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Norbert ROULAND

Annex II: Decret del 8 de febrer del 1999 que fixa les condicions de ..... Categoria A "directa" si s'és titular de la categoria A2 des de fa més de 2 anys en el ... b) Les internationaux délivrés conformément à l'annexe numéro 10 de la ...... No s' han de produir retrocessos superiors a 50 cm ni calar el motor més d'una vegada .




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tes-Sud, 1981, rééd.2000, (trad. en portugais)
. Aux confins du droit, Paris, Odile Jacob, 1991
. La famille aujourd'hui (avec P.Jeammet, F.Dekeuwer-Défossez et A.Donval), Paris, Bayard, 2001


ouvrages juridiques

. Le conseil municipal marseillais et sa politique (1848-1875), Aix-en-Provence, Edisud, 1974
. Les esclaves romains en temps de guerre, Bruxelles, Latomus, 1977
. Les Inuit du Nouveau-Québec et la Convention de la Baie James, Québec, Presses de l'Université Laval, 1978, (épuisé)
. Les modes juridiques de solution des conflits chez les Inuit, numéro hors-série d'Etudes Inuit, Québec, Presses de l'Université Laval 1979, (épuisé)
. Pouvoir politique et dépendance personnelle dans l'Antiquité romaine : genèse et rôle des relations de clientèle, Bruxelles, Latomus, 1979
. Anthropologie Juridique, Paris, PUF, 1988, (trad. en anglais, italien et russe)
. L'anthropologie juridique, Paris, PUF, (coll. “ Que sais-je ? ”), 1995, (2e éd.), (trad. en indonésien et en persan)
. L'Etat français et le pluralisme (476-1792)-Histoire politique des institutions publiques, Paris, Odile Jacob, 1995
. Droit des minorités et des peuples autochtones, (dir., avec J. Poumarède et
S. Pierré-Caps), Paris, PUF, 1996, trad. en espagnol et portugais
. Introduction historique au droit, Paris, PUF, 1998
. La Raison, entre musique et droit : consonances, dans : Droit et musique, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille III, 2001,109-192.
. Le droit à la différence (dir.), Aix-en-Provence, Presses de l'Université d'Aix-Marseille III, 2002
. Les femmes-compositrices dans l'histoire de la musique occidentale, à paraître.









A celles et ceux que leurs passions exhument.












sommaire


Polyphonies

Introduction

Janus
Balises baroques

Chapitre I : Des mots en souffrance : étymologie des passions

Section I : Derrière les passions, la souffrance
Section II : La Raison, antidote de la souffrance

Chapitre II : Un couple qui s'est trouvé : l'individu et la passion

Section I : L'individu de la Grèce antique
Section II : L'individu dans l'art européen

Chapitre III : Insaisissables passions : controverses philosophiques

Section I : La passion dénoncée
a) La passion est péché
b) La passion est passagère
c) La passion est douleur : de la Passion aux passions
d) Passion et déraison musicales
Section II : La passion maîtrisée
Section III : la passion à la hausse
La montée du plaisir
La perte du sujet en peinture et en musique
Le tournant philosophique

Chapitre IV : Un couple mal assorti : le juriste et la passion

Section I : L’équilibre est-il la fin du droit ?
Section II : Le droit, passionnément
Section III : Le droit et la découverte de l'individu

Section IV : Contenir les passions
La subversion amoureuse
Les passions, effets de la faiblesse
L'encadrement de la sexualité
Le Code civil de 1804 et la méfiance envers les passions
Le droit civil positif et la consécration de la liberté
Le droit pénal positif : excuser les passions ?
Le crime passionnel : condamner les passions ?

Chapitre V : Bien le dire : rhétoriques

Section I : Les rhétoriques des juristes
Section II : Les rhétoriques des artistes
Exprimer les passions
Le paradigme de l’imitation
De l’imitable à l'ineffable
La passion des codifications
Légalité des arts et du droit
Les codifications des juristes
Les codifications des artistes
Point d'orgue : rhétorique de la musique
Symbolique des instruments de musique
La recherche du spectaculaire en musique et en peinture
Les procédés d'écriture

Conclusion :

Polyphonies

L'amour est une espèce de folie…
Tiraqueau, De poenis temperandis (1559), Cause 4, paragraphe 1.

Les habits gênent un peu les mouvements du corps, mais ils les protègent contre les accidents du dehors : les lois gênent les passions, mais elles défendent l'honneur, la vie et les fortunes.
A. de Rivarol (1753-1801).

L'amour du droit, comme l'autre, peut mettre la raison en déroute.
J.Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Vème République, Paris, Flammarion, 1996,11.

Ôtez l'amour, il n'y a plus de passions ; posez l'amour, vous les faites naître toutes.
Bossuet (1627-1704).

L'amour prête son nom à un nombre indéfini de commerces qu'on lui attribue et où il n'a non plus de part que le Doge à ce qui se fait à Venise.

La Rochefoucauld (1613-1680), Maxime 77.

La musique est l'art qui nous parle le plus d'amour (...) S'abandonner à la musique, la ressentir, en jouir, c’est s'abandonner à des sentiments puissants qui existent dans chacun de nous et qui nous ramènent dans un monde psychique d’avant le langage où seules les émotions comptent.

Marie-France Castarède, Les vocalises de la passion-Psychanalyse de l'opéra, Paris, Armand Colin, 2002, pp.10,13.

Il Moderato :
Tout comme le jour naît discrètement de la nuit
En effaçant les ombres ,
De même la vérité dissout les charmes de l'imagination,
Et la raison grandissante chasse
Les vapeurs qui encombraient l'esprit,
En révélant la lumière de l'intelligence.
Donne-nous, Modération, tes plaisirs
En eux seulement pouvons-nous vivre.
Haendel, L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato, (1740), Partie III.

Heureux celui qui voit chaque chose du bon côté et qui se laisse guider par la raison dans les vicissitudes de la vie. Ce qui fait normalement pleurer les autres est pour lui une raison de rire, et il trouve la sérénité au milieu des tempêtes de la vie.

Mozart-Da Ponte,Cosi fan tutte,Tutti, Acte II, no. 31.


...il est certain que l'amour est de toutes les passions la plus fatale au bonheur de l'homme (...) On abandonne son âme à des sentiments qui décolorent le reste de l'existence ; on éprouve, pendant quelques instants, un bonheur sans rapport avec l'état habituel de la vie, et l'on veut survivre à sa perte : l'instinct de la conservation l’emporte sur le mouvement du désespoir...
Germaine de Staël (1766-1817) , De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations (1796), Paris, Payot, 2000,p. 117.

De la source même du plaisir on ne sait quelle amertume jaillit qui verse l'angoisse à l'amant jusque dans les fleurs.
Lucrèce (99-55 av. J.-C.), De la Nature, Livre IV.

Je n’ai voulu traiter dans cet ouvrage que des passions ; les affections communes dont il ne peut naître aucun malheur profond n'entraient point dans mon sujet, et l'amour, quand il est une passion, porte toujours à la mélancolie (...) il y a une conviction intime au dedans de soi, que tout ce qui succède à l'amour est du néant, que rien ne peut remplacer ce qu'on éprouve ; et cette conviction fait penser à la mort dans les plus heureux moments de l'amour. Je n’ai considéré que le sentiment dans l’amour, parce que lui seul fait de ce penchant une passion.
Germaine de Staël (1766-1817) , De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations (1796), Paris, Payot, 2000,p. 110.

Rien n’est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide.
Pascal, Pensées (1623-1662).

Voici donc la définition de Zénon : le trouble, qu'il appelle pathos, est un
« mouvement de l'âme qui s'écarte de la droite raison et qui est contraire à la nature ».
Cicéron (106-43 av. J.-C.),Tusculanes, IV, 6.

Un sentiment qui est une passion cesse d'être une passion, sitôt que nous en formons une idée claire et distincte.
Spinoza (1632-1677), L'Ethique (1677).

Les âmes se mêlent et confondent l'une dans l'autre d'un mélange si universel qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes.
Montaigne (1553-1592, Essais, I, 28.

Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus toute entière à sa proie attachée.
Racine,Phèdre.


Le sujet pose, avec obstination, le voeu et la possibilité d'une satisfaction pleine du désir impliqué dans la relation amoureuse et d'une réussite sans faille et comme éternelle de cette relation : image paradisiaque du Souverain Bien, à donner et à recevoir.
R.Barthes, Fragments d'un discours amoureux, Paris, Le Seuil, 1977,65.


Je me suis toujours défié en amour des passions qui commencent par être extrêmes ; c’est mauvais signe pour leur durée. Les gens faits pour être constants, destinés à cela par leur caractère, sont difficiles à émouvoir.
Marivaux, Le cabinet du philosophe (1734).

Si Dieu m'offrait un morceau de vie, je m'habillerais simplement, me déshabillerais sous le soleil, en laissant à nu non seulement mon corps, mais aussi mon âme. Je prouverais aux hommes combien ils se trompent en pensant qu'on ne tombe plus amoureux en vieillissant, et qu'ils ne savent pas qu'on vieillit lorsqu'on cesse de tomber amoureux.
Gabriel Garcia Marquez. [Gabriel García Márquez a abandonné la vie publique pour des raisons de santé : cancer lymphatique. Dernièrement sa situation s'aggrave. Il a envoyé une lettre d'adieu à ses amis, et grâce à Internet, elle est diffusée à travers le réseau].

Les recherches menées avec mon équipe ont montré que la passion est plus forte, tant chez les hommes que chez les femmes, durant les trois premières années du mariage. Puis elle s'estompe. Dix ans plus tard, elle a diminué plus fortement chez les femmes qui, cependant, en souffrent davantage que leur partenaire.
F.Alberoni, Je t'aime-La passion amoureuse, Paris, Plon, 1997,p. 305.

Lorsqu'on aime, c'est toujours la seule fois qu'on a jamais aimé. Le changement d'objet n'altère pas la sincérité de la passion. Cela ne fait que la rendre plus intense.
Oscar Wilde, Aphorismes.

On peut, certes, préférer aux précaires et accaparantes joies amoureuses l'engagement plus stable et socialement plus prisé dans le sérieux d'entreprises efficaces et rentables. Mais sait-on jamais à quelle source d'insatisfaction, de compensation obligée, de telles orientations, du moins quand elles portent la marque d'une telle prédominance, doivent leur existence ?
Christian David, L'état amoureux, Paris, Payot, 2002,167.

La sagesse ne consiste pas à déclarer que la folie est condamnable, mais à reconnaître que, chez le plus sage, il y a encore beaucoup de folie, et que c'est peut-être une folie de vouloir être sage à tout prix.
A.Green, La folie privée, Paris, Gallimard, 1998, 61.


Les passions, cette force impulsive qui entraîne l'homme indépendamment de sa volonté, voilà le véritable obstacle au bonheur individuel et politique.
Germaine de Staël (1766-1817) , De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations (1796), Paris, Payot, 2000,p. 28.

L'exploit psychique le plus formidable dont un homme soit capable : vaincre sa propre passion au nom d'une mission à laquelle il s’est voué.
S.Freud, Le Moïse de Michel-Ange.

... Ceux qui veulent lui [à l'homme] ôter ses passions, parce qu'elles sont dangereuses, ressemblent à celui qui voudrait ôter à un homme tout son sang parce qu'il peut tomber en apoplexie.
Voltaire (1694-1778) , Traité de métaphysique.

...la passion n’est ni bonne, ni mauvaise ; cette forme exprime seulement ceci qu'un sujet a placé tout l'intérêt vivant de son esprit, de son talent, de son caractère, de sa jouissance dans un seul contenu. Rien de grand ne s'est fait sans passion, ni ne peut s'accomplir sans elle. Ce n'est qu'une moralité morte, trop souvent hypocrite, qui se déchaîne contre la passion comme telle.
Hegel (1770-1831) , Précis de l'Encyclopédie des sciences philosophiques (1817).

Je rêve d'un amour qui commencerait par de la passion et finirait par de la tendresse.
Fanny Ardant.


... comme l'amour, il [l'art] est passion, non plaisir ; il implique une rupture des valeurs du monde au bénéfice d'une seule, obsédante et invulnérable.
Malraux (1920-1976), Les voix du silence.

Que dans tous vos discours la passion émue
Aille chercher le coeur, l’échauffe et le remue.
Boileau, Art poétique (1674).

Celui qui se perd dans sa passion perd moins que celui qui perd sa passion.
Saint Augustin.
Une vie de bonheur, n'est-ce pas la chose que tout le monde veut et que personne au monde ne refuse ? Mais où l’a t’on connue pour la vouloir tant ? Où l'a-t-on vue pour en être si épris ?
Saint Augustin.

Seuls l'amour et l'art rendent l'existence tolérable.
W.S.Maugham (1874-1965).

L’art, c'est l'apothéose de la solitude.
Proust (1871-1922).

La prédication de l'artiste tire sa force de ce qu’elle naît du plus profond silence, d'une solitude mortelle qui appelle l'univers pour lui imposer l'accent humain ; et ce qui survit pour nous dans les grands arts du passé, c'est l'invincible voix intérieure des civilisations disparues. Mais cette voix survivante, et non plus immortelle, n'élève son chant sacré que sur l'intarissable orchestre de la mort.
André Malraux.

L'amour et la beauté sont les deux noms humains de Dieu.
Gabriel Matzneff (2002).

La musique souvent me prend comme une mer!
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je me mets à la voile;
 
La poitrine en avant et les poumons gonflés
Comme de la toile,
J'escalade le dos des flots amoncelés
Que la nuit me voile;
 
Je sens vibrer en moi toutes les passions
D'un vaisseau qui souffre;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions
 
Sur l'immense gouffre
Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir!
 
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal.

Satan fut le premier qui se lamenta et chanta.
Hadith du Prophète Mahomet.

C'est celui qui aime Dieu, qui a une passion pour lui et qui aspire à le rencontrer, celui pour qui tout son qui frappe l'oreille est entendu comme venant de lui et en lui, c'est celui-là en qui la musique fait naître la transe.
Ghazzali, auteur soufi du XIIème siècle, Livre des bons usages de l'audition (sama) et de la transe (wajd).

Étant l'impression passionnée de la vie, les arts ont pour fonction de nous mettre devant la vie dans un état passionné.
C.F.Ramuz (1878-1947).

Ce qui vient à l'âme par les sens la touche plus fort que ce qui lui est représenté par la raison.
Descartes, Passions de l’âme (1649).

... la passion est un mouvement de l'âme, qui réside en la partie sensitive, lequel se fait pour suivre ce que l'âme pense lui être bon, ou pour fuir ce qu'elle croit lui être mauvais ; et d'ordinaire tout ce qui cause à l'âme de la passion fait faire au corps quelque action.
Charles Le Brun, L'expression des passions, conférence prononcée en 1668 à l'Académie royale de peinture et de sculpture.

L'analyse ne peut en effet rien nous dire de relatif à l'élucidation du don artistique, et la révélation des moyens dont se sert l'artiste pour travailler, le dévoilement de la technique artistique, n'est pas non plus de son ressort.
S.Freud.

Il existe deux manières de ne pas aimer l'art. La première est de ne pas l'aimer, la seconde est de l'aimer rationnellement. 
Oscar Wilde, Aphorismes.
L'art construit un empire intermédiaire entre la réalité qui frustre les désirs et le monde de l'imagination qui remplit les désirs, une région dans laquelle les tendances à la toute-puissance de l'humanité primitive sont restés en pleine force.
S.Freud, L'intérêt de la psychanalyse, Standard édition, vol. 13, p. 188.

La musique, c'est le langage moins le sens.
Claude Levi Strauss, L'homme nu, Paris, Plon, 1978,579 .


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introduction

Prologue musical

1) La passion amoureuse châtiée : Mozart, Don Juan ; Scène finale : La statue du Commandeur et Don Juan
[La voix de basse constitue le fondement de l'édifice vocal. Dans un de ses très rares commentaires écrits sur la musique, Jean-Sébastien Bach juge que sans les basses, les autres voix ne sont que des « criailleries sataniques ». De fait, la basse apparaît souvent comme la voix de l'origine : voix des ancêtres,
des pères . Et donc de la loi (on sait qu’en psychanalyse, c'est le père qui dit la loi), qu'elle soit humaine ou divine (dans les Passions, la voix du Christ est toujours une voix grave). Cette loi du Père, pétrifiée, dont la statue du Commandeur est l'organe.]

2) La passion amoureuse récompensée : Monteverdi, Le Couronnement de Poppée ; Scène finale : L'union des deux amants :
Je te regarde, je te veux,
Je t’étreins, je t'enchaîne,
Plus de souffrance, plus de mort,
Ô ma vie, ô mon amour.
Je suis à toi, à toi je suis,
Mon espérance, dis-le, dis.
Tu es vraiment mon idole,
Oui, mon amour, oui, mon coeur, ma vie, oui.

[Chez les femmes, la voix de soprano dramatique ou celle de mezzo-soprano est une voix sensuelle, charnelle ; alors que la voix de soprano léger est en rapport avec la virginité. Chez les hommes, la voix de ténor est une voix « chaude », qui évoque la jouissance].

3) La passion amoureuse volage . Cosi fan tutte, quelle meilleure illustration de l’inconstance des sentiments ? On pense surtout à un air, celui où Fiordiligi, la plus vertueuse des deux héroïnes finit par céder aux entreprises du fiancé de sa soeur ... et à la passion amoureuse.
Elle s'abandonne en prononçant ces mots : Ah, je ne suis plus forte ! [motif descendant] (...) tu as gagné : fais de moi ce que tu veux [les deux voix s’enlacent, sur un motif ascendant].

[Illustration audiovisuelle : extrait de Mozart,Cosi fan tutte]

4) La passion amoureuse à l’état naissant (version « coup de foudre ») :
[Illustration audiovisuelle : Air de Maria,West Side Story].

A) Janus

Des bas-reliefs édifiants ponctuent le mur d'enceinte de la prison des Baumettes, à Marseille . Les sept péchés capitaux font la ronde, veillant sur la limite du monde carcéral. Ils ne regardent pas les prisonniers, mais sermonnent le passant :
Voilà où conduisent les passions quand elles se conjuguent aux vices .
Tel est leur message , au tympan de la cathédrale pénitentiaire.
Le promeneur n'en saura pas davantage : aucun écho ne franchit la haute fortification, où vient buter le regard. La faute demeure anonyme, contrainte par la toute-puissance du symbole.
La passion peut donc conduire au pire. C'est pourquoi les juristes s'en méfient : elle est excès, démesure. Beaucoup de philosophes aussi. Même les bouddhistes, peu suspects de dolorisme, enseignent que la souffrance, omniprésente, est liée au désir et à l'ignorance, d'où naissent les vices et les passions. Pour abolir la douleur, il faut renoncer à ces dernières.
D'ailleurs, même lorsqu'elle ne conduit pas au mal, la passion a souvent la douleur pour compagne. Me revient le message de Samy, glané au hasard d'Internet :
« Quelquefois la douleur est si forte qu'on ne peut plus la supporter. Si l'on pouvait vivre sans passion, sans doute serions-nous moins torturés. Espace désert, sombre et glacé, sans passion, nous serions véritablement morts ».
N'aurait-il pas raison ?
Que serait l'art sans la passion ? Et la passion amoureuse ne nous rapproche-t-elle pas des dieux ? Il n'est besoin que d'écouter les chansons populaires attestant son lancinant désir. Et même sans parler de l'amour, insaisissable, inconstant, la passion n'est-elle pas cette force qui peut tirer le meilleur de nous-mêmes ? Hegel disait que rien de grand ne s'était accompli sans elle.
La passion est donc une des multiples incarnations de Janus. Messagère du malheur comme promesse du bonheur. Le statut qu'on lui réserve dépend certes des inclinations individuelles, mais aussi des architectures sociales : le juge la regarde différemment de l'artiste. Son sort dépend aussi de l'époque, de ses valeurs dominantes : le romantisme y porte davantage que le classicisme. Quant à l'âge baroque, nous avons du mal à y voir spontanément la saison des passions. Pourtant, il en est le printemps.
De cette germination, les pages qui suivent voudraient rendre compte. Car le baroque est au point de confluence de nombreux facteurs qui ont engendré notre modernité. A priori pourtant, au moins sur le plan esthétique, l'affirmation peut choquer. Excepté le spectaculaire engouement du public pour la musique baroque depuis une trentaine d'années, l'art baroque semble bien lointain. À son exubérance, son goût pour la profusion, nous préférons le dépouillement des lignes épurées. D'autre part, la culture populaire est encore largement héritière du romantisme. Dans les années soixante et au-delà, l'ameublement et la décoration communes (pour le sociologue, à la différence de l’esthète, l'art des supermarchés est aussi important-peut-être davantage- que celui des musées) traduisent la nostalgie du retour à la nature, comme le jardin anglais à partir de la seconde moitié du XVIIIe. Le type mélodique des chansons populaires (à distinguer de genres plus modernes, tels le rock ou le rap) appartient largement au XIXe siècle. Par contraste, le style de la musique baroque paraît plus délicat, raffiné, mais aussi compassé : on imagine mal les tubes de l'été écrits ainsi. En somme, de ce point de vue, le baroque est aujourd'hui très éloigné de l'expression des passions.
Aujourd'hui. C'est le maître- mot. Car nous sommes dans l'histoire. Nos goûts, nos jugements, même lorsqu'ils nous paraissent l'expression de notre individualité, sont largement façonnés par les valeurs, les styles de notre époque. En dépit de tous les efforts visant à une restitution des oeuvres en leur état originel (restauration en peinture, mouvement baroqueux en musique), nous ne pourrons jamais porter sur les fresques de la Sixtine le même regard que les contemporains de Michel-Ange, ou écouter du Vivaldi comme le faisaient les Vénitiens : nos yeux ont vu, nos oreilles ont entendu d'autres choses. C’est pourquoi justement nous aimons la musique baroque, plus facilement que les arts plastiques de la même époque, et ce pour des raisons probablement opposées à celles qui habitaient ses contemporains. En effet, comme nous avons connu l’inflation romantique et les ruptures de la musique contemporaine, nous percevons dans la musique baroque un dépouillement, une simplicité qu’elle n’avait pas pour l’auditeur du XVIIe. Comme nous le verrons, pendant longtemps le baroque est synonyme d’excès, de confusion, ce en quoi nous ne le reconnaissons pas .
Il reste que pour faire l'archéologie d'un concept-ici, la passion-la démarche historique garde toute sa valeur. Et malgré les écarts creusés par les flux du temps, l'âge baroque a bien été fondateur de ce que nous sommes encore : ce n'est pas un hasard si les historiens font débuter l'époque moderne à ses propres commencements. Par ailleurs, même si l'art baroque nous est devenu en partie exotique, en musique au moins rencontre-t-il l'adhésion d'un large public. Une nouvelle familiarité s'est donc créée depuis une génération, reposant largement sur un renouveau de l'interprétation, permettant à cette musique de sonner mieux, en l’affranchissant de certaines conventions romantiques. L'auditeur y découvre une sensibilité, des facultés d'expression qui le séduisent, d'autant plus qu'il répugne assez souvent aux efforts requis par la musique strictement contemporai. ne. En bref, il redécouvre les capacités de cet art à épouser les sentiments. En cela, il ne se trompe pas : les auteurs baroques, en musique comme dans les arts plastiques, entendaient parler aux sens, provoquer
l'émotion ,conformément d'ailleurs aux exigences de la Contre-Réforme, qui faisaient pièce à l'austérité du protestantisme.
Movere gli affetti, disaient-ils. Trois termes beaucoup plus problématiques qu'il n'y paraît. On est tenté de les traduire par : animer, faire mouvoir les sentiments, et d’y lire un impératif d'expression des passions. Ce qui pose déjà une difficulté : en quoi, pour nous, ceci est-il original ? Il est évident que l'art, même dans ses formes les plus minimes et populaires (les chansons dites d'amour, par exemple), doit répondre à ces exigences. Pour nous, oui. Mais encore une fois, nous sommes dans l'histoire et il n'en a pas toujours été ainsi, loin s'en faut. Ses commanditaires ont longtemps donné à l'art d'autres priorités : jonction avec le surnaturel, célébration des puissants, etc. Et si l'amour a été figuré, ce fut non moins longtemps sous des formes mythologiques et religieuses qui nous sont devenues presqu’étrangères. D'autre part, il n'est pas sûr que cette traduction soit la bonne. Mieux vaudrait sans doute écrire, de façon plus prosaïque, moins romantique : faire mouvoir les humeurs, au sens quasi- médical du terme. C'est que les mots, eux aussi, ont une histoire. À l'époque qui nous intéresse, non seulement le terme de passion était souvent confondu avec d'autres dont nous le distinguons (par exemple, le sentiment), mais il était chevillé à d'autres théories. Quand nous sommes émus par un tableau, une musique, un rapprochement corporel, nous savons bien c’est notre monde intérieur (notamment l'inconscient) qui est principalement sollicité. Cette émotion peut certes se manifester par des signes extérieurs. Comme ceux qu'éprouve Phèdre la première fois qu'elle rencontre Hippolyte :

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler
Je sentis tout mon corps et transir et brûler.

Mais nos éventuels troubles corporels (envie de pleurer, rougissement, frémissements épidermiques, palpitations cardiaques) sont l'expression secondaire de nos émotions, par des phénomènes physiologiques. Car nous sommes aussi des enfants de Freud. Le public cultivé du XVIIe siècle dépendait, lui, de Descartes. Ce qui est toute autre chose : nous avons bien du mal à nous reconnaître dans sa théorie des passions. Pourtant, elle a inspiré aux artistes, et non des moindres, bien des codifications des expressions.
La passion possède donc son propre vocabulaire terminologique et conceptuel, fluctuant. Nous sommes devant des mots en souffrance, en ce sens qu'ils sont en attente de réinterprétation... dans laquelle, justement, la souffrance a sa part. Une demi -surprise, dans la mesure où pour nous, la passion est largement l'objet d'une appréciation positive, même si nous n'ignorons pas qu'elle peut faire souffrir.
Autre redécouverte à effectuer, celle de l'individu. Un concept qui a pour nous la force de l'évidence. Comme nous le verrons, notre époque est marquée par l'inflation des droits subjectifs, ainsi que par l'affirmation des particularismes. L'individu est de plus en plus au centre de nos préoccupations, d'où parfois quelques inquiétudes, au point qu'il nous arrive, à tort ou à raison, de déplorer l'affaiblissement des valeurs collectives, la perte du sens civique. Mais dans la majeure partie de l'histoire de l'humanité, l'individu a été rien moins qu’évident. Dans beaucoup de langues, la forme pronominale singulière (je) est d'un emploi beaucoup plus réduite que dans les nôtres. Et l’on sait que les artistes sont longtemps demeurés anonymes. Plus longtemps encore, ils ont été les serviteurs des pouvoirs : l’attitude de Mozart, s'affranchissant de la tutelle du prince-archevêque de Salzbourg, est récente et d'ailleurs beaucoup moins révolutionnaire qu'il n'y paraît  : Mozart avait bien l'intention de se trouver un autre maître.
L'évolution du droit, comme nous le verrons, permet d'ailleurs de dater avec relativement de sûreté cette apparition de l'individu dans notre pensée occidentale.
Que l'expression des passions lui soit liée n'est pas douteux : ce sont les sentiments individuels, notamment l'amour et ses douleurs, que l'art baroque entend exprimer. Mais il n'y a pas que l'artiste à traiter des passions. Les philosophes s'y intéressent aussi, et depuis longtemps, bien avant l'âge baroque. Insaisissables passions, serait-on tenté d'écrire. Car ils ne sont pas d'accord : les passions sont le lieu de controverses philosophiques. Même si l'on peut tracer une ligne d'évolution qui leur serait grosso modo favorable, il reste qu'elles ont été l'objet d'une grande méfiance : la passion écarte de la sagesse, but premier du philosophe. Elle peut aussi entraîner l'homme loin de la religion, qui implique toujours une part de renoncement, de domination de certains mouvements de l’âme et du corps. Nous verrons que l'attitude de l'Eglise vis-à-vis de la musique est largement empreinte de ce souci. En ce sens, l'interdiction de la musique en Afghanistan par les talibans est moins exotique qu'il n'y paraît, même si elle est paroxystique. Le juriste rejoint ici la majorité des philosophes et des religieux : la passion est parfois pardonnable -elle atténue en tout cas la responsabilité-mais il faut s'en méfier, car elle est source d'instabilité. Et l'un des buts premiers du droit consiste à rendre les comportements prévisibles. Il nous faudra donc parler des rapports qu'entretiennent le juriste et la passion.
Enfin, si les passions sont liées à la nature humaine, ce que personne ne conteste même si c'est pour le déplorer, elles sont donc traduisibles par un langage qui peut être compris de tous. Ce langage obéit à un certain nombre de conventions, de codes, auxquels on a redonné le nom de rhétorique, en s'inspirant des auteurs de l'Antiquité. Il y a donc des rhétoriques des passions, chaque forme d'art inventant la sienne. De même qu'il existe aussi des rhétoriques du juriste.

On l'aura deviné, les lignes qui suivent seront donc subdivisées en cinq
chapitres :

-Chapitre I : Des mots en souffrance : l’étymologie des passions
-Chapitre II : Un couple qui s'est trouvé : l'individu et la passion
-Chapitre III : Insaisissables passions : controverses philosophiques
-Chapitre IV : Un couple mal assorti : le juriste et la passion
-Chapitre V : Bien le dire : Rhétoriques

Mais avant de fouiller dans les mots, il nous faut tracer avec plus de rigueur le cadre que nous avons assigné à notre recherche : qu'est-ce que le baroque, ses déterminants idéologiques, ses ambitions, ses limites chronologiques ?
Pour mieux naviguer, posons quelques balises.

Balises baroques

Baroque vient du portugais barocco (XVIe siècle) qui n'évoque a priori ni les fastes, ni les ors, mais les contours d'une perle irrégulière, donc imparfaite. Le terme se rencontre ensuite en Espagne, en France, puis en Italie et en Allemagne au XVIIe. Au XVIIIe, son acception devient dans notre pays nettement péjorative. En 1711, Saint-Simon y voit quelque chose de choquant ou d'étrange. En 1740, le Dictionnaire de l'Académie le qualifie de bizarre, irrégulier. En 1771,Trévoux en dit autant :
En peinture, un tableau, une figure d'un goût baroque, où les règles de proportion ne sont pas observées, où tout est représenté suivant le caprice de l'artiste.
En 1776, dans L’ Encyclopédie, Jean-Jacques Rousseau donne la première définition de la musique baroque :
La musique baroque est celle dont l'harmonie est confuse, chargée de modulations et de dissonances, l'intonation difficile et le mouvement contraint.
La vogue du néoclassicisme enfonce encore davantage le baroque. En 1788, l’architecte Quatremère de Quincy, dans son Encyclopédie méthodique, compare l'étrangeté de l'architecture baroque de Guarini et de Borromini à la sévérité du style Louis XVI pour terminer de façon péremptoire : L'idée de baroque entraîne avec soi celle de ridicule poussée à l’ excès.
Il y a quelques années, le fondateur français de la musique concrète, Pierre Schaeffer, écrit au spécialiste de musique baroque Philippe Beaussant et définit ainsi le baroque :
« Baroque veut dire bizarre, choquant et renvoie à l'architecture, synchronisme trompeur qui a toujours fait tomber les esthètes dans le panneau ».
Idées de choquant, de démesure, d'irrationnel : nous sommes sur le territoire des passions... Et il est vrai que le baroque aime l'excès, s'évade volontiers hors du réel. Les tableaux d’Arcimboldo (1527-1593) en témoignent, comme Apollon et Daphné du Bernin (1624, Rome, Villa Borghèse ), où cette dernière est représentée à mi-chemin de sa transformation en végétal. Dans le domaine musical, même goût pour les contrastes (les durezze, ou duretés), les dissonances (les Stravaganze, où s'illustrèrent notamment Frescobaldi (1583-1643) et Vivaldi (1678-1741), les frottements de seconde ou de septièmes qui conduisent à l'incertitude tonale, qui devait désorienter les auditeurs autant que nous le sommes par certaines oeuvres de musique contemporaine.

[Illustration sonore :Giovanni Pandolfi ( né entre 1620 et 1634), Sonate pour violon opus 3, no. 1: «La Stella » (1660), Harmonia Mundi]

Le lamento -notamment de Marie-Madeleine, la pécheresse repentie-devient un mode d'expression favori.

[Illustration sonore :Domenico Mazzocchi (1592-1665), Lagrime Amare,Dialoghi e Sonetti, Roma, (1638), extrait de : Canta la Maddalena, Harmonia Mundi, 2000]

Tout autant que l'expérimentation d'un nouveau langage, ces initiatives traduisent la recherche d'une capacité expressive accrue. Au deuxième acte de l’Orfeo (1607), Monteverdi oppose brusquement les tonalités de manière à mieux traduire le choc qu’Orphée ressent en apprenant la mort d’Eurydice. C'est l'époque à laquelle naît l'opéra, oeuvre d'art totale bien avant Wagner, puisqu'il sollicite les deux sens majeurs, la vision et l'ouïe. On peut le comparer aujourd'hui au film à grand spectacle, avec cette énorme différence que l'opéra ne s'est d'abord adressé qu'à des petits cercles d'initiés.
L'intérêt pour l'expression des passions s'était cependant manifesté dès la fin du XIIIe siècle : la devotio moderna admettait que l'affectivité soit sollicitée dans une finalité religieuse. Dans l'Europe du Nord, des artistes comme Ruysbroek (1293-1381) ou Thomas Kempis (vers 1380-1471) sont de bons exemples de cette nouvelle religiosité. La Descente de croix de Rogier Van der Weyden (musée du Prado, Madrid) offre aux regards une Vierge effondrée et montre une Marie-Madeleine aux yeux rougis par les pleurs, tandis que l'apôtre Jean grimace de douleur. Plus au sud,Giotto (1266-1337) fait de l'expression un point déterminant de son art, auquel on reconnaîtra très vite sa modernité.
Cependant, l’âge baroque marque malgré tout une rupture, même s'il affectionnera aussi de peindre des sentiments extrêmes dans le domaine religieux, comme les extases de saintes (cf. notamment L'extase de Sainte Thérèse, réalisée par Le Bernin pour l'église Sainte-Marie de la Victoire de Rome, entre 1647 et 1652). Il s'agit moins maintenant de traduire l'harmonie que le tourment, la beauté que l'émotion.

[Illustrations visuelles : -Louis Finson (1589-1617) , La Madeleine en extase, Musée des Beaux-Arts, Marseille]
-[diapositive]Le Bernin, L'extase de sainte Thérèse (1647-1651), Rome, Sainte-Marie de la Victoire, chapelle Cornaro]

L'art acquiert ainsi ses caractéristiques modernes. Philippe Beaussant dessine parfaitement ce tournant en parlant de la musique :
Le Baroque apparaît lorsque la musique cesse de transcrire ce qu'on pourrait appeler le repos de l'âme dans l'harmonie, lorsqu'elle cesse même de vouloir le susciter par le moyen des sons, pour tenter au contraire de traduire le tourment, l’émoi, l’insatisfaction, l'agitation de l'âme, par des mouvements harmoniques et mélodiques tourmentés, brisés, désagrégés. Non qu'elle refuse d'exprimer le repos et parfois l'extase, la foi et parfois la béatitude ; mais elle le fait comme un sentiment passager, instable, menacé.
Même attachement aux effets de contraste en peinture. Oppositions entre la lumière et l'ombre chez Rembrandt, Velasquez, La Tour, Zurbaran. Ici Le Caravage (1571-1610, de son vrai nom Michelangelo Merisi) s'est montré précurseur. En témoigne parmi bien d'autres oeuvres La Mise au tombeau (peinte en 1602 et conservée aux Musées du Vatican). Sur le fond noir se détache le cadavre blafard du Christ, déposé au tombeau dans un mouvement dramatique de descente.

[Illustration visuelle : Le Caravage, La Mise au Tombeau, Cité du Vatican,
Pinacothèque]

Comme la musique, la peinture s'évade de la perfection en s'ouvrant au temps, à ce qui change et fait le tragique de la condition humaine. La Crucifixion du Tintoret le montre bien, et au même moment, Monteverdi transcende le style polyphonique hérité du Moyen- Âge, image de l'harmonie et, dans sa seconde pratique, tourmente le discours musical afin de mieux le plier aux mots et à ce qu'ils expriment.

Pourquoi ce tournant ? Pour les besoins de la propagande religieuse catholique, certainement. Contre le protestantisme, le concile de Trente (1545-1563) a entrepris de regagner les consciences en n’hésitant pas, contrairement au Réformés (encore que Luther affectionnait la musique) à solliciter les sens. Nous pouvons le saisir a contrario dans les écrits de certains auteurs protestants, comme Pierre Jurieu (1637-1713) :
« Le peuple voit des églises magnifiquement ornées, des images, des statues (...) Un grand air de magnificence surprend ses sens, frappe son imagination, éblouit ses faibles lumières, occupe la capacité de son coeur et le remplit de je ne sais quelle admiration et d'une vénération confuse, purement corporelle et mécanique. Cette magnificence affectée est indigne de la grandeur et de la majesté de la religion ».

[Illustration visuelle (diapositive) :Andrea Pozzo, Église St Ignace, La voûte de la nef (1691-1694), Rome]

Cette exubérance baroque évoque davantage pour nous l'opéra que la piété. Nous serions donc portés à donner raison aux Réformés que ridiculisaient certains artistes, comme le Dominiquin (1581-1641), qui avait peint à la chapelle Saint-Janvier de la cathédrale de Naples une Vierge triomphant du protestantisme représentant les luthériens comme des brutes aux crânes rasés...
Pour autant, ne croyons pas que le Concile de Trente autorisait n'importe quoi. Sur bien des points, il prit des mesures de rigueur. Les plus connues, en peinture, sont celles qui obligèrent à poser des voiles sur les parties sexuelles de certains personnages. La musique elle aussi fut strictement contrôlée. Le décret disciplinaire De observandis et evitandis in celebratione missarum, consacré à la liturgie, prescrit que : «... seront bannis des églises toutes sortes de musiques dans lesquelles, soit sur l'orgue, soit dans les chants, il se mêle quelque chose de lascif et d'impur (lascivium aut impurum) ».
Mais il y a davantage que les querelles théologiques. D'une part, le baroque s'étend bien au-delà de la sphère religieuse. D'autre part et surtout, si l'angoisse, le sentiment de l’impermanence (pour employer un terme bouddhiste) sont tellement présents dans cet art, c'est par reflet : ils sont devenus une part de la culture, dans la mesure où l'homme n'est plus au centre du monde, comme l'ont montré les découvertes de Kepler, Galilée ou Newton. On pense à la réflexion célèbre de Pascal, angoissé par le silence éternel des espaces infinis. Serait-ce solliciter abusivement la comparaison de dire que ces sentiments sont aussi les nôtres ? La recherche frénétique des exo-planètes (une centaine découvertes à ce jour) traduit bien notre espoir de trouver un jour un astre-soeur de la Terre peuplé par des êtres, qui, peut-être, nous ressembleraient et mettraient fin à notre solitude sidérale.
Qui plus est, la psychanalyse confirme le lien entre la passion et le baroque, par la médiation de l'angoisse. Comme nous le verrons, c’est un des grand mérites de Freud d'avoir non pas constaté (d'autres que lui l'avaient déjà remarqué) , mais démontré que l'angoisse de la perte est le ressort qui bande la passion. Dès lors, comme l'écrit le psychanalyste R.Gori, il n'y a plus à s'étonner que le baroque ait ouvert la voie aux passions :
« Un lien intime unit l'état passionnel et l'art baroque : le tourbillon des formes, leur rythme effréné parent toujours davantage à la menace de leur
dissolution » .

Les grandes lignes sont tracées. Mais vu de près, leur dessin est plus complexe.
Le Baroque, un mouvement européen ? Certainement : entre la fin du XVIe siècle et le milieu du XVIIIe, une sensibilité dominante se diffuse sur le continent. Mais tous les Européens d'aujourd'hui ne l'entendent pas de la même façon. Pour les Allemands, à la différence des Français, le terme n'implique pas de jugement de valeur. Il s'agit seulement d'un point de repère chronologique : entre 1580 et 1750, tous les arts, y compris la littérature, sont baroques : Bach, Poussin, Racine y sont bons camarades. Beaucoup de musicologues ont adopté cette conception : toute musique composée entre la mort de Palestrina (1525-1594) et celle de Bach (1685-1750) est baroque.
Certains philosophes (Eugenio d’Ors, Henri Focillon) donnent au terme une valeur anthropologique, et le dilatent aux dimensions de l'universel. Le baroque est une tendance de l'esprit humain, présente dans toutes les civilisations, de même que le classique. Le premier est tempétueux, mouvant ; le second précis, rigoureux. Sont ainsi baroques l'art hellénistique, le gothique flamboyant, Shakespeare, Victor Hugo, Picasso ; classiques les peintures rupestres magdaléniennes, l'art grec du Ve siècle, l'art japonais, Descartes, Braque... et même Baudelaire (Je hais le mouvement qui déplace les lignes).
Les musiciens actuels-en tout cas, les baroqueux-font eux aussi leur une conception diachronique du baroque : moins que des oeuvres précisément datées, le baroque consiste en une manière de les interpréter. La même partition peut ainsi changer d'étiquette, suivant le phrasé, le type de rhétorique adoptées par les interprètes : un concerto de Vivaldi, un Brandebourgeois de Bach dirigés par Harnoncourt seront baroques, mais pas les mêmes par Karajan. S'y ajoutent les effets de la querelle entre les tenants des instruments anciens et ceux des modernes.




