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Programme RuralStruc - World Bank Group

3. Les processus de segmentation des structures de production : Tendances .... citadin, l'exode rural a connu une évolution ascendante jusqu'au milieu des années 90. ...... des produits agricoles était soumise au système des « licences », lui-même .... d'agriculture pluviale et de la petite et moyenne hydraulique d'autre part.




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Agence Française de Développement
Ministère de l’Agriculture et de la Pêche - France
Ministère des Affaires Etrangères – France
Banque Mondiale







RuralStruc Program



Implications structurelles
de la libéralisation sur l’agriculture
et le développement rural







Première phase : Synthèse nationale

Maroc


Premier Draft




Akesbi Najib
Benatya Driss
El Aoufi Noureddine








Rabat, octobre 2006


Sommaire



 TOC \o "1-2" \h \z \u  HYPERLINK \l "_Toc149197775" 1. Place et rôles de l’agriculture dans la configuration nationale : Les grandes tendances  PAGEREF _Toc149197775 \h 1

 HYPERLINK \l "_Toc149197776" 1.1. Repères historiques : chronologie des évènements politiques  PAGEREF _Toc149197776 \h 1
 HYPERLINK \l "_Toc149197777" 1.2. Caractéristiques générales du pays et de sa population  PAGEREF _Toc149197777 \h 2
 HYPERLINK \l "_Toc149197778" 1.3. Caractéristiques générales de l’économie du pays et ses grandes tendances  PAGEREF _Toc149197778 \h 7
 HYPERLINK \l "_Toc149197779" 1.4. Les grandes caractéristiques du monde rural  PAGEREF _Toc149197779 \h 17
 HYPERLINK \l "_Toc149197780" 1.5. Les politiques agricoles et de développement rural  PAGEREF _Toc149197780 \h 28

 HYPERLINK \l "_Toc149197781" 2. Structure et évolution des marchés agricoles et agro-alimentaires  PAGEREF _Toc149197781 \h 48

 HYPERLINK \l "_Toc149197782" 2.1. Marché des produits  PAGEREF _Toc149197782 \h 48
 HYPERLINK \l "_Toc149197783" 2.2. Le marché des facteurs  PAGEREF _Toc149197783 \h 77
 HYPERLINK \l "_Toc149197784" 2.3. Prix et subventions, quelle régulation  PAGEREF _Toc149197784 \h 81

 HYPERLINK \l "_Toc149197785" 3. Les processus de segmentation des structures de production : Tendances observées et conséquences  PAGEREF _Toc149197785 \h 86

 HYPERLINK \l "_Toc149197786" Une variété de mondes de production agricole  PAGEREF _Toc149197786 \h 86
 HYPERLINK \l "_Toc149197787" 3.1. Les structures agraires : des effets de dissolution/conservation  PAGEREF _Toc149197787 \h 87
 HYPERLINK \l "_Toc149197788" 3.2. Processus de segmentation : des effets systémiques  PAGEREF _Toc149197788 \h 96
 HYPERLINK \l "_Toc149197789" Conclusion : la perspective du développement humain  PAGEREF _Toc149197789 \h 109

 HYPERLINK \l "_Toc149197790" 4. Risques, blocages et options de sortie  PAGEREF _Toc149197790 \h 111

 HYPERLINK \l "_Toc149197791" 4.1. Quel désengagement de l’État ?  PAGEREF _Toc149197791 \h 111
 HYPERLINK \l "_Toc149197792" 4.2. Quelle sécurité alimentaire ?  PAGEREF _Toc149197792 \h 113
 HYPERLINK \l "_Toc149197793" 4.3. Libéralisation des échanges : quel impact sur l’équilibre social ?  PAGEREF _Toc149197793 \h 114
 HYPERLINK \l "_Toc149197794" 4.4. Prix et subventions : quelle régulation pour quelle compétitivité ?  PAGEREF _Toc149197794 \h 116
 HYPERLINK \l "_Toc149197795" 4.5. Exportations : quels nouveaux instruments ?  PAGEREF _Toc149197795 \h 117
 HYPERLINK \l "_Toc149197796" 4.6. Environnement : quelles règles de prudence?  PAGEREF _Toc149197796 \h 118
 HYPERLINK \l "_Toc149197797" 4.7. Quel rôle de l’Etat pour quelle régulation ?  PAGEREF _Toc149197797 \h 119

 HYPERLINK \l "_Toc149197798" En guise de conclusion provisoire : au-delà de l’agriculture…  PAGEREF _Toc149197798 \h 121


1. Place et rôles de l’agriculture dans la configuration nationale : Les grandes tendances
1.1. Repères historiques : chronologie des évènements politiques
Ancien protectorat français, le Maroc est devenu indépendant le 18 novembre 1955. Rétabli sur son trône, le Roi Mohammed V dirigea le pays en collaboration avec les forces du mouvement national qui avaient combattu pour l’indépendance du pays. Décédé subitement en 1961, ce dernier cédera le trône au prince héritier qui deviendra Hassan II.

Le nouveau monarque entamera son long règne en marquant une certaine rupture avec le « style » et certaines velléités démocratiques de son père : campagnes de répression contre les forces de gauche, réhabilitation des anciens collaborateurs de la période coloniale et recherche d’alliances avec les notables locaux, en milieu rural en particulier, remise en cause des projets de réforme agraire et d’industrialisation « lourde » prévue dans le premier plan quinquennal, « affaire Ben Barka » et état d’exception à partir de 1965… En pleines années de plomb, le régime vacillera à plusieurs reprises au début des années 70 (coups d’état de 1971 et 1972, insurrection armée en 1973…), mais finira par reprendre la situation en main, notamment à partir de 1975, avec la récupération du Sahara occidental jusqu’alors sous domination espagnole, et le climat d’union nationale créé autour de cette question d’intégrité territoriale. Dans la foulée, un nouveau « processus démocratique » sera engagé avec la tenue d’élections locales et nationales, mais chacun conviendra que la « démocratie hassanienne » sera largement une démocratie de façade, et pour l’essentiel, le pouvoir restera concentré entre les mains du monarque.

Sur le plan économique, on chercha durant les années 60 et 70 à développer à la fois un modèle d’import-substitution nourri par une forte protection à la frontière et de substantielles rentes de situation, et –surtout à partir de 1973- une certaine politique de promotion des exportations et d’ouverture sur les investissements étrangers. Cependant, le lourd endettement de la décennie 70; conjugué à un certain laxisme monétaire et budgétaire, finit par précipiter l’économie du pays dans une grave crise financière. Celle-ci ne sera surmontée qu’au prix de l’engagement dans une laborieuse « politique d’ajustement structurel » en étroite collaboration avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Cette politique avait pour double ambition de rétablir les équilibres macro-économiques et libéraliser les structures de l’économie pour les soumettre à la logique du marché, et partant en améliorer les performances et l’insertion dans l’économie mondiale. Lorsque les « programmes » en question prirent fin en 1993 (du moins officiellement), on pouvait certes enregistrer quelques acquis au niveau des équilibres macro-économiques, mais beaucoup restait encore à faire sur le front des réformes structurelles, et surtout, les responsables eux-mêmes durent reconnaître que le « coût social » de cette politique avait été très lourd. En 1995, au vu du diagnostic établi par un rapport alarmant de la Banque mondiale, le chef de l’état n’hésita guère à considérer que le pays était au bord de la « crise cardiaque »…

Dans ce climat de morosité économique et d’attentisme social, aggravé par un sentiment diffus d’ambiance de fin de règne, c’est le « politique » qui revient sur le devant de la scène à partir de 1998, avec l’entrée au gouvernement de partis qui avaient auparavant été maintenus dans l’opposition des décennies durant. Une expérience qui sera toutefois rapidement dépassée par la nouvelle donne, majeure dans le système politique du pays : le décès de Hassan II en juillet 1999 et l’accès au trône de son fils Mohamed VI. Sur le fond, très vite, le nouveau roi va affirmer une volonté de continuité qui consacre la « monarchie exécutive » et la subordination de toutes les autres institutions du pays à son autorité. Le « style » apparaît cependant différent. Le nouveau monarque fait montre en tout cas d’un activisme débordant, ne laissant que de maigres espaces d’expression au gouvernement : création de « Fondations » à vocation sociale présidées par lui-même, constitution de diverses « instances spécifiques » directement rattachées au Palais et chargées des grands dossiers du pays (enseignement, condition de la femme, droits de l’homme et indemnisation des victimes des années de plomb, question amazigh, Sahara, investissement, communication audiovisuelle…), lancement de chantiers de grands travaux, inauguration de grandes comme de petites réalisations aux quatre coins du royaume, « Initiative nationale pour le développement humain »… En somme le roi gouverne et son champ d’action apparaît plus étendu que jamais.

Au demeurant, les élections de 2002 ayant donné lieu à une carte politique très éclatée, le roi a fini par choisir son premier ministre en dehors des principales formations politiques représentées au parlement. Si, formellement, le gouvernement actuel est composé d’une coalition de plusieurs partis politiques couvrant un large spectre idéologique (conservateurs, nationalistes, libéraux, socio-démocrates…), dans les faits, les ministres les plus « en vue », à commencer par le premier parmi eux, ont plutôt un profil de « technocrates » travaillant directement avec le Palais et mettant en œuvre ses orientations.

1.2. Caractéristiques générales du pays et de sa population
1.2.1. Caractéristiques géographiques et démographiques
Situé au Nord-Ouest du continent africain, à quelques kilomètres de l’Europe dont il n’est séparé que par le détroit de Gibraltar, le Maroc bénéficie d’une situation géographique, voire géostratégique intéressante. Etendu sur deux façades, l’une atlantique et l’autre méditerranéenne, d’une longueur de 3500 km, le pays est également riche de reliefs et d’écosystèmes variés : chaînes de montagnes au Nord et du Nord-Est au Sud-Ouest, plateaux à l’Est, plaines à l’Ouest et au Centre, désert au Sud. De climat méditerranéen, le pays se distingue cependant par une aridité croissante du Nord au Sud et de l'Ouest à l'Est. Près de la moitié de la superficie du pays est désertique. L'autre moitié comprend près de 9 millions d'hectares de terres cultivables, 6 millions d'hectares de forêts, 3 millions d’hectares de nappes alfatières, et 21 millions d’hectares de terrains de parcours.

Les 9 millions d'hectares cultivables sont couverts de manière assez typiquement méditerranéenne. Ils le sont généralement à plus de 60% en céréales (soit environ 5.2 millions d'hectares). Les cultures légumineuses, industrielles, fourragères et maraîchères couvrent en moyenne chacune entre 2% et 5% de la surface agricole utile. Les plantations fruitières, largement dominées par l'olivier, et dans une moindre mesure l'amandier et les agrumes, représentent près de 7% de la même surface.

Le dernier recensement général de la population, réalisé en septembre 2004, permet de se faire une idée assez précise de l’évolution démographique du pays (HCP, 2005a, 2006a). Ce dernier comptait à cette date 29.9 millions d’habitants, dont 16.5 millions en milieu urbain et 13.4 millions en milieu rural (soit respectivement 55.2 et 44.8%). Par rapport au précédent recensement général effectué en 1994, la population totale s’est accrue de 3.8 millions d’habitants, ce qui correspond à un taux d’accroissement annuel moyen de 1.4%. Ce rythme marque une sensible décélération de la croissance démographique dont l’évolution était quasiment deux fois plus rapide depuis l’indépendance. Il reste cependant plus élevé en milieu urbain (2.1%) qu’en milieu rural (0.6%). Au demeurant, la population rurale voit certes sa part dans la population totale poursuivre sa baisse tendancielle, mais n’en continue pas moins d’augmenter en valeur absolue, gagnant encore quelques 762.000 personnes entre les deux précédents recensements.

Le Maroc connaît ainsi une transition démographique qui semble s’accélérer, avec des taux de natalité et de mortalité qui baissent sensiblement (l’indice synthétique de fécondité a baissé de 7 à 2.5 entre 1960 et 2004, la mortalité infantile de 150 à 47.9°/°°, et l’espérance de vie a augmenté de 47 à 71 ans durant la même période). Il en résulte progressivement une modification de la structure d’âge de la population totale, et partant de la population active : la proportion de celle ayant moins de 15 ans (et donc à charge) baisse alors que celle de la population en âge d’activité augmente. Cette situation, qualifiée par les spécialistes « d’aubaine démographique », ne le serait qu’à la condition que l’économie soit en mesure de créer suffisamment d’emplois pour tirer avantage de cette disponibilité accrue de force de travail, de sorte que, en l’absence d’une telle capacité, « l’aubaine » pourrait au contraire se transformer en fardeau de plus en plus lourd à porter.

Il reste que si par sexe, la structure de la population est à peu près équilibrée (on compte tout de même quelques 200.000 femmes de plus que les hommes), en revanche, elle apparaît toujours fortement marquée par sa jeunesse dès lors qu’on l’observe à partir de sa ventilation par âge : 41% des marocains ont moins de 20 ans et 61% ont moins de 30 ans. A l’opposé, les personnes âgées de 60 ans et plus représentent un peu moins de 8% du total, proportion encore modeste, mais naturellement appelée à augmenter significativement dans les vingt prochaines années.

C’est depuis 1993 que la population urbaine est devenue plus importante que celle résidant en milieu rural. Le taux d’urbanisation est ainsi passé de 29 à 55.1% entre 1960 et 2004. Bien que les petites et moyennes villes aient été de plus en plus nombreuses depuis l’indépendance, l’espace urbain du pays apparaît aujourd’hui plutôt dominé par les grandes villes. Alors qu’on ne comptait en 1960 que 8 villes de plus de 100 000 habitants, elles sont au nombre de 35 en 2004, et à elles seules abritent 67% de la population urbaine totale. En face, les deux tiers des 352 villes que compte le pays, et qui ont moins de 20.000 habitants, abritent seulement 10% de la population urbaine.

Cette urbanisation est alimentée par la croissance démographique naturelle certes, mais aussi par un exode rural qui ne semble s’être ralenti que durant la dernière décennie 1994-2004. Déterminé par la difficile évolution des activités agricoles, la dureté de la vie en milieu rural, mais aussi par l’attrait du mode de vie citadin, l’exode rural a connu une évolution ascendante jusqu’au milieu des années 90. Selon les estimations du Centre des études et des recherches démographiques, la migration nette entre la campagne et les villes s’est élevée en moyenne à 106 000 personnes par an au cours de la période 1994-2004 (contre des moyennes annuelles de 193 000 personnes entre 1982 et 1994, 113 000 personnes entre 1971 et 1982, et 67 000 personnes entre 1960 et 1971, cf. figure 1.1). Cet exode rural aurait contribué pour près de 35% à la croissance globale urbaine dans le pays, et, à en juger du moins par les données relatives à la période 1989-1994, les agglomérations urbaines qui semblent les plus attractives de cet exode sont pour la plupart déjà celles qui comptent parmi les plus grandes du pays : Grand Casablanca, Rabat-Salé , Agadir et Fès (HCP, 2005b).

Figure 1.1.
Figure 1.2.

Au delà des phénomènes de migration interne, une partie de moins en moins négligeable de la population marocaine a choisi la migration internationale. De 1.140.400 en 1984; le nombre de marocains résidents à l’étrangers s’est élevé à 1.768.400 en 1993; pour atteindre 2.582.100 en 2002 (figure 1.2). On s’accorde aujourd’hui pour estimer que 10% des marocains vivent de manière permanente en dehors du territoire national. Au regard des chiffres relatifs à la situation en 2002, 84.7% des marocains en question résident en Europe, 9% dans les pays arabes, et 6% en Amérique (HCP, 2005b, p.88).

1.2.2. Population active et emploi
La population active marocaine (âgée de 15 ans et plus) continue de croître, même si son rythme d’évolution ralentit. Selon les dernières statistiques disponibles, relatives au quatrième trimestre 2005, elle atteint 11.2 millions de personnes (dont 3.1 millions de femmes), réparties quasiment à parts égales entre milieux urbain et rural (HCP, 2006b). Au regard des chiffres disponibles sur l’ensemble d’une année, ceux relatifs à l’année 2004 (HCP, 2000a), le taux global d’activité se situe à 36%, mais est distribué de manière très inégale entre les hommes (55%) et les femmes (18%). Après avoir évolué à un taux annuel moyen de 3.4% entre 1985 et 1990, son rythme d’accroissement annuel semble avoir baissé à 2.1% entre 2000 et 2005 (BM, 2006a). Une comparaison entre les effectifs de jeunes qui s’apprêtent à entrer dans la vie active et ceux qui s’apprêtent à en sortir montre que l’effectif additionnel de la population en âge d’activité s’élève en 2005 à 460.000 personnes. Même si ce chiffre devrait baisser à l’avenir, le marché du travail connaîtra encore une pression conséquente au cours des dix prochaines années avec une demande d’emploi additionnelle estimée à 380 000 personne par an (HCP, 2005b, figures 1.3 à 1.6).

Les seules branches d’activités « Agriculture, forêt et pêche » s’accaparent 42.8% de la population active, mais cette moyenne globale cache évidemment une grande disparité entre milieu urbain et milieu rural. Dans ce dernier, les activités en question emploient 79.5% de la population active alors que cette proportion n’atteint pas 4.8% en milieu urbain. Les industries manufacturières occupent à peine 12% de la population active, alors que la part des activités tertiaires (y compris les services personnels et domestiques, les services des administrations et des collectivités locales) atteint 30%, proportion qui monte cependant à 55.5% en milieu urbain (figure 1.3).

Figure 1.3.
Figure 1.4.

La population active occupé s’est élevée à 9.8 millions de personnes en 2004, ce qui représente 86.4% de la population active totale. Ce taux d’occupation apparaît cependant plus élevé en milieu rural (91.5%) qu’en milieu urbain (81.2%). On comprend dans ces conditions que la répartition de cette population occupée par secteurs d’activités soit légèrement différente de celle dégagée au niveau de la population active. En fait la principale différence réside au niveau de la branche « Agriculture, forêt et pêche » dont la part de la population employée s’élève encore à 45.8%, et à 80.4% plus particulièrement en milieu rural (Figure 1.4 et HCP, 2005a). Finalement, la population agricole occupée, celle travaillant dans des « exploitations agricoles » selon la classification officielle, a été évaluée à 4.4 millions de personnes en 2004. Cette population vit à 96% en milieu rural, mais en revanche, on peut considérer que près de 20% de la population occupée en milieu rural travaille dans des activités non agricoles.

Figure 1.5.
Figure 1.6.

Le volume de création d’emplois dans l’économie a rarement été à la hauteur de l’offre de travail exprimée par la population en âge d’activité. Le rythme de création nette d’emplois a sensiblement fluctué d’une période à l’autre au cours des dernières décennies : en moyenne annuelle, 152 000 postes de travail entre 1971 et 1982, 137 000 entre 1982 et 1994, et 217 000 au cours de la période 1995-2003 (Baraka & Benrida, 2005). Le chômage a donc pendant longtemps sensiblement augmenté. Entre 1960 et 1982, le nombre de personnes en chômage est passé de 304 000 à 643 000, soit une augmentation de 15 000 par an. La situation s’était encore aggravée entre 1982 et 1994, avec une moyenne annuelle de chômeurs additionnels de 57 000 personnes, ce qui porta les effectifs de chômeurs à 1 332 000. La situation s’est par la suite plus ou moins stabilisée puis a commencé à s’améliorer, se situant à près de 1 300 000 personnes en 2004. En termes relatifs, le taux de chômage global a augmenté de 10,7% en 1982 à 16% en 1994 pour baisser à 10,8% en 2004 (HCP, 2005a).

En fait, ce taux global cache deux réalités très distinctes puisqu’il agrège –par rapport aux 10.8% de 2004- un taux qui monte à 18.4% en milieu urbain, et un autre qui descend à 3.2% en milieu rural… Le fait est que ce dernier chiffre, de l’aveu même des responsables de la statistique au Maroc, est très peu fiable en raison de l’ampleur et la nature du sous-emploi en milieu rural et néanmoins comptabilisé dans la « population occupée ». A titre indicatif, il savoir que la proportion « non rémunérée » mais néanmoins considérée « occupée » dans la population rurale déclarée en activité atteint 56.3% (2004), alors qu’il s’agit en fait le plus souvent d’activités domestiques plus ou moins liées à l’activité d’exploitations familiales. Pour Mehdi Lahlou, « la part de l’emploi non rémunéré dans les campagnes indique bien qu’il existe dans ce milieu une déconnexion entre emploi et revenu, ce qui implique, pour le moins, une redéfinition soit de la notion d’emploi soit de celle de revenu (Lahlou, 2006). En tout cas, même les statistiques officielles se contentent généralement de l’indicateur relatif au chômage urbain (MFP, 2005a). Si l’on s’en tient donc au taux de chômage urbain, la tendance générale reste à peu près la même, mais à des niveaux sensiblement supérieurs : en moyenne annuelle, 14.2% entre 1980 et 1989, 18.1% entre 1990 et 1995, 19.3% entre 1996 et 2000, 19% entre 2001 et 2005.

Au delà de l’aspect conjoncturel de ce chômage, sa persistance à un niveau élevé en milieu urbain s’explique par des caractéristiques structurelles fortes, en particulier l’existence d’un chômage de longue durée qui affecte les trois quarts des chômeurs, l’importance des primo-demandeurs d’emploi (près de 55% du total), la proportion nettement plus élevée chez les femmes que chez les hommes (respectivement 24.3% et 16.6% pour un taux moyen de 18.4% en 2004), et enfin l’étendue du chômage auprès des jeunes diplômés, notamment de l’enseignement supérieur (le taux de chômage atteint 35% parmi les diplômés des universités en 2004).

Selon une récente étude, le simple maintien du taux de chômage à son niveau actuel devrait nécessiter des créations d’emplois à un rythme annuel moyen de 285 000 entre 2005 et 2014, avec un taux de croissance supérieur à 4.7% au cours de la prochaine décennie (Baraka & Benrida, 2005).

En tout cas, dans de telles conditions du marché du travail formel, on comprend que l’économie informelle ait connu une expansion soutenue depuis plus de trois décennies. Largement répandu dans le commerce et les services, mais aussi dans la petite production marchande, le secteur informel se prête difficilement à une évaluation rigoureuse, les résultats étant fort différents selon les approches et les définitions retenues (Mejjati Alami, 2005). En tout cas, la dernière enquête officielle relative au sujet avait estimé que l’économie informelle abritait 39% de l’emploi non agricole en 1999-2000 (MPEP, 2000). Sur près de 1.9 million de personnes recensées, 73% étaient localisées en milieu urbain et 27% l’étaient en milieu rural. Près de 7 personnes sur 10 sont des travailleurs indépendants ou travaillant pour leur propre compte dans des micro-unités presque aux trois quarts unipersonnelles (les unités employant 4 personnes et plus représentent moins de 5% du total). La population concernée comprend des proportions considérables de jeunes, de femmes et même d’enfants, travaillant souvent dans des conditions pour le moins peu respectueuses des droits élémentaires de la personne humaine universellement reconnues.

Souvent simple économie de survie dont l’existence même témoigne de l’échec des modèles de développement entrepris depuis des décennies, le secteur informel au Maroc comme d’ailleurs dans la plupart des pays en développement, est finalement « moins une alternative et une planche de salut pour les populations défavorisées qu’une « trappe à pauvreté », moins un moyen de réduction des risques qu’un chaudron constituant une véritable menace pour l’équilibre social et pour la sécurité humaine » (El Aoufi et al., 2005).

1.3. Caractéristiques générales de l’économie du pays et ses grandes tendances
Avec un produit intérieur brut de près de 50 milliards de dollars US en 2004, et un produit par tête de 1570 dollars, le Maroc était classé par la banque mondiale à un niveau en dessous de 7% par rapport à la moyenne du groupe des « pays à revenu intermédiaires, tranche inférieure » (BM, 2006b). En parité de pouvoirs d’achat, l’indicateur s’élève à 4004 dollars US (2003), mais reste encore inférieur de 10.5% par rapport au niveau moyen des pays à « développement humain moyen ». Au demeurant, avec un indice de développement humain de 0.631 en 2003, le Maroc a été classé 124ème sur une liste de 177 pays, et en retrait de 12% par rapport à la moyenne de son groupe (PNUD, 2005).
1.3.1. Une croissance faible et volatile
Tous les travaux récents sur l’économie marocaine s’accordent sur un constat saillant : en longue période, le cours de la croissance au Maroc est à la fois trop faible et trop instable pour répondre aux exigences de son développement. Sur l’ensemble d’une période de 45 ans (1960-2005), le taux de croissance moyen n’a guère dépassé 4.1% (HCP, 2005a ; MFP, 2005a, MADRPM, 2004a). Encore que, comme on peut le constater sur la figure 1.7, le niveau atteint durant les décennies 60 et 70, qui n’était pas particulièrement élevé (entre 4.5 et 5.5%), a sensiblement décliné au cours des deux décennies suivantes, ne dépassant guère 2.3% en moyenne au cours des années 90. Le léger redressement observé depuis 2001 reste cependant insuffisant pour modifier le sens de la droite tendancielle, en pente clairement descendante.

Figure 1.7.Figure 1.8.
Compte tenu de la croissance démographique, la performance par tête d’habitant est naturellement encore plus médiocre. En 25 ans, entre 1980 et 2005, le PIB par tête en dirhams constants s’est à peine accru de 42% (passant de 3833 à près de 5460 dh), soit à un rythme annuel moyen de l’ordre de 1.5%. Chacun convient qu’un tel rythme de croissance n’est suffisant ni pour créer les emplois nécessaires à la réduction du chômage, ni pour améliorer le niveau de vie de la population, et encore moins pour permettre au pays de réussir son intégration dans l’économie mondiale.

La croissance n’est pas seulement faible, mais aussi très volatile. Il en est ainsi principalement parce que, un demi siècle après l’indépendance, l’évolution du produit global reste étroitement liées à celle de l’agriculture, elle-même encore très largement dépendant des aléas climatiques. De sorte qu’une pluviométrie suffisante et bien répartie en fonction du cycle végétatif des céréales (de loin la production agricole la plus importante du pays) est en fait le premier et le principal moteur de la croissance. Pour prendre la mesure de ce phénomène, il suffit d’observer la figure 1.9 ci-dessous : on peut y constater sur une période d’un quart de siècle une quasi-parfaite corrélation entre l’évolution de la production agricole et celle du produit intérieur brut.

Figure 1.9.Figure 1.10.
Le PIB non agricole pour sa part piétine sur une longue période à un niveau moyen de 3%. Du reste, si le rythme de croissance du PIB global est irrégulier, sa structure apparaît en revanche remarquablement stable. Sur la figure 1.10, on peut constater combien, sur une période d’un quart de siècle, les parts respectives des différents secteurs d’activités dans le PIB ont finalement peu évolué. Tout au plus peut-on relever une baisse de la part de l’agriculture qui perd près de 3 points de PIB pour tomber légèrement en dessous de 14%. En revanche, la contribution des activités de commerce, de transport et communication, ainsi que celle de l’Administration publique ont chacune gagné entre un à deux points de PIB. Quant à l’industrie, sa part ne semble guère progresser de manière significative, demeurant depuis plusieurs décennies contenue entre 17 et 18%.

1.3.2. Place de l’agriculture dans le schéma de croissance
Puisque c’est l’agriculture qui retient ici plus particulièrement notre attention, il faut rappeler que c’est dès la fin des années 60 que sa part dans le PIB, auparavant supérieure à 30%, avait fortement chuté. Comme on peut le constater sur la figure 1.11, depuis la décennie 70, cette part a en fait varié dans une fourchette comprise entre 15 et 20%, avec une tendance depuis les années 90 à se rapprocher plus de son plancher que de son plafond. Selon le modèle historique connu par la plupart des pays actuellement développés, cette perte d’importance de l’agriculture dans le produit global est surtout le fait des meilleures performances des secteurs non agricoles. Tel n’est pas le cas au Maroc puisque la tendance observée est à tout le moins aussi le reflet des contre-performances du secteur agricole.

En effet, à l’exception d’une courte période durant la deuxième moitié de la décennie 80, les taux de croissance de la production agricole sont demeurés constamment en deçà de ceux du produit intérieur brut dans son ensemble depuis un tiers de siècle. Comme on peut le constater sur la figure 1.8, qui reprend les moyennes décennales des taux de croissance du PIB et du PIB Agricole, alors que les deux agrégats avaient évolué quasiment au même rythme durant les années 60, le second avait fortement chuté par rapport au premier durant la décennie 70 (en moyenne 0.8% contre 5.6% ), pour se relever sensiblement au cours de la décennie 80 (6.7% contre 4.2%), et enfin à nouveau s’effondrer durant les années 90 pour s’installer dans une stagnation persistante (0.1% contre 2.3% pour l’ensemble de l’économie).

La baisse de la part relative de l’agriculture dans le PIB serait normale au regard du modèle rostowien inspiré de l’expérience historique des pays occidentaux développés, où cette baisse avait été accompagnée par une importante amélioration de la productivité agricole, permettant à une population rurale, en principe moins nombreuse, de dégager suffisamment d’excédents pour accroître le produit par tête et nourrir le reste de la population transférée vers les secteurs secondaire et tertiaire de l’économie. Or, au Maroc, la baisse de la part de l’agriculture est accompagnée de faits qui contredisent ce schéma classique. D’abord parce que, comme nous l’avons déjà vu plus haut, si la population rurale baisse en valeur relative, elle augmente en valeur absolue (13.4 millions en 2004 contre 8.2 millions en 1960). Il en découle une pression persistante sur la terre et plus généralement sur les ressources naturelles, et une pression non moins forte en termes de population active agricole, et partant d’emploi et de besoins de consommation alimentaire. Ensuite parce que la productivité, clé de voûte de la dynamique de la croissance, n’a pas significativement augmenté, quant elle n’a pas reculé (voir plus loin, 1.4.5). Enfin -conséquence des deux facteurs précédents-, parce que le produit agricole par tête est resté faible, ce qui n’a favorisé ni l’élargissement du marché intérieur ni les effets d’entraînement avec les autres secteurs de l’économie.

Figure 1.11.Figure 1.12.
En effet, comme on peut le constater sur la figure 1.12, par tête d’habitant, la stagnation du produit agricole apparaît tout à fait saisissante. Durant les cinq dernières années pour lesquelles des statistiques sont en la matière disponibles, soit la période 2000-2004, le produit agricole par tête a atteint 711 dirhams (constants), soit 39 dirhams de plus que le niveau qui avait déjà été atteint entre 1960 et 1964…

1.3.3. Productivité des facteurs et moteurs de la croissance
L’analyse du régime de croissance au Maroc montre que celle-ci a été principalement tirée par le facteur travail d’une part, et par la demande d’autre part (Baraka & Benrida, 2005). En effet, sur l’ensemble de la période 1960-2003, la contribution du facteur travail à la croissance du PIB a généralement été supérieure à celle du facteur capital. Quant à la productivité globale des facteurs, elle a été assez volatile et somme toute limitée, contenue entre –0.5 (1975-1981) et 1.1 (1982-1987). Décomposée, cette productivité globale révèle encore que c’est la productivité du travail qui a été le facteur déterminant dans son évolution.

L’analyse des déterminants de la croissance apparaît encore plus expressive lorsqu’on l’approche à partir des principales composantes de la demande globale (figures 1.13 et 1.14). Ainsi est-il apparu que c’est la demande intérieure qui a été le principal déterminant de la croissance sur l’ensemble de la période considérée (1960-2003). Au delà des fluctuations cycliques, la contribution de cette dernière est restée supérieure à 2.8 points de PIB dont elle a été à l’origine de plus de 80% de la progression depuis le début des années 60. Représentant près de 70% du PIB, la consommation des ménages est la principale composante de la demande intérieure. Même si sa contribution a eu tendance à baisser légèrement en fin de période, c’est elle qui explique la plus grande part de la croissance enregistrée. La contribution de la consommation des Administrations publiques a été irrégulière, relativement appréciable durant les années 70 dans un contexte d’expansionnisme budgétaire affirmé, elle a par la suite fortement reculé pour se redresser légèrement depuis la deuxième moitié de la décennie 90. Quant à l’investissement, sa contribution a également été limitée, à la fois par les défaillances de l’investissement privé et les restrictions imposées à l’investissement public depuis les difficultés financières des années 80. Enfin, il est remarquable de constater que, à l’exception d’une courte période durant les années 80, la contribution du commerce extérieur a plutôt été constamment négative (allant de -0,4 entre 1967et 1974 à –2 points du PIB entre 1975 et 1981), ce qui a fait dire aux auteurs de l’étude ayant abouti à ce résultat que ce dernier a été pour l’économie marocaine « un facteur de décroissance permanent ». Ainsi, en dépit de tous les efforts fournis depuis trois décennies au moins pour ouvrir l’économie marocaine et mieux l’intégrer dans l’économie mondiale, force est de constater que non seulement les exportations n’ont guère réussi à tirer l’économie vers le haut, mais c’est plutôt le solde négatif du commerce extérieur qui n’a cessé de la tirer vers le bas.

Figure 1.13.Figure 1.14.
1.3.4. Contre-performances du commerce extérieur
La contre-performance du commerce extérieur est matérialisée par une progression des importations plus rapide que celle des exportations, et partant un déficit des échanges extérieurs de biens et services qui n’a cessé de s’alourdir au fil des ans. Il atteint en 2005 le record historique de 85.6 milliards de dirhams, ce qui représente près de 18.5% du PIB. Comme on peut le constater sur la figure 1.15, le taux de couverture des importations par les exportations, après avoir fluctué dans une fourchette comprise entre 60 et 70% durant les années 90, a entamé depuis la fin de cette décennie-là un mouvement de baisse qui semble même s’accentuer depuis 2003, atteignant à peine 52% en 2005.

Figure 1.15.Figure 1.16.
Cette tendance, très préoccupante, est la conséquence de multiples problèmes structurels mis en évidence depuis longtemps : spécialisation des exportations dans quelques secteurs primaires ou à faible valeur ajoutée aux perspectives limitées (phosphates et dérivés, fruits et légumes, confection et cuir), concentration géographique sur quelques marchés, essentiellement de l’Union européenne, insuffisamment dynamiques et lieux d’une forte concurrence internationale (figures 1.18 et 1.20), absence de vision stratégique assortie de plans d’action pour la conquête de marchés… Au demeurant, le Maroc n’a cessé de perdre de sa compétitivité, notamment par rapport à des pays concurrents. Comme on peut le constater sur la figure 1.16, alors que la part du marché mondial du Maroc stagne autour de 0.14% depuis un quart de siècle, celle d’un échantillon d’une douzaine de pays a pratiquement doublé, passant de 6.6% en 1980 à 12.6% en 2002. En fait, en termes relatifs par rapport à l’échantillon en question, la part du Maroc a plutôt régressé, passant durant la même période de 2.1 à 1.1% (MFP, 2005a).

Alors que les exportations éprouvent tant de difficultés à se développer, les importations continuent de s’alourdir à des rythmes qui s’accélèrent avec la libéralisation de plus en plus affirmée des échanges. Entre 1996 et 2004, elles ont augmenté à un rythme annuel moyen de deux tiers supérieur à celui des exportations (6.9 contre 4.2%, MFP, 2005a). On comprend dans ces conditions que le déficit commercial n’ait cessé de se creuser. Dans le même temps, la structure de ces importations a continué de se caractériser par le poids relativement lourd des « factures » alimentaires et énergétiques (le poids de cette dernière s’étant encore considérablement alourdi depuis 2004), et la part toujours croissante des biens de consommation, favorisée par le démantèlement des protections tarifaires, notamment avec l’Union européenne (figure 1.17). Du reste, cette dernière continue aussi d’accaparer près de 60% des importations ventilées en fonction de leurs origines (figure 1.19).

Figure 1.17.Figure 1.18.
Figure 1.19.Figure 1.20.
Au total, force est de constater que, en dépit des réformes et des efforts fournis depuis plus de deux décennies pour améliorer les performances de ses échanges avec l’extérieur, l’économie marocaine n’a suffisamment su tirer profit ni de ses atouts et avantages comparatifs propres, ni même seulement des phases d’expansion de l’économie mondiale.

1.3.5. Ressources externes et excédents de la balance des paiements
Avec de tels déficits commerciaux, on s’attend à des soldes conséquents du compte courant de la balance des paiements. En fait, il en a souvent été ainsi durant les décennies 80 et 90, lorsque le déficit du compte courant, rapporté au PIB était en moyenne compris entre 1 et 4% (-4.3% entre 1980 et 1989, -1.3% entre 1990 et 1999). Mais depuis 2001, la situation semble s’être sensiblement améliorée puisque ce sont des excédents qui sont régulièrement réalisés, atteignant en moyenne 3.7% entre 2001 et 2004 (MFP, 2005a). Un tel redressement est principalement dû à l’évolution favorable de trois sources de revenus extérieurs : comme on peut le constater sur la figure 1.21, les revenus du tourisme, des transferts des marocains résidents à l’étranger, et dans une moindre mesure (et surtout de manière plus irrégulière puisque largement liés au programme de privatisation), les investissements et prêts étrangers, ont sensiblement augmenté depuis le début des années 2000. Les données encore provisoires pour 2005 confirment cette tendance : ces trois sources de revenus totalisent 108.3 milliards de dirhams, ce qui couvre largement le (tout de même) colossal déficit commercial de 85.6 milliards de dirhams.

Figure 1.21.Figure 1.22.
Par ailleurs, cette relative abondance de ressources externes est aussi à l’origine d’une nette amélioration de l’épargne nationale brute dont le taux –en rapport avec le PIB- a augmenté d’un niveau moyen de 19.9% durant les années 80, à une moyenne de 27.3% entre 2001 et 2004. On peut observer sur la figure 1.22 que, même si sa tendance est également ascendante, l’effort d’épargne intérieure reste limité alors que la courbe du taux d’épargne nationale « décroche » nettement pour monter à des niveaux jamais atteints auparavant. Elle est en cela principalement poussée par sa composante « extérieure ». Au demeurant, on peut encore constater que, au regard de la question de l’investissement, la situation a aussi fondamentalement changé. Alors que jusqu’au milieu des années 90, l’écart entre taux d’épargne et taux d’investissement était négatif (à hauteur de 3 à 4 points de PIB), il devient positif depuis 2001, l’excédent d’épargne atteignant même 3.8 points de PIB en moyenne entre 2001 et 2004. Au moment où l’accélération de la croissance nécessite un accroissement sensible du taux d’investissement, il y a là sans doute un paradoxe qui témoigne d’une certaine incapacité à transformer une épargne disponible en effort d’accumulation.

Il reste que cette relative abondance de ressources externes a généré une accumulation de réserves de change rarement connue dans le passé : le stock de ces réserves de devises internationales s’est élevé d’un équivalent de 4.6 mois d’importations en 2000 seulement, à plus de 10 mois d’importations en 2004. Une telle situation a naturellement contribué à conforter une certaine stabilité du taux de change de la monnaie nationale, le Dirham.

La parité du Dirham est déterminée sur la base d’un panier de devises où le poids de chacune reflète en gros les tendances et structures du commerce extérieur du pays. Bien que la pondération au sein du panier n’ait jamais été officiellement rendue publique, on sait que l’Euro y est prépondérant, suivi par le dollar et quelques autres devises internationales. Dans la mesure où le taux de change est géré de manière à rester contenu dans une fourchette de plus ou moins 2% par rapport à l’euro, on peut considérer qu’on a affaire à un régime de taux de change « semi-fixe » (ou semi-flexible si l’on préfère). En tout cas, tout en permettant des ajustements « en douceur » lorsque cela est jugé nécessaire par les pouvoirs publics, le système semble réussir à préserver une certaine stabilité des taux de change, favorisée il est vrai par une politique monétaire assez orthodoxe, et partant une forte baisse du taux d’inflation et sa stabilisation depuis le milieu des années 90 à moins de 2% en moyenne (figure 1.24).

Figure 1.23.Figure 1.24.
Comme on peut le constater sur la figure 1.23, alors que dans le cadre des programmes d’ajustement structurel des années 80, une politique de dépréciation du taux de change réel avait été menée, durant les années 90, le rattachement du dirham au « panier » tel qu’il existait alors avait conduit à une certaine appréciation en termes réels, appréciation estimée à 20% au cours de la période 1990-2000 (BM, 2006a). Cependant, en avril 2001, les autorités modifièrent la structure du panier de référence du dirham, en y augmentant notamment le poids de l’euro, ce qui aboutit de fait à une dévaluation nominale de 5% de la monnaie nationale. Cet ajustement a certes permis de corriger partiellement « l’écart » enregistré précédemment, mais si une certaine stabilité est à présent acquise à l’égard de l’euro, et d’abord en raison même de son « ancrage » à la monnaie européenne, le dirham s’est apprécié de près de 20% par rapport au dollar depuis 2001. C’est cette appréciation qui semble actuellement poser problème à certains experts de la Banque mondiale, qui l’estiment responsable de perte de compétitivité pour les opérateurs marocains cherchant à développer leurs exportations dans des pays de la zone dollar (BM, 2006a).

