stratégique. Boaventura de SOUZA SANTOS l’exprime sans aucune ambiguïté : « Nous avons le droit de revendiquer l’égalité tant que la différence nous rende inférieurs, et nous avons le droit de revendiquer la différence tant que l’égalité nous rend différent ».

Les objectifs politiques visés par les peuples autochtones sont doubles : obtenir une reconnaissance de leurs communautés, un objectif politique et atteindre une amélioration de leur niveau de vie, un objectif socio-économique. Ce qui explique leurs diverses démarches.

Il ne s’agit nullement d’obtenir une seule citoyenneté différenciée qui entraîne des supériorités et des infériorités, incompatibles avec les valeurs d’un Etat social de droit ; il s’agit d’obtenir deux citoyennetés simultanées ayant chacune son statut juridique et qui interfèrent. Ce qui donne lieu à des phénomènes inhabituels comme la réversibilité et l’interchangeabilité des statuts citoyen et autochtone, qui se produisent sous le contrôle judiciaire.

En fait, on y retrouve les clivages classiques, statut citoyen égalitaire et statuts autochtones, agencés différemment dans une citoyenneté multiculturelle, englobant deux (ou plusieurs) citoyennetés et statuts juridiques, lesquels rendent compte des multiples appartenances librement voulues. Il peut y avoir du communautarisme pourtant l’individualisme survit lorsque les Etats exigent de préserver la liberté des individus d’abandonner les groupes.

§1 : les nouveaux statuts de l’égalité.

A – en Australie :

Dans la décennie de 1960 la mouvance mondiale de décolonisation a fortement marqué l’Australie, en obligeant autochtones et non autochtones à repenser le peuplement du pays et à reformuler la citoyenneté australienne. Les indigènes ont su profiter de l’occasion pour ré-inventer leurs revendications identitaires, sortir de leur invisibilité politique et lancer une dynamique afin de renégocier leurs droits, leurs obligations et leur statut.

Lors du référendum de 1967, sanctionné par 91% de voix favorables, l’Australie a accordé aux autochtones le droit de vote et les droits sociaux ; les autochtones sont arrivés ainsi à l’égalité et à l’universalisation des droits citoyens. Les lois contre la discrimination de 1975, la Commonwealth Racial Discrimination Act et de 1986, la Human Rights and Equal Opportunity Commission Act ont marqué le progrès de l’égalité des autochtones australiens. Pourtant, en 1999 la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU a insisté pour que cette égalité ne soit pas simplement formelle mais qu’elle devienne une véritable égalité des chances, dans le sens de développer les droits collectifs et les droits sociaux des peuples autochtones.

B- au Canada.

Le réveil identitaire des peuples autochtones en 1969, à l’occasion de la publication du “ Livre Blanc ” du Gouvernement, fut la réaction contre le projet d’abroger le régime d’incapacité civile pour mettre les autochtones sous le régime civil général. Depuis lors, les rapports entre les peuples autochtones et l’Etat ont évolué selon un critère d’égalité dans la différence dont la construction a été ardue.

La Constitution de 1982 a appliqué la technique du dédoublement des régimes en établissant une base d’égalité et de pleine citoyenneté pour les autochtones, et simultanément le statut constitutionnel des peuples autochtones, distincts de la société canadienne : les droits collectifs et de libertés ancestrales ou issues des traités ou autres. Cette reconnaissance au niveau constitutionnel les a mis à l’abri des politiques d’assimilation et d’intégration, pourvu que la Constitution garde sa suprématie. La conséquence en est que les peuples autochtones soutiennent le régime constitutionnel.

L’Etat canadien s’attribue un droit d’ingérence à l’intérieur des peuples autochtones en vue de protéger une partie de la population autochtone contre les abus des restrictions internes jugées excessives. C’est bien ce qui s’est passé lors de la Conférence constitutionnelle de 1983 lorsque les femmes autochtones ont réussi à faire adopter le paragraphe 4 de l’article 25 pour les protéger de la discrimination qu’elles subissaient à l’intérieur des bandes indiennes.

Certains groupes autochtones comme l’Union of Ontario Indians et des auteurs comme James TULLY rejettent le statut citoyen octroyé unilatéralement parce qu’il véhiculerait une captation juridique. Parfois le refus de la citoyenneté ne semble pas une conviction sérieuse mais un outil rhétorique ; d’autres fois, le refus de la citoyenneté exprime un rejet profond des axiomes de l’Etat de Droit. Mais si l’Etat refuse la pleine citoyenneté aux autochtones, il nierait sa propre définition d’un ordre juste, c’est à dire, fondée sur les principes universels de la dignité humaine, la liberté et l’égalité de tous.

Au Canada, le bilan du principe de l’égalité dans la différence, est globalement positif. L’Etat a répondu aux défis théoriques et pratiques d’une mosaïque culturelle, par des lois spéciales, des collectivités territoriales et par un pluralisme juridique audacieux, en faveur des peuples autochtones. L’égalité individualiste a été nuancée par des programmes sociaux et de redistribution de la richesse en faveur des peuples autochtones. Ce qui fait du Canada un Etat social de droit d’avant-garde dont les risques dériveraient précisément du fait d’être le premier à appliquer les institutions multiculturelles.

C- en Colombie.

La constitution de 1991 a reformulé dans un langage identitaire et des droits collectifs les institutions coutumières des peuples autochtones. Les indigènes jouissent aujourd’hui de tous les droits civils et politiques des citoyennes colombiens, et d’un statut particulier protégé de l’ingérence des non-autochtones. Ce double statut garantit l’insertion des peuples et communautés indigènes dans l’ordre juridique de l’Etat tout en gardant leur différence.

Le double statut est assorti d’autres formules juridiques comme les lois particulières en faveur des peuples autochtones dans certains cas, par exemple sur le service militaire ou l’exemption d’impôts fonciers. Dans la plupart des domaines, l’Etat choisi de reconnaître la validité du droit autochtone –les us et coutumes aborigènes-, en parité de conditions avec le Droit étatique. Cette deuxième formule peut s’analyser comme un régime d’autonomie à la façon d’un fédéralisme territorial ; ou bien elle peut constituer un véritable pluralisme juridique permettant la construction stratégique de doubles appartenances. Ce qui est pleinement juridique, puisque les individus indiens sont à la fois citoyens égaux aux autres, et membres d’une culture juridique différente.

La Constitution de 1991 reconnaît et protège les cultures ancestrales des minorités ethniques, y compris leurs ordonnancements juridiques, l’autonomie législative et les juridictions spéciales indigènes. L’article 70 de la Constitution fait un détour prudent lorsqu’il reconnaît l’égale dignité de toutes les cultures qui cohabitent dans le pays, ce qui laisse un champ de manœuvre aux interprétations jurisprudentielles ; on pourrait attribuer l’égalité à la dignité, à toutes les cultures, aux peuples ayant ces cultures, aux individus de ces peuples ou aux ordonnancements juridiques des peuples habitant le pays. L’égalité des autochtones implique le respect des droits constitutionnels fondamentaux : les droits fondamentaux des indigènes sont protégés et ils sont tenus de respecter le noyau dur des droits fondamentaux à l’intérieur de leurs communautés.

La pleine citoyenneté et la capacité civile des indigènes les habilitent pour revendiquer leurs droits devant toutes les autorités administratives et judiciaires de l’Etat, sans que l’existence des juridictions spéciales indigènes ne diminue la capacité juridique des indigènes pour demander leurs droits civils, politiques ni économiques, conformément aux régimes juridiques national et international en vigueur.

En Colombie, l’égalité est aussi une condition pour la création des collectivités territoriales indigènes ETIS. Dans l’arrêt Resguardo Ricaurte contre Ministère de l’Intérieur, la Cour Constitutionnelle a donné l’instruction supplémentaire au législateur d’appliquer l’égalité dans la future loi fixant les conditions et la procédure pour la mise en fonctionnement des ETIS.

D- en Nouvelle-Calédonie.

La conception française de la République une et indivisible se projette sur la nation et sur l’ordonnancement juridique ; mais elle montre ses limites lorsque la nation est consciemment constituée par une agrégation de peuples de culture différente. L’exemple en ont été les peuples colonisés par la France, reconnus comme des peuples différents du peuple français.

Jacques CHEVALIER affirme que la devise républicaine « Unité, égalité, fraternité » a inspiré un système de Droit public unitaire, rationalisé et hiérarchisé qui nie le multiculturalisme. Le pluralisme juridique est mal vu car il récuse l’unité nationale, l’universalisme d’un Droit rationnel, l’égalité républicaine, le libéralisme individualiste et d’autres notions propres à la culture juridique française.

Les juristes français ont du mal à rendre compatible la pluralité de cultures avec l’équation politique nation-Etat-Droit qui était à la base du droit moderne. Or, il peut y avoir deux types d’égalité : l’égalité juridique formelle et l’égalité des conditions matérielles. L’universalisme républicain a mis en place une homogénéisation des statuts juridiques en laissant de côté la diversité des conditions réelles de vie, tandis que l’Etat social de Droit a mis l’accent sur l’homogénéisation des conditions réelles de vie en acceptant la possibilité d’une diversité de statuts juridiques. Au XXème siècle l’Etat français a adopté le paradigme d’Etat social de droit, la notion d’égalité a dû être nuancée en ajoutant l’égalité de fait. Aujourd’hui, le droit public français est un hybride entre l’égalité juridique formelle, du moment fondateur de la République, et l’homogénéisation des conditions de vie, propre d’un Etat social de droit.

La réticence de la France métropolitaine vis-à-vis du pluralisme juridique pourrait changer radicalement suite à son insertion dans l’Union Européenne, devenant une société minoritaire dans un ensemble plus large où il n’y aurait aucune société majoritaire. Le pluralisme est pris en compté dans le projet de 2004 du Traité constitutionnel de l’Europe, qui définit « une société caractérisée par le pluralisme, la tolérance, la justice, l’égalité, la solidarité et la non-discrimination ». Mais s’agit-il d’un pluralisme politique ou juridique ?

Dans les actuels départements et territoires d’outre mer, DOM-TOM, la diversité culturelle des peuples autochtones peut se faire un chemin selon le pluralisme juridique. Conformément aux accords de Nouméa et de Matignon, le pouvoir constituant a créé en 1999 une citoyenneté préférentielle dans une communauté de destin, ce que les articles 13 et 15 de la loi organique de 1999 ont concrétisé, en ce qui concerne les statuts juridiques des Kanaks, dans la possibilité de mélanger le statut citoyen et le statut coutumier.

Les énoncés normatifs sont assez discrets mais la jurisprudence civile française, ayant déjà appliqué le principe de l’égalité des statuts, peut ouvrir la voie à un véritable pluralisme juridique pour reconnaître aux Kanaks tous les droits du statut de citoyen, en égalité avec les Calédoniens non-autochtones, et le statut coutumier afin de protéger leurs différences culturelles. Le rapport entre l’un et l’autre statut serait de complémentarité.

Jean-Yves FABERON explique que la citoyenneté calédonienne complète la citoyenneté française mais elle ne la remplace pas. Ce qui ressemble à l’article 17 du Traité de la Communauté Européenne : « La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ». La présentation comme « complémentaire » rend facile à accepter l’autre statut / citoyenneté / ordonnancement. Puisqu’elle suggère que l’individu ne perde rien mais qu’il obtient des prérogatives juridiques supplémentaires et non obligatoires. Considérer cette citoyenneté complémentaire peut entraîner, dans la pratique, deux glissements conceptuels : de complémentaire à supplémentaire, et de supplémentaire à non-obligatoire. Les citoyennetés et les régimes de droit commun et le droit coutumier se sont ouverts tous les deux, en relâchant leur contrainte sur l’individu.

E. l’ONU.

La convention 107 de 1957 de l’OIT correspond à la période de l’apogée des Etats nation, où l’ONU croyait que l’amélioration des conditions de vie et de travail des peuples autochtones exigeait leur intégration à la société nationale de référence, sur un pied d’égalité avec les autres citoyens. L’objectif intégrationniste a subi des critiques vers la fin des années 1960 et fut abandonné par l’OIT en 1988, surtout à cause de son postulat implicite de l’infériorité culturelle des peuples autochtones.

L’année suivante, la convention N°169 de l’OIT a consacré le droit des peuples autochtones à « l’égalité dans la différence » (Art.2) ; ce qui a conduit à mettre en place un double régime juridique en faveur des autochtones : L’un pour assurer l’égalité de leurs droits, et l’autre pour protéger leurs différences culturelles.

Depuis 1982, le Groupe de Travail sur les Populations Autochtones et le Forum Permanent sur les Affaires Indigènes de l’ONU dénoncent les inégalités économiques et sociales subies par les peuples autochtones, toujours par rapport aux Etats où ils habitent et en utilisant les variables socio-économiques des droits sociaux : emploi, revenu annuel, mortalité prénatale et infantile, espérance de vie, niveau d’instruction, pourcentage de population carcérale, taux de suicide, etc. ; les instances de l’ONU revendiquent pour les peuples autochtones le droit de continuer en toute tranquillité leurs activités économiques traditionnelles.

Dans le Projet de Déclaration des droits des peuples autochtones, que le Groupe de Travail de l’ONU a commencé à élaborer en 1985, on retrouve le droit à la différence de même que le principe d’égalité pour tous sans discrimination. L’article 2 du projet déclare que : “ Les autochtones, peuples ou individus, sont libres et égaux à tous les autres en dignité et en droits et ne doivent faire l’objet d’aucune forme de discrimination défavorable fondée, en particulier, sur leur origine ou identit頔.


§2 : ébauche d’une théorie générale ou comment concilier l’égalité et le pluralisme.

Le double régime des peuples autochtones n’est pas nouveau, il a existé dans les périodes coloniales sous la modalité d’une duplicité de statuts dont l’usage alternatif donnait lieu, d’un côté, à des espaces d’autonomie limités et, d’autre côté, aux rapports de soumission à la puissance colonisatrice.

Dans les régimes libéraux individualistes, l’incapacité civile des autochtones a permis la survie des peuples autochtones et de leurs traditions juridiques, du fait de leur exclusion du régime des colons. Aujourd’hui de telles exclusion et infériorisation ne sont plus acceptables vis-à-vis des valeurs juridiques des Etats sociaux de droit. La nouveauté des statuts particuliers contemporains pour les peuples autochtones consiste à n’entraîner aucune infériorité juridique ni aucun privilège, en vertu du statut d’égalité citoyenne qui lui est inséparable. Le double statut dont jouissent les indigènes garantit l’insertion des peuples autochtones dans l’ordre juridique de l’Etat tout en gardant leur différence.

Or, la fin du régime d’incapacité civil a eu besoin d’une transition qui amortisse le choc juridique et culturel d’une insertion immédiate dans le régime égalitaire. Les autochtones n’ont pas été incorporés d’un coup aux circuits juridiques de la société individualiste majoritaire mais au bout d’un processus ambigu qui a permis à l’Etat et aux régimes de droit commun et coutumier de s’hybrider, toujours sous le contrôle judiciaire. Un basculement identitaire subit aurait été catastrophique, s’il n’a pas été accompagné de l’adoption des statuts autochtones (personnels ou territoriaux) graduellement devenus complémentaires, supplémentaires et facultatifs. C’est précisément lors de ces transitions que le pluralisme juridique sert à gérer les recompositions sociales.

Les doubles régimes des démocraties multiculturelles contemporaines envisagent les régimes particuliers des peuples autochtones non pas comme un outil colonial, ni comme des privilèges antidémocratiques sinon comme l’expression juridique des différences culturelles légitimes et comme un moyen de participation dans les dynamiques nationales. Pourtant l’adoption d’un double régime pour les individus autochtones pose plusieurs incohérences au niveau de la théorie du droit.

Le passage du régime de droit commun au régime autochtone n’est pas une frontière fixe. Un seuil marque la frontière entre les deux régimes, à plusieurs niveaux : entre l’autonomie et l’intégration à l’ordre étatique, entre les droits individuels et les droits collectifs, et entre la diversité et l’homogénéité culturelle. Pour être appliqués, les seuils ont besoin d’un critère recteur et d’un principe de proportionnalité.

La formulation de l’égalité des individus, « les hommes sont égaux » lorsqu’elle est transposée aux cultures juridiques pour affirmer que « les cultures sont égales » opère une analogie légère de l’individuel au collectif, ce qui produit énormément de confusions : D’abord sur le plan juridique, les droits individuels ne fonctionnent pas de la même façon que les droits collectifs. Deuxièmement, droit et cultures sont deux plans différents qui s’imbriquent réciproquement ; l’on ne peut pas considérer le droit comme un simple élément de la culture, ni affirmer que les cultures doivent se contenter des prérogatives juridiques que l’ordonnancement positif leur accorde. Troisièmement, il y a un passage rapide d’un « universalisme de l’égalité » selon la culture juridique française, qui n’est qu’un particularisme culturel de plus ; vers un nouvel « universalisme de l’égalité » multiculturel, pour inclure les peuples autochtones dans un Etat multiculturel. Finalement, les deux formules égalitaires ont besoin d’un complément : « les hommes sont différents » et « les cultures sont différentes ».

Le principe d’égalité juridique peut guider les rapports inter-culturels et les changements culturels sans forcement nier la diversité culturelle. Charles TAYLOR propose d’adopter l’égalité des cultures comme une présomption de départ, soumise à débat, à vérification et à correction au cas par cas. Mais, sur quelle base débattre et corriger ? Taylor prends comme fondement de l’égalité des cultures, une identité qui est commune à tous les êtres humains et qui constituerait une valeur universelle aussi bien pour le droit que pour les cultures. La valeur universelle serait cette identité humaine commune et non pas l’égalité qui en découle. Ainsi, l’identité humaine commune et universelle empêcherait l’égalité de devenir une fin absolue ni un principe d’homogénéité qui nierait les différences culturelles.

En termes identitaires, on pourrait dire qu’une identité commune à tous les hommes coexiste avec les diverses identités culturelles particulières, et que les ordonnancements juridiques gèrent les seuils entre l’une et les autres. Au fond, le regard identitaire et le souci de respecter les diverses cultures conduisent les juristes à redécouvrir la distinction existante entre le particularisme de leurs ordonnancements et l’universalisme du droit. Ce qui pose une autre problématique classique de philosophie du droit.

Les différences culturelles ont besoin d’être reconnues et légitimées pour protéger les individus porteurs des différences. Tolérer les différences serait se borner à ne pas agresser les individus porteurs des différences. Nier les différences ou nier la légitimité des différences risque de dériver vers un combat contre les individus d’autres cultures. Les rapports entre les particularismes culturels et l’universalisme des valeurs constituent, au niveau abstrait, des questions pérennes de la philosophie culturelle et, en même temps, des situations concrètes que le juge doit gérer prudemment, en sachant reconnaître les différences légitimes, relativiser les tensions identitaires ou tolérer certaines choses, sans pour autant nier ce qui est universellement valable ni combattre ce qui est légitimement divers.

Du point de vue juridique, les notions de Charles TAYLOR d’égalité des cultures et d’identité commune à tous les hommes, contribuent à aménager un espace juridique commun –un terrain d’entente- pour éviter les chocs culturels et tenter de concilier les différences culturelles. Le principe de l’égalité juridique, fondée sur l’identité universelle commune à tous les hommes, a besoin d’un enracinement concret dans chaque culture afin de protéger l’identité de toutes les personnes et leur insertion sociale ; c’est aux législateurs et aux juges (étatiques ou autochtones) d’établir quelles sont les limites de l’égalité présumée des cultures et quel est le poids des particularismes culturels légitimes face aux valeurs juridiques universelles incorporées dans leurs ordonnancements.

Les relations entre l’Etat et les peuples autochtones se sont intensifié suite au choix des deux parties de reconnaître leurs différences légitimes et de se rapprocher en créant des systèmes juridiques multiculturels et de phénomènes de pluralisme juridique. Le choix contraire aurait été l’isolement des cultures, ce qui assurerait une autonomie maximale au prix d’instaurer des régimes d’exclusion, d’apartheid, des ghettos ou d’autres, inacceptables pour l’axiologie juridique et condamnés par l’ordre juridique international. Ainsi, la seule issue acceptable est la cohabitation des diverses cultures à l’intérieur des Etats de droit en acceptant les formules juridiques fondées sur les valeurs universelles dûment acceptées par tous, comme la dignité de la personne humaine, l’égalité juridique et la légitimité des différences culturelles. Ce qui n’empêche que, sur le plan pratique, il y ait des tensions, des disfonctionnements, des ruptures et d’autres phénomènes contraires au droit édicté.

Norbert ROULAND affirme que l’égalité juridique peut se trouver agencée différemment dans les autres cultures. Ainsi, l’égalité des citoyens, l’égalité de droits des hommes et des femmes, natives et étrangers, etc. n’ont pas chez les peuples autochtones la même importance que nous leur attribuons dans les sociétés démocratiques. Mais, les Etats de Droit ne peuvent pas refuser la pleine citoyenneté aux individus autochtones, puisque cela équivaudrait à nier leur propre définition d’ordre juste, c’est à dire, fondée sur les principes universels de la dignité humaine, la liberté et l’égalité de tous.

Le double statut dont jouissent les peuples autochtones garde un certain parallélisme avec les dualismes juridiques qui ont caractérisé les implantations coloniales et les fédéralismes étatiques. L’existence des deux statuts nettement séparés dans une même société, par exemple le régime coutumier et le régime de droit commun, entraîne nécessairement l’inégalité juridique des personnes du fait de l’exclusion des individus autochtones des droits citoyens. Par contre, l’attribution simultanée des deux régimes aux individus autochtones assure leur égalité citoyenne. Obligés à choisir entre l’égalité ou la cohérence théorique, les Etats sociaux de droit accordent la priorité à l’égalité. Evidemment, une théorie condamnée à l’incohérence n’est plus soutenable et demande soit des ajustements, soit qu’une autre théorie prenne le relais.

Etienne PICARD affirme que dans un Etat de droit, l’égalité n’est jamais séparée de la liberté, et que celle-ci est source de différences. Ce qui suggère, selon une approche dynamique du droit, que l’égalité et la liberté se trouvent en symbiose permanente et que les deux principes fonctionnent de manière complémentaire. Les Etats sociaux de droit considèrent qu’ils ont réussi à rendre compatibles l’égalité et la liberté. Pourtant, il peut y avoir d’autres manières de les rendre compatibles.

Tandis que le pluralisme juridique permet l’application à une même situation des solutions juridiques différentes correspondantes aux ordonnancements juridiques coexistants. Ainsi, l’individu peut choisir, sous le contrôle du juge laquelle des deux solutions lui serait applicable. Le pluralisme juridique des peuples autochtones n’est pas égalitaire dans le sens libéral et individualiste du terme mais, lorsque l’individu choisit l’une de ses multiples appartenances, il jouie d’une liberté concrète : il peut choisir être indien ou être citoyen à l’intérieur d’un Etat multiculturel. Il s’agit d’une liberté ayant un contenu social pour l’individu qui décide son insertion dans un groupe et une place sociale, loin de la conception abstraite des catalogues des libertés du type de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen.

La rupture est évidente, au moins au niveau de la théorie du droit puisque la modernité démocratique avait construit les ordonnancements juridiques sur la dignité de la personne humaine et l’égalité universelle, en refusant implicitement d’adopter des critères comme l’identité ethnique ou culturelle. L’égalité et la liberté abstraites ont occupé l’espace public tandis que les contenus identitaires et culturels concrets étaient refoulés dans l’espace privé ; aujourd’hui, les peuples autochtones revendiquent une place légitime pour leurs identités culturelles.

Une liberté juridique respectueuse des identités culturelles et qui tient compte des différences se situe conceptuellement à l’opposé de la liberté juridique égalitaire de la modernité. Mais si toutes les deux coexistent, elles montrent les limitations l’une de l’autre et réussissent à corriger leurs dérapages. L’adoption d’un double ordonnancement juridique pour les peuples autochtones, l’un égalitaire et l’autre identitaire, permet de nuancer les dérives de l’égalité abstraite en lui donnant un contenu culturel concret, et d’autre part, empêcher les risques de communautarisme chez les peuples autochtones.

L’égalité et l’inégalité sont des notions qui se projettent sur des plans divers. L’équivoque vient du fait que l’espace auquel s’appliquent les concepts d’égalité et d’inégalité est multidimensionnel, et que la définition de l’égalité dans l’une de ses dimensions implique, au sens causal, l’acceptation d’inégalités en d’autres dimensions. Dans le domaine économique, les peuples autochtones réclament l’égalité de revenu et l’inégalité de productivité. Pour le revenu égalitaire, les autochtones se réclament citoyens tandis que pour la légitimité de leur système de production ancestral, ils revendiquent le droit à la différence culturelle ; ainsi les deux aspirations ont de fondements et de paramètres divers. La dignité humaine et l’identité commune aux être humains seraient le fondement des revenus égaux ; tandis que les particularismes culturels seraient le fondement d’une productivité moins performante. Ce qui ne constitue pas forcément une contradiction mais qui serait l’expression juridique de la complexité de la société et des valeurs admises par l’Etat post-moderne. Le pluralisme juridique opère dans un espace juridique multidimensionnel, aussi complexe que les sociétés qu’il régit.

Pour corriger les inégalités réelles, les ordonnancements individualistes, dits égalitaires avaient déjà mis en place des mesures de discrimination positive pourtant les demandes identitaires des peuples autochtones défient ce cadre conceptuel des sociétés mono-culturelles.

L’infériorité économique des peuples autochtones serait structurelle et ils ne souhaitent pas perdre subitement leur économie primitive ; ils affirment que leurs différences culturelles incluent les modes de production. Les peuples autochtones réclament une certaine égalité économique avec la culture majoritaire et plus performante ou, tout au moins, ils réclament ne pas rester abandonnées dans leur pauvreté ; ce qui peut les rapprocher des couches pauvres de la culture majoritaire.

Les mesures de discrimination positive, appliquées jusqu’à ce que l’égalité réelle soit rétablie, risquent de véhiculer la culture économique de la société majoritaire. Or, les peuples autochtones ont le souci de garder leur spécificité culturelle même lorsqu’il s’agit des programmes d’aide au développement et des allocations sociales, afin de ne pas adhérer sans conditions au système de production économique de la société majoritaire. Les mesures de discrimination positive en faveur des peuples autochtones ne seraient pas temporaires mais permanentes.

En fait, les sociétés majoritaires ont renoncé à imposer aux peuples autochtones la logique de productivité et de performance économique maximale ; les pays étudiés ont accepté d’adopter en faveur des peuples autochtones une logique égalitaire ambiguë, inspiré dans l’égale dignité de toutes les cultures et dans le principe républicain de l’égale dignité de tous les hommes.

L’ensemble des droits et devoirs à caractère politique et juridique sont en plein essor : la capacité juridique civile est aujourd’hui reconnue à toute personne ; de plus en plus d’Etats acceptent la double nationalité, et la « citoyenneté administrative » a rendu possible l’accès différencié aux services sociaux et aux allocation économiques grâce auxquels l’Etat social de droit assure le bien-être et, en même temps, le contrôle de la population nationale et étrangère. La condition de bénéficiaires des prestations des administrations publiques est perçu positivement comme un droit inhérent à la dignité humaine et comme un progrès social ; pourtant certains autochtones craignent une assimilation culturelle et une intégration politique ; afin de l’éviter ils demandent la mise en place de leurs services sociaux et de d’allocations économiques spécifiques, en accord avec les cultures autochtones.

L’Etat social de droit a accordé la pleine citoyenneté (égalitaire) avec des statuts spéciaux (différences) en faveur des peuples autochtones, afin d’adoucir et échelonner la transition culturelle ? Ou pour préserver à jamais leurs identités ? Ce malentendu reste à résoudre ; pour l’instant on ne peut qu’exprimer des souhaits dans l’un ou l’autre sens ; au bout de quelques siècles on aura les réponses au cas par cas.

On est loin de l’époque où l’incapacité civile et la marginalisation politique des indiens leur procurait un havre d’isolement (et d’exclusion) pour conserver leurs traditions. Actuellement la diversité culturelle et les traditions autochtones sont protégées autrement par un statut particulier, issu de leurs traditions. Les régimes canadien et colombien reconnaissent aux indiens la plénitude des droits civils et politiques, comme quoi  les Indiens sont des citoyens égaux aux autres citoyens ; ce qui donne lieu aux hybridations où l’on trouve des éléments issus de deux logiques: l’une d’encadrement général (étatique) et l’autre de spécificité (autochtone).

Le paradoxe et une certaine incohérence théorique semblent consubstantiels au pluralisme juridique des peuples autochtones. Il ne peut pas échapper à la complexité et aux contradictions des réalités sociales inter-culturelles et multiculturelles qu’il règle : les sociétés majoritaires et minoritaires veulent garder leurs différences et en même temps inter-agir dans un espace juridique commun. Pour refaire l’harmonie du droit, on tente de nuancer les catégories conceptuelles de la théorie du droit.


Section II : les droits fondamentaux et les peuples autochtones.

Les principes généraux du droit et les droits fondamentaux dont la portée est universelle évitent que les juristes ne se replient sur leur propre culture, choix intellectuels ou schémas de pensée. Dans les quatre Etats de droit étudiés, on a constaté que les différences culturelles et identitaires ne sont jamais absolutisées et que les juges trouvent des éléments communs permettant de construire un espace juridique partagé où le dialogue interculturel et les hybridations juridiques sont possibles. Ainsi, la dignité de la personne humaine, le droit de défense, le dû procès, les droits fondamentaux et le principe de proportionnalité, parmi d’autres principes généraux, guident les efforts de la jurisprudence pour rendre compatibles les ordonnancements juridiques autochtones et l’ordonnancement juridique de l’Etat.

Dans les Etats sociaux de droit, les droits fondamentaux permettent de construire les ponts inter-culturels, conceptuels et normatifs nécessaires pour les peuples autochtones. Cela peut se faire de différentes façons, du fait que plusieurs éléments de la théorie et du régime des droit fondamentaux leur donnent une portée et une souplesse remarquables, fort utile pour gérer les rapports avec les peuples autochtones ; ainsi le noyau, le contenu axiologique, la force expansive, le caractère de droit subjectifs et leur harmonisation par pondération permettent aux droits fondamentaux de tenir compte des exigences, universels et concrètes, des ordonnancements et des cultures en lise.

Les droits fondamentaux des peuples autochtones jouent deux rôles importants dans un espace juridique multiculturel, en tant que théorie et comme technique juridique. La théorie juridique des droits fondamentaux fournit un terrain d’entente au niveau abstrait, puis la technique des droits fondamentaux offre les outils pour établir les passerelles entre les ordonnancements étatique et autochtones, afin de trouver des issues juridiques, plus pragmatiques que théoriques dans les premières approches. Au fils des années, la jurisprudence dessine les tendances et identifie les situations exceptionnelles à partir desquelles la réflexion des juristes peut bâtir un droit prétorien ; puis le législateur aura les éléments nécessaires pour adopter une normativité inter-culturelle et multiculturelle.

§1 : au Canada.

La Charte canadienne des droits et libertés fut le premier texte constitutionnel qui a reconnu des droits fondamentaux des autochtones. L’article 25 a consacré, d’une part, l’égalité des droits et la pleine citoyenneté des autochtones ; et d’autre part, la reconnaissance de leur différence culturelle et les droits collectifs des peuples autochtones. Si l’on considère que les peuples autochtones canadiens ont un régime spécial de rang constitutionnel,  le régime de droit commun ne s’appliquerait aux peuples autochtones que par subsidiarité. Mais si l’on envisage les ordonnancements autochtones comme des régimes d’autonomie juridique garantis par la Constitution, le régime de droit commun ne leurs serait applicable que s’ils en consentent. Par ailleurs, l’article 25 a faculté les peuples autochtones pour faire valoir la priorité de leurs droits collectifs sur leurs droits citoyens modernes. Désormais, les droits ancestraux ont reçu un important développement jurisprudentiel comme des droits collectifs bénéficiant d’une large protection constitutionnelle.

Affirmer la supériorité des droits collectifs suggère que la Cour Suprême du Canada privilégie les droits historiques fondés sur l’antériorité des peuples autochtones; d’autre part, les acteurs politiques canadiens reconnaissent une supériorité axiologique des droits collectifs des peuples autochtones ont vis-à-vis des droits des descendants des européens considérés responsables des abus coloniaux. On remarque que cette responsabilité de l’Etat par les torts des régimes coloniaux précédents constitue une particularité du droit public canadien.

§2 : en Colombie.

La Constitution de 1991 a introduit la catégorie des droits constitutionnels fondamentaux, desquels bénéficient les peuples indigènes. Depuis lors, la Cour constitutionnelle a fait d’importants développements des droits fondamentaux comme un aspect inhérent de l’Etat social de Droit. La jurisprudence invoque souvent les droits fondamentaux pour résoudre les conflits juridiques interculturels puisqu’elle considère que les droits fondamentaux ont un support philosophique -consensum omnium gentium- qui leur donne une portée transculturelle et universelle.

L’Etat colombien reconnaît une large autonomie politique, administrative, législative et judiciaire des peuples et communautés indigènes, tout en gardant la compatibilité des institutions indigènes avec le régime démocratique de l’Etat et avec les droits fondamentaux consacrés dans la Constitution.

La diversité culturelle bénéficie en Colombie  de plusieurs modalités de protection juridique: La Cour constitutionnelle la reconnaît comme un droit fondamental ; et pour la doctrine, la diversité culturelle est aussi une valeur constitutionnelle, qui joue comme principe d’interprétation et crée un espace légitimant des revendications sociales. Jusqu’à présent, il n’y a pas une théorie juridique suffisamment élaborée sur les droits fondamentaux des peuples autochtones, appelés minorités ethniques en Colombie.

Les droits fondamentaux s’appliquent aux peuples autochtones. Ce qui permet, d’abord, garantir les droits fondamentaux des individus indigènes vis-à-vis de l’Etat, et ensuite, appliquer les droits fondamentaux comme un contrôle étatique à l’intérieur des peuples indigènes lorsque les autorités traditionnelles les méconnaissent. La Cour Constitutionnelle a souligné que les ordonnancements indigènes sont tenus de respecter le noyau essentiel du droit fondamental au dû procès, ainsi que les droits à la vie et à la liberté et l’interdiction de la torture ; et que l’interdiction constitutionnelle les peines d’exil, prison à vie et confiscation.

Les juridictions indigènes en Colombie bien qu’elles soient indépendantes et appliquent l’ordonnancement juridique de leurs communautés, elles sont sous le contrôle des juridictions de l’Etat lorsque il s’agit des crimes les plus graves et de l’application des droits fondamentaux. La Cour Constitutionnelle se réserve la fonction de juridiction d’unification inter-culturelle, normalement par le biais des procès de tutelle pour la défense des droits constitutionnels fondamentaux. Cette procédure permet aux juges de se servir d’équivalents inter-culturels pour s’introduire dans les affaires indigènes.

En 1993 l’arrêt Communauté Embéra-Katio contre Codechoco a fait la distinction entre les droits collectifs des communautés indigènes et les droits collectifs d’autres groupes (comme les consommateurs) pour signaler que les communautés indigènes détiennent un droit fondamental à la subsistance déduit directement du droit à la vie. Ce qui implique que les communautés indigènes ont aussi des droits fondamentaux. Le droit fondamental à la subsistance fut développé par la Cour Constitutionnelle en 1994 à l’occasion d’étudier la constitutionnalité de l’exemption du service militaire des jeunes indigènes habitant au sein de leur communauté, l’exemption fut trouvé justifié et raisonnable dans le but de préserver les identités ethniques et culturelles en danger suite à leur faiblesse manifeste mais la Cour a considéré que les jeunes indigènes intégrés à la société majoritaire n’en sont pas exemptés.

La Cour Constitutionnelle est favorable au pluralisme ethnique et culturel, protège les droits fondamentaux et les droits collectifs des autochtones, et garantie la juridiction spéciale indigène. Elle assure la prééminence des coutumes et du droit des peuples autochtones sur la législation nationale dans la mesure où ils sont compatibles avec les droits fondamentaux ; lesquels constituent le minimum obligatoire pour tous les particuliers.

L’arrêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques a précisé que les biens les plus appréciés de l’homme, comme sa dignité et le noyau de ses droits fondamentaux limite les effets de la diversité et de l’autonomie. Egalement, la forme unitaire d’Etat et l’exigence de ne pas contredire des normes constitutionnelles et légales d’une nature supérieure, limitent les principes de diversité et les droits collectifs des indigènes.

Suite à l’action populaire d’inconstitutionnalité des lois et à l’action de tutelle, également universelle, pour la protection des droits constitutionnels fondamentaux, il arrive fréquemment en Colombie qu’un cas se pose en termes d’un conflit entre les droits fondamentaux ou les principes fondamentaux de l’Etat social de droit. C’est à la juridiction constitutionnelle de les trancher en harmonisant les valeurs juridiques en conflit. Ainsi les juges colombiens ont dû harmoniser les principes de diversité ethnique et culturelle, la portée des droits fondamentaux, et le principe de l’unité politique de l’Etat. Toujours devant des cas concrets.

Une particularité du régime des droits fondamentaux en Colombie est le rapprochement entre fondamentalité et constitutionnalité. L’universalité de l’action de tutelle mets à la portée de tout citoyen –autochtone ou non autochtone- la protection des droits fondamentaux. Tous les juges et tribunaux colombiens agissent comme juridiction constitutionnelle de tutelle des droits fondamentaux dont l’instance suprême appartient à la Cour Constitutionnelle. Articuler conceptuellement les droits fondamentaux avec les autres spécialités juridiques pour réusir à inspirer les décisions judiciaires en matière civile, commerciale et administrative, constitue un grand défi pour les juristes et les juges qui doivent rompre avec leurs traditions jurisprudentielles.

Une telle transformation de la culture juridique prends son temps et suscite de fortes polémiques. Les défenseurs des traditions jurisprudentielles antérieures aux droits fondamentaux considèrent que la Cour Constitutionnelle colombienne mets en danger la sécurité juridique. Périodiquement le Conseil d’Etat et la Cour Suprême de Justice demandent respecter leurs arrêts face aux “intrusions” des décisions de tutelle contre les arrêts judiciaires, proférées en dernière instance par la Cour Constitutionnelle; la sécurité juridique, la chose jugée et l’autonomie des juridictions en sont en jeu. Pourtant les juristes colombiens sont conscients de ce que représente la fondamentalité des droits comme une réorientation de l’ordonnancement et ils perçoivent ces tensions comme normales dans une période de transformations juridiques profondes.

Tulio CHINCHILLA affirme que les droits fondamentaux doivent inspirer tout l’ordonnancement juridique et que, par conséquence, toutes les lois doivent être interprétées dans le sens des droits fondamentaux. Ce qui équivaut à la thèse d’Etienne PICARD d’accorder à toutes les juridictions la compétence pour interpréter les lois dans le sens des droits fondamentaux et de leur permettre de découvrir la fondamentalité d’un droit dans une situation concrète.

§3 : en Nouvelle-Calédonie

La problématique des droits des peuples autochtones ne se pose pas dans les termes des droits fondamentaux. Le développement de cette catégorie de droits en France semble peu probable à partir d’un peuple très minoritaire, périphérique et situé dans un département d’Outre-Mer voué à l’indépendance.

Dans le contexte de l’Union Européenne, la France a souscrit à deux reprises une Charte des droits fondamentaux, à Nice en 2000 puis intégrée dans le Traité constitutionnel de 2004. Entre ces deux dates, le Conseil économique et social a affirmé que la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne de Nice n’était pas éloignée des droits antérieurement consacrés en France. Il y a une grande distance entre les droits fondamentaux adoptés à Nice en 2000, et les droits de 1789 et de 1946. Pourtant la jurisprudence (française ou européenne) pourrait faire une relecture de principes fondamentaux et les objectifs à valeur constitutionnelle sous la perspective des droits fondamentaux européens mais cela n’est qu’une hypothèse pour le moment.

En France les plus hautes juridictions de l’Etat se sont montrés jusqu’à présent peu disposées à accepter l’émergence des droits fondamentaux comme une nouvelle catégorie de droits ; et encore moins disposées à réaliser une réorientation profonde des droits, qu’elles envisagent toujours comme des droits individuels et des droits sociaux. Les droits collectifs pour les minorités culturelles ne sont même pas imaginables en France métropolitaine.

Sans le soutien des sources jurisprudentielles, la doctrine juridique française se pose timidement des questions la-dessus. Etienne PICARD considère que les droits fondamentaux ont commencé une période de transition qui s’annonce longue : à partir d’un arrêt célèbre de 1971 le Conseil Constitutionnel reconnaît la valeur juridique de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, complétée par le Préambule de la Constitution de 1946. Ce qui a produit une grande transformation puisque le préambule de la Constitution de la Vème République en avait fait référence d’une manière déclarative.

Les deux catalogues de droits de 1789 et 1946 se trouvent au centre de la culture juridique française, et la doctrine juridique reconnaît qu’ils ont inspiré la Convention Européenne des Droits de l’homme. On considère qu’en France la dignité de la personne humaine et les principes fondamentaux de l’Etat social de droit se trouvent déjà suffisamment protégés par la législation et les mécanismes judiciaires en place. A quoi, donc, introduire l’approche des droits fondamentaux et leurs mécanismes de protection judiciaire sans en avoir besoin ?

Pour avancer, dans le sens des droits fondamentaux, Etienne PICARD a suggéré en 1998 que le Conseil constitutionnel pourrait stimuler le développement des droits fondamentaux comme un mécanisme protecteur. Le grand apport conceptuel d'Etienne PICARD a été sa doctrine de la fondamentalité comme une qualité juridique qui touche et qui dépasse les droits subjectifs ; de la sorte il n’y aurait pas tant des droits qui seraient fondamentaux, mais la fondamentalité présente à l’intérieur des droits et qui se manifeste d’une façon opératoire, dans la situation précise. Elle est essentiellement relative et dépend de ce que l’on (le juge) considère comme essentielle pour l’humanité de leurs titulaires. La fondamentalité présente bien la nature d’un principe : elle est à l’origine ; elle agit en permanence ; elle est posée comme axiome premier et non déduit ; elle s’appuie sur un jugement de valeur et constitue un modèle et un but. Une telle approche fournirait un large espace pour les manœuvres interprétatives des juges et risquerait de les émanciper du législateur

§4 : l’ONU.

La convention N° 169 de 1989 de l’OIT insère les ordonnancements autochtones dans le cadre juridique étatique et international, ce qui implique une relative adaptation du contenu des ordonnancements autochtones aux principes directeurs, aux valeurs juridiques et aux droits fondamentaux. L’article 3 de cette convention établie le devoir des Etats d’assurer aux peuples autochtones la pleine jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sans discrimination aux femmes et aux hommes.

« Article 3.
1. Les peuples indigènes et tribaux doivent jouir pleinement des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sans entrave ni discrimination. Les dispositions de cette convention doivent être appliquées sans discrimination aux femmes et aux hommes de ces peuples. »

Plus loin, l’article 8 de la même convention dispose que les Etats doivent reconnaître les coutumes et institutions des peuples autochtones sous la double condition de leur compatibilité avec les droits fondamentaux et les droits de l’homme.

« Article 8 (…)
2. Les peuples intéressés doivent avoir le droit de conserver leurs coutumes et institutions dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec les droits fondamentaux définis par le système juridique national et avec les droits de l'homme reconnus au niveau international. Des procédures doivent être établies, en tant que de besoin, pour résoudre les conflits éventuellement soulevés par l'application de ce principe. »

Or, la rédaction négative de cette double condition de compatibilité opère comme une présomption de compatibilité favorable aux coutumes et institutions des peuples autochtones : Les états doivent les reconnaître sauf s’il y a une incompatibilité avec les droits fondamentaux ou avec les droits de l’homme.

Le double classement des droits des peuples autochtones comme droits de l’homme et comme droits fondamentaux, adopté pour renforcer les dispositifs de protection des droits des peuples autochtones, peut créer une ambiguïté juridique permettant des jeux interprétatifs pour nuancer les concepts trop rigides dans l’un ou l’autre de ces deux classements.

La doctrine en droit international est loin de faire l’unanimité en matière des droits des peuples autochtones ; on peut trouver des avis juridiques dans tous les sens, des libéraux, des positivistes, des historicistes, des pragmatiques, etc. Le rapporteur Martinez inclut dans la notion des « Droits des peuples autochtones », les « Droits de l’Homme individuels des autochtones » ; ce qui reviendrait à une version des droits libéraux adaptée aux particularismes des individus et des communautés autochtones. Pour l’Organisation d’Etats Américains (OEA) les droits collectifs des peuples sont compatibles avec les droits individuels de leurs membres. Ce qui montre comment une théorie des droits fondamentaux peut exercer un rôle déterminant sur l’avenir des ordonnancements autochtones.


§ 5 : influence sur la théorie.

Les droits fondamentaux permettent une nouvelle formulation des droits ancestraux que les peuples autochtones ont hérité de leurs aïeuls. Les droits fondamentaux protègent les ordonnancements et droits ancestraux, en les adaptant aux nouvelles circonstances d’inter-culturalité et de multiculturalisme. Ainsi, les ordonnancements et les droits ancestraux mis à jour comme droits culturels et comme droits fondamentaux, gagnent des possibilités d’application et interagissent à l’intérieur de l’Etat. Ils relèvent à la fois des ordonnancements ancestraux et des catégories juridiques contemporaines ; ce qui veut dire qu’ils sont partiellement divers des droits ancestraux d’antan et partiellement divers des droits fondamentaux et des droits collectifs des contemporains.

Lorsque les peuples autochtones invoquent la supériorité des droits fondamentaux face aux droits subjectifs ordinaires et aux compétences administratives de l’Etat leurs revendications des droits individuels et collectifs obtiennent une grande force ; mais de ce fait ils rendent aussi possibles les interventions des juges de l’Etat à l’intérieur des ordonnancements autochtones pour réaliser qu’il n’y aie pas d’incompatibilités avec les droits fondamentaux et les Droits de l’Homme. Invoquer les droits fondamentaux produit des conséquences dans les deux sens : les conférences constitutionnelles ou les juges de l’Etat peuvent aller jusqu’à ordonner la modification des ordonnancements juridiques autochtones, comme l’a fait la Cour Constitutionnelle colombienne à l’égard des U’was en 2000 pour protéger le droit fondamental à la vie des jumeaux nouveau-nés que le droit coutumier U’wa condamnait à être abandonnés dans la jungle.

Dans les pays qui ont développé un régime des droits fondamentaux, c’est aux tribunaux étatiques d’harmoniser les principes de diversité ethnique et culturelle, la portée des droits fondamentaux, et le principe de l’unité politique de l’Etat. Toujours devant des cas concrets et selon les critères d’interprétation signalés par la jurisprudence constitutionnelle et par la convention 169 de la OIT,

« Article 9. 1. Dans la mesure où cela est compatible avec le système juridique national et avec les droits de l'homme reconnus au niveau international, les méthodes auxquelles les peuples intéressés ont recours à titre coutumier pour réprimer les délits commis par leurs membres doivent être respectées.

2. Les autorités et les tribunaux appelés à statuer en matière pénale doivent tenir compte des coutumes de ces peuples dans ce domaine. »

Une remarque semble nécessaire pour signaler que les Droits de l’Homme ont acquis un caractère juridique qui les fait applicables par les juges nationaux et internationaux. Autrement dit, l’ancienne acception politique et déclarative des Droits de l’Homme cède la place à cette nouvelle version des Droits de l’Homme qui sert comme fondement, entre autres, au contrôle judiciaire de constitutionnalité des lois. Le Conseil constitutionnel français a réagi dans ce sens en 1971 vu l’ampleur que prenaient les droits fondamentaux dans les pays voisins.

Elaborés après la seconde guerre mondiale, les droits fondamentaux ont développé la valeur de la dignité humaine en lui conférant des conséquences juridiques valables pour tous les hommes. Il s’agit d’une catégorie juridique typiquement occidentale dont le noyau correspond à une notion multiculturelle, celle de la dignité humaine. Les droits fondamentaux ont contribué à démonter la théorie positiviste du droit et rendu possible l’ouverture des ordonnancements étatiques aux nouvelles réalités sociales et aux autres cultures. L’utilisation des droits fondamentaux à l’intérieur de la société occidentale n’est pas la même que leur utilisation inter-culturelle.

Ils régulent la communauté étatique et servent également à universaliser le droit, grâce à l’incorporation d’éléments axiologiques, culturels et juridiques propres d’un humanisme universaliste. Les droits fondamentaux ouvrent les structures logico-formelles du droit positif aux valeurs universelles pour protéger toute personne face aux décisions des autorités étatiques, des pressions de la société civile, des poussées de communautarisme et même des lois qui portent atteinte à la dignité de la personne. La structure juridique des droits fondamentaux corresponde bien à celle des droits subjectifs dans l’ordonnancement positif d’un Etat mais leur portée dépasse largement les limites logico-formelles de la théorie positiviste du droit et du mono-culturalisme.

Un ordonnancement appliqué à l’intérieur d’une culture unique et homogène, il est facile de réduire aux intérêts et aux besoins prépondérantes dans cette société ; pour affirmer par exemple que le droit reflète les forces économiques, la politique ou la religion. Par contre, un regard inter-culturel suscite le relativisme culturel et juridique ; dans ce contexte, les droits fondamentaux produisent un nouveau type d’universalisme juridique fondé sur la dimension axiologique du droit sans négliger les dimensions normatives et empiriques.

Dans un contexte multiculturel les droits fondamentaux mettent en évidence la multi- dimensionnalité du droit ; autrement dit, l’impossibilité de cantonner les phénomènes juridiques dans une seule de leurs dimensions. On en reconnaît trois que les droits fondamentaux incorporent et développent : les normes, les valeurs et les contraintes pratiques.

En Colombie, la Cour Constitutionnelle a expliqué en 1994 que les droits fondamentaux auxquels le support philosophique donne une portée transculturelle et prétendument universelle, constituent une limite juridique au principe de la diversité culturelle, aussi bien sur le plan juridique interne que international. En d’autres pays, les Droits de l’Homme ont la primauté en tant que code universel permettant la cohabitation et le dialogue entre les cultures et les nations, et servent comme présupposé pour la paix, la justice, la liberté et la prospérité de tous les peuples. Norberto BOBBIO parle d’un consensum omnium gentium, c’est à dire, des standards éthiques minimaux universels permettant de transcender les spécificités des cultures et construire un cadre pour l’entente et le dialogue.

Dans les sociétés multiculturelles, le dialogue interculturel a besoin d’une base théorique commune pour construire des équivalents inter-culturels puis appliquer ces « notions-ponts ». Le problème reste implicite pour les ordonnancements positifs mais il se pose ouvertement dans le domaine de la philosophie du droit, qui nous propose la dignité humaine comme la valeur juridique partagée par toutes les cultures humaines.

Le choix de l’identité humaine concrète, celle qui incorpore les variables culturelles, peut donner lieu à une approche relativiste des ordonnancements juridiques et les subordonner aux analyses culturalistes. Par contre, choisir l’identité commun à tous les hommes, comme le font les philosophes, situe le droit à un niveau d’abstraction supérieur et permets d’arriver à des conclusions (vérités, valeurs, principes, etc.) universelles ; sans forcément avoir la prétention de les imposer puisque ni la philosophie, ni les cultures ont pour fonction de réguler la vie des hommes en société, comme le fait le droit. Le passage de la philosophie (de l’homme, de la société, du droit, des valeurs, etc.) à la culture et à l’ordonnancement juridique ne se fait pas en subordonnant l’un à l’autre en bloque. Une philosophie ou une culture ne se promulguent pas elles mêmes à la manière des normes hiérarchiquement supérieures au droit ; elles fournissent des vérités, valeurs et croyances pour guider les ordonnancements juridiques.

Revenant au plan juridique, une manière d’établir un pont entre l’identité commune à tous les hommes et l’identité d’un homme concret sont les droits fondamentaux, voire la notion de fondamentalité qu’Etienne PICARD considère comme une qualité qui traverse tous les droits en leur donnant un sens précis, toujours en accord avec la dignité humaine. Ainsi, la notion substantivée et abstraite de fondamentalité permettrait de revêtir de dignité humaine, d’humanité, de personnalité, voire d’identité humaine les droits énoncés techniquement par les normes et les principes juridiques. Admettre ce rôle de la fondamentalité conduirait à redéfinir les droits comme les attributs concrets (ius suum) des individus humaines, historiques et concrets, des hommes situés dans les espaces sociaux structurés par les énoncés abstraits des législateurs.

Si les droits fondamentaux et la notion de fondamentalité permettent aux individus de revendiquer leurs droits concrets, ils pourraient aussi guider les choix des législateurs. Or, en nom des droits fondamentaux, législateurs et juges détiendraient un « droit d’ingérence » pour limiter les droits collectifs des peuples autochtones. Là dedans il y a un piège sémantique à déjouer en faisant une nette distinction entre les droits fondamentaux dans leur acception occidentale (de portée mono-culturelle) et les droits fondamentaux de portée inter-culturelle. Seule le noyau des droits fondamentaux est inter-culturel. Puis il faudra une adaptation du noyau des droits fondamentaux à la culture autochtone.

Les droits fondamentaux mono-culturels relèvent des ordonnancements positifs, que l’on suppose ancrés dans une culture d’une certaine homogénéité ; tandis que les droits fondamentaux inter-culturels s’inscriraient dans une démarche plutôt philosophique, c’est à dire aux visés universalistes. Un tel aller-retour de la normativité étatique au noyau des droits fondamentaux puis leur adaptation au contexte autochtone, peut atteindre une grande complexité et subir des blocages, sur le plan théorique ou rhétorique, pourtant le devoir des juges de proférer une sentence les contraint à faire tous les choix intellectuels et pratiques nécessaires pour concrétiser la portée du noyau des droits fondamentaux.

Insistons sur le fait que prendre les droits fondamentaux de la culture occidentale pour les droits fondamentaux de portée inter-culturelle, voire universelle constituerait une généralisation abusive. Dans la pratique juridique, c’est aux juges de faire le passage de l’une à l’autre acception des droits fondamentaux, dans les limites des cas concrets à juger. Avouons aussi que leurs tentatives ne sont pas toutes réussies mais elles s’améliorent avec l’aide de la doctrine et de la théorie du droit.

Omettre la distinction entre les droits fondamentaux mono-culturels et inter-culturels, serait la voie pour imposer la culture occidentale aux peuples autochtones et aux autres cultures ; cela serait une sorte de fondamentalisme juridique, catastrophique et dominateur. Inacceptable pour la dignité de l’homme.

Un autre piège à déjouer est la confusion entre contrainte externe et abus interne. Will KIMLYCKA  a formulé une distinction entre les diverses demandes de protection des autochtones : Un droit collectif à l’identité autochtone, à la diversité culturelle ou à l’autonomie peut bénéficier du statut de droit fondamental afin de protéger les peuples autochtones face aux menaces externes ; d’autre part, un individu autochtone peut invoquer ses droits fondamentaux pour se protéger des abus internes. Dans ces deux cas, les droits fondamentaux produisent l’effet exactement contraire : un droit fondamental collectif exclue l’intervention des agents externes au peuple autochtone tandis qu’un droit fondamental individuel peut justifier une ingérence de l’Etat contraire à l’ordonnancement juridique autochtone.

La distinction entre les mesures de protection externe et celles de protection interne des autochtones aident la jurisprudence et la doctrine juridique à préciser les seuils existants entre les droits individuels et les droits collectifs dans les enjeux multiculturels, en échappant aux idéologies libérale et communautaire. Un ordonnancement juridique pour gérer les dynamiques multiculturels doit faire preuve de flexibilité et, pour cela, manœuvrer des seuils pour marquer la frontière à plusieurs niveaux : entre l’autonomie et l’intégration à l’ordre étatique ; entre les droits individuels et les droits collectifs ; ou bien entre la diversité et l’homogénéité culturelle. Au moment de leur application, les seuils ont besoin d’un critère recteur et d’un principe de proportionnalité, dont les précisions –en l’absence des normes- correspondent aux juges.

