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2. Définition des conduites à risque : des théories ordaliques à l'approche ...... par
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Université Victor Segalen Bordeaux 2
Faculté des Sciences de lHomme
À CORPS ET À COUPS.
Quand les pratiques à risque participent à la visibilité sociale des errants.
Mémoire de Master 1
Mention Sciences de lÉducation
Présenté par
Tristana PIMOR
Sous la direction de
M. le Professeur Eric DEBARBIEUX
Année de la soutenance : 2008
Université Victor Segalen Bordeaux 2
Faculté des Sciences de lHomme
À CORPS ET À COUPS.
Quand les pratiques à risque participent à la visibilité sociale des errants.
Mémoire de Master 1
Mention Sciences de lÉducation
Présenté par
Tristana PIMOR
Sous la direction de
M. le Professeur Eric DEBARBIEUX
Année de la soutenance : 2008
REMERCIEMENTS :
Je remercie avant tout, Monsieur le professeur E. Debarbieux pour son aide assidue tant sur le plan méthodologique, théorique, organisationnel et son soutien, Monsieur le professeur C. Chambost pour son aide en Anglais. Un grand merci aussi à Jon, mon informateur privilégié, qui ma permis dintroduire le milieu des Travellers, Passe-Muraille, Patrick, Clara, Bruno et Charlotte pour leur confiance, leurs réflexions, ô combien intéressantes. Agnès Dufour ma partenaire professionnelle de toujours, Peggy Duval, Christophe, Pierre mes camarades étudiants, mon compagnon, ma mère, pour leur patience, leurs relectures et leurs apports si pertinents. M. J-M Delile et Anne- Cécile Rahis qui mont fait découvrir et mont formé au travail éducatif auprès des toxicomanes.
TOC \o REMERCIEMENTS : 4
AVANT PROPOS : Une démarche interactionniste.. PAGEREF _Toc73343377 \h 9
INTRODUCTION : Un bref historique des représentations du toxicomane. PAGEREF _Toc73343378 \h 11
1. DE LA NÉCCESSITÉ DE DÉPASSER LES APPROCHES INDIVIDUALISANTES. PAGEREF _Toc73343379 \h 17
1.1. Constatations dun terreau social favorable à la croissance de la prise de risque. PAGEREF _Toc73343380 \h 17
1. 1. 1. La perte de sens. PAGEREF _Toc73343381 \h 17
1. 1. 2. Sécurité et risque dans la société actuelle Française. PAGEREF _Toc73343382 \h 18
1. 2. Définition des conduites à risque : des théories ordaliques à lapproche épidémiologique. PAGEREF _Toc73343383 \h 20
1. 2. 1. Ordalie et attitudes contra-phobiques. PAGEREF _Toc73343384 \h 20
1. 2. 1. 1. La vision sociologique de lordalie de D. Le Breton. PAGEREF _Toc73343385 \h 21
1. 2. 1. 2. La vision psychanalytique de M.Valleur et A. Charles-Nicolas. PAGEREF _Toc73343386 \h 23
1. 2. 1. 3. Une autre approche psychanalytique de la question : les attitudes contra-phobiques. PAGEREF _Toc73343387 \h 25
1. 2. 2. Les théories par facteurs de risque et de protection : PAGEREF _Toc73343388 \h 27
1. 3. Lutilité dune approche socio-anthropologique des conduites à risque autour du rapport au corps et à la mort. PAGEREF _Toc73343389 \h 30
1. 3. 1. Le problème des conceptions quantitativistes, épidémiologiques et psychanalytiques des conduites à risque. PAGEREF _Toc73343390 \h 30
1. 3. 2. Le corps et ses représentations ou la mise en lumière de normes. PAGEREF _Toc73343391 \h 34
1. 3. 2. 1. Lutilité du corps comme indicateur des interactions sociales. PAGEREF _Toc73343392 \h 34
1. 3. 2. 2. Lhistorique des représentations du corps. PAGEREF _Toc73343393 \h 37
1. 3. 2. 2. 1. De lAntiquité au XIXéme siècle. PAGEREF _Toc73343394 \h 37
1. 3. 2. 2. 2. Le corps au XX et XXIe siècle. PAGEREF _Toc73343395 \h 41
1. 3. 3. La mort : cette grande question. PAGEREF _Toc73343396 \h 48
1. 3. 3. 1. La mort ou une préoccupation fondamentale et commune à toute civilisation. PAGEREF _Toc73343397 \h 48
1. 3. 3. 2. Les représentations de la mort dans lhistoire. PAGEREF _Toc73343398 \h 49
1. 3. 3. 2. 1. Du Moyen âge au XVIIIe. PAGEREF _Toc73343399 \h 54
1. 3. 3. 2. 2. La représentation actuelle de la mort. PAGEREF _Toc73343400 \h 59
1. 3. 4. La sociologie interactionniste de la déviance. PAGEREF _Toc73343401 \h 65
2. UNE MÉTHODE ADAPTÉE À UNE POPULATION PARTICIPATIVE. PAGEREF _Toc73343402 \h 68
2. 1. Le terrain denquête : entre cadre et hors-cadre. PAGEREF _Toc73343403 \h 68
2. 2. La population toxicomane active, des errants. PAGEREF _Toc73343404 \h 69
2. 3. Lapproche qualitative ou le complément nécessaire dune approche basée sur lacteur comme définissant les pratiques à risques. PAGEREF _Toc73343405 \h 72
2. 4. Lentretien compréhensif une méthode à parfaire par lobservation. PAGEREF _Toc73343406 \h 73
2. 4. 1. Lentretien pourquoi ? PAGEREF _Toc73343407 \h 73
2. 4. 2. Lieux, techniques, configurations dentretiens : des biais. PAGEREF _Toc73343408 \h 77
2. 4. 3. Une rupture épistémologique nécessaire du fait de la familiarité avec la population. PAGEREF _Toc73343409 \h 80
2. 5. Des rencontres sous le signe de la marginalité, de la convivialité. PAGEREF _Toc73343410 \h 81
2. 5. 1. Clara ou la vie nomade. PAGEREF _Toc73343411 \h 82
2. 5. 1. 1. Un entretien marqué par lassignation éducative. PAGEREF _Toc73343412 \h 82
2. 5. 1. 2. Clara, une zonarde hyper-dynamique. PAGEREF _Toc73343413 \h 83
2. 5. 1. 3. La résistance du corps. PAGEREF _Toc73343414 \h 83
2. 5. 2. Passe-Muraille, ou lhabitant de « partout et de nulle part ». PAGEREF _Toc73343415 \h 86
2. 5 . 2. 1. De bouches à oreilles. PAGEREF _Toc73343416 \h 86
2. 5. 2. 2. Portrait dun gavroche discret. PAGEREF _Toc73343417 \h 87
2. 5. 2. 3. « Punk is not dead ! » PAGEREF _Toc73343418 \h 87
2. 5. 3. Jon de lenfant de la techno au retraité voyageur. PAGEREF _Toc73343419 \h 89
2. 5. 3. 1. 2007, Plaisanteries et héroïne. PAGEREF _Toc73343420 \h 89
2. 5. 3. 2. 2007, Jon , le débonnaire, provoqu. PAGEREF _Toc73343421 \h 89
2. 5. 3. 3. Séclater et rien dautre. PAGEREF _Toc73343422 \h 90
2. 5. 3. 4. 2008, portrait dun jeune homme, sur qui la vie coule. PAGEREF _Toc73343423 \h 93
2. 5. 3. 5. 2008, la perception dune lassitude masquée par la contestation. PAGEREF _Toc73343424 \h 94
2. 5. 4. Patrick ou lenfant de 68 . PAGEREF _Toc73343425 \h 101
2. 5. 4. 1. Quiproquos. PAGEREF _Toc73343426 \h 101
2. 5. 4. 2. Quand la maturité tue linsouciance. PAGEREF _Toc73343427 \h 102
2. 3. 4. 3. Changement de vie ? PAGEREF _Toc73343428 \h 102
2. 5. 5. Bruno et Charlotte : le DJ et létudiante. PAGEREF _Toc73343429 \h 104
2. 5. 5. 1. Un supermarché, pour une super rencontre. PAGEREF _Toc73343430 \h 104
2. 5. 5. 2. La belle et le protecteur. PAGEREF _Toc73343431 \h 106
2. 5. 5. 3. Vie de traveller ou rejet dune vie de robot. PAGEREF _Toc73343432 \h 109
3. LA DÉVIANCE DES PRISES DE RISQUES, UNE RÉSISTANCE À LANONYMAT ET À LÉVICTION
SOCIALE. PAGEREF _Toc73343433 \h 122
3. 1. Le corps outil de revendications, détiquetage statutaire, de frontières entre travellers et gens ordinaires. PAGEREF _Toc73343434 \h 122
3. 1. 1. Entre dualisme et globalisme du corps et de lesprit. PAGEREF _Toc73343435 \h 122
3. 1. 2. Le corps outil de plaisir et de liberté. PAGEREF _Toc73343436 \h 126
3. 1. 2. 1. Corps de jouissance. PAGEREF _Toc73343437 \h 126
3. 1. 2. 2. Corps dindépendance. PAGEREF _Toc73343438 \h 134
3. 1. 3. Quand le corps donne corps. PAGEREF _Toc73343439 \h 141
3. 1. 3. 1. De linvisibilité à la visibilité dans la cité. PAGEREF _Toc73343440 \h 141
3. 1. 3. 2. Corps au cur de la protestation sociale. PAGEREF _Toc73343441 \h 147
3. 1. 3. 3. Lappris par corps. PAGEREF _Toc73343442 \h 151
3. 1. 3. 3. 1. Lapprentissage. PAGEREF _Toc73343443 \h 151
3. 1. 3. 3. 2. La carrière. PAGEREF _Toc73343444 \h 155
3. 1. 4. Lapparence physique : une étiquette attribuée et assignée. PAGEREF _Toc73343445 \h 162
3. 1. 4. 1. Le look traveller ou quand le corps sadapte aux contextes de vie. PAGEREF _Toc73343446 \h 162
3. 1. 4. 2. Le corps du rejet. PAGEREF _Toc73343447 \h 165
3. 1. 4. 3. Lidéologie tatouée dans les pratiques du corps. PAGEREF _Toc73343448 \h 175
3. 1. 4. 4. Lapparence ou le signe dappartenance au groupe traveller. PAGEREF _Toc73343449 \h 183
3. 1. 4. 5. Les pratiques corporelles comme marqueurs de létablissement dune frontière Nous / Eux. PAGEREF _Toc73343450 \h 188
3. 2. Représentations de la mort, divergences de cultures, moyen de provocation, catharsis permettant le maintien de lordre social ? PAGEREF _Toc73343451 \h 197
3. 2. 1. La mort dans la vie, un contrepoint culturel. PAGEREF _Toc73343452 \h 197
3. 2. 1. 1. La bonne et la mauvaise mort chez les errants. PAGEREF _Toc73343453 \h 199
3. 2. 1. 2. Lautre mauvaise mort : la mort sociale. PAGEREF _Toc73343454 \h 204
3. 2. 2. La mort, un bon argument pour attirer lattention. PAGEREF _Toc73343455 \h 218
CONCLUSION : Une alerte au sens. PAGEREF _Toc73343456 \h 223
BIBLIOGRAPHIE PAGEREF _Toc73343457 \h 229
LEXIQUE. PAGEREF _Toc73343458 \h 234
EXPLICATION TYPOGRAPHIQUE : PAGEREF _Toc73343459 \h 235
ANNEXES : EXTRAITS DENTRETIENS SIGNIFICATIFS DES BIAIS MÉTHODOLOGIQUES : PAGEREF _Toc73343460 \h 236
RÉSUMÉ EN FRANÇAIS, ESPAGNOL ET ANGLAIS : PAGEREF _Toc73343461 \h 238
1. Résumé en français : PAGEREF _Toc73343462 \h 238
2. Resumen en español : PAGEREF _Toc73343463 \h 239
3. English abstract : PAGEREF _Toc73343464 \h 240
ÒAVANT PROPOS :Une démarche interactionniste..
Sinterroger sur le rôle social des conduites à risque chez les jeunes errants toxicomanes nécessite à la fois de prendre en compte le contexte macrosociologique afin de comprendre linfluence des changements structuraux français sur lémergence de ces pratiques, mais aussi danalyser ce phénomène du point de vue des acteurs dans une approche microsociologique. Lévolution de la société française, de ses valeurs, croyances, normes, représentations, nest pas étrangère à lapparition des toxicomanies et des conduites à risque, quil sagisse de sports extrêmes socialement acceptés, de consommation dalcool ou de pratiques plus marginalisées. En effet, lindividu et la société sont interdépendants et se constituent lun lautre, la conscience individuelle et le monde social sont les deux pôles dune même réalité continue. Parler de prises de risque et de toxicomanie, cest alors parler de déviance à la façon de H.S. Becker, de trajectoires. On ne peut en effet comprendre le positionnement, le cheminement toxicomaniaque, en faisant limpasse sur les interactions entre les individus, leurs groupes dappartenance, le groupe dominant, le contexte, la situation, et laction. La déviance renvoie à une norme constituée par un groupe dominant et non adoptée par dautres individus. Certains vont clairement démontrer quils nadhérent pas aux normes du groupe dominant tout au long dune carrière déviante. Cette évolution dans linscription dun mode de vie en marge ne peut évidemment se faire que par létiquetage des dits déviants par le groupe dominant. La déviance est donc un jeu entre une transgression dune part et une catégorisation, une stigmatisation sociale dautre part. Certes, les pratiques à risque outrepassent les normes du groupe dominant de notre société, mais elles constituent aussi une facette dun mode de vie pour chaque errant. Elles ont donc un double statut selon le regard que lon adopte : norme ou déviance.
Cest dans loptique interactionniste symbolique de lhomme, produit et producteur de son environnement, quil semble fondamental de déterminer lévolution des normes, des croyances, du sens octroyé à lexistence, du statut de lindividu pour le groupe dominant et de les confronter à ceux des groupes derrants. Cest au prix de ce va et vient quil sera peut-être possible de comprendre le sens de telles pratiques dun point du vue sociologique.
Cest donc un bref aperçu historique des évolutions structurelles et des représentations des drogues et des usagers que je vais développer en guise dintroduction. Cette interrogation historique se poursuivra ultérieurement dans la revue sur la question au sujet de lapparition de la notion de sécurité et de risque et tire aussi sa légitimité dun point de vue épistémologique. Les agents sociaux étant le produit de lhistoire de tout le champ social, ce détour historique permettra de rompre avec les prénotions, et les présupposés inhérents à chaque chercheur et pour ma part déviter lécueil lié au caractère familier de ma relation à la population des errants.
INTRODUCTION : Un bref historique des représentations du toxicomane.
Cest à partir du XIXe siècle, en France, dans un système holistique où la destinée sociale de chacun était clairement établie, où les valeurs, normes, croyances étaient bien définies que lon voit émerger le thème des drogues. Lutilisation de lopium et de la morphine se faisait alors dans un cadre médical. Les opiacés permettaient danesthésier les patients, de soulager les maux de lesprit et pour une petite frange de la population médecins, artistes dacquérir une normalité idéale, daiguiser le cerveau. À cette époque, la drogue ne suscitait pas dinquiétude, mais permettait de ressentir des sensations pures, de mettre à lépreuve sa singularité et de dépasser ses limites. Souvent, le plaisir était découvert suite au traitement contre la douleur. Fin du XIXe siècle, suite à la guerre de Prusse, on voit apparaître la notion de dépendance liée à une représentation de déchéance. Le Dr Levinstein classe les pratiques de consommation de substance psycho actives, sous le terme de manie. À partir du premier quart du XXe siècle, cette dénomination se transformera en toxicomanie. Limage de la drogue devient donc stigmatisante et négative. Les usagers morphinomanes sont catégorisés en deux groupes : les bons, non responsables de leur dépendance, et les mauvais, responsables, acteurs dun vice. La drogue était ainsi significative du fantasme individualiste de liberté sans limite, dans une société très structurée où lindividu était tenu de se soumettre au système. Elle symbolisait par conséquent, un monde privé, sans borne. « La drogue est devenue progressivement un problème de société en se construisant historiquement comme une négativité, comme la part maudite des techniques de multiplication de lindividualité. ».
Les années 60 en France, grâce à la croissance des revenus, font basculer la population dans une société de consommation de masse, de jouissance dans le présent. Le déclin du politique s'esquisse. La lutte des classes, le fatalisme social qui encadraient les groupes sociaux se sont vus remplacer petit à petit par le désir, la croyance individuelle dune potentielle réussite sociale. Les croyances, les traditions, les orientations de vie des classes sociales se sont vues voler la vedette par la consommation donnant accès à un plaisir immédiat et vecteur de protection. Lindividu est alors, dans le maintenant, labondance, et ne se préoccupe plus du futur, ni par conséquent, de son héritage culturel dont il cherche à se détacher. Il regarde vers lAmérique.
À la même période, après les événements de mai 68, la drogue va se diffuser de façon plus massive. Elle symbolise ici la revendication à disposer de soi, un vecteur de réalisation personnelle, dans un militantisme politique faisant écho aux principes de la contre-culture Américaine. Mais elle est toujours perçue de façon négative car elle remet en cause les principes déducation tutélaire, émancipe la jeunesse sur le plan culturel malgré un fonctionnement encore holistique tendant vers un individualisme, plébiscitant le plaisir personnel.
La loi de 1970 va donc intervenir pour interdire son usage dans la sphère privée car auparavant il était seulement interdit dans le monde public (loi de 1916). LEtat providence dicte encore les pratiques publiques et privées. Cette légifération va se centrer sur deux plans : le judicaire en termes de sanction pénale et le soin par linjonction thérapeutique. On envisage encore la dépendance comme un manque de volonté dont la solution se situe dans labstinence et la désintoxication. La drogue est donc perçue comme une épidémie qui touche la jeunesse, cest une faute contre soi et contre la société.
Aux conflits collectifs qui engendraient des progrès économiques et sociaux dans une société où lindividu était soumis au système, sérige comme modèle dépanouissement dès la moitié des années 70, la réussite par soi-même fondée sur le mythe du « self made man » importé des Etats-unis. Cette société individualiste va sasseoir dans les années 80 et promouvoir la dynamique entrepreneuriale, le culte de la performance, en sappuyant sur la croyance dun développement technologique bénéfique, source de bien être et de solution à la crise économique. Lentreprise se substitue à lEtat. On nattend plus que lEtat règle les problèmes sociaux, cest à lindividu de faire face. Lascension sociale individualisée est plébiscitée quelle que soit son appartenance sociale « Être soi, pour gagner ! ». On croit fermement au principe dégalité.
Dans ce contexte, la drogue perd sa valeur politique et devient le symptôme dun enfermement dans la sphère privée, dune déstructuration du social. Limage du grand toxicomane renvoie alors, à la déchéance, la désocialisation mais aussi au plaisir immédiat. Le consommateur est un toxicomane et la drogue un fléau.
1990, la crise économique saccentue, les illusions dascendance sociale seffritent. Lentreprise tout comme lEtat nest plus en mesure de répondre aux aspirations de la population. Toutes les classes sociales sont maintenant touchées par le chômagetoute proportion gardée. La mobilité ascendante va même pour certaines familles se renverser en mobilité descendante. Cest une société frustrée qui refuse encore de faire le deuil dun ascenseur social défaillant et dune égalité théorique. Malgré tout, la peur de lexclusion saffirme, le SDF devient lanti-modèle dans lequel on craint de se réincarner du jour au lendemain.
« Lindividu souffrant semble avoir supplanté lindividu conquérant. ». Ces deux figures coexistent dessinant les contours dun monde qui ne donne plus dorientations. « Chacun, désormais indubitablement confronté à lincertain, doit sappuyer sur lui-même pour inventer sa vie, lui donner sens et sengager dans laction. ». Lindividu est plongé dans lhypothétique, langoisse car « (
) la prise en charge collective des destins individuels était attribuée à des institutions et à des acteurs organisés, aujourdhui la responsabilité de ces mêmes destins est de plus en plus reportée sur lindividu lui-même. » .
Lindividu Durkheimien, socialisé, adapté aux normes, règles, croyances, à la hiérarchie dune société dont le seul but était datteindre la place à laquelle il était destiné, fait place à « lindividu incertain » qui doit avant tout saméliorer, se parfaire lui-même, se gouverner seul dans une société où une seule norme est claire : lautonomie. Chacun doit alors user de sa liberté de façon responsable en sinterdisant, se limitant selon sa propre loi. Lindividu sappuie alors sur le privé pour gérer le public et publicise le privé.
Cest dans cette conjoncture macro-sociale que la toxicomanie sest vue sétendre au rythme de lindividualisme social. Si auparavant la société régissait les destins sociaux, séparait bien la sphère privée de la sphère publique, aujourdhui il ny a ni directions claires, ni frontières nettes. La drogue interrogerait donc cette perte de sens social et les frontières publiques / privées en « symboli(sant) les limites du droit à disposer de soi au-delà desquelles on ne fait plus société (
) ». Quelle part de contrôle le public peut-il avoir alors sur le privé ? Les pratiques toxicomaniaques permettraient de poser cette question fondamentale du cadre définissant le droit à disposer de son propre corps.
Cest à partir de ces constatations historiques et structurelles, quil conviendrait daffiner dans de futures recherches, quil semble en effet important de se questionner sur les conduites à risque des errants. Dans une société individualiste où les croyances, le sens même de lexistence ne sont plus définis, où les seules données claires sont des injonctions à la prise de risque, au défi dans des contextes définis, les errants risqueurs nous renvoient cette indétermination dun social paradoxalement coercitif dans son organisation, à travers une pratique du risque et du corps ne répondant pas aux attentes sociales et même les dérangeant. Ce corps serait peut-être alors un terrain de contestation de lordre social, dans lequel les errants jouent avec la signification de la mort. Et qui mieux que la mort peut interpeller et choquer lhomme ordinaire et permettre par la même daborder létiolement des liens sociaux, le manque de repères et de symbolique. Ces pratiques en revendiquant un mode particulier de relation au corps et à la mort ne permettraient-elles pas aux toxicomanes de sinscrire dune certaine façon dans le social ? Dune façon spécifique à laquelle nos préjugés sur lexclusion sociale nont pas permis que lon sinterroge.
Cette étude se déroulera donc en deux temps. Le premier en Master 1 se bornera à défricher un cadre danalyse anthropologique et socio-historique des représentations du corps et de la mort, à interviewer par le biais dentretiens non-directifs des personnes appartenant à la population des toxicomanes errants. Le Master 2 permettra de réaliser une observation participante dans le but de mieux comprendre les interactions inter groupales et sociétales, afin dinscrire ses pratiques individuelles dans le champ plus global du social, den comprendre leur porté sociologique, les influences plus structurelles afin déviter le piège de ce que Pierre Bourdieu appelle une sociologie spontanée.
Dans un premier temps, jévoquerai donc le cadre social et historique dans lequel sinscrivent les pratiques à risque intégrées socialement ou non, à travers un état des lieux anthropologique, sociologique de la société actuelle, et lévolution des notions de sécurité et de risque. Une présentation des trois grandes théories explicatives des pratiques à risque chez les toxicomanes que sont : les conduites ordaliques, les attitudes contra-phobiques et lapproche par facteurs de risque, permettra de démontrer que les seuls champs de la psychanalyse même employée dans une analyse sociologique, ou de lépidémiologie ne peuvent rendre entièrement compte du phénomène. Si la dimension sociale y est abordée, cest de manière relativement succincte et causale comme agissant sur la psyché, sur les comportements des individus malgré eux. Elle serait un des facteurs parmi dautres (familiaux, psychopathologiques, génétiques). Lindividu nest alors pas conscient de la portée de ses actes, ni de leurs ancrages sociologiques. À cette approche extérieure du phénomène, je propose une approche de lIntérieur à travers les yeux des acteurs afin de saisir toute la rationalité et les buts de ces pratiques. Puis jexposerai les transformations du rapport au corps et à la mort sous un angle anthropo-historique afin de démontrer la nécessité dun regard socio anthropologique sur la question. Comprendre la genèse, lévolution des représentations sociales du corps et de la mort et les comparer à celles des jeunes errant risqueurs pourrait apporter un éclairage sur le rôle social de ces pratiques. Pour poursuivre dans cette première partie, jexposerai brièvement les théories de la déviance de Becker qui bien quapparemment nayant pas précisément à voir avec le sujet, permettront durant lanalyse de comprendre comment, par le corps, létiquetage déviant peut se produire.
Dans un second temps, une présentation du terrain denquête, une définition de la population errante seront développées, suivies dune description de ma méthodologie denquête qui explicitera le choix, et la façon dont ce sont déroulés les entretiens, les biais et difficultés, pour aboutir sur des portraits de chaque interviewé permettant de dépeindre plus en détail les spécificités de ce groupe.
Enfin, dans un troisième temps, une analyse comparative, transversale et thématique du rapport au corps et la mort des errants sera développé. La sous partie traitant du corps donnera lieu à une identification des mécanismes dapprentissage, de carrière et de stigmatisation afin dappréhender le rôle social des conduites à risque comme participant à la mise en uvre de frontières entre le groupe errant et le groupe des normaux. Pour clôturer ce chapitre, nous tenterons détablir les représentations et les pratiques en relation avec la mort dans le but de mesurer les écarts entre ces dernières et celles de la société normée, pour entrevoir le sens quont les mises en péril pour les errants en référence avec leur quotidien et les normes, valeurs, croyances sociétales.
1. DE LA NÉCESSITÉ DE DÉPASSER LES APPROCHES INDIVIDUALISANTES.
Constatations dun terreau social favorable à la croissance de la prise de risque.
1.1.1. La perte de sens.
Laccélération des processus techniques et sociaux déracine les systèmes de sens et de valeurs permettant à lhomme dorienter sa vie avec un sentiment de sécurité. Les progrès scientifiques qui devaient lutter contre le hasard, la mort, la précarité portent paradoxalement aussi en eux la possibilité de la destruction totale de lhomme (centrale nucléaire, fabrication de pesticides
). Sur le plan social et culturel, du fait de lindividualisme, les valeurs essentielles deviennent contradictoires et noffrent plus le soutien anthropologique, le holding du passé. Elles sont davantage indicatrices de conduites que pourvoyeuses de sens et par conséquent peu investies par les acteurs. Or, la consistance du sens efface la brutalité de la relation au monde et aux autres « Elle donne à lhomme, le confort de se mouvoir à lintérieur dun univers cohérent et familier, prévisible dans le déroulement de ses séquences. ». Les principes rationnels qui guident nos relations sociales sont affaiblis quant à leurs qualités anthropologiques et laissent lindividu faire face à des difficultés avec des ressources amenuisées. Les événements sont alors vécus sans médiation dans une sorte de nudité car détachés dun système symbolique ; pour leur résister lindividu va devoir recourir à la créativité personnelle pour élaborer de nouveaux rites, valeurs, et des réseaux daide. « Quand le sens se retire en partie de la relation au monde, il reste lobjectivité des choses, le monde presque brut, inégal et disponible : la perte de référence étend considérablement la marge daction personnelle ». Le don du sens vient alors de lindividu. La liberté laissée aux acteurs nécessite de leur part les outils adéquats pour sorienter. Lindividu sautoréférence lui-même, trouve en lui ce quil trouvait dans le système social : des valeurs, du sens. Selon D. Le Breton, les conduites à risque acceptées ou non socialement seraient alors « une contre-bande » rituelle pour restaurer du symbolique sans lequel les individus sexposent à la mort sociale. La mort, le signifiant ultime, pourrait être le seul offrant ce sens manquant.
À ce déficit de sens, sajoute le culte de la performance, de lexploit, du défi et de la compétition. « Sommé de faire sans cesse ses preuves (
), dans une société où les références sont innombrables et contradictoires, lindividu cherche dans une frontalité avec le monde une voie royale de mise à lépreuve de ses ressources personnelles dendurance, de force, de courage». Les acteurs attacheraient dautant plus dimportance à leur endurance physique que cette valeur se raréfierait dans le monde du travail. Les sports à risque offriraient alors une arène idéale pour se confronter à ses limites et tester sa résistance.
De même, la notion de survie jouerait un rôle important, elle se réfèrerait à limaginaire de la disparition du social par catastrophes, qui définirait lindividu par son caractère fragile et vulnérable soumis à la dangerosité de son environnement. La société occidentale amoncelle les techniques qui permettent daccroître la sécurité de ses membres. Cette sécurité et cette technicité poussent lhomme à reprendre contact avec la nature par le biais dactivités périlleuses comme les raids, les trekkings, les stages de survie ou autres pratiques sportives extrêmes. Lindividualisme trouverait là un terrain de prédiclection car lhomme se trouverait seul face aux éléments, face au monde auprès duquel il doit démontrer sa valeur singulière qui fait de lui un homme bien plus exceptionnel quun autre. En effet, dans un monde où le travail sest parcellarisé, où chaque sujet est considéré comme remplaçable, ne peut-on pas imaginer que les pratiques extrêmes socialement acceptées, pourraient servir doutil de réassurance individuelle sur ses capacités et sa spécificité ?
1.1.2. Sécurité et risque dans la société actuelle Française.
Dans la société française, sécurité et risque ne sont pas opposés, ni lun ni lautre ne sont affirmés comme valeurs constantes. Leurs statuts varient selon les situations et les acteurs.
En revanche le rôle de toute société est déradiquer les risques que peuvent encourir ses membres grâce à son organisation sociale et culturelle. Cest donc lune de ses fonctions anthropologiques de protéger les individus et de leur assurer un rapport au monde sécurisé. Les conduites en situations potentiellement dangereuses sont codifiées et planifiées afin déviter tout danger (code de la route, planification dactions sanitaires en cas de pandémie,
). Les souscriptions dassurances variées et diverses envahissent le quotidien des acteurs et soulignent leur sentiment dinsécurité. Malgré tout, lexistence humaine implique toujours la survenue de risques et oscille donc entre vulnérabilité et sécurité.
Le risque et la sécurité sont des notions socialement construites, dépendantes, des lieux, sociétés, temps dans lesquels elles sinscrivent.
La préoccupation du risques est apparue il y a quelques décennies. Auparavant, les accidents étaient interprétés sur le mode du divin, ou du moins intégrés dans une perspective religieuse. Les significations des catastrophes étaient imputées à la volonté de Dieu de punir ou de tester lhomme quant à sa foi. Le risque était donc de perdre sa protection.
La notion de sécurité, elle, intervient au Moyen Age avec la naissance des assurances, mais sest surtout développée à la Renaissance car valorisée par lémergence des idées laïques. Pour Lutter et Hobbes, la sécurité relevait du devoir de lEtat. Depuis fin 1970, le risque est traqué dans tous les secteurs de la vie sociale. LEtat et les collectivités territoriales sont devenus des figures de protection. Le projet sécuritaire est lié à lémergence de lindividualisme et de la rationalité hérités du Siècle des Lumières (Descartes, Rousseau). Cette rationalité est portée par limaginaire du contrôle du désordre et du hasard dans un fantasme de maîtrise.
Le progrès scientifique, technique, issu de cette rationalité qui devait nous protéger se retourne quelquefois contre nous (électrocution, nucléaire
). Le sentiment de vulnérabilité saccroît à mesure que la médiatisation sempare de nouveaux faits catastrophiques car « la peur est moins liée à lobjectivité du risque quaux imaginaires induits. ». Cette crainte entraîne « un pessimisme méthodologique » consistant à prévoir tout danger susceptible de jaillir.
La traque préventive du risque pour labolir nourrit pourtant la peur quelle tente deffacer ; le resserrement de la sécurité réduit la liberté des acteurs, les conduites à risques permettraient alors, de lever provisoirement ces contraintes. En revanche, les normes de leurs utilisations existent ; il ne sagit pas de prendre des risques pour tout et nimporte quoi. Ces notions sont contextualisées et leurs statuts diffèrent selon les circonstances. Là où la sécurité nest pas remise en cause, il ny a pas de raison de valoriser le risque pour le risque. Cest en ce sens que la mise en danger de la santé par des pratiques déviantes, nest pas tolérée socialement. En contrepartie il y a bien deux champs où la prise de risque constitue une qualité individuelle : le travail et les activités sportives. Dans ces deux secteurs, elle symbolise le courage, la créativité, la singularité, la compétition, la performance, la détermination. La prudence, quant à elle, est rarement valorisée et elle est associée aux individus conformistes, moyens, menant une existence routinière, dénuée de tout intérêt.
Les toxicomanes voudraient-ils saffranchir des codes sécuritaires imposés qui les entravent, en prenant des risques là où il ne convient pas den prendre ? Cette affirmation de liberté et de refus de tutelle étatique quant à la gestion de leur sphère privé, ne se traduisent-ils pas dans le corps grâce aux conduites à risque ?
1. 2. Définition des conduites à risque : des théories ordaliques à lapproche épidémiologique.
1. 2. 1. Ordalie et attitudes contra-phobiques.
Les thèses de A. Charles-Nicolas, M. Valeur et de D.Le Breton qualifient les conduites à risque liées aux addictions ou au sport, de conduites ordaliques. Lordalie historiquement était un rite judiciaire pratiqué dans les sociétés traditionnelles de lAntiquité et du Moyen Age. « Elle témoign(ait) de ladhésion unanime de la collectivité à un univers où tout se tien(nait), où Dieu ou les dieux veill(ai)ent jalousement à la destinée des hommes, où toute action de lun deux dépend(ait) dune nécessité dont il n(était) pas le maître. ». La puissance surnaturelle sollicitée était dans lobligation de répondre à la demande communautaire afin de lui signifier de façon claire linnocence ou la culpabilité de la personne mise en cause pour sorcellerie. Il sagissait de sociétés où le profane et le sacré étaient intimement liés, où le sujet était soumis au groupe où il nexistait pas en tant quindividu. Cétait une solution publique à une crise entre un homme et le groupe. Si lindividu était déclaré innocent, il retrouvait sa position sociale initiale, consolidée de plus, par lépreuve. Sil était coupable lordalie consacrait la rupture individu / groupe, par la mort. Lénoncé du jugement se confondait alors avec la sentence : cétait la mort ou la vie. Ce rituel de conciliation sociale, de pacification de tensions intra-groupales tirait sa légitimité du jugement établi par Dieu.
1. 2. 1. 1. La vision sociologique de lordalie de D. Le Breton.
D. Le Breton cherche à unifier les théories sociologiques qui constatent une perte du sens et de ritualité collective, avec une approche psychologique expliquant les conduites ordaliques comme étant un défaut de holding, destime de soi. Lordalie utilise le risque comme matière première et se définit comme le degré supérieur de la prise de risque. La latitude de sortir indemne de la situation est plus réduite que dans une prise de risque classique, du fait que lindividu ressente lobligation daller vers lultime limite. Les conduites ordaliques sont donc plus proches de la mort que le risque, bien quil ne soit aucunement question de la rechercher en tant que fin à la vie.
Dans nos sociétés occidentales, lordalie réapparaîtrait mais sans la légitimité et la teneur symbolique dun rite. En effet, le rite traditionnel par sa dramatisation du changement permettrait dapprivoiser le regret, la peur, dabandonner une situation familiale paisible, afin daccéder à une existence nouvelle et responsable. Il baliserait lavenir, ôterait les incertitudes concernant le sens et la valeur de lexistence. Il enracinerait le jeune dans la mémoire, lappartenance collective confirmant son identité personnelle et sociale. Les marques dans la chaire serviraient de signes attestant de son lien au groupe. Le jeune, grâce à son courage, sa détermination, pourrait alors justifier dune légitimité au changement de statut. Le rite renforcerait donc aux yeux de cet individu les fondements de la société qui subviendrait en retour à la sacralisation et la fortification du système. Il sagirait donc dune seconde naissance vers une vie autonome et responsable inscrite dans un contexte collectif.
Dans lordalie, cest lindividu et non le groupe qui recourt sans le savoir, à une structure anthropologique pour garantir son existence. En se confrontant à la mort par le biais de situations à risque, il chercherait à affirmer son droit à exister, sa légitimité et un sens à son existence. Cette ordalie ignorerait le but social quelle poursuivrait ; « elle interroge lavenir dun individu coupé de son sentiment dappartenance à la société et ne répond quen ce qui le concerne ». Elle muterait de rite social en un rite de passage individuel. Le rite étant une cérémonie collective socialement valorisée avec une forte teneur symbolique permettant au novice la modification de son statut social ; pour D. Le Breton, lordalie ne serait pas réellement un rite de par son caractère individuel et en conséquence elle ne permettrait pas le changement de statut social. En cela, les conduites à risque relèveraient plus dun rite de contrebande. Sy ajoute le fait que la fonction dapaisement serait ici liée au choix dun affrontement brutal avec la mort, et non dune rencontre métaphorique à la mort comme dans le rite traditionnel pourvoyeuse de sens. Sa structure anthropologique en tant que révélateur de lidentité du sujet grâce à un changement, lui confèrerait tout de même, en partie, un contenu rituel.
Actuellement, le jeune doit trouver seul son rite « dans une société régie par le mouvement dincertitude, aucune écluse rituelle nest en mesure de favoriser le passage propice et unanime à lâge dhomme en garantissant au jeune que son existence possède une signification, une valeur. ». Il va donc user dun symbolisme de contrebande en testant ses limites, en se confrontant au monde pour se procurer un contenant. Le rite étant solitaire, ces effets symboliques seraient provisoires, nécessitant son renouvellement. Cet acte de contrebande serait une façon de remplacer le holding familial, social et culturel. Pour répondre à labsence de repères générant une impression de vertige et de blancheur, lindividu combattrait cette mort par une mort dont il prend linitiative. « Le saut dans le vide est la meilleure manière de combattre le vide ». Les rites adolescents qui font du risque leur matière première sont désapprouvés par la société globale. Ces rites se situeraient alors dans une position de contrebande reboutant le symbolique et tentant de maîtriser linsaisissable dune période confuse et pleine dangoisse. Le jeune ressentirait lexigence de se frotter au signifiant majeur : la mort, pour garantir sa vie. Il serait donc question intrinsèquement, dune quête de signification où lon jouerait sa vie pour la sauver, lui redonner sens et valeur avec un certain contrôle sur les circonstances de lépreuve.
Lordalie servirait également à résoudre une tension durable entre lindividu et la trame sociale, en la provoquant. Ainsi, par la brutalité de son acte, lordalique resserrerait les liens autour de lui par les soins qui lui seraient apportés. Ce ne serait plus une épreuve judiciaire mais existentielle qui traduirait un défaut de holding social, familial, relationnel. Le sentiment de holding chez les toxicomanes étant sans consistance, le soutien se ferait alors grâce à la consommation de produits psychotropes et la prise de risque. Lindividu nétant pas investi, il ne pourrait à son tour investir une figure dans lenvironnement, ni davantage lui-même.
Afin déclairer ces conceptions psychologiques qui soutiennent les thèses sociologiques de D. Le Breton, penchons nous justement sur le concept dordalie dun point de vue psychanalytique.
1. 2. 1. 2. La vision psychanalytique de M.Valleur et A. Charles-Nicolas.
« La conduite ordalique, diffraction psychologique ou psychopathologique de lordalie, se définit comme besoin et quête de régénération. ». Le toxicomane aurait pour nécessité de se confronter à la mort pour trouver le sens de son existence, se voir garantir sa condition à exister par une force surnaturelle, un tiers. La conduite ordalique serait un comportement répétitif de prises de risque avec le désir de contrôler ce risque. En gérant le dosage du danger, lordalique ne ferait que maîtriser son angoisse. Plus quune autodestruction sacrificielle, le toxicomane jouerait de notre peur de sa mort, « nous laisse(rait) entendre quil entretien(drait) avec elle un rapport ambigu et complice. ». La violence qui se dégage de la toxicomanie serait due à la position déquilibre instable que choisit le preneur de risque en se maintenant sur une limite. Il jonglerait avec la mort dans une transgression permanente.
« Les toxicomanes vrais ont fait le choix de la dépendance et celui du maintien de la prise de risque. ». La conduite à risque serait une tentative de mettre fin et de se rendre maître de sa dépendance par la rencontre avec un objet extérieur dans le but de pouvoir vivre. Elle serait par conséquent issue dune révolte contre la dépendance.
Une des caractéristiques du comportement toxicomaniaque, le pouvoir, se relèverait dans le fait dassumer, de maîtriser pleinement son plaisir, sa souffrance et un savoir sur les drogues intransmissibles. Le toxicomane se trouverait donc en position de domination, dans une relation de défi héroïque à la mort. Il convoiterait la proximité dune mort à la fois recherchée et niée dans une tentative mégalomaniaque et solitaire dauto-engendrement, à travers des sensations de mort et de résurrection. Les conduites à risque contribueraient dans cette perspective, à une tentative de maîtriser lAutre ou de se fondre en lui. Il serait question dune instauration dun rapport direct à lAutre, source de loi, représentant le destin, la chance, ou Dieu. Toutes les conduites à risque des adolescents seraient une quête de sens, de repères, de valeurs, de limites, quête aussi dune dimension dinitiation de passage et dépreuve. Ladolescent ressentirait le besoin dun rappel de la Loi au moment du passage à lage adulte, de linscription en tant que membre de la collectivité.
La prise de risque adolescente viendrait rappeler lordalie primitive de la naissance, socialement ritualisée par le baptême. Par le choix du prénom, lenfant se verrait inscrit dans une lignée fantasmatique, chacun cherchant des ressemblances, signes de lien avec dautres adultes. La fonction du rite produirait par définition une rupture de la fusion mère / enfant en inscrivant la relation dans le cadre socio culturel. Cest donc une première fonction de loi qui « confère à la vulnérabilité du nouveau-né, à la précarité de sa survie, le sens de lépreuve ordalique. ». Léchec de cette séparation équivaudrait à la mort. Cette épreuve dindépendance aux parents se rejouerait à ladolescence, se déroulant plus ou moins bien en fonction du vécu de lordalie originelle. Chez certains, la difficulté à trouver une réponse stable et à asseoir le passage à la vie dadulte, se traduirait par la répétition inlassable de lépreuve. Se serait même pour quelques individus, dans cette « répétition (,) que lacte prend(rait) la dimension dacte de foi de défi. ». La limite ne pourrait en effet, provenir que de lAutre, juge de lordalie, de dieu.
Les conduites ordaliques chez les toxicomanes révéleraient des pathologies du narcissisme et de lestime de soi dues à un défaut de holding durant lenfance. Dans cette quête dautorisation à vivre, lordalique sévertuerait à unifier ses identifications, à intégrer son image du corps, à se défendre des pulsions auto et hétéro destructrices. Au même moment, pris au piège de son propre plaisir, le preneur de risque deviendrait lobjet, le jouet du jeu quil a lui-même initié. Il risquerait alors de se tuer pour sauver son Moi.
1. 2. 1. 3. Une autre approche psychanalytique de la question : les attitudes contra-phobiques.
Lapproche contra-phobique se situe dans la même lignée que la précédente : le recours aux conduites à risque se lierait à une angoisse infantile nécessitant dêtre surmontée. Loriginalité de cette vision rédide dans lassociation de la jouissance à des sensations anxiogènes. Les concepts dordalie et dattitudes contra-phobiques postulent tous deux, que la genèse de ce comportement serait issue de la difficulté daccès à une véritable identité se traduisant donc par le besoin de transgression de « la limite mort » afin de réassurer la valeur de son existence.
Ces attitudes consistent ici, à utiliser un « objet contra-phobique » pour affronter et se protéger de situations anxiogènes. La confrontation à un danger choisi, à une situation anxiogène, soumettrait le sujet à une épreuve psychique et physique lui procurant de la jouissance. Le plaisir émanerait du résultat de la maîtrise dune angoisse infantile non contrôlée. Le fait que le sujet découvre quil a les capacités de faire face à certaines conditions anxiogènes entraînerait larrêt de dépenses énergétiques qui sera alors vécu comme une victoire par le Moi. À cela sajoute un plaisir de type érogène dû aux sensations tactiles, déquilibre, qui accompagne laction de maîtrise. Lintensité de ce vécu se verrait de plus, renforcée par lapparition même de langoisse. Pour que langoisse mute en plaisir, il faudrait que la souffrance de la prise de risque ne dépasse pas un certain stade. « Le plaisir de langoisse correspond en fait à une libidination de celle-ci, une des voies quont appris à emprunter de manières privilégiée les individus qui tentent de surmonter un traumatisme anxiogène ancien. ». En transformant ses ressentis (peur en angoisse, déplaisir en plaisir), et ne pouvant les expliquer comme sils faisaient fonction de tabou, le sujet met en lumière le caractère libidinal du plaisir véhiculé par les conduites à risque.
Lors des actions à risque, le sujet se ressentirait comme transporté en dehors de lui-même au prix de sa possible perte, et au même moment enivré par le vacillement de ses limites. Le degré de jouissance étant corrélé à celui de langoisse, Y.Assedo avance que lon peut les « qualifier dexpériences de jouissance ». Ces pratiques risquées pourraient déséquilibrer les limites de soi en les rendant confuses, en les amenuisant jusquà leur perte, mais produiraient au même moment du plaisir.
La mort deviendrait alors synonyme de sanction de lattrait pour le risque et permettrait au sujet de se sentir exister et même réexister. Cette forme de renaissance découlerait dune réintégration de soi par la remise en place de limites grâce à la mort.
Y. Assedo partage le même point de vue que M.Valleur quant au but de telles pratiques, générant le triomphe de la vie dans la lutte avec la mort cela afin de renforcer un sentiment didentité précaire. En bravant linterdit de la mort, le sujet se vivrait comme maître de lui-même, pris dans un fantasme dauto-engendrement visant à atteindre une autonomie qui ne serait que partiellement acquise. Cette transgression volontaire et répétitive procéderait dun vécu infantile traumatique : d« une expérience de proximité avec la mort psychique. ». La relation à la mère vécue comme oppressante, fusionnelle entraînerait une séparation trop hâtive avec lenfant. Lenfant ainsi enserré par un lien aliénant, ne pourrait être secouru par le père narrivant pas à le détendre. Ne faisant pas tiers, la relation paternelle accentuerait un vécu angoissant de cette première relation (mère / enfant). Par la suite, lors du complexe dOedipe, les limites seraient tellement peu dessinées par le manque de différenciation mère / enfant et le déficit de rupture normalement induite par la fonction paternelle, quelles ne contiendraient pas les pulsions. Le sujet ne cesserait alors de questionner son inscription dans un modèle duel (mère / enfant) ou ternaire (père / mère / enfant), et naurait pas les capacités par conséquent de définir son identité. Lindividu fragile recourrait ainsi, à des limites de substitution à la fonction paternelle de Loi et daccès au symbolique. La relation maternelle empreinte dangoisse développerait chez le sujet un goût pour les objets anxiogènes, liant lamour et la mort. Les pratiques à risque serviraient par conséquent à colmater des fissures psychiques et identitaires issues de la triangulation instable.
Afin de parfaire cette revue sur la question des divers modèles explicatifs et définitionnels des conduites à risque, il ma semblé fondamental daccorder un temps aux approches par facteurs de risques et de protection, nouvellement connu par les intervenants en toxicomanie.
1. 2. 2. Les théories par facteurs de risque et de protection :
Bien que nétudiant pas particulièrement la population du milieu de la musique électronique, jai pu me rendre compte, lors des entretiens, que tous fréquentaient lespace festif techno. En ce sens il ma paru important de faire part des résultats de lenquête « Pratiques et opinions liées aux usages des substances psychoactives dans lespace festif « musique électronique » afin dacquérir une vision plus quantitative des conduites à risque et de la population parente. Ce rapport utilise le modèle par facteurs de risque et de protection afin didentifier dans le milieu électronique le ou les groupes les plus à risque en termes de conduites à risque. Cette approche tente détablir des relations entre ce phénomène et plusieurs facteurs afin de mettre en place des mesures de prévention minimisant les facteurs de risque. La récolte des données a été réalisée sur 5 villes : Toulouse, Nice, Bordeaux, Metz et Rennes.
Un des intérêts de cette étude réside dans la description sociale et démographique de la population composée de deux tiers dhommes et dun tiers de femmes, le plus souvent célibataires et sans enfant. Ils sont âgés de vingt-quatre ans en moyenne. Suite à la première phase denquête, la population parente a été divisée en quatre groupes (soirée urbaine, alternatif, clubbing, select). Ces groupes sont caractérisés par les lieux quils côtoient et le style de musique quils écoutent. En recoupant les entretiens que jai réalisés, il savère que la population derrants toxicomanes sapparente au groupe alternatif. Ils ont une préférence pour la musique Punk, Hard Tech et fréquentent essentiellement des technivals, les concerts, les raves party et des free party tout comme le groupe alternatif. Dans ce groupe daffinité, 50% des individus rencontrent des conditions de vie précaires.
Le rythme de fréquentations de certains établissements de nuit, lheure de retour très tardive, lusage abusif de lalcool apparaissent comme des facteurs de risque très importants à lusage de la cocaïne et de lecstasy. Dans tous les cas, les pratiques importantes de poly-usages, et lusage de la cocaïne et decstasy sont liées.
Le groupe daffinité Alternatif est plus concerné que les trois autres groupes par ladministration de substances par voie nasale (6/10 personnes alternatives ont sniffé au cours des trente derniers jours). Plus de 50% des personnes consommatrices de cocaïne déclarent avoir partagé leur paille à sniffer au cours du dernier mois, sans différence selon le groupe dappartenance. Ceux qui déclarent ne lavoir fait quune fois (36%) le justifient comme étant une rupture de leur conscience malgré une connaissance des risques.
Les personnes qui disent avoir échangé leur paille sont plus souvent des femmes, car ce sont les hommes qui se chargent de lapprovisionnement en psychotropes, lachat de drogue représentant une situation périlleuse. Comme celui qui achète est le premier à consommer, ceci expliquerait le partage des pailles plus présent chez les femmes. Les autres facteurs de risque au partage de pailles seraient :
avoir un niveau détude inférieur aux études supérieures ;
être originaire de Bordeaux, ;
ne pas avoir dactivité professionnelle continue ou intermittente ;
ne pas avoir réalisé de dépistage de lhépatite C ;
sortir le soir par habitude ;
avoir pour motivation de sorties la consommation dalcool et de drogues ;
faire usage de la kétamine, et (ou) de benzodiazépines ;
consommer au moins cinq verres dalcool à chaque épisode ;
avoir expérimenté au cours de la vie du poppers, de lhéroïne et du LSD.
Lactivité professionnelle et le dépistage de lhépatite C constituent les seuls facteurs de protection en terme de partage de paille.
Concernant les pratiques dinjections, elles apparaissent faibles dans le groupe alternatif contrairement à ce que les interviewés de mon enquête ont pu déclarer et ceux qui les utilisent, déclarent ne jamais échanger leur matériel.
Concernant les tests du sida et de lhépatite C, 67,4% des personnes du groupe alternatif déclarent avoir réalisé un test VIH, et 52,7% pour le VHC. Pour ce qui est des sérologies positives connues 0,4% de ce groupe indiquent être séropositifs au VIH et 4,5% au VHC. En comparaison des trois autres groupes daffinités de lenquête, le taux de testing est dans la moyenne des autres groupes et celui des séropositivités au VIH est le plus bas contrairement à celui du VHC qui se classe en tête.
Le groupe alternatif présente encore une prévalence plus importante que les autres en termes de conduites de véhicules sous psychotropes et surtout sous cannabis / alcool.
Si ce type denquête épidémiologique permet davoir une photographie des pratiques des acteurs, elles noffriraient non seulement pas dinterprétations suffisantes permettant de comprendre pourquoi en dépit dune large prévention, les pratiques à risque continuent à se perpétuer chez certains individus, mais encore elles ne proposeraient pas de définition claire et circonscrite des conduites à risques.
1. 3. Lutilité dune approche socio-anthropologique des conduites à risque autour du rapport au corps et à la mort.
1. 3. 1. Le problème des conceptions quantitativistes, épidémiologiques et psychanalytiques des conduites à risque.
Le champ des conduites à risque est souvent investi par des approches psychanalytiques utilisant une méthodologie clinique et des démarches épidémiologiques privilégiant des outils quantitatifs. Or, ces démarches, bien quayant permis de révéler cette problématique, ne pourraient rendre compte de limplication sociale de sa construction et véhiculeraient une conception pathologique de ces comportements qui proviendraient dune genèse individuelle (construction de la personnalité ou dispositions génétiques, biologiques). Elles posent alors des soucis épistémologiques quant au positionnement du chercheur et au statut du preneur de risque essentiellement agent de facteurs déterminés ou inconscients.
Si la définition et les explications psychanalytiques des conduites à risque prennent en compte la souffrance de lindividu et les mécanismes internes de ces conduites, dans un même mouvement, cette approche catégoriserait à mon sens les populations ayant recours aux pratiques à risque, voire les stigmatiserait. En effet au terme de leurs analyses, les conduites à risque seraient liées à une configuration relationnelle parentale type : la mère fusionnelle et le père absent (physiquement et ou symboliquement), engendrant un problème didentité, une difficulté dautonomie. Cette forme conceptuelle semble critiquable tout dabord du fait même quelle introduit lidée sous-jacente dune structure de personnalité type déterminée (puisque issue de la période de construction de la fonction paternelle et maternelle déterminant la structure de personnalité névrotique, psychotique, état limite, perverse), pathologique des individus concernés. En ce sens il y aurait un mode de fonctionnement psychique dont découleraient les comportements à risque.
Puis annonçant que les preneurs de risque souffriraient dun manque dautonomie, ces théories ne considèreraient pas la racine étymologique du mot « autonomie » signifiant qui se régit par ses propres lois et vient de auto : par soi-même et nomos : la loi. Elles nidentifieraient dans cette problématique de lautonomie que la difficulté pour le sujet à se déprendre dune relation maternelle envahissante et menaçante, lempêchant de sinscrire normativement dans le social. Pourtant, les conduites à risque feraient tiers grâce à un bricolage psychique et offriraient lopportunité par conséquent de se libérer de cette emprise afin daspirer à un autre mode relationnel. Le preneur de risque se soumettrait alors à ses lois et non à celles de sa mère, il sinscrirait alors dans « son » social. De plus nest-ce pas le manque de conformisme aux lois sociales et lobéissance à ses propres normes que nous reprochons aux toxicomanes ? Certes certaines de ses lois sont issues de sa dépendance aux drogues et des aléas de leur commerce et de leur procuration, mais ny a-t-il pas un choix rationnel des personnes sy soumettant ? Et ne forment-elles pas leurs lois par conséquent (dans le sens dune construction collective de normes servant les intérêts rationnels des acteurs toxicomanes) ?
Le point de vue alors choisi dans cette analyse psychanalytique positionnerait le chercheur en tant quappartenant à une norme dominante, percevant les pratiques à risque comme déviantes et le toxicomane comme malade, adoptant un mode de vie anomique.
« Parmi les présupposés que le sociologue doit au fait quil est un sujet social, le plus fondamental est sans doute le présupposé de labsence de présupposés qui définit lethnocentrisme ; cest en effet lorsquil signore comme sujet cultivé dune culture particulière et quil ne subordonne pas toute sa pratique à une remise en question continue de cet enracinement, que le sociologue (
) est le plus vulnérable à lillusion de lévidence immédiate ou à la tentation duniversaliser inconsciemment une expérience singulière ».
Cest donc quand le chercheur ne tente pas didentifier ce qui dans son « éthos de classe » et sa culture professionnelle, a pu déterminer son regard et son analyse, quil risque de « réintroduire dans son rapport à lobjet scientifique les présupposés inconscients de son expérience première du social (
) » et de ses habitus secondaires liées par ailleurs aux champs qui linfluencent (comme lappartenance au champ psychanalytique, universitaire, psychiatrique
). Cest peut-être en ce sens mais aussi parce quils sont praticiens soumis à chercher une manière de réhabiliter les preneurs de risque que les auteurs ne sont pas questionnés sur le sens, le rôle, le statut quoctroient les toxicomanes à leurs pratiques et à leur mode de vie. Il en découle donc que ces théories ne peuvent répondre aux interogations quant aux sens des conduites à risque du point de vue de lacteur ni à leurs implications sociales.
Quils soient états des approches de D. Le Breton ou de Y.Assedo et M. Valleur, A. Charles-Nicolas, la prise de risque est considérée comme transgression de la « Limite » (la mort) car partant dune vision normative ; et non comme composante dune subculture forgée par interactions entre le groupe errant et le groupe dominant. Cest donc une analyse unilatérale et non interactionnelle que ces auteurs proposent. Or, ils en oublient que pour les individus risqueurs la représentation de la mort na peut-être pas le même sens. La mort physique est-elle symbole de limite, dinterdit pour eux?
De plus, la mise en scène dun corps souffrant au vu de tous nest pas interrogée, D. Le Breton (2002) avance même que les preneurs de risque y seraient indifférents. Pourquoi alors se font-ils soigner, adoptent-ils une apparence particulière (piercing, coiffure et vêtements), montrent-ils leurs plaies entre eux ?
Concernant les recherches basées sur le paradigme épidémiologique, P. Peretti-Watel souligne lefficacité avec laquelle elles auraient conduit à définir comme conduites à risque et facteurs de risques une multitude dattitudes et de comportements en perpétuelle extension depuis quelques années. Trouver une définition circonscrite relève du miracle !
Cette approche multifactorielle du lien causal centrée sur lindividu entreprendrait détablir la toile des causes des comportements à risque afin de les éradiquer. Le but ne serait pas de comprendre mais dagir dans une visée prescriptive de prévention sans avoir auparavant réaliser de description, dinterprétation du phénomène, en suivant le concept de black box epidémiology. Partant de la vision dun homme déterminé socialement et génétiquement (pour certains théoriciens), elle biologiserait le social à travers lutilisation de la notion d« embodiement » (en sappuyant et en détournant le concept Bourdieusien dhabitus, elle avance que les inégalités sociales et sanitaires seraient incorporées dans notre patrimoine biologique, permettant leur reproduction) et en traitant des données, telles les classes sociales, comme des variantes biologiques sans tenir compte de leur construction sociale. Les interactions entre individus, la construction de normes collectives seraient traitées comme des contaminations. Les dernières études continueraient à durcir ces théories traitant les comportements humains dans une conception génétique, essentiellement pharmacologique. Lhistoire individuelle, sa culture, son environnement ne seraient pas pris en compte.
De plus, du point de vue de la validité des résultats certaines critiques sont émises. En effet, nombre denquêtes se baseraient essentiellement sur des rapports statistiques sans déceler les liens unissant facteurs et conduites ou maladie. Une relation statistique observée entre deux variables serait considérée comme causale, si elle existe encore après avoir contrôlé linfluence dautres variables, et si la relation est de type dose effet. Mais la causalité ne serait pas établie par le sens du lien entre les variables mais juste par son existence. La cause est donc traitée comme une dépendance conduisant à des résultats tautologiques. Les comportements définis comme conduites à risque se multiplieraient donc, incluant des manifestations appartenant à des champs très différents mais aussi des conduites, des événements qui étaient considérés auparavant comme des facteurs (désinvestissement scolaire, trouble du sommeil, morosité, non-port du casque à vélo, pensées suicidaires
). Le modèle multifactoriel deviendrait alors circulaire et produirait un nombre exponentiel de conduites à risque qui généraient un déficit de synthèse et un problème méthodologique. Cette méthodologie essaierait donc dexpliquer les conduites à risque par le goût du risque, tout en questionnant les individus sur leurs conduites périlleuses pour établir leur penchant pour le danger.
Cette prolifération des conduites catégorisées comme à risque poserait un problème de confusion conceptuelle qui se traduit par « une porosité des équations ». Ceci signifierait que les conduites et les facteurs ne seraient pas toujours distincts. Cette augmentation induirait aussi une multiplication des controverses donc un manque de clarté de la notion, et engendrerait un émiettement des savoirs scientifiques. Ne pouvant clore le nombre de facteurs de risque, les statistiques contradictoires sentrechoqueraient sans explication, ne permettant pas de conclusion scientifique solide.
Dautre part, la transposition dune méthodologie utilisée, à la base pour des maladies biologiques, aux conduites à risque suscite des réserves éthiques. Doit-on traquer toutes les conduites dites à risque en attendant le traitement contre le gène responsable ? Pour lauteur, la construction contemporaine des conduites à risque remémore les conceptions hygiénistes du sanitaire et du social revendiquant « lhygiénisation des manières dêtre et de penser. ».
Peut-on alors interdire à autrui certains comportements, certaines façons de vivre ? Où sarrête la liberté à disposer de son propre corps ? Cette toute puissance scientifique, que retranscrit la volonté épidémiologique déradiquer les conduites à risque, ne renvoie-t-elle pas à une volonté sociétale de vouloir gérer la mort de ses membres en déterminant ce quest une bonne mort et une mauvaise mort ?
Cest justement par une description historique des rapports au corps et à la mort que nous pourrons peut-être comprendre limpact quont les normes actuelles sur les conduites à risque.
1. 3. 2. Le corps et ses représentations ou la mise en lumière de normes.
1. 3. 2. 1. Lutilité du corps comme indicateur des interactions sociales.
Pourquoi prendre le pari que linterrogation sur le corps pourrait permettre de mieux comprendre les conduites à risque ? Est-ce un moyen communicationnel qui véhicule par les pratiques individuelles, collectives un sens, des valeurs, des normes sociales ? Cest que ce dernier comme lexplique Wallon aurait une fonction tonique, primitive et essentielle de communication, déchange avant tout verbal. Le corps de lenfant par ses manifestations émotionnelles établit avec son entourage « un dialogue tonique ». Il est dabord vécu comme un corps en relationpar lintermédiaire du corps dautrui dans la mesure où son propre corps se projette dans celui de lautre. Ainsi, lenfant va lassimiler dans un premier temps par le jeu du dialogue tonique. Chaque émotion, en s'exprimant, sobjective pour sa conscience. Il la vit comme auteur et spectateur en sidentifiant par la conscience de lautre, lui-même spectateur réel ou imaginaire. La genèse de cette lucidité corporelle pour lhomme commence par le reflet que lui renvoie lautre tel un miroir. « Cest seulement quand lhomme réussit à acquérir envers lAutre une attitude similaire à celle quil a vis-à-vis de lui-même, quil prend conscience de son état dhomme. ». Pour Merleau-Ponty, les habitudes corporelles répondent à des projets de lindividu sur le monde qui lentoure en vue dune adaptation à son milieu. On peut alors sinterroger sur lutilisation que les errants font de leur corps et à quelles fins ? Si « le corps est le véhicule de lêtre au monde », il permet une lecture des interactions, de la manière dont ces personnes sinscrivent, se montrent dans notre société. Merleau-Ponty avance que « (
) le corps est éminemment un espace expressif », un objet utilisant ses propres parties comme symbolique générale du monde et grâce auquel nous sommes en relation avec lui, nous le comprenons et nous lui trouvons une signification. Il ny a donc pas de limite entre le corps et le monde, ils sentrecroisent, sinteragissent.
De plus, M. Mauss souligne que le corps « est un fait social total ». Cest une interface qui agit sur lenvironnement qui lui-même le modifie en retour. Pour Bateson et Mead, il jouerait un rôle dans le processus de socialisation par lequel le groupe façonne lindividu à son image. La culture sincorporerait donc en partie par son biais. Si le corps est un outil dintégration à la collectivité, il devient en effet important de sattarder sur son usage auprès dun public qualifié par le sens commun de désinséré. Ainsi, si lon suit cette logique les errants ne devraient pas avoir une image de celui-ci en adéquation avec celle que la société requière.
Du point de vue interactionniste, choisi pour ce travail, lindividu et la société étant interdépendants, laction corporelle est toujours une interaction. Les acteurs sociaux agissent sur leur corps suivant le sens quils lui octroient. Ce sens dérive et se forme dans les interactions sociales, les échanges interindividuels. Il « (
) réside aussi dans le rapport que les acteurs entretiennent à leur position dans lespace social ainsi quà limpact du contexte normatif ». Le sens est donc lié à linterprétation de chacun dans un contexte particulier quil convient de définir pour mieux saisir si les interprétations des errants ont des similarités avec celles du groupe dominant représentant la norme. Cest en ces termes quune rétrospective historique sur les modifications des représentations et leurs états des lieux actuels me paraissent indispensables afin détablir les normes actuelles du rapport au corps.
Pour A. Meidani, les magazines prescrivent des devoirs être en matière dapparence pouvant être analysés comme des entrepreneurs de morale. Ils créent des normes et des valeurs ayant pour effet de délimiter un espace normatif dans lequel les individus sont contraints de sinscrire au risque de se voir étiqueté déviant sils ny adhèrent pas. Cette inscription déviante ne peut-elle pas être une stratégie rationnelle pour certaines personnes que lon pourrait analyser grâce au concept de carrière de H.S Becker ?
Dans tous les cas, les médias par leurs injonctions de maitrise du corps visent à faire valoir un arbitraire légitime comme un allant de soi engendrant une violence symbolique. Ce qui est hors norme en terme corporel est perçu comme un manque de volonté, une faute dont le seul responsable est lindividu lui-même. « La malléabilité physique se confond avec la libération du sujet et devient lemblème du contrôle de sa destinée. ».
Mais avant de nous attacher à décrire les relations quentretiennent les errants avec leurs corps qui seront abordées dans le troisième chapitre, attardons nous dabord à la genèse de nos représentations actuelles.
1. 3. 2. 2. Lhistorique des représentations du corps.
1. 3. 2. 2. 1. De lAntiquité au XIXéme siècle.
Si le corps est un moyen de communication entre les hommes, il est aussi important de noter quil a toujours participé à la vie sociale de nos sociétés, reflétant des modes de pensées, des pratiques propres à une temporalité, des contextes économiques, politiques, religieux et organisationnels. En effet, le corps peut aussi devenir instrument de pouvoir politique, de domination sociale, sexuelle. En ces termes, il incarne aussi les règles sociales propres à une communauté. Cest pourquoi, faire la genèse de notre conception actuelle du corps dun point de vue historique pourra peut-être nous lancer sur la voie dune plus grande compréhension de ce qui se joue en termes de corporéité actuellement, et plus précisément détudier lécart, les similitudes entre ces évolutions historiques et les pratiques du corps des toxicomanes sans domicile.
Il est intéressant de noter quà lâge archaïque Grec, lâme et le corps nétaient pas séparés et celui-ci recouvrait aussi bien des réalités organiques, des forces vitales, lactivité psychique que les influx divins. Il nétait pas quun simple support organique à lindividu. De ce fait, « Le moi intérieur n(était) rien dautre que le moi organique » et incarnait aussi les relations au divin. Les hommes avaient un corps marqué par lincomplétude par son caractère éphémère. Sa force physique et psychique ne demeurait dans un état de plénitude quun moment et il fonctionnait par phases de dépenses et de récupérations. Ces forces sépuisaient alors dès qu'elles étaient exercées, contrairement au corps des dieux : immuables, éternels. Lhomme considérait alors son corps comme un sous-corps en comparaison avec celui des dieux représentés comme un sur-corps. Ce corps mortel, pouvait, par ailleurs, se repaître uniquement de nourritures périssables alors que les dieux navaient pas la nécessité de salimenter, hormis pour leur plaisir à partir daliments dimmortalité. Même si le corps de lhomme pouvait renvoyer au divin par lexploit du héros bénéficiant temporellement dun rejaillissement de la splendeur divine, les dieux étaient seuls à incarner une corporéité à létat pur sans restriction que lhomme ne pouvait acquérir intégralement et indéfiniment.
Le modèle idéalisé du corps découlait donc de la représentation que les Grecs avaient de celui des dieux corps jeune, beau, vigoureux, symbole de gloire. À la beauté sassociait la supériorité morale. Le corps était donc porteur du statut social et personnel, mais aussi agi par des pulsions insufflées par les dieux. Tant que lhomme vivait, le corps était pluriel se reflétant dans la variété de vocabulaires traduisant le mot corps et ses différentes parties (sòma, démas, démò, khròs, guîa, mélea, kàra, pròsòpon,
) avec la mort, il acquérait une unité formelle. Ce corps était animé par des puissances divines qui le pénétraient. Il se voyait étendu jusque dans ses attributs extérieurs, tels les vêtements, larmure pour les guerriers en tant que prolongements corporels. Cette apparence, racontait la valeur, les exploits, la carrière du guerrier.
« (
) Lardeur vitale, (
) la fortitude, (
) le pouvoir de domination, (
) la crainte (
), lélan du désir (
), la fureur guerrière, (étaient) localisés dans le corps, liés à ce corps quils investiss(ai)ent, mais en tant que « puissances », ils débord(ai)ent et dépass(ai)ent toute enveloppe charnelle singulière : ils (pouvaient) le déserter comme ils l(avaient) envahie. ».
De sujet et support, il se transmutait lors de la mort, en objet de contemplation puis de soins pour autrui, de déplorations et enfin de rites funéraires.
Les dieux avaient également la particularité de pouvoir rendre ce corps imperceptible, définissant par conséquent le corps humain par sa visibilité. Pour se présenter physiquement les dieux utilisaient la forme dun corps qui nétait pas forcément le leur. J. P. Vernant se demande alors si lindividu actuel occidental en perte de croyance religieuse ne chercherait pas à devenir un dieu désirant un corps qui nest pas le sien.
Le visage quant à lui, à cette époque, occupait la fonction de miroir de ce que valait lindividu ; et le corps, lui donnait alors une place dans la société. Lhomme en mourant perdait la face, ce qui explique que les dieux concevaient la monstration faciale comme un acquiescement à cette même défiguration. Lidentité individuelle à cette époque relevait du nom en tant que marque sociale, et du corps en tant que identité plus singulière. Le corps divin néchappait pas à cette individualisation et donnait loccasion à chacun de revendiquer ses particularités de personnalité.
Par la suite, dans le milieu des sectes, dont Platon reprit certains préceptes, lâme gagna un statut dimmortalité. Lindividu était donc tenu de la purifier et de lisoler du corps « (
) dont le rôle se cantonnait alors à celui de réceptacle ou de tombeau. ». Ce fut lavènement dun traitement dualiste de lâme et du corps. Le corps était un objet conduisant à lerreur, du fait de nos perceptions, empêchant la quête de la vérité par la création dillusions sur ce que nous croyions comprendre du monde. Cétait par sa maîtrise et un travail dascèse que lon pouvait révéler une beauté menant à lidée du beau, le vrai et le bon. Par cette mutation de la conception âme / corps et le développement dune littérature et dune pratique médicale, les Grecs ont induit une objectivation du corps, conduisant à une vision positive, matérielle permettant sa constitution en objet scientifique pour les champs de la physiologie et de lanatomie. Malgré cela, Aristote revendiqua linterdépendance corps / âme et fonda la physiognomie qui était lart de juger les individus daprès leur aspect physique en se basant sur la médecine humorale.
Au Moyen Age, cette conception dualiste continua de saffirmer à travers la pensée chrétienne, voyant dans la rédemption de lâme lindispensable travail dascèse, le détachement du corps. La réalité du corps était entachée par la maladie, la mort la sexualité et devenait synonyme de péché. Dun point de vue médical, lorganisme était constitué dhumeurs (tout comme dans la médecine Grecque) ce qui généra dans ses pratiques dentretien la recherche déquilibre, équivalant à une bonne santé. Les aliments étaient choisis dans une visée compensatoire des défauts et excès de ces humeurs. Ce corps poreux dominés par des contagions exogénes environnementales ou humainement voulues, était soumis aux contacts bénéfiques de bijoux de santé (bracelets, pierres précieuses
) pour le préserver mais aussi à ceux dangereux de lair et de leau dont ils fallaient se protéger. Du fait quils risquaient dinfiltrer les organes, les pratiques du bain et des activités physiques se trouvaient proscrites. Il sagissait dun élément passif entretenu par ajout, contact, épurement, qui revêtait limage dun corps alambic. Le savoir médical essentiellement livresque et scholastique, car non-fondé sur la dissection, sexpliquait par la perception sacralisée du corps comme étant un tout qui ne pouvait pas être découpé. Il fallut attendre le XIVe siècle pour que sopèrent les premières dissections de cadavres qui ne furent réalisées que sur des condamnés à mort ou des dépouilles hospitalisés. Quil sagisse des saignées du barbier ou dactes de chirurgie, ces actions étaient dépréciées car transgressant un tabou le versement du sang étant lié à la croyance du Christ.
Au XVIIe, Descartes poursuivit dans la voix du dualisme. Seuls le doute et la raison conduisaient à la connaissance en évacuant le corps, source derreur. Lesprit était établi comme sujet et le corps comme objet mécanique, automate. Par lesprit, la différenciation de lhomme et de lanimal était possible. Sa vision de lanimal machine conduisit la médecine moderne à construire lorganisme. Le corps de lhomme fonctionnant alors comme ceux des autres êtres vivants, on allait pouvoir lisoler pour établir des connaissances biologiques.
Au XVIIIe, le modèle du corps mécanique se systématisa avec une remise en cause du dualisme cartésien. Le principe moteur du corps était la fibre. Pour Spinoza, en effet, la pensée était la propriété de la matière organisée du corps. Lâme nexistait pas, le cerveau servait de ressort principal à cette machine. Cest à la même époque, par linoculation de la variole, que lon a pu considérer le corps comme contenant de façon interne des protections. On abandonna alors peu à peu lidée dun corps passif. Lhomme, constitué de fibres, était soumis à des expériences délectrisation et à des techniques daffermissement. La saignée, les purges furent par ce fait abandonnées, remplacées par des techniques dendurcissement par le froid, des promenades de santé. Laération était lune des consignes sanitaires, due à la découverte de loxygène (de Lavoisier). Mais malgré tout, lhygiène corporelle nétait pas prioritaire, la toilette par le bain ne se faisant quune fois par mois. Et même si les idées de « (
) propreté et de (
) blancheur (étaient) des idéaux de la beauté aristocratique et (étaient) associées aux valeurs morales de pureté et dhonnêteté », la méfiance à légard de leau et la pudeur empêchèrent une évolution de la salubrité.
Cette vision mécanique se modifia au XIXe par linfluence de lavènement de la société industrielle. Le corps représenté comme moteur à combustion contenant de lénergie était une sorte de machine à vapeur. Les activités physiques furent alors mises à lhonneur car concourant à la combustion calorifique. De même, on comptabilisait aussi les calories détenues par les aliments. Avec Pasteur, lhygiène se développa pour faire rempart aux invasions microbiennes. Auparavant, il nétait principalement question de propreté quen terme déradication des odeurs ; cette époque permit à lhygiène de réellement prendre place en se dégageant de sa conception olfactive des maladies. La physiognomie rejaillit à cette période en accord avec le raisonnement naturaliste et anthropométrique. Les types physiques correspondaient à des types moraux et lon pensait pouvoir classer les caractères sociaux en fonction de leur moralité, de leurs murs qui façonnaient leurs physiques. À lheure actuelle, ce modèle persiste en partie en morphopsychologie, en sociobiologie mais aussi chez certains criminologues.
1. 3. 2. 2. 2. Le corps au XX et XXIe siècle.
Le XXe siècle a inventé théoriquement le corps grâce aux études psychanalytiques des troubles hystériques de lhôpital de la Salpetrière. En recherchant les causes, les psychanalystes ont pu mettre en lumière la part importante que joue la parole de linconscient à travers le corps. Les travaux de M. Mauss et de P.Bourdieu ont permis déclairer les formes sociales, institutionnelles qui assujettissent le corps à certaines pratiques, postures à travers le concept dhabitus, dhexis plus précisément. Dans tous les cas, cest le corps animé, le corps chair qui questionne en tant quagent social. Pour M. Foucault, cest sur lui que sexerce le pouvoir. En effet, ce siècle est celui de la dépossession individuelle du corps et de sa réappropriation individuelle comme en témoigne le champ médical.
Chacun, dorénavant, est soumis à la contrainte d'endosser un rôle supplémentaire : celui dêtre son propre médecin, après avoir été sous lemprise de linstitution sanitaire toute puissante légitimée par la commande étatique. Limagerie médicale a permis au corps de devenir transparent pour le sujet, accessible, induisant lillusion dune toute puissance de son contrôle. On ne se soucie plus des maladies mais de sa santé, tenue dêtre débordante, idéale. Elle devient un véritable enjeu social. Toute personne bien portante est un malade qui signore car le corps porte en son sein sa propre mort. La médecine devient donc préventive et suspecte les troubles secrets qui se révéleront tôt ou tard. « (
) LEtat occidental a instauré un ordre des corps dont il comptabilise les énergies et les compétences, il entend optimiser leur fonctionnement » à travers une médecine prédictive déléguant à chacun la responsabilité de sa santé en réduisant les risques qui la menace. Tout bon citoyen doit alors réformer ses pratiques à partir de ce que lui indique la science.
La médecine véhicule aussi la représentation dun corps marchandise, « (
) objet, en voie daccomplissement, voué au processus de perfectionnement. », suivant la croyance que sa libération tient aux évolutions scientifiques. Il est étonnant de noter que si la notion de progrès fut mise en doute après la seconde guerre mondiale, elle reste fort présente dans notre idée du corporel. En effet, nous désirons à tout prix croire à notre capacité intellectuelle et technique darriver un jour à débarrasser notre corps de toute défectuosité. Les sciences médicales concourent aussi à alimenter les fantasmes damélioration de lespèce par la technoscience. Elles ne se limitent pas au contrôle de la procréation dans toutes ses dimensions (contraceptions, procréations artificielles
), mais aussi aux modalités légitimes de la mort, « pour arriver jusquà la gestion de léconomie marchande du corps avec ses circuits de collectes et de distributions dorganes, de sang, circuits plus ou moins institutionnalisés. ». Le corps se transforme un objet technologique intégral. En désirant à tout prix le perfectionner, le remodeler, voire le supprimer, il devient une entité excédentaire quil faut maîtriser pour atteindre lhomme légendaire. Les nouveaux modes de communication comme Internet permettent de mettre en lumière cette nouvelle approche du corps dont on cherche sur le plan charnel à se défaire. Dans les rencontres virtuelles, les sujets se trouvent libérés dun corps trop pesant, car trop imparfait dans sa réalité organique, laissant place à un idéal corporel fantasmé.
Ce corps marchandise, pièces détachées, se voit relayé par une autre représentation que divulgue le sport : celle dun corps machine. Il se doit de cumuler performance, rentabilité, rapidité, compétitivité et contrôle, entrant en écho avec les conceptions capitalistes de notre société occidentale. Les pratiques sportives se calquent alors sur les dictâtes économiques, les formes de travail capitalistes et libérales et vise la perfection corporelle. Après la première guerre mondiale, le modèle corporel est au tonique et à la minceur pour se caler sur les rythmes industriels liés à la parcellarisation du travail. Le muscle, le hâle deviennent des attributs positifs et ne définissent plus le travail au champ, la paysannerie ; mais le symbole du temps libre. Le corps doit alors suggérer le plein air, la santé, lhygiène. Entre 1920 et 1930, lindividu revendique sa volonté dêtre maître de lui-même, en exerçant son pouvoir de sculpteur sur son organisme, avec pour priorité sa musculature. Le fascisme montant (Italie, Allemagne), l'éducation physique recouvre un sens plus hygiéniste pour la bonne santé de la race, avec en arrière plan lidée de volonté, de force de caractère indispensable à lobtention dun beau corps. Les thèmes centraux sur la corporéité rejoignent ceux du guerrier : puissance, courage et rigueur.
Après la seconde guerre mondiale, les pratiques sportives se développent suivant la courbe du progrès économique, mettant à lhonneur la société de consommation. Initialement pratique bourgeoise, le sport évolue en tant que technique éducative pour la jeunesse et va sétendre aux classes sociales ouvrières. À cette époque, les croyances en une possible ascension sociale et au progrès sont fort vivaces. Les années 60 signent la popularité du sport dans sa pratique, avec pour modèle la compétition donnant accès par le mérite au sommet de la pyramide des hiérarchies sociales. Le corps est alors technicisé, influencé par les modèles de la société industrielle. 1968 proclame la remise en cause de ce modèle compétitif, symbole de la classe dominante. 1970 induira dans cette logique de contestation un nouveau mode de rapport au sport encré sur la culture de lécoute du corps. Dans ce contexte, le vieillissement synonyme de conservatisme devient une motivation première à lentretien corporel.
Dans la pratique sportive, lidée dune maîtrise accrue, dune connaissance intériorisée de soi deviennent prépondérantes. Lentraînement physique, le développement de soi est gouverné par limage dun corps devenu un enjeu identitaire. Ce que je suis est ce que je donne à voir. Lentraînement par ailleurs se technicise de plus en plus, avec une vision mécanique du mouvement sous des formes rigoureuses et ordonnées. Derrière la pratique physique, il y a la promesse dun impact psychologique. « Un esprit sain dans un corps sain ». Au fur et à mesure du temps, les exigences en termes dentraînement ne vont cesser de saccroître pour atteindre des résultats sportifs impossibles normalement (les records de lancé de javelot devenant trop importants, par rapport à la place octroyée sur le terrain, il a fallu les alourdir).
Aujourdhui, avec la pratique des sports extrêmes, se sont linformation et le contrôle sensoriel qui sont plébiscités. Lindividu doit sautosurveilller sensoriellement, trouver ou retrouver ses perceptions comme si le corps était devenu un système dalerte. Le travail sur soi est avant tout mental. G. Vigarello avance que « Ce nouvel âge du sensible nest autre quun nouvel âge de lindividu » qui cherche clairement à lire en lui-même par lécoute des signes sensibles. Avec les théories psychologiques de somatisation, le corps devient révélateur de blessures, de difficultés intérieures inconscientes doù le succès de certaines thérapies ou activités physiques tenues de libérer les affects grâce à lexpression physique. La confiance en soi que permettait de développer le sport est remplacée par lépanouissement de soi. La remise en forme consiste non plus en une maîtrise visant la performance mais un accomplissement individuel grâce à des pratiques autodéterminées. Le corps est alors un partenaire que lon écoute mais aussi un objet sur lequel on agit, et lon estime avoir le droit de le manipuler selon son propre désir sans que quiconque ne puisse intervenir. Cela traduirait alors « un mouvement démancipation de la sphère privée ».
1980, lannée du muscle ! La présence de médecins s'accroît dans les centres de remise en forme et légitime scientifiquement les activités par des conseils à respecter. Les champs médical et sportif se mélangent.
Mais si le corps se plie aux commandes sociétales, 1968 dévoile sa fonction dopposition. Le corps joue un rôle de contestation dans un mouvement individualiste, égalitariste contre le passéisme culturel, social et politique. Grâce à la libération des murs, des mouvements féministes, il se dégage des carcans du passé, assume ses plaisirs et désirs. Malgré tout, bien que cette culture féministe conteste le devoir dêtre belle comme relevant dun asservissement à un modèle patriarcal, et son abord consumériste définissant le corps comme produit commercialla beauté plastique reste liée à la féminité et les pratiques de perfectionnement corporel continuent de sétendre.
La beauté est abordée en 1960 comme une domination de son corps et non plus comme une contrainte. Le pouvoir coercitif explicite exercé sur le corps laisse place à une obligation beaucoup plus implicite et ô combien plus efficace. La vision chrétienne dualiste qui opposait le corps et lâme glisse vers une nouvelle dichotomie corps / esprit, traduisant la dualité nature / culture. On cherche à tout prix à vaincre la part danimalité qui reste en nous par le contrôle des odeurs entre autres. La désodorisation du corps tend vers labsolu.
Les critères du beau et du sain vont évoluer. Entre autres, le recul du tout maquillage en cosmétique, perçu comme inauthentique fait place à la purification, la revitalisation et la protection. Lennemi premier est la ride que lon cherche à évincer ou à prévenir par des techniques aussi bien chirurgicales que dermatologiques dans une tentative datténuation de tout signe extérieur de décrépitude corporelle. La métaphore de la santé est souvent employée pour évoquer les produits cosmétiques propres à la peau et aux cheveux. Beauté et santé se confondent et la première aurait le pouvoir de révéler un physique et un psychique en bonne santé. Le corps est un élément à éliminer ou à modifier. Le visage nest plus le lieu de lidentité et de la spécificité de chacun mais un pur décor. Ces chairs sont alors vidées de toutes leurs symboliques, de leur valeur propre. Une des raisons de lengouement pour la chirurgie esthétique se trouverait dans le plébiscite fait au dénudement, induit par le recul de la pudeur et la libération sexuelle des années 70. Les interventions les plus communes sont tournées par ailleurs vers les attributs sexuels et la lutte contre le vieillissement.
Plusieurs canons de beauté, différents selon les genres, se juxtaposent actuellement :
« la beauté tonique de la femme daffaire » , obsédée par la graisse, mixant des aliments naturels, voire biologiques aux aliments technologiques (substitut de repas
), pratiquant le fitness pour améliorer, perfectionner sa tonicité.
« la beauté diaphane » incarnation du cadavre romantique, revêtant un maquillage sophistiqué, extravagant, les joues creusées par les restrictions alimentaires. Cest « la belle malsaine » qui conjugue le désir et la morbidité incarnée par nombre de mannequins et rappelant étrangement certaines représentations Grecque de la mort telles que la Sphinge. Le sport ne fait pas partie de ses préoccupations car ramenant le corps à sa matérialité. Le look est tout sauf fonctionnel, il se confond avec la futilité et se caractérise par son aspect « fashion victims », soumis aux dictâtes des carnets de tendances.
« La beauté érotisée » de la femme pulpeuse, dont le maquillage est plus soutenu véhicule limage dune sexualité libérée pourtant répondant au désir masculin. Si lapparence est objet dune attention toute particulière, elle ne pratique pas de sport et ne surveille pas son alimentation. Cest lincarnation de la femme fatale.
La beauté masculine se réfère elle, à la performance, aux muscles et à leur rentabilité, à la puissance avec un désir de perfection et dautocontrôle. Lalimentation est examinée mais dans un rapport sanitaire, bien que la minceur commence à percer le monde masculin. Le repas est toujours source de plaisir, mais ne doit pas mettre en danger les objectifs médicaux. Le sport est considéré comme une ascèse, une souffrance. Il se pratique plutôt en extérieur, en équipe, et vise à produire des sensations fortes, « à exprimer laudace, lesprit de liberté, ténacité (
) ». Cest une métaphore de la conquête professionnelle.
Le modèle du « Terminator » de certains hommes suggère un corps imberbe, brillant, lisse, dessiné par une série de veines encadrant la musculature. Les membres sont figés dans des positions reflétant une situation de sublimation (comme les statuts néoclassiques du fascisme italien postées autour des stades). Les visages sont interchangeables, lexcellence physique se mesure à la beauté plastique.
La préoccupation de la diététique tend chez certains à provoquer de lanxiété et à devenir obsessionnelle. Le savoir nutritionnel, au croisement du scientifique et de la croyance, obtient un véritable succès dans une société où lobésité est en perpétuelle progression. En effet, dans les sociétés où la famine nexiste plus, la distinction au sens Bourdieusien se fait par la minceur caractérisant les classes supérieures.
Le modèle de lextrême minceur est soutenu par la médecine mais induit une auto-surveillance et une auto-médication. Le corps est toujours le lieu dune discipline non plus exogène sous sa forme explicite mais endogène. « Le modelage du corps non seulement est de plus en plus présent, mais devient lexpression et la preuve, parfois aussi la mesure même, de sa dignité ».
Avec le changement de morale, les valeurs qui ordonnaient un maintien corporel empreint de raideur, un regard timide, une lenteur dans le déplacement, et la distance avec le corps dautrui, se sont inversées. La souplesse devient une qualité positive centrale qualifiant aussi bien, lintellect, léconomique que le corporel, de même que le regard devient franc et direct, indiquant une force de caractère, la stabilité. Quant à la marche, elle se fait de plus en plus rapide. Le corps semblable à un bolide na de cesse de compenser les distances toujours grandissantes entre domicile et lieu de travail et se trouve contaminé par la rapidité des véhicules. Jusquoù alors va-t-on pousser ce corps, le modifier ? Dans cet acharnement de transformations pour tendre vers un corps idéalisé, on peut se demander si la finalité ne serait pas au contraire de se débarrasser de ce fardeau si encombrant, véhiculant une image qui ne nous définit pas réellement ; de le tuer, pour enfin être ce que nous sommes.
1. 3. 3. La mort : cette grande question.
1. 3. 3. 1. La mort ou une préoccupation fondamentale et commune à toute civilisation.
On se questionnera sur lutilité daborder la représentation de la mort afin de mieux comprendre les pratiques à risque. Au risque de faire des constatations quelques peu allant de soi ; la mise en péril recèle par essence la possibilité de mourir et la conscience de cette probabilité. Alors pourquoi chez des êtres qui ne désirent pas en finir comme le révèlent toutes les théories sur lordalie, courir cette menace ? Cest peut-être quen son sein réside un sens tout particulier pour cette population, expliquant ces pratiques et leurs utilités sociales. Mais cest aussi peut être par la grande importance que lhomme lui a toujours accordé, « La connaissance de la mort, que lhomme est le seul être à posséder, a suscité depuis la préhistoire, des représentations et des pratiques dune étonnante diversité. La mort est un fait social par excellence. ». Et, cest parce quelle est un construit social quil ne semble pas anodin justement, que les errants sy frottent, la jètent tel un seau deau aux yeux de tous à travers leurs pratiques. En outre, « (
) La mort reste lévénement universel et irrécusable par excellence : la seule chose dont nous soyons vraiment certains, bien que nous ignorions le jour et lheure, le pourquoi et le comment, est que lon doive mourir. ». Luniversalité du thème pose aussi question dans le fait que les risqueurs sy attaquent. Que cherchent-ils à produire en invoquant le thème de la mort à la fois commun à tous et empreint de social ?
Cest en sinterrogeant sur les différentes représentations au cours de lhistoire de ce signifiant majeur, en mesurant lécart entre celles des errants et celles de notre société actuelle, que nous pourrons peut-être comprendre lintérêt quils ont à linvoquer par leurs actes ?
1. 3. 3. 2. Les représentations de la mort dans lhistoire.
Deux thèses sopposent sur lévolution historique des représentations et surtout sur la gestion de la mort. Lune défendu par Norbert Elias, Philippe Ariès, et L.V Thomas évoquent une mutation allant de lacceptation à son déni actuel ; lautre portée par J.H Déchaux y voit une gestion différente dun refoulement qui a toujours été présent, au cours de lhistoire. Pour ce dernier, la peur de la mort est inhérente à la condition humaine, quelle que soit lépoque. Ce sont les formes dadministration du refoulement personnel et social qui divergent et se transforment.
Pour Nobert Elias, la mort est devenue le nouvel interdit, le tabou remplaçant celui du sexe lié à une évolution des civilisations. La violence devenant le monopole de lEtat, la pacification impose aux hommes des autocontraintes qui génèrent une censure de la mort. De là en découle labandon des rites funéraires, la proscription des démonstrations affectives. La mort devient une expérience solitaire due à une désocialisation, une individualisation de la civilisation, contenue dans « (
) un monde inhumain et aliénant qui crée la solitude et délaisse les questions ultimes qui donnent sens à la vie ». Cest dans ce contexte que les fantasmes dimmortalité se privatisent, et que le refoulement au fil du temps se voit intensifié. Pour Déchaux, ces concepts de dénis et de refoulement de la mort sont infalsifiables au sens Poppérien car relevant plus « (d) énoncé(s) métaphysique(s) ou idéologique(s) que d() explication(s) scientifique(s) ». Il sagit alors en terme de scientificité, de revenir plus précisément aux évolutions des modes de gestion et des processus de refoulement de la mort car aucune culture naccepte la mort, comme illustrée par J.P Vernant dans sa description des rites funéraires grecs neutralisant, voire datténuant la radicalité de la mort. Cest donc en se sens quune historicité pourrait éclairer la situation actuelle. Comment a évolué la façon de refouler et de dépasser la mort ?
Je ne remettrai pas en cause les thèses de N. Elias sur la privatisation et la désocialisation de la mort comme le fait J.H. Déchaux, en faisant jouer le concept de subjectivité qui pour lui se différencie des deux premiers par son caractère créateur dune nouvelle forme de lien social, fondé sur lintimité. En effet, il faudrait alors sattarder sur lévolution sociétale dun point de vue macro (ce que jexpliquais en guise dintroduction). Or, ce travail de Master 1, ne me le permet pas dun point de vue temporel. Jadopterai donc en en percevant les limites, la base du paradigme que soutient N. Elias sur lindividualisme et la désocialisation de la civilisation mais atténuerai les propos de celui-ci sur le déni actuel de la mort.
1. 3. 3. 2. 1. La Grèce archaïque : la belle mort ou loccasion dune immortalité sociale.
Pour les Grecs de la période archaïque, la mort nétait pas le terme de la vie, elle y était présente, tapie, siègeait dans le corps comme témoin de sa précarité.
Deux traitements différents de la mort se faisaient en Grèce : lun pour les citoyens ordinaires, lavés attivement, brûlés ensemble, de façon indifférenciée sombrant alors dans lanonymat de la nuit dHadès ; lautre pour les guerriers mettant en scène un corps, lors de son exposition, entouré de soins révélant sa beauté et soumis lui aussi à crémation mais de façon individualisée. Les anonymes, une fois la crémation terminée, étaient laissés sans un mot, les guerriers, quant à eux, morts au combat bénéficiaient de lamentations, de banquets. Pour ces derniers, quand le corps mourait, la stèle, les chants louangeurs, la parole poétique permettaient de se remémorer le nom, les exploits du guerrier aux générations à venir. Ils servaient de témoin permanent de lidentité de ces êtres, de substitut corporels exprimant la valeur de la vie de lindividu et immortalisant sa gloire. Cétait la culture seule qui avait le pouvoir de conférer le statut de « beau mort » et de permettre au héros de perdurer dans le temps la fin venue.
Autant le corps du héros était traité avec le plus grand soin dans le but de révéler sa beauté, sa jeunesse, autant le corps des ennemis était soumis à des procédures visant à le souiller, lenlaidir, loutrager afin de lui ôter toutes qualités, valeurs, esthétiques, morales et religieuses afin de le déshonorer. Les cadavres étaient abandonnés à la décomposition, lindividualité des corps ainsi détruite, ils se mutaient en une forme innommable. Nayant pas eu de rites funéraires, ils ne pouvaient être acceptés par la mort, se retrouvaient par voie de conséquence amputés de leurs statuts de défunt et privés de la mémoire des hommes.
Dans cette civilisation, où lindividu nexistait quen fonction de lautre, où la réputation revêtait une très grande importance, la vraie mort était celle de loubli, labsence de renom. « Exister, au contraire, cest (que lon soit mort ou vivant) se trouver reconnu, estimé, honoré ; cest surtout être glorifié (
) ». En ces termes, la gloire du héros aboutissait grâce à la mort, lui donnait accès à une imprégnation individualisée permanente et intemporelle dans un tout collectif. Les différentes figures légendaires constituaient ainsi la tradition qui se transmettait de génération en génération afin que ces dernières prissent place dans la culture, la vie sociale. La logique de lhonneur héroïque était celle du tout ou rien car « la prompte mort, quand elle est assumée, possède sa contrepartie : la gloire immortelle, celle que chante la geste héroïque ». Le héros était celui qui choisissait une vie brève et une gloire éternelle, incarnant lhonneur. La belle mort en Grèce était donc une fin glorieuse issue de la compétition au combat, dans laquelle laréte saccomplissait en pleine jeunesse, où la valeur, lexcellence de lindividu rejaillissaient et se sancraient éternellement.
Mais le désir dexploit héroïque nétait pas seulement affaire de reconnaissance sociale, il allait beaucoup plus loin sur un plan métaphysique. Il sagissait en effet, déchapper au vieillissement évoquant le déclin des forces et la décrépitude. La vieillesse synonyme dune vie rangée sopposait à la gloire ; elle illustrait la lente corruption du corps et de la vie menant au trépas. « Les valeurs à travers lesquelles la vie se manifest(ait) : vigueur, grâce, agilité (
) se flétriss(ai)ent bientôt et sévanouiss(ai)ent dans le néant ». Cétait bien à ça que le héros Grec tentait déchapper. En mourant au combat dans la fleur de lâge, il figeait sa jeunesse. En se confrontant à la mort et en en faisant son métier, sa destinée, le guerrier tentait de la dépasser, de la neutraliser. Tomber au combat, cétait mourir en pleine gloire dans lintégralité de sa puissance, sa forceéchapper au délitement physique et conserver de ce fait, laretè viril. Ainsi fixé dans lacmé de sa jeunesse dans une mort sanglante, belle et glorieuse, le guerrier sélevait au-dessus de la condition humaine par une mort éblouissante. Tout en étant une réponse au déclin de la vieillesse et de la mort, lidéal héroïque offrait lopportunité dexister individuellement, en échappant par la mémoire à lanonymat.
Les Grecs construisait ainsi lidéalité de la mort, en tentant de la socialiser, de la civiliser, de la neutraliser en en faisant lidéalité de la vie. Cette élaboration dune idéalité de la mort ne traduisait pas le désir de la nier dans sa réalité. Au contraire, cest justement parce que le réel était tout à fait cerné que cette conception fut créée de façon antinomique. Le héros ne mettait pas la mort au-dessus de la vie, mais voulait résister à loubli au monde des sans noms, en se distinguant et se perdurant dans la mémoire.
Les rites funéraires avaient pour mission dassimiler la mort en la civilisant, en assurant des stratégies adaptées aux exigences de la vie. Cette véritable politique du trépas définissait limaginaire social dans une acculturation de la mort, en instaurant ces règles propres. Ces rites de passages, en concevant la mort comme changement détat, permettaient au défunt lentrée dans un autre monde. Si en Mésopotamie, les procédés funéraires visaient à maintenir une continuité entre le monde terrestre et le monde souterrain, en rattachant le défunt à ce quil était vivant par la conservation de son statut social et familial ; en Inde Brahmanique, la coupure du monde des vivants et des morts était bien plus nette. Le défunt perdait son identité sociale de vivant en étant séparé de sa communauté et par la crémation totale de sa dépouille. Pour que ce passage ultime se fît, lindividu devait accéder à un perfectionnement nécessitant leffacement de ses actes personnels, de ses attaches sociales. Cétait un véritable sacrifice, un don de soi. En Mésopotamie, la mise en terre des morts pourvoyait à la stabilité dune société sédentaire, qui perçevait lerrance et linforme comme la figure du mal. Il fallait alors maintenir lordre terrestre en administrant correctement lexistence. Dans cette idéologie « intramondaine », la vie était plébiscitée pour elle-même et non comme préparation à la mort résultant du fait que celle-ci naccomplissait aucunement lindividu mais au contraire le diminuait.
LInde, à lopposé, voyait dans la mort un état qui donnait sens et valeur. Lintégration des individus à la communauté se faisait par le franchissement de différentes étapes lui permettant de sextraire de la vie terrestre afin de rejoindre labsolu. Cette religion « extramondaine » définissait lindividu exceptionnel, comme étant celui qui avait su sexclure de la société, de ses normes, de ses rites, se déliant ainsi de la vie. Atteignant alors le perfectionnement, que lon acquièrait normalement par crémation, le renonçant (lindividu hors normes) navait pas besoin dêtre brûlé. Sa tombe servirait de lien spirituel, de racine pour la communauté mais pas de lien social.
Tout comme en Inde, les héros grecs iraient former les Hommes dautrefois, racines qui tisseraient des lignées familiales, ciment dune communauté grâce au sens et à la valeur quelles octroyaient à lexistence pour les vivants. Les stratégies funéraires grecques servaient à faire accéder lindividu décédé à une nouvelle condition dexistence sociale, à transformer son absence en un état positif, à lui conférer un statut de mort. Elles donneraient de même lopportunité à certains morts, dont les héros, dêtre au centre de la vie commune. Le héros, semblable sous certains aspects au renonçant Indien était un être à part, mais divergeait sur sa relation au monde. Il ne cherchait pas la plénitude hors de celui-ci, mais désirait incarner, par ses actes, un idéal de perfection engendrant des valeurs mondaines et des pratiques sociales. « Par la rigueur tendue de sa biographie, lexigence sans compromis de son aretè, apport(ait) une nouvelle dimension. Il instaur(ait) une forme dhonneur et la vertu ordinaires. »
Thanatos revêtait la figure guerrière et accueillait les morts, les gardant à tout jamais, alors que lhorreur de la mort était assumée par des figures féminines comme Kerè et Gorgô, puissances maléfiques, incarnant lindicible, laltérité radicale. Kerè, personnifiait la destruction, la force maléfique, engloutissant les hommes dans une nuit, les perdant à jamais. Tandis que Thanatos représentait lirrémédiable auquel nul néchappe, il offrait au héros par lintermédiaire du combat la survie par la gloire, laccès à la belle mort, Gorgô et Kerè, étaient elles, plus proches de la symbolisation de la décomposition cadavérique. « Gorgô et Kerè, ce ne sont plus les morts telles que les vivants sen souviennent, les commémorent et les célèbrent, mais la confrontation plus directe avec la mort en elle-même, la mort au sens propre, cet au-delà du deuil, cette béance ouverte, aucun discours exprimer : rien, que lhorreur dune Nuit indicible ». Elles sopposaient donc à la mort civilisée, apprivoisée incarnée par Thanatos qui permettait aux hommes de perdurer dans la mémoire collective, elles étaient la mort brute, terrorisante.
Si les Grecs archaïques ne dissociaient pas la mort de la vie, cétait avant tout lié à la conception, du refus dabolir la mort, daccéder à limmortalité matérielle mais plutôt de perdurer de façon mémorable dans le monde des vivants. On note dans lhistoire dUlysse et de la nymphe, cette récusation total dune non mort qui conduirait à une non-vie, dont labsence de désir et damour mènerait à espérer le trépas.
1. 3. 3. 2. 1. Du Moyen âge au XVIIIe.
Pour P. Ariès, la mort au Moyen Age était apprivoisée. On lattendait, on en était averti, « On ne m(ourait) pas sans avoir eu le temps de savoir quon allait mourir ». Cette conviction intime poussait le mourant à prendre ses dispositions. Il patientait alors dans son lit, président et organisateur de sa propre cérémonie publique. Si la mort paraissait ici familière comme lavance lauteur, elle nen demeurait pas moins, à mon sens et en rejoignant les propos de Déchaux (2001) cités plus haut, angoissante et terrorisante, mais le protocole de son accompagnement permettait de ladoucir, de lapaiser et dencadrer le mourant. Labsence d'effusions nétait peut-être pas due à un sentiment de sérénité totale mais peut-être que le moribond était soumis à refreiner son expressivité du fait de la présence dun public. Il y avait donc à cette époque une véritable coexistence des vivants et des morts contrairement à lAntiquité qui malgré sa familiarité les tenait à lécart en les enterrant en dehors de Rome. Au Moyen Âge les morts vont entrer dans la ville, tout dabord mêlés aux habitants populaires des faubourgs, ils vont pénétrer peu à peu le centre historique des cités par la disparition de la différenciation entre les églises et les cimetières. Les morts étaient alors enterrés tout autour de léglise, sous les gouttières, contre les murs, anonymement. Les cadavres du peuple, eux étaient emballés dans des suaires puis entassés les uns sur les autres dans une fosse commune. On se servait de leurs os pour décorer les galeries qui encerclent le cimetière. Les plus riches étaient inhumés sous les dalles du sol de léglise, sans tombeau, leurs os, récupérés pour les mêmes desseins que ceux des pauvres. Les notions de propriété du mort, dhabitation funéraire nétaient pas de mise, le corps était confié à léglise qui sen accommodait. Ces cimetières deviendraient par la suite des quartiers où les maisons étaient investies du fait davantages fiscaux et constituaient aussi des lieux de rencontres. Par la proximité des vivants et des morts, par des fêtes dans les lieux densevelissement des cadavres ainsi que par la gestion totalement publique du trépas, les individus du Moyen âge exorcisaient leur peur de la mort. En effet, lhomme à cette époque était profondément socialisé, son intégration sociale nétait pas retardée par les interventions familiales. Cette socialisation pourtant ne le séparait pas de la nature ; ce que révèle la familiarité avec le trépas, forme dacceptation de lordre de la nature sur lequel on ne pouvait agir. « Lhomme subissait la mort lune des grandes lois de lespèce et il ne songeait ni à sy dérober ni à lexalter. Il lacceptait simplement (
) » non sans crainte mais comme faisant partie intégrante de son mode de vie très précaire et éphémèrecompte tenu de lespérance de vie de cette époque et du taux important de mortalité infantilesoumis à dinnombrables violences (peste, maladies diverses, disettes, guerres
).
Avant le XIIe siècle, la représentation du jugement dernier ne faisait pas intervenir la condamnation et la responsabilité individuelle par le comptage des bonnes et des mauvaises actions. À partir des années 700, liconographie de la résurrection des défunts se modifia, les justes et les damnés furent séparés, jugés par lArchange St Michel qui pesait les âmes. Cette idée de jugement sintensifia au cours des siècles suivant, accordant une place de choix au bilan de vie de chacun dénombrant les bonnes et les mauvaises actions, disposées sur les deux plateaux dune balance. Ces actes étaient alors répertoriés dans un livre « le liber vitae » que chaque homme portait à son cou afin de le présenter lors du dernier jour du monde, à la fin des temps. Cette croyance illustrait le refus des individus du Moyen Age à accepter « (
) la dissolution physique », et le désir de « (
) ménag(er) une rallonge entre la mort et la fin des temps. » Un changement profond sopérera entre le XIIe et le XIIIe siècle : la nécessité dune vie vertueuse simposa, il ne suffissait plus de mourir bien, il fallait avoir bien et bonnement vécu.
Au XVe siècle, la mort se privatisa. Le jugement dernier qui se réalisait à la fin des temps se déroulait désormais dans la chambre du mourrant à lheure de sa mort. Dieu napparaissait plus comme un juge, mais comme un arbitre assistant à la dispute du bien et du mal pour la possession de lagonisant. Il observait si ce dernier résistait à lépreuve dont découlerait son sort dans léternité. En repoussant la tentation du mal, lhomme expiait toutes ses fautes, dun seul revers de main, par une bonne mort, ou au contraire en y cédant, il effaçait toutes ses bonnes actions. Une relation de plus en plus étroite entre la biographie individuelle et la mort paraît se dessiner puisquau moment de mourir lindividu voyait sa vie entière se dérouler sous ses yeux. Cétait entre autre pour cela que dans les classes les plus instruites de la fin du Moyen Âge, apparurent une charge émotionnelle, et un ton dramatique qui nexistaient pas auparavant.
Les os des squelettes continuaient à côtoyer les vivants dans leurs maisons, sur les tombes, en signe damour de la vie et peut être aussi en guise de catharsis pour lutter contre la crainte de sa propre mort. Dans la poésie, les thèmes du cadavre et de la décomposition physique étaient récurrents jusquau XVIe siècle,. Ils traitaient aussi bien de lagonie, du trépas, que de la vieillesse et de la maladie. Lhomme comprit à cet instant que la dégénérescence, la putréfaction physiques faisaient partie intégrante de la situation de vivant, les vers nappartenant pas à la terre mais au cadavre lui-même. Cette décomposition du corps était un signe de léchec de lhomme, de son imperfection et de sa propension au péché. En ayant conscience de son sursis permanent, lhomme Moyenâgeux ne pouvait se projeter avec ambition dans le futur, ni vivre ses plaisirs de façon complète. Ladoration pour lexistence se traduisait par les thèmes macabres, lattachement aux choses et aux êtres qui lentouraient, ce qui ne lempêcha pas jusquà la Renaissance de voir dans sa fin, un moment exceptionnel où sa singularité prenait sa forme définitive. En ce sens, il ne pouvait être le maître de sa vie que sil semparait de sa mort, celle-ci lui appartenant à lui seul.
Lindividualisation de la mort allait se traduire au fil du temps par le retour dans une première période au XVI siècle, dinscriptions sur les tombeaux des personnages illustres, puis dans une seconde période avec lapparition des effigies. Cette personnification de lart funéraire continuerait jusquau XVIIe. Il était question de conserver la mémoire des morts. Cette pratique sétendrait aux classes moyennes au XVIII ème, désireuses elles aussi de conserver leurs identités. « Dans le miroir de sa propre mort, chaque homme découvrait le secret de son individualité. Et cette relation, que lAntiquité gréco-romaine et plus particulièrement lépicurisme avaient entrevue, et qui avait été ensuite perdue, na cessé depuis dimpressionner notre civilisation occidentale. (
) Depuis le Moyen Âge, lhomme occidental riche, puissant ou lettré, se reconnaît lui-même dans sa mort : il a découvert la mort de soi. ».
Au XVIIIe, que lhomme, ayant pleinement conscience de sa propre précarité, dramatisa sa mort en la rendant impressionnante, bien quétant plus soucieux de celle dautrui que de la sienne. « (
) La mort romantique, rhétorique (était) dabord la mort de lautre, lautre dont le regret et le souvenir inspir(ai)ent au XIXe et au XX e siècle le culte nouveau des tombeaux et des cimetières. ». Dès le XIXe siècle, le sens érotique envahit la mort, illustré par la littérature entre autres lassociant à lamour, avec des thèmes érotico-macabres. Tout comme la sexualité, la mort était perçue comme une transgression détournant lhomme de sa vie ordinaire pour le plonger dans un univers violent, cruel et irrationnel. P. Ariès note ici le passage dune mort apprivoisée cest-à-dire acceptée sans crainte, à une mort rupture, événement dramatique submergé par la douleur de la perte. Mais à mon sens, suivant les réflexions de Déchaux (2001), il ne sagirait que dun changement de gestion de la peur, qui passe dun legs total à lÉglise et à la communauté, donc rationalisé par un encadrement idéologique et social fort, à une administration plus familiale et intime donc plus affective. Sans compter les avancées médicales du XIXe qui permirent une prolongation de lespérance de vie et donc un attachement aux proches peut-être plus investis.
Lexpression de la peine, les effusions sentimentales sexpliqueraient en partie par un catholicisme romantique et lattrait pour les fantasmes érotico-macabres qui caractérisaient le XIXe siècle. Précédemment, la gestion de sa propre mort incombait au mourant. Depuis, cette administration mortuaire sest transmise aux familles dont les relations devinrent beaucoup plus affectives quinstrumentales. Auparavant, les liens familiaux nétaient conçus que sur un versant économique daccumulation de biens en vue de les accroître, ou servant aux plus pauvres de techniques de subsistance. En développant la dimension émotionnelle de ses rapports, les familles se souciérent donc plus de laccompagnement à la mort, dans une préoccupation dacceptation de la perte, pour elles-mêmes mais aussi pour le mourant. Le deuil qui était contenu dans un cadre précis pour empêcher les excès de douleur se trouva libéré, voire caractérisé par son aspect hystérique. La mort nétait plus la seule propriété du mourant, mais se partageait avec les proches. P.Ariès identifie alors une évolution du rapport à la mort de lautre, elle devient plus redoutée car les survivants la supportaient bien moins. À mon sens, mesurer lacceptation de la mort des acteurs à laune de lexpressivité émotionnelle ne me paraît pas des plus convaincants, le contexte culturel, social, religieux définissant les pratiques des acteurs, pourrait laisser imaginer que ceux-ci traitaient la douleur et le refus de la perte antérieurement de façon différente, encadrés par des pratiques religieuses et sociales qui faisaient que lexpression des sentiments nétait peut-être pas valorisée. En effet, P.Ariès note que du Moyen Âge jusquà lAncien Régime, la société imposait une période de réclusion aux vivants afin de protéger la douleur du monde extérieur, de permettre son effacement, et dans le même temps dempêcher loubli trop hâtif du mort, grâce à lexclusion des plaisirs et des jouissances de la vie. Le climat induit par la forte mortalité jusquau XIXe siècle, faisait pencher la gestion de la mort sur un versant réaliste et fataliste (sans y mettre un sens péjoratif), collant aux réalités sociales et démographiques.
En 1760, du fait du nombre important de défunts entreposés dans les églises, les préoccupations pour la santé publique et la dignité des mortsceux-ci remontant à la surface virent le jour. Elles conduisirent donc à la création de concessions et à la mise en tombe, offrant aux proches un lieu de recueillement et prolongeant le souvenir du disparu. « Les morts ne devaient plus empoisonner les vivants, et les vivants devaient témoigner aux morts, par un véritable culte laïque leur vénération. ». Nest-ce pas cette laïcisation qui entraîna aussi une expressivité émotionnelle moins contenue que le culte catholique proscrivait en prônant la retenue ?
1. 3. 3. 2. 2. La représentation actuelle de la mort.
P. Ariès, décrit la mort daujourdhui comme interdite, honteuse. Sans remettre en cause totalement cette idée, il me semble que cest sa gestion qui diffère, calquée sur un mode rationnel, économique et productiviste qui caractérise actuellement notre société occidentale. Le fait de cacher au mourant son état pour ne pas lalarmer et éviter à la société, aux proches, dêtre submergés par les émotions insoutenables liées à la monstruosité de lagonie, sest établi pour deux raisons. Premièrement la survenue dun tel événement trouble la vie féconde, et heureuse de lentourage. Deuxièmement, il y a peut-être une utilité sociale sous-jacente à lévitement dune trop grande extériorisation. Nest-t-il pas ici, question des difficultés quentraîneraient labandon des tâches sociales qui incombent aux individus en tant que producteurs, compétiteurs dans un marché mondialisé et fortement concurrentiel ? Une mort acceptable est une mort qui ne dérange pas les vivants, qui est tolérable affectivement, pour pouvoir se canaliser et sémouvoir essentiellement en privé. Mais est-ce parce quon tente dadoucir la douleur de la perte, que lon nie la mort ? Chaque individu sait quen rentrant chez soi, il déversera son chagrin. Par contre un déchirement trop patent en public relèverait dun désordre mental ou dun défaut éducatif. Les rites funéraires eux-mêmes se sont vus raccourcis au minimum, excluant lépisode entre autres des condoléances qui pourrait laisser échapper quelques épanchements. La société, en effet, doit sapercevoir le moins possible du passage de la mort, peut être pour ne pas la stopper dans son élan de croissance économique. Pour L.V Thomas, lhomme moderne est tenu de ne pas mourir car sa sécurité est gérée par les institutions. Néanmoins, comme nous lavons vu précédemment dans la partie qui traite du corps actuel, la coercition se fait plus par un autocontrôle dicté par une norme induisant une culpabilisation et une responsabilisation massive que par des institutions auxquelles les personnes seraient assujetties.
Soumis à linjonction du bonheur dans une société palliant à toutes difficultés de survie, il est inacceptable de laisser quoi que ce soit, y compris le trépas, interférer dans son déroulement régulier et planifié qui la remettrait en cause. Par ailleurs, la mort devenant un problème de management dans une société qui vise lefficacité, le marché mortuaire na de cesse de croître, imposant comme nécessité commerciale de rendre plus aimable le cadavre. Les doctors of griefs (docteur du chagrin), remplaçant les undertaker (entrepreneurs ayant eux-mêmes remplacé les fossoyeurs, menuisiers et propriétaires de chars), sont alors chargés daider les survivants à retrouver un état mental normal, induisant que le deuil est un événement pathologique. Afficher ce dernier dans ces conditions, cest se voir assigner le statut de reclassé, dasocial. Cette interdiction du deuil peut être éclairée par le fait que nombre dindividus nont pas connu de décès avant leur âge adulte et perçoivent cette situation comme anormale. Pour P.Ariès, lexplication se situe dans « (
) la disparition des consignes sociales qui imposaient des conduites rituelles et un statut social spécifique pendant le deuil pour la famille et la société (...). Mais ne peut-on pas imaginer que ces conduites rituelles se sont modifiées ; et que certes le statut des endeuillés nest peut-être plus aussi social en se privatisant, mais existe tout de même dans un cercle plus restreint, plus affinitaire ?
Même si en apparence les rites funéraires, mortuaires nont pas changé, ils se sont vidés de leurs sens symboliques, par lautocontrôle effectué par les acteurs eux-mêmes refusant les effusions sentimentales, dramatiques. Bien que la toilette mortuaire se perpétue, elle na pas pour finalité dembellir le cadavre en exacerbant la beauté originale que la mort délivre au corps comme dans la période romantique, mais daccorder à celui-ci un aspect vivant toujours appréciable, heureux de vivre.
Entre 1930 et 1950, les lieux du mourir se sont modifiés. On ne décède plus chez soi, entouré de ces proches et dun prêtre mais à lhôpital, seul, accompagné par des professionnels de la santé ou par des profesionnels des soins palliatifs. Il est intéressant justement de sattarder sur cette dénomination des intervenants sanitaires, qui accompagnent les individus en fin de vie (et non début de mort qui aurait pu être une autre expression pour qualifier le moment où lindividu part). On peut noter que lon met en avant les termes « soins » et « santé » pour les qualifiés, renvoyant à une conception de la mort comme étant une maladie. Il devient inconvenant, et dérangeant pour les proches que la personne meurt chez elle. Elle ne préside plus alors sa cérémonie en choisissant le moment où elle fermera ses yeux. Dès lors, la mort devient un phénomène technique obtenu par arrêt des soins, décidé par le corps médical. Le malade nexerçant pas de droit sur la conscience de son état (il ignore quil va mourir puisque personne ne la averti) est considéré comme un malade débile, un enfant que la famille écarte du monde. Méconnaissant sa proche mort, il ne peut la préparer daprès P. Ariès. Cependant, nombre de témoignages relativiseraient ce point de vue. Certes, les mourants ne sont pas toujours explicitement informés de leur état, mais certains sen accommodent, refusant dentendre les discours implicites pouvant les aiguiller, et ne posant pas de questions formelles sur leur état. Dautres, diront quils en avaient conscience malgré le manque de communication ou iront jusquà réclamer la vérité. Lindividu est donc dans certains cas, dépossédé de ce qui peut être lui appartient le plus intimement, sa vie, sa mort ou doit sen rendre acteur sil veut les conserver. Pour L.V Thomas, lhôpital volerait la mort aux patients, par sa programmation et son organisation ( voire quelquefois irait même jusquà un acharnement euthanasique) et au même moment le laisserait dans une solitude face à son agonie sans lui apporter le holding que les croyances religieuses pouvaient lui conférer. Au contraire, la stratégie hospitalière de gestion de la mort serait une sorte dévitement, le traitement devenant une mise en scène dune probable guérison et non une préparation au décès, se traduisant dans certains cas par un acharnement thérapeutique. Quil sagisse de faire émerger la parole du patient sur ses craintes, ses souffrances liées à son état de mourant ou de traitement par analgésiques de ses angoisses, insomnies, douleurs, la France reste réticente et se centre sur la victoire contre la maladie,· fidèle à sa stratégie dévitement.
La mort appartenant plus au monde naturel, est vécue comme une agression exogène que la société finira par interdire, pourtant notre rapport au corps induit à son égard une méfiance quant à des défaillances endogènes quil convient didentifier pour les supprimer. Définirions-nous la mort sur un plan extérieur afin de se convaincre que la lutte est toujours possible ? La maladie, la vieillesse, le trépas, seraient alors des dysfonctionnements de la machine corps, dépossédée de sa singularité et de son identité pouvant trouver des réponses dans une médecine technicienne. « Bref, lhomme moderne dOccident pratique en permanence une stratégie de coupure : vie / mort pensée en termes antinomiques alors quon doit parler de complémentarité ; vivant / mourant, ce dernier devenant un proscrit (out cast), un déviant vis-à-vis dune institution organisée pour assurer le primat de la vie (
) ».
La médecine dès la moitié du XIXe a substitué à la mort la maladie. Le corps est devenu lui-même un engin réparable, prévisible, maîtrisable, comme le souligne M. Foucault. Le cancer incarne les plus terrifiantes représentations de la mort, représentées avant, chez les Grecs par Kerè et Gorgò. « Langoisse quelle libère alors contraint la société à multiplier hâtivement les consignes habituelles de silence, afin de ramener ce cas trop dramatique à la règle banale des sorties à lAnglaise. » . Cette discrétion devenue une forme actuelle de dignité reprend la valeur de maîtrise de soi, de contrôle. Une mort acceptable est avant tout celle qui narrache pas lindividu à son rôle social, ne lui fait pas perdre la face et celle de ses proches pour que tous oublient que la mort rôde autour deux. Si léchange démotions est proscrit, la communication, elle, est plébiscitée symbolisant lintégration sociale de lindividu et lacceptation de sa fin. Le sida quant à lui, génère une mort sociale une sorte dapartheid, par limplication : de liquides corporels relevant de la vie mais aussi dautres perçus comme plus impurs (lait, sperme, sang, sécrétions vaginales), et de pratiques jugées immorales (sodomie, toxicomanie, partenaires différents
) . La belle mort remplacerait la bonne mort (définie par les Catholiques comme étant lacceptation du renoncement aux choses terrestres, une vie pieusement menée et la croyance dans la résurrection). Elle se caractériserait par sa soudaineté inattendue, le désir quelle ne jaillisse que le plus tard possible dans une sphère privée et lexclusion de la souffrance. La belle mort sancre dans le présent immédiat, dans laction même de mourir et avec le souhait que lon nous lôte. Daprès L.V Thomas cette mort serait escamotée. Mais si nous voulons quelle soit gérée par autrui, par une institution, est-elle réellement dérobée puisquil sagit dun de nos plus profonds désirs, calmant nos craintes et nos angoisses ?
Deux autres typologies de la mort sont à noter. La mort stérile, privée de sens social, gratuite comme le décès de soldats lors de guerres perduesmourir pour rien et de rienet la mort féconde, celle du martyr, héros « par amour du risque (
), Cest-à-dire en fin de compte par amour de la vie, pour en jouir plus intensément et pour senivrer au prix même de la vie ». Elle peut aussi défendre des valeurs civiques et (ou) révolutionnaires, sa propre dignité, son bonheur, des idées jugées supérieures à son existence. Ses valeurs alors dominent le temps, le monde, deviennent immortelles.
La gestion du temps de lagonie se modifie elle aussi. Auparavant, celle-ci pouvait prendre plusieurs jours, plusieurs semaines et il sagissait pour finir dun grand moment dramatique quincarnait le dernier souffle ; à lheure actuelle, le moment du mourir est fractionné, morcelé en petites étapes semblables à un roman policier aux multiples rebondissements, puis tout dun coup précipité, sans attendre lévolution naturelle de lextinction. Ceci sexpliquant logiquement et légitimement par le désir de tout un chacun déchapper à la souffrance physique et psychique de ce moment fatidique que nous permettent datteindre les sciences médicales.
Les visites des tombes se sont raréfiées laissant place à lincinération, moyen radical de faire disparaître le corps et de tenter dévacuer la mort de lautre. Or, ce refoulement amplifie les traumats, les ressentis comme dans la période romantique du XIXe siècle.
La vieillesse est considérée comme une mort sociale et économique, due au fait quelle empêche la production de bien et la participation active à la société. En elle la mort est déjà là, visible par lamenuisement des capacités physiques et intellectuelles. Un Comité pour labolition de la mort (1976) aux Etats-Unis, ainsi quune Société immortaliste en France, ou la cryogénisation, sont apparus, promouvant la recherche biomédicale pour atteindre une vie infinie et éradiquer la vieillesse. Ces extrêmes permettent de rendre visibles les techniques actuelles visant à limmortalité, auparavant traduites par le désir dintégrer le paradis pour une autre vie éternelle dans lau-delà. Dautres stratégies sont à noter, entre autres celles qui consistent à perdurer à travers sa lignée familiale, son uvre artistique, sociale ou intellectuelle. Le souvenir du défunt ainsi inscrit lui donne lopportunité comme pour le héros Grec de survivre éternellement dans la pensée communautaire. Les croyances en lenfer, le ciel, la résurrection et le purgatoire, se sont vues voler la vedette par celle de la réincarnation. « Elle repose sur lidée quune seule existence constitue une expérience trop limitée pour définir la destinée éternelle. ». Cette croyance constitue elle aussi un moyen de réassurance. La mort nest quune étape intermédiaire vers de nouvelles vies, accordant de surcroît une amélioration de lêtre lui-même.
Après avoir décrit les normes actuelles de la représentation de la mort et des pratiques qui lentourent, attachons nous à lune de ces formes déviantes, le suicide. Si le suicide est un moyen de communication avec autrui, cest aussi la mise à mort dun personnage social. Ladolescent se ferait violence pour agresser le groupe, en utilisant son corps comme outil de transgression à la norme de respect de la personne. Pour la société, le suicide est une mort suspecte de par laffront induit envers les institutions qui la représentent et les proches du défunt. Ayant en effet, investi dans la formation de lindividu, le système se voit mis en accusation ou du moins mis en échec. Le décès volontaire exacerberait la notion de libre-arbitre en outrepassant le droit à disposer de sa vie et de sa mort, habituellement monopole de lEtat (peine de mort). Ce serait un refus de ne pas pouvoir vivre sa vie idéalement, à la façon dAntigone, en même temps quun moyen de sy raccrocher et de lhonorer. Par cet acte, lindividu tenterait dexister dans une vie qui lui semblerait niée, non reconnue, en démontrant jusquoù peut aller sa maîtrise. De plus, tout simplement, le suicidé rappelle que la mort est un événement qui simpose à tous, nous renvoyant ainsi à notre propre crainte.
Peut-on établir, après ces constatations une analogie entre lentreprise que représente le suicide et les conduites à risque en terme de déviance?
1. 3. 4. La sociologie interactionniste de la déviance.
Si le rôle de toute société consiste entre autre à protéger ses membres, les notions de sécurité physique, de prudence peuvent être considérées comme constitutives dune norme sociale. Alors, le suicide tout comme les conduites à risque toxicomaniaques contrediraient cette norme. Nous pouvons donc émettre lhypothèse que celles-ci révélent peut-être à des valeurs déviantes. Sans compter que la toxicomanie est par essence une déviance au sens classiquement sociologique, de transgression de la loi (Loi du 31 décembre 1970), de normes. En usant, cédant, vendant des stupéfiants, la personne toxicomane devient délinquante.
Pour ce faire l'interactionnisme, comme outil théorique traitant de la notion de déviance, éclairera cette recherche, en abordant la déviance comme un échange entre la société instituant les normes et le transgresseur. Cette approche sintéressant aux aspects banals de lexistence, met en lumière quil y a déviance non seulement par transgression mais aussi par désignation sociale. H.S. Becker souligne que chaque groupe adopte, respecte des normes en partie différentes, adaptées aux intérêts des membres. Lindividu déviant lest par sa non-conformité aux critères du groupe dominant, et se voit étiqueté comme tel. Cette posture sociale ne découle pas forcément dune volonté individuelle démoniaque de déjouer linterdit pour le déjouer, mais sintègre par une logique dapprentissage ayant ses sources précocementpuis par interaction avec le groupe dappartenance et le groupe dominant. Elle constitue par ailleurs, une facette dun mode de vie pour chaque errant.
La société étant constituée de plusieurs groupes ayant des normes plus ou moins convergentes ou divergentes, on ne peut décréter quun comportement, une action soient fondamentalement et universellement conformes ou déviants. La conformité ou la déviance sont toujours soumises à un système de valeurs, de références propres à un groupe. Cest en ce sens que les prises de risque toxicomaniaques reléveraient de normes appartenant à un style dexistence, mais seraient aussi des déviances pour le groupe majoritaire constituant la société.
De plus, il est intéressant de noter que si certaines prises de risque sont hors la loi, du fait de lutilisation de stupéfiants, la déviance de ces comportements est surtout fondée sur le non-respect dune morale sociale. Prenons le cas du cannabis, bien quétant pénalement proscrit, les condamnations juridiques concernant son utilisation sont beaucoup moins fréquentes que lorsquil est question dhéroïne. Or, les consommateurs sont plus nombreux et le trafic aussi. Cest bien quà loi égale (loi de 1970 ne différenciant pas les stupéfiants), le jugement moral et social prévaut dans la désignation de la déviance.
Rejoignant le propos de Becker dans Outsiders, il est important de souligner quun individu appartient à plusieurs groupes. Ne restant pas vraiment cloisonné à un seul, il intériorise alors différents systèmes de références, de règles. La personne errante est donc inscrite dans un groupe de semblables, dans une famille, dans une association déchange de seringues, dans des foyers dhébergement, dans le système sociétal, etc. Elle aura des relations diversifiées avec tous les groupes quelle fréquente selon quelle adhère ou non aux normes, valeurs, règles qui les constituent. Elle sera par conséquent, tantôt considérée comme déviante par les individus nayant pas les mêmes références, tantôt intégrée, conforme, aux membres de son groupe dappartenance.
La déviance ici ne serait pas le résultat dune mauvaise compréhension ou connaissance des normes, elle est choisie. Et cest parce quils connaissent les normes du système quils peuvent sy soustraire.
Jon 2007 : On est , çt à dire on est hors du système, parce quon est dedans (...)
Cest donc en me servant de cette dynamique sociale que je tenterais de comprendre ce qui se joue entre errants et normaux, en mattachant à la comparaison de ces deux visions et en cherchant à expliciter limpact social que peuvent engendrer les conduites à risque. Pour ce faire, le choix dune méthodologie qualitative a été adoptée et dans le chapitre qui suit. Jexpliciterai cet engagement, les biais rencontrés et brosserai des portraits contextualisés des personnes rencontrées en espérant quils puissent offrir toute la profondeur, la complexicité de chaque interviewés et des conduites à risque pratiquées.
2. UNE MÉTHODE ADAPTÉE À UNE POPULATION PARTICIPATIVE.
2. 1. Le terrain denquête : entre cadre et hors-cadre.
Deux types de terrains denquête ont été utilisés pour ce travail car jai pris le parti de réutiliser les interviews réalisées en Licence 3.
Le premier, une boutique déchange de seringues, tenue par une association mandatée par lÉtat (la D.D.A.S.S), accueille des personnes developpant des addictions, et ne désirant pas arrêter (toxicomanes actifs) leur consommation de psychotropes. Ce type de structure a été créée dans le cadre dune politique de santé publique globale suite à lextension de lépidémie du sida (1987, 40% des toxicomanes sont séropositifs), et grâce à la légalisation de la vente de seringues (décrets n° 95-255, 7 mars 1995) cette institution leur propose un échange de seringues, une aide administrative, des soins infirmiers, des douches et une machine à laver. Cest un accueil bas seuil ouvert sur la rue. La principale mission de cet établissement consiste à réduire les risques de contamination par V.I.H, et V.H.C, et plus largement les risques sanitaires et dexclusion par le maintien dun lien social et daides administratives (aides financières, papiers didentité, dossiers RMI...). Ce choix a été déterminé par la possibilité de pouvoir rencontrer la population des toxicomanes errants actifs donc par souci de faisabilité. Connaissant une partie de léquipe, ces derniers mavaient présenté auprès des enquétés comme ancienne stagiaire éducatrice. De ce fait, cette année, jai voulu consciemment rompre avec ce statut déducatrice et linfluence du lieu (lieu de soins) induisant à mon sens des biais quant à linterprétations de mes attentes par les interviewés. En effet, je craignais que ceux-ci perçoivent en moi un désir de les normer, de les emmener vers un protocole de soins ; ce qui, évidemment, nest absolument pas lobjet.
Jai donc opté pour un second terrain beaucoup moins formel, , en face dun supermarché, grâce à lopportunité qui sest présentée de les rencontrer dans leur espace de mendicité dont ils mavaient fait état lors de nos rencontres précédentes. Cest donc en errant moi-même durant quelques semaines devant cet emplacement que par chance jai pu revoir un de mes anciens contacts qui se souvenait de moi. Après une discussion banale, je lui ai donc fait part de ma volonté de lentendre à nouveau sur la même thématique que lan dernier. Jon, heureux et confiant me proposa alors demblée de venir au squat. Nayant pas le temps cette année de réaliser une observation ethnographique, je len remerciais et convenais dun rendez-vous ultérieur. Par son intermédiaire jai pu, par ailleurs, rencontrer Bruno et Charlotte, un couple partageant son squat.
La difficulté alors était de trouver un lieu dinterview calme et discret qui leur permettait de sexprimer librement sans linfluence du groupe dappartenance fort présent devant le magasin en question. Durant les quatre visites que jai effectuées de nombreux errants venaient minterpeler tout dabord en me demandant une cigarette puis minterroger sur ce que je faisais. Leur désir de participation a suscité en moi un étonnement et un questionnement. Pourquoi des individus mettant en avant leurs différences, et leur désir dun autre mode de vie que la norme (donc la mienne) voulaient autant me parler de leur vie ? Était-ce par besoin de participation sociale ? De sentir en eux une utilité ? Ne pouvant accorder une écoute à tous, il a donc fallu que je me retranche derrière le fait que pour linstant je ne mintéressais quaux personnes partageant lhabitation de Jon. Cette argumentation fort peu honnête ma semblé la plus à propos afin de ne pas les vexer ou les rejeter.
Après réflexion, il mest apparu quun bistrot serait peut-être le lieu le moins empreint de connotations normatives et éducatives puisque commun à tous, mais aussi le plus à labri des interruptions suceptibles de se produire devant le magasin. Le choix du bar sest fait alors dun commun accord avec les participants, juste avant lentretien. Les rendez-vous ont été fixés suivant leurs disponibilités (en milieu daprès-midi) en face du supermarché.
2. 2. La population toxicomane active, des errants.
Claude Olivenstein définit la toxicomanie comme étant une « rencontre entre une personnalité, un produit et un contexte ». Au-delà de cette définition, il paraît important dajouter que laddiction est une dépendance quelques fois physique et surtout psychique à un psychotrope avec des comportements compulsifs de recherches, de prises de produits. Si cette enquête a été réalisée auprès de personnes toxicomanes, il faut souligner quelle concerne une frange singulière de cette population. Les individus interviewés à La boutique et ceux rencontrés devant le supermarché, ne sont pas en démarche de soins visant larrêt de leurs prises de stupéfiants, ni dans un souhait de réinsertion sociale. Pour eux, il sagit seulement de pourvoir à leurs besoins élémentaires en termes sanitaires et sociaux. Cest donc une population relativement marginalisée, exclue socialement (par choix ou non) et systématiquement sous lemprise de psychotropes. Qualifié derrants par certains chercheurs ou organismes étatiques, ce terme regroupe aussi dautres types de personnes. Il renvoie aussi bien à des jeunes souffrants de graves troubles psychiques, que des jeunes issus de banlieue, des jeunes SDF
. Ici le mot errant qualifiera des individus toxicomanes vivant de façon nomade dans la rue, en squat, en camion, subsistant par la mendicité, les aides sociales, le trafic.
Selon létude de lINVS de 2004, réalisée sur 5 villes françaises, auprès de 101 structures en toxicomanie et 37 médecins généralistes prescripteurs de traitement de substitution aux opiacés, la population toxicomane active (dont font partie les errants étudiés) se composerait de 74% dhommes dont lâge moyen serait de 35,2 ans, 65% seraient sans emploi, 8% auraient un niveau détude inférieur ou égal au primaire et 55% dentre eux vivraient seuls. 55% nauraient pas de logement stable (dont 19% en squat ou à la rue), à 16 ans 22% ne vivraient plus dans leur famille et depuis lâge de 18 ans, 73% auraient dormi au moins une fois à la rue. 10,8% seraient atteints par le VIH, et 59,8% par le VHC avec une prépondérance dans la tranche dâge 30-40 ans. 13% dentre eux auraient partagé une seringue, 33% le petit matériel dinjection (cuiller, coton), 74% auraient réutilisé leur seringue et 25% la paille de snif. Malgré les 90% qui connaissent les modes majeurs de transmission du VIH et les 65% pour le VHC, les informations de prévention, on assiste tout de même à une perpétuation des pratiques à risque dans ce champ expliquant peut-être laugmentation de personnes ayant le VHC (1996 : 47% ; 2004 : 59,8%) bien que les contaminations VIH aisent baissé entre 1996 (20%) et 2004 (10,8%). Cette recherche épidémiologique permet de brosser un portrait général des utilisateurs de drogues mais ne se centre pas sur la population errante, nouvelle dans le paysage toxicomaniaque.
D'après le rapport dactivité 2002 de lassociation gérant la boutique, et le rapport TRENT 2001, la population a beaucoup rajeuni, laissant place à de « jeunes errants » âgés pour la plupart entre 18 et 30 ans, vivant de façon nomade, en squats pour beaucoup avec des chiens. Ils fréquentent les free party, font « la manche », perçoivent le R.M.I. ou des allocations de retour à lemploi. Certains travaillent de façon saisonnière ou non déclarée. Charlotte, lycéenne représente daprès mes échanges avec le groupe, une exception car peu dentres eux poursuivent des études tout en adoptant ce mode de vie. La proportion dhommes est de deux tiers pour un tiers de femmes. Les données de prévalence pour cette population spécifique, en matière de contamination VIH et VHC ne sont pas encore disponibles, mais on peut par recoupement grâce à la tranche dâge faire lhypothèse quelle correspondrait à 30% des usagers de moins de 30 ans pour le VHC et de 0,3% pour le VIH, donc nettement en deçà de la moyenne générale de la population toxicomane active mais toujours présente malgré les nombreuses politiques de prévention. Si le risque de contamination a diminué, dautres pratiques à risque comme la consommation de mélanges de psychotropes(68% des jeunes fréquentant lespace festi alternatif dont beaucoup derrants font partie) ainsi que la conduite de véhicule sous psychotropes semblent relativement élevés daprès le rapport de lOFDT. Malheureusement faute de données quantitatives sur cette population spécifique il est impossible de décrire de façon globale les errants en terme dappartenance sociale (sont-ils issus de classe sociales défavorisée, moyenne, supérieure ?), de prises de risque autres que celles évoquées précédemment.
2. 3. Lapproche qualitative ou le complément nécessaire dune approche basée sur lacteur comme définissant les pratiques à risques.
La définition et la méthodologie denquête est fondée sur la représentation quont les acteurs de leurs pratiques à risque, ceci afin de comprendre ce qui les soutend. Lacteur est un être rationnel qui adapte ses comportements à une situation, un contexte, aux interactants, à un groupe dappartenance en lien avec un environnement social. Par conséquent je prends le parti de ne pas adhérer aux définitions épidémiologiques induisant (comme je l'ai souligné dans ma première partie) une prolifération et une perte de sens de ces pratiques. De plus, sous jacent à ce type dinterprétation, sarticulent des théories mettant en évidence que les inégalités sociales et sanitaires seraient incorporées dans notre patrimoine biologique. Elles seraient donc prédéterminées génétiquement. Elles perçoivent les conduites à risque comme des anormalités, voire des pathologies et non comme des construits sociaux tout comme les définitions psychanalytiques des conduites ordaliques et contra-phobiques. Or, « Pour la sociologie, il nexiste ni normal, ni pathologique à priori, mais des actions chargées de sens et quil importe de comprendre, de relier au terreau social qui les voit naître, sans méconnaître la singularité de lacteur. »
Je définirais donc les conduites à risque comme étant des « comportement(s) impliquant un danger vital ». Ces pratiques et leurs conséquences doivent être conscientes ou préconscientes chez les interviewés. Elles nont pas pour but de donner la mort, par conséquent le suicide est écarté en tant quindicateur.
« La notion de conduite à risque est ici entendue comme un jeu symbolique ou réel avec la mort, une mise en jeu de soi, non pour mourir, bien au contraire, mais qui soulève la possibilité non négligeable de perdre la vie ou de connaître laltération des capacités physiques ou symboliques de lindividu. ».
Ainsi, après entretien, les indicateurs retenus pour définir les conduites à risque sont les suivants : léchange de seringues ou de pailles souillées, les prises massives de produits pouvant conduire à un surdosage, les mélanges de stupéfiants pouvant provoquer des interactions dangereuses, les rapports sexuels non protégés, les conduites de véhicule sous lemprise de psychotropes, labsence de soin des blessures pouvant conduire à une atteinte physique grave (septicémie, amputation) , les actes délinquants et linduction de rapports conflictuels pouvant porter atteinte à leur intégrité physique (bagarre). En ce qui concerne le corps, je me suis axée sur lhygiène, lapparence vestimentaire, le recours aux soins médicaux, lesthétique tant sur le plan du maquillage, que de la coiffure, des piercings, tatouages et autres ornements, lalimentation, leurs critères de beauté physique. Pour la mort, lopération consistant à identifier les indicateurs sest avérée bien plus complexe. Je me suis donc davantage appuyée sur mes lectures. Jai pris le parti de me centrer sur leur mort physique imaginaire idéalisée ou inversement rejetée, la mort de certains de leurs proches, leur vision de leurs propres rites mortuaires (enterrement, incinération, fêtes
), la relation mort / vie, la notion de peur de mourir, la temporalité de la mort (jeune, moins jeune, vieux), la mort sociale (décompensation psychologique, solitude, asservissement).
2. 4. Lentretien compréhensif une méthode à parfaire par lobservation.
2. 4. 1. Lentretien pourquoi ?
Le choix de lentretien compréhensif comme unique technique denquête sest imposé pour plusieurs raisons :
du fait de la population encline à pouvoir exprimer ses opinions de façon claire, réflexive et convaincue,
en terme de faisabilité liée aux contraintes de temps,
par choix dune approche interactionniste,
de par lobjet traité : les représentations du corps et de la mort.
Cette méthode sest avérée une des plus adéquates létude se centrant sur la mise à jour des représentations du corps et de la mort, mais aussi du mode de vie à risque des acteurs. La représentation dans ce cadre « se définit dans son rapport social, non plus par une fonction de légitimation mais par celle dorientation des conduites ». Elle se rapprocherait des conceptions cognitivistes, la décrivant comme un : « processus de construction du réel; réintro(duisant) létude des modes de connaissances et des processus symboliques dans leurs relations avec les conduites,(...); la représentation est, en effet, une organisation psychologique, une modalité de connaissance particulière. ». Moscovici voit dans la notion de représentation une double vocation qui prend laspect dune fonction dadaptation à lenvironnement et une fonction sociale de communication. Il avance même que lintérêt de la recherche sur les représentations réside plus dans la quête de leurs fonctions que sur lorigine de leurs constitutions. En ce sens, il ma semblé que lemploi de la méthode compréhensive pouvait permettre de récolter dune part, lidéologie mortuaire et corporelle particulière des errants, dautre part, de saisir son utilité pour leurs diverses pratiques et leur mode de vie, pour finalement éclairer la fonction quont les conduites à risque dans leur rapport au monde.
Cette méthode compréhensive, très adaptable en fonction des terrains, des individus mest apparue comme idéale au regard de la population étudiée peu encline aux normes, règles ou quelconque cadrage quaurait pu induire le questionnaire ou lentretien semi-directif. En effet, étant par moment sujet à la rébellion, la contestation, un abord trop rigide aurait pu soit, les retrancher dans un mode revendicatif exacerbant leurs oppositions de façon artificielle, car liées au type dinteraction ; soit, au contraire, créer une rupture de communication, induire des réponses sans véracités, ou répondant aux attentes quils me prêtaient. De ce fait la libre expression contient en elle-même pour ce public une attractivité lui offrant la possibilité dexprimer ce quil désire, pense, veut donner à voir.
Afin de respecter cette liberté, la retranscription des synthèses dentretiens colle de très près au discours des personnes. Tous les résumés dentretiens participant à la définition de la population sont introduits par un portrait, une description contextuelle et relationnelle (entre eux et moi)les actions, les interprétations des individus étant influencées par lécologie du lieu, les interlocuteurs, les personnes présentes et lenvironnement suivant le paradigme interactionniste. Un des entretiens a même dû se faire en deux temps et deux lieux. Pour autant, il ne sagit pas dune méthode improvisée mais adaptable. Des indicateurs issus des entretiens de lannée précédente ont été répertoriés et mont permis de rebondir lors des entretiens quand ils étaient abordés.
La mise en forme des retranscriptions dentretiens a elle-même été mûrement réfléchie. Il ma semblé que si le lecteur avait accès au langage propre des interviewés, il lui serait plus facile de se détacher de ses propres valeurs pour entrer dans un monde ô combien différent.
La méthodologie compréhensive ne cherche pas à vérifier ou infirmer une problématique par les entretiens. Ils ont donc été le point de départ de la problématisation qui sest élaborée conjointement aux réflexions amenées par les divers ouvrages de la bibliographie.
Essayer de découvrir les représentations, entendre les voix des personnes concernées s'avérait plus pertinent quune quantification de leurs actes, telles que celles réalisées par les approches épidémiologiques pour comprendre lutilité sociale de leurs prises de risques. Les acteurs ont une connaissance qui leur est propre de leurs techniques corporelles, de leurs visions de la mort et du corps qui soutendent leurs actes de mise en danger. Qui mieux queux peut la décrire, lexpliquer ? « Les principes de lentretien compréhensif ne sont rien dautre que la formalisation dun savoir faire concret issu du terrain, qui est un savoir-faire personnel. ».
Touchant à des pratiques corporelles en lien avec la mort, lévidence méthodologique et déontologique était de marquer formellement un respect, une sensibilité, face aux interviewés afin de construire une relation de confiance tout en offrant un espace de liberté. Le questionnaire par son côté direct aurait pu induire une sensation de brutalité.
Cette méthodologie « (
) sappuie sur la conviction que les hommes ne sont pas de simples agents porteurs de structures mais des porteurs actifs du social, donc des dépositaires dun savoir important quil sagit de saisir de lintérieur, par le biais du système de valeurs des individus ; elle commence donc par lintropathie. ».
Sagissant dun sujet ayant trait à la souffrance psychique, à des pratiques corporelles, lempathie et même lintropathie sont essentielles déontologiquement et techniquement parlant, pour faire émerger le discours de profondeur. Lempathie est une porte dentrée dans la relation, générant une forme de connivence. Mais, sil est nécessaire de laisser entendre à lenquêté que lon est réceptif à son discours, le chercheur doit être en retrait et linformateur en vedette, ce qui na pas toujours été évident. Pour ce faire, il a fallu développer une écoute attentive, active, accorder de limportance aux mots, aux opinions des acteurs et montrer de la sympathie, quitte à faire des digressions hors du champ de recherche, entres autres par rapport aux chiens, sujet principal pour les participants. Jai donc dû oublier mes opinions, mes pensées et surtout canaliser mon impatience à atteindre le cur de mon sujet.
Afin que l'interviewé sengage, émette une opinion, lenquêteur doit lui aussi être en situation dengagement. Pour répondre à cette exigence, il a été nécessaire dintervenir verbalement pour que les personnes puissent développer plus intimement leurs convictions au risque comme nous le verrons dans la partie suivante de devenir directive. Lengagement nimplique pas dimposer ses vues à lautre, mais doffrir une attention dynamique, de rebondir sur les propos de l'interviewé de façon impliquée. Selon J.C. Kaufmann, si le chercheur ne personnalise pas ses questions, lindividu va réagir de façon artificielle avec des réponses non-personnalisées. On peut perdre, en ce cas, toute la profondeur quaurait produit un entretien plus engagé.
De plus, la population toxicomane, bien quen difficulté, est tout à fait capable en général, dexposer ses vues malgré un désaccord pressenti. Ce ne sont pas des personnes extrêmement influençables, elles ont la capacité de sopposer, de fuir ou dacquiescer à une opinion. Ainsi Patrick a pu arrêter lentretien quand nous avons abordé la problématique de la mort psychique. Par un « bon bé, voilà ! », jai compris que le thème exploré devenait trop difficile émotionnellement.
Bien évidemment, même si jai fait preuve dengagement, je ne me suis aucunement permis dexprimer un quelconque jugement quant aux personnes et à leurs pratiques.
Cette méthode nest pas seulement descriptive, elle cherche à compréhendre, lanalyser le points de vue, des comportements des acteurs afin de les expliquer.
Comme lexplique J.C. Kaufmann en parlant de Weber, la sociologie compréhensive sattache aussi bien à la compréhension quà lexplication. Le chercheur doit alors analyser, interpréter et expliquer lobjet de recherche grâce aux données recueillies. La compréhension de lindividu devient un outil afin dexpliquer de façon empathique le monde social. En ce sens le point de vue des personnes errantes sur le rapport au risque, à la mort, au corps, doit permettre dentrevoir de façon plus globale leurs relations au monde et la fonction sociale de leurs pratiques.
La confrontation régulière durant la période de terrain et danalyse entre les explications théoriques et les faits était indispensable pour ne pas déformer le contenu et tenter de coller au plus près au sens que donnaient les acteurs à leurs comportements, opinions, idées... tout en conservant une certaine rupture épistémologique, mempêchant de tomber, je lespère, dans le gouffre des prénotions, des présupposés.
Le choix dune méthode reposant sur limmersion et lobservation participante sur le terrain, dans une visée de triangulation méthodologique aurait sans doute permis une recherche plus aboutie, qui ma semblé peu facile à mettre en uvre cette année mais je lenvisage pour le futur.
2. 4. 2. Lieux, techniques, configurations dentretiens : des biais.
Comme je lai déjà souligné, une des difficultés de la méthode était de trouver un lieu vierge de toutes attentes sociales, ce qui effectivement se révèle totalement impossiblechaque zone étant connotée dattentes sociales ou représentant un sens spécifique pour chaque acteur. Je pensais donc, quen choisissant un bar, un espace commun à tous ou du moins fréquenté par tous, réduire linfluence environnementale. Or, je me suis en partie leurrée, du fait sûrement dun certain ethnocentrisme, car les errants ne vont que très rarement dans ces espaces. Ainsi, jai pu décrypter en début et à certains moments de lentretien une certaine gêne que jai interprétée comme signifiant le fait quils nétaient pas à leur place. Je les ai donc fait pénétrer dans un espace social qui nétait pas le leur. De plus, le fait que dautres individus nappartenant pas à leur univers, se soient retrouvés à proximité de nous, a peut-être généré une sorte de censure, une influence normative quil ma semblé important de noter surtout lorsque nous avons commencé à parler de psychotropes et des risques liés à la toxicomanie et aux pratiques sexuelles. Jon, par exemple, a baissé la voix et a détourné le sujet. Stigmatisés dans leur mendicité et nous le verrons dans diverses situations quotidiennes, il paraissait difficile quils offrent encore de la matière aux préjugés des gens en acceptant de perdre la face une énième fois. Finalement lassociation dans laquelle jai réalisé les interviews lannée passée présentait une confidentialité plus accrue, mais aussi contrairement à ce que jimaginais, une influence normative moins prégnante sur le thème des drogues. En revanche, les participants avaient lair dêtre plus soupçonneux à mon égard quant aux finalités de mon étude, à son utilisation et à mon interprétation. Corrélativement, si dans la boutique jai essuyé beaucoup de refus de participation aux entretiens (une personne sur deux), devant le supermarché ce nest même plus moi qui étais en demande mais la population que jai même dû freiner.
Lentretien du couple Bruno et Charlotte, bien que fort intéressant par la dynamique de communication produite par cette dyade, a eu pour contrepartie un relatif nivellement de leurs opinions. La majeure partie du temps, ils salignaient lun lautre sur les mêmes idées ou du moins faisaient des compromis pour ne pas être en divergence. Notons aussi, quil na pas été possible déchanger sur le thème de la sexualité, dune part car ils ne lont pas abordé spontanément et dautre part, il me semblait fort indélicat de les questionner ensemble sur un sujet pouvant être polémique. De toute évidence il paraît pertinent de simaginer quils nauraient pas dévoilé leurs histoires intimes (problèmes de sexualité, manques de protections, partenaires annexes, relations anciennes, risques de contamination VIH avec dautres partenaires
) et au meilleur des cas, ils mauraient servi un discours de façade, présentant leur couple comme exemplaire ; ou au pire, ils auraient refusé den discuter. Jai alors émis lhypothèse (à tort ou à raison ?) que cette situation aurait peut-être engendré une rupture de linterview, de la confiance quils moctroyaient et quau final, déontologiquement, je nétais pas prête à assumer ce choix.
Concernant la conduite dentretien proprement dite, il sest avéré fort laborieux darriver à atteindre les thèmes de la mort et du corps de façon non-directive. De ce fait, soumise à mon impatience dapprentie chercheuse, jai cédé trop souvent à la directivité, ayant peur de nobtenir aucune matière exploitable. Ainsi certaines questions étaient assorties dexemples de choix de réponses ; jai fait des parallèles avec des idées empreintes de théories. Je souligne donc que mes résultats seront ainsi à relativiser et mériteraient une triangulation méthodologique par le biais dune observation participante qui me paraît à lheure actuelle plus appropriée à mon sujet.
En effet, jimagine quen observant les errants vivre, discuter entre eux au quotidien, je pourrais dune part, me dégager un peu plus de lartificialisme de la situation denquête qui ne pourrait perdurer sur une longue période, dautre part, éviter de leur imposer des situations générant un trop grand décalage social et au même moment, voir ce qui dans leurs pratiques se réfère à un rapport à la mort et au corps spécifiquement. De plus, en étant invitée sur leur territoire, ladaptation viendrait principalement de moi et les influences moralisatrices ou normatives se verraient diminuées. Il faut aussi avouer quen situation dentretien avec une femme, certains interviewés adoptent une attitude de fanfaronnade, exagérant peut-être leurs pratiques ou les faits, ou enjolivant leur mode de vie. Ceci pourrait être déjoué lors dune observation sétalant dans le temps qui les pousserait à se comporter de façon plus naturelle. Une observation couplée avec des échanges verbaux donnerait loccasion de les interroger sur des pratiques et des événements précis, servant ainsi de base et de béquille à la verbalisation de leurs représentations mortuaires et corporelles souvent abstraites pour eux et peut-être pour chacun dentre nous, par ailleurs. En effet, la question de la mort est un sujet éminemment philosophique qui relève de nos craintes les plus intimes et pour certains, de sentiments, et de souvenirs intenses. Le corps intervenient dans limage de soi, et avouer à une étudiante « bien sous tout rapport » que lon ne se lave pas vraiment par exemple constituerait une perte de face . Dautres pratiques moins stigmatisantes représentent des allants de soi quils ne pensent pas à mentionner et quil est par conséquent difficile dobtenir en situation dentretien mais plus aisé à recueillir lors dobservations. Il semble donc ardu, dobtenir de réelles informations sur les pratiques corporelles touchant à lintimité durant une entrevue dune heure. En revanche, en posture dobservation, le rapport au corps se jouant perpétuellement dans les actes de la vie quotidienne, le recueil de données sera peut-être plus évident.
2. 4. 3. Une rupture épistémologique nécessaire du fait de la familiarité avec la population.
La population errante toxicomane métant familière du fait de mon parcours professionnel, mais aussi de goûts culturels communs (musique punk, BD underground
), il ma fallu sans cesse veiller à conserver un regard curieux, comme découvrant leur univers afin de ne pas faire abstraction des dire ou des faire qui me paraissaient évidents. Cest entre autre par mes lectures engagées tout le long de mon travail que jai pu mettre à distance (du moins je le souhaite) les propos recueillis. Un des écueils, jen remercie les cours dépistémologie et louvrage « Du métier de sociologue », que jai tenté déloigner est celui du militantisme, voire, par moments, de ladmiration que je pouvais éprouver à légard de ce qui mapparaissait comme un choix de vie courageux, incarnant le libre-arbitre et la contestation révolutionnaire anarchiste. Cest par une réflexivité organisée, liée à mes lectures et aux échanges avec une intervenante chercheuse en addictologie dans le champ de lanthropologie, ainsi quune analyse et une remise en cause perpétuelle de mes projections que jespère avoir réussi à éloigner cette partisanerie.
Par contre, cette proximité sest avérée à mon sens fort précieuse pour la prise de contact, la relation de confiance et la symétrie verbale et culturelle quelle a induite. Souvent étonnés de nos connaissances musicales communes, il ma semblé que par cette connivence les errants pouvaient ainsi avoir la sensation que nous nétions pas si éloignés socio-culturellement. Amenuisant ainsi lécart généré par ma tenue, mon statut détudiante, mon habitus, ils pouvaient alors aborder des thèmes quils auraient pensés peut-être choquants à mon endroit ou du moins que je nétais pas en mesure de saisir.
2. 5. Des rencontres sous le signe de la marginalité, de la convivialité.
Les portraits et descriptions des contextes dentretiens ont été rédigés à chaud, dans la soirée suivant chaque entrevue, afin de ne pas perdre mes souvenirs et mes premières impressions. Il ne sagit aucunement de notes issues dune observation ethnographique, ce qui aurait sen doute été préférable. Les synthèses ont été réalisées en montant les propos des individus de façon documentaire, photographique, tout en tentant dinterférer le moins possible. Le texte en italique est issu des interviews et na pas été retouché ; par contre les passages en écriture normale sont des interventions de ma part permettant de construire un texte compréhensible pour le lecteur. Il ne ma pas paru utile de retranscrire les propos que javais formulé durant ces rencontres en accord avec la méthode choisie (voir à travers les yeux des acteurs rencontrés), mais aussi dans un but de laisser enfin la parole aux protagonistes de ce travail, ceux-ci déclarant y avoir rarement accès dans leur vie quotidienne. Chaque participant a été prévenu de la confidentialité et de lanonymation de ses propos aux préalables ainsi que du temps que prendraient ces rencontres. Leurs consentements furent immédiats et ils firent clairement entendre leur désir de conserver leur prénom ou pseudonyme dans mon rendu écrit. Par souci dhonnêteté, en terme méthodologique et épistémologique, des passages des deux entretiens de cette année (jaurais désiré pouvoir intégrer la totalité des interviews mais faute de temps, je nai pu les corriger orthographiquement pour ce rendu), que jai jugé malencontreux méthodologiquement, sont proposés en annexe, donnant la possibilité à chaque lecteur démettre des remarques critiques sur la conduite dentretien.
2. 5. 1. Clara ou la vie nomade.
2. 5. 1. 1. Un entretien marqué par lassignation éducative.
Lanimateur de la structure me présente comme étant une ancienne éducatrice, auprès de Clara et dune autre personne. Il leur expose mon besoin déchanger avec elles pour une étude. Elles discutent avec différentes personnes. Je mintègre dans la discussion, caresse les chiens. Je leur précise que je ne suis pas là en tant quéducatrice mais que je mintéresse à leur façon de vivre, ceci afin datténuer le biais hiérarchique induit par le positionnement que lanimateur ma donné. Là, elles commencent à me parler de leurs vies, de leurs anecdotes avec le groupement Don Quichotte. Malgré une joie apparente, le sujet est assez concernant. Les différentes personnes partagent le même point de vue : ils évoquent lagressivité, les bagarres, la tension montante dans le campement. Clara lors de lentretien mexplique « Tout à lheure y a une fille complètement débile qua essayé de tous nous monter les unes contre les autres... Elle prend un bâton, elle tape les plus faibles. Elle a tapé X. Elle est défonce. Laurait pu aller à lhosto ! Elle est complètement dingue cte meuf... ». La frustration, le manque de réponse en terme de logement, les promesses médiatico-politiques commencent à les agacer, sans compter que lalcool, les drogues aidant, les « Dons Quichottes » ont du mal à canaliser la situation.
Cest donc dans un climat un peu difficile que seront réalisés les entretiens.
Clara me lance « on y va ! », et cest parti ! Dun pas décidé bien quanxieuse, elle se dirige vers le bureau, sabandonne sur la chaise. Je me place donc à ses côtés dans une position similaire (symétrie relationnelle). Lentretien sest déroulé en deux parties : la première dans un bureau de la boutique durant 20 minutes puis 30 minutes plus tard, la seconde dans la rue (35 minutes). Linterruption est due à des obligations éducatives de la structure (gestion des douches) et le changement de lieu, à laboiement intempestif du chien de Clara qui a déclenché une plainte des voisins auprès de lassociation. Un peu nerveuses toutes les deux au début de la discussion, nous avons discuté de ses chiens, de son origine géographique avant de rentrer dans le vif du sujet.
Le flot de Clara est particulièrement rapide et dense. Elle contracte les mots. En ce sens lors de la retranscription, il est possible que certains mots ayant trait à son vocabulaire ne soient pas tout à fait bien notés. Par contre, la non-directivité, de par ce fait, a été relativement respectée.
2. 5. 1. 2. Clara, une zonarde hyper-dynamique.
Clara arrive à la boutique un air nonchalant et un sourire aux lèvres, elle conduit une poussette avec un jeune chiot noir samusant comme sil sagissait dune voiture de course. Son autre chien lui aussi noir mais plus âgé la suit. Elle est accompagnée de deux amis : une jeune fille à peu près du même âge (19 ans) et un jeune homme. Elle arbore un look relativement masculin : pantalon treillis, sweet kaki, tennis de skate aux pieds, plusieurs piercings. Les cheveux longs coiffés dune lock nouée avec des fils de couleur, elle donne limpression de prendre soin de son apparence. Aujourdhui elle est venue prendre une douche et demander un ticket pour la vaccination de son chiot. Les discussions vont bon train, lensemble des personnes présentes (dont Clara) devant lassociation discutent une clope à la bouche : de la croissance, des bêtises des chiens, qui eux continuent à mastiquer le paillasson, à aboyer joyeusement. Jai la même sensation en les voyant quavec les mamans qui attendent leurs enfants à la sortie de lécole, évoquant tendrement les faits et gestes de leurs chérubins.
Elle na pas voulu parler de sa famille, malgré mes tentatives indirectes. Elle ma juste dit quelle navait pas de relation avec eux. Clara travaille régulièrement : «Je bossais au black mais ça fait quelques semaines que jy suis pas allée. Je pense que jsuis renvoyée, après cest pas grave ». Elle ne parlera que de lhistoire de ses consommations pour se présenter : « Jconsommais du teuch avec les mecs de mon école. Jétais en foyer. Jai toujours paru plus âgée que jlétais en fait, javais djà 20 ans sur ma tête. Donc y a un gars, un Colombien justement, quétait vnu m draguer, et euh après voilà quoi, il ma proposé des extas et cest comme ça quj'ai commencé quoi en fait. »
2. 5. 1. 3. La résistance du corps.
« Jai 19 ans. Ça fait 1 an que jsuis à la rue avec euh... les Zonards mais jaime bien les vieux aussi (
) Les Zonards, cest les gens qui vivent de la manche, qui font pas grand-chose honnêtement, qui aiment bien se torcher la gueule, allez à toutes les chos, les teufs qui passent sous lnez. Iboivent, on sdrogue, on a des chiens et on les aime (
) Les zonards, on est en groupe. Rien que physiquement ça se reconnaît. Les trucs dans les cheveux, une locks cest trop jolie ! (
) Les trucs amples, habillés en vert en général, habillés plutôt mal et militaire parce que ça tient très chaud et cest pratique, cest pas cher. On aime bien tracer. (
)
On vit à plusieurs dans un squat. (...). On est à plusieurs, on trace ensemble. (
) On est quatre pour linstant. (
) Cest caché, personne sait où cest. Ya pas dembrouille ! (
) Dans le squat chacun soccupe de son chien, (...) . Si on est tous ensemble chacun participe pour les courses, soit on fait la manche, on met largent en commun, ou alors chacun fait sa manche et on participe pour les courses. Yen a iz ont le RMI font pas trop la manche. (
) Dans mon squat cest des kepuns, musique kepun, mais izaiment bien la hard tech aussi.
(
) Jvais dans un techos, (...) jvais prendre quelques amphètes. On sent vachement les vibrations du son, on a limpression de tout ressentir, les gens sont complètement en transe, (...). On va plutôt adorer la musique, (...) limite par terre devant le son, le son le plus fort possible quoi, vraiment suivre le son avec le corps. (
).
Pour les prods chacun spaye son prod, ou rembourse plus tard. Ca dépend desquels, yen a ils sont plus extas, yen a isont plus came, plus L.S.D. ça dépend quoi. Chacun à son produit plus ou moins fétiche. (
) Moi j sais qucest lhéroïne mon produit fétiche. Mais jai un pote cest le L.S.D... Alors que moi... les parties mentales du L.S.D.... je suis trop tordue dans ma tête, je supporte pas. (
) Lhéroïne, je la prends (
) en taquet, en injection, en snif cest pas assez fort. (
) Jsais cqui faut prendre et pas prendre, quoi. En même temps quoi, après y a des trucs quj'ai déjà fait quand même. (
) Jessaie toujours den prendre en petite dose et si jvois que cest pas fort, jprends la moitié et puis entier. Après jprends pas non plus à nimporte qui quoi ! Jpense quy a toujours quelquun pour lavoir testé avant, mais après jstresse. (
). On mdit faut pas faire ça ! Jvais lfaire. Au niveau des prods je suis super conne. Je risque trop de trucs. Jregarde cque je peux résister, ce que jpeux tenir. Jai vu jpouvais tenir d'tfaçon. (
) Jprends pas les seringues des autres, en règle générale non .(...). Parce quon les a gratuites. Mais cest vrai qucest déjà arrivé quy en avait pas une seule, que tout est fermé. (...) . Jprends la seringue de mes potes mais jfais gaffe à cqui s pique pas depuis longtemps, (...). Jfais attention, mais je peux pas faire attention non plus. (
) On parle beaucoup de prods mais pas du risque. Disons, plus du plaisir des expériences que chacun on a vécu. (
)
Et là pour la came quoi en fait, jétais avec un groupe de gens, javais à peu près 14 ans. Un groupe de gens que « jtrouvais trop cool » (en se moquant delle même). En fait jai vu qui spiquaient à la came et jles trouvais trop cool ! Jai voulu faire la même et cest comme ça qujai commencé d'tfaçon. (
). Jai eu lidée den prendre. (
). Le flash cest ce quil y a de plus beau, cest mieux quun orgasme. (
). Je baise pas. Jai même pas envie de ce genre de truc. (
). Lutilisation de préservatifs non, non, parce que cest pas des gens qui vivent dehors avec qui jsors (...). Y a pas trop drisques.
Dans la rue ya beaucoup dhistoires entre nous, yen a qui saiment pas, mais quand ya une caille (...) on s met tous contre elle. (
) Les cailles, izdéfoncent pareils que nous (...) sauf qui rfusent de ldire. (
).
Il y a eu une bagarre à cause dun ballon dfoot, voulaient pas nous lrendre, cest parti dlà. Cétait pour les défendre (les zonards) ! Les cailles sont toujours à plusieurs. (
) Jai une cicatrice ici. Cest une grande bagarre générale... à Bordeaux ctété. Tous les ptits cailles de la Victoire. On sest bagarré mutuellement tout façon, une cinquantaine de personnes. (
). Jai gardé les chiens... jsuis pas trop bagarre... puis ya un gros black quarrive derrière moi, jl'ai pas vu... Bouf ! Une bouteille sur la gueule ! Direct à lhôpital. (
) Tous ceux ce qui ont une bagarre izont des coquards, des oeils au beurre noir, ivont à lhôpital. Jme bagarre pas particulièrement... par contre jsuis hyper résistante .
Si tout le monde était comme nous on pourrait plus faire cquon fait, (...). Heureusement quy a des gens quon naime pas. Cest pas quon aime pas, mais i passent devant idisent rien, la politesse cest gratuit ! ! ! Faut quy ait des gens comme ça pour donner des pièces. (
). On utilise pas cette manière de vivre. On trouve ça débile. (
) Idoivent semmerder à force, moi jsuis partie en Inde. Je suis dehors, jme débrouille pour vivre. Alors queux, isfont chier, à faire plein dsous pour partir en voyage ... I vont dans des supers grands hôtels, ivont même pas voir la culture. Ça sert à rien cqui font ! (
).
Nous on veut faire, pour que nous ça bouge pour nous. Mais les autres on sen fout ! Par exemple nous cquon veut tous quoi ; cest plus tard avoir une maison à la campagne, un grand terrain et vivre de notre potager. Enfin vivre nous même de not propre truc à nous quoi. Moi jai envie davoir des vaches. (
) Jai pas envie drester plantée toute ma vie dans un même appart, avec mon même boulot, et même patron sur le dos, les même gens tout le temps. (
) Jpréfère vivre ma vie à fond, m'éclater ! (
)
Jai toujours dis que jmourerai dune OD. Je lsentirai pas venir. Ça fait pas mal. Comme ça jpartirai dans une perche. Jaime la drogue donc jai envie de mourir avec. (
). Moi 40, 50 ans cest fini ! (
). Moi si jdeviens grosse et moche, jme tue direct. Jvais pas prendre soin de moi. Par contre, jai pas envie dêtre maigre non plus. Par contre ça faisait une semaine que jmétais pas lavée. Et avant, un mois à cause des chiens et tout. (
). Jai pas envie que les gens izaient une image de moi dans le cercueil, toute moche toute ridée. Je veux qui voient une jolie jeune fille, très belle. »
2. 5. 2. Passe-Muraille, ou lhabitant de « partout et de nulle part ».
2. 5 . 2. 1. De bouches à oreilles.
La rencontre avec Passe-Muraille a eu lieu le lendemain de celle de Clara, ils se connaissent. Elle la prévenu de mon enquête. Lui aussi est là pour prendre une douche. En lui parlant, la première fois, il ne mavait pas dit quil était venu pour réaliser un entretien. Il men fera part par la suite, comme sil était important que ce soit moi qui le choisisse, qui devine son désir de participation.
Son mode de vie, il en est fier. Il le défend ardemment. Son témoignage est mûrement réfléchi, une ode à une vie libertaire. Jai pensé que sa venue délibérée était le fruit dune volonté de transmission de sa vérité quelle soit retranscrite au plus juste, afin dempêcher une quelconque manipulation ou erreur de ma part, ou du moins des institutions que je représente à ses yeux. Après accord de léquipe médico-éducative, je lui propose donc de venir discuter avec moi de sa façon de vivre et de sa vision du risque.
Lentretien a été réalisé dans un bureau avec un positionnement côte à côte pour ne pas établir de dissymétrie relationnelle. Au départ, Passe Muraille est peu à son aise, nous commençons donc lentretien par des échanges peu engageants personnellement : son arrivée à Bordeaux, son chien. Il a 18 ans et vit en squat avec 4 autres personnes dont Clara. Il a du mal à se laisser aller, moi aussi, il ne comprend pas toujours où je veux en venir, cela ne le rassure pas, il le verbalisera quand jévoquerai la notion de culture. Il me répondra quil ne sait pas ce que je veux dire : que la culture « cest quoi ?».
Du coup, lentretien sera mené de façon semi-directive, ayant senti une certaine anxiété. La discussion durera 42 minutes.
2. 5. 2. 2. Portrait dun gavroche discret.
Passe-Muraille est un jeune homme de 18 ans. Un visage fin opalin, de grands yeux bleus, des cheveux blonds coiffés en crête, une sensation de pureté se dégage de son apparence constrastant avec les piercings qui ornent ses sourcils et ses lèvres , me rappelant les personnages de « Elephant » (Film de Gus Van Sant). Un savant mélange de douceur et de violence. Veste militaire, jean droit, rien nest laissé au hasard, un ange, « punk anarchiste » déchu. Il est accompagné de son chien. Il parle doucement et clairement, mais les jambes bougent par petites secousses, inlassablement, révélant son inquiétude.
«Jai commencé à fumer des clopes et du cannabis à 8 ans et à 13 ans cest la défonce, à force que ma mère me met dehors, parce que jfaisais des fugues pendant un mois par exemple (...) . Elle appelait les keufs, im retrouvaient, des fois ça durait plus longtemps, im ramenaient chez elle, hop ! Jrevenais le soir même ou llendemain. Ma mère mdisait : « Tu dégages ! ». Elle rappelait les keufs. (
). Voilà quoi, maintenant jsuis majeur et vacciné. Cest bon, elle mlaisse tranquille. Ma mère ne maime pas. (
). Elle est du côté FN quoi, jsuis pas du tout dccôté là, depuis ma tendre enfance, jai jamais voulu connaître leurs idées (...) . Moi jai ma vie, elle fait la sienne. (
). Mon père est mort, il avait les mêmes idées mais i sen foutait dmes idées , idisait : « Tu veux être défoncé (...) cest ta vie cest pas la mienne ! ». Mon père ma dit : « Soit différent des autres ! ». Moi jsuis différent. I sont tous avec leur Pento gel, leurs bordels euh... à trois mille euros le jean. (
). Jai toujours été comme ça (...) depuis quje suis né, jsuis comme ça, jai jamais trop aimé la tune. »
2. 5. 2. 3. « Punk is not dead ! »
« Jsuis dpartout et de nulle part, je bouge partout. Si jai envie dbouger jprends ltrain jvais m barrer ailleurs. (
) Je vis en squat avec celle que vous avez vu en bas, un aute pote, une aute copine . (
) Quand on ouvre un squat djà on a un risque. Ya les keufs qui passent, si tu fous un peu trop de bordel. (
) Jai la trouille dm faire contrôler, jai pas envie dretourner au ballon. (
) Ma liberté cest tout cqujdemand (...) . Tout cqujveux cest ma liberté ! Jai pas envie dtravailler pour payer un loyer. Dans notvie on est là pour en profiter, on est pas là pour être des esclaves. (
).
Jai commencé tôt lapprentissage de la drogue. Jai commencé les clopes et les bédots javais 8 ans. Après 9 ans, les douilles, à 13, jbouffais des cachetons (...) autour de 14, 15 ans, cétait la coc, cétait lhéro. (
). A 8 ans, jmamusais. Jséchais les cours et voir les potes, (...). Jattendais qui soient déchirés pour fumer leur bédots. Ils mont appris plein d trucs ! (
)
Pour les seringues jpréfère pas prendre de risque. On sle dit tsais. On a quune seule vie ! Sserait con dcrever dune maladie. (...) La vie, faut en profiter, elle est assez courte . (
). Par contre jamais de préservatif, jconnais un minimum la personne (...). On ny pense pas, jpense plutôt aux drogues. (
).
Je fais du saut à lélastique, des conneries comme ça, qui l font bien, qui font peur. Jvais aller dans un circuit, pour faire du quad, dla moto. Jvais à fond quitte à mexploser au moins y a personne. (
). Si jarrive à sauter dun immeuble de 9 mètres (...), jtrouve quça gère. Franchement, la mort, jen ai pas peur ! (
). Tu tfais buter par un car tant pis. On va tous y passer ! Cest pas toi qua choisi ! Dune overdose jmen fous. Me faire écraser, jm en fous. (
). Jmen fous dy passer ! Jen ai rien à foutre ! Mais jai pas envie dtuer des gens.
Jaime bien la bagarre, cest marrant. Soit ça passe, soit ça casse. Jmen fiche. (
). Si quelquun ime provoque, jlprovoque aussi à mon tour. Ça fait genre un peu comme les chiens, comme les chiens dominants. Y en a un qui va provoquer lautre pour voir sil arrive à ldominer. (
).
La rue cest un choix. Jveux la rue cest tout. (
) Si jvois un gars quest en galère qui fait la manche. Moi jai encore dla tune, jai pas besoin, vas y tiens ! (
). Largent ça sert à rien. Cest une invention. Comment y faisaient au temps dla préhistoire ? (...) Ils avaient le troc, des trucs comme ça. Cest mieux ! (
).
Avec X, le mois prochain, vu qulà elle va faire ses papiers de R.M.I, on va sacheter une grande tente. Sposer en Espagne, un truc comme ça, dans les bois et quitte à vivre comme des hippies. Cest à dire à cultiver, chasser, tout ça, quoi. (
). Jmen bats les couilles ! Ça m plaît de mposer en Espagne, avoir ma ptite meute de chiens. (
). A la base jsuis Punk anarchiste. (
). Le punk il est pas mort, tant quy aura des petits connards comme nous qui ouvriront notgueule ! (
). Punk is not dead ! (
). On peut vivre aussi bien quéquun quest en appartement. Jai ma liberté qui zont pas eux ! »
2. 5. 3. Jon de lenfant de la techno au retraité voyageur.
2. 5. 3. 1. 2007, Plaisanteries et héroïne.
Quinze jours après les deux premiers entretiens, je reviens à la boutique, il est 14 heures. Jon discute des chiens avec une fille que jai déjà vue. Ils sont en train dessayer de les attacher, et il attend son tour pour voir linfirmière à cause dune plaie à la jambe qui sest infectée. Je m'immisce dans la conversation, elle lui dit que je fais une étude sur leurs vies, mais quelle ne veut pas y contribuer. Lui par contre manifeste directement de l'intérêt pour mon travail mais me signale quil ne viendra quaprès son soin infirmier. Je demande donc à léquipe sil est possible doccuper le bureau pour un nouvel entretien.
Vers 16 heures, il me jette un Bon cest parti ! . Dun air débonnaire, en plaisantant il lance que sil nest pas redescendu dans une heure cest que je laurais agressé sexuellement et quil aura sûrement besoin daide ! Il a lair daimer badiner, provoquer. Le contact est aisé. Les yeux mis clos, laissant transparaître une consommation dhéroïne ou dune autre substance qui lanesthésie, le détend, il parle doucement et laisse les mots traîner. Nous nous plaçons côte à côte dans le bureau, il regarde le dictaphone, et me lance que cest cool denregistrer au moins je nécrirai pas. Je lui précise que par la suite ses paroles seront écrites et que pour discuter il ma paru plus aisé de procéder ainsi. Lentretien, une quasi-discussion, durera 38 minutes.
2. 5. 3. 2. 2007, Jon , le débonnaire, provoqu.
Jon, de taille moyenne, mince, la chevelure brune hirsute, des yeux marrons à peine entrouverts mais pétillants, des piercings sur le visage, est revêtu de vêtements larges et sales, ornés de nombreuses traces de terre, de poussière, de cambouis. Son jean très ample se superpose sur un pantalon de jogging. Le pantalon servant de première strate, mal fermé, parait ne tenir que par miracle sur ses cuisses. Son style débraillé, usé un peu grunge semble être étudié.
Il commence lentretien par une présentation personnelle spontanée, naturelle. Vu la qualité de ses paroles, elles seront utilisées comme telles pour continuer ce portrait.
« Je mappelle Jon. Cest mon surnom, sinon cest Jon dOeuf. Je suis originaire du Jura, jai bientôt 30 piges, je suis parti de chez moi à 19 ans, je suis toxico depuis 19 ans, jai fumé des joints quand jétais gamin, un peu comme tout lmonde. Bon bé voilà quoi ! Mais voilà quoi. La première fois que jai pris des drogues dures cétait injection dhéroïne, après ça a suivi cocaïne, et après ben les teufs donc euh... L.S.D, ecstasys, amphétamines. Maintenant jme perche moins la gueule. (
). En fait tvois, en fait, jai vécu dans un milieu, mon père était keuf, donc déjà cest comme ça, comme ça ! ( il fait des signes avec ses mains pour dessiner un carré). (
). Mon grand père était militaire. Et voilà à 16 ans jfumais des joints, mon père i ma serré avec du shit et tout. Pour tdire qui ma quand même, pour 3 grammes de shit, mon père i ma foutu 96 h en garde à vue. Ah, ouais ! Mais cest lgros con de chez gros con ! Cest lconnard moyen, depuis on s parle plus machin. (
). Yavais dlamour, tu vois mon père y maimait. Y maime toujours. Tsais ma mère elle maimait quoi. Maintenant, elle est plus là. Mais elle maimait quoi. Frangin, frangine, euh..., eux cest pareil tu vois. Jai toujours des contacts avec eux. »
2. 5. 3. 3. Séclater et rien dautre.
« Jfais dla musique, aussi jy vais (...) (dans des fêtes technos) plus pour voir mes potes, mamuser avec mes potes, faire de la musique et tout. Bon après, de temps en temps jm fais un petit plaisir et tout, mais jme mets moins la race quavant. Après euh... ldanger quand tes toxico..., déjàtes dans la rue, cest shooter pas propre. Ben quand tes dans un squat tout pourave... (
) Jai jamais échangé mon mathos. La dssus jprête pas mon matos, on spasse pas du matos, ya assez dassos pour allez le chercher.
La première fois, jm suis retrouvé à la rue, jsuis tombé sur un gars, y m fait euh ... on est resté quelques jours ensemble, im fait :
Le gars : Tiens moi jmonte en Hollande tas envie dmonter avec moi ?
Jon dOeuf : Ouais !
Jsuis jamais allé en Hollande allez yep ! go ! Et euh... arrivés en Hollande. Bon on smet à fumer des pétards et tout, et im fait :
Le gars : Moi jai bien envie dacheter dlhéro et dla coc !
Jon dOeuf : Comme tu veux et tout.
Jle vois sfaire un shoot et tout.
Le gars : Tu veux goûter? (...)
Puis là jai bien aimé. Cest bon. I ma fait le premier taquet dhéro, et dcoc, puis là après ben voilà. Quand on tmontre une fois tu sais comment faut faire, et après jm les fsais tout seul. Jsuis un mec vachement curieux. Jai passé mon PAC A parachutisme. Jai ma PAC A. Jai fait 6 sauts en parachute et l dernier, le septième jl'ai fait tout seul, et maintenant jpeux sauter tout seul en parachute. Ya rien dmieux mais ça coûte trop cher. Tes tellement, tes tellement limite tes tellement machin. Tsais que tu vois. Tsais même des fois tu tdis ton altimètre I sonne, et tes là ouais... encore une seconde tu vois. Tes là ouais... encore un ptit peu et là ça fait : bip ! bip ! bip ! bip ! bip ! bip !
(
) Tsais je suis dans lexcès à fond. (
) Tsais moi jsuis toxico. Non j gère pas. Jconnais mes limites tu vois, mais jsais qumes limites jpeux quand même aller loin. Jpeux men foutre dans la gueule avant dme dire : oula ! Faut qujarrête ! (
) Méclater, tu vois si jsuis avec mes potes nous on fait dla musique on va poser des caissons, on fait aller, voilà tu vois. On est là pour séclater et hop ! Pour faire dla musique et cest parti. On séclate avec la ptite family tsais. On a monté un son cet été ... (
) Tu vois ya les hippies, les rocks and roll... et ben tas les enfants dla techno la ddans.
(
) Vivre vite et mourir jeune. Jpréfère mourir après mon chien. (
) Javais bossé 3 mois à lusine. Cest pas pour moi. Javais lgoût dvoyage, javais lgoût dvoir plein dchoses, pas bosser la semaine et faire un truc le week- end. Allez en boite le week- end, séclater, ha ! ha ! supereuh ! ! ! Jm suis amusé 2 jours et puis jvais enrichir un putain dconnard dpatron qui mdonne un S.M.I.C de merde ! Tu vois vas-y jlache laffaire. Et de la tu vois ça fais 10 piges que jsuis dans la rue. Jsuis content dêtre dans la rue. (
) Moi, cest jai pas envie davoir une laisse autour du cou. (
) Jai bougé partout jsuis allé en Angleterre, en Espagne, au Portugal, au Maroc, en Algérie, en Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Italie , en Bulgarie, en camion tu vois faire des technivals, à poser du son, organiser des teufs, tsais vivre quoi !
Vas-y ! Vois du pays ! Et si tu crèves à 40 ans, tu crèves à 40 ans ! Mais au moins tauras ptête plus vu quun mec qu'a bossé 40 ans à lusine et qui aura fait 10 de retraite et qui va mourir. Et si ça trouve le pauvcon i va juste faire son jardin et point barre quoi.
(
) Cest pire quune lobotomie ! Tsais cest... , tsais..., jsais pas tsais, on ta enlevé ton cerveau. Tu rentres dans lusine, tsais on tenlève ton cerveau et on tle rend quand tu pars à la rtraite tu vois. Moi jsuis extrême gauche à vie ! Extrême gauche ! (
) Le système si tu veux ten dégager, tes obligé den profiter un moment dla matrice pour ten dégager tas pas lchoix. Tu vas être obligé dmettre des tunes de côté, même en fsant la manche, tes pas anarchiste, parce que tu profites du système quand même. Puisque cest les gens qui tdonnent de largent.
(
) On est en squat. On a ouvert un squat on a leau chaude, lélectricité , le chauffage, cest radis la plage ! Une méchante cour pour les chiens ! (...) Cest un immeuble avec plein dapparts. On est plusieurs, que des potes et pas dembrouilles. (
). Quand tas dlargent ben voilà quoi tu fais les courses en commun. (
) Tellement tu trimes, tu sais quton pote i trime aussi. Tsais donc autant chacun part dson côté la journée, lsoir tu trejoints. Même si yen a un qua fait 30 euros, lautre 4 euros, cest pas grave, cest la caisse communautaire. (
). Tsais on est dans la merde putain ! Si on saide pas nous qui cest qui va nous aider. (
) le B ça fait 10 piges quon sconnait, ça fait 10 piges quon fait la route ensemble, donc euh... Le ptit R ça fait 4 ans quil est avec nous, cest pareil. En fait cest moi lplus vieux ! Cest moi le grand frère et eux lptits frères. Cest même plus une famille cest un clan. (
) Les chiens, cest nos enfants, nos ptit bébés, elle (sa chienne) fait partie dla famille. (
)
Après y en a qui tapent certains trucs, yen a dautres, certains trucs, tu vois. Bon après, y a des trucs quon mpropose. Jdis non, tu vois. Mais quand y a dla coc, cest grosse teuf ! La coc cest tout lmonde. La coc, lhéro cest tout lmonde. (
) Moi quand jachète cest à des gens qujconnais sinon jachète pas. (
). Si parce que lmec, il la goûté avant. Tout les mecs à qui jlachète, cest des toxicos comme moi. (
).
Tu vois après 3, 4 mois faire les saisons et tout, faire des frites, trucs comme ça, tu téclates, tu rencontres du monde. Généralement qui cest qui fait les saisons ? Cest les SDF. Donc tu vois, cest les gens qui sont du même milieu qutoi. Tsais ldialogue i vient toutd suite. (
)
(
) Moi jimagine ma vie dans mon camion. Un gros bon poids lourd tu vois ! Avec plein dson, et m barrer dFrance, à tracer, à tracer... Pête que jmourerais dune OD, dun accident, jsais pas. Déjà jveux pas faire dgamin, cest cash ! Je vais pas l mette dans une planète pourrie et jouer avec des gros cons, ça sert à rien ! (
) »
2. 5. 3. 4. 2008, portrait dun jeune homme, sur qui la vie coule.
Un an après, je retrouve Jon mendiant devant un supermarché. Il me reconnaît et je lui demande sil serait partant pour un nouvel entretien dans le but de maider à poursuivre ma recherche sur les conduites à risque et sur leur mode de vie. Il accepte enjoué et me donne spontanément son numéro de téléphone afin de fixer un rendez-vous pour le lundi daprès. Il me proposera même à plusieurs reprises de venir au squat pour voir comment ils vivent. Je lui répondrai à cette occasion, que je le remercie grandement de son hospitalité mais quà court de temps cette année, ce ne sera pas possible. Par contre, je lui précise que lannée prochaine, ce sera avec grand plaisir. Le lundi dudit rendez-vous, comme convenu, je tente de le joindre. En vain. Le répondeur sactive automatiquement sans sonnerie. Par chance 3 semaines plus tard, je le retrouve devant le même supermarché avec des compagnons, nous reparlons de notre possible entrevue et il me demande de le recontacter le lundi après midi pour ne pas quil oublie de me rejoindre à 18h00. Je lappelle donc ce jour, après 4 tentatives, je parviens à le contacter, il est 16h00, il vient tout juste de se lever. Il me confirme le rendez-vous de 18h00, enthousiaste comme à son habitude. La relation est aisée, quasi familière de par son côté très sociable et curieux. Je le rencontre donc à lheure prévue. Il est avec des amis qui eux aussi maccueillent par un sourire et un bonjour comme sils me connaissaient déjà. Jon est en train dengloutir une bière. Un seul dentre eux, un homme plus âgé que le groupe (une cinquantaine dannées) me demandera de largent, je lui offrirai deux cigarettes ne voulant pas induire de relation dassistanat ou de dissymétrie avec le groupe dont Jon fait partie. Si javais acquiescé à cette requête, ceci aurait peut-être induit une distance relationnelle trop grande ou du moins une interaction empreinte daide me situant en tant que travailleuse sociale donc en décalage hiérarchique, empêchant lémergence dun vrai dialogue du fait dune dissymétrie et dune certaine interprétation de mes attentes.
Nous décidons donc après quelques minutes de dialogues informels dans le groupe, Jon, sa chienne et moi, de partir vers un café pour réaliser linterview. Le choix du café sest fait dun commun accord mais aussi en lien avec une atmosphère calme permettant lenregistrement. Le second critère principal était que lon puisse être en terrasse afin de fumer pour ne pas induire de coupure dans léchange et ne pas générer un stress supplémentaire. Nous nous asseyons alors autour dune table, le patron prend la commande sans prêter attention au look et à lattitude routarde de Jon (tenant une canette de bière à la main), ce qui paraît le surprendre. En effet, il arbore le même look que lannée dernière : une superposition de pantalons et de sweets dans des couleurs gris, kaki avec un anorak militaire à capuche. Sur sa tête rasée trônent quatre ou cinq locks. Ses mains, ses cheveux sont sales. Il dégage une odeur caractéristique dun manque dhygiène datant de quelques jours. Après avoir demandé une bière et un Perrier (pour ma part), je lui indique quil peut commander une nouvelle fois ce qui lui fait plaisir et quil peut taper dans le paquet de clopes autant que de besoin. Lentretien durera cette fois-ci-1h 40 minutes.
Jon na pas vraiment changé physiquement, peut-être un coup de vieux a-t-il accentué des rides que je navais pas perçues Son visage semble plus buriné par lalcool, rougeoyant, mais cette fois-ci, il ne paraît pas sous lemprise de lhéroïne. Toujours vêtu de la même façon quoiquun peu plus souillé, le sourire aux lèvres, il paraît plus las. Je crainds quil ne se clochardise. Il na pas bougé de Bordeaux durant la période qui sépare les deux entretiens, signe peut être dune fatigue, dune envie de stabilité, dune lassitude, dun abandon ?
2. 5. 3. 5. 2008, la perception dune lassitude masquée par la contestation.
« Alors cqui sest passé en un an et ben
Y a eu louverture de ce squat où on est bien. Y a eu pas mal de fêtes. Y a eu pas mal de
(
). problèmes avec la police. Du genre pas mal de gardes à vue pour un peu tout le monde pour rien du tout. (
) Cest voilà, cest chez Monsieur Jupé, grand ami de Sarkozy, qui veut nous faire partir quoi. (
) Maintenant tes plus qud deux avec des chiens, tu
voilà, tu peux pas être avec tes potes.
(
) Cest souvent quand on fait la manche quon est transparent. (
) Pour les commerçants, on est pas transparent parce que vu quon fait plus ou moins peur à certaines personnes, donc les gens osent pas rentrer dans les boutiques. Ils préfèrent tracer leur chemin. (
). Maintant jmy suis fait. Tvois ça
sape, des fois quand ty penses vraiment tas un pincement au cur, tes la putain vas-y tsais ! Jsuis un fantôme quoi ? Tsais. Mais cest... moi jm'y suis habitué. (
). Ben ouai, tfaçon jpense que les gens comme ça quand i' nous voyent is disent putain si jme retrouve à la rue et tout, jvais finir comme ça. (
). Cest là où on est pas dans une société où tu vois, liberté, égalité, fraternité, euh... là cest plutôt euh ..., vas-y Sarko ! Sarko jvous mets un doigt dans lcul et bossez quoi ! (
). On tinculque depuis qutes gosse tu vois voilà tsais, euh... on t' lobotomise à tdire : « Travailles bien à lécole pour avoir du boulot, pour avoir une maison, pour faire des enfants, pour tmarier et pis, euh
attendre daller à la rtraite ten profites », quoi. Vas-y ! Quoi, tu sais même pas si tu vas yarriver à la retraite !! (
) Moi jfais ma rtraite maintnant et voilà
Ben après, ben j mourrai. Voilà moi jsuis en rtraite. (
) Jprofite de la vie, quand jen ai marre dun truc jvais faire autchose, voilà
. Jai envie dbouger, je bouge, y a rien qui me rtient.
(
) Ben y a eu euh
, un article de fait justement dans lSud-Ouest sur la zone, comme quoi euh, tas plein dcommerçants quont portés plainte et tout cont nous par ce quon était nuisible à leurs affaires et tout. (
) Nous justement on a
, on a convoqué un journaliste du Sud-Ouest pour faire un contre article et tout et
euh
, il la passé. Et y a re-eu un article et tout comme quoi cétait scandaleux quun journaliste (
) prenne la défense euh... des SDF et tout. Qui puisse passer un article comme quoi on est limite des êtres humains
, et en fait, cest pas bien. On a pas ldroit vivre quoi ! (
). Jpense, jpense, ben cest, bon après cest vrai qudes fois quand tas dix personnes euh
dix chiens, qules chiens quaboyent et tout, y a certaines personnes quont peurs, mais on est pas méchants, on va pas leur sauter dssus, on
On leur taxe une pièce cest tout quoi. (
). Ouais, puis ouais, cest ptête notlook aussi un peu euh
un peu euhhh
extravagant ! Hein ! Qui font peur et tout quoi, mais les gens i prennent pas ltemps ddiscuter avec nous donc euh
hein, tsais, (
) on est comme tout le monde quoi ! Mais on est dehors. (
). Après, moi, cest un style de vie qujai choisi (
). Voilà jaime la rue, jaime bouger, faire des rencontres euh... les gens si i peuvent pas comprendre ça euh... Cest dommage quoi. (
) On est pas né pour sfaire chier dans un taf de merde ! À payer des factures à la con ! Pour euh voilà
(
). Non, jai essayé y a
euh,
y a trois ans. (
) Tu vois euh
par rapport à mon RMI, iz allaient mle couper si j'faisais rien. Donc jme suis pris un appart, jai fait un CES. (
). Déprime totale quoi. (
). Si faut quj tourne au Valium au machin comme ça pour tenir
euh non ! (
) Jétais opprimé, mal. (
) C'est jouer un rôle en fait. Qu cest ouais voilà cest
qucest, ici tes un SIM. (
)... Me retrouver tu vois
à êt' tout lcontraire de moi-même. (
)
Après jai des contacts avec ma famille euh
(
). Izont eu du mal à comprendre, tu vois. I mont fait la gueule pendant quand même pas mal de temps parce qu izont eu carrément du mal à comprendre
que jpouvais, que j pouvais choisir un chmin comme ça quoi parce que eux i z ont tous tu vois un bon taf, euh
(
). I sont même ennuyants. (Nous rions). (
). Euh..., Hem..., ça les fait flipper quoi. Tu vois, jai djà not mère quest décédée, tu vois ça été un coup dur pour tout lmonde euh
Izont pas envie non plus d mvoir dans un cercueil quoi. Moi ça va jsuis en pleine forme. Jsais jusquoù jpeux aller et jusquoù jdois pas aller. (
).
J' prends soin quand même de moi, mais
(
). Si ben, quand même tes malade tes pas bien, donc quand tes pas bien tas envie dêt bien quoi (
). Jm' soigne. Dès qujvois qujmfais un abcès, jvais à lhôpital, sous antibiotique ou jme fais opérer ou jreste pas
jreste pas comme ça. (
). Ben tas pas trop envie quon tcoupe un bras, une jambe, euh
surtout quand tes à la rue quoi. (
). Jfais gaffe, jfais gaffe à ma santé. (
). (
) Jattends pas dcrever à ptit feu quoi. (
). La vie c'est dure, tu souffres, tu pleures, tu rigoles, tas des joies, tas des peines et ça vaut la peine dêt vécue. (
). Si jprends pas ddouche pendant trois jours, jprends pas ddouche pendant 3 jours, tsais. (
).
(
) Ben écoute, moi jsais c que jsuis, donc euh
le regard des gens, moi jmen fous un peu. Et les gens qui mconnaissent isavent cque jsuis donc euh
, cest clair. Mon look, jcultiv cqui mressemble. (
). Jaffiche
un mec un peu barjot, qua pas peur du rgard justement, un peu extravagant, libre de shabiller comme on veut euh
et dessayer de ressembler à personne daut. Mon style cest (
) Technopunk. Pratique, quon soit à laise dedans.
Et sur les prods (
) on est tous à fond, tous à fond. (
) À part les extas. (
). Lhéro, ça marrive, mais euh
ben en fait cest quand jprends pas dsub, quand ya dla bonne came jen prends quoi. (
) La coc (
), tsais, cest dla balle. Cest trop bon, moi jadore ça cest mon péché mignon. (
). Ça fait (
)
des sensations. forteeeees
Ça cogite dure. Bien être.(
)
(
) Ouais toujours, toujours des conduites à risque. Toujours le shoot quoi, hum ben toujours taper des prods quoi. (
). Jai pas peur dla mort donc jpeux pas avoir peur de ça . (
). Si là par contre, si jvois vraiment que euh
vas-y ralentis ! Bon après, jai quand même un peu ralenti comparé à lannée dernière, quoi. (
). Jme mets pas la race tous les jours euh
, moi cest surtout quand jvais en teuf. (
). Non, non, avant jfaisais. Voilà cest pareil à trente ans, tu calmes aussi, tu vois, quand même tsais. Jen ai pris djà pas mal et jai dautchose à faire que taper des prods quoi. (
). En fait, jaurais dla coctous les jours, jdis pas jcrois qujen taperais tous les jours. Mais après y a daut drogues
justement tu tmets à
tu ten lasses et puis tu vois, y a des drogues tu vas pas prendre tous les jours non plus. Tu vas pas prendre de la Ké tous les jours non plus. (
). Puis, ten prends
tapprécies plus le produit quand ten prends moins. Tu vois cque jveux dire (
). Le seul truc jpeux pas, voilà jeeee
qujprends tous les jours, cest
dlalcool quoi. Euh
Ouais, jsuis alcoolique et
puis voilà, tsais. Cest ça lpire parce quaprès y a des choses que jai arrêté dprendre et lalcool jpeux pas quoi. (
).
(
) Ah, ben, tfaçon rapports protégés, pas déchanges de sringues, ça non. Ça non. Ça mferait trop chier de choper lDAS, pour soit une heure de plaisir avec une meuf, ou euh
ou euh, une heure de plaisir avec une pompe tu vois. (
). Ben quand même tu vois, parce que la maladie tu souffres, comme jtai dit tà lheure, la mort, ça mfait pas peur mais jveux pas mourir en souffrant, comme tout lmonde tu vois. (
) Autant on peut êt fragile au niveau du corps, autant on peut êt fragile mentalement ou y en a qui sont plus émotifs que daut, yen a qui sont plus fragiles que daut et euh
ben tsais, cest clair. (
).
(
) Ben écoute quoi, est-ce que tu crois qutu contrôles ta vie ? (
). On pense la contrôler, mais y a toujours un truc qui fait que non. Non, jaimrais pas la contrôler. Parce quy aurait pas dsurprise. Cest laventure. (
). Cest comme jte disais, jaimerais pas savoir quel jour jvais mourir (
). Cqui explique que jme mets en danger, cest ladrénaline. (
) La sensation quça tfait... Cest dla peur mélangée avec du plaisir quoi. Jsais pas comment tdire ça. Tes là putain quest-cqui va spasser, merde ! Et en même temps tes là putain cest nouveau, cest
donc tout ça smélange et
(
). Cest fouuuu jmen suis sorti, ben oui on continue. (
)
Ben ldestin, jy crois pas déjà. (
). Y a rien qui décide. Cest toi qui décides mais euh... Cqui va s pass
mais euh
(
). Euh ouais vu qujcrois pas en dieu
(silence). (
) Ouai y a ptêt une force mais euh
(
). Moi cest jai eu chaud, ça craint, jai eu chaud. Et puis tu tdis, ouais jlreferais pas et puis euh
en sachant très bien qutu vas lrefaire, tu vois. (
). Parce que jaime la défonce. (
). Euh, ça mest arrivé des fois dêtre en stand by, carrément surtout sous Ké. (
). Mais non écoute cest vrai qujai fait des trucs à risque et tout, mais jsuis toujours là donc ça mfait pas flipper quoi. Mais jdevrais ptêtre euh
(
). (
) Ça mferait chier dêtre
, davoir le cerveau légume quoi. Putain quand jvois les gens cheps. (
) Tu penses plus, tas lcerveau vide, tu peux pas avoir dconversation, tu euh
tsais, tes euh
limite tes dans lcoma quoi. Tas plus dexpression, tes débile quoi. (
). Tu vois en plus jaime trop parler avec les gens, rencontrer des gens et tout. (
) Tes vide, tas plus démotions. Ça doit êthorrible tu vois dpas pouvoir texprimer, tu vois avoir des notions et tout. Tu vois tes plus rien, tes plus toi même. (
) Tu contrôles plus non plus. (
) Ben après, voilà tsais, tu prends des risques, mais voilà tsais jm connais. Jsais que
Voilà quen cest stop, cest stop, tu vois. Cest pas parcque ya un pote qui sremet à un trip, (
) tu vas pas faire, l'quéqué, fairlmalin, voilà tsais, quand jsais
voilà. (
) Ben, parce que au bout dun moment tu tconnaîs quoi, tu sais où ifaut qutu tarrêtes, quoi, tsais. Cest
une fois qutu connais lproduit et tout, et qutu tconnais toi avec lproduit ben, un moment tu fais
(
) Les potes cheps isont partis en HP. Et puis maintnant à fond dmédocs et voilà i percutent plus rien. (
). LHP, Pff ! Lhorreur. Lhorreur. La prison et avec des tarés quoi.
Jy pense à la mort, (
) ouais bé, cest normal, cest clair tsais. Voilà jme fais un shoot, jsais très bien qujpeux y rester aussi tu vois. Ou quand on est en teuf, abuser et tout, mais euh
ça mfait pas plus peur que ça. Ya un truc qui me ferait vraiment chier, si jmeurs là maintnant, cest pour ma chienne. (
) Voilà si y a quelquun qui doit partir en premier cest elle, cest pas moi. Après moi jmen foutrais dpartir. (
) Ben, ça ttrahira jamais un chien. (
) Puis cest un peu, cest un peu bizarre cque jvais tdire, mais en fait ça fait du bien davoir quelquun qui dépend de toi, en fait tu vois cque jveux dire ? (
). Dt dire qutu sers à quequ chose quand même. Même si tes en bas dléchelle tu vois dla société entre guillemets. (
) Cest les gens qui nous considèrent en bas de léchelle. Mais moi jmsens pas du tout, du tout, du tout en bas dléchelle. (
) Cest lêtre humain qua créé ça, histoire dêteuh
plus fière que laut parce quil a un meilleur taf. (
)
Pour la mort, (
) ah
euh
jpréférais tu vois euh... aller mcoucher et plus mréveiller tu vois. (
) Après cest clair, jpense pas quy ait beaucoup dpersonnes qui ont envie dmourir dans la souffrance. (
). Jvais tdire, honnêtement jespère quy a rien après la mort. Ouais. (
) Paradis euh... prut ! J vais tdire là on est en enfer et jpense pas quy ait
Tas vu lmonde où on est : guerres euh
, génocides, pesticides, OGM, on essaye de nous faire crever toute façon. (
). Métro, boulot, dodo, tu vois les gens izont arrêté de penser quoi. (
). Pour moi cest lenfer. (
). Euh... hem, cest des moutons. (
) Parce qui' zont peur justement. Tu penses pas parce que tas peur. (
). Y a un cycle de vie quoi. Tu nais, tu meurs. Voilà après tu sais pas quand, tu sais pas quand. (
). Cest cquon est en train dfaire là. (
). Ben voilà, tu vieillis. Ben quand tu vieillis au bout dun moment tsais, jsais pas euh
hup ! Euh... tu peux passer là tu fais pas gaffe, boum tiens ça y est (il me montre la rue indiquant un accident de voiture). Jsuis mort. (
). Cest une mort toute con. Voilà tfaçon toutes les morts sont cons. (
). Ben ouais, moi jpense pas tu vois, tu meurs ton esprit i part dans lparadis et tout, ça cest les gens pour srassurer parce quils veulent surtout pas quy est rien après la mort quoi, (
) iveulent absolument êt' sûrs (
) y a après une continuité. Alors i zont peur daller en enfer, mais iveulent surtout aller au paradis tu vois. (
) Vieux, pas vieux, jmen fous. Hop jm'endors et puis jmréveille pas. Jpense que cest la mort la plus tranquille quoi tu vois. Tu souffres pas
(
). Jveux quon mincinère, quon metun tiers de mes cendres dans lJura, dans les montagnes du Jura, un tiers de mes cendres sur une plage dans les Landes, et un tiers de mes cendres dans une putain dteuf de balle. (
). T façon, jsais nimporte quel pote qu'tu vois
quand jmourrai, tfaçon, jpense qumes potes y gard'ront en mémoire : « Cétait un sacré gars ! Un bon gars, et on loubliera pas. » (
). Ouais franchement, jaimerais bien (laisser une trace dans la société), (
) tu vois putain. (
) Même pour mon anniversaire qui fassent la fête (...). Je voudrais pas les voir tristes tu vois. (
) T façon jpense pas non plus, vu la vie quje mène, jpense pas vivre vieux, tu vois euh... cest clair. (
) Ouais à sdéfoncer, à boire tous les jours
euh
voilà jsuis encore là
(...). Profiter au maximum. (
) Ouais, ben ouais. Quand tu choisis cte vie cest y a pas djuste milieu.
Le parachute, cest puissant, cest meilleur que toutes les drogues. Jte jure t atterris tes ah ! Bfou ! Tu sais plus où tes et tout. Cest adrénaline, jte jure cest une bfou. (
) Franchement cétait formidable quoi. (
) Partout, cest le corps tout bfou
dans ta tête tsais tes tout perdu. (
) Tes tellement perdu que tu vois plus rien, tsais, tu pourrais avoir des gens qui passent devant toi et tout tu les verrais même pas, on tparlerait tentends pas euh
Cest
Non, non, jconduis euh
pépère. Vas-y déjà en camion tu roules à 90 tu vois. Non, non, non. Déjà quand jconduis jpicole pas. Si jrent'e de teuf jm repose un peu avant. Quand jsens que je peux prendre le volant
Jprends lvolant
, si j vois qujuis en vrac, je le prends pas. (
). Jai pas envie dmendormir au volant tuer mes potes, tuer quelquun quarrive en face. Imagine en plus tu ten sors, va zy tta vie tu portes ça sur toi, pas cool, quoi.
Au départ quand tu tdrogues cest soit tu veux faire une expérience (
.), ou soit tes pas bien. (
). Moi la première fois, jétais pas bien. (
) Ça ma rendu bien. (
). Et ensuite jai compris que fallait pas s leurrer. Même en prenant des drogues jallais êt' bien, mais après jserai plus bien. Donc fallait quj comprenne pourquoi jétais pas bien. (
). Donc jai fait du boulot sur moi-même et après une fois qujai compris pourquoi jétais pas bien (
). (
). Ça rmonte à ladolescence, tu vois, moi jai été élevé par mes grands parents et euh
quand mon grand père est décédé, jai pas mal pris (dans le sens den prendre plein la gueule). (
) Davoir gardé trop dchoses, javais pas fait ldeuil en fait. (
). Pêt tu vois, ça strouve i srait pas mort quand jétais aussi jeune, pêt jaurais pas pris cte décision. (
) Ben en fait il était agriculteur. Grandir à la ferme, cétait dla balle. (
) Si vraiment un jour jme pose cest ça. Jme trouve une ptite ferme à rtaper, trois chèvres, trois moutons, un potager où faire pousser ta beu. (
)
Dans la rue la violence, (
) ben faut savoir sdéfendre quoi. Cest clair, sinon tu tfais bouffer quoi. Faut avoir du caractère quoi ! Tout en étant sympa quoi mais quand on tfait chier faut lfaire comprendre. Et quand tu tprends une patate, tu la rmets quoi.
Le quotidien, (
) on tape la manche et puis ben, après on est entre nous, voilà, euh
on picole, on discute
de tout et de rien. (
). On rent au squat et puis pareil, on passe nos soirée à discuter. On sfait des ptites bouffes. Voilà à parler, à refaire le monde. Tu vois
on est un peu utopique, tu vois. »
2. 5. 4. Patrick ou lenfant de 68 .
2. 5. 4. 1. Quiproquos.
Jai rencontré Patrick, la semaine où javais fait passer les entretiens à Clara et Passe-muraille. Il était accompagné de son chien, qui restait à ses pieds. Je lui avais demandé, sur conseil de léquipe, si je pouvais discuter avec lui de sa vie. Il nétait pas décidé, mais avait commencé à men parler dehors en fumant ensemble. Je lui avais fait remarquer que cétait justement ce quil me racontait qui m'intéressait. Alors il ma donné rendez-vous quinze jours plus tard. Mais nous nous étions mal compris. Il était venu, chaque jour de la semaine suivante pour me revoir ; et en ce qui me concerne, je me suis donc rendue au rendez-vous la deuxième semaine pour réaliser lentretien ainsi que je lavais compris. Léquipe ma avertie du quiproquo. Lanimatrice ma dit quelle le verrait dans une autre structure où il participe à des ateliers de cirque, musique et théâtre, et quelle lui reposerait la question.
Le lendemain, Patrick arrive, je mexcuse du malentendu et de lattente que jai dû causer, lui aussi sexcuse. Je lui propose de mavertir de sa dispositionibilité pour effectuer lentretien, en lui précisant que je suis là toute laprès- midi. Il va traîner pendant deux heures avant de my inviter.
Il nest pas vraiment à son aise, inquiet et peut-être préoccupé par des soucis avec les Don Quichottes dont il ma parlé dès son arrivée. Nous nous installons à létage dans le bureau, placés côte à côte nous démarrons lentretien par une présentation libre de son parcours, pour détendre latmosphère.
2. 5. 4. 2. Quand la maturité tue linsouciance.
Patrick a 37 ans, une casquette recouverte de pointes cache ses yeux, il paraît timide, discret. Vêtu dun treillis, dun sweet, et dune veste large très propre, son visage rougi par lalcool est dissimulé derrière une barbe de quelques jours. Il a lair sombre, préoccupé, las. Sa voix teintée dun accent du sud-ouest est calme, douce, il détache les syllabes et réfléchit à chaque mot quil avance, contrairement aux autres interviewés beaucoup plus spontanés.
«Je suis né à Bordeaux. Comment je suis arrivé à la rue : perte demploi, séparation avec ma copine, les huissiers, expulsion. Pour oublier tout ça , ça a été la drogue, ça a été lalcool. Moi ça a été vers les 18 , 19 ans. (
). Je suis un enfant de 68 ! (
).
Cest pas le même parcours (que les jeunes qui étaient en bas). (
). Moi cest par oubli, cest par dégoûté de tout c qui mest arrivé, alors que jétais pas lacteur. Jétais entre guillemets la victime. Jai subi ce qui mest arrivé, alors que je commençais à mintégrer à avoir une vie sociale. (
). Pour linstant je suis dans une halte de nuit, un foyer. sur Bordeaux. Y a pas beaucoup de foyers qui acceptent les animaux. Jen connais que deux. (
). Euh... les drogues dures. Cest que jai grandi en cité, et ça tournait dans la cité et puis pour faire comme les copains. Jai goûté. Avant je sniffais, je prenais des cachetons, Valium, Néocodion. Cest pour faire comme les copains parce que si tu fais pas comme les copains tes pas intégré tes un exclu. »
2. 3. 4. 3. Changement de vie ?
«Dans la rue euh... quest ce que je trouve de positive ? Cest parfois que je rencontre des gens, parce quand je fais la manche, (...). Des gens qui disent bonjour, qui discutent avec moi, qui me donnent de largent. Des gens qui me qualifient pas, qui me donnent pas une étiquette mais bon cest pas cent pour cent ça. (
). Avec certains de la rue, la solidarité... oui, oui oui. Si y a une info pour un squat, on la partage. Si y a une info pour aller prendre une douche à tel endroit, on la partage. Si jai pas dtabac, on le partage. (
). Disons cest que cest pas une question de solidarité, cest que dans un appart, donc tes intégré socialement, donc on taccepte plus facilement . Dans la rue, cest une meute de loups, ya des loups sympas, ya des loups, si i peuvent te faire toutes les misères du monde i te le font. (
).
Disons que pour mon cas personnel, avec des drogues jai jamais pris de risque, les seuls risques qui y a eu cétait dans les rapports sexuels, pas mettre de préservatifs. (
). Disons que le préservatif quand des fois on lutilisait pas, cétait javais pêtre pas les moyens davoir un accès gratuit aux préservatifs. Parfois l'excitation sexuelle faisait que jmen foutais et que parfois javais aussi confiance en la partenaire. Le seul risque que je prends avec une drogue, cest lalcool. Cest que je bois beaucoup et que parfois, je tombe, je perds ma chienne. Ça mest arrivé de me retrouver aux urgences. (
). Cest que je sais le risque que je prends. Mais, cest quau bout dun moment, tellement la dose est forte que je men fous du risque. (
).
(...) Jai éclaté ma Renault turbo D. Disons que sous alcool je me sentais invincible. Donc je roulais quand i mont attrapé, jétais à 166 Km/h et javais quatre personnes à bord et jai fait la toupie. La voiture, elle a rétréci dans tous les sens. Jaurais pu les tuer. Parfois, on sait pas faire la part des choses, se dire va te coucher parce que tes tellement bourré que tu peux pas conduire. On se croit invincible. On croit quon maîtrise la voiture alors quon la maîtrise pas du tout. En plus, on est un danger pour les autres. (
). Est-ce que cest pas la roulette russe ? Tu vois, on va tenter ça passe ou ça casse. (
). Pour saffirmer, pour se sentir fort, la mort je la mets devant moi cest elle ou cest moi. Cest un défi quelque part quon se lance. Mais avec le recul, jme dis que cest un défi, et sur le moment on pense pas à ça, on se dit basta et ouf ! (
).
Parce que la mort physique tout séteint, donc tu nas plus de problème tu sais pas cqui spasse après. Que si tu deviens entre guillemets un débile mental, tes dépendant, tu... physiquement pour faire ta toilette, ou plein dchoses de la vie courante (...) . Cest une souffrance et quelque part tu dois en être conscient de cqui tarrive, et tu peux rien faire pour que tout change. Tu peux pas revenir en arrière. (
). Je culpabilise (il parle de sa vie). Oui je mculpabilise. Et au bout dun moment, joublie par rapport au degré dalcool que jai. (
). Cest loubli. Doublier et de penser demain cest un autre jour. Et le lendemain, tu te dis après demain cest un autre jour. (
). Je me dis pour men sortir comment faire dans ma situation ? Donc je rencontre des travailleurs sociaux, des éducateurs, des médecins. Mais bon y a le côté impatient. Jaimerais que ça se déverrouille demain quoi ! Cest ça aussi le problème. Je parle pour mon cas, je suis tellement en attente que dattendre cest emmerdant. (
). Quelque part aussi cest moi qui ai fait le con. Cest que quand on ma proposé une solution, je lai gâchée la solution, donc je pense que je retourne à zéro. (
).
Pendant un moment jétais toxicomane. J'consommais de lhéroïne, et puis jai réussi à décrocher difficilement, mais ça ma mis un coup dans la tête de voir les problèmes avec la justice, la consommation de drogue, dhéroïne donc jai vu que je prenais beaucoup de risques. (...) Des trucs utopiques, parce quune drogue cest utopique cest pas que'que chose qui va résoudre mes problèmes de logement, de travail, ou de santé, cest pas ça ! (
). Disons moi cest le temps qui ma fait penser comme ça. Parce que cest vrai quau départ quand jsuis tombé dans la rue je pensais comme eux : « Ctait Fuck la vie ! ». Et avec le temps je vois que je vis euh euh... que point de vue santé cest pas le top, jai envie de mintégrer. (
). On se projette pas sur lavenir, cest un peu au jour le jour. (
). Moi ça serait avoir un logement, euh... trouver un boulot qui mplait, donc en passant... parce que les diplômes que jai cest pas des métiers qui me plaisent. Je voudrais avoir une formation, mintégrer rentrer dans une entreprise, payer mes impôts et puis ne pas être au point de vue santé malade, ne pas me détruire la santé aussi par rapport à mon problème avec lalcool. Cest mintégrer sans jamais oublier ce que je suis. (
).
Je suis un solitaire. Jai envie davoir des rapports avec les gens, mais quand jai envie dêtre seul, i faut que je reste seul. Cest un peu une protection. (
).Cest moi jai envie de faire cqui me plaît, sans empiéter sur la liberté de lautre mais ça cest avec lâge comme jt disais tout à lheure ; mais au début, jétais un rebelle (...). Cest clair que la liberté je laurai toujours. Jsuis prêt à accepter tu embauches à telle heure ! Tu débauches à telle heure ! Par contre en dehors du travail, ma vie privée elle regarde que moi ! Si jai envie de faire la fête après la débauche, je fais la fête après la débauche ! »
2. 5. 5. Bruno et Charlotte : le DJ et létudiante.
2. 5. 5. 1. Un supermarché, pour une super rencontre.
Jon, la personne du premier entretien mavait proposé de me présenter des gens qui avaient le même mode de vie que lui. Nayant pas pu retrouver Clara, Passe Muraille et Patrick sétant réinséré totalement et ne correspondant donc plus aux critères de la population étudiée, je décide de contacter Jon qui mavait laissé son numéro afin de pouvoir réaliser dautres entretiens. Ce jour-là, il décroche immédiatement, et me dit de le retrouver devant le supermarché car il est en compagnie de personnes intéressées pour participer à lenquête. Il me présente donc à Bruno et Charlotte, un couple de jeunes qui partagent son squat. Accompagnés de leur chien, légèrement défoncés, ils semblent très intéressés par ce que je leur propose, mais veulent que lentrevue se déroule en couple et non tour à tour. Jaccepte pensant que cela pourrait dynamiser la conversation et devrait engendrer moins dintervention de ma part, tout en sachant quils nexprimeront sans doute pas la même chose en couple. De ce fait la sexualité par exemple na pas pu être abordée et il est possible que Bruno ait cherché à tenir son rôle de petit ami, grand frère. En effet âgé de 28 ans, il est son aîné de 10 ans. Nous fixons alors un rendez-vous pour le lendemain dans laprès-midi (15 h). Ils mavertissent quil ne faut pas que ce soit trop tôt car ils dorment tard. Après avoir régalé tout le monde en terme de cigarette et discuté de la pluie et du beau temps, je les salue.
Le lendemain 15h, ils ne sont pas encore là. Une des personnes présentes la veille, un Espagnol maccoste et discute avec moi. Bruno arrive avec une demi-heure de retard. Il sexcuse en mexpliquant quil a eu pas mal de démarches à faire, entre autre trouver un dentiste acceptant de le soigner. Il me confie alors que ce nest pas chose aisée car il est bénéficiaire de la CMU et que par conséquent les cabinets privés refusent de le prendre en charge. Reste alors lhôpital. LEspagnol nous demande de garder son chien pendant quil achète une bière au supermarché, nous acceptons. En attendant je tente de détendre latmosphère et lui précise le déroulement de lentretien en terme de temps, danonymat. Il ne tient pas à lanonymat et désire que jinscrive son prénom. Il mexplique aussi que dans la rue, personne ne connaît les noms de famille des uns et des autres. LEspagnol revient nous remercie. Je propose à Bruno de réaliser lentretien en terrasse de café. Il ne sait pas où il veut aller, alors je décide de lemmener dans un bar situé dans une rue piétonne pour plus de calme. Nous nous installons en terrasse et comme pour Jon, je lui explique quil peut commander ce quil veut, prendre autant de cigarettes dans mon paquet que nécessaire. Il est surpris et ravi. Il commande un demi-fraise et moi un Perrier. Je me pose alors la question de la distance par le fait que je ne consomme pas dalcool, mais apparemment il na pas lair de sen soucier. Il reprendra même une bière en allant seul au comptoir après mavoir demandé la permission, symbole dune attribution statuaire supérieure quil me prête. Cette demande dautorisation ne révèle-t-elle pas la position dintervenante sociale dans laquelle il maurait inscrit ? Sa petite amie Charlotte arrivera 1 h plus tard en sortant du Lycée, commandera elle aussi deux demi-fraises. Tous deux sont très participatifs souvent daccord mais pas toujours, ce qui signifie que par moments ils ont pu se détacher dune façade les présentant comme couple modèle. Le temps relativement long de lentretien a sans doute permis datténuer leffet écran lié à la conservation dune identité sociale préservant le maintien de la face. Relativement posés, ils verbaliseront explicitement que lintérêt de mon travail réside dans la possibilité que je leur offre dexposer aux gens ordinaires leur vrai mode de vie et de pensée pour déconstruire les préjugés. Notre rencontre sest déroulée pendant plus de 2h00 et pris fin surtout à cause du froid. Parlant souvent en même temps, la retranscription na pas été des plus aisées et a donc pu laisser passer des erreurs de vocabulaire.
2. 5. 5. 2. La belle et le protecteur.
Lors de la première rencontre, ce qui ma sauté aux yeux, ce nest pas tant leur différence dâge que leurs divergences physiques. Lui, des yeux clairs, des cheveux rasés, une parka militaire et un jean large, relativement soigné, paraissait par ces traits faciaux, entaché par les quelques années de rue et de défonce. Amaigri, les yeux cernés et marqués, il dégageait une certaine tristesse, un essoufflement malgré ses sourires et ses traits dhumour. Elle, énergique bien que calme, un regard félin et pétillant représentait ladolescente lycéenne classique de lettres abordant un style vestimentaire ethnique dans les tons orange. Coiffée de quelques locks enserrées de fils fuchsias, rien ne pouvait laisser penser quelle avait adopté ce mode de vie. Bruno lors de la mise au point du rendez-vous, semblait toujours garder un il sur Charlotte qui par ailleurs ne séloignait pas trop de lui, discutant courtoisement comme un poisson dans leau avec des hommes de la rue plus âgés et beaucoup plus clochardisés queux. Elle mavait confié dès cette entrevue quelle voulait intégrer une école de stylisme pour lancer sa marque de vêtement après son bac.
Bruno : « Ben jme présente Bruno. Euh
jviens dCharente-Maritime
Non voilà quest-cque jai à présenter dmoi ? Pas grand-chose à part mon nom. Ça y est cest dit. Euh
jsuis arrivé sur Bordeaux y a un an
à peu près. Là pour chercher du boulot.
(
). Comment quça mest arrivé ma galère euh
en gros on va résumer. Ça mest arrivé ben, vitfait. Javais une amie avant, jétais en appartement. (
)Eh bé, jai perdu mon amie donc puis jmsuis rtrouvé
parce que jai pas mes... mes parents jpeux pas rester chez eux. (
)Parcque cest pas la bonne entente chez ma mère et mon beau père. Mais elle a quand même accepté quoi. Elle mrenie pas pour autant, elle a accepté mon mode de vie. (
).Euh
mes parents. Mon beau père, ifait rien. Et ma maman, elle travaille en maison de retraite.(
) Ça mest arrivé jeune, javais 5 ans quand jai perdu mon père. Jai eu une période où ça été difficile, vers lâge de
(
). Jvois tu vois mon père, tu vois mon père, il est mort noyé, tu vois cest pas une belle mort quoi par exemple (
).
Et jmsuis retrouvé vite fait à la rue quoi. Sans rien. (
) Ça va faire six ans, ouais que jsuis à la rue. Et euh
jessaye de men sortir mais avec difficulté quoi. (
) On mmet des bâtons dans les roues sur certains trucs quoi. Com laut jour comme en cmoment jcherchais un appartement. Jpeux pas. (
). Non cest pas
Cest devnu un choix en fait la rue. Au départ non, cest pas un choix, quoi. Jpense pas quon choisit comme ça quoi (en parlant de son histoire de rupture). Jai jamais voulu ça mais sen est devnu un choix. Après on sy fait quoi. Et puis cest vrai quaprès jaime le
ce style de vie quoi
, tsais. Vu qujsuis un peu artiste, cque jtexpliquais laut jour. Et euh
voilà quoi, jfais dla musique et tout. Ben, moi mon milieu musique cest
rave party et tout ça, donc
Pas que ça mais
Voilà jmsuis investi là ddans, vu que jai pas trop non plus d diplômes. Ben diplôme, jai niveau CAP en boulangerie, tas vu. (
) Artistiqument, ben euh
je fais euh
techno, toutes les musiques électroniques on va dire quoi. Je fais du jonglage, jfais aussi du
comment on peut appeler ça
troubadour de rue, quoi. Un ptit peu quoi. (
) Ça ma fait voir autchose. Et euh
voilà quoi. Et mainant, jai envie dminvestir dans mon projet. Cest la musique. (
). Dans mon magasin dvêtements parcque jai
jdessine aussi. (
). Jveux monter mon
. ma marque de vêtements, en fait jai envie dmonter. (...)
Ben, jai fait des vols, jai fait des braquages, enfin jai fait des choses pas bien quoi. Vol de voiture
, voler des bureaux dtabacs, plein dchoses pas bien quoi.
Non, jai
jétais pas sous psychotropes, au départ quand jai commencé non parce que jai commencé tard lproduit. Là javoue jprends du produit, mais jai commencé tard, jai commencé vraiment vers lâge de 18 ans, tu vois.(
) Parc que ben, jai commencé à traîner en free party.(
). »
Charlotte : « Quest-c qui ma amenée
? Ben, jsais pas, déjà jétais attirée par cmilieu, jétais jeune javais 14 ans, puis jétais toujours chez Papa, Maman, jétais toujours à lécole. Jsuis toujours à lécole dailleurs. Et puis voilà , jétais attirée par c milieu, pac que jsais pas avec les aut jeunes imcomprenaient pas, jme sentais pas comme eux, jme sentais différente et voilà. Jétais attirée par la mentalité dabord. Puis jai vu qudans cmilieu jétais pas rejetée, que javais ldroit ddire mes idées que
, on avait les mêmes idées, les mêmes
Puis après voilà, jai trouvé ma voie quoi, on va dire. Comme tout lmonde à ladolescence. (
). Bè, au début, forcément comme tous les parents, jcrois quils lont mal pris quoi, izont eu peur quoi surtout. Et après en fait, jleur ai expliqué quoi mon choix. Ma mère arrive à comprendre même si elle conçoit pas, elle comprend. Mais elle comme idisait, cest on la mis dans un système et elle dit : « Sans lsystème avec deux gosses et tout », elle pourrait pas sen sortir, mais elle comprend qujai fait ce choix dvie, quoi. Pacquelle comprend quy a pas que des inconvénients. Qujarrive à bien vivre, que j suis même mieux quavant, que voilà quoi. (
) Jvais les voir un peu quand même jgarde des
(
) contacts. En fait, jles vois une fois par semaine.(
) Mes parents, ivivent pas ensemble, non, non.(
) Elle est à la place du patron quand le patron est pas là, parcque cest une firme, tsais quà plusieurs trucs dans la France et elle prend la place du patron quand il est à laut bout dla France. (
).Ouais. Une bonne place. Mon père, il fait dlinterim, il est cariste, vendeur, ifait plein dtrucs, dlinterim. (
).
Isavent très bien qujme drogue mes parents quoi, ils le savent quoi que jme drogue tous les jours, ils le savent et jleur ai dit quoi. Et voilà, ils lont accepté (
). Jprends du shit surtout, surtout du shit. Après jai surtout besoin dmon shit, après le reste tout, cest tout à côté mais
après ça reste festif le reste.
Pac que moi jlai été fashion comme tu les et tout. Javais la même mentalité tu vois. Cest justement pour ça qujai changé de côté vestimentaire aussi, pour euh
, Pour me rapprocher des gens à qui jressemblais quoi. (
).
(
) Dans llycée où jétais à Lormont là-bas, chez les racailles, ça lfaisait pas du tout, quoi. Et du coup jai été virée et jai été obligée dretourner là-bas. Ça fait deux ans qujme tape là-bas pacque jai rdoublé mon année (terminale). Pacque jy vais pas quoi. Après jessaye dy aller un peu plus mais cest vrai quc'est chaud quand y a pas une seule personne qui tparle euh..., voilà qutes objet bizarre, tu l sais aussi, tsais. (
). Cest les heures de cours qui mmanquent, quoi et les heures de travail le soir quoi, jsais pas ptêt on va dire, quoi. Mais sinon, les cours je suis quoi, je suis même bien pour quelquun qui va pas en cours, quoi. »
2. 5. 5. 3. Vie de traveller ou rejet dune vie de robot.
Bruno : Tu vois, jai connu une époque des frees partys par exemple,(
) cétait vraiment un bon mouvment traveller. (
). Ouais des bonnes tribus. Jai des potes qui font partie des TNT des
, cest des tribus, i sont
izont choisi cmode de vie quoi. (
). Tu sais quen France le mouvment comme ça, cest arrivé en 91, tu vois, un peu les styles comme nous.(
). Cest arrivé dAngleterre pacqu'i' ssont fais virer dchez eux là-bas. Isont vnus en France. (
). Et ça vnait des Spiral tribes quétaient rcherchées par Interpol et tout, pour euh
trafic de LSD, machin. Cétaient des marginaux, quoi. Comme chez eux on les a pas acceptés, isont vnus en France, izont lancé lmouvment, et voilà, quoi. (...). Moi jme suis identifié à ça. (
). Tu prends les hippies à lépoque en 68, cest un peu lmême mouvment en fait, si tu suis par là, quoi.
Charlotte : Ouais, cest des revendications. (
).
Bruno : Cqui change, cest look mais cest les mêmes revendications sinon cest quoi cqu'i' voulaient les soixante huitards à lépoque, cétait le côté libre, le côté euh
(
).
Charlotte : Ouais, voilà cest ça surtout, cest que la société, elle a évolué dune façon
, on peut plus être bisounours. Dans not système, ça devient plutôt
obligé dêt plus cruels, dêt plus trashs pacque cest plus
la vie est dvnue plus dure, quoi. Les gens sont moins gentils (
). Ouais cest un mélange des deux. (punk et hippie) (
).
Bruno : Ben, jlai choisi quoi mon look, moi jkiffe ça.(
). Ben cest mon identité, cest ma personne, quoi. Jme cache pas dma personne. Cest mon, cest mon moi-même quoi. (
). Cest plus un habillement pour sdonner pas un style mais un repère, quoi on va dire. (
). Par exemple jcroise des gens dans la rue qui sont quoi voilà
cest toutsuite on sconnaît, on va sparler, on sconnaît pas forcément mais on va sparler parce que bè voilà, on sait quon est dans lmême mouvment. (
). Cest une forme de reconnaissance, on va dire. Cest entre nous, même pour faire voir (
). Cest pour revendiquer un ptit peu le côté
ben, par exemple anti-fasciste, anti
, tvois. (
). Pour smettre en marge de la société quoi. (
). Pour revendiquer not mouv ment quoi un ptit peu. (
). Quand jtdis qucest vraiment une culture, jai des amis ivivent en bus, ivivent de ça, i
et se sra leur vie, izont des enfants, ivoyagent dans tout
en Tchéquie, en
ivoyagent partout. (
). Ben, moi, jme considère comme traveller. Après tas lkepun mais cest dvenu en fait
tvois le kepun, y a eu les travellers, vu quon a tous le même esprit cest dvenu
ça cest mélangé quoi en fin dcompte. (
). Cest culture underground
(
). Cest pas pacque tes invisible justment quon tourne la tête, cest justement quisavent que tes là, et Futtt
fermer les yeux.(
) Cest une opposition. (
)
Charlotte : Cest aussi dmontrer au premier coup dil quon est pas daccord avec eux, (
). Les coiffures, cest à larrache en fait. (
). De temps en temps. Machin va faire un truc à machin. Tu vois ça fait des souvnirs aussi. (
).
Bruno : Cest vrai qudans lensemble, beaucoup dfemmes de la rue que jai rencontrées, elles ont perdu leur côté féminin.
Charlotte : Elles slaissent aller. (
). Attends cest pas pacque jsuis dehors que jdois pas êt propre, quoi ! (
). Ouai mais on est rare dailleurs à la rue, en meuf, tu rgardras, on est rare à êt féminine dans cmilieu là, quoi.
Bruno : Cest surtout cqui pourrait êt dangreux, cest qules gens dla rue, ivoyent pas forcément beaucoup dfemmes dans la rue, malheureusement. (
). Donc forcément (
) les femmes (
) pour se rassurer plus, elles vont sdonner un côté fort quoi, mâle, tu vois.(
). Et puis quand ivoient une femme féminine ben, ça attire lil et des fois ipeuvent êt relous des fois, tu vois.
Charlotte : Mais franchment, cest pas vraiment dans la zone que jai eu lplus de problèmes, cest les gens plus de lextérieur qui sont pas dnotmilieu. (...). Isuffit davoir une grande gueule, et puis savoir louvrir surtout. (
). On toblige à dvenir comme ça pacqu'on tfait tellement
on temmerde tellement toute la journée
(
).
Bruno : Y a des côtés violents, y a des gens violents, y a des cas aussi
(
). Même si au squat on a des règles, on a comme un ptit règlement intérieur, quoi on va dire. (
).
Charlotte : Ben, la confiance, ça srègle sur la confiance tout dabord. Y a quça. (
).
Charlotte : Si jdois voler se sra pas chez des pauv, se sra chez des riches. Ah, çà cest sûr ! (
).
Bruno : Le respect, quoi. Le respect dautrui, quoi
Bruno : Ne pas juger la personne.
Charlotte : Puis respecter, respecter la vie quand on est en squat aussi.
Bruno : On est tous dans la même galère alors
on doit saider, quoi. On na pas à slaisser euh
chacun pour soi, quoi.
Charlotte : Cest pour ça
cest comme ça quon srtrouve pas dans la merde, grâce aux autres. (
). Pacque nous on donne quoi
(
). Cest à tour de rôle, quoi. (
). Dans lsquat où on était au début, ça marchait comme ça. On fsait des trucs ensemble mais à partir du moment où on est un trop grand nombre ça marche plus, quoi.
Bruno : Y a toujours des conflits, après cest dla vie en communauté. Les prods, on spartage... (
). On sfait ça en groupe. On samuse. (
).
Charlotte : Jvois pas lintérêt dprendre mon produit toute seule dans ma chambre, quoi.
Bruno : Après cest la même fête que chez les gens, quoi. (
). Cest comme si on s payait un apéro chez des amis tu vois. (
). Sauf que nous on peut sfaire nos barbecues, dehors
(
).
Charlotte : On aime la bonne bouffe, on aime s faire des bons plats
(
).
Bruno : On mmet des bâtons dans les roues sur certains trucs quoi. Com laut jour comme en cmoment jcherchais un appartement. Jpeux pas. (
). On mrefuse. Parcque jai pas tous les
les papiers qu'i faut. Pourtant jtouche le R.M.I, hein ! (
). Ça bloque la dssus et
ben cqui fait, ben, jpeux pas. Jreste dans la rue. (
) Jai jamais voulu ça, mais sen est devnu un choix. Après on sy fait quoi. Et puis cest vrai quaprès jaime le
ce style de vie quoi
tsais. (
) Jfais dla manche, ça fait ben, mainant six ans, qujvis d la manche. (
) Cest dur, cest dur. Sinon quest-cqu jpourrais tdire sur mon mode de vie . Si, jbouge beaucoup. (
). Sur la France entière. (
). Parcque jai eu quand même des périodes où jai commencé quand jétais plus jeune. Jai fait quelques conneries quoi. (
). Mais après j les ai réparées justement en allant en Afrique, en faisant des stages humanitaires et tout quoi. (
) Voilà ça ma fait voir autchose et jsuis revnu un peu changé quoi. (
). (
) Jai vu vraiment la misère cque cétait. Jlai vécu vraiment dmes yeux, à en chialer même. (
). Et jme suis mis à faire de la musique et voilà quoi. Cest pour ça qujai perdu mon couple on va dire. (
). Par rapport à ça pacque elle avait pas lmême projet quoi. On navait pas les mêmes projets donc forcément ça collait plus quoi. Donc ben, on sest quitté en bonne entente. (
) Là, jvis en couple. Jai rencontré ma copine sur Bordeaux. Et jcompte minvestir. Mainant ben, jai envie dme poser un ptit peu. (
). Jai envie dprendre mon camion et dbouger. Faire un peu
la world travel aventure ! (il rit). (
). Sinon pour revnir à mes ptites histoires, ouais bé, bé jai commencé à partir (
) de 18 ans, jai commencé à prendre des psychotropes. (
)Jai eu ma période branleur, ouais
à fond dans ltruc. (
). En 10 ans dtemps, ouais tu réfléchis plus, quoi. Tu vois les choses autrement, quoi. (
) Mais on peut pas dire qucest à cause de ça franchement qujai commencé mes conneries non. (
)Y a une époque où jsuis tombé dans lhéroïne où vraiment jen ai eu hyper besoin mais jmen sors. Là jsuis en traitement et tout. Donc euh
jessaye de men sortir. (
). Cétait surtout pour redescendre des psychotropes que jprenais, tu vois cest souvent lcas. (
). Pour redescendre de la free, quoi. (
) Pour sposer, puis ben, on y prend goût puis forcément ben ça coûte cher, et tout ça pour sle payer, jai fait quelques bêtises quoi. (
). Sinon, actuellement, (
) en produits je prends vraiment par plaisir et puis quand jpeux, quoi. Jme suis calmé. (
). Avant, cétait lcôté évasif tu vois, ailleurs, plus personne te fait chier, tes bien, tu discutes avec tout lmonde, tes ... (
). Jai pris des risques quand jen ai vendu parcque jen ai vendu. (
)
Charlotte : Y a toujours des risques. (
)
Bruno : Cest du produit, ben, cest du produit
(
)
Charlotte : On sait jamais cqu'i' a ddans. (
) Mais, je mconnais bien et jconnais mes limites, quoi. (
). Quand mon corps imdit stop, jarrête quoi. Cest pas ma tête cest mon corps quoi. (
). On sait qucest dangreux qui y a certaines limites, (
) on soblige à manger quand on est en techos même si on a pas faim, on sait qui faut boire plusieurs fois même si on na pas soif, on sait qui faut pas prendre dix choses à la fois, et mélanger certains trucs, donc voilà. (
).
Bruno : Tu vas dans un techos, on va te
on va taider dans lsens de
dinformer, à tinformer
(
). Quelqun va te voir par terre, par exemple tes pas bien, ben, tout dsuite iva vnir sur toi pacqu tes pas bien, avec de leau. (
) Jsuis conscient, jsuis conscient et pis il existe des préventions. (
). On tlaisse pas dans la
dans lindifférence quoi.
Charlotte : En sortie dboîte y en a pareil, y en a aussi lweek-end . Y en a pêt plus sûrement que dans
(
). On est plus conscient queux, quoi en sortant. (
).
Bruno : Jconnais des gars qui tournent à 5, 6 prods par soirée jtrouve ça nul par exemple.
Charlotte : Ça sert à rien, quoi. Tu comprends plus rien tu calcules, rien cest inutile. (
)
Bruno : Y en a ismettent loque quoi tu vois. Cest vraiment pour chercher la défonce et pis
Moi jvois pas lintérêt de
( ... ). Non, moi jrecherche le côté dans la défonce
jrecherche le côté bien mais pas plus quoi. Côté où ça tlibére
(
). Moi jsuis plus Psychotropes, champignons, tu vois les trucs
(
). Extas pas beaucoup non. Y a eu une période jte dis plus jeune. (
) Pas lcôté taz, lcôté ouais cest bien mais aimer tout lmonde, machin
Cest bien, ça va un temps mais
(
). Ouais, voilà perception des choses, et comme jte dis, moi jfais du son et quand técoutes la musique tu la vois autrement quoi la musique. (
).
Charlotte : Quand tarrives là dans tas envie dtout connaître donc, ouais, cest vrai, qutu fais un peu nimporte quoi. (
) Tu vas prendre plus de dangers au départ. (
). Sur ma santé, mainant, moi jprends pas drisque mais après sur euh
sur des trucs quon va pêt pas réfléchir sur lmoment. (
). Lapparence physique cest pas plus important. (
). Ouais, ouais. Jveux en profiter à fond tant qujsuis jeune. Avant de plus pouvoir, justement et avant ddevoir me
dêt contrainte pacque jaurai plus la patate. Jme dis dans 20 ans, j' pourrai plus avoir cmode de vie pacque je
jaurai plus la force physique aussi. (
). Même moi, au bout dquat, cinq ans, jcommence déjà à ressentir la fatigue qui vient plus vite euh
(
) Des prods, jsuis obligée den prendre dplus en plus. (
).
Bruno : Et puis lmode de vie aussi qui fait que ben
Cest pas toujours facile, aussi, tsais de bouger à droite, à gauche
(
).
Charlotte : La fatigue, surtout. (
).
Bruno : Le seul danger qui pourrait y avoir dans la rue cest lhygiène, cest
(
). Le seul ddanger qujdirais, cest que ouais, la nuit quand tu dors dehors forcément des fois ça peut peut-être
(
). Dcrever, On y pense tous.
Charlotte : Au bout dun moment enfin, on sconnaît aussi quoi. (
).
Bruno : Tu fais
, tu connais, tu fais attention. Puis tu prends pas à nimporte qui. (
).
Charlotte : Jai autant peur de mourir dans une autvie, dans un autmode de vie, quoi. (
). Lpire dans la mort ? Êt tout ltemps dans la même maison, avec le même travail toute ma vie, rentrer chez moi tous les soirs, regarder la télé
(
). De rentrer dans tout ça, de rentrer dans lmoule et de même plus voir (
). De même plus sen apercevoir que tu
ça ça mfrait lplus peur. (
). De plus réfléchir par nous même, quoi. (
). Réfléchir comme tout lmonde par cquon nous impose.
Bruno : Métro boulot, dodo, télé. Et puis avec la télé on tlobotomise en plus, cest quand même pas croyable. (
). Jai un frangin qua un bébé, qui est posé, quest en appartement. Quand jvois comment igalère le pauvre. Il était à la rue aussi, hein. (
). Et jle vois quand jlentends dire ba
« Ça m
j regrette la rue. » (
).Iregrette son côté liberté quoi un peu. Parcque mainant, il a des exigences quoi, on lui dit
. (
) I vit pas (
).
Bruno : On nous promet plein de
Plein de choses mais cest des promesses en lair quoi. Ben y a eu euh
, lannée dernière jsais pas si tas connu lmouvment Don Quichotte. (
). Izont donné des appartements à des gens quétaient djà bien structurés. (
). Cétait pas à des gens comme nous quoi, quavons rien
(
). Cqui fait quà force, ben ten as marre, tas plus envie drien faire. Tas pu
tu tdis bè, jgarde ma liberté et puis voilà quoi : « Fuck ! », fuck la société. (
). Mais bon i
profitent de toi , pourquoi jprofitrais pas deux dans lensemble je le vois comme ça. (
). Jai rien dmandé, jai pas dmandé non plus à
(
). Ce côté euh.. débrouille tsais, jsais pas quoi. Cest vrai qucest difficile des fois mais euh
y a personne derrière pour tdire cque tu dois faire. Y a pas, y a pas les contraintes de tous les jours, y a pas
cest ccôté là aussi quon aime bien, quoi. (
). Puis ça été vitfait bâclée quoi lhistoire (Don Quichotte). Im semble quoi. Jsuis passé sur TV 7 quand même, quoi. (
) Pour un peu pousser ma gueulante. (
). Le gouvernement, il a pas trop envie daider les gens comme nous quoi. Jsais pas.(
). Cest bien beau dla montrer la misère, faut la faire bouger aussi, tsais. (
). Dans lpays où on est mainant, jcomprends pas quon ait encore ces problèmes là. (
). Ça ça mfait chier quand je vois... Regarde ! Regarde ! le squat quon sest fait jeter des squats. On nous fout dehors de squats. Quon va te dire qui sont en réparation et qules murs
Deux ans après isont toujours murés. (
).
Charlotte : On dérange qui, dans notchambre ? On rentle soir. On rent le soir super tard
(
).
Bruno : On nous verrait moins dans la rue ! (
). Ça fout la haine quoi, ça te
et puis comme les
comme on est dvenu un peu Etat policier, comme sur Bordeaux, on est catalogué. Tu fais cinq mètres tes
tout dsuite on tsaute dessus parce quben, on est habillé
ben on est un ptit peu kaki, vert kaki, une mèche à côté, ça y est on t fiche et on tcontrôle. (
). Et moi ça mgave on est pas des
on est pas des
on est pas des chiens, quoi. Et enfin et encore nous, même les chiens izont droit au respect, quoi. (
). On soccupe beaucoup des gens dà côté mais
on parle beaucoup des gens dà côté mais nous
on a pas lair dssoucier, quà chaque fois quon sprend par exemple un contrôle didentité par les flics quand iviennent sur toi, cest direct : « On nous a appelé, cest les commerçants ». « Hé ! Putain mais vous écoutez qules commerçants ! Les commerçants ! Les commerçants ! Mais nous, vous nous écoutez jamais nous ! » Ben si, font des
font passer Sud Ouest, font des ptits articles, style : « Ouais, bè les gens dla rue, , nanana, sont pas contents ». Mais bon cest un article et voilà ça bouge pas. (
). Tu vois izont promis des préfabriqués encore sur Bordeaux
(
). Si, inous zont casé dans des foyers où tas pas ldroit à des chiens. Parcque , forcément, nous on a nos animaux et jpeux pas mséparer dmes bêtes (
). Cest comme si on tdemandait dt séparer dton enfant, quoi cest pareil.(
).
Ben
cqui y a, cest qucest difficile dans lsens que
ben, tas vu, mon mode de vie dès quon mvoit arriver déjà cest chaud. Donc là jme suis inscrit aux agences dintérims là. (
). On mdon pas dboulot, jsuis sûr qucest à cause de ça aussi. Tsais jarrive
Quand on mvoit arriver djà avec ma tête
cest difficile quoi. On taccepte pas comme ça. (
). Moi jsuis artistiqument, jfais des choses, jai daut potes quen font aussi . Fin voilà, on a tous des qualités et des défauts comme tout lmonde quoi. Mainant les gens y rtiennent que les défauts dchez nous. Cest malheureux mais cest ça. (...). Pour eux, on veut rien faire, fin on est des moins que rien. Souvent jlentends quand jfais la manche, souvent jlentends : « Ben, vous avez quà aller travailler !!! Vous avez quà aller
». Voilà quoi si isavaient quon essaye de chercher du boulot. (
). Après on nous a étiqueté voilà quoi. Et ça on lchangera pas, jcrois. (
). On nous traite vraiment comme (
) comme (
) alcooliques, racailles, on maltraite nos chiens, tu vois par exemple, alors que cest pas lcas, quoi. Nos chiens tu les vois isont vraiment très beaux, isont bien nourris
(
). Cest vrai quoi, les gens nous considèrent comme des gens pas normals quoi ! Un peu fous quoi. (...). Inous voyent plus pour des gens voilà agressifs (
). Ouais,. Toutsuite piercing, tes un drogué quoi. (
).
Charlotte : Cest tourne la tête, change de trottoir. (
).
Bruno : Jsais pas on nous prend pour
Charlotte : Pour des sous-merdes, quoi, cest ça. (
). Isavent pas comment réagir parcqui savent pas cque cest, isavent pas dans un sens cque cest. À part les images quon leur montre deux fois par an à la télé. (
).
Bruno : Cest
, izont peur de tout perdre. De srtrouver comme nous. (
).
Charlotte : Ça peut arriver à nimporte qui à un moment ou à un aut quoi ? (
). On est la merde de la société, quoi. Que la société a pas intégré quoi. (
).
Bruno : (
) Et les gens du voyage on les catalogue pareil que nous, hein, si tu vas par là. Cest malheureusement jen s
jai dla famille des gens du voyage et, cest : « Sale gitan ! » cest tu vois cest, on tcatalogue
(
). Cest un peu lmême système que nous, on nous catalogue de voyous, de drogués, ben voilà quoi cest
pacque nous pour eux on est des drogués quoi, les gens pour eux on est des drogués. (
). Ben, on dérange personne en définitive. Si cest à lEtat quon dérange surtout. Cest à qui qu'on dérange, cest au gouvernement qui disent quça dérange.
Charlotte : Puis les gens i suivent pacquon leur lobotomise la tête. (...).
Bruno : Jvois qules commerçants quest cqui les fait chier ? Cest ben, dnous voir rien glander. (
).
Charlotte : Alors quon est toujours en vie, alors quon travaille pas et eux izont la même.On est pêt plus souriant queux
(
).
Bruno : Dans ccas là pourquoi isuivent pas lmouvment ? I supporteraient pas. (
).
Charlotte : De pas avoir leur confort matériel, euh
(
). La surté. (
).
Bruno : Le seul truc quon dmande aux gens, ben
cest un peu dla monnaie et tout, mais bon voilà on les oblige pas, tu vois cque jveux dire. (
). On veut tous te mett'e dans lmême pot et puis ça srait plus facile à gérer pour eux, quoi. Forcément quoi, cest tout ltemps la même chose, voilà quoi. (
). Mais cest vrai qui te
tobligent à être dans un système où i pourront plus te contrôler quoi.(
). Moi jai pas envie dça. Jai pas envie quon mcontrôle. Jai envie quon mlaisse ma liberté quoi. Quon mdonne du boulot, y a pas dproblème ! J veux travailler pour la société, y a pas dproblème ! Jveux bien leur donner un peu dsous si iveulent. (
).
Bruno : Ben
Ben cest le fait de
de
tsais de
euh
, slever à huit heure, de tobliger à
jsais pas comment dire ça, quoi. On te euh
, tes un robot quoi ! On tprend pour un
, Pour une machine, quoi. Pff
Tes un moins que rien pour lpatron cest vrai quoi. (
). On ssert de toi pour faire du fric quoi. Tu travailles en plus pour donner tout ton argent à lEtat. Parcquil t reste quoi en fin dcompte. (
). Autant me tuer à la tâche à faire cque jfais. Je vis aussi bien, quoi. (
). Jai mon côté libre, cest surtout ça qui me... qui m
qui m fait
pas trop donner envie dretourner dans la vie active, quoi, on va dire. (
). Ccôté artistique tu ltrouves pas dans l
tu l trouves pas comme ça
dans la vie dtous les jours. Tu trouves pas d boulot partout comme ça, quoi.(
). Jai cherché pourtant, jai essayé dvoir mais faut prendre des formations, ça coûte cher. Voilà y a plein d choses qui tbloquent, quoi. (
). Jme suis inscrit aux agences dintérims, jai été obligé denlver mes piercings par exemple. (
). Jvois pas pourquoi on toblige à enlever des trucs pac que
pour trouver un boulot. (
). Bè, ouais, cest mrenier un peu, quoi. Cest renier mes
, pas mes origines, quoi !
(
). Tu vas en Allemagne, tu vas au Danemark, en Hollande je vois comment sont les gens, y a beaucoup dmarginals comme nous. Izarriv
, iles acceptent mieux quoi jveux dire. Izont même carrément fait un squat underground. Cest carrément devnu une culture. (
). Mais
après dans
dans lensemble, jvis bien dma vie, quoi. Jvis bien, jme plains pas. (
). Jsuis quand même heureux dans lensemble. Ouais, Ouais. Le très peu me suffit. (
) Le pire. Cest dmenlver ma liberté. (
).
Charlotte : Ouais moi daller en taule moi aussi. C srait ça lpire. (
). Cest ltruc qui mfait lplus peur quoi. (
).
Charlotte : Les psys, à part mavoir foutu accros au Sub, imont pas fait grand chose dans les trois dernières années (
). Ben, ouais, jvais quinz
, 16 ans jétais mineure, on ma fourni du Sub, en 5 minutes, sans mdemander mon âge, ni combien j prenais. (
). Et après on dit quon est dangreux ! Mais jen connais des plus dangreux. (
.) J(
) étais bourrée danxiolytiques, dantidépresseurs, le Sub par dessus. Quest-c tu veux pas péter un plomb à 15 ans avec tout ça dans la gueule ? (
). Ça règle pas lproblème. (
). Moi jvoulais des réponses à mes questions. Et jen ai jamais eu quoi. (
).
Bruno : Tandis qumaintant on tfile le cachet puis débrouille toi ! Cest un peu ça, malheureusement
(
).
Charlotte : Ite foutent gavé jeune sous médocs et après isposent des questions : « Oh, tous les Français sont dépressifs ! ». (
). Et ça viendrait pas dvot société dmerde, dèjà dune ? Cest pêt pas un probléme si euh... santé quça. (
). Pacquizarrivent pas à rentrer dans lmoule aussi. Quà ladolescence ça fait péter un plomb quand tu vois qutes pas comme les autres, quoi. (
).
Bruno : Mais vu quils veulent pas sfaire chier, on préfère tenfermer.
Charlotte : Imont dit qu jétais suicidaire, dépressive. Imont catalogué comme ça. Imont filé
« Tiens rent là ». (
). Jvais pas msuicider, jen ai envie mais jle frai pas. Je sais qujy arriverai pas donc euh
(
). Jpense que tous les adolescents, ont une période où ivont mal. Ça spasse avec la famille où lui pose des questions. (
). Après chez certaines personnes cest quand même plus fort, cest tout quoi mais
On a des caractères plus forts aussi. (
). Jaurai préféré rester avec mes problèmes de came quavec mes problèmes de Sub, jte ldis honnêtment. Pacque la came, jarrive à lgérer, le Sub, là jle gére plus. Jte ldis, (
) pacque faut arriver à tle produire, ça pose au niveau dlargent
(
). Tas droit dêt dépendant mais sans plaisir. Cest ça la différence entre la came et lSub. Cest ça y a quça. (
). Y a plus lmot drogue qui rentre en compte, tes sous médocs, tout va bien. (
). Mainant on est obligé dcontinuer lSub mais à côté
on sfait plaisir avec autchose, quoi. (
). Cest juste reporter lproblème sur autchose, quoi. Cest traiter la surface, juste. (
). Les chefs dentreprise et tout tu crois quoi ? Isont à balle de coc, isont tous à balle de coc mais eux, cest pas des drogués, eux ! Tous les ptis bourgeois qui smettent à fond dcoc tous les week-ends
On dit rien, cest pas des drogués, eux ! (
).
Bruno : Non, cest pêt que not mode de vie aussi qui
(
). Non, cela iscachent eux, justement. (
).
Charlotte : Pacque nous on est des arrachés, on le montre. Eux ils le montrent pas. (
).
Bruno : Pacqu eux isont dans lmonde de la société. Isont comme ça. (
).
Charlotte : Tous les racailles et tout, inous donnent plus que des bourgeois, quoi. (
).
Bruno : On leur met des bâtons dans les roues à eux aussi, pour daut choses mais
(
).
Charlotte : Par contre, ipourront jamais êt nous pacqui lsupporteraient pas. Pacquiy a trop c côté matériel dans cmode de vie quest hyper important. (
).
Bruno : Puis izont une fierté, quoi. Izont une fierté. (
).
Charlotte : Quon a moins. On en a tous mais quon a moins, quoi. Y a moins dimportance. (
).
Bruno : Isjugent beaucoup au rgard extérieur. Pas moi. (
).
Bruno : (
) Mon (
) père est décédé. (
).Cest difficile et dun pacque cest quelquun dproche et puis dessentiel et deux, ça renvoie des fois un peu à cque, au fait quon soit aussi là que pour un moment. (
). Cest la vie, comme on dit. Cest assez euh
on laccepte, quoi. Tsais, on sait tous quun jour ou laut, voilà on va y
Cest vrai quy a des belles morts et des pas belles morts. (
). La mort me fait pas peur mais euh
Si cqui pourrait mfaire peur cest le style de mort, quoi. (
).
Charlotte : Moi jpense que lpire csrait d trainer une maladie, trainer une maladie pendant dix ans. Tu sais qutu vas mourir tel jour, tel mois. (
). Ouais, lfait dsavoir. Ça srait pire que tmourir sur le coup, jcrois pour moi, quoi. (
) Ça tgâche les derniers moments dta vie, en fait. (
). Même si jai un cancer, jpréférerais même pas lsavoir, quoi. (
). Ça marrive, jmeurs, cest bon. (
). Cest ça qui mfais peur, cest la souffrance
Bruno : La mort elle-même. Non. Cest plus la souffrance
(
). Pacque jvois des gens qui ont pas dbelle mort, qui souffrent avant dmourir, justement. (
).
Charlotte : Jaimerais mourir vieux dans mon sommeil, en fin pas trop vieux non plus. (
). Pas arriver au stade où tu peux plus rien faire toi même, quoi. (
). De ton esprit surtout. (
).
Bruno : Moi jte ldis franchement jme mettrais une balle, si jsavais qujpeux plus rien faire. (
). Jpourrais pas
Jaime trop la vie, jaime trop
pour pas rien faire, rien. (
). Voilà. Non jsuis athée, jai pas dcroyance
(
).
Charlotte : Non, moi jcrois pas en dieu, ni rien dces trucs là. Par contre, la vie après la mort, quun esprit perdure après sa mort, ça, ça, jen suis plus convaincue, quoi. (
).
Bruno : Le destin jy crois. (
).
Charlotte : En gros que tout est écrit, ou le hasard, quoi. (
).
Bruno : Tes choix. Cest en fonction certains choix qutas fait dans ta vie qui vont faire que, ben
qutu prendras cte route ou celle là, tu vois cque jveux dire. (
).
Charlotte : Ben, disons qudun côté on va faire nos choix sur les choses importantes, mais après sur les autres
cest qui va nous arriver dans la vie dtous les jours, on choisit pas. Pour moi y a une part de destin, aussi. (
). Tu vas pas, tu vas pas choisir dtomber amoureuse de cette personne,
(
).
Charlotte : Mes parents, en fait, jles vois une fois par semaine. (
). Jfais que dormir quoi, je mfais chier donc euh
jarrive chez moi jen profite pour mrposer en fait, la plupart du temps, quoi. (
) Mon père, il a vraiment du mal à accepter, il en parle pas(
). Comme si jrentrais dlécole tous les soirs et qujavais une ptite vie bien tranquille, bien normale comme mon frère. (
). Le mot drogue, isortira jamais dsa bouche. (
). Il aime pas spréocuper quoi. (
).
Bruno : On a
jai mangé avec ses parents aussi. (
).
Charlotte : Ouais, il est vnu au squat, mon père. Il a
il a amné la télé. (
). Isait qusi iveut continuer à mvoir, iva falloir quil accepte ma vie si ivoulait pas perdre sa fille en gros, quoi. Pacque moi, jlaurai, jles ai mis dvant lfait accompli quoi. (
).
Charlotte : Les sports extrêmes, cest des sports que jaime bien. Je déteste le sport mais cque jkiff ça va être dans ces trucs là. Cest clair. (
). Genre les grands manèges, j kiffe trop, ouais la sensation
c faire peur quoi. (
).
Bruno : Ladrénaline. (
).
Charlotte : Cest euh
en sachant quy a une sécurité derrière, voilà. Voilà sfaire peur, sfaire peur en étant en sécurité, quoi. (
).
Bruno : Cest l fait ddire, cest l fait ddire, ouais tes en sécurité mais est-cque jy vais ? Est-ce que ça va tnir ? (
). Cest côté qui fait que bè
ça trip. (
). Tarrives en bas entier, quoi. (
). Tsais quladrénaline, cest un truc qutu produis dans lcorps une sensation dbien être, quoi. (
).
Charlotte : Ça dvient une drogue. (
).
Bruno : (
) Jvais pêt provoquer un peu pour savoir jusquoù jpeux aller ou
Bè, après cest à moi dgérer, après par contre. (
). Physiqument ou même mentalment, même ça peut êt physqiue ou mental, hein. (
). Cest pour ça qujaime les psychotropes. Cest ccôté euh
aller loin dans lesprit et comment
faut lgérer ! Ten as tellement dans la tête après. (
). Ça touvre lesprit, ça te
jsais pas. (
) Les shamans, cest hyper cool, ifont des expériences. (
).
Charlottte : Qui sont au fond dlAfrique avec des vraies plantes et des putains dplantes qui nous retournraient lcerveau dix fois plus, quoi, que des trucs dici. (
).
Bruno : Cest intéressant, cest intéressant pacque ça ouvre des portes