1.3.6. Déficit budgétaire, système fiscal et ressources non fiscales
Les politiques budgétaires restrictives et les programmes de rééchelonnement de la dette extérieure publique des années 80 avaient permis de ramener les déficits budgétaires à des niveaux proches du « seuil de 3% du PIB » toléré par les Institutions financières internationales. Au cours des années 90, et à quelques exceptions près, ce déficit était demeuré contenu dans une fourchette comprise entre 2 et 4% du PIB. Cependant, la situation s’est brusquement et brutalement dégradée au début de l’actuelle décennie (avec un déficit ayant atteint près de 9% du PIB en 2000), avant de revenir à un niveau moyen autour de 5% (figure 1.25). En réalité, la situation du point de vue des équilibres budgétaires reste très fragile et partant préoccupante car elle apparaît désormais fortement dépendante de ressources ponctuelles, exceptionnelles, puisque principalement liées au programme des privatisations. Comme on peut le constater sur la figure 1.25, qui rapproche le cours du déficit budgétaire et celui des ressources non fiscales (les deux étant rapportés au PIB), la corrélation est assez frappante entre l’évolution des deux courbes : elles ne cessent de « se croiser » puisque lorsque l’une « monte », l’autre « descend » et l’inverse est également vrai. Ainsi, lorsque les recettes des privatisations en particulier sont abondantes pendant une année, le déficit budgétaire chute en conséquence, alors que lorsque de telles ressources font défaut, le déficit retrouve des niveaux des plus inquiétants.

Figure 1.25.
Cette détermination accrue des ressources non fiscales est en bonne partie la conséquence d’une évolution insuffisante de la contribution fiscale au financement des dépenses de l’Etat. Ainsi, la pression fiscale apparaît quasiment stagnante à un niveau compris entre 20 et 22% depuis le début de la décennie 90 (figure 1.26). Mais surtout, cette « pression » continue d’être à plus des deux tiers de type « indirecte », c’est-à-dire fondée sur des impôts et taxes à la consommation, avec les problèmes d’iniquité et d’inefficacité qu’on connaît à cette catégorie de prélèvements fiscaux. Du reste, alors que les revenus agricoles demeurent exonérés de toute imposition directe et que la part des recettes douanières continue de baisser dans le sillage du processus de libéralisation des échanges en cours depuis plusieurs années, le système fiscal marocain se focalise de plus en plus sur trois impôts qui en représentent près de 70% des recettes (figure 1.23) : la Taxe sur la valeur ajoutée (33% des recettes), l’Impôt sur les sociétés (17%) et l’Impôt général sur le revenu (19%). En fait, on sait que ce dernier, en dépit de sa prétention à être l’impôt de « tous les revenus », puise plus de 80% de ses recettes dans les seuls revenus salariaux, ce qui fait du système fiscal marocain un dispositif dont le poids repose largement sur la population des consommateurs, plus urbains que ruraux, et a fortiori lorsqu’ils sont salariés.

Figure 1.26.Figure 1.27.
Figure 1.28.Figure 1.29.
1.3.7. Dépenses publiques et endettement de l’Etat
Au-delà de la question des ressources, le problème budgétaire au Maroc réside naturellement aussi au niveau du volume et de la structure des dépenses de l’Etat. Atteignant près de 30% du PIB, les dépenses apparaissent « excessives » non pas « en soi », mais d’abord au regard du niveau des ressources ordinaires (près de 26% en 2006), et plus encore de leur structure, laquelle apparaît encore plus contraignante, réduisant considérablement toute marge de manœuvre réformatrice. On peut constater sur la figure 1.28 que, du moins au vu des données de la loi de finances pour 2006, entre les dépenses de fonctionnement qui accaparent 60% des dépenses totales du budget général de l’Etat, et le service de la dette qui en absorbe 27%, il reste à peine 13% des mêmes dépenses à affecter aux investissements.

La dette pour sa part, dans sa double dimension, intérieure et extérieure, a connu une évolution contrastée, en fait elle aussi croisée : alors que la dette extérieure a fortement baissé (passant de 78% du PIB en 1990 à 16% en 2005), la dette intérieure quant à elle s’est sensiblement alourdie, passant de 27 à 56% du PIB durant la même période (figure 1.30). En tout cas, le volume de la dette globale n’a pas baissé et la pression que son service exerce sur les équilibres budgétaires n’a pas faibli. A leur tour, les dépenses de fonctionnement sont largement dominées (à 59%) par la masse salariale versée aux fonctionnaires et divers agents de l’Etat (figure 1.25). Au total, avec deux catégories de dépenses, les salaires et le service de la dette, ce sont ainsi plus des trois cinquièmes du budget de l’Etat qui sont quasiment « plombés », accentuant sa rigidité et son caractère très difficilement compressible.

Figure 1.30.Figure 1.31.
Les autres postes de dépenses ne sont guère moins problématiques. Avec la hausse des cours des hydrocarbures, les subventions de l’Etat pour seulement atténuer l’ampleur des relèvements de leurs prix à la consommation s’alourdissent considérablement, atteignant déjà des records historiques (16% des dépenses en 2006, figure 1.29). Compte tenu du caractère jugé durable des niveaux actuels des cours des hydrocarbures, et de l’impact du coût de l’énergie sur la compétitivité de l’économie du pays, on voit mal comment une telle pression sur le budget pourrait baisser dans les toutes prochaines années.

Les déficits des systèmes de retraite sont également une source de grande inquiétude. Pour éviter une faillite annoncée pour les cinq à dix prochaines années, l’Etat s’est pour l’instant engagé à affecter aux caisses de retraites concernées des dotations conséquentes, ce à quoi il faut ajouter la coûteuse opération d’incitation des fonctionnaires au départ volontaire à la retraite (laquelle aurait coûté 10.5 milliards de dirhams au seul titre de 2005, soit l’équivalent du dixième de l’ensemble des dépenses ordinaires de l’année, cf. MFP, 2005c).

1.4. Les grandes caractéristiques du monde rural
Comme nous l’avons déjà constaté, le monde rural abrite encore près de 45% de la population du pays et l’agriculture y occupe près de 80% de la population active. C’est dire que plus qu’un cadre de vie, espace de préservation de ressources naturelles diversifiées, à l’histoire séculaire, aux traditions ancestrales et encore vivaces, l'agriculture marocaine est aussi un secteur productif qui assure une bonne partie de l’alimentation de la population, offre du travail aux actifs qui en vivent, et en fin de compte demeure le déterminant majeur de l’activité économique générale du pays.

Nous commencerons par faire le point sur l’état des ressources naturelles ainsi que des ressources humaines et des infrastructures sur lesquelles repose nécessairement tout projet de développement. Puis nous examinerons les aspects liés à la production et à la productivité dans le secteur agricole, dont nous montrerons ensuite que les défaillances conduisent inéluctablement à une dépendance alimentaire sans cesse accrue. Enfin, nous ne manquerons pas d’expliquer comment les ressources financières mises à la disposition du secteur agricole sont à la fois en baisse et inégalement réparties.

1.4.1. Des ressources naturelles de plus en plus limitées
La situation géographique du Maroc lui permet de bénéficier d’une variété de reliefs et de climats, et partant d’une diversité bioécologique tout à fait remarquable (Lhafi et al., 2005). On distingue trois grands types d’écosystèmes : des écosystèmes marins et côtiers dont les particularités physico-chimiques et biogéographiques font du Maroc « l’un des pays à espaces marins les plus riches à l’échelle planétaire » ; des écosystèmes des eaux continentales couvrant quelques 200.000 ha, avec des lacs permanents, les rivières et les fleuves les plus importants du Maghreb, de nombreuses lagunes, des estuaires, des sources, des grottes… ; et des écosystèmes terrestres avec des terres arables, des forêts et des steppes, ainsi que des espaces pré-désertiques et désertiques. Ce sont ces derniers écosystèmes terrestres qui retiendront ici plus particulièrement notre attention.

En dépit de sa grande diversité bioécologique, le Maroc reste un pays aux ressources naturelles limitées. Bien que non dépourvu de diverses richesses du sous-sol (plomb, zinc, barytine…), le pays ne dispose en fait de réserves importantes qu’au niveau du phosphate. Ce dernier en représente près de 96%, et avec une production de 25 millions de tonnes, le Maroc est le troisième producteur et le premier exportateur mondial de ce minerai.

Au-delà du sous-sol, les ressources en sols ne sont guère considérables. En fait, 93% de la surface du pays se trouve dans des zones climatiques semi-arides, arides ou désertiques. Le pays compte 9 millions d’hectares d’écosystèmes forestiers et alfatiers, mais les espaces forestiers naturels occupent seulement 5.7 millions d’hectares, soit un taux moyen de boisement de 8%, taux en gros de moitié inférieur à celui considéré comme optimal (15 à 20%) pour l’équilibre écologique et environnemental du pays. La surface agricole utile proprement dite, évaluée lors du dernier recensement général de l’agriculture de 1997-97 à 8.7 millions d’ha, ne représente que 13% de la surface totale du pays, et correspond à une superficie cultivée moyenne de l’ordre de 0.29 ha par habitant. C’est dire que, compte tenu de la croissance démographique, la pression sur la terre, notamment sur les terres de culture, sur les parcours et les forêts, reste très forte. En 50 ans, la surface agricole utile pour 1000 habitants a baissé de 770 à 295 ha, et à l’horizon 2025, elle devrait encore baisser à 220. On estime qu’actuellement un actif agricole dispose de 2.3 hectares, à comparer avec la moyenne des pays de la Méditerranée (3 ha), notamment la Tunisie (5.2 ha), l’Espagne (14.1 ha), la France (22.8 ha) (Medagri, 2004).

Pour limitées qu’elles soient, ces ressources en sols, et plus généralement du milieu naturel, s’exposent de plus en plus à des risques de dégradation tout à fait inquiétants (Akesbi, 2005a, Narjisse, 2005). La désertification, les phénomènes d’érosion et de salinisation des sols et des nappes progressent dangereusement. 5.5 millions d'hectares –soit 60% de la SAU- sont soumis au risque d'érosion, et 2 millions le sont déjà à un "stade avancé". Le Maroc perd annuellement près de 22.000 ha de terres cultivables dans des régions plutôt favorables, en raison de l’urbanisation, la surexploitation des sols et l’utilisation de techniques de labour inadéquates. Les espaces forestiers et pastoraux sont gravement menacés. Le pays perd plus de 31.000 ha de forêt chaque année et les terres de parcours sont à 93% jugées « moyennement à fortement dégradés ».

Si l’on sait par ailleurs que 30% à peine des terres cultivables sont considérées comme étant situées en « bour favorable », c’est-à-dire sur des espaces recevant plus de 400 mm d’eau par an, alors que près de la moitié des terres en question reçoivent seulement entre 200 et 400 mm d’eau (Figure 1.32), on prend la mesure de l’autre grand problème lié à l’état des ressources naturelles. En effet, outre sa répartition inégale sur le territoire, l’eau apparaît de plus en plus rare et soumise à des pressions et des risques croissants du fait de l’augmentation de la population, et la baisse régulière des quantités disponibles par habitant. Avec 21 milliards de m3, le potentiel hydraulique mobilisable dans les conditions techniques et économiques actuelles, ne dépasse guère 700 m3 par habitant et par an, ce qui range le pays parmi ceux considérés en « stress hydrique », et même candidat à se trouver en 2025 en état de pénurie chronique quand il ne pourra mobiliser que 580 m3 par habitant.

Figure 1.32.
Au total, le coût annuel des dégradations environnementales, avec la désertification, l’érosion, la salinisation, les pertes de production agricole, les feux de forêts, les pertes de terres agricoles périurbaines, est considérable. Selon la dernière estimation effectuée par la banque mondiale, ce coût atteindrait en 2000 l’équivalent de 4.59% du PIB (Lhafi & al., 2005). En fait, ce coût est jugé très inférieur à la réalité puisqu’il n’inclut pas la valeur écologique et bio-patrimoniale des sols et des forêts, les impacts sur la biodiversité, la dévaluation du foncier, la surexploitation des eaux souterraines, etc. Or, les dégradations en cours risquent, à terme, d’être encore plus lourdes de conséquences. A commencer par le potentiel de la production agricole même, qui risque d’en être fortement affecté (BM, 2004).

1.4.2. Faible développement humain et manques d’infrastructures
Depuis le milieu des années 90, les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience de l’ampleur du sous-développement dans lequel le monde rural avait été maintenu des décennies durant. Au regard de l'Indicateur de Développement Humain, alors que le Maroc reste classé parmi le tiers des pays les moins développés dans le monde, le document du plan 2000-2004 reconnaît que cet indicateur en milieu rural est « inférieur à la moitié de celui des villes, déjà jugé faible ». En tout cas, les indicateurs ne manquent pas qui convergent et témoignent de l'ampleur de la pauvreté, des carences dans les infrastructures, les équipements de base aussi bien économiques que sociaux, même si des efforts tout à fait réels ont été fournis ces toutes dernières années pour donner une nouvelle impulsion à différents programmes de développement dans ce domaine.

Au-delà des controverses sur l’étendue de la pauvreté dans le pays, tout le monde s’accorde pour reconnaître que celle-ci est d’abord un phénomène rural : un peu plus du quart des ruraux sont identifiés pauvres, et un peu moins des deux tiers des pauvres du pays vivent en milieu rural.

En ce qui concerne l’électrification et l’accès à l’eau potable en milieu rural, un effort appréciable a sans doute été fourni durant ces dernières années, ce qui a permis d’améliorer sensiblement les indicateurs correspondants (MET, 2006). C’est ainsi que, à fin juillet 2006, le Programme d’électrification rurale globale (PERG) aurait bénéficié à 25.100 villages, sur un total programmé de 33.000, et il est prévu que cet objectif ultime soit atteint fin 2007. En ce qui concerne l’approvisionnement du monde rural en réseaux d’eau potable, le programme consacré à cet objectif a réussi à fin 2004 à atteindre 8.2 millions de ruraux, soit un taux de 61%, et cette proportion devrait atteindre 90% à fin 2007. Même si l’expérience en la matière a maintes fois montré qu’un écart important peut exister entre la population pouvant bénéficier, de l’électrification par exemple (parce que les infrastructures lui permettant cela ont été réalisées), et celle qui en bénéficie effectivement parce qu’elle peut se permettre de payer le coût de sa quote-part et celui de son abonnement, il n’en demeure pas moins qu’une accélération du rythme des programmes en question est réelle et qu’elle finit par produire des résultats.

Le programme national de routes rurales (PNRR), destiné à désenclaver plus de la moitié des localités rurales qui pâtissent de cette situation, a lui aussi été accéléré, et fin 2005, on estime que 10.062 km de routes rurales ont été construits ou aménagés, ce qui a permis d’augmenter le taux d’accessibilité de la population rurale aux différents équipements sociaux et administratifs de 36% en 1995 à 54% dix ans plus tard.

En matière d’infrastructure sanitaire, un effort a porté sur la construction d’établissements de soins de santé de base, de sorte qu’en milieu rural, le ratio « nombre d’habitants par établissement » a baissé mais reste quand même élevé, soit à 7.041 en 2003 (contre 9.225 en 1997). En tout cas, le taux de mortalité maternelle notamment reste lui aussi élevé, particulièrement en milieu rural, où il atteint 267 décès pour 100 000 naissances (contre une moyenne nationale de 227 pour la période 1995-2003).

Dans le domaine de l’éducation enfin, s’il est reconnu que le taux d’analphabétisme reste élevé, de l’ordre de 45%, aucune précision n’est fournie à propos de la proportion propre au monde rural. On peut toutefois aisément convenir qu’elle doit y être autrement plus élevée… Plus significatif encore est la proportion d’analphabétisme parmi la population des exploitants agricoles, ceux-là mêmes qui sont appelés à redoubler d’efforts pour accroître leur productivité et partant leur compétitivité. Selon le dernier recensement agricole, pas moins de 81% des exploitants agricoles, sur pas moins de 76% de la SAU, ne disposent d'aucun niveau d'instruction ; 9.5% ont seulement le niveau de l'école coranique et 6% le niveau de l'école primaire. Par ailleurs, la même population d'exploitants est apparue plutôt âgée puisqu'elle est composée à 67.5% de personnes ayant plus de 45 ans, et même à 45% de personnes ayant plus de 55 ans (MADRPM, 1998).

Même si l'on sait bien que le savoir-faire n'est pas nécessairement lié aux diplômes accumulés, il paraît assez évident qu'avec une population de producteurs aussi massivement dépourvue de formation, et relativement âgée, on peut prendre la mesure des limites intrinsèquement liées au facteur humain auxquelles sera confrontée toute œuvre de redressement de l'agriculture marocaine. En tout cas, les données et faits qui viennent d’être livrés témoignent d'une réalité tout à fait préoccupante: près de la moitié des marocains vivent aujourd'hui dans des espaces qui constituent de moins en moins un cadre de vie acceptable, ni même un cadre de travail et de production viable, et de surcroît parmi des ressources naturelles en dégradation continue. Une telle situation explique que le monde rural ait du mal à sortir d'un cercle vicieux où la pauvreté génère le sous-développement et le sous-développement la pauvreté.

1.4.3. Carences d’une production toujours handicapée par la contrainte climatique
Les quelques 9 millions d’hectares de surfaces agricoles utiles sont utilisées de manière typiquement « méditerranéenne » et en même temps très déséquilibrée. La structure d’occupation des terres apparaît en effet largement méditerranéenne parce qu’on y retrouve les principales productions caractéristiques de la région : céréales, légumineuses, maraîchage, agrumiculture, oléiculture… Mais elle est aussi déséquilibrée parce que excessivement dominée par les céréales. Sur la base des données moyennes de la période 2000-2004, on peut constater sur la figure 1.33 que les céréales occupent en moyenne 57% de la SAU, et si on ne tient pas compte des 22% des terres laissées en jachère, la proportion atteint 74%. Les surfaces céréalières sont à leur tour dominées par l’orge qui en occupe 41%, suivi par le blé tendre (34%) puis le blé dur (19%), et loin derrière encore le maïs (5%). Toujours est-il que la prépondérance des céréales et l’importance de la jachère laissent finalement peu de place pour toutes les autres productions : 4% pour les légumineuses (fèves, pois chiche, lentille…), 3% pour les cultures industrielles (betterave et canne à sucre, tournesol), 3% pour les cultures maraîchères (pomme de terre, tomate, oignon…), cultures fourragères. Quant aux plantations fruitières, elles couvrent 9% des terres et sont en fait à 60% dominées par l’olivier et à près de 10% pour chacun des vergers d’amandiers et d’agrumes.

Figure 1.33.
Cette structure de la surface agricole utile va naturellement déterminer la production.

L’évolution de la production agricole en longue période apparaît à beaucoup d’égards médiocre (figures 1.34 et 1.35). Le secteur a vu dès les vingt premières années après l’indépendance sa part dans le PIB baisser de moitié, pour se stabiliser ensuite autour de 15%. Nous avons également souligné que, à quelques exceptions près, l’évolution du produit agricole est restée toujours en retrait par rapport à celle du produit global, laquelle déjà a rarement été très satisfaisante (Cf. 1.3.2, ci-dessus).

Cette tendance générale se retrouve évidemment au niveau des principales productions agricoles, à commencer par les céréales, dont l’évolution en volume est restée très insuffisante pour accompagner la croissance démographique, de sorte que par tête d’habitant, c’est à un déclin de la production que l’on a assisté en longue période (figure 1.36) : de 361 kilos au début des années 30, celle-ci a chuté à 293 kilos au début des années 60, puis à 203 kilos au début des années 2000.

A l’exception des productions maraîchères (dont la production par tête a augmenté de près de 160% entre la première moitié des années 60 et le début des années 2000), les autres principales productions ont connu des évolutions plus ou moins comparables. C’est notamment le cas des légumineuses (-36% en 40 ans) et des agrumes (-9%). Les olives et –surtout- la betterave sucrière apparaissent comme ayant connu des progrès substantiels durant les dix à 15 premières années, mais depuis les années 70, cet élan s’est cassé et leurs productions par tête ont par la suite stagné quand elles n’ont pas décliné (figures 1.36 à 1.39).

En ce qui concerne les productions animales, les évolutions apparaissent cependant moins défavorables que pour les productions végétales (figures 1.35 et 1.39) : si la stagnation est manifeste en matière de viandes rouges (autour de 10-11 kilos par tête), en revanche, les progrès sont tout à fait notables en matière de lait (+37%) et de viandes blanches (+41%).

Figure 1.34.Figure 1.35.
Figure 1.36.Figure 1.37.
Figure 1.38.Figure 1.39.
1.4.4. Variabilité croissante et dépendance à l’égard des aléas climatiques
Tout en restant globalement faible, la production agricole est devenue de plus en plus vulnérable, soumise à une variabilité croissante parce que fortement dépendante des aléas climatiques. La meilleure illustration d’un tel état de fait est offerte par les céréales mêmes. On peut voir sur la figure 1.40 que la variabilité de la production, déjà importante jusqu’aux années 80, s’est encore accentuée depuis, au point que les années 90 ont vu se succéder deux années pendant lesquelles on a battu deux records, le premier vers « le bas », et le second vers « le haut »… Il faut dire que, en dépit des progrès réalisés, les terres irriguées ne représentant encore que près d’un huitième seulement des terres cultivables, la contrainte climatique reste bien la première à peser de tout son poids sur le développement de l'agriculture marocaine. Le plus inquiétant est que les phénomènes de sécheresse, observés en longue période, apparaissent gagner en fréquence et en intensité. Les études conduites en la matière s’accordent notamment sur le fait que « les années de sécheresse deviennent plus fréquentes, plus généralisées et plus sévères à partir des années 80 » (Diouri, 2001).

Figure 1.40.
De telles médiocres performances sur une période aussi longue peuvent d’abord s’expliquer par les deux facteurs qui se conjuguent pour donner lieu à la production : les surfaces agricoles utiles et les rendements. Or, aucun de ces deux facteurs n’a évolué favorablement de manière significative.

1.4.5. Une productivité restée médiocre
Le Maroc est un pays où les terres cultivables sont limitées. Les 8.7 millions d’hectares de surface agricole utile recensés en 1996 ne peuvent être étendus que très marginalement et, au demeurant, n’ont pu l’être en 50 ans d’indépendance que dans une proportion variant entre 6 et 12%. C’est dire que par tête d’habitant, la surface en question a considérablement baissé, puisque durant la même période, la population a pour sa part triplé. Selon nos calculs, elle serait ainsi tombée de près de 770 ha au milieu des années 50 à 295 ha pour 1000 habitants actuellement (Akesbi, 2005a).

Ailleurs, un tel handicap a pu être compensé par des progrès de productivité qui ont permis le maintien, voire l’accroissement de la production par tête. Or, nous avons vu que pour l’essentiel tel n’est pas le cas au Maroc. C’est que la productivité non plus n’a guère évolué de manière satisfaisante. Celle-ci peut d’abord être approchée à partir d’un indicateur qui a l’avantage d’être simple et disponible à l’échelle de la Méditerranée du moins (Medagri 2004) : il s’agit du produit agricole (PIBA) par actif agricole. En 2001, celui-ci s’élevait à 1252 dollars, et comme on peut le constater sur la figure 1.41, il a depuis le début de la décennie 90 quasiment fluctué dans une fourchette comprise entre 1000 et 1300 dollars. Pour être relativisés, ces niveaux devraient être comparés à ceux des pays de la région : 33494 $ pour la France, 16530 $ pour l’Espagne, 2862 $ pour la Syrie, 2448 $ pour la Tunisie, et 2071 $ pour l’Algérie…

Figure 1.41.Figure 1.42.
Mais l’approche de la productivité la plus pratique et celle pour laquelle nous pouvons disposer de données plus détaillées et plus « longues » est celle que l’on peut opérer à partir des rendements. Or, ceux-ci sont pour leur part aussi demeurés trop faibles. A quelques exceptions près (certains fruits et légumes ou cultures industrielles, en système d'exploitation intensif), les rendements des principales productions n'ont guère significativement évolué, même en longue période. La figure 1.42 montre à titre indicatif l’évolution sur une période de 45 ans des rendements des céréales et des légumineuses – qui couvrent tout de même près des deux tiers des surfaces cultivées. En ce qui concerne les premières, si l’on retient la moyenne des cinq dernières années, et qu’on la rapporte à celle du début des années 60, on s’aperçoit que, en gros, le rendement des céréales est passé de près de 8 à 12 quintaux seulement, ce qui signifie que dans l’ensemble, le pays a gagné à peine 4 quintaux en quarante ans, autrement dit, un seul quintal chaque dix ans… Quant aux légumineuses, leur déclin apparaît manifeste depuis le début des années 70, déclin que la légère reprise de fin de période ne semble pas de nature à enrayer. En tout cas, à 6.6 qx/ha, le niveau des dernières années reste en dessous de celui de la fin des années 60.

1.4.6. Déficits et dépendance alimentaire croissante
Des surfaces agricoles qui n’ont pu s’étendre significativement, des rendements dont l’évolution a été pour le moins décevante, et pour tout dire une production qui, tout en restant aléatoire, n’a souvent même pas pu accompagner de manière conséquente la croissance démographique… on comprend dans ces conditions que la dépendance du pays à l’égard des importations de denrées agro-alimentaires ait été croissante. D’abord, force est de constater que la dépendance alimentaire pour les produits de base (dits « stratégiques »), s’est au fil des ans soit aggravée, soit maintenue à des niveaux préoccupants (figure 1.43). Le cas des céréales est tout à fait caractéristique : la faiblesse des rendements s’est conjuguée à une croissance de la consommation intérieure encore plus forte que celle de la démographie, sous l’effet d’une mutation du modèle de consommation en faible rapport avec les possibilités de la production (blé tendre largement substitué au blé dur, et maïs en tant que principal intrant de l’aviculture). Le résultat en a été une dégradation du taux de couverture de la consommation intérieure par la production locale et partant une dépendance alimentaire inquiétante : moins de la moitié pour le blé tendre et la quasi-totalité du maïs.

Cette dépendance est encore plus grave en matière d’huiles végétales dont on peut constater que le « taux de couverture » reste extrêmement bas, avec moins de 5% en fin de période, en dépit des efforts fournis pour remédier à une telle situation. Le sucre pour sa part, partant de zéro au début des années 60, a connu une progression remarquable jusqu’au début des années 80, atteignant en moyenne un taux d’autosuffisance de 64%, mais depuis, on peut constater que l’élan premier est brisé, la tendance ayant été d’abord à la stagnation, puis à un recul important, que la légère reprise des dernières années – à 52% - reste loin de compenser.

Figure 1.43.Figure 1.44.
La situation du lait, et plus généralement des productions animales, nécessite certaines explications pour être mieux intelligible. En effet, les « taux d’autosuffisance » apparaissent élevés, atteignant 85% pour les produits laitiers, voire 100% pour les viandes rouges (puisque le pays n’en importe quasiment pas). Mais en réalité, cette « autosuffisance » est biaisée puisqu’elle n’est calculée que sur la base de la demande exprimée sur le marche. Or, compte tenu du pouvoir d’achat de la population et du niveau des prix des produits en question, leur demande, -et partant leur consommation-, reste très faible et de plus stagne quasiment depuis la fin des années 1960 (figure 1.44). Avec près de 44 litres par habitant et par an, la consommation de lait au Maroc reste loin de la norme nutritionnelle recommandée, qui en représente le double. A titre indicatif, si l’on cherchait à atteindre cette norme, avec le niveau actuel de production, le taux de couverture par cette dernière des besoins de consommation tomberait à un peu plus de 40%. Il en va de même pour les viandes rouges dont le marocain consomme aujourd’hui encore à peine 10 Kg par an, contre une moyenne mondiale de 27 kg, (20 kg pour les pays en développement et 55 kg pour les pays développés). Là encore, il suffirait que l’on cherche à atteindre le niveau moyen des pays en développement pour que « l’autosuffisance » se transforme en dépendance à hauteur de la moitié des besoins de consommation intérieure.

Ce sont en tout cas les importations qui ont dû de plus en plus relayer les carences de la production locale. La structure des importations agroalimentaires du pays témoigne d’une dépendance alimentaire particulièrement focalisée sur quelques denrées de base : les céréales, sucres, oléagineux et produits laitiers en représentent les deux tiers (figure 1.45). De plus, et pour s’en tenir à sa seule dimension « commerciale », cette dépendance alimentaire croissante pèse sur les équilibres des échanges extérieurs du pays. S'il est vrai que certaines productions dégagent des excédents exportables conséquents -principalement les agrumes, des primeurs et des produits agro-alimentaires transformés (figure 1.46), force est de constater que la contribution de l’agriculture aux exportations totales du pays est allée en déclinant, le mouvement ayant même tendance à s’accélérer ces dernières années, avec une part moyenne de 11% à peine entre 2000 et 2004, contre une proportion qui est longtemps restée comprise entre 20 et 30%. Cette part demeure de toute façon inférieure à celle des importations agroalimentaires dans les importations totales du pays : 15% en moyenne durant le quinquennat 2000-2004.

Figure 1.45.Figure 1.46.
Tous ces phénomènes ont convergé pour transformer la balance commerciale agroalimentaire en « boulet » alors qu’elle était censée constituer un moteur de croissance par les excédents qu’elle devait générer. Le revers n’est d’ailleurs pas récent puisque, comme on peut le constater sur la figure 1.47, la balance en question, dont le taux de couverture des importations par les exportations atteignait 180% en moyenne entre 1970 et 1973, était dès 1974 et pour la première fois brutalement tombée en déficit. Elle n’a depuis jamais renoué avec le moindre excédent, ni même avec un simple équilibre. Du reste, ce déficit chronique de la balance agroalimentaire (hors produits de la mer), qui s’était sensiblement amélioré durant la deuxième moitié des années 80, s’est à nouveau dégradé par la suite, pour se situer en moyenne à 46% entre 2000 et 2004, soit un niveau qui nous ramène à celui du début des années 80.

Figure 1.47.
Le résultat de tout cela est que la croissance qui devait être tirée par les exportations est de plus en plus handicapée par les importations. Comme nous l’avons souligné, les balances commerciales, la balance globale comme la seule balance agroalimentaire, demeurent structurellement déficitaires, et le modèle de développement choisi ne génère suffisamment de ressources en devises ni pour faire face aux besoins d’importation des biens et services nécessaires, ni pour ouvrir des perspectives de choix alternatifs, peut-être plus judicieux pour le pays…

1.4.7. Des ressources financières en baisse et inégalement réparties
Les ressources financières affectées au secteur agricole sont pour l’essentiel publiques, celles d’origine privée étant traditionnellement très faibles, du moins à en juger par les rares données disponibles en la matière. A titre indicatif, on peut noter que les crédits accordés par le Crédit Agricole du Maroc ne représentent que 14 à 20% des besoins de financement de l'agriculture, cependant que les banques commerciales ne participent qu'à hauteur de 3% au financement du secteur (MADRPM, 2000a).

Les ressources publiques pour leur part ont sensiblement baissé en longue période puisqu’elles ont été quasiment réduites de moitié, passant de près de 20% durant les années 70 à seulement 10% actuellement. Si depuis une quinzaine d’années, on s’en tient en gros à cette proportion, on peut constater sur la figure 1.48 que le budget d’investissement du Département de l’Agriculture connaît une évolution assez instable, au demeurant reflet des contraintes de financement qui caractérisent l’ensemble des investissements de l’Etat. Ceci étant, le plus remarquable est qu’en dépit de ces limites générales, sur la figure 1.49, on peut voir que la part qui est consacrée dans ce budget aux équipements d’irrigation, est très souvent considérable (Akesbi, 2005a). En particulier depuis la deuxième moitié des années 80, les équipements d’irrigation accaparent en moyenne les deux tiers du budget en question. Parmi ces derniers, c’est la grande hydraulique qui s’octroie la part du lion puisqu’elle absorbe à elle seule plus de 55% du budget, la part de la PMH ne dépassant guère les 10%, et tout le « reste » à peine un tiers (incitation à l’investissement privé, soutien aux organisations professionnelles, projets de mise en valeur en bour, formation, recherche et vulgarisation, communication…°.

Figure 1.48.Figure 1.49.
En tout cas, il y a sans doute dans cette carence des sources de financement du développement agricole une contrainte ardue parmi les plus difficiles à surmonter, d’autant plus qu’elle s’inscrit dans un contexte déjà marqué par l’insuffisance des ressources d’origine publiques et plus encore par d’énormes disparités dans leur affectation.

1.5. Les politiques agricoles et de développement rural
Nous examinerons les fondements de ces politiques, leur contenu et leurs résultats.

1.5.1. Contexte et fondements de la politique agricole de l’après indépendance
Au début des années soixante, après les reclassements politiques des premières années de l'indépendance, la stratégie de développement au Maroc adopte une orientation et un contenu nouveaux. Cette stratégie se veut déjà libérale, fondée conjointement sur le rôle moteur du secteur privé et l'ouverture sur l'extérieur. L'option industrialiste du premier plan quinquennal est rapidement remise en cause et le mot d'ordre de réforme agraire, à l'ordre du jour alors, laissera place à une inoffensive "réforme agricole" qui se gardera bien de toucher aux structures de répartition des terres, aux statuts fonciers, ni même à la cession en toute illégalité de plusieurs centaines de milliers d'hectares de terres de colonisation à des personnes privées marocaines... L'ancien « tertib », impôt impopulaire, est supprimé et remplacé en 1961 par un "impôt agricole" qui reviendra à détaxer très largement les revenus agricoles et particulièrement les plus élevés parmi eux. Les anciens notables ruraux réinvestissent l'appareil de l'État, au niveau local notamment où, dit R.Levau, "ils se voient à nouveau, comme sous le protectorat, confier la police du monde rural" (Levau, 1976).

De tels choix, commandés par des considérations socio-politiques évidentes, vont peser dans la vision que les responsables auront du développement de l'agriculture et plus généralement du monde rural. Celle-ci devra certes bénéficier d'une attention particulière, mais rien dans ce qui y serait entrepris ne saurait sensiblement mettre en cause un ordre fondé sur des structures foncières, sociales et politiques consacrées. Les "structures" étant ce qu'elles sont, on tâchera de faire avec. Les solutions à trouver aux problèmes du développement agricole, soutiendra-t-on, seront plutôt "techniques" que "politiques".

A partir de 1965, à l'issue des travaux de la première mission de la Banque mondiale dans le pays, le modèle de développement dans l'agriculture commence à prendre forme. Délaissant toute réforme de structure, il repose sur deux concepts majeurs qui sont la modernisation et la rentabilisation. Forts des premiers résultats tout à fait encourageants de "la révolution verte", notamment en Asie, les experts de l’Institution financière internationale font leur l’idée reçue de l’époque pour louer la "vocation agricole" du pays et souligner l’intérêt qu’il pourrait tirer d’une bonne exploitation de ses atouts dans ce domaine. Cependant, l’œuvre de modernisation de l’immense "secteur traditionnel" paraissant gigantesque, face à des ressources en capital limitées, il apparut nécessaire de distinguer et de hiérarchiser les actions les plus importantes et dont, selon les propres termes de plan triennal de l’époque, "la rentabilité à court terme" ne peut être mise en cause (DGPNP, 1965). Celle-ci passait par l’investissement dans l’irrigation, la mécanisation des travaux, l’intensification des conditions de la production, l’intégration des exploitations agricoles au marché, et naturellement aussi l’orientation de la production elle-même vers les cultures intensives à rendement élevé ou ayant une "haute valeur à l’exportation" (cultures industrielles, fruits et légumes, lait…). Cela d’autant plus que les lourds investissements qui allaient être entrepris devaient en grande partie être financés par des ressources empruntées à l’extérieur, ce qui nécessitait de générer des ressources suffisantes et en devises pour les rembourser.

Au total, le modèle que l’on projetait d’édifier avait sans doute sa logique et sa cohérence. Il eut pour ambition de développer un secteur agricole moderne et performant, capable de déployer une capacité de production à même de satisfaire la demande interne certes (stratégie de type « import-substitution »), mais aussi une demande externe sur des marchés où les atouts du pays pouvaient être valorisés, et sa compétitivité avantageusement déployée (stratégie de promotion des exportations). La production de substitution aux importations concernait principalement le blé tendre, les cultures sucrières et oléagineuses, le lait et les viandes. A l’exportation, c'est la filière des fruits et légumes qui s’imposa naturellement pour asseoir la stratégie poursuivie. Comprenant des spéculations à forte valeur commerciale, cette filière -largement dominée par les agrumes et les primeurs- était de toute évidence celle où le pays disposait déjà d'avantages comparatifs indéniables: conditions pédo-climatiques favorables, main-d'œuvre abondante et peu coûteuse, proximité des marchés solvables d'Europe, relations commerciales privilégiées avec l'ancienne métropole…

Dès le milieu des années 60, la politique de l'État dans l'agriculture s'identifie à "la politique des barrages". Celle-ci se fixa pour objectif-symbole l'irrigation d'un million d'hectares à l'horizon 2000, et pour y parvenir prit la voie de la grande hydraulique, c'est-à-dire l'édification d'imposants ouvrages de retenue d'eau, et l'équipement à leur aval de périmètres appelés à être les foyers privilégiés du développement recherché. Ce fut une politique volontariste, globale, et cependant éminemment sélective. L'État, qui en est le maître d'œuvre exclusif, multiplia les instruments d'intervention, directs et indirects, destinés à en assurer l'assise et le succès: investissements publics, subventions, défiscalisation, crédits, politique des prix, encadrement, débouchés...

1.5.2. Contenu et instruments de la « politique des barrages »
Au service d'une politique qui s'est voulue massive mais sélective, l'État a déployé tout un arsenal d'instruments de politique économique et financière, variés et complémentaires (Akesbi & Guerraoui, 1991).

L'action de l'État s'est d'abord caractérisé par des investissements publics massifs dans les infrastructures de base et les équipements de drainage de l'eau. Au prix d'un effort financier considérable (près de 60% des ressources affectées au secteur agricole, et 30% de l'ensemble des investissements publics), il devenait possible de poursuivre la réalisation d'un programme ambitieux de construction d'ouvrages de grande hydraulique et d'équipement de vastes superficies mises ensuite en irrigation (entre 1967 et 1980, on avait construit une quinzaine de grands barrages et équipé près de 300.000 ha dans les périmètres irrigués).

Le Code des Investissements Agricoles, promulgué en 1969, devait ensuite organiser les conditions de mise en valeur des terres irriguées, favoriser la modernisation des exploitations et l'intensification de la production. Au sein des périmètres d'irrigation, la mise en valeur des terres était décrétée obligatoire et les exploitants devaient respecter des plans d'assolement élaborés par l'administration centrale en fonction des objectifs arrêtés globalement pour le pays. En contrepartie, un impressionnant dispositif de subventions et de primes fut mis en place afin d'encourager l'acquisition des moyens de la modernisation (intrants, matériel agricole et d'irrigation, plantation de vergers, amélioration génétique du cheptel…). L'eau, facteur de production évidemment décisif dans des zones aménagées pour l’irrigation, bénéficia d'un traitement particulièrement favorable. Outre une contribution à peine symbolique au coût des équipements (5% environ), le prix de l’eau fut maintenu à un niveau très bas, en tout cas bien deçà de son prix de revient.

Le Crédit Agricole aussi fut aménagé pour favoriser le financement des zones, des exploitations et des productions privilégiées par cette politique. Le dispositif mis en place revenait pratiquement à saupoudrer quelques "crédits de subsistance" à la grande majorité de la petite paysannerie, et à réserver l'essentiel des ressources aux grandes exploitations dans le cadre de crédits de développement.

Sur le plan de la fiscalité, la création de l'impôt agricole aboutissait déjà durant les années soixante à exonérer les neuf dixièmes des exploitants. Par la suite, le défaut de mise à jour des bases d'imposition et le maintien des taux à un bas niveau se conjuguaient pour aboutir à un dépérissement de l'impôt agricole. Du reste, au début de la décennie quatre-vingt il ne sera pratiquement plus perçu durant les années de sécheresse. Puis intervint en 1984 la décision royale d'exonérer les revenus agricoles de tout impôt jusqu'à l'an 2000, échéance reportée par la suite encore à l'an 2010... Au niveau de la fiscalité indirecte, on retrouve la même volonté de détaxation. A l'amont, les principaux inputs ainsi que le matériel et le cheptel sont exonérés de la taxe sur les produits et services (qui deviendra à partir de 1986 la taxe sur la valeur ajoutée), et à l'importation des droits de douane. A l'aval, les produits agricoles à l'état frais ainsi que certains parmi ceux ayant subi une transformation sont également exonérés de la TVA. Les produits destinés aux marchés extérieurs sont aussi dispensés de toute contribution fiscale. Au total, on peut considérer que le secteur agricole bénéficie pratiquement d'une quasi-défiscalisation, celle-ci étant supposée constituer un puissant stimulant pour la promotion de l'investissement privé et la modernisation du secteur.