Finalement, l’harmonisation des droits fondamentaux requiert que les juges utilisent un raisonnement différent du syllogisme judiciaire habituel. Dans les conflits interculturels, il n’y a pas de législation pour les résoudre de la manière prévue pour les cas mono-culturels où la prémisse majeure a été énoncée par le législateur. Pourtant les juges ne peuvent pas se dérober. La texture ouverte des normes relatives aux droits fondamentaux s’accompagne de la possibilité que les juges créent eux-mêmes des prémisses majeurs ad hoc ; cela leur demande d’utiliser un raisonnement différent, une fois que le conflit juridique s’est posé en termes de droits fondamentaux.

Lorsque les droits fondamentaux s’opposent entre eux, la cour constitutionnelle colombienne utilise un raisonnement appelé de « pondération entre les valeurs constitutionnelles » pour construire la prémisse majeure du syllogisme judiciaire. Depuis 1992 La Cour effectue cette harmonisation, en cherchant un équilibre pratique entre les droits et les obligations individuels et collectives dans la situation concrète soumise à la juridiction. Une telle pondération suppose que les droits fondamentaux ne sont pas des droits absolus sinon des droits qui admettent des limitations et c’est au juge de trouver les formules pour maximiser l’efficacité des biens juridiques confrontés.


Section III : les effets sur la représentation politique.


Le principe démocratique de la représentation politique est l’objet d’une adoption graduelle et nuancée par les peuples autochtones, a trois niveaux : à l’intérieur de leurs communautés, pour leur insertion dans l’Etat et sur la scène internationale. Mais les autochtones ont le souci de marquer leurs différences en toute situation en évitant qu’une adhésion pure et simple à la démocratie représentative les intègre ou les assimile à la société majoritaire.

Dans les quatre Etats étudiés, le principal espace pour la représentation politique des peuples autochtones ont été les assemblées constituantes et les parlements où les autochtones siègent, soit parce qu’ils élurent leurs représentants lors des scrutins de droit commun ; soit parce qu’ils ont des quotas parlementaires en proportion à leur poids démographique ; soit parce que la constitution a créée une chambre à caractère ethnique.

La représentation politique des peuples autochtones ne correspond exactement pas à la représentation républicaine fondé sur l’égalité citoyenne et le concept de nation. Leur représentation constitue un cas particulier fondé sur la double appartenance des individus autochtones : à leur peuple autochtone et à la nation. Ils se situent à l’intérieur d’un régime démocratique représentatif pour participer dans les décisions politiques nationales en tant que groupe différencié et pour conserver leur seuil de différence culturelle.

§ 1 : en Australie.

Les institutions représentatives constituent un élément essentiel du système politique depuis l’implantation des colonies de peuplement britanniques. D’après la Commun Law, les colons britanniques sont arrivés en Australie sous la protection de la Couronne, avec leurs titres, garanties et libertés de leur origine dont le droit de créer un parlement avec des pouvoirs législatifs, ce qui a signifié un début d’autonomie pour les colonies.

L’arrêt Mabo en fait une allusion lorsqu’il évoque la Colonial Boundaries Act de 1895 qui a résout les doutes soulevées à l’Office Colonial sur la légalité de l’annexion des îles Murray par les Lettres Patentes du 10 Octobre 1878, puisqu’à l’époque la colonie avait déjà des institutions représentatives et les limites géographiques avaient été fixées par la législation Impériale.

La Loi sur les Titres Natifs de 1993 a établi que les organismes qui décident sur les titres natifs reconnaissent une représentation aux peuples autochtones et à la population insulaire du détroit Torres, et que ces peuples reçoivent une assistance dans les réclamations des titres natifs ou des compensations ; ce qui sert aussi comme mécanisme pédagogique pour initier les autochtones au fonctionnement du régime représentatif de la Commun Law.

Les peuples autochtones demandent la participation politique et parlementaire et l’autonomie politique ; ce qui pourrait aboutir à une espèce de bicamérisme à base ethnique, comme en Nouvelle-Calédonie. Derrière cette revendication il y a une méfiance à l’égard des législateurs nationaux soupçonnés d’exclure les intérêts des peuples autochtones de la notion d’intérêt général.

Dans le cas où l’Australie décide accorder une représentation aux peuples autochtones dans le Sénat, l’article 7 de la Constitution australienne n’exige qu’une loi pour augmenter le nombre des sénateurs pour chaque Etat.

§ 2 : au Canada.

Les peuples autochtones n’ont pas réussi à élire des constituants autochtones en 1982 et ils ont dû se borner à faire du lobbying ; par contre, ils ont eu des représentants politiques dans les trois conférences constitutionnelles de 1983, 1985 et 1987, au cours desquelles le Canada a adopté les préceptes qui servent comme fondement aux conventions tripartites entre les peuples autochtones, les provinces et l’Etat ; d’autre part, les femmes indiennes ont obtenu, en 1983 la protection de leurs droits à l’intérieur des bandes et des tribus indiennes, à l’encontre du droit coutumier.

Actuellement les peuples autochtones ont des députés indiens et des autorités politiques et administratives autochtones à l’intérieur des collectivités territoriales autochtones. Egalement ils disposent des mécanismes de représentation directe pour négocier et conclure des conventions tripartites entre les peuples autochtones, les provinces et l’Etat.

Le débat sur le fédéralisme asymétrique mets en question la participation des législateurs indigènes dans l’approbation des lois pour la société majoritaire, lesquelles ne s’appliqueraient pas aux bandes et tribus indiennes. Hormis les motifs conjoncturels d’une telle critique, la prétention de cantonner les législateurs indigènes aux sujets indigènes constituerait, d’un côté, un rejet du principe de la représentation démocratique de tous les citoyens, et d’autre part, cela pourrait dériver vers une fermeture identitaire, particulièrement inappropriée pour la mosaïque sociale du Canada.


§ 3 : en Colombie.

La Constitution de 1991 a adopté un modèle de démocratie participative, contemplé la représentation politique des peuples autochtones et reconnu leur autonomie politique, administrative, législative et judiciaire. Il y a un quota fixe minimale de représentation parlementaire pour les indigènes, des collectivités territoriales indigènes, des juridictions spéciales indigènes, l’action populaire d’inconstitutionnalité contre les lois et la procédure de tutelle pour la protection des droits constitutionnels fondamentaux.

Les quotas de représentation parlementaire des indigènes sont : deux sénateurs indigènes sur les 102 sénateurs, et un représentant indigène sur les 168 membres de la Chambre de représentants. Des députés départementaux et des conseillers municipaux indiens représentent les communautés indiennes dans les assemblées départementales et les conseils municipaux, élus démocratiquement selon le régime de droit commun; d’autres représentants des minorités ethniques (indiens et noirs) siègent aux conseils d’administration des corporations qui gèrent la politique environnemental au niveau régional. Finalement, les peuples indigènes ont eu deux gouverneurs à la tête de l’exécutif départemental, et plusieurs maires indigènes d’élection populaire selon le régime de droit commun. Tout cela comme résultat du bon positionnement politique des mouvements sociaux indigénistes à l’intérieur de quelques partis, ce qui n’est pas le cas des grands partis historiques colombiens, le parti libéral et le conservateur.

Roque ROLDAN affirme que la Constitution de 1991 a dépassé les exigences de la Convention N° 169 de 1989 de la OIT en matière de représentation parlementaire et d’autonomie pour reconnaître les formes de gouvernement ancestral et d’administration interne des communautés indigènes. Les réussites politiques des indiens dépassent aujourd’hui les prévisions de la Constitution de 1991 ; les peuples indigènes ont leurs propres partis politiques et tiennent un discours toujours contestataire pour mieux protéger leur autonomie et les différences culturelles.

§ 4 : en Nouvelle-Calédonie.

Le peuple Kanak a le Sénat Coutumier, institué par la Loi Organique de 1999, lequel détient une compétence purement consultative, limitée aux domaines concernant la coutume et l’identité Kanake. Dans d’autres territoires français d’Outre-Mer, les assemblées représentatives de l’ensemble de la population –autochtone et non autochtone- disposent d’un droit de veto législatif. Mais en Nouvelle-Calédonie il n’y a aucun pouvoir de veto législatif pour le Sénat coutumier.

Le Sénat coutumier des Kanakes se réclame de la structure ancestrale de ce peuple, où l’autorité est fondée sur les lignages traditionnels et nullement sur un régime de représentation démocratique. Pour ce qui concerne les décisions politiques autres que la coutume et l’identité Kanake, la Nouvelle-Calédonie a sa corporation d’élection populaire qui représente le peuple calédonien dans son ensemble, c’est à dire, élu démocratiquement par les autochtones et les non-autochtones.

Il y a, donc, une double représentation des Kanakes : ils participent à l’élection de l’Assemblée législative de la Nouvelle-Calédonie et ils s’expriment politiquement à travers leur Sénat coutumier non démocratique. Une telle représentation politique différenciée des minorités ethniques et culturelles n’existe pas en France métropolitaine, où la représentation nationale est associée aux valeurs civiques, républicaines et universelles ; tandis que les groupes sub-nationaux ont un image négative de fermeture identitaire, voire de communautarisme. Cela renforce l’appartenance nationale aux dépenses des groupes sub-nationaux, ce qui constitue une particularité française. En d’autres latitudes, l’appartenance simultanée à deux groups, l’un national et l’autre sub-national, ne conduit pas forcément à une fragmentation sociale, ni aux communautarismes autoritaires tant dénoncés par les idéologies libérales et nationalistes.

§ 5 : l’ONU.

La représentation politique internationale des peuples autochtones s’est située depuis 1974 au sein du Groupe de travail de la Sous-commission des Droits de l’Homme des Nations Unies à Genève ; elle fut assurée par les ONG créées par les indigènes pour s’exprimer en leur nom. Pourtant on doit noter que les traditions autochtones, les intérêts ethniques et les aspirations politiques des peuples autochtones ont donné aux ONG indigénistes une spécificité parmi l’ensemble des ONG ayant un statut consultatif auprès de l’ONU, orientées plutôt vers le militantisme des Droits de l’Homme. A cette époque, le court-circuitage des Etats par les ONG indigénistes a été une astuce remarquable pour contourner la fermeture des Etats vis-à-vis des peuples autochtones et a contribué à faire sauter le monopole étatique de la représentation internationale des populations minoritaires.

La situation a beaucoup évolué en vingt ans, dans le sens que les Etats sont devenus réceptifs aux demandes des peuples autochtones et, suite au débat lancé en 1994 par le Danemark sur la représentativité des ONG indigénistes, un nouveau groupe de travail de la sous-commission des Droits de l’Homme a réuni pour la première fois en 1995 les délégués des peuples autochtones, autres que les ONG accréditées auprès de l’ECOSOC pour qu’ils puissent participer d’une manière active dans les délibérations. Ce qui a ajouté au principe de la représentation autoproclamée et reconnue par l’ONU, une présence directe des peuples autochtones dans les instances internationales. Bien entendu, les ONG indigénistes n’ont pas disparus ; elles jouissent d’une grande visibilité internationale grâce à leur influence médiatique et aux activités de militance politique leur permettant de court-circuiter astucieusement les systèmes onusien et régionaux, contrôlés par les Etats.

En mai 2002 le groupe de travail fut transformé en une Instance permanent –Forum Permanent- dans le système de l’ONU mais indépendant des organes des Droits de l’Homme ; ce qui a demandé un changement dans le modus operandi des représentants internationaux des peuples autochtones habitués aux contexte de la Commission des Droits de l’Homme à Genève.

§ 6 : l’influence sur la théorie.

La représentation des peuples autochtones a commencé dans les années 1960 comme une représentation autoproclamée, par manque de canaux institutionnels ; puis les quatre Etats étudiés ont incorporé, chacun à sa façon, les peuples autochtones aux assemblées législatives, aux postes politiques et à la gestion administrative ; mais la tendance est à regrouper les identités autochtones spécifiques en identités autochtones génériques, ce qui efface un peu les particularismes.

On peut imaginer que le choix politique pour protéger chaque culture spécifique multiplierait énormément les instances représentatives des peuples autochtones et que leur articulation avec l’Etat deviendrait plus complexe. Déjà les concepts collectifs peuples autochtones, indiens ou minorités ethniques utilisés dans les Constitutions et les lois, incluent une opération intellectuelle de généralisation et de regroupement des communautés autochtones.

Par le biais d’une représentation autoproclamée, les organisations non gouvernementales ONG indigénistes revendiquent une place dans l’espace politique et des mécanismes institutionnels de participation afin de combler les déficits de représentation politique subis par les peuples autochtones au niveau national ; dus aux faits de leur petite taille démographique, l’infériorisation dont ils sont victimes, l’isolement géographique, ou tout simplement parce que la société majoritaire détient le pouvoir ; des arguments qui en abstrait seraient valables pour n’importe quelle autre minorité ou groupe différencié. Or ces déficits sont compensés par l’activisme des organisations militantes dans l’espace politique, où elles prennent en charge la défense des peuples autochtones en matière de culture, d’économie ou de visibilité politique.

Une des façons d’exercer une influence sur l’opinion publique est la diffusion des revendications des peuples autochtones comme des discours politiques alternatifs à celui de l’égalité démocratique que les ONG indigénistes accusent d’imposer une « homogénéité culturelle à tous ». Mais cela mérite une précision : l’égalité homogénéisante est censurée tandis que l’égalité différenciée est appréciée positivement ; selon la logique du politiquement correct, qui prescrit de critiquer tout ce qui est dominant (l’égalité et la représentation démocratique, en l’occurrence) pour mettre à l’épreuve sa consistance.

Il est vrai que les démocraties représentatives contemporaines prennent comme leur fondement la citoyenneté égalitaire. Elles reconnaissent d’autres clivages sociaux mais en les plaçant dans un niveau secondaire. Ainsi, l’appartenance ethnique, les particularismes géographiques et les identités culturelles ont une moindre importance juridique vis-à-vis de la condition de citoyen de tout individu. Les peuples autochtones ne rejettent pas les droits citoyens mais ils réclament que les identités culturelles et l’appartenance ethnique soient mieux reconnues.

La représentation politique fondé sur l’égalité démocratique présuppose un certain refoulement de plusieurs clivages sociaux comme les classes sociales, la richesse, les idées politiques, l’origine ethnique, le sexe, le métier, la religion et la culture. Il semblerait que les démocraties représentatives ont besoin de proclamer formellement l’homogénéité à l’intérieur du groupe représenté, pour se procurer une masse populaire relativement unifié et homogène, bien que dans la réalité on y trouve des clivages sociaux et des disfonctionnements assez significatifs.

D’ailleurs, pour remarquer l’infériorité des clivages sociaux secondaires et assurer la prééminence de la citoyenneté, les Etats démocratiques interdissent les discriminations injustes. Bien entendu, les clivages sociaux existent toujours et ils sont considérés comme légitimes dans l’espace privé (notion typique de la modernité) ; ce qui est interdit sont les discriminations qui infériorisent juridiquement les citoyens dans l’espace public.

Rien n’est mieux qu’une égalité formelle et abstraite des individus pour fonder une démocratie représentative, si les conditions économiques et culturelles admettent d’occuper paisiblement une place secondaire. Mais si la pression des demandes économiques ou culturelles est trop forte, le mythe de l’égalité abstraite fait crise, il se rempli de revendications économiques ou culturelles et devient « égalité économique » ou « égalité des cultures » dont la mise en place oblige à reformuler les institutions démocratiques.

Aujourd’hui les nations sont en crise du fait des recompositions identitaires et l’Etat démocratique s’apprête une fois de plus à évoluer dans les pays où l’appartenance des individus à la nation est menacée par la poussée des régionalismes, des peuples autochtones ou de la mondialisation. Les contenus économiques acquis lors de l’instauration des Etats sociaux de droit sont toujours appréciés, mais les formules juridiques abstraites sans contenu culturel concret se remplissent d’affirmations identitaires pour protéger les cultures nationales, autochtones ou régionales.

Dans ce sens, les sciences sociales auxiliaires du droit contribuent à sensibiliser les dirigeants pour conserver les acquis économiques et fassent un autre pas en avant pour que les ordonnancements deviennent identitaires et protecteurs des expressions culturelles concrètes. Les analyses socio-historiques fournissent des arguments aux militants autochtones, qui en font un usage idéologique pour dénoncer l’artificialité historique des croyances égalitaires des sociétés majoritaires tandis que les dirigeants occidentaux, conditionnés par l’impératif du « politique correct », n’utilisent pas la même grille d’analyse pour déconstruire les discours politiques des peuples autochtones.

Du fait de leur extériorité culturelle, le regard que les peuples autochtones portent sur le système de représentation démocratique des Etats emprunt les critiques contre le fonctionnement des démocraties ; ce qui contribue à expliquer la proximité idéologique entre les groupes politiques contestataires de l’Etat et les peuples autochtones. Assez fréquemment les autochtones dénoncent une injustice radicale de l’Etat, l’oppression des minorités par les majorités et la responsabilité de l’Etat pour les fautes institutionnelles du passé colonial.

Or, du fait de leur insertion dans un cadre multiculturel plus large que la culture autochtone, leur critique se tourne aussi vers l’intérieur de leurs propres communautés et conduit à dépasser, tôt ou tard, le ton essentialiste et immobiliste de leur plaidoiries pour les cultures ancestrales. Une telle ouverture au pluralisme et au dynamisme culturels correspond à la complexité des sociétés contemporaines et empêcherait les peuples autochtones de tomber dans les dérives d’un renfermement identitaire ou d’un fondamentalisme traditionaliste.

Les ordonnancements juridiques se situent, certes, à un niveau différent des idéologies politiques mais ils n’y sont pas indifférents. Les divers discours (dominants et non dominants) qui circulent dans la société quelques fois réussissent à percer l’ordonnancement juridique de l’Etat et à transformer ses structures. C’est bien le cas des divers mécanismes institutionnels de représentation démocratique dont disposent les peuples autochtones, comme le vote dans les élections et les référendums de droit commun, et une participation spécifique supplémentaire en tant que peuples différenciés. Deux modalités de représentation signifiées par l’élection des représentants de droit commun et le droit à la représentation par des élus issus des peuples autochtones.

La représentation politique par des élus de droit commun et la représentation ethnique spécifique dépendent d’un choix en arrière-fond entre l’homogénéité et la diversité dans la démocratie. La prépondérance d’une représentation mentale unitaire et homogène de la société conditionne le type de représentation politique abstraite ; de même que la perception d’une fragmentation ou diversité sociale produit d’autres types de représentation démocratique, répondant aux spécificités des groupes sous-nationaux, comme la représentation fédérale, la corporatiste et l’ethnique.

L’étude de la représentation politique dans les sociétés multiculturelles, peut se rapprocher du fédéralisme, fort de son expérience de plus de deux siècles à gérer une sorte de « diversité géographique » des Etats. Ainsi les peuples autochtones ont emprunté du fédéralisme des mécanismes comme : les quotas de représentation parlementaire ; le droit de veto ou inapplicabilité des décisions fédérales dans certains domaines, et les procédures d’incorporation des décisions fédérales par les autorités des Etats fédérés.

Les expériences de corporatisme parlementaire peuvent aussi fournir des outils pour l’analyse juridique de la représentation politique des peuples autochtones dans une société différenciée, bien que la distance idéologique entre le corporatisme et l’indigénisme sont énormes. Toute analogie entre le corporatisme, qui renforçait le poids politique des riches producteurs, et les minorités ethniques requiert d’une extrême prudence.

Les peuples autochtones aspirent à une représentation politique fondée sur une culture différenciée mais insérée dans un Etat ; ce qui va bouleverser plus profondément que le fédéralisme et le corporatisme, la pratique et la théorie de la représentation politique des nations égalitaires. Les peuples autochtones ont réussi à obtenir une complexe représentation politique, fondée sur leur multi-appartenance qui fait que sans renoncer à leur représentation en tant que membres de la communauté nationale, ils ajouté une représentation spécifique supplémentaire en tant que peuples autochtones.

La représentation autochtone siégeant dans le même parlement, à côté de la représentation nationale de droit commun, fonctionne selon le régime et les mécanismes politiques des parlements démocratiques ; c’est-à-dire, que les députés indigènes sont perçus comme les représentants d’un créneau social et des intérêts légitimes qui doivent converger vers un intérêt général. Ce qui est le propre de toute représentation, assurer la présence et la voix de tous les intérêt sociaux. Ainsi, le peuple devenu multiculturel reste toujours la source du pouvoir et continue à utiliser les procédures de représentation et de contrôle politique pour choisir les gouvernants et diriger l’Etat multiculturel, à l’image de son peuple.

Les demandes des peuples autochtones devraient s’intégrer dans l’intérêt général. Evidemment, selon les critères nationaux, les préférences politiques et les choix des décideurs, parmi lesquels on trouve maintenant les quelques représentants et partisans des peuples autochtones. La réponse sera fruit des consensus parlementaires et les intérêts des peuples autochtones auront plus de gain selon l’habilité politique de leurs représentants.

Construire ces espaces institutionnels multiculturels, où interagissent les représentations politiques des différentes cultures, semble irréalisable si l’on adopte des critères rigoureux sur les institutions politiques, les cultures et leur besoin d’affirmation identitaire. Mais les raisonnements purement théoriques supposent un vide d’intérêts qui n’existe nulle part. Andrée LAJOIE a remarqué que la jurisprudence du Canada avait la tendance à intégrer les valeurs autochtones dans les valeurs juridiques de l’Etat. Un phénomène similaire opère aussi au niveau de la représentation parlementaire : une fois que la représentation autochtone est en place, les députés autochtones s’assimilent aux autres députés nationaux et contribuent à intégrer dans l’intérêt général de l’Etat les demandes des autochtones tout en gardant leur spécificité. De sorte que les revendications des autochtones ne s’expriment pas dans le vacuum mais au milieu des intérêts concrets dont la dynamique est assez ambiguë. 

Les représentants des peuples autochtones dans les corporations politiques d’élection populaire et ceux qui occupent des responsabilités de l’Etat sont les premiers à acquérir les connaissances et manières d’agir de la société majoritaire puisque leur fonction l’exige. En ayant cette double appartenance, et au peuple autochtone et à la société politique démocratique, on peut se demander si les représentants politiques autochtones n’iront-ils pas glisser d’un groupe à l’autre.

Dans les quatre pays étudiés la représentation politique des peuples autochtones a encore des potentialités à développer : sur le plan de la pratique institutionnelle, pour consolider et approfondir leur poids politique ; et sur le plan théorique, pour enrichir la réflexion juridique et politique sur les démocraties multiculturelles. Les problématiques répertoriées en ce qui concerne la représentation politique sont très suggestives là-dessus :
au Canada, les théoriciens du droit public s’inquiètent des phénomènes du fédéralisme asymétrique résultants des législateurs indiens qui votent des lois nationales qui ne s’appliquent pas aux bandes et tribus indiennes.
en Colombie, les peuples indigènes sont numériquement sur-représentés du fait du quota de deux sénateurs indiens et de l’élection des sénateurs indiens supplémentaires par la circonscription nationale électorale de droit commun. Ce qui montre la popularité des indigènes et leur insertion réussie dans certains partis politiques.
en Nouvelle-Calédonie le Sénat coutumier donne lieu a un bicamérisme ethnique d’une grande force symbolique dont les domaines de compétence sont assez restreints. Cela permettrait d’ajouter aux typologies classiques de bicamérisme, l’invention française d’un bicamérisme ethnique. Paradoxe d’un Etat si unitaire et égalitaire.
en Croatie, où il n’y a pas de peuples autochtones, les minorités nationales ont le droit a des quotas dans les instances judiciaires suprêmes du pays devenues elles-mêmes multiculturelles dans sa composition, ce que aucun Etat a encore accordé aux peuples autochtones.
au niveau international la représentation des peuples autochtones est assurée partiellement par quelques ONG dont la représentation est auto-proclamée. Le Danemark en a soulevé le débat en 1994 au sein du groupe de travail de la Commission des Droits de l’Homme à Genève.

Un peu partout dans le monde, l’adaptation des Etat nationaux aux exigences des multiculturalismes se fait graduellement. Les cas des peuples autochtones en font figure de laboratoires. Difficilement on pourrait imaginer un parlement démocratique qui adopterait une loi inter-culturelle en invoquant le principe libéral-rationaliste de la représentation politique du peuple, en même temps, le besoin d’apaiser les esprits de la jungle (mythe religieux) et en invoquant aussi le pouvoir d’un chef guerrier (fondement militaire). Evidemment un tel bricolage de principes de légitimation du pouvoir et des représentations politique heurte la sensibilité des juristes occidentaux.

Pourtant les incohérences peuvent être passées sous silence ou masquées de diverses manières :
Certaines incohérences ne s’expriment pas comme un débat juridique, par exemple parce que la famille où l’école (groupes sociaux intermédiaires) les gèrent au niveau disciplinaire interne sans faire appel aux instances de l’Etat ;
Un précepte identique peut être adopté par un parlement libéral-rationaliste, par les autorités religieuses d’une tribu dans la jungle et par un chef guerrier ;
Pour résoudre les incohérences, on peut faire appel à un discours inter-culturel et ambiguë ou à des équivalents inter-culturels pour rendre compatibles les trois typologies de représentation politique ;
D’autre part, un juge pourrait donner un traitement de tolérance aux incohérences juridiques entre les trois exemples de représentation de la source du pouvoir législatif ;
Finalement, un des trois législateurs peut s’imposer sur les autres ; ce qui serait un acte de suprématie politique que tous les trois souhaiteraient d’exercer.

Les Etats démocratiques s’attribuent la suprématie politique avec une grande dose de pragmatisme. Les Etats multiculturels s’appuient sur une présomption d’absence d’incompatibilité entre les diverses cultures et systèmes politiques, qui est plutôt un acte de volonté permettant à chacun d’appréhender positivement les systèmes de représentation politique et symbolique de l’autre. Une telle présomption ne s’accomplit pas dans tous les cas mais elle s’accompagne d’une volonté de procurer la compatibilité et implique, d’emblée, l’acceptation d’éléments allogènes ; ces interférences constituent un trait des sociétés multiculturelles.

Il peut y avoir des valeurs juridiques communes qui servent comme fondement pour construire des solutions juridiques partagées par les différentes cultures. En ultime raison, la compatibilité entre les cultures s’appuie sur l’identité humaine commune à toutes les individus, un postulat universel qui appartient à la l’anthropologie et à la philosophie du droit ; une telle identité humaine commune inspire des nouvelles solutions juridiques ainsi que les ex-cursus pragmatiques des législateurs et des juges.

Ce qui apparaît comme des exigences de cohérence théorique admet, sur le plan pratique, des conditions moins strictes. Il suffit que les visions des cultures diverses ne soient pas incompatibles  et que la construction des « ponts interculturels » soit perçue comme un intérêt politique légitime. Bref, un certain niveau d’incohérence théorique est tolérable dans la pratique du droit, sans forcément tomber dans l’arbitraire politique.

Des Etats démocratiques comme l’Australie, la Colombie et la France admettent la double représentation politique des peuples autochtones lorsqu’ils leur permettent de voter librement, en tant que citoyens ayant tous les droits politiques, dans les scrutins de droit commun. De la sorte les autochtones peuvent se faire élire dans les corporations législatives et politiques représentatives ; ce qui devient une stratégie légitime de l’Etat pour éviter la perte de sa suprématie politique. Le fait de leur avoir accordé un statut de citoyens, des droits et des libertés, constitue aujourd’hui des expressions de ce que Norbert ROULAND appelle la captation juridique des autochtones.

Une conclusion est certaine, en ce début du XXIème siècle, en pleine mondialisation, l’accès des peuples autochtones aux positions de représentation politique fait partie des conditions essentielles de la démocratie multiculturelle. Dans ce sens le rapport de l’ONU sur « La liberté culturelle dans un monde diversifié », qui s’est proposé d’analyser la gestion de la diversité et du respect des identités culturelles, signale les problèmes de la représentation politique des groupes ethniques comme un point concret des débats sur l’identité et la diversité culturelles qui divisent les sociétés contemporaines.

La première condition exigée aux Etats dans leurs rapports avec les autres cultures est de ne pas exclure des droits, de la représentation politique ni d’un bon niveau de vie les individus appartenant à d’autres cultures, ce qui suggère l’impératif de les intégrer positivement, en tant que groupe ethnique ou culturel, dans un nouvel ensemble multiculturel.

En analysant les régimes électoraux, le système de représentation à la proportionnelle à la place de la formule « tout au vainqueur » et les quotas fixes assignés aux groupes ethniques dans les assemblées politiques sont célébrés comme les façons d’assurer le droit à la représentation politique des minorités ethniques. Ce qui présuppose l’acceptation du principe de la représentation parlementaire et des mécanismes électoraux par tous les peuples autochtones et toutes les cultures différenciées, comme une donne objective et évidente dans l’univers entier.

Les experts de l’ONU considèrent que les revendications de reconnaissance culturelle des groupes ethniques ou sociaux non démocratiques en leur sein, ou non représentatifs de tous les membres, ou qui limitent les libertés, constitue un défie pour la démocratie pourtant ce type d’héritages culturels peuvent être géré en établissant des formules fédéralistes adaptées au contexte particulier. Ce qui suggère l’acceptation des principes de légitimation non démocratiques d’une façon provisoire en vue d’engager un dialogue et une transformation graduelle vers la démocratie et le régime des libertés.




















































Chapitre VIII

Les effets du pluralisme juridique sur l’Etat :

le reamenagement de l’Unite et la diversite.




Section I : l’unité de l’Etat.

En 2003 Jacques VANDERLINDEN a envisagé le pluralisme juridique comme des phénomènes situés au niveau de l’individu : Pluralisme est la situation dans laquelle un individu peut, dans une situation identique se voir appliquer des mécanismes juridiques relevant d’ordres juridiques différents.

D’après cette définition, le trait principal du pluralisme juridique est la coexistence de plusieurs ordonnancements juridiques auxquels sont soumis les individus en même temps ; dans le cas des individus autochtones ils peuvent se réclamer aussi bien de l’ordonnancement autochtone que du droit commun.

Mais les phénomènes de pluralisme juridique sont eux-mêmes assez divers du fait que les multiples circonstances qui sont à l’origine de la diversité culturelle obligent à autant de nuances et d’adaptations. Le pluralisme juridique est loin de constituer une doctrine homogène et dans le cas des peuples autochtones contemporains, la reconnaissance d’effets juridiques du fait de leur diversité culturelle, oblige à un réaménagement de l’unité de l’Etat. Lorsque la société est devenue multiculturelle l’idéal égalitaire se heurte, sur le plan pratique, à l’efficacité du droit. Pour accepter le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle, les Etats multiculturels doivent dépasser le cadre théorique où l’égalité des droits et l’unité du peuple et de l’Etat semblent exiger un Etat mono-culturel.

Dans la pratique des Etats multiculturels les trois formules d’harmonisation se trouvent en même temps : dans certaines matières, les phénomènes de pluralisme juridique sont nettement identifiables ; il y a des lois spéciales et il y a des espaces d’autonomie établis en faveur des peuples autochtones. Leurs leaders demandent des lois spéciales ; d’autres fois l’autonomie, et dans certains domaines, ils préfèrent l’ambiguïté du pluralisme juridique.

L’anthropologue du droit Sally FALK MOORE a proposé en 1978 la notion de champ social semi-autonome comme la structure sociologique fondamentale, à la place de la notion de « niveau juridique » ; désormais cette notion est utilisée par les anthropologues du droit. Moore identifie un champ social, superposé et concurrentiel, plus ou moins autonome, qui n’est pas une entité juridique mais des ensembles sociaux plus ou moins organisés. Un système plus ou moins permanent et stable. Sur un tel flou social, on ne peut construire qu’un « droit flou ».

Plusieurs champs sociaux semi-autonomes s’articulent avec d’autres en formant des chaînes complexes. L’articulation en sortes d’interdépendances constitue une des caractéristiques de base des sociétés complexes.

Canada. La population canadienne elle-même constitue une mosaïque culturelle, voire une société fragmentée, où cohabitent des phénomènes d’individualisme, de nationalisme et de communautarisme, d’où le fait que la multiplicité de régimes soit devenue une règle. Tant de particularismes et de régimes rendent impossible la mise en place d’un régime unique en faveur des peuples autochtones. Les traités historiques des peuples autochtones et la rivalité entre les cultures juridiques du droit civil au Québec et de la Common law dans les autres provinces brouillent le débat juridique des droits autochtones. Cela s’accorderait avec la politique que la fédération et les provinces mènent de conclure des accords au cas par cas avec les peuples autochtones dont le degré d’autonomie et les phénomènes de pluralisme juridique sont extrêmement variés.

L’ONU insiste sur le fait que les traités historiques et contemporains en vigueur entre les Etats et les peuples autochtones assurent à ceux derniers la qualité de personnes morales de droit public interne. Les rapports Martinez de 1999, sur les Traités des populations autochtones, et du PNUD sur « Le liberté culturelle dans un monde diversifié » de juin 2004, revient à maintes reprises sur la nécessité de garder l’unité et la suprématie juridique des Etats multiculturels face aux peuples autochtones.

Cela s’explique parce qu’aujourd’hui le droit international est sous le contrôle des Etats et des organismes internationaux qu’ils ont reconnus ; d’une manière analogue à comme les Etat gardent leur suprématie dans le système des sources du droit interne. Evidemment, l’ONU étant une création de l’actuel ordre international étatique, elle tend à renforcer l’unité de l’ordonnancement juridique des Etats multiculturels.

En Colombie l’Etat garde les attributs de la souveraineté et son unité politique mais sur une société consciente de sa diversité, culturelle, institutionnelle et juridique. Le régime des minorités ethniques explicitement établi dans la Constitution de 1991 des a été développé comme des autonomies, comme des lois spéciales, et comme un pluralisme juridique dans le sens où plusieurs mécanismes juridiques relevant des ordonnancements étatique et autochtones seraient applicables à une même situation concrète.

Les peuples et communautés indigènes ont leurs us et coutumes, selon un régime d’autonomie dont l’exercice ne doit pas être contraire à la Constitution ni à la loi. L’unité de l’Etat, la dignité humaine et le noyau des droits fondamentaux opère comme des vecteurs d’harmonisation inter-culturelle des ordonnancements juridiques ; de cette façon, les peuples indigènes s’inscrivent dans l’unité de l’Etat.

Les indigènes disposent aussi des lois spéciales édictées par le Congrès colombien, ce qui ne pose aucun problème du point de vue de l’unité de l’ordonnancement de l’Etat. En revanche, lorsque les indigènes peuvent se faire appliquer, soit les us et coutumes autonomes par rapport à l’Etat, soit le droit commun en situation d’égalité avec les non indigènes, constituent des situations de pluralisme juridique.

Le régime territorial de la Constitution de 1991 a introduit les provinces, les régions et les collectivités territoriales indigènes ETI, en renforçant les tendances décentralisatrices initiées en 1986. Ce qui constitue un réaménagement important du modèle unitaire de l’Etat qui sert comme cadre à l’irruption des peuples autochtones dans la Constitution.

En Colombie on observe comment, au fur et à mesure que le pluralisme juridique acquiert fermeté, il harmonise les divers ordonnancements et développe une structure unifiée. La Colombie en a eu l’expérience, dans le domaine politique et constitutionnel, avec le pacte du Front National de 1957, conclu pour assurer l’unité nationale et la diversité politique après une période de violence politique. Les deux partis historiques se sont mis d’accord pour s’alterner à la présidence et se partager l’administration et la judicature entre 1958 et 1974. La révision constitutionnelle de 1957, originairement conçue pour assurer le pluralisme et la diversité politique, est analysée aujourd’hui comme l’établissement d’un monopole des deux partis historiques.

Les indiens colombiens se débattent eux-mêmes entre la diversité et l’unité. Entre, d’un côté, l’identité spécifique de chaque peuple qui correspond aux traditions pré-colombiennes, coloniales et républicaines, et d’autre côté, une identité générique qui assurerait l’unité de tous les indiens en tant que force politique, épaulé par d’autres groupes ethniques et par les mouvements sociaux alternatifs. Le mouvement social indigéniste a construit son unité autours d’un projet politique national et sur un effacement des différences culturelles entre les communautés sédentarisées d’agriculteurs des montagnes andines, et les nomades cueilleurs-chasseurs de la forêt amazonienne. Jusqu’à présent, la plupart d’indigènes se réclament à la fois de leur peuple et d’un indigénisme générique ; cela produit une double appartenance et permets d’expliquer le grand dynamisme et les contradictions des minorités ethniques.

En France métropolitaine la devise républicaine « Unité, égalité, fraternité » a inspiré un système de droit public unitaire, rationalisé et hiérarchisé qui depuis deux siècles nie formellement le multiculturalisme de la population française. La France métropolitaine est l’exemple achevé d’un Etat de droit moderne, où l’exercice des pouvoirs publics est soumis aux normes juridiques pré-établies. Mais l’Etat de droit est également le régime où l’Etat détient le monopole des sources du droit ; un tel monisme juridique correspond parfaitement à l’unité culturelle et politique de la nation française.

En France métropolitaine l’uniformité des lois est très liée à l’égalité des citoyens devant la loi (appelé aussi universalisme) et à l’unité politique du peuple français. Le pluralisme juridique y est mal perçu ; on soupçonne qu’il récuserait l’unité nationale, le droit rationnel, l’égalité républicaine, le libéralisme individualiste, la distinction entre espace public et espace privé, et d’autres valeurs issues des révolutionnaires et qui font partie de l’identité culturelle française s.

En fait, les autorités françaises restent attachées à l’idée que les appartenances sous-nationales mineraient les vertus civiques nécessaires pour le bon fonctionnement de la démocratie, telles que la tolérance et la solidarité.

La constitution de la Vème. République a prévu une ouverture en faveur des peuples d’outre-mer dans la perspective de la décolonisation, ce qui ne nuit aucunement la nécessaire unité de l’Etat. Puis la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998, a accepté pour la première fois en Nouvelle-Calédonie une exception au principe de l’unité normative et a permis que les lois n’émanent pas des représentants de la volonté générale mais d’une assemblée infra-nationale, le congrès calédonien.

Une telle duplicité de principes de légitimité et d’ordonnancements donne lieu, dans la périphérie de l’Etat français, à des phénomènes de pluralisme juridique inimaginables en France métropolitaine. Dans les TOM, les cultures locales ne sont pas sous la pression des exigences d’unité et d’égalité métropolitaines ; cela permet aux juges d’aménager les particularismes culturels pour respecter formellement l’unité, l’égalité, la rigueur du droit positif et la suprématie du législateur. Pour les territoires périphériques, la jurisprudence accepte une interprétation pluraliste de l’unité de l’Etat et considère que les principes du pluralisme et de l’unité du droit ne sont pas opposés mais qu’ils deviennent complémentaires.

D’après Norbert ROULAND, le multiculturalisme pourrait adapter les principes d’unité et d’égalité aux nouvelles situations issues de l’immigration. Mais songer à un droit public multiculturel dans la France métropolitaine semble quelque chose d’irréalisable sauf si l’Europe en formation se développe comme un espace politique multiculturel.

Le problème central des peuples autochtones à l’intérieur de l’Etat de droit est celui de la coexistence entre le droit communautaire des peuples autochtones et le droit individuel de ses membres, qui bénéficient en même temps du droit commun de l’Etat et du droit autochtone communautaire. C’est vraiment là le nœud de la question juridique du pluralisme des peuples autochtones.

Will KYMLICKA considère que les conflits ethno-culturels constituent une affaire courante dans les sociétés occidentales contemporaines, une sorte de transition nécessaire pour achever leur démocratisation prospérité et tolérance. Surtout dans les pays où l’idée de la neutralité ethno-culturelle de l’Etat démocratique n’est pas acceptée paisiblement. Evidemment Kymlicka adopte une perspective libérale qui privilégie les libertés individuelles et l’égalité formelle des citoyens ; d’autres auteurs analysent les conflits ethno-culturels sous la grille d’oppresseurs et opprimés. Adopter une perspective libérale ou celle de l’oppression relève d’un choix intellectuel.

La coexistence de plusieurs ordonnancements suggère aux théoriciens du pluralisme juridique des failles profondes dans l’ordonnancement juridique de l’Etat, le pluralisme juridique montreraient la précarité et la fragilité du monisme juridique étatique mais la portée pratique du pluralisme juridique est si limitée dans l’expérience des Etats multiculturels, qu’il ne va pas au delà de quelques situations concrètes dans lesquelles véritablement l’individu peut se voir appliquer (même choisir) de mécanismes juridiques relevant d’ordres juridiques différents ; de leur côté, les Etats s’y adaptent en faisant preuve de pragmatisme sans perdre leur suprématie. Le pluralisme juridique rejets la réduction du droit aux excès de la logique formelle et souligne la force des facteurs qu’interfèrent l’application du droit formel.

Au niveau de la théorie du droit, c’est-à-dire, en dehors de ce niveau pragmatique où se produisent des arrangements entre les Etats multiculturels et les ordonnancements juridiques autochtones, le pluralisme juridique serait envisagé comme un principe constitutif des ordonnancements juridiques qui sert à dynamiser les ordonnancements juridiques monistes et à induire des changements. Mais cela suppose un changement de domaine : un tel pluralisme juridique n’appartient plus à la réalité juridique dont s’occupent les législateurs et les juges. Le principe abstrait du pluralisme juridique est le résultat d’une réflexion théorique sur le droit, sans force prescriptive. Sa valeur serait simplement descriptive ou analytique.

Le pluralisme juridique a, certes, besoin d’un cadre théorique et de l’anthropologie culturelle, comme science auxiliaire du droit qui aide à comprendre les phénomènes de pluralisme juridique sans pour autant se situer au dessus de l’ordonnancement juridique dans la hiérarchie normative. Là le piège est subtile et certains théoriciens du pluralisme juridique et anthropologues des cultures attribuent une valeur juridique prescriptive à leurs catégories épistémologiques.

Le principe abstrait du pluralisme juridique a comme principe conceptuellement complémentaire, le monisme juridique. Tous les deux aident a comprendre et a analyser les ordonnancements juridiques, étatiques ou autochtones. A ce niveau-là, le pluralisme juridique et le monisme juridique ne sont pas attribuables en exclusivité aux peuples autochtones ou à l’Etat. Il ne s’agirait pas non plus de principes inconciliables mais complémentaires, que l’on trouve mélangés dans la réalité juridique et très rarement en état pur. Grâce au principe moniste, le droit a de la cohérence, et grâce au principe pluraliste, il a aussi de la souplesse et du dynamisme.

De la sorte, monisme et pluralisme agiraient conceptuellement pour nous faire comprendre les systèmes des sources juridiques, les catégories conceptuelles, les procédures contradictoires, les foyers du droit, les juridictions, l’interprétation des normes, les rapports entre le juridique et le social et les apports provenant des sciences auxiliaires. Bref, monisme et pluralisme aident à théoriser la complexité et la multidimensionnalité de l’univers juridique et social.

Or, si l’on veut analyser la culture comme un principe juridique, elle ne se situerait pas sur le même registre du monisme et du pluralisme, mais comme un contenu juridique, plus matériel, historique et concret. On peut dire que, d’une certaine façon, tout le contenu matériel des ordonnancements juridiques est culturel et exprime les grandeurs et les limites de la société historique qu’il régule. Ce qui implique que les ordonnancements juridiques véhiculent les intérêts, les idéologies, la morale, les sciences et les croyances de leurs respectives sociétés. Qualis societas, talis Ius.

La culture admet un traitement juridique moniste, pour protéger l’unité culturelle d’un peuple, ou un traitement juridique pluraliste pour expliquer les dynamiques culturelles, ce qui conviendrait plutôt aux sociétés multiculturelles. Les ordonnancements juridiques protecteurs des cultures (c’est-à-dire protecteurs des intérêts, idéologies, morale, sciences et croyances concrètes) doivent assurer la continuité des cultures en vigueur et offrir la généralité et l’ouverture suffisantes pour gérer les glissements identitaires et les recompositions culturelles.

Ainsi, une société multiculturel peut se servir, pour certains aspects du monisme juridique, par exemple pour garder sa structure de société multiculturelle ; et, pour d’autres aspects, du pluralisme juridique, comme pour gérer les dynamiques interculturelles, les glissements des individus d’une culture vers une autre et les basculements identitaires collectifs. Le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle aurait pour fonction d’encadrer les transformations sociales ; certains auteurs lui attribuent les missions politiques de déconstruire l’Etat et de transformer la société. Le pluralisme juridique se servirait des équivoques et des polysémies, générés par les législateurs et par la jurisprudence, pour gérer l’évolution du droit.

Un régime juridique multiculturel doit assurer, en premier, les cultures légitimes existantes, sans prétendre les dissoudre ; puis il acceptera toutes les autres manifestations culturelles compatibles, en refusant seulement les spécificités culturelles qui contredissent les valeurs juridiques posées comme supérieurs. Dans les Etats sociaux de droit contemporains les valeurs juridiques suprêmes sont : l’unité politique de l’Etat, la prééminence de l’intérêt général, le respect de la dignité humaine, la liberté des individus et le noyau des droits fondamentaux.

Un peuple autochtone peut appliquer à l’intérieur de sa communauté des mesures relevant du monisme juridique pour protéger son identité collective et assurer son unité sociale ; le même peuple autochtone peut invoquer des dispositifs relevant du pluralisme juridique, comme la duplicité de statuts juridiques et la juridiction inter-culturelle, pour se procurer un terrain d’entente avec les autres cultures environnantes et interagir dans un cadre social plus large, comme dans un Etat multiculturel.

Au niveau individuel, un individu autochtone et citoyen d’un Etat, bénéficiant des deux statuts juridiques, peut se réclamer du pluralisme juridique pour choisir –jusqu’à un certain point- quel régime l’autorité doit lui appliquer ; mais le même individu invoquera les garanties relevant du monisme juridique pour affirmer une de ses identités culturelles et le régime juridique correspondant, en éloignant l’influence du régime alternatif qu’il refuse. Cet individu disposera d’un espace de manœuvre limité pour faire un usage stratégique du pluralisme juridique.

Comment peut l’Etat multiculturel éviter que les individus autochtones jouent l’opportunisme et échappent à leurs devoirs juridiques ? En attirant les individus pour qu’ils se soumettent au contrôle des juges. Les Etats multiculturels ont mis en place des juridictions chargées d’unifier ces mécanismes juridiques relevants d’ordonnancements juridiques et des cultures différents. Sur le plan pratique, l’Etat multiculturel adopte le monisme comme règle générale et, en même temps il permet des phénomènes de pluralisme juridique. On parle d’un monisme et d’un pluralisme situés sur le plan pratique, où ils ne sont jamais des principes absolus.

Dans la pratique des Etats étudiés, lorsqu’ils ont reconnu les ordonnancements et les juridictions autochtones, ils ont éprouvé aussi le besoin d’attribuer à certains juges de l’Etat la compétence de trancher les conflits juridiques inter-culturels. Une telle juridiction inter-culturelle produirait une jurisprudence valable aussi bien pour l’Etat que pour les peuples autochtones. Il s’agit bien de juges confrontés à des situations concrètes, collés à la réalité juridique. Ces juges ne sont pas des philosophes ni de théoriciens du droit doutant de l’existence des réalités juridiques.

Les cas où le conflit entre les deux ordonnancements soit formellement soulevé, seront décidés selon des mécanismes de juridiction inter-culturelle ; laquelle sera exercée selon une procédure particulière, comme cela arrive en Colombie avec la procédure de tutelle des droits fondamentaux auprès de la juridiction constitutionnelle, ou en Nouvelle-Calédonie avec les assesseurs culturels en matière civile, les assesseurs représentant la société civile en matière pénale et la procédure préalable dont parle la jurisprudence de 2002 pour déterminer l’ordonnancement applicable.

La fonction de juridiction inter-culturelle, confiée à des juges étatiques aura toujours le risque qu’ils préfèrent d’appliquer les lois de l’Etat sans aucun aménagement pour respecter les ordonnancements autochtones. Ce qui aurait un certain fondement dans le statut citoyen dont jouissent pleinement les autochtones. La juridiction inter-culturelle agira d’une façon ambiguë parce que, au fond, elle découle de la duplicité de statuts et leur simultanéité sur les mêmes individus.

Pour le positivisme et, en général pour les théories juridiques qui considèrent que la hiérarchie normative et le monopole étatique des sources du droit sont essentiels, la pluralité de statuts laissés au choix individuel (interchangeabilité de statuts) ne serait pas du vrai droit. Dans un univers moniste où l’unité et la cohérence sont des conditions sine qua non des systèmes juridiques, le pluralisme juridique n’aurait aucune chance d’exister.

Or un tel moniste ne serait qu’une théorisation abstraite trop parfaite pour les sociétés humaines et les ordonnancements réels. En fait, les régimes monistes n’empêchent pas l’existence des phénomènes de pluralisme juridique dans la pratique des Etats de Droit qui reconnaissent les peuples autochtones.

Comme l’a dit John GRIFFITHS en 1986, le pluralisme juridique est inséparable de la pratique du droit. Or cette affirmation mérite signaler un distingo important : Le pluralisme juridique des anthropologues du droit n’a pas le même sens du pluralisme juridique mis en place par les Etats multiculturels ; le premier relève de la philosophie politique et il est un idéal inséparable de la pratique d’une façon intentionnelle parce qu’il doit éclairer intellectuellement les grands choix des pouvoirs politiques, sans prendre le rôle des pouvoirs politiques. Tandis que le deuxième, le pluralisme juridique mise en place par les Etats multiculturels se situe entièrement dans le domaine du droit constitutionnel ; il est un principe juridique inséparable des réalités constitutionnelles, et il supporte les limitations et disfonctionnements (parfois décevants) des sociétés multiculturelles.

Dans le sens constitutionnelle, le pluralisme juridique apparaît comme une théorie juridique subordonnée aux réalités juridiques en incorporant la dimension pratique du droit que les théories monismes avaient décidé d’ignorer afin de préserver leur perfection théorique. La théorie du droit n’est pas du droit, comme la théorie de l’art n’est pas de l’art. La théorie analyse, systématise et explique le droit réel, tout en ayant les limitations propres de son niveau d’abstraction. Le pragmatisme que le pluralisme juridique incorpore à sa théorie apparaît au grand jour dans l’attention que les juges prêtent aux critères collés à la réalité sociale. Les juges restent attentifs aux réalités sociales, où ils perçoivent l’existence d’un droit complexe et parfois dysfonctionnel et imparfait.

Or, du fait de reconnaître les critères pragmatiques le pluralisme juridique n’est pas soumis aux mêmes critères d’unité et de cohérence du monisme juridique. Dans un pluralisme juridique, la rigueur théorique du monisme juridique n’existe pas ; il lui suffit l’absence d’incompatibilité ou l’application (même a posteriori) d’un autre vecteur de cohérence comme la jurisprudence, la doctrine, ou la mise en place d’une juridiction inter-culturelle.

L’approche pragmatique introduite par le pluralisme juridique dans l’ordonnancement des Etats multiculturels permet de réduire l’opposition entre monisme et pluralisme à une querelle entre deux écoles de la théorie du droit. Mettre en doute la dimension pragmatique du droit tel qu’il est appliqué par les juges, semblerait une discussion byzantine si ce n’était parce que tant d’auteurs du monisme juridique ont réfléchi sans en tenir compte.

La reconnaissance juridique de la multidimensionalité des rapports sociaux est à l’origine d’une complexification croissante des théories monistes des sources du droit ; le panorama juridique devient complexe et dynamique comme la société elle-même. Puis la jurisprudence et la doctrine, que Jacques CHEVALIER considère comme des puissants vecteurs d’unification du droit, s’attachent à harmoniser l’unité juridique avec la diversité culturelle. Pourtant ce travail d’harmonisation ne touche que les manifestations juridiques des cultures. Les cultures elles-mêmes, étant si floues et changeantes, elles échappent au contrôle du droit.

Le pluralisme juridique n’implique pas le refus de l’unité du droit ; au contraire le pluralisme contient implicitement l’idée d’unité de ce qui est multiple. On constate que dans les quatre ordonnancements étatiques étudiés les Etats détiennent toujours la suprématie juridique et la maîtrise de l’espace politique structuré ; les Constitutions qui garantissent le multiculturalisme de la société ne perdent pas leur suprématie ; elles gardent leur unité, matériel et formel, juridique et politique.

La diversité culturelle opère, d’abord, d’une manière négative en permettant d’accepter toutes les manifestations des autres cultures compatibles avec la propre culture et en refusant seulement ce qui contredit les principes supérieurs, comme celui de l’unité de l’Etat, etc. Cela mets en relief une distinction nécessaire pour interagir dans un cadre multiculturel : la distinction entre les principes supérieurs d’une culture et les aspects de moindre importance, qu’il faut éviter de surestimer.

En fait, le pluralisme juridique produit un dédoublement institutionnel et juridique de l’Etat multiculturel, qui s’aménage une instance unificatrice supérieure afin de permettre la différence dans l’égalité. L’Etat lorsqu’il devient multiculturel, ne méconnaît pas son caractère unitaire ; il préserve un seuil d’unité qui correspond à un seuil de diversité admissible. Il y aurait des phénomènes de pluralisme juridique fondé sur le diversité culturelle, à l’intérieur de l’ordre juridique des Etats qui essai de maîtriser les tendances vers la fragmentation sociale. Malgré les apparences, la plupart des revendications multiculturelles des peuples autochtones sont des garanties pour ne pas se faire intégrer dans la culture majoritaire. De telles garanties profitent aussi bien à la diversité culturelle qu’à l’unité juridique et sociale de l’ensemble.

Les sciences sociales de la fin du XXème siècle témoignent d’une profonde crise conceptuelle des nations et d’une montée en puissance des cultures, cependant celles-ci ont échoué dans leur tentative de prendre le relais de la nation comme l’unité sociale. Les Etats perdurent en tant qu’espaces politiques structurés ayant la suprématie politique et juridique sauf qu’ils sont devenus multinationaux et multiculturels.

Dans les quatre Etats étudiés, il s’est opéré une sorte de dédoublement de l’Etat pour reconnaître la diversité et l’autonomie des peuples autochtones ; tandis qu’au niveau normatif ils sont à l’origine des lois spéciales, des autonomies législatives et des phénomènes de pluralisme juridique.

La théorie constitutionnelle des Etats nation se trouve éclaté car les nations s’effacent au fur et à mesure que les cultures gagnent en visibilité du fait que les constitutions incorporent la diversité culturelle ; sans que pour autant la culture déplacer la nation comme unité politique. L’impact est plus fort dans les Etats nation comme la France qui font de l’unité nationale le concept clé de leur théorie politique et constitutionnelle.

Pourtant le triomphe des cultures sur les nations n’est pas clair et l’équation autonomie-culture n’est qu’une théorie qui emprunt ses argumentaires des sciences sociales et présuppose l’acceptation de la culture comme unité sociale et comme valeur juridique. La co-relation autonomie-culture, bien que valable dans le cadre descriptive et analytique des sciences sociales, n’a pas la force juridique pour promulguer un ordonnancement purement culturaliste. A partir du moment où une science sociale prescrit le comportement d’une société de nos jours, elle devient un foyer de droit et les juristes se demanderont quelle est sa légitimité et son autorité.

Les cultures ne sont pas suffisamment stables et structurées, malgré les efforts des mouvements sociaux et des militants culturalistes. Les réalités culturelles normalement s’intègrent aux ordonnancements juridiques en vigueur et lorsque les cultures sont contraires au droit promulgué, elles produisent des disfonctionnements juridiques que la jurisprudence et la doctrine essaient de ramener à la logique et à la cohérence des seuils d’unité et de diversité acceptables.

Une pluralité d’ordonnancements peut donner lieu à des phénomènes de duplicité, de réversibilité et d’interchangeabilité des ordonnancements, ce qui serait du pluralisme juridique dans le sens propre défini par Jacques Vanderlinden en 2003. Or, cette ambiguïté n’est pas orthodoxe mais, à une petite échelle l’Etat peut la tolérer pour gérer en douceur les glissements culturels et les basculements identitaires des peuples autochtones. L’ordonnancement juridique de l’Etat change du registre et le législateur cède le contrôle de l’ordonnancement juridique au juge qui raisonne avec pragmatisme et entamer un dialogue avec les réalités sociales divergentes. De la sorte la jurisprudence rend compatible ce qui en rigueur théorique serait toujours incompatible.

