Livre noir sur les universités françaises - Jussieu en lutte
9 oct. 2003 ... En marge du colloque de la CPU du 9 octobre 2003, sur « La réforme nécessaire
» .... s'ouvre à la rentrée, sur le modèle du « grand débat sur l'école ». ..... tant
chez les enseignants (chargés de TD, moniteurs, ATER), que chez les ......
décisionnelle et économique risque d'être la gestion de la pénurie, ...
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Livre noir
sur les
universités françaises
En marge du colloque de la CPU du 9 octobre 2003, sur « La réforme nécessaire »
Réforme nécessaire ?
Sans doute, mais pas celle-ci et pas comme cela
Le « diagnostic nétant pas partagé »
Ce texte est le produit dun travail collectif réalisé par Luigi Del Buono, Christophe Gaubert, Frédéric Lebaron, Marie-Hélène Lechien, Frédéric Neyrat, Fabienne Pavis, Maryse Ramambason, Charles Soulié, Sylvie Tissot, au sein de la Coordination Nationale Recherche et Enseignement Supérieur, en association avec des membres de la coordination et des informateurs appartenant à divers établissements denseignement supérieur et à plusieurs disciplines.
Document de travail, réalisé dans lurgence, une urgence imposée par le calendrier de la pseudo consultation de la CPU (Conférence des Présidents dUniversité), il sera discuté dans les prochaines AG de la Coordination RES (Recherche et Enseignement Supérieur).
(sur la coordination RES, et les pétitions qui lont précédé voir HYPERLINK "http://membres.lycos.fr/manifestes/" http://membres.lycos.fr/manifestes/ )
Email : coordination.res@laposte.net
TABLE DES MATIERES
TOC \o "1-2" \h \z HYPERLINK \l "_Toc53444782" Sens et contre-sens dune réforme PAGEREF _Toc53444782 \h 4
HYPERLINK \l "_Toc53444783" I Avant même la réforme, lUniversité nest déjà plus celle que la réforme se propose de transformer PAGEREF _Toc53444783 \h 7
HYPERLINK \l "_Toc53444784" Luniversité de la massification : une université non démocratique PAGEREF _Toc53444784 \h 7
HYPERLINK \l "_Toc53444785" Une université sous équipée pour faire face à la massification PAGEREF _Toc53444785 \h 11
HYPERLINK \l "_Toc53444786" II - La justification de la réforme au nom de louverture internationale PAGEREF _Toc53444786 \h 16
HYPERLINK \l "_Toc53444787" La compétitivité et la mobilité internationale PAGEREF _Toc53444787 \h 19
HYPERLINK \l "_Toc53444788" La mobilité intra-Européenne et intra-nationale PAGEREF _Toc53444788 \h 24
HYPERLINK \l "_Toc53444789" Loin de lutopie PAGEREF _Toc53444789 \h 25
HYPERLINK \l "_Toc53444790" III Une réforme justifiée pédagogiquement ? PAGEREF _Toc53444790 \h 27
HYPERLINK \l "_Toc53444791" Taux déchec, « démocratisation » et questions disciplinaires PAGEREF _Toc53444791 \h 28
HYPERLINK \l "_Toc53444792" Réforme ou contre-réforme néo-libérale ? PAGEREF _Toc53444792 \h 34
HYPERLINK \l "_Toc53444793" IV - La réforme au nom de la professionnalisation ? PAGEREF _Toc53444793 \h 42
HYPERLINK \l "_Toc53444794" Une politique daffichage PAGEREF _Toc53444794 \h 42
HYPERLINK \l "_Toc53444795" Les contradictions rhétoriques du discours sur la professionnalisation
PAGEREF _Toc53444795 \h 44
HYPERLINK \l "_Toc53444796" Les conditions peu professionnelles de lexpertise des filières professionnelles PAGEREF _Toc53444796 \h 46
HYPERLINK \l "_Toc53444797" Un débouché assuré pour les filières professionnelles : enseignant-associé dans ladite filière. Retour sur lanomalie de lassociation PAGEREF _Toc53444797 \h 48
HYPERLINK \l "_Toc53444798" La professionnalisation, un encouragement au cumul demplois et de rémunérations PAGEREF _Toc53444798 \h 49
HYPERLINK \l "_Toc53444799" Un succès très relatif, en termes dinsertion, des filières professionnelles PAGEREF _Toc53444799 \h 51
HYPERLINK \l "_Toc53444800" La professionnalisation contre linsertion : lexemple des stages PAGEREF _Toc53444800 \h 52
HYPERLINK \l "_Toc53444801" V - LUniversité : leur petite entreprise. Ou la transformation managériale des universités, derrière la réforme sur lautonomie PAGEREF _Toc53444801 \h 57
HYPERLINK \l "_Toc53444802" Le modèle du Président manager PAGEREF _Toc53444802 \h 57
HYPERLINK \l "_Toc53444803" Autonomisation du Président et autonomie des universités PAGEREF _Toc53444803 \h 59
HYPERLINK \l "_Toc53444804" Le Président : chef dentreprise ou chef de rayon ? PAGEREF _Toc53444804 \h 59
HYPERLINK \l "_Toc53444805" Le Président chef du personnel ? PAGEREF _Toc53444805 \h 61
HYPERLINK \l "_Toc53444806" VI. Au final, l'étudiant que la réforme disait vouloir replacer au centre est relégué à la périphérie. PAGEREF _Toc53444806 \h 68
HYPERLINK \l "_Toc53444807" « Grandes universités » et « collèges universitaires » PAGEREF _Toc53444807 \h 68
HYPERLINK \l "_Toc53444808" Des inégalités sociales renforcées PAGEREF _Toc53444808 \h 70
HYPERLINK \l "_Toc53444809" Rigidification des cursus universitaires : voie professionnelle et voie de la recherche PAGEREF _Toc53444809 \h 73
Sens et contre-sens dune réforme
Au début du mois de mai dernier, le ministre de léducation nationale présentait « la plus grande réforme de lUniversité depuis 1984 » (Le Monde, 9 mai 2003). Lavant-projet de loi sur « lautonomie des établissements denseignement supérieur » sinscrivait en réalité dans un programme de réformes plus large incluant la remise en cause de la loi de 1984 (loi dorientation sur lenseignement supérieur qui se donnait déjà comme une loi « dautonomie », comme la loi de 1968 quelle remplaçait), la mise en uvre par voie de circulaire(s) de la réforme « Licence, Master, Doctorat » (« LMD », ex « 3-5-8 »), et la redéfinition des statuts des personnels enseignants et IATOSS.
Le ministre tenta de faire passer son projet en organisant une consultation express (entre la fin du mois davril et le 19 mai, le projet devant être débattu au parlement en juin) et limitée au CNESER et à la CPU écartant de ce fait la majeure partie de la communauté universitaire.
La méthode de concertation suscita une réprobation quasi unanime. Sur le fond, la CPU demanda quelques aménagements au texte et se déclara satisfaite dès la deuxième version de lavant-projet, désormais rebaptisé « loi de modernisation », alors même quun nombre très limité de Présidents duniversités avaient consulté leurs mandants, consultation débouchant le plus souvent sur des motions dopposition. Dans un certain nombre duniversités, souvent les plus petites, des mobilisations sorganisèrent : manifestations, grèves et pétitions. Cest dans ce contexte quune coordination interuniversitaire, dite RES (Recherche et Enseignement Supérieur) sest mise en place le 2 juillet à luniversité Paris Dauphine.
Certes le mouvement ne sétait pas généralisé dans lenseignement supérieur, mais louverture de ce nouveau front social, à côté de celui des retraites et de lenseignement primaire et secondaire incita le gouvernement à reporter à lautomne lexamen de ce projet.
On pouvait donc attendre quun débat sur lenseignement supérieur souvre à la rentrée, sur le modèle du « grand débat sur lécole ». Il sest en fait limité à une consultation réduite dans le temps (entre le 18 et le 30 septembre, soit hors des périodes de cours à luniversité), circonscrite à quelques interlocuteurs « choisis », et organisée cette fois-ci par la CPU, sans doute avec laval du ministre qui en est le Président de droit.
Le « colloque » du 9 octobre, « luniversité française du 21ème siècle : la réforme nécessaire », qui a lieu dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, marque la conclusion solennelle de ce qui nétait quun simulacre de consultation.
Simulacre de consultation dès lors que les orientations avaient dores et déjà été fixées par les trois premiers vice-présidents de la CPU dans leur article publié dans Le Monde du 18 septembre, justement intitulé « Luniversité française du 21ème siècle : la réforme nécessaire ».
Simulacre de consultation que cette consultation ad hoc organisée (à quel prix ?) au nom de la CPU par le cabinet « (Adéquates Conseil ». Une consultation conçue sur le mode dune action de lobbying (Cf. le document : Vade-mecum Adéquates CPU/11 septembre 2003, p. 6) notamment auprès des parlementaires pour faire valoir les positions des présidents et leurs intérêts. Une consultation organisée en un temps record et en labsence de la majeure partie de la communauté universitaire et notamment les étudiants, ces étudiants au nom desquels les modernisateurs justifient leurs réformes.
Il sagirait de développer à la fois louverture internationale des universités (et la mobilité étudiante), linsertion professionnelle des diplômés, l « efficacité pédagogique de lenseignement supérieur ». Autant de justifications qui peuvent paraître légitimes, et même généreuses. Mais les dispositions des réformes projetées ne répondent pas et vont même parfois à lencontre de ces objectifs. Plus encore, les pouvoirs supplémentaires exigés par les « modernisateurs » (le fameux « gouvernement de luniversité » que le projet de loi sur lautonomie se propose de renforcer) pour conduire les réformes vont accentuer encore les inégalités daccès à lenseignement supérieur (inégalités sociales, inégalités territoriales) comme les inégalités entre les établissements denseignement supérieur.
On est donc en droit de sinterroger sur le type duniversité que lon propose, ou plutôt impose, à marche forcée, à la communauté universitaire. Tel est lobjectif de ce livre noir, qui vise notamment à dévoiler les logiques sous jacentes des réformes en cours :
1- On montre ainsi, dans une première partie, que lUniversité nest déjà plus celle que la réforme prétend transformer.
2- Que louverture internationale est un leurre : derrière la promesse (apparemment humaniste et généreuse) dune mobilité internationale pour tous, cest la marchandisation dun certain nombre denseignements et son financement par les usagers qui sont mis en oeuvre.
3 - Que les « innovations pédagogiques » autour du LMD ont plus que des effets pervers sur le plan pédagogique et disciplinaire.
4- Que la professionnalisation à outrance, telle quelle est prônée, se révèle souvent contraire à linsertion professionnelle des étudiants, comme aux fonctions traditionnelles de production des connaissances de luniversité.
5- Il apparaît ainsi que les présidents duniversité, transformés en managers, gérant leur établissement comme « leur petite entreprise », seront les premiers bénéficiaires de la réforme ; quils pourront étendre leur contrôle, par lintermédiaire dune logique de contrat, sur les personnels dont les statuts vont ainsi être remis en cause. Une petite entreprise qui définira son offre de formation, sa politique de recherche
en fonction de critères ne répondant plus forcément à ceux du service public, ni à ceux dune recherche libre et autonome, liberté qui est pourtant au fondement même de lidée duniversité.
6- Au final, les étudiants, que les modernisateurs disaient vouloir replacer « au centre », se trouvent relégués à la périphérie, victimes de réformes dont ils étaient censés être les premiers bénéficiaires.
Le livre noir qui sera présenté officiellement, sur la place de la Sorbonne, jeudi 9 octobre 2003, en contrepoint de la grand messe de la Sorbonne, sera complété ultérieurement dun livre blanc, avec un ensemble de propositions pour une autre réforme.
Nous demandons donc au Ministre de constater quil ny a pas, à ce jour, de « diagnostic partagé » et quil faut donc ouvrir une vraie concertation avec lensemble des acteurs de lUniversité. En raison notamment des mouvements sociaux récents, lEcole va pouvoir bénéficier dune année de réflexion afin de réfléchir sur ses moyens et objectifs. Serait-ce trop demander que lensemble de la communauté universitaire prenne quelque mois afin de réfléchir collectivement au destin de luniversité française ?
I Avant même la réforme, lUniversité nest déjà plus celle que la réforme se propose de transformer
Luniversité de la massification : une université non démocratique
Le XXe siècle a vu sétendre considérablement le temps passé par chaque jeune dans le système scolaire. Celui-ci sest en effet ouvert à une part toujours croissante de la population : dabord au niveau du primaire, puis au niveau du secondaire, et, dans les quinze dernières années, dans les premiers cycles du supérieur.
Ce que lon peut observer aujourdhui à luniversité rejoint les conclusions de travaux déjà réalisés sur les modalités de l « explosion scolaire » dans le secondaire : la massification des effectifs va de pair avec une différenciation sociale croissante des filières, autrement dit saccompagne dune ségrégation interne.
Croissance de lenseignement supérieur et poursuite de la massification scolaire
La croissance des effectifs
Si les effectifs étudiants ne cessent daugmenter durant la première moitié du siècle, la croissance est particulièrement forte au cours des années 1960-2000 : les effectifs sont multipliés par 4,6. La progression a été particulièrement rapide durant la décennie 1985-1995 dans la mesure où elle suit laugmentation du taux de bacheliers qui sopère sur la même période.
Les effectifs inscrits dans lenseignement supérieur ont commencé à diminuer à la rentrée 1996, pour progresser à nouveau entre les rentrées 1999 et 2001. Cette croissance sest accélérée à la rentrée 2002, avec 44 000 étudiants supplémentaires qui se sont inscrits dans lenseignement supérieur. On atteint à cette date le chiffre historique de 2 209 000 inscriptions.
Lélargissement du réseau universitaire
En réponse à lafflux massif de bacheliers, une politique de construction massive et douverture détablissements sur tout le territoire national a été mise en uvre. En application du plan « Université 2000 », on a ainsi vu la géographie de lenseignement supérieur se modifier radicalement. Celui-ci ne se limite plus aux grandes agglomérations régionales ; il sest progressivement diffusé jusquau niveau des préfectures, qui, toutes, désormais, veulent pouvoir se prévaloir dune « université de proximité ».
Certes, Paris, académie dominante pour lenseignement supérieur, regroupe encore près dun étudiant sur six. Mais elle est la seule académie à avoir connu une croissance négative (4%) entre les rentrées 1990 et 2000, alors que les effectifs détudiants augmentaient de près dun tiers dans les autres académies. La tendance semble toutefois sinverser puisque, entre les rentrées 2000 et 2002, parmi les académies de métropole, cest à Paris que le taux de croissance est le plus élevé (+4,4% contre +1,8% pour les autres).
Louverture aux classes populaires
Dans les années 1960, les étudiants sont en grande majorité ces « héritiers » décrits par les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, cest-à-dire des étudiants dotés dun capital économique et culturel hérité de parents généralement fortement diplômés. Durant les deux décennies qui suivent, les enfants des catégories moyennes investissent luniversité, et sont suivis encore modestement , au cours des années 1990, par les enfants des catégories populaires.
Ainsi, les enfants douvriers forment, en 1959, 0,8% de la population des jeunes de 20 à 24 ans présents dans lenseignement supérieur. Ce taux passe à 4,6% en 1975, 6,9% en 1982 et enfin 13,2% en 1993.
La féminisation de lenseignement supérieur
La massification signifie aussi une ouverture aux femmes, qui ont également été longtemps exclues de lenseignement supérieur. Représentant moins de 5% des étudiants au début du siècle, elles égalent en nombre les garçons en 1975 et elles sont désormais majoritaires. De 1985-86 à 1994-95, leur part continue de progresser passant de 52,2% à 56,8% de la population universitaire.
Le maintien des inégalités
Le report des inégalités à luniversité
Le profil des étudiants reste toutefois marqué par une très forte sur-représentation des étudiants des catégories sociales les plus favorisées, au détriment des jeunes de catégories sociales plus modestes : toutes formations confondues, 31% des étudiants ont des parents cadres supérieurs ou exerçant une profession libérale, 10,1% sont enfants douvriers.
La longueur des études est fortement corrélée à lorigine sociale : la part des jeunes dont les parents sont cadres supérieurs ou exerçant une profession libérale en 1er cycle et en IUT est de 30%, et passe à 37% en troisième cycle. En revanche, les enfants douvriers, qui forment 13% des étudiants inscrits à luniversité les deux premières années détudes, ne sont plus que 5% en troisième cycle.
SantéClasses prépas (1)AutreDroitSciences S.T.A.P.SEconomieLettresI.U.TS.T.S
(1)Cad.sup/P. Lib54%50,8%44,5%39,2%37,9%33,6%30,2%25,7%13,9%Prof interm16,3%16%16,3%16,3%21,2%17,4%20,7%22,1%17,1%Employés7,1%8,9%10,1%12,9%11,9%13,1%14%14,2%16,2%Agr/Art/Com10,7%9,8%18,5%12,6%11%13,4%11,2%13,6%12,7%Ouvriers6,7%6,9%5,2%10,5%11,9%13,7%14,2%18,2%26%Retraités/Inactifs/N.R5,2%7,6%5,4%8,5%6,2%8,9%9,7%6,2%14,1%Ensemble100%100%100%100%100%100%100%100%100%Effectif128.29261.488355.844172.840313.977136.896467.433104.486142.365(1) Répartition des étudiants observée en 1992/1993
Tableau n° 1: LORIGINE SOCIOPROFESSIONNELLE DES ETUDIANTS FRANÇAIS EN 1996/1997 (France métropolitaine) Source : M.E.N, 1997, p 167.
Une différenciation interne
Au barrage à lentrée de luniversité, naguère réservée aux héritiers, a succédé une ségrégation interne. Celle-ci est particulièrement marquée entre luniversité, les STS (Sections des techniciens supérieurs), les IUT (Institut Universitaires de Technologie) et les CPGE (Classes préparatoires aux grandes écoles), mais aussi entre filières et disciplines.
Dans les filières préparant aux métiers les plus prestigieux - classes préparatoires aux grandes écoles et disciplines de santé 49,1% et 45,1% respectivement des étudiants sont fils ou filles de cadres supérieures ou professions libérales.
Ce sont également ces filières dont les effectifs ont connu une croissance modérée, malgré laugmentation des effectifs des bacheliers scientifiques : la sélection à lentrée des CPGE les a en effet préservées des effets de la massification.
Classes préparatoires littérairesClasses préparatoires économiquesClasses préparatoires scientifiquesCad Sup/Prof Lib55,4%52,5%51,2%Prof Inter15,4%13,2%16%Employés8,7%8%8,6%Agri/Art/Comm7%11,3%8,8%Ouvriers4,7%4,8%6,6%Retraités/Inactifs/N.R8,6%10,1%8,6%Ensemble100%100%100%% dhommes23%44,4%73,7%Effectifs9.37811.03937.516Tableau n° 2 : Lorigine socioprofessionnelle des élèves de classes préparatoires (Public, France métropolitaine, 1998/1999) Source : D.P.D
En revanche les filières technologiques courtes, IUT et surtout STS, en forte progression dans les dernières décennies, recrutent davantage parmi les enfants douvriers et demployés : ceux-ci représentent 31,6% des inscrits en IUT et 35,5% des effectifs en STS.
Une féminisation en trompe lil
La progression de la part des femmes dans la population étudiante sest effectuée par laffirmation dune position hégémonique dans les formations littéraires et un grignotage progressif des positions masculines dans les disciplines scientifiques.
Mais les inégalités de situation en fonction du sexe nont pas disparu. Ainsi, si les femmes représentent 56,1% de la population universitaire, elles sont toujours mieux représentées en premier cycle (57%) et en deuxième cycle(s) (57,3%) quen troisième cycle (50,5%).
Elles restent aussi nettement majoritaires dans les disciplines littéraires : en lettres, les femmes représentent les trois quarts des effectifs (76,0%), de même quen langues (79,4%) et en sciences humaines, les deux tiers (68,8%).
A linverse, elles représentent seulement le tiers des étudiants inscrits en sciences et structure de la matière (34,1%) et en STAPS (32,1%), et moins du quart des effectifs en sciences et technologie sciences pour lingénieur (22,1%). Elles sont sous représentées dans les classes préparatoires scientifiques (En 1998/1999, les hommes forment 23% des effectifs des classes préparatoire littéraires, 44,7% dans les classes préparatoires économiques et 73,7% dans les classes préparatoires scientifiques).
La relégation des « nouveaux étudiants »
Le maintien des inégalités s'explique d'abord par la manière dont sont orientés, dans l'enseignement supérieur, les bacheliers issus des baccalauréats technologiques (et dans une moindre mesure des bacheliers professionnels).
Ces derniers investissent aujourdhui le supérieur alors que, dix ans plus tôt, la plupart dentre eux sortaient du système éducatif directement après le baccalauréat. Ils bénéficient certes de louverture des antennes universitaires, supposées diminuer les coûts financiers liés à la poursuite des études. Mais les voies dentrée qui leur sont alors offertes fonctionnent encore comme des voies de relégation par rapport aux étudiants favorisés : leur accueil sest en effet accompagné dun renforcement des hiérarchies sociales et scolaires entre établissements et entre disciplines.
Ces bacheliers tendent dabord à sorienter dans le supérieur dans la continuité des choix précédents : les STS (Sections de Techniciens Supérieur) apparaissent comme un débouché naturel, de même que les IUT. Toutefois, la filière IUT, qui leur était initialement destinée, savère tendanciellement monopolisée par des bacheliers généraux, souvent scientifiques, dont les résultats ont été insuffisants pour une inscription en Classes préparatoires aux grandes écoles ou en médecine.
Par conséquent, ces « nouveaux bacheliers » s'orientent massivement vers luniversité, et plus particulièrement vers les filières littéraires. Les bacheliers issus des séries tertiaires sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les disciplines des sciences humaines comme la psychologie ou la sociologie, mais aussi les formations juridiques, et plus particulièrement la filière AES (Administration économique et sociale), les langues (avec les filières LEA), etc.
Devant la sélection qui sopère désormais à lentrée des IUT, les « nouveaux bacheliers » se dirigent, « faute de mieux », vers luniversité. Le manque denthousiasme qui marque cette orientation « par défaut » se double du handicap que constitue larrivée dans des filières où la pénurie de matériel, de personnels administratifs et d'enseignants savère la plus criante.
Une université sous équipée pour faire face à la massification
On ne peut comprendre le monde de luniversité et son fonctionnement inégalitaire indépendamment de cette donnée souvent occultée dans les débats publics : le faible niveau et la répartition inégalitaire des budgets consacrés à lenseignement supérieur.
Une université appauvrie
Le débat sur les transformations de luniversité passe par une réflexion sur les priorités budgétaires de lEtat et sur la place quy occupe léducation. Rappelons en effet que la part du PIB consacrée par la France à lenseignement supérieur est inférieure à celle que les autres pays de lOCDE y consacrent en moyenne (1,1% contre 1,7% en 1993). Depuis 1993, la part de la dépense intérieure déducation dans le PIB ne cesse de baisser : elle représentait 7,4% du PIB en 1993, contre 6,9% en 2002.
Un système de financement insuffisant
Le fonctionnement des établissements universitaires est assuré par des dotations sur critères et des dotations contractuelles versées par l'Etat. Les premières sont déterminées par une série de normes (appelées normes San Rémo), qui sont censées tenir compte de la nature des formations (scientifique et littéraire...), du nombre d'étudiants et des contraintes (nombre de mètres carrés) de chaque université.
Or, la comparaison entre le nombre d'heures effectivement enseignées et la dotation théorique (fonction des habilitations accordées et des normes) montre lampleur de la sous dotation en postes : Le nombre total d'heures enseignées est de 15 889 008 ; alors que les dotations n'en prévoient que 12 510 977 (lécart étant comblé par les heures supplémentaires). Du côté des effectifs en personnels IATOSS, les besoins (selon les normes en vigueur) sont chiffrés à 39 261 postes, pourtant seuls 35 852 sont pourvus.
La mise en place, en 1991, d'un système de financement censé assurer une plus juste redistribution, et garantir un même service public pour tout étudiant sur tout le territoire national, se solde par un bilan mitigé.
Tout dabord, le tassement des effectifs étudiants et l'augmentation en nombre absolu des personnels ne compensent pas le retard accumulé face à laugmentation massive des effectifs étudiants depuis les années 1960. Ensuite, laugmentation des postes masque un recrutement massif demplois précaires, tant chez les enseignants (chargés de TD, moniteurs, ATER), que chez les personnels IATOS ( CES, Contrats emploi solidarité à peine moins précaires lorsquils sont « consolidés »).
Le creusement des inégalités entre établissements
Lenseignement supérieur ne souffre pas seulement dun manque global de financement. Il apparaît aussi, de ce même point de vue, comme un monde divisé et hiérarchisé.
La comparaison des financements octroyés par étudiant selon que celui-ci étudie en classes préparatoires aux grandes écoles, à luniversité ou dans un IUT, donne une première indication de ces inégalités. Ainsi, en 2002, les pouvoirs publics consacrent-ils 11,45 milliers deuros pour un étudiant de CPGE ou de STS et approximativement moitié moins pour un étudiant duniversité, cest-à-dire 6,84 milliers deuros. Ensuite, la différence est grande entre les étudiants en sciences, médecine et lettres.
En 1999, la dépense moyenne par élève sélevait à 41,2 milliers de francs pour un étudiant duniversité (hors IUT et ingénieurs), 55,9 milliers de francs pour les IUT et 68,9 milliers de francs pour les STS-CPGE, les formations dingénieur culminant à 77,8 milliers de francs. Globalement, cette dépense est inversement proportionnelle aux effectifs de chacun des ordres denseignement (environ 1.250.000 étudiants à luniversité, 290.000 en STS, CPGE, 115.000 en IUT et 28.000 en formations dingénieurs).
Ainsi, à luniversité, les étudiants dorigine plus populaire et issus des baccalauréats professionnalisés, proportionnellement plus nombreux, sont-ils doublement démunis par rapport à leurs alter ego (si lon peut dire) des classes préparatoires aux grandes écoles.
Le système San Rémo devait calculer les dotations en fonction des besoins des matières enseignées, certaines, comme les matières littéraires, ne devant pas nécessiter déquipements aussi lourds que les sciences expérimentales (par exemple) ; les formations professionnalisées faisant lobjet dun traitement préférentiel. Ce système objective linégale dotation versée aux universités. Ainsi, quels que soient les ratios envisagés (nombre détudiants par enseignants, nombre détudiants par IATOS, nombre de IATOS par enseignant, mètres carrés par étudiants, enfin,dotation globale par étudiant), les universités littéraires sont systématiquement moins bien loties que les universités scientifiques. L'écart entre les universités littéraires et juridiques et les autres est patent comme le montre le tableau ci-dessous :
Droit et sciences
économiquesLettres et sciences
humainesSciencesDisciplines médicales1er cycle14 92919 85533 88941 2042ème cycle21 79622 54366 88282 4083ème cycle39 11434 93452 998111 519
Tableau n° 3 : Estimation de la dépense publique moyenne déducation à lUniversité en
2001.