La politique des prix à la production s'est voulue elle aussi sélective. L'État a cherché à réglementer les prix de certains produits de base tels les céréales, le lait, et certaines cultures industrielles (betterave, coton, tournesol..), destinées au marché intérieur, et maintenir libres ceux des produits maraîchers, des agrumes, de l'huile d'olive, produits dont on souhaitait promouvoir les exportations. Il eut, depuis le début des années soixante-dix, le souci d'offrir aux producteurs des niveaux de rémunération suffisamment encourageants, quitte à faire prendre en charge par l'État les subventions rendues nécessaires par le maintien des prix à la consommation à des niveaux compatibles avec le pouvoir d'achat de la population. Plusieurs productions essentielles (cultures sucrières, oléagineuses, lait,...) bénéficièrent même d'un encadrement intégré qui appréhendait l'ensemble de la filière production- transformation- commercialisation, allant du travail du sol et l'avance des intrants à la garantie de l'écoulement de la récolte à un prix préétabli, en passant par l'octroi des crédits nécessaires, le suivi de la campagne par les techniciens des Offices régionaux de mise en valeur, l'exécution des traitements phytosanitaires appropriés, etc.

Les conditions d’écoulement des productions à promouvoir étant évidemment essentielles, une politique, également très sélective, a été conduite à ce niveau aussi. En effet, autant les pouvoirs publics se sont-ils attachés à organiser et favoriser les conditions d'écoulement des productions privilégiées par sa politique générale, autant ont-il négligé celles des autres productions. Ainsi, à l'intérieur du pays, la commercialisation des cultures industrielles promues dans le cadre des contrats de culture, essentiellement au sein des périmètres irrigués, a bénéficié d'une organisation relativement efficace, avec un circuit réduit au minimum - n'impliquant quasiment que le producteur, l'Office, et l'usine de transformation - et des prix assez intéressants. Le lait a bénéficié d'une organisation reposant sur l'établissement de centres de collecte dans les zones de production intensive qui s'est révélée intéressante. Le blé tendre a partiellement eu droit à quelque attention dans la mesure où les coopératives de commercialisation (orientées et soutenues par l'Etat), avaient pour directive de prendre livraison de cette céréale, quoique seulement dans la limite de leurs possibilités -qui n'étaient pas considérables. Les marchés des autres denrées alimentaires par contre, de l'orge et du blé dur aux fruits et légumes en passant par les légumineuses, l'huile d'olive et les viandes, n'ont fait l'objet d'aucun effort d'organisation et d'assainissement. Si bien que les circuits de commercialisation au Maroc continuent de se caractériser le plus souvent par une grande complexité, une désorganisation qui frise l'anarchie, et surtout une multiplication abusive d'intermédiaires spéculateurs qui s'enrichissent outrageusement au détriment à la fois des producteurs et des consommateurs (voir 2.1, ci-dessous).

C'est en fait en direction de l'extérieur que l'Etat a indéniablement déployé le plus d'efforts pour favoriser l'écoulement des produits destinés à l'exportation. Dès 1965, il crée l'Office de Commercialisation et d'Exportation (OCE), qui aura jusqu'en 1985 le monopole de l'exportation des principales denrées concernées (agrumes, primeurs, conserves végétales et animales). Cet Office pourra surtout mettre ses puissants moyens matériels et humains au service de la prospection des marchés extérieurs et assurer aux producteurs des conditions de vente relativement avantageuses. En 1969 est signé le premier accord d'association avec la CEE, accord renouvelé et élargi en 1976. Son intérêt premier est de chercher à garantir l'accès des produits en question au marché communautaire. L'adhésion de l'Espagne et du Portugal à la CEE en 1986 conduira à son "adaptation" en 1988. Il est vrai que cette dernière est demeurée très insuffisante et que, sous la pression de puissants lobbies, l'Union Européenne poursuivra désormais une politique protectionniste clairement affirmée.

Cependant, outre ses ambitions exportatrices, la « politique des barrages » ayant aussi comporté une dimension « import-substitution » assez marquée, on comprend que l’on ait assez rapidement ressenti le besoin d’une protection conséquente de la production locale. A l’instar du modèle industriel en vogue à l’époque, l’agriculture, ou plutôt une certaine agriculture –celle que l’on voulait promouvoir dans les périmètres d’irrigation pour satisfaire la demande interne- était aussi « naissante », et, encore dans « l’enfance », avait besoin d’être protégée de la concurrence internationale. Cette protection allait donc s’affirmer d’abord à travers des restrictions quantitatives puisque l’importation de la plupart des produits agricoles était soumise au système des « licences », lui-même fortement encadré par des quotas strictes et préalablement déterminés. De plus, la protection était aussi tarifaire, avec des droits de douane dont les niveaux dépassaient fréquemment 100%, et allant même quelquefois au-delà de 300%. Enfin, notons qu’une politique de taux de change plus ou moins surévalués conduisait souvent à renforcer cette protection.

1.5.3. Années 70 : Plans sectoriels et projets intégrés
Dès la première moitié des années 70, la « politique des barrages » commençait à produire ses premiers résultats : les barrages se multipliaient et les terres équipées pour être irriguées s’étendaient. Au niveau de la production, le développement de la betterave fut tel que le taux d’autosuffisance en sucre, qui était quasiment nul au début de la décennie 60, atteignait déjà près de 50% au milieu de la décennie suivante. En matière d’oléagineux, le tournesol connaissait des débuts prometteurs, avec une production qui doublait en quelques années. Les principales productions maraîchères et fruitières avaient également augmenté dans des proportions plus ou moins importantes, et il en allait de même pour la production laitière qui s’était elle aussi accrue de près de 40% entre 1967 et 1975. Cet accroissement d’une partie de la production, son orientation vers des spéculations assez fortement utilisatrices de main d’œuvre, mais aussi le relèvement des prix à la production à partir du début de la décennie 70, ce sont là autant de facteurs qui, dans les périmètres irrigués, ont par ailleurs contribué à une certaine amélioration des conditions de l’emploi et des revenus de la population.

Les premiers résultats qui viennent d’être rappelés intervenaient cependant dans un contexte général du pays qui était pour le moins agité. Les deux coups d’état successifs de juillet 1971 et août 1972, suivis par le soulèvement armé à l’est du pays en mars 1973, mettaient en évidence les fragilités du régime politique, et l’impérieuse nécessité dans laquelle il se trouvait d’explorer les voies et moyens d’une certaine « réconciliation » avec la population et ses élites alors largement engagées dans l’opposition. L’annonce, 17 ans après l’indépendance du pays, de la récupération des terres de colonisation privée le 3 mars 1973 s’inscrit dans cette perspective. Cette mesure, pendant de la « marocanisation » dans l’industrie et les services, comportait au moins une double vertu pour l’Etat : elle répondait à une vieille revendication populaire qui ne pouvait qu’être favorablement accueillie par l’opinion et les forces du mouvement national, et en même temps mettait à sa disposition une nouvelle « réserve » de terres dans laquelle il pouvait à nouveau puiser pour opérer de nouvelles « distributions » toujours politiquement fructueuses, ainsi que s’assurer de nouvelles alliances ou en renouveler d’autres…

Cette récupération tardive des terres de colonisation privée avait d’abord permis de confirmer les mouvements de transferts illégaux qui les avaient amputées de plus de la moitié de leur superficie : Sur les 728.000 ha recensés à l’indépendance, quelques 400.000 ha avaient déjà été cédés directement par les anciens colons à de nouveaux acquéreurs marocains, échappant ainsi à l’opération de récupération officielle (Pascon, 1977). Il reste que les terres ainsi reprises ont pu d’une part être confiées à deux nouvelles sociétés d’état pour leur gestion (SODEA et SOGETA), et d’autre part alimenter le fond de réserve des terres destinées aux distributions épisodiques engagées de temps à autre depuis l’indépendance. Inscrites dans le cadre de la « Révolution agraire » annoncée par le Roi en septembre 1972, celle-ci seront en effet accélérées durant le quinquennat suivant, puis s’arrêteront définitivement. Lorsque le bilan officiel sera établi par la suite, on saura que les distributions auront concerné au total un peu plus de 320.000 ha et bénéficié à quelques 24.000 attributaires, soit moins de 2% de la population des « exploitants agricoles » recensés alors.

Mais au delà des péripéties politiques, un débat de fond sur la stratégie agricole était désormais entamé, chargé d’un flot des premières interrogations qui commencèrent à se faire de plus en plus insistantes, mettant en question, sinon en cause les choix effectués quelques années plutôt. Les interrogations se situaient à différents niveaux, et portaient autant sur les conséquences, voire les dérives du modèle adopté, que sur ses fondements et ses caractéristiques de base. Ainsi commençait-on déjà à se demander si l’option retenue de privilégier la grande hydraulique, au détriment de la petite et moyenne hydraulique, était judicieuse. Ne fallait-il pas rechercher un meilleur équilibre entre les deux, équilibre qui devait d’abord s’exprimer en termes d’allocation de ressources ? Précisément à propos de ces dernières, chacun pouvait aisément apprécier les risques que l’on prenait en concentrant autant de ressources sur des espaces nécessairement limités, et l’ampleur des disparités de toute sorte qui allaient en découler, disparités spatiales certes, mais aussi culturales (des productions privilégiées et d’autres négligées : blé dur, orge, légumineuses, oliviers, palmiers dattiers, élevage extensif..), et sociales (impact discriminatoire des projets hydro-agricoles). Les questions d’articulation entre les rythmes de construction des ouvrages de base à l’amont, et d’aménagement et d’équipement des surfaces « dominées » à l’aval commençaient également à être discutées, tout comme l’étaient aussi les choix faits en matière de systèmes d’irrigation, de gestion et d’entretien des réseaux, de respects des plans d’assolement, de recouvrement des redevances d’eau et de participation directe des agriculteurs à la valorisation des terres mises en irrigation…

On commençait aussi à prendre conscience du fait que le secteur irrigué, à supposer même qu’il puisse atteindre son plein potentiel de production, et à l’exception de quelques productions (industrielles, horticoles, laitières) « ne pouvait offrir une contribution déterminante pour l’autosuffisance alimentaire du pays » (Anechoum, 1987). D’ailleurs, l’apparition pour la première fois en 1974 d’un déficit au niveau de la balance commerciale agroalimentaire fut reçu comme une véritable douche froide, alors que l’objectif était précisément de couvrir les « autres déficits » par les excédents de cette dernière. Dès lors, la question de l’autosuffisance alimentaire devenait encore plus cruciale, et les moyens de l’atteindre objet de nouvelles interrogations : Ne fallait-il pas aller la rechercher aussi, et peut-être principalement- « en dehors des périmètres » ? Ne fallait-il pas accorder plus d’attention et d’intérêt aux immenses terres situées en zones bour, de parcours et de montagne pour les valoriser et mieux en exploiter le potentiel ? Ne fallait-il pas dépasser la démarche purement « technicienne » et en tout cas trop partielle avec de simples « opérations » (« Opération labour » entre 1957 et 62, « Opération Engrais » entre 1966 et 1973…), pour adopter une approche plus « globale », notamment en termes de « filières » et de « développement intégré » ?

Toutes ces interrogations allaient finalement aboutir à deux inflexions dans le cours de la politique agricole durant les années 70, inflexions qui n’allaient toutefois rien modifier à ses « fondamentaux » ni même s’affirmer durablement pour commencer à produire des résultats significatifs. Nous les évoquerons cependant brièvement ici, parce que nous croyons qu’elle auraient pu contribuer à mieux équilibrer, et finalement amender les principales orientations de la politique agricole.

La première inflexion a en fait recherché une certaine rationalisation de l’organisation de la production dans le temps et dans l’espace, à travers une planification qui se voulait à la fois conséquente et intégrée. Echaudés par l’affirmation de la dépendance alimentaire du pays, les responsables allaient pour la première fois inscrire dans le Plan 1973-77 parmi ses objectifs principaux « la satisfaction des besoins du pays en produits agricoles de base ». Les plans d’assolement dans les périmètres de grande irrigation, qui trouvaient dans ce même plan leur première formulation officielle, allaient concrétiser cette préoccupation puisqu’ils comprenaient principalement les cultures céréalières à « haut rendement », les cultures industrielles, les cultures fourragères, le maraîchage et l’arboriculture fruitière (SEPDRFC, 1974). Pour donner un contenu concret à ce dessein, toute une série de « plans sectoriels » allaient progressivement voir le jour : Plan sucrier en1974, Plan laitier en 1975, Plan d’action primeurs en 1979, Plan oléagineux en 1981, « Programmes d’action » dans le secteur céréalier en 1982, Plan fourrager en 1986…

L’autre inflexion procède directement du constat de l’énorme déséquilibre qui était en train de se creuser dangereusement entre zones bour et zones irriguées. Pour l’histoire, on notera que c’est la même Banque mondiale, qui avait tellement promu la « politique des barrages » depuis le milieu des années 60, qui se mettra à tirer la sonnette d’alarme une dizaine d’années plus tard… Il faut dire que cette institution est alors en pleine « ère Mc. Namara », avec toute la sensibilité « sociale » qui l’avait caractérisée durant cette période. On comprendra donc que, pour s’en tenir au domaine qui nous occupe ici, ses experts aient été particulièrement perspicaces pour mettre en évidence les déséquilibres de toute sorte générés par l’excessive polarisation sur les zones de grande irrigation (BM, 1977 et 1979). En écho à ces nouvelles préoccupations, le plan 1981-1985 plaidera en faveur « d’une répartition optimale des moyens entre le bour et l’irrigué » (SEPDR, 1986).

Si cette prise de conscience n’aboutit pas à remettre en cause la « politique des barrages », elle conduit durant les années 70 à un plus grand intérêt pour les vertus de l’investissement en bour. D’autant plus que, au-delà du désir d’éviter une excessive marginalisation de la plus grande partie du monde rural, entrait en compte une autre considération d’une importance politique et stratégique capitale : il s’agissait de fixer la population rurale dans ses terroirs et partant éviter une accélération de l’exode rural dont on craignait les conséquences, notamment dans les grandes agglomérations urbaines… L’idée qui commence alors à faire son chemin est que le développement est une dynamique nécessairement globale et intégrée. Les performances économiques des exploitations sont autant liées aux conditions d’intensification de la production qu’à celles du bien-être des producteurs, ce qui signifie que pour fixer la population là où elle était, il fallait s’occuper à la fois de ses conditions de travail et de ses conditions de vie, les unes déterminant les autres et inversement.

Cela donnera lieu, à partir de 1975, à l’apparition dans différentes zones bour d’une série de projets dits « intégrés » parce que, outre la dimension économique et technique traditionnelle (investissement sur l’exploitation, mécanisation, utilisation d’engrais et de semences sélectionnées, traitements phytosanitaires, crédits…), s’ajoutait d’autres dimensions essentielles qui étaient sociales, organisationnelles, voire écologiques : construction de routes, d’écoles, de dispensaires, électrification rurale, adduction d’eau potable, aménagement de Souks, organisation professionnelle, conservation des sols, reboisement… Pendant un peu plus d’une dizaine d’années seront donc lancés huit projets officiellement appelés « de développement agricole intégré de l’agriculture en sec » à travers différentes régions du pays : Fès Karia Tissa; Oulmès Rommani ; El Hajeb, Abda-Ahmar, Settat, Haut-Loukkos; Moyen Atlas Central, Had Kourt… Au total, on estimait en 1987 que ces projets avaient concerné une superficie totale de 2.7 millions d’hectares (dont près de 1.6 million d’hectares de surface agricole utile), et un peu plus de 200.000 agriculteurs.

En somme, avec cette double inflexion, le modèle de développement agricole semblait à partir du milieu des années 70 évoluer en s’orientant vers une combinaison mieux équilibrée des stratégies de promotion des exportations et de substitution aux importations d’une part, et un arbitrage moins marqué en faveur des périmètres de grande irrigation et au détriment des zones d’agriculture pluviale et de la petite et moyenne hydraulique d’autre part. Si cette orientation avait pu prendre le temps de s’affirmer, s’étendre de manière significative, et commencer à produire des résultats tangibles sur le terrain, probablement qu’elle aurait abouti à une situation meilleure que celle à laquelle nous avons abouti aujourd’hui… Mais l’avènement des politiques d’ajustement structurel durant les années 80 créera une situation nouvelle dont les plans sectoriels et les projets de développement intégrés en sec seront les premières victimes. Les uns et les autres seront abandonnés sans avoir fait l’objet d’une véritable évaluation critique pour en déterminer les limites et en tirer les leçons.

Reposant sur une intervention active et constante de l'État, la politique conduite jusqu'au milieu des années 80 a été jugée excessivement "dirigiste", et l'on comprend qu'elle ait rapidement constitué un terrain privilégié des réformes entreprises dans le cadre des programmes d'ajustement structurel.

1.5.4. La politique d’ajustement structurel dans le secteur agricole (1985-1993)
Au tournant des années 80, l’économie marocaine connaît une crise majeure. Le surendettement, les déficits budgétaires et commerciaux, les pénuries de réserves de devises en sont des expressions, certes spectaculaires mais fragmentaires, du mal profond d’un « modèle de développement » qui n’avait de toute évidence guère réussi à atteindre les objectifs qu’il s’était lui-même assignés. Toujours est-il que, acculé à demander le rééchelonnement de sa dette extérieure, le pays doit s’engager, officiellement en 1983, dans la mise en œuvre d’une politique d’ajustement structurel, en étroite collaboration avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui en accompagnent le financement.

La politique d’ajustement structurel gagne le secteur agricole à partir de 1985. Elle portera d'abord le nom de Programme d'Ajustement à Moyen Terme du Secteur Agricole (PAMTSA) et sera soutenue principalement par des crédits de la Banque mondiale et des accords d'assistance technique. Elle sera par la suite matérialisée à travers différents Prêts/Programmes à l'Ajustement du Secteur Agricole (PASA1 et 2), à l'Amélioration de la Grande Irrigation (PAGI1 et 2), et à l'Investissement dans le Secteur Agricole (PISA1 et 2).

Ces programmes s'inscrivent d’abord dans le cadre des objectifs généraux de la politique d'ajustement dans son ensemble: réduction de l'engagement financier de l'État, libéralisation des structures de production et d'échange pour en développer l'ouverture sur l'économie mondiale et y adapter l'allocation des ressources à la logique du marché. Ils se distinguent cependant par l'accent mis sur l'amélioration de l'affectation des ressources, l'encouragement à l'augmentation de la productivité agricole, le désengagement de l’Etat des activités où il avait été auparavant largement présent, et une attention particulière à la formation de compétences d’analyse et d’encadrement dans l’administration.

Parce que l'État s'était considérablement engagé dans l'agriculture d'irrigation en particulier, un aspect majeur des programmes d'ajustement en question va consister à organiser les conditions de son désengagement des espaces et surtout des modes d'intervention liés à la politique précédente. On peut à peu près synthétiser les nombreuses actions et mesures prévues dans les différents programmes à travers les trois axes de réforme suivants :

* La redéfinition du rôle des organismes publics d'intervention et la soumission de leur gestion aux impératifs du marché ;
* L'élimination des obstacles aux échanges intérieurs et extérieurs, notamment des monopoles, quotas et autres réglementations restrictives au commerce des produits agricoles ;
* La suppression des subventions de l'État aux facteurs de production et l'affirmation d'une politique de "vérité des prix" à la production et à la consommation.

Le citoyen, en milieu urbain comme en milieu rural, retiendra d’abord ce dernier aspect de la nouvelle politique qui se mettait en place. Avant même l’entrée en vigueur officielle des programmes d’ajustement structurel, la politique des prix et des subventions des années 60 et 70 fut brutalement remise en cause à travers de fréquentes et fortes hausses des prix à la consommation des produits alimentaires de base soutenus par l’Etat. En dépit de leur grande impopularité, les hausses des prix se sont succédées tout au long des années 80 à un rythme plus ou moins soutenu (voir ci-dessous 2.3).
Quant aux programmes d’ajustement proprement dits, les deux principaux, appelés PASA1 et PASA2, couvriront théoriquement la période 1985-1993. On trouvera sur l’encadré 1 un état récapitulatif des « mesures d’ajustement » prises dans le cadre de ces deux programmes. On se contentera ici d’en souligner quelques aspects marquants et de les commenter.

Trois mesures prises dans le cadre du premier programme méritent d’être rappelées. La première concerne la cession au secteur privé des services de santé animale. La deuxième implique les Offices régionaux de mise en valeur agricole qui reçurent en 1987 autorisation de transférer progressivement au secteur privé la plupart des prestations à caractère commercial qu’ils assuraient, pour se consacrer essentiellement à l'équipement hydraulique, à la gestion des réseaux et à la vulgarisation. Enfin, la troisième mesure a consisté en la création en 1986 d'un Fonds spécial au niveau du Trésor appelé Fonds de Développement Agricole (FDA), confié à la Caisse Nationale de Crédit Agricole (devenue depuis Crédit Agricole du Maroc) pour sa gestion. Inscrit dans une perspective de modernisation et de rationalisation de la politique d’incitation de l’Etat, le FDA avait pour mission d’intégrer les différents programmes d'encouragements financiers de l'État, de collecter de nouvelles ressources, et d’en assurer une distribution optimale compte tenu des orientations de l’Etat, lesquelles insistaient désormais sur quelques domaines prioritaires: intrants agricoles, intensification de la production animale, équipement des exploitations agricoles, aménagements fonciers...

D’autres mesures qui concernent le commerce extérieur, doivent également être soulignées, même si elles n’ont pas été prises, du moins formellement, dans le cadre du PASA 1. En ce qui concerne les exportations, il fut décidé en 1985 de démonopoliser les activités d’exportation de produits agricoles –frais et transformés- qui avaient été confiées en 1965 à l’Office de Commercialisation et d’exportation (OCE). Parallèlement à cette « démonopolisation », un « Etablissement Autonome » (EACCE) était créé pour prendre en charge les fonctions de « coordination et de contrôle des exportations » précédemment assumée par l’OCE (voir ci-dessous 2.1.2.2.1). A partir du début de l’année 1986, des groupes d’exportateurs privés commencèrent donc à se constituer et, même s’il ne disparaissait pas, l’OCE devenait un exportateur, plutôt mineur, parmi une dizaine d’autres. Au niveau des importations, les restrictions quantitatives avaient commencé à être progressivement supprimées, et le processus de restructuration et de réduction des tarifs douaniers résolument engagé à partir de 1984. En une dizaine d’années, les taux maxima seront réduits de près de 400% à 60% (y compris le prélèvement fiscal à l’importation), et l’éventail des quotités tarifaires ramené de 25 à 8. Au niveau institutionnel, ce processus sera conforté par l’adhésion du Maroc au GATT en 1987, la promulgation de la loi sur le commerce extérieur en 1992, consacrant l’option stratégique de libéralisation des échanges extérieurs, et la notification en 1993 de l'adhésion du Maroc aux dispositions de l'article VIII des statuts du FMI relatif à la convertibilité d'une monnaie au titre des transactions courantes.

Parce qu'il devait s'attaquer à des problèmes de fond, le PASA.2 devait se fixer dès le départ des objectifs ambitieux, dont notamment l'élimination des restrictions commerciales, à l'importation en particulier, et la suppression des subventions à la consommation des denrées de base, accompagnée de la libéralisation des secteurs et filières concernés (farine de blé, sucre, huiles alimentaires). En fait, la réalisation de ces objectifs allait rapidement apparaître plus difficile que prévu, et en dépit de divers « assouplissements », le programme prendra du retard et ne sera exécuté que partiellement. En effet, le bilan d’exécution qui sera établi en 1994 montrera que les réformes réalisées sont loin d’être négligeables, mais que celles considérées parmi les plus « sensibles », et aussi les plus décisives, ne l’ont pas été (BM, 1995a). Ainsi, la libéralisation à l'importation de la plupart des produits alimentaires transformés et de nombreux autres denrées agricoles avait été poursuivie, même si les niveaux de protection restaient plus élevés que prévu (avec notamment des droits de douane de 45% au lieu de 35% au maximum pour les autres produits). Le monopole de l'Office National du Thé et du Sucre en matière d'importation et de commercialisation du sucre ainsi que celui de « Burapro » (Bureau d’Approvisionnement) pour l’importation des graines oléagineuses avaient été supprimés. A l’intérieur, une nouvelle loi avait été adoptée, portant sur la réorganisation du marché des céréales et des légumineuses, et y instaurant notamment le principe de la liberté du commerce. A l’exception du blé tendre, la commercialisation et les prix –à la production comme à la consommation- avaient été libéralisés. Il en fut de même pour le lait et les produits laitiers, dont le processus de libéralisation des prix fut achevé en 1993.

Encadré 1. Principales mesures d’ajustementMesures-prixPolitique de change
Dévaluations dont celle de 9.25% en 1990
Baisse régulière du taux de change réel jusqu’à un niveau d’équilibre en 1994
Politique commerciale









Réduction des restrictions quantitatives en 1984 (sauf produits agricoles stratégiques : céréales, sucre, oléagineux, viandes, lait et dérivés)
Réduction et rationalisation des droits de douane en 1984, 1992 et 1993
Prélèvements à l’importation pour produits agricoles sensibles en 1992
Suppression des taxes à l’exportation à partir de 1984
Suppression de l’obligation de licence d’exportation en 1986 (sauf pour les produits spécifiques : farine de blé, sucre, huiles végétales)
Simplification des formalités administratives à partir de 1984
Adhésion au GATT en 1987
Mise en place d’équivalents tarifaires en 1993-1994
Politique des prix














Libéralisation progressive de 1982 à 1986, sauf pour 6 produits agricoles (blé, tendre, farine nationale, pain, huiles, sucre, thé vert) et quelques intrants (eau, électricité, combustible, semences sélectionnées, produits et honoraires vétérinaires, docks et silos, entrepôts frigorifiques)
Prix de détail restant contrôlés : farine, huile, sucre
Prix au producteur contrôlés : blé tendre, betterave, canne à sucre, tournesol
Réduction de la subvention des semences (1988)
Suppression de la subvention aux engrais (1990)
Libéralisation des prix à la production du blé dur, orge, maïs (1990), lait (1993)
Baisse des subventions à la consommation : pain, sucre, huile, produits laitiers
Elimination des subventions : beurre, lait, farine, produits pétroliers
Augmentation des tarifs publics : eau, électricité, transports
Facturation des services commerciaux des ORMVA
Augmentation du taux de recouvrement de l’eau : 63% en 1986, 77% en 1994
Introduction de la TVA en 1986 et exonération des intrants et produits agricoles
Politique de crédit


Relèvement des plafonds de crédits à l’exportation
Désencadrement du crédit en 1991
Augmentation des taux d’intérêt réelsMesures budgétairesBaisse de la part des dépenses de fonctionnement et d’investissement consacrés à l’agriculture (en termes réels et en proportion du budget total et du PIB)
Baisse significative des subventions de fonctionnement
Rationalisation des aides à l’investissement
Dépenses indirectes importantes à destination du monde rural
Pas d’augmentation des dépenses des collectivités locales
Source : FAO-MAMVA, Impact du programme d'ajustement structurel sur le développement du secteur agricole, Rapport principal, Rabat, mai 1997, p.25-26.
Au niveau des principaux intrants, la libéralisation de la commercialisation et des prix des engrais devint effective à partir de 1990, accompagnée de la suppression des subventions correspondantes. Une libéralisation partielle de la production et des importations des semences certifiées fut engagée, le secteur privé y prenant une part croissante. En ce qui concerne la production animale, la libéralisation des prix et de la commercialisation du son de blé et de la pulpe de betterave sucrière fut progressivement réalisée en 1987 et 1988, et la privatisation des services vétérinaires fut achevée. Des efforts en vue de l’amélioration des conditions de gestion de l’eau d’irrigation furent entrepris et les résultats obtenus furent considérés encourageants. Par ailleurs, une nouvelle loi sur l'eau avait été adoptée au Parlement en juillet 1995, avec pour ambition de rationaliser l'utilisation des ressources en eau à travers une gestion globale et adéquate. Cette loi annonçait aussi la création d’une part d’un "Conseil supérieur de l'eau et du climat", auquel revient l’élaboration des orientations générales de la politique nationale en la matière, et d’autre part des « Agences de bassin » chargées de la gestion territoriale des ressources hydriques du pays.

Ceci étant, ce qui n’a pas été réalisé parmi les objectifs arrêtés et donc non atteints apparaît, qualitativement surtout, fort important. C’est ainsi qu’en ce qui concerne les cinq groupes de produits de base (dits stratégiques), la libéralisation de leurs importations et leur tarification à la frontière n’avaient pu être mise en œuvre. Après plusieurs reports, il avait fallu attendre l’engagement pris dans le cadre de l’Accord de Marrakech de l’OMC, en avril 1994, pour procéder en 1996 à la conversion des protections non tarifaires en protections tarifaires, avec des niveaux des « équivalents tarifaires » suffisamment élevés pour que la libéralisation « physique » des importations ne menace guère la production locale. De toute façon, à l’aval, la commercialisation et les prix intérieurs des filières de blé tendre/ farine nationale, du sucre et des huiles de graines resteront réglementées et partant subventionnées. Si les prix des huiles de graines ont fini par être libéralisés seulement en 2001, ceux de la farine et du sucre restent à ce jour réglementés. A l’amont, les prix à la production des semences sélectionnées des céréales restent également à ce jour encore subventionnées et partant contrôlés par les pouvoirs publics.

Aucun des multiples projets de réforme du code des investissements agricoles n’a pu voir le jour. Même si les taux de récupération ou de recouvrement des coûts de l'irrigation ont pu être quelque peu améliorés, ils sont restés en deçà des niveaux requis. A l’égard des terres bour, les projets de réforme d’ensemble promis non plus n’ont guère pu aboutir. Si l’on a tout de même adopté en 1994 deux lois, une relative aux périmètres de mise en valeur en bour (n°33-94, dite des PMVB), et une autre qui interdit le morcellement des terres dans les mêmes "périmètres", les programmes projetés pour le remembrement et le cadastre, ainsi que l'étude du système de crédit foncier, n’ont pu être réalisés, étant liés les uns et les autres à la promulgation de nouveaux textes fonciers sur le bour. De son côté, le patrimoine sylvicole n’a guère été mieux servi puisque la loi-cadre forestière promise n’a pas vu le jour non plus. Enfin, notons que l’on n’a pas mieux réussi en ce qui concerne la maîtrise et la réallocation des ressources publiques affectées à l'agriculture, notamment au niveau des investissements publics qui devaient se redéployer plus au profit des petites exploitations et en dehors des périmètres de grande irrigation…

Au total, le deuxième programme d’ajustement a fait l'objet d'une évaluation qui, au-delà de la conventionnelle appréciation « globalement positive », a reconnu que « la plupart des clauses spécifiques du prêt ont été remplies », mais que « la libéralisation des marchés et des sous-secteurs qui devaient faire l'objet de réformes est toutefois loin d'être achevée ». Les experts de la Banque mondiale qui avaient procédé à cette évaluation reconnaissaient que l'une des principales raisons de cet état de fait résidait dans une certaine sous-estimation de « l'aptitude des grands groupes de pression marocains, notamment dans les secteurs agro-industriels, à organiser une résistance aux réformes qu'ils jugeaient aller à l'encontre de leurs intérêts ». Se faisant plus explicites, ils devaient ajouter : « Dès le déblocage de la deuxième tranche [du prêt], il était devenu clair aux responsables de la Banque que les rivalités entre différents segments du Gouvernement et les groupes d'intérêt organisés compliqueraient le déblocage des tranches et le processus de libéralisation. Parce qu'il n'a pas été possible de résoudre ces problèmes, plusieurs réformes importantes n'ont pas pu être menées de la manière escomptée » (Cf. BM, 1995a, p.6, 10 et 23). C’est dire l’importance des problèmes de gouvernance dans la difficulté de réalisation des programmes arrêtés…

Le Rapport d'achèvement du deuxième programme d’ajustement structurel, remis aux responsables en septembre 1994, reconnaît l'apparition d'un phénomène de « fatigue des ajustements », phénomène « exprimé à la fois par la « Banque » et le « Ministère », étant donné que « tant le secteur privé que le secteur public attendent avec impatience des nouveaux investissements et la croissance, après des années d'efforts en matière de réforme » (BM, 1994).

Cette « fatigue des ajustements », en fait déjà perceptible dès le début des années 90, conduira la Banque mondiale à orienter ses nouveaux prêts vers le financement de divers programmes d’investissements dans le secteur agricole, ce qui donnera lieu aux deux prêts, PISA1 et PISA2, couvrant la période allant jusqu’en 1997. Mais du côté des autorités marocaines, la sortie officielle en 1993 des programmes d’ajustement structurel sous l’égide du Fonds monétaire international, et plus encore la succession de deux années de sécheresse semblaient les amener à souhaiter prendre un peu de recul vis-à-vis d’une politique qui, en dépit de sa prétention à être « structurelle », n’en restait pas moins trop focalisée sur des mesures ponctuelles et contenues dans les limites d’un horizon temporel plutôt « court ». Le temps des « ajustements » était-il révolu ? Celui des « Stratégies » était-il venu ?

1.5.5. Foisonnement des stratégies et nécessaire mise à niveau (1993-2006)
La période qui s’ouvre à partir de 1993 et se prolonge jusqu’à aujourd’hui est une période où curieusement l’action cède le pas devant la réflexion. Il faut dire que la fin officielle des programmes d’ajustement favorisait une évaluation critique du bilan de la décennie qui venait de s’achever (AEM, 1994). Alors que les experts de la Banque mondiale préparaient leur fameux rapport sur la « crise cardiaque » qui menaçait la stabilité du pays et de son économie (BM, 1995b), au Maroc, même les plus ardents défenseurs de la politique d’ajustement structurel commençaient à reconnaître que son « coût social » se révélait de plus en plus lourd. D’autant plus que le thème du « développement humain » commençait à s’affirmer au niveau international, et que précisément, le Maroc apparaissait très mal classé selon l’Indicateur du Développement Humain publié par le PNUD dans son rapport de 1991. Dans le monde rural en particulier, le même rapport du PNUD indiquait que, en moyenne durant la période 1980-1988, la population vivant en dessous du seuil de pauvreté au Maroc représentait 37% de la population totale, et en milieu rural, cette proportion atteignait même 45%.

On comprend dans ces conditions que les pouvoirs publics aient senti le besoin de prendre le temps d’une « pause » pour réfléchir à de nouvelles orientations stratégiques capables de mettre enfin l’agriculture, et au-delà le monde rural, sur les rails du développement. Le problème est que cette « pause » dure à ce jour encore… Entre la première « contribution » du Ministère de l’Agriculture à « une stratégie du développement rural » de 1993 et la « Stratégie de développement de l’agriculture marocaine » du début des années 2000, en passant par les multiples rapports de la Banque mondiale, la « Loi d’orientation pour la modernisation de l’agriculture » ou encore la « stratégie 2020 pour le développement rural », on a du mal à faire le compte des très nombreux documents stratégiques qui ont été produits avec l’ambition de formuler pour l’agriculture et le monde rural une vision, déclinée en stratégie, et même en plans d’actions minutieusement programmés dans le temps et l’espace.

Ces documents ont souvent commencé par des diagnostics plutôt peu complaisants à l’égard de la situation dans le monde rural, sociale en particulier. C’est ainsi que, à titre d’exemple, le rapport de la Banque mondiale de 1997 n’hésite guère à parler des « deux Maroc », le monde rural étant celui où l’on compte 72% des pauvres du pays, et un habitant sur trois y étant acculé à vivre dans « une misère écrasante » (BM, 1997). Constat pratiquement avalisé par les responsables marocains lorsqu’ils reconnaissent dans l’un des documents « Stratégiques » deux années plus tard qu’il existe « une immense fracture sociale dans le pays, celui-ci se présentant comme une société à deux vitesses avec un monde rural à la traîne et globalement incapable de s’accrocher au train du changement social et du progrès » (MADRPM, 1999a).

Les mêmes documents en question ont généralement (ré)affirmé les nouvelles priorités devant déterminer les choix de politique agricole et de développement rural. Les nouvelles orientations, au nombre de quatre, se sont voulues en rupture avec les « objectifs traditionnels de la politique agricole ». En effet, la première du moins tranche nettement avec le passé puisqu’il ne s’agissait pas moins que de substituer au concept d’autosuffisance alimentaire celui de « sécurité alimentaire », considérée plus réaliste et plus en phase avec les dynamiques d’ouverture des économies et les théories de libre-échange qui les sous-tendent. Précisément, la deuxième orientation a trait à l’intégration du secteur agricole dans le marché mondial. La troisième orientation concerne l’augmentation et la sécurisation des revenus des agriculteurs, et enfin la quatrième se soucie de la préservation et la valorisation des ressources naturelles.

L’ordre de ces priorités ou leur formulation ont certes pu changer selon les documents, leurs auteurs ou le contexte dans lequel elles étaient énoncées. Mais dans l’ensemble, on peut dire que d’une manière ou d’une autre, les « quatre piliers » indiqués ci-dessus ont été régulièrement rappelées et confortées. Ainsi expliquera-t-on toujours que les objectifs stratégiques de la politique agricole sont la sécurité alimentaire, la compétitivité du secteur pour relever le défi de la libéralisation des échanges, l’amélioration des revenus des agriculteurs et au-delà des conditions de vie particulièrement difficiles en milieu rural, et enfin la durabilité à travers une gestion avisée des ressources naturelles.

Au niveau des approches et méthodes d’action, l’éventail apparaît assez large entre celles qui s’en remettent en définitive aux « forces du marché » pour tout réguler, et celles qui se veulent intégrées et globales alliant intervention de l’Etat, logique du marché, et participation des différents « acteurs » à différents niveaux… Elles ont aussi parfois plaidé pour « l’approche filière » et parfois encore préféré mettre l’accent sur « l’approche territoriale ».

Enfin, notons que la plupart de ces projets de stratégies ont eu le souci de l’opérationnalité. Ils ont donc été déclinés en plans d’action, assortis de planning de réalisation, et des conditions et modalités de mise en œuvre...

Et pourtant, tout cet immense travail de réflexion et d’élaboration stratégique est finalement resté sans suite. Aucune stratégie ni aucun plan n’ont jamais franchi l’étape de la validation politique et institutionnelle pour espérer être inscrit dans un programme de gouvernement…

Précisément, et faute de mieux, on peut au moins se demander, pour conclure cette partie, ce qu’il en est du gouvernement actuel. Où en est-on aujourd’hui ? Quelles sont les orientations actuelles en matière de politique agricole et rurale, et quelle appréciation première peut-on en faire ?

1.5.6. Le mot d’ordre du moment : la mise à niveau…
Faute d’un document stratégique officiel et clair, on doit s’en tenir à la déclaration de politique générale du gouvernement et à certaines déclarations ministérielles susceptibles d’apporter quelques réponses aux questions que nous nous posons.

De manière générale, le programme contenu dans la déclaration de politique générale du gouvernement actuel repose fondamentalement sur les quatre priorités définies par le Roi en octobre 2002, lors de son discours d’ouverture de la session d’automne du Parlement. Ces priorités sont les suivantes : l’emploi productif, le développement économique, l’éducation et l’habitat. Sur cette base, le programme gouvernemental s’est voulu fondé sur deux piliers : renforcement et modernisation des grands réseaux d’infrastructures d’une part et mise à niveau du tissu économique national d’autre part.

Cependant au niveau sectoriel, curieusement et de manière assez inédite, le programme présenté aux députés a quasiment fait l’impasse sur l’agriculture. En effet, on n’y trouve aucune partie qui lui soit consacrée, ni pour clarifier la politique que le gouvernement compte y conduire, ni même seulement pour préciser ses intentions quant à certaines réformes à l’ordre du jour depuis plusieurs années et sans cesse reportées. Tout au plus l’agriculture est-elle rapidement évoquée dans le cadre de l’axe relatif à la mise à niveau de l’économie, lorsqu’il est question des conséquences des futurs accords de libre-échange avec l’Union Européenne et les Etats-Unis, en négociation alors : « il nous revient, déclare le Premier ministre, d’accorder un intérêt particulier à ce secteur et d’agir pour mettre à niveau ses branches les plus fragiles ».

Le développement rural par contre bénéficie d’une meilleure attention. Dans le cadre de la priorité accordée au renforcement des infrastructures, et d’une vision qualifiée de « politique de proximité », le gouvernement affirme clairement sa volonté de poursuivre l’exécution du programme de développement des infrastructures en milieu rural et se donner les moyens pour « doubler le rythme de réalisation des infrastructures et des services publics ». Concrètement, décision est prise de raccourcir les délais de réalisation des programmes déjà en cours en matière d’électrification rurale, d’approvisionnement en eau potable des campagnes, de construction des routes rurales et autres infrastructures économiques et sociales. C’est ainsi que la quasi-généralisation de l’électrification dans le monde rural serait réalisée à la fin de 2007, soit trois ans avant le délai qui était retenu jusqu’alors. Pour ce qui est de l’eau potable, le taux de couverture des campagnes devrait passer de 50% en 2002 à plus de 90% à la fin de 2007 au lieu de 2009 décidé auparavant. Quant au programme de construction des routes rurales, il devrait lui aussi être accéléré pour passer à un rythme annuel de 1500 kilomètres par an (au lieu du millier réalisé précédemment). Le gouvernement promet aussi de veiller à activer les différents programmes dans les domaines de l’éducation et la santé en milieu rural, mais se garde en la matière de s’engager sur des objectifs chiffrés.