Puis, d’une façon ou d’une autre, l’arrangement entre la norme abstraite et la réalité sociale est reconduit à l’unité et à la cohérence. D’abord, parce que les juges l’ont décidé ainsi ; ensuite la doctrine juridique construit les ponts conceptuels et les synthèses nécessaires pour revenir à la cohérence. La loi et la jurisprudence montrent le décalage entre les énoncés abstraits et les réalités sociales, que la doctrine cherche à ramener à l’unité conceptuelle. Les diverses sources du droit agissent de façon complémentaire pour consolider l’ordonnancement juridique.

Une remise en valeur de l’histoire et une multiplicité de cultures sont les traits saillants des Etats multiculturels qui reconnaissent les droits individuels et collectifs des peuples autochtones, toujours culturellement différents et antérieurs à la formation des Etats. Il arrive aussi que plusieurs ordonnancements juridiques coexistent à l’intérieur des Etats multiculturels, tout en gardant leur diversité. Ces ordonnancements historiques cherchent graduellement à s’harmoniser avec le droit commun des Etats en utilisant diverses formules.

Le pluralisme juridique est l’une des formules mises en place par les Etats multiculturels pour harmoniser l’ordonnancement juridique étatique et les ordonnancements autochtones. Il y en a d’autres formules pour protéger juridiquement les peuples autochtones, comme les lois spéciales, édictées par l’Etat à leur intention, et les schémas d’autonomies législative, judiciaire, politique ou administrative. Pourtant les législations spéciales et les autonomies ne constituent pas des ordonnancements juridiques différents, ni antérieurs à la formation des Etats ; il s’agit de sous-ensembles crées par les constituants et les législateurs de l’Etat.

Entre les normes générales et les normes spéciales, il peut y avoir des tensions ou entre le régime central et le régime de l’autonomie mais ceux ne seront pas des phénomènes de pluralisme juridique dans le sens énoncé par Jacques VANDERLINDEN.

Comme règle générale, l’incertitude et l’imprévisibilité sont à prescrire du droit, qu’il soit communautaire ou individualiste. Lorsque tous les deux coexistent en acceptant, par des raisons pragmatiques de ne pas se disqualifier l’un l’autre, les issues de la duplicité, la réversibilité et ’interchangeabilité juridique crée l’instabilité juridique, une sorte de droit par intermittences imprévisibles. Inacceptables aux yeux de leurs théories parce que ce n’est pas du droit étatique, ni du droit communautaire non plus. Mais, est-il encore du droit ? Oui, c’est un droit en chantier où les diverses types d’ordonnancements coexistent pendant un certain temps (trois ou quatre siècles) grâce à leur duplicité, réversibilité et interchangeabilité. Puis ils s’hybrident et se transforment.


Section II : le fédéralisme mis à profit.

Chronologiquement le fédéralisme autochtone a été inventée au XVIIème siècle par les sept nations iroquoises du Canada lequel a précédé la mise un oeuvre du fédéralisme étatique par la constitution des Etats Unis d’Amérique de 1787 ; bien que historiquement il n’a pas exercé aucune influence sur Alexander HAMILTON, John JAY et James MADISON, les inspirateurs du fédéralisme américain, qui se sont confrontés à toute une autre problématique des nations iroquoises.

Le fédéralisme américain a permis, pour la première fois, la mise en place d’un régime des libertés et l’expansion d’un Etat sur de larges territoires en unissant des colons et d’autres populations assez diverses et variées, dans un cadre juridique et institutionnelle libéral, respectueux des différences et suffisamment flexible qui allait par la suite s’adapter aux profondes transformations de la société américaine. Le fédéralisme a fourni une réponse aux défies, théoriques et pratiques, de la légitimité et a permis de gérer les conflits dans des sociétés culturellement divisées.

A l’époque Benjamin FRANKLIN avait proposé à ses amis européens de former, eux aussi, une fédération : « Si (la Convention de Philadelphie de 1787) réussit, je ne voit pas pourquoi vous autres en Europe ne pourriez pas mener à exécution le projet du bon roi Henri IV, en formant une Union fédérale et une seule et unique république rassemblant tous les différents royaumes, au moyen d’une Convention du même genre ». Mais l’histoire européenne a pris la voie des Etats nationaux et il n’y a pas eu d’institutions fédérales au niveau européen jusqu’au projet de Traité Constitutionnel de 2004, actuellement en cours de ratification par les 25 Etats membres de l’Union Européenne.

Or, comme l’autonomie des peuples autochtones et de leurs ordonnancements juridiques n’est pas encore bien située à l’intérieur de la théorie du droit public, il semble préférable pour commencer d’observer quelques cas réels et pratiques où les peuples autochtones entretiennent des rapports politiques et juridiques à l’intérieur de l’Etat.

§ 1 : en Australie.

En Australie, le régime fédéral actuel est celui de la Commonwealth of Australia Constitution Act de 1900 qui a marqué la fin de la période coloniale. Quant aux peuples autochtones, l’arrêt Cooper contre Stuart, de 1889, avait engagé le gouvernement colonial dans une politique intégrationiste qui forçait les autochtones à la civilisation en leur apprenant l’agriculture. Conformément à la mentalité prédominante à l’époque, chaque province tentait d’intégrer les peuples autochtones à l’ordonnancement juridique, la culture, l’économie et les structures politiques australiennes.

Aujourd’hui, le fédéralisme n’existe pas en faveur des peuples autochtones en Australie. Bien qu’ils jouissent d’une certaine autonomie de fait pour gérer leurs affaires internes, les peuples autochtones n’ont pas d’autonomie cautionnée par le droit public australien.

En 1967 les compétences législatives sur les aborigènes ont passé aux autorités fédérales suite au référendum ; ce que les peuples autochtones ont salué comme une victoire sur les provinces fédérées. Cependant, on doit signaler le considérable retard de ce transfert des affaires indigènes à la compétence fédérale, puisqu’il avait été adopté depuis le XIX siècle aux EE UU et au Canada, deux autres régimes fédéraux issus de la Common Law.

§ 2 : au Canada.

Au Canada, le rapport Penner de la commission spéciale de la Chambre des Communes a reconnu en 1983 le droit inhérent des peuples autochtones canadiens à un gouvernement distinct du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux ; ce que les conférences constitutionnelles de 1983, 1985 et 1987 ont débattu sur la base de l’article 25 de la Constitution de 1982 pourtant les autochtones n’ont pas réussi à le faire inclure dans la Constitution. L’accord de Charlottetown contemplant le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale fut rejeté par le référendum du 26 octobre 1992 ; suite à cet échec des autochtones, le Gouvernement fédéral et un grand nombre de provinces ont proposé aux peuples autochtones, comme formule alternative, leur accorder plus de pouvoir dans des domaines bien définis, sans faire des collectivités territoriales autochtones des enclaves souverains au sein de la fédération.

Les instruments internationaux su XVIIème et XVIIIème siècles, faisant partie du droit interne canadien en vertu de l’article 25 de la Constitution, cautionnent les demandes d’autonomie mais le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, n’étant pas inscrit dans la Constitution se situe toujours dans le champ politique. La Fédération accepte de créer quelques collectivités territoriales où les peuples autochtones dirigent les affaires publiques, sous la tutelle des autorités fédérales étatiques. Il ne s’agit pas de collectivités territoriales équivalentes aux provinces, mais de collectivités dotées d’autonomie où l’autorité politique, législative et administrative est assurée par les autochtones, selon les termes adoptés dans des conventions tripartites. Ce qui est loin de transformer le pays en une fédération des peuples autochtones.

Le Canada est favorable à la création, au cas par cas, de quelques collectivités territoriales gérées par les peuples autochtones, aussi bien au niveau des territoires fédéraux, comme Nunavut qui détient des compétences législatives, qu’au niveau de communes comme Scheltte ; issues toutes les deux des accords tripartites conclus après de longues tractations entre un peuple autochtone, la province concernée et l’Etat fédéral.

Au Canada a été soulevé un débat sur le fédéralisme asymétrique, puisque la majorité de la population accepte que les législateurs indigènes votent des projets de loi dont les peuples autochtones seront exemptés, en vertu de leur autonomie législative. Une telle situation ne diminue en rien l’autonomie des peuples autochtones, bien au contraire, ce souci gêne quelques secteurs de la société majoritaire qui ressent une sorte d’influence excessive des peuples autochtones au Parlement. En réalité, les législateurs autochtones assurent un lien politique important et nécessaire entre les peuples autochtones et la société majoritaire ; la présence des législateurs autochtones donne une représentativité et une légitimité multiculturelle aux parlements. Au fond, les critiques contre le « fédéralisme asymétrique » présupposent que les parlements et le société doivent être homogènes, ce qui n’est pas démocratique et qui dénaturerait le principe de la représentation politique des divers secteurs sociaux.

§ 3 : en Colombie.

Le pays a été un république unitaire et centralisé depuis la Constitution de 1886 ; l’Assemblée Nationale Constituante de 1991 a voulu décentraliser sans franchir le passage vers une restauration du fédéralisme. Les peuples et communautés indigènes ont des régimes spéciaux et de larges espaces d’autonomie pour protéger leur diversité culturelle et sociale. La constitution de 1991 a créé au niveau local les collectivités territoriales indigènes (ETI) qui jouissent d’une autonomie politique, législative et judiciaire qui emprunts certains traits du fédéralisme. Mais cette autonomie quasi-fédérale des peuples et communautés indigènes se situe à l’intérieur de la république unitaire.

L’autonomie politique, administrative, législative et judiciaire que les articles 246 et 287 de la Constitution de 1991 accordent aux peuples et communautés indigènes dépasse les exigences de la Convention N° 169 de 1989 de la OIT en matière d’autonomie pour définir les formes de gouvernement et d’administration interne des communautés indigènes. En effet, le gouvernement des territoires indigènes est attribué aux Conseils indigènes dont les compétences s’exercent selon les us et coutumes indigènes, à condition qu’elles soient compatibles avec le régime démocratique, et que leur exercice assure l’unité nationale et le respect des droits fondamentaux de rang constitutionnel.

Le débat canadien sur le fédéralisme asymétrique ne se posé pas en Colombie, où la population accepte que les législateurs indigènes votent des lois dont les peuples autochtones seront exemptés. Les régimes spéciaux et les espaces d’autonomie des autochtones, sont perçus positivement par la majorité des Colombiens bien que les indigènes se disent toujours insatisfaits de leurs rapports avec la société majoritaire.

§ 4 : en France.

En France, il ne peut y avoir de fédéralisme, en vertu des principes d’unité et d’indivisibilité de la République, hérités des jacobins depuis 1793 pourtant, la spécialité des Départements et Territoires d’Outre-Mer TOM a permis des exceptions importantes au principe de l’unité de la République. Celui-ci au fond se circonscrit à l’unité de la France métropolitaine tandis que le vieux principe de « spécialité législative », relique de la période coloniale, protège efficacement les TOM de toute application automatique des lois et des décrets.

La Constitution de 1958, modifiée à plusieurs reprises, metS à la disposition du législateur un large éventail de régimes possibles pour les TOM, qui vont de la simple décentralisation administrative à l’éventuelle sécession, en passant par de régimes d’autonomie :
L’article 53 sur la sécession ;
L’article 72 prévoie la possibilité de collectivités locales spécifiques, une modalité de décentralisation ;
L’article 73 permet pour les DOM le droit commun avec des adaptations ;
L’article 74 impose au législateur un traitement spécifique de chaque TOM, qui peut aller de la « spécialité législative coloniale » à l’autonomie, et qui libère de l’obligation de respecter les principes d’uniformité et d’égalité des régimes ;
Finalement, le titre XII refait par la révision constitutionnelle de 1998 prévoie une décentralisation législative qui situe le régime des TOM au-delà de la simple décentralisation administrative.

Le Territoire d’Outre-Mer de la Nouvelle Calédonie jouit d’un régime spécifique vis-à-vis de la France mais, a son tour cette collectivité territoriale fait fonction de société majoritaire à l’égard du peuple autochtone Kanak. Il y aurait, donc, un double emboîtement du peuple Kanak : à l’intérieur du régime calédonien spécifique et tous les deux dans l’ordre juridique français.

Le fédéralisme asymétrique est un des aspects les plus curieux du régime en vigueur en Nouvelle-Calédonie, bien qu’il n’a pas été formellement adopté par la loi organique du 19 mars 1999. D’un côté, les parlementaires calédoniens votent au Sénat et à l’Assemblée National française des lois dont les calédoniens seront exemptés et, d’autre côté, les élus Kanaks votent des lois en Nouvelle-Calédonie dont le peuple Kanak serait exempté. Anne-Marie LE POURHIET affirme qu’il s’agit d’un fédéralisme asymétrique, dont l’étude intéresse peu d’auteurs français.

Pour sa part, la France métropolitaine serait sur le point d’intégrer un système politique fédéral si le projet de Traité Constitutionnel de l’Europe entre en vigueur. Ce qui permettra paradoxalement à la France de continuer à vivre selon l’Etat unitaire traditionnel et à se penser en termes fédéraux et multiculturels à l’intérieur de l’Europe. L’ambiguïté politique et juridique d’un tel enjeux, où les constitutions nationales resteront en vigueur, masque le sens d’une profonde évolution institutionnelle dont la portée n’est pas envisageable en 2005. Peut-être l’invitation faite par Benjamin Franklin à ses amis européens pour créer une Fédération verra le jour au bout de deux siècles.

§ 5 : l’ONU.

L’ONU dans son rapport sur le développement humain 2004 « La liberté culturelle dans un monde diversifié » a recommandé, sans entrer dans les précisions juridiques, l’adoption des mécanismes et des institutions de type fédéral pour résoudre les tensions issues de la diversité culturelle. Ce rapport plaide pour le respect de la diversité culturelle, en même temps qu’il demande un renforcement de l’unité politique au niveau mondial.

§ 6 : l’influence sur la théorie.

Le pluralisme et le fédéralisme juridiques ressemblent dans leur souplesse et dans la permanence, l'autonomie et la coexistence de deux statuts. Mais il y a des distinctions subtiles entre eux : le fédéralisme affirme explicitement la supériorité de la Constitution fédérale sur les provinces fédérées, dans certains domaines tandis que le pluralisme juridique des peuples autochtones cherche à établir des rapports durables d’égalité entre les deux ordonnancements (étatique et autochtone), dans la mesure où cela puisse être possible. 

Le fédéralisme aussi bien que le pluralisme juridique peut encadrer des statuts territoriaux et personnels. Il y a un fédéralisme territorial et un fédéralisme personnel. Le premier présuppose l’assignation d’un territoire à une autorité autonome, ce qui conviendrait aux peuples autochtones qui le réclament instamment. D’autres fois, les autochtones demandent la reconnaissance des statuts personnels, par exemple, en faveur des autochtones évoluant dans les milieux urbains.

D’après Olivier BEAUD, l’idée essentielle du fédéralisme est la combinaison de l’unité et de la diversité, de telle sorte que coexistent deux sphères de d’autonomie, l’une pour la communauté globale et l’autre pour la communauté particulière ; et qu’il coexistent des sphères de fidélité (à une église, vivre sur un territoire particulier, se livrer à une activité, etc.). L’essentiel dans cette approche (unité et diversité) est l’emboîtement de certains niveaux d’activité et l’insertion des individus dans des groupes multiples. Le fédéralisme entre nécessairement en contact le concept de pluralisme ; et certains auteurs vont même jusqu’à déduire le fédéralisme du pluralisme, comme un simple pluralisme territorial. Mais une telle assimilation aplatit considérablement les deux concepts.

Le rapport entre la fédération et les unités membres n’est pas un rapport hiérarchique ni un rapport d’inclusion organique. Autrement dit, le fédéralisme ne signifie pas l’anéantissement de l’entité fédérée et son absorption par une sorte de fusion avec les autres membres de la fédération, ni un rapport organique entre le tout et les parties.

Autrefois le fédéralisme, les régimes spéciaux, les fors personnel ou territorial et le recours aux principes supérieurs aux normes positives, ont permis au droit de répondre aux complexités sociales. Aujourd’hui, le pluralisme juridique permets d’augmenter sa souplesse du droit pour gérer des tensions à caractère social, culturel, politique ou économique.

Le double statut dont jouissent les peuples autochtones garde un certain parallélisme avec les doubles statuts qui ont caractérisé les implantations coloniales et les pactes fédéraux. Aux Etats Unis, le fédéralisme a commencé par un pacte fédéral assez ambiguë qui a mis en place deux gouvernements différents et une double citoyenneté pour que les individus aient « deux capacités politiques, l’une au niveau de l’Etat, l’autre au niveau fédéral, chacune d’elles étant protégée contre les empiétements de l’autre… (La constitution Américaine) a établi deux systèmes de gouvernement, chacun doté en propre d’une relation directe, exclusive et mutuelle dans les droits comme dans les obligations, avec le peuple qui le soutien et qui est gouverné par lui. »

Si en principe le fédéralisme assurerait l’autonomie des peuples autochtones et leur insertion dans un cadre étatique, on peut se demander qu’est-ce qui a empêché l’adoption d’un fédéralisme ethnique pour répondre aux demandes des peuples autochtones. Les principaux arguments contre le fédéralisme ethnique sont, d’une part, l’impossibilité presque absolue d’une parfaite coïncidence entre une groupe ethnique et son territoire ; d’autre part, les risques d’exclusions contre des « étrangers », sinon de discriminations, voire de nettoyage ethnique, du fait de la vision d’une coïncidence entre ethnie et territoire. D’autres problèmes se posent au niveau pratique : la petite taille démographique des peuples autochtones, leur situation périphérique et, dans certains cas, la faiblesse de leurs cultures produirait des asymétries politiques très marquées.

En Afrique, lors de la décolonisation les nouveaux Etats ont soigneusement évité toute expression institutionnelle aux ethnies, en adoptant les structures d’un Etat unitaire pour entamer un processus de nation-building, cautionné par des partis politiques et une armée nationale. A l’encontre de cette courant majoritaire, l’Ethiopie a été le seul pays à expérimenter un fédéralisme ethnique.

Si bien le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle a pour but de garantir la continuité des peuples autochtones, d’autre part, le pluralisme juridique vise à encadrer juridiquement les recompositions sociales, les dynamiques de glissement identitaires et basculement culturelles.

Il s’agit de garder la coexistence harmonieuse des groupes appartenant à de diverses cultures à l’intérieur d’une unité politique tout au long de ce processus de recompositions sociales. Sans imposer l’assimilation ni l’intégration des peuples autochtones à l’intérieur de l’Etat. Fort de son expérience, le fédéralisme peut servir comme point de départ pour une réflexion pratique et fournir des éléments précieux pour la reconnaissance politique et juridique des peuples autochtones. Mais le fédéralisme a déjà montré ses limites : il peut servir jusqu’au point où il neutralise les tendances centralisatrices de l’Etat.

Les clivages ethniques et culturels admettent d’autres sorties institutionnels, diverses et variées comme : les autonomies politiques et administratives, les statuts personnels, les quotas de représentation parlementaire, la création de collectivités territoriales, les partis politiques indiens, les états d’exception, les juridictions spéciales, les droits collectifs, les régimes spéciaux et les mesures temporaires de discrimination positive. Les peuples autochtones peuvent aussi emprunter au fédéralisme, entre autres dispositifs : les quotas de représentation parlementaire, le droit de veto, l’inapplicabilité ou une procédure d’incorporation des décisions fédérales, parmi les mécanismes d’articulation politique.

Les phénomènes de pluralisme juridique peuvent avoir lieu dans le fédéralisme ; à la suite des conquêtes ; pour coloniser une nouveau territoire ; comme réponse à une fragmentation idéologique interne de la société, ou lorsque les divisions territoriales développent des identités culturelles diverses. Bien entendu, ces circonstances peuvent coexister dans un même pays s’il est un Etat fédéral, s’il conquit par la force un territoire, s’il occupe sans résistance un espace terra nullius, puis s’il trouve sa propre population idéologiquement divisée. Pour gérer toutes ces dynamiques complexes, les Etats peuvent faire usage du pluralisme juridique.

Cependant, le fédéralisme ne constitue pas un pluralisme juridique puisque le partage des compétences politiques et législatives entre la fédération et ses provinces aurait déterminé les domaines appartenant à l’une et à l’autre. Pour les complexités et les situations limites du fédéralisme, les juristes ont dû aménager des formules hybrides, faire des choix et bâtir des compromis pragmatiques, dont l’enchevêtrement créé des équivoques permanents et permets aux individus, en certains cas, de faire un usage stratégique des régimes fédéral et provinciaux. Cela oblige les théoriciens du fédéralisme à dépasser les structures du droit moniste vers les pluralismes juridiques.

Dans le fédéralisme, les normes de compétence devraient délimiter les orbites propres à chaque niveau territorial pourtant, dans la pratique, il y a des zones de frontières où les bornes s’effacent et les tensions sont quasi permanentes entre les niveaux fédéral et provincial. Les collisions de compétences sont tellement courantes qu’elles deviennent presque une caractéristique du fédéralisme.

Dans le cas des peuples autochtones il est également fréquent que des tensions se produisent entre les régimes étatique et autochtone, de telle sorte que les concepts et les mécanismes du fédéralisme sont fort utiles pour les systèmes juridiques inter-culturels, par exemple, dans les cas des collectivités territoriales autochtones, de la représentation parlementaire, de l’homologation des décisions des autorités autochtones et leurs rapports avec les institutions décentralisées de l’Etat.

Des théoriciens du pluralisme juridique, comme André Hoekema sont décidément pour les formules fédéralistes qui assurent la valeur juridique définitive des décisions prises par les autorités autochtones, selon leurs propres ordonnancements ; Hoekema évoque comme des exemples concrets de ce qu’il considère des formules fédérales : les collectivités territoriales indigènes (ETI) en Colombie, la nouvelle province Nunavut au Canada, la Région Autonome de la Côte Atlantique Nicaraguayenne et les comarcas au Panama. Mais il convient de signaler que la pratique institutionnelle du fédéralisme n’arrête pas d’évoluer suite aux tensions entre les provinces et la fédération.

Dans le territoire de Nunavut, bien que le régime de cette collectivité territoriale ne corresponds pas au fédéralisme, ni détient aucune souveraineté, sa création fut possible grâce à que plusieurs conditions furent remplies : d’abord, la délimitation d’un territoire où les autochtones sont la population majoritaire ; ensuite, le respect des non autochtones minoritaires, et troisièmement, la dépendance financière des autorités de Nunavut des transferts budgétaires fédéraux.

Les réponses aux demandes de reconnaissance et d’autonomie des peuples autochtones ne sont pas généralisables; elles doivent pondérer les facteurs en jeu, y compris le besoin d’une certaine unité de la population et d’intégration du territoire, les expectatives économiques des populations, le respect des droits de l’homme et les souhaits des gens.


Section III : les droits collectifs.


Les droits collectifs des peuples autochtones protègent des espaces d’autonomie, ou un seuil d’autonomie face aux pouvoirs, droits et libertés individualistes de l’Etat démocratique. Les autonomies revendiquées par les peuples autochtones peuvent se concrétiser en : un for judiciaire, une juridiction spéciale, des autonomies politiques, des compétences législatives propres et des droits collectifs de contenu éducatif, religieux, sanitaire, une police propre, etc. Presque un dédoublement complet de l’Etat social de droit.

En Australie, Canada, Colombie et en Nouvelle Calédonie, les droits collectifs des peuples autochtones ont une force plutôt historique et symbolique. Les Etats, en certaines occasions promulguent des statuts particuliers pour les peuples autochtones. D’autres fois, les Etats reconnaissent de divers degrés d’autonomie aux autochtones tout en gardant un pouvoir de tutelle, par le biais des formules ambiguës et astucieuses comme l’indirect rule colonial dont le développement n’est pas linéaire ni simple. On pourrait parler aujourd’hui d’une indirect rule étatique mais cette expression n’est pas utilisée par la doctrine.

Les droits collectifs reconnus aux peuples autochtones se situent dans l’ordre juridique de l’Etat et protégent des valeurs juridiques communes à l’Etat et aux peuples autochtones. Une sorte de passerelle juridique interculturelle dont la force expansive génère, à l’intérieur de l’Etat, un espace légitime pour les revendications autochtones et pour celles d’autres groupes sociaux ressemblant aux autochtones par des traits comme le petit nombre, la marginalité, l’affirmation des différences, adhérer à d’autres systèmes de valeurs, confronter la société majoritaire ou se sentir opprimés. Bien que la connexité entre les peuples autochtones et les autres minorités sociales n’est pas toujours très claire.

Afin de construire des alliances et se procurer des soutiens, les multiples discours des minorités s’interfèrent les un les autres ou occultent leurs incompatibilités et disfonctionnements. En 1990 Laura Nader a analysé, dans un cas étudié en détail, l’idéologie de la parfaite harmonie comme une stratégie des indiens Zapotecas pour assurer leur autonomie et évader aux intromissions des juges de l’Etat.


§1 : en Australie.

Dans la période coloniale l’Empire Britannique a été sensible aux remarques des anthropologues et a adopté plusieurs lois pour protéger les peuples autochtones et les prérogatives des natifs sur les terres australiennes. Au moment de la création de la Confédération, la Constitution du 9 juillet 1900 n’a rien dit sur les droits des peuples autochtones. Puis, la Laws Repeal and Adopting Ordinance de 1921 a fixé comme limite aux institutions autochtones les principes généraux de l’humanité ; ce qui suggère que les institutions autochtones étaient implicitement reconnues d’une façon subordonnée aux principes généraux de l’humanité.

Par le référendum de 1967 l’Etat australien a accordé aux autochtones le statut citoyen de type individualiste mais ils n'ont toujours pas, en tant que peuples autochtones ni participation politique et parlementaire, ni les droits collectifs, ni l’autonomie pour gérer leurs affaires internes, bien que normalement les autorités étatiques n’y exercent pas une trop grande ingérence. Les droits des autochtones sont envisagés comme des droits individuels dans la Commonwealth Racial Discrimination Act, de 1975 et la Human Rights and Equal Opportunity Commission Act, de 1986.

Aujourd’hui, les peuples autochtones australiens continuent à revendiquer leurs droits collectifs et leur autonomie. La Native Title Act de 1993 a circonscrit le débat sur les peuples autochtones aux titres natifs. Sur la scène politique australienne, pour le moment, il n’y a pas de place pour une autonomie politique ou administrative, ni pour créer des collectivités territoriales autochtones, comme au Canada ou en Colombie. Les seules traces visibles dans la législation australienne des droits collectifs autochtones sont : la représentation des peuples autochtones et de la population insulaire du détroit de Torres, l’assistance qu’ils reçoivent dans les réclamations des titres natifs et les compensations, conformément aux dispositions de l’arrêt Mabo.

§ 2 : au Canada.

Le point de départ du régime contemporain est la pleine citoyenneté des autochtones, et le statut constitutionnel en tant que peuples distincts. Un dédoublement du régime juridique, propice pour des phénomènes de pluralisme juridique.

Grâce à la Constitution de 1982 les Droits des peuples autochtones ne sont pas en danger. Bien au contraire, plus de 80 accords sont actuellement en négociation et la création du territoire fédéral du Nunavut permet aux 21.300 Inuits, qui y habitent de bénéficier d’une large autonomie gouvernementale, sous la surveillance du commissaire de Sa Majesté et du gouverneur en conseil. Les obligations fiduciaires de l’Etat canadien vis-à-vis des peuples autochtones constituent la meilleure garantie pour leurs droits ancestraux. Or comme l’Etat a une responsabilité spécifique et l’obligation d’assurer ces droits, les pouvoirs de surveillance et d’ingérence de l’Etat sur les peuples autochtones constituent une sorte de contrepartie de ses obligations fiduciaires à l’égard des autochtones.

La vieille indirect rule coloniale anglaise ressemble aujourd’hui à un schéma protecteur où les droits collectifs étaient reconnus en faveur des peuples autochtones ; tout en ayant eu un double sens, puisque ce schéma lui assurait le contrôle des autochtones, en même temps qu’il leur reconnaissait un espace d’autonomie. En 1982 le Canada a opéré une re-sémantisation de l’indirect rule pour lui enlever son sens colonial et affirmer une sorte d’égalité entre les peuples autochtones et l’Etat ; dont le contenu reste à préciser dans les conventions tripartites.

Le mouvement souverainiste de la province du Québec et les peuples autochtones se rejoignent quant au caractère minoritaire, à la reconnaissance de leur identité culturelle, leur langue, à la revendication des droits collectifs en tant que sociétés distinctes, aux critiques contre le centralisme et à l’invocation du principe international du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. A l’intérieur de la province du Québec, qui revendique sa condition de minorité culturelle par rapport à la Fédération du Canada, les autochtones se sont opposés à l’autonomie de la province les vingt dernières années mais les tensions ont diminué dernièrement.

La jurisprudence canadienne ne reconnaît pas le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones dont a parlé le Rapport Penner de 1983. En revanche, le Canada leur reconnaît la personnalité morale et politique pour conclure des conventions tripartites entre les peuples autochtones, les provinces et l’Etat. La jurisprudence recommande d’emprunter cette voie, sans doute plus complexe à mettre en place, toujours au cas par cas. Les droits collectifs des peuples autochtones et l’autonomie gouvernementale qui en découlent s’exercent sous le contrôle des autorités fédérales.

§ 3 : en Colombie.

On trouve, en Colombie, chez les peuples indigènes et les communautés noires des exemples historiques des droits collectifs : Ils ont réussi à garder certains espaces d’autonomie et les autorités coloniales ont dû accepter les situations qu’elles ne pouvaient pas changer ; puis la République du XIX et XX siècles a continué cette tradition de faiblesse de l’appareil politique et administratif de contrôle social.

L’autonomie politique, administrative, législative et judiciaire des peuples et communautés indigènes admets une lecture comme des droits collectifs protégés par la Constitution. L’autonomie s’exerce selon les us et coutumes indigènes et dans le respect des biens juridiques et les normes supérieurs à l’autonomie et aux droits collectifs des peuples indigènes.

La Cour Constitutionnelle a adopté en 1994 la règle d’interprétation pour préciser le contenu concret des droit collectifs : Plus les us et les coutumes se trouvent conservés, / plus d’autonomie. Un principe qui respecte l’attachement des peuples autochtones à leurs ordonnancements coutumiers et, qui est assez pragmatique pour encadrer les dynamiques de glissements identitaires et les basculements culturels. En 1997 la Cour a insisté sur sa règle d’interprétation : « maximiser l’autonomie des communautés indigènes et, par conséquent, minimiser les restrictions à ce qui est vraiment indispensable pour sauvegarder les intérêts de hiérarchie  supérieure». Ce qui constitue une nette hybridation, dans la pratique les peuples autochtones auront l’autonomie maximale à condition qu’en certains moments ils reconnaissent la primauté de l’Etat.

§ 4 : en Nouvelle-Calédonie.

Jean RIVERO et la doctrine française se méfient des droits des groupes en considérant qu’il existe un réel danger de disparition des droits de l’individu au profit du groupe dont il fait partie. Dans l’autre extrême, il serait paradoxal qu’au nom de la liberté individuelle devienne obligatoire l’absence de toute appartenance, engagement et identification culturelle. Les conditions pour harmoniser ces deux positions seraient : que l’adhésion et le retrait du groupe sont volontaires, et que les droits collectifs respectent les libertés et les droits fondamentaux.Etant accomplies ces deux conditions, il n’y aurait aucune raison juridique valable pour refuser la protection de l’Etat aux droits collectifs. Au contraire, on dériverait vers un « libéralisme totalitaire » si l’Etat empêche les individus d’adhérer à un groupe légitime, comme un peuple ou une culture avec lesquels les individus s’identifient librement.

En France métropolitaine, les obstacles pour les droits collectifs ne se circonscrivent pas à leur compatibilité théorique avec les libertés individuelles. L’obstacle majeur est la prépondérance absolue de la souveraineté nationale que l’Etat est sensé protéger : tout groupe sous-nationale autonome est soupçonné de porter attente contre la souveraineté nationale. L’Etat français est suffisamment tolérant et ouvert en matière des libertés publiques mais il ne supporte pas des groupes sous-nationaux autonomes.

Quant aux droits collectifs des peuples autochtones, il n’y a rien à dire dans la France métropolitaine parce qu’ils n’y existent pas. En revanche, dans les Territoires d’Outre-Mer leurs droits collectifs sont reconnus et protégés efficacement. En Nouvelle-Calédonie, l’article 75 de la Constitution de la Vème République a servi pour affirmer l’autonomie du peuple Kanak dont la situation minoritaire fut soulignée.


§5 : En droit international public.

Les peuples autochtones ont eu la personnalité juridique international et la plénitude de leurs droits collectifs, y compris la capacité de conclure des traités, dans la période du Ius Gentium. En vertu des traités historiques conclus au XVIIème et XVIIIème siècles les peuples autochtones étaient reconnus comme des sujets juridiques du même niveau que les Etats. Mais un grand changement politique et conceptuel est survenu avec l’« internalisation » lorsque les traités historiques furent graduellement incorporés au droit public interne d’un Etat qui les reconnaît une certaine autonomie interne pour conserver leur ordonnancement juridique, leur organisation social et leurs autorités coutumières .
Une fois achevée, l’« internalisation » des peuples autochtones au XXème siècle, l’ONU a insisté à maintes reprises sur le caractère collectif des demandes politiques et revendications des peuples autochtones. La Convention N° 169 de 1989 de la OIT, relative aux peuples indigènes et tribaux envisage les droits des peuples autochtones sous la perspective d’obligations imposées aux Etats indépendants, ce qui implique deux présupposés : Premièrement, les peuples autochtones se situent toujours à l’intérieur des Etats et en aucun cas au même niveau ; deuxièmement, les Etats doivent reconnaître les droits et protéger les institutions, ordonnancements juridiques, terres et territoires, conditions de travail, sécurité sociale, éducation propre des cultures autochtones.

Pour sa part, le rapport Martinez du 22 juin 1999 sur les traités, accords et autres arrangement constructifs entre les Etats et les populations autochtones, élaboré dans le cadre de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, affirme que les droits que les peuples autochtones ont eu à l’époque du Ius Gentium ne correspondent pas aux notions contemporaines plus restreintes d’« auto-administration », « autonomie », « nation » et « partenariat » qu’aujourd’hui sont appliquées aux peuples autochtones à l’intérieur des Etats.


§6 : les conséquence sur la théorie.

Les droits collectifs constituent un ensemble de prérogatives juridiques propres des peuples autochtones qui ne les excluent pas du régime général, ni n’entraînent aucune incapacité juridique, ce qui dans la pratique élargit considérablement les possibilités juridiques des autochtones.

Autrement dit, les autochtones détiennent tous les droits des citoyens, en égalité avec les non-autochtones, et ils bénéficient d’un statut supplémentaire propre à sa condition de minorité ethnique et culturelle. De sorte que ce groupes-ci ne soient pas isolés ni marginalisés en aucun sens. Une telle duplicité des régimes juridiques constitue une condition nécessaire pour les phénomènes de pluralisme juridique.

La reconnaissance des identités autochtones, en termes collectifs s’est concrétisée en institutions de participation politique, statuts personnels, régimes d’autonomie politique et nouvelles territorialités, qui revêtent la forme des droits collectifs dont le but est de sauvegarder l’identité culturelle des peuples autochtones.

Mais aux demandes de respect et de reconnaissance des cultures autochtones se sont ajoutées d’autres revendications politiques et économiques, également considérées comme des droits collectifs. Face à des demandes de contenu si diverse, les Etats ont répondu sur des registres tout à fait différents : Les Etats ont mis en place des services administratifs, d’éducation, de santé, de police et de justice compatibles avec les cultures et les traditions des autochtones ; le système politique s’est ouvert aux partis politiques et aux représentants parlementaires issus des peuples autochtones, et le législateurs ont adopté des statuts juridiques ad hoc.

Le fait que les peuples autochtones aient conclu des traités de droit international permet déduire une sorte de reconnaissance implicite de ces nations comme sujets du droit international. Du point de vue politique et juridique, les droits collectifs des peuples autochtones ont des fondements divers et variés :

des textes constitutionnels explicites ;
la Convention N° 169 de 1989 de l’OIT ;
les traités historiques de jadis, transférés sur le plan du droit interne (la thèse de l’« internalisation »)  ;
l’autonomie résultante d’un compromis entre la souveraineté autochtone antérieure et la souveraineté actuelle des Etats multiculturels ;
le principe international du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, transposé sur le plan du droit interne ;
le droit à l’identité culturelle des peuples autochtones, dont un des éléments essentiels serait l’autonomie gouvernementale.

Les droits collectifs permettent aux peuples autochtones d’agir en tant que sujets collectifs particulièrement à l’égard des juges. Lorsque les autochtones invoquent leurs particularismes culturels et la situation minoritaire dans laquelle ils se trouvent actuellement, cela limite la portée de leurs droits collectifs à un petit nombre de citoyens situés en marge de la culture majoritaire. Reconnaître des droits collectifs aux peuples autochtones n’a pas un grand impact sur l’ordre social général ; il ne s’agit pas des droits collectifs reconnus aux consommateurs ou aux salariés, deux groupes dont le poids démographique et l’insertion au cœur de la société majoritaire peuvent signifier des gros changements.

La doctrine et la jurisprudence situent les prétentions des peuples autochtones dans la catégorie des droits collectifs puisque la reconnaissance culturelle et les prestations économiques en faveur des peuples autochtones s’adaptent grosso modo aux droits dont le titulaire est un groupe exclu ou infériorisé qui demande protection juridique. Mais le fondement et le contenu des prérogatives juridiques demandées par les peuples autochtones correspondent plus précisément aux droits culturels.

Les droits collectifs et leurs mécanismes de protection opèrent différemment selon leur contenu et leur portée. Ainsi, les droits collectifs territoriaux ne jouissent pas de la même protection que le droit collectif à l’autonomie gouvernementale, ou que les droits à la santé et à l’éducation traditionnelles, ou que les programmes sociaux mis en place par l’Administration.

Du point de vue des autochtones, le droit à l’autonomie est le principe fondamental duquel découlent tous les autres droits, selon Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF. Les Etats ne reconnaissent d’autre autonomie que l’autonomie située à l’intérieur de l’Etat, sans mettre en péril son intégrité territoriale. Un Etat peut s’engager à respecter des espaces d’autonomie à de divers niveaux : 
les principes de légitimation des autorités ;
les organes étatiques
les compétences, normatives, juridiques et administratives ;
les circonscriptions géographiques, et
les statuts personnels.

Cependant, dans tous les cas, les droits collectifs et l’autonomie reconnus aux peuples autochtones par les Etats opèrent conformément à la Constitution, la législation et les décisions des juges de l’Etat.

La reconnaissance et la protection que l’Etat accorde aux autochtones signifie que les autochtones se trouvent incorporés comme ses ressortissants, c’est-à-dire, qu’ils ont une double appartenance protégée par les ordres juridiques : au peuple autochtone et à l’Etat. L’Etat considère qu’il a la suprématie sur les peuples autochtones et que, par conséquence, en cas de conflit il décide sur le contenu et la portée de leurs droits collectifs. Dans l’ordonnancement juridique de l’Etat, cela relève à tel point de l’évidence qu’il semblerait superflu de le dire sauf parce que les autochtones ont des doutes sur la suprématie de l’Etat.

Les programmes sociaux, la redistribution de la richesse et la satisfaction des besoins personnelles de tous les citoyens accomplissent des objectifs essentiels de l’Etat de bien-être ; lequel n’exclue pas les peuples autochtones puisque cela nierait l’identité collective, les valeurs et les vecteurs de cohésion de la société majoritaire. D’ailleurs, la plupart des autochtones sont demandeurs de ces prestations et allocations qui véhiculent les valeurs de l’Etat social de droit.

Au sujet des droits collectifs, Will KYMLICKA fait une différentiation importante entre : la protection des menaces externes et la protection des contraintes internes. Les premières seraient les droits collectifs que les autochtones peuvent réclamer à l’Etat, tandis que la protection des contraintes internes justifie les pouvoirs de surveillance et d’ingérence de l’Etat sur les peuples autochtones.

Certaines mesures contraignantes, traditionnelles chez les autochtones comme la peine de mort, les violences du mari contre son épouse et les mariages décidés par les parents, ne sont pas acceptées par l’Etat de droit parce qu’elles méconnaissent des valeurs juridiques supérieures, comme le droit à la vie, l’égalité des droits des hommes et des femmes et la liberté individuelle.

L’ingérence de l’Etat de droit pour modifier le droit coutumier des peuples autochtones constitue un phénomène généralisé. Sur le fondement des valeurs constitutionnelles supérieures, l’Etat impose aux peuples autochtones de changer leurs traditions, comme ce fut le cas de la conférence constitutionnelle canadienne de 1983 lorsqu’elle a protégé les femmes autochtones des contraintes internes des tribus indiennes ; l’arrêt de la Cour Constitutionnelle colombienne qui a imposé au peuple U’wa de mener une consultation interne pour changer la tradition d’abandonner dans la forêt le deuxième des jumeaux nouveau-nés ; et la jurisprudence calédonienne des années 1990 qui a protégé les femmes Kanakes des violences domestiques de leurs maris, pères et frères.

Dans les pays qui reconnaissent la diversité culturelle, celle-ci opère comme un espace légitimant des revendications politiques et sociales ; comme un ordonnancement juridique autonome, alternatif à l’ordonnancement étatique, ou bien les deux choses en même temps. Evidemment un tel espace légitimant n’est pas exclusivement autochtone ; son contenu est autochtone mais son mode de fonctionnement est surtout étatique. La notion d’espace légitimant fournit aux juristes les critères pour attribuer la légitimité aux demandes politiques, économiques et sociales des peuples autochtones.

Actuellement la plus part des peuples autochtones demandent une autodétermination l’intérieur des Etats existants. La dualité est claire entre un volet social, auquel un Etat libéral peut reconnaître une certaine autonomie, et un volet politique, qu'il convient, à l'inverse, d’encadrer au niveau constitutionnel.

Le changement réalisé vers des Etats multiculturels n’implique point l’abandon du jour au lendemain des repères de l’Etat nation : un seuil d’homogénéité culturelle et le monisme juridique. Dans les cas étudiés on découvre que l’ordonnancement étatique s’ouvre aux particularismes des peuples autochtones sans négliger son obligation d’assurer l’identité et l’unité de la société nationale.

On est habitué à que la plupart des revendications culturelles soient formulées par les groupes minoritaires ou infériorisés pourtant rien n’empêche que les autorités s’occupent de protéger les identités et les appartenances majoritaires légitimes. La société majoritaire peut aussi exiger politiquement la protection de son identité culturelle collective, en cas de la considérer menacée. L’insistance des auteurs contemporains à revendiquer les droits collectifs des peuples autochtones, plaide implicitement et avec de plus forts motifs pour les droits collectifs des sociétés majoritaires et des nations, en ajoutant seulement la condition de reconnaître et de respecter leurs minorités.


Section IV : la territorialité des peuples autochtones.

La territorialité des peuples autochtones à l’intérieur d’un Etat social de droit admet une perspective politique et une autre juridique. Quant à la première, comme des collectivités territoriales ayant un régime juridique, une organisation administrative et des autorités particulières à de divers degrés d’autonomie ; la seconde perspective est celle des droits subjectifs, selon le régime foncier de chaque peuple autochtone. La première approche correspondrait au droit public et le second au droit privé, dans le droit continental.

Les peuples autochtones revendiquent aussi bien la reconnaissance de leurs terres comme des collectivités territoriales qu’un régime de propriété compatible avec leurs cultures. Dans ce double sens, territorialiser les indigènes suppose leur reconnaître une légitimité autre que celle de l’Etat et respecter leurs rapports à la terre, différents de ceux de la société majoritaire qui dirige l’Etat.

Les concepts juridiques concernant les terres et territoires des peuples autochtones ont beaucoup évolué à la fin du XXème siècle grâce aux apports des sciences sociales auxiliaires du droit, lesquelles ont affiné l’étude des rapports culturels avec les territoires et ont approfondi des analyses qu’antan étaient grosso modo englobées par la géographie politique et l’ethnologie. Comme résultat de cette influence, les collectivités territoriales autochtones et les régimes fonciers coutumiers ont gagné leur place dans l’ordonnancement institutionnel et juridique des Etats.

§ 1 : en Australie.

L’Australie a eu depuis le XIX siècle le souci de protéger les territoires où habitent les peuples autochtones, bien qu’inspiré par les modèles coloniaux anglais. En 1882 le gouvernement de Queensland a « réservé » les Îles Murray pour les aborigènes ; puis l’arrêt Cooper, l’arrêt Geita Sebea et l’arrêt Administrateur de Papua, en 1973, furent favorables aux peuples autochtones à la suite de diverses affaires foncières. Un pas en arrière s’est opéré lorsque l'arrêt Milirrpun a réaffirme en 1971 comme principe fondamental du régime foncier australien que la Couronne était la source des titres, ce que l’arrêt Mabo a repris, en 1992, lorsqu’il a reconnu les titres natifs.

Au niveau législatif, entre 1956 et 1976 de diverses dispositions furent adoptées pour protéger les terres des peuples autochtones. Les lois Aboriginal Land Grant (Jervis Bay Territory) Act, en 1986 et Aboriginal Land (Lake Condah and Framlingham Forest) Act en 1987 ont établi un régime particulier pour régler des problèmes fonciers dans ces régions. Finalement, la Native Title Act fut en 1993 a développé la jurisprudence Mabo en essayant de garder un équilibre entre la protection des droits fonciers des autochtones et les droits des non autochtones.

Dans la période après Mabo, l’arrêt Peuple Wik contre Etat de Queensland & Orsa a précisé que les titres natifs peuvent co-exister avec les droits de pâturage issus de la couronne ou du gouvernement, et que en cas de conflit ceux derniers prévaudraient. L’abondance d’interventions législatives et jurisprudentielles a donné comme résultat un régime foncier hybride qui insère les titres natifs inextinguibles dans le cadre juridique de la Common Law.

En Australie il n’y a pas de collectivités territoriales gouvernées par les peuples autochtones, comme au Canada. La plus grosse difficulté en Australie, en vue de la reconnaissance de l’autonomie politique et administrative des peuples autochtones sur un territoire est la configuration de la Commun Law axée sur le territoire et non pas comme un ordonnancement des peuples, le Droit anglais devient le droit d’un territoire et non pas simplement le régime personnel des colons.

§ 2 : au Canada.

Le Canada est à fond pour la diversité culturelle et ne se considère pas liée par le principe d’égalité appliqué aux droits et aux ordonnancements autochtones, comme c’est le cas de la Colombie et de la Nouvelle-Calédonie. Le Canada est favorable aux collectivités territoriales autochtones à condition que leur fonctionnement et leurs services dépendent des transferts budgétaires de l’Etat, ce qui lui donne un pouvoir de contrôle. En fait, l’Etat a créé des collectivités territoriales spécifiques pour les peuples autochtones et sa tendance est d’établir des régimes territoriaux particuliers pour chaque collectivité.

Avant 1923, lorsque le chef iroquois Deskahe a réalisé qu’il n’était plus possible de faire valoir les traités historiques, les territoires occupés par les peuples autochtones étaient pleinement organisés et gouvernés par eux-mêmes. Ce qui constitue un précédent important d’autonomie politique et territorial. La présence institutionnelle de l’Etat s’est renforcée à partir de l’internalisation des traités historiques dont la date exacte est difficile à préciser. L’internalisation s’est consommée avec la Constitution fédérale de 1982 bien qu’elle leur a accordé certaines prérogatives territoriales dont le contenu est l’objet des conventions tripartites entre un peuple autochtones, la province et l’Etat.

Dans la Common Law du Canada, des Etats Unis et de l’Australie, la jurisprudence a reconnu un « ultimate dominion », un droit radical voire la souveraineté de l’Etat limitant la portée des titres indiens. En 1973 au Canada l’arrêt Calder c. Colombie-Britannique a marqué un grand changement lorsqu’il a reconnu l’occupation antérieure des peuples autochtones comme fondement du « titre indien », un droit indépendant des dispositions législatives dont la source est « l’occupation, la possession et l’usage » historiques des territoires traditionnels » ; ce principe sera repris en 1996 dans l’arrêt Van der Peet.

La création du territoire fédéral de Nunavut a signifié la reconnaissance du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, tant demandée par les peuples autochtones, bien que soumis à la tutelle des autorités fédérales. Les seuls regrets sont la place des autochtones à la périphérie du territoire et la dépendance des transferts du budget de l’Etat.

La formule qui a rendu possible la création des collectivités locales autochtones au Canada fut la délimitation d’un territoire où la minorité autochtone devienne une majorité dans la nouvelle sous-unité territoriale. Une telle solution constitue un triomphe des autochtones et assure la cohésion de chaque peuple autochtone à l’intérieur de son territoire au risque d’empêcher l’unité générique des tous les peuples autochtones et de l’indigénisme comme un vaste rassemblement.

Certains peuples autochtones du Québec, de Yukon et de la Colombie-Britannique continuent à mettre en question la souveraineté territoriale de l’Etat et revendiquent que le titre indien sur les terres n’a jamais été expressément cédé à l’Etat canadien.

Les peuples nomades posent le problème de la continuité de l’occupation de leur territoire ; ce que le Professeur Andrée LAJOIE a réussi à résoudre en expliquant comment l'absence d’un peuple nomade pendant un certain temps sur un territoire donné n'est pas non plus une preuve de non-occupation puisque les cultures nomades se caractérisent par ce type d’absences de tous leurs territoire ; leur occupation de la terre ne peut pas être appréciée sous le mêmes paramètres de continuité temporelle utilisés pour les peuples sédentaires.

Les organisations indiennes Treaty Seven Elders, l'APN, le Interior Alliance et le B.C. Summit, ont réclamé un « titre exclusif » des premières nations sur le 100 pour cent du territoire occupé par leurs ancêtres au moment où la Couronne a affirmé sa souveraineté en 1763; ce que la Commission royale sur les peuples autochtones a refusé. En revanche, la Commission royale a lancé un appel à conclure des conventions tripartites dans un esprit de coexistence.

§ 3 : en Colombie.

En Colombie la Constitution de 1991 a établi deux formules pour répondre aux revendications territoriales des peuples et des communautés indigènes ; d’un côté la Constitution a repris du régime colonial, l’institution des resguardos qui assure la propriété collective de la terre, la cohésion de chaque peuple autochtone à l’intérieur de son territoire et les autorités traditionnelles. En même temps, la Constitution a créé les collectivités territoriales indigènes (ETI) comme des entités politiques du niveau local, que la loi organique de l’ordonnancement territorial n’a pas encore développée formellement.

La Constitution de 1991 a garanti aux entités territoriales indigènes un seuil d’autonomie, que la cour constitutionnelle explique de la façon suivante : « L’autonomie est affirmation du local, du sectoriel et du régional sans ignorer l’existence d’un ordre supérieur ». L’autonomie s’exerce selon les us et coutumes indigènes (article 330), pourvu qu’elle ne soit pas contraire à la Constitution ni à la loi, et que son exercice assure l’unité nationale. L’autonomie des autorités indigènes sur le territoire indigène et le droit de propriété collective sur les ressources naturelles existantes dans le resguardo doivent être exercée de manière responsable. Ce qui permet à la jurisprudence d’exercer un contrôle assez large sur l’autonomie des territoires indigènes et sur l’exercice du droit de propriété collective.

Les peuples indigènes ont le droit collectif d’organiser leur territorialité politique selon leurs traditions pourvu qu’elles soient compatibles avec les autres droits et libertés constitutionnelles. Cela exige que la culture, l’ordonnancement et les autorités indigènes ne s’imposent pas aux personnes non-indiennes qui habitent dans la ETI. En fait, une bonne partie des habitants non-indiens se considèrent intégrés au mouvement indigéniste, comme des métis, ou sont proches des indiens par parenté ou par choix subjectif de ce mode de vie. Evidemment, en cas de conflit, les droits fondamentaux fourniraient les critères pour régler les différends à caractère inter-culturel.

La constitution de 1991 a établi le droit des peuples indigènes à participer dans les décisions concernant leur territoire par la voie d’une consultation ; ce que l’arrêt U’was contre Ministère de l’Environnement a considéré en 1997 comme un droit fondamental pour assurer la subsistance du peuple indigène. Or comme le résultat de cette consultation n’oblige pas les autorités nationales, cela suggère que le droit fondamental à la consultation n’est qu’un droit à participer dans la décision de l’Etat en cherchant simplement à bâtir un consensus interne au peuple indigène.

Un obstacle pratique pour la mise en place des ETI est l’exigence jurisprudentielle de l’égalité des resguardos et des territoires indigènes au moment de se transformer en ETIs , établi par la Cour Constitutionnelle dans l’arrêt Resguardo Ricaurte contre Ministère de l’Intérieur ; accomplir cette exigence produirait l’apparition simultanée de plusieurs centaines de collectivités territoriales ayant toutes les prérogatives que l’article 287 de la Constitution attribue aux collectivités territoriales : autorités, administration et ressources, sans avoir des revenus propres générés par elles-mêmes.

L’exigence de l’égalité des ETI empêche la création des collectivités territoriales indigènes en forme individuelle, comme le fait le Canada par la voie des conventions tripartites. On craint que la diversité de taille démographique, d’importance économique, d’environnement naturel et d’étendu territorial des resguardos et des territoires indigènes ne pourrait pas s’exprimer par de diverses catégories d’ETI, comme les catégories existants pour les municipalités colombiennes. Tout cela conduit à un blocage politique pour la mise en place des ETI et perpétue l’existence des resguardos.

§ 4 : en Nouvelle-Calédonie.

Reconnaître dans l’ordonnancement juridique de l’Etat les variables culturelles, historiques et axiologiques propres des peuples autochtones, entraîne l’abandon de la notion de propriété privé comme la plena in re potestas pour admettre à sa place d’autres typologies des droits fonciers, des droits collectifs sur la terre et un autre type de rapports avec la terre.

L’histoire des colonisations françaises n’a pas prêté aucune à Jean-Jacques ROUSSEAU lorsqu’il s’insurge contre la considération des terres habitées par les sauvages comme terra nullius susceptibles d’être appropriées impunément. Rousseau est encore invoqué par les partisans des peuples autochtones dans leur revendication des terres ancestrales ; il exigeait trois conditions pour autoriser sur un terrain quelconque le droit du premier occupant : Premièrement qu’il ne soit encore habité par personne. Deuxièmement qu’on n’en occupe que la quantité dont on a besoin pour sa subsistance. En troisième lieu qu’on en prenne possession non par une vaine cérémonie mais par le travail et la culture, seul signe de propriété qui doive être respecté. Le respect que ROUSSEAU avait pour les terres des peuples autochtones n’était pas partagé ni par les autorités coloniales ni par les colons arrivés aux nouvelles terres pour faire fortune et non pas pour se borner à gagner leur subsistance.

§ 5 : l’ONU.

Aujourd’hui, la notion de terra nullius est en déclin en droit international. La jurisprudence et la doctrine du droit international sont réceptives aux droits des peuples autochtones et contraires aux notions et aux catégories juridiques que jadis ont servi pour instaurer des régimes juridiques coloniales.

La Cour Internationale de Justice dans son avis consultatif de 1975 sur le Sahara occidental a estimé que :

“Quelles qui aient pu être les divergences d’opinion entre les juristes, il ressort de la pratique étatique de la période considérée (la seconde moitié du XIXème siècle) que les territoires habités par des tribus ou des peuples ayant une organisation sociale et politique n’étaient pas considérés comme terra nullius. On estimait plutôt en général que la souveraineté à leur égard ne pouvait s’acquérir unilatéralement par l’occupation de la terra nullius en tant que titre originaire, mais au moyen d’accords conclus avec des chef locaux… on voyait dans ces accords avec les chefs locaux, interprétés ou non comme opérant une cession effective du territoire, un mode d’acquisition dérivé et non pas des titres originaires acquis par l’occupation d’une terra nullius »

La convention N° 169 de l’OIT encourage la territorialisation des peuples autochtones, en recommandant aux Etats de respecter l'importance spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des peuples autochtones la relation qu'ils entretiennent avec les terres ou territoires, qu'ils occupent d'une manière collective.

Les droits de propriété et de possession sur les terres qu'ils occupent traditionnellement doivent être reconnus aux peuples autochtones. En outre, des mesures doivent être prises pour sauvegarder le droit des peuples intéressés d'utiliser les terres auxquelles ils ont traditionnellement accès pour leurs activités traditionnelles et de subsistance. Une attention particulière doit être portée à cet égard à la situation des peuples nomades et des agriculteurs itinérants. Les modes de transmission des droits sur la terre doivent être respectés.