La musique ancienne jouée avec des instruments modernes (flûtes en métal, par exemple) sera suspectée de ne plus être vraiment ancienne ; Mozart joué avec des flûtes Hotteterre et des violons montés à l'ancienne ne glissera-t-il pas du classique vers le baroque ? Sans parler des incursions des chefs baroqueux dans la musique romantique, dont il modifient sensiblement l'interprétation.
Et puis il y a le problème de la France, qui a toujours semblé mal à l'aise dans les vêtements baroques. L'architecture de Versailles, dans sa rigueur, paraît classique , bien loin des fantaisies baroques.

[Illustration visuelle (diapositive) : Louis Le Vau et Jules Hardouin-Mansart, Château de Versailles, Façade sur les jardins (1668-1671)]

Les tableaux de Poussin, ceux de Claude Lorrain respirent l'harmonie, la symétrie. On n’y retrouve pas les contrastes dramatiques du Caravage.
Le Bernin, qui avait commencé sa carrière de sculpteur par le spectaculaire baldaquin de Saint-Pierre (1624), tout en torsades, essuie en France des échecs répétés. En 1665 il est appelé par Louis XIV et Colbert pour construire la façade principale du Louvre. Mais le roi refuse son projet, et ce sera Claude Perrault qui construira la colonnade du Louvre, dans un style « antique ». De retour à Rome, Le Bernin exécute quand même la statue équestre du monarque. Elle déplaît, et Giraudon est chargé de la transformer en un Marcus Curtius, relégué loin du château, au bord de la pièces d'eau des Suisses.

[Illustrations visuelles (diapositives) :
-Claude Perrault (1665-1771), La colonnade du Louvre
-Le Bernin, Maquette de la statue équestre de Louis XIV (1669- 1670), Rome, Galerie Borghèse]

Je préfère ce qui me touche à ce qui me surprend, disait quant à lui Couperin, ce qui traduit une réception mitigée du baroque. D'ailleurs, Pier Francesco Cavalli (1602-1676), le prestigieux successeur de Monteverdi, n'eut pas plus de chance que Le Bernin, pratiquement au même moment. En 1659 Mazarin commence à préparer le mariage du jeune Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse d'Espagne. Il commande à Cavalli un opéra, Ercole amante. Celui-ci s'exécute et effectue à Paris un séjour de deux ans, de 1660 à1662. Si la partition comporte un certain nombre de dissonances, le prologue prend soin de flatter le roi en le comparant à Hercule. Mais cela ne suffira pas à faire le succès de Cavalli. Le public s'ennuie et se met à discuter pendant la représentation. Il est vrai que l'acoustique des Tuileries était mauvaise et que le livret n'avait pas été traduit de l'italien... Mais ces conditions techniques n'expliquent pas tout. Cavalli essuya un échec parce que si peu de temps après la mort de Mazarin (en 1661), l'hostilité envers le style italien, notamment en musique, était encore très grande : l'association de la musique et de la poésie, ressort de l'opéra italien, et, plus largement, baroque, était mal vue et le spectacle favori restait le ballet de cour. Cavalli quitte la France dépité et furieux, en jurant qu'il ne composera jamais plus d’opéra (promesse non tenue, heureusement).
La France n'acceptera l'opéra que francisé-ironie du sort, par un Italien : Lully-c'est-à-dire en en gommant les effets lyriques les plus accentués, et en y insérant des ballets.
Aujourd'hui encore, le touriste français en visite à Prague, capitale du baroque, est étonné, déconcerté quand il visite l'église Saint-Nicolas  où abondent les trompe-l'oeil, les tentures de marbre et une ornementation luxuriante. Mais est-il séduit ?
Au-delà de leur caractère anecdotique, ces épisodes traduisent bien une tendance plus profonde, bien française : exprimer le maximum, certes, mais d'une manière la plus concise possible. Ceci dit, toute la production française de cette époque est dominée par la nécessité de l'analyse des sentiments. Descartes, avec Les passions de l'âme (nous y reviendrons) ; les Caractères de La Bruyère ; tout le théâtre de Molière, les Mémoires de Saint-Simon. Les partitions de Couperin portent la trace de ce souci d'expression. Au contraire des Italiens, il multiplie les indications d'interprétation, sous forme d'adverbes (noblement, rondement, gracieusement, élégamment, tendrement, voluptueusement, etc.). Ne pensons pas pour autant que les compositeurs français enserrent les interprètes dans un carcan. À la différence, ici encore, des Italiens, qui après 1650 tendent à jouer leur musique comme elle est écrite, les Français ont l'habitude de prendre des libertés avec le texte, et même avec la mesure. Dans L'art de toucher le clavecin, Couperin précise :
« Quoique des tremblements soient marqués égaux dans la table des agréments de mon premier livre, ils doivent cependant commencer plus lentement qu'ils ne finissent, mais cette gradation doit être imperceptible ».
Par ailleurs, qui écoute certaines pièces de Charpentier (1634-1704), sans doute le plus influencé par l'Italie des compositeurs de ce temps, se sent incontestablement à l'âge baroque. Ainsi de sa Messe pour les Trépassés, écrite dans des dernières années de sa vie : on passe souvent d'une tonalité à l'autre de manière abrupte, les dissonances sont nombreuses ainsi que les hésitations entre majeur et mineur (le Lacrymosa) à la manière de clair-obscurs. Mêmes effets dramatiques dans les Grand Motets de Mondoville (1711-1772).

[Illustrations sonores :
-Mondoville, Grands motets ,Elevaverunt flumina du Dominus regnavit
-Bach, Choral pour orgue : Christ est venu au Jourdain (1739)
-Charpentier, Lacrymosa de la Messe pour les trépassés]

Les grands auteurs de théâtre mettent aussi action sur l'expression. Dans les Précieuses ridicules, Molière oppose les styles naturel et ampoulé et dit des bons acteurs :
« Il n'y a qu’eux qui soient capables de faire valoir les choses ; les autres sont des ignorants qui récitent comme l'on parle ; ils ne savent pas faire ronfler les vers et s'arrêter au bel endroit ».
En peinture, le Christ aux anges de Charles Le Brun (1629-1688) conjugue une extraordinaire déclinaison des émotions sur les visages des anges qui entourent de Jésus dans son agonie.

[Illustration visuelle : Charles Le Brun, Le Christ aux anges, Le Louvre]

Par ailleurs, si la façade du château de Versailles ne montre guère d'exubérance baroque, le parc mérite quelques réflexions.
Louis XIV y était si attaché qu'il rédigea lui-même le guide de sa visite. Certes, on remarque d'abord les parterres à la française, qui comportaient d'autant moins de couleurs au XVIIe que les fleurs étaient plus rares et leurs couleurs relativement discrètes (les tons prédominants étaient le bleu, le rose, le blanc ou le mauve. Les couleurs plus vives, comme le jaune ou le rouge, n'apparaîtront que vers 1720-1730) . Mais le parc comporte aussi des bosquets. On y pénètre par des allées obliques, afin que soit augmenté l'effet de surprise, caractéristique de l'art baroque. Certains , comme celui des Rocailles (aujourd'hui restauré), sont voués à l'imagination, au plaisir : ici le spectacle et la danse. Les spectateurs étaient assis sur des gradins de gazon face à un décor de rocaille traversé de mille cascades. Le promeneur pouvait aussi s'égarer ou méditer dans le Labyrinthe, qui fut détruit sous Louis XVI et remplacé par l'actuel Bosquet de la Reine.

[Illustration audiovisuelle : Louis XIV danse dans le bosquet des Rocailles]

En fin de compte, il existe sans doute bien une France baroque , mais en retrait par rapport aux autres exemples européens. Cela en raison de ce qu'il faut bien appeler les spécificités de la culture française, attachée à la raison, la clarté, la concision. Mais pour autant cette culture n'est nullement hostile à l'expression des sentiments, le credo baroque. On peut être d'un tempérament à la fois réservé et sensible...
Si bien qu'on a proposé de définir le classicisme français comme «... la corde la plus tendue du Baroque ».
Mis à part une référence très globale au modèle de l'Antiquité (revivifiée, au XVIIIe, par la découverte de Pompéi) le classicisme n'est d'ailleurs guère plus aisé à définir que le baroque.
Le terme « classique » servit d'abord à qualifier des oeuvres littéraires, servant d'exemples dans les écoles. Au XIXe siècle, on
l’ appliqua aux écrivains de la période de 1660-1680, puis, un peu plus tard, aux Beaux-Arts. Le terme signifie alors la régularité et une certaine impersonnalité. En musique, il désigne en principe une période qui va de 1760 à 1800, période pendant laquelle la sonate et la symphonie atteignent une perfection formelle. Mais la référence classique devient par moment bien incertaine, comme le montre le cas de Mozart, qui appartient chronologiquement à cette période. Par certains traits, il est classique : ses symphonies, sa recherche de livrets cohérents, sa fascination pour la rigueur des fugues de Bach. Mais bien des airs de ses opéras, surtout La flûte enchantée et Don Juan, possèdent une souplesse baroque et sont de fines pointes de l'expression des sentiments.

Si Mozart est à l’heure actuelle le compositeur préféré des Français, ce n'est certes pas parce qu'ils y perçoivent un imitateur des modèles de l'Antiquité...
Même constat en peinture : on ne retrouve guère l'impersonnalité classique chez Fragonard, Guardi, dans les paysages de Joseph Vernet ou d'Hubert Robert.
L'incertitude pèse aussi sur les mots, comme nous allons le voir.



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Chapitre I : des mots en souffrance :

Étymologie des passions


Les passions sont plurielles. Leurs acceptions aussi. De manière générale, elles évoquent, comme le baroque, l'idée de mouvement, de changement. Et aussi d'exagération, à laquelle les rédacteurs d'articles de dictionnaire d'encyclopédie lient volontiers la souffrance. Ce qui en revanche n'est pas un caractère général de l'art baroque. Il lui arrive certes de peindre la douleur (cf. les innombrables tableaux des Passions du Christ, le genre musical des Lamentations), mais tout autant la joie, l'exultation, le ravissement. Les sources littéraires sont plus circonspectes.

Section I : Derrière la passion, la souffrance

Le terme grec pathos (on parle encore de nos jours d'un pathos romantique, de manière péjorative) désigne un état de l'âme, bon ou mauvais, agitée par des circonstances extérieures. Le Gaffiot donne comme traduction au latin passio , en premier : le fait de supporter, souffrir ; puis : maladie, affection de l'âme, perturbation dans la nature. Quelques siècles plus tard, cette tonalité négative n'a pas changé puisque du XIIe au XVIe siècles, passionner signifie causer des souffrances. En 1668, le peintre Charles Le Brun cherchant à codifier les expressions du visage suivant les passions, les définit comme suit dans une conférence donnée devant l'Académie royale de peinture et de sculpture :
« ...la passion est un mouvement de l'âme, qui réside en la partie sensitive, lequel se fait pour suivre ce que l'âme pense lui être bon, ou pour fuir ce qu'elle croit lui être mauvais ; et d'ordinaire tout ce qui cause à l'âme de la passion fait faire au corps quelque action ».
Le Dictionnaire de l'Académie française (quatrième édition, 1762) cite en premier la souffrance, prenant l'exemple de la Passion du Christ, ou le terme médical de passion iliaque, pour désigner la colique de miserere, autrement dit l'appendicite. En second : le mouvement de l'âme excité par quelque objet. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751-1722) insiste sur la notion de passivité, pour caractériser la défaite de celui qui se livre à ses passions :
« Les penchans, les inclinations, les désirs et les aversions, poussés à un certain degré de vivacité, joints à une sensation confuse de plaisir ou de douleur, occasionnés ou accompagnés de quelque mouvements irrégulier du sang et des esprits animaux, c'est ce que nous nommons passions. Elles vont jusqu'à ôter tout usage de la liberté, état où l'âme est quelque manière rendue passive ; de là le nom de passions ».
Une tonalité largement mineure, qui lie souvent la passion à la douleur, et même à l'aliénation. Cela nous surprend, car nous partageons en général une idée plus positive de la passion, que nous avons tendance à considérer seulement dans ses aspects enivrants. Nous savons sans doute qu'elle peut faire souffrir, mais avons tendance à faire passer la douleur au second plan. Nous n'ignorons pas non plus qu'elle est brève, mais puisque nous avons la conscience aiguë du caractère éphémère des choses, mieux vaut être heureux un moment que pas du tout. Nous avons donc tendance allier les notions de bonheur et de passion, même si nous les distinguons. Une attitude qui aurait bien surpris nos ancêtres.
En 1963 le Grand Larousse encyclopédique reprend la définition globale déjà avancée dans le passé (Mouvement, agitation de l'âme en général), mais distingue entre deux sens. L'ancien, tiré de Descartes : tous les phénomènes affectifs, caractérisés par la passivité. Le moderne : un sentiment intense, exclusif, l'équivalent de l'idée fixe dans le domaine intellectuel. Mais pas la souffrance...
La frontière avec les mots- satellites n’est pas non plus nettement tracée. Aristote, le premier auteur à avoir théorisé les passions dans sa Rhétorique fait des passions tous les affects, la colère, mais aussi la pitié, mélangeant aux passions ce que nous nommons les sentiments. En 1982, le Petit Robert définit l'émotion comme un mouvement, une agitation, une réaction affective intense se manifestant par des troubles physiques. Quant à la sensation, c'est un phénomène par lequel une stimulation externe agit sur l'être vivant ; un état psychologique à forte composante affective, distinct des sentiments par son caractère immédiat et par un caractère physiologique plus marqué.
Comme on le voit, on retrouve ailleurs des traits censés spécifier la passion notamment sans liens avec des réactions corporelles. C'est reconnaître qu'elle associe le mental et le physique. On remarquera enfin la quasi-disparition du terme passions dans le vocabulaire de la psychologie contemporaine, qui utilise davantage les notions de tendance, affect ou pulsion.
Mais le plus important pour nous, dans les emplois anciens du terme, consiste dans la fréquence de la référence à la souffrance. Loin d'être incohérent, le couple passion-souffrance est consubstantiel. Leibniz l'avait déjà remarqué en discernant dans tout état affectif un sentiment sous-jacent d'inquiétude, une préparation à la douleur. Freud est allé plus loin, répétant non seulement que la passion est une réaction de défense contre l'angoisse, mais qu'elle tire sa force, son caractère exclusif-un de ses traits déterminants-du refoulement de la passion opposée, refoulement qui peut se rompre , suivant les circonstances. Le refus, la rupture font surgir ce que la passion visait à conjurer, qui demeurait caché jusque dans son coeur : la perte, le sentiment de manque. Le sujet appréhende la survenance d'un processus qui, en fait, s'est déjà passé. Roland Barthes l'avait bien compris:
« elle [l'angoisse d'amour] est la crainte d'un deuil qui a déjà eu lieu, dès l'origine de l'amour, dès le moment où j'ai été ravi. Il faudrait que quelqu'un puisse me dire : « Ne soyez plus angoissé, vous l'avez déjà perdu(e) ».
Et il l’appréhende d'autant plus que, justement, son inconscient a gardé la mémoire des douleurs engendrées par la perte. Mais la perte de quoi ?
Pour Freud, de l'état narcissique de la petite enfance dans lequel l'enfant confond son amour pour lui-même et l'amour de la personne qui prend soin de son existence :
« Le plein amour d'objet par étayage est particulièrement caractéristique de l'homme. Il présente la surestimation sexuelle frappante qui a bien son origine dans le narcissisme originaire de l'enfant et répondant à un transfert de ce narcissisme sur l'objet sexuel. Cette surestimation sexuelle permet l'apparition de l'état bien particulier de la passion amoureuse qui fait penser à une compulsion névrotique, et qui se ramène ainsi un appauvrissement du moi en libido au profit de l'objet (...). Ce qu'il projette devant lui comme son idéal est le substitut du narcissisme perdu de son enfance ».
D'ailleurs Freud est convaincu qu'il ne sert à rien de chercher les raisons pour lesquelles on aime l'autre, puisqu'en réalité cette quête nous éloigne de notre partenaire, dans la mesure où les explications que nous pouvons trouver ne le concernent pas. C'est le sens d'une lettre qu'il écrit le 16 janvier 1884 à son épouse Martha :
« Quand nous nous retrouverons, tu seras peut-être offusquée en découvrant que je diffère du beau tableau créé par ta tendre imagination. Je ne veux pas que tu m’aimes pour des qualités que tu me prêterais, ni d'ailleurs pour aucune autre qualité : il faut que tu m’aimes sans raison, comme aiment sans raison tous ceux qui aiment, simplement parce que je t'aime, et tu n'as pas à en avoir honte »
Ce travestissement du passé refoulé en futur redouté explique par ailleurs le paradoxe maintes fois constaté suivant lequel l'amour est proche de la haine : l'amant déçu peut devenir le pire ennemi de l'ancien objet de son désir. En quoi l’état amoureux, dans sa composante passionnelle, se distingue radicalement de l'authentique amour, même si les amants s'assurent passionnément de leur amour...
Nos prédécesseurs ne jouissaient pas des secours de la psychanalyse, mais leur mentalité était façonnée par la religion chrétienne, alors très largement marquée par le péché (il existe plus de musiques sacrées sur la passion du Christ que sur sa Résurrection...), avant que les élites ne rendent un culte à la Raison des philosophes : dans les deux cas, on ne pouvait considérer les passions qu'avec prudence.
Une lecture un peu plus détaillée de l'article que leur consacre l'Encyclopédie de Diderot nous en convaincra.

Section II : La Raison, antidote de la souffrance

À la différence du bouddhisme, l'Encyclopédie ne va pas jusqu'à prôner l'extinction des passions. Car celles-ci sont nécessaires à l'action :
« Si nous étions les maîtres de nous donner un caractère, peut-être que considérant les abîmes où la fougue des passions peut nous entraîner, nous le formerions sans passions. Cependant, elles sont nécessaires à la nature humaine et ce n'est pas sans des vues pleines de sagesse qu'elle en a été rendue susceptible. Ce sont les passions qui mettent tout en mouvement, qui animent le tableau de cet univers (...) Celles qui se rapportent à nous-mêmes nous ont été données pour notre conservation, pour nous avertir et nous exciter à rechercher ce qui nous est nécessaire et utile, et à fuir ce qui nous est nuisible. Celles qui ont les autres pour objet servent au bien et au maintien de la société ».
Comment ne pas souffrir des passions ? En les domestiquant par la raison :
« Toutes s'arrêteroient dans leurs justes bornes, si nous savions faire un bon usage de notre raison pour entretenir ce parfait équilibre ; elles nous deviendraient utiles... ».
Et de prêcher dans les définitions des différentes passions leur exercice modéré :
-on obtiendra le plaisir des sens par l'exercice modéré de nos facultés corporelles. Tout ce qui satisfait nos besoins sans aller au-delà donne le sentiment de plaisir (...) Le contraire ou l'excès produit un effet tout opposé.
-même leçon pour les plaisirs de l'esprit ou de l'imagination :
« Ceux qui ont recherché le principe général de la beauté ont remarqué que les objets propres à faire naître chez nous un sentiment de plaisir sont ceux qui réunissent la variété avec l'ordre ou l'uniformité (...) Voyez dans la Musique les consonances tirer leur agrément de ce qu'elles sont simples et variées ; variées, elles attirent notre attention ; simples, elle ne nous fatiguent pas trop. Dans l'architecture, les belles proportions sont celles qui gardent un juste milieu entre une uniformité ennuyeuse et une variété outrée qui fait le goût gothique. La sculpture n'a-t-elle pas trouvé dans les proportions du corps humain cette harmonie, cet accord dans les rapports, et cette variété des différentes parties qui constituent la beauté d'une statue ? La peinture est assujettie aux mêmes règles. Pour remonter de l’art à la nature, la beauté d'un visage n'emprunte-t-elle pas ses charmes des couleurs douces, variées, de la régularité des traits, de l'air qui exprime différents sentiments de l'âme ? Les grâces du corps ne consistent-t-elles pas dans un juste rapport des mouvements aux fins qu'on s'y propose ? ».
A priori, quoi de plus raisonnable, en effet ?

Mais n'est-ce pas justement le propre des mouvements passionnels d'être rétifs à la modération ? Une passion tempérée est-elle toujours de la passion ? Ce qui n'est pas un jugement de valeur. Au contraire, on admettra volontiers qu'à supposer qu'il soit possible, l'amour profond, enraciné dans la durée, déshabillé du déguisement des émois de l'état amoureux constitue un état plus enviable que la passion , adossée à la douleur et à l'angoisse. Mais on est là dans un autre sujet.
D'autre part, sur le plan artistique, il n'est nullement avéré que, comme le croit le rédacteur de l'article, la beauté soit toujours issue de l'harmonie. C'est l’idéal classique, dont étaient convaincus les auteurs de l’Encyclopédie. Mais l'art baroque, le romantique et celui du XXe siècle le démentent. L'art est un langage, qui ne sert pas à exprimer que le Beau ; le Beau lui-même peut être engendré par le désespoir, le pathétique... et même la souffrance, ce qui explique sans doute que la passion et l'art fassent en général bon ménage.

Le vocabulaire de la passion est donc problématique. Mais il décrit toujours des mouvements éprouvés par des individus, alors qu'il existe des passions collectives, comme celles mobilisées par des chefs charismatiques. Peut-être même l'état amoureux a-t-il une dimension collective si l'on adhère à la définition qu'en donne son spécialiste, F.Alberoni : l'état naissant d'un mouvement collectif à deux. Il entend par là que dans l'état amoureux comme dans certains mouvements collectifs (religieux, politiques) où l'ensemble des acteurs se reconnaît dans un leader, se produit un mouvement attribuant à l’être aimé ou adulé un ensemble de qualités qui transfigurent notre vie, alors qu'en réalité cette transfiguration tient moins à l'autre personne qu'à la nature des relations que nous établissons avec elle, aboutissant à la création d'un sujet collectif nouveau, le couple des amants en ce qui concerne l'état amoureux, le Volk et son Führer dans le cas du nazisme.

[Illustration audiovisuelle :Leni Riefenstahl, Le triomphe de la Volonté (1934)]

Quoi qu'il en soit, dans l'histoire de la culture et de l'art occidentaux, la notion de passion est liée à la découverte de l'individu.




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chapitre II : un couple qui s'est trouvé :

l'individu et la passion



À Saint-Pierre de Rome, l'autel se trouve au centre de la basilique. Ce qui n'est pas courant : dans les églises rondes, cet espace est sacré (le cercle est une image de la perfection) et doit donc demeurer vide. L'autel est en général construit en retrait, adossé au mur. Michel-Ange (1475-1564) et Bramante (1444-1514), les concepteurs du lieu, en ont décidé autrement. C'est au centre de cet espace que par le sacrifice de la messe le Christ s’incarnera, réalisant la jonction entre le monde terrestre et celui de la surnature. Mais ainsi l'humain investit le champ clos du divin.
À l'aube de la Renaissance, l'homme quitte la « vallée de larmes » des textes sacrés : le monde sensible est devenu digne d’estime. Quand Boccace (1313-1375) célèbre la peinture de Giotto (1266-1337), il loue sa manière d'atteindre la vérité. Non plus celle, d'ordre interne, qui exprime la tension de l'humain vers le surnaturel, mais le monde concret. Or l'individu en fait partie : le réalisme en peinture est un effet de la réémergence de l'individu, car «représenter les choses et les êtres dans leur singularité, c'est les donner à voir tels qu'ils s'offrent au regard naïf, tels qu'ils existent dans le monde réel » . L'homme n'est plus conçu comme l'élément indistinct d'une humanité en attente de la parousie, mais comme une singularité. L'artiste commence à affirmer son identité et celle de ses proches. Dans le nord de l'Europe, Van Eyck (1390-1441) décide un jour de peindre le visage de sa femme dans toute son originalité, sans la dissimuler sous les traits de la Vierge ou d'Eve. En 1434, il peint le célèbre tableau Les fiançailles des Arnolfini : c'est la première image de personnes individuelles situées dans leur cadre quotidien, une chambre. Accroché au mur, un balai, symbole des devoir terrestres et quotidiens.

Van Eyck est aussi un des premiers peintres à signer ses tableaux, poussant même l'affirmation de soi jusqu'à se représenter dans le reflet des miroirs (notamment celui des Arnolfini).
Au même moment, à Florence, Masaccio (1401-1429) se place parmi les apôtres du Tribut.



[Illustration audiovisuelle :Giotto ;Van Eyck (1390-1441), Les fiançailles des Arnolfini, Londres, National Gallery ; Masaccio]

[Illustration visuelle (diapositive) :Michelangelo Merisi, dit : Le Caravage,
La mort de la Vierge (1606), Le Louvre]


Cet individu, reconnaissent de plus en plus fréquemment les juristes, possède des droits qui lui sont propres : le mécanisme qui, plus tard, conduira à l'affirmation des droits de l'homme s'est enclenché.
Mais à vrai dire, la pensée occidentale avait déjà inventé l'individu une première fois.

Section I : L'individu de la Grèce antique

L'individu apparaît d'abord dans la Grèce antique, où l'artiste s'affranchit du style imitatif pratiqué par les anciens Empires, l'Égypte et la Mésopotamie, qui existaient toujours, mais sur la pente du déclin. En ce sens, la Grèce a inventé l'artiste et l'oeuvre d'art. Comme bien plus tard à la fin du Moyen- Âge, les artistes se mettent à signer leurs oeuvres, en un geste qui nous paraît aujourd'hui obligatoire. Simultanément, les sculpteurs perfectionent leur art, dans un souci de réalisme (ils s'aperçoivent par exemple qu'une statue paraît plus vivante lorsque ses pieds ne sont pas collés au sol). Cependant, la statuaire grecque n'est pas purement descriptive. Elle réalise un compromis entre l’idéalisation des corps et leur réalité.
La fracture grecque est produite par plusieurs ébranlements. Tout d'abord, la substitution de l'individualité civique aux anciennes solidarités claniques : ce n'est pas un hasard si ce tournant se produit entre 520 et 420 av. J.-C., à l'apogée du régime démocratique athénien. Du coup, la philosophie de l'art va évoluer. Platon (428-347) pensait que les oeuvres d'art ne constituaient que des reflets imparfaits du monde des idées, de même que pendant très longtemps, beaucoup de philosophes enseignèrent que la véritable musique n'était pas celle que percevaient le corps, mais une musique intérieure, intellectuelle, mettant en contact le sujet avec l'harmonie cosmique des sphères. Plus attaché au concret, Aristote (384-322) pense que la beauté est nourrie par les talents individuels de l'artiste ainsi que par la destination de l'objet. Ce qui ouvre évidemment la porte à l'individualisme.
Toutefois, ne commettons pas de confusion : l'individu des Grecs ne correspond que partiellement à notre concept moderne. S'il émerge bien des pesanteurs traditionnelles, il n'est pas universel. La Cité lui est supérieure, en elle le droit trouve sa source. L’être qui ne peut invoquer un rattachement civique est infra- humain. Mais à la différence des solidarités archaïques, le lien civique est consenti, choisi. La Cité n'est pas fondée prioritairement par la volonté divine, ni par la Nature, mais par des conventions issues du choix des citoyens.

Plus tard, au IIIe siècle de notre ère, l'individu s'estompe : le sensible commence à moins compter que l'intériorité. Le christianisme des premiers siècles, tendu vers l'autre monde, fera le reste. Mais tout change à la fin du Moyen-Âge (n'oublions pas qu'il dure en Occident dix siècles, soit le laps de temps qui nous sépare de l'an 1000...), le symbolisme chrétien également.

Section II : L'individu dans l'art européen

Au XIIIe siècle, l’ange sourit au portail de la cathédrale de Reims ; la Vierge et beaucoup de personnages sont représentés avec des expressions et dans des attitudes qui n'ont plus rien de hiératique. L'esprit nouveau s'affirme davantage encore à Florence, sous les règnes de Cosme de Médicis l'Ancien (1435-1464) et Laurent le Magnifique (1469-1492) : c'est le Quattrocento. Lippi (1406-1469) et Botticelli, son élève, peignent souvent des Madones ou des divinités antiques sous les traits de pures jeunes filles.

[Illustrations audiovisuelles : Divers visages de Vierges et Vénus, de Lippi et Botticelli ]

Au XVe siècle, dans les Flandres et en France, la Vierge voit toujours plus souligner son côté humain. Mais ici, c’est la mère déchirée par la crucifixion de son fils qui passe au premier plan, devant la Reine du ciel. L'épreuve de la douleur-nous l'avons vu, composante indéfectible de la passion-l'humanise.
Comment ne pas citer ici la fameuse Pietà de Michel-Ange, exécutée en 1499 pour Saint-Pierre de Rome : la Vierge y est si jeune qu'elle paraît la fille du Christ... Nous sommes aujourd'hui moins sensibles à la figure de la Vierge (encore que la dévotion mariale de Jean Paul II soit bien connue), parce que nous nous faisons de Dieu une idée moins omnipotente que nos ancêtres. D'ailleurs, après Auschwitz, comme le suggère H.Jonas ,un Dieu bon n'est peut-être plus imaginable qu'en supposant que par un abandon mystérieux, il a lui-même renoncé à sa toute-puissance.
Si la Vierge s'humanise, la femme est idéalisée. Dante (1265-1321) tombe amoureux d'un ange, Béatrice Portinari, une jeune fille qu'il rencontre à Florence. Elle devient son guide au Paradis, dans la Divine Comédie. Pétrarque (1304-1374) brûle de la même flamme pour Laure de Noves, qu'il rencontre en 1327 à Sainte-Claire d’Avignon. Il célèbre son âme, mais aussi son corps et présente tous les symptômes de l'amour-passion. Ces deux auteurs exerceront une influence bien après leur mort, et au-delà de l'Italie : signe certes de leurs talents, mais aussi d'une évolution : l'idéalisation de la femme traduit la glorification de l'humain. Et aussi de la passion. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, l’expression des affetti devient une exigence primordiale dans les cercles où se compose et s'écoute la musique nouvelle. Maddalena Casulana (1544-1583) -une femme-met en musique des poèmes ou la douleur rime avec l'amour :
Mon coeur ne peut mourir
Je voudrais le tuer, puisque tel est votre désir
Mais l'arracher de votre sein où si longtemps il fut couché
Rien ne peut.

[Illustration sonore : Barbara Strozzi (1619-1677), Cantate : Beaux yeux, beau sein, beaux cheveux et belle bouche (1651), Harmonia Mundi, 2000]

De plus, lors de la Renaissance, la redécouverte de la perspective (plus rapide chez les Italiens que chez les Flamands) est aussi un effet de l'individualisme : le peintre représente le monde à partir de la place qu'il occupe.
Mais ne nous y trompons pas, cette valorisation du monde sensible, cette attention portée à l'individu ne signifie pas qu'on se détourne de Dieu. Quand Dürer (1471-1528) fait son Autoportrait , il s’y donne l'air du Christ. Mais le procédé n'est en rien blasphématoire : s'il dirige l’attention sur l'homme, il entend surtout montrer que celui-ci doit faire effort pour ressembler à Jésus. Dieu finira quand même par quitter la scène, mais plus tard.
Dernière conséquence de la redécouverte du réel : l’imitation de la nature. Elle va régir le monde des arts jusqu'au XVIIIe siècle, et le concept fera les délices des théoriciens du baroque. Puisque l'oeuvre d'art n'a plus pour but, comme au Moyen- Âge, de suggérer, symboliser une réalité cachée à nos sens, elle doit reproduire le monde sensible. Dans le domaine de la musique, cet impératif sera largement traduit par celui d'expression des sentiments humains : l'amour, la colère. Sous cette poussée, le madrigal se transforme progressivement. Il évolue de la polyphonie vers la monodie, qui permet davantage l’intelligibilité du texte. La musique doit être la servante du texte, car texte il y a. N'oublions pas en effet qu'à cette époque, l'autonomie de la musique purement instrumentale n'existe pas : jusqu'à la deuxième moitié du XVIIe, la voix prédomine dans les formes d'expression musicale, au point que les parties purement instrumentales sont écrites comme pour elle. L'opéra naît en Italie au début du XVIIe et ses créateurs croient suivre le modèle de la déclamation du théâtre antique : le sens prédomine donc, la musique doit le servir.

Vérité du monde, vérité de l'individu, vérité des sentiments : tel est le nouveau Dieu trinitaire que se donnent pour mission d’incarner les artistes. En naîtra la peinture des passions. Mais celles-ci vont susciter bien des controverses.


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chapitre III : insaisissables passions :

controverses philosophiques


Peut-on faire de l'histoire des passions une lecture évolutionniste ? Une telle approche est tentante. Incontestablement, les moeurs semblent glisser du devoir au plaisir, des conventions à l'authenticité . Les passions paraissent s'en trouver progressivement valorisées, pour parvenir à notre époque où leur composante douloureuse n'apparaît plus guère. Mais une telle optique est très schématique. D'une part elle ne tient pas compte des spécificités culturelles : nous avons vu que l'esprit français montrera toujours plus de retenue que le goût italien. D'autre part et surtout, comme toute approche évolutionniste, elle a tendance à privilégier la succession par rapport au synchronisme. Si la dénonciation des passions est incontestablement l'attitude la plus ancienne, cela ne signifie pas pour autant que leur condamnation est rapidement devenue obsolète. Au XVIIe même, on voit voisiner cette tendance (cf. les attaques de Port-Royal contre le théâtre) avec des approches plus mesurées, y compris chez Descartes, pour lequel les passions ne sont ni bonnes, ni mauvaises.
De plus, les contempteurs des passions se retrouvent bien loin de l'Occident. Nous l'avons déjà signalé, pour les bouddhistes, les passions constituent une impasse et condamnent ceux qui s'y livrent à une succession éprouvante d'incarnations (le samsâra). Car la réincarnation, contrairement à la manière dont nous avons tendance à l'interpréter, n'est pas une attente, une sorte de résurrection. Au contraire, elle manifeste la persistance du sujet dans le continuel espoir du bonheur, toujours déçu puisque dans le monde règne la souffrance. La stabilité, au-delà du bonheur ou de la douleur, ne viendra que dans le nirvâna, état difficile à définir, mais duquel toute passion est bannie.
Mais revenons à l'âge baroque, principalement en France. Dans une longue tradition venue de l'Antiquité (le Sage cherche à atteindre l’ataraxie, le calme), mais coulée dans le moule chrétien, la passion est le plus souvent dénoncée en raison des maux qu'elle apporte. Mais simultanément, des voix s'élèvent pour dire qu'il ne convient pas d'éliminer les passions, mais plutôt de les maîtriser.
Ce faisant, on passe progressivement de leur condamnation à leur valorisation.

Section I : La passion dénoncée

La passion est un mal, elle est même une facette du Mal, à travers la notion de péché. Elle manifeste l'excès, d'où sa brièveté. Irrationnelle, elle est promesse de douleur. Le danger de déraison est particulièrement manifeste en musique.

a) La passion est péché

En 1684, le père Ameline écrit que les passions sont les principales maladies de l'âme et qu'elles sont apparues avec la Chute, l'expulsion de l'homme du Paradis. C'est le péché, qu'Adam a causé à l'âme. Autrement dit, la passion est constitutive de la nature humaine, du moins de sa nature d'après la faute initiale . D'ailleurs, poursuit l'ecclésiastique, la passion est d'abord inscrite dans le corps, opposé à l'âme. Dans le corps, et donc aussi sur les visages : il y a une physionomie des passions, d'où la fréquence des séries des bustes des douze Césars, décrits par Suétone. Esclave des passions, l'homme ne peut espérer s'en affranchir totalement : sa dépendance ne prendra fin qu'avec sa mort, qui le fera accéder à une paix entière.
Ce courant chrétien se coule volontiers dans le néo- stoïcisme, en vogue au milieu du siècle (Gomberville, 1646 ; Le Grand, 1663). Ce courant philosophique prône un homme sans passions, entièrement dédié à la Raison. Il n’exprime pas toute la spiritualité chrétienne de ce temps, loin de là. En effet, et nous entrons ici dans l'esthétique baroque, la description de la douleur (Vierge au coeur transpercé de sept épées, telles Notre Dame des sept douleurs, par Nicolas Blanchet (1614-1689) ou la Vierge de Nicolas Mignard ; la peinture du ravissement (les extases), celle du repentir (de Pierre ou de Marie-Madeleine) constituent un courant non moins important de cette époque.

[Illustrations visuelles : -(diapositive) Pedro de Mena, Madeleine repentante (1664), Madrid, Musée du Prado
-N.Blanchet, Notre Dame des sept douleurs, Musée des Beaux-Arts, Lyon
-Claude Mellan (1598-1688), La Madeleine en méditation, BNF
-Hyacinthe Rigaud (1658-1745), Saint-Pierre repentant, Musée Rigaud, Perpignan]
Illustration sonore : Charpentier (1643-1704), Le reniement de Saint-Pierre, Choeur final, dans : Figures de la passion, Paris, Musée de la musique, 2001]

Qui regarde aujourd'hui ces tableaux peut les trouver excessifs. C'est que l'excès est bien la marque de la passion.
Quittons un instant le Grand Siècle pour nous en persuader en considérant l'état amoureux tel qu'il est vécu de nos jours (ne croyons pas pour autant qu'il serait forcément étranger à nos ancêtres. Sans quoi, on comprendrait mal le succès de Dante et de Pétrarque). Stendhal, qui n'est pas notre contemporain, a donné la célèbre analyse de la cristallisation (par comparaison avec le phénomène physique qui se produit lorsqu'on plonge un bâtonnet dans une solution saline, dont le contact le couvre de cristaux étincelants) : nous parons la personne aimée de toutes les qualités, jusque dans ses défauts. Pour F.Alberoni, un auteur de notre temps, la naissance de l'état amoureux suppose deux conditions préalables. Tout d'abord, une insatisfaction par rapport à notre état présent, phénomène qui se manifeste tout particulièrement au moment de l'adolescence, mais pas seulement : il peut aussi être engendré par la mésentente conjugale, ou la crise du milieu de vie (le démon de midi, suivant l'expression familière). D'autre part, la volonté-et la capacité de le décider- d'un changement profond. La personne alors rencontrée, puis objet de l'état amoureux, devient la porte d'accès à une vie nouvelle, ou espérée telle. Les hommes et les femmes parviennent-ils à cet état différemment ? La question est controversée. Jusqu'à des temps récents, la réponse serait affirmative : l'homme sépare plus nettement la sexualité de l'amour que la femme. Cela pour des raisons mélangeant les données naturelles et culturelles. Il ne connaîtrait donc que plus rarement la fusion entre la sexualité et l'amour, justement dans l'état amoureux, alors que chez la femme les liens entre les deux attitudes, plus ou moins affirmés, seraient plus fréquents. Mais depuis une trentaine d'années, la mise en scène du plaisir féminin, la libéralisation des moeurs, les conquêtes du premier féminisme, qui passait par une revendication d'uniformité entre les sexes ont sans doute affaibli la distinction.
Quoi qu'il en soit, ce qui compte pour nous dans cette description de l'état amoureux est la confirmation de la mise en oeuvre de l'excès par la passion . Comme le souligne Roger Vigouroux, il existe un parallèle entre l'attitude de l'amoureux et celle de l'artiste : tous deux, mûs par un élan passionnel qui, certes, n'a pas le même objet, ont tendance à se focaliser sur un thème unique, au prix de la restriction de leurs potentialités dans d'autres domaines (Mozart, bien que bon lecteur, ne pensait qu’à la musique).
Autre marque de l'excès, surtout sensible dans l'état amoureux (l'artiste peut être plus persévérant que l'amant) : l'illusion de la durée. L'intensité des émotions ressenties est souvent telle qu'il est impossible de croire qu'elle se dissipera. Pourtant, il est bien rare qu'on puisse totalement changer de vie, quelle que soit la personne rencontrée, et qu'un bonheur sans failles ni effort succède au malheur ou à l'ennui : l'intensité émotionnelle de l'état amoureux ne dure pas, même s'il peut fort bien déboucher sur l'amour authentique, plus assuré de se perpétuer.
Nous abordons par là un autre reproche fait à la passion : sa brièveté.

b) La passion est passagère

Le banquier Édouard André (1833-1894) était à la tête d'une immense fortune
et , bonapartiste convaincu, bien vu du pouvoir. Amateur d'art, il était amoureux du XVIIIe siècle en un temps où l'art de cette époque était méprisé. En 1881, il épouse une jeune femme peintre, Nélie Jacquemart, qui appartenait à une famille peu argentée et monarchiste. Malheureusement, Édouard était atteint de syphilis : le couple n’eut pas d’enfants, et les époux firent chambre à part. Durant leur vie commune, ils constituèrent ainsi des collections prestigieuses consacrées principalement au XVIIIe siècle et au Quattrocento, aujourd’hui abritées dans l’hôtel particulier de la Plaine Monceau qui leur servait de demeure, devenu le musée Jacquemart- André. Malgré la maladie, ce fut donc un couple uni, qui dura une quinzaine d’années et ne fut séparé que par la mort. Ils étaient habités d’une passion commune : l’art, ce qui explique sans doute la permanence de leur entente. Attardons-nous dans leur bibliothèque : nous y remarquons un tableau de Van Dyck (1599-1641), où un vieillard maintient fermement un enfant . Il le mutile avec un instrument tranchant, dans un décor où l’on devine des ruines aux couleurs sombres. La scène s’intitule : Le Temps coupe les ailes de l’Amour.