Le « bilan d’étape » présenté par le Premier Ministre devant la Chambre des représentants en juillet 2003 a offert une deuxième occasion pour essayer de mieux comprendre les intentions du gouvernement en matière de politique agricole, en même temps que ses réalisations dans les domaines de l’agriculture et du développement rural. Dans ce discours, et au-delà de propos relatifs à la conjoncture du moment (le retour des pluies et la bonne récolte de l’année…), la partie qui apparaît intéressante concerne les filières agricoles dont la mise à niveau est déclarée prioritaire. A titre d’illustration, sont cités les efforts fournis au niveau des filières oléicole, phoenicole, et agrumicole, avec des objectifs ambitieux et des moyens que l’on estime conséquents. Est-ce le début d’une réelle mise en œuvre de « l’approche filière » annoncée dans les « stratégie » ? On peut cependant noter que pour l’instant, seules trois filières apparaissent favorisées et s’inscrivent plutôt dans une optique de promotion des exportations. Qu’en est-il de filières majeures telles celles des céréales, des oléagineux, des sucres, des productions animales ? Et puis une politique de filières se limite-elle à quelques investissements publics et quelques accordées à l’amont et à l’aval comme semble l’indiquer la nature des mesures annoncées ? N’est-ce pas là une simple réactivation de « plans » sous-sectoriels qui existent depuis longtemps mais qui avaient peut-être besoin d’une nouvelle impulsion assortie d’un peu plus de moyens ?

Cet intérêt particulier dont semblent bénéficier les filières exportatrices se recoupe en tout cas avec la priorité plus générale que ce gouvernement accorde à la mise à niveau des secteurs productifs dans la perspective de la libéralisation des échanges. Au demeurant, tout en rappelant que les pouvoirs publics poursuivaient alors les négociations sur la libéralisation des échanges agricoles avec l’Union européenne, et en avaient engagé d’autres avec les Etats-Unis d’Amérique, le Premier ministre n’avait pas manqué d’insister sur la nécessité de créer les conditions les meilleures pour promouvoir la compétitivité de l’agriculture marocaine et au-delà valoriser les avantages comparatifs du pays. Et d’annoncer que le gouvernement était en train de finaliser dans ce sens « un projet de mise à niveau structurelle axé sur les investissements, la compétitivité, les services publics et les revenus ».

En somme il nous semble que, au regard des indications fournies par les principales déclarations de politique générale de ce gouvernement, son attention est en train de se focaliser sur un objectif majeur de mise à niveau et de recherche de compétitivité du secteur agricole, et son action est en passe de se déployer à travers une démarche de filière, celles qui sont susceptibles d’être favorisées en premier étant probablement celles qui sont les mieux placées pour contribuer à cette « course à la compétitivité ». S’il en est ainsi, on est alors légitimement fondés à se demander si l’on n’est pas en passe de procéder à une nouvelle « réorientation stratégique » faisant peu cas de beaucoup de ce qui a été accumulé depuis plus d’une décennie. Le temps de la « mise à niveau » va-t-il balayer celui des « stratégies » ?

Finalement, s’il fallait résumer en quelques mots quarante ans de politiques agricoles, nous dirions que celles-ci ont évolué à travers trois phases et en trois temps : il y a eu d’abord le temps de l’action qui en a été l’expression marquante, puis ce fut le temps des remises en causes, à travers les « inflexions » des années 70 et surtout les politiques d’ajustement des années 80, et enfin vint le temps de la réflexion et des stratégies, lequel dure depuis une douzaine d’années…

Ceci étant, il nous faut à présent constater que cette passivité dans la conduite des réformes internes contraste étrangement avec un activisme tout à fait remarquable au niveau des engagements que le pays prend en vue de la libéralisation de ses échanges extérieurs agricoles.

1.5.7. Les engagements du Maroc pour la libéralisation de son commerce extérieur agricole
Compte tenu de l’impasse dans laquelle se trouvent actuellement les négociations dans le cadre du cycle de Doha de l’OMC, on ne traitera pas ici de la dimension multilatérale des engagements de libéralisation des échanges pour se focaliser principalement sur leur niveau bilatéral. D’autant plus que ce dernier apparaît depuis quelques années particulièrement animé. En effet, C’est ainsi que, alors qu’il est déjà en plein démantèlement tarifaire en vue de la zone de libre-échange industrielle avec l’Union européenne, et qu’il venait de signer fin 2003 avec la même Union européenne un accord agricole de libéralisation « progressive et réciproque » des échanges, le Maroc se hâte de conclure en 2004, en l’espace de trois mois, coup sur coup trois nouveaux accords de libre-échange, avec le trio Tunisie, Egypte et Jordanie, les Etats-Unis d’Amérique et la Turquie. Encore faut-il ajouter à cette série d’accords ceux déjà conclus depuis plusieurs années, comme l’accord de Zone de Libre-échange Arabe, ou l’accord avec les Emirats Arabes Unis.
1.5.7.1. L’Accord d’association Maroc – Union européenne
Le premier accord d’association que le Maroc avait signé avec l’Union européenne remonte à 1969. Cette dernière accordait déjà aux produits industriels marocains le libre accès à ses marchés, et quelques abattements douaniers en faveur de ses produits agricoles d’exportation. Le second accord, cette fois dit de « coopération », avait été signé en 1976 et avait duré près de vingt ans. Tout en élargissant le champ des activités bénéficiant d’un régime d’accès préférentiel, cet accord introduisit tout un dispositif de mesures de protection non tarifaires (contingents, calendriers, prix de référence…), dispositif qui allait même au fil des ans devenir de plus en plus contraignant, notamment avec « l’offre » que l’Union européenne réussit à avaliser dans le cadre de l’Accord de Marrakech qui clôtura le cycle de l’Uruguay Round du GATT en 1994. C’est dans ce contexte que fut signé, en février 1996, le nouvel accord d’association, dit de partenariat euro-méditerranéen. Directement inspiré par les orientations de la politique méditerranéenne « rénovée » et le processus de Barcelone, cet accord allait en reprendre les objectifs et les « piliers » fondateurs : dialogue politique; coopération financière; coopération économique, technique et culturelle; établissement d'une zone de libre-échange (CCE, 1995 ; Akesbi, 2001c).

Entré en vigueur le premier mars 2000, cet accord consacra d’abord le nouveau principe de « réciprocité ». En ce qui concerne les produits industriels, cela signifia avant tout l’engagement du Maroc en vue de l’établissement progressif d’une zone de libre-échange pendant une période de transition de 12 années au maximum. Un calendrier pour le démantèlement douanier fut arrêté et, actuellement en cours de mise en œuvre, il devrait affectivement atteindre son objectif ultime en 2012. Quant aux produits agricoles, compte tenu de leur caractère hautement sensible, la négociation en perspective d’une pleine libéralisation de leurs échanges avait été reportée à l’an 2000. Le dispositif protectionniste mis en place jusqu’alors fut donc maintenu, mais quelques assouplissements furent cependant accordés au Maroc. C’est ainsi que, notamment, les niveaux des prix d’entrée furent abaissés, dans la limite toutefois de contingents stricts et de calendriers contraignants, et les droits de douane furent réduits ou supprimés, dans la limite également de contingents souvent jugés insuffisants par les exportateurs marocains.

La « clause de rendez-vous » convenue en 1996 n’avait pu être activée qu’en 2002, avec le début de nouvelles négociations portant exclusivement sur le volet agricole des échanges entre le Maroc et l’Union européenne. Laborieuses, ces négociations aboutirent en septembre 2003 à un nouvel accord agricole qui s’avérera finalement de portée limitée, d’abord au niveau de sa durée puisqu’il ne couvre que la période 2003-2007, et ensuite dans son contenu, qui reste dans la logique de « l’exception agricole », encore fortement marquée par le jeu des « préférences commerciales » et des « concessions réciproques ». En effet, du point de vue de la partie marocaine, cet accord se contente une fois de plus de simples améliorations des conditions d’accès aux marchés européens, mais tout en continuant à les contenir dans d’étroites limites à l’abri de persistantes barrières non tarifaires. C’est ainsi que, pour reprendre l’exemple emblématique de la tomate marocaine, celle-ci a certes vu son quota global augmenter, mais dans le cadre d’un nouveau dispositif de « contingent additionnel » qui peut facilement se transformer en obstacle supplémentaire (Akesbi, 2004).

En réalité, le véritable fait nouveau réside dans les concessions, significatives, voire substantielles, accordées cette fois par le Maroc en faveur des exportations européennes de denrées considérées « sensibles », à commencer par les céréales, les produits laitiers, les huiles et graines oléagineuses, les viandes… Une liste de pas moins de 151 positions tarifaires bénéficie désormais de concessions sous forme d’abattements plus ou moins importants sur le tarif douanier commun (généralement entre 30 et 60%), mais assortis tout de même de contingents. Cependant, le blé tendre a reçu un traitement particulier et original, l’idée étant d’indexer des quotas du blé tendre importé à la production intérieure du Maroc, permettant à ce dernier d’être plus rassuré sur le besoin pour lui de protéger ses producteurs locaux. Ainsi, une sorte de niveau de production de référence a été fixé à 2.1 millions de tonnes, et à partir de ce seuil, le contingent des importations en provenance de l’UE pourrait baisser jusqu’à 400.000 tonnes au cas où la production locale dépasserait 30 millions de quintaux, ou monter jusqu’à 1 million de tonnes dans le cas où le plancher de 2.1 millions de quintaux serait atteint. Le contingent en question bénéficie d’une préférence sous forme d’un abattement de 38% sur les taux des droits de douane applicables aux autres pays exportateurs.

Au total, si cet accord apporte quelques palliatifs à une situation qui devenait de moins en moins viable, il évite d’aborder de front les véritables obstacles qui, du point de vue du Maroc du moins, entravent les possibilités d’accès aux marchés communautaires des produits agricoles marocains. Par là, cet accord remet à plus tard la négociation des conditions d’une réelle avancée vers une zone de libre-échange agricole. Du reste, ces négociations ont commencé en 2006, sans qu’il soit possible à ce jour de se prononcer sur leur issue.

1.5.7.2. L’Accord de libre-échange Maroc - Etats-Unis d’Amérique
Engagées à la suite d’une décision politique prise au plus haut niveau des deux états, les négociations entre le Maroc et les Etats-Unis en vue de la conclusion d’un accord de libre-échange ont abouti assez rapidement, puisqu’il avait fallu à peine 13 mois pour les conduire à leur terme. L’Accord fut conclu le 2 mars 2004, signé le 15 juin, et après ratification par les parlements des deux pays, est entré en vigueur le premier janvier 2006.

Contrairement à la démarche européenne – plutôt partielle et progressive-, l’accord avec les Etats-Unis se veut de prime abord un véritable accord de libre-échange, global parce que n’excluant aucun secteur, à commencer par l’agriculture, mais également l’industrie, les services, la propriété intellectuelle, les marchés publics, l’environnement, le droit du travail, etc. Il se veut aussi dès le départ totalement « visible » puisque s’il admet de « jouer sur le temps », prévoyant des périodes plus ou moins longues pour le démantèlement des protections en fonction de la « sensibilité » des produits et services, tout est programmé dès le départ et, ainsi verrouillés, les engagements de part et d’autre deviennent irréversibles.

Au niveau des échanges agricoles en particulier, le processus de libéralisation a été structuré autour de différentes listes de produits auxquelles correspondent des calendriers de démantèlement tarifaire précis, enclenchés à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord. L’éventail va de la liste A qui correspond aux produits dont l’accès en franchise douanière est immédiat, à la liste S qui programme un démantèlement étalé sur 25 ans, en passant par toute une multitude de schémas intermédiaires (Akesbi, 2006).

Pour sa part, le Maroc a certes pu obtenir le maintien de quelques « exceptions », qui concernent en fait essentiellement les importations du blé tendre et des viandes rouges américains. En effet, alors que ces dernières resteront contenues dans des quotas limitées, le blé tendre fait l’objet d’un régime quasiment identique à celui déjà conclu avec l’Union européenne (contingents évoluant en fonction des niveaux de la production locale, avec un plancher et un plafond…). Pour tout le reste, le Maroc s’est engagé à ouvrir son marché aux produits agricoles et agroalimentaires américains dans des délais généralement compris entre 10 et 15 ans, ce qui n’exclut pas au demeurant que certains produits, essentiels, tels le maïs et le soja, puissent l’être dans les cinq premières années.

En contrepartie, le Maroc a obtenu le libre accès dès l’entrée en vigueur de l’accord quasiment pour la totalité de ses produits d’exportation, en commençant par les tomates, pommes de terre, et autres courgettes, jusqu’aux produits congelés ou transformés, en passant par les agrumes, pastèques, et autres fraises… De toute évidence, on est loin du cadre européen où l’on négocie âprement pour aboutir à quelques milliers de tonnes de contingent ou quelques jours de calendrier supplémentaires en faveur de tel ou tel produit ! Certes, il est vrai que les véritables obstacles à l’accès au marché américain sont moins tarifaires que non tarifaires : conditions sanitaires et phytosanitaires, accès aux réseaux et circuits de commercialisation américains, taille critique pour répondre à des commandes à la dimension du marché américain… Il n’en demeure pas moins que le Maroc a obtenu des Etats-Unis ce que l’Europe n’a su lui donner en plusieurs décennies de partenariat privilégié, et c’est aujourd’hui son défi d’être en mesure de tirer avantage des possibilités –grandes ou petites- ouvertes par cet accord.

En signant un accord de libre-échange, étendu au secteur agricole, avec les Etats-Unis d’Amérique, les autorités marocaines ont fait sauter le tabou de « l’exception agricole », de sorte que les négociations actuellement engagées avec l’Union européenne dans la perspective de « l’après-2007 » ne peuvent que s’inscrire dans la même logique. Déjà l’approche adoptée n’est autre que celle des « listes » : seuls quelques produits très sensibles pourraient continuer de bénéficier d’un régime d’exception, tout le reste étant appelé à subir un processus de démantèlement tarifaire sur des périodes plus ou moins longues mais néanmoins arrêtés dès le départ. Par ailleurs, l’accord avec les Etats-Unis fixe le « plafond » du degré d’intégration entre l’entité européenne et le Maroc. En effet, ce dernier s’interdit désormais la possibilité de signer à l’avenir un accord d’Union douanière avec l’Union européenne, puisqu’un tel niveau d’intégration régionale – par définition supérieur à celui de la zone de libre-échange- suppose en plus un dispositif de protection tarifaire commun, ce qui n’est pratiquement plus possible dès lors que d’autres engagements de libéralisation sont déjà pris avec d’autres partenaires...

1.5.7.3. Les autres accords de libre-échange
« L’Accord de la Ligue Arabe », dit de « facilitation et de développement des échanges commerciaux entre les pays de la Ligue arabe », avait été signé dans le cadre de cette instance régionale en 1981, mais n’avait pu entrer en vigueur qu’en janvier 1998, pour aboutir à l’issue d’un « programme exécutif », à la mise en place de la Zone de Libre-échange Arabe en 2008 (Jalal & al., 2002). L’objectif était d’engager un processus de libéralisation des échanges commerciaux entre les pays arabes à travers un calendrier de réduction des droits de douane à raison de 10% par an pendant dix ans. En fait, une décision du Conseil économique et social de la Ligue Arabe en 2001 avait raccourci la période transitoire de deux ans, de sorte que l’accord en question devait en principe être pleinement en vigueur depuis le premier janvier 2005.

En réalité, courant 2006, cet accord tarde toujours à être appliqué en raison de certaines divergences apparues entre différents pays membres de la Ligue arabe, notamment au niveau de la définition de la règle d’origine. En attendant, et en ce qui concerne les échanges agricoles, il faut souligner que le programme de mise en œuvre prévoit de toute façon le maintien de certaines conditions restrictives. En particulier, il est prévu que chaque pays pourra maintenir une liste de certains produits pour lesquels les préférences tarifaires de l’accord sont suspendues durant les périodes de forte production. Les produits et les périodes de suspension des dispositions de l’accord sont déterminés en fonction de critères préétablis. Ainsi, les produits en question doivent être des produits frais, au nombre de 10 au maximum pour chaque pays, et les mois exclus du démantèlement tarifaire ne doivent ni dépasser 7 par produit ni totaliser plus de 45 mois pour tous les produits contenus dans la liste de chaque pays.

Dans ce cadre, on peut noter que le Maroc plaide pour inclure dans la « liste d’exception » la plupart des produits agricoles de base, tels les céréales, les sucres, les huiles…

L’Accord quadripartite, ou « Accord d’Agadir ». A l’issue d’un Sommet qui avait réuni les chefs d’Etat ou de gouvernement du Maroc, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie en mai 2001, la « déclaration d’Agadir » annonça la création d’une zone de libre-échange entre ces quatre pays arabes méditerranéens, inscrite dans la perspective de la grande zone de libre-échange euro-méditerranéenne à l’horizon 2010. Paraphé par les ministres des affaires étrangères des quatre pays concernés le 24 février 2004, « l’Accord d’Agadir » est entré en vigueur le 6 juillet 2006. Outre l’amélioration des échanges commerciaux entre les pays signataires, et le renforcement de leur position face à l’Union européenne, l’accord institut le « cumul diagonal » de la règle d’origine lors de l’exportation des marchandises de l’un de ces pays vers l’Union européenne, ce qui est de nature à favoriser l’intégration de leurs économies, entre elles et avec leurs partenaires européens (Jalal, 2002).

En principe, l’accord ne prévoit pas « d’exception agricole », les produits agroalimentaires étant traités de la même manière que les produits industriels. Quant au schéma de démantèlement tarifaire, il est identique à celui adopté dans le cadre de la Ligue arabe. Il reste que cet accord connaît actuellement lui aussi des problèmes de mise en œuvre.

Accord de libre-échange entre le Maroc et la Turquie fut signé entre les premiers ministres du Maroc et de la Turquie le 7 avril 2004 à Ankara. Il est inscrit également dans une perspective libre-échangiste euro-méditerranéenne (Jalal, 2004).

En ce qui concerne les produits agricoles, l’accord se contente cependant de limiter les démantèlements tarifaires à certains produits considérés non sensibles, et les produits bénéficiant de baisses de droits de douane restent souvent soumis à des contingents. Pour le Maroc, les concessions ont porté principalement sur les graines de semence de pois chiche, les lentilles et autres légumineuses, les grains de cumin et les fromages. Pour la Turquie, les concessions ont porté sur les plantes vivantes, les concombres et cornichons, les abricots en conserve et quelques épices. Quant aux produits industriels, l’accord prévoit surtout pour les produits turcs désireux de pénétrer le marché marocain une période de transition d’une durée de 10 ans pendant laquelle lé démantèlement sera progressif.

L’Accord de libre-échange Maroc – Emirats arabes Unis. Signé en 2001, cet accord est entré en vigueur le 11 septembre 2003. L’accord a une portée globale puisqu’il comprend tous les produits de toute nature, à quelques exceptions près (pour des raisons de santé, de moralité ou de sécurité, ainsi que ceux issus des zones franches des deux pays). Pour être éligible au régime tarifaire préférentiel, le respect de la règle d’origine est obligatoire ; celle-ci exige que la marchandise échangée ait été valorisée dans le pays partenaire à raison d’au moins 40% de la valeur ajoutée.

Le fait est que c’est cette règle qui a été à l’origine de certaines difficultés, ayant conduit à des contentieux entre opérateurs des deux pays, aujourd’hui encore en instance de règlement.

Pour remarquable qu’elle soit, cette série d’accords ne semble pas procéder, du point de vue des pouvoirs publics du Maroc, d’une vision d’ensemble dans laquelle le développement du pays pourrait s’inscrire durablement, ni même témoigner d’une volonté de coordination ou d’harmonisation entre les dispositions des uns et des autres pour en optimiser les bienfaits ou en minimiser les méfaits… Signés dans un contexte où le pouvoir de négociation du pays est faible, ces accords adoptent des approches et des contenus plutôt en phase avec les propres mobiles et objectifs des partenaires du Maroc, lesquels sont rarement convergents… Le résultat en est que, outre les distorsions et incohérences qu’on peut déjà y déceler, ces accords créent des situations inédites, probablement lourdes de conséquences.


2. Structure et évolution des marchés agricoles et agro-alimentaires
2.1. Marché des produits
Les efforts de l’Etat en vue d’organiser le cadre des échanges des produits agricoles a été largement sélectif. Sans être spécifique au secteur agricole, la protection vis-à-vis de l’extérieur faisait partie d’une orientation générale de politique économique. En ce qui concerne les conditions de commercialisation de la production agricole locale, les pouvoirs publics s’étaient attachés à organiser et favoriser l’écoulement des productions privilégiées par leur politique générale, négligeant largement les autres (Cf. 1.5.1, ci-dessus).
2.1.1. Evolution générale de l’organisation des marchés
Pour le marché intérieur, la commercialisation des cultures industrielles, sucrières et oléagineuses en particulier, promues dans le cadre des contrats de culture, a bénéficié d'une organisation relativement efficace, avec un circuit réduit au minimum (n'impliquant quasiment que le producteur, l'Office régional de mise en valeur, et l'usine de transformation), et des prix généralement intéressants. Le lait a bénéficié d'une organisation reposant sur l'établissement de centres de collecte dans les zones de production intensive, qui s'est révélée performante. Le blé tendre a eu droit lui aussi à une attention qui est allée croissante : les coopératives de commercialisation (SCAM et CMA, orientées et soutenues par l'Etat), avaient pour directives de prendre livraison de cette céréale au prix officiel garanti, ce qui était utile surtout lorsque les prix du marché étaient bas et naturellement dans la limite des quantités commercialisées dans le « circuit officiel ». Or, si les possibilités de collecte de ces coopératives étaient souvent limitées par leurs capacités financières, celles-ci pouvaient être sensiblement élargies selon les circonstances, notamment durant les années de bonne récolte, pour éviter l’effondrement des prix et le préjudice qui pouvait en résulter pour les agriculteurs contraints d’écouler rapidement leurs récoltes.

Le marché des autres denrées alimentaires – orge, blé dur, fruits et légumes, légumineuses, huile d'olive et viandes – n'a fait l'objet d'aucun effort d'organisation ni d'assainissement. En conséquence, les circuits de commercialisation intérieur continuent de se caractériser le plus souvent par une grande complexité, une désorganisation qui frise l'anarchie, et surtout une multiplication abusive d'intermédiaires plus ou moins spéculateurs qui accaparent une bonne partie de la « valeur ajoutée » au détriment à la fois des producteurs et des consommateurs.

De manière générale, les marchés intérieurs sont peu concurrentiels, et à tendance rentière. Les acteurs privés sont non seulement fragiles, mais restent très dépendants de la protection, sinon des ressources, apportées par les pouvoirs publics.

A l’opposé, l'Etat a indéniablement déployé d’énormes efforts pour favoriser l'écoulement des produits destinés à l'exportation. Comme on l’ a déjà vu dans la première partie de ce travail (cf. 1.5.2.), la création de l’OCE en 1965, la signature de différents accords d’association à partir de 1969 avec l’Union européenne, de loin le principal débouché pour les produits agricoles en question, puis la démonopolisation en 1986 du dispositif de commercialisation à l’exportation et la promotion de groupes privés exportateurs, plus ou moins « régulés » par un « établissement autonome de coordination », marquent clairement cette volonté continuellement réaffirmée. Quant à l’agriculture d’import-substitution que l’on cherchait également à promouvoir, dans les périmètres irrigués notamment, elle a bénéficié, en plus de taux de change plus ou moins surévalués, d’une politique de protection de la concurrence internationale conséquente, tarifaire et non tarifaire.
2.1.2. Fonctionnement des principales filières
Au Maroc, huit filières façonnent les marchés agricoles et agro-alimentaires : céréales, sucre, olives, maraîchage, agrumes, lait, viandes blanches et viandes rouges.


Tableau 2.1. Présentation synthétique des filières


FilièreMarchéPrix libreNationalExportTotalementPartiellementBlé tendre
Autres céréales
Sucre





Oléiculture
Agrumes
Maraîchage





Viandes blanches
Viandes rouges
Lait
Oléagineux
Légumineuses









2.1.2.1. Filières encore « sous tutelle »
2.1.2.1.1. Filière des Céréales
La filière des céréales est excessivement complexe. D’abord, elle se caractérise par un grand nombre d’opérateurs, plus d’un million de céréaliculteurs, 1225 commerçants collecteurs; 100 commerçants agréés, 13 SCAM (Sociétés Coopératives Agricoles Marocaines), 1 USCAM (Union des Sociétés Coopératives Agricoles Marocaines), 88 minoteries industrielles à blé, 22 semouleries, 13 orgeries, 18 unités mixtes, 9090 minoteries artisanales. Ensuite, elle se déploie sur une multitude de lieux de commercialisation, centres de collecte, halles aux grains dans les gros centres urbains et un millier de souks (marchés ruraux) hebdomadaires (MAEE-DA 1998).

Production
Les céréales conditionnent l’équilibre économique de l’écrasante majorité des exploitations agricoles. Le « bour » (agriculture en sec) représente plus de 90% de la sole céréalière et plus de 80% de la production. Durant la dernière décennie, le taux de couverture de la demande par la production nationale en céréales n’a dépassé 50% qu’une année sur deux. La production moyenne durant cette période est de l’ordre de 5 millions de tonnes pour des importations qui dépassent 3,7 millions de tonnes.

Comme cela a déjà été souligné dans la première partie, la production des céréales se caractérise par une grande variabilité liée au climat, notamment au régime pluviométrique de l’année : 1,7 million de tonnes en 1995 contre près de 10 millions de tonnes en 1996 !


Figure 2.1.



Figure 2.2. Filière Céréales

Stockage
Le stockage des céréales est le fait de tous les opérateurs de la filière : l'agriculteur stocke pour constituer une réserve susceptible d'assurer son autoconsommation, le commerçant agréé procède à un stockage dans le but d'en tirer un profit, les coopératives agricoles détiennent des stocks dans le cadre de la politique de régulation du marché, enfin le minotier constitue une réserve dont le volume est lié à sa capacité d'écrasement.

Les moyens de stockage détenus par les différents organismes à la veille de l'indépendance, atteignaient une capacité de 14,2 millions de quintaux (M qx) : 56,9% pour les commerçants agréés 33,3% pour les coopératives, 9,4% pour les minoteries industrielles et 3,4% pour les silos portuaires. En 1971, la capacité de stockage des différents intervenants est passée à 16,9 M qx, soit une augmentation de 19%. En 1990, une progression de l'ordre de 15% par rapport à 1971 a été enregistrée portent ainsi la capacité de stockage à 19,5 M qx. Elle concerne tous les intervenants avec le taux le plus élevé attribué aux commerçants agrées et le taux le plus faible aux coopératives. En 2004, la capacité de stockage des grains est estimée à 26,3 M qx enregistrant une augmentation de l'ordre de 34,8% par rapport à 1990 : 14 M qx chez les commerçants agrées, 7 M qx chez les minoteries industrielles et 3,8 M qx chez les coopératives. Au total, la capacité de stockage des grains a enregistrée une augmentation de 1971 à 2002 de 55,6% (MADRPM, 2004d).

La capacité des silos portuaires (1,5 Mq x) est utilisée exclusivement pour le transit des céréales d'importation. La répartition de cette capacité par port est la suivante : Casablanca 0,70 M qx, Safi 0,24 M qx, Nador 0,16 M qx, Agadir 0,4 M qx.

Il faut souligner que l’infrastructure de stockage est inappropriée et tarde à se moderniser. Les installations de stockage sont inadéquates du fait du vieillissement des silos, de l’absence d’unités mécanisées, de la hausse des frais de magasinage et de l’unicité de la prime de magasinage quelles que soient les performances du stockeur. Par ailleurs, les unités de stockage sont concentrées autour des grands centres urbains, ce qui sert le consommateur plus que le producteur.

Transformation
La minoterie industrielle à blé est mal préparée au défi de la compétitivité. D’abord, son activité, stationnaire malgré des investissements importants (par extension des unités existantes), est dépendante du marché extérieur pour les approvisionnements en blé (70%). Ensuite, sa capacité de production est sous-utilisée malgré la progression de la demande en blé. Par ailleurs, les unités sont excentrées par rapport aux centres de production et d’importation. Enfin, le segment de la première transformation fournit peu d’efforts d’amélioration de la qualité et de diversification des produits.

Cadre Institutionnel
Durant la décennie 90, l’environnement juridique a évolué très rapidement. Dans le cadre l’option de la libéralisation de l’économie nationale, la loi 13-89 sur le commerce extérieur établit la liberté des importations et des exportations, mais avec une protection spécifique des produits de base dont les céréales.

Découlant de la signature des accords de Marrakech (OMC), la mise en œuvre de la loi 12-94 réforme le marché des céréales et donne de nouvelles missions à l’Office National Interprofessionnel des Céréales et Légumineuses. En fait, la réforme du marché céréalier s’est faite à deux vitesses : quasi-complète pour le blé dur, l’orge et le maïs (depuis 1988), sous surveillance pour le blé tendre du fait de la régulation d’une bonne partie de la filière BT à travers le contingent de 10 millions de quintaux de farine subventionnée.

Questions qui tardent à être traitées
L’agriculteur, acteur du développement et principal décideur n’est pas suffisamment pris en compte dans les analyses (problèmes de l’ignorance, de l’alphabétisation, formation à la gestion, etc.). L’organisation de la filière des céréales fait face à la question de savoir qui doit être considéré comme «céréaliculteur» : celui qui produit des céréales (quelle qu’en soit l’utilisation) ou celui qui produit des céréales pour alimenter le marché ? La réponse à cette question a nécessairement des implications importantes au niveau de l’organisation professionnelle des différents segments de la filière. On peut relever à ce sujet un déficit en matière d’études et de synthèse des données de la recherche utilisable au profit du développement de la filière notamment en ce qui concerne l’organisation de la commercialisation.

En outre, des questions-clés pour la réussite de la réforme tardent à être traitées :
Une assistance technique au producteur dans le domaine du stockage, manutention et amélioration de la qualité du grain mis sur le marché;
Un système d’information des marchés et la mise en place de véritables bourses aux grains sur le marché intérieur;
Les mécanismes de gestion du stock de sécurité;
La refonte des SCAM, CMA et des minoteries excentrées;
L’accompagnement de la restructuration de la minoterie industrielle;
La législation visant la promotion et le contrôle de la qualité dans une perspective de diversification des produits;
Les actions spécifiques en direction des ménages les plus démunis dans la perspective de la suppression de la subvention à la farine de BT.

2.1.2.1.2. Filière du Sucre
Produit très prisé par les ménages marocains, le sucre figure parmi les produits les plus sensibles ; il est de ce fait subventionné par la caisse de compensation.

Figure 2.3.


La consommation marocaine en sucre étant estimée à 900 000 tonnes par an (MADRPM-DPAE, 2004), la moitié est produite localement dans les principales raffineries du pays, l’autre moitié étant importée.

Figure 2.4. Filière Sucre

La Caisse de compensation octroie une subvention de 2000 DH par tonne de sucre blanc raffiné (montant forfaitaire fixe) aux sucreries-raffineries ; cette subvention est versée sur la base de la justification des quantités vendues. Les sucreries qui perçoivent cette subvention sont censées en restituer une partie aux agriculteurs. Dans ce cadre, les autorités marocaines souhaitent libéraliser la filière produit par produit et progressivement. Le sucre granulé destiné à la production industrielle n’est plus subventionné: les industriels qui utilisent le sucre (secteur agroalimentaire notamment) restituent la subvention perçue à la Caisse de compensation. Le reste de la filière (pain de sucre: 38% de la consommation intérieure; granulé: 40%; lingots et morceaux: 12%), demeure encore subventionné. Alors que l’objectif des pouvoirs publics est de parvenir à moyen terme à une libéralisation totale de la filière, le granulé, produit le plus sensible, devrait faire l’objet d’un traitement différencié et spécifique.

Entamée en 1996, la libéralisation de la filière sucrière a supprimé le monopole d’importation auparavant détenu par l'Office national du thé et du sucre (ONTS) et a mis en place des taux issus de la tarification des restrictions quantitatives. Les importations sont libres. La libéralisation a également touché les prix aux producteurs des cultures sucrières, et les prix des produits dérivés.

Mais cette réforme est restée insuffisante. D’abord, un grand nombre d’agriculteurs à la productivité faible se maintiennent dans la filière malgré leur faible compétitivité. En second lieu, faute d’investissements de renouvellement, les sucreries produisent à des coûts élevés du fait de technologies obsolètes ; d’où des problèmes récurrents de rupture d’offre et des spéculations sur le produit. Mais le fait le plus saillant est que le raffinage et la mise en marché du sucre sont encore sous l’emprise d’une structure monopolistique. Ainsi, alors qu’elles produisent quotidiennement des milliers de tonnes de pains de sucre et de sucre en morceaux, certaines unités de la Cosumar tournent avec une technologie obsolète puisque certaines machines datent des années 30 ! La Cosumar peut continuer à le faire parce que l'État continue à subventionner à fonds perdus la filière du sucre. Dès lors on comprend bien pourquoi l’objectif d'améliorer l'efficience des sucreries et de favoriser la concurrence du marché du sucre n’ait pas encore trouvé de solution. La problématique de l’équilibre entre la protection de producteurs efficients et les intérêts des consommateurs reste encore sous l’emprise de rapports de force politiques.


2.1.2.2. Filières reliées aux marchés extérieurs
2.1.2.2.1. Filière Agrumes
La filière agrumes fait partie des secteurs qui contribuent dans une large mesure à la dynamique du développement de l’agriculture au Maroc. Elle permet de stabiliser une partie des populations d’agriculteurs en leur assurant des revenus et des emplois. De plus, elle contribue à l’approvisionnement des marchés en produits frais et stimule le développement de l’agro-industrie.

Production
A l’image des autres secteurs de la production végétale, les exploitations sont de petites tailles : 81% des vergers n’excèdent pas 5 ha. Toutefois, celles-ci ne représentent que 19% de la superficie agrumicole totale alors que les exploitations de plus de 50 ha (2,3% de l’ensemble) contrôlent plus de 40% de la superficie totale (Akesbi, 2004b). Le matériel végétal accuse une certaine dégradation due au vieillissement des plantations des agrumes et leur faible taux de renouvellement.

Le profil variétal est peu diversifié. Certaines variétés ne correspondent plus aux exigences qualitatives des marchés d’exportation. Les techniques de production restent élémentaires dès que les produits sont destinés au marché intérieur. Les itinéraires techniques ne sont maîtrisés que dans les exploitations orientées vers le marché de l’export.

Figure 2.5.
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Source : Akesbi N., « La filière des agrumes au Maroc », CIHEAM-IAM Bari, 2004.

L’encadrement technique reste insuffisant, voire faible. La mécanisation directement liée à l’arboriculture reste insuffisante. Dans tout le secteur, le renouvellement du parc matériel se fait à raison de 28 motoculteurs par an car la faible trésorerie des exploitations et leurs difficultés d’accéder aux crédits bancaires ne les encouragent ni à l’intensification ni au réinvestissement dans le secteur.

Marché intérieur
Très souvent, les productions sont vendues sur pied en raison des difficultés de trésorerie des agriculteurs, de leur méconnaissance des marchés et des techniques de commercialisation, du sous-équipement en infrastructure de stockage et pour des raisons de sécurité vis à vis des aléas climatiques.

Depuis 2001 cependant, on constate une nette et apparemment durable reprise de la part de la production écoulée sur le marché intérieur, laquelle se situe autour de 60%, marquant ainsi la primauté de la demande interne en tant que débouché de la production nationale (Akesbi, 2004b).

Le grand nombre d’intermédiaires qui interviennent tout le long de la chaîne de vente et de distribution, nuit à la transparence du marché, surtout pour des produits qui supportent mal les manipulations. En conséquence, les prix de revient s’en trouvent élevés à cause des pertes occasionnées par les nombreuses manipulations.

Les prix au niveau du marché de gros, comme à la consommation varient fortement en fonction de la saison, de la nature et de la disponibilité des produits et de la situation géographique des régions de production. Des prix élevés aux consommateurs restreignent souvent la consommation à certaines périodes de l’année. L’absence de toute normalisation des produits contribue à l’opacité au niveau des prix et n’encourage pas la recherche de la qualité.

Les emballages rudimentaires n’assurent pas la conservation ou la protection des produits, ce qui nuit à leur esthétique et augmente leur taux de détérioration. Les pertes sont évaluées à 2,5% en moyenne au niveau du marché de gros. Les marges brutes au niveau de ces derniers varient de 60 à 80% selon les périodes et la disponibilité des produits commercialisés (MAEE-DA, 1998). Les profits des grossistes, faibles à l’époque d’abondance des produits, deviennent importants en période de rareté ou quand les produits sont conditionnés et de qualité supérieure.

Au détail, bien que les marges soient réglementées par arrêté gouvernemental et que les marges maximales autorisées soient de 30% pour les fruits, l’opacité des opérations au niveau des marchés de gros favorise la manipulation des factures et de fait les marges de détail peuvent dépasser les 100% (MAEE-DA, 1998).

 SHAPE \* MERGEFORMAT Marché extérieur
L’examen de la courbe d’évolution des exportations d’agrumes en longue période montre que celles-ci stagnent et même accusent une certaine tendance au déclin depuis la deuxième moitié des années 70. Les marchés de l'Union européenne demeurent le principal débouché à l'extérieur des agrumes marocains. En moyenne, ils en absorbent traditionnellement près des deux tiers, malgré une forte variabilité d'une année sur l'autre (Akesbi, 2004b).

Figure 2.6.
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Actuellement, la Russie est le premier acheteur d'agrumes marocains (36,9% en volume en 2005, contre 32,5% en 2004). Ses importations au premier semestre 2006 ont augmenté de 9% par rapport à la même période de la saison 2004/2005 pour atteindre 53 400 tonnes.

Figure 2.7.


Source: Akesbi N., 2004 et Rapport Bank Al Maghrib 2005. .

A la fin de la décennie 90, les marchés dits « à contrat » (Scandinavie, Suisse, Moyen Orient, Amérique du Nord) restaient des marchés ponctuels et ne représentaient que moins de 8 à 10% des agrumes exportés (MAEE-DA, 1998).

Secteur agro-industriel
Représentant l’une des branches les plus dynamiques du secteur agro-industriel, et malgré une forte demande prévisible sur le marché intérieur, les industries de transformation connaissent des difficultés majeures. La faiblesse, l’irrégularité et la saisonnalité de l’approvisionnement en matière première, son hétérogénéité qualitative, la non adaptation de certaines variétés à l’extraction industrielle sont autant de facteurs qui limitent les activités de ces industries.

La transformation des agrumes est essentiellement destinée à la production de jus. Les quantités affectées à la transformation sont très variables d'une année à l'autre. La part de la production d’agrumes transformée a grimpé jusqu’à 16% en 1994 pour s’effondrer à 1% trois années plus tard. Entre 2001 et 2003, la part transformée piétine à un niveau tout à fait médiocre, entre 2 et 4%, ce qui correspond à des tonnages compris entre 18.000 et 48.000 tonnes à peine. Cet état de fait est intimement lié à la situation de l’unique entreprise nationale de transformation, Frumat, qui n’a pas réussi à traiter plus de 2000 tonnes en 2004 (Akesbi, 2004b).

Figure 2.8.



Généralement, ce sont les lots de moins bonne qualité et partant les moins bien rémunérés qui sont dirigés vers les usines de transformation. L'instabilité des quantités transformées est due non seulement à la variabilité de la production agrumicole, à sa qualité fort inégale, au niveau des prix offerts par le marché intérieur ou encore aux aléas des marchés extérieurs, mais encore aux contraintes liées aux unités de transformation mêmes. En effet, la principale entreprise spécialisée dans la production de jus, Frumat, connaît depuis de longues années d'énormes difficultés (techniques, financières, autres…), ce qui ne lui permet guère de conduire une véritable stratégie de développement du secteur, à la mesure d'un potentiel que l'on s'accorde à estimer important. Par ailleurs, en dépit de nombreux accords régulièrement renouvelés, les producteurs des fruits ont rarement respecté leurs engagements et rechignent finalement à livrer l’entreprise de transformation, ayant de toute évidence plus intérêt à écouler leur production sur les marchés du frais, à des niveaux de prix autrement plus élevés. Notons enfin que la baisse des prix sur le marché mondial des jus et concentré d’agrumes a considérablement réduit la compétitivité des produits marocains, d’autant plus que les prix payés aux producteurs locaux se sont révélés encore plus difficiles à soutenir au regard des performances des concurrents internationaux (au Brésil en particulier). Le résultat de tous ces déboires en est que, après maintes tentatives de redressement et quantités de « plans de restructuration » élaborés par les pouvoirs publics en concertation avec la « profession », et jamais correctement mis en œuvre (Akesbi, 2004b), Frumat a été acculée à se déclarer en faillite. Cependant, signalons que depuis 2005, de nouvelles unités privées étaient en cours de lancement.