Les grandes écoles : un monde fermé
qui échappe à la réforme
Depuis leur création, lEcole nationale dadministration (ENA), les Ecoles normales supérieurs (ENS), X (Polytechnique) et lécole des Hautes études commerciales (HEC) restent réservées à lélite sociale.
La représentation des classes populaires est particulièrement faible : 5% des inscrits sont des fils ou filles demployés, ouvriers, agriculteurs, commerçant ou artisans (2% à X). Parmi les normaliens, à linverse, les professions libérales (12%), les cadres des entreprises (31%) et les cadres de la fonction publique (40%) sont sur-représentés.
Or cest bien deux fois plus dargent qui est alloué à un étudiant de CPGE quà un étudiant de luniversité ! Et si les grandes écoles, (spécialité typiquement française qui étonne souvent nos voisins européens) sont amenées à se couler dans le moule du LMD, elles ne font l'objet, elles, d'aucune initiative réformatrice.
Une université sous équipée
Un sous encadrement administratif
Depuis 1995, le nombre des étudiants a baissé, mais le sous encadrement administratif reste patent.
Ainsi, pour prendre un exemple, à l'Université de Bordeaux 3, alors que les effectifs étudiants ont doublé entre 1981 et 1994, le nombre de personnel IATOS est resté le même ! (voir l'encadré). Ce sous encadrement est également lié au recours massif aux emplois précaires : dans la même université, on compte, parmi les personnels IATOS, plus de 60 CES (Contrat Emploi Solidarité) et CEC (Contrat Emploi Consolidé) et une trentaine de contractuels.
De plus, le nombre des personnels de catégorie C se réduit sous l'effet des transformations de postes en catégorie B ou A. Luniversité tend en effet à externaliser les missions jusque-là confiées à ces personnels (par exemple lentretien).Un choix profondément politique. Comme si ces personnels, ceux qui sont souvent les premiers au contact des étudiants, nétaient pas indispensables au bon fonctionnement de luniversité.
Un sous encadrement enseignant
Le taux dencadrement en enseignants na pas suivi lexplosion scolaire. Au début des années 1970, ce taux était de 20,8 étudiants par enseignant, contre 24,7 en 1990, alors que lévolution du profil social des étudiants aurait exigé un taux plus faible encore. De plus, ce taux varie fortement en fonction des disciplines : 55 étudiants par enseignant en droit ; 34,6 en lettres et 15,1 en sciences. Là encore, la France est en deçà des normes européennes.
L'exemple de l'Université de Bordeaux 3 est, là encore, parlant : la progression du nombre des enseignants apparaît très insuffisante par rapport à l'augmentation du nombre d'étudiants. Quant au nombre de personnels IATOSS, la dégradation du taux dencadrement est encore plus manifeste : alors que le nombre détudiants double, celui des IATOSS reste constant.
Le sous-encadrement à luniversité : lexemple l'Université Michel de Montaigne Bordeaux 3
Année universitaire1981/82Année universitaire 1994/95Nombre détudiants856317470Nombre denseignants titulaires315462Nombre de personnels IATOSS216216 (chiffre de 1996)
Cette politique renforce les inégalités existantes entre établissements et entre disciplines. Les handicaps tendent ainsi à se cumuler : plus luniversité est récente, plus la discipline est basse dans la hiérarchie universitaire, et plus le taux dencadrement en enseignants est faible, et plus la proportion denseignants précaires est forte.
Ce sous encadrement est en effet aggravé par la pénurie, mais aussi la précarité qui marque les politiques de recrutement. Les moniteurs de lenseignement supérieur, les attachés temporaires denseignements et de recherche, qui le plus souvent préparent une thèse, mais aussi les chargés de cours, assurent un nombre non négligeable des enseignements à luniversité, le plus souvent dans les premiers cycles.
Les insuffisances de la démocratisation dans le secondaire ont été soulignées depuis longtemps. Il sagit den tirer les leçons. De nombreuses études montrent, depuis les années 1960, à quel point la possession des manières de dire et de faire conformes à la culture scolaire est déterminante pour la réussite des élèves, et à quel point elle favorise les étudiants issus de classes supérieures.
Or les étudiants qui arrivent aujourdhui à luniversité, et qui, en moyenne sont dorigine plus populaire que leurs aînés, sorientent en masse dans les filières littéraires et les sciences humaines où le manque de moyens se fait sentir le plus.
Le dualisme social à lintérieur de luniversité se creuse (pour ne pas parler de lensemble de lenseignement supérieur) ; le parcours en premier cycle, dune durée extrêmement variable dun étudiant à lautre, remplit ainsi une fonction daiguillage devant laquelle les étudiants sont inégalement armés.
II - La justification de la réforme au nom de louverture internationale
« Devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale. » (Objectif stratégique à 2010, fixé pour l'Europe au Conseil européen de Lisbonne - mars 2000)
Les réformes de lenseignement supérieur examinées dans ce livre noir sont en grande partie le résultat dun processus intergouvernemental qui dépasse largement les frontières de lHexagone, et se déroule principalement à léchelle des pays de lUnion européenne et de lEspace économique européen.
Au cours des différentes rencontres organisées depuis 1998 au sein de ce qui est maintenant appelé le Processus de Bologne , les ministres de lenseignement supérieur européens se sont régulièrement réunis pour discuter des conditions de mise en uvre dun Espace européen de lenseignement supérieur (EEES) dici à 2010, qui selon eux contribuerait à renforcer les dimensions culturelles, intellectuelles, technologiques (et pas seulement économiques), de lEurope.
La construction de lEEES vise officiellement à améliorer :
La compétitivité de lenseignement supérieur européen vis-à-vis des autres pays développés, de manière à augmenter lattractivité de la zone Europe pour les étudiants étrangers et à accroître la reconnaissance des diplômes européens à létranger, tout cela dans un environnement international évoluant rapidement.
La mobilité des étudiants et des diplômés, et dans une moindre mesure celle des enseignants (au sein de lEurope mais aussi plus largement), de manière à favoriser laccueil détudiants étrangers et lenvoi détudiants nationaux dans dautres pays.
Lemployabilité des diplômés : pour favoriser leur intégration sur le marché du travail (y compris à létranger) tout au long de leur vie, et mieux adapter le contenu et la forme des enseignements aux attentes de la société et de léconomie.
Pour mener à bien ce programme, les membres du « Club de Bologne » ont produit une série de recommandations devant être appliquées à léchelle européenne. Celles-ci se traduiront par des réformes, au niveau national, qui ont déjà été présentées ici.
Nous passons rapidement en revue ces recommandations, puis nous examinerons comment elles sarticulent avec les réformes de lUniversité française actuellement en discussion.
Les principales recommandations sont :
La « lisibilité » internationale des diplômes européens pour les étudiants et employeurs étrangers doit être accrue. Ceci implique une simplification et un assouplissement de la structure des diplômes dans certaines filières, ainsi quun affichage clair des connaissances et compétences afférentes.
Les universités doivent développer leur réactivité par rapport aux changements techniques, scientifiques et économiques internationaux, notamment par une plus grande autonomie vis-à-vis des pouvoirs centraux.
La qualité des diplômes doit être assurée par des organismes indépendants et transnationaux, qui évalueront le diplôme en fonction de normes internationales ; une démarche damélioration de la qualité par des procédures internes daudit de lenseignement et de la recherche doit se mettre en place dans chaque établissement autonome, de manière à développer une « culture de la qualité ».
Lassouplissement de la politique dattribution des visas pour les étudiants étrangers (les plus solvables), lamplification de laide au financement de la mobilité, lamélioration de la qualité des services entourant la vie universitaire sont nécessaires.
Les compétences « informelles » et transversales, comme lautodidaxie dans un environnement technique changeant rapidement, la capacité à assumer des responsabilités et à sintégrer dans une équipe, les qualités de socialisation, la maîtrise de langues étrangères, etc. doivent être développées dans le cadre de la formation, qui devrait ainsi être plus tournée vers la vie active, au moins au niveau Licence.
Les systèmes déducation doivent être accessibles tout au long de la vie, y compris pendant la vie active ; des méthodes dapprentissages informelles doivent être prises en compte pour une reconnaissance plus flexible et plus individualisée de la qualification.
La plupart de ces idées paraissent au premier abord comme allant plutôt dans une bonne direction. Nous verrons un peu plus loin quelles sont inspirées par des motivations moins pures et quelles entraînent des conséquences bien plus néfastes quon ne pourrait le croire.
En attendant, nous pouvons examiner plus clairement la justification par louverture internationale des réformes que propose le gouvernement français pour notre Université.
La réforme LMD
La justification officielle la plus fréquemment invoquée repose sur la nécessité dharmoniser les cursus universitaires européens. Cependant cette réforme répond également au besoin de « lisibilité » et de compétitivité internationale hors de lEurope, puisquelle permet de se rapprocher du modèle anglo-saxon dominant à létranger (Bachelor/Master/PhD). Lorganisation des études en 3-5-8 permet de proposer aux étudiants un cycle court de 3 ans, professionnalisant et reconnu (comme aux Etats-Unis, par exemple), en laissant la possibilité à un petit nombre détudiants de continuer vers le master et le doctorat ; à terme cela permet de réduire la longueur des études, en France et dans dautres pays européens où le temps de formation initiale est bien plus important quaux Etats-Unis (seulement un tiers des étudiants français obtiennent leur maîtrise en 4 ans). La longueur des cursus et le fait que de nombreux étudiants nobtiennent leur diplôme que tardivement sont des facteurs qui diminuent lattractivité des études en Europe pour les étrangers, ainsi que lemployabilité des diplômés européens hors de leur pays.
La semestrialisation et le système de crédits ECTS, déjà utilisé dans la communauté européenne (par exemple pour les échanges SOCRATES-ERASMUS), relèvent partiellement du même souci de rapprochement et de mise en concurrence avec le modèle anglo-saxon.
Enfin, le développement de lenseignement à distance par les nouvelles technologies de linformation et de la communication est explicitement cité dans le décret LMD : cest un domaine en expansion constante dans lequel lEurope na pas lintention de se laisser distancer.
Lautonomie des universités
Le processus de Bologne considère que la « rigidité » du système dadministration de lenseignement supérieur en France et ailleurs en Europe serait un frein à la compétitivité et à lattractivité de nos universités sur le plan international. Il prône donc de donner une grande autonomie, financière entre autres, à celles-ci.
La réunion de Salamanque en mars 2001, où de nombreuses institutions européennes denseignement supérieur sétaient réunies, a donné lieu à la création de l'Association Européenne de l'Université (EUA). Celle-ci a déclaré à cette occasion : « Les institutions d'enseignement supérieur acceptent les défis de l'environnement concurrentiel dans lequel elles opèrent au niveau national, européen et mondial [
] La dynamique requise pour l'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur restera inopérante, ou provoquera une concurrence inégale, si se maintiennent l'excessive réglementation et la mainmise financière et administrative qui pèsent actuellement sur l'enseignement supérieur en de nombreux pays. ». Lautonomie, qui parait être acceptée et même souhaitée par les responsables universitaires à Salamanque, a donc un prix : elle est de nouveau justifiée et rendue possible par lamélioration de la compétitivité et le plein exercice de la libre concurrence, y compris entre universités européennes, en bonne logique « libérale ».
La contractualisation du statut de lenseignant-chercheur
La réforme du statut des enseignants-chercheurs (ES) semble être apparentée à la problématique de lassurance-qualité dans un monde duniversités autonomes et en concurrence.
On peut interpréter la contractualisation par objectif des ES, sous le contrôle de leur établissement universitaire autonome, comme un élément précurseur de la mise en place des procédures, préconisées par le « Club de Bologne », daudit interne du personnel et des méthodologies, audit nécessaire à la certification de la qualité des diplômes (selon les normes européennes et internationales) dans un environnement concurrentiel, décentralisé et « ouvert sur le monde ».
Après avoir relié certains éléments des réformes de lUniversité en France aux critères de compétitivité vis-à-vis de la concurrence internationale et européenne, et à la mobilité qui va avec, nous allons essayer de remettre en perspective ces deux points clés.
La compétitivité et la mobilité internationale
La compétitivité de lUniversité est définie dans deux cadres différents (et non exclusifs) : la « société de la connaissance » et la « rentabilité de lenseignement supérieur ».
La « société de la connaissance »
En premier lieu, il y a lidée que ce qui va constituer la richesse et linfluence des grands blocs géopolitiques développés, tels que lEurope au XXIe siècle, cest la connaissance, linnovation et la valorisation de la recherche, dans tous les domaines.
Dans la « société de la connaissance », il ne sagit plus de produire et dexporter mais bien dattirer les capitaux et les investisseurs pour financer une recherche-développement de plus en plus coûteuse, dans une perspective de fonds publics évoluant peu en volume. Cette attractivité va dépendre de nombreux facteurs et en particulier de lexcellence du secteur de la recherche et du rapport « qualité/prix » de la main duvre locale: deux aspects dépendant directement de lenseignement supérieur, qui se doit, en plus de produire des chercheurs délite, délever pour un coût compétitif la plus large fraction possible de la population jusquà un niveau de qualification compatible avec l « économie de limmatériel ».
Dautre part, cette concentration des financements et la bonne qualité du cadre denseignement et de recherche permettent de séduire les étudiants, professeurs et chercheurs étrangers (tout en sélectionnant les meilleurs dentre eux) : un « cycle vertueux » est ainsi institué conduisant à terme à la création de « pôles dexcellence » reconnus internationalement, sur le modèle des grands centres universitaires américains, où le nombre détudiants et de chercheurs étrangers est sans commune mesure avec ce que lon peut observer en France, à quelques exceptions près (alors que la proportion détudiants étrangers aux Etats-Unis est 4 fois plus faible quen France). Les pôles dexcellence participeraient de fait à lélaboration des normes internationales de qualité et de certification des diplômes et des diplômés.
Cette élite étrangère, une fois retournée dans les pays dorigine participera au rayonnement du pays et de luniversité daccueil : en effet ces personnes auront été influencées culturellement et socialement pendant leurs années détudes et se transformeront tout naturellement en ambassadeurs du pays daccueil, cela au sein même des cercles de recrutement de lélite dirigeante de leur pays.
Le discours sur ce nouveau type de société se conclut par laffirmation que faire limpasse sur la compétitivité de lenseignement supérieur reviendrait pour les pays européens à sexclure progressivement de la scène internationale, alors que leur concurrent direct, les Etats-Unis, ayant bien pris la mesure des enjeux, verraient leur rôle renforcé. Il serait plus que temps de prendre des mesures (publiques) visant à remettre lEurope en selle pour le XXIe siècle, nous disent donc les promoteurs du processus de réforme.
Cette vision des choses soulève demblée des questions difficiles : inégalités entre pays pauvres et pays riches, pertinence du modèle anglo-saxon appliqué à des cultures autres, place de la démocratie représentative face à des réseaux mal identifiés (association danciens élèves, par exemple) ou à des organismes transnationaux, etc.
Cependant, même si lon accepte dans les grandes lignes la « société de la connaissance » et sa techno-science triomphante, telle quelle nous est présentée par les décideurs actuels, on ne peut ignorer les graves conséquences de la mise en concurrence des universités et de la quête débridée de l « excellence » (avec une dépendance de plus en plus importante vis-à-vis des financements privés), dabord sur la recherche elle-même :
La soumission des thèmes de recherche à lutilitarisme ou aux intérêts économiques saccentue, alors même que la difficulté dune vision à long terme est réelle, étant donné laspect spéculatif inhérent à la recherche. La surface de la recherche fondamentale et des sujets « marginaux » dans un schéma de ce type est loin dêtre garantie.
La restriction de laccès à la connaissance pour des raisons commerciales ou stratégiques de valorisation de la recherche nest guère compatible avec la tradition scientifique de libre circulation des nouvelles techniques et des nouvelles idées, qui contribue à la maximisation de leur utilité scientifique.
Ladoption de ce paradigme de la concurrence et le retour en grâce de lindividualisme et des « réseaux informels » de pouvoir a également des conséquences sur lenseignement :
La nécessité de former massivement une main duvre qualifiée, flexible, et au coût concurrentiel, cela sans augmenter les investissements publics, entraîne une pression très forte sur le système déducation. Cela jusquà le contraindre à changer de nature, en le faisant tendre vers une organisation du type « éducation permanente » ou « éducation à la carte », avec établissements autonomes, frais dinscriptions importants, crédits étudiants pour financer les études, etc. Une transition vers un système de ce type est aussi un moyen de responsabilisation de létudiant envers sa propre réussite par un réflexe consumériste et individualiste, et favorise le raccourcissement du temps réellement employé à obtenir un diplôme, ce qui contribue à la diminution des coûts.
Le contenu et la certification des formations de lenseignement public dépendent plus fortement des employeurs, jusquà être directement sous leur contrôle (diplômes et écoles dentreprises, fondations académiques, etc.).
Lélitisme devient une règle acceptée ouvertement et un but à part entière pour les institutions denseignement supérieur : « Numéro 1 ou rien ».
La correction des inégalités daccès à lenseignement supérieur est laissée au bon vouloir des bailleurs de fonds et du marché en général, que ce soit à léchelle individuelle, à léchelle régionale, ou même à léchelle de pays entiers.
Les statuts des personnels sont remis en question par le levier de lassurance-qualité, des procédures dévaluation interne et externe et de lobligation de résultats.
On voit que, dans cette perspective, lon séloigne considérablement du modèle denseignement supérieur français, et même de son équivalent chez la plupart de nos voisins européens : réductions des inégalités sociales, égalité territoriale, certification nationale des diplômes, gratuité des études sont des notions qui seront oubliées dans les institutions denseignement de la « société de la connaissance ». Est-ce bien lavenir que nous voulons pour les universités françaises, et européennes ?
Sur un autre plan, on peut se demander si la science française et européenne est si mal placée sur léchiquier international quon veuille à toute force se conformer à dautres modes dorganisation. Ce nest certainement pas le cas en France pour la recherche fondamentale, qui conserve un rang élevé malgré les Cassandre occasionnels et les crédits déclinants. Quand à la recherche plus finalisée, et particulièrement dans le domaine des nouvelles technologies et de la biologie, elle demeure effectivement à la traîne des Etats-Unis et du Japon, où les financements sont bien plus importants que dans notre pays (globalement la dépense par chercheur est environ 40% plus importante outre Atlantique, et le nombre de chercheurs rapporté à la population est 30% plus grand, une partie de ces différences étant due au plus faible montant des financements privés).
Un constat analogue peut être fait pour lenseignement supérieur français : les diplômes nationaux dingénieurs et les doctorats des universités semblent respectés par nos partenaires internationaux, et sont même la plupart du temps vus comme le gage dun niveau de qualification élevé par rapport aux diplômes étrangers équivalents. Pourtant, les sommes consacrées à lenseignement supérieur (par étudiant) chez nos « concurrents » sont également bien plus élevées : 2.7 fois pour les USA en 2001, la France ayant une dépense par étudiant largement inférieure à la plupart des pays comparables y compris en Europe.
Nous allons maintenant aborder le deuxième cadre, assez différent, dans lequel sinscrit la compétitivité voulue par nos dirigeants visionnaires.
La rentabilité de lenseignement supérieur
La seconde justification pour la compétitivité, affichée en général moins clairement car nettement moins glorieuse, est la concurrence avec les autres pays développés sur le marché international de lenseignement supérieur : lenseignement est alors considéré comme une source de profits.
Il faut distinguer plusieurs manières de tirer avantage ou profit dune offre de service éducatif à une clientèle étrangère :
Laccueil détudiants étrangers dans le même cadre que les étudiants nationaux (et donc éventuellement partiellement subventionnés par le pays daccueil) et laccueil détudiants étrangers non subventionnés : ces derniers payent les études au « coût réel ».
Lenvoi de professeurs ou de chercheurs à létranger.
Louverture de centres denseignement payants à létranger.
Lenseignement à distance.
Cette classification est celle qui va prévaloir lors des négociations du GATT sur louverture des services déducation à la concurrence internationale (elles doivent reprendre en 2005, après un « moratoire » de plusieurs années).
Les cas 1 (pour les étudiants subventionnés) et 2 correspondent à la mobilité internationale habituelle qui ressort des considérations examinées plus haut (« société de la connaissance »). Pour les universités, la présence de nombreux étudiants étrangers subventionnés, mais payant tout de même une partie non négligeable des frais peut être un gage dindépendance financière et le moyen de maintenir une certaine diversité dans les enseignements, sans que le coût en devienne prohibitif.
Les cas 3 et 4, et le cas 1 pour les étudiants non subventionnés, sont dune autre nature.
Ici, la possibilité est ouverte de séloigner des motivations culturelles, académiques et politiques, et de réellement construire un marché lucratif des services déducation, faisant intervenir des institutions publiques, privées, ou hybrides.
Quel est létat actuel de ce marché ? La plus grande partie des flux détudiants se fait des pays hors OCDE vers lOCDE (70 % environ, sur 1.6 millions détudiants en 2000), la moitié environ en provenance des pays asiatiques émergents et de la Chine. Ces flux se dirigent majoritairement vers les pays anglo-saxons (la France vient en 4ème position, devant lAustralie et après les Etats-Unis, le Royaume-Uni et lAllemagne. Ce classement est dailleurs controversé, car les « étrangers » ne sont pas partout comptabilisés de la même manière, et la France pourrait bien être plutôt en troisième position). La majorité des étrangers expatriés étudiant en France vient des pays africains (50 % environ, en provenance notamment des pays du Maghreb) et européens : la France rate donc les cibles considérées comme à « fort potentiel » constituées par les pays asiatiques.
Il y a aussi un flux intra-OCDE, moins important, mais qui est aussi orienté vers les pays anglo-saxons. Le nombre détudiants « mobiles » a tendance à augmenter, mais ne concerne encore quune petite minorité de personnes.
Les pays comme lAustralie et la Nouvelle-Zélande sont les plus en pointe dans loffre commerciale denseignement supérieur, avec développement de campus universitaires à létranger, de lenseignement à distance, et obligation pour la majeure partie des étudiants « importés » de payer les études au moins au coût réel. Cela semble important pour ces deux pays puisque, pour lAustralie, les services déducation sont la troisième source dexportation de services et la quatorzième source dexportation tout court, la situation est analogue en Nouvelle-Zélande. Aux Etats-Unis, lexportation de services déducation correspondait à 7 milliards de dollars par an en 1998 ; il existe des universités privées à but lucratif (groupe « Sylvan Learning », par exemple, côté en bourse), et certaines universités réputées ont ouvert des succursales à létranger.
Ce marché est donc bien réel, tourné vers les pays émergents, et a un poids économique certain, appelé à samplifier.
Cette notion de « marché » de lenseignement supérieur est en fort contraste avec le service public denseignement que nous connaissons en Europe, qui est généralement quasi gratuit ; quand il est payant les droits dinscription sont très largement inférieurs à ceux pratiqués par exemple aux Etats-Unis: nos universités fonctionnent en très grande partie sur crédits publics, et elles sont parmi les dernières à le faire.
De ce point de vue, les perspectives commerciales évoquées plus haut, permettent a minima pour les universités publiques denvisager des sources de financement alternatives en cas de diminution des crédits publics, et pour des institutions denseignement supérieur privées de se développer fortement dans un domaine considéré comme très important pour la croissance économique des pays de lOCDE dans les vingt prochaines années.
Quelles conséquences cela a-t-il ? La logique commerciale exige, pour exister sur ce marché, de se plier au standard existant de facto : le modèle dorganisation de lenseignement et des diplômes anglo-saxon, actuellement « leader » dans le commerce international de léducation
Lémergence de « marques universitaires mondiales » européennes, chères à Claude Bébéar et à lInstitut Montaigne est à ce prix, et lon peut donc penser, en observant la montée en puissance de ces offres commerciales, que lenseignement privé (ou une forme hybride public/privé) jouera un rôle de plus en plus prépondérant dans le monde et en Europe. Le pur intérêt économique devient ainsi un élément fondamental du remodelage de notre système déducation.
Notons au passage que la France nest pas restée inactive dans ce domaine, puisque Claude Allègre et Hubert Védrine ont créé en 1998 lagence « Edufrance », un groupement dintérêt public chargé de la promotion à létranger de loffre denseignement française (publique et privée) et de lamélioration de la prestation globale de services pour les étudiants arrivant en France (visa, logement, santé, etc.). Concrètement, Edufrance se charge dinformer les étudiants des possibilités éducatives offertes en France (via un catalogue consultable sur Internet, par exemple), organise des opérations de « marketing » à létranger et se préoccupe de grandement faciliter les démarches administratives, et notamment lobtention des visas, pour leurs clients.
Le terme de « clients » est employé ici sciemment, car il sagit bien de cela : comme le fait savoir le directeur général dEdufrance dans un entretien largement diffusé : « Nous voulons accueillir des étudiants de pays industriels et émergents qui assurent financièrement leur formation afin de proposer une alternative au système de bourses ou d'échanges ». La consultation du catalogue sur le site Web dEdufrance fait dailleurs rapidement comprendre, vu les frais de scolarité demandés pour la plupart des formations, que ces offres ne sadressent certainement quà une toute petite minorité des citoyens des « pays industriels et émergents », sans même parler des pays du tiers-monde.
Bien sûr, la France nest pas totalement inactive en terme daide aux pays en voie de développement, à travers certaines organisations internationales et également grâce à des bourses et des séjours de formation subventionnés : cependant ces aides restent confidentielles et les candidats sont en tout cas soumis à une sévère sélection. De plus, lattribution des aides est conditionnée à la satisfaction de critères politiques qui reflètent lintérêt de la France, et il existe depuis les années 80 (début de la « massification » de luniversité) une volonté des pouvoirs publics daugmenter la proportion détudiants venant des pays développés, au détriment des autres, qui a donné lieu à une multiplication des barrières administratives pour les étudiants arrivant des pays du Sud.
A cette époque, la France était le deuxième pays daccueil au monde pour les études à létranger (après les Etats-Unis) et les responsables politiques et universitaires manifestaient leur inquiétude devant cet afflux qui, selon eux, menaçait léquilibre du système universitaire français. La diminution du nombre détrangers étudiant en France, dont la cause est attribuée à une mauvaise « compétitivité » de lenseignement supérieur français, est souvent instrumentalisée pour argumenter sur lurgente nécessité de réformer ce dernier, et cela depuis le milieu des années 90 et lémergence du « marché » international de léducation. En réalité, la baisse sest étendue sur la période 1985-1995 et sexplique justement en grande partie par la mise en place de mesures restrictives pour les étudiants venant des pays du Sud.