[Illustration visuelle :Van Dyck, Le Temps coupe les ailes de l'Amour, Livre-guide du Musée Jacquemart-André, Paris, Institut de France, p. 27]

Le peintre a donc voulu signifier que l’amour ne dure pas. L’expression du vieillard  souligne le caractère inexorable du phénomène. Si la scène est cruelle (l’enfant souffre), les traits prêtés au temps n’expriment aucun sadisme, mais la seule résolution. On peut s’interroger sur la réalité du processus. En fait, l’amour ne s’efface pas dans la violence, mais il s’éteint plutôt progressivement, par une lente asphyxie, dûe à l’habitude, à l’usure du quotidien. La souffrance de l’enfant illustre peut-être moins le mode d’opération du processus que la cruauté de son résultat. D’autre part, plutôt que de l’amour (il peut tenir en respect le vieillard), mieux vaudrait parler de l’état amoureux, dans sa composante passionnelle. Peint aux couleurs du malheur, le phénomène n’en est pas moins banal.
Marivaux, bien après d’autres, le souligne :
«Je me suis toujours défié en amour des passions qui commencent par être extrêmes ; c’est mauvais signe pour leur durée ».


Un peu plus tard Mme de Staël le confirme :
«… l’amour est de toutes les passions la plus fatale au bonheur de l’homme (…) On abandonne son âme à des sentiments qui décolorent le reste de l’existence ; on éprouve, pendant quelques instants, un bonheur sans rapport avec l’état habituel de la vie, et l’on veut survivre à sa perte… ».
Au-delà des expériences individuelles, les enquêtes sociologiques actuelles l’attestent. La passion dure en moyenne trois ans. Au bout de dix ans, elle a diminué plus fortement chez les femmes qui, cependant, en souffrent davantage.Un trait constant de l’histoire du divorce le souligne : les femmes sont majoritaires à le demander (75 % à l’heure actuelle). Tous les hommes seraient-ils donc des butors ? Sans doute serait-ce leur attribuer un excès d’indignité. Disons simplement qu’ils semblent mieux s’accommoder que les femmes des compromis, des renonciations à l’idéal amoureux. Suivant les goûts et les convictions, on qualifiera cette attitude de façon négative (les hommes sont des lâches ) ou réaliste (ils ont opéré le passage du principe de désir à celui de réalité).
Mais pourquoi ? Auparavant, on pouvait incriminer les occupations exclusivement domestiques des femmes : vivant davantage dans le cercle intime, elles attendaient plus de leurs relations de couple. Cependant, l’explication ne convainc guère. D’une part, la pression culturelle imposait aux femmes des modèles de comportement, des habitudes mentales, et il n’est pas du tout certain que l’intimité des relations conjugales en ait fait partie ( pour ne considérer que cet indice physique, dans la bourgeoisie, le fait de coucher dans le même lit ne date guère que du début du XXe siècle). D’ailleurs le divorce , définitivement autorisé en 1884, ne fut que progressivement pratiqué (14 261 divorces en 1910,37 1732 en 1966, 119 200 en 1995), car il était mal vu, surtout dans les milieux sociaux élevés. Comme on a peu de raisons de penser que la vie conjugale était spontanément plus facile, on doit bien convenir qu’on se résignait. Au prix de l’adultère et de l’hypocrisie, objecte-t-on souvent, non sans suffisance. On n’observe pourtant pas que de nos jours , où l’on prise beaucoup l’authenticité des sentiments, celui-ci se soit évanoui… Il est vrai qu’il a nommément disparu des causes identifiées de divorce, pour se fondre dans la catégorie plus générale des faits qui rendent intolérable le maintien du lien conjugal, laissés à l’appréciation du juge. Il peut même être dématérialisé, n’impliquant plus nécessairement des relations sexuelles. Cependant, qu’on y voie la cause (parfois) ou l’effet (le plus souvent) de la détérioration du couple, il n’est besoin que de regarder autour de soi pour constater son entêtante fréquence. Il est vrai qu’en 1972, la Cour de cassation a pu décider que le fait de ne pas (ou plus) aimer sa femme n’était pas une faute susceptible de causer le divorce. N’y voyons pas le déni de la passion ou le renoncement du juge à l’amour conjugal, mais plutôt son aveu de son incapacité à établir en justice la preuve de l’amour.
Quoi qu’il en soit, il reste que l’explication de l’insatisfaction féminine par l’isolement des femmes à l’intérieur du cercle domestique ne peut plus tenir : aujourd’hui, seuls 27 % des couples vivent d’un seul revenu. L’explication doit être cherchée ailleurs. Certainement en partie dans la pression culturelle. Celle-ci s’exerce en faveur de l’executive woman, la femme au foyer étant souvent accusée de vie végétative. Trop longtemps dominées, les femmes ont actuellement tendance à avoir un niveau d’aspirations élevé, à poser la barre haut : elles exigent non seulement de s’accomplir professionnellement, mais aussi dans le couple, dont elles acceptent de moins en moins la sclérose. De nos jours, pour qu’un couple dure, il lui faudrait se remarier sans cesse, afin que les époux retombent amoureux l’un de l’autre. Comme l’écrit F.Alberoni :
«Un amour naissant peut-il se transformer en un amour qui, pendant des années, conserve la fraîcheur de l’amour naissant ? Oui. Cela peut arriver quand les deux partenaires réussissent à mener ensemble vie active une nouvelle, aventureuse et intéressante, dans laquelle ils découvrent ensemble des intérêts nouveaux, ou bien, lorsqu’ils affrontent ensemble des problèmes extérieurs (…).
S’ils sont obligés de se confiner dans les sentiers battus, de revivre sans cesse le déjà vécu, l’ « ainsi fut-il » finit par écraser le possible. Rien ne détruit plus complètement l’amour naissant que la répétition de l’identique, l’obligation de revivre des expériences déjà effectuées, de retrouver les mêmes obstacles, déjà connus, déjà imaginés, déjà vécus. Au lieu de réinterpréter d’histoire, de réinventer le passé, c’est le passé qui réapparaît et qui refait le présent et le futur. Mais il est vrai aussi que ce qui est nouveau pour l’un peut être déjà vécu pour l’autre, le retour à l’identique. Alors, les projets deviennent incompatibles et l’amour s’achève ».
Le trajet qui mène à la permanence de l’amour est donc beaucoup plus ardu que ne le laissent présager les facilités de l’état amoureux, le mirage fusionnel de l’amour-passion…
D’autre part, une explication réside sans doute aussi dans les données psychologiques, qu’on les attribue majoritairement à la nature (les hormones, voire un plus grand nombre de neurones dans le cerveau des femmes) ou à la culture (on attend davantage d’un homme qu’il maîtrise ses sentiments, éventuellement ses pleurs). En effet, il est indéniable que les femmes s’expriment plus facilement que les hommes et montrent notamment une plus grande facilité langagière. Elle souffrent donc davantage de l’étiolement de la communication avec leur conjoint et sont donc plus nombreuses à prendre l’initiative de la rupture.
Enfin, intervient aussi une donnée purement démographique, insuffisamment soulignée, alors qu’elle est radicale : l’allongement spectaculaire de la durée de la vie, qui, en moyenne, double la durée de vie potentielle d’un couple. Les hommes et les femmes sont sans doute faits pour vivre ensemble, mais le sont-ils pour vivre si longtemps ensemble ? Cet allongement biologique fragilise d’autant plus le couple face à l’usure du temps, en même temps qu’il le rend plus vulnérable à l’éventualité des changements. En effet, si l’on veut bien se souvenir que l’insatisfaction de l’état présent, l’aspiration à une vie nouvelle constituent les facteurs de déclenchement de l’état amoureux, de la passion, on admettra que le prolongement de la vie ( surtout si le sujet recherche dans son existence une certaine intensité, ce à quoi le porte notre époque) porte à multiplier les expériences amoureuses, à allonger la succession des vies conjugales. Pour un plus grand profit affectif ? C’est le but visé. Mais souvent se présente au rendez-vous une invitée oubliée : la douleur.

c) La passion est douleur : de la Passion aux passions

Comme nous l'avons constaté, l'étymologie de la passion porte largement trace de cette association. Le mouvement des arts à l'époque qui nous intéresse également. Nous savons que le dolorisme devient un courant important de la sensibilité religieuse, et qu'il arrive que les passions soient attribuées à la nature devenue pécheresse de l'homme. Dès lors, la Passion du Christ sert de mise en scène à la représentation des passions de l'homme, intrinsèquement mauvaises. De la souffrance de son Sauveur, le spectateur doit identifier comme responsables ses appétits non censurés de jouissance, et à son tour être atteint par la souffrance : celle du Christ, celle du remords de ses fautes. Son angle de vision est d'ailleurs frontal, favorisant ainsi la possibilité d'un dialogue, d'une réflexion. Il est en face du Crucifié (les Crucifixions de Picasso garderont cette disposition), ou de son visage, comme dans le tableau de Simon Vouet (1590-1649), Sainte Véronique montrant la Sainte Face.

[Illustration visuelle : Simon Vouet (1590-1649), Sainte Véronique montrant la Sainte Face, Musée Tessé, Le Mans]

L'image doit façonner l'amendement du pécheur. Comme l'écrit Camus, évêque de Belley, en 1640 :
« Ce fut sur une toile blanche que le Sauveur imprima son visage sanglant, qui se montre à Rome. L'image de Dieu ne se trouve en nous par la grâce, que quand nous sommes blanchis et purifiés par la pénitence ».
On objectera qu'il s'agit là d'une vision devenue largement obsolète. Sans doute. Il reste qu’historiquement et symboliquement (le plan des églises est cruciforme) le christianisme est marqué par l'image de la croix, beaucoup plus fréquente que celle du Ressuscité sortant du tombeau . D'autre part, même si la douleur est ici envisagée comme un phénomène de nature religieuse, cette association avec les passions n'en exprime pas moins un lien certain, même si on ne choisit plus d'y lire une pédagogie religieuse : pour que la leçon soit efficace, il fallait bien que le spectateur sente plus ou moins confusément que la douleur était souvent au rendez-vous dans l'accomplissement des passions.
Comme nous l'avons vu, des philosophes, mais surtout Freud confirment ce phénomène au-delà de son interprétation religieuse. La douleur n'est pas seulement une éventuelle conséquence de la passion (le chagrin de l'amant abandonné), mais se situe en son coeur même, quand elle brûle de son feu le plus dévorant. Derrière le prix attaché à l'être aimé se situe toujours la crainte de le perdre (d'où la fréquence de la jalousie), de ne pas être « à la hauteur ». Autrement dit, l'angoisse, l'hypothèque du manque. La passion est donc un mécanisme de défense contre l'angoisse, en même temps qu'elle y ramène sans cesse, d'où sa composante douloureuse, plus ou moins affirmée suivant les moments, mais toujours latente. Ce couple est-il condamné à demeurer
infernal ? Non, à condition qu'il évolue : dans les meilleurs des cas, l'approfondissement des sentiments, le constat de leur durée permettent de résorber l'angoisse, qui s'atténue, ou se déplace ailleurs. L'état amoureux se transforme en autre chose, qui est peut-être l'amour : on s'élève alors au-dessus du relief tourmenté de la passion.
Si nous en croyons les sources jusqu'ici consultées, les passions sont donc non seulement condamnables, mais dangereuses pour la paix de l'âme et du coeur.
En témoignent les réticences tout spécialement éprouvées à l'égard de la musique, depuis Saint Augustin jusqu'à Freud.

d) Passion et déraison musicales

Saint Augustin (354-430), grand connaisseur de l'âme humaine, était très lu au XVIIe. Il évoque ainsi l'émotion qu'il ressent en écoutant les chants sacrés :
« Le chant de votre Église, ô mon Dieu ! ajoutait une nouvelle douceur à vos hymnes et à vos cantiques ; et je ne saurais exprimer combien j’en étais attendri, ni combien il ne faisait répandre de larmes (...) L'union harmonieuse de tant de voix me rendait plus attentif et plus sensible à vos vérités qui entraient ainsi dans mon coeur avec un nouveau plaisir, et qui le remuaient par le sentiment d'une piété si vive et si tendre, que je ne pouvais retenir mes larmes et que je trouvais une consolation indicible à les laisser couler » .
Jusqu'ici, tout va bien : l'émotion est au service de la piété. Mais plus loin, Augustin sent bien le danger du pur plaisir esthétique, qui peut ne concerner en rien le sentiment religieux. Dans ce cas, ce plaisir devient péché :
« Mais la délectation de ma chair, à laquelle il ne faut pas permettre de briser le nerf de l'esprit, me trompe souvent : le sens alors n'accompagne pas la raison en se résignant à rester derrière elle, mais, simplement parce qu'il a mérité d'être admis à cause d'elle, il va jusqu'à prétendre la précéder et la conduire. Voilà comment je pèche en cette matière, sans me rendre compte ; c'est après coup que je me rends compte (...) Je balance entre le péril qu'il y a de rechercher le plaisir, et l'expérience que j'ai faite de l'avantage que l'on reçoit de ces choses, et me sens plus porté, sans néanmoins prononcer sur cela un arrêt irrévocable, à approuver que la coutume de chanter se conserve dans l'Eglise, afin que par le plaisir qui touche l'oreille, l'esprit encore faible s'élève dans le sentiment de la piété. Toutefois, lorsqu'il arrive que le chant me touche davantage que ce que l'on chante, je confesse avoir commis un péché qui mérite châtiment ; et j'aimerais mieux alors ne pas entendre chanter ».
Texte célèbre, écrit au début du Ve siècle après J.-C., qui servit de justification à la méfiance de l'Eglise envers la musique et son pouvoir évocateur. De plus, au-delà de la seule théologie, il pose le problème de la spécificité du langage musical et de son abstraction par rapport à celui des autres arts.
Bossuet (1627-1704) le connaissait certainement. Aussi n’est-on pas surpris de l'argumentation de ses attaques contre la musique de Lully :
« [Les airs de Lully], tant répétés dans le monde, ne servent qu'à insinuer les passions les plus décevantes [trompeuses], en les rendant les plus agréables et les plus vives qu'on peut par le charme d'une musique qui ne demeure si facilement imprimée dans la mémoire qu'à cause qu'elle prend d'abord l'oreille et le coeur. Il ne sert à rien de répondre qu'on n’est occupé que du chant et du spectacle, sans songer au sens des paroles ni aux sentiments qu'elles expriment ; car c'est là précisément le danger que, pendant qu'on est enchanté par la douceur de la mélodie ou étourdi par le merveilleux du spectacle, ces sentiments s'insinuent sans qu'on y penser, et plaisent sans être aperçus. Mais il n'est pas nécessaire de donner le secours du chant et de la musique à des inclinations déjà trop puissantes par elles-mêmes ».

[Illustration audiovisuelle : La distinction entre les passions selon Bossuet]

Il est intéressant de noter un parallélisme certain avec l'islam. Le Coran contient des versets critiquant les pratiques vocales et musicales (la sourate XX présente d’autre part les poètes comme des menteurs) :
-Quatre femmes seront déconsidérées par Dieu le jour de la résurrection : la magicienne, la pleureuse, la chanteuse et l'adultère.
-Le Prophète dit : « La fin de ma communauté sera marquée par décroissance, injure et métamorphose ». Quand sera-ce ?, lui demanda t’on. Il répondit :
« Quand triompheront les instruments de musique, les esclaves musiciennes et lorsque les jeunes gens trouveront licite le vin ».
Par ailleurs,des hadith (paroles attribuées au Prophète) condamnent la musique, dénonçant même son origine satanique (Satan fut le premier qui se lamenta et chanta). Mais d'autres hadith la légitiment au contraire, pourvu qu'elle reste au service de la foi. Cependant, à des degrés divers, les quatre rites orthodoxes de l'islam s'opposent à la musique : contrairement à l'Eglise chrétienne, il n’admettent pas que la musique puisse éventuellement servir d'adjuvant à la foi. En revanche, les soufis, mystiques musulmans, l'emploient dans leur recherche de la transe. Mais elle est ici sanctifiée par le but auquel elle concourt.



Un demi-siècle plus tard, Diderot (1713-1784) soulignera toujours la puissance émotionnelle de la musique :
«... Le plus beau morceau de symphonie ne ferait pas un grand effet si le plaisir infaillible et subi de la sensation pure et simple n'était infiniment au-dessus de celui d'une expression souvent équivoque... Comment se fait-il donc que des trois arts imitateurs de la Nature, celui dont l'expression est la plus arbitraire et la moins précise parle le plus fortement à l’âme ? ».
Beaucoup plus tard, et de manière abrupte, Freud se détournera de la musique, alors qu'il possédait une solide culture artistique. Son fils rapporte qu'il interdisait qu'on joue d’aucun instrument dans son appartement. Ernest Jones, son disciple et biographe, raconte qu'il se bouchait les oreilles lorsque dans un restaurant où il s'était assis, un orchestre commençait à jouer. Dans une lettre écrite en 1928, il affirme n'avoir « aucun sens musical ». Précision intéressante, s'il n'aimait pas la musique instrumentale, l'inventeur de la psychanalyse lui préférait le chant : il aimait et connaissait les opéras de Mozart et de Wagner, recommandant même à un patient d'aller écouter Don Juan.
Quelles sont les raisons de cette attitude ? Car raisons il y a, et pas seulement une absence d'attirance.
La psychanalyste Marie-France Castarède fait remarquer qu'il était le fils aîné d'une mère très musicienne et que, sans doute, la musique réveillait en lui des affects trop intenses liés aux souvenirs du lien maternel. En tout cas,

Freud veut non seulement sentir, mais surtout comprendre. Il s'en explique d'ailleurs dès 1914 :
« J'ai souvent remarqué que le contenu d'une oeuvre d'art m’attire plus fortement que ses qualités formelles et techniques, auxquelles pourtant l'artiste accorde une valeur prioritaire. On peut dire que pour bien des moyens et maints effets de l'art, l'intelligence adéquate me fait au fond défaut » .
Ce qui explique sa préférence pour le chant et l'opéra, où la musique exprime un texte, le plus souvent, au moins pour l'opéra, chargé de passions telles que l'amour, le chagrin, la colère, la haine, le pouvoir...
La même année, dans une correspondance, il précise que le sens doit l'emporter sur le plaisir, rejoignant ainsi saint Augustin :
« Le sens leur importe peu à ces gens-là, ils ne se soucient que de la ligne, de la forme, de l'harmonie du dessin. Ils s'abandonnent au principe de plaisir ».
Dans le liminaire de son étude sur le Moïse de Michel-Ange, il postule dans le même sens que l'émotion n'est admissible pour lui que dans la mesure où il peut l'expliquer :
« Une disposition rationaliste ou peut-être analytique, lutte en moi contre l'émotion quand je ne puis savoir pourquoi je suis ému, ni ce qui m’étreint ».
Une telle attitude peut choquer, on peut brocarder le rationalisme dont elle procède. Il reste que non seulement l'Eglise, mais aussi les pouvoirs autoritaires , ont toujours considéré que les activités musicales devaient être contrôlées. Platon affirme déjà dans Les lois que la seule musique acceptable est celle qui n'est pas contraire aux lois de l'Etat : le plaisir qu'elle produit doit être surveillé, sous peine de corrompre la jeunesse. Dans La République et le Gorgias, il condamne l'utilisation des arts aux seules fins du plaisir. Napoléon affirmait que la musique était celui de tous les beaux-arts qui avait « le plus d'influence sur les passions ». Les nazis classèrent la musique dodécaphonique dans « l'art dégénéré », et donc interdit. Plus près de nous, les talibans interdirent la musique (ainsi que le rire). Non seulement par fanatisme, mais pour affirmer l'exclusivité du pouvoir créateur de Dieu, dans la mesure où l'artiste est potentiellement démiurge.
Autant de preuves a contrario de la puissance de la musique sur le monde des émotions... et donc des passions.
Heureusement, nous pouvons aujourd'hui mieux discerner que Saint-Augustin et Diderot les voies et les raisons de cette puissance, grâce à la psychanalyse et à la neurologie.
La musique est plus proche que les autres arts de la source intime de nos affects, parce que justement, elle ne représente rien. Comme l'écrit la psychanalyste Marie-France Castarède :
« De tous les arts, elle est celui qui nous rattache le plus au monde originaire de nos désirs, désirs de vie et d'amour, d'une part, désirs de mort et de destruction, d'autre part. La musique nous convoque tout particulièrement à l'écoute des relations entre la vie et la mort. A travers la musique, c’est le mouvement pulsionnel, dans sa décharge énergétique, qui est ressenti (...) La musique constitue une sublimation de l'énergétique pulsionnelle pour l'auditeur, et, à un degré supérieur, pour l'interprète ».

Claude Levi- Strauss l'avait d'ailleurs déjà remarqué :
« Sans doute la musique parle-t- elle aussi, mais ce ne peut être qu’en raison de son rapport négatif à la langue et parce que, se séparant d'elle, la musique a conservé l'empreinte en creux de sa structure formelle et de sa fonction sémiotique : il ne saurait y avoir de musique sans langage qui lui préexiste et dont elle continue de dépendre, si l'on peut dire, comme une appartenance privative. La musique, c'est le langage moins le sens ; dès lors on comprend que l'auditeur, qui est d'abord un sujet parlant, se sente irrésistiblement poussé à suppléer ce sens absent comme l'amputé attribuant aux membres disparus des sensations qu'il éprouve et qui ont leur siège dans le moignon ».
Bien entendu, la musique peut exprimer : tout mélomane le sait bien. Mais elle fait d'une manière particulière. Quand elle sert de support à un texte (musique sacrée, opéra) ou à un argument (musique à programme), elle le fait directement.
Mais dans les autres cas, son action emprunte d'autres chemins, moins tracés, mais qui ne sont pas moins directs. Cette indétermination a pour conséquence une grande malléabilité de la musique. Il est arrivé à Bach de réutiliser à des fins religieuses une musique d'abord composée dans un contexte profane ; il s'est en revanche interdit le trajet inverse, non pour des raisons techniques, mais en raison de ses convictions religieuses. Plus près de nous, Prokofiev répondait ironiquement à ses censeurs qui lui reprochaient de programmer un morceau de Beethoven dédié à la divinité : « Si vous préférez, je peux écrire : A la construction du tramway de Bakou... ».
Cette spécificité du langage musical expliquerait, entre autres, l'évolution du dilemme posé à l'opéra entre la musique et la parole. Nous savons que la parole fut d'abord considérée comme première. Puis ce rapport s’inversa dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, signe de l'actualisation de la prééminence archaïque de la référence à la mère. Au début de l'existence, le nourrisson perçoit d'abord comme une musique intemporelle la voix de sa mère. Puis l'apprentissage du langage introduit le symbolique, forçant le petit être à renoncer à cette jouissance. En même temps, ce nouveau type de discours, immergé dans la temporalité, est rapporté à la loi paternelle. Mais le chant, notamment à l'opéra, opère miraculeusement un retour aux origines du psychisme, d'où les manifestations émotives qui peuvent l’accompagner. Le chant dans ce qu’il a de musical, qui peut l’éloigner des paroles. Ce qui explique notamment qu’aujourd'hui un incroyant puisse écouter avec émotion les Passions de Bach, même si ce dernier aurait considéré cet éloignement comme un profond contresens, et même un blasphème. C'est également dans ce mécanisme qu'il faut chercher les causes de la difficulté qu'éprouve aujourd'hui l'auditeur à goûter les récitatifs et la discontinuité des consonnes, alors que les arias, reposant sur la continuité des voyelles, le séduisent plus facilement. Enfin, dans le genre populaire des chansons d'amour, ne sommes-nous pas aujourd'hui prioritairement sensibles
à la musique,au point qu'une mélodie agréable peut estomper la banalité de certaines rengaines ?
Comme l'écrit joliment Marie-France Castarède, le chant opère à la manière des caresses qu’échangent les amants. Le contact ainsi réalisé repose non sur la connaissance, mais sur l'identité du sentir. La passion amoureuse partage cette cette « sensorialité paroxystique » avec les possibilités expressive des arts, tout spécialement de la musique, ce qui explique qu'elle inspire si souvent les artistes.
Pour l'anthropologue C. Lévi-Strauss, la musique et l'opéra prennent au XVIIe siècle le relais de la pensée mythique. La philosophie de Descartes détermine une fracture entre la raison et la sensibilité, deux démarches que le mythe conjoignait, expliquant par un même récit des mécanismes que nous
distinguons : par exemple le fait que certains conjoints soient recommandés et qu'il existe telle distance entre la Terre et la lune. Pour Lévi-Strauss, la musique religieuse et l'opéra englobent de nouveau ce que la pensée moderne a séparé :
« L'opéra, c'est la musique réalisée sous sa forme la plus haute, la plus complète, la plus totale ; on retrouve là ce que l'humanité a si longtemps demandé au mythe : donner des explications ou des expressions totales qui se situent simultanément à plusieurs niveaux ».
À sa manière, la neurologie le confirme. D'une part, le sens auditif est le plus précocement développé. D’autre part, comme toutes les activités artistiques, la musique ne sollicite pas un point déterminé du cerveau, mais en coordonne plusieurs zones. Cependant, le cerveau droit, prioritaire dans l'expression des émotions, paraît particulièrement concerné, dans la mesure où la musique possède un langage d'ordre essentiellement émotionnel, au point que l'autonomie entre le signifiant et de signifié peut être plus grande que dans les autres arts (une musique joyeuse peut exprimer l'allégresse des amoureux, comme, à la rigueur, la victoire du socialisme sur le capitalisme...). La nature non- verbale et affective de la musique est d'ailleurs à la base de la musicothérapie qui, sur le plan mondial, constitue la discipline la plus structurée du mouvement de l'art-thérapie (qui utilise également les arts plastiques, le théâtre, la danse...). Qu'elle soit concrète ou abstraite, la peinture elle, est représentative, dans la mesure où elle offre au regard un contenu bien délimité. On remarquera par ailleurs que de récentes études d'asymétrie fonctionnelle semblent révéler des manières différentes de fonctionnement cérébral suivant le sexe. Le cerveau gauche est responsable de la plupart des aptitudes linguistiques, alors que le droit intervient essentiellement dans les activité non verbales. Cette distinction est plus marquée chez les hommes, qui spécialisent davantage leur hémisphère gauche. En revanche, s'ils possèdent un talent musical (de compositeurs ou d'instrumentistes), cette latéralisation est moins prononcée, alors qu'elle augmente chez les femmes. Les activités musicales semblent donc inverser la répartition normale des investissements neurologiques.
Mais le discours de la neurologie est neutre : il ne peut nous renseigner sur le fait de savoir si les émotions, les passions, sont bonnes ou mauvaises. Jusqu'ici, nous avons envisagé les réponses penchant du second côté. Il convient maintenant d'envisager des avis plus tempérés.

Section II : La passion maîtrisée

En 1688, Charles Le Brun livre à l'Académie royale de peinture et de sculpture sa définition de la colère, une passion souvent représentée :
« La colère est une agitation turbulente que la douleur et la hardiesse excitent dans l'appétit, par laquelle l'âme se retire en elle-même pour s'éloigner de l'injure reçue, et s'élève en même temps contre la cause qui lui fait l'injure, afin de s’en venger ».
Tout à son effort de codification des passions, il livre la recette de sa figuration à l'intention des peintres :
«... Celui qui ressent cette passion a les yeux rouges et enflammés, la prunelle égarée et étincelante, les sourcils tantôt abattus, tantôt élevés et resserrés l'un contre l'autre, le front paraîtra ridé formant des plis entre les yeux, les narines paraîtront ouvertes et élargies... ».
L'opéra, qui est théâtre (Nathalie Dessay, une des meilleures coloratures actuelles, se définit comme : une actrice qui chante), abonde en représentations de la colère. Il associe souvent la fureur des éléments à celle des personnages, l'une soulignant l'autre dans le paroxysme des passions. S'inspirant de l’Eneide de Virgile, Monteclair compose en 1701une cantate, La mort de Didon. À la suite d'un naufrage, Enée est recueilli par Didon, la reine de Carthage. Elle en tombe amoureuse, mais Enée la trahit et repart vers l'Italie, obéissant aux ordres de Jupiter. Furieuse, Didon déchaîne alors la tempête pour l'engloutir :

« Tyrans de l'empire de l’onde,
Grondez, volez, vents furieux,
Élevez les flots jusqu'aux cieux
Que tout l'Univers se confonde ».
Elle se suicidera de désespoir.
[Illustration audiovisuelle : Plainte finale de Didon, dans : Purcell, Didon et Enée (1687), par W.Christie et Les arts florissants :When I am laid in earth, may my wrongs create no trouble in thy breast ;remember me, but ah !Forget my fate.]
Ces tableaux donnent lieu aux meilleurs emplois des magiciennes, expertes dans le déclenchement des tempêtes, telle l’Armide de Lully et Quinault, la Circé de Jean-Marie Leclair , la Médée de Pierre Corneille. Ils sont très attendus du public, fort sensible aux effets de machinerie dans l'opéra, à une époque où le cinéma et ses trucages, sans parler des hologrammes, n'existaient pas...

[Illustration sonore : -Marin Marais (1656-1728), Tempête, extrait
de : Alcyone  -audiovisuelle : Vivaldi, Agitata da due venti, extrait
de : Griselda]
Comment jugerions-nous la colère de l’amante déçue ? Sans doute de façon nuancée. Nous pouvons comprendre sa fureur, la justifier : c'est celle d'une amoureuse abandonnée, comme Ariane à Naxos, qui a inspiré à Racine des vers qui sont -peut-être- les plus beaux de la langue française :
« Ariane, ma soeur, de quel amour blessée,
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ! ».
Mais nous avons tendance à trouver sa mort déraisonnable, à y voir un excès, l'issue fatale d'une passion non maîtrisée. À notre époque plus encore, qui nous a habitués au fait que l'on puisse tomber plusieurs fois amoureux : même douloureuse, plaie d'amour n'est pas mortelle. Didon aurait pu avoir après Enée un autre prétendant, et couler des jours heureux avec lui, ce qui n'est certes guerre théâtral, mais reste dans l'ordre du possible et sans doute du souhaitable. On peut aussi imaginer qu'elle ait mis la même ardeur à essayer de le reconquérir qu'à faire lever la tempête : peut-être aurait-elle réussi à le détourner des dieux ?
Ce qui nous conduit à penser qu’en elles-mêmes, les passions ne sont ni bonnes, ni mauvaises : tout dépend de l'usage qu'on en fait.
Nous ne sommes pas loin de l'opinion de Descartes. Le philosophe avait commencé sa carrière par un ouvrage sur la musique ( Compendium Musicae, 1619). Il la termine en 1649 par un traité : Les Passions de l'âme. Cette étude décevra les philosophes, mais aura une immense influence sur les écrivains (La Fontaine, Racine), les musiciens (Lully, puis, au XVIIIe, les partisans de Rameau) et les peintres du siècle de Louis XIV. En fait, Descartes y parle tout autant du corps, car c'est la cause de ces états particuliers de l'âme. Descartes prévient bien d'ailleurs qu'il entend expliquer les passions seulement en physicien. Le corps perçoit un certain nombre de figures, qui sont une image partielle de la réalité, celle qui est perceptible par nos sens. Puis cette appréhension d'une figure est transformée en perception mentale ; ainsi, telle particule triangulaire de lumière est perçue par nous comme expression de la couleur rouge. Cette opération de transmutation s'effectue suivant un codage qui a été institué... par Dieu. Pour un esprit actuel, c'est évidemment là que le bât blesse, dans cette conception du Dieu bouche-trou sollicité pour résoudre une énigme. Au lieu de Dieu, nous dirions de façon plus neutre mais pas forcément plus claire : la nature. Mais peu importe ici. Dans ce processus, le rôle central est tenu par la glande pinéale, une petite glande située au milieu du cerveau, à laquelle l'âme est particulièrement reliée. C'est elle qui commande aux nerfs et aux muscles. À chacun de ses mouvements correspond une passion déterminée.
Comme nous le verrons quand nous étudierons la rhétorique des passions, la description de Descartes constitue le fondement théorique des essais de codification de ces états auxquels se sont livrés les artistes : si on considère comme élucidé le mécanisme de transcription des passions dans l'âme, il devient possible d'en décrire aussi l'organisation méthodique dans le corps. D'où une galerie de portraits-types, chacun d'entre eux étant censé exprimer le modèle d'une passion, de même qu'en musique, un sentiment donné sera associé à une tonalité. Encore une fois, peu importe qu'à l'heure actuelle, nous acceptions ou non les fondements de ce raisonnement. Ce qui compte, ce sont les effets auxquels on a cru.
D'autre part, cette description permet de comprendre que pour Descartes, à la différence des néo- stoïciens et des chrétiens conservateurs, il ne soit pas question de poser en idéal un homme sans passions. Tout simplement parce qu'elles sont naturellement, biologiquement, constitutives de l'humanité. Descartes affirme même qu' « ... elles sont toutes bonnes de leur nature », et termine son traité par ces mots :
«... La sagesse est principalement utile en ce point, qu’elle enseigne à [se] rendre tellement maître [des passions] et à les ménager avec tant d'adresse, que les maux qu'elles causent sont fort supportables, et même qu'on tire de la joie de tous ».
Les passions peuvent donc être profitables à l'homme, pourvu qu'il en soit le maître, et non l'inverse. Conviction qui se relie à la croyance fondamentale du philosophe dans le pouvoir absolu de notre libre arbitre : nous pouvons tout autant refuser notre bien que notre mal. Comme il l’écrit dans le même traité, l'homme a la « libre disposition de ses volontés ». De nos jours, le lecteur de Marx et de Freud en est sans doute moins convaincu. Mais encore une fois, ce qui importe pour nous est ici la possibilité d'une réhabilitation des passions.
Elle est d'ailleurs confirmée par des ecclésiastiques, car le clergé n'est pas d'un seul tenant.
Ainsi, quelques années avant le traité des passions de Descartes, le père Senault affirme en 1641 que Jésus lui-même a connu les passions humaines, en conséquence de son incarnation : quand il eut pitié de Marie-Madeleine, ou qu’il éprouva du chagrin à la mort de Lazare, avant de le ressusciter. Opinion que confirmera Bossuet (1627-1704). En 1684, le père Ameline écrit quant à lui que les passions, pourvu qu'elles soient alliées de la raison, peuvent tout à fait habiter un chrétien :
« L'amour, la crainte, la tristesse et la joie, que la raison fera naître et qu'elle réglera dans leurs mouvements, ne seront donc point des passions condamnables dans un chrétien ».
Un peu plus tard, Fénelon (1651-1715), archevêque de Cambrai, ira beaucoup plus loin en écrivant sur un ton sceptique qu'il ne sert à rien de s'en remettre à la raison : « À quoi aboutit cette sagesse que l'on vante tant ? Elle ne redresse point les moeurs des
hommes ; elle ne se tourne qu’à flatter et contenter leurs passions. Ne vaudrait-il pas mieux n'avoir point de raison, que d'en avoir pour exécuter et pour autoriser les choses les plus déraisonnables ? ».
À ce moment, il est moderne.

Mais la cause des passions n'est point entendue pour autant. Il y a débat, et des plus vifs.
Pierre Nicole (1625-1695), professeur à l'abbaye de Port-Royal dont il exprime les idées, s'attaque aux romanciers et auteurs de théâtre, qui sont d'autant plus pernicieux qu'ils affectent de peindre les passions en termes moraux. En fait, il n’y a de passions que mauvaises :
« Un faiseur de roman et un poète de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles, qui se doit regarder comme coupable d'une infinité d'homicides spirituels, ou qu'il a causés en effet, ou qu'il a pu causer par ses écrits pernicieux. Plus il a eu soin de couvrir d'un voile d'honnêteté les passions criminelles qu’il décrit, plus il les a rendues dangereuses, et capables de surprendre et de corrompre les âmes simples et innocentes ».

[Illustration audiovisuelle : L'hostilité de l'Eglise au théâtre à l'époque de Molière]

Pour lutter contre les passions, il ne sert à rien, au contraire, de les représenter : il faut tout bonnement les éliminer. Le débat est moins obsolète qu'il n'y paraît. Il suffit pour cela de penser à la polémique actuelle sur la représentation de la violence dans les jeux vidéo ou les films regardés par les enfants (on pense par exemple à Scream, qui aurait inspiré un jeune criminel) : est-elle purgative (on l’a longtemps soutenu) ou déclenche t’-elle le passage à l'acte (on commence à le penser) ?



Une autre question agite les esprits au XVIIe : en deçà du spectateur, l'auteur lui-même doit-il être habité par la passion qu'il illustre ? Une anecdote concernant Poussin donne peut-être la réponse. Le peintre avait exécuté pour Jacques Stella un Crucifiement. Son commanditaire lui demande alors un Portement de Croix. En 1646, Poussin lui écrit :
« Je n'ai plus assez de joie ni de santé pour m’ou de engager dans ces sujets tristes. Le Crucifiement m'a rendu malade, j'y ai pris beaucoup de peine, mais le porte-croix achèverait de me tuer. Je ne pourrais pas résister aux pensées affligeantes et sérieuses dont il faut se remplir l'esprit et le coeur pour réussir à ces sujets d’eux- mêmes si tristes et si lugubres. Dispensez m’en s'il vous plaît ».
Poussin est un peintre classique, s'il en fut, et contemporain de Le Brun.
Il semble ici étonnamment voisin de l'artiste romantique, dont l'oeuvre est censée traduire la vérité intérieure. Pourtant, c'est là commettre un contresens. Il applique plutôt la leçon de Descartes, qui consiste à se représenter les choses que la nature a jointes à nos passions : un spectacle douloureux pour provoquer la souffrance, par exemple.
C'est bien le ressort du théâtre et de l'opéra : mettre en scène, à proprement parler, des passions, notamment l'amour, qui règne en maître dans la tragédie française du XVIIe (ce qui inquiète d'ailleurs Corneille, qui, en 1660, écrit qu’il voudrait voir davantage représenter l'ambition ou la vengeance) . Mais on revient alors aux attaques de Port-Royal : la description des passions n'entraîne-t-elle pas aux passions ? Évidemment, les gens de théâtre s'en défendent : le spectacle des passions doit au contraire en purger le spectateur. À preuve d'ailleurs le fait que leurs tragédies peignent toujours la passion déréglée, dans toutes ses outrances conduisant au malheur, qu'elles reposent toujours sur le conflit entre le devoir et la passion. D'ailleurs, des personnages bien menés doivent toujours obéir à la règle de convenance. C'est-à-dire être conformes aux spécificités de leur sexe, de leur statut, de leur âge, etc. Autrement dit, conforter l'ordre existant. Mais les plus grands auteurs ne s’y conforment pas toujours. Ainsi de Racine avec le personnage de Pyrrhus dans Andromaque : amoureux d’Andromaque, Pyrrhus exerce un chantage sur la vie de son fils Astyanax, procédé indigne d'un roi. Racine s’en tirera en peignant magnifiquement un personnage déchiré entre son statut et sa passion, comme Phèdre, une reine, mère de famille de surcroît, pourtant devenue la proie de la passion amoureuse.
Sans doute apprécions-nous à juste titre dans le procédé le caractère humain des personnages, avec toutes leurs contradictions, qui sont toujours notre lot. Mais la critique de Port-Royal ne s'en trouve-t-elle pas en partie justifiée ? Dépeindre les passions de telle manière qu'on puisse les excuser, et le faire si bien qu'on parvient à s’y reconnaître, n'est-ce pas aussi en atténuer les poisons, en voiler le malheur ? La responsabilité de l'artiste est d'autant plus grande qu'il a du talent, que le mal peut être beau : Lucifer était l'ange porteur de lumière...
Mais l'histoire a donné tort à Port-Royal : au tournant du siècle, la cote de la passion est à la hausse.

Section III : La passion à la hausse
Signe des temps,  l'amour passe au premier plan des passions, qu’il fédère. Le père Senault l’affirme ; Bossuet (1627-1704) le dira à son tour :
«Ôtez l'amour, il n'y a plus de passions ; posez l'amour, vous les faites naître toutes ».
Ne commettons pas de contre-sens : il ne s'agit pas seulement de l'état des amoureux, mais de toutes les formes d'amour, y compris l'amour-propre, l'amour de soi.(Bien longtemps après,Freud exprimera une idée similaire).
Un symptôme encore plus frappant : à partir de la seconde moitié du XVIIe apparaît le portrait d'acteur. Ceux-ci sont représentés non pas sous le couvert de leur domaine privé, qui aurait pu neutraliser leur art, mais dans l'exercice de leur profession, pourtant si décriée par certains. Qui plus est, on y trouve aucune intention caricaturale, mais au contraire l’hyperbole de la louange. Peut-être est-ce Largillierre (1656-1746) qui donna le ton. Il peint en Ariane Mlle Duclos, actrice célèbre , membre en 1693 de la Comédie-Française, avec une légende vantant son talent, qui se termine par ces mots : « je sens tout ce que tu feins ». Les yeux levés au ciel, les bras ouverts, elle semble en proie à l'émotion. Son contemporain, Jacques Raoux (1677-1734) , présente vers 1725 Mlle Prévost en bacchante de manière nettement plus galante. Une grappe de raisin à la main, elle danse au son des flûtes, tandis qu’en arrière- plan, des couples font la ronde. Elle porte sur la poitrine un voile très léger, qui ne cache rien de son sein. Il est vrai qu'on l'accusait d’être de moeurs légères...
[Illustrations visuelles :
-Nicolas de Largillierre (1656-1746), Portrait de Marie-Anne de Châteauneuf (dite : Mademoiselle Duclos) dans le rôle d'Ariane, Paris, Comédie Française
-Jean Raoux (1677-1734) :
. Portrait de Mademoiselle Prévost en bacchante, Musée des Beaux-Arts, Tours
. Portrait d'une femme au collier de perles, Musée des Beaux-Arts, Marseille
-Jean-Baptiste Santerre (1658-1717), Portrait d'une jeune femme dévêtue, Musée Toulouse-Lautrec, Albi
-Claude Mellan (1598-1685), Femme à la souricière, BNF, Cabinet des estampes, Paris
- Nicolas Poussin (1594-1665), Sacrifice à Priape, dit : Le triomphe de Pan, Le Louvre, Paris]

a) La montée du plaisir

Quoi qu'il en soit, la montée du plaisir est manifeste : le portrait exprime de plus en plus l'amour charnel. Plus largement, on peut parler d'un principe de plaisir dans l'art du XVIIe. Les corps des saintes et des saints sont souvent attirants. Les nus se multiplient, bien que nombre d'entre eux ne nous soient pas parvenus, car ils heurtaient les recommandations du concile de Trente. Dans la littérature, qui inspira beaucoup d'opéras et de pièces de théâtre, l'ancien couple amoureux de Vénus et d’Adonis est concurrencé par de nouveaux arrivants : Angélique et Médor, Tancrède et Herminie, et surtout Renaud et Armide, la magicienne qui par ses sortilèges fait oublier au héros ses devoirs : Lully et Haendel, entre autres, s'en inspireront.