Les Etats doivent établir des procédures pour consulter les peuples autochtones au sujet de l'exploitation des ressources de leurs terres. Les peuples autochtones doivent recevoir une indemnisation équitable. Les peuples autochtones doivent être également consultés lorsqu'on examine leur capacité d'aliéner leurs terres ou de transmettre d'une autre manière leurs droits sur ces terres en dehors de leur communauté.

La convention N° 169 de 1989 de l’OIT permet aux peuples autochtones du début du XXI siècle d’agir sur le registre du local sans négliger leur présence dans des organismes internationaux comme l’OIT, l’ONU et l'OEA; et dans les organismes financiers comme la Banque Interaméricaine de Développement.

§ 6 : les conséquences sur la théorie.

Un trait qui caractérise les peuples autochtones est leur situation à la périphérie de la société majoritaire et du territoire des Etats. Cette circonstance diminue l’influence des institutions autochtones dans l’ensemble des institutions politiques, et en même temps contribue à expliquer la tolérance des autorités à l’égard des disfonctionnements juridiques produits par le droit coutumier.

La question des terres, des territoires et de ressources naturelles constitue un enjeu majeur des revendication autochtones, qui ne relève pas simplement des intérêts économiques car les peuples autochtones défendent toute une conception spécifique de la terre, de leurs rapports avec elle et de l’environnement en général. Pour les autochtones, la notion de territoire inclue les terres l’environnement global, y compris sa gouvernance ; ce que certains Etats commencent, à peine, à reconnaître.

Territorialiser une culture ou un peuple indigène implique le fixer à l’intérieur des bornes géographiques et établir des frontières sociales pour leur permettre de garder un seuil identitaire. La relation entre les peuples autochtones et l’Etat ne se borne pas aux aspects territoriaux ou géographico-institutionnels.

Les collectivités territoriales autochtones ont les même buts que ceux de l’ordonnancement coutumier à l’intérieur de l’Etat : d’une part, sauvegarder l’identité culturelle des peuples autochtones et, d’autre part, assurer leur insertion dans l’ensemble étatique. Un troisième objectif serait le fait d’assurer une discrète visibilité internationale.

Pour l’instant, le reconnaissance internationale des peuples autochtones est assez limitée et il ne semble pas réalisable que, dans un court terme, les peuples autochtones acquièrent une personnalité juridique internationale au même niveau que les Etats. Bien que certains peuples autochtones remplissent déjà les conditions requises pour devenir des Etats ; comme avoir un peuple, un territoire, des autorités propres et une sorte de présence internationale.

Dans la pratique internationale de nos jours de nouvelles conditions sont exigées pour obtenir une reconnaissance juridique en tant qu’Etat, à savoir : le contrôle d’une population par les services sociaux ; la maîtrise militaire d’un territoire ; un système judiciaire et de protection des droits de l’homme ; la protection de l’environnement ; les ressources financiers suffisantes pour honorer ses obligations internationales, pour assurer un niveau d’équipement et d’infrastructure, et un acte explicite (complexe) de reconnaissance par la communauté internationale de chaque nouvel Etat.

Les aspects non territoriaux sont également importants pour protéger les peuples autochtones ; cela suppose reconnaître leurs autorités, leur ordonnancement juridique, leur éducation traditionnelle, leur propres mythes politiques, leur légitimité autre que celle de l’Etat, leur appareil de propagande sociale, etc. tout cela à côté de la société majoritaire. Dès la perspective étatique, il s’agirait de dédoubler l’Etat pour construire un ordre social en parallèle, en même temps différent et ressemblant à l’Etat.

Une façon radicale d’affirmer l’autonomie des peuples autochtones serait proclamer l’autonomie de leurs territoires. Une autre façon, consisterait à établir des divers degrés d’autonomie aux peuples autochtones à l’intérieur de l’Etat.

La création des collectivités territoriales autochtones ou indigènes peut être considérée comme un outil de captation des peuples autochtones à l’intérieur de l’Etat. Il s’agirait de collectivités territoriales gérées par les autorités traditionnelles des peuples autochtones et exemptées du régime de droit commun. Le degré de cette différentiation peut varier entre un maximum d’autonomie pour les peuples autochtones isolés de la société majoritaire, et des types d’autonomie simplement symbolique où les autorités étatiques exercent sur le peuple autochtone un contrôle médiatisé par leurs autorités traditionnelles, une sorte d’indirect rule étatique.

Si un peuple autochtone perds pour longtemps le contrôle de son territoire, c’est toute la structure du pouvoir et l’ordonnancement juridique qui ont pris fin ; puis de grands efforts seront nécessaires pour les reconstruire, en déplaçant les formes d’organisation ayant pris le relais. Le retour à l’ordre traditionnel, en abandonnant le nouvel ordre social mis en place, est toujours coûteux et difficile.

D’après Andrée LAJOIE le rapport des peuples autochtones à la mère-terre n’est plus traditionnel mais métaphorique. Ce qui ouvre des horizons vers le développement économique des collectivités autochtones. Une telle version contemporaine de la terre nourricière éloignerait les peuples autochtones du paradigme primitif pour s’assimiler aux sociétés économiquement développées, tout en gardant un seuil de diversité culturelle.

La confusion que certains auteurs font entre la territorialité politique, qui relève du droit public, et le régime de propriété collective de la terre constitue un gros obstacle pour la mise en place des collectivités territoriales autochtones, dans les circonstances actuelles de multiculturalisme. 

Les territoires autochtones existants au Canada et en Colombie (les resguardos) admettent, de fait, la propriété privée, d’autres types de droits réels, des figures associatives, la propriété publique, des affectations à une exploitation, des régimes simultanés de parcs nationaux, etc. sur les espaces géographiques contrôlés par les autorités des peuples autochtones. Prétendre une coïncidence exacte entre les territoires autochtones et leurs régimes ancestraux de propriété collective est devenu irréalisable aujourd’hui.

Les colons qui occupent les territoires autochtones ne sont pas toujours des riches propriétaires fonciers ni les représentants de la société majoritaire envoyés soumettre les peuples autochtones. De fois, les colons correspondent à cet archétype mais d’autres fois, les colons sont des métis, des gens apparentés aux familles autochtones ou des paysans qui partagent les conditions matérielles de vie et les revendications sociales des autochtones. Cette proximité culturelle rend facile que les colons s’identifient avec les territorialités autochtones ou qu’ils adoptent des stratégies ambiguës, selon les circonstances, pour demander à l’Etat l’application du droit commun ou pour se réclamer du régime autochtone.

La proximité des colons et des autochtones est un fait tandis que leur soutien à l’ordonnancement juridique autochtone ou à l’ordre juridique de l’Etat dépend des choix subjectifs et des circonstances de chaque enjeu. En tout cas, il est certain qu’il est presque impossible d’atteindre la parfaite coïncidence entre un groupe ethnique et son territoire ; il y aura toujours des « étrangers », susceptibles de exclusions et de discriminations, du fait de la vision d’une coïncidence entre ethnie et territoire. Sur ce sujet problématique de la présence de non-autochtones dans les territoires autochtones, l’article 31 du projet de Déclaration des droits des peuples autochtones propose que les prérogatives gouvernementales des autochtones s’étendent à “ l’accès de non-membres à leur territoire ”, ce qui peut tourner en début de nettoyage ethnique.

Dans un Etat multiculturel, l’accent doit être mis sur l’harmonieuse coexistence des groupes divers et pour éviter les dérives, il faut mettre en place des dispositifs de surveillance du respect des droits de l’homme et des libertés des non autochtones dans les collectivités territoriales ethniques.






















































Chapitre IX

LES DANGERS DU PLURALISME JURIDIQUE



Section I : la captation juridique et politique.

Le multiculturalisme et le pluralisme juridique prônés par les peuples autochtones montrent que l’ordre juridique des Etats qui les reconnaissent a suffisamment de souplesse pour incorporer d’autres cultures et des discours sociaux novateurs pourvu qu’ils soient légitimes et compatibles avec les valeurs et principes de l’Etat de droit. C’est le cas des cultures autochtones du début du XXIème siècle, soutenues par les sciences sociales et par des mouvements sociaux.

Un tel processus commence par des concessions pragmatiques isolées, parfois octroyées, sous la pression des circonstances qui conduisent à faire des hybridations conceptuelles sans pour autant nier le noyau du droit moniste en vigueur. En principe la théorie du droit ne s’attarde pas à réfléchir sur des phénomènes si curieux. Mais après une période de tensions et de maturation jurisprudentielle, les choses peuvent aller au niveau de la théorie du droit, qui finit par basculer sous l’influence de la praxis politique et des sciences sociales. Les avatars subis par les notions-clé de la théorie constitutionnelle montrent ainsi que le droit incorpore les innovations.

Les peuples autochtones ne sont pas les seuls destinataires des stratégies de captation déployés par l’ordre juridique de l’Etat, celui-ci tente de garder sa suprématie à l’égard de tout autre groupe comme les immigrants, les religions, les organisations économiques, les entreprises multinationales et les groupes de chercheurs spécialisés, de telle sorte que le pouvoir politique et l’ordre juridique captent puis obtiennent la maîtrise de certains aspects propres à chacun de ces groupes.

Comme conditions préalables, on exige des ordonnancements juridiques autochtones qu’ils accomplissent, au moins un certain seuil de légitimité, de compatibilité juridique et de conformité avec l’ordre public de l’Etat. En théorie ce niveau d’exigence peut conduire à deux extrêmes et à une vaste gamme de positions intermédiaires entre une véritable autonomie des peuples autochtones et l’absorption de leurs ordonnancements dans l’ordre juridique de l’Etat.

Dans ce panorama complexe, où situer le pluralisme juridique ? - D’abord, sur le registre de la pratique juridique. Il s’agit précisément des phénomènes et des outils juridiques mis à la disposition de l’individu situé dans un croisement ponctuel des divers ordonnancements. D’après la définition récente de Jacques VANDERLINDEN : le pluralisme juridique est la situation dans laquelle un individu peut, dans une situation identique, se voir appliquer des mécanismes juridiques relevant d’ordres juridiques différents.

Or comment opère la captation des ordonnancements juridiques autochtones par l’Etat ? Premièrement, dans les Etats multiculturels, les ordonnancements autochtones ne sont plus perçus comme des sous-ordonnancements à caractère coutumier et, par conséquent, voués à disparaître par une évolution vers le droit écrit, rationnel et démocratique. Autrement dit, ils ne sont plus ni isolés ni infériorisés. Deuxièmement, les ordonnancements juridiques autochtones obtiennent la reconnaissance de l’Etat pour réguler les peuples autochtones, collectivement et individuellement, au nom de l’Etat et au nom des peuples autochtones eux-mêmes.

Troisièmement, les ordonnancements autochtones atteignent un niveau d’égalité formelle avec l’ordre juridique de l’Etat où tous les deux interagissent et s’interfèrent. Quatrième élément, les interactions et interférences génèrent un cadre juridique multiculturel et inter-culturel qui est, en principe, supérieur aux autochtones et à l’Etat. Il s’agit d’une sorte d’ordonnancement nucléaire à caractère inter-culturel qui est appliqué par des instances judiciaires interculturelles, chargées de rendre compatibles, au cas par cas, l’ordre juridique de l’Etat et les ordonnancements autochtones.

Finalement, lorsqu’une situation concrète de pluralisme juridique est intégrée dans l’ordre juridique de l’Etat, celui-ci ne se ferme pas. Les divers ordonnancements en concurrence continueront d’exister et le pluralisme juridique aura la tâche d’assurer l’ouverture permanente des ordonnancements juridiques afin d’incorporer de nouveaux éléments.

Dans certaines matières, la Constitution ou le législateur étatique peuvent reconnaître aux peuples autochtones un statut d’autonomie ou bien adopter une normativité spéciale pour eux à l’intérieur de l’Etat. Ces deux formules, l’autonomie et normativité spéciale, peuvent donner lieu à des tensions qui ressemblent au pluralisme juridique à l’intérieur de l’ordre juridique de l’Etat.

Si d’une part, les Etats sociaux de droit reconnaissent les peuples autochtones, ceux-ci se trouvent obligés, en contrepartie, de ne pas ignorer l’existence de l’Etat, la Constitution, les lois et les juges étatiques. Les démarches juridiques, administratives et parlementaires que les peuples autochtones doivent entamer produisent des transformations dans les deux camps, d’un côté, ces démarches assurent la prise en compte par l’Etat des spécificités des peuples autochtones et, de l’autre, un tel enchevêtrement des deux sociétés produit l’apprentissage par les peuples autochtones de la complexité de l’Etat à l’intérieur duquel ceux-ci se situent.

Les Etats mettent en place les pluralismes juridiques pour retarder la captation politique et juridique des peuples autochtones. Comme toute stratégie, le pluralisme juridique est plein d’ambiguïtés et de malentendus. Les autochtones gardent leur identité et leur statut coutumier. Ils acceptent d’entrer dans l’enjeu d’un pluralisme juridique parce qu’ils perçoivent qu’ils gardent un espace d’autonomie, individuelle et collective, et qu’ils peuvent y obtenir des prérogatives supplémentaires comme la protection de l’Etat et la possibilité de disposer, à leur choix, des éléments du statut de droit commun.

Si l’on observe la pratique juridique des quatre États étudiés, la portée du pluralisme juridique serait assez restreinte. Il semblerait que le pluralisme juridique ne se produise que dans la situation où l’ordonnancement unitaire de l’État se trouve en situation d’égalité avec un autre ordonnancement légitimement applicable ; lorsque la décision est prise, il n’y aurait plus d’incompatibilité et l’unité juridique serait plus ou moins rétablie. Le pluralisme existerait entre deux ordonnancements juridiques unitaires, dès lors qu’ils généreraient des interférences entre l’un et l’autre.

On doit signaler que l’égalité entre les deux ordonnancements est relative à la situation précise, très circonscrite aux limites d’un cas singulier où les conditions subjectives et objectives du droit produisent cette égalité. L’individu autochtone étant à la fois autochtone et citoyen peut se voir appliquer l’un ou l’autre des statuts ; l’autorité judiciaire prend en compte les effets de choisir l’un ou l’autre des statuts et les conséquences prévisibles dans l’entourage du justiciable (ou demandeur de justice). Ce qui compte c’est l’analyse singulière faite par l’autorité de la situation à régler juridiquement. Ainsi, une des conditions à remplir est que les disfonctionnements produits sur l’ordonnancement négligé ne soient pas trop graves, par exemple, parce que le cas à décider se trouve dans la périphérie de la société.

Une telle approche « situationnelle » circonscrit le pluralisme juridique aux dynamiques, éphémères ou durables des ordonnancements qui se croisent et s’interfèrent.

Spéculer sur l’égalité des ordonnancements concourant sur une situation comme s’il s’agissait d’une égalité absolue et permanente, dénaturaliserait l’approche pragmatique et la singularité propre des phénomènes de pluralisme juridique. Aborder l’analyse du pluralisme juridique en dehors de son cadre pragmatique et restreint, porterait atteinte à sa définition propre et sa validité. Cela ne serait pas du droit objectif et prescriptif mais une autre chose, comme : une théorie du pluralisme juridique, un discours idéologique en faveur ou contre le pluralisme juridique, ou une rhétorique destinée à inférioriser l’adversaire.

L’égalité démocratique et juridique se situe au centre des processus de captation des peuples autochtones par l’Etat, en leur assurant au moins le même statut juridique et les mêmes avantages économiques qu’aux citoyens de la société majoritaire ; de tel sorte que le statut coutumier constitue un avantage. Dans chaque pays, le processus de captation suit un parcours particulier qui restera inachevé.  

Les phénomènes de pluralisme juridique assurent la complémentarité des deux fonctions de l’ordre juridique : protéger le statu quo et assimiler les nouvelles transformations sociales. De la sorte, le droit garantit un seuil de stabilité indispensable et reste réceptif aux innovations. Ce qui peut arriver aussi bien dans l’ordre juridique étatique que dans les ordonnancements autochtones ; tous les deux ont leur statu quo à garantir et le besoin de demeurer réceptifs aux influences venant d’autres systèmes juridiques ou tout simplement des phénomènes juridiques éphémères.

En Colombie, l’extension aux peuples autochtones des droits fondamentaux est un élément d"ouverture" de l’ordre juridique étatique qui, en fait, devient un outil de captation juridique. Puis le quota de représentation parlementaire, la participation dans les conseils d’administration des corporations publiques responsables de la gestion environnementale, les juridictions indigènes, etc. constituent autant d’instruments de participation politique citoyenne offerts aux indigènes, que des outil de captation politique.

Au Canada, la reconnaissance des peuples autochtones et de leurs droits au niveau de la Constitution canadienne fait supposer qu’ils sont définitivement à l’abri des politiques d’assimilation et d’intégration. On a soulevé la méfiance à l’égard des programmes et mesures mises en place par l’Etat canadien pour favoriser les peuples autochtones. James TULLY s’interroge si derrière une belle façade d’inclusion sociale, ne se trouverait pas une tentative pour encourager les autochtones à renier leur identité culturelle ? Certes, un des effets possibles des programmes de discrimination positive est la captation juridique des peuples autochtones par l’Etat social de droit ; mais être conscient de cette possibilité permet aussi d’éviter ses effets indésirables.

Le souci de James TULLY ne constitue pas une fatalité juridique ; il se situe sur le plan politique. Le refus de la citoyenneté peut exprimer un rejet profond de l’Etat social de Droit. D’autres fois, ce refus ne semble pas une conviction sérieuse mais un outil rhétorique.

Lorsque l’ordre juridique d’un Etat garantit des mesures d’inclusion sociale en faveur des autochtones, il n’établit aucune condition juridique pour renier l’identité culturelle ; le droit peut rester neutre culturellement, même indifférent pourtant ce n’est pas le cas. James TULLY a raison parce que le droit n’opère jamais dans le vide social, l’indifférence et la neutralité. Cependant il n’y a pas non plus de déterminisme dans les tentatives de l’Etat pour assimiler les peuples autochtones ; la preuve en est l’existence jusqu’à présent des peuples autochtones. L’Etat colonial du XVIIIème siècle puis les Etats indépendants ont œuvré explicitement pour capter et assimiler les autochtones et ils ne l’ont réussi qu’en partie. L’évidence impose qu’il y a de la captation des peuples autochtones et que malgré ces tentatives leurs différences culturelles perdurent ; c’est un débat qui reste ouvert en permanence : on pourra toujours dire qu’un verre d’eau à moitié plein est également un verre d’eau à moitié vide.

Une partie des peuples autochtones demandent eux-mêmes de mettre fin à l’exclusion des autochtones. La convention N°169 de 1989 de l’OIT lorsqu’elle énonce les droits sociaux comme des obligations des Etats à l’égard des peuples autochtones, simultanément reconnaît des droits collectifs à contenu politique. Les mesures de discrimination positive à caractère social ou économique ne suffissent pas pour favoriser les peuples autochtones, dont les objectifs s’étendent sur le plan politique vers la reconnaissance de leurs institutions sociales et politiques ancestrales ainsi que vers la mise en place d’un for judiciaire, d’autonomies administratives, des compétences législatives et des droits collectifs à caractère institutionnel.

Les deux types de revendications (culturelles et sociales) obéissent à des logiques différentes, que la convention N° 169 de l’OIT exprime en disant que les peuples autochtones demandent la reconnaissance de leurs différences culturelles dans l’égalité des droits. Ce qui exige d’abandonner la perspective d’infériorité culturelle et juridique des autochtones.

Or la revendication des droits des peuples autochtones ne se fait pas dans le vide politique. Demander le respect et la reconnaissance des cultures autochtones implique entamer un dialogue avec une autre culture de référence, souvent sur un ton revendicatif voire, contestataire mais qui lance une dynamique de transformations aussi bien à l’intérieur de chaque culture que dans l’espace interculturel

Les Etats qui reconnaissent la diversité culturelle des peuples autochtones situent leur ordre juridique sur un registre identitaire dont le but est de protéger la formation des identités culturelles (majoritaires et minoritaires). Ils affichent formellement la neutralité culturelle et l’indifférence culturelle de leur législation ; ce qui dans la réalité a des limites. Dans les quatre pays étudiés, les peuples autochtones sont des communautés « bivalentes » qui revendiquent des prestations et des services sociaux, en même temps que leur reconnaissance culturelle et politique.

Ce qui explique pourquoi ils mélangent leurs objectifs politiques, d’autonomie politique et administrative, la reconnaissance de leur droit coutumier et des juridictions propres, avec des réclamations sociales, comme des mesures pour lutter contre la malnutrition et contre l’exclusion sociale adaptées aux particularismes des cultures autochtones, pour répondre à cette double liste de revendications, les Etats reconnaissent les autorités traditionnelles et le droit coutumier et mettent en place des programmes d’ethno-santé, d’ethno-éducation et ainsi de suite, pour ce qui concerne les droits sociaux. L’hybridation est la règle, aussi bien pour les institutions politiques et juridiques que pour les structures administratives chargées d’assurer les services sociaux aux autochtones.

Les peuples autochtones veulent des institutions politiques et des ordonnancements juridiques équivalents et ressemblants à ceux de la société majoritaire. C’est-à-dire, des institutions et des ordonnancements égalitaires, comme ceux de la société majoritaire. Ce qui revient, à la fin, à demander un mode d’intégration plus juste, du fait de respecter leurs particularismes culturels, aussi bien à l’intérieur des peuples autochtones que dans les rapports juridiques extérieures à eux.

Michael WALZER propose que le régime libéral des différentes cultures devrait être celui des religions, à chacun sa liberté pour pratiquer l’une ou l’autre religion. De la même façon que le libéralisme exclut l’existence d’une religion officielle, il ne devrait pas y avoir des cultures officielles jouissant d’un statut préférentiel. Pourtant la formule de la neutralité ethno-culturelle de l’Etat est fausse, aussi bien du point de vue historique que conceptuellement. L’Etat libéral assure une liberté culturelle, comme l’énonce le rapport de l’ONU 2004 sur «  La liberté culturelle dans un monde diversifié ».

Mais un statut de liberté culturelle n’est pas satisfaisant pour les peuples autochtones qui revendiquent leur participation de plein droit dans la modernité. On passe du libéralisme homogène au libéralisme hétérogène pour accompagner le mouvement généralisé de quête identitaire. Ce qui transforme en profondeur les ordonnancements juridiques jusqu’au point de devenir un droit identitaire, en même temps, libéral et autochtone. Ce qui ne serait plus du libéralisme pur et que l’on devrait appeler libéralisme post-moderne.

Dans les Etats multiculturels du début du XXIème siècle, réclamer des statuts juridiques spécifiques ne gêne pas l’égalité citoyenne ; bien au contraire, la multiplicité des statuts correspondant aux diverses cultures permets l’affirmation de l’identité individuelle et des appartenances multiples de l’homme contemporain. Dans cette mouvance généralisée, l’exception culturelle française d’affirmer son unité indivisible et sa langue nationale, semble démodé voire un particularisme identitaire de plus.

Pourquoi les peuples autochtones qui partagent déjà les principes libéraux basiques demandent d’autres droits en tant que minorités ? Pour quoi ne sont-ils pas satisfaits avec les droits citoyens classiques? Les revendications juridiques de type identitaire occupent une place de premier rang chez nos contemporains qui exigent une reconnaissance de leurs différences, non pas à la place de leur liberté individuelle mais parce que la reconnaissance de l’identité est une condition préalable pour l’usage de la liberté. L’accent n’est plus mis sur l’exaltation de la liberté individuelle et abstraite mais sur les identités socialement construites et remplies d’un contenu culturel concret. Ainsi, le droit identitaire se rend compatible avec les valeurs politiques du libéralisme. Un tel libéralisme qui reconnaît les identités culturelles comme ses préalables, n’est plus le libéralisme individualiste et abstrait des modernes.

Will KYMLICKA affirme que des Etats multiculturels contemporains, comme c’est le cas en Canada, Suisse, Belgique et l’Espagne, ont comme objectif de construire plusieurs cultures sociétaires libérales en vue d’objectifs libéraux comme la justice social, la démocratisation, l’égalité des chances et le développement économique. En tout cas, la promotion d’une culture sociétaire commune est essentielle pour l’égalité sociale ainsi que pour la cohésion politique des Etats. Les pays qui ont des peuples autochtones ont fait le choix de construire plusieurs identités nationales alternatives avec des matériaux ancestraux.

Or, l’égalité sociale n’est plus la même lorsqu’il s’agit d’une société mono-culturelle ou d’une société où cohabitent plusieurs cultures. La permanence des peuples autochtones et de leurs cultures modifie le caractère transitoire des mesures de discrimination positive, adoptées pour promouvoir l’égalité et le développement humain des personnes exclues appartenant à la culture majoritaire ; dans le cas des autochtones, les Etats sociaux de droit doivent assurer la permanence des mesures puisqu’il s’agit d’assurer la pérennité des peuples autochtones. Une pérennité qui peut durer quelques siècles (malgré leur allusion au temps mythique).

Si les Etats n’adaptent pas les mesures de discrimination positive aux particularismes culturels, en corrigeant leur finalité homogénéisant, et s’ils négligent la permanence de ces mesures, leur effet risquerait d’être l’extinction des peuples et des cultures autochtones. Cela heurte les valeurs des sociétés majoritaires qui ne sont plus homogènes, comme le voulaient les théoriciens libéraux ou communistes. Au début du XXIème siècle les sociétés majoritaires adhérent à la diversité culturelle et juridique comme une expression de la liberté de choix, sans tomber forcément dans les communautarismes.

Les notions d’égalité politique et juridique dans les sociétés multiculturelles exigent des nuances importantes. Certains défenseurs du pluralisme juridique situent stratégiquement les ordonnancements juridiques des peuples autochtones sur un plan d’égalité avec l’ordonnancement étatique ; ce qui est d’ailleurs une des interprétations possibles de la convention N° 169 de l’OIT et des normes constitutionnels concernant le pluralisme dans les constitutions canadienne et colombienne.

Les penseurs politiques comme Boaventura de SOUSA SANTOS qui perçoivent l’Etat comme une domination souhaitent abolir la primauté de l’ordre juridique étatique dans le monde contemporain en profitant de l’égalité récemment acquise par les cultures autochtones jadis infériorisées. Pour commencer, le droit est subordonné à la culture, laquelle assume le rôle auparavant réservé à la philosophie. Ensuite, les peuples autochtones sont montrés par la littérature militante comme l’icône des opprimés et des résistants invincibles, et troisièmement le pluralisme juridique est invoqué comme un outil précieux pour créer des foyers de droit extra-étatiques dans le but de transformer ou de déconstruire les Etats, que l’on perçoit dominateurs et oppresseurs par principe.

Cependant les situations réelles de pluralisme juridique retardent et, en même temps, aident à incorporer à l’ordre étatique les transformations sociales sans pour autant porter atteinte contre la stabilité des états. La réponse des Etats sociaux de droit a été l’ouverture institutionnelle permettant un dédoublement des autorités publiques et la mise en place d’une duplicité de régimes dans le but d’une captation politique et juridique qui ne s’accompli jamais d’une manière immédiate. Les autorités autochtones sont reconnues comme des autorités légitimes ; pareil pour les ordonnancements juridiques autochtones et leurs juridictions coutumières ; l’autonomie politique et les territorialités autochtones sont placés à l’intérieur des Etats sous des modalités diverses et variées.

Le pluralisme juridique s’est avéré un outil efficace pour l’ouverture des ordonnancements juridiques fermés. Mais il peut servir n’importe quelle idéologie ou système de valeurs qui prétende faire basculer un ordre social établi. Le pluralisme juridique, selon l’approche situationnelle, établirait une duplicité, une réversibilité et parfois l’interchangeabilité des statuts juridiques. Il rendrait aux ordonnancements juridiques la souplesse et l’ambiguïté nécessaires pour gérer en douceur les basculements culturels et les glissements identitaires, uniquement au cas par cas, lorsque les juges acceptent d’échapper aux contraintes des status quo, soit étatique soit autochtone, en s’ouvrant aux changements. Comme quoi, le pluralisme juridique sert –dans les deux sens- à adapter le droit aux réalités sociales que les structures formelles des ordonnancements étatique ou autochtones n’arrivent pas à gérer.

Le pluralisme juridique fondé sur la diversité culturelle s’appuie sur une sorte d’empathie entre les cultures qui appréhendent positivement les systèmes de représentations de l’autre. Or, reconnaître la diversité culturelle entraîne un retour auto-critique, sur son propre système de représentations et de croyances collectives et une volonté réciproque, explicite ou implicite, de capter certains éléments avantageux de l’autre culture. Ainsi, la culture majoritaire au contact des valeurs autochtones renforce son attachement à l’authenticité et au respect de la nature ; les autochtones, pour leur part, apprécient chez la société majoritaire son niveau de richesse, le développement technique et le confort, ou tout au moins ils ne les rejettent pas.

Autrement dit, la diversité culturelle réclamée par les peuples autochtones, une fois reconnue, instaure un régime multiculturel qui a son propre caractère, pluriel et inter-culturel. Il ne s’agit pas d’appliquer l’ordonnancement autochtone aux non-autochtones ; ni d’imposer l’ordonnancement du groupe majoritaire aux minorités culturelles. La reconnaissance des diverses cultures dépasse les présupposés monistes et trompeurs d’immobilité culturelle, que chacune des cultures s’attribue. Le droit identitaire revendiqué par les peuples autochtones se situe dans un nouveau cadre multiculturel et d’hybridation juridique.

Un autre effet possible de la reconnaissance par les Etat de l’autonomie interne des peuples autochtones est leur insertion dans le cadre politique d’institutions comme les parlements, les scrutins démocratiques, les participations dans le budget de l’Etat et l’articulation des autorités traditionnelles dans l’ensemble étatique.

Auprès des instances internationales, les collectifs des peuples autochtones et les ONG représentent les peuples autochtones, à côté des Etats. Dans les dernières décennies il y a eu une organisation modérée du mouvement des peuples autochtones.

L’ambiguïté est continue entre les peuples autochtones et les Etats où ils habitent, et donne à tous les deux l’impression de vaincre l’adversaire. Ainsi, lorsque l’on adopte un statut constitutionnel pour protéger les peuples autochtones, ce statut les incorpore à l’Etat. En leur accordant des espaces d’autonomie interne, l’Etat fait citoyens tous les autochtones et les soumet à ses juridictions et ses lois, au moins partiellement. D’autre part, ils sont insérés dans l’Etat de Droit devenu pluraliste et multiculturel ; ce qui constitue un triomphe remarquable des autochtones sur l’Etat culturellement homogène. Ces transformations, par assouplissements et renforcements successifs trompent les acteurs qui regardent satisfaits la perte de puissance de leur adversaire, la prépondérance acquise ou renforcée par les propres intérêts et l’éclipse de certains éléments de l’ancien ordre juridique lorsqu’une nouvelle synthèse est mise au monde.

Il semblerait que pour transformer le Droit moniste en pluraliste, l’action d’un mouvement politique -de masses ou d’élites- serait incontournable pour dépasser l’inertie de la jurisprudence et les réflexes conservateurs des législateurs.

Bien entendu, un Etat démocratique veut compter les autochtones parmi ses citoyens et à cette fin il met légitimement en place des stratégies de captation politique et juridique. A leur tour, les peuples autochtones réagissent en adoptant des stratégies de résistance ou bien en tirant profit des mesures de captation proposées par l’Etat. Ce processus a lieu parfois selon une logique de dialogue et de consensus, d’autres fois par l’imposition de la légitimité démocratique des Etats et des valeurs des sociétés modernes. « Les casinos indiens de Californie » montrent comment la simple attitude de captation économique peut suffire dans un pays comme les Etats-Unis.


Section II : les risques de dérive.

Le régime des peuples autochtones dans un Etat social de droit doit se prémunir contre l’imposition forcée d’un ordonnancement juridique aux personnes d’une autre culture ; contre les autoritarismes légitimés par la tradition ethnique ; contre la fermeture identitaire suite aux discours essentialistes manquant de retour critique sur eux-mêmes ; contre les militantismes aveuglés ; contre les zones de non-droit où les autorités ne maîtrisent pas les organisations criminelles ; contre le sous-développement institutionnel des équipes judiciaires et policiers d’une culture ; contre la corruption et les abus de pouvoir des juridictions ; et contre les inefficacités administratives des services sociaux par rapport à la qualité des services assurés dans l’autre culture.

De telles dérives méritent une notation négative, par rapport évidemment à un système de valeurs. Il s’agit de dérives que l’on trouve dans les Etats de droit et qui peuvent se produire dans les régimes autochtones.

§1 : les dérives possibles.

On pourrait tenter, sur le plan rhétorique, des justifications frôlant l’euphémisme et le cynisme : Il n’y aurait pas d’autoritarismes à l’égard des femmes, sinon un exercice légitime de l’autorité traditionnelle ; point de fermeture identitaire, ce sont des cultures en parfaite harmonie sociale ; les zones de non-droit peuvent être envisagées comme des régions ayant un statut d’autonomie ; les inefficacités administratives sont l’expression d’une autre culture administrative. De tels raisonnements montrent une perte de contact avec les critères axiologiques et pragmatiques qui gouvernent les sociétés.

Le passage du monisme étatique fondé sur l’égalité des citoyens au pluralisme juridique des peuples autochtones, qui tient compte de la diversité culturelle, n’est pas simple. L’un des dangers sont les idées pures poussées à l’extrême de l’abstraction, si cela arrive en manquant des ajustements conceptuels nécessaires au niveau de la théorie du droit. Le risque d’une dérive devient réel lorsque les idées pures inspirent un exercice du pouvoir qui méconnaît les valeurs juridiques ou les limites concrètes des identités culturelles.

Ce fut le cas de l’exercice autoritaire du pouvoir sur des fondements ethniques en Europe. Dans les années 1950, l’ethnocentrisme et par extension l’ethnicité étaient associés à la théorie de la personnalité autoritaire élaborée par Théodore ADORNO, FRENKEL-BRUNSWICK, LEVINSON et SANFORD qui cherchaient à élucider les fondements psychologiques de l’idéologie fasciste. Les expériences d’homogénéisation ethnique et d’auto-habilitation d’un Etat pour protéger les droits des minorités nationales au-delà de ses frontières furent trop amères.

Un deuxième danger serait les discours essentialistes sur des éléments qui ne sont pas essentiels dans le respect de la diversité, ce qui peut produire comme conséquence :
la méconnaissance de la diversité interne aux peuples autochtones, et la négation des droits des personnes autochtones ou non autochtones ;
le manque de bon sens et de sens pratique, tout simplement. Par exemple, pour affirmer le pouvoir d’un chef guerrier ou religieux fondé sur de mythes politiques non validés par l’ensemble du peuple autochtone.

Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF insiste sur le besoin des discours essentialistes, dans un premier moment, pour affirmer politiquement l’homogénéité de la culture autochtone et de la culture majoritaire de référence ; une telle propagande culturelle forte semble un élément nécessaire pour établir et consolider les ordonnancements juridiques cependant elle est dépassée par les dynamiques multiculturelles : Les sociétés n’étant plus mono-culturelles mais multiculturelles, neutralisent rapidement la rigueur des essentialismes par les interactions des autres groupes culturels. En fait, la pratique du pluralisme juridique limite l’emprise des discours essentialistes aux finalités pédagogiques d’affirmation identitaire initiale.

Troisième danger : l’obstacle pour analyser les transformations que constitue le militantisme politique et l’intensité des mouvements sociaux qui soutiennent les revendications autochtones. L’utilisation inappropriée (émotionnelle, intentionnelle, etc.) du langage juridique et des expressions empruntées à la sociologie correspondent à la logique d’un combat politique et imposent un ton manichéen qui déforme les contenus juridiques. Ainsi, pour redonner la cohésion à un peuple autochtone, on considère abusif tout reflex défensif de la société majoritaire ; puis le besoin de marquer les différences culturelles trouve une issue facile en signalant des coupables dans la société majoritaire ou dans une autre minorité.

Un régime démocratique multiculturel doit répondre aux demandes des peuples autochtones qui, par principe, se méfient de l’Etat et qui remettent tout en question ; ce qui correspond aux critères du politiquement correct des intellectuels et de l’opinion publique dans les sociétés postmodernes. Les militants autochtones profitent de cette logique pour véhiculer la culpabilisation systématique de l’Etat et de la société majoritaire.

Un quatrième danger est la prétention d’appliquer aux autochtones les normes, de la même façon que l’Etat les applique aux ressortissants du régime de droit commun ; ce qui constituerait une dérive par abus de normativisme ; par exemple si l’ordonnancement juridique autochtone est soumis à la règle de la supériorité hiérarchique du droit commun. Or l’harmonisation des deux ordonnancements ne se borne pas au plan des normes. L’abus du normativisme provient de méconnaître d’autres facteurs réels qui agissent dans la vie sociale.

L’infériorisation du droit coutumier, qui constitue un ordonnancement juridique à part entière, montre les limites de la conception du droit occidental comme un univers exclusivement normative. Le multiculturalisme conduit à abandonner une telle conception, ou tout au moins à conclure que la conception normativiste du droit n’a point de validité universelle.

Une cinquième erreur est possible lorsque les autorités perçoivent les réclamations des minorités comme une menace contre l’unité et la stabilité des Etat ; les appartenances sous-nationales mineraient les vertus civiques nécessaires pour le bon fonctionnement de la démocratie, telles que la tolérance, la solidarité, la maîtrise de soi-même. En France métropolitaine, la méfiance à l’égard des minorités sous-nationales fait appel aux valeurs républicaines de l’Etat et à l’imaginaire de la Révolution de 1789.

Enfin, la mise en place de l’autonomie politique ou administrative revendiquée légitimement par les peuples autochtones requiert une certaine organisation et des ressources humaines et matérielles. La reconnaissance des peuples autochtones trop petits ou trop faibles comme les responsables du contrôle politique de leurs territoires, fait craindre l’apparition des zones de non-droit où aucune entité de droit public n’assurerait la responsabilité juridique internationale du territoire et de la population.

§2 : des risques conjurables.

Le risque des dérives autoritaires chez les peuples autochtones est radicalement conjuré par adoption d’un double ordonnancement juridique, l’un égalitaire et l’autre identitaire ; cette duplicité permets aux individus des positionnements stratégiques en leur créant un espace de liberté défini entre leurs deux appartenances ; la duplicité d’ordonnancements juridiques produirait des phénomènes de réversibilité des statuts juridiques, d’interchangeabilité et d’hybridation. Sorte de « droit à la carte » dont le risque serait tout le contraire de l’autoritarisme, la possibilité de dissoudre la subordination de l’individu à l’ordre juridique. La duplicité d’ordonnancements permets, d’une part, d’éviter les dérives ressenties comme totalitaires par les autochtones si l’égalité abstraite du droit commun leur fusse imposée ; et d’autre part, le cadre juridique multiculturel empêche les risques de communautarisme chez les peuples autochtones puisque les individus pourront s’en évader vers le régime de droit commun.

Remarquons que par rapport au régime libéral de droit commun, les autochtones ont les deux types de liberté : les libertés individuelles s’ils se soumettent au droit commun en acceptant les devoirs et obligations qui vont avec ; et la liberté créée par l’espace multiculturel pour échapper même aux obligations des citoyen en se soumettant à l’ordonnancement juridique autochtone.

L’Etat multiculturel se trouve obligé de protéger les structures sociales autochtones des agressions externes, et d’autre part, il surveille les peuples autochtones et intervient pour libéraliser les contraintes traditionnelles. La protection d’un droit fondamental peut justifier la modification des traditions autochtones pour les harmoniser avec l’ordre juridique national. La Cour Constitutionnelle colombienne a invoqué cet argument en 2000 pour ordonner à la communauté indienne U’wa de mener une réflexion collective et une consultation interne pour changer la tradition incompatible avec le droit fondamental à la vie des jumeaux nouveaux-nés.

Il peut arriver qu’un mythe ancestral ne soit plus conforme aux critères de légitimité d’un peuple autochtone : dans une pareille situation, l’Etat concerné peut se servir de la coexistence d’autres ordonnancements pour faciliter le déplacement de ces individus vers d’autres régimes juridiques où ils puissent exercer leurs droits et libertés. Les Etats multiculturels de type libéral n’hésitent pas à l’heure d’intervenir pour assurer les libertés des individus, comme on l’a vu au Canada en 1983 et en Nouvelle-Calédonie dans les années 1990 en faveur des femmes soumises à l’autorité traditionnelle et aux violences des hommes. 

L’insertion des peuples autochtones dans un cadre multiculturel produit un réflexe critique vers l’intérieur des communautés autochtones et conduit à dépasser, tôt ou tard, le ton essentialiste et immobiliste des plaidoiries pour les cultures ancestrales. L’ouverture au pluralisme et au dynamisme culturels correspond à la complexité des sociétés contemporaines et empêcherait les peuples autochtones de tomber dans les dérives d’un renfermement identitaire ou d’un fondamentalisme traditionaliste.

Rendre compatible le droit avec les exigences pratiques des sociétés exige admettre la validité des critères pragmatiques et, par conséquence de relâcher les exigences d’une cohérence rationnelle abstraite. Dans le cas contraire, l’ordonnancement juridique serait obligé de méconnaître les contraintes qu’il ne peut pas changer, comme les cultures ou la condition humaine.

Il peut arriver aussi que les théories juridiques (monistes ou pluralistes) se proclament hiérarchiquement supérieures aux sources du droit ; en oubliant que les théories du droit jouent un rôle secondaire d’aide à la compréhension des exigences juridiques de la vie sociale. Le positionnement d’une théorie du droit au dessus des autorités législatives et judiciaires provient d’une confusion des plans épistémologiques et réels du droit. Une telle approche soumettrait le droit positif à ses structures logiques, aux expressions grammaticales, aux significations culturelles ou à la volonté des autorités.

Une simplification de l’ordonnancement juridique devient dangereuse lorsqu’elle le détache des mécanismes internes de contrôle et d’intégration des sources du droit, comme c’est le cas dans notre culture juridique des mécanismes internes de la séparation du législateur et du juge, de la continuité historique de la jurisprudence, des valeurs juridiques supérieures qui guident la législation, du poids reconnu aux pratiques sociales, et de la distinction analytique entre les principes juridiques universels et les énoncés normatifs généraux.

Les mouvements sociaux et politiques qui soutiennent les peuples autochtones s’insèrent dans un système international d’organisations, réseaux et forums alternatifs d’ONG ; lesquels peuvent être envisagés comme les « organes » d’une fonction critique établie par la pratique internationale ; comme des sismographes des dynamiques contestataires, chargés de transmettre les signaux d’alarme aux institutions politiquement structurées et juridiquement compétentes pour évaluer et réagir à ces signaux.

Sur le plan interne, le dédoublement des régimes juridiques et les mouvements sociaux autochtones jouissent d’un statut qui leur garantit l’exercice collectif d’un « droit de dissentiment ». L’Etat peut tirer profit des minorités installées dans une attitude d’opposition permanente pour exprimer les mécontentements et des alternatives face à la société majoritaire ; les minorités reconnues comme des acteurs légitimes constituent une réserve du régime démocratique. La condition de minorité différenciée prédispose les peuples autochtones à adopter un discours critique. Leur permanente insatisfaction obéit aux besoins d’affirmation de leurs différences.

Le mouvement social et intellectuel des peuples autochtones incorpore beaucoup d’éléments hétérogènes. Telle est la situation de la doctrine juridique au Canada, où la diversité culturelle et les dynamiques sociales sont si fortes que l’étude des sources juridiques, particulièrement de la jurisprudence et la doctrine, devient complexe. Les tendances lourdes vers le pluralisme juridique, le multiculturalisme et la spécificité des régimes territoriaux autochtones se trouvent brouillées. Il s’agit d’une difficulté cognitive due aux positions idéologiques et à la force des rhétoriques identitaires qui diminuent la clarté de leurs argumentations.

Sous la perspective d’un affrontement politique, l’autocritique d’un groupe est l’objet d’une analyse opportuniste ; elle serait l’évidence même de la faiblesse de l’adversaire dont l’ordonnancement juridique semblerait sur le point de s’écrouler tandis que la propre culture a résisté des siècles et elle restera toujours ferme.

Dans ce sens, on trouve l’interprétation faite en 2003 par Andrée LAJOIE de l’historicité de l’Etat comme un signe évident de faiblesse. Lors de son intervention comme experte devant la Commission des institutions du Parlement canadien, elle a envisagé l'État comme un phénomène récent sinon temporaire dans l'histoire de l'humanité ; le fait que les peuples autochtones occupent leur territoire depuis des temps immémoriaux a été considéré comme un gage de pérennité et, en conséquence, il serait imaginable que l’Etat trouve un jour sa fin tandis que les autochtones resteront toujours là.

En cette occasion on trouve chez Andrée LAJOIE l’opposition entre l’historicité précaire de l’Etat et le temps mythique des récits traditionnels des peuples autochtones. Par contraste, la jurisprudence canadienne a une interprétation plus réaliste et pragmatique des droits des autochtones les situant sur le même registre historique de la société majoritaire et permettant leur évolution au fil du temps tout en conservant une contemporanéité par rapport aux besoins des autochtones.

Au fond, les régimes multiculturels se caractérisent par une certaine flexibilité stratégique permise aux individus et aux institutions, publics et privés, en fonction des équilibres à rétablir. Ainsi, un Etat respectueux de l’autonomie des peuples autochtones s’auto-habilite pour intervenir à l’intérieur d’un peuple autochtones lorsqu’il s’agit de sauvegarder les valeurs constitutionnelles supérieures et d’empêcher les dérives autoritaires ; de leur côté, la flexibilité des régimes multiculturels permets aux peuples autochtones de choisir entre adhérer à l’Etat égalitaire ou préserver leurs différences identitaires. Boaventura de SOUSA SANTOS l’exprime avec netteté : « Nous avons le droit de revendiquer l’égalité tant que la différence nous rende inférieurs, et nous avons le droit de revendiquer la différence tant que l’égalité nous dé-caractérise ».

Comment éviter les dérives autoritaires ? Il n’y a pas de solution magique contre les dérives des chefs autochtones ou des théoriciens du droit qui abusent des rhétoriques. Le danger devient réel lorsqu’un pouvoir de facto se donne pour mission d’imposer un modèle rhétorique ou théorique en méconnaissant les valeurs juridiques supérieures de la dignité et la liberté des personnes concrètes. Dans l’Etat social de Droit, il y a des conquêtes à préserver, comme le principe d’égalité des citoyens, les libertés publiques et les garanties individuelles et collectives.

Comme toute autorité, les chefs autochtones doivent assurer le contrôle social et, en même temps, la prestation des services sociaux à leur population; ce qui exige des autorités autochtones de :
gérer un budget pour assurer les services publics dont la population a besoin ;
maintenir les services de sécurité et de justice, incluant la maîtrise militaire et policière de la population et du territoire ;
développer l’équipement en infrastructures de protection environnementale et d’aménagement du territoire ;
veiller sur les activités économiques des autochtones et des non autochtones installés dans le territoire, et prendre en charge les obligations internationales.

Un Etat multiculturel met l’accent sur l’harmonieuse coexistence des groupes divers et pour éviter les dérives, il met en place des dispositifs de surveillance du respect des droits de l’homme et des libertés des autochtones et des non autochtones.


Section III : l’assimilation des ordonnancements juridiques autochtones.


La reconnaissance juridique de la diversité culturelle des peuples autochtones, les effets de la duplicité de statuts dont ils bénéficient et les inévitables interactions entre les ordonnancements étatiques et autochtones posent, dans le droit public interne, la problématique de l’assimilation juridique et institutionnelle des peuples autochtones. Ce sujet est à l’ordre du jour de l’ONU dont le rapport de 2004 sur « La liberté culturelle dans un monde diversifié » a demandé aux Etats de mettre en place des outils politiques et juridiques pour gérer la diversité culturelle.

Les cultures évoluent à des diverses vitesses, dans la plupart des cas paisiblement et sans en être conscientes. Des nos jours, le processus de recomposition d’appartenances commence souvent par une assimilation des identités autochtones spécifiques dans des matrices culturelles autochtones plus larges qui effacent les particularismes locaux et produisent des synthèses culturelles autochtones, ce que Will KYMLICKA appelle « la construction des nationalités alternatives ». Une évolution lente et subtile qui suit les traces des nationalités majoritaires, en homogénéisant la diversité culturelle des peuples autochtones sans leur imposer la culture majoritaire.

La construction des nationalités alternatives est un processus politique et culturel qui s’accomplit graduellement, sous des apparences bien gardées, en profitant des équivoques. Les ordonnancements juridiques accompagnent les rapprochements et les transformations à une certaine distance, se situant sur un registre pragmatique, afin de permettre que les ambiguïtés politiques s’appuient sur des textes juridiques open texture, qui admettent diverses lectures.

Certains auteurs font la différenciation entre nations civiques et nations ethniques. Les premières seraient neutres vis-à-vis des identités ethno-culturelles de leurs citoyens et définiraient l’appartenance par l’adhésion aux principes de la démocratie et la justice. Les secondes prennent la reproduction d’une culture et d’une identité ethno-nationale, majoritaire ou minoritaire, comme un de leurs objectifs les plus importants. Or, les deux typologies de nations peuvent coexister à l’intérieur d’un Etat social de droit.

Les Etats multiculturels peuvent encourager le développement d’une (ou plusieurs) nationalité autochtone pour se procurer un interlocuteur unique et rendre faciles les consensus ; en même temps, les leaders autochtones peuvent renforcer un bloc autochtone unifié pour résister aux pressions de la société majoritaire. D’autres fois, il arrive que les peuples autochtones se fragmentent pour mieux échapper aux tentatives d’assimilation de la société majoritaire.

En théorie, les peuples autochtones peuvent se diviser ou s’unifier pour mieux protéger leurs différences culturelles. En fait, les deux mouvements vont ensemble ; leur alternance et leur ambiguïté déconcertent les observateurs externes. L’enchevêtrement des stratégies de division et d’unification ne veut pas dire qu’il soit indifférent de choisir l’une ou l’autre, simplement que ce qui compte, ce sont les buts à atteindre dans les circonstances concrètes de chaque peuple autochtone. On le voit clairement au Canada et en Colombie, où les peuples autochtones se sont divisés ou unifiés, respectivement pour chercher la protection institutionnelle de leurs différences culturelles.

L’assimilation juridique et institutionnelle atteint son point culminant lorsque les Constitutions consacrent des normes qui reconnaissent la légitimité des ordonnancements juridiques autochtones, attribuent des compétences étatiques aux autorités coutumières, créent des juridictions relativement autonomes et réglementent les rapports entre les autorités de l’Etat et les autorités des peuples autochtones. Ce qui est arrivé au Canada en 1982, en Colombie en 1991 et en France en 1999, et que les peuples autochtones ont salué comme leur conquête d’un statut juridique constitutionnel.

Au Canada, la Constitution a choisi un schéma à plusieurs niveaux en incorporant les traités historiques dans l’ordonnancement constitutionnel canadien de 1982. Ce qui implique une adaptation du contenu des traités aux principes directeurs, aux valeurs juridiques et aux droits fondamentaux de la constitution canadienne. Le contexte normatif, institutionnel et politique dans lequel évoluent les peuples autochtones laisse une forte empreinte sur les traités historiques, que la Cour Suprême canadienne n’hésite pas à mettre au jour dès que l’occasion se présente.

En Australie la Constitution n’a pas reconnu les peuples autochtones. Et au niveau international, les peuples autochtones jouissent d’un statut respectueux de leurs institutions traditionnelles qui leur reconnaît une certaine capacité juridique pour conclure des conventions de droit public interne avec leur Etat de référence ; la Convention N° 169 de 1989 de l’OIT n’ose pas parler d’autonomie des peuples autochtones à l’intérieur des Etats et il est inconcevable, dans le droit international contemporain d’accorder aux peuples autochtones une reconnaissance semblable à celle des Etats. Autrement dit, ils ne peuvent pas devenir Etats.

Une fois que l’ordre juridique étatique se montre sensible aux soucis identitaires, de ce fait la société majoritaire ne perd pas son identité mais elle permet aux peuples autochtones de garder leur identité. Evidemment, il ne s’agit pas d’univers culturels séparés ; bien au contraire, les cultures majoritaire et autochtones sont en interaction constante, même concurrentielle sur les mêmes personnes et territoires. Les mariages inter-culturels, l’éducation bi-culturelle, l’appartenance aux mêmes religions et d’autres faits majeurs sont à l’origine des phénomènes d’hybridation et de duplicité culturelle que les ordonnancements traduisent sous la forme de pluralismes juridiques ou d’assimilation des individus.

Or devenir collectivement conscient de son identité dans un cadre multiculturel entraîne une nouvelle réflexion sur soi-même, sur les autres et sur la société. Ce qu’expriment les sciences sociales et les groupes militants dans leurs critiques contre l’ordre social prédominant. Les juristes ont le besoin d’y mettre de l’ordre et ils le font au début d’une manière simplement pragmatique, en acceptant ce que les forces politiques ont décidé, sans trop faire attention aux implications des changements sociaux et culturels sur la théorie du droit.

Les sciences sociales montrent que les groupes sociaux sont le produit d’une longue élaboration collective. Les leaders autochtones en sont conscients mais ils adoptent un discours d’après lequel l’artificialité sociale ne serait valable que pour les occidentaux dont l’organisation sociale se trouve fragilisée. Tandis que les peuples autochtones continuent à faire confiance à leurs croyances et de ce fait, leur cohésion sociale serait plus forte que celle des occidentaux. Dans cette attitude il y a une évidente infériorisation de la culture majoritaire en réciprocité à l’infériorisation des cultures autochtones et du droit coutumier faites par les juristes occidentaux.

Daniel GAXIE explique le complexe « travail » de construction des catégories par lesquelles chaque individu et chaque groupe se définit soi-même en se différenciant des autres individus et groupes. Contrairement à la vision objectiviste et simplifié des identités culturelles, implicite dans les raisonnements des juristes modernes.

L’approche identitaire du droit contemporain défie le schéma classique des juristes qui font abstraction des identités en les considérant comme « naturelles » et existant objectivement et préalablement à l’activité des individus dans la société. Par contre, le droit post-moderne est devenu sensible aux analyses socio-historiques qui démontrent que toutes les formes d’identité sont le produit d’une longue élaboration collective.

En opposition au droit objectif classique où les réflexes d’abstraction et d’égalité suggèreraient que les identités culturelles étaient une donne extra-juridique. L’ordre juridique des Etats qui reconnaissent les peuples autochtones n’occulte pas les dynamiques culturelles ; il se situe sur un registre identitaire soucieux des processus de construction des identités, et il se donne pour mission de les protéger dès sa formation.

Dans nos jours, il n’est pas trop gênant pour la société majoritaire de se trouver la cible des critiques et des mépris de la part des peuples autochtones en besoin d’affirmer leurs différences culturelles, la supériorité de leur cohésion sociale et de leurs croyances. Auparavant la société majoritaire régit par le droit positif avait fait pareil à l’égard du droit coutumier. Quant au droit, il a besoin d’une théorie du droit multiculturel.

A chacun ses croyances, sa supériorité et l’infériorisation des étrangers à son groupe. Dans les sociétés multiculturelles, la réflexion sur soi-même et sur l’altérité amène aux fondements philosophiques du droit, de la culture, de la politique et de l’homme.
 
Les rapports entre la théorie du droit et la philosophie ressemblent à ceux qui existent entre une construction et le sol où elle s’appuie ; le sol serait la philosophie de l’homme et de la société. La théorie du droit, qu’elle soit mono-culturelle ou multiculturelle, ne peut pas se passer des fondements philosophiques, particulièrement anthropologiques.

Or, vu la crise actuelle de la philosophie, les théoriciens du droit occidentaux préfèrent ignorer les fondements philosophiques et circonscrire leurs réflexions aux sources formelles du droit, aux enjeux socio-culturels et aux dialogues inter-culturels. Certains théoriciens qui nient les réalités juridiques expliquent que celles-ci ne seraient qu’un simple statut ontologique accordé à certains donnés axiologiques, philosophiques ou juridiques. Ce qui donne des théories du droit circonscrites aux divers objets et problématiques scientifiques : le normativisme positiviste, la sociologie juridique ou les analyses de la communication ; lesquels se posent des doutes sur leurs fondements philosophiques.