Organisations professionnelles
Les producteurs d’agrumes au Maroc sont organisés au sein de l’Association Marocaine des Producteurs d’Agrumes du Maroc (ASPAM), association à laquelle s’est ajoutée depuis quelques années l’Association des Producteurs et Exportateurs de Fruits et Légumes (APEFEL). Ces associations apparaissent assez actives pour défendre les intérêts de leurs adhérents auprès des pouvoirs publics, mais il faut dire qu’elles sont plus focalisées sur les activités d’exportation que sur les aspects liés à l’organisation du marché intérieur.

Après l’abolition du monopole d’exportation que détenait l’Office de Commercialisation et d’Exportation en 1985, les producteurs exportateurs avaient réussi à mettre sur pied une nouvelle organisation fondée sur la constitution de groupes exportateurs (totalisant des capacités d’exportation de 50 à 100.000 tonnes chacun). Ces groupes, au nombre d’une douzaine, peuvent être classés en trois catégories (MADRPM 2000d) :
Des groupes intégrés de l’amont à l’aval et qui se chargent par conséquent de commercialiser leurs propres productions;
Des groupes mixtes qui commercialisent leur production ainsi que celle provenant d’autres producteurs et d’autres unités de conditionnement ;
Des groupes commerciaux qui se contentent de vendre pour le compte de différents producteurs les marchandises qui leur sont confiées, sur des bases strictement commerciales.

Ces groupes exportateurs s’étaient rassemblés au sein d’un « Board » - Atlas Fruit Board -, chargé des questions de logistique, d’assurance, de transport vers les marchés extérieurs, ainsi que du partage des quotas disponibles sur les marchés en dehors de l’Union Européenne. Il existe aujourd’hui deux entités de ce type : Fresh Fruit Maroc (FFM) et Maroc Fruit Board (MFB), autour desquelles se sont regroupées les différentes sociétés exportatrices.

Le contrôle de qualité et la coordination entre les différents exportateurs sont confiés à l’Etablissement Autonome de Coordination et de Contrôle des Exportations, organisme indépendant placé sous la tutelle du Département de l’Agriculture.

Au niveau des moyens de transport utilisés, la plus grande part des exportations d’agrumes utilise encore les moyens « conventionnels » (bateaux classiques). Seules des parts relativement limitées sont transportées en « porte container » ou en camion frigo. Durant la campagne 2004 par exemple, la part des quantités d’agrumes exportées en mode « conventionnel » avait atteint près de 67%, alors que les parts transportées en porte container et en camion frigo s’étaient élevées à 16% et 14% respectivement (Akesbi, 2004b). Les autres modes de transport (Ro-Ro, avion…) apparaissent tout à fait négligeables (moins de 1% des quantités transportées).

Figure 2.9. Filière Agrumes

 SHAPE \* MERGEFORMAT 


2.1.2.2.2. Filière Oléicole
Même si l’olivier contribue à la valorisation des terres marginales et à la lutte contre l’érosion, ce secteur se caractérise par un morcellement des exploitations dû au statut foncier et aux héritages successifs. Selon les sources, la superficie oléicole totale oscille entre 477.000 et 580.000 hectares (El Yassami et Zemrani, 2004), dont 40% en irrigué.

Production
Selon les estimations de la Direction de la Production Végétale du Ministère de l’Agriculture, la production oléicole aurait enregistré une moyenne de 500.000 tonnes durant la période 1998-2003, avec un résultat record en 2004 de plus de 1 million de tonnes. L’évolution dans le temps des productions d’huile et d’olives de conserve a enregistré des taux respectifs d’accroissements annuels de 2,5% et 2,9%. Ces taux restent cependant faibles comparativement à ceux de l’Espagne ou de la Tunisie. Ceci est dû autant à la faiblesse des rendements (de 0,6 à 1,5 T/ha en moyenne) qu’aux superficies plus limitées de plantations d’olivier au Maroc (El Yassami N. et Zemrani O., 2004).

L’olivier est représenté à 96% du patrimoine national par une seule variété: la Picholine marocaine. Bien qu’elle soit bien adaptée au contexte écologique et produise autant l’huile que des olives de conserve, cette variété présente de sérieux handicaps sur le plan de la régularité de la production, de la sensibilité aux maladies et ravageurs et du taux d’huile relativement faible.

Dans la majorité des cas, les productions sont vendues soit sur pied soit au bord des champs en raison des difficultés de trésorerie des agriculteurs, de leur méconnaissance des marchés et techniques de commercialisation, du sous-équipement en infrastructure de stockage et pour des raisons de sécurité vis à vis des aléas climatiques.

Transformation
La trituration des olives se fait depuis des siècles par un système traditionnel discontinu se basant sur un broyeur à une ou deux meules, des presses souvent en bois et des bassins de décantation de l'huile. L'énergie utilisée est d'origine humaine et/ou animale ; elle est rarement mécanique.

Depuis les années 50, des systèmes semi-industriels ont fait leur apparition au Maroc. Ils se composent de broyeurs à 2, à 3 ou à 4 meules, des presses hydrauliques, des bassins de décantation, voire des centrifugeuses verticales pour la séparation des huiles d'olives. A partir des années 80, des lignes complètes continues de trituration des olives ont été introduites au Maroc. Celles-ci se basent sur un système de lavage effeuilleuse, broyage métallique, malaxage, séparation des phases de la pâte broyée par centrifugation horizontale en 3 phases et séparation des huiles par centrifugeuse verticale. Ce n'est que vers les années 90 que commence l'utilisation de la centrifugeuse horizontale en 2 phases (décanter à deux phases, une pour la phase huileuse et l'autre pour la phase solide et eau de végétation). Avec ce système, appelé écologique, l'impact des huileries sur l'environnement est minimisé.

Le dernier recensement systématique, effectué en 1987, a dénombré 16.000 moulins traditionnels, appelés maâsras, pour une capacité de 170.000 T/an ; ces maâsras sont principalement implantées dans les zones traditionnelles de production d’olive (Fès-Taounate, Taza et Marrakech). L’huile produite dans les maâsras présente une qualité médiocre (huiles lampantes fortement acides). Le mauvais état de conservation et le stockage prolongé des olives ainsi que les conditions hygiéniques déplorables de la trituration dans les maâsras sont les principales causes de la détérioration de la qualité de ces huiles (El Yassami et Zemrani, 2004).

Figure 2.10.
 SHAPE \* MERGEFORMAT 


Le secteur industriel compte près de 300 unités de trituration détenant une capacité de 528.000 T/an. Ces unités sont très inégalement réparties à travers le territoire national. Cette activité est concentrée au niveau des Wilayas de Meknès, Fès et Marrakech, lesquelles regroupent 2/3 des unités et 3/4 de la capacité nationale de trituration des olives. Le taux d'utilisation de la capacité du secteur industriel varie d'une année à l'autre ; il est en moyenne de 50%. La production moyenne annuelle d'huile d'olive est d'environ 50 000 T (MADRPM, 2004d).

Alors que la production nationale d’oléagineux ne représente que 5% de la consommation nationale, le segment de la transformation de la filière oléagineux, à forte concentration, a bénéficié jusqu’en 2001 –date de sa libéralisation- de subventions à la consommation qui mettait l’industrie de trituration dans une position de rente, pénalisant ainsi les produits de substitution, en particulier l’huile d’olive.

En matière d’organisation professionnelle, le secteur oléicole est caractérisé par l’absence de structure organisée défendant les intérêts des producteurs. En revanche, il existe deux organisations au niveau de la transformation : la FICOPAM (Fédération des Industries de la Conserve des Produits Agricoles au Maroc), qui groupe entre autres 29 unités de conserve dont la production est destinée en priorité à l’exportation, et l’ADEHO (Association des Exportateurs d’Huile d’Olive). Les activités de ces associations restent très limitées puisqu’elles ne font aucun effort de promotion, de diversification ni de recherche de marché.

La commercialisation sur le marché local se fait principalement en vrac pour l’huile, sans distinction de qualité, ce qui ne favorise pas les efforts d’amélioration de cette dernière.

Le Maroc est un petit exportateur d’huile d’olive, et sa présence sur le marché mondial est irrégulière : 450 T/an en moyenne durant la période 1980-88, 29 000 T en 1990, 500 T en 1995, 35 000 T en 1996, 1500 T en 2003 (El Yassami et Zemrani, 2004) ! La qualité relativement médiocre de l’huile marocaine face à un marché international exigeant et aux stocks importants accumulés au niveau du marché européen ont largement contribué aux arrêts des exportations des huiles marocaines et leur orientation vers le marché local.

La Picholine marocaine en tant qu’olive de table, présente des proportions importantes d’écart de triage pouvant atteindre les 50% de la production. En Espagne, ce taux se situe entre 12 et 25%. C’est une olive qui ne se prête pas au dénoyautage et au découpage en tranche, préparations demandées par le marché américain par exemple. Les olives de conserve sont destinées pour environ 59.000 T en moyenne à l’exportation et 34 000 T à la consommation intérieure (El Yassami N. et Zemrani O., 2004).

En définitive, la filière oléicole présente un réel retard comparativement à d’autres filières fruitières pour d’innombrables raisons (structures foncières, matériel végétal non performant, faible encadrement des agriculteurs, leur faible trésorerie, retard technologique, circuits de commercialisation longs et complexes, pertes conséquentes à la récolte, traitements industriels archaïques, aucune organisation du secteur productif etc.).

2.1.2.3. Filières centrées sur le marché national
2.1.2.3.1. Filière Avicole
L'aviculture marocaine intensive a pris naissance au début des années 60, autour des villes de Casablanca et Rabat. Son développement est lié à d'autres activités annexes, telles que la production de poussins et d'aliments composés.

Au début des années 70, les pouvoirs publics lancent une série d’actions pour promouvoir la production avicole, notamment à travers la vulgarisation des techniques appropriées d’élevage en milieu rural, la diffusion de souches améliorées en vue d’augmenter la productivité du secteur traditionnel et des aides et subventions pour la construction de poulaillers et équipement en matériel approprié.

Au cours de la décennie 70, les élevages étaient constitués en totalité de petites unités traditionnelles de production de poulets de chair. Les besoins en poussins étaient satisfaits en grande partie par l'importation. Depuis la décennie 80, l’aviculture marocaine connaît un développement rapide avec l’installation de couvoirs assurant l'essentiel des besoins nationaux en poussins.

Production et commercialisation
La production de viandes blanches à l'échelle nationale est assurée par deux secteurs: le secteur industriel et le secteur traditionnel. Le nombre d'unités d'élevage industriels de poulet de chair est estimé actuellement à environ 5.00, dont 55 % ont une capacité inférieure à 5000 places, 40 % des élevages disposent d'un nombre de places compris entre 5.000 et 15.000 places, alors que 5 % des élevages ont une capacité supérieure à 15.000 places (PM, 2000e et 2004a).

Les productions avicoles du secteur dit industriel étaient en 2004 de l’ordre de 300.000 tonnes de poulets de chair et 2 milliards d’oeufs. A l’opposé, la contribution du secteur traditionnel à la production est mal connue, même si les statistiques du ministère de l’Agriculture donnent une estimation de la production qui stagne depuis plus de 10 ans autour de 50.00 tonnes pour la viande blanche et 800 millions pour les oeufs !

Figure 2.11.



La production des poussins de type chair a atteint 210 millions en 2003. Elle est assurée par 41 couvoirs totalisant une capacité annuelle d'environ 280 millions de poussins, soit un taux d'utilisation de 75% de la capacité potentielle (Addi Saïd, 2005).

La production des aliments composés pour volailles est assurée par une quarantaine d’usines dont 8 sont intégrées aux élevages, principalement ceux de poules pondeuses. La capacité totale de la production de la provende est évaluée à environ 3,5 millions de tonnes en 2003. Le tonnage produit est estimé à 1.5 millions de tonnes, 80% de ces tonnages sont destinés aux volailles, dont plus de la moitié au poulet de chair (Addi Saïd, 2005).

Les abattoirs avicoles industriels demeurent le maillon le moins développé de la chaîne de production avicole. Toutefois, on note un regain d’intérêt pour l’installation d’abattoirs avicoles depuis l’an 2000. Actuellement, 16 abattoirs avicoles fonctionnent à très faible taux d’utilisation. La capacité de traitement de ces abattoirs est de l'ordre de 1.500 poulets/heure. Or, 10% seulement du tonnage national est actuellement préparé au niveau d'abattoirs industriels, le reste est préparé et commercialisé dans les tueries non industrielles.

On note l’existence d’organisations professionnelles récentes qui ne semblent pas représenter tous les intervenants de la filière et le manque de professionnalisation dans les rapports entre les opérateurs en présence. Il y a un manque de compétences techniques et d’outils permettant de suivre la production nationale et de l’adapter aux fluctuations du marché. Les ressources humaines des différents pôles de la filière sont peu préparées au défi de la compétitivité.



Consommation
La consommation moyenne des produits avicoles enregistre une hausse continue depuis les années 1970. Entre 1980 et 2003, la consommation par tête a quasiment doublé, passant de 5,5 à 10,7 Kg de viande de volaille. Durant cette même période, on ne peut manquer de relever la substitution de plus en plus marquée des viandes rouges par la viande blanche. L’évolution favorable des prix de volailles par rapport à ceux des viandes rouges expliquerait cette tendance. Toutefois, ces niveaux de consommation restent très faibles par rapport à plusieurs pays à niveau de développement similaire.


Tableau 2.2. Consommation moyenne des viandes de volailles (2003)

PaysViandes de volailles
(kg/hab/an)Arabie Saoudite36.3Brésil35.0Afrique du Sud17.0Mexique22.0Tunisie 12.0Maroc10.7
Source : (Addi Saïd, 2005)

En définitive, l’évolution remarquable de cette filière s’est produite malgré un ensemble de contraintes qui entravent son développement : une forte dépendance vis-à-vis du marché extérieur des matières premières, la prédominance d’élevages de faible et moyenne taille et un système de commercialisation caractérisé par la prédominance des détaillants du poulet vif (tueries). De plus, le segment de la transformation du poulet (découpé et préparé) ne représente qu’une faible proportion des ventes totales.

Figure 2.12.



La filière avicole constitue un secteur fragile, sensible aux aléas climatiques, aux problèmes de production et aux prix des autres viandes, à la conjoncture économique internationale et nationale, et insuffisamment protégée des productions avicoles étrangères. En plus du manque d’infrastructures et de moyens alloués à la recherche avicole, l’insuffisance de mesures réglementaires spécifiques à l’aviculture freine le développement harmonieux de la filière qui évolue rapidement. Par ailleurs, cette filière ne répond pas suffisamment aux normes de qualité et à la différentiation des exigences des consommateurs. Le secteur de l’abattage, par exemple, continue d’être dominé par les tueries artisanales offrant des produits de qualité douteuse. La production avicole se soucie peu de la préservation des ressources naturelles et de la protection de l’environnement.

2.1.2.3.2. Filière Viandes rouges
La production des viandes rouges est assurée à 91% par les espèces ovines, bovines et caprines (Bovin: 43%; ovin: 40%; caprin: 8%). Cette production est sujette à d'importantes fluctuations inter-annuelles, en relation avec la qualité des campagnes agricoles et intra-annuelles liées à l'existence d'une longue période de soudure. Cette situation est due au fait que l'essentiel de la production des viandes rouges provient des élevages extensifs, dont les besoins alimentaires sont couverts en majorité par les fourrages gratuits des parcours.

Systèmes de production
Deux grands systèmes caractérisent l'élevage ovin au Maroc : le pastoral et l'agro-pastoral.

• Le système pastoral est défini comme étant un système où les apports des parcours couvrent plus de 50% de la ration alimentaire du troupeau. Il est rencontré dans les zones montagneuses disposant de parcours forestiers et hors forêts et dans les steppes arides où l'agriculture devient très aléatoire : les Hauts Plateaux de l'Est, le flanc sud du Haut-Atlas et les régions du centre sud du Plateau Central.

• Le système agro-pastoral est rencontré dans les grandes régions céréalières bour et dans les périmètres irrigués. Il se distingue par une contribution importante de l'exploitation à l'affouragement du troupeau. C'est un système de type naisseur qui connaît une activité d'embouche très saisonnière.

Quant à l’élevage bovin, les principaux systèmes à viande sont le système à viande naisseur et naisseur-engraisseur et le système viande-engraisseur. Ce dernier se compose des élevages qui ne pratiquent que l'engraissement de bovins maigres achetés en dehors de l'exploitation (principalement des souks). Les ateliers sont généralement situés à proximité des grands centres urbains et dans les régions connues pour cette activité (Doukkala, Tadla, Haouz, Meknès, Fès...).

Figure 2.13.


Comme elle est étroitement liée aux conditions climatiques, la production connaît des fluctuations importantes : 97.000 tonnes en 1981 contre plus 350.000 tonnes en 1988, pour une moyenne de plus de 310.000 tonnes (de 1998 à 2002). Globalement et hormis les années de sécheresse, la production a connu un accroissement lié en grande partie à l'amélioration du poids moyen carcasse.

Consommation
La couverture de la consommation est assurée en totalité par la production nationale, seules quelques importations très limitées, de l'ordre de 4000 à 6000 tonnes sont réalisées annuellement et destinées aux Forces Armées Royales.

La consommation des viandes rouges a enregistré durant la période 1980-2002, des variations importantes et en dents de scie :
1981-1985 : phase de reconstitution du cheptel accompagnée d'une augmentation des prix qui s'est traduite par une diminution de la consommation (de 12 à 8 kg/hab/an) ;
1985-1989 : phase croisière des disponibilités avec réduction des prix et amélioration du niveau de consommation qui atteint celui de 1981 ;
1989-1996 : phase caractérisée par le renchérissement du coût à la production et accentuée par la sécheresse des années 1992 et 1993, ce qui s'est traduit par une forte augmentation des cours et par la suite une chute du niveau de consommation ;
1996-2002 : phase de reprise légère sans jamais atteindre les niveaux des années 80 et 90.

Figure 2.14.



Circuits de commercialisation du bétail
La commercialisation du bétail comporte en général l'achat des animaux aux souks ou directement des fermes. Ces opérations font intervenir les acteurs suivants :
le producteur qui peut être naisseur ou engraisseur ou le plus souvent naisseur - engraisseur;
le chevillard qui achète le bétail aux souks, soit pour l'abattre directement et vendre les carcasses; ou bien procéder à sa finition avant abattage;
le boucher qui s'approvisionne, soit directement du chevillard, ou bien achète des animaux aux souks pour les abattre lui-même;
le négociant ou marchand de bestiaux jouant le rôle d'intermédiaire entre le producteur et le chevillard, procédant à l'achat du bétail au souk pour le revendre le jour même, ou dans un autre souk lorsque les prix sont plus favorables. Parfois, le même animal, repris par plusieurs intermédiaires, fait le tour de plusieurs souks avant d'être abattu.

Il se dégage ainsi l'existence de trois principaux circuits de commercialisation :
circuit long faisant intervenir le maximum d'agents économiques producteur-intermédiaires-chevillard-boucher.
circuit court où le boucher se présente au souk et achète l'animal pour l'abattre, le plus souvent le même jour.
circuit intermédiaire, ou plusieurs fonctions sont assurées par un même agent: par exemple un chevillard pratiquant en même temps l'engraissement.


Figure 2.15.
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Le circuit court est pratiqué généralement pour l'approvisionnement des abattoirs ruraux, tandis que les deux autres types de circuits sont plus utilisés pour l'approvisionnement des abattoirs municipaux.

Infrastructure d'abattage et de distribution
Le réseau des abattoirs de viandes rouges est constitué de 180 abattoirs municipaux (dont 17 dans les grandes agglomérations urbaines) et de 730 tueries rurales. Ce réseau est dominé par des unités atomisées et de faible capacité. Le tonnage global des viandes rouges préparées et contrôlées au niveau de ces unités s’élève à environ 200.000 tonnes par an. La part des viandes traitées dans les abattoirs municipaux et communautaires est de 69% du tonnage global, alors que les tueries rurales ne traitent que 31% de ce tonnage (MADRPM, 2005b).

Au niveau des abattoirs municipaux, le transport de la viande reste un monopole des communes qui font appel à des concessionnaires pour assurer la distribution de la viande des abattoirs aux bouchers. Le transport se fait par un réseau de camions ne répondant souvent pas aux conditions de salubrité requises (camions vétustes, manque de réfrigération...).

Les tueries rurales, d'une conception sommaire, sont atomisés à travers le pays; ce qui rend le contrôle vétérinaire difficile et onéreux. La gestion des abattoirs est assurée par les communes et se caractérise d'une façon générale par une limitation des dépenses aux dépens de règles sanitaires et hygiéniques. Dans le milieu rural, il n'y a pas de système de distribution de viande proprement dit. Ce sont les bouchers qui assurent les fonctions d'abattage et de vente au détail.

Contraintes de la filière
Les marchés des animaux sur pieds et de la viande se caractérisent par :
l'insuffisance des structures de commercialisation au niveau des souks où 95% des transactions sont réalisées (espace de vente non aménagé, insuffisance des équipements)
l'absence d'organisation professionnelle des producteurs qui limite leur pouvoir de négociation avec les chevillards et les intermédiaires;
l'absence d'un système d'information sur les indicateurs pertinents de la filière (prix, qualité...);
l'insuffisance du système de classification des carcasses (qualité).
la fixation des prix, la limitation de la circulation des viandes foraines et le système de paiement des transactions au niveau des abattoirs entraînant des distorsions au niveau des marchés.

2.1.2.3.3. Filière Lait
Deux systèmes de production laitière prédominent dans cette filière.
* Le système laitier en irrigué, rencontré dans les Offices Régionaux de Mise en Valeur Agricole, est caractérisé par l'existence d'une production fourragère qui couvre une part des besoins du cheptel allant de 40 à 60%, la prédominance des races améliorées (56% de l'effectif) et l'intégration au réseau de commercialisation du lait.
* Le système mixte prédomine dans les zones bour favorables et intermédiaires, zones de petite et moyenne hydraulique, dans la périphérie des périmètres irrigués et des grandes agglomérations. Il est caractérisé par la diversification des ressources alimentaires (jachères, pailles, chaumes, sous-produits d'agro-industrie). Ce système, qui regroupe 39% des races améliorées, est orienté vers la production laitière, mais aussi vers la production de viande.

Production
Bien que la production laitière soit liée à des paramètres tels que la structure génétique du cheptel, le climat continue de jouer un rôle déterminant, en raison de la dépendance étroite du système alimentaire de la qualité des campagnes agricoles. Ainsi, la production laitière chute durant la sécheresse des années 1980 puis reprend à partir de 1985 jusqu'en 1992 avec un rythme moyen annuel de 7,7%, avant d'enregistrer à nouveau une diminution suite à la sécheresse des années 1992 et 1993 pour reprendre de nouveau un trend résolument haussier. Actuellement, la production laitière nationale est de l’ordre de 1.250 millions de litres, dont environ 700 millions de litres usinés (soit 58 % de la production totale) (MADRPM 2005b).

Figure 2.16.


Consommation
Le niveau de consommation et le taux de couverture par la production nationale est tributaire, d'une part des conditions climatiques qui ont un impact direct sur la production, et d'autre part, des mesures visant à protéger la production locale (l'interdiction d'importation du lait frais et de sa reconstitution).

Depuis 1982, le Maroc assure son auto-approvisionnement en lait frais. Le taux de couverture a fluctué depuis cette date à aujourd'hui entre 80% et 70% et le niveau de consommation a varié entre 30 et 45 litres équivalent lait/hab/an selon les conditions climatiques des campagnes agricoles ; ce qui est très en deçà des recommandations des nutritionnistes (90-100 litres équivalent lait/hab/an).

Figure 2.17.


Circuits de commercialisation du lait
La collecte de lait se fait à travers deux principaux circuits: le circuit de colportage et le circuit organisé (Centres de Collecte de Lait ou CCL) (El Bada, 1995).

Circuit organisé
La collecte organisée a connu un développement important en approvisionnant l'industrie laitière à hauteur de 75%. Ceci résulte de l'effort de l'Etat, qui depuis les années 1970 s'est engagé à construire et à équiper les CCL; ce qui a contribué à assurer aux laiteries un approvisionnement en lait de qualité meilleur que celui colporté.


Figure 2.18.
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Plus de la moitié des centres de collecte de lait sont implantés dans les périmètres irrigués et regroupent près de 75% des éleveurs affiliés à ce réseau. La capacité de collecte installée en zone irriguée atteint près de 67% de la capacité totale des centres au niveau national. Le cheptel laitier intégré aux centres de collecte se caractérise par une forte dominance de la race améliorée aussi bien en zone irriguée qu'en zone bour.

Circuit de colportage
Le circuit de colportage et des "mahlaba" (laiteries artisanales) a connu un grand développement dans l'ensemble du territoire national. Selon des études réalisées dans certaines régions, notamment au niveau du Gharb et du Loukkos, le colportage représente 20 à 30% du lait commercialisé.

Le colporteur achète le lait directement au producteur et approvisionne quotidiennement les cafés, mahlaba et les consommateurs à domicile.

Figure 2.19
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Il n'existe pas de données sur la répartition des livraisons par type de clients; mais, il semblerait que 75% de la collecte soient destinés aux cafés et mahlaba alors que 25% sont livrés à domicile.

Le développement de ce circuit a été favorisé par la non application de la réglementation en matière de contrôle de la qualité et de la salubrité. En effet, les colporteurs commercialisent des laits de qualité souvent douteuse (mouillage, hygiène...) et posent le problème de la concurrence avec le secteur organisé.

La stratégie d'intervention du circuit de colportage consiste à agir sur les points faibles du système de la collecte organisée, comme le montre le tableau ci-dessous:

Tableau 2.3. Comparaison des circuits organisés et de colportage du lait

Circuit de colportageCircuit organisé CCL et laiteriePoints forts
Paiement le jour de l'achat (chaque jour)

Accepte le lait de différentes qualités, mais avec des prix différents

Collecte de lait au niveau de l'exploitation (pas de frais de transport)

Pas de charges de structurePoints faibles
Paiement par quinzaine

Exigence sur la qualité : contrôle, pénalité


Paiement des frais de collecte et de transport à la laiterie

Charges de structure
Source : El Bada, 1995

Dans le cadre de leur stratégie commerciale, les colporteurs interviennent d'une manière dynamique dans la collecte et la distribution du lait. Le prix payé au producteur varie selon la qualité du lait (mouillage), mais généralement il est égal ou légèrement supérieur aux prix payés par les industriels. La marge brute du colportage et des mahlaba varie entre 0,5 à 1 Dh/l selon les clients (réguliers ou saisonniers) et la qualité du lait vendu.

Il faut reconnaître que le développement de cette activité répond à une demande, et par conséquent à un marché que les mahlaba ont développé par une diversification (lben, raibi, lait...) répondant au goût du consommateur et par une image de marque basée sur le label "produits naturels".

Transformation du lait
La transformation du lait est assurée par deux secteurs: le secteur coopératif et le secteur privé.

Grâce aux encouragements de l'Etat, l'infrastructure industrielle de transformation a connu un grand développement durant la dernière décennie.

Tableau 2.4. Unités de transformation du lait
Nombre d'unitésCapacité (millions de litres/jour)AnnéeSecteur privéSecteur coopératifTotalSecteur privéSecteur coopératifTotal198395140,80,51,3199916 22381,71,22,9
Source : Araba & al., 2001.

La capacité totale de ces unités s'élève actuellement à plus de 2,9 millions de litres/jour; répartie entre 1,2 millions de litres/jour pour le secteur coopératif, et 1,7 million de litres/jour pour le secteur privé.

Les extensions de capacité de transformation des usines réalisées à partir de 1983 ont concerné essentiellement les ateliers de production de lait pasteurisé et des dérivés laitiers frais.

Compte tenu du caractère saisonnier de la production, et afin de résorber les excédents laitiers constatés à partir de 1984, certaines usines ont procédé, grâce au soutien de l'Etat, à la diversification de leurs fabrications et se sont surtout orientées vers les produits laitiers de longue durée de conservation. Cette mesure vient compléter celle prise depuis 1972 instituant un prix différentiel entre la haute et la basse lactation et visant la régulation de la production le long de l'année.

Contraintes de la filière
Au niveau de la production, le système de production est largement tributaire des conditions climatiques et des structures de production dominées par des troupeaux de faible taille.

Au niveau de la collecte du lait, le développement du circuit de colportage et des mahlaba posent un problème socio-économique très complexe. Par ailleurs, il faut noter l’absence de laboratoires indépendants pour le contrôle de la qualité.

Le surdimensionnement des capacités de transformation installées, lié à l'existence d'une période de haute et de basse lactation, est accentué par le développement du colportage, notamment en basse lactation, qui offre des prix avantageux même pour des laits douteux. La mauvaise qualité du lait se traduit par un coût élevé pour son traitement.

La domination du marché par le lait pasteurisé et la qualité du lait imposent une distribution quotidienne aux points de vente, ce qui se traduit par un coût élevé, et souvent une interruption de la chaîne de froid chez le détaillant.

La participation des organisations professionnelles aux actions de développement de la filière est limitée. L’absence de coordination entre les laiteries coopératives et la divergence des intérêts se traduisent par un manque de dynamisme et d'innovation limitant leur concurrence. En revanche, la forte concurrence au niveau de la collecte entre les coopératives se traduit par des coûts élevés qui pénalisent leurs adhérents.

Au final, l’absence d'une interprofession handicape la défense et la sauvegarde de l'équilibre global de cette filière.


Au terme de ce rapide examen des plus importantes filières, on peut dessiner trois grands profils de filières.

Les filières qui touchent les produits de première nécessité (dits « sensibles » : pain, sucre, huile) sont encore partiellement régulées, sinon « modérées ». La caractéristique saillante de ce groupe de filières est le phénomène de « rente », encouragé par la structure monopolistique, et au mieux oligopolistique, des marchés.

Les filières intégrées aux marchés extérieurs sont les plus dynamiques. Les opérateurs de ces filières n’ont d’ailleurs guère le choix du fait de la forte concurrence sur les marchés d’exportation et des exigences des opérateurs extérieurs.

Les filières centrées sur le marché intérieur sont les plus complexes et les plus désorganisées. La plus grosse difficulté réside dans la structure atomistique d’une offre non organisée, pour les produits végétaux comme pour les produits animaux. Cette situation favorise l’éclosion d’un nombre démesuré d’intermédiaires dont l’activité se nourrit de l’inutile augmentation des segments de la filière. Dans ces filières, les grands perdants sont toujours le producteur et le consommateur. On comprend aisément que l’absence d’interprofession soit un fait remarquable pour cette catégorie de filières.

2.1.3. Secteur de la distribution
Le secteur de la distribution au Maroc a connu au cours des dernières années de profonds changements et suscite un intérêt croissant chez les consommateurs comme chez les investisseurs.
2.1.3.1. Le commerce traditionnel
La plus grande part de la distribution est assurée par le commerce traditionnel organisé ou non. Ce commerce a été développé et perpétué de père en fils par une ethnie dynamique et mercantile : les gens originaires du Souss au sud du Maroc. La plupart d’entre eux initient un ou deux de leur fils, dès leur jeune âge, ou à défaut des apprentis au commerce pour assurer la relève. Les plus chevronnés agrandissent leur activité en achetant d’autres magasins afin de pouvoir léguer aux enfants un patrimoine suffisant. Ces détaillants occupent en général des magasins de petite dimension. Ils représentent une multitude de points de vente et se trouvent bien répartis dans les quartiers où la population est concentrée.

A côté du commerce sédentaire, il existe une autre catégorie qu’on appelle le commerce non sédentaire qui se caractérise par la mobilité des marchands : marchands de rue, colporteurs... 0pérant dans les régions rurales, les commerçants, appelés «soukiers», connaissent une très grande mobilité. Disposant d’un maigre capital et de quelques équipements, ils se déplacent en permanence d’une région à l’autre.

Dans les villes, nous retrouvons surtout les vendeurs de rue qui connaissent un développement important, ce type de commerce étant constitué principalement de migrants ruraux qui vendent divers produits. De par leur nombre élevé, ces vendeurs constituent de véritables concurrents pour les commerçants sédentaires, en particulier les épiciers. La raison tient au fait qu’il leur est possible d’échapper aux impôts et à d’autres frais de distribution, ce qui leur permet de vendre à des prix très bas, réduisant par là les revenus de leurs concurrents du secteur organisé.

L’investissement est relativement faible, la gestion est simplifiée et les frais limités. Les marges du détaillant sont faibles, de l’ordre de 3 à 10% (Haidi, 2001). Les détaillants vendent aux consommateurs qui font des achats très répétitifs et qui ont un pouvoir d’achat limité. Le panier moyen varie de quelques dirhams à cent dirhams.

Les détaillants ont tendance à être «stockistes». Ils achètent en quantités élevées certains produits non périssables, afin d’augmenter les chances de répondre à la demande et faire des plus values lors des augmentations des prix.

Face à la concurrence de la grande distribution moderne en libre service, les détaillants traditionnels bénéficient d’avantages non négligeables, tels la proximité géographique, la possibilité de se faire livrer à domicile, la souplesse des horaires du commerce traditionnel qui attire la clientèle de «dernière minute ». Plus réelle encore est la qualité de la relation personnelle qui lie le client à son épicier, relation plus difficile à établir avec la caissière de l’hypermarché. Sur le plan économique, il accepte le marchandage. Le plus souvent, il accepte le fractionnement des produits pour satisfaire le client de faible pouvoir d’achat ainsi que le crédit consommateur gratuit (en produit et parfois en numéraire).

Le commerce traditionnel reste bien implanté sur tout le territoire national et demeure fortement adaptée aux exigences des ménages à pouvoir d’achat limité, qui constituent l’écrasante majorité des consommateurs.
2.1.3.2. Grandes surfaces
Si le commerce de détail au Maroc est resté pendant longtemps traditionnel et statique, un changement de paysage se dessine ces dernières années du fait de l'introduction de nouvelles formes de distribution de masse et l'implantation à un rythme croissant des grandes surfaces. Cette évolution varie considérablement selon les types de magasins et les catégories de produits commercialisés.
Décennie 1960
Le secteur du commerce était confronté à une double alternative. Il fallait d'une part, maintenir les formes de distribution traditionnelle sur lesquelles reposaient l'économie du pays, et d'autre part encourager l'établissement de structures de distribution moderne introduites avant l'indépendance et qui se sont avérées indispensables notamment, au niveau des villes et pour le commerce des produits manufacturés. Durant cette période, ces deux formes de commerce coexistaient, et se complétaient. A côté du commerce traditionnel existait déjà à Rabat et à Casablanca, les magasins « populaires » Monoprix qui connaissaient un véritable succès (MCIA, 1996).
Décennie 1970
Cette décennie a été marquée par la promulgation de plusieurs textes qui réglementaient le commerce. Cette législation s'est intéressée particulièrement à la protection du consommateur, en mettant en place les bases d'une réglementation des pratiques anti-concurrentielles : refus de vente, les ventes discriminatoires, les ventes avec primes, etc. Par ailleurs, la loi N° 1-73-210 du 2/02/1973 et le décret du 8/03/1973 sur la "marocanisation", qui avaient pour objectif de faire participer les marocains à la gestion de certaines activités se sont traduits, à contrario, par la fermeture des grandes surfaces dont le capital était détenu par des étrangers.
Décennie 1980
Après une décennie très marquée par l'intervention des pouvoirs publics, dans ce qui est convenu d'appeler "l'assainissement des circuits de distribution" et plus particulièrement ceux de la grande consommation, la décennie quatre vingt a connu un désengagement progressif de l'administration et une certaine libéralisation des systèmes de prix ainsi que des circuits de distribution. De ce fait on a assisté à un développement timide du commerce en libre service, principalement dans les grandes villes du pays : Casablanca, Rabat, Fès, Marrakech et Agadir.
Décennie 1990
C’est la décennie de l’émergence des grandes surfaces, notamment des grandes chaînes de distribution nationale ou à participation étrangère qui ont pénétré progressivement le marché national. Actuellement, le nombre de grands magasins à travers le Royaume dont la surface de vente dépasse 300 m² dépasse 200 points de vente (El Mouak, 2005). Le nombre des hypermarchés (Superficie> 2500 m²) est passé de 6 unités en 1993 à 19 actuellement. Le nombre des supermarchés (superficie comprise entre 400 m² et 2500 m²) a connu une évolution considérable due à l’implantation massive d’enseignes marocaines (Label Vie) et étrangères (ACIMA, FranPrix) qui adoptent des stratégies de proximité basées sur l’installation dans le périmètre urbain au lieu de la périphérie des villes. A titre indicatif, le nombre des supermarchés répertoriés en 2003 dépasse 36.

De plus, Le nombre des grandes sociétés de distribution est vraisemblablement amené à augmenter de manière considérable suite aux différents accords de libre échange ratifiés par le Maroc et aux avantages accordés par le gouvernement dans le cadre des conventions d’investissement (EL Mouak, 2005). L’image de la distribution a complètement changé entraînant ainsi, un remodelage des habitudes de consommation et d'approvisionnement (El Mouak, 2005).

Tableau 2.5. Principaux problèmes rencontrés par la grande distribution au Maroc

DomainesNature du problème
ApprovisionnementsLes fournisseurs refusent d’accorder des crédits à moyen terme;
Certaines sociétés refusent de traiter avec les libres services et préfèrent vendre aux grossistes;
Les retards dont les délais de livraison, obligent les grandes surfaces à supporter les charges d’un sur- stockage pour éviter une rupture de stock;
Les fournisseurs et représentants des sociétés importatrices n’accordent plus de garanties aux clients après livraison, les produits périmés ne sont pas échangés;
Le monopole de certains produits par un seul producteur ou importateur entraîne un choix très limité;
Les importateurs prélèvent une marge trop élevée;
Multiplicité des intermédiaires.
Qualité et produitsLe manque de régularité de la qualité de certains produits, surtout pour les conserves et les biscuits dont la qualité laisse à désirer;
Souvent l’emballage n’est pas approprié, ce qui cause des dégâts supportés entièrement par le magasin.


Qualification professionnelleLe manque d'information entre les productions disponibles ou à favoriser, d'une part, et la demande présente ou potentielle des consommateurs, d'autre part. Ceci a un impact négatif sur la formation des cours. afin de mettre en oeuvre ¨la double liaison¨ production-consommation visant à assurer une meilleure valorisation de la production au coût le plus bas possible pour le consommateur ;
Manque de formation professionnelle, et leurs limites financières qui ne leur permettent pas de jouer le rôle de régulateur entre producteur et consommateur. Autrement dit, le système actuel favorise la fonction de l'intermédiaire ;
Absence de personnel qualifié.
NormesAbsence d’infrastructure d’accompagnement de base notamment les aires de stationnement ;
l’absence de réglementation particulière du secteur : règle de chaînage, répartition par quartier, pratiques monopolistiques ;
Organisation anarchique des foires, salons et espaces de ventes directes aux publics.Source : El Mouak B., 2005.

2.2. Le marché des facteurs
2.2.1. Le marché des intrants
Au niveau des principaux intrants, la libéralisation de la commercialisation et des prix des engrais devint effective à partir de 1990, accompagnée de la suppression des subventions correspondantes. Une libéralisation partielle de la production et des importations des semences certifiées fut engagée, le secteur privé y prenant une part croissante. En ce qui concerne la production animale, la libéralisation des prix et de la commercialisation du son de blé et de la pulpe de betterave sucrière, ainsi que la privatisation des services vétérinaires, furent achevées avant la fin de la décennie 1980, dans le cadre de la politique d’ajustement structurel conduite alors (Cf. plus haut, 1.5.4).
2.2.1.1. Semences sélectionnées de céréales
La commercialisation des semences sélectionnées de céréales est toujours assurée par la Société Nationale de Commercialisation des Semences (SONACOS), opérateur public et unique sur le marché. Les ventes des trois principales céréales ont évolué selon une tendance générale à la hausse durant les années 1970, puis à baisse au cours de la décennie 1990 pour se stabiliser depuis autour de 600.000 quintaux. En fait, c’est le blé tendre qui imprime l’allure générale de cette évolution, les ventes de semences de blé dur variant peu autour d’une moyenne de 150.000 quintaux (quinquennat 2000-2004) alors que celles de l’orge sont insignifiantes.

Pour apprécier le degré d’utilisation des semences sélectionnées, l’information actuellement disponible ne permet que des approximations. Le recensement général de l’agriculture de 1996 (RGA) donne pour chaque classe-taille de SAU la proportion des exploitations qui utilisent des semences sélectionnées. Si l’on fait l’hypothèse simplificatrice que les exploitations ayant recours aux semences sélectionnées les utilisent sur toute leur surface en céréales, on peut estimer le plafond de superficies recevant des semences sélectionnées. Sur la base des données de la campagne de référence du RGA, la surface céréalière ayant reçu des semences sélectionnées serait de 2 531 000 ha au maximum sur une SAU totale de 8 732 000 ha, soit un ratio de 29 pour cent. Ainsi, les semences tout-venant intéresseraient au minimum plus de 70 pour cent des emblavements en céréales d’automne malgré les incitations aussi bien à la production qu’à l’acquisition des semences sélectionnées.

