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Christian PLANTIN - CNRS

La rhétorique classique n'a pensé l'argumentation que sur deux plans : le plan ... soit à peu près ?traitement développé d'un sujet précis, sur un mode formel, pour ..... les paralogismes par non respect des règles des probabilités et de l'induction, ... opposables reposent sur deux options, examen du fait, examen du témoin :.




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on entrée au CNRS en 1989 et mon rattachement à l'URA 1347, “Groupe de recherche sur les interactions conversationnelles”, CNRS - Université Lyon 2, dirigée par C. Kerbrat-Orecchioni.

• Le Chapitre 1 présente brièvement, selon leur succession chronologique, les différents cadres institutionnels dans lesquels j'ai travaillé et les différents programmes de recherche que j'ai développés, en tant qu'enseignant-chercheur jusqu'en 1989, et, comme chercheur, depuis cette date.

• Les Chapitres 2 à 4 dressent un bilan évaluatif de deux types de recherches en argumentation : “Nouvelle rhétorique” de C. Perelman & L. Olbrechts-Tyteca et rhétoriques américaines au Chapitre 2, théorie des paralogismes au Chapitre 3. Le Chapitre 4 propose quelques réflexions sur la situation des recherches actuelles en argumentation.

• Les Chapitres 5 à 7 posent les fondements d'une recherche sur l'argumentation comme interaction (Chapitre 5) et dégagent les pistes de recherche dans ce cadre : contradiction, question, stase (Chapitre 6), types d'arguments (Chapitre 7).
Le Chapitre 8 présente une analyse de cas permettant la mise à l'épreuve des concepts précédemment introduits et propose une méthode capable de rendre compte de la dynamique de l'interaction argumentative.

• Deux annexes sont jointes à cette synthèse. La première est une brève note lecture situant cette recherche en argumentation par rapport à certaines recherches en psychologie sociale sur la persuasion et la médiation. La seconde aborde la question des demandes venant de l'enseignement.




Apprentissages

Je dois à Norbert Dupont mon orientation vers la linguistique, dans le prolongement d'une interrogation de grammaire pour le concours de l'IPES, à l'automne 1968. Mon apprentissage a commencé en 1968-69, année où Norbert Dupont avait réuni un groupe d'étudiants de deuxième année qu'il guidait dans la lecture de Saussure, mais aussi de l'Introduction à la grammaire générative et de Syntactic structures.
J'ai ainsi reçu ma formation de base à l'Université de Lyon, où j'ai passé en 1970 une Licence de linguistique (l'année, je crois, de fondation de cette Licence), où j'ai étudié avec Alain Berrendonner, Jean Blanchon, Patrick Charaudeau, Jacques Cosnier, Norbert Dupont, Pierre Dupont, Marie-Christine Hazaël-Massieu, et Catherine Kerbrat.
Ma Maîtrise était composée d'un C2 “Méthodes de recherche en linguistique” et d'un Mémoire dirigé par Michel Le Guern, et Norbert Dupont bien sûr. Elle portait sur les premiers travaux en théorie de l'acquisition se réclamant du courant de la grammaire générative. Norbert Dupont avait également orienté mes lectures vers Piaget . Difficile dialogue.
Comme tout IPESien, j'ai passé le CAPES puis l'Agrégation de Lettres Modernes. J'ai préparé cette agrégation à l'Université Paris IV, où j'ai eu la chance de pouvoir compléter ma formation en grammaire historique avec Gérard Moignet et Michel Zink, en grammaire et stylistique avec Pierre Larthomas, et Jean Mazaleyrat.

J'ai ensuite été nommé professeur agrégé au Lycée de Laigle, dans l'Orne, en 1973. J'ai obtenu un emploi du temps me libérant le vendredi après-midi pour assister aux séminaires d'Oswald Ducrot, dont j'avais déjà suivi les conférences à Lyon. Je me suis alors inscrit en thèse de troisième Cycle à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
1. Cadres, programmes et développement de la recherche
A. Doctorat de 3e Cycle : Sur les mots du dialogue
• Mes premiers travaux en linguistique ont été menés dans le cadre d'une thèse de troisième cycle, sous la direction d'Oswald Ducrot :
Oui, non, si - Etude des enchaînements dans le dialogue, 1978 (1)
Il s'agit d'une recherche sur les mots du dialogue, relativement extérieure au programme “d'intégration de la pragmatique” poursuivi par O. Ducrot.
A la différence des thèses classiques sur oui, non, si, qui éliminent ces mots en les réduisant à un rôle de “pro-phrase”, ce travail se propose d'observer et de décrire les fonctionnements de ces particules dans leur milieu linguistique naturel, celui du dialogue. L'analyse est menée dans le cadre d'une théorie des actes de langage. Elle repose sur une technique de schématisation des contextes, prenant en compte les “attentes” des interlocuteurs.
Sur cette base, une série de phénomènes dialogiques apparentés sont examinés : analyse de la négation comme dénégation, problème de la litote, fonctions de mais (exclamatif et correctif-réfutatif), analyse de la particule bien, fonction dialogale de parce que (permettant le retour sur les implicites prêtés à l'interlocuteur).
• Cette thèse a été achevée alors que j'étais enseignant de Linguistique à l'Université d'Oran, de 1977 à 1979. Elle est accompagnée des publications suivantes :
« Deux mais” », 1978 (12)
« Oui et non sont-ils des “pro-phrases” ? », 1982 (13)
• J'ai ensuite enseigné la Linguistique française à l'Université de Fès, de 1979 à 1983. J'ai entrepris une analyse systématique des enchaînements dans les dialogues de Huis-Clos. Certains éléments de cette recherche sont intégrés dans deux articles parus en 1985 :
« La genèse discursive de l'intensité - Le cas de si intensif », 1985 (14)
« Nominations. La constitution des rôles dans le dialogue », 1985 (15)
B. Doctorat en “Langue et linguistique” : Recherche sur l'écrit argumenté
• En 1983, j'ai pu bénéficier d'un contrat d'assistant pour une thèse sur l'argumentation à l'Université de Bruxelles, thèse que j'ai rédigée sous la direction de Marc Dominicy.
Ce contrat m'a permis de travailler de 1983 à 1988 dans un milieu de recherche ouvert, très actif, où j'ai pu exposer mes travaux et en discuter régulièrement.
J'ai ainsi soutenu en 1988 une Thèse de Doctorat en Philosophie et Lettres (Langue et linguistique) :
Les mots, les arguments, le texte - Propositions pour l'enseignement du français à l'Université, 1988 (2).
Cette thèse a obtenu une Médaille d'or de la Commission Française de la Culture de l'Agglomération de Bruxelles, en 1989.

• Mes premiers contacts avec les théories de l'argumentation ont eu lieu dans les années 1970, à partir de la fréquentation des séminaires de l'EHESS où Oswald Ducrot construisait, dans le cadre d'une “pragmatique intégrée”, la première formulation de la théorie de l'argumentation dans la langue.
Toute recherche en argumentation suppose sans doute une vision de la logique et de ses rapports à la langue naturelle. Ma formation dans ce domaine est tirée des cours et des séminaires de logique et de philosophie de la logique, donnés par Jacques Bouveresse et de Roger Martin, à l'Université Paris II, que j'ai suivis de 1974 à 1977.
Les séminaires sur la rhétorique organisés à l'Université de Fès par Jean Molino m'ont permis de me familiariser avec les données classiques, essentiellement dans la perspective d'une rhétorique “non restreinte” construite par les œuvres de E. R. Curtius et de H. Lausberg.
A l'Université de Bruxelles, la recherche en argumentation était évidemment orientée par l'approche néo-classique de la rhétorique de Ch. Perelman & L. Olbrechts-Tyteca.
• Mon contrat avec l'Université de Bruxelles me demandait non seulement de déterminer un cadre théorique autorisant une étude linguistique de la parole et du discours argumentatifs, mais aussi d'organiser et d'assurer un enseignement de l'argumentation dans le cadre d'un cours de français à des adultes francophones. Cette double contrainte s'est avérée extrêmement stimulante.
• Alors que ma thèse de troisième cycle (1978) relève de la pragmatique du dialogue, ma thèse belge (1988) porte d'abord sur la théorie et l’analyse du discours argumentatif monologique. Elle traite notamment des questions de logique du discours (hétérogénéité des stratégies de légitimation vs structuration du discours argumentatif, problème des normes) mais elle doit aussi affronter des questions de dialectique (organisation du débat argumentatif oral, modes d'intégration et traces du débat dans le discours écrit).
Du point de vue de la documentation, cette thèse a dû faire face à une difficulté importante : les traditions de recherche en argumentation sont, largement, des “traditions nationales”. Il existe un réel décalage entre les travaux sur l'argumentation poursuivis en Belgique, en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis. Dans ce dernier pays en particulier, la recherche en argumentation va de pair avec une généralisation de l'enseignement de l'argumentation à de vastes publics d'étudiants. Ma thèse se propose donc d’articuler ces différents travaux, en visant, à terme, leur confrontation critique et leur mise à l'épreuve sur les textes argumentatifs.
J'ai ainsi abouti à une tripartition dont j'ai conservé le schéma général : les recherches contemporaines sur l'argumentation s'organisent autour de la scientificité des arguments, de leurs fondements langagiers et de leur déploiement dans l'interaction (voir Chap. 7). La IIe partie de la thèse, intitulée :
« Les arguments » Les mots… IIe partie, p. 201-357
m'a ainsi fourni les éléments sur lesquels j'ai construit les Essais sur l'argumentation, 1990.

• Une telle recherche croise des problèmes de lexique : le débat argumentatif se développe fréquemment comme une logique des mots, pour l'expression de laquelle je ne trouvais pas d'instrument adéquat. J'ai ainsi été amené à construire, et à soutenir, une technique de représentation des relations morphologiques lexicales, une morphologie lexicale de surface dont je fais constamment usage :
« Les mots » Les mots… Ie partie, p. 15-199

• Un ouvrage réunissant les “Travaux pratiques” à l'intention des étudiants abordant l'étude de l'argumentation dans une perspective linguistique est issu de la IIIe partie de cette thèse :
Argumenter. De la langue de l'argumentation au discours argumenté, 1989 (3)*
L'ouvrage propose une série de définitions des concepts fondamentaux de l'argumentation, des exercices sur le métalangage naturel de l'argumentation (I. Les mots pour saisir les arguments), sur les connecteurs (II. Les mots pour lier les arguments). La place centrale est accordée aux questions d'Analyse des arguments (III). Les deux dernières parties (IV. Synthèse d'arguments et V. Production des arguments) sont orientées vers le dialogue argumentatif.
Ces exercices sont issus de mon expérience de l'enseignement. De 1983 à 1988 j'ai organisé et donné un enseignement pratique de l'argumentation dans le cadre du Groupe de Perfectionnement en Langue Française, qui accueille des étudiants adultes francophones. La direction de ce service était assurée par Marc Wilmet, puis par Max Wajskop. A son origine, l'enseignement dispensé était fondé sur une conception normative étroite du “bon usage”. J'ai, conformément au programme qui m'avait été confié, réorienté cet enseignement dans un sens qui faisait une large place au travail sur l'argumentation qu'il s'agisse de compréhension ou de production de textes de type universitaire.
Les problèmes et les perspectives ouvertes par la possibilité d'un apprentissage systématique de l'argumentation ont été présentés à divers publics de formateurs et de “formateurs de formateurs”, cf. CV :
Formation permanente des enseignants de français.
Conférences sur des problèmes d'apprentissage de l'argumentation.


Je suis rentré en France en sept. 1988, sous le régime de mise en disponibilité de l'enseignement secondaire, et, après avoir enseigné pendant un an comme Chargé de Cours au Département de Recherches Linguistiques de l'Université de Paris VII, je suis entré au CNRS en 1989, comme Chargé de Recherche II.

C. Du texte argumentatif à l'interaction argumentative
• En 1988, une bourse Fullbright (bourse de recherche franco-américaine), m'a permis de passer cinq mois aux Etats-Unis, Ohio State University, Département de Communication (mars à juillet 1988), où j'ai été accueilli par James L. Golden.
Pendant cette période, j'ai présenté mon propre travail de recherche dans un séminaire de postgraduation sur le thème :
European trends in argumentation (mars-juin1988).
Ce séjour et cet enseignement, ainsi que les discussions avec les chercheurs américains, m'ont permis de me familiariser avec les traditions de recherche américaines en rhétorique et en argumentation.
• Ma recherche en argumentation a été en outre développée et exposée dans deux séminaires :
– un séminaire semestriel à l'EHESS sur “L'argumentation rhétorique” pendant trois ans (voir en annexe au dossier d'articles le programme de ces séminaires).
– depuis 1989-90, le Département de Sciences du Langage de l'Université Lyon 2 m'a confié un séminaire annuel consacré à “L'Argumentation”. Depuis 1993-94, ce séminaire est donné en collaboration avec S. Bruxelles.
• Entré au CNRS en 1989, je me suis d'abord consacré à la rédaction d'un ouvrage faisant le point de mes recherches :
Essais sur l'argumentation, 1990, (4)*
• J'ai ensuite travaillé sur une série d'articles et de conférences destinés à préciser et à approfondir certaines questions traitées dans ce livre, ainsi qu'à explorer de nouvelles directions de recherche.
J'ai été ainsi amené à rapprocher systématiquement mes analyses de l'argumentation des recherches sur les interactions (voir publications 20 à 28 et conférences). Dans cette entreprise, j'ai bénéficié pleinement du soutien des séminaires organisés par l'URA dans le cadre des programmes de recherche “Question” et “Trilogue”. Les publications suivantes se situent dans le cadre de ces programmes :
« Question —> Argumentations —> Réponses », 1991 (21)*
« Fonctions du tiers », 1995, (29)*
Le Trilogue, C. Kerbrat-Orecchioni et C. Plantin (éds), 1995, (9).
J'ai organisé une recherche sur les lieux communs, qui a abouti à un Colloque et à une publication collective :
Lieux communs, topoi, stéréotypes, clichés, 1993 (8)
« Lieux communs dans l'interaction argumentative » 1993 (24)*
• Certains résultats de ces recherches sont présentés dans un ouvrage de synthèse :
L'argumentation (1995, sous presse) (5)*.

La synthèse qui suit porte sur les recherches de cette dernière période.
2. Premier bilan de recherche : De la “Nouvelle rhétorique” aux rhétoriques américaines
A. Sur le Traité de l'argumentation
Ch. Perelman & L. Olbrechts-Tyteca ont incontestablement réalisé en 1958 la première grande réactualisation de la problématique de la rhétorique ancienne comme rhétorique argumentative, c'est-à-dire non restreinte à l'étude des figures de style. A ce titre, le Traité reste une des sources majeures de tout travail de recherche actuel sur l'argumentation. Je me propose, dans ce paragraphe de situer ma recherche vis-à-vis du courant rhétorique néoclassique, dont cet ouvrage est sans doute le représentant le plus éminent. Cette question est traitée dans les travaux suivants :
« Traité de l'argumentation - La Nouvelle rhétorique », in Essais…, Chap. 1, p. 11-22.
« Nouvelle rhétorique et argumentation dans la langue », id., p. 43-49.

• Pour diverses raisons les travaux de Perelman n'ont guère été discutés par les linguistes au moment de leur production, de l'après-guerre au début des années 1980 (voir L'argumentation, Chap. 1. B. a., 1995 (19)*.
Il semble que l'on assiste actuellement à un retour à Perelman, notamment à partir de programmes orientés par la pédagogie de l'argumentation. On pourrait en effet citer plus d'un ouvrage d'introduction à l'argumentation ou à la rhétorique, qui démarquent étroitement Le Traité de l'argumentation. On voit bien pourquoi : comme son nom l'indique, le Traité propose une somme sur la rhétorique argumentative, solidement fondée philosophiquement et avertie des pratiques juridiques qui ont toujours été un domaine test pour les théories de l'argumentation. D'autre part, ses classifications, soutenues par un art de la dénomination particulièrement heureux, reposent sur des exemples souvent mémorables, pris dans le corpus culturel le plus prestigieux, ce qui le rend particulièrement attrayant pour les enseignants – et les vulgarisateurs – en quête d'un ouvrage de référence.

• Il faut cependant souligner que :
– Les buts de Perelman et sa méthode ne sont pas linguistiques mais philosophiques. Ses analyses survolent des exemples purement illustratifs, dont il ne cherche pas à rendre compte, et certains restent largement obscurs et sous-analysés. J'ai tenté une analyse systématique d'une famille d'exemples tirés notamment de Perelman dans :
« Exercice : Est-il bon ? Agit-il bien ? – Maximes topiques de l'acte et de la personne », Essais…, Chap. 6, p. 254-260.
– Le défaut de problématisation est également particulièrement sensible. Le Traité n'est pas une étape dans une recherche. A bien des égards, L'Empire rhétorique marque plus une reprise abrégée du Traité qu'une évolution de la théorie.
– En un mot, la situation du Traité vis-à-vis des recherches en argumentation est assez analogue à celle du Bon usage vis-à-vis des études linguistiques.
• Plus qu'à une redécouverte du Traité de 1958, la reprise des recherches en argumentation a été rendue possible par les travaux développés dans les années 1970 et 1980 : pragmatique linguistique, logiques naturelles ou “non formelles”, recherches sur la cognition, sur la formalisation des jeux dialogiques, analyse du discours, analyse des interactions. Rien dans Perelman n'annonce ou n'introduit à ces recherches.
B. Recherches américaines sur la “rhétorique argumentative”
• Les travaux de Perelman ont été immédiatement intégrés dans les cursus d'études rhétoriques aux Etats-Unis, qui constituent le milieu où l'on trouvera mises en perspective et développements des concepts fondamentaux de la “Nouvelle rhétorique”.
Il est difficile de mettre en correspondance les travaux poursuivis aux Etats-Unis sous l'intitulé “rhétorique” avec des recherches précises poursuivies dans le domaine francophone. J'ai proposé un premier bilan de ces travaux, fondé sur la logique de leur développement interne, dans
« Renaissances de la rhétorique : les travaux américains », Essais…, Chap. 2, p. 53-88 (1990) (4)*
Je retiendrai les points suivants.
Situation des travaux américains
• D'un point de vue historique, et nonobstant le topos du “revival” de la rhétorique, la situation aux Etats-Unis est caractérisée par la présence continue, institutionnalisée, de l'enseignement de la rhétorique au niveau universitaire. Cette présence répond à une évolution sans rupture des “pratiques rhétoriques” telles qu'on les constate dans le discours public américain. De la rhétorique religieuse des pionniers on est passé à une rhétorique politique qui a connu son âge d'or à partir des premières actions de résistance à l'Angleterre, vers 1770, et qui s'est prolongée jusqu'au milieu du 19e siècle. La rhétorique cède alors à l'idéologie du romantisme et aux exigences de la spécialisation. Elle recule devant la montée des départements d'anglais et des progrès des “Belles-Lettres”, au détriment de la “parole citoyenne et sociale” dont la rhétorique fournissait les principes “architectoniques”.
On sait que la fin du 19e siècle marque un tournant dans les études rhétoriques en France. A cette époque, se cristallise une opposition entre un enseignement de la littérature vue comme une pratique de l'éloquence et un enseignement historique de la littérature, considéré comme répondant seul aux exigences de la méthode scientifique.
Aux Etats-Unis, la rhétorique n'a pas connu de rejet, mais une forme “d'involution”. Elle s'est autonomisée en une “discipline”, organisée dans les “Speech Departments” (“Départements (de sciences) du discours”, ou plutôt “de la parole”) où elle est liée aux études de communication. Les premiers départements datent des années 1910, tout comme les premières associations de professeurs et les premières revues, qui n'ont pas cessé de diffuser un volume de travaux impressionnant. On a souligné que cette spécialisation était profondément incompatible avec l'idéologie traditionnelle d'une rhétorique qui fondait sur la culture générale et sur un apprentissage unitaire des “arts de la parole” son ambition de former le citoyen.
• Les analyses rhétoriques sont des analyses critiques ; on parle de “critique rhétorique” [Rhetorical criticism] un peu comme on parle de “critique littéraire”. Sous leur forme néoclassique, ses principes sont assez simples : il s'agit d'évaluer un discours en fonction de l'occasion où il est né, cette évaluation se faisant selon les composantes classiques : invention, disposition, élocution, mémorisation, diction (cf Essais…, Chap. 2, p. 68, “Qu'est-ce qu'une critique rhétorique néo-classique ?”).
Cette rhétorique néo-classique a connu d'importantes transformations aux environs des années 1970, où elle a laissé la place à une prolifération de “théories rhétoriques”. Les causes profondes de cette évolution sont à rechercher dans les transformations des objets traditionnels de la rhétorique, transformations induites par l'essor des médias, mais aussi dans l'observation des pratiques linguistiques peu orthodoxes des mouvements sociaux de l'époque. Les constantes n'ont cependant pas varié : cette rhétorique est une théorie du discours public, une analyse et une pratique de la parole en situation, provoquée par l'émergence d'un problème social et liée à une action à entreprendre. Elle suppose une vision optimiste de l'action symbolique par le langage, capable de transformer une situation, tout à fait à l'opposé de l'idée de parole socialement conditionnée
Bilan
La recherche américaine en rhétorique fonctionnne sur le postulat de la validité permanente de la problématique rhétorique, à travers ses inévitables variations historiques. Les textes anciens ne sont pas traités comme des objets philologiques, coupés des pratiques contemporaines. Cette façon de voir a certainement l'inconvénient d'entretenir le sentiment d'une proximité a-historique avec les textes classiques.
L'essentiel me semble à chercher dans le rattachement de la rhétorique rattachée aux sciences sociales, et non pas aux études littéraires ou linguistiques. Il faut insister sur ce point : la critique rhétorique n'est pas gratuite, mais débouche sur l'action sociale ; elle se veut explicitement thérapeutique, elle cherche à porter remède aux malentendus de la communication. Rien ne lui est plus étranger que l'idée d'une étude immanente où le discours ne serait rapporté qu'à lui-même et à sa propre cohérence structurale. Cette situation a un envers, un peu paradoxal : les recherches en “rhétorique argumentative” menées dans le cadre des Départements de Communication, semblent prendre pour objet le discours moins le langage. Leur logique méconnaît et néglige les questions de langue.
Sur ces points, il y a complète identité de perspective entre recherches rhétoriques et recherches sur les “fallacies”, que nous verrons au Chapitre 3. Dans un cas on demande à l'éthique ce que dans l'autre on attend de la logique : fournir un discours socialement correct.
C. Que faire de la rhétorique ?
F. Rastier a formulé les remarques apodictiques suivantes sur la situation actuelle de la rhétorique.


1. Réévaluer l'héritage de la rhétorique
Pour édifier une typologie textuelle, on ne peut guère s'appuyer sur la tradition obscurcie de la rhétorique.
Certes la linguistique et les autres disciplines qui traitent du texte lui ont largement emprunté1 et se sont partagé, après qu'elle a disparu, les dépouilles de son corps doctrinal. Toutefois la rhétorique n'a jamais été à proprement parler une discipline scientifique – même s'il importe à présent de sauver son noyau rationnel.2 En effet, elle a été conçue dès l'origine comme une technique, et ses catégories taxinomiques comme ses concepts descriptifs sont liés à des objectifs pratiques.3
Aussi connaît-elle de notables limitations.
(i) Puisqu'elle aide à produire les textes d'une société donnée, elle reste délibérément ethnocentrique, quelles que puissent être ses prétentions à l'universalité.
(ii) Elle est historiquement liée à certains types de discours : judiciaire, délibératif, épidictique, épistolaire (ars dictaminis), des belles lettres.
(iii) Elle est normative plutôt que descriptive.
(iv) C'est une technique de production et non d'interprétation.
Enfin, les théories du langage sur lesquelles elle repose ont été oubliées sinon périmées, si bien qu'on ne peut réutiliser sans précautions épistémologiques les concepts qu'elle a produits.
Toutes ces restrictions l'écartent d'une sémantique de l'interprétation qui ne soit pas liée à une société ni à un type de discours.

Note 1. Sans pourtant égaler sa richesse, puisqu'on se contente en général d'épiloguer sur quelques figures, comme la métaphore ou la métonymie. Cf. l'étude illustre mais peu solide de Jakobson (1963).
Note 2. C'est là une des tâches de la linguistique textuelle.
Note 3. Cela n'empêche pas qu'on lui ait jadis confié la haute mission de fonder la morale et par là la société: ainsi notamment chez Isocrate, Posidonius, Cicéron (De oratore, De Officiis), jusqu'à Martianus Capella et même Jean de Salisbury (Metalogicon).

