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N.B. (Décembre 2006) : Nous présentons ici la version de notre thèse revue selon les ... lors de la soutenance en décembre 2004, avait émis d'importantes réserves .... notre terrain d'approche privilégié, et que nous considérons comme central, ..... est le produit d'une demande sociale qui se transforme en besoin d' école.




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rs et des actions de la formation continue.Je le dédie aussi…… à Maître Chekna Bathily, à Mesdames Chen et Calfon, à Messieurs Hatchi, Home, Lovengrath, Milroy, ainsi qu’à Rexon, Renuka et leurs enfants, sans oublier Chon et Comfort, Marija et Sylvie, Alexeï et Luis, Djibril, Nilüfer, Omar, Mymie et tous les autres,qui m’ont tout appris des mots et de leurs indices.Je le dédie enfin……à vous, très chères Elsa et Fanny, mes modèles.





N.B. (Décembre 2006) : Nous présentons ici la version de notre thèse revue selon les recommandations du jury qui, lors de la soutenance en décembre 2004, avait émis d’importantes réserves d’ordre formel et n’avait pas autorisé la diffusion universitaire en l’état. Cette seconde version a reçu l’aval du jury pour sa diffusion.

Remerciements

Un nombre infini de maîtres de langues, d’arts et de sciences, enseignent ce qu’ils ne savent pas, et ce talent est bien considérable : car il ne faut pas beaucoup d’esprit pour montrer ce qu’on sait ; mais il en faut infiniment pour enseigner ce qu’on ignore.
Montesquieu, Les lettres persanes, lettre LVIII


Mes remerciements vont à quelques-uns de mes aînés dont l’empreinte intellectuelle, le soutien professionnel ou l’amical intérêt ont été déterminants pour permettre à ce projet de thèse d’arriver à terme : Jacques Champion, Pierre Champion, Jacques Bouveresse, Rémy Porquier, Alain Moal, Colette Dartois, Romain Laufer, Jean-Pierre Madani-Gérard, Giuseppe et Teresa Longo, Michel Paga.
Les exigence de rigueur et d’honnêteté intellectuelles de Rémy Porquier et de Colette Dartois et leurs vertus de patience et de générosité m’ont été des leçons que je ne saurais oublier et que j’aurai à cœur de transmettre, comme du devoir d’un disciple à l’égard de ses maîtres.
Mes remerciements vont ensuite à Jean-Christophe Ralema, Khaled Abichou et Evelyne Rosen qui, à des moments critiques de son élaboration, ont fait prendre à ce travail des orientations décisives.
Mes remerciements vont enfin à Françoise Muller-Champion qui, réunissant en elle les belles qualités de tous les autres, a tenu à ce projet, l’a soutenu et l’a suivi pas à pas, en partageant tous les débats et toutes les inquiétudes. Ce travail est aussi le sien.




Sommaire
 TOC \o "1-3" \h \z  HYPERLINK \l "_Toc150701984" Dédicace  PAGEREF _Toc150701984 \h 3
 HYPERLINK \l "_Toc150701985" Remerciements  PAGEREF _Toc150701985 \h 5
 HYPERLINK \l "_Toc150701986" Sommaire  PAGEREF _Toc150701986 \h 7
 HYPERLINK \l "_Toc150701987" Introduction  PAGEREF _Toc150701987 \h 9
 HYPERLINK \l "_Toc150701988" Première partie : Genèse d’une problématique lexicale  PAGEREF _Toc150701988 \h 17
 HYPERLINK \l "_Toc150701989" Chapitre 1 : Le français langue étrangère et les adultes migrants  PAGEREF _Toc150701989 \h 19
 HYPERLINK \l "_Toc150701990" 1.1. Les politiques d’alphabétisation en France jusqu’en 1975  PAGEREF _Toc150701990 \h 19
 HYPERLINK \l "_Toc150701991" 1.2. 1975 et la « crise »  PAGEREF _Toc150701991 \h 24
 HYPERLINK \l "_Toc150701992" 1.3. Le tournant de 1984  PAGEREF _Toc150701992 \h 28
 HYPERLINK \l "_Toc150701993" 1.4. 1988 : Formation de base et nouveau dispositif  PAGEREF _Toc150701993 \h 33
 HYPERLINK \l "_Toc150701994" 1.5. 2000 : la lutte contre l’illettrisme en entreprise  PAGEREF _Toc150701994 \h 35
 HYPERLINK \l "_Toc150701995" Chapitre 2 : Méthodologie du français langue étrangère en milieu migrant  PAGEREF _Toc150701995 \h 42
 HYPERLINK \l "_Toc150701996" 2.1 Les méthodes  PAGEREF _Toc150701996 \h 42
 HYPERLINK \l "_Toc150701997" 2.2. De la méthodologie en insertion sociale et professionnelle  PAGEREF _Toc150701997 \h 47
 HYPERLINK \l "_Toc150701998" 2.3. De la formation linguistique à la formation à la communication  PAGEREF _Toc150701998 \h 52
 HYPERLINK \l "_Toc150701999" Chapitre 3 : La question lexicale  PAGEREF _Toc150701999 \h 60
 HYPERLINK \l "_Toc150702000" 3.1. Le post-méthodique  PAGEREF _Toc150702000 \h 60
 HYPERLINK \l "_Toc150702001" 3.2. Le traitement méthodique du lexique  PAGEREF _Toc150702001 \h 66
 HYPERLINK \l "_Toc150702002" 3.3. Le rôle de l’enseignement lexical  PAGEREF _Toc150702002 \h 74
 HYPERLINK \l "_Toc150702003" Deuxième partie : Vers un modèle d’analyse des données lexicales  PAGEREF _Toc150702003 \h 81
 HYPERLINK \l "_Toc150702004" Chapitre 4 : Luis Prieto  PAGEREF _Toc150702004 \h 83
 HYPERLINK \l "_Toc150702005" 4.1. Les travaux  PAGEREF _Toc150702005 \h 83
 HYPERLINK \l "_Toc150702006" 4.2. La théorie fonctionnelle du signifié  PAGEREF _Toc150702006 \h 89
 HYPERLINK \l "_Toc150702007" 4.3. L’entité linguistique et son rôle  PAGEREF _Toc150702007 \h 102
 HYPERLINK \l "_Toc150702008" 4.4. Le mécanisme de l’indication  PAGEREF _Toc150702008 \h 107
 HYPERLINK \l "_Toc150702009" 4.5. Caractéristiques et dimension  PAGEREF _Toc150702009 \h 120
 HYPERLINK \l "_Toc150702010" Chapitre 5 : La pragmatique de la pertinence  PAGEREF _Toc150702010 \h 126
 HYPERLINK \l "_Toc150702011" 5.1. Un modèle dialogique et interactif de la pensée  PAGEREF _Toc150702011 \h 127
 HYPERLINK \l "_Toc150702012" 5.2. La Pragmatique implicite de Prieto I  PAGEREF _Toc150702012 \h 134
 HYPERLINK \l "_Toc150702013" 5.3. La pragmatique de la pertinence de Sperber et Wilson  PAGEREF _Toc150702013 \h 143
 HYPERLINK \l "_Toc150702014" 5.4. La pragmatique implicite de Prieto II  PAGEREF _Toc150702014 \h 151
 HYPERLINK \l "_Toc150702015" Chapitre 6 : La pragmalinguistique  PAGEREF _Toc150702015 \h 161
 HYPERLINK \l "_Toc150702016" 6.1. Une approche réductionniste du discours.  PAGEREF _Toc150702016 \h 162
 HYPERLINK \l "_Toc150702017" 6.2. La pragmatique linguistique de Bange  PAGEREF _Toc150702017 \h 166
 HYPERLINK \l "_Toc150702018" 6.3. Un modèle d’analyse pragmatique de traitement des données lexicales  PAGEREF _Toc150702018 \h 184
 HYPERLINK \l "_Toc150702019" 6.4. L’interprétation pragmatique  PAGEREF _Toc150702019 \h 196
 HYPERLINK \l "_Toc150702020" Troisième partie : Un modèle pragmatique et linguistique d’analyse des données lexicales  PAGEREF _Toc150702020 \h 200
 HYPERLINK \l "_Toc150702021" Chapitre 7 : L’interaction et les interactants  PAGEREF _Toc150702021 \h 202
 HYPERLINK \l "_Toc150702022" 7.1. Le corpus et l’interaction  PAGEREF _Toc150702022 \h 202
 HYPERLINK \l "_Toc150702023" 7.2. L’univers de discours de l’apprenant  PAGEREF _Toc150702023 \h 207
 HYPERLINK \l "_Toc150702024" 7.3. L’univers du discours didactique : plan du formateur  PAGEREF _Toc150702024 \h 222
 HYPERLINK \l "_Toc150702025" Chapitre 8 : Déroulement de l’action  PAGEREF _Toc150702025 \h 227
 HYPERLINK \l "_Toc150702026" 8.1. Action et univers de discours  PAGEREF _Toc150702026 \h 227
 HYPERLINK \l "_Toc150702027" 8.2. Le plan des séances  PAGEREF _Toc150702027 \h 231
 HYPERLINK \l "_Toc150702028" 8.3. Analyse linéaire des séances et des activités  PAGEREF _Toc150702028 \h 234
 HYPERLINK \l "_Toc150702029" Chapitre 9 : Lexique et analyse de l’indication  PAGEREF _Toc150702029 \h 246
 HYPERLINK \l "_Toc150702030" 9.1. Le sens comme rapport social  PAGEREF _Toc150702030 \h 246
 HYPERLINK \l "_Toc150702031" 9.2. La contribution à l’établissement du sens  PAGEREF _Toc150702031 \h 255
 HYPERLINK \l "_Toc150702032" 9.3. Ecouter  PAGEREF _Toc150702032 \h 259
 HYPERLINK \l "_Toc150702033" 9.4. Comprendre l’action  PAGEREF _Toc150702033 \h 280
 HYPERLINK \l "_Toc150702034" CONCLUSION  PAGEREF _Toc150702034 \h 305
 HYPERLINK \l "_Toc150702035" Bibliographie  PAGEREF _Toc150702035 \h 314
 HYPERLINK \l "_Toc150702036" Index des sigles  PAGEREF _Toc150702036 \h 324
 HYPERLINK \l "_Toc150702037" Index des notions  PAGEREF _Toc150702037 \h 326
 HYPERLINK \l "_Toc150702038" Table des matières  PAGEREF _Toc150702038 \h 331









Introduction

Parler, écouter, lire, écrire, consiste à communiquer du sens, à le transmettre. Voilà une évidence qui a trouvé sa place auprès du professeur de langues, du praticien de l’enseignement d’une langue étrangère. Car elle a été relayée avec constance par les didacticiens des langues qui reconnaissent comme une conquête fondamentale de leur discipline d’avoir placé la transmission du sens au centre de leurs problématiques, de leurs recherches, et des principes méthodologiques qui doivent présider à l’élaboration des méthodes d’enseignement linguistique. 
Pourtant l’emprise des linguistes sur la didactique du Français Langue Etrangère (désormais : Fle) a souvent fait oublier à l’enseignant que, dans les faits, ce n’est pas le langage seulement qui opère mais aussi la parole. C’est un linguiste pourtant, Luis J Prieto, qui a tenté de montrer que la parole a tout autant pour fonction de transmettre le sens que de contribuer à son établissement. Cela est particulièrement vrai dans la communication courante, quotidienne, mais plus encore dans la communication didactique, dans l’enseignement des langues. Il aura fallu, du côté des théoriciens, que les premiers à s’en persuader – des philosophes – se démarquent de la linguistique pour donner forme à une nouvelle discipline et à de nouveaux spécialistes : la pragmatique et les pragmaticiens.
Tout enseignant, de quelque matière que ce soit sait que la parole contribue à l’établissement du sens. C’est par l’application de ce principe que la mère enseigne le langage à son enfant. Paget, pour sa part, l’a amplement montré. Mais les implications didactiques d’une telle formule méritent que l’on s’y arrête longuement.
Luis J. Prieto, en formulant si nettement cette proposition que la parole contribue à l’établissement du sens, dut arriver trop tôt dans un monde trop bruyant : il a été peu écouté, plus mal entendu encore et bientôt oublié. Il est vrai que Prieto, linguiste et sémioticien des années soixante, qui n’a plus beaucoup publié après 1975 et qui n’est plus étudié que par de rares spécialistes, a été un linguiste en apparence fort éloigné des préoccupations didactiques pourtant en plein renouvellement et n’a pas participé ouvertement au développement de la pragmatique.
Réconciliant la recherche théorique et l’évidence pratique, Prieto a pourtant posé des principes d’analyse qui méritent aujourd’hui d’être examinés à la lumière du développement de la pragmatique et de la didactique des langues. Ils ont aidé l’enseignant de Français langue étrangère et le formateur que nous sommes à réconcilier discours des théoriciens et discours des praticiens, linguistes, didacticiens et pédagogues.
C’est l’objet de cette thèse de montrer comment cette formule de Prieto sur le rôle de la parole comme contribution à l’établissement du sens, non seulement commande la pratique pédagogique de tout enseignant en langue, mais permet cette réconciliation de la pédagogie avec les nombreuses sciences qui l’informent, dont la linguistique n’est pas la moindre.

Cette thèse sur le « Mot et ses indices » est une thèse de didactique du Fle. Elle traite de linguistique et de lexicologie. Mais, en prenant comme objet plus particulier le français langue des migrants adultes en milieu professionnel et en analysant la communication exolingue suivant la théorie de l’indication, « processus à partir duquel se dissipe une incertitude à partir d’un indice », elle touche à des domaines qui intéressent aussi la pragmatique et la sociolinguistique, la logique et la psycholinguistique, auxquelles la théorie pédagogique emprunte nombre de ses concepts. L’enjeu de notre travail sera de marquer ces liens interdisciplinaires sans abandonner notre terrain d’approche privilégié, et que nous considérons comme central, puisqu’il s’agit de la parole.
Cette thèse est l’aboutissement d’un cheminement de la didactique vers la pragmatique à travers un passage obligé par la linguistique. Ce cheminement a commencé à la fin des années 1970. Nous sommes parti d’une pratique de la didactique du Fle en milieu migrant et avons remonté le cours des théories pédagogiques informées de plus en plus par le champ pragmatique. Notre attention s’est très tôt portée – et nous dirons comment – sur la notion de situation, sur les questions sémantiques et sur la question lexicale, et nous pensons que ce n’est pas tout à fait un hasard si au carrefour de ces questions nous avons rencontré Luis J. Prieto.
La question épistémologique est un nœud de notre questionnement : comment n’en serait-il pas autrement en matière d’enseignement, d’enseignement à la communication, d’enseignement du langage et des savoirs ? Et comment n’en serait-il pas ainsi avec Prieto ?r, nous devons avouer que cette question s’est posée pour nous antérieurement à notre pratique d’enseignement du français, à laquelle nous sommes venu plus tard. La fréquentation de la philosophie dans l’enseignement supérieur avait déjà éveillé en nous l’inquiétude pour les questions épistémologiques. Primitivement orienté vers la réflexion philosophique, c’est l’initiation aux questions de la philosophie analytique qui a représenté notre véritable éveil pour les questions du langage, de la formation et de la formulation des savoirs.
Notre orientation plus tardive vers le métier de formateur d’adultes les a ravivées. Dans les années 1960-1970 et jusqu’à l’aube des années 1990, dans les milieux de la formation des migrants, dominés plus qu’aujourd’hui par la pratique du bénévolat, les formateurs n’avaient aucune formation pédagogique ou linguistique spécifique et acquéraient les rudiments du métier sur le tas. Déjà les approches communicatives dominaient le discours didactique et les méthodes audio-visuelles mettaient fortement l’accent sur la transmission du sens comme préalable à la maîtrise de la forme. Mais, au rebours du système traditionnel de formation en France, les fondements théoriques de la méthodologie étaient acquises sur le tard et lentement, à travers des sessions de formation pédagogique dispensées parcimonieusement.
Il n’en n’est plus de même aujourd’hui dans le domaine du Fle, où la spécificité d’un enseignement universitaire diplômant s’est progressivement imposée à côté de l’enseignement des lettres modernes et où la détention du diplôme la validant s’est normalisée dans le milieu de la formation des migrants adultes, sinon pour le recrutement des formateurs, du moins pour celui des responsables pédagogiques. La situation reste cependant identique dans le domaine de l’alphabétisation ou des programmes de lutte contre l’illettrisme. Les initiatives de formation universitaire commencent seulement à voir le jour. Encore n’est-ce que dans les centres de formation continue, donc comme formation théorique sur le tard à destination de formateurs ou responsables pédagogiques supposés déjà informés sur le tas
Pour notre part, c’est après la création des premiers enseignements universitaires en didactique du Fle que nous avons repris le chemin de l’université pour apaiser nos inquiétudes didactiques et épistémologiques. L’enseignement et l’apprentissage lexical, dans leur rivalité avec l’enseignement de la grammaire et en rapport avec les dimensions pragmatiques des situations d’apprentissage, nous préoccupaient déjà beaucoup.
Nous avons ainsi suivi un parcours qui illustre une formation théorique à partir de la pratique, une conceptualisation de questions pratiques dans un cadre théorique. Mais nous étions déjà disposé à accueillir la réflexion théorique en matière d’épistémologie et de sémantique. Nous avons été cependant amené à opérer pour nous-même, lors des différentes étapes de cet itinéraire, les successives transpositions didactiques que décrit Chevallard.  TA \l "Chevallard" \s "Chevallard" \c 1  (1985).

La problématique de cette thèse a été posée au cours d’une formation à « la pratique de la pédagogie de la médiation », en 1993, au centre de formation continue de l’université René Descartes (Paris V). Elle s’est confortée par la rédaction d’un mémoire de Maîtrise de Lettres Modernes (Champion TA \s "Champion"  1995), à Paris-X Nanterre, sur les principes de sélection lexicales pour un apprentissage en contexte. Elle a formalisé son projet après un mémoire de D.E.A en Sciences du Langage (Champion 1998 TA \s "Champion" ) portant sur la sélection lexicale dans l’interaction en milieu professionnel. Elle marque donc le point d’orgue d’une recherche conduite sur un terrain peu exploré encore par la recherche universitaire mais riche pourtant d’une longue expérience : la didactique du français langue étrangère en milieu migrant. Et elle tente de borner une surface perdue que l’on commence à peine à défricher : le milieu professionnel des salariés de premier niveau de qualification, les migrants et les Français en situation d’illettrisme.
Notre projet est donc de méditer sur l’expérience d’un parcours intellectuel informé par une pratique pédagogique et de montrer quel type de transpositions, dans le domaine de la didactique, un praticien peut être conduit à opérer pour rendre compte de ses problèmes d’enseignement dans un environnement social et professionnel qui détermine des contraintes très spécifiques. Nous allons ainsi porter au débat des questions théoriques surgies d’une pratique, abordant notre questionnement par la même voie qu’emprunte le linguiste : dans les manifestations concrètes et pratiques de la langue, dans le mouvement même de son expression, dans la communication, dans la parole et à travers un corpus.

Cette relation du cheminement qui a nourri cette thèse, on la décèlera facilement dans le plan qu’elle déploie en trois parties.
La première partie traite de la genèse de notre problématique, sous trois chapitres dont le premier (Ch 1 : Le français langue étrangère et les adultes migrants) présente dans ses grandes généralités les évolutions historiques et pédagogiques de l’enseignement du français langue étrangère en milieu migrant et professionnel ; le second (Ch 2 : Méthodologie du Fle en milieu migrant) expose la difficulté d’adaptation des méthodes apparues depuis une dizaine d’années, après une longue période marquée par l’absence – ou la pléthore – de méthodes d’enseignement, et montre le rôle important du formateur dans la conception, l’élaboration et la mise en œuvre de la méthode, particulièrement dans le milieu professionnel. Elle pose donc la question méthodologique. Le troisième (Ch 3 : L’enseignement lexical) interroge le rôle de l’enseignement du lexique au regard de l’enseignement grammatical, et montre que la question lexicale devient une question centrale, tant dans la pratique de la communication que dans l’élaboration et la mise en œuvre des corpus pédagogiques.
La deuxième partie présente dans un premier chapitre (Ch 4) les conceptions de Luis J. Prieto, et les confronte, dans un deuxième chapitre (Ch 5), aux développements de la pragmatique au cours des dernières décennies, dont beaucoup de chercheurs commencent à dresser le bilan. Nous visons là à montrer que la pragmatique peut s’approprier l’héritage de Prieto. Un troisième chapitre (Ch 6) propose, par une intégration des concepts de la pragmalinguistique de Bange aux concepts de Prieto, le modèle d’analyse du discours didactique et de la communication de classe que la troisième partie veut illustrer.
Dans cette troisième partie, nous mettons en œuvre ce modèle d’analyse sur un corpus pédagogique, présenté en annexe (Volume II), recueilli en entreprise entre 2000 et 2001, au cours d’une formation de quarante heures auprès d’un apprenant d’origine laotienne. Un premier chapitre (Ch 7) dominé par les concepts d’action et d’univers de discours, opère une première analyse des acquis et prérequis des interactants, de leurs buts, objectifs, stratégies, des compétences travaillées, etc. Un second chapitre (Ch 8), . présente les principes de traitement du corpus et un synopsis de la formation au regard des documents pédagogiques produits ou exploités, présentés aussi en annexe. Un troisième chapitre (Ch 9) analyse enfin, à l’appui du corpus, un certain nombre de processus d’inter-compréhension et d’incompréhension, en mettant en application à la fois les concepts pragmatiques d’action et les principes d’analyse de l’indication de Prieto, dominés par les concepts de phonie, de sens, d’univers de discours, de caractéristique et de dimension. C’est là – mais seulement après tout le cheminement antérieur – que l’on peut véritablement voir les relations du mot avec ses indices, et révèler, dans l’espace didactique, la parole en train de contribuer à l’établissement du sens.

Notre méthode de travail a consisté à recueillir nous-même ce corpus dans une formation que nous animions et à en conduire nous-même l’analyse, devenant ainsi tout à la fois observateur et observé. Il nous faut justifier cette position méthodologique spécifique dont l’usage du nous ne suffirait pas à masquer le caractère contradictoire. Il serait en effet pertinent de nous faire observer qu’en vérifiant comme observateur ce que nous avons posé en partie comme observé, nous rendons bien facile le projet de chercher et de découvrir un objet dont nous aurions nous-même déterminé la position.
Il n’y a rien, fondamentalement, dans le corpus que nous livrons à l’analyse, que l’on ne retrouvera pas dans la plupart des contextes didactiques informés par les principes pédagogiques et didactiques des approches communicatives. Or la visée de notre travail est de montrer que ces principes ainsi que leur application peuvent être analysés à travers un modèle cohérent de théorie pragmatique et linguistique. De sorte que, en définitive, ce n’est pas nous-même qui nous mettons dans une position méthodologique instable mais ce sont nos maîtres et l’objet même de notre observation qui nous y placent. Ce qui nous contraint non seulement à avouer notre écart méthodologique mais à le revendiquer. Car nous prétendons qu’il n’était pas possible, par les objectifs même de ce travail, de faire autrement que de nous situer dans la position de l’observé-observateur.
En effet, notre objectif est d’observer dans une activité didactique les processus d’inférence qui s’opèrent tout au cours de la communication de classe. Il s’agit d’interpréter, à travers les tours et les actes de parole, comment la communication se constitue elle-même comme situation qui détermine le processus d’interprétation du sens lexical. A partir d’une action proposée par l’enseignant, l’apprenant réagit. L’enseignant interprète cette réaction et réagit à son tour pour aider l’apprenant à comprendre ou pour comprendre lui-même. Dans ce processus, seul l’enseignant peut expliciter le sens de son action et les interprétations qu’il a données des réactions de l’apprenant, dont la communication de classe porte le témoignage. Il eût été important, si cela avait été possible, d’analyser aussi l’interprétation que l’apprenant en ferait. Notre analyse pècherait donc plutôt par manque que par excès.
Cette activité d’interprétation, par l’enseignant, de son action et des réactions de ses apprenants, tout enseignant la fait et se trouve en état de l’expliciter à un tiers : c’est même l’un des principes de sa formation, particulièrement lorsqu’il fait des stages auprès de collègues. Et c’est ainsi qu’eux-mêmes procèdent pour l’aider à se former et quand ils parlent entre eux en session de formation de leurs difficultés et de leurs problèmes d’enseignement. Simplement, c’est une activité qui n’a peut-être jamais été formalisée à notre connaissance, à part le cas de Stella Baruk (1977) TA \l "Stella Baruk " \s "Stella Baruk " \c 1  pour l’enseignement des mathématiques. Nous n’avons donc pas utilisé des analyses de corpus qui auraient déjà été faites dans le domaine de l’enseignement du Fle. ǒeût été nous condamner à ne pas pouvoir faire le point sur l’itinéraire déjà parcouru ni à nous engager dans de nouveaux territoires.
Notre visée serait d’aider des formateurs et des enseignants à développer eux-mêmes les outils critiques de leurs propres pratiques, et les principes d’analyse des situations pédagogiques qu’ils mettent en œuvre, afin de rendre leurs interventions plus pertinentes sinon plus efficaces. Un enseignant de langue étrangère pratiquant un enseignement communicatif est l’un des acteurs du processus d’interlocution dont il doit en permanence évaluer les effets immédiats sur son interlocuteur pour en poursuivre ou en modifier les objectifs et les moyens. Il est un observateur non seulement de l’autre, mais de lui-même. Il est dans l’arène, et doit s’interroger sur ce qu’il fait, pourquoi il le fait, comment il le fait. C’est ce que nous faisons ici, et nous le soumettons à la critique méthodologique et scientifique, demandant aux autres chercheurs :  « Nous sommes-nous posé les bonnes questions ? Notre outil d’évaluation vous paraît-il pertinent au regard des critères qu’il doit apprécier ? ».

Nous considérons trois domaines comme relevant des prérequis à ce genre de travail : le point sur la recherche en matière d’interlangue, de communication exolingue, de problématique lexicale. Ces notions sont centrales pour le développement de notre problématique, et nous les illustrons à travers l’analyse détaillée du corpus. Elles eussent peut-être mérité de plus amples développements théoriques. Pourtant, après une trop rapide présentation de ces notions, nous nous contentons de renvoyer aux travaux de nos prédécesseurs : Corder (1981) TA \l "Corder " \s "Corder " \c 1 , Porquier TA \s "Porquier"  (1975/1984/1986/1994), Boogards (1994) TA \l "Boogards" \s "Boogards" \c 1 , Mutta (1999) TA \l "Mutta" \s "Mutta" \c 1 , au bilan le plus complet à notre connaissance fait récemment par Rosen TA \s "Rosen"  (2001) et à l’état des lieux fait par Rosen et Porquier (2003). C’est que nous n’avons pas voulu surcharger notre propos de considérations qui ne faisaient que reprendre ou adapter des analyses que nous avions faites antérieurement (Champion 1995 / 1998), et que nous nous sommes contenté de résumer ou d’évoquer, et parfois même de reprendre dans une rédaction adaptée au propos de cette thèse (Champion TA \s "Champion"  2000 / 2003 / à paraître).






Première partie : Genèse d’une problématique lexicale
Chapitre 1 : Le français langue étrangère et les adultes migrants


L’enseignement du français langue étrangère dispensé en France aux adultes migrants (immigrés dits migrants économiques, ou réfugiés, dits migrants politiques), dont une partie a relevé de l’alphabétisation d’étrangers dans une langue seconde, donne à l’enseignant un statut composite d’enseignant de Fle, de travailleur social, de formateur de la formation professionnelle ou continue, pour qui la motivation militante et engagée n’est pas secondaire chez beaucoup. En effet, cet enseignement, particulièrement depuis 1984, a lieu dans des cadres surdéterminés par l’enjeu d’insertion économique et sociale ou de formation professionnelle (voire même d’intégration politique) de ses bénéficiaires.
C’est un enseignement du Fle qui a des caractères spécifiques. Il est essentiel de se pencher d’abord sur sa forme emblématique, encore très prégnante aujourd’hui : l’alphabétisation en langue étrangère.
1.1. Les politiques d’alphabétisation en France jusqu’en 1975
On ne saurait aujourd’hui parler d’alphabétisation ou de Fle en milieu migrant sans parler en même temps d’illettrisme, ces deux problématiques ayant une proximité d’autant plus forte que de nombreux adultes étrangers, alphabétisés dans leur pays d’origine ou en France, manifestent à l’égard de l’écrit et des savoirs de base les mêmes difficultés et comportements que les Français en situation d’illettrisme. Un enseignement du Fle en milieu migrant ne saurait donc plus se passer d’une bonne connaissance de ces rapports. Et la spécificité française en ce domaine nécessite de présenter en quelques pages un certain nombre de repères historiques, qui éclairent la problématique d’enseignement / apprentissage qui sous-tend l’ensemble de ce travail.
Par ailleurs, rappelant une règle bien établie depuis Richterich et Chancerel TA \l "Richterich et Chancerel" \s "Richterich et Chancerel" \c 1  (1977) et leurs travaux sur les besoins langagiers, et selon laquelle
« un système d’apprentissage ne peut exister que dans la réalité de son fonctionnement institutionnel et ce n’est que par rapport à cette réalité-là que ses éléments peuvent être mis en place » ( ibidem : 5),
il nous paraît nécessaire de brosser parallèlement quelques descriptions de contextes institutionnels spéciques de cet enseignement.
1.1.1. Scolarisation des français : l’alphabétisation en L1
La lutte contre l’analphabétisme des Français a une histoire déjà longue. Elle est considérée, en 1984, comme définitivement gagnée. Le système scolaire, comme l’ont montré Furet et Ozouf (1977)  TA \s "Furet et Ozouf" , n’est pas imposé d’en haut mais est le produit d’une demande sociale qui se transforme en besoin d’école. L’Etat se substitue alors à la société.
L’analphabétisme, situation de personnes qui n’ont jamais appris à lire et à écrire dans aucune langue, est a fortiori dans leur langue maternelle ou dans la langue officielle d’usage de l’écrit de leur pays, est directement relié à la scolarisation des enfants : on considère automatiquement , en France, comme synonyme analphabète et non-scolarisé XE "analphabétisme" \b . La scolarisation en France a commencé bien avant le Premier Empire et la Révolution française, et c’est sous l’Ancien Régime qu’il faut aller chercher les premières grandes initiatives pédagogiques en ce domaine. La Révolution française inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen le droit à l’Instruction et en fait un thème central de son combat idéologique contre l’Eglise, adversaire du nouveau régime, par lequel celui-ci compte assurer l’auto-défense de la République : il s’agit par l’instruction de donner aux citoyens les moyens de s’informer, de se former une opinion, de s’exprimer, de juger, de participer à la vie publique, en vue de promouvoir des formes démocratiques dans la vie publique et de produire le « citoyen Lecteur / Electeur ».
Ce n’est cependant que sous la IIIème République que ce programme sera repris et mis en œuvre. L’industrialisation sauvage au cours du dix-neuvième siècle, les revendications récurrentes des organisations ouvrières depuis 1948, et la nécessité des premières mesures sociales protégeant le travail des enfants (c’est en 1874 que la loi fixe à 14 ans l’âge minimum pour une première embauche) vont préparer les grandes lois sur l’Instruction publique. La première révolution industrielle a un besoin accru d’ouvriers qualifiés, et un nouveau modèle culturel se met en place, la société doit répondre à un nouveau besoin.
L’unanimisme républicain pour l’Enseignement Primaire public, laïc, gratuit, obligatoire, sous la IIIème République donne l’impulsion vers une alphabétisation de la totalité de la population française qui sera réalisée après la première guerre mondiale. La loi du 16 juin 1881 sur la gratuité de l’instruction primaire dresse les bases de l’Ecole publique. Les lois du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion et du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse impriment un mouvement à l’expression, à la liberté d’opinion, à la diffusion de l’écrit et des connaissances. Enfin la loi du 23 mars 1882 sur l’obligation de l’Instruction primaire et sur la Laïcité crée un mouvement irréversible d’alphabétisation des masses de la population rurale et citadine. Plus tard, l’âge de la scolarité obligatoire passe de quatorze à seize ans. On considère en 1984 que le territoire de la République ne compte plus de natifs analphabètes. On comprend alors que ce terme n’est alors plus applicable qu’aux adultes migrants non scolarisés dans leur pays d’origine XE "alphabétisation:des français" \r "alphabétisation" .
1.1.2. Scolarisation des adultes migrants : l’alphabétisation en L2
Mais l’alphabétisation des adultes migrants ne va pas faire l’objet, de la part de la puissance publique, des mêmes efforts que pour les nationaux. C’est que l’accueil, le contrôle et l’intégration des migrants en France relève d’une tradition ancienne, et n’a jamais donné lieu à une législation contraignante. Les Français ont toujours été très réticents et critiques à l’égard de toute initiative de l’Etat en ce domaine. Ce fut ainsi une association créée en 1927 et jalouse de son indépendance d’action, le Service Social d’Aide aux Etrangers (SSAE), branche française du Service Social International (SSI), qui assura jusqu’en 2004 l’accueil, le conseil juridique, l’aide financière des primo-arrivants, migrants ou demandeurs d’asile, clandestins ou admis au séjour.
Et ce n’est que tardivement, et après les grands transferts de population en Europe et les traumatismes consécutifs à la guerre d’Espagne et à la Seconde Guerre mondiale, que des organes spécifiques de contrôle voient le jour : création le Ier avril 1945 du Haut-Comité de la population et de la famille, et le 2 novembre 1945 de L’Office National pour l’Immigration (ONI TA \l "ONI" \s "ONI" \c 2 ), enfin du Fonds d’action sociale (FAS) TA \s "FAS"  en 1958, qui dépendront à partir du 8 janvier 1966 de la Direction des populations et des migrations (DPM TA \l "DPM" \s "DPM" \c 2 ), sous les tutelles alternatives ou conjointes du Secrétariat d’Etat aux travailleurs immigrés, du Ministère des Affaires sociales, et du Ministère du Travail et de la Formation Professionnelle. Tandis que l’ONI s’occupe de contrôle administratif (autorisation d’accueil, contrôle médical des primo-arrivants, regroupement familial, sécurité sociale) et, depuis quelques années, d’aide au retour et à la réinsertion dans le pays d’origine, le FASILD assure le soutien financier, par le biais de la part des allocations familiales des migrants non reversées au pays d’origine, à l’hébergement (construction et financement complémentaires de foyers de migrants) et aux associations d’aide et de promotion sociale ou culturelle des travailleurs migrants. L’Institut national d’Etudes démographiques (INED TA \l "INED" \s "INED" \c 2 ) oriente par ailleurs, à partir de ses études statistiques, la réflexion des décideurs.
Dans le domaine de la formation, hormis les cours de promotion sociale (les fameux « cours du soir ») dispensés gratuitement à tous les travailleurs dans les écoles ou par l’Association Philotechnique TA \l "Association Philotechnique" \s "INSTITUTIONS" \c 2 , et qui ne touchent qu’une minorité de migrants, c’est à l’initiative privée que l’Etat laisse le soin de répondre aux besoins d’alphabétisation, d’instruction et de formation des adultes migrants.
Jusqu’en 1962, ceux-ci sont pour la plupart originaires de départements français ou de colonies qui ont développé leur propre système d’instruction, certes calqué sur le système républicain et dispensé par des congrégations religieuses, mais essentiellement orienté vers la sélection des élites locales. Il ne vise pas la totalité de la population comme en métropole où, par ailleurs, les tâches dévolues à la majorité des adultes migrants ne nécessitent pas la maîtrise de la lecture ou du calcul, ni même de la communication orale.
L’Etat prend en charge la scolarisation de tous les enfants de migrants (même les enfants de parents clandestins) et les intègre jusqu’à quatorze puis seize ans dans la scolarité obligatoire. Il mettra même en place dans les années 80, pour les enfants des familles rejoignantes, des cycles initiaux spécifiques de Fle.
Pour ce qui concerne leurs parents, c’est une multitude d’associations loi 1901 à but culturel ou éducatif qui voient régulièrement le jour pour satisfaire les besoins locaux sous l’impulsion des migrants eux-mêmes ou de Français bénévoles, animés de motivation shumanistes, religieuses, syndicales ou politiques. Elles s’autofinancent, reçoivent des dons, sollicitent des subventions de la part des municipalités, des conseils généraux. Mais elles sont autonomes, et elles ont une durée de vie ou d’activité pédagogique variables, disparaissent, renaissent, se scindent, se rassemblent. Leur rayon d’action est local ou régional : l’AMANA TA \l "AMANA" \s "AMANA" \c 3 -Hommes et Migrations à Paris, l’Association Culturelle pour la Promotion des Migrants (ACPM TA \l "ACPM" \s "ACPM" \c 2 ) à Marseille, etc. Certaines, appuyées sur un fondateur à la forte personnalité, sur une communauté, sur une organisation syndicale ou politique, sur une Eglise, ou dynamisées par un projet social ou politique commun, se regroupent ou se fédèrent : l’Amicale pour l’Enseignement des Etrangers (AEE TA \l "AAE" \s "AAE" \c 2 ), l’Association pour la Diffusion et la Formation des Immigrés (ADFI), le Comité de Liaison pour l’Alphabétisation et la Promotion (CLAP TA \l "CLAP" \s "CLAP" \c 2 ), le Comité de Liaison pour la Promotion (CLP TA \l "CLP" \s "CLP" \c 2 ), la Fédération Leo-Lagrange.
Au contraire des institutions scolaires, ces associations ne disposent d’aucun matériel pédagogique d’enseignement du français ou d’alphabétisation tout prêt à l’emploi. Elles réalisent leurs propres programmes, leurs propres supports, leurs propres documents pédagogiques, qui restent d’une diffusion restreinte et d’un accès difficile car toujours adaptées à des publics et à des contextes spécifiques : résidents de foyers, Africains de l’Ouest, ouvriers maghrébins, femmes fréquentant des centres sociaux, employé(e)s des hôpitaux, etc.
Les associations regroupées en réseaux peuvent disposer d’un service pédagogique et diffuser leurs outils. L’une des plus actives en ce domaine, le Comité de liaison pour l’alphabétisation et la promotion (CLAP TA \s "CLAP" ), créée en 1968 et disparue en 2000, réalisa au fil des ans de remarquables documents de méthodologie générale, de travail sur la phonétique, de livret grammatical, de composition de textes, d’initiation au graphisme, de perfectionnement à l’expression écrite, de mathématiques : ils dorment aujourd’hui dans des archives.
Les enseignants, par ailleurs, bénévoles au départ, souvent issus eux-mêmes des populations migrantes, formés sur le tas, ne se professionnalisent pas durablement, leur motivation diminuant avec la montée de leur compétence et la très lente évolution de leur rémunération.
Quelques très grandes entreprises, employant une importante main-d’œuvre étrangère et ayant de puissants comités d’établissements, créent leur propre centre de formation pour l’alphabétisation ou la formation professionnelle de leurs salariés migrants en cours du soir. Renault, ainsi, dispose d’une longue et remarquable expérience, mais qui n’a jamais été diffusée. La loi de 1971 sur la formation continue fait pénétrer les cours d’alphabétisation, assurés par des professionnels issus de ces associations, dans les entreprises de main-d’oeuvre. Mais ils ne touchent les migrants que dans les entreprises importantes et syndicalement bien organisées. Encore la part du budget global ne concernait-elle que minoritairement la formation de la catégorie de salariés la plus importante dans l’entreprise. Les petites et moyennes entreprises restent en marge de ces développements. XE "alphabétisation:des migrants" \r "alphabétisationm" 

1.2. 1975 et la « crise »
Ce n’est qu’à partir de 1975 que l’Etat commence à intervenir dans la politique de formation des migrants. La crise énergétique de 1974 va, en ce domaine comme en beaucoup d’autres, redistribuer la donne.
1.2.1. Mutations technologiques, mutations culturelles et chômage
Les sociétés occidentales avaient subi au cours des dix-neuvième et vingtième siècles une succession ininterrompue de mutations technologiques dont l’effet le plus évident, dans le domaine des connaissances, avait été de relever de façon régulière les niveaux de compétence des acteurs économiques et sociaux et d’éradiquer l’analphabétisme. Avant et après la seconde guerre mondiale, la mécanisation de l’agriculture, le remembrement, l’introduction des engrais ont progressivement vidé les campagnes pour offrir au développement industriel une main-d’œuvre dont le niveau d’instruction devait être d’autant plus relevé que les technologies se développaient.
La crise énergétique de 1974 marqua un nouveau tournant dans les exigences de développement du niveau d’instruction à tous les niveaux de compétence. Les restructurations de l’industrie, les transferts d’activité, la concurrence commerciale accrue, l’émergence de nouveaux pays industrialisés entraînèrent des pertes massives d’emploi et une montée régulière du chômage jusqu’à des taux très élevés qui touchèrent particulièrement les travailleurs les moins qualifiés et parmi eux les migrants et les femmes.
Le développement du programme nucléaire en France, les progrès de l’électronique et de l’électromécanique, la robotisation et l’informatisation de la production, l’apparition dans les années 1980 de l’ordinateur, du PC en 1990, des cartes à puces, des logiciels, le développement du secteur des services, secteur privilégié de la communication et de la transmission de l’information, conduisirent à faire accéder à des niveaux supérieurs d’instruction une frange de plus en plus importante de la population. Elle contraignit aussi à relever l’exigence de formation des catégories traditionnellement les moins instruites de la population.
Les nouvelles activités et les nouvelles organisations accompagnant ces mutations économiques et technologiques bénéficièrent aux publics les plus jeunes, les plus adaptables, et les mieux formés. Les autres se trouvèrent sur la touche. Car ces mutations demandaient à être comprises rapidement et requéraient, pour une bonne adaptation, un bon niveau d’instruction. Ce furent les moins adaptés culturellement qui s’adaptèrent le plus difficilement. Qui sont-ils ? Les étrangers analphabètes et les Français peu ou mal scolarisés.
Car l’un des traits spécifiques de ces mutations est que la communication et, particulièrement, la communication écrite y ont pris une part de plus en plus importante. Ainsi, avant les années 75-80, la société se satisfaisait de 20 % à 30 % de bons lecteurs pour exercer les fonctions de pouvoir, d’organisation, d’encadrement, de haute technicité, et pouvait tolérer 50% de personnes alphabétisées pour les tâches qualifiées dans l’industrie, 20 % d’analphabètes intervenant dans les emplois non qualifiés. A partir des années 75-80, les analphabètes et les mauvais lecteurs deviennent de moins en moins employables du fait de la réduction par la robotisation des tâches manuelles non qualifiées et du développement des procédures de communication écrite pour les autres. XE "communication:au travail" \r "commtrav_a" 
1.2.2. Le FAS et la formation des migrants
La politique d’immigration est officiellement arrêtée en 1974. La loi soumet d’abord l’entrée sur le territoire d’un adulte migrant à l’obtention préalable d’un contrat de travail, puis réduit progressivement le champ des professions concernées.
La loi de 1971 sur la formation continue a favorisé les cadres moyens et supérieurs, mais a peu profité aux ouvriers et employés non qualifiés et aux migrants. Pour remédier à cet échec relatif, la puissance publique désigne en 1975 le FAS TA \s "FAS"  comme financeur des actions en direction des publics migrants faiblement ou non scolarisés et de leurs familles. Cette nouvelle implication du FAS renforce de nombreux réseaux associatifs dispersés sur le territoire, tels que le Comité de Liaison pour la Promotion (CLP TA \s "CLP" ) ou le Comité de Liaison pour l’Alphabétisation et le Promotion (CLAP TA \s "CLAP" ). Il permet, en assurant un mode de financement plus régulier, la mise en place de services pédagogiques qui assurent la formation des formateurs, créent des outils, confrontent les expériences pédagogiques avec les recherches nouvelles en didactique du Fle, assurant ainsi une professionnalisation des intervenants et un meilleur contrôle de la qualité des cours.
L’Etat encourage les associations à adapter leur dispositifs d’alphabétisation pour permettre à leurs bénéficiaires d’intégrer des stages de formation professionnelle. Parallèlement au développement de l’Agence Nationale pour l’Emploi (ANPE TA \l "ANPE" \s "ANPE" \c 2 ) et de l’Association pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA TA \l "AFPA" \s "AFPA" \c 2 ), il encourage l’ouverture de centres de préformation pour les migrants alphabétisés nécessitant une remise à niveau préalable à leur admission à l’AFPA.
1.2.3. Le dispositif d’accueil pour les réfugiés
Sous la pression de l’opinion publique, l’Etat met en place une politique d’accueil pour les réfugiés politiques du Sud-Est asiatique. Les candidats à l’immigration, la plupart issus des classes moyennes et instruites, sont sélectionnés dans les camps de réfugiés de Thaïlande. Les analphabètes y sont minoritaires. C’ est cependant le premier dispositif de formation d’une grande ampleur pour des migrants : leur hébergement est assuré dans des foyers durant trois mois au cours desquels ils suivent un stage d’adaptation qui leur donne des rudiments de connaissance du français et les prépare aux actes importants de leur future vie en France : connaissance des moyens de transports, recherche de logement, de travail, scolarisation des enfants, système de santé et sécurité sociale, etc. Ils peuvent ensuite intégrer sur des quotas prioritaires des stages de formation professionnelle de l’AFPA ou, si leur niveau de formation se révèle insuffisant, des stages de préformation d’une durée variable de quatre, cinq ou sept mois spécialement ouverts pour eux. Le Fonds Social Européen (FSE TA \l "FSE" \s "FSE" \c 2 ) apporte un soutien financier à ces opérations.
C’est la première initiative concertée d’application de la nouvelle didactique du français langue étrangère et des méthodes audio-visuelles pour un public d’adultes migrants. Mais cet enseignement ne dispose pas de méthode adaptée. Elle reste en marge du BELC TA \l "BELC" \s "BELC" \c 2  migrants, de l’Alliance Française, des revues et des secteurs dynamiques de la recherche universitaire qui développent une réflexion didactique sur l’enseignement du français langue étrangère. Cible économique trop restreinte et trop pauvre, les besoins de ces publics adultes ne recouvrent pas celui du public traditionnel des méthodes (jeunes étrangers en milieu scolaire ou universitaire, adultes des centres culturels, Alliance Française TA \l "Alliance Française" \s "Alliance Française" \c 3 ). L’enseignement s’appuie donc sur l’expérience des associations d’alphabétisation et de promotion des migrants, qui offrent le seul modèle existant de pédagogie du français pour des adultes migrants.
Cet enseignement en prend d’ailleurs d’emblée la spécificité : la formation linguistique n’est pas la finalité première, mais un des moyens intégré à d’autres finalités, non plus éducatives ou culturelles, mais économiques, sociales et professionnelles. Les cycles, intensifs, sont relativement courts (400 à 800 heures) ; il s’agit de produire un enseignement fonctionnel et intégré du français, préalable à un apprentissage systématique différé. Recruté la plupart du temps sans expérience pédagogique préalable, initié en formation interne aux principes didactiques en parallèle à sa pratique, l’enseignant dans ce contexte n’a pas seulement des tâches de présentation et d’animation, mais aussi de conception des contenus et de réalisation des supports qui reposent sur ses seules capacités d’analyse et de création.
L’enseignant, plus souvent appelé formateur, n’est pas totalement livré à lui-même, puisqu’il participe à des réunions régulières, dispose de documents pédagogiques souvent élaborés dans une réflexion collective suivant les principes méthodologiques d’une nouvelle didactique du Fle, d’un programme de thèmes et contenus à aborder dans une progression indicative logique, de documents audio-visuels et de documents authentiques, d’un fonds de documents communs élaborés pour son usage par un service pédagogique, d’un temps raisonnable de préparation, de matériel de reproduction, et très vite d’ordinateurs PC à partir de leur première diffusion de masse au milieu des années 1980.
1.2.4. Demandeurs d’emplois analphabètes et migrants
L’implication de plus en plus importante de l’Etat à travers les leviers de l’AFPA TA \s "AFPA"  (1945), du FAS TA \s "FAS"  (1954), de l’ANPE TA \s "ANPE"  (1969), du FSE TA \s "FSE"  (1985) et l’exemple du programme pour les réfugiés font nourrir l’espoir pour de nombreux migrants qu’ils vont enfin pouvoir bénéficier d’une formation en français et d’une formation professionnelle. De fait, ces espoirs sont vite déçus.
Les moyens mis en place ne couvrent pas l’ampleur des besoins révélés par la montée du chômage. La principale incitation qui leur est proposée est le retour au pays moyennant une prime de départ, ou de retrouver rapidement un emploi. L’Etat limite ses compléments de financement aux actions du FAS TA \s "FAS" . On voit même d’importantes associations devoir licencier leur formateurs et déposer leur bilan. Par ailleurs, ce n’est pas immédiatement que se font sentir tous les effets de la crise économique, et le produit intérieur brut ne cesse de se développer au cours de ces années. De fait, ce n’est qu’après l’apparition différée, à la faveur de la crise économique et de l’emploi, de deux phénomènes tout nouveaux que l’Etat va s’impliquer de façon plus volontariste encore dans la formation des migrants.
1.3. Le tournant de 1984
Avant 1984, en France, on appelait analphabétisme XE "analphabétisme"  la situation des enfants et celle des adultes immigrés et des populations du Tiers-Monde qui ne savaient ni lire ni écrire. A partir de 1984, le reste du monde apprend officiellement que l’analphabétisme touche aussi, en France, dans des proportions qui ne peuvent plus être négligées, des Français d’origine, qui ont pourtant été scolarisés. Ce que le reste du monde continue à appeler analphabétisme les Français vont l’appeler plus pudiquement : illettrisme XE "illettrisme" \b . Car les instances internationales considèrent comme analphabétisme non seulement le fait de n’avoir pas appris à lire et à écrire, mais aussi le fait, pour des adultes qui ont effectivement été scolarisés et ont appris à lire et à écrire, de ne pas assez maîtriser ces savoirs dans leur vie sociale et professionnelle quotidienne. C’est ce deuxième type d’analphabétisme dit fonctionnel , opposé au premier type dit structurel, que les Français vont dénommer illettrisme. Les problématiques liées à l’illettrisme vont avoir en France une influence prépondérante sur une réorientation de la politique d’alphabétisation et de formation des migrants.
1.3.1. L’insertion des migrants
Les pouvoirs publics font assez rapidement le constat de l’échec de la politique d’incitation au retour au pays. L’opinion publique n’est pas favorable aux mesures coercitives qui, sous la IIIème République, réglaient par la reconduite à la frontière, avec leur famille, comme lors de la crise de 1929, des masses de migrants ayant perdu leur emploi.
Le gouvernement de Pierre Mauroy en prend acte le 28 Juin 1984 en ouvrant à tout étranger résidant régulièrement en France depuis plus d’un an un droit à l’obtention d’une Carte de résident d’une durée de 10 ans renouvelable automatiquement.
Georgina Dufoix, Secrétaire d’Etat à la famille, à la population et aux travailleurs immigrés, salue alors cette mesure comme «  une étape décisive en faveur de l’insertion de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants dans la communauté nationale.... ce n’est pas un choix subjectif, c’est un impératif social, économique, humain. » (J.O. 25 mai 1984 ) et le journal Le Monde du 6 décembre 1984 écrit que la France, ainsi, « reconnait de facto un droit de séjour permanent aux 3,4 millions d’étrangers adultes qui bénéficient en France d’une carte de séjour. » Ce qui est admettre que ces étrangers ne retourneront jamais dans leur pays d’origine, leur choix étant entre la misère là-bas et la pauvreté relative ici, qu’ils font définitivement partie de la communauté nationale, et qu’il faut donner une nouvelle respiration à ces formes de survie après avoir étouffé les anciennes.
Par ailleurs, les mesures d’arrêt de l’immigration n’ont pas interrompu la demande d’une main-d’œuvre étrangère. La politique d’accueil massif des réfugiés du Sud-Est asiatique, bien reçue par l’opinion, était là pour tenter d’en contrôler le phénomène et allait profiter à des vagues de demandeurs d’asile d’autres origines (1000 par mois de 1977 à 1996) : Iraniens, Tamouls du Sri-Lanka, Erythréens, Sud-américains, Ghanéens, Congolais, Libériens, Russes, etc.
Mais le processus d’immigration étrangère illégale ne s’arrête pas : il prend même d’autant plus d’ampleur que se réduisent les immigrations légales. Une ampleur telle que des gouvernements socialistes successifs, à la suite du développement du séjour et du travail clandestin, devront, sous la pression de leur électorat et sans que la droite n’y apporte d’opposition que de pure forme, procéder à des régularisations massives en 1981, en 1986, en 1995.
Même le phénomène très régulier et très important des naturalisations d’adultes d’origine étrangère (plusieurs dizaines de milliers chaque année, 100.000 en 1994 dont 40.000 adultes par décret et 50.000 jeunes majeurs nés en France par déclaration) ne confère à ces nouveaux Français aucun droit nouveau à l’instruction. Ils restent principalement des agents économiques et le projet républicain ne leur est pas appliqué.
1.3.2. Un « nouveau » phénomène : l’illettrisme
Les dispositifs de formation qualifiante mis en place à partir de 1975 pour faire face à la montée du chômage et aux nécessités d’adaptation de l’appareil de formation aux nouveaux enjeux économiques, industriels et technologiques révèlent brutalement un nouveau phénomène, jusque là peu pris en considération et sur lequel une organisation de lutte contre la grande misère, Aide à toute détresse (ATD TA \l "ATD" \s "ATD" \c 3 -Quart-Monde), animée par le père Wrezinsky, alertait depuis plus de vingt ans les décideurs politiques, sous la dénomination française qu’elle avait porté sur les fonds baptismaux, et qui depuis a fait son chemin : l’illettrisme.
La mise en place de nouvelles formations pour les bas niveaux de qualification rejetés par la modernisation des entreprises et de procédures d’évaluation des niveaux des stagiaires révèlent vite qu’une forte proportion de migrants n’ont pas le niveau requis, en lecture, à l’écrit, en mathématiques, pour entrer en stage de formation qualifiante. Mais elles font découvrir que de nombreux candidats d’origine française, scolarisés jusqu’à l’âge de seize ans, sont dans la même situation, en particulier de nombreux jeunes Français issus ou non de l’immigration qui accèdent au monde du travail sans qualification.
Ce phénomène, connu pour les migrants issus des anciens départements français et des ex-colonies ou protectorats et pour beaucoup de Français venus des DOM-TOM, surprend par son ampleur dans la population des Français métropolitains, pourtant alphabétisés et scolarisés : l’école n’aurait pas rempli ses missions. Il faut envisager la mise en place de formations spécifiques pré-qualifiantes et de remises à niveau pour ces publics-là aussi.
A partir de 1980, on prend la mesure de la difficulté à saisir le phénomène de l’illettrisme qui touche la population scolarisée de l’ensemble des pays industrialisés. Les données fiables manquent, les définitions sont variables, les critères d’évaluation multiples. L’usage même du terme « illettrisme », spécificité française, qui recouvre le terme internationalement usité « d’analphabétisme fonctionnel », va brouiller la perception du phénomène et sa réalité sociale et économique. En créant en 1983 un groupe interministériel chargé d’élaborer un diagnostic et de faire des propositions d’action, le conseil des ministres déclare ainsi que «  l’analphabétisme est un obstacle important à toute politique cohérente d’insertion sociale et économique ». Mais lorsque paraît en 1984 le rapport Espérandieu, Lion, Bénichou TA \l "Bénichou" \s "Bénichou" \c 1  qui, à la suite d’enquêtes auprès de chercheurs et de débats sur le dénombrement du phénomènes, ses causes, ses remèdes, propose les douze mesures qui inspireront les politiques publiques pour les quinze années suivantes, il s’agit de « connaître et agir contre l’illettrisme des adultes en France [sic]».
Le Groupe Permanent de Lutte contre l’Illettrisme (GPLI TA \l "GPLI" \s "GPLI" \c 3 ) est créé en 1984 pour mettre en œuvre les mesures de prévention, de formation et d’accompagnement à l’insertion sociale et professionnelle des publics illettrés. Le GPLI va promouvoir des études pour le repérage des publics, l’identification des besoins, le positionnement des publics dans les dispositifs de formation, l’élaboration de méthodes, et mettre en place des structures d’information pour sensibiliser les acteurs sociaux, former les acteurs de l’accueil, de l’orientation, de l’accompagnement, et du suivi XE "illettrisme" \r "illettrisme" 
1.3.3. Le dispositif commun
Dans un premier temps, on avait considéré que les publics en situation d’illettrisme, jeunes ou adultes, nécessitaient une approche différente de celle des publics analphabètes. Ce qui avait contraint non seulement à mettre en place des dispositifs de formation spécifiques à chaque public, mais aussi à élargir en retour la notion de formation linguistique pour les migrants, ou de maîtrise de l’écrit, aux dimensions cognitives des apprentissages.
La prise de conscience conjointe des deux phénomènes – présence durable des migrants, illettrisme des Français – va conduire à faire entrer la formation des migrants dans le même dispositif que celle des Français en situation d’illettrisme et à modifier l’appréhension de l’analphabétisme des adultes migrants.
A partir du moment où les migrants sont appelés à faire souche, la problématique de formation des adultes analphabètes ou faiblement qualifiés rejoint celle des Français illettrés : il s’agit pour les deux d’une lutte contre l’exclusion par le biais de la lutte contre l’ignorance. On remarque d’ailleurs un taux important de fils de migrants parmi les Français illettrés, et de nombreux illettrés dans leur propre langue de scolarisation parmi les nouveaux migrants.
1.3.4. Analphabétisme et illettrisme
De fait, si le public des adultes migrants analphabètes et celui des Français en situation d’illettrisme ne répondent pas aux mêmes critères culturels et pédagogiques, leurs formations répondent aux mêmes enjeux. Leurs profils sociaux et économiques se rejoignent : ces publics se rencontrent dans les mêmes environnements urbains ou sub-urbains, professionnels ou institutionnels. Contrairement aux idées reçues, la majorité est et restera relativement bien intégrée au monde du travail, à la vie économique et à la vie sociale. Mais une plus forte proportion que les autres catégories de la population se retrouve parmi les premiers exclus du monde du travail, plus tard parmi les allocataires du RMI TA \l "RMI" \s "RMI" \c 3  et toujours parmi les populations ayant le plus faible pouvoir d’achat. Leur formation répond ainsi au même projet social de lutte contre l’exclusion et la pauvreté, d’insertion à la vie économique et sociale, de partage du travail plus qualifié entre toute la population. Elle rejoint le même projet d’apprentissage : l’élévation du niveau d’instruction, dont la limite minimale va progressivement se voir définie comme maîtrise des savoirs de base.
Elle est sous-tendue en tout cas par la même visée politique d’insertion dans la communauté nationale que celle des fondateurs de la IIIème République. Des pédagogues militants des droits des migrants et d’une redistribution plus équitable des fruits de la croissance, comme Bernard Gillardin, ne craignent pas de l’exprimer sans fard :
« (…) il faudrait amener tout le monde à un stade nécessaire de lecturisation garantissant l’acquisition des compétences réclamées par les nouvelles technologies. Ca ferait moins de profits cumulés chez certains mais plus de paix et de sécurité pour tous. » (Gillardin 1985 :  TA \l "GILLARDIN 1985" \s "GILLARDIN 1985" \c 3  TA \s "GILLARDIN 1985" )
Pour Gillardin, insérer,
« c’est rendre participant de la liberté, de l’égalité et de la fraternité qui nous constituent, en tant que nation démocratique... » ( ibidem )
C’est le même projet républicain qui est défendu par les promoteurs de la lutte contre l’illettrisme :
« Les illettrés sont bel et bien les parents pauvres sinon les exclus de la démocratie » (Esperandieu et alii 1984)
« La lecture n’est pas un cas particulier de la bataille pour une démocratie véritable, elle en est l’enjeu central » (ibidem)

Ainsi l’illettrisme des Français et l’analphabétisme des immigrés relèvent-ils, tant de la part des décideurs que des acteurs de la formation, d’un même projet de société : réintégrer dans la communauté politique une population de Français exclue de la démocratie par le fait de l’illettrisme, intégrer à la vie démocratique une population étrangère exclue de participation par son analphabétisme. Car illettrisme et analphabétisme recouvrent les mêmes fléaux attachés à l’ignorance : peu d’accès à l’information, peu de moyens d’analyser, pas de lieu d’expression, une très faible maîtrise de son destin, pas de liberté.
Mais aussi le traitement séparé de ces publics dans des stages intensifs révèle de nouvelles difficultés de mise en place et de prise en charge pédagogique. De sorte que les décideurs s’orientent au début des années 1990 vers un traitement conjoint des deux publics dans des dispositifs plus souples, les Ateliers Pédagogiques Personnalisés (APP TA \l "APP" \s "APP" \c 3 ) et par des formateurs formés aux deux problématiques. Beaucoup de considérations plaident en faveur de cette orientation, parmi lesquelles les contraintes économiques ne sont pas les moindres. L’une des plus importantes est que, si l’on s’est aperçu que la France comptait beaucoup de personnes en situation d’illettrisme, il paraissait plus difficile de les repérer et plus difficile encore de les convaincre de « retourner à l’école » dont ils ne gardent pas un très bon souvenir. Difficile à convaincre de reprendre une formation, tout autant difficile à l’y maintenir, ce public est d’autant plus fragile que les organismes, les formateurs et les dispositifs sont très mal adaptés à répondre à leurs besoins, qui nécessitent des investissements très onéreux en terme de moyens et de personnels qualifiés.  XE "analphabétisme" \r "alphabétis_b"  XE "illettrisme" \r "alphabétis_b" 
1.4. 1988 : Formation de base et nouveau dispositif
L’ « illettré » communique déjà oralement dans la langue d’apprentissage, et ses déficits de connaissance peuvent concerner un domaine très spécifique des savoirs généraux : mathématiques ou logique, appréhension de l’espace ou gestion du temps, lecture ou écriture, ou tous ces domaines à la fois sans que la dimension linguistique paraisse dominante.
Or on s’aperçoit qu’il n’est pas très différent de l’adulte migrant, qui s’exprime souvent très bien en Français, et qui, s’il a été peu ou prou alphabétisé dans les premières années de son séjour ou à la faveur d’une période de chômage, va présenter un profil pédagogique assez proche.
Quand à l’analphabète, lui aussi, et surtout s’il est originaire d’un pays où le français est pour lui la langue officielle, il s’exprime en français et, s’il ne sait ni lire ni écrire, il ignore tout autant comment se situer dans un espace à partir d’un plan ou d’une carte, il ne sait compter que des objets ou de l’argent, ne peut évaluer une distance, le temps d’un trajet ou une opération, est incapable de raisonner correctement sur des objets abstraits pourtant situés dans le champ de son expérience sociale ou professionnelle.
La notion de savoirs de base, familière aux instituteurs de la République, entre timidement dans le champ de la formation des migrants et des adultes. Elle ne s’impose cependant pas comme telle, le concept en restant encore flou. Elle est adoptée en 1988 par le FAS TA \s "FAS"  et les programmes officiels sous le terme de formation de base, pour recouvrir des activités et publics variés : alphabétisation, remise à niveau, lutte contre l’illettrisme, insertion sociale et professionnelle tant pour des jeunes que pour des adultes, pour des demandeurs d’emploi que pour des salariés dans les entreprises.
Le terme formation linguistique de base (FLB TA \l "FLB" \s "FLB" \c 3 ) concernera plus spécifiquement l’apprentissage du français oral pour des migrants primo-arrivants (réfugiés, familles rejoignantes) ou pour ceux qu’un long séjour en France a pourtant tenu en dehors des échanges linguistiques en Français (femmes au foyer, hommes en foyers, travailleurs clandestins régularisés après dix ans de séjour) et qui veulent intégrer le marché officiel du travail ou de la formation, ainsi qu’une alphabétisation en français langue étrangère ou seconde ou bien un développement de la lecture et de l’écrit (pour ceux qui ont été scolarisés ou déjà alphabétisés). C’est cette FLB qui recouvre typiquement l’enseignement d’un français langue étrangère pour des publics migrants. Un nouveau sigle lui a été substitué depuis 2003, les AFB TA \l "AFB" \s "AFB" \c 3 , ou Ateliers de Formation de Base, pour distinguer ces dispositifs de soutien extensif, animés en majorité par des bénévoles, des dispositifs de formation intensive qui ne peuvent être encadrés que par des formateurs professionnels.
1.4.1. Le champ de la formation de base
L’intégration des publics réfugiés primo-arrivants et adultes migrants au chômage dans un régime commun de formation, à partir de 1985, puis l’émergence de la notion de publics en situation d’illettrisme, jeunes ou adultes, vont poser de nouveaux problèmes de repérage des publics en vue de leur orientation, de positionnement, de définition de parcours de formation dans les différents dispositifs (niveau de départ, étapes de la progression, suivi et mesure de celle-ci). La difficulté est de définir le champ de la formation de base – préalable à toute formation professionnelle – dont ils relèvent prioritairement, et de positionner les sujets à l’intérieur de ce champ. Sur quels critères une personne en relève-t-elle, à quel moment en sort-elle ? Il est nécessaire d’élaborer des typologies et des référentiels.
1.4.2. La typologie des publics
La première typologie des publics qui s’impose à tous paraît en 1989. C’est la typologie des publics élaborée par le FAS TA \s "FAS" . Elle devient la typologie de référence de l’ANPE TA \s "ANPE"  et s’impose comme « instrument d’évaluation des capacités des publics de bas niveau » (F.A.S. 1989). En croisant les critères de capacités à communiquer oralement en français, capacités en lecture, écriture, niveau de scolarité, elle distingue quatre catégories de publics : ceux relevant de programmes d’alphabétisation (eux-mêmes classés en quatre niveaux : alpha-débutants ou oral de base, alphabétisation, post-alphabétisation, préparation à la préformation), ceux relevant d’une préformation, ceux relevant d’une formation en français langue étrangère (eux-mêmes classés en quatre niveaux : débutants 1, débutants 2 ou faux débutants, niveau intermédiaire, perfectionnement), la distinction entre l’alphabétisation et le Fle relève du critère de scolarisation.
Tout adulte pénétrant pour la première fois dans une ANPE TA \s "ANPE"  et repéré comme potentiellement inscriptible dans ces catégories se voit invité à subir un test d’évaluation de ses compétences linguistiques (ENCL TA \l "ENCL" \s "ENCL" \c 3 ) à partir duquel il pourra être orienté à sa demande vers le dispositif de formation adéquat.
1.4.3. Le référentiel de formation linguistique de base
Les organismes de formation de migrants, qui durant des années avaient élaboré chacun dans son coin leurs propres outils d’évaluation et d’orientation, et leurs référentiels « maison », se voient invités à utiliser la typologie de l’ANPE TA \s "ANPE"  et à appuyer leurs parcours de formation sur un référentiel unique : le Référentiel de Formation Linguistique de Base. C’est le référentiel du FAS TA \s "FAS" , élaboré en collaboration avec le CUEEP TA \l "CUEEP" \s "CUEEP" \c 3  de Lille, qui va s’imposer à tous les organismes qu’il finance. C’est un Livret de repérage et de positionnement des publics migrants et illettrés destiné à des formations à dominante linguistique (FDL TA \l "FDL" \s "FDL" \c 3 ). Ce référentiel doit permettre de distinguer les publics migrants, relevant d’une formation linguistique de base (FLB TA \s "FLB" ) ou de cours de Fle, des publics francophones non illettrés et illettrés. Il doit définir les besoins potentiels en lecture et écriture, déterminer le niveau de connaissances de départ, et positionner l’individu dans une organisation pédagogique.
Ce référentiel est cependant purement linguistique, alors que la finalité des formations, orientées vers l’emploi ou l’entrée en formation professionnelle, révèle que les déficits en matière de mathématiques, de logique, de raisonnement, de maîtrise de l’espace et du temps sont aussi importants à combler.
Aussi l’on voit fleurir à partir de 1990 les initiatives pour définir et généraliser des référentiels permettant de proposer une grille commune d’évaluation et de positionnement. Leclerc (1995) croise pour la formation des formateurs les variables Fle, illettrisme et alphabétisation avec les critères de francophonie et de scolarité. Cassard 1996 propose aux Permanences d’Accueil, d’Information et d’Orientation (PAIO TA \l "PAIO" \s "PAIO" \c 3 ), aux missions locales, aux ANPE TA \s "ANPE"  et aux centres sociaux un document comparant les formations de langue (FDL TA \s "FDL" ) et délimitant les formations linguistiques de base et les programmes de lutte contre l’illettrisme à partir des critères de scolarité et de maîtrise de l’oral, de la lecture et de l’écrit.
1.5. 2000 : la lutte contre l’illettrisme en entreprise
Un nouveau champ pédagogique s’ouvre dans les années 90 pour la formation des migrants : la formation en entreprise.
C’est sur l’initiative conjointe du GPLI TA \s "GPLI" , aujourd’hui de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (ANCLI TA \l "ANCLI" \s "ANCLI" \c 3 ) et de nombreuses entreprises et branches professionnelles employant une nombreuse main-d’œuvre de premier niveau de qualification, dont une majorité de migrants ou d’ex-migrants naturalisés, qu’une nouvelle problématique de formation apparaît : la lutte contre l’illettrisme en entreprise XE "illettrisme:en entreprise" \b . Il ne s’agit plus d’alphabétisation ou de remise à niveau pour des chômeurs ou pour des salariés à leur propre initiative, mais de programmes de formation continue à l’initiative de l’entreprise pour adapter ses salariés maîtrisant mal la communication orale et/ou écrite aux nouvelles organisations du travail, aux nouvelles technologies (robotisation, informatique), aux transformations organisationnelles (système qualité, équipes, polyvalence, réduction de la chaîne de commandement). Il peut s’agir aussi, dans le cadre de restructurations ou de plans sociaux, de préparer les salariés à de nouvelles tâches ou à des cycles de formation professionnelle interne, voire à une reconversion.
Le problème n’est pas nouveau, et des branches professionnelles comme le bâtiment et l’automobile ont déjà acquis une importante expérience en ce domaine dans les années 80-90. Il s’étend simplement à un nombre d’entreprises de plus en plus nombreuses, de tailles plus réduites, petites et moyennes, et à de plus larges secteurs : propreté, restauration, hôtellerie, bâtiment, construction automobile, mais aussi à des administrations (ministères, Assistance publique, municipalités).
Il concerne souvent des individualités, salariés repérés pour leur compétence, appelés à les développer, mais dont la formation linguistique ou les compétences sur les savoirs de base sont insuffisantes : français en situation d’illettrisme, natifs ou naturalisés, migrants dotés d’une notable ancienneté dans l’entreprise. Ils ont besoin d’une remise à niveau.
De nouveaux besoins de formation apparaissent à l'initiative des entreprises et dans le cadre de la formation continue : élever le niveau de maîtrise des savoirs de base de certains salariés devient un objectif de formation encadré par des visées stratégiques, économiques et de management très contraignantes. De telles formations se voient alors soumises à des impératifs spécifiques d'organisation, de budget, de durée et de fréquence, de contenus et de résultats, qui conduisent à des limitations particulières dans les compétences, les objectifs et les niveaux visés. Les salariés eux-mêmes attendent que ces formations les aident à mieux s'intégrer immédiatement dans leur environnement professionnel ou à prévenir les risques d'exclusion qui pèsent sur eux.
1.5.1. La communication au travail
Les rapports sociaux de production développent la communication. La chaîne hiérarchique réduit ses échelons. Le nouveau management requiert de plus en plus une parole efficace. La communication différée, orale ou écrite, étend son domaine. Il faut transmettre les informations pertinentes dans le délai le plus court, avec la plus grande économie de moyens. L’ouvrier doit comprendre le discours de la maîtrise, et pour cela il doit comprendre l’environnement technique et managérial. Il doit pouvoir mettre des choses derrière les mots XE "mot" qu’il doit comprendre et utiliser. Il doit pouvoir se faire comprendre avec ses propres mots, et en utilisant les mots qu’il faut, en subordonnant ses programmes de formation professionnelle à un enseignement spécifique du français (oral et écrit).
Notre propre expérience nous a amené à constater que de telles formations dites « linguistiques » remettaient en cause non seulement les conceptions traditionnelles de l’enseignement du français, mais aussi celles de la didactique du français langue étrangère telle que diffusée pour des adultes scolarisés. Un enseignement traditionnel se révèle inadapté et prématuré et ne répond pas aux besoins ni aux attentes des apprenants comme des donneurs d’ordre. En outre, même la méthodologie de la didactique du Fle qui accompagne ou sous-tend la scolarisation de ces publics nécessite des réaménagements.
Il n’est plus pertinent dans cet environnement de parler simplement de cours d’alphabétisation ou de cours de français, ou de perfectionnement linguistique (bien qu’il s’agisse encore en partie de tout cela), mais plutôt de formation à la communication en français dans le milieu professionnel, de perfectionnement sur les compétences de communication : expression et communication orales, expression et communication écrites.
Si les formateurs veulent avoir des moyens d’intervention pertinents dans ce contexte, l’organisation et la définition des objectifs, des contenus et des techniques d’animation de ces modules de formation contraignent une approche didactique différente en termes de méthode et de méthodologie. Le concept de formation à la communication se substitue résolument à celui d’apprentissage du français. Ces formations sont par ailleurs soumises à des contraintes spécifiques de durée (plutôt courte, de 80 à 120 ou 240 heures annuelles), d’organisation (en cycle non intensif à rythme hebdomadaire de 2 à 4 heures), de contenus (centrés sur l’environnement professionnel). Mais c’est surtout en terme de résultats rapidement perceptibles par les apprenants et observables par l’encadrement sur le poste de travail que ces formations sont contraintes à définir très rigoureusement les objectifs linguistiques.
Bien qu’il s’agisse en majorité de perfectionnement en Fle, voire d’alphabétisation, ces formations sont aujourd’hui couvertes par la problématique de la lutte contre l’illettrisme. La lutte contre l’illettrisme est devenue en effet une appellation qui ouvre des lignes budgétaires spécifiques et qui devient ainsi le sésame des incitations et aides financières distribuées par les financeurs paritaires ou publics : Fonds de la Formation Professionnelle (F.F.P.), Fonds Social Européen (F.S.E.), Fonds des Directions du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle (D.T.E.F.P.) : Etat, Régions, Département. Le linguistique domine toujours dans la définition des besoins à satisfaire. Mais le contexte professionnalisant de la formation induit une intégration des objectifs linguistiques à des objectifs d’adaptation aux évolutions de l’entreprise. C’est d’un enseignement fonctionnel du français ou d’un enseignement spécialisé qu’il s’agit. Plus encore que dans les dispositifs pour publics chômeurs ou Rmistes, cet enseignement dépend d’une initiation ou d’une remise à niveau sur des savoirs de base.
Dans ce contexte, non seulement les méthodes n’existent pas, mais même le référentiel FAS TA \s "FAS"  ou les référentiels de formation linguistique sont insuffisants. L’analyse des besoins en matière de compétences linguistiques est subordonnée à l’analyse des besoins portant sur les savoirs de l’appréhension du réel : référence au temps, à l’espace, calcul et raisonnement. C’est le référentiel des savoirs de base (2000 /1998) qui s’applique avec le plus de pertinence pour intégrer les objectifs linguistiques aux objectifs professionnalisants.  XE "communication" \r "commtrav_b"  XE "illettrisme:en entreprise" \r "illettrismeb" 
1.5.2. Le référentiel des savoirs de base
Ce référentiel des savoirs de base est le premier outil de synthèse qui permette de traiter analytiquement l’ensemble des besoins de formation des migrants analphabètes ou scolarisés et des français en situation d’illettrisme. Il permet une intégration cohérente de l’enseignement du français langue étrangère en milieu migrant et professionnel et une intégration des étrangers et des français de premier niveau de qualification dans les mêmes cycles de formation en entreprise. Commandé et financé par le ministère de l’Emploi et de la solidarité, le ministère de l’Education nationale et le ministère de la Justice, il est édité en 2000 à la Documentation Française sous la signature de Colette Dartois TA \s "Dartois" , consultante déléguée de CqFD (Conseil (qualité) Formation Développement), organisme de conseil en formation, qui en aura diffusé la première version en 1998. Sa réception a été préparée par un petit guide : « Acquérir les savoirs de base, Guide pour la mise en place des formations. » Le référentiel des savoirs de base propose un cadre analytique et méthodologique pour les différentes étapes d’une action de formation.
Un savoir se réalise à travers une action, et il « est constitué d'un ensemble de savoirs élémentaires, complémentaires mais distincts, reliés entre eux et mis en oeuvre simultanément, le plus souvent, mais que l'analyse, toutefois, permet d'identifier" (Dartois 2000 TA \l "Dartois 2000" \s "Dartois 2000" \c 3  :18). Ces savoirs élémentaires se réalisent simultanément dans toutes nos actions quotidiennes et le référentiel les décrit en huit domaines fondamentaux : les quatre domaines de la communication : écouter, parler, lire, écrire et les quatre domaines de l’appréhension du réel : se repérer dans le temps, se repérer dans l’espace, calculer, raisonner. Chaque domaine est décrit en terme d’objectifs (terminaux, intermédaires, parallèles) et de compétences suivant quatre niveaux de réalisation : maîtrise, exploration, initiation, progression (transferts et généralisation). Chaque domaine est mis en relation avec les savoirs de base mis en œuvre dans la vie personnelle, sociale et professionnelle de tout individu adulte de nos sociétés industrialisées et urbanisées. XE "savoirs de base" \b 
Le référentiel permet ainsi au formateur de conduire l’analyse des savoirs acquis et à acquérir par ses apprenants dans les situations de communication XE "communication:situation de"  sociale et professionnelle particulières où ils se trouvent. Ainsi, être capable de prendre un rendez-vous chez un employeur, dans un organisme de formation, dans une administration sont des savoirs de base qu’un migrant doit maîtriser. Ils mettent en jeu des savoirs plus élémentaires : utiliser un téléphone, s’orienter seul dans la ville, prendre seul un transport en commun, partir à l’heure, ne pas arriver en retard, trouver la bonne adresse, etc. Ils font appel en même temps ou tour à tour aux huit domaines élémentaires : écouter (au téléphone), parler (idem), lire (les nombres, un plan, une adresse), écrire (noter l’adresse), calculer ( l’heure, la durée, la distance, le délai), se repérer dans l’espace (de la ville, de l’univers de la formation), se repérer dans le temps (pour son projet de formation, en rapport avec son histoire personnelle, avec les contraintes administratives et organisationnelle, pour son futur), raisonner (dans le choix de l’heure de rendez-vous, de l’itinéraire, de la formation, de l’organisme), etc.
Le référentiel permet aussi de déterminer les domaines sur lesquels des activités spécifiques d’exploration, d’initiation ou de progression devront être menées. Apprendre à se déplacer seule dans la ville pour une jeune Marocaine de niveau universitaire s’exprimant parfaitement en français, qui débarque à Paris, était un savoir de base prioritaire à évaluer et à mettre en œuvre pour lui éviter de se retrouver à Pablo Picasso à Pantin quand elle cherchait à rejoindre Pablo Picasso à Nanterre. Apprendre à compter et à lire des listes de produits, pour un jeune Français illettré gérant des distributeurs de boisson, eût été plus utile que de tenter de le perfectionner dans la lecture de textes suivis : cela lui aurait évité de se voir licencier sous des prétextes fallacieux.
Ce référentiel n’offre pas de progression spécifique, ni de point terminal a priori. "Il n'existe [..] aucune chronologie d'apprentissage ni hiérarchie de valeur ou d'importance entre eux..." (Dartois 2000)  TA \s "Dartois"  : c’est au formateur à organiser son parcours de formation avec l’(les) apprenant(s) en fonction de ses (leurs) besoins.
Ce référentiel a une orientation résolument constructiviste. Il s’inspire de la théorie opératoire du développement de l’intelligence de Piaget TA \s "Piaget" , et les apprentissages s’appuient sur l’activité de l’apprenant : les savoirs se construisent :
"Les savoirs ne se transmettent pas, à proprement parler. Ils sont le résultat, le produit de l'activité intellectuelle et réelle du sujet, sa construction personnelle..(...) dans l'interaction avec l'environnement, les objets, les situations; avec autrui (...) dans un mouvement continu d'aller-retour entre l'activité/la réalité, le projet et la réflexion sur l'activité/réalité, la verbalisation, l'échange avec autrui à propos de l'activité/réalité" (Dartois TA \l "Dartois" \s "Dartois" \c 3  ibidem : 16). XE "interaction" 

Mieux adapté aux publics et aux environnements de la formation des adultes migrants, le référentiel des savoirs de base est cependant peu utilisé, et le modèle dominant chez les formateurs de la formation linguistique initiale et de l’enseignement des langues en contexte scolaire freine de façon importante sa généralisation. Il demande en effet, même pour des formateurs expérimentés ou pour des responsables pédagogiques, une courte formation spécifique pour sa mise en œuvre. Il bouleverse en effet notablement le point de vue sur les techniques traditionnelles d’enseignement apprentissage. A plus forte raison requiert-il auprès de jeunes enseignants du Fle une formation spécifique.
De sorte qu’une efficace prise en charge des attentes et des besoins des adultes migrants dans l’enseignement du Fle reste un objectif à atteindre pour les années à venir. XE "savoirs de base" \r "savoirdebase_b" 

Ainsi, bien que la France ait une très ancienne tradition d’accueil, d’intégration et de naturalisation des populations étrangères, et un système éducatif très structuré pour l’accueil des enfants d’étrangers, jamais la formation linguistique des adultes migrants n’a été prise en charge sérieusement par les pouvoirs publics, laissant à l’initiative privée un champ libre à son action, mais ne permettant pas une sérieuse capitalisation des savoirs ni une véritable professionnalisation des enseignants. Ce n’est que l’élévation du niveau d’exigence dans la maîtrise des savoirs de base pour l’activité professionnelle et l’entrée dans des cycles de formation qui conduit la puissance publique à s’intéresser aux besoins de formation des publics migrants. Cependant, ces besoins professionnels sont couplés à des besoins linguistiques, et ces besoins linguistiques ne sont pas détachables des finalités professionnelles et sociales.
Un référentiel linguistique ne suffit plus à permettre d’aborder les besoins des migrants. L’apparition du référentiel des savoirs de base marque la nécessité d’intégrer les savoirs linguistiques à l’apprentissage des autres savoirs de base. Il ouvre de nouvelles perspectives d’action pour les enseignants de Fle, qui restent confrontés à bien des difficultés pour s’adapter aux environnements spécifiques de la formation des adultes migrants.
Nous allons voir plus en détail comment se posent ces problèmes d’adaptation en examinant la question des méthodes et des méthodologies.
Chapitre 2 : Méthodologie du français langue étrangère en milieu migrant