Les subventions accordées aux semences céréalières ont suivi une tendance à la hausse jusqu’en 1984. A partir de cette date, leur niveau s’est stabilisé pour le blé tendre et l’orge, mais a régulièrement régressé pour le blé dur. Ce repli s’est généralisé par la suite aux autres espèces. Ces subventions, supprimées en 1993 puis rétablies, ont suivi une évolution en dents de scie. Ces changements trop importants dans l’octroi des subventions ne permettent de dégager aucune tendance. L’absence d’une politique stable, claire et bien ciblée n’a pas permis de généraliser l’emploi de ce facteur de production.

Figure 2.20.



2.2.1.2. Engrais
Le recensement général de l’agriculture indique que le nombre d’exploitations qui utilisent des engrais représente 51 pour cent de l’ensemble. Cette proportion augmente avec la taille de l’exploitation. On peut donc estimer que près de la moitié de la SAU nationale ne bénéficie pas de ce facteur déterminant pour la productivité des cultures.

Par ailleurs, le niveau de fertilisation (80 unités fertilisantes par hectare) reste nettement en deçà des besoins estimés à 120 unités fertilisantes par hectare en moyenne. Dans un marché très concurrentiel, l’évolution de la consommation des engrais (stagnation, fléchissement puis redressement) s’expliquerait, en dernier ressort, plus par l’effet « qualité de la campagne agricole » que par les prix.

2.2.1.3. Matériel agricole
L’état du parc en matériel agricole est jugé insuffisant et inadapté aux besoins d’une agriculture performante. Avec 43.000 tracteurs, ce parc ne couvre que 56% des besoins, estimés à 77.000 unités. Le niveau d’équipement est de un tracteur pour 200 ha de SAU au lieu de la norme internationale de 120 ha pour un tracteur. Il en est de même pour la puissance de traction : 0,26 CV/ha au lieu de 0,4 CV/ha.

Ce déficit quantitatif s’accompagne d’un vieillissement du parc dont le renouvellement normal souffre du ralentissement de l’équipement des exploitations en matériel agricole. Ainsi, environ 40 pour cent des tracteurs sont âgés de plus de 10 ans (MADREF-CGDA 1999). Le parc des moissonneuses batteuses est également en deçà des besoins : il s’élève à 3.500 unités, soit une moissonneuse par 1500 ha de céréales. Il faut également souligner le développement spectaculaire de l’importation du matériel agricole d’occasion, qui est passée de 12 à 34 pour cent des importations totales entre 1993 et 1996.

Durant les vingt cinq dernières années, la tendance générale en matière d’équipement de vente de matériel agricole est caractérisée par une remarquable régression pour les tracteurs comme pour les moissonneuses batteuses. Outre l’impact du désengagement de l’Etat dans le sillage des politiques d’ajustement structurel, cette régression s’expliquerait aussi par la fréquence élevée des années sèches durant cette période, avec ses conséquences négatives sur le revenu des agriculteurs et leur capacité de financement. Par ailleurs, on peut noter que tout en marquant une tendance au déclin, la courbe des ventes de matériel agricole accompagne les fluctuations de la récolte céréalière.


Figure 2.21.


2.2.2. Le marché du crédit
Alors que le secteur bancaire privé n’a jamais manifesté un intérêt significatif pour la contribution au financement de l’agriculture, le vieux système du Crédit Agricole fondé par la colonisation avait fait l’objet d’une première réforme en décembre 1961, puis celle-ci fut confortée en 1967 par la création du réseau des Caisses locales du Crédit agricole. L’enjeu était la mise en place d’un dispositif de financement de l’agriculture modulé en fonction des priorités de la politique agricole, et cependant déterminé par le degré de solvabilité des exploitants demandeurs des crédits.

En effet, il est apparu assez rapidement que deux chaînes de distribution des crédits coexistaient au sein du système du Crédit agricole. La première, celle des Caisses locales, intéressait les petits agriculteurs dont le revenu annuel restait relativement bas. Ces dernières accordaient des crédits plafonnés et limités par les capacités de remboursement des clients concernés, ce qui ne permettait que des montants souvent insuffisants même pour financer les seules dépenses ordinaires de campagne. La deuxième chaîne est celle des Caisses régionales et du siège, réservée aux clients ayant des revenus conséquents, c’est-à-dire aux moyens et gros exploitants ainsi qu’aux entreprises publiques et privées d’importance et intervenant aussi bien dans l’agriculture que dans l’agro-industrie. Les exploitants pouvant s’adresser à ces « Caisses » obtiennent des crédits plus en adéquation avec les besoins de leurs unités de production.

Compte tenu des règles établies, les masses de crédits sont très inégalement distribuées puisque les Caisses régionales et la Caisse nationale en distribuaient à elles seules plus de 70%. A titre d’exemple, en 1985, on comptait 424.570 « clients effectifs » de la CNCA, ce qui représentait 28.9% des clients potentiels que constituait le million et demis d’exploitants agricoles de l’époque (Akesbi 1987). Cet effectif ne cessera de baisser par la suite, l’effondrement étant accentué par les crises répétées des agriculteurs à la suite des sécheresses chroniques des années 90, à tel point que l’on ne comptait que quelques 50.000 clients en 2004 (Tounassi 2004).

Figure 2.22.

Après plusieurs années d’attente, le projet de restructuration institutionnelle de la Caisse Nationale du Crédit Agricole a fini par aboutir en décembre 2003 (Akesbi, 2004a). Le « Crédit agricole du Maroc » qui se substitue à la CNCA est une société anonyme à directoire et à conseil de surveillance, où l’Etat détient au moins 51% du capital, ce qui implique la possibilité de céder au secteur privé les 49% restants. Si sa mission principale est le financement de l’agriculture et du développement du monde rural dans les conditions qui sont celles de tout établissement de crédit, des missions de « service public » peuvent lui être confié, notamment celles ayant trait au soutien des petites et moyennes exploitations agricoles et au rééchelonnement des dettes des agriculteurs rendu nécessaire par des circonstances exceptionnelles. Dans ce cas, des conventions seraient conclues avec l’Etat, fixant les conditions d’octroi des avantages en question et leur règlement.

Le Crédit agricole du Maroc (CAM) devient une « banque comme les autres » qui poursuit des objectifs de rentabilité et de sécurité, en privilégiant la clientèle solvable, mais lorsque, pour des raisons « politiques », l’Etat voudra lui confier une mission particulière d’aide à une catégorie d’exploitants, une sorte de mission « hors marché », il devra alors en fixer les modalités par contrat et en payer le prix. La stratégie actuelle compte capitaliser sur les atouts de l’ex-CNCA tout en s’insérant dans une démarche de banque universelle ; elle renvoie en fait aux trois métiers du CAM : agriculture, agro-industrie et particuliers.

Compte tenu du « boulet » des créances en souffrance, le besoin de recapitalisation de la banque reste très fort. La possibilité d’ouverture de 49% du capital du CAM est certes envisageable, mais ses dirigeants semblent pour l’instant privilégier la formule d’un contrat-programme à signer avec l’Etat, assorti d’une mise de fonds publics sur 3 ou 4 ans, pour accompagner conséquemment le plan de développement de l’entreprise. De plus, il faut signaler la reprise des réseaux de la Banque Nationale de Développement Economique (BNDE) et de la Banque Marocaine pour l'Afrique et l'Orient (BMAO), même si la nouvelle direction se comporte de manière très prudente et s’entoure de précautions pour éviter des dérapages préjudiciables lorsque l’on sait que le Crédit Agricole du Maroc sort lui-même d’une crise pas encore tout à fait surmontée.

Par rapport au texte de loi qui a finalement été adopté, on ne peut toutefois manquer de noter « l’impasse » qu’il fait sur un autre aspect de la réforme qui était essentiel dans le projet initial. En effet, ce dernier prévoyait aussi la création de banques régionales sous forme de coopératives à capital variable, régies par les dispositions de la loi bancaire et appelées « Banques Régionales de Crédit Agricole ». Ces banques régionales devaient être créées à la demande des agriculteurs concernés et sur l'initiative du Crédit Agricole du Maroc qui participerait à la souscription de leur capital initial. Cette formule devait favoriser une approche de proximité, contribuer au développement de la vie locale et régionale, et permettre l’implication des agriculteurs dans la gestion et la pérennité de ces institutions.

Sur les 200.000 clients actuels de la banque, on reconnaît qu’en fait, seuls 70.000 sont solvables (ce qui revient à dire que les autres sont plus virtuels que réels…). Or, la nouvelle direction se veut très claire et très ferme à ce niveau : il n’est désormais question de financer que l’agriculteur solvable. Selon ses estimations, il existerait entre 300.000 et 350.000 agriculteurs potentiellement solvables, ce qui l’autorise à penser qu’il existerait encore quelques 280.000 agriculteurs solvables qui échappent à la banque, et qu’il faut conquérir. Mais pour l’immense majorité des petits et moyens agriculteurs, on ne peut que relever la quasi-absence de réflexion ; au plus se contente-on de noter que « le problème est très compliqué », et de renvoyer aux conventions à signer avec l’Etat.

2.2.3. Le marché foncier
L'agriculture marocaine se distingue d'abord par la grande diversité des régimes juridiques de la terre. Cinq statuts fonciers sont reconnus par les inventaires et les recensements officiels : le melk, le collectif, le guich, le domaine privé de l'Etat et le habous.

Le régime melk est généralement assimilé à la propriété privée du droit romain. Les terres collectives, à l'origine terres indivises et inaliénables, appartenaient à des communautés rurales (tribus ou fractions de tribus). Les chefs de famille résidents n'avaient qu'un droit de jouissance. Aujourd'hui, elles sont sous la tutelle du Ministère de l'Intérieur. Le régime des terres guich est assez confus et dans certains cas assimilé au régime des terres collectives. Avant le Protectorat, ces terres étaient concédées en jouissance par l'Etat à des tribus en contrepartie d'un service militaire. Ce qui explique que l'on retrouve ce régime autour des capitales impériales (Rabat, Meknès, Fès et Marrakech). Actuellement, aucun texte spécifique ne régit ces terres. Le domaine privé de l'Etat recouvre toutes les terres récupérées par expropriation, confiscation ou séquestre. Les terres habous sont des biens légués par leur propriétaire à des oeuvres pieuses. Elles sont sous le contrôle du Ministère des Habous.

Notons enfin que l'immatriculation connaît une progression très faible et n'intéresse qu'une infime partie des terres agricoles du fait qu'elle est individuelle et volontaire et que la procédure est lente et coûteuse.

2.3. Prix et subventions, quelle régulation
Toute stratégie d'intégration au marché mondial subit nécessairement sa logique et sa condition majeure de réussite : la compétitivité, reflet de l'avantage comparatif du pays concerné. Le problème est qu'en ce qui concerne le Maroc, comme la plupart des pays en développement, l'avantage comparatif ne résidait dans les années 1960 et 1970 principalement qu'au niveau du coût de la force de travail, seule variable réellement maîtrisable dans le processus de formation des coûts. Les autres variables (équipements d'infrastructure, matériel agricole, intrants, commercialisation à l’extérieur...) étaient déjà très largement importés, et donc subis. Dans ces conditions, la compétitivité passait avant tout par la pression sur les salaires (et les revenus des petits producteurs), et la capacité de les contenir dans les limites imposées par le marché international. Or, depuis Ricardo et son concept de « bien-salaire », on sait que dans une situation où les produits alimentaires continuent de s’accaparer plus de la moitié des budgets des ménages, leurs prix déterminent le niveau des salaires et plus généralement la rémunération de la force de travail. La maîtrise de cette dernière exigeait donc celle du coût d'acquisition des denrées alimentaires, a fortiori lorsqu’il s’agit de denrées de base. Chercher à minimiser la première commandait d'agir en conséquence sur le second pour éviter une modification des prix relatifs de nature à rompre l'équilibre permettant la satisfaction du minimum vital nécessaire à l’alimentation de la population. Dans ces conditions, l'Etat a fait de la politique des prix, et par la même celle des subventions et des salaires, un outil d'intervention privilégié au service d’une politique de régulation à la fois économique et sociale.

Comprendre cette politique dans sa globalité nécessite de la saisir au moins aux deux stades essentiels que sont ceux de la production et de la consommation car les objectifs poursuivis à chaque niveau peuvent fréquemment s'opposer. En effet, en l'absence de gains de productivité suffisants, les intérêts des producteurs et des consommateurs sont rarement convergents ; les premiers cherchent à maximiser leurs revenus, les seconds à minimiser leurs dépenses. Comment concilier entre les intérêts des uns et des autres ? Comment assurer des prix "rémunérateurs" pour les producteurs et "supportables" pour les consommateurs, espérant ainsi à la fois inciter à l'accroissement de la production commercialisable et veiller sur une certaine stabilité des prix à la consommation, nécessaire à la sauvegarde du pouvoir d'achat de la population et au maintien d'un niveau des salaires compatibles avec les impératifs de la compétitivité sur les marchés extérieurs ?

A l'image des autres instruments de la politique agricole, la politique des prix à la production s'est voulue sélective. L'Etat a cherché à réglementer les prix de certains produits de base tels les céréales, le lait, et certaines cultures industrielles (betterave, coton, tournesol, etc.), destinées au marché intérieur, et maintenir libres ceux des produits maraîchers, des agrumes, de l'huile d'olive, produits dont on souhaitait promouvoir les exportations. Usant de ses prérogatives à l'égard du premier groupe de produits, l'Etat a commencé par en geler quasiment les prix jusqu'en 1972-1973. Encouragé par la faiblesse relative des cours internationaux, il s'était alors mis à jouer la carte de l'extraversion : le recours aux importations de certaines denrées de base paraissant d'autant plus intéressant qu'il permettait de combler à bon marché des déficits croissants de la production locale d'une part, et d'autre part, de maintenir le bas niveau des prix internes à la consommation en déversant sur les marchés au moment opportun les quantités nécessaires. Du point de vue de la production nationale, cette politique contribuera à semer les germes de la dépendance alimentaire, notamment en introduisant de nouvelles habitudes de consommation fondées sur l'offre externe.

Au début des années 1970, cette politique commence à être sensiblement activée. Propagée notamment par la Banque mondiale, l'idée qui s'impose alors en ce qui concerne les prix à la production veut que ce soit leur faiblesse qui explique le "désintéressement" des agriculteurs et par conséquent la chute de la production. Pour redresser la situation, il fallait donc garantir désormais des "prix rémunérateurs" à la production. Comme on peut le constater sur les figures 2.24 à 2.29 ci-dessous, les prix à la production commenceront à être substantiellement et régulièrement relevés. Seulement, répercutés à l'aval, ces derniers risquaient fort de donner lieu à des niveaux de prix à la consommation insoutenables pour une population dans sa grande majorité appauvrie, et peut-être surtout difficilement compatibles avec la sacro-sainte nécessité de pression sur les salaires, condition de compétitivité sur les marchés extérieurs.

Comment augmenter les prix à la production et éviter leur répercussion à la consommation ? C’est alors que l'Etat, fort de son budget, entre en scène : ce sont ses subventions qui allaient permettre d'offrir des prix intéressants aux producteurs et néanmoins maintenir sur les marchés des prix abordables pour les consommateurs. Il allait désormais prendre en charge la péréquation des prix, ce qui pour l'essentiel revenait à verser aux producteurs et aux transformateurs de quelques denrées alimentaires de base (farine, huile, sucre, lait et beurre) des subventions pour leur permettre de pratiquer des prix publics inférieurs à leurs prix de revient. Pour les importations, les fluctuations des cours mondiaux aussi étaient "absorbées" par l'action de stabilisation interne.

Figures 3-8. Evolution des prix officiels des principaux produits

Figure 2.23.Figure 2.24.
Figure 2.25.Figure 2.26.
Figure 2.27.Figure 2.28.
Le système avait fonctionné ainsi plus ou moins bien jusqu'à la fin de la décennie 1970. Alors que les prix officiels à la production étaient régulièrement relevés et que les cours mondiaux des produits importés fluctuaient, les prix intérieurs à la consommation étaient largement stabilisés. Le coût pour les finances publiques n'était pas insignifiant mais néanmoins supportable, en moyenne 6% des dépenses de l’Etat entre 1974 et 1979, d'autant plus que les ressources financières (les phosphates, relayés ensuite par les emprunts extérieurs) ne faisaient pas défaut.

Au tournant des années 1980, la forte hausse des cours mondiaux et les difficultés financières aiguës du pays vont imposer une remise en cause de cette politique avant même l'entrée en vigueur officielle de la politique d'ajustement structurelle. Dans un premier temps, et dans le cadre de la politique de stabilisation et de retour aux équilibres fondamentaux, les relèvements des prix à la consommation auront avant tout pour but de réduire le poids relatif des subventions et partant le déficit budgétaire. Par la suite, l'action fera partie d'une réforme d'ensemble des systèmes de prix et d'incitations, dans une perspective d'affirmation des mécanismes du marché et du principe de « vérité des prix ».

Figure 2.29. 
Comme on peut le constater sur la figure 1.50, sur l’ensemble de la période 1960-2004, la « rupture » des années 80 est tout à fait remarquable puisqu’elle tranche non seulement avec la période qui l’avait précédée, mais aussi avec celle qui suivra. En effet, entre 1980 et 1990, les prix de la farine de blé (dite »nationale »), du sucre, de l’huile de graines et du lait ont respectivement augmenté de 100%, 71%, 112% et 141%, MADRPM, 2004b). En revanche, à l’exception du lait (qui sera libéralisé en 1993), les principaux produits en question verront à nouveau leurs prix quasiment gelés à partir de 1989-90.



3. Les processus de segmentation des structures de production : Tendances observées et conséquences
Une variété de mondes de production agricole
Une approche schématique et persistante de l’agriculture marocaine fait apparaître une configuration binaire : d’une part un secteur « traditionnel », abritant environ 90% de la population rurale, dominé par les petites exploitations vivrières et utilisant des techniques de production rudimentaires. De l’autre un secteur « moderne » (1.500.000 ha environ) à prédominante agroindustrielle dont la production, mécanisée et intensive, est destinée pour l’essentiel à l’exportation.

Introduite par le Protectorat et largement représentée par la colonisation française, l’agriculture « moderne » (oranges, vin, blé tendre et coton) pouvait trouver un débouché sur le marché français en vertu de l’admission par la France d’un contingent en franchise de droits de douane (Belal, 1968). Une série de mesures ont contribué sous le Protectorat à favoriser le développement de l’agriculture « capitaliste » : construction de grands barrages et aménagement de périmètres d’irrigation, création d’organismes de recherche et d’expérimentation agricole, attribution de subventions, organisation du crédit agricole, investissement en matériel agricole et amélioration du niveau de mécanisation.

Avec l’indépendance, l’objectif de modernisation de l’agriculture fut poursuivi et déployé notamment à travers la « politique des barrages », une politique plus volontariste et plus ciblée centrée sur la grande irrigation et la promotion de cultures d’exportation ainsi que de certaines productions de substitution aux importations. Engagé à partir de 1985 dans le cadre des la « politique d’ajustement structurel », le désengagement de l’état et la « vérité des prix » en viennent a être relayés depuis le milieu de la décennie 1990 par une politique de libéralisation et d’ouverture de l’économie (Accords de libre-échange), contribuant ainsi à renforcer le régime de production intensive tirée par le secteur d’exportation (dit moderne) au détriment des activités vivrières et des productions orientées vers le marché interne (secteur dit traditionnel).

Le rappel à grands traits de cette trajectoire (voir supra chapitre 1) permet de mettre en évidence une dépendance de chemin par rapport aux enchaînements liés à la modernisation et à l’extraversion de la production agricole : la recherche de la compétitivité externe imposant une intensification de la production et une élévation du niveau d’équipement des exploitations agricoles.

L’évolution observée en longue période fait apparaître toutefois, au-delà de la persistance du dualisme créé par le Protectorat, un clivage plus complexe des « mondes de production » au sein de l’agriculture et un éclatement des formes génériques d’activité et de travail.

L’hypothèse suggérée dans le présent rapport est que la variété des mondes de production a partie liée, outre l’hétérogénéité des structures foncières et des régimes d’exploitation, avec les limites de l’« architecture institutionnelle » en termes de cohérence des politiques publiques et de complémentarité des réformes engagées depuis l’indépendance.

La configuration composite de la société marocaine (Pascon, 1970), qui trouve sa condensation dans le monde rural, renvoie à une pluralité de modalités de production et d’exploitation pouvant se combiner de façon spécifique au sein d’un même système générique.
Dans cette optique, la nature dualiste moderne/traditionnel est plus un curseur pointant l’instance dominante au sein d’une configuration hybride qu’une juxtaposition de deux secteurs fonctionnant chacun selon une logique pure et idiosyncrasique. L’examen des structures foncières et des modes d’exploitation (section 1) permet de dégager en première approximation une taxonomie de la nature composite du monde rural et de la variété des modes de production et d’exploitation agricole. Les processus ayant conduit à une telle segmentation/hybridation des structures agraires renvoient aux effets complexes et contradictoires des politiques d’intensification du capital et de libéralisation des marchés suivies depuis le Protectorat : effets de dissolution/conservation exercés à long terme par les modalités capitalistiques et modernes dominantes sur les configurations de type domestique et traditionnel (section 2).

3.1. Les structures agraires : des effets de dissolution/conservation
3.1.1. Structures des exploitations : concentration et atomisation
Selon le Recensement général agricole 1998 (voir tableaux en annexe), le nombre d’exploitants agricoles, pour l’ensemble du pays, se monte à environ un million et demi (1.496.349), dont 99,8% de personnes physiques et 4,5% de femmes (66.395 exploitantes au total). En référence au recensement général de la population et de l’habitat de 1994, 77,7% des ménages ruraux (sur un total de 1.921.958), sont des ménages agricoles.

Avec un effectif de 64.716, les exploitants sans SAU représentent 4,3% du nombre total d’exploitants. La majorité des exploitants agricoles avec SAU disposent de faibles superficies : près de 70% des exploitants ont moins de 5 ha de SAU et 55% ont moins de 3 ha, ces deux catégories n’exploitant, respectivement, que 24% et 12% de la SAU totale du pays.

En revanche, bien que représentant moins de 4% des effectifs, les exploitants ayant plus de 20 ha s’approprient le tiers de la SAU totale. De même les exploitants possédant plus de 100 ha représentent 0,2% des effectifs et détiennent 8,7% de la SAU.

L’âge moyen des exploitants atteint environ 52 ans, les exploitants âgés de 65 ans ou plus représentant 23% du nombre total d’exploitants contre 12,6% âgés de moins de 35 ans. Les exploitants âgés de plus de 55 ans sont plus fréquents au niveau des classes-taille de plus de 20 ha qu’au niveau de celles de moins de 5 ha : 57,2% contre 7,4%. Ils constituent, au niveau des classes-taille de moins de 5 ha, respectivement, 41,9% et 13,6% (29,7% et 19,8% pour les exploitants sans SAU).

La plupart des exploitants (81%) sont analphabètes et exploitent 76% de la SAU contre 9,6% des exploitants dont le niveau d’instruction dépasse le primaire et détenant 13,4% de la SAU. Les exploitants sans niveau d’instruction sont relativement plus nombreux au niveau des classes de SAU de 0 à 10 ha (81,3% des effectifs de ces classes) et de plus de 20 ha (71,6%). Ils constituent 84,2% des exploitants sans terre. Les exploitants ayant au moins le niveau du collège représentent près de 10% des exploitants de plus de 20 ha, 3% entre 0 et 10 ha de SAU et 2,5% des sans terre. Les diplômés de la formation supérieure constituent 2,9% des exploitants des classes de plus de 20 ha, 0,6% de 0 à 10 ha et 0,4% pour les sans terre.

La plupart des exploitants (87%) résident sur les lieux de l’exploitation contre 8,5% en milieu urbain, 3,5% dans le monde rural et 1% vivant à l’étranger. Le quart des exploitants ne résidant pas dans l’exploitation possèdent des unités de plus de 50 ha et 30% de la même catégorie d’exploitants « non résidents » ont des unités de plus de 100 ha.

Enfin il y a lieu de noter que les exploitants exerçant des activités non agricoles sont au nombre de 316.953 (soit 21,2% de l’ensemble), se répartissent entre le commerce et les services (20,5%) ; l’administration (12,5%) ; les professions libérales (6,4%) ; les bâtiments et les travaux publics (5,2%) ; la pêche (2,6%) ; l’artisanat (2,3%).

Figure 3.1. Maroc : Évolution des structures d'exploitation (en %)



Source : Annuaire statistique du Maroc 2003.


Figure 3.2. Maroc : Nombre d'exploitations agricoles (total et irriguées) par taille



Source : Annuaire statistique du Maroc 2003.

3.1.1.1. Une tendance en longue période au morcellement
En l’absence d’une réforme agraire, les structures foncières et les statuts juridiques des terres ont, sur la longue période, fort peu évolué : prédominance de la micropropriété, hétérogénéité et complexité des statuts des terres, précarité des baux ruraux.

L’accroissement de la surface agricole utile, accompagné par la baisse du nombre d’exploitations, s’est traduit par une hausse de l’ordre de 20% de la taille moyenne des unités productives passant, en moyenne, de 4.9 à 6.1 ha entre le milieu des années 1970 et le milieu de la décennie 1990 (Akesbi, 2001a). Cette tendance concerne l’ensemble des exploitations à l'exception, toutefois, des exploitations de plus de 100 ha dont la surface moyenne a enregistré une baisse de 15%. Parallèlement, le processus de morcellement des terres s’est poursuivi, le nombre de parcelles par exploitation passant de 6 à 6,7 en moyenne (voir annexe, tableau A3.5).

La distribution des superficies demeure marquée par de fortes disparités : 55% des exploitations de moins de 3 ha couvrant 12% de la SAU d’un côté, moins de 1% des exploitations de plus de 50 ha représentant plus de 15% des superficies totales de l’autre. Les catégories intermédiaires représentent au total 44% des exploitations et 72% de la surface agricole utile avec une prépondérance des exploitations de 5-10 ha (16, 6% et 2, 7% de la SAU totale).
3.1.1.2. Statut juridique des terres : extension des terres « Melk » et collectives
L’accroissement, entre 1974 et 1996, de 1,5 million d’ha de la SAU s'est opéré, pour deux tiers sur des terres privées et un tiers sur des terres collectives, au détriment des terres de parcours et des terres marginales. En termes de statut juridique, les terres collectives représentent en 1996 plus de 1.5 million d’hectares et près de 18% de la SAU (contre près d’un million d’hectares et 14% de la SAU en 1974).

Figure 3.3. Maroc : Répartition de la surface agricole utile selon le statut juridique


Source : Annuaire statistiques du Maroc 2003.

La part relative des terres de statut “Melk” (un million d’hectares supplémentaires sur la même période) est restée assez stable occupant environ trois quarts de la SAU totale (Figure 3.3). Parallèlement les multiples statuts “ résiduels ” ont enregistré un net recul, variant de 25% à 40% : au total 570.000 hectares, soit 6.5% de la SAU, dont environ 270.000 ha de terres relevant des domaines de l'Etat, 240.000 ha de terres "Guich" et 59.000 ha de terres "Habous".

3.1.2. Des configurations composites à dominante familiale
L’examen des résultats du Recensement général agricole 1996 met en évidence une variété de formes de nature composite et hybride avec une prédominance des exploitations de type familial.

Historiquement, l’introduction du capitalisme sous le Protectorat ne s’est pas traduite par l’initialisation d’un processus de dissolution des rapports sociaux traditionnels pouvant déboucher à terme sur des formes plus ou moins pures de capitalisme (El Aoufi, Hollard, 2004). Une telle évolution est propre aux sociétés ayant connu une transition endogène vers le capitalisme. En revanche, au sein des formations soumises à une impulsion extérieure (par la colonisation), la dynamique du capital est à l’origine d’un mouvement complexe de dissolution/conservation des rapports de production pré-capitalistes. Ce mouvement, qui explique dans la littérature critique du capitalisme le « procès du sous-développement », ne fait que se reproduire, imprimant à chaque phase et à chaque société les logiques dominantes du développement capitaliste. Aujourd’hui, l’économie marocaine incorpore, outre les effets historiques du capitalisme (concurrentiel, monopoliste), ses condensations structurales et territoriales (mondialisation, capitalisme patrimonial, etc.). En termes de trajectoires, de tels effets de structure ne sont pas, loin s’en faut, irréversibles : les interactions qui en résultent avec les rapports sociaux traditionnels (et/ou non-capitalistes) ne manquent pas d’altérer, à leur tour, les « fonctionnements locaux du capital » (Aglietta, Brender, 1984) et d’induire des modalités spécifiques, hybrides et a-typiques d’organisation de la production.

Une analyse en termes de « variétés de capitalismes » (Hall et Soskise, 2002) peut faire ressortir, à une échelle plus réduite et micro-économique, la complexité des mondes de production et la pluralité des arrangements (informels ou institutionnels) auxquelles les agents font recours de façon intentionnelle ou non.

En référence à la fois aux intuitions de Paul Pascon (1967) sur la société composite et à une conceptualisation issue de l’économie des grandeurs (Boltanski, Thévenot, 1991), l’enquête de terrain sur les mondes de production au Maroc (El Aoufi, 2000) fait apparaître deux résultats essentiels :

- Une configuration hybride ou composite des organisations (entreprise industrielle, exploitation agricole, etc.) au niveau de leurs structures et de leurs modes d’organisation et de gestion des ressources humaines. Il s’agit d’une articulation spécifique d’une pluralité de formes, de statuts et de modalités qui se définit à la fois par rapport aux « mondes sociaux » de l’organisation et à son contexte extérieur.
- En termes de dominance, la forme domestique (en référence à l’économie des conventions) articule une série de valeurs supérieures qui s'incarnent à la fois dans : (i) un système de relations de travail fondées sur le paternalisme, la dépendance et le clientélisme ; (ii) une préférence pour l’investissement à court terme et la rentabilité immédiate ; (iii) un objectif d’effort et d’implication imposée aux travailleurs.

La première valeur supérieure qui structure le modèle domestique (le patrimonialisme) acquiert une plus grande pondération en termes de management, c’est-à-dire qu’elle constitue une caractéristique à la fois dominante et déterminante. C’est, en effet, le caractère domestique de l’exploitation agricole marocaine qui rend compte des limites en termes d’investissement, de modernisation, de productivité et de qualité. L’hypothèse sous-jacente est que les limites liées à la modernisation et à l’intensification à grande échelle de l’agriculture prennent racine fondamentalement au sein des rapports sociaux dominants à la campagne et des modes de leur régulation.

3.1.2.1. Des formes hybrides
Une typologie des exploitations agricoles, telle qu'elle peut être suggérée à partir des données du Recensement agricole, fait apparaître trois catégories : les grandes exploitations, les petites et moyennes exploitations et les micro-exploitations.

Tableau 3.1. Typologie des exploitations

ExploitationsNombre%SAU totale%SAU irriguée%Grandes Exploitations28 0001,91 800 00021,5390 00031Petites et Moyennes Exploitations821 60056,75 998 00070,0801 00064Micro-exploitations600 00041,4744 9008,560 0005Total1 449 600100,08 542 900100,01 251 000100
Source : Ministère de l'Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes (2000).

3.1.2.2. Les grandes exploitations : à la fois modernes et archaïques
Sont considérées « grandes exploitations » les unités s’étendant sur plus de 50 ha en zone d'agriculture pluviale (Bour) et plus de 20 ha en zone irriguée. Représentant quelque 28.000 unités (1,9% du total des exploitations), elles couvrent 1,8 million d'hectares, soit 21.5% de la surface agricole utile, et 31% des terres irriguées.

Figure 3.4. Typologie des exploitations

Source : Ministère de l'Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes (2000).

Les grandes exploitations disposent d'une base foncière importante et stable, ainsi que d’un niveau d'infrastructures et d'équipements nettement supérieur à la moyenne. Bénéficiant de larges possibilités de crédits et d’aides de l’Etat, ces exploitations ont une propension plus élevée à entreprendre des investissements de modernisation et à procéder à l’intensification de la production.

Employant des effectifs salariés relativement importants, il y a lieu de noter toutefois une prédominance de la main-d’œuvre non qualifiée et un sous-encadrement, en termes de compétences, contribuant à limiter leurs performances managériales et leur potentiel productif. En dépit d’un niveau d'instruction assez rudimentaire, les exploitants occupent en général des positions clés au sein des organisations professionnelles et dans les instances représentatives.

3.1.2.3. Les petites et moyennes exploitations : une figure générique
Les petites et moyennes exploitations (3 à 50 ha en Bour et 1 à 20 ha en irrigué) sont au nombre de 821.600 unités, soit 56,7% de l'effectif total, couvrant 70% des terres cultivables, et 64% de celles qui sont irriguées (5.998.000 et 801.000 ha respectivement).

Figure générique, en termes d’hybridation de rapports sociaux et de modes de production et de gestion, cette configuration concentre les carences les plus récurrentes de l’exploitation agricole : précarité du statut foncier, forte dépendance à l'égard des aléas climatiques, difficulté d'accès aux moyens de production et de financement, faiblesse du surplus et des capacités d'accumulation propre, insuffisance de l'encadrement technique, défaut d'organisation professionnelle, etc. Formant plus de deux tiers des terres cultivables, les petites et moyennes exploitations font vivre la moitié de la population rurale et recèlent un potentiel productif considérable avec des gisements importants de productivité.

3.1.2.4. Les micro-exploitations : une pluriactivité de subsistance
Les micro-exploitations (moins de 3 ha en bour et d'un ha en irrigué) totalisent quelques 600.000 unités, soit plus 41% des exploitations et cultivent 8,5% de la surface agricole utile et 5% des surfaces irriguées. Abritant la moitié de la population rurale mais contribuant peu à la formation du produit agricole global, il s’agit d’exploitations fondées sur les activités agropastorales « où l'agriculture ne constitue qu'une composante d'appoint de l'activité économique du ménage » à côté du petit commerce, de l’artisanat et de services divers (MADRPM, 2000a). De fait plus d’un exploitant sur cinq pratique la pluriactivité : commerce et services (4,4% des exploitants), administration (2,7%), profession libérale (1,4%), bâtiment et travaux publics (1,1%), pêche (0,6%), artisanat (0,5%).

Certaines de ces exploitations, dont la dynamique semble structurellement bloquée par une série de contraintes foncières, techniques, financières, humaines, etc., sont à même de se transformer en « unités économiques viables » et peuvent, toutefois, tirer avantage des possibilités offertes par les progrès de la recherche et des biotechnologies leur permettant de développer, sur des petites surfaces, des productions agricoles fortement utilisatrices de main d'œuvre et à haute valeur ajoutée (MADRPM, 2000a).

3.1.2.5. Une dominante familiale
Le Recensement agricole de 1996 met en évidence une diminution du nombre des exploitations agricoles par rapport à 1974 : de 1,9 million on est passé à 1,5 million d’unités, soit une baisse de 22%. En revanche, la surface agricole utile a enregistré une augmentation de près de 1% par an (8.732.200 ha en 1996 contre 7.231.400 ha en 1974).

L’examen des données du Recensement montre que la baisse du nombre d’exploitations s’est opérée au détriment notamment des unités sans surface agricole utile, ces dernières ayant chuté fortement en passant de 450.200 à 64.700 unités, soit une diminution de l’ordre de 86%. Les micro-exploitations de moins d’un hectare ont également vu leur nombre diminuer de 28% (315.300 unités en 1996 contre 439.700 en 1974. Quant aux exploitants disposant d’une SAU, leur effectif est resté tout au long de la période relativement stable (1.430.000 personnes, soit moins 3%).

Tableau 3.2. Evolution des effectifs des exploitations et de la SAU exploitée

Classe-
Taille
(en ha)Nombre
(1000)SAU
(1000 ha)Variation
1996/1974 (%)RGA 96
(Structure, %)RA 74RGA 96RA 74RGA 96NbreSAUNbreSAUSans terre450,264,8--- 85,6%-4.30.00 – 1439,7315,3188,7170,4- 28,3%-9,7%21.11.91 – 3431,6446,7759,9904,73,5%19,1%29.810.43 – 5217,8237,7823,31 011,19,1%22,8%15.911.65 – 10219,8247,81 507,21 894,712,7%25,7%16.621.710 – 20114,1125,21 525,21 880,59,7%23,3%8.421.520 – 5043,848,01 215,31 526,39,6%25,6%3.217.550 – 1007,77,8512,3585,21,3%14,2%0.56.7+ 100 ha2,53,2699,5759,428,0%8,6%0.28.7Total1 927,31 496,37 231,48 732,2-22,4%20,8%100100
Source : Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes, 1996 et 1998.

Plusieurs indicateurs mettent en évidence la nature domestique et à dominante familiale de l’exploitation agricole. Ainsi la quasi-totalité des exploitations (99,2%) sont gérées par leur propre exploitant contre 12.000 unités, couvrant 3.2% de la SAU, qui sont confiées à des gérants. Par ailleurs, 90% des exploitants résident en milieu rural et 87% vivent sur l’exploitation même (tableau 3.3).

Tableau 3.3. Gérance des exploitations et résidence des exploitants

Classe-
Taille
(en ha)Nombre total d’exploitationsGérance des exploitations (%)Milieu de résidence
(%)ExploitantsGérantsSur placeRuralUrbainEtrangerSans terre64 71699,10,984,35,89,50,40 – 1315 32399,50,588,63,66,81,11 – 3446 71099,50,587,23,58,21,13 – 5237 66999,50,587,13,18,71,15 – 10247 76699,10,987,23,08,81,010 – 20125 16998,11,985,63,49,91,120 – 5047 98597,92,183,63,512,00,950 – 1007 82995,74,376,94,218,10,8+ 100 ha3 18284,915,169,73,126,40,9Total1 496 34999,20,887,03,58,51,0
Source : Akesbi, 2001a et 2001b.

Les modes de faire-valoir des terres n’ont quasiment pas évolué depuis les années 1970 : le mode de faire-valoir direct concerne en 1996 la même proportion enregistrée en 1974, soit 87.9% de la SAU contre 12.1% de la SAU pour les modes de faire-valoir indirects (1.054.840 ha) se répartissant entre la location (40%) et le bail à part de récolte (60%). La location concerne les exploitations de plus de 50 ha, les baux en nature celles dont la surface varie entre 3 et 20 ha.

Selon leur type, les exploitations recensées sont à 84,7% « individuelles » contre 13,5% dans l’indivision et 1,6% en association. Quant aux autres formes, elles représentent, au total, 0.2% de l’ensemble, soit 122 sociétés privées, 307 unités relevant d’un organisme public et 1298 coopératives.

Figure 3.5. Main d'œuvre permanente par ha de SAU selon la dimension de l'exploitation



Source : Annuaire statistiques du Maroc 2003.

Le caractère familial de l’exploitation apparaît également au niveau de la main-d’œuvre employée : 5.4% d’exploitations (80.000 au total) font appel à une main-d’œuvre salariée permanente. Il s’agit d’exploitations de plus de 20 ha, la majorité des exploitations utilisant essentiellement une main-d’œuvre familiale permanente (1.955.845 d’effectifs représentant en moyenne 1,6 employé par exploitation)

Tableau 3.4. Main d’œuvre permanente employée dans les exploitations

Classe-
Taille
(en ha)Nombre total d’exploitationsMain d’œuvre familiale permanenteMain d’œuvre salariée permanenteNb d’expl.
concernées%Effectifs employésNb d’expl.
concernées%Effectifs employésSans terre64 71650 30677.764 2943 2975.14 7650 – 1315 323245 06777.2341 4739 8473.111 0161 – 3446 710353 15579.1538 69715 1443.418 0613 – 5237 669196 03882.5320 35310 0664.213 0875 – 10247 766210 14984.8372 22214 6905.920 56210 – 20125 169108 36586.6210 01612 45610.019 27120 – 5047 98541 80587.188 1329 74520.319 66850 – 1007 8296 56183.815 2123 11339.810 471+ 100 ha3 1822 19969.15 3471 91260.119 691Total1 496 3491 213 64481.11 955 84580 2695.4136 593
Source : Akesbi, 2001a, 2001b.

3.1.3. Statuts socioprofessionnels et formes de travail : lumpen-prolétarisation et paupérisation

La nature composite et hybride du monde rural apparaît plus clairement lorsqu’on examine les statuts sociaux et les formes de travail (Pascon, Ennaji, 1986).

(i) La catégorie générique de paysans se réfère au milieu de résidence : agglomérations de moins de 2000 habitants et à la résidence permanente. Mieux définie la catégorie d’agriculteurs ou de fellahs renvoie à l’activité strictement agricole (production végétale et animale).