On peut noter également, comme signe du revirement français des pays pauvres vers les pays à « fort potentiel », la mise en route dès 1998 du programme de bourses EIFFEL, dont lobjectif affiché était dattirer lélite des pays émergents dAsie et dAmérique Latine.
Force est donc de constater quil y a bien déjà deux poids et deux mesures dans laccession à lenseignement français et aux séjours détude sur le sol français : dun coté les étudiants fortunés, qui verront se dérouler devant eux un tapis rouge à leur arrivée en France, et les un peu moins fortunés, ceux qui seront impitoyablement sélectionnés suivant des critères parfois incompréhensibles et qui pour la plupart resteront chez eux.
La France ne fait en cela que reproduire la situation déjà existante dans les pays anglo-saxons où, en règle générale, les études ne sont accessibles quaux étrangers pouvant payer des frais dadmission élevés et justifier de ressources suffisantes (et où parfois cette barrière existe également pour les étudiants nationaux). De fait, les pays anglo-saxons présentent un pourcentage détudiants étrangers 3 à 4 fois plus faible que la France ou lAllemagne, par exemple.
La mobilité intra-Européenne et intra-nationale
En ce qui concerne les aspects purement européens de la mobilité, qui sont défendus en premier lieu dans le processus de Bologne, car vus comme une étape vers linstauration dune véritable mobilité internationale, il existe depuis longtemps des instruments destinés à la mettre en uvre au sein de la communauté européenne.
En plus des nombreux accords bilatéraux déchanges détudiants et denseignants, le principal et le plus ambitieux programme de mobilité à coloration « européenne » est le plan SOCRATES, dont le précurseur a été le célèbre programme ERASMUS dapprofondissement des relations entre les universités en Europe, fondé en 1987 (il existe dautres programmes, consacrés à la mobilité professionnelle ou dans dautres branches de lenseignement).
Des bourses de mobilité pour les étudiants du supérieur font partie des actions ERASMUS et la plupart des observateurs saccordent à constater que le bilan dERASMUS, au moins pour la mobilité, est mitigé : le nombre détudiants partis grâce à ERASMUS depuis sa création est de lordre de 750 000 pour lensemble de lEurope élargie (plus certains pays de lEst), soit pas plus de quelques milliers par pays et par an.
Les raisons du succès modéré de ce programme sont diverses : le montant des bourses est faible (une centaine deuros par mois, en moyenne, cumulable avec dautres bourses), lenveloppe de crédits européens attribués est limitée, et enfin les barrières linguistiques et administratives restent importantes, malgré la généralisation du système de crédits ECTS qui est utilisé pour juger des équivalences de diplômes des étudiants ERASMUS.
De nouveau, on imagine aisément que les séjours détudes à létranger organisés par ERASMUS ne sadressent guère quà des étudiants financièrement favorisés : la barrière de la langue est moins marquée pour les étudiants issus de couches aisées, et on peut difficilement quitter son pays pour aller suivre des cours dans une grande ville étrangère pendant environ une année, avec pour seule ressource la bourse de mobilité (100 à 150 euros mensuels donc), éventuellement cumulée avec une bourse nationale pas beaucoup plus importante.
Car en effet la mobilité coûte cher, et imaginer quun jour un programme européen de dimension pharaonique va permettre à tout étudiant daller faire un séjour prolongé à létranger (au moins une fois dans sa scolarité), cela à un moment où tout est fait pour limiter le poids des financements publics, semble relever de lutopie, sinon du pur délire. La réalité plus prosaïque est que, pour des raisons de coût, la mobilité sera réservée à ceux qui pourront la payer et à ceux qui auront été sélectionnés comme faisant partie de lélite méritante (deux catégories qui se recouvrent souvent) : un schéma proche de celui de la mobilité internationale.
Les modernisateurs de Bologne peuvent-ils vraiment être dupes de cette réalité quand ils défendent la mobilité étudiante ?
Malheureusement, les mêmes remarques sont valables à léchelle nationale : les étudiants français qui voudront rejoindre une université française prestigieuse, mais située dans une autre région que celle de leur résidence, ou les étudiants qui voudront se lancer dans une filière qui nexiste pas dans luniversité de leur région auront des difficultés sils nont pas les ressources propres suffisantes. Et ce type de problèmes risque de se présenter encore plus fréquemment si les universités, de par leur autonomie nouvellement acquise, se spécialisent encore plus tout en se faisant concurrence.
Loin de lutopie
Il semble ainsi se dessiner une vision un peu moins idyllique des motivations qui poussent le Club de Bologne à favoriser la compétitivité de lenseignement supérieur européen et la mobilité intra-européenne et internationale.
Ces idées qui paraissent certes séduisantes quand on les considère généralement (qui refuserait de voyager dans le monde entier pour étudier ? Qui serait contre un enseignement supérieur de qualité et reconnu internationalement ?), peuvent aussi être interprétées sur la base de considérations beaucoup plus pragmatiques, fortement reliées à la « rationalisation » de la production du capital intellectuel (voulue par le monde économique), à la répartition du pouvoir géopolitique à léchelle internationale dans le futur proche, et au consensus de plus en plus large dans les cercles dirigeants sur le fait que le monde est décidément trop complexe pour le laisser aux mains de la démocratie représentative.
Sur le problème de la place de la démocratie représentative dans les processus de décisions, la manière dont le Club de Bologne est utilisé pour contourner les limitations des traités européens est dailleurs symptomatique.
En effet, les réformes dinspiration « libérale » de léducation se sont toujours révélées délicates quand elles ont été menées à léchelle nationale, suscitant rarement une forte adhésion populaire (la France illustre bien cette réalité). LEurope a souvent été le lieu où des changements fondamentaux ont pu être décidés sans réelle consultation démocratique, et aurait idéalement pu être utilisée pour décréter sans douleur la réforme de lUniversité, en limitant la concertation à des cercles privilégiés dexperts, de dirigeants et de représentants de la « société civile ».
Or, les textes fondateurs de lUnion européenne garantissent que le contenu des enseignements et lorganisation du système éducatif restent du domaine réservé des états membres, lEurope jouant uniquement un rôle dencouragement à la coopération entre ces états.
Le processus de Bologne permet de saffranchir de cette limitation, tout en défendant, sur la question de léducation, des thèses et des réformes pratiquement confondues avec celles de lUnion Européenne et dorganismes tels que lOCDE ou la Banque Mondiale, y compris au niveau des méthodes dapplication de la réforme qui se doivent davoir laspect le moins dirigiste possible.
On arrive ainsi à éviter les écueils de la législation européenne, tout en se prévenant contre la dangereuse nécessité dune consultation démocratique à léchelle nationale.
III Une réforme justifiée pédagogiquement ?
Les projets actuels de réforme de luniversité (LMD Licence, Master, Doctorat , « modernisation », transformation du statut des enseignants-chercheurs, etc.), même lorsquils se revendiquent de « lintérêt » de létudiant, tirent un trait sur la question de la pédagogie (tout comme ils évacuent la question des moyens et de lautonomie de la recherche fondamentale). Le mot dordre de la « professionnalisation » et la réorientation progressive des discours sur la seule certification occultent toute interrogation sur le contenu et le volume des connaissances transmises ; sur les moyens de favoriser laccès pour tous les étudiants à chacun des niveaux du cursus et en tenant compte des inégalités scolaires qui les caractérisent à létat le plus avancé des savoirs produits par chaque discipline ; sur lévaluation et lamélioration du (rendement du) travail pédagogique en terme de transmissions des savoirs. Ces questions sont-elles dépassées ? Les réformes précédentes, et notamment la réforme Bayrou, ont-elles fait lobjet dun bilan rigoureux ? Qui en a tiré avantages et lesquels ?
Ces projets mettent aussi en évidence le peu de considération des pouvoirs publics, du Ministère et des Présidents des Universités, pour les enseignants-chercheurs et plus généralement les personnels universitaires, en rien consultés de manière sérieuse. Lactualité immédiate en témoigne, qui voit la Conférence des Présidents dUniversité militer activement pour le projet de loi de « modernisation » des universités, faisant fi de lopposition exprimée par un certain nombre détudiants et denseignants au printemps 2003.
Laccent mis sur louverture européenne et la mise en place de « nouveaux diplômes » (LMD.) cache une réforme de plus grande ampleur : suppression du cadre national des diplômes et création dune offre pédagogique plus ou moins étroitement locale ; regroupements disciplinaires ; « professionnalisation » des cursus. Dans ce « débat » unilatéral, la «décentralisation », pourtant bien engagée dans les faits, est présentée comme lélément décisif de la « modernisation » des Universités. La traduction la plus immédiate de lautonomie des universités en matière décisionnelle et économique risque dêtre la gestion de la pénurie, tandis que la « liberté » octroyée vis-à-vis dune réglementation nationale unificatrice risque de se commuer en dépendance vis-à-vis des intérêts politico-économiques locaux.
Cette « décentralisation », en diminuant la représentation des enseignants-chercheurs et en renforçant celle des présidents comme celle des entrepreneurs économiques dans les instances représentatives et décisionnelles des Universités dune part, en contribuant dautre part à une refonte générale des diplômes (passage au LMD), abolit le cadrage national des formations. De ce fait, plutôt que de les combattre, elle va légitimer en les entérinant les inégalités qui existent entre universités. Ces projets visent en réalité une dérégulation et une mise en concurrence généralisée du service public denseignement supérieur, prélude possible dune future privatisation.
Lobservation de la mise en place du LMD fait dabord ressortir, au niveau ministériel, une concentration du pouvoir personnel rarement vue jusquà ce jour. Les plus hauts responsables ministériels se conduisent en la matière comme de petits despotes gouvernant à coup de notes sibyllines, comptant sur linsécurité dans laquelle ils placent les personnels, enseignants-chercheurs et responsables dUFR, etc., pour faire passer leur réforme. Dans les universités où elle est déjà engagée, lobservation montre que cest la mise en concurrence généralisée qui est la règle. Le leitmotiv de la réforme est lurgence : on retrouve ici, de façon implicite bien sûr, le thème cher à certains économistes de la « thérapie de choc » : pour mettre en uvre une réforme qui a toutes chances de susciter de nombreuses résistances, il faut aller vite et laisser entendre que lon ne peut pas rater le train au risque de courir à la catastrophe. Cette contrainte suscite lhyperactivité plus ou moins contrainte dune frange denseignants-chercheurs et pas seulement celle des responsables administratifs locaux. Elle modifie les relations entre disciplines et entre collègues.
Taux déchec, « démocratisation » et questions disciplinaires
Si lon prétend se préoccuper des carrières scolaires des étudiants et de leurs apprentissages, peut-être faudrait-il dabord étudier la manière dont luniversité a géré, souvent avec les moyens du bord, et de manière différenciée selon la position des établissements et les hiérarchies disciplinaires, larrivée de nouveaux étudiants à partir du milieu des années 1980. Peut-être faudrait-il aussi évaluer les effets produits par les réformes précédentes, et notamment la « réforme Bayrou » (avec la semestrialisation et la modularisation des enseignements, la compensation inter et intra-modulaire, lévaluation des enseignants par les étudiants, etc.). Peut-être faudrait-il aussi examiner sérieusement la validité des explications les plus communément avancées par les « réformateurs » auto-proclamés de luniversité pour justifier lapplication à marche forcée de leurs « réformes ».
Retour sur le taux déchec en DEUG : vraie réalité, interprétations fallacieuses
A lobservateur pressé (et peu regardant sur la qualité des instruments dobservation), la réforme Bayrou, par exemple, pourrait sembler avoir partiellement favorisé la réussite des étudiants de certains premiers cycles (à la seule condition, et encore, de sappuyer sur un indicateur de réussite aussi grossier que le simple taux de passage de première en deuxième année de DEUG, ou de passage dun cycle à lautre). Bref, sans quil soit question de prendre en compte la hiérarchisation scolaire des filières et léventuelle augmentation de la ségrégation (sociale et scolaire) entre établissements supérieurs et entre filières. Sans quil soit question non plus de chercher à mesurer les connaissances effectivement transmises (en les rapportant à létat des connaissances disciplinaires à un moment donné).
Le taux déchec en DEUG est porté au passif des universités et des enseignants accusés dêtre majoritairement opposés à la réforme dun côté, de pratiquer une sélection insidieuse de lautre. Tous les « modernisateurs » y voient un argument décisif justifiant leur réforme : « lefficacité du système éducatif » (titre dune des parties du rapport récent de la Cour des Comptes) ou, en termes plus technocratiques/managériaux encore, son « rendement » est trop faible.
Pourtant, si cet échec est une réalité, il na pas le sens que lui donnent les partisans de la « réforme ». Il justifie encore moins les aménagements proposés qui, loin de réduire léchec, le déplacent. Si les promoteurs de la « modernisation » avaient véritablement ce souci de létudiant, il y a pourtant quelques mesures simples, certes budgétairement coûteuses mais politiquement audacieuses, qui permettraient très rapidement de réduire cet échec.
Le taux déchec est interprété de façon biaisée par les « réformateurs ». Notons dabord quil est le plus élevé dans les universités et facultés de droit qui sont pourtant les moins critiquées par ceux qui dénoncent inlassablement linadaptation des universités mais prennent essentiellement pour cible les universités de lettres et de sciences humaines. Si léchec est plus important en droit, cela tient aux formes pédagogiques qui y sont dominantes, et notamment à lhypertrophie du cours « magistral » ou plutôt « ex cathedra » (un vrai non-sens pédagogique, héritage de luniversité impériale), là où les universités de lettres et de sciences humaines donnent une plus grande part aux travaux dirigés. Ce dernier choix pédagogique vaut dailleurs aux universités littéraires une deuxième critique elle aussi ciblée : on leur reproche, au travers de ce choix pédagogique certes plus coûteux, leur gabegie en matière de gestion financière, occultant au passage le fait quelles sont moins bien dotées parce que moins bien traitées par les normes « San Rémo » (un étudiant de lettres de filière générale dit « papier/crayon » est encore plus « léger » quun étudiant de droit lui aussi pourtant « papier/crayon »).
Indépendamment des spécificités juridiques, le taux déchec en premier cycle duniversité reste élevé. Mais il sexplique par dautres raisons que celles avancées par les réformateurs, dailleurs sur un mode implicite comme, par exemple, le comportement sélectif des enseignants.
Luniversité « de masse », dans ses filières générales, celles qui sont au centre de la critique des réformateurs, est « ouverte à tous », elle ne pratique généralement pas de sélection explicite à lentrée, contrairement aux grandes (et plus petites) écoles, aux filières professionnalisées (par exemple les IUT) et aux formations conduisant à lobtention dun Diplôme dEtat (comme les écoles des professions sanitaires et sociales). Elle accueille donc des étudiants aux niveaux scolaires très hétérogènes ; elle accueille en particulier des étudiants qui navaient pas lintention de faire des études universitaires longues mais qui ne peuvent pas accéder aux filières courtes mais sélectives (STS et IUT) pourtant initialement conçues pour les accueillir mais qui, très rapidement, ont privilégié dans leur sélection les baccalauréats généraux et les mentions.
Ces étudiants se retrouvent donc à luniversité. Dès lors, ils y rencontrent des difficultés à sadapter à un système dexigences différent mais légitime. Difficultés anciennes jamais totalement résolues notamment en matière dexpression écrite, faiblesse des encouragements et de lencadrement initial de la part de leurs enseignants comme de leur famille dont ils sont souvent parmi les premiers membres à accéder à lenseignement supérieur (si ce nest à lenseignement secondaire), découragement devant le travail à effectuer
tous ces facteurs sont alors à lorigine de comportements anomiques qui accentuent encore un peu plus la probabilité de léchec. Léchec ne surgit pas ex nihilo à luniversité : lobtention du baccalauréat na pas effacé, comme par magie, les difficultés antérieures.
Dès lors, les filières générales des universités peuvent-elles être tenues pour responsables de ces échecs ? Les moyens quon leur affecte pour accueillir ce public hétérogène et peu sélectionné scolairement sont insuffisants et notamment très largement inférieurs à ceux dont disposent les filières plus sélectives pour accueillir des bacheliers qui, de leur côté, ont moins de « lacunes initiales », cest-à-dire sont mieux dotés en ressources (informations sur le système éducatif, relations dans lunivers professoral, connaissances scolaires, etc.). Ressources que les enseignements universitaires tendent à valoriser sans jamais avoir les moyens de faire autre chose que de les exiger tacitement, à défaut de pouvoir en doter progressivement tous les étudiants. Lorsque lon considère le taux déchec dans les filières générales détudiants plus proches, par exemple, de ceux des IUT, la spécificité « négative » des universités disparaît. Ce que note indirectement la Cour des Comptes qui dans son rapport davril 2003 sur « la gestion du système éducatif » signale ainsi que « Le taux daccès au deuxième cycle est de 73,6 % pour un bachelier ayant obtenu son baccalauréat sans retard, de 49,9 % si ce retard est dun an et de 29,1 % sil est supérieur à un an. » Ces 73,6 % ne sont guère éloignés des taux de réussite en IUT, de lordre de 80 %.
Si les universités les plus mal dotées avaient les mêmes dotations que les établissements sélectifs, elles pourraient faire encore mieux. Pourquoi ce qui est bon pour les étudiants des filières sélectives (par exemple la taille, autour de 20 étudiants, des groupes de TD, rebaptisés « conférences de méthode », dans les instituts détudes politiques) ne le serait pas pour luniversité qui accueille tout le monde (les groupes de TD dans une université littéraire sont le plus souvent de 35 élèves, voire 40 et parfois jusquà 45) ? Pourquoi la norme de 15 étudiants par groupe, que lon retrouve dans tous les dispositifs dits « de remédiation », mais qui simpose aussi dans les actions de formation continue, na-t-elle pas cours dans luniversité « de masse » qui avancerait ainsi dans la voie de la démocratisation de la transmission des savoirs ? Il y a là matière à opérer des choix politiques ambitieux, loin des propositions conservatrices des « réformateurs » qui ne conduisent quà gérer la pénurie, à conserver le statu quo (en matière de démocratisation effective de laccès à lenseignement supérieur, cest-à-dire aussi en matière de transmission et dappropriation effective des savoirs les plus valorisés) et ne visent quà limiter, voire remettre en cause, lamorce de démocratisation de laccès à luniversité (par rapport, par exemple, aux facultés des années 1950).
Un traitement artificiel du taux déchec
Le procès de léchec en premier cycle universitaire une fois instruit, les réformateurs proposent alors de le traiter, mais de façon totalement artificielle :
en transférant la responsabilité de léchec sur les enseignants, alors rappelés à lordre, cest-à-dire expressément invités à noter moins sévèrement, comme si la notation, qui entérine léchec patent à satisfaire aux exigences universitaires (à un moment donné, dans une discipline donnée), produisait elle-même cet échec ; comme si, dautre part, les enseignants notaient plus sévèrement quauparavant ;
en organisant quasi administrativement laugmentation du taux de passage dun cycle à lautre, dans le prolongement de certaines dispositions prises antérieurement au niveau des collèges et des lycées. La réforme Bayrou et ses prolongements dans le L du LMD obéissent à cette logique consistant, dune part, à appeler et contraindre à lallégement des examens, à la réduction de leur durée, de leurs exigences parfois jusquà prôner la seule forme du QCM , voire à imposer la réduction du nombre dheures denseignement et, dautre part, à organiser le maintien des hiérarchies (sociales et scolaires) entre établissements et entre filières voire laugmentation de la ségrégation entre filières. Les hiérarchies objectives sont ainsi toujours présentes mais masquées ou brouillées sous la multiplication des appellations, des options, des « parcours individualisés », bref légitimées par la référence insistante à la place centrale dun lycéen puis dun étudiant abstrait, « acteur » de sa formation, appelé à développer un « projet » personnalisé.
La semestrialisation et la modularisation des enseignements, la compensation entre modules et à lintérieur des modules ont aussi produit leurs effets. Mais ceux-ci étaient-ils tous attendus ? Ce qui prévaut désormais, et sans doute plus que jamais, pour chaque discipline, cest lhétérogénéité des formes dévaluation (suivant les universités, les UFR ou les départements) : les uns privilégient seulement le contrôle continu, là où dautres utilisent conjointement contrôle continu et contrôle final, etc. Et, malgré des cadrages dits nationaux, on peut dores et déjà observer de très grandes disparités selon les universités, pour une même discipline (entre heures de cours et T.D., volumes horaires globaux notamment).
Plus généralement, on ne peut passer sous silence le fait que la seule application globale de la réforme Bayrou a également été différenciée selon les établissements et les disciplines : la « démocratisation » (mais faut-il lui conserver ce titre ?) sest opérée dans certaines zones de lenseignement supérieur, celles qui étaient déjà les plus accessibles aux étudiants les moins sélectionnés scolairement et socialement. La question de la démocratisation de laccès aux grandes écoles na vraisemblablement jamais été à lordre du jour, tandis que les facultés de médecine ont maintenu leur double système de « concours », à lentrée (avec le numerus clausus en fin de première année de premier cycle) et pour la formation des généralistes et des internes (avec le concours de linternat, réformé en 1982).
Ces dispositions déjà appliquées et les nouvelles propositions de « réforme » ne peuvent donc quaccentuer les contradictions de « lUniversité de masse », et conduire à sa dégradation. On ne peut alors sempêcher de remarquer quune fonction objective du système denseignement que les « réformateurs » nont pas cherché à entraver, sinon un objectif secondaire auquel ils nont jamais renoncé, consiste bien à instaurer la sélection à lentrée de lenseignement supérieur ou au cours des premiers mois et des premières années. Mais une sélection quils voudraient pouvoir justifier pleinement, plus légitime que la seule sélection sopérant par le biais dune orientation subie et de léchec visible en premier cycle : si cétait le cas, et si le verdict était in fine repoussé au seul moment de laccès à lemploi, alors il ne resterait plus quà « blâmer les victimes », les renvoyer à leur insouciance antérieure ou leur incapacité personnelle à se prendre en main, à « construire un projet » (scolaire et professionnel).
Les pratiques des établissements sélectifs nous renseignent pourtant sur lopacité des critères localement utilisés pour faire le tri parmi les postulants. Comme le remarquent les magistrats de la Cour des Comptes : « Les filières professionnelles, compte tenu de la forte demande étudiante, sont ensuite systématiquement sélectives : or les critères de sélection sont localisés à lextrême, opaques et non harmonisés, ce qui ne garantit nullement leur pertinence ». On imagine les conséquences si ces procédures de sélection à lentrée se généralisaient à lensemble de lenseignement supérieur. En loccurrence, les arguments defficacité ou de légitimité démocratique, avancés par les modernisateurs, ne tiennent pas. La sélection à lentrée que prônent certains dentre eux ne passerait pas par lorganisation dépreuves et linstauration dun nouvel examen (que nont-ils déjà pas dit sur la lourdeur du baccalauréat et la nécessité de son allègement
). Elle se ferait donc sur dossier (résultats antérieurs, profil du bac, profil du lycée, et autres critères beaucoup plus implicites pourquoi pas lorigine géographique et nationale ? ) ; elle se ferait aussi sur la base dentretiens de motivation dont on sait quils encouragent et privilégient dabord ceux qui sont socialement « bien nés », les plus à même de fournir, dans les formes, par la manipulation de la langue légitime, la preuve de leur « motivation », les plus à même, aussi, de donner à voir la cohérence dun « projet », parce que les plus à même socialement de se projeter dans lavenir. Autant de critères qui accentueraient encore les inégalités daccès et de réussite dans lenseignement supérieur.
Dislocation des parcours et conceptions de la pluridisciplinarité
Une rescolarisation improbable
La rescolarisation de lenseignement supérieur paraît hautement improbable à lheure de « lindividualisation des cursus », de lémiettement des formations en unités capitalisables ad vitam aeternam, de la dédisciplinarisation des formations, comme du centrage thématique des masters autour dobjets spécialisés. Autant de facteurs qui, cumulés, contribueront sans doute à renforcer les forces centrifuges qui sexercent sur les cursus et les trajectoires scolaires (augmentation du turn-over des étudiants, dispersion dune masse atomisée de consommateurs démunis), déjà particulièrement redoutables pour les étudiants les plus faibles scolairement et les moins soutenus socialement.
Le démembrement des cursus ou des disciplines au profit dunités interchangeables est ainsi opéré sans interrogation sur ses effets en matière dapprentissage intellectuel. En fait, cest lidée même de cursus, cest-à-dire dun cours régulier des études ordonné à un apprentissage systématique et rationnel sur un temps suffisamment long dune discipline donnée, qui disparaît pour ces étudiants-là, au profit de la promotion dune logique individualiste et éclectique évoquant plus le fonctionnement dun supermarché du pauvre, approvisionné au gré des stratégies économiques des investisseurs, et jouant à la marge de la fluctuation des goûts ou dégoûts de consommateurs captifs. Et la généralisation de formats pédagogiques très courts (organisés sur un semestre) rend impossible la réalisation et le suivi de travaux de recherche sur une année, cest-à-dire lapprentissage du travail intellectuel et une première confrontation à lexercice de la recherche.
Plus quà une harmonisation des parcours, - et bien loin dune mise à plat de tous les « dysfonctionnements » de lUniversité et dune lutte contre les inégalités dont elle est le siège, sinon la cause -, la mise en place des LMD risque ainsi de conduire à une dislocation des parcours, et cela dautant plus que les étudiants seront moins dotés de ressources (économiques, culturelle, sociales) à lentrée dans lenseignement supérieur. Du côté des personnels enseignants, le risque est dune part de se voir progressivement cantonnés au rôle de « certificateurs de savoirs et savoir faire » supposés détenus sinon acquis par les étudiants et, dautre part, de devenir des enseignants-administrateurs (de stages, de filières, de diplômes) au détriment de la production et de la transmission des connaissances.
Ambiguïtés et contresens sur la pluridisciplinarité
Ces transformations apparaissent dautant plus paradoxales quaux niveaux les plus élevés du monde académique, la logique disciplinaire règne en maître. Nobserve-t-on pas alors un des effets de la dualisation croissante du monde académique entre un secteur haut, fortement sélectif et disciplinaire, et un secteur bas, socialement plus ouvert, intellectuellement plus éclectique, et aux débouchés apparemment plus diversifiés mais surtout plus incertains ?