F. Rastier, Sens et textualité, Paris : Hachette, 1989, p. 35-36.

Sur bien des points on ne peut qu'être d'accord avec ce texte : la rhétorique est une « technique » ; ses objectifs sont « pratiques ». Il n'y a bien sûr aucune contradiction, bien au contraire, entre ces faits et l'ambition de « fonder la société » ; ce n'est que parce que la rhétorique veut être une technique des discours sociaux qu'elle affirme, à tort ou à raison, de telles ambitions grandioses. On retrouve plus que des traces de ces idéaux cicéroniens bien au-delà de Jean de Salisbury, puisque nous venons de voir que les recherches américaines, dont on pourra éventuellement stigmatiser l'idéologie, s'en réclament explicitement, comme le montre par exemple la prise de positions de Thurow et Wallin : « Communication replaces rhetoric when we forget or ignore the difference between freedom and slavery » (cf. Essais… Chap. 2, p. 80).
• De quoi se compose précisément « l'héritage » qu'il s'agit de réévaluer ? En français, nous disposons pour l'évaluer de nombreux travaux de qualité. On regrette que le grand ouvrage de référence de Heinrich Lausberg ne soit pas traduit, non plus que les trois volumes de George A Kennedy ; à ma connaissance, il n'existe pas en langue française d'entreprise comparable à celle de l'Historisches Wörterbuch der Rhetorik.
Si l'héritage de la rhétorique est indéniablement « obscurci », ces manques y sont sans doute pour quelque chose ; ils indiquent en tout cas la direction que devraient prendre les premier pas vers une « réévaluation ».
• La rhétorique ancienne est évidemment liée aux formes sociales et discursives des sociétés grecques et latines (Point i) ; en ce sens, elle est « ethnocentrique ». Dans la tradition rhétorique, on répondrait que cet ethnocentrisme est celui de la forme sociale démocratique. Rien n'empêche enfin de s'intéresser aux traditions rhétoriques arabes, indiennes ou extrême-orientales.
• La rhétorique est en effet « historiquement liée à certains types de discours » (Point ii). Mais, puisque l'énumération couvre les discours « judiciaire, délibératif, épidictique, épistolaire (ars dictaminis), des belles lettres » – il faudrait encore ajouter le discours sacré éloquent —, on s'aperçoit qu'est ainsi restitué un domaine d'une ampleur ma foi convenable, qui suffirait à justifier le maintien de la rhétorique dans notre horizon intellectuel.
• La rhétorique est effectivement « normative » (Point iii) ; en tant que savoir concret (know-how), elle prétend hiérarchiser les pratiques observées en fonction de leur efficacité. C'est une caractéristique qu'elle partage avec tous les savoirs ayant une incidence sur l'action.
• La question de « la production » et de « l'interprétation » du discours est particulièrement intéressante à poser en relation avec la rhétorique (Point iv). Il me semble possible de soutenir qu'elle ne reconnaît pas cette distinction. En d'autres termes la technique d'interprétation est fournie par la grille de production.
• Ces considérations suggèrent que « la linguistique textuelle » est autre chose que de la rhétorique. On peut ajouter à ces remarques les précisions apportées par E. Eggs :

La rhétorique classique n'a pensé l'argumentation que sur deux plans : le plan inférentiel et le plan des mots. Le plan de la syntaxe et du texte n'y existent pas. Bien sûr, la rhétorique traditionnelle connaît la supositio, c'est-à-dire la mise en ordre linéaire des arguments trouvés dans la phase primaire de la formation des arguments, l'inventio ; mais cette disposition des arguments n'est point guidée par des réflexions syntaxiques ou textuelles, mais uniquement par des considérations relevant de la psychologie ou de la pratique quotidienne. Bien sûr, la rhétorique judiciaire connaît la narratio, c'est-à-dire le récit des faits qui ont produit un crime, mais là aussi, on ne trouve aucune réflexion sur la syntaxe ou sur la ‘cohérence de texte’. Syntaxe et texte n'existent donc pas, répétons-le, en tant que plans relativement autonomes.
E. Eggs, Grammaire du discours argumentatif, Paris : Kimé, 1994, p. 10.
Les remarques qui précèdent sont formulées à un haut niveau de généralité ; le paragraphe suivant revient aux textes et aux questions techniques.
D. Analyse de cas : Des interventions “d'occasion”
La rhétorique comme technique d'analyse des “discours”
Les techniques d'analyse rhétoriques peuvent être mises au service de l'analyse des discours, si l'on prend discours au sens traditionnel du terme, soit à peu près “traitement développé d'un sujet précis, sur un mode formel, pour un public”. Cette définition rassemble les discours d'assemblée des hommes politiques, à côté des prêches, allocutions, toasts et autres leçons inaugurales. Dans tous les cas, il s'agit d'appliquer à ces productions la méthode que Fumaroli préconise pour les « chefs-d'œuvres » en général, et de les analyser « selon les principes mêmes qui les ont rendu possibles ». J'ai appliqué cette méthode à deux cas :
Charles de Gaulle, « Allocution radiotélévisée du 20 décembre 1960 », Essais… p. 309-315*.
Lazare Carnot, « Discours au Tribunat, séance du 11 floréal an 12 (4 avril 1804) » (Contre l'empire), 1989 (6).
“Une exploitation, en style héroïque…”
L'opposition qui naît du montage dialogique des deux textes qui suivent permet de bien voir ce qu'est un texte rhétorique, et où réside la difficulté de sa critique. Ces textes sont tirés d'un ouvrage dirigé par P. A. Taguieff, Face au racisme, 1. Les moyens d'agir. Dans une section intitulée « Des mythes aux problèmes : L'argumentation xénophobe prise au mot », A.-M. Duraffour, en collab. avec C. Guittonneau se propose de
… répliquer, comme lors d'un débat public contradictoire, à des affirmations non fondées, vagues ou simplement fausses, mais aussi de déconstruire les amalgames polémiques et les stéréotypes de propagande, de démonter les faux raisonnements et de fournir les données objectives requises, lorsqu'elles sont établies et disponibles. (p. 229-231)
– programme qui est très exactement celui que poursuivent les études rhétoriques comme les études sur les “fallacies”. Le second texte fournit ainsi une « réplique » au premier.

ARGUMENT COMPLÉMENTAIRE N° 1 BIS

Réunis aujourd’hui, nous rendons hommage à Françoise Combier, dont je dis qu’elle est morte martyre de l’invasion étrangère et héroïne de sa résistance pour défendre sa dignité de femme et son honneur de Française. Tout dans cette circonstance prend valeur de symbole et d’avertissement. La victime d’abord dont le prénom symbolise la qualité de citoyen de notre pays. “Françoise”, c’est “Française”. Et, quand elle a lutté et qu’elle est tombée, ce sont toutes les femmes de France qu’elle représentait à ce moment-là. Jeune femme pleine de courage […] elle était de bonne race puisqu'elle était de la famille des Camaret […]. Symbolique aussi l’assassin, Mettelaoui, un Algérien entré chez nous comme on entre sous les gouvernements socialistes, c'est-à-dire comme dans un moulin, pour venir y perpétrer des rapines et des meurtres, envahir notre pays et s'y conduire en maître, impunément.
J.-M. Le Pen, discours prononcé à Avignon, Présent, 13-14 novembre 1989.

1) La gravité de l'acte – tentative de viol suivie d'assassinat – évoqué ici est une évidence que personne ne songe à nier. Justifie-t-elle l'exploitation idéologique et raciste qui en est faite, en style héroïque, par le leader du Front national, sur les lieux mêmes du crime ? La généralisation abusive est en effet ici explicite, proclamée avec une virulente insistance : Mettelaoui, un Algérien, est présenté comme « l'assassin symbolique », et son acte fait fïgure de preuve de la « menace mortelle  » que représenterait « l'invasion étrangère ». Les oppositions soulignées de sexe, nationalité, nom et race érigent un cas particulier, statistiquement rare, en situation typique et exemplaire. Les travailleurs étrangers seraient venus en France pour violer et assassiner les femmes françaises !
Or, malgré « I'invasion étrangère » incriminée par J.-M. Le Pen, « la violence sexuelle est, de nos jours, plus basse que jamais. Sa fréquence est cinq fois moindre que durant le troisième quart du XIXe siècle: la carte du viol s'est partout éclaircie » [J.-C. Chesnais, 1981].
Malgré toute la prudence qu'exigent les comparaisons dans ce domaine, on peut vraisemblablement affirmer que le taux de viol en France est bien inférieur à celui de la Suède ou de l'Allemagne : respectivement 3,0; 11,1 et 10,7 pour 100 000 habitants en 1978 [Source : Interpol, 1981, cité par J.-C. Chesnais]. De même, le taux de décès par homicide est estimé à 1,0 pour 100 000 habitants en France, à 1,1 en Angleterre, à 1,2 en RFA, à 1,5 en Italie (pour 1978, source OMS). Les homicides (tentatives suivies ou non de mort) représentent en France 0,07 % des faits constatés par la police judiciaire, les viols 0,1 % [statistiques de la police judiciaire, 1987, cité par Ph. Robert, 1990].
En outre, il est peu fréquent qu'un meurtre soit le fait d'un assassin sans lien de parenté ou d'association avec la victime. En effet, « c'est au sein du cercle familial ou, plus largement, du cercle des proches que se recrutent la plupart des assassins » (dans 85 % des cas en 1967-1971, selon une étude anglaise) [voir J.-C. Chesnais, 1981].

2) La scène, ici érigée en exemple type, n'est qu'une des figures sociales possibles du schéma agresseur/victime : un Français peut, comme un immigré, être victime d'un Français ou d'un immigré; vu le rapport de population entre Français et immigrés, le cas le plus courant, statistiquement, est celui évidemment d'un Français victime d'un Français. Ainsi, seul un fait divers construit sur cette figure (Français agresseur/Français victime) pourrait être à bon droit érigé en symbole. Mais ce symbole, alors, n'aurait plus rien pour intéresser la propagande et mobiliser les fantasmes xénophobes. Vidé de toute charge émotionnelle, épuré de tout profit idéologique, il se réduirait à l'évidence banale de la vérité statistique.

A. Duraffour, “Des mythes aux problèmes : l’argumentation xénophobe prise au mot.”
In P.-A. Taguieff, (sous la direction de), Face au racisme, 1. Les Moyens d’agir. Paris : La Découverte, 1991, p. 229-230.
(NB : les suppressions dans le texte de LP sont faites par AD).
Les genres : Discours chaud / discours froid – Le texte de LP est donné comme une oraison funèbre, un éloge funèbre. Sa visée politique est évidente ; l'épidictique fonde ici le délibératif.
Le passage est écrit dans le style approprié à l'occasion qui motive son intervention. Ce style oratoire, éloquent, rhétorique, est désigné comme « style héroïque » par AD. La réfutation qui suit est écrite dans un style argumentatif tout différent (on le voit par exemple dans la présence vs absence des pronoms de première personne). Conformément à ce qui, aux Etats-Unis, constituerait un programme de “pensée critique”, AD cherche à refroidir, à dégonfler la rhétorique de l'adversaire. Les deux textes font ainsi appel à des rhétoriques opposées, rhétorique de l'engagement émotionnel vs rhétorique de l'analyse intemporelle.
L'occasion vs l'analyse – « Réunis aujourd'hui … » : le texte de LP est publié dans Présent du 13-14 novembre, deux jours donc après le 11 novembre. Il s'agit peut-être d'une coïncidence, mais tout en rhétorique est fait de coïncidences (d'occasions). Pour un public sensible à cette commémoration, comme l'est le public nationaliste, les sentiments suscités par le texte rencontrent le sentiment du jour. A l'ancrage historique - événementiel étroit du texte 1 s'opposera l'ancrage large du texte 2.
Argumentation par division
une femme un homme
une Française un Algérien
Françoise Combier Mettelaoui
de bonne race […]
une victime un assassin
La technique de construction de l'éloge de la personne utilisée par LP est classique : éloge du nom (argumentation par l'étymologie), éloge de la famille, etc. Le schéma de construction de ce discours remonte au moins à Quintilien.
“De bonne race” se dit, en un sens laudatif, des chevaux, des lévriers, et également des humains ; être de bonne race signifie à peu près “être de bonne famille”, avec des connotations de souche et de lignée, appelant les valeurs des racines, du sol, du groupe et du “nous”. A ce race 1 = “famille, lignée ; pedigree” s'oppose race-2, “communauté”, sur lequel est fait raciste.
Dans la logique de cette argumentation par division et par application du topos des contraires, on conclut à :
la victime est de bonne race / l'assassin est [de *** race]
La place laissée vide dans le tableau doit donc être remplie par l'injure raciste implicite punie par la loi.
Sémantique de la division – Cette division reçoit un sens, dans une stéréotypie globale opposant le “résistant” à “l'envahisseur”. « L'assassin » est construit selon le stéréotype de l'envahisseur, dont on confrontera le portrait avec l'envahisseur archétypique, celui de La Marseillaise :
Entendez-vous dans nos campagnes
Mugir ces féroces soldats?
Ils viennent jusque dans nos bras
Egorger nos fils et nos compagnes
C'est bien le sens de la paraphrase avancée par AD :
… pour violer et assassiner les femmes françaises !
Symbole vs type – L'appel au symbole est explicite dans LP. Il est repris dans AD comme paralogisme de généralisation abusive, de mépris des statistiques. On peut évidemment enregistrer le fait qu'AD refuse le symbolique, et répliquer que le symbole n'a pas à être un type.
L'évidence et les publics – Les publics déterminent les valeurs de vérité :
un Algérien entré chez nous pour venir y perpétrer des rapines et des meurtres
vs
Les travailleurs étrangers seraient venus en France pour violer et assassiner les femmes françaises !
L'énoncé qui s'auto-argumente chez LP s'auto-détruit, s'auto-réfute chez AD. L'un dit à un public-AD ce que l'autre dit à un public-LP.
Le public AD considère comme faux ce qui pour le public LP est vrai. Dans les deux cas, appels à l'évidence. W. Booth raconte ainsi qu'il a vu les membres d'un groupe distribuer des tracts du groupe antagoniste absolument sans commentaires, estimant que cette prose s'auto-détruisait (« Crises de rhétorique », Essais…, p. 77-78). Le procès de persuasion disparaît, et la seule issue demeurant est celle de la conversion.
Stéréotypes et contre-stéréotypes – Le public antiraciste auquel est destiné l'ouvrage partage probablement le stéréotype de la bavure policière : “un policier tue un immigr锠; ici, ce public est pris à contre-pied par le contre-stéréotype “un immigré tue une femme policier”.
Les images – On vérifiera que les énoncés de LP sont porteurs d'images associées, ce qui n'est pas le cas des énoncés de AD.
Affects et vérité - La technique rhétorique n'est pas forcément au service de la vérité ; dans les termes de Quintilien :
Et, de fait, les arguments naissent, la plupart du temps, de la cause et la meilleure cause en fournit toujours un plus grand nombre, de sorte que si l'on gagne grâce à eux, on doit savoir que l'avocat a seulement fait ce qu'il devait. Mais faire violence à l'esprit des juges et le détourner précisément de la contemplation de la vérité, tel est le propre rôle de l'orateur.
Bilan – Ces textes ont été présentés à divers publics d'enseignants et d'étudiants, dont rien ne permet de soupçonner l'attachement aux valeurs républicaines et démocratiques. Tous les publics réagissent à ces deux textes avec une grande émotion. Tous ont été profondément impressionnés par le premier texte et ont estimé que la réfutation que tentait de lui apporter le second texte était manquée.
La parole rhétorique est un mode d'action symbolique dont l'étude, et à fortiori la critique, suppose que l'on accepte de traiter du stéréotype et de l'image créateurs d'émotion.
3. Second bilan de recherche : L'argumentation comme critique des paralogismes
L'étude de l'argumentation comme étude des paralogismes est un genre peu pratiqué en langue française, et sa seule évocation éveille une certaine méfiance, en partie fondée. Je discute cette question dans :
« Recherches de méthode et d'instrument », Essais…, Chap. 6, 1990 (4)*
« L'argument du paralogisme », (1995, sous presse) (28)*.
« La loi du vrai : argumentations et paralogismes », L'argumentation, Chap. 5, 1995 (5)*
Au terme de cette recherche, ma position sur ce point est la suivante.
A. Une approche monographique
L'ouvrage de Hamblin, Fallacies, a inauguré la recherche moderne en argumentation comme critique des paralogismes. Le livre retrace d'abord l'histoire du “Traitement standard” des paralogismes, depuis Aristote jusqu'à l'époque contemporaine. Au terme de cette évolution, il conclut à une profonde décadence de l'analyse, et se propose de faire revivre la théorie des paralogismes mais sous la forme d'une théorie des dialogues formels.
Hamblin a été à la fois critiqué et continué par J. Woods et D. Walton. J'ai proposé une synthèse de leurs positions dans un avant-propos à la traduction d'un choix de leurs articles ; voir : « L'analyse des paralogismes : normes et structures », 1992, (23).
Ce courant de recherches propose une approche monographique de l'argumentation, où sont longuement développées les analyses portant sur des types d'arguments particuliers (de préférence sous leurs noms latins : ad hominem, ad personam, ad verecundiam, ad ignorantiam, …), qui constituent le “fond de roulement” de la réflexion classique sur l'argumentation. Par les thèmes comme par les étiquettes, ces travaux semblent proches de ceux de Perelman, même s'ils n'y font pas volontiers référence. La différence cruciale est à rechercher dans les techniques d'analyse, rhétorique dans un cas, logique dans l'autre.
Ainsi, Woods et Walton examinent les paralogismes à partir des méthodes d'analyse mises au point par la logique moderne. On leur a reproché, à juste titre, l'atomisme inhérent à cette méthode, qui traite chaque forme argumentative / paralogique au coup par coup, avec un instrument formel particulier. Mais il est clair que toute la systématicité de l'entreprise logicienne ne peut se trouver que dans l'ordre formel. L'argumentation commune n'existe que par les défauts de la langue et des interactions ordinaires.
Je propose d'approcher ces travaux à partir de l'idée de “filtre normatif”.
B. Un filtre normatif
Le contenu de ce paragraphe est développé avec des exemples dans :
« La loi du vrai : argumentations et paralogismes », L'argumentation, Chap. 5.
L'étude des paralogismes se propose de construire une réflexion critique sur les conditions de scientificité d'un discours. On dit parfois que démonstration et argumentation et s'opposent comme l'exact et le rigoureux à l'incertain et au douteux. Cette affirmation correspond, au mieux, à une définition rhétorique de l’argumentation.
On peut définir le discours argumentatif monologique comme un discours (D) prétendant faire accepter un énoncé En sur la base d'autres énoncés {E1, E2, …}. La question qui oriente les travaux sur les paralogismes est la suivante : Cette prétention est-elle fondée ? La justification apportée à En par {E1, E2, …} est-elle suffisante ? La réponse à cette question est donnée par l'application de normes scientifiques aux argumentations naturelles.
On peut en effet demander à la science de fournir un système de faits bien attestés et de normes d’enchaînement des énoncés permettant de mettre à l'épreuve le discours argumentatif. Deux issues sont dès lors possibles selon que le discours (D) va ou non supporter la critique. Si l'argumentation franchit victorieusement l'épreuve, on parlera de démonstration. Dans le cas contraire, on dira que l'argumentation est un paralogisme. Ce dispositif peut se schématiser comme suit :



• Historiquement, le filtre a d'abord été défini par les règles de base du syllogisme. Ces règles définissent à contrario la famille des paralogismes classiques, “dans le langage” et “hors du langage” : paralogismes par ambiguïté, par affirmation du conséquent et négation de l'antécédent, paralogisme de la “fausse cause”, évidemment lié à l'interprétation causale aristotélicienne du syllogisme.
• On peut considérer que la notion de paralogisme a connu une extension exactement parallèle aux développements de la méthode scientifique. Autrement dit, sont venus s'ajouter à cette liste les paralogismes par non respect des règles des probabilités et de l'induction, voire les paralogismes d'observation.
De ce dispositif je retiendrai trois choses :
– Dans notre culture, la compétence argumentative inclut de telles filtres normatifs, qui s'expriment dans l'existence de “discours contre”, standardisés (§C).
– Il est possible de lire des textes de façon à y trouver des paralogismes (§D).
– Certaines questions traitées dans ce cadre doivent être transférées à d'autres cadres théoriques (§E)
C. Exemples de filtres normatifs : Les discours contre
Les normes sont la traduction monologique du contre-discours. La compétence argumentative (monologique) comprend un système de normes ; elle est fondée sur la capacité critique (dialogique) à tenir un contre-discours. C'est pourquoi je reprendrai pour désigner les systèmes de norme les appellations sceptiques dialogiques, Contre la causalité, Contre l'autorité, Contre les témoignages, Contre les définitions – d'où l'expression de “discours contre”.
Normes et contre-discours pour les argumentations causales
J'appelle argumentations causales les argumentations établissant l'existence d'un lien causal entre deux faits. La question déclenchant de telles argumentations est : Y a-t-il un lien de causalité entre A et B ? ; l'affirmation causale correspondante est : Il y a un lien de causalité entre les événements A et B.
« Argumentation et causalité », Essais…, p. 214.
« Causalité et argumentation », L'argumentation, Chap. 7.
Les éléments fondamentaux des contre-discours permettant de réfuter les imputations causales sont les suivants :
Contre la causalité :
– il n'y a qu'un lien de succession temporelle entre A et B.
– le lien causal n'est pas entre A et B mais entre B et A.
– il existe un facteur tiers C conditionnant A et conditionnant B.
– il existe un facteur tiers C conditionnant A, lui-même conditionnant B.
L'affirmation d'un lien causal ‘A cause B’ suppose une argumentation au cas par cas. L'affirmation de lien causal suppose qu'on a éliminé les quatre possibilités mentionnées. L'Opposant fonde son rejet de l'argumentation causale (et de toutes les argumentations qu'elle sous-tend) en argumentant par le paralogisme de la fausse cause, post hoc ergo propter hoc.
Normes et contre-discours pour les argumentations sur l'expertise
L'argumentation sur l'expertise est la forme que revêt l'argument d'autorité dans le domaine scientifique. Woods et Walton proposent cinq “conditions d'adéquation” pour l'argumentation par l'expertise, qui constituent le système de normes pour ce type d'argumentations. En d'autres termes, les contre-discours opposables aux argumentations par l'expertise sont les suivants :

Contre les experts :
– L'autorité ne satisfait pas aux conditions d'expertise dans le domaine en question.
– L'autorité n'est pas interprétée correctement.
– Le domaine en question ne relève pas du domaine de compétence spécifique de l'expert.
– On ne dispose d'aucune preuve directe.
– Il n'y a pas consensus parmi les experts.
Normes et contre-discours pour les argumentations sur le témoignage
L'argumentation fondée sur le témoignage a, grossièrement, la structure suivante :
A témoigne que F
donc F
Cette structure est analogue à celle de l'argumentation d'autorité. Les contre-discours qui lui sont opposables reposent sur deux options, examen du fait, examen du témoin :

Contre les témoignages :
– Le fait F n'est pas croyable, n'est pas possible, n'est pas vraisemblable.
– Le témoin A n'est pas crédible.
– Le témoin est intéressé, il n'est pas sincère, il ment.
– Le témoin se trompe : il n'a pas “la science du fait”, il n'est pas compétent ; il a été abusé.
– Dans d'autres cas où son témoignage a pu être vérifié, son témoignage s'est révélé faux.
– “Testis unus, testis nullus” : il est le seul à l'affirmer, son témoignage ne peut être retenu.

L'argumentation par le témoignage repose également sur une argumentation au cas par cas ; sa validité est résiduelle ; elle repose sur l'ignorance : on n'a pas prouvé que le fait était impossible ; on n'a pas prouvé que le témoin n'était pas crédible ; donc le témoignage est recevable.
Normes et contre-discours pour les argumentations par la définition
Pour une discussion des problèmes de l'argumentation par la définition, voir :
« L'argumentation par la définition », Essais… Chap. 6, p. 225-235.
L'argumentation par la définition, sous sa forme de base, correspond à un mode d'argumentation essentialiste :
« L'argumentation sur la nature des choses et leur définition », L'argumentation, Chap. 9.
L'argumentation par la définition suppose que la définition est établie correctement. Elle est vulnérable aux contre-discours suivants :

Contre les définitions
– la définition est circulaire ;
– elle contient des termes métaphoriques ou émotifs ;
– elle est moins précise que le terme défini, elle ne capte pas tous les traits essentiels du défini.
D. Analyse de cas : La fabrique du paralogisme
Les ouvrages sur les paralogismes mentionnent régulièrement l'existence d'un paralogisme des quantificateurs, qui consiste en la permutation fautive du quantificateur “Il existe” et du quantificateur “Pour tout”. Ainsi Woods et Walton proposent d'analyser l'argumentation suivante comme un paralogisme d'ambiguïté :
Tout a une cause
donc Quelque chose est la cause de toute chose.
A ma connaissance ils ne donnent jamais d'exemple d'occurrences authentiques d'un tel paralogisme. Il me semble qu'il n'est pas impossible d'attribuer au texte suivant une telle structure.

Et tous les génies de la science, Copernic, Képler, Galilée, Descartes, Leibnitz, Buler, Clarke, Cauchy, parlent comme lui [= Newton]. ils ont tous vécu dans une véritable adoration de l'harmonie des mondes et de la main toute puissante qui les a jetés dans l'espace et qui les y soutient.
Et cette conviction, ce n'est pas par des élans, comme les poètes, c'est par des chiffres, des théorèmes de géométrie qu'ils lui donnent sa base nécessaire. Et leur raisonnement est si simple que des enfants le suivraient. Voyez en effet : (1) Ils établissent d'abord que la matière est essentiellement inerte ; que, par conséquent, si un élément matériel est en mouvement, c'est qu'un autre l'y a contraint ; (2) car tout mouvement de la matière est nécessairement un mouvement communiqué. (3) Donc, disent-ils, (3a) puisqu'il y a dans le ciel un mouvement immense, qui emporte dans les déserts infinis des milliards de soleils d'un poids qui écrase l'imagination, (3b) c'est qu'il y a un moteur tout puissant. Ils établissent en second lieu que ce mouvement des cieux suppose résolus des problèmes de calcul qui ont demandé trente années d'études […]

Le Christianisme et le temps présent, par l'abbé Ém. Bougaud. T. 1, La religion et l'irréligion. 5e édition. Paris : Poussielgue Frères, 1883.
Le premier paragraphe argumente sur l'expertise des « génies de la science », et le second paragraphe donne une preuve indépendante de l'existence de la Main toute puissante. Le dispositif satisfait donc à une exigence de base de l'argumentation d'autorité.
La charpente logique des énoncés cruciaux (1)-(3b), qui marque une claire intention argumentative, est la suivante :
(1) Ils établissent d'abord que P ; que, par conséquent, si Q, c'est que R ;
(2) car S.
(3) Donc, disent-ils, puisque T, c'est que U.
• Considérons l'énoncé (1). Soit “x” et “y” des éléments matériels différents. Soit “My” le fait qu'un élément matériel “y” est en mouvement (on ne sait pas s'il y a eu choc initial de “x” sur “y” ou action permanente de “x” sur “y” autrement dit, si la création est historique ou continue). D'autre part :
– notons  : “Cxy” l'affirmation “x contraint y au mouvement” (“x contraint y”)
– alors : “si Q, c'est (parce) que R” se note “My —> Il existe un élément x tel que Cxy”
– autrement dit : “Pour tout élément y, il existe un élément x tel que : (My —> Cxy)”
• J'interprète l'énoncé (2) “car tout mouvement de la matière est nécessairement un mouvement communiqué” comme une simple reformulation de l'énoncé précédent, soit :
(2') Pour tout élément y, il existe un élément x tel que (My —> Cxy)
• Je lis l'énoncé (3a) “il y a dans le ciel un mouvement immense, qui emporte dans les déserts infinis des milliards de soleils d'un poids qui écrase l'imagination” comme une affirmation de l'existence du mouvement : “Il y a du mouvement”, “Il existe y tel que My”. Autorisons-nous de la forme superlative de l'énoncé pour passer de “Il y a du mouvement” à “Tout est en mouvement”.
• (3b) affirme l'existence de la main toute puissante :
“il y a un moteur tout puissant”
Que l'on peut écrire :
Il existe un x tel que, pour tout y (My —> Cxy)