[Illustrations audiovisuelles :
-Haendel, Je veux tout, Air d’Armide, extrait de : Rinaldo
-Haendel, La magicienne abandonnée, extrait de :Alcina]

Sans doute plus important, au-delà des thèmes, c’est l’esprit même de l'esthétique qui change : le plaisir, et non plus seulement l’imitation, suivant la vieille leçon d'Aristote, devient progressivement la fin de l'art. Certes, on s'était déjà aperçu (notamment Descartes) que le plaisir au théâtre venait non seulement de la représentation de passions positives (l'amour heureux, la joie), mais aussi négatives ( le chagrin, le malheur ): ce qui explique entre autres, aujourd'hui, le succès des films d'horreur... Mais plus encore, le mouvement général des arts traduit cette montée du plaisir. D'abord en peinture, à travers la querelle de la couleur et du dessin : quel est l'élément le plus important, la ligne (descriptive, analytique), ou la couleur (synthétique, qui vise l'ambiance) ? Le débat avait déjà ses partisans au Quattrocento, dominé par l'esthétique linéaire régie par la perspective. Au XVIe siècle, les Florentins sont pour le dessin, les Vénitiens pour la couleur. Mais c’est au XVIIe , avec la querelle dite du coloris, que le conflit prend toute son ampleur avec l'affrontement du Flamand Pierre-Paul Rubens (1577-1640), auquel il faut rattacher Le Titien, et du Français Nicolas Poussin (1594-1665), maître du classicisme.

[Illustration visuelle (diapositive) : Rembrandt, Le Christ et la femme adultère (1644), Londres, National Gallery]


Ce dernier est attaché à la maîtrise d'un langage clair, accessible à tous et susceptible de transmettre une vérité, d'ordre moral ou religieux : il faut donc éviter tout risque d'obscurité, d'ambiguïté.

[Illustration visuelle (diapositive) : Nicolas Poussin, La mort de Germanicus (1627),The Minneapolis Institute of Arts, Fonds William Hood Dunnwoody]


À l'opposé, le portraitiste Champaigne (1602-1674) et Nocret, dans leurs commentaires des tableaux de Titien et de Véronèse, vantent les qualités de la peinture vénitienne. Leur parti l’emportera, et avec lui une nouvelle manière de regarder un tableau, beaucoup plus globale, avec des masses de clairs et de sombres et des dégradés de couleurs, fondues dans une dominante. L’hédonisme passe désormais avant la nécessité d'instruire.
Même trajet en musique, mais avec un siècle de retard. Il faudra attendre les années 1750 pour que s’affrontent les partisans de l'harmonie, de l’ordre rationnel (Rameau) et ceux de la mélodie, de la sensibilité (Pergolèse,Jean-Jacques Rousseau) : là encore, les seconds l’emporteront.
Entre ces deux moments, le même mouvement est perceptible en littérature, autour de 1674. Analysant la catégorie du sublime, Boileau (1636-1711) affirme qu’on peut reconnaître qu’un auteur atteint son but à l'émotion ressentie par le spectateur :
« Une chose est véritablement sublime qui plaît toujours, et à tous les
hommes ».
Or, comme le note bien P.Malgouyres, ce déplacement vers le récepteur de l'oeuvre d'art marque la sortie du classicisme, bien que Boileau en soit un des maîtres. En effet, c’est s’en remettre aux émotions du spectateur, à leur incertitude et à leur caractère fluctuant, plus qu'à la croyance en un langage codé, déterminé une fois pour toutes, base des classifications d'un Le Brun, langage qui serait perceptible à la fois par l'auteur et le récepteur.


b) La perte du sujet en peinture et en musique

Parallèlement, on note en peinture les commencements d'une évolution capitale : la perte du sujet, au nom de la recherche d'une expressivité maximale. Ce phénomène est de plus en plus perceptible entre 1650 et 1720. À la mort de Louis XIV déjà (le phénomène ne date donc pas d'aujourd'hui seulement...), l'abbé Du Bos constatait que les spectateurs avaient du mal à identifier les sujets des tableaux :
« Déjà les peintres, dont on grave les ouvrages, commencent à sentir l'utilité de ces inscriptions [qui les expliquent] et ils en mettent au bas des estampes qui se font d’après leurs tableaux ».
Charles Antoine Coypel (1661-1722) confirme que le talent du peintre dépend de sa capacité de toucher :
« Le peintre le plus parfait est celui qui [...] sait émouvoir l'esprit des spectateurs avec force ; celui qui le fait médiocrement est un peintre médiocre et celui qui ne le fait pas usurpe le nom de peintre ».
Parallèlement, se met à changer la hiérarchie des sujets des peintures, qui privilégiaient les scènes d'histoire et leur côté héroïque, tandis que le portrait était situé au bas de l'échelle. Plus proche de l’humain, il est maintenant en vogue. Les sujets amoureux, notamment sous la forme aimable de l'idylle, se mettent à proliférer au tournant du siècle.
On l'aura compris, l'essentiel est devenu l’émotion ; la passion fait figure de plaisir autonome. Et la peinture se surprend à parler d'abord d'elle-même :
« Bientôt, on pourrait s'exclamer devant une raie éventrée sur un étal de cuisine, devant un coup de pinceau artistement posé ».
La musique connaît la même évolution : petit à petit, elle se détache du texte, son guide. Et même de la voix. Phénomène radicalement nouveau : la musique instrumentale prend son essor dans la deuxième moitié du XVIIe., non sans d'ailleurs inquiéter. On se souvient de la fameuse apostrophe de Fontenelle :
« Sonate, que me veux- tu ? » ; on sait que les manuels de savoir-vivre recommandaient aux maîtres de maisons d’abréger les concerts de musique instrumentale afin de ne pas lasser leurs invités.
L’Église enfin lui fut hostile tout au long du XVIIIe siècle (dans les années 1780,un édit du gouvernement autrichien restreignit même son emploi dans les églises). Cela non sans logique : la musique vocale, exprimant par nature des paroles (ici, des textes sacrés) lui paraissait mieux servir le culte.
Non seulement nous sommes habitués à écouter des concerts dans les églises, mais nous avons du mal à saisir toutes ces réticences, car nous pensons spontanément que la musique classique est surtout instrumentale. Mais d'une part, cette prédominance est relativement récente. D'autre part, elle n’est plus certaine du tout quand on se réfère à ce qu’est aujourd'hui non plus la seule musique classique, mais l'ensemble de la musique : dans la musique dite de variétés, la voix a retrouvé son caractère dominant, sous la forme de la chanson.
Dans la seconde moitié du XVIIe, l’ascension de la musique instrumentale s'explique par la même raison que son retard. Tant que le sens, le sujet, étaient prioritaires, elle ne pouvait passer qu’après la musique vocale, fermement guidée par le texte. Quand ceux-ci s'éloignent et que l'émotion prend son autonomie vis-à-vis d’eux en même temps qu'elle devient première, la musique instrumentale ne peut que progresser. En effet, nous l'avons vu, le langage strictement musical est avant tout émotionnel, affectif : il persuade plus qu'il ne démontre. Dès lors, il est parfaitement adapté à la nouvelle esthétique.

[Illustration sonore : Jacques Gallot (?-avant 1699), La Jalousée, Suite en la mineur,dans : Figures de la Passion, Paris, Musée de la musique, 2001]

Celle-ci va provoquer au XVIIIe siècle un bouleversement dans la hiérarchie des arts, au profit de la musique. Elle était jusque-là inférieure aux arts plastiques. Son indépendance vis-à-vis d'un support sémantique était un inconvénient. Il se transforme maintenant en avantage : la place de la musique devient centrale, elle prédomine sur celle des arts figurés. Comme l'écrit G.Denizeau, comparant Joseph Haydn et Fragonard, tous deux des représentants de l'esthétique
du plaisir :
«... au XVIIIe siècle, une peinture « pure » fondée sur des données exclusivement plastiques est inconcevable. Fragonard re- présente l'univers sensible, comme Watteau ou Tiepolo l'ont fait avant lui, comme David le fera après lui. Devant les portées superposées et encore vierges sur lesquelles il s’apprête à écrire les parties de ses symphonies ou de ses quatuors, Haydn jouit en revanche d'une liberté inconnue des plasticiens. Il dispose d'un matériau, encore neuf au regard de l'histoire, la tonalité, et il reçoit de son époque, avec la symphonie et le quatuor à cordes, les deux moules formels qui se révéleront les plus aptes à féconder ce matériau ».
La passion a de beaux jours devant elle...

c) Le tournant philosophique

D'autant plus que des philosophes vont commencer à la regarder autrement.
Cette nouvelle approche date surtout du XIXe, siècle du romantisme, et échappe donc à la chronologie de notre investigation. Cependant, c’est bien pour l'essentiel à l'intérieur du XVIIIe que s'inscrit l'existence de Kant (1724-1804), qui marque le véritable tournant dans l’ inscription philosophique de la passion. Jusque-là, comme nous l'avons vu avec Descartes, la passion est synonyme d'affection, au sens d'événement venu de l'extérieur (par exemple, je suis affecté par la nouvelle d'un décès). Elle s’inscrit dans le dualisme cartésien entre le corps et l’esprit, le second n'étant atteint que par l'intermédiaire du premier.
Pour Kant, la passion devient le mode de réalisation par excellence de la subjectivité, le sujet tout entier est impliqué par elle. C'est la première fois dans l'histoire des idées que ce statut, d'où dérive notre conception moderne, est donné à la passion. Kant la définit comme un « désir sensible devenu une inclination constante ». Pour autant, il ne la légitime pas, car son caractère exclusif peut conduire au mal. Il recommande donc de la plier à la puissance de la raison. L'homme de bien doit être apathique, c'est-à-dire refuser de se laisser dominer par ses passions, ce en quoi on s'éloigne en revanche du romantisme.
Cependant, les romantiques se reconnaîtront volontiers en Hegel (1770-1831), qui pose la passion comme fondement de l'action : elle en détermine la force, lui est donc nécessaire. C'est le sens de la fameuse formule par laquelle Hegel relie la passion à l'accomplissement des grandes oeuvres. Contrairement à la plupart de ses devanciers, il distingue soigneusement le dynamisme passionnel de l'objet sur lequel il se focalise. C'est cet objet qui, selon sa nature, fera la passion bonne ou mauvaise et, plus précisément, le choix de cet objet par la volonté subjective, qui comprend aussi bien les désirs et les passions que les idées et les convictions de l'individu. Mais en elle-même la passion n'est porteuse d'aucun de ces deux caractères. Ce qui la distingue des autres attitudes, c'est plutôt son exclusivisme :
« La passion contient dans sa détermination, sa restriction à une particularité de la détermination volontaire où la subjectivité de l'individu est plongée tout entière-quel que soit d'ailleurs le contenu de cette détermination. À cause de cet élément formel toutefois, la passion n'est ni bonne, ni mauvaise ; cette forme exprime seulement ceci qu'un sujet a placé tout l'intérêt vivant de son esprit, de son talent, de son caractère, de sa jouissance dans un seul contenu. Rien de grand ne s'est fait sans passion, ni ne peut s'accomplir sans elle. Ce n'est qu'une moralité morte, trop souvent hypocrite, qui se déchaîne contre la passion comme telle ».
Un peu plus tard, Kierkegaard (1813-1855) poursuivra cette réhabilitation de la passion. Non seulement, comme pour Hegel, la passion est nécessaire à l'action, mais plus encore elle est consubstantielle à une véritable existence du sujet : on ne peut vraiment vivre que passionné. On mesure la distance parcourue depuis le classicisme français...

Mais au siècle suivant, Freud reviendra par sa propre voie, celle de l'analyse, sur la nécessité du contrôle des passions ,que doit notamment opérer le passage du principe de plaisir à celui de réalité. Plus encore, il pointe le rôle joué par la sublimation des pulsions sexuelles dans le mécanisme de création artistique. Sexuelles non seulement parce que pour cet auteur la sexualité est à la base de nos passions, mais parce qu'elle contient un potentiel d'énergie incomparable, mobilisable pour l'action, à condition qu'elle soit traduite en de nouvelles formes, traduction que réalise la sublimation. Il écrit ainsi en 1908 :
« La pulsion sexuelle met à la disposition du travail culturel des quantités de forces extraordinairement grandes, et cela par suite de cette particularité spécialement marquée, chez elle, de pouvoir déplacer son but sans perdre, pour l'essentiel, de son intensité. On nomme cette capacité d'échanger le but sexuel originaire contre un autre but, qui n'est plus sexuel et qui lui est psychiquement apparenté, capacité de sublimation ».
D'une façon nouvelle, on revient donc à l'exigence maintes fois affirmée dans l'histoire de la philosophie du contrôle-ici de la transfiguration-des passions.
C'est que, comme d'ailleurs la sexualité, les passions sont dangereuses en ce qu'elles sont potentiellement porteuses de menaces contre l'ordre établi.
Le juriste en est bien convaincu.


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Chapitre IV : un couple mal assorti :

le juriste et la passion



Le contre-révolutionnaire A. de Rivarol (1753-1801) est resté plus que sceptique au sujet des événements qui ont déchiré la France à la fin du XVIIIe. La Révolution s'est exprimée sur de multiples registres. Notamment celui du droit. La période dite du « droit intermédiaire » (elle s'étend entre la Révolution et 1804, la date du Code civil) fut fertile en innovations : suppression des privilèges et de la conception communautaire des rapports sociaux basée sur la division du pays en ordres, ; égalité successorale entre les filles et garçons ; introduction du divorce, y compris pour incompatibilité d'humeur, ce qui était faire la part belle aux sentiments et à leurs revirements.
Par contraste, Rivarol est un réaliste. Il dénoncera souvent le caractère abstrait des idéaux révolutionnaires. Pour lui, les lois doivent être d’utiles garde-fous contre les errements, non l'expression de chimères :
« Les habits gênent un peu les mouvements du corps, mais ils les protègent contre les accidents du dehors : les lois gênent les passions, mais elles défendent l'honneur, la vie et les fortunes ».
Le droit serait-il toujours à la recherche de l'équilibre ? Beaucoup d'exemples paraissent incliner à une réponse affirmative. Ainsi de notre droit patrimonial du mariage. Comme on ne le sait en général pas (le réveil est parfois douloureux en cas de divorce), la loi soumet automatiquement tous les époux qui n'ont pas passé de convention devant notaire au régime de la participation réduite aux acquêts. Chaque époux demeure propriétaire des biens qu'il possédait avant son mariage ; ceux acquis pendant le mariage forment une masse commune. Attitude de prudence entre deux extrêmes. L'amour fusionnel exigerait la communauté universelle, faisant suivre aux biens le même trajet que semblent emprunter les corps et les coeurs. Considérant que parfois ce chemin n'était pas sans retour, le législateur a voulu prémunir les époux contre les changements de cap. Dans la pratique, la communauté universelle n'est donc adoptée que par des vieux couples (le danger de la rupture est devenu minime), essentiellement pour des raisons fiscales (avantage au conjoint survivant). À l'autre bout de la chaîne des sentiments, la séparation de biens : chaque époux demeure propriétaire des biens acquis avant et pendant le mariage. Il y aurait des raisons, au nom du réalisme, à en faire le régime légal : le couple est de plus en plus défini comme la libre association de deux individus, qui conservent leurs spécificités (des sociologues ont même récemment parlé du passage du mariage fusionnel au mariage fissionnel) ; dans la France actuelle, 40 % des mariages se terminent par un divorce. Pourtant, ce pas n'a pas été franchi : pour le droit, le mariage n'est certes pas défini prioritairement comme une passion (nous avons vu qu'en 1972 la Cour de cassation a affirmé que l'amour n'était pas nécessaire au mariage) ; il reste que la communauté de sentiments, même réversible, doit trouver un reflet dans l'organisation patrimoniale de la famille.
D'autre part, comme on le sait, un des fondements de la Révolution (il est resté à la base de notre droit positif) fut la prise en compte des droits individuels. Il sont notamment à la base de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, que le même Rivarol définissait d'une phrase lapidaire comme « la préface criminelle à un livre impossible ». Nous avons vu la solidité du couple formé par l'individu et les passions. Ce qui nous amène à nous poser une autre question : si le droit paraît a priori réservé quant aux passions, l’est-il aussi par rapport à l'individu ?
Ce n'est qu'après avoir répondu à ces deux premières questions que nous pourrons en aborder une troisième : comment s'y prend le droit pour répondre à l'impératif avancé par tant de philosophes, contenir les passions ? Mais il arrive qu'il soit impuissant à les endiguer. Dans des cas extrêmes, le sujet assailli par la passion peut tuer, par jalousie ou parce qu'il ne supporte pas d'être
abandonné : on peut mourir ou donner la mort par amour... ou ce qu'on croit être tel. Il faudra donc terminer sur le point d'orgue douloureux du crime passionnel.

Section I : L’équilibre est-il la fin du droit ?

Apparemment, oui.
Suum cuique tribuere (attribuer à chacun son dû) disaient déjà les sages Romains pour définir le but du droit. Plus près de nous, les jusnaturalistes (les partisans du droit naturel), à la suite d'Aristote et de Saint-Thomas, définissent le droit comme « la juste répartition des biens et des choses entre les membres d'une société déterminée », une manière de fixer ce qui revient à chacun. Mais une manière juste, c'est-à-dire ni plus, ni moins que ce qui lui est dû. Tâche qui incombe au législateur et au juge (au juge surtout, d'après les jusnaturalistes). Les positivistes, qui comptent parmi leurs adversaires les plus déterminés, font allusion à une autre sorte d'équilibre, celui qui règne entre les normes emboîtées dans des rapports hiérarchiques . Toute norme tire son caractère contraignant de la norme qui lui est supérieure, d'où l'image d'une pyramide couronnée par la Constitution, et, au-delà, l'hypothétique Norme fondamentale. D'autre part, suivant le principe d'exclusion des contraires, une norme inférieure ne peut s'imposer à une norme supérieure. Cette représentation (construite au début du siècle par Kelsen, le grand juriste autrichien) est aujourd'hui celle de la majorité des constitutionnalistes français. En droit positif, elle semble validée par le fait incontestable résidant, dans les Etats de droit, dans le développement de la justice constitutionnelle : une loi légalement votée, en dépit de son lien avec la souveraineté populaire, peut se voir invalidée parce que jugée non conforme à la Constitution. Comme le fait remarquer D.de Béchillon, on ne conçoit pas dans les pays occidentaux « ... qu'un système juridique ne soit d'abord et avant tout composé par l'image d'une hiérarchie de normes, chaque règle ayant à se conformer à l'ensemble des règles « supérieures », celles-ci gouvernant par ailleurs la formation de celles-là ».
On le voit, la notion d'équilibre, qu'on le place dans la justice, la mesure des choses ou la hiérarchie paraît centrale au droit, puisqu'on la retrouve dans des écoles opposées. Plus près de nous, des personnalités indépendantes s'y rattachent aussi.
Au début du XXe siècle, le doyen F.Gény (1861-1959) pense que le droit, par essence, exclut «...l’anarchie comme chose essentiellement contraire aux aspirations et nécessités de notre nature ». Une idée à laquelle souscrirait la plupart de nos contemporains, voyant en l'anarchie une dangereuse rupture d'équilibre.
P.Jestaz, un auteur actuel sensible à la démarche de l'anthropologie juridique, voit aussi dans le droit des Etats démocratiques la recherche d'un certain équilibre, dont la forme minimale consiste dans un accord de non- recours à la force brutale : l'affrontement n'est pas interdit, mais il doit se faire dans des formes établies, devant le juge.
On remarquera aussi que certaines règles le neutralisent, et même l’effacent de la scène judiciaire. Ainsi de la prescription. On peut ne plus être en droit d’intenter une action si on laisse passer certain délais, même si on a des titres juridiquement légitimes à exercer ce recours judiciaire. On postule en effet que l'écoulement du temps peut laisser entendre le peu d'intérêt que le plaignant tardif avait à la mise en oeuvre de son droit ; plus encore que la sanction serait inopérante ou inutile, la situation des parties s'étant modifiée depuis trop longtemps. Ici encore, on cherche à ne pas troubler abusivement un équilibre qui s'est restauré, avec plus ou moins de difficultés. Le motif qui guide le principe d'opportunité des poursuites est voisin : en renonçant à les exercer, le représentant de l'autorité publique ne juge pas que les faits fondant l'action du demandeur sont inexistants, mais que leur insignifiance ne justifie pas la mise en branle de la machine judiciaire. On ne peut attendre du juge qu'il répare tout. La restriction ne concerne pas que le pénal. Un adage bien connu du droit romain dit que le magistrat ne peut donner une action à tout le monde : de minimis non curat praetor. Le principe s’est perpétué. Au civil, l'article 31 du Code de procédure civile de 1975 fait de l'intérêt une condition de l'action en justice.
Non pas l'intérêt subjectivement éprouvé par le candidat au procès, mais celui juridiquement signifiant, qui exige un minimum de sérieux, de raisonnable, autrement dit de dépassionné.


Un préjudice anodin n’ouvre pas droit à réparation. Le raisonnable ne se confond pas nécessairement avec la modicité de l'objet : en matière immobilière, la jurisprudence a sanctionné des empiétements de quelques centimètres, jugeant que ceux-ci portaient atteinte à des principes importants. D'autre part, il peut varier suivant les moeurs. Un regard impudique (par exemple, celui porté sur une nageuse dans une piscine, il est vrai aux États-Unis) peut ainsi relever ou non du harcèlement sexuel, dont l'obsession rejoint la passion, même si elle est ici considérée comme vicieuse. En revanche, le promeneur qui, sur la plage, effleure (il ne faudrait pas trop insister) du regard les poitrines féminines éventuellement dénudées, ne sera pas sanctionné.
Mais quittons ces rives ensoleillées pour revenir aux analyses de P.Jestaz. Dans un autre texte, il montre bien que pour un juriste, au moins français, le « beau droit » est celui qui fait preuve avant tout d’ élégance, dans la clarté et la précision. Nul doute que dans la Querelle des Bouffons, les juristes auraient été du côté de Rameau, contre Jean-Jacques...
Pour illustrer d'un dernier exemple ce mouvement du droit vers l'équilibre, on peut aussi citer la notion de bonnes moeurs. L'article 6 du Code civil interdit les conventions qui dérogeraient aux lois intéressant l'ordre public et les bonnes moeurs. L'art. 1133 prohibe les contrats quand leur cause est illicite, c'est-à-dire contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public. On a pu ainsi qualifier un contrat d'assurance-vie souscrit par un homme marié en faveur de sa maîtresse dans le dessein de prolonger leur liaison adultère. Les donations qui ont eu
« pour cause impulsive et déterminante la formation, le maintien ou la reprise des relations immorales » : en fait, le concubinage, simple ou adultérin. On annulera aussi une « convention de strip-tease » pour exploitation condamnable de la nudité féminine. En droit pénal, les bonnes moeurs ont vu leur champ se restreindre : aujourd'hui, elles ont en tant que telles disparu du nouveau Code pénal, mais elles subsistent en filigrane dans les prohibitions contenues par l'article 227-24 du Code pénal nouveau, visant :
« le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message (...) lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ».
En ce qui concerne les adultes, l'interdit est limité à l'oeuvre pédophile (art. 227-23).
Quel que soit le jugement que l'on porte sur leur bien-fondé, les bonnes moeurs sont celles de l'individu moyen, dont on attend un comportement-type, supposé sain, devant servir de référence comme le niveau habituel des moeurs actuelles. Construit en fonction de la normalité, du plus courant, le droit travaillerait donc à rebours des entraînements de la passion.

Pourtant, il lui arrive d'être passionné.

Section II : Le droit, passionnément

Le droit n'est pas toujours à la traîne des moeurs, comme on le lui reproche souvent. Les révolutionnaires l’ont souvent utilisé pour créer l'homme nouveau.
La Révolution française non seulement autorisa le divorce, mais institua celui pour incompatibilité d’humeur, ouvrant une large voie à tous les revirements des passions, et notamment aux nouvelles amours. Même à notre époque, où l'on médite de supprimer la faute en matière de divorce, on n'a pas marqué pareille audace... D'ailleurs, elle dura peu : en 1804, le Code civil supprima cette cause . Son article 298 prévoyait même que « Dans le cas de divorce admis en justice pour cause d'adultère, l’époux coupable ne pourra jamais se marier avec son complice ». Ce qui sanctionnait la passion, à défaut, sans doute, de l’empêcher...
Une autre révolution, la bolchevique, s'attaqua aussi au mariage, avant de valoriser la famille comme instance d’inculcation de l'idéologie communiste. Plus tard, Mao considérera que le droit était superflu (il déclara même ne plus se souvenir de la Constitution, qu'il avait pourtant rédigée), lui préférant le mouvement-les passions ?-des masses populaires (plus prosaïquement, les campagnes de propagande du Parti).
On objectera à juste titre que ces exemples concernent des périodes de l'histoire bien particulières, peu marquées par le souci de ce que nous appelons aujourd'hui la démocratie. Mais il est d'autres manières de se passionner pour le droit.
Comme Jhering (1812-1892) et son Kampf um’s Recht, on peut s’y dévouer par attachement à la justice. Les révolutionnaires français se sont quant à eux distingués par leur passion d'une source du droit : les lois. Parce qu'elles étaient censées jaillir de la volonté populaire, qui sacralisait tout. Il y eut ainsi un club des amoureux de la loi (les nomophiles). Cet amour des lois fut d'ailleurs inscrit en de courtes maximes sur des objets usuels, comme les assiettes et les plats dits révolutionnaires : on ne les trouve guère plus aujourd'hui que chez les antiquaires, où ils expriment moins l'ardeur que l'exotisme. On peut aussi voir dans le droit le conservatoire d'identités, consubstantielles à l’être, à l'âme d'un peuple : c'était le cas de toute une école de juristes allemands du XIXe, guidée par Savigny ; on retrouve aujourd'hui cette impulsion chez les minorités et peuples autochtones, qui voient dans la reconnaissance d'un droit propre l'expression de leurs particularités culturelles, notamment sur les plans religieux et linguistique. Dans une ambiance quelquefois plus trouble apparaît le passionné des procès : chaque Palais de justice compte des spectateurs habitués, du pénal surtout. Enfin, la passion du droit peut être celle de l'art du juriste : juger, légiférer. Légiférer surtout, une passion bien française. Certainement par attraction de l'histoire. Un souci de clarté, de subdivision, de classification inspira les codes à l'état naissant. Ils y réussirent souvent. La preuve en réside dans la longévité de leurs principes : les codes de la période napoléonienne s'inspirèrent largement de ceux rédigés sous Louis XIV. Le droit romain lui-même dut son succès pendant une très longue période (le droit français ne commença à être enseigné dans les Facultés qu'à la fin du XVIIe siècle) à la perfection de son architecture, qui permit son réemploi longtemps après que l'Empire eût disparu. À l'heure actuelle, il y a toujours une exception française. Non pas que le recours au juge soit ailleurs moins intense. Au contraire, en Allemagne, plus encore aux États-Unis, les prétoires sont engorgés. Mais les Français aiment la loi pour elle-même, la conçoivent moins comme l’effet d'un besoin que la croyance en un principe fondateur, et même salvateur. Tout ne se passe pas pour autant dans les cieux des abstractions où les tréfonds de l'histoire. Le doyen Carbonnier note à juste titre que le discours prononcé à Bayeux (en 1946) par le général De Gaulle, la création de l'ENA étaient les signes annonciateurs de la constitutionnalisation du droit français en une sorte de bulle. Elle explose aujourd'hui «... et c'est ce brouillard qui pénètre tout, nous aveugle, nous rend incapables de concevoir les rapports entre les hommes autrement que comme des rapports de droit (…) si la Vème République, qu'elle penchât à droite ou à gauche, a globalement péché, c'est par trop de droit et par la passion d'y ajouter ».
Pourquoi le péché ? Notamment parce que la passion finit par épuiser son objet, comme il arrive qu'elle excède l’amant dans les rapports amoureux. Les juristes le savent bien, trop de droit conduit à son effacement : l’ineffectivité est la voie par laquelle se rappelle aux nomophiles le principe de réalité. Ces termes analytiques dessinent une énigme. Nous avons vu que la passion constitue un mécanisme de défense de notre psyché contre l'angoisse. De quelles angoisses les Français entendent-ils se prémunir dans leur passion pour le droit ? La question dépasse notre propos, mais il est bon de se la poser...
Une des réponses consiste probablement dans le sentiment d'isolement croissant propre aux sociétés modernes .S’il choisit de refuser le repli communautaire et ses assurances parfois mortifères, l'individu attend du droit un effet protecteur en même temps que la confirmation ou la création d'un certain nombre de liens. La valorisation actuelle des droits de l'homme participe de ce mouvement. La constitutionnalisation de notre droit positif aussi, dans la mesure où le juge constitutionnel l'évalue en le confrontant à un certain nombre de textes, dont la Déclaration de 1789.
Mais bien avant que se manifestent ses possibles dérives, la prise en compte de l'individu, que nous avons vu se manifester dans les arts, a constitué une source fondamentale de progrès pour le droit.

Section III : Le droit et la découverte de l'individu

Guillaume d’Occam (1285-1349) : ce nom s’impose de manière absolue à qui veut comprendre l'émergence de l’individu dans la pensée occidentale. Il s'agit d'un clerc (un Frère mineur, formé aux écoles d'Oxford), fondateur du nominalisme. En désaccord avec le pape, il trouva refuge auprès de l'Empereur d'Allemagne . Ses idées étaient à vrai dire révolutionnaires. Il enseignait que des affirmations fondamentales comme celle de l'existence de Dieu ou l'immortalité de l’âme ne sont pas démontrables : on accède à Dieu par l'amour et la confiance en sa révélation. D'autre part, seuls existent réellement des être singuliers. Les catégories génériques (le citoyen, le noble, le paysan , etc.) sont des commodités de langage, des noms (d’où le terme de nominalisme) : les universaux n'ont pas d'autre existence que mentale. Ce n'est plus la raison qui gouverne la volonté, mais l'inverse. De cette volonté procède la loi. Mais de quelle volonté
s'agit-il ? Celle de l'individu, du sujet, ce qui est un tournant par rapport à la tradition augustinienne. C'est à partir de l'individu que le droit s'élabore. On passe ainsi d'un droit naturel rattaché à la nature divine (l'ordre des choses voulues par Dieu), comme dans la théorie de Saint-Thomas, à un droit naturel fondé sur la nature humaine. On a qualifié ce processus d’anthropologisation du droit.
De cette révélation naquit la notion de droit subjectif, attaché au sujet. L'expression ne date que du XIXe siècle. Mais c'est bien à Occam qu'il faut rapporter le concept qu'elle recouvre, qui marque le triomphe du système individualiste. Elle se répandra ensuite dans la Scolastique du bas Moyen- âge, la Renaissance espagnole et, surtout à partir du XVIIe siècle, dans les théories des juristes.
Une fois de plus, nous avons du mal à saisir la nouveauté de cette découverte, tant nous sommes habitués à la notion de droits individuels, surtout en France, patrie de la Déclaration de 1789. Mais pendant la majeure partie de notre histoire-et c'est toujours le cas dans nombre de pays à l'heure actuelle-la personne singulière ne se conçoit que dans ses relations avec des communautés qui se chevauchent (la famille, le village, les co-religionnaires, etc.). En droit romain, le terme de droit-ius-est défini comme le caractère du juste (id quod iustum est). C'est-à-dire ce qui doit être attribué à quelqu'un par rapport aux autres. Dans les théories individualistes, le droit est relié par essence à son sujet: même isolé sur une île déserte, ce sujet en est toujours titulaire. C'est la base des droits de l'homme : ils appartiennent à tout homme, par le fait qu'il est homme. Mais l'homme ne vit pas isolé ; et la plupart du temps, au moins pour les modernes, son existence sociale s'inscrit dans le cadre d'une organisation étatique. Aux termes d'un contrat social, il revient à l'Etat de garantir ses droits individuels. C’est, entre autres (par exemple : Grotius (1583-1645),Locke (1632-1704),Kant (1724-1804),Leibniz (1646-1716), la philosophie politique de Hobbes (1588-1679 ) : l'état de nature est la guerre perpétuelle, puisque chacun y est fondamentalement libre. Pour mettre fin à une situation invivable, il faut donc faire garantir ses droits (et du même coup, les limiter) par une autorité supérieure, s'exprimant par la loi. Pour Locke, l'état de nature est au contraire bénéfique, mais perfectible, d’où encore le contrat social. Mais c'est toujours la volonté individuelle qui fonde la société et l'Etat. Pascal (1623-1662) déduira l'existence de Dieu non du cosmos, mais de la nature humaine, après que Montaigne (1533-1592) se soit penché sur son moi dans les Essais.
Descartes (1596-1650), enfin : le cogito prend comme point de départ le sujet, comme la perspective dans la nouvelle peinture, ou la musique alors moderne. Le monde n'est plus donné, révélé, mais construit par le sujet et son activité rationnelle.
Franchissons les siècles pour arriver dans nos parages. Au milieu du XIXe, on s'inquiète des excès de l'individualisme. En 1848, la Constitution de la Seconde République énumère les devoirs des citoyens. Au début du siècle suivant, le constitutionnaliste L.Duguit s'emporte contre la notion de droit subjectif et se lance dans une oeuvre de reconstruction du système juridique susceptible de s’en passer. Mais au lendemain du second conflit mondial, la crainte du danger totalitaire-passé et actuel- amène à les valoriser de nouveau, au point qu'on peut y voir un danger de pulvérisation. D'une part, leur multiplication peut aboutir à mettre l'accent davantage sur la rivalité des passions individuelles que sur les buts collectifs. D'autre part, tout besoin, même légitime, constitue-t-il un droit ? Il faut , pour le satisfaire, un débiteur .Pendant longtemps, non sans naïveté ou mauvaise foi, on a cru que l'Etat pourrait tenir ce rôle ; aujourd'hui qu'il se retire de beaucoup de ses postes habituels, on a du mal à combler les vides... Enfin, il peut arriver que le droit subjectif fasse bon marché de l'existence de l'autre : que dire des projets de divorce sans faute, où l'un des deux époux peut unilatéralement décider de la rupture, sans avoir à lui donner de motif ?
La passion, c'est connu, ne souffre pas de limites. Mais le droit ?

Section IV : Contenir les passions

Avant d'y venir, parlons un peu d'amour. Car n'y a-t-il pas une opposition indépassable entre le droit et la mère des passions ?

a) La subversion amoureuse

Si l'état amoureux peut s'éprouver à tout âge, il en est de plus recommandés que d'autres. On le concédera volontiers aux adolescents et aux jeunes, avec un sourire entendu (ça leur passera...). Au-delà de ces âges, on excusera plus facilement les vedettes du spectacle et les artistes d'en être victimes, puisqu'il n’appartiennent pas vraiment au monde des adultes : l’exacerbation de la sensibilité fait partie de leur art. Pour les autres, on sera beaucoup plus sévère. De l'homme marié, de la mère de famille cédant à la passion, on dit qu'ils se comportent comme des « gosses ».
Quant à l'homme mûr au bras d'une jeunesse, il suscite la moquerie : le barbon est un rôle de la commedia dell’arte…
Ces attitudes assez peu nuancées tiennent au respect de l'ordre, même s'il est ici plus social que juridique (aucune loi n'interdit le mariage à des individus séparés par une grande différence d'âge). Car l'état amoureux possède un grand pouvoir subversif ; nous avons vu qu'il suppose toujours une profonde remise en question. Il débouche donc sur l'imprévisible, le désordonné. Le couple passionnel est toujours hors-la-loi. Or s'il arrive au droit de vouloir fonder un ordre nouveau, il s'agit quand même d'un ordre . D'autre part, le législateur annonce la couleur : instaurer des comportements prévisibles, fournir des modèles , c'est l'essence du droit.
Mais pas que du droit, peut-être aussi de l'amour. En effet, quoi qu'il en coûte, l’amour ne peut se construire que sur l'abandon de l'idéal fusionnel.
Doit-on pour autant le distinguer radicalement de l'état amoureux ? Christian David parle à ce sujet du caractère « nucléaire » de l'amour sexuel par rapport à toute autre forme d'amour, y compris l'état amoureux (on sait bien que l'accomplissement du désir sexuel peut éventuellement diminuer la force de cet état). Freud lui-même insiste bien sur l'existence de ce noyau central :
« Le noyau de ce que nous appelons amour est formé naturellement par ce qui est communément connu comme amour et qui est chanté par les poètes, c'est-à-dire l'amour sexuel, dont le terme est constitué par l'union sexuelle. Mais nous n'en séparons pas toutes les autres variétés d'amour, telles que l'amour de soi-même, l'amour qu'on éprouve pour les parents et les enfants, l'amitié, l'amour des hommes en général, pas plus que nous n'en séparons l'attachement à des objets concrets et à des idées abstraites (...) Nous pensons qu'en assignant au mot amour une telle multiplicité de significations, le langage a opéré une synthèse parfaitement justifiée... ».
La pulsion sexuelle constitue donc le premier élément de rapprochement entre les deux notions. Mais la spontanéité , le sentiment fusionnel ne règnent-ils pas dans l'état amoureux, alors que l'amour exige un contrôle de soi-même, un renoncement à certains idéaux ? L'idéal fusionnel provient certainement des expériences de l'enfance, plus précisément du stade narcissique. Freud lui-même écrit que l'état amoureux «... n'est qu'une réédition de faits anciens, une répétition de réactions infantiles, que c'est là le propre même de tout amour et qu'il n'en existe pas qui n’ait son prototype dans l'enfance ». 
L'état amoureux, donc, mais pas que lui : tout amour, ce qui alourdit l'hypothèque... Car il faut se rendre compte que la petite enfance n'est pas que le paradis ludique sous laquelle nous nous la voyons le plus souvent. Il se pourrait même qu'elle constitue une des périodes les plus difficiles de la vie. L'enfant doit procéder à des efforts de refoulement considérables alors qu'il est alors mal équipé pour réagir contre ses pulsions ; les frontières entre fantasmes et perception sont encore incertaines, et déjà le principe de réalité s'annonce, avec ses dures exigences... Il n'y a donc guère à s'étonner que le psychisme puisse en être ébranlé durablement et que la vie affective de l'adulte résonne des échos de cet âge premier. D'autant plus que notre développement psychique obéit à une loi de complexification croissante. D'où la nécessité de pauses, d'une dédifférenciation , que peut fournir la vie : l'orgasme (au point qu'on le surnomme de façon significative « la petite mort »), l'état amoureux :
«... Le sujet réalise une fermeture hermétique au monde et à soi-même, un anéantissement, mais c’est pour se plonger tout entier dans le plus intense sentiment de plénitude qu'il soit capable d'éprouver, pour se résoudre en lui. Or ce sentiment est vécu comme l'accomplissement d'une fusion avec autrui ».
Pour autant, l'état amoureux et l'amour peuvent dépasser le stade de la pure répétition:
« Si les fixations infantiles ne sont pas trop fortes, si la propension à vivre la relation érotique sur le mode oral ou anal exclusivement n'est pas trop accentuée, si les blessures narcissiques liées à la condition même de l'enfance aussi bien que l'histoire infantile personnelle, n'ont pas sidéré l’ élan libidinal vers autrui, alors l'amour reçu, tout comme l'amour activement prodigué, ne peuvent plus être regardés comme n’atteignant que les seuls buts de la satisfaction sexuelle et de la satisfaction narcissique ».
La liste des conditions est donc importante : la difficulté à les satisfaire toutes explique que le chemin qui conduit de l'état amoureux à l'amour soit une voie difficile, alors qu'elle semble si aisée... au début. Car petit à petit, l'altérité du partenaire se révèle. Elle ne quittera plus la scène, si bien que :
« L’amour ne devient possible que lorsqu'on prend le point de non-retour de l'autre comme sa propre vraie limite, quand on le veut comme sa propre vraie limite ».
Quand on le veut. La formule souligne bien le rôle de la volonté, la part de contrainte (sur soi) qu'elle implique, à l'opposé de la spontanéité de la passion. Si les volontés des deux amants se rejoignent, il y a conclusion d'un pacte affectif, que le Code civil revêtira de droit, sous des habits divers et suivant un ordre croissant d'obligations, du concubinat au mariage, en passant par le PACS.
Mais on peut ne pas le vouloir, ne pas renoncer à la projection du désir, ou, pire encore, le vouloir sans le pouvoir, ou bien être seul à le vouloir réellement. Dans ces cas malheureux, la souffrance prendra au rendez-vous la place de l'amour.
Il faut donc contenir les passions. Ce à quoi le droit s'emploie très souvent.


b) Les passions, effets de la faiblesse

Si l'on peut éprouver de la passion pour le droit, si celui-ci peut poursuivre passionnément certains objectifs, sa finalité ne peut résider dans l'accomplissement des passions . Elles sont contraires à l'ordre institué et souvent injustes  : la violence fait partie des vices majeurs du consentement. Les civilistes, précédés par les canonistes, ont par ailleurs entouré les relations sexuelles et le mariage d'un certain nombre de digues. L'attirance sexuelle fut longtemps considérée comme une passion particulièrement active (contrairement au proverbe, la chair n'est pas faible...) et la psychanalyse n'a pas démenti ce point de vue. Quant au mariage, dans la mesure où la société était considérée comme un emboîtage de familles et le chef de famille à l'instar d’un roi, il constituait une armature fondamentale de l'ordre social et politique. Il fallait donc le protéger contre la versatilité des passions. Nous y reviendrons. Dirigeons- nous pour le moment vers les pénalistes. Logiquement, on devrait attendre le maximum de rigueur de la part de ces veilleurs de l’ordre public. Nous allons constater que sans évidemment légitimer les passions, ils y voient depuis longtemps un motif d'adoucissement de la sanction. Car la responsabilité individuelle ne peut s'édifier sur le seul constat de l’accomplissement de l'infraction (élément matériel, objectif) ; elle doit aussi reposer sur la volonté de l'agent (élément intentionnel, subjectif) et donc sur son libre arbitre. Si celui-ci est atténué par la passion, la responsabilité se trouve diminuée d'autant.
Ce raisonnement n'est pas récent. On le trouve affirmé en 1559 par André Tiraqueau (1488-1558) dans le premier grand traité français de droit pénal : le De poenis temperandis aut etiam remittendis , consacré aux circonstances atténuantes et aux divers motifs de suppression de la peine.
André Tiraqueau connut apparemment une existence sans aspérité particulière. Marié avec la fille du lieutenant criminel et particulier de Fontenay-le-Comte, il exerça dans cette ville les fonctions de juge. Très cultivé, c'était un humaniste qui eut Rabelais pour ami. Catholique, il ne montra aucun sectarisme envers les protestants, alors que l'époque y portait .Ses oeuvres eurent un grand succès et furent plusieurs fois rééditées. Mais elles concernent surtout le droit privé et le droit canonique, beaucoup plus que le droit pénal.
Que pense t-il des passions ?
Certaines peuvent émaner d'un tiers et agir sur le sujet à son corps défendant, comme la violence. Dans ce cas, l'auteur de l'infraction doit malgré tout être puni-nous devons résister au mal-mais d'une peine plus légère que la normale. Cependant, si son libre arbitre a été totalement annihilé (cas de la femme violée), toute punition lui sera évitée.
Mais Tiraqueau envisage plus généralement les passions éprouvées par le sujet lui-même . Elles constituent des circonstances atténuantes : «... lorsque quelqu'un a commis une infraction sous l'effet de la colère ou de la douleur, il y a lieu de le punir avec quelque clémence ». En effet, l'auteur de l'infraction n'est plus en mesure d'exercer son entier contrôle sur lui-même : «... la crainte d'un péril imminent, un excès de douleur anéantissent la réflexion ; l'homme en proie à une intense douleur n'est plus maître de son esprit... ». Trait remarquable, Tiraqueau poursuit en précisant bien que le passage à l'acte n'est pas provoqué par un vice particulier, mais plutôt par la faiblesse inhérente à la nature humaine. Autrement dit, l'infraction aurait pu être commise par un individu « normal » :
«...les jurisconsultes (...) ont décidé que les délits que l'on commet sous l'effet de la colère ou de la douleur, ne doivent pas être punis avec trop de sévérité. Leurs décisions se fondent sur la conscience de l'infirmité et de la fragilité de la nature humaine (...) Car combien peu arrivent à dissimuler ou à contraindre la colère qui les prend ou la douleur, sans les trahir par un geste mauvais ou une parole mauvaise ? Presque tous, nous cédons à la douleur ou à la colère, nous leur obéissons, nous nous laissons dominer par elles… ».
Cependant, tous les êtres humains ne sont pas également armés contre les passions: on doit être d'autant plus clément avec les plus vulnérables à la faiblesse, que leur incapacité soit temporaire ou définitive. Cette incapacité temporaire frappe les mineurs, pour plusieurs raisons :
«... la première est que la jeunesse est, pour ainsi dire, par nature, un excitant propre et spécifique au vice, en sorte qu'il vaut mieux imputer la faute du mineur au défaut de l'âge qu'à une malice opiniâtre et à la perversité. La seconde raison est que cet âge ne possède pas encore le plein usage du jugement et du discernement (...) On peut espérer qu'ils s’amenderont et qu'ils abandonneront à la fois leur jeunesse et leurs vices. Comme un des buts du châtiment est l'amendement du coupable ainsi que nous le dirons plus bas, dans la mesure où l'on peut penser que cet amendement se produira même en l'absence de peine, il y a tout lieu de supprimer la peine ou, du moins de l'atténuer ».
En revanche, les femmes sont l'objet de moins de sévérité pour des raisons constitutives: il faut tenir compte de la faiblesse de leur raison, de leur moindre empire sur elles-mêmes :
«... Les femmes sont douées de moins de raison que les hommes (...) Il est donc logique que les femmes soient moins gravement châtiées au cas d'infraction (...) Dans la mesure où les hommes sont doués de plus de raison que les femmes, grâce à quoi ils peuvent plus virilement résister aux incitations des vices et-pour parler comme les théologiens-résister aux tentations, il est équitable de punir avec plus de clémence les femmes ; mais il ne convient pas de leur accorder une totale impunité, comme aux animaux, puisque ceux-ci sont tout à fait privés de raison, tandis que les femmes en ont quelque peu ».