Après avoir caractérisé dans le chapitre précédent les cadres historiques et institutionnels dans lesquels est apparu notre questionnement, nous voulons maintenant présenter les pratiques pédagogiques induites par ces cadres : ce sont elles qui ont déterminé l’objet de notre recherche.
Galisson TA \l "Galisson" \s "Galisson" \c 1  (et alii. 1980) constatait que les tendances de la Didactique des Langues Etrangères (DLE), discipline en recherche de son autonomie, avaient fait perdre aux hommes de terrain « la transparence et l’attrait » des méthodes traditionnelles. De sorte que les praticiens des méthodes communicatives éprouvaient un certain malaise vis-à-vis de leurs concepteurs, dont ils se voyaient coupés en raison de la technicité d’élaboration de ces méthodes, ainsi que vis-à-vis des théoriciens de la nouvelle discipline. On pourrait aujourd’hui reprendre dans les mêmes termes la problématique de Galisson, mais en remarquant que la question se pose maintenant à l’intérieur des méthodes communicatives, autant pour le méthodique que pour le post-méthodique, et qu’elle concerne même, auprès des publics migrants en formation professionnelle et plus encore en formation continue, l’élaboration pré-méthodique.
Nous venons de souligner que tout enseignant de Fle en milieu migrant se trouve démuni de méthodes à appliquer, et doit analyser besoins et compétences en fonction de référentiels inadaptés ou de référentiels dont les problématiques sont nouvelles et complexes pour lui. Encore pourra-t-il bénéficier souvent dans cette mise en œuvre pré-méthodique (Galisson TA \s "Galisson"  1980) des initiatives d’un service pédagogique, et n’avoir qu’à appliquer des méthodes ou des techniques qui lui sont prescrites par son institution.
2.1 Les méthodes
Les méthodes communicatives se caractérisent par un appareillage beaucoup plus complexe que les méthodes traditionnelles : d’abord, des documents audio-visuels ou audio-oraux d’une manipulation contraignante qui déterminent des progressions relativement strictes, particulièrement pour les premières phases des apprentissages ; ensuite, un livret d’apprentissage volumineux, prêt à l’emploi, contenant un important matériel iconographique (photos, dessins, reproductions, quelquefois simplifiées, de documents authentiques), une grande variété de textes didactiques (dialogues, commentaires, exercices) mais aussi authentiques et un découpage des compétences à transmettre plus complexe, à travers une structure thèmatique très variable en fonction du niveau ou du public visé. Chaque unité didactique est composée en relation avec les documents audio-visuels ou audio-oraux qui mettent en situation les séquences d’apprentissage du livret, qui reproduit tout ou partie des dialogues à mémoriser (exercices d’écoute, d’imprégnation, de répétition). Un livret d’exercices écrits accompagne le livret d’apprentissage, exercices moins focalisés sur la maîtrise de la grammaire que dans les méthodes traditionnelles, mais où celle-ci conserve une place importante dans un ensemble plus complexe (grammaire des actes de langage en particulier) et des progressions tout aussi rigoureusement établies pour les cycles de longue durée de la formation initiale. L’enseignant dispose en outre d’un livret du professeur lui enjoignant la marche précise et rigoureuse à suivre leçon par leçon, activité par activité, et lui apportant conseils, directives, idées d’animation, de transferts, etc.
Le marché de la formation initiale est submergé de telles méthodes en direction des publics scolaires ou étudiants et les enseignants n’ont que l’embarras de leur choix. Les publics adultes spécifiques, principalement professionnels du tourisme, de la restauration, du commerce, des affaires, ont eux aussi, depuis longtemps, leurs méthodes adaptées, supposant toutefois une scolarisation antérieure conséquente et faisant plus appel à l’auto-apprentissage. Ils ont été la première cible des Formations à distance (FOAD TA \l "FOAD" \s "FOAD" \c 1 ) et de la formation assistée par ordinateur qui se développent rapidement en formation initiale et commencent à toucher aussi les publics migrants et en situation d’illettrisme.
Le phénomène nouveau dans le marché de l’édition, depuis la fin des années 90, c’est que les associations et les bénévoles se voient proposer par certains éditeurs spécialisés des outils plus adaptés pour les publics migrants adultes, analphabètes, faiblement scolarisés ou en situation d’illettrisme. Informés par les méthodes communicatives, ils sont d’un appareillage plus simplifié et conçus avec l’aide de conseillers pédagogiques et de praticiens qui ont acquis une connaissance éprouvée des publics et des pratiques : Tempo (1990), remplacé aujourd’hui par Studio (Lavenne et alii, 2001) et très récemment Trait d’union (Iglesis et alii, 2004) représentent la deuxième génération des méthodes généralistes pour publics migrants. Elles viennent en concurrence avec une première génération de méthodes plus spécifiques, élaborées au cours des ans dans certaines associations, mieux adaptées à une large diffusion et servant de modèle à beaucoup de bénévoles ou de professionnels : la Méthode d’apprentissage de la lecture pour adultes immigrés (Gillardin, 2001 / 1986,1996), la MNLE ou Méthode naturelle de lecture et d’écriture (de Kayser et alii, 2001 / 1999) .
Les éditeurs de méthodes prennent maintenant en charge un public autrefois isolé dans ses ghettos et les enseignants peuvent enfin se référer à un corpus de méthodes plus homogène dispensant un discours pédagogique plus unanime. On observe que ces nouvelles méthodes pour migrants développent l’exigence de communication orale, introduisent des procédures nouvelles de travail lexical, réduisent le volume et la forme très normative du travail grammatical. Le mouvement général va ainsi vers une valorisation, dans la production écrite, de l’expression personnelle, émergence d’une conception plus constructiviste de l’apprentissage de la norme.
Cependant, si nous en jugeons par les pratiques que nous avons pu observer et par les thèmes d’échanges dans les sessions de formation de formateurs et avec des responsables pédagogiques, ces méthodes, pour les praticiens du Fle en direction des publics migrants adultes de premier niveau de qualification, sont perçues comme des adaptations des méthodes de Fle auprès de jeunes ou d’adultes scolarisés. Le praticien conserve comme modèle didactique celui par lequel il est passé lui-même, et qui a réussi pour lui, c’est-à-dire un modèle appliqué dans le cadre de l’enseignement initial, même après avoir reçu une formation d’enseignant en Fle. L’orientation pédagogique et méthodologique spécifique aux migrants que ces méthodes tentent de mettre en œuvre a ainsi du mal à s’imposer dans les pratiques de formation.
Tandis qu’un bénévole doit apprendre sur le tas les savoirs techniques et théoriques spécifiques de l’enseignement des langues (phonologie, phonétique, analyse syntaxique et grammaticale, lexicologie, psycholinguistique, ethnologie de la communication, linguistique, sémantique, etc.) et les savoirs pédagogiques particuliers (psychologie des adultes, dynamique de groupe, techniques d’animation, etc.), le jeune diplômé doit souvent désapprendre ce qu’il a déjà appris et continuer à en apprendre : sur la pédagogie des adultes en particulier, sur leur environnement, sur les techniques d’alphabétisation, sur la médiation, etc. Ainsi, dans les deux cas, la méthode est insuffisante à lui fournir un cadre suffisant pour soutenir son enseignement et pour le mettre en œuvre. Il ne dispose dans aucun manuel de ces savoirs traditionnels qui y étaient « entièrement consignés », et il ne dispose pas non plus des savoirs dispensés par la nouvelle didactique qui « emprunte ses discours à différentes disciplines » (Galisson 1980) : ces savoirs sont de plus en plus à puiser à différentes sources. Et cela concerne particulièrement les savoirs de la mise en œuvre de la méthode dans une classe donnée par un enseignant donné et la connaissance de la psychologie, des besoins et des modes d’apprentissage de l’apprenant adulte. Le praticien fait trop souvent comme si l’objet de l’enseignement, sa matière, ses contenus et ses objectifs se trouvaient les mêmes pour des adultes migrants de bas niveau de qualification que pour des migrants très scolarisés, ou comme s’il s’agissait de transposer les contenus en gardant la méthodologie.
Le praticien confronté à un tel public ne se retrouve pas non plus dans le point de vue théorique, sans doute légitime et scientifiquement fondé, que relaient les préfaces, les guides et le responsable pédagogique. Car ces théories linguistiques, psycholinguistiques, socio-linguistiques, pragmatiques semblent avoir été conçues en amont des problèmes d’apprentissage des langues et d’éducation qu’il rencontre in situ : ici, là, maintenant, avec un(e) tel(le) et pas un(e) autre. En didactique du Fle en milieu migrant et professionnel, ce décalage entre les théories et les pratiques est donc beaucoup plus grand qu’en milieu scolaire.
2.1.1. Une adaptation nécessaire
Le praticien auprès de publics migrants adultes doit nécessairement adapter même les meilleures méthodes et mettre en œuvre lui-même tout ou partie des phases pré-méthodiques et méthodiques de ses cours. Les concepteurs des récentes méthodes pour les adultes migrants que nous citons ne s’y sont pas trompés. La grande diversité des contextes et des publics migrants détermine des focalisations différentes sur tel ou tel environnement culturel, social, professionnel, sur telle ou telle thématique, sur telle compétence ou tel domaine des savoirs de base. Ces concepteurs se sont gardés de reproduire la succession des unités et des séquences didactiques de ces méthodes dans des progressions strictes, de calibrer leurs contenus, d’en mesurer strictement les cycles : ils laissent une plus large part à l’initiative du formateur.
La méthode Studio (Lavenne et alii, 2001) publiée sous la direction de pour grands adolescents et adultes reproduit le modèle des méthodes d’enseignement du Fle de formation initiale pour un public lettré. Mais elle se limite à la compétence orale, et borne ses thèmes au « domaine public » et au « domaine personnel». Elle développe un enseignement « communicatif »,  à travers les « savoirs linguistiques » les plus courants, repris de cycle en cycle « en spirale ». Aussi offre-t-elle des cycles relativement courts (deux fois soixante heures puis deux fois cent heures, soit trois cent vingt heures au total), à travers des « tâches » dont chacune « est conçue de façon à ce que l’apprentissage de la grammaire se fasse dans un but de communication » (Studio niveau 1, avant-propos : 3). La mise en œuvre d’une telle méthode nécessite de la part de l’enseignant une formation à l’enseignement du Fle et une pratique éprouvée. Paradoxalement, elle est sans doute parmi les plus recommandables pour un enseignant débutant avec des publics adultes pourvu que les besoins réels de son public entrent dans le cadre qui lui est proposé, qu’il soit bien initié aux procédures post-méthodiques et qu’il s’en tienne strictement à travailler la compétence orale. Mais c’est alors la méthode avec ses inspirations théoriques qui détermine la pratique.
Trait d’union (Iglesis et alii, 2004) reprend le même projet centré sur la compétence orale, mais pour un public adulte analphabète ou Fle primo-arrivant, et pour un cycle plus court (60 heures). Il peut être pour des analphabètes un premier support de sensibilisation à la lecture, au rôle et à la variété de l’écrit. Il paraît même exploitable comme support de conversation par tout locuteur natif souhaitant aider un étranger à acquérir des rudiments de communication orale. Mais il devient vite insuffisant quand il s’agit de travailler de façon technique les autres savoirs de la communication et il nécessite alors des livrets complémentaires de lecture et de travail de l’écrit. Là encore, la méthode et ses théories déterminent la pratique. Le formateur peut échapper plus rapidement et plus facilement aux contraintes du manuel s’il maîtrise les techniques de travail sur les autres compétences.
La méthode d’apprentissage de la lecture pour des adultes immigrés de Gillardin (2001 / 1986, 1996)est très spécifiquement contextualisée pour un public africain. Sa thématique culturelle se révèle inapplicable dans les autres contextes. Elle vaut essentiellement par sa méthodologie générale, les thèmes proposés, les modèles d’exercices, la modestie de l’appareillage grammatical. Sa méthodologie de la lecture et de l’écriture a été la source de nombreuses adaptations à d’autres contextes.
La méthode naturelle de lecture et d’écriture de Keyzer (2001 / 1999) ne tombe pas dans le piège des contenus imposés ni de la surcontextualisation et se propose comme un guide méthodologique. Elle est cependant centrée exclusivement sur les compétences lire et écrire et suppose de la part de l’apprenant une compétence orale minimale. Elle nécessite en outre de la part de l’enseignant une bonne connaissance de la hiérarchie dans laquelle s’ordonnent les difficultés de transcription phonétique, grammaticale et discursive, et contraint une progression relativement rigide qui laisse peu de place aux initiatives de l’apprenant.
Quelles que soient leurs qualités et les progrès qu’elles représentent, ces méthodes exigent donc toujours des adaptations de la part du formateur. Or la tendance de ce dernier sera non pas d’adapter la méthode à ses apprenants, mais de s’adapter lui-même à la méthode et d’y contraindre ses apprenants. De sorte que c’est plus souvent la méthode qui détermine les compétences travaillées et les contenus d’apprentissage, ainsi que le programme. Dans un environnement adulte, cela est très vite contradictoire, contre-productif et décourageant tant pour les formateurs que pour les apprenants.
Le formateur se retrouve peu ou prou livré à lui-même dans l’application et l’intégration des concepts orientant les « applications » de la méthode et il doit beaucoup faire jouer son intuition linguistique et ses facultés pédagogiques par le recours à la recette, à l’expérience, à son jugement subjectif. Sa difficulté et son recours aux palliatifs seront plus importants encore s’il se voit contraint, comme dans certains dispositifs de formation professionnelle ou continue, d’appliquer enfin les principes de la nouvelle didactique, pour qui, si l’on en croit Galisson TA \s "Galisson" , « la disparition des méthodes est l’une des revendications majeures » (Galisson 1980 :20).
Car, en milieu migrant et particulièrement dans la formation continue, de plus en plus nombreuses vont se rencontrer les situations didactiques où le praticien ne pourra plus raisonnablement s’appuyer sur aucune méthode et devra travailler « sans filet ». Nous les avons nous-mêmes souvent expérimentées, et le contexte didactique dans lequel nous avons recueilli le corpus que nous commentons (voir partie III) est de ceux-là : il faut concevoir, réaliser et mettre en pratique, et quelquefois au jour le jour, tout ou partie de la méthode qui deviendra caduque sitôt réalisée.
Cependant les principes méthodologiques comportent une rigueur qui ne peut pas laisser une grande place à l’impréparation : ils nécessitent une réflexion assez élaborée. Le formateur doit avoir bien élucidé le lien entre les théories qui déterminent ses pratiques et les réalisations concrètes auxquelles il aboutit. Sa pratique et les problèmes qu’il rencontre s’insèrent dans une méthodologie qui elle-même s’intègre dans un environnement bien spécifique. XE "méthodes" \r "méthodes" 
2.2. De la méthodologie en insertion sociale et professionnelle
Il est nécessaire de bien comprendre les contraintes de cet environnement pour mesurer les adaptations méthodologiques qui devront orienter les pratiques. En milieu d’insertion sociale ou professionnelle ou dans la formation continue, l’enseignement du français a des traits spécifiques.
2.2.1. Les objectifs
Un organisme ou un stage de formation n’est pas une école de langue, et, avant de se déterminer en termes de contenus, l’enseignement se définit en termes d’objectifs en application de la terminologie maintenant courante dans la formation (Hameline 1983 : 98). Les contenus d’apprentissage sont donc définis en termes d’aptitude ou de savoir faire, à partir d’ « énoncés d’intention pédagogique décrivant en termes de capacité de l’apprenant les résultats escomptés d’une séquence d’apprentissage » (Hameline 1983 : 98), et en terme de comportement observable dont les « conditions d’apparition » sont mentionnées, et dont le « niveau de l’activité terminale » et les « critères d’évaluation » (ibidem : 100) sont indiqués.
2.2.2. Enseignement fontionnel et français instrumental
Les contenus sont par ailleurs surdéterminés par des objectifs d’insertion sociale et professionnelle, de remise à niveau dans les domaines mathématiques et logiques, et les activités sont différenciées, du point de vue des volumes horaires, entre activités à objectifs linguistiques et activités à objectifs non linguistiques. Il s’agit donc d’un enseignement linguistique intégré à des objectifs généraux de nature sociale et professionnelle, mais l’un des critères d’évaluation de ceux-ci se fait en termes de comportement et de savoir-faire linguistiques plus qu’en termes de savoir.
Cet enseignement linguistique intégré a un double, voire un triple statut selon les objectifs poursuivis. Selon la terminologie de Boyer TA \l "Boyer" \s "Boyer" \c 1  (1994), il s’agit d’un enseignement fonctionnel XE "enseignement:fonctionnel"  de français, visant prioritairement « à la compétence de communication (…) même limitée dans un premier temps [ce qui] est le cas, bien entendu, pour des publics migrants » (Boyer 1994 TA \l "Boyer" \s "Boyer" \c 1  :58), et de l’enseignement d’un français instrumental XE "enseignement:français instrumental" , c’est-à-dire « visant à l’accès d’un certain type d’information (en général écrite) » dans le but « d’acquérir une compétence minimale » (ibidem). Un enseignement fonctionnel, dans une visée professionnalisante, peut être associé à une formation pré-technique ou technologique.
Le français, langue cible d’apprentissage, est en même temps langue de communication de la classe. Dans l’enseignement fonctionnel, l’accent est mis sur l’oral plus que sur l’écrit, et sur la restitution du sens, avec une moindre attention sur la correction de la performance linguistique. Le critère de la performance linguistique est la réussite ou l’efficacité de la transmission du sens, la correction à l’égard de la forme n’étant pas survalorisée. Dans l’enseignement instrumental, la priorité est donnée à l’information, l’accent étant porté sur la compréhension plus que sur l’expression, sur la saisie des données plus que sur leur restitution.
Par ailleurs, l’information et le sens étant privilégiés, le code linguistique se voit traité dans une relation plus étroite avec les autres codes de représentation de la signification (gestuels, kinésiques, discursifs, iconiques) et le traitement des contenus linguistiques nécessite un appareillage audio-visuel, tactile, documentaire très riche pour rendre plus perceptible l’accès au sens.
2.2.3. Communication exolingue
La communication de classe est une communication exolingue (Porquier 1978,1984) c’est-à dire asymétrique. Les interlocuteurs ne disposent pas des mêmes moyens linguistiques, et doivent adapter sans cesse leur message et coopérer mutuellement pour se comprendre. Elle développe des procédures spécifiques de répétition, de reformulation, d’explication pour l’activité linguistique et elle donne une large place à l’activité métalinguistique. Dans la classe, elle nécessite ainsi deux stratégies différenciées de mise en œuvre du contrat didactique : une stratégie d’exposition focalisée sur l’information, privilégiant la saisie, nécessitant que l’apprenant intervienne comme sujet réel de la communication dans des conversations didactiques ; une stratégie (ou plusieurs) d’apprentissage, plus strictement planifiée(s), focalisée(s) sur le code, privilégiant la restitution, l’apprenant intervenant souvent comme sujet d’une fiction didactique. XE "communication de classe" \b  XE "communication:exolingue" \b 
Les composantes de la compétence de communication
L’enseignement fonctionnel du français s’inspire directement dans ses applications de la notion de communication induite par l’analyse systémique des besoins langagiers et le modèle jakobsonien inspiré des théories de la communication.
Il intègre la conception de compétence de communication telle que Hymes (1982) l’a élaborée. Il rompt ainsi avec l’enseignement traditionnel « centré sur la langue, le système, et l’implicite de la compétence linguistique » pour « mettre en valeur les éléments linguistiques » non plus « en relation les uns avec les autres (..) » dans le seul cadre «  des modèles formels de la grammaire et de la cognition » (Hymes TA \l "Hymes" \s "Hymes" \c 1  1982 TA \l "Hymes" \s "Hymes" \c 1  :14) mais en relation avec les éléments non linguistiques « en terme de rôle, de statut, de tâches » (ibidem). Il met l’accent auprès des apprenants sur « l’organisation des moyens de la parole qu’ils utilisent, la signification qu’ont pour eux ces moyens et la fonction qu’ils occupent dans la communauté » (ibidem :117). Il vise à construire une compétence de communication dont la dimension linguistique n’est qu’une des composantes d’un acte de communication ou acte de parole XE "acte de parole" .
Cette compétence s’intègre, selon le modèle de Moirand (1982), TA \l "Moirand" \s "Moirand" \c 1  aux composantes discursives, référentielles et socio-culturelles de la situation de communication. Les composantes déficitaires donnent lieu à des phénomènes de compensation, en appui sur les composantes mieux maîtrisées. Boyer TA \s "Boyer"  (1994) tenant compte des évolutions dans la didactique des langues étrangères, a élargi ce modèle pour y intégrer une composante sémiotique ou sémiologique, c’est-à-dire les systèmes signifiants associés au code linguistique, et une composante socio-pragmatique « concernant les diverses normes et légitimés, les comportements langagiers dans leur dimension interactionnelle et sociale » (ibidem :50). Cette approche communicative, fondée sur les notions de communauté linguistique et de parole, d’énonciation, de situation, met en valeur les dimensions pragmatiques de la communication et ne focalise plus l’apprentissage sur la seule dimension linguistique et ses seules contraintes normatives. XE " communication:compétence de" \b 
2.2.4. La mise en œuvre didactique
La situation
Pivot de la réalisation linguistique des différentes composantes de la compétence de communication, la situation de communication devient le concept central de la mise en œuvre didactique, de la détermination de la forme, des supports, des contenus, de la séquence didactique. L’enseignant doit faire le choix de la situation, à partir de laquelle les choix linguistiques vont s’opérer.
C’est autour de la définition d’une situation que s’organisent la réponse aux besoins langagiers, la réalisation des objectifs, la prise en compte des informations, l’intégration des différentes composantes de la compétence de communication, l’actualisation des comportements attendus, le contrôle de la compréhension et de la restitution du sens à travers les comportements linguistiques et non linguistiques.
Les différentes situations de communication sont déterminées par les actes ou rapports sociaux dans lesquels les apprenants sont appelés à être impliqués ou dans lesquels ils sont déjà impliqués (en particulier le rapport didactique) et qui ont déterminé les objectifs d’apprentissage. Ces situations et actes sont rassemblés en grands domaines thématiques d’activité sociale (l’identité ou se présenter, les transports ou se déplacer, les magasins ou faire ses achats, etc.) ou didactique (mathématiques ou calculer, écouter, parler, lire, écrire), qui délimitent des domaines d’activité pédagogique permettant d’intégrer les différents types d’enseignement du français : fonctionnel, instrumental, technique.
Le dialogue
Le dialogue enseigné et appris devient l’un des vecteurs importants, surtout en début d’apprentissage, de la mise en place du français fonctionnel, comme facilitation à la mémorisation et à la restitution de la composante linguistique des situations : à travers lui doivent passer comme éléments déclencheurs ou motivant les informations, les composantes discursive, référentielle et socio-culturelle de la situation, les structures syntaxiques et grammaticales. Mais, en définitive, c’est le vocabulaire qui devient, dans la constitution du dialogue, l’un des éléments principaux de focalisation du concepteur de la méthode. « Quel mot, quelle expression, dois-je faire passer dans cette situation ? ».
L’acte de parole
La seconde notion importante, celle d’acte de parole, introduite par Austin TA \l "Austin" \s "Austin" \c 1  (1991), a pris en didactique une importance grandissante.
Cette notion de la parole conçue comme acte rassemble aujourd’hui les approches fonctionnalistes et les approches communicatives « dans un même corps de doctrine théorique et méthodologique » (Boyer TA \l "Boyer" \s "Boyer" \c 1  1994 : 57). De même Hameline (1983) TA \l "Hameline" \s "Hameline" \c 1  fait-il remarquer que la notion d’objectif, corollaire de l’analyse systémique des besoins langagiers, qui se trouve, selon le tableau qu’il en propose, « à la jonction de l’axe des projets et de l’axe des moyens » (Hameline 1983 : 30), est devenue en pédagogie une « idéologie de référence, (..) théorie générale de l’action qui fait irruption dans le champ éducatif » (ibidem :32).
C’est ce que Hymes TA \s "Hymes"  formule ainsi :
«  l’option communicative ne consiste pas simplement en une mise en œuvre de compétences et de structures connues séparément et a priori, mais plutôt en une intégration de ses compétences et de ces structures dans l’action » (Hymes 1982 :190)
L’application à l’enseignement linguistique des notions de communication et d’acte de parole conduit ainsi à concevoir la langue comme un moyen d’action dont la validité se mesure par sa réussite ou son échec, et non plus par sa conformité ou sa non conformité à l’égard d’une norme. Cette application a inspiré l’organisation du Niveau-Seuil (1976), ainsi que celle du Cadre européen commun de référence pour les langues (2004). XE "méthodologie" \r "méthodologie"  XE "communication:situation de" \r "situation_a"  XE "acte de parole" 

2.3. De la formation linguistique à la formation à la communication
En milieu professionnel, on retrouve ces mêmes traits à travers les demandes des entreprises, demandes la plupart du temps formulées en termes de formation linguistique : ici le prescripteur parle d'alphabétisation, là d'apprentissage du français, ailleurs de cours de français, ou de français langue étrangère, voire de cours d'orthographe et de grammaire. Il vise, à travers ces formulations, un perfectionnement de la lecture et de l'écrit, ainsi qu'un développement des compétences de compréhension ou d'expression orale. Cette demande de formation linguistique s'explicite le plus couramment en termes d'insuffisance ou d'écarts par rapport aux représentations courantes de la norme linguistique attendue dans les relations de travail.
2.3.1. Le français qu’ils parlent
Rappelons que le profil le plus répandu du public migrant est celui de l’adulte qui assume les tâches les plus ingrates de notre société. On le rencontre principalement dans les entreprises de main-d’œuvre où il est souvent présent depuis de très longues années. Cet adulte faiblement scolarisé (voire pas du tout) dans son pays d’origine a généralement appris le français sur le tas sans être passé par des cours de français langue étrangère. Une forte proportion de ces adultes migrants ne communique en français que dans ce cadre professionnel et principalement entre eux : le français est une lingua franca entre des groupes linguistiques très hétérogènes.
Pour décrire ce français qu’ils parlent, et le type de communication que, dans les entreprises, leurs camarades français, leurs chefs et leurs cadres ont avec eux, nous ne pouvons plus nous référer simplement à la notion d’écart formel et grammatical par rapport au français des natifs : système phonétique incomplet et instable, structuration syntaxique approximative, morphologie verbale inexistante ou élémentaire, etc.
Mais nous devons recourir aux notions d’interlangue (Selinker 1972), et de communication exolingue (Porquier 1976, 1984) XE "communication:exolingue"  . Nous renvoyons à notre corpus (voir Volume II) et à son analyse (voir ci-dessous la Troisième partie) pour en observer une de ses variétés. Cette communication, plus ou moins développée et fossilisée, a des traits variables selon l’origine linguistique des locuteurs, leur niveau de formation initiale et de formation linguistique antérieure en France et la durée de son usage. On y retrouve les caractères des lectes de base décrits, à la suite de l’enquête ESF (1981-1987), par Klein et Perdue TA \l "Perdue" \s "Perdue" \c 1  (1992), Noyau TA \l "Noyau" \s "Noyau" \c 1  (1991), Giaccobe (1989) et de nombreux chercheurs, et que les développements de la pragmatique permettent de caractériser de plus en plus précisément.
Nous mettrons seulement l’accent sur le fait qu’une place centrale s’y voit assumée par la situation et le contexte d’émission pour compenser, à travers divers procédés pragmatiques, les différents déficits proprement linguistiques. De sorte que, malgré les écarts linguistiques par rapport à la norme, ces publics sont quand même capables de communiquer sur de nombreux sujets professionnels ou de vie courante. Leurs discours « sont des états de langue sui generis, dotés à la fois de cohérence interne et de dynamisme potentiel » (Noyau TA \s "Noyau"  1991 : 22).
Mais une enquête plus détaillée, auprès de la maîtrise de proximité, auprès des candidats à la formation et sur les postes de travail, révèle l'enjeu et la nature exacte des écarts diagnostiqués. C'est à partir de difficultés à accomplir correctement des tâches spécifiques de communication qu'ils sont identifiés : échanges oraux directs et à distance, prises d'information par la lecture de documents professionnels (schémas, graphiques, plans, gammes, procédures, fiches techniques, etc.), prises de notes, transmission par écrit d'informations (tableaux, formulaires, passation de consignes, fiches de suggestion, notes, rapports), etc.
Ainsi, une formation linguistique n'est visée qu'en vue de rendre plus efficaces les procédures traditionnelles de communication ou en vue de rendre plus performantes de nouvelles procédures – ce qui signifie, dans ce contexte, plus économiques. Car ces tâches de communication ont une incidence directe sur l'accomplissement de tâches professionnelles nouvellement introduites. De la sorte, en partant d'une demande de formation linguistique centrée sur le code, on en vient à la formulation d'une demande de formation à la communication intégrée à des situations de travail. Sa finalité se révèle unanimement proclamée par les prescripteurs : mieux communiquer, dans des tâches spécifiques, pour être plus autonome dans le travail. La demande de formation préconise ainsi non un enseignement général du français, mais un enseignement fonctionnel lié à l'environnement, aux situations et aux tâches de production. Nous nous trouvons, tout autant que dans les formations professionnelles, dans une problématique de formation sur les savoirs de bases. XE "communication:au travail" 
De la forme linguistique à la situation de production
Les sujets pressentis par l'entreprise pour ces formations sont par ailleurs loin d'être totalement dépourvus de capacités à communiquer ou d'autonomie. Français en situation d'illettrisme, étrangers peu ou prou scolarisés dans leur pays d'origine, ils ont en général une longue ancienneté dans l'entreprise. Ils sont reconnus pour leur compétence professionnelle, leur sens des responsabilités, leur adaptabilité. Les migrants ont acquis une grande familiarité de contact avec la langue française, dans laquelle quelquesuns s'expriment parfois remarquablement bien. Tous, et particulièrement les Français en situation d'illettrisme, ont su mettre en place d'efficaces stratégies de contournement et de compensation de leur déficit linguistique pour que celuici n'ait pas paru jusqu'alors trop handicapant. Si l'entreprise en vient à juger que leur compétence de communication est insuffisante, c'est seulement parce que son niveau d'exigence s'est récemment élevé sur ce point.
Une attention soutenue à l'activité de ces publics dans le déroulement même d'une formation de ce type révèle ce qui pose exactement problème : il apparaît que l'adulte ne manquera pas tant de moyens linguistiques que de capacités à les utiliser et à les accroître seul, dans les tâches nouvellement introduites. Ses capacités de perfectionnement autonome ont atteint un seuil. Il ne sait plus s'appuyer sur ses acquis antérieurs pour développer des apprentissages nouveaux. L'intégration des acquis à des systèmes plus complexes de symboles, de contraintes et de règles de communication ne peut donc s'effectuer sans une guidance particulière.
Enfin, si une première observation fait porter le diagnostic sur le code, les mots ou les phrases, et sur la maîtrise des formes, une analyse de la description que font des salariés d'origine étrangère faiblement scolarisés de leurs tâches professionnelles nous a permis de montrer (Champion TA \s "Champion"  1998) que ce sont tout autant les formats et les contraintes globales des situations de communication qui sont en cause. Les codes linguistiques s'organisent en effet en systèmes cohérents intégrés aux situations dans lesquelles ils sont produits ; cellesci font appel à des savoirs implicites difficiles à acquérir rapidement si les savoirs de base ne sont pas maîtrisés.
Ainsi, ce ne sont pas simplement les formes et les contenus linguistiques qui sont en jeu et qui doivent être l'objet des apprentissages en milieu de travail. Ce sont les situations de communication  XE "communication:situation de"  elles-mêmes et les formats qu'elles génèrent, dans leurs différentes dimensions pragmatiques et techniques : les rapports sociaux et professionnels, les rapports entre l'organisation de l'entreprise, ses agents et ses partenaires, les rapports avec les divers canaux de communication, avec les différents univers symboliques et leurs référents, avec les tâches, les procès, les lieux, les moments, les modalités, les relations de cause et d'effet, les relations logiques, les mesures, etc. Ce sont tous ces rapports qu'il est nécessaire d'expliciter et de mettre en relation avec les différents codes par lesquels ils se réalisent dans la communication verbale et écrite.
Le territoire de l'apprenant
C'est donc à partir du « territoire de l'apprenant » (Py TA \l "Py" \s "Py" \c 1  1993) qu'une méthodologie de perfectionnement linguistique pour adultes devra s'élaborer, c'està-dire à partir du « contexte linguistique dans lequel se développent les processus d'acquisition » de la langue.
Ce territoire s'organise, selon Py TA \s "Py" , autour de trois pôles : la tâche, le système et la norme. Ce qui veut dire que dans l'acte de communication, c'est la tâche à accomplir qui ordonne et organise les formes linguistiques, lesquelles ne peuvent être progressivement maîtrisées que lorsqu'elles commencent à être identifiées au sein de systèmes cohérents qui vont asseoir la fixation de la norme.
Les tâches d'apprentissage ne sauraient être coupées des situations quotidiennes de communication et de travail dans lesquelles des difficultés de compréhension surgissent entre l’ apprenant et ses interlocuteurs, du fait qu'il n'identifie pas ou n'utilise pas correctement, par exemple, les formes verbales. Ce sera à partir de certaines tâches quotidiennes de communication, produisant dans ces situations les formes récurrentes marquées d'ambiguïté ou aboutissant à des échecs répétés, qu'il sera possible d'élaborer un premier système d'opposition en analysant, sur les formes courantes et familières, l'origine de l'ambiguïté. Ce sera ensuite à partir de ce premier système limité de formes que de nouvelles formes pourront être introduites dans d'autres situations, surgies de la nécessité de communiquer dans d'autres tâches, et formant de nouveaux systèmes. La confrontation des systèmes produit progressivement la compréhension de la norme et favorise la systématisation de son apprentissage. Cela s'effectuera pareillement pour l'apprentissage du code écrit par des analphabètes ou pour la maîtrise du code orthographique par un Français illettré.
Ainsi l’apprenant arrive par étapes, de tâches nouvelles en systèmes nouveaux et plus élargis, à une pratique, dans la communication elle-même, de l'ensemble d'un code. Cet apprentissage morcelé ne se fera pas en un jour, il sera le fruit d'une découverte et d'une progressive intégration, mais ce qui sera acquis en rapport avec des situations concrètes le sera définitivement et pourra être immédiatement investi dans la communication d'entreprise, donnant l'occasion d'acquisitions nouvelles et autonomes sur le poste de travail.
Cette conception du territoire de l’apprenant s’appuie sur le fait que pour l’adulte une forme linguistique ne fait sens qu'à travers une tâche précise ; les tâches linguistiques ne font elles-mêmes sens qu'à travers les situations dans lesquelles elles sont produites, et qui en commandent les différentes dimensions. C'est donc à travers l'appréhension des contraintes et des règles prescrites par ces situations et leurs tâches que les règles du code peuvent prendre sens et valeur. L'acte de formation linguistique devra commencer par redonner sens à la situation d'apprentissage en la réintégrant dans les situations de communication professionnelle qui la déterminent.
Ainsi, en situation didactique, voit-on que le sens n’est pas un conditionné implicite de la situation d’apprentissage mais une détermination explicite des processus à mettre en jeu dans les stratégies d’enseignement. XE "territoire de l'apprenant" \b  XE "interlangue" \r "interlanguea"  XE "territoire de l'apprenant" \r "territoire" \b 
2.3.2. La compétence de communication
Le modèle d'interprétation de ces relations entre les codes, les tâches linguistiques et les situations, Moirand TA \l "Moirand" \s "Moirand" \c 1  (1982) a proposé de le représenter par un schéma reproduisant une cible. Pour elle, toute production linguistique, toute compétence de communication peut se décrire en quatre composantes : linguistique, discursive, référentielle et socioculturelle. Ces composantes ordonnent de façon concentrique la compétence de communication dans des relations hiérarchisées. Ainsi, d'un point de vue didactique, aucune production linguistique, aucune tâche ne saurait être proposée à l'apprentissage sans que d'abord les contraintes socioculturelles, que, dans notre contexte, l'on pourra aussi appeler socioprofessionnelles, puis les contraintes discursives et référentielles qui l'ordonnent et qui se réalisent en elles ne soient clairement perçues, présentées et analysées.
De ce fait, focaliser sur la composante linguistique sans l’intégrer aux autres composantes ne serait pas pertinent. Le formateur devrait veiller à la relier aux composantes qui posent d'abord problème. C'est dans une mise en place explicite des composantes socioprofessionnelles, discursives et référentielles que la norme devrait alors ne plus paraître arbitraire et venir s'intégrer presque « naturellement » dans des systèmes organisés. XE "communication:compétence de"
2.3.3. Stratégies de l’apprenant
Cette explicitation préalable ou parallèle des composantes « périphériques » à la composante linguistique fait considérer la situation XE "communication:situation de" \b  comme l' « ensemble des faits connus par le locuteur et par l'auditeur au moment où l'acte de parole a lieu » (Germain TA \l "Germain" \s "Germain" \c 1  1973 : 26). La situation didactique doit donc permettre d’identifier ces faits dans la situation pour les retrouver investis ou pour les investir dans leur représentation symbolique : les nommer, les identifier, les définir, les mettre en relation à travers l’échange didactique. Ce sont les indices XE "indices"  présents dans la situation globale qui permettent de donner leur valeur aux éléments linguistiques produits au même moment.
Les stratégies de l’apprenant ne relèvent plus d'un perfectionnement linguistique traditionnel, ni d'un enseignement magistral fondé sur la capacité des apprenants à traiter de façon autonome un maximum d'informations présentées dans un temps bref. Au contraire, il s'agit de développer, sur les objets linguistiques et en relation avec leur environnement de production, ces techniques non maîtrisées et incomplètement sollicitées jusqu'à ce jour. Germain TA \s "Germain"  (1973) reprend les analyses de Piaget TA \s "Piaget"  sur l’apprentissage du langage par l’enfant. Les indices de la situation de communication présents dans l'échange verbal ou écrit sont acquis pendant l'apprentissage du langage par l'enfant, « par la pratique même du langage en situation» (idem : 46) et suite à l'observation qu'il fait « du caractère à la fois ressemblant et différent des situations »(ibidem) au moment de la production linguistique. Ils sont ensuite spontanément et implicitement reproduits à l'âge adulte.
De la même façon, par la pratique du langage en situation, l'enseignement linguistique pour les adultes devraitil consister à aider l’adulte à acquérir ces traits situationnels pertinents, en lui permettant de repérer, dans le discours, les indices présents dans la situation, et en développant ses capacités à observer ressemblances et différences de situation au moment des productions linguistiques.
La mise en mots
C'est alors par la mise en mots que pourra le mieux s'élaborer cette connaissance visant à constituer des savoirs communs, et la mise en relation entre les énoncés et les situations. Avant de focaliser les apprentissages sur le code écrit, il s'agira d'abord de mettre en mots les situations de communication, c'estàdire les commenter et les analyser dans la parole, et avec le niveau de langage dont on dispose, selon toutes les composantes de la compétence de communication définie par Moirand TA \s "Moirand"  (1982) et d'expliciter les savoirs acquis ou requis. Le vocabulaire, les formats discursifs liés à chaque situation, les structures grammaticales s'enrichissent spontanément.
Il arrive un moment où de nouvelles situations exigent la maîtrise de nouvelles tâches, de nouveaux systèmes, de nouveaux codes, de nouvelles valeurs socioculturelles, de nouveaux référents, de nouvelles règles discursives, de nouveaux savoirs. La confrontation des ressemblances et des différences permet aux apprenants de se construire alors des systèmes de plus en plus élargis ; des signifiants nouveaux pour des signifiés familiers sont introduits ; des signifiés sont favorisés, des sens sont transformés, précisés, des moyens plus économiques sont proposés.
Alors peut s'opérer le dépassement des seuils pour l'élaboration des systèmes complexes et peut se travailler de façon spécifique l'intégration des codes de la communication orale et écrite. Cette mise en mots sera ensuite le support essentiel des apprentissages centrés sur le code. Ils seront abordés comme prolongements et exercices de renforcement.
Ainsi, si la demande linguistique pour la formation des personnels ne maîtrisant pas les savoirs de base porte principalement sur l'aspect langagier (lire, écrire, parler), les autres savoirs seront tout autant travaillés dans une telle approche méthodologique : écouter y verra sa place restaurée à travers la parole, se situer dans l'espace et dans le temps, calculer y seront en permanence en jeu dans l'analyse des situations et la recherche indicielle, et simultanément raisonner s'exercera de façon privilégiée à travers les activités d'observation, de recherche, d'identification, de mise en relation, de classement, d'ordonnancement, de comparaison, de relations de causalité, de subordination, de temporalité, de récurrence, etc. XE "mot:mise en" \b 
2.3.4. Les implications et le rôle du formateur
Cette approche méthodologique a quelques incidences sur le dispositif de formation : interaction étroite avec l'environnement, va-et-vient permanent de la salle de cours au milieu de travail, implication étroite et suivi régulier par les partenaires de la formation dans l'entreprise, fonction tutorale, etc.
Notons seulement qu'elle ouvre des perspectives particulières quant à la fonction centrale du formateur qui, dans un tel dispositif, n’est pas simplement un « applicateur de méthode » : c'est sur lui que repose toute la réussite de la mise en oeuvre méthodologique, depuis l'étude de la demande initiale de formation et l’évaluation des compétences linguistiques jusqu’ à l’animation des séquences en salle, en passant par l’étude des postes, la sélection et l’adaptation des supports et des contenus de formation, les relations avec les responsables du suivi de la formation, etc. Adaptant la méthodologie au contexte de l'entreprise, il est, en fait, à la fois concepteur et applicateur de la méthode qu'il met en œuvre : il prend en charge le pré-méthodique, le méthodique, et le post-méthodique.
C’est dans cette situation que la question lexicale se pose avec le plus d’acuité, parce que chaque niveau est déterminé par le traitement des niveaux successifs.
Mais elle se pose déjà lorsque le formateur applique peu ou prou une méthode.
Nous allons voir comment.

Chapitre 3 : La question lexicale



Les méthodes de langue proposent à l’enseignant les corpus lexicaux et grammaticaux que leurs concepteurs ont déterminés et qui s’imposent à lui. Il s’agit d’une réalisation linguistique qui reflète la situation de communication privilégiée par les concepteurs, et qui met en forme les différentes composantes de la compétence de communication sélectionnées par l’analyse pré-méthodique. Les concepteurs de la méthode actualisent dans leurs choix linguistiques les situations qu’ils ont déterminées.
L’enseignant n’a pas de part dans cette analyse pré-méthodique, ni dans l’élaboration méthodique. C’est dans la mise en œuvre post-méthodique, c’est-à dire dans l’application de la méthode, que s’exerce l’essentiel de sa fonction. C’est la mise en œuvre de ces choix qui peut lui poser des problèmes, s’ils sont indaptés aux besoins ou aux niveaux de son public.
Mais cette situation n’est pas si nette dans le cas d’un enseignement auprès d’adultes migrants. Sans méthode, ou en abordant des situations ou des contenus non présentés par la méthode qui encadre sa pratique, il doit faire les choix linguistiques à partir de ce contexte. C’est sa propre analyse pré-méthodique qui va déterminer ses choix : l’analyse des besoins langagiers, du type de français à enseigner, la définition des actes ou rapports sociaux, des objectifs d’apprentissage, des domaines thématiques, le recueil des informations, l’intégration des différentes composantes de la compétence de communication, l’actualisation des comportements attendus, le contrôle de la compréhension et de la restitution du sens à travers les comportements linguistiques et non linguistiques. XE "méthodes" 
3.1. Le post-méthodique
Or, c’est la problèmatique post-méthodique, la présentation et l’exploitation d’un corpus déjà élaboré, qui permet d’aborder la question lexicale.
L’une des tâches de l’enseignant dans la mise en œuvre des prescriptions d’une méthode est de mettre en relation les réalisations linguistiques avec les dimensions référentielles, discursives, socio-culturelles de la situation pour permettre l’accès au sens. Cette tâche de mise en relation est traitée dans les préfaces des méthodes, ainsi que dans les conseils d’application du livre du maître. Certaines méthodes organisent même les modalités de présentation des contenus selon les composantes de Moirand (1982) TA \l "Moirand" \s "Moirand" \c 1 , et intègrent même les composantes sémiotiques ou sémiologiques (systèmes de signifiants associés au code linguistique) et socio-pragmatique (énonciations, rôles) de Boyer TA \s "Boyer"  (1994).
3.1.1. Communication de classe
Dans une approche communicative, le lexique joue un rôle pivot dans la dynamique d’apprentissage par la place qu’il prend à travers la communication de classe, qui est l’espace d’ expression vivante de la réalisation linguistique, à l’opposé de la méthode qui en est l’espace figé de présentation. La communication de classe est une véritable situation de communication et d’apprentissage que les méthodes nouvelles encouragent et développent. Elle doit refléter les principes méthodiques dans toutes ses activités : visionnage d’un film, d’une diapositive ; commentaire d’une photo, d’un dessin ; écoute, commentaire, explication d’un dialogue ; animation d’un thème de conversation ou de débats ; conduite d’un échange spontané, d’une explication, etc.
L’enseignant doit aussi souvent, dans le cours même de ce processus, adapter son activité, prolonger sa préparation, compléter son commentaire, corriger son explication. Il doit en tout cas faire écouter, faire parler, faire lire, faire écrire, faire reproduire, répéter, imiter, transformer, faire remarquer, faire observer, faire réfléchir, etc. Il doit tenir compte des phénomènes de compensation des apprenants dans leur maîtrise imparfaite des composantes de la compétence de communication.
Dans les procédures d’exposition et d’explication, la focalisation sur l’information et l’attention accordée, à travers le feed-back, aux signes d’une bonne saisie donnent lieu à des échanges. L’enseignant encourage l’apprenant à communiquer avec ses mots à lui, et tolère de sa part une grande approximation syntaxique et grammaticale. L’enseignant lui-même peut avoir à s’exprimer dans un registre plus relâché ; il doit procéder à des simplifications, à des approximations. Tous les procédés de la communication exolingue sont alors mis en œuvre.
Le mot, le vocable, joue alors un rôle prééminent dans la stratégie de l’enseignant, car il est l’objet premier sur quoi s’exerce l’attention de l’apprenant. Le mot joue comme point d’ancrage, valorisé en tant que substitut linguistique des signes non linguistiques perçus dans la situation. Le mot XE "mot" \b  est le vecteur de la saisie par l’apprenant, dans la chaîne parlée du natif, de la dénomination, acte premier de l’activité lexicale, pour des objets ou des états du monde dont l’apprenant a déjà une représentation chargée de sens. L’apprenant ne se préoccupe pas encore de leur ordre d’apparition syntaxique ou de leurs variations morphologiques. Son attention est concentrée sur le rapport entre l’occurrence du mot et les éléments de la situation d’émission qui peuvent lui être rapportés.
La dénomination est insuffisante lorsqu’il n’y a pas partage des savoirs. L’apprenant est confronté à des domaines de dénomination qui n’entrent pas dans le champ de son expérience. Il ne peut s’en faire une représentation. L’enseignant doit alors construire cette représentation, et s’appuyer sur des mots non plus pour traduire du sens déjà-là (dans l’esprit de l’apprenant) en attestant sa présence homologue dans l’esprit de l’enseignant, mais pour construire ce sens, c’est-à-dire pour le montrer dans la situation. XE "savoir partagé" 
Dans la restitution, l’apprenant s’empare avidement de ces sons et de ces mots qui révèlent pour lui une identité sémantique forte et non équivoque.
En cas d’échec de la communication XE "communication:échec" , l’enseignant encourage l’allophone à s’appuyer sur des procédures de facilitation pour collaborer à l’explicitation des difficultés de compréhension. L’enseignant tolère alors les approximations, les néologismes, les innovations sémantiques, les adaptations lexicales calquées sur la langue maternelle, intégrant un lexique nouveau dans un code inadapté. Il tente de les interpréter, il les confirme ou les infirme, les fait confirmer ou infirmer, il les reformule dans un code plus adapté, et les complète, usant de paraphrases, de synonymes, de circonlocutions, d’exemplifications, faisant appel aux savoirs disponibles de l’apprenant.
Surgissent alors des termes nouveaux, des relations lexicales ou sémantiques entre les termes. Des réseaux se constituent inter-activement, sur lesquels l’enseignant pourra s’appuyer ensuite, qu’il pourra reconstituer, en séries formelles ou sémantiques. L’échange, assoupli quant à l’exigence formelle, élabore ainsi sous le contrôle des participants des réseaux sémantiques qui valorisent par compensation la structuration lexicale.
Voilà en quoi une approche communicative fait jouer au lexique un rôle pivot dans la dynamique d’apprentissage. C’est l’objet de notre travail de présenter de façon plus détaillée, dans l’analyse de notre corpus (voir ci-dessous la Troisième partie) les différentes stratégies engagées dans un tel processus.
Par ailleurs, la problématique post-méthodique pose des problèmes différents dans l’exploitation lexicale selon le type d’enseignement. Son traitement n’est pas de même nature, selon que la communication est focalisée sur un enseignement fonctionnel du français ou sur un français instrumental ou technique. XE "communication de classe" \b  XE "lexique"  XE "lexique" \r "lexique" \b 
3.1.2. Enseignement fonctionnel
A la suite de Porcher (1975), Coste et Galisson (1976) font remarquer que la notion de français fonctionnel, brouillée par des apellations diverses, s’oppose au français général pour recouvrir « des domaines apparemment spécifiques » (ibidem : 230) de discours, mais met l’accent sur un français dont les utilisateurs ont besoin « comme d’un outil », comme « moyen (..) dans des activités à finalités non linguistiques » (ibidem : 231). C’est dans ce sens que nous entendons, par enseignement fonctionnel du français, une pédagogie par objectifs, dans laquelle les contenus linguistiques, déterminés par les objectifs communicatifs visés (objectifs définis en terme d’actes de paroles ou d’actes de communication) sont intégrés à des situations, en rapport avec des canaux d’échange ou des interlocuteurs spécifiques, dans lesquelles sont visés des objectifs non linguistiques. Les modes d’exposition et d’explication qui dominent dans un tel enseignement fonctionnel focalisent l’attention de l’enseignant et de l’apprenant sur les relations des unités linguistiques avec les éléments extra-linguistiques extraits des objectifs non linguistiques et donc avec les autres codes de leur représentation, en particulier avec les intentions visées par les actes de communication. C’est le domaine où la visée de mémorisation et de restitution implique une focalisation sur la forme, surtout en début d’apprentissage. Elle privilégie la compétence orale et la mise en relation des formes avec les situations de communication, très souvent mimées. Ce n’est que dans une deuxième phase que les formes sont mises en relation entre elles, et souvent à l’appui d’un développement du domaine de la lecture et de l’écrit. Il ne s’agit pas de simplifier les formes, qui doivent garder leur caractère authentique, mais de ne pas entrer rapidement dans une analyse de leur complexité interne. XE "enseignement:fonctionnel" \b 
3.1.3. Français intrumental
Coste et Galisson (1976) font de cette notion un synonyme de français fonctionnel. (ibidem 287), qui se rapproche par ailleurs des appellations : français de spécialité, français scientifique et technique. C’est en réduisant et en spécifiant des ères du français fonctionnel que nous entendons plutôt, par français instrumental, un français permettant d’exercer une activité professionnelle, une langue qui a des visées pratiques dans un domaine spécifique de savoirs et de spécialité : mathématiques, logique, savoirs professionnels spécialisés. Dans l’enseignement d’un tel français instrumental, qui vise plus l’explication que la restitution, les simplifications didactiques sont de moindre conséquence, pourvu que le sens ait été bien transmis, mais elles sont plus difficiles. Les modalités de présentation y ont une structure discursive et syntaxique souvent plus complexe, et s’appuient sur des écrits, authentiques ou non, complexes ou simplifiés, plus structurés. L’enseignant pourra faire appel à des notions techniques abstraites ou implicites, pour lesquelles il n’aura pas pu trouver de modalités de représentation. Le volume lexical y est plus développé.
Les processus de saisie, de mémorisation et de réemploi des unités lexicales dans les informations de vie sociale et professionnelle sont d’autant plus efficaces que l’environnement auquel elles réfèrent est connu et expérimenté, de sorte qu’un enseignement linguistique sera plus performant auprès d’un migrant ayant déjà séjourné dans l’environnement référentiel qu’auprès d’un primo-arrivant. La formation initiale met en outre en relation avec des objets du monde, des notions, des rôles, des connaissances, qui constituent une expérience différée sur le monde et une extension du champ de l’expérience humaine. La dynamique d’acquisition lexicale en sera d’autant plus puissante.
Cette connaissance du monde, ces savoirs généraux, partagés antérieurement par l’apprenant et l’enseignant, et qui dans la langue de l’apprenant sont déjà constitués en champs lexicaux, ne nécessitent plus que d’être dénommés dans la langue cible et mis en relation les uns avec les autres, c’est-à-dire à être construits comme champs lexicaux en français.
Sachant de quoi il parle, l’apprenant peut anticiper sur le contenu de la communication, peut lui donner des limitations, la borner, et vérifier les réponses à son attente et les limites de son bornage. Il pourra par ailleurs comparer la structure du champ lexical en L1 et en L2 et mieux saisir les nœuds et les relations.
L’exemple des relations familiales est sans doute l’un des plus pertinents. Le champ sémantique et sa représentation sont familièrs à tout apprenant, même s’ils ne peuvent être strictement calqués sur celui de l’enseignant. Les réalisations linguistiques marqueront alors à la fois les savoirs partagés, les identités sémantiques, et expliciteront les savoirs non-partagés, leurs différences. Ainsi en Afrique le frère aîné du père joue un rôle social plus important que le père géniteur, les demi-frères et demi-sœurs des familles polygames sont frères et sœurs. Chez les Tamouls, il y a prohibition de l’inceste entre le fils du frère aîné et la fille du frère puiné, qui ne sont dénommés ni « cousin » ni « cousine » mais « frère » et « sœur », tandis que la fille du frère aîné et le fils de la sœur puinée seront seuls reconnus dans une relation de cousinage telle que nous l’entendons dans notre culture. Dans les cultures asiatiques, une dénomination spéciale est utilisé pour l’ainé(e), qui n’est pas appelé, comme les autres enfants, « frère » ou « sœur ».
Encore, le préalable à toute (re)mise à niveau linguistique en mathématiques tient-il dans l’élaboration de corpus pédagogiques relevant de différents champs lexicaux : objets, chiffres, nombres, signes, figures, opérations, mesures, modes opératoires, modes de raisonnement, connecteurs logiques, notions, etc.. Ils ne se présentent pas de façon autonome dans la vie courante, mais en se croisant les uns aux autres, se superposant, présentant aussi des incompatibilités. Ils s’ordonnent les uns par rapport aux autres selon des organisations hiérachiques et temporelles, mais aussi dans la vie sociale selon des ordres de priorité et d’urgence. En fonction du domaine de réalité étudié et du point de vue abordé, des règles d’organisation entre corpus sont privilégiées, que la réalité sociale ou culturelle commande. Ce sont les champs sémantiques qui commandent la structuration des champs lexicaux, et les choix ne peuvent en être arbitraires ni faire abstraction d’une certaine progression.
La simplification est plus difficile à effectuer dans un enseignement technique, qui suppose des savoirs mathématiques, notionnels, technologiques très précis, et plus approfondis. Les simplifications didactiques, quand elles sont possibles, sont très normées, et rejoignent leur modèle dans l’enseignement initial, sur lequel l’enseignant se rabat trop vite par nécessité et faute d’être initié à d’autres procédures et aux approches préalables, en particulier celles que les adultes emploient par compensation.  XE "lexique"  XE "instrumental" \t "Voir enseignement"  XE "enseignement:du francais instrumental" 
3.1.4. Le processus d’analyse lexicale
Dans ces situations, un processus d’analyse lexicale se met en place entre l’enseignant et l’apprenant.
Le vocabulaire joue, grosso modo, comme calque de la réalité, et l’apprentissage lexical est affaire de dénomination, les mots couvrant les mêmes objets, qui se distinguent les uns des autres par des valeurs légèrement différentes et par des relations secondaires spécifiques, de sorte que des équivalences peuvent leur être attribuées. Ainsi se construisent des réseaux sémantiques que recouvrent les réseaux lexicaux.
Un triple processus d’analyse s’opère : la relation de dénomination avec les choses ou les objets, la relation de signification entre les choses et leurs dénominations, les relations de sens entre les choses. Ce processus s’opère soit spontanément, dans l’application de la méthode, au cours de l’échange didactique,  soit déductivement et de façon réfléchie et différée, dans la « préparation » de l’application de la méthode, ou dans le choix, l’adaptation ou la création des supports.
C’est le processus spontané qui est négligé par le didacticien et le concepteur de la méthode. Il relève d’un savoir pédagogique intuitif. On voit ainsi que la question lexicale, posée à partir de la mise en œuvre des méthodes « dites » communicatives, nous conduit à nous interroger sur le processus lui-même de traitement des données lexicales dans la communication de classe XE "communication de classe" . C’est un processus spontané, sur lequel l’attention n’a pas été suffisamment portée, et qui ne peut-être analysé qu’à partir d’observations de classes et de corpus, et c’est justement l’objet de notre recherche (voir la Troisième partie). Nous y reviendrons donc. XE "lexique:analyse lexicale" \b 
3.2. Le traitement méthodique du lexique
Mais c’est en fait dans le traitement méthodique que la question lexicale va se poser explicitement à l’enseignant.
Du point de vue méthodique, les choix lexicaux relevent des analyses extra-linguistiques informées par les besoins des apprenants, les objectifs de formation, les contraintes institutionnelles. Le concepteur de méthode comme le praticien doivent pouvoir se passer, au moins dans un premier temps, des analyses intra-linguistiques.
L’enseignant se trouve souvent dans cette situation quand il doit choisir, adapter ou réaliser lui-même ses supports de façon différée, avant ou après ses séquences didactiques. Il s’agit soit de supports complémentaires à l’application de telle ou telle méthode, soit d’une catégorie de supports relevant d’une composante de la situation de communication sur laquelle la méthode n’a pas mis l’accent, ou bien d’un domaine des savoirs de base qui n’a pas été privilégié comme méritant un traitement spécifique. Il peut s’agir aussi de la plupart des supports des unités d’enseignement d’un programme donné, comme cela s’est trouvé dans la situation qui a donné lieu à la réalisation de notre corpus (voir la Troisième partie et les annexes). Dans un tel contexte, tous les éléments linguistiques doivent paraître dans les supports et être exploitables avec pertinence et économie à travers la situation réelle de la classe : l’élaboration est déterminée par cette situation spécifique.
Cette intégration de la communication réelle de la classe dans l’élaboration méthodique entraîne des questions de choix linguistiques adaptés à des apprenants réels comme interlocuteurs et comme acteurs de situations réelles à exploiter. La communication de classe XE "communication:de classe"  s’intègre comme composante dans la constitution de ses supports et de leurs choix. L’environnement et les situations sont plus familières et mieux identifiables, mais les exigences institutionnelles et didactiques contraignent à une plus grande pertinence, et donc à une analyse pré-méhodique très rigoureuse.
3.2.1. Elaboration
Ces choix lexicaux se font soit à partir de supports à disposition (films ou vidéo, documents authentiques ou pédagogiques), soit pour la création de ceux-ci (dialogues, textes, organigrammes, tableaux, listes etc.), soit pour préparer la trame thématique et discursive d’un débat, d’une discussion, d’un exposé.
Les écrits authentiques, eux-même reflets et calques d’une réalité physique et sociale et de rapports sociaux, souvent d’ailleurs illustrés de schémas et de quantifications, déterminent une partie des corpus linguistiques et des significations. Ils font entrer immédiatement dans des savoirs élaborés. Ils sont lexicalement, syntaxiquement, grammaticalement complexes pour l’apprenant, et ne peuvent qu’en partie être traités tels quels. Ils nécessitent une adaptation, et des simplifications didactiques qui ne sont cependant pas toujours aisées. Elles le sont d’autant moins qu’elles relèvent souvent pour le formateur de l’évidence et de l’implicite. Or c’est souvent de cet implicite qu’il est difficile de prendre conscience, et la dimension culturelle de beaucoup d’évidences pour le natif est l’obstacle de leur communication à des locuteurs d’une autre culture.
Les choix se font ensuite dans le déroulement de la séquence d’enseignement, au cours des échanges langagiers avec les apprenants. Ils sont induits par les activités et contenus déjà préparés. Une partie peut être prévue, mais une autre partie surgira au cours de l’échange et de la réussite ou de l’échec de la communication.
3.2.2. Les corpus pédagogiques
Le praticien doit rassembler les matériaux, décider de leurs modalités de présentation et de leur mise en relation. Il s’agira donc de constituer des corpus pédagogiques constitués de champs lexicaux et sémantiques formant systèmes ou réseaux, dans lesquels certaines occurrences occuperont des positions centrales ou charnières, ou constitueront des nœuds et des centres de focalisation. L’analyse peut les formaliser sous forme de listes de termes regroupés par catégories référentielles, sémantiques, syntaxiques, morphologiques. L’inventaire thématique et syntagmatique de Galisson TA \s "Galisson"  (1971) et les inventaires lexicaux des différents opuscules pédagogiques rendent bien compte de ce type d’inventaire et d’organisation et peuvent être des sources de référence pour la constitution de tels corpus.
3.2.3. Choix lexicaux
Le praticien doit déterminer un cadre d’élaboration de ses choix, de sélection, de hiérarchisation, de mise en relation. Une analyse préalable des contenus et la détermination des critères de choix doit être opérée.Le choix lexical pose deux problèmes : la sélection des unités lexicales à extraire de ces corpus, leur mise en relation avec les champs déjà constitués, leur simplification par décomposition en corpus intermédiaires, adjacents ou complémentaires.
Les critères
De fait, ce sont les situations d’apprentissage qui vont déterminer la façon dont les choix lexicaux seront effectués en pratique et les types de problèmes théoriques qui leur sont associés.
Les critères pédagogiques traditionnels de délimitation de ces corpus, tels que Boogards (1994) les relève chez les concepteurs de méthode du début du XXème siècle aux années 1980, relèvent en fait d’une problématique annexe qui vise essentiellement « augmenter l’efficacité de l’enseignement des langues » (Boogards 1994 : 99) dans une perspective de rendement maximum : limitation de la masse ou du volume des éléments nouveaux, correction de la forme, niveau de langue, fréquence, disponibilité, mode d’emploi (courant, spécifique), niveau d’abstraction ou de complexité, valeur d’explicitation ou de représentation. Ils conduisent à l’élaboration de situations factices pour une langue idéale : ce sont les mots à apprendre qui déterminent les textes à produire et les situations à mettre en scène «  pour pouvoir fonctionner de façon appropriée » (ibidem : 103). Les critères donnent la priorité à l’accès à la langue sur la communication et sont donc insuffisants.
Boogards considère cependant qu’ils ne sont pas à rejeter en tant que tels, mais qu’il est difficile de se fier strictement à des critères spécifiquement linguistiques. Ceux-ci doivent être pris en compte en complément de critères plus importants, que seule l’approche fonctionnelle, développée à partir des années 1980, permet de mettre en valeur, en déplaçant la problématique du choix du linguistique au pédagogique : un vocabulaire d’urgence recouvrant les compétences et les situations les plus récurrentes, un vocabulaire réaliste et authentiquement employé dans les situations réelles, qui tienne compte des types d’enseignement et de français (fonctionnel, instrumental, technique), des compétences linguistiques privilégiées (oral, écrit, expression, compréhension), ainsi que des objectifs d’apprentissage (objectifs opérationnels linguistiques ou non linguistiques) et des domaines de contenu abordés, des niveaux actuels des apprenants et des pré-requis nécessaires, des modalités de présentation des matériaux linguistiques (film, image, texte suivi, schéma, dialogue, etc.) et du type d’activité proposé.
L’essentiel des problèmes de sélection se trouveraient ainsi réglés par la méthodologie fonctionnelle elle-même :
« Les questions fondamentales se formulent donc ainsi :
- Quelles sont les tâches que l’apprenant d’une langue aura à exécuter dans les situations où il va se trouver ?
- Comment peut-on lui fournir le matériel lexical qui lui permettra d’exprimer ce qu’il veut dire et de comprendre les messages qui lui sont destinés ? »
(ibidem : 112)
Boogards propose, pour l’étude de ces tâches et de ce matériel lexical, d’observer les situations mêmes de production et d’utilisation à partir de corpus relevés in situ (ibidem : 140).
Ce serait à cette condition que les critères d’urgence, de fréquence, de disponibilité, d’accès au sens, pourraient intervenir alors à tous les niveaux de l’élaboration pré-méthodique, ces choix inspirés « par des techniques éclairées d’observation de l’usage de la langue » (ibidem) pouvant nécessiter l’élaboration de situations complémentaires, associées, opposées, parallèles.
C’est en définitive le critère d’utilité qui détermine l’ensemble des choix, la question étant de savoir « à quoi peuvent servir les mots pour les apprenants d’une langue étrangère » (ibidem :113). Tréville et Duquette (1996) vont dans le même sens quand elles affirment que le vocabulaire sélectionné doit être d’abord être
« un vocabulaire occasionnel qui émerge des documents authentiques constituant le point de départ de la démarche. Ce n’est qu’après que les mots ont été saisis en contexte qu’ils sont sélectionnés en fonction de leur utilité pressentie pour faire éventuellement l’objet d’exercices. » (Tréville et Duquette 1996 : 101)
Mais ces critères passent, dans la réalisation méthodique d’un enseignement fonctionnel,  par un deuxième filtre : leur mise en forme concrète, en énoncés : dialogues et textes principalement, visant à constituer le contexte de sélection, pour lequel Tréville et Duquette (ibidem) considèrent aussi que les critères pédagogiques jouent autant que les critère linguistiques : niveau du cours, nature des mots, fonction des mots dans la phrase et dans le discours, buts des apprenants en relation avec leurs besoins.
Ce rôle du contexte qui est ici souligné, Boogards (1994 ch. 6.2.3.) y consacre une longue étude, dans laquelle il examine la stratégie de traitement des mots inconnus en lecture, décrite par Graves (1987), qui permet de « déduire le sens du contexte ». Et c’est, en définitive, à travers une approche fonctionnelle XE "fonctionnelle:approche" \b  privilégiant l’utile sur le formel, le critère sémantique qui est privilégié dans le traitement du vocabulaire, tant dans les modalités de présentation que dans les modalités d’exploitation, grâce à des stratégies didactiques qui visent à une identification rapide du sens. C’est dans cette mesure-là que la fixation, la mémorisation, le transfert et le réemploi des unités lexicales dans des énoncés accompagnent le perfectionnement du code linguistique.
L’analyse, à tous les niveaux, pose donc comme central le critère sémantique dans la constitution des corpus lexicaux. Il doit dominer les préoccupations de l’enseignant. Mais comment ? Nous pensons que l’analyse de notre corpus permettra de répondre à cette question. Il est nécessaire au préalable de voir le rôle que le lexique joue du côté de l’apprenant dans sa propre communication, dans son interlangue. XE "lexique:choix" \b  XE "lexique:choix" \r "lexiqueq" 
3.2.4. La place du lexique dans l’interlangue
Le lexique joue, en appui sur les procédés pragmatiques, un rôle central dans la prise en main et l’appropriation des compétences linguistiques.
Déjà, dans une étude sur la référence aux entités dans le lecte de base d’une femme adulte d’origine chinoise, qui avait vécu déjà depuis dix ans en France pratiquement sans contact avec la société et la langue françaises, sinon par l’intermédiaire de son jeune fils et de ses pratiques religieuses, nous avions constaté que les seuls éléments linguistiques structurant sa communication étaient des éléments lexicaux dénués de toute morphologie. Le lexique des procés y était en outre plus abondant que le lexique des entités. Quand les mots exacts lui manquaient, elle leur trouvait des substituts par l’emploi d’autres mots ou par des procédés pragmatiques qui permettaient de transmettre le sens de ce qu’elle voulait indiquer. Elle produisait des indices non verbaux comme substituts des indices verbaux par un recours pragmatique très riche et très élaboré. Cette migrante pouvait transmettre l’essentiel de son message par ces procédés discursifs et pragmatiques à l’appui des formes linguistiques majoritairement lexicalisées.
Mais c’est en analysant le discours d’apprenants laotiens décrivant leurs tâches de régleur sur une chaîne de fabrication de pots catalytiques (Champion 1998) que nous nous sommes rendu compte que le volume de vocabulaire disponible était très supérieur au vocabulaire effectivement employé de façon appropriée. Le recours aux approximations lexicales, aux périphrases ou aux sur-généralisations était abondant. Les moyens syntaxiques et grammaticaux relevaient de la variété de base décrite par Klein (1989, 1990) et Perdue (1993). Ils se révélaient une des causes de l’absence d’un terme disponible. Le sens cependant passait de telle sorte que le terme propre venait souvent à l’esprit de l’auditeur, qu’un étayage rapide pour la précision du sens faisait apparaître. Sa réactivation actualisait tout d’un coup le signifié. Le terme était ensuite réutilisé dans les contextes similaires. Le déficit syntaxique ou grammatical associé à l’absence du terme pouvait alors être traité.
Il est courant de constater auprès des apprenants adultes d’une langue étrangère que le langage est conçu d’abord de façon fonctionnelle. Il sert avant tout à communiquer dans des situations d’urgence, pour des besoins élémentaires : il doit être efficace. Il est un outil de communication : il va au plus court, au plus simple.
Nous avons pu constater ainsi que, chez le migrant adulte, le réseau lexical et sa structuration en discours sont des simplifications des productions du natif. Noyau TA \s "Noyau"  (1991), dans ses études sur la temporalité, a montré que « l’apprenant adulte ne construit pas de discours incohérent du point de vue pragmatique, il a une visée globale de communication » (ibidem : 19). Ce sont les éléments linguistiques les plus simples qui sont retenus, et s’ils sont reproduits, c’est en passant par le filtre d’une simplification syntaxique et morphologique.
Berruto TA \l "Berruto" \s "Berruto" \c 1  (1983) a analysé dans l’italien populaire ces processus de simplification XE "simplification" \b , qu’il définit principalement comme « disposition ou stratégie verbale consistant dans la réussite de la transmission des signifiés que l’on veut même avec un code mal maîtrisé » (Berruto : 40). Maîtrisé traduit ici le terme  padronagiato , qui vient du terme padrone , patron, maître, mais qui évoque aussi le patron d’un vêtement : le sens que veut transmettre l’apprenant passe par un discours « mal patroné », costume mal seyant, à la mauvaise taille, il faut entendre un code inadapté. Berruto TA \s "Berruto"  interpréte ce terme dans son sens immédiat de « réduction à l’essentiel » (ibidem ), mesurable en terme de nombre de morphèmes et d’une moindre articulation de la structure interne, mais aussi dans un sens générativiste de « recours à un moindre nombre de règles » (ibidem) dans le passage de la structure profonde à la structure de surface , et dans un sens jakobsonien d’abandon de la langue à sa nature, visant « un calcul des traits moins marqué et moins loin, dans la représentation abstraite, par rapport à la forme réelle » (ibidem). Mais, de ce qu’il appelle pour sa part une simplification, Berruto retient d’abord sa « valeur opératoire et pragmatique, centrée sur le sujet parlant » (ibidem).
Or selon lui, le critère d’analyse du sujet parlant est un critère lexical. Dans la simplification, il y a « réduction aux formes lexicales élémentaires » (ibidem : 43), le sujet parlant « faisant prévaloir la sémantique sur la syntaxe, par le moyen de la lexicalisation des rapports grammaticaux, la réalisation lexicale de signifiants morpho-syntaxiques, par l’effacement des mots vides » (ibidem). Le costume n’est pas à la bonne taille, mais le corps est bien là, et le corps, c’est d’abord le lexique. XE "lexique" \t "Voir simplification" 
L’analyse des productions en italien populaire montre que les procédés de simplification analysés par Berruto TA \s "Berruto"  sont très proches de ceux que l’on retrouve dans le discours des adultes migrants et met bien en valeur le rôle substitutif ou de compensation du lexique. Ce qui résume de façon simplificatrice cette interlangue, c’est donc le fait que l’on y parle essentiellement avec des mots, mais avec des mots qui sont des signifiants dotés de contenus sémantiques simplifiés, réduits à l’essentiel de leurs relations avec la situation de production, des signifiants simples et distinctifs du point de vue de l’alloglotte. XE "simplification" \b  XE "interlangue" \b 
Dans cette situation d’ignorance de l’existence ou de l’organisation des systèmes morphologiques, des rapports entre les traits et les règles sous-jacentes et du moindre marquage des traits émis, le locuteur étranger freine ses déficits par des contre-poids fonctionnels : transferts de codification, fossilisations, généralisations.
En outre, l’observation des discours d’apprenants en situation professionnelle, au poste de travail, dans l’environnement de l’atelier, du chantier, de la plonge, nous a conduit à faire l’hypothèse que pour toute personne communiquant dans une langue étrangère qu’il ne maîtrise pas, le langage est d’abord conçu comme reflétant la réalité, un état des choses. Il est comme une image du monde. Il est d’abord dénotatif. Parler, c’est d’abord, à travers les mots, faire référence : à des évènements et à des choses, à des acteurs et à actes, à des jugements ou des pensées. C’est représenter des choses, des personnes, des procès, des mouvements, des espaces et des lieux : tous éléments observables, visibles, palpables, perceptibles, en un mot : sensibles. A travers le discours, il y a prégnance prioritaire de l’univers référentiel.
C’est la raison pour laquelle, pour décrire les discours d’apprenants, il est difficile d’appliquer des catégories grammaticales traditionnelles et de classifier les éléments linguistiques dans les classes grammaticales et syntaxiques traditionnelles. C’est pourquoi le programme ESF (Perdue TA \s "Perdue"  1995) les décrit à travers cinq classes pré-grammaticales, notionnelles, les domaines référentiels : référence aux entités, aux procès, à l’espace, à la temporalité, a la modalité. Ce sont les « mots XE "mot"  » qui sont les véhicules de l’expression, les substantifs qui décrivent les objets du monde, les verbes qui décrivent les procès, les adjectifs qui déterminent, qualifient, contextualisent objets et procès, les prépositions qui décrivent les relations spatiales ou temporelles, les conjonctions qui décrivent les relations logiques. XE "interlangue" \r "interlangueb" 
Acquérir ces divers éléments est prioritaire, l’alloglotte débutant ou fossilisé dans une expression élémentaire ignore tout des règles phonétiques, syntaxiques, morphologiques, flexionnelles.
Cette focalisation lexicale dans le discours de l’apprenant ne saurait donc, d’un point de vue didactique, être trop légèrement négligée avec un tel public. Soit les vocables sont des signes identifiables seulement dans leur contexte familier de production, et le migrant alors comprend à quelle réalité ou à quels autres codes renvoie le code linguistique, mais en présence seulement de leurs relations, l’organisation interne du code linguistique lui échappant ainsi à divers degrés. Soit le code est maîtrisé, mais des occurrences nouvelles apparaissent dans des environnements non familiers ou en relation avec d’autres codes, et, alors l’interprétation est erronée. XE "discours:d'apprenants" \b 
Ce ne sont pas tant les « mots » qui manquent chez le migrant, puisque ces « mots » sont véhiculés à travers la communication dans des situations expérimentées. Mais ils sont mal perçus, en tant que signes, dans leurs relation entre eux à l’intérieur de systèmes plus vastes (phonétiques, lexicaux, syntaxiques, grammaticaux, discursifs) du code qui les organise. Et ce n’est pas non plus le sens qui manque, puisque ce sens est présent, immédiatement ou médiatement, dans une expérience quotidienne. Mais il est incomplétement conçu à l’intérieur même des systèmes d’organisation de l’expérience et dans sa relation aux autres systèmes de représentation.
C’est donc la relation des « mots » avec les expériences et les autres « mots », et la relation des expériences entre elles par la médiation des « mots », qui manquent au développement de la communication, et qui doivent être prioritairement travaillés dans un contexte didactique.
Ainsi, cette place essentielle de l’appui lexical dans le discours de l’apprenant conduit à donner un rôle central au lexique dans l’apprentissage.  XE "interlangue"  XE "mot"  XE "interlangue" \r "Sélection"  XE "mot" \b 
3.3. Le rôle de l’enseignement lexical
Dans l’univers professionnel, pour ces migrants, l’usage des mots du français est en relation avec certaines situations expérimentées et certains contextes familiers mais pas avec d’autres où leur occurrence est aussi pertinente, mais qui ne sont ni expérimentés ni familiers.
En outre, tous les paramètres des situations expérimentées et des contextes familiers n’ont pas été explicités, mais certains seulement. Certains procédés discursifs ne sont pas maîtrisés. Les situations ne sont pas perçues dans toutes leurs dimensions organisationnelles (sécurité, hygiène, systèmes de décision), spatiales, temporelles. De sorte que ce sont leurs relations à la situation et au contexte qui ne sont pas saisies, parce qu’une partie des mots du discours ne sont pas contextualisés ou font référence à des savoirs implicites.
3.3.1. La maîtrise de l’environnement
Ainsi, un premier rôle de l’enseignement lexicalest-il de développer la maîtrise de l’environnement social et professionnel. Un perfectionnement linguistique, dans ce contexte, consiste d’abord à mettre les mêmes « mots » sur des situations et dans des contextes nouveaux, ou d’autres « mots » sur les mêmes situations et contextes. Il ne s’agit pas d’apprendre des mots pour en apprendre le sens, mais, par économie, de transmettre des mots dont on a le sens, et des sens dont on a les mots. Le lexique aura donc pour rôle de permettre à l’apprenant de s’approprier son environnement le plus proche, en sachant le signifier, c’est-à-dire le nommer, le décrire dans ses dimensions spatiales, fonctionnelles, le raconter, l’évaluer, raisonner dessus. Le vocabulaire de la description, du récit, de l’argumentation prend alors une valeur essentielle. XE "lexique:role" 
La mise en mots
Noyau TA \s "Noyau"  (1991) indique la procédure de base : « Il faut interroger l’apprenant pour enrichir l’interprétation et la valider. » Car nous n’enseignons pas des contenus que nos apprenants maîtrisent mieux que nous, et dans lesquels ils sont experts. Nous faisons un échange d’expertise : leur savoir contre le nôtre, leur sens contre nos « mots », nos « mots » contre les leurs, nos « mots » avec notre sens.
La mise en mots dialoguée des situations professionnelles et sociales, domaine de l’expérience des apprenants, se révèle ainsi la technique de base, l’activité fondamentale à développer. Elle est une activité orale, une activité d’échange, une activité éminente de communication. Elle a son prolongement dans l’écrit, en particulier par la manipulation de tous les codes de représentation qui peuvent être associés au code linguistique : images, photos, schémas, dessins, graphes, etc. Non pas seulement écrits suivis, mais aussi écrits schématiques et écrits à dominante quantitative. XE "mot:mise en" \b 
Mettre en « mots », c’est transmettre à la fois des « mots » et du sens. Le rôle de l’enseignant dans ce contexte est d’abord de donner les « mots » qui manquent au sens présent ou de donner le sens qui manque aux « mots » qui sont là.
Les activités
Un certain nombre d’activités peuvent être développées pour la réalisation de cette mise en mots :
– faire décrire leurs tâches devant leur poste de travail, identifier les opérations, les objets, les relations qui ne sont pas explicitées, en recueillir la terminologie ;
– reprendre la description hors la présence de la chaîne, mettre la personne en situation de demander et de produire les termes spécifiques ;
– mettre en relation les autres systèmes sémiotiques (photos, schémas, icônes, codes couleurs, codes sécurité, codes machines, codes sociaux, codes professionnels) avec les mots et concepts véhiculés par le langage en situation ;
– reconstruire les discours en lecture, en production écrite ;
– donner des moyens en lecture d’observer ces mots dans leurs réseaux lexicaux (listes, schémas, groupes nominaux, goupes verbaux, phrases contextualisées, etc.), par confrontation d’énoncés, observation des distributions, analyses et opérations logiques.
3.3.2. La grammaticalisation
Le second rôle du lexique sera de développer la connaissance du code, en favorisant le processus de grammaticalisation. XE "lexique:role" 
On commence à savoir comment, en situation naturelle d’apprentissage, les lectes d’apprenants développent progressivement les compétences syntaxique, grammaticale, discursive. Py TA \s "Py"  (1993), en particulier, a montré comment, à partir de la tâche de communication, les données linguistiques s’organisaient en divers systèmes, qui progressivement permettaient l’appropriation du code. Le lexique s’acquiert selon des procédures qui vont en s’élargissant et par des constructions d’équivalences, d’oppositions, de complémentarités plus ou moins systèmatiques. En s’enrichissant à travers la tâche de communication, tant en quantité qu’en polyvalence sémique, le lexique favorise le processus de grammaticalisation. Les termes qui ne peuvent s’intégrer dans les systèmes actuels ne sont pas mémorisés. Les situations plus complexes d’où surgissent des tâches de communication plus élaborées, et la nécessité de lever les ambiguïtés surgies de ces situations, nécessitent la découverte des éléments du code à partir d’hypothèses opératoires sur les liens entre les formes et leur valeur sémantique. Les relations syntaxiques, les systèmes morphologiques, les nuances temporelles et modales se mettent progressivement en place.
Ainsi, dans ce contexte spécifique, c’est la progression dans la communication qui contraint, même pour une maîtrise de compétence de communication élémentaire, qu’un travail spécifiquement grammatical soit effectué. La syntaxe, la grammaire, elles aussi transmettent du sens. Mais les règles ne s’acquièrent pas alors comme normes extérieures, mais comme nécessités internes du système. Elles sont identifiées dans la progression même des besoins de communication, en situation et en contexte. En s’appuyant sur le lexique, elles sont traitées non comme fin ou comme matière spécifique d’apprentissage, mais comme moyen nécessaire à la communication pour transmettre et recevoir le sens. Pour des raison d’économie et d’efficacité au regard des objectifs communicatifs de la formation, elles ne sont introduites que dans la mesure où, pour le niveau en langue atteint, et pour les compétences de communication effectivement maîtrisées, elles répondent à un besoin de précision sémantique de l’expression.
C’est donc par une manipulation prioritaire du lexique et sur son appui que les relations syntaxiques, les systèmes morphologiques, les nuances temporelles et modales, vont progressivement se mettre en place : ce sont les situations plus complexes et la nécessité de lever les ambiguïtés surgies de ces situations qui favoriseront la découverte du code grammatical. C’est en s’appuyant sur le lexique que dans ce contexte une partie des règles deviennent des moyens nécessaires pour transmettre et recevoir le sens.
Le lexique s’acquiert selon un système qui va s’élargissant et par des constructions d’oppositions systèmatiques. Les termes qui ne peuvent s’intégrer dans le système actuel ne sont pas mémorisés. Le système se construit par opposition, par complémentarité, à partir du contexte.
Les procédures d’observation et d’analyse mises en place dans l’apprentissage lexical viennent s’appliquer au travail grammatical, conduit essentiellement par des reprises orales puis par des fixations rapides à l’écrit. Mais les exercices grammaticaux écrits sur un vocabulaire décontextualisé voire inconnu ne sont pas pertinents, ils ne s’inscrivent pas dans l’économie générale de tels dispositifs de formation. La grammaire se construit ainsi à partir d’hypothèses opératoires sur les liens entre les formes et leur valeur sémantique.
Aussi le travail lexical est-il au centre de l’activité de communication, il se retrouve en première ligne de l’activité d’exploitation grammaticale et de ses exercices traditionnels. Il n’est introduit que dans la mesure où, pour le niveau en langue atteint, et pour les compétences de communication effectivement maîtrisées, il va donner à l’expression la précision dont le besoin est ressenti. Tel mot peut être entendu sans être jamais perçu. Il n’est pas acquis parce qu’il ne répond pas aux besoins de communication présents. C’est le besoin qui crée une disponibilité à l’acquisition d’un terme donné, d’une structure, d’une forme spécifique.
Le travail sur le lexique est donc prioritaire non seulement pour permettre une communication plus économique, mais aussi pour reconstituer les tenants et les aboutissants des situations de communication.
En ce domaine, la procédure à mettre en œuvre répond à deux impératifs principaux : faire sans cesse appel aux situations d’apprentissage, solliciter sans cesse l’activité déductive des apprenants. XE "lexique:rôle" 
3.3.3. L’apprentissage par le contexte
Or le lexique est un domaine moins défriché par les linguistes et les sémanticiens et son apprentissage, activité égale en investissement pratique à celui de la syntaxe et de la grammaire, n’a pas encore bénéficié des mêmes investissements de recherche et de formalisation que ce dernier. Dans une recherche précédente (Champion TA \s "Champion"  1998), nous avons pu étudier en particulier le travail que Boogards TA \l "Boogards" \s "Boogards" \c 1  (1994) a consacré à l’enseignement lexical. Il y analyse un important matériel d’expérimentation, et fait le point sur l’évolution des recherches en psycholinguistique sur le lexique. Il montre que le rôle du contexte est devenu un axiome qui semble ne même plus devoir être justifié théoriquement d’un point de vue linguistique. Les auteurs recensés, partant d’expérimentations pratiques, ne tentent même plus de le démontrer : ils en font un constat permanent. Boogards examine donc en détail la méthode d’enseignement lexical XE «"lexique –enseignement du"  par les textes, qu’il considère, malgré certaines réserves, « dans l’ensemble fructueuse et saine », car le contexte est « sans aucun doute la source la plus précieuse pour découvrir le sens d’un mot » ( Boogards 1994 : 172 ).
Cette méthode d’apprentissage par le contexte, c’est la stratégie de traitement des mots inconnus en lecture décrite par Graves TA \l "Graves" \s "Graves" \c 1  (1987). En résumé, elle consiste, après avoir reconnu l’occurrence d’un mot inconnu et établi un premier jugement sur son importance pour la compréhension du passage, à essayer d’en déduire le sens d’après le contexte précédent, puis d’après le contexte suivant, à la suite de quoi un second jugement se forme, à partir duquel est effectué un examen de ses parties constitutives, lequel examen conduit à un troisième jugement. C’est en procédure finale qu’intervient éventuellement la consultation d’un dictionnaire ou d’une autre source de référence. Il s’agit ainsi d’une stratégie de recherche d’indices à travers un réseau de signifiés, de construction de traits sémantiques dans une confrontation des éléments d’un système cohérent de sens.
Les conditions du contexte
Boogards énonce les conditions auxquelles doit répondre le contexte pour être compréhensible, telles que les énoncent certains chercheurs :
1. Il doit être « simple et pertinent, et doit réveiller le réseau lexical du locuteur natif » ( Beheydt TA \l "Beheydt" \s "Beheydt" \c 1 , cité par Boogards, ibidem).
2. «  Les contrastes et descriptions (...) aident à la compréhension, [ainsi que] les connaissances encyclopédiques » (Stip et Hulstjin TA \l "P.Stip et J.Hulstjin" \s "P.Stip et J.Hulstjin" \c 1  cités par Boogards TA \s "Boogards"  ibidem).
3. Il ne doit pas être gêné par les contextes trompeurs (métaphores).
4. Les éléments inconnus ne doivent pas être trop nombreux, car l’efficacité diminue quand le nombre d’éléments inconnus augmente. XE "contexte:conditions" \b 
Conditions de validité
Bogaards analyse aussi les conditions de validité de chacune des étapes. De l’examen de celles-ci, nous relèverons la nécessité dans la phase 1 de pouvoir localiser précisément si possible une seule difficulté dans un contexte où les autres significations ne soient pas elles-mêmes opaques et le caractère essentiel de la dernière phase de confirmation et d’infirmation des hypothèses proposées.
Comment l’apprenant déduit-il le sens du contexte ?
 XE "sens:déduction" Ce sont les troisième et quatrième phases de déduction du sens par le contexte précédent et suivant qui appellent naturellement le plus de commentaires. Elles se réduisent pourtant à un constat théorique d’ignorance : « c’est l’étape essentielle dans le processus (...) on pourrait donc s’attendre à pouvoir en dire beaucoup de choses (…) mais, malheureusement, on ne sait guère comment l’apprenant s’y prend pour manier les éléments que contient le contexte » (ibidem : 174 ).
Ainsi voit-on que les questions qui nous préoccupent restent complètement ouvertes : comment le contexte intervient-il pour favoriser ainsi la compréhension ? Comment ces indices XE "indices:contextuels"  contextuels sont-ils utilisés ? C’est la grande inconnue :
« La possibilité de déduire les significations ne dépend pas seulement de la qualité du contexte ; elle dépend également de la façon dont l’information donnée est traitée par l’apprenant. […] On ne sait à peu près rien sur ce que font effectivement les lecteurs qui sont confrontés à des éléments inconnus, et, jusqu’à présent, aucune explication théorique n’analyse pourquoi ils font des erreurs » (ibidem: 174). XE "lexique:enseignement"  
Ainsi, malgré un matériel d’observation de plus en plus riche, les praticiens ont su améliorer notablement en lecture et à l’écrit les performances d’apprentissage par le contexte, mais ils paraissent incapables de proposer un modèle théorique en psycholinguistique qui puisse rendre compte des phénomènes constatés.
Les procédures que l’on peut employer en lecture, à partir de textes calibrés spécialement et adaptés au niveau des apprenants, pour déduire le sens par le contexte précédent et suivant d’un élément clairement isolé, paraissent plus délicates à mettre en œuvre en communication orale : leur conduite est plus aléatoire, et de nombreux imprévus se dressent sur le chemin de l’exploitation linguistique du contexte. XE "contexte:rôle" \b 
C’est pourtant dans cette direction que nous nous proposons d’avancer. Non pas pour résoudre ce problème, mais pour proposer un cadre théorique qui pourrait nous permettre d’identifier ensuite les procédures mises en œuvre.
Nous proposons de nous tourner vers les praticiens de l’enseignement et de l’apprentissage en contexte, et d’interroger les processus mis en oeuvre dans la communication de classe, tant pour ce qui concerne l’enseignant dans la constitution de ses corpus que pour l’apprenant dans son expression linguistique. Nous allons pour cela devoir étudier, à travers leurs échanges didactiques et en relation avec la manipulation des supports et leur environnement, la façon dont circule le sens lexical.
Nous avons recueilli un corpus dans lequel un ouvrier d’origine laotienne tente de se perfectionner en français pour comprendre ce qu’on lui dit et pour se faire comprendre, et dans lequel un formateur tente d’enseigner le français en expliquant et en contrôlant sans cesse s’il est compris.
Nous allons mettre à l’épreuve un modèle d’analyse inspiré par les thèses de Luis J. Prieto TA \s "Prieto" . Il nous faut donc au préalable présenter ce modèle d’analyse et en éprouver la validité au regard des évolutions récentes de la pragmatique. XE "contexte" \r "contextea" 
C’est l’objet de notre deuxième partie.