Si l'on postule dans ce texte un lien argumentatif entre (1)-(2) et (3b), et non pas une simple juxtaposition d'énoncés, on en déduit qu'il commet le fameux paralogisme de permutation de quantificateurs  :
Pour tout élément y, il existe un élément x (My —> Cxy)
Il existe un x tel que, pour tout y (My —> Cxy)
Conclusion : on se trouve face à deux affirmations possibles
– Affirmation forte : s'il y a une logique du texte, il doit y avoir des paralogismes.
– Affirmation faible : on peut construire la logique des textes de façon à y trouver des paralogismes.
E. Un cas de problématique transférable : l'argumentation par la force
Les différentes variantes du “Traitement standard” des paralogismes connaissent un paralogisme ad baculum, le paralogisme du bâton, l'argumentation par la force. Woods et Walton ont consacré quelques pages à ce “paralogisme”, d'où il ressort qu'on ne sait guère ce que vise cette appellation. Leur raisonnement est le suivant. Prenons une occurrence typique de ce paralogisme :
(1) J'ai raison, ou (/sinon) tu ne prends pas la voiture ce soir
(1') Si j'ai tort, tu ne prends pas la voiture ce soir
Ces deux énoncés sont logiquement équivalents, ce qui est conforme à la logique des connecteurs “si… alors…” et “… ou …” ( “si non P, alors Q” est équivalent à ‘P ou Q’). Woods et Walton montrent que cette argumentation peut parfaitement recevoir une forme correcte. Posons :
X = je
Y = tu.
P = X a raison
Q = Y prend la voiture
Alors la déduction peut s'écrire :
Si X a tort, Y ne prend pas la voiture non p —> non q
or Y veut prendre la voiture q
donc non (X a tort) non (non p)
donc X a raison p
La déduction est parfaitement valide, pour peu que l'on remplace le vrai et le faux respectivement par “l'acceptable” et “l'inacceptable”. Donc il n'y a pas là paralogisme. Ajoutons que ce résultat est conforme à l'intuition : il est parfaitement logique et rationnel d'accepter un petit dommage pour éviter un dommage plus grand.
Ils proposent ensuite de lire ad baculum comme un paralogisme d'ambiguïté ; cela revient à dire qu'il y aurait une ambiguïté entre l'acceptable et le vrai ; on ne saurait parler de vérité alors qu'on est dans le domaine du choix pratique (du “prudentiel”), qui ne fait que mimer l'aléthique.
Le reproche majeur que l'on peut faire à la déduction logique proposée est qu'elle efface la différence entre les menaces ((1) - (1')) et les avertissements (2) - (2').
(2) Mets de la crème solaire, ou tu auras un méchant coup de soleil
(2') Si tu ne mets pas de crème solaire, tu auras un méchant coup de soleil
(2) et (2') s'analysent en effet exactement de la même façon que (1) et (1'). La conclusion est claire : on ne saurait parler de “paralogisme ad baculum”. La manœuvre dite ad baculum renvoie à l'emploi de la menace dans l'argumentation. Ses ressorts sont à rechercher dans la création et la manipulation du sentiment élémentaire de crainte dans l'interaction. Ils ne relèvent évidemment pas de l'enquête logique. Cette position parfaitement argumentée est, pour moi, concluante.
Etudes psychosociologiques sur la menace
Colère et crainte, domination et soumission, font partie des émotions de bases attachées à la situation argumentative. La menace est un élément de base du conflit, dont la discussion est liée à celle du pouvoir. Les études de psychosociologie se sont intéressées à l'analyse des menaces et des stratégies de dissuasion dans les négociations. Les questions posée sont les suivantes :
« Le recours possible à des tactiques de menace rend-il plus probable leur usage ? Quels sont les effets du recours à la menace sur l'issue de la négociation et sur son déroulement ? …»
« Qu'est-ce qui pousse un négociateur à user de la menace, de la coercition plutôt que de persuasion ? Lorsqu'il dispose à la fois de tactiques de menace et de persuasion, quels sont les éléments de la situation qui vont le pousser à utiliser les unes plutôt que les autres ? »
Menace et argumentation par les conséquences : l'équivoque
L'événement négatif redouté peut être provoqué par l'interlocuteur, et on a affaire à une menace. Il peut aussi découler “naturellement” d'un comportement, et on a affaire à une argumentation par les conséquences négatives, qui peut se schématiser comme suit :
Question : Dois-je faire P ?
Menace : Si tu ne fais pas P, menace (X)
Argumentation par les conséquences négatives : Si tu ne fais pas P, conséquence (-)
Question : Dois-je apprendre mes leçons ?
Menace : Si tu n'apprends pas tes leçons, tu me copieras cent lignes !
Argumentation par les conséquences négatives : Si tu n'apprends pas tes leçons, tu échoueras à ton examen et, plus tard, tu ne trouveras pas de travail !
Dans ces deux cas, la menace est bien distincte de l'argumentation classique par les conséquences négatives. Mais les cas suivants me semblent équivoques entre ces deux valeurs :
Question : L'entreprise doit-elle accorder une augmentation de salaire à ses employés ?
Négociateur du syndicat : S'ils n'ont pas d'augmentation, les gars vont tout casser !
Négociateur du patronat : Si vous persistez dans vos revendications, vous aboutirez à ce qu'on ferme l'usine !
F. Pour un bilan des travaux sur les paralogismes
Deux acquis majeurs
Les travaux monographiques sur les argumentations / paralogismes, qui fondent la réflexion sur les types d'arguments.
L'introduction de l'idée de norme, qui permet d'engager une théorie de l'argumentation comme théorie critique, fondée sur la notion de contre-discours fournissant une norme immanente au dialogue argumentatif.
Critique de la notion de paralogisme
Une gamme de critiques peuvent être adressées à toute conception “vériconditionnelle” des normes orientant l'argumentation commune. Je résume ici les principales. Pour les développements, voir :
« L'argument du paralogisme », (1995) (28*).
Atomisme discursif – La réduction de l'analyse de l'argumentation à la recherche des arguments et à leur validation / invalidation éventuelle suppose une première opération de découpage de la séquence discursive dans laquelle l'analyste décèle tel argument ou tel paralogisme. Cette technique est intéressante. Mais l'opération de base, l'isolement de tel fragment discursif doit être réexaminée, et ses résultats situés dans un contexte plus vaste. Il faut trouver un moyen de traiter l'argument en contexte.
Mise hors jeu de l'arbitre – Qui porte le diagnostic de fallacy ? En principe le logicien, ou le quasi-logicien, comme si l'objectivité supposait la neutralité de la position “méta”, comme si l'arbitre n'avait pas d'intérêt pour la question substantielle déterminant les argumentations, mais seulement un intérêt pour la correction des discours, évaluée en fonction de règles à priori et externes au débat. Cette position est intenable dans le cas de l'argumentation prise dans les débats communs.
Je propose donc de considérer le diagnostic “Sophisme ! Paralogisme !” non pas comme le verdict d'un juge objectif mais comme une manœuvre argumentative parmi d'autres. Il s'ensuit qu'il faut ajouter à la liste déjà longue des fallacies un nouveau paralogisme en ad : la/le fallacy des fallacies.
Elimination de la langue naturelle ; Réductionnisme – Comme les travaux purement rhétoriques analysés au paragraphe précédent, les travaux sur les fallacies reposent sur l'élimination de la langue naturelle et font l'impasse de l'observation et de la description linguistiques.
Cette élimination va de pair avec l'imposition au discours de normes “logico-scientifiques” transcendant langage et interaction. La théorie des paralogismes ne reconnaît qu'un concept d'argumentation et qu'une norme argumentative, fondés sur le devoir de transmettre correctement la vérité. Elle évalue les argumentations langagières en fonction du seul critère logique, et estime qu'un “affaiblissement” des normes logiques permettra leur application aux données linguistiques. Elle cherche dans l'imposition de normes épistémiques un moyen pour évaluer vériconditionnellement les argumentations. Or – et cela Perelman l'a bien souligné – l'argumentation commune se déroule, entre autres, dans des contextes où la question de la vérité est suspendue (argumentations éthiques, esthétiques, déontiques), et dans des contextes où les normes applicables sont hétérogènes, voire en conflit.
Remarques
Si certains de ses développements sont marqués par les visions théoriques d'un époque que le paradigme des sciences cognitives a certainement périmées, le programme logique de recherche sur l'argumentation commune comme “paralogisme” me semble avoir produits des résultats tangibles et des mises au point intéressants, qui font maintenant partie du fonds commun de la recherche en argumentation. Mais, étant donné les limitations que j'ai signalées et qui lui sont inhérentes, ce programme ne me semble plus recéler de grandes potentialités en ce qui concerne l'analyse des argumentations communes. La tâche doit, à mon sens, être reprise sur des fondements tout différents.
Signalons enfin que c'est à partir du domaine de l'étude des fallacies que l'on rencontre un certain nombre de suggestions tendant à constituer en discipline l'étude de l'argumentation. Cette orientation isolationniste me semble peu prometteuse, et, à terme, stérilisante.


4. Les études d'argumentation : Histoire, topique
Je me suis intéressé aux données anciennes dans
« Les racines de l'argumentation dans la sophistique » Essais, Chap. 2 (4)*
« Ce que l'argumentation doit aux sophistes » L'Argumentation, Chap. 1, 1995 (5)*
Le premier texte correspond à un essai de description du dialogue de Platon l'Euthydème comme un “combat verbal”. Le second texte énumère quelques concepts fondateurs de l'argumentation comme interaction.
Dans ces deux cas, la perspective n'est pas une perspective philologique ; ce qui est recherché, c'est une vision de l'interaction argumentative. Il s'agit pour moi de lire les textes de ce point de vue. Je recherche des éléments permettant d'inscrire mes recherches dans un paradigme.
A. Pour une histoire critique des idées sur l'argumentation
Les études d'argumentation ont été prises dans les lieux communs du “revival”, de la “renaissance” de la rhétorique, lieux communs symétriques de ceux de sa “fin”, de sa “restriction”, de sa “disparition”.
Le topos de la renaissance est par nature susceptible d'usure… et pourrait bien masquer quelques défaillances de la documentation. Une tâche proprement historique, spécifique, me semble rester à accomplir : substituer aux lieux communs sur la renaissance de l'argumentation, une “Histoire critique des idées sur l'argumentation”. Seule une telle histoire peut dégager la recherche des fantasmes a-historiques de l'oubli, comme des compulsions de redécouverte et de répétition de l'élémentaire.
Si on connaît bien le projet de Ramus de dissocier l'argumentation de la rhétorique, et de la fondre dans une “méthode”, une histoire récente de l'argumentation nous fait défaut. Pour comprendre l'évolution des idées sur l'argumentation et sortir des fantasmes a-historiques de l'oubli et de la “redécouverte”, il faut s'interroger sur le destin de l'argumentation au moment dit de “la fin de la rhétorique”, à la fin du 19e siècle. Un traitement correct de cette question suppose des recherches menées dans deux directions.
– D'une part, le statut de l'argumentation est à mettre en relation avec les transformations de la logique à cette même époque, où elle cesse d'être un “art de penser” pour se mathématiser et devenir une “écriture du concept” – la Begriffschrift de G. Frege date de 1879.
– D'autre part, il faut réfléchir aux liens de l'argumentation avec la philosophie néo-thomiste. On sait que Léon XIII, dans l'encyclique Æterni patris (1879, coïncidence !), a fait de l'aristotélisme relu par Thomas d'Aquin la philosophie officielle de l'église, adoptant ainsi une vision de la logique comme fondement de la pensée au moment précis où cette orientation était scientifiquement dépassée.
Autrement dit, d'une part, l'argumentation apparaît à cette époque, pour l'aile marchante des logiciens, comme le nom d'une forme périmée de la logique. D'autre part, au sein des études littéraires, elle est également rejetée par les modernistes, partisans de la science (c'est-à-dire de “l'histoire littéraire”) contre la rhétorique et les humanités. Etant donné ses liens traditionnels avec la rhétorique, l'argumentation se trouve donc, par deux fois, du “mauvais côté”, bannie de l'université républicaine.
On constate en revanche, et sans surprise, que l'argumentation figure en bonne place, accompagnée de tous les attendus méthodologiques et considérations sur les sophismes, dans les manuels de philosophie d'inspiration néo-thomiste – ces mêmes manuels qui, au détour d'une note, s'insurgent contre les conceptions formalistes de la logique. La Petite logique de Maritain serait particulièrement intéressante à envisager dans cette perspective.
Si cette hypothèse est plus ou moins exacte, elle permet d'entrevoir les raisons profondes de “l'éclipse” de l'argumentation, qui n'ont rien à voir avec la négligence et l'oubli de qui que ce soit, mais qui, dans un passé proche, a été délégitimé. Il s'agit d'un type d'études qui a été profondément délégitimé, coupé de tout support scientifique.
B. Une synthèse impossible
Comme l'indique le titre, les Essais sur l'argumentation ne se proposent pas d'apporter une synthèse sur les travaux en argumentation, tels qu'ils sont poursuivis par les rhétoriciens, les philosophes, les linguistes, les logiciens, les psychologues, etc. Une telle synthèse ne semble ni possible ni souhaitable.
– s'il s'agit d'une synthèse à prétention théorique, dans le meilleur des cas, elle courrait le risque de traiter des théories générales de l'argumentation comme s'il s'agissait de théories partielles ; au pire, elle ne ferait qu'amalgamer les concepts les plus faibles de chacune des disciplines.
– L'analyse de cas impose le recours à diverses sources théoriques. On peut légitimement espérer réaliser, empiriquement, des “synthèses pratiques”, sur un objet d'étude particulier. Mais on court cette fois le risque d'instrumentaliser les théories, considérées comme des “boîtes à outils” à la disposition de l'analyste.
– Fondamentalement, la recherche d'une synthèse entre les différents registres d'étude de l'argumentation me semble reposer sur une confusion entre le contenu supposé (à tort) unitaire du mot “argumentation”, pseudo-objet donné à l'intuition, et les concepts d'argumentation, entièrement à construire. Voir sur ce point :
« Langage et métalangage de l'argumentation », L'argumentation, Chap. 3.
Qu'on ne propose pas de synthèse des travaux sur l'argumentation n'implique pas qu'on renonce à articuler différentes recherches. Comme préalable à toute clarification, on peut :
– tenter de dégager, sur des bases historiques, des courants théoriquement autonomes (Tableau 1). Pour des développements et les références voir :
«Les études contemporaines, de 1945 à nos jours », L'argumentation, Chap. 2, § B.
– organiser une série de questions fondamentales orientant les études d'argumentation, et constituant, si l'on veut, leur topique (Tableau 2). Pour des développements et les références voir :
« Les carrefours théoriques », L'argumentation, Chap. 3 § B.

1. Les études contemporaines d'argumentation
De l'après-guerre aux années 60 : Les refondateurs
Cette période de refondation est marquée par les œuvres de Perelman, de Toulmin, mais aussi par les travaux de Curtius sur les topoi et par la reconstruction d'un système rhétorique réintégrant l'argumentation (Lausberg).

Les années 1970, jusqu'aux années 1980
Ces années sont marquées par l'importance des recherches sur l'argumentation comme théorie des paralogismes, à la suite de Hamblin.

Depuis les années 1980 : les pragmatiques de l'argumentation
– Pragmatique intégrée à la langue
– “Logique pragmatique”
– Pragmatique philosophique
– Pragmatique des interactions
– “Pragma-dialectique”

2. Petite topique des études d'argumentation
• L'argumentation est-elle une question de langage ou de pensée ?
• S'il s'agit d'une question de langage, l'argumentation est-elle dans la langue ou dans le discours ?
• Si elle est dans le discours est-elle dans tout discours ou dans certains discours ?
• L'argumentation est-elle dans le monologue ou dans le dialogue ?
• La finalité du dialogue argumentatif est-elle la construction d'un consensus ou l'approfondissement du dissensus ?

5. L'interaction argumentative
La suite de cette synthèse repose sur des travaux en cours, visant à articuler théorie de l'argumentation et théorie des interactions. L'objet élémentaire de cette recherche est l'interaction argumentative. L’interaction argumentative est définie comme une situation de confrontation discursive où sont construites des réponses antagonistes à un certain type de questions. La notion est présentée et illustrée dans :
« Situation rhétorique », 1993 (25)*
« Arguing in question situation », in « Argumentative situation : Ordinary language and common argument », § 3 (à paraître) (30)*
Le premier de ces textes cherche à cerner un type de situation prototypique des échanges argumentatifs en l'opposant à d'autres types de situation : situation de type “problème” , situation de type “action”.
A. Définitions
Stades
Une interaction argumentative est une interaction ; l'analyse conversationnelle distingue dans toute interaction :
– Séquence d'ouverture ;
– Corps de l'interaction, qui peut lui-même comporter un nombre indéterminé de séquences ;
– Séquence de clôture.
D'autre part, une interaction argumentative suppose un conflit, susceptible de faire l'objet d'une négociation réglée. A. Douglas (d'après H. Touzard) reconnaît différentes moments dans toute négociation  :
L'inventaire des points en litige, la reconnaissance des possibilités de négociation et le dénouement.
F. van Eemeren et R. Grootendorst proposent une “reconstruction normative” de l'interaction argumentative selon un “modèle idéal” à quatre stades :
– Stade de confrontation, où est établie l'existence d'une dispute ;
– Stade d'ouverture, où sont distribués les rôles de protagoniste et d'antagoniste ;
– Stade d'argumentation, où, stimulé par l'antagoniste, le protagoniste avance des arguments ;
– Stade de clôture, où on établit si la dispute a été résolue.
Ce modèle fusionne en quelque sorte stades de l'interaction conversationnelle et stades de l'argumentation.
Schéma
De mon point de vue, l'objet simple des études d'argumentation est à chercher dans une confrontation discours (p. ex. D1, tenu par le Proposant ) / contre-discours (p. ex. D2, tenu par l'Opposant). Ces deux discours sont orientés par une même question ouvertement posée.
Le schéma (3) articule les composantes de la situation argumentative. La flèche (a) correspond à la découverte, la flèche (b) au mode d’exposition, des arguments.


L'argumentativité d'une situation est déterminée par la présence dans une interaction conversationnelle des composantes suivantes :
– La coexistence de deux ensembles d'éléments discursifs potentiellement contradictoires, D1 et D2.
– Une mise en contact de ces discours. De ce contact naît une question, construisant comme des contradictions deux propositions A1 et A2, élaborées sur la base des données discursives D1 et D2.
– Des arguments (Arg) sont avancées, afin de soutenir des conclusions (Concl.) elles-mêmes proposées en réponse (R) à la question. Ces conclusions sont ainsi des reformulations argumentées, respectivement des discours (D1) et (D2). L'argumentation est donc vue comme un mode de construction des réponses à des questions organisant un conflit discursif.
Stades et composantes
• On a sans doute intérêt à maintenir une distinction entre les composantes de la situation argumentative et les stades de l'interaction. Il est bien évident par exemple que l'inventaire des points à débattre, la position de la question se repéreront plutôt au début de l'interaction. Mais, parallèlement, l'ouverture de l'interaction se déroulera selon ses propres règles. Comme toute interaction, l'interaction argumentative a une ouverture et une clôture, et le fait que l'interaction soit argumentative ne substitue pas de nouveaux rites aux rites d'ouverture et de clôture.
• D'autre part, ce n'est que dans une perspective normative de l'analyse des interactions que l'on peut imposer de “commencer par poser les problèmes” et “finir par leur solution rationnelle”. Dans l'exemple de la négociation que nous présenterons au Chapitre 8, les termes du débat, la position de la question sont réitérés durant toute l'interaction.
• L'existence d'une ouverture et d'une clôture proprement interactionnelles est susceptibles d'être exploitée argumentativement par les interactants. Toujours dans le même exemple, la perspective de la clôture de l'interaction joue comme un argument. Les présentations, qui relèvent du rite d'ouverture, sont déplacées, et repositionnent les protagonistes (voir Chap. 8, § B).
Question et contradiction
Il me semble nécessaire de maintenir une seconde distinction entre les éléments discursifs contradictoires et la question qui les organise. L'existence d'éléments discursifs contradictoires peut parfaitement dépasser l'interaction. La question, elle, se pose forcément dans une interaction. Cette approche conduit à mettre au premier plan de l'étude des situations où les conflits préexistent à l'interaction, et où l'interaction a pour raison d'être l'existence de ce conflit. C'est le conflit qui organise l'interaction.
Question et tiers
Retenir la question parmi les composantes systématiques de l'interaction argumentative pousse à formuler une hypothèse sur le rôle du tiers dans ce type d'interactions. Les situations argumentatives reconnues comme fondamentales, le débat politique et la confrontation au tribunal sont trilogiques. Dans l'un et l'autre cas, il y a systématiquement “trope communicationnel”, le destinataire n'étant pas l'adversaire-interlocuteur, mais dans un cas le juge, dans l'autre le public et son bulletin de vote.
Les protagonistes ne se posent pas forcément de question. On pourrait même soutenir qu'intérioriser le tiers, c'est-à-dire se poser la question du bien fondé de la position que l'on défend, est preuve de faiblesse. Par principe, la question revient aux tiers. Sa prise en compte systématique permet de laisser à chacun des partenaires la pleine et entière responsabilité de ses discours ; l'un répondra non ! l'autre oui ! / si ! sans qu'aucun des deux ne puisse être systématiquement accusé de mensonge ou de mauvaise foi.
Dans cette perspective, en tant que porteur de la question, le tiers joue un rôle “systémique” dans l'interaction argumentative. La figure du tiers matérialise la publicité des enjeux et le contact entre les discours contradictoires. Dans sa forme prototypique, la situation argumentative apparaît dès lors comme une situation médiatisée, comme une situation “trilogique”. Je me suis proposé de souligner la spécificité du rôle du tiers dans :
“Fonctions du tiers”, 1995 (29)*
Lorsqu'on passe aux argumentations en face à face, si le tiers disparaît physiquement, sa place est néanmoins marquée par la question qui parvient ou non à se dégager de l'affrontement des discours.
Notons que pour les théories “dialectiques” modernes, l'argumentation est un jeu à deux partenaires. L'élimination du tiers va d'ailleurs de pair avec l'expulsion de la rhétorique et la constitution d'un système de normes objectives / rationnelles ; de façon à peine figurée, on pourrait dire que le Tiers est remplacé par la Raison ou par la Nature, autrement dit par les règles du Vrai.
Les “Nouvelles rhétoriques” mettent au premier plan l'interaction directe orateur-auditoire à convaincre, et repoussent à l'arrière-plan le rôle de l'Opposant et du contre-discours. Mais comme la Nouvelle rhétorique, le modèle trilogique proposé ici prend pour modèle de l'interaction argumentative l'échange public développé, et ne demande pas ses normes à la Nature mais aux tiers, ou à l'auditoire.
La double contrainte argumentative
Dans ce cadre, il ne peut être question de travailler sur des exemples forgés ou des équivalences à priori entre énoncés. L'objet de recherche est constitué par des interactions argumentatives attestées. La méthode donne la première place à la description et au travail sur corpus.
L'argumentation se construit sous une double contrainte : elle est orientée par une question et se fait sous la pression d'un contre-discours. Des phénomènes “macro” caractérisent cette situation.
– Bipolarisation des discours : Attraction des locuteurs tiers intéressés, qui s'identifient aux argumentateurs en vedette, normalisent leur langage et l'alignent sur l'un ou l'autre des discours en présence ; symétriquement, exclusion des tenants du discours opposé (nous vs eux).
– Phénomènes de figement : Sémantisation argumentative des discours confrontés, production d'antinomies (de “couples antagonistes”), tendance à la stéréotypisation, figement des arguments en argumentaires prêts à énoncer.
– Corrélativement, apparition de mécanismes de résistance à la réfutation : tendance à présenter les argumentations sous forme d'énoncés auto-argumentés, mimant l'analyticité.
B. Argumentation et analyse conversationnelle
• Dans la recherche contemporaine sur l'argumentation C. A. Willard a sans doute été un des premiers à lier, en 1976, argumentation et interaction. Parmi les recherches pionnières dans l'application des techniques de l'analyse conversationnelle à l'analyse de l'argumentation, il faut signaler celles de B. J. O'Keefe & P. J. Benoit ainsi que celles de S. Jacobs & S. Jackson, également en 1982.
Le problème est le suivant. On peut partir de l'analyse lexico-sémantique du mot argument en anglais proposée par D. J. O'Keefe, dans un article de 1977 et que j'ai discutée dans :
« “To argue, argument” vs “argumenter, argument”, Essais, p. 133-135.
O'Keeefe distingue deux sens de argument, argument-1 et argument-2 et, corrélativement deux sens du verbe to argue :
– argument-1 désigne un énoncé ; c'est le sens français.
– argument-2 désigne une interaction conflictuelle ; on traduira par “querelle”
La nécessité de construire “a study of argument” est donc, dès le niveau lexical, pré-théorique orientée vers une étude du “clash”, que, pour un francophone, il n'est pas évident de rattacher à l'étude de l'argumentation. Il est vrai qu'avec la catégorie de fallacy ad personam, les études les plus classiques d'argumentation disposent d'un fourre-tout sans fond pour ce genre de problèmes.
L'échange d'injures non rituelles est un bon exemple d'argument-2 ne contenant pas d'argument-1. A la limite, argument-2 en anglais désigne une bagarre non-verbale comme le montre l'exemple cité dans Essais…, p. 133.
• Les études précitées s'intéressent aux épisodes “argumentatifs” surgissant au cours de l'interaction conversationnelle et déclenchant une négociation. A la limite, l'étude de l'argumentation dans l'interaction apparaît comme l'étude des « troubles in conversation », des « disagreement-relevant speech events » ou, d'une façon générale, des « disagreement-relevant expansions of adjacency pairs ».
Dans cette perspective, les circonstances d'apparition de l'argumentation dans l'interaction (le stade dit “de confrontation”) a fait l'objet d'un grand nombre d'études. Elles portent en particulier sur les types d'actes favorisant la manifestation de l'opposition dans la conversation par lesquels se manifeste “l'argumentation” : insultes, accusations, ordres, refus d'accéder à une demande. Dès lors, le problème de la gestion des faces, devient la question majeure de l'argumentation. Le désaccord étant une menace pour la relation, “l'argumentation” est un épisode régulateur, au terme duquel cette perturbation disparaît et la relation est “réparée”. Les guillemets dont j'entoure le mot “argumentation” dans cet usage montrent que l'étude de l'interaction argumentative ainsi définie manque son objet.
• L'ancrage de l'argumentation dans la contradiction, dans le “choc des discours”, est pour moi un postulat de base, qui se reflète dans la définition même de l'objet d'étude. Contradiction et question sont d'une importance centrale pour l'argumentation. L'existence d'une contradiction caractérise aussi bien une simple dispute ou un pugilat ; sa transformation en une question marque un stade décisif dans “l'ontogenèse” de l'argumentation.
Mais dans l'interaction quotidienne ordinaire interviennent les règles de politesse, qui servent à « neutraliser les conflits potentiels ». Il faut donc faire l'hypothèse que ces règles jouent contre le développement des argumentations dans les échanges conversationnels. Dans ce type d'interaction face à face, le souci de préserver la relation fait que la contradiction a du mal à se déployer ; et si ce souci n'existe pas, alors la contradiction tourne à la dispute, à la querelle.
On pourrait également se demander si cet “étouffement” de la contradiction dans l'interaction conversationnelle n'a pas pour conséquence, dans notre culture évidemment, le développement du discours négatif de dénigrement “dans le dos” du partenaire d'interaction. Voir sur ce point C. Kerbrat-Orecchioni.
Il semble bien que dès qu'est mis en place un cadre argumentatif les règles de politesse sont sinon suspendues, du moins systématiquement transformées y compris dans les situations de face à face (sur la question de la politesse argumentative voir Chap. 8, § D). Il faut et il suffit pour cela que les contradictions aboutissent clairement à des questions, auxquelles sont construites des réponses argumentées. Les interactions démocratiques parents-enfants fournissent de nombreux exemples de telles situations.
Reste que les dispositifs institutionnels qui permettent de “publier” les discours contradictoires jouent un rôle essentiel dans cette construction de l'interaction argumentative. Le tiers intéressé représente sinon la forme “naturelle”, du moins la forme institutionnelle minimale permettant aux argumentations de se développer.
C. Remarques
Argument, argumentation
Les définitions de l'argumentation supposent que l'on distingue la définition du mot argumentation, de celle du (ou des) concept(s) “argumentation”. Ces questions sont présentées dans « Dialogue et monologue argumentatifs », L'argumentation, Chapitre 4 (5)*
Objections et réfutation
Cette définition de l'argumentation comme interaction permet de reposer la question de la réfutation, redéfinie dans le cadre de l'interaction : la réfutation argumentative porte sur le dire et non pas sur le dit ; un discours est réfuté lorsqu'il disparaît de l'interaction, quelle que soit la raison qui l'a rendu intenable.
Mais on pourrait aussi définir l'opposition de façon argumentative : ce que le Contre-discours donne comme une réfutation sera repris par le Discours au plus comme une objection ; la situation est donc parallèle à celle de argumenter, un argument / arguer, une argutie.
Argumentation et dialogue
Les analyses de l'argumentation dans les interactions conversationnelles forment un courant distinct de celui qui se développe sur le thème de l'étude des dialogues argumentatifs formels, à la suite, notamment, des travaux de Hamblin.