Mais une chose est la théorie du droit cantonnée aux réflexions sur les normes, la sociologie juridique et la communication ; le droit lui-même continue à organiser les sociétés sans omettre aucun des aspects de la vie réelle des sociétés. Il doit y avoir un sol quelque part et les juges confrontés aux enjeux complexes du multiculturalisme prennent leurs décisions fondées sur leurs intuitions axiologiques et pragmatiques. Les élaborations prétoriennes du droit sont venues au secours des théories du droit en crise.

Ainsi la jurisprudence et la doctrine juridique favorables aux peuples autochtones invoquent une dimension axiologique comme inhérente au droit. Les valeurs juridiques sont utilisées sans trop demander la permission des théoriciens du droit. Dans la pratique, sous l’urgence de résoudre les conflits juridiques posés devant les tribunaux.

Le droit multiculturel trouve son sens et ses fondements sur des valeurs et des principes juridiques universellement valables, qui l’inspirent au delà d’un simple débat rhétorique ou d’une affirmation idéologique de l’égalité des cultures.

Etablir si les réalités juridiques et les valeurs juridiques existent, correspond à la philosophie du droit. Les juges prennent leurs décisions sur la base de cette existence en refusant de renfermer le droit dans un univers normatif clos.

En droit public, les changements politiques, l’évolution des mentalités et l’assimilation des peuples autochtones produisent des transformations juridiques que les énoncés normatifs abstraits et la logique formelle du droit ne saisissent pas. Cela a été le cas de la fin du Ius Gentium qui a laissé sans effets les traités historiques sans avoir donné une explication satisfaisante. Pareillement lors de l’internalisation des traités, les apparences ont été si bien gardées que le régime juridique a graduellement changé sans prévenir explicitement les peuples autochtones qu’ils avaient perdu leur autonomie.

Un autre exemple d’assimilation des minorités ethniques se trouve en Colombie, où l’Etat n’a jamais fait une présence effective dans les zones éloignées du département du Choco occupées par les descendants des esclaves ; mais l’Etat a accompli depuis la période coloniale les actes symboliques à caractère politique et juridique, par lesquels il a intégré formellement les zones coupées de communication et des services administratifs modernes. Affirmer que l’absence d’autorités, de police et des services sociaux, signifie l’autonomie des territoires et des communautés noires du Choco, n’est qu’une plaidoirie de dénonciation politique sans aucun effet juridique pour invalider les actes juridiques officiels. Même si l’Etat a été absent longtemps, les juges se sont toujours considérés compétents pour régler les différends à l’intérieur des communautés noires du Choco et celles-ci déposaient leurs plaintes auprès des juges de l’Etat.

Les notions d’espace juridique commun et des valeurs juridiques partagées, ainsi que la doctrine de la force expansive des valeurs juridiques au-delà des frontières culturelles, sont des outils importants pour bâtir des ponts entre les divers ordonnancements juridiques, soit pour envisager les situations de pluralisme juridique, soit pour construire l’ordre juridique d’un Etat multiculturel.

Ces notions opèrent assez bien comme mécanismes adaptatifs lorsque plusieurs ordonnancements juridiques s’interfèrent. Les ordonnancements juridiques disposent déjà des procédures d’application qui laissent de larges espaces de manœuvre pour traiter les situations de multiculturalisme ; c’est bien le cas des interprétations ouvertes et des politiques de tolérance, entre autres.

La captation juridique et politique réalisée par le pluralisme juridique peut aboutir à une assimilation des individus autochtones dont leur double appartenance culturelle et la duplicité des régimes juridiques entre lesquels ils se situent, n’opèrent jamais dans le vide politique. Pareillement les institutions politiques propres aux peuples autochtones lorsqu’elles sont reconnues et insérées dans les structures des états multiculturels sous un régime spécial ou d’autonomie respectueux de leur diversité culturelle.

Du point de vue des Etats, ce qui compte c’est de garder l’ordre public et de gérer les dynamiques culturelles du multiculturalisme du XXIème siècle. Particulièrement les glissements culturels et les basculements identitaires, sans provoquer un affrontement des civilisations, ne fusse-t-il qu’en petite échelle. L’imposition d’un ordre juridique unitaire et hiérarchisé n’arriverait pas à maîtriser ces changements, avec la prudence et la subtilité requises.

La diversité culturelle justifie la mise en place du pluralisme juridique vis-à-vis des peuples autochtones, et peut-être aussi comme réponse à d’autres phénomènes de fragmentation et de recomposition sociale. Mais en principe, un Etat de droit évite de mettre en place le pluralisme juridique vis-à-vis des citoyens déjà intégrés à l’Etat-nation puisqu’il risquerait de les perdre. L’Etat admet d’autant plus facilement le pluralisme juridique qu’il lui permet de capter ceux qui ne sont pas bien intégrés.

Le pluralisme juridique permet de dissimuler les transformations profondes des sociétés. Lorsque plusieurs foyers de droit coexistent donnant lieu à de divers ordonnancements et normes applicables à une même situation, l’interchangeabilité des statuts permet à l’Etat de gérer les basculements identitaires et les recompositions sociales, sous un langage ambigu. Ainsi, la stabilité sociale resterait assurée lorsque de nouveaux ordonnancements se mettent en place et laissent graduellement à l’écart les ordonnancements anciens ; sans le déclarer explicitement.

Dans le cas des peuples autochtones l’existence des deux statuts suit une double logique, d’une part, protéger le statut coutumier différencié et, d’autre part, ajouter le statut égalitaire de droit commun comme des prérogatives juridiques supplémentaires, qui n’imposent aucune obligation mais octroient des facultés juridiques aux individus autochtones. Cela peut durer si longtemps que nécessaire ; de la sorte, le pluralisme juridique masque deux caractéristiques des ordonnancements juridiques : leur nature coercitive et la subordination de l’individu à l’ordonnancement juridique.

Certes, l’interchangeabilité des statuts remet en cause la hiérarchie normative. Le risque à assumer est grave, sur le plan conceptuel : la hiérarchie des normes serait méconnue. Néanmoins, sur le plan réel, l’Etat ne va pas disparaître parce que les concessions accordées pour qu’une minorité jouisse du privilège de l’interchangeabilité des statuts, à titre de disfonctionnement juridique, s’accompagnent d’autres moyens d’insertion sociale au niveau individuel, et d’insertion politique au niveau collectif.

L’ordre juridique étatique assure sa suprématie comme statut de référence, et il est toujours présent avec ses juges pour contrôler l’interchangeabilité d’ordonnancements juridiques.

Parmi les mesures mise en place par les Etats pour garder le contrôle sur les individus, on compte : la scolarisation, la salarisation, les allocations sociales, les pensions de retraite et les mesures de discrimination positive, dont parle James TULLY. Sur le plan institutionnel et politique, les Etats offrent aux peuples autochtones : la reconnaissance de leurs autorités dans le cadre étatique ; la possibilité de siéger au parlement ; une jurisprudence favorable à leurs demandes, et la solidarité des groupes militants de gauche, qui leur apprennent à s’insérer dans l’Etat d’une façon critique, très propice pour conserver leurs différences.

L’Etat considère, à son tour, que les individus autochtones sont des ressortissants supplémentaires. Il ne les a pas sous son contrôle, et c’est grâce au pluralisme que l’ordre juridique de l’Etat va tenter de les assimiler, ou tout au moins de les capter. Si un tel projet échoue ou prend du retard, l’Etat ne perdrait aucun des ressortissants qu’il avait. Parallèlement, l’individu autochtone ne perd rien si l’Etat ne lui accorde pas le statut de droit commun, nécessaire pour les citoyens mais supplémentaire pour les autochtones.

Le pluralisme juridique n’est pas une finalité en soi-même. Il n’est qu’un outil pour rendre flexible l’ordre juridique de l’Etat en vue de garantir la continuité des diverses cultures qui cohabitent ensembles. Il permettrait de gérer les délicates et sensibles dynamiques de captation et d’assimilation d’une culture par une autre.

Cependant, un danger guette le pluralisme juridique : S’il est trop systématisé, il disparaîtra en se transformant en régime spécial édicté par le parlement pour les peuples autochtones ; ou il deviendra un accord d’autonomie entre l’Etat et les peuples autochtones ; ou bien il cédera sa place à un fédéralisme territorial ou personnel. Comme quoi, le pluralisme juridique reviendra facilement à l’unité.


Section IV : le pouvoir des juges.


L’adoption des régimes multiculturels comporte une multiplication, voire une diversification des juridictions, ce qui crée le besoin de l’unification jurisprudentielle, deux moments que correspondent au pluralisme et au monisme juridique coexistant dans les Etats multiculturels. Dans les quatre pays étudiés on a constaté que l’absence de législation multiculturelle est compensée par un accroissement des pouvoirs des juges et par une mise en valeur de la dimension pragmatique du droit. Ce qui mets en question les théories monistes du droit.

Devant un juge, lorsque les présupposés culturelles d’une situation ne sont pas les mêmes dont le législateur a tenu compte, la norme juridique ne lui est pas applicable et le raisonnement syllogistique par subsumption d’une prémisse mineur à caractère descriptif dans une prémisse majeure à caractère normatif, devient inadéquat. Autrement dit, les Etats multiculturels reconnaissent que la prémisse majeure des syllogismes juridiques incorpore les présupposés culturels et identitaires d’une manière implicite. Or, si les juges ne trouvent pas dans la situation concrète les mêmes présupposées culturels et identitaires des normes étatiques, c’est aux juges de trouver les équivalents inter-culturels et de les appliquer à l’une ou l’autre des prémisses. Tenir compte de tels présupposés permets aux juges autant qu’aux autochtones de s’émanciper, au moins partiellement, de leur soumission au législateur.

Les peuples autochtones demandent aux Etats la reconnaissance de leurs propres juridictions autochtones, parmi d’autres dispositifs d’autonomie pour protéger leurs identités culturelles. Cependant il y a aussi des processus de basculement identitaire à gérer en permanence. Dans la réalité un changement d’appartenance culturelle se produit graduellement ; et les différents stades de perte et d’acquisition d’un statut juridique ne peuvent être gérés qu’à l’aide des schémas de protection juridique souples, capables d’adapter les exigences de l’ordre collectif aux circonstances subjectives. Une telle gestion des changements culturels est confiée aux juges, les seules autorités en capacité de prendre en compte la singularité des situations.

§1 : la situation dans les divers pays.

Au Canada le pouvoir des juges est considérable et la jurisprudence précède les choix des législateurs et des autorités politiques. Il suffirait de rappeler que la Cour Suprême impose à l’Etat les devoirs d’assurer, compenser et compléter les titres fonciers des peuples autochtones en vertu des obligations fiduciaires, une création jurisprudentielle qui s’accorde assez bien avec l’archétype canadien de l’Etat social de droit. La jurisprudence a encouragé la conclusion des accords tripartites entre les peuples autochtones, les provinces et l’Etat fédéral, lesquels sont soumis au contrôle judiciaire ; ce qui donne aux juges la dernier mot.

En Colombie, les juridictions indigènes sont reconnues par la constitution de 1991 qui les subordonne à la Constitution et à la loi. Normalement les juges indiens tranchent les conflits juridiques internes aux communautés indigènes mais l’Etat maintien toujours la supériorité implicite de ses juridictions pour se saisir des crimes les plus graves, de l’application des droits fondamentaux et des cas d’inconstitutionnalité. Les critiques des indigènes contre leurs propres juridictions, lorsqu’elles ne donnent pas suffisamment de garanties de sérieux, servent comme justification à l’Etat pour maintenir la supériorité implicite de ses juridictions pénale et constitutionnelle.

Carlos Ariel RUIZ propose un outil conceptuel fort intéressant, la classification des peuples autochtones en trois typologies :
les peuples isolés qui gardent intactes leurs coutumes et leurs traditions ;
ceux qui ont réussi à re-fonder leurs bases de cohésion par des stratégies de résistance, d’appropriation d’éléments externes ou d’internalisation des représentations de l’autre favorables,
et les peuples désintégrés et assimilés actuellement en train de se reconstituer.

Le législateur étatique a la compétence pour établir des mécanismes de coordination entre les juridictions indigènes et le système judiciaire de l’Etat, soit en adoptant des normes de procédure, soit en établissant une juridiction inter-culturelle, fonction actuellement exercée par la Cour Constitutionnelle selon la procédure de tutelle lorsqu’elle harmonise les principes de diversité ethnique et culturelle, la portée des droits fondamentaux, et le principe de l’unité politique de l’Etat.

L’accès facile à la juridiction constitutionnelle et la prédisposition favorable de celle-ci aux demandes des indigènes, les a rapprochés des juges de l’Etat, normalement favorables aux peuples et communautés indigènes. L’arrêt Communauté Embéra-Katio contre Codechoco de la Cour constitutionnelle a reconnu dès 1993 la légitimation des associations de défense des droits indigènes en représentation officieuse des communautés indigènes isolées comme celle des Embera-Catios du fleuve Chajeradó, en Antioquia.

Le for indigène garanti par la constitution comme un droit des individus indigènes n’as pas empêché la Cour Constitutionnelle d’affirmer la supériorité des juridictions étatiques en certains cas. La Cour détienne une marge discrétionnaire d’appréciation en tant qu’interprète autorisée de la Constitution, qu’elle applique d’après une pondération entre les valeurs juridiques constitutionnelles en jeu. La philosophie du droit et les sciences auxiliaires du droit fournissent les connaissances, critères et valeurs qui guident la Cour constitutionnelle colombienne dans ses choix intellectuels. Une fois adoptées, les connaissances, critères et valeurs choisies par la Cour deviennent jurisprudence.

En France l’autonomie des juges par rapport à la loi est inimaginable. Le « gouvernement des juges » est perçu comme une menace de tyrannie et constitue une des grandes différences entre le droit Français et la Common Law. Pourtant en absence de loi explicite, l’existence du dénie de justice depuis le Code de Napoléon a poussé les juges à développer un droit prétorien dans tous les domaines.

Quant aux peuples autochtones des colonies, départements et collectivités territoriales d’outre-mer, la jurisprudence s’est montrée réceptive vis-à-vis du droit coutumier des peuples autochtones, soit pour en tenir compte comme une donne objective, soit pour entamer un travail d’analogie dans un souci d’équité, contribuant à la reformuler. René CALINAUD rappelle comment dès 1896 la Cour de Cassation a posé comme principe que la juridiction d’appel de Papeete « a le pouvoir souverain d’apprécier le fond du droit, la compétence et les formes de juridiction pour tout ce qui concerne les coutumes locales antérieures à l’annexion française. »

En Outre-mer, la diversité culturelle et la pluralité des ordonnancements (de droit commun et coutumier) ont créé deux écoles parmi les magistrats. Les uns entendent appliquer la loi dans les Territoires d’Outre-Mer comme ils le feraient en France métropolitaine, sans avoir à se préoccuper des particularités ni des conséquences. Les autres croient que leur rôle est d’ajuster la loi aux besoins et à résoudre des situations concrètes.

En Nouvelle-Calédonie, l’hybridation des ordonnancements juridiques a été depuis le début un principe établi par la jurisprudence ; en 1982 la juridiction civile est devenue bi-culturelle lorsqu’elle traitait des affaires des Kanaks, grâce à l’instauration d’une phase de pré-jugement où les assesseurs coutumiers choisis pour leur appartenance à l’aire coutumière des parties, apportaient au juge étatique la preuve de la loi coutumière, permettant à celui-ci d’hybrider les deux ordonnancements. « Afin d’accompagner l’évolution de la société traditionnelle et de permettre l’élaboration d’un ordre négocié et non plus imposé, le législateur français a créé en Nouvelle-Calédonie, avec l’ordonnance du 15 octobre 1982 et la loi du 13 juin 1989 des juridictions dotées d’une représentation de la société néo-calédonienne permettant de mettre en œuvre le statut coutumier kanak (auquel demeurent assujettis de nombreux citoyens d’ethnie mélanésienne) que protège la loi organique du 19 mars 1999. »

Les juridictions étatiques avec des assesseurs coutumiers peuvent supplanter l’action des autorités traditionnelles là où ces dernières sont en perte d’efficacité ou de légitimité. Elles offrent encore une alternative là où les autorités traditionnelles sont respectées, comme c’est le cas aux Îles Loyauté. En matière de droit de famille le bilan de l’action des juridictions avec assesseurs coutumiers est contrasté ; parfois soumis à contestation.

Régis LAFARGUE considère que dans tous les cas, les juridictions étatiques devraient amener, par leur seule présence, les autorités coutumières à s’interroger sur leur rôle, à veiller à préserver leur légitimité et à une saine émulation qui devrait pousser les autorités traditionnelles à demeurer à l’écoute des besoins de leur époque.

§2 : l’influence sur la théorie.

En matière de résolution de conflits, les peuples autochtones ont généralement deux revendications : l’application de leur ordonnancement coutumier et la reconnaissance par l’Etat des juridictions autochtones. Or les nuances possibles dans ces deux demandes sont innombrables.

Lorsqu’il existe une dualité des juridictions, l’une de droit commun et l’autre autochtone, l’Etat opère selon un principe de complémentarité entre les différentes juridictions, ouvrant la voie à la réunification des jurisprudences. Leurs décisions étant indépendantes se superposent et l’Etat, d’une manière ou d’une autre mets en place des mécanismes d’harmonisation ou de complémentarité pour résoudre les impasses des décisions incompatibles. Ce qui arrive aussi, à u autre niveau, entre les juridictions étatiques et internationales.

La coexistence des juridictions de différentes cultures produit des systèmes judiciaires complexes, comme ceux de la Colombie et de la Nouvelle-Calédonie, dont les divergences des critères jurisprudentiels demanderont de grands efforts d’harmonisation pour les rendre compatibles, sans imposer à tout prix des subordinations hiérarchiques.

L’harmonisation des décisions judiciaires pose des problèmes qui ont été identifiées et analysés par le droit international, lesquelles seraient transposables aux problématiques générées entre une juridiction interne de droit commun et les juridictions autochtones :

L’établissement d’une hiérarchie entre les juridictions, ce qui équivaudrait à leur intégration, comme c’est le cas de la Nouvelle-Calédonie à l’intérieur du système judiciaire français ; où le cas de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme dont le rôle est de complémentarité des juridictions nationales.

En Colombie une juridiction constitutionnelle inter-culturelle a été mise en place avec les actions d’inconstitutionnalité et de tutelle des droits fondamentaux ; cette dernière peut corriger voire annuler les décisions des juridictions indigènes ou les arrêts des juges étatiques qui méconnaissent les droits fondamentaux, par exemple, le droit fondamental à la diversité culturelle.

En Colombie les experts en anthropologie culturelle rendent des expertises sur les us et coutumes des minorités ethniques aux juges de l’Etat, lorsqu’ils assument la compétence sur des affaires indigènes.

En Nouvelle-Calédonie furent créés en 1982 les assesseurs coutumiers dans la juridiction civile, depuis 1992 ils intègrent les chambres judiciaires. A partir de 2002 les procès judiciaires peuvent être divisés en deux étapes en Nouvelle-Calédonie, la première pour décider quel ordonnancement à appliquer et la deuxième pour décider sur le fond du débat juridique. Les magistrats eux-mêmes peuvent accomplir motu proprio l’harmonisation des critères jurisprudentiels lorsqu’ils son réceptifs aux arguments des autres juridictions ; ce que devient plus facile si les magistrats peuvent continuer leurs carrières judiciaires dans une cour de l’autre juridiction.

Un cas particulier est celui de la Croatie où les minorités nationales ont droit à un quota de magistrats dans les cours.

§3 : l’accroissement des pouvoirs des juges.

En principe, un juge ne met pas en doute sa propre compétence ni la légitimité de la loi qu’il est censé d’appliquer. La jurisprudence étatique soutient avant tout les présupposés de l’Etat de droit et de l’ordonnancement juridique qui a établi la juridiction.

Sur le plan des abstractions, le réflexe universaliste des juristes fait craindre, au premier abord, toute sorte de confusions juridiques pourtant le risque des blocages ou de graves confusions diminuent dès que l’on réalise que tous les cas seront traités par des juges dans le cadre d’un procès dont la décision n’aura d’effet que sur la situation jugée, et que la décision sera soumise au contrôle de la juridiction supérieure.

Les juridictions n’ont pas à appliquer la théorie du droit mais le droit en vigueur. L’autorité de chose jugée rend inutile le débat sur les incohérences théoriques. Il peut y avoir des confusions entre légitimité et légalité ; entre le politique, le juridique et le culturel, et entre l’Etat et les peuples autochtones, mais les arrêts judiciaires sont des actes d’autorité hors discussion une fois qu’ils ont atteint leur fermeté juridique.

Le droit international oblige le Canada et la Colombie, en vertu du principe des pleines garanties établi par les articles 29B et 64 de la Convention Interaméricaine des Droits de l’Homme. Sur ce fondement, la Cour Inter-américaine des Droits de l’Homme applique la convention N° 169 de l’OIT, comme norme complémentaire spéciale, en faveur des peuples autochtones. Cela arrive aujourd’hui également à l’égard des chartes des Droits de l’Homme et des droits sociaux, économiques et culturels.

L’approbation de la Déclaration des droits des peuples autochtones, en élaboration depuis 1982 à l’ONU, constituera un autre élargissement du droit applicable. Le projet de Déclaration se trouve actuellement bloqué parce qu’il propose reconnaître aux peuples autochtones un statut international équivalant à celui des Etats. L’Organisation des Etats Américains, OEA prépare une autre Déclaration prévoyant un autre statut international pour les peuples autochtones.

Dans la mouvance de la mondialisation, il peut arriver qu’un organisme juridique ou judiciaire international s’auto-habilite pour exercer un contrôle sur les Etats, protéger les individus autochtones ou mettre en place des institutions contraignantes vis-à-vis des Etats. Il y a de quoi s’inquiéter parce que les déclarations internationales des droits acquièrent facilement un rang juridique à partir du moment où un organisme judiciaire international s’auto habilite pour exercer un contrôle sur les Etats et protéger les droits fondamentaux ou collectifs des peuples autochtones en faisant juridiquement contraignant ce qu’au début n’était que déclaratif. Comme l’ont fait le Conseil constitutionnel français en 1971 et la Cour de justice des communautés européennes de Luxembourg, lorsqu’ils ont développé le contrôle de constitutionnalité à partir de textes qui, auparavant, n’avaient qu’un caractère déclaratif et politique.

La nature propre de la fonction judiciaire et la théorie des droits fondamentaux rendent possible la transformation d’une déclaration politique internationale en norme juridique applicable aux Etats. Le passage d’un texte déclaratif au même texte ayant un caractère juridique ne dépende que de l’interprétation faite par une juridiction suprême (national ou international). Une telle décision produirait une véritable révolution juridique.

La normativité et la théorie du droit inter-culturel ne sont pas suffisamment mûres pour en expliquer les ambiguïtés, les duplicités et les critères dominantes. D’après le magistrat Bernard de Gouttes, c’est par une approche empirique, flexible et prospective que le juge calédonien a pu, au cas par cas, trouver le point d’équilibre dans la résolution des conflits entre le droit commun et le droit particulier, à l’écoute de l’évolution de la coutume, elle-même façonnée par l’évolution de la société. Au fil des années, la jurisprudence abouti à harmoniser le travail pragmatique d’application, d’interprétation et de complément des textes normatifs. C’est la résolution de multiples cas concrets qui produit peu à peu un système juridique d’ensemble plus ou moins cohérent.

La problématique de la reconnaissance juridique des peuples autochtones met en relief la dimension pratique du droit, reconnaît la dimension axiologique des ordonnancements et donne sa juste importance aux énoncés normatifs. Dans ce cadre multidimensionnel, l’ordre juridique obéit parfois à des logiques différentes, sans pour autant devenir illogique ni alogique.

Dans les affaires inter-culturelles et multiculturelles, on est obligé d’une certaine façon de faire confiance à la prudence des législateurs et des juges pour dégager les formules juridiques, la portée des valeurs juridiques et l’appréciation des faits sociaux à réguler. Comme à l’époque du droit romain, l’ordre juridique n’était pas issu des normes générales édictées par les représentants du peuple souverain mais celles-là ne consacraient que le droit déjà prouvé dans la solution prétorienne d’une série de cas. Le droit était construit sur un support pragmatique et, de ce fait, il était plus sensible aux enjeux sociaux et culturels que les formulations abstraites, générales et impersonnelles adoptées par un législateur politisé.

La théorie du pluralisme juridique doit être développée à partir des faits juridiques et pratiques juridiques concrètes, par une méthode inductive à partir des sources juridiques formelles (constitutions, lois, jurisprudence) des Etats multiculturels. Tout le contraire des habitudes mentales des théoriciens du mono-culturalisme juridique. Situons nous entre les deux pôles : d’un coté l’Etat social de droit a besoin d’unité ; il a construit son monisme juridique selon une méthode déductive pour une société majoritairement considérée comme homogène. De l’autre coté, les peuples autochtones veules deux choses : garder leurs ordonnancements juridiques (qui assurent leur cohésion sociale et leur autonomie, c'est-à-dire leur version du monisme juridique) et bénéficier des droits citoyens que la société majoritaire peut leur accorder. Ce deuxième objectif des peuples autochtones peut être atteint par des lois spéciales adaptées par le législateur étatique pour les peuples autochtones (éducation, santé, allocations spéciales, exemption d’impôts ou de service militaire…) Or, les conflits entre leur ordonnancement juridiques étatiques et autochtones soulèvent des situations où un individu autochtone peut se voir appliquer des normes provenant de plusieurs ordonnancement juridiques ; ce que Jacques VANDERLINDEN appelle des situations de pluralisme juridique. Bref, les Etats de droit répondent de trois façons aux demandes des peuples autochtones : en leur accordant l’autonomie dans certains domaines, en leur adoptant des lois spéciales dans d’autres domaines et en gérant les situations de pluralisme juridique lorsqu’elles se présentent.

Une partie des militants indigénistes songent à donner assaut aux chambres législatives de nos jours pour rétablir l’autonomie et tous les droits ancestraux et contemporains des peuples autochtones, selon la même technique et la logique des lois formulées abstraitement par des représentants politiques. La jurisprudence exercera toujours un rôle modérateur sur les formules normatives issues des surenchères du militantisme lorsqu’il arrive aux parlements.

Pour résoudre les défis inter-culturels et multiculturels, les pratiques judiciaires et le pouvoir des juges sont à mettre en relief. Cela faisant, les juristes redécouvrent que le droit se situe dans les domaines de la raison pratique et qu’il y aura toujours un décalage entre la théorie générale du droit et le droit dans la vie réelle des sociétés humaines.


CONCLUSION GENERALE : LES PLURALISMES JURIDIQUES
PERMETTENT DE GERER LES RECOMPOSITIONS IDENTITAIRES.



La reconnaissance par les Etats multiculturels des peuples autochtones donnent lieu à des situations de pluralisme juridique qui supposent une entente de principe, le plus souvent implicite, où chaque ordonnancement juridique (étatique et autochtone) reconnaît la légitimité de l’autre et leur compatibilité réciproque. L’entente interculturelle se fait dans un cadre anthropologique, épistémologique et axiologique qui fournit aux juristes des postulats universalisables sur l’homme, la société et les sources du droit. Le support juridique en est la reconnaissance par l’Etat des ordonnancements des peuples autochtones ; lesquels, à leur tour, reconnaissent l’ordre juridique de l’Etat qui les englobe.

Les peuples autochtones ne reconnaissent pas l’ordre juridique de l’Etat exclusivement parce qu’il leur a été imposé (ce qui n’est pas faux) mais parce qu’ils ont besoin de cet ordre juridique, même contre leur gré.

Le pluralisme juridique contemporain des peuples autochtones rejette le monopole étatique des sources du droit ainsi que la priorité absolue des normes étatiques, prônés par le positivisme juridique. Le pluralisme juridique dépasse la dimension normative du droit pour invoquer les valeurs juridiques communes aux diverses cultures et d’autre type de considérations issues de la réalité sociale.

L’égalité des cultures est adoptée comme présomption de départ ; cependant elle est l’objet d’un débat rationnel et susceptible de correction, par exemple au sujet de l’anthropophagie, la peine de mort ou la potestas maritalis. Dans un cadre multiculturel, les valeurs juridiques montrent leur portée universelle, permettant de corriger les ordonnancements juridiques. L’inévitable retour critique qui se produit sur le droit et sur les cultures, met en relief la relativité des ordonnancements juridiques et fait redécouvrir le rôle de la philosophie du droit comme guide des choix intellectuels et juridiques.

Ainsi, l’isolement des cultures, les régimes d’exclusion, l’apartheid et les ghettos deviennent inacceptables pour l’axiologie juridique et l’ordre juridique international les condamne. Le droit multiculturel trouve son sens dans les valeurs juridiques universelles qui l’inspirent au-delà de l’affirmation idéologique de la supériorité d’une race ou d’une culture juridique sur les autres.

Enfin, les faits juridiques créés par la réalité sociale permettent aux juristes de construire la théorie du droit, en raisonnant de manière inductive, sans négliger le raisonnement déductif une fois que les principes généraux ont acquis la fermeté nécessaire. Lorsque la pression sociale, politique et culturelle sur le droit est trop forte, la théorie juridique accepte de se transformer. Pourtant les théoriciens du droit agissent prudemment et la théorie du droit (soit moniste ou pluraliste) s’adapte graduellement aux nouveautés sans renoncer à son noyau de principes et de notions.

La crise du monisme juridique et de la rigueur normative ainsi que la problématique contemporaine des sources du droit permettent d’ouvrir une réflexion plus large dépassant le positivisme vers la multi-dimensionalité et l'inter-culturalité du droit.

Les relations entre l’Etat et les peuples autochtones se sont intensifiées, quantitativement et qualitativement, suite au choix de reconnaître leurs différences légitimes et de cohabiter dans un cadre juridique complexe où l’on trouve des espaces d’autonomie, des lois spéciales pour les autochtones et des situations de pluralisme juridique.

Le pluralisme juridique se produit lorsqu’un individu peut, dans une situation identique se voir appliquer des mécanismes juridiques relevant d’ordres juridiques différents, en l’occurrence, de l’ordre juridique de l’Etat et de celui d’un peuple autochtone. Il peut y avoir des phénomènes de réversibilité des statuts, d’hybridation et d’interchangeabilité des statuts Ce qui présuppose une duplicité d’ordonnancements ; tous les deux ouverts et acceptant d’interagir l’un dans l’autre.

Les doubles statuts dont l’application revient aux juges ont une finalité ambiguë : d’une part, les Etats réussissent à protéger les peuples autochtones et, d’autre part, ils gèrent juridiquement (et pacifiquement) les glissements identitaires et les basculements culturels. Or ces juges se trouvent investis d’une « juridiction inter-culturelle », c’est-à-dire, à la fois étatique et reconnue par les autochtones.

Le pluralisme juridique correspond à un environnement social d’ambivalence culturelle, compromission, fluidité et manque de certitudes. Néanmoins, il encadre juridiquement les recompositions identitaires et les complexes dialogues inter-culturels. L’ouverture des structures sociales et des régimes juridiques vers un pluralisme d’appartenances rend facile le basculement vers un nouvel ordre.

La post-modernité est plus subjectiviste et pragmatique que le rationalisme de la modernité. De même, les ordonnancements juridiques autochtones, de nos jours, ne s’imposent pas de façon autoritaire ou communautaire comme certains le craignent. Les peuples autochtones, situés à l’intérieur des Etats sociaux de droit, permettent aux individus autochtones de choisir leur groupe d’appartenance.

Le XXIème siècle a besoin de gérer juridiquement des phénomènes de rééquilibrage d’appartenances locales et universelles et d’incorporer au discours juridique les apports des sciences auxiliaires qui décrivent et analysent la société. L’ordonnancement juridique acquiert un caractère multidimensionnel (axiologique, normatif et pragmatique) plus en accord avec la pensée post-moderne, sans pour autant renoncer à la nature prescriptive propre au droit, ni se confondre aux sciences sociales.

Dans les quatre pays étudiés, le pluralisme juridique permet des stratégies ambiguës, voire même, opportunistes, aussi bien de la part des groupes que des individus. L’usage stratégique du double statut crée un nouvel espace de liberté pour les individus, qui peuvent échapper à la subordination à un ordre juridique en se réclamant d’un autre ordre juridique, pourvu que tous les deux soient légitimes et compatibles, dans leur généralité.

Sans invoquer aucune charte de libertés individuelles, l’interférence de plusieurs ordonnancements juridiques, même communautaires, génère un espace légitime de liberté individuelle, bien que cette liberté soit assez limitée.

Sur le plan théorique, le pluralisme juridique constitue un disfonctionnement grave, voire une négation de la théorie juridique moniste. Mais sur le plan des réalités et des faits juridiques, les situations de pluralisme juridique se produisent en dépit de l’unité et de la hiérarchisation de l’ordre juridique ; il suffit que l’Etat reconnaisse le statut de citoyen aux individus autochtones et la légitimité des ordonnancements juridiques autochtones.

L’Etat social de droit se trouve piégé par ses propres enjeux juridiques. S’il méconnaît les droits citoyens aux autochtones, ils deviendraient des sous-citoyens et, de ce fait l’Etat nierait ses propres valeurs juridiques fondées sur la dignité humaine et le principe universel de l’égalité des hommes.

Au début du XXI siècle en pleine mondialisation, la reconnaissance des cultures des populations cohabitant à notre côté, fait partie des conditions essentielles de la démocratie multiculturelle. Le régime des peuples autochtones permet d’analyser le fonctionnement des Etats multiculturels et du pluralisme juridique, ce qui peut s’avérer fort utile pour réguler les recompositions d’appartenances locales, régionales et universelles à l’intérieur d’une civilisation globalisée.

Les systèmes juridiques multiculturels peuvent inclure des collectivités territoriales autochtones, la représentation parlementaire des autochtones, l’homologation des décisions de leurs autorités et un véritable dédoublement des institutions et des ordonnancements qui emprunte plusieurs éléments du fédéralisme sans pour autant porter atteinte à l’unité de l’Etat ni à la suprématie de l’ordre juridique. Le dédoublement n’a bénéficié qu’aux petits groupes non autarciques, qui ont toujours besoin de l’Etat de droit.

Le régime juridique en faveur des peuples autochtones minoritaires ne néglige pas le rôle toujours nécessaire de l’ordre juridique de l’Etat de droit. Jusqu’à présent, on ne connaît pas dans les pays étudiés un renversement des rôles entre les peuples autochtones et la société nationale. On suppose que les peuples autochtones acceptent de garder leur situation de minoritaires et que, le cas échéant, ils ne veulent pas devenir une nouvelle majorité par rapport à l’autre partie de la population, en échangeant leurs rôles comme le font les partis politiques qui passent du gouvernement à l’opposition.

L’ethnisation, la construction des différences identitaires de dédoublement institutionnel et les pluralismes juridiques peuvent être utilisées pour fragmenter la société ou bien comme voie pour la participation politique et l’intégration des minorités exclues dans les Etats de Droit. Ainsi, le pluralisme juridique sert pour répondre aux revendications légitimes des peuples autochtones et, en même temps, pour consolider la démocratie participative et légitimer l’Etat grâce à l’incorporation d’éléments novateurs issus d’autres cultures.

Même si l’on réussit à mettre en place un consensus global entre les peuples autochtones et l’Etat, celui-là ne sera jamais parfait et laissera de la place à des tensions pouvant devenir sources de conflits. Les risques des dérives utopiques, autoritaires ou communautaires, toujours présents, justifient la mise en place des mécanismes de surveillance des libertés publiques.

Les « juridictions inter-culturelles » ont des objectifs ambigus puisque, d’un côté, le droit coutumier est mis en œuvre par les juges de l’Etat grâce aux techniques jurisprudentielles ; et d’un autre coté, le contrôle judiciaire s’élargit vers les rapports intracommunautaires et il n’hésite pas à ordonner de changer le droit coutumier lorsqu’il s’oppose aux droits fondamentaux ou aux principes supérieurs de l’ordre juridique de l’Etat. Dans les Etats multiculturels, un certain statu quo est préservé dans les ordonnancements étatique et autochtones, en même temps qu’ils s’ouvrent aux altérités culturelles.

Affirmer que les droits des peuples autochtones et leurs cultures préexistaient à l'affirmation de la souveraineté de l'État, situerait le droit dans la perspective d’un temps mythique ; et ferait de la Constitution un produit de la culture occidentale qui ne pourrait pas s’appliquer aux communautés appartenant à une autre culture.

Or, invoquer une antériorité à l’Etat ne veut pas dire supériorité sur l’Etat, tout comme celui-ci ne peut pas inférioriser a priori l’ordonnancement juridique autochtone. Le juriste a besoin de démasquer les exercices rhétoriques auxquels se livrent parfois les défenseurs de l’Etat et ceux des peuples autochtones pour se démolir réciproquement : l’Etat serait une construction assez précaire de ces derniers siècles de l’histoire de l’humanité tandis que les peuples autochtones, faisant appel à un temps mythique se situeraient au-dessus de la temporalité historique.

Les appartenances citoyennes se dupliquent chez les peuples autochtones des Etats multiculturels, où les individus ont les deux citoyennetés : la citoyenneté autochtone et celle de l’Etat ; pareillement les cas de double nationalité se sont multipliés dans les rapports internationaux. Cette ouverture des ordonnancements juridiques à la diversité culturelle peut fournir des méthodes fiables –pas les seules- pour accéder aux valeurs juridiques communes puis aux valeurs universelles, ainsi qu’aux grands thèmes de la philosophie du droit et de la théorie du droit public.












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Jurisprudence

Cour constitutionnelle de Colombie :

Arrêt Gobernador de Cristiania contre Entreprise Solarte, T-428 du 24 juin 1992 : rapporteur : magistrat Ciro Angarita.
Arrêt Fradique contre Loi 20 de 1974, C-027 du 5 février 1993 ; rapporteur : magistrat Simon Rodriguez.
Arrêt Loaiza contre Incora, T-188 du 12 mai 1993 ; rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes.
Arrêt Association Evangélique Nouvelles Tribus de Colombie contre Aéronautique Civile, T-257 du 30 juin 1993 ; rapporteur : magistrat Alejandro Martinez.
Arrêt Communauté Embéra-Katio contre Codechoco, T-380 du 13 septembre 1993 ; rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes.
Arrêt Communautés Indigènes du Amazone Moyen contre Ministère de la Défense, T-405 du 23 septembre 1993 ; rapporteur : magistrat Hernando Herrera.
Arrêt Palma contre Loi 48 de 1993, C-058 du 17 février 1994 ; rapporteur : magistrat Alejandro Martinez.
Arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 ; rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes.
Arrêt Bocanegra contre Loi 89 de 1890, C-139 du 9 avril 1996 ; rapporteur : magistrat Carlos Gaviria.
Arrêt Gonzalez contre Assemblée Embéra-Chami, T-349 du 8 août 1996 ; rapporteur Carlos Gaviria.
Arrêt Sanchez contre DASED de Sainte Marte, T-422 du 10 septembre 1996 ; rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes.
Arrêt Guainas contre Juge 3e de La Plata, T-496 du 26 septembre 1996 ; rapporteur : magistrat Carlos Gaviria.
Arrêt U’was contre Ministère de l’Environnement, SU-039 du 3 février 1997 ; rapporteur : magistrat Antonio Barrera
Arrêt Gembuel contre Cabildo de Jambalo, T-523 du 15 octorbe 1997 ; rapporteur : magistrat Carlos Gaviria
Arrêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques, SU-510 du 18 septembre 1998 ; rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes.
Arrêt Resguardo Ricaurte contre Ministère de l’Intérieur, T-525 du 25 septembre 1998 ; rapporteur : magistrat José Gregorio Hernandez.


CHRONOLOGIE GENERALE



V siècle avant JC. L’Empire de Babylone sous la dynastie Achéménide établie un régime multiculturel de relative autonomie en faveur des populations asservies.  

V siècle avant JC. A Athènes les autochtones lient l’histoire des héros fondateurs à l’idéal politique du service à la collectivité.

Xe Siècle. Premiers contacts des Inuits avec les blancs. Etablissement de colons scandinaves sur la côte ouest de Groenland, qui périclitent à la fin du moyen âge.

1690 John LOCKE dans The Second Treatise of Government légitime la propriété foncière par le travail ; la terre des chasseurs-cueilleurs est considérée comme terra nullius.

XVII – XVIII siècle. Contacts entre les Inuits et les occidentaux et établissement de ceux-ci au Groenland et dans le continent.

1758 Emer DE VATTEL publie Droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués aux affaires des nations et des souverains, une justification de l’occupation du sol non cultivé.

1763 La Déclaration Royale du 7 octobre, suite à la guerre des sept ans, signale le triomphe de la Couronne Britannique et le développement de la Common Law en Amérique du Nord.

1765 BLACKSTONE formule la doctrine de l’application du Common Law dans les colonies de peuplement dans la mesure où les circonstances permettent son implantation. 

1788 Annexion pacifique de l’Australie par le Royaume-Uni par l’établissement de la colonie de la Nouvelle Galles du Sud.

1831 La Cour Suprême des Etats Unis dans l’arrêt Cherokee nation vs. State of Georgia reconnaît le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones. 

1833 Ludwig VON GERLACH esquisse le conflit-type entre l’unicité du Code général et la diversité du Droit « vivant », entre la loi étatique et le pluralisme des coutumes.

1834 La South Australia Constitution Act déclare que ce territoire était sauvage et inhabité –terra nullius-, par conséquent, les colons pouvaient réclamer la terre pour eux.

1844 En vertu du traité de Balade, du 1er janvier 1844 les rois et chefs de la Nouvelle-Calédonie abandonnent leur souveraineté en faveur de la France et lui cèdent leurs domaines.

1849 Loi sur la Nouvelle Calédonie, très restrictive aux immigrés.

1855 Le droit foncier est imposé par le législateur français en Nouvelle-Calédonie.

1858 Les lois de des-amortissement des biens en Colombie mettent fin aux resguardos indiens ; leur application a échoué.

1867 Adoption de l’Acte de l’Amérique du nord britannique, la première Constitution canadienne. Le Canada, la Nouvelle-Ecosse et le New-Brunswick forment une fédération.

1867 Arrêté du 24 décembre 1867. Le gouverneur Feuillet regroupe les tribus de la Nouvelle Calédonie en districts coloniaux sous l’autorité des grands chefs et des chefs coutumiers.

1884 Découverte des derniers groupes Inuits, les Ammassalimuit, sur la côte Est du Groenland.

1886 En Australie, la législation britannique des Maîtres et des servants n’est plus applicable aux aborigènes afin d’empêcher les abus commis dans les années précédents.

1899 Lors du Congrès de Brünn, le parti social-démocrate autrichien propose de transformer l’Autriche en un Etat fédératif de nationalités fondé sur l’autonomie de chaque nationalité.

1901 Le hollandais Cornelis VAN VOLLENHOVEN formule pour la première fois le pluralisme juridique.

1912 Santi ROMANO publie L’Ordinamento Giuridico, en défendant la thèse de l’existence d’une pluralité d’ordonnancements qui a eu une grande influence en Italie et en Espagne.

1917 La Constitution mexicaine a été la première à consacrer les termes culture et droits sociaux.

1920 Le 20 février. la Hongrie propose un Etat multinational lors de la conférence de paix. Karl RENNER avait formulé la théorie constitutionnelle de l’Etat multinational.

1921 Le Bureau International du Travail réalise une étude sur les conditions des travailleurs indigènes.

1922 Conférence Interaméricaine sur les langues aborigènes et les monuments archéologiques.

1923 Le 10 septembre. La Cour Permanente de Justice Internationale élabore la notion de discrimination positive dans un avis sur la situation des colons allemands en Pologne.

1923 Le Chef Deskaheh et les Iroquois de Canada demandent à la Société des Nations et à la Cour Internationale de Justice de leur reconnaître comme Etat. Requête irrecevable.

1930 Karl LLEWELLYN propose une définition du droit au niveau des pratiques sociales, admettant une variété de dimensions.

1932 George GURVICHT crée la notion des droits sociaux ; Karl SCHMITT la reprendra par la suite.

1933 Réunion des indigénistes de l’Union Panaméricaine.

1934 Aux Etats Unis John COLLIER, Commissaire aux Affaires indiennes de l’administration Roosevelt, inspire l’Indian Reorganization Act, en vigueur jusqu’à 1953.

1935 George GURVITCH introduit en France le pluralisme juridique.

1937 Carlos BASAURI lance au Mexique le premier plan national d’éducation bilingue.

1938 Fondation de l’Ecole Nationale d’Anthropologie et d’Histoire à Mexico pour « œuvrer pour le rapprochement racial, la fusion culturelle et l’uniformisation linguistique »

Premier Congrès Indigéniste à Patzcuaro, organisé par Moïse SAENZ et création de l’Institut national indigéniste INI.

Karl LEWELLYN conteste les présupposés webberiens de la modernité sur la supériorité de la culture juridique occidentale.

Adoption de la Charte internationale américaine des garanties sociales.

La Déclaration des Droits de l’Homme, la première adoption universelle de standards pour les régimes internes, inclut le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

1948 John Sydenham FURNIVALL publie Colonial Policy and Practice, une étude sur le pluralisme culturel sous la forme de divisions politiques coloniales.

1950 Dans cette décennie, le gouvernement canadien exerce une tutelle sur les Inuits afin de sédentariser les populations et introduire le salariat.

1951 Première réunion à La Paz, en Bolivie, de la Commission d’experts de l’ONU. La protection des autochtones est conçue comme leur assimilation au régime juridique général.

1954 E. Adamson HOEBEL formule le Droit comme un processus du simple au complexe, dans son ouvrage The Law of Primitive Man.

1955 jusqu’à 1980. Les Inuits du Nord-Québec tentent de développer un mouvement coopératif, alternative entre le système d’échanges traditionnel et le capitalisme.

1957 L’OIT adopte la Convention 107 basée sur l’assimilation des autochtones, laquelle restera en vigueur jusqu’à 1988.

1960 Décennie d'acceptation du multiculturalisme aux Etats Unis. Le Conseil National de la Jeunesse Indienne s’éloigne du projet de Martin Luther King d’unifier les défavorisés.

1960 Décennie où la gauche européenne déçue par le marxisme commence à rejeter les partis communistes et s’oriente vers les mouvements sociaux. Redécouverte d’Antonio GRAMSCI.

1961 La Loi 135 réforme du régime des resguardos en Colombie ;

1961 Frantz FANON analyse l’imposition de l’image de colonisé par le colonisateur.

1962 Raymond VERDIER formule la distinction entre exo-intransmissibilité et Inaliénabilité de la terre, à propos des sociétés africaines ; Etienne Le Roi reprendra cette distinction.

1964 Cornélius CASTORADIS avance le concept d’« imaginaire social » en sociologie.

1964 Les prêtres Salésiens en Equateur prennent la défense de la langue, des coutumes et de l’identité culturelle indigène, devançant le Mexique.

1965 Le président américain Lyndon B. JOHNSON annonce des mesures pour mettre fin à toute sorte de discrimination, ce décret signale le départ de l’Affirmative Action.

1965 Début du multiculturalisme au Canada. Rapport de la Royal Commission on Bilinguism et Multiculturalism au Québec.

1965 M. G. SMITH publie à Berkeley son étude sur la société plurielle dans les British West Indies.

1967 Par la Loi 31 de 1961 la Colombie ratifie la Convention 107 de 1957 de la OIT.

1967 Henri LEVY-BRUHL marque le début de la sociologie du Droit en France avec l’ouvrage du même titre.

1968 Les jeunes anthropologues attaquent le concept d’intégration des indiens. Apparition du mouvement Katarisme bolivien, qui rejette tout ce qui vient de l’occident.

1968 Henri FAVRE créé l’Equipe de recherche sur les sociétés indigènes paysannes de l’Amérique Latine ERSIPAL dans le CREDAL, Centre de recherche d’Amérique Latine.

1968 Le sociologue Michael BARKUN signale que l’existence de conflits sociaux n’exclue pas des relations parallèles de rapprochement ou de coopération entre les mêmes groupes.

1969 Frédéric BARTH explique l’identité résultant d’un processus d’interaction entre plusieurs acteurs engagés pour construire leurs différences.

1970 La Déclaration de Barbados marque le réveil indigène : les intellectuels demandent de mettre fin à l’oppression des indigènes ; un second document fut signé par les indigènes.

1970 Au cours de cette décennie, l’Australie, le Canada et les Etats Unis n’exigeront plus l’anglo-conformité aux immigrants. Le Canada consolide sa politique multiculturaliste.

1970 Le livre Roots marque le début des revendications culturelles spécifiques des noirs Africains-américains.

1971 En Australie l’Arrêt Milirrpum vs Nabalco a conclu qu’étant inhabité le territoire tous les titres fonciers valables doivent dériver de la Couronne. Précédant de l’Arrêt Mabo.

1971 John RAWLS publie Theory of Justice et lance le débat entre libéraux et communautaristes, propre de l’univers anglo-saxon.

1971 Création en Colombie du Comité Régional Indigène du Cauca CRIC par les indiens Paeces et les Guambianos, ce qui deviendra le modèle pour les organisations indigènes.

1971 L’Etat mexicain se déclare officiellement pluriculturel, en renonçant à l’indigénisme d’intégration.

1972 L’ONU crée la catégorie internationale de ‘peuples autochtones’.

1972 L’Australie adopte une politique de multiculturalisme pour les minorités asiatiques. Les autochtones se marginalisent volontairement de ce processus de nation building.

1973 Le Canada reconnaît la langue française au Québec.

1973 La crise énergétique mondiale accroît la présence l’Etat canadien dans les territoires des Inuits à la recherche de pétrole ; leur sédentarisation et monétarisation s’accentuent.

1973 La Cour Suprême du Canada dans l’Arrêt Calder c. Colombie-Britannique reconnaît que les autochtones ont un titre préexistant sur leurs terres. L’équivalent à l’Arrêt Mabo australien.

1973 Loi 6001 Brésil promulgue le Statut de l’Indien.

1973 Sally Falk MOORE propose le concept de champs sociaux sémi-autonomes qui deviendra classique en anthropologie du Droit.

1974 Construction de la notion de développement durable, par Maurice STRONG, à partir sur l’idée de éco-développement d’Ignacy SACHS, de l’EHESS à Paris.

1974 La North American Indian Brotherhood NAIB est la première ONG qui obtient le statut consultatif auprès du Conseil Economique et Social de l’ONU.

1975 La Suède adopte le multiculturalisme intégral.

1975 Signature de la Convention de la Baie James et du Nord-Québec, entre les Indiens Cree, les Inuits, la province de Québec et le Gouvernement fédéral canadien.

1975 Michel Barry HOOKER publie Legal Pluralism, un analyse de la façon comme les Etats coloniaux ont fréquemment reconnu les différences culturelles en termes juridiques.

1975 Adoption de la Commonwealth Racial Discrimination Act, le plus solide support des droits des autochtones australiens contre l’extinction de leurs titres de propriété.

1976 Michel FOUCAULT démontre comment le mythe de la guerre de races est issu de la « conquête » comme événement primordial.

1976 Frédéric BARTH affirme que les distinctions ethniques ne dépendent pas d’une absence d’interaction ou d’acceptation sociales mais au contraire elles s’affirment dans l’interaction.

1977 A la Commission des Droits de l’Homme à Genève les amérindiens revendiquent la qualité de peuples, et non plus de minorités ethniques.

1977 L’ONG Indian Treaty Council obtient le statut consultatif auprès du Conseil Economique et Social de l’ONU.

1977. Création de la Conférence Inuit Circumpolaire ICC, avec des représentants d’Alaska, Groenland et la Canada, pour faire face aux projets de développement des terres arctiques.

1978 Australie adopte le model multiculturel.

1978 En décembre les anthropologues du droit créent à Budapest la Commission of Folk and Legal Pluralism, un groupe international de chercheurs et d’universitaires.

1978 Sally Falk MOORE étudie la loi comme un processus et jette les fondements d’une analyse dynamique et pragmatique de l’anthropologie du Droit.

1978 La Constitution de l’Equateur reconnaît les langues, l’éducation, l’économie et les terres des indigènes.

1980 Dans cette décennie la notion de société civile est réutilisée par les intellectuels mobilisés contre les régimes autoritaires de l’Europe de l’Est et de l’Amérique Latine.

1980 Le 27 janvier. Entrée en vigueur de la Convention de Vienne sur le droit des traités internationaux.

1980 Création d’OREWA, l’organisation indigène du département du Choco, en Colombie, pour revendiquer la propriété collective du territoire.

1980 Le doyen Jean CARBONNIER publie Flexible Droit, où l’approche sociologique donne de la souplesse au Droit sans remettre en question l’unité législative.

1980 L’ONG Indian Law Resource obtient le statut consultatif auprès du Conseil Economique et Social de l’ONU.

1981 La Conférence des ONG sur les peuples autochtones étend l’internationalisation du problème autochtone.

1982 Le 9 août. Première réunion du Groupe de Travail sur les Populations Autochtones, de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU. En 2002 deviendra l’Instance Permanente

1982 KEESING, R. M. et TONKINSON, R. proposent le concept de ré-invention de la différence, in Reinventing Traditional Culture : The Politics of Kastom in Island Melanesia.

1982 Re-patriation de la Constitution canadienne et adoption de la Charte des Droits sur le modèle américain ; applicable donc aux québécois et aux aborigènes.

1982 L’ordonnance n° 82-877 reconnaît aux autorités coutumières le pouvoir de conciliation et établi les assesseurs coutumiers dans la juridiction civile en Nouvelle-Calédonie.

1983 Clifford GEERTZ subordonne le Droit à la culture et marque le début du culturalisme interprétativiste ;

1983 Eric HOBSBAWN et RANGER, Terence publient The Invention of Tradition, à Cambridge.

1983 La Constitution de Panama reconnaît l’identité ethnique, la propriété collective des terres et la représentation parlementaire des indigènes.

1985 L’Arrêt Simon contre la Reine de la Cour Suprême du Canada adopte le principe d’interprétation libérale et généreuse des traités conclus avec les autochtones.

1986 Les Constitutions de Guatemala et de Nicaragua reconnaissent l’identité culturel, les langues, l’organisation sociale et les terres des communautés indigènes.

1986 « Etude du problème de la discrimination envers les populations autochtones » de l’équatorien José Ramon MARTTINEZ COBO, rapporteur spécial de l’ONU.

1986 John GRIFFITHS publie What is Legal Pluralism ?, un article qui marquera la définition du pluralisme juridique. La suite sera fait par Sally MERRY en 1988.

1987 La Commission Mondial de l’Environnement et du Développement WCED aussi appelée Commission BRUNDTLAND formule la notion de développement durable.

1987 James CLIFFORD consacre l’expression « réinvention de la différence », dans une perspective post-moderne. Déjà proposée par KEESING et TONKINSON en 1982.

1987 Ernesto LACLAU et Chantal MOUFFE affirment que les identités culturelles sont réflexives, dynamiques, historiques et changeantes.

1988 La Commission des Droits de l’Homme de l’ONU ébauche une déclaration universelle des droits des aborigènes

1988 L’OIT revalue la Convention N° 107 de 1957 et abandonne la conception intégrationniste et le postulat implicite de l’infériorité culturelle des peuples autochtones.

1988 Les articles 174, 231 et 232 de la Constitution du Brésil reconnaissent l’organisation sociale des peuples autochtones, les terres et la légitimité de leurs droits.

1988 Elizabeth TOOKER présente son hypothèse sur l’influence de la confédération iroquoise Hodenosaunee du XV siècle sur The Federalist et la Constitution des Etats Unis.

1989 Le 27 juin 1989, l’OIT adopte la Convention n° 169 concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants. L’abandon de l’assimilation des peuples autochtones.

1989 I. YOUNG formule la notion de citoyenneté différenciée.

1989 Première affaire du foulard islamique en France.

1989-1991 La fin de la guerre froide permet la libre expression des revendications des peuples autochtones et des minorités qu’auparavant devait prendre une position polarisée.