Deuxième partie : Vers un modèle d’analyse des données lexicales

« Tous les linguistes devront lire attentivement les Principes de Noologie  et ne pourront alors manquer de remettre en question certains fondements même de leur science. »
Martinet TA \l "Martinet" \s "Martinet" \c 1 , préface aux Principes de Noologie


Chapitre 4 : Luis Prieto
 TA \s "Prieto" 
Quel didacticien des langues, quel jeune chercheur en pragmatique s’arrêtent sur le nom et l’œuvre de Luis J. Prieto TA \s "Prieto"  (1906-1996) ? Linguiste et sémioticien d’origine argentine, disciple d’André Martinet TA \s "Martinet" , il commença sa carrière d’enseignant à l’université d’Alger, la poursuivit à l’université de Paris VIII-Vincennes et la termina à l’université de Genève, où il fut l’un des successeurs de Ferdinand de Saussure TA \l "Saussure" \s "Saussure" \c 1  à la chaire de linguistique. Il aura marqué l’histoire de la linguistique en tant qu’auteur des Principes de noologie (1964), œuvre conçue délibérément comme parallèle aux Principes de phonologie de Troubetzkoy TA \l "Troubetzkoy" \s "Troubetzkoy" \c 1 . Il eut pour ambition, après que l’école de Prague eut dévoilé dans les langues la structure des signifiants, de révéler la structure du système des signifiés qui leur sont associés dans le signe linguistique. Son projet reste toujours en chantier. Mais c’est en publiant, en 1966, Messages et signaux, application aux autres systèmes de signes des principes élaborés dans l’étude du signe linguistique, et La sémiologie qu’il se signala comme l’un des meilleurs sémioticiens de sa génération.
Luis J. Prieto TA \s "Prieto" , s’il est encore mentionné et commenté dans les travaux des sémioticiens, semble faire l’objet aujourd’hui d’un certain oubli de la part des linguistes, et n’apparaît que très rarement dans les bibliographies des recherches en pragmatique.
4.1. Les travaux
Comme sémioticien, Prieto TA \s "Prieto"  a été en France, dans les années 1965-1975, au cœur des débats linguistiques, au moment où Barthes TA \l "Barthes" \s "Barthes" \c 1  tentait de constituer la sémiotique comme discipline autonome de la linguistique. Disciple de Martinet TA \s "Martinet" , défenseur d’une linguistique fonctionnelle XE "linguistique:fonctionnelle, il était considéré comme le continuateur le plus fidèle et le plus rigoureux du projet sémiotique saussurien. Il consacrait en effet son œuvre à développer le programme de cette sémiologie XE "sémiologie" \b , « science générale de tous les systèmes de signes (ou de symboles) grâce auxquels les hommes communiquent entre eux », que Saussure TA \s "Saussure"  visait à constituer à partir de la linguistique.
Au moment où la linguistique anglo-saxonne étendait son influence en France et où la réflexion pragmatique se développait et s’interrogeait sur le rôle du contexte et de l’environnement extra-linguistique, c’est sur les travaux de Prieto TA \s "Prieto"  que Germain (1973)  TA \s "Germain" , dans La notion de situation en linguistique, s’appuya pour définir le rôle de la situation dans la communication et asseoir le statut linguistique de cette notion .
Prieto TA \s "Prieto"  entre dans le silence au cours des années 1980. Les recherches linguistiques se détournent du courant structuraliste, et les théories de la communication marginalisent la sémantique fonctionnelle. Sans tomber dans un oubli complet, Prieto se verra de moins en moins cité dans les travaux des sémioticiens, et de plus en plus négligé par les linguistes. Il ne fait rien contre ce mouvement de désintérêt : aucune publication importante, après Pertinence et pratique (1975), ne le signale à l’attention des chercheurs. S’il étend et approfondit ses travaux, c’est à travers son enseignement et en n’intervenant plus que par ses articles et ses communications : Caractéristique et dimension (1988) et Le point de vue dans les sciences (1995) sont à mentionner comme des explicitations de ses thèses d’origine. Aucun disciple, après Germain TA \s "Germain" , ne reprend son flambeau, aucun programme de recherche, auquel pouvaient convier ses conceptions, ne se développe en référence explicite à son œuvre. Prieto prend sa retraite et meurt en 1996.
Deux années plus tard, en 1998, la revue Semiotica lui consacrera un numéro spécial d’hommage. Depuis, des chercheurs, ici ou là, continuent, dans une sorte de marginalité, à s’intéresser à son œuvre. S’il est considéré par ceux-là comme l’un des plus grands linguistes de son temps, c’est pour retenir principalement son analyse de l’acte de communication, et pour s’intéresser surtout aux soubassements épistémologiques de ses conceptions.
Luis Jorge Prieto TA \s "Prieto"  demeure donc comme une sorte de curiosité originale, en retrait des grands itinéraires linguistiques actuels, et serait sans doute mentionné dans les guides pour érudits par une simple étoile avec la mention « vaut le détour ». Ce détour, c’est la logique de notre recherche qui nous a conduit à le faire. Et nous n’avons pas été déçu par l’excursion, au point que depuis nous ne cessons de revenir sur le site, d’en poursuivre l’exploration, et de nous interroger sur les raisons de son relatif délaissement.
Notre dessein n’est pourtant pas de faire œuvre de réhabilitation, ni de sortir Prieto TA \s "Prieto"  d’un supposé purgatoire. Nous voulons seulement aménager un itinéraire d’approche pour les didacticiens des langues. Nous voulons montrer en quoi les travaux de Luis J.Prieto nous paraissent justifier une réévaluation auprès de ceux-ci, au regard des développements, ces vingt dernières années en France, de la pragmatique, mais aussi de la domination du modèle cognitiviste dans les théories de l’apprentissage et de l’intelligence artificielle, qui se rejoignent entre autres dans le développement de l’enseignement assisté par ordinateur .
Il nous a paru, en particulier, que la théorie de l’indication de Prieto TA \s "Prieto"  et son analyse fonctionnelle des signifiés pouvaient nous aider à éclairer, dans les contextes didactiques et pragmatiques spécifiques de la formation des adultes migrants, nombre de problèmes liés aux problématiques du mot et de l’enseignement du lexique, particulièrement dans leur relation à la grammaire et à son enseignement.
Comment présenter l’œuvre de Luis J. Prieto TA \s "Prieto"  ? Notre propos n’est pas tant de faire un exposé exhaustif de ses travaux que d’en tracer les lignes de force et d’en présenter les concepts clés, en recensant d’abord les sources, en exposant sa problématique, en développant son appareil théorique.
4.1.1. 1964 : Principes de noologie
L’œuvre de Prieto TA \s "Prieto"  n’est pas abondante. Ses travaux principaux sont assez vite recensés. Son texte fondamental reste sa thèse de 1964, aujourd’hui épuisée, sur les  Principes de noologie, fondements de la théorie fonctionnelle du signifié. C’est le noyau de son oeuvre. Il a été préparé par un certain nombre d’analyses publiées antérieurement dans des revues linguistiques en Argentine et en Europe. Dans les Principes, Prieto met en place les concepts de base de sa théorie. La suite de ses écrits n’en est qu’un développement, un commentaire ou un approfondissement.
Prieto TA \s "Prieto"  fait l’hypothèse, à partir de la double structure que représente le signe comme élément à double face, signifiant et signifié, qu’il doit être possible, en parallèle au système des signifiants, d’analyser les signifiés qui leur sont associés dans les signes, et d’en constituer un système cohérent. Son ambition est de créer, à la suite de la constitution de la phonologie comme système de signifiants, un système de signifiés ou de sens, une noologie. En s’inspirant des techniques, des concepts et des principes d’analyse de la phonologie élaborés par l’école de Prague (substitution, classe ; traits pertinents, oppositionnels, contrastifs ; valeur, système, etc.), Prieto met en place les principes de cette « théorie fonctionnelle du signifié », système conceptuel qui tourne autour des notions centrales de communication, acte de parole, univers de discours, indice, signal, phonie, circonstances, acte sémique, indication, signifié, sens, noème.
Communiquer consiste pour un émetteur à produire un signal vers un récepteur afin d’établir un rapport social qui constitue le sens de l’acte de communication ou acte sémique. Cet acte se produit dans des circonstances données, connues par les interlocuteurs. Ces circonstances fournissent des indices sur lesquels se fonde l’interprétation de l’acte de communication. Elle met en relation deux univers de discours, l’univers de l’indiquant, constitué par les faits présents dans les circonstances, et l’univers de l’indiqué, constitué par les faits absents qui tentent d’être communiqués par le support du signal. L’acte de parole est un acte sémique utilisant une phonie comme signal. Celle-ci « contribue » à l’établissement du sens, c’est-à-dire à la réalisation du rapport social projeté. Les circonstances rendent possibles plusieurs interprétations de l’acte de communication. La phonie permet de « favoriser l’unique interprétation » visée par l’émetteur. XE "communication" 
La théorie fonctionnelle du signifié analyse donc la relation des circonstances et de la phonie dans l’établissement du sens. La même phonie dans des circonstances différentes est interprétable dans des sens différents. Des phonies différentes dans la même circonstance sont interprétables dans le même sens. La substitution de plusieurs phonies dans les mêmes circonstances, ou de plusieurs circonstances pour la même phonie, permet ainsi d’analyser les rapports entre les signifiés d’une même phonie ou de phonies différentes. Ces rapports sont de trois types : rapports de restriction, rapports d’empiétement, rapports d’exclusion. Les phonies sont ainsi décomposables en signaux différents, unités premières de signification, en noyaux sémantiques irréductibles et premiers, en signifiés autonomes et non analysables, qui constituent les noèmes. La communication humaine consiste à transmettre ces noèmes, la noologie à les analyser, les classer, en dégager la structure. XE "noologie XE "fonctionnelle:théorie_du signifié" \t "Voir noologie" " \b 
Les Principes de noologie analyse de façon détaillée l’acte de communication comme processus d’indication, puis les rapports entre signifiés, enfin la structure de la phonie et les rapports entre noèmes. Cet exposé, très technique, reprend les concepts et les méthodes de la phonologie en les rediscutant pour justifier leur application à l’analyse du signifié et pour les adapter. Il n’est pas d’une lecture aisée pour un praticien de la didactique et l’on comprend que la diffusion des Principes ait été limitée à des spécialistes de la linguistique. Il s’appuie cependant sur des exemples concrets et simples, mais trop simples pourtant pour permettre une généralisation convaincante, que Prieto TA \s "Prieto"  n’a d’ailleurs pas poursuivie, dans le domaine linguistique XE "noologie" \r "noologiea" .
4.1.2. 1968 : Messages et signaux et La sémiologie
Il développe cette généralisation dans le domaine de la sémiologie, et c’est par ses travaux suivants que Prieto TA \s "Prieto"  se fait connaître : Message et signaux (1968), et surtout son article sur La sémiologie (1968) dans l’Encyclopédie de la Pléiade sur Le langage, publiée sous le direction d’André Martinet TA \s "Martinet" , travaux qui seront le plus commentés et le plus souvent cités et discutés.
Dans Messages et signaux, Prieto TA \s "Prieto"  reprend les concepts de la Noologie, mais les applique à des systèmes de communication non linguistiques : la langue est alors présentée comme un code particulier de communication, et les principes qui régissent la communication linguistique comme applicables aux autres types de codes. La notion de signal se superpose ici à la notion de phonie, et la double articulation se découple dans les concepts de figure et de code. Il applique aux autres systèmes sémiotiques la description du mécanisme de l’indication, et la mise en relation des deux plans de l’indiquant et de l’indiqué.
L’article sur La sémiologie (1968) constitue pour l’analyse sémantique le pendant de l’article qui est consacré dans le même ouvrage, sous le titre La langue, à l’analyse phonologique. Prieto TA \s "Prieto"  prend en charge l’analyse du processus sémique à partir de la parole et des autres systèmes de signes. Cet article identifie définitivement Prieto comme sémioticien saussurien.
Cependant, rendant compte de codes déjà constitués et relativement simples, et n’analysant que des situations de communication linguistique très élémentaires, Prieto TA \s "Prieto"  ne convainc pas de l’intérêt véritable  de sa théorie. On reconnaîtra qu’il analyse en effet de façon très pertinente l’acte de communication, mais il ne convaincra pas d’avoir révélé la structure noologique de la langue. Il réussit à convaincre sur des systèmes relativement simples de signaux, mais ses concepts et analyses ne semblent pas pouvoir déboucher sur une analyse cohérente de la langue comme système de sens.
Aussi est-ce cette généralisation des concepts de la noologie à une sémiologie qui a été le plus retenue de l’œuvre de Prieto TA \s "Prieto" , mais qui a sans doute entraîné leur disqualification dans le développement de la recherche. Prieto tentait de développer le programme scientifique de Ferdinand de Saussure TA \s "Saussure"  à un moment où l’épistémologie structuraliste vivait ses derniers beaux jours, et où la sémiotique, prenant son essor, se donnait comme projet de se constituer comme science indépendante de la linguistique. Il apportait la contradiction à Roland Barthes TA \s "Barthes" , prenant à contre-pied la conception de l’interprétation et de la signification qui allait dominer la recherche sémiotique naissante, tandis que la linguistique allait se détourner pour un temps de l’analyse structurale. Les chercheurs se tourneront vers la linguistique chomskienne et le cognitivisme, ou travailleront sur les programmes que Guillaume, Culioli, Milner, ou les pragmatistes anglo-saxons, proposaient.  XE "sémiologie"  XE "sémiologie" \t "Voir noologie" 
4.1.3. 1974 : Etudes de linguistique et de sémiologie générale
Prieto TA \s "Prieto" , d’ailleurs, n’ira pas beaucoup plus loin dans ses recherches et se consacrera principalement à son activité d’enseignement. S’il ne développe pas le programme potentiel que laisse entrevoir sa théorie, il ne l’abandonne cependant pas. Au contraire, il continue à réfléchir et à approfondir ses concepts de base. Ses méditations le conduisent à publier régulièrement des études dans des revues de linguistique et de sémiologie, et à traiter de problèmes techniques liés souvent à l’actualité scientifique, qui lui permettent de développer la généralité de ses conceptions et de purifier l’ordonnance de son système et la qualité de son expression.
Ainsi, en 1974, Prieto TA \s "Prieto"  réunit l’ensemble des articles qu’il a fait paraître depuis 1954 et les publie, aux éditions Droz, à Genève, sous le titre Etudes de linguistique et de sémiologie générales. Les titres de ces articles donnent une idée de la permanence des préoccupations linguistiques de Prieto : « Traits oppositionnels et traits contrastifs, « Signe articulé et signe proportionnel », « Figure de l’expression et figure du contenu », « Rapports paradigmatiques et rapports syntagmatiques sur le plan du contenu », « L’écriture, code substitutif ? » (qui fera partie de l’article « Sémiologie » de la Pléiade), « Langue et style », « Notes pour une sémiologie de la communication artistique », « Sémiologie de la communication et sémiologie de la signification », « La commutation et les problèmes de la communication ».
4.1.4. 1975 : Pertinence et pratique
En juin 1974, Prieto présente une communication au Premier congrès de l’Association internationale de Sémiotique, à Milan, et il rédige en italien, en 1975, deux articles pour l’Enciclopedia del Novecento, publiée à Rome par l’Istituto della Enciclopedia Italiana. Il réélabore ces trois textes, avec l’aide de Jean-Claude Passeron, et les publie sous le titre « Pertinence et pratique, essai de sémiologie », qui paraît le plus achevé des ses textes et dont les thèmes essentiels sont traités de la façon la plus complète dans un style très maîtrisé.
4.1.5. Une œuvre inachevée ?
Peu abondante, l’œuvre de Prieto TA \s "Prieto"  vaut d’abord par son extrême cohérence logique et terminologique. Sa théorie peut être prise comme un système, un tout dont chaque élément est dépendant de l’ensemble. Les concepts et les formulations y sont d’une rigueur de pensée et d’une constance de définition, d’une clarté et d’une régularité d’exposition exceptionnelles.
Cette théorie linguistique a des soubassements épistémologiques et philosophiques non moins solides. Les formulations prietiennes paraissent être le fruit d’une méditation profonde, dont tous les antécédents ni toutes les conséquences ne sont pas formulés, mais qui semblent avoir été compris par leur auteur. Ainsi ne fait-il que très rarement référence à ses influences et à ses sources. L’inscription des articles de Prieto TA \s "Prieto"  postérieurs à la Noologie et ses communications montrent cependant qu’il suivait les débats philosophiques et linguistiques en cours, et en nourrissait sa réflexion.
Mais c’est un système descriptif, qui tente de rendre compte du fonctionnement de la communication. Aussi son abstraction propose-t-elle régulièrement de mettre la généralité de ses concepts à l’épreuve de l’expérience, de les vérifier in concreto. C’est pourquoi nous pensons qu’ils méritent d’être évalués à la lumière des derniers développements de la pragmatique et de la didactique des langues. Pourquoi Prieto TA \s "Prieto"  n’a-t-il pas tenté lui-même d’accompagner ce développement, d’élaborer dans son cadre un programme visant à mettre à l’épreuve sa théorie linguistique et son efficience ? Peut-être pourrons-nous, à l’issue de ce travail, répondre à cette question.
Il nous faut auparavant entrer dans un exposé plus détaillé de la théorie fonctionnelle du signifié, et d’abord de la prise de position épistémologique et méthodologique qui fonde tout le projet de Prieto TA \s "Prieto" .
4.2. La théorie fonctionnelle du signifié
4.2.1. Signification et communication
Dans les années 1960, la sémiologie n’en est qu’à ses balbutiements. Mais déjà deux courants s’opposent : une sémiologie de la communication et une sémiologie de la signification. Pour en comprendre les enjeux, il faut se rappeler ce que parler veut dire.
Quand au cours d’un échange verbal, on ne comprend pas son interlocuteur, on lui demande de reformuler son propos. On le prie de préciser ou d’expliciter le sens d’un mot, d’ une expression, d’une formulation. On lui demande : « Qu’avez-vous voulu dire ? ». Lorsque, en lecture, l’on ne comprend pas un mot, une phrase, un texte, on se demande : « Qu’est-ce que ça veut dire ? » Et parfois même, quand quelqu’un a agi ou parlé d’une façon quelque peu sybilline, l’on se demande : « Mais qu’est-ce que ça signifie ? Qu’est-ce qu’il a voulu dire ? » On demande, à chaque fois, à travers une reformulation, le sens qui nous a échappé, la signification que nous n’avons pas perçue. Et dans tous les cas, on cherche à savoir ce qui est communiqué à travers ce qui est dit. De sorte que les expressions dire, vouloir dire, signifier, communiquer, sont employées dans des sens équivalents ou proches. Mais dire, c’est signifier ce qui veut être communiqué. Il y a langage pour communiquer. Faire une sémiologie, c’est faire une sémiologie de la communication.  XE "communication" \t "Voir sémiologie" 
Mais aussi, souvent, l’expression dit autre chose que ce qu’elle manifeste immédiatement. Dans les Livres sybillins, sur le Trépied de la Pithie, dans la Bible ou le Coran, la divinité parle à ses prophètes et dit. Mais elle donne aussi aux hommes des signes à travers le songe, le vol des oiseaux, les pas du renard. Le récit mythologique, le conte, déploient leurs symboles, qui s’organisent comme un code. Le langage use de métaphores, d’images, de comparaisons. Au delà de la lettre, il dévoile l’esprit. Il peut aussi masquer, cacher son message. Il demande une interprétation. Il faut décrypter la signification De même les rites sociaux, les tabous, les codes sociaux, les gestes, le maquillage, les parures, la mode vestimentaire, les manifestations de l’art, de l’architecture, de la sculpture, de la peinture expriment, à travers les formes, les matières, les couleurs, les agencements des matériaux, un sens caché, non dit, souvent ésotérique, non révélé à tous. Il s’agit alors de connaître, d’interpréter ce qui est signifié à travers tous ces signes, ce qui est communiqué dans cet implicite. C’est le dévoilement de la signification qui permet de déterminer ce qui est communiqué. Signifier équivaut à communiquer sans dire, ou à communiquer ce qui n’est pas dit. Mais interpréter, c’est communiquer ce qui est signifié. Il y a langage pour signifier. Faire une sémiologie, c’est faire une sémiologie de la signification. XE "interpréter"  XE "signification" \t "Voir sémiologie" 
Il y a ainsi deux tendances en sémiologie : une sémiologie de la communication, pour laquelle dire c’est communiquer ce qui est signifié, et une sémiologie de la signification pour laquelle dire c’est signifier ce qui est communiqué. L’on élaborera soit une sémiologie de la communication, soit une sémiologie de la signification ; soit un système de la communication, soit un système de la signification. Le dit de la première imprime, montre, révèle le sens par le mot ; le dit de la seconde exprime, démasque, dévoile le sens par le mot, le sens placé ailleurs, dans le symbole. L’une par le mot indique le sens. L’autre par le mot dévoile le sens indiqué par le symbole. Le mot est dans l’une ce que le symbole est dans l’autre. Le sens est dans l’une attaché au mot, il est dans l’autre attaché au symbole : le mot le détache du symbole. Le mot est lettre dans l’une, esprit dans l’autre, esprit du symbole qui est pour la seconde ce que la lettre est pour la première. Le discours est langage dans la première, il est métalangage dans la seconde. L’une trouve le sens dans la communication, directement, explicitement, sans médiation. L’autre trouve le sens dans le symbole, indirectement, implicitement, comme à travers un voile. XE "mot" \b  XE "discours" 
Contre une sémiologie de la signification
Prieto TA \s "Prieto" , dans les années 1960, à la naissance de la sémiologie, que l’on appelle plus volontiers aujourd’hui sémiotique XE "sémiotique" \t "Voir sémiologie" , s’est engagé résolument pour une sémiologie de la communication, dont la linguistique offrait le système le plus élaboré. Il considérait, dans la lignée de Saussure TA \s "Saussure" , que « la linguistique générale ne peut être autre chose que la sémiologie de la communication » (1975 : 10). Et c’est à partir du modèle linguistique qu’il va chercher à en élaborer les principes.
Beaucoup de sémioticiens souhaitent prendre une autre voie, et se démarquer de la linguistique pour asseoir la sémiologie. Ce sont ceux qui mettent l’accent sur une sémiologie de la signification, et qui étudient les systèmes symboliques et leurs codes variés : mythes, art, récits, rêves, mode vestimentaires, codes sociaux, langage de l’inconscient, symbolisme religieux, interprétation des textes, métaphores, allégories, procédés littéraires, poétiques, artistiques : dans la communication, le mot fonctionne comme le symbole dans les autres systèmes. Une sémiologie du langage est une partie de la sémiologie de la signification. La sémiologie déborde donc la linguistique, et n’en est qu’une partie, « (..) très précisément cette partie qui prendrait en charge les grandes unités signifiantes du discours » (Barthes TA \s "Barthes"  1957 : 217)
Prieto TA \s "Prieto"  semble comprendre cette position. Il n’ignore pas que certaines structures sémiotiques constituées assurent d’autres fonctions que la communication, et qu’une part est à donner à celles dont la fonction centrale est la signification. Mais l’autonomie d’une sémiologie de la signification ne saurait être, selon lui, considérée que comme circonstantielle du fait de l’absence encore d’une sémiologie de la communication :
« La sémiologie de la signification devra trouver dans la sémiologie de la communication un modèle beaucoup plus approprié que celui que lui donne la linguistique ; et (…) si elle s’est jusqu’à présent servie, pour amorcer ses recherches, de concepts dégagés de la linguistique, c’est exclusivement à cause de l’inexistence d’une sémiologie de la communication suffisamment développée. » (Prieto 1968 : 94) XE "sémiologie" \b  
Pour une sémiologie de la communication
Prieto TA \s "Prieto"  part d’une position structuraliste très orthodoxe. Les langues utilisent un code linguistique, dont les signaux sont constitués de sons ou de lettres, mais d’abord de sons. La linguistique étudie prioritairement la structure de ce code phonique, dont le code visuel, l’écriture, n’est qu’une sorte de reflet, de calque, de structure parallèle. Cependant son domaine ne peut se borner à l’étude des sons, à la phonologie. Son domaine recouvre aussi l’étude du sens, des signifiés, la sémantique. Car le signe linguistique est une entité à double face, son et sens, signifiant et signifié indissolublement liés. L’étude des sons ne saurait se faire indépendamment de l’étude des sens, puisque ce sont les signifiés qui sélectionnent les signifiants qui leur sont attribués, et réciproquement. XE "signe"  XE "linguistique" \b 
Or les langues ne sont pas le seul type de communication. Les hommes ont inventé, à côté d’elles, d’autres codes de communication, des signalétiques fondées sur d’autres types de signaux visuels ou sonores, des codes non linguistiques, tels que les gestes, les mimiques, les positions du corps, les représentation iconiques, l’écriture, les codes de couleurs, de formes, les signaux routiers ou maritimes, les chiffres, les appareils de mesure du temps, etc. Les principes qui peuvent rendre compte des langues doivent pouvoir rendre compte des autres systèmes de communication et de signaux. XE "code" \b 
Ce faisant, Prieto TA \s "Prieto"  s’inscrit dans la plus stricte tradition saussurienne. Traitant du débat entre communication et signification, Mounin (1963) rappelle que Saussure TA \s "Saussure"  définit la sémiologie comme la «  science générale de tous les systèmes de signes (ou de symboles) grâce auxquels les hommes communiquent entre eux » (1963 : 11), tels que les écritures, les alphabets des sourds, les signaux militaires et maritimes, et qu’il range implicitement dans ces systèmes les formes de politesse, la pantomime, les us et coutumes, les modes vestimentaires, etc. Dans la même tradition, Mounin (1963) rappelle la définition plus explicite encore de Buyssens, pour qui
« La sémiologie peut se définir comme l’étude des procédés de communication, c’est-à-dire des moyens utilisés pour influencer autrui et reconnus comme tels par celui qu’on veut influencer » (Mounin 1963 :11)  XE "sémiologie" \b  XE "sémiologie" \r "sémiologiea" 
4.2.2. Une linguistique de la parole
Mais ce faisant, dès le commencement de son entreprise, Prieto TA \s "Prieto"  se démarque fondamentalement de Saussure TA \s "Saussure" . Il pousse la fidélité à la notion de communication de Saussure à des conséquences inattendues, et sur le terrain même que Saussure rejetait. Ce dernier considérait que si, en effet, la langue était d’abord un outil de communication qui ne pouvait être étudié qu’à partir de la parole, l’objet de la linguistique restait cependant la langue, c’est-à-dire le système constitué. La parole ne saurait être prise comme objet.
Or, si Prieto TA \s "Prieto"  place en effet au regard de la phonologie, étude des sons et de leur organisation dans la langue, une noologie ou étude des sens, ce n’est pas par leur organisation dans la langue qu’il aborde cette étude, mais par leur réalisation dans la parole. Car si la fonction d’une langue est de communiquer, seule la fonction de communication peut rendre compte de la façon dont la langue est structurée. C’est donc en observant l’acte de communication que l’on peut comprendre les principes d’organisation sémantique du système que constitue une langue. Or c’est dans la parole que se manifeste l’acte de communication.
Prieto TA \s "Prieto"  explicite dans Pertinence et Pratique le double postulat qui justifie cette position : il pose, d’abord, que l’objet de la linguistique est « constitué par la façon dont le sujet parlant connaît les sons et ce que l’on dit en les produisant, c’est-à-dire le sens et, ensuite, que la langue n’est en définitive que « la structure qui détermine cette façon particulière de connaître les sons et le sens » XE "langue" \b . Or de quelle façon le sujet parlant connaît-il les sons et les sens ? Dans et par la communication, dans et par la parole. XE "linguistique" 
Prieto TA \s "Prieto"  s’intéresse donc non pas au sens tel qu’il est constitué et structuré dans la langue, mais au sens tel qu’il s’élabore et se construit dans la parole. Ainsi pour répondre à la question : « Comment le sens s’organise-t-il dans la langue ? », Prieto souhaite répondre préalablement à la question : « Comment le sens se transmet-il dans la communication ? ». Car communiquer, c’est transmettre du sens. Prieto pense alors que c’est en sachant comment le sens se transmet, et donc à partir de l’analyse de l’acte de communication, de l’acte de parolequ’il considérera comme un acte sémique, que peut se comprendre la façon dont le sens s’organise dans la langue. La parole lui paraît le détour nécessaire pour appréhender la langue.
Le point de vue de Prieto TA \s "Prieto"  est un point de vue génétique : il étudie le sens tel que le mot, la phonie, viennent en quelque sorte s’accrocher à lui, se greffer sur lui au moment où l’acte de parole se produit. Le sens, c’est ce que l’on communique par la parole. Il est dans la parole, il n’est pas la parole. On dit le sens pour communiquer. Mais le dit n’est pas le sens : il est le signe par lequel passe le sens. XE "parole" \b  XE "linguistique:de la parole" \r "linguistiquea" 
4.2.3. Une conception paradoxale du sens
Qu’est-ce en effet que ce sens qui passe à travers les sons ? Qu’est-ce que ce sens qui passe à travers les signes ? Comment ce sens s’établit-t-il ? Comment ces signes apparaissent-ils ? Que signifient-ils ? Comment se structurent-ils ?
Il faut supposer que ce sens s’établit antérieurement aux signes par lesquels il se transmet ou qu’il s’établit en même temps que les signes, mais en se trouvant dans une relation de relative indépendance par rapport aux signes : il leur est extérieur d’abord, puis il se forme, il s’incorpore au son, le constituant alors comme signe.
Ainsi, l’étude des signes, sons et sens, signifiant et signifiés, ne saurait se faire indépendamment de leurs circonstances de production : il faut analyser ces circonstances de production pour comprendre la liaison qui s’établit entre le sens et les signes qui le manifestent.
C’est en définitive dans cette conception du sens, très paradoxale au regard des conceptions courantes, que Prieto s’oppose en tant que fonctionnaliste aux autres linguistes.
Martinet TA \s "Martinet"  l’a bien mis en évidence dans sa préface aux Principes. Il souligne que son disciple n’a pas posé, « en face de l’articulation des signifiants en phonèmes, l’articulation de l’expérience en monèmes » et ne « combin(e) [pas] expression et contenu […] dans le signe minimum, unité à double face ». Mais qu’il a tenté d’ « opérer avec des signifiés sans s’appuyer sur des signifiants correspondants » (Martinet 1964). Comment alors, demande Martinet,
« retrouver, en face des traits pertinents de la substance phonique, les traits pertinents de (l’autre substance qui intervient dans la constitution des éléments linguistiques) la substance sémantique » ? (Martinet TA \s "Martinet"  1964 : 5)
Comment, si les « unités de sens ne se manifestent que par la phonie », réussir dans ce cas à transmettre le sens ? Comment Prieto réussit-il cette  gageure ? Comment Prieto considère-t-il donc le sens et son rapport au son ? Comment se fait cette participation de la substance sémantique à la substance phonique ? Est-il possible de « concevoir des énoncés indépendamment de leur support phonique ? » (ibidem).
Prieto, nous confie Martinet, s’est habitué de longue date à le concevoir ainsi : le sens n’est pas inhérent et totalement donné dans le signe minimum. Le sens est premier dans l’acte de communication ; la phonie, la parole, la langue se constituent à partir de lui. Ce qu’exprime Prieto définissant lui-même sa théorie dans ce rapport entre la phonie et le sens :
« Ce que je me propose dans le présent ouvrage, c’est de poser les fondements de la théorie fonctionnelle du signifié, c’est-à-dire, de la théorie qui part du fait concret qu’est le sens et l’étudie du point de vue de la contribution de la phonie à son établissement. J’appellerai cette théorie la « noologie XE "noologie" \b  ».(1964 : 14)
On assiste bien là à un renversement de point de vue sur le fait linguistique. D’abord parce que le sens est conçu comme fait concret, et non, selon l’idée couramment répandue, comme quelque chose d’abstrait, comme un pur produit psychique ; ensuite parce que la phonie est conçue comme contribuant à l’établissement du sens et non pas comme le constituant.
Il nous faut comprendre l’importance de ce renversement conceptuel si l’on veut saisir toute la portée de cette théorie. Entrons pour cela dans son appareillage conceptuel.
4.2.4. Le sens, fait concret
Prieto TA \s "Prieto"  refuse d’étudier le sens à travers la langue, comme la plupart des sémioticiens avant et après lui, pour une raison épistémologique importante : leur méthode d’approche est abstraite. Prieto, comme sémioticien, s’intéresse d’abord aux faits concrets, aux phénomènes perceptibles par les sens :
« L’étude des structures sémiotiques est l’étude non pas de la connaissance in abstracto, mais des connaissances réelles, que des groupes humains ont construites et dont ils se servent, et, en même temps, des formes qu’a prise la praxis des hommes » (Prieto 1975 : 15).
Si, pour Prieto, une sémiologie de la communication précède toute sémiologie de la signification, c’est parce que seule la communication permet d’observer ces faits concrets dont les groupes humains se servent dans leurs échanges.
Or notre sens commun résiste à une telle conception : le son, le mot, la phonie, sommes-nous incités à protester, voilà en effet des faits concrets, matériels, physiquement perçus ; je puis vous faire entendre des sons, je puis vous montrer des mots, les signes sont bien choses perçues concrètement. Le sens, le signifié ce ne sont pas des faits, ce sont des notions abstraites : je ne puis vous montrer des significations. Je puis par les sons vous les transmettre seulement. Comment pourrais-je vous faire percevoir des sens ? Je ne puis que vous les faire concevoir. Je puis vous transmettre des sens par les sons, comment le pourrai-je sans sons, sans signes ? Faites moi donc entendre ou voir le sens du mot chaise, ou, mieux, du mot sécurité sociale ou du mot  liberté !
C’est dans la conception de la phonie comme signal et dans la notion de signal que se trouvent l’explication de cet apparent paradoxe. Qu’est-ce que communiquer ? C’est employer des signaux. « C’est l’emploi de signaux qui définit la communication », affirme Prieto dans tous ses écrits. Mais qu’est-ce qu’un signal, qu’est-ce qu’un signe linguistique ? XE "communication" \b  XE "sens" \b 
4.2.5. Indice et signal
La théorie de Prieto TA \s "Prieto"  repose, à travers la notion de communication, sur la notion essentielle de signal et sur la distinction entre indice et signal. C’est d’ailleurs sur cette distinction que, dans son article « Sémiologie de la communication / sémiologie de la signification » de Pertinence et pratique (1975), Prieto fonde son exclusion provisoire d’une sémiologie de la signification. La « véritable » communication se démarque de « la simple manifestation », en quoi se résout la signification, par la différence stricte qu’il faut établir entre indice et signal.
Indice
C’est à partir de la notion d’indice que Prieto définit le signal dans Pertinence et Pratique (1975). L’indice est un « fait immédiatement perceptible qui nous fait connaître quelque chose à propos d’un autre fait qui ne l’est pas » (1968 : 95) .
On peut observer un ciel de bord de mer, remarquer qu’il est couvert et gris, et n’en rien déduire pour le futur. On peut aussi en déduire qu’il fera mauvais temps le lendemain. Le ciel gris sera relié au mauvais temps du lendemain, si l’expérience a été faite antérieurement, à plusieurs reprises, d’une régulière succession de journées de mauvais temps à des soirées de ciel gris. Le fait « ciel gris » est ainsi relié à une classe de faits identiques, qui sont annonciateurs d’une classe d’autres faits observés antérieurement.
Prieto distingue trois types d’indices : les indices spontanés, les indices faussement spontanés et les indices intentionnels.
1. Les indices spontanés
Les faits d’expérience courante et naturels tels que l’état du ciel ou le vol bas des hirondelles ne sont pas produits intentionnellement afin d’indiquer quelque chose. Le ciel couvert peut m’indiquer qu’il fera mauvais temps demain, mais ce n’est pas pour m’indiquer cela que le ciel s’est mis au gris. Les faits naturels ne sont pas produits à fin d’indication. C’est l’homme qui interprète les faits, qui les met en relation, qui en tire des prévisions, une direction que prendront les événements, un sens déterminé. Il s’agit là d’indices spontanés, « non produits à fin d’indication » (1975 : 16). L’animal qui se déplace et qui laisse sa trace ne l’a pas laissée pour indiquer au chasseur la direction qu’il a prise, c’est-à-dire le sens dans lequel il se déplace.
L’homme lui-même, en tant qu’être naturel, peut produire de tels indices dans son activité, interprétables par d’autres hommes. Quand il marche dans un chemin et laisse une trace de pas dans la boue, il produit un indice de son passage. Mais il n’a pas nécessairement voulu indiquer par cette trace qu’il était passé par là. Un très grand nombre de faits humains ont ce caractère d’être produits dans une intention tout autre que d’indiquer, mais permettent cependant de fournir involontairement des indices à des personnes qui sauront en déceler le caractère indiquant. Prieto TA \s "Prieto"  évoque quelques exemples : l’accent d’un étranger, le rossignol du cambrioleur. L’accent d’une personne étrangère peut donner l’indice de son origine. La présence dans ma serrure de porte d’un rossignol oublié par le cambrioleur en train d’opérer dans mon appartement manifeste bien son intention de voler, mais l’objet n’a sûrement pas été volontairement laissé sur ma porte dans cette intention. Nous pouvons ajouter aux exemples de Prieto celui de la lumière dans une maison en bord de mer, qui a pour but d’éclairer l’intérieur de la maison, mais dont un navigateur en mer peut déduire que la côte est proche.
2. Les indices intentionnels
L’indice peut au contraire être intentionnel, « produit expressément afin de fournir les indications » et reconnu dans cette intention (1975 : 17). Le pisteur de brousse qui précède les chasseurs pour repérer la direction qu’a prise le troupeau de buffle, laisse volontairement des traces de son passage, par exemple en cassant des branches, ou en écrasant les herbes, pour indiquer aux chasseurs qui le suivent la direction à prendre. Une balise en mer, le clignotement régulier d’un phare sur la côte, sont des indices établis volontairement à l’intention et à l’usage du navigateur.
3. Les indices faussement spontanés.
Parmi ces indices volontaires, certains peuvent paraître spontanés, et n’avoir pas été produits dans l’intention d’indiquer. Ils consistent en fait à donner le change, à mettre sur une fausse piste, à tromper sur le sens véritable à lui donner. Je puis imiter un accent italien, pour me faire passer pour un Italien, ou pour ne pas être pris pour un Français. Je puis déduire de la lumière aperçue sur la grève que la côte est habitée, sans savoir que cette lumière a été placée là pour m’attirer sur une côte hostile. Le fugitif peut laisser des traces visibles de son passage pour attirer son poursuivant dans un piège ou une embuscade. XE "indices" \r "indicea" \b 
Le signal, indice intentionnel, autonome, non analysable
Depuis les Principes jusqu’à Pertinence et Pratique, Prieto TA \s "Prieto"  ne variera pas sur sa définition du signal : un signal est un « fait immédiatement perceptible qui nous fait connaître quelque chose à propos d’un autre [fait] qui ne l’est pas » (1968 : 95). On retrouve ici, à travers sa notion de fait immédiatement perceptible, la volonté de rester dans le domaine de l’observable.
Mais en tant qu’indice, le signal est un indice intentionnel, un de ces « moyens utilisés pour influencer autrui et reconnus comme tels ». Au contraire des indices, qui sont des signes éventuellement signifiants et interprétables, mais non produits spécifiquement dans le but d’influencer autrui, ni nécessairement reconnaissables comme tels, les signaux sont des « indices conventionnels produits volontairement par l’émetteur pour manifester une intention au récepteur » (Buyssens cité par Mounin, 1963 : 14).
Unité du signal.
Lorsqu’il analyse la notion de signal, Prieto se tourne résolument vers les systèmes sémiotiques limités, tels que les signaux de la route, les fanions maritimes, etc. Le signal est un « indice intentionnel qui satisfait à certaines conditions faisant de lui une unité » (1975 : 18). Ces deux conditions sont d’une part d’être autonome, c’est à dire « non accompagné d’un autre indice intentionnel » distinct de lui du point de vue spatio-temporel, et d’autre part d’être non analysable en parties distinctes entre elles du point de vue spatio-temporel.
Qu’est-ce donc qu’être non analysable et autonome pour un signal ?
Prieto tire des signaux de la route une illustration de ce qu’il entend par là. Si vous rencontrez sur le bord de la route un panneau constitué d’un cercle rouge sans rien d’inscrit à l’intérieur, vous serez interloqué, car vous sentirez que ce panneau ne veut rien dire, car il lui manque un élément important. Il vous interdit quelque chose, mais vous ne savez pas quoi. Vous êtes en présence d’un indice intentionnel, non analysable en parties, mais non autonome : autre chose doit lui être conjoint. Si vous trouvez plus loin sur votre route un même panneau constitué d’un cercle rouge à l’intérieur duquel est inscrit le nombre 30, vous comprenez le message que l’on vous transmet ici : il vous est interdit de rouler à plus de trente kilomètres / heure. Vous êtes en présence d’un indice intentionnel autonome, non analysable en parties.
Mais si plus loin vous trouvez ce même panneau avec à côté de lui un autre panneau cerclé de rouge avec à l’intérieur le chiffre 50, vous vous trouvez devant un indice intentionnel ininterprétable comme signal, car analysable en parties distinctes : il y a en réalité deux indices, deux signaux côte à côte, qui ne sont pas complémentaires, et dont la présence simultanée est même contradictoire.
Ces notions d’autonomie et d’unité d’analyse sont plus claires dans l’analyse de ces systèmes sémiotiques limités que dans le système linguistique. Toute la tentative de Prieto TA \s "Prieto"  sera de retrouver dans la communication linguistique cette structure du signal. XE "signal" \b  XE "signal" \r "signala" \b 
4.2.6. Classe
Un, autonome, non analysable, le signal, en tant qu’indice intentionnel, ne saurait cependant être pris isolément : il est relié nécessairement à d’autres indices. Il est pris comme élément d’une classe donnée.
La notion d’indice ne saurait en effet être définissable indépendamment de la notion de classe. Car n’importe quel fait pris isolément ne saurait avoir valeur d’indice. Il doit nécessairement être relié à d’autres faits. Il doit être un fait parmi d’autres faits, un élément d’une classe de faits identiques. De la même façon, le fait indiqué n’est pas isolé, il est élément d’une classe d’autres faits. Ce ne sont ainsi pas deux faits isolés qui sont mis en relation, mais deux classes de faits à chacune desquelles appartiennent et l’indice et ce qu’il indique.
En effet, l’indice n’est pas simplement quelque chose d’isolé dont on peut déduire autre chose d’isolé, un fait unique constaté dont on peut déduire un autre fait unique ; mais ce fait constaté est relié à une classe déterminée de faits identiques, laquelle classe se trouve être reliée préalablement à une autre classe de faits, à laquelle le fait déduit devra appartenir.
« de la constatation de [l’]appartenance [d’un fait] à une classe déterminée, on peut déduire l’appartenance d’un autre fait à une autre classe déterminée » (1975 : 22 )
Dans les Principes, Prieto TA \s "Prieto"  analyse cette notion de classe à partir du comportement d’un singe à la recherche de friandises cachées sous des objets de formes différentes. Mis en présence de cartons de diverses formes (carrés, rectangulaires, etc.) ou couleurs (gris, rouge, etc.), à la recherche de friandises placées sous une seule classe de cartons (les rectangulaires ou les gris, par exemple), un singe en viendra progressivement à ne soulever que les cartons de cette classe sous laquelle il a antérieurement repéré la présence des friandises.
De la même façon, l’homme, pour agir, doit accumuler de l’expérience et mettre en relation les faits entre eux pour prévoir ce qui se produira à la suite de l’observation de tel ou tel fait, en reliant telle classe de faits présents avec telle autre classe de faits absents (passés, présents en un autre lieu, ou à venir) qui sont reliés d’une façon ou d’une autre à la première.
Pour qu’un fait soit indice, il faut qu’il y ait inclusion du fait dans une classe d’autre faits identiques. Il faut en outre que cette classe de fait soit mise en relation avec une autre classe de faits , qu’il y ait rapport d’une classe à une autre. Il faut enfin qu’il y ait déduction, à partir de la présence d’un fait appartenant à une classe donnée, à la présence d’une autre classe de faits à laquelle pourra appartenir le fait mis en relation avec l’indice. XE "classe" \r "classea" 
4.2.7. Univers de discours
La mise en relation des deux sortes de faits est donc possible du fait de l’existence de deux ensembles différents, auxquels sont reliées chacune des classes. Cette notion de classe est relative à la notion d’univers de discours : une classe n’est constituée que relativement à un univers de discours donné.
Prieto TA \s "Prieto"  remarque que, selon la logique moderne, une classe n’est pas une entité absolue, mais une entité relative, « qui n’est ce qu’elle est que par rapport à un univers de discours, c’est-à-dire à un ensemble de faits qui sont pris initialement en considération et à l’intérieur duquel on détermine la classe en question » (Prieto 1964 : 43). XE "discours:univers de" \b 
Ainsi par le terme « les hommes », je puis entendre soit « les êtres humains de sexe masculin » s’opposant au terme « femmes », soit le « genre humain », s’opposant au terme « les animaux » et au règne animal. Je puis donc concevoir les mêmes individus membres d’une classe, et constituer deux classes différentes, parce que considérées par rapport à deux univers de discours différents, constitués par les membres de deux classes différents. Deux classes ne sont pas identiques parce que les membres de l’une sont membres de l’autre et vice-versa, mais parce qu’elles appartiennent au même univers de discours. C’est l’univers de discours qui détermine en définitive l’appartenance à une classe.
Complément d’un classe.
Toute classe considérée sous-entend une autre classe qui lui est complémentaire :
« Une classe étant donnée, son complément est à son tour une autre classe, savoir, celle que forment les individus appartenant à l’univers du discours qui ne font pas partie de la classe en question. » (P 1975b :44) XE "classe:complément" 
Ainsi, dans l’univers de discours constitué par le genre humain, la classe des êtres de sexe masculin a pour complément les êtres de sexe féminin, tandis que dans l’univers de discours constitué par le règne animal, la classe des humains de sexe masculin peut s’opposer à la classe des animaux de sexe masculin et féminin et des humains de sexe féminin.
4.2.8. Classe de l’indiquant et classe de l’indiqué
La relation entre un indice et ce qu’il indique est une relation logique de classe. Si l’on peut mettre en relation un indice et son indiqué,
« …c’est parce qu’il existe entre certaines classes d’un univers et certaines classes de l’autre, des corrélations telles que, toujours, lorsque le fait ayant effectivement lieu dans le premier appartient à l’une de ces classes, le fait ayant effectivement lieu dans le second appartient à la classe corrélative correspondante. » ( P 1975b : 19)
C’est sur cette notion de deux classes corrélatives à laquelle appartiennent deux sortes de faits, les indices et ce qu’ils indiquent, que toute la théorie de Prieto TA \s "Prieto"  est fondée. Prieto appelle classe de l’indiquant  XE "classe:de l'indiquant" \b  XE "indiquant"  XE "indiqué" la classe des faits mis en relation avec l’indice, et classe de l’indiqué XE "classe:de l'indiqué" \b  la classe des faits déduits de la première.
L’indice /ciel gris/ appartiendra à l’univers de discours de l’indiquant  XE "indiquant" \t "Voir univers de discours" , la déduction opérée /mauvais temps demain matin / appartiendra à l’univers de discours de l’indiqué  XE "indiqué" \t "Voir univers de discours" .
Chacun des univers de discours est constitué par deux sous-classes. L’univers de l’indiquant est constitué par la classe des indices pouvant fournir l’indication recherchée, et par la classe complémentaire des indices qui ne peuvent pas fournir cette indication. De même, l’univers de l’indiqué est constitué par la classe des signifiés pouvant fournir le sens de l’indice considéré, et par la classe complémentaire des signifiés qui ne peuvent pas fournir le sens de l’indice considéré.
C’est cette mise en relation de deux classes de faits doublement structurés, l’une présente et l’autre absente, et cette déduction, à partir de l’existence d’un fait présent dans l’une, de l’existence d’un fait présent dans l’autre qui fonde la théorie de la communication de Prieto.
La notion d’univers de discours est sans doute l’apport théorique le plus fondamental de Prieto à la linguistique XE "univers de discours" \t "Voir discours" \b  XE "discours:univers de" \r "discoursb" 
4.3. L’entité linguistique et son rôle
Comment se fait, dans l’acte de parole, cette mise en relation des deux univers de discours ? Par la production, dans les circonstances de l’acte de parole, d’un indice spécifique, mis en relation avec les autres indices, et qui fonctionne comme signal : l’entité linguistique.
4.3.1. Le signal linguistique : la phonie
L’entité linguistique fonctionne pour Prieto comme un signal, ou indice intentionnel, c’est-à-dire comme un fait concret présent dans la communication, qui se trouve dans un rapport identique avec d’autres faits présents ou absents dans la communication, qui en constituent le sens. Cette entité linguistique, Prieto la désigne dans les Principes, comme dans Sémiologie, sous le terme de phonie. Il met ainsi en valeur sa fonction sensible, sa valeur de signal sonore immédiat.
Prieto ne donne pas à la phonie de limite matérielle précise : elle peut-être phonème isolé, syllabe ou groupe de syllabes, séquence, suite de séquences, discours. C’est l’opération d’interprétation de la phonie, c’est-à-dire son sens, et de mise en relation des phonies entre elles, c’est-à-dire leur sens, qui en détermine ainsi les limites. Ainsi une interjection peut être phonie ; un mot, un groupe de mots, une phrase, un discours peuvent être phonie. C’est le sens attribué à la phonie qui en constitue les limites. C’est le niveau d’analyse du sens qui est établi lors de la production du signal linguistique qui constitue le niveau d’analyse de la phonie, la limite inférieure de son critère d’unité, son autonomie.
L’analyse de l’acte de communication permet de préciser les rapports entre phonie et sens, et les niveaux d’analyse de la phonie comme signal. Prieto conduit cette analyse dans les Principes de noologie à travers quelques exemples limités en nombre, en volume et en valeur sémantique et pragmatique, qu’il reprendra régulièrement dans la suite de ses travaux sans conduire cette analyse sur des corpus plus développés et plus complexes. XE "phonie" \b   XE "phonie" \r "phoniea" \b 
4.3.2. L’acte de communication
Comment s’établit la communication ? Si je vois, posé devant mon voisin, le crayon dont j’ai besoin mais que je ne puis atteindre, je puis obtenir que mon voisin me le passe en lui disant : « Donne-moi le crayon ! » ou une formule équivalente. Si le sens de mon acte est compris, mon voisin me passera le crayon.
Prieto analyse ce qui s’est passé entre moi, émetteur (E), et mon voisin, récepteur (R), entre la phrase que j’ai prononcée, et les mouvements de mon voisin qui ont abouti à ma possession du crayon. Deux faits directement perceptibles se sont produits : la phrase que j’ai prononcée, et l’acte de passation du crayon entre mon voisin et moi. La communication « s’établit grâce à un fait directement perceptible pour R que produit E. ». Ce fait directement perceptible pour (R) est une « suite de sons dans l’acte de parole, appelées phonies. »
Quel rapport s’établit-il entre la phonie et le sens ? Le rapport qui s’établit entre un signal et ce qu’il veut signaler. Les paroles que je prononce dans un acte de parole sont le signal de cet acte, suite de sons dans l’acte de parole, appelées phonies. La phonie et le sens sont indissolublement liés, selon le principe de Saussure TA \s "Saussure" , mais ce lien se fait par une mise en relation des signifiants, les phonies, faits concrets produits par le langage, avec d’autres faits concrets qui, dans l’acte de parole, en constituent le sens. Ces deux classes de faits concrets sont mises en relation selon les systèmes de classement qu’elles rendent possibles au moment où l’acte de parole a lieu. :
« Les entités linguistiques XE "entité linguistique" \t "Voir phonie,classe sont des classes, et […] le sujet parlant ordonne les faits concrets de l’acte de parole : sens et phonie, d’après les systèmes de classement qu’elles forment » (1975 : 20). XE "communication:acte de"  XE "sens" 
4.3.3. Etablir un rapport social
Cette notion centrale du sens comme classe de faits concrets demande à être explicitée. Elle est directement issue de la phonologie pragoise, mais aussi des débats philosophiques et épistémologiques de l’époque (idéalisme, pragmatisme, matérialisme marxiste, etc.), et elle constitue l’un des enjeux théoriques essentiels des débats en linguistique (substantialisme, mentalisme, autonomie de la langue etc.)
Prieto, dans les Principes de noologie, commence par remarquer que le sujet parlant a tendance à identifier les entités linguistique à des faits concrets. Or l’analyse phonologique révèle que les entités qui composent la langue (phrases, mots, phonèmes, etc.) « ne sont pas des faits concrets, mais des classes de faits concrets, c’est-à-dire des entités abstraites » XE "classe"  ( 1964 : 11). Elles forment en fait des systèmes de classement linguistique des faits concrets, sur lesquels opèrent inconsciemment les sujets parlants, qui ne font plus attention qu’aux caractéristiques linguistiques de ces faits à l’exclusion de leurs autres caractéristiques : c’est le sentiment linguistique.
Ainsi, deux faits concrets, différents en tant que tels, seront inclus dans une même classe linguistique, abstraction faite de leurs différences, qui ne seront plus perçues. C’est ce que l’on observe dans la production des sons. En Français, le [l] sonore de table et le [l] sourd de peuple appartiennent à la classe abstraite du phonème /l/ et sont sentis comme des sons concrets identiques. Le même phonème [r] peut se réaliser soit de façon gutturale, soit de façon palatale.
Cependant, là ou la phonologie marquait cette distinction pour les phénomènes sonores seulement, distinguant les phonèmes des sons qu’ils réalisent, Prieto TA \s "Prieto"  étend aussi cette analyse au sens. Cela heurte immédiatement notre sentiment linguistique : le sens est quelque chose d’abstrait, il n’a rien de concret ! Que le sens puisse s’associer à la notion de classe, voilà qui se comprend bien, au premier abord, incontestablement : il y a abstraction, généralisation. Mais comment peut-il s’associer à la notion de « fait concret» ? Comment le sens peut-il être considéré comme un fait concret ? Le sens est bien quelque chose qui est dans l’esprit, dans le mental, qui est le produit d’une activité intellectuelle, d’une abstraction et d’une déduction : il ne saurait donc en aucune façon être un fait concret, encore moins une classe de faits concrets.
Or, justement, Prieto ne veut pas parler de ce qui se passe dans la langue, ni dans l’esprit, mais dans la communication. Ces faits concrets, qui sont le « sens » et la « phonie », ne se trouvent pas dans l’esprit, mais dans l’« acte de parole. » Or qu’est-ce qu’un acte de parole ? Qu’est-ce même que tout acte sémique en général ?
Pour le savoir et le comprendre, dans le cadre d’une sémantique fonctionnelle, il faut se demander à quoi il sert, quel est son but. Or le but de l’acte de parole et de tout acte sémique est « l’établissement d’un rapport social entre ses deux protagonistes : l’émetteur (E) et le récepteur (R). » (1964 : 13). Communiquer, c’est d’abord établir un rapport social. Ainsi le sens, c’est un rapport social. Le sens passe quand le rapport est établi.
Comment interpréter cette notion de rapport social ? Il nous faut nous poser deux types de questions :
1. Qu’est-ce qu’un rapport social ?
2. En quoi le sens peut-il être considéré comme un rapport social ?
On parle de rapport social quand il y a relation active entre deux hommes : rapports de production, rapports de subordination hiérarchique, rapport de dépendance, d’obéissance, de collaboration, lien familial, lien affectif, relation sexuée, contact, activité commune, action concertée, en résumé, relation dans l’espace et dans le temps, avec ou sans contact. Or qu’est-ce que le langage, sinon une relation dans l’espace et dans le temps, un contact par la phonie, c’est-à-dire le son, ou par la graphie, c’est-à-dire par la vue ? Un tel contact, étant humain et langagier, suppose que l’on attribue des pensées à autrui, puisqu’on lui parle, c’est-à-dire que l’on use d’un système symbolique. On peut parler de sens comme rapport social dans la mesure où il y a langage et dans la mesure où tout rapport humain fait sens.
Mais tout rapport social, tout contact, toute relation qui unit l’un à l’autre vise à transmettre quelque chose, à échanger : objet, travail, argent, bêtes, femme, terre, héritage, service, protection, mais aussi langage. Un échange de valeurs équivalentes. Dans la mesure où le langage est échange de signes, et où il n’y a pas de signe sans sens, le sens est un rapport social. On ne peut dissocier chez Prieto la notion de sens de la notion de phonie. C’est un échange sur la valeur des phonies prononcées, une mise en accord, une mise en équivalence. Le sens est un rapport social dans une situation déterminée en ceci qu’il est un échange de valeurs attribuées à un échange de phonies. On échange une phonie contre un sens ou l’on fait passer un sens par une phonie ou réciproquement.
La phonie [donmwalkrejõ], suite de sons représentant la phrase : « donne-moi le crayon » a été interprétée comme une demande de saisir le crayon, de tendre le bras, de poser le crayon sur la table au plus près de moi, c’est-à-dire comme rapport social : « demande de E à R de lui donner le crayon ». Le sens de l’acte de parole de E à R : « J’ai acheté le livre. Vous voulez le voir ? » sera dans le fait que le livre sera refusé ou pris pour être regardé.
Or, que je sois marseillais ou alsacien, mon interlocuteur comprendra la phrase « Donne-moi le crayon », et ma demande aboutira au même résultat si je disais « Passe-moi le calame » ou « Auriez vous l’obligeance de bien vouloir me transmettre le crayon, s’il vous plait », ou même si je ne prononçais pas un mot, fixant de l’œil le crayon et faisant de la main le geste de le faire venir vers moi.
Aussi Prieto note-t-il que, de même que deux phonies différentes, mais qui contribuent également à l’établissement des sens respectifs, sont inclues dans la même classe par le sujet parlant qui les « sent » identiques, de la même façon deux sens différents sont inclus dans la même classe et sont « la même chose » pour le « sentiment linguistique » du sujet parlant lorsque les phonies respectives ont contribué également à les établir.
De sorte que les entités linguistiques dont le sujet parlant a le « sentiment » sont peut-être, sans exception, ou bien ces classes de sens ou de phonie, ou bien des entités formées par une classe de sens et une classe correspondante de phonies, ou bien enfin des entités plus petites qui résultent de l’analyse de celles-là basée sur leur comparaison.
Or, de même que la phonie, fait concret, est analysable en unités plus simples, les phonèmes, qui sont des classes de faits concrets, ou des abstractions, organisées en systèmes, de la même façon Prieto pose qu’il est possible d’analyser le sens, classe de faits concrets, abstraction, en éléments formant des unités plus simples.
Ainsi, les actes de parole se présentent sous forme de tranches plus ou moins longues, séparées par des silences. Plusieurs rapports sociaux peuvent s’y établir. Un acte de parole simple établira un et un seul rapport social, c’est une unité minimale non analysable en unités plus petites. Aucune des caractéristiques, ou « traits », de ces faits concrets (sens, signal, phonie ne doit être négligée.
Ce sens ne s’identifie pas nécessairement à la phrase, et dépendra de la situation dans laquelle il est produit.  XE "sens:rapport social" \r "rapportsociala" \b . XE "rapport social" \t "Voir sens" 
4.3.4. La contribution de la phonie
Il relève du sens commun de dire que les mots servent à communiquer et à signifier. C’est par les mots, pense-t-on généralement, que l’on transmet le sens de ce que l’on veut dire, exprimer, faire, voir fait, etc. C’est par les mots que l’on établit le sens. Or Prieto TA \s "Prieto" , sans exclure cette fonction des mots, la relègue dans une position secondaire, par rapport à une fonction plus primitive, plus fondamentale : les mots n’établissent pas le sens, ils contribuent à l’établissement du sens. La phonie n’est pas seule à intervenir pour établir le sens. Le sens indiqué par la phonie a été élaboré avec elle à partir d’autres éléments qu’elle, puis s’est fixé sur elle. La phonie participe d’abord aux opérations de classement par lesquelles le sens se constitue :
« Ce classement des sens et des phonies qu’effectue le sujet parlant dépend de la contribution de la phonie à l’établissement du sens .» (1975 : 20)
Dans les conditions minimales de la communication linguistique, telles que la communication différée, téléphonique ou scripturaire, la production de la phonie ou de son signe, la graphie, hors la présence des autres éléments qui ont contribué à la fixation de son sens, ne consistera qu’à évoquer par sa seule médiation le sens établi dans les opérations antérieures de classement.
Ainsi la question n’est pas : « Comment le sens vient-il aux mots ? Comment le sens vient-il à la parole ? » mais : « Comment la parole et les mots viennent-ils au sens ? ». Ce n’est pas, selon Prieto, le sens qui vient aux mots et à la parole, mais c’est la parole qui vient au sens. Les mots interviennent à titre de complément, de soutien, pour donner un coup de main au sens, un coup de phonie devrait-on dire, pour contribuer à l’établissement du sens. Il serait plus pertinent de poser la question ainsi : « Comment les mots viennent-ils au secours du sens ? Comment la parole vient-elle au soutien du sens ? » Le sens préexiste à la parole, celle-ci ne vient que pour le spécifier, pour le préciser, pour le fixer. C’est pourquoi Prieto emploie cette étrange formule selon laquelle la phonie contribue à l’établissement du sens. XE "phonie:rôle"  XE "sens:contribution au" \r "contributiona" \b   XE "contribution" \t "Voir indication, sens, phonie"
4.4. Le mécanisme de l’indication
Il est donc nécessaire, pour comprendre cette « contribution » de la phonie dans « l’établissement » du sens, d’analyser « dans l’acte de parole » les relations qui s’établissent entre la phonie et les circonstances dans lesquelles celle-ci est produite. Dans la communication, les circonstances présentes déterminent la production de la phonie, et la phonie détermine la « production » des circonstances absentes, leur évocation : c’est le mécanisme de l’indication qui est mis en jeu à travers tout acte de parole.
4.4.1. L’acte de parole
L’analyse de ce mécanisme est conduit, pour la première fois, dans les Principes de noologie (1964), elle est généralisée dans Messages et Signaux (1966), affinée dans La Sémiologie (1966), clarifiée dans Pertinence et pratique (1975), approfondie dans Caractéristique et dimension (1988), amplifiée dans Le point de vue dans les sciences (1995). Nous allons exposer la trame de l’analyse du mécanisme de l’indication ainsi que les concepts fondamentaux qu’elle met en œuvre.
Dans une perspective fonctionnelle, le critère d’analyse du sens d’un acte de communication n’est pas tant le contenu formel et sémantique qu’il véhicule que le résultat auquel il aboutit. Un acte de communication a une visée, un but. Il est analysable d’abord en terme de résultat : son but est-il atteint ou non ? L’acte a-t-il réussi ou a-t-il échoué ? Le résultat chez le récepteur obtenu ou non par l’acte de parole de l’émetteur en est justement le sens. L’émetteur a-t-il réussi à transmettre le sens qu’il souhaitait faire passer ?
Ce résultat doit être observable à travers un acte, un comportement spécifique, une réponse verbale ou non verbale. Si je réclame un crayon ou un siège et que l’on me présente un crayon ou un tabouret, le sens de mon acte de communication a réussi. Si, au contraire, l’on me présente un carnet ou une armoire à glace, le sens aura échoué. Il y a eu de la part de mon interlocuteur incompréhension, ou de ma part ambiguïté.
Prieto part de ce double constat : tout acte de parole, tout signal, tout indice sont interprétables de diverses façons, mais ils n’autorisent pas n’importe quelle interprétation. Ils ouvrent un champ aux interprétations, mais toutes les interprétations ne lui sont pas ouvertes. La seule présence de cet indice, de ce signal, de cet acte de parole ferment l’accès à nombre d’interprétations qu’ils excluent XE "classe:exclusion"  automatiquement. C’est cette exclusion d’une partie des interprétations possibles de mon énoncé (carnet, armoire à glace) du champ ouvert aux autres (crayon, tabouret), qui légitime la notion d’univers de discours XE "discours:univers de" . Tout fait, tout phénomène de la réalité, peut être classé en relation avec l’ensemble des faits et des phénomènes, mais en constituant deux classes XE "classe:complémentaire"  : la classe du fait ou du phénomène et de tout ce qui peut être pris pour lui, ou qui lui est assimilable, identifiable, et la classe des faits et des phénomènes qui ne lui sont pas assimilables, qui ne peuvent pas être pris pour lui, qui en sont différenciés. Toute interprétation, donc tout acte de connaissance, sont ainsi des actes de distinction entre le même et l’autre, et tout acte de parole une détermination des éléments de la classe du même et des éléments de la classe de l’autre.
Prieto généralise ce constat à la phonie pour déclarer que, par le lien nécessaire d’un signifiant à un signifié, d’une phonie à un sens, il est possible qu’une phonie admette plusieurs sens et en exclue plusieurs autres. « Une phonie admet certains sens et en exclut d’autres » (1964 : 39). Demandant un crayon, je puis réclamer un crayon noir, ou un crayon bleu, le crayon qui est sur la table ou celui qui est rangé dans le tiroir, mais ce n’est pas un cahier que je demande. Siège admet chaise, fauteuil, tabouret, pouf, etc., mais exclut, dans une première approche du sens linguistique, machine à laver, disque, armoire à glace.
Mais si, lorsque je réclame un crayon ou un siège, il m’est présenté respectivement un carnet ou une armoire à glace, il est possible que je me trouve, dans certaines circonstances particulières, satisfait dans ma demande. Car les circonstances, si je les connais et sais les interpréter, permettent de satisfaire ma demande par l’objet présenté : après tout, je puis me trouver au cours d’un déménagement, et voir mon interlocuteur ramasser et me tendre un carnet à l’intérieur duquel est fixé un crayon, ou me proposer l’armoire à glace couchée par terre comme ultime possibilité de m’asseoir. Les circonstances prennent alors, dans la constitution du sens et dans la mise en rapport de la phonie avec le sens, un rôle fondamental.
Ainsi, chez Prieto le sens XE "circonstances:role" \b  ne s’analyse pas dans la langue par rapport aux multiples interprétations admises dans le dictionnaire ou dans les encyclopédies, mais dans la parole par rapport aux circonstances de l’acte de parole. Ces circonstances vont exclure des interprétations et en favoriser d’autres, et une plutôt que toute autre. Ainsi, « le récepteur attribue à la phonie celui des sens admis qui est le plus favorisé par les circonstances » (1964 : 39). Dans notre exemple de demande de crayon ou de siège, les circonstances normales favorisent /crayon/ par rapport à /cahier/ et /tabouret/ par rapport à /armoire à glace/, mais les circonstances spécifiques du déménagement favorisent /cahier/ et /armoire à glace/ en l’absence de tout crayon visible et de tout siège.
Aussi deux conditions sont-elles exigées pour la réussite de la communication XE "communication:réussite"  : « qu’il n’y ait pas d’ambiguïté XE "ambiguïté" \b  » dans la phonie, c’est-à-dire « que le récepteur puisse attribuer à la phonie un sens déterminé » (1964 : 40), et que le sens reconnu soit le même pour l’émetteur et le récepteur, « que le sens que le récepteur attribue à la phonie et le sens que l’émetteur cherche à établir soient un seul et même sens ». XE "acte de parole" \r "actedeparole" 
4.4.2. Sens émis, sens admis
L’échec de la communication  XE "communication:échec"  peut avoir deux origines :
Soit le sens émis ne figure pas parmi les sens admis ( crayon pour /crayon noir/ en présence de crayon rouge seulement). Dans ce cas (lapsus, mauvaise connaissance du code), le récepteur attribuera à la phonie un autre sens, mais en se référant aux circonstances pour attribuer à la phonie le sens le plus favorisé par celles-là. Il s’ensuivra une mauvaise compréhension, ce que l’on appelle contre-sens, faux-sens, malentendu, erreur.
Soit le sens émis n’est pas plus favorisé par les circonstances que tout autre sens, les circonstances n’offrant aucun appui suffisant à l’interprétation ( crayon pour /crayon noir/ en présence de crayon noir et crayon rouge).
Prieto décrit de façon très détaillée ces situations de réussite ou d’échec de la communication, tant dans les Principes de noologie que dans Messages et signaux et dans Sémiologie.
4.4.3. Contribution de la phonie et des circonstances
La phonie n’indique pas un sens ou plusieurs sens possibles, mais une classe de sens possibles :
« Le rôle de la phonie XE "phonie:rôle" \b  consiste à indiquer au récepteur une classe de sens à laquelle appartient le sens que l’émetteur cherche à établir : cette classe, bien entendu, est celle que forment les sens admis par la phonie ....» (1975 : 43)
Quant aux circonstances, XE "circonstances:rôle" \b  elles permettent de déterminer, dans cette classe de sens, le sens que l’émetteur tente d’établir :
« Les circonstances, de leur côté, en favorisant différemment les sens qui composent la classe indiquée par la phonie, permettent au récepteur de reconnaître quel est en définitive, de ces sens, celui que l’émetteur cherche à établir »
Ainsi, si je demande un crayon ou un siège et que j’accepte le cahier ou l’armoire à glace qui me sont présentés, le sens de ma demande de crayon n’est pas / demande me passer directement l’objet crayon /, mais / demande me passer tout objet dans lequel puisse se trouver aussi un crayon / : plumier, trousse, carnet, veste, etc. Le sens de ma demande de siège n’est pas / tout objet fabriqué spécialement avec pour destination de s’asseoir /, mais / n’importe quel objet sur lequel je puis m’asseoir, même si sa destination directe est pour un autre usage / : tabouret, lit, poubelle, armoire à glace, etc.
Dans l’acte de parole, la phonie est généralement déjà chargée d’un sens, et même de plusieurs sens. Cet acte de parole est celui de locuteurs qui ont déjà la connaissance de la langue, la maîtrise d’une partie au moins de ses signaux. Cependant ces circonstances, en permettant de préciser le sens, favorisent l’un des sens déjà établi. De sorte que, pour celui pour qui le sens de la phonie n’est pas encore établi – même un seul sens – l’un des moyens de faire accéder au sens est d’indiquer les circonstances d’émission de la phonie, c’est-à-dire les éléments de la situation qui permettent d’interpréter la phonie comme indiquant tel sens présent dans cette situation et excluant tel(s) autre(s). Préciser les circonstances, c’est produire d’autres phonies interprétables qui vont indiquer le sens de la phonie problématique. C’est donc par la production d’autres phonies interprétables à l’appui des circonstances que le sens de la phonie est indiqué à l’intérieur de ces circonstances et en relation avec les autres phonies et les autres sens. XE "phonie:contribution" \r "contributionb" \b 
4.4.4. La méthode fonctionnelle
« La méthode fonctionnelle  XE "fonctionnelle:méthode" étudie donc, ou se propose d’étudier, la phonie du point de vue de sa contribution XE "phonie:contribution"  à l’établissement du sens, et le sens du point de vue de la contribution de la phonie à son établissement. Elle établit ainsi des classes de sens et de phonie, et la comparaison de ces classes lui permet de les analyser en unités plus petites. » (1964 :21).
Concepts et méthode de la phonologie : opposition et traits
De la même façon que son et sens se constituent ensemble, c’est avec une grande cohérence que Prieto considère que les même concepts qui ont accompagné l’étude du son doivent permettre d’aborder l’étude du sens dans la mesure ou l’un et l’autre sont intimement liés dans le signe.
La phonologie se situe au niveau de la première articulation, elle classe des sons pour les constituer en phonèmes, par le procédé de « commutation » de sons à l’intérieur d’un énoncé donné. Elle vérifie si, à la suite de chaque modification phonétique opérée sur un son donné, le signifié de l’énoncé est resté identique ou non. S’il est resté identique, les sons considérés appartiennent à une même classe de sons, constituant un phonème. S’il a été modifié, les sons considérés n’appartiennent pas à une même classe, et se trouvent en « opposition ». Chaque classe de phonème est définie par les « traits pertinents» que possèdent tous les sons qui la composent et seulement elles. Les autres traits sont non-pertinents. XE "phonologie" 
La noologie XE "noologie:méthode" \b  applique la même méthode de commutation d’énoncés, mais au niveau de la deuxième articulation, et en tenant compte non pas des modifications de signifiés qu’elle détermine, mais des modifications de sens. Il faut pour cela confronter les énoncés considérés à leur situation d’émission : c’est en modifiant ces situations que l’on peut déterminer les modifications de sens de phonies identiques quant à leur(s) signifié (s), ou les identités de sens de phonies différentes quant à leur(s) signifié(s).
La théorie fonctionnelle du signifié s’apppuie donc sur une distinction très précise entre la notion de signifié et la notion de sens chacune s’opposant à l’autre. XE "sens:opposition" \r "sensb"  XE "sens:traits" \r "sensb" 
Sens et signifié
Nous avons vu que la phonie doit contribuer à attribuer, parmi plusieurs sens émis, un seul sens admis par les circonstances. Cette pluralité des sens émis, c’est ce que Prieto va appeler de façon constante le signifié de la phonie :
 «  Ce qu’on appelle le « signifié » d’une phonie est la classe de sens à laquelle elle indique qu’appartient le sens que l’émetteur cherche à établir. » (1975 : 43)
De telle sorte que, d’une part, pour que deux phonies différentes contribuent également à l’établissement du sens, il faut que leurs signifiés soient identiques, et que, d’autre part, deux phonies ayant des signifiés identiques contribuent également à l’établissement du sens.
« La contribution XE "contribution"  de la phonie à l’établissement du sens dépend donc de son signifié. » (1975 : 43)  XE "sens:signifié" 
Champ noétique
Ces signifiés, ou ensemble des sens initialement pris en considération, ne sont pas l’ensemble des sens imaginables – ou, pourrions-nous traduire dans notre perspective didactique, l’ensemble des sens proposés par le dictionnaire – mais les seuls sens « qui constituent le champ noétique de la langue » (1975 : 44).
Qu’est-ce que ce champ noétique de la langue, ou ensemble des sens pris initialement en considération ? C’est l’ensemble des sens possibles dans la situation et les circonstances où l’acte de parole a lieu, lequel comprend autant les sens admis par la phonie que les sens exclus par celle-ci. Autrement dit, c’est l’univers de discours de la phonie.
«  Le champ noétique de la langue à laquelle appartient une phonie est l’univers de discours, c’est-à-dire l’ensemble des sens pris initialement en considération et par rapport auquel la classe de sens qui constitue le signifié de cette phonie est ce qu’elle est. Les sens pris initialement en considération ne sauraient être en effet que ceux qui, dans la situation ou l’acte de parole a lieu, et quant à cette situation, peuvent être le sens que l’émetteur cherche à établir ». (1975 : 45)
« Les sens possibles (...) sont ceux qui appartiennent au champ noétique de la langue employée...(...) ceux qui sont admis au moins par une des phonies de cette langue » qui sont à distinguer des « sens exclus par toutes les phonies de la langue, c’est-à-dire l’univers de discours » (1975 :45)
En conséquence, le problème qui se pose pour le récepteur est de savoir « quelle est, des interprétations dont l’indice est susceptible, celle que l’interprète fait effectivement », ou « quelle est la classe à laquelle il en déduit effectivement qu’appartient de son côté l’indiqué ? » (1975 : 20).
Prieto, dans le développement de sa réflexion, mettra de plus en plus en valeur ce fait que cette classe de l’univers de discours de l’indiqué, classe des sens admis par au moins une des phonies de la langue, est déjà élaborée dans l’esprit du sujet antérieurement à l’indication.
« Le sujet qui cherche à tirer une indication d’un fait susceptible de la lui fournir soumet toujours les membres de l’univers du discours qui, dans l’indication, deviendra l’univers du discours indiqué, à un classement qui est logiquement antérieur au classement que suppose l’indication et auquel ce dernier classement est subordonné » (1975 : 21).
De sorte que l’opération de classement en quoi consiste la recherche du sens commence logiquement par un classement des membres de l’indiqué, antérieurement au classement des membres de l’indiquant. L’indiquant peut renvoyer en effet à plusieurs classes d’indiqués, et il revient au locuteur de spécifier auparavant à quelle classe d’indiqué il se réfère ; dans une même classe d’indiqué, l’indiquant peut renvoyer à plusieurs classes incluantes : il revient donc au locuteur de spécifier auparavant à quel niveau d’inclusion il se réfère. (1975 : 60).
Ainsi, notre interlocuteur nous demandant, par exemple, Où est le siège de la Présidence ? nous aura, par la situation et les circonstances de la communication, déjà spécifié l’univers de discours de l’indiqué, c’est-à-dire la classe d’indiqué à laquelle il se réfère ; car, logiquement, et antérieurement à l’indication qui nous sera fournie, nous pouvons interpréter siège comme /adresse principale d’une organisation, d’une société/ ou comme /meuble pour s’asseoir/, et Présidence soit comme /institution présidentielle/ soit comme /personne représentant une institution présidentielle/. De sorte que la situation nous spécifiera l’une de ces classes, situation que l’on peut par exemple illustrer verbalement par la contextualisation : Mais dans cette liste des organes de la République, où est le siège de la Présidence ? ou par la contextualisation : Excellent, votre plan de table ! Tous les services sont bien placés, la Présidence au centre. Mais il lui manque son fauteuil ! Où est le siège de la Présidence ?
De sorte que Prieto insistera régulièrement sur ce fait que « la communication suppose deux concepts du sens. » (1975 : 60) :
« Si l’on admet que « concevoir » un objet, c’est le reconnaître comme membre de l’extension d’une classe, la communication suppose que le sens de l’acte sémique soit aussi conçu deux fois : une fois en tant que membre d’une des classes composant le système d’intercompréhension, et une autre fois en tant que membre du signifiant qu’il réalise. » (1975 : 58)  XE "discours:univers de " \r "champnoetiquea"  XE "champ noetique" \t "Voir univers de discours" 
La situation
La phonie n’est donc pas seule impliquée dans l’établissement du sens, dans sa formation, elle intervient en collaboration avec d’autres éléments qui se fixent en elle, qui, dirions-nous, l’in-forment. Ces éléments sont présents dans la situation dans laquelle l’acte de parole est produit. C’est donc en relation à la situation que le rôle de la phonie dans l’établissement du sens doit être étudié.
Mais qu’est-ce, pour Prieto, que la situation?
« La situation où un acte de parole a lieu est l’ensemble des faits connus par le récepteur au moment où un acte de parole a lieu et indépendamment de celui-ci. On peut dire, en termes naïfs, qu’elle est constituée par ce dont il faut être au courant pour comprendre ce que dit quelqu’un. » ( 1964 : 36) XE "situation" \b 
Et pour comprendre ce que dit quelqu’un, il faut connaître la langue qu’il emploie, c’est-à dire, « dans l’acte de parole en question, (..) un type déterminé de phonies » ainsi que les circonstances dans lesquelles il l’emploie. Il faut savoir aussi faire la part, parmi ces circonstances, entre les circonstances pertinentes XE "circonstances:pertinentes" , celles « qui contribuent effectivement à l’établissement du sens » ( 1964 : 37), et celles qui ne le sont pas.
Prieto parle plus volontiers de « circonstances dans lesquelles l’acte de parole à lieu » que de situation. C’est Germain qui TA \s "Germain" , dans La notion de situation (1973), en s’appuyant sur l’analyse par Prieto du lien entre circonstances et phonie, substitue l’emploi du terme situation à celui de circonstances. Ce faisant, Germain montre quelles implications fondamentales on peut tirer des concepts de Prieto : il ne s’agira pas moins que de fonder d’un point de vue théorique le statut linguistique de la situation pour en déterminer les rôles dans la communication.
Ce qui doit fonder cette notion, dans la perspective réaliste et fonctionnaliste de Prieto que Germain reprend à son compte, c’est en définitive le fonctionnement réel de la langue : la structure d’une phrase ne peut être isolée de son entourage. Celui-ci doit être considéré d’un point de vue sémantique comme un élément essentiel dans l’analyse de l’acte de parole.
Germain reprend la notion de situation de Prieto en l’adaptant. Pour lui la situation est « l’ensemble des faits connus par le locuteur et par l’auditeur au moment où l’acte de parole a lieu » (Germain 1973 : 28). Il étend le domaine de connaissance et d’interprétation des faits au locuteur, et il ne les considère pas indépendants de l’acte de parole.
Germain pousse cette analyse plus loin que Prieto, en spécifiant et en classant ces faits, de sorte que pour lui, il existe quatre types de situations :
La situation physique (ou spatio-temporelle) « faits provenant de la réalité physique extérieure (spatio-temporelle). Les interlocuteurs font partie de ce type de situation». (Germain 1973 : 35)
La situation non physique, « faits connus qui se trouvent dans l’esprit des interlocuteurs ». (ibidem : 36)
La situation kinésique, «faits qui sont connus grâce au mouvement de tout le corps ou à la mimique (gestes, physionomie) qui accompagne cet acte ». (ibidem : 38)
La situation contextuelle, « faits qui, provenant du contexte (linguistique), sont connus par le locuteur et l’interlocuteur au moment de l’acte de parole ». (ibidem : 39-40).
Déjà Prieto avait mentionné les trois premiers types de situation, sans cependant s’étendre dessus. L’apport spécifique de Germain est dans la notion de situation contextuelle XE "situation contextuelle" . Il introduit ainsi la notion de contexte linguistique d’une unité ou « ensemble des marques formelles linguistiques situées dans l’entourage prochain ou éloigné de l’unité considérée » (ibidem : 39) comme contextualisation d’une situation.
De sorte que
« tout contexte linguistique peut être considéré comme une situation contextualisée » (ibidem : 42).
Il étend la notion de pertinence au contexte linguistique en parlant de contexte pertinent, XE "contexte:pertinent"  « c’est-à-dire faisant référence à des unités particulières ou marques formelles particulières » (ibidem).
Cette observation selon laquelle « tout contexte linguistique peut être considéré comme une situation contextualisée » ainsi que la notion de contexte pertinent nous paraissent capitales pour l’enseignement et l’apprentissage linguistique auprès des publics adultes migrants en milieu professionnel. Elles fondent, en effet, la possibilité de s’appuyer, dans la communication didactique exolingue, sur l’échange des savoirs inégalement répartis pour mettre en œuvre les stratégies d’enseignement et celles d’apprentissage. L’enseignant, en effet, a l’expertise principale des savoirs linguistiques et de la situation contextuelle, mais c’est l’apprenant qui a l’expertise principale des savoirs professionnels liés aux situations physiques, non physiques et kinésiques. L’aide fournie par l’enseignant pour que l’apprenant puisse contextualiser ces situations, c’est-à-dire verbaliser avec ses propres moyens les savoirs qui leur sont liées, permet ensuite à l’apprenant de comprendre et de produire dans sa communication les contextes linguistiques pertinents et d’assimiler les savoirs linguistiques qui sont liés aux situations physiques, non physiques et kinésiques de son domaine d’expérience.
C’est enfin à partir de l’analyse de l’acte de communication par Prieto que Germain va généraliser à la notion de situation le rôle des circonstances préalablement analysées par Prieto. Germain rappelle que la tradition linguistique considère généralement que la situation a pour rôle de lever les ambiguïtés linguistiques, quand elles surgissent. Germain, après Prieto, met l’accent sur le fait que dans la communication le recours à la situation s’exerce en permanence pour, en fait, éviter les ambiguïtés. De sorte que c’est l’énoncé lui-même qui donne le critère concernant l’intervention ou non de la situation dans la communication linguistique. Dans l’acte de parole, il n’y a pas d’énoncé isolé de sa situation d’émission ou de son entourage : l’auditeur à l’écoute d’un tel énoncé reconstitue dans son esprit la (les) situation(s) et le(s) contexte(s) possible(s) de production de cet énoncé, ceux-là même auxquels il s’est référé les premières fois qu’il les a entendus pour les interpréter, et les confronte à la situation d’écoute. Aussi, dans l’activité didactique, l’enseignant aide l’apprenant à confronter les énoncés aux situations d’écoute, ou à produire les traits pertinents de la situation dans ses énoncés.
Le statut linguistique de la situation se fonde donc sur sa fonction dans la communication. Germain décomposera ce rôle d’évitement de l’ambiguïté de la situation, de désambiguïsation, en cinq rôles  XE "situation:rôle" \b  plus spécifiques.
La confrontation à la situation évite l’ambiguïté, car la situation permet de :
Favoriser un signifié dans le cas de l’homonymie ou de la polysémie.
Favoriser un sens dans le cas d’ambiguïté virtuelle de sens ( schifters et substituts )
Transformer le sens dans le cas d’énoncés en situation non pertinente.
Préciser le sens dans le cas des faits de culture et de civilisation.
Economiser XE "pertinent" \t "Voir économiser"  ses moyens linguistiques.
Germain se réfère là directement à l’analyse du mécanisme de l’indication et de l’acte de parole, tels que Prieto les développe à partir des Principes dans Messages et Signaux et dans Sémiologie. XE "situation" \r "situationa" 
Relations entre signifiés
« Le signifié d’une phonie d’une phonie est donc déterminé 1) par les sens qu’admet cette phonie, et 2) par le champ noétique de la langue à laquelle elle appartient » ( Prieto, 1964 : 38)
Dans les Principes, Prieto fait jouer un rôle essentiel à la procédure de commutation XE "commutation" \b  pour déterminer le signifié d’une phonie en la mettant à l’épreuve du sentiment linguistique. « On peut établir le signifié d’une phonie au moyen de la commutation du sens ». ( 1964 : 38)
Cela permet de déterminer si deux sens sont dans une relation d’identité ou dans une relation d’opposition. Le fait que deux phonies soient différentes n’entraîne pas nécessairement une différence de sens : elles peuvent avoir le même signifié. Ce fait peut cependant entraîner des différences de signifiés, mais les signifiés de l une peuvent recouvrir une partie des signifiés de l autre : leur champ noétique se recouvre. Ainsi dans les phonies différentes : [donemwalkrµjõ] et [donemwalkRµjõ], ou [aswatwaisi]et [asjµtwaisi], le récepteur déduit des signifiés en rapport d identité. Aucune circonstance ne permet de déduire des signifiés différents, le [r]et le [R] ne représentant pas une opposition phonologique en français. Ici, les phonies sont des « variantes » du même signifié : les mêmes sens figurant dans le signifié de l’une figurent dans le signifié de l’autre. Le récepteur peut déduire de même des signifiés identiques dans les phonies [donemwalkrµjo] et [donemwalkrajõnwar]. Ici les signifiés peuvent appeler le même sens, car, sans qu ils soient strictement équivalents, le second est dans un rapport de restriction XE "rapport:restriction"  par rapport au premier. Il en est de même pour des signifiés tels que [donemwalkrµjõ] et [donemwalnwar], qui, parmi les sens couverts par chacun, ont des sens possibles communs que la situation peut actualiser. Ils sont ici en rapport d empiètement XE "rapport:empiètement" .
C’est lorsque les phonies différentes recouvrent des signifiés différents, de telle sorte que les circonstances ne permettent pas de trouver un seul sens identique possible, que les signifiés seront dits en rapport d’opposition XE «rapport:opposition" . Ainsi les phonies [donemwalkrµjõ] et [donemwalkaje]. Le sens du champ noétique ne peut figurer comme terme de la relation.
Prieto formalise de deux façons ces distinctions : en empruntant une première représentation, dans ses premiers textes, à la théorie des ensembles, puis une deuxième représentation, dans ses derniers textes, à l’algèbre :
identité restriction empiètement opposition




(1964 : 93)

a = ba / ba abb« a et b »« a sur b » « ab »
Le noème
Ces trois types de rapports différents définissent le noème Prieto analyse chaque exemple de façon assez fouillée, qui nous permet de comprendre plus nettement ce qu’il entend par signal comme unité autonome et non analysable.
Ainsi, le signifié de la phonie elle regarde mon cahier est plus restreint que le signifié de elle regarde le mien, car le mien peut s’interpréter comme /possesseur de l’objet masculin de première personne/, comme mon. Mais le mien peut prendre, selon les circonstances, des sens très divers, c’est-à-dire créer un rapport social différent, selon qu’il fait référence à  cahier, stylo, costume, etc. tandis que mon est nécessairement associé à cahier. De sorte que mon cahier fait partie des sens possibles de le mien : le signifié de mon cahier, dans la mesure où il peut être couvert par le signifié de le mien, est donc plus restreint. On voit ici que Prieto ne sépare pas mon et cahier dans mon cahier comme deux signifiés différents mais comme deux traits d’une seule unité signifiante autonome et non analysable, d’un seul signal, dont le sens n’est possible qu’en référence aux circonstances, à la situation d’émission. Le mien ne s’analyse pas en le, et en mien, si ce n’est comme traits d’un signal autonome et non analysable en parties, mais en traits constituant un seul sens dans les circonstances d’émission. De sorte que mon cahier s’analyse de façon plus restreinte que le mien.
Il en est de même de elle regarde le cahier, qui peut possiblement faire référence à mon cahier, comme au tien, ou à celui de n’importe qui, tandis que elle regarde mon cahier spécifie le cahier comme le mien, et en restreint le champ noétique.
La même analyse peut être conduite avec elle le regarde et elle regarde mon cahier, et l’on peut même emboîter les signifiés en rapport de restriction : elle le regarde inclut elle regarde le cahier et elle regarde le mien, tandis que, à un deuxième niveau, elle regarde mon cahier est inclus dans les deux précédents, qui sont, de ce fait, dans un rapport d’empiètement : le mien peut faire référence au stylo, au cahier, au tableau, et ne signifie donc pas nécessairement mon cahier, de la même façon que le cahier n’est pas nécessairement le mien, mais peut être le tien, le sien, le leur.
Prieto se garde d’ailleurs d’employer cette notion de référence, mais parle bien de sens de la phonie, sans devoir se contraindre à spécifier si ce sens est dans l’esprit ou dans la réalité. Il ne veut pas déterminer le statut objectif ou formel du sens de la phonie. De la même façon, bien qu’adoptant le terme d’énoncé, Prieto préfère le terme phonie. Parlant de phonie, il parle d’une structure de sons, tandis que par énoncé XE "énoncé" \b , il laisse supposer déjà une articulation, ou une possible décomposition du signal en parties distinctives. En parlant d’énoncé, on suppose le sens déjà donné, et la structure analysable selon la théorie grammaticale, tandis qu’une phonie n’a pas son sens établi, si ce n’est dans sa relation à l’univers du discours de l’indiqué, c’est-à-dire aux circonstances de production, à la situation.
En outre, la notion de phonie XE "phonie"  peut s’appliquer aux autres systèmes utilisant le son comme véhicule, comme la notion de sens peut s’appliquer à tout autre système de signes. De la même façon, il est important pour Prieto que la notion de signe autonome et non analysable puisse s’appliquer aux énoncés linguistiques.
Nous avons déjà illustré, dans un travail précédent (Champion TA \s "Champion"  1998) à partir de corpus d’échanges exolingues recueillis en situation professionnelle, la pertinence de ces analyses. Nous reprendrons dans notre troisième partie à partir de corpus nouveaux cette illustration, et nous la développerons plus avant.
Germain TA \s "Germain" , en 1973, ne disposait pas des publications de Prieto postérieures à 1968 et en particulier de la poursuite de sa réflexion sur les signifiés linguistiques, ses conceptions de la caractéristique et de la dimension, qui sous-tendent et précisent cette analyse. Or l’analyse de l’acte sémique s’appuie sur une conception particulière du signifié, qu’il faut, dans une analyse de corpus, utiliser dans toutes ses conséquences si l’on veut bien illustrer le rôle spécifique du lexique dans la communication exolingue en milieu professionnel.
Nous nous arrêterons donc, de façon plus développée que l’a fait Germain, sur cette analyse des signifiés linguistiques, et sur les notions corrélatives de caractéristique et de dimension, qui nous paraissent pouvoir jouer, dans le processus pédagogique, un rôle dynamique essentiel.  XE "sens:noème" \r "noèmea" \b 
4.5. Caractéristiques et dimension
C’est en 1988 que Prieto publie un article intitulé Caractéristique et dimension, Essai de définition de la syntaxe, qui sera repris dans le volume Pertinence et Pratique. Il revient sur l’étude des mécanismes mis en jeu dans l’acte de communication, et sur la notion de « trait » ou « caractéristique ».
4.5.1. Les traits situationnels pertinents
Germain (1973) avait repris cette notion de traits dans son analyse de l’acte de communication, forgeant la notion de traits situationnels pertinents XE "caractéristique et dimension:traits situationnels pertinents" , qui établissaient le lien entre la situation et le message. Il se demandait alors comment se faisait la relation entre le message linguistique et la situation, et ce qui « [permettait] à l’auditeur de reconnaître dans la communication linguistique courante les traits situationnels pertinents des traits non pertinents ». (Germain TA \s "Germain"  1973 : 45).
C’est le fait, principalement, que ces traits situationnels pertinents ont été acquis dans l’apprentissage même du langage par l’enfant, « par la pratique même du langage en situation » (ibidem : 46), à la suite de l’observation par l’enfant «du caractère à la fois ressemblant et différent des situations», au moment de la production des mêmes sons. Germain pense que le linguiste doit calquer sa méthode de détermination des traits pertinents situationnels sur le processus d’apprentissage des enfants, selon deux procédures :
1) « observer des corrélations (..) entre tel monème (ou tel énoncé) et telle situation (..) »,
2) « rechercher des traits constants ou permanents qui se retrouvent dans l’ensemble des situations dans lesquelles se produit le monème en question ». (ibidem : 46-47).
Prieto ne dira pas autre chose dans son article de 1988 :
« L’essentiel de ces mécanismes [mis en jeu dans l’acte de communication] se trouve en effet dans la possibilité qui est offerte au récepteur de déduire, de la présence de certaines caractéristiques dans le signal produit par l’émetteur, la présence de certaines caractéristiques dans le sens que celui-ci essaie de lui transmettre. C’est donc sur les « traits pertinents » du signal et du sens – ou, plus exactement, sur la relation qui unit certaines caractéristiques du signal et certaines caractéristiques du sens et qui fait de ces caractéristiques les traits pertinents du signal et du sens – que se fonde en définitive la communication » XE "indication:mécanisme" \b  (1988 : 25).
Prieto vient ici marquer le processus central en jeu dans l’indication et la communication. Il réduit le mécanisme de l’indication à l’essentiel qui se trouve, à travers la mise en relation de la phonie avec le sens, dans la liaison de deux ensembles de caractéristiques, dans « la relation qui unit certaines caractéristiques du signal et certaines caractéristiques du sens » (1988 : 25), le terme caractéristique étant ici synonyme de trait pertinent
4.5.2. Caractéristiques
Prieto veut cependant préciser et approfondir cette notion de « trait » ou de « caractéristique». En reprenant la définition qu’en font les linguistes (« ce qui distingue un objet d’un autre objet »), il remarque que cette définition, qui vient de la philosophie, est passée à la logique puis à la théorie de la connaissance. Mais, au cours de ces transferts, elle n’a pas été plus explicitée, ni, au bout de son parcours, n’a reçu un statut linguistique spécifique. Prieto veut combler cette lacune et réparer une carence, du fait que c’est de cette notion que dépend la compréhension des problèmes
« rangés traditionnellement sous la rubrique ‘‘syntaxe’’, et qui ne sont, en linguistique, que des cas particuliers de problèmes plus généraux, que l’on retrouve (…) dans toute discipline qui fait de la connaissance (ou d’une connaissance) son objet » (1988 :26).
La définition naïve (« ce par quoi un objet diffère d’un autre objet ») est insuffisante. Il faut lui ajouter : « et  ce qui remplit les conditions pour constituer une unité » (ibidem). Que sont ces conditions ? Ce sont celles qui distinguent l’unité de ce qui est moins qu’une unité, par le fait qu’« un objet peut différer d’un autre objet seulement par ce qui la constitue » (ibidem), et de ce qui est plus qu’une unité , par le fait qu’« un objet ne peut différer d’aucun autre objet par une partie seulement de ce qui la constitue » (ibidem). Ce qui constitue l’unité d’un objet fonde sa différence d’avec un autre objet, mais c’est son unité entière qui fonde sa différence, ce n’est pas une partie seulement de son unité. En outre, un objet ne peut être qu’un, rien ne peut être distingué en lui, sinon l’unité qu’il représente par rapport à un autre objet. Distinguer ainsi dans une chose sa substance et son accident, c’est distinguer, pour la connaissance, deux objets différents, c’est rompre l’unité de l’objet. Une partie d’une unité d’un objet ne serait qu’un autre objet, et briserait cette unité en deux unités différentes, en deux nouveaux objets, qui se distingueraient alors du troisième.
D’où cette formulation :
« un objet peut différer d’un autre objet seulement par ce qui constitue son unité, mais ne peut différer de lui par une partie seulement de ce qui constitue son unité» (ibidem :27).  XE "caractéristique et dimension:caractéristique" \r "caractéristique" 
La notion d’objet
 XE "objet" \b Prieto critique ainsi la linguistique et la philosophie qui ont admis sans la remettre en question l’idée courante selon laquelle les objets sont « naturellement » donnés en tant que tels et d’avoir ainsi « naturalisé » aussi ce qui, dans les objets, ne constitue que leurs caractéristiques.
Cette dénomination XE "dénomination"  fait ainsi entrer l’objet dans un univers de discours, mais ne statue pas sur la réalité ontologique de l’objet ainsi désigné : il s’agit d’un objet pour la connaissance et pour la communication. L’objet ainsi considéré comme unité n’a donc pas d’unité réelle, ce n’est pas sa désignation qui lui donne une réalité distinguée d’autres réalités, mais c’est une portion de la réalité qui apparaît à un sujet comme pouvant entrer comme élément d’un univers de discours, différencié d’autres éléments du même univers de discours.
La caractéristique « n’est pas donnée en tant que telle dans la réalité » :
« Une portion de la réalité étant donnée, qui apparaît à un sujet comme constituant un objet, les autres objets dont le premier diffère ou non sont les autres parties de la réalité que le sujet reconnaît comme faisant partie du même univers de discours. » (ibidem :27)
Pris dans ce sens, un objet ne peut apparaître seul, une caractéristique ne peut apparaître sans la présence d’un autre objet à l’égard duquel il peut se constituer :
« Pour que l’on ait affaire à une caractéristique il faut donc :
1. Un autre objet au moins différent par la caractéristique.
2. Aucun objet ne différant que par une partie seulement de ce qui la constitue » (ibidem).
Or, comme « une portion de la réalité peut apparaître comme constituant un objet dans une infinité d’univers de discours distincts », l’unité de différenciation d’un objet par rapport à un autre «  dépend de l’univers de discours dans lequel la portion de réalité qui constitue cet objet apparaît au sujet comme le constituant » (ibidem). XE "univers de discours" 
Ainsi, en phonologie, de mêmes sons peuvent constituer des phonèmes dans une langue, mais pas dans une autre, et des traits phonologiques pertinents dans l’une ne le sont pas dans une autre. De même, les traits dits impliqués, qui marquent des différences dans les sons, ne constituent pourtant pas des caractéristiques, car « [ils] ne se [laissent] pas distribuer dans les unités que sont les caractéristiques » (ibidem : 28).
« Toujours donc un objet diffère d’un autre objet par une caractéristique ou par un ensemble de caractéristiques qu’il présente. La définition de chacune de ces unités, c’est-à-dire la détermination de ce qui fait qu’elle soit telle caractéristique et non pas une autre semble toujours devoir être fondée sur la prise en compte de deux éléments qui jouent des rôles de nature fort différente » (ibidem :29). XE "caractéristique et dimension:caractéristique" \r "caractéristiquea" 
4.5.3. Point de vue et dimension
Deux objets peuvent être ainsi distingués comme deux portions de la réalité, s’ils sont regardés sous un certain point de vue, par lequel ils vont différer.
Ce point de vue constitue une caractéristique commune entre les deux objets, elle est l’élément sous lequel on va mettre en contraste ces deux objets et qui va les constituer comme différents. Cette différence peut alors apparaître grâce à ce contraste.
Ainsi, une caractéristique est constituée de deux éléments, l’un contrastif, l’autre oppositionnel. Prieto appelle dimension l’élément contrastif d’une caractéristique (ibidem :30) et oppositionnel ce « quelque chose que cet objet manifeste lorsqu’on le considère de ce point de vue » (ibidem : 30). Prieto fait remarquer que sa notion de dimension s’oppose à celle de Saussure TA \s "Saussure" , pour qui la dimension est inhérente à l’objet, car celui-ci est regardé « en fonction de la relation où il se trouve à l’égard d’autres objets. ». Pour Prieto, la dimension est un point de vue logique qui permet de regrouper les objets dans une même classe, pour que ceux-ci soient distingués des autres. XE "caractéristique et dimension:dimension" \b 
Ainsi, pour la connaissance et le discours, la différence entre deux objets n’est possible que s’ils ont la même dimension. L’élément contrastif ne peut constituer deux caractéristiques d’un même objet : du point de vue de la couleur, un crayon noir ne saurait être aussi un crayon rouge, sauf à les distinguer soit sous la dimension de la couleur de l’encre, soit sous celle de la couleur de la matière. Le même objet réel constitue deux objets pour la connaissance, dans la mesure où il peut être nommé sous deux dimensions différentes.
« La « base de comparaison » n’est pas constituée par des traits communs aux objets qui diffèrent entre eux, mais par une dimension qui leur est commune, c’est-à-dire un point de vue (inhérent) duquel tous ces objets sont tous susceptibles d’être considérés » (ibidem : 32).
De sorte que c’est par leur opposition que deux objets peuvent différer, et que deux objets qui diffèrent ont une dimension commune :
« Si dans l’univers de discours dans lequel un X apparaît à un sujet comme constituant un objet, figure également un Y, cela implique que ces objets possèdent du moins une dimension commune » (ibidem : 32). XE "caractéristique et dimension:dimension" \r "dimensiona" \b 
4.5.4. Caractéristiques pertinentes pour le sujet 
Les caractéristiques d’un objet – dimension et opposition – ne sont telles, en outre, que pour un sujet déterminé, dans un univers de discours XE "univers de discours"  donné. Elles ne sont pas les seules que l’objet présente, mais celles qui sont pertinentes pour le sujet.
La communication consistera ainsi à s’entendre sur les caractéristiques des objets que l’on inclut dans son discours et à spécifier tantôt la dimension sous laquelle l’objet nommé est considéré, tantôt l’opposition qui le constitue comme différent des autres. XE "communication" \b 
Nous verrons par la suite l’importance centrale que nous donnons à ces notions de caractéristiques dans l’acte didactique et pour le développement de stratégies de communication et d’enseignement auprès d’adultes migrants en apprentissage d’une langue seconde, particulièrement dans le traitement du lexique et dans la structuration syntaxique de la langue. Mais nous adopterons, pour désigner les caractéristiques d’un objet, le terme de dimension dans le sens que Prieto lui donne, et le terme de caractéristique pour désigner l’opposition qui le caractérise par rapport aux autres objets de même dimension. XE "caractéristique et dimension" \r "caractdimensa" \b 

Nous avons tenté d’exposer les concepts fondamentaux de Prieto linguiste et sémioticien. Notre objectif ici n’a été que de présenter le cadre dans lequel ces concepts se développent. Nous allons tenter de montrer maintenant comment leur cohérence et leur articulation permettent d’intégrer les apports de la recherche des trente dernières années en sciences du langage, et particulièrement en didactique.