Nous avons jusqu'ici cité des passages de Tiraqueau portant surtout sur la colère. Mais l'amour ? Il n'est pas absent de ses réflexions, loin s'en faut : il lui donne même beaucoup d'importance, citant des auteurs assurant qu'il constitue la plus forte des passions. Une folie, à vrai dire :
«... l'amour est une espèce de folie (...) Les poètes qualifient indistinctement l'amour de folie et les amants de forcenés, de fous, de furieux (...) rien n’a plus ne véhémence que cette frénésie : la contenir relève d'une philosophie accomplie (...) « Aucune volupté, dit-il [Socrate], n'est plus véhémente, aucune plus furieuse, que la volupté amoureuse ». Et toujours chez Platon (...) Agathon dit qu'il n'y a pas de volupté plus forte que l'amour. Cicéron, le père de l'éloquence latine, (...) écrit « qu'il importe de remarquer la force de la fureur amoureuse : parmi toutes les passions de l’âme, aucune à coup sûr, n'est plus véhémente ». Quant à Balde, au courant de toutes les sciences : (...) il écrit qu'il est digne d’un philosophe-et non pas d'une femme-, d'emprisonner cette passion dans de justes limites (...) J'affirmerai que l'on doit punir de matières atténuée, voire laisser impuni, celui qui a commis quelque infraction en raison d'un amour excessif et trop ardent, comme s'il avait commis son acte moins par une décision de sa volonté que par la force de son égarement. ».
La dernière phrase pose le problème du crime passionnel, que nous aborderons plus loin. Relevons pour le moment plusieurs traits dans la citation de Tiraqueau, révélateurs de la culture de l'époque. D'une part, la force attribuée à la passion amoureuse, non sans raison : héritiers du romantisme et de Freud, nous le savons bien. D'autre part, le discrédit jeté sur elle. Nous la considérons d'ordinaire avec plus d’indulgence. Mais pendant de très longs siècles, il n'en fut pas ainsi. Sans attendre le christianisme- d'ailleurs Tiraqueau cite des auteurs de l'Antiquité-la plupart des philosophes et des médecins recommandait un usage modéré de la sexualité et prêchait la modération des passions. Enfin, remarquons que Tiraqueau reprend l'affirmation de Balde suivant laquelle une femme ne peut y parvenir. C'est que le christianisme médiéval-on en sortait à peine- avait enseigné le danger de la sexualité féminine. La femme était supposée particulièrement apte à ces embrasements. Cela d'autant plus que ceux qui les en accusaient-les clercs- étaient statutairement privés de vie sexuelle et en ressentaient le manque... Il était normal que le discours des juristes s'en ressentît : ils étaient formés au droit canon, et en matière d'organisation familiale, l'Eglise pesait de tout son poids.

c) L'encadrement de la sexualité

« Mieux vaut se marier que de brûler. » (sous-entendu : en enfer).
L'affirmation célèbre de Saint Paul fut à l'origine d'un courant important dans le christianisme, faisant du mariage la digue de la sexualité. Pour autant, ce fut aussi l'Eglise qui affirma la prééminence du sentiment-du consentement-dans le sacrement de mariage, contre les arrangements des familles. Il est vrai que le consentement que se donnaient l'un à l'autre les époux ne pouvait être repris, en raison de la prohibition du divorce : la liberté de faire n'était pas encore celle de défaire. Mais même compte tenu de cette importante restriction, la prééminence donnée à la volonté des seuls époux était étonnamment moderne. Au point d'ailleurs que les moeurs et les pouvoirs civils, souvent, ne suivaient pas : le mariage demeurera une affaire de familles.
Une fois le choix mutuel opéré, les époux avaient en principe à se conformer à un certain nombre de modèles, notamment dans leur vie sexuelle : le mariage devait être d'autant plus stable qu'il était définitif.
Et aussi constituer un remède contre la concupiscence. Entendons par là la passion amoureuse dans son aspect charnel. Saint Paul, une fois encore, le dit bien : « Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme. Toutefois, à cause des débauches, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari » . Il sera suivi par les théologiens et les juges ecclésiastiques lorsqu'il disserteront du devoir conjugal. Jonas d’Orléans parlera de médecine ; Burchard de Worms de remède. Le mariage peut même favoriser la rémission des péchés, notamment ceux de la prostituée, comme le montre bien l'exemple de Marie-Madeleine, mise plus tard à l'honneur par les artistes baroques.
Les rapports sexuels sont légitimes à condition qu'ils aient pour but d'apaiser la concupiscence, de raviver l'affection mutuelle ou d'engendrer des enfants. Toutefois, ils ne doivent pas dépasser certaines limites (pour éviter les débauches redoutées par Saint Paul). De fréquence, tout d'abord : il est immoral de l'accomplir plusieurs fois par nuit ; le bon rythme est bi-hebdomadaire, ont décidé les clercs (une constante remarquable : aujourd'hui les juges de la République, sollicités par les plaideurs, ont fixé la même fréquence au devoir conjugal...). Car trop aimer sa femme constitue une faute, qui rend le mari (c'est toujours lui qui en est accusé) adultère, reconnaît-on depuis saint Jérôme (347-420) ! En effet, plusieurs siècles après lui, des canonistes le répéteront. Ainsi Yves de Chartres précise : « dans le mariage faire l'amour voluptueusement et immodérément est adultère » ; Vincent de Beauvais affirme : « Un homme qui aime sa femme passionnément commet un adultère... L'homme sage doit aimer sa propre femme avec son jugement et non avec ses sens ». D'ailleurs, la femme, le vin et la musique sont souvent associés comme autant de débordements qui conduisent à l'ivresse, au dérèglement (on trouve la même association dans le Coran).
C'est pourquoi il faut bien faire l'amour, c'est-à-dire s'abstenir de pratiques jugées répugnantes (la sodomie-entre partenaires hétérosexuels, bien sûr-et aussi le coït interrompu). La sodomie peut même être jugée plus grave que l'inceste. Bernardin de Sienne pensait ainsi préférable « qu'une femme s'unisse avec son propre père d'une façon naturelle que contre-nature avec son mari ».
Les choses ne s'arrangeront pas avec la Renaissance, au contraire. À la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, les ordres religieux de création récente (Carmes et Jésuites) opèrent la promotion d'un nouveau modèle familial, la Sainte-Famille . L'enfant Jésus et ses deux parents, marqués par la chasteté : la Vierge, évidemment ; mais aussi-et c'est le fait nouveau-Saint Joseph, qui tend à l'éclipser. Or celui-ci est également chaste. On le trouve très souvent représenté dans l'art religieux de la Contre-Réforme. D’autre part, alors qu'au Moyen- Age les justices laïque et ecclésiastique étaient parallèles en matière d'organisation familiale, elle se rapprochent, redoublant les sanctions des comportements jugés immoraux (adultère, inceste, sodomie, pour l'essentiel. Les sodomites étaient exécutés par le feu. L'adultère est de plus en plus fréquemment qualifié d’« énorme crime ») : le délinquant pourra être puni deux fois : par l'autorité religieuse, puis par l'autorité civile, ce qui est autrement plus grave (les peines ecclésiastiques sont le plus souvent limitées au jeûne ou à l'amende honorable). Par ailleurs, transformation capitale, le péché devient de ce fait un délit. Ce dernier terme est d'ailleurs souvent utilisé dans les sentences rendues par les tribunaux civils.

d) Le Code civil de 1804 et la méfiance envers les passions

Beaucoup plus tard, dans le Code civil de 1804, on retrouve des traces du modèle religieux de la Sainte Famille, dans un code pourtant laïc et qui admettait le divorce (il avait cependant supprimé la cause d'incompatibilité d’humeur, admise en 1792). Supériorité de l'homme sur la femme, du père sur la famille, avec pour pendant l'incapacité juridique de la femme mariée (elle prend définitivement fin en 1942… sous le régime de Vichy !). Quant à l'adultère ,il peut produire des fruits vénéneux : des enfants, ceux de la nature, expression ici opposée aux intérêts de la société. Devant le Tribunat, Lahary le dira très clairement, même si ces phrases nous heurtent aujourd'hui :
« La naissance d'un enfant, fruit de l'inceste ou de l'adultère, est une telle monstruosité dans l'ordre social, une vraie calamité pour les moeurs (...) Il serait à désirer qu’on pût en éteindre jusqu'au souvenir ».
Les enfants de cette sorte n'auront donc droit qu’à des aliments, puisqu'il serait impensable de les traiter à égalité avec les enfants légitimes. De surcroît, ces aliments ne leur seront dûs que sur la succession de leurs père et mère, c'est-à-dire après la mort de ces derniers, par peur du scandale...
Le Code civil de 1804 est d'ailleurs beaucoup moins favorable aux jeunes, même légitimes, qu'on a pu le prétendre. Comme l’a bien montré X. Martin, le Code reste sceptique sur leur maturité (comme celle, d'ailleurs, de la femme). Même si elle est légalement fixée à vingt et un ans, le consentement des parents à leur mariage demeure nécessaire jusqu'à ce qu'ils aient atteint 25 ans. Portalis dit expressément en 1801 que les parents doivent servir de remparts aux passions : « Un acte tel que le mariage décide du bonheur de toute la vie : il serait peu sage, quand il s'agit d'une chose qui tient de si près à l'empire des passions les plus terribles, de trop abréger le temps pendant lequel les lois associent la prudence des pères aux résolutions des enfants ».
Tronchet, un autre rédacteur du Code, affirme :
« la séduction des passions donne à tous les hommes, par rapport au mariage, les faiblesses de la minorité ».
Bonaparte lui-même en est bien d'accord, qui précise qu'en cas de divorce, les époux, même majeurs « doivent toujours être considérés comme mineurs, parce que les passions ne leur permettent pas d'user de leur maturité d'esprit »
Mais même si l'on peut admettre que le manque d'expérience propre à la jeunesse justifie quelque attention du législateur, il reste que le Code nous choque davantage sur un autre point : la méfiance qu'il manifeste envers
les sentiments éprouvés par les enfants à l'égard de leurs parents. Puisqu'ils ne sont pas forcément avérés, il convient de les étayer par ce qu'il faut bien appeler avec Xavier Martin un chantage successoral. Car il faut restaurer la puissance paternelle, « ce premier frein des passions de la jeunesse », comme la définira en 1800 un orateur. L’arme dont on la dotera est simple : il s'agit de la quotité disponible, c'est-à-dire la part de sa succession dont le père de famille peut disposer librement. Plus on l'étendra, plus on augmentera le pouvoir du père sur ses enfants. L'article 913, adopté en avril 1803, la fixe à la moitié des biens si le disposant ne laisse à son décès qu'un enfant légitime, au tiers s'il en survit deux, au quart s'il en laisse trois ou davantage. Sans prendre garde que notre Code actuel (toujours l’art. 913) a conservé les mêmes proportions (il est vrai, sans distinguer les enfants naturels des légitimes), nous objecterons avec spontanéité que c’est faire injure à la sincérité des sentiments et des attachements. D'autres le pensaient déjà, mais Maleville (un des rédacteurs du Code) leur répond qu'au contraire, cette pression pourra faire naître des sentiments authentiques, par la force des habitudes :
« On a dit que le désir de profiter de la portion laissée à la disposition des ascendants rendrait les enfants hypocrites, et les engagerait à mettre dans leur conduite des apparences d'un respect qu’ils n'auraient pas dans le coeur. Ce serait toujours un avantage de ramener au devoir par l'espérance et par la crainte ceux sur qui l'amour du devoir serait impuissant . Eh ! Que serait la société, si les hommes s’y montraient à découvert avec tous les vices que l'intérêt les engage à voiler ? Bien souvent l'apparence de la vertu a l'effet de la vertu même. Elle fera contracter aux enfants les heureuses habitudes qui forment les moeurs et assurent la paix des familles».
La paix des familles et les emportements des passions, voire des vices, ne font donc pas bon ménage. Les jeunes en sont particulièrement suspectés. Cette méfiance n'est pas neuve : nous avons déjà vu Tiraqueau la manifester. Mais il nous choque de la voir ressassée après 1789. Après, justement...
Car à l'époque du Code civil, on sortait à peine des tourmentes révolutionnaires. Beaucoup éprouvaient le besoin d'une pause (Napoléon leur assurera que... la Révolution est terminée), voire d'un retour à plus de stabilité. Stabilité familiale, certes, après les bouleversantes innovations du divorce et de l’égalité successorale entre filles et garçons. Mais aussi politique : pour les rédacteurs du Code, l'ordre dans la famille est garant de l'ordre public. Les pères de famille sont des collaborateurs de l'Etat, qui ne peut tout faire. Il faut encore citer Maleville :
« Les pères sont la providence des familles, comme le gouvernement est la providence de l'Etat : il serait impossible à celui-ci de maintenir l'ordre s'il n'était efficacement secouru par les premiers ; il userait ses ressorts en déployant sans cesse sa puissance ; et le meilleur de tous les gouvernements est celui qui, sachant arriver à son but par les causes secondes [les autorités paternelles], paraît gouverner le moins ».

e) Le droit civil positif et la consécration de la liberté

Les régimes communistes faisaient aussi de la famille une institution d'apprentissage de l'homme nouveau. Dans les états démocratiques actuels, on paraît moins ambitieux, ou plus respectueux de la vie privée. Aussi bien en droit civil que pénal, on reconnaît à l’individu la liberté de ses choix, pourvu que leur réalisation ne porte pas atteinte à la liberté des autres. Autrement dit, il dispose d'une plus grande latitude qu’auparavant dans l'accomplissement de ses passions. On attend toutefois de lui qu’il sache les contenir dans certaines limites (notamment en matière de sexualité), ce qui rejoint la leçon de beaucoup de philosophes.
Si nous feuilletons le Code civil actuel, nous nous apercevons d'abord qu’il fait davantage référence aux devoirs qu’aux sentiments, sans parler des passions. L’art.203 dit que le mariage oblige les époux à entretenir leurs enfants ; l'art. 206 qu'ils doivent des aliments à leurs beaux-parents s'ils sont dans le besoin, de la même façon qu’à leur père et mère (les rédacteurs n'avaient sans doute pas prévu l'allongement de la durée de la vie, qui dilate fortement cette obligation...) ; entre eux, « Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance » (art.212). Un code n'est évidemment pas une lettre d'amour. De telles dispositions ne nient pas les sentiments ; elles veillent seulement à prémunir l'institution familiale contre leur éventuel épuisement ou affaiblissement. Par ailleurs, on peut convenir avec beaucoup de philosophes du droit que celui-ci exprime un devoir être ,qui peut se situer à une plus ou moins grande distance de la réalité : le juriste n'est pas un sociologue même s'il peut avoir besoin de ses services.
Il arrive cependant que le Code civil envisage plus directement les passions. De l'un de la comme le de Celles qu'on peut faire subir aux autres, notamment la violence. L'art. 1113 nous dit qu'elle est une cause de nullité du contrat, ajoutant même qu'il suffit que la violence ait été exercée sur le conjoint, les descendants ou les ascendants de la partie contractante. L’article suivant distingue la violence de la prééminence parentale : « La seule crainte révérencielle envers le père, la mère, ou autre ascendant, sans qu'il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le contrat ».
Une autre forme de violence infligée à autrui peut résulter des conditions de certains divorces : même si elles sont aujourd'hui devenues banales, toutes les séparations ne sont pas mutuellement acceptées. L'article 240 prévoit donc que :
« Si l'autre époux établit que le divorce aurait, soit pour lui, compte tenu notamment de son âge et de la durée du mariage, soit pour les enfants, des conséquences matérielles ou morales d'une exceptionnelle dureté, le juge rejette la demande ».
Dans 95 % des procédures, c'est l'épouse qui invoque cette règle. Prise au pied de la lettre, elle aurait pu constituer un barrage important aux passions, empêchant par exemple l'époux adultère de mettre fin à son union pour vivre un nouvel amour. Mais l'exceptionnelle dureté n'est que rarement admise par les juges, qui retiennent l'aggravation d'un état de santé déjà déficient, peu souvent l'atteinte aux convictions religieuses ou les conséquences financières défavorables pour l'époux délaissé (la prestation compensatoire est là pour y remédier, dans la mesure du possible). Quoiqu'on puisse en penser sur le plan moral, l’attitude inverse aurait conduit à paralyser le divorce dans beaucoup de cas, ce qui n'est pas la tendance des moeurs. Au contraire, puisqu'une proposition de loi récente entendait supprimer le divorce pour faute et instituer un droit unilatéral au bénéfice de l'époux souhaitant la rupture de l'union.
Quoi qu'il en soit, la procédure de divorce peut entraîner des souffrances et donc des réactions passionnelles. Le Code les limite : « Les débats sur la cause, les conséquences du divorce et les mesures provisoires ne sont pas publics » (art. 248). Ces réactions sont d'autant plus à craindre qu'une faute est recherchée : son éventuelle preuve peut donner un sens à la souffrance de l'époux abandonné ; elle peut aussi mettre à la charge du fautif d'importantes obligations financières (dans la pratique, les juges prononcent dans la très grande majorité des cas le partage des torts). Il importe à chacun d'établir ou rejeter la faute, ce qui implique la plupart du temps une relecture du passé traumatisante sur le plan affectif. L'article 248-1 prévoit donc que le juge peut faire silence sur la cause du divorce, de manière à circonscrire ses effets :
« En cas de divorce pour faute, et à la demande des conjoints, le juge aux affaires familiales peut se limiter à constater dans les motifs du jugement qu'il existe des faits constituant une cause de divorce, sans avoir à énoncer les torts et griefs des parties ».
Le Code peut aussi se situer en dehors de la réglementation des rapports conjugaux pour considérer certaines passions. L'article 488 envisage le cas du majeur atteint par « une altération de ses facultés personnelles », notamment celui qui « par sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté, s'expose à tomber dans le besoin ou compromet l'exécution de ses obligations familiales ». Dans ces cas, la capacité juridique du sujet pourra être entamée par un contrôle exercé par le juge. La formulation employée par le Code est intéressante : elle vise à donner une coloration positive à cette restriction de liberté. Le même article répète qu'il s'agit de protéger le majeur, sous-entendu : contre lui-même.
Quant au sexe, le Code civil en parle peu, et de manière tout à fait... dépassionnée, dans la réglementation des actes de l'état civil, l'article 57 précisant que l'acte de naissance doit énoncer le sexe de l'enfant (mais aucune définition juridique du sexe n’est donnée).
Le principe général est celui de la liberté sexuelle. La loi du 11 juillet 1975 a même supprimé la spécificité de l'adultère : il n'est plus sanctionné en tant que tel, comme cause de divorce, mais se fond dans le droit commun de l’injure, avec bien d'autres comportements. En fait, il ne pourra constituer un motif de divorce que si la manière dont il est accompli-et ressenti par l'autre conjoint- rend insupportable la vie commune :
« Le divorce peut être demandé par un époux pour des faits imputables à l'autre lorsque ces faits constituent une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage et rendent intolérable le maintien de la vie commune », (art. 242).
Le pouvoir d'appréciation du juge est donc ici déterminant. On notera avec intérêt que la jurisprudence a pu qualifier d'adultère une relation qui ne comportait pas de rapports sexuels : c'est donc dire que la passion amoureuse peut exister sans son accomplissement physique, ou du moins, pour un temps en tout cas, faire impasse sur ce point. Les psychanalystes montreront ici quelque scepticisme, dans la mesure où ils postulent la pulsion sexuelle comme base à la fois de l'état amoureux et de l'amour. Tout en comprenant l'attitude des juges (il peut y avoir des cas de trahison plus graves qu'un simple rapport sexuel), on ne peut d'ailleurs qu'en souligner l'aspect partiellement contradictoire : si la jurisprudence énonce par ailleurs que les rapports sexuels sont essentiels au mariage (les plaideurs ont même pu demander au juge d'en fixer la fréquence), il paraît illogique qu’en même temps elle les exclue de l'adultère. Les juges d'ailleurs peuvent parfois explorer dans le détail l’accomplissement de ces rapports. En 1973, le Tribunal de grande instance de Béthune a ainsi disserté sur le type de baisers, adultérins ou non.
Celui de Dieppe a sanctionné un époux, qui faisait preuve « d'un appétit sexuel dévorant, considérant l'épouse comme un objet à son entière disposition », au point que celle-ci en fit une dépression nerveuse. Remarquons que ce n'est pas l'excès d'ardeur qui est reproché, mais le fait qu’il ne soit pas consenti par l'autre époux.
Le principe reste donc celui de la liberté. D'ailleurs les époux sont bien libres d'avoir le type de relations sexuelles qu’ils désirent (plus de prohibition de la sodomie), pourvu qu'ils soient tous les deux consentants : preuve a contrario, on a récemment admis la possibilité d'un viol entre époux.
Mais on quitte ici le droit civil pour entrer sur le territoire plus redoutable du droit pénal.

f) Le droit pénal positif : excuser les passions ?

L’ancien Code pénal excusait certains actes. Par exemple, le crime de castration, s'il avait été immédiatement provoqué par un outrage violent à la pudeur (art. 325). Ou encore le meurtre commis par l'époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l'instant où il les surprenait en flagrant délit dans la maison conjugale (mais l'épouse agissant ainsi dans les mêmes circonstances n'était pas excusable...). En revanche, signe de déférence à l'égard de l'ancien modèle de la figure paternelle, le parricide n'était jamais excusable (art. 323).
Le Nouveau Code pénal est plus égalitaire (plus d'excuse pour l'époux trompé) et aussi individualiste . Car nous y retrouvons le principe général de la liberté (chacun peut vivre sa sexualité comme il l’entend), tempéré par le respect de celle des autres.
Où passent les limites ?
Leur tracé n'est pas le même que dans le passé. L’inceste ou l'homosexualité librement consentis entre partenaires majeurs ne sont pas interdits. La débauche et la prostitution en elles-mêmes non plus. Il faut simplement que la prostitution s'exerce dans certaines conditions. En effet, depuis la fermeture des maisons closes en 1946, la France a adopté le système abolitionniste, dans lequel la prostitution est libre. Entendons par là qu'elle ne constitue un délit ni pour la personne prostituée, ni pour le client (en Suède ce dernier peut être poursuivi), à condition qu'il n'ait pas de relations sexuelles avec un mineur de moins de quinze ans. Par ailleurs, la prostitution doit s'exercer sans causer de troubles à l'ordre public : l'article R 625-8 du Code pénal interdit aux prostituées de pratiquer le racolage actif, c'est-à-dire d'inciter publiquement et par tous les moyens une personne à des relations sexuelles. Récemment, le projet de loi Sarkozy se propose d'infléchir ce système abolitionniste dans le sens d'une prohibition accrue. Autrefois passible d'une contravention, le racolage deviendrait un délit, punissable par six mois de prison et une amende de 3750 euros. En outre, serait créé un délit de racolage passif, visant tout moyen, y compris la tenue vestimentaire ou l'attitude, à condition toutefois qu'il y ait eu échange ou promesse d'une rémunération. Le proxénétisme est réprimé, dans la mesure où il constitue l'exploitation de la personne d'autrui, une forme de l'esclavage moderne : l'incrimination de traite des êtres humains est assortie d'une sanction de sept ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende ; elle est prévue par la proposition de loi sur l'esclavage moderne, adoptée à l'unanimité par les députés, en première lecture, en janvier 2002.
C’est également au nom de la liberté et de sa protection que la loi a admis il y a une vingtaine d'années la possibilité du viol entre époux, alors que jusque-là, les tribunaux considéraient que des relations entre époux, même forcées, l’excluaient. Ils sanctionnaient cependant certaines pratiques comme étrangères aux fins légitimes du mariage, en recourant à la notion d'attentat à la pudeur. Cette extension de la notion de viol traduit évidemment l'importance donnée au consentement. Elle est aussi réalisée d'une autre manière, dans la mesure où la notion de viol englobe désormais des actes autres que les rapports sexuels stricto sensu : fellation, sodomie, introduction de corps étrangers, regroupées dans l'appellation générique des « actes de pénétration sexuelle de quelque nature que ce soit, commis sur la personne d'autrui » (art. 332).
D'autre part, le droit pénal considère que la liberté peut être atteinte par la propagation de l'immoralité, à travers la notion de bonnes moeurs. L'article 283 vise l'affichage, l'exposition, la projection ou la distribution de tous imprimés, écrits, dessins, affiches, gravures, peintures, photographies, films, disques. Les bonnes moeurs ne sont pas définies par la loi ; c'est donc au juge de les apprécier.
Ce qui , surtout dans les années soixante, a posé le problème de la distinction entre le pornographique et l’artistique en matière de nudité. Par ailleurs, la distinction entre art et pornographie est évidemment fluctuante, dans la mesure où elle dépend de l'évolution des mœurs, jugées « bonnes » ou non. On citera comme exemple le sort judiciaire des « Fleurs du Mal » de Baudelaire, ouvrage condamné au XIXe siècle, mais réhabilité en 1949.
Enfin, il faut certainement faire rentrer dans la liste des passions coupables le harcèlement sexuel. Jusqu'en 1991, il n'existait pas de dispositions pénales spécifiques le réprimant. Il fallait donc pouvoir incriminer ce comportement en le rattachant à des infractions pénales déjà existantes, par exemple les crimes de viol et d'attentat à la pudeur lorsque les actes sexuels avaient été obtenu par la contrainte, le délit d'extorsion de signature ou lorsqu'une démission avait été obtenue là aussi par la contrainte.
L'article 222-33 du nouveau Code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994 ainsi qu'une loi de 1992 relative à l'abus d’ autorité en matière sexuelle dans les relations de travail et modifiant le Code du travail et le Code de procédure pénale, permettent une répression plus large. Le Code pénal qualifie de harcèlement sexuel le fait d'user « d'ordres, de menaces ou de contraintes dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Il ne s'agit pas tant de « moraliser » de manière générale les relations de travail que d'empêcher des abus de pouvoir. En effet, le Code pénal sanctionne quiconque aura abusé
« de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ».
Ce qui signifie qu'il doit exister un rapport hiérarchique entre l'auteur du harcèlement sexuel et sa victime : le harcèlement entre collègues de niveau égal n'est pas pris en compte. Il faut savoir que dans la pratique, l'incrimination possède un revers de la médaille : la preuve, élément décisif dans nombre de procédures. En effet, il faut s'assurer que l'accusation de harcèlement soit fondée, afin d'éviter son détournement. Or, dans beaucoup de cas, la preuve est jugée insuffisante, ce qui risque de se retourner contre la plaignante...
Quelles qu'en soient les variations historiques, le droit pénal pose donc des limites, tolérant certaines formes de passion et condamnant d'autres modalités de leur exercice. Mais sans les admettre dans leur principe, il peut aussi considérer qu'elles atténuent la responsabilité pénale ou même la suppriment : c'était déjà au XVIe siècle la position de Tiraqueau. On se souvient qu'il assimilait la passion amoureuse à la démence. Dans sa généralité, une telle position ne serait aujourd'hui plus tenable, comme nous le verrons plus loin en étudiant le crime passionnel. Mais il reste vrai que le sujet sous l'emprise de la passion, comme le reconnaissent philosophes et psychologues, doit faire face à des forces qui assaillent sa volonté. Quels sont en la matière les principes généraux de notre droit pénal ? Il faut distinguer deux cas, suivant qu'on se trouve ou non dans le contexte de la maladie mentale.
Commençons par le cas de l'individu sain d’esprit soumis à la contrainte morale. L'article 122 -2 du Code pénal dispose : « n'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister ». Ce qui nous intéresse ici est la contrainte morale d’origine interne : elle est du type produit par les passions. Or la jurisprudence refuse de considérer ce type de contrainte : un passionné du jeu qui a émis un chèque sans provision sera tenu pour responsable, de même que l'épouse d'un militaire mis à la retraite qui a écrit une lettre d'injures au Ministre de la Guerre.
La position est plus nuancée en ce qui concerne les troubles mentaux. Le nouveau Code pénal dispose : « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits d'un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes ».
La jurisprudence exige une perte totale du discernement : le sujet doit ne plus avoir eu la capacité de comprendre et de vouloir. Quand il s'agit non d'une abolition, mais d'une diminution, le principe de la punition reste en revanche posé, mais le juge peut l’adoucir:
« La personne qui était atteinte, au moment des faits d'un trouble psychique ou neuro-psychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime » (art. 122-1 alinéa 2).
Dans ce cas, le sujet a conscience de commettre une infraction, mais la pulsion qui l’habite est telle qu'il passe malgré tout à l'acte. Les passions ne sont pas des maladies mentales. Mais il est certain qu'elles altèrent le discernement ou le contrôle des actes du sujet. Il appartiendra aux experts de fournir au juge les éléments nécessaires pour qu'il puisse estimer la diminution de liberté de l'agent. D'autre part, il reste que certaines maladies mentales peuvent concourir au passage à l'acte criminel : ainsi de la paranoïa en matière de crime passionnel.
Il nous faut y regarder de plus près.

g)Le crime passionnel
Le crime passionnel a fait l'objet d'appréciations fluctuantes. Il était autrefois valorisé, sous la forme du duel, qui avait souvent pour objet une atteinte à l'honneur ou aux sentiments amoureux. Puis le duel fut légalement supprimé et la passion de la vengeance commença à faire l'objet de la réprobation. Déjà Shakespeare (1564-1616) avait dû recourir à un subterfuge littéraire (mais aussi raciste, dirions-nous aujourd'hui). Dans Othello, le héros, se croyant à tort trompé par la femme qu'il aime , la tue sauvagement. Mais c'est un Maure, ce qui explique tout, même s'il s'agit d'un général au service de Venise... Plus tard, dans Andromaque, Racine fait d’Oreste, le meurtrier de Pyrrhus, un véritable malade mental, qui se laisse aller sans résistance à ses émotions brutes. Racine aura cependant à se justifier de la dureté de ses personnages dans les préfaces successives de sa pièce, pour calmer la réprobation d'une partie des spectateurs.... Plus tard, dans L'enlèvement au sérail, Mozart illustrera très bien musicalement le sentiment de jalousie naissante chez deux couples d’amants longtemps séparés par la captivité. On remarquera qu’ est nettement mis en cause le sentiment de possessivité des hommes...qui se heurte à une vive réaction des deux femmes. Mais les choses se termineront bien, car nous sommes dans un opera buffa.

[Illustration audiovisuelle : Mozart, L'enlèvement au sérail, Air de la jalousie]

L'amour apparaît en France explicitement dans le droit pénal comme cause d'atténuation de la peine jusqu'en 1791. Il disparaît ensuite, mais pour autant les criminologues et les tribunaux continuent à le valoriser : les peines prononcées en cas de crime passionnel restent faibles. Ce qui est largement dû au romantisme, visant à l'exaltation du moi, des sentiments les plus forts. On éprouve ainsi de l'indulgence pour ceux qui vont au bout de leurs passions, fûssent-elles funestes. La doctrine criminologique classique montre la même tolérance quand elle est élabore la classification des différentes passions. Elle range la passion amoureuse dans la catégorie des passions aveugles, par opposition aux passions raisonnables, moins intenses, n'empêchant pas le fonctionnement de la raison. La victime des premières est censée ne plus posséder son libre arbitre : il faut donc atténuer sa responsabilité pénale. Plus tard, la doctrine positiviste ne remettra pas en cause cette orientation, même si elle lui donne d'autres fondements. Comme les libéraux, les positivistes, dont E.Ferri est un des meilleurs représentants, pensent que le criminel passionnel possède une personnalité normale, momentanément occultée par les transports de la passion. Mais d'après eux, la force des impulsions dont il est la proie rend inefficace la menace pénale. D'ailleurs, une partie de ces criminels ne prémédite pas leur crime : l'absence de complicité est majoritaire, le crime est exécuté de manière insensée. Enfin, le criminel passionnel ne récidive pas, dans la très grande majorité des cas (entre 2 à 5 % de récidive). Il s'ensuit qu’au XIXe siècle le crime passionnel des époux trompés (mais pas des épouses, s'il en est...) bénéficie de la mansuétude de la loi. L'art.324 al. 2 du Code pénal précise que : « Dans le cas d’adultère prévu par l'article 336, le meurtre commis par les l’époux sur son épouse ainsi que sur le complice à l'instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale est excusable ». L'article 326 ajoute:
« lorsque le fait d'excuse sera prouvé, s'il s'agit d'un crime comportant la peine de mort ou celle des travaux forcés à perpétuité ou celle de la déportation, la peine sera réduite un emprisonnement de un à cinq ans ». La tolérance du législateur est accentuée par le fait que jusqu'en 1832, les circonstances atténuantes n'existent que pour les délits correctionnels. Confronté au choix entre la peine maximale et l'acquittement, le jury choisi le plus souvent la seconde solution. Mais même après 1832, la tendance à l'acquittement restera forte.
Sur le plan scientifique, la principale synthèse sur le crime passionnel date de 1942. Un ouvrage ancien, donc, même si la plupart de ses conclusions restent valables. On peut s'interroger sur les raisons de cette désaffection, alors que le scandale provoqué par les crimes sexuels, notamment lorsque les victimes sont des enfants, reste très vif. Peut-être faut-il les trouver dans la différence qui, justement, existe entre les deux types d'infraction. Dans son horreur, le crime sexuel est d'emblée inscrit dans le domaine pathologique, qui ne peut concerner qu'une minorité d'individus. On sort par là de l'aire des passions pour entrer dans celle de la maladie. D'ailleurs la récidive est très fréquente en matière de crime sexuel. Alors qu'au contraire le crime passionnel est ressenti comme pouvant être le fait de n'importe qui (ce qui est sociologiquement inexact, comme nous le verrons), une sorte de faiblesse de la nature humaine, surprise par les circonstances. D’où, pendant longtemps, la clémence des jurys d’assises. On croit donc rester dans le domaine de la normalité, ce qui ne mérite guère l'attention.
Mais qu’entend-on par crime passionnel ?
Notons tout d'abord qu'il n'existe pas sur le plan juridique. L'expression est d'origine journalistique littéraire et est apparue au XIXe siècle.
On désigne par là le crime inspiré par l'amour: crime de la jalousie, ou encore réaction à une rupture éprouvée comme insupportable .Les hommes tuent davantage sous la pression du manque que les femmes : ils ne supportent pas de perdre leur partenaire, alors que les femmes tue souvent pour pouvoir s'en séparer. Quoi qu'il en soit, ce type de crime est souvent inspiré par l'amour,
ou plus exactement ce que l'on nomme tel. En effet, comme nous le verrons, le crime passionnel est ressenti par son auteur avant tout comme un acte justicier vengeant les blessures infligées à son amour-propre.
Il en découle que les crimes passionnels peuvent aussi survenir dans des circonstances où la sexualité n'est pas impliquée : dispute au sujet des limites d'une propriété, de l'usage d'une source ou, dans un contexte plus moderne, exacerbation de l'impatience lors de l'attente à un feu rouge ou de la convoitise d'une place de stationnement.
À la base des différentes manifestations de la passion amoureuse criminelle, nous trouvons un phénomène commun : la revalorisation, qui peut avoir pour objet une chose ou un être humain. Un homme qui jusque-là ne manifestait pas un attachement excessif à sa compagne croit-à tort ou à raison-qu'elle le trompe. Subitement, elle prend pour lui une valeur nouvelle, très accrue par rapport à l'état antérieur.
Elle se trouve revalorisée, ce que son mari et, peut-être, futur meurtrier, appellera de l'amour, ainsi que le langage commun : on dira qu'il a tué par amour, ce qui est manifestement contradictoire. En fait, le crime passionnel est surtout lié au sentiment de possessivité sexuelle, qui est à prédominance masculine et se manifeste aussi dans les sévices non- mortels infligés aux femmes. On trouve également une confirmation de ce sentiment dans le fait que les unions libres connaissent plus d’uxoricides que les mariages : juridiquement moins protégés, les hommes cèdent davantage à leurs pulsions.