1990 Dans cette décennie les Etats Unis affichent leur multiculturalisme, après le melting-pot.

1990 Laura NADER formule l’« idéologie de l’harmonie » chez les indiens Zapotecs au Mexique pour empêcher aux autorités étatiques de se mêler dans leurs affaires.

1991 Les sociologues Luc BOLTANSKI et Laurent THEVENOT reconnaissent l’appartenance d’une même personne à plusieurs mondes, ce qui combine plusieurs statuts

1991 La Conférence sur la Sécurité et le Développement en Europe OSCE adopte une Déclaration sur les droits des minorités nationales.

1991 La Commission des Droits de l’Homme de l’OEA adopte le principe selon lequel les droits individuels ne s’opposent pas aux droits collectifs.

1991 La Colombie ratifie la Convention n° 169 de l’OIT, laquelle entre en vigueur le 5 septembre 1991. La nouvelle Constitution colombienne développe les droits des indigènes.

1991 Dans la Déclaration de Guadalajara, 19 Etats latino-américains, l’Espagne et le Portugal s’accordent sur le respect des droits culturels indigènes.

1991 La Banque Mondiale adopte sa propre définition des peuples autochtones dans la Directive opérationnelle 4.20.

1992 Le Conseil de l’Europe adopte la Charte européenne pour les langues régionales ou minoritaires ; signée à Budapest le 7 mai 1999, la Charte sera rejetée par la France.

1992 Le 3 juin, l’Arrêt Mabo vs. State of Queensland de la Court Suprême d’Australie reconnaît les titres natifs des peuples autochtones, en les insérant dans la Common Law.

1992 Du 3 au 14 juin. Le Sommet sur l’Environnement et le Développement UNCED à Rio de Janeiro reconnaît l’expérience des peuples autochtones dans le milieu naturel.

1992 Le 26 octobre le Canada rejette par référendum l’accord de Charlottetown, un amendement constitutionnel sur l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones.

1992 La Constitution du Paraguay reconnaît l’identité ethnique, l’organisation sociale et la propriété communautaire des terres des peuples indigènes.

1992 La Constitution du Mexique reconnaît la composition multiculturelle de la nation mexicaine.

1992 Le 18 décembre l’Assemblée Générale de l’ONU adopte la Résolution N° 47 / 135, un déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités.

1993 L’OSCE instaure en Europe un Haut Commissariat aux minorités nationales. L’ONU débat une Déclaration des Droits des personnes appartenant à des minorités.

1993 Amy GUTMAN dans son ouvrage The Challenge of Multiculturalism in Political Ethics affirme que les personnes sont aussi multiculturelles que les sociétés.

1993 La nouvelle Constitution du Pérou reconnaît le pluralisme ethnique et culturel du pays

1993 Christophe JAFFRELOT créé la notion de syncrétisme stratégique entre les cultures des colonisés et des colonisateurs.

1993 Adoption de la Native Title Act en Australie pour encadrer les effets de l’arrêt Mabo.

1994 Entrée en vigueur de la Constitution de la Bolivie, dont l’article 174 reconnaît les droits, les autorités et les systèmes juridiques des peuples indigènes.

1994 Juin. La conférence d’ONG sur les Droits de Propriété Intellectuels et culturels des peuples autochtones proclame la Déclaration de Mataatua, Nouvelle-Zelande.

1994 Isabelle Schulte-Tenckhoff analyse la transformation des traités historiques conclus par les peuples autochtones avec la France et l’Angleterre comme l’« internalisation des traités ».

1995 Will KYMLICKA introduit la notion de citoyenneté multiculturelle, inspirée par Marcel MAUSS, pour remplacer la notion citoyenneté différenciée.

1995 John AGNEW et Stuart CORBRIDGE formulent le modèle d’un nouvel ordre déterritorialisé.

1995 La Commission des Droits de l’Homme transforme le Groupe de travail sur les peuples autochtones en Groupe Technique pour continuer la rédaction du Projet de déclaration.

1995 Le 27 octobre. Déclaration de Jaltepec, en Mexique, en faveur du pluralisme juridique.

1996 Samuel HUNTINGTON formule sa théorie du choc des civilisations, laquelle sera rejeté par le rapport de l’ONU de 2004 sur « La liberté culturelle dans un monde diversifié ».

1996 Le Sommet des Chefs d’Etat des Amériques à Santiago de Chili adopte une Déclaration sur la participation populaire sans reconnaître le caractère public des autorités indigènes.

1996 Le rapporteur de l’ONU Miguel Alfonso MARTINEZ rend un rapport intérimaire de l’étude sur les traités historiques des peuples autochtones. Le rapport final sera rendu en 1999.

1996 La Suprême Court d’Australie précise dans l’arrêt The Wik People vs. State of Queensland & Ors que les titres natif peuvent co-exister avec les droits de pâturage.

1997 R. ROSALDO propose la notion de citoyenneté culturelle, à Boston.

1997 BORNEMAN analyse la transformation de l’Etat en agent moral suite aux demandes de la société civile.

1997 Gunther TEUBNER dirige la publication de Global Law Without a State, un ouvrage qui déconstruit l’Etat et propose un pluralisme juridique pour la mondialisation.

1998 Le 5 mai. Signature à Nouméa de l’accord sur la Nouvelle-Calédonie.

1998 En France, la révision constitutionnelle du 20 juillet sur la Nouvelle-Calédonie a adopté le statut de Peuple d’Outre-Mer, et a accepté une exception au principe de l’unité.

1999 « Etude des traités, accords et autres arrangement constructifs entre les Etats et les populations autochtones » du cubain Miguel Alfonso MARTINEZ, rapporteur de l’ONU.

1999 La Constitution du Venezuela reconnaît les droits, la propriété de la terre, l’organisation sociales et la représentation parlementaire des indigènes.

1999 Le 1er avril 1999. Création officielle du Nunavut, le troisième territoire fédéral du Canada

1999 En France, adoption de la Loi organique N° 99-209 du 19 mars en développant la révision constitutionnelle sur la Nouvelle-Calédonie.

2000 En avril, la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU créé un Forum permanent pour les peuples autochtones.

2000 Approbation de l’Accord définitif entre les Nisga’a, la Colombie-Britannique et le Canada. Le gouvernement Nisga’a Lisims entre en vigueur et adopte ses premières lois.

2000 Jürgen HABERMAS dans Après l’Etat-Nation admet que les citoyens d’un Etat puissent se reconnaître culturellement à travers plusieurs niveaux d’appartenance simultanés.

2001 Les réflexions suscitées à partir des attentats du 11 septembre modifient la perception global sur les peuples autochtones, par contraste avec les fondamentalistes contemporains.

2002 Du 6 au 17 mai. Première session annuelle de l’Instance permanente sur les questions autochtones de l’ONU.

2003 Kofi ANAN, Secrétaire Général de l’ONU installe à New York le second période de sessions du Forum Permanent sur les Affaires Indigènes.

2004 Rapport de l’ONU « La liberté culturelle dans un monde diversifié » sur le développement humain, inspiré par Amartya SEN et Will KYMLICKA.







































































LE PLURALISME JURIDIQUE ET LES PEUPLES AUTOCHTONES

TABLE DES MATIERES
Page

Introduction. 7
§ 1 : Le choix des modèles 9
§ 2 : La méthode : partir du recensement des faits juridiques 11
§ 3 : Les sources et leurs limites 13


1ère partie. Les diverses reconnaissances des peuples autochtones dans le Droit public interne et international 16
 
Chapitre 1 : le régime australien 17
Section 1 : la position moderne du problème 18
§ 1 : l’arrêt Mabo 21
§ 2 : la Common Law et droit autochtone 26
§ 3 : le titre natif 29

Section 2 : la mise en pratique 33
§ 1 : la Natif Title Act 34
§ 2 : l’évolution jurisprudentielle 36
A. avant l’arrêt Mabo 37
1. l’arrêt General Attorney of New South Wales v. Brown 37
2. l’arrêt Cooper v. Stuart 37
3. l’arrêt Geita Sebea v. Territory of Papua 38
4. l’arrêt Milirrpum v. Nabalco Pty Ltd 38
B. après l’arrêt Mabo 39
1. l’arrêt People Wik v. State of Queensland 39
2. la jurisprudence récente 39
§ 3 : les autres revendications autochtones 40
A. la revendication d’autonomie 41
B. l’obligation fiduciaire 43
 
Chapitre 2 : le régime canadien 45
Section 1 : la Constitution du Canada 44
§ 1 : la réforme constitutionnelle de 1982 47
A. l’article 25 de la Constitution 47
B. l’article 35 de la Constitution 49
C. l’article 37 de la Constitution 52
§ 2 : les modifications apportés par les conférences constitutionnelles 53
§ 3 : les revendications d’autonomie 54
§ 4 : le débat sur la pleine citoyenneté 55
§ 5 : la dimension temporelle des droits ancestraux 56

Section 2 : le statut légal 58
§ 1 : les conventions tripartites 62
§ 2 : la création légale du Nunavut 63
§ 3 : le régime foncier 64
§ 4 : le titre aborigène 65

Section 3 : la jurisprudence 66
 
Chapitre 3 : le régime colombien 75

Section 1 : les régimes colonial et républicain 76

Section 2 : la constitution de 1991 80
§ 1 : la territorialité indigène 87
§ 2 : la propriété de la terre 91
§ 3 : la jurisprudence de la Cour constitutionnelle 94

Section 3 : les politiques d’ethnisation 100

Chapitre 4 : le régime français de la Nouvelle Calédonie 109

Section 1 : le principe général en métropole 109
§ 1 : l’unité républicaine 109
§ 2 : les ouvertures au pluralisme 114
§ 3 : la discrimination positive 119
§ 4 : les adaptations jurisprudentielles 121

Section 2 : l’exception de la Nouvelle-Calédonie 124
§ 1 : la constitution de la Vème République 125
§ 2 : l’accord de Nouméa et la révision constitutionnelle de 1998 130
§ 3 : la loi organique de 1999 pour la Nouvelle-Calédonie 133

Chapitre 5 Le régime international des peuples autochtones 137

Section 1 : la position de l’ONU face aux traités historiques 137
§ 1 : Le rapport Martinez 137
§ 2 : L’internalisation des traites 142
§ 3 : Autres positions internationales 144

Section 2 : la récupération des traités historiques 147
§ 1 : les enjeux coloniaux 150
§ 2 : les ambiguïtés constitutionnelles 154
§ 3 : le régime actuel des traités historiques 158

Section 3 : les accords contemporains 160
§ 1 : les compétences internes des autochtones 160
§ 2 : les cas représentatifs 162
A. La Convention de la Baie James 162
B. le Manitoba 164
C. Sechelte 164
D. Yukon 164
E. Le Québec 165
§ 3 : la renégociation générale des traités historiques 167

Conclusions de la première partie 169

2e partie. Les effets des pluralismes juridiques sur la théorie juridique 172

Chapitre 6 : les effets sur les principes généraux du droit constitutionnel et la théorie constitutionnelle 173

Section 1 : la suprématie de la Constitution 176
§ 1 : le droit devenu identitaire 178 § 2 : les types de normes 180
§ 3 : les modèles de constitutions multiculturelles 181
§ 4 : l’ouverture du droit constitutionnel 182

Section 2 : les peuples multiculturels 182
§ 1 : l’exemple de l’Australie 183
§ 2 : l’exemple du Canada 184
§ 3 : l’exemple de la Colombie 185
§ 4 : l’exemple de la France 187
§ 5 : le traitement international des peuples autochtones 187
§ 6 : l’appréhension par la théorie juridique des peuples multiculturels 188

Section 3 : de la légitimité aux légitimités 190
§ 1 : l’exemple de l’Australie 191
§ 2 : l’exemple du Canada 191
§ 3 : l’exemple de la Colombie 193
§ 4 : l’exemple en France 193
§ 5 : Vers une légitimité multiculturelle 195

Section 4 : valeur juridique et valeurs culturelles 200
§ 1 : au Canada 201
§ 2 : dans le régime colombien 202
§ 3 : En France 202
§ 4 : l’ONU 204
§ 5 : les valeurs juridiques multiculturelles 204
§ 6 : l’insertion contestataire des autochtones 207

Section 5 : les constitutions plurielles 208
§ 1 : l’Australie 209
§ 2 : le Canada 209
§ 3 : la Colombie 212
§ 4 : la France 213
§ 5 : l’ouverture de l’interprétation constitutionnelle 214

Chapitre 7 : les effets sur les droits subjectifs 217

Section 1 : les effets sur l’égalité ou l’égalité dans la diversité 217
§ 1 : les nouveaux statuts de l’égalité 218
A. en Australie 218
B. au Canada 218
C. en Colombie 219
D. en Nouvelle-Calédonie 220
E. l’ONU 221
§ 2 : ébauche d’une théorie générale ou comment concilier l’égalité
et le pluralisme 222

Section 2 : les effets sur les droit fondamentaux 227
§ 1 : au Canada 228
§ 2 : en Colombie 228
§ 3 : en Nouvelle-Calédonie 231
§ 4 : l’ONU 232
§ 5 : influence sur la théorie 233

Section 3 : les effets sur la représentation politique 237
§ 1 : en Australie 238
§ 2 : au Canada 238
§ 3 : en Colombie 239
§ 4 : en Nouvelle-Calédonie 239
§ 5 : l’ONU 240
§ 6 : l’influence sur la théorie 241
 
Chapitre 8 : les effets sur la théorie générale de l’Etat : le réaménagement de l’unité et la diversité 249

Section 1 : les effets sur l’unité de l’Etat 249

Section 2 : le fédéralisme mis à profit 259
§ 1 : en Australie 259
§ 2 : au Canada 260
§ 3 : en Colombie 261
§ 4 : en France 261
§ 5 : l’ONU 262
§ 6 : l’influence sur la théorie 263

Section 3 : les droits collectifs 266
§ 1 : en Australie 266
§ 2 : au Canada 267
§ 3 : en Colombie 268
§ 4 : en Nouvelle-Calédonie 269
§ 5 : En droit international public 269
§ 6 : les conséquence sur la théorie 270

Section 4 : la territorialité autochtone 273
§ 1 : en Australie 274
§ 2 : au Canada 275
§ 3 : en Colombie 276
§ 4 : en Nouvelle-Calédonie 277
§ 5 : l’ONU 277
§ 6 : les conséquences sur la théorie 278

Chapitre 9 : les dangers posés par le pluralisme juridique 283

Section 1 : les risques de captation juridique et politique des peuples autochtones 283

Section 2 : les risques de dérives utopiques et totalitaires 290
§ 1 : les dérives possibles 291
§ 2 : des risques conjurables 293

Section 3 : les risques d’assimilation des peuples autochtones 296

Section 4 : les risques d’un « gouvernement des juges » 302
§ 1 : la situation dans les divers pays 302
§ 2 : l’influence sur la théorie 305
§ 3 : l’accroissement des pouvoirs des juges 306


Conclusion générale : les pluralismes juridiques permettent de gérer
les recompositions identitaires 309

Bibliographie 313
Ouvrages et manuels 313
en langue française 313
en langue étrangère 316
Thèses inédites et articles publiés 321
en langue française 321
en langue étrangère 325
Jurisprudence 329
Cour constitutionnelle de Colombie  329

Annexe. Chronologie générale 331

Table des matières 343
 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2004. La liberté culturelle dans un monde diversifié, Economica, 2004, Paris, p. v.
 Alain PELLET, Note sur la Commission d’arbitrage de la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie, AFDI, 1991, p. 339, cité par Norbert ROULAND, Stéphane PIERRE-CAPS et Jacques POUMAREDE, Droit des minorités et des peuples autochtones, Puf, 1996, Paris, p. 209.
 Norbert ROULAND, op. cit., p. 422.
 John GRIFFITHS considère que l’Etat ne peut mettre en place qu’un pluralisme juridique formel et dans un sens assez faible. Cf. « What is legal pluralism”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, n° 24, 1986, p. 8.
 Rapport Martinez, § 98.
 Louis DUMONT, Essais sur l’individualisme, Paris Editions du Seuil, 1983, p. 70.
 Ibidem, p. 17.
 Ibidem, p. 18.
 Première partie de la thèse
 Trois disciplines qui constituent le cadre conceptuel pour étudier les relations entre droit et cultures.
 Abstraite et universelle.
 Descriptive et locale.
 Cf. Emile DURKHEIN, Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie, Alcan, 1912, réédition P.U.F. 1960, cité par Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, Bruylant LGDJ, 1997, p. 8.
 Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, « Le principe d’égalité entre collectivités locales », Cahiers du Conseil Constitutionnel, n° 12, Dalloz, 2002, p. 95.
 Boaventura DE SOUSA SANTOS et Mauricio GARCIA VILLEGAS, El Caleidoscopio de las Justicias en Colombia, Bogota, Colciencias, 2001, pp. 134 et 137.
 Préface du livre de Daniel BARDONET, Le Tribunal des conflits, juge du fond. Lgdj, 1959, p. VIII.
 MONTESQUIEU, L’esprit des lois, XXIX, 18.
 Louis DUMONT, op. cit. p. 20.
 Particulièrement dans le droit romano-germanique. Cf. HOOKER, op. cit. p. 195.
 Il y a toujours des groupes qui restent fermés et des attitudes fondamentalistes très minoritaires que les médias parfois surdimensionnement.
 Jaak BILLIET et autres, “National identity and Attitude toward Foreigners in a Multinational State: A Replication”, Political Psychology, Vol. 24, N° 2, juin 2003, p. 242.
 Par extension, du droit et des mouvements idéologiques contemporains.
 « Return to Legal Pluralisme –Twenty Years Later », Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, n° 28, 1991, pages 149 à 157, et « Vers une nouvelle conception du pluralisme juridique », Revue de Recherche Scientifique – Droit prospectif, 1993, pages 573 à 583.
 Etienne LE ROY, Les pluralismes juridiques, Karthala, Paris, 2003, pages 10 et 11.
 Ibidem.
 La ressemblance avec l’expression augustinienne des deux cités n’est que le fruit du hasard.
 Seyla BENHABIB, The Claims of Culture, Princeton, Princeton University Press, 2002, page 181.
 Maurice HAURIOU, « Les deux réalismes », Imprimerie et Librairie Edouard Privat, 1912, Toulouse, page 9.
 Les deux méthodes, induction et déduction, étant complémentaires.
 L’ONU ébauche une Déclaration des droits des peuples autochtones. Cf. Will KYMLICKA, La citoyenneté multi-culturelle : une théorie libérale du droit des minorités, Paris, La Découverte, 2001, p. 15. Pour sa part, l’OIT revalue la Convention N° 107 de 1957. Cf. Rapport VI (1), OIT, Conférence Internationale du Travail, 75e session, 1988, page 20, cité par Françoise MARTINAT, Les stratégies politiques et juridiques des leaders indigènes de la Colombie et du Venezuela, Université de Lille 2, thèse doctorale en sciences politiques, septembre 2003, page 102.
 Christian GROSS, “De la nacion mestiza a la nacion plural : El nuevo discurso de las identidades en el contexto de la globalización”, article publié dans l’ouvrage collectif Museo, memoria y nacion, Gonzalo SANCHEZ et Maria Emma WILLS, Bogota, Ministerio de Cultura - PNUD, 2000, pp. 33 et 98.
 En 1788, l’Australie avait une population d’entre un demi million et un million d’habitants, subdivisée en plusieurs centaines de tribus parlant plus de deux cents langues différentes. Cf. Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochotones, PUF, 1997, page 72. En 1823, la New South Wales Act a autorisé la création d’une législature en Australie. L’Imperial Act for the Administration of Justice in New South Wales and Van Diemen’s Land a pris les mesures concernant les actes officiels entre 1788 et 1823. Cf. A. CASTLES, An Australian Legal History, Sydney, Law Book Company, 1982, page 11.
 Cf. l’arrêt Cooper v. Stuart de 1889 et l’arrêt Milirrpum v. Nabalco de 1971.
 BLACKSTONE, Commentaries on the Laws of England , Oxford University Press. Blackstone a représenté une importante évolution dans la Common Law. Cf. Shaunnagh DORSETT, Land Law and Dispossession: Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 280.
 John LOCKE, The Two Treaties, 1690 ; John COTTON, John Cotton’s answer to Roger Williams, texte publié dans The Complete Writings of Roger Williams, New-York, Russell and Russell, 1963, Volume II.
 COTTON, op. cit., sections 32, 42, 45 et 47, cité par TULLY, 1999, p. 72.
 4 & 5 Will IV c.94, cité par DORSETT, op. cit., p. 286.
 Cf. l’arrêt Cooper v. Stuart de 1889. 14 AC 286 à 291, cité par DORSETT, op. cit., pages 282 et 289.
 DORSETT, op. cit., p. 287.
 Cf. l’arrêt Cooper v. Stuart, 1889, 14 App Cas 186. Pour une analyse voir : Henry RAYNOLDS, The Law of the Land, Penguin Books, Victoria, 1992, pp. 32 à 33 et 207 ; Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, 1997, Bruylant LGDJ, 1997, p. 73.
 DORSETT, op. cit., p. 287.
 La Commonwealth of Australia Constitution Act adoptée par le Parlement du Royaume Uni à Westminster a mis en place le régime fédéral pour les Etats de Nouvelle Galles du Sud, Victoria, Australie du Sud, Queensland et Tasmanie.
 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie, Alcan, 1912, réédition P.U.F. 1960. Cf. Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, Bruylant LGDJ, 1997, p. 8.
 Dénoncer une injustice radicale peut servir comme axiome pour une argumentation fallacieuse, d’après Albert O. HIRSCHMAN in The Rhetoric of Reaction. Perversity. Futility. Jeopardy, Harvard, Harvard University Press, 1991.
 Une préoccupation analogue se trouve dans le droit colonial français. Cf. Michael Barry HOOKER, Legal Pluralism. An Introduction to Colonial and Neo-colonial Laws, Oxford University Press, 1975, page 340.
 Hooker, 1975, page 340.
 67 CLR 544, cité par DORSETT, op. cit., p. 292.
 M. HOOKER, op. cit., p. 343.
 M. HOOKER, op. cit., p. 341.
 M. HOOKER, op. cit., p. 463.
 Cf. Epstein, Manque le titre et l’éditeur, 1969, pages 110 à 200; Panoff, 1970 ; Lalor, 1969; Leyser, 1965 et Sack 1972, cités par HOOKER, op. cit. , page 341.
 M. HOOKER, op. cit., p. 343.
 Anthony MORAN, The Psychodynamics of Australian Settler-Nationalism: Assimilating or Reconciling with the Aborigines ?, article publié dans la revue Political Psychology, Vol. 23, N° 4, décembre 2002, page 670.
 D. E. FISHER, Natural Resources Law in Australia, Sydney, The Law Book Compagny Ltd, 1987, spécialement le chapitre 9 “Ownership of Aboriginal Land”, page 79.
 Robert GRANT, De-Colonisation and Difference: The Case of Australia’s Aboriginals, University of Aberdeen, 1997, et DORSETT, op. cit., p. 282.
 DORSETT, op. cit., pp. 283 et 291.
 Michel WIEVORKA situe l’apparition du multiculturalisme aux États Unis dans les années 1960. Cf. La Différence, Éditions Balland, 2001, Paris, p. 82. Le Canada et les Etats Unis suppriment la condition de l’anglo-conformité pour accueillir les immigrés, cf. Will KYMLICKA, Multicultural citizenship, a liberal theory of minorities rights, Oxford University Press, 2001, p. 29.
 Robert GRANT, De-Colonisation and Difference : The Case of Australia’s Aboriginals, University of Aberdeen, 1997.
 Cette discrimination entre autochtones et non autochtones en Australie contraste de façon saisissante avec l’expérience colombienne qui tend plutôt à intégrer les minorités ethniques, telles que les noirs, les raïsales et les gitans dans le jeu politique.
 Robert GRANT, De-Colonisation and Difference : The Case of Australia’s Aboriginals, University of Aberdeen, 1997, pp. 1 et 5.
 Au Canada, l’arrêt Calder v. British Colombia a reconnu en 1973 la survivance des titres indiens. Aux Etats Unis l’arrêt Johnson v. Mc’Intosh en 1823 a reconnu que les tribus possèdent un droit de propriété sur leurs terres en vertu d’un titre indien.
 Sam Passi, David Passi, Celuia Mapo Salee et James Rice. La demande fut formulée le 20 mai 1982, dix ans plus tard au moment de la sentence, le 3 juin 1992, Celuia Mapo Salee et Eddie Mabo étaient décédés.
 DORSETT, op. cit., pp. 290 et 292.
 En 1986 lors d’un entretien accordée à la chaine ABC à Cairns, Greg McINTYRE a raconté comment lui-même, Eddie Mabo et Noni Sharp, une sociologue de l’Université de La Trobe, ont eu l’idée à la fin des années 1970 de déposer cette plainte. Cf. Ruth KERR, Aboriginal Land Rigths. A Comparative Assessment, Brisbane, Queensland Parlamentary Library, novembre 1991, p. 239.
 Le juge Gerard Brennan a rédigé l’arrêt Mabo, lequel a été approuvé par six juges la Cour Suprême : C.J. Mason, J. Brennan, Deane, Toohey, Gaudron et J.J. McHugh ; le juge J. Dawson a voté contre. 
 Où se trouvent les Îles Murray revendiquées.
 Les Îles du détroit de Torres furent l’objet d’une déclaration de souveraineté spécifique par la Queensland Coast Island Act de 1879 ; bien que l’acquisition de la souveraineté britannique sur l’Australie se soit faite en 1788 lors de son annexion pacifique.
 Murray CHAPMAN, L’affaire Mabo et ses implications, Paris, L’Harmattan, 1995, page 209.
 Un parti politique minoritaire, appelé One Nation, du député Pauline Hanson met en relief depuis 1996 tout ce que l’Australie a fait pour les autochtones.
 Accustomed, en anglais.
 On découvre le même réflexe chez la Haute Cour du Canada.
 Egalement appelé la Land Rights Act.
 Au Canada également les négociations politiques entre les peuples autochtones, la province et l’Etat sont préférées aux débats judiciaires.
 Murray CHAPMAN, L’affaire Mabo et ses implications, L’Harmattan, 1995, p. 198.
 Shaunnagh DORSETT et Lee GODDEN, Tenure and Statute : Reconceiving the Basis of Land Holding in Australia, 1999, p. 2. Voir aussi : MA Stephenson et Suri Ratnapala, Mabo: A Judicial Revolution, Brisbane , University of Queensland Press, 1993.
 Murray CHAPMAN, L’affaire Mabo et ses implications, Paris, L’Harmattan, 1995, page 206
 DORSETT, Land Law and Dispossession: Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 287.
 La supériorité du spirituel sur le matériel ne constitue pas un sujet juridique mais plutôt philosophique.
 DORSETT, op. cit., p. 293.
 HOOKER, Legal Pluralism. London, Oxford University Press, 1975, p. 466
 Ibidem, pp. 459 et 460.
 Selon la dénomination du droit français.
 Kevin GRAY et Susan Francis GRAY, The Idea of Property in Land, article publié dans l’ouvrage collectif Land Law – Themes and Perspectives, sous la direction de Susan BRIGHTet John DEWAR, Oxford, Oxford University Press, 1998.
 Dans la doctrine de la Common Law, la propriété n’est pas un droit fondé sur un titre mais une situation juridique.
 M. HOOKER, Legal Pluralism. London, Oxford University Press, 1975, p 341
 Il convient d’éviter l’erreur d’attribuer au système juridique dominant une politique cohérente pendant la totalité de sa période de pré-éminence ; cf. Hooker, op. cit. , page 56.
 M. HOOKER, op. cit., p. 342.
 DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 294.
 “The indigenous people of a settled colony were thus taken to be without laws, without a sovereign and primitive in their social organization”. Cf. l’arrêt Mabo et l’arrêt Advocate-General of Bengal v. Ranee Surnomoye Dossee.
 BLACKSTONE lui-même plaidait pour l’application de la Common Law seulement dans la mesure où les circonstances permettent son implantation.
 21 U.S. (8 Wheat) 543; arrêt rédigé par le Juge John Marshal. Cette jurisprudence et les traités conclus entre les Etats-Unis et les peuples indigènes n’ont pas empêché la conquête et la colonisation de la partie ouest du pays.
 21 U.S. (8 Wheat) 574. Puis l’arrêt Nation Indienne Oneida de New York contre County d’Oneida, New York, en 1974, 414 US 661, 667-9, cité par G.J. KOPPENOL, The evolution of native title in the High Court of Australia, Manque l’éditeur, 2003, § 3
 NZPCC 387; puis l’arrêt Te Runanganui o Te Ika Whenua Inc Society v. Attorney-General, en 1994, 2 NZLR 20, cité par KOPPENOL, op. cit., § 3
 App Cas 46, cité par KOPPENOL, op. cit., § 3
 Arrêt Mabo N° 2, 48, cité par DORSETT, Land law and Dispossession: Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 2.
 ROBERTS-WRAY, Commonwealth and Colonial Law, 1966, page 625 et Sir John SALMOND, Jurisprudence, 7e edition, 1924, appendice "The Territory of the State", page 554, cités dans l’arrêt Mabo § 45
 D. E. FISHER, Natural Resources Law in Australia, Sydney, The Law Book Company Ltd, , 1987, chapitre 9 “Ownership of Aboriginal Land”, p. 71
 1 Legge 312, cité par DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, p. 282. En 1970, l’arrêt Milirrpun vs. Nabalco a refusé à nouveau le statut du droit allodial.
 G. J. KOPPENOL, The Evolution of Native Title in the High Court of Australia, le 8 mars 2003, § 28.
 DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, pp. 288 et 289.
 Ibidem, p. 290.
 Le Canada a accepté, après l’arrêt Sparrow, de 1990 on accepte l’évolution des droits ancestraux pour garder leur contemporanéité avec les besoins de autochtones, puis l’arrêt Adams de 1996 a permis la reconnaissance des droits ancestraux sans avoir besoin d’un titre natif.
 Ce qui équivaudrait aux « droits ancestraux existants », au Canada.
 280 CLR 1, cité par G.J KOPPENOL, The Evolution on Native Title in the High Court of Australia, le 8 mars 2003, § 24 à 26
 Shaunnagh DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, pp. 290.
 Cf. l’arrêt Mabo § 64.
 Comme par exemple, la construction d’une route.
 Cette loi prévoyait l’extinction des droits autochtones sans compensation.
 Shaunnagh DORSETT, Law and Dispossession: Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, pp. 294.
 C’est le cas des deux acres accordées par le Gouvernement de Queensland à la London Missionary Society en 1882 dans les Îles Murray et que cette association a abandonné en 1891. Cf. Arrêt Mabo § 13, § 16.
 Puisque le peuple Meriam n’a été dépossédé en aucun moment ; ils ont toujours occupé les Îles Murray et l’arrêt Mabo lui a reconnu le titre natif.
 Cf. supra p. 3.
 Egalement appelé la Land Rights Act.
 Murray CHAPMAN, L’affaire Mabo et ses implications, Paris,L’Harmattan, 1995, p. 206 et Anthony MORAN, The Psychodynamics of Australian Settler-Nationalism: Assimilating or Reconciling with the Aborigines ?, article publié dans la revue Political Psychology, Vol. 23, N° 4, décembre 2002, page 670.
 La Native Title Act semble inspirée plutôt par un projet de nation building que par une volonté politique de développer les droits collectifs des peuples autochtones.
 Murray CHAPMAN, op. cit. , p. 210.
 DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 298.
 Western Australia v. Commonwealth , The Native Title Act Case. 183 CLR 373, cite par Dorsett, page 299.
 Division 2—Key concepts: Native title and acts of various kinds etc. § 223 Native title
 Soit pastoral lease, freehold, leasehold, licences d’occupation ou d’exploitation, ou autre titre
 Native Title Act, Part 5 - Native Title Registrar, § 184 et § 185
 La notion de grant est étrangère à la Common Law anglaise, elle se substitue à celle d’estate.
 DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 299.
 Native Title Act. § 238
 DORSETT, op. cit., p. 301; cf. n° 11, 22, 23 et 233 de la Native Title Act.
 Native Title Act, s. 42.
 La présence des trois parties pour ces négociations garde un certain parallélisme avec la pratique canadienne des accords entre un peuple autochtone, la province et l’Etat fédéral. Cf. infra, chapitre 2.
 Attorney-General v. Brown (1847) 2 S.C.R. App 30. Sir Alfred Stephen C.J.
 1 Legge 312, cité par DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 282.
 Selon les circonstances coloniales, comme le dit BLACKSTONE.
 http://www.austlia.edu.au/au/special/rsjproject/rsjlibrary/archives/Mabo/30.html
 14 AC 286, cité par DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 282.
 Ibidem, p. 287.
 1992. 175 CLR § 34
 http://judgments.fedcourt.gov.au/2002/J021342.yes.htm
 “Such colonists carry with them only so much of the English law, as is applicable to their own situation and the condition of an infant colony". Commentaries of Blackstone, 5e. édition, 1773, Bk I, ch.4 § 107
 67 CLR 544 cité par DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 292.
 130 CLR 353 § 397
 DORSETT, op. cit., p. 292.
 1971. 17 FLR 141
 Ruth KERR, Aboriginal Land Rigths. A Comparative Assessment, Brisbane, Queensland Parlamentary Library, novembre 1991, p. 2.
 Shaunnagh DORSETT, Land law and Dispossession: Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 291.
 187 CLR 1, cité par KOPPENOL, G.J. The Evolution of Native Title in the High Court of Australia, 2003, § 13 à § 18
 DORSETT, op.cit., p. 295.
 Près du 70%.
 DORSETT, op. cit., p. 296.
 Ibidem.
 A partir du référendum de 1992 la jurisprudence canadienne a une tendance globalement favorable aux peuples autochtones et recommande la négociation des conventions tripartites. Cf. pp. 61 et 62.
 195 CLR 96, cité par KOPPENOL, G.J. The Evolution of Native Title in the High Court of Australia, 2003, § 19 et §20
 208 CLR 1, cité par KOPPENOL, op. cit., § 24 à § 26.
 76 ALJR 1099, cité par KOPPENOL, op. cit., § 27 et §28. Les autochtones revendiquaient un territoire et des eaux de 7.900 kms2 dont trois îles, des terrains de pâturage, le district d’irrigation d’Ord River et la mine de diamants Argyle.
 76 ALJR 1306, cité par KOPPENOL, op. cit., § 29.
 Le titre natif ne permet pas les exploitations minières ni pétrolières, lesquelles s’exercent selon le droit australien. Cfr. Arrêt Rose contre Etat de l’Australie du Sud FCA 1342, § 972
 77 ALJR 356, cité par KOPPENOL, op. cit., § 30 à §34.
 201 CLR 351, cité par KOPPENOL, op. cit., § 23.
 La Convention 169 de 1989 de l’OIT, la Commission des droits de l’Homme et le Forum Permanent sur les Affaires Indigènes à l’ONU. Cf. Robert GRANT, De-Colonisation and Difference : The Case of Australia’s Aboriginals, University of Aberdeen, 1997, p. 1.
 Selon Aram A. YENGOYAN, les autochtones avaient été les seuls habitants de l’Australie pendant près de 40.000 ans. Cf. BURGUIERE, The Construction of Minorities, The University of Michigan Press, 2001, p. 269.
 Shaunnagh DORSETT, Land law and Dispossession: Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 287. Brûler la végétation est aujourd’hui considéré comme une pratique contraire à la protection de l’environnement.
 DORSETT, op. cit., p. 287.
 En Australie, la politique de réconciliation constitue l’alternative à la politique d’assimilation, rejetée par les peuples autochtones.
 Anthony MORAN, The Psychodynamics of Australian Settler-Nationalism: Assimilating or Reconciling with the Aborigines ?, article publié dans la revue Political Psychology, Vol. 23, N° 4, décembre 2002, page 671
 DORSETT, op. cit., p. 301.
 Robert GRANT, De-Colonisation and Difference : The Case of Australia’s Aboriginals, University of Aberdeen, 1997, p. 15.
  HYPERLINK "http://www.hri.ca/fortherecord1999/bilan1999/vol6/australiatb.htm" http://www.hri.ca/fortherecord1999/bilan1999/vol6/australiatb.htm
 CERD/C/347, janvier 1999
 CERD/C/54/Misc.40/Rev.2
 CERD/C/55/Misc.31/Rev.3
 Arrêt Guerin v. The Quenn ; puis l’obligation fiduciaire a été confirmé en 1987 au Canada par l’arrêt Frame v. Smith, et en 1994 par l’arrêt Hodgkinson v. Simms.
 Stuart RUSH, Q. C., Aboriginal Title and the State’s Fiduciary Obligations, communication présentée lors de la conférence « Land and Freedom », Newcastle, Australia, pp. 1 et 2.
 Prouver qu’ils sont les descendants biologiques des habitants originaires ; avoir gardé leur lien avec le territoire d’une façon continue, et que le titre n’ait pas été annulé par aucun acte impérial, colonial, du Commonwealth, de l’Etat australien, ni du gouvernement territorial.
 L’obligation fiduciaire a été instaurée au Canada par l’arrêt Guerin en 1984. Cf. l’arrêt Frame v. Smith, 1987, 2 S. C. R. 99  et l’rrêt Hodgkinson v. Simms, 1994, 3 S.C. R. 377 (S.C.C.). Cf. infra, chapitre II.
 Arrêt Blueberry River Indian Band v. Canada, 1996, 2 C. N. L. R. 25, pages 40 et 41.
 Agir pour améliorer les conditions de vie d’une minorité constitue une politique de discrimination positive.
 DORSETT, Law and Dispossession: Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 301 et § 238 « Nonextinguishment principle » de la Native Title Act.
 Arrêt Rose v. State of South Australia, du 1er novembre 2002.
 Le contenu de l’Arrêt Calder c. Colombie-Britannique a été repris en 1996 dans l’Arrêt Van der Peet.
 Le Chef Deskaheh mourut deux ans plus tard et les Iroquois n’ont plus continué à se manifester auprès de la Société des Nations comme Etat ou nation mais comme minorités, ou groupes ethniques ou autochtones. Norbert  ROULAND, Stéphane PIERRE-CAPS et Jacques POUMAREDE, Droit des minorités et des peuples autochtonnes, Paris, PUF, 1996, pp. 482 et 483.
 Le Chef Deskaheh a eu le conseil juridique de Maître George P. DECKER, un juriste de Rochester et d’un autre avocat suisse.
 P. J. KATZENSTEIN et alii, The Culture of National Security : Norms and Identity in World Politics, New York, Columbia University Press, 1996, in Andrée LAJOIE,Quand les minorités font la loi, Paris, PUF, 2002, p. 13.
 La notion classique de souveraineté n’est pas acceptée par les juristes canadiens de la post-modernité qui préfèrent d’ouvrir cet espace à une polysémie. Le professeur Andrée LAJOIE, lors d’un audience à la Commission des Institutions du Parlement canadien le 13 mars 2003, a affirmé que les nations autochtones n'ont pas renoncé à leur souveraineté et que le régime actuel reconnaît l'existence de nations non étatiques. Pour sa part, Michael KEATING parle d’un nouvel ordre démocratique dans un monde post-souverainiste, dont le paradigme serait l’Union Européenne. Cf. Comment s'articulent la démocratie et le nationalisme dans un monde post-souverainiste? Conférence prononcée le 8 mars 2001 à l'Université Mc Gill.
 Sans doute plus complexe.
 Le Juge John MARSHAL dans l’arrêt Nation Cherokee contre Etat de Georgia a considéré que les peuples autochtones gardent des vestiges de souveraineté et que le gouvernement fédéral est leur protecteur. C’est l’origine du régime de Fidutiallity Trust.
 La compétence pour réformer cette constitution a appartenu au Parlement Britannique jusqu’à 1982.
 D’après James Tully, la Cour Suprême considère 1876 comme la date de l’affirmation de la souveraineté du Canada sur les terres des autochtones ; c’est aussi l’année du Traité de Washington. Cf. Défi Constitutionnel et art de la résistance, 2002, page 279.
 D’après l’article 88 de la Loi fédérale sur les indiens ; cette compétence des provinces a duré jusqu’à la rapatriement de la constitution en 1982.
 A l’époque on utilisait l’expression indiens et non celle de peuples autochtones.
 Michel WIEVIORKA, La Différence, Balland, 2001, page 15
 Le Potlach est une procédure pour choisir le successeur d’un chef de tribu décédé. Le critère de choix est le détachement des intérêts égoïstes démontré par les cadeaux précieux qui sont offerts. Mais ce système avait pour inconvénient de ruiner les familles de notables et s’inscrivait en contradiction directe avec le modèle capitaliste d’accumulation des richesses : d’où son interdiction.
 La « danse du soleil » est une cérémonie cultuelle en honneur du soleil et qui permet d’éprouver la valeur physique et morale d’un jeune guerrier jusqu’à l’épuisement.
 On peut faire aussi la distinction entre appartenance spécifique à chaque peuple, et une notion construite d’appartenance générique, commune à tous les peuples autochtones ; l’équivoque entre les deux notions est très fréquente.
 Le régime supplémentaire aura, à première vue, l’allure d’un statut de privilège.
 Le monisme juridique n’est qu’une théorie pour expliquer le droit ; désormais le système juridique canadien s’est ouvert au pluralisme juridique, voire à une sorte de multi-dimensionalité du droit.
 Andrée LAJOIE, Quand les minorités font la loi, Paris, PUF, 2002, p. 46.
 Pierre AVRIL, Les conventions de la constitution, Paris, PUF, 1997, p. 47.
 Will KYMLICKA, La citoyenneté multi-culturelle :une théorie libérale du droit des minorités, Paris, La Découverte, 2001, p. 67 et Nuevo Debate sobre los Derechos de las Minorias, article publié dans l’ouvrage Democracia y pluralismo nacional, sous la direction de Ferran REQUEJO, Barcelone, Editorial Ariel S. A., collection Ciencia Politica, 2002, pp. 30-31.
 Tel est le contenu du paragraphe 4 de l’article 35 de la Constitution, ajouté lors de la conférence constitutionnelle de 1983
 Expression devenue classique dans les années 1980.
 Dans les ouvrages juridiques on passe souvent des identités spécifiques aux identités génériques, sans trop de soucis.
 C’est la Cour Suprême du Canada et les acteurs politiques canadiens qui ont l’autorité pour interpréter leur Constitution ; ces quatre présupposés ne sont qu’une tentative d’expliquer cette Constitution aux étrangers.
 La notion de droits historiques au Canada n’est pas la même utilisée en Europe au XIX et XX.
 Il semble que cela correspond au discours politiquement correct au Canada
 Sur un fondement axiologique supérieur au droit positif, la discrimination positive permets l’adoption de mesures spéciales inégalitaires dans un certain sens mais inspirées dans un autre type d’égalité.
 Dominique Turpin, rapport de synthèse du colloque « L’Etat pluri-culturel et les droits aux différence »s, Nouméa, 2003, page 529
 Michel MORIN, Quelques réflexions sur le rôle de l’histoire dans la détermination des droits ancestraux ou issus des Traités, 1999, Montebello, Canada, page 367
 Andrée LAJOIE, Quand les minorités font la loi, Paris, PUF, 2002, p. 17.
 Entité juridique qui regroupe les indiens, selon la loi fédérale de 1867
 Selon la différentiation conceptuelle entre restrictions internes et protection externe, formulé par Will KYMLICKA in Multinational Citizenship: a Liberal Theory of Minority Rights, London, Oxford University Press, 1995 et Ferran REQUEJO et alii, Democracia y Pluralismo Nacional, Barcelone, Editorial Ariel S. A., 2002, pp. 30-31.
 Arrêt Delgamuukw de 1997.
 Michel MORIN, Quelques réflexions sur le rôle de l’histoire dans la détermination des droits ancestraux et issus de traités, article paru dans la revue Thémis, l’Université de Montréal, vol 34, N° 2, page 337, version du 22 août 2002 sur le site internet http://www.themis.umontreal.ca

 1983 de la Commission Spéciale de la Chambre des Communes
 Comme les impôts.
 Andrée LAJOIE, Quand les minorités font la loi, Paris, PUF, 2002, p. 201.
 L’évolution suggère un stade supérieur par rapport à la situation sociale d’origine ; ainsi, l’homogénéité juridique-bis, résultante du déplacement du système juridique national pour intégrer les minorités, serait supérieure à l’homogénéité juridique du départ.
 Renée DUPUIS, Quel Canada pour les autochtones ? La fin de l’exclusion, Montréal, Les Editions du Boréal, 2001, page 11.
 Charles TAYLOR, Multiculturalisme, différence et démocratie, Champs - Flammarion, 1992, pp. 30 et 117.
 James TULLY, Défi constitutionnel et art de la résistance. La question des peuples autochtones au Canada, article publié dans l’ouvrage collective Altérité et Droit, sous la direction d’Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, Bruylant, 2002, Bruxelles, pp. 271 et 273
 Les manifestations historiques et culturelles des principes juridiques universels ne sont pas exactement les principes juridiques universels. Les premières correspondent à la théorie du droit élaborée pour chaque système juridique, tandis que les derniers relèvent de la philosophie du droit.
 Articles 29B et 64 de la Convention Interaméricaine des Droits de l’Homme.
 Organizacion de los Estados Americanos – Comision Interamerciana de Derechos Humanos. La Situacion de los Derechos Humanos de los Indigenas en las Américas. 2000, Washington, page 12.
 Andrée LAJOIE, Quand les minorités font la loi, Paris, PUF, 2002, p. 48
 Andrée LAJOIE, op. cit., p. 70
 Créé par l’arrêt Sparrow en 1990, le test de justification des atteintes aux droits ancestraux fut appliqué dans les arrêts Adams et Côtés en 1996. Puis ce test a été élargi au titre aborigène, par l’arrêt Delagamuukw, en 1997.
 Mentionnée d’un manière explicite dans l’article 25 de la Constitution canadienne.
 Débats de la Commission des institutions du Parlement du Canada, 36e législature, 2e session, jeudi 23 janvier 2003, site Internet :  HYPERLINK "http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/epreuve/ci/030123/1600.htm" http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/epreuve/ci/030123/1600.htm
 Débats de la Commission des institutions du Parlement du Canada, 36e législature, 2e session, jeudi 23 janvier 2003, site internet http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/epreuve/ci/030123/1600.htm
 James TULLY, Les raisons d'une nouvelle relation, texte disponible sur le site internet : http://www.lcc.gc.ca/fr/ress/part/200103/tully.asp
 James TULLY, Défi constitutionnel et art de la résistance. La question des peuples autochtones au Canada, article publié dans l’ouvrage collective Altérité et Droit, sous la direction d’Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 270.
 2 RCS 821, cité par Andrée Lajoie, Quand les minorités font la loi, Paris, PUF, 2002, p. 74
 Arrêt Mitchel contre M.R.N., CSC, N° 27066, du 24 mai 2001
 Andrée LAJOIE, Débats de la Commission des institutions du Parlement du Canada, 36e législature, 2e session, jeudi 23 janvier 2003,  HYPERLINK "http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/epreuve/ci/030123/1600.htm" http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/epreuve/ci/030123/1600.htm
 James TULLY, Défi constitutionnel et art de la résistance. La question des peuples autochtones au Canada, article publié dans l’ouvrage collective Altérité et Droit, sous la direction d’Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, Bruylant, 2002, Bruxelles, pp. 289.
 La situation est similaire aux Etats-Unis où le Congrès américain détient tous les pouvoirs concernant les indiens.
 Article 88 de la loi sur les indiens de 1985.
 Dans le contexte canadien, un Métis est un descendant de la population francophone et catholique installée sur la Terre de Rupert et issue des unions entre les indiens et les Canadiens français.
 Will KYMLICKA, La citoyenneté multiculturelle, Paris, La Découverte, 2001, Paris, p. 27.
 Andrée LAJOIE identifie parmi les facteurs d'intégration des valeurs des minorités politiques au droit judiciaire canadien, la coïncidence au moins partielle de ces valeurs avec celles de la majorité. Cf. Quand les minorités font la loi, PUF, 2002, et  HYPERLINK "http://www.law.mcgill.ca/federalism/abstracts-en.htm#lajoie" http://www.law.mcgill.ca/federalism/abstracts-en.htm#lajoie; dans un sens plus général, Christophe JAFFRELOT parle « d’hybridation discursive » et Boaventura de SOUSA SANTOS affirme que nous habitons un monde d »’hybridations juridiques ».
 Françoise Martinat, Les stratégies politiques et juridiques des leaders indigènes de la Colombie et du Venezuela, thèse soutenue à l’Université de Lille II le 12 septembre 2003, p. 22
 Le mot Nunavut signifie en langue inuit “ Notre Terre ”.
 La population totale des Territoires Nunavut est de 25.000 habitants dont le 85% sont des Inuits.
 La capitale du nouveau territoire
 Pour apprécier l’étendu des territoires Nunavut, il convient de signaler que la Convention de la Baie James en 1975 n’avait conféré aux Inuits que 5 200 kilomètres carrés.
 Le mécanisme de la fiducie en droit canadien ressemble à la fondation en droit français.
  HYPERLINK "http://www.gov.nu.ca" http://www.gov.nu.ca
 Article 29 de la Loi de création du Nunavut du 10 juin 2003
 Article 37 de la Loi du 10 juin 1993
 Article 43 de la Loi du 10 juin 1993.
 James TULLY, Les raisons d'une nouvelle relation. 2000, texte disponible sur le site internet  HYPERLINK "http://www.lcc.gc.ca/fr/ress/part/200103/tully.asp" http://www.lcc.gc.ca/fr/ress/part/200103/tully.asp
 Commission royale sur les peuples autochtones. Conclure des traités dans un esprit de coexistence, Ottawa, Groupe Communication Canada, 1993.
 Article 89 de la loi sur les indiens.
 Selon l’arrêt Adams, rendu en 1996.
 Arrêt Delgamuukw, de 1997
 A l’inverse de l’Australie où la Native Title Act de 1993 a consacré le caractère inextinguible des titres natifs.
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, Editions Bruylant - LGDJ, 1997, p. 190.
 1939, l’arrêt Re Eskimos ; 1973, l’arrêt Calder c. Colombie-Britannique ; 1978, l’arrêt Dick ; 1984, l’arrêt Guerin c. La Reine ; 1985, l’arrêt Simon ; 1987, l’arrêt Frame v. Smith ; 1988, arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Paul ; 1990, l’arrêt Sparrow et arrêt Sioui ; 1994, l’arrêt Hodgkinson v. Simms ; 1996, l’arrêt Côté, l’arrêt Van Der Peet et l’arrêt Adams ; 1997, l’arrêt Delgamuukw, et 1998, l’arrêt sur “ le renvoi relatif à la sécession du Québec ”. Arrêt Hodgkinson v. Simms, 1994
 Sûrement pour des raisons de stratégie électorale.
 L’obligation fiduciaire a été instaurée en deux phases : dans l’arrêt Guerin en 1984, d’abord exclusivement en faveur des indiens puis dans l’arrêt Sparrow en 1990, elle fut étendue au profit de tous les peuples autochtones .
 App Cas 46, cite par KOPPENOL, The Evolution of Native Title in the High Court of Australia, le 8 mars 2003, § 3
 Aux Etats Unis, l’arrêt Omeida Indian Nation v. County of Oneida en 1974 a précisé que les titres indiens s’encadrent dans la souveraineté de l’Etat
 La « bande » indienne est une unité de population qui regroupe plusieurs dizaines de familles. C’est un terme technique défini par la loi canadienne.
 Arrêt Frame v. Smith (1987), 2 S. C. R. 99 et l’arrêt Hodgkinson v. Simms (1994), 3 S.C. R. 377 (S.C.C.).
 Arrêt Blueberry River Indian Band v. Canada, 1996, 2 C. N. L. R. 25, pp. 40 et 41.
 Stuart RUSH, Q. C. , Aboriginal Title and the State’s Fiduciary Obligations, communication présentée lors de la conférence “ Land and Freedom”, Newcastle, Australia, du 9 au 11 juillet 1999.
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, Paris, Editions Bruylant - LGDJ, 1997, p. 169.
 Cf. supra, p. 56.
 21 U.S. (8 Wheat) 543. Arrêt rédigé par le Juge Marshall.