Chapitre 5 : La pragmatique de la pertinence
«  Il n’y a donc rien qui puisse empêcher la sémiotique fonctionnelle de profiter des acquis de la pragmatique, tout comme cette dernière peut trouver un cadre général pour l’analyse détaillée des sémioses dans l’approche très compréhensive et cohérente qu’est la théorie sémiotique de Luis J. Prieto. »
(Blanke et Posner TA \l "Blanke et Posner" \s "Blanke et Posner" \c 1  1998 : 278).

Dans notre perspective didactique, la théorie de Prieto nous permet de mieux comprendre les stratégies et processus d’enseignement et d’apprentissage, et d’adapter l’enseignement aux besoins de l’apprenant. Depuis les années 1980, ce sont les recherches en pragmatique qui ont renouvelé les perspectives dans ces domaines. Nous devons donc nous interroger sur les rapports de la théorie de Luis Prieto avec la pragmatique. Il nous faut reprendre l’ensemble du développement de la pragmatique pour mieux situer Prieto dans ce mouvement.
Nous partirons de l’exposé que Reboul et Moeschler TA \l "Reboul et Moeschler" \s "Reboul et Moeschler" \c 1  (1998) offrent aux étudiants néophytes dans leur petit guide La pragmatique aujourd’hui et aux enseignants et chercheurs plus avancés dans leur Dictionnaire de pragmatique. Nous pensons ainsi pouvoir balayer les problèmes théoriques fondamentaux de la pragmatique, ce qui nous permettra, du fait même de la perspective que prennent Reboul et Moeschler, de mieux situer la problématique dans laquelle nous engagent les conceptions de Luis J. Prieto
Nous nous confronterons aussi, dans notre perspective didactique, avec les derniers développements de l’analyse conversationnelle et de la théorie de l’action, et particulièrement avec le courant de la pragmalinguistique, représenté par Bange TA \s "Bange"  et ceux qui se réclament de ses travaux.
5.1. Un modèle dialogique et interactif de la pensée
Reboul et Moeschler TA \s "Reboul et Moeschler"  (1998) annoncent, par la citation en exergue de leur introduction , la perspective résolument cognitiviste de leur visée pragmatique. Elle s’inscrit dans le programme d’intelligence artificielle inauguré par Alan Türing (1950 / 1995) TA \l "Türing" \s "Türing" \c 1 . Ce programme vise à donner des fondements théoriques pour la construction de machines intelligentes, c’est-à-dire capables de penser et de dialoguer avec l’homme et à sa place, en un mot : de communiquer. Penser s’assimile ici à communiquer XE "communiquer" , et communiquer s’assimile à dialoguer.
Sans s’être arrêtés à l’intuition déjà exprimée par Türing TA \s "Türing"  et validée depuis par la recherche mathématique, qu’une telle machine ne pourra jamais voir le jour, nombre de philosophes, linguistes, mathématiciens et informaticiens, pour développer l’intelligence artificielle, ont dû assimiler le fonctionnement de la machine à celui du cerveau humain et, par hypothèse de départ, construire un modèle dialogique de fonctionnement, c’est-à-dire interactif, équivalent et qui rende chacun – esprit et machine – compatible à l’autre.
Dans le cadre d’un tel programme scientifique, on se préoccupe principalement du fonctionnement interne de la pensée - des processus mentaux -, pour l’acquisition, l’usage et le développement des connaissances. Ce sont les sciences cognitives (psychologie, linguistique, philosophie de l’esprit, intelligence artificielle, neurosciences) qui sont principalement sollicitées. On doit s’appuyer premièrement sur la notion d’état mental XE "état mental" \b .
Mais ce projet nécessite de se préoccuper tout autant des relations de l’esprit – et de la machine – avec l’environnement externe : l’extra-mental. On rencontre la notion de pragmatique comme deuxième donnée centrale. Dans cette perspective, Reboul et Moeschler TA \s "Reboul et Moeschler"  interrogent la notion de pragmatique depuis sa première apparition jusqu’à ses développements les plus récents. C’est à travers elle qu’ils abordent les problèmes du langage et de la communication.
5.1.1. Les insuffisances des linguistes pragmaticiens
Les premiers développements de la réflexion en pragmatique sont autant le fait de philosophes ou de psychologues que de linguistes. La théorie des actes de langage en est l’un des apports fondamentaux.
Morris TA \l "Morris" \s "Morris" \c 1  et le terme de pragmatique
C’est à Charles Morris TA \s "Morris"  que l’on doit, en 1938, la première délimitation de la notion de pragmatique XE "pragmatique" \b . Morris distinguait, comme disciplines traitant du langage, la syntaxe (relation entre les signes), la sémantique (relation des signes avec leur dénotation) et la pragmatique (relation des signes avec leurs usagers). Celle-ci se limitait à l’étude des pronoms de première et deuxième personne et des adverbes de lieu et de temps, qui tirent leur signification de la situation dans laquelle la communication se produit.
Austin TA \s "Austin"  et les actes de langage
Mais c’est Austin TA \s "Austin"  (1991) qui crée la notion d’acte de langage et qui fonde la pragmatique, dans les William James Lectures, comme sous-discipline de la linguistique. Il avait en fait pour but de fonder une nouvelle philosophie du langage en attaquant « l’illusion descriptive » qui voudrait que tout énoncé soit évaluable et terme de vérité ou de fausseté. Le langage n’aurait en vérité pas pour but de décrire la réalité, comme on lui en avait assigné la finalité de l’Antiquité aux temps modernes mais de modifier cette réalité. Il devait se décrire non plus en terme de représentation plus ou moins vraie, plus ou moins fausse, mais en terme d’action transformatrice, plus ou moins réussie XE "communication:réussite" , plus ou moins ratée, plus ou moins efficace.
Il existe, en effet, des phrases déclaratives non constatives qui, au même titre que les phrases interrogatives, impératives et exclamatives, ne sont pas évaluables en terme de vérité et de fausseté. Il en est ainsi des phrases performatives qui contiennent un verbe performatif comme « ordonner, promettre, jurer, baptiser » et qui sont prononcées à la première personne du présent. Elles s’évaluent pourtant mais comme on évalue une action : en terme de résultat, de réussite ou d’échec. Elles posent des actes, elles sont des actes de langage. XE "acte de langage" \b 
Austin TA \s "Austin" , avançant dans sa réflexion, étend la notion d’acte de langage à tout type de phrase complète en usage. Toute phrase prononcée correspond à l’accomplissement d’un acte de langage au moins. Il en vient alors à distinguer les actes locutionnaires, actes « de dire quelque chose », des actes illocutionnaires, actes « en disant quelque chose », et perlocutionnaires, actes « par le fait de dire quelque chose ».
D’où sa formule : « dire, c’est faire », qui a donné son titre à la publication posthume de ses fameuses conférences (Austin 1991 TA \s "Austin" ).
Searle TA \l "Searle" \s "Searle" \c 1  : marqueurs, double intention et règles conventionnelles
Searle (1972) développe la théorie d’Austin en mettant l’accent sur le fait que les actes de langage sont un moyen conventionnel pour exprimer et réaliser des intentions. XE "intention" 
Il développe l’analyse des actes illocutionnaires en distinguant, dans une phrase, le marqueur de force illocutionnaire et le marqueur de contenu propositionnel, qui manifestent dans certains énoncés, en vertu de règles conventionnelles gouvernant l’interprétation des phrases, une double intention : celle d’accomplir un acte de langage et celle de faire reconnaître cette intention par l’acte lui même. Il décrit en outre les conditions de réussite d’un acte illocutionnaire sous forme de règles : les règles préparatoires, la règle de contenu propositionnel, les règles préliminaires, la règle de sincérité, la règle essentielle, les règles d’intention et de convention. Searle TA \s "Searle"  aborde, enfin, la question de la fiction et du mensonge, deux activités langagières qui adoptent la forme assertive et affirmative sans en avoir le contenu, car les règles qui les régissent ne sont pas ici respectées.
Les limites de la théorie des actes de langage
Parallèlement aux analyses des philosophes, des linguistes ont été conduits à développer une pragmatique linguistique à partir de l’hypothèse performative de John Ross TA \l "Ross" \s "Ross" \c 1  et des réflexions de Searle TA \s "Searle"  (Searle 1972) sur le mensonge et la fiction. Leurs formulations conduisent pourtant à de tels paradoxes que la théorie des actes de langage échoue à les décrire de manière appropriée. Ainsi, si elle a mis en lumière des phénomènes intéressants, la théorie des actes de langage, pour Reboul et Moeschler, justifie des aménagements importants.
La tare originelle : code contre inférence
A quoi cela tient-il ? A ce que le lien entre les états mentaux du locuteur et les phrases dans lesquelles il accomplit des actes illocutionnaires est, dans la théorie des actes de langage, trop « étroit » (RM 98 : 39). La théorie des actes de langage, bien que reconnaissant l’existence d’état mentaux, reste plus proche du behaviorisme que des sciences cognitives. Ses concepteurs ne s’intéressent qu’à ce qui est directement observable. Tout état mental, selon le « principe d’exprimabilité » de Searle TA \s "Searle" , peut être exprimé explicitement et littéralement par une phrase, de telle sorte que les intentions sont rendues en quelque sorte transparentes par les actes de langage qui les expriment conventionnellement sous forme de phrases. Or il s’agit là d’une « version forte» de la théorie des actes de langage. Elle doit être abandonnée au profit d’une version plus faible, qui intègre mieux les acquis des sciences cognitives, afin de « permettre à l’Intelligence Artificielle de progresser sur le chemin de l’ingénierie linguistique » (RM 98 : 39) : des phénomènes internes ne sont pas exprimables par le langage, dont il faut pourtant rendre compte. Une pragmatique « purement linguistique » ne peut se développer indépendamment des sciences cognitives au risque de bloquer les travaux de l’ingénierie linguistique. Searle se révèle d’ailleurs un adversaire convaincu de l’intelligence artificielle, et a fait, à travers l’exemple de la chambre chinoise, la critique du test de Turing.
Reboul et Moeschler répondent eux-mêmes aux arguments de Searle. Ils énoncent la tare essentielle  d’une telle pragmatique linguistique : elle a une conception purement codique du langage, conçu comme « transparent ». Elle « occulte tout un pan de la pragmatique, celui qui a trait aux processus inférentiels, au recours au contexte et à des informations non linguistiques dans l’interprétation des phrases. » (RM98 : 40) XE "inférence" . XE "acte de langage" \r "actlangth" 
5.1.2. Une pragmatique linguistique
Cette tare originelle, se retrouve dans la pragmatique intégrée, qui s’est plus spécialement développée sur le continent européen.
La réflexion pragmatique des linguistes continentaux est née de la tentative d’intégrer à la réflexion linguistique des phénomènes qui n’en paraissaient pas relever directement. Elle est partie du constat que des conditions d’usage, codifiées et inscrites dans la langue, affectent les significations linguistiques de nombreux éléments, dont on ne peut rendre compte par leur seul contenu sémantique. Les uns s’interprètent relativement à l’acte qu’ils décrivent ou modifient (franchement, entre nous) ; d’autres contiennent des instructions sur la façon d'utiliser les phrases dans le discours : verbes performatifs (promettre, remercier, trouver), conjonctions (mais, donc, puisque, parce que), adverbes (d'ailleurs, enfin, justement) ; d’autres enfin communiquent un contenu implicite sans que sa réalisation linguistique soit apparente, comme la présupposition, à l'origine de la pragmatique intégrée d'Oswald Ducrot TA \l "Ducrot" \s "Ducrot" \c 1  (1972).
Le cas de la présupposition est particulièrement révélateur de l’échec de ces approches. Reboul et Moeschler considèrent insuffisantes les solutions apportées tant par les premières approches logiques et philosophiques du courant Frege-Russel, qui font des présupposés une condition de contenu (ce qui aboutit à des absurdités logiques), que par l’approche pragmatique de Ducrot qui en fait pourtant bien une condition d’emploi (sa vérité est nécessaire, sinon la phrase n'a pas de sens) mais qui ne prend pas assez en compte les processus mentaux qui sont mis en jeu. En effet, les présuppositions sont bien, pour Ducrot, des informations d'arrière-plan nécessaires, indispensables même, au succès de la communication, lequel suppose un savoir implicite commun aux interlocuteurs, et elles constituent bien pour lui, en outre, un principe de cohérence du discours puisqu’elles sont constantes dans les tours de parole. Mais, en les considérant comme des actes illocutionnaires conventionnellement codés dans le langage et en portant une attention particulière aux verbes dits présuppositionnels, il ne résout pas le problème logique de l’existence de présupposées fausses de phrases vraies (et réciproquement) et des présupposées fausses de phrases qui ont du sens XE "présupposition"  (RM 98 : 45).
La pragmatique ne peut donc être une théorie purement linguistique centrée sur le code : elle doit être une théorie cognitiviste qui prenne en compte les processus mentaux. Reboul et Moeschler proposent donc de se tourner vers un modèle cognitiviste, « une pragmatique non linguistique d’obédience cognitiviste » ( RM 98 : 48) qui pourrait se révéler le chaînon manquant pour satisfaire au test de Turing. C’est dans la pragmatique gricéenne qu’ils vont trouver les premières intégrations des processus inférentiels et c’est dans le modèle de Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  qu’ils vont trouver le modèle cognitiviste le mieux adapté. XE "pragmatique:linguistique" \r "pragling" 
5.1.3. La pragmatique gricéenne et l’inférence
En 1957, le philosophe Paul Grice TA \l "Grice" \s "Grice" \c 1  publiait sous le titre « Meaning » un article sur la signification, qui devait faire date : il donnait une plus large place aux phénomènes inférentiels négligés par les théoriciens des actes de langage. Il mettait en valeur deux capacités conditionnant la communication : celle d’avoir des états mentaux et celle d’en attribuer aux autres. C’est d’elles en effet que dépend la capacité à interpréter de façon complète et satisfaisante les énoncés.
Signification naturelle et non naturelle
Pour fonder cette capacité d’interprétation, Grice fait une distinction fondamentale entre signification naturelle XE "signification:naturelle"\b  et signification non naturelle XE "signification:non naturelle" \b. Ce qui s’exprime en anglais par le seul terme « to mean » se distingue en français par les trois termes indiquer, signifier et vouloir dire. C’est sur le sens de vouloir dire que Grice porte toute son attention pour distinguer signification naturelle et signification non naturelle. Dans la signification naturelle, des phénomènes sont mis en relation avec des signes qui ont une existence indépendante de la volonté de communiquer ou d’interpréter : leurs symptômes ou leurs conséquences. Dans la signification non-naturelle, les signes sont conditionnés par une volonté de communiquer et d’être interprétés : ce sont des phrases qui sont mises en relation avec des contenus que les locuteurs veulent transmettre. Dire qu’un interlocuteur a voulu dire quelque chose par une phrase, c’est dire que ce locuteur a eu l’intention, en énonçant cette phrase, de produire un effet sur son interlocuteur grâce à la reconnaissance, par cet interlocuteur, de cette intention. Reboul et Moeschler font remarquer que Grice intègre, par la notion d’effet à produire à travers une phrase, la notion d’acte de langage (RM98 :49). Il définit cet effet à produire par l’interprétation ou la mise en relation de cette phrase avec des contenus.
Searle TA \s "Searle"  va s’inspirer de cette notion de signification naturelle pour fonder son analyse de la double intention XE "intention" , mais en donnant plus d’importance à la notion de signification conventionnelle. Faire reconnaître une première intention de communiquer un contenu s’opère en vertu des règles conventionnelles qui gouvernent l’interprétation de cette phrase dans la langue commune. De fait, Saerle simplifiera la conception de Grice TA \s "Grice" . Là où Grice distingue la signification (conventionnelle) XE "signification:conventionnelle" , l’indication XE "indication"  (la signification naturelle) et le fait de vouloir dire, Searle ne conservera que l’indication (la signification naturelle) et la signification conventionnelle dans laquelle se réduit la signification non-naturelle. La deuxième intention de Grice n’impose pas de passer par la signification conventionnelle de la phrase : elle n’est que la reconnaissance de la première intention.
Circonstances de production, phrase et énoncé
Grice reprendra en 1967 ces analyses dans les William James Lectures, publiées en 1969, et développera ses analyses de la notion d’intention dans une série d’articles dont le plus important, en 1975, porte sur la « logique de la conversation ». Ils fondent l’analyse conversationnelle XE "analyse conversationnelle" et ouvrent ainsi dans la réflexion pragmatique un nouveau champ d’observation appelé à un grand développement (voir ci-dessous 6.2 ).
Grice introduit une nouvelle perspective et deux notions fondamentales.
Grice TA \s "Grice"  est le premier, selon Reboul et Moeschler TA \s "Reboul et Moeschler"  (RM 98 : 50), à ouvrir le champ à la notion de circonstances XE "circonstances:de production"  de production pour l’interprétation des phrases, donc à une notion non conventionnelle ou non-codique de l’interprétation linguistique. L’interprétation d’une phrase « dépasse généralement de beaucoup la signification qui lui est conventionnellement attribuée » (ibidem), de sorte qu’il faut distinguer, selon Grice, entre la phrase XE "phrase" \b  (même suite de mots prononçables dans des circonstances différentes) et l’énoncé XE "énoncé" \b  (résultat variable selon les circonstances de la prononciation d’une même phrase). La signification conventionnelle d’une phrase est stable alors que la signification de son énoncé est variable. L’interprétation linguistique « admet que la signification d’une phrase n’épuise pas son interprétation lorsqu’elle est prononcée dans des circonstances différentes.» (RM 98 : 51).
Implicature et principe de coopération
Grice TA \s "Grice" , en outre, est, pour Reboul et Moeschler, TA \s "Reboul et Moeschler"  celui qui introduit deux notions fondamentales pour la suite du développement pragmatique : la notion de principe de coopération et la notion d’implicature XE "implicature" \b.
Le principe de coopération énonce les conditions subjectives -- état d’esprit ou d’attente -- dans lesquelles doivent se trouver les interlocuteurs. Il suppose que « chacun d’entre eux contribue à la conversation de manière rationnelle et coopérative pour faciliter l’interprétation de ses énoncés » (RM 98 : 51). Sur le modèle des règles de Searle TA \s "Searle" , ce principe énonce quatre maximes de conduite de la conversation XE "analyse conversationnelle:maximes" \b  : la maxime de quantité (autant d’information que nécessaire et pas plus), la maxime de qualité (sincérité supposée, non mensonge), la maxime de relation ou de pertinence (parler à propos, en relation avec les énoncés précédents) et la maxime de manière ( clarté, non ambiguïté, dans le respect de l’ordre discursif). Ce sont plus des principes d’interprétation que des règles normatives ou de comportement comme dans la théorie des actes de langage. XE "analyse conversationnelle:coopération:principe de" \b 
L’interprétation d’un énoncé dépendant des circonstances XE "circonstances"  et ne se réduisant donc pas à la « signification:conventionnelle » de la phrase correspondante, il y a une différence entre ce qui est dit et ce qui est transmis ou communiqué. Ce qui est dit, Grice TA \s "Grice"  l’appelle signification XE "signification" \b , ce qui est transmis Grice l’appelle implicature XE "implicature" . Or il y a deux types d’implicatures, ou moyens de communiquer au-delà de ce qui est dit : l’implicature conventionnelle, moyen conventionnel, et l’implicature conversationnelle, moyen conversationnel. XE "interprétation:énoncé »" 
Ce que Reboul et Moeschler mettent en valeur, c’est surtout le fait que Grice « prévoit l’exploitation des maximes de conversation (…) lorsque le locuteur viole de façon évidente l’une ou l’autre des maximes. » (RM 98 : 53), ce qui permet à Grice de rendre compte d’un certain nombre de procédés rhétoriques ou discursifs. XE "pragmatique:gricéenne" \r "praggrice" 
5.2. La Pragmatique implicite de Prieto TA \s "Prieto"  I
Nous pensons qu’il est temps de faire un premier point sur les relations de Luis J. Prieto avec la pragmatique et de confronter ses conceptions avec celles de Grice et de ses devanciers. Rappelons cependant, pour mémoire, que c’est en 1964 que Prieto publie ses Principes de noologie et en 1966 qu’il publie Messages et Signaux. La question devra se poser aux historiens de la pragmatique des sources de la réflexion de Prieto, et de la connaissance qu’il a pu avoir, antérieurement et postérieurement à ses différents travaux, de la réflexion des « premiers » pragmaticiens. Et réciproquement. Nous sommes en tout cas intrigués par la convergence des analyses de Prieto avec ce développement.
5.2.1. Linguistique, structuralisme et pragmatique
Reboul et Moeschler mettent en cause les linguistes qui, avant Ducrot, avaient échoué à intégrer la dimension pragmatique dans leur théorie en se focalisant sur les seuls procédés codiques de l’interprétation des phrases : ils ne pouvaient permettre d’atteindre l’interprétation des énoncés dans des circonstances spécifiques d’émission. Prieto est-il de ceux-là, ou a-t-il « tenu compte » des apports de Ducrot ? Prieto peut-il rendre compte aussi des processus inférentiels qui entrent en jeu dans ce processus d’interprétation, que ne pourrait pas atteindre une description des seules données linguistiques ? Ainsi, linguiste, Prieto partage-t-il la tare originelle de ses collègues ?
Cet examen est d’autant plus nécessaire que Prieto, comme nous l’avons vu, se réclame d’un courant bien spécifique de la linguistique : le structuralisme saussurien. Or, Reboul et Moeschler non seulement reprochent aux structuralistes d’avoir échoué à intégrer les analyses de Ducrot mais, dans le débat – que nous examinerons plus loin – concernant la formation des concepts, ils reprochent à la sémantique structurale d'avoir abandonné le principe saussurien de relation entre le concept et l'image acoustique, entre "la représentation conceptuelle de l'objet et sa représentation phonétique" (RM 98 : 141). Cet abandon a conduit la linguistique structurale américaine (Sapir et Whorf TA \l "Sapir et Whorf" \s "Sapir et Whorf" \c 1 ) et continentale (Hjemslev TA \l "Hjemslev" \s "Hjemslev" \c 1 ) à abandonner toute référence à la psychologie ( donc à toute dimension cognitive). En ne retenant de Saussure TA \s "Saussure"  que la théorie de la valeur, " le domaine de la sémantique s'est vu restreint à l'étude de la manière dont les systèmes lexicaux des différentes langues sont organisés entre eux pour produire une signification, définie différentiellement et négativement" (RM 98 : 141). Cela conduit ces linguistes à postuler les thèses de "l'autonomie du sens" et du "relativisme linguistique"  qui, dans la perspective scientifique de Reboul et Moeschler, ne sont pas défendables. Ainsi, en détachant les entités de leur représentation mentale et en rendant constitutive du signe linguistique la relation entre sa représentation conceptuelle de l'objet et sa représentation phonétique, ce structuralisme n’a pas une approche cognitiviste de la signification des mots et des concepts, il a même une vision « radicalement différente (et opposée) (RM 98 : 139).
Reboul et Moeschler n'en font pas cependant une tare de toute la théorie structuraliste : ils montrent qu'il y a eu chez ces structuralistes un écart par rapport à la théorie originelle de Saussure TA \s "Saussure" , et ils atténuent leur affirmation : c'est "notamment dans ses versions les plus récentes et non psychologiques" (RM 98 : 143) que ce reproche doit être fait. Ainsi, Reboul et Moeschler rangeraient sans doute Prieto parmi les structuralistes à qui la version forte de ce reproche n’est pas à adresser. Mais ils ne font jamais référence aux travaux de Prieto et nous devons examiner plus en détail ce qu’il en est.
Trois questions se posent donc à nous:
1. La linguistique de Prieto est-elle purement conventionnelle ou codique ?
2. La linguistique de Prieto permet-elle d’intégrer les processus inférentiels ?
3. La linguistique de Prieto permet-elle une approche cognitive de la signification ?
5.2.2. Signification non-naturelle et signalisation
Un survol du chapitre précédent permet déjà de se faire une idée assez précise de la réponse à donner. Nous ne nous en contenterons pas, mais nous laisserons la parole à des chercheurs qui ont déjà traité de façon très détaillée une partie de ces questions.
C’est, à notre connaissance, en 1998 que les rapports de Prieto TA \s "Prieto"  et de la pragmatique ont été traités pour la première fois. Cette année-là, la revue Semiotica publie, sous la direction de A. Sebeok, un numéro spécial (n° 122) en hommage à l Suvre de Prieto, disparu depuis peu. Deux linguistes, Bÿrries Blanke TA \s "Blanke et Posner"  et Roland Posner, consacrent un article à La pragmatique implicite dans l’œuvre de Luis J. Prieto (p. 257-278), dans lequel ils analysent les rapports entre Grice TA \s "Grice"  et Prieto. Ils veulent montrer que la théorie prietienne intègre « sans contradiction » une pragmatique de type gricéen, entendant par pragmatique XE "pragmatique" \b le « domaine des significations non codées » (Posner 1977). Oui, pensent-ils, Prieto a su inclure à sa théorie le domaine des significations non-codées, qui relèvent de cette pragmatique « sous-jacente ».
Ils font remarquer que, Saussure TA \s "Saussure"  ayant exclu explicitement la « parole » du domaine de la linguistique et de la sémiologie, et les pragmaticiens s’intéressant peu aux faits de signification autres que verbaux, il ne devrait pas y avoir de point de rencontre entre Prieto, sémioticien d’inspiration profondément structuraliste, et Grice, philosophe analytique américain ignorant totalement ce courant de recherche.
Or Blanke et Posner TA \s "Blanke et Posner"  constatent qu’il n’en est pas du tout ainsi : au contraire, ils notent des « parallèles étonnants » et des « divergences instructives » entre Prieto et Grice. Ils pensent même pouvoir montrer non seulement que « la sémiologie prietienne contient déjà une pragmatique », mais qu’il est même possible de proposer une « intégration dans sa théorie des phénomènes pragmatiques n’étant pas prévus par Prieto » (Blanke TA \s "Blanke et Posner"  et Posner 1998 : 257).
Communication et signe
En abordant le langage comme phénomène de communication, Grice et Prieto se retrouvent déjà sur un terrain commun. Ils tentent tous deux, en effet, d’intégrer dans la communication les deux approches, à première vue opposées, concernant, d’une part, les objets signifiants et, d’autre part, les sujets de la communication. Prieto le fait en unissant une théorie du signe et du code à une théorie de « l’acte sémique » ou « acte de communication », tandis que Grice, à partir de l’ambiguïté du concept anglais de « meaning », tente « d’expliquer son interprétation centrée sur l’objet à partir de celle centrée sur le sujet » (ibidem). 
Mais tandis que Grice tente d’élaborer une théorie de la signification au niveau philosophique à partir de définitions de concepts qui n’accordent pas un intérêt central à celui de signe, Prieto fonde fermement son analyse « sur le concept saussurien de signe comme union d’un signifiant et d’un signifié déterminés par leurs positions respectives dans deux réseaux de relations » qu’il intègre à une analyse des faits sémiotiques particuliers.
De sorte que, pour Blanke et Posner TA \s "Blanke et Posner" , « la systématique sémiotique développée par Prieto représente une base excellente pour l’analyse des signes concrets et des codes sur lesquels ils s’appuient » (Blanke et Posner 1998 : 258) . XE "communication"  XE "signe" 
Indication spontanée et signification naturelle
 XE "indication" . XE "signification:naturelle" Ainsi, dans l’analyse de l’acte de communication, Grice et Prieto, pour distinguer les divers usages du signe, accordent une place centrale à l’intention communicative XE "intention" .
Grice, on l’a vu, s’appuie sur les notions de signification naturelle et de signification non naturelle sans pourtant donner de définition de base du concept de signification, pour définir la communication comme « coextensive à l’occurrence de significations non naturelles » (Grice 1957 : 379sq). Prieto, pour sa part, s’appuie sur les notions, inspirées par Buyssens TA \l "Buyssens" \s "Buyssens" \c 1  (1943, 1968), d’indice et de signal [déf. 1 : Prieto 1966, 1968, 1972 ; déf. 2 : Prieto 1975b], opèrant une classification entre indices spontanés, indices intentionnels ou signaux, et indices faussement spontanés, pour définir la communication comme « emploi de signaux » (RM 98 : 259). Blanke et Posner TA \s "Blanke et Posner"  notent ainsi une correspondance entre la notion prietienne d’indication spontanée et la notion de signification naturelle chez Grice. Ils relèvent en outre que les exemples qu’empruntent Prieto et Grice pour illustrer la notion d’indice faussement spontané « ont la même structure d’intention » (BP 1998 : 260)  : dissimuler son intention d’indiquer quelque chose à l’interprète
Communication intentionnelle et signal
Enfin, les trois conditions de Grice (faire savoir quelque chose, faire connaître son intention de faire savoir, réaliser la première condition au moyen de la seconde) se retrouvent chez Prieto. Bien que la troisième ne soit pas chez lui explicitée, elle est incluse dans la notion même de signal XE "signal" .\b , « faits indiquants produits expressément afin de fournir une indication et reconnus comme tels » (Prieto 1975b :16) ou « indiquants (1) intentionnels (2) reconnus comme tels (3) ». Pour Prieto, on a affaire à un signal si :
1. Un fait est produit dans l’intention de fournir une indication à un récepteur.
2. (1) est reconnu par le récepteur.
3. (2) est la condition du succès de l’intention dans (1).
Blanke et Posner TA \s "Blanke et Posner"  examinent enfin la question de savoir s’il fallait exclure rigoureusement de la notion de sens les cas d’indication non intentionnelle ou garder le troisième critère de l’intentionnalité. Mise au débat par la philosophie analytique, cette question a été résolue négativement par la sémiotique européenne d’inspiration structuraliste : Greimas et Courtès TA \l "Greimas et Courtès" \s "Greimas et Courtès" \c 1  (1979) considèrent que la notion d’intention n’est pas pertinente pour la sémiotique ; Barthes TA \s "Barthes"  (1964 a), Eco TA \l "Eco" \s "Eco" \c 1  (1975, 0.3 et 0.5) et Klingsberg TA \l "Klingsberg" \s "Klingsberg" \c 1  (1979) tiennent à marquer la distinction entre indices intentionnels et indices non intentionnels. Prieto (1975a : 140 sq), quant à lui, s’en tient à la position de Buyssens : il restreint la sémiologie de la communication aux indices intentionnels reconnus comme tels. De sorte que la critique de Grice à l’égard des structuralistes européens n’affecte pas Prieto, qui distinguera communication intentionnelle et indication spontanée.
Le premier moment de l’analyse de Blanke et Posner TA \s "Blanke et Posner"  vise ainsi à montrer que Grice et Prieto ont la même conception du rôle de l’indice, et ne diffèrent que par la terminologie. Mais ils nous font déjà remarquer que l’analyse de Prieto est plus complète que celle de Grice puisqu’elle s’appuie sur une claire définition de la notion de signe et que sa définition de l’indice s’inscrit dans une conception plus globale : la théorie de l’indication.
Ainsi, à cette étape de leur exposé, Blanke et Posner notent la convergence d’analyse entre Grice et Prieto  :
1. Pas de recours à la notion de code pour définir la communication
2. Double statut reconnu à l’information, selon que celle-ci est communiquée ou non :
indice et signal chez Prieto, signification naturelle et signification non naturelle chez Grice.
3. Il y a deux entités fondamentales :
a. Le fait que l’émetteur veut communiquer quelque chose. Prieto l’appelle
indication notificative ; Grice n’emploie pas de terme spécifique.
b.Le fait communiqué lui-même. Prieto l’appelle sens ; Grice l’appelle signification situationnelle d’un type d’énoncé (Grice 1969). XE "signalisation" \b  XE "signalisation" \t "Voir signification naturelle" 
5.2.3. Du signifié au sens : le sens comme enrichissement intentionnel du signifié
Blanke et Posner s’interrogent ensuite sur la façon dont nos deux auteurs traitent du passage de l’indication notificative au sens.
L’indication significative. La double pertinence du sens
Prieto y apporte une réponse dans la tradition saussurienne. C’est l’indication significative XE "indication:significative" \b : le signal réalise le signifiant, qui réalise un signifié, ou classe de sens possibles.   Les circonstances ont pour fonction de fournir des « indices supplémentaires » qui permettent de conclure du signifié au sens.
L’idée centrale de Prieto est qu’il y a une « double pertinence XE "sens:double pertinence"  » du sens  (1975a :169-177) qui est corrélé d’une part au signifiant et d’autre part à une situation de signification donnée (Prieto 1964 : 36sq ; 1966 : 1.4 ; 1975b : 47sq, 67sq, 108sq, 152sq ; 1995 : 227sq). De sorte que « Le sens ne se réduit pas pour Prieto à la signification conventionnelle ; il comprend en outre un composant situationnel, autrement dit : pragmatique » (BP 1998 : 264). Le sens donne donc une double indication : l’une concernant l’intention de l’émetteur, l’autre comme développement du signifié. Blanke et Posner remarquent la correspondance entre Prieto et Grice TA \s "Grice" , pour qui la réalisation de la signification conventionnelle dépend aussi des circonstances de l’énonciation. XE "indication:double" \b 
Mais Blanke et Posner notent, entre les deux théories, une « différence capitale » qui tient à la contribution des circonstances au sens (ou rapport Sa/Se : Signification conventionnelle/Signification situationnelle). Pour Prieto, le signifié d’une phonie recouvre une multitude de possibilités, de sorte que le rapport entre le signifié et le sens est un rapport de réduction du multiple à l’unité, c’est-à-dire un rapport logique de restriction ou d’inclusion. Grice ne se prononce pas sur ce caractère de l’opération logique effectuée, ni sur le caractère ensembliste des relations entre phrase et énoncé. XE "sens" 
Implication, signifié et sens
 XE "sens" Le second argument que présentent Blanke et Posner vise à montrer ensuite que, chez Prieto, c’est dans dans la conception même qu’il se fait du sens que s’intègre une dimension pragmatique. Contrairement aux structuralistes traditionnels, pour qui la communication linguistique se réduit au codage, le sens pour Prieto ne se réduit pas à l’enrichissement d’un signifié. Réduire la communication au codage ne permet pas, en effet, de rendre compte des implicitations conversationnelles, phénomènes centraux soulevés par la réflexion pragmatique et au cœur de la théorie gricéenne. Or elles semblent absentes de la théorie prietienne. Blanke et Posner se demandent donc comment intégrer la notion d’implicitation à la théorie fonctionnelle de Prieto.
Ils partent, là encore, d’un exemple dont la structure est analysée identiquement par Grice et Prieto, l’un et l’autre employant une terminologie différente. On sait que Grice oppose dire et impliciter. Un acte communicatif peut comporter plusieurs signalisations. Ainsi, un bus peut avoir l’habitude de passer chaque jour, très régulièrement, cinq minutes après l’heure sonnée à l’horloge du beffroi. Annoncer, dans ces circonstances, [lbssaRiv] peut alors vouloir transmettre deux informations différentes :
a. /le bus arrive /, qui se ramène au contenu explicite de l énoncé.
C est ce que Grice appelle « dire », soit établir une « relation étroite entre ce qui est dit et le sens conventionnel des mots (de la phrase) prononcés » (1975 : 44, 1979 : 59). Il s’agit de la signification codée.
Selon Prieto, pour qui toute indication est basée sur un savoir théorique,
« celui que l’on possède quand on sait que si jamais il y a un objet (…) à condition qu’il présente certaines caractéristiques (…) un tel objet peut se trouver dans une certaine relation avec d’autre objets (Prieto TA \s "Prieto"  1995 : 217sq) ,
le signal [ilariv] a pour signifié /il arrive/, lequel prend dans les circonstances de l’énoncé le sens « Le bus arrive » dont le référent est le bus.
b. « il est neuf heures cinq », qui a un contenu implicite relié à la connaissance de la régularité de son horaire, et déduite du fait du passage du bus après la sonnerie de neuf coups au beffroi.
Il s’agit pour Grice d’une implicitation conversationnelle : les composants non dits, non codés, de la signification situationnelle sont implicités. Cette implicitation relève d’une « implication conventionnelle », c’est-à-dire d’une « signification inférée à partir de certaines maximes conversationnelles, puis du contexte verbal et situationnel » (BP 1998 : 266).
Pour Prieto, l indice arrivée du bus renvoie ici à l indiqué /5 mn après l heure/ et l énoncé [lbssariv] réalise le savoir /Il est 9 h 05 mn/ dont le référent est l’heure actuelle. Ainsi l’énoncé dont le signifié est /le bus arrive/ est un signal dont le sens est « il est neuf heures cinq ».
Blanke et Posner TA \s "Blanke et Posner"  considèrent que le schéma prietien de cette implicitation peut se traduire en terme gricéen comme une double signalisation XE "signalisation:double" , c’est-à-dire une double indication intentionnelle, satisfaisant la définition gricéenne de la communication :
1. Une signalisation primaire : signal [ilariv], signifié /le savoir sur « il arrive »/ dont le sens est : « le bus arrive ».
2. Une signalisation secondaire : ce sens est le signal de l’ indiqué de « il est cinq minutes après l’heure » dont le sens est « il est 9h05 ».
Cette analyse conduit Blanke et Posner à montrer qu’ainsi la théorie de Prieto intègre sans difficulté la question de l’implicitation. Mais ils le font au prix d’un ajout à la terminologie prietienne des termes signalisation secondaire, qui recouvre, dans le cas des implicitations conversationnelles, la notion prietienne de sens. XE "implication" \r "Sélection"  XE "sens"  XE "sens:implication" \r "sensc"  XE "implication" \t "Voir sens" 
Vériconditionnalité et intensionnalité du sens
 XE "sens:vériconditionnalité" Comment, cependant, dans la communication, décider que l’énoncé ou la phonie [lbysariv] doive être interprété(e) dans le sens (1) ou dans le sens (2) ? Le signal en lui-même ne suffit pas. Comment décider de limiter ainsi ce que Blanke et Posner appellent « les formes possibles de développement de la signification conventionnelle ou dit » de Grice (BP 1998 : 266), tels que l’attribution de référents ou la désambiguïsation sémantique ?
Grice, pour sa part, offre un point de repère pour délimiter ce développement : la vériconditionnalité. C’est le critère de distinction entre ce qui est dit et ce qui est implicité. Ainsi les significations conventionnelles non vériconditionnelles sont qualifiées d’implicitées, ou implicitations conventionnelles (Grice 1975).
Prieto, de son côté, ne se pose pas la question, et pour cause : les circonstances de la communication sont là pour donner, elles-mêmes, le sens et l’enrichir. Le signifié est ainsi appelé à être développé par différents procédés : attribution de référents, enrichissement de la phrase elliptique, désambiguïsation des homonymes. En cas de doute sur le référent ou d’ambiguïté, la parole est là pour spécifier le sens visé ; de sorte que la phonie contribue à l’établissement du sens. L’implicité est dévoilé par l’explicitation. Ce développement du signifié conduit à ce que le sens soit intensionnellement plus riche que le signifié. Ainsi, pour Blanke et Posner, la restriction ou l’inclusion prietienne sont un enrichissement intensionnel. Ce que Prieto exprime en disant que « le sens fait partie de l’ensemble des sens admis par le signal » (Prieto 1964 : 196 ch. 1.3 ; 1968 : 102-104).
C’est en termes purement intensionnels que se définit le rapport entre le signifié et le sens. Les possibilités du signifié sont réduites, et le sens est spécifié par les circonstances ou par un discours complémentaire. Le sens contient les caractéristiques du signifié, plus une caractéristique supplémentaire. De sorte que Blanke et Posner peuvent avancer que la notion de sens chez Prieto recouvre à la fois les notions de « dit » et « d’implicitation conventionnelle » de Grice. La question est de décider de combien le signifié peut être élargi pragmatiquement, sans que vienne s’y ajouter une signification autre, qui ne pourrait plus être considérée comme développement direct du signifié. Ils définissent donc le problème comme celui des limites à donner à « l’élargissement pragmatique du signifié ». XE "intensionnalité" \b 
Or ce qu’analyse Prieto, c’est justement, et exclusivement, le processus de désambiguïsation XE "ambiguïté" . Il n’analyse pas les autres phénomènes pragmatiques en jeu dans les échanges, et se concentre exclusivement sur la question de l’enrichissement intensionnel du sens. Ce qui fait dire à Blanke et Posner que, en termes gricéens, le composant pragmatique prévu par la théorie prietienne se limite au développement d’un sens vériconditionnel à partir du signifié XE "sens:vériconditionnalité" . XE "vériconditionnalité" \t "Voir sens"  XE "indication" \r "indicationb" 
5.2.4. Conclusion provisoire
On voit ainsi que l’analyse de Posner et Blanke nous permet de répondre positivement aux deux premières questions que nous nous posions : oui, la linguistique de Prieto n’est pas purement codique. Oui, elle permet d’intégrer, grâce à ses notions de la double pertinence du sens et d’intensionnalité, les processus inférentiels en jeu dans l’interprétation des énoncés.
Elle nous permet déjà d’apporter des éléments de réponse à la troisième question. Mais il faut pour cela reprendre l’enquête de Reboul et Moeschler où nous l’avons laissée : au moment où de nouveaux problèmes se posent à la réflexion pragmatique, qui nécessitent selon eux un dépassement des conceptions de Grice et l’appel à des modèles théoriques plus récents et plus élaborés, qui prennent bien en compte les processus cognitifs en jeu dans l’interprétation. Si Grice ne résiste pas à ces nouvelles avancées, Prieto y résiste-t-il ? XE "pragmatique:de Prieto" \r "pragmatiquea" 
5.3. La pragmatique de la pertinence de Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson" 
Reboul et Moeschler TA \s "Reboul et Moeschler"  montrent que l’approche moins « conventionnelle » de Grice permet de surmonter les difficultés de la théorie des actes de langage. Là où Searle doit s’appuyer sur la notion d’acte primaire et d’acte secondaire, et sur le principe de coopération emprunté à Grice, Grice lui-même analyse de tels actes comme des implicatures conversationnelles consécutives à la violation du principe de relation (ou de pertinence). Mais cette avancée est assortie d’une restriction :
« On notera cependant qu’elle n’explique pas pourquoi le locuteur a recours à un mode de communication qui n’est pas complétement explicite. » ( RM 98 :57)
et d’une nouvelle ouverture :
« La première théorie à essayer de le faire a été la pragmatique de la pertinence de Sperber et Wilson. TA \s "Sperber et Wilson"  » ( ibidem)
5.3.1. Le modularisme de Sperber et Wilson
La question qui se pose est de comprendre pourquoi la communication peut se passer de l’explicite et, ce qui revient au même, comment et par quel processus l’interprétation d’un énoncé non explicite est possible. L’explication, pour aboutir, doit considérer que l’insuffisance des interprétations conventionnelles ou purement linguistiques doit être compensée par les procédés pragmatiques d’interprétation. Il est nécessaire d’élaborer un modèle théorique qui puisse rendre compte de ce double processus d’interprétation.
Si Reboul et Moeschler en tiennent pour le modèle de Sperber et Wilson, c’est que son caractère central est de considérer que la pragmatique n’est pas une partie de la linguistique et qu’elle en déborde le cadre « étroit ». Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  adoptent en fait le modèle proposé par le philosophe et psychologue américain Jerry Fodor TA \l "Fodor" \s "Fodor" \c 1 , lui-même inspiré par la psychologie des facultés de Gall « fermement ancrée dans le fonctionnalisme et le représentationnalisme » (RM 98 : 66). Cependant une première version du modularisme de Fodor se révélait insuffisante à rendre compte de tous les phénomènes en jeu, de sorte que Sperber et Wilson en sont venus à une version différente, le modularisme généralisé.
Jerry Fodor TA \s "Fodor"  et le modularisme
Selon la première version de Fodor TA \s "Fodor" , le traitement de l’information, quelle que soit sa source (visuelle, auditive, linguistique, etc.), se fait par étapes successives, chaque étape étant prise en charge par une « composante de l’esprit » différente. Les données perceptives sont ainsi traitées dans un « transducteur » qui les traduit en un « format accessible » pour être transmises à un système périphérique, composé de différents modules (visuel, auditif, olfactif, linguistique, etc.) capables de livrer chacun dans son domaine une première interprétation – « largement codique dans le cas des énoncés » (RM 98 : 66) – des données fournies par la source ou le canal considéré. Ces données arrivent alors à un système central qui les « complète » les unes par les autres mais aussi par « confrontation avec d’autres informations déjà connues ou formées simultanément par d’autres systèmes périphériques et grâce à des processus inférentiels. » (ibidem)
Mais peut-on observer et décrire ces processus cognitifs du système central ? Et peut-on décrire « aussi bien l’interprétation des données et le raisonnement propre à la vie quotidienne que les réflexions complexes et subtiles propres à la recherche scientifique et aux activités artistiques » (RM 98:67) ?
Fodor TA \s "Fodor"  pensait que ce serait difficile, voire impossible. Pessimisme que ne partagent pas Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson" , puisque « l’étude de l’interprétation pragmatique des énoncés permet de jeter une lueur sur le fondement des processus propres au système central. » (RM 98 : 68). Il s’agit donc d’étudier l’interprétation pragmatique des énoncés.
Le modularisme généralisé
Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  doivent pour cela proposer une nouvelle version du module de Fodor TA \s "Fodor" , le modularisme généralisé. Ils renforcent d’abord la distinction entre système central et modules périphériques : les données conceptuelles entrent dans le système central après avoir été transformées dans les modules périphériques. Mais quel module va « expliciter le processus de l’interprétation pragmatique » ? Les modules perceptuels ? Comment exerceraient-ils leurs inférences sans concepts ? Les modules conceptuels ? Sur quelles données perceptives exerceraient-ils leurs inférences ? D’une dichotomie modulaire si forte, que resterait-il de la distinction entre linguistique et pragmatique ? Leur opposition ne serait plus pertinente.
La théorie de l’esprit
Sperber et Wilson introduisent un module particulier, qui va intégrer la conception centrale de Grice concernant notre capacité « à attribuer des états mentaux à autrui » et qu’ils appelleront le module « théorie de l’esprit » : c’est lui qui effectuera les interprétations des données pragmatiques des énoncés.
L’interprétation pragmatique va partir des données fournies par le module linguistique, qui livre une « forme logique : une suite ordonnée de concepts, les concepts correspondants aux composantes linguistiques de la phrase » (RM 1998 : 69), transformées de la structure de surface en structure profonde : sa signification linguistique. Ces concepts donnent accès aux  prémisses utilisées dans les processus inférentiels d’interprétation de l’énoncé, prémisses constituées par  la connaissance encyclopédique, « c’est-à-dire l’ensemble des données dont un individu dispose sur le monde » (ibidem). XE "modularisme" \r "modularisme" 
Environnement cognitif
C’est donc à partir de la forme logique de l’énoncé que les processus inférentiels s’exercent donc sur d’autres informations constituant le contexte, composé à la fois de connaissances encyclopédiques, de « données immédiates perceptibles tirées de la situation ou de l’environnement physique » et de « données tirées de l’interprétation des énoncés précédents », l’ensemble de ces sources formant ce que Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  appellent « l’environnement cognitif » de l’individu (RM 1998 : 69). XE "situation" 
5.3.2. Construction du contexte : choix des prémisses et principe de pertinence
Le modèle de Sperber et Wilson, fondé sur une conception cognitiviste du processus de communication, perfectionne bien celui de Grice. Cependant, plus détaillé en ce qui concerne l’accès aux prémisses, il ne lui ajoute rien et il ne permet pas ainsi de résoudre le problème fondamental du choix des données, qui reste, on s’en souvient, notre question centrale. En effet, le modèle
« ne dit pas en détail comment on choisit, parmi toutes les données regroupées dans les entrées encyclopédiques des concepts concernés, celles qui entreront effectivement dans le contexte. » (RM 98 : 71).
Or il s’agit bien de ce qui est au cœur de notre questionnement : le choix des données entrant effectivement dans le contexte.
C’est autant un problème communicatif qu’un problème didactique. C’est en comprenant le fonctionnement communicatif que l’on comprend mieux le processus didactique à mettre en œuvre. Comment choisir les données encyclopédiques entrant effectivement dans le contexte ? A cette question se relie celle de la clôture du processus d’interprétation. A quel moment peut-on considérer que ce processus aboutit et peut s’arrêter ?
Sperber et Wilson vont faire à nouveau appel à Grice : c’est en transformant sa notion de pertinence qu’ils vont perfectionner leur modèle. Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  reprennent à leur compte la double intention sous jacente à la notion de communication non naturelle de Grice TA \s "Grice" , qu’ils appellent intentions informative et communicative. Mais ils intègrent aussi la notion de communication ostensive-inférentielle qui représente l’intérêt de ne pas porter sur la seule communication linguistique mais aussi sur la communication en général. Elle permet en outre de démarquer, dans l’acte de communication, la composante ostensive de la composante inférentielle. C’est par là que cette notion se relie à la notion de pertinence. Ils remplacent en effet les maximes de quantité, de relation et de manière par la seule maxime de relation ou de pertinence, qui les suppose, et ils la relient aux notions d’intentions informative et communicative et de communication ostensive-inférentielle par un principe général, le principe de pertinence , selon lequel
« Tout énoncé suscite chez l’interlocuteur l’attente de sa propre pertinence. » (RM 98 : 75)
Ce principe de pertinence concerne tous les énoncés et sous-tend les processus d’interprétation quand il relève des actes de communication ostensive-inférentielle. En mobilisant l’attention de l’interlocuteur, l’acte ostensif donne une valeur à ce qui n’en avait pas auparavant et suscite une attente de pertinence, donc une tentative de lui attribuer une signification. L’interlocuteur « s’attend alors naturellement à ce que ce qu’on veut lui communiquer vaille la peine qu’il s’inquiète d’un objet qu’il n’aurait pas nécessairement remarqué. » (RM 98 : 76). XE "pertinence:principe de" \b 
Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  relient ensuite les notions d’effort et d’effet à celle de pertinence. Car chercher une signification nécessite un « effort de chercher des prémisses parmi les données encyclopédiques » et « de faire un raisonnement au terme duquel [on] aboutit à des effets, c’est-à-dire à une ou plusieurs conclusions (…) tirées du processus inférentiel » (RM 98 : 76). Ces effets cognitifs ou conclusions auxquelles aboutit ainsi le processus inférentiel construisent et modifient la représentation du monde de l’interlocuteur : implications contextuelles, changements dans la force de conviction, éradication d’une croyance ou suppression d’une information ancienne contredite par une nouvelle plus convaincante.
Ils en viennent ainsi à proposer une définition « informelle » de la pertinence d’un acte de communication ostensive-inférentielle :
« I. Moins un acte de communication ostensive-inférentielle demande d’effort pour son interprétation, plus cet acte est pertinent.
« II. Plus un acte de communication ostensive-inférentielle fournit d’effets, plus cet acte est pertinent. » (RM 98 : 77) XE "pertinence" \b 
Ils formulent aussi un principe non normatif mais inconscient de pertinence, axé sur la recherche et l’optimisation du rendement de la communication :
« Pour qu’un acte de communication ostensive-inférentielle soit pertinent (…) il faut que les effets obtenus compensent les efforts. » (RM 98 : 78).
Cette notion de pertinence permet de rendre compte du choix des prémisses et de l’arrêt du processus d’interprétation que les maximes conversationnelles de Grice TA \s "Grice"  ne permettaient pas : c’est en effet la recherche de la pertinence qui, dans le module central, oriente la sélection des informations, quelles que soient leurs sources, pour l’interprétation des énoncés et qui détermine l’arrêt automatique du processus « lorsque des effets suffisants pour équilibrer les efforts sont atteints » (RM 98 : 79). XE "pertinence:principe de"  XE "pertinence" \r "pertinence"  XE "contexte:construction du" \r "contexte" 
5.3.3. Format linguistique et interprétation : le mentalais
Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson" , grâce à la notion de pertinence, ne se contentent pas de résoudre la question du choix des données. Elle leur permet aussi de rendre compte de la possibilité pour une représentation d’être vraie et pour le langage de représenter le monde. Cela intéresse la pragmatique dans la mesure où celle-ci recherche dans une représentation son utilité et son efficacité et où, pour elle, le vrai s’identifie à l’utile. Or, pour être utile et, tout au moins, non nuisible, il faut que notre représentation du monde par le langage soit « appropriée au monde », et que nous puissions
« l’évaluer et la modifier constamment, en y ajoutant et en y retranchant ou en changeant l’évaluation de certains de ses éléments au fur et à mesure des éléments d’information que l’on acquiert » (RM 98 : 83)
Cela est possible si les informations sont représentées dans le même format cognitif ou logique. Un tel format, il faut le postuler comme hypothèse. Car deux langues sont deux formats différents qui doivent, pour communiquer entre elles et être traduisibles l’une dans l’autre, être réductibles chacune à un même format. Ce format admis par Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  à la suite de Fodor TA \s "Fodor" , c’est le mentalais XE "interprétation:mentalais" \b . « La représentation du monde se fait dans un langage interne et universel, le langage de la pensée, souvent baptisé le mentalais. Elle permet la comparaison entre représentations de même format » (RM 98 : 86). On ne peut dire quelle forme les représentations en mentalais doivent avoir pour être évaluées quant à leur vérité, mais seulement qu’elles ne doivent pas avoir « d’ambiguïté ni de flou quant aux objets désignés ni quant aux propriétés qu’on leur attribue » (RM 98 : 86).
Il est donc nécessaire de faire une distinction entre la formulation linguistique de la représentation, très incomplète, et la représentation elle-même, plus complexe. La distinction entre la phrase et l’énoncé, et même entre l’énoncé et la proposition, était nécessaire à Grice TA \s "Grice"  pour distinguer signification et interprétation. Cependant Sperber et Wilson mettent en doute la transparence gricéenne. La forme logique n’est, pour eux, que rarement pleinement propositionnelle. Ils prônent la nécessité de recourir aux procédés pragmatiques « d’enrichissement de la forme logique » (Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  1986 : 87), en particulier dans le cas d’ambiguïté XE "ambiguïté"  (lexicale, syntaxique ou pragmatique) des énoncés et pour l’attribution des référents. Pour Sperber et Wilson, ce qui est dit est déterminé linguistiquement, mais pas uniquement (sauf cas rare). « Ils considèrent que la sous-détermination linguistique concerne tout à la fois ce qui est communiqué et ce qui est dit » (RM 98 : 89). Ils s’opposent à Grice, pour qui la pragmatique n’intervient pas dans la détermination de ce qui est dit (la proposition exprimée). Pour eux, la pragmatique intervient aussi. Cela amène Sperber et Wilson à distinguer la forme logique de l’énoncé, « qui est ce que l’on obtient à la fin du processus d’interprétation opérée par le module linguistique », et la forme propositionnelle « qui est ce que l’on obtient (lorsque le processus est couronné de succès) à la fin du processus pragmatique d’enrichissement de la forme logique » (RM 98 : 90). XE "énoncé:forme logique"  XE "énoncé:forme propositionnelle" 
Reboul et Moeschler considèrent pour leur part que l’on peut « aller plus loin » et dire que « toutes les informations qui entrent dans notre représentation du monde y apparaissent sous une forme propositionnelle » (ibidem : 90) qui « consiste donc en une explicitation de l’énoncé » (ibidem : 91). Mais celle-ci n’épuise pas la totalité de ce qui est explicitement communiqué dans l’énoncé. Il faut pouvoir aussi déterminer ce que les philosophes analytiques appellent « l’attitude propositionnelle » du locuteur, ou « l’état mental du locuteur, c’est-à-dire son attitude vis à vis de la proposition exprimée ». De sorte que
« déterminer ce qui est explicitement communiqué dans l’énoncé, c’est donc déterminer un certain nombre d’explicitations de cet énoncé, dont la forme propositionnelle de l’énoncé et l’attitude propositionnelle du locuteur. » (1998 : 91)
Reboul et Moeschler TA \s "Reboul et Moeschler"  en viennent donc à proposer un schéma de l’interprétation linguistique en trois étapes ou modules de traitement : transducteur, linguistique, pragmatique. Ce schéma accorde au module pragmatique un rôle spécifique dans le traitement des données. Il se fonde sur la circulation, sur le va-et-vient des informations d’un module à l’autre et sur la transformation de toute donnée, à partir des prémisses (traitées dans le module pragmatique), en représentation et en forme logique puis propositionnelle (dans le module linguistique). Ces données sont extraites de plusieurs sources externes ou internes (énoncés, contexte, connaissances encyclopédiques, états mentaux, forme logique des énoncés, forme propositionnelle). Ce processus d’interprétation se fonde sur deux types d’explicitation des énoncés, car il consiste à dévoiler ce qu’il veut communiquer (l’implicite) à partir de ce qui est dit (l’énoncé explicite) et à travers la forme et les attitudes propositionnelles.
Cette distinction, qui offre l’avantage de surmonter le paradoxe de Moore TA \l "Moore" \s "Moore" \c 1  a, pour Reboul et Moeschler, une conséquence importante sur le système de Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  : la frontière entre interprétation linguistique et interprétation pragmatique se déplace :
« Au lieu de la faire coïncider avec la distinction dire / communiquer, ils la font passer dans ce qui est dit, admettant ainsi que la sous-détermination linguistique est plus importante que ce que l’on croyait jusque-là. » ( RM 98 : 92).
La remarque leur paraît suffisamment importante pour qu’ils la reprennent, au moment de traiter à nouveau des relations entre langage et vérité, pour critiquer le relativisme en pragmatique :
« ce que font Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson" , c’est déplacer la frontière de la sous-détermination linguistique et de la détermination de la vérité (ou, plus exactement, de la détermination des conditions de vérité). Elle passait chez Grice TA \s "Grice"  entre ce qui est dit et ce qui est communiqué. Elle passe chez Sperber et Wilson à l’intérieur de ce qui est dit. La frontière de la sous-détermination linguistique dessine ainsi à la pragmatique un territoire dans lequel la détermination des conditions de vérité est partiellement incluse » (ibidem : 97) XE "module" . XE "interprétation:mentalais"  XE "interprétation:linguistique" 
Coopération
Reboul et Moeschler TA \l "Reboul et Moeschler" \s "Reboul et Moeschler" \c 1  insistent sur l’une des originalités du modèle de Sperber et Wilson, qui est de considérer que « le contexte n’est pas donné une fois pour toutes, mais qu’il est construit énoncé après énoncé » (1998 : 70). Ils ont une optique cognitiviste :
« l’activité cognitive a pour but la construction et la modification de la représentation du monde que se fait l’individu. La communication doit jouer un rôle dans ce processus, en lui permettant d’ajouter de nouvelles informations à celles dont il dispose déjà. » (ibidem : 73, 74). XE "contexte" \b 
Les prémisses XE "prémisses" 
Le modularisme permet de représenter le fonctionnement du cerveau : la forme logique fournit les adresses des concepts. Elles sont recherchées dans la mémoire à long terme. Les concepts fournissent une information qui est organisée « sous forme d’entrées différentes correspondant à des types d’informations différentes » : Entrées 1) logique : sur les relations logiques entre concepts (contradiction, implication, etc.), 2) encyclopédique : sur les objets correspondants au concept, 3) lexicale : sur les contreparties du concept dans une ou plusieurs langues naturelles.
L’accès aux données se fait par l’intermédiaire de l’adresse du concept. L’entrée logique produit des instructions appliquées aux autres concepts de la forme logique de l’énoncé. Puis l’entrée encyclopédique produit des informations susceptibles d’entrer dans le contexte, de le constituer en relation avec la forme logique et avec les informations tirées de l’environnement et des énoncés précédents. Après quoi la forme logique ainsi enrichie constitue une prémisse supplémentaire et « les processus inférentiels nécessaires s’appliquent pour livrer une ou plusieurs conclusions qui viennent compléter l’interprétation de l’énoncé » (RM 1998 : 71). XE "pragmatique:de la pertinence"  XE "analyse conversationnelle:coopération" \r "copération" 
5.4. La pragmatique implicite de Prieto II
Confrontons à nouveau les conceptions de Luis J. Prieto TA \s "Prieto" , proposées en 1964, à la problématique posée par les pragmatistes cognitivistes, telle qu’elle se dégage de la synthèse de Reboul et Moeschler TA \s "Reboul et Moeschler"  (1998). Il est étrange de remarquer combien, à travers un cheminement très différent, on aboutit, dans la description du processus de communication, à des résultats très proches. Ils se révèlent, cependant, à notre point de vue, plus rigoureux chez Prieto et plus proches des processus réels engagés entre les locuteurs. Nous allons ici examiner ces convergences, ces divergences, et les raisons de notre jugement de valeur.
5.4.1. Sous le signe, des convergences
Il y a de grandes convergences entre le fonctionnalisme de Prieto et la pragmatique cognitiviste.
Le signe et la frontière « à l’intérieur de ce qui est dit »
Prieto est loin de soutenir la représentation modulariste : elle lui est totalement étrangère. Elle était inactuelle dans la recherche linguistique européenne des années 1960-1970. La psycholinguistique n’est pas sa spécialité, Prieto ne fait pas l’hypothèse du mentalais. Il ne se demande pas comment passer d’une langue à une autre, d’un format à un autre, du format linguistique au mentalais, du langage humain au langage machine. Il ne se demande pas comment communiquer avec une machine, mais comment l’on communique entre humains. Il fait donc l’économie de la métaphore modulaire et ne s’engage pas à développer une description des facultés ni à faire une hypothèse sur la structure interne ou psychique du cerveau et sur le fonctionnement cognitif. Il reste linguiste et sémioticien et laisse aux psychologues le soin d’élaborer des systèmes compatibles avec le fonctionnement du langage.
Le mentalais XE "mentalais " , langage universel qui peut être exprimé par toute forme linguistique particulière et dans lequel toute langue peut être traduite, est une hypothèse qui permet d’abandonner le format linguistique au profit d’un format machine, d’un langage machine. Dans la machine intelligente, il s’agira donc de ramener toute forme linguistique au mentalais, traduisible ensuite en langage machine sous forme logique et sous forme propositionnelle. Ce faisant, la question de l’interprétation codique est réglée : toute forme linguistique se voit interprétable du point de vue du code machine et mémorisable dans la machine. Seule l’interprétation des éléments pragmatiques des énoncés se posera au moment de la communication. Elle consistera à choisir, entre plusieurs interprétations codiques, celle qui est la plus appropriée, en donnant, par l’application du principe de pertinence, des contraintes quant à la quantité, la qualité, la relation, le rapport effet-erreur : les calculs mathématiques et la statistique résoudront une partie de ces problèmes.
Cependant, cette hypothèse postule une double structure d’interprétation : le module linguistique et le module central. Elle postule ainsi deux niveaux d’explicitation, l’un codique ou linguistique, l’autre pragmatique ou inférentiel. Or, il est nécessaire de maintenir un lien étroit entre ces deux modules afin que les informations du premier éclairent celles du second et que celles-ci, à la lumière de celles-là, puissent être à nouveau traitées et précisées, dans un processus clairement affirmé de levée des ambiguïtés et d’identification des objets, des individus et de leurs propriétés. Cette double structure d’interprétation, laborieusement atteinte par Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson" , est un lieu théorique central, une conception qui conditionne la survie d’une pragmatique cognitiviste.
Or, Prieto s’y trouve posté depuis les origines de son questionnement, et sans grande originalité apparente, puisque cette conception est au principe du structuralisme saussurien : il s’agit tout simplement de la notion de signe. De fait, au moment où les pragmaticiens tentent de prouver combien les inférences pragmatiques sont importantes dans l’interprétation des énoncés, Prieto en a déjà analysé et théorisé le fonctionnement central. Comment ? En empruntant la voie même que les pragmatistes pensent ne conduire qu’à une impasse : en observant les énoncés linguistiques eux-mêmes. Et en appliquant l’outil même dont les linguistes se sentent les seuls utilisateurs patentés : la notion de signe. Car il observe les signes dans leur fonctionnement direct : en relation avec leur situation de production. Il n’a d’autre souci que d’observer la communication telle qu’elle fonctionne effectivement entre deux locuteurs.
Ce faisant, Prieto prend à contre-pied structuralistes et pragmaticiens : il analyse le signe non pas dans la langue mais dans la parole. Les uns et les autres partagent le même préjugé de base : une théorie du signe n’est concevable qu’en langue ; les structuralistes ne peuvent alors s’intéresser à la parole et doivent donc fermer la porte de la linguistique à la pragmatique ; les pragmaticiens ne peuvent pas abandonner la notion de signe mais se maintiennent dans une conception saussurienne du sens : dans la langue, non dans la parole. L’interprétation de la parole relève donc pour eux d’une autre discipline que la linguistique, la pragmatique, et d’instances spécifiques du cerveau, connexes aux instances de l’interprétation linguistique, qui débordent le signe et se donnent d’autres objets de pensée.
Prieto TA \s "Prieto"  part donc de l’endroit même où voudraient arriver les pragmaticiens. Car, n’abandonnant pas la notion de signe, il ne dissocie pas le perceptif du conceptuel : l’esprit traite l’un et l’autre simultanément. Les pragmaticiens considèrent qu’il y a une frontière entre la sous-détermination linguistique et la détermination de la vérité. Elle doit, selon Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson" , nécessairement passer entre ce qui est dit et ce qui est communiqué. Prieto la fait bien placer là , « à l’intérieur de ce qui est dit » : le signe. C’est dans le signe que ne se distinguent pas le perceptif du cognitif, le linguistique du propositionnel, le logique de l’inférentiel. Car nommer, c’est signaler une perception parmi d’autres, un objet parmi d’autres objets, c’est abstraire un élément d’un ensemble dans le réel pour le distinguer.
Etrangère à Prieto, la représentation modulariste de Fodor TA \s "Fodor" , Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  et autres, qui a pour but de rendre compte des différentes instances et étapes par lesquels l’homme acquiert et traite ses connaissances linguistiques, ne se retrouve pas dans son modèle théorique. Pourtant, les nœuds de la problématique pragmatiste y semblent bien présents : il est possible de soutenir là aussi, dans la lignée de Blanke et Posner TA \s "Blanke et Posner" , que, si la terminologie change, la problématique reste la même et que les distinctions fondamentales sont bien soulignées.
Ainsi, les trois étapes de l’interprétation linguistique XE "interprétation:linguistique" , telles que résumées plus haut, peuvent être intégrées telles quelles à la théorie prietienne :
La phonie XE "phonie" , fournie à un transcodeur, est traitée une première fois dans le module linguistique pour livrer ses signifiés possibles (à travers leur organisation phonétique, syntaxique, lexicale) – la forme logique des concepts non évaluable en terme de vérité ou de fausseté.
Ceux-ci sont confrontés ensuite dans un traitement pragmatique aux circonstances XE "circonstances"  de production – contexte, états mentaux – et aux savoirs communs – informations tirées de la représentation du monde – lesquels fournissent des indices XE "indices"  complémentaires.
Ceux-ci permettent d’attribuer à la phonie, par un retour au traitement linguistique, le sens XE "sens"  pertinent – ce qui est dit – explicitable sous forme propositionnelle susceptible de vérité ou de fausseté.
Il est en outre possible, à propos de la question centrale des processus inférentiels, d’enrichir les équivalences entre différentes notions prietiennes et des notions connexes tirées des réflexions pragmatiques :
La notion prietienne de situation, XE "situation"  « ensemble des choses connues au moment où l’acte de parole a lieu » (Prieto 1964 : 36), est très proche et joue la même fonction que la notion de savoirs encyclopédiques chez les pragmaticiens : « l’ensemble des contenus communiqués par le locuteur, dont un bon nombre ne le sont pas explicitement ».
Le processus de l’indication décrit par Prieto TA \s "Prieto"   XE "indication" se rapproche de la notion de « processus inférentiels » du modèle de Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson" . L’indication est un processus inférentiel qui se développe tout au long de la communication en relation avec les circonstances XE "circonstances" . Cela nécessite de considérer que, au cours de la conversation, « le contexte n’est pas donné une fois pour toutes, mais qu’il se construit énoncé après énoncé (RM 1998 : 70) ». Cette notion ouvre ainsi la voie à l’analyse de discours et à l’analyse conversationnelle qui, de façon très significative, ne représentaient pas pour Reboul et Moeschler TA \s "Reboul et Moeschler"  de perspectives intéressantes.
Le modèle de Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  accorde une place importante au module « théorie de l’esprit » qui consiste à « attribuer des états mentaux à autrui ». Y a-t-il un concept prietien qui puisse lui être rapproché, de sorte à ne pas tomber dans les incohérences pragmatiques des prédécesseurs de Grice TA \s "Grice"  ? Nous pensons qu’il est possible de le mettre en relation avec la notion de sens comme rapport social. Cette notion peut paraître, elle aussi, insuffisamment analysée chez Prieto TA \s "Prieto" , mais elle se voit confirmée et enrichie par les analyses pragmatistes. Par cette notion de rapport social il est possible d’intégrer dans la théorie prietienne les effets que la communication doit produire entre les interlocuteurs et, en particulier, les changements dans les croyances, dans la force de conviction, dans les représentations.
La notion de pertinence XE "pertinence"  est centrale autant chez Prieto TA \s "Prieto"  que chez les pragmatistes cognitivistes. Leur analyse du principe de pertinence, plus affinée que celle de Prieto, s’intègre totalement à sa théorie, tandis qu’en retour celui-ci montre de façon plus approfondie comment il est appliqué dans le processus de l’indication.
5.4.2. Sous le signe, des divergences
Cependant des différences de taille séparent Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  de Prieto TA \s "Prieto"  :
1. Ils n’ont pas la même position quant au statut des processus inférentiels.
Les premiers, selon Reboul et Moeschler TA \s "Reboul et Moeschler" , « considèrent que l’interprétation des énoncés correspond à deux types de processus différents, le premier codique et linguistique, les seconds inférentiels et pragmatiques ». L’analyse de Reboul et Moeschler les conduit à séparer nettement une pragmatique linguistique, qui « met en œuvre (…) des procédés inférentiels (…) spécifiques au langage » (RM 98 : 64), «  qu’ils soient gouvernés ou déclenchés par des mots ou des expressions linguistiques particulières », d’une pragmatique non-linguistique XE "pragmatique:non-linguistique" , « discipline indépendante de la linguistique, qu’elle vient compléter par certains aspects de l’interprétation des énoncés (ibidem : 65) « indépendants du langage, c’est-à-dire qu’ils interviennent aussi bien dans les raisonnements non-linguistiques. » (ibidem : 64). Cette analyse se révèle artificielle pour Prieto. Pour ce dernier en effet, les processus inférentiels « spécifiques au langage » ou « indépendants du langage » s’appuient sur des indices, toujours susceptibles de constituer des signaux ou des signes, c’est-à-dire d’être dotés d’intentionnalité, et donc d’être interprétables. C’est le même processus sémiotique qui est en jeu dans une pragmatique linguistique et une pragmatique non linguistique : les processus codiques et linguistiques se fondent sur des processus inférentiels de même type que les processus pragmatiques. Les uns et les autres sont même inextricablement mêlés, le sémantique étant indissolublement lié au phonétique et au syntaxique. En effectuant une telle séparation code/inférence et linguistique/ pragmatique, Sperber et Wilson créent une séparation entre signifiant et signifié, là où Prieto les maintient étroitement liés à travers les notions de signal et de signe.
2. Ils n’ont pas la même position épistémologique quant à leur objet d’étude.
Sperber et Wilson, en distinguant des instances et des processus inférentiels, dissocient un objet de pensée. Reboul et Moeschler sentent bien qu’il est difficile de concilier une si nette dichotomie ; ils éprouvent le besoin d’unifier à nouveau cet objet. Ainsi, ils font bien reconnaître que les processus pragmatiques « [viennent] compléter [le linguistique] pour certains aspects de l’interprétation des énoncés » et que « c’est leur usage dans l’interprétation pragmatique des énoncés qui permettra de les analyser, mais qu’ils ne sont pas propres au langage ». Ils maintiennent qu’il y a des processus linguistiques, propres au langage, et des processus pragmatiques universels non spécifiques au langage. Car sinon, comment faire l’articulation entre  les uns et les autres ? Il y a là une position épistémologique ambiguë. Prieto, pour sa part, est dans une épistémologie plus consciente de ses exigences : il ne dissocie pas l’objet, il le regarde seulement sous des points de vue différents ; le même objet, sous différentes dimensions. Là où les psychologues des facultés conçoivent une pluralité de modules de traitement des données par une transformation de données perceptuelles en données conceptuelles, puis un traitement des données conceptuelles avec ou sans module ou étape d’interprétation pragmatique spécifique, Prieto TA \s "Prieto"  analyse ces liens, ou phases, ou étapes, comme un processus unique et simultané, dont les étapes sont observables dans le processus même de la parole.
3. Les données ou informations sont pour Prieto des signes
En tant que tels, ce sont à la fois des données perceptuelles et conceptuelles : ce sont des faits concrets et des classes de faits concrets. Données perceptuelles en tant que faits concrets, données conceptuelles en tant que classes, regroupées dans des classes de données concrètes unies par un trait commun, un caractère commun nécessairement abstrait de chacun des éléments de chaque donnée. Les signes sont à la fois des faits concrets et des abstractions, des perceptions et des concepts. Faits concrets en tant que perçus par les sens (l’ouie, la vue) ou produits par les sens (la parole, la gestuelle, la main), abstractions en tant que mis en relation entre eux et interprétés comme équivalents à une valeur qui leur est arbitrairement instituée et qui les constitue comme participants à une même classe d’objets.
4. Il est constant chez Prieto de considérer le signe linguistique comme un signal XE "signal" .
La production d’un signe ne produit pas seulement un signifié, elle est en elle-même un indice qui oriente l’attention vers quelque chose qui se trouve dans l’environnement. Pour Prieto, les phonies XE "phonie"  (mot, phrase, proposition, énoncé) ne sont pas seulement pourvues de signification linguistique, donc éventuellement interprétables hors situation de production, comme le sous-entendent les pragmaticiens, mais constituent dans la situation des actes ostensifs-inférentiels. C’est pourquoi, en tant qu’indice ostensif, le signe ne peut être interprété indépendamment de son univers de discours XE "univers de discours" . Celui-ci comporte nécessairement l’environnement et la situation pragmatique puisque sa fonction est d’associer plusieurs éléments d’un univers de discours, d’indiquer parmi un état de choses quels faits sont à considérer pour sélectionner parmi ceux-ci un fait, un élément. Cette fonction du signe linguistique est pour Prieto à la fois sélective de l’objet d’attention et constitutive de celui-ci. Elle reste la plupart du temps sous-jacente aux analyses pragmatiques ; elle est clairement affirmée par Prieto.
5. La notion d’interprétation n’est pas la même chez Prieto et chez les pragmaticiens de la pertinence.
Car il y a deux façons de concevoir l’interprétation d’un énoncé, les rapports entre l’environnement et l’énoncé : soit on cherche dans l’environnement ce que veut dire l’énoncé, soit on cherche dans l’énoncé ce que fait dire l’environnement. La première manière est celle qui sous-tend toute conception traditionnelle de la linguistique : je reçois le message, je l’interprète en fonction de mes connaissances du code, je vérifie dans le contexte et la situation pragmatique, j’enrichis, je spécifie mon interprétation. La seconde est plus proche de ce que veut entendre Prieto TA \s "Prieto"  par sens : je reçois un message qui veut me dire quelque chose sur ce qui est extérieur à moi-même, pris comme objet de discours ; je me tourne vers cet objet, et je le décèle à partir des signaux qui m’en sont donnés ; je confronte l’objet et le message, et je fais mon interprétation. C’est pourquoi Prieto parlera plus facilement d’indiquant et d’indiqué que de signifiant et de signifié. Car il n’opposera pas linguistique et extra-linguistique : les deux constitueront ensemble un univers de discours. Il n’opposera qu’indiquant et indiqué, à l’intérieur de deux univers de discours, l’univers de l’indiqué pouvant tout autant constituer des données abstraites de significations que des données concrètes et pragmatiques, qui restent toujours pour lui, en tant que pensées et possiblement inscriptibles dans le langage, des données abstraites. XE "signe" \r "signea" 
Conclusion provisoire II
Nous avions vu que Prieto ne contredisait pas Grice TA \s "Grice" .
Nous voyons maintenant qu’il ne contredit pas Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson" , et que ses conceptions restent parfaitement intégrables à leur modèle de la pertinence. Ce modèle permet de détailler et de préciser des phénomènes sur lesquels Prieto ne s’est pas penché, parce qu’ils n’étaient pas centraux chez lui. Légitime pour la construction de machines intelligentes, le modèle de Sperber et Wilson intègre l’essentiel des analyses de Prieto.
Prieto, cependant, n’abandonne jamais la conception de signe linguistique comme signal et comme indiquant et indiqué. Cette position permet de révéler progressivement comment la dichotomie linguistique-pragmatique relève plus d’une dichotomie de la pensée scientifique, d’une prise de position épistémologique et pratique, que d’une dichotomie inhérente aux phénomènes observés.
La suite de l’exposé de Reboul et Moeschler dans leur petite synthèse historique et logique présentée dans La pragmatique aujourd’hui, nous confirmerait dans cette position épistémologique et scientifique. Ils consacrent en effet une part importante de leur développement aux processus d’inférence (induction vs induction, logique des propositions vs logique des prédicats), à la construction des concepts (induction vs déduction, innéisme vs constructivisme), à la catégorisation (prototype, ressemblance de famille, stéréotype, modèle mixte hypothético-déductif), aux relations entre langage et concepts (contenu conceptuel vs contenu procédural et connecteurs). Or, si, en aucune manière, Prieto TA \s "Prieto"  ne se détermine explicitement par rapport à ces problématiques, l’examen de ses thèses sur la théorie fonctionnelle du signifié et de ses textes d’illustration ou de développement, permettent cependant de voir que son point de vue s’écarte plus souvent des thèses des pragmaticiens cognitivistes qu’il ne s’en rapproche :
Leur rejet de l’induction et la valeur absolue donnée à la déduction les opposent à Prieto, pour qui les processus inductifs, comme nous le montrerons dans l’analyse de notre corpus (voir la troisième partie) jouent un rôle très important dans la parole et la manipulation des signes.
Leur désintérêt pour une logique du prédicat au profit exclusif d’une logique des propositions représente une forme de déni de grands pans du fonctionnement réel de la communication. Prieto, à travers ses notions de classe, d’univers de discours, de caractéristique et de dimension, accorde au contraire une place centrale à la logique du prédicat. Il faudra montrer comment certains types d’échanges, en particulier les échanges didactiques, sont organisés par les principes de cette logique.
La prise de position délibérément innéiste, conséquence du rejet d’un modèle déductif, s’oppose à l’épistémologie de Prieto, qui, bien qu’il ne s’attribue pas le terme, a tous les caractères d’un constructivisme. Les grands moments du débat Chomsky TA \l "Chomsky" \s "Chomsky" \c 1 -Piaget TA \s "Piaget"  (1977), auquel participa d’ailleurs Fodor, peuvent se suivre en filigramme dans la construction des thèses de Sperber et Wilson et dans celles de Prieto. De sorte qu’il n’est pas étonnant que, partis chacun dans des directions opposées, ce soit à l’arrivée une conception hypothético-déductive de la formation des concepts qu’ils se retrouvent à affirmer (pour les uns) et à appliquer sans le dire (pour l’autre). L’usage par Prieto, dans ses descriptions, de la catégorisation, de la notion de classe, ainsi que la descritption de l’indication comme processus évolutif, plaident pour une telle hypothèse.
Ce n’est pas d’une façon théorique que Prieto pose les questions liées à la catégorisation et aux contenus procéduraux, distinctions qu’il ne désigne pas comme telles. Mais il les affronte de façon pratique à travers sa théorie fonctionnelle du signifié et à travers son analyse de l’indication, et toute sa réflexion sur les signifiés des phonies et sur la syntaxe.
Prieto TA \s "Prieto"  et les pragmatistes cognitivistes partagent la même critique à l’égard des structuralistes qui postulent l’autonomie du sens et le relativisme linguistique, de sorte que la critique contre la sémantique structurale ne saurait concerner un sémanticien fonctionnaliste comme Prieto. XE "pragmatique:de Prieto" \r "pragmatiquec" 

Ainsi, au bout de cette confrontation de Luis.J. Prieto TA \s "Prieto"  avec la pragmatique des origines et avec celle d’aujourd’hui, nous voyons que la linguistique de Prieto, fondée sur la notion de signe, ne contredit pas les principes posés par les premiers pragmaticiens et explicités par Grice ni le modèle de Sperber et Wilson, qui a pour objectif d’intégrer à la pragmatiques tous les développements des recherches cognitives. En outre, nous voyons qu’elle peut dépasser, malgré son orientation structurale, la dimension « purement codique » de certaines linguistiques du signe. Car elle intégre les processus inférentiels non seulement dans une analyse logique du processus interne d’accès au sens, mais aussi dans une mise en relation des signes avec le sens interprétable par et à travers la situation et le contexte.
Il est cependant un domaine du développement de la pragmatique que nous n’avons pas encore exploré : celui de l’analyse du discours, de l’analyse conversationnelle. Or c’est une nécessité, pour une linguistique qui se donne la parole comme objet, d’examiner comment la théorie priétienne se situe par rapport aux récents concepts et principes d’analyse mis en jeu dans l’interlocution. Car si la lecture des thèses de Prieto, qui décrit avec force détails les processus logiques et inférentiels mis en jeu dans la communication, fait pencher pour une réponse positive, il nous reste à les confronter avec les derniers développement d’une pragmatique discursive.
Chapitre 6 : La pragmalinguistique