Signe habituel des passions, nous trouvons chez le meurtrier par amour de vives manifestations de souffrance, qui accompagnent le processus de revalorisation. Le futur meurtrier ne nage nullement dans l'euphorie ; sa situation lui paraît sans issue, il sombre dans le pessimisme. De ce fait, il devient encore plus odieux pour la personne qu'il cherche à reconquérir : elle a donc d'autant moins de chances de revenir vers lui. Du coup, à la revalorisation succède une phase de dépréciation. La femme (car ce sont le plus souvent les hommes qui sont des meurtriers : 78 %, d'après une enquête réalisée en 1995) devient un être rempli de défauts, ce qui justifie par anticipation les actes négatifs commis à son endroit, jusqu'au meurtre. À moins que l'individu habité par ses pulsions ne les retourne contre lui-même et ne se suicide. 35 % des criminels passionnels commencent à réagir à leurs insuccès succès amoureux par des idées suicidaires. 15 % tentent de se suicider après avoir tué leurs partenaire (les suicides des hommes sont 2,8 fois plus nombreux que ceux des femmes).

Qu'il s'agisse de meurtre ou de suicide, nous nous trouvons en face d’autres traits de la passion : son caractère excessif, le fait que le sujet ne se contrôle plus. Il y a à cela des causes objectives.
Car les crimes commis par amour ne sont nullement en corrélation avec la qualité et l'intensité de ce sentiment. En revanche, contrairement à l'idéalisation romantique (tout le monde n'est pas Pouchkine...), ils sont majoritairement le fait d'individus appartenant à des milieux défavorisés (délinquance familiale, alcoolisme), avec une hérédité névropathique. Mais l'empire de la passion sur le criminel a-t-il annihilé son libre arbitre , le faisant basculer dans la maladie mentale (auquel cas il ne serait plus justifié de parler de passion) ? Pour E. de Greef, la réponse est négative : tous les criminels passionnels reconnaissent qu'à un moment donné, ils ont décidé de céder à l'emportement. Leur libre arbitre est certes diminué, mais pas au point de supprimer leur volonté. De Greef ajoute: « Même pour un paranoïaque, l'acte criminel apparaît comme librement consenti ». Il se situe donc encore du côté de la normalité. Du nôtre.
Mais à l'heure actuelle, on ne tire plus les mêmes conséquences qu'auparavant de cette normalité : au contraire, on estime que puisqu'il est fondamentalement normal, le criminel passionnel aurait dû résister à ses pulsions. On observe que la plupart du temps son crime est prémédité. Sur le plan juridique, la préméditation correspond à trois critères : un intervalle de temps a séparé la décision criminelle de l'action, la décision a été prise consciemment, par un individu dans son état normal. On retrouve ces trois traits dans la plupart des crimes passionnels, ce qui les éloigne de la définition classique et philosophique des passions, envisagées comme des forces incoercibles. Or l'article 221-3, al. premier du Code pénal dispose que le meurtre commis avec préméditation constitue un assassinat et doit être puni de la peine maximale. De surcroît, les circonstances atténuantes n'existent plus depuis l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal, le 1er mars 1994. Il s'ensuit une aggravation de la répression, surtout quand la préméditation est retenue : en moyenne, une peine de réclusion criminelle de dix ans est aujourd'hui prononcée par les Cours d'assises en matière de crimes passionnels.
Cette évolution ne correspond pas à des facteurs seulement juridiques, même si le droit peut bien des fois révéler la modification des mentalités. L'amour conçu comme authentique exclut davantage qu'auparavant les sentiments de propriété du partenaire, dont nous avons vu qu'ils sont souvent à la base des crimes passionnels. C'est ainsi qu'à partir de 1975 la loi ne punit plus l’adultère et que celui-ci disparaît des causes de divorce sur le plan civil (il se fond dans la catégorie plus générale des faits rendant intolérable le maintien de la vie conjugale, soumis à la libre appréciation du juge). La catégorie générique des enfants adultérins disparaît également du Code civil. De plus la montée des divorces banalise les séparations. Tout ceci constitue un contexte défavorable au crime passionnel, qui n'est plus ressenti comme ayant un quelconque rapport avec l'honneur.
À tort ou à raison, le droit propage de plus en plus une image dépassionnée des rapports conjugaux : il est logique que le crime passionnel s'en trouve moins bien loti  qu'auparavant. Surtout si le criminel est normal. Ne seront déclarés pénalement irresponsables que les délirants atteints d'une pathologie paranoïaque chroniquement déficitaire.
Une triste fin de non-recevoir pour la passion amoureuse...
Mais s'agissait-il d’amour ?

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chapitre v :

bien le dire : rhetoriques


Sentir n'est pas tout. L'artiste le sait bien, qui doit s'initier à un langage avant de pouvoir traduire et communiquer ses émotions. La rhétorique peut être définie comme l'ensemble des procédés permettant l'expression des idées, des sentiments ou des passions (par exemple, l'antithèse, qui oppose deux objets [Vos yeux me percent et me guérissent] ; l’anaphore, qui reprend le même mot à la tête de plusieurs propositions successives ; la paronomase, qui joue sur la sonorité voisine de certains mots ; l’aposiopèse, arrêt brutal et si possible impressionnant dans le déroulement d'une quelconque allocution). Stricto sensu, elle concerne l'art du bien dire, de l'éloquence. Elle s'est constituée dans les démocraties grecques de l'Antiquité à partir de l'analyse des oeuvres oratoires. Platon (Phèdre) et Aristote (Rhétorique, vers 330 av. J.-C.) lui donnent une base philosophique en la fondant sur la connaissance des passions. Ses spécialistes, les rhéteurs, dirigent des écoles qui constituent le degré supérieur de l'enseignement. Elle a longtemps été considérée comme le couronnement de l'enseignement secondaire français : avant le second conflit mondial, la classe de première portait encore le nom de Rhétorique. Mais ses principes demeurent encore aujourd'hui dans la technique des dissertations.
Ceci dit, reconnaissons-le, le mot n'a pas actuellement bonne
presse : devenu obsolète, il évoque l'ennui, le formalisme. Dans le domaine artistique, sa mauvaise réputation incombe largement au romantisme. Comme tout mouvement d'idées, celui-ci a dû se démarquer de ce qui précédait, essentiellement l'âge baroque. Dans leur recherche de nouveaux moyens d'expression, les artistes baroques allaient chercher des sources d'inspiration dans l'Antiquité, notamment dans la rhétorique et sa codification de formes. Après plusieurs siècles d'utilisation, il était fatal que les romantiques aient eu le sentiment qu'elles étaient épuisées. Ils empruntèrent donc d'autres voies : le poème symphonique, le drame wagnérien, le roman. Ils y trouvaient un sentiment de liberté, alors que la rhétorique était devenue pour eux synonyme de contraintes stériles. Bien au contraire, elle avait constitué pour les baroques les voies de l'innovation, de la découverte des meilleurs moyens d'exprimer les sentiments.
La rhétorique fit plus longtemps meilleure figure du côté des juristes, particulièrement sensible à l'argumentation, qu'il s'agisse de celle déployée par oral par les plaideurs ou leurs représentants, ou par écrit par les commentateurs des textes et des décisions de justice.
Existe-t-il des parentés entre les rhétoriques des artistes et celles des juristes ? C'est une des questions auxquelles nous essaierons de répondre dans les lignes qui suivent.

Section I : Les rhétoriques des juristes

A priori, la rhétorique et le juriste forment un couple impossible :
Celle-ci est ampoulée, artificieuse ; celui-là tout de logique épurée. En fait, nous allons voir qu'il s'agit là surtout de lieux-communs.

A ) Les mots pour dire Dieu

Tout d'abord, distinguons les rhétoriques orale et écrite : si toutes se proposent de convaincre, la première entend exposer, la seconde démontrer. L’oralité, fondamentale dans l'origine de la rhétorique antique, est une forme fréquente de l'art du juriste, encore à notre époque : le débat judiciaire est une des instances d'incarnation du droit, et même une de ses sources. Dans le passé, la doctrine accordait une place déterminante à la parole des juges, celle des gens du roi et des avocats, car elle devait se modeler sur la Parole divine : la référence au Verbe est initiale dans l'Evangile de Jean, qui définit ainsi le Sauveur. La loi est certes écrite, mais c'est par la parole échangée, notamment dans l'enceinte des tribunaux sous la forme de la controverse entre les plaideurs ou leurs représentants, puis de la lecture de la décision des juges, qu’elle est est actualisée, qu'elle s'impose. Les magistrats sont souvent désignés par des expressions telles que « lois parlantes », « bouches de la justice », qui ne sont pas que des métaphores. À notre époque encore, pour le juriste, une « belle question » prend souvent la forme de la controverse, de l'argumentation. Mais dans la mesure où notre justice a été décrochée d'un ordre divin, elle est aussi devenue moins assurée : nous savons que ses solutions sont parfois incertaines, et nous n'attendons pas des avocats qu'ils défendent la vérité, mais seulement les intérêts de leurs clients.
Certes, les avocats du passé faisaient aussi profession de défendre ceux qui s'étaient confiés à eux. Mais les juges les sermonnaient volontiers, les avertissant de ne pas user de cette « sophistiquerie » propre à
« faire paraître les choses autrement qu'elles ne sont » , n’hésitant pas à accuser ceux qui leur paraissaient mûs par le seul appât du gain d'exercer un « sale métier de rançonneurs ». Convaincus d'être les organes de la Vérité, les juges s'alliaient aux avocats généraux, qui parlaient pour le Roi, pour tancer les avocats, auxquels il arriva de faire grève (en 1601) en signe de protestation. Les plaidoiries ne devaient viser que la vérité, leur assénait-on. Ce qui avait aussi des conséquences quant au genre d'éloquence qu'on leur prescrivait.
Car la vérité requiert un certain style, exempt d'emphase et de complication. On conseille aux avocats d'adopter « un parler serré », « habillé de court, comme les hommes, non de long comme les femmes ». Il existe donc une rhétorique de la vérité, qui doit aller à l'essentiel, sans ornements superflus. De plus, la vérité inspirée par l'ordre divin ne saurait se concevoir sans le savoir, la science des lois. Cette science explique un autre trait de la rhétorique officielle, qui nous est devenu largement étranger : l'art des citations, dont l'accumulation est devenue ne pour nous indigeste, et que justement, à des siècles d'écart, nous ressentons comme contrevenant à l'idéal de simplicité par ailleurs recommandé. Cet empilement constitue pourtant un caractère déterminant de la doctrine juridique française de ces siècles. Il n’était pas alors ressenti comme une lassante inflation, mais au contraire la confirmation par l'expérience des anciens de la vérité divine. Cette insistante référence à l'ordre divin est pour nous devenue exotique. Pourtant, son caractère habituel est confirmé par la banalité d'un procédé couramment employé pour émouvoir l'auditoire : l'opposition entre la vertu chrétienne et l'état de péché. A ce dernier sont souvent associées les passions à la fin du XVIe siècle : la jalousie, l'avarice, l'alcoolisme et même le regard, vecteur de la concupiscence.
Ce lien avec l'ordre divin a imprimé au droit un autre caractère, dont nous sommes beaucoup moins oublieux : l'idée d'ordre, de hiérarchie. L'ordre qu’instituent les lois est un reflet, « l'ombre de cet ordre éternel », garant de l'équilibre du monde. Le terme d'ordonnance, familier au juriste, n'a pas d'autre source. Domat n'affirme-t-il pas que «... la jurisprudence est la science des lois qui font subsister l'ordre du monde » ? On peut valablement supposer que le fond a ici emporté la forme, en affectant le discours juridique-les étudiants le savent bien-d'une condition essentielle : le plan, ici binaire, depuis le modeste commentaire d'arrêt jusqu'à la leçon d’agrégation. Le plan est certes un procédé rhétorique qui permet de capter et retenir l'attention. Jusque-là d'ailleurs, rien que de banal : présenter ses idées dans un ordre logique est une qualité qu'on est en droit d'attendre de n'importe quel discours, juridique ou non. Mais ce qui distingue le droit d'autres disciplines, c’est l'insistance avec laquelle est formulée cette exigence. Comment ne pas y voir la volonté d'un reflet dans la forme d'un ordre autrefois divin, mais aujourd'hui encore immanent ? Un peu comme en musique, la forme de la fugue, qui décline après la mort de Bach, possède un caractère inexorable et atteint l'acmé de la logique.

B) Descartes et la rhétorique « naturelle »

Cependant, cette rhétorique a connu une évolution au XVIIe siècle, tout spécialement en France, sous l'influence du classicisme. Une sorte d'assagissement, sous l'empire de Descartes. Si bien qu'on peut parler d'une rhétorique cartésienne, plus simple, plus dépouillée. La figure d'un atticisme judiciaire s'impose : soit le goût d’un langage concis, élégant, tout de finesse, dont on créditait les auteurs de l’Attique.
Descartes reproche à la rhétorique de ne même pas servir l'éloquence. Celle-ci est avant tout naturelle, due au talent ou à la connaissance raisonnée. Une nouvelle esthétique apparaît dans ce changement de rhétorique, au sens des moyens propres à exprimer des idées. Il faut être précis dans l’emploi des termes, bref et clair ; ôter au langage les vêtements superflus des figures pour dévoiler la stricte nature des choses. La vérité devient la source principale de la persuasion. Tournant rhétorique important, le recours trop fréquent aux citations est condamné : cela parce que la raison l'emporte sur la tradition ; l'argument d’autorité ne suffit plus. Comme l'écrit Descartes :
« On ne saurait si bien concevoir une chose, et la rendre sienne, lorsqu'on apprend de quelque autre que lorsqu'on l'invente soi-même ».
Cependant, Descartes a bien vu le risque d'assèchement, si bien qu'il ne rejette pas toute rhétorique : la forme peut aider à mieux saisir le fond, alors qu’un style trop aride peut le desservir. La volonté doit être guidée vers la vérité, et la seule la raison peut n’y pas suffire. Pour aider la volonté, il pense qu'on peut s'appuyer sur les passions, du moins les passions positives, tels que l'admiration. Ou la générosité, qui prémunit contre le danger d’excès inhérent à d'autres passions, à leurs dérèglements. L'auditeur ou le lecteur se trouveront ainsi en confiance, bien prédisposés à l'acquisition de la science. Quelques années après la disparition de Descartes, l'oratorien Bernard Lamy ira plus loin dans le sens de la recherche d'une conciliation entre la tradition rhétorique et le cartésianisme.
Tout d'abord, il conçoit la rhétorique comme une part de la méthode, celle qui permet l'analyse du langage. D'autre part, le langage est conçu comme une voie d'accès aussi bien à la volonté qu'à la raison, l'entendement.
En soi, l'ornement n'est pas rejeté, mais seulement son usage excessif : il doit rester naturel et , à cette condition, peut ajouter le plaisir de la persuasion à la rigueur de la démonstration. Comme l'écrit Lamy, cet usage bien tempéré permet au langage de « faire entrer dans nos sentiments ceux qui nous écoutent ». Ici encore, nulle condamnation a priori des passions, dont nous savons bien que Descartes n'y a jamais procédé. Celles-ci peuvent être sollicitées dans un sens positif. Le recours à l'éloquence-et donc à la rhétorique-permet d'agir sur elles, d'autant plus qu'elles affectent tous les hommes, y compris les savants. L'emploi des figures est donc licite. Lamy les appelle: « Les armes de l’âme ». En soulignant les concepts par des moyens stylistiques, elles permettent à l'orateur de mieux exprimer ses sentiments, de communiquer la compassion en faisant naître chez l'auditeur les sentiments qu'elles expriment. Loin d'obscurcir le discours, elles l'éclairent, à condition de rester naturelles. Comme Descartes, Lamy met l'accent sur l'admiration : en provoquant cette passion (nous dirions : ce sentiment), l'orateur surprend, désarme ses auditeurs. Il accède alors plus facilement non seulement à leur raison, mais aussi à leurs affects, qu'il peut ainsi éventuellement corriger, puisque sa rhétorique reste dominée par l'exigence de vérité.

C) Convergences rhétoriques entre les juristes et les artistes

Parvenu à ce point, il combien de s'interroger sur une éventuelle convergence entre les esthétiques des artistes et celle des juristes, non seulement autrefois, mais hic et nunc.
Commençons par la période baroque, ou du moins la version retenue qu'en a connue la France. Pour des raisons culturelles, celle-ci était particulièrement porter a rejeter ce que la rhétorique traditionnelle pouvait avoir de superflu, et se teinter ainsi de classicisme avant la lettre, allant même jusqu'à l’atticisme. Pour autant, la tentation baroque n'est pas écartée. Descartes et Lamy, son continuateur, préconisent l'emploi des figures (nous verrons que le figuralisme est un des moyens les plus importants mis en oeuvre par l'esthétique baroque). Ils recommandent qu'on s'adresse aussi aux passions, en valorisant parmi elles l'admiration, la surprise : objectifs à la base de l'esthétique baroque, qui cherche largement à surprendre le spectateur et l'auditeur, afin de mieux frayer sa voie au reste du discours. D'ailleurs, on retrouve chez Lamy le même souci qui constitue une part du débat agitant au même moment les artistes, sur la communauté d'émotion entre l'artiste et le spectateur. Pour Lamy, l'orateur ne peut persuader s'il ne paraît pas habité par la même passion qu'il veut communiquer :
« On ne peut pas toucher les autres, si on ne paraît pas touché ».
De façon parallèle, le rôle de l'artiste est de mettre en scène, représenter les passions, au point même de s’en persuader, comme l'avait montré trente ans auparavant la douleur de Poussin à l'idée de la peinture d'un portement de croix.
Cependant, nous le savons, cet emploi des passions reste subordonné à l'exigence de vérité. Qu'en est-il pour le juriste ? Certes, il recherche lui aussi la vérité, surtout dans l'enceinte judiciaire. Mais il la revêt des habits du juste : la vérité du philosophe , celle que l'artiste du XVIIe siècle vise en recherchant la quintessence de la nature, c'est le juste du juriste.


D) La beauté en débat

Et quid de la beauté, dont nous avons tendance à faire une composante essentielle de la démarche artistique, mais pas nécessairement de l'art
du juriste ? Le débat est ici délicat.
Commençons par observer que la poursuite de la beauté peut être un des moyens de susciter l'admiration, chère à Descartes. Mais il n'est pas ici question de l'art pour l'art, préoccupation plus tardive dans notre histoire culturelle, puisque l'admiration n'est qu'un chemin vers la vérité. En ce sens, notre perception des oeuvres baroques est bien souvent anachronique, puisque nous avons tendance à n'en retenir que la beauté, et non pas le message, pour nous défunt (Bach a écrit quelque part que chanter les paroles sans se préoccuper de leur signification était un non-sens). Est-elle pour autant illicite ? Certainement pas, dans la mesure ou l'histoire nous enseigne que la réinterprétation est la condition de la survie des textes. Par ailleurs, le XXe siècle a opéré la disjonction entre la beauté et l'art, même si cette séparation continue à choquer : l'art est aujourd'hui affirmé avant tout comme un langage, à l'élaboration duquel le spectateur est largement convié, même s'il accepte souvent ce rôle avec difficulté. Comme l'écrit à juste titre Nathalie Heinich, dans la plupart des polémiques suscitées par l'art contemporain, la question de la beauté est très peu présente : on s'interroge davantage sur l'essence de ce qui est montré (est ce de l’art ou non ?), sur les intentions de l'artiste, sur l'opportunité du soutien des pouvoirs publics.
Retrouve-t-on chez le juriste cette défiance (ou du moins la minoration) envers la beauté ?

A priori, oui. Il est interdit aux juges par l'article L 112-1 du Code de la propriété intellectuelle de tenir compte du « mérite ou de la destination » de l'oeuvre, donc d'apprécier sa beauté : on traitera de la même façon une publicité pour les serviettes périodiques et une fresque de Botticelli. La Cour de cassation confirme cette imperméabilité en interdisant au juge de porter une appréciation sur la valeur artistique de l'oeuvre. Non qu'il en soit incapable, mais en raison du caractère subjectif de cette appréciation qui, si elle était autorisée, provoquerait d’ insupportables irrégularités de jurisprudence. Il est des notions que le droit, par prudence, doit s'interdire de définir. Ce qui explique qu'en 1972, la Cour de Cassation ait jugé que l'amour n'était pas une condition indispensable du mariage : une position qui tenait surtout à la difficulté, jugée impossible en l'occurence, de parvenir à une définition juridique suffisamment stable de l'amour... De même, en droit international, s'il existe de nombreux instruments protégeant les droits des peuples autochtones et des minorités, aucun ne procède à une définition de ces entités. De plus, même en dehors de son éventuelle appréciation par le juge, la beauté n'est pas l'objectif premier du juriste. Comme l'écrit Philippe Jestaz :
« Tout le monde en conviendra : la beauté n'est pas un but en soi pour les juristes, elle n’est une condition ni nécessaire, ni suffisante de leur efficacité, mais plutôt une composante occasionnelle de celle-ci, voire en effet obtenu par la bande et dont il ne faut, semble-t-il, s'exagérer ni la place, ni le rôle ».
Dans les années trente, le juriste Duez soutint pourtant la théorie de l'ordre public esthétique : il entrerait dans la mission de police de l'administration de protéger le sentiment artistique du passant, qui pourrait être choqué par certaines constructions édifiées sur le domaine public (on en a eu il y a quelques années un exemple avec les colonnes de Buren, dressées dans la cour du Palais royal). Mais ni la jurisprudence, ni la doctrine n’ont suivi, essentiellement en raison du manque de légitimité des juges pour procéder à une décision esthétique et par le souci de préserver la liberté d'expression de l'artiste.
L'affaire semble donc entendue : la beauté et le juriste n'ont rien en commun. Et pourtant, une telle affirmation est inexacte.
Tout d'abord, si le juge n'a pas à tenir compte de la beauté, il entre à l'inverse dans sa mission de protéger l'originalité de l'artiste et de l'auteur, comme le reconnaissent la doctrine et la jurisprudence. Or, l'appréciation de la beauté peut ainsi entrer par une porte dérobée : la Cour de Cassation a d'ailleurs à deux reprises protégé un modèle de panier à salade au motif qu'il était « présenté de façon originale et agréable à l'oeil ». Agréable à l'oeil : la beauté est toute proche... De plus, le juge est-il mieux fondé à saisir l'originalité d'une oeuvre d'art que sa beauté ?
La beauté est d'autre part présente dans le droit de l'urbanisme et le souci de sa protection peut inspirer des limitations à la liberté de créer. Les immeubles classés sont ainsi protégés. Plus encore, lorsqu'un immeuble privé est situé dans le champ de visibilité d'un édifice classé ou inscrit, toute modification de cet immeuble est soumise à l'obtention d'un permis de construire revêtu du visa de l'architecte des Bâtiments de France (art.L.421-6 du Code de l'urbanisme). Plus communément, et même en l'absence de l'obligation de délivrance d'un permis de construire, un arrêté municipal peut limiter la liberté de choix des propriétaires privés quant à des éléments tels que la couleur des portes et des volets.
Enfin, au-delà des servitudes de l'urbanisme, la beauté dispose d'autres moyens pour entrer dans la cité du droit. Il y a effectivement « un beau droit ». Qu’est-ce à dire ?
Comme le démontre bien Philippe Jestaz, le beau droit est celui de l'argumentation. On parle ainsi d'un bel arrêt parce que l'énoncé des attendus permet le plaisir intellectuel ; en revanche, on ne parle pas d'une belle loi, parce que les motifs sont absents du texte législatif. Ce qui revient à souligner l'importance de la rhétorique, au sens d'art de la persuasion, d'autant plus que l'argumentation qui séduit est souvent élaborée à l'occasion de controverses, qu'elle soient judiciaires ou doctrinales. Cependant, la beauté du droit peut aussi s'exprimer au-delà, ou au dehors, de la controverse. Elle résultera alors de l'harmonie, de la cohérence qui parent certaines constructions théoriques, comme la pyramide de Kelsen. Et cette cohérence force alors l'admiration, au sens de Descartes ; elle agit sur nos passions au moment même où nous nous sentons le moins sous leur emprise : le juriste n'est plus alors seulement un artiste, mais un prestidigitateur, ou, plus noblement, un enchanteur.
En tout cas, sûrement, un rhétoricien, qui persuade autant qu'il démontre.


Section II : Les rhétoriques des artistes

La rhétorique est une technique que les artistes baroques ont jugé particulièrement adéquate pour l'expression des passions et des sentiments. Ils l'ont utilisée dans le sens alors assigné à la démarche artistique : l’imitation de la nature, dont la logique entraîna d'impressionnantes tentatives de codification des passions.
A) Exprimer les passions

Nous savons que les intellectuels de l'époque baroque entendaient prendre l'Antiquité pour modèle : l'opéra est né de la reproduction au XVIIe siècle de ce qu'on croyait alors être le théâtre antique. De même en droit, la «redécouverte » du droit romain à la fin du Moyen Age, sous couvert de retour aux sources antiques, avait débouché sur leur réinterprétation, leur utilisation au goût du jour. Il en va de même de la rhétorique. Au XVIIe siècle elle n'est pas seulement un modèle pour les orateurs, mais bien plus que cela : elle doit servir au déclenchement, à l'expression des émotions par l'usage de la parole,
le discours . Ce discours doit tout à la fois instruire, émouvoir et plaire. Il obéit à un montage. En premier, l’exorde, destiné à rendre l'orateur
sympathique : il peut contenir une anecdote. Ensuite la narration, l'exposé des faits. Puis viennent les parties centrales : proposition (développement des arguments relatifs au sujet), réfutation (exposé des thèses contraires), confirmation. La péroraison fait office de bouquet final . L'orateur résume les faits , rappelle les points forts de l'argumentation ; il est censé emporter l'adhésion de l'auditoire par une amplification pathétique qui exacerbe les sentiments et déchaîne les passions.
Toutefois la notion de discours est alors plus large que celle du langage quotidien actuel, en ce sens qu'elle englobe des moyens d'expressions non- verbaux. Pour les compositeurs de l'époque, la musique est un discours, qui possède ses propres moyens d'expression. Le théoricien Neidthart écrit ainsi :
« Le but ultime de la musique est simplement par les sons et par les rythmes, de susciter toutes les passions, aussi bien que le meilleur orateur ».
Dans les oeuvres vocales (n'oublions pas leur longue suprématie sur la musique purement instrumentale) , elle doit mettre ses ressources au service du texte, en suivant notamment la logiques propres à chaque langue (certaines, comme l’italien, passent pour particulièrement musicales. Plus tard, Jean-Jacques Rousseau reprochera au français d'être inapte à la musique...). Elle le fait notamment grâce à l'emploi de figures. Dans la rhétorique oratoire, ce terme désigne une expression particulière que l'on donne à sa pensée pour la rendre plus frappante ou plus belle. Or les compositeurs vont s'efforcer de donner à certains mots une traduction musicale, par l'emploi de procédés, les figurations musicales. Par exemple, la douleur s'exprimera par la descente chromatique ; l'agitation par un tourbillon de notes. Dans les Passions de Bach, l'idée du mal est souvent exprimée par une septième diminuée, un intervalle désagréable à l'oreille. Les théoriciens allemands de l'époque baroque porteront à environ 161 unités la liste des figures de rhétorique musicale. Elles seront appliquées jusque dans les années 1750.
L'influence de la rhétorique est perceptible à un autre niveau, celui de l'organisation du langage. Le discours musical doit suivre les mêmes règles de composition que le discours oratoire. En 1739, c'est encore la conception de Johann Mattheson (1680-1764), un compositeur abondant d'opéras et de musique galante, mais aussi auteur de nombreux traités théoriques.
Dans Le Parfait Musicien, il établit un parallélisme littéral entre les deux discours :
« Notre conception musicale ne diffère de l'organisation rhétorique d'un simple discours que dans le suggérer, l'objet ou objecto : elle doit donc observer les mêmes six éléments prescrits à l'orateur, à savoir exordium (introduction), narratio (exposition), propositio (développement),confutatio (réfutation), confirmatio (confirmation) et peroratio (conclusion) ».
Philippe Beaussant applique de façon convaincante ces préceptes à l'analyse d'un air de la Passion selon saint Matthieu de Bach (pour haute- contre avec deux flûtes traversières), Buss’ und Reu (pénitence, repentir) :
« Il parle des larmes, du coeur coupable qui se brise, des aromates qui montent vers Dieu, par une image incroyablement baroque, où les gouttes qui tombent se transforment en parfums volatiles. Dans cet air, tout est dans tout. Dès les premières notes, nous avons déjà, en un seul thème, des idées contrastées : des larmes qui coulent, en une ligne fluide de notes liées, et le coeur brisé, en notes discontinues, plus l’évocation des larmes qui tombent en gouttes ; chacune des deux moitiés du thème initial servira de motif à l'une des deux grandes parties de l'ensemble : l'orchestre fait ainsi l’exordium. Puis la haute-contre expose le sujet : « pénitent et repentant se brise le coeur coupable », avec d'infinies détails expressifs à chaque mesure, commentant minutieusement chaque allusion : c'est la narratio. Un interlude ; puis vient la propositio, où en 27 mesures, Bach reprend, développe, commente chacune de ces nuances. Nouvel interlude instrumental, et vient la confutatio : « Que les gouttes de mes larmes se changent pour toi, Jésus fidèle, en aromates ». Une deuxième image, celle des parfums qui montent, un deuxième affect, celui du « treuer Jesu » sentimentalement développés. Enfin la confirmatio et la peroratio reprennent la première partie, et ainsi la « confirment », et concluent ».

[Illustration audiovisuelle : Jean-Sébastien Bach, Passion selon saint Matthieu (extrait)]

Il faut en outre noter que cette communauté de syntaxe exerce un effet unificateur sur les différentes catégories de musiques (ce qui ne sera plus le cas à l'époque romantique) : l'art sacré et l'art profane s'y rejoignent. Puisque la même grammaire est utilisable pour exprimer des émotions diverses (la joie, la douleur, l'agitation), on peut transposer l'expression de ces émotions, dans un genre ou dans l'autre. Ainsi Monteverdi a-t-il fait du lamento d'Ariane la plainte de la Vierge.

Pour autant, il ne faut pas faire de la rhétorique une clé universelle de la représentation des passions. Il revient à l'artiste, au dramaturge d'utiliser ces procédés en fonction des spécificités de son art : ce qui est montrable en peinture n’est pas nécessairement exprimable ,ou au même degré, en musique ou sur la
scène .  Le thème de la mort du philosophe, très fréquent dans la peinture et la sculpture à l'époque de Louis XIV, est beaucoup plus rare dans la musique et la tragédie françaises. Pour le théoricien Saint Evremond (1614-1703), la musique convient particulièrement aux circonstances solennelles (la pompe funèbre, par exemple) : la mort du philosophe, souvent intériorisée et silencieuse, n'est donc pas un terrain favorable. L'amour apparaît en revanche souvent dans l'opéra, mais dans une ambiance le plus souvent tragique : il est associé à une catastrophe, à la trahison. Ici encore, la musique est donc supposée nécessiter une certaine emphase ; l'amour dont il est ici question est excessif, ce en quoi il rejoint la passion. L'amour heureux n'apparaît guère que dans l'air de cour, beaucoup plus bref et statique (airs composés pour les comédies de Marivaux).
Cette esthétique de l'amour passionné repose sur des techniques de mise en scène. Au théâtre, la tragédie à machines était tombée en désuétude. Au contraire, à l'opéra, la machinerie et ses trucages jouent un rôle fondamental, ainsi que les choeurs et les danses : autant d'incitations à l'extériorisation des sentiments. Une preuve en réside dans les modes de représentation des passions, différents au théâtre et à l'opéra . Dans la tragédie déclamée, les passions doivent se lire sur le visage, dans les gestes ou dans la voix du personnage. À l'opéra, la passion est incarnée : c'est vraiment elle qui apparaît en scène, sous une forme convenue : Cupidon pour l'amour, les furies et démons pour les enfers. Ce qui serait ressenti comme ridicule ou déplacé au théâtre est ici normal, puisque l'opéra est le lieu de l'exacerbation des passions.

[Illustration audiovisuelle :Extraits de F.Cavalli, La Calisto :Calisto séduite par Jupiter, La colère de Junon, Scène des Furies]
Dans le même sens, on peut comprendre le traitement différent réservé au suicide du philosophe, réfléchi et accepté, sinon voulu, et le suicide passionnel. À la différence du premier, le second est très fréquemment représenté : mort des amants malheureux, victimes de malentendus, tels Pyrame et Thisbé ; mort des grandes amoureuses délaissées, comme la Didon de Montéclair, qui s'abandonne à l’effet destructeur de sa passion.

[Illustration sonore : Nicolas Clérambault (1676-1749),Pyrame et Thisbé,dans : Figures de la passion, Musée de la musique, Paris, 2001]

[Illustration audiovisuelle :La mort de Sénèque, dans :Monteverdi,Le Couronnement de Poppée]

[Illustrations visuelles :
-Jean-Baptiste Corneille (1649-1695), La mort de Caton, Musée des Beaux-Arts, Dijon
-Antoine Rivalz (1667-1735), La mort de Cléopâtre, Musée des Augustins, Toulouse]

Si la rhétorique est bien une manière d'exprimer les sentiments, il existe donc une esthétique propre à chaque art. Mais pendant longtemps ces esthétiques concoururent à un même but : l'art devait imiter la nature. Une proposition beaucoup moins simple qu'il n'y paraît car les termes imiter et nature n'ont pas alors les mêmes significations que pour nous.

B) Le paradigme de l’imitation

Jacques Boyceau de la Baraudière était l'intendant des jardins du roi.
Ce Descartes de l'art des jardins influença Le Nôtre, et par son intermédiaire la composition du futur parc de Versailles. En 1638, il publie son Traité de jardinage selon les principes de la nature et de l'art.Il y écrit :
« Toutes ces choses, si belles que nous les puissions choisir, seront défectueuses et moins agréables si elles ne sont pas placées avec symétrie et bonne correspondance, car Nature l'observe aussi dans ses formes si parfaites, les arbres élargissent ou montent leurs branches de pareille proportion, leurs feuilles ont les côtés semblables, et leurs fleurs, ordonnées d'une ou de plusieurs pièces, ont aussi bonne convenance que nous ne pouvons mieux faire que tâcher d'en suivre cette grande maîtresse en ceci comme aux autres particularités que nous avons touchées ».
Le lecteur moderne trouvera ces lignes naïves : elles ne manquent pas de contre-exemples dans la nature, qui n'est pas toujours symétrique, loin s'en faut. Mais peu importe ici : ce qui compte, c'est de saisir à travers le texte de Boyceau une mentalité, un système de représentation de la nature et du monde au sein duquel l’ordre occupe une place cardinale , leur donnant un sens. Plus encore, l'art a pour but de révéler la vérité d'une chose, d'un visage. En ce sens, l’imitation de la nature ne signifie pas sa reproduction, mais la révélation, la mise à nu de ses principes (nous dirions aujourd'hui : de ses structures). La sculpture d'un vase orné de fleurs révèle davantage l’essence de ces fleurs que leur stricte copie. Le jardin à la française, qui paraît artificiel à nos contemporains, était en ce sens beaucoup plus proche de la nature pour un homme du XVIIe siècle que le jardin à l'anglaise, dont la vogue commence au milieu du XVIIIe, avec un amour de la nature qui se confond davantage avec elle, ainsi que la prééminence de la
« sensibilité ». Ce qui, entre autres, explique que les allées des jardins à la française soient toujours sablées, et non pas engazonnées. Pour nous, ceci accentue l'impression de sécheresse se dégageant de leurs formes géométriques. Mais pour l'homme du XVIIe siècle, elles sont au contraire un ornement supplémentaire, alors que l'herbe serait une concession à la nature « sauvage », bien davantage présente et difficile à dominer que dans notre univers. De même mêmes les topiaires, qui manifestent l'art de tailler les arbres. Dans l'Antiquité romaine, on aimait leur donner la forme d'animaux ou de personnages. Cet art devint de nouveau en vogue à partir de la Renaissance et fut utilisé par
Le Nôtre . Il exprime ici encore les potentialités de la nature, révélées par le travail humain. Ces arbres sculptés (certains sont même figuratifs) alternent avec des statues, des vases et des arbres d'alignement dans certaines allées du parc de Versailles. Le jardin à la française est donc une « humanisation » de la nature. Ce que nous lui reprochons, car notre esthétique a changé.
La même croyance en un principe de cohérence, sur lequel repose la théorie de l'imitation de la nature explique la faveur dont jouit au XVIIe la physiognomonie : on peut lire sur les visages les passions qui définissent les personnages. D'où la vogue des séries de bustes des douze Césars, si fréquentes aujourd'hui dans nos musées comme elles l'étaient autrefois dans les galeries ou les cabinets des intérieurs : Caligula y figure l'archétype de la Cruauté,Vitellius celui de la Voracité, Claude de l’Imbécillité...
La même comparaison peut être étendue au langage : l'alexandrin est alors conçu comme l'expression de la quintessence du français. Certes, on objectera que pas plus au XVIIe qu'au XXIe siècles, on ne parle couramment en alexandrins. Mais le problème n'est pas là. Il ne s'agit pas de reproduire les usages quotidiens des moyens d'expression, dont la répétitivité, le caractère approximatif cachent leur vérité et diminue par là leur potentialité, que retrouve l'artiste. D'ailleurs, même aujourd'hui, la diction de certains vers des tragédies de Racine peut nous faire sentir, et pas seulement concevoir, ce mécanisme.
La musique n'échappe évidemment pas au paradigme de l'imitation. Ainsi, en 1666, Pierre Perrin écrit-il dans son Recueil de paroles de musique qu'elle est particulièrement appropriée à l'expression de certaines passions :
«... j'en ai banni [de mon Traité] tous les raisonnements sérieux et qui se font dans la froideur, et même les passions graves, causées par des sujets sérieux, qui touchent le coeur sans l’ attendrir. Ma raison est que toutes ces sortes de discours, qui partent d'un coeur froid et reposé, doivent se prononcer dans la bienséance d'une voix assortie ; c'est-à-dire égale et modérée (...), ce qui ne peut s'accorder avec le chant, lequel fléchit et change incessamment la voix, en des tons fort éloignés et des voix et des mouvements forts divers, au lieu que les impulsions et les émotions du coeur tendres ou enjouées s'expriment agréablement et naturellement par des voix emportées et inégales ».
On remarquera la référence au chant. Il faut toujours se souvenir que jusqu'au premier XVIIIe siècle, la musique est essentiellement conçue comme le soutien de la voix. Elle doit donc suivre un texte, qu'il soit sacré ou profane. Les théoriciens français ont été particulièrement sensibles à la notion de convenance, ou de la vraisemblance : l'auditeur, le spectateur doivent avoir l'illusion que le personnage éprouve la passion qu'il représente.
On établit d'ailleurs souvent un parallèle entre le chanteur et l'orateur. Tous deux doivent veiller à la qualité de leur diction, en l’intelligibilité de leurs propos, qu'ils doivent accorder au même rythme. En 1705, Charles Masson écrit :
« On doit avoir soin d'exprimer les syllabes du discours qui sont longues par des notes d'une valeur convenable, et celles qui sont brèves par des notes de moindre valeur ; en sorte que l'on puisse en entendre le nombre aussi aisément que par la prononciation d'un Déclamateur ».
D'où l'importance du récitatif dans les opéras français. Un bon exemple en est donné par le célèbre Monologue d’Armide, tiré d’Armide (1686), l'opéra de Lully. Renaud a été envoûté par la magicienne Armide. Jalouse,celle-ci a l'intention de le tuer pendant son sommeil. Mais elle se laisse attendrir en le voyant et le poignard lui tombe des mains : elle oublie ses projets de vengeance. Elle est donc en proie à des passions contraires mais voisines, la haine et l'amour. Le récitatif traduit ici admirablement les hésitations de la magicienne.

[Illustration sonore : Enfin, il est en ma puissance, Monologue d’Armide, Opéra de Lully, Acte II, Scène 5 ; par Patricia Petibon et Les Folies françaises,EMI, 2002]

Pour les auteurs français, le récitatif est plus approprié que l'air ou les ensembles à l'expression fine des sentiments. Dans sa forme française, il est presque uniformément écrit en vers « mêlés » (ou irréguliers), et développe une ligne mélodique souple, soutenue par une basse continue plus écrite que dans le récitatif italien. Pourtant, l'abondance des récitatifs dans les opéras français constitue de nos jours une des difficultés principales de l'accès du grand public à ces compositions. Dans le passé, on a même pu parler de : la steppe des récitatifs... Notre esthétique, une fois de plus, a changé : nous accordons moins d’importance au texte, et davantage à la musique. Pour autant, on peut se demander si le rap ne constitue pas une forme « moderne » de récitatif : le parallèle a été soutenu par W .Christie, le célèbre chef spécialiste de musique baroque. Toutefois, la comparaison a ses limites, dans la mesure où la forme relativement rudimentaire de la musique ici employée peut desservir les textes.
Le récitatif français est donc un bon exemple de technique servant la théorie de l'imitation. Il faut toutefois noter que les Italiens s'en étaient déjà préoccupés, à travers la notion de stile rappresentativo, qui trouve son origine dans les recherches entreprises dans les années 1580 par les monodistes florentins. Ce style vocal s'apparente à la déclamation, dont ils cherchaient les modèles supposés dans le théâtre antique. Le fruit de cette quête fut l'invention de l'opéra, au début du siècle suivant.
Ici encore, le paradigme de l'imitation règne en maître. Il en découle une exigence de vraisemblance et d’intelligibilité. D'où le choix opéré en faveur de la monodie (par contraste avec la polyphonie médiévale) : étant le propre d'une personne, les émotions doivent être exprimées par un seul chanteur, qui doit veiller à toujours être intelligible, en utilisant le stile recitativo, dérivé de la déclamation théâtrale.. Le compositeur doit pour sa part trouver des correspondances entre les mots et les sons, ou figuralismes (la gloire ou la joie s'expriment souvent par des mouvements ascendants).
Monteverdi n'a pas inventé le stile rappresentativo. Mais il a su lui donner une profondeur expressive jamais atteinte jusqu'à lui, comme le montre la Lettre d'amour, un de ses madrigaux publiés en 1619.