6. Contradiction, Question, Stase
A. Origine de la notion de situation argumentative dans la théorie des stases
L'idée d'opposition des discours est une constante de la réflexion sur l'argumentation. Le rôle structurant de la question a été reconnu et théorisé dans la théorie des stases. Ces thèmes font l'objet de mentions dans :
« Argument as quasi transformation » in “Argumentative situation : Ordinary language and common argument” (§ 4.2) (à paraître) (30)*
« De la quête d'information à l'argumentation » in « Questions —> Argumentations —> Réponses » 1991, §1 (21).
La théorie des stases nous est surtout connue par un traité d'Hermogène de Tarse (2e moitié du 2e siècle av. JC) intitulé Sur les états de cause. En français, la tradition rhétorique veut que l'on traduise stase par “état de cause” ; on pourrait aussi dire : “le point à débattre”. En latin, le mot grec stasis est traduit par quaestio ; en anglais, R. Nadeau propose issue.
Le terme stase existe en médecine :
stase : … (1741; gr. stasis). Méd. Arrêt ou ralentissement considérable dans la circulation ou l'écoulement d'un liquide organique. V. congestion.
On pourrait donc le reprendre figurativement : lorsque, sur une question, les discours de réponse divergent, il se produit une stase ; R. Nadeau parle de « position of balance or ‘rest’ » pour qualifier cet état. Il y a stase lorsqu'un désaccord se manifeste, que les interlocuteurs se divisent, et que se bloquent la co-construction du discours ou le flux conjoint action-langage.
L'état de stase, qui se manifeste dans l'opposition discours / contre-discours, rend sensible l'existence d'une question et la définit :
« C'était seulement lorsque les parties cessaient d'être d'accord que surgissait le point à débattre », “la quaestio”. (Quintilien, VII, 1, 6)
La stase est produite par une question focale, une question nodale, dont la réponse est “ambiguë”, c'est-à-dire double. C'est une question à deux réponses, une question controversée, par exemple (1995) :
les Nations Unies doivent-elles retirer leurs troupes de l'ex-Yougoslavie?
Les stoïciens appelaient “questions rhétoriques” ces “questions stasiques”. Elles peuvent être de différents degrés d'abstraction, correspondant à des formulations plus ou moins générales.
La théorie des stases vise d'abord à construire une typologie de ces questions stasiques, et, en particulier, à rassembler les questions susceptibles de définir un domaine discursif donné. Elles constituent les “lieux communs” de ce domaine. Dans ce sens, un lieu commun est une question possible, formulée très généralement, qui peut ou non s'actualiser en une question réelle et précise, principale ou secondaire, dans une discussion.
Conformément à la pratique générale de la rhétorique ancienne, les exemples discutés par la théorie des stases sont d'abord d'orientation judiciaire. R. Nadeau a compilé la liste des questions-clés du discours politique, applicables à l'exemple évoqué plus haut.  Cette topique du discours politique est la suivante :
Est-ce juste ? Est-ce légal ? Est-ce efficace, utile ? Est-ce nécessaire ? Est-ce sûr ? Est-ce possible, faisable ? Est-ce facile ? Est-ce honorable ? Est-ce agréable ? Quelles en seront les conséquences ?
B. Phénomènes liés à la question
Le fonctionnement de certains concepts essentiels pour la théorie de l'argumentation ne peut se comprendre qu'en liaison avec la “question argumentative”. Signalons :
La charge de la preuve. Dans l'interaction, la question de la charge de la preuve est fondamentale. C'est en elle que se manifeste l'asymétrie de la question. Cette asymétrie est modulable selon les circonstances, et varie au cours d'une même interaction.
La pétition de principe (cercle vicieux, “begging the question”) est liée à la formulation de la question.
L'ignorance de la réfutation (“ignoratio elenchi”) correspond à une technique de déplacement de la question ; les logiciens la considèrent évidemment comme paralogique. Voir infra, Chapitre 8.
C. Présentation de cas : prévenir la question
Les deux textes qui suivent montrent que le passage de la simple contradiction (coexistence, éventuellement pacifique, de discours contraires) à la question constitue un enjeu majeur de l'argumentation.
[Le livre de P. Duquesne, Jésus a] choqué de nombreux croyants, tout déboussolés de voir remis en cause ce qu'ils considéraient (avec l'Eglise) comme articles de foi. L'abondant courrier reçu aussi bien au Pèlerin qu'à La Vie Catholique en témoigne : « Ne perturbez pas la sérénité que des millions de chrétiens trouvent encore dans l'Evangile », peut-on lire, ou : « Les affirmations de Jacques Duquesne sont une grave atteinte à la foi de millions de croyants. »
Télérama 2343, 7 déc. 1994, p. 24
La situation argumentative est simple :  un discours permanent, celui d'une doxa, ici celui de la foi chrétienne, de la croyance en l'évangile, cherche à éviter le contact avec un discours de Proposition, ici le livre de J. Duquesne, Jésus. Normalement une telle confrontation provoque l'apparition d'une question, soutenue pas les gens intéressés, ici forcément les croyants. L'intervention rapportée par Le Pèlerin s'analyse comme un refus de se situer dans cette configuration argumentative, soit comme tiers porteurs de la question, soit comme Opposant. Ce refus a été étiqueté comme argumentation ad tranquilitatem, ou ad quietem : c'est l'argument « Laissez-nous en paix ! » (« Mon siège est fait ! »). Il pourrait recevoir le nom d'argument du Grand Inquisiteur, du nom d'une de ses occurrences prototypiques ; le Grand Inquisiteur s'adresse à l'Inconnu qui comparaît devant lui :
— C'est Toi ? Toi ? Mais ne recevant pas de réponse, il ajoute vite : Ne réponds pas, tais-toi. Et que pourrais-tu dire ? Je sais trop bien ce que Tu dirais. Et Tu n'as même pas le droit de rien ajouter à ce que Tu as déjà dit jadis. Pourquoi donc es-Tu venu nous déranger ? Car tu es venu nous déranger, et Tu le sais bien.
Cet argument est analysé comme paralogisme par van Eemeren et Grootendorst, en fonction de la Règle suivante :
« Rule 1: Parties must not prevent each other from advancing standpoints or casting doubts on standpoints. »
Aristote confirme que cette exigence n'est pas tenable :
« Il ne faut pas, du reste, examiner toute thèse ni tout problème : c'est seulement au cas où la difficulté est proposée par des gens en quête d'arguments, et non pas quand c'est un châtiment qu'elle requiert, ou quand il suffit d'ouvrir les yeux. Ceux qui, par exemple, se posent la question de savoir s'il faut ou non honorer les dieux et aimer ses parents n'ont besoin que d'une bonne correction, et ceux qui se demandent si la neige est blanche ou non, n'ont qu'à regarder. »,

L'acte de poser la question, c'est-à-dire d'articuler discours et contre-discours fonde la situation argumentative, situation parfois délicate, comme le montre le texte suivant :
J'ai longtemps hésité avant de répondre à l'amicale demande de Paul Thibaud, directeur d'Esprit […], et d'écrire ces pages sur le prétendu révisionnisme, à propos d'un ouvrage dont les éditeurs nous disent sans rire : « les arguments de Faurisson sont sérieux. Il faut y répondre. » Les raisons de ne pas parler étaient multiples, mais de valeur inégale. […] Enfin, répondre, n'était-ce pas accréditer l'idée qu'il y avait effectivement débat, et donner de la publicité à un homme qui en est passionnément avide? […]
C'est la dernière objection qui est en réalité la plus grave. il est vrai qu'il est absolument impossible de débattre avec Faurisson. Ce débat, qu'il ne cesse de réclamer, est exclu parce que son mode d'argumentation – ce que j'ai appelé son utilisation de la preuve non ontologique – rend la discussion inutile. Il est vrai aussi que tenter de débattre serait admettre l'inadmissible argument des deux « écoles historiques », la « révisionniste » et « l'exterminationniste. » Il y aurait, comme ose l'écrire un tract d'octobre 1980 […] les « partisans de l'existence des “chambre à gaz” homicides » et les autres, comme il y a des partisans de la chronologie haute ou de la chronologie basse pour les tyrans de Corinthe. […]
Du jour où R. Faurisson, universitaire dûment habilité, enseignant dans une grande université, a pu s'exprimer dans Le Monde, quitte à s'y voir immédiatement réfuté, la question cessait d'être marginale pour devenir centrale, et ceux qui n'avaient pas une connaissance directe des événements en question, les jeunes notamment, étaient en droit de demander si on voulait leur cacher quelque chose. D'où la décision prise par Les Temps modernes et par Esprit de répondre.
Répondre comment, puisque la discussion est impossible? En procédant comme on fait avec un sophiste, c'est-à-dire avec un homme qui ressemble à celui qui dit le vrai, et dont il faut démonter pièce à pièce les arguments pour démasquer le faux-semblant.

P. Vidal-Naquet, « Un Eichmann de papier », in Les assassins de, la mémoire, Paris : a Découverte, p. 11-13.

NB : Le paragraphe B du Chap. 8 est consacré à l'analyse du fonctionnement de la question argumentative dans une interaction argumentative.


7. Types et typologie des arguments
La distinction de différents types d'arguments a ses antécédents dans les discussions des conditions de validité des formes classiques de raisonnement : déduction, induction, analogie. D'une façon générale, l'idée qu'il existe des types d'arguments est un héritage de la théorie des paralogismes, et l'ouvrage de Hamblin, Fallacies, peut se lire comme l'histoire de l'émergence de la notion de forme argumentative à partir de l'idée de forme paralogique. Trois étapes importantes de cette évolution sont rappelées au paragraphe « Des sophismes aux fallacies » in Essais…, Chapitre 3, p. 120. La recherche sur les types d'arguments se greffe ainsi sur les résultats des travaux dits de “logique non formelle”, héritiers des travaux sur les paralogismes.
Comme je l'ai dit, ces résultats constituent pour moi un acquis majeur. Fondamentalement, il s'agit de reprendre la question des types d'arguments en la liant aux concepts articulés au Chapitre 5 par la notion de situation argumentative. Ce cadre nouveau demande que soient révisées certaines notions et que l'accent soit mis sur des phénomènes inaperçus ou sous-estimés. Ce travail a été amorcé au Chapitre 3, lorsque j'ai proposé de réinterpréter les principaux types de filtres normatifs comme une série de discours contre, en couplant les formes argumentatives avec leurs modes de réfutation standard.
Si l'on part de l'observation que les formes argumentatives les plus complexes supposent des discours, une interaction, un mode de traitement des objets, il en découle une sorte de “typologie emboîtée”, techniquement commode. Toute argumentation s'analysera selon des paramètres d'objets, de langage, d'interaction. Sur ce point, voir :
« Typologies des argumentations communes » in L’argumentation 1995, (5)*
Les paragraphes qui suivent proposent une mise en place des types argumentatifs fondamentaux, signalent quelques limitations des types traditionnels, qui peuvent également être réorientés en fonction du cadre de référence choisi.
A. Formes argumentatives liées à l'interaction
Sur ces points, voir L'argumentation, chap. 13 à 16.
Charge de la preuve, argumentation par l'ignorance
Ces types d'argumentations sont liées à l'asymétrie de la question, elle-même reflet du déséquilibre de la relation discours / contre-discours. Le discours de la doxa a toujours plus de poids que le discours de proposition. C'est aux nouveaux arrivants de s'adapter, c'est-à-dire d'argumenter.
Les argumentations sur l'Opposant
Les modes de réfutations sur la personne sont dites “argumentations sur la personne” :
– argumentations créant et exploitant une contradiction dans le système de croyance de l'Opposant ;
– argumentations mettant en doute la compétence ou le droit à la parole de l'Opposant sur la question posée – ou son droit à la parole tout court.
On traitera là des questions des schématisations, des représentations, en un mot des phénomènes de construction de l'Opposant.
Il n'y a probablement pas grand-chose à tirer de l'argumentation dite ad personam qui relève de l'insulte, et qui doit être renvoyée à la théorie des faces dans l'interaction.
Les argumentations d'autorité
A propos de l'argumentation d'autorité, dont le nom latin (ad verecundiam, sur la modestie) suffirait à rappeler qu'elle a quelque chose à voir avec la politesse, on distingue traditionnellement :
• L'autorité montrée, autorité de la source d'information transformée en garant de la vérité de l'information, est prise comme objet d'étude par la psychologie sociale. Cette approche n'exclut pas la possibilité d'envisager une sémiologie de ce type d'autorité.
• L'autorité citée ou alléguée. Il faut distinguer deux modes opératoires de l'argumentation d'autorité :
– On peut admettre ce que dit l'autorité sur la base d'une “économie de l'acquisition des connaissances”, voir à ce sujet :
« Argumentation et autorité », Essais…, chap. 6, 1990 (4)*
Dans ce cas, l'autorité relève des modes de gestion des savoirs sur les objets. –––– Mais on peut aussi accepter les conclusions de l'autorité sur la base d'une identification à la personne autorisée / autoritaire, et on est alors entièrement dans le domaine de l'interaction socio-langagière. L'autorité alléguée semble alors relever d'une théorie des places et de la révérence sociale.
L'autorité est liée au pouvoir, au respect du religieux, du sacré : argumenter par autorité, c'est faire prendre en charge un énoncé par un Intouchable, une Idole de la Tribu, ou s'identifier à eux. La réduction de la question de l'autorité à celle de l'expertise permet de délimiter un sous-domaine argumentatif plus facilement normable.
On devrait rapprocher la discussion sur ces formes d'argumentations des célèbres cinq sources du pouvoir social :
– A l'argumentation par la force correspond le pouvoir de coercition, pouvoir de punir et d'imposer par la force. De la force, on passe à la menace et au bluff, et on rejoint le sémiologique et le linguistique.
– Le pouvoir de récompense, symétrique du précédent, est celui de manier la carotte avec autant de dextérité que le bâton ; j'avais proposé de renommer l'argument dit “ad baculum” argument “ad baculum carotamque” .
– L'argumentation par l'expertise renvoie au pouvoir de compétence.
– Un seul type de pouvoir n'a pas clairement été identifié par les études d'argumentation, le pouvoir issu des différences de place dans la hiérarchie sociale : en tant que tel, il correspond à la possibilité d'émettre des ordres, qui semble pouvoir se dispenser d'argumentation.
– Enfin, le pouvoir charismatique et les divers processus d'identification relèvent de l'usage émotionnel de l'argument d'autorité.
Les argumentations sur les circonstances : des manipulations du cadre
A ces faits bien observés par la tradition on doit ajouter toutes les argumentation par les circonstances, c'est-à-dire les manœuvres qui ne sont possibles que parce que l'interaction se déroule hic et nunc, selon un cadre et un scénario fixés par des règles : comptent comme argumentations liées à l'interaction toutes les formes de manipulation du cadre au profit de l'intérêt d'une partie. Le cas envisagé au chapitre 8 proposera de nombreux exemples de telles argumentations.
B. Questions de langage
Dans le cadre proposé ici, l'analyse du discours argumentatif dépend de l'analyse de l'interaction argumentative. Je me suis intéressé aux phénomènes suivants.
Sur la structuration du discours argumentatif monologique :
– Problèmes de catégorisation argumentative. L'analyse de certaines formes argumentatives s'exprime bien en termes de “catégorisation argumentative”, par exemple l'argument de “la pente glissante”
“Lieux communs dans l'interaction argumentative” 1993, § 5, (24)*
La question des catégorisations argumentatives se pose évidemment de façon centrale à propos des argumentations sur la nature des choses et leur définition.
– Argumentation par la définition. A l'articulation des questions de mots et des questions de choses on retrouve d'abord la question des argumentations par la définition. Dans sa version aristotélicienne, la “méthodologie de la définition” repose sur la stabilisation du sens d'un mot et des propriétés d'un être, les traits de sens reflétant les propriétés. L'argumentation par la définition appelle un contre-discours dont quelques traits sont rappelés supra, Chap. 3. Sur ces questions, voir :
« L'argumentation dans la définition », Essais…, 1990, p. 225-235.
« Argumentations sur la nature des choses et leur définition », L'Argumentation Chap. 9, 1995 (5)*
– La notion de transformation argumentative. Les théories classiques de l'argumentation reconnaissent une relation argumentative dite de pétition de principe. Il y a pétition de principe si l'énoncé conclusion E2 est matériellement identique ou une reformulation paraphrastique de l'énoncé argument E1. La déduction de E2 à partir de E1 est donc analytiquement vraie. Ce cas est considéré comme exemplaire de l'opposition “argumentation vs déduction logique”, puisque la déduction “E1, donc E1” est parfaitement valide logiquement, alors qu'un énoncé ne peut pas servir d'argument pour lui-même.
La “distance sémantique” entre E1 et E1' peut être exploitée argumentativement. Nous dirons qu'il y a transformation argumentative entre les énoncés E1 et E1' lorsque E1' est une réorganisation lexico-syntaxique de E1 et que E1 est donné pour garant de E1'. Exemple :
A force de manipuler des images, nous finirons par être nous-mêmes manipulés.
J'ai proposé deux analyses reposant sur cette définition :
« Argument as quasi-transformation » in « Argumentative situation : Ordinary language and common argument », à paraître (30)*
Sur ces phénomènes :
« L'argumentation comme transformation d'énoncés » L'argumentation, chap. 10, 1995 (5)*
La notion de transformation argumentative introduit une dimension non finie dans l'étude de l'argumentation.
Prises de position dans la désignation. Sur ce point :
« Désignations et prises de position » L'Argumentation, chap. 11, 1995 (5)*
Le phénomène fondamental est celui de la désignation argumentative, qui permet l'introjection dans l'énoncé d'éléments argumentatifs le justifiant. On peut appeler “auto-argumentés” de tels énoncés, comme :
Le forcené a été abattu
Le terme désignatif incorpore des prédicats et des schémas d'action. Le mot oriente au moment même où il désigne. Pour user d'une métaphore, il est non pas la composante mais l'hologramme de l'argumentation dans laquelle il entre.
Sur la structuration du discours argumentatif par le contre-discours
• La structure de contradiction à la base de la situation argumentative se manifeste par exemple au niveau du lexique par la polarisation des termes. Voir :
« La représentation du discours de l'un dans le discours de l'autre », L'argumentation, Chap. 13, § E, 1995, (5)*
• Questions de réfutation
– Résistance à la réfutation. Le discours argumentatif se tient sous la contrainte, voire la menace, du contre-discours. Si une règle méthodologique du discours scientifique veut qu'il s'expose à la réfutation en exposant ses arguments, le discours argumentatif se caractérise par les mécanismes d'implicitation, qui permettent de soustraire les arguments à la réfutation. Voir les conclusions de :
« L'ambiguïté lexicale dans l'interaction argumentative », 1994 (26)*
– Pour une analyse d'une réfutation “sur la lettre”, voir :
« Situation rhétorique », 1993 (27)*
C. Questions d'objet
Sous ce nom, on peut mettre les relations causales, les relations d'analogie, et, par certains aspects, les questions de définition, vues supra.
Sur l'analogie
« Argumentation et analogie » , L'argumentation, chap. 8, 1995, (5)*
Sur les manipulations du lien causal
La question des manipulations du lien causal dans l'argumentation selon des paramètres d'interaction a été discutée dans :
« Argumentation et causalité » in Essais, chapitre 6, 1990, (4)*
« La Cause du Brevet » 1990 (20)
« Causalité et argumentation », L'argumentation, chap. 7, 1995, (5)*
• J'ai distingué fondamentalement les argumentations établissant une relation causale et les argumentations exploitant une relation causale (ou construisant un “roman causal”) qu'elles présupposent. Relèvent de ce second type les argumentations par la cause, par l'effet (ou par le signe), mais aussi les argumentations par les conséquences, argumentations dites pragmatiques et leur mode de réfutation standard par les effets pervers, ainsi que les argumentations par le poids des choses (réfutation par l'appel à la “volonté”) la pente glissante, et l'argumentation indicielle. Ces diverses formes d'argumentations sont sensibles aux discours contre la causalité (voir Chapitre 3).
Outre les textes déjà signalés, les questions de la causalité argumentative sont discutées dans les travaux suivants :
– Exemples d'argumentation exploitant un lien causal
« De la quête d'information à l'argumentation » in « Questions —> Argumentations —> Réponses » 1991, §1 (21)
– Exemple de réfutation d'un argument pragmatique par un argument sur les effets pervers :
« Analyse de cas », in « Situation rhétorique », § 2, 1993 (25)*
– Exemple d'argumentation par les circonstances :
Charles de Gaulle, « Allocution radiotélévisée du 20 décembre 1960 », Essais…, 1990 (5)*
• Les manipulations du lien causal fournissent de beaux exemples de “syntaxe des argumentations” : en effet, l'argumentation par les circonstances se réfute par l'argumentation volontariste, et l'appel à l'homme de la situation, ou au sauveur enchaîne sur l'argumentation volontariste.
• Perelman dirait sans doute que ces argumentations invoquent “la structure du réel” mais ce qui rend cette appellation à mon sens inadéquate, c'est que le réel en question n'est pas une donnée préexistant à l'argumentation, mais construite dans cette argumentation.
D. Lieux communs
Une recherche sur ce thème a été menée dans le cadre d'un colloque en 1992 et a abouti à une publication collective :
Lieux communs, topoi, stéréotypes, clichés, 1993 (8)
Pour une présentation du problème des lieux communs en théorie de l'argumentation, voir :
« The Uses of Argument », Essais, Chap. 1, § 2
« Maximes et lieux argumentatifs », Essais, Chap. 6, § 7
Il ne me semble pas possible de présenter une conception unifiée de la notion de lieu commun dans l'interaction argumentative, ni de fonder une théorie de l'interaction argumentative sur la notion de lieu commun. Dans le cadre de l'analyse des interactions conversationnelles, il est nécessaire de distinguer plusieurs types de phénomènes, notamment :
1/ Les questions communes, parfois appelées “lieux communs” : voir Chapitre 6 « Contradiction, Question, Stase ».
2/ Les règles de déduction, comme le “lieu des contraires”
– Alors, pour vous, un pays qui produit des déchets est en bonne santé ? – En tout cas, un pays qui n'en produit pas est un pays malade.
3/ Les endoxon, faits tenus pour vrais ou pour probables. Lorsqu'il s'agit de faits génériques, ils correspondent sans doute aux “lois de passage”, du modèle de Toulmin, avec les précisions apportées par Ehninger & Brockriede. Voir :
« “The Uses of argument” », Essais…, Chap. 1, 1990 (4)*
De tels lieux communs encyclopédiques sont à la base de nombreuses justifications :
C'est en France que la question du voile islamique se pose avec le plus d'acuité, je commencerai donc par parler de la situation dans ce pays.
Monsieur Chirac a déclaré ceci à la télé, ses paroles sont importantes.
L'argumentation par la définition fait appel à des manipulations de lieux communs encyclopédiques de type 3. Voir :
« Notes sur une composition » (1994) (27)*
4/ Les expressions figées ou semi-figées, éminemment dicibles. On montre qu'un énoncé conclusion est acceptable en le connectant à un lieu commun, au sens (3/ et 4/) de la communauté de parole. Le lieu commun peut n'être présent que sous la forme d'une simple allusion, d'un “trait argumentatif” :
“Lieux communs dans l'interaction argumentative” 1993 (24)*
5/ Il faut souligner enfin que certaines formes argumentatives se passent de tout lieu commun ou loi de passage : c'est le cas des “transformations argumentatives”.
E. Argumentation dans la langue et interactions argumentatives
Quelques positions de la théorie de “l’Argumentation dans la langue” vis-à-vis de la “Nouvelle rhétorique” sont discutées dans le texte suivant :
« Nouvelle rhétorique et argumentation dans la langue » Essais…, Chap. 1, p. 43-49.
D'autre part, outre une exposition plus détaillée faite dans un séminaire annuel (1991-1992, Lyon 2, Maîtrise-DEA de Sciences du langage), deux textes présentent les éléments de cette théorie de l'argumentation :
« L'argumentation dans la langue », L’argumentation, Chap. 12, p. (5)* 
« A linguistic theory of argument », Handbook …, Chap. ?? (7)*
Dans mon travail pour une théorie interactionnelle de l'argumentation, je considère la théorie de l'argumentation dans la langue comme une théorie des contraintes sémantiques sur les enchaînements d'énoncés, fondée sur les notions de topos et de polyphonie.
Par rapport à la théorie de l'argumentation dans la langue, il faut souligner que la recherche sur les interactions argumentatives est d'abord une recherche empirique, à fort contenu descriptif. On traite d'analyses de cas plus que d'exemples. Cette recherche doit partir de données “authentiques”, au sens où, tout simplement, est considérée comme authentique une donnée qui n'a pas été produite en vue de son exploitation théorique. L'objet élémentaire n'est pas la paire d'énoncés, mais comme le montre notre schéma, l'interaction développée, plurilocuteurs, dont on ne peut espérer rendre compte qu'en coordonnant une gamme de concepts.
F. La séquence “explication + argumentation”
Je reprends ici une question traitée dans :
“Questions —> Argumentations —> Réponses” , 1991 (21)

Cet article applique la grille des “lieux communs” à un corpus de “chapeaux” d'articles de journaux consacrés à un événement qui fit la première page des journaux du lundi 17 avril 1988 :
Samedi, une centaine de personnes ont trouvé la mort, écrasées dans le stade de Sheffield.
De l'argument à la conclusion
• L'explication, conclusion d'une argumentation causale. On peut distinguer deux classes de réponses aux questions communes :
– Les réponses apportées aux questions “qui, quoi, quand, où, comment, combien”. Les journaux apportent à ces questions “d'information” des réponses en gros concordantes.
– Les réponses apportées à la question “pourquoi ?” construisent deux séries divergentes. Une première série de réponses affirment une causalité étroite  :
(D1) : Une cause de type (C1) est à l'origine de la catastrophe (S)
Les causes de la catastrophe sont les supporters, le stade, la police, les secours
Une seconde série de réponses affirment une causalité large :
(D2) : Une cause de type (C2) est à l'origine de la catastrophe (S)
Les causes de la catastrophe sont l'Angleterre de Mme Thatcher, le système du football, le capitalisme.
• Test. On a affaire à deux types d'hypothèses explicatives. On peut les tester en leur appliquant le système des normes pour les argumentations causales, en particulier le principe “pas de fumée sans feu” :
Si la cause C est à l'origine de l'effet E, on ne peut pas avoir E sans C.
Pour montrer que C n'est pas cause de E, il suffit de montrer que E peut se produire en l'absence de C.
• Analogie. C'est ici qu'intervient le “drame du Heysel”. Le Heysel est un stade de Bruxelles où se sont produits en 1985 des événements faisant 39 morts et plus de 500 blessés. Les événements du Heysel peuvent être considérés comme des événements du même type, analogues à ceux de Sheffield. Les deux catastrophes se constituent alors en série, et on construit une réfutation de l'imputation concluant à des causalités locales :
La politique conservatrice du gouvernement de Mme Thatcher est à l'origine du drame de Heysel
Les causes de la catastrophe sont les supporters, le stade, la police, les secours
Les imputations causales larges suivantes sont conservées :
Les causes de la catastrophe sont le système du football, le capitalisme.
• Argumentation par les conséquences. Si l'on pose que “Le système du football est à l'origine de la catastrophe”, comme le fait notamment L'Equipe, on enclenche par un discours de Proposition, fondé sur une argumentation par les conséquences :
Si S a des conséquences négatives, il faut réformer S
• Réfutation de l'argumentation par les conséquences. Cette argumentation peut être détruite par le rejet du lien de causalité. Le contre-discours peut être construit simplement sur le refus de l'analogie Sheffield / le Heysel ; là où on posait une analogie, on voit maintenant un amalgame. La manœuvre aboutit ainsi à mettre hors de cause le système du football. Il en résulte une stase.
De la conclusion à l'argument
Prenons les choses dans l'autre sens. Il se trouve qu'une question est ouverte sur la réforme du football bien antérieurement aux événements du Heysel. Sur cette question s'opposent des Proposants (“Oui à la réforme !”) et des Opposants (“Pas besoin de réforme !”). On est dans le cas où la conclusion de l'argumentation préexiste à l'argument. Cette conclusion pré-forme toutes les perceptions d'événements dans le domaine, comme notamment l'explication par “le système du football”, qui n'est évidemment pas tombée du ciel.
Cette préexistence de deux systèmes argumentaires contradictoires est encore plus évidente dans le cas des imputations causales larges ; ce n'est que dans un tel cadre à priori que l'on comprend l'imputation causale sur Mme Thatcher ou sur le système capitaliste : l'imputation causale fonctionne alors comme un mode d'intégration d'un événement à un système de représentations.