 Créé par l’arrêt Sparrow en 1990.
 La Déclaration Royale de 1763, suite à la guerre des 7 ans signale le triomphe de la Couronne Britannique et le développement de la Common Laux en Amérique du Nord.
 James TULLY, Les raisons d'une nouvelle relation. 2000, texte disponible sur le site internet http://www.lcc.gc.ca/fr/ress/part/200103/tully.asp.
 Arrêt Adams de 1996
 L’obligation fiduciaire a été créée exclusivement en faveur des indiens, dans l’arrêt Guerin en 1984 puis elle fut étendu au profit de tous les peuples autochtones, dans l’arrêt Sparrow en 1990. Les arrêts Frame v. Smith et Hodgkinson v. Simms ont précisé la portée de l’obligation fiduciaire.
 Elaboré en 1990 dans l’arrêt Sparrow en faveur des droits ancestraux ; puis élargi aux droits issus des traités par l’arrêt Côté en 1996 et, à partir de l’arrêt Delagamuukw en 1997, il est devenu applicable aux titres aborigènes.
 Mauricio PARDO, Escenarios organizativos e iniciativas institucionales en torno al movimiento negro en Colombia, article publié dans l’ouvrage collectif Movimientos Sociales, Estado y Democracia en Colombia sous la direction de Mauricio ARCHILA et Mauricio PARDO, Bogota, CES-Université Nationale-ICANH, 2001, pp. 321 à 345.
 La Colombie s’est inspiré du régime international des minorités, lequel ne s’applique pas aux petits groupes qui exercent le pouvoir. Cf. José BENGOA, Los Derechos de las minorias y los pueblos indigenas: debate internacional, Revue Diplomacia, N° 78, janvier-mars 1999, Santiago de Chile, p. 11.
 Résolution N° 47 / 135 de la l’Assemblée Générale de l’ONU du 18 décembre 1992.
 Philippe KARPE, L’apport du droit international applicable aux autochtones pour la résolution des conflits minoritaires, article publié dans la revue L’Europe en formation, N° 317, Nice, 2000, pp. 33 à 44.
 D’après le rapport de Rodolfo Stavenhagen, commissaire spécial de l’Onu pour les indiens, novembre 2004.
 Le Resguardo est un régime territorial créé par la Couronne d’Espagne au XVIème siècle pour protéger les communautés indigènes des abus des colons et les intégrer dans l’économie. La propriété collective de la terre est son trait principal.
 Etnias de Colombia, Fondation Hemera,  HYPERLINK "http://www.etniasdecolombia.org" www.etniasdecolombia.org
 Martha ZAMBRANO, Contratiempos de la memoria social, Conférence à l’Institut d’Hautes Etudes d’Amérique Latine IHEAL, Paris, le 15 octobre 2003.
 Nueva Granada, « Nouvelle Grenade » fut le nom de la Colombie sous le régime colonial jusqu’à l’indépendance en 1819.
 Real Cédula sur l’éducation, le traitement et les occupations des esclaves, inspirée dans les principes de la religion, l’humanité et le bien de l’Etat ; à la fin du XVIII siècle, les autorités coloniales étaient préoccupées par les nombreuses fuites et révoltes d’esclaves. Cf. Carlos Efrén AGUDELO ALVARADO, Populations Noires et politique dans le Pacifique colombien : paradoxes d’une inclusion ambiguë, Thèse de doctorat en sociologie, Université de Paris III, Institut d’Hautes Etudes sur l’Amérique Latine IHEAL, Paris, le 22 octobre 2002, p. 77.
 Les dimanches et les fêtes religieuses étaient des jours de prière et de repos ; il y avait aussi un autre jour libre en semaine qui permettait aux Noirs de se divertir ou de travailler pour leur compte. Cf. AGUDELO ALVARADO, op. cit., p. 75.
 Ce sont des groupes de l’armée coloniale composés de noirs.
 Carlos Efrén AGUDELO ALVARADO, Les communautés noires colombiennes et leur action politique, conférence prononcée le 16 mai 2003 au laboratoire d’anthropologie juridique de Paris –LAJP, Paris.
 Littéralement « main échangée », c'est-à-dire un travail en échange d’un capital géré librement par l’esclave.
 En Australie et au Canada on fait aussi un usage politique ambigu des métis et des créoles, soit pour les assimiler aux dominateurs européens soit pour les appeler indigènes.
 Le Memorial de Agravios, rédigé en 1808 par l’avocat créole Camilo TORRES témoigne du mécontentement des descendants d’espagnols nés dans le vice-royaume.
 Le professeur François-Xavier GUERRA considère que la Colombie a été marquée par le choix d’un Etat faible lors des Capitulations de Zipaquira de 1783
 Le régime des resguardos imposait des obligations mais il permettait de conserver certaines traditions indigènes et métisses.
 Notamment les « palenques » composée d’esclaves en fuite occupant un territoire.
 Plus largement, il s’agissait d’une loi aboutissant à une spoliation des biens de l’Eglise et des communautés indiennes qui étaient hors commerce du fait de la finalité qui grevait ces biens.
 Eduardo NIETO ARTETA, Economia y cultura en la historia de Colombia, Bogota, Tercer Mundo Editores, 1962, (1re édition 1942), p. 162. La catégorie de prolétaires mentionnée par Nieto Arteta semble anachronique pour la situation colombienne de 1858.
 Le récit historiographique traditionnel du désamortissement des terres des peuples indigènes et de l’Eglise est actuellement soumis à un ré-examen par les anthropologues et les historiens. Martha ZAMBRANO, Contratiempos de la memoria social, conférence prononcée le 15 octobre 2003à l’Institut d’Hautes Etudes d’Amérique Latine, IHEAL, Paris.
 Françoise MARTINAT, Les stratégies politiques et juridiques des leaders indigènes de la Colombie et du Venezuela, thèse soutenue à l’Université de Lille II le 12 septembre 2003, p. 33
 Arrêt Bocanegra contre Loi 89 de 1890, C-139 du 9 avril 1996 de la Cour Constitutionnelle de Colombie au rapport du magistrat Carlos Gaviria.
 OEA 2000, page 290
 Norbert  ROULAND, Stéphane PIERRE-CAPS et Jacques POUMAREDE, droit des Minorités et des Peuples Autochtones, Paris, PUF, 1996, p. 483.
 La même année Frédéric Barth a publié son explication des identités comme le résultat de l’interaction de plusieurs acteurs engagés pour construire leur différences.
 L’ERSIPAL a été fondé par Henri Havre. Cf. Christian GROSS, Politicas de la Etnicidad : Indentidad, Estado y Modernidad, Bogota, ICAN, 2000, pp. 33 et 34.
 Jean-François LECAILLON, Résistances Indiennes en Amériques, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 18
 François CHEVALIER, L’Amérique Latine de l’indépendance à nos jours, Paris, PUF, 1993, p. 289.
 GROSS, op. cit. , pp. 33 et 98.
 MARTINAT, op. cit. , p. 55
 GROSS, op. cit. , p. 39.
 PARDO, op. cit. , p. 331.
 Roque ROLDAN ORTEGA, Pueblos Indigenas y leyes de Colombia, Bogota, Tercer Mundo Editores, 2000, p. 95.
 Cité par MARTINAT, op. cit. , p. 222
 Le sociologue Christian Gros affirme qu’il y avait une grande méconnaissance de la problématique indigène entre les intellectuels des années 60. Cf. Politicas de Etnicidad : Identidad, Estado y Modernidad, pp. 43 et 65.
 L’ACIA a repris le travail de mobilisation sociale des Communautés Ecclésiales de Base initié en 1979 dans la région du fleuve Atrato par le Père Gonzalo De La Torre. Cf. Carlos Efrén AGUDELO ALVARADO, Populations Noires et politique dans le Pacifique colombien : paradoxes d’une inclusion ambiguë, op. cit. , p. 355.
 Carlos Efrén AGUDELO ALVARADO, op. cit. pp. 354 à 356.
 La Constitution de 1991 prévoit trois types de régime d’exception : la commotion intérieure, l’état de siège et l’émergence économique.
 Cette lecture de la faiblesse de l’Etat colombien est fréquente chez des analystes français comme Jean-Michel BLANQUER et Daniel PECAUT tandis qu’en Colombie la situation est perçue comme la normalité.
 Le narco-trafficant Pablo Escobar fut très connu au niveau international par ses actes terroristes, réalisés entre 1989 et 1993.
 Deux délégataires, Lorenzo Muelas et Francisco Rojas Birry ont été élus lors de l’élection générale des 70 membres de l’Assemblée Nationale Constituante, et le troisième, Alfonso Peña Chepe fut nommé par le Gouvernement suite aux accords de paix avec la guérilla indigène « Quintin Lame ».
 ROLDAN ORTEGA, op. cit. , p. 33
 MARTINAT, op. cit. , p. 53
 ROLDAN ORTEGA, op. cit., pp. 96 et 97.
 Arrêt Loaiza contre Incora, T-188 du 12 mai 93 de la Cour Constitutionnelle; rapporteur: magistrat Eduardo Cifuentes, cité par ROLDAN ORTEGA, op. cit., p. 98.
 Equivalant à la procédure française de référé en urgence.
 Arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes, cité par ROLDAN ORTEGA, op. cit., p. 100.
 « L’autonomie est affirmation du local, du sectoriel et du régional sans ignorer l’existence d’un ordre supérieur » Arrêt C-478 / 1992 de la Cour constitution-nelle au rapport du magistrat Eduardo CIFUENTES.
 Aux 2 sénateurs par la circonscription spéciale nationale indigène (système de quota), il faut ajouter pour la législature 2002-2006, deux supplémentaires, élus par la circonscription nationale ordinaire des 100 sénateurs.
 ROLDAN ORTEGA, op. cit., p. 47.
 Disposition développée par la Loi 649 du 27 mars 2001. Diario Oficial N° 44.371 du 28 mars 2001, page 9
 La Loi Organique de l’Ordonnancement Territorial n’a encore pas été approuvée pourtant des normes organique en matière de compétences de ressources des collectivités territoriales furent signalées par la Loi 60 de 1993 et la Loi 715 du 21 décembre 2001
 La Loi 70 de 1993.
 Françoise MARTINAT, Les stratégies politiques et juridiques des leaders indigènes de la Colombie et du Venezuela, thèse soutenue à l’Université de Lille II le 12 septembre 2003, p. 109
 ROLDAN ORTEGA, op. cit., p. 142 et PARDO, op. cit. , p. 334.
 article 68 de la constitution de 1991.
 articles 246 et 287 de la constitution de 1991.
 article 330 de la constitution de 1991.
 L’arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes. Cet arrêt affirme que l’autonomie politique et juridique des communautés indigènes se situe dans ce cadre stricte signalé par la Constitution.
 Article 72 de la constitution de 1991.
 Le verbe « font » décrit leur situation juridique. Les discours politiques préféreraient dire : acceptent / veulent / ont besoin / décident d’être.
 Un égalitarisme outrancier trouverait que tout statut particulier constitue un privilège.
 James TULLY, Défi constitutionnel et art de la résistance. La question des peuples autochtones au Canada., article publié dans l’ouvrage collectif Altérité et droit sous la direction d’Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, Bruxelles, Bruylant, 2002, pp. 271 et 273
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Torres contre Autorités Traditionnalles Arhouaques, SU-510 du 18 septembre au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Gembuel contre Cabildo de Jambalo, T-523 du 15 octobre 1997 au rapport du magistrat Carlos Gaviria
 ROLDAN ORTEGA, op. cit., p. 40.
 Par exemple, la peine du coup de fouet dans la tradition indigène. Cf. l’arrêt Gembuel contre Cabildo de Jambalo, T-523 du 15 octobre 1997 au rapport du magistrat Carlos Gaviria
 ROLDAN ORTEGA, op. cit. , page 41.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes. L’arrêt Torres contre Autorités Traditionnalles Arhouaques, SU-510 du 18 septembre 1998 a précisé que le noyau essentiel des droits fondamentaux serait la base commune pour que l’Etat colombien accepte l’inter-culturalité.
 ROLDAN ORTEGA, op. cit., p. 100
 Dans certains milieux le mot ‘captation’ peut avoir une connotation négative pourtant il exprime l’objectif d’éviter l’exclusion et des lutter contre la marginalisation des indigènes.
 où ils peuvent revendiquer leurs droits, soit leur droit à l’autonomie, soit leur droit aux différences, soit leur droit aux prestations sociales.
 Sauf si l’on considère les métis comme des indigènes.
 MARTINAT, op. cit., p. 218.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Bocanegra contre Loi 89 de 1890, C-139 du 9 avril 1996 au rapport du magistrat Carlos Gaviria
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Guainas contre Juge 3e de La Plata, T-496 du 26 septembre 1996 au rapport du magistrat Carlos Gaviria
 Cour constitutionnelle de Colombie, arêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques, SU-510 de 1998 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 L’expression « biens juridique » serait l’équivalant de « valeur juridique « . La dimension axiologique et téléologique du droit sont explicites dans la Constitution colombienne de 1991.
 Jon Landabourou a participé à la formulation par écrit des traditions juridiques indigènes.
 Le pacte du Front National colombien de 1957 a consolidé la pacification du pays après la violence politique en alternant les deux partis politiques majoritaires à la présidence et en partageant le pouvoir. Ce pacte a produit un monopole de ces deux partis, bien qu’au début le Front National fut conçu pour assurer la diversité politique
 Ministres, fonctionnaires, magistrats et juges ont été 50% libéraux et 50% conservateurs
 Carlos Vladimir ZAMBRANO explique que « l’espace de l’inter-culturalité n’a pas encore été problématisé juridiquement ». Cf. Aproximaciones teorico-metodologicas de la antropologia juridica, article publié dans l’ouvrage Antropologia juridica, normas formales, costumbres legales en Colombia, page 28, cité par Martinat 2003, page 216
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Gembuel contre Cabildo de Jambalo, T-523 du 15 octobre 1997 au rapport du magistrat Carlos Gaviria
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt SU-510 du 18 septembre 1998  au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes
 RUIZ SANCHEZ, op. cit. , page 111.
 RUIZ SANCHEZ, op. cit. , page 113.
 La croissance démographique des peuples et communautés indigènes colombiennes est très supérieure à celle du reste de la population
 L’IGAG est l’équivalent de l’IGN français et fait autorité en matière de géographie descriptive et cartographie officielle.
 Conformément à l’article 56 transitoire de la Constitution, l’entrée en vigueur de la Loi Organique d’Ordonnancement Territorial rendra sans effet ce décret.
 Cela s’inscrit dans la tradition de la Loi 89 de 1890 qui avait donné aux Cabildos Indigènes le caractère d’entités publiques à caractère spécial.
 Arrêt Resguardo Ricaurte contre Ministère de l’Intérieur, T-525 du 25 septembre 1998 au rapport du magistrat José Gregorio Hernandez
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques, du 18 septembre 1998 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes
 Christian GROSS affirme que les entités territoriales indigènes existent, en fait, dès qu’elle touchent des participations au budget de l’Etat.
 Le projet de loi n°188 fut présenté par le sénateur indigène Jésus Piñacué.
 Cela demanderait de réinventer de l’identité ethnique, d’exhumer la culture et la langue de manière à cautionner l’élargissement territorial des resguardos.
 « Le juge, au cas par cas, doit étudier la situation particulier de l’indien, observer son niveau de conscience ethnique et le degré d’influence des valeurs occidentales ». Cf. l’arrêt Guainas contre Juge 3e de La Plata, T-496 du 26 septembre 1996 au rapport du magistrat Carlos Gaviria.
 Par exemple les universitaires colombiens et d’autres groupes politiquement indépendants.
 Enjeu à la fois juridique, politique et culturel riche en interactions et ambiguïtés
 cf. supra, chapitre II.
 Bien qu’en Australie il n’y a pas de collectivités territoriales autochtones. Cf. supra, chapitre I.
 Arrêt SU-039 du 3 février 1997 ; rapporteur : magistrat Antonio Barrera.
 Journal El Tiempo, de Bogota, juillet 2003.
 Article 1er de la Constitution de 1991.
 Cf. Cour Suprême de Justice, Salle Plenière, arrêt n° 69 du 3 octubre 1989, au rapport du magistrat Hernando Gómez Otálora, cité par la Cour Constitutionnelle dans les arrêts N° C-176 du 12 avril 1994 au rapport du magistrat Alejandro Martínez Caballero, et N° C-389 du 1er septembre 1994 au rapport du magistrat Antonio Barrera Carbonel.
 Cour Constitutionnelle de Colombie, arrêt Association Evangélique Nouvelles Tribus de Colombie contre Aéronautique Civile, T-257 du 30 juin 1993 au rapport du magistrat Alejandro Martinez.
 Cour Constitutionnelle de Colombie, arrêt Bocanega contre Loi 89 de 1890, C-139 du 9 avril 1996  au rapport du magistrat Carlos Gaviria.
 Cour Constitutionnelle de Colombie, arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 Cour Constitutionnelle de Colombie, arrêt Association Evangélique Nouvelles Tribus de Colombie contre Aéronautique Civile, T-257 du 30 juin 1993 au rapport du magistrat Alejandro Martinez.
 Cour Constitutionnelle de Colombie, arrêt Communauté Embéra-Katio contre Codechoco, T-380 du 13 septembre 1993 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 Le procédure de tutelle est une action populaire permettant la protection d’un droit constitutionnel fondamental.
 Etienne LE ROI et Norbert ROULAND reprennent la distinction entre inaliénabilité et exo-instranslissibilité. Cf. Norbert ROULAND, Anthropologie juridique, 1985, PUF, p. 79.
 Cour Constitutionnelle de Colombie, arrêt C-139 du 9 avril 1996 au rapport du magistrat Carlos Gaviria.
 Cour Constitutionnelle de Colombie, arrêt Torres contre Autorités Traditionnalles Arhuaques, SU-510 du 18 septembre 1998 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 Cour Constitutionnelle de Colombie, arrêt T-188 du 12 mai 1993 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 Dans le même sens, cf. l’arrêt Resguardo Ricaurte contre Ministère de l’Intérieur, T-525 du 25 septembre 1998 au rapport du magistrat José Gregorio Hernandez.
 L’ arrêt C-104 du 15 mars 1995 au rapport du magistrat Hernando Herrera et l’arrêt Torres contre Autorités Traditionnalles Arhuaques, SU-510 du 18 septembre 1998 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes ont insisté sur ce point.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques, SU-510 du 18 septembre 1998 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt T-405 du 23 septembre 1993 au rapport du magistrat Hernando Herrera.
 Les travaux impliquaient la présence de militaires, d’experts étrangers et d’avions pendant six mois.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques, SU-510 du 18 septembre 1998 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Resguardo Ricaurte contre Ministère de l’Intérieur, T-525 du 25 septembre 1998 au rapport du magistrat José Gregorio Hernandez.
 L’équivalant des assesseurs coutumiers en Nouvelle Calédonie.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt C-139 du 9 avril 1996 de la Cour Constitutionnelle au rapport du magistrat Carlos Gaviria.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt T-254 du 30 mai 1994 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 Article 29 de la Constitution colombienne de 1991
 Les trois arrêts cités de 1996 ont eu comme même rapporteur le magistrat Carlos Gaviria Diaz.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Bocanegra contre Loi 89 de 1890, C-139 du 9 avril 1996 au rapport du magistrat Carlos Gaviria.
 MARTINAT, op. cit. , p. 227.
 MARTINAT, op. cit. , p. 225.
 Projet de loi présenté à maintes reprises par le sénateur indigène Jesus Piñacué
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Gonzalez contre Assemblée Embéra-Chami, T-349 de 1996 au rapport du magistrat Carlos Gaviria
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Guainas contre Juge 3e de La Plata, T-496-96 citée par RUIZ SANCHEZ, op. cit. , page 114
 MARTINAT, op. cit. , p. 226
 Seyla BENHABIB, The Claims of Culture, Princeton, Princeton University Press, 2002, p. 148.
 Articles 7 et 246 de la Constitution
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Bocanegra contre Loi 89 de 1890, C-139 du 9 avril 1996 au rapport du magistrat Carlos Gaviria
 Résolution N° 507 du 22 septembre 1995 du Maire du District de Santa Marta.
 Ici « différentiation positive » a le sens de « discrimination positive » ; cf. l’arrêt Sanchez contre DASED de Sainte Marte, T-422 du 10 septembre 1996 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt 088 du 2001 de la Cour Constitutionnelle au rapport du magistrat Marta Sachica.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Fradique contre Loi 20 de 1974, C-027 du 5 février 1993 au rapport du magistrat Simon Rodriguez
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Bocanegra contre Loi 89 de 1890, C-139 du 9 avril 1996 de la Cour Constitutionnelle au rapport du magistrat Carlos Gaviria
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt T-380 du 13 septembre 1993 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt T-380 du 13 septembre 1993 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes
 CODECHOCO, Corporation Autonome Régional du Choco dont les fonctions furent établies dans le décret N° 760 de 1968
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Gouverneur de Cristiania contre Entreprise Solarte, T-428 du 24 juin 1992 au rapport du magistrat Ciro Angarita
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt CI-058/94 du 17 février 1994 au rapport du magistrat Alejandro Martinez.
 Plus précisément l’article 63 de la Loi 48 de 1993 ; arrêt Palma contre Loi 48 de 1993, C-058 du 17 février 1994 au rapport du magistrat Alejandro Martinez
 En Colombie, tierras baldias sont les terres qui appartient à l’Etat et que ne sont pas occupés par personne.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt T-030 du 25 janvier 2000 au rapport du magistrat Fabio Moron
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt T-305 du 5 juillet 1994 au rapport du magistrat Antonio Barrera
 En Colombie, c’est la cédula de ciudadania
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt C-377 du 25 août 1994 au rapport du magistrat Jorge Arango
 Christian GROS, Politicas de Etnicidad : Identidad, Estado y Modernidad, ICAN, 2000, pp. 9 et 202.
 A. RIECHEL-DOLMATOFF, The People of Aritama : The Cultural Personality of a Colombian Mestizo Village, Chicago, University of Chicago Press, 1961.
 GROS, op. cit. , p. 77.
 Ethnisation positive est une expression utilisée par Jean-François BAYARD dans L’illusion identitaire, op. cit.
 GROS, op. cit. , p. 39.
 Particularismes aussi bien pré-coloniaux que coloniaux. D’ailleurs, le pluralisme juridique est si ouvert qu’il permet de choisir certains éléments des ordonnancements juridiques passés que l’on veut ré-actualiser.
 L’expression est de S. Gruzynski in La pensée métisse, 1999, cité par Christian Gros, Politicas de la Etnicidad : Indentidad, Estado y Modernidad, ICAN, 2000, Bogota, p. 9.
 On doit remarquer que le statu indigène n’est pas perçu comme des privilèges mais comme un ensemble de droits supplémentaires parfaitement légitimes et démocratiques.
 GROS, op. cit. , p 9.
 Carlos Ariel RUIZ SANCHEZ, Multiculturalismo, Etnicidad y Jurisdiccion Especial Indigena en Colombia, article publié dans la revue Pensamiento Juridico, Université Nationale de Colombie, N°12, 2000, p. 113.
 F. COLOM parle d’identités construites d’une manière narrative à partir des offenses partagées. Cf. RUIZ SANCHEZ, op. cit. , page 113.
 MARTINAT, op. cit. , p. 205.
 ROLDAN ORTEGA,.Pueblos Indigenas y Leyes en Colombia, Tercer Mundo Editores, 2000, p. 136.
 ROLDAN ORTEGA, op. cit. , p. 96.
 Martin Luther King dans les années 1960 a eu le projet de rassembler, à partir des noirs, toutes les minorités du pays mais les peuples autochtones des Etats-Unis ont refusé d’y participer.
 Parlementaires, députés départementaux, gouverneurs, conseillers municipaux et maires indigènes.
 L’article 25 de la Loi 60 de 1993 a établie la participation des resguardos et des communautés indigènes dans le budget de l’Etat.
 Margarita CHAVEZ CHAMORRO, “Discursos subalternos de identidad y movimiento indigena en el Putumayo”, article publié dans l’ouvrage “Movimientos Sociales, Estado y Democracia en Colombia”ARCHILA sous la direction de Mauricio PARDO, CES-Université Nationale-ICANH, 2001, Bogota, p. 237.
 Plus exactement par le Departement National de Planification DNP.
 Carlos Ariel RUIZ SANCHEZ, Multiculturalismo, Etnicidad y Jurisdiccion Especial Indigena en Colombia, article publié dans la revue Pensamiento Juridico, Université Nationale de Colombie, N°12, 2000, p. 117.
 RUIZ SANCHEZ, op. cit, p. 116.
 RUIZ SANCHEZ, op. cit, p. 117.
 Les stratégies essentialistes des indigènes ne peuvent fonctionner qu’avec une critique permanente. Cf. Margarita CHAVEZ CHAMORRO, 2001, page 255
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt Loaiza contra Incora, T-188 du 12 mai 1993 de la Cour Constitutionnelle, sur la participation de l’INCORA dans la création des resguardos indigènes sous le régime de propriété collective, au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 MARTINAT, op. cit., pp. 198 et 213.
 L’idéologie de l’harmonie décrit -entre autres- par L. Nader en 1990 comme un élément clé pour assurer l’autonomie et de l’autodétermination chez les indiens Zapotecas, au Mexique ; cf. Sally Falk MOORE, Certainties undone: Fifty turbulent years of legal anthropology 1949-1999, article publié dans la revue The Journal of the Royal Anthropological Institute, n°7, 2001, pp. 9 et 10.
 RUIZ SANCHEZ, op. cit, p.118.
 mais on peut encore citer l’influence d’une des parties du procès sur les autorités, de fréquents abus de l’autorités qui conduisent à une plus grande conflictualité.
 RUIZ SANCHEZ, op. cit, p. 119.
 PARDO, op. cit., p., 326
 PARDO, op. cit., p., 330
 PARDO, op. cit., p. 341.
 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt C-530 du 11 novembre 1993, sur la constitutionnalité du décret-loi N° 2762 de 1991 au rapport du magistrat Alejandro Martinez et l’arrêt T-174 du 4 mai 1998 au rapport du magistrat Alejandro Martinez.
 Arrêt T-111 du 16 mars au rapport du magistrat Carlos Gaviria .
 Article 42 de la Loi 47 de 1993.
 Article 43 de la Loi 47 de 1993.
 Cour Constitutionnelle de Colombie, arrêt C-053 du 2 février 1999 de la au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 PARDO, op. cit., p. 329.
 Les magistrats Eduardo Cifuentes et Carlos Gaviria ont élaboré les arrêts les plus importants concernant les indigènes.
 Cour Constitutionnelle de Colombie, arrêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques, SU-510 du 18 septembre 1998 au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 En vertu de la Loi 60 de 1993 sur la distribution des compétences et ressources entre les collectivités territoriales
 Des groupes sociaux, comme les femmes, qui revendiquent un droit se présentent souvent en situation de minorité, c’est à dire, marginalisées et victimisées par le pouvoir
 L’indigénisme positif, qui associe la reconnaissance culturelle et la lutte contre les inégalités, coïncide avec la notion de « multiculturalisme intégré » par opposition au « multiculturalisme éclaté » dont parle Michel Viewiorka dans La Différence, Balland, Paris, 2001.
 Carlos Efrén AGUDELO ALVARADO, Populations Noires et politique dans le Pacifique colombien : paradoxes d’une inclusion ambiguë, thèse de doctorat en sociologie, Université de Paris III, Institut d’Hautes Etudes sur l’Amérique Latine IHEAL, Paris, le 22 octobre 2002, p. 498.
 Le Sénat colombien ayant 102 membres.
 Le quota de deux sénateurs correspond au 2% d’indigènes dans la population colombienne en 1991.
 Journal El Tiempo de Bogota, édition du 4 novembre 2003.
 Coordinations du type CRIC au département du Cauca ou OREWA au département du Choco.
 Miguel CARBONELL, “La constitucionalizacion de los Derechos Indigenas en América Latina : Una aproximacion teorica”, Boletin Mexicano de Derecho Comparado, 2004, pp. 234-278.
 ROLDAN ORTEGA, op. cit. , p 23.
 Les Départements d’Outre-Mer sont : la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et la Guyane. Les Territoires d’Outre-Mer, devenus après la réforme constitutionnelle de 2003 les collectivités d’outre-mer (COM) sont: la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, les Îles Wallis et Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon. Les Terres australes et antarctiques françaises restent à ce jour le seul territoire d’outre-mer.
 Jacques CHEVALIER, L’Etat post-moderne, Paris, LGDJ, 2003, p. 91.
 Dominique TURPIN, Rapport de Synthèse, Colloque L’Etat pluri-culturel et les droits aux différences, Nouméa, du 3 au 5 juillet 2002, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 525.
 L’Etat de droit n’est pas simplement le régime où l’exercice des pouvoirs publics est soumis aux normes juridiques pré-établies mais aussi le régime où l’Etat détient le monopole, voire la suprématie des sources du droit.
 Le clivage espace public/espace privé, typiquement Français, relègue dans l’espace privé toutes les différences afin que l’égalité règne dans l’espace public
 La reconnaissance du droit canon et de la loi musulmane comme des foyers de droit autonomes semble particulièrement difficile à accepter par l’Etat Français.
 Régis LAFARGUE, La coutume judiciaire en Nouvelle-Calédonie, Mission de recherche droit et justice, 2001, Paris, résumé.
 Dont le statut de science auxiliaire du droit a été nettement formulé par le doyen Jean Carbonnier
 L’égalité est confrontée à l’hétérogénéité des êtres humains et à la diversité des variables qui agissent dans un espace social multidimensionnel. Ainsi, la définition de l’égalité dans l’une de ses dimensions implique l’acceptation d’inégalités en d’autres dimensions. Cf. Jean-Paul FITOUSSI, Egalité, équité, discriminations, in Le Monde, le 3 décembre 2003, Paris, p. 1
 Jean-Paul FITOUSSI, op. cit. .
 Jean BAUBEROT affirme que la diversité culturelle n’est pas forcément synonyme de communautarisme. Cf. L’enjeu de la commémoration de la loi de 1905 est la diversité culturelle, Le Monde, 5 janvier 2005, section Perspectives 2005, page V.
 Jaak BILLIET, Bart MADDENS et Roeland BEERTEN : National identity and Attitude toward Foreigners in a Multinational State: a Replication, revue Political Psychology, Vol. 24, N° 2, juin 2003, p. 242.
 Universalisme juridique veut dire en France l’égalité de tous devant la loi, qui n’a voir avec la mondialisation du droit.
 Jürgen HABERMAS, Après l’Etat-Nation, Paris, Fayard, 2000.
 Michael Barry HOOKER, Legal pluralism, Clarendon Press, Oxford, 1975, p. 194
 Les postulats de l’égale dignité des cultures ou de leur inégalité constituent des points de départ, voire des choix intellectuels dont leur « scientificité » n’est prouvée par les sciences sociales qu’à posteriori.
 Pierre BURDEAU, cité par Dominique TURPIN, 2003, p. 520.
 Cristophe EBERHARD, Droits de l’Homme et dialogue interculturel, Editions des Ecrivains, Paris, 2002 et Michel ROSENFELD, « Can Human Rights Bridge the Gap Between Universalism and Cultural Relativism ? A Pluralistic Assesment Based on the Rights of Minoritie”s, Columbia Human Rights Law Review, Vol. 30, N° 2, 1999, pp. 249 à 284.
 Même contre les politiques européennes de reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique ; cf. Ordonnance en référé du Conseil d’Etat, du 15 juillet 2002 sur les écoles Diwan en langue bretonne.
 Charles TAYLOR et Steven ROCKEFELLER suggèrent cette utilisation stratégique du pluralisme identitaire. Cf. Multiculturalisme, différence et démocratie, Champs – Flammarion, 1992, pages 37 et 117.
 Gilles DUMONT, Citoyenneté administrative, thèse Université de Paris II, 2002
 Norbert ROULAND, L’Etat français et le pluralisme. Histoire politique des institutions publiques de 476 à 1792, Paris, Odile Jacob, 1995.
 Norbert ROULAND, « Le droit français devient-il multiculturel ? », Droit et Société, 46, 2000, pages 519 à 545.
 Guillaume CARTIGNY, La nation dans tous ses Etats, les identités nationales en mouvement, 2002.
 PROUDHON, Du principe fédératif, Editorial Dentu, 1853, p. 38.
 Jean-Guy BELLEY, Conflit Social et Pluralisme Juridique en Sociologie du droit, thèse à Paris II, 1977, p. 160.
 Stéphane PIERRE-CAPS, Cultures et pensée juridique. Ecole Nationale de la Magistrature, novembre 2002.
 Dominique TURPIN, rapport de synthèse, Colloque « L’Etat pluri-culturel et les droits aux différences », Nouméa, du 3 au 5 juillet 2002, Bruylant, 2003, Bruxelles, page 525.
 Jean BAUBEROT s’exprimmait pareillement: “Paradoxalement, la France prône la diversité culturelle sur le plan mondial. Il faudra qu’elle soit cohérente avec elle-même et qu’elle se l’applique”. Cf. L’enjeu de la commemoration de la loi de 1905est la diversité culturelle, Le Monde, 5 janvier 2005, section Perspectives 2005, p. V.
 Michael Barry HOOKER, Legal pluralism, Oxford, Oxford University Press, 1975, p. 196.
 Ibidem, p. 197.
 Ibidem.
 Florence GAUTHIER, Triomphe et mort du droit naturel en Révolution : 1789, 1795, 1802, Paris, PUF, 1992, p.155.
 HOOKER, Op. cit., p. 196.
 La mise en valeur des colonies
 Régis LAFARGUE, La coutume judiciaire en Nouvelle-Calédonie, Mission de recherche droit et justice, 2001, Paris, p. 165.
 HOOKER, op. cit., p. 196.
 Ibidem.
 Un commentaire semblable a déjà été fait au sujet du droit colonial britannique.
 Régis LAFARGUE, Op. Cit., p. 167.
 Alain CHRISTNATCH, « Les règles coutumières en Nouvelle-Calédonie », article publié dans l’ouvrage Coutume autochtone et évolution du droit dans le Pacifique sud sous la direction de Paul DE DECKKER, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 84.
 Ibidem.
 Ibidem.
 Cf. Sénatus-consulte du 14 juillet 1865, articles 1, 3 et 4 ; Loi du 4 février 1919, article 2 ; ordonnance du 7 mars 1944, article 3, article 74 de la Constitution de 1958 et article 32-1 du Code civil.
 Jean-François BAYARD, L’Illusion Identitaire, Paris, Fayard, 1996.
 Michel VERPEAUX, L’affaire Papon, la République et l’Etat, Revue française de droit constitutionnel, N° 55, juillet 2003, pp. 513 à 526.
 A l’Université Paris II, les professeurs Bernard AUDIT, Bertrand ANCEL, Dominique BUREAU et Jacques FOYER enseignent la notion d’ordre public atténué.
 Rapport du PNUD sur le développement humain « La liberté culturelle dans un monde diversifié », 2004.
 Olivier ROY a prévenu qu’ « il ne peut pas y avoir de construction européenne sans une crise des identités nationales. L’identité se dissout par en haut, puisque les Etats perdent leurs prérogatives ». Cf. Xavier TERNISIEN, La « question islamique » encore et encore…, Le Monde, 5 janvier 2005, section Perspectives 2005, p. V.
 Montrer la tradition pluraliste française antérieure à la Révolution de 1789 fut l’objectif de Norbert ROULAND dans son ouvrage L’Etat français et le pluralisme, Paris, Odile Jacob, 1995.
 Boaventura DE SOUSA SANTOS, La Globalizacion del Derecho, Bogota, ILSA, Universidad Nacional de Colombia, 1999, p. 45.
 Multilevel constitutionnalism in European Union. Walter Hallstein-Institut für Europäisches Verffasunsrecht Papier, 5 / 02, juillet 2002, cité par Christian LEQUESNE,  « Quelle Constitution pour l’Europe ? », Critique Internationale, N° 20, juillet 2003, p. 30
 Nicolas SARKOZY, Vers une nouvelle citoyenneté française, Le Monde, 30 avril 2003, section Point de vue.
 Xavier TERNISIEN, La « question islamique » encore et encore…, Le Monde, 5 janvier 2005, section Perspectives 2005, p. V.
 Anne-Marie LE POURHIET, « Discriminations positives ou injustice ? », Revue française de Droit administratif, n° 3-1998, pp. 519 à 525.
 D’autres modalités de relation, non acceptables par la culture occidentale, seraient : l’assimilation, l’intégration, l’exclusion, les ghettos, l’apartheid, etc.
 Nicolas SARKOZY, Vers une nouvelle citoyenneté, Le Monde, 30 avril 2003.
 Autre chose est de savoir si, sur le plan pratique, les politiques officielles d’intégration des populations différenciées ont réussi ou non
 Sébastien BARLES, Les mesures de discrimination positive ou l’insertion des politiques publiques différenciées, thèse doctorale en Droit Public à l’Université de Paris 8 Vincennes-Saint Denis, le 18 décembre 2003.
 Régis LAFARGUE, La coutume judiciaire en Nouvelle-Calédonie, Mission de recherche droit et justice, 2001, Paris, p. 168.
 Sébastien BARLES, Les mesures de discrimination positive ou l’insertion des politiques publiques différenciées, thèse de doctorat en droit public, Université de Paris VIII, Vincennes-Saint Denis, le 18 décembre 2003.
 Lydie DORE, Le traitement jurisprudentiel du pluralisme par le Conseil constitutionnel : les enseignements d’une géométrie variable, mémoire de DEA droit public général, Faculté de droit, Université de Montpellier I, 1997, Montpellier, 110 pages.
 12e considérant de la décision n° 89-271 DC du Conseil Constitutionnel Français
 Le pluralisme d’exercice des libertés (de pensée, d’expression, …) n’est pas le pluralisme juridique.
 Décision N° 2002-460 DC, sur la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Didier MAUS, « La pratique constitutionnelle française 1er juillet – 30 septembre 2002 », Revue française de droit constitutionnel, N° 54, avril-juin 2003, p. 336
 Elise GHILHAUDIS, La question des peuples autochtones au Québec, Mémoire de DEA histoire, droit, droits de l'homme, Université de Grenoble Pierre Mendès-France, Grenoble, 2001, 160 pages.
 Michel LEVINET, « droit électoral. Les inéligibilités aux élections législatives, arrêt Podkolzina contre Lettonie, du 9 avril 2002 », Revue française de droit constitutionnel, N° 54, avril-juin 2003, p. 425.
 Le 7 janvier 1985 Edgard PISANI, délégué du Gouvernement français en Nouvelle-Calédonie avait proposé l’indépendance-association prévue dans l’article 88 de la Constitution ; l’article de M. DUVERGER a été publié dans Le Monde du 26 février 1985, cf. Dominique TURPIN, L’indépendance- association, article publié dans l’ouvrage L’avenir statutaire de la Nouvelle-Calédonie, publié sous la direction de Jean-Yves FABERON, Paris, La Documentation Française (Colloque du CREAM, les 14 et 15 mars 1997), pp. 242 et 246.
 Ibidem, p. 245.
 Régis LAFARGUE, La coutume judiciaire en Nouvelle-Calédonie, Mission de recherche droit et justice, 2001, Paris, La documentation Française, p. 165.
 Journal Officiel, DP, S, 1er juillet 1998, p. 3641.
 Norbert ROULAND, Le droit français devient-il multiculturel ?, article publié dans la revue Droit et société, n°46, 2000, pp. 542 et 543.
 Thierry MICHALON, Pour la Nouvelle-Calédonie, l’hypothèse fédérale ?, article publié dans l’ouvrage L’avenir statutaire de la Nouvelle-Calédonie publié sous la direction de dans Jean-Yves FABERON, La Documentation Française (Colloque du CREAM, les 14 et 15 mars 1997), 1997, pages 221 à 241.
 Conseil Constitutionnel, arrêt du 30 décembre 1975.
 Thierry MICHALON, op. cit, p. 229.
 Ibidem.
 MICHALON, op. cit., pp. 225 et 235.
 Ibidem, pp. 224 et 226.
 FABERON, op. cit., p. 60.
 Ibidem, p. 5.9
 Ecrit par l’imam AM-NAWAWI, professeur de droit musulman, mort à Damas en l'an 1277. Le Minhadj a été traduit au XIXème siècle par le Hollandais sous le titre Le livre des zélés croyants, Batavia, 1881-1883.
 MICHALON, op. cit., p. 234.
 LAFARGUE, op. cit, synthèse p. 5. Formule de l’Algérie au XIXème siècle.
 Travaux parlementaires, rapport Floch, n° 2967, cité dans le mémoire de Grenoble
 Régis LAFARGUE, op. cit, résumé.
 Publiée au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie du 27 juin 1989, p. 1402.
 Régis LAFARGUE, op. cit, synthèse, p. 4.
 Régis LAFARGUE, La distinction du droit à la différence en droit civil et en droit pénal, in L’Etat pluriculturel sous la direction Jean-Yves FABERON et Paul De Deckker, Ed. Bruylant, Bruxelles, 2003 (colloque de Nouméa des 3-5 juillet 2002).
 Christine SALOMON, Les femmes victimes de violences et la justice en Nouvelle Calédonie, ENM.
 Bernard DE GOUTTES, Le magistrat et la coutume. Questions et réponses sur une approche et les pratiques en Nouvelle-Calédonie, article publié dans l’ouvrage Coutume autochtone et évolution du droit dans le Pacifique sud sous la direction de Paul DE DECKKER, actes du Colloque Universitaire International, Editions L’Harmattan, 1995, Paris, pp. 152 à 158.
 Ibidem, p. 157.
 Mécanisme prévu par les articles 12 et 13 alinéa 2 de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 pour la Nouvelle-
Calédonie.
 Cass., 2ème civil, 6 février 1991, D.91, jur. 93, note Orfila
 Régis LAFARGUE, 2001, synthèse, p. 3.
 Esteban KROTZ, cité par Victoria CHENAUT et Maria Teresa SIERRA, Pueblos indigenas ante el derecho, CIESAS-CEMCA, 1995,  Mexico, p. 351 ; cité par André J. HOEKEMA, Hacia un pluralismo juridico formal de tipo igualitario, communication lors du Congrès des américanistes, du 7 au 12 juillet 1997, Quito, p. 10.
 Journal Officiel, LD, 27 mai 1998, p. 8039. Jean-Yves FABERON, 1999, p. 113.
 Anne-Marie LE POURHIET, « Nouvelle-Calédonie : la nouvelle mésaventure du positivisme », Revue du droit public et de la science politique, N° 4-1999, p. 1006
 Lorsqu’il a commandé, cf.: Anne-Marie LE POURHIET, « Discriminations positives ou injustices ? », Revue française de droit administratif, n°3 1998, p. 519
 Jean-Yves FABERON, « Nouvelle-Calédonie et Constitution : La révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 », Revue du droit public et de la science politique, N° 1 – 1999, pp. 113 à 130.
 Ibidem, p. 117.
 Thierry MICHALON, Pour la Nouvelle-Calédonie, l’hypothèse fédérale ?, article publié dans l’ouvrage L’avenir statutaire de la Nouvelle-Calédonie publié sous la direction de dans Jean-Yves FABERON, La Documentation Française (Colloque du CREAM, les 14 et 15 mars 1997), 1997, p. 238.
 Anne-Marie LE POURHIET, « Nouvelle-Calédonie : la nouvelle mésaventure du positivisme », Revue du droit public et de la science politique, N° 4-1999, p. 1018.
 MICHALON, op. cit., p. 239.
 Pierre ZEOULA, Contribution du Sénat Coutumier de la Nouvelle-Calédonie, in Paul DE DECKKER et Jean-Yves FABERON, L’Etat pluriculturel et les droits aux différences. Colloque de Nouméa du 3 au 5 juillet 2002, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 465.
 Pierre ZEOULA, op. cit., p. 465.
 Jean-Yves FABERON, « Nouvelle-Calédonie et Constitution : La révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 », Revue du droit Public et de la science politique, N° 1 – 1999, p. 117.
 La notion de Pacific Way a été évoque pour la première fois en 1970 par l’ancien Premier ministre des Îles Fidji lors d’un discours à l’Assemblée générale de l’ONU ; elle a été largement reprise dans les écrits culturalistes de Ron Crocombe, 1976, The Pacific Way. An Emerging Identity, Siva, Lotu Pasifika et Bernard Nairokobi, The Melanesian Way, Suva, Institute of Pacific Studies, 1983, cités par SORIANO, Eric, Une identité saisie par le droit, 1999, p. 149.
 Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999, JORF, 21 mars 1999, p. 4197
 Art. 7 de la Loi organique
 Jean-Yves FABERON, « Nouvelle-Calédonie et Constitution : La révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 », Revue du droit Public et de la science politique, N° 1 – 1999, p. 121.
 Anne-Marie LE POURHIET, « Nouvelle-Calédonie : la nouvelle mésaventure du positivisme », Revue du droit Public et de la science politique, N° 4-1999, p. 1006.
 Les huit aires coutumières des Kanaks sont : Hoot Ma Waap, Paici-Camuki, Ajie-Aro, Xaracuu, Djubéa-Kapone, Iaai, Nengone et Drehu.
 Article 142 de la Loi organique de la Nouvelle-Calédonie du 19 mars 1999.
 Pierre ZEOULA, « Contribution du Sénat Coutumier de la Nouvelle-Calédonie », in Paul DE DECKKER et Jean-Yves FABERON, L’Etat pluriculturel et les droits aux différences. Colloque de Nouméa du 3 au 5 juillet 2002, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 469.
 Assemblée Nationale, débats de la révision constitutionnelle ; intervention du député Jacques LAFLEUR en décembre 1998.
 Art. 12
 E/CN.4/Sub.2/1986/7 et Add.1 à 4
 E / CN.4 / Sub.2 / 1999 / 20
 Miguel Alfonso MARTINEZ, Etude des Traités, Accords et autres arrangements constructifs entre les Etats et les populations autochtones, rapport final ONU, 1999, cote : E/CN.4/SUB.2/1999/20, §106.
 Françoise MARTINAT, Les stratégies politiques et juridiques des leaders indigènes de la Colombie et du Venezuela, thèse soutenue à l’Université de Lille II le 12 septembre 2003, p. 98.
 MARTINEZ, op. cit., § 249.
 Selon les travaux de Charles H. ALEXANDROVICZ et d’autres auteur qui ont étudié les accords entre les peuples autochtones africains et les Etats, cité par MARTINEZ, op. cit., , § 104
 MARTINEZ, op. cit., § 111.
 Isabelle SCHULTE-TENCKOFF, Rousseau et le droit des gens, article publié dans l’ouvrage Rousseau anticipateur-rétardateur, Les Presses Universitaires de Laval et l’Harmattan, 2000, pp. 158 et 159
 MARTINEZ, op. cit., § 68. Minorités nationales est une dénomination très européenne. La Constitution colombienne de 1991 établis la catégorie de minorités ethniques en faveur des indiens, les communautés noires et les raisales de l’archipel de Saint André et Providence.
 MARTINEZ, op. cit., § 91.
 MARTINEZ, op. cit., § 73.
 On remarque que le cadre onusien de 1999 a beaucoup restreint et conditionné les analyses du rapporteur de l’ONU Miguel Alfonso MARTINEZ.
 MARTINEZ, op. cit., § 108. Bien que pour son étude le rapporteur ait fait de déplacements sur le terrain en Australie, Canada, Nouvelle Zélande, les Etats-Unis, l’Espagne, le Guatemala, le Chili et les îles Fidji ; cf. § 26.
 MARTINEZ, op. cit., § 249.
 MARTINEZ, op. cit., § 78.
 MARTINEZ, op. cit., § 91.
 MARTINEZ, op. cit., § 109.
 MARTINEZ, op. cit., § 45.
 MARTINEZ, op. cit., § 53.
 MARTINEZ, op. cit., § 66.
 MARTINEZ, op. cit., § 247.
 MARTINEZ, op. cit., § 9 et § 246.
 MARTINEZ, op. cit., § 256.
 MARTINEZ, op. cit., § 34.
 Pierre AVRIL, Les Conventions de la constitution, Paris, PUF, 1996.
 MARTINEZ, op. cit., § 247
 MARTINEZ, op. cit., § 242
 MARTINEZ, op. cit., § 252
 MARTINEZ, op. cit., § 254
 MARTINEZ, op. cit., § 258
 Max HUBER, Recueil des sentences arbitrales, Nations Unies, 1928, volume II.
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF L’Etude des Nations Unies sur les Traités entre peuples autochtones et Etats, article publié dans l’ouvrage Recherches Amérindiennes au Québec, XXIV-4, 1994, pp. 17 à 27. L’auteur fut consultant des Nations-Unis pour l’Etude sur les Traités entre les Peuples Autochtones et les Etats.
 En exigeant aux nouveaux sujets continuité et capacité suffisante pour assurer leurs responsabilités, aussi bien politiques et juridiques que économiques, dans la scène internationale.
 Françoise MARTINAT, Les stratégies politiques et juridiques des leaders indigènes de la Colombie et du Venezuela, thèse soutenue à l’Université de Lille II le 12 septembre 2003, p. 110.
 MARTINEZ, op. cit., § 116.
 MARTINEZ, op. cit., § 115.
 Articles 25 et 35 de la Constitution de 1982.
 Françoise MARTINAT, op. cit., p. 99.
 Com. N° 24 / 1977, décision du 30 juillet 1981
 Com. N° 78, décision du 20 juillet 1984
 Com. N° 197 / 1985, décision du 27 juillet 1988
 Com. N° 167 / 1984, décision du 26 mars 1990
 Com. N° 511 / 1992, décision du 26 octobre 1994
 Com. N° 671 / 1995, décision du 30 octobre 1996
 Norbert ROULAND et alii, Droit des Minorités et des Peuples Autochtones, Paris, PUF, 1996, p. 483
 Conseil juridique du Conseil de Sécurité de l’ONU, Avis sur le Sahara Occidental et le Royaume du Maroc, du 29 janvier 2002, New York, cote : S/2002/161
 L’idée de novation, incluant le changement de statut, s’oppose à la reviviscence complète voulue par le Groupe de Travail de l’ONU dans le Projet de Déclaration de 1993 et par Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF en 1994. Dans un cadre plus précis, en Australie la Native Title Act parle de la reviviscence du titre natif lorsque cessent d’exister les travaux publics ayant justifié l’extinction d’un titre natif.
 Les droits de l’Homme entendus dans leur version inter-culturelle pas selon l’approche libéral et individualiste traditionnel.
 Selon certains auteurs, la souveraineté étatique traverse un processus de redéfinition ; cf. les travaux du canadien Michael KEATING qui parle d’une période post-souverainiste, dont l’Union Européenne serait l’avant-garde.
 Norbert ROULAND et alii, Droit des Minorités et des Peuples Autochtones, Paris, PUF, 1996, p. 482.
 Michel TROPER fait la différence entre énoncés juridiques et normes juridiques ; les relations entre les deux dépendent de l’interprétation ; cf. La Philosophie du droit, Paris, PUF, 2001. Norbert ROULAND parle d’une manière plus littéraire de la magie de l’interprétation, op. cit. ,. p. 29
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, Editions Bruylant - LGDJ, 1997, Paris, p. 169.
 Les phénomènes d’hybridation sociale les plus importants pour l’anthropologie sont : les mariages, l’éducation et les rites funéraires communs aux diverses cultures.
 En Europe les juristes considèrent que les traités historiques ne peuvent pas être revendiqués au-delà de leur époque.
 Andrée LAJOIE, Intervention lors de la 36e législature, Débats de la Commission des institutions, 2e session, le 23 mars 2001. Sur le site internet : ttp://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/epreuve/ci/030123/1600.htm
 La théorie du droit et la dogmatique, que Michel TROPER définit comme le discours sur les discours juridiques, souvent n’utilisent que le temps grammatical du présent.
 Jean GAUDEMET décrivait l’histoire comme la servante des disciplines juridiques, économiques et sociales, dans le sens du champ d’expérience des sciences sociales. Brochure du Colloque de Strasbourg, 1952, pp. 122-135, publié dans l’ouvrage Sociologie historique du droit, Paris, PUF, 2000, p. 11.
 Jacques CHEVALIER, Institutions Politiques, PUF, 1996.
 Norbert ROULAND et alii, Droit des minorités et des peuples autochtones, PUF, 1996, p.365.
 « Nous autres, civilisations, savons que nous sommes mortelles » a écrit Paul Valéry.
 N’est pas évident l’argument du Professeur LAJOIE d’appliquer aux peuples autochtones pacifiques de nos jours les critères des rapports guerriers entre les peuples autochtones du début du XVIIIème siècle.
 Cf. l’arrêt chef Dickson, Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada, Arrêt Sioui, Juge en chef Brian Dickson, le 24 mai 1990, page 1025.
 Non pas sur une temporalité abstraite ou mythique.
 On dirait la dimension historico-géographique, anciennement appelée géographie humaine et sociale.
 Captation juridique sur la scène interne et au niveau des organisations internationales.
 Le grand architecte des alliances Franco-autochtones a conclut des traités même avant même d’avoir le mandat de le faire en 1613 lorsqu’il a été nommé lieutenant du vice-roi de la Nouvelle-France.
 Pour marquer le contraste, les Espagnols sont arrivés en Amérique Latine d’abord en conquérants puis en colonisateurs. Une fois réussi la domination, ils n’ont eu besoin de conclure aucun traité avec les indiens.
 Rapport MARTINEZ, op. cit., § 255.
 Norbert ROULAND et alii, Droit des minorités et des peuples autochtones, PUF, 1996, p. 358.
 Miguel Alfonso MARTINEZ, Etude des Traités, Accords et d’autres arrangements constructifs entre les Etats et les populations autochtones, ONU, 1999, § 372.
 Rapport MARTINEZ, op. cit., § 255.
 « Reviviscence » est le mot employé par les auteurs canadiens pourtant le concept « novation » semble plus exact puis qu’il inclut la modification du statut.
 Andrée LAJOIE, intervention lors de la 36e législature, débats de la commission des institutions, 2e session, le 23 mars 2001, sur le site internet : http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/epreuve/ci/030123/1600.htm
 En 1984 les indiens Cris et Naskapis du Québec on accepté que la loi fédérale de 1984 mette en vigueur la Convention de la Baie James et du Nord québécois et la Convention du Nord-Est québécois.
 La comparaison est trop schématique pourtant elle serait valable dans l’essentiel.
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, Paris, LGDJ, 1997.
 Le malentendu est toujours possible sur la Déclaration Royale et l’article 25 de la Constitution : ils confirment la souveraineté pré-existante des peuples autochtones ou bien ces actes politiques fondent la souveraineté de l’Etat sur les peuples autochtones.
 Michael KEATING parle d’un nouvel ordre démocratique dans un monde post-souverainiste, dont le paradigme serait l’Union Européenne. Cf. Comment s'articulent la démocratie et le nationalisme dans un monde post-souverainiste? Conférence prononcée le 8 mars 2001 à l'Université Mc Gill.
 José BENGOA, Los Derechos de las minirias y los pueblos indigenas : debate internacional, article publié dans la revue Diplomacia, N° 78, janvier-mars 1999, Santiago du Chili, p. 8.
 Entre les ONG et les peuples autochtones il y a beaucoup plus de différences que de points en commun, qu’il semble que l’emprunt des traits des ONG serait provisoire.
 Norbert ROULAND et alii, Droit des minorités et des peuples autochtones, PUF, 1996, p. 483.
 José BENGOA, op . cit. , 1999, p. 12
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La Question des peuples autochtones, Editions Bruylant LGDJ, 1997, pp. 113 et 122.
 Cité par MARTINEZ, op. cit., § 104. C’est une piste intéressante pour l’étude juridique des accords entre les peuples autochtones africains et les Etats
 Michel MORIN, Quelques réflexions sur le rôle de l’histoire dans la détermination des droits ancestraux et issus de traités, Thémis, revue juridique de l’Université de Montréal, vol 34, N° 2, du 22 août 2002, p. 367.
 L’infériorisation n’est qu’une image projetée par la culture majoritaire comme le disait Frantz FANON en 1961 ; parfois elle devient un élément nécessaire du discours et de l’action revendicative des leaders autochtones.
 Soit par « internalisation » des accords qu’à l’origine ont appartenus au Ius Gentium, soit parce qu’il s’agit d’accords contemporains, conclus après l’entrée en vigueur de la Constitution canadienne.
 Une conjoncture imaginable serait une défaite macro-économique majeure ou la faillite d’un Etat souverain, comme il est arrivé en Argentine en décembre 2001.
 L’assimilation des peuples autochtones aux ONG méconnaît la réalité culturelle des peuples autochtones, fort différents des ONG occidentales. Sous quelles présupposées les peuples autochtones seront assimilés aux ONG ?
 Elise GHILHAUDIS, La question des peuples autochtones au Québec, Mémoire de DEA histoire, droit, droits de l'homme, Université de Grenoble Pierre Mendès-France, Grenoble, 2001, 160 pages.
 Cf. supra chapitre III sur le régime canadien.
 Il ne manqua que 52.448 voix aux partisans de la souveraineté pour remporter le référendum québécois de 1995.
 Le rapport MARTINEZ de 1999 analyse la décolonisation comme une autre transformation politique qui met en relief la relativité des notions d’autochtones et de minorité. § 76
 Site internet : http://www.mce.gouv.qc.ca/innus/droits_ancestraux.htm
 MARTINEZ, op. cit., § 249.
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, op. cit. , p. 175.
 Les apports conceptuels des sciences auxiliaires du droit sont fondamentalement descriptifs, pourtant certains chercheurs présentent leurs conclusions comme s’il s’agissait des prescriptions juridiques.
 Evidents dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois de 1975.
 MARTINEZ, op. cit., § 255.