Le maître mot de la pluridisciplinarité risque bien de fonctionner comme un miroir aux alouettes : il serait nécessaire de poser la question des conditions sociales, académiques, et finalement historiques de possibilité de ce projet. Lequel fut déjà, dans les années 1960, un des maîtres mots de certaines universités, telle lUniversité Paris 8 Vincennes des origines, sans quil nait été fait un quelconque bilan de cette expérience, tant du côté enseignant que du côté étudiant. Cette réflexion est dautant plus nécessaire que, dans lesprit du ministère, les masters devraient être à la fois thématiques et pluridisciplinaires. Pour sen tenir à un premier indicateur de « pluridisciplinarité », concernant les seuls enseignants, combien sont, par exemple, finalement susceptibles de publier dans deux revues majeures de disciplines différentes ? Sans doute ce nombre nest-il pas très élevé.
Sous le mot dordre de la plurisdisciplinarité, ce sont en fait deux conceptions très différentes de celle-ci qui sont mises en uvre, en direction de deux publics, la seconde conception servant de caution à la première. Ici (cest-à-dire aux étapes les plus basses du cursus, dans les établissements les moins pourvus en moyens, avec les étudiants les moins dotés socialement et scolairement), il sagit plutôt de la juxtaposition dheures que lon pourra de moins en moins rapporter à une orientation disciplinaire précise denseignants « accompagnateurs » de létudiant et, ainsi, de la production de futurs « techniciens » dépossédés de la maîtrise théorique de leur pratique : plutôt que de pluridisciplinarité, sans doute vaudrait-il mieux parler da-disciplinarité, cest-à-dire dabsence de maîtrise des savoirs théoriques spécialisés et dabsence de capacité à satisfaire aux exigences propres à chacune des disciplines. Là, mais pour une minorité détudiants très sélectionnés à un niveau élevé du cursus, il sagit bien plus de continuer à accumuler connaissances et capital social par la fréquentation assidue denseignants prestigieux (comme dans certains séminaires de troisième cycle organisés dans les établissements dominants scolairement et symboliquement lespace de lenseignement supérieur, la plupart du temps parisiens).
De plus, la pluridisciplinarité projetée des masters ne saccorde guère avec la logique monodisciplinaire des concours de recrutement du secondaire. Cest là un des points les plus obscurs de la réforme, les disciplines les plus puissantes, ou les mieux installées dans chaque université, étant les plus à même de bâtir des masters monodisciplinaires, ou de forcer les autres à sintégrer à titre de disciplines dappoint dans des formations gérées par elles. Les masters préparant à ces concours seront-ils considérés comme des masters professionnalisants ? De fait, ceux-ci prépareront bien à des « professions », même si le ministère pour des raisons idéologiques ne veut pas entendre parler de celles-ci, sans doute parce quelles sont principalement orientées vers le secteur public. A terme, il est bien possible que soient visées la suppression des concours de recrutement (type CAPES) et la constitution dun marché des établissements : sortant avec léquivalent dun master of education, laspirant enseignant devra faire le tour des établissement et se vendre. Tout cela nest pas non plus sans poser le problème du rôle et de la place des IUFM dans ce nouveau dispositif.
Réforme ou contre-réforme néo-libérale ?
Depuis la publication des arrêtés relatifs aux nouveaux diplômes universitaires (25 avril 2002), au niveau de chaque université, chacune des (micro) « communautés universitaires » est entraînée dans un véritable tourbillon réformateur, une sorte de « Grande Révolution Culturelle » qui est souvent résumée, de manière un peu rapide, par les initiales LMD. La façade est grandiose : le LMD va créer un système de certification unifié en Europe (avec les ECTS) et permettre ainsi la mobilité internationale des étudiants. La réalité lest moins
Pour des raisons liées en premier lieu au calendrier des plans quadriennaux, chaque université entre en ordre dispersé dans la « vague » de mise en uvre des réformes, ce qui ne favorise pas linstauration dun débat national sur les conditions de cette mise en oeuvre. De plus, sous lintitulé commun dUniversité, cest un ensemble détablissements très « disparates » qui sont appelés à réorganiser les enseignements quils dispensent. Les universités qui concentrent le plus de moyens (nombre détudiants par discipline ou valeur sociale et scolaire très élevée de ces étudiants, concentration denseignants-chercheurs, de laboratoires scientifiques et de traditions de recherche, etc.) peuvent espérer tirer leur épingle du jeu (tant il est vrai que, là comme ailleurs, « le capital va au capital »). Par contre, au sein des universités initialement les moins dotées, les UFR et départements les plus récents et les moins développés (a fortiori les « antennes délocalisées ») sont en position de faiblesse pour négocier cette réorganisation. Leurs représentants sont condamnés à nouer des alliances très fragiles avec les représentants des disciplines dominantes localement, alliances rarement dictées par des considérations scientifiques, épistémologiques ou intellectuelles. Ces alliances peuvent se retourner au gré des opportunités plus avantageuses que saisissent des « partenaires » en meilleure position dans la négociation, et ils risquent de ne pouvoir survivre institutionnellement quen entérinant la disparition de leur discipline (des intitulés dabord, des enseignements ensuite). Mais cette description stylisée des différences universitaires ne doit pas masquer le fait que cest un continuum de situations qui se présente à lappréhension, ce qui, dailleurs, entretient chez chacun la croyance dans la possibilité de ne pas être si éloigné que cela des « pôles dexcellence » dont la constitution est prônée par le ministère.
Ainsi, le choix initial de faire partie des « bons élèves » suppose lintense mobilisation de la communauté universitaire afin de proposer une « offre pédagogique » susceptible dêtre « habilitée » durant lannée universitaire 2003-2004. Autant dire que le leitmotiv de la réforme est la contrainte des délais : il faut faire vite. Le tourbillon réformateur suscite lhyperactivité plus ou moins contrainte de nombreux enseignants-chercheurs, notamment ceux qui exercent des responsabilités administratives locales (président, vice-président, doyens, directeurs de département, membres des conseils, etc.) (§ Une frénésie « auto-réformatrice »). Il modifie déjà les relations entre collègues et entre disciplines (§ Concurrence généralisée, dégradation des conditions de travail). Il est à lorigine de nombreuses discussions à tous les niveaux et aussi, de plus en plus, dune énorme frustration et de sentiments qui oscillent entre la résignation et la colère, qui a commencé à sexprimer en mai-juin 2003 et sexprime ponctuellement à loccasion de réunions de conseils (§ Frustrations, résignation et colère).
On peut proposer une interprétation de cette frénésie réformatrice. Par le contexte dans lequel elle sinsère, il sagit dune nouvelle avancée de réformes néo-libérales qui, sans toujours dire leur nom, affectent lUniversité française depuis les années 1980 et ont pour but de ladapter rapidement aux « données » de la mondialisation néo-libérale. Cette réforme est une « auto-réforme néo-libérale » (§ Le LMD sinscrit dans un système cohérent de réformes néo-libérales).
Une frénésie « auto-réformatrice »
On pourrait qualifier le nouveau management public universitaire qui se met en place à travers ce que lon appelle désormais « le LMD » de frénésie auto-réformatrice. Cela ne signifie pas que la communauté universitaire soit devenue véritablement maîtresse de ses décisions, bien au contraire (cf. infra). La « réforme » trouve son origine immédiate dans une procédure qui nest pas du tout démocratique : des arrêtés ministériels quil ne sagit évidemment pas de discuter mais dappliquer, dans des délais brefs. La « ligne hiérarchique » est respectée. Les présidents duniversité impulsent lapplication des arrêtés et les conseils dadministration décident dun rythme de mise en uvre. Les UFR doivent rapidement engager la « concertation » parmi les collègues et, cette fois du bas vers le haut, remettre des propositions aux échelons supérieurs (CEVU, conseil dadministration, ministère). De ce point de vue, le vocabulaire de la « concertation » et de la « décentralisation » cache linverse : une décision centralisée qui doit se décliner localement et être validée par les votes « démocratiques » des élus... De ce point de vue, la réforme est un superbe révélateur du fonctionnement de la « démocratie universitaire » : accumulation de structures aux fonctions diverses, à différents niveaux, elle a pour effet lapparition dun décalage entre la « communauté » de base et les représentants qui votent régulièrement des décisions de réforme sans mandats clairs de leurs collègues.
La contribution des personnels est néanmoins fortement sollicitée : les responsables doivent se mobiliser et mobiliser autour deux, pour parvenir à déposer des propositions dans les délais fixés par le niveau supérieur. La contrainte « psychologique » est omniprésente. Faute de mobilisation réformatrice, cest linconnu et peut-être la mort de filières de formation, bref le néant ! Plus concrètement, la menace plane : une université de Province peut vite se muer en petit collège universitaire si elle ne saisit pas lopportunité de sengager dans la compétition et la voie de l« excellence ». Largument, qui repose sur la peur, est très efficace.
Limpératif réformateur na de chance de fonctionner vraiment que parce quil sappuie sur une technologie imparable : la mise en concurrence généralisée. Aucune contrainte doffre pédagogique nétant posée den haut, chacun est confronté à son avenir professionnel dans des termes nouveaux : il faut sinsérer (cest-à-dire plus exactement insérer son capital universitaire : direction de DESS ou de DEA, cours en deuxième cycle, spécialité de recherche, etc.) dans un projet totalement nouveau, avec comme contrainte pour les masters des impératifs aussi vagues que la « pluridisciplinarité » ou, plus précis et extrêmement pesant, le seuil minimum de 100 étudiants par master, qui implique la concentration et le regroupement des DESS et DEA existants (qui a en décidé, quand ?). On le voit : le vocabulaire qui se diffuse déjà indique que chaque universitaire est dès maintenant devenu un porteur de projet doffre de formation qui doit trouver sa place sur le marché, et devra bientôt faire la preuve de sa rentabilité (il « forme » et « insère » bien ses étudiants) pour pouvoir survivre dans le dur monde contemporain de la compétitivité et de la performance.
Concurrence généralisée, dégradation des conditions de travail : la réalité de la mise en place du LMD
Mais lanalyse suppose daller voir de plus près ce quil en est de la réalité de la mise en place du LMD. Nous développerons dans les lignes qui suivent une première étude de cas concernant luniversité dAmiens, dans lattente du développement dautres descriptions circonstanciées.
A Amiens, le choc de lannonce de la réforme passé, les acteurs universitaires se sont souvent très vite trouvés plongés dans une problématique relativement nouvelle : il fallait nouer des alliances entre collègues ou disciplines et ne pas « rater le train » de la réforme, puisque celle-ci entrerait « inéluctablement » en vigueur en septembre 2004. Lenjeu premier, ce qui peut sembler surprenant à première vue mais sexplique par la logique des intérêts universitaires (et par lagenda ministériel ?), était dabord le « M » (master): les directeurs de DESS et de laboratoires devaient sassurer au minimum de la « préservation des acquis » et tenter de sortir en bonne position des discussions. Le but principal recherché était de conserver la position (le capital universitaire) acquise, et le cas échéant de laméliorer.
En quelques mois, les rapports cristallisés souvent de très longue date entre départements, voire entre UFR, se sont trouvés assez fortement chahutés. Les « petites » disciplines, se sentant particulièrement menacées par la contrainte de regroupement, ont été les plus activ(ist)es dans la recherche dalliances et ont été traversées de débats intenses qui remettaient parfois en cause leur ancrage historique.
Ainsi, la science politique, encore (localement) dépendante du droit mais plus tournée vers la recherche universitaire que le monde « professionnel », a hésité entre un rapprochement avec la sociologie et un maintien dans lorbite de sa « mère-discipline ». Le sentiment de menaces sur la science politique a été particulièrement exacerbé dans ce contexte. La directrice du laboratoire de science politique et droit (CURAPP) a remis en cause, dans un article de Libération, ce quelle a appelé l « euro » universitaire, évoquant le système des ECTS indissociable de la mise en place du LMD.
Au sein de lUFR de philosophie, sciences humaines et sociales, qui regroupe historiquement psychologie, sociologie, philosophie et sciences de léducation, ce sont surtout les rapports historiques entre départements qui ont été mis en jeu par la création de masters. En position de force par son nombre détudiants et ses liens étroits avec un secteur professionnel, la psychologie était en mesure de faire sa propre proposition de master et de limiter les conséquences de la réforme. En revanche, disciplines aux débouchés professionnels soit plus flous soit liés aux concours denseignement, sociologues, philosophes et spécialistes de sciences de léducation ont beaucoup discuté avant darriver à la proposition validée par le CEVU du 22 novembre 2002 puis le CA du 29 novembre 2002 de « deux » masters thématiques pluridisciplinaires : un master « constitution et transmission des savoirs » et un master « dynamiques des mondes contemporains et dialogue des cultures » (par regroupement de deux propositions antérieures). Les intitulés de ces masters illustrent une première conséquence de la logique des alliances obligées, à savoir la lisibilité discutable des nouveaux intitulés « non disciplinaires ». En quelques jours, une discipline comme la « philosophie » voyait donc son nom disparaître en tant que tel aux niveaux 4 et 5 de luniversité, dans les intitulés des « domaines », mais aussi dans ceux des « mentions ». Elle devrait nexister à ce niveau que comme « spécialité » dune « mention ». On mesure évidemment mal les conséquences dune telle décision, mais il est difficile de croire quelle sera totalement sans effet. Il faut noter que le contexte de réforme à Amiens a été loccasion de propositions de masters transdisciplinaires, comme un master « environnement », qui allait très directement dans le sens du décloisonnement disciplinaire et correspondait à un axe de lUniversité (COS) mais qui na pas été retenu. Les « porteurs de projet » ne sont pas toujours récompensés.
La question de lintitulé du « domaine » du diplôme de Licence commun à lUFR a donné lieu à une vive tension entre psychologues et philosophes autour de la présence du nom « philosophie » : certains psychologues la refusaient au nom de ses conséquences professionnelles négatives pour leurs étudiants, alors que les philosophes la défendaient au nom des principes (la philosophie nest pas une discipline à proprement parler, encore moins une science humaine) et de la place déterminante que la philosophie a occupé dans la naissance de lUFR.
Lélaboration du contenu des maquettes a accentué le sentiment de pression temporelle, car il sagit désormais de discuter sinon du niveau le plus détaillé des maquettes (nous y sommes, en ce moment), du moins des grands équilibres entre les différents regroupements denseignements : méthodologie, fondamentaux, etc. La quantification en ECTS devient alors le principal point de discussion (sachant quelle ne recouvre pas exactement le volume horaire pour létudiant
). On entre alors dans une phase de technicisation des discussions, qui contribue à laisser une partie des collègues sur la touche : le vocabulaire change (on parle de « semestre 3 et 4 » pour la deuxième année de DEUG, de « domaines », de « mentions », d« options », etc.) ; on fait des calculs rapides (additions dECTS, conversions dECTS en heures) ; les réunions prennent du temps et leurs conclusions ne sont pas toujours strictement cumulatives. Les conditions de travail des responsables et des enseignants-chercheurs, en particulier les plus investis dans la réforme, se dégradent rapidement sous leffet du poids des charges administratives que la réforme impose déjà : réunions, rédactions de maquettes, information et explication aux collègues prennent du temps sur lenseignement et la recherche.
Par rapport aux maquettes des précédents plans quadriennaux, les principales différences proviennent sans doute ici des effets de la mise en commun des filières et de lintroduction des ECTS. Il sagit de discuter sur une échelle plus large, avec des collègues de diverses disciplines, et les « équilibres » sexpriment en ECTS. Les semestres 1 et 2, qui nintéressent pas toujours directement les « rangs A », sont laissés à une discussion finale alors quils posent manifestement des problèmes aigus de relations entre disciplines, puisque le principe de mise en commun entraîne une modification inévitable des équilibres actuels.
Les incohérences du LMD au quotidien : lexemple de Lyon 2
A luniversité Lyon 2, ladoption de la réforme LMD conduit demblée à une réorganisation profonde de lenseignement et du calendrier universitaire. Les conséquences immédiates en sont : 1) un allongement de la durée des semestres denseignement, équivalents à 30 semaines contraintes, auxquelles sajoutent 5 semaines dexamens, soutenances et autres obligations liées à lenseignement ; 2) la réduction simultanée, et paradoxale dun point de vue pédagogique, de lUnité dEnseignement (U.E.) de 24 à 21 heures ; 3) luniformisation des durées denseignement à 1 heure 30 minutes.
La nouvelle organisation obéit, pour lessentiel, à des contraintes étrangères aux considérations pédagogiques : gestion des emplois du temps et des salles de cours, tentative dintensification du travail sur la base de la supposition que deux heures de cours entraînent linstauration de pauses quil ne sagit plus de payer. Le passage à une durée standard denseignement de 1 h 30 conduit au suivi dun plus grand nombre de Travaux Dirigés, donc détudiants en groupes, ce qui, matériellement, vient contredire le souci pédagogiquement légitime des enseignants de voir progresser la mise en uvre dun suivi plus individualisé. De même, la bi-disciplinarité (la mise en place de parcours de formation dans deux disciplines différentes au cours des 4 premiers semestres) entraîne de fait une massification des effectifs étudiants, pour un encadrement constant...
Mais cest peut-être en ce qui concerne la recherche que le dispositif comprend le plus deffets pervers. La définition des emplois du temps des enseignants-chercheurs était jusqualors pensée en lien avec le déroulement des activités des équipes de recherche : réunions de laboratoire, séminaires de recherche, invitations de conférenciers extérieurs, séminaires de formation des doctorants, séminaires de DEA. Or, la multiplication artificielle des contraintes matérielles et temporelles de lenseignement provoquée par la réforme LMD restreint considérablement cet espace de la recherche.
Plus grave encore, la réforme risque de conduire à labandon des premiers cycles universitaires, espaces de relégation pour jeunes étudiants de milieux populaires que fuient massivement les enseignants-chercheurs titulaires (et dautant plus que leur statut est plus élevé). Ce nest pas seulement la partition entre des établissements dexcellence et des universités de seconde zone qui se dessine, mais un clivage analogue, interne à chaque établissement universitaires, séparant les Licences (et les filières ne produisant que des licences) des Masters et Doctorats recrutant dans des établissements plus sélectifs scolairement et socialement (entre autres, classes préparatoires).
Frustrations, résignation et colère
La réforme est donc déjà parvenue à créer ou à renforcer un sentiment dinsécurité professionnelle larvé, qui se trouve en quelque sorte validé par le contexte des réformes universitaires globales : la « modernisation », la « décentralisation ». Celles-ci ouvrent des opportunités à certains acteurs, mais elles suscitent un malaise très large chez la grande majorité des collègues. Lannonce des projets de « réforme » du statut denseignant-chercheur ne peut que renforcer ce sentiment.
Le LMD exprime aussi le clivage croissant entre une minorité denseignants-chercheurs investis dans les responsabilités administratives et la grande majorité des autres, moins informés, sommés de « sinsérer » dans des projets de formation aux contours toujours plus flous et de « sadapter » à un univers toujours changeant.
Une telle procédure de réforme auto-administrée (comme on sauto-administre un questionnaire, mais aussi un médicament ou une piqûre) ne peut que créer de nombreuses frustrations : la dégradation des conditions dexercice du métier denseignant-chercheur est le fait des enseignants-chercheurs eux-mêmes et a pour finalité une dégradation encore accrue, puisquils organisent aujourdhui le travail par lequel ils « réforment » luniversité.
Cest une sorte de Mai 68 à lenvers : on leur demande par voie hiérarchique dappliquer les principes de lautogestion pour créer un univers technocratique, largement fictif, en phase avec les rêves néo-libéraux. Cest aussi la victoire de la langue de bois réformatrice contre toute forme de démocratie « participative » réelle : les porteurs de projet doivent se positionner dans la compétition et la concurrence en proposant une « offre » de qualité.
Dans ce climat, le mouvement social de mai-juin 2003, bref et localisé mais intense dans plusieurs universités, a montré que le sentiment dune dynamique actuelle très dangereuse, voire suicidaire, pour luniversité française en général, est beaucoup plus répandu quon ne le croit. Des examens ont été reportés. Une coordination a vu le jour. Les oppositions se sont manifestées et continuent de le faire à loccasion de réunions diverses.
La résistance à la réforme est large, mais elle cherche des formes dexpression et doit faire face à lagenda technocratique des réformateurs néo-libéraux. Si elle ne sappuie pas sur des propositions alternatives crédibles, largement diffusées, elle court toujours le risque dêtre immédiatement stigmatisée comme « réactionnaire », voire purement et simplement « irrationnelle ». Or, lirrationalité est aujourdhui tout entière du côté de cette course effrénée à la « modernité » qui va aboutir à une formidable régression historique, reléguant luniversité et la recherche françaises dans un état quasi-préhistorique.
Le LMD sinscrit dans un système cohérent de réformes néo-libérales
La réforme LMD doit son crédit a priori auprès de bon nombre denseignants au fait quelle est censée « faciliter » la mobilité étudiante en « harmonisant » des diplômes : elle est en phase avec les thèmes néo-libéraux de l« ouverture » (il vaut mieux être ouvert que fermé) et du « mouvement » (il vaut mieux bouger quêtre statique). Cet a priori positif exprime le degré élevé dintériorisation chez les enseignants-chercheurs de la tendance selon laquelle il faut être toujours plus ouvert et toujours plus mobile. Il faut dire ici que la dimension internationale du métier de chercheur est une réalité objective qui contribue à renforcer cet a priori positif.
Pourtant, on peut penser que la réforme LMD a pour finalité, sinon exactement linverse, en tout cas un objectif plus fonctionnel économiquement : elle vise à créer plus de mobilité européenne voire internationale pour les étudiants les mieux dotés en capital culturel, économique, social (ce qui correspond à la notion de « pôle dexcellence ») ; mais elle vise aussi simultanément à mettre en place des diplômes plus professionnels et plus locaux (donc moins de mobilité) pour les autres, la grande majorité des étudiants. Cette dualisation du monde étudiant, qui existe bien sûr déjà en partie objectivement, sortira probablement renforcée et institutionnalisée.
Lune des clés de cette institutionnalisation du dualisme est la création dun système universitaire lui-même de plus en plus clairement dual. On trouvera à un pôle des enseignants-chercheurs tournés vers la recherche internationale et confrontés à des étudiants généralistes dans des établissements dotés en capital économique et symbolique ; et à un autre des enseignants beaucoup moins chercheurs, beaucoup plus administratifs, qui devront nouer des partenariats avec des entreprises locales pour sinsérer eux-mêmes tout en « insérant » leurs étudiants.
Les présidents duniversité, acteurs de premier plan de la réforme LMD, y voient un élément permettant de créer une « offre pédagogique » plus pertinente localement et de renforcer ainsi linsertion de luniversité dans le monde environnant, de faire prospérer leur entreprise. A Amiens, le président incarne aujourdhui lenthousiasme réformateur, qui rencontre un scepticisme de plus en plus manifeste. Les présidents demandent aujourdhui, très souvent, à avoir enfin les « coudées franches » pour pouvoir gérer leur personnel plus librement (quil sagisse des enseignants-chercheurs ou des autres) : pour certains afin de devenir « pôle dexcellence », pour dautres afin de devenir des entreprises pourvoyeuses de services de formation auprès des acteurs socio-économiques régionaux. Et, finalement, tel est peut-être le premier objectif de la mise en place du LMD : créer un environnement concurrentiel où les individus sont des porteurs doffres de formation dont ils doivent prouver la validité.
Il est donc tout dabord très important de remettre en cause l« urgence » de la réforme. La précipitation et la logique de contrainte temporelle font partie dune méthode de « gouvernance » qui fait de la démocratie un simulacre.
IV - La réforme au nom de la professionnalisation ?
Là encore, largument est constamment mobilisé par les modernisateurs. Cette volonté de professionnaliser lUniversité traduirait encore leur souci de létudiant, de son insertion sur le marché du travail ; et les résistances à la professionnalisation, symétriquement, le corporatisme denseignants-chercheurs, soucieux avant tout de leurs jeux et joutes intellectuels, oublieux des étudiants
La réalité nous semble pourtant bien différente. La professionnalisation est une politique dinstitution, une politique daffichage, qui ne réalise pas les objectifs quelle annonce, notamment en termes dinsertion, et qui cannibalise par ailleurs luniversité.
Il est temps de stopper cette tendance à la professionnalisation non maîtrisée et contraire aux intérêts des étudiants que les réformes présentées veulent encore accentuer. Nous ne nous désintéressons pas de linsertion professionnelle (mauvais procès instruit par les chantres de la professionnalisation) ; nous considérons simplement que la professionnalisation à outrance est dangereuse pour les étudiants (surtout lorsquil ny a pas demploi au terme dune voie de formation étroite et professionnalisée), pour les universités, pour la recherche. La vocation dune université ne saurait être celle dun agglomérat décoles professionnelles préparant souvent, qui plus est, à des professions qui ne correspondent pas à des emplois.
Une politique daffichage
La professionnalisation semble devenir lhorizon indépassable de luniversité. Les « experts » (officiellement nommés ou autoproclamés), les parlementaires dans les débats autour de la loi de finances , les magistrats de la cour des comptes, contrôlant « La gestion du système éducatif » (titre du rapport davril 2003), le ministère enfin, tous poussent les universités à toujours davantage se professionnaliser, comprendre sadapter aux besoins et aux demandes du «monde professionnel » (comme sil y avait dailleurs un seul monde professionnel). Un propos récurrent donc, inscrit en capitales dans tous les projets de réforme, qui semble relever du discours performatif, sur le mode du «quand dire, cest faire ». Car la professionnalisation progresse fortement depuis la création des IUT en 1966. Certes, il existait auparavant des facultés « professionnalisées » (la médecine et le droit). Mais cest depuis le début des années soixante-dix, avec une accélération dans les années quatre-vingt, que se sont multipliées les filières « professionnelles », délivrant des diplômes à tous les niveaux de sortie de lenseignement supérieur (du 1er au 3e cycle). La professionnalisation ne se limite pas aux filières professionnalisées (ou semi-professionnalisées comme LEA par exemple) ; elle passe également par lintroduction déléments « professionnels » (appelés parfois de « pré-professionnalisation ») dans les filières générales, rebaptisées désormais, de façon dépréciative, filières « académiques » (sous-entendant dans cette nouvelle acception du terme « académique », une coupure avec la réalité, une coloration excessivement théorique). Stages en entreprises, modules aux intitulés ésotériques (type « PPP », projet personnel et professionnel), censés permettre de faciliter linsertion professionnelle des étudiants), les initiatives se multiplient, de façon débridée.