– Argumentation fondée sur les seules ressources du langage : par exemple, les reformulations et transformations argumentatives ; ou bien, dans l'interaction, les réfutations fondées sur les gradations, dont nous prendrons un exemple dans un corpus que nous aurons l'occasion d'utiliser plus largement :
X : – Mais oui, c'était un terrain vague, et qui n'a jamais
R : – ah non’ non’ non’ l'immeuble il a dix-huit ans monsieur, il est pas en terrain vague, non non, faut pas exagérer, c'était pas le no man's land’ hein ttention hein non non’ soyons logiques
8. Dynamique de l'interaction argumentative Méthode pour l'analyse de cas
A. Un objet et une méthode
Une séance de conciliation
Il existe des faits et des problèmes qui ne deviennent visibles que sur des cas précis d'interactions développées. L'interaction prise en exemple dans ce chapitre est une séance d'une Commission de conciliation cherchant à régler à l'amiable les conflits surgissant entre locataires et propriétaires, afin d'éviter le recours au tribunal. On en trouvera une présentation détaillée, avec des précisions sur les notations utilisées, dans :
« Fonctions du tiers » § 1 : “Présentation de l'interaction”, 1995 (29)*
Ce qui définit cette séance de conciliation comme interaction argumentative, c'est la Question argumentative principale, notée Q, portée devant la Commission de conciliation. Cette question est engendrée par la Proposition d'augmentation à 1030F faite par le Régisseur (RGI) représentant du propriétaire, et le refus de cette Proposition par la Locataire (LOC), qui s'en tient, au départ, à une Contre-proposition de loyer à 1008F, correspondant à ce qu'elle estime être le maximum légal.

Les interventions et les conclusions qu'elles visent sont comprises comme entrant soit dans le discours de Proposition, soit dans le discours d'Opposition, ici plus précisément de Contre-proposition. En d'autres termes, les orientations argumentatives des différentes interventions sont systématiquement données par la question Q.
Dans cette interaction les rôles discursifs sont fixés par le cadre et par le “contrat de communication”. Cette interaction est également caractérisée par l'existence d'une obligation de résultat. La clôture argumentative, matérialisée par la signature des protagonistes, est liée au cadre ; ses modalités sont déterminées par le contrat.
Buts et méthode
• Je considère comme fondamental le fait que, dans cette interaction argumentative questions, propositions, contre-propositions et arguments sont réitérés. Ils se modifient dans l'interaction, cette évolution se faisant en particulier sous la pression du contre-discours.
L'objet d'étude étant la dynamique de l'interaction, il n'est pas question de réunir toutes les occurrences du même argument sous un même type pour effacer leurs variations. Il s'agit d'étudier les métamorphoses de la question, le destin des arguments construisant les réponses et déterminant les poids qui sont jetés dans la balance. Mais il faut souligner que le lien entre les arguments échangés et la décision de conciliation ou de non conciliation finalement signée par les antagonistes est loin d'être évident. Les conclusions visées par les arguments sont une chose, la décision réellement prise en est une autre ; l'analyse de l'argumentation n'est pas une théorie de la décision.
Cette problématique suppose des techniques d'analyse différentes de celle qu'on utilise généralement en argumentation. Les approches classiques (rhétorique, logique non formelle) travaillent sur des textes écrits (textes préparés authentiques) ou sur des paires d'énoncés constituant de brefs exemples imaginés. L'approche “pragma-dialectique” de F. van Eemeren & R. Grootendorst développe un programme de “reconstruction normative” de l'interaction argumentative par une méthode toute différente :
« The operations which are necessary for a normative reconstruction require the carrying out of four dialectical transformations : deletion, addition, permutation, and substitution.
The dialectical transformation of deletion entails a selection of elements from the original discourse that are immediately relevant to the process of resolving the dispute : elements that are irrelevant for this purpose, such as elaborations, clarifications, anecdotes, and side-lines are omitted. Any repetitions that occurs in the text, even if slightly differently worded, are also omitted. »
Sans prétendre évidemment quadriller exhaustivement le cas pris soumis à l'analyse, les pages qui suivent voudraient montrer concrètement qu'une autre méthode de traitement des données est possible. Cette méthode fournit des résultats suggestifs, qui seront exploités notamment dans une recherche sur les émotions dans l'interaction argumentative.
• Toute réflexion sur l'argumentation dans une interaction développée suppose qu'au préalable chaque argument ait été repéré et étiqueté. J'utilise la notation suivante :
— Les arguments seront notés A ou Arg, suivi de l'indication, en indice, de la nature de l'argument en question, Ax. Ainsi, l'argument Le régisseur a déjà fait des concessions sera noté Ac, ou Aconcessions, à lire L'Argument des concessions.
En outre, chaque occurrence de l'argument sera signalée par un numéro correspondant à son ordre d'apparition dans l'interaction :
A1x désignera la première occurrence de l'argument Ax.
A2x désignera la deuxième occurrence de l'argument Ax, etc. 
Nous supposons évidemment qu'il est possible d'identifier un argument unique sous ses différentes manifestations ; c'est cette forme sous-jacente qui sera appelée Ax – autrement dit, Ax désigne la classe des occurrences {A1x, A2x… } ; mais le travail ne porte pas sur la forme générale hypothétique Ax. C'est très précisément l'étude de l'évolution diachronique et des transformations des éléments de cette classe d'occurrences qui caractérise le projet.
NB : Dans cette interaction particulière, les propositions de clôture jouent comme une forme particulière, et radicale, d'argument ; elles seront notées de la même façon :
Cx1 désignera la première occurrence de la proposition de clôture (C), etc.
• La technique appliquée aux arguments doit évidemment l'être à la question, par laquelle nous allons commencer :
Qx.1 désignera sa première occurrence de la Question (x), etc.
B. Métamorphoses de la question
Séquence d'ouverture : Détermination du statut de la question
• L'interaction ne comporte aucun rite d'ouverture. Elle débute par une longue intervention du Président de la Commission (CNL, représentant des locataires), qui ne se présente pas, et commence directement à exposer la question. Les présentations se font ultérieurement, rapidement, à l'initiative du Régisseur, alors qu'un échange très vif vient de l'opposer au Président :
CNL non non non non non non du point d=vue d=la hausse des loyers les décrets i-précisaient que Ê% pouvait être augmenté pour des travaux et : en- en fonction du

montant des travaux (& & & )
RGI de toute façon m=sieur c'est vous le président msieur

Guillot oui rès heureux Ê% heu dans le la lettre c=que madame
CNL oui oui oui

RGI LOC a oublié de dire [02,26]
"  Durant toute l'interaction, le Président se comporte en allié de la Locataire (voir « Fonctions du tiers » p. 124-126). Sa première intervention est équivoque, il oscille entre son rôle de Tiers-Président et son rôle d'allié de LOC :
CNL on a constaté que: y avait une première augmentation en novembre Ê% quatre vingt deux qui était de: huit cinquante deux qui était conforme à la législation Ê% et on a aperç- constaté que le deuxième augmentation par contre n'était pas conforme à la législation puisque Ê% heu Ê% puisque: l'indice du premier trimestre qui est utilisé heu Ê% pour cette augmentation de quatre vingt trois fait ressortir une hausse de sept zéro trois qui doit être ramenée à quatre vingt pour cent c=t à dire cinq soixante deux alors on demande heu l'application d=la législation Ê%
LOC mh

CNL !  tous les: commissaires ici sont d'accord heu là d=ssus et: et il nous semble possible de: en appliquant la législation’ bon i- semble que:
RGI mmh mmh [01,01]
Le Président expose ainsi la question Q non pas comme une question argumentative (faisant entendre les voix des deux parties), mais plutôt comme un malentendu, comme si une explication, une clarification pouvaient suffire à éliminer la question et, par voie de conséquence, rendre inutile le recours, toujours coûteux à l'argumentation.
Cette présentation pseudo-unanimiste est bien entendu interprétable comme une manœuvre tendant à esquiver l'obligation d'argumenter en transformant la nature de la question. Dans cette interaction, la charge de la preuve est fixée institutionnellement, elle incombe au demandeur, donc ici à la locataire. Grâce à cette manœuvre, le Président transfère la “charge du mouvement” au Régisseur, qui, dans un premier temps, tente de l'esquiver :
CNL enfin j=vous laisse la parole’ si voulez nous donner
RGI non non

CNL la s- z'avez rien à rajouter‘
RGI c'est pas moi qui ai d=mandé
LOC non non

CNL donc on vous laisse la parole’ si vous avez:
RGI moi j=rajoute simplement
[01,38]
• Le Régisseur intervient en introduisant un argument dans l'interaction, ce qui a pour effet de transformer la question d'explication en question argumentative :
RGI moi je rajoute simplement qu'y a eu quand même des frais Ê% en ce qui concerne les abords de l'immeuble dont madame LOC monsieur LOC n=vous a pas parlé et ça ça apporte un certain confort si voulez et qui est-ce qui paye c'est l=propriétaire Ê%Ê% et ça c'est pas dans le dossier [01,38]
• Soulignons enfin que lors de cette ouverture, la légitimité de l'interaction n'est pas en cause. Le problème sera soulevé dans le cadre d'une manœuvre argumentative tendant à déstabiliser le camp de la Locataire.
Question dérivée, question déplacée
Il faut distinguer plusieurs types de questions en rapport avec l'orientation argumentative de cette interaction :
– D'une part, la question principale, qui peut être répétée, avec ou sans modifications.
– D'autre part, cette question principale peut aussi engendrer une ou plusieurs autre questions ; je parlerai alors de question(s) dérivée(s).
– Enfin, des questions non pertinentes peuvent surgir, sans rapport avec la question orientatrice ; je parlerai alors de question(s) déplacée(s), en conservant l'ambiguïté de l'adjectif.
NB : Les problèmes entraînés par les modifications de la question principale sont discutés dans :
« Notes sur une composition », 1994 (29)*
Questions dérivées
Les questions dérivées sont des questions dont le traitement apparaît comme nécessaire dans le cadre du traitement de la question principale. La question organisatrice de la première séquence argumentative est une dérivée de la question Q. Elle se manifeste par un superbe antagonisme :
• Question Qd, la Question du décret : Est-ce que ces travaux rentrent dans le cadre des décrets ?
CNL est-ce que ces travaux rentrent dans l=cadre des décrets’ nous c'est tout
RGI ah oui oui

CNL l'amélioration des abords non
RGI oui oui oui je m'excuse mais oui

CNL non non non non non non
RGI je pense que si’ enfin je pense que si’ [02,11]
La question Q était introduite sous forme d'exposé du problème ; ici, la question Qd est énoncée par le Président avant d'être rejouée sous forme de contradiction discursive. Schématiquement :

• Autre question dérivée, Qdates, la Question des dates : L'augmentation de loyer aurait-elle dû être demandée en 82 ? Cette question organise la séquence [10,52 —>15,33].
Questions déplacées
Les questions déplacées n'ont pas de lien avec la question principale. Dans cette interaction elles organisent deux séquences.
• La Question des charges : Y a-t-il eu des charges abusivement réclamées par le Régisseur ? [22,09—>25,10]. On est dans le domaine du malentendu dont on se sort par une clarification ou une explication.
• On pourrait encore citer comme exemple de question déplacée la Question du bail, qui organise une séquence [34,10 —>34,31], qui se clôt rapidement :
CNL mais n=parlez pas du bail c'est pas notre problème’ [34,34]
Les questions déplacées sont rejetées comme non pertinentes par les théories logiciennes de l'argumentation. Nous ne pouvons pas approfondir ici ce point, mais il est évident que ces questions ont un rôle essentiel à jouer non pas sur le plan du contenu, mais sur celui de la relation ; ce genre de digression permet aux gens de se parler, notamment après des épisodes argumentativement tendus.
Destin de la question Q dans l'interaction  Tableau des questions
Les différentes occurrences de la Question Q organisent la seconde phase de l'interaction. Le Tableau des questions qui suit mentionne :
• Colonne 1 : Numéro de l'occurrence de la question Q – Indication de son ou de ses destinataire(s) – Références dans la transcription.
• Colonne 2 : Occurrence de la question
• Colonne 3 : Numéro de l'occurrence de la Réponse, c'est-à-dire de la Proposition du Régisseur ou de la Contre-Proposition du Locataire – Indication de son auteur – Références dans la transcription.
• Colonne 4 : Occurrence de la réponse, Proposition ou Contre-proposition.
• Colonne 5 : Numéro de l'occurrence de la Proposition de clôture, notée C(-) s'il s'agit d'une Proposition de clore négativement, par une non-conciliation – Indication de son auteur – Références dans la transcription.
• Colonne 6 : Occurrence de proposition de clôture
Dans cette présentation, c'est la Question qui commande les Réponses / Propositions et les offres de clôture.
Tableau des Q + R + C



1.

2.

3.
4.
5.
6.

Q
RGI : hausse à 1030F
Q ?
LOC : hausse à 1030F
Q1
Les parties
[15,37]

Q2
Régisseur
[16,02]CNL j=vous pose la question’ est-ce que: /vous acceptez une /une augmentation’ ah



Cette question est relancée et divisée :
CSF Alors quelle est votre proposition







P1
Régisseur
[16,05]






mille trente par mois, c=qui m=paraissait très raisonnable FORT très raisonnable’
Q3
LocataireCNL on a posé la question à: madame’ c=qu'elle pensait de de: toutes les allégations qu=vous avez fournies tout à l'heure elle a pas eu l=temps d=répondre je lui r=pose la question j=l'écoute Ê% Ê% c=que c'est i-faut écouter chacun à son tour hein [20,15  > 20,23]
Q4
Locataire [21,17]HLM le problème est de savoir si madame accepte
RP  est-ce que madame euh: serait d'accord
CSF est-ce que oui est-ce que vous seriez d'accord pour partir sur cette base de mille trente 

P2
Régisseur
[21,26]


Je reste à mille trente 

C1
RP
[21,12]

C2
DDE
[22,03]

mille trente bon est-ce qu'on va RIT discuter encore longtemps pour vingt francs


on vous propose de rédiger l=document
Q5
Locataire
[25,11]CNL bon écoutez FRAPPE SUR LA TABLE bon la question des je voudrais bien qu'on essaye de voir clair heu plus précisément on pose la question à madame est-ce qu'elle est-ce qu'elle heu est-ce qu'elle accepte heu sur la base de cinq soixante deux ou si elle accepte avec mille trente, toute la question est là , hein 




P3
Régisseur
[25,22]



mille trente francs Q6
Locataire
[27,01]CNL J=pose la question à madame’


C3 (-)
RP
[28,46]

donc on va aller à un procès-verbal de non conciliation 
Q7
Les parties
[27,57]RGI ça m'est égal c'est à madame de juger
CSF maintenant maintenant euh c'est aux parties de se décider 

P4
Régisseur
[29,28]

Contre Proposition CP1 Locataire [31,46]

moi je reste à trente



et ben on tranche la poire en deux



C3’(-)
RL
[29,38]




C4(-)
[32,48]



FLA j=crois qu'il faut prendre les dires des deux parties et puis voilà





ASS y a pas conciliation
Q8
Locataire
[32,47]CNL monsieur RGI propose mille trente’ vous proposez mille quinze combien mille vingtCP 2
Locataire
32,53
mille vingt’, jusqu'à mille vingtC5
CNL
[32,52]alors y a pas conciliation Q9
[35,04 ]CNL bon je vous pose la question 

C5(-)
CNL
[38,21]
Bon heu on constate non conciliation



C. Dynamique des arguments
On peut distinguer dans cette interaction deux classes principales d'énoncés arguments :
• selon la nature de l'élément sur lequel ils se fondent
(1) sur les données matérielles du débat ;
(2) sur les éléments de l'interaction, son cadre ou ses règles.
• selon qu'ils visent pour conclusion :
(a) une Proposition / Contre-proposition, donnée pour réponse à la question Q ;
(b) la (dé)légitimation de l'interaction en cours.
1. Les arguments du Régisseur
– Arguments fondés sur les données matérielles du débat et construisant la Proposition 1030F :
• L'argument officiel de l'interaction, l'argument des travaux. 
• L'argument populiste Tout augmente, hélas.
• L'argument Une somme a été versée par le propriétaire.
• L'argument Qu'on aille en chercher des appartements, des F3 [à ce prix là].
• L'argument Pour vingt francs.
Ces arguments portent sur le fond et visent à construire une réponse ; on peut également parler d'argumentation “logique” (au sens ordinaire “substantiel” du terme) ou, dans le cas présent, d'argumentation para-légale.
– Arguments et fondé sur les données matérielles du débat et tend à rendre illégitime (la poursuite de) l'interaction ; nous retrouvons ici :
• L'argument Pour vingt francs.
– Arguments fondés sur le cadre de l'interaction et tendant à rendre illégitime (la poursuite de) l'interaction :
• L'argument On perd son temps.
• L'argument On fait attendre les gens.
– Pris dans leur contexte, ces arguments agissent contre la Locataire, dans le sens de la Proposition, “Acceptez les 1030F”, tout comme :
• L'argument Le régisseur a fait des concessions.
1.1 Arguments sur le fond, pour la Proposition
a/ L'argument Ap, Les propriétaires ont payé
La donnée “Les propriétaires ont payé” est incontestée. Elle reçoit de la question Q0 son orientation argumentative vers la conclusion : “les locataires doivent payer, on doit augmenter le loyer”. Nous appellerons cet argument “L'argument les propriétaires ont payé”, et il sera noté Ap.
L'argument Ap, relativement fruste, compte trois occurrences :
A1p
RGI  Et qui est-ce qui paye, c'est le propriétaire [2,01]

A2p
RGI  y a quand même une somme qui a été versée par chaque propriétaire’ [5,48]

A3p
RGI  ils ont bien été payés’ ça a bien été payé par les propriétaires’ hein j=pense [37,20]
La conclusion “Le locataire doit payer” repose sur une loi de passage peu claire ; on peut lui donner plusieurs formes, par exemple “On partage les frais”. On peut également songer à une forme d'argumentation a fortiori, reposant sur une hiérarchisation du locataire et du propriétaire (si ce qui est moins vraisemblable est le cas, alors le plus vraisemblable l'est / doit l'être).
Cet argument est proposé par RGI et utilisé exclusivement par lui. Il n'est jamais relevé pour approbation ou rejet par un autre locuteur. Aucune interaction ne se développe sur cette argumentation.
Une partie de sa force vient de ce qu'il est répété devant des représentants des propriétaires.
Cet argument n'évolue pas dans l'interaction, mais connaît seulement des modulations ; l'argument est “martelé”. Les variations émotives que le Régisseur donne à cette série d'arguments restent à étudier, en particulier le tour question-réponse :
… Et qui est-ce qui paye, c'est le propriétaire
… Et qui est-ce qui garde les enfants, c'est le mari
b/ L'argument Aa,Tout augmente
Cet argument a deux occurrences, dans lesquelles il est répété à l'identique :
A1a
RGI les travaux vous le savez tous messieurs’ vous êtes les uns et les autres propriétaires ou locataires’ tout augmente de quinze à vingt pour cent’ y a qu=les loyers qui bougent qui sont à cinq quatre-vingt douze RIT nous sommes d'accord’ mais faut en tenir compte [3,11]
A2a
RGI tout augmente’ hélas [24,16]

On a ici affaire à un réel lieu commun substantiel des années d'inflation. C'est une donnée universelle, qui provoque une adhésion spontanée de tous les participants. Pas de division des tiers sur ce point ; l'adversaire lui-même doit être d'accord. C'est un énoncé irréfutable, qui entre bien dans la catégorie des argumentations populistes.
c/ L'argument Ad : Le décret autorise une augmentation
Cet argument apparaît sous la forme suivante :
RGI y a eu quand même des frais Ê% en c=qui concerne les abords de l'immeuble [01,48]
Nous appellerons cet argument “L'argument du décret”, et il sera noté Ad.
L'argument [01,48] ne mentionne pas le décret. Je fais cependant l'hypothèse que cette occurrence doit être interprétée contextuellement, en relation avec le décret, dont tous les partenaires connaissent l'existence. Si on rejette cette hypothèse, il faut considérer qu'on a affaire à un argument à part, At, l'argument des travaux, qui se précisera en Ad, l'argument des travaux entrant dans le décret.
Les interventions autour du décret s'organisent autour de la déduction suivante :
Des travaux t ont été effectués dans votre immeuble
En vertu du décret N°, des travaux de type T autorisent une augmentation de loyer supplémentaire
Les travaux t sont du type T
—
Donc votre loyer sera augmenté
On a affaire ici à une discussion classique tombant dans le cadre général des argumentations par la définition (voir « Argumentation sur la nature des choses et leur définition », L'argumentation, Chapitre 9).
La question dérivée Qd
Cette argumentation n'admet de prise que sur la définition, la catégorisation des travaux, ce qui donne naissance à la question dérivée Qd : les travaux t sont-ils du type T ? (la situation argumentative ainsi ouverte est schématisée au § B). Dans ce cadre, l'intervention :
ça rentre dans l'application du décret [06,18]
réitère la position du Régisseur, toujours dans le rôle de Proposant sous cette question.
La Question Qd organise la séquence [01,48—>09,51], séquence sans doute la plus structurée de l'interaction. Le détail des interventions s'organise autour des grandes lignes suivantes.
L'argument Ad dans la séquence [01,48—>09,51]
Les deux occurrences A1d et A2d mettent en place l'argument.
A1d : [les travaux concernent] les abords de l'immeuble
RGI y a eu quand même des frais Ê% en c=qui concerne les abords de l'immeuble [01,48]
A2d : [les travaux consistent en] aménagement de ceci ou de cela.
RGI j'avais essayé de tomber d'accord avec Monsieur et Madame LOC à un chiffre Ê% légèrement submen- supérieur Ê% à celui d=l'application d=la loi compte tenu si v=voulez d=l'aménagement Ê% de ceci et de cela. Bon. Y a pas eu moyen d=s'entendre [02,55]
Le décret est ici le texte de référence. Il est d'abord mentionné de façon informelle, puis lu comme suit par le Vice-Président :
VIP et bien le décret dit en cas d=renouvellement Ê% pour les logements dans lesquels les travaux tendant à améliorer le confort la sécurité l'équipement la qualité thermique ou phonique sont réalisés [04,38]
Les deux occurrences suivantes A3d et A4d vont s'efforcer de “faire rentrer” les travaux dans le décret.
A3d : [les travaux consistent en] une amélioration de jardin
Ad, sous la forme A3d, est soutenu par le Vice-Président, VIP :
VIP le décret vise l'équipement en général donc heu: fff
une amélioration d=jardin c'est bien
RGI c'est l'équipement‘ j=suis
CNL BAS ah non‘ non non‘

RGI d'accord’ monsieur
CNL pas l'équipement‘ (quand même) [03,47]
A4d : [les travaux consistent en] [ la remise en ordre] des trottoirs
RGI monsieur l=Président j=m'excuse vous connaissez pas les locaux mais madame ne peut pas l=contester y avait disons des trottoirs c'était plus des trottoirs y avait eu des gros travaux d'aménagement d=construction d'immeubles voisins Ê% et y avait des excavations tout ceci a été r=mis en ordre bien entendu pour la sécurité la sécurité  Ê% des gens qui pénètrent des locataires de l'immeuble alors tout ça c'est incontestable madame [05,05]
A5d : [les travaux consistent en] [l'amélioration] [d'un espace] entre l'immeuble qui est ici et disons la chaussée
RGI c'est pas les c'est les chaussées’ les chaussées c'est aut-chose’ les chaussées elles étaient’ les chaussau ssées sau sées entre l'immeuble qui est ici
CNL ah ben c'est c=que vous nous avez dit’

RGI et disons si v=voulez et disons la chaussée vous avez un espace qui a été amélioré là là là” [07,12]

On note la différence entre A3d et A4d : on passe du jardin aux trottoirs. L'argument A4d de la remise en ordre des trottoirs est renforcé par des argumentations subordonnées “y avait disons des trottoirs’ c'était plus des trottoirs” et “y a eu des accidents” :
RGI c=la a été réalisé parce disons y a eu des accidents [5,38]
Sur ce thème, le Régisseur va perdre ; s'il y a eu des accidents, c'est que les abord n'étaient pas aux normes. Réfuté, le Régisseur ne reparlera plus des accidents.
Sens général de cette évolution : la pression du contre-discours
On voit dans quel sens se fait le travail argumentatif des uns et des autres. Il s'agit pour le Régisseur et ses alliés de donner une description des travaux qui coïncide avec la lettre du décret ; c'est ainsi qu'on passe des jardins aux trottoirs, puis à la “sécurité”, terme clé du décret. Le Régisseur étant réfuté par CNL sur ce sous-argument , j'attribue la régression descriptive manifeste de A5d à l'efficacité de cette réfutation. Son très efficace allié, le Vice-Président représentant des propriétaires (VIP), lui, s'en tient au terme général tiré du décret, l'équipement. [03,47 ; 04,01].
Le Président CNL et ses alliés refusent de considérer que le décret couvre les travaux des abords [02,14 ; 03,30]. Il s'en tiennent aux travaux faits dans l'appartement [09,13, FLA ; 09,14] ; dans le local [04,09, CSCV] ; dans le logement [04,48 ; 05,01]. Les travaux d'isolation [02,39 ; 09,05 ; 09,08] sont présentés comme le prototype des travaux permettant un dépassement du taux maximum légal d'augmentation.
L'argument Ad est l'argument officiel de l'échange. Il est avancé par le Régisseur et par ses alliés. Il est régulièrement contré par les représentants des locataires, notamment CNL. Cet ensemble d'argumentations et de réfutations définissent la première séquence de l'interaction. Elle se termine par un blocage, auquel mettra fin une intervention d'un tiers (voir « Fonctions du tiers… »  § 3.4, p. 128).
Retour à la contradiction simple
Aucun accord n'a émergé ni n'émergera sur ce point. Cela n'empêchera pas la Question de refaire surface de façon sporadique, mais lorsqu'on reparlera du décret et des travaux, ce sera sous la forme d'une simple juxtaposition de discours contradictoires.
A7d : [les travaux consistent en un] aménagement des abords
CNL e- e- à à vous entendre i- faudrait qu'on s=déplace pour aller voir les les-e: pour

aller voir les plantations’ pour pour voir pour savoir si c'est Ê% ah oui c'est ça
RGI mais::: non::: y a pas d=plantation (& ) monsieur y a
LOC y a pas de=plantation (mais) deux