[Illustration sonore : Monteverdi , Lettera amorosa, VIIème Livre de Madrigaux]

C) De l’imitable à l'ineffable

Longtemps après, en 1785, le Comte de Lacépède croit toujours dans la théorie de l'imitation. Il écrit dans sa Poétique de la musique :
« Le musicien emploiera, pour imiter les passions dans les airs et les endroits où il chantera véritablement, ces phrases de chant qui tirent une si grande puissance de la ressemblance avec les signes des sentiments, et qui doivent servir de liaison aux images fidèles des affections de notre âme. Il placera dans les accompagnements tout ce qui pourra représenter ou renouveler l'image des passions qu'il voudra peindre, tous les signes qui pourront caractériser ».

Rien n’a-t-il donc changé ? Non, car ces idées ne sont plus à la mode. Non pas qu'on refuse à la musique la possibilité d'exprimer des sentiments, bien au contraire. Mais à partir des années 1780, elle le fera progressivement par d'autres voies.
Certes au début du siècle des auteurs se soucient toujours de trouver des équivalences entre les sentiments et les moyens musicaux. Ainsi de Le Cerf de la Viéville dans sa Comparaison de la musique italienne et de la musique française (1704-1706) et du Spectacle de la Nature de l'abbé Pluche (1732). Mais bientôt l'idée qu'on se fait de la Nature va changer, et avec elle la croyance en la possibilité de l’imiter. Nous en trouvons une fois de plus un signe sensible dans l'art des jardins. Le jardin « à l'anglaise » (il est en fait d'origine chinoise, par l'intermédiaire de la Grande-Bretagne) apparaît en 1731 à Twickenham avec la création du premier jardin « irrégulier » par Pope. Il rejette l'idéologie versaillaise de domination du pouvoir royal sur l'univers : la nature est plus forte que l'homme et celui-ci doit se plier à ses règles plutôt que les contrarier (idéologie qui n'est pas sans écho dans le mouvement écologique actuel). Sous Louis XVI Versailles même subira l'empreinte des nouvelles idées avec la création du Hameau de la reine au Petit Trianon. Et ce n'est que récemment que l'on a entrepris de redonner au Parc le type de végétation qu'il avait au temps de Louis XIV.
Jean-Jacques Rousseau, bien sûr, sera en France le principal propagandiste des idées nouvelles. Les Rêveries du promeneur solitaire (1776- 1778), les Confessions, abondent en descriptions de paysages. Dans La Nouvelle Éloïse, Jean-Jacques célèbre les vertus de la vie champêtre, que l'on retrouvera dans son opéra, Le Devin du Village, une oeuvre que nous trouvons aujourd'hui musicalement médiocre, mais qui fut représentée durant plusieurs décennies.
La même vogue des paysages et des thèmes ruraux envahit la peinture. Par exemple celle de Thomas Gainsborough (La jeune porchère, 1782 ; Les moissonneurs, 1787, et, bien sûr,Greuze (1725-1805), (La cruche cassée,
L’ accordée de village).
Le droit n'en est pas exempt.
Malgré les vitupérations des philosophes et des grands commis de l'Etat contre la diversité du droit au nom de la raison, c'est bien au contraire les particularismes et même le provincialisme qu'on prise, au point que le parti des Lumières fait figure de minorité moderniste (parfois influente dans le gouvernement, où Turgot, souvent qualifié par l'historiographie de “ dernière chance de la monarchie ”, l’a tardivement représenté), avec ses habituelles critiques contre les “ vieilleries coutumières ”, l'architecture “ gothique ”, et les “ patois ” locaux. La littérature “ patoise ” (notamment occitane) s'introduit dans la poésie, la chanson et le théâtre. En 1754, Louis XV assiste à Fontainebleau à une pastorale languedocienne, Daphnis et Alcimandre. Certains juristes, comme l'avocat basque Hourcastrenné, plaident en faveur des langues locales. Dans plusieurs universités de province, les professeurs de droit français font l'histoire du droit local. Pour eux, l'unité du royaume peut aller de pair avec la diversité de ses provinces : un thème très actuel aujourd'hui encore... Sous le règne de Louis XVI, l'idée de décentralisation est à la mode. Turgot fait rédiger un Mémoire au roi sur la création des assemblées provinciales, qui préconise de confier à ces assemblées beaucoup plus de pouvoirs dans la gestion des affaires locales, en réaction contre l'activité centralisatrice des intendants, vivement critiqués. Ces assemblées commencent à être créées dans certaines provinces, mais Necker entre en conflit avec le Parlement : il démissionne en 1781. Quelques années plus tard, la Révolution tournera brusquement le dos à ces initiatives.
Mais Rousseau a fait bien davantage qu'encourager les célébrations bucoliques. En effet, il prône la supériorité de la sensibilité. Dans la profession de foi du vicaire savoyard de l’Emile, n'écrit- il pas : « Est bon ce que je sens être bon » ?
L’on sait par ailleurs le rôle qu'il tint dans le conflit qui l’opposa à Rameau lors de la Querelle des Bouffons, où il se fit le champion de la mélodie contre l'harmonie. Bernardin de Saint-Pierre devait le suivre dans cette exaltation de la sensibilité, en affirmant : « Je sens, donc j'existe » (on peut en rapprocher la célèbre réflexion du peintre Chardin : « On se sert des couleurs, mais on peint avec le sentiment », ou celle d'André Chénier : « L’art ne fait que les vers, le cœur seul est poète »).
La Nature ne peut plus être soumise par l'homme, il y a quelque chose en elle qui le dépasse ; elle devient a-rationnelle, le sentiment est plus adapté que l'intellect que pour pénétrer ses arcanes. De nos jours, l'essentiel de ces affirmations est devenu pour nous banal. Mais il n'en allait pas de même à la fin du XVIIIe siècle. C'était en effet la fin d'un antique modèle, où la cohérence entre l'homme et le monde reposait essentiellement sur la croyance en la possibilité de cette cohérence et sur la voie royale de la raison pour l’atteindre. En 1785, Michel Chabanon (il écrit exactement en même temps que le Comte de Lacépède...) témoigne de cet ébranlement esthétique : « Rien de si douteux que ce besoin d'imiter dont on fait une des propositions essentielles de la musique ». Car en libérant les passions, on prend conscience qu'il est bien difficile de les imiter : elles sont devenues à la fois trop vagues est trop puissantes, comme la nouvelle vision de la Nature qui les inspire. On ira rapidement plus loin en affirmant l'autonomie de la musique instrumentale : contrairement aux siècles précédents, la musique n'a plus à être la servante du texte.
Ce sont les idées de Mme de Staël, très critique envers les philosophes du XVIIIe (on connaît son mot sur les Lumières qui ont fini en incendie...). Dans le chapitre consacré aux Beaux-Arts de De l'Allemagne, elle écrit que la musique est le premier des arts parce que justement elle n'est pas figurative :
« La rêverie délicieuse dans laquelle cet art nous plonge anéantit les pensées que les mots peuvent exprimer et la musique réveillant en nous le sentiment de l'infini, tout ce qui tend à particulariser l'objet de la mélodie doit en diminuer l’effet ».
Dans Corinne, elle donne une dimension métaphysique à son propos :
« Il semble qu'en écoutant des sons purs et délicieux, on est prêt à saisir le secret du Créateur et à pénétrer le mystère de la vie ».
Plus tard Stravinsky lui aussi affirmera que la musique n'exprime rien à proprement parler. Le propos fit scandale. Pourtant, le débat était alors devenu ancien. D'ailleurs Stendhal avait déjà exprimé le même type de position en avouant l'impuissance des mots à rendre compte des sentiments ambigus de la Comtesse à l'égard de Chérubin dans Les noces de Figaro :
« Cette situation de l’âme n'a presque pas de termes pour l'exprimer et est peut-être une de celles que la musique peut beaucoup mieux peindre que la parole ».
D'ailleurs Mozart avait écrit à son père en 1778 :
«... Dans les opéras, les récitatifs devraient pour la plupart être traités ainsi [c'est-à-dire parlés], et chantés à l'occasion seulement, quand les paroles peuvent être parfaitement exprimées par la musique ». Ce qui signifie qu'il distingue deux traitements de la musique :
quand elle peut exprimer un texte, mais aussi, de manière plus complexe, lorsqu'elle suffit à exprimer une action dramatique. C'est ce second aspect que d'après lui doit privilégier l'opéra, le premier étant au contraire accentué par l'esthétique baroque. L'avenir devait donner raison à Mozart. Comme le fait remarquer C.Rosen :
« Les opéras bouffes de Mozart, qui rompirent partiellement avec l'esthétique de l'expression, ont tenu la scène sans interruption, et avec grand succès, depuis l'époque de leur composition : c'est significatif. Figaro,Don Giovanni et Die Zauberflöte sont les premiers opéras qu'on a jamais eu besoin de
ressusciter ».
En 1830, cinquante-deux ans seulement après la mort de Rousseau, la musique a cessé d'être un art d'imitation et se situe au sommet de la hiérarchie des arts. Elle est une des voies de la transcendance. Mais comme l'écrit Jean Mongrédien :
«... pour en arriver là, il fallait d'abord que le moi se plaçât au centre du monde et que, constatant son incapacité quasi existentielle au bonheur, il se tourna vers les arts pour étancher sa soif d'absolu ». N’est-ce pas encore largement notre position ? Les désastres du XXe siècle, les angoisses de l'écologie, l'effondrement des idéologies nous ont désorientés. Il n'est pas impossible de trouver là, parmi d'autres facteurs, l'explication du regain de notre attirance pour les arts et la culture.
Les juristes eux-mêmes ne peuvent que constater un recul de la pensée codificatrice, inspirée du mouvement rationaliste de Descartes. Non pas qu'il y ait aujourd'hui moins de codes : au contraire, ils se multiplient. Mais bien souvent, il ne s'agit que d'assemblages, de compilations destinées a rassembler en un seul volume des textes épars. Rien de comparable au mouvement qui gouvernait les pensées des rédacteurs des codes napoléoniens et, à une époque antérieure, les ordonnances de codification de la monarchie absolue : on avait en vue la synthèse du droit et non son éparpillement, en un certain nombre de grands textes qui, de surcroît, devaient rester quasi-inaltérables au temps (Napoléon ne disait-il pas de son Code civil : « Un seul commentaire, et mon Code est perdu » ?).
La passion des codifications avait en effet régné à l'âge baroque, dans le droit comme dans les arts.

D) La passion des codifications

L'art et le droit, même combat ? Oui, souvent. Même si le rapprochement peut paraître insolite au profane, force est de constater dans leur histoire plus que des rapprochements : des coïncidences. Elles ne sont pas dûes au hasard et il faut ici rappeler la réflexion de Platon :
« C'est la plus radicale manière d'anéantir toute argumentation que de séparer chaque chose de toutes les autres, car la raison nous vient de la liaison mutuelle entre les choses » .
Si on applique ce raisonnement à l'époque qui nous intéresse, on constate que les arts et le droit sont habités par des croyances communes. Lesquelles ?




a) Légalité des arts et du droit

Au XVIIe siècle, la souveraineté de la raison instaurée par Descartes inspire une démarche commune aux juristes et aux artistes : ils s’éprennent des codifications. Celles-ci sont inspirées par l'espoir d'une synthèse des connaissances : comme le croyait Aristote, il est possible de découvrir les lois universelles qui régissent l'art. Les codificateurs du droit ne pensaient pas autrement . Ces efforts reposent sur la croyance en l'invention d'un langage qui les soutiendrait : une rhétorique, qui découle ici d'une esthétique normative. Il y a un art baroque, et aussi un Etat baroque. Il existe d'ailleurs une convergence entre la théorie de l'art des plus grands penseurs politiques et leur théorie du droit.
Le soutènement de cette esthétique normative est assuré par le paradigme de l’imitation. À la démarche d'Aristote qui regardait l'art comme
« la connaissance de règles vraies en vue de la production d'objets » fait écho la célèbre définition de Montesquieu : « Les lois sont les rapports nécessaires qui résultent de la nature des choses ». La nature, une fois de plus... C’est qu’en effet le débat sur la mission de l'art par rapport à la nature, qu'il est censé imiter, rejoint celui sur les rapports entre le droit et la nature, qu'il est censé exprimer. Tout ceci suivant des règles strictes, découlant de l'activité de la Raison. D'où une légalité de l'art français de cette époque, bien perçue par Paul Valéry au début du XXe siècle :
« On ne consentait pas que les effets qu'une oeuvre peut produire, si puissants si heureux fussent-ils, fussent des gages suffisants pour justifier cet ouvrage et lui assurer une valeur universelle : le fait n'emportait pas le droit. On avait reconnu, de très bonne heure, qu’il y avait dans chacun des arts des pratiques à recommander, des observances et des restrictions favorables au meilleur succès du dessein de l'artiste, et qu'il était de son intérêt de connaître et de respecter (...) Peu à peu, et de par l'autorité de très grands hommes, l'idée d'une sorte de légalité s'est introduite (...) on raisonna, et la rigueur de la règle se fit. Elle s'exprima en formules précises ; et cette conséquence paradoxale s'ensuivit, qu’ une discipline des arts, qui opposait aux impulsions de l'artiste des difficultés raisonnées, connut une grande et durable faveur à cause de l'extrême facilité qu'elle donnait de juger et de classer les ouvrages par simple référence à un code ou à un canon bien défini ” .
Droit, légalité, codes, canon... des termes à forte connotation juridique, extrapolés dans les arts, non par abus postérieur, mais comme constat de représentations communes, dont la volonté d’unification par uniformisation. On peut sans doute y rattacher la généralisation du tempérament, opérée à la fin du XVIIe par A.Werckmeister (1645-1706), et largement utilisée par J. S. Bach (Le Clavecin bien tempéré). On peut définir la gamme comme l'ensemble des intervalles, égaux ou non, divisant une octave. Jusqu'à Werckmeister, on n'était pas parvenu à trouver de solutions permettant de concilier la coexistence de certains intervalles, les quintes justes et les octaves justes. Celui-ci en trouva le moyen en diminuant chaque quinte d'une petite fraction : toutes les divisions de l'octave devenaient égales. Il enseigna aussi comment accorder les instruments en conséquence . Le système eut pour effet d'enrichir considérablement le nombre de modulations possibles. Dans le même esprit, le système de notation se stabilise à partir du XVIIe.
C'est aussi à cette époque que la France se lance dans les premières codifications.

b) Les codifications des juristes

Le cartésianisme a pour reflet juridique le légalisme (le juge n'est que l'exécutant de la loi). Or, plus concrètement, cette loi est créée par certaines institutions. En l'occurrence, l'Etat. Déjà au XVIe siècle le grand théoricien Jean Bodin avait identifié dans le pouvoir législatif la principale marque de la souveraineté. Dès lors, l'Etat monarchique va jouer un rôle fondamental dans cette définition au début de son Traité des Ordres (1613), le juriste Charles Loyseau avertit :
“ Il faut qu'il y ait de l'ordre en toutes choses ”. La monarchie absolue va s'en charger en élaborant les premières codifications sur lesquels plus tard s'appuieront les codes napoléoniens. Colbert (1619-1683) avait en tête la codification de tout le droit, dont il voulait faire “ un corps entier et parfait ”.
Ce projet avait certes un caractère politique. Ses conseils à Louis XIV sont explicites : “ Réduire tout le royaume sous une même loi, même mesure et même poids (...) serait assurément un dessein digne de la grandeur de Votre Majesté, digne de son esprit et de son âge, et lui attirerait un abîme de bénédictions et de gloire ”. Mais ce projet politique possède une base philosophique : la conviction que la raison peut entièrement rendre compte du droit et en dégager les lois essentielles.
En pratique, Colbert ne parviendra à faire codifier que certains secteurs du droit et de la procédure. Chancelier de France de 1717 à 1750, d'Aguesseau (1668-1751) poursuit le même but d'unification, mais là encore les résultats ne seront que partiels.
Quoi qu'il en soit, les mêmes ambitions uniformisantes sont à l'oeuvre dans la doctrine. La pression en faveur de la constitution d'un droit commun coutumier s'accentue. Ainsi Loysel écrit-il en 1608 dans ses Institutes coutumières qu'à l'image de “ l'obéissance à un seul roy ” et “ quasi une seule et unique
monnaie ” les coutumes soient “ enfin réduites à la conformité, raison et équité d'une seule loi ”. Du côté des théoriciens, la figure marquante est Jean Domat (1625-1696). Janséniste et chrétien convaincu, avocat du roi au Présidial de Cleirmont en Auvergne, il fut qualifié par Boileau, cet autre codificateur, de :
“ restaurateur de la raison et de la jurisprudence ”. Son principal ouvrage est intitulé : “ Les lois civiles dans leur ordre naturel ” (1694). Cet ordre naturel est rationnel, car un seul principe engendre toutes les lois humaines : l'amour entre les hommes, prescrit par Dieu.
Le XVIIe connaît donc de vastes tentatives d'organisation du savoir. Nous venons de voir que dans le domaine juridique, elles procèdent largement de la volonté royale. Celle-ci s'exerce aussi dans les arts. Les créations d'Académies se succèdent à partir de la moitié du siècle et sont les plus nombreuses sous Louis XIV : Académie Française en 1635, Académie royale de peinture et de sculpture en 1655, Académie royale de danse en 1661, Petite Académie
(la future Académie des Inscriptions et Belles Lettres) en 1663, l'Académie des Sciences et Académie de France à Rome en 1666, l'Académie royale d'architecture en 1671, la Comédie française en 1680. L'Académie royale de musique (qui deviendra en fait l'Opéra) est créée en 1672. Après avoir été pendant de longues années directeur de la musique du fermier général La Poupliniere, Rameau en fit partie. Pour Louis XIV, la musique est au premier rang des arts libéraux. D'ailleurs en créant l'Académie, il donne aux nobles le privilège de pouvoir chanter sans déroger, afin de développer l’art vocal. Les Académies manifestent certes le souci d'encadrement des arts par le pouvoir. Mais pas seulement. Elles sont aussi des lieux de liberté pour les artistes, qui leur permettent d'échapper aux contraintes des milieux corporatifs.
Au bout du compte, l'idée de codification du droit aura suscité chez les juristes de l'âge baroque de grandes espérances, mais les résultats resteront en deçà des ambitions. Parvenons-nous au même constat en ce qui concerne les artistes ?

c) Les codifications des artistes
Le peintre Charles Le Brun (1619-1690) vivait à la même époque que Colbert (1619-1683). Celui-ci favorisa sa carrière, le faisant nommer en 1662 premier peintre de la Couronne. Il avait déjà participé en 1648 à l'institution de l'Académie royale de peinture et de sculpture, dont il devint le directeur. C'est un adepte de Descartes. Comme le philosophe, il situe l'origine des passions dans le cerveau , et non plus dans le coeur. Il est partisan de l’imitation de la nature, quitte à en corriger les défauts d'après les canons de la Beauté, établis par l’art antique. Dans son discours à l'Académie (déjà cité) d'avril-mai 1668 sur L’Expression des passions, qui recueillit l'avis favorable de Colbert, il dresse un catalogue des manières de figurer les passions. Il envisage surtout des passions violentes (la frayeur ou la colère) jugeant que l'amour ou l'espérance
« ne produisent pas de grands mouvements », ce que Nicolas Mignard avait souligné l'année précédente dans son commentaire de la Sainte Famille de Raphaël. Lisons par exemple ce que dit Le Brun de la colère :
« Lorsque la colère s'empare de l'âme, celui qui ressent cette passion a les yeux rouges et enflammés, la prunelle égarée et étincelante, les sourcils tantôt abattus, tantôt élevés et resserrés l'un contre l'autre, le front paraîtra ridé, formant des plis entre les yeux, les narines paraîtront ouvertes et élargies, les lèvres grosses et renversées et se pressant l'une contre l'autre et la lèvre de dessous surmontera celle de dessus, laissant les coins de la bouche un peu ouverts, formant un ris cruel et dédaigneux. Il semblera grincer les dents, il paraîtra de la salive à la bouche, son visage sera pâle en quelque d'un groupe endroit, et enflammé en d'autres et tout enflé ; les veines du front, des tempes, et du col seront enflées et tendues, les cheveux hérissés, et celui qui ressent le cette passion souffle au lieu de respirer, parce que le coeur est oppressé par l'abondance du sang qui vient à son secours ».

[Illustration visuelle : Charles Le Brun, La Colère, Musée du Louvre, Département des arts graphiques, Paris]

Comme on s’en doute, le peintre est invité à une connaissance précise de l'anatomie, tout particulièrement celle des muscles du visage.
Ce type de leçon restera longtemps au coeur de l'enseignement académique.
Pourtant, on en avait très vite perçu les limites : les passions peuvent s'exprimer d'une manière beaucoup plus diversifiée que ne le disait Le Brun. Par exemple, sa description de la colère ne s'applique pas à ce que nous nommons « la colère froide ». En 1679,Félibien souligne qu'on peut dissimuler ses sentiments et réclame une classification plus subtile, tenant compte de l'âge et de la condition des personnages. En 1708, dans son Cours de peinture par principes, Roger de Piles écrit que le discours de Le Brun est réducteur :
« Ce serait ici le lieu de parler des passions de l'âme : mais j’ai trouvé qu'il était impossible d'en donner des démonstrations particulières qui puissent être d'une grande utilité à l'art. Il m'a semblé au contraire que si elles étaient fixées par de certains traits qui obligeassent les peintres à les suivre nécessairement comme des règles essentielles, ce serait ôter à la peinture cette excellente variété d'expression qui n'a point d'autre principe que la diversité des imaginations dont le nombre est infini, et les productions aussi nouvelles que les pensées des hommes sont différentes. Une même passion peut être exprimée de plusieurs façons toutes belles, et qui feront plus ou moins de plaisir à voir, selon le plus ou le moins d'esprit des peintres qui les ont exprimées, et des spectateurs qui les sentent ».
Piles dénonce dans le côté trop mécaniste des analyses de Le Brun. Cette exagération provient notamment de la sous-évaluation de la dimension psychologique des passions. Elles ne sont pas seulement des mouvements du visage, mais aussi ceux de l'âme.
Félibien l’écrit quelques années plus tard, en 1679 :
« Pour les bien peindre [les passions], il faut qu'un peintre ait exactement observé les marques qu'elles impriment au dehors, mais qu'il sache ce qui les fait naître dans le coeur de l'homme, et de quelle sorte ceux qui se rencontrent à quelque spectacle sont différemment touchés de ce qu'ils voient ».
Autre élément que laissent entrevoir les citations de Piles et Félibien : la diversité des spectateurs, qui a augmenté à la fin du XVIIe, alors que trente ans avant, Le Brun spéculait sur leur uniformité. De surcroît, comme nous l'avons déjà remarqué, à cette époque on commence plus qu'auparavant à prendre en compte la sensibilité du récepteur de l'oeuvre d'art. L'universalité du langage adoptable par les artistes devient donc beaucoup plus difficile à atteindre.
Le XVIIIe siècle sera aussi celui de la désillusion des codificateurs du droit. Les dernières ordonnances de codification sont édictées sous Louis XV. Après quoi, le mouvement s'épuise et les tentatives en ce sens échouent. D'ailleurs, à la fin du siècle, les particularismes reviennent à l'honneur. Il faudra les tempêtes révolutionnaires et l'autorité de Napoléon pour que reprenne l'élan codificateur. Encore procédera-t-il davantage d'une volonté de stabilisation que de celle de créer un homme nouveau, et Portalis lui-même (il avait souffert de la Révolution) se gardait bien de croire que son Code était intangible ou absolu. N'a-t-il pas dit :
« On ne fait pas à proprement parler les codes, ils se font avec le temps ».
Comme les artistes, les juristes ont donc dû se montrer plus modestes est renoncer à l'ivresse de la raison.
Les musiciens aussi.
Ils se sont même engagés de façon précoce dans la voie des codifications. C'est en 1636 que Marin Mersenne (1588-1648) écrit son Harmonie universelle, soit avant le Traité des passions de Descartes (dont Mersenne était un des correspondants) et plus encore le discours de Le Brun. Pour ce théoricien (il ne pratiquait pas lui-même la musique), les passions fondamentales sont la colère, la joie, la tristesse. Les intervalles agréables à l'oreille serviront à la joie. Chaque passion pourra être exprimée par trois degrés (modéré, fort, violent), suivant son intensité. Il compare l'art des musiciens à celui des prédicateurs et des orateurs, rapprochant rhétorique et musique autour de la notion d’affect. Plus tard, Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) proposera un catalogue complet des tonalités avec les effets qu'elles sont capables de produire (par exemple : ut majeur, gai et guerrier ; ré mineur, grave et dévot ; la mineur, tendre et plaintif ; si mineur, solitaire et mélancolique, etc.). Plus tard encore, en 1722, Jean-Philippe Rameau adoptera une démarche apparemment similaire dans son Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels.

[Illustration documentaire : Tableau comparatif des affects liés aux tonalités, par A.Piéjus, Figures de la Passion, Paris, Cité de la musique-Réunion des musées nationaux, 2001, p. 273]




Même si aujourd'hui nous avons tendance à sourire de ces classifications, elles ne sont pas purement arbitraires. Le grand public ressent bien la distinction mineur/majeur comme équivalente à celle entre tristesse et joie. De même, l'association fréquente de la tonalité de ré mineur à la dévotion s'explique par le fait que beaucoup de pièces de plain-chant (comme le Salve Regina) sont effectivement écrites dans cette tonalité.
Cependant, comme plus tard Le Brun, ces tentatives pèchent par leur arbitraire. On peut trouver des expressions de la tristesse en mode majeur. Ainsi du superbe air de Télaïre dans l'opéra Castor et Pollux de Rameau :

[Illustration audiovisuelle : Rameau,Castor et Pollux, Air de Télaïre :Tristes apprêts, pâles flambeaux]

De manière plus générale, on relève des différences d'appréciation non négligeables entre les auteurs sur les qualités expressives de chaque vous vous .
Rameau lui-même, théoricien rationaliste et fervent de Descartes s’il en fut, se montre très prudent en la matière. Il croit certes en l’existence d'un certain nombre de procédés musicaux rhétoriques. Par exemple, l'utilisation du diatonique pour l'agréable, du chromatique pour le varié, de l’enharmonique pour les passions excessives. Mais dans sa Génération harmonique (1737), il reconnaît qu'il n'existe pas de règles absolues fixant des équivalences entre les modes et les sentiments, et son propre tableau de ces correspondances se garde d'une précision excessive. Il préconise aussi l'usage d'une mesure irrégulière, puisque le sentiment « ne peut être asservi partout à une mesure régulière sans perdre de cette vérité qui en fait le charme ». Loin d’être d'un académisme stérile, comme voudront le faire croire les partisans de Jean-Jacques Rousseau, sa musique recèle nombre d'innovations. Ainsi du deuxième trio des Parques (Acte II, scène V) dans Hyppolite et Aricie (1733). Le discours inquiétant des Parques, ces divinités souterraines, n'appartient pas au monde des humains. Il ne peut donc emprunter le même langage musical, habituel. Rameau procède par enharmonies, changeant de ton jusque plusieurs fois par mesure, et non pas selon des procédés traditionnels, mais en modulant à des tons voisins. Il s'ensuit une perte des repères tonaux, très sensible pour les contemporains (mais évidemment beaucoup moins pour nous, qui nous situons après la césure wagnérienne, marquant l'éloignement progressif vis-à-vis du système tonal, qui devait déboucher sur la musique sérielle). Elle fut source de problèmes : l'orchestre ne parvint que très difficilement à exécuter ce trio, à tel point que Rameau dut revoir sa copie lors des reprises de l'oeuvre.

[Illustration sonore : Rameau, Hyppolite et Aricie, Acte II, scène V ; deuxième trio des Parques,] Figures de la Passion, Paris, Musée de la musique, 2001

Dans l’Air de Télaïre précédemment cité, on trouve aussi une transition alors insolite : le chœur exécute d'abord une séquence (Que tout gémisse...) en fa mineur, puis Télaïre entonne Tristes apprêts dans la tonalité éloignée de mi bémol majeur. Le procédé fut évidemment remarqué. Il plut beaucoup. On le cita pendant longtemps comme un trait de génie. Aujourd'hui, nous le remarquons à peine. Peut-être parce que le public moyen est beaucoup moins compétent que celui du XVIIIe siècle, comme le note non sans amertume Claude Lévi-Strauss à propos de ce passage de Rameau. Mais à coup sûr parce que notre oreille a été depuis habituée à des modulations plus hardies.
Attardons-nous davantage sur l'exemple de la musique.

d) Point d’orgue :la rhétorique musicale
La rhétorique musicale utilise divers moyens. L'organologie : les instruments de musique eux-mêmes peuvent symboliser des sentiments. L'intensité et la complexité de l'émotion peuvent aussi être recherchées dans la mise en place de certains dispositifs scéniques. Enfin, bien sûr, elle consiste en un certain nombre de procédés d'écriture.

1) Symbolique des instruments de musique

De nos jours encore, certains instruments de musique font figure de symbole.
Du sexe, par exemple : les harpes sont en général jouées par des femmes, les cuivres et percussions par des hommes.
La symbolique des instruments est particulièrement riche à l'époque baroque.
Le luth possède souvent une connotation sexuelle, lunaire ou féminine. Il fut abondamment représenté par les peintres, notamment dans les natures mortes. On le trouve aussi dans les vanités, où il évoque la dangereuse séduction des plaisirs charnels, puisqu'en lui prêtait la réputation de séduire les belles (La Vierge entourée des symboles de la vanité, de Jan van de Kessel). Il arrivait d'ailleurs qu'il soit associé à la flûte traversière dans l'évocation de la luxure (Le Concert, de Willem van Aelst). En effet, la flûte fait office de symbole phallique. À ce titre, elle figure souvent dans les scènes à caractère érotique. Ainsi du tableau de B. Cavarozzi, de facture très caravagesque, Le jeune violoniste : un jeune et très beau violoniste, à l’allure féminine, porte sur un non moins jeune flûtiste un regard où l'on peut lire la convoitise. Cependant, la flûte peut aussi évoquer la féminité. Le terme grec aulos signifie : conduit creux. Les Gimi de Nouvelle-Guinée assimilent l'orifice où l'on souffle au vagin, l'intérieur creux à l'utérus, les sons produits aux plaintes du nouveau-né. La flûte est aussi située souvent du côté de la mort, notamment chez les Pères de l'Eglise. Non sans raisons : chez les Romains, on utilisait un tibia pour la confectionner.

La guitare passe pour l'instrument féminin par excellence (La joueuse de guitare, de Vermeer ; Le concert, de Jean Raoux). Les disciples du Caravage la montrent souvent dans les maisons de tolérance...
Ce n'est pas le cas du clavecin, instrument aristocratique par excellence, au point que sous la Révolution, on en brûla beaucoup et que leurs propriétaires, quand ils étaient monarchistes, les firent peindre en noir après l'exécution du roi. L'iconographie nous montre souvent des femmes au clavier (La famille de l'artiste, Jean-Marc Nattier ; Marguerite de Sève, Nicolas Largillière ; La leçon de musique, Fragonard). L’épinette est aussi un instrument de femmes, mais plutôt dans les familles de petite ou moyenne bourgeoisie, car elle est moins coûteuses que le clavecin (Dame assise à l'épinette,Vermeer).
La trompette est le symbole des victoires, comme du jugement divin : bien des anges les embouchent dans les églises baroques. Bach l’utilise dans son Magnificat.
Le violon est aujourd'hui parfaitement banalisé. Mais il eut pendant longtemps mauvaise réputation, étant considéré comme un instrument populaire, tout juste bon à accompagner les danses rustiques des villageois. Il pouvait aussi passer pour diabolique, ce qui en fit un des instruments privilégiés des peintures de vanités. Au XVIIe siècle, le musicologue Lecerf de la Viéville écrivait
encore : « Cet instrument n'est pas noble en France, mais enfin un homme de qualité qui s’avise d'en jouer ne déroge pas ». On pouvait donc se poser la question...

[Illustrations visuelles :
-Jan van Kessel, La Vierge entourée des symboles de la Vanité, Belgique, collection particulière, extrait de : J.E.Doussot, Les instruments de musique dans la peinture baroque, Les Dossiers de l’art, L’objet d'art, hors-série, nº 82, décembre 2001-janvier 2002 , Éditions Faton, Dijon, p. 16
-Johannes Vermeer, La joueuse de guitare, Londres, Kennwood House, ibid.,33
Willem van Aelst, Le Concert ,ibid., 21
G. de Pitati, Le mauvais riche, ibid.
Jean Raoux, Le concert, ibid., 36, (Musée Mandet, Riom)
Artemisia Gentileschi, Joueuse de luth, ibid., 59
Johannes Vermeer, Dame assise à l’épinette, ibid., 61 (Londres, National Gallery)
Nicolas Largillierre, Marguerite de Sèves, ibid.,67 (San Diego,Timken Art Gallery)
Jean-Marc Nattier, La famille de l'artiste, ibid.,67 (Château de Versailles)



2) La recherche du spectaculaire en musique et en peinture

On sait que les Vénitiens pratiquaient beaucoup la polychoralité afin d'augmenter le relief sonore des oeuvres musicales. Cette impression est également recherchée par l'utilisation d'oppositions : opposition d'instruments et de leurs timbres, rupture de rythmes, alternance de choeurs et de solistes. Les oeuvres de Giovanni Gabrieli (il est engagé en 1585 à Venise à la Scuola San Rocco) en sont truffées. La musique offre ici avec la peinture d’intéressants parallèles. En effet, la peinture se spatialise chez Titien, Véronèse et surtout Tintoret (dans Le baptême du Christ, des diagonales limitent plusieurs plans successifs, dans une ascension de couleurs allant du très sombre au lumineux).
On cherche donc à repousser les limites communément admises, dans la recherche du spectaculaire, afin de frapper les sens et l'imagination. En peinture, les trompe-l'oeil se multiplient, ainsi que les perspectives vertigineuses. En 1694,Andrea Pozzo peint à Saint Ignace de Rome L'oeuvre missionnaire des Jésuites. Un extraordinaire plafond, ouvrant sur un ciel peuplé à différents niveaux d'élévation de groupes d'anges et d’élus. Très haut, le fondateur des jésuites, Ignace de Loyola, dominé des figures aérienne qui flottent dans l'immensité. Il est surmonté du Christ portant sa croix.

[Illustration visuelle (diapositive) :Andrea Pozzo, Église St Ignace, La voûte de la nef (1691-1694), Rome]

Dès le début du XVIIe siècle, la musique utilise des artifices voisins, véritables trompe l'oreille, comme le procédé d’écho : ainsi du Magnificat des Vêpres de la Vierge (1610) de Monteverdi, (compositeur que l'on peut rapprocher du Caravage par leur affection commune pour les effet de clair-obscur). Son élève F.Cavalli en consacrera l'usage dans ses opéras (La Calisto, 1651 ; Ercole amante, 1662).

[Illustration audiovisuelle : Monteverdi, Magnificat des Vêpres de la Vierge]

3) Les procédés d'écriture

Commençons par remarquer que, du moins en ce qui concerne la musique purement instrumentale, qu'elle constitue un langage, c'est-à-dire un système de signes, plus précisément des intervalles, à l'organisation desquels on peut afffecter des correspondances avec des sentiments ou des passions déterminées : c'est la doctrine des affeti , utilisée de Mersenne à Rousseau. Cependant, elle n'est pas une langue comme les langues naturelles, dans la mesure où elle ne renvoie pas à une réalité extérieure précise, la preuve étant qu'on peut transcrire une musique, mais pas la traduire comme on ferait d'une langue étrangère.
De plus, la musique n'utilise pas le temps comme d'autres formes de langues ; alors que le texte écrit peut mélanger plusieurs temps, la musique n'en a qu'un seul.
Quoi qu'il en soit, l'élaboration d'une rhétorique musicale va de soi en ce qui concerne la musique associée à un texte. Elle se fit avec les matériaux fournis par les madrigaux italiens de la seconde moitié du XVIe siècle.

[Illustration audiovisuelle : Extraits de madrigaux de Monteverdi]

Mais elle revint surtout aux auteurs allemands. L'italien Giulio Caccini, en 1614, reste très général quand il écrit:
«Aux figures que la rhétorique met au service des nuances de l'éloquence correspondent les passagi, trémolos et autres ornements qui peuvent, ici et là, se pratiquer pour quelques expressions ».
Quelques années auparavant, en 1606, Joachim Burmeister était allé beaucoup plus loin dans ses Musica poetica. Pour la première fois, il y proposait un lexique analogique entre figures de rhétorique et motifs musicaux. Cette réflexion fut approfondie par d'autres auteurs allemands et déboucha sur un catalogue de figures (anabasis, mélodie ascendante traduisant l'idée
d'élévation ; catabasis pour son contraire ; circulatio, élément mélodique fermé, tournant sur lui-même selon l'idée de cercle ; ellipse, omission d'un élément essentiel dans la ligne mélodique ou arrêt suivi d'un enchaînement imprévu ; interrogatio, fin sur un degré non conclusif ; mutatio toni, changement brutal de tonalité ; suspiratio, silences répétés fractionnant la ligne mélodique à l'image du sanglot ; polyptoton, répétition d'un motif mélodique sur différents enregistrent dans une polyphonie, à laquelle on reconnaît le principe de l’imitation, etc.).

L’aria da capo est une innovation majeure de l'âge baroque. C'est une forme fixe en ce sens qu'elle est standardisée (comme la cavatine, la ritournelle, etc.). Elle est aussi ternaire, de type A,B,A. L'air se fonde sur deux courtes strophes textuelles, chacune présentant deux aspects d'un même sentiment. La première strophe est longuement développée et comporte souvent deux parties (A1 et A2), encadrées par des ritournelles instrumentales exposant les motifs principaux.
La tonalité oscille du ton principal à celui de la dominante. La deuxième strophe consiste en une partie contrastante, plus brève , qui comporte des oppositions de tonalités (B). La première strophe est ensuite entièrement réexposée (retour de A) . C'est ici que l'interprète jouit de la plus grande liberté : il est admis qu'à chaque représentation il puisse proposer de nouvelles variations.
La répétition paraît inhérente au langage musical, en raison de sa fluidité temporelle : elle sert en fait à la mémorisation, en des sortes de cercles concentriques.
On obtient ainsi le schéma suivant :
partie A :
Ritournelle instrumentale
A1
Ritournelle instrumentale
A2
R
Ritournelle instrumentale
partie B
Partie a réexposée (da capo : cette mention est notée sur la partition à la fin de B pour indiquer qu'il faut reprendre A).
L'aria da capo est très souvent utilisé dans l'opéra italien. Un récitatif rapide déroule l'action dramatique, qui se fige à la fin de chaque scène. Intervient alors l'aria da capo qui va développer l'implication affective de la dernière péripétie, suivant le schéma d'un sentiment unique exprimé en deux idées complémentaires.

Cet air fut souvent employé par Haendel, sur lequel l'empreinte de la musique italienne fut toujours forte.
[Illustration sonore : Haendel, Air d’Anastasio : «Un vostro guardo », tiré de l'opéra : Giustino (1737), dans R.Legrand, Comprendre le baroque à travers ses formes, Harmonia Mundi]

L'empereur Anastasio part en guerre pour défendre sa bien-aimée :
-Texte partie A :
Ô beaux yeux, un seul de vos regards aura plus de force que mille et mille lances guerrières.
-Texte partie B :
Ô pupilles chéries, qu'un seul de vos traits me brûle et mon coeur sera armé d'une force invincible.
L'air débute par une ritournelle instrumentale caractérisant le personnage de l'empereur comme amoureux, mais aussi guerrier (second motif au rythme vigoureux à la basse et syncopé aux violons, 11 secondes après le début).
La partie B (2 minutes 36 secondes après le début) est beaucoup plus courte, avec un accompagnement allégé, dans la tonalité plus tendre de la mineur.
Le récitatif est aussi une des plus importantes inventions musicales de la période baroque. Il témoigne du souci sans cesse réaffirmé de l’intelligibilité du texte et de son caractère déterminant par rapport à la musique. Le stile rappresentativo des Florentins et de Monteverdi se modèle sur la prosodie et suit la signification des paroles, qu'il accompagne simplement d'une basse continue. Le récitatif évoluera ensuite dans plusieurs directions. Celle d'une déclamation très proche du théâtre en France. Dans l’opera seria italien, il peut être rapidement débité (recitativo secco), sans soutien instrumental, ou au contraire accompagné par l'orchestre (recitativo accompagnato).
Ces quelques exemples concernent la structure du discours musical. D'autres techniques agissent sur ses éléments. Les ornements, très fréquents dans la musique française, consistent en plusieurs notes intercalées, bénéficiant d'une grande liberté d'exécution. Les agréments sont des petits signes placés en dessus ou en dessous des notes, d'exécution obligatoire (ainsi du trille, qualifié par les Français de gloire de notre musique).
Enfin, les oppositions d'intensité sonore, forte/piano. Elles sont souvent absentes des partitions baroques : non pas que les instrumentistes les négligeaient, mais on pensait que la musique sous-entendait ses propres nuances, ce qui ne facilite pas la tâche des interprètes actuels. En fait, il faut attendre la fin de cette période et l'apparition du pianoforte, instrument qui permettait beaucoup plus facilement que le clavecin ces oppositions dynamiques pour qu'elles soient notées sur les partitions (on en trouve peu chez Bach).
Mais comme en peinture, ces catalogues ne peuvent remplacer le génie : la répétition de ses figures ne suffit pas a créer la qualité artistique. Parmi les premiers auteurs baroques, Monteverdi fut certainement un des compositeurs les plus fertiles. On lui doit notamment l'invention du stile concitato, ou « style agité », servant à l'illustration des expressions belliqueuses. Il l’utilise pour la première fois en 1624 dans le Combattimento di Tancredi e Clorinda, une sorte d'opéra en miniature, inspiré par le célèbre Jérusalem délivrée du Tasse
(Le croisé Tancrède aime la musulmane Clorinde. Celle-ci est une farouche guerrière et attaque les croisés. Tancrède ne l'identifie pas et croit que Clorinde est un homme : il la provoque en duel. La lutte durera toute la nuit et se terminera par la mort de Clorinde... et son baptême). Pour donner l’ impression d'agitation, Monteverdi utilise des procédés rythmiques (longue répétition d'une même note) ainsi que des figuralismes : le choc des épées est rendu par des décalages entre les parties instrumentales et des pizzicati violents, au sujet desquels Monteverdi précise qu'il faut utiliser deux doigts pour tirer la corde et lui faire frapper la touche de l'instrument ; le mouvement du cheval qui passe progressivement du pas au trot est figuré par des changements de rythme.
Aujourd'hui, où nous pouvons écouter de la musique techno, l'audition de cette oeuvre ne provoque pas vraiment de surprise.
Il en allait tout autrement au début du XVIIe siècle. Comme plus tard pour Rameau, cette musique suscita l'opposition des premiers interprètes, qui « jugeaient plutôt ridicule de jouer la même note seize fois de suite ».