Nous avons traité des problèmes qui relèvent du cadre de l’énoncé. Nous allons examiner des problèmes de communication linguistique qui dépassent le cadre de l’énoncé et qui touchent au discours. Nous reprenons ce terme dans le sens de Harris et selon la formulation de Sumpf et Dubois (1969) pour qui le discours est une séquence de phrases ou énoncé, « qui devient discours lorsque l’on peut formuler des règles d’enchaînement des suites de phrases » (Coste et Galisson 1976 :157). Or nous savons déjà que Prieto accorde une place centrale à ce terme à travers son concept d’univers de discours. Qu’est-ce à dire ? Cette notion peut-elle trouver sa place dans l’analyse de discours telle qu’elle s’est développée après Prieto ? XE "discours" \b 
L’analyse de discours a occupé une place importante dans le développement de la recherche en pragmatique. Elle a beaucoup influencé la recherche didactique et elle a permis de renouveler non seulement l’analyse textuelle, mais aussi l’analyse conversationnelle. Pourtant Luis Prieto, comme en tant de domaines qui ont touché l’évolution de la recherche en pragmatique et en didactique ces trente dernières années, ne s’est jamais prononcé dans ses écrits officiels sur ces questions de l’analyse discursive et conversationnelle. C’est sans doute du côté de son enseignement qu’il faudrait rechercher des pistes de réponse. En attendant, nous gardant de faire dire à Prieto ce qu’il n’a peut-être pas dit, nous pouvons au moins jeter un coup d’œil sur les résultats des recherches qui nous paraissent les plus proches de ses conceptions et voir si l’analyse de l’indication et la notion d’univers de discours qu’il nous propose peuvent être intégrés à un modèle d’analyse de discours compatible avec ses propres visées pragmatiques.
Repartons au préalable de la pragmatique cognitiviste de Reboul et Moeschler pour voir comment se pose la question du discours dans une perspective cognitiviste. TA \s "Reboul et Moeschler" 
6.1. Une approche réductionniste du discours.
Reboul et Moeschler considèrent bien l’analyse de discours comme « une question centrale de la linguistique contemporaine » (RM 98 : 190). La théorie de la pertinence vise bien, en effet, à poser le discours comme un phénomène lui aussi pragmatique et à y rechercher des unités pragmatiques.
6.1.1. Deux interprétations.
Mais elle le fait en dissociant dimension linguistique et dimension cognitive : le discours est un phénomène pragmatique si l’on reconnaît non pas la phrase mais l’énoncé comme unité pragmatique. Par énoncé, nous rappelons que les pragmaticiens cognitivistes entendent la forme logique à laquelle aboutit l’interprétation de la forme linguistique.
« Nous ne pensons pas que le discours soit une unité au même titre que le phonème, le morphème ou la phrase (…) Si le phonème, le morphème et la phrase sont des unités linguistiques, l’énoncé est une unité pragmatique (la seule à notre connaissance). » (RM 98 : 190). 
Alors, « le discours n’est rien de plus que la suite des énoncés qui le composent » (RM 98 : 190), c’est-à-dire la suite des interprétations des phrases qui composent le discours. Reboul et Moeschler TA \s "Reboul et Moeschler"  opposent une interprétation linguistique et une interprétation cognitive de l’analyse de discours.
La première voudrait rendre l’unité discursive autonome et indépendante des unités inférieures et montrer que l’interprétation des unités inférieures ne saurait être complète sans des règles de composition discursive que portent certaines marques linguistiques.
La seconde reconnaît qu’il y a un niveau discursif d’interprétation, mais elle nie qu’il soit autonome et indépendant des unités inférieures.
L’interprétation cognitive.
Cette deuxième interprétation admet, elle aussi, que le niveau discursif puisse s’appuyer sur des marques linguistiques, mais dénie que soient celles-ci qui expliquent ce niveau. C’est le processus cognitif sous jacent mis en œuvre, l’activité hypothétique, qui en donne la clef d’interprétation.
Des expressions inférieures au niveau de la phrase (pronoms personnels de troisième personne, déictiques, connecteurs pragmatiques, liaison d’énoncés, temps grammaticaux) ne peuvent être interprétées à ce niveau. Car, introduites antérieurement à l’énoncé, reprises aussi sous une forme différente, elles doivent être interprétées au niveau d’un ensemble d’énoncés : le niveau supérieur du discours. Or l’interprétation d’un discours, ensemble d’énoncés, n’est pas la somme des interprétations des énoncés qui le composent : l’interprétation globale déborde la somme des interprétations locales.
Un énoncé est le produit d’une intention : le locuteur d’un ensemble d’énoncés a une intention communicative globale qui détermine les intentions qu’il a pour chacun des énoncés. Les caractéristiques du discours, préformées, en quelque sorte, dans l’intentionnalité du sujet, lui sont donc propres. C’est ce qui en fait une unité nouvelle, autonome. Son niveau, nécessaire pour l’interprétation d’unités locales de niveau inférieur, n’est cependant pas une unité linguistique. C’est une unité pragmatique, régie par les intentions qu’elle manifeste, orientées vers l’action.. XE "discours:énoncé" \b 
Ainsi, qu’il y ait une structure propre, entière, naturelle au discours, est admis comme une hypothèse : unité à part entière, le discours est un phénomène naturel. Mais il nécessite une analyse propre, une analyse pragmatique. Car de la même façon qu’une phrase a une structure, une grammaticalité, une signification propre, qui composent les unités de rang inférieur (morphèmes et signifiés), de même un discours, ensemble d’énoncés, aurait une structure, une grammaticalité, une signification propre, qui composent les unités de rang inférieur, les phrases. Et de même que la structure de la phrase permet de juger de sa bonne formation et de tirer de la suite des éléments syntaxiques une interprétation grammaticale qui ne se réduise pas à la somme des interprétations des éléments, de la même façon les « structures du discours » permettraient « de juger de la bonne formation du discours et de tirer, de la suite des énoncés, une interprétation discursive qui ne se réduit pas à la somme de ses interprétations » (RM 98 : 183).
C’est pour cela que, pour Reboul et Moeschler, l’analyse linguistique de discours échoue, c’est-à dire qu’elle permet pas de jugement linguistique de bonne formation. Car pour cela il faudrait que le discours soit indépendant de la réalité, indépendant de la situation de communication, indépendant des intentions des locuteurs. Si l’analyse de la phrase met au jour des structures indépendantes de l’intention du locuteur, l’analyse du discours devrait faire de même. A cette condition, elle pourrait relever, au sens strict, de la linguistique et traiter du langage et non de son usage. Or il n’en est pas ainsi.
Deux thèses en présence
Deux thèses sont cependant en présence :
- une version forte : les règles de compositionnalité sont indépendantes des énoncés, de sorte que le discours n’est pas réductible,
- une version faible : il y a bien une compositionnalité, mais régie par des règles dépendantes des énoncés composés et relevant d’un principe de cohérence.
Un discours comporte bien des marques de cohésion (pronoms de troisième personne, connecteurs pragmatiques, référence à des objets déjà identifiés, ellipses, temps verbaux) qui en règlent la structure : selon qu’il se conforme ou non à ces règles, il peut être cohérent ou non cohérent. Cependant, d’une part, il est difficile de spécifier ces règles et de définir cette cohérence. Définie habituellement comme « propriété des discours lorsqu’ils sont bien formés » (ibidem : 186), cette cohérence ne peut cependant présenter ses lois de bonne formation. Car des discours peuvent avoir ces marques et se révéler non cohérents, et d’autres discours peuvent ne pas les avoir et être cohérents. En outre, d’autre part, il n’y a pas d’autre moyen, pour discriminer ces règles, que de s’en remettre aux intuitions de cohérence des individus. XE "discours:cohérence" \b  
Les analystes de discours échouent donc dans leur entreprise d’autonomie. Dès lors, il n’y a aucune raison de penser qu’il ne se réduit pas aux éléments qui le composent et aucune raison de penser que des règles linguistiques spécifiques s’y appliquent.
De ces deux thèses, la version forte et la version faible, Reboul et Moeschler adoptent la seconde qui les conforte dans l’hypothèse que le discours est bien une unité de niveau pragmatique interprétable seulement d’un point de vue cognitif.
Nous ne pensons pas que des règles linguistiques s’appliquent au discours. Par ailleurs nous ne pensons pas qu’il soit un phénomène linguistique et, de ce fait même, nous ne pensons pas que l’on peut le réduire aux phrases qui le composent. C’est un phénomène pragmatique et on peut le réduire aux énoncés qui le composent (ibidem : 190). XE "interprétation:cognitive" 
6.1.2. A la recherche d’un modèle
Il faut donc distinguer intention locale et intention globale et considérer que l’intention locale est interprétable par l’intention globale. L’intention informative constitue le sens du discours et fait l’objet de son interprétation, elle « n’est pas relative à un énoncé, mais à l’ensemble des énoncés qui forment le discours en question. » (ibidem : 191).
Une pragmatique cognitive se constitue donc et il faut « distinguer irréductibilité du discours aux énoncés et irréductibilité du discours aux interprétations des énoncés » (ibidem :190). XE "discours:intention" \b 
Nous faisons l’hypothèse que tout locuteur d’un discours cherche à nous amener à une (ou plusieurs) conclusion(s) générale(s) (son intention globale) et que chaque chose qu’il nous dit l’est pour nous rapprocher (ou pour nous éloigner, dans certains cas plus rares) de cette conclusion. En d’autres termes, sur la base de ce qu’il nous a déjà dit (intentions locales), nous faisons des hypothèses sur ce qu’il veut nous dire et nous prévoyons (avec ou sans succès) ce qu’il va nous dire (ibidem: 192).
Il s’agit d’une application directe de la théorie de l’esprit, pour laquelle l’interprétation repose sur la stratégie de l’interprète de Dennett (1990) TA \l "Dennett" \s "Dennett" \c 1 , qui repose elle-même sur le principe de rationalité selon lequel on suppose la rationalité de la chose à laquelle l’esprit s’applique.
Cependant Reboul et Moeschler TA \s "Reboul et Moeschler"  ne développent pas plus avant leur recension de l’état de la recherche en ce domaine, et considèrent que rien n’est encore apparu de convaincant :
Néanmoins, il nous semble qu’aucun modèle, à l’heure actuelle, ne satisfait pleinement les nécessités d’une théorie du fonctionnement du discours (ibidem : 188).
Car ces processus d’interprétation « ne font que très rarement l’objet de descriptions précises » (ibidem : 187). Reboul et Moeschler relèvent que les concepts de discours, cohérence, mémoire discursive, ne sont pas définis, que des emprunts vagues sont faits à l’Intelligence Artificielle (scénarios, frames, cadres, etc.) et que seules les descriptions des informaticiens et des philosophes logiciens « offrent des modèles crédibles » (ibidem : 188).
Vers une approche conventionnaliste
Il leur semble ainsi qu’aucun modèle, à l’heure actuelle, « ne satisfa[sse] pleinement les nécessités d’une théorie du fonctionnement du discours » (ibidem : 188) et que seule une approche conventionnaliste permettrait de résoudre le problème. Elle a été cependant été abandonnée, et l’on fait comme si elle était possible et couronnée de succès (ibidem : 188). Selon eux, seule cette approche conventionnaliste pourrait faire du discours une entité irréductible, donc respectable.
Peut-on alors se tourner vers Prieto TA \s "Prieto" , représentant supposé d’une approche conventionnaliste, qui semble n’avoir pas été interrogé sur cette question ? Qu’aurait-il à nous dire ?
Avec Prieto, dans la mesure où nous sommes dans une théorie qui ne dissocie pas les signes de l’activité cognitive qui s’exerce sur eux, qu’ils soient en relation avec le réel, en relation entre eux ou en relation avec des connaissances préalables, la question ne peut se poser à travers la dichotomie linguistique vs pragmatique. Mais s’il nous permet de décrire « de façon précise » les processus d’interprétation par la mise en relation des indiquants avec leurs indiqués et la constitution d’univers de discours de niveau inférieurs reliés entre eux et constituant un univers de classification supérieure, on devrait pouvoir, du fait de l’organisation sémantique de ces univers de discours (champs sémantiques, champs lexicaux, champs syntaxiques, champs discursifs), dégager des règles de composition du discours, comme les règles de mise en relation, d’évocation, de composition, non seulement syntaxiques mais spécifiquement discursives. Il faudrait cependant pouvoir montrer que cette unité discursive reste autonome et indépendante des unités inférieures, que l’interprétation des unités inférieures ne saurait être complète sans les règles de composition discursive informées par le niveau supérieur, dont certaines marques linguistiques doivent pouvoir rendre compte.
Il faut donc aller voir ce que l’on peut tirer de la sémantique fonctionnelle en matière d’analyse de discours. Mais, auparavant, il est nécessaire d’examiner plus en détail ce que nous disent les dernières recherches pragmatiques d’analyse conversationnelles, et c’est vers un autre courant que nous allons nous tourner : la pramalinguistique de Bange. XE "discours:analyse de" \r "discoursc" 
6.2. La pragmatique linguistique de Bange
On peut comprendre ce que le modèle de la pertinence de Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  et sa dimension cognitive ont d’intéressant pour décrire dans la communication le fonctionnement de phénomènes tels que l’implicitation, l’inférence pragmatique, la catégorisation, etc., dans la perspective de l’intelligence artificielle. Cependant il est encore insuffisant à rendre compte, pour des didacticiens de l’enseignement des langues, de tous les phénomènes qui sont en jeu dans la communication verbale et dans l’apprentissage d’une langue étrangère. En effet, s’il se tient sur le terrain de la pragmatique, il délaisse celui du fonctionnement réel de l’échange verbal et didactique, pour privilégier un modèle cohérent de fonctionnement des capacités cognitives, du module central, en quelque sorte du cerveau dans son rapport aux significations.
C’est exactement ce qui a gêné une didacticienne de l’enseignement du français comme Rosen TA \s "Rosen"  quand elle a analysé la communication de classe XE "communication de classe"  dans les techniques de simulation pour l’apprentissage du français langue étrangère auprès d’ingénieurs et techniciens de l’automobile en Chine (Rosen 2001). Elle nous rappelle que la recherche en pragmatique ne s’est pas seulement orientée, à partir de ses origines philosophiques, dans une direction linguistique, puis psycho-linguistique, mais qu’elle a pris aussi très tôt une orientation socio-linguistique. Et c’est cette orientation socio-linguistique, délaissée par les pragmatistes cognitivistes, qu’elle a privilégiée pour son analyse des échanges didactiques en français langue étrangère.
6.2.1. Analyse conversationnelle et pragmalinguistique
Pourquoi ? Parce que, pour elle, c’est dans ce domaine que l’analyse conversationnelle a été poussée le plus loin. En effet, l’orientation socio-linguistique, en particulier celle qui a été prise à partir des travaux de Hymes TA \s "Hymes" , « étend la compétence du domaine linguistique à celui de la communication» (Rosen TA \s "Rosen"  2003 : 141). C’est, une fois de plus, le critère communicatif qui permet de trancher chez une didacticienne qui fait l’analyse de sa propre pratique, mais cette fois-ci pour une orientation sociologique.
Rosen TA \s "Rosen"  reprend les analyses de Reboul et Moschler (1998 b: 437-479) lorsqu’ils présentent l’historique de ce domaine de recherche. Celui-ci, partant de l’analyse des conversations, s’est scindé en deux courants : l’analyse du discours et l’analyse conversationnelle (Levin 1983). Tandis que l’analyse de discours se réfère à la linguistique pour traiter et conduire l’analyse linguistique des unités plus grandes que la phrase par une modélisation de la conversation, l’analyse conversationnelle se réfère plutôt à la sociologie, en recherchant l’organisation préférentielle des unités de conversation par une généralisation de données nombreuses relevant de plusieurs disciplines (Rosen 2003 : 141). Ce domaine s’est développé dans un foisonnement de courants et d’axes de recherches que Rosen explore pour s’arrêter à un modèle qu’elle propose de privilégier :  la pragmatique linguistique de Bange TA \s "Bange" . C’est de ce lieu que Rosen se propose de partir pour proposer un modèle d’analyse cohérent, parce que, « lieu d’investissement pluridisciplinaire » (Vion TA \l "Vion" \s "Vion" \c 1  2000 cité par Rosen 2001 : 140), c’est le cadre de référence pragmatique le plus approprié pour se relier aux notions d’interlangue et de communication endolingue/exolingue.
Nous présentons ici ce courant, et nous nous intéresserons dans notre troisième partie aux applications de ce modèle dans l’analyse d’échanges de classe afin de voir si la perspective prietienne peut lui être compatible. XE "discours:analyse conversationnelle" \r "analconversat" 
6.2.2. La pragmalinguistique de Bange. TA \s "Bange" 
La caractéristique de ce courant pragmatique qui se fonde sur la notion d’acte de parole est d’avoir mis l’accent d’une façon plus radicale sur la notion d’acte, c’est-à-dire d’action par la parole. On se retrouve donc, comme avec Prieto TA \s "Prieto" , dans une perspective avant tout fonctionnelle.
Si Bange rend la paternité du terme « pragmatique » à Morris TA \s "Morris"  (1971/1938 : 21), c’est à  TA \l "Carnap" \s "Carnap" \c 1 Carnap (1942) qu’il rend hommage pour avoir « introduit une analyse fonctionnelle de la langue » (Bange TA \l "Bange" \s "Bange" \c 1  1992 : 9) et opéré, en passant d’une perspective structurale de la linguistique à une perspective fonctionnelle, ce que Bange considère comme « un changement de paradigme scientifique » (ibidem : 9) : de la langue comme signe à la parole comme action, de la théorie des signes à la théorie de l’action.
Une perspective fontionnelle
Pour  TA \s "Carnap" Carnap (1942), la pragmatique (analyse des relations entre les interlocuteurs) devient le domaine de la sémantique (domaine des dénotés) et de la syntaxe (domaine des expressions) et les structures linguistiques sont considérées comme « des moyens commandés et guidés par des buts pragmatiques et permettant de les réaliser » (Bange, ibidem ) et subordonnées à des fonctions d’ordre socio-communicatif.
Nous ne résistons pas à reproduire plusieurs citations de Bange TA \s "Bange" , dans lesquelles nous croyons retrouver une explicitation très claire des formulations nettes mais plus condensées et elliptiques de Prieto TA \s "Prieto"  sur le sens comme rapport social XE "sens:rapport social" , sur le retournement théorique d’une linguistique de la langue à une linguistique de la parole, sur le rôle de la parole comme action, du signe comme outil, de la communication comme activité de sujets doués d’intentionnalité, etc. :
Les structures linguistiques servent à produire du sens dans la communication (…) Dans une telle perspective, les énonciations vont être considérées comme des actions verbales en relation avec une situation de communication qui comporte des dimensions spatio-temporelles et surtout sociales ; comme des actions accomplies par un locuteur en produisant un énoncé dans une langue naturelle vis-à-vis d’au moins un récepteur, dans le but de modifier la situation antérieure à l’acte d’énonciation en provoquant une réaction du ou des interlocuteurs (une réaction interne, cognitive, qui peut elle-même déclencher des réactions verbales et/ou comportementales). Les énonciations seront donc considérées comme des actes sociaux, par lesquels les membres d’une communauté socio-culturelle interagissent à l’aide de signes.  (Bange TA \s "Bange"  1997 : 9).
La parole XE "parole"  n’est donc pas simplement une « mise en fonctionnement individuelle du code linguistique donné préalablement », c’est d’abord « une forme socialement essentielle d’action ». De sorte que la linguistique retrouve des domaines de contiguïté, dans une perspective anthropologique, avec la sociologie et la psychologie.
On fait ici le choix inverse de celui de Saussure TA \s "Saussure"  qui, en séparant « langue » et « parole », permettait à la linguistique structurale de constituer une théorie close, au prix d’une renonciation à analyser la relation entre la langue et la conscience, la langue et la société  (ibidem : 10).
Cette nouvelle discipline, c’est la pragmalinguistique XE "pragmalinguistique" \b , que Bange TA \s "Bange"  définit comme
une linguistique des activités verbales, (..) une linguistique de la communication qui est amenée à prendre en compte des phénomènes non-verbaux (transmis par les canaux visuel et auditif) comme nécessaires au déroulement des actions de communication (ibidem :10).
Cessant d’être le cadre ultime de référence, la théorie du signe n’est pas abandonnée pour cela. Rompant avec la conception selon laquelle « la langue comme structure rend seule possible la parole comme activité », la langue comme système devient un « aspect de l’activité verbale » comme  phénomène englobant. « Cela signifie seulement que le signe XE "signe"  \b  est considéré comme un moyen d’action au même titre que l’outil (ibidem : 10, note 1) ».
Bange TA \s "Bange"  renvoie sur ce point à Vygotski (1978/1934) TA \l "Vigotsky" \s "Vigotsky" \c 1  qui voit dans la fonction de médiation la ressemblance fondamentale entre l’outil et le signe, l’un étant « orienté extérieurement », produisant des changements dans les objets de l’activité humaine pour la maîtrise de la nature, l’autre étant « orienté intérieurement », « moyen d’activité interne pour se dominer soi-même », dont l’utilisation « affecte le comportement des hommes », qui « nait de la transformation – sociale d’abord, intériorisée ensuite – de la fonction d’un acte » (Vygotski 1978/1934 : 53-57). Bange y reprend l’évocation de l’enfant, dont le geste d’attraper un objet hors de sa portée prend un sens pour la mère, celui de désigner l’objet, de sorte que l’enfant donnera lui-même ensuite ce sens au geste de tendre la main vers un objet, lequel sera aussi un moyen d’entrer en relation avec d’autres personnes. L’action de saisir l’objet, de le prendre, serait ainsi antérieure à l’action de le désigner. L’ostension serait une forme détournée, abstraite, de la préhension des objets, devenant ainsi appréhension médiatisée du réel. Comprendre, ce ne serait que prendre un objet placé hors de sa portée.
C’est aussi dans la linguistique soviétique, particulièrement chez Leontiev TA \l "Leontiev" \s "Leontiev" \c 1  (1971), que Bange TA \s "Bange"  remarque la première présence de la tendance opposant linguistique structurale et linguistique de la communication. Cette opposition se fonde sur le double sens du mot « parole XE "parole"  » ou « activité verbale » : l’une, comme « continuum spatio-temporel », « expression d’un contenu de pensée » entre des locuteurs individuels ; l’autre, comme une des « sortes possibles d’activités (..) en quoi tel ou tel besoin du sujet se concrétise », c’est-à-dire « la totalité complexe de processus reliés par une orientation commune et par un but déterminé qui est aussi l’occasion objective de cette activité » (Leontiev 1971 : 24 ). Leontiev « propose l’intégration de l’activité de communication dans le système général d’activité de l’homme et envisage la parole dans le cadre d’une analyse but-moyens » (Bange 1992 : 11).
Nous voyons que, dans cette conception de la pragmatique, nous quittons le domaine de la représentation, du vrai et du faux, pour entrer dans celui de l’action, de l’efficience, de la réussite ou de l’échec.
« L’acte de parole XE "acte de parole"  est toujours un acte de construction d’une correspondance entre deux activités, plus précisément un acte d’insertion de l’activité de parole dans un système plus large d’activités comme l’une des composantes indispensables de cette dernière, ces deux activités se conditionnant réciproquement. » (Leontiev TA \s "Leontiev"  1971 : 25).
L’acte de parole n’est plus l’expression d’une pensée, d’un processus cognitif, elle est la manifestation d’une visée, d’une action inserrée dans une activité plus globale orientée par un but. De sorte que l’analyse pragmatique ne consistera pas seulement à décrire les relations des éléments linguistiques avec les éléments extra-linguistiques « mais à établir une relation entre des structures linguistiques et l’activité projetée dans telle situation globale concrète » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 11). C’est franchir un pas supplémentaire dans la pragmatique : ce ne sont plus des énoncés ou même des structures que l’on met en relation à une situation, mais un activité : une activité verbale. Et, reprenant la formule de Léontiev, Bange insiste sur le fait que cette relation est faite de telle sorte que « la situation XE "situation" \b  (le contexte) et l’activité verbale se conditionnent réciproquement » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 11). Qu’est-ce-à dire ?
C’est dire que, d’une part, la situation et le « système plus large d’activités » déterminent, contraignent l’activité verbale et que, d’autre part, l’activité verbale fournit une interprétation de la situation et définit du même coup un contexte, un cadre où certaines choses deviennent possibles et où d’autres sont exclues. » (ibidem : 12).
Leontiev TA \l "Leontiev" \s "Leontiev" \c 1  oppose en outre mécanisme et processus, c’est-à-dire les « conditions de possibilités physiologiques et psychologiques » d’une opération et la « réalisation d’une opération dans un contexte réel d’activité dans les conditions d’une motivation concrète et d’un but et en présence d’un objet réel et d’un outil de production réel. » (Leontiev 1971 : 28).
Ne retrouve-t-on pas, formulés dans le cadre d’une analyse de la parole comme action, tous les principes – à l’exclusion de la notion d’univers de discours XE "univers de discours"  – qui forment le cadre conceptuel de l’analyse du processus ou mécanisme de l’indication de Prieto TA \s "Prieto"  ? Ne peut-on pas voir chez Leontiev TA \s "Leontiev" , Vygotski TA \s "Vigotsky" , Carnap TA \s "Carnap" , les principaux inspirateurs de la théorie prietienne et proposer même Prieto comme précurseur de la pragmalinguistique de Bange TA \s "Bange"  ?  XE "pragmalinguistique" \r "praglinga"  XE "acte de parole" \r "parole" 
6.2.3. L’interaction et l’action
C’est sous le concept d’interaction que Bange formalise l’analyse conversationnelle. Et c’est à partir de la définition de l’interaction XE "interaction" \b  comme « action sociale réciproque » (Bange 1992 : 71) qu’il analyse l’action et présente une modélisation de l’interaction.
Le syllogisme pratique
Cette modelisation s’appuie, à partir d’une « théorie naïve du comportement », sur les concepts de buts à atteindre et de projet d’action comme moyen d’atteindre ces buts (ibidem : 67-68). Le « syllogisme pratique », ou « inférence pratique », d’Aristote en donne une formulation dont Apostel TA \l "Apostel" \s "Apostel" \c 1  (1976), à la suite de Wright TA \l "Wright" \s "Wright" \c 1  (qui déjà dégageait les formes intentionnelles et cognitives des prémices, et prévisionnelle de la conclusion), affine l’analyse.
Apostel met en valeur la prémisse cognitive, montrant ainsi que l’action « présuppose de la part de l’agent le savoir-faire pour l’accomplir » (Apostel 1976 : 205). Le syllogisme pratique XE "syllogisme pratique"  se formule ainsi à l’aide d’une « règle de production de l’action [qui] a la forme : si p, alors fais q. » (ibidem). Cette règle nécessite de prendre en compte la situation dans la définition de l’action (si p). XE "action" \b 
Se représenter et interpréter la situation
Bange définit cette situation XE "situation" \b  comme les « conditions et circonstances qui précèdent et entourent l’action et lui donnent sa raison d’être qui est de modifier la situation existante. » (Bange 1992 : 73). De sorte que « l’antécédent « si p » résume l’interprétation de la situation par l’acteur » (ibidem : 73) et qu’
il faut faire entrer dans la définition de l’action des opérations cognitives qui la constituent en partie : une représentation et une évaluation du contexte extérieur, d’une part, et, d’autre part, du savoir pratique disponible dans ces circonstances, c’est-à-dire une évaluation de ce qui peut effectivement être fait pour modifier la situation. L’action n’existe pas sans ce travail cognitif qui est un examen de l’état d’inadaptation entre l’acteur et une situation initiale, un examen qui est une définition du caractère problématique de la situation. La nature des moyens qui seront mis en œuvre dans l’action dépend partiellement de cette définition de la situation XE "situation"  : si p, alors fais q. Dans une telle règle, l’action concrète est définie comme le conséquent de la situation, ou plus précisément de l’interprétation que l’acteur fait de cette situation. Dans l’action (y compris dans l’action verbale), l’opération concrète doit être comprise comme liée par une relation d’implication à l’interprétation de la situation. (ibidem : 73)
Cette analyse du syllogisme pratique, selon laquelle la conclusion de l’inférence renvoie aux opérations – à la décision – par lesquelles l’action est accomplie, reste cependant insuffisante pour Bange TA \s "Bange"  car elle ne dit rien sur la dimension d’attribution des actes, sur le fait
que l’attribution d’un sens à un acte fait partie des phénomènes à analyser et qu’elle ne peut être regardée comme automatique sur la base d’un répertoire objectif (aucune action n’entre en scène avec un badge à son revers). [Elle] entre dans le processus de coordination entre les acteurs et fait appel de leur part aux ressources de la « psychologie naïve » quotidienne. (ibidem :74)
Les actions et les interactions sociales ne sont en effet possibles que sur la base d’un savoir partagé XE "savoir partagé"  sur le monde et sur les conventions de comportements (comme base des actions sociales et de la communication).
Un savoir partagé : stratégies et schémas d’action
Bange TA \s "Bange"  se tourne vers la théorie psychologique de l’action  de Cranach TA \l "Cranach" \s "Cranach" \c 1  et al. (1980), qui intègre la psychologie naïve du comportement, l’approche systémique et la théorie du contrôle social par les règles de Goffman TA \l "Goffman" \s "Goffman" \c 1  (interactionnisme). Elle permet de soutenir le fait que « les cognitions individuelles sont la réalisation d’attentes sociales et de rôles » et constituent le relais individuel de la « construction sociale de la réalité » (Bange 1992 :74).
Ba nge propose alors un modèle qui s’appuie sur les notions de stratégie et de schéma d’action. La notion de stratégie XE "stratégie" , « ensemble d’actions sélectionnées et agencées en vue de concourir à la réalisation d’un but final », qui « consiste dans le choix d’un certain nombre de buts intermédiaires et subordonnés (…) pouvant à son tour se subdiviser en actions-moyens pour arriver à la réalisation de son propre but » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 76), est problématique. L’analyse des buts d’une action, complexes et multiples, n’est pas simple, et la notion de but XE "but" , « pulsion diffuse qui s’éclaircit dans le déroulement de l’action » (Aebli TA \l "Aebli" \s "Aebli" \c 1  1980, cité par Bange ibidem), couplée à celle de besoin, reste vague et liée à ses corrélats empiriques d’action et de stratégie, avec lesquels ils peuvent même se confondre. Mais elle représente pour Bange l’intérêt d’inclure l’idée de hiérarchie de buts et de moyens et l’idée d’action. La notion de schéma d’action XE "analyse conversationnelle:schéma" \b  XE "plan" \t "Voir schéma d'action"  XE "projet" \t "Voir schéma d'action" , « savoir pratique disponible sur le déroulement prévisible de l’action », appelé aussi plan ou projet d’action, peut lui être associé.
Le modèle TOTE
Le modèle proposé par Bange est le modèle TOTE XE "modèle TOTE" \b  (Test-Opération-Test-Exit) d’analyse de l’action proposé par Miller, Galanter, Pribram TA \l "Miller, Galanter, Pribram" \s "Miller, Galanter, Pribram" \c 1  (1960), dont Rosen TA \s "Rosen"  (2003) offre de très intéressantes illustrations dans l’analyse de la communication exolingue, et auquel nous aurons pour notre part l’occasion de recourir dans l’analyse de notre corpus. Ce modèle a l’intérêt de permettre une distinction entre les niveaux stratégiques ou supérieurs d’organisation de l’action «structurés par les choix des buts, les plans et les stratégies, et les niveaux opérationnels ou inférieurs d’organisation de l’action « organisés par des mécanismes » (Bange 1996 : 86).
On voit l’intérêt de ce modèle : il permet d’interpréter la structure du discours comme une unité autonome dont les unités de niveau inférieur sont dépendantes et qui prennent pleinement leur sens par rapport à lui. On remarquera par ailleurs sa pertinence pour l’analyse du discours dans le cadre d’une activité didactique qui s’élabore aujourd’hui systématiquement sous la forme d’un projet ou d’une démarche. Les thèmes et contenus traités, savoirs et savoirs-faire, visent à transmettre des compétences évaluables en terme de comportement. Ils sont organisés dans le projet en activités se succédant selon un déroulement déterminé, voire selon une progression, chaque activité comportant des phases, des séquences, des actions déterminées. L’ensemble du projet (savoirs, savoirs-faire, déroulement) s’élabore à partir d’une définition rigoureuse et hiérachisée de finalités, de buts, d’objectifs généraux, opérationnels ou opératoires que les référentiels ont pour fonction de formuler. Nous verrons dans notre troisième partie l’illustration que nous tenterons de donner de certains aspects de l’analyse du discours didactique en tant qu’activité déterminée par des buts et organisée par des moyens. XE "interaction" \r "interactiona" \b 
6.2.4. Le sens de l’action
Mais c’est chez Max Weber TA \l "Weber" \s "Weber" \c 1  (1947) que Bange TA \s "Bange"  trouve la définition de l’action la plus propre à le satisfaire, car elle se relie à la notion de sens XE "sens" \b.
On appellera « action XE "action" \b  » un comportement humain (peut importe qu’il s’agisse d’un faire externe ou interne, d’omettre de faire ou de subir) si et dans la mesure où celui ou ceux qui agissent y associent un sens subjectif . (1947 : 1). XE "sens:action" \b 
Nous nous trouvons confronté à une définition du sens à laquelle Prieto TA \s "Prieto"  nous a rendu familier, que Bange commente ainsi :
Ce n’est évidemment pas de « signification sémantique ou linguistique ou grammaticale » qu’il s’agit ici, mais de ce que Leech TA \l "Leech" \s "Leech" \c 1  1983 appelle « force pragmatique » pour éviter, pense-t-il, des confusions que l’usage courant n’a pas à redouter. C’est quelque chose qui est lié à des circonstances particulières. C’est ce que Grice TA \s "Grice"  appelle « signification en situation » et qu’il oppose à « signification conventionnelle » (..). M. Weber TA \s "Weber"  indique qu’un comportement « porteur de sens (sinnhaft), c’est-à-dire compréhensible » est un comportement en relation avec des « moyens » et un « but » que l’acteur se représentait et vers lequel il dirigeait son action (1947 : 2-3). Il importe de souligner que, pour Max Weber, l’idée de sens est liée à l’idée même d’action et que ce qui peut faire d’un objet quelque chose de « compréhensible », c’est sa « relation à l’action humaine » (1947 : 3) . (Bange 1992 :77)
L’action se présente ainsi sous deux faces : externe (ensemble observable de gestes, de modifications physiques dans un ensemble physique) et interne (processus cognitifs : perceptions, buts, décisions, valeurs, savoir social, etc.), qui sont tous liés entre eux et qui composent la signification de l’action. D’où la formule : « le flot du comportement est articulé en actions par des buts » (Cranach TA \s "Cranach"  et al. 1980 : 87). Cette articulation est
le résultat d’une interprétation par laquelle l’acteur construit le sens de son action et/ou un co-acteur attribue un sens à l’action d’un acteur. Une action n’est jamais directement perçue. Ce sont les gestes qui la composent qui sont perçus. L’action en tant que telle est l’objet d’un processus de compréhension . (Bange TA \s "Bange"  1992 : 78)
Bange nous indique que Schütz TA \l "Schütz" \s "Schütz" \c 1  (1962 : 24) enrichira ce concept d’action en distinguant, relativement aux savoirs, valeurs, objectifs admis dans un groupe socio-culturel, l’action sensée (compréhensible, les moyens étant adéquats au but), l’action raisonnable (action sensée exécutée après un choix judicieux entre plusieurs manières), et l’action rationnelle XE "action:rationnelle"  (action raisonnable exécutée avec une vision claire et distincte des fins, des moyens et conséquences secondaires).
Les interactions relèvent alors de l’action rationnelle. Il y a une rationalité des interactions, qui est relative à l’exécution en fonction d’une vision claire et distincte des fins, des moyens, et des conséquences secondaires. Cette rationalité est exécutée par une coopération entre les acteurs.
6.2.5. Interaction et analyse conversationnelle
L’analyse de l’action et de son sens prend comme terrain privilégié d’illustration l’analyse conversationnelle, telle qu’elle s’est développée autour de la notion d’interaction. Bange en reprend donc les moments les plus importants, que nous allons parcourir ici. Ces analyses présentent les principes de base, l’organisation de la conversation en tours de parole, paire adjacente, séquence et certains principes de structuration des tours, et les questions de hiérarchie, de place pertinente, de face, d’organisation préférentielle, de dépendance séquentielle, de coordination séquentielle. XE "action:analyse de l’" 
Principes de base.
L’essentiel des recherches de l’analyse conversationnelle ethnométhodologique de Sacks, Schlegoff, Jefferson TA \l "Sacks, Schlegoff, Jefferson" \s "Sacks, Schlegoff, Jefferson" \c 1  (1974) a porté sur les formes de cette coordination des interactions. Elle s’appuie sur les notions de prise de tour, de coordination, de négociation.
Prise de tour et coordination.
La prise de tour est le « mécanisme de coordination des activités individuelles » dont les règles organisent le bon déroulement des interactions dans toutes les activités (Sacks, Schlegoff, Jefferson TA \s "Sacks, Schlegoff, Jefferson"  1974 : 28). La prise alternée du tour de parole en est une forme particulière. Il est le « mécanisme qui caractérise la réalisation de l’interaction par le moyen de la langue. » (ibidem). Il coordonne les actions verbales individuelles pour agir ensemble. Il réalise la réciprocité des actions sociales par l’alternance des locuteurs.  XE "analyse conversationnelle:prise de tour" 
Négociation.
Cette coordination est envisagée comme une négociation, tacite ou thématisée, le principe de base étant qu’un seul locuteur parle et agit à la fois. Cette négociation, tacite ou thématisée, consiste à « se mettre d’accord sur la façon dont une activité sera accomplie et sur sa signification  » (ibidem : 29). Elle s’opère à travers une alternance d’étapes : 1. proposition, 2. acceptation ou refus, 3. ratification de l’acceptation.
La première activité qu’il s’agit de négocier est « le sens des énoncés, qui n’est pas une donnée objective immédiate, mais un processus à réaliser par les interlocuteurs » (ibidem : 29). Les autres activités négociées sont la mise en route de l’alternance des locuteurs et ses suspensions dans les séquences d’ouverture et de clôture des conversations, la constitution du focus de l’interaction et des activités à accomplir, le quitus sur les activités accomplies, la constitution de la référence, l’établissement des relations entre les personnes, l’interprétation du contexte et des rôles, la construction des séquences, etc. (ibidem : 29). XE "analyse conversationnelle:coordination" 
L’organisation de la prise de parole dans la conversation
La conversation est le système le plus flexible d’interaction sur lequel pèse le moins de contraintes, à la différence du débat ou de l’interview, ou d’autres types d’interaction. Il ne comporte pas de « pré-spécification (…) liée au but global qui exerce des contraintes « d’en haut », car l’organisation des prises de tours « opère indépendamment (…) du topic des tours » ( Bange TA \s "Bange"  1996 : 31). C’est pourquoi elle est un type central et un objet privilégié d’études. Cette organisation s’analyse en termes de tour de parole, de monitoring, de paire adjacente, d’organisation préférentielle, de modification permanente de la situation, de place, de clôture.
Tour de parole.
. XE "analyse conversationnelle:tour de parole" Selon le modèle de Sacks, Schlegoff, Jefferson TA \s "Sacks, Schlegoff, Jefferson"  (1974) deux composantes sont mises en jeu dans le tour de parole :
1°) Une composante de construction des tours, qui se constitue sur la base de type d’unités grammaticales variées. Le tour de parole n’est pas une unité grammaticale, mais
une unité interactive, l’élément de base de l’interaction verbale, orienté dans sa construction comme dans sa fonction à la fois vers le tour précédent et vers le tour suivant.  (Bange TA \s "Bange"  1996 : 32).
Cette composante permet la prévisibilité du type d’unité grammaticale sur lequel il est construit, et le départ du tour suivant sans attente de complétude au niveau de la phrase.
La complétude XE "analyse conversationnelle:complétude" , c’est ce qui est réalisé lorsque le locuteur actuel est arrivé de manière prévisible pour le locuteur suivant à la place pertinente pour le changement de locuteur. (ibidem : 33)
Cette prévision s’exerce grâce à l’activité cognitive du récepteur à partir du savoir réciproque des partenaires, savoir grammatical et savoir pragmatique, sur la base des indices XE "indices"  sémantiques, syntaxiques, intonatifs, visuels, et leur combinaison. Ils permettent de prévoir la complétude, de faire des hypothèses, de synthétiser, valider ou invalider l’interprétation. « L’activité du moment implique une interprétation prospective qui ne peut être validée que rétrospectivement » (Kallmeyer TA \l "Kallmeyer" \s "Kallmeyer" \c 1  1987 : 192-193).
2°) Une « composante d’attribution du tour de parole » qui consiste en une série de règles ordonnées, que Sacks, Schlegoff, Jefferson TA \s "Sacks, Schlegoff, Jefferson"  (1974) explicitent, visant à éviter silences et chevauchements qui sont les deux types de ratés qui surviennent souvent. Afin d’éviter ces ratés, « le transfert de la parole n’a lieu qu’aux places pertinentes pour le changement désignées par leur complétude prévisible. » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 35), places pertinentes qui sont signalées par des régulateurs de synchronisation : hum, ouais, mhm, unités minimales du tour de parole ou « unités pendant le tour », qui marquent, suivant quatre tons différents, la convergence, la divergence possible, la divergence, et l’incertitude (Ehrlich 1979, ibidem).
L’interruption délibérée constitue une menace pour la face XE "face :menace"  du locuteur et exige une réparation. Le chevauchement involontaire se répare par  le silence de l’un et la reprise par l’autre, ou par la compétition pour la domination
Monitoring.
L’unité du tour de parole « est déterminée interactivement. » (Sacks, Schlegoff, Jefferson TA \s "Sacks, Schlegoff, Jefferson"  1974, ibidem), mais des activités comme le récit, les description, l’argumentation, régies elles-mêmes par des règles spécifiques, nécessitent que la prévision doive s’opérer sur plusieurs unités de tours de parole « pour arriver à une complétude XE "analyse conversationnelle:complétude"  thématique ou structurale » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 35). L’accomplissement de telles « tâches sociales » (ibidem : 39) nécessite que le locuteur exerce un contrôle précis « sur les évènements qui se produisent à l’intérieur de la production d’une unité phonique » : sélection des mots, des thèmes, admissibilité et ordre des séquences, options et obligations pour ouvrir ou clore les conversation, qui laisse supposer l’existence d’un « monitoring permanent » (Goodwin TA \l "Goodwin" \s "Goodwin" \c 1  1979) qui est une application du principe d’orientation en fonction du récepteur de Sacks, Schlegoff, Jefferson (1978 : 43).
Paire adjacente.
 XE "analyse conversationnelle:paire adjacente" La paire adjacente est l’unité minimale d’analyse des tours de parole. Elle est considérée comme « le mécanisme le plus puissant pour mettre des énoncés en relation (…) dans la conversation. » (Sacks TA \l "Sacks" \s "Sacks" \c 1  1972 : 1), « tours de parole en position de succession immédiate » et « tels qu’il existe un élément reconnaissable comme le premier et un élément reconnaissable comme le second. » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 41), la seconde partie de la paire s’accomplissant « au premier point de complétude du locuteur » et se révélant « contrainte par le premier élément ». Certains types d’échanges déterminent strictement ce point de complétude et ces contraintes : Salutations, Compliments (Acceptation, Refus), Question / Réponse informative ( Ignorance, Refus de répondre, Doutes sur la sincérité de la question), Offre (Acceptation, Refus), Requête (Acceptation, Ajournement, Refus), Reproche (Excuse, Justification, Défi, Oubli), Séparations .
Organisation préférentielle.
 XE "analyse conversationnelle:organisation préférentielle" Il existe ainsi une « organisation préférentielle » (non-marquée), souvent stéréotypée, pour le choix du second élément de la paire, que le premier élément détermine. De toutes les organisations possibles, c’est « d’une manière générale celle qui assure la coopération la plus aisée. » (Bange TA \s "Bange"  : 41). Elle est ritualisée (au sens de Goffman TA \s "Goffman" ), elle vise à ménager la face du partenaire et doit employer des stratégies de justification et de réparation. Bange fait remarquer que selon Levinson TA \l "Levinson" \s "Levinson" \c 1  (1983 : 333) les non-préférentielles sont marquées (délai significatif, marqueurs d’hésitation, de non préférence : euh, eh bien, c’est-à-dire, etc.), et souvent accompagnées d’évaluations, d’explications, de justifications renvoyant aux motivations du sujet. Il énonce une règle d’évitement des non-préférentielles (marquée). La succession est ainsi interprétée comme une relation d’adjacence, les paires adjacentes constituant le « moyen institutionnalisé (c’est-à-dire formel) pour exploiter le pouvoir de relation de l’adjacence. » (Bange : 41). Mais cette relation d’adjacence peut être suspendue par des séquences insérées, qui doivent comporter des marques nettes (prosodiques) de suspension de la mise en relation.
La modification constante de la situation.
Le tour de parole est alors considéré comme partie intégrale de la situation de communication XE "communication:situation de: modification" . Les nouveaux énoncés introduisent en effet une modification constante de la situation par l’expression de nouvelles intentions, de nouveaux savoirs, par l’introduction de nouvelles circonstances. La valeur d’une unité dépendra alors de sa place dans le déroulement de l’interaction de sorte que « le tour de parole est [ …] l’élément situationnel qui introduit des changements le plus constamment et le plus régulièrement » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 43).
Chaque énonciation modifie le contexte dans lequel l’énonciation suivante doit être interprétée : la place d’une énonciation est donc un élément déterminant pour l’interprétation de sa fonction et une telle conception ne peut trouver place que dans le cadre d’une conception intentionnelle de la signification où on admet que chaque interlocuteur cherche constamment à comprendre (interpréter, reconstruire) ce que son partenaire a voulu dire en disant cela dans une situation en constante modification. (ibidem : 43)
Place et clôture.
La place de nombreux énoncés, en particulier dans les échanges stéréotypés, est attendue et non-marquée. Elle intervient normalement, de façon non marquée. Quand ce n’est pas la cas, des « marqueurs de mauvaise place » (préfaces d’énonciations, invitation à ne pas prendre en compte la place pour l’énonciation : au fait, ceci dit, pour en revenir à,) rétablissent cette place. Le rôle de la place se manifeste particulièrement dans la séquence de clôture XE "analyse conversationnelle:clôture" , « procédure qui permet de coordonner l’arrêt de la pertinence des règles d’alternance des locuteurs en même temps qu’elle permet de respecter l’intérêt des participants à mentionner ce qu’ils jugent utile pour la conversation » (ibidem : 43). Elle comporte deux composantes cruciales : 1. Un échange de pré-clôture, initiation des routines de clôture. 2. Un échange terminal, qui suspend la coopération des règles de prise de tour et assure les fonctions rituelles de séparation.
L’organisation structurale d’ensemble.
Il faut par ailleurs considérer la place des paires adjacentes par rapport à « l’organisation structurale d’ensemble » (Sacks, 1972 : 10), comme « un type plus ou moins fondamental d’organisation de la conversation » (ibidem). Car elle produit « méthodiquement », c’est-à-dire par un savoir réciproque reconnaissable, une relation « d’implicativité séquentielle », c’est-à-dire « la pertinence d’une série déterminée d’occurrences » (types d’énoncés, activités, choix de locuteur) qui est projetée par un énoncé pour les tours suivants.
Principe de dépendance séquentielle
Il existe donc une règle de dépendance séquentielle ou « principe de dépendance conditionnelle » ou de pertinence conditionnelle, fondée sur le caractère anticipable, attendu des énonciations suivantes. Dans la paire adjacente, la relation entre la première et la deuxième énonciation est une relation de cause ou de condition de nature sociale : elle est connue de l’énonciateur qui la suppose connue par le récepteur qui la suppose intentionnellement posée par l’énonciateur. Ainsi, « la paire adjacente est la forme élémentaire de réalisation du principe de dépendance séquentielle » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 45).
Séquences enchâssées.
En présence de séquences enchâssées, les deux tours ne sont plus adjacents, mais coordonnés séquentiellement. Deux items sont mis en séquence lorsque la relation d’attente du second est instaurée par le premier. Il n’y a pas séquence lorsque « l’attente n’est pas remplie. » (ibidem : 46), puisque le but du locuteur n’est pas encore accompli par une action en retour du recepteur. La paire adjacente est ainsi la séquence minimale au plan de la réalisation des buts d’interaction. C’est un ordre clos.
Composantes de paires adjacentes
Mais on peut aller au delà de l’ordre clos de la paire adjacente, pour construire des séquences d’items plus longues que les paires adjacentes, des « composantes XE "composantes"  des paires adjacentes » (Sacks TA \l "Sacks" \s "Sacks" \c 1 , 1972 : 19). Un acteur A s’assure de la disponibilité d’un acteur B à accomplir une action. Il y a dépendance conditionnelle entre séquences et non entre tours de parole. On ouvre ces séquences « en embrayant sur une activité qui va faire l’objet d’une séquence pour l’instant seulement anticipée et dont la paire adjacente réalisée établit la condition » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 48). La clôture XE "analyse conversationnelle:clôture"  de la séquence peut être soulignée par une ratification qui donne quitus.
Séquences latérales
Une activité en cours peut être interrompue provisoirement du fait qu’une condition pour la poursuite de l’interaction n’est pas remplie. Cette interruption donne lieu à une séquence latérale (side sequence Jefferson TA \l "Jefferson" \s "Jefferson" \c 1  1872) qui comporte trois phases : une initiative (du problème), une réaction, un feed-back. Elles sont constituées par des clarifications, des explications, des reformulations, et ont souvent une fonction de « régulation de l’intercompréhension » (Bange 1992 : 53).
[elles] sont la forme interactive directement observable de la négociation du sens XE "négociation du sens" . Cette négociation est rendue explicite parce que l’un des interlocuteurs perçoit un problème qui risque de compromettre la suite du déroulement de l’interaction » (ibidem : 55).
Cette explicitation, facultative si elle est à l’intitiative du locuteur, obligatoire si elle l’est à celle du récepteur, dépend, selon Jefferson TA \s "Jefferson"  (1972), de la tolérance dans la négociation du sens, qui « vise seulement l’analogie ou même la non-incompatibilité des interprétations et le locuteur peut se montrer plus ou moins tolérant selon les circonstances (ibidem : 55). XE "analyse conversationnelle:organisation d'ensemble" 
Macrostructures. Le modèle d’ensemble de Kallmeyer TA \s "Kallmeyer" 
Ainsi, les tours de parole assurent « la coordination des activités individuelles d’énonciation et de compréhension » (ibidem : 60) mais, phénomènes locaux, ils ne recouvrent pas toute la réalité des interactions verbales et s’inscrivent dans des espaces fonctionnels plus vastes : il faut prendre en compte l’existence des buts qui guident l’organisation locale. On est renvoyé à une hiérarchisation de la structure de l’interaction, dont Kallmeyer TA \s "Kallmeyer"  et Schützen TA \l "Schützen" \s "Schützen" \c 1  ont fait les premières tentatives de hiérarchisation.
Kallmeyer insère sa conception dans une « théorie de l’interaction verbale basée sur les principes de l’interactionnisme symbolique, de l’ethnométhodologie, de l’analyse conversationnelle qui en est une concrétisation et d’une analyse linguistique des procédés de formulation » (Kallmayer 1979 : 191).
Cette théorie de l’interaction / communication «  indique comment les participants maîtrisent le déroulement des interactions en introduisant des structures d’ordre et en réalisant des attributions de signification » (Kallmayer 1979 : 555).
Schéma conversationnel.
 XE "analyse conversationnelle:schéma" En faisant remarquer que Kallmeyer TA \s "Kallmeyer"  / Schütze TA \s "Schütz"  (1976 et 1977) distinguaient « schéma conversationnel » et « schéma d’action », Bange (1992 : 61) précise qu’ils entendaient par schéma un sens très proche de celui de Bartlett (1932), à savoir : « une organisation active de l’expérience antérieure, laquelle, d’après tout ce que l’on sait, a sa part dans l’exécution de toute réponse organique bien adaptée » (ibidem : 201). Bange voit aussi avec Aebli dans la TA \s "Aebli"  totalité des schémas, « le répertoire, la compétence d’action d’un homme » (Aebli 1980 : 47), concept qu’il signale s’approcher des notions définies chez Norman Rulmayer TA \l "Rulmayer" \s "Rulmayer" \c 1  (1975) et chez Minski TA \l "Minski" \s "Minski" \c 1  (1975) sous le terme de cadre (Aebli 1980 : 85).
Ces activités régies par le schéma ou le cadre sont gérées « par la règle d’alternance et les exigences de la thématique locale », et « consistent en un guidage des activités selon le principe de la « dépendance conditionnelle», [ayant pour] but d’assurer la coordination et l’intercompréhension par la constitution de la référence, la focalisation, la réparation des perturbations, etc. » Bange 1992 : 61-62)
Schéma d’action.
 XE "analyse conversationnelle:schéma" Mais l’ouverture et la clôture d’un schéma conversationnel dépendent de schémas super-ordonnés, qui sont les schémas d’action, activités partielles constitutives dans la succession d’une « forme normale » attendue, se rapportant à des contenus socio-historiques spécifiques structurant le monde social et dont les partenaires ont des représentations « supposées réciproquement communes ».
Des « schémas de représentation d’états de choses » occupent une position intermédiaire entre local et global (récits, descriptions, argumentations) qui « éliminent les mises en doute ou les déficits d’information manifestées implicitement ou explicitement » (Kallamayer, Schütz 1977 ).
Structuration des niveaux
Nous ne reprendrons pas en détail l’exposé et le commentaire que fait Bange TA \s "Bange"  de la conception d’ensemble de l’interaction par Kallmeyer TA \s "Kallmeyer" , et de ses cinq hypothèses.Nous retiendrons, à la suite de Bange, la cinquième hypothèse sur la « structuration à plusieurs niveaux » de l’interaction, premier modèle intégratif de « l’instrumental » et du « cérémoniel ».
Bange relève que la hiérarchie de Kallmeyer est une « hiérarchie de niveaux d’actions subordonnées » (définition générale du complexe d’activité, décomposition de tâches constitutives réparties dans un ordre donné, schéma de déroulement de la « forme normale », description de chaque tâche comme « potentiel d’activités qui permettent toutes sortes d’expansions » (Kallmeyer 1987, cité par Bange 1992 : 65 ). 
Mais Bange TA \s "Bange"  reproche à Kallmeyer de ne pas dire comment ces niveaux subordonnés se situent par rapport au niveau de la représentation des états de choses, ni quelle est leur autonomie par rapport au local ou au global, en particulier quand ils participent (récit, argumentation, description) à la réalisation d’une action. S’il n’y a pas d’autonomie des niveaux, il y a continuité dans l’organisation de l’action et le schéma d’action n’est plus une hiérarchie fixe de niveaux préétablis. Ne faut-il pas considérer la représentation d’un état de choses comme une action, appliquant dans toute sa rigueur le principe selon lequel « tout est action » ?
De plus, Bange TA \s "Bange"  reproche à Kallmeyer, dans ses descriptions, de ramener les structures complexes à une forme normale ou à « la structure logique d’un schéma d’action » dont il ne définit pas clairement le statut et qui ne représente pas toujours exactement la réalisation concrète. De sorte que, pour Bange, une telle conception structuro-fonctionnaliste qui fait du schéma, XE "analyse conversationnelle:schéma"  « en quelque sorte, une macro-structure objective qui s’impose aux partenaires comme une contrainte, un ordre fixe auquel il faut obéir » (ibidem : 67) paraît assez étrangère à l’interactionnisme par ailleurs affiché par Kallmeyer.
Ce qui compte, c’est que les partenaires s’orientent vers un but commun ou vers des buts convergents en mettant en œuvre leur compétence sociale.
Rationnel / relationnel
De sorte que Bange TA \s "Bange"  propose une conception différente (Bange1992 : 68) inspirée de Brown et Levinson TA \l "Brown et Levinson" \s "Brown et Levinson" \c 1  (1978) pour qui l’interactant a deux caractéristiques : la rationalité, qui lui permet d’agencer des moyens pour atteindre des buts, et la face XE "face"  (hérité de Goffmann), lesquelles peuvent entrer en contradiction dans l’interaction : d’où l’emploi de stratégies de conciliation que sont les phénomènes de politesse.
Bange propose donc de considérer chaque niveau d’analyse des interactions sous deux aspects : un aspect rationnel, finalisé ou instrumental, et un aspect relationnel, avec une composante « cérémonielle » ou « rituelle ».
Mais, de fait, ce n’est que sur la base d’une analyse des concepts d’action et d’interaction que peuvent seulement être utilisés ces concepts, dans le cadre d’un modèle complet d’intégration de l’organisation locale dans des macro-structures (Bange TA \s "Bange"  1992 : 68-69).
Une nouvelle fois, nous allons voir que les conceptions de Prieto se situent au cœur de ces débats et que ses concepts pourraient même permettre non seulement d’ouvrir à la recherche pragmatique et didactique un champ d’activité prometteur mais aussi de prolonger les recherches conduites actuellement et de leur offrir un cadre conceptuel relativement cohérent. Il ne s’agit plus là de prise de position théorique, mais d’analyse concrète, d’analyse de discours et d’analyse conversationnelle.  XE "analyse conversationnelle" \r "interactionb" \b  XE "analyse conversationnelle:macro-structure" 
6.3. Un modèle d’analyse pragmatique de traitement des données lexicales
6.3.1. L’objectif : un modèle d’analyse pragmatique
Nous avons vu (chapitre 3) que la psycho-linguistique s’est révélée incapable « de montrer  comment l’apprenant s’y prend pour manier les éléments que contient le contexte  et de proposer un modèle théorique qui puisse rendre compte des phénomènes constatés » (Boogards TA \l "Boogards" \s "Boogards" \c 1  1994 : 174). Nous avons alors rencontré la théorie de l’indication de Luis J. Prieto, qui nous propose un modèle permettant d’analyser le processus d’accès au sens à partir des indices présents dans la situation de communication. Son illustration cependant ne porte que sur quelques énoncés. Cela nous a incité à vouloir observer cette activité sur des échanges structurés et particulièrement dans des interactions verbales en situation didactique. En effet, l’apprenant explicite souvent ses processus d’interprétation et l’enseignant conduit ses actions et ses réactions en inférant sur les processus supposés de l’apprenant.
Notre objectif est donc de proposer un modèle d’analyse pragmatique des rapports du mot avec ses indices à travers la communication exolingue de classe. Ce modèle doit satisfaire pleinement les nécessités d’une théorie du discours et de l’interaction verbale en communication exolingue, c’est-à-dire, pour nous, intègrer les concepts de la théorie fonctionnelle de Luis J. Prieto TA \s "Prieto"  aux dernières avancées de la recherche en pragmatique et en analyse conversationnelle. Nous avons vu que le principes prietiens ne contredisent pas les résultats des recherches pragmatiques. Il nous reste à montrer que, dans le cadre de la pragmalinguistique de Bange TA \s "Bange" , ils peuvent intégrer les très riches développements de l’analyse de discours et de l’analyse conversationnelle de ces trente dernières années.
Il s’agit donc maintenant de montrer par l’analyse d’un corpus didactique comment la théorie de l’indication permet de s’intégrer au modèle de Bange et de donner à la pratique didactique un fondement linguistique en accord avec les principes pédagogiques.
Mais avant de faire l’épreuve de cette analyse d’un corpus didactique il nous faut présenter les grandes lignes du modèle que nous allons tenter d’illustrer.
Nous partons de quelques hypothèses que nous formulerons ainsi :
1°) L’inférence du sens à partir du contexte discursif, difficilement observable chez le lecteur d’un texte, l’est plus facilement entre deux locuteurs construisant ce contexte in situ, en situation, et particulièrement en situation didactique. Car celle-ci offre une source plus précieuse et des données plus complètes pour éclairer les processus d’interprétation de l’apprenant, en les observant directement à partir de ses productions linguistiques, ainsi qu’à partir des actions, réactions et interprétations de l’enseignant.
2°) Cette inférence par observation directe, dans une situation didactique exolingue doublement inégale, entre un apprenant expert des savoirs techniques et un enseignant expert des savoirs linguistiques, est plus complète si elle est accompagnée d’une observation indirecte par l’enseignant lui-même et de ses commentaires sur le déroulement de l’action et sur la façon dont il a procédé non seulement pour aider l’apprenant à « découvrir le sens d’un mot » (Boogards 1994  : 172) mais aussi pour comprendre lui-même, à travers les mots de l’apprenant, le sens que celui-ci tentait de faire passer sans en avoir tous les mots.
3°) La situation pragmatique – et non plus simplement le contexte linguistique – intervient dans l’interprétation du discours, l’interaction verbale constituant le premier niveau d’analyse de la situation et de la détermination du contexte. Préalable à tout processus complémentaire d’apprentissage (répétition, mémorisation, entraînement, etc.), l’interprétation de la situation de communication didactique est un préalable à l’analyse des autres déterminations. C’est elle qu’il faut décrire prioritairement. Il ne s’agit plus simplement d’un problème psycho-linguistique, mais d’un problème pragmatique.
Nous pensons, à partir de ces hypothèses, pouvoir illustrer la théorie de l’indication, et montrer comment, intégrée au modèle d’analyse de la pragmalinguistique de Bange TA \s "Bange" , elle peut le complèter et proposer un cadre théorique pertinent de mise en relation de l’action avec le sens, du niveau local avec le niveau global, du niveau linguistique avec le niveau discursif, des signifiés des phonies au sens du rapport social.
6.3.2. Le lexique XE "lexique" 
Notre analyse pragmatique des rapports du mot avec ses indices à partir d’un corpus didactique doit privilégier l’observation de la dimension lexicale des phonies.
La communication exolingue de classe XE "communication de classe" \b  est une situation particulièrement privilégiée d’observation. L’interaction y vise deux buts complémentaires, selon qu’elle est vue par l’enseignant ou par l’apprenant : enseigner, d’une part, apprendre, d’autre part, le code linguistique par lequel se réalisent diverses actions verbales sélectionnées ou sollicitées, les phonies contribuant à produire le sens visé à travers les contextes et les situations relatives à la production de ces phonies. Pourtant les procédures de traitement des phonies sont, en communication orale exolingue, d’une conduite plus aléatoire et plus imprévisible que les autres procédures didactiques, de nombreux imprévus surgissant sur le chemin de l’exploitation linguistique du contexte et de la situation. Cependant, avec des travailleurs adultes migrants, la valeur du langage est d’abord « opératoire et pragmatique » (Berruto TA \s "Berruto"  1983), centrée sur le sujet parlant, et l’analyse peut se référer à une épistémologie naïve d’apprenant pour qui le langage est d’abord conçu comme reflétant la réalité, l’état des choses, la sémantique prévalant sur le formel, le lexical sur le morphologique.
Les divers processus de lexicalisation des rapports grammaticaux, de réalisation lexicale de signifiants morpho-syntaxiques, d’effacement de phonies non signifiantes pour l’alloglotte, de recours pragmatique pour la constitution de la référence et des relations, etc. révèlent que le lexique constitue le premier pôle d’interprétation linguistique et peut-être utilisé pragmatiquement comme première base de construction des relations syntaxiques et grammaticales.
Le choix des données lexicales
L’analyse de notre corpus vise donc à montrer les processus par lesquels s’effectuent, dans une perspective d’apprentissage, le choix, l’organisation et l’exploitation des données lexicales, du côté de l’enseignant d’une part, du côté de l’apprenant d’autre part.
Il s’agit de décrire dans l’interaction didactique les stratégies de traitement des mots inconnus de Graves (1987) présentés par Boogards (1994) TA \s "Graves"  : s’agit-il des mêmes stratégies XE "stratégies"  de recherche d’indices à travers un réseau de signifiés, des mêmes constructions de traits sémantiques, des mêmes processus de confrontation des éléments d’un système cohérent de sens ? On peut ordonner ainsi notre questionnement :
Comment l’occurrence d’un mot XE "mot"  inconnu est-elle traitée ?
Comment s’établit un premier jugement sur son importance pour la compréhension ?
Comment se déduit le sens d’après le contexte précédent ou comment se construit le contexte suivant pour en transmettre le sens ? Quel rôle, en particulier, jouent les explicitations linguistiques, le recours pragmatique, le recours aux autres codes de représentation (image, texte, icônes, organisation graphique, etc.) ?
Comment un second jugement se forme-t-il  ? Par quel examen est-il confirmé ou infirmé ? Comment conduit-il à un troisième jugement ?
A quelle source de référence puise la procédure finale de clôture du sens ?
Comment se réalisent les conditions de pertinence, d’économie, de simplicité ? Comment s’éliminent les contextes trompeurs ? Comment s’opère un contrôle sur le nombre des éléments inconnus ? Quel recours est-il fait aux contrastes, aux descriptions, aux connaissances encyclopédiques, au réveil des réseaux lexicaux ?
Dans une communication exolingue doublement inégale, comment s’opèrent les échanges de compétences entre l’apprenant expert des savoirs techniques et l’enseignant expert des savoirs linguistiques ? Comment s’équilibrent les efforts et les effets dans la recherche de pertinence ?
Formulées dans une terminologie cognitiviste, nos questions pourraient prendre la forme suivante : parmi toutes les données regroupées dans les entrées encyclopédiques des concepts concernés et les nombreuses informations disponibles ou accessibles (encyclopédiques, contextuelles, physiques, interprétées des données précédentes, ou postulées par les données suivantes), lesquelles sont choisies et écartées ? Comment sont-elles organisées et exploitées par le module central et renvoyées vers les modules périphériques ? Quelle place y tiennent les données lexicales dans le module linguistique ? Quel rôle jouent-elles dans l’interaction et par rapport aux autres données linguistiques ?
Cependant, ce n’est pas dans la cadre de la théorie de la pertinence de Sperber et Wilson TA \s "Sperber et Wilson"  que nous nous proposons de traiter de ces questions, mais dans le cadre de la théorie de la pertinence et de la pratique de Luis J. Prieto TA \s "Prieto"  : la théorie de l’indication. Ainsi devons-nous, avant d’aborder l’analyse de notre corpus, présenter le modèle d’analyse pragmatique que nous proposons comme cadre de référence. XE "lexique:choix" 
Un modèle linguistique d’analyse pragmatique
Résumons d’abord les résultats auxquels nous sommes arrivé.
Notre questionnement sur les rapports du mot avec ses indices est autant un problème linguistique qu’un problème pragmatique : c’est en comprenant comment se structure la communication que l’on comprend comment se structure le lexique. La réponse à ces questions relève donc d’abord d’une analyse pragmatique XE "analyse pragmatique" . Car l’analyse de la communication, qui traite de l’usage du langage, et non du langage lui-même, ressortit à la pragmatique.
Elle ne peut donc se satisfaire d’une approche conventionnaliste (RM 98 :189) qui considèrerait le discours comme une entité irréductible non analysable ou d’une approche purement cognitiviste qui prendrait le discours comme un objet isolé qui « suffit à sa propre interprétation ». Elle doit s’appuyer sur une analyse pragmatique et cognitive du discours, qui permette de décrire les processus interprétatifs qui lui sont spécifiques. En tant que telle, elle relève autant d’une théorie de l’action que d’une théorie de la représentation, unifiée dans une théorie de la pertinence.
Mais elle ne saurait se passer d’une conception cohérente du signe linguistique. La question est en effet de savoir quelles unités prendre en compte dans cette analyse. La théorie cognitiviste de la pertinence s’arrête au niveau de l’énoncé, spécifiable en contenu logique et en contenu propositionnel. L’analyse discursive et conversationnelle considère des unités plus grandes que l’énoncé ou la phrase, le tour de parole, lequel s’insère dans des unités plus larges déterminées par les étapes de l’action. La terminologie cependant utilise les concepts traditionnels de mot, syntagmes, phrases, proposition, énoncés, tour de parole, marques, marqueurs, indices, etc. comme niveaux différents d’analyse. Les problèmes nécessitent d’être hiérarchisés et distingués, et de disposer d’une théorie cohérente du signe linguistique permettant d’analyser les différents niveaux de structuration du sens. Prieto TA \s "Prieto" , qui n’a pourtant pas conduit l’illustration de ses concepts au delà-de la phrase, nous offre cependant un cadre conceptuel cohérent qui nous permet d’analyser les différents niveaux de réalisation de l’acte de parole d’une façon unifiée.
Cette analyse s’appuie sur un certain nombre de notions, définitions, principes et hypothèses, tirés de l’examen de l’état des recherches actuelles en pragmatique linguistique que nous avons effectué précédemment et des concepts centraux de Luis J. Prieto TA \s "Prieto"  qui en constituent le cadre de référence.
Nous allons présenter ici un exposé raisonné de ces notions, définitions et principes, qui constituera le cadre dans lequel nous développerons l’analyse de notre corpus en vue de répondre aux questions posées. XE "analyse pragmatique" \r "analpragmaa" 
6.3.3. Le cadre de référence
Théorie de l’action
 XE "action:théorie de l'" L’acte de communication est à intégrer d’abord dans une théorie de l’action. Nous suivrons, pour cela, Leontiev TA \s "Leontiev"  qui « propose l’intégration de l’activité de communication dans le système général d’activité de l’homme et envisage la parole dans le cadre d’une analyse but-moyens » (Bange TA \s "Bange" 1992 : 11). A ce titre, la communication est à considérer comme une action par la parole, forme socialement essentielle d’action dont le fonctionnement individuel est informé par la situation et par le code linguistique. L’activité de parole s’insère ainsi « dans un système plus large d’activités se conditionnant réciproquement. » (Leontiev 1971 : 25).
But, stratégie, projet
Le but de l’action par la parole est de modifier la situation antérieure subordonnée aux fonctions d’ordre socio-communicatif en provoquant une réaction interne (cognitive) et des réactions verbales et/ou comportementales.
L’acte de parole XE "acte de parole"  en tant qu’action se développe suivant des stratégies, « ensemble d’actions sélectionnées et agencées en vue de concourir à la réalisation d’un but final » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 76), dont chacune « consiste dans le choix d’un certain nombre de buts intermédiaires et subordonnés […] pouvant à son tour se subdiviser en actions-moyens pour arriver à la réalisation de son propre but » (ibidem). L’idée d’action permet ainsi d’inclure l’idée d’une hiérarchie de buts et de moyens.
La mise en oeuvre des stratégies se réalise à partir d’une représentation, ou schéma d’action , appelé aussi plan XE "plan"  ou projet d’action, qui est le « savoir pratique disponible sur le déroulement prévisible de l’action » (ibidem).
Théorie de l’interaction
 XE "interaction:théorie de" L’une des formes privilégiées de l’action par la parole est l’interaction XE "interaction" \b  ou « action sociale réciproque » (ibidem), au cours de laquelle « l’acteur construit le sens de son action et / ou un co-acteur attribue un sens à l’action d’un acteur» (ibidem). Les interactions relèvent alors de l’action rationnelle (Schütz TA \s "Schütz" ) c’est-à-dire sensée, donc compréhensible, ses moyens étant adéquats aux buts poursuivis et raisonnables, c’est-à-dire exécutés après un choix judicieux entre plusieurs manières possibles mais avec une vision claire et distincte des fins, des moyens et des conséquences secondaires.
Cette rationalité des interactions est exécutée par une coopération entre les acteurs de telle sorte que le contexte est modifié par la place des énonciations (Bange TA \s "Bange"  1992 : 43), les interactants modifiant constamment la situation par le tour de parole « qui introduit des changements le plus constamment et le plus régulièrement » (Bange 1992 : 43)  par les nouveaux énoncés introduisant une modification constante de la situation, de sorte que la valeur d’une unité dépendra de sa place dans le déroulement de l’interaction.
La stratégie de l’interprète
 XE "interprétation:stratégie de l'interprète" L’action en tant que telle est l’objet d’un processus de compréhension » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 78), «  l’attribution d’un sens à un acte fait partie des phénomènes à analyser et ne peut être regardée comme automatique sur la base d’un répertoire objectif (aucune action n’entre en scène avec un badge à son revers) (ibidem). » Cette attribution entre dans le processus de coordination entre les acteurs et fait appel de leur part aux ressources de la « psychologie naïve » quotidienne. L’interprétation repose donc sur la stratégie de l’interprète, application de la théorie de l’esprit qui suppose la rationalité de la chose à laquelle on l’applique.
Nous faisons l’hypothèse que tout locuteur d’un discours cherche à nous amener à une (ou plusieurs) conclusion(s) générale(s) (son intention globale) et que chaque chose qu’il nous dit l’est pour nous rapprocher (ou pour nous éloigner, dans certains cas plus rares) de cette conclusion. En d’autres termes, sur la base de ce qu’il nous a déjà dit (intentions locales), nous faisons des hypothèses sur ce qu’il veut nous dire et nous prévoyons (avec ou sans succès) ce qu’il va nous dire ( Reboul et Moeschler 1998 : 192).
L’acte de parole est un acte codé dont l’interprétation dépend de la rationalité qu’il réalise. Elle « tient ses caractéristiques de la structure des intentions communicatives du locuteur » (Bange TA \s "Bange"  1992 : 184) et donc du sens projeté, des buts de l’action verbale. Ainsi la forme linguistique que prend l’acte de parole dépend en partie des intentions du locuteur, de la situation de communication XE "situation de communication"  et de la réalité (ibidem : 184). En partie contrôlée par les locuteurs, cette forme est aussi en partie informée par la connaissance et la pratique du code.
La stratégie de l’interprète et le processus d’interprétation de l’intention et des buts de l’action supposent une attribution de croyances, d’intentions, de désirs implicités par la phonie. Elle nécessite de distinguer entre intention locale et intention globale ainsi qu’entre différentes intentions réalisables simultanément et elle s’appuie sur une série d’indices linguistiques et non linguistiques.
Dans la conversation courante, le locuteur natif considére qu’il transmet directement du sens XE "sens"  sans qu’il ait véritablement conscience des formes qu’il produit. Ce n’est que lorsqu’il perçoit une inadéquation entre le sens projeté et la forme réalisée qu’il porte son attention sur cette forme. En communication exolingue, le natif sent l’écart des productions de l’alloglotte entre la forme réalisée et le sens projeté ou ne peut implicitement inférer des formes produites à un sens projeté. L’alloglotte pour sa part, quand il ne perçoit pas que des formes privées de sens, ne perçoit que rarement du sens immédiatement sans s’arrêter à la forme.
Théorie du signe
Le modèle que nous tentons d’illustrer s’appuie en outre explicitement sur une théorie du signe. Elle en fait le moyen par lequel l’action se réalise.
Le moyen de l’action : le signe linguistique
En se réalisant de façon privilégiée par la parole, l’action sociale, la communication humaine utilisent les signes linguistiques comme des moyens au service des buts projetés. Elle produit des énonciations, actes sociaux d’interaction à l’aide de signes (Bange TA \s "Bange"  1992 : 9).
L’acte de parole XE "acte de parole"  est une action raisonnable, donc d’abord sensée, dont les buts sont adéquats aux fins. Or la réalisation des buts de la communication exolingue de classe XE "communication de classe"  (enseignement, explication, apprentissage, mémorisation, répétition, etc.) visent à développer les compétences de communication. Elle est subordonnée au but premier de transmettre du sens XE "sens" .
Le signe linguistique XE "signe linguistique"  est le moyen privilégié de la transmission du sens. C’est un moyen d’action au même titre que l’outil (ibidem : 10), qui exerce une fonction de médiation. « Orienté intérieurement », il communique un message sous forme de phonie XE "phonie"  dotée d’un sens qui vise à « affecter le comportement des hommes ». Il est une forme médiatisée d’ostension et de préhension des objets, visant à une appréhension, une compréhension et une communication du réel. Comprendre, ce ne serait que prendre un objet placé hors de sa portée.
A travers le signe linguistique, l’action est perçue sous deux faces : une face externe (continuum sonore ou comportement verbal articulé, en relation avec un ensemble observable de gestes, de modifications physiques, de perceptions dans l’environnement) et une face interne (sens établi par des processus cognitifs : perceptions, buts, décisions, valeurs, savoir social, significations, etc.).
Le sens
 XE "sens" Ces signes prennent la forme d’un comportement verbal articulé – action, réaction - (Leech TA \s "Leech"  1983), comportement « porteur de sens (sinnhaft), c’est-à-dire compréhensible (…) » (Weber TA \s "Weber"  1947), dont la force pragmatique appelle une interprétation à partir de la « signification sémantique ou linguistique ou grammaticale », en relation avec des « moyens » et un « but » que l’acteur se représentait. Le sens est constitué par le rapport social (Prieto TA \s "Prieto"  1964) qui est visé par l’acte de parole : transformation interne (cognitive), réaction verbale, comportement.
Le continuum sonore
La communication (ici l’échange didactique) prend l’aspect, du point de vue physique, d’un continuum sonore qui se déroule dans le temps, le discours. Le discours vise à établir entre des interlocuteurs au moins un rapport social qui en constitue le sens. Ce sens, déterminé par la nature du rapport social projeté à travers le discours, fait l’objet d’une interprétation. Le discours se réalise dans le continuum sonore par une succession d’actes de parole.
Ainsi « une action n’est jamais directement perçue. Ce sont les gestes qui la composent qui sont perçus, ici les actes de parole » (Bange TA \s "Bange"  : 43). L’acte de parole constitue, parmi le continuum sonore, le comportement le plus accessible à l’interprétation.
La phonie
Le discours, le continuum sonore, les actes de parole sont analysables comme une succession de phonies (Prieto TA \s "Prieto"  1964). Dans la conversation courante, les phonies sont produites progressivement, par essais et erreurs, répétition, annulations, reprises, suspensions, hésitations, qui marquent le cheminement de la pensée ou de l’expression. Ainsi les phonies sont-elles découpées par des tonalités et regroupées en ensembles séparés par des ruptures de tons.
Les phonies, unités de sens de structures variées, entretiennent des relations avec les interlocuteurs, avec l’environnement et entre elles. Le rôle de la phonie est de « contribuer », à travers ces relations, « à l’établissement du sens » (Prieto TA \s "Prieto"  1964). Elle vise à « favoriser, parmi les sens possibles, un sens particulier » à son niveau d’analyse (Germain TA \s "Germain"  1972).
Le niveau d’analyse de la phonie est fonction du niveau de sélection par le sens des unités considérées, c’est-à-dire du type de rapport social visé en fonction des buts, des stratégies, des actions ou actes de paroles. La phonie peut être analysée au niveau du son, du phonème, de la syllabe, du vocable, du syntagme, de l’énoncé, ou d’ensemble discursifs plus vastes : tour de parole, séquence, phase, activité, ou genres discursifs régis par des règles spécifiques : récit, description, explication, argumentation, etc. Elle ne se réduit pas à celle de ses éléments les plus simples, quel que soit le niveau minimal choisi, mais son niveau d’analyse est déterminé par la présence de marques linguistiques précises qui, substituées par d’autres marques, en changent le sens.
La phonie est une unité privilégiée de notre analyse pragmatique et linguistique. Dans la communication exolingue en langue étrangère, les interactants, particulièrement les migrants faiblement scolarisés ayant acquis la langue en situation naturelle, sont dans une situation pré-analytique. Dans la communication didactique l’expression et le langage métalinguistique se construisent à partir de la notion de mot. C’est pourquoi le concept de phonie, pour l’analyse de cette communication, nous paraît pertinent : il ne préjuge pas, du côté de l’apprenant, du statut syntaxique ou grammatical du segment du continuum sonore manipulé pour l’expression ou la compréhension du sens. Par ailleurs, les éléments linguistiques « les plus simples » (Noyau TA \s "Noyau"  1991) sont à analyser dans une visée globale de communication qui construit une cohérence pragmatique du discours. Nous pouvons observer, à travers l’interaction, d’une part le processus de simplification syntaxique et morphologique de l’apprenant (Berruto TA \s "Berruto"  1983) et d’autre part la stratégie de l’enseignant qui « interroge l’apprenant pour enrichir l’interprétation et la valider » (Noyau 1991) : il s’agit toujours de produire des phonies, ce n’est qu’après coup que l’on pourra parler de lettre, son, phonème, syllabe, vocable, mot, radical, terminaison, lexie, nom ou verbe, groupe de mots ou syntagme, énoncé ou phrase classe ou fonction, proposition, discours, etc. XE "signe:théorie du" 
Théorie du discours
Le discours est un niveau de réalisation et d’analyse de la phonie dont l’unité est déterminée par la cohérence des ses éléments en rapport avec les buts communicatifs poursuivis. La cohérence de l’interaction dépend du but que les interactants tentent d’atteindre, et ces buts se réalisent à travers différentes étapes qui organisent le discours et informent les réalisations linguistiques locales.
Le discours est ainsi une structure globale dépendante dont on retrouve les marques dans la structure locale, tant aux niveaux lexical, syntaxique et grammatical qu’au niveau des unités de rang inférieur qui en composent les unités minimales. Il suppose en retour que les unités minimales du niveau local trouvent leur signification en relation avec la structure globale du discours ou avec les structures intermédiaires qui le composent.
L’interprétation du discours tendra à privilégier les hypothèses interprétatives locales qui renforcent la cohérence de l’ensemble. Il s’agit, dans la communication exolingue, d’une cohérence minimale, liée aux intuitions de cohérence des individus pour les discriminer, dont la réalisation se teste par les arrêts ou la poursuite du discours et par le quitus donné à l’aboutissement de ses objectifs.
Univers de discours et cohérence
Les divers niveaux d’interprétation de la phonie constituent différents univers de discours XE "univers de discours"  (Prieto TA \s "Prieto"  1964) constitués par les relations des phonies et des sens et par le point de vue sous lequel sont faites ces relations, en particulier par rapport aux intentions et aux buts de l’action. Notre analyse devra permettre de spécifier ces points de vue, ces intentions, ces buts.
La communication XE "communication"  est ainsi constituée d’univers de discours différents. L’action et l’interaction les organisent hiérarchiquement dans le continuum sonore, visant à former entre eux une cohérence. Cette cohérence XE "discours:cohérence"  est régie par des règles instaurant des dépendances entre les diverses unités considérées, qui mettent au jour des structures et des marques sur lesquelles s’exercent des jugements de pertinence. L’une des marques de cohésion est le quitus donné à la transmission du sens.
Dans la communication exolingue, cette cohérence ne se mesure pas tant à la recevabilité des formes du discours qu’à la production effective du sens visé et à sa transmission validée par les interactants. Les structures de l’interaction et les marques minimales de cohésion, c’est-à-dire de réalisation des buts de l’action, sont donc à rechercher dans la pertinence du sens transmis plus que dans la conformité à l’égard des règles formelles.
Le déroulement de l’interaction et le sens à transmettre déterminent la place des phonies et l’ordre d’apparition ainsi que la place des univers de discours, en particulier dans la façon dont l’enseignant organise la présentation des contenus, les activités diverses (oral, lecture, écrit, etc.) et dont l’apprenant réagit en fonction de sa compréhension des activités proposées, des contenus présentés et de ses propres buts et stratégies communicatives.
Univers de discours de l’indiquant XE "indiquant" , univers de discours de l’indiqué XE "indiqué" 
Dans la communication didactique exolingue, la focalisation des actes de parole alterne en permanence de la forme au sens, du sens à la forme, du signifiant au signifié, du signifié au signifiant : de l’indiquant XE "discours:univers de: indiquant"  à l’indiqué XE "discours:univers de: indiqué" , de l’indiqué à l’indiquant (Prieto TA \s "Prieto"  1964).
Indiqués et indiquants sont organisés dans des relations syntaxiques de contiguïté et de succession, et dans des relations sémantiques ou formelles, qui constituent autant d’univers de discours, univers de discours de l’indiquant pour les relations formelles, univers de discours de l’indiqué pour les relations de sens. L’alternance des focalisations tient à une mise en relation permanente, à travers le mécanisme de l’indication XE "indication" , des unités de l’univers de discours de l’indiquant aux unités de l’univers de discours de l’indiqué. XE "action:théorie de l’" \r "analpragmab" \b  XE "discours:théorie du" \b.
6.4. L’interprétation pragmatique
L’analyse pragmatique de la communication, de l’échange verbal, des phonies montre comment s’établit la circulation du sens à travers le mécanisme de l’indication, les relations entre les différentes phonies selon leur niveau d’analyse, la cohérence d’ensemble.
Elle étudie aussi les signes linguistiques minimaux de cohésion, en particulier les expressions locales qui ne peuvent être interprétées qu’au niveau global, ou les expressions à interprétation non locale correspondant à des expressions à contenu procédural, en montrant ce qu’elles apportent de plus dans la construction de la cohérence d’ensemble. Elle s’occupe en particulier des marques introduites antérieurement à l’énoncé, et reprises sous une forme différente : pronoms personnels de troisième personne, référence aux objets déjà désignés, entités indirectement désignées (déictiques), ainsi qu’aux connecteurs pragmatiques, aux procédés d’ellipses, aux liaisons d’énoncés, aux temps grammaticaux, etc., garants de la bonne formation. Elle met en valeur ainsi la «  structure globale cachée du discours », en particulier à travers les tours de parole.
L’analyse pragmatique vise à dégager les différents niveaux des « structures du discours », c’est-à-dire de structuration des phonies pour la réalisation du sens. Elle évalue la bonne formation du discours et tire, de la suite des énoncés, l’interprétation discursive ainsi que l’organisation des places dans l’interaction. Elle s’inspire du modèle d’ensemble de Kallmeyer TA \l "Kallmeyer" \s "Kallmeyer" \c 1 .
L’étape préalable à toute analyse est la mise en forme du corpus, sa transcription linguistique sous forme de tours de parole.
Les tours de parole une fois mis en forme, il est nécessaire d’identifier quels espaces fonctionnels plus vastes organisent les buts qui guident l’organisation locale. Il s’agit donc de dégager la hiérarchisation de la structure de l’interaction et de voir comment, « par quelles structures d’ordre et d’attribution de signification » ( TA \l "Kallmeyer et Schütz" \s "Kallmeyer et Schütz" \c 1 Kallmeyer et Schütz1979 : 555) la macro-structure maîtrise, aux niveaux intermédiaire et global, le déroulement local des interactions. Cela permet alors de repérer le schéma qui guide les inter-actants.
Il s’agit ici d’une interaction didactique, dans laquelle l’initiative principale revient à l’enseignant. Il s’agit donc de repérer d’abord le projet didactique de l’enseignant et d’observer comment l’apprenant adapte sa réponse et quel est en définitive son « répertoire, [sa] compétence d’action  » (Aebli TA \s "Aebli"  1980 : 47). Il s’agit ensuite de voir comment l’enseignant, à partir de la « réponse organique» (Bartlett TA \l "Bartlett" \s "Bartlett" \c 1  1932 : 201) de l’apprenant, utilise son expérience antérieure et l’organise activement pour adapter sa réponse et enrichir le répertoire et la compétence d’action de l’apprenant.
L’analyse doit pouvoir dégager ainsi, au niveau intermédiaire et au niveau global, selon le modèle de Kallmeyer TA \s "Kallmeyer" , des univers de discours XE "univers de discours"  sous forme de schémas. Elle adopte cependant un ordre spécifique de présentation :
Première étape d’analyse : la transcription
Deuxième étape : les unités intermédiaires, activités ou tâches.
Troisième étape : les schémas d’action au niveau global.
Quatrième étape : les unités de base : paires adjacentes, tours de parole, phonies.
6.3.4. La pragmatique implicite de Prieto III
En guise de conclusion à cette deuxième partie, nous pouvons revenir à la question de la pragmatique implicite de Prieto.
Nous voyons une nouvelle fois que rien dans la théorie de l’indication de Prieto ne peut s’opposer à une interprétation pragmatique des phénomènes de l’interlocution ? Rappelons quelques résultats auxquels notre confrontation aboutit :
1. La pragmalinguistique de Bange se situe dans la même perspective fonctionnelle que celle de Prieto.
2. La notion de situation, chez l’un comme chez l’autre, y occupe une place centrale.
3. Cette notion, telle que Bange le conçoit, c’est-à dire comme représentation, comme connaissance commune chez les interactants des stratégies et des schémas d’action, est totalement compatible avec la définition qu’en donne Prieto.
4. Bange a besoin lui aussi de la notion de signe comme moyen de l’action, comme outil privilégié pour communiquer les intentions et pour tester leur bonne compréhension, le signe linguistique s’intégrant comme moyen linguistique de l’interprétation pragmatique. Comment ne pas rapprocher cela de la notion prietienne de signe comme signal interprétable en fonction de la situation, les intentions des locuteurs étant comprises dans la situation telle que la conçoivent Prieto et Bange ?
5. L’échange verbal devient constitutif de la situation, et la succession des phonies fait évoluer en permanence la situation. Il est donc nésessaire pour interpréter celle-là de pouvoir interpréter les phonies pas à pas. Or elles ne sont interprétable que dans le système qu’elles constituent les unes par rapport aux autres, dans les rapports hierarchiques qu’elles établissent entre elles. Ces systèmes et ces rapports hiérarchiques sont interprétables sous la notion prietienne d’univers de discours, une partue des signes et les signaux transmettant un sens interprétable dans l’action ou dans les intentions manifestées.
6. Une partie des signes linguistiques sont donc interprétables dans la théorie prietienne comme des indiquants portant comme sens l’intention locale ou globale manifestée à travers eux, lequel sens se constitue à travers le système hierarchique qu’ils élaborent, les univers de discours de l’action qu’ils constituent entre eux.
De sorte que la pragmalinguistique de Bange et la théorie de l’indication permettent de proposer un modèle d’interprétation des échanges où les concepts prietiens tiennent une place particulière dans l’analyse des niveaux locaux de la transmission du message global.
Il nous faut cependant éprouver la pertinence de ce modèle. C’est dans l’analyse de la conversation didactique, dans la communication de classe, que nous proposons de poursuivre cette analyse.
Dans cette perspective il nous faut concevoir la communication de classe comme action dont le sens est dans la transmission de connaissances et des savoirs. Or, de façon privilégiée à ce type d’action, c’est dans la production linguistique elle-même que l’efficacité de l’action est testée. C’est dans la production de phonies que le sens de l’action se manifeste comme transmis. Le signe linguistique signale la réussite ou l’échec de l’interprétation pragmatique.
Nous allons tenter de montrer ainsi par l’analyse d’un important corpus didactique comment les concepts linguistique du structuraliste Luis J. Prieto peuvent s’inscrire dans une interprétation pragmatique et cognitive de la communication. XE "pragmatique:de Prieto" 






Troisième partie : Un modèle pragmatique et linguistique d’analyse des données lexicales