RGI pas de plantations y a pas de plantations hein
LOC p=tits murs (& ) les trottoirs qui ont été refaits donc

LOC le trottoir devant’ y a eu une
RGI y a des aménagements des abords

LOC (…) de fait’ y a du graviers, c'est tout [28,52]
On note la régression de la formulation, et le retour aux termes de A1d et de A2d. L'argumentation n'ayant pas abouti, on en revient à la pure et simple confrontation de discours ; un cycle argumentatif s'est accompli. CNL et RGI réaffirment leurs positions, dans un épisode de dispute tranchée [36,26—>38,08], par exemple :
CNL et et je je j'estime parfaitement plausible qu'elle puisse dire moi heu faire euh faire une allée et faire des trottoirs ça jamais été une amélioration telle qu'on la conçoit dans le décret oui moi je conçois parfaitement cette chose là [30,07]

CSV la loi dit pour des logements dans lesquels FORT dans lesquels des travaux tendant à améliorer le confort, la sécurité l'équipement, les qualités thermiques ont été réalisés
RL je suis certain que le tribunal vous donnera tort monsieur
…
RGI monsieur je regrette votre position là-dessus est contraire au décret
[36,37]
Soulignons au passage qu'on pourrait déceler une sorte d'argumentation dans l'intervention de CSV : parler “fort” c'est dire que le décret me donne raison. Je lis le décret contre vous, le décret vous donne tort.
La question essentielle Qd ne sera pas tranchée, et, au terme de l'interaction, CNL ne pourra qu'exposer encore une fois les termes de la contradiction au Mari de la locataire, survenu sur ces entrefaites :
CNL mais disons clairement y a les locataires ici qui disent que le les travaux qui sont faits sur des trottoirs et des améliorations d'accès de l'immeuble ne concernent pas l'amélioration et tous les locataires ici le disent maintenant y a deux propriétaires ici qui disent que on peut augmenter plus parce que le décret il dit qu'y a euh une amélioration [39,13]
1.2 Un argument sur le fond, à double détente Am, Pour vingt francs
Délégitimer (la poursuite de) l'interaction
La minoration de l'objet du différend apparaît comme argument, l'argument de la somme minime, Am, Pour vingt francs, dans une intervention d'un représentant des propriétaires :
A1m
RP mille trente Ê% bon est-ce qu'on va RIT discuter encore longtemps pour vingt francs
[21,12]
Le locataire reconnaît la légitimité de la minimisation :
LOC alors j=reconnais que: c'était des sommes qui n=sont p=t être pas très importantes, Ê% mais sur euh quand euh vous arrivez et que finalement [21, 52]
Elle réitère son accord en [30,45] et [31,05].
Cet argument est fondé sur une donnée de l'interaction : la différence entre les Proposition, 1030F, et la Contre-proposition, 1008F, telle que nous la livre l'arithmétique naturelle, est de 20 F. A partir de cette différence, on n'argumente plus selon les axes Proposition / Contre-Proposition orientés par la question, mais en quelque sorte en minorant la différence, manœuvre où, après Ducrot, on s'accorde à voir une orientation vers la conclusion “la différence n'existe pas”. Cette manœuvre est redoutable. Nier l'existence du différend c'est nier la légitimité du recours, donc la légitimité de l'interaction, dont la Locataire a pris l'initiative.
Les occurrences de Am, l'argument de la somme minime, sous la forme linguistique argumentativement orientée pour vingt francs sert une série de conclusions allant dans le sens de la fin de l'interaction, de l'illégitimité de sa poursuite ; pour 20F —> on ne discute pas longtemps :
A1m
RP mille trente bon est-ce qu'on va RIT discuter encore longtemps pour vingt francs
FLA oui [21,12 —> 21,15]

A7m
RGI ne discutons pas écoutez on- on discute on amuse ces messieurs-dames pour dix francs [32,12]
Pour 20F, on se concilie (3), (7), et chacun fait un geste (7)
A2m
RP Je constate d'autre part que les écarts sont tellement faibles Ê% hein que: je pense qu'on peut quand même trouver une conciliation euh Ê% entre les parties [26,01]

A6m
LOC bon moi j=veux bien essayer de concilier effectivement je veux pas m=bagarrer pour euh pour quelques francs Ê% mais à c=moment là si faut concilier je refuse heu les mille trente francs je voudrais qu'on descende encore Ê%Ê%Ê% je suis désolée [31,31]
Pressions sur la locataire
Mais ces interprétations doivent être contextualisées, en fonction du moment de son apparition dans l'interaction. Comme  C'est la Locataire qui a demandé”, cet argument qui apparaît comme pesant sur les deux parties (“Finissez-en !”), se retourne contre la Locataire, et pèse en faveur du Régisseur – et d'autant plus lourdement qu'il martèle sa Proposition “Mille trente francs”. Autrement dit : Pour 20F, on se concilie ; et comme je ne bouge pas, vous acceptez ma proposition, et ces vingt francs, vous me les donnez. C'est évidemment avec cette conclusion attachée que RGI répète pour vingt francs.
A3m
RGI c'est pas ça’ je dis qu=monsieur pour vingt pour vingt francs’ dix huit
francs d'écart [27,32]
Dans la bouche de VIP, l'argument de minimisation était adressé aux parties, il allait dans le sens de la conclusion “il faut en finir” ; dans la bouche du Régisseur, dans la mesure où il a fixé sa position, il s'agit d'un argument tendant à faire céder LOC. Le contexte a rompu la symétrie, et le Président n'y peut mais.
Une autre série d'occurrences vont dans le même sens en pesant uniquement sur la Locataire :
Pour 20F, on ne va pas au tribunal, c'est-à-dire vous (= LOC) n'allez pas au tribunal :
A8m
RP vous allez pas aller au tribunal pour quinze francs [36,10]

A10m
RP est-ce que ça vaut l=coup de plaider pour dix francs moi j=sais pas [41,25]
RP est-ce que i=vaut le coup de plaider pour dix francs y a quand même cet aspect’ contre lequel on doit vous mettre en garde’ à savoir le prix d'une plaidoirie [41,30]
Pour 20F, on ne déplace pas la Commission (10)
A9m
RGI mais enfin écoutez ces messieurs -dames on peut pas les déplacer pour faire une augmentation disons pour dix francs c'est ridicule ça madame [37,39]
Dérivation de la question spécifique à partir de la question générique
Cet argument est combattu par les alliés de la Locataire qui sentent le danger, et tentent de maintenir la question sur le plan des principes, comme en témoigne la réfutation apportée par le Président à A3m :
A3m
RGI c'est pas ça’ je dis qu=monsieur pour vingt pour vingt francs’ dix huit

francs d'écart mm
CNL mais oui mais c'est pour vous hein, moi j=m'excuse hein vous êtes en train de vous allez é- é- et pour madame alors heu pour dix
RGI &

CNL huit francs d'écart elle a le même raisonnement Ê% écoutez
CSF je pense qu'y a une y a
RGI faites comme vous

CSF une y a une question de principe et de fond heu oui oui qui est en cause
RGI voulez faites comme v=voudrez oui
[27,32]

L'enjeu est la question elle-même ; la question, notée au § A “7,03%, c'est-à-dire 1030F vs 5,62%, c'est-à-dire 1010 F” éclate en deux questions bien distinctes, la question générique “7,03% vs 5,62%” et la question spécifique “1030 F vs 1010 F”. L'astuce du représentant des propriétaires est d'avoir su opportunément faire dériver la question générique, qui restait ouverte, vers la question spécifique, qui, de par sa nature, ouvre sur les circonstances de l'interaction et rend possibles toutes les formes de pression.
1.3 Les arguments sur les règles et les circonstances de l'interaction
Ces arguments ont évidemment un statut à part, puisqu'ils font référence non pas au fond, mais aux circonstances du débat. J'en retiendrai deux, l'argument on perd son temps, et l'argument Le Régisseur a fait une concession.

a/ Arguments du temps
Argument principal : On perd son temps
At, l'argument On perd son temps est un argument lié à l'argument de la somme minime (On ne discute pas pour 20F). Comme on peut s'y attendre, l'argument apparaît assez avant dans l'interaction :
A1t
RGI j=veux pas aller vous amuser vous avez pas d=temps à perdre’ [35,07]
Comme il survient alors que le Régisseur a fait connaître sa position, l'argument “On perd son temps” est équivalent contextuellement à “Vous (= la Locataire) nous faites perdre notre temps”. Il est dirigé ainsi contre la locataire et ses alliés, qui le récusent. Il reparaîtra dans le prolongement de l'interaction en présence du Mari de la Locataire :
A2t
RGI Mr LOC on perd son temps les uns et les autres et on fait perdre le temps aux autres Ê%Ê%Ê% moi j=suis d'accord à mille trente sinon j=suis pas d'accord [40, 44]

Il se double d'un argument annexe, At', On fait attendre des personnes
A1t'
VIP nous f=sons attendre des personnes
RGI et oui y a du monde qui attend  Ê% [44,24]
Cet argument, particulièrement intéressant, est interprétable comme une nouvelle manSuvre de délégitimation de l'interaction. Gardien des règles de l'interaction, CNL est “maître du temps” ; dire qu'il y a du monde qui attend, c'est empiéter sur ses privilèges de Président, lui faire un reproche à peine indirect. C'est pourquoi il va réagir avec une vivacité particulière, récusant le droit du Régisseur d'avancer cet argument :
CNL i- s'agit pas d=dire y a des : des gens qui attendent c'est nous qui Ê% qui jugeons ici les les Ê%Ê% c'est p- c'est pas à vous de dire ces choses là Ê% c'est tout Ê%Ê%Ê% [44,54]
b/ Les menaces
"  L'argument de la non conciliation, A-c, Y a pas conciliation
Dans cette interaction, la clôture est définie par l'enregistrement officiel des Réponses des parties, et c'est à ce titre qu'elles doivent figurer dans le tableau des questions.
Mais elles doivent également figurer à l'inventaire des arguments. Les clôtures ont une valeur argumentative, nette lorsqu'on en vient aux propositions de clôture négative. Après tout, la fonction d'une Commission de Conciliation est de concilier ; chaque cas réglé à l'amiable est pour elle un succès qui renforce sa légitimité. Si elle aboutit à un constat de non conciliation, elle “ne fait pas son travail”, elle “discute pour rien” comme dit le Régisseur, elle est en échec. Son Président est le premier visé par cette manœuvre.
La mention d'une clôture négative agit ainsi comme une délégitimation de la Commission. La pression s'exerce ici sur le Président, allié de la Locataire, donc sur la Locataire.
• L'argument du tribunal, Atribunal, J'irai au tribunal
RGI non mais c'est pas une question d=ça c'est une question qu=ça rentre dans le décret d'application ça je m'excuse et ça j'irai au tribunal rapp=lez vous qu=l- j'aurai

raison parce que j'ai des confrères qui ont eu raison
ASS BAS nous verrons
CNL oui mais non [09,28]

LOC quelles sont euh qu'est-ce qui va se passer si y a pas d=conciliation maintenant Ê%

CNL ben c'est : si si m=sieur: Ê% si mé- si me : si monsieur prétend que : le décret lui donne raison il ira au tribunal c'est c'est son droit si i veut l=faire il le fait s'i-
RGI mais bien sûr

CNL veut pas le faire il le fait pas Ê%
RGI vous pouvez être tranquille que : là heu
[35,42]
c/ Arguments des erreurs - concessions
Cet argument est introduit dans l'interaction de façon remarquable : il réinterprète comme concession ce qui avait été d'abord présenté comme une erreur – on peu y voir une illustration du passage cette fois de l'explicatif à l'argumentatif.
– Erreur :
E1
RGI quand monsieur et madame LOC sont v=nus m=voir je leur ai dit y a eu une erreur si v=voulez d=ma s=crétaire qui a d=mandé un taux trop élevé nous sommes
CNL oui

RGI d'accord là d=ssus vous ne voulez pas pouvez pas l=nier bon et à
LOC non, effectivement
[02,46]
E2
RGI elle me conteste pas que je dis qu'y a eu une erreur si vous voulez de ma secrétaire [17,31]
– Concession :
A1c Monsieur RGI a fait une grosse concession
VIP Monsieur RGI a fait une grosse concession (33,16 —> 33,24]
VIP réinterprète donc comme concession ce que le régisseur avait présenté jusqu'ici, et à deux reprises, comme une erreur ; l'argument n'est pas relevé lorsqu'il est présenté par le Vice-président ; CNL le contrera lorsqu'il sera présenté par RGI.
A2c J'ai fait une gros effort
RGI j'ai quand même fait un gros effort
FLA oui
RGI tout en tenant compte bien sûr qu'il y a eu une erreur disons de ma secrétaire ça c'est un fait incontestable je vous l'ai dit alors mille trente quand même je crois qu'il faut pas
A3c Les concessions d'accord mais y a des limites
R. P. ben vous allez pas aller au tribunal pour quinze francs
RGI et ben oui mais moi ça n=fait rien et l=propriétaire est bien décidé bon ben les concessions d'accord mais y a des limites
2. Les arguments de la Locataire
La même style d'analyse s'applique à l'autre partie, à la différence que le Président, allié de la Locataire mène essentiellement une activité réfutatrice, dirigée contre le Régisseur.
• Le Propriétaire avance un argument, l'argument des dates, C'est en 82 que ça aurait dû s'appliquer. Cet argument sera totalement réfuté.
• La Locataire, elle, avance un argument qui lui est bien personnel, qu'elle répète, et qui donne peut-être le sens de cette interaction : c'est As, l'argument On a jamais eu une seule explication, on a eu un mur de silence.
C'est un argument qui fait référence à “l'histoire argumentative” entre le Régisseur et la Locataire, et qui permet à la locataire de relégitimer l'interaction. Ce reproche est fondé sur une règle de politesse de l'interaction ordinaire, “Donnez des justifications” qui n'a pas été respectée par le Régisseur. Ce mode d'argumentation constitue l'essentiel de ses interventions. le régisseur et ses alliés ne le contestent pas.
Elle en tire argument à huit reprises :
A1r , on a jamais eu une seule explication [19,07]

A2r , et effectivement vous avez jamais signalé … le décret vous en fait obligation [CNL, 19,48]

A3r , à chaque fois on a eu un mur de silence [20,28]

A4r, vous n'avez justifié jamais rien dit qui nous expliquait pourquoi [21,31]

A5r, quand on vous a demandé euh les pourquoi vous augmentiez vous n'avez jamais parlé de ces travaux [30,33]

A6r, alors que on obtenait’ aucune réponse de la part de: Monsieur RGI [30,53]

A7r, quand on se retrouve euh buté à un mur comme ça où personne vous explique rien [31,16]

A8r , dans la mesure où vous posez une question on vous répond pas bon ben à la fin [32,27]

A9r , la: descente qui a été faite a été faite si v=voulez sans justifier sans rien [33,29]
Le fait n'est jamais contesté, notamment par le Régisseur, l'argument est enregistré, mais, si l'on peut dire, il tombe à plat et ne parvient pas à orienter l'interaction, comme le montrent les seuls enchaînements qu'il provoque :
LOC alors que on obtenait’ aucune réponse de la part de: Monsieur RGI
CNL oui ça on

comprend on de on le sait on a l'habitude BAS nous ici [30,53]

VIP on en est bien conscients’ [33,40]
3. Conclusion : les séquences argumentatives
L'évolution des arguments, la “diachronie argumentative” est évidemment liée à la pression du contre-discours vigoureusement mené par CNL. Les critères pris en compte ici (fondés sur les questions et les arguments) découpent l'interaction en 4 séquences argumentatives
1. Une séquence (S1) d'ouverture argumentative, et la transformation de la question explicative en une question argumentative.
Cette séquence se divise en sous-séquences, dont il n'est pas possible de détailler ici l'analyse.
2. Une séquence argumentative logique (S2), où sont avancés des arguments orientés par deux questions dérivées :
• Sous-séquence 1 :  L'argument des travaux, orienté par Qd, la question du décret ;
• Sous-séquence 2 : L'argument de la date, orienté par Qdate, la question de la date d'application de l'augmentation. Cette argumentation se résout en explication.
3. Une séquence orientée directement par la question argumentative fondamentale, Q0. Elle se laisse diviser en fonction du critère des réponses à cette question (voir Tableau des Questions) :
• Sous-séquence 1 : le Régisseur construit sa réponse, qui réitère sa Proposition originelle, (“1030F”), par une argumentation (de type épidictique). Cette réponse est donnée rapidement, et réitérée ; il s'ensuit que la charge du mouvement pèse sur la Locataire.
• Sous-séquence 2 : la Locataire construit sa réponse, qui aboutit à sa proposition de transaction. Cette réponse intervient tardivement [31,46]. Pendant tout ce temps, elle est vulnérable aux arguments répétés sur la légitimité de la tenue de l'interaction et sur les circonstances. Cette proposition est tournée en ridicule.
• La sous-séquence 3 est une sorte de coda, marquée par l'introduction de l'argument de la concession, et un retour sur la question des travaux
4. Clôture : non conciliation

… Surgit alors le Mari de la Locataire. son arrivée relance l'interaction pour une nouvelle séquence qui inverse les résultats : il y aura finalement conciliation, la Locataire acceptant les conditions du Régisseur.

D. Système de la politesse et interaction argumentative
1. Système de la politesse
• Que devient la politesse dans l'interaction argumentative ? Les quelques remarques suggérées par la description de notre corpus prendront pour référence la synthèse proposée par C. Kerbrat-Orecchioni à partir des systèmes de P. Brown & S. Levinson et de G. N. Leech. La politesse a fondamentalement une fonction de régulation de la relation interpersonnelle :
« Relèvent de la politesse, tous les aspects du discours 
qui sont régis par des règles
qui interviennent au niveau de la relation interpersonnelle
et qui ont pour fonction de préserver le caractère harmonieux de cette relation (au pire : neutralisation des conflits potentiels ; au mieux faire en sorte que chacun des participants soit envers l'autre le mieux disposé possible). » [souligné dans le texte]
Les principes de politesse peuvent se répartir sur trois axes hiérarchisés :
– Principes orientés vers L [locuteur] (« self ») vs A [Allocutaire] (« other ») ;
– Politesse négative vs positive : … minimiser les actes impolis et maximiser les actes polis ;
– Face négative vs positive. »
La face négative correspondant aux « territoires du moi » (Goffman) et la face positive au moi (« au narcissisme »).
• Les participants ratifiés à la séance de conciliation sont distribués sur trois rôles discursifs :
– Le Proposant : Le Régisseur
– L'Opposant : La Locataire
– Les Tiers, alliés de l'un ou de l'autre.
La question la plus intéressante a trait aux transformations que subit le système de la politesse dans la relation Proposant - Opposant
NB : la question des relations entre position (haute/basse) et charge de la preuve reste à discuter.
Je prendrai pour base le point de vue du Régisseur (Locuteur, Proposant) dans sa relation à la Locataire (Allocutaire, Opposant), tout en ajoutant quelques remarques sur les autres participants. Le Régisseur est en effet le participant le plus actif à l'interaction.
2. « Principes A-orientés »
Considérons d'abord les principes de politesse orientés vers l'allocutaire. La politesse négative enjoint d'éviter les menaces envers les territoires ou la face de l'Allocutaire : « épargnez le narcissisme de votre partenaire d'interaction ». Corrélativement, les principes de politesse positive envers l'allocutaire demandent que « soient produites des anti-menaces envers la face négative et la face positive » de l'allocutaire, c'est-à-dire qu'on lui accorde quelques menues gratifications.
On peut pratiquement poser en principe que le Régisseur n'applique aucun des principes orientés vers l'allocutaire Locataire. Voici quelques exemples – l'énoncé des règles étant emprunté à C. Kerbrat-Orecchioni.
« Évitez d'empiéter sur ses réserves »
On peut interpréter ce principe comme un principe de non agression, “ne violez pas le territoire de l'autre”. Dans une situation argumentative, il y a forcément une forme d'agression et de conflit territorial, avec empiétements et contre-empiétements : les deux partenaires estiment que leur “surface financière” est injustement lésée.
L'appartement loué est un territoire partagé ; il fait partie du “territoire du moi” (p. 168) du locataire comme de celui du propriétaire et du régisseur. Pour le locataire, le maintien de ce territoire a un coût, celui du loyer. L'augmentation de loyer peut donc être vue comme une forme d'agression – on hésite à dire une impolitesse, dans la mesure où son montant est fixé par la loi, qui s'introduit en tiers, et fait que la question de la politesse ne se pose pas. Tout se passe comme si le passage du cadre de l'interaction ordinaire au cadre légal restructurait le système de la politesse.
« Abstenez-vous de lui faire des remarques désobligeantes, des critiques trop acerbes, des réfutations trop radicales, des reproches trop violents »
Le Régisseur se montre agressif, emporté, il majore le conflit au lieu de le minorer, il se pose en victime :
RGI c=que je savais très bien qu=vous arriveriez à me traîner ici alors c'était une explication que j=voulais [17,20]
  Il menace :
CNL moi je pose la question si madame veut concilier elle se concilie si elle euh si elle veut pas concilier on ne peut pas l'obliger non plus mhh
RGI non non, elle fait c=qu'elle veut Ê% Ê% Ê% elle fait ce qu'elle veut le bail durera six ans, nous nous reverrons
[26,09]
Il utilise comme une menace le recours au tribunal :
LOC quelles sont euh qu'est-ce qui va se passer si y a pas d=conciliation maintenant Ê%

CNL ben c'est: si si m=sieur si mé- si me: si' monsieur prétend que: le décret lui donne raison il ira au tribunal c'est: c'est son droit si i veut l=faire Ê% il le fait s'i- veut
RGI mais bien sûr

CNL pas le faire il le fait pas Ê%
RGI vous pouvez être tranquille que : là heu [35,42]
  Il se montre méprisant , brutal dans son rejet de la transaction proposée par la Locataire :
RGI alors hein’ un bock de bière dans un restaurant [32,19]

RGI c'est pas vrai madame ne dites pas ça: ne dites pas ça puis écoutez j=veux pas entrer dans un: c'est pas la peine de discuter Ê% Ê% j=veux pas j=veux pas qu'elle termine cet entretien en vaudeville [32,37]
Il s'emporte et se déclare insulté, ce qui est insultant pour le partenaire :
RGI Ê% c'est tout juste disons si on me traite pas de voleur Ê% alors que
LOC ah non

CNL non non BAS écoutez non
RGI Ê% Ben écoutez si [17,51]
  Il refuse le dialogue avec condescendance :
RGI vous avez raison madame, discutons pas [21,49]
RGI moi je je dis plus rien c'est pas la peine [29,25]
Plus grave, ses interventions ne respectent pas toujours le principe de non contradiction :
RGI ça sert à rien madame de discuter, moi je suis venu pour concilier autrement je serais pas venu, j'aurais pris ma position et puis on irait tribunal je suis venu me concilier alors [33,42]
– Il pratique la dénégation :
RGI j'irai au tribunal rapp=lez-vous que=l j'aurai raison
X nous verrons

RGI parce que j’ai des confrères” qui ont eu raison’ j’ai eu des confrères” qui ont eu raison’ et j=le dis disons sans animosité sans animosité nous nous sommes là pour s=concilier Ê% s'il y a possibilité Ê% voyons les choses objectivement Ê%Ê% j=suis pas plus royaliste que le roi [09,41]

RGI ne croyez pas que j=sois agressif je défends simplement les intérêts de mon mandant un point c'est tout [27,09]

ou encore :
RGI quelles pressions’ m=sieur l=président [44,51]

Il joue ses positions basses, liées à un aveu d'erreur, sur le mode des positions hautes :
RGI quand‘ monsieur et madame LOC sont v=nus m=voir’ j=leur ai dit y a eu une erreur’ si v=voulez d=ma s=crétaire qui a d=mandé un taux trop él=vé
LOC oui

RGI vous n=voulez pas pouvez pas l=nier” bon
LOC non’ effectiv=ment [02,42]

Inutile de préciser qu'on ne relève aucune trace de production par le régisseur « d'anti-menaces envers la face négative et la face positive de [l'allocutaire] ».
Il bafoue les règles fondamentales de la négociation et de l'argumentation
– Il se comporte en imposteur vis-à-vis du Président de séance, distribuant la parole à sa place et réglant le temps à sa place (voir « Fonctions du Tiers », 1995, 29*)
– Il refuse les concessions. Il réinterprète comme « petit cadeau » à sa locataire ce qui avait été présenté comme la rectification d'une erreur, ce qui n'est pas loin d'être une insulte.
– Il bafoue le principe de réciprocité lorsqu'il rejette et tourne en ridicule la proposition de transaction faite par la locataire. Non seulement il ne fait pas de cadeaux, mais il minimise et “néantise” ceux que lui fait son adversaire, ce qui est une très grave offense :
RP mille trente pour monsieur’ et heu mille heu: dix pour madame’

LOC mille quinze mille vingt
RGI RIT vous vous rendez compte [38,28]
– Enfin, et surtout, il n'a pas respecté le principe « Fournissez des raisons »
Ce principe, emprunté à Brown et Levinson, est évidemment à la base de toute interaction argumentative. La locataire argue du non respect de cette exigence dans la préhistoire de l'interaction : “on nous a rien expliqué”.
3. « Principes L-orientés »
Cette rubrique réunit deux familles de principes :
(A) Des « principes qui jouent en faveur de L », principes de défense du territoire :
« Sauvegardez dans la mesure du possible votre territoire (résistez aux incursions par trop envahissantes, … ne vous laissez pas traîner dans la boue, ne tolérez pas que votre image soit injustement dégradée, répondez aux critiques aux attaques et aux insultes. »
Ces principes sont destinés à la protection des propres faces du Locuteur ; mais, dans notre culture, on ne trouve rien qui soit destiné à l'exaltation de ces mêmes faces :
« Sauf circonstance exceptionnelle, le plaidoyer pro domo est proscrit dans notre société, qui juge sévèrement les manifestations trop insolentes de l'auto-satisfaction »
(B) Des « Principes qui jouent en défaveur de L » Ces principes demandent que soient évitées ou atténuées « les anti-menaces envers a/ votre face négative b/ votre face positive » ; en d'autres termes :
« si vous avez à faire votre propre éloge, qu'au moins ce soit sur le mode atténué de la litote ».
Sur leur versant positif, ils demandent même que soient produites des menaces envers ces mêmes faces.
Le comportement argumentatif du Régisseur manifeste des principes opposés, aussi bien en ce qui concerne sa personne (face positive) qu'en ce qui concerne son territoire, l'appartement :
— Éloge de sa personne
Cas 1
RGI J'étais pas placé pour lui appliquer une augmentation puisque les travaux  disons en réalité n'étaient pas terminés au pre- a trente septembre Ê% soyons logiques

c'était pas terminé et c'était en période de blocage
VIP et c'ét- et c'était en période de blocage