[Illustration musicale : Monteverdi, Combattimento di Tancredi e Clorinda, dans : Denis Morrier, Les trois visages de Monteverdi,
Harmonia Mundi]

Si Monteverdi est sans aucune difficulté perçu de nos jours comme un compositeur baroque, il n'en va peut-être pas de même de Jean-Sébastien Bach. Sans doute d'ailleurs ne l'est-il pas toujours au même degré : il est difficile de comparer la spectaculaire Toccata et fugue en ré mineur, oeuvre de jeunesse, avec l’Art de la fugue, somme didactique rédigée au soir de sa vie. Mais son abondante musique vocale, centrée sur le texte sacré, nous montre son appartenance au baroque.

[Illustration musicale : Bach, Cantate :Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit,dite: Actus Tragicus , BWV 106]

Cette cantate a été composée entre 1707 et 1714. Bach avait une trentaine d'années. L'instrumentation est réduite et comprend notamment deux flûtes à bec, instruments du deuil.
-2a. Premier choeur.
Il exprime la perfection divine et est donc confiant et entraînant. Puis la troisième partie de ce chant comporte les termes : « En Lui nous mourons [sterben wir] au moment juste, quand Il le veut ». Sterben wir est chanté sur une quarte descendante et diminuée, afin d'exprimer la chute, la peine.
-2b. Premier chant, ténor.
Chacune des cinq interventions du soliste est préparée par une brève transition instrumentale où violes et flûtes semblent essayer de prendre le dessus les unes sur les autres, symbolisant les deux aspects de la mort.
-2d.
Premier chant. Début du choeur central. Basses, ténor et alto : « C’est l'alliance ancienne : homme, tu dois mourir ». [Es ist der alte Bund: Mensch,du must sterben]. Commence une fugue grave, inexorable. Après quatorze mesures de cette fugue, Bach place une intervention radieuse de la soprano : « Oui, viens Seigneur Jésus », [Ja, komm Herr Jesu]. Elle utilise un motif chromatique descendant afin de mimer la descente du ciel.
-Deuxième chant. La pureté confiante du chant de la soprano se retrouve dans celui de l'alto : « Entre tes mains, je remets mon esprit », [In deine Hände,befehl ich meinen Geist]. Au-dessus du continuo se déroule tout un mouvement ascendant. La séquence se termine sur l'évocation de l'entrée au Paradis, dans la paix.
-Troisième chant. C'est l'acclamation du Seigneur, la confiance du chrétien. Il commence par un choral que Bach harmonise à quatre voix ; il se termine par une coda fuguée très dynamique.

[Illustration audiovisuelle : Jean-Sébastien Bach, Cantate: Kommt,ihr angefochtnen Sünder,BWV 30,no.5]


Conclusion

 Cf. M.Poizat, La voix du diable-La jouissance lyrique sacrée, Paris,Métailié,1991,168 ; D.Pavesi, La symbolique des voix, dans : Littérature et Opéra, Presses universitaires de Grenoble, Grenoble, 1987.
 Acte II, scène 11, nº 29 : le duo entre Fiordiligi et Ferrando.
 En amour, bien sûr, mais pas seulement. L'étudiant peut aussi passer les limites. Le texte suivant, rédigé par une étudiante aixoise, n'est satirique qu'en apparence. Il dépeint des malheurs bien réels, ceux de la compagne du thésard : « Au départ, les choses commencent pourtant bien. Le narcissisme de l'Autre-en cas de stratégie matrimoniale-ou ses bienveillants sentiments-en cas d’ amour pur-sont contentés à la perspective d'une union plus ou moins durable avec un spécimen de notre espèce. Les hommes peuvent en effet être ravis de se prévaloir d'avoir une bobonne moins cruche que les autres, ce qui ne peut manquer d'embellir leur propre image. Les femmes, elles, ont la chance de vivre dans l'intimité torride d'un grand sage extralucide... (...) [En vacances] loin des plages du soleil et des pédalos, il passe son temps à courir les librairies et les bibliothèques pour l’aider à faire gonfler la liste de ses références bibliographiques .Un petit déjeuner au départ plein de joyeuses perspectives se transforme vite en entretien informel avec le barman pour savoir ce qu'il pense du sujet traité. La journée commence à peine et notre petit ami est déjà épuisé (...) Dans de telles conditions, chers amis, ne vous étonnez pas de vous faire plaquer... », Y.Cultiaux, Éditorial, Astrolabe-Bulletin semestriel de l'association des thésards réunis est organisée en laboratoire d'études de science politique comparative, Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, juin 1995, nº 4, 1-2.
 Bien qu'il existe des adaptations des chansons des Beatles en style baroque : Beatles go Baroque,dir. P.Breiner, Naxos International, 1993.
 Un exemple postérieur, celui de Mozart, montre bien l’effet déformant de l’écoulement du temps. Sa musique est aujourd’hui non seulement toujours belle, mais encore facilement accessible. Ce deuxième trait est relativement récent. En 1790, soit un an avant la mort du compositeur, Gerber, un musicologue qui ne lui était nullement défavorable, écrit : « Ce grand maître, grâce à sa précoce connaissance de l’harmonie, s'est familiarisé si profondément et si intimement avec cette science qu'il est difficile à une oreille non-exercée de le suivre dans ses oeuvres. Même les auditeurs les plus exercés sont obligés d'entendre ses compositions plusieurs fois »,(cit. par M. Barthélemy, De Léopold à Constance, Wolfgang Amadeus, Arles, Actes- Sud, 1987,215).
« Trop de notes ! », tel est le mot que prête Milos Forman dans le beau film Salieri à l'empereur Frédéric II (un musicien beaucoup plus averti que ne le laisse à penser le réalisateur) à l'audition des Noces de Figaro. Sans doute apocryphe dans la bouche du monarque, la réflexion n'en exprime pas moins la réalité d'un sentiment alors largement partagé.
 Mieux ne signifie pas nécessairement authentique : la plupart des baroqueux admettent que l'authenticité, dans le sens d'une restitution de l'interprétation originelle de l'oeuvre, ne sera jamais atteinte.
 Racine, Phèdre.
 En 1777, Mozart décide que son avenir n'est pas à Salzbourg.Colloredo le congédie, pour qu'il aille « chercher fortune ailleurs ». Mais les débuts seront difficiles et Mozart devra, pour un temps, reprendre du service chez son archevêque.
 Il n'est pas vrai, comme le voudrait une interprétation romantique, que Mozart ait rejeté le système hiérarchique, qui, à son époque, s'imposait aux musiciens (considérés comme des domestiques). Au contraire, il aurait été bien étonné-et angoissé- de savoir qu'il allait devoir mener sa carrière de façon indépendante (en ce sens, cf. l'ouvrage décapant de M. Barthélemy, De Léopold à Constance,Wolfgang Amadeus, Arles, Actes -Sud, 1987,155.
 Cf. N. Rouland, Les talibans et le silence, à paraître
 Huns barrocos mal afeiçoados e nâo redondos (1563), qui devient en castillan barrueco.
 Cit. par F.Sabatier, Miroirs de la musique-La musique et ses correspondances avec la littérature et les Beaux-Arts, de la Renaissance aux Lumières, tome I, Paris, Fayard, 1998,2 109.
 Cit.par P.Beaussant, Vous avez dit « Baroque » ?, Arles, Actes- Sud, 1988,79.
 Fille du dieu-fleuve Pénée, elle était poursuivie par Apollon et supplia son père de la transformer en laurier.
 Cf.P.Beaussant,op.cit.,84.
 Le terme lascivus ne possède pas alors de connotation avec la sensualité, mais désigne tout ce qui est exagéré.
 Cf.infra,p…
 R.Bacri, Logique des passions, Paris, Denoël, 2002, 38.
 Cf. ainsi la description-critique-de l'interprétation donnée récemment par un chef baroqueux de la symphonie Eroïca de Beethoven : J.-P.Penin, Les baroqueux ou le musicalement correct, Paris, Gründ, 2000, 9-13.
 Quelques jours après la mort de Mozart à Vienne, où il fut enterré avec discrétion, selon les voeux et les habitudes de ses frères maçons, on y donna son Requiem. C'est également à Prague, alors culturellement beaucoup plus développée que Vienne (Mozart parlait de ses chers Pragois...), qu'il composa son Don Juan.
 Cf.M.Baridon, Le style de Le Nôtre, Dossier de l'art : Le jardin à la française, nº 89, hors- série, août-septembre 2002,47-48.
 Cit. par P.Beaussant, op. cit., 83.
 Avec 35 % des suffrages, devant Beethoven (29 %), Vivaldi (1 %), Bach (15 %), Chopin (14 %), Ravel (12 %). (Sondage effectué en 2001 ; cf., Classica, nº 29, février 2001,26).
 R.Barthes, Fragments d'un discours amoureux, Paris, Le Seuil, 1977, 38.
 S.Freud, Pour introduire le narcissisme, dans : La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969,94,98.
 S.Freud, Correspondance 1873-1939, Paris, Gallimard, 1979,101.
 F.Alberoni, Le choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, 9.
 Cf.T.Todorov, Éloge de l'individu-Essai sur la peinture flamande de la Renaissance, Paris,Adam Biro, 2001,93.
 Cf.J.-C.Ruano-Borbalan, La figure de l'artiste occidental, Sciences Humaines, nº 37 (hors-série) sur l'Art, juin-juillet-août 2002,12-14.
 Cf.J.6C.Billier-A.Maryioli, Histoire de la philosophie du droit, Paris, Armand Colin, 2001,17-21.
 Il arrive aussi à Lippi de peindre sa maîtresse,Lucrezia Butti, comme dans la Madone avec les anges.
 C'est l'hypothèse du théologien juif Hans Jonas, Le concept de Dieu après Auschwitz, Paris, Payot, 1994.
 Cf.F.Alberoni, Le choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, 79-80 ; Le vol nuptial, Paris, Plon, 1994, 11-20,87, 137-139,208-212
 Sur cette étape, cf. : F.Millet-Bartoli, La crise du milieu de la vie-Une deuxième chance, Paris, Odile Jacob, 2002.
 Cf.R.Vigouroux, La fabrique du beau, Paris, Odile Jacob, 1997,184-185.
 Marivaux, Le cabinet du philosophe.
 G.de Staël, De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, Paris, Payot, 2000,p. 117.
 C'est ce délai de trois ans que cite aussi le Persan Uzbek mis en scène par Montesquieu lorsqu'il critique l’indissolubilité du mariage : « De là viennent les dégoûts, les discordes, les mépris et c'est autant de perdu pour la postérité. À peine a-t-on trois ans de mariage qu'on en néglige l'essentiel. On passe ensemble trente ans de froideur ». Le célèbre juriste fut malheureux en ménage. Il appartient à l'important courant des auteurs favorables au divorce au XVIIIe siècle : cf.A. du Crest, Le mariage, « pépinière » de l'Etat : politique matrimoniale et discours populationniste au XVIIIe siècle, Revue de la recherche juridique, XXVII-94, 2002-3, 1504-1512.
 F.Alberoni,op. cit. (Je t’aime), 305-306.
 Cf.N.Rouland et alii, Inventons la famille, Paris, Bayard, 2001, 207. En 1792, quand le divorce fut pour la première fois autorisé en France,elles étaient déjà 50 %.
 Parfois au sens propre du terme : ne dit-on pas alors qu’elle vit comme un légume ?
 F.Alberoni, op. cit. (Le choc amoureux), 145-146.
 Cf.A.Braconnier, Le sexe des émotions, Paris, Odile Jacob, 1996,167.
 Cf.supra,p….
 Cf. Figures de la Passion, Paris, Musée de la musique-Réunion des musées nationaux, 2001, 74.
 Pourtant, la Résurrection est essentielle dans le dogme chrétien. St Paul n'affirmait-il pas : « Si le Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vaine » ? Les orthodoxes insistent d'ailleurs davantage que les catholiques sur la Résurrection, allant même jusqu'à en faire une formule de salutation.
 Cf.supra,p…
 Saint-Augustin, Confessions, Livre IX, chapitre VI
 Par sens, il faut ici entendre sensualité.
 Ibid., Livre X, chapitre 33, édition 1993, page 382.
 À Saint-Cyr, bien que nous possédions par ailleurs des témoignages sur l'émotion qu'elle pouvait ressentir à l'audition de certains cantiques, Mme de Maintenon était réticente à l'abondance de chants proposés pour les cérémonies religieuses par Guillaume Gabriel Nivers. Plus encore, elle recommandait une interprétation économe en ornements, qui sont un des traits distinctifs de la musique baroque, surtout française.
 Bossuet, en 1694 (réédition Paris,Pichard, 1821,pp. 53-54).
 Cit. par J.R., Islam: le chant sous haute surveillance, Classica,47, nov.2002, 38.
 Cf.M.Poizat, op.cit.,51-79.
 Diderot, Lettre à Mademoiselle..., Appendice à la Lettre sur les sourds et les muets, 1751
 Cf. J.et A.Caïn, Freud « absolument pas musicien... » (18.1.1928), dans : J.et A.Caïn et alii, Psychanalyse et musique, Paris, Les Belles Lettres, 1982,91-137 ; M.Schneider, Musiques de nuit, Paris, Odile Jacob, 2001,91-104.
 Cf.M.-F.Castarède, Les vocalises de la passion-Psychanalyse de l'opéra, Paris, Armand Colin, 2002, 130.
 Cit. par M.Schneider, op.cit., 94.
 Pour une classification des passions mises en jeu dans les opéras les plus connus, cf.M.-F.Castarède, Les vocalises de la passion-Psychanalyse de l'opéra, Paris, Armand Colin, 2002,73-102 .
 S.Freud, Lettre à Ernest Jones, 8 février 1914, cit. par: Peter Gay, Freud, une vie, Paris, Hachette, 1991,769.
 S.Freud, Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, p.9.
 Cf.N.Rouland, La raison entre musique et droit : consonances, dans : Droit et Musique, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille III, 2001,p.111, n. 2.
 M.-F.Castarède,op.cit.,151.
 C.Lévi-Strauss, L'homme nu, Paris, Plon, 1978, 579.
 Cf.M.-F.Castarède,op.cit. 152-156.
 Ibid.,71.
 Ibid., 73.
 C. Lévi-Strauss, Entretiens télévisés : « Une approche de Lévi-Strauss », TF1, 20-22 juin 1977.
 Cf.R.Vigouroux, op. cit., 27,84,.
 Ibid.,173.
 Racine, Phèdre, Acte I, scène 3.
 Pour plus de détails, cf.I.Olivo-Poindron, Figurer la passion, dans : Figures de la Passion, op. cit., 36-42.
 Les Passions de l'âme, Préface, AT XI,a.211.
 Cit. par P.Malgouyres, Sur la nature des passions, dans : Figures de la Passion, op. cit., 17.
 Cf. infra, p….
Cf.A.Gonzalez-Palacios, L’Utile et l’agréable, dans :J.Cornette-A.Mérot (dir.), Le XVIIe siècle, Paris, Le Seuil, 1999, 362-369.
 A la fin de sa vie, Poussin lui-même reconnaîtra dans une lettre de 1665 que le but de la peinture doit être la « délectation ».
 Cf. le beau livre de C.Kintzler, Jean-Philippe Rameau-Splendeur et naufrage de l'esthétique du plaisir à l’âge classique, Paris, Minerve, 1988.
 Boileau, Préface de Longin (1674).
 Cf.P.Malgouyres, op.cit.,20.
 Cf.E.Coquery, La peinture des passions : un défi académique ?, dans : Figures de la passion,op.cit., 34-35.
 On peut sans doute en rapprocher le procédé devenu maintenant quasi systématique, même dans les grands festivals, consistant à afficher les dialogues des personnages parallèlement aux spectacles d’opéra.
 E.Coquery,ibid.
 Rappelons que la vente des disques de musique classique ne représente que 7 % environ du marché du disque..
 Cf.A.Piéjus, Discours sur la musique et théorie des passions en France au XVIIe siècle, dans : Figures de la Passion,op.cit.,21.
 G.Denizeau, Musique et Arts, Paris, Honoré Champion, 1995,167.
 Kant, Doctrine de la vertu (1797).
 Hegel, Précis de l'Encyclopédie des sciences philosophiques.
 Cit. par R.Vigouroux,op.cit., 43.
 Le préambule de notre première Constitution , celle du 3 septembre 1791, précise qu'elle « abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l'égalité des droits »,qu’« il n'y a plus, pour aucune partie de la Nation, ni pour aucun individu, aucun privilège, ni exception au droit commun de tous les
Français . » Annonciatrice de temps nouveaux, la Constitution de 1791 n'en était pas moins encore
monarchique .
 Cf.S.Chaumier, La déliaison amoureuse, Paris, Armand Colin, 1999.
 Cela en dehors de la manifestation de volonté contraire des époux, qui peuvent toujours choisir de passer devant notaire un contrat de mariage répartissant autrement leurs biens.
 A.Seriaux, Le droit naturel, Paris, P.U.F., 1993, 24. Ou encore : « Le droit naturel n'est rien d'autre que la mesure inhérente à l'ajustement envisagé, celle qui se dégage très objectivement de la nature même de la relation interpersonnelle au sein de laquelle l'on recherche le bon ajustement entre les êtres en relation », (ibid., 33). Comme son nom l’indique, le droit naturel repose donc sur la nature des choses et des relations.
 D.de Béchillon, Qu'est-ce qu'une règle de droit ?, Paris, Odile Jacob, 1997, 268. Mais comme il le dit plus loin (290- 291), cette vision hiérarchique constitue une énigme. Elle caractérise le droit étatique, mais il se trouve que ce droit est issu d'une construction humaine, de certaines formes de pensée qui tiennent sans doute à la fois à des nécessités historiques et biologiques (la neurologie pourrait certainement, aujourd'hui ou plus tard, nous dire des choses à ce sujet).
 Les tenants du pluralisme juridique s'accommoderaient plus volontiers d'un certain désordre, d'une instabilité, dans la mesure où ils postulent l'enchevêtrement d'ordres juridiques divers (pour un résumé de ces théories, cf.N.Rouland, Pluralisme juridique-Théorie anthropologique, dans : A.J. Arnaud, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit,, Paris, LGDJ, 1993, 449-450.
 F.Gény, La notion de droit en France, APDSJ, 1931,16.
 Cf.P.Jestaz, Le droit, Paris, Dalloz, (2002, quatrième édition), 9-10.
 Cf.J.Carbonnier, Flexible droit, Paris, LGDJ, 1995 (huitième édition), 62-71.
 Le terme a été employé par une juridiction : Paris, huitième chambre, 2 juillet 1984 (inédit).
 P.Jestaz, Le beau droit, Archives de philosophie du droit, 40,1995, 14-24.
 Cf.S.Joly, La création artistique et l'ordre public, Thèse Droit Montpellier I, 1999, 501 sq.
 Cf. J.P.Royer, L'homme et le droit, dans : J. Poirier (dir.), Histoire des moeurs, tome II, 562-608.
 Cf.B.Oppetit, Philosophie de l'art et droit de l’art, op. cit. (Archives de philosophie du droit, nº 40), 196.
 A contrario, Montesquieu, époux volage, stigmatisait l'interdiction du divorce, au motif qu'elle comptait
«... pour rien les dégoûts, les caprices, et l’insociabilité des humeurs ; on voulut fixer les coeurs, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus variable et de plus inconstant dans la nature... » , (Montesquieu, Lettres persanes,CXVI).
 Cf.N.Rouland, La doctrine juridique chinoise et les droits de l'homme, Revue universelle des droits de l'homme, vol. 10, nº 1-2,1998, 5.
 Comme le montre bien J.Carbonnier, op. cit. (Droit et passion du droit),10-12,268-273.
 Cet envahissement du quotidien par des mots d'ordre ou des figurations est symptomatique de l'amour éprouvé... ou qu'on cherche à inspirer : dans l'Union soviétique de Staline, le portrait du Petit père des peuples ornait les tasses à café.
 J.Carbonnier, ibid.,271-272.
 On a pu démontrer que la trop forte concentration de panneaux de signalisation routière sur une partie restreinte d'une voie de circulation aboutissait au fait que ces indications n'étaient plus enregistrées par le conducteur.
 J.Carbonnier, op.cit. (Flexible droit), 181-191, donne plusieurs réponses.
 Cf .J.-C.Billier-A.Maryioli,op.cit.,97.
Ibid.,101.
 Cf.M.Villey, Philosophie du droit, Tome I, Paris, Dalloz, 1986,134-135.
 C.Atias, Philosophie du droit, Paris, PUF, 1999,64-65, fait ainsi remarquer la référence faite à la loi par des définitions essentielles du Code civil : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » (art. 544) ;
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ce qui les ont faits » (art.1134-1).
 Cf.J.Carbonnier, op.cit. (Flexible droit), 121-126.
 Cf.F.Alberoni, op.cit. (Le choc amoureux), 91-99.
 Cf.C. David, L'état amoureux, Paris, Payot, 2002,17.
 S.Freud, Psychologie des foules et analyse du moi, dans : Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, Chapitre 8.
 S.Freud, Observations sur l'amour de transfert, dans : De la technique analytique, Paris, PUF, p.128.
 Cf.C.David, op.cit., 48-50.
 F.Pasche, Régression, perversion, névrose, dans : À partir de Freud, Paris, Payot, 1969.
 N'y a-t-il pas, se demandait Freud, «... d'autres pulsions que celles qui tendent à rétablir un état antérieur, n’y en a-t-il pas qui aspirent aussi un état jamais atteint ? », (Au-delà du principe de plaisir, V).
 C.David, op.cit., 55.
 Ibid.,108.
 Si le raisonnement est effectivement ancien, les notions de responsabilité, de culpabilité et d'imputabilité ne sont apparues dans la langue française qu'à l'extrême fin du XVIIIe siècle (et même plus tard pour l'imputabilité).
 Son ouvrage est de publication posthume.
 L'expression de « traité de droit pénal » » paraîtra étrange à l'étudiant qui consultera cet ouvrage. Bien des arguments en sont fondés sur des citations d'auteurs littéraires (on voit mal un pénaliste actuel commenter un arrêt en citant Baudelaire ou René Char...), des textes religieux ; en revanche aucune référence n'est faite aux ordonnances royales et aux coutumes françaises. Il faut se souvenir que le droit français ne fut enseigné dans les Facultés de droit qu'à la fin du XVIIe siècle. Le droit romain et le droit canon étaient considérés comme bien supérieurs, au point que les docteurs l’étaient in utroque iure, en l'un et l'autre droits. Les étudiants ne recevaient donc aucun enseignement de droit pénal français. Leurs connaissances ne pouvaient leur venir que d'exemples tirés de l'enseignement secondaire, fournis par des professeurs de théologie le plus souvent jésuites ou oratoriens. Puis ils apprenaient sur le tas, avec l'aide des praticiens . Enfin, le droit pénal était rare dans les coutumes françaises, en voie de rédaction officielle à l'époque de Tiraqueau.
 Il était évidemment rédigé en latin. Grâce à André Laingui, il est maintenant disponible en
français : cf.A.Laingui, Le « De poenis temperandis de Tiraqueau (1559), Paris, Economica, 1986.
 Il se lia même entre 1541 et 1546 avec Théodore de Bèze, qui devait abjurer le catholicisme en 1548 et devenir le principal lieutenant de Calvin, en même temps qu'un des principaux auteurs protestants.
 A.Tiraqueau, op. cit., cause 36.
 Cause 1, paragraphe 1.
 Cause 1, paragraphes 6-7.
 Cause 1, paragraphe 22 .
 Cause 7, paragraphe 7.
 Cause 9, paragraphes 5-6.
 Cause quatre, paragraphes 1-2-3.
 Paul, Épître aux Corinthiens, VII, 1.10
 Son caractère définitif était cependant quelque peu diminué par la survenance du veuvage, très fréquent, suivi éventuellement du remariage, autorisé par l'Eglise. Aujourd'hui, la promesse-purement morale-de s'aimer pour la vie constitue un enjeu d'une autre taille.
 Cf.supra,n.1. Si l'islam ne fut pas plus tendre envers les femmes, son attitude envers la sexualité était
différente : « Vos femmes sont pour vous pour un champ de labour : allez à votre champ, comme vous le voudrez, mais faites auparavant une bonne action », (Coran, Sourate 2, verset 223).
 Cf.J.-P.Royer, L'homme et le droit, dans : J.Poirier (dir.), Histoire des moeurs, Tome II, Paris, Gallimard, 1991,565.
 Cf. M.Poizat, op.cit.,46-47.
 Ibid.,54.
 Cit. par J.-L.Gazzaniga, La sexualité dans le droit canonique médiéval, dans : J.Poumarède-J.P.Royer (dir.), Droit, histoire et sexualité, Université de Lille II, 1987, p. 48.
 Cf.M.-S.Dupont-Bouchat, Les nouvelles conduites sexuelles au XVIe et XVIIe siècles-Discours de l'Eglise et discours du droit laïque, ibid., 105-117.
 Cf. X. Martin, À tout âge ? Sur la durée du pouvoir des pères dans le Code Napoléon, Revue d'histoire des Facultés de droit et de la science juridique, Vol. 13,1992, pp. 217-301.
 Ces lignes ont été écrites en septembre 2002.Depuis,il semble que le divorce pour faute doive être maintenu.
 Cf. C.Houin, La sexualité dans le droit civil contemporain, dans : J.Poumarède-J.P.Royer,op.cit., 271-287.
 Cf.C.David, L’état amoureux, Paris, Payot, 2002 (première édition : 1971),17.
 TGI Béthune, 12 juin 1973,J.C.P., 1975, II, 17 946.
 TGI Dieppe,, 25 juin 1970, Gazette du Palais 1970,2.243.
 Cf.J.Devèze, La sexualité en droit pénal contemporain, dans : J.Poumarède-J.-P.Royer, op.cit., 291-307.
 Ou ailleurs : il n’est besoin que de rappeler la sévérité du droit musulman en matière d'adultère, d'inceste ou de pédérastie
 Cf.C.Lazerges-A.Vidalies, L'esclavage, en France, aujourd'hui, Les documents d'information de l'Assemblée Nationale, nº 3459,2001. Le 25 septembre 1926, dans la convention relative à l'esclavage, la Société des Nations a défini l'esclavage comme « état ou condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété, ou certains d'entre eux », (art. 1, paragraphe 1).
 En principe, les duels sont interdits à partir du XVIe siècle en France. Ils vont en fait continuer, obligeant Richelieu à de très sévères sanctions contre les duellistes. Le Code pénal de 1810 n'en parle pas. À partir de 1837 la Cour de cassation assimilera les duels à des tentatives d'assassinat s’ils ont été convenus à mort.
 Desdémone est amoureuse d’Othello et repousse Iago. Celui-ci, fou de jalousie, fait croire à Othello qu'elle lui est infidèle : il la tue en l’étouffant.
 Hermione est fiancée à Pyrrhus. Mais ce dernier aime sa captive, Andromaque. Par jalousie, Hermione persuade Oreste de tuer Pyrrhus.
 Cf. E.de Greef, Amour et crimes d'amour, Editions Vandenplas, 1942 ; réédité par Charles Dessart, Bruxelles, 1973. Pour des ouvrages plus récents, cf. : J.Guillais, La chair de l'autre, le crime passionnel au XIXe siècle, Paris, Olivier Orban, 1986 ; L.Jyl, La jalousie dans tous ses états-Les crimes passionnels, Paris, Plon, 1993 ; S.Paugham, Crimes passionnels, Paris, Calman Levy, 1988 ; A.Horul-P.Mercader, Le crime passionnel : pratiques des hommes, pratiques des femmes, Le journal des psychologues, juillet-août 1995 ; F. Pascal, Le crime passionnel, Mémoire pour le D.E.A. de sciences pénales et sciences criminologiques, Faculté de droit d'Aix-en-Provence, Université d'Aix-Marseille III, 1997.
 Selon un sondage de la SOFRES a rapporté par Le Nouvel Observateur (nº 1527,10-16 février 1994, p. 4),
60 % des Français estiment qu'il est sain et naturel d'être jaloux.
. Cf.F.Pascal,op.cit.,15.
 Pouchkine termina sa brève existence lors d'un duel qui l’opposa à Georges d’Anthès, un officier français au service de la Russie qui s'était conduit de façon inconvenante avec son épouse.
 Ibid.,242-244.
 De Greef termine son ouvrage (p. 319) par ces mots : « Parmi la population des prisons, ce criminel passionnel détonne par ce qu'il possède de qualités réelles ; il y est celui en qui l’on se reconnaît le plus facilement ; il est le seul en l’âme duquel on peut retrouver toute la trame de fond de la destinée humaine »
 Pour ce faire, on se reportera au numéro de la revue Droits consacré à : Rhétorique et droit, 36, décembre 2002, et aux articles de M.-F.Renoux-Zagamé, De la parole de Dieu à la parole de justice : l'éloquence judiciaire selon les juges monarchiques, (3-19) ; D.Truchet, La rhétorique universitaire des juristes contemporains, (57-68) ; P.Littner, Antoine Le Maistre et le dépassement de la rhétorique des citations, (71-84) ; N.Cornu Thénard, L'avènement d'une rhétorique « cartésienne », (99-114) . On consultera également : P.Jestaz, Le beau droit, Archives de philosophie du droit, 40,1995, 14-24 ; S.Joly, La création artistique et l'ordre public, Thèse Droit Montpellier I, 1999.
 Cf. M.-F.Renoux-Zagamé, op.cit., 4.
 Cf.P.Jestaz, op.cit., 17.
 Cf.P.Littner, op.cit., 82.
 Ibid.
 G.du Vair, Œuvres, Rouen , 1636, p.216.
 Cf.D.Truchet, op.cit., 62.
 Cf.N.Cornu Thénard,op.cit., 99-114.
 Descartes, Discours de la méthode, VI, AT,VI , 69.
 Cf. supra, p….
 Cf. supra, p…
 Cf. N.Heinich, Pour en finir avec la querelle de l'art contemporain, Paris, L’Echoppe, 1999, 10.
 « Les dispositions du présent Code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit, quesl qu'en soenit le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ».
 Par exemple : Crim. 13 fév. 1969,D., 1969. 323.
 P.Jestaz,op.cit., 16.
 Duez, Police et esthétique de la rue, D.H., 1927, p. 17.
 Cf. S.Joly, La création artistique et l'ordre public, Thèse droit Université de Montpellier I, 1999,164-171.
 Cf .P.-Y.Gautier, Propriété littéraire et artistique , Paris, P.U. F., 1999,61-64.
 Cf.P.Beaussant,op.cit., 99.
 Il a écrit : « Les Français n'ont pas de musique, et s'ils en ont une, c'est tant pis pour eux ».
 Cf. F.Sabatier,op.cit.,111.
 P.Beaussant,op.cit.., 102-103.
 Cf.A.Piéjus, Sous l'empire des passions, dans : Figures de la Passion,op.cit., 134-137.
 Le propriétaire du château de Cormartin (Saône-et-Loire) a justement fait le choix conscient d’engazonner les allées de ses jardins par ailleurs restaurés « à la française », estimant que cela correspondait mieux à notre sensibilité actuelle. (Cf.M.Simonet-Lenglart, Les jardins du château de Cormartin, dans : Le jardin à la française, de la Renaissance à nos jours,op.cit., 25).
 Les animaux eux-mêmes peuvent être l'objet de ce genre d'entreprise, ainsi que le révèlent les traités d'équitation de l'époque : par le dressage- considéré aujourd'hui encore comme la quintessence de l'art équestre- on peut faire exprimer au corps du cheval des figures qui révèlent toutes ses capacités sans pour autant le violenter, ni le « dénaturer ». Bien au contraire, tous les auteurs insistent sur l'importance de l'harmonie et de l'élégance, du calme, de la soumission consentie de l'animal. Ce qui distinguerait le dressage académique de celui du cirque, considéré comme plus frustre, moins respectueux du cheval.
 Au demeurant, elle ne consiste pas toujours dans une stricte reproduction de la nature. Les piscines, qui agrémentent les maisons de campagne, ne sont pas seulement des endroits pour nager, mais remplissent aussi la fonction ornementale des anciens bassins (on vend même dans le commerce des accessoires qui permettent de d'y organiser des jets d’eau...). Et les pratiques populaires qui consistent à peupler les jardinets de « nains de jardins » traduisent un retour inattendu de la mythologie dans nos espaces verts.
 En 1726, dans son Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels, Rameau précise même que s'il n'y a pas de texte, le compositeur «... s'imagine un sujet (...) qui le tient dans le même asservissement ».
 En 1771, le chancelier Maupeou enjoint aux Parlementaires de “ réunir enfin, autant qu'il sera possible, la France sous l'empire des mêmes lois ”. Dans son “ Compte-rendu au roi de 1789, il rappelle le projet de “ réunir toutes les dispositions communes à toutes les coutumes dans un Code général de la France ”. En 1787, le contrôleur général des finances Calonne se plaint : “ On ne peut pas faire un pas dans ce vaste royaume sans y trouver des lois différentes, des usages contraires, des privilèges, des exemptions, des affranchissements, des droits et des prétentions de toute espèce ; et cette dissonance digne des siècles de la barbarie et de l'anarchie complique l'administration, interrompt son cours, embarrasse ses ressorts et multiplie partout les frais et le désordre... ”, (cit. par J. M. Carbasse, Unité et diversité dans l'ancienne France, dans : P.Villard-J.M.Carbasse (dir.), Unité des principaux Etats à la veille de la Révolution, Paris, Institut d'histoire du droit de l'Université René Descartes, 1992,5.
 En ce sens, cf. J. M. Carbasse, La langue de la nation et les “ idiomes grossiers ” : le pluralisme linguistique sous le niveau jacobin, dans : H. van Goethem-L.Waelkens-K.Breugelmans (ed.), Libertés, pluralisme et droit-Une approche historique, Bruxelles, Bruylant, 1995, 162.
 Boutaric à Toulouse, J.E.Serres à Montpellier, Maurot à Pau, Jaume à Perpignan, Delphin de Lamothe à Bordeaux. À Aix-en-Provence, Jean -Joseph Julien publie à la demande des États de la province un riche commentaire des statuts de Provence.
 R.Sabatier,op.cit.,552, donne la liste des principaux spectacles musicaux de la seconde moitié du XVIIIe siècle situés en totalité ou partie dans les milieux paysans français.
 Cf.J.Mongrédien, Du côté de la musique, dans : L'invention du sentiment, Paris, Musée de la musique-Cité de la musique-Réunion des musées nationaux, 2002,36-39.
 C’est Mozart qui souligne.
 Cf.C.Rosen, Le style classique-Haydn,Mozart, Beethoven, Paris, Gallimard, 1978,368.
 Ibid., 222.
 Ibid.,39.
 Cf N.Rouland, La Raison, entre musique et droit : consonances, dans : Droit et Musique, Aix-en-Provence, Prasses universitaires d’Aix-Marseille III, 2001,109-192.
 Platon, Le Sophiste, 259 e.
 Cf.B.Oppetit, Philosophie de l'art et droit de l'art, Archives de philosophie du droit, Tome 40,1995, 198-199.
 Cf.A.-L.Angoulvent, Hobbes ou la crise de l'Etat baroque, Paris, PUF, 1992.
 Cf.A.-L.Angoulvent, L'esprit baroque, Paris, PUF, 1994, 48 sq., 71.
 Première leçon au Collège de France du cours de poétique, dans P.Valéry, Oeuvres, La Pléiade, Tome I, 1341-1342 ; adde : Discours sur l'esthétique, ibid., 1294.
 Mais cette stabilisation laisse pour encore quelques décennies une liberté certaine à l'interprète. Couperin déclarait : “ Nous écrivons une chose et en jouons une autre ”. Preuve a contrario, certains interprètes de Bach se plaignaient du peu d'autonomie qu'il leur laissait.
 “... le légalisme représente le cartésianisme au sein du droit, tout comme à l'inverse, mais de façon moins sensible, le cartésianisme représente le légalisme en anthropologie et en philosophie ”, ( Jan M.Broekman, Droit et anthropologie, Paris, LGDJ, 1993,113-114).
 C'est donc un contemporain de Rameau ( 1683-1764), qu'il dut croiser à la Cour. Ont-ils parlé des rapports entre le droit et la musique ? (Rameau fut nommé en 1745 au poste officiel de “ compositeur de la musique de la Chambre ”).
 Cf. J. Gaudemet, op cit., 348-351.
 D'autres institutions musicales existaient, d'origine plus ancienne : la Chapelle, l'Ecurie, la Chambre.
 Passionné de musique, il entretenait un des plus beaux orchestre de Paris.
 Sur Louis XIV et la musique, cf. P.Beaussant, Jean-Baptiste Lully, le musicien du soleil, Paris, Gallimard, 1992 ; Les plaisirs de Versailles, Paris, Fayard, 1996 ; Louis XIV artiste, Paris, Payot, 1999.
 Cf. L.Debampour- Tarride, La création de l'Académie royale de musique-Théorie et pratique de l'absolutisme français, dans : H.Dufourt- J.M.Fauquet (dir.), La musique et le Pouvoir, Paris, Aux amateurs de livres, 1987,40. Cependant, la concentration des privilèges dans les mains d'un individu ou d'une famille (du XVIIe à la fin du XVIIIe, la famille Balard, imprimeurs de la musique du roi, régna sur la musique française dans la totale soumission au pouvoir : cf. G.Durosoir, La musique dans la liturgie du pouvoir, dans : H.Méchoulan-J.Cornette (dir.), L’État classique- Regards sur la pensée politique de la France dans le second XVIIe siècle, Paris, Librairie philosophique J.Vrin, 1996,300-301.
 Cf.supra,…
 Nous l'avons déjà noté :cf.supra,…
 Platon déjà y procédait. Pour lui, seul le mode dorien était vraiment grec et viril, les non- grecs consistant en harmonies efféminées. 150 ans plus tôt, Damon avait catégorisé les modes utilisés dans le système musical grec en donnant à chacun un caractère spécifique : viril et grave pour le dorien, plaintif pour les harmonies lydiennes, amollissant et lâche pour le ionien, violent et martial pour le phrygien.
 On se réfèrera ainsi au tableau dressé par A.Piéjus qui compare les classifications de Charpentier, Rousseau, et Rameau (cf. Figures de la passion, op.cit.,273.
 Il y eut même à cette époque un snobisme de la compétence. Chabanon (1730-1792), violoniste et érudit écrit ainsi : « J'ai vu de ces perroquets mal sifflés, louer dans telle musique la richesse de l'harmonie, lorsque l'harmonie, pauvre et stérile, séjournait, croupissait sur les mêmes accords. J'en ai vu qui se récriaient sur le charme des modulations, avant que l’air ait quitté le mode principal. Ceux qui ne sont pas initiés à Art, ne sauraient trop s'abstenir d'en parler avec quelque air scientifique ».
 Cf.C.Lévi-Strauss, Regarder, écouter, lire, Paris, Plon, 1993,43-52.
 Cf. Les instruments de musique dans la peinture baroque, Dossier de l'art hors-série de L'objet d'art, nº 82, décembre 2001-janvier 2002.
 Cf.G.Gillison, L'horreur de l'inceste et le père caché : mythes et saignées rituelles chez les Gimi de Nouvelle-Guinée, dans : Le père, Paris, Denoêl, 1989,205- 206.
 Pour une critique du parallèle entre la musique et les autres langages, cf. B.Sève, L'altération musicale, Paris, Le Seuil, 2002, 263-276.
 Pour plus de détails, cf.R.Legrand, Comprendre la musique baroque à travers ses formes, Arles, Harmonia Mundi, 1997.
 Pour plus de détails,cf. le CD-ROM : L'univers de Bach, Arles, Harmonia Mundi, 2000.

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