(ii) La catégorie de propriétaires est définie en relation avec la variété des régimes fonciers : la propriété privée ou Melk (75% de la SAU et plus de 85% des exploitations) ; les terres à usage collectif (plus les terres Guich) avec moins de 20% de la SAU et des exploitations ; le domaine de l’Etat (plus les terres Habous) couvrant mois de 10% de la SAU et moins de 5% des exploitations.

(iii) Les éleveurs comprenant un nombre important de non propriétaires ou éleveurs purs, c’est-à-dire « ceux qui conduisent des troupeaux sur des parcours qui ne leur appartiennent pas à titre privé, mais dont ils disposent en raison de leur insertion dans un groupe (par naissance, alliance, résidence) ou suite au paiement de droits d’accès » (Pascon, Ennaji, 1986). Les preneurs d’élevage à part de croît sont rémunérés par la cession d’une part du croît du troupeau selon plusieurs types d’association.

(iv) Les gérants forment une grande variété d’agriculteurs prenant des fermes en location ou en gestion à partir d’un contrat. Ils « constituent une élite rurale par leur technicité et leur mode de vie » (Pascon, Ennaji, 1986).

(v) Les tenanciers sont des preneurs à bail à part de récolte de terres sur lesquelles ils doivent verser une rente annuelle (le tiers ou la moitié de la récolte). Disposant en général d’attelages, d’animaux de labour, ils avancent les semences, le matériel et le travail.

(vi) Les métayers louent leur travail en contrepartie d’une part de la récolte. Dans la réalité le statut de Khammas renferme une pluralité de contrats selon que le métayer peut recevoir le dixième, le septième, le quint, le quart ou le tiers de la production brute en fonction de la contribution de chacune des parties aux frais et aux travaux effectués. Avec la monétarisation croissante de l’économie agricole, le propriétaire avance un pré-salaire au métayer, mais en général la rémunération est versée en nature à la fin de la récolte (Pascon, 1980).

(vii) Les salariés permanents constituent au sein de l’ensemble de la main-d’œuvre rurale une composante minoritaire employée notamment dans les fermes privées de plus de 50 ha et dans les fermes d’Etat.

(viii) Les salariés saisonniers, occasionnels et les bergers forment le lumen-prolétariat rural issu des catégories de tenanciers et de métayers. Population jeune, précaire et mobile (exode saisonnier vers les grands chantiers des villes), ils sont employés à temps partiel, la plupart du temps au Smag (salaire minimum agricole garanti) ou moins, dans des activités à faible niveau de mécanisation (récolte d’agrumes, de légumes, de fruits, moissons).

Analysant le « cursus social » des paysans sans terre, Paul Pascon met en exergue la «dégénérescence des institutions traditionnelles», la «déroute de l’ordre tribal, villageois ou communautaire», «l’affaiblissement des solidarités gentilices et lignagères», la monétarisation du monde rural et la mécanisation des exploitations pour expliquer l’augmentation des effectifs des sans terre liée à la concentration foncière et à l’accroissement de la rente foncière et du prix de la terre. Le développement de la location au détriment de la prise à bail constitue un autre facteur d’aggravation. Le schéma traditionnel de mobilité sociale à la campagne et d’accès à l’exploitation agricole (figure 3.6) a été profondément affecté par la pression démographique et la raréfaction de la terre, voire une nette régression dans la hiérarchie des statuts socioprofessionnels.

Figure 3.6. Le cursus social aujourd’hui grippé


Source : Pascon, Ennaji (1986)


Tableau 3.5. Taxinomie des mondes de production dans l’agriculture

ConfigurationTailleMarchéManagementMécanisationFormes de travailGrandeur PrivéeGEExportationModerne/
archaïqueForte à moyenne Salariat permanent /
occasionnelMarchande / féodalePubliqueGESubstitution aux
importationsBureaucra-
tique Forte à moyenneSalariat
permanent/
saisonnierAgro-
industrielleFamilialePMELocal / auto-consommationTraditionnel Faible
à rudimentaireSalariat
saisonnier/
aide-familialDomestiqueVivrièreMESubsistance TraditionnelQuasi-absente Aide-familialDomestique
3.2. Processus de segmentation : des effets systémiques
3.2.1. Un régime d’exploitation extensive/intensive

Le processus d’intensification capitalistique des systèmes de production est à l’œuvre dans les politiques agricoles mises en œuvre depuis l’indépendance. Il connaîtra une accélération dans les années 1990 avec les progrès de la libéralisation des échanges et la baisse des prix des intrants, notamment alimentaires, les délocalisations vers le Maroc de certaines activités (tomate et haricot vert dans le Souss, vigne de table dans le Haouz à titre d’exemple), etc. Cette évolution ne manquera pas de produire des effets directs et indirects sur les écosystèmes agricoles et pastoraux et sur les rapports sociaux (Narjisse (2005) : raréfaction des ressources naturelles, exploitation des ressources en eau et en sol et leur pollution, exode rural, délitement des liens communautaires.

3.2.1.1. Les limites de la mécanisation

Sous le protectorat, comme le souligne Aziz Belal (1968), « le développement de l’agriculture « moderne » s’est traduit notamment par un gros effort d’investissement en matériel agricole, exprimant l’élévation continue du degré de mécanisation de ce secteur », le degré de mécanisation atteint par l’agriculture européenne du Maroc étant comparable à celui de l’agriculture française (80 à 85 hectares par tracteur). « A la veille de l’indépendance, l’évaluation correspondante pour l’agriculture marocaine est de plus de 3000 hectares par tracteur », « la plupart des tracteurs étant utilisés sur un petit nombre seulement d’exploitations marocaines modernisées ».

Au lendemain de l’indépendance, les pouvoirs publics lancent, sur une vaste échelle, l’Opération-Labour visant « la modernisation du secteur traditionnel sur les superficies non irriguées qui constituent de loin la majeure partie des terres cultivables en systématisant l’action des anciens secteurs de modernisation du paysannat : travaux à façon au profit des petits agriculteurs grâce à un parc important de tracteurs, diffusion massive de semences sélectionnées vendues à perte et d’engrais, campagnes favorables à la pratique d’assolements réguliers » (Belal, 1968). L’Opération-Labour poursuivait deux objectifs technique et institutionnel : l’augmentation immédiate de la production agricole, notamment de céréales, grâce à l’utilisation du tracteur d’une part; induire dans la société paysanne de nouveaux comportements et de nouvelles formes d’organisation d’autre part. Analysant les raisons profondes de l’échec de l’Opération-Labour, Aziz Belal (1968) note que celle-ci «aurait pu entraîner d’importantes transformations de l’économie agricole traditionnelle : l’augmentation du revenu monétaire de chaque exploitation, grâce à l’accroissement des dépenses d’exploitation, aurait hâté l’intégration de l’agriculture traditionnelle dans les circuits monétaires ; l’accroissement des rendements et des superficies cultivées, en permettant le dégagement d’importants surplus aurait créé les conditions d’une évolution de l’agriculture de semi-subsistance vers une agriculture plus tournée vers le marché ; l’apparition de cultures fourragères pouvait entraîner une rationalisation de l’élevage, condition indispensable du développement agricole». «Mais la résistance des structures sociales (et de leur base agraire) devait être plus forte et compromettre – en liaison avec d’autres causes d’ordre secondaire – la réussite de l’Opération».

Au plan technique, les résultats du processus d’intensification des systèmes productifs agricoles peuvent être appréhendés en référence à une série d’indicateurs pertinents (Akesbi, 2002) : irrigation, mécanisation, recours à certains facteurs de production, etc.

(i) Les données du Recensement font ressortir un nombre non négligeable d’exploitations pratiquant l’irrigation : 37% de l’effectif total couvrant une superficie de 1.251.456 ha (potentiellement ce pourcentage peut atteindre 42%). Bien que ne représentant que 14.3% de la SAU totale, la superficie irriguée a enregistré une progression de 72% par rapport à 1974. En revanche, le nombre d'exploitations irriguées n'a augmenté que de 7% indiquant un développement intensif (interne aux exploitations déjà irriguées) et non extensif de l’irrigation.

Les exploitations de moins de 3 ha et couvrant 19% des terres irriguées représentent 12% de la SAU. Parallèlement, les grandes exploitations (plus de 100 ha) couvrent 12% des terres irriguées mais leur part dans la SAU est inférieure à 9%. Ce sont par conséquent les petites et moyennes exploitations (3 à 50 ha) qui, en l’occurrence, semblent défavorisées : avec 72% de la SAU, elles couvrent 63% des terres irriguées.

(ii) En termes de mécanisation et de modernisation des exploitations, les données disponibles (tableau 3.6.) indiquent que 47% des exploitations ont procédé à une mécanisation de leurs travaux du sol, avec des écarts importants entre les grandes exploitations (91%) d’une part, et les micro-exploitations de moins de 3 ha (40%) ou inférieures à 1 ha (23%).

Les différentiels en matière de mécanisation sont plus frappants dans le domaine de la moisson : 31% en moyenne des exploitations (plus de 75% pour les grandes exploitations contre moins de 25% pour les exploitations de moins de 3 ha).

Globalement, en dépit de l’effort d’intensification et de modernisation, le niveau de mécanisation demeure assez médiocre en comparaison internationale comme en témoigne le cas du parc de matériel existant : 43.226 tracteurs au total, soit une moyenne de un tracteur pour 202 ha, contre un tracteur pour 86 ha dans les pays voisins de la Méditerranée du Sud. L'évolution observée depuis le début des années 1990 met en évidence une nette détérioration : les ventes de matériel agricole ont chuté de 2.127 unités en moyenne entre 1990 et 1994 à 1.151 entre 1995 et 1999, le nombre d'hectares par tracteur passant à 230 ha cultivés (Figures 2.21 et 3.7, MADRPM, 2000a).


Tableau 3.6. Matériel agricole et mécanisation des travaux du sol

Classe-
Taille
(en ha)Nombre total d’exploita-tionsTracteursmotopompesMécanisation des travaux du solNombre%Nombre%Nombre%% classeSans terre64 7163650.88220.5---0 – 1315 3236731.615 82710.373 41510.923.31 – 3446 7102 1905.136 17223.5180 96226.840.53 – 5237 6692 8406.624 34315.8123 24118.251.95 – 10247 7667 02816.331 45820.4153 36922.761.910 – 20125 1699 09821.022 11914.393 00813.874.320 – 5047 98510 74024.813 7248.940 9946.185.450 – 1007 8294 77711.04 9283.27 1501.191.3+ 100 ha3 1825 51512.84 8303.12 8820.490.6Total1 496 34943 226100154 223100675 02110047.2
Source : Akesbi, 2001a, 2001b.

Figure 3.7.
Source : Akesbi, 2005a.

(iii) En ce qui concerne les autres facteurs de production, le Recensement fait ressortir que les engrais ne sont utilisés que par 51,2% à peine des exploitations (tableau 3.7). La consommation a eu tendance à stagner, et même à décliner tout au long de la décennie 1988-1997, et ce n’est qu’en fin de période qu’elle s’est légèrement redressée (figure 3.8). La consommation moyenne à l'hectare atteignait en 2003 à peine 37 kg/ha au Maroc, loin derrière la moyenne mondiale (108 kg/ha), et encore plus celle des voisins de la Méditerranée du nord (126 kg/ha) et même du sud (67 kg/ha) (figure 3.9).

Pour leur part, les semences sélectionnées et les produits phytosanitaires sont encore moins répandus que les engrais puisque, selon le recensement, ils n'étaient utilisés respectivement que par 16.1% et 33% des exploitations (ces proportions baissant jusqu'à moins de 7% et 18% respectivement dans le cas des exploitations ayant moins d'un hectare) (tableau 3.7.). L'évolution accusée durant la décennie 90 n'en a pas moins été comparable à celle déjà enregistrée en matière de mécanisation et de recours aux engrais. Pour s'en tenir au cas bien significatif des semences du blé tendre, sa consommation aussi a globalement encore baissé dans des proportions considérables durant la dernière décennie: elle a chuté de 443.809 quintaux en moyenne entre 1990 et 1994 à 354.649 quintaux entre 1995 et 1999 (MADRPM, 2000c).

Tableau 3.7. Autres facteurs de production

Classe-
Taille
(en ha)Nombre total d’exploita-tionsUtilisation des engraisUtilisation des semences sélectionnéesUtilisation des produits phytosanitairesNombre%%
classeNombre%%
classeNombre%%
classe0 – 1315 323145 08419.846.021 8869.56.957 16412.118.11 – 3446 710228 40531.251.153 90823.412.1130 42627.629.23 – 5237 669126 43017.353.240 68517.617.187 18118.536.75 – 10247 766134 25818.354.255 21924.022.3104 73622.242.310 – 20125 16966 5009.153.136 16315.728.960 03212.748.020 – 5047 98524 9343.452.016 9967.435.425 4705.453.150 – 1007 8294 6270.659.19 6691.646.94 8401.061.8+ 100 ha3 1822 3120.372.71 9120.860.12 2580.571.0Total1 496 349732 55010051.2230 43810016.1472 10710033.0
Source : Akesbi, 2001a, 2001b.


Figure 3.8.Figure 3.9.Source : Akesbi, 2005a.
3.2.1.2. Une trajectoire institutionnelle peu cohérente

Les « formes institutionnelles » de régulation du secteur agricole ont, en longue période, enregistré une évolution différenciée (Doukkali, 2005), marquée par une valse-hésitation entre libéralisation et affranchissement du système des prix d’une part, intervention de l’Etat dans un objectif de correction des distorsions du marché d’autre part.

(i) Dans les années 1960-1970, les pouvoirs publics avaient entrepris une politique foncière fondée sur la nationalisation de ce qui restait des terres de la colonisation, la marocanisation et la redistribution d’une partie des terres ainsi récupérées par l’État. Parallèlement, le code des investissements agricoles adopté en 1969 visait à la fois la mobilisation du potentiel hydrique et l’équipement des périmètres. Le code prévoyait un système d’incitations et de subventions favorable à la modernisation des exploitations agricoles (engrais, semences sélectionnées, matériel agricole, crédit bancaire, constitution de coopératives de conditionnement et de services, etc.) et à l’amélioration de la productivité. Toutefois, l’intervention des pouvoirs publics s’était avérée, compte tenu des formes de régulation des prix et des marchés et d’une politique de taux de change plus ou moins surévalué, peu cohérente et peu efficace en termes de développement du secteur.

(ii) Au cours des années 1980, la mise en œuvre de la politique de libéralisation et de détaxation du revenu agricole, en favorisant la catégorie des grands producteurs, a eu comme conséquences, on l’a déjà souligné, de renforcer le processus de concentration/atomisation et de dissolution/conservation.

(iii) La poursuite, dans les années 1990, de la politique de libéralisation sera accompagnée par des fluctuations plus ou moins amples de la production agricole en général et de la production végétale en particulier, plus frappée par les années de sécheresse, nécessitant une intervention des pouvoirs publics en faveur des agriculteurs les plus vulnérables. En termes de modernisation et de mécanisation, il y a lieu de noter une correspondance de phase entre désengagement de l’Etat depuis les années 1980 et tendance à la régression de l’indice de mécanisation et de modernisation de l’équipement agricole (Akesbi, 2001a, 2001b) se traduisant par des performances moins optimales eu égard aux objectifs recherchés.

3.2.2. Des performances économiques erratiques et inégales

Sur la période de libéralisation (depuis les années 1980), le secteur agro-alimentaire a enregistré des performances relativement faibles : 2,16 % de croissance en moyenne contre 3,4% pour l’ensemble de l’économie et 0,25% contre 1,5%, respectivement, par rapport à la population (Doukkali, 2005). Favorisé par une succession d’années de sécheresse, le ralentissement de la croissance va se poursuivre entre 1991 et 2002 (1,6% en moyenne annuelle), l’agriculture pluviale (céréales, légumineuses, oléagineux) ayant été particulièrement frappée par l’aléa climatique. De fait, la production céréalière a enregistré une réduction moyenne de la production de 1,74 % sur la période. De même l’amplitude des fluctuations a contribué à l’instabilité des revenus des agriculteurs.

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette évolution (Doukkali, 2005) :
(i) L’extension de la location du matériel agricole, encouragée par la détaxation à l’importation et le subventionnement. Cette mécanisation des travaux, bien que menée dans des conditions peu optimales, a favorisé l’emblavement de grandes étendues et l’extension des cultures à des zones marginales, beaucoup plus sensibles aux variations climatiques.
(ii) La précarité des statuts fonciers et les garanties de la propriété des terres par leur mise en cultures ont été un facteur incitatif non négligeable : la protection douanière et de subvention à la consommation, ainsi que la fixation, dans les années 1970, de prix dits «rémunérateurs» plus favorables au blé tendre ont provoqué une extension considérable de ce dernier.

La mécanisation a été nettement défavorable aux légumineuses (poursuite depuis 1991 de la baisse en termes de superficie et de production avec des taux de croissance annuels moyens respectifs de -1,57 % et -2,71 %): charges en main d’œuvre élevées, prix relatifs peu incitatifs, etc. Dans la même perspective, la libéralisation du secteur n’a pas été sans induire une diminution des prix engendrant une chute spectaculaire (plus de 75%) de la superficie et de la production des oléagineuses.

Les cultures maraîchères, l’arboriculture fruitière, les cultures sucrières et les fourrages, situées pour l’essentiel dans les zones irriguées ont dans l’ensemble connu certaine une extension de leurs superficies, mais cette dernière n’a pas été suivie par une progression des rendements.

Pour les cultures sucrières, l’impact négatif de la libéralisation des assolements semble avoir été amorti grâce aux garanties de la commercialisation et à la priorité d’irrigation accordée par les Offices régionaux de mise en valeur agricole.

Les agrumes (la plus importante culture fruitière du pays en termes de production et d’exportations) ont vu leur superficie passer de 73.700 hectares en 1990-1991 à plus de 77.000 hectares en 2001-2002 avec toutefois des fluctuations amples de la production variant entre 0,98 million de tonnes en 2001 et 1,56 million de tonnes en 1998.

Les subventions accordées aux équipements d’irrigation et aux installations frigorifiques dans le cadre du Fonds de Développement Agricole (FDA), ainsi que l’organisation des producteurs en coopératives de conditionnement et de commercialisation ont joué un rôle important dans le développement des superficies des rosacées fruitières (autres que les amandiers). Le rôle régulateur de l’Etat n’est pas moins significatif dans le cas du maraîchage de saison (86,8 % de la superficie totale) : le fléchissement observé entre 1991 et 2002 est attribué aux faibles fournitures en eau d’irrigation par les Offices de mise en valeur au maraîchage d’été, jugé trop consommateur d’une ressource fréquemment rationnée.

3.2.2.1. Productivité globale des facteurs et extensification de la production

L’examen de l’évolution de la productivité globale des facteurs (PGF) entre 1961 et 2002 révèle une expansion de l’activité agricole fondée sur une plus grande mobilisation des ressources par le secteur. Toutefois l’extensification de l’agriculture n’a pas manqué d’entraîner une croissance négative de la PGF dans le secteur (figures 3.10 et 3.11).

La progression de la PGF au Maroc sur la période 1982-1992 est associée à l’usage intensif de la production. De fait, la décomposition de la croissance de la PGF en gains d’efficience technique et en gains liés au changement technique montre pour le Maroc une évolution en longue période marquée par des phases de progression et de recul en termes d’efficience technique et de changement technologique. De sorte que sur l’ensemble de la période sous-revue (1961-2002), on constate un net recul dans le cas du Maroc (au même moment la Tunisie par exemple a enregistré une légère amélioration). Les progrès accomplis par le Maroc au cours des années 1960 en termes d’efficience technique semblent de ce fait rognés par la détérioration enregistrée en termes de gains technologiques débouchant, au total, sur une nette régression de la PGF. Cette tendance va se poursuivre au cours de la décennie 1970 avant de subir, notamment depuis 1992, un infléchissement en termes de changement technique, infléchissement toutefois contrebalancé par les pertes d’efficience technique débouchant sur une stagnation du secteur tout au long de la période.


Figure 3.10. Taux de croissance moyens de la production agricole nette et de la productivité globale des facteurs entre 1961 et 2002 (prix constants 1999-2201, $US)



Source : Doukkali (2005)

Figure 3.11. Taux de croissance moyen de la PGF par décennie entre 1962 et 2002



Source : Doukkali (2005)


3.2.2.2. Productivités partielles des facteurs et degrés d’intensification

En comparaison internationale (échantillon de 14 pays), le Maroc a enregistré, au cours de la période 1993-2002, l’une des plus faibles productivités par hectare cultivé et par actif employé (Doukkali, 2005, figures 3.12 et 3.13). De fait, la productivité à l’hectare cultivé représente 11,3 % de celle réalisée par la Corée du sud, 11,8 % par rapport à l’Égypte et 12,6 % pour l’Irlande. Par rapport aux pays de l’échantillon à productivité moyenne, la productivité à l’hectare au Maroc représente 22,9 % de celle du Chili et 25,5 % de celle de la Grèce.

Parallèlement la productivité du travail est encore plus médiocre, le Maroc occupant une position nettement inférieure par rapport aux autres pays (68% de la valeur réalisée par l’Égypte, 62 % par rapport à la Turquie et moins de 50 % par rapport à la Tunisie).

Les faibles performances du Maroc, comparé aux autres pays, peuvent être observées tout à la fois dans le domaine de la mécanisation et de l’intensification de la production (figure 3.14). Le Maroc occupe, avec la Tunisie, la dernière place en termes de mécanisation, de fertilisation et de productivité.

Figure 3.12. Indices de productivités moyennes par unité de SAU et par actif employé dans l’agriculture entre 1993 et 2002 (Productions à prix constants 1999-2001, $US)



Source : Doukkali (2005)


Figure 3.13. Taux de croissance annuels moyens de la productivité de la terre et du travail entre 1961 et 2002 (valeurs de la production à prix constants 1999-01, $US)



Source : Doukkali (2005)


Figure 3.14. Indices de productivité moyenne par unité de fertilisants et par tracteur entre 1993 et 2002. (Productions à prix constants 1999-01, $US)



Source : Doukkali (2005)
3.2.3. Compétitivité et type d’exploitations
L’analyse qui vient d’être tentée des performances économiques du secteur agricole met en évidence une évolution inégale selon les cultures des résultats obtenus en termes de rendements et de productivité des facteurs. En comparaison internationale, l’effet, en longue période, de la mécanisation et de l’intensification de la production demeure limité, traduisant une situation structurelle articulant régimes d’exploitation intensive et extensive.
Faisant retour sur l’hypothèse de la variété des mondes de production agricole, on s’efforce dans le point qui suit d’articuler les configurations différenciées d’exploitations aux conditions de compétitivité et aux contraintes de l’ouverture.

3.2.3.1. Les exploitations potentiellement compétitives
Il s’agit principalement des grandes exploitations (2% couvrant près de 22% des terres cultivables) et d’une catégorie de petites et moyennes exploitations occupant des créneaux relativement limités en termes de surfaces cultivées et de population agricole concernée : maraîchage, certaines cultures industrielles (betterave à sucre dans certains périmètres irrigués, légumes de conserve, plantes aromatiques, etc.), et de certaines productions fruitières (agrumes, olives et huile d'olive, raisins de vin). Opérant dans les secteurs d’exportations, ces exploitations ont pu développer des avantages compétitifs et des actifs spécifiques en matière de concurrence internationale (Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes, 2000). Toutefois le caractère composite des exploitations, et en particulier la persistance de modalités domestiques de management, met en jeu une série de contraintes de type organisationnel (gestion archaïque des ressources humaines, faible maîtrise de la technologie et des circuits de commercialisation, sous-encadrement, absence de recherche-développement, etc.).

3.2.3.2. Les exploitations structurellement non compétitives
Cette catégorie englobe, on l’a déjà souligné, la quasi-totalité des micro-exploitations de survie, ainsi qu’une part importante de petites et moyennes exploitations proches du seuil de viabilité économique. Sans la mise en oeuvre d’une stratégie d’appui et de mise à niveau, une partie de ces unités est dans l’incapacité de s’adapter et de résister à la concurrence. Correspondant à une configuration domestique de subsistance, ces exploitations portent sur les productions vivrières, végétales et animales pour les quelles l’avantage compétitif du Maroc est particulièrement faible par rapport aux pays céréaliers du Nord.

3.2.3.3. La situation différenciée des petites et moyennes exploitations
Elles englobent pour une part des petites et moyennes exploitations viables et pour l’autre des exploitations de grande taille fonctionnant sur le modèle domestique en termes de management et de comportement face au marché. Dotées de facteurs de viabilité économique (terre, eau, main-d’œuvre, équipement), ces exploitations sont soumises à des problèmes de nature structurelle, notamment managériale, pesant sur leur potentiel compétitif (ambiguïté du statut juridique de la terre, absence de titres fonciers permettant de sécuriser les rapports de propriété, équipements insuffisants et obsolètes, systèmes d’exploitation inadéquats, insuffisance de l’encadrement technique, faible intégration à l’aval, notamment avec les unités de transformation, carences des circuits de distribution et des capacités marketing, difficultés de mobiliser les financements nécessaires, défaillance des infrastructures de stockage et de conservation, ainsi que des moyens de transport et du fret, défaut d’organisation professionnelle, etc.) (Akesbi, Jaïdi, 2000). Localisées dans les secteurs de productions végétale et animale (y compris le maraîchage et l'agrumiculture), leur « mise à niveau » implique une action coordonnée et cohérente dans les domaines notamment foncier, organisationnel et humain.

3.2.3.4. Les exploitations familiales plus exposées
En référence à l’indicateur de la taille, l’exploitation familiale se déploie de façon transversale, couvrant tout à la fois les micro-exploitations, les petites et moyennes exploitations et les grandes exploitations. Par ailleurs, il a été souligné plus haut la nature profondément hybride des exploitations dont la grandeur familiale constitue la composante dominante. C'est précisément sur ces surdéterminations traditionnelles que viennent se greffer les logiques de conservation face au processus de mise à niveau dont les effets de dissolution peuvent entraîner la ruine d'une partie de l'agriculture familiale, la crise ou le déclin de régions rurales entières, l’accélération de l'exode rural, etc.

Plusieurs études relatives à l’évolution des agricultures familiales ont mis l’accent sur leur capacité d'adaptation au changement tout en préservant le principe de pérennité du groupe familial et de son contrôle sur l’exploitation. "La permanence de ce type d'agriculture ne doit pas être comprise comme une simple résistance à la disparition d'un type donné d'agriculture. Elle correspond, en fait, à un ensemble de mécanismes en perpétuel renouvellement qui permet à ces agricultures, à caractère familial et de plus en plus intégrées dans une économie de marché, de se maintenir et même, durant certaines périodes, d'occuper une plus grande place dans la formation sociale rurale en question" (Elloumi, 1997).

Procédant d’une « démarche volontariste », les stratégies d’adaptation mises en œuvre par les chefs de famille à partir d’une logique essentiellement sécuritaire (Campagne, 1997) prennent appui sur trois séries des mécanismes (Bedrani, Campagne, 1991) :

(i) Les mécanismes permettant la "correction du climat méditerranéen" (irrigation, recours à des espèces résistantes à la sécheresse, etc.) semblent dans le cas du Maroc limités car d’une part les terres sous climat aride ou semi-aride représentent 68% des terres arables, et d’autre part les superficies susceptibles d’être irriguées ne dépasseraient guère 5 à 7% des terres cultivables.

(ii) Les "éléments de fonctionnement" : combinaison de plusieurs spéculations, multifonctionnalité des cultures, régulation du niveau des techniques, modes de faire-valoir, ajustement du foncier et du cheptel, régulations liées à l'intervention des pouvoirs publics par le crédit, les subventions, l’encadrement, etc.).

(iii) Enfin la pluriactivité et la diversification des sources de revenu dépendent en grande partie de l’importance des revenus extérieurs ainsi que de leur caractère conjoncturel ou structurel (Campagne, 1997). Dans le cas du Maroc, selon les résultats du Recensement général de l’agriculture plus d’un exploitant sur cinq pratique la pluriactivité. Le travail salarié (sous ses différentes formes), le petit commerce et les services divers, l’artisanat, le bâtiment et les travaux publics ainsi que la pêche sont susceptibles de constituer des ressources externes, compenser partiellement l'insuffisance des revenus agricoles et permettre la survie d'exploitations familiales déstabilisées par la libéralisation des échanges (Akesbi, 2002).
Toutefois il y a lieu de noter qu'un segment des activités en question étant étroitement lié au devenir même de l'activité agro-pastorale, le risque d’impact, en termes de cessation d’activités et d’accélération de l'exode rural, peut être dévastateur sur l'ensemble de l’économie locale.

Au total, au-delà des stratégies différenciées des exploitations familiales et de leurs comportements idiosyncrasiques, une maîtrise des évolutions associées à la libéralisation implique une régulation prenant en compte les coûts de la transition d’un régime d’agriculture extensive vers un régime d’agriculture intensive et compétitive.

3.2.3.5. La couverture des coûts de l’ouverture
Les développements précédents suggérant un rôle accru de l’Etat dans la régulation du processus de mise à niveau de l'agriculture et dans la prise en charge des "coûts de l'ouverture", celui-ci ne peut, en l’occurrence, se déployer de façon optimale qu’en coordination avec les principes et les objectifs du partenariat euro-méditerranéen. De fait la Déclaration de Barcelone en 1995 affirme la volonté des participants de "coopérer en vue de moderniser et de restructurer l’agriculture et de favoriser le développement rural intégré" : "Cette coopération sera axée notamment sur l’assistance technique et la formation, sur le soutien aux politiques mises en œuvre par les partenaires pour diversifier la production, sur la réduction de la dépendance alimentaire et sur la promotion d'une agriculture respectueuse de l’environnement".
Pour le cas spécifique du Maroc, l'accord d'association stipule que la coopération vise notamment "la modernisation et la restructuration des secteurs de l'agriculture et de la pêche y compris à travers la modernisation des infrastructures et des équipements et le développement des techniques de conditionnement et stockage et l'amélioration des circuits de distribution et de commercialisation privés; ainsi que la diversification des productions et des débouchés extérieurs…".
L'agriculture compétitive marocaine ne peut se développer sans une véritable libéralisation des possibilités d'accès aux marchés européens. Dans cette optique, l’ouverture sous sa forme classique ayant atteint ses limites, il importe de mettre en œuvre, outre les mécanismes d’incitation, de coordination et d’organisation, des moyens d’assomption des coûts économiques et des risques sociaux et humains liés à la restructuration de l’agriculture.

3.2.4. Des effets systémiques
L’évolution en longue période des systèmes productifs à l’œuvre au sein de l’agriculture fait apparaître, on l’a déjà souligné, un processus complexe de segmentation et d’hybridation des modes d’exploitations au-delà de la discrimination binaire moderne/traditionnel frayée par le protectorat. En privilégiant l’intensification de la production et la promotion des exportations, les stratégies adoptées depuis l’indépendance, notamment le PAS, ont exacerbé les tendances à la différenciation et à la polarisation autour de deux ensembles de configurations : d’une part, des configurations à dominante agro-industrielle, dont la production dédiée à l’exportation présente des avantages compétitifs en termes de rendement et de productivité. D’autre part des configurations à dominante domestique, à caractère familial qui, dans leur grande majorité, sont des exploitations vivrières. Dans ces conditions, les effets de la sécheresse, récurrents depuis les années 1980, en impactant de façon plus intense les exploitations de subsistance, vont contribuer, de façon systémique, à l’aggravation de la pauvreté et de la pénurie de capacités (Sen, 1999) dans le monde rural.

3.2.4.1. Effets de la sécheresse
Les résultats limités des programmes de développement intégré (PDI) ont été à l’origine d’une stratégie d’intervention dans les zones Bour fondée sur la mise en œuvre, à partir de 1994, de Projets de Mise en Valeur Bour (PMVB). Procédant d’une approche techniciste et fonctionnaliste (échelle d’intervention, choix des zones, modes d’aménagement, faible implication des bénéficiaires, etc.), la nouvelle stratégie s’est avérée inefficace eu égard à la sécheresse devenue plus fréquente et plus sévère à partir des années 1980, imposant aux pouvoirs publics de faire de la lutte contre les effets de la sécheresse un objectif conjoncturel prioritaire (Lhafi, Badraoui, Mhirit, 2005) : soutien des activités agricoles et d’élevage touchées par la sécheresse, approvisionnement en eau des collectivités humaines et des troupeaux, ouverture de chantiers de travaux créateurs d’emplois en milieu rural, traitement de l’endettement des agriculteurs.

Mobilisant des fonds considérables (6,5 milliards de dirhams pour la campagne 2001), ces programmes vont faire l’objet, à la fin des années 1990, d’une redéfinition dans le cadre d’une stratégie globale de développement rural : programme de sécurisation de la production céréalière adopté en 1999 visant à améliorer la productivité, système d’assurance contre les risques de sécheresse mis en œuvre en 2000 et érigé en condition d’éligibilité aux prêts de campagne accordés par le Crédit Agricole.

Au total, les programmes de lutte contre les effets de la sécheresse ont sans doute contribué à atténuer l’impact négatif de la sécheresse sur les populations rurales, mais ils ont été peu efficaces en termes d’effets structurels.

3.2.4.2. Pauvreté et pénurie de capacités
La pauvreté au Maroc est un phénomène à dominante rurale (72 % des pauvres vivent en milieu rural). Sur le plan territorial, les disparités régionales sont assez accusées, certaines régions ayant un taux de pauvreté trois fois plus élevé que d’autres, le taux de pauvreté pouvant varier entre moins de 3 % dans les zones urbaines et plus de 40 % en zones rurales. Selon l’enquête nationale sur les niveaux de vie des ménages de 1998-1999, 5 régions sur 16 (Meknès-Tafilalet, Fès-Boulemane, Taza-Al Hoceïma-Taounate, et Doukala-Abda, Marrakech-Tensift-Al Haouz) regroupent à elles seules près de la moitié de la population pauvre.

Tableau 3.8. Répartition de la population pauvre et taux de pauvreté selon les régions et le milieu de résidence en 1998-1999

RégionsPopulation pauvre (en %)Taux de pauvreté (en %)UrbainRuralEnsembleUrbainRuralEnsembleRégions du Sud*5,213,110,46,023,215,6Marrakech-Tensift- Al Haouz, Doukala-Abda12,925,721,313,129,823,6
Chaouia-Ouardigha, Tadla-Azilal2,7
11,98,74,222,715,4Grand Casablanca
8,6-2,95,4-
5,0Rabat-Salé-Zemmour-Zaeïr, Gharb-Chrarda-Béni Hssen19,311,414,113,129,818,6
Oriental10,84,46,616,019,017,2
Meknès-Tafilalet13,18,710,222,836,028,7
Fès-Boulemane, Taza-Al Hoceima- Taounate20,316,417,824,131,027,9
Tanger-Tétouan7,18,48,010,430,519,2
Total100,0100,0100,012,027,219,0Effectif en millier1 8143 4965 310---
* Les régions du Sud regroupent les régions de Oued-Ed-Dahab-Lagouira, de Souss-Massa-Darâa, de Laâyoune-Boujdour et de Guelmim-Es-Semara.

Source : Direction de la Statistique.

Le niveau et l’évolution des prix des produits alimentaires de base d’une part, la dérégulation des marchés (suppression des subventions, augmentation de la taxe à la consommation) d’autre part sont des facteurs déterminants en matière d’aggravation et d’amplification de la pauvreté (Abdelkhalek, 2005).

L’évolution en longue période des performances de la production agricole n’a pas débouché sur une amélioration des revenus, ni des niveaux de consommation et, par conséquent, n’a eu guère d’impact positif sur la pauvreté rurale. Au contraire, celle-ci s’est aggravée notamment au cours de la dernière décennie. La productivité apparente nationale par actif agricole et par an n’a pas, en effet, cessé de se dégrader, passant de 10 652 DH par actif et par an durant la période 1993-1997 à 6 740 DH sur la période 1998 à 2001. Les résultats de la dernière enquête nationale sur la consommation et la dépense des ménages effectuée en 2000-2001 montrent que si, à l’échelle nationale, le taux de pauvreté a reculé de 25,5 % en 1985 à 17,7 % en 2001, les zones rurales en revanche continuent d’abriter environ 75% de pauvres.

Le déséquilibre territorial ainsi que le déficit social affectant le Maroc en général et le monde rural en particulier sont aujourd’hui appréhendés (El Aoufi et al., 2005) comme la résultante d’une politique macro-économique ayant privilégié sur la longue période les causalités économiques (efficience des marchés, exportations, crédit, etc.) et logistiques (mécanisation, irrigation, mise en valeur, intensification de la production, etc.) au détriment d’une transformation des rapports sociaux dominants à la campagne et d’une prise en compte des indicateurs de développement humain notamment en milieu rural (éducation, alphabétisation, accès aux services de base, participation, réduction des inégalités en termes de genre, etc.),

La perspective du développement humain
La perspective du développement humain implique, en l’occurrence, un dépassement de l’approche techniciste et monétariste qui ne peut être, à terme, qu’inefficiente si elle ne prend pas appui sur un niveau suffisant de potentialités humaines élémentaires. Dans une telle optique, la « pauvreté en termes de revenus », ou la « pauvreté monétaire », n’est qu’une composante de la pénurie de capacités (Sen, 1999). A l’inverse, l’élargissement des choix des individus, de leur liberté, de leur participation aux décisions et à l’exercice de contrôle est à même d’induire un processus autoentretenu de croissance économique et d’amélioration du revenu par tête. Bref, le développement humain est un développement de la population, par la population, pour la population (El Aoufi et al., 2005).

De même, l’analyse en termes de « variété des mondes de production » et de « configuration composite des modes d’exploitation » n’a pas manqué de faire apparaître une tendance en longue période à la segmentation du monde rural selon une logique combinant effets de dissolution et contre-effets de conservation. En privilégiant des stratégies de modernisation par la mécanisation et par le productivisme exportateur, les politiques agricoles ont contribué à renforcer les tendances à la fragmentation du tissu rural et à la vulnérabilité de masse.

L’enjeu agricole en ce début de siècle est de réussir la transition vers une agriculture intensive, compétitive et durable, c’est-à-dire socialement, politiquement et écologiquement acceptable. Dans les conditions actuelles, une politique visant une « insertion gagnante » au sein de l’économie mondiale peut avoir des conséquences négatives sur le monde rural dont la situation structurelle constitue précisément l'obstacle majeur à la libéralisation des échanges. Celle-ci ne peut être un mouvement isolé, mais doit s’inscrire dans une dynamique d’ensemble commençant par les réformes internes et se prolongeant par un processus d’« ouverture » maîtrisée et négociée. Dans ce processus de modernisation de l’agriculture l’Etat doit jouer pleinement son rôle à la fois de stratège, de régulateur et de traducteur de consensus entre les différentes parties prenantes (les élus, les partenaires sociaux, la société civile, l’opinion publique, etc.) autour de choix engageant la société dans son ensemble : les fonctions de l’agriculture et la place du monde rural dans le développement du pays, les réformes internes préalables, le contenu et le niveau de sécurité alimentaire requis, le degré et les modalités de la libéralisation des échanges, les modes de régulation économique et sociale appropriés, la préservation des ressources naturelles, etc. (El Aoufi et al., 2005).

Prolongeant les résultats mis en évidence tout au long des chapitres précédents, les développements qui suivent (chapitre 4) tentent d’explorer les facteurs de risque, les blocages ainsi que les voies de sortie que l’agriculture marocaine peut frayer dans un environnement mondial de plus en plus contraignant.


4. Risques, blocages et options de sortie
Comme on l’a vu tout au long des chapitres précédents, le modèle de développement agricole mis en œuvre au Maroc, notamment à travers la politique des barrages, a abouti à une double impasse qui caractérise d’une certaine manière ses deux « versants », le premier correspondant à sa dimension « import-substitution », le second à son ambition agro-exportatrice. Ainsi, la stratégie d’import-substitution est dans l’impasse non seulement parce qu’elle n’a pas réussi à accroître la production locale pour lui permettre de satisfaire la demande interne et « s’autonomiser » ainsi par rapport aux importations, mais elle a de surcroît généré des mécanismes d’accumulation et de distribution qui ont accentué les inégalités, favorisé les rentes de situation et perpétuer en fin de compte un immobilisme dévastateur. La stratégie de promotion des exportations pour sa part a conduit à une spécialisation qui a fini elle aussi par être bloquée, notamment par le protectionnisme rampant de l’Union européenne. Ces deux dimensions, chacune à sa manière, posent au fond le problème de la compétitivité de l’agriculture marocaine.
Les limites des résultats obtenus ont partie liée avec la valse-hésitation des politiques mises en œuvre depuis l’indépendance. C’est ainsi que, comme nous l’avons montré plus haut (cf. 1.5.3), la « politique des barrages » a été d’abord « inclinée » dès les années 1970 puis remise en cause durant les années 1980 par les organismes financiers internationaux (Banque mondiale et FMI) qui l’avaient engagée et largement financée. La politique d’ajustement structurel qui a pris le relais, imposée et encore plus étroitement « accompagnée » par les mêmes institutions financières internationales, n’aura guère droit à un meilleur sort. Le bilan globalement négatif de l’état de l’agriculture et du monde rural établi alors par cette institution financière constituait en soi un aveu d’échec des politiques qui avaient été conduites auparavant.