Chapitre 7 : L’interaction et les interactants

7.1. Le corpus et l’interaction
Nous présentons dans cette étude l’analyse d’un corpus recueilli fin 2001, début 2002. Ce corpus nous permet une confrontation critique et une discussion des problèmes théoriques en débat dans l’analyse pragmatique des échanges didactiques.
Il reproduit une trentaine d’heures d’interaction didactique en français entre un formateur en entreprise (désormais E, pour Enseignant), praticien de l’enseignement du français langue étrangère, et un ouvrier d’une quarantaine d’année (désormais A, pour Apprenant), d’origine laotienne, français par naturalisation récente, ex-réfugié politique, arrivé en France au début des années quatre-vingt. Il travaille dans un laboratoire multimédia, PME d’une cinquantaine de personnes, qui produit principalement des supports publicitaires : photos pour magazines, affiches murales, supports d’expositions, etc.
Nous avons appliqué les méthodes de recueil, de transcription et d’analyse de données, telles que nous avons été initié dans les cours de Madame Noyau TA \s "Noyau"  et de Monsieur Perdue TA \s "Perdue"  dans leurs séminaires de D.E.A au Département de Sciences de Langage de L’Université de Nanterre au cours de l’année 1996-1997 (voir Volume II, Corpus : 3).
7.1.1. L’enquête
Le choix d’un informateur
Nous avions pensé, pour la mise en place de notre enquête, trouver un informateur dont le lecte de base aurait été acquis essentiellement de façon naturelle et en milieu professionnel, et qui fût assez élémentaire. Mais il fallait que cet informateur eût cependant assez de compétences linguistiques pour nous fournir de façon autonome un corpus lexical important.
Ce sont les circonstances qui nous ont orienté vers le choix de A comme informateur. Nous animions à l’époque plusieurs groupes de formation en entreprise ou dans d’autres contextes, auprès de publics variés – sri-lankais, chinois, indochinois, kabyles, maliens, portugais, français en situation d’illettrisme – et recueillions déjà des enregistrements de séances. La plupart de ces formations se déroulaient en groupe de trois à huit personnes. Or nous souhaitions éprouver notre analyse de l’interaction en formation individuelle, avant de pouvoir la développer plus tard sur des cycles de formation en groupe.
C’est alors que l’un des organismes de formation avec lesquels nous collaborions nous a proposé de prendre en charge un cycle de quarante heures de formation individuelle pour A.
Nous savions, pour en avoir beaucoup rencontré dans nos activités professionnelles antérieures, que, parmi les migrants, les réfugiés du Sud-est asiatique produisent des lectes de base particulièrement intéressants pour l’étude des questions phonétiques, lexicales, et syntaxiques. Grimes et Grimes (2000) décrivent de façon très complète les spécificités des langues de cette ère géographique, dont le lao, langue maternelle de notre informateur, langue qui fait partie du groupe thaï-kadaï, a une palette vocalique et consonantique moins développée que le français, compensée par une organisation monosyllabique et tonale à six tons que le français polysyllabique ignore ; la morphologie verbale est pratiquement inexistante ; la détermination nominale des genres ne s’applique qu’aux personnes et aux êtres vivants, elle est purement quantifiante ; la copule est implicitée ; le système d’expression des relations spatiales, temporelles ou logiques n’a pas la complexité de notre langue et les fonctions syntaxiques sont assurées par des moyens lexicaux plus économiques : adverbes, prépositions, conjonctions, noms.
En outre, A n’était ni timide ni réservé, comme les règles de la communication sociale l’imposent en Asie. Cela rend souvent l’expression orale des asiatiques moins spontanée et moins fluide, leurs acquisitions et leurs apprentissages oraux sont plus lents. Or A s’exprimait naturellement en français avec une fluidité et une rapidité d’élocution qui lui permettaient de produire des énoncés toujours pertinents. Très sociable, il prenait facilement l’initiative des échanges. Il communiquait avec tous dans son entreprise ; ses fonctions l’amenaient à circuler facilement et à côtoyer tous les niveaux hiérarchiques, jusqu’à son directeur, homme pourtant fort occupé.
Tour le monde appréciait A pour son franc-parler (qualité fort appréciée en France mais menaçante pour la face en Asie), sa disponibilité et sa gentillesse, son intelligence pratique et son efficacité. Aussi le directeur avait-il accédé facilement à la demande des collaborateurs directs de A, collègues d’atelier, chef de service et commerciaux de l’entreprise, pour lui faire bénéficier d’une formation linguistique qui lui permettrait une meilleure adaptation aux nouvelles procédures de communication. Celles-ci se voyaient en effet profondément modifiées du fait de l’informatisation de plus en plus développée des procédures techniques, commerciales et de conception, du fait aussi de l’introduction d’une nouvelle machine dans le service de A ; la réorganisation générale des services et la redéfinition des compétences élevaient les niveaux d’exigence dans tous les services. A se voyait ainsi appelé à être plus autonome et à devoir assumer des tâches orales de communication plus complexes, en particulier au téléphone avec les commerciaux et avec la clientèle.
Or, si A avait une élocution facile et rapide, sa prononciation était très défectueuse. Ce qui n’avait pas été un problème jusqu’alors, tant que ses interlocuteurs familiers avaient su s’adapter et tant que les situations, contextes et thèmes de communication restaient récurrents et en face à face. Mais cela devenait un problème, maintenant que A devait de plus en plus souvent communiquer au téléphone avec la clientèle et avec les commerciaux et s’appuyer sur des documents de lecture ainsi que sur la saisie informatique d’une partie de l’information. A avait une très bonne compétence orale pour transmettre en face à face l’information, ses émotions et ses avis. Il pouvait compenser ses déficits linguistiques par une excellente maîtrise de toutes les stratégies pragmatiques à sa disposition. La communication différée se développant, A se trouvait confronté à des lacunes linguistiques qui devenaient d’autant plus handicapantes que, le niveau de technicité des échanges s’élevant, ses locuteurs menaçaient de plus en plus souvent sa face dans la communication professionnelle.
Fier et conscient de sa valeur, A vivait d’autant plus mal cette situation qu’elle exigeait de lui des changements de comportement auxquels il résistait du fait de son âge mais surtout du fait de son ancienneté et du manque de perspective promotionnelle dans l’entreprise. A envisageait ainsi de quitter l’entreprise : des perspectives de travail plus intéressantes et mieux rémunérées se présentaient à lui. Sans que jamais cette situation n’ait été évoquée ouvertement ni par l’organisme de formation, ni par l’entreprise, ni par A lui-même, il nous parut, dès nos premiers contacts et à certains indices auxquels nous savions être attentifs – et que confirmèrent progressivement les échanges formels et informels au cours de la formation (voir en particulier les dernières séances et la première partie du chapitre 9) – , que la proposition de formation représentait, en partie, l’ultime compromis entre A et l’entreprise, pour, de la part de celle-ci, le garder, et, de la part de celui-là, accepter de rester. Cet enjeu est récurrent dans de tels contextes d’intervention et ne doit jamais être négligé. Nous en reparlons dans la deuxième partie de ce chapitre et l’on verra dans le bilan la suite que les partenaires ont donné à ce compromis.
Mais aussi, A s’était très jeune fâché avec les études. Il avait suivi une scolarité primaire normale au Laos et un début de scolarité secondaire, mais dans des circonstances politiques troublées par la guerre. Il avait au plus tôt quitté l’école pour travailler et vivre sa vie. Le retrait américain d’Indochine, la chute au printemps 1975 de Saïgon, Phnom-Penh et Vientiane aux mains des nationalistes communistes avaient rapidement conduit A et sa famille à traverser le Mékong pour se réfugier en Thaïlande, d’où, après un séjour en camp de réfugiés, ils avaient pu obtenir un visa pour la France. A son arrivée, vers sa vingtième année, A avait bénéficié en province d’un programme d’adaptation à la vie sociale et professionnelle pour les réfugiés politiques, et reçu, pendant les quelques mois de son accueil en foyer d’hébergement, des bases de communication orale, mais surtout de lecture et d’écriture du français. Elles avaient été cependant insuffisantes pour lui permettre d’accéder à un stage de formation professionnelle.
A vint s’installer en région parisienne, travailla, et trouva à se faire embaucher dans l’entreprise qui l’employait encore. Il avait ainsi progressivement appris sur le tas l’essentiel du français oral et du vocabulaire professionnel qu’il maîtrisait.Il s’était marié à une compatriote qui maîtrisait parfaitement le français, avait eu deux enfants, avec lesquels , du fait de leur scolarisation, la communication en français avait pris une place de plus en plus importante au foyer familial. Ces circonstances lui avaient permis d’élever progressivement sa pratique du français
7.1.2. La tâche
Les conditions matérielles de l’enregistrement
L’ensemble des données a été recueilli dans une vaste salle de réunion, destinée à la formation mais aussi aux réunions des différents groupes et équipes de travail, aux réunions de direction, des partenaires sociaux, de l’ensemble du personnel de l’entreprise. Cette salle est équipée de tout le matériel audio et vidéo traditionnel, de tableaux de papier, d’ordinateurs, et aménagée de façon à recevoir, sur de confortables tables mobiles, des groupes de travail de dimensions variées.
Le formateur et l’apprenant s’installent sur l’une de ces tables qui leur permet de communiquer alternativement en face à face ou côte à côte. Près de la table, le long d’un mur, parmi les photos, affiches, supports divers représentant les différents produits de l’entreprise, diplômes décernés à l’entreprise, attestations d’audits qualité, etc., se dresse un tableau de papier auquel chaque participant a recours, selon les nécessités des tâches accomplies. Le formateur en récupère régulièrement les feuilles pour ses archives.
Au centre de la table, l’appareil d’enregistrement, muni d’un micro mobile, est branché en permanence et peut s’arrêter automatiquement au cours des longs silences de travail individuel puis reprendre sa fonction aussitôt le silence rompu. L’organisme de formation, l’entreprise et l’apprenant ont été dûment informés de la destination de ces enregistrements, des règles d’utilisation et ont donné leur accord pour l’exploitation en vue de recherche universitaire du corpus qui en sera exploité, à condition de ne divulguer aucune information confidentielle et de maquiller tout élément d’identification, comme il est d’usage dans ce type de recherche. Ainsi, l’appareil d’enregistrement est fermé lors de communications d’ordre confidentiel ou extra-professionnel, à l’initiative de l’un ou l’autre des participants. La fermeture de l’appareil pour confidentialité, en particulier lors de la première séance de prise de contact et d’évaluation avec l’apprenant, lors de la dernière séance de bilan ou lors des transports dans les services (visites, mises en situation, compléments d’information), ainsi que les silences pendant le travail individuel expliquent que sur les treize séances de formation effectuées, onze seulement ont été enregistrées (de la deuxième à la douzième) et que l’ensemble des cassettes représente un peu moins de trente heures d’enregistrement effectif.
Le formateur dispose par ailleurs, élément important du dispositif de formation, d’un ordinateur portable personnel qu’il utilise à chaque séance comme complément ou substitut du tableau et pour préparer sur place un certain nombre de textes, exercices, tableaux, qui seront exploités ultérieurement sous forme papier. Les documents en annexes en reprennent les contenus linguistiques, soit tels qu’ils se sont constitués dans l’action même, soit tels qu’ils ont été ensuite formalisés pour une exploitation plus rationnelle et dans une meilleure présentation.
Ces documents formalisés constituent progressivement le Livret du stagiaire, trace des activités et des contenus, support de lecture et d’exercices de communication orale ou écrite, ainsi que des activités futures. Des documents authentiques divers, dont une partie seulement a été reproduite dans les annexes (principalement pour raison de confidentialité), complètent progressivement le Livret du stagiaire qui prend ainsi plutôt la forme d’un port-folio.
A dispose par ailleurs d’un cahier, sur lequel il reproduit à chaque séance, numérotée et datée à la demande du formateur ou sur son initiative, les contenus linguistiques travaillés et surtout toutes ses productions propres. Ce cahier tient ainsi le milieu entre le traditionnel cahier de l’élève, qui consigne des productions formellement soignées, et le cahier de brouillon.
Enfin, les activités de chaque séance sont consignées par E dans un cahier de suivi : objectifs poursuivis, résumés de séquence ou de phases d’exploitation, contenus travaillés, transcriptions d’échanges, notes diverses. La consultation de ce cahier du formateur nous a été d’un grand secours pour reconstituer, à deux années de distance, au cours de la transcription du corpus, le déroulement de la formation. Quelques notes de ce cahier, produites à l’appui et dans le déroulement de la communication de classe, ont été reproduites telles quelles dans les aanexes.
7.2. L’univers de discours XE "univers de discours"  de l’apprenant
7.2.1. Le niveau linguistique de A
Les procédures discursives
Un trait fondamental caractérise les productions linguistiques de A : c’est l’hétérogénéité, chez un même locuteur, de plusieurs niveaux de compétence. C’est un trait caractéristique des publics migrants adultes, en situation d’illettrisme dans leur propre langue, présents en France depuis de nombreuses années mais qui ont eu, par leur travail, un contact intensif avec la langue : ils produisent un français d’usage, employé dans les seules situations sociales ou professionnelles qu’ils ont expérimentées. Que ce soit aux niveaux phonétique, lexical, morphologique, syntagmatique, syntaxique, ou discursif, on observe régulièrement chez le même locuteur, au regard de la norme et des systèmes de la langue, la présence de plusieurs niveaux, selon les compétences analysées, ou à l’intérieur des mêmes compétences . Ainsi, dans la communication orale de A, observe-t-on des réalisations courantes chez un apprenant débutant, juxtaposées avec des réalisations qui relèvent de productions d’apprenants très avancés, voire de locuteurs natifs. A côté de modèles élémentaires typiques d’un lecte de base d’étranger en début d’apprentissage, on rencontre des modèles de discours de formes très élaborées. C’est pourquoi l’analyse linguistique exige un positionnement rigoureux dans le niveau effectif de maîtrise de ces univers de discours.
Conséquence et caractéristique complémentaire de cette hétérogénéité, la communication fait appel à des niveaux variés d’implicitation, en fonction de la familiarité avec le domaine d’état de choses évoqué. Tantôt cet implicite est totalement ignoré, comme dans le discours d’un apprenant débutant, tantôt au contraire il relève d’une maîtrise de locuteur natif.
Aussi les réalisations linguistiques comportent-elles, quel que soit leur niveau de référence, des lacunes tant dans l’expression formelle que dans les connaissances, tant dans l’univers de l’indiquant que dans l’univers de l’indiqué. Ainsi, A, sollicité d’expliciter ses savoirs sur la langue ou sur les situations, peut révéler, à partir de productions pré-grammaticales, qui marquent une ignorance du système de la langue, une vaste connaissance des circonstances ou, inversement, à partir de productions très élaborées d’un point de vue formel, qui laissent entendre une bonne maîtrise du système, une vaste ignorance des circonstances qui en déterminent la complexité d’organisation. De sorte que cette dissymétrie de la production linguistique dans les réalisations de l’univers de l’indiquant renvoie à une dissymétrie dans la maîtrise de l’univers de l’indiqué, et en définitive, à une connaissance très lacunaire et parcellaire des systèmes qui organisent l’un par rapport à l’autre. A manque de savoirs et de savoirs-faire dans l’organisation discursive de la communication.
Le récit
Ainsi peut-on remarquer à travers notre corpus que A maîtrise mieux le discours du récit que celui de la description. Car le premier introduit chronologiquement les entités et la référence à l’espace, organise le discours parallèlement à la référence temporelle, et fait un appel important à l’implicite de la juxtaposition dans la référence aux procès pour organiser les aspects de la temporalité. Aussi les stratégies substitutives peuvent-elles s’appuyer sur les règles « naturelles » ou « universelles » de mise en relation de l’univers de l’indiquant avec l’univers de l’indiqué.
Cependant, si A réussit à dérouler facilement la trame d’un récit, la mention de l’arrière-plan est rarement explicitée et l’interlocuteur doit régulièrement, au cours du développement, interrompre le fil du récit pour mieux en comprendre les dimensions. C’est ce que l’on peut observer, dans la séance 2, lorsque A aborde la description de ses tâches, ou lorsqu’il se trouve dans la nécessité de revenir à trois reprises (séances 5, 9, 10) sur la description de ses actions lors de la procédure d’amorce au collage du support.
La description
Cette difficulté d’explicitation de l’arrière-plan tient à la nécessité de recourir au discours de la description, qui est beaucoup plus difficile que le récit. Car il ne suffit pas de pouvoir désigner des entités ou des procès dans leur organisation temporelle, il faut en présenter une représentation dans l’espace, les déterminer et les qualifier, établir linguistiquement leurs relations. Les procédures substitutives de la juxtaposition et de la successivité ne suffisent plus, le recours pragmatique y est plus massif, mais ne suffit pas cependant à rendre compte de toutes les relations et de tous les rapports de dépendance. Enfin, la quantification et les relations comparatives qui relèvent de dimensions subjectives ou pragmatiques nécessitent une caractérisation plus fine des dimensions à travers une stricte maîtrise de l’expression. Or c’est justement un domaine des savoirs de base sur lesquels A rencontre de grandes difficultés, comme le montrent en particulier les activités de la dixième séance (« Quelles sont les principales activités que vous exercez ? Quelle est la plus importante ? En quantité de produits ? En volume de vente ? En temps passé ? A quel niveau hiérarchique ? »).
L’explication
Le discours de l’explication reste le plus difficile à maîtriser pour des locuteurs comme A et c’est dans ce type de discours que l’opposition entre la complexité des réalisations formelles et la simplicité des savoirs implicites est la plus révélatrice. Il s’agit en effet d’y croiser la référence aux procès et la référence aux entités dans une relation fonctionnelle (action-réaction ou processus-résultat) et, pour chacun de ces domaines référentiels, d’y croiser la référence spatiale et la référence temporelle ainsi que la quantification et la graduation. Ce qui implique de savoir caractériser linguistiquement entités et procès selon leurs dimensions logiques et téléologiques, causales et consécutives, donc d’organiser des univers de discours cohérents, complets. Le recours à l’organisation naturelle ou universelle du discours ou le recours pragmatique ne sont plus suffisants pour expliciter les savoirs implicités. Il est nécessaire de délimiter les univers de discours de l’indiquant, d’expliciter l’organisation des univers homologues de l’indiqué, donc leurs relations logiques (disjonction, conjonction, inclusion, implication, réciprocité, etc.) et de dévoiler l’organisation en systèmes des marques formelles de ces dimensions, de leurs caractéristiques et de leurs mises en relation. L’explication alterne sans cesse le point de vue pris sur l’objet, les dimensions devenant caractéristiques, et les caractéristiques dimensions.
Or cette activité exige une maîtrise progressive du discours métalinguistique. Les procédures de dénomination, de calcul et de raisonnement mettent en jeu de façon systématique les processus inductifs et déductifs dans la mise en relation des signes entre eux et de leurs indiquants avec leurs indiqués.
Plan et image
C’est à ce niveau-là que le discours s’organise selon un plan et une image « technique » dont les apprenants comme A non seulement ne maîtrisent pas les procédures en français, mais souvent pas même dans leur propre langue. Ils en conservent en tout cas une représentation très floue ou très lacunaire.
Cette activité nécessite une réflexion préalable quant à la syntaxe d’exposition, une décentration vers l’objet et vers l’interlocuteur, une prévision quant aux attentes de ce dernier, des procédures d’anticipation et de rappel, des retours en arrière, des commentaires, une adaptation permanente aux réactions et aux initiatives dans la succession des tours de parole.
Ainsi A avoue-t-il souvent, devant la complexité de la tâche demandée, son désarroi, son impuissance. Il fait alors appel au niveau pragmatique, paraissant dire « Je n’ai pas les mots pour vous montrer ici le sens, venez le voir directement, vous mettrez les mots vous-même », mais avouant souvent que même cela est insuffisant, comme si, après avoir reconnu que « ce dont on ne peut parler, il faut le montrer », il concluait en accord avec la formule de Wittgenstein : « ce dont on ne peut parler, il faut le taire »… et donc lui ficher la paix.
Ainsi, A ne sait pas dire avec les mots, il ne sait pas montrer avec les mots.
Le répertoire linguistique
Et pourtant, il en dit beaucoup, et beaucoup moins qu’il n’est capable d’en dire.
Ce que révèle un premier examen du répertoire linguistique de A est l’importance de son vocabulaire pour la référence tant aux entités qu’aux procès, mais le faible développement des variations lexicales de la morphologie verbale. Il révèle, du fait du caractère pré-grammatical de nombre d’emplois, d’une connaissance très élémentaire des structures syntaxiques. Lorsqu’un emploi correct est fait, il semble que ce soit dans un usage figé ou comme écho de l’échange avec l’enquêteur, ce qui ne reflète pas dans sa compétence l’intégration des contraintes du système. Son éventail d’emplois corrects est seulement plus développé que celui d’un apprenant au séjour plus court où ayant été moins en contact avec le français.
Les substantifs
A utilise les substantifs de façon privilégiée, ils envahissent même son lexique verbal. Son vocabulaire notionnel est très vaste dans le domaine de l’expérience professionnelle. Une étude du lexique professionnel, disponible en compréhension, qu’il utilise en production révèlerait sans doute qu’il maîtrise l’essentiel de ce qu’un apprenant de niveau CAP, voire BEP, dans sa spécialité, doit savoir maîtriser oralement à travers ces deux compétences.
Cependant, de grandes béances surprennent. Ainsi A ne comprend-il pas le mot laborantin, qui est inscrit sur sa fiche de paie, qu’il utilise régulièrement à la sécurité sociale, et qui désigne son poste et sa qualification au regard de sa profession, de son entreprise, de sa convention collective : tous univers de discours dont il n’a qu’une image parcellaire. Ses savoirs métalinguistiques sont si pauvres qu’il ne peut même pas faire la relation de laboratoire à laborantin.
De même la référence aux objets est-elle un vaste univers dont il maîtrise de nombreux domaines et dimensions.
Le lexique de dénomination des lieux n’est pas moins riche, mais pas moins lacunaire. Ainsi ne distingue-t-il pas nettement Versailles et porte de Versailles, Italie et Porte d’Italie.
Les vocables d’intervalles temporels, sont relativement plus nombreux. Il emploie sans difficulté : heure, matin, midi, après-midi, soir, un jour, nuit, etc.
Les déterminants
Les emplois nominaux sont tantôt déterminés, tantôt non déterminés, cette situation prévalant de façon structurelle. Car lorsqu’ils sont déterminés, ce sont en général dans des énoncés figés. Par ailleurs, les oppositions phonétiques entre [lÝ ] et [le], [de] et [le], [dÝ] et [de], [)] et [sn] sont quelquefois marquées, mais le plus souvent laissées floues. A avoue d ailleurs ne pas comprendre la différence entre masculin et féminin, singulier et pluriel, défini et indéfini, et surtout ne pas savoir délimiter les réalisations de ces dimensions de l’indiqué dans des univers cohérents d’indiquants. De sorte que souvent, aucune distinction de genre ni de nombre n’est clairement faite par le déterminant.
La pluralité est marquée invariablement par le terme antépose [ le] ou par l’emploi de quantificateurs tels que beaucoup, ou d’adjectifs numéraux (un, deux, trois...).
La possessivité est cependant régulièrement marquée, mais seulement pour la première personne du singulier. A pratique rarement l’accolement du pronom tonique anté-posé au terme marqué – typique des lectes de base de débutants.
Il utilise très régulièrement les adjectifs indéfinis : autre, même, chaque, plusieurs, quelques.
Les pronoms
Tout aussi développé et lacunaire est l’emploi des pronoms.
L’éventail d’usage des pronoms sujet couvre tout le système du français, la première personne du singulier restant la plus développée (mais sous la forme d’un indiquant encore instable : A emploie [’e] plutôt que [’Y], et plus rarement [’(]) avec la première et la deuxième personne du pluriel (le contexte ne donne pas lieu à des emplois de tu ).
Mais la troisième personne est très souvent absente. Son usage est escamoté par une présence implicite.
2B
348AEt fout’ de moi, voilà ! i’sont foutu de moi, voilà ! Lorsqu’on la rencontre, dans le discours rapporté en particulier, il s’agit d’expression figée, ou d’une explicitation rendue nécessaire par la concurrence avec une implicitation.
10A
725Quand j’arrive dans bureau, attend là ! hè ! hè ! hè, : « on dit : je reviendrai, ou : je passerai. » J’ai oublié ce mot XE "mot"  là.
Le pronom tonique peut alors se substituer à elle en pré- ou post-position verbale.
Certaine formes jouent en outre la valeur générique d’anaphore pronominale.
Les emplois pronominaux transitifs directs ou indirects, les pronoms possessifs, démonstratifs ou indéfinis, sont plus rares, implicités, ou apparaissent dans des expressions figées.
Comme le marque un échange de la séance 11, le système des pronoms interrogatifs est mal maitrisé, la valeur phonétique et la position différentielle de [ki] et de [kY] n étant pas perçue, de sorte que A comme son interlocuteur doivent prendre appui sur le contexte pour interpréter des énoncés souvent ambigus.
Les verbes
Comme nous avons pu le remarquer (Champion 1997) chez des migrants en acquisition, c’est-à-dire apprenant le français par eux-même sur le tas, le lexique des procès, dans les lectes de base des débutants, peut-être au début plus abondant que celui des entités. Progressivement, celui des entités prend une plus grande ampleur et dépasse en volume, sinon en emploi, celui des entités. A en est à ce niveau de développement.
Il maîtrise l’expression d’un très grand nombre de procès courants, et sans doute sa palette couvre-t-elle le lexique de base d’un apprenant de niveau moyen. Cependant la réalisation phonétique, morphologique et syntaxique très défectueuse. Les formes correctes sont des formes très récurrentes dans les contextes de communication de A. Ce sont des formes réflexes et quelques formes élémentaires (voire une seule) assument à l’appui de la situation et du contexte toutes les dimensions de la temporalité et toutes ses caractéristiques.
On retrouve dans ce lecte de base des occurences nombreuses de dire, parler, demander, qui montrent la place importante donnée au discours rapporté et à la description de la communication. Il y a de nombreuses occurrences de verbes de mouvement : partir, venir, entrer, sortir, qui montrent l’importance des déplacements dans l’économie du récit d’actions corporelles. Mais si les conduites corporelles viennent appuyer l’importance du lexique du comportement, beaucoup d’opérations mentales sont aussi mises en valeur : connaître, mentir, oublier, penser, voir.
Comme pour le système des déterminants, le système des verbes est dans un état rudimentaire et l’organisation des systèmes verbaux n’est pas connue de façon réflexive : de très rares formes verbales fléchies, de très rares marques d’accord, de personne, de temps, ou d’aspect.
Chaque procès est désigné par un ou deux prototypes relativement stables, calqués la plupart du temps sur les sonorités courantes du participe passé : [ede], [truve], [pati], [soti], [di], [pale], [vu], etc., ou sur la forme sans doute la plus perceptible : [kone], [atã].
Les emplois de être et de avoir, tant comme auxiliaire que comme copule ou comme marque de possession sont, là aussi, réduits la plupart du temps. Les formes c’est et y’a sont par contre très récurrentes comme localisateurs de référents.
La temporalité n’est déterminable que par les relations d’ordre et par l’emploi de quelques connecteurs et intervalles temporels ou mentions de durée.
Lorsque des formes correctes, et parfois même très élaborées, apparaissent, elles nous semblent relever de formes figées mémorisées dans leur usage particulier.
Elle peuvent être dues aussi à l’instabilité de l’emploi du pronom sujet de première personne (voir ci-dessus) jointe aux formes verbales canoniques calquées sur le participe passé.
La négation
La négation s’exprime au moyen de pas. Mais elle n’est pas antéposée au terme nié, quelle que soit sa catégorie : procès, protagoniste, etc., comme nous pouvons l’observer chez des débutants asiatiques. La forme conjointe ne tantôt apparaît, tantôt est absente et il arrive que dans des expressions figées son emploi soit correct.
Adjectifs qualificatifs
A possède un répertoire important pour la qualification des procès, des entités, de la référence à l’espace et au temps, mais il s’agit du répertoire général de base d’un locuteur moyen, déterminé essentiellement par l’usage dans les situations les plus courantes de la communication.
Ce répertoire est complété par un répertoire du langage professionnel ou de sa spécialité mais il reste à un niveau de généralité. De sorte que la précision, la nuance, la pertinence des qualificatifs constitue un domaine important des lacunes linguistiques.
Par ailleurs, A ne connaît pas les règles d’organisation des différents systèmes : dimensions du genre, du nombre, organisation syntaxique (attribution, apposition) ou morphologique (nominalisation, adjectivation, adverbialisation).
Adverbes
Outre oui et non, lui permettant d’affirmer ou de nier un fait ou un jugement, A sait questionner et focaliser l’attention sur les catégories de lieu, de temps, de nombre et de cause, par un emploi exact des adverbes interrogatifs où ? quand ? combien ? pourquoi ? comment?
Son régime des adverbes en phrases déclaratives a le même caractère de généralité, de niveau et de détermination par l’usage que le régime des adjectifs et, là aussi, A ignore l’essentiel des organisations en systèmes, tant syntaxiques que morphologiques. En particulier, il y a souvent assimilation des formes adverbiales et des formes adjectivales.
La nécessité du recours pragmatique entraîne une haute fréquence de production des déictiques : ici, là, là-bas, ou de tournure périphrastiques à valeur pragmatique : comme ça, comme ceci, même, pareil, différent, etc. De la même façon les occurrences des adverbes de temps sont importantes : avant et après, et puis, comme connecteurs de la temporalité, ainsi que les déictiques maintenant, déjà et tout à l’heure qu’il utilise aussi anaphoriquement.
Sa compétence dans l’interprétation, en compréhension, étant plus développée, on voit que ce n’est pas tant les indiquants qui lui manquent, que la maîtrise de leurs procédures d’emploi. A maîtrise le questionnement avec comment ? mais n’emploie pratiquement pas d’adverbes de manière ( sauf une occurrence de doucement ).
Prépositions,
Même remarque pour les indiquants prépositionnels, avec cette particularité que les phénomènes d’assimilation entre forme adjectivale, adverbiale et prépositionnelle de nombreuses relations, se développent particulièrement dans ces univers de discours : avant pour devant, hier pour autrefois . Le cas de derrière et de dernière est à ce titre très parlant.
A maîtrise bien l’usage des prépositions les plus courantes : avec, pour, dans, chez, sur, etc. ; mais à et de, qui dans les lectes de base apparaissent tardivement, et qui sont cependant souvent présentes, au moins implicitement, lui posent de graves problèmes tant dans leur usage syntagmatique (au sein de constructions nominales ou verbales) que locutionnel (dans des constructions adjectivales, adverbiales ou prépositionnelles).
Ainsi la complémentation du nom continue très souvent de se faire par simple juxtaposition.
Conjonctions
Le corpus des conjonctions s’avère limité, tant pour la coordination (pas d’emploi de or, car, ni, sinon en écho dans les tours de parole), que pour la subordination qui se réduit à de hautes fréquences d’emploi pour un univers d’indiquants limité et dont les régimes sont mal maîtrisés.
Le niveau phonétique
Il reste que ces disparités dans la maîtrise des réalisations des niveaux discursifs et linguistiques se condensent dans la réalisation phonétique, qui est la source de difficultés la plus importante dans la communication de A. La transcription du corpus est le reflet à la fois de sa maîtrise de la communication courante, et des imperfections du code : transcription orthographique et transcription phonétique alternent. Les transcriptions des premières séances rendent particulièrement compte de ces phénomènes, et la première séance tout spécialement, car toute concentrée sur ce thème.
Système phonétique
La première séance est un abord et une réflexion sur ces difficultés phonétiques, un premier diagnostic, qui porte sur les proncipales difficultés phonétiques rapidement décelées par un francophone chez les laotiens :
L assimilation d ouverture pour les voyelles [Y], [e], [µ], le lao n ayant pas dans son système phonétique le [µ], et le [Y]étant présent en position post-consonantique mais plus sourd qu en français.
L apocope des finales féminines, avec substitution, dans les formes verbales, de la voyelle fermée à la voyelle ouverte ([e] pour [Y]), ce qui bouleverse toute l interprétation pragmatique des procès, ou la détermination des entités, fondées sur cette opposition.
La prononciation des nasales, que le lao ignore, les voyelles principales, [a], [i] et [u] apparaissant majoritairement en position post-consonantiques.
L assimilation des consonnes alvéolaires [s], [z], [’], [’], le lao ne connaissant qu une forme de [s], rarement en position prévocalique ou préconsonantique.
L apocope de la dernière consonne alvéolaire ou dentale de nombreux mots : [d], [l], [r] du fait qu’elle ne sont pas en support d’une voyelle.
L’élision systématique du [r] ou [R], que le lao ignore, et très régulière du [d] ou du [l], en finale d’abord, en position centrale aussi, et même à l’attaque de très nombreuses phonies.
Ces problèmes relèvent en particulier d’une même difficulté relative aux oppositions sourd / sonore, et ouverture / fermeture, plus constituantes dans le système français, le système d’opposition étant fondé en lao principalement sur la variété des six tons.
A est conscient de ces manques, difficultés, imperfections et il sait comment y porter remède : par la lecture. Il sait amener lui-même des exemples pour spécifier ces difficultés, mais il ignore tout de l’organisation des systèmes phonétiques et des déterminations importantes que leurs oppositions organisent du point de vue sémantique. Il ignore le code de transcription phonétique.
Le rôle du lexique
Il est alors compréhensible que A s’appuie essentiellement sur le lexique et ses organisations en relation avec la référence, pour communiquer, et qu’il tente de trouver un appui sur la lecture pour compenser, dans ses stratégies d’apprentissage, ce que l’écoute lui fait manquer.
Or le mot est l’unité de base de l’indication dans la réalisation graphique des phonies. De sorte que, tout au cours des quarante heures de formation, c’est vraiment autour de cette notion et des questions de délimitation et d’organisation des systèmes lexicaux que va tourner l’activité didactique. Le niveau syntaxique et discursif ne sera pas oublié, mais plutôt utilisé comme support pour permettre à A de percevoir toutes les dimensions du mot et d’abord les plus élémentaires : phoniques, orthographiques, morphologiques, et leur organisation en champs lexicaux et en champs sémantiques.
C’est au cours de la première séquence que la question lexicale se pose pour A pour la première fois, exprimée d’une façon naïve : « qu’est-ce qu’ils viennent faire les mots, là ? ».
Tout au cours de la formation, A marquera à plusieurs reprise son étonnement sur la façon dont les mots du français sont utilisés et sur sa difficulté à comprendre leur organisation en référence à sa langue maternelle . Il met implicitement en relation les deux systèmes :
AFuu ! Les mots français, c’est dur ! Quand j’étudie !
Nous : boire et manger, c’est la même chose ! Là, blanc et blanche c’est pas la même chose ! Ça c’est pas normal ! Ah ! Ah ! Ah !  A côté de lacunes surprenantes pour un natif, A révèle cependant que des savoirs lui sont familiers : la synonymie, par exemple, de la phonie [mµr], et, à travers elle, le savoir selon lequel ce phénomène s analyse en Français sous trois dimensions : la poly-graphie des synonymes, leur polysémie, leur contextualisation (A13-29). Cependant il s agit sans doute d’un savoir déclaratif déjà acquis, mais qui n’est pas relié, dans les savoir faire, à l’organisation des systèmes.
Ainsi voit-on que, dans la liaison comme dans l’élision de la finale, les limites du « mot » ne sont pas clairement définies en français !
135Aet lui perme+ ttant de : progresser + à son propre + rythme,[tu :tã] favorisant la confiance [kõfjãsÝ :sãswa]ENon ![ãswa]A![ãswa] ! Bah ! Pourquoi vous faites ça ? Dernière fois, c est + lié !EOui ! Oui ! Mais dans ce cas là, c est un [sÝ] ! Vous faites [zã kõfjãsãswa]AAh ! soit on dit [sÝ], soit on dit [sãswa] directement !E[sãswa]A[KõfjãsÝ :ãswa]
soit qu on dit : [kõfjãsãswa] + on dit pas [sÝ]
on met [sãswa] directement ! C est ça, hein ! Vous voulez dire ! EOui ! allez-y ! A[kõfjã : sãswa]ENon ! parce que vous faites [kõfjãã ::]
On fait tout d un coup : [kõfjãsãswa], comme si c’était un seul mot XE "mot"  !A[kõfjãsãswa] !EVoilà ! La possiblilité de lire trois mots comme confiance en soi « comme si c’était un seul mot », ainsi que l’ambiguïté du langage dans l’emploi de la terminologie, nous permet de relever un phénomène qui n’est pas ignoré mais qui est occulté, en partie masqué par le pédagogue, pour qui le donné linguistique doit s’analyser selon la norme finale, selon le standard, selon la réalisation à laquelle il s’agit d’aboutir.
L’apprenant, de son côté, restera soumis à la règle du « c’est comme ça ! », ou du « vous comprendrez plus tard ». Il ne cesse cependant de se poser des questions. S’il vient à les formuler dans son langage, l’enseignant ne saura pas les formaliser : il lui faudrait accepter de remettre en question quelques dogmes sur lesquels s’appuie sa pratique pédagogique.
Cependant, prendre conscience de la nature de ces dogmes, c’est-à-dire d’une part qu’ils sont des dogmes, donc une façon arbitraire, normative, de formuler un état de la croyance comme état de la réalité, et d’autre part qu’ils ne recouvrent pas toute la richesse du réel, cela ouvre des perspectives à la réflexion de l’apprenant, et de l’enseignant lui-même. 
Imprécision des termes : vocable, mot
Cette imprécision du vocabulaire, nous la retrouvons dans le discours didactique de l’enseignant lui-même.
On voit l’enseignant se « prendre les pieds » dans les approximations et les délimitations lexicales, et parler de « transcription orale » ! Forme de définition du mécanisme de la lecture, le terme transcription pouvant valoir ici, en interprétant la pensée de notre enseignant, sans doute comme synomyme de « transposition » !
EIl faut qu’on améliore ça, hein ? …A l’oral !
Et puis, alors… « Rappel sur le mécanisme de transcription…hein ? Combinaisons entre les signes…Ça c’est ce qu’on est en train de faire dans la lecture…Alors, vous connaissez les mécanismes de transcription… 265C’est-à-dire que vous savez lire, vous savez, de la lecture, transcrire oralement les sons, mais quand même avec / avec des / des difficultés, puisque vous lisez lentement !Richesse du vocabulaire en compréhension
Dès la première leçon, un test rapide est fait du niveau de maîtrise du vocabulaire de A. Il doit lire la fiche de présentation de la formation, qui comporte du vocabulaire pédagogique technique. Or ses difficultés de lecture sont essentiellement de rythme et de phonétique, mais la compréhension de la plupart des mots est acquise. Il le relève lui-même en 170 :
170ASon vocabulaire ! Non ! Y’a pas de mots trop trop durs !
Tout ce que je vous [di] c’est pas mal déjà !A se révèle en fait bon lecteur silencieux. Il témoigne lui-même lire régulièrement le journal.
Doit-on considérer pour cela que l’enseignement du lexique ne représente pas d’intérêt spécifique ? Que cet enseignement relève de pratiques courantes ? Non ! C’est justement dans ce contexte spécifique que se pose pour nous l’intérêt de cette recherche. L’enseignement lexical prendrait un tour normatif et traditionnel, si nous étions en présence d’un débutant ne maîtrisant pas certains contenus et compétences linguistiques. Au contraire, nous sommes avec A confronté à quelqu’un qui a une grande richesse d’expression. Cependant ses capacités ne sont pas égales et équilibrées. Il y a des déficits très importants en fonction des compétences lexicales attendues.
Phonie vs mot
Dans le travail phonétique, l’unité de travail de la phonie XE "phonie"  ne recouvre pas l’unité du mot XE "mot" . Traditionnellement, on veille à recouvrir l unité phonétique par l unité lexicale.
Or dans la conversation cela ne fonctionne pas ainsi, puisqu il y a les phénomènes de liaisons entre les mots :
A[lezã] + [leƒã] + [lezãfã] 110EEt les [lesãzabri] ! [lesã] ! A[lesã], [lezã] + [leƒã]EOuais ! Dans la mesure où l unité est sémantiquement familière à l apprenant et où son emploi s intègre explicitement dans une activité d exercice phonétique, de perfectionnement des capacités phonatoires, il peut être plus performant de travailler certaines difficultés phonétiques sur des unités « en déséquilibre » ou tronquées.
On voit qu’un même verbe sera conjugué correctement dans une forme, et ne le sera pas dans une autre : on [prTnõse], on [prTnõs] pas 
AIl y a des mots, on [prTnõse], y a des mots on [prTnõs] pas ! Comme [kTn[sãs], là il faut dire [sÝ] [kTn[sãs], [kTn[sãs] ! [asyrãsÝ], là il faut dire [sÝ], France, paratique, là il faut dire[ ke] ! Comment expliquer ce phénomène ? Il y a sans doute plusieurs explications. Celle que nous privilégions s’appuie sur une indétermination, sur une absence de connaissances des limites et des frontières entre les formes du présent et du passé. A, malgré sa formation en français, va découvrir cette distinction au cours de la formation.
Il y a une tendance à la contamination de certaines formes par d’autres formes. Les formes affirmatives semblent opérer un déplacemement vers une réalisation des finales en participe passé :
On prononcé s’associe à j’ai prononcé, on a prononcé, vous avez prononcé
Les formes négatives se déplacent vers des formes neutres, non marquées.
On prononce pas : la présence de pas fixe plus facilement dans la mémoire la forme standard.
Phonie vs graphie
On s’aperçoit aussi que la question récurrente est celle de la différence entre deux phonies ou entre deux graphies :
«  – Qu’est ce qu’il y a de différent ?
«  – C’est pas pareil !
«  – Qu’est-ce qui n’est pas pareil ? Qu’est-ce qui est pareil ? »
Entre A et E, le mode courant de la communication est focalisée sur le code.
Les questions implicites étant toujours :
« – De quel point de vue c’est pareil ? De quel point de vue ce n’est pas pareil ?
« – Sous quel aspect il y a identité ? Sous quel aspect il y a différence ? »
Ces questions illustrent la distinction entre dimension et caractéristique dans les univers de discours XE "univers de discours"  en confrontation :
10EOui ! [m[RÝ] [m[RÝ]ALa mer, tout court !ELa différence, c est quoi ? ADifférence, c est / c est ça ! / C est pas la même écriture ! EC est pas la même écriture ! Est-ce que c est la même prononciation ? AJe crois que oui ! [m[R] [m[R]ED accord ! Vous l écrivez pas pareil, mais vous le prononcez pareil ! Sauf la finale, ou ici on peut mettre : [m[RÝ], hein ?
Mais ici aussi on peut mettre [m[RÝ] les gens peuvent dire : [’Ýv[alam[RÝ] On va voir que tout au cours des séances, la question est récurrente. L’enseignement de la langue se fonde ainsi sur l’observation des identités et des différences entre les phonies et les graphies.
On voit aussi que le flou, les limites imprécises, se manifestent au niveau même du phonème. Les phonèmes consonantiques, en français, ne peuvent être identifiés sans un support vocalique. Or ce support, lorsque les lettres sont lues isolément, dans la récitation de l’alphabet, par exemple, varie selon la lettre en jeu. C’est [e] qui en général sert de support en position post-consonantique : B, C, D, se lisent : [be], [se], [de]. Mais c est aussi exclusivement [Ý] qui sert de support aux phonèmes consonantiques, en concurrence avec [[] en position préconsonantique : L, M, se lisent : [lÝ][mÝ] mais plutôt [[l, [m]. Les phonèmes [a] et [i] sont aussi mis à contribution pour la prononciation des lettres H et K, ainsi que pour J . [y] est mis à contribution pour la lettre Q. On voit ainsi que, dès qu il s agit de nommer les objets linguistiques élémentaires, lettres et sons, il n’y a pas de cohérence et plusieurs systèmes coexistent.
Le problème se complique lorsqu’il s’agit de produire les syllabes en rapport avec leur forme graphique, puisque le français peut grouper plusieurs lettres-consonnes dans la même syllabe, c’est-à-dire en appui sur une seule voyelle. On trouvera chez certains analphabètes africains (nous l’avons observé particulièrement chez des Mendingues, Sarakolés, Peuhls du Mali et du Sénégal), une exploitation intuitive de ces points de vue contradictoires. Ils deviennent un obstacle dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture : ces sujets en effet retiennent que tout son ayant un appui vocalique, sa transcription doit nécessairement comporter la présence d’une voyelle sur laquelle s’appuie la consonne.
Une autre observation nous permet de souligner la complexité du système : c’est la possibilité d’assourdir ou d’élider le e final d’un très grand nombre de mots, ceux qu’on classe, en poésie, dans la catégorie des rimes féminines. Le e en finale de vers est sourd après la voyelle tonique, alors qu il est sonore ou élidé dans le corps du vers .
On le voit bien dans la discussion à propos de mère :
1A1021EOui ! [m[RÝ] [m[RÝ]ALa mer, tout court !ELa diffférence, c est quoi ? ADifférence, c est / c est ça ! / C est pas la même écriture ! 25EC est pas la même écriture ! Est-ce que c est la même prononciation ? AJe crois que oui ! [m[R] [m[R]ED accord ! Vous l écrivez pas pareil, mais vous le prononcez pareil ! Sauf la finale, ou ici on peut mettre : [m[RÝ], Hein ?
Mais ici aussi on peut mettre [m[RÝ] les gens peuvent dire : [’Ýv[alam[RÝ] On voit que chez notre Laotien, cette double possibilité du système va devenir une source de difficulté de communication, puisqu’il va choisir, des deux réalisations possibles selon les circonstances, une seule réalisation, systématiquement appliquée : l’élision de la voyelle finale et, en définitive, l’apocope de la consonne qui la supporte.
L’analyse de cet échange permet ainsi de confirmer qu’il n’y a pas de limite précise aux réalités linguistiques, que les notions ne recouvrent que des ensembles statistiques, et non pas des natures déterminées. Il y a ainsi un continu, à l’intérieur duquel des différences infimes se forment, mais dont les frontières deviennent arbitraires, comme le signe lui-même.
La lecture
La transcription ne rend naturellement pas compte correctement de l’enregistrement. Ainsi, dans l’exemple suivant, tiré de la première séance, où A lit le document de présentation des objectifs de la formation :
1 A 390Aun  / [ validasjõ:de:zaki ::dÿ /akisisjõ: / de:ba:z:dÝlalãg:frãs[:]
391[frãs[z:]392[frãs[z:] / [frãs[z:] /
[ameljTre / ameljTrasjõ: dÝ:lekspresjõ / oral::] + [sõ:::y:su[:l::yzye:l / dÝla:lã::gÝ::frãs[:z:]
[rap[:l::syr:le:mekanis:m::dÝ:trãskripsjõ::/ kõbin[zõ:/ kõbin[zõ:/ kõbin[zõ:/ã:trÝ::le :sir

::me:mTrizasjT::de:kT:dÝ:/ dekTdÝ :ekri::]

[silab] Mais si l on confronte cette transcription au texte, on peut remarquer cependant certains éléments :
- Les mots de quatre syllabes et plus doivent être repris deux ou trois fois :
[ameljTre / ameljTrasjõ ], (ci-dessus ligne 2)
- Ou bien ils sont répétés, pour mieux s assurer de la prononciation ou du sens XE "sens"  :
[sõ:::y:su[:l::]! [yzye:l]! Usuel ! (ibidem)
C est le signe d un manque de familiarité de A avec l activité de lecture vocalisée.
- Les phrases ne sont pas scandées en support du sens :
[ã:trÝ ::le :sir::me:mTrizasjT::de:kT:dÝ:/] (ibidem ligne 6)
- Les groupes de mots sont irrégulièrement scandés.
- Le texte est découpé en phrases nominales, complétées par des mises entre parenthèses. Le rythme ne reproduit ni le découpage par ligne, ni le découpage par groupe de mots. De sorte qu’une grande partie des exercices de lecture sera focalisée, sur le rythme, le ton, la prosodie.
7.3. L’univers du discours didactique : plan du formateur
7.3.1. Le contexte d’intervention
Lorsque E est sollicité par l’un des responsables pédagogiques d’un organisme interprofessionnel pour animer la formation proposée à A par son entreprise, les conditions de l’intervention, sa durée, ses objectifs sont déjà déterminés et formalisés (voir Doc 1). E refuse habituellement d’intervenir dans ces conditions, demandant à rencontrer préalablement l’apprenant, les responsables de la formation dans l’entreprise, à visiter celle-ci et à observer le poste de travail et l’environnement dans lequel travaillle(nt) le(s) futur(s) apprenant(s). Il veut conduire lui-même l’étude préalable du projet de formation pour en déterminer la durée et les modalités en fonction de l’entreprise, et analyser lui-même la demande de l’employeur, les attentes de l’apprenant, ses besoins linguistiques et autres, son niveau par rapport aux savoirs de base. Il s’agit pour lui de faire un diagnostic pour élaborer un projet et déterminer un parcours à l’intérieur duquel l’entreprise peut décider des moyens qu’elle est disposée à y mettre en fonction des objectifs réalistes qui peuvent être atteints en rapport avec ces moyens.
Mais E travaille régulièrement avec l’organisme de formation, connaît bien le responsable pédagogique, qui lui a déjà confié plusieurs missions antérieurement, et qui connaît bien la façon dont E travaille. Des conditions particulières n’ont pas permis au responsable pédagogique de faire intervenir le formateur dans l’élaboration du projet pédagogique. C’est pourquoi E accepte d’intervenir malgré tout.
Cependant, après la première séance, au cours de laquelle E a eu un entretien avec le responsable de la formation, visité les lieux et évalué le niveau de A, E exprime sa réserve auprès du responsable de la formation : un cycle de quarante heures sera insuffisant à atteindre les objectifs que se fixe le programme et à traiter les difficultés d’élocution et de prononciation de A, qui ne relèvent pas d’un simple réentrainement de l’écoute et de l’expression, mais qui mettent en jeu tous les savoirs de base, et particulièrement les formats discursifs que commandent les situations de communication XE "situations de communication"  spécifiques qu’il s’agit de traiter.
7.3.2. Les stratégies de E
E détermine donc sa stratégie, qui est de mettre à profit ces quarante heures pour :
Evaluer l’ensemble des compétences de A.
Déterminer les compétences prioritaires à travailler sur un cycle de quarante heures.
Entamer un processus de formation linguistique et professionnel qui pourra être poursuivi par la suite dans l’entreprise ou hors de l’entreprise, dans la suite immédiate de ce premier cycle ou plus tard.
7.3.3. Les objectifs de E
Dans ce cadre, les objectifs de E sont de :
Développer le niveau d’expression de A sur ses situations professionnelles et son environnement.
Développer les capacités d’observation et de raisonnement de A sur les signes linguistiques :
Mettre en place des procédures d’analyse.
Poser la terminologie métalinguistique élémentaire.
Entamer des procédures de traitement des données linguistiques, et, particulièrement :
Traiter les difficultés phonétiques de A en lui faisant prendre progressivement conscience des sons sur lesquels il devra travailler prioritairement.
On voit ainsi que le travail phonétique, sur lequel on demande à E de se focaliser prioritairement, vient s’intégrer comme objectif opératoire à l’intérieur d’objectifs opérationnels et d’une visée générale qui ne sauraient être atteints dans la durée trop courte de la formation.
Mais cette visée générale doit intégrer comme buts de son action une situation spécifique de la communication de A, qui motive la demande de formation de A : A doit être capable de communiquer par téléphone avec les clients et les commerciaux (3A 371).
Il s’agit pour A de maîtriser non seulement la forme de son expression, mais aussi les contenus techniques de la communication et, en particulier, le vocabulaire technique. A doit en outre savoir expliciter une multiplicité de savoirs linguistiques et autres qu’il détient, mais qu’il ne sait pas mettre en forme de façon pertinente.
7.3.4. Le contrat didactique
C’est d’une façon spontanée et informelle, et progressivement, surtout au cours de la première et de la troisième séance, que le contrat didactique entre A et E est négocié, et qu’il est progressivement précisé et explicité jusque dans la dernière séance. Ce contrat tourne autour de quelques axes dont les activités et leur déroulement rendent bien compte.
Le développement de la lecture
Il s’agit pour E d’aider A dans le développement de la maîtrise de son élocution en s’appuyant sur la compétence de lecture.
A maîtrise en effet les correspondances phonème / graphème. Il a été scolarisé au Laos en laotien et il lit et écrit cette langue ; il a en outre été initié à la lecture et à l’écriture du français au cours du stage d’adaptation à la vie sociale et professionnelle qu’il a effectué à son arrivé en France, ainsi que par sa femme et par ses enfants dont il a suivi la scolarité primaire. Il a même une petite pratique de la lecture à travers le journal. Cependant il n’est pas un lecteur habile, et l’un des objectifs de E sera de l’entraîner à la lecture de mots, de phrases, de textes, en développant sa capacité à scander correctement, à prononcer les phonèmes difficiles pour A, les finales, et à respecter la prosodie et les tons.
L’explicitation des situations professionnelles
Il s’agit en outre pour E de permettre à A de passer d’une évocation implicite de son activité, de ses tâches, des entités et dimensions de son environnement professionnel à une explicitation de tous ces éléments, pour permettre une remise en ordre de ceux-ci dans des formats discursifs explicites.
Le bilan des compétences de A sur les savoirs de base
Il s’agit enfin pour E de préciser les déficits cognitifs de A, de les traiter par des exercices de remédiation, de faire un bilan sur les savoirs de base que ne maîtrise pas A et de mettre en place les premiers apprentissages en ces domaines.
Les outils et techniques d’apprentissage
Il s’agit enfin de permettre à A de se familiariser avec les outils et les activités de base de l’apprentissage du français : l’utilisation du dictionnaire, l’utilisation d’un livre de conjugaison, la copie, la prise de notes, la production écrite, le dessin, la schématisation, l’interprétation d’images, de photos, de tableaux, la constitution d’un classeur intégrant tout ou partie des éléments iconiques et linguistiques travaillés.
Pédagogie de l’écrit
Le principe premier que E met en avant est de privilégier, dans l’expression écrite, la production du sens XE "sens"  sur celle de la forme : « Il faut, dit-il à A, écrire de telle sorte qu’on vous comprenne. »

3A295EY’a déjà un pluriel ! Donc, sans s c’est une faute d’orthographe, mais on comprend quand même !
Vous comprenez ? AOui…EAlors, moi, ce que je veux vous aider à faire, c’est à écrire de telle sorte qu’on vous comprenne ! Et que…Ben, vous ferez toujours des fautes d’orthographe…vous allez continuer à en faire…On va perfectionner ! D’accord ? C’est-à-dire que vous allez en faire moins qu’avant, mais vous continuerez à en faire ! Mais ce qu’il faut, c’est que vous n’ayez plus de problèmes pour écrire, pour faire des phrases, que vous sachiez, à peu près, écrire vos mots, faire des phrases, de telle sorte que quelqu’un qui vous lit…il vous comprenne ! E incite A à produire des textes, et il s’appuie d’abord, dans une relecture de ces textes corrigés, sur les écarts formels de A qui, d’une part, ne modifient pas l’interprétation (cas, la plupart du temps, de la transcription lexicale des racines, des doubles consonnes, etc.) ou qui modifient nettement l’interprétation du sens XE "sens"  de l’énoncé que A a eu l’intention d’établir. Le caractère arbitraire du signe et la relation de sa forme à son sens peuvent être travaillés conjointement au niveau de conscience et de connaissance du code où se trouve A.
Ce n’est que dans un deuxième temps que E met l’accent sur des écarts dont A n’a pas encore conscience, en signalant des écarts, mais en réservant pour plus tard une initiation à la valeur de ces écarts.
Le déroulement de la formation offre une image du plan du formateur. Ce n’est pas le cadre de ce travail de commenter la réalisation détaillée des buts et objectifs et la description de chacune de ses activités. Nous le faisons pour certaines au cours de l’analyse des phénomènes d’intercommunication qui viennent illustrer le traitement lexical (Ch. 9). Nous tenons cependant à présenter la conception de l’écrit qui est promue par le formateur.
Les thématiques 
Hormis le fait que les thèmes de la formation et les thématiques sont tirées de l’univers professionnel, E reste souple dans leur choix et leur ordre d’exposition. E oriente les premières séances sur la description des tâches de A et sur la description de la machine qui détermine l’ensemble des activités de A. C’est le thème central qui court tout au long de la formation et dont toutes les dimensions ne seront véritablement révèlées qu’au cours de la dixième séance.
Par ailleurs, progressivement, A, lorsqu’il va se trouver en confiance et avoir suffisamment développé son aisance à communiquer, va lui-même imposer un certain nombre de thèmes qui occuperont l’essentiel des échanges.
La vie de l’entreprise a un impact important sur la disponibilité de l’apprenant à tel thème ou à tel autre et sur ses capacités d’attention ou de concentration. L’ignorer, c’est risquer dans des moments importants de la vie professionnelle ou personnelle du salarié (recrudescence de travail, conflit avec un collègue, un responsable, réorganisation, conflit du travail, grève, accident, etc., naissance d’un enfant, maladie ou décès d’un proche, etc.) de voir tourner la formation à vide, parce que l’intérêt pour le thème ou les activités proposées est perturbé par le contexte extérieur. Il est donc nécessaire de pouvoir à tout moment exploiter ces circonstances XE "circonstances"  et s’appuyer sur elles pour travailler l’expression orale, écrite, le vocabulaire, la lecture d’un document (technique, professionnel, syndical, etc.) en relation avec la situation préoccupante.
C’est ainsi que A va imposer quelques thèmes récurrents comme la « persécution linguistique » dont il se sent l’objet, les rapports difficiles avec les collègues et l’un des responsables que cela entraîne, les négociations dans l’entreprise sur les trente-cinq heures et la nouvelle organisation du travail de A qu’elle devrait entraîner. Il va aussi lui-même prendre en main son questionnement linguistique et offrir à E de traiter quelques comme la différence entre je viens et je viendrais, référent et référence, etc.
Chapitre 8 : Déroulement de l’action

8.1. Action et univers de discours
Un corpus didactique peut être considéré comme un compte-rendu d’action. Mais il s’agit d’une action spécifique, une action didactique, qui s’exerce à travers le discours, la communication verbale. Elle prend ici la forme d’une interaction didactique, qui constitue en elle-même un type de discours didactique régi par des procédures et des règles particulières. Cette action vise à produire du sens. Aussi le discours didactique produit-il en continu des indiquants linguistiques, qui s’ associent aux indiquants des codes visuels ou sonores présents dans l’espace et le temps didactique de sa production, pour transmettre et échanger les indiqués dont le sens déterminera par la suite les modifications dans le comportement des destinataires du discours : apports de savoirs nouveaux visant à développer de nouveaux savoir faire.
Le discours didactique est analysé dans le cours même de son déroulement par les participants, locuteurs, auditeurs, ou interlocuteurs. Il est même analysable par des observateurs qui le prennent comme objet d’observation. Ceux-ci cependant le font le plus souvent de façon différée à partir des traces qui ont pu en être conservées : traces visuelles et sonores par un enregistrement vidéo, traces sonores par un enregistrement sur bande magnétique, trace écrite par une transcription sténographique ou graphique, prise sur le vif ou à partir d’un enregistrement. Un enregistrement de séances didactiques restitue donc cette action sur le vif, mais le corpus sur support écrit n’en restitue plus que les traces linguistiques graphiques. Dans ces conditions, étudier l’action fait perdre une partie des dimensions et des caractéristiques de l’interprétation : des indices visuels et sonores échappent à la saisie de l’interprétant.
Mais cette perte en variété d’indices est un gain pour le linguiste, le didacticien et le praticien de la communication linguistique et de l’enseignement des langues : car il concentre son observation sur les seules traces linguistiques. Les relations linguistiques entre les indiquants et les indiqués sont ainsi très étroitement encadrées.
L’action didactique se déroulant dans le temps et n’atteignant une partie de ses objectifs qu’à travers des activités diverses et qu’après un certain nombre d’étapes, l’étude du discours didactique nécessite de recueillir un corpus se déroulant sur une certaine durée : des phénomènes du jour ne peuvent prendre leur sens qu’à la lumière du lendemain. C’est pourquoi nous avons eu l’ambition d’analyser la communication didactique à travers le déroulement de plusieurs séances constituant une unité didactique.
L’occasion s’est présentée de recueillir ainsi le corpus produit au cours d’une formation linguistique de quarante heures déjà formatée par l’organisme de formation et le prescripteur. Ils en avaient déterminé les objectifs linguistiques mais ils nous avaient laissé toute liberté quant aux activités, aux thématiques, aux supports, à la progression. L’une des finalités affichée était de rendre « plus compréhensible » l’expression orale d’un ouvrier d’origine laotienne appelé à faire un usage plus étendu de la communication téléphonique. Nous nous trouvions d’autant plus à l’aise dans cette situation que nous considérions que les objectifs fixés ne pourraient pas être atteints dans le temps déterminé. On ne réforme pas en quarante heures les « difficultés d’élocution » en langue étrangère d’un migrant qui n’en n’a pas dans sa propre langue. Ces difficultés, la plupart du temps – comme d’ailleurs notre corpus l’illustre –, ne relèvent pas du manque d’entraînement de l’appareil phonatoire, mais touchent tous les « organes » de la communication linguistique dont l’oreille et le cerveau ne sont pas les moindres.
Une fois que l’on s’est ainsi assuré que les problèmes d’élocution ne relèvent pas d’un dysfonctionnement physique, ce n’est pas l’un des organes des sens qu’il s’agit d’entraîner, mais celui qui les régit tous : l’organe du sens. Cet organe-là, c’est celui qui met en relation non pas les mots avec leurs significations (n’est-ce pas la même chose ?), mais les mots avec leurs indices : c’est-à-dire les indiquants avec leurs indiqués et les indiqués avec leurs indiquants. Cette mise en relation constitue les mots comme signes permettant de focaliser l’attention sur des indiqués et des indiquants spécifiques.
Nous avons donc pris garde de prévenir les prescripteurs de cette formation que leur objectif était trop ambitieux et que, pour notre part, nous ne nous sentions pas la compétence de les atteindre en un tel délai. Cependant, dans ce temps imparti, un certain nombre de problèmes pouvaient être traités mais ce traitement pour aboutir nécessiterait une suite. Le cadre d’intervention, l’entreprise et les contraintes spécifiques des objectifs étaient une expérience nouvelle pour nous et nous ne savions pas comment aborder un certain nombre de questions relatives aux activités, aux contenus, aux procédures d’apprentissage, etc. Nous avons donc improvisé et tenté d’appliquer ce que nous savions dans un contexte nouveau. L’improvisation, la saisie au vol des occasions, a été un principe stratégique important dans le déroulement de cette formation. Le corpus témoigne des bonheurs comme des malheurs auxquels conduit, dans des situations nouvelles, une telle technique.
De sorte que le cadre de cette formation nous a donné l’occasion d’engranger, pour les observer, un certain nombre de phénomènes, ainsi que d’analyser de nombreuses situations d’enseignement et d’apprentissage nouvelles pour nous et de concevoir des principes méthodologiques adaptés à ce type de contexte.
C’est pourquoi, dans cette perspective, la totalité du corpus recueilli a été reécouté et transcrit rapidement. Cependant seules les premières séances ont pu l’être de façon fine et soignée, et, parmi les autres, celles dans lesquelles nous avions relevé les phénomènes spécifiques que nous traitons dans l’analyse de notre corpus.
Nous pensons que l’analyse du déroulement de l’ensemble de l’action, la présentation du plan de chaque séance et le découpage des séquences sont nécessaires avant de se pencher spécifiquement sur les phénomènes que nous avons voulu observer et analyser dans le cadre de cette thèse.
Il nous faut donc d’abord procéder à une analyse linéaire des séances et des activités.
Nous devrons ensuite caractériser le niveau linguistique de notre apprenant et ses besoins d’apprentissage. Nous essayerons de tirer du corpus lui-même des illustrations de ces difficultés et de ces besoins.
Nous caractériserons enfin les buts d’enseignement et les stratégies mise en œuvre. Là encore, après une contextualisation de la demande de formation et de l’environnement professionnel, nous tenterons de trouver dans le corpus lui-même des exemples illustrant ces stratégies.
Ce n’est qu’alors que nous pourrons montrer comment la problématique lexicale se pose dans l’action, et comment une analyse de l’indication permet d’en rendre compte et de l’évaluer.
8.1.1. La transcription
Le flot du comportement verbal (Cranach TA \s "Cranach"  et al.1980 : 87) a été transcrit selon les règles élémentaires actuellement en vigueur. Elles restent cependant assez souples quant à leur réalisation de détail, en particulier en ce qui concerne les signes diacritiques marquant les tons, les suspensions, les insistances, les interruptions, etc. Nous présentons au début du corpus les choix qui ont été les nôtres en ce domaine.
Il aurait été plus cohérent d’adopter, dans la présentation des tours de parole, une transcription en ligne, telle que Bange TA \s "Bange"  (1998) l’a proposée pour l’analyse d’une conversation téléphonique. Elle permet de reproduire plus fidèlement le flot verbal (dis)continu, de mieux visualiser les paires adjacentes, et, en particulier, l’alternance lors des hétéro-interruptions, des chevauchements, des compétitions pour le contrôle de la parole, des quitus, etc. Cependant au moment où nous avons commencé la transcription de ce corpus, nous ne savions pas encore maîtriser les problèmes techniques délicats que pose ce mode de transcription et, si nous avons pu les surmonter ensuite, nous avons maintenu la transcription traditionnelle de la succession des tours de parole en colonne.
Nous avons introduit pourtant, pour les deux premières séances, au cours de la mise en forme définitive du corpus, une petite innovation, qui nous a paru nécessaire à une lecture plus claire de notre corpus, et qui, nous l’espérons, ne paraîtra pas mal venue : nous avons marqué un certain nombre d’alternances par des décalages à gauche de la ligne verticale, et même souvent par des décalages successifs réguliers vers la droite. Nous avons trouvé à ce mode de présentation un triple intérêt. Il nous permet :
De visualiser des séquences complexes d’échange, et de mieux observer le mouvement local de la communication.
De faciliter la lecture des étapes par lesquelles l’action progresse au niveau intermédiaire et au niveau global, que nous avons régulièrement marquées par des sous-titre, des titres (mentionnés à gauche), et des espaces.
De montrer sur le corpus même les choix interprétatifs qui ont présidé au découpage des phonies, au détriment d’autres choix. Ces regroupements en univers de discours sont fondés sur un critère de cohérence relevant de l’Univers de l’indiquant ou de l’Univers de l’indiqué et demandent à être justifiés : c’est ce que notre analyse s’attachera à faire. Ils doivent donner matière à contestation et à débat : c’est là leur principal intérêt.
Cependant nous n’avons pas eu le temps ni jugé nécessaire d’étendre à l’ensemble du corpus cette forme de transcription qui demande un travail technique long et fastidieux.
8.1.2. La description
Les buts de l’action se réalisant à travers l’organisation d’un certain nombre d’activités, « gérées par la règle d’alternance et les exigences de la thématique locale » (Bange TA \s "Bange"  1992), il nous faut décrire :
Les activités qui sont réalisées successivement, et comment le principe de la « dépendance conditionnelle » en assure le guidage.
Les différents schémas conversationnels, et comment la « règle d’alternance » et les « exigences de la thématique locale » (ibidem) en assurent la coordination à travers l’ouverture et la clôture, la constitution de la référence, la focalisation, et la réparation des perturbations.
Les processus de l’intercompréhension et comment les récits, descriptions, argumentations, « schémas de représentation d’états de chose », « éliminent les mises en doute ou les déficits d’information manifestées implicitement ou explicitement » (Kallmeyer et Schütz TA \s "Kallmeyer et Schütz"  1977).
En fait, c’est la troisième question qui nous intéresse dans le cadre de ce travail et les questions relevant des deux précédentes ne nous intéresseront que dans la mesure où elles interviennent, dans le processus d’intercompréhension, comme phénomènes d’appui ou de compensation, et comme cadre de contextualisation de notre analyse.
8.2. Le plan des séances
Notre travail d’analyse du corpus a consisté à dresser d’abord, à partir de la transcription des micro-structures constituées par l’alternance des tours de parole, un premier découpage opératoire ou thématique intermédiaire en séquences, regroupant en sous-ensembles élémentaires les successions des tours de parole et permettant de délimiter des unités séquentielles, troisième niveau de hiérarchisation du déroulement de l’interaction.
A partir de ce premier découpage, nous avons regroupé ces séquences, selon leur complexité, en activités – premier niveau hiérarchique. Il nous faut distinguer d’emblée la dénomination, description externe des activités, de la caractérisation des buts et intentions (didactiques ou communicatives) qu’elles servent. Nous avons identifié les activités sous la terminologie traditionnelle des activités didactiques (lecture, copie, rédaction, répétition, exercice, explication, commentaire, etc.).
Il nous faut aussi distinguer les activités stratégiques (finalités poursuivies par la formation) des activités tactiques (modalités concrètes de réalisation des ces buts). Ces dernières se donnent des objectifs opérationnels plus limités et se réalisent autant dans le déroulement des séquences que dans une succession de séquences. Cette succession développe l’activité en étapes ou phases que commandent des objectifs opératoires d’un contrôle plus immédiat. Ces étapes ou phases représentent un deuxième niveau hiérarchique, intermédiaire, et sont identifiées suivant les thématiques, contenus ou objectifs abordés.
Enfin nous avons caractérisé chaque séance à travers une dénomination thématique ou fonctionnelle et une définition par les buts didactiques et pédagogiques poursuivis ainsi que par l’intérêt théorique qu’elle représente pour nous.
Nous présentons le plan du déroulement de l’action dans l’ordre inverse de leur élaboration théorique :
Le plan des séances.
Le plan des activités et des phases intégré au plan des séances.
Le plan des séquences intégré au plan des activités des phases et des séances.
Le corpus complet [intégré au plan des séances, des activités, phases et séquences.]
Ces découpages nous permettent ainsi d’opérer le passage de la description didactique et thématique des activités à leur analyse pragmatique et linguistique.
Ces découpages, bien qu’informés par les principes d’analyse conversationnelle, donnent matière à discussion. Nous avons rencontré régulièrement au cours de l’analyse hiérarchique des problèmes de délimitation dans l’application de nos propres critères et nous avons dû souvent opérer des choix pour nous mêmes discutables. A plus forte raison les lecteurs qui se pencheront sur ce corpus pourront-ils les contester. Le débat en ce domaine reste donc ouvert.
8.2.1. Plan et univers de discours
Nous considérons cependant que ces critères de délimitation des séances, des activités et de leurs phases relèvent, au même titre que les échanges de l’interaction verbale, des mêmes principes d’analyse de discours.
Aussi les concepts prietiens leur sont-ils tout autant applicables :
1. Le découpage de l’interaction « formation linguistique » en séances successives, limitées dans la durée, distinguables formellement par leur interruption, constitue autant d’unités syntaxiquement ordonnées et closes d’univers de discours de l’indiquant et de l’indiqué. Elles sont identifiées individuellement en tant que telles. Elles pouvent être dénommées soit à partir d’un indiquant soit à partir d’un indiqué qui en constitue l’unité thématique.
2. Si nous considérons la formation comme visant un rapport social, celui-ci donne son sens aux séances, qui constituent ensemble un système sémiotique clos, un univers de discours. Ces séances sont identifiées non seulement par leur position – leur ordre d’apparition et leur succession – mais aussi par les fonctions assumées dans ce système. Elles sont identifiées enfin par les relations syntaxiques et de dépendance – prédicative, complétive, coordonnée, subordonnée – qu’elles entretiennent, à travers ce rapport social et dans ce système ainsi que les unes par rapport aux autres.

3. Ces univers de discours/séances se constituent dans l’interaction en élaborant successivement des univers de discours de l’indiquant et de l’indiqué d’un ordre immédiatement ou médiatement subordonné (les activités, les phases, les séquences), décomposables par l’analyse en sous-unités de l’ordre immédiatement supérieur, et dont le sens, en dernière analyse, relève de leur pertinence au regard de la totalité du système (la formation) dont ils sont éléments. Là aussi l’identification s’effectue non seulement par la position, mais aussi par les relations syntaxiques et de dépendance à l’égard des ordres supérieurs et les unes par rapport aux autres, ainsi que par leur fonction au regard du rapport social qu’elles contribuent à constituer comme sens.
Ce n’est pas, au regard de la théorie de l’indication, le commentaire de cette organisation des niveaux supérieurs de l’interaction que nous nous attacherons à faire ici dans le détail, même si, de notre point de vue, la problématique lexicale y joue un rôle central dans l’élaboration des plans et des stratégies. C’est d’ailleurs celle-ci qui nous a révélé la nécessité d’effectuer, en préalable à l’analyse de son rôle dans les processus d’inter-compréhension, ce long et fastidieux travail de délimitation et d’identification des hiérarchies d’univers de discours qu’ils construisent progressivement.
Ce commentaire consisterait en partie à justifier les choix de délimitation, de découpage, de dénomination, de hiérarchisation des unités que nous avons effectués, à justifier leur présence, leur amplitude, leur niveau de réalisation à tel ou tel moment de la formation, à expliciter les relations que ces unités entretiennent entre elles, les dépendances et le mouvement d’ensemble qu’elles donnent à la formation elle-même.
Mais si nous ne nous consacrons pas à une analyse systématique de ces univers de discours /séance ou phases, ni même à tous les schémas d’interaction, nous devrons à plusieurs reprises, en abordant telle ou telle analyse du rôle lexical dans l’interaction, nécessairement expliciter de nombreux éléments qui la commandent aux niveaux supérieurs de l’interaction.
C’est pourquoi les plans que nous avons dressés nous paraissent représenter non seulement une phase essentielle de notre analyse qui informe directement la suite de ce travail mais nous devons présenter dans leur grande généralité l’articulation des niveaux supérieurs de notre analyse de discours et mettre l’accent sur leurs relations comme détermination contextuelle des divers processus de compréhension en jeu.
8.3. Analyse linéaire des séances et des activités
La parole contribuant à la transmission du sens mais, souvent, n’y suffisant pas, nous n’avons pas la prétention de pouvoir, dans cette seule analyse linéaire, donner une image suffisante du déroulement de la formation. C’est pourquoi nous renvoyons, pour en contextualiser la lecture, aux documents annexes mentionnés au cours du déroulé de ce synopsis.
La formation, qui s’est déroulée sur quarante heures, a donné lieu non pas à onze séances mais à quatorze séances d’une durée moyenne de trois heures. L’enregistrement ne commence qu’au cours de la deuxième séance. La véritable première séance, qui était une prise de contact du formateur avec l’apprenant et l’entreprise, a consisté en une évaluation des compétences linguistiques de l’apprenant, en une visite, sous sa conduite, de l’entreprise et de son environnement professionnel et en une validation du programme proposé par l’organisme de formation. Elle n’a pas donné lieu à des activités didactiques. Elle a permis en outre de négocier avec l’apprenant, l’organisme de formation et l’entreprise, le cadre et les conditions de cet enregistrement.
De même la dernière séance, séance de bilan et de positionnement pour la suite de la formation, n’a pu être enregistrée, cette fois-ci pour des raisons techniques.
8.3.1. Première séance
La première activité à laquelle est consacrée la première séance est une lecture du document pédagogique décrivant le programme de la formation, ses objectifs et ses méthodes (Doc 1). La connaissance du contenu de ce document n’est pas le seul but de l’activité, mais son prétexte et son support. Il révèle en tout cas les buts poursuivis par l’organisme de formation et par le formateur. Sa lecture avec le formé tente d’élaborer un accord tacite ou explicite quant à la validité de ces buts.
Mais le déroulement de l’activité de lecture, proposée à l’initiative du formateur (désigné par E, (Enseignant), dans le corpus et désormais), et que l’enregistrement prend en cours, est interrompu par de longues phases de focalisation sur le code phonétique et sur le code graphique qui révèlent de la part de E quatre objectifs généraux que les échanges explicitent progressivement :
1. Présenter à l’apprenant (désigné par A dans le corpus, et désormais), le programme de la formation élaboré par l’organisme de formation à la seule demande de l’entreprise et sans analyse préalable des besoins et des attentes de A et vérifier sa pertinence à travers l’exercice de lecture puis l’expliciter pour A au travers d’ échanges qui en donnent une illustration.
2. Elaborer avec A, sur cette base, les termes d’un contrat didactique pertinent.
3. Contrôler les compétences de lecture et d’expression orale de A, ses difficultés, ses lacunes.
4. Mettre déjà en place les premières stratégies de traitement de ces difficultés.
La focalisation sur le code phonétique et graphique (corrections, exercices d’illustration, explications, commentaires) et sur les difficultés de prononciation de A ne sont ni un hasard ni une surprise : c’est pour traiter les problèmes de prononciation qui troublent sa communication avec ses collaborateurs que l’entreprise a sollicité l’organisme de formation. E a déjà rencontré A au cours d’une séance précédente pour l’évaluer et prendre connaissance de son contexte de travail.
Bien que la lecture concerne un document pédagogique dont le vocabulaire métalinguistique n’est pas familier à A, le sens du texte et de nombreux termes ne posent pas de problèmes explicites de sa part: « Il n’y a pas de mots durs, mais c’est dur à prononcer » (S1A, 298)  .
Ainsi, dès cette séance, E et A se voient d’accord, comme le programme l’explicite, pour porter les efforts principaux sur les problèmes phonétiques. (S1A/118-141).
Trois difficultés, par ailleurs courantes chez les apprenants laotiens, ressortent particulièrement des échanges : l assimilation d ouverture pour les voyelles [Y] [e] [µ], l assimilation des consonnes alvéolaires [s] [z] [’] [’], l apocope de la dernière consonne alvéolaire ou dentale de nombreux mots. Ces problèmes relèvent en fait d’une même difficulté relative à la sonorité des phonies, difficulté d’autant plus accentuée chez A qu’il a un timbre de voix grave.
Par ailleurs, A propose de lui-même la stratégie à employer : s’appuyer sur l’écrit et, particulièrement, sur la lecture pour traiter ses déficits de communication (123).
C’est dans le développement de cette stratégie que E, par un exercice de copie sous forme de tableau des séries phonétiques spontanément élaborées à partir du texte, oriente aussitôt le travail de A (151-224, Doc 2) et qu’il va ordonner la suite des activités. Ainsi, au cours de la séance, E enregistre déjà sur son ordinateur portable les phonies sur lesquelles ont porté les difficultés et les exercices improvisés auxquels ils ont donné lieu.
8.3.2. Deuxième séance
La deuxième séance confirme la stratégie d’associer élocution à transcription.
Elle s’ouvre, sous le prétexte de description de ses tâches de travail, par une transcription, au tableau, des dénominations des opérations principales que A effectue. E reprend cette description et la modifie sous le contrôle de A, ce qui aboutit à la production d’un schéma que A reproduit dans son cahier et E sur son ordinateur (Doc 3).
E rompt alors avec cette activité et cette thématique. Il ramène A vers les difficultés notées dans la première séance et vers le tableau de classement des difficultés rencontrées. Mais c’est pour rapidement la relier à l’activité précédente puisqu’il fait inclure dans le tableau phonétique les termes nouveaux dont il fait répéter la lecture.
La stratégie d’appui sur l’écrit pour remédier aux déficits d’expression orale se développe alors en spirale par un retour aux activités et aux thématiques précédentes et par un approfondissement de celles-ci.
Cette deuxième séance focalise l’attention sur la thématique professionnelle. Elle pose déjà la préoccupation lexicale comme centrale : la séance est consacrée à l’élaboration d’une liste terminologique d’opérations professionnelles chronologiquement ordonnées. Mais elle met l’accent sur l’ordre discursif d’exposition d’un processus, plus que sur la conformité des énoncés par lesquels se réalise cette exposition.
8.3.3. Troisième séance
La troisième séance reprend la même thématique, la même focalisation lexicale et discursive, la même stratégie, le même schéma. Elle porte plus sur l’ordre discursif d’exposition du processus que sur la conformité des énoncés par lesquels se réalise cette exposition. Mais elle développe celle-ci sous trois formes nouvelles : le dessin, la composition commune d’un texte suivi, la consultation d’un premier outil didactique : le dictionnaire.
Il s’agit ici de reprendre le thème des tâches et des opérations professionnelles et de réemployer le vocabulaire introduit précédemment, mais en l’élargissant à la description de la machine sur laquelle travaille A et des actes et mouvements qu’il y opère dans la réalisation de ces tâches et opérations. Cela conduit à associer de nouveaux ensembles lexicaux (entités, procès, relations logiques, spatiales ou temporelles) aux ensembles déjà introduits et à en développer les connexions.
Cependant les déficits langagiers de A se confirment dans toutes leurs dimensions, en particulier dans la maîtrise de la référence puisque A doit s’appuyer sur un dessin de la machine pour les compenser, tant pour la description des procès ou des relations que pour celle des entités. E doit nourrir l’échange par son questionnement, réveiller le vocabulaire disponible, apporter des termes nouveaux pour des notions connues ou des précisions notionnelles pour des termes d’un emploi erroné ou approximatif.
Cette première activité orale de description débouche alors stratégiquement sur un exercice de copie, portant cette fois sur la terminologie technique de la machine, et sur une nouvelle tâche de transcription. E et A composent ensemble, sur l’ordinateur, une synthèse des tâches décrites au cours de la deuxième séance (Doc 4) puis un tableau récapitulatif des matériaux utilisés et de leurs dimensions (Doc 5). La stratégie en spirale se conforte ainsi.
Enfin, E familiarise A avec l’usage du dictionnaire, outil dont la nécessité a déjà été introduite à la fin de la séance précédente et que A semble ne pas savoir utiliser. La recherche de quelques mots importants utilisés dans la description de tâches de A conforte, ainsi, la focalisation lexicale et la stratégie d’appui sur la lecture. Cette activité introduit les variations lexicales et les groupements de mots par familles, qui donneront la matière à l’essentiel de l’échange de la onzième séance.
8.3.4. Quatrième séance
La quatrième séance prolonge la précédente dans la même stratégie d’appui sur la lecture et l’écrit mais elle développe trois nouvelles activités :
La correction d’un texte suivi composé par A lui-même, à sa requête, chez lui et au travail (Doc T2). Ce texte doit reprendre la description de la machine effectuée la séance précédente à partir du dessin ainsi que le vocabulaire employé et noté.
La composition par A d’un second texte décrivant le fonctionnement de la machine.
La composition de séries de familles de mots à partir de la terminologie opératoire, exposée en S2 et développée en S3, qui prolonge l’activité de lecture du dictionnaire.
De fait, la séance commence par la composition du second texte par A (Act.2, Doc T3), ce qui permet à E de transcrire le premier texte sur l’ordinateur portable et d’en préparer l’exploitation (Doc7).
Après une première lecture par A de sa production brute (Act. 2), la correction (Act. 3) se développe en trois phases de contrôle : des mots (phase. 3), des énoncés (phase 4), et, au cours d’une relecture (Act.4, phase 1), de la ponctuation (419). Cette correction conduit à un entraînement nouveau : une lecture ponctuée, en mettant le ton (phase 2 et 3).
La composition des séries de familles (Act 5, Doc 10) permet de développer la question de l’accent sur les sylllabes finales. Elle met en valeur, en s’appuyant sur leur graphie, les différences phonétiques dans la terminaison de mots apparentés à travers des oppositions doublement hiérarchisées :
procès / entités,
procès verbalisés / procès nominalisés,
entités choses / entités personnes
personnes acteurs / personnes agents .
E ne les présente pas explicitement comme tels, mais il organise les termes à l’intérieur d’un tableau à double entrée regroupant horizontalement, à partir d’une série de noms familiers, les termes de même radical, et verticalement les termes de même terminaison ( -er, -eur, -age, -ment, -tion, etc.). A est invité rapidement à compléter de lui-même le tableau, tel ou tel signifié des indiquants lui étant en général familier.
E reprend alors la série des indiqués [procès], d’indiquant terminaux –er, c’est-à-dire la forme verbale infinitive de chaque série horizontale, en leur donnant sens XE "sens"  pour A dans un exercice de composition de complétives modales (Act 6), constituant une nouvelle série verticale d’indiquants. Mais la procédure s’opère sans explicitation métalinguistique comme prolongement oral et graphique du tableau.
Ce qui permet à E d’aborder sans transition une nouvelle activité (Act 7). Il traite du problème des assimilations vocaliques à partir de l’examen de l’opposition vocalique des morphèmes du présent et de l’infinitif des verbes du premier groupe. Or, cette fois-ci, E aborde la question directement, par l’usage de la terminologie métalinguistique : « Si vous dites au présent, comment vous allez dire ? » (1093). Cette terminologie est familière à A dans son emploi, mais il affirme en ignorer le sens XE "sens"  proprement opératoire : « Je même pas comment ça marche tout ça » (1094). Il oppose rapidement le terme présent au terme futur, au sujet duquel il s’essaie à formuler des hypothèses si erronées que E se voit contraint d’apprendre directement à A « comment ça marche » (Act. 8). E propose ensuite le même exposé fonctionnaliste à propos du passé composé, dont les formes, cofrontées à celles du présent de l’indicatif, sont plus adéquates pour travailler les oppositions vocaliques [Y] [e] [µ] dans des contextualisations supposées chargées immédiatement de sens pour A.
Or la suite des séances va montrer que A, en vérité, ne perçoit pas le sens même de l opposition présent / passé dans les structures verbales. E ne perçoit pas cette lacune, car A focalise son attention sur l’opposition présent / futur que E tente de conforter. Il confronte A, dans le livre de conjugaison, avec la lecture des formes du verbe AIMER (Act 10). Cette lecture appelle un exercice d’application de la règle de composition du futur à partir de la série verbale familière (Phase 2).
8.3.5. Cinquième séance
La cinquième séance prolonge les troisième et quatrième séances : lecture et correction du texte décrivant le fonctionnement de la machine (Doc 4), texte exposé en S3 à l’appui du dessin et composé au cours de S4.
La séance installe maintenant de façon habituelle l’activité d’oralisation de la lecture et de correction de la prononciation, de l’accentuation et de la prosodie (Act 2, 3, 4, 5 phase 6), ainsi que la correction orthographique des mots et la correction syntaxique des énoncés.
La séance poursuit vaillamment la correction orale des assimilation des formes infinitives ou participes en [e] aux formes du présent en [Y]. E étaye les expressions lexicales approximatives mais surtout introduit des focalisations nouvelles, jusqu alors relativement négligées, sur la détermination des entités (Act 5, phase 3 / 365, 373, 635, 670) et l expression des relations spatiales (387, 475, 540, 582) ou temporelles (483).
E complète en outre le travail lexical par la distribution d’un lexique des termes professionnels les plus courants (Doc 1) qui servira de support de lecture et de contrôle de la production graphique.
La composition du texte permet enfin, à travers des séquences ou activités d’explication, de revenir sur la description de la machine et des opérations et de compléter l’information de E : E invite A à entrer dans le détail de certaines notions (Amorce : seq. 708-812, Adhésif : seq. 813-1024) et de certaines opérations (Passage du support dans la machine : Act. 6 / 1107-1228).
Or les explications concernant l’adhésif (813-943) XE "adhésif"  permettent de lever un lièvre inattendu dans le processus de compréhension des tâches, lièvre que E aurait pu déjà renifler dans S2 et S3 (S2 / 263-280 et 489-540), mais qu’il avait négligé : il s’agit de la notion de double-face XE "double-face" . E laisse pourtant échapper à nouveau cette source d’incompréhension, sans doute pour mieux la traiter dans une séance suivante. Elle va donner lieu en effet, lors de la neuvième séance, à un échange particulièrement important pour notre analyse du processus de compréhension et pour notre problématique lexicale (voir Troisième partie, 9.4.4 et Vol. II, Corpus, 1. : 12, 2. : 45 )
8.3.6. Sixème séance
La sixième séance crée une rupture, un intermède, par rapport aux activités maintenant installées des séances précédentes. Mais elle joue un rôle important dans la problématique générale de la formation ainsi que dans celle de notre analyse.
A deux reprises, déjà, E, accompagné par A, a fait le tour de l’entreprise, des bureaux de conception graphique, des laboratoires, de l’atelier de finition. E s’aperçoit alors que A non seulement n’est pas capable de lui décrire les activités qui s’effectuent dans ces différents lieux mais surtout qu’il ignore même la nature et le sens de nombreuses d’entre elles. A n’a pas de représentation générale ni complète du processus commercial et technique dans lequel il intervient en dernière phase. Il en a des notions, mais lacunaires. Comment, dans ces conditions, peut-il être en mesure de comprendre la portée de certaines questions qu’il doit traiter au téléphone avec les commerciaux de l’entreprise et avec les clients ?
Avant de constituer éventuellement des batteries de situations de communication XE "situations de communication"  à traiter dans la formation, E considère qu’une évaluation des connaissances techniques de A est nécessaire. La consultation de l’Encyclopédie pratique du laboratoire de Michael Langford (1983), bien que d’une publication antérieure au développement des techniques de numérisation de l’image qu’applique déjà l’entreprise, est le prétexte de cette évaluation.
Toute la séance est consacrée ainsi au commentaire d’images, de dessins, de tableaux, ainsi qu’à la lecture du vocabulaire, et d’un certain nombre de légendes, de titres, de textes explicatifs, de textes quantitatifs consultés dans cette encyclopédie.
8.3.7. Septième séance
La septième séance revient sur le traitement des difficultés d’expression orale de A en appui sur l’écrit. Tandis que les séances précédentes se focalisaient sur le vocabulaire, sur la prononciation des mots en rapport avec leur graphie, sur les terminaisons nominales et verbales de familles de mots, cette séance s’ouvre sur la composition de phonies structurées en énoncés, en phrases. Cela permet ainsi de poursuivre le travail de correction et d’étayage phonétique, prosodique et syntaxique, et de s’arrêter, en particulier, sur la détermination.
La seconde partie s’inscrit dans le prolongement de ces activités, mais surtout approfondit les dernières activités de S3 (Act 6, à 11) sur les formes verbale. Elle poursuit l’initiation à la lecture et à l’utilisation du livre de conjugaison. Elle réactive les connaissances en matière de classement alphabétique (S2) et de présentation des variétés verbales (S5) .
Le recours, dans le cadre d’une formation en contexte professionnel, à un travail si traditionnel, typiquement grammatical, pourrait heurter certaines sensibilités pédagogiques. Or nous avons vu quels objectifs justifient, au regard des difficultés spécifiques de l’apprenant, une telle procédure : développer le travail de focalisation sur les finales des mots, par lequel d’importantes modifications de sens s’opèrent ; développer l’appréhension des contextes pragmatiques dont l’expression de la temporalité, de l’aspect, de la personne, représente des domaines fondamentaux. Notre expérience nous a par ailleurs confirmé combien l’apprentissage à l’utilisation du livre de conjugaison ainsi que l’incitation régulière à recourir à cette source d’information et de correction confortaient les adultes dans leur perfectionnement linguistique. Parmi eux, particulièrement ceux dont la langue maternelle ne comporte pas de système verbal aussi complexe que le nôtre ou qui n’en ont même pas du tout comme, ici, le laotien de notre apprenant. Une familiarisation progressive avec le livre de conjugaison permet de donner les clefs de l’organisation de notre système verbal et de le rendre moins arbitraire et plus facile pour la mémorisation. C’est d’ailleurs ainsi que l’exprime A après sa première initiation : « Rien qu’on regarde ici on peut [apri] pas mal » (= Il suffit de regarder ici – dans le livre de conjugaison – pour en apprendre beaucoup), après quoi il s’empare de son petit dictionnaire pour contrôler les conjugaisons qui y figurent en annexe. Dans la dernière séance de notre cycle de formation – non enregistrée –, A, faisant le bilan de ses apprentissages, dira sa satisfaction de comprendre enfin pourquoi, depuis des années, ses collègues Français d’origine l’interrompaient souvent, au milieu d’une conversation, pour lui demander de toujours préciser : « Mais quand ? ». De telles découvertes, qui attestent à leur propre yeux la possibilité d’accéder à la compréhension de notre langue et d’en maîtriser les systèmes à travers l’usage de certains outils d’apprentissage, redonnent confiance à des adultes souvent découragés par la complexité de notre langue et qui pensent qu’il est pour eux trop tard pour développer cet apprentissage.
8.3.8. Huitième séance
La huitième séance est consacrée toute entière à une activité de lecture.
E, en effet, a mis en forme, pour la constitution du Livret pédagogique de l’apprenant, l’ensemble des textes et exercices traités de la première à la huitième séance – à l’exclusion des documents de la sixième séance. Il les distribue et en fait reprendre la lecture.
A, par ailleurs, a apporté un prospectus publicitaire décrivant les différents services offerts par le laboratoire multimédia, ainsi que le tarif des différentes prestations. E et A en font la lecture, au cours de laquelle A demande à E le sens du mot multimédia, ce que ce dernier refuse de lui donner pour l’inciter à aller chercher l’explication auprès de ses collègues et à la rapporter la semaine suivante.
8.3.9. Neuvième séance
C’est la neuvième séance qui débusque à nouveau le lièvre soulevé dans la cinquième, à propos de la notion d’adhésivage  XE "adhésivage"  XE "double face" et de double-face, et qui va conduire à le serrer enfin.
E propose à la lecture les notes qu’il a prises à la volée au cours d’explications orales de A sur l’amorce XE "amorce" \i  (S5 / 708-812), l’adhésif (idem/ 813-1039) et le passage du support dans la machine (idem/ 1107-1227). E espère par là obtenir une nouvelle avancée dans les explications de A et lever son incompréhension.
E obtient satisfaction, après un long échange qui permet de distinguer très clairement trois types de production de l’atelier (Doc. 26) :
Le collage XE "collage" \i  sur supports (rigide) des photos livrées par l’atelier de tirage. Ce collage se décompose en trois opérations :
L’adhésivage, collage sur le support du recto d’un adhésif double face.
La plastification, XE "plastification" \i  collage sur la photo d’un film plastique protecteur.
Le collage proprement dit de la photo sur le support ou, plus précisément, sur le verso de l’adhésif double face préalablement adhésivé au support.
L’encapsulage  XE "encapsulage" \i de photos qui seront livrées roulées dans un étui, sans support. C’est une opération de collage aussi mais du collage d’un film de protection sur les deux faces de la photo.
La plastification, opération tombée en désuétude et remplacée, depuis l’introduction de la machine dans le procès de production, par l’encapsulage. La plastification nécessite deux ouvriers et consiste à coller un film plastifié sur une seule face de la photo.
D’emblée, nous remarquons la source de l’incompréhension : les mêmes termes (collage, adhésivage, plastification, encapsulage, double-face) sont, en fonction du contexte opérationnel ou opératoire, tantôt synonymes, tantôt antonymes, et recouvrent alternativement des sens différents.
C’est dans l’analyse de cet échange que nous verrons tout l’intérêt de la théorie de l’indication (voir ci-dessous 9.4, p.266 et suivantes).
8.3.10. Dixième séance
On s’attendrait à ce que E profite de la dixième séance pour exploiter les importantes avancées de la séance précédente ; soit en fournissant à A des schémas ou des textes formalisant les informations obtenues ou des exercices permettant de travailler les subtils distinguos techniques recouverts par des dénominations identiques ; soit en composant avec A, comme dans la troisième séance, des textes en vue d’aboutir aux mêmes objectifs. Il n’en est rien.
E introduit la séance par un travail phonétique (Act 1) et par un exercice nouveau pour A : la dictée. Il s’agit en fait de la production de séries de mots phonétiquement apparentés permettant de traiter les assimilations vélaires (Doc 27-28).
Suit alors, à l’initiative de A, une confidence sur ses relations linguistiques avec l’un de ses responsables et sur les négociations en cours dans l’entreprise sur l’application de la loi des trente-cinq heures. E laisse se développer cet échange sous la forme d’une conversation (Act 2). Puis il improvise un travail de composition de trois énoncés tirés des premiers propos de A que ce dernier copie ensuite dans son cahier (Act 3).
Une question posée par A au sujet du x de je peux conduit à une nouvelle consultation du livre de conjugaison et à une notation des formes de pouvoir. Après la pause, au cours de laquelle E à mis en forme une partie des propos de A, celui-ci lit le texte et le copie dans son cahier.
Ainsi, l’exploitation de la séance 9 n’a pas été réalisée selon le plan prévisible de E, mais les activités auxquelles ce type d’exploitation aurait donné lieu ont été exécutées par une approche et un traitement nouveaux des thématiques et des contenus : ceux que A apporte de sa propre initiative et qui sont exploités immédiatement, sans plan ni préparation préalable, dans l’improvisation.
8.3.11. Onzième séance
Ce ne sera pas encore la onzième séance qui reprendra les informations de la neuvième, puisque A introduit à nouveau la conversation sur le thème de la persécution linguistique dont il se sent l’objet et demande à comprendre les raisons pour lesquelles son responsable l’a repris, lui demandant de parler non pas de référent, mais de référence.
Plutôt que de régler rapidement la question par une explication simple, E s’engage dans une production d’exemples qu’il demande à A d’analyser. Toute la séance va être consacrée à la présentation par E d’une succession d’exemples qui échoueront tous à permettre à A de sortir de son angoissante question. E révèlera la réponse finale mais A sort sans doute de ce redoutable exercice avec un fort mal de tête.