 Ce qui a pu être mis en relief grâce aux recherches de Michael Barry HOOKER dans son ouvrage Legal Pluralism, publié en 1975.
 Jacques VANDERLINDEN, « Trente ans de longue marche sur la voie du pluralisme juridique », article publié dans l’ouvrage collectif Les pluralismes juridiques, Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, Karthala, 2003, page 13.
 L’idée que le droit n’est qu’une expression de la culture subordonne le droit à la culture et montre les besoins d’une définition du droit et de préciser ses rapports avec la culture.
 Par exemple, pour se procurer une légitimité plurielle, pour développer les droits collectifs, pour accéder aux instances internationales comme l’ONU, l’OEA et la Banque Mondial, entre autres.
 Conseil constitutionnel français, décision du 9 avril 1992 n°92-308 DC sur le Traité de l’Union Européenne.
 Jon LANDABOUROU a participé dans la formulation par écrit des traditions juridiques indigènes.
 Jacques CHAVALIER, L’Etat post-moderne, Paris, L.G.D.J., 2004.
 Cf. annexe N° 2 : chronologie de la reconnaissance des peuples autochtones dans les constitutions.
 John GRIFFITHS, What is legal Pluralism ?, article publié dans la revue Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, N° 24, 1986, pp. 1à 55.
 L’auto-compréhension de l’individu et les conséquences et comportements qui en découlent.
 Le seuil marque la frontière à plusieurs niveaux : entre l’autonomie et l’intégration à l’ordre étatique, entre les droits individuels et les droits collectifs, ou bien entre la diversité et l’homogénéité culturelle. Les seuils ont besoin d’un critère recteur et d’un principe de proportionnalité, pour être appliqués.
 Philippe REYNAUD, L’Etat, les pouvoirs et la liberté, in Pluralism and Law, ouvrage publié sous la direction d’Arend SOETEMAN, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht (Pays Bas), 2001, page 82.
 2004
 Selon l’expression utilisée par Pierre BURDEAU.
 Charles TAYLOR, Multiculturalisme, différence et démocratie, Champs – Flammarion, 1992, p. 19
 Le système de sources du droit appartient matériellement à la constitution
 Il s’agit d’une analogie, où l’on ne peut pas prévoir toutes les différences et les ressemblances.
 Pierre AVRIL, Les Conventions constitutionnelles, PUF, 1997
 Arrêt SU-510 du 18 septembre 1998. Rapporteur : Magistrat Eduardo Cifuentes. Le conflit s’est présenté entre l’ Eglise Pentecôtiste Unie de Colombie IPUC et les autorités traditionnelles du peuple Arhuaco, qui ont interdit les actes de culte aux indiens convertis à la dite Eglise.
 Bien que la culture ne configure nullement un espace juridiquement structuré.
 La Commonwealth of Australia Constitution Act a adopté le régime fédéral pour les Etats de Nouvelle Galles du Sud, Victoria, Australie du Sud, Queensland et Tasmania.
 The indigenous people of a settled colony were thus taken to be without laws, without a sovereign and primitive in their social organization. Cfr. Arrêt Mabo et arrêt Avocat-General de Bengal contre Ranee Surnomoye Dossee
 Grant 1997, pages 1 et 2
 Arrêt du 1er novembre 2002
 On peut faire aussi la distinction entre appartenance spécifique à chaque peuple, et une notion construite d’appartenance générique, commune à tous les peuples autochtones ; l’équivoque entre les deux notions est très fréquente.
 Françoise MARTINAT, Les stratégies politiques et juridiques des leaders indigènes de la Colombie et du Venezuela, thèse soutenue à l’Université de Lille II le 12 septembre 2003, p. 103.
 Ibidem, p. 109.
 Will KYMLICKA, Multicultural citizenship, a liberal theory of minorities rights, Oxford University Press, 2001.
 La culture ne constitue pas un champ politiquement structuré, comme c’est bien le cas de la nation dans le droit public classique.
 La Colombie s’est inspiré du régime international des minorités, lequel ne s’aplique pas aux petits groupes qui exercent le pouvoir. Cf. José BENGOA, Los Derechos de las minorias y los pueblos indigenas: debate internacional. Revue Diplomacia, N° 78, janvier-mars 1999, Santiago de Chile, p. 11.
 Le régime de double nationalité est recommandé dans le rapport du PNUD 2004 sur « La liberté culturelle dans un monde diversifié »
 Le verbe « font » décrit leur situation juridique. Les discours politiques préféreraient dire : acceptent / veulent / ont besoin / décident d’être
 Une identité autochtone générique serait une fiction construite aussi bien pour faciliter le contrôle étatique des peuples autochtones que pour bâtir une résistance solidaire des peuples. Quelle serait l’identité partagée par les Wayous, les Guambianos et les Nukak-Maku ? Ou par les Inuits, les Navajos et les Maories ?
 Carlos Ariel RUIZ SANCHEZ,.Multiculturalismo, Etnicidad y Jurisdiccion Especial Indigena en Colombia., revue Pensamiento Juridico, Université Nationale de Colombie, N°12, 2000, p. 113.
 MARTINA, op. cit., p. 205.
 F. COLOM parle d’identités construites d’une manière narrative à partir des offenses partagées. Ruiz 2000, page 113.
 Par le Departement National de Planification DNP.
 Carlos Ariel RUIZ SANCHEZ, Multiculturalismo, Etnicidad y Jurisdiccion Especial Indigena en Colombia, article publié dans la revue Pensamiento Juridico, Université Nationale de Colombie, N°12, 2000, p. 117.
 SU-510 du 18 septembre 1998 ; rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes
 Rapport Martinez, 1999, § 68. Minorités nationales est une dénomination très européenne. La constitution colombienne de 1991 établis la catégorie de minorités ethniques en faveur des indiens, les communautés noires et les raisales de l’archipel de Saint André et Providence.
 Rapport Martinez, 1999, § 73
 Explication proposée par Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF , cf. Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, Paris, Editions Bruylant - LGDJ, 1997.
 Jean-Guy BELLEY, Conflit Social et Pluralisme Juridique en Sociologie du droit, Thèse à Paris II, 1977, p. 160.
 Ce que Jacques VANDERLINDEN et John GRIFFITHS appellent le vrai pluralisme juridique.
 Eric J. HOBSBAWUM,.Nations and nationalism since 1780. Programme, myth, reality, Cambridge University Press, 1990, Cambridge, p. 131 et sq.
 CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat, 1920, réédition LGDJ, 1984.
 Ainsi les peuples autochtones se perçoivent eux-mêmes comme le mouvement social, populaire ou opprimé, dont le discours politique peut se qualifier « de gauche à l’intérieur d’un régime libéral » qu’ils critiquent et dont ils profitent
 Comme c’est le cas des colonisations, de l’intégration supra-nationale ou de la mondialisation
 Aussi bien étatique qu’autochtone
 M.B. HOOKER, Legal Pluralism. An Introduction to Colonial and Neo-colonial Laws, Oxford University Press, 1975, p. 462.
 Dénoncer une injustice radicale peut servir comme axiome pour une argumentation rhétorique forte, analysée par Albert O. HIRSCHMAN dans The Rhetoric of Reaction. Perversity. Futility. Jeopardy, Harvard University Press, 1991.
 Rapports à caractère culturel, spirituel et économique.
 Michel MORIN, Quelques réflexions sur le rôle de l’histoire dans la détermination des droits ancestraux ou issus des Traités, 1999, Montebello, Canada, p. 367.
 Arrêt Sparrow, 1990
 James TULLY, Défi constitutionnel et art de la résistance. La question des peuples autochtones au Canada., article publié dans l’ouvrage collective Altérité et droit sous la direction d’Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, Bruylant, 2002, Bruxelles, p. 289.
 Roque ROLDAN ORTEGA,. Pueblos Indigenas y leyes de Colombia. Tercer Mundo Editores, 2000, Bogota, p. 95.
 L’expression de S. GRUZYNSKI dans La pensée métisse, 1999.
 Sauf quelques cas isolés ou des expressions rhétoriques fortes
 ROLDAN ORTEGA, op. cit., pp. 96 et 97.
 Arrêt T-188 du 12 mai 93 de la Cour constitutionnelle au rapport du magistrat Eduardo Cifuentes.
 MARTINAT, op. cit., p. 218.
 Arrêt T-428 du 24 juin 1992 de la Cour constitutionnelle de Colombie ; rapporteur : magistrat Ciro Angarita
 Principalement Norbert ROULAND, Guillaume CARTIGNY, Stéphane PIERRE-CAPS et Dominique ROUSSEAU
 Michael HOOKER, Legal pluralism, Clarendon Press, 1975, Oxford, p. 462.
 Dualisme juridique est l’existence de deux statuts applicables à des populations différentes tandis que le pluralisme est la possibilité d’appliquer simultanément les deux statuts en faveur des Kanaks
 La jurisprudence calédonienne a admis l’égalité des statuts Kanak et civil depuis les années 1980, laquelle fut adoptée par la Cour de Cassation de Paris en 1996
 Le principe politique de la tolérance permet aux juges de gérer les minorités qui ont un ordonnancement juridique alternatif et aussi les zones de non-droit que l’Etat ne peut pas ou ne veut pas éradiquer.
 Andrée LAJOIE, Quand les minorités font la loi, Puf, 2001, Paris, page 61
 YOUNES, Carole, Le pluralisme juridique : penser l’homme pour penser le droit, dans l’ouvrage collectif Les pluralismes juridiques, Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, Karthala, 2003, page 40
 D’autres modalités de relation, non acceptables par la culture occidentale contemporaine, seraient : l’assimilation, l’intégration, l’exclusion (géthos, apartheid, …), etc.
 Les Etats étudiés sont tous nationaux et égalitaires
 Ce qui peut s’interpréter comme l’instauration d’une démocratie participative
 Lauren BENTON, Law and colonial cultures. Legal regimes in world history 1400-1900, Cambridge University Press, 2002, p. 262.
 Ibidem, p. 263.
 Les processus de nation building, la construction européenne et la globalisation entraînent des recompositions identitaires
 Aleksandr DJUMAEV, Nation-Building, Culture, and Problems of Ethno-cultural Identity in Central Asia : The Case of Uzbakistan, 2001, page 322.
 Jean-Fabien SPITZ, Les Corps Sociaux Intermédiaire entre l’Individu et la Société Politique, communication à la Cour de Cassation de Paris, le 22 mai 2003.
 Taiaiake ALFRED, (politologue Mohawk), Peace, Power Righteousness: An Indigenous Manifesto, Oxford University Press, 1999, Toronto, pages 54 à 72 ; Dale TURNER, (philosophe politique anishnabe), This is not a Peace Pipe: Towards an Understanding of Aboriginal Soverignty, thèse doctorale non publiée, Université de Mac Gill, 1997, Montreal, pages 19 à 30 ; Michael MURPHY, Nature, Culture and Authority : Multinational Democracies and the Politics of Pluralism, thèse doctorale non publiée, Université de Mac Gill, 1997, Montreal; Robert A. WILLIAMS, Linking Arms Together: American Indian Treaty Visions of Law and Peace, 1600-1800, Oxford University Press, 1997, New York, cites par James TULLY, Défi constitutionnel et art de la résistance, 2002, page 291; LAJOIE, Andrée, Intervention lors d’un débat de la Commission des institutions au Parlement du Canada, le 23 janvier 2003 ; Lisa Mary STRELEIN, Indigenous Self-Determination Claims and the Common Law in Australia, thèse doctorale non publiée, Université Nationale Australienne, 1998.
 Andrée LAJOIE,. Quand les minorités font la loi,PUF, 2002, Paris, pp. 17 et 72.
 L’exemple d’activité économique moderne réclamée par les peuples autochtones est l’exploitation d’un casino. Videre : LAJOIE, Andrée, 2002, page 49
 Ibidem, p. 30.
 Ibidem, p. 201.
 Ibidem.
 L’évolution suggère un stade supérieur par rapport à la situation sociale d’origine ; ainsi, l’homogénéité juridique-bis, résultante du déplacement du système juridique national pour intégrer les minorités, serait supérieure à l’homogénéité juridique du départ.
 Tulio Eli CHINCHILLA, Qué son y cuales son los derechos fundamentales ? Editorial Temis, 1999, page 18 et 19.
 Arrêt Bocanegra contre Loi 89 de 1890, C-139 du 9 avril 1996 ; rapporteur : magistrat Carlos Gaviria
 L’arrêt Guainas contre Juge 3e de La Plata, T-496 du 26 septembre 1996 ; rapporteur : magistrat Carlos Gaviria
 Dans le même sens ont insisté l’ arrêt C-104 du 15 mars 1995 ; rapporteur : Hernando Herrera et l’arrêt SU-510 de 1998 
 Jean-Louis HALPERIN, Codes et traditions culturelles, dans l’ouvrage collective Codici una riflessione di fine millennio, Actes du colloque du 26 au 28 octobre 2000 à Florence, Giuffrè Editore, Milan, 2002, p. 252.
Michel WIEVORKA signale qu’en France l’universalisme hérité des Lumières a longtemps identifié les particularismes à l’obscurantisme. Cf. La Différence, Editions Balland, 2001, Paris, p. 127.
 HOOKER, op. cit.
 Carole YOUNES, Le pluralisme juridique : penser l’homme pour penser le droit, article publié dans l’ouvrage collectif Les pluralismes juridiques, Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, Karthala, 2003, p. 41.
 Support ontologique dans un sens de la réalité sociale historique et intégrale, qui inclut sa dimension axiologique. De la sorte, les valeurs juridiques n’existeraient en dehors des relations juridiques.
 Dominique ROUSSEAU, La Démocratie continue : Actes du colloque de Montpellier, LGDJ / Bruylant, collection « La pensée juridique moderne », Paris, 1995, page 173.
 Par exemple, les droits collectifs, la discrimination positive, la participation démocratique et les instances internationales qui passent par l’adhésion à l’ordre étatique.
 La bienveillance des juges n’est pas unanime ni permanent
 Parler de régimes interchangeables ne semble pas sérieux, pourtant c’est bien cela qui arrive dans la période de transition lorsque les appartenances sociales évoluent. Puis le principe d’unité du droit revient.
 John GRIFFITHS. What is Legal Pluralism ? 1986, page 9.
 Rappelons que la théorie du droit n’est pas le droit lui-même ; comme la théorie de l’art n’est pas de l’art.
 La Native Title Act semble inspirée plutôt par un projet de nation building que par une volonté politique de développer les droits collectifs des peuples autochtones. L’Australie a une politique pour s’attirer des immigrants.
 Article 27
 Pacte adopté le 16 décembre 1966
 Cf. supra chapitre II.
 Cela n’a pas été le cas.
 Il ne s’agit pas d’aucune postériorité temporelle mais d’une implication logique
 Elise GHILHAUDIS, La question des peuples autochtones au Québec, Mémoire en DEA histoire, droit, droits de l'homme, Université de Grenoble Pierre Mendès-France, Grenoble, 2001, 160 pages.
 Ce critère repris de l’arrêt Simon, de 1985, a permit de reconnaître comme Traité historique une Déclaration française de 1760
 Rapport Martinez, 1999, § 119
 Isabelle SCHULTE-TENCKOFF, Rousseau et le droit des gens, article publié dans Rousseau anticipateur-rétardateur, les Presses Universitaires de Laval et l’Harmattan, 2000, p. 160.
 Article 35 de la constitution de 1982. droits existants implique que leur source n’est pas la constitution puisqu’ils sont antérieurs
 Arrêt Delgamuukw, 1997
 L’arrêt Sparrow a précisé en 1990 que par “ droit existant ” il fallait entendre existant au jour de la répatriation de la constitution canadienne en 1982
 Créé par l’arrêt Sparrow en 1990, le test de justification des atteintes aux droits ancestraux fut appliqué dans les arrêts Adams et Côtés en 1996, puis ce test a été élargi au titre aborigène, par l’arrêt Delagamuukw, en 1997.
 Tulio CHINCHILLA, Qué son y Cuales son los derechos fundamentales ? Editorial Temis, 1999, Bogota, pp.18 et 19.
 Ibidem, pp. 10 et 11.
 Cour constitutionnelle, arrêt T-523 du 15 octobre 1997 ; magistrat rapporteur Carlos Gaviria. C’est l’équivalant de la Charte des droits des Peuples Autochtones, au Canada
 Arrêt C-139 du 1996 ; rapporteur : magistrat Carlos Gaviria
 Arrêt No. T-254 du 30 mai 1994; rapporteur: magistrat Eduardo Cifuentes
 Arrêt SU-510 de 1998 ; rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes
 Plus précisément, il est obligatoire le noyau essentiel des droits fondamentaux, qui résiste à traverser la barrière de l’inter-culturalité.
 Arrêt T-425 du Magistrat rapporteur : Carlos Gaviria
 Norbert ROULAND, Le droit français devient-il multiculturel ? Article publié dans la revue Droit et Société, N° 46, 2000, pages 545.
 Lydie DORE, Le traitement jurisprudentiel du pluralisme par le Conseil constitutionnel, les enseignements d’une géométrie variable, mémoire de DEA en droit public général, Université de Montpellier 1. Faculté de Droit, 1997, Montpellier, 110 pages.
 Boaventura DE SOUZA SANTOS, cité par AGUDELO, Carlos, 2002, page 497
 Will KIMLICKA, 2001
 ROULAND, 1988, 130
 Will KIMLICKA,
 Anthony MORAN, The Psychodynamics of Australian Settler-Nationalism: Assimilating or Reconciling with the Aborigines ? , article publié dans la revue Political Psychology, Vol. 23, N° 4, décembre 2002, page 670
 Robert GRANT, De-Colonisation and Difference: The Case of Australia’s Aboriginals, University of Aberdeen, 1997, p. 1.
 Selon la différentiation conceptuelle entre restrictions internes et protection externe, formulé par Will KYMLICKA dans Multinational Citizenship: a Liberal Theory of Minority Rights, Oxford University Press, 1995, traduit en français sous le titre La citoyenneté multi-culturelle: une théorie libérale des droits des minorités, Editions la Découverte, 2001, Paris, page 67 ; et REQUEJO, Ferran y otros. Democracia y Pluralismo Nacional. Editorial Ariel S. A., collection Ciencia Politica, 2002, Barcelona, paginas 30-31.
 Entité juridique qui regroupe les indiens, selon la loi fédérale de 1867
 Andrée LAJOIE, Quand les minorités font la loi. PUF, 2002, Paris, page 46.
 Les manifestations historiques et culturelles des principes juridiques universels ne sont pas exactement les principes juridiques universels. Les premières correspondent à la théorie du droit élaborée pour chaque système juridique, tandis que les derniers relèvent de la philosophie du droit.
 Un auteur américain décrit en ces termes le fonctionnement des systèmes juridiques multiculturels, l’analyse est transposable en Colombie. Cf. Seyla BENHABIB,. The Claims of Culture, Princeton University Press, 2002, Princeton, p. 148.
 ETIS : Entidades territoriales indigenas, en espagnol
 Arrêt T-525 du 25 septembre 1998 ; rapporteur : magistrat José Gregorio Hernandez
 Jacques CHEVALIER.
 Jean-Yves FABERON, 1999, page 122
 Rapport VI (1), OIT, Conférence Internationale du Travail, 75e session, 1988, page 20, cité par MARTINAT 2003, page 102
 Françoise MARTINAT,. 2003, page 103
 Ibidem, page 109
 Dépendant de la sous-commission de lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, faisant partie de la Commission des Droits de l’Homme. Le Groupe de travail est devenu en mai 2002 le Forum Permanent sur les questions autochtones
 Rapport Martinez, 1999, § 242
 Ibidem, § 252
 Ibidem, § 247
 Un égalitarisme outrancier trouverait que tout statut particulier constitue des privilèges
 Avouons que le piège polysémique est subtil ; on dirait que les notions juridiques mono-culturelles ont besoin de nuances et d’ajustements pour devenir des notions juridiques multiculturelles. Cela constitue l’objet de cette thèse doctorale
 Charles TAYLOR, Multiculturalisme. Différence et démocratie, Aubier, 1994
 Cas à examiner à titre d’exemples limites seraient : l’anthropophagie, la peine de mort ou la potestas maritalis.
 Norbert ROULAND, Anthropologie juridique, PUF, 1988, Paris, page 130
 Les manifestations historiques et culturelles des principes juridiques universels ne sont pas exactement les principes juridiques universels. Les premières correspondent à la théorie du droit élaborée pour chaque système juridique, tandis que les derniers relèvent de la philosophie du droit.
 Charles TAYLOR, 1990, page 117.
 FITOUSSI, 2003, page 1
 On peut affirmer la dignité humaine universelle et, en même temps, les cultures locales.
 Cour Permanente de Justice Internationale de la Société des Nations, avis sur la situation des colons allemands en Pologne, rendu le 10 septembre 1923.
 L’infériorisation n’est pas qu’une image projetée par la culture majoritaire comme le disait Frantz FANON en 1961 ; parfois elle devient un élément nécessaire du discours et de l’action revendicative des leaders autochtones.
 La présomption d’égalité entre les cultures sert comme point de départ mais elle admet un examen plus objectif permettant de reconnaître les asymétries entre les diverses cultures.
 Gilles DUMONT, La citoyenneté administrative, Thèse doctorale à l’Université de Paris II, décembre 2002, Paris, 671 pages
 La notion de droits historiques au Canada n’est pas la même utilisée en Europe au XIX et XX.
 Il s’agit d’une responsabilité politique et non pas juridique ; l’accent mis sur les abus coloniaux correspond au politiquement correct dans le discours des peuples autochtones canadiens
 Roque ROLDAN, 2000, page 100
 « L’autonomie est affirmation du local, du sectoriel et du régional sans ignorer l’existence d’un ordre supérieur » Arrêt C-478 / 1992 de la Cour Constitutionnelle. Magistrat rapporteur : Eduardo CIFUENTES
 Arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 ; rapporteur : Eduardo Cifuentes. L’arrêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques, SU-510 du 18 septembre 1998 a précisé que le noyau essentiel des droits fondamentaux serait la base commune pour que l’Etat colombien accepte l’inter-culturalité.
 Tulio CHINCHILLA, Qué son y cuales son los derechos fundamentales ? Editorial Temis, 1999, Bogota, page
 Article 29 de la Constitution colombienne de 1991
 Arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 ; rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes
 Arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 ; rapporteur: magistrat Eduardo Cifuentes, cité par Roldan 2000, page 100
 Arrêt T-380 du 13 septembre 1993 ; rapporteur : Eduardo Cifuentes
 Article 11 de la Constitution colombienne de 1991
 Arrêt CI-058/94 du 17 février 1994 ; rapporteur : magistrat Alejandro Martinez
 Arrêt Torres contre Autorités Traditionnelles Arhouaques, du 18 septembre 1998 de la Cour Constitutionnelle ; rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes
 ROLDAN, Roque. 2000, page 40
 Arrêt SU-510 du 18 septembre 1998 de la Cour Constitutionnelle ; rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes
 La tutelle équivaut aux référés des libertés, en France.
 La Cour Constitutionnelle unifie la jurisprudence de tous les juges et tribunaux en matière des droits fondamentaux.
 Le Conseil d’Etat colombien exerce la juridiction administrative dont le régime ressemble énormément au régime français.
 En Colombie la Cour Suprême de Justice est la instance suprême des juridictions civile, des affaires, pénale et du travail.
 Tulio CHINCHILLA, Qué son y cuales son los derechos fundamentales ? Editorial Temis, 1999, Bogota
 Etienne PICARD, L’émergence des droits fondamentaux en France, article publié dans le revue Actualité Juridique en Droit Administratif, Numéro spécial, août 1998, page 41.
 Christian BIGAUT, La Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, Conseil économique et social, 2002, page 244.
 Signée le 4 novembre 1950 dans le cadre du Conseil de l’Europe
 PICARD, Op. Cit. page 30.
 Les juges doivent obéir la loi et se taire
 La compatibilité peut se limiter à quelques mécanismes d’articulation, sans forcement créer un espace juridique commun.
 Rapport Martinez 1999, § 66
 A Canada la conférence constitutionnelle de 1983 a ajouté le paragraphe 4 à l’article 35 de la Constitution, pour protéger les droits des femmes à l’intérieur des tribus indiennes, à l’encontre du droit coutumier
 Arrêt T-030 du 25 janvier 2000 ; rapporteur : magistrat Fabio Moron
 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt Bocanegra contre Loi 89 de 1890, C-139 du 9 avril 1996 ; rapporteur : magistrat Carlos Gaviria
 Ce que Tulio CHINCHILLA appelle « force expansive » des droits fondamentaux
 Arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 ; rapporteur : Eduardo Cifuentes. L’arrêt Torres contre Autorités Traditionnalles Arhouaques, SU-510 du 18 septembre 1998 a précisé que le noyau essentiel des droits fondamentaux serait la base commune pour que l’Etat colombien accepte l’inter-culturalité.
 Roque ROLDAN, 2000, page 100.
 La philosophie du droit et les apports des sciences auxiliaires du droit restent implicites dans les énoncés normatifs permettant leur ouverture aux changements sociaux
 KYMLICKA, Will. La citoyenneté multi-culturelle :une théorie libérale du droit des minorités, Editions La Découverte, 2001, Paris, page 67, et Nuevo Debate sobre los Derechos de las Minorias, article publié dans l’ouvrage Democracia y pluralismo nacional. Ferran REQUEJO (coordinateur), Editorial Ariel S. A., collection Ciencia Politica, 2002, Barcelona, pages 30-31.
 Pour faire bref : Dans les cas suscités à l’intérieur d’une culture relativement homogène.
 Cf. infra : Section 2.4.4 : Le gouvernement des juges.
 Dans la Constitution colombienne de 1991 la défense des droits fondamentaux implique une application directe de la Constitution par tout juge en procédure de tutelle.
 Arrêt Tolosa contre Ministère de Relations Extérieures, T-532 du 23 septembre 1992, rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes ; et arrêt Vargas contre Moreno, T-425 du 26 septembre 1995, raporteur : magistrat Eduardo Cifuentes.
 Les quotas de 2 sénateurs et 1 représentant indigènes dans les chambres législatives colombiennes
 Le Sénat coutumier en Nouvelle Calédonie, établie par la loi constitutionnelle de 1999
 L’article 37 de la Constitution de 1981 avait prévue les conférences constitutionnelles
 Paragraphe 4 de l’article 35 de la Constitution, ajouté lors de la conférence constitutionnelle de 1983
 Actuellement il y a plus de 80 conventions tripartites en cours de négociation
 Les indiens canadiens détiennent tous les droits citoyens et la pleine capacité juridique civile
 Equivalant à la procédure française de référé de liberté
 Aux 2 sénateurs par la circonscription spéciale nationale indigène (système de quota), il faut ajouter pour la législature 2002-2006, deux supplémentaires, élus par la circonscription nationale ordinaire des 100 sénateurs.
 Loi 99 de 1993 sur le Système national environnemental
 Lors des élections parlementaires de mars 2002, douze candidats indigènes figuraient sur les listes au Sénat et à la Chambre de représentants. Candidatos al Congreso « Para dar y convidar », journal El Tiempo, Bogota, édition sur internet du dimanche 27 janvier 2002
 Quelques institutions du gouvernement des peuples et communautés indigènes, comme les cabildos, furent mises en place pendant la période colonial par les espagnols
 Roldan 2000, page 47
 Communautariste, dans le sens négatif de cette expression en France, qui n’a rien à voir avec le débat libéraux-communautariens dans l’univers anglo-saxon
 BILLIET, Jaak, MADDENS, Bart et BEERTEN, Roeland; National identity and Attitude toward Foreigners in a Multinational State: A Replication, revue Political Psychology, Vol. 24, N° 2, juin 2003, Special Issue : National Identity in Europe, page 242
 En 1974 la North American Indian Brotherhood NAIB fut la première ONG à obtenir le statut consultatif auprès du Conseil Economique et Social de l’ONU. Cfr. ROULAND, Norbert, 1996, page 483
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, Editions Bruylant - LGDJ, 1997, page 113.
 La représentation politique des individus à l’ONU se fait par l’intermédiaire des presque 200 Etats reconnus ou par des organismes comme le Haut commissaire pour les réfugiés ou la Commission des Droits de l’Homme
 Le seuil entre l’espace privé et l’espace public est relativement mouvant et les circonstances de la vie privée deviennent une affaire de l’espace public dès que l’autorité y intervienne en nom de l’intérêt public
 Par exemple, l’expropriation des terres lors des colonisations, des ethnocides.
 L’essentialisme, l’immobilisme et l’évocation d’un âge d’or, semblent convenir pour former les jeunes autochtones et pour diffuser au grand public les traits de l’identité collective autochtone
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, Quand les minorités font la loi, PUF, 2001, Paris, page 61.
 Le phénomène de sur-représentation parlementaire des minorités ethniques est vraiment rare d’après le rapport de la BIRD 2003.
 Norbert ROULAND, Droit des minorités et des peuples autochtones, PUF, 1996.
 Mythe est un mot utilisé en anthropologie, son équivalent en langage juridique seraient axiome ou principe ; pourtant en parlant du droit occidental les auteurs scientifiques et la jurisprudence ont du mal à employer le mot mythe.
 Sorte d’empathie
 Le respect des la diversité est possible grâce aux liens communs d’humanité. Rapport de l’ONU 2004, page 2.
 Norbert ROULAND, op. cit., p. 358.
 Op. Cit. page 27.
 Op. Cit. pages 27 et 31.
 PNUD, La liberté culturelle dans un monde diversifié, Economica, 2004, page 7.
 Jacques VANDERLINDEN, Trente ans de longue marche sur la voie du pluralisme juridique, article publié dans l’ouvrage collectif Les pluralismes juridiques, Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, Karthala, 2003, page 13.
 Jacques VANDERLINDEN, 1972, page 22
 Ibidem.
 Sally Falk MOORE, Power and Property in Inca Peru, Theses of Ph D at Columbia University1978, p. 58.
 John GRIFFITHS, What is legal pluralism ? 1986, page 49.
 Sally Falk MOORE, op. cit., p. 58.
 Miguel Alfonso MARTINEZ, Etude sur les traités, accords et autres arrangements constructifs entre les Etats et les populations autochtones, élaboré dans le cadre de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU.
 L’article 330 de la Constitution de 1991 établi cette autonomie. L’arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 de la Cour Constitutionnelle, du 30 mai 1994 affirme que l’autonomie politique et juridique des communautés indigènes se situe dans ce cadre strict signalé par la Constitution au rapport du magistrat Eduardo CIFUENTES.
 Carlos Ariel RUIZ SANCHEZ, Multiculturalismo, Etnicidad y Jurisdiccion Especial Indigena en Colombia, article publié dans la revue Pensamiento Juridico, Université Nationale de Colombie, N°12, 2000, p. 111.
 Le pacte Front National a épargné la Colombie de la vague des coups d’Etat militaires en Amérique Latine et a consolidé une période de tranquillité et de croissance économique, sorte d’âge d’or du XXème siècle
 Ministres, fonctionnaires, magistrats et juges ont été 50% libéraux et 50% conservateurs
 Un « monopole de deux » constitue une contradictio in terminis pourtant l’expression monopole est souvent utilisée par les chercheurs sociaux qui étudient la période du Front National colombien.
 Jacques CHEVALIER, L’Etat post-moderne, LGDJ, 2003, page 91.
 Dominique TURPIN, rapport de synthèse, Colloque L’Etat pluri-culturel et les droits aux différences, Nouméa, du 3 au 5 juillet 2002, Bruylant, 2003, Bruxelles, page 525.
 Le clivage espace public/espace privé, typiquement Français, relègue dans l’espace privé toutes les différences afin que l’égalité règne dans l’espace public.
 Will KYMLICKA, Nuevo Debate sobre los Derechos de las Minorias, 2002, pages 26 et 42.
 Norbert ROULAND, Le droit français devient-il multiculturel?, article publié dans la revue Droit et Société, N° 46, 2000, page 527.
 L’égalité est confrontée à l’hétérogénéité des êtres humains et à la diversité des variables qui agissent dans un espace social multidimensionnel. Ainsi, la définition de l’égalité dans l’une de ses dimensions implique l’acceptation d’inégalités en d’autres dimensions. Cf. Jean-Paul FITOUSSI, Egalité, équité, discrimination, Le Monde, le 3 décembre 2003, Paris.
 Norbert ROULAND, op. cit., pages 545.
 Aleksandr DJUMAEV, Nation-Building, Culture, and Problems of Ethno-cultural Identity in Central Asia : The Case of Uzbakistan, 2001, Oxford, pages 322.
 Surtout si on décline la notion de Max Weber, l’Etat est le détenteur du monopole de la force légitime, comme un monopole du droit légitime ou de la culture légitime.
 Un principe abstrait de la théorie du droit, comme le monisme ou le pluralisme juridique, aide à comprendre le droit mais il n’est pas du droit. Analogiquement, une théorie de l’art aide à comprendre l’art mais elle n’est pas de l’art.
 Trop élargir la liste des valeurs juridiques supérieures nuirait le fonctionnement du multiculturalisme.
 Certains auteurs utilisent l’expression « ordonnancement juridique dominant » à laquelle ils opposent la notion de « dominés » ou « subordonnés »
 Loi N° 89-378, du 13 juin 1989 publiée au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie du 27 juin 1989, p. 1402.
 Dans l’univers mental du tribunal qui jugeait Galileo le soleil tournait autour de la terre, avec la force d’une vérité officielle qu’ils acceptaient sincèrement. Pourtant dans l’univers réel c’était la terre qui tournait.
 John GRIFFITHS, What is legal pluralism ? article publié dans la revue Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, N° 24, 1986, pages 1-55.
 Analyser en quoi consiste la réalité juridique correspond à la philosophie du droit et à l’épistémologie. Un constitutionnaliste n’osera pas à douter des réalités juridiques ni envahir les domaines d’autres disciplines.
 Jacques CHEVALIER, Vers un Droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique, article publié dans la Revue du droit Public, N° 3-1998, pages 559-690 et L’Etat post-moderne, LGDJ, 2003.
 Jacques VANDERLINDEN, Vers une nouvelle conception du pluralisme juridique, article publié dans Droit prospectif. Revue de la recherche juridique, 1993-2, pages 573 à 583.
 RAYNAUD, Philippe, Révolution américaine, Dictionnaire de philosophie politique, 1996, pages 572 à 575.
 SIEDENTOP, Larry, La démocratie en Europe, Paris, Buchet-Chastel, 2003, cité par LEQUESNE, Christian, Quelle Constitution pour l’Europe ? Revue Critique Internationale, N° 20, juillet 2003, page 35
 DORSETT, Land Law and Dispossession: Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 287.
 Ibidem, p. 282.
 ROLDAN ORTEGA, Pueblos Indigenas y leyes de Colombia, Bogota, Tercer Mundo Editores, 2000., p. 47.
 Article 330 de la Constitution de 1991.
 L’arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994 affirme que l’autonomie politique et juridique des communautés indigènes se situe dans ce cadre stricte signalé par la Constitution ; rapporteur : magistrat Eduardo Cifuentes. Cf.: Arrêt C-478 / 1992 de la Cour Constitutionnelle. Magistrat rapporteur : Eduardo CIFUENTES.
 Thierry MICHALON, Pour la Nouvelle-Calédonie, l’hypothèse fédérale, article publié dans l’ouvrage L’avenir statutaire de la Nouvelle-Calédonie publié sous la direction de Jean-Yves FABERON,Paris, Documentation Française (Colloque du CREAM, les 14 et 15 mars 1997), page 236.
 Ibidem, p. 230.
 Ibidem, p. 221.
 Anne-Marie LE POURHIET, Nouvelle-Calédonie : la nouvelle mésaventure du positivisme, Revue du droit Public, N° 4-1999, page 1006.
 Antoine MESARA a proposé dans les années 1990s pour le Liban dans plusieurs articles publiés dans les Cahiers de l’Orient un fédéralisme personnel qui revient au fond aux statuts personnels.
 Olivier BEAUD, article « Fédéralisme » publié dans le Dictionnaire de philosophie politique, Philippe RAYNAUD et Stéphane RIALS (éditeurs), PUF, Paris, 2003, page 269
 M. CROISAT, Le fédéralisme, Montchrestien, Paris, 1993, page 24.
 Olivier BEAUD, op. cit.
 Elisabeth ZOLLER, Aspects internationaux du droit constitutionnel, chapitre I La Constitution Fédérale, Recueil des cours de l’Académie de droit international, tome 294, 2002, La Haie, page 111.
 Affaire US Term Limits, Inc. contre Thornton, en 1995, juge Kennedy, 514 US 838.
 Alemante G. SELASSIE, Ethnic federalism : Its Promise and Pitfalls for Africa, article publié dans la revue The Yale Journal of International Law, Volume 28, N° 1, winter 2003, page 107.
 Ibidem, page 106.
 John GRIFFITHS, What is Legal Pluralism ? 1986, page 41.
 André J. HOEKEMA, Hacia un pluralismo Juridico Formal de Tipo Igualitario, 1997, page 11
 Alemante G. SELASSIE, “Ethnic federalism : Its Promise and Pitfalls for Africa”, The Yale Journal of International Law, Volume 28, N° 1, winter 2003, page 107.
 La force expansive des valeurs juridiques est perçue comme imperfection su système des normes, pour le positivisme juridique.
 Aussi divers entre eux comme les sectes religieuses, les homosexuels et les lesbiennes.
 Laura NADER, Harmony Ideology: Justice and Control in a Zapotec Mountain Village, Stanford University Press, 1990,.
 La Commonwealth of Australia Constitution Act adoptée par le Parlement du Royaume Uni à Westminster a mis en place le régime fédéral pour les Etats de Nouvelle Galles du Sud, Victoria, Australie du Sud, Queensland et Tasmanie.
 Une préoccupation analogue se trouve dans le Droit colonial français.
 Robert GRANT, De-Colonisation and Difference: The Case of Australia’s Aboriginals, University of Aberdeen, 1997.
 La population totale des Territoires Nunavut est de 25.000 habitants dont le 85% sont des Inuits.
 Elaboré par une Commission Spéciale de la Chambre des Communes présidé par Penner.
 François-Xavier GUERRA considère que la Colombie a été marquée par le choix d’un Etat faible lors des Capitulations de Zipaquira de 1783.
 Article 330 de la Constitution colombienne de 1991.
 Arrêt Torres contre Autorités Traditionnalles Arhouaques, SU-510 du 18 septembre 1998 ; rapporteur : magistrat Eduardo CIFUENTES.
 Cour constitutionnelle, arrêt Gembuel contre Cabildo de Jambalo, T-523 du 15 octobre 1997 ; au rapport du magistrat Carlos GAVIRIA.
 Les idéologies et les rhétoriques libérales peuvent toujours refuser la reconnaissance des droits collectifs
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF a créé en 1994 la dénomination technique d’« internalisation des traités historiques ». Cf. La question des peuples autochtones, Editions Bruylant - LGDJ, 1997, page 169.
 Entrée en vigueur le 5 septembre 1991 
 Selon les travaux de Charles H. ALEXANDROVICZ et d’autres auteur qui ont étudié les accords entre les peuples autochtones africains et les Etats, cité par Martinez, 1999, § 104
 Rapport Martinez, 1999, § 111
 ALEXANDROWICZ Charles, An Introduction to the History of the “Law of Nations” in the East Indies, Clarendon, Oxford, 1967, page 149.
 Si bien que la convention n’emploi pas les mots « gouvernement » ni « autonomie » des peuples autochtones, l’article 6-c signale que les Etats doivent « développer pleinement les institutions » de ces peuples
 Selon la dénomination technique donnée par Isabelle Schulte-Tenckhoff en 1994
 Le Juge John MARSHAL de la Cour Suprême des Etats-Unis a exprimé cette idée dans l’arrêt Nation Cherokee contre Etat de Georgia, en 1831
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, Editions Bruylant-LGDJ, 1997, Paris, page 115.
 Will KYMLICKA, La citoyenneté multi-culturelle :une théorie libérale du droit des minorités, Editions La Découverte, 2001, Paris, page 67, et « Nuevo Debate sobre los Derechos de las Minorias », article publié dans l’ouvrage Democracia y pluralismo nacional, sous la direction de Ferran REQUEJO, Editorial Ariel S. A., collection Ciencia Politica, 2002, Barcelona, pages 30-31.
 Arrêt 0-30 du 25 janvier 2000 ; au rapport du magistrat Fabio Moron.
 Norbert ROULAND, « Le droit inter-temporel et la question néo-calédonienne », article publié dans l’ouvrage L’avenir statutaire de la Nouvelle-Calédonie, sous la direction de Jean-Yves Faberon, colloque organisé par le CREAM les 14 et 15 mars 1997, La Documentation Française, 1997, Paris, p. 146.
 14 AC 286 à 291, de l’année 1889, cité par DORSETT, Land Law and Dispossession: Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, pp.282 et 289.
 67 CLR 544, de l’année 1941, cité par DORSETT, op. cit., page 292.
 175 CLR 1.
 DORSETT, op. cit., page 293.
 M. B. HOOKER, Legal Pluralism, Oxford University Press, 1975, Oxford 1975, page 343. On doit remarquer l’ Aboriginal Land Rights (Northern Territory) Act, de 1976, également appelé la Land Rights Act.
 DORSETT, op. cit., page 279
 187 C.L.R. 1, per Gummow J at 180. 141 ALR 129 à 184, de 1996, cité par DORSETT , op. cit., page 295.
 Débats de la Commission des institutions du Parlement du Canada, 36e législature, 2e session, jeudi 23 janvier 2003, site internet http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/epreuve/ci/030123/1600.htm.
 Commission royale sur les peuples autochtones. Conclure des traités dans un esprit de coexistence, Ottawa, Groupe Communication Canada, 1993.
 Plusieurs projets de LOOT ont été présentés au Congrès, le dernier en 2004 après avoir obtenu le consensus des peuples et communautés indiennes
 Cf. l’arrêt C-478 / 1992 de la Cour Constitutionnelle au rapport du magistrat Eduardo CIFUENTES.
 Cf. l’arrêt Narvaez contre Cabildo du Tambo, T-254 du 30 mai 1994. Rapporteur : magistrat Eduardo CIFUENTES
 Cf. l’arrêt Communauté Embéra-Katio contre Codechoco, T-380 du 13 septembre 1993 ; rapporteur : Eduardo CIFUENTES
 Arrêt SU-039 du 3 février 1997 ; rapporteur : magistrat Antonio BARRERA
 Arrêt Resguardo Ricaurte contre Ministère de l’Intérieur, T-525 du 25 septembre 1998 ; au rapport du magistrat José Gregorio HERNANDEZ.
 Isabelle SCHULTE-TENCKOFF, Rousseau et le droit des gens, article publié dans l’ouvrage collective Rousseau anticipateur-rétardateur, Les Presses Universitaires de Laval et l’Harmattan, 2000, page 160.
 Recueil des Arrêts 1975-1980, page 31, cité par Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, pages 174 et 175.
 Article 13 de la Convention N° 169 de 1989 de l’OIT.
 Article 14 de la Convention N° 169 de 1989 de l’OIT.
 Article 17 alinéa 1, de la Convention N° 169 de 1989 de l’OIT.
 Article 15 de la Convention N° 169 de 1989 de l’OIT.
 Article 17 alinéa 2, de la Convention N° 169 de 1989 de l’OIT.
 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, Editions Bruylant - LGDJ, 1997, page 116
 L’ONU et les organisations régionales des Etats seraient les scènes internationales où les nouveaux Etats obtiennent leur reconaissance.
 Andrée LAJOIE, Quand les minorités font la loi, PUF, 2002, page 48.
 Ibidem, page 70.
 Alemante G. SELASSIE, « Ethnic federalism : Its Promise and Pitfalls for Africa », The Yale Journal of International Law, Volume 28, N° 1, winter 2003, p. 107.
 Projet de l’ONU en cours d’élaboration depuis 1988. Cf. Will KYMLICKA, La citoyenneté multi-culturelle : une théorie libérale du droit des minorités, Paris, La Découverte, 2001, p. 15.
 Alemante G. SELASSIE, op. cit, p. 107.
 Un exemple des sujets incompatibles serait l’infériorisation des femmes chez certains peuples autochtones.
 Cette compatibilité n’est ni un rapport de subordination, ni une exigence de cohérence théorique.
 Jacques VANDERLINDEN, Trente ans de longue marche sur la voie du pluralisme juridique, article publié dans l’ouvrage collectif Les pluralismes juridiques, Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, Etienne LE ROY (directeur), Karthala, 2003, page 13.
 Par exemple, les droits fondamentaux.
 James TULLY, Défi constitutionnel et art de la résistance. La question des peuples autochtones au Canada, article publié dans l’ouvrage collectif Altérité et droit sous la direction d’Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, Bruylant, 2002, Bruxelles, pages 271 et 273.
 FRASER, (à chercher sur internet, par Google : llamados por Fraser « comunidades bivalentes » )
 Selon leur médecine traditionnelle, ce qui suppose l’habilitation des guérisseurs comme personnel de santé. La Cour constitutionnelle colombienne a reconnu les métiers des sorciers, chamans et guérisseurs Cfr. Arrêt C-377 du 25 août 1994 au rapport du magistrat Jorge ARANGO.
 Will KYMLICKA, 2003, pages 38 et 39.
 Michael WALZER, 1992, page 100.
 PNUD, Economica, 2004, Paris, 105 pages. Parmi les consultants qui ont participé à l’élaboration de ce rapport figurent Will KYMLICKA et Rodolfo STAVENHAGEN, sous la direction d’Amartya SEN.
 Will KYMLICKA, Nuevo Debate sobre los Derechos de las Minorias, 2002, page 28.
 Will KYMLICKA, Nuevo Debate sobre los Derechos de las Minorias, article publié dans l’ouvrage Democracia y Pluralisme Nacional, sous la direction de Ferran REQUEJO, Editorial Ariel S. A., collection Ciencia Politica, 2002,, page 30.
 Ibidem.
 Canovan 1996 : 80, citée par Kymlicka 2002 : 34
 Will KYMLICKA, op. cit., p. 34.
 Philosophe du droit, professeur aux Universités de Coimbra (Portugal) et de Wisconsin (Etats Unis), qui exerce une influence considérable en Colombie.
 Boaventura DE SOUSA SANTOS et Mauricio GARCIA VILLEGAS, El Caleidoscopio de las Justicias en Colombia, Bogota, Colciencias, 2001, p. 138.
 A partir de la définition donnée par Jacques VANDERLINDEN, « Trente ans de longue marche sur la voie du pluralisme juridique », article publié dans l’ouvrage collectif Les pluralismes juridiques, Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, Karthala, 2003.
 Concept proposé par Andrée LAJOIE en 2002 dans son ouvrage Quand les minorités font la loi, PUF.
 Fédérations d’associations de la société civile.
 Le Monde du 30 octobre 2004
 DUCKITT, 2003
 Christophe EBERHARD,
 Altérité et Droit, sous la direction d’Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, Bruylant, 2002, Bruxelles.
 Will KYMLICKA, « Nuevo Debate sobre los Derechos de las Minorias », article publié dans l’ouvrage Democracia y Pluralisme Nacional, sous la direction de Ferran REQUEJO, Editorial Ariel S. A., collection Ciencia Politica, 2002, pages 42.
 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt T-030 du 25 janvier 2000 au rapport du magistrat Fabio MORON.
 Paragraphe 4 de l’article 35 de la Constitution canadienne ajouté lors de la conférence constitutionnelle de 1983
 L’Etat français a imposé la judiciarisation des violences sexuelles et domestiques vers le droit et les valeurs de la République
 L’essentialisme, l’immobilisme et l’évocation d’un âge d’or, semblent convenir pour former les jeunes autochtones et pour diffuser au grand public les traits de l’identité collective autochtone
 Une reconnaissance politique conquise par les ONG et admise par les Etats et les organisations internationales.
 Will KYMLICKA, « Nuevo Debate sobre los Derechos de las Minorias », article publié dans l’ouvrage Democracia y Pluralisme Nacional, sous la direction de Ferran REQUEJO, Editorial Ariel S. A., collection Ciencia Politica, 2002, p. 25.
 Débats de la Commission des institutions du Parlement du Canada, 36e législature, 2e session, jeudi 23 janvier 2003, site internet  HYPERLINK "http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/epreuve/ci/030123/1600.htm" http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/epreuve/ci/030123/1600.htm
 Arrêt Sparrow, Cour Suprême du Canada, 1990.
 Boaventura DE SOUSA SANTOS, cité par Carlos AGUDELO, 2002, page 497.
 Alemante SELASSIE, “Ethnic federalism : Its Promise and Pitfalls for Africa”, The Yale Journal of International Law, Volume 28, N° 1, winter 2003, p. 107.
 Will KYMLICKA, “Nuevo Debate sobre los Derechos de las Minorias”, article publié dans l’ouvrage Democracia y Pluralisme Nacional sous la direction de Ferran REQUEJO, Editorial Ariel S. A., collection Ciencia Politica, 2002, page 34.
 Ibidem, page 32.
 Daniel GAXIE, La démocratie représentative, Montchrestien, 2003, Paris, page 141.
 Luc BOLTANSKI, Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Minuit, 1982, et Pierre BOURDIEU, Espace social et genèse des ‘classes’, Actes de la recherche en sciences sociales, n° 52/53, 1984, pages 3 à 17.
 Daniel GAXIE, op. cit., p. 142.
 L’anthropologie est le traité philosophique sur l’homme. A ne pas confondre avec l’anthropologie culturelle qui, pour certains anthropologues contemporains, remplit la fonction d’une philosophie de l’homme au sens classique du terme.
 Tulio Eli CHINCHILLA, Qué son y cuales son los derechos fundamentales ? Editorial Temis, 1999.
 James TULLY, Défi constitutionnel et art de la résistance. La question des peuples autochtones au Canada., article publié dans l’ouvrage collectif Altérité et Droit, sous la direction d’Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, Bruylant, 2002, Bruxelles, pages 271 et 273.
 Par exemple, les lois spéciales sur le service militaire et sur la sécurité sociale que le Congrès colombien a adopté suite aux propositions des sénateurs indiens.
 La prémisse majeur a une force prescriptive, la norme n’est pas une simple hypothèse
 Les normes juridiques applicables
 Article 246.
 Carlos Ariel RUIZ SANCHEZ, Multiculturalismo, Etnicidad y Jurisdiccion Especial Indigena en Colombia, article publié dans la revue Pensamiento Juridico, N°12, pages 109 a 119. Université Nationale de Colombie, 2000, page 118.
 Proposée pour la Colombie pourtant valable pour d’autres pays. Cf. Carlos Ariel RUIZ SANCHEZ, op. cit., p. 117.
 Par les actions populaires d’inconstitutionnalité, contre les lois déjà promulguées et de tutelle, pour protéger les droits fondamentaux.
 Arrêt T-380 du 13 septembre 1993 au rapport du magistrat Eduardo CIFUENTES.
 Arrêt T-811 du 27 août 2004 de la Cour Constitutionnelle au rapport du magistrat Jaime Cordoba TRIVIÑO.
 Cette affirmation, valable pour le droit civil, gagnerait à être nuancée pour le juge administratif.
 René L. CALINAUD et Camélia DOMINGO-NETI, « Droit coutumier et coutume dans la jurisprudence en Polynésie », article publié dans l’ouvrage collectif Coutume autochtone et évolution du droit dans le Pacifique sud, actes du colloque universitaire international à l’Université du Pacifique, L’Harmattan, 1995, page 164.
 Cass. Req. 20. 1. 1896 ; Revue Penant 1896, page 291, cité par René CALINAUD et Camélia DOMINGO-NETI, 1995, page 161.
René CALINAUD et Camélia DOMINGO-NETI, op. cit., page 166.
 Régis LAFARGUE, La coutume judiciaire en Nouvelle-Calédonie, Mission de recherche droit et justice, 2001, page 163.
 Ibidem.
 Ibidem.
 Juridiquement inutile bien que un tel débat serait profitable pour les théoriciens du droit.
 Juridiction à laquelle sont soumis le Canada et la Colombie
 La Colombie a ratifié la Convention N°169 par la Loi 21 de 1991 tandis que le Canada ne l’a pas fait à la demande des peuples autochtones canadiens qui considèrent que la législation canadienne leur reconnaît davantage des droits. Cf. Organizacion de los Estados Americanos – Comision Interamerciana de Derechos Humanos. La Situacion de los Derechos Humanos de los Indigenas en las Américas. 2000, Washington, page 12.
 Etudié par Guillaume TUSSEAU dans sa thèse Les normes d’habilitation, thèse de l’Université Paris X sous la direction du professeur M. TROPER, 2004.
 Bernard DE GOUTTES, Le magistrat et la coutume. Questions et réponses sur une approche et les pratiques en Nouvelle-Calédonie, article publié dans l’ouvrage Coutume autochtone et évolution du droit dans le Pacifique sud sous la direction de Paul DE DECKKER, actes du Colloque Universitaire International, L’Harmattan, 1995, Paris, pages 152 à 158.
 René L. CALINAUD et Camélia DOMINGO-NETI, Droit coutumier et coutume dans la jurisprudence en Polynésie, article publié dans l’ouvrage collectif Coutume autochtone et évolution du droit dans le Pacifique sud, Actes du colloque universitaire international à l’Université du Pacifique, L’Harmattan, 1995, page 159.
 L’anachronisme est évident.
 Rodolfo L.VIGO, Consideraciones Filosoficas sobre el « Abuso del Derecho », article publié dans la Revista de Derecho Privado y Comunitario, N° 16, Abuso del Derecho, Rubinzal-Culzoni Editores, 1998, Santa Fe, Argentina, p. 310.
 Celui de Jacques VANDERLINDEN, de John GRIFFITHS, de Sally MERRY et de C. GREENHOUSE.
 Cas à examiner à titre d’exemples limites seraient :
 Christian GROS, Politicas de la Etnicidad : Indentidad, Estado y Modernidad, Bogota, ICAN, 2000, pp. 113 et 114.
 Jacques VANDERLINDEN, « Trente ans de longue marche sur la voie du pluralisme juridique », article publié dans l’ouvrage collectif Les pluralismes juridiques, Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, Karthala, 2003, p. 13.
 Toujours en situation de minorité ou tout au moins, infériorisés.
 Seyla BENHABIB, The Claims of Culture, Princeton, Princeton University Press, 2002, page 185.
 Ibidem, p. 186.
 Etienne LE ROY, Les pluralismes juridiques, Karthala, Paris, 2003, page 11.
 Ce qui suppose que la société est déjà unie et homogène ou qu’elle considère l’être
 Christian GROS, Politicas de la Etnicidad : Indentidad, Estado y Modernidad, Bogota, ICAN, 2000, p. 200.
 J. BELLEY, Conflit Social et Pluralisme Juridique en Sociologie du droit, Thèse Paris II, 1977, p. 160.
 Si l’on considère que l’histoire est source des droits, Prius in tempore potior in iure, ou bien dans la perspective d’un temps mythique qui ne reconnaîtrait pas l’historicité du droit et des Constitutions.
 Andrée LAJOIE, Quand les minorités font la loi, PUF, 2002, Paris.
 Norbert  ROULAND, Stéphane PIERRE-CAPS et Jacques POUMAREDE, Droit des Minorités et des Peuples Autochtones, Puf. 1996, Paris 1996, p. 38.
 Nicole LORAUX, Né de la terre. Mythe et politique à Athènes, Editions Le Seuil, 1996, p. 48, cité par Jean-François BAYART, L’illusion identitaire, Editions Fayard, 2001, pp. 181 et 193.
 Jean -Louis HALPERIN, Codes et traditions culturelles, in Codici. Una riflessione di fine millennio. Actes du colloque du Centre d’étude Per la Storia del pensiero guiridico moderno, Université de Florence, 26-28 octobre 2000, p. 252.
 Eduardo NIETO ARTETA, Economia y cultura en la historia de Colombia, Tercer Mundo Editores, Bogota, 1962, (1re édition en 1942), page 162, cite par François CHEVALIER, L’Amérique Latine de l’indépendance à nos jours, Puf, 1993, p. 310.
 Norbert ROULAND, Pour une lecture Anthropologique et inter-culturelle des systèmes fonciers, in revue Droits # 1 Destins du droit de propriété, 1985, p. 85.
 Jesus PRIETO DE PEDRO, Cultura, culturas y constitucion, Centro de Estudios Constitucionales, 1995, Madrid, pp. 21 et 196.
 Jean-Guy BELLEY, Conflit Social et Pluralisme Juridique en Sociologie du Droit, thèse doctorale à l’Université de Paris II, 1977, p. 19.
 Statuts de l’Ecole, cités par François CHEVALIER, L’Amérique Latine de l’indépendance à nos jours. Puf, Paris, 1993, p. 296.
 Cambridge University Press, Londres, cité par Sally Falk MOORE, 1999, p. 10.
 Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts.
Charles TAYLOR, 1990, p. 88, et Christian GROS, 2000, p. 34.
 Jean-François BAYART, 1996, p. 139.
 D’après Michel DE CERTEAU.
 Will KYMLICKA, 2001, p. 29.
 Etienne LE ROY, 1999, p. 17.
 Sally Falk MOORE, 1999, p. 11.
 Norbert ROULAND, 1996, p. 490.
 Norbert ROULAND, 1988, p. 95.
 Revue Mankind, vol. 13, N° 4, août 1982, cité par Eric SORIANO, 1997, p. 149.
 Charles TAYLOR, 1990, p. 73.
 E/CN.4/Sub.2/1986/7 et Add.1 à 4
 CLIFFORD, James. The Predicament of Culture. Twentieth Century Ethnography, Litterature end Art. Harvard University Press, Cambridge (Mass.), 1988, cité par SORIANO, Eric, 1997, page 150
 James TULLY, 1999, p. 209.
 André HOEKEMA, 1997, p. 2.
 H. Davis SHELTON, The World Bank and Indigenous Peoples, in : Indigenous peoples and international organisations, Lydia VAN DE FLIERT (éd.), Nottingham, p. 83 à 88, cité par Martinat 2003, p. 119, et par Norbert ROULAND, 1996, p. 421.
 Avis négatif du Conseil d’Etat français du 24 septembre 1996 et arrêt du Conseil Constitutionnel du 15 juin 1999, cité par Norbert ROULAND, 2000, p. 535.
 Will KYMLICKA, 2001, p. 27.
 Résolution 1995/32 du 3 mars 1995, cité par Norbert ROULAND, 1996, p. 414.
 André HOEKEMA, 1997, p. 1.
 187 C.L.R. 1, per Gummow J at 180. (141 ALR 129 at 184 cité par Shaunnagh DORSETT, 1998, p. 295.
 Françoise MARTINAT, 2003, pp. 122 et 123.
 Seyla BENHABIB, The Claims of Culture. Princeton University Press, 2002, Princeton, page 285.
  HYPERLINK http://www.onu.org www.onu.org










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