Mais depuis, la dynamique qui avait été engagée semble s’être arrêtée au milieu du gué… La plupart des réformes qui avaient été entamées n’ont guère été conduites jusqu’à leur terme, et celles qui ont pu l’être n’ont pas produit les effets qui en étaient attendus. On ne peut certes considérer que la politique d’ajustement structurel a produit des effets probants sur les performances de la production, ni sur la dynamique de l'accumulation et de l'intensification, et encore moins sur les structures du tissu économique et social des campagnes marocaines. Ce qui est néanmoins patent, c'est qu'elle a déstabilisé un système qui avait tout de même sa cohérence, mais ne lui a pas encore substitué un autre, plus viable, sinon plus équitable.

Au fond, l'expérience marocaine met en évidence aujourd’hui les problèmes potentiellement générés par une libéralisation et une tentative d'insertion dans le mouvement de globalisation mal préparée. On discutera ici ceux ayant trait au désengagement de l’Etat, à la sécurité alimentaire, au mode de régulation par les prix et les subventions, au pari sur les exportations, aux implications environnementales et au rôle de l’Etat.

4.1. Quel désengagement de l’État ?
Au début du processus de désengagement de l’État, la rétrocession au secteur privé de certaines fonctions de production, d'encadrement ou de commercialisation ouvrait une phase de transition dont l’issue allait dépendre des réponses à donner à de multiples questions. En particulier, on était fondé à se demander si les « relais privés » étaient à même d’assumer cette mutation dans des conditions compatibles avec la rationalité que l'on cherchait à promouvoir. Les opérateurs privés, allaient-ils avoir une vision suffisamment globale et à long terme pour investir, s'équiper et moderniser leurs moyens d'action? Allaient-ils permettre aux mécanismes du marché de fonctionner correctement en vue d'une meilleure allocation des ressources, notamment grâce au jeu d'une réelle concurrence et à la transparence nécessaires? Etaient-ils en mesure de concilier les impératifs de qualité et de disponibilité des produits, avec leurs propres objectifs de rentabilité?

Aujourd’hui, près de deux décennies après l’engagement d’un tel processus, force est de constater que si l’Etat s’est effectivement désengagé de maints domaines, le relais privé est demeuré largement défaillant. On peut difficilement prétendre que le secteur privé ait été en mesure de saisir pleinement les opportunités ainsi ouvertes puisque, comme il a été déjà indiqué, sa contribution à l’investissement dans le secteur est demeurée faible. Même au niveau de certaines activités de services à l’agriculture, le mouvement d’implication de nouveaux acteurs privés est resté modeste, et en tout cas insuffisant. Là où des intérêts privés ont de toute façon toujours tiré avantage des situations existantes, le désengagement de l’État n’a fait que consacrer des phénomènes d’entente pour perpétuer le contrôle du marché par de nouveaux oligopoles privés (exportations de fruits et légumes, importations de produits de base, commerce intérieur d’engrais et semences, transformation de produits subventionnés, financement et écoulement des cultures intégrées dans les périmètres irrigués…). Par contre, là où, comme dans les marchés de gros par exemple, le désengagement de l’État aurait permis d’en finir avec le système de rente qui y sévit, rien n’a été fait. Quant à l’organisation professionnelle, à quelques exceptions près (exportations agroalimentaires, production laitière…), elle est toujours aussi peu développée, et en tout cas on est encore très loin de cette organisation en termes d’interprofessions et de filières que chacun appelle de ses vœux depuis des décennies.

Le désengagement de l’État a dans certains cas créé des situations inédites qui n’ont permis ni de préserver certains acquis de « l’ordre » précédent, ni de promouvoir l’émergence d’un nouvel ordre avec ses propres avantages et inconvénients. Le cas le plus saillant est celui des Offices régionaux de mise en valeur agricole dont il a été expliqué plus haut l’importance de l’engagement dans les périmètres de grande irrigation tout au long de la politique des barrages, puis qui ont dû, avec la politique d’ajustement structurel, se désengager de la quasi-totalité des missions qui leur avaient été confiées précédemment : mise en œuvre des plans d’assolement, gestion des contrats de cultures, fourniture des intrants et des traitements, suivi des campagnes agricoles, encadrement et vulgarisation, transport et livraison des récoltes aux usines de transformation… Après avoir été « allégés » de l’essentiel de leurs prérogatives initiales, ces organismes ont quasiment été réduits à leur plus simple expression, celle de « vendeurs d’eau ».

Les conséquences d’un tel désengagement, dans un contexte institutionnel, économique et social, qui n’était manifestement pas mûr pour une telle mutation, ont souvent été néfastes. L’abandon des actions de vulgarisation et plus généralement d’encadrement des agriculteurs a créé un vide qui n’a généralement guère été comblé par le secteur privé, ou ne l’a été que très partiellement et imparfaitement. La conséquence en a probablement été une diminution tangible dans l’effort d’intensification de la production et de modernisation des exploitations qui avait été entrepris dans ces zones. Experts et professionnels s’accordent souvent pour reconnaître que la baisse de la consommation d’engrais ou la faible utilisation des semences sélectionnées par exemple sont pour une grande part attribuées à ce défaut d’encadrement des agriculteurs.

Quant aux offices en question, leur situation est loin d’être satisfaisante au niveau de l’utilisation rationnelle des ressources tant humaines que financières. En effet, alors qu’ils ont été dépouillés de l’essentiel des fonctions pour lesquelles ils avaient été organisés et dotés de ressources appropriées, ces organismes n’ont par la suite guère été réformés et redimensionnés en conséquence. Les effectifs de salariés en particulier ont été maintenus, quand ils n’ont pas continué d’augmenter. Le résultat en est que tous les offices pâtissent de sureffectifs et matérialisent aujourd’hui l’expression d’un grand gâchis: on compte 9300 personnes employées en 2004 dans les 9 Offices régionaux de mise en valeur agricole. Selon une « Note » du Ministère de l’Agriculture, la masse salariale à elle seule dépasse largement l’ensemble des recettes propres et représente près de 80% des budgets de fonctionnement (MADRPM, 2004c). Le gâchis est également financier : des ressources financières publiques considérables continuent d’être gaspillées puisque affectées à des milliers de personnes « payés à ne rien faire ». Ceci au moment où ces mêmes organismes, toujours confrontées à des difficultés de recouvrement de leurs créances auprès des agriculteurs, et des restrictions budgétaires diverses, ont de plus en plus de mal à seulement assurer la maintenance courante des équipements hydrauliques. .

Si l’on ajoute à tout cela les « interférences » de plus en plus manifestes avec le dispositif des Agences de bassin hydraulique en cours de mise en place et dont la finalité est précisément d’aboutir à « une gestion intégrée des ressources en eau », on mesure à quel point le désengagement non maîtrisé de l’Etat dans ce domaine a été synonyme de défaillance, de désordre et de gaspillage.

4.2. Quelle sécurité alimentaire ?
La libéralisation des assolements est sans doute l'un des changements majeurs introduits par la politique d’ajustement structurel dans les zones irriguées, là où, précisément, l’Etat a focalisé l'attention et l'essentiel de ses moyens. Rappelons que l’idée sous-jacente à cette libéralisation est qu’en laissant à l’agriculteur la liberté de décider pour sa production, celui-ci opterait pour la « solution optimale », celle qui lui permet d’être compétitif et partant de maximiser son profit.

Le fait est que cette libéralisation semble avoir conduit à certains reclassements dans les choix des agriculteurs, ce qui a entraîné la régression des superficies consacrées à des cultures de base stratégiques, au profit de spéculations considérées à rentabilité plus élevée et plus rapide. A titre d’exemple, les superficies comme les rendements des cultures sucrières baissent ou stagnent, alors que la consommation de cette denrée continue d'augmenter. Alors que les superficies de canne à sucre stagnent autour de 15.000 ha depuis une quinzaine d’années, celles consacrées à la betterave sucrière déclinent sensiblement, perdant près de 10 000 ha – et 15% du total- en quelques années. Comme les rendements ont pour leur part eu tendance à stagner, la production n’a pu suivre la consommation qui a continué d’augmenter, de sorte que le taux d’autosuffisance en sucre s’est fortement détérioré, passant de 64% en moyenne entre 1986 et 1990 (à la veille de la libéralisation des assolements) à 52% entre 2000 et 2003.

Une telle évolution interpelle et conduit à se poser cette question capitale: Faut-il renoncer aux acquis obtenus -souvent au prix fort pour le pays- sur la voie de la sécurité alimentaire? Même si cette notion peut être diversement interprétée, il reste qu’en s’en tenant à l’idée que la sécurité alimentaire comprend une contribution plus ou moins significative de la production nationale à la satisfaction des besoins du pays, c'est alors la part de cette contribution qui reste à définir (Akesbi, 1998). Le rôle de l’État est précisément de déterminer ce « seuil stratégique » en deçà duquel il n'y a pas lieu de se considérer « en sécurité alimentaire ». Or c’est ce choix qui n’a, à ce jour, pas été fait. Si tout le monde savait ce qu’était « l’autosuffisance alimentaire » jusqu’aux années 80, personne depuis ne sait ce qu’est la « sécurité alimentaire ». Peut-on se sentir « en sécurité alimentaire » en matière de blé ou de sucre par exemple à partir d’un taux de couverture de la consommation intérieure par la production locale de 30, 50 ou 80% ? Personne ne le sait et aucun responsable ne l’a jamais dit.

Ce choix est pourtant essentiel non seulement d’un point de vue stratégique, mais également pratique. Car comment alors définir une politique agricole, avec des objectifs de production précis, et une stratégie d’ouverture sur le marché mondial, sans détermination préalable d’un tel « seuil » ? Il faut cependant ajouter que ce choix est aussi fondamentalement politique, avant d’être économique ou financier. E. Pisani remarquait en 1995 que « l'apparition dans un domaine déterminé du mot même de sécurité, du concept de sécurité, fait que l'on considère que ce domaine relève du politique et non pas de l'économique. C'est parce que le jeu naturel des lois de l'économie, c'est parce que l'économie marchande par elle-même ne peut pas intégrer les valeurs fondamentales auxquelles nous tenons, et qui sont la sécurité, que nous invoquons des arguments externes à l'économie » (Pisani, 1995).

Si le choix est donc politique, le déterminer nécessite d’en organiser les conditions d’un véritable débat démocratique dans la société, laquelle est seule habilitée ensuite à en assumer les conséquences. Car, si la « sécurité n'a pas de prix », elle a un coût : celui-là est financier, économique, social, politique. C'est l'ensemble de la société qui doit assumer le niveau de sécurité qu'elle aura choisi, à commencer par la disposition à en payer le prix. Faute d'une telle démarche à la fois volontariste et la plus consensuelle possible, de vrais dilemmes continueront de tout paralyser : Comment alors inscrire les choix des individus dans ceux de la Nation? Comment concilier entre les mobiles de l'agriculteur (qui peuvent être le profit, la sécurité, le prestige...) et ceux du pays (sécurité alimentaire, meilleure insertion dans l'économie mondiale, développement régional...)? Comment trouver le point d'équilibre entre le respect de la liberté des comportements individuels et les contraintes des besoins collectifs? Comment s'assurer la rentabilité des investissements réalisés en s'interdisant la moindre décision quant à l'utilisation des terres valorisées grâce à ces investissements? A-t-on aujourd'hui le droit de mettre en péril ces investissements en remettant en cause l’objet qui les a justifiés? Allons plus loin encore: moralement, peut-on accepter qu’un agriculteur « fasse ce qu’il veut » d’investissements qui ont été financés par tous les citoyens contribuables?

4.3. Libéralisation des échanges : quel impact sur l’équilibre social ?
L’agriculture marocaine demeure, on l’a déjà souligné, handicapée par sa dépendance à l’égard des aléas (climatiques, extérieurs..), l’inadaptation de ses structures foncières, l’archaïsme de ses modes d’exploitation, l’insuffisance de ses moyens (humains, matériels, financiers…) et pour tout dire sa faible productivité. Mise en compétition avec les agricultures du Nord, autrement performantes, et de surcroît fortement soutenues par des subventions publiques (substantielles en dépit des accords de l’OMC…), le défaut de compétitivité de l’agriculture marocaine conduirait inéluctablement à la ruine un trop grand nombre d’exploitations vulnérables, voire à la disparition de l’agriculture de subsistance dans son ensemble, avec des conséquences économiques, sociales et écologiques redoutables.

Le rapport de la Banque mondiale sur la pauvreté au Maroc a essayé d’évaluer l’impact de la déprotection du marché des céréales (BM, 2004). Ses rédacteurs commencent par préciser que de manière générale, la déprotection céréalière devrait engendrer un gain net pour les consommateurs et une perte nette pour les producteurs. Or, il n’y aurait selon eux que 36% de « producteurs nets » (qui produisent plus qu’ils n’en consomment) en milieu rural. Ils estiment ensuite qu’il existe « un nombre mesurable de producteurs nets parmi les pauvres, et notamment dans certaines régions » avant de se livrer à des évaluations, sur la base de scénarios de déprotection partielle ou totale, de leur impact sur le niveau de consommation, et partant de pauvreté, des ménages en question. Ainsi, les ménages ruraux pauvres, « qui se situent déjà à un niveau de consommation extrêmement bas », devraient-ils en perdre encore de 10% à 20% du fait d’une déprotection totale, mais si celle-ci est limitée à 30%, la perte de pouvoir de consommation serait elle aussi limitée à une fourchette comprise entre 4 et 7%.

En termes de proportion de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, celle-ci passerait en cas de déprotection totale de 28.3% à 34.3% en milieu rural, tandis qu’elle diminuerait légèrement - de 12.2% à 11.75% - en milieu urbain. Les populations vivant en « pauvreté extrême » (seuil de pauvreté limité à l’alimentation) augmenteraient considérablement, de 6.6% à 11.7% en zones rurales, alors qu’elles ne changeraient quasiment pas en milieu urbain. Le nombre de ménages vulnérables (seuil de pauvreté à plus 50%) augmenterait de 56.8% pour atteindre 60.5%. Globalement, le taux de pauvreté dans l’ensemble du pays progresserait de 19.6 à 22.1%, mais les régions où les ménages ruraux seraient les plus durement touchés seraient ceux vivant à Chaouia-Ouardigha, Rabat, Tadla-Azilal et Meknès-Tafilalet. Au total, conclut le rapport, « on constate des impacts négatifs sensibles sur la population rurale pauvre dans certaines régions et pour certains types de ménages, impacts qui devront être pris en compte par les politiques de protection sociale » (BM, 2004).

Au-delà de la pertinence de l’analyse, et notamment des ordres de grandeur des impacts retenus, deux points méritent d’être soulignés : la déprotection des céréales produira sans doute des impacts négatifs plus ou moins lourds, et pour y faire face il suffit de mettre en place un système de « protection sociale »…

Dans le chapitre 3 du présent rapport, il a été mis en évidence une configuration complexe d'exploitations vulnérables : les micro-exploitations qui sont structurellement non compétitiuves, les petites et moyennes exploitations et, de manière transversale, une grande partie des exploitations de type familial. Dès lors il y a lieu de se demander si les conséquences de la déprotection des céréales peut se réduire à une question de « traitement social », comme le suggère le rapport de la Banque mondiale. Le véritable enjeu n’est-il pas dans la disparition « programmée » de plusieurs centaines de milliers d’exploitants, avec ses implications notamment dans le domaine social? Comment gérer une dynamique qui devrait réduire de moitié environ la population actuelle de 1.5 million d’exploitants et de leurs familles ? Comment imaginer qu’un tel « transfert » de population, s’il peut certes contribuer à atténuer les pressions sur les ressources naturelles en milieu rural et améliorer la productivité agricole, ne manquera pas en revanche de modifier radicalement l’équilibre villes – campagnes, et créer de nouvelles distorsions au sein des agglomérations urbaines, surtout si celles-ci ne peuvent développer leur capacité d’absorption, faute de dynamique industrielle ? C’est dire que ce n’est pas d’un simple problème social à « traiter » qu’il est question, mais de l’ensemble des équilibres du pays.

Par ailleurs il convient de noter qu’en l’absence de modes d’intervention et de régulation fondés sur la manipulation des prix et des subventions étant désormais « bannis », les aides directes aux revenus, les seules encore autorisées dans le cadre des règles de l’OMC, qui sont des aides ciblées, individualisées, et contractualisées (revenu minimum, « contrats d’exploitation »..), pourraient certes contribuer à compenser les « manques à gagner », et aider à mieux supporter les impacts provoqués par les changements en cours. Il reste à se demander si le pays dispose des moyens de se permettre une telle politique, demeurée jusqu’à présent encore l’apanage de certains pays développés…

4.4. Prix et subventions : quelle régulation pour quelle compétitivité ?

En présentant la politique des prix et des subventions de certaines denrées alimentaires de base, engagée dès les années 60 et amplifiée durant la décennie suivante (voir chapitre 2.3), il a été souligné qu’il s’agissait d’un mode de régulation par les finances publiques à travers lequel l’État tentait de concilier entre des contraintes et des objectifs contradictoires, à commencer par la nécessité d’offrir aux producteurs des prix relativement rémunérateurs, sans pour autant grever le pouvoir d’achat des consommateurs, et courir le risque de provoquer une hausse des salaires, dommageable pour ce principal avantage comparatif du pays et partant pour sa compétitivité. En somme, à travers cette politique, les pouvoirs publics visaient l’intégration de l’économie nationale dans la « division internationale du travail » à travers une politique de bas salaires en partie prise en charge par le budget de l’Etat. L’agriculture avait notamment pour fonction dans cette perspective de fournir les consommateurs en produits de base à bas prix.

L’évolution en longue période a cependant montré que non seulement l’agriculture n’a pas joué ce rôle puisque les carences de la production ont été telles qu’elles ont ouvert la voie à une dépendance alimentaire persistante, mais de surcroît, le système a généré des effets pervers et alimenté des situations de rente au profit d’une minorité d’« intermédiaires » sans pour autant contribuer à améliorer la productivité et la compétitivité des produits en question. C’est ainsi que de gros intérêts se sont organisés, au niveau de l’importation et de la transformation notamment, pour encombrer le processus de formation de la valeur de surcoûts et capter les ressources publiques que l’Etat devait leur affecter pour « compenser » les écarts entre les prix aux deux bouts de la chaîne. D’ailleurs, c’est à partir de ce point de vue qu’il devenait difficile de prétendre à la « vérité des prix » sans s’assurer au préalable de l’existence tout au long des filières en question d’un minimum de « vérité des coûts » (Akesbi, 1997).

Aujourd’hui, le processus de libéralisation des prix et de suppression des subventions à la consommation est certes bien engagé, mais le plus dur reste encore à faire, puisque les deux filières les plus sensibles, celles de la farine nationale de blé tendre et du sucre, demeurent dans une situation pour le moins paradoxale qui n’est ni la réglementation / compensation massive et totale d’hier, ni la libéralisation pleine et entière de demain : si les importations sont depuis 1996 libres, elles restent soumises à des « équivalents tarifaires » fortement protecteurs ; et si les prix à la consommation demeurent « en principe » fixés par l’Etat, les prix à la production ne sont que partiellement « administrés » (prix de soutien limités pour le blé tendre, intervention de la sucrerie pour les cultures sucrières). Quant aux unités de transformation, elles ne bénéficient plus que d’une compensation plafonnée (2 dh/kg de sucre, et jusqu’à 10 millions de quintaux pour la farine nationale de blé tendre). Les plus touchés sont les différents opérateurs des filières concernées (producteurs, transformateurs, grossistes, boulangers…), ces derniers estimant qu’ils ne bénéficient plus ni des avantages de l’ancien système (prise en charge systématique des « marges » par les subventions) ni de ceux d’un système libéralisés (possibilité de fixer librement les prix à la consommation).

Au stade de la consommation en particulier se pose encore la question des subventions, véritable corollaire de la libéralisation du commerce et des prix, ce qui renvoie aux arbitrages devant être opérés entre producteurs et consommateurs, entre ruraux et citadins, entre ville et campagne. Et là encore, on est face à des choix qui ne relèvent pas de la rhétorique technocratique mais du débat démocratique. Une société toute entière doit être en mesure à un certain moment de débattre de ces grandes questions, de faire des choix, et d’en assumer ensuite collectivement les coûts… C’est ce débat qui n’a jamais eu lieu au Maroc.

En s’en tenant aux seules dimensions économique et sociale de cette question, on doit sans cesse garder à l'esprit quelques vérités essentielles. En ce qui concerne la dimension sociale, elle reste évidemment majeure dans un pays où les inégalités sociales sont considérables et la pauvreté encore répandue. Si le système de subvention à la consommation de certaines denrées alimentaires de base semble à plusieurs égards critiquable, on ne voit pas encore par quel système, plus juste, moins pervers, et compatible avec les moyens du pays, il peut être remplacé. En tout cas, on ne peut en même temps vouloir à la fois lutter contre la pauvreté, promouvoir le développement humain, et « en finir » avec le seul système qui ait pu jusqu’à présent permettre aux pauvres d’accéder à une alimentation de base à des coûts plus ou moins en rapport avec leur pouvoir d’achat, et même si par la même occasion il est vrai, les riches aussi ont pu en bénéficier…

Quant à la dimension économique, on ne peut oublier que, en dépit des mutations que l’économie mondiale a connues ces dernières décennies, le problème de la « compétitivité par les salaires » reste crucial pour deux raisons au moins. La première est liée à la nature et à la structure des exportations marocaines, largement dominées par des produits « labor intensive », et partant très sensibles au coût de leur composante « force de travail ». La seconde a trait à la logique de la compétition internationale imposée aujourd’hui par les pays, notamment asiatiques pratiquant le dumping salarial (Chine, Vietnam, Cambodge, Indonésie, Pakistan, etc.).

Or de ce point de vue, la fonction « primaire » des subventions à la consommation, celle des « biens salariaux », reste pour une grande part pertinente. En abaissant le coût d’accès à des denrées alimentaires de base, elles contribuent indéniablement à éviter une forte pression à la hausse du coût de la force de travail. On peut en tout cas difficilement imaginer la suppression de ces subventions sans remise en cause du niveau actuel des salaires. Faut-il continuer à tout parier sur la libéralisation des échanges et l’intégration « gagnante » dans la dynamique de la mondialisation, et courir le risque d’handicaper ainsi ce qui reste le principal avantage comparatif du Maroc ? Pourra-t-on se passer d’un mode de régulation pris en charge par l’Etat sans être en mesure de lui substituer un autre, assumé par le marché ?

4.5. Exportations : quels nouveaux instruments ?
La libéralisation des échanges doit bénéficier aux activités exportatrices qui ont réussi à s'adapter et rester compétitives, comme c'est le cas dans le secteur des fruits et légumes, ou encore de certains produits transformés. Le problème est qu’en la matière, ce sont les pays européens, principaux marchés d’écoulement qui redoutent l’impact négatif des exportations du Maroc sur leurs propres producteurs. D’où l’incapacité à dépasser certains « quotas » de plus en plus restrictifs.

On sait cependant que tous les problèmes des exportations nationales ne se réduisent pas à la politique protectionniste des principaux partenaires. Comme il a été déjà indiqué plus haut (chapitre 2.1.), les difficultés que doivent affronter les exportations agricoles marocaines sur les marchés extérieurs sont en partie d’ordre interne. Ainsi, les producteurs exportateurs marocains, s’ils ont généralement déployé des efforts appréciables pour améliorer leurs productions, ont-ils souvent manqué de dynamisme et d'imagination en matière commerciale. Ils ont sans aucun doute mieux réussi leur « mise à niveau » technique et productive que celle qui a trait au marketing. De sorte que même après la libéralisation des exportations en 1986, beaucoup ont continué à se contenter de vendre sur les mêmes marchés traditionnels (français principalement), et de traiter avec les mêmes partenaires (ex-transitaires du temps de la colonisation) et les mêmes méthodes (la vente à quai..)!

La démonopolisation des exportations a certes eu quelques avantages, mais aussi des inconvénients. Dans le domaine, par exemple, de la coordination de l'action des différents opérateurs privés, bien qu'il existe diverses instances de coordination, celles-ci se limitent généralement à l'organisation de la logistique ou au contrôle de qualité. Dans les faits, chaque groupe privé a ses propres circuits de distribution, ses propres objectifs et sa propre stratégie qui peuvent s’avérer en discordance avec « l'origine Maroc » dans sa globalité. Aujourd'hui, dans un contexte marqué par une accélération de la concentration et la constitution de groupes multinationaux de plus en plus géants, aucun opérateur national ne dispose de la « force de frappe » commerciale suffisante pour peser sur les marchés et s'assurer des conditions favorables de croissance. Alors que le « Label Maroc » se «dilue » dans un foisonnement de « marques » inefficace, la nouvelle situation a plutôt engendré un affaiblissement du pouvoir de négociation des exportateurs marocains, handicap qui s'ajoute à l'absence d'une vision globale et d'une approche marketing dans l'élaboration de la stratégie d'expansion des exportations. Et même, il n'est pas rare de voir des exportateurs marocains se faire concurrence sur un marché, notamment en cassant les prix, tandis que d'autres s'arrangent entre eux pour se partager d’autres marchés et limiter les quantités globales offertes. On comprend dans ces conditions que, de plus en plus dans les milieux professionnels des voix s’élèvent pour reconnaître que la démonopolisation / marginalisation de l’OCE à partir de 1986 fut une erreur stratégique dont, à quelques exceptions près, tout le monde continue de payer le prix. Même si personne ne songe à un retour pur et simple à la formule antérieure, beaucoup se demandent si le temps n’est pas venu de repenser totalement la stratégie des exportations, et notamment de la doter de nouveaux instruments plus en phase avec les exigences d’un marché mondial en perpétuelle mutation.

4.6. Environnement : quelles règles de prudence?
L'accroissement des besoins face aux limites des moyens ne laisse aux populations rurales guère beaucoup de choix: l'exode rural ou la survie sur place mais au détriment de l'écosystème, avec des conséquences en termes de destruction des forêts, de dégradation des parcours, d’érosion des sols, de désertification, etc., et de menaces que ces dernières font peser sur la durabilité du cadre de vie et du potentiel de production. Dans un cas comme dans l'autre, c'est le monde rural qui se vide de sa substance vive.

Dans le cas où une libéralisation non maîtrisée provoquerait la ruine de certaines régions et activités traditionnelles, il est plausible qu'on assiste à des transferts de populations, notamment des "exclus de la compétitivité", dont une partie pourrait se déverser dans les villes et les bidonvilles, alors qu’une autre pourrait se redéployer sur des zones marginales, tels les espaces pastoraux et forestiers. Pour d’autres, la solution pourrait résider dans l’abandon des régions peu productives pour se concentrer sur les zones d’agriculture intensive, ce qui serait du point de vue écologique préjudiciables pour les premières (condamnées à toutes sortes de "désertifications") comme pour les secondes, soumises à une exploitation intensive peu soucieuse des conséquences environnementales.

Par ailleurs, la mise en compétition de différentes agricultures, notamment du Sud de la Méditerranée dans la perspective de la zone de libre-échange euro-méditerranéenne, pourrait précipiter les unes et les autres dans une véritable course au "tout export", course aiguisée par la pression des besoins en devises (payer les importations en croissance, rembourser la dette extérieure, etc.). Dans un tel contexte de concurrence exacerbée, des mesures et des investissements de protection de l’environnement peuvent affecter dangereusement la compétitivité des pays ou des opérateurs qui accepteraient de les prendre en charge. Sans un minimum de gardes fous et de règles de protection de l’environnement s’imposant à tous, qui acceptera de se laisser un peu moins aveugler par les considérations marchandes et de court terme, pour se soucier de la durabilité des écosystèmes et finalement du patrimoine de l’ensemble de la collectivité ?

Selon des études récentes du « Plan Bleu pour l’environnement et le développement en Méditerranée » (Benoit et Comau, 2005), si les tendances lourdes des dernières décennies se poursuivent, l’avenir écologique de « mare nostrum » sera plus que préoccupant: en 2025, on devrait assister à des pressions accrues sur l’environnement, une croissance des déséquilibres internes avec la libéralisation des échanges (marginalisation des arrière-pays, risque de paupérisation et exode rural, etc.), une croissance de la vulnérabilité aux risques (sécheresses, feux de forets, inondations et séismes, etc.), une dégradation des ressources (sols, eau, littoral) et du cadre de vie. Comment éviter une évolution aussi inquiétante ? Telle est la question à laquelle il faudra bien apporter les réponses appropriées ?
4.7. Quel rôle de l’Etat pour quelle régulation ?
L’un des défis majeurs pour le Maroc consiste à réussir la transition d’une agriculture largement extensive, peu productive et fortement protégée, vers une agriculture intensive, compétitive et plus ouverte sur le marché mondial, et ce, à un coût politique, social et écologique acceptable.

L’analyse de la politique de développement agricole et rural mise en œuvre par le Maroc depuis l’indépendance a mis en évidence un double effet de dissolution/conservation des configurations de type traditionnel et des modes de production extensive (voir chapitre 3). Cependant, dans les conditions actuelles de l’agriculture et du monde rural du Maroc de ce début de siècle, il faut bien admettre qu’une politique visant une plus grande intégration à l’économie mondiale peut être elle-même à la fois coupable et victime de cet état de fait. Car si l’on convient qu’une libéralisation non maîtrisée est susceptible de précipiter la ruine de segments de l'agriculture marocaine, il n’est pas moins vrai que c’est précisément l’extrême différenciation des situations dans le monde rural qui constitue l'obstacle majeur à un développement agricole plus compétitif et une insertion « gagnante » dans la mondialisation. La libéralisation des échanges ne peut être un mouvement isolé, mais doit s’inscrire dans une dynamique d’ensemble conjuguant réformes internes et ouverture maîtrisée, négociée et pilotée par l’Etat. Un État à la fois stratège, régulateur et dont l’action est fondé sur le principe de « bonne gouvernance ».


Encadré 2. Agriculture au Maroc : Tendances lourdes, déterminants et perspectivesTendances lourdes
Vulnérabilité à l’égard des aléas climatiques, aggravés par les limites des ressources hydriques ;
Dégradation des ressources naturelles (réduction des disponibilités en eau, désertification, déforestation, érosion, dégradation des bassins versants, des parcours…) ;
Problèmes fonciers et limites des terres cultivables ainsi que des terres de parcours ;
Médiocre qualité des ressources humaines (analphabétisme, faible qualification, vieillissement de la population active…) ;
Insuffisance des conditions d’intensification de la production ;
Faiblesse des rendements et de la productivité ;
Persistance, sinon aggravation de la dépendance Alimentaire du pays.
Déterminants internesStructures foncières ;
Ressources naturelles ;
Vision stratégique du devenir de l’agriculture et du monde rural ;
Formation et Recherche ;
Conditions d’organisation de la production ;
Valorisation à l’aval de la production.
Infrastructures socio-économiques ;
Pauvreté;
Moyens de financement ;
Organisation professionnelle ;Déterminants externesEvolution de l’environnement géopolitique ;
Equilibre des marchés mondiaux des produits agroalimentaires ;
Négociations multilatérales à l’OMC ;
Accords bilatéraux et régionaux de libre-échange ;
Engagements à l’égard des institutions financières internationales
Perspectives Régler le problème foncier ;
Faire face aux contraintes naturelles avec une vision à long terme ;
Augmenter et rééquilibrer les ressources publiques en faveur de l’agriculture et du monde rural (notamment en faveur des petites et moyennes exploitations en bour) ;
Définir une stratégie de sécurité alimentaire et la mettre en œuvre ;
Développer une politique de formation et de Recherche conforme aux objectifs stratégiques ;
Réorganiser la production en fonction de la « vocation agricole » des terres ;
Repenser l’organisation sectorielle en termes de « filières » et de « contrat programmes » ;
Promouvoir l’organisation professionnelle et interprofessionnelle ;
Engager une politique d’aide directe aux revenus sur une base contractuelle ;
Assainir et maîtriser les circuits de distribution pour minimiser les « coûts de commercialisation »;
Assurer un financement adapté aux besoins des agriculteurs ;
Fiscaliser l’agriculture à forte « valeur ajoutée » pour en redistribuer le produit en faveur de l’agriculture de « subsistance ».Lorsque la stratégie publique doit être déclinée en termes de choix et d’options impliquant des intérêts divergents, d’orientations et de politiques engageant l’avenir, d’actions et de mesures, elle devient alors de tous et doit faire l’objet de délibération et de débat entre les élus, les partenaires sociaux, la société civile, l’opinion publique. Et ce n’est qu’à l’issue de ce débat qu’il devient possible de faire les choix qui vont engager la société dans son ensemble, comme ceux qui concernent, par exemple, les fonctions de l’agriculture et la place du monde rural dans le développement du pays, les réformes internes préalables, le contenu et le niveau de sécurité alimentaire requis, le degré et les modalités de la libéralisation des échanges, les modes de régulation économique et sociale appropriés, la préservation des ressources naturelles.

Le choix démocratique comporte un coût que la société dans son ensemble doit être en mesure de prendre en charge, non guère parce qu'elle l'aura subi mais parce qu'elle l'aura volontairement décidé, après en avoir largement débattu.

L’État régulateur doit conduire les réformes en mettant en œuvre les modes de régulation adaptés aux conditions objectives de l’économie et de la société. Il lui faut agir avec volontarisme pour réaliser les restructurations et les reconversions nécessaires, mettre en œuvre les politiques d'accompagnement appropriées pour atténuer les chocs, favoriser les efforts d'adaptation et préserver les conditions d'existence décentes pour la grande majorité de la population.

En guise de conclusion provisoire : au-delà de l’agriculture…
Les problématiques esquissées à grand trait dans ce qui précède concernant le secteur agricole ne mettent pas en évidence les interactions dynamiques d’ensemble de l’économie nationale et les enjeux liés au fonctionnement des autres composantes sectorielles. On prolongera ces développements par une perspective complémentaire mise en exergue par le rapport Croissance économique et développement humain (El Aoufi et al., 2005) relative à l’emploi en relation avec le développement industriel et le rôle du secteur privé.

(i) L’engagement volontariste de l’Etat ne saurait être exclusif du rôle complémentaire incombant au secteur privé. Outre la création de richesses et de valeurs, l’entreprise privée contribue à l’innovation sociale, à la codification du rapport salarial et à l’organisation des relations professionnelles. Les nouvelles normes sociales définies notamment par l’OIT (responsabilité sociale de l’entreprise, travail décent, interdiction du travail des enfants, etc.) tendent à s’imposer, en ce début de siècle, comme des critères d’efficacité et de compétitivité internationale obligeant les entreprises nationales à reconfigurer leurs procédures de management eu égard au respect des droits fondamentaux des salariés et à l’application de la législation du travail. Ces principes, convergents avec les objectifs du développement humain, impliquent cependant un infléchissement de la dépendance du chemin, c’est-à-dire un renversement du régime de croissance tirée de façon prévalente par l’avantage comparatif salarial, la disqualification du droit du travail et le recours aux formes d’emploi informel et précaire.

(ii) Un tel renversement prend acte des perspectives à l’œuvre à l’échelle mondiale en matière de travail et d’emploi. De fait, les modèles productifs ont tendance à valoriser les ressources humaines, à mobiliser les compétences et à asseoir les différentiels de compétitivité sur la qualité des procédés, des processus et des produits. Les opportunités associées à ces modèles productifs doivent constituer un facteur d’impulsion d’une nouvelle dynamique de création d’emplois qualifiés. Cette inflexion doit être accompagnée par une stratégie d’incitation à l’emploi, notamment des jeunes fondée sur les préconisations suivantes (El Aoufi, Bensaïd, 2005). Sur la base des taux d’activité tendanciels, l’offre de travail pourrait passer de 10,9 millions en 2005 à 13,8 millions en 2014 et à 16,6 millions en 2024, ce qui correspond à une offre additionnelle annuelle de 293 000 et de 263 000, respectivement. Compte tenu de l’exode rural, plus de 90% du croît de l’offre de travail seront localisés en milieu urbain. Les perspectives suivantes sont préconisées :
Afin de maintenir le taux de chômage à son niveau actuel jusqu’en 2024, les créations d’emplois devraient atteindre, en moyenne, 285 000 entre 2005 et 2014, impliquant une évolution du taux de croissance du PIB supérieure à 4,7% au cours des dix prochaines années. Durant la période 2015-2024, l’effort de création d’emplois resterait important avec 276 000 postes d’emplois, en moyenne par an, correspondant à une croissance moyenne de 4,4% l’an du PIB.
Pour réaliser une baisse significative du taux de chômage à 10% à l’horizon 2014 et pour le maintenir à ce niveau jusqu’en 2024, il faudrait réaliser une croissance minimale d’environ 5% à même de générer une création de 311 000 emplois en moyenne entre 2005 et 2014 et un taux de croissance de 4,4% sur la période suivante pour créer annuellement 250 000 emplois nets.
Enfin l’objectif plus ambitieux d’un taux de chômage de 6% à l’horizon 2024 suppose un rythme de croissance plus soutenu de l’ordre de 5,4% et plus riche en emplois capable de générer, en moyenne, 366 000 postes de travail entre 2005 et 2014 et 260 000 entre 2015 et 2024.

(iii) De façon plus structurelle, la définition d’un régime de croissance enrichie en emplois est connivente d’une politique industrielle volontariste et intégrée. Coordonnée par l’Etat en partenariat avec les associations et les organisations professionnelles, cette politique doit avoir les finalités suivantes :
Le développement de relations de coopération intersectorielles et d’alliances stratégiques interentreprises ;
l’amélioration de la compétitivité territoriale autour de districts industriels ou de systèmes productifs localisés ;
- le renforcement de relations de sous-traitance nationale entre les grandes entreprises et les PME ;
l’insertion active dans le « nouveau monde industriel » (Veltz, 2000) à l’œuvre au niveau mondial.

(iv) Outre l’impact décisif produit sur le maillage du tissu productif, la politique industrielle intégrée a pour vertu de contribuer à l’extension de l’emploi salarié (au détriment des formes domestiques, atypiques et vulnérables) et à l’élargissement des bases de la société salariale. Les éléments de bilan concernant les relations de longue période entre la croissance économique et les catégories d’emplois font apparaître un processus de salarisation restreinte, voire de désalarisation qui n’est pas sans liens avec l’échec des stratégies d’industrialisation. Une telle évolution semble pour le moins paradoxale eu égard précisément au régime de croissance extensive dominant, fondé sur des niveaux faibles de productivité et sur un coût du travail relativement bas. Le renforcement des relations clients-fournisseurs entre les branches industrielles est susceptible d’engendrer des dynamiques d’emploi salarié contribuant à affranchir l’économie et la société des modalités d’emploi domestique et informel et à réduire cette non-liberté économique que constituent le chômage ou les activités de survie.

(v) Enfin comme l’impératif de recentrage de la croissance sur la finalité de l’emploi, la perspective d’un développement industriel volontariste et intégré suppose la cohérence de l’architecture institutionnelle et la complémentarité de ses instances de décision. Cette exigence prend en considération l’influence conjointe des différentes institutions sur l’économie dans son ensemble. De même elle tient compte de l’interdépendance des processus de décision des agents. Par ailleurs la hiérarchie institutionnelle (Aoki, 2001) entre différents niveaux territoriaux et instances décisionnelles implique des arrangements institutionnels constants : les institutions centrales ne produisent pas toujours des effets différenciés et cohérents au niveau local et, inversement, les institutions locales n’engendrent pas que des effets locaux mais peuvent affecter l’équilibre de l’économie toute entière (Boyer, 2004 ; Amable, 2005).

Plusieurs domaines peuvent inciter dans le cas du Maroc à la recherche d’une plus grande complémentarité institutionnelle : complémentarité entre système d’éducation et de formation et système productif, entre développement rural et industrialisation, entre promotion des exportations et élargissement du marché interne, entre système financier et système monétaire, entre système budgétaire et système fiscal, entre système monétaire et système de promotion des investissements, entre politique de création d’entreprises et politique d’incitations salariales et de protection du travail, entre politiques sectorielles ciblées sur les secteurs compétitifs et politique nationale, intégrée et durable, etc.


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Annexes


A.3.1. Gérance des exploitations agricoles par classe taille de la S.A.U.




A.3.2. Gérance des exploitations agricoles par classe taille de la S.A.U.




A.3.3. Répartition du nombre d’exploitants par sexe et par classe d’âge




A.3.4. Répartition du nombre d’exploitants par niveau d’instruction




A. 3.5. Nombre et superficies des exploitations et des parcelles




A. 3.6. Statut juridique des terres




A.7. Exploitations irriguées

Classe-tailleEnsemble des exploitationsExploitations irriguéesStructure (%)NombreSAUNombre%SAU%NombreSAU0=