La pré-professionnalisation : des modules coûteux à tous les niveaux
La pré-professionnalisation, particulièrement à la mode dans les universités littéraires, pousse des étudiants à une spécialisation prématurée et entretient le mythe des vocations, en occultant les effets sociaux qui président à lémergence de celles-ci. Lintroduction, par exemple, dès la première ou deuxième année, de modules « IUFM » na pas grand sens. Il sagirait, disent ceux qui les mettent en place, déviter cette situation qui voit des étudiants réussir des concours de lenseignement et constater finalement quils ne sont pas « faits » pour ce métier (toujours ce mythe de la vocation que le terrain révèlerait !). Mais largumentation pêche à plusieurs niveaux. Il nest pas sûr que cette déception soit propre aux métiers denseignant. Concevrait-t-on sur le même mode dinstituer en DEUG de droit des modules de pré-professionnalisation « commissaire de police », «huissier » pour prévenir les éventuelles déceptions ultérieures ? Il nest pas sûr non plus quune « découverte », forcément superficielle du métier permette à celui qui se fourvoie (mais là encore, quest-ce que cela signifie ?) den prendre conscience. Enfin, le nombre de ceux auxquels on évitera une « mauvaise » orientation nest pas tel quil justifie la mise en place de modules de pré-professionnalisation. Ces modules de pré-professionnalisation, coûteux en termes dheures, lorsque ces heures sont défalquées du total des heures denseignement pour un diplôme, ne représentent en même temps pas un volume suffisant pour permettre un véritable début de formation professionnelle.
Cette professionnalisation apparaît donc largement comme une politique daffichage. Pour obtenir des pouvoirs publics des crédits (dans le cadre de la politique contractuelle, ou à un autre niveau, pour capter les crédits européens du FSE), des postes (les postes denseignants pour les filières professionnalisées semblent plus facilement accordés) et bien sûr, des habilitations de diplômes, il convient dinsister sur les intentions de professionnalisation. Une politique daffichage donc, parce que lon ne se donne pas vraiment tous les moyens de vérifier la réalité de la professionnalisation : contenus, débouchés effectifs
Mais il y a pire : cette professionnalisation à outrance est coûteuse pour luniversité. La création de nouvelles filières professionnelles se faisant dans le cadre dune dotation financière globale stable, elle se fait au détriment des formations dites générales. Nombre de formations dites professionnelles conduisent les étudiants à des impasses, à des choix prématurés. On ne souhaite pas pour autant valoriser le modèle des facultés françaises anciennes qui tenaient à lécart tout ce qui relevait du « professionnel » (les arts libéraux contre les arts mécaniques), simplement montrer que la nouvelle mode de la professionnalisation est dangereuse. Un constat que fait aussi, de façon plus balancée, la Cour des Comptes dans son rapport récent sur la « Gestion du Système Educatif »
« Enfin, dans ce processus où les initiatives sont foisonnantes et ne procèdent ni dune programmation densemble, ni danalyses prospectives, on ne peut exclure a priori ni les effets de mode, ni les erreurs danticipation des débouchés, alors même que des évaluations précises sont aujourdhui difficiles à réaliser en raison du manque de recul. Ladaptation du système denseignement supérieur ne peut, dans ce domaine, suivre la seule conjoncture, car les évolutions des métiers sont trop rapides pour quil soit possible de tirer des conclusions à long terme de constats instantanés. A supposer quils soient connus, la prise en compte des souhaits immédiats des entreprises ne saurait en outre constituer un élément exclusif du pilotage de lenseignement universitaire, dont la vocation est de préparer à lensemble de la vie active et non au seul premier emploi. »
Les contradictions rhétoriques du discours sur la professionnalisation
La professionnalisation serait donc la seule voie de salut pour les universités ? Largumentation officielle apparaît très fragile.
On notera que le Ministère et ceux qui sont devenus ses représentants, avant de représenter la communauté universitaire, tiennent simultanément des discours contradictoires ; et les injonctions faites aux universités sont dès lors paradoxales.
Ainsi, dun côté on insiste sur la nécessité de la pluridisciplinarité (et dune pluridisciplinarité souvent outrancière, non pas fondée sur des complémentarités disciplinaires, mais sur des arguments comptables : on associera ainsi ce que lon a, indépendamment de la cohérence de lensemble, pour réduire la facture), qui réduit la spécialisation, de lautre, on encourage à une professionnalisation accrue qui constitue pourtant une forme de spécialisation beaucoup plus étroite que la spécialisation disciplinaire.
Deuxième incohérence : lorsquil sagit de justifier la mise en place de léducation tout au long de la vie, on fait valoir la nécessité de continûment se former, liée à lévolution extrêmement rapide des métiers (discours quil faudrait relativiser, cela fait des décennies que certains sociologues du travail, contre les données de lInsee, prophétisent la disparition des ouvriers ; de même on se souvient des « projections » du BIPE, reprises par le Haut Comité Education Economie à la fin des années quatre-vingt qui exagéraient le nombre des emplois hautement qualifiés attendus en lan 2000). Les individus seront amenés à changer plusieurs fois de métier au cours de leur vie active, entend-on régulièrement et les métiers quils exerceront demain nexistent pas encore, voire ne sont pas littéralement « pensables ». On comprend mal alors que la professionnalisation systématique, entendue comme formation à un métier ou un groupe étroit de métiers, puisse être la solution. Sous ce rapport les formations générales semblent un peu moins menacées dobsolescence accélérée que les formations professionnalisées
Troisième contradiction : on pousse les universités à la professionnalisation en insistant sur le fait quil y aurait là la condition de linsertion des étudiants, en oubliant que les établissements sélectifs proposent eux, encore et toujours, des formations très générales. Les écoles dingénieurs, mais plus encore les écoles de commerce et de gestion (et en particulier les plus cotées en termes dinsertion) sont finalement très généralistes. La professionnalisation à outrance, vers laquelle on pousse les universités, ne creusera-t-elle pas un peu (plus) le fossé entre les grandes écoles et les universités (restructurées alors en écoles professionnelles, sur le mode des « polytechnics » anglaises)?
On comprend que les modernisateurs puissent inlassablement entonner le chant de la professionnalisation. Cest le moyen dinsister à rebours sur linadaptation des universités (mais pourquoi alors ne pas parler des grandes écoles ?) et de justifier que tous les moyens nécessaires ne leur soient pas alloués. La professionnalisation ce serait linnovation, ladaptation dune université trop longtemps archaïque, sclérosée. Ce discours sape bien sûr la légitimité des filières générales, invitées sans cesse à se justifier, et finalement davantage que les filières professionnelles qui se contentent dafficher leur caractère professionnel.
La professionnalisation est paradoxalement pour les gestionnaires du Ministère un moyen de réaliser des économies en matière de dépense universitaire. Certes, le coût dun étudiant en filière professionnalisée est plus élevé, mais ce surcoût est largement financé sur ressources propres, par redéploiement des moyens des filières générales vers les nouvelles filières professionnelles. Un redéploiement dautant plus important quau-delà de la croissance du nombre des inscrits dans les formations professionnelles, liées à la multiplication de celles-ci encouragée par le ministère, ces formations sont beaucoup plus coûteuses « par étudiant ». Mais le redéploiement sopère sans heurts, les normes « San Rémo » (système analytique de répartition des moyens) donnant lillusion dune allocation objective des moyens : les filières professionnelles nont-elles pas « par principe », des étudiants « lourds », cest-à-dire exigeant plus de moyens ? La création de nouvelles filières professionnelles nest donc pas forcément très coûteuse pour le Ministère même si elle est coûteuse pour les universités et en leur sein, pour les filières plus générales.
Qui plus est, le volume des enseignements de ces nouvelles filières professionnelles reste modéré, et dautant plus modéré que le temps des stages sera long, temps naturellement sans enseignements. Les universités, pressées par le Ministère, appliquent en cette matière les vieilles recettes des écoles de commerce privées : plus de stages et des stages plus longs = moins denseignements à assurer.
Enfin, les filières professionnelles exigent souvent des étudiants une participation supplémentaire, en sus des droits normaux, au mépris dailleurs de la réglementation. Des participations qui peuvent être très importantes et sont congruentes avec la logique ministérielle et européenne de financement par lusager de lenseignement tertiaire, ce que lon appelle désormais le co-investissement, en occultant lincertitude sur les profits espérés qui président à tout investissement et plus encore à ces investissements-là. De façon subreptice, on banalise par ce biais le principe que les formations universitaires doivent être sélectives et payantes
Si pour le Ministère, la professionnalisation apparaît comme un cheval de Troie pour promouvoir la réforme et instaurer un nouveau compromis autour de la notion de co-investissement, elle savère être aussi, pour un certain nombre denseignants, une stratégie individuelle, parce quen opposition au collectif, de conquête de moyens. Demander un diplôme professionnel, cest sassurer plus facilement lobtention de postes, le ministère donnant la priorité à ces filières-là. Là encore laffectation pour le ministère est peu coûteuse puisque ces postes seront pris sur le « pot commun » quaccorde la loi de finances. Les filières professionnelles sont également le moyen pour les enseignants de se ménager des conditions plus confortables denseignement que celles qui sont lordinaire de leurs collègues : effectifs réduits, étudiants « sélectionnés » et motivés par la perspective dune insertion professionnelle (et quimporte si celle-ci est un leurre, le constat nen sera fait par les diplômés qua posteriori
), moyens matériels plus importants (plus de photocopies par exemple, de financements, de missions
), voire relations flatteuses avec les élites économiques et politiques locales. Laccueil détudiants de formation continue, « porteurs dun financement » (ce qui sera cependant de moins en moins le cas à lavenir du fait des conséquences de laccord interprofessionnel sur la formation continue qui vient dêtre signé en septembre 2003), accroît encore un peu plus cette manne : ils paient en effet lintégralité du coût de la formation ( des sommes variables et presque sans limite, plus de 6000 euros dans cette université de province pour un DESS Droit du Sport ) et non pas des droits dinscription classiques, et ces sommes sont affectées directement à la filière.
Les conditions peu professionnelles de lexpertise des filières professionnelles
On pourrait penser que lhabilitation des filières professionnelles se fait à partir dune expertise minutieuse des dossiers. Incontestablement il y a expertise, puisquil y a des experts (sur la légitimité de laquelle il faudrait dailleurs sinterroger en expertisant les experts) et que le nombre de refus dhabilitation est élevé. Mais la procédure dhabilitation est lourde (plus de 2000 dossiers chaque année selon la Cour des Comptes, voire 2800 en 2001) et dès lors, « lexamen ne peut quexceptionnellement être approfondi » : il ny a pas, toujours selon la Cour des Comptes, de vérification des données (concernant le nombre des étudiants inscrits ou, dans un autre domaine, la proportion des étudiants en emploi
)
On névoquera pas ici le volet politique des habilitations qui fait que des habilitations peuvent être obtenues ou maintenues malgré les avis défavorables reçus. Le CNESER, linstance la plus démocratique de par sa composition (des représentants des étudiants, des personnels en font partie à côté de membres nommés censés représenter les grands intérêts nationaux) ne donne quun avis que le Ministre peut ou ne pas suivre. Et le travail du CNESER est très encadré : difficile de procéder à un examen minutieux en séance plénière ; lévaluation, en amont par les « experts », experts « disciplinaires », conseillers détablissement, tous choisis par le Ministère, est déterminante. Là encore, la technocratie éducative a pris le pas sur les instances démocratiques.
Mis à part les licences professionnelles et les IUP (pour lesquels les dossiers ne sont pas plus exigeants dailleurs sur la question des débouchés professionnels), ce sont les mêmes dossiers dhabilitation qui sont remplis pour la création de filières professionnelles et de filières plus « générales » (à une annexe près), ce qui apparaît là encore paradoxal : on demande aux filières générales dattester leurs débouchés professionnels de la même manière que les filières professionnalisées. En pratique, le dossier est peu exigeant sur les indicateurs dinsertion professionnelle. Pour les maquettes dites « classiques » (entre guillemets sur le site de la Direction de lEnseignement supérieur), par exemple pour les DESS, on demande simplement le nombre des diplômés « en emploi » (en différenciant CDI et CDD), dans la spécialité ou hors spécialité, le nombre des poursuites détudes, et des diplômés demandeurs demploi. On notera au passage quil ny a rien de précis sur la nature et la qualification des emplois occupés (combien ont par exemple le statut cadre ?). Autrement dit, si les anciens étudiants dun DESS GRH sont secrétaires ou agents administratifs au service de la paie dune entreprise ou dune administration, ils seront portés au crédit de la « professionnalisation » puisque considérés comme en emploi, qui plus est dans la spécialité
Pour les nouveaux diplômes, ne disposant pas de toute façon de statistiques, on se contentera de déclarations générales sur les objectifs professionnels, les compétences visées, les débouchés prévus
(ce sont les rubriques du dossier dhabilitation).
Quand les formations professionnalisées deviennent très « générales », au moment de la justification de leurs débouchés professionnels :
Soit le DESS « Communication et Jeunesse » de cette université de province habilité depuis plusieurs années. Voici la façon dont il est présenté par ses promoteurs :
« Objectifs de la formation
-Aide à la structuration dun projet professionnel
-Acquisition dune double compétence dans le domaine de la communication en rapport avec les enfants, les adolescents et les jeunes
Débouchés professionnels :
Tous les secteurs de la vie sociale et professionnelle (entreprises, institutions, collectivités, associations
) dans les domaines de la culture, santé, environnement, loisirs, médias, prévention ayant besoin :
-dun chargé de communication spécialisé sur les problématiques denfance et de jeunesse
-dun chargé de mission pour la conception et la réalisation de projets en direction du public jeune
-dun médiateur entre une structure et son public »
Les exigences, dans les dossiers de licences professionnelles, ne sont guère plus importantes. En réalité, ce qui semble compter davantage pour lhabilitation, cest que le dossier soit porté par des partenaires et ainsi « recommandé ». Les avis des organisations professionnelles, des chambres consulaires, voire de cadres, de chefs dentreprises, dexperts du secteur, souvent auto-consacrés vont beaucoup compter dans lexpertise. Un bon dossier, cest un dossier qui multiplie les lettres de recommandation. Des lettres généralement succinctes : les professionnels consultés disent tout le bien de la nouvelle formation, attestent (sur lhonneur ?), quelle mènera à lemploi, mais ces propos ne sont pas appuyés sur une véritable expertise chiffrée des débouchés annoncés. Dans certains cas, des formations professionnalisées (ce fut notamment le cas pour des licences professionnelles) sont conçues à la demande dune branche professionnelle ou dune entreprise, mais pour autant celles-ci ne sengagent pas sur lembauche des futurs diplômés alors même que la formation aura été conçue en fonction de leurs besoins, et non en fonction des nécessités de la mobilité professionnelle à laquelle, nous dit-on, tous les salariés seront contraints.
Au-delà des lettres de recommandation, lévocation de la participation des professionnels à la conception des programmes, comme le contrôle quils peuvent exercer ensuite sur sa mise en oeuvre, notamment toutes les fois où sont mis en place ces fameux « conseils de perfectionnement » sont mis au crédit des « porteurs de projet de diplômes professionnels ». La participation des professionnels à lenseignement est également attendue : cest sur le pourcentage dheures denseignement assurées par des professionnels quest aussi jugé le dossier ; aucune expertise sérieuse (ces renseignements nétant pas demandés) ne porte en revanche sur les qualités, la compétence, la légitimité professionnelle de ces professionnels. Lhabilitation dun diplôme professionnel va dépendre des relations déchange entre lenseignant porteur du projet qui a besoin des professionnels pour attester, auprès du ministère, la professionnalité de la formation proposée- et des professionnels qui peuvent espérer être recrutés comme enseignants vacataires ou mieux encore, associés dans les formations quils ont participées à légitimer et qui constituent parfois une opportunité pour un certain nombre de ces professionnels, sans clientèle .
Un débouché assuré pour les filières professionnelles : enseignant-associé dans ladite filière. Retour sur lanomalie de lassociation
On comprendra alors aussi une autre raison de la multiplication des demandes de filières professionnelles : si les débouchés promis aux étudiants ne sont pas assurés, les « professionnels » sollicités y trouveront, eux, des heures de vacation à effectuer, ou mieux parfois un poste denseignant-chercheur certes précaire (beaucoup moins quun poste dATER) mais avec des possibilités ensuite très généreuses dintégration (plus généreuses là encore que pour les anciens ATER.)
Il y a donc bien des « professionnels » de lintervention professionnelle, qui multiplient les vacations dans différentes institutions, dépassant parfois le volume des cours assurés par des enseignants titulaires, ou sont donc parfois associés. Et leurs enseignements sont souvent éloignés du champ professionnel strict, avec lequel ils ont dailleurs parfois un lien plus que distendu, voire sont des enseignements généraux, non « professionnels » dans leurs contenus. Ceci vaut en particulier pour les enseignants-chercheurs associés. A lorigine, et cest toujours le cas pour un certain nombre dentre eux, le statut de professeur associé avait été conçu pour permettre à des enseignants et chercheurs étrangers (on cite notamment dans la loi de 1984 et le décret 1985, autre temps, les réfugiés politiques) dexercer dans les universités françaises.
Mais, depuis, le nombre des professeurs associés sest considérablement accru, et les professeurs associés « Maîtres de Conférences » ou « Professeurs », à temps partiel (PAST, selon lacronyme administratif) ou, plus rarement, à temps plein, sont des « professionnels », enseignant en sus de leur activité professionnelle.
Ce recours aux « professionnels » pour assurer des charges régulières denseignement (la recherche, un élément du statut, semblant elle sacrifiée, on y reviendra) apparaît très contestable autant du point de vue de « lefficacité » que de « léthique »
De façon récurrente, le ministère tient le discours de la professionnalité enseignante et affirme quenseignant est « un métier qui sapprend ». La mise en place des CIES (centre dinitiation à lenseignement supérieur) accueillant les moniteurs sinscrivait dans cette logique. On répète à lenvi que la maîtrise dune discipline ne suffit pas. Mais parallèlement, on va recruter tout de même, et directement comme maîtres de conférences ou professeurs, des personnes parce quelles sont des professionnels (catégorie bien hétérogène qui regroupe salariés comme professions libérales, du privé au public, catégorie seulement définie négativement, « tout », sauf des enseignants). Lentrée directe comme enseignant-chercheur statutaire remet en cause la professionnalité enseignante. Il suffirait dêtre professionnel pour être immédiatement à même dêtre enseignant-chercheur ; être professionnel (défini négativement, toute profession sauf enseignant ou chercheur) va dispenser des conditions de titre, des critères scientifiques normalement nécessaires pour exercer cette fonction. Au-delà de la durée de lexpérience professionnelle, qui semble fonder le rattachement au corps des Maîtres de Conférence ou des Professeurs, lexigence scientifique est limitée : il faut simplement, pour les professionnels français, candidats à une association à temps plein, que lexpérience professionnelle soit en rapport direct avec la spécialité enseignée, les candidats aux postes de Maîtres de Conférences et Professeurs à titre permanent apprécieront. Et pour ceux qui prétendent aux postes de PAST (Maîtres de Conférences ou Professeurs à temps partiel), la durée dexpérience est réduite à trois ans, trois ans dactivité professionnelles « directement en rapport avec la spécialité enseignée » mais surtout « autre que denseignement »
La professionnalisation, un encouragement au cumul demplois et de rémunérations
Lassociation est un cumul demploi, un cumul dailleurs officiellement encouragé. Un enseignant associé à mi-temps doit être à plein temps dans son activité « professionnelle », et occupe donc un emploi et demi. Dans le cas des enseignants associés à temps plein (ceux du secteur privé, ou des élus, les agents publics ne pouvant normalement eux pas cumuler), certes moins nombreux, ce sont deux emplois à plein temps qui pourront être cumulés. On pourrait se poser des questions, en matière de gestion des ressources humaines (cheval de bataille de tous les modernisateurs) sur les conditions dans lesquelles ces « professionnels » sont à même dexercer leur activité principale. Mais cela pose aussi problème au niveau de lUniversité : comment ces enseignants-chercheurs associés, et surtout lorsquils sont à temps plein, peuvent-ils exercer correctement les missions dun enseignant-chercheur ? Cest en particulier la recherche qui en fera immédiatement les frais : lorsque il y a des appels à candidature pour des professeurs associés (ce qui est rare et pose un autre problème, celui de la transparence de ces recrutements), aucune référence à la recherche en général ny figure.
Il y a un donc vrai paradoxe à dénoncer dun côté les cumuls demplois et de rémunérations publiques de la part des enseignants-chercheurs (comme le fait à juste titre la Cour des Comptes dans son rapport davril 2001 évoquant le cas de ces enseignants-chercheurs multipliant les heures complémentaires ou exerçant des activités privées sur un mode libéral sans autorisation) et à déplorer (comme dans le rapport de la Cour des Comptes sur la gestion du système éducatif) que les professionnels ne soient pas plus présents à lUniversité, notamment comme professeurs associés.
Alors que le nombre de ceux qui veulent entrer dans une carrière universitaire, qui en ont les titres scientifiques et qui ne trouvent finalement pas de postes est élevé (en 1999, 10500 nouveaux candidats ont été qualifiés, sajoutant aux 27000 déjà qualifiés les années précédentes et encore sans poste, qui se voyaient proposer 4200 postes), lassociation, ce cumul institutionnalisé et justifié au nom de la professionnalisation a quelque chose dindécent
Car le nombre des postes dassociés a fortement crû : 400 postes budgétaires en 1993, équivalents temps plein, 1437 aujourdhui. Compte tenu de ceux qui exercent à temps partiel, il y a, selon le Ministère de lEducation Nationale plus de 3000 professeurs associés
Labsence de transparence dans les conditions de recrutement
Les professeurs associés font lobjet dun recrutement très local. Certes, la commission de spécialistes est saisie mais elle na guère de latitude : le poste est spécifiquement un poste dassocié (à temps plein ou à temps partiel) et ne peut donc être redéployé.
Le choix des professeurs associés semble assez fréquemment obéir à une logique stratégique : létablissement sattache les services dun enseignant associé ayant du capital symbolique (ou des « relations » dans le monde économique, bureaucratique, social ou culturel)
Mais là encore, déontologiquement, cette association peut être problématique. Un certain nombre détablissements universitaires ont ainsi comme professeurs associés des conseillers de la chambre régionale des comptes (par exemple, et parmi bien dautres, lIEP dAix) ; une chambre régionale des comptes chargée normalement de contrôler les établissements universitaires
Comment le conseiller pourra-t-il évaluer « sereinement » lactivité de son alter ego (au sens littéral du terme), professeur associé, comme celle de ses collègues ? Le conflit dintérêt est patent, lincompatibilité devrait normalement simposer. De même on offre des postes de professeurs associés à des hommes politiques influents : la qualité dancien ministre donne sans doute à celui-ci toute compétence pour devenir professeur associé (cf. encore, Iep dAix, mais la plupart des IEP, et dautres établissements, courtisent ainsi les politiques). Les hauts fonctionnaires de léducation nationale semblent aussi parvenir souvent à sassocier. Lactuel ministre de lenseignement scolaire, ancien directeur de cabinet de François Bayrou alors ministre de léducation nationale pouvait être à la fois inspecteur général de léducation nationale et professeur associé dans une grande université parisienne (Paris 4). Un autre inspecteur général en activité est de même professeur associé à temps plein dans une université de province, cet autre, ancien directeur-adjoint du cabinet de C.Allègre, puis directeur dadministration centrale au ministère, désormais inspecteur général et professeur associé, toujours de sociologie, à lEHESS. Les partisans de la réforme, les hauts fonctionnaires modernisateurs ne sappliquent pas à eux-mêmes les règles quils prônent. On aurait imaginé pourtant quune charge dinspection générale était à plein temps, et beaucoup plus quà plein temps.
Enfin, lassociation a ses privilèges, des clauses exorbitantes par rapport au droit commun. Les maîtres de conférence ou professeurs associés se voient proposer des conditions de rémunération dérogatoires par rapport au statut denseignant-chercheur dont ils bénéficient (ils ne commencent pas au premier échelon mais bénéficient de 50 % du traitement moyen tous échelons confondus du corps auquel ils sont rattachés, Maître de Conférences ou Professeurs)
Un succès très relatif, en termes dinsertion, des filières professionnelles
On a dit les conditions de lexpertise, au moment des habilitations. Lorsque lon analyse plus globalement linsertion professionnelle des étudiants des filières professionnalisées, les données ne plaident pas pour la professionnalisation à tout crin des universités. On saperçoit que les effets de mode, ou parfois aussi le succès initial en termes dinsertion dune spécialité, conduisent à la duplication effrénée des diplômes professionnels, à une inflation de titres qui conduit à leur dévalorisation accélérée. Comment espérer que les étudiants sortis avec un diplôme des 34 DESS, strictement consacrés à la GRH (indépendamment de tous les autres DESS non pris en compte ici parce quil navaient pas cette mention dans leur intitulé mais pourtant sy rapportent directement), recensés dans le Guide Lamy des 3ème cycles puissent tous accéder à un poste de cadre dans la GRH ? On peut aussi sinterroger, non pas sur les contenus mais sur les conditions dinsertion des étudiants qui en sortent diplômés, face à linflation des DESS Information-Communication ou Aménagement du Territoire.
Les filières courtes, tels que les DUT, sont aussi bien loin dassurer les débouchés promis. Comment expliquer que la proportion détudiants poursuivant leurs études (1/3 selon la Cour des Comptes) soit aussi importante ? (Et ce alors que les titulaires de DUT ne bénéficient généralement pas déquivalence leur permettant dentrer directement en licence). Il y a peut-être une part de choix personnel, liée aussi sans doute à lévolution du profil des entrants à lIUT (de plus en plus de bac généraux) ; mais cest aussi la contrainte qui pousse à la prolongation des études. Linsertion nest pas aussi aisée quon le dit : en termes de taux de chômage en 1999, les titulaires de DUT sont moins touchés que ceux de second cycle généraux, 9,9% contre 11,6% (toutes spécialités confondues ; mais 64,1% des diplômés de second cycle nont pas connu le chômage avant leur premier emploi contre 54,9% des DUT. En réalité, ces statistiques sont incomplètes : elles raisonnent sur la proportion détudiants « en emploi », et non pas sur la qualité de ces emplois. Cest la précarité des emplois proposés avec un DUT qui pousse aussi les « anciens » à continuer. La déqualification des emplois proposés est fréquente. Laccès aux emplois de cadre plus difficile : 67% des diplômés de licence ou maîtrise parviennent à un poste dencadrement, plus de 50% des titulaires de DEUG mais seulement 45% de ceux qui disposent dun DUT ou dun BTS
Dans un certain nombre de cas, il savère aussi que les débouchés professionnels réels ne correspondent pas à ceux qui sont habituellement mis en avant pour justifier la formation. Ainsi, pour les Langues Etrangères Appliquées, filière semi-professionnalisée mise sur pied pour fournir des débouchés aux étudiants de langue en dehors de lenseignement. Une enquête réalisée en 1997 sur linsertion des étudiants de LEA (les diplômés entre 1977 et 1996) de lUniversité de Bordeaux 3 a ainsi montré que l « entreprise » nétait pas ce pourvoyeur demplois que lon annonçait et que « paradoxalement » une forte proportion des anciens diplômés travaillait dans le public et en particulier, dans lenseignement. Il ressortait également de lenquête que les enseignements « académiques » avaient facilité linsertion plus que les enseignements dits « professionnels ».