RGI et j'étais en période de blocage, donc j'ai attendu quatre vingt trois Ê% très loyalement Ê% pour deman- pour évidemment lui d=mander une hausse de loyer   [14,39]

Cas 2
RGI d'ailleurs je dois vous l=dire messieurs Ê% mesdames et messieurs que ça fait trente deux ans n'est-ce pas que je suis administrateur d=biens c'est la première fois évidemment y a pas longtemps qu'elle a été constituée Ê% c'est la première fois qu=j=suis obligé disons de débattre un dilemme semblable. Ê% j'ai toujours eu disons des accords avec tous mes locataires et je peux vous apporter des témoignages [16,31 >16,46]
  Éloge de l'appartement
RGI Moi j'avais d=mandé madame LOC doit s'en rappeler j'avais d=mandé si v=voulez Ê% euh donc euh quatre vingt francs si v=voulez pour arriver à mille trente par mois, c=qui m=paraissait très raisonnable FORT très raisonnable Ê% vu l'appartement et vu son emplacement vous savez qu'un F3 disons tout d=même au deuxième étage Ê% relativement confortable je parle pas des façades qui vont être à faire, ça c=t aut- chose, on va les faire cette année p=t et=e pas cette année mais l'année prochaine VITE bon. Eh bien
[16,03]
Les théories de l'argumentation ne disent pas grand-chose sur ce type d'intervention. On pourrait parler d'argumentation d'autorité ad hominem. Il faut souligner que de tels éloges apparaissent ici parfaitement naturels. C'est probablement parce qu'ils s'appliquent aux objets "en question”, qui constituent des enjeux de l'interaction, aussi bien la personne que ses biens. On aboutit à la conclusion que la situation d'argumentation lève les règles de la politesse pour les objets et les personnes en conflit. On peut même y voir une caractéristique fondamentale de cette situation.
D'autre part, les principes orientés vers le Locuteur et jouant en sa défaveur demandent « dans certaines circonstances, de se sacrifier (de léser son propre territoire), ou de se dévaloriser soi-même par quelque autocritique ». Ce principe demande qu'on accepte de transiger, de faire des concessions, toutes choses que Le Régisseur ne pratique pas. Chose plus remarquable, comme nous l'avons vu, alors que le Locataire applique ce principe, lorsqu'elle accepte de “partager la poire en deux”, ce beau geste est retourné contre elle (cit. [38,28], [32,19].
4. Conclusions
• Les façons du Régisseur sont toutes différentes vis-à-vis des tiers qui sont ses alliés. On aurait peut-être ici la trace d'une nouvelle règle de politesse applicable aux interactions plurilocuteurs :
Traitez de la même manière tous vos interlocuteurs
L'impolitesse manifestée envers les uns s'accroît de toute la déférence manifestée envers les autres.
• Le système de la politesse du Régisseur se schématise comme suit, toujours selon le schéma de C. Kerbrat-Orecchioni :
Principes A-orientés, « tous favorables à L »
Principes de politesse négative : principes inversés
Principes de politesse positive : ne sont pas appliqués
Principes L-orientés :
Principes jouant « en faveur du locuteur »
versant négatif : principes appliqués vigoureusement
versant positif : application du principe de l'éloge
Principes jouant « contre le locuteur »
sur le versant négatif : principes inversés
sur le versant positif : principes inversés
Dans la mesure où cette interaction reflète les caractéristiques générales de l'interaction argumentative, on peut risquer l'hypothèse que dans cette situation les protagonistes utilisent une sorte “d'anti-système de la politesse”, miroir du système de la politesse. Parler de “système de l'impolitesse”, supposerait que toutes ces interventions soient senties comme impolies, ce qui n'est pas le cas, nonobstant le fait que s'engagent des polémiques sur “le ton”. Par ailleurs, dire que le système de la politesse est limité ou suspendu ne serait pas exact non plus, puisqu'un simple inventaire suffit à montrer que le comportement interactifs du Régisseur est cohérent et “régulier”.
• Le bilan des argumentations est largement favorable au Régisseur et au camp des Propriétaires. En jouant avec le code de la politesse, le Régisseur a imposé une tournure dure, voire brutale et insultante, à l'interaction. A priori, on pourrait en conclure, qu'il est donc normal qu'il ait fini par l'emporter aussi sur le plan matériel. Mais cette conclusion est sans doute trop rapide. Il semble bien que la Locataire, dans son style victimal, désirait avant tout qu'on lui donne des raisons ; nous avons vu que c'est le seul argument qu'elle répète, et, sur ce plan, la seule tenue de la séance de conciliation lui a peut-être donné pleine satisfaction (voir la conclusion de « Fonctions du tiers », 1995, (29)*).
On peut avoir le sentiment que la Locataire ne protège pas suffisamment ses faces, et qu'elle a, à la limite un comportement anormal, pathologique. Deux considérations tempèrent cette impression. D'une part, comme nous venons de le dire, elle a obligé le Régisseur, autrefois muet, à se justifier ; d'autre part, elle fait “face commune” avec le Président. Il semble en effet que ce soit bien le Président qui ait le plus souffert dans cette interaction, comme le montrent ses commentaires irrités “en privé”, alors que locataire et régisseurs se sont retirés. Quant à la locataire, elle est la seule à se permettre une plaisanterie, cruciale, puisqu'elle lui permet, dans la seconde partie de l'interaction, d'introduire sa capitulation tout en conservant sa face :
CNL et: y a pas lieu de faire des réflexions d=ce genre c'est tout Ê% Ê%

RGI j=dois dire amen à tout m=sieur l=président

CNL non non mais euh écoutez
RP arrêtez à mille trente et puis on n'en parle plus
LOC disons amen & & & & & &

9. recherches en cours
Ces recherches sont développées dans le cadre du Groupe de Recherche sur les Interaction Conversationnelles.
Théorie de l'argumentation – Analyse de cas
L'ouvrage que je viens de consacrer à une approche globale de l'argumentation était soumis à des contraintes éditoriales de brièveté. Je souhaite donc reprendre ces discussions dans un cadre plus ample.
D'autre part, je prépare une communication sur le thème “Debating on War”, à partir d'un corpus de textes sur l'ex-Yougoslavie (mai 95, Université de Tel-Aviv).
Projet “Interactions et émotions”
L'URA 1347 a engagé une recherche sur le thème des émotions dans les interactions. Ma participation à ce projet est la suivante.
– Une recherche sur l'approche des émotions dans les rhétoriques anciennes. Ces rhétoriques se proposent d'analyser la façon dont la manipulation théâtrale et verbale des émotions influence la prise de décision judiciaire et politique.
– Une recherche parallèle sur les traitements modernes de l'émotion dans l'argumentation. Dans le paradigme de la “logique non formelle”, l'analyse de l'émotion est développée dans un cadre conceptuel marqué par le problème du fallacieux.
– Une tentative de description empirique des mouvements émotionnels dans le corpus de négociation de loyer exploité au Chapitre 8.
Participation à d'autres programmes de l'URA
L'URA met actuellement en place de nouveaux programmes spécialisés, qui, par certains de leurs aspects, font appel aux théorie de l'argumentation.
– “Interaction verbales arabe et arabe / français” (responsables V. Traverso, J. Dichy). Ce groupe d'arabisants est en place, et s'occupe d'argumentation et de rhétorique pour une partie de son programme. Un programme de coopération comprenant des questions de rhétorique et d'argumentation est en négociation avec l'Université de Tunis.
Hormis quelques notions de dialectal marocain, je n'ai pas de compétences en arabe. Je sers donc à ce groupe de “prestataire de service” pour les questions d'argumentation.
– Je remplis la même fonction pour le programme “Anthropologie et psychologie des interactions thérapeutiques” (F. Lupu, M. Grosjean). Une recherche sur le mode de construction argumentative des textes médicaux et anthropologiques du début du XIXe siècle est organisée en collaboration avec F. Lupu et S. Bruxelles.
Programme de traduction
Dans le cadre de ce programme, le groupe “Traduction” termine la traduction de l'ouvrage de F. van Eemeren & R. Grootendorst, Argumentation, Communication & Fallacies, à paraître aux éditions Kimé.
La recherche allemande en argumentation n'est pratiquement pas diffusée en France. En collaboration avec E. Eggs, Université de Hanovre je monte actuellement un projet de traduction de textes contemporains allemands sur l'argumentation, en vue de la constitution d'un recueil.
Programme éditorial
Je suis responsable de la collection “Argumentation et sciences du langage” aux Éditions Kimé. L'idée d'une collection consacrée à l'argumentation est de P. A. Taguieff, qui m'a demandé de prendre en charge cette collection.
L'idée directrice de cette collection est d'abord de rester fidèle à son thème, argumentation et sciences du langage. Elle donne la priorité à la recherche en train de se faire, et souhaite en outre rééditer des textes classiques d'accès difficile, afin de contribuer au projet d'une histoire critique des idées en argumentation.
Revue
Je suis enfin rédacteur en chef de la Revue Lyonnaise d'Analyse des Interactions, CD ROM, premier numéro en 1996.


Annexes
1. Apprentissage de l’argumentation
Le sujet de ma thèse belge m'a amené à avoir de nombreux contacts avec les enseignants (collèges et lycées), sur les problèmes d'apprentissage de l'argumentation. J'ai affaire à deux types de publics, parfois mêlés :
– professeurs de l'enseignement secondaire, en très grande majorité des enseignants de français ;
– formateurs de ces enseignants.
Les conférences et les ateliers sont organisés soit dans le cadre de la formation initiale (IUFM, Toulouse), soit, le plus souvent, dans le cadre de la formation permanente (MAFPEN, Lyon ; Genève).
Voir Conférences sur des problèmes d'apprentissage de l'argumentation
Mis à part quelques cas particuliers, les enseignants n'ont que peu ou pas de formation à une quelconque problématique de l'argumentation, ce qui est après tout attendu, sinon normal. Plus surprenant est le très faible taux de pénétration des savoirs linguistiques. Alors qu'il s'agit d'un public d'enseignants de français, l'importance de la langue est constamment sous-estimée et doit sans cesse être rappelée. Cette négligence de la langue se manifeste d'abord dans les représentations des tâches, souvent marquées par toutes les contradictions des représentations spontanées de l'argumentation. C'est ce que montre le bilan des attentes d'un groupe de participants à un stage “Argumentation” (Lyon 1991). La question qui exprime les attentes du groupe est la suivante :
Question : Comment amener les élèves à savoir argumenter, à plus de logique, à plus d'abstraction ?
On s'oriente donc a priori vers une sorte de logique des contenus, mal définie.
A ces publics, je propose trois types de travaux.
– Présentation des théories de l'argumentation : information historique, présentation des travaux contemporains, information bibliographique, “conseils de lecture”.
– De tels exposés laissent facilement une impression hétéroclite, qu'il faut rapidement dépasser. ce que je fais en proposant une introduction à l'analyse de l'argumentation comme interaction, appuyée sur des analyses de cas précis.
– Enfin, une large place est faite aux exercices pratiques, et, en particulier, à l'analyse de copies d'élèves.
La demande de méthodes pédagogiques, parfois de “recettes”, a souvent été utilisée pour stigmatiser la demande des enseignants et pour expliquer une forme d'échec de telles formations. La difficulté peut être contournée efficacement, par la constitution de groupes mixtes, composés d'enseignants novices et d'enseignants formés en argumentation (R. Yessouroun à Genève, D. Conte à Lyon), capables de mener un dialogue bilatéral, et de garder le contact avec les pratiques de classe.
2. Travaux sur la persuasion et le procès de médiation
Les remarques qui suivent sont inspirées par deux ouvrages de psychologie sociale, l'un sur la persuasion, l'autre sur la médiation.
A. Travaux sur la persuasion
Les travaux sur la persuasion et sur la communication efficace font parfois l'objet d'une présentation sommaire, voire caricaturale, qui les résument à des recueils de recettes sur le thème “Comment manipuler tout le monde pour se faire des amis et gagner beaucoup d'argent”.
Je prendrai pour référence l'ensemble de textes publiés par V. Yzerbyt et O. Corneille sur La persuasion. Cet ouvrage est composé d'un texte introductif et de onze traductions de textes classiques sur le thème du “changement d'attitude”, considéré comme le « concept le plus spécifique et indispensable de la psychologie sociale américaine » (p. 13).
L'attitude y est définie comme une empreinte (p. 17), un état mental (p. 18), mais aussi comme une propension (p. 18 ), une tendance (p. 16) à… Cette propension se manifeste dans les variations des réponses, c'est-à-dire des modifications dans 1/ le comportement, 2/ les messages (opinions exprimées), 3/ les affects ; ces variations sont quantifiées. En amont, la manipulation des attitudes s'effectue par ces trois mêmes voies, comportements, messages, affects.
Recherches sur le non verbal
Certaines de ces recherches sur les attitudes portent sur le non verbal, par exemple les travaux touchant aux changements d'attitude obtenus par le moyen du conditionnement subliminal, ou encore les études tendant à évaluer les effets de la distraction sur la persuasion. Dans la mesure où l'argumentation est définie au niveau verbal, ces recherches sont externes au domaine.
Sur l'autorité
Certains travaux sur la persuasion étudient l'influence des différences de crédibilité et d'autorité des sources sur les changements d'opinion. Ces travaux correspondent à ce qu'on peut appeler “l'autorité montrée”, pour laquelle on peut envisager une approche sémiologique.
Recherches sur les modes d'approche du message par les cibles
Les recherches sur les mode de traitement des messages – traitement heuristique (périphérique) ou traitement systématique (central)  – ont pour but de déterminer l'attitude des cibles vis-à-vis des messages. Elles rappellent les discussions sur la pertinence des arguments.
Les recherches sur les caractérisations des individus cibles de la persuasion opposent les individus à « self-monitoring élevé », dont les attitudes tendent « à exprimer des croyances appropriées pour une situation sociale donnée » et les individus à « self-monitoring bas », dont les attitudes tendent à « refléter des valeurs ou des croyances personnelles ». Ces deux types d'individus auraient des modes d'engagements différents vis-à-vis des argumentations qui leur sont présentées, et tendraient à organiser différemment leurs rapports à la source et au message.
Ces études sont en quelque sorte les symétriques des études sur l'autorité de la source.
“Le pied dans la porte”
La tactique “du pied dans la porte” consiste à obtenir l'accord de la “cible” sur une requête minime, puis à lui présenter une requête plus importante. Les études montrent que la requête plus importante, dite “requête maximale”, a alors plus de chances d'être acceptée par la cible que si elle lui avait été présentée ex abrupto. La séquence manipulatrice réussie est donc la suivante :
Requête minimale —> Accord sur la requête minimale —> Requête Maximale —> Accord sur la requête maximale.
L'argumentation par la pente glissante ou du petit doigt dans l'engrenage semble avoir été prévue pour contrecarrer ce type de manœuvre :
Si vous tolérez la dépénalisation de la consommation du haschich vous devrez bientôt accepter celle du crack, qui est inadmissible. Vous ne devez donc pas accepter la dépénalisation de la consommation de haschich.
“La-porte-au-nez”
La tactique “de la-porte-au-nez” consiste à présenter à la “cible” une requête « extrême », destinée à être refusée par la cible, puis à lui présenter une requête dite « critique ». Les études montrent que la requête critique a alors plus de chances d'être acceptée par la cible que si elle lui avait été présentée sans préalable. La séquence idéale d'événements est donc la suivante :
Requête « extrême » —> Refus —> Requête « critique » —> Acceptation de la requête maximale.
On a évidemment affaire ici à l'application d'une règle d'action sur le jeu des concessions. Nous en avons vu un cas au Chapitre 8, où l'erreur de la secrétaire, réinterprétée comme concession du Régisseur, joue le rôle de requête maximale.
Sur les références à l'argumentation
Toutes les études s'intéressant aux transformations des attitudes au moyen de messages utilisent un concept d'argumentation considéré comme une donnée d'évidence, non définie.
• L'étude de Hovland sur la crédibilité de la source repose sur un ensemble de questions auxquelles répondent des « messages » attribués alternativement à des sources « fortement » ou « faiblement » crédibles :
Doit-on continuer à vendre les médicaments antihistaminiques sans prescription médicale ? Source fortement crédible : New England Journal of Biology and Medecine. Source faiblement crédible : Magazine A. (un magazine à grand tirage).
Dans le cadre de ces questions, sont délivrés « des messages », l'un « affirmatif » et l'autre « négatif » :
« Les versions “affirmatives” et “négatives” de chaque article présentaient un nombre égal de faits relatifs aux thèmes et utilisaient pratiquement le même matériel. Ils se différenciaient dans l'importance accordée au thème et dans les conclusions qu'ils tiraient des faits. Puisqu'il y avait deux versions de chaque article et qu'elles étaient préparées de telle manière que l'une ou l'autre des sources ait écrit l'une ou l'autre des versions, quatre combinaisons possibles quant au contenu et à la source étaient disponibles pour chaque thème. »
On constate que l'ensemble du complexe argumentatif question / message / conclusion est traité comme relevant de la “boîte noire” linguistique. Il serait pourtant intéressant de savoir comment a été effectué le montage amenant des conclusions opposées à partir « pratiquement du même matériel ».
• Une autre étude portant sur les effets du couplage “sources +/- attractive” avec des “cibles à self-monitoring +/- haut”, pose les arguments suivants comme « relativement forts » en faveur de l'utilisation d'une huile solaire “Bronzage sauvage” :
« On apprenait ainsi que la lotion avait été conçue de façon scientifique, avait fait ses preuves en termes de protection contre les rayons ultraviolets et contenait des ingrédients spéciaux visant à retarder le vieillissement de la peau et les rides. »
Cette même étude propose comme « arguments faibles, même douteux », en faveur du produit :
« Les participants apprenaient que la lotion était de texture soyeuse, était d'application aisée et se présentait sous la forme d'une bouteille redessinée avec une poignée facile à saisir. »
Dans les deux cas les arguments sont déclarés forts ou faibles en fonction de la seule intuition, et il n'y a pas de mise en perspective de la notion. Elle est utilisée, mais pas analysée.
B. L'étude de la médiation
Le second ouvrage que je voudrais prendre pour exemple – et qui m'a paru tout à fait passionnant – est La médiation et la résolution des conflits de H. Touzard.
Cette étude fait allusion aux arguments, mais, même constatation que précédemment, hors de toute problématisation. Le rôle central de l'argumentation dans le dispositif de négociation est clairement affirmé :
« Apparaissent alors toutes les tactiques de persuasion et d'argumentation… les bons négociateurs sont maîtres dans l'art du discours, de la rhétorique. »
mais la notion est toujours considérée comme une donnée primitive.
Si argument ne figure pas à l'index, l'ouvrage lui accorde cependant une bonne place. Touzard distingue en effet parmi « Les processus de persuasion » :
1. Les processus de coercition
2. Les processus de dissimulation
3. Les processus de persuasion
3. Les processus d'accomodation.
• Aux processus de coercition, correspondent la menace, l'argumentation par la force et l'attaque ad hominem  (c'est-à-dire, ici, l'injure). L'usage des techniques de coercition semble être surtout le fait de négociateurs capables de manipuler théâtralement la situation.
• Comme techniques de persuasion, Touzard signale deux formes d'argumentation :
– L'argumentation par la force des choses, de type démonstratif-causal :
« il n'est pas possible de faire plus, c'est dans la nature des choses »
– L'argumentation sur les contradictions de l'adversaire.
La conclusion insiste sur la nécessité de recherches sur le discours et le dialogue :
« il y a moins de coopération, les comportements sont moins conciliants lorsque les négociateurs centrent leurs communications sur eux-mêmes et leur auto-justification, plutôt que sur les positions elles-mêmes. »
« Tels sont les maigres résultats obtenus jusqu'à maintenant. il nous conduisent à penser qu'une recherche systématique est indispensable en ce domaine. La négociation étant basée sur le discours et le dialogue, il est indispensable de centrer la recherche sur cette dimension privilégiée qu'est le type de communication qui s'établit entre les négociateurs. »

Curriculum Vitæ
I - Diplômes
II - Enseignement
III - Travaux et publications
IV - Colloques et conférences
V - Direction de thèses, participation à des jurys de thèse


I. DIPLÔMES
1973 Agrégation Lettres Modernes
(a) 1978 Doctorat de 3e Cycle en Linguistique
Oui, non, si - Étude des enchaînements dans le dialogue.
EHESS - Université de PARIS VIII.
Sous la direction de O. DUCROT.
Mention Très Bien.
1978 Inscription sur la LAFMA ex. 16e section, Linguistique et Phonétique
(b) 1988 Doctorat en Philosophie et Lettres (Langue et linguistique)
Les Mots, les arguments, le texte. Propositions pour l'enseignement du français à l'Université.
Université de BRUXELLES, sous la direction de M. DOMINICY.
Mention : Avec la Plus Grande Distinction.
Cette thèse a obtenu une Médaille d'or de la Commission Française de la Culture de l'Agglomération de Bruxelles en 1989.
1988, Bourse de recherche Fullbright
Thème de recherche : Rhétorique et argumentation aux États-Unis
Ohio State University, Département de Rhétorique et communication, mars à juillet 1989.
II. ENSEIGNEMENT
Grammaire, linguistique générale, linguistique française
1977-1979, Université d'ORAN (Algérie)
Coopérant, Fonctions de Maître-Assistant (linguistique).
1979-1983, Université de FES (Maroc)
Coopérant, Professeur agrégé (linguistique).
1983-1988, Université Libre de BRUXELLES (Belgique)
Contrat local, Assistant (Langue française).
1988-1989, Université de PARIS VII, Chargé de cours
Grammaire pour l'agrégation (Sciences des Textes & Documents)
Linguistique Générale, Lexicologie (Département de Recherches en Linguistique)
1990 - 1992, EHESS, Chargé de conférences
Grammaire, DEA Mathématiques et Linguistique.

Séminaires consacrés à la théorie de l'argumentation
1988, OHIO STATE University, Département de rhétorique et communication Séminaire de postgraduation : European Trends in Argumentation Theory
1989-90, 90-91 et 91-92, EHESS, Chargé de conférences.
Argumentation Rhétorique (CR d'enseignement joint au dossier)
Depuis 1988, Université LUMIERE - LYON II
Théorie de l'argumentation, séminaire de Maîtrise-DEA, Sciences du Langage.
III. TRAVAUX ET PUBLICATIONS
Ouvrages
1. Thèses
(1) 1978 : Oui, non, si - Étude des enchaînements dans le dialogue.
Thèse de 3e Cycle en linguistique, EHESS - Université de PARIS VIII.
(2) 1988 : Les Mots, les arguments, le texte -Propositions pour l'enseignement du français à l'Université
Thèse en Philosophie et Lettres (“Langue et linguistique”), Université de BRUXELLES.
2. Livres
Auteur
(3)* 1989 : Argumenter. De la langue de l'argumentation au discours argumenté
CNDP : Paris.
(4)* 1990 : Essais sur l'argumentation, Kimé : Paris. 351 p.
(5)* (sous presse) : L’argumentation, Paris : Le Seuil. 96 p.

Co-auteur
(6)* 1990 : Les domaines de l'argumentation. Textes et Analyses, CNDP : Paris
(7)* (accepté) Chapitre “A linguistic theory of argument”, Ouvrage collectif avec F. van Eemeren et al. : Handbook of argumentation theory, Hillsdale, N.-J. : Lawrence Erlbaum.

Responsabilité d'ouvrages collectifs
(8) 1993 : Lieux communs, topoi, stéréotypes, clichés
Paris : Kimé.
(9) 1995 (sous presse), avec C. Kerbrat-Orecchioni : Le Trilogue
Lyon : PUL.

3. Édition de numéros de revue
(10) 1985 : Numéro spécial Langage, argumentation et pédagogie Revue internationale de philosophie, 155, fasc. 4.

(11) 1987 : Documents de travail, 1, CPLF : Université de Bruxelles.
Articles
(12) 1978 :“Deux mais ”
Semantikos, II, 2-3, p. 89-93.
(13) 1981 :“Oui et non sont-ils des ‘prophrases’ ?”
Le Français moderne, 3, p. 252-265.
(14) 1985 : “La genèse discursive de l'intensité”
Langages, 80, p. 35-53.
(15) 1985 :“Nominations. La constitution des rôles dans le dialogue”
Journal of Pragmatics, 9, p. 241-260.
(16) 1985 : “Connecteurs pragmatiques”
Revue de phonétique Appliquée, Université de Mons, 76, p.397-411.
(17) 1985 : “Apprendre si”
Revue internationale de philosophie, 155, fasc. 4, p. 388-400.
(18) 1987 : “Les réactions à l'argumentation”
Documents de travail, Bruxelles : ULB / CPLF, p. 49-67.
(19) 1988 : Articles “Argumentation” “ Implicature” “Innéisme” “Mot” “Morphème”
Encyclopédie Philosophique, PUF.
(20)* 1990 : “La Cause du Brevet”
Langue Française, 86, p. 11-21.
(21)* 1991 : “Questions —> Argumentations —> Réponses”
in C. Orecchioni (éd.), 1991, La Question. Lyon : PUL.
(22) 1992 : “Argumentation rhétorique”
A.-M. Jaussaud & J. Petrissans (éds), Grammaire et français langue étrangère. Grenoble : ANFLE.
(23) 1992 : “L'analyse des paralogismes : normes et structures”
Avant propos à l'ouvrage de J. Woods et D. Walton Critique de l'argumentation. Paris : Kimé, 1992, p. VII-XII.
(24)* 1993 : “Lieux communs dans l'interaction argumentative”
in C. Plantin (éd.) Lieux Communs, topoi, stéréotypes, clichés, Paris : Kimé.
(25)* 1993 : “Situation rhétorique”
Verbum, Rhétorique et sciences du langage, 1-2-3, p. 229-239
(26)* 1994 : “L'ambiguïté lexicale dans l'interaction argumentative”
D. Flament-Boistrancourt (éd.), Théories, données et pratiques en français langue étrangère, Lille : PUL, p. 143-168
(27)* 1994 : “Notes sur une composition”
Pratiques, 84, p. 77-92.
(28)* (sous presse) : “L'argument du paralogisme”
Hermès, 15-16, p. 241-258.
(29)* 1995 : “Fonctions du tiers”
in C. Orecchioni & C. Plantin, (éd.), Le Trilogue, p. 108-133.
(30)* (à paraître) : “Argumentative situation : Ordinary language and common argument”
in van Eemeren & al. Proceedings of the [1994] International Conference on Argumentation.
Comptes-rendus
(31) 1985a : J. L. Golden et al. The Rhetoric of Western Thought (2nd ed.), Kendall/Hunt.
Revue internationale de philosophie, 155, fasc. 4, p. 459-464.
(32) 1985b : R. J. Fogelin Understanding Argument (2nd ed.), Harcourt Brace Jovanovich.
id., p. 467-470.
(33) 1985c : F. Armengaud, La pragmatique, PUF.
id., p. 470-474.
(34) 1985d : T. Govier, A Practical Study of Argument. Wadsworth.
id., p. 474-476.
(35)* 1990 : Føllesdal, D. L. Walløe, J. Elster, Rationale Argumentation. Ein Grundkurs in Argumentations- und Wissenschaftstheorie, Berlin : De Gruyter
Journal of Pragmatics.
(36)* 1994 : CR. de F. H. van Eemeren, R. Grootendorst, J. A. Blair, C. A. Willard, (éds), 1991, Proceedings of the second international conference on argumentation. 2 volumes, Amsterdam : SICSAT.
L’Année sociologique
(37)* V. Lo Cascio, Grammatica dell'argomentare. Strategie e struture.
Pour le Journal of Pragmatics
(38)* O. Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris : PUF
Pour la revue Argumentation
Traductions
Traductions d'articles
(39) 1990 : J. Hoaglund, “L'enseignement de l'argumentation”, LYNX.
(40) 1990 : J. L. Golden, “Les théories rhétoriques contemporaines aux Etats-Unis”
Actes du Colloque Argumentation et signification, Cerisy La Salle, 1987.
Traductions d'ouvrages, en collaboration 
(41) J. Woods & D. Walton, Critique de l'argumentation, Paris : Kimé, 1992
En préparation :
(42) F. van Eemeren & R. Grootendorst, Argumentation, Communication and Fallacies
IV- COLLOQUES ET CONFERENCES
1. Organisation de colloques
1984 : Colloque Logique, argumentation et perfectionnement en langue française, Université de Bruxelles, 1984.
1987 : Colloque International Argumentation et signification
CCI de Cerisy-la-Salle, 1987
1992 : Colloque International Lieux communs, topoi, stéréotypes, clichés.
CNRS / Université Lyon II.
2. Conférences et communications
Formation permanente des enseignants du secondaire
Conférences et ateliers destinés à la formation permanente des enseignants de l'enseignement secondaire :
1991, 1992 et 1993, Académie de Lyon.
1991, 1992, 1993 et 1994, Genève, Suisse.