Chapitre 9 : Lexique et analyse de l’indication

9.1. Le sens comme rapport social
9.1.1. La face
Les analyses conversationnelles insistent beaucoup sur la notion de face, et sur l’importance, dans les échanges, des processus de préservation, de menace, de réparation de la face, particulièrement dans l’échange exolingue. Nous voulons montrer comment cette notion de face implique bien la notion de sens comme rapport social.
Qu’est-ce que la face ? C’est le respect, fondement de tout rapport social. Dans la communication exolingue, par essence inégale, le locuteur natif doit accepter et reconnaître cette inégalité et veiller d’abord, afin que le sens puisse passer à travers la communication, que la face de l’interlocuteur soit protégée. Il doit lui donner des garanties de ce côté-là.
Or, pour des locuteurs comme A, ces garanties ne sont jamais acquises, elles peuvent à tout moment être remises en cause. La face du migrant est souvent gravement menacée dans ses relations avec tel ou tel de ses interlocuteurs professionnels et, en tant qu’apprenant, avec le formateur ou, parfois, avec ses collègues de formation. C’est pourquoi ce public est plus réticent qu’un autre à s’engager dans une formation et particulièrement fragile au début de celle-ci : le taux d’abandon est plus élevé que chez tout autre public.
Ce ne sont pas tant les difficultés de compréhension qui menacent d’abord la face, que celles de prononciation. L’ouverture, le maintien et la consolidation du rapport social, et donc du sens, que le migrant tente d’établir passent par cette dimension physique de la communication : la phonie XE "phonie" . Les difficultés de prononciation peuvent entraîner des effets douloureux dans les relations du migrant avec son entourage – toutes choses devant par ailleurs être relativisées selon la personnalité et le statut du migrant, ceux de son interlocuteur, le contexte de la communication, etc.
En tout cas, nous observons chez A, s ans doute plus sensible qu’un autre à cette dimension de la communication, comme nous l’observons régulièrement chez des apprenants de son profil, l’importance de ce phénomène : tout au cours de notre formation de 40 heures, cette problématique de la face va être très présente. Parce que phonie XE "phonie"  et sens XE "sens"  sont intimement liés, et que tout ce qui perturbe l’une perturbe l’autre, et fragilisent le rapport social. XE "face" \r "facea" \i 
« Les gens en bas, i’s’foutent de moi »
A témoigne dès la deuxième séance de la pression qu’il subit, de la part de ses collègues, du fait qu’il a engagé une formation (2B 329). Il se sent harcelé :
329AAprès les gens en bas + fuuitt + ils me sautent dessus, hein + pour + pour +Le formateur tente de relativiser la situation. Ce que A refuse, car cette attitude de ses collègues ne lui plaît pas du tout : « les gens » s’occupent de ce qui ne les regarde pas. La formation est une affaire entre lui et le formateur : il est bien d’accord pour apprendre à parler, mais les gens en bas ne doivent pas se mêler de ça (331). Or, dit-il, dans tous les services chacun y met son grain de sel :
331ASi je viens partout, tout l’mond’ dit : il faut écouter + tout l’mond’ qui dit ça + ça marche plus !Mais, plus grave : les gens se moquent de lui. Ce qu’il ne veut pas admettre et qui perturbe à la fois sa relation avec les collègues, et sa relation avec l’apprentissage :
348AEt fout’ de moi, voilà ! i’sont foutu de moi, voilà !349EOuais, ouais ! Mais c’est pas l’problème !350AI’sont foutu + Cest pas bon !351EVoilà !352AJ’ai dit : arrête là ! c’est tout !On pourrait mal interpréter la réaction de E (349). Ce n’est pas le fait que A soit l’objet de moqueries qui n’est pas un problème pour E. Au contraire : E sait combien il est important que l’entourage des apprenants, en entreprise, participe positivement à leur perfectionnement et, à défaut de comprendre la nature des difficultés en jeu, n’y mettent pas obstacle par le harcèlement ou la moquerie. C’est la raison pour laquelle E a tenu à faire, avant la séance en classe, une visite de l’atelier (352) : non seulement pour voir le travail de A et l’entendre en parler in situ, mais aussi pour rencontrer ses collègues et leur parler de ses difficultés.
Le locuteur natif croit souvent que l’apprentissage est seulement affaire d’automatisme et qu’il suffit à un alloglotte d’entendre et répéter pour reproduire et assimiler. Le natif en conclut que, si l’alloglotte assimile mal, c’est qu’il ne fait pas l’effort suffisant pour écouter. E sait que cette illusion peut développer de la part des responsables d’une formation linguistique, mais plus encore de la part des chefs directs et des collègues les plus proches, la mise en doute non seulement de la capacité de l’apprenant à faire des progrès, mais, plus gravement, de sa bonne volonté à les faire.
D’ailleurs, A, ayant fort bien assimilé le travail de la première séance sur la prononciation des finales, renvoie le reproche à ses collègues : comment pourrait-il les écouter, puisqu’eux-mêmes ne prononcent pas correctement (355) : ils ne « prolongent pas tout » (357) ? Ils sont eux-mêmes de mauvais exemples. En définitive, s’il parle mal, c’est de leur faute !
365APa’s’que i’sont pas parler correctement ! pa’s’que eux, i’peut compren’, pa’s’que i’dit pas dernière phrase+ pa’e’sem, dit : Fabièn’366EFabie-nne !367AVoilà, eux i’z’ont pas dit ! mais+ on dit fabie-nne !
Si vous voulez que je suis correctement\368E Il faut le dire \369ADonc mauvais exemplaire ! Voilà !370EHè! Hè! Hè ! Ils sont des mauvais exemples !(rires)< Parce qu ils ne parlent pas correctement, parce que eux, il peuvent comprendre, parce qu ils ne disent pas la dernière , par exemple, ils disent  : [fabjµn]. Ils ne disent pas [fabjµnY], mais [fabjµn]. « Si vous voulez que je [parle] correctement  » ! Ils sont [pour moi] de mauvais exemples >Comment, en effet – analyse-t-il à propos de la prononciation de mange, dont il n’entend pas prononcer la finale –, ne se satisferait-il pas lui-même de cette phonie tronquée ? (375-377). De sorte qu’en bon camarade, et sans vouloir les critiquer, il peut leur retourner la moquerie :
379AVoilà ! C’est ça + euh + eux aussi i’sont+ Bon euh + j’é critique pas, hein !On comprend facilement les difficultés d’expression et de compréhension que rencontre un étranger dans ses rapports avec les autres. On ne mesure cependant pas l’importance du facteur de face dans la reprise et la pérennisation d’un apprentissage guidé, pour certains apprenants particulièrement fragilisés par des expériences traumatisantes d’apprentissage antérieur ou par une excessive susceptibilité – comme cela semble être le cas de A.
Car la formation ravive ces problèmes de face : l’apprenant, en acceptant de révéler publiquement ses difficultés, se met en situation de plus grand danger. Il s’expose aux moqueries, à la risée de ses camarades d’atelier, de ses chefs, et même de ses camarades de formation. Il est parfois nécessaire de masquer, dans la dénomination officielle de la formation à laquelle sont conviés certains, son caractère de remise à niveau linguistique : de nombreux participants ont veillé depuis des années à masquer eux-mêmes leurs difficultés linguistiques (en particulier en lecture, expression écrite, calcul, comme c’est couramment le cas pour des français en situation d’illettrisme, mais aussi pour de nombreux adultes migrants).
Il ne s’agit pas seulement, pour A, de susceptibilité blessée, mais d’atteinte grave à la dignité de sa personne. La maîtrise de la parole et du langage est bien perçue comme ce qui menace ou conforte l’estime de soi et des autres et le respect, fondement de tout rapport social harmonieux.
Il ne s’agit pas du fait, pour A, de ne pas comprendre, mais du fait de mal entendre ou de mal prononcer. Il ne s’agit pas de sens, mais de phonie XE "phonie" , c’est-à-dire, pour son entourage, de ce qu’il y a de plus facile à transformer. Ce n’est pas un entourage social protecteur (la famille, les amis) mais menaçant : le milieu professionnel. La compétition, la concurrence, les rivalités, les jalousies accroissent les risques et les dangers de mauvais rapports. Ce simple problème de phonie, intervenant dans le contexte de réorganisation technique et organisationnelle que nous avons décrit, met en danger l’équilibre, jusqu’alors préservé, des rapports de A avec ses chefs et ses collègues, qui vont tester sa capacité à s’adapter aux évolutions de l’entreprise, c’est-à-dire à améliorer ses rapports avec eux. A est-il vraiment capable d’améliorer le rapport de communication avec ses collègues ? Ce qui signifie pour eux : le veut-il ? Ce qui sous-entend : pourra-t-on le garder ? Ce qui atteint la dignité de A, c’est, à travers le doute sur ses capacités, le doute sur sa bonne volonté. Il peut craindre alors que le groupe ne l’exclue du travail. C’est une fonction essentielle de E de renforcer A dans sa confiance en soi, et de faire évoluer son entourage professionnel quant aux représentations qu’il a de la communication et du perfectionnement linguistique.
« i tire une balle dans l’dos »
Les problèmes de face XE "face"  sont souvent accrus par les corrections linguistiques que l’entourage exige de l’apprenant. Cela part souvent d’une excellente intention, mais peut conduire un apprenant au découragement. A sent comme une volonté malveillante et persécutrice le zèle de B, l’un de ses proches responsables, à vouloir prolonger, par sa propre activité correctrice, l’effort de A dans la formation. A y voit de l’acharnement et se sent trahi ou attaqué par derrière : « il… balle dans l’dos » (10A / 752). Ainsi résume-t-il son sentiment avec force. Le récit de A mérite d’être rapporté en entier, d’autant qu’il porte sur la question du futur et du présent, qui aura été un thème important des échanges :
10A-699 / 780
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776-…parce que B se prend pour mon professeur maintenant. Vendredi il [a] téléphoné [pour dire] que moi reçu l’échantillon [pour] les supports, parce que euh…[il a dit :] « vous pouvez passer le prendre dans mon bureau » et [c’est] tout. Et je lui dis [quelque chose comme]: « je reviens » [ou] « je repasse », je [ne] sais comment : «  je reviens pour prendre échantillons ». Il m’a [re]pris : « je reviendrai (..) reprend[re] les échantillons (…) je reviendrai, il a dit, il faut dire : je reviendrai, [Il ne] faut pas dire : je reviens »
- Alors ?
- Quand j’arrive dans [son] bureau, [il m’]attend là ! hè ! hè ! hè, [il me dit[ : « on dit : je reviendrai, ou : je passerai. » J’ai oublié ce mot XE "mot"  là.
- D’accord
- [Dites-moi] si je peux dire aussi : je passerai tout à l’heure ?
- Oui [vous pouvez le dire]
- Moi, j’ai pas dit ça, [j’ai dit] : je reviens. C’est quoi [que B a] essayé [de faire] à ce moment là ?
- Non, mais non [on peut dire : je reviens]. C’est parce qu’il a voulu vous embêter, c’est tout. (..) On peut très bien dire : je reviens.
- Il comprendra ! ?
- Oui, oui, oui ! (…) [Vous ne vous êtes pas trompé] non, non, non ! (..) Non, là, il exagère !…
- [Alors, vous] voyez !
- oui ! …parce qu’on peut très bien dire : je reviendrai [ou] je reviens !
- Et [dans ce cas] il comprendra normalement ?(…)
- Oui, oui, oui ! Si vous dites : la semaine prochaine…
- Parce qu’il [que] je parle correctement !
- Voilà !
- [Mais alors], il [me] tire [une] balle dans l’dos ! < Il rit>(…)
- Oh, il a voulu vous abaisser un peu, parce que c’était pas mauvais de dire : je reviens…
- Hè, hè !
- Mais pourquoi [ça vous inquiète autant ? ]?…Ah, oui ! C’est [que] vous qui dites [qu’] il a fait le professeur !
- Ouais, il fait [le] professeur à chaque fois]…bon…[si] je passe [à côté de son bureau, si je] traverse [ ?le couloir ?], il porte.(…)
Y’a une fois, je dis…J’ [avais] fait fabriquer une boîte, y’a une qui dessus, et na na na, [et je dis], je crois : c’est bon, bonne, c’est bonne [je dis]. Et puis il vient ajouter derrière [moi]…Bah, [] vous faites quelque chose de bonne…
-oui
- [Alors il] la porte : « Qu’est-ce que vous dites ? » Ça ?  ! bon, bon, bon chose ! Ch’ais pas…[Il dit :] « On dit pas : des bonnes choses…[on dit : ] bon !
- [Non, vous avez dû vouloir dire :] quelque chose de bon
- [Voilà :] que’que chose de bon ! Il dit pas des bonne !
- [ il fallait dire :] bon, d’accord.
- Il [M. B.] ne va pas [bien]
- Il est sérieux, quand il vous reprend comme ça ? Il est très sérieux, ou bien il fait ça un peu pour vous… ?
- Il est sérieux !
- Ah ! Il est sérieux !
- [Mais] moi je rigole, hein !L’attitude professorale de B est d’autant plus pénible pour A qu’il ne comprend pas les fautes qu’il aurait faites ni le sens de la correction exigée. Il sent ainsi que la relation inégalitaire dans la communication, au lieu d’être réparée ou compensée, se voit au contraire rappelée et réactivée. Ce que E, pour conforter A au détriment de B, lui confirme : la correction linguistique ne se justifie pas, dans la mesure où, dans l’usage lui-même et pour le sens de l’échange, A n’était pas fautif et, en tout cas, avait été parfaitement compris par B. Il s’agissait bien d’une correction purement formelle qui ne relevait que du formateur, non de B. Même dans un tel contexte d’enseignement et, en tout cas, au stade actuel du niveau linguistique de A, il s’agit d’une sur-correction qui menace inutilement la face.
On remarquera par ailleurs que A, en 738 et 742, emploie spontanément un futur avec une complète maîtrise de sa valeur pragmatique dans l’échange :

738
739
740
741
742
743(..) On peut très bien dire : je reviens.
- Il comprendra ! ?
- Oui, oui, oui ! (…) [Vous ne vous êtes pas trompé] non, non, non ! (..) Non, là, il exagère !…
- [Alors, vous] voyez !
- oui ! …parce qu’on peut très bien dire : je reviendrai [ou] je reviens !
- Et [dans ce cas]il comprendra normalement ?
- Oui, oui, oui ! Si vous dites : la semaine prochaine…Les sur-corrections de la forme menacent la face de l’apprenant tant qu’il n’est pas en état d’en comprendre la validité pragmatique, c’est-à-dire leur rapport à la situation. Pour A, dire je reviens ou je reviendrai, dans la situation d’émission, n’affecte pas le sens. Ces deux formes sont donc équivalentes et synonymes : la correction ne peut avoir pour lui d’autre sens que de l’humilier.
Les questions spontanées des apprenants rapportant des emplois sur lesquels ils soupçonnent de s’être fait reprendre indûment sont toujours des pièges délicats tendus au formateur. La question surgit naïvement. Elle est présentée comme un cas théorique et ce n’est qu’après sa réponse et, souvent, si celle-ci confirme une agression contre la face de l’apprenant, que le formateur est informé de la situation et de la qualité de l’adversaire ou de l’adjuvant. C’est pourquoi il est toujours prudent d’interroger l’apprenant, au préalable, sur les circonstances XE "circonstances"  de l’échange en litige, sur les interlocuteurs, leur qualité, etc. Car si la réponse du formateur est rapportée à l’adversaire, celui-ci peut la percevoir comme une intrusion dans ses rapports avec son collègue et la position hiérarchique de cet adversaire peut risquer de perturber non seulement la relation avec l’apprenant mais aussi avec le formateur et, en définitive, la réussite de la formation. Les questions sur le sens XE "sens"  mettent bien en jeu les rapports sociaux complexes du milieu professionnel.
« il m’a tué »
Tout au long de la formation, la pression des collègues va ainsi venir perturber l’apprentissage. Mais elle va aussi en être un appui. Nous allons observer, dans une autre demande de A concernant une nouvelle sur-correction de B, l’exploitation qui peut être faite de la réaction de B lorsque celui-ci peut être présenté non comme adversaire mais comme adjuvant dans le processus d’apprentissage.
E aborde la onzième séance en se plaignant de B qui lui a fait remarquer, à propos d’un produit dont ils discutaient la référence, que A ne devait pas dire référent mais référence. La remarque de B ne lui plait pas et il l’exprime très crûment :
32Amaintenant je comprends pas pourquoi il m’emmerde maintenant33Eben il vous emmerde maintenant parce qu’il veut voir du résultat034Aoui / mais là35Eil veut voir du résultat votre chefE a décelé l’origine du problème et l’explique à A qui en conteste la validité dans la circonstance évoquée car cette attitude est blessante (43 : il m’a tué) ce qui sous-entend entre eux un problème relationnel, non un problème rationnel.
Cependant, cette fois-ci, E ne marche pas dans le sens de A. Il infirme l’impression de A, dit combien B respecte A (45), ce qui oblige A, pouvant prendre cette défense comme une attaque – puisqu’il se plaindrait indûment de B – à affirmer lui aussi son respect pour B, qu’il ne considère pas dans sa relation hiérarchique, mais comme une personne.
51Aje vois B pas comme chef / je vois comme une personne E va se proposer de justifier B, en montrant la différence qu’il y a entre référent et référence.
Cela l’engage d’abord à un long excursus sur la notion de différence et sur les emplois de différent et de différence. Lorsque E aborde à nouveau la notion de référence, A situe la contestation de B, qu’il trouve gratuite, du fait que cela ne change rien pour le sens. L’assurance contraire de E (429) et sa proposition d’examiner la question ne semblent pas ébranler A.
424A \ il veut pas / il faut que je parlé / référen/ce425Eoui426Apa’qu’ sur les command’ / tout ça / y’a référence à mettre / tout ça /427Emais oui / il raison de dire / on ne dit pas référent on dit référence /428Aréféren/ce429Eparce que / il y a une différence entre référent et référence430Aréférent c’est / il comprend déjà référent40431E/432Aparce que j’ai pas dit différent / j’ai dit référen/ce433bon / parce que il comprend / mais voulé ajouter simplement434E/435Ahein / référent “! 436Ebon / on va d abord revenir sur votre \437Aouohhh boof438E\ non non / non non / parce que c est intéressant /Il n y a pas ici, en effet, de différence pragmatique dans les deux phonies et la situation lève toute ambiguïté XE "ambiguïté" . E dérive d’un travail sur les processus de la parole vers un travail sur les processus de la langue. Car il va devoir construire une autre situation pour asseoir son exemple. E glisse ainsi d’un objectif pragmatique à un objectif linguistique et provoque une observation syntaxique qui ne sera en définitive pas probante puisqu’il devra revenir à un contexte pragmatique pour faire comprendre la différence des phonies.
Bien que l’échange intermédiaire ne soit pas sans intérêt pour nous, nous devons dire que E aurait gagné à passer directement au mode d’explication pragmatique et à s’appuyer sur d’autres exemples pour asseoir son explication syntaxique et grammaticale qui restait, d’ailleurs, prématurée.
9.1.2. Face et relation pédagogique
A met en pratique de façon rigoureuse pour ses apprentissages la notion de pertinence : il considère exagérées les corrections de ses collègues au regard des enjeux de communication qui les provoquent. Son niveau linguistique ne lui permet pas de partager encore leur système de référence. Il en reste au sien, qui est pragmatique. Ne comprenant pas le leur, plus complexe et plus élaboré, il ne peut admettre leurs corrections comme des offres de collaboration. Il est très net pour lui que l’évaluation de ses collègues mêle jugement de valeur sur la qualité de sa communication et jugement de valeur sur la qualité de sa personne. Il marque ainsi sa propre inquiétude devant sa capacité, en tant qu’adulte quadragénaire, à apprendre.
Or A retrouve cette situation humiliante dans la communication didactique par l’insistance du formateur à rectifier ses négligences, ses approximations, et à tenter de lui faire progressivement prendre conscience de ses lacunes, de leurs causes et de la façon d’y remédier.
Ainsi, lorsque A est repris pour l’imprécision de son vocabulaire, il cherche à produire un terme attendu en sur-valorisant cette production pour faire plaisir au formateur ou pour montrer sa bonne volonté. Le travail du formateur est de calmer cette inquiétude pour mettre à l’aise l’apprenant mais la nature même de ce travail met le formateur dans une certaine contradiction. Il ne peut que réactiver sans cesse cette inquiétude. Si l’apprenant ne distingue plus, dans la motivation du formateur qui contrôle sa production, la volonté d’humilier du désir de comprendre et si le formateur ne réussit pas à rapidement lui faire comprendre en quoi le sens est en jeu dans ces exigences formelles, alors la relation risque de se détériorer. Lorsque A comprend ce que la correction sur l’indiquant XE "indiquant"  modifie de l’indiqué XE "indiqué" , la relation avec E se renforce. Cette relation se distend au contraire quand la rationalité de la démarche, c’est-à-dire sa pertinence pour A, n’est plus si nette. Trop souvent pour A, et il l’exprime régulièrement, l’activité proposée paraît un peu trop « loin », c’est-à-dire un peu trop difficile et d’une pertinence contestable. Il n’y a pas de plus juste expression pour exprimer que les activités proposées sont au-delà de la zone proximale de développement de l’apprenant. XE "sens:rapport social" \r "rapportsocialb" 
9.2. La contribution à l’établissement du sens
9.2.1. Phonie et contribution au sens
La phonie contribue à l’établissement du sens en ceci d’abord que comprendre c’est entendre. Si mal parler c’est être mal compris, mal parler c’est d’abord n’avoir pas entendu ni n’avoir su écouter. L’écoute aussi est un apprentissage et un savoir de base. Chez l’enfant, ce savoir-là s’exerce naturellement puis, lorsqu’il est devenu adulte, s’oublie. L’acquisition d’une langue se fait par un apprentissage naturel chez l’enfant, guidé cependant en permanence par les adultes. L’acquisition chez de très nombreux adultes est plus lente et moins complète et, si l’adulte ne veut pas que sa compétence se fossilise dans des réalisations incomplètes, il doit passer par un apprentissage guidé, c’est-à-dire une mise en œuvre consciente et méthodique des processus intellectuels qui étaient dans son enfance spontanés et inconscients. Les premiers et les plus importants de ces processus concernent les phonies. Tous les autres s’y appuient comme le cheval sur ses quatre sabots.
Entendre
On marque que l’on entretient de bons rapports avec quelqu’un, en reconnaissant que l’on s’entend bien avec lui. Un bon accord ne scelle-t-il pas une entente ? On tope là, dans la main, ou l’on convient que c’est entendu. Celui qui parle d’une chose sans la connaître n’y entend rien. Et si l’on a mal compris, on lui demande de répéter parce qu’on a mal entendu. On présume les conséquences attendues d’une action, comme de bien entendu. Alors, on écoute attentivement. Et l’on admire chez les personnes sociables qu’elles savent si bien écouter, l’autisme, le fait de rester enfermé dans son monde intérieur, étant le comportement de ceux qui n’écoutent pas les autres, forme extrême de l’égocentrisme. On peut voir ainsi que les conséquences pour la communication de ne pas être compris se ramènent au fait de ne pas entendre.
Ecouter
Et pour entendre il faut écouter. Il est intéressant d’observer que le premier conseil des collègues de A est celui de bien écouter... le formateur. Or il y a beau temps que A n’entend pas ce qu’on lui dit parce qu’on ne lui a pas appris à écouter. Sa langue est le symptôme de son oreille. Sa parole permet d’analyser ce qu’il n’a pu entendre ni su écouter. A ne manque pas de bonne volonté. Il manque de savoir-faire. Et A ne sait pas écouter, non pas parce qu’il aurait un défaut d’oreille, un handicap mental, mais parce qu’il ne sait pas. Ecouter est un savoir, un savoir de base. Ecouter s’apprend.
Or, de tous les savoirs de base de la communication, il est rare qu’écouter soit correctement évalué. Les méthodes audio-orales, certes, l’ont remis en honneur. Mais il n’est pas sûr que celles-ci soient appliquées dans toute leur rigueur dans l’enseignement initial et, dans un cours de français langue étrangère pour publics migrants, une telle application rigoureuse devient rapidement contre-productive. Le support audio-oral, comme tout support dans ce contexte, vaut surtout comme support déclencheur ou à l’appui de certaines activités, il est difficile d’en faire le pivot de la méthodologie. C’est la communication de classe XE "communication de classe"  qui nous paraît le support audio-oral le plus pertinent.
Dans cette communication, l’attention aux questions de l’écoute est trop rapidement réglée. On croit que lorsqu’un migrant adulte est capable de communiquer malgré ses persistantes lacunes phonétiques, un simple ré-entraînement imitatif suffit à remettre les choses en place. Il n’en est rien : ce n’est pas d’abord à produire et à répéter qu’il faut inviter l’apprenant, c’est à écouter et à entendre.
Or ce n’est pas un savoir qui s’enseigne. C’est un savoir qui se construit. Avant de montrer comment cette construction peut se réaliser dans la relation didactique, nous allons illustrer cette incapacité à entendre par un exemple tiré du corpus, qui ne manquera pas de surprendre plus d’un didacticien, puisqu’il concerne en quelque sorte le B.A-BA des méthodes d’enseignement traditionnelles et des méthodes dites communicatives.
9.2.2. Entendre
Dans la communication exolingue, ne pas comprendre, cela s’appelle ne pas entendre, c’est-à-dire d’abord ne pas savoir distinguer les phonies.
E écoute A : comment l’entend-il ?
On en trouve une bonne illustration dans la onzième séance, et dans l’emploi de formes verbales actives ou passives qui relèvent encore, in fine, d’une distinction pragmatique.
Interrogeant A au sujet d’une photo collée sur un support dans la salle de cours, E lui demande ce qui est collé sur le support, et A comprend que E demande qui a collé quelque chose sur le support.
650Equ’est-ce qui est collé dessus 651Ac’est moi qui collé dessus652Enon j’ai pas dit qui est qui colleLa réponse de A est interprétable, dans le seul contexte linguistique, comme : « C’est moi qui [suis] collé dessus » (= c’est moi qui suis représenté sur la photo), puisque l’énoncé répond à la question qu’ est-ce qui est collé. Pourtant, la photo représente une jolie fille vendant un produit de mode. A se souvenant bien avoir lui-même collé cette photo sur son support. Sa réponse n’est interprétable, dans la situation, que comme : « C’est moi qui (ai) collé (la photo) dessus (le support) ».
La schématisation de ces deux énoncés :
{c’est moi qui __ collé} ~|est| ou : (c’est moi qui __ ) ~|est collé|
{c’est moi qui __ collé} ~|a | ou : (c’est moi qui __ ) ~|a collé|
ou : (c’est moi qui __ collé) ~|est| |a| ou : (c’est moi qui __ ) ~|est collé| |a collé|
font ici de est et de a les caractéristiques de la dimension (c’est moi qui __ Xé), où X est un procès.

Or la différence de caractéristique dans l’univers de discours de l’indiquant marque une différence de valeur dans l’univers de discours de l’indiqué, qui se traduirait par :
(c’est moi qui ) |sujet| |procès| |coller| ou : (référent) |sujet| |procès| |coller|
(c’est moi qui) |objet| |procès| |coller| ou : (référent) |objet| |procès| |coller|
de sorte que c’est la seule différence phonétique, dans une même position syntaxique, entre [e] et [a] qui va marquer l’opposition de sens :
/sujet du procès / vs /objet du procès/
ou : /acteur/ vs /agent/.
Cette valeur n’est pas, ici, perçue par A, c’est-à-dire entendue par A. Elle n’est donc pas re-produite. N’étant pas reproduite, c’est la seule dimension (référent) de l’UDiqué qui est interprétable, mais de façon ambiguë, et c’est bien la situation qui va devoir en produire la caractéristique /sujet/ pour en résoudre l’ambiguïté.
A écoute E : l’entend-il ?
Or, d’où vient l’origine de l’ambiguïté de la réponse de A ? De ce que, de même que, dans de nombreux énoncés, les valeurs /procès actif/ ou / procès passif/ ne sont pas identifiables pour A, parce que non distinguées, de même ces valeurs ne sont pas distinguées dans la question elle même : qui est-ce qui est collé, et qui est-ce qui a collé, qui sont entendus par A comme deux énoncés identiques. A n’entend que : qui est-ce qui collé.
Son niveau en langue le maintient alors dans la nécessité de donner priorité à l’interprétation pragmatique sur toute autre. Une sorte d’organisation préférentielle de l’interprétation l’invite à privilégier, dans un procès, le sujet sur l’objet, et, dans une telle situation, lui-même comme sujet plutôt que quiconque.
A reste centré, concentré, sur lui-même et sur ce qui est le plus proche de lui ( proche équivalent pour lui à facile, et lointain ou loin, à difficile). A écoute bien mais n’entend pas tout, en raison même de son attention prioritaire. A, dans cette situation, n’a pas appris à écouter.
E invite donc A à entamer un processus de décentration. Il s’appuyera sur la lecture des énoncés produits pour l’aider à entendre et comprendre la différence entre deux énoncés assimilables. XE "phonie:contribution" 
9.3. Ecouter
Ainsi, il n’est que d’écouter A pour comprendre qu’il n’a jamais su entendre de nombreuses phonies et qu’il n’a jamais appris à les écouter. C’est essentiellement par l’écoute du discours de l’apprenant que l’on prend la mesure des difficultés phoniques qui sont à traiter et que l’on décèle à travers ses difficultés de prononciation, aux sons qu’il supprime dans la déroulement de la chaîne parlée, au regard de ce qui a dû lui être proféré, son niveau d’écoute.
Ces difficultés relèvent de plusieurs niveaux d’analyse de la phonie :
Niveau phonétique : prononciation des [s], [ƒ], [z], [’], assimilation [Y][e][µ], assimilation des nasales, viduité du [r]
Niveau lexical : assimilation de lexies complexes (légèrement, au fur et à mesure, tout autour, etc.), apocope des finales, morphologie verbale, assimilation de morphèmes lexicaux.
Niveau syntagmatique : assimilation de syntagmes complexes à un syntagme simple, élision des déterminants
Niveau syntaxique : ordre des mots, emploi des prépositions.
Niveau discursif : emploi des connecteurs logiques, des conjonctions, des adverbes de phrases, etc.
De très nombreux échanges, régulièrement, tout au long des séances, rendent compte de ces divers phénomènes. Nous allons les examiner à leurs différents niveaux.
9.3.1. Le niveau phonétique
Le but de la formation de A est la transformation d’une action  et de sa reproduction : la prononciation. Il doit pour cela passer par une appréhension nouvelle d’un état de choses, l’existence de phonies signifiantes, dont il n’a pas encore reconnu la valeur, et la maîtrise de leurs règles de production. Cette appréhension passe par une expérience et une réflexion sur cette expérience. Elle passe par une appropriation à la fois physique et cognitive des règles d’action de ce domaine d’expérience. Les moyens didactiques de formation en ce domaine sont la correction et la répétition phonétiques.
La correction phonétique
Analyse de l’action XE "analyse de l’action:correction phonétique:" 
L’action de correction s’insère en général comme diversion dans une action en cours, (orale, lecture) qu’elle suspend par une interruption provisoire.
Elle se réalise sur le modèle de l’unité TOTE XE "modèle TOTE"  (Miller, Galanter, Pribram TA \l "Miller, Galanter, Pribram" \s "Miller, Galanter, Pribram" \c 1  1960), comme typique, dans l’activité linguistique, de la forme réflexe de ce modèle (Bange TA \s "Bange"  1992 : 81). La première phase de test ou action est, ici, la production par A d’une phonie. La phase opérationnelle ou réaction est l’imitation par A, à l’identique, de la phonie. La deuxième phase de test ou évaluation s’exprime pragmatiquement par une mimique (hochement de tête, dénégation, moue, regard, etc.) ou linguistiquement par un marqueur d’approbation ou de désapprobation ( hmm, oui, bien, non, encore, etc.) qui clôt l’action et l’oriente soit vers sa répétition, soit vers la poursuite de l’action en cours.
Il s’agit en fait pour E d’aider A à reproduire par imitation les instructions du Plan qui contrôle l’exécution en présentant à A un marqueur de réussite ou d’échec.
Analyse de l’indication XE "analyse de l’indication :correction phonétique" 
Cette production du signe est mise en relation avec un référent concret qui est l’appareil phonatoire perçu dans ses dimensions sensibles et kinésiques, dans son organisation spatiale et temporelle. De sorte que l’indiquant fonctionne ici comme « sens » pour une certaine configuration de l’appareil phonatoire, fonctionnant alors comme matière ou comme indiquant.
Les commentaires sur l’ouverture de la bouche, la position des lèvres, de la langue, etc., fonctionnent alors comme explicitation ou comme paraphrase de la situation, explicitation des présupposés fonctionnels et physiques qui déterminent la phonie correcte, « signifiante », ou incorrecte, « non signifiante ».
Il s’agit ici du sens non pas du signe, mais de l’action, c’est-à-dire de sa réussite ou de son échec. La réussite, qui est réalisation du but de l’action, est son sens, l’action elle-même étant l’indiquant de celle-ci.
En outre, l’indication consiste ici à permettre à l’apprenant d’écouter d’abord, de prononcer ensuite, des sons qui, dans la langue d’apprentissage, sont distingués et distinctifs parce que signifiants, tandis que, dans sa propre langue, ils ne sont pas distingués ou, s’ils le sont, ils ne sont pas distinctifs. Il apparaîtra en outre que ces sons du français sont souvent absents de la langue de l’apprenant, en particulier dans le domaine du système vocalique qui est en français beaucoup plus développé que dans les langues de nos publics migrants : langues africaines (soninke, bambara, ouoloff, peuhl, etc.), langues nord-africaines (arabe populaire – marocain, algérien, tunisien –, berbère, kabyle), langues asiatiques, autres langues européennes, langues indiennes (tamoul et cinghalais particulièrement).
Enfin cette écoute et cette production, pour qu’elles s’insèrent dans un véritable processus d’indication et non de simple imitation, doivent se fonder sur des exemples dans lesquels la seule variation de la caractéristique modifie le sens de l’ensemble de la phonie. Ce travail est ainsi facilité par la compétence de communication déjà élaborée, mais il nécessite pour le formateur une recherche supplémentaire dans la délimitation de ses univers de discours de l’indiqué, afin que l’exercice prenne sens pour l’apprenant et ne paraisse pas artificiel.
Dans notre corpus, cette exigence se manifeste particulièrement à travers les exercices de répétition phonétique, mais plus encore à partir du travail de la morphologie verbale.
La répétition phonétique
La seule forme réflexe et subsidiaire de correction phonétique, pour des apprenants comme A, est tout à fait insuffisante à corriger en profondeur son action. Pour reproduire durablement les instructions du Plan qui contrôlent l’exécution et surtout pour assimiler les savoirs associés à l’Image de l’action proprement dite et dont les vocables s’intègrent au Plan (Bange 1992 : 81), l’action doit prendre aussi les formes « information » et « contrôle » du modèle TOTE XE "modèle TOTE" . Or le Plan et l’Image se réfèrent à un système complexe réalisé par la parole dans la situation ou dans le contexte, mais dont la cohérence ne peut se construire que dans la langue, donc dans une grande variété de contextes et de situations. L’apprentissage ne peut donc se faire en un jour et il est d’autant plus freiné pour des adultes migrants que leur performance s’est figée ou fossilisée dans des comportements durablement installés.
Il est nécessaire de procéder ainsi à des exercices structurés et systématiques de répétition phonétique, qui devront s’appuyer en outre sur le code graphique et sur des activités de dictée réciproque.
Analyse de l’action XE "analyse de l’action: répétition phonétique" 
Dans les exercices systématiques de répétition phonétique, tels qu’ils se développent dans la première séance, le même tour de parole peut être reproduit plusieurs fois, formant ainsi une séquence autonome. Le modèle TOTE XE "modèle TOTE"  se reproduit ainsi, comme répétition du même test.
Le tour de parole XE "analyse conversationnelle:tour de parole"  a une structure au minimum binaire (action, réaction), les phases d’évaluation et de clôture (exit) se réalisant pragmatiquement, et au maximum quaternaire (action, réaction, évaluation, exit), la structure ternaire réalisant linguistiquement soit la phase d’évaluation, soit la phase de sortie, l’autre se réalisant pragmatiquement.
La séquence réussie ou manquée peut donner lieu à la production d’une nouvelle séquence de même structure mais dont le thème (ou la dimension) est modifié partiellement ou totalement. Elle prend l’allure d’une succession de tests différents, répétés eux-mêmes plusieurs fois. Ainsi, le tour de parole suivant, syntaxiquement adjacent et pragmatiquement coordonné, peut se construire en répétition, en complémentarité, en contraste ou en opposition avec le précédent. Il constitue ainsi une séquence nouvelle, soit complémentaire de la première, soit contrastée ou opposée à celle-ci. Le lien de coordination est ainsi un lien formel et un lien logique. Il n’y a jamais rupture thématique ou focale.
Ainsi se constituent des séquences coordonnées de tests et d’opérations, constituées de sous-séquences hiérarchiquement structurées par des mécanismes d’enchaînement ou de concaténation (ibidem : 83-84).
Analyse de l’indication XE "analyse de l’indication:répétition phonétique" 
Dans la forme informative et de contrôle du modèle TOTE, les commentaires vont jouer un rôle important mais ils doivent s’appuyer, dans l’espace didactique, sur une présentation des contenus dans des univers de discours XE "univers de discours"  pertinents pour l’apprenant : il faut que celui-ci sente immédiatement en quoi la prononciation d’un indiquant modifie immédiatement l’indiqué. L’exercice vise à terme à ce que l’apprenant lui-même fasse l’évaluation de l’opération qu’il effectue.
Les suites de séquences sont coordonnées entre elles soit par la répétition d’un même indiquant, soit par une mise en relation de ressemblance ou de concomitance de cet indiquant avec un indiquant nouveau avec lequel il entretient plusieurs ressemblances et au moins une différence significative : c’est-à-dire qui modifie la signification des deux unités considérées.
Ces séquences répondent à des normes de déroulement très strictes puisque l’apprenant doit savoir par convention, pour le percevoir ou pour le reproduire correctement, à quel moment il y a modification de l’indiquant : il peut alors évaluer lui-même la modification de l’indiqué. S’il la perçoit, il a perçu la modification de l’indiquant. S’il ne la perçoit pas, il peut évaluer lui-même l’échec de son écoute.
Univers de discours UDiquantUDiquéphoniquegraphique[leƒã]les champs/terrains réservés à l’élevage ou à la culture/[le’ã]les gens/les autres personnes/[lezã]les ans/les années/
L activité, par ailleurs, donne lieu à des commentaires métalinguistiques, à des évaluations, à des descriptions, qui maintiennent la cohérence par les caractéristiques répétitives de l’action, par le maintien des buts de l’action, ou par des marqueurs de cohésion dans les passages d’une sous-séquence à une autre.
Ainsi, la réalisation du but s’organise, selon des étapes, à travers des actions à but immédiat qui sont la reproduction d’une phonie.
La tâche immédiate est focalisée sur l’indiquant tandis que le commentaire l’est sur l’indiqué qui reste en relation avec d’autres indiquants formant des univers de discours.
L’activité de répétition phonétique s’organise ainsi selon un plan séquentiel très stéréotypé, en trois temps : action de A, réaction de B, évaluation de A qui ouvre soit sur une répétition de la même séquence, soit sur l’ouverture d’une nouvelle séquence identique dont le thème seulement est modifié.
Dimension et caractéristique
Les notions de dimension et de caractéristique (voir Chapitre 4) permettent bien de rendre compte du déroulement d’un exercice de correction phonétique. Il s’agit dans un tel exercice de constituer des univers de discours, lexicaux, syntagmatiques ou phrastiques, dont soit la caractéristique, soit la dimension sont communes.
Ainsi, dans la séance 1A, l un des premiers exercices traite de l UDiquant des phonies {[s], [’], [’], [z]} qui se réalise à travers des univers lexicaux ou syntagmatiques plus larges :
{les yeux, les jeux, les Sufs, } et
{les champs, les gens, les enfants, chambre, sambre, jambe}
dont la structure de base est fondée sur les caractéristiques :
~|[s]|, |[’]|, |[’]|, |[z]|
et sur les dimensions :
([le]__[ÿ]) ou sa variable ([le]__[jÿ]), pour {les yeux, les jeux, les Sufs, }, soit :
([le__ÿ]) ~ [z] , ([le__ÿ]) ~ [’] , ([le__jÿ]) ~ [z]
et  ([le__ã]) pour les champs, les gens, les enfants
ou ([__ãbr]) et sa variable ([___ãb]) pour chambre, Sambre, jambe, soit :
([__ãbr]) ~ [’], ([__ãbr]) ~ [s] , ([__ãb]) ~ [’]
que l on peut formaliser en deux ensembles :
([le__ÿ]) ~ |[z]| |[’]| |[z] (__[ãbr]) ~ [’]| |[s]| |[’]|
Selon l organisation des séries, le(s) phonème(s) travaillé(s) peu(ven)t jouer soit comme caractéristique, soit comme dimension. Ainsi la répétition du même phonème, dans un univers de discours de l indiquant tel que [’] dans {chambre, cache, riche, lâche} fait jouer le phonème comme dimension (__[ƒ] __) dont on fait varier les caractéristiques |__ambr|,|ka__|,|ri__|,|la__ | :
(__[ƒ] __) ~ |__ambr| | ca__| | ri__| | la__|
Au contraire, dans {chambre, Sambre, jambe}, c’est {__amb__} qui joue comme dimension, et [ƒ] intervient comme l’une des caractéristiques, avec [ƒ], [’] et [s] :
(__amb__) ~|[’]__[r]| |[’]| |[s]__[r]|
L exercice phonétique consistera donc en une action de production d éléments d univers de discours organisés par une dimension commune de l indiquant dont on fait varier séquentiellement la caractéristique. L’ensemble de ces caractéristiques forme à son tour des univers de discours de l’indiquant, constitués soit en complémentarité, soit en opposition ou en contraste. Dans ce dernier cas, ils forment à leur tour un sous-ensemble d’univers de discours de l’indiquant : une dimension commune les relie, et ils varient par leurs caractéristiques. Ainsi |[ƒ]||[’] ||[s] | ont pour dimension commune {palatale} et pour caractéristique la variation de leur point d application :
{palatale} |labial || sifflante| pré-labial|
Ces caractéristiques sont opposées deux à deux dans la séquence, qui comprend ainsi un minimum de deux tours de parole :
T1Action E(dimension A)caractéristique aRéaction A(dimension A)caractéristique aEvaluation +T2Action E (dimension A)caractéristique bRéaction A(dimension A)caractéristique bEvaluation +ou bien :
T1Action E(dimension A)caractéristique aRéaction A(dimension A)caractéristique aEvaluation +T2Action E (dimension B)caractéristique aRéaction A(dimension B)caractéristique aEvaluation +Enfin, une bonne maîtrise des deux procédures précédentes permet aussi de croiser dans la succession des tours de parole deux univers de discours dans lesquels intervient la même phonie XE "phonie"  comme dimension dans l’une, comme caractéristique dans l’autre :
chambre, Sambre, sombre, zombie, jambon, etc…
De telles alternances nécessitent cependant au minimum trois tours de parole en processus inductif et quatre ou plus en processus déductif, puisque la variation de X, caractéristique de T1 devenue dimension de T2, constitue un des deux univers homologues de discours dont il est nécessaire d’expliciter au moins l’un des ensembles complémentaires de l’indiquant ou de l’indiqué, soit sous le schéma :
T1aAction E(dimension A)caractéristique xT1bRéaction A(dimension A)caractéristique xEvaluation +T2aAction E (dimension X)caractéristique yT2bRéaction A(dimension X)caractéristique yEvaluation +T3a(dimension A’)caractéristique xT3b(dimension A’)caractéristique xEvaluation +qui commande le quatrième tour inductif :
T4aAction E(dimension X’)?T4bRéaction A(dimension X’)caractéristique yEvaluation +ou le quatrième tour imitatif / déductif :
T4aAction E(dimension X’)caractéristique yT4bRéaction (dimension X’)caractéristique yEvaluation +La cohérence et la coordination entre les séquences sont assurées, par le maintien de la même dimension, dans une succession de deux phonies comportant des caractéristiques différentes, ou par le maintien de la même caractéristique dans une succession de deux phonies comportant une dimension différente. XE "caractéristique et dimension" \r "caractdimensb" 
9.3.2. Le niveau lexical
Assimilations d’unités lexicales
Les phénomènes d’assimilation lexicale, que l’on observe au sein de sous-unités du système phonétique, telles que les palatales ou les voyelles ouvertes (ou d’apocope, particulièrement de la finale non accentuée) s’observent encore au niveau supérieur des unités lexicales composées. Là aussi ils perturbent l’écoute, c’est-à-dire la compréhension de l’interlocuteur occasionnel, mais ils la troublent moins dans le cas d’un locuteur habitué à cette communication exolingue, surtout quand il peut solliciter des séquences d’explicitation. Cependant, il est souvent nécessaire, lors des premiers échanges, et tant qu’il n’y a pas eu familiarisation, de passer par de tels échanges sinon la communication reste bloquée. Or ces échanges nous éclairent bien sur la façon dont le processus de l’indication joue en de tels contextes. Nous pouvons l observer dans deux cas qui, d ailleurs, se rencontrent au cours de la même phase d explication (5A 163 sq) :
[lYsµrmã]= / le serrement / légèrement = [le’µrmã]
et [syrmYzyr] = / sur mesure / au fur et à mesure/ = [ofyreamYzyr]
Cas 1 : [lYsµrmã]= / le serrement / = [le’µrmã] = légèrement
Au cours de la cinquième séance et de la troisième activité, consacrée à la lecture du deuxième texte composé par A chez lui, celui-ci décrit le processus de l amorce :
163A On préparation / des tirages / on fait une morce 164Eune amorce /165Aune amorce / un côté / et puis/ on ou / ou / ouvert166Eon ouvre 167Aon ouvre // ouvert168E ah oui / on ouvert / oui / vous avez raison /169Aon ouvert / [? ? ? ? ? 170Eouais171Ale euh / le serrement / serrement / / ben on peut faire lire en172Emmh173Aliaison avec ça // légèrement / le support / parce qu’il est / adhésivé / un seul morceau /On prépare le tirage. On fait une amorce sur un côté et puis on ouvre légèrement le support.La transcription n’est pas passée par le code API pour reproduire la phonie, dans la mesure où un sens immédiat peut lui être donné : on ouvre le serrement, interprétable comme /on « dé-serre »/. Cependant le contexte suivant ne valide pas cette interprétation : on ouvre le serrement le support, dans la mesure où il y a juxtaposition de deux groupes nominaux sans préposition de liaison. Mais c’est un procédé courant chez A, de sorte que, là encore, un auditeur habitué peut interpréter immédiatement la phonie comme : on ouvre le serrement du support, c’est-à-dire : /on « dé-serre » le support/. Or, au moment de cette contextualisation, A se corrige lui-même et rectifie la phonie en sa valeur intentionnelle légèrement.
Cependant un peu plus loin (5A 988), A renouvelle l’erreur de prononciation sans se corriger, et E ne le relève pas, laisse courir, et la transcription suppose de la part du lecteur qu’il fera lui même la correction.
Cas 2 : [ssrmYzsr] = / sur mesure / = [ofsreamYzsr] / au fur et à mesure/
A introduit une nouvelle approximation (990) avec sur mesure. Elle sera rectifiée en au fur et à mesure (994), qui s associe dans le discours de A fort naturellement avec légèrement.
L indication illustre le processus correct d’interprétation d’une phonie incorrecte en appui sur le contexte et sur la situation. Ces derniers rendent disponibles à une rapide actualisation un certain nombre de phonies et de sens constituant les univers de discours les plus accessibles de ces contextes et de ces situations. Ainsi l’opération d’adhésivage est une opération méticuleuse qui demande donc du soin, de la lenteur, de l’attention, et qui associe chez l’opérateur deux mouvements simultanés : l’un de décollement de l’adhésif, l’autre de commande de l’avancée des rouleaux et du support.
L’indiquant sur mesure, correspondant à l’indiqué /à la mesure exacte/ éveille les univers de discours du contrôle de dimension, de vérification, qui induit des actes ou des objets spécifiques : règle, mesures, nombres, etc. Or A n’est pas engagé dans une telle opération. Celle-ci à été déjà effectuée. Un autre univers de l’indiqué s’est constitué avec légèrement : celui de la méticulosité, qui renvoie bien à l’opération décrite.
On peut construire la représentation du processus d’indication XE "indication"  comme suit :
Le discours est associé à la description d’un ou de plusieurs mouvements, à l’univers référentiel des procès.
UDiquantUDiquépasser la main
amorcer
tracer les doigts
à gauche
à droite/procès/
/espace/
/mouvement/ L’indiquant légèrement renvoie bien à cet univers de discours pour qualifier un type de procès, de mouvement dans l’espace :
il tombe légèrement
nous le coupons légèrement.
il tire légèrement sur son cigare.
UD-indiquant XE "indiquant" UD-indiqué XE "indiqué" passer la main
amorcer
tracer les doigts
à gauche
à droite/procès/
/espace/
/mouvement/légèrement/ manière d’exécuter un procès//méticulosité/L’interprétation de [lYsµrmã] comme /action de serrer / inclut l indiqué dans cet univers de discours. Cependant la construction syntaxique de [lYsµrmã] ne semble pas en faire une détermination d une entité (un complément de nom), mais une qualification d un procès et une fonction syntaxique adverbiale : [le’µrmã] = légèrement
UDdiquantUDdiqué[lYsµrmã]
le serrement/procès/
/espace/
/mouvement/
/qualification/

UDdiquantUDdiqué[lYsµrmã]
[le’µrmã]/procès/
/espace/
/mouvement/légèrement/adverbe/Or l indiquant sur mesure s’associe mal à un tel univers de discours.
Certes, en renvoyant à l’univers du vêtement, il est associable au procès de la coupe, du dessin, de la mesure, et donc de la précision, du chiffre, et à l’univers référentiel des entités, ou des relations spatiales, des dimensions des objets.
UDiquantUDiquésur mesure/vêtement/, /procès/ v /entité/, /précision/, /chiffre/On dit en effet :
couper un costume sur mesure ; essaie-là, c’est une robe sur mesure
Cependant ses emplois restent limités à cet univers, dans des contextes linguistiques et dans des situations relativement peu variées, et qui ne s accordent pas avec la situation ni avec le contexte présent d émission.
UDiquantUDiqué[lYsµrmã]
le serrement
[le’µrmã]/procès/
/espace/
/mouvement/légèrement/adverbe/[ssrmYzsr]/ doux/
/ lent /
/ délicat /
/ prudence /au fur et à mesure
C est pourquoi [ssrmYzsr], réinterrogé dans ses caractéristiques et dimensions au sein d un univers du discours de l indiquant plus important, permet d’introduire au fur et à mesure, qui s’accorde mieux avec l’univers de discours de l’indiqué qui prend, dans le contexte de deux mouvements associés, une valeur de qualification du procès comme /délicat/, au fur et à mesure prenant par ailleurs une valeur de /régularité/.
UDiquantUDiquélégèrement(précision) |procès||douceur|sur mesure(précision) |entité||chiffre|Ainsi dans les exemples :
ce costume coupé sur mesure pour toi est légèrement trop grand pour moi.
elle le porte d’autant plus légèrement qu’il a été coupé sur mesure
Cependant nous restons dans l’univers de la mode, qui n’est pas celui de notre discours.
L’indiquant sur mesure va être associé à l’indiqué /lenteur, méticulosité/ lequel va induire des indiquants qui doivent comporter la dimension ([__sr_mYzsr]) : l indiquant au fur et à mesure comporte cette dimension en se réalisant comme ([__sr__mYzsr]) ~ [of_ea_ ]. Par ailleurs, rien ne correspond dans l univers de l indiqué à la dimension (/méticulosité/) ~, que l on retrouve dans /légèrement/ = /(méticulosité)douceur/, et que l on doit retrouver dans ([_sr_mezsr]) [ _ ] comme réalisation de (méticulosité) /_/
On voit ici que légèrement et au fur et à mesure font partie d un même univers de discours. Ils doivent sans doute revenir régulièrement chez tout descripteur francophone de l’opération d’amorce et d’adhésivage et leur prononciation défectueuse ou apocopée, si elle suspend un moment la compréhension, peut être vite réparée par l’activité hypothétique de l’interlocuteur ou par la correction ou la répétition contextualisée pragmatiquement (gestuelle, tonale).
Ces deux expressions, dans notre corpus, n’apparaissent par ailleurs pas dans d’autres situations.
Familles de mots et finales
On a remarqué que, dans la communication de A, de nombreux emplois assimilent une forme nominale d’un champ lexical pour l’appliquer à sa forme verbale. Ainsi, tout son exposé du processus de fabrication (2A,01-167) comporte très peu de formes conjuguées ? C’est pourtant une nomenclature des opérations qu’il effectue. De fait, il n’a pas l’habitude de décrire son travail et, comme on l’a vu, les réalisations de sa morphologie verbale sont très limitées et se réduisent le plus souvent à la forme infinitive ou participe appliquée à toutes les variétés morphologiques.
On a remarqué aussi que, lorsqu’un champ lexical comporte plusieurs réalisations nominales pour marquer les nuances fonctionnelles traditionnelles de la langue française (action, agent, patient, objet : réglage, régleur, réglé, règle), A n’utilise qu’une seule forme, celle qui lui est la plus familière, pour toutes les nuances fonctionnelles. Cette forme se ramène très souvent à la forme infinitive ou participe qu’il utilise le plus souvent dans cette famille de mots XE "lexique:famille de mots"  ou à une forme nominale familière.
Or ce qui caractérise ces variations dans les champs lexicaux du français, tant pour la morphologie nominale que pour la morphologie verbale, c’est la variation des terminaisons de ces formes qui conservent, en général, la même forme noyau, le radical, support de la valeur sémantique des termes de même famille. On retrouve la structure (dimension) caractéristique comme structure d’organisation des champs lexicaux en français.
Ainsi, l’univers de discours règle, réglage, régleur, réglé, règlement, limité aux termes de la famille de règle qui sont dans l usage professionnel de A, en compréhension comme en expression, peut s organiser et se formaliser ainsi :
UDiquantUDiquéphonétiquegraphique([rµgl]) [Y](règl) e/mettre à la bonne mesure/ /objet pour/([rµgl]) [Y](règl) e/ norme de comportement /([regl]) [a’](régl) age/ mettre à la bonne mesure // action/ /désignation de l action/([regl]) [ÿr](régl) eur/ mettre à la bonne mesure / /action //personne qui accomplit l action/([regl]) [e](régl) er/ mettre à la bonne mesure //action/ /accomplir l action/([regl]) [e](régl) é/ mettre à la bonne mesure //action/ /action accomplie/([rµgl]) [Ymã](règl)ement/norme de comportement/ /ensemble de /Or A aura tendance à réduire l’univers de l’indiqué à un univers de l’indiquant plus limité :
UDiquantUDdiquéphonétiquegraphique([reg:]) (règl) e/mettre à la bonne mesure/ /objet pour/([reg:]) (règl) e/ norme de comportement /([reg:]) [a] (régl) age/ mettre à la bonne mesure // action/ /désignation de l’action/([reg:] )[ÿ](régl) eur/ mettre à la bonne mesure / /action //personne qui accomplit l action/([reg:]) [e](régl) er/ mettre à la bonne mesure //action/ /accomplir l action/([reg:]) [e](régl) é/ mettre à la bonne mesure //action/ /action accomplie/([reg :] ) [mã](règl)ement/norme de comportement/ /ensemble de /Un natif dirait qu ici le [Y] final est apocopé et que le [µ] ouvert est un [e] fermé. Le natif interprète l absence du [l], qui se prononce difficilement en laotien, comme une élision, mais en conserve une trace dans l allongement du [g]. Le [’] de réglage aussi lui paraît élidé, ou transformé en [z], et le [r] de régleur subira le même sort, de sorte que ([rµglYmã] deviendra [ :eg :mã].
Pourquoi A ne reproduit-il pas la phonie selon la norme ? Parce qu’il n’entend pas tous les phonèmes et qu’il ne sait pas les discriminer à partir du système de sa langue, plus réduit que le système du français. Mais aussi parce que, dans les univers de discours familiers de leurs emplois, limités à des contextes et à des situations en nombre réduit, la présence ou l’absence de ces phonèmes n’ont pas de valeur distinctive : ils sont neutres dans ces univers de discours. Même dans des contextes syntaxiques identiques, le recours à la situation suffit à déterminer la valeur des mêmes phonies. A plus forte raison lorsque le contexte syntaxique peut à lui seul orienter l’interprétation. Ainsi, un collègue peut-il demander à A :
Où est la règle ? Qui a fait le réglage ? C’est bien réglé ? etc.
et A ne percevoir, pour ces trois énoncés différents :
Où est règle ? Qui a fait règle ? C’est bien règle ?
Dans ces contextes chacun différent, le seul appui sur la dimension de l’indiquant suffit à en inférer la caractéristique, l’application du principe de pertinence XE "pertinence:principe de"  (équilibre de l’effet et de l’effort) le conduisant à constituer les caractéristiques non pas à partir des finales des vocables, mais à partir de l’entourage syntaxique :
(___ règl) où est la ?
(___ règl) qui a fait le ?
(___règl) c’est bien ?
Ce qui devient distinctif, ce n est pas [Y] / [a’]/ [e], c est : Où est / Qui a fait / C est bien, dont les signifiés /objet/ / lieu/, /personne qui /, /opération/ sont immédiatement perçus dans l univers homologue de l indiqué , par confrontation avec les savoirs sur la langue ou sur la situation d’émission. Ainsi la focalisation sur la terminaison est-elle superflue.
A lui-même peut reproduire dans les mêmes situations des énoncés « fautifs » vis à vis de la norme, que l’on pourrait transcrire :
Où est régué ? Qui a fait régué ? C’est bien régué ?,
Son interlocuteur, dans l’action, ne les percevra pas comme ambigus. Il ne demandera pas d’explicitation, ni ne les reprendra (à moins de vouloir « faire le professeur »)
Des énoncés syntaxiquement identiques, tels que :
Où est la règle ? Où est le régleur ? Où est le réglement ?
constituent un univers de discours de la langue dans lequel les caractéristiques morphologiques seules sont distinctives :
(où est__règl__) la__e
(où est__règl__) le__eur
(où est__règl__) le__ement

A, percevant peut-être, dans l’indiquant, ces caractéristiques, mais ne pouvant les interpréter dans l’indiqué, entend donc, pour trois réalisations différentes, un même énoncé :
(où est__règl__) ?__ ?
(où est__règl__) ?__ ?
(où est__règl__) ?__ ?

Mais ce n’est pas dans la langue qu’il les entend habituellement, mais dans la parole, c’est-à-dire, en fait, dans des univers de discours différents pour chacun, qui lui permettent d’accéder pragmatiquement aux caractéristiques des signifiés portés en langue par les caractéristiques morphologiques des indiquants. Le rôle de la morphologie XE "caractéristique:morphologie"  en tant que caractéristique spécifiant un signifié lui est alors inutile et non pertinent.
Dans le cas d’une interprétation erronée par l’interlocuteur, les explicitations pragmatiques sur le sens de l’énoncé peuvent compenser les valeurs de signifié ou de sens. Les variantes morphologiques portent en effet des valeurs pragmatiquement faciles à transmettre.
Nous voyons donc bien que, dans le recours à la situation et au contexte syntaxique ou discursif, l’application du principe de pertinence n’est qu’un effet de la fonction de la parole à contribuer à la transmission du sens.
En situation exolingue, les stratégies de compensation de nombreux alloglottes confirment bien ce rôle de la parole et de la langue à contribuer à l’établissement du sens. Pour transmettre les dimensions ou les caractéristiques du sens, elles visent à solliciter soit les moyens pragmatiques, soit des explicitations verbales sur la situation et le contexte pragmatique.
Aussi, l’effort de E, au cours de la quatrième séance (4A 655-805), pour faire entendre à A les variations de finales à partir d’un exercice de composition écrite et de lecture, est un premier exercice louable de prise de conscience. Mais cette constitution de séries de finales (-eur, -er, -age, -ment, voir Doc. 9) soit comme dimensions, soit comme caractéristiques des univers de discours de l’indiquant, ne saurait suffire. Une nécessaire application en contextes et en situations ambigus devrait compléter cet exercice.
De même, l’invitation, faite à l’apprenant, à constituer de nouvelles séries dont certains éléments ne lui sont pas familiers et dont il ne peut pénétrer encore de façon réflexe le sens, représentent-ils une première approche encourageante. Mais elle devra être prolongée par des contextualisations et des mises en situation ambiguës, afin que seules les variations morphologiques deviennent distinctives :
4A8ETour tourner + fixe fixer + pédale AHmmETable tabler + pédale + + + A+ + + EPé + 2APédalerEEh oui pédalerASi je trouve pas le mot XE "mot"  après + EAprèsAPédaler + pédaleur + ETrès bienA+ + + EEt là ça existeAÇa existe + et + pédal / pé / pédalageETrès bienAÇa existe + pédalageEOui oui ça existe + essayez de la fabriquer + même si ça + si vous ne l’avez jamais entendu + d’accord +AHmmEAlors vous vous ne les entendez pas parce que pour vous c’est la même chose + vous dites péda / péda / pédal / d’accordAOuiEAlors / que vous entendiez pédaler pédalage pédaleur tout c’est pédaleATout c’est pédale Pédale, que A souligne connaître dans son acception homophobe, comme dans son acception technique du domaine de l’automobile ou de ses propres tâches, permet de produire sur le modèle proposé : pédaleur et pédalage. A, cependant, dit n’avoir jamais entendu ces termes, et ne pas pouvoir leur attribuer un sens. Elles sont pourtant familières au langage de la pratique du vélo, thème courant des conversations, chaque année, pendant le Tour de France.
Ainsi, les seules affirmations que le Français ne comprend pas (849,853,859), jointes à la seule consigne d’ « appuyer sur les finales » (863), sont insuffisantes pour que A modifie son comportement concernant les variations lexicales :
Emais le Francais, lui, il ne dit pas la même chose quand il dit pédaler, je pédale, prenez le pédaleur, il fait le pédalage, +A+2Eet comment on voit la différence + elle est où la différence + A+Eelle est sur les dernières syllabesAouiEpéda-le + péda-ler + péda-leur + péda-lageA+Ealors si vous vous mettez l’accent sur l’avant-dernière syllabe + péda‘!le + péda‘!ler + si vous vous faites péda‘!le“! + péda‘!leur“! + péda‘!lage“! + heinAhmmEcelui qui vous écoute + comment il fait + il entend que le haut il va pas entendre le bas + surtout que vous avez une voix qu est grave heinA+Evous avez un voix qui est graveAhmmEdonc il faut appuyer sur les finales
+
on est d’accord +AouiIl sera donc nécessaire, pour modifier le comportement verbal de A, que E constitue des séries d’énoncés possiblement entendus par A ou produits dans des situations et des contextes familiers pour A, variés et dans lesquels seules les finales de l’unité lexicale récurrente pourront être distinctives du sens :

Tu as vu les règles ?
Tu as vu les régleurs ?
Tu as vu les réglages ?
Quel type de réponse à ces questionnements pourra servir d’évaluation de l’action ? Des réponses non équivoques, s’intégrant chacune dans des situations constituant des énoncés comportant la même dimension (lieu) mais des caractéristiques qui s’excluent mutuellement (petit objet, personne, mesures) :

Je les ai rangées dans le tiroir.
Ils sont allés prendre un café.
Ils ne sont pas aux références de la pièce.

ils sont dans le tiroir
ils sont au café
ils sont aux références
oui, dans le tiroir
oui, à la cafétéria.
oui, aux références
 On remarque que les premiers énoncés peuvent être réduits à des énoncés plus simples, et même à des syntagmes, dans lesquels, en définitive, le terme discriminateur est une unité lexicale de valeur référentielle : tiroir, café, références, chacune constituant un univers de discours préférentiel avec une seule des autres unités, mais qui, employée avec les autres, rend l’interprétation problématique.
(tiroir) règles
*(tiroir) régleurs.
*(tiroir) réglages.*(café) règles
(café) régleurs.
*(café) réglages.*(références) règles
*(références) régleurs.
(références) réglages.Il est possible, en imaginant des situations différentes de la situation d’origine, de constituer, à partir de ces structures, des énoncés pertinents. Mais, étant donné le niveau actuel de A, c’est partir prématurément de la langue pour aller à la parole, et non de la parole pour aller à la langue. Ces énoncés risquent d’être très éloignés de la communication habituelle de A et des situations de communication conventionnellement établies auparavant, dans lesquelles un ouvrier produit l’univers de discours des phonies :
(tu as vu____ ?)~|les règles||les régleurs||les réglages|
En appliquant l’apocope ou en réduisant chaque terme de la famille de règle à un seul de ses éléments (par exemple : réglé), les trois syntagmes de chaque ensemble se réduisent à un seul :

(tiroir) réglé
(tiroir) réglé
(tiroir) réglé(café) réglé
(café) réglé.
(café) réglé(références) réglé
(références) réglé
(références) réglé
La caractéristique distinctive de chaque univers de discours est donc annulée. A se trouve avoir réduit neuf phonies, dont trois seulement sont pertinentes pour le natif, à trois phonies dont la caractéristique ne joue plus de rôle distinctif. Ce sont donc les dimensions des ensembles précédents qui deviennent l’élément distinctif entre ces trois phonies et qui changent de statut.
Ce qui est caractéristique pour le natif devient dimension pour l’alloglotte et réciproquement :

(tiroir)|règl|
(café) |régl|
(café) |régl|

(régl) |tiroir|
(régl) |café|
(règl )|référence|

En fait, le processus inconscient d’apocope de la part de l’alloglotte conduit à faire de l’élément référentiel, le plus facilement exprimable pragmatiquement, l’élément distinctif. La fonction distinctive se déplace vers la phonie contextualisante qui peut alors s’appuyer sur un mode pragmatique d’indication pour compenser la perte de caractère indicatif des finales apocopées.
Ainsi, les morphèmes grammaticaux ne peuvent plus contribuer au sens. Les traits distinctifs ou les valeurs qu’ils portent dans règle, réglage, régleur (/objet pour/,/personne qui/, /opération de/) doivent être pris en charge par les unités lexicales du contexte. Encore faut-il que l’univers de discours organisé par le champ lexical recouvre un champ sémantique accessible et préférentiel. A défaut, le recours pragmatique sera nécessaire ou l’explicitation verbale d’autres dimensions de la situation ou du contexte.
Différenciation lexicale : vrais ou faux synonymes ?
Il est courant que la même phonie recouvre pour le francophone le même signifié dans des emplois différents sans en modifier le sens ( sinon secondairement), tandis que pour le migrant, du fait même de ces emplois en contextes ou situations différents, elle devra revêtir des sens différents, donc des signifiés opposés. Ce qui n’est pour nous que variation de situation est pour le migrant variation de sens, véritable homonymie. Il ne lui viendra pas à l’esprit de rapprocher deux mêmes indiquants dans deux univers de discours de l’indiqué différents pour en déceler la valeur commune.
Ce phénomène confirme le rôle de la situation XE "situation:rôle"  dans l’attribution du sens et illustre le mode de contribution de la phonie dans cette attribution. La phonie est un outil propre à spécifier le sens dans une situation donnée et dans celle-là seulement. De sorte qu’évoquer un vocable ou un mot, c’est évoquer plus qu’un signifié, c’est évoquer la situation dans laquelle il est employé. Quand ce phénomène surgit au détour de la conversation avec le migrant, son observation est à ce titre très intéressante.
C’est le cas de la discussion surgie au cours de la deuxième séance, dans la troisième phase de la deuxième activité (reprise par E de la première explication du processus de finition), au sujet du sens de l’emploi de amorce (2A-280/ 376).
Amorce XE "amorce" 
Le cas de amorce surgit à un moment très important pour l’analyse des échanges au cours de cette formation. Les séquences qui concernent ce cas s’insèrent comme stratégie latérale d’explication du terme adhésivage, qui fait surgir un malentendu entre E et A au sujet de la plastification d’un tirage et de la préparation d’un support (2A263-279). E va employer différentes stratégies pour surmonter son incompréhension du processus d’adhésivage. Nous consacrons ci-dessous à ses tentatives un exposé qui constitue le cœur de l’analyse de ce chapitre (voir ci-dessous adhésivage). Nous reportons donc à cette analyse la phase d’ouverture de l’action, dans laquelle apparaît latéralement amorce.
En résumé : adhésivage et plastification, E pense qu’il s’agit de deux opérations différentes. Pourtant, A affirme que l’un ou l’autre « c’est pareil » :
263A Ouais ! soit l’un, soit l’autre ! oui, c’est pareil !264E ..d’accord ? /comment, c’est pareil ? Non, c’est pas pareil !  Ce qui conduit E à demander des précisions au sujet de l’opération qui suit la plastification :
280E \ attendez ! après la plastification, vous faites quoi ? 281ADu tira \ on prépa’ [lamT] ! / prépare [lamTr] un côté comme je vous [di]Analyse de l action XE "analyse de l action" 
L intervention de E pour surmonter ce malentendu (qui ne fera en fait que s accentuer et ne sera levé qu à la fin de la formation) oblige A à détailler une opération qu’il dit avoir déjà évoquée (281 : « comme je vous [di]). » Ce rappel semble échapper à E. Cependant A ne dispose pas du vocabulaire suffisant pour décrire cette opération. Il faudra une succession de séances pour que le formateur, d’une part, comprenne de quoi il s’agit, et, d’autre part, permette à A de verbaliser son action et de compléter linguistiquement l’illustration pragmatique qu’il en fait.
Pour le moment, A ne peut utiliser le terme amorce que dans sa contribution à l’établissement du sens. On peut observer comment s’opère ce processus de contribution XE "contribution"  :
283A L’amorce ! c’est ça ! On prépare, voilà ! 284E Amor-ce !284A [amTrs] un côté ! 285E Amor-ce !A nomme l opération, il l étiquette : l amorce (283).
A signale le sens de l opération par une phonie dont l’interprétation ne peut être que pragmatique (c’est ça !). Il signale ainsi que c’est un référent gestuel, un comportement, qui va montrer le sens à quoi contribue la phonie. Il signale donc la contribution au sens que son geste va donner à la phonie amorce.
A signifie pragmatiquement le sens de amorce, comme une opération transposable, en absence de moyens verbaux, dans un autre code de représentation, le code gestuel :
il mime tenir entre ses mains un cutter, et le faire passer le long d’une surface plane, représentée par le bord de la table devant laquelle il est assis.
A situe cette opération comme phase d’une activité de niveau hiérarchique supérieur : la préparation du support. Il situe ainsi le terme amorce dans l’univers de discours du support.
A signale enfin l’entité sur laquelle s’exerce son geste en la nommant : un côté du support, confirmant l’hypothèse pragmatique suggérée par son geste, et permettant une deuxième fois à une phonie de contribuer à l’établissement du sens .
Analyse de l’indication XE "analyse de l’indication" 
A permet ainsi à E, par des moyens linguistiques à l’appui des moyens pragmatiques, d’élaborer les univers de discours de l’indiquant et de l’indiqué du terme amorce. Ainsi, il suggère à E que le sens de amorce pourrait s’exprimer linguistiquement par /couper le bord de quelque chose/.
Cependant pour E, amorce, catégorie grammaticale des entités, désigne donc un procès, c’est une nominalisation de procès. Verbalisé, il correspond à l’indiquant de catégorie verbale amorcer, qui prend immédiatement pour E un signifié inchoatif : amorcer, ce n’est pas au sens propre /couper le bord/, c’est /commencer/ un processus complexe dont /couper le bord/ est, dans la situation décrite, la première phase et dont le sens sera ici /découpe d’un bord du support, comme première phase de la préparation du support à l’adhésivage/.
Le sens d’amorcer ne peut donc être donné que pragmatiquement, en rapport à une situation donnée, car, comme commencer, terminer, continuer, se préparer à, être en train de, le signifié d’amorcer qualifie un procès, la phase préparatoire, son début. N’ayant qu’une valeur inchoative, il n’a pas de sens référentiel. Il peut prendre des sens très différents selon les contextes ou les situations :
on amorce un virage, sa reconversion professionnelle, son retrait des affaires, la révision de ses examens, etc.
Il n’a de sens dans la situation de A qu’en référence à l’univers de discours de l’ensemble opérationnel dans lequel il s’insère. Amorcer contribue au sens, il ne le donne pas directement.
Cette opération, dont la dénomination tronquée ([lamTr]) se relie au phénomène d assourdissement du e final (voir ci-dessus p. 225), donne lieu à une correction de la part de E et introduit à un échange très intéressant pour notre exposé : la valeur pragmatique de amorce induit A à attribuer au terme deux sens différents car il emploie ce terme dans un autre contexte familier (la pêche).
Il fait des deux occurrences du même terme des homonymes, qu’il met en co-présence pour la première fois, dans des univers de discours différents :
286AAmorce ! euh : [lamTrsY] et [lamTr] tout court & ? [lam?r] = la mort ? 287E C est pas pareil ! 288AÇa fait [lamTr] pour les poissons ?Le réflexe de A de ne pas prononcer les finales conduit E, dans un premier temps, à mal interpréter la relation amorce/poisson, ce dont rend compte directement la transcription et les rectifications suivantes :
289EVoilà ! La mort pour les poissons, et l’amor-ce ! hein ?290AOK !De fait, E s’aperçoit immédiatement que A n’a pu saisir le sens de sa propre erreur d’interprétation qui peut relever du jeu de mots et E rectifie le signifié premier d’amorce. Il fait découvrir à A que ce qu’il croyait être deux termes homonymes, du fait des univers de discours différents de leur emploi, n’est que le même terme. L’étonnement de A vient à son comble en apprenant que ces deux mots s’écrivent « pareil ». Le critère de l’équivalence graphique est pour A un critère plus sûr de leur équivalence sémantique que leur équivalence phonique.
291E Maint’nant : l’amorce, c’est aussi pour les poissons !292AAh bon ?!?293EOui ! Quand vous attrapez les poissons, vous préparez une amorce !294A Oui ! Ça s’écrit pas comme ça !?295E Amorce, ça veut dire pour commencer, commencer . 296A Mm ??297E Amorcer, ça veut dire : commencer quelque chose !298AAh, bon ??! euh ??? / Ça [ekri] la même chose ?…pour la… 299E Ça s’écrit pareil ! 300A l’amorce \301EL’amorce pour le poisson, l’amorce pour votre travail, ça s’écrit pareil ! Pourquoi : parce que l’amorce, c’est ce qui va faire / pour attraper / que le poisson va attraper le / le ver / d’accord ? 85302AOui…303EL’amorce, c’est le ver, c’est pour attirer / C’est la première opération…Après vous allez tirer le poisson, faire revenir le fil, il va y avoir d’autres opérations…d’accord ? 304 Hmm !305 de même ici, la première opération, c’est l’amorce /306 Ouais…307 / que vous faites, et après vous allez avoir d’autres opérations /308 Hmm…309 / mais si vous ne faites pas l’amorce, vous ne pouvez pas continuer le reste…310A Ouais…311E Et là aussi, euh, avec le poisson… / Si le poisson n’attrape pas l’amorce, vous n’attrapez pas le poisson non plus ! 312AAh, c’est / C’est mon truc ! L’évocation de l’amorce reviendra à plusieurs reprises. De fait, A a déjà signalé qu’il avait parlé de l’amorce au cours de la première activité, pour dire que le processus est très difficile à décrire pour lui. E n’avait pas relevé.
L’amorce sera à nouveau évoquée en 2A/366-379, pour signaler que lorsque l’amorce (la découpe) est faite, on revient au tirage (2A/373) sur lequel on effectue une opération de pliage (2A/379) :
379AEt on [rYmTrse] sur // attends& pas que là& / ps euh& y a des supports [ ? ? pijelass :]2A/632sq évoque à nouveau le processus de l amorce, sans apporter d éléments nouveaux, sinon pour signaler que l opération suivante est un collage. XE "amorce" \r "amorcea"  XE "lexique:analyse lexicale" \r "anallexicale" 
9.4. Comprendre l’action
Notre corpus nous permet d’observer à travers une étude transversale des séances le phénomène de construction du sens en communication exolingue. C’est ainsi qu’une notion abordée au cours de la deuxième séance et qui semble apparemment ne pas faire de problème, se révèle, au cours de la cinquième séance, être la source d’une difficulté de compréhension. Et ce n’est qu’au cours de la dixième séance que la difficulté est élucidée.
9.4.1. L’action: processus et opérations
Nous avons mentionné cette difficulté de compréhension, partie du terme adhésif (voir ci-dessus p. 202), qui concerne la notion d’adhésivage XE "adhésivage" , et nous avons déjà résumé (ibidem p.204-205) les étapes de l’action que nous reprenons ici pour en dérouler ensuite une description plus détaillée.
L’opération d’adhésivage est introduite dans la deuxième séance, dans le cadre de l’élaboration d’une liste chronologique d’opérations professionnelles. L’adhésivage est une phase de la préparation du support.
C’est en reprenant cette explication que E se trouve en conflit avec A qui déclare (S2A) que plastification ou adhésivage, « c’est pareil », tandis que E comprend que c’est différent. Cependant le problème est laissé en suspens.
Au cours de la troisième séance, A explicite l’opération d’adhésivage en relation avec la notion de double-face.
Mais c’est seulement en cinquième séance (S5A813Sq), au cours de la composition d’un deuxième texte, que cette équivalence est clairement explicitée : adhésif, c’est double-face. L’incompréhension semble être levée.
Pourtant, au cours de la neuvième séance, à la suite de la relecture du premier texte, A décrit une nouvelle opération : l’encapsulage (S9A184sq). Il l’avait déjà évoquée, dès l’ouverture de la description du processus, sans avoir su en marquer le sens cardinal. Elle avait par ailleurs échappé jusque-là à l’attention de E.
L’opération de plastification est présentée alors comme une action complète, devenue peu fréquente, à laquelle s’est substituée l’encapsulage. Celui-ci s’oppose au collage sur support rigide, dont l’adhésivage reste une phase de la préparation du tirage.
Il se révèle ainsi que l’adhésivage et la plastification, opérations « pareilles » pour A quant à leur modalités de réalisation pratique (puisque la plastification est un double adhésivage : l’adhésivage des deux faces du tirage), ne sont pas pareilles pour E d’un point de vue discursif.
Car l’adhésivage, d’un point de vue diachronique, est un terme de la nomenclature des activités de A, désignant, en opposition à l’encapsulage, une activité de collage s’exerçant sur le tirage. Adhésivage et encapsulage s’opposent au collage sur supports rigides.
L’adhésivage désigne en outre, d’un point de vue chronologique, l’opération commune à ces trois activités.
Nous allons développer de façon plus détaillée la description de l’action et interpréter le processus d’indication qui se réalise à ses différents stades.
9.4.2. La compréhension
Consécutif à une visite de l’atelier, l’enregistrement de la deuxième séance saisit A en train d’effectuer une double tâche : description orale de ses tâches ou opérations professionnelles et notation au tableau du processus ainsi décrit (00 –165). L’enregistrement n’a pas saisi l’ouverture de l’activité ni la formulation de la consigne, ni l’explication, ni la première phase de réalisation de l’action. Il s’ouvre sur la mention de l’opération de collage, et se poursuit par le « description » des tâches suivantes.
Cette « description » s’organise en fait sur le mode du récit chronologique et se réduit à une nomenclature d’actions nominalisées : lessivage (00), collage (06), encapsulage (13), adhésivage (21), découpe (35) ou détourage (61), emballage (83), expédition (140). A ce stade de l’action, E se contente de la nomenclature, ne demandant pas à A d’entrer dans le détail de la description de chacune de ces opérations : soit elles sont considérées comme relevant d’un savoir commun, soit E réserve un autre moment pour faire expliciter chaque opération.
Collage XE "collage" 
A introduit dès le début l’opération de collage (du tirage). Elle relève pour A comme pour E d’un savoir implicite commun XE "savoir partagé" . Du moins chacun semble-t-il le considérer ainsi, jusqu’au moment où il sera nécessaire d’expliciter, en relation avec les autres opérations, la spécificité du collage. Pour le moment, le collage concerne le tirage mais on ne sait s’il s’agit d’un collage de quelque chose sur le tirage ou d’un collage du tirage sur quelque chose. Le niveau linguistique de A ne nous permet pas d’interpréter en dehors de la situation, encore mal caractérisée, le sens de l’énoncé : on passe au collage (2A11). On sait seulement que le collage intervient juste après une opération de lessivage dont on ignore encore, là aussi, sur quel support elle s’exerce (3-4). Il peut donc s’agir :
Du lessivage du support rigide puis du collage du tirage sur le support.
Du lessivage du tirage, puis du collage de quelque chose sur la partie lessivée.
Encapsulage 1 XE "encapsulage" 
A introduit ensuite l’opération d’encapsulage.
11AOn passe au collage, et puis, heu, Préparation...euh..12EAllez-y, notez-moi les phases...13A??? (silence) ou... (silence)…encapsulage14EEncapsulage ! Oui !0515A??..?? du support ...Si l’on ne prend pas en compte les interruptions et les commentaires de E, il semble que A veut transmettre le message :
on passe au collage, et puis à la préparation du support ou à l’encapsulage (S2A 11-12)
Cependant E, focalisé sur la réalisation de l’action de transcription, n’en relève pas la mention ni la dimension d’alternative à l’opération de préparation.
Par ailleurs, A lui-même n’insiste pas pour mettre en valeur cette opération dont on ne retrouvera pas la mention dans le processus (doc.3). Or, comme nous allons le voir, cette opération va jouer un rôle essentiel pour lever l’incompréhension qui va bientôt surgir.
En fait, l’exposé de A, à ce niveau, n’est pas correctement écouté par E qui concentre son attention sur les modalités de transcription du processus par A et sur les règles de transcription au tableau : fléchage (4), notation du nom seul (6), distinction entre oral et écrit :
18ENon ! On fait seulement : lessivage. Hein ? Pas la peine de mettre : passer au lessivage ! Ça, c’est pour parler…pour parler on dit : on passe au lessivage. Et pour écrire, on écrit seulement : lessivage19A??? ??? du support ! passer lessivage !20E Lessiva-ge !21A Lessivage…puis : collage !E impose, dans cette séquence, deux activités conjointes : l’une d’explication orale, l’autre de transcription écrite. Or A ne contrôle correctement ni l’une ni l’autre. Il se trouve donc soumis à une tâche d’une trop grande complexité pour lui. De sorte que E, le constatant, au lieu de focaliser l’action de A sur l’explication orale, en se réservant pour lui-même la notation du processus, prend en main lui-même le guidage de l’activité complexe qu’il fait exécuter par A. A perd une partie de sa liberté d’action car il ne contrôle pas les buts de celle-ci.
En outre, E ne contrôle pas lui-même tous les savoirs techniques et tous les contenus explicatifs. Il doit donc se fier à A comme informateur. L’exercice d’une double activité qu’aucun des deux inter-actants ne maîtrise complètement conduit à des déperditions d’énergie et d’information et à des investissements inutiles. De nombreux échanges perdent de leur pertinence : le rapport entre les efforts et les effets n’est pas équilibré.
Analyse de l’indication XE "analyse de l’indication" 
Si l’on analyse, du point de vue de l’indication XE "indication" , cette perte de contrôle par les deux interactants du processus de communication, on pourra dire que la double tâche concerne l’une l’univers de discours de l’indiquant, l’autre celui de l’indiqué. On peut dire aussi qu’il y a deux approches conjointes du discours de l’indiquant : l’une par le code oral, l’autre par le code écrit. Or A, s’il maîtrise l’univers du discours de l’indiqué dans ses aspects référentiels et logiques, ne maîtrise pas l’univers de discours de l’indiquant, tant dans ses dimensions discursives (modalités de présentation spatiale et temporelle, chronologie, hiérarchisation des opérations) que dans ses dimensions linguistiques (terminologie, classes lexicales, syntaxe, code de transcription de l’oral à l’écrit en fonction de l’écrit projeté : écrit suivi, schéma, écrit quantitatif).
E, au contraire, maîtrise l’univers de l’indiquant mais il ne maîtrise que partiellement l’univers de l’indiqué qui ne relève pas de son domaine d’expérience. En particulier, il ignore son mode d’organisation et certaines de ses dimensions référentielles.
Ainsi A et E se trouvent-ils dans une configuration typique de la communication exolingue en milieu professionnel XE "exolingue"  : ils ne partagent complètement ni les savoirs de l’univers de l’indiqué, ni les savoirs de l’univers de l’indiquant. Ils se trouvent tous deux confrontés à des situations dans lesquelles aucune phonie inconnue de l’un ne peut être échangée par des sens connus des deux, et aucun sens inconnu de l’un ne peut être échangé par des phonies connues des deux. L’un des deux (A le plus souvent) ignore les phonies qui contribuent pour l’autre à l’établissement du sens qu’il veut transmettre ; ou bien l’un des deux (E le plus souvent) ignore les sens que les phonies utilisées par l’autre établissent parce qu’il ignore certaines dimensions ou caractéristiques des situations et contextes spécifiques.
Ainsi, y a-t-il, du fait des deux interactants, une perte d’information. Cet echec du sens va avoir des conséquences importantes pour la suite de la communication puisque de nombreux efforts d’explicitation vont devoir être opérés afin que le sens des phonies introduites par A prennent pour les deux inter-actants les mêmes valeurs.
De sorte que l’attribution de sens aux phonies problématiques et l’attribution de phonies aux sens problématiques devront passer à la fois par un détour pragmatique et par une verbalisation des circonstances. Il s’agira, en définitive, de réactiver, à l’intérieur d’univers de discours proches, les divers éléments de cet univers de discours problématique, et, donc, de construire dans l’interaction des univers de discours médiateurs XE "univers de discours médiateurs" , en relation d’inclusion les uns par rapport aux autres, de façon à faire circuler la phonie jusqu’à la place exacte visée par son sens de sorte à faire circuler le sens jusqu’à la place exacte visée par sa phonie.
C’est au terme de ce processus de médiatisation que la difficulté pourra être levée. Nous allons observer, à travers l’évolution de l’action, comment ce processus d’indication se développe.
Adhésivage XE "adhésivage" 
La collaboration entre E et A semble aboutir à ne parler que de la préparation du support, le lessivage et le collage faisant partie de cette préparation. De fait, A préfère au terme collage un mot XE "mot"  technique : le terme d’adhésivage, que E relève comme équivalent de collage, ce que A confirme doublement : verbalement et graphiquement. A l’associe verbalement au terme collage, mais n’écrit pas au tableau collage mais adhésivage. Cette proximité permet à E d’inférer que l’adhésivage est « une espèce de collage », ce que A confirme. C’est, pour A, un terme technique familier : « c’est marqué comme ça ».
Il s’agit par contre pour E d’un néologisme qui, dans ses savoirs, réfère à l’adhésif, feuille plus ou moins large (de papier, de plastique), présentée en rouleau, comportant une face collante et une face lisse, dont on colle la face collante sur une surface pour que la feuille adhère totalement à cette surface.
21A Lessivage…puis : collage !22EAh, c’est le…A-de…23A Adhésivage…24E A-dhé-si-vage !! tiens !?25A ?????26E Ah, booonnn… !27ABen…nous…c’est marqué ….comme ça, hein !28EVous, vous l’appelez comme ça !29AOuais ! Adhésivage…30E Adhésivage ! D’accord !31A ? ? ?32EC’est une espèce de collage ?! 33A Ouais !34E Ouais !35AEuh…et puis maint’nant, on prépare euh des ti’ages, comme je vous [mõtre], là, coupé côté, ça c’est…L’interprétation du processus d’indication XE "analyse de l’indication"  est simple ici : deux indiquants différents sont associés au même indiqué. Il s’agit cependant d’une communauté de signifiés, qui laisse supposer que leurs sens peuvent être différents (donc leur usage dans des situations différentes) :
L’adhésivage, c’est une espèce de collage,
ce qui laisse entendre que collage est un hyperonyme de adhésivage ou que, dans l’organisation hiérarchique des procès, le collage est un genre de procès dont l’adhésivage est une espèce particulière. Adhésivage est ainsi un élément de l’univers de discours de collage.
UDiquantUDiqué[kTla’]collage/action//coller// genre/[adeziva’]adhésivage/action//coller//espèce/Coupe XE "coupe" 
A présente l opération de coupe, mais on ne sait pas si celle-ci s exerce sur le support ou sur le tirage. La relation de succession dans le discours engage à une interprétation préférentielle : cette coupe s’exerce sur le tirage.
35AEuh…et puis…euh, maint’nant, on prépare euh des ti’ages, comme je vous [mõtre], là, coupé côté, ça c’est…Cependant, comme pour l’adhésivage, espèce de collage, il s’agit d’une espèce de coupe, sur un côté, pour laquelle ni A ni E ne trouvent de terme adapté : l’un pour ignorer l’Udiquant, l’autre pour ignorer L’Udiqué.
36EComment on va appeler ça ?37ASoit c’est \ pas évident \ , soit parce que \38EVous coupez pourquoi ? Pourquoi vous allez couper le côté ? 39AParce que nous on travaille…Ah ! j’aurais dû ramener un support pour explication…c’est pas évident ! Des fois, on [kupe] un côté pour commencer / au ras au ras du support un côté il est coupé,/ 1540Ouais41après on coupe rien, on coupe que trois côtés après / autour trois côtés, un deux trois, / 42 Ouais !43 le côté que j’ai préparé, c’est bon…44 Oui !45 Alors, c’est \ C’est pas évident, hein ! Il faut vous voyez que : comment préparer ! C’est pas évident expliquer les choses comme ça ! 46 Ouais !47 Euh…Même c’est marqué, on a rien [kõprã], même pour le client, et tout, \ il faut qu’il vienne sur place, chaque fois, pour voir comment c’est fait ! C’est pas évident !E tente de suggérer une explication circonstanciée par les buts, ce que A se sent incapable de produire verbalement. Mais il semble préciser que cette opération s’exerce sur le support, et sur un côté du support.
UDiquantUDiqué[kup]coupe/action//couper// genre//[kup]coupe/action//couper//espèce//sur le support//sur un côté/[kup]coupe/action//couper//espèce//sur le support//sur les autres côtés/ La faiblesse des moyens linguistiques de A incite E à proposer de se transporter sur place. Il s’agit en fait de l’opération d’amorce, coupe exercée effectivement sur le bord supérieur du support, mais qui entre comme phase préparatoire à l’adhésivage du tirage (2A263-279).
9.4.3. L’incompréhension
C’est au cours de la seconde activité, reprise par E, que va surgir l’incompréhension.
E va au tableau pour reprendre la description de A (2A/166sq) dont il corrige d’abord les modalités de présentation (en colonne) et pour laquelle il demande des précisions : sur le nom donné au service (2A/198) et sur l’ordre de succession des opérations (2A/206).
Finition XE "finition" 
Tandis que A appelle spontanément ce service : service collage (2A189), E relève sur un document qu’il est appelé service plastification (2A192). A confirme, laissant entendre que c’est la même chose, et que ces termes désignent en fait le service finition (2A192). E décide d’adopter ce terme de préférence aux autres (2A195) parce que ceux-ci représentent des opérations spécifiques et différenciées effectuées dans le même lieu tandis que ce lieu, dans l’ensemble des locaux, préside à la fin des opérations qui y sont effectuées. Ainsi, la finition est une phase, la dernière, du processus qui se déploie au niveau de l’entreprise tandis que le collage ou la plastification ne sont que des opérations du processus de finition (2A197). A exprime à deux reprises son accord sur ce choix par l’utilisation des termes [kõplµ] (2A192) puis [kõplµt] (2A196).
188E D accord ?...le tirage&
Et, c est à partir du tirage, après que le& le tirage& qui va arriver dans votre service !189AVoilà !& Le service collage !ED’accord ? Au service collage !…Mais, le collage, c’est une opération parmi beaucoup !60190A Oui…Voilà !finition 191E D’accord ?
Alors, ce service…vous, vous l’appelez comment ? Vous l’appelez, je crois {il consulte un document} euh…vous l’appelez, votre service…il s’appelle…plas-ti-fi-ca-tion je crois…192AOui, collage, [plastifiksjõ] : la finition, quoi, [kõplµ]& 193E Euh& 194A La finition, plutôt& 195EFinition, hein ? Alors {il retourne au tableau}, on va appeler ça la finition& 196AOui, [ ? ? ? kõmplµt]197EEt& la finition, elle& on va montrer que la finition, c est& plusieurs opérations& 198AVoilà !Plastification 1 XE "plastification" 
Or cet échange introduit pour la première fois un nouveau terme, celui de plastification, comme équivalent de collage, ou de finition (2A192).
Analyse de l’indication XE "analyse de l’indication" 
A laisse entendre ainsi que, d’une part, le collage et la plastification sont des opérations subordonnées (parties d’un ensemble) dans le processus complet de finition et que, d’autre part, elles relèvent toutes deux du même niveau hiérarchique. Plastification et collage sont deux types d’activités complètes pouvant être exercées au service finition.
Ainsi, le contexte induit d’interpréter plastification non pas comme un synonyme de collage mais comme une activité de même rang dans l’univers de discours de finition. Le sens que privilégie E est celui de /opération du processus de finition/ auquel il associe non pas le signifié /coller/ mais le signifié /plastifier/.
UDiquantUDidiqué[finisjõ]finition/processus global//opération//dernière/[plastifikasjõ]plastification/processus finition//opération//plastifier/[kTla’]collage/processus finition//opération//coller/
La suite de l échange qui va aboutir à une incompréhension permet de bien voir, à la façon dont est levée l incompréhension, comment celle-ci s est nouée. Dans un premier temps, E exige de A qu’il reprenne son exposé précédent en y mettant de l’ordre car A ne peut pas dire que l’on commence en même temps par le collage et par la plastification.
210Eattendez ! attendez ! non !…Y’a un ordre !211Aoui !212E….213Aoui, y’a un [or]214Ealors, quel est l’ordre, d’abord ?215A[lor] ? Bon, soit…si y’a soit, si y’a des choix…65216E oui….217A soit tu [par] du support…218E ouais !< Il faut choisir, soit on commence par le support, soit on commence par la plastification. Si on commence par la plastification, on passera ensuite au support.>Ainsi il ne s’agit pas de deux actions successives, mais de deux processus alternatifs :
219Asoit on [plastifie] avant…comme [ ??]ceci220E ouais…221A après on prépar’, on met dans l’tube, on peut revenir derrière pour préparer le support…\E comprend bien cette disjonction :
222E Hein ? D’accord ? dans ce cas là, on
va faire / / deux/ /deux flèches  < il note sur le tableau > < il trace deux flèches>Analyse de l’indication XE "analyse de l’indication" 
UDiquantUDiqué[finisjõ]finition/processus global//opération//dernière/[plastifikasjõ]plastification/processus finition//opération//plastifier//première/[sspTR]support/processus finition//opération//sur le support//deuxième/UDiquantUDiqué[finisjõ]finition/processus global//opération//dernière/[plastifikasjõ]plastification/processus finition//opération//plastifier//deuxième/[sspTR]support/processus finition//opération//sur le support// première/
Cependant E entend le processus de plastification comme un processus exercé sur le support : c est le sens de sa question en 2A 234 :
234E donc, soit : la plastification…70235A voilà…ouais…236E ….toujours…du support ?237A……
support ? oui ! 238E plastification du support ?239A oui, on peut…/ non ! non, non : tirage ! A, après avoir confirmé sa formulation (2A238), l’infirme brutalement (2A239).
C’est ici que se noue l’incompréhension, du fait de la contextualisation et du niveau linguistique de A.
La négation de A est interprétable comme portant soit sur la disjonction, soit sur le type de plastification :
non, après la plastification on passe au tirage, et non pas au support.
non, non pas la plastification du support, mais la plastification du tirage.
C’est cette deuxième interprétation, comme va le montrer la suite, qui est celle de A. Il veut signifier que la première opération, la plastification, ne concerne pas le support, mais le tirage. La deuxième opération concernera donc le support, et ne sera pas une plastification. A a donc bien compris l’interprétation erronée de E et tente de la corriger, en 241 et 245.
Mais une troisième interprétation est possible et la suite de l’échange va révéler que c’est celle que va privilégier E :
après la plastification du support on passe à la plastification du tirage.
De sorte que la suite de l’échange exprime l’incompréhension :
240Eah ! mais tirage, il est déjà là ! 241A oui !? développement, le tirage, soit on plastification de / tirage…comme je vous [mõtre]242E très bien243A tout à l’heure…244E plastification…245A du tirage…avant…soit l’un, soit l’autre, on prépar’ / voilà !246E voilà !247A et….\248E \ alors, quand vous faites la préparation du support d’abord… 249A oui….250E ensuite, qu’est-ce que vous faites ?251Aben…on [pase] adhésivage !252E hein ? adhésivage ! 253A voilà ! A dit d’abord, veut dire et est bien compris sur ce point :
< [soit on a la plastification du support] soit on a la plastification du tirage comme[ je vous ai] montré tout à l’heure, et si on fait ] la plastification du tirage avant, [puisque c’est] soit l’un, soit l’autre, [alors] on prépare [ le support après] voilà !> Ce à quoi E demande :
- et alors , quand vous faites la préparation du support d’abord [ et que c’est terminé], qu’est-ce que vous faites ensuite  ?Tandis que A entend la question ainsi :
- et alors quand vous faites la préparation du support [qu’est-ce que vous faites] d’abord ? [vous en avez terminé avec le tirage] qu’est-ce que vous faites ensuite [sur le support]?La réponse de A, cohérente avec son interprétation, ne l’est plus avec celle de E :
[eh bien] d’abord, ben, on passe à l’adhésivage.E s’attend naturellement à ce que A lui réponde que l’on passe à la plastification du tirage et qu’il lui en parle. Or, en parlant d’adhésivage, A évoque une opération dont E suppose qu’elle s’exerce sur le support. Ainsi, après le support, A s’occupe du support : c’est incohérent.
De sorte que pour E, l’alternative à la plastification ne peut pas être le tirage qui est déjà là (c’est-à-dire déjà signalé sur le tableau) mais le support. Il n’insiste pas cependant sur cette incohérence, sans doute pour préserver la face de A, manquant par là de lever une ambiguïté durable et il maintient son objectif d’entendre parler de la plastification du tirage.
A, de son côté, maintient son objectif de bien distinguer l’alternative plastification du tirage/préparation du support. Il sent bien que E veut focaliser sur le tirage. Il admet lui-même, pour préserver la face de E, de distinguer plastification du tirage et collage du tirage sur le support, comme il devrait le faire pour lever les ambiguïtés. Il parle donc de l’opération qui concerne à la fois le tirage et le support, satisfaisant la double focalisation.
254E et quand vous faites la plastification au tirage, \255A ben…256E \ vous faites…257A …ben…on prépare le support après, ( ? ? ? )…258, …ouais...258A ...on découpe, comme je vous [mõtre] peut-être : [kupe] un côté \Il s’agit de l’amorce, dont nous avons déjà parlé ( voir ci-dessus p.262) et dont A introduit ici le thème. A parle donc de la préparation du support pour recevoir le tirage, distinguant bien dans son esprit plastification et support comme deux opérations de même niveau hiérarchique et parlant là, dans le cadre de l’opération support, de la préparation effectuée sur le tirage.
C’est d’ailleurs bien comme cela que l’entend E, à ceci près que, pour lui, l’opération préalable exercée sur le tirage dans le cadre du collage sur le support, s’appelle plastification du tirage.
Or le terme, s’il recouvre les mêmes signifiés pour A et E, n’a pas le même sens pour chacun.
260E\ ah ! c’est-à-dire que vous allez faire la plastification d’un tirage…261A voilà voilà 262E …et après vous allez revenir à / à la / à la préparation du support !75263A ouais ! soit l’un, soit l’autre ! oui, c’est pareil !264E ..d’accord ? /comment, c’est pareil ? non, c’est pas pareil ! 265A ben, c’est…c’est…il y a…soit on fait un support avant ! ( ? ? ? )A l’entend comme « opération exclusive de toute opération sur le support », de sorte que
soit l’un, soit l’autre, [que je commence par] la plastification du tirage ou [par] la préparation du support] c’est pareil !Tandis que E l’entend comme « opération incluse dans les opérations sur le support », de sorte que :
la plastification du tirage et la préparation du support , c’est pas pareil !Par sa réaction indignée, E semble reprocher à A une certaine confusion de pensée. Cependant quelques doutes sur la validité de son reproche semblent le retenir puisqu’après une nouvelle tentative d’éclaircissement (2A269-280) E n’insiste pas et laisse A poursuivre son objectif de continuer à parler du support.
Nous pouvons résumer ainsi le processus de l’indication :  XE "analyse de l’indication" 
UDiquantUDiquéA ditsoit on a la plastification du tirage comme montré tout à l’heure, la plastification du tirage avant, soit l’un, soit l’autre, on prépare voilà !
A
veut dire
E
comprend/ [soit on a la plastification du support] soit on a la plastification du tirage comme[ je vous ai] montré tout à l’heure, et si on fait ] la plastification du tirage avant, [puisque c’est] soit l’un, soit l’autre, [alors] on prépare [ le support après] voilà /E dit- et alors , quand vous faites la préparation du support d’abord , qu’est-ce que vous faites ensuite  ?E
veut dire/ et alors , quand vous faites la préparation du support d’abord [ et que c’est terminé], qu’est-ce que vous faites ensuite  ?/
= /après la préparation du support/
=/ quand le support est prêt./A comprend/- et alors quand vous faites la préparation du support [qu’est-ce que vous faites] d’abord ? [vous en avez terminé avec le tirage] qu’est-ce que vous faites ensuite [sur le support]?/
= /pendant la préparation du support/
=/ pour préparer le support/A dit- d’abord, ben, on passe à l’adhésivage.
A
veut dire- [hè bien] d’abord, ben, on passe à l’adhésivage.
E comprendCette incompréhension ne sera levée qu’au cours des dernières séances ; elle est l’un des phénomènes les plus intéressants à étudier, puisqu’elle va courir tout au long de la formation. Elle est due à deux facteurs concordants de la situation de communication exolingue en milieu professionnel :
L’ignorance par le formateur (E) de l’état de choses : processus réel de fabrication, univers référentiel, objets du monde et leur organisation. Ignorance, en particulier, du sens, dans l’univers de discours que détermine cet état de choses, des termes de adhésivage et plastification.
L’ignorance par l’apprenant (A) des distinctions linguistiques qui organisent l’univers de discours qui reflète l’état de choses dont il a l’expérience.
On retrouve ainsi chez A, au niveau notionnel, la même difficulté qu’au niveau de sa perception phonétique : il y a des traits pertinents de la situation qu’il ne perçoit pas et qu’en tout cas il ne sait traduire linguistiquement. Ce qui entraîne les processus d’assimilation décrits à divers niveaux. Nous verrons ainsi que, si pour lui adhésivage et collage, plastification et préparation de support, ne sont pas du tout les mêmes opérations, il les traduit linguistiquement comme équivalentes ou ne nécessitant pas, d’un point de vue linguistique, de caractérisation. Ce savoir est de l’ordre de l’évidence, il est donc considéré comme implicitement partagé.
Double-face XE "double face" 
Une autre opération, pour la description de laquelle A révèle ne pas disposer des instruments verbaux suffisants et que E a du mal à se représenter, est celle du collage du tirage sur le support, opération complexe qui commande de la part de A la mobilisation simultanée des commandes électriques, d’un geste technique et d’une attention soutenue à l’évolution de ce processus de grande précision. Cette opération se dénomme à proprement parler adhésivage, XE "adhésivage"  néologisme relevant du vocabulaire technique pour E. Il est déjà introduit en 21. E le considère comme un synonyme approximatif de collage. A le suppose évident pour E. Or cette opération d’adhésivage ne peut se comprendre qu’en rapport à la notion de double-face que A introduit (2A385) mais sans mesurer combien elle est peu claire pour E.
A introduit la notion de double face non à propos de l’opération de collage mais à propos des moyens par lesquels les supports pourront être accrochés. Il s’agit de fixer ces moyens sur le support avant l’emballage.
119A C’est eux [iƒwazi] soit velcro / soit accroches comme euh& soit velcro, soit adhésif double face \120E \ Soit ? 121A[adezivY] double face \122E \ [adezifY] ! 123A [adezifY] : double face, La clôture de la deuxième explication, cette fois sous le contrôle de E, donne lieu à une reprise des opérations qui révèle à nouveau l incompréhension entre A et E sur les notions d’adhésivage et de collage (489 – 498) et à la production d’une distinction nette entre les deux notions à partir de la notion de double-face :
A après...E ouais ! mais quelle est la différence entre adhésivage et collage ?Ac’est...comme euh...voyez ! [ ? ? ? ? ? ]..l’est en train [pase] adhésivage…Eouais....A ...comme adhésivage, c’est double-face ! E ...ouais...A voilà !!!...
double-face !
après le adhésivage, collage…si ahhh, si adhésive pas, on peut pas coller !???…. ??E« si-on-n’ha-dé-si-ve- pas –on- ne- peut-pas- coller … » ?!A parce que y’a pas adhésif, sur le…\E\alors, c’est quoi, l’adhésivage ?Aben, c’est du double-face !E ...? ? ? cest à dire ?A double-face, c’est...on met double-face sur les supports !E d’accord ! donc, donc là, il faut mettre...a : préparation support, il faut mettre adhésivage …A ...voilà...E ...et ensuite collage ?A ...voilà ! < si [on n’]adhésif pas, on [ne] peut pas coller. on met [un adhésif] double face sur les supports, et ensuite collage [=on colle le tirage sur le support] >Cela conduit à une troisième décomposition du processus phase par phase (2A516 – 648) qui se clôt par une dernière récapitulation.
Ces trois descriptions successives du procès provoquent des commentaires de la part de A sur la difficulté de la tâche qui lui a été soumise et sur son intérêt puisque :
723Aben a parler travail on peut en même temps apprendre la langue. Ainsi, à la fin des récapitulations, le processus, tel qu’il se trouve formalisé (Doc.13), se développe en deux étapes parallèles et indépendantes : la préparation du support et la préparation du tirage. Succède une troisième étape de mise en relation du support et du tirage. L’adhésivage intervient dans l’exposé comme une séquence de la préparation du support. Mais l’attention est focalisée non pas tant sur la description détaillée des opérations que sur l’ordre d’exposition du processus en rapport avec son ordre chronologique. La difficulté surgie à propos de la plastification est évacuée : E sait que ce processus doit être incomplet. Sa formalisation n’est pas définitive. E n’attend pas, à ce stade de la prise d’information, que celle-ci soit immédiatement exhaustive, le savoir étant une construction commune qui ne se fait pas en un seul jour.
Au cours de la troisième séance, A précise la notion de double-face :
3AEd’accord !
alors, pourquoi on appelle ça adhésivage ?50Aeuh ben + pour prêt à coller, hein !E c’est-à-dire ? qu’est-ce qu’il va y avoir après ? Aaprès on va y’avoir euh + collage de papier ou tirage par dessus\E par dessus quoi ?A le support ! E par dessus le support ? A au dessus + surface, là !
on [kola ::] on [adesive] on [kole] dessus [le] + adhésif !E ah ! dessus l’adhésif ! ah, bon ! ça va être dessus l’adhésif !
donc c’est un adhésif double face ! A oui ! c’est adhésif double face ! Eah ! mais vous ne me l’avez jamais dit, ça !A qu’est-ce que j’ai dit ? a double face !Eah, mais vous m’avez dit : double-face !double –face ! double face, ! A bon ben ! voyez ! Ec’est quoi, qu’est double face ? adhésif double face !Eah bon !
parce que moi, je dis : le support, il est double face ! la feuille de papier, elle est double face, aussi !A adhésif double face !E adhésif double face !
qu’est-ce que c’est un adhésif double face ?Ac’est + autocollant +E c’est-à dire ? pourquoi on dit : adhésif double-face !55Ac’est la…deux côtés collés /E voilà ! il y a de la colle + A + des deux côtés !E + des deux côtés ! et oui !
mais si vous ne m’expliquez pas ça tout de suite, comment je vais le savoir, moi ? Ahein ?! (rire) comment expliquer ?E ah, ben, justement, on est là pour ça ! (rires) on est là pour essayer d’faire ça !
très bien !
alors +  XE "analyse de l’indication" L’Udiquant de adhésif s’enrichit de nouveaux termes et expressions : prêt à coller, double face, collé des deux côtés, on colle l’adhésif sur le support, on colle le support sur l’adhésif, auto-collant, il y a de la colle des deux côtés.
C’est ainsi que A comprend qu’il n’a pas été entendu au cours de la deuxième séance, sur une notion qu’il avait signalée (S2 / 263-280 et 489-540). E ne réagissant pas, A pouvait penser avoir été compris. Mais le signal de A n’avait pas fonctionné. Ce signal, c’est la phonie [dublYfas] double-face, sur l indiqué de laquelle A développe de nouvelles explications. Mais E ne relève pas encore tout l enjeu que recouvre son sens XE "sens"  dans l ensemble du processus.
A doit donc reprendre de façon plus détaillée les notions d’amorce (5A seq. 708-812) et d’adhésif (5A seq. 813-1024). Il décrit le passage du support dans la machine (5A Act.6 / 1107-1228). L’adhésif a une propriété universelle : ça va coller n’importe quoi (5A/818). Il a une fonction cardinale : pour coller les photos (5A/828).
E suggère une situation absurde (5A 830/832) pour contraindre A à exprimer la fonction de l’adhésif en réutilisant lui-même des éléments descriptifs :
832Eje prends mon support, et ensuite je mets mon tirage dessus, et je le fais passer dans la machine833Aben y colle pasDe sorte que A produit l’énoncé attendu :
849Ay’a autocollant des deux côtésEn outre, pour aider A à expliciter son mouvement, E parle de la nécessité d’une protection sur l’adhésif (5A/856), d’une pellicule (5A/ 887) qu’il est nécessaire d’enlever (5A/858) pour dégager la partie collante.
Ainsi E tente de montrer à A qu’il est nécessaire de produire suffisamment de termes précis pour permettre à son interlocuteur de se faire comprendre.
9.4.4. Le dénouement
Encapsulage 2 XE "encapsulage" 
 XE "encapsulage" Cependant l’incompréhension n’a pas été complètement résolue. La réponse de A se révéle insuffisante puisque, au cours de la neuvième séance et d’une nouvelle lecture du texte, E soulève une nouvelle incohérence à propos de la phonie encapsulage. Celle-ci va cette fois-ci focaliser les efforts d’explicitation. Toutes les ambiguïtés précédentes vont être définitivement levées et les savoirs communs enfin partagés.
La phonie encapsulage a déjà été introduite par A au cours de la seconde séance sans que E, comme pour la phonie double face, y fasse attention ni que A en mesure alors l’enjeu pour la compréhension de l’ensemble du processus. Elle est introduite en fait au début de la description du processus (2A13)
2A10Eaprès ?…11Aon passe au collage, et puis, heu, préparation...euh..12Eallez-y, notez-moi les phases...13A??? (silence) ou...
(silence)…encapsulage14Eencapsulage ! oui !15A??..?? du support ...16Emhm...oui !…17A??? ??? du support ! passer lessivage !18Enon ! on fait seulement : lessivage. hein ? pas la peine de mettre : passer au lessivage ! ça, c’est pour parler…pour parler on dit : on passe au lessivage. et pour écrire, on écrit seulement : lessivageCependant la difficulté d’interpréter les phonies suivantes de A se terminant par du support, focalise l’attention sur le support et ne permet pas d’interpréter correctement le ou (2A13), qui peut porter soit sur l’indiquant soit sur l’indiqué et qui peut conduire à deux interprétations du sens des phonies 11-15 :
on passe au collage, et puis à la préparation ou à l’encapsulage
on passe au collage, et puis à [ce qu’on appelle] préparation ou encapsulage.
Sitôt qu’apparu, le terme encapsulage disparaît jusqu’à la neuvième séance (9A /189). Cependant, A l évoque à travers la phonie [tsb] qui, comme E ne l a pas encore remarqué, entre dans l univers de discours préférentiel de encapsulage.
La réapparition de la phonie [ãkapssla’] réveille à nouveau les univers de discours des opérations et une nouvelle mise en relation, plus explicite, entre les phonies plastification, amorce, adhésivage, double-face, collage. Elle aboutit, à la suite d’un long échange conduit à l’initiative de E (9A/ 184-764), à reconstruire l’univers de discours spécifique aux opérations de A et à en délimiter enfin la clôture en distinguant les valeurs spécifiques de chaque phonie dans le discours de l’indiqué et leurs relations en tant que termes d’un système clos.
Plastification 2 XE "plastification" 
 XE "plastification" Cet échange s’ouvre sur une mise en relation immédiate de l’encapsulage avec la plastification :
9AEqu’est-ce que c’est l’encapsulageAben c’est plastif à chaud / on pénétrer le / tirage dans les deux plastifs un coupEhmmAen haut y’en a protection, en bas, y’en a EhmmAl’encapsulage, c’est une double plastificationEà chaudAc’est une plastification des deux côtésEouaisAc’est comme ça qu’il faut l’expliquerEben normalement siAEprofessionnellement si on dit encapsulage il comprendra, heinAoui, comment vous l’expliquezEc’est plastifié recto-verso directementAc’est plastifié recto-verso à chaud directement< L’encapsulage, c’est [une] plastif[ication] à chaud. On [fait] pénétrer le tirage dans les deux plastifications [d’]un[seul] coup. En haut il y a [la] protection, en bas il y en a [une aussi]. L’encapsulage, c’est une double plastification à chaud, c’est une plastification des deux côtés, c’est plastifié recto-verso à chaud directement.>Si l’encapsulage est une plastification des deux côtés, il faut en déduire que la plastification est une plastification d’un seul côté, c’est-à-dire le collage d’une protection de la photo sur un seul côté.
UDindiquantUDindiqué[plastifikasjõ]plastification/protection//plastifiée/ /simple//recto ou verso /à froid[ãkapssla’]encapsulage/protection//plastifiée//double/ /recto et verso //à chaud/Encapsulage  XE "encapsulage" 
En outre, A compare spontanément encapsulage et plastification en rapport au côut de l opération (9A/215sq.) et à la qualité de la protection (9A239).
9AAencapsulage, ça coûte moins cher que plastifEpourquoi ça coûte moins cherAje sais pas / le plastif / c’est spécialEhmAcent francs le mètre carréEon sort des trucs comme çaAet on peut marquer des trucsEon peutAon peut marquer, tracer des films, ça raye pasEd’accord< l’encapsulage coûte moins cher que la plastification, [la protection plastifiée], le plastif, c’est spécial, [ça coûte] cent francs le mètre carré. [avec l’encapsulage] on sort des trucs comme ça ), on peut marquer des trucs [dessus], tracer des films , ça raye pas >UDindiquantUDindiqué[plastifikasjõ]plastification/protection//plastifiée/ /simple//recto ou verso /à froid/
/plus cher//rayable//non marquable//moins bonne qualité/[ãkapssla’]encapsulage/protection//plastifiée//double/ /recto et verso //à chaud/
/moins cher//non rayable//marquable//meilleure qualité XE "analyse de l indication" Mais ce qui déclenche tout à coup l intérêt de E, c est le rang opérationnel de l encapsulage (9A232 sq.) :
9AEl encapsulage vous le placez où ‘! vous le placez dans quelle partie de ce plan / de ce procès/ApréparationEà quel endroit vous le mettriez ‘!Aon fait un truc à partEhmAdes fois on fait souvent encapsulage / retour / expédier comme çaEhmAc’est- à dire vous faites l’encapsulage, y’a pas d’supportEnonAhmEy’a beaucoupAc’est nouveau ce que vous me dites làEben demandé simplement encapsulage pour protéger la photoAd’accord / donc l’opération d’encapsulage c’est seulement / donc c’est pas valable çaEsi, ça fait partie du service finitionDans l’ensemble du procès, l’encapsulage se situe à part (9A235) et surtout, il ne nécessite pas de support (9A243 sq.). Il faut en déduire que l’encapsulage est simplement la protection des photos par un mince film collé à chaud qui va permettre de les rouler et de les livrer dans des tubes de carton renforcé. Ainsi l’encapsulage n’est pas une opération du processus de collage du tirage sur le support. Ce n’est donc pas une opération subordonnée, mais une opération subordonnante qui « fait partie du service finition » (9A246).
Voilà qui est une révélation pour E (9A243,271,277), une révélation qui remet en cause l’ensemble du schéma des procédures (9A245) réalisé au cours de la deuxième séance (Doc 3), lequel n’est plus valable. De sorte qu’un nouveau schéma doit être produit et commenté au tableau (9A309-411). E le reproduit ensuite dans son cahier de suivi (Doc 26) en vue d’une formalisation à inclure dans le Livret du stagiaire.
La plastification ne relève donc plus d’une opération subordonnée à la réalisation d’un support mais d’une activité autonome, d’un processus spécifique entrant dans le choix des trois processus à réaliser par A lorsqu’il prépare son planning journalier : le collage sur support, la plastification, l’encapsulage.
A signale en outre spontanément qu’un autre avantage de l’encapsulage sur la plastification est que celui-là « n’a pas de mémoire » (9A255) : roulé et placé dans un tube puis extrait du tube et posé à plat, un tirage plastifié ne se maintient pas à plat et s’enroule à nouveau spontanément (2A248) tandis qu’un tirage encapsulé « oublie » la forme imposée dans le tube et prend immédiatement la nouvelle forme : il reste à plat.
A précise enfin que c’est une opération qui est située historiquement et représente un progrès technique important : elle remplace la plastification (9A263) qui se fait sans support elle aussi (9A269) et se substitue de plus en plus à elle. On en comprend immédiatement les raisons : la matière première est moins chère et le produit fini est de meilleure qualité. Cet intérêt économique est renforcé du fait que l’encapsulage peut être pris en charge par une seule personne (9A266) au contraire de la plastification qui en requiert au moins deux (9A266).
UDindiquantUDindiqué
[plastifikasjõ]
plastification/protection//plastifiée/ /simple//recto ou verso /à froid/
/plus cher//rayable//non marquable//moins bonne qualité/
Op subordonnante//pas de mémoire//moderne//remplace// un ouvrier/
[ãkapssla’]
encapsulage/protection//plastifiée//double/ /recto et verso //à chaud/
/moins cher//non rayable//marquable//meilleure qualité/
Op. subordonnante//mémoire//ancienne//remplacée/ /deux ouvriers/
Cette accumulation de distinctions entre les deux opérations, spontanément apportée par A sans grande sollicitation de E, conduit cependant A à maintenir, pour la plastification, que le schéma ne justifie pas d’être modifié : car, si on peut plastifier des tirages sans les coller sur un support (9A269-270/275) pour les livrer en tube, on peut aussi en coller sur des supports (9A274). La plastification intervient donc à deux niveaux hiérarchiques : comme opération principale d’un processus autonome qui, pour cela, prend le nom de « plastification » et comme opération subordonnée, intégrée à un autre processus autonome, le collage du tirage. La plastification intervient dans ce cas comme une des opérations de la phase « préparation du tirage » dans le processus « tirage sur support ». A considère donc que le schéma collage du tirage ne justifie pas d’être modifié tandis que E considère que le schéma d’ensemble doit être reconsidéré :
278Eben / regarde on a parlé / plastifié tirage / ben c’est pareil279Aah oui / mais la plastification elle est là / elle est là dans le cadre du collage sur le tirage.280Ehmm281Aben on peut / ça fait partie du travail / c’est la même chose282Enon / c’est pas la même choseE doit donc montrer à A la différence hiérarchique de deux opérations identiques qui ne s’intègrent pas dans la même finalité puisque le client peut demander la livraison d’un tirage simplement plastifié ou celle d’un tirage collé sur support (9A304).
E propose le nouveau schéma qu’il commente dans la perspective des réponses que A devrait apporter au client qui lui demanderait les différentes possibilités de conditionnement des tirages.
UDindiquantUDindiqué[plastifikasjõ]plastification/protection//plastifiée/
/simple//recto ou verso /à froid//plus cher//rayable/
/non marquable//moins bonne qualité/
//pas de mémoire//moderne/ /remplace/ / un ouvrier/
Op subordonnée[plastifikasjõ]plastification/protection//plastifiée/
/simple//recto ou verso /à froid//plus cher//rayable/
/non marquable//moins bonne qualité//pas de mémoire/
/moderne/ /remplace/ / un ouvrier/
Op subordonnante[ãkapssla’]encapsulage/protection//plastifiée/
/double/ /recto et verso //à chaud//moins cher//non rayable/
/marquable//meilleure qualité//mémoire/
/ancienne//remplacée/ /deux ouvriers/
Op subordonnanteDimension et caractéristique XE "caractéristique et dimension" 
Tout au cours de son explication spontanée, on voit que A maîtrise bien, malgré une forme grammaticale défectueuse, les moyens linguistiques permettant de distinguer l’encapsulage de la plastification. Ainsi est-il capable de construire oralement le « questionnaire XE "questionnaire"  » de ces deux notions tel que Prieto TA \s "Prieto"  le suggère : il peut nommer les caractéristiques de nombreuses dimensions attachées à ces termes :
DimensionsCaractéristiquesplastificationencapsulagesupporttiragetiragefonctionprotectionprotectionmatièreplastiqueplastiqueopérationsimpledoublelieurectorecto et versotechniqueà froidà chaudrayableouinonnombre d’opérateursdeuxuncoût matièrechermoins chermarquablenonouimémoireouinonactualitéanciennouveaurapport réciproquepremier, remplaçésecond, remplacédestinationsupport ou tubetubehiérarchiesubordonné et subordonnantsubordonnantCette tâche cependant ne lui vient pas naturellement. Elle n’est pas encore intégrée à ses savoir faire linguistiques et professionnels.
Par ailleurs, lorsqu’une dimension telle que le point de vue hiérarchique recouvre pour le même terme deux caractéristiques différentes {/(hiérarchie) subordonné/ vs /(hiérarchie) subordonnant/}, A conçoit difficilement qu’il puisse s’agir de deux opérations différentes. L’opération et sa désignation sont uniques mais l’opération est produite pour deux finalités différentes et sa désignation apparaît dans deux univers de discours différents. En effet, le signifié /(hiérarchie) subordonné/ s’applique à l’univers de discours : lessivage, adhésivage, collage, plastification en tant qu’inclus dans l’univers de discours réalisation du support rigide, tandis que le signifié /(hiérarchie) subordonnant/ s’applique à l’univers de discours : réalisation d’un support, plastification, encapsulage en tant qu’inclus dans l’univers de discours type de support ou types de conditionnement Ainsi s’agit-il pour le même indiquant de deux sens différents de l’action et du résultat attendu dans les deux rapports sociaux différents au sein desquels s’insère la même activité.
UDindiquantUdindiquélessivage(hiérachie)subordonnéadhésivagecollageplastificationsupport(hierarchie)subordonnantplastificationencapsulageOr c’était justement cette dimension qui permettait à E de comprendre le processus de fabrication. Le sens, pour lui, est de comprendre comment se répartissent, dans le cadre de la fonction de l’ouvrier du service finition, les processus, les opérations et les tâches auxquels il est soumis, c’est-à-dire les buts, les objectifs opérationnels et opératoires qui organisent son action et le discours professionnel.
Ces différences de niveau hiérarchiques pourront être formalisés dans un but didactique XE "encapsulage" \r "Sélection" \b  :