La professionnalisation contre linsertion : lexemple des stages
Les stages se multiplient dans les filières professionnelles mais aussi de plus en plus dans les filières académiques. Ils relèvent encore de cette politique daffichage qui caractérise la professionnalisation. Un stage dans un cursus atteste des efforts de professionnalisation. Le ministère valorise cette démarche ; les étudiants, également, anxieux quils sont de leur future insertion professionnelle.
Mais les stages posent à la vérité beaucoup de problèmes et les arguments en faveur de leur généralisation doivent être discutés.
Largument pédagogique qui voit dans le stage une application des connaissances « plus théoriques » transmises à lUniversité ? Il serait acceptable si les stages étaient toujours en rapport avec les cursus suivis. Or, cest très loin dêtre le cas et même beaucoup de filières professionnelles ferment les yeux sur le contenu des stages : quimporte le stage, pourvu quil y ait une entreprise ou une institution pour accueillir le stagiaire. Au moment du bilan, ce sont les noms de ces « partenaires » qui seront mis en avant, tout le monde ayant intérêt à oublier la mission réellement effectuée : létudiant, parce que la mission ne peut être guère valorisée sur un CV, luniversité (mais cest la même chose pour les écoles) qui a besoin dattester auprès du Ministère que tous les étudiants des filières professionnalisées ont été en stage, les entreprises qui utilisent trop souvent des stagiaires pour épauler ou remplacer des salariés au mépris du droit du travail.
Le système des stages est profondément inégalitaire notamment toutes les fois, et cest souvent la norme, où cest aux étudiants eux-mêmes de trouver leur stage : plus que lentregent des candidats, cest leur capital social qui déterminera lobtention dun stage pédagogiquement intéressant et susceptible de déboucher sur une embauche. Pour tous les autres, pour tous ceux qui ne peuvent mobiliser leurs relations personnelles, les stages seront souvent sans intérêt pédagogique, mais au bénéfice des employeurs, qui tirent parti dun rapport de forces favorable. Dun côté en effet, un très grand nombre détudiants devant, pour valider leur cursus, faire un ou des stages, et en face des employeurs, publics ou privés, qui jouent de la concurrence et vont même jusquà présenter loctroi dun stage, petit boulot déguisé pour être non payé, comme une faveur puisquune charge pour eux-mêmes (la complainte habituelle sur le stagiaire qui « coûte » parce quil faut lencadrer).
Linégalité foncière entre les étudiants dans leur capacité à obtenir un stage au contenu intéressant et pouvant offrir un débouché professionnel, largement fonction de leur origine sociale, est parfois redoublée par le système universitaire au moment de lévaluation scolaire du stage : létudiant qui fait un stage « intéressant » est aussi dans une structure qui laide pour la rédaction de son rapport de stage ; à linverse, létudiant (et plus souvent encore létudiante, laccès aux stages étant sur ce plan là aussi discriminé) qui en place dun stage, se retrouve « en emploi » aura plus de difficultés à extraire les enseignements du stage au moment de la rédaction de son rapport et même à obtenir les données sur lentreprise que les enseignants attendent dans un tel document. Ainsi, dans une filière de langues étrangères appliquées, pour quelques étudiants qui par le biais de « leurs parents ou alliés » ont fait un stage dans le service dune entreprise où lon utilisait les langues et ont pu mettre en pratique leurs compétences linguistiques, combien détudiants se sont retrouvés qui au service comptabilité dun hypermarché (ou parfois à la caisse) pour classer toute la journée des pièces comptables, qui au standard dun office de tourisme
?
Les thuriféraires des stages feront valoir que même un stage sans intérêt pédagogique direct est pédagogiquement intéressant parce quil permet à létudiant de découvrir le « milieu professionnel », un peu sur le mode du « stage ouvrier » pour les étudiants héritiers des écoles de cadres (écoles de commerce, écoles dingénieur)
Mais largument ne vaut pas pour la masse des étudiants, compte tenu du nombre de ceux qui travaillent, pas seulement lété (les petits boulots rémunérés permettent tout autant la découverte dun milieu professionnel que les petits boulots déguisés en stage), mais de plus en plus toute lannée.
Et sous ce rapport encore, la multiplication des stages est un élément supplémentaire de dérégulation du marché du travail et une entrave à linsertion professionnelle des jeunes : de plus en plus de stages, notamment lété, pour remplacer des salariés en congé, cela signifie moins de CDD pour ces mêmes étudiants.
Lautre versant du professionnel à luniversité : la formation continue
La loi de 1971 a fait des universités un acteur de la formation continue et permanente. Rapidement les intentions généreuses contenues dans ce texte fondateur ont été détournées et la formation professionnelle est devenue un vaste marché sur lequel les universités se retrouvent en concurrence avec dautres opérateurs, publics et surtout privés. Le marché influence de plus en plus les pratiques, les universités sadaptent et appliquent de plus en plus les mêmes modes de gestion. Dautant quelles voient dans la manne de la formation continue, une ressource propre supplémentaire. Sil est légitime de faire payer les stagiaires de la formation continue dès lors quils peuvent faire financer (en particulier par leur entreprise) leur action de formation, il paraît beaucoup moins justifié de demander des droits spécifiques (naturellement beaucoup plus élevés que les droits dinscription) à des adultes en reprise détudes, mais non financés, sinscrivant dans des cursus de formation initiale. A terme, on ne manquera pas de se poser alors la question de lharmonisation « par le haut » des droits spécifiques demandés à ladulte et des droits dinscription classiques. On le voit, et cest aussi un des aspects de « léducation et la formation tout au long de la vie », le rapprochement formation initiale-formation continue risque de se faire dans le sens dune reprise par la formation initiale des modes de financement de la formation continue. Ce qui correspondrait au souhait de la Commission Européenne (et de bien dautres) qui en appelle au financement par lusager, certes partiel, de lenseignement tertiaire quil reçoit (on regroupe sous cette dénomination lenseignement professionnel et lenseignement supérieur). Cest une logique de marchandisation voisine, au travers du développement de léducation tout au long de la vie, qui est à luvre en matière de validation dacquis professionnels.
La reconnaissance des expériences professionnelles par lUniversité : les effets pervers de la VAE
Depuis 1985 (mais la disposition était inscrite dans la loi de 1984), il était possible dentrer dans une filière universitaire sans avoir le niveau « scolaire » normalement requis. Les expériences professionnelles et personnelles étaient prises en compte et permettaient un retour en formation sur le mode de la « deuxième chance ». Ce dispositif qui existe toujours était un facteur de démocratisation de lUniversité qui permettait notamment à ceux qui avaient été exclus du système scolaire, dans une autre conjoncture dy revenir. Il réduisait, certes de façon marginale, les inégalités daccès à lUniversité entre générations.Ces retours en formations souvent financés par les CIF ou, pour les demandeurs demplois, par des financements spécifiques, étaient la plupart du temps des succès.
En 1992 (décret de 1993), une nouvelle loi vient soi-disant élargir les possibilités de « validation des acquis » : dans luniversité cela se traduit par la possibilité dobtenir, en reconnaissance des compétences acquises à lextérieur, des éléments de diplôme. Cest déjà une rupture par rapport à la loi précédente : on considère que les compétences professionnelles équivalent directement à des connaissances universitaires. Mais le texte prévoyait que les candidats obtenant une validation devraient faire un retour minimal en formation en passant au moins un examen. Autant la loi de 1985 a été un succès, autant ces dispositions nouvelles se sont révélées difficiles à mettre en uvre et peu efficaces pour ceux qui bénéficiaient de validations. Cest sur la base du constat du « faible rendement » de la procédure 1993 et en arguant aussi de nobles justifications, lutte contre lexclusion, renforcement de la parité, que le gouvernement a fait voter en 2002 la nouvelle loi instituant la VAE (Validation des acquis de lexpérience). Sa disposition la plus novatrice (on a même parlé de « petite révolution »
) est la possibilité dobtenir lintégralité dun titre universitaire sur la base de compétences professionnelles et personnelles. Le texte a fait consensus, autour de ses justifications vertueuses, lutter contre lexclusion, la discrimination dont sont victimes les femmes. Pourtant :
loin de réduire les inégalités devant les diplômes, il risque de les accentuer: les expériences prises en compte dans le cadre de la VAE sont des expériences sociales, socialement discriminées. Ceux qui, de par leur origine sociale, avaient déjà plus de probabilités dobtenir des diplômes universitaires voient simplement ces possibilités encore élargies.
il ne règle en aucune manière la discrimination dont sont victimes les femmes puisquelle nest pas une discrimination par le système universitaire (les femmes y réussissent mieux) mais par le marché du travail.
En revanche, ses effets pervers sont patents, qui ne sont pas que des effets pervers puisquils étaient attendus de certains : la VAE apparaît comme un levier de marchandisation de lenseignement supérieur :
en accordant la totalité dun titre sur la base de compétences, cest-à-dire en dissociant la formation de la certification, on réduit les possibilités de formation et lon constitue un marché de la certification. A corps perdu, dans lespoir dobtenir de nouvelles ressources, les universités se lancent dans la vénalité des titres (renouant alors avec une tradition remontant à lAncien régime). La VAE est payante, certaines universités demandant une contribution financière pour laccompagnement des candidats, dautres nhésitant pas à faire financer lensemble de la certification (par exemple le travail des jurys) par les candidats. Les montants demandés, entre 1000 et 1500 euros, montrent comment cette nouvelle procédure sinscrit immédiatement dans un cadre marchand, comme une prestation « sélective ». La réussite sera le plus souvent au rendez-vous pour ceux qui paient, attestant le caractère vénal de cette opération.
en posant que les compétences équivalent à des connaissances, on réduit lessence de la formation universitaire. Mais cela ne se limite pas à une opération de mise en équivalence temporaire (au moment de la réunion du jury). Pour faciliter cette mise en équivalence, on exige des universitaires quils redéfinissent tous leurs diplômes, et pas seulement les diplômes professionnels (puisque tous sont accessibles) en termes de compétences. Au-delà du flou extrême de la notion de compétences, de lartificialité de lexercice pour les formations dites académiques, cette traduction a pour effet dappauvrir considérablement lenseignement universitaire, le coupant un peu plus de la recherche, en le réduisant à une formation purement instrumentale
la VAE sinscrit ici pleinement dans la conception libérale de léducation tout au long de la vie. Lidée est de réduire le coût de lenseignement universitaire, trop lourd dans les budgets publics, tout en enjoignant chacun à se former et à prendre en charge une partie du coût de sa propre formation. La redéfinition des programmes en termes de compétences sinscrit bien dans cette logique déconomie budgétaire : un enseignement universitaire à moindre coût. La réforme du LMD, par la dissociation extrême quelle opère entre les unités denseignement va dans le même sens. La Validation des acquis est alors un dispositif de certification des compétences acquises à lextérieur de luniversité par des individus qui financent alors le coût de ces acquisitions. Cest sans doute lenseignement de langues pour non spécialistes qui sera le premier transféré au marché : en demandant un niveau attesté de langues dans les masters, en définissant des diplômes de compétences (toujours le même terme ô combien significatif) enfin en ne donnant pas les moyens aux universités en termes de dotation horaires pour les assurer, le Ministère encourage le développement du marché de lenseignement des langues et le régule en assurant, sur financements publics, la certification des niveaux de compétences en langues, donc la qualité minimale (même si elle est bien loin de la conception universitaire de la qualité dun enseignement de langues) des prestations assurées par ces opérateurs privés.
V - LUniversité : leur petite entreprise. Ou la transformation managériale des universités, derrière la réforme sur lautonomie
Les réformes projetées semblent inspirées par le « nouveau management public », comprendre lapplication des techniques managériales à la gestion, hier des entreprises publiques, aujourdhui également des administrations, appelées elles aussi à la mue, cest-à-dire précisément à se comporter comme des entreprises. Le nouveau management public ne signifie pas privatisation ; nul besoin ici de changer la propriété des établissements denseignement supérieur pour faire évoluer leur mode de gestion.
Le mouvement que lon observe aujourdhui dans les universités a quelque chose à voir avec celui qui affecte depuis dix ans les établissements du second degré : dans ceux-ci aussi, on a cherché à renforcer en partie le pouvoir du chef détablissement et de «léquipe de direction » contre les personnels. Mais il est aussi spécifique, les universités étant appelées à sinscrire dans un cadre de plus en plus marchand.
Le modèle du Président manager
La thématique du « gouvernement des universités », un des axes majeurs de la réforme aujourdhui présentée, celui qui mobilise en particulier la CPU, est ancienne. La loi de 1984, conçue en réalité en 1982, dans un autre contexte idéologique, était dessence démocratique, visant en particulier à renforcer les conseils en en élargissant leur représentativité ; ceci explique dailleurs en partie les résistances farouches de certaines universités, en particulier juridiques, qui retardèrent sa mise en application. Rapidement pourtant, cette conception-là de la gestion de lUniversité va être remise en cause, la gestion managériale devenant le modèle idéologique de référence (on se souvient de la conversion à partir de 1983, de la gauche gouvernementale, aux vertus de lentreprise et du management ; il en a été de même, avec un léger décalage, dune partie de la gauche éducative, au pouvoir).
Le rapport du Comité National dEvaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, au terme de son premier mandat (1985-1989, le CNE ayant été institué par la loi de 1984) consacre son dernier chapitre au nécessaire renforcement du « gouvernement des universités ». Un certain nombre de recommandations sont faites sur le développement du rôle du président, la « forte revalorisation matérielle de la fonction », (p. 223), « la revalorisation du rôle, du recrutement, des compétences managériales, du statut des secrétaires généraux » (p. 225). Cette demande dun renforcement du « gouvernement des universités », du « président », de « léquipe présidentielle » devient dailleurs le leitmotiv de tous les rapports officiels (CNE, Parlement, CPU).
La réforme présentée aujourdhui consacre donc cette vieille revendication et fait du président un vrai manager dans une université qui se transforme progressivement en entreprise. Lavant-projet de loi sur lautonomie marque lautonomisation non tant des universités (on y reviendra) mais des présidents duniversité, par rapport à leurs mandants et notamment les conseils. Labaissement des règles de majorité pour les votes sur les statuts, comme lallongement de la durée du mandat du président, la constitution dune équipe présidentielle que les conseils seraient simplement appelés à avaliser sinscrivent dans cette logique. La possibilité de choisir un président qui ne soit pas enseignant en poste, dans luniversité qui lélirait, accentue encore cette autonomisation du président duniversité.
Ayant choisi son équipe, sappuyant sur le secrétaire général et lagent comptable, le Président aura, dans ce nouveau dispositif, des marges de manuvre accrues en matière de gestion financière et de gestion des ressources humaines, les deux étant dailleurs très liées. Linnovation du budget global, conforme là encore aux principes du nouveau management public et à la loi organique relative aux lois de finance (2001-692 du 21 août 2001), permettra aux présidents plus de souplesse financière, et le transfert de crédits dun poste à lautre (par exemple des dépenses de personnel vers les dépenses en fluides), à une exception près, très significative, limpossibilité daugmenter les crédits de personnel. La réforme, on le voit, est motivée par des considérations déconomie budgétaire, non par le souci de la « qualité du service », qui passerait par une augmentation des crédits en personnel, ne serait-ce que pour combler lécart massif entre dotation théorique et dotation réelle (dun quart inférieur pour les enseignants, voir en première partie).
Le budget sera aussi « global » au sens où il est appelé à être alimenté de façon croissante par des ressources propres que les universités sont invitées à rechercher. Et cest cette quête de ressources propres qui transforme en profondeur, dans un sens marchand, les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel que sont les universités. Sur un mode à peine analogique, on pourrait dire que les universités sont en train dévoluer vers un autre modèle détablissement public, lEPIC, établissement public industriel et commercial. Ces ressources, les universités sont invitées à se les procurer pour le moment grâce à la formation continue , par le biais de la recherche, mais aussi par diverses prestations marchandes, comme par exemple la location des salles et amphithéâtres pour des manifestations extérieures. Ce recours accru aux financements propres participe à la transformation de la logique des universités de plusieurs manières:
lEtat enjoint les universités à trouver des financements grâce à des prestations conçues sur un mode de plus en plus marchand et les soumet alors, au nom de la concurrence, aux règles de droit et de fiscalité sappliquant aux entreprises privées. Difficile alors déchapper à un mode de gestion privé. Les universités sont dailleurs incitées (et en réalité poussées) à constituer et développer des « enclaves » privées, au sein du service public, les fameux SAIC.
les universités vont être tentées, pour des raisons financières, de privilégier, dans lallocation des moyens humains et matériels dont elles disposent, leurs prestations marchandes (source de recettes) plutôt que les missions de service public (source de dépenses). Lespace marchand dans le service public, initialement limité, est appelé dès lors à se développer
le caractère marchand dune part croissante de lactivité des universités exige alors une évolution du « rôle des membres du gouvernement de lUniversité » appelés à gérer sur un mode privé, en appliquant les préceptes classiques du management. On le voit, le président devient un manager (certes encore élu), aidé dadministrateurs (type agent comptable ou secrétaire général) dont les fonctions et le mode de recrutement évolueront en fonction de ces nouvelles exigences.
Autonomisation du Président et autonomie des universités
Le discours récurrent sur la nécessité de renforcer le « gouvernement des universités » et les pouvoirs des présidents, appelés à être des managers et non plus de simples « primus inter pares » , pourrait improprement laisser croire que les présidents sont actuellement sans pouvoir. Or, la situation depuis 1984 a bien changé, et le « leadership présidentiel » sest déjà renforcé, notamment depuis la mise en uvre de la contractualisation à partir de 1989. Le Président a, par rapport à ses mandants, une ressource essentielle puisquil conduit la négociation contractuelle. Les créations, comme les transformations, de postes, dépendent aussi étroitement de la relation entre le Président et la Direction des Enseignements Supérieurs. Si les Conseils des Universités classent les postes, ils ne maîtrisent plus ensuite le processus. La maîtrise des postes, certes limitée puisque cest le Ministère qui au final décide, est un élément très fort du pouvoir présidentiel, par rapport aux conseils dont il est issu. Les recrutements (et donc le développement de tel ou tel composante ou discipline), les carrières et les promotions (par transformation par exemple de postes IATOSS de catégorie C en postes IATOSS de catégorie B ou A, ou de postes de Maîtres de Conférences en postes de Professeurs) sont davantage contrôlés par les présidents que par les conseils, ce qui nest pas sans poser problème. En dautres termes, luniversité ne souffre pas dun déficit de gouvernement (comme le soutiennent les partisans de la réforme et un certain nombre dexperts) mais dun excès de présidentialisme.
Le Président : chef dentreprise ou chef de rayon ?
Il reste quil faut relativiser ce présidentialisme et par là même aussi lidée que le projet de réforme proposé puisse accroître lautonomie des universités.
Puissant parmi les siens, le Président est faible face au ministère (sauf peut-être dans les périodes deffervescence universitaire). Et toute la force du ministère (suivant en cela encore les prescriptions du nouveau management public) est de masquer son interventionnisme. La politique contractuelle permet ainsi de faire passer en douceur les orientations ministérielles. Même si elle ne concerne quune partie des crédits, elle influence très fortement lensemble de la dotation dont peuvent bénéficier les établissements. Dans cette négociation des contrats quadriennaux, le ministère a de multiples ressources. Au-delà du pouvoir final de décision, il contrôle aussi lexpertise des contrats qui lui sont présentés. Les conseillers détablissement, nommés par le Ministre, qui expertisent les dossiers présentés par les établissements et suivent ensuite la réalisation du contrat, continuent à exercer leur activité denseignant-chercheur dans dautres établissements et sont ainsi dans un double rapport de dépendance avec le Ministère.
Une autre innovation, au-delà de la politique contractuelle, a permis un renforcement du contrôle exercé par le Ministère sur les Présidents, et donc aussi sur des universités dites « autonomes », depuis 1968. LAgence de Modernisation des Universités est créée en 1997 sur les cendres du GIGUE (dont cest sans doute la mue). Sur le papier, ces structures se situent à lextérieur du Ministère. Le GIGUE, groupement dintérêt public, avait été constitué en 1992, par les universités sur les conseils et avec laide du ministère, pour mutualiser les efforts des universités en matière dinformatique de gestion (développement et diffusion de logiciels de gestion susceptibles dintéresser toutes les universités). Il était lié à la politique contractuelle : « Le GIGUE a été créé en 1992 dans la foulée de la politique contractuelle dont le contenu exige des universités le rassemblement dun grand nombre de données » Le GIGUE va commencer à développer le projet du logiciel Nabuco (Nouvelle approche budgétaire et comptable), adapté à la nouvelle réglementation comptable qui renforce le pouvoir des ordonnateurs mais alourdit surtout les procédures. Dautres projets de logiciels de gestion sont ensuite lancés comme Apogée ou Harpège. Il reste que le GIGUE entre en crise, selon la personne qui fut ensuite la première directrice de lAMUE, une crise financière (manque de moyens pour développer les logiciels) mais aussi une crise defficacité. En effet, selon Josette Soulas, lactivité du GIGUE était fondée exclusivement sur linformatique ce qui limitait son action, négligeant laccompagnement.
Lhéritière du GIGUE, lAMUE ressemble maintenant à une sorte de club des universités : ladhésion, très coûteuse, est a priori volontaire mais en réalité les établissements nont pas le choix. Pour bénéficier à moindre coût des logiciels de gestion, il faut adhérer ; et lon ne peut renoncer à ces logiciels. Comment faire sans Nabuco, alors par exemple que le ministère demande des remontées de données statistiques obtenues grâce à lui ? Club des universités, lAMUE est en réalité proche de la tutelle : les directeurs successifs de la structure sont de hauts fonctionnaires du Ministère de lEducation Nationale (ainsi, la première directrice, Josette Soulas, est Inspectrice Générale de lAdministration de lEducation Nationale et a participé au développement de la politique contractuelle). La force de lAMUE, cest ainsi de ne pas apparaître comme lémanation de la tutelle (comme létait la Délégation à la modernisation et à la déconcentration du Ministère) mais comme lémanation de la collectivité des universités. Par le biais des différents logiciels conçus par lAMUE, cest pourtant toute la gestion des universités qui passe ainsi sous contrôle (gestion comptable/gestion du personnel/gestion de la scolarité
) sans que le Ministère nait plus besoin dêtre pressant dans lexercice de sa tutelle. Sous la neutralité apparente et les contraintes techniques des logiciels, cest toute une série de normes relevant du nouveau management public qui sont diffusées. Et pour renforcer lefficacité des logiciels, lAMUE organise régulièrement des stages, destinés notamment aux équipes dirigeantes des universités, qui permettent de socialiser, sans contrainte, aux « bonnes pratiques de gestion », une gestion dinspiration néo-libérale. LAMUE, cest aussi la mue de la tutelle, moins visible, mais qui sexerce avec plus de force sur les universités et leurs présidents.
Lavant-projet de loi présenté réduit un peu plus lautonomie des présidents duniversité, et aussi bien sûr des conseils, en chapeautant les conseils élus dun conseil dorientation stratégique (COS) dont les membres sont nommés, le ministère ayant un pouvoir de nomination qui lui assure en réalité une majorité (rappelons en effet quun quart des membres en sont désignés par le Recteur, un autre quart par les directeurs de grands organismes scientifiques, eux-mêmes nommés en Conseil des Ministres). Ce Conseil dOrientation Stratégique exercera en quelque sorte une tutelle locale, par la définition des grandes orientations de luniversité qui simposeront rapidement aux universités, sur un mode normatif. Rappelons aussi que dans la première version du texte, qui peut toujours resurgir au gré dun amendement parlementaire, le COS donnait son avis sur les candidats à la présidence, forme de candidature officielle, héritage dun autre siècle.
Le Présidentialisme est donc contradictoire : le Président sautonomise par rapport à ses mandants et se rapproche du Ministère qui exerce plus que jamais, même si cest de façon moins apparente, une forte tutelle
Le Président chef du personnel ?
Dans la petite entreprise universitaire dont il est le manager, le Président va se voir reconnaître un pouvoir plus grand dans la gestion des personnels, IATOSS comme enseignants. Les textes officiels, modifiant les statuts, nont pas encore été présentés mais les propositions de la CPU pour les IATOSS comme le rapport Espéret (et sa version actualisée, le rapport Belloc, attendu en octobre 2003) pour les enseignants et enseignants-chercheurs montrent bien lorientation générale. On remet en cause les statuts, on met les personnels sous contrôle, par le biais du contrat.
La remise en cause du statut des personnels IATOSS
La situation des personnels IATOSS ne peut être séparée de celle des autres composantes de luniversité dans la mesure où ce sont les mêmes orientations pilotant le remodelage en profondeur de lenseignement supérieur qui sappliqueront à eux comme à lensemble.
Mais ces orientations auront des effets différenciés et affecteront donc les personnels IATOSS de manière spécifique. Les personnels pourraient donc être en particulier touchés par la décentralisation et la globalisation budgétaire avec pour conséquences notamment :
La disparition de linscription dans le budget de létat des emplois de fonctionnaires par corps et grades qui autoriserait plus facilement des transformations demplois dun corps/grade à un autre.
Leffacement de la notion de "statut" remplacée par celle de "convention" ou de "contrat" et le passage de la "logique statutaire de métier" à celle de "compétences" ainsi que du corps au sens actuel à celui de "cadre de fonctions".
Ces évolutions devant conduire à un mode de recrutement au niveau des établissements, les candidats étant soumis à de véritables entretiens dembauche avec ce que cela implique comme précarité, comme dépendance et comme risques de politiques clientélistes.
La disparition du corps des ASU et leur regroupement dans lactuel statut des ITRF, plus dérogatoire et moins structuré avec un ensemble de conséquences négatives pour les possibilités de mutations par exemple.
La disparition de la catégorie C et lexternalisation des fonctions exercées par ses actuels agents comme on en voit déjà les prémisses dans plusieurs établissements avec les nombreuses suppressions de postes.
Ainsi, on peut craindre fortement de ces profonds changements une bien plus grande précarité des personnels IATOSS, déjà élevée, une baisse notable des effectifs, une moindre reconnaissance de la place des personnels non enseignants dans les établissements. On est loin des justifications du Ministère et de la CPU, en termes de souplesse accrue, au service des étudiants : la dégradation des conditions dexercice des métiers va au contraire dégrader la « qualité du service ».