Stage “Jeunes chercheurs” CNRS
1994, “Argumentation et langue naturelle”
Cet exposé entrait dans le module Argumentation et discours scientifique, pour le stage “Jeunes chercheurs : ouverture interdisciplinaire”, Paris, 26 mai 1994.
Conférences sur des problèmes d'apprentissage de l'argumentation
(43) 1984 : “Apprendre si”
Colloque Langages et Sciences du Langage, Bruxelles.
(44) 1984 : “Connecteurs pragmatiques et apprentissage”
Colloque Le Français, langue de culture et de communication internationales, Verviers.
(45) 1987 : “Quelle argumentation ?”
Colloque L'Enseignement de l'argumentation, Bruxelles.
(46) 1987 : “Peut-on apprendre à (bien) argumenter ?”
Communication présentée à la Société Belge de Logique et de Philosophie des Sciences, Leuven.
(47) 1987 : “Comment enseigner l'argumentation?
Table Ronde, Colloque Argumentation et signification, Cerisy-la-Salle.
(48) 1987 : “Un programme d'enseignement de l'argumentation”
Colloque de l'Association des Professeurs de Lettres, Vanves.
(49) 1988 : “L'enseignement de l'argumentation : perspectives théoriques et pratiques ”
Colloque de la Fédération des Enseignants de Français, Paris.
(50) 1988 : “Les Rhétoriques contemporaines”
Université d'été de la Fédération des Enseignants de Français, Aix en Provence.
(51) 1988 : “Remarques sur l'enseignement du français aux adultes francophones”, Colloque Contexture, Université Laval à Québec.
(52) 1989 : “Argumentation Rhétorique ”
Colloque ANFLE, Grenoble.
(53) 1994 : “Argumentation : le mot et les concepts”
Atelier et conférence, IUFM de Toulouse.
(54) 1994 : “L’argumentation en situation”
Colloque Didactique des langues, de la théorie à la pratique, Université de Tunis, Institut Bourguiba.
Conférence sur des questions de théorie de l'argumentation, analyses de cas
(55) 1987 : “Perelman et Ducrot : une confrontation ? ”
Colloque Argumentation et discours politique, Paris.
(56) 1987 : “Argumentation et compréhension”
Communication présentée à la Société pour le Progrès des Etudes Philologiques et Historiques, Liège, Belgique
(57) 1988 : “Perspective rhétorique” Colloque de l'ACFAS, Moncton, Canada
(58) 1990 : “Argumentation, causalité et subjectivité”
Colloque Argumentation et parti-pris, Anvers, Belgique
(59) 1991 : “Analyses argumentatives”
Séminaire, Université de Lille.
(60) 1992 : “Some reflections on elementary linguistic facts about argumentation ”, Universiteit van Amsterdam, Pays-Bas.
(61) 1992 : “Les lieux communs dans l'espace argumentatif ouvert par la question”, Séminaire, Université de Genève, Suisse
(62) 1993 : “Théorie de l'argumentation - Analyse de cas”
Séminaire, Université de Hanovre, RFA.
(63) 1992 : “Lieux communs et théories de l'argumentation”
Colloque Lieux communs, topoi, stéréotypes, clichés, Lyon (voir 24)
(64) 1993 : “Une problématique linguistique de l'argumentation”
Séminaire interdisciplinaire de recherche Communication et appropriation des savoirs scientifiques et techniques, ENS Lyon.
(65) 1993 : “Fondements d'une recherche en argumentation”
Séminaire, Université de Neuchâtel, Suisse.
(66) 1994 : “Ordinary language and common argument”
3rd Conference on Argumentation, Amsterdam, 22 juin 1994 (voir 30)
(67) 1994 : “Les arguments dans l’interaction argumentative”
Université fédérale de Rio de Janeiro, Brésil, Rencontres franco-brésiliennes d'analyse du discours.
(68) 1995 : “Présentation de recherche”, Séminaire de Cl. Chabrol, Paris X.

V. Direction de thèses participation à des jurys de thèse
1. Directions de thèse
Marianne Doury, Analyse de l'argumentation dans le débat autour des parasciences
Thèse, Nouveau régime, soutenue en 1994.
Rouhaïfa Moussawel - Khoder, Etude contrastive de passages argumentatifs en arabe et en français
Thèse, nouveau régime. (co-direction)
Florence Baldy, Etude pragmatique du discours oenologique
Thèse, nouveau régime.

2. Participation à des jurys de thèse
P. de Nadai, De l'image dictionnairique au modèle systémique
Thèse, Nouveau régime, Paris VIII, 1992. Dir. : S. Delesalle.
S. Messaouri-Deboun, A study of Moroccan Arabic connectives
Doctorat en philosophie et lettres, Université Libre de Bruxelles , 1993. Dir. : M. Dominicy.
M. Marcoccia, Le rôle de porte-parole dans le discours politique. Etude sociopragmatique
Thèse, Nouveau régime, Université Lyon 2, 1994. Dir. : C. Kerbrat-Orecchioni.
M. G. Latella, Les modalités évaluatives dans l'interaction verbale : les entretiens de recrutement
Thèse, Nouveau régime, Université Lyon 2, 1994. Dir. : C. Kerbrat-Orecchioni.
M Khaloul, Analyse de l'argumentation dans le discours judiciaire français
Thèse, Nouveau régime, Université de Strasbourg, 1994. Dir. : H. Fugier.

responsabilites scientifiques
Secrétaire de rédaction (Managing Editor) de la Revue Argumentation de 1987, date de sa fondation, à 1989.
Responsable de la collection “Argumentation et Sciences du Langage”, aux Editions Kimé
Co-responsable de l'URA 1347 “Groupe de Recherche sur les Interactions Conversationnelles”

Table des matières
Présentation 3
Apprentissages 4

1. Cadres, programmes et développement de la recherche 5
A. Doctorat de 3e Cycle : Sur les mots du dialogue 5
B. Doctorat en “Langue et linguistique” : Recherche sur l'écrit argumenté 6
C. Du texte argumentatif à l'interaction argumentative 8
2. Premier bilan de recherches : de la “Nouvelle rhétorique” aux rhétoriques américaines 10
A. Sur le Traité de l'argumentation 10
B. Recherches américaines sur la “rhétorique argumentative” 11
C. Que faire de la rhétorique ? 13
D. Présentation de cas : des interventions “d'occasion” 16
3. Second bilan de recherches : L'argumentation comme critique des paralogismes 21
A. Une approche monographique 21
B. Un filtre normatif 22
C. Exemples de filtres normatifs : Les discours contre 23
D. Présentation de cas : La fabrique du paralogisme 26
E. Un cas de problématique transférable : l'argumentation par la force 27
F. Pour un bilan des travaux sur les paralogismes 29
4. Les études d'argumentation : Histoire, topique 32
A. Pour une histoire critique des idées en argumentation 32
B. Une synthèse impossible 34
5. L'interaction argumentative 36
A. Définitions 36
B. Argumentation et analyse conversationnelle 40
D. Remarques 42
6. Contradiction, question, stase 43
A. Origine de la notion de situation argumentative dans la théorie des stases 43
B. Phénomènes liés à la question 44
C. Présentation de cas : prévenir la question 45
7. Types et les typologies des arguments 47
A. Formes argumentatives liées à l'interaction 48
B. Questions de langage 50
C. Questions d'objets 51
D. Lieux communs 52
E. Argumentation dans la langue et interactions argumentatives 53
F. La séquence “explication + argumentation” 54
8. Dynamique de l'interaction argumentative - Méthode pour l'étude de cas 56
A. Un objet et une méthode 56
B. Métamorphoses de la question 58
Tableau des Questions - Propositions - Clôtures 62
C. Dynamique des arguments 63
D. Système de la politesse et interaction argumentative 75
9. Recherches en cours 81

Annexes
1. Enseignement de l'argumentation 84
2. Travaux sur la persuasion et le procès de médiation 86

Curriculum vitae 90



 Je remercie Sylvie Bruxelles, Ekkehard Eggs, François Lupu et Véronique Traverso pour leurs critiques et leurs remarques.
 Voir les références complètes de cette publication sous le n° 1 à la rubrique « Travaux et publications du curriculum vitæ en fin de document. D'une façon générale, je ferai référence à mes propres travaux sous la forme abrégée suivante : (Titre du paragraphe, de l'article ou de l'ouvrage) (année de publication) (numéro renvoyant à la bibliographie et contenant les références bibliographiques complètes).
 O. Ducrot, « Les échelles argumentatives », in La preuve et le dire - Langage et logique, Chap. XIII, Paris : Mame, 1973.
 E. R. Curtius, 1948 : Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter, Berne / Munich : Francke, 9e éd. 1978. Trad. fr. par J. Bréjoux, La littérature européenne et le Moyen-Age latin, Paris : PUF, 1954.
H. Lausberg, 1960 : Handbuch der literarischen Rhetorik, Munich : M.-Hueber, 2e éd. 1973.
 Perelman, C., & L. Olbrechts-Tyteca, 1958 : Traité de l’argumentation - La Nouvelle rhétorique, 3e éd., 1976, Ed. de l’Université de Bruxelles.
 L. Guilbert, De la créativité lexicale, Paris : Larousse, 1975.
 J. L. Golden, G. F. Berquist, & W. E. Coleman, 1976 : The rhetoric of Western thought, Dubuque, Iowa : Kendall / Hunt. 3e éd., 1983.
J. L. Golden & J. J. Pilotta, (éds), 1986 : Practical reasoning in human affairs - Studies in Honor of Chaim Perelman, Dordrecht, etc… : D. Reidel.
 Ch. Perelman & L. Olbrechts-Tyteca,  : Traité de l'argumentation - La Nouvelle rhétorique, Bruxelles : Presses de l'Université de Bruxelles, 3e éd. 1976. 
 C. Perelman, 1977 : L'empire rhétorique, Paris : Vrin.
 Voir par exemple Golden et Pilotta, op. cit.
 En témoignent par exemple les remarques de J. Wenzel à la lecture de la Rhétorique générale du groupe Mu ; J. Wenzel, 1987 : « The rhetorical perspective on argument », in F. H. van Eemeren, R. Grootendorst, J. A. Blair & C. A. Willard (eds), 1987 : Argumentation - 3, Across the lines of discipline, Dordrecht : Foris, p. 101-109.
 A cette époque, « Le retard d'une rhétorique académique et universitaire sur les nouvelles rhétoriques … aboutit à la suppression, du moins dans les lycées d'Etat, en 1885, de l'enseignement de « la rhétorique » et à son remplacement par l'histoire des littératures classiques, grecque, latine et française. » M. Fumaroli, 1980 : L'age de l'éloquence, Paris : Droz, p. 5,
 Par exemple, I. A. Richards, 1936 : « Rhetoric, I shall urge, should be a study of misunderstanding and its remedies », The Philosophy of rhetoric, Oxford, etc : Oxford U. P., p. 3.
 George A. Kennedy, A History of rhetoric. Vol. 1 : The art of persuasion in Greece, Londres : Routledge and Kegan Paul, 1963 ; Vol. 2, 1972 : The art of rhetoric in the roman world ; Vol. 3, 1983 : Greek rhetoric under christian emperors, Princeton, N.J. : Princeton University Press.
 G. Ueding, éd., 1992, Historisches Wörterbuch der Rhetorik, T. 1. Tübingen : Niemeyer.
 Il est intéressant de noter que ce sens ne figure pas parmi les célèbres « emplois proprement linguistiques » du mot discours, répertoriés par D. Maingueneau (1/ parole ; 2/ unité transphrastique ; 3/ phénomènes de concaténation d'énoncés analysables par des méthodes à la Harris ; 4/ énoncé considéré du point de vue du mécanisme discursif qui le conditionne (Guespin) ; 5/ énonciation supposant un locuteur ayant l'intention d'influencer un auditeur (Benveniste) ; 6/ « lieu où s'exerce la créativité, lieu de la contextualisation imprévisible qui confère de nouvelles valeurs aux unités de langue ».) Initiation aux méthodes de l'analyse de discours, Paris : Hachette, 1976, p. 11-12.
 op. cit., p. 6.
 Les textes proposés dans cette synthèse ont fait l'objet de présentations orales non publiées.
 Quintilien, Institution oratoire, T. IV. Texte établi et traduit par Jean Cousin, 1977. Paris : Les Belles-Lettres. Livre VI, II. « Comment diviser les sentiments et comment les faire naître », 4-5, p. 23-24. [NB : sentiment = adfectus]
 C. L. Hamblin, 1971, Fallacies, Londres : Methuen.
 J. Woods & D. Walton, 1992 : Critique de l'argumentation – Logiques des sophismes ordinaires, traduit de l'anglais, Paris : Kimé, 1992.
 Hamblin donne toute une liste d'arguments en ad mais qui n'est rien à côté de celle qu'exploite D. H. Fisher, qui, dans Historians' fallacies Towards a logic of historical thought (New York, etc : Harper, 1970), en rassemble 125.
 F. van Eemeren, R. Grootendorst, T. Kruiger, 1987 : Handbook of argumentation theory, Dordrecht : Foris.
 Voir par exemple J. Woods & D. Walton, op. cit., « Post hoc, ergo propter hoc : Argumentation et causalité », p. 189-211.
 J. Woods & D. Walton, op. cit., « Ad verecundiam : Argument d'autorité, 1 », p. 37-54. Woods et Walton limitent leur enquête sur l'argumentation d'autorité à l'argumentation par l'expertise.
 Voir M. Doury, 1994 : « Les témoignages » in Analyse de l'argumentation dans le débat autour des parasciences, Thèse, Université Lyon 2, p. 319. On retrouve la manœuvre dans Je suis un partisan fervent des petits plats cuisinés maison, mais ces congelés sont admirables.
 J. Woods & D. Walton, op. cit., chap. 7, « Equivoque et logique appliquée », p. 91.
 Ce texte a été présenté à un atelier d'un stage “Jeunes chercheurs” CNRS. Je remercie Luce Giard et les participants à ce séminaire pour leurs remarques.
 C. L. Hamblin, op. cit., 1970.
 J. Woods & D. Walton, 1976 / 1992, p. 61-68
 Le mot menace n'a évidemment pas ici le sens que lui donne la théorie des “faces”.
 H. Touzard, 1976 : La médiation et la résolution des conflits, Paris : PUF.
 H. Touzard, op. cit., p. 233 ; p. 235.
 Il faudrait distinguer norme de fait et norme de droit. La norme de fait est fournie par le contre discours concret de l'Opposant. Mais si l'on admet que les discours contre sont réellement intériorisés par la communauté de parole intéressée au débat (les Tiers), alors c'est du côté des Tiers qu'il faut chercher la norme. On rejoint donc ici la question de l'auditoire posée par Perelman & Olbrechts-Tyteca.
 G. Vignaux, 1987, Le discours acteur du monde, Paris / Gap : Ophrys.
G. Vignaux, 1991, « A cognitive model of argument », in F. H. van Eemeren, R. Grootendorst, J. A. Blair & C. A. Willard (eds), 1991 : Proceedings of the second international conference on argumentation, Amsterdam : SICSAT, p. 303-310.
 L'étude formelle des dialogues, dont Hamblin a contribué à jeter les fondations, se développe maintenant de façon autonome.
 On retrouve cette opposition dans Richards, Curtius, et bien entendu dans Perelman & Olbrechts-Tyteca ; ou encore dans le programme fondateur de la revue Argumentation.
 D'où peut-être également l'utilisation de l'histoire de la rhétorique comme provision d'anecdotes, dont les sophistes sont de bons fournisseurs.
 W. J. Ong, 1958 : Ramus - Method and the decay of dialogue, Cambridge : Harvard University Press.
 A. Compagnon, 1983 :La troisième république des lettres, Paris : Le Seuil, p. 94, etc.
 Jacques Maritain, Eléments de philosophie II. L'ordre des concepts 1. Petite logique (logique formelle), Paris : Téqui, 21e éd. 1966. Voir aussi, par exemple, Abbé H. Colin, 1926 : Manuel de philosophie thomiste, Paris : Téqui.
 C. Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales, T.1, Paris : A.-Colin, p. 223.
 H. Touzard, op. cit., p. 131.
 F. van Eemeren & R. Grootendorst, 1992 : Argumentation, communication and fallacies, Hillsdale, N.-J., : Lawrence Erlbaum, p. 35. Traduction française en préparation aux Editions Kimé.
 C. Kerbrat-Orecchioni, O. Ducrot.
 C .A . Willard, 1976 « On the utility of descriptive diagrams for the analysis and criticism of argument », Communication Monographs 43, p. 308-319. Cité p. 125 par R. Trapp, 1990, « The empirical study of argumentation », Argumentation 4, 2, p. 125-128.
 B. J. O'Keefe & P. J. Benoit , 1982 : « Children's argument », in J. R. Cox & C. A. Willard (eds) 1982 : Advances in argumentation theory and research, Annandale : Southern Illinois University Press, p. 205-237.
S. Jacobs et S. Jackson, 1987 : « Conversational argument : A discourse analytic approach », in J. R. Cox & C. A. Willard (eds) 1987 : Advances in argumentation theory and research, Annandale : Southern Illinois University Press, p. 205-237.
 D. J. O'Keefe, 1977 : « Two concepts of argument and arguing », Journal of the American Forensic Association 13, p. 121-128. Repris dans J. R. Cox & C. A. Willard (eds) (op. cit. note //), p. 3-23.
 S. Jacobs & S. Jackson, op. cit. , p. 206 ; p. 219.
 S. Jacobs & S. Jackson, op. cit., p. 220.
 P. J. Benoit, 1982, « Orientation to face in everyday argument », in F. H. van Eemeren, R. Grootendorst, J. A. Blair & C. A. Willard (eds), 1987 : Argumentation : Perspectives and approaches (3A), Dordrecht : Foris, p. 144-152.
 C. Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales, II, Paris : A.-Colin, // p. 163
 Voir sur ce point V. Traverso, // Thèse, Université Lyon 2, //.
 C. Kerbrat-Orecchioni, op. cit., p.
 Hamblin, op. cit. ; D. Walton (éd.), 1988 : “Argumentation in dialogues”, Argumentation 4, 2.
 Voir par exemple Antiphon, Discours suivis des Fragments d'Antiphon le Sophiste, trad. par L. Gernet, Paris : Les Belles-Lettres, 1923.
 M. Patillon, 1988, La théorie du discours chez Hermogène le rhéteur, Paris : Les Belles-Lettres.
 R. Nadeau, 1964 : « Hermogenes’ On stases : A translation with an introduction and notes », Speech monographs 31, 4, p. 361-424. (p. 366)
O. A. L. Dieter, 1950, « Stasis », Speech Monographs, 17, p. 345-369.
 Quintilien, Institution oratoire, trad. introd. et notes par J. Cousin. Paris : Les Belles Lettres, 1975.
 Pour une histoire de cette batterie de “questions communes”, voir : J. Gründel, Die Lehre von dem Umständen der menschliche Handlung im Mittelalter, Münster, 1963. Cité in C. Casagrande et S. Vecchio, 1991 : Les péchés de la langue, Trad. de l'italien (I Peccati della lingua) par P. Baillet, Paris : Le Cerf.
 D'après R. Nadeau, 1958 : Hermogenes’ on “stock issues” in deliberative speaking », Speech Monographs, 25, 1, p. 59-66. La liste est traduite de l'anglais.
 F. Dostoïevski, Les Frères Karamazov, Le Livre de Poche, T. 1, p. 317. Je dois cette référence à Ch. Guérin.
 F. van Eemeren & R. Grootendorst, 1992 : Argumentation, Communication and Fallacies, Hillsdale, N. J. : Lawrence Erlbaum, p. 209.
 Aristote, Topiques, I, 11. Trad. nouvelle et notes par J. Tricot, Paris : Vrin, 1984.
 Perelman et Olbrechts-Tyteca disent plus simplement : « Il y a des êtres avec lesquels tout contact peut sembler superflu ou peu désirable. Il y a des êtres auxquels on ne se soucie pas d'adresser la parole ; il y en a aussi avec qui on ne veut pas discuter, mais auxquels on se contente d'ordonner », op. cit., p. 20.
 C. L. Hamblin, op. cit. ; cf. Chap. 3.
 Chapitre 3, § F
 Les fallacies d'autorité sont déclinées avec une grande verve par Bentham : The wisdom of our ancestors or Chinese argument, Fallacy of irrevocable Law, Fallacy of Wows or promissory Oaths, No-precedent Argument, etc. J. Bentham, The Book of Fallacies, in The Works of Jeremy Bentham, vol. II, New York : Russell & Russell, 1962.
 L'expression n'a pas ici le sens baconien, pour qui ces idoles sont les sens.
 French et Raven, « Les bases du pouvoir social » Cité in Touzard, p. 60.
 Voir la citation de Perelman en note p. 45.
 P. von Moos, « Introduction à une histoire de l'endoxon », in C. Plantin, éd. Lieux communs, topoi, stéréotypes, clichés, Paris : Kimé, 1993, p. 3-16.
 D. Ehninger & W. Brockriede « Toulmin on argument : An interpretation and application », in J. L. Golden et al., op. cit., 1983, p. 377-386.
 P. Charaudeau : « L'interlocution comme interaction de stratégies discursives », Verbum, 7, 2-3
 van Eemeren & Grootendorst, 1989, « Tools for reconstructing argumentative discourse », Argumentation, 3, 4, p. 367-383 ; p. 375.
 En particulier, l'analyse “micro” des réfutations n'est pas traitée.
 Cette recherche forme un volet d'un projet d'étude sur “Les émotions dans l'interaction” mené par l'URA 1347.
 Pour cette notion, voir C. Kerbrat-Orecchioni, « Introduction », in C. Kerbrat-Orecchioni & C. Plantin, (éds), Le trilogue, Lyon : PUL, p. 1-28 ; S. Zamouri, « La formation des coalitions dans les conversations triadiques », id., p. 54-79.
Voir aussi Th. Caplow,  : Deux contre un. Les coalitions dans les triades, traduit de l'anglais [Two against one. Coalitions in triads] par P. Cep, Paris : ESF, 1984.
 Les références mentionnent le numéro de la page et de la première ligne dans la transcription originale. Ainsi, ce passage commence à la ligne 01 de la page 01.
 Afin de faciliter la lecture, je mets en italique les interventions de l'un des locuteurs.
 Sur cette question de la pertinence, voir F. H. van Eemeren & R. Grootendorst, (eds), Relevance, Argumentation 6, 2, 1992.
 S. Jacobs & S. Jackson, 1992, « Relevance and digressions in argumentative discussions : A pragmatic approach », Argumentation, 6, 161-176.
 Notons que personne ne s'inquiète de savoir si la même augmentation extra-légale a été acceptée par les autres locataires de l'immeuble…
 Les classiques avaient baptisé ce genre d'appels à la bourse du beau nom d'argument ad crumenam, l'argument financier ; on connaît la variante achetez ma lessive, vous ferez des économies.
 Dans la terminologie classique de la théorie des stases, on dirait qu'on a là une argumentation tendant à soutenir une objection, où est en question la légitimité de la procédure entreprise.
 P. Brown & S. Levinson, 1987 : Politeness. Some universals of language use, Cambridge : CUP.
G. N. Leech, 1983 : Principles of pragmatics, Londres… : Longman.
C. Kerbrat-Orecchoni, Les interactions verbales II, Paris : A.-Colin, 1992.
 C. Kerbrat-Orecchoni, op. cit., p. 159
 C. Kerbrat-Orecchoni, op. cit., p. 163.
 C. Kerbrat-Orecchoni, op. cit., p. 182-183.
 C. Kerbrat-Orecchoni, op. cit., p. 167 ; p. 168 ;
 C. Kerbrat-Orecchoni, op. cit., p. 184.
 C. Kerbrat-Orecchoni, op. cit., p. 184.
 Brown & Levinson, in C. Kerbrat-Orecchioni, p. 175
 Principe de Brown & Levinson, in C. Kerbrat-Orecchioni, op. cit., p. 175.
 C. Kerbrat-Orecchoni, op. cit., p. 184.
 C. Kerbrat-Orecchoni, op. cit., p. 184
 Je dois cette remarque à V. Traverso.
 La persuasion, sous la direction de V. Yzerbyt et O. Corneille, (“Textes de base en sciences sociales”), Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1994.
 Les références qui suivent se rapportent à cet ouvrage.
 W. R. Kunst-Wilson, R. B. Robert Zajon 1980 : « La discrimination affective de stimuli qui ne peuvent être reconnus », in op. cit., Chap. 10, p. 203-209.
 R. E. Petty, G. L. Wells, T. C. Brock, 1976 : « Distraction, traitement de l'information et persuasion » in op. cit., Chap. 8, p.150-176.
 Carl. I Hovland, 1951 : « L'influence de la crédibilité de la source sur l'efficacité de la communication », in op. cit., Chap. 2, p. 51-69.
 S. E. Chaiken, 1980 : « Les traitements heuristique et systématique de l'information », in op. cit., Chap. 11, p. 212-246.
 K. G. De Bono, C. Telesca, 1990 : « Une perspective fonctionnelle de la persuasion » in op. cit., Chap. 12, p. 247-263. P 249..
 J. L. Freedman, S. C. Fraser, 1966 : « Soumission sans pression : La technique du pied-dans-la-porte », in op. cit., Chap. 5, p. 94-116.
 Carl. I Hovland, op. cit., p. 55.
 K. G. de Bono & C. Telesca, op. cit., p. 252-253.
 Paris : PUF, 1977.
 H. Touzard, op. cit., p. 147.
 H. Touzard, op. cit., p. 138-152
 H. Touzard, op. cit., p. 143.
 H. Touzard, op. cit., p. 147
 H. Touzard, op. cit., p. 148
 Le bilan argumentatif de notre négociation fait écho à ces résultats. Dans une interaction très peu coopérative, la Locataire et le Régisseur ont des discours « centrés sur eux-mêmes et sur leur auto-justification », plus que sur l'objet, qui a été assez vite abandonné.
 H. Touzard, op. cit., p. 239.

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