Support rigideLessivagePlastification TirageAdhésivage supportCollage Tirage / SupportSupport plastifiéPlastificationSupport encapsuléEncapsulageCe long excursus sur l’encapsulage permet de montrer comment les assimilations, le vague, le « tout ça c’est pareil » que l’on observe au niveau phonétique, s’étendent au niveau lexical, en particulier dans la structuration hiérarchique des champs lexicaux et des champs sémantiques qui leur sont associés, lesquels sont en partie commandés par l’analyse des actions, des opérations et par la structuration spatiale et temporelle de leurs relations.
Dans le milieu professionnel, mal distinguer les procès des procédures, leurs relations entre les procès, les lieux et les moments de leur réalisation et mal distinguer les opérateurs des opérations conduisent à ne pas pouvoir structurer le langage que l’expérience structure et qui structure l’expérience. Ne pas percevoir le plan qui préside à l’organisation d’un état de choses, c’est ne pas pouvoir en intégrer l’image et par contre-coup sa dimension linguistique.
En outre, l’apprenant, centré sur lui-même, ne peut progresser dans ses acquisitions linguistiques tant qu’il n’est pas en état de prendre en compte le point de vue de l’autre et de se donner les moyens linguistiques pour exprimer les choses en tenant compte de son interlocuteur. Sans doute cette nécessité pragmatique ne peut-elle se réaliser au mieux que par la compétence linguistique.
Dans le cas présent, nous observons les résistances de A à adopter le point de vue du client, de celui qui ne sait pas (9A/389-398), ou le point de vue du commercial de l’entreprise qui sait mais qui structure son discours selon des règles et des normes très précises. Or l’adoption d’un tel point de vue confronte A à des tâches nouvelles de communication pour lesquelles il n’a jamais été formé, même dans sa langue maternelle : car ces tâches nécessitent une manipulation des éléments linguistiques, une mise en relation des phonies entre elles, un savoir de construction et de présentation des univers de discours, une mise en relation des indiquants avec leur indiqué, tous procédés qui relèvent des savoirs de base d’une société donnée. Le niveau de ces tâches, dans nos sociétés industrialisées, s’est beaucoup élevé . Les techniques de comparaison, de hiérarchisation, de différenciation, d’explicitation des caractéristiques et des dimensions des signes utilisés dans la communication sont devenues plus complexes et nécessitent un apprentissage spécifique.
 XE "action" \t "Voir sens" 
 XE "analyse pragmatique" \t "Voir action, théorie de l’_" 
 XE "cadre de référence" \t "Voir action, théorie de l’_" 
 XE "communication" \t "Voir code" 
 XE "compétence de communication" \t "Voir communication" 
 XE "énoncé" \t "Voir discours" 
 XE "environnement cognitif" \t "Voir situation" 
 XE "interaction" \t "Voir analyse conversationnelle" 
 XE "mentalais" \t "Voir interprétation" 
 XE "mise en mots" \t "Voir mot" 
 XE "mot" \t "Voir phonie" 
 XE "noème" \t "Voir sens" 
 XE "parole" \t "Voir acte de _, linguistique de la _"
 XE "pertinence" \t "Voir pragmatique de la _" 
 XE "schéma" \t "Voir analyse conversationnelle" 
 XE "signal" \t "Voir classe, phonie" 
 XE "sens" \t "Voir signe, signal" \b 
 XE "traits" \t "Voir "caractéristique et dimension" \b
Conclusion

Nous avions annoncé dans notre introduction que cette thèse de didactique du français langue étrangère en milieu migrant et professionnel constituait la relation de l’intinéraire d’un praticien du Fle, qui, partant de sa pratique d’enseignement, en venait à rechercher dans la linguistique, la pragmatique, la didactique, une réponse aux questions qu’il se posait.
Le plan de cette thèse avait trois parties : la première qui relatait la genèse du questionnement devait décrire l’environnement et le contexte spécifique d’enseignement auprès des adultes migrants et expliquer pourquoi le questionnement se focalisait sur la question lexicale et son rapport avec les situations didactiques.
La seconde partie montrait les phases de l’élaboration théorique. Elle visait à proposer un modèle d’analyse des questions lexicales qui puisse intégrer à la fois les derniers développements des recherches en pragmatique et la théorie de l’indication de Luis J. Prieto, Théorie qui nous avait paru offrir, dans nos travaux antérieurs, un cadre particulièrement pertinent d’analyse de la communication de classe XE "communication de classe" .
La troisième partie produisait la mise à l’épreuve du modèle sur un corpus dont les conditions particulières de recueil et d’exploitation devaient être non seulement explicitées mais justifiées d’un point de vue méthodologique et théorique.
A quels résultats avons-nous abouti ?
Nous avons pu montrer que notre questionnement s’intégrait à un mouvement historique, celui de l’accueil, de l’adaptation et de l’insertion par la formation des migrants adultes. Ceux-ci ont été pris en charge principalement par les initiatives privées du secteur associatif et, à quelques exceptions près, en marge de toute politique volontaire des pouvoirs publics. C’est après la seconde guerre mondiale et la création du FAS TA \s "FAS"  que les associations commencent à recevoir des appuis de la part de la puissance publique, laquelle s’investit de façon plus volontaire après la crise de 1974 et au début des années 1980, mais principalement dans les dispositifs de formation professionnelle. L’Etat se désintéresse toujours de l’alphabétisation ou de la formation générale des adultes migrants non-scolarisés dans leur pays d’origine. C’est la découverte d’une importante proportion de Français et de migrants en situation d’illettrisme qui engage la puissance publique à s’investir plus activement dans la formation des migrants sur les savoirs de base.
Ce contexte historique et institutionnel a déterminé une demande de formation très diversifiée, centrée sur les problématiques de l’alphabétisation ou de la remise à niveau sur les savoirs de base en vue d’une entrée dans les dispositifs de la formation professionnelle. Il a permis aussi une offre pédagogique d’une grande variété mais très cloisonnée, assurée majoritairement par des bénévoles dans le cadre d’actions culturelles, humanitaires, syndicales, politiques, religieuses. De sorte que, durant ces années, les expériences pédagogiques, les méthodes, les méthodologies d’apprentissage, d’une grande variété, ont été fort peu diffusées.
C’est l’implication plus volontaire du FAS TA \s "FAS"  et la création du GPLI TA \s "GPLI"  qui favorisent une unification des parcours de formation, des référentiels, de la méthodologie d’apprentissage. La réorganisation de l’Etat et l’implication des régions et des nouvelles collectivites territoriales, ainsi que le poids accru de la Communauté Européenne, conduisent à une redéfinition et à une diversification des sources de financement. Une avancée importante est marquée aujourd’hui par l’unification des structures d’accueil (fusion du S.S.A.E. et de l’OMI, par la création à l’horizon 2005 de l’Agence Nationale d’Accueil des Migrants (ANAM) – et la création du Contrat d’Accueil et d’Intégration (C.A.I.), sur le modèle du programme réfugié des années 1975-1985. La prise en charge par l’Etat de la formation linguistique des primo-arrivants légaux dans des formations d’au moins cinq cents heures centrées sur la maîtrise de la compétence orale et, pour les analphabètes, sur une première sensibilisation et sur une initiation à la lecture et à l’écrit, représentent à cet égard (et malgré les critiques qui sont à faire de ce dispositif) une importante avancée.
Par ailleurs, la grande diversité des approches pédagogiques a connu progressivement une certaine unification méthodologique, le niveau de professionnalisation des intervenants s’est élevé, sous l’influence du développement des formations universitaires à la didactique du Fle, et une offre éditoriale spécialisée et mieux adaptée aux publics adultes migrants a vu le jour. Elle favorise à la fois un meilleur cadre d’intervention pour les bénévoles et un meilleur encadrement de leur activité, une meilleure compétence des professionnels.
Cependant la mise en œuvre de ces méthodes nécessite une adaptation des thèmes, des contenus et des compétences à des publics très diversifiés et les dispositifs de formation contraignent même les formateurs à prendre en charge souvent, particulièrement dans les formations professionnalisantes et dans la formation continue, l’élaboration pré-méthodique.
C’est sur l’équilibre à trouver entre l’enseignement grammatical et l’enseignement lexical que porte le souci majeur dans cette élaboration lorsqu’il s’agit de constituer des corpus pédagogiques ou de les exploiter dans la communication de classe. Le lexique joue en effet un rôle pivot dans la communication du migrant et dans la communication exolingue de classe. La communication, dominée par le recours à la situation et aux moyens pragmatiques, se focalise prioritairement sur les contenus sémantiques portés par les valeurs lexicales et sur la valeur référentielle des énoncés. Les formes grammaticales, très complexes en français, sont d’un apprentissage plus laborieux et le processus de grammaticalisation, pour se développer, doit s’appuyer sur une maîtrise lexicale de plus en plus complexe.

C’est dans ce contexte spécifique que notre questionnement s’est progressivement focalisé sur la question lexicale : choix des corpus pédagogiques, rôle du lexique dans la communication exolingue, dans la communication de classe ainsi que dans les processus d’apprentissage des adultes.
Les méthodes traditionnelles de traitement des contenus lexicaux demandent ainsi à être reévaluées dans le cadre d’une activité didactique qui nécessite le développement de procédures d’échanges entre l’apprenant et l’enseignant et un entraînement à la communication exolingue dans l’espace de la classe. Cela rend la communication doublement inégale et asymétrique, l’apprenant maîtrisant un certain nombre de contenus mieux que l’enseignant, celui-ci restant seulement maître de la réalisation linguistique. Le terrain formel sur lequel l’un et l’autre peuvent le plus facilement se rencontrer est celui de l’expression lexicale du sens et, à partir des réseaux lexicaux, de la structuration en discours de réseaux sémantiques.
Avant de pouvoir proposer des stratégies pertinentes de traitement des contenus lexicaux en vue de développer la compétence linguistique et, spécialement, la compétence grammaticale, il est nécessaire de pouvoir bien analyser la forme que prend cette communication, et, en particulier, les rapports que la réalisation linguistique entretient avec les dimensions référentielles et pragmatiques des situations d’émission. Un modèle d’analyse est nécessaire, qui puisse intégrer à la fois la dimension linguistique et la dimension pragmatique de l’échange.

C’est dans la deuxième partie que nous avons élaboré ce modèle à partir des conceptions de Luis J. Prieto TA \s "Prieto" , de sa linguistique fonctionnelle et de son analyse de l’indication. Or ces conceptions sont historiquement datées et l’œuvre de Prieto est restée en marge du développement de la pragmatique, nouvelle discipline informant la didactique des langues et les méthodes. Il était donc nécessaire de confronter la théorie fonctionnelle de Prieto avec la théorie pragmatique.
Après avoir exposé les concepts de Prieto, nous les avons confrontés donc avec les concepts fondamentaux de la pragmatique de la pertinence et de la pragmalinguistique de Bange TA \s "Bange" . Nous avons remarqué que Prieto ne contredit pas les résultats de la première et qu’il se trouve dans une identité de vue surprenante avec la seconde. Une double intégration des résultats des recherches pragmatiques et des thèses de Prieto se révéle ainsi possible et aboutit à la proposition d’un modèle d’analyse de la communication qui permet en s’appuyant principalement sur le concepts d’action, d’indication et d’univers de discours, d’intégrer les phénomènes les plus globaux aux phénomènes les plus locaux.
La mise en œuvre de ce modèle a nécessité cependant d’analyser les productions linguistiques non plus au seul niveau du tour de parole ou de l’énoncé, ni même de la séquence ou de la séance, mais au niveau d’un ensemble de séances, l’action didactique étant organisée, à partir de finalités générales, par des objectifs spécifiques qui se déploient selon une stratégie définie par le formateur, mais qui peut aussi se voir subir des infléchissements au cours de l’action. De sorte que c’est dans son déroulement global que les processus de communication et, particulièrement, les processus de compréhension, doivent être examinés.
C’est ainsi que notre travail nous a conduit à devoir recueillir et analyser un important corpus d’échanges didactiques, pour pouvoir en extraire un certain nombre de phénomènes dont l’analyse ne peut se faire que dans le déroulement de la formation.

Notre troisième partie a rendu compte des conditions de recueil et d’exploitation des données et des moyens par lesquels nous avons tenté d’appliquer notre modèle « action-indication ». Nous montrons ainsi le plan selon lequel l’action se déroule, les intentions et les stratégies des interactants et nous avons analysé à titre d’exemple un certain nombre de phénomènes de la communication exolingue en situation d’enseignement apprentissage.
Nous n’avons cependant porté notre analyse que sur une partie des phénomènes qui sont en jeu dans le processus « action-indication », l’illustration de l’ensemble de ceux-ci aurait justifié à lui seul la présentation d’une thèse. Ainsi n’avons-nous fait qu’ouvrir un chantier d’autant plus intéressant que l’analyse spécifique de chaque phénomène linguistique peut permettre d’illustrer un type spécifique d’exercice centré sur le lexique qui permettrait de renouveler la pratique didactique auprès des publics migrants dans le milieu professionnel. Il pourrait ainsi associer à une meilleure maîtrise de l’environnement une meilleure maîtrise de la communication et des processus d’apprentissage. Les travaux de Gillardin et de de Keyser montrent la voie que les pratiques de remédiation cognitive ont initiée.

Nous pensons ainsi qu’un champ nouveau peut s’offrir à la recherche. Il consisterait à appliquer sur les signes linguistiques les procédures de remédiation cognitive qui ne peuvent se passer de la médiation du langage et de l’expression explicite des processus de raisonnement. C’est cette idée qui a germé en nous en 1993 au cours de notre formation à la pédagogie de la médiation à L’ université Paris-V. Nous n’étions pas à l’époque en état de la formuler clairement et nous aurons mis dix années à pouvoir le faire grâce à la linguistique fonctionnelle de Prieto TA \s "Prieto"  et aux avancées de la recherche pragmatique.
Le modèle d’analyse de l’indication, qui est une analyse d’indices, sa notion d’univers de discours et son recours à la logique ensembliste se trouvent dans une étrange familiarité avec les processus de traitement des données formelles proposées, par exemple, dans les Ateliers de Raisonnement Logique (Higele, Hommage, Perry 1991). Directement inspirés du constructivisme piagétien, ils sont appliqués particulièrement auprès d’adultes migrants analphabètes ou en situation d’illettrisme pour leur permettre de remédier à certaines fonctions cognitives déficientes dans la manipulation des symboles et l’expression des processus inférentiels. Ils sont cependant d’une mise en œuvre assez lourde et nécessitent des formateurs spécialement initiés aux procédures d’analyse et de traitement.
Dans des formations en entreprise, où le développement de la communication linguistique, orale ou écrite, est prioritaire, ces processus de remédiation peuvent rarement être appliqués tels quels. Il peut être possible d’en transférer un certain nombre de procédures dans la manipulation des systèmes de signaux de l’environnement professionnel et des systèmes de signes linguistiques du vocabulaire professionnel, à l’intérieur d’univers de discours dont l’organisation et le sens sont facilités par les relations référentielles et pragmatiques qu’ils entretiennent avec un univers d’expérience familier aux apprenants.
Ainsi voit-on, dans les Ateliers de Raisonnement Logique, que, dès la présentation des blocs logiques, le langage joue un rôle central puisque la familiarisation avec le matériel d’entraînement – les 48 jetons variant selon les quatre critères de couleur (bleu, rouge, jaune), de forme (cercle, triangle, carré, rectangle), de dimension (grand, petit), et d’épaisseur (épais, mince) – passe d’une phase de manipulation du matériel à une phase de « formulation des critères. » (Higele, Hommage, Perry 1991: 93). Ces phases sont commandées d’abord par la formulation par le formateur de « consignes verbales allant de la plus indéterminée à la plus limitative». Ainsi « l’animateur proposera de les « arranger en tas » ou de « classer les jetons ». Elles se poursuivent par une phase de « correction-discussion » dans laquelle le formateur « demandera à chacun d’expliciter le mode de classement auquel il s’est livré », à la suite de quoi « on pourra commencer à explorer cette classe, d’abord par compréhension, ensuite par extension (ibidem)». Or cette exploration, là encore, se fait par le soutien d’une verbalisation, et particulièrement d’un questionnement de la forme :
« Combien y-a-t’il de X, Y, Z (couleurs, formes, dimensions,etc.). Lesquels ? » ou X,Y,Z représentent une classe d’objets ou un critère…
« Combien y-a-t’il de x, y, z (jetons verts, triangles, petits bleus, jaunes épais, etc..). Lesquels ? » où x, y, z, représentent des éléments particuliers sélectionnés par plusieurs critères.
Enfin, dans une phase d’ « appropriation » des « caractères qui définissent cette classe », l’exercice se termine par « un nouvel exercice : le formateur retirera un des jetons et demandera aux stagiaires quelles sont les questions qu’il faut formuler pour l’identifier » (ibidem : 94 ).
Il peut être intéressant de reprendre une telle procédure non plus sur des jetons, mais sur les signes linguistiques, sur leur indiquant et sur leur indiqué, en relation avec le sens qu’ils prennent dans des univers de discours spécifiques. Cela permet de conduire une recherche sur le type d’opérations qui sont en jeu dans la communication didactique avec des migrants en milieu professionnel lorsque celle-ci conduit, dans la description, le récit, l’argumentation,etc., à l’ouverture, à la construction et à la clôture d’univers de discours ainsi qu’à l’analyse de leur organisation par la mise en relation des indiquants entre eux et avec leurs indiqués, ainsi qu’à la mise en relation des indiqués entre eux et avec leurs indiquants. Cette analyse rend compte d’un certain nombre de processus par lesquels s’organise la parole, et par lesquelles celle-ci réalise l’organisation de la langue.

Le projet de cette thèse n’était pas de conduire une telle analyse, mais de poser les principes théoriques d’analyse de corpus de classe qui le rendent possible. Au delà de l’analyse spécifique du processus de l’indication mais en s’appuyant sur lui, nous pouvons retrouver dans la communication didactique, tout autant que dans la communication courante, l’ensemble des opérations logiques en jeu dans l’apprentissage d’une langue.
L’un des prolongements de notre travail consisterait ainsi à les retrouver dans le cours de la communication didactique, puis à organiser, à partir des situations évoquées dans la communication de classe, des corpus linguistiques appuyés sur une réalisation lexicale de la phonie et de la graphie, tels que l’on puisse systématiser leur traitement selon telle ou telle opération cognitive dans des dispositifs formels spécifiques.
Les quelques tentatives auxquelles nous nous sommes prété nous paraissent encore insuffisantes. Les procédures sont à développer en se référant au tableau des principales opérations cognitives des ARL résumés ci-dessous (ibidem : 80).

Niveau concret
1
Découverte des blocs logiquesStructure de relationsCombinatoireProportionnalitéStructure de classe XE "classe" 6
Transitivité2
Conbinatoire4
Proportionnalité qualitative3
Classification7
Double transitivité5
Inclusion concrète8
Transitivité généralisée9
Classification généralisée9
Arbre généalogiqueNiveau formelCombinatoireOpérations propositionnellesProportionnalité11
Combinatoire formelle12
ET / OU15
Proportionnalité13
Inclusion formelle14
Implication16
exercices de synthèse

Ainsi voit-on que la question lexicale posée dans le contexte spécifique d’enseignement du Fle auprès de publics migrants est une question qui dépasse la simple question de l’enseignement et de l’apprentissage du lexique. Non seulement il met en jeu aussi la construction de la compétence grammaticale, et celui de l’ensemble du système de la langue, mais, en développant un processus d’acquisition des savoirs de bases sur les domaines de la communication, il développe les domaines de l’appréhension du réel, en particulier dans le domaine du raisonnement, en s’appuyant sur eux.
En définitive, le travail lexical permet, par une focalisation sur le signe, une manipulation de celui-ci selon toutes les dimensions de l’activité cognitive, à travers toutes les dimensions de sa réalisation : auditive, orale, visuelle, écrite, spatiale, temporelle, quantitative, cognitive.
Aussi une théorie didactique dans ce contexte ne peut se passer d’une théorie du signe, d’une théorie logique, et d’une théorie pragmatique : le modèle proposé par Luis J. Prieto nous paraît le plus apte à répondre à ces nécessités.
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Index des sigles

A.D.A.Passociation pour la diffusion, l’adaptation et la preformationA.D.F.I.association pour la diffusion et la formation des immigrésA.E.E.association pour l’enseignement des etrangersA.F.B.atelier de formation de baseA.F.P.A.association pour la formation des adultesA.N.L.C.I.agence nationale pour la lutte contre l’illettrismeA.N.P.E.Agence nationale pour l’emploiA.P.P.atelier personnalisé de base A.T.D. Quart-Mondeaide a toute detresse - quart mondeC.L.A.P.Comité de liaison pour l’alphabetisation et la promotionC.L.P.comité de liaison pour la promotion C.q.F.D.conseil qualité formation developpementC.U.E.E.P.centre universitaire D.L.E.didactique des langues etrangères D.P.M.direction des populations et des migrations F.A.S.fonds d’action sociale F.A.S.I.L.D.fonds d’action sociale , d’integration et de lutte contre les discriminations ( ex-FAS)F.L.B.formation linguistique de baseF.F.P.fonds a la formation professionnelleF.L.E.français langue etrangereF.S.E.fonds social europeenG.P.L.I.groupe permanent de lutte contre l’illettrismeI.N.E.D.institut national O.M.I.office des migrations internationales O.N.I.office national pour l’immigration (Ex-OMI)S.S.A.E.service social d’aide aux etrangersS.S.I.service social international 
Index des notions


 INDEX \c "2" \z "1036"  acte de langage, 128–30
acte de parole, 49, 51, 127, 170–71, 190, 192
action, 172, 174 Voir analyse conversationnelle, sens
analyse de l’, 176
rationnelle, 175
théorie de l', 189
théorie de l’, 189–95
adhésif, 239
adhésivage, 242, 281, 285, 293
alphabétisation
des français, 20–21
des migrants, 21–24
ambiguïté, 109, 142, 148, 253
amorce, 242, 277–80
analphabétisme, 20, 28, 31–32
analyse conversationnelle, 132, 175–84 Voir discours
clôture, 180, 181
complétude, 177, 178
coopération, 150
principe de, 133
coordination, 176
macro-structure, 184
maximes, 133
organisation d'ensemble, 181
organisation préférentielle, 179
paire adjacente, 178
prise de tour, 176
schéma, 173, 182, 183, 184
tour de parole, 177, 262
analyse de l’action, 277
correction phonétique:, 260
répétition phonétique, 261
analyse de l’indication, 278, 284, 285, 288, 289, 292, 295, 298
répétition phonétique, 262
analyse de l’indication
correction phonétique, 260
analyse pragmatique, 188, 184–89 Voir action, théorie de l’_
but, 173
cadre de référence Voir action, théorie de l’_
caractéristique
morphologie, 273
caractéristique et dimension, 120–24, 263–65, 300
caractéristique, 121–23
dimension, 123–24
traits situationnels pertinents, 120
champ noetique Voir univers de discours
circonstances, 133, 153, 154, 226, 252
de production, 133
pertinentes, 114
role, 109
rôle, 110
classe, 99–100, 104, 311
complément, 101
complémentaire, 108
de l'indiquant, 101
de l'indiqué, 101
exclusion, 108
code, 92
collage, 242, 282
communication
compétence de, 50
communication, 37–38, 86, 96, 124, 137, 195 Voir code Voir sémiologie
acte de, 103
au travail, 25, 53
compétence de, 56
de classe, 66
échec, 62, 109
exolingue, 49, 52
réussite, 109, 128
situation de, 39, 50–51, 54, 57
modification, 179
communication de classe, 49, 63, 66, 166, 186, 192, 256, 305
communiquer, 127
commutation, 117
compétence de communication Voir communication
composantes, 181
contexte, 77–79, 150
conditions, 78
construction du, 145–47
pertinent, 115
rôle, 79
contribution, 112, 278 Voir indication, sens, phonie
coupe, 286
dénomination, 122
discours, 91, 161
analyse conversationnelle, 167
analyse de, 194–95
cohérence, 164, 195
d'apprenants, 73
énoncé, 163
intention, 164
théorie du, 195
univers de, 100–102, 108
indiquant, 195
indiqué, 195
univers de, 112–14
double face, 242, 293
double-face, 239
encapsulage, 242, 283, 296, 297, 126–30
énoncé, 119, 133 Voir discours
forme logique, 148
forme propositionnelle, 148
enseignement
du francais instrumental, 65
fonctionnel, 48, 63
français instrumental, 48
entité linguistique Voir phonie,classe
environnement cognitif Voir situation
état mental, 127
exolingue, 284
face, 184, 247, 250
face
menace, 178
finition, 287
fonctionnelle
approche, 70
méthode, 111
théorie_du signifié Voir noologie
illettrisme, 28, 29–30, 31–32
en entreprise, 36, 35–38
implication, 126–30 Voir sens
implicature, 133, 134
indication, 132, 137, 136–42, 154, 195, 267, 273, 284, 335
double, 139
mécanisme, 121
significative, 139
indices, 57, 96–98, 153, 177
contextuels, 79
indiquant, 101, 195, 254, 267 Voir univers de discours
indiqué, 101, 195, 254, 267 Voir univers de discours
inférence, 130
instrumental Voir enseignement
intensionnalité, 142
intention, 129, 132, 137
interaction, 40, 171–74, 190 Voir analyse conversationnelle
théorie de, 190
interlangue, 52–56, 72, 70–73, 126–30
interprétation
cognitive, 164
énoncé, 134
linguistique, 150, 153
mentalais, 147, 150
stratégie de l'interprète, 190
interpréter, 90
langue, 93
lexique, 63, 61–63, 65, 186 Voir simplification
analyse lexicale, 66, 265–80
choix, 70, 66–70, 188
enseignement, 79
famille de mots, 270
role, 74, 75
rôle, 77
linguistique, 92, 93
de la parole, 93–94
fonctionnelle, 83
mentalais Voir interprétation
mentalais, 151
méthodes, 42–47, 60
méthodologie, 47–51
mise en mots Voir mot
modèle TOTE, 173, 260, 261
modularisme, 143–45
module, 150
mot, 37, 62, 72, 73, 91, 187, 211, 216, 218, 250, 274, 285 Voir phonie
mise en, 58, 75
négociation du sens, 181
noème Voir sens
noologie, 86, 85–86, 95, 171
méthode, 111
objet, 122
parole, 94, 169, 170 Voir acte de _, linguistique de la _
pertinence, 147, 145–47, 154 Voir pragmatique de la _
principe de, 146, 147, 272
pertinent Voir économiser
phonie, 103, 102–3, 119, 153, 156, 192, 218, 247, 250, 265
contribution, 110–11, 258
rôle, 107, 110
phonologie, 111
phrase, 133
plan, 190 Voir schéma d'action
plastification, 242, 288, 297
pragmalinguistique, 169, 166–71
pragmatique, 128, 136
de la pertinence, 150
de Prieto, 134–43, 151–59, 198
gricéenne, 131–34
linguistique, 130–31
non-linguistique, 155
prémisses, 150
présupposition, 131
projet Voir schéma d'action
questionnaire, 300
rapport
empiètement, 117
opposition, 117
restriction, 117
rapport social Voir sens
savoir partagé, 62, 172, 282
savoirs de base, 39, 38–40
schéma Voir analyse conversationnelle
sémiologie, 83, 88, 92, 93, 87–88 Voir noologie
sémiotique Voir sémiologie
sens, 96, 103, 139, 141, 153, 174, 191, 192, 221, 225, 238, 247, 252, 273, 295 Voir signe, signal, rapport social
action, 174
contribution au, 106–7
déduction, 78
double pertinence, 139
implication, 139–42
noème, 118–19
opposition, 111
rapport social, 103–6, 168, 246–54
signifié, 112
traits, 111
vériconditionnalité, 141, 142
signal, 99, 98–99, 138, 156 Voir classe, phonie
signalisation, 139 Voir signification naturelle
double, 141
signe, 92, 137, 151–57, 169
théorie du, 194
signe linguistique, 192
signification, 134, 155 Voir sémiologie
conventionnelle, 132
naturelle, 132, 137
non naturelle, 132
simplification, 71, 72
situation, 114–16, 145, 154, 171, 172
rôle, 116, 277
situation contextuelle, 115
situation de communication, 191
situations de communication, 222, 240
stratégie, 173
stratégies, 187
syllogisme pratique, 172
territoire de l'apprenant, 56, 55–56
traits Voir traits situationnels pertinents Voir caractéristique et dimension
univers de discours, 123, 124, 157, 171, 194, 197, 207, 219, 262 Voir discours
univers de discours médiateurs, 285
vériconditionnalité Voir sens

 TOA \h \c "1" \p INDEX DES AUTEURS CITES
Aebli 165, 173, 186
Apostel 164, 299
Austin 49, 124
Bange passim
Barthes passim
Bartlett 187
Beheydt 75
Bénichou 29
Berruto 69, 70, 177, 184
Blanke et Posner passim
Boogards 14, 75, 175
Boyer 46, 48, 49, 59
Brown et Levinson 175
Buyssens 132
Carnap 160, 163
Chevallard 10
Chomsky 152
Corder 14
Cranach 165, 166, 219
Dennett 157
Ducrot 126
Eco 133, 301
FOAD 41
Fodor 138, 139, 142, 147
Galisson 40, 45, 65
Germain passim
Goffman 165, 170
Goodwin 169
Graves 75, 178
Greimas et Courtès 133
Grice passim
Hameline 49
Hjemslev 130
Hymes 47, 49, 159
Jefferson 172
Kallmeyer passim
Kallmeyer et Schütz 186, 221
Klingsberg 133, 303
Leech 166, 183
Leontiev 162, 163, 180
Levinson 170
Martinet 78, 80, 84, 91
Miller, Galanter, Pribram 165, 249
Minski 173
Moirand 47, 54, 55, 59
Moore 144
Morris 124, 160
Mutta 14
Noyau passim
P.Stip et J.Hulstjin 75
Perdue 51, 192, 300
Porquier 4, 14
Py 53, 73
Reboul et Moeschler passim
Richterich et Chancerel 18
Rosen passim
Ross 125
Rulmayer 173
Sacks 170, 172
Sacks, Schlegoff, Jefferson 167, 168, 169
Sapir et Whorf 130
Saussure passim
Schütz 167, 173, 181
Schützen 173
Searle 124, 125, 128, 129
Stella Baruk 13
Troubetzkoy 80
Türing 123
Vigotsky 162, 163
Vion 160
Weber 166, 183
Wright 164
 Table des matières


 TOC \o "1-4" \h \z  HYPERLINK \l "_Toc150702279" Dédicace  PAGEREF _Toc150702279 \h 3
 HYPERLINK \l "_Toc150702280" Remerciements  PAGEREF _Toc150702280 \h 5
 HYPERLINK \l "_Toc150702281" Sommaire  PAGEREF _Toc150702281 \h 7
 HYPERLINK \l "_Toc150702282" Introduction  PAGEREF _Toc150702282 \h 9
 HYPERLINK \l "_Toc150702283" Première partie : Genèse d’une problématique lexicale  PAGEREF _Toc150702283 \h 17
 HYPERLINK \l "_Toc150702284" Chapitre 1 : Le français langue étrangère et les adultes migrants  PAGEREF _Toc150702284 \h 19
 HYPERLINK \l "_Toc150702285" 1.1. Les politiques d’alphabétisation en France jusqu’en 1975  PAGEREF _Toc150702285 \h 19
 HYPERLINK \l "_Toc150702286" 1.1.1. Scolarisation des français : l’alphabétisation en L1  PAGEREF _Toc150702286 \h 20
 HYPERLINK \l "_Toc150702287" 1.1.2. Scolarisation des adultes migrants : l’alphabétisation en L2  PAGEREF _Toc150702287 \h 21
 HYPERLINK \l "_Toc150702288" 1.2. 1975 et la « crise »  PAGEREF _Toc150702288 \h 24
 HYPERLINK \l "_Toc150702289" 1.2.1. Mutations technologiques, mutations culturelles et chômage  PAGEREF _Toc150702289 \h 24
 HYPERLINK \l "_Toc150702290" 1.2.2. Le FAS et la formation des migrants  PAGEREF _Toc150702290 \h 25
 HYPERLINK \l "_Toc150702291" 1.2.3. Le dispositif d’accueil pour les réfugiés  PAGEREF _Toc150702291 \h 26
 HYPERLINK \l "_Toc150702292" 1.2.4. Demandeurs d’emplois analphabètes et migrants  PAGEREF _Toc150702292 \h 27
 HYPERLINK \l "_Toc150702293" 1.3. Le tournant de 1984  PAGEREF _Toc150702293 \h 28
 HYPERLINK \l "_Toc150702294" 1.3.1. L’insertion des migrants  PAGEREF _Toc150702294 \h 28
 HYPERLINK \l "_Toc150702295" 1.3.2. Un « nouveau » phénomène : l’illettrisme  PAGEREF _Toc150702295 \h 29
 HYPERLINK \l "_Toc150702296" 1.3.3. Le dispositif commun  PAGEREF _Toc150702296 \h 30
 HYPERLINK \l "_Toc150702297" 1.3.4. Analphabétisme et illettrisme  PAGEREF _Toc150702297 \h 31
 HYPERLINK \l "_Toc150702298" 1.4. 1988 : Formation de base et nouveau dispositif  PAGEREF _Toc150702298 \h 33
 HYPERLINK \l "_Toc150702299" 1.4.1. Le champ de la formation de base  PAGEREF _Toc150702299 \h 34
 HYPERLINK \l "_Toc150702300" 1.4.2. La typologie des publics  PAGEREF _Toc150702300 \h 34
 HYPERLINK \l "_Toc150702301" 1.4.3. Le référentiel de formation linguistique de base  PAGEREF _Toc150702301 \h 35
 HYPERLINK \l "_Toc150702302" 1.5. 2000 : la lutte contre l’illettrisme en entreprise  PAGEREF _Toc150702302 \h 35
 HYPERLINK \l "_Toc150702303" 1.5.1. La communication au travail  PAGEREF _Toc150702303 \h 37
 HYPERLINK \l "_Toc150702304" 1.5.2. Le référentiel des savoirs de base  PAGEREF _Toc150702304 \h 38
 HYPERLINK \l "_Toc150702305" Chapitre 2 : Méthodologie du français langue étrangère en milieu migrant  PAGEREF _Toc150702305 \h 42
 HYPERLINK \l "_Toc150702306" 2.1 Les méthodes  PAGEREF _Toc150702306 \h 42
 HYPERLINK \l "_Toc150702307" 2.1.1. Une adaptation nécessaire  PAGEREF _Toc150702307 \h 45
 HYPERLINK \l "_Toc150702308" 2.2. De la méthodologie en insertion sociale et professionnelle  PAGEREF _Toc150702308 \h 47
 HYPERLINK \l "_Toc150702309" 2.2.1. Les objectifs  PAGEREF _Toc150702309 \h 47
 HYPERLINK \l "_Toc150702310" 2.2.2. Enseignement fontionnel et français instrumental  PAGEREF _Toc150702310 \h 48
 HYPERLINK \l "_Toc150702311" 2.2.3. Communication exolingue  PAGEREF _Toc150702311 \h 49
 HYPERLINK \l "_Toc150702312" 2.2.4. La mise en œuvre didactique  PAGEREF _Toc150702312 \h 50
 HYPERLINK \l "_Toc150702313" 2.3. De la formation linguistique à la formation à la communication  PAGEREF _Toc150702313 \h 52
 HYPERLINK \l "_Toc150702314" 2.3.1. Le français qu’ils parlent  PAGEREF _Toc150702314 \h 52
 HYPERLINK \l "_Toc150702315" 2.3.2. La compétence de communication  PAGEREF _Toc150702315 \h 56
 HYPERLINK \l "_Toc150702316" 2.3.3. Stratégies de l’apprenant  PAGEREF _Toc150702316 \h 57
 HYPERLINK \l "_Toc150702317" 2.3.4. Les implications et le rôle du formateur  PAGEREF _Toc150702317 \h 58
 HYPERLINK \l "_Toc150702318" Chapitre 3 : La question lexicale  PAGEREF _Toc150702318 \h 60
 HYPERLINK \l "_Toc150702319" 3.1. Le post-méthodique  PAGEREF _Toc150702319 \h 60
 HYPERLINK \l "_Toc150702320" 3.1.1. Communication de classe  PAGEREF _Toc150702320 \h 61
 HYPERLINK \l "_Toc150702321" 3.1.2. Enseignement fonctionnel  PAGEREF _Toc150702321 \h 63
 HYPERLINK \l "_Toc150702322" 3.1.3. Français intrumental  PAGEREF _Toc150702322 \h 63
 HYPERLINK \l "_Toc150702323" 3.1.4. Le processus d’analyse lexicale  PAGEREF _Toc150702323 \h 65
 HYPERLINK \l "_Toc150702324" 3.2. Le traitement méthodique du lexique  PAGEREF _Toc150702324 \h 66
 HYPERLINK \l "_Toc150702325" 3.2.1. Elaboration  PAGEREF _Toc150702325 \h 67
 HYPERLINK \l "_Toc150702326" 3.2.2. Les corpus pédagogiques  PAGEREF _Toc150702326 \h 67
 HYPERLINK \l "_Toc150702327" 3.2.3. Choix lexicaux  PAGEREF _Toc150702327 \h 68
 HYPERLINK \l "_Toc150702328" 3.2.4. La place du lexique dans l’interlangue  PAGEREF _Toc150702328 \h 70
 HYPERLINK \l "_Toc150702329" 3.3. Le rôle de l’enseignement lexical  PAGEREF _Toc150702329 \h 74
 HYPERLINK \l "_Toc150702330" 3.3.1. La maîtrise de l’environnement  PAGEREF _Toc150702330 \h 74
 HYPERLINK \l "_Toc150702331" 3.3.2. La grammaticalisation  PAGEREF _Toc150702331 \h 75
 HYPERLINK \l "_Toc150702332" 3.3.3. L’apprentissage par le contexte  PAGEREF _Toc150702332 \h 77
 HYPERLINK \l "_Toc150702333" Deuxième partie : Vers un modèle d’analyse des données lexicales  PAGEREF _Toc150702333 \h 81
 HYPERLINK \l "_Toc150702334" Chapitre 4 : Luis Prieto  PAGEREF _Toc150702334 \h 83
 HYPERLINK \l "_Toc150702335" 4.1. Les travaux  PAGEREF _Toc150702335 \h 83
 HYPERLINK \l "_Toc150702336" 4.1.1. 1964 : Principes de noologie  PAGEREF _Toc150702336 \h 85
 HYPERLINK \l "_Toc150702337" 4.1.2. 1968 : Messages et signaux et La sémiologie  PAGEREF _Toc150702337 \h 87
 HYPERLINK \l "_Toc150702338" 4.1.3. 1974 : Etudes de linguistique et de sémiologie générale  PAGEREF _Toc150702338 \h 88
 HYPERLINK \l "_Toc150702339" 4.1.4. 1975 : Pertinence et pratique  PAGEREF _Toc150702339 \h 88
 HYPERLINK \l "_Toc150702340" 4.1.5. Une œuvre inachevée ?  PAGEREF _Toc150702340 \h 89
 HYPERLINK \l "_Toc150702341" 4.2. La théorie fonctionnelle du signifié  PAGEREF _Toc150702341 \h 89
 HYPERLINK \l "_Toc150702342" 4.2.1. Signification et communication  PAGEREF _Toc150702342 \h 89
 HYPERLINK \l "_Toc150702343" 4.2.2. Une linguistique de la parole  PAGEREF _Toc150702343 \h 93
 HYPERLINK \l "_Toc150702344" 4.2.3. Une conception paradoxale du sens  PAGEREF _Toc150702344 \h 94
 HYPERLINK \l "_Toc150702345" 4.2.4. Le sens, fait concret  PAGEREF _Toc150702345 \h 95
 HYPERLINK \l "_Toc150702346" 4.2.5. Indice et signal  PAGEREF _Toc150702346 \h 96
 HYPERLINK \l "_Toc150702347" 4.2.6. Classe  PAGEREF _Toc150702347 \h 99
 HYPERLINK \l "_Toc150702348" 4.2.7. Univers de discours  PAGEREF _Toc150702348 \h 100
 HYPERLINK \l "_Toc150702349" 4.2.8. Classe de l’indiquant et classe de l’indiqué  PAGEREF _Toc150702349 \h 101
 HYPERLINK \l "_Toc150702350" 4.3. L’entité linguistique et son rôle  PAGEREF _Toc150702350 \h 102
 HYPERLINK \l "_Toc150702351" 4.3.1. Le signal linguistique : la phonie  PAGEREF _Toc150702351 \h 102
 HYPERLINK \l "_Toc150702352" 4.3.2. L’acte de communication  PAGEREF _Toc150702352 \h 103
 HYPERLINK \l "_Toc150702353" 4.3.3. Etablir un rapport social  PAGEREF _Toc150702353 \h 103
 HYPERLINK \l "_Toc150702354" 4.3.4. La contribution de la phonie  PAGEREF _Toc150702354 \h 106
 HYPERLINK \l "_Toc150702355" 4.4. Le mécanisme de l’indication  PAGEREF _Toc150702355 \h 107
 HYPERLINK \l "_Toc150702356" 4.4.1. L’acte de parole  PAGEREF _Toc150702356 \h 107
 HYPERLINK \l "_Toc150702357" 4.4.2. Sens émis, sens admis  PAGEREF _Toc150702357 \h 109
 HYPERLINK \l "_Toc150702358" 4.4.3. Contribution de la phonie et des circonstances  PAGEREF _Toc150702358 \h 110
 HYPERLINK \l "_Toc150702359" 4.4.4. La méthode fonctionnelle  PAGEREF _Toc150702359 \h 111
 HYPERLINK \l "_Toc150702360" 4.5. Caractéristiques et dimension  PAGEREF _Toc150702360 \h 120
 HYPERLINK \l "_Toc150702361" 4.5.1. Les traits situationnels pertinents  PAGEREF _Toc150702361 \h 120
 HYPERLINK \l "_Toc150702362" 4.5.2. Caractéristiques  PAGEREF _Toc150702362 \h 121
 HYPERLINK \l "_Toc150702363" 4.5.3. Point de vue et dimension  PAGEREF _Toc150702363 \h 123
 HYPERLINK \l "_Toc150702364" 4.5.4. Caractéristiques pertinentes pour le sujet  PAGEREF _Toc150702364 \h 124
 HYPERLINK \l "_Toc150702365" Chapitre 5 : La pragmatique de la pertinence  PAGEREF _Toc150702365 \h 126
 HYPERLINK \l "_Toc150702366" 5.1. Un modèle dialogique et interactif de la pensée  PAGEREF _Toc150702366 \h 127
 HYPERLINK \l "_Toc150702367" 5.1.1. Les insuffisances des linguistes pragmaticiens  PAGEREF _Toc150702367 \h 128
 HYPERLINK \l "_Toc150702368" 5.1.2. Une pragmatique linguistique  PAGEREF _Toc150702368 \h 130
 HYPERLINK \l "_Toc150702369" 5.1.3. La pragmatique gricéenne et l’inférence  PAGEREF _Toc150702369 \h 131
 HYPERLINK \l "_Toc150702370" 5.2. La Pragmatique implicite de Prieto I  PAGEREF _Toc150702370 \h 134
 HYPERLINK \l "_Toc150702371" 5.2.1. Linguistique, structuralisme et pragmatique  PAGEREF _Toc150702371 \h 134
 HYPERLINK \l "_Toc150702372" 5.2.2. Signification non-naturelle et signalisation  PAGEREF _Toc150702372 \h 136
 HYPERLINK \l "_Toc150702373" 5.2.3. Du signifié au sens : le sens comme enrichissement intentionnel du signifié  PAGEREF _Toc150702373 \h 139
 HYPERLINK \l "_Toc150702374" 5.2.4. Conclusion provisoire  PAGEREF _Toc150702374 \h 142
 HYPERLINK \l "_Toc150702375" 5.3. La pragmatique de la pertinence de Sperber et Wilson  PAGEREF _Toc150702375 \h 143
 HYPERLINK \l "_Toc150702376" 5.3.1. Le modularisme de Sperber et Wilson  PAGEREF _Toc150702376 \h 143
 HYPERLINK \l "_Toc150702377" 5.3.2. Construction du contexte : choix des prémisses et principe de pertinence  PAGEREF _Toc150702377 \h 145
 HYPERLINK \l "_Toc150702378" 5.3.3. Format linguistique et interprétation : le mentalais  PAGEREF _Toc150702378 \h 147
 HYPERLINK \l "_Toc150702379" 5.4. La pragmatique implicite de Prieto II  PAGEREF _Toc150702379 \h 151
 HYPERLINK \l "_Toc150702380" 5.4.1. Sous le signe, des convergences  PAGEREF _Toc150702380 \h 151
 HYPERLINK \l "_Toc150702381" 5.4.2. Sous le signe, des divergences  PAGEREF _Toc150702381 \h 155
 HYPERLINK \l "_Toc150702382" Chapitre 6 : La pragmalinguistique  PAGEREF _Toc150702382 \h 161
 HYPERLINK \l "_Toc150702383" 6.1. Une approche réductionniste du discours.  PAGEREF _Toc150702383 \h 162
 HYPERLINK \l "_Toc150702384" 6.1.1. Deux interprétations.  PAGEREF _Toc150702384 \h 162
 HYPERLINK \l "_Toc150702385" 6.1.2. A la recherche d’un modèle  PAGEREF _Toc150702385 \h 164
 HYPERLINK \l "_Toc150702386" 6.2. La pragmatique linguistique de Bange  PAGEREF _Toc150702386 \h 166
 HYPERLINK \l "_Toc150702387" 6.2.1. Analyse conversationnelle et pragmalinguistique  PAGEREF _Toc150702387 \h 167
 HYPERLINK \l "_Toc150702388" 6.2.2. La pragmalinguistique de Bange.  PAGEREF _Toc150702388 \h 168
 HYPERLINK \l "_Toc150702389" 6.2.3. L’interaction et l’action  PAGEREF _Toc150702389 \h 171
 HYPERLINK \l "_Toc150702390" 6.2.4. Le sens de l’action  PAGEREF _Toc150702390 \h 174
 HYPERLINK \l "_Toc150702391" 6.2.5. Interaction et analyse conversationnelle  PAGEREF _Toc150702391 \h 175
 HYPERLINK \l "_Toc150702392" 6.3. Un modèle d’analyse pragmatique de traitement des données lexicales  PAGEREF _Toc150702392 \h 184
 HYPERLINK \l "_Toc150702393" 6.3.1. L’objectif : un modèle d’analyse pragmatique  PAGEREF _Toc150702393 \h 184
 HYPERLINK \l "_Toc150702394" 6.3.2. Le lexique  PAGEREF _Toc150702394 \h 186
 HYPERLINK \l "_Toc150702395" 6.3.3. Le cadre de référence  PAGEREF _Toc150702395 \h 189
 HYPERLINK \l "_Toc150702396" 6.4. L’interprétation pragmatique  PAGEREF _Toc150702396 \h 196
 HYPERLINK \l "_Toc150702397" 6.3.4. La pragmatique implicite de Prieto III  PAGEREF _Toc150702397 \h 197
 HYPERLINK \l "_Toc150702398" Troisième partie : Un modèle pragmatique et linguistique d’analyse des données lexicales  PAGEREF _Toc150702398 \h 200
 HYPERLINK \l "_Toc150702399" Chapitre 7 : L’interaction et les interactants  PAGEREF _Toc150702399 \h 202
 HYPERLINK \l "_Toc150702400" 7.1. Le corpus et l’interaction  PAGEREF _Toc150702400 \h 202
 HYPERLINK \l "_Toc150702401" 7.1.1. L’enquête  PAGEREF _Toc150702401 \h 202
 HYPERLINK \l "_Toc150702402" 7.1.2. La tâche  PAGEREF _Toc150702402 \h 205
 HYPERLINK \l "_Toc150702403" 7.2. L’univers de discours de l’apprenant  PAGEREF _Toc150702403 \h 207
 HYPERLINK \l "_Toc150702404" 7.2.1. Le niveau linguistique de A  PAGEREF _Toc150702404 \h 207
 HYPERLINK \l "_Toc150702405" 7.3. L’univers du discours didactique : plan du formateur  PAGEREF _Toc150702405 \h 222
 HYPERLINK \l "_Toc150702406" 7.3.1. Le contexte d’intervention  PAGEREF _Toc150702406 \h 222
 HYPERLINK \l "_Toc150702407" 7.3.2. Les stratégies de E  PAGEREF _Toc150702407 \h 223
 HYPERLINK \l "_Toc150702408" 7.3.3. Les objectifs de E  PAGEREF _Toc150702408 \h 223
 HYPERLINK \l "_Toc150702409" 7.3.4. Le contrat didactique  PAGEREF _Toc150702409 \h 224
 HYPERLINK \l "_Toc150702410" Chapitre 8 : Déroulement de l’action  PAGEREF _Toc150702410 \h 227
 HYPERLINK \l "_Toc150702411" 8.1. Action et univers de discours  PAGEREF _Toc150702411 \h 227
 HYPERLINK \l "_Toc150702412" 8.1.1. La transcription  PAGEREF _Toc150702412 \h 229
 HYPERLINK \l "_Toc150702413" 8.1.2. La description  PAGEREF _Toc150702413 \h 230
 HYPERLINK \l "_Toc150702414" 8.2. Le plan des séances  PAGEREF _Toc150702414 \h 231
 HYPERLINK \l "_Toc150702415" 8.2.1. Plan et univers de discours  PAGEREF _Toc150702415 \h 232
 HYPERLINK \l "_Toc150702416" 8.3. Analyse linéaire des séances et des activités  PAGEREF _Toc150702416 \h 234
 HYPERLINK \l "_Toc150702417" 8.3.1. Première séance  PAGEREF _Toc150702417 \h 234
 HYPERLINK \l "_Toc150702418" 8.3.2. Deuxième séance  PAGEREF _Toc150702418 \h 236
 HYPERLINK \l "_Toc150702419" 8.3.3. Troisième séance  PAGEREF _Toc150702419 \h 236
 HYPERLINK \l "_Toc150702420" 8.3.4. Quatrième séance  PAGEREF _Toc150702420 \h 237
 HYPERLINK \l "_Toc150702421" 8.3.5. Cinquième séance  PAGEREF _Toc150702421 \h 239
 HYPERLINK \l "_Toc150702422" 8.3.6. Sixème séance  PAGEREF _Toc150702422 \h 240
 HYPERLINK \l "_Toc150702423" 8.3.7. Septième séance  PAGEREF _Toc150702423 \h 240
 HYPERLINK \l "_Toc150702424" 8.3.8. Huitième séance  PAGEREF _Toc150702424 \h 241
 HYPERLINK \l "_Toc150702425" 8.3.9. Neuvième séance  PAGEREF _Toc150702425 \h 242
 HYPERLINK \l "_Toc150702426" 8.3.10. Dixième séance  PAGEREF _Toc150702426 \h 243
 HYPERLINK \l "_Toc150702427" 8.3.11. Onzième séance  PAGEREF _Toc150702427 \h 243
 HYPERLINK \l "_Toc150702428" Chapitre 9 : Lexique et analyse de l’indication  PAGEREF _Toc150702428 \h 246
 HYPERLINK \l "_Toc150702429" 9.1. Le sens comme rapport social  PAGEREF _Toc150702429 \h 246
 HYPERLINK \l "_Toc150702430" 9.1.1. La face  PAGEREF _Toc150702430 \h 246
 HYPERLINK \l "_Toc150702431" 9.1.2. Face et relation pédagogique  PAGEREF _Toc150702431 \h 254
 HYPERLINK \l "_Toc150702432" 9.2. La contribution à l’établissement du sens  PAGEREF _Toc150702432 \h 255
 HYPERLINK \l "_Toc150702433" 9.2.1. Phonie et contribution au sens  PAGEREF _Toc150702433 \h 255
 HYPERLINK \l "_Toc150702434" 9.2.2. Entendre  PAGEREF _Toc150702434 \h 256
 HYPERLINK \l "_Toc150702435" E écoute A : comment l’entend-il ?  PAGEREF _Toc150702435 \h 256
 HYPERLINK \l "_Toc150702436" 9.3. Ecouter  PAGEREF _Toc150702436 \h 259
 HYPERLINK \l "_Toc150702437" 9.3.1. Le niveau phonétique  PAGEREF _Toc150702437 \h 259
 HYPERLINK \l "_Toc150702438" 9.3.2. Le niveau lexical  PAGEREF _Toc150702438 \h 265
 HYPERLINK \l "_Toc150702439" 9.4. Comprendre l’action  PAGEREF _Toc150702439 \h 280
 HYPERLINK \l "_Toc150702440" 9.4.1. L’action : processus et opérations  PAGEREF _Toc150702440 \h 281
 HYPERLINK \l "_Toc150702441" 9.4.2. La compréhension  PAGEREF _Toc150702441 \h 282
 HYPERLINK \l "_Toc150702442" Encapsulage 1  PAGEREF _Toc150702442 \h 283
 HYPERLINK \l "_Toc150702443" 9.4.3. L’incompréhension  PAGEREF _Toc150702443 \h 287
 HYPERLINK \l "_Toc150702444" 9.4.4. Le dénouement  PAGEREF _Toc150702444 \h 296
 HYPERLINK \l "_Toc150702445" CONCLUSION  PAGEREF _Toc150702445 \h 305
 HYPERLINK \l "_Toc150702446" Bibliographie  PAGEREF _Toc150702446 \h 314
 HYPERLINK \l "_Toc150702447" Index des sigles  PAGEREF _Toc150702447 \h 324
 HYPERLINK \l "_Toc150702448" Index des notions  PAGEREF _Toc150702448 \h 326
 HYPERLINK \l "_Toc150702449" Table des matières  PAGEREF _Toc150702449 \h 331

corpus et annexes : voir volume ii .
Cette thèse sur le « mot et ses indices » présente une recherche en didactique du français langue étrangère auprès d’adultes migrants dans leur environnement professionnel. Elle analyse le rôle du lexique dans la communication didactique exolingue.
Elle est d’abord la relation d’un itinéraire de praticien, des années 1970 au début des années 2000, vers les théories pédagogiques et linguistiques, à travers les évolutions de l’enseignement du français langue étrangère en milieu migrant et professionnel. Une analyse du contexte et de la méthodologie révèle la fonction pivot du formateur dans l’élaboration des méthodes. Le lexique, du fait de son rôle dans l’interlangue des migrants et de ses rapports avec les situations d’émission et les objectifs de formation, tient une place centrale dans les procédures d’enseignement et d’apprentissage, particulièrement pour la construction de la compétence grammaticale,.
Cette thèse propose d’élaborer un modèle d’analyse des données lexicales et des rapports du mot avec ses indices, présents dans la situation de communication comme dans les stratégies d’enseignement. Il doit intégrer les derniers développements de la recherche en pragmatique. Le modèle d’analyse de l’indication, tel que Prieto (1964a) l’a proposé, est le plus apte à expliciter ces rapports. Il s’intègre en effet au modèle cognitiviste de la pertinence que soutiennent Reboul et Moeschler (1998). Mais c’est avec le modèle de la pragmalinguistique de Bange (1992) que les notions prietiennes s’accordent le mieux. Elles le complètent même, en adjoignant à une théorie de l’action une théorie de l’indication qui rend compte de la cohérence du discours didactique et de l’autonomie du niveau discursif dans l’analyse des données.
Elle met à l’épreuve la pertinence de ce modèle dans l’analyse d’un corpus recueilli au cours d’une formation, et elle présente en conclusion les perspectives pour un traitement didactique des rapports du mot avec ses indices dans la lignée du constructivisme piagétien et des techniques de remédiation cognitive.
DISCIPLINE : SCIENCES DU LANGAGE
MOTS CLES :
1°) Français langue étrangère
2°) Didactique
3°) Adultes migrants4°) Interlangue
6°) Lexique
7°) Pragmalinguistique.8°) Prieto TA \s "Prieto" 
9°) Analyse de l’action
10°) Analyse de l’indication XE "indication" Laboratoire MODYCO (Modèles, Dynamiques, Corpus), F.R.E. / U.M.R 7114 CNRS/Paris X, Equipe de linguistique et de didactique Jan Comenius, Universtité de Paris-X Nanterre.
François Champion

 devenu Fonds d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations (FASILD) TA \l "FASILD" \s "FASILD" \c 2  en 2003.
 Classes d’initiation (CLIN), Cours de rattrapage intégré (CRI), animés par des enseignants spécialement formés au CEFISEM TA \l "CEFISEM" \s "CEFISEM" \c 2  devenu aujourd’hui CASNAVE TA \l "CASNAVE" \s "CASNAVE" \c 2 .

 Centre Universitaire d’Enseignement et d’Education Permanente.
 Renault : programme Optim’Hommes. Bâtiment : Formation générale professionnelle (FGP).
 La mise en place depuis 2004 du Contrat d’Accueil et d’Intégration pour les nouveaux résidents légaux, conditionnant l’obtention de la carte de séjour de dix ans à une bonne connaissance du français, et la création d’une Attestation ministérielle de compétences linguistique (AMCL) correspondant au « niveau 4 de la grille d’évaluation de l’assimilation linguistique » ouvrent le droit aux migrants ne satisfaisant pas aux tests de bénéficier d’une formation gratuite de près de 500 heures maximum dans un organisme agréé et financé par l’Etat.
 Enquête longitudianale auprès de 40 locuteurs de six L1 différentes apprenant cinq L2 européennes en milieu non guidé, sous l’égide de l’European for Sciences Fondation, qui a produit une base de données gérée par le Max Plank Institut fûr psycholinguistik, Wundtlaan 1, Nimègue, Pays-Bas.
 Champion TA \s "Champion" , 1996, non publié.
 Exemples de Prieto TA \s "Prieto" .
 C’est, selon Prieto TA \s "Prieto" , par le biais de cette notion de caractéristique, que l’on retrouve dans toute connaissance, que la linguistique peut être considérée comme un cas particulier de la connaissance, et que la sémiologie peut englober la linguistique.
 Cette position est essentielle, contre une certaine forme de substantialisme que l’on veut voir chez Prieto TA \s "Prieto"  (cf. Samir Badir, 2000).

 Dorénavant nous référencerons les citations de Reboul et Moeschler TA \s "Reboul et Moeschler"  1998 par RM 98.
 Ils ouvrent leur exposé sur une citation de A. Clark, l’auteur du roman de science fiction « 2001 Odyssée de l’espace », décrivant Hall, l’ordinateur du vaisseau spatial, comme capable de réaliser le test de Turing, c’est-à-dire de conduire une conversation prolongée à bâtons rompus, sans sujet préétabli, telle qu’elle se déroulerait avec un véritable humain.
 Voir Longo (2004).
 Dorénavant nous référencerons les citations de Blank et Posner TA \s "Blanke et Posner"  (1998) par les abréviations (BP 1998)
 « quello che si possiede quando si sa che si mai ci sia un ogette (…) a condizione che presenti certe caratteristiche (…), tale ogetto puo trovarsi in una certa relazione con altri ogetti ».

 « Il fait beau  et je ne crois pas qu’il fait beau  ne peuvent être vrai ensemble dans la conception de Moore TA \s "Moore"  qui considère qu’il n’y a pas d’autres explicitations que la forme propositionnelle de l’énoncé. Dans un modèle de la pertinence, cet énoncé relève de deux types d’explicitation, l’une, dite de premier ordre, qui porte sur la forme propositionnelle de l’énoncé, sur la vérité de laquelle le locuteur s’engage, l’autre, d’ordre supérieur, qui porte sur les états mentaux et la force illocutoire, sur la vérité desquelles le locuteur ne s’engage pas. » (RM 98 : 96).
 phonologie, étude des sons et de leur articulation pour former mots et groupes de mots ; syntaxe, articulation des mots et groupes de mots pour former des phrases, et règles formelles de bonne formation ou de grammaticalité ; sémantique, signification XE "signification"  des mots (lexique) et combinaisons des mots pour « livrer » la signification compositionnelle.
 Traduction de Bange.
 Lire au sujet du projet de noologie XE "noologie"  de Prieto TA \s "Prieto" , les anticipations de Vygotski TA \s "Vitgotsky"  (1997/1934) pp. 53 et suivantes.
 A l’insu de Bange TA \s "Bange"  (1992) lui-même, dont la bibliographie ignore Prieto TA \s "Prieto" .
 Voir ci dessous 9.2.3.
 Ce sont ces types d’actes de parole que l’on voit aujourd’hui tenir une place importante dans les méthodes de français langue étrangère.
 « Les considérations de placement sont générales pour les énonciations » (Schûtz, Schlegoff 1973 : 299).
 Au fur et à mesure que nous nous sommes habitués aux particularités de la prononciation de A, nous avons interprété les phonies défectueuses et les avons autant que possible transcrites selon la norme orthographique.
 En laotien en effet, on emploie le même mot XE "mot" , indifféremment, pour boire et manger, ces deux activités étant en général toujours concomitantes : on ne boit pas sans manger, comme on ne mange pas sans boire. Le terme laotien correspondrait au terme français ingérer. Par contre, boire une bière, boire du thé, boire du café, s’exprimeront par des termes spécifiques.
 Nous trouvons un intérêt à la théorie de Prieto TA \s "Prieto"  en ceci qu’elle nous permet de nous glisser dans les interstices du dogme, de savoirs nécessairement arbitraires, et de rendre compte des rapports entre les faits et les croyances sur ces faits, du lien par lequel s’élaborent, à travers la pratique du langage lui-même, les concepts de l’analyse linguistique.
 De sorte que les doubles (voire triple) consonnes du français sont systématiquement ramenées au schéma CV ; [kriz] se transcrira : kerise, [trãblÝmã] se transcrira : torobelema.
 Cf. Racine, Britannicus :
e sonore : Mais Madame je veux prévenir le danger (v.665) [madamÝ] ;
e sourd : Caché près de ces lieux je vous verrai Madame (v. 678) [madam] ;
e élidé : J en dois compte, Madame, à l’empire romain., (v.181) [mada : ma]
 Ainsi, au cours d’une occupation d’usine par des salariés d’une autre usine du même groupe menacés de licenciement qui défilaient à travers les ateliers et les bureaux, les stagiaires n’avaient rien à faire de la lecture d’un document technique et nous ont demandé de transcrire et de leur expliquer les slogans proférés au mégaphone (« Motivés ! Motivés ! Nous sommes tous motivés !- Ça veut dire quoi, m’sieur, motivé ? »). A partir de cette situation, nous avons traité du thème de la grève, des délocalisations, de l’organisation des salariés et des employeurs, etc. Nous avons pu aussi remarquer que chez certains salariés, le bulletin d’information hebdomadaire composé par les Ressources Humaines n’était pas une source d’enrichissemement linguistique aussi importante que les tracts de Lutte Ouvrière, que le Chef du Personnel lisait avec attention mais qu’il ne commentait pas avec le même niveau d’expertise, ni la même subtilité, que ces salariés qu’il avait désignés comme justifiables d’une sérieuse remise à niveau linguistique pour la préparation du Certificat de Formation Générale.
 Nous référençons le corpus ainsi : les séances (S) par leur numéro d’ordre (S1 : Séance 1) ; Les nivaux de l’action par : Act et un numéro d’ordre ; .le locuteur par A (Apprenant) ou E (Enseignant, formateur) ; les énoncés par la numérotation de la ligne où ils sont transcrits dans la séance.
 Conventions de transcription (voir aussi vol. 2 : 3)
Les éléments d’identification de notre informateur, de l’entreprise, etc., ont été masqués ou transformés.
Nous avons transcrit en code API les phonies non immédiatement interprétables et celles représentant une manifeste difficulté de prononciation ou un statut lexical ou syntaxique indéterminé. [ƒ], seul signe disponible dans notre traitement de texte, transcrit la consonne orthographiée CH en français.
Les propos de A sont transcrits en orthographe courante lorsque l’écoute de l’enregistrement ne comporte pas d’ambiguïté, mêmedans le cas de phonies fautives ou tronquées, en particulier pour la prononciation élidée du [r], du [’] prononcé [s] ou [z], de la distinction pas toujours nette entre [e] et [(], ainsi qu entre [ÿ] et [T ] / [ã] et [õ].
Marques spécifiques :
AL apprenant / notre informateur / non natif< ****>Interprétation d’une phonieEL’enseignant / formateur en français langue étrangère / natif+ Pose( ? ? ? ) Passage inaudible. :Allongement de phonie[ ** ]Transcription code API/Interruption par le locuteur[? **?]Phonie ininterprétable.\Interruption par l’interlocuteur

 La salle de formation est en étage au dessus de l’atelier de finition.
 Dans une formation de 80 heures pour des règleurs laotiens chez un équipementier automobile, le responsable des ressources humaines, ayant déploré qu’un apprenant – avec lequel ses fonctions le mettait en relation très régulière – semblait ne pas avoir fait de progrès dans la prononciation après « déjà » trente heures de formation, avait réclamé que le formateur s’engage dans un travail phonétique intensif. Le formateur lui avait développé les raisons pour lesquelles, à son avis, le problème de la communication de cet apprenant était mal posé par ce seul biais. Ce responsable avait eu suffisamment d’ouverture d’esprit pour suspendre son exigence, et réserver son jugement jusqu’à l’issue de la formation. Il avait constaté alors que les capacités de communication de l’apprenant en question s’étaient en effet notablement développées, même dans la prononciation du français, bien que les résultats qu’il en attendait en ce domaine n’avaient pas répondu à ses attentes : mais il comprenait mieux qu’une focalisation sur le seul code phonétique ne traitait pas tous les problèmes de communication. La formation avait été reconduite.

 Nous avons été confronté au cours d’une formation à l’ensemble des stagiaires d’un groupe menaçant d’arrêter la formation si l’un des participants n’en était pas exclu : celui-ci, plus avancé que les autres, avait rapporté au vestiaire et dans le car de l’entreprise, en s’en moquant, les bévues d’une seule de ses collègues. Une intense négociation a évité l’exclusion et arrêté l’hémorragie « faciale ».
 Voir ci-dessus chapitre 6.
 On rencontre même des alloglottes si peu sûrs de leur compétence linguistique qu’ils développent dans la communication orale des stratégies de contournement tellement élaborées que l’on se demande si, pour eux, il ne faut pas que la langue contribue le moins possible à l’établissement du sens XE "sens"  et que les autres systèmes d’indication XE "indication"  y contribuent le plus possible. C’est en tout cas, pour la communication écrite, la stratégie de toute personne en situation d’illettrisme, francophone ou non : d’où les nombreux déboires, chez le formateur auprès de certains migrants adultes en FLE, quand ils veulent trop s’appuyer sur la compétence de lecture et sur l’écrit.
 Nous évoquerons ici plus souvent ce processus sous le terme d’opérations, réservant au terme tâche l’activité exercée par A ou demandée par E. De même, nous parlons d’activité pour ce qui concerne les phases de déroulement de l’action didactique, et les termes procédure ou processus désignent ce qui concerne les phases de déroulement de l’action professionnelle. En milieu professionnel, on emploie d’ailleurs de plus en plus le terme anglo-américain process.
 Remarquons qu’à aucun moment ce terme n’apparaît dans le corpus, ni avant, ni après la neuvième séance. C’est cependant le terme qui commande toute la problématique que tente de mettre en place E et qui contribue le mieux à l’établissement du sens des distinctions hiérarchiques en débat et des fonctions de A dans l’atelier finition. Soit l’enquête de E quant à la terminologie professionnelle en usage dans l’entreprise est encore incomplète et son savoir quant au vocabulaire technique est encore insuffisant, soit il attend que A produise de lui-même le terme ou que la formalisation définitive des processus lui permette de l’introduire en clôture de la construction conjointe des savoirs communs. Cette lacune du corpus révèle en tout cas la différence de rôle entre le formateur à la communication et le formateur technique auprès de tels publics : le premier doit être informé des procédés techniques pour former à la communication à propos de ceux-ci mais il construit les savoirs conjointement avec les apprenants qui en ont une meilleure expertise que lui ; le second seul peut former sur les procédés techniques et donc compléter et développer leur niveau d’expertise. Le premier prépare ou accompagne le travail du second, il ne peut se substituer à lui. Cette distinction n’est actuellement pas toujours bien perçue de la part des donneurs d’ordre, moins encore de la part des formateurs techniques ou des formateurs à la communication, et plus mal encore de la part des apprenants.

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