Remise en cause du statut et dénégation du métier : le cas des personnels de bibliothèque
Le texte dorientation adopté en CPU plénière du 19 juin 2003 à propos de la gestion des ressources humaines à luniversité appelle à lunification des corps des personnels IATOSS. Cela aurait pour conséquence la disparition des corps techniques des bibliothèques.
La spécificité du métier de bibliothécaire, métier aussi ancien que les universités elles mêmes, serait-elle donc niée au sein de linstitution à laquelle elle est le plus nécessaire ? La transmission des savoirs ne passerait-elle donc que par les amphithéâtres et plus par les bibliothèques ou est-ce que celles-ci nauraient brutalement plus besoin dêtre enrichies, organisées et ouvertes par des personnels spécifiquement formés à cela ?
On notera quau sujet des bibliothécaires, ce texte comporte de nombreuses contradictions. Curieusement, alors que la CPU insiste sur «la professionnalité et la technicisation de tous les métiers universitaires» la notion même de métier semble remise en cause. Tout au plus est-il question de « familles de métiers aux contours plus ou moins généralistes».
Pourtant la CPU souhaite que les concours nationaux permettant de recruter les IATOSS « considérés comme trop scolaires et mal adaptés aux recrutements de spécialistes » évoluent. En ce qui concerne les bibliothèques, les personnels appartenant aux corps techniques se présentent déjà à des concours, bien sûr perfectibles, mais qui comportent des épreuves spécialisées. On comprend donc mal comment une fusion avec dautres corps permettrait de recruter du personnel plus spécialisé.
Enfin, à propos des personnels de catégorie C, la CPU appelle à « une simplification de la procédure à limage de ce qui se fait dans le plan Sapin » (c'est-à-dire sans concours) « pour lesquels un recrutement national na pas de pertinence ». Certes, mais en ce qui concerne les magasiniers une réforme est intervenue dès 2003 et des recrutements locaux ont été organisés. Cela a plutôt abouti à une déprofessionnalisation puisque le concours national comportait une épreuve écrite portant sur des connaissances professionnelles et que les recrutements locaux se résument à la remise dun dossier de candidature et à un entretien dont on sait les effets socialement discriminants.
Ainsi, alors que laccès à la documentation est plus que jamais essentiel à la transmission des connaissances il semble pour le moins étrange de ne pas reconnaître la spécificité du métier de bibliothécaire.
Le personnel enseignant et enseignant-chercheur bientôt sous contrat esperetien, pardon bellocien
Des 192 heures denseignement (ou 384 heures pour les enseignants de statut second degré) aux 1600 heures dactivité
Sous prétexte de prendre en compte certaines nouvelles missions (élaboration de supports de cours sur internet, jurys de validation des acquis de lexpérience
), le nouveau décret conduit à un remodelage complet du statut des enseignants-chercheurs : on passe dune logique de statut défini nationalement à une logique de contrat négocié individuellement entre chaque enseignant-chercheur et son Président. Ce qui se traduit en termes dhoraires par le passage de 192 heures denseignement annuelles à 1600 heures annuelles dactivités.
Selon le rapport Espéret, les 1600 heures se répartiraient ainsi : 800 heures consacrées à la recherche et 800 heures pour lenseignement et ladministration. Pour ces 800 heures, il est pour linstant prévu quun quart soit consacré aux cours eux-mêmes et trois quarts à leur préparation et à la correction des travaux des étudiants. Mais cette répartition sera à renégocier chaque année avec le Président de lUniversité, qui pourra augmenter le volume des heures denseignement bien au-delà des 192 heures actuelles.
Des universités denseignement sans recherche ?
On imagine ce qui peut advenir des enseignants-chercheurs dans les Universités de moins de 15 000 étudiants transformées en sortes de collèges universitaires. On leur déniera une bonne part de leur activité de recherche en faisant valoir quils ne participent pas à la formation à la recherche, nayant que des étudiants de « premier cycle rénové » (le L du LMD). On leur demandera une activité denseignement plus importante, en arguant de ce que les cours dispensés à ce niveau nexigent pas une telle préparation et peuvent être reconduits à lidentique dune année sur lautre.
Avec ce projet de décret, il ny aura plus ni heures complémentaires, ni déficit de postes.
Les enseignants-chercheurs doivent cesser davoir honte de leur statut à 192 heures denseignement. On ne reproche pas à un avocat de nêtre actif professionnellement que le temps de sa plaidoirie. Les cours, expression visible de ce métier, ne doivent pas masquer lactivité de préparation.
Dans « leur » petite entreprise, la recherche réduite à la portion congrue et marchande
La subordination de la recherche à des intérêts régionaux et à lutilitarisme économique
Larticle 3 du projet de loi de « modernisation universitaire » (deuxième version du projet de loi sur lautonomie des établissements denseignement supérieur, ajout de l'article 711-1-2 du code de l'éducation) est ainsi rédigé:
«Dans chaque établissement, un conseil dorientation stratégique est chargé de faire toutes propositions, à son initiative ou à la demande du président, sur la politique générale de létablissement. Le conseil est consulté sur lélaboration et la réalisation du projet et du contrat détablissement. Ses avis sont communiqués aux instances de létablissement.
Outre le président de létablissement, le conseil dorientation stratégique est composé de personnalités qualifiées extérieures à létablissement, de nationalité française et étrangère, représentant notamment les collectivités territoriales, le monde économique et social et les intérêts scientifiques, parmi lesquelles est élu son président. Ces personnalités qualifiées sont désignées dans des conditions fixées par décret. »
Dans la première version du projet de loi, le Président duniversité était « élu sur avis » du Conseil dOrientation Stratégique (COS), et pouvait être non universitaire : les intentions du gouvernement relatives aux articles correspondants de la loi dautonomie étaient ainsi bien plus claires, trop claires peut être...
Ces aspects du projet de loi rappellent linspiration de la loi sur lInnovation et la Recherche de juillet 1999, qui incitait les universités et les établissements de recherche à simpliquer plus fortement dans la valorisation de la recherche et le transfert de technologies vers lindustrie. Cette loi, qui visait à « favoriser notamment la production d'activités de nature industrielle et commerciale par l'enseignement supérieur et la recherche », comprenait certains éléments positifs, mais a parfois simplement servi à déposséder la recherche publique des fruits de son travail ou à rediriger des crédits et des moyens publics vers des entités privées, avec un « retour sur investissement » la plupart du temps bien faible pour le public.
De même que pour lenseignement, le COS, étant donné sa composition, pourra peser sur la stratégie et le financement de la recherche à luniversité, dans un sens induisant une dépendance marquée vis-à-vis des intérêts économiques locaux. Cette contrainte pourrait amener certaines universités de taille moyenne à réduire léventail des activités de recherche quelles maintiennent, plus particulièrement dans des domaines considérés comme « improductifs » ou sans débouchés professionnels. Seules les régions puissantes pourront (éventuellement) sengager dans une politique offensive en termes de recherche. Comment, dans ces conditions, garantir le droit et la possibilité de réaliser une thèse en archéologie, en mathématiques pures, en histoire du droit, etc. ?
La pression vers « ladaptation aux besoins économiques et sociaux » se traduira aussi par la multiplication des financements privés ou associatifs et la restriction des financements publics de type allocations et bourses, ce qui aggravera les phénomènes qui viennent dêtre décrits et générera une nouvelle échelle de valeurs pour les différentes branches de la recherche scientifique.
Enfin, la contractualisation, telle quelle est prônée par le rapport Espéret, ouvre la voie à la création de postes denseignement sans recherche, avec léventualité de limiter mécaniquement le rôle de lUniversité dans les progrès de la connaissance.
Il y a là un risque réel de faire profondément régresser la recherche universitaire en France.
Recrutement des chercheurs : renforcement de la sélection sociale et précarisation des statuts
A cause du cloisonnement entre filières professionnalisantes et filières de recherche, devenir un chercheur supposera un « plan de carrière » élaboré très tôt dans le cursus (avant la licence professionnelle).
Ce schéma requiert d'avoir su se construire un parcours individuel compatible avec cet objectif. Les bacheliers initiés, socialement et culturellement les mieux dotés, pourront plus facilement se projeter dans un parcours menant à la recherche professionnelle. Les autres « préfèreront » un cursus a priori moins risqué et plus rentable à court terme. On peut craindre en outre que les universitaires ayant le privilège de travailler dans les filières de recherche devront avant tout, plus quauparavant, se préoccuper de leurs financements et de leurs publications (« publish or perish ») au détriment du suivi de leurs étudiants et doctorants.
Les réformes en cours accentueront donc lélitisme social dans les filières de recherche, pourtant déjà bien marqué.
Sur un autre plan, les universités pourront sintégrer dans des EPCU et des GIP (Groupements dIntérêt Public) ce qui permettra une comptabilité de droit privé, et elles recevront de la part du ministère de lEducation un budget global (avec seulement un plafond de postes de fonctionnaires).
Cela modifiera la politique de recrutement des universités durant la période qui vient de fort renouvellement des personnels (départs à la retraite massifs dici 2010). Selon leurs priorités, les instances décisionnelles universitaires pourront choisir de ne pas créer de postes de fonctionnaires et créer des postes à durée déterminée, des postes dassociés, etc. Cette évolution fragiliserait encore plus la situation des doctorants et des docteurs sans poste qui sont déjà les premiers touchés par la précarité des emplois offerts à lUniversité : armée de réserve de lenseignement supérieur, ce sont eux qui assurent le fonctionnement des Travaux Dirigés et des Travaux Pratiques à bas coût, car sous-payés et bénéficiant dune protection sociale limitée.
Après avoir été précaires durant leur (longue
) formation, les jeunes docteurs se verraient offrir un avenir tout aussi précaire à lUniversité, mais également dans les organismes de recherche ; en effet, les projets de réforme y vont dans le même sens : institutionnalisation du statut de post-doc, financement via des fondations, postes de chargés de recherche à durée déterminée, etc. (le recrutement au CNRS en 2004 est déjà parlant: 1000 départs, 500 recrutements, le reste en CDD).
Dans une période de renouvellement important des générations, les enjeux de la formation des enseignants-chercheurs et des conditions de travail futures sont essentiels pour la définition du champ scientifique. Cela concerne tant les jeunes étudiants et les universitaires en place que les doctorants qui se sont engagés dans la voie de la recherche. La science est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux mains de « responsables » qui risquent fort dadopter une politique irresponsable sur le moyen et le long terme
VI. Au final, l'étudiant que la réforme disait vouloir replacer au centre est relégué à la périphérie.
Limposition dun nouveau cadre de fonctionnement de lUniversité affectera directement et indirectement les étudiants.
Directement : dans cet enseignement « post-scolaire », les hiérarchies sont brouillées, la conception universitaire des savoirs transmis est marginalisée et dévalorisée, une conception consumériste des études est prônée, létudiant est considéré comme un homo oeconomicus et les inégalités sociales, déjà fortes, sont accentuées.
Indirectement : la transformation des statuts des personnels, la nouvelle structuration de « loffre » de formation, les « montages financiers » des formations quenferment les réformes ne sont pas sans conséquence sur la qualité de la formation et sur les cursus offerts aux étudiants.
« Grandes universités » et « collèges universitaires »
Le processus de massification de lUniversité engagé depuis le début des années 1980 saccompagne aujourd'hui dune volonté d'ouverture des formations universitaires à des débouchés professionnels. L'enseignement et la recherche ne seraient plus les seules vocations officielles de l'Université. On peut toutefois s'interroger sur les modalités de mise en uvre de ces nouvelles filières dites "professionnelles" ou "professionnalisantes" (Licence et Master). En effet, au moment où, afin de légitimer leur capacité à transmettre un savoir, les écoles de commerce et les écoles dingénieurs rendent plus générales leurs formations professionnelles bac + 5 et s'allient avec des universités pour décerner des doctorats (par le jeu des EPCU), on contraint les universités à dispenser des formations dites professionnelles, dune valeur fortement soumise aux fluctuations du marché de lemploi. De ce point de vue, le processus qui a conduit à la disparition des petites écoles de commerce, (notamment celles de province) au profit d'écoles privées fonctionnant comme des "boîtes à diplôme de commerce", a toutes les chances de se reproduire au niveau des "petites universités", qui, majoritaires sur le plan quantitatif, ne pourront offrir aux étudiants que des licences professionnelles « terminales », dotées de peu de moyens. Nous assistons donc bien à un renforcement de la césure entre deux systèmes et non à leur rapprochement, situation dont les principales victimes seront les étudiants.
Tout semble indiquer, en effet, que la licence professionnelle, amenée à se développer dans les « collèges universitaires », reportera sur létudiant lensemble des risques avant, durant et suite à la formation. Les étudiants sengageront dans une formation dont la reconnaissance sera fragile. Tout dabord, ils ne sauront pas comment auront été négociées la conception et la mise en uvre de cette formation entre universitaires, représentants dorganisations professionnelles, élus locaux, président duniversité, etc. Pourtant, cette négociation, les modalités du « partenariat » (autrement dit le rapport de forces nécessairement mouvant entre les différentes parties prenantes) aura une incidence sur le contenu pédagogique de la formation et la reconnaissance du diplôme.
La réforme LMD associée à une réforme de lorganisation administrative et financière et à une réforme des statuts des personnels va développer la dualisation du système universitaire avec, dune part, les « grandes universités », peu nombreuses, pluridisciplinaires, formant jusquau master et au doctorat (tout en assurant la licence), concentrant prestige intellectuel et moyens matériels, et, dautre part, les « collèges universitaires », nombreux, spécialisés, sarrêtant à la licence professionnelle ou générale.
Le financement des « licences professionnelles »
Les étudiants peuvent pâtir de linstabilité des financements des licences professionnelles, le financement correspondant à un assemblage de subventions dorigines diverses, de fonds propres de luniversité, de financements des étudiants... Cette instabilité financière, connue dans la formation continue, risque dêtre généralisée à lensemble des formations. Et, là encore cest létudiant qui sera directement affecté : hausse soudaine du droit dinscription, cours qui ne peuvent être assurés faute de financement
En outre, si l'on considère le rapport de forces entre les différentes parties prenantes, les contenus effectifs de la formation pourront être contestables, car non investis par des professionnels de la formation : appel inconsidéré aux « consultants » (ni praticiens, ni théoriciens), aucun temps (donc de largent) dégagé pour réunir léquipe pédagogique, apprentissage par la recherche remis en cause (pas dexigence de mémoire durant ces formations, flou du contenu des « projets tutorés »).
Enfin, concernant le stage professionnel qui fait partie intégrante de la licence professionnelle, aucune garantie nest apportée sur le caractère professionnalisant du stage, cest-à-dire sur le contenu effectif, sans même parler du non paiement du travail fourni.
« Licences professionnelles » et accès à lemploi qualifié
Avec ces réformes, lUniversité française sera de moins en moins apte à remplir lune des fonctions qui lui échoit encore : assurer, à tous les étudiants, la possibilité de faire des études poussées, et en particulier donner une seconde chance aux étudiants peu favorisés socialement et culturellement. Cest bien à lobjectif dun accès démocratique aux diplômes de lenseignement supérieur que ces reformes semblent renoncer.
Le diplôme sera reconnu par des acteurs professionnels (par exemple des syndicats patronaux) qui participent à son élaboration. Mais cette reconnaissance ne sera garantie que par des acteurs circonscrits et pour des emplois dont on ne saura sils perdureront. Lors de la mise en place de ce type de formation, lhomologation de la certification par des organismes professionnels et par l'Éducation nationale ne garantira pas une reconnaissance par les organismes financeurs de formation (ANPE, Fonds de formation
). Or, cette reconnaissance sera indispensable aux demandeurs demploi et salariés qui souhaiteront suivre ces formations dans le cadre de la formation continue (et qui paieront des tarifs plus élevés que ceux réservés aux étudiants en formation initiale). En outre, lorsque cette formation sera jugée obsolète par certains partenaires, la reconnaissance pourra disparaître aussi vite quelle est apparue (via la suppression de financements, le non renouvellement de lhomologation, etc.). Létudiant sengagera alors dans une voie potentiellement sans issue.
Contrairement aux élèves des "grandes écoles", le licencié pro ne bénéficiera pas dun environnement et de moyens permettant une bonne insertion professionnelle : bureau des stages, suivi des stages, rencontres collectives organisées avec les professionnels, annuaires des anciens élèves, etc. Cest seul quil négociera face à son employeur potentiel, sa certification ayant peu de chance dêtre connue en dehors des quelques personnes qui auront personnellement participé à son élaboration. Dès lors, quelle sera la valeur de cette formation ?
La réalisation d'un stage, dont le contenu varie fortement selon les ressources dont disposent les étudiants (relations, moyens financiers, etc.), ne permettra pas de faire valoir cette formation comme l'acquisition d'une compétence professionnelle. En ce sens, un étudiant qui détiendra une licence professionnelle sera, sur le marché du travail, en compétition avec des formations plus reconnues, ayant déjà fait l'objet d'une évaluation salariale, telles que les formations BTS, DUT ou IUT. Un licencié pro sera ainsi moins bien rétribué quun diplômé de BTS, dont on connaît déjà l'effondrement de la valeur marchande sur le marché du travail (ce qui se traduit par une multiplication des formations en alternance pendant la seconde année de BTS, ainsi que par la prolongation de leur formation scolaire, notamment à l'Université). On peut dailleurs s'interroger sur la création de ces nouvelles filières, sachant que les DUT, IUT, IAE, IUP, etc., sont déjà des formations professionnelles dispensées en partie par des universitaires et rattachées aux universités.
Des inégalités sociales renforcées
Les étudiants sont directement concernés par les transformations organisationnelles et financières en projet. Avec des budgets en provenance du ministère de lEducation nationale stables voire en baisse, ce sont les collectivités locales, les entreprises et les étudiants qui vont être sollicités. Or, cette rupture des dispositifs de financement au niveau national, qui contribuent à promouvoir un accès pour tous à lUniversité, risque fort daccentuer le caractère inégalitaire de son recrutement social. La remise en cause de la quasi gratuité des études représente dabord une atteinte symbolique portée à un droit. Ensuite, cette « libéralisation » des frais dinscription aura pour conséquence dexclure demblée un certain nombre de jeunes de laccès à lenseignement supérieur. Dailleurs, les jeunes dont les parents disposent de faibles revenus seront dautant plus facilement dissuadés de sengager dans un cursus universitaire que la durée minimale dobtention du premier diplôme passera de deux à trois ans.
Les réformes proposées risquent en outre de renforcer les inégalités entre étudiants quant à leurs conditions de vie et détudes. La dualisation croissante de lenseignement supérieur (grandes écoles et « grandes universités » / « petites universités » ou « collèges universitaires ») pourrait saccompagner dune différenciation sociale accrue des publics étudiants. Ainsi, les étudiants issus des classes supérieures, qui, par ailleurs, mieux culturellement dotés, accèdent plus facilement aux filières sélectives, disposeraient plus que les autres des moyens matériels nécessaires au financement dune formation prestigieuse. Ils continueraient à profiter de laide parentale, actuellement plus importante pour eux que pour les autres étudiants, et accèderaient sans doute plus aisément que les autres à des prêts bancaires. Les étudiants dorigine populaire bénéficient quant à eux de bourses (surtout en 1er cycle), mais leur montant et leur nombre pourront savérer plus insuffisants encore si les frais occasionnés augmentent. De plus, beaucoup détudiants dont les parents se situent dans des catégories intermédiaires de revenus ne peuvent prétendre à ces aides, et doivent recourir au salariat. Si lexercice dune activité rémunérée est largement répandu parmi les étudiants, la nature et la fréquence de cette activité varient fortement selon leur origine sociale. Les étudiants issus des classes supérieures recourent plus fréquemment que les autres au baby-sitting et aux cours particuliers puis, à mesure quils avancent dans leur cursus, à des activités inscrites dans le cadre des études, les plus convoitées. Ceux dorigine populaire et moyenne exercent plus souvent des emplois douvrier ou demployé de service, puis de surveillant, emploi relativement stable et bien rémunéré mais dont lexercice est remis en cause par la récente suppression de postes. Aux premiers sont réservées les activités les mieux rétribuées, les moins pénibles, les plus proches de la qualification obtenue et les plus valorisantes dans un CV, tandis que les seconds se voient globalement cantonnés à des emplois qui, sans lien avec leurs études et effectués avec une relative régularité, perturbent leur investissement studieux. Plus souvent confrontés par ailleurs à des difficultés scolaires, ils sont ainsi plus exposés au risque déchouer dans leurs études à cause de leur emploi.
Ainsi, en simplifiant un peu, on pourrait distinguer, au sein des publics étudiants, deux figures polaires. Dun côté, létudiant inscrit dans une filière dexcellence, aidé financièrement par ses parents et/ou ayant accès à des prêts ou à des emplois intégrés à ses études, représenterait une sorte de « bon client » de lenseignement supérieur. De lautre, létudiant relégué à une « petite université » et aux cursus les plus courts, et contraint dexercer un « petit boulot » parallèlement à ses études, fournirait une main duvre bon marché aux entreprises locales.
Avec les réformes à venir, le salariat étudiant tendra même à sinstitutionnaliser et à sinscrire de plus en plus dans les cursus. En effet, les « licences professionnelles » et le système des ECTS selon lequel un stage ou une expérience professionnelle pourra être validé, au même titre quun mémoire de recherche, permettront cette intrusion du monde de lentreprise et de ses exigences au sein de lUniversité. Non seulement lUniversité na pas vocation à prendre en charge la sélection et la formation des salariés elle dispense, rappelons-le, des connaissances générales sanctionnées par des diplômes nationalement reconnus-, mais en outre aucune garantie nest prévue quant à la valeur formative et à lapport sur un CV de ces stages et emplois. En revanche, ceux-ci fournissent aux entreprises locales une main duvre bon marché et dautant plus docile que lobtention dune partie du diplôme de létudiant dépend de son comportement au travail. Plus que jamais, le terme enjoliveur de « professionnalisation » pourra renvoyer à des emplois déqualifiés ou peu « qualifiants ».
Cette conception néolibérale de lenseignement comme pourvoyeur de main doeuvre est clairement exposée dans Le Livre Blanc sur léducation et la formation de la Commission Européenne, au sein de laquelle sont prises les décisions politiques que les réformes projetées appliqueront. Si une place y est consentie à la « culture générale », « le développement de laptitude à lemploi et à lactivité » y est aussi largement prôné. Celui-ci fait lobjet dune partie dans laquelle on peut lire : « Dans le monde moderne, la connaissance au sens large peut être définie comme une accumulation de savoirs fondamentaux, de savoirs techniques et d'aptitudes sociales. (
) Les aptitudes sociales concernent les capacités relationnelles, le comportement au travail et toute une gamme de compétences qui correspondent au niveau de responsabilité occupée : la capacité de coopérer, de travailler en équipe, la créativité, la recherche de la qualité. ». Cette définition de la connaissance aux allures théoriques légitime une conception hétéronome de lenseignement, directement lié aux besoins des entreprises. La « connaissance » englobe ici les « aptitudes sociales », elles-mêmes ramenées à une « aptitude à lemploi » (elles pourraient aussi bien, par exemple, désigner les qualités civiques et renvoyer aux notions dimplication citoyenne, de solidarité et de sens critique
). Lentreprise apparaît logiquement comme le lieu privilégié dacquisition de ces aptitudes : « La maîtrise de telles aptitudes ne peut être pleinement acquise quen milieu de travail, donc essentiellement dans lentreprise. ». Mais cest avant tout à « lindividu » quil revient dêtre, en quelque sorte, le formateur de lui-même : « Laptitude à lemploi dun individu, son autonomie, sa possibilité dadaptation, sont liées à la façon dont il pourra combiner ces différentes connaissances et les faire évoluer. Ici, l'individu devient l'acteur et le constructeur principal de sa qualification : il est apte à combiner les compétences transmises par les institutions formelles et les compétences acquises par sa pratique professionnelle et par ses initiatives personnelles en matière de formation. ». Doù une conception de lenseignement qui sous-tend également les mesures gouvernementales : « Cest donc en diversifiant les offres éducatives, les passerelles entre filières, en multipliant les expériences pré-professionnelles, en ouvrant toutes les possibilités de mobilité, quon lui permettra de construire et développer son aptitude à lemploi et de mieux maîtriser son parcours professionnel. ». Ailleurs dans le texte, il est dit, de manière plus explicite encore : « Faites pour éduquer et former le citoyen ou le salarié destiné à un emploi permanent, [les institutions éducatives] sont encore trop rigides [
] la question centrale est d'aller vers une plus grande flexibilité de l'éducation et de la formation ».
Une telle conception individualiste de lenseignement peut se révéler profondément inégalitaire. Si « l'individu devient l'acteur et le constructeur principal de sa qualification », alors la qualité de sa formation et son accès futur à des emplois qualifiés ne dépendront que de lui-même, ou plutôt des ressources de diverses natures quil tiendra de sa famille dorigine. Les étudiants les mieux économiquement et culturellement dotés seront en mesure de choisir les meilleurs « placements », cest-à-dire à la fois dinvestir financièrement dans les formations les plus « rentables » et de sorienter au sein dun système denseignement brouillé car parcellisé en « points » ou « crédits » à « capitaliser ».
En outre, ces étudiants appelés à devenir des agents rationnels, utilisant au mieux de leurs intérêts le système, seront encouragés par là même à se comporter en « clients » et en « consommateurs » (comme dans les grandes écoles, on connaîtra dans les universités les procès des étudiants contre leur école, la remise en cause des notes et des décisions du jury, les jeux de lévaluation, etc.). Ainsi se renforceront lutilitarisme des étudiants, la focalisation sur les résultats, sur lobtention du titre au détriment dune réelle implication dans le processus dacquisition des savoirs, condition nécessaire de lémancipation par la connaissance.
Cette conception de létudiant comme un consommateur se retrouve dans un des projets les plus exemplaires de la « marchandisation » de lenseignement : le programme « eLearning » de la Commission Européenne, qui vise à adapter les systèmes éducatifs européens à la « nouvelle économie ». Plutôt que la diffusion des savoirs à des publics élargis, ce programme facilitera, grâce aux Nouvelles Technologies de lInformation et de la Communication (NTIC), qui permettent de contourner les « rigidités » que seraient les frontières et les institutions, la mise en concurrence des divers établissements denseignement supérieur. En effet, il favoriserait « linterconnexion des espaces et campus virtuels, la mise en réseau des universités, écoles, centres de formation et au-delà des centres de ressources culturelles ». Dans le cadre de ces nouvelles relations « entre chaque apprenant, enseignant, formateur, entrepreneur », létudiant deviendra une sorte de client qui choisit entre différents prestataires. Ce type de programme mis en uvre au sein de lUnion Européenne préparera le terrain aux libéralisations prévisibles dans le cadre de lAGCS (Accord Général sur le Commerce des Services) de lOMC, qui considère léducation comme « un article destiné à la consommation publique et privée ». Louverture au marché du secteur de léducation, secteur très lucratif, ne serait alors pas dénué denjeux idéologiques : formé comme un client (ou comme un salarié) au sein même du système denseignement (à travers les types de formations proposées, leur contenu, la façon dy accéder, à travers les nouveaux modes de relation avec les enseignants, etc.), létudiant (« client en formation », pourrait-on dire) aurait de fortes chances dadhérer par la suite aux thèses néolibérales.
Rigidification des cursus universitaires : voie professionnelle et voie de la recherche
Quelle sera la possibilité pour un diplômé d'une licence professionnelle de poursuivre ses études au-delà d'un master ? La licence professionnelle est-elle ou peut-elle être équivalente à une licence dite générale, non professionnelle ? Il semble que les étudiants engagés dans un master professionnel ne puissent pas avoir accès au doctorat. La question des passerelles entre les deux cursus n'est jamais posée. On tend donc à distinguer deux types de formations selon leur débouché. Les chercheurs ne sont-ils pas des professionnels de la recherche ? Ceux qui envisagent de faire de la recherche ne souhaitent-ils pas en faire leur profession ? Par conséquent, la différenciation entre ces deux formations ne fait que promouvoir l'idée selon laquelle à une formation donnée correspond un univers de professions déterminées. Or, aujourd'hui, un étudiant qui détient un doctorat a une valeur professionnelle, même si, et c'est là que réside (souvent) le problème, la valeur professionnelle d'un doctorat n'est pas suffisamment reconnue. Ainsi, la réforme, qui vise à distinguer la voie de la recherche de la voie professionnelle, ne fait que renforcer le pouvoir des entreprises privées à définir la valeur des diplômes et le contenu des formations. On considérera alors les détenteurs dun master professionnel comme étant plus « employable » que ceux qui auront choisi les filières de la recherche, perçus comme des " savants géniaux " inaptes à produire des objets présentant un intérêt pour les entreprises.
En outre, la séparation, promue par ces réformes, entre un parcours professionnel et un parcours de recherche, renforce la sélection sociale des étudiants en instaurant, derrière une distinction scolaire, une nouvelle distinction sociale. En effet, les étudiants qui choisissent aujourd'hui les filières professionnelles ont les origines sociales les plus modestes et disposent des ressources sociales, économiques et culturelles les plus faibles. Ils investissent ces formations parce qu'elles sont perçues par eux-mêmes et par leur famille comme procurant un retour sur investissement réel et à court terme, bref, un emploi. La mise en place d'une licence et d'un master professionnel entretient cette illusion de pouvoir trouver un emploi rapidement et de manière assurée. Or, il s'avère que ce sont précisément ceux qui choisissent ces filières qui subissent le plus fortement les difficultés de recherche d'emploi et d'intégration dans la vie active. En conséquence, la différenciation entre deux types de formation voués à deux types de débouchés ne fait qu'instituer une sélection sociale déjà à l'uvre dans les établissements d'enseignement supérieur. Ceux qui choisiront la filière de la recherche seront ceux qui envisageront les études supérieures non pas comme l'acquisition d'une compétence pour un emploi, mais comme l'acquisition d'un savoir, sans avoir pour préoccupation initiale la recherche d'une rémunération. Choisir de s'investir dans des études longues, qui engendrent un retour sur investissement à plus long terme, suppose, en effet, den avoir les moyens financiers.
De ce fait, la différenciation universitaire telle que le promeut cette réforme, entre un parcours professionnel et un parcours dit recherche, instaure une nouvelle distinction sociale sous couvert d'une distinction scolaire.
La dégradation de la condition des étudiants chercheurs.
Après les textes législatifs imposant la norme de la thèse en 3 ans (avec des dérogations possibles liées au travail salarié, à la maternité, etc., cf. les arrêtés de 1998 sur la charte des thèses et de 2002 relatif aux études doctorales), la réforme LMD confirme cette injonction (dans son intitulé même, version C. Allègre, on parlait de « 3-5-8 »). Or, en sciences sociales et humaines en particulier, cette norme est irréaliste pour la majorité des doctorants. En 2001, la durée médiane des thèses en sciences humaines et sociales (SHS) est de 5 ans et lâge moyen de soutenance est de 36 ans et demi.
La durée plus longue des thèses en SHS est à rapporter à leurs conditions de production. Dune part, les conditions matérielles sont déplorables : en 1999, 14 % des doctorants en SHS sont allocataires, contre 41 % des doctorants en sciences expérimentales (directions scientifiques de 1 à 5) ; en 2000, plus de 60 % des doctorants en SHS nont pas de financement de thèse (ni allocataires, ni salariés, ni bénéficiaires dune bourse ou équivalent), contre environ 10 % pour les doctorants en sciences expérimentales. Dautre part, les conditions scientifiques sont différentes dune discipline à lautre : en SHS, le temps daccumulation des connaissances et de collectes des données est plus long ; et les doctorants bénéficient beaucoup moins souvent dun encadrement collectif, en particulier au sein dun laboratoire.
Les réformes en cours renforcent le poids de critères hétéronomes dans lorientation de la politique de recherche de lUniversité.
Étant donné la restriction des budgets en provenance des ministères, la pression à « ladaptation aux besoins économiques et sociaux » et le poids accordé aux représentants régionaux dans lorientation de la politique universitaire (appelés à faire mieux avec moins), on peut craindre le délaissement de nombreuses filières de recherche : les plus coûteuses en financement public et les moins « vendables », dun point de vue électoral notamment. Une priorité sera accordée à certaines disciplines et à certains objets de recherche en fonction des intérêts nationaux et locaux. Seules les régions puissantes pourront (éventuellement) sengager dans une politique offensive en termes de recherche fondamentale (souhaitant accumuler davantage de capital symbolique convertible à terme). Comment, dans ces conditions, garantir le droit/la possibilité de réaliser une thèse en archéologie, en mathématiques pures, en histoire du droit, etc. ?
Au-delà de cette restriction de loffre de filières de recherche, structurant fortement lavenir des doctorants, le poids de critères hétéronomes risque fort daffecter lorientation même des recherches menées. Laffaiblissement dune logique disciplinaire au profit dune logique thématique durant la licence et le master aura nécessairement des conséquences dans lorientation intellectuelle des futurs doctorants.
Quant au fonctionnement des écoles doctorales, censées être le principal lieu de socialisation professionnelle pour les doctorants (apprentis chercheurs, apprentis enseignants-chercheurs), il nest pas évoqué dans les textes. De quels locaux et de quels moyens financiers disposeront ces écoles ? Dans quelles conditions sera assurée la pluridisciplinarité au principe des écoles ? Quelle sera la disponibilité des universitaires pour sy engager ? Là encore, cela dépendra de la politique adoptée par chaque université et de ses axes prioritaires. Quant au suivi individuel du thésard, il devra être renforcé pour raccourcir le délai de réalisation de la thèse. Le suivi actuel est jugé insuffisant par de nombreux doctorants, mais les réformes envisagées napportent aucune solution à ce problème. On peut plutôt craindre que les universitaires ayant le privilège de travailler dans les filières de recherche devront avant tout se préoccuper des financements de leurs recherches et de leurs publications (publish or perish) et, secondairement, soccuper de leurs étudiants et doctorants.
Cette durée de réalisation de la thèse, plus longue, est en outre à rapporter aux modalités dévaluation. La qualification (pour participer au concours de recrutement des maîtres de conférences) ou le recrutement au sein dun organisme de recherche ne se font pas seulement sur la base de la thèse (et de sa mention) mais également sur celle des publications (leur nombre et leur rang) du candidat et de son expérience de lenseignement. Les doctorants se voient ainsi confrontés à une double contrainte, source de nombreuses tensions : dun côté, les commissions, bien souvent, conservent des exigences contradictoires avec la réalisation dune thèse en trois ans ; de lautre, la concurrence entre docteurs en attente de postes, nouveaux et futurs docteurs, favorise la surenchère dans les publications et les enseignements.
Dans le fonctionnement actuel, la procédure pour obtenir un poste de maître de conférences à lUniversité est déjà opaque (aux niveaux de la qualification par la section CNU, de la sélection des candidats par les commissions universitaires, de la sélection des auditionnés, du choix final réalisé
), et aucune mesure ne concerne cette question dans les projets en cours. Mais quen sera-t-il pour ces nouveaux contrats (quils soient de droit privé ou de droit public) ? Quel rôle auront les pairs dans le processus de recrutement ? Le contrat nimposera-t-il pas que des tâches denseignement et dadministration dans les collèges universitaires ? Quelles seront les marges de négociation des postulants à ces emplois ? Le projet de réforme des statuts denseignants-chercheurs titulaires (1600 h dactivité dont le contenu est à renégocier chaque année avec le président de luniversité) nincite pas à loptimisme pour les non titulaires.
Conseil national de lenseignement supérieur et de la recherche
Conférence des Présidents dUniversités
Cf. Ministère de lEducation Nationale, Données citées dans le rapport du sénateur Lachenaud sur le Projet de loi de finances pour 2002 (voir chapitre sur Lefficience du système éducatif. www.senat.fr/rap/l01-087-316/l01-087-31611.html#toc193)
Cf. : M.E.N., 2000, p. 257.
Cf. Stéphane Zuber : « Linégalité de la dépense publique déducation en France : 1900-2000 », Mémoire de DEA sous la direction de T.Piketty (EHESS, 2002-2003)
Concernant le recrutement des grandes écoles, cf. M. Euriat, C. Thélot, 1995, « Le recrutement social de lélite scolaire en France, Evolution des inégalités de 1950 à 1990 », Revue Française de Sociologie, XXXVI.
Cf. F.Cadilhon, B.Lachaise, JM Lebigre, 1999, Histoire dune université bordelaise, Michel de Montaigne, faculté des arts, faculté des lettres, Presses Universitaires de Bordeaux.
Voir la partie V.
EUA, Message de Salamanque, 2001
Voir V. Duclert, A. Chatriot, 2003, Quel avenir pour la recherche ? Paris, Flammarion (pour un plaidoyer pour la recherche fondamentale).
Voir A. Coulon, S. Paivandi, 2003, Les Etudiants étrangers en France, Observatoire de la Vie Etudiante.
Cf. le chapitre V.
Cf. le rapport de la Cour des Comptes sur la gestion du système éducatif davril 2003 : « Par exemple, les taux daccès au deuxième cycle diffèrent selon les filières et les établissements. En droit, ils sont de 25,9 % en deux ans, de 28,4 % en sciences économiques, de 34,2 % en lettres et sciences humaines et de 26,4 % en sciences. De tels écarts ne peuvent résulter décarts équivalents dans les valeurs respectives des étudiants mais signifient que les différentes filières imposent leurs propres schémas de sélection. » Autre constat, repris dans le rapport précité de la Cour des Comptes : « le taux de réussite en deux ans est ainsi de près de 55 % dans les DEUG de STAPS et de lettres, soit presque le double du taux atteint en droit (27 %) ou en AES (29 %) ».
Selon la terminologie utilisée de façon imagée par les normalisateurs lorsquils présentent oralement les « clés de répartition ».
Une nuance à apporter : certaines filières instaurent volontairement une sélection en premier cycle (qui ne dit pas son nom) en associant à la discipline officielle denseignement une autre matière dont le niveau dexigence, posé dentrée, assure de lui-même la sélection à lentrée, sans que luniversité se donne les moyens de transmettre ces connaissances tacitement exigées (cest le cas, par exemple, quand la survie en cours de cursus, sinon laccès à un DEUG, sont subordonnés à une très bonne maîtrise du maniement dune langue vivante).
Cf. le rapport de la Cour des Comptes sur la « Gestion du système éducatif » : « Aussi, parmi les étudiants entrant en IUT à la rentrée universitaire 2000-2001, les bacheliers généraux sont-ils prédominants puisquils représentent 66 % des inscrits. Plus de 43 % de ces bacheliers généraux sont titulaires dun baccalauréat de la filière S. »
Autant de ressources très utiles pour pouvoir sorienter dans le dédale des filières et des options et que lon voit jouer à plein lors des réorientations.
Cf. la première partie de ce document sur le « coût dun étudiant de DEUG et dIUT ».
Mais globalement non-démocratisation si lon prend en compte les « écoles du pouvoir » préposées à la reproduction des différentes fractions des classes dominantes.
Cf. Bernard Convert, 2003, « Des hiérarchies maintenues. Espace des disciplines, morphologie de loffre scolaire et choix dorientation en France, 1987-2001 », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 149, p. 61-73.
Sans jamais, bien sûr, poser la question des conditions économiques et sociales de la construction dun étudiant acteur rationnel ayant posé dès lentrée dans lenseignement supérieur un « projet » dans le cadre dune pensée stratégique.
Cf. Régine Boyer, Charles Coridian, 2003, « Transmission des savoirs disciplinaires dans lenseignement supérieur. Une comparaison histoire / sociologie », Sociétés Contemporaines, n° 48, p. 41-61.
Réforme ayant dailleurs sans doute conduit à une hiérarchisation plus grande des différents segments de la médecine et dabord entre médecine générale dun côté, spécialités médicales de lautre (produisant en quelque sorte deux corps distincts, de manière analogue à la partition « officiers de santé » / « médecins » au XIXe siècle), mais aussi entre spécialités. Les projets dinstauration dun tronc commun à diverses professions de santé sont, quand à eux, ambigus parce quils tendront à hiérarchiser plus brutalement encore quactuellement lorientation vers ces différentes professions (en référence à la profession médicale).
Dans les débouchés des formations déjà professionnalisées (type DESS, qui se sont multipliés ces dernières années), il semble que lon puisse dores et déjà remarquer la très grande différence qui sinstaure entre les étudiants occupant déjà un emploi, pour lesquels le nouveau diplôme va servir, dans une logique de formation continue, de certification permettant une forme de mobilité sociale intra-institutionnelle (entreprise, association) ou intra-professionnelle et jeunes étudiants sans ressources (dans tous les sens du terme) accédant à des formations « professionnelles » qui se révèlent plutôt sans avenir pour eux.
Par opposition à la logique qui prévaut dans la formation des corps pour les élèves passés par les grandes écoles.
Il est vrai que certains enseignants des disciplines ou sous-disciplines hétéronomes les plus récemment instituées dans lenseignement supérieur et les plus tournées vers un marché externe (de la formation, de lorganisation des entreprises, etc.) ont eux-mêmes travaillé darrache-pied ces dernières années à se soustraire aux contrôles croisés des disciplines auxquelles ils pouvaient se référer en parole (en se pensant au « carrefour » des disciplines et en développant une rhétorique de la « complexité » du réel).
La « vague B » de mise en uvre de la réforme doit être réalisée en septembre 2004.
Une vision stylisée de ce caractère disparate (et hiérarchisé) des établissements universitaires est présentée in lAreser, 1997, Quelques diagnostics et remèdes urgents pour une Université en péril, Paris, Raisons dAgir, chapitre 6 (« Des universités en trompe-lil »), p. 85-103.
On essaiera plus loin de décrire quelques-uns des mécanismes sociaux qui renforcent cette obsession du temps très particulière qui a saisi une partie de la communauté universitaire.
Quelles sont les origines de ce seuil ?
On trouvera la description détaillée de lapplication du L.M.D. à luniversité de Paris 8 par Charles Soulié sur le site de lASES (Association des Sociologues Enseignants du Supérieur).
La taille des disciplines se mesure avant tout en effectifs étudiants globaux.
Le verrou du statut denseignant-chercheur est décisif ici : tant quil existe un statut national denseignant-chercheur, cette dualisation rencontrera des limites juridiques, même si celles-ci sont partiellement contournées, ne serait-ce que par la procédure de recrutement actuelle, dérogatoire aux règles de la fonction publique (un concours par poste).
DUT et DEUST, au niveau III, licences professionnelles (la création la plus récente) MST (Maîtrises des Sciences et Techniques), MSG (Maîtrises des Sciences de Gestion), MIAGE (Maîtrise des méthodes informatiques appliquées à la gestion), diplômes dIUP (Instituts Universitaires Professionnalisés) au niveau II, DESS et DRT (diplômes de recherche technologique) au niveau I.
Fonds social européen
Cour des Comptes, La gestion du système éducatif, avril 2003 paragraphe 1369 www.ccomptes.fr/FramePrinc/frame01.htm
Bureau dinformation et de prévision économique.
La prospective du BIPE de 1987 annonçait une spectaculaire et rapide déformation de la structure des emplois industriels. Lindustrie française allait ainsi passer du « triangle » en 1982 ( 45% douvriers non qualifiés, 38% douvriers qualifiés et de contremaîtres, 17% dingénieurs, cadres techniques et techniciens) à l « hexagone » en 2000 ( avec des proportions respectives de 25% douvriers non qualifiés, de 45% douvriers qualifiés et de contremaîtres, et de 30% dingénieurs et techniciens). Etude BIPE (Bureau dInformation et de Prévision Economique) / HCEE (Haut Comité Education Economie). Haut Comité Education Economie, Education-Economie : une autre approche de lavenir, Rapport n°2, octobre 1987, opus cité p 29. La synthèse graphique (le passage du triangle à lhexagone) participa à la popularisation de la prospective qui a été souvent , par la suite, généralisée à lensemble des emplois.
On admirera au passage lhumour (ironie sur eux-mêmes et la fiabilité de leurs outils ?) des technocrates du ministère (et de lAgence de Modernisation) inventant sans cesse de nouveaux acronymes (cf. par exemple, le nom des logiciels de lAMUE : Nabuco pour la comptabilité, Harpège pour la GRH, Apogée pour la scolarité
)
Cour des Comptes, avril 2003, opus cité, paragraphe 1384
cf. pour les dossiers HYPERLINK "http://ides.pleiade.education.fr" http://ides.pleiade.education.fr puis http://195.83.249.63/habili/
« Justifier d'une expérience professionnelle directement en rapport avec la spécialité enseignée autre qu'une activité d'enseignement, d'au moins sept ans dans les neuf ans qui précèdent le 1er janvier de l'année du recrutement pour un maître de conférences associé et, d'au moins neuf ans dans les onze ans qui précèdent le 1er janvier de l'année du recrutement pour un professeur des universités associé »
Article 9 du décret du 17 juillet 1985 modifié
Cour des Comptes, La fonction publique de lEtat, 2ème rapport public particulier, avril 2001, pages 227-230
Noublions pas à ce sujet que le Ministère a, jusquil y a un passé récent, encouragé les enseignants-chercheurs en poste à multiplier les heures complémentaires, pour ne pas créer le postes nécessaires. Une prime versée à ceux dentre eux qui acceptaient de faire au moins la moitié de leur service denseignement en plus ( heures rémunérées au tarif des heures complémentaires) pendant quatre ans. Une prime indécemment appelée « prime pédagogique »
Même avec autorisation, et donc légale, cette confusion des genres (public et privé) et ce cumul demplois sont très contestable. Contestable dun point de vue de léthique, on le comprend aisément et lon attendrait alors des entrepreneurs de morale dautres pratiques. Contestable aussi du point de vue de lefficacité du système denseignement supérieur que modernisateurs du ministère (le ministre, la Direction de lEnseignement Supérieur la CPU, lAMUE pour faire vite) , parlementaires( comme le sénateur Fréville, auteur du rapport récent Des universitaires mieux évalués.. ») ou magistrats de lordre administratif (le chapitre 8 du rapport de la Cour des Comptes consacré à la Gestion du Système éducatif porte précisément sur lefficacité de lenseignement supérieur) se proposent daccroître : comment des professionnels cumulards (ou des enseignants cumulards) peuvent-ils être des enseignants efficaces ?
Cf. Rapport sénatorial sur le projet de loi de finances pour lenseignement supérieur
Rapport de Messieurs Marini et Lachenaud sur le projet de loi de finances pour 2003, Sénat 27 novembre 2002.
Ministère de lEducation Nationale, Note dinformation 03-36, 2001-2002, sans mention de date dédition.
Doù la demande sans cesse reformulée par les Directeurs dIUT dune prolongation de la scolarité à bac +3
Le premier niveau de sortie « professionnelle » des filières universitaires générales est la licence
Source CEREQ www.cereq.fr/cereq/enqsup
Cour des comptes, La gestion du système éducatif, avril 2003
HYPERLINK "http://www.montaigne.u-bordeaux.fr/Ufr/ufr05/Lea/LEADEBOU.rtf" http://www.montaigne.u-bordeaux.fr/Ufr/ufr05/Lea/LEADEBOU.rtf.
Bien quils puissent y avoir des effets pervers : un responsable de DESS sera tenté daccueillir, pour des raisons financières, un stagiaire « financé » plutôt quun autre étudiant, même récurrent. Dans des filières à effectif limité, le dilemme se présente souvent.
Congé Individuel de Formation
CNE, Priorités pour luniversité. Rapport au Président de la République (1985-1989), La Documentation Française 1989
Nen déplaise à Christine Musselin, sociologue du CSO, le « risque de voir certaines universités devenir « des entreprises » de formation obéissant aux seules lois du marché » nest pas « imaginaire » (Christine Musselin, La longue marche des universités françaises, PUF, 2001 (op. cité p 195). Et un pouvoir présidentiel fort nest pas un frein à cette tendance mais bien un de ses facteurs.
On connaît la rapidité de ces évolutions. Le cas France Telecom est révélateur. On se souvient de lancienne administration que les sociologues des organisations disaient complètement verrouillée par les grands corps (il y aune certaine analogie avec ce que disent les modernisateurs des enseignants à lUniversité). La réforme de 1991 la transforma en une sorte dEPIC (le statut était spécifique mais très proche de celui dun EPIC) avant une nouvelle mue à la fin des années quatre vingt-dix vers le statut de Société anonyme, avec un actionnaire de référence, lEtat, de moins en moins engagé. Les grands corps (type X Télecom) ont été rapidement laminés au profit des modernes gestionnaires. On ne peut sempêcher de rappeler lévolution financière (vers une situation de presque faillite il y a un an) qui a accompagné cette évolution statutaire.
Mais dans le cadre de la formation tout au long de la vie, le distinguo formation initiale/formation continue est appelé à disparaître, lusage du terme doffre de formation quimpose désormais le Ministère dans les négociations sur les habilitations (en particulier avec le LMD) témoigne de cette unification et dune très facile lecture marchande à terme : loffre de formation nexistant que dans une logique de marché..
Services dactivité industrielle et commerciale.
Christine Musselin, La longue marche des universités, PUF 2001, , op.cité p 148.
Christine Musselin, La longue marche des universités, PUF 2001, , op.cité p 148.
Interview de lancienne directrice de lAMUE, Josette Soulas, réalisée par nos soins. Cf. aussi Christine Musselin, opus cité p 132/133.
Il est vrai que le développement des logiciels est confié au cabinet Andersen dont le prix des prestations est élevé par rapport à ce dont on a lhabitude dans le monde universitaire.
Elle est le financement de lAMUE
Le Président de lUniversité de Toulouse 1, Bertrand Belloc, sest vu confier par le ministre la mission de présenter, à lautomne, des propositions de réforme du statut des enseignants et enseignants-chercheurs, en partant du rapport demandé par Jack Lang à Eric Esperet, Président de lUniversité de Poitiers, en septembre 2001.
Cf. HYPERLINK "http://recherche-en-danger.apinc.org/article.ph3" http://recherche-en-danger.apinc.org/article.ph3 en particulier, « Contre la création dun nouveau statut de post-doctorant », « Appel du collectif des jeunes chercheurs pour fédérer les doctorants et post-doctorants » ; sur ce même site, voir également, « Pour un débat sur la mise en place des mastères et des écoles doctorales dans lenseignement supérieur et la recherche ».
Pour avoir une idée de loffre de formation « post-scolaire » aux Etats-Unis, rappelons que le pays compte 156 Universités (menant jusquau doctorat) sur 3500 établissements universitaires. Cf. « La restructuration des universités », Bulletin CIRST envex, Vol. 2, n° 2-3, mai-août 1997 (2. Structures et restaurations du système américain).
De nombreux étudiants obtiennent déjà difficilement leur Deug en 2 ans : parmi les 75.5 % dentrants ayant réussi leur DEUG, plus de 40 % mettent plus de 2 ans à lobtenir (Ministère de lEducation Nationale, Repères et références statistiques, 2002).
Ainsi, en 1997, pour les étudiants dont les parents sont cadres ou exercent une profession intellectuelle supérieure, 43.4 % des ressources monétaires (les aides en nature et la prise en charge de dépenses comme le logement et les frais dinscription étant ici exclues) proviennent de laide familiale, contre 20.9 % pour les étudiants dont les parents sont ouvriers ; 54.3 % des ressources de ces derniers proviennent des aides publiques (bourses) (Claude Grignon (dir.), Les Conditions de vie des étudiants, Paris, PUF, 2000).
Actuellement, les crédits les plus avantageux sont octroyés aux étudiants des grandes écoles, et il est très souvent demandé une caution parentale. Les prêts bancaires sont relativement marginaux dans les ressources des étudiants duniversités : ils représentent à peine 3 % des ressources mensuelles directes de létudiant célibataire duniversités ou dIUT en 1992 (CREDOC). Mais cette formule, qui avantagera les étudiants qui suivent les formations les plus « rentables », pourra être de plus en plus utilisée.
48 % des étudiants exercent, de façon régulière ou occasionnelle, une activité rémunérée (Observatoire de la Vie Etudiante, « La vie étudiante. Repères », 2000).
Cf. Claude Grignon, Louis Gruel, La vie étudiante, Paris, PUF, 1999.
Commission Européenne, Le Livre Blanc sur léducation et la formation. Enseigner et apprendre. Vers la société cognitive, 1995.
Programme lancé au moment même où la Commission Européenne est partenaire du Partenariat Européen pour lEducation (PEE), dans lequel sont représentées des grandes entreprises de linformatique, du logiciel, dinternet, des télécommunications et de léducation privée (Cf. Jean-Marc Fiorese, « Léducation vue par lAGCS », HYPERLINK "http://france.attac.org/site/page.php?idpage=939&langue" http://france.attac.org/site/page.php?idpage=939&langue).
Communication de la Commission, « eLearning. Penser léducation de demain », 24 mai 2000.
Cf. Rapport des études doctorales, Ministère de léducation nationale, 2001.
Cf. Collectif, « Le recrutement des maîtres de conférences à luniversité. Chronique dune procédure opaque et bâclée », Genèses, n° 25, décembre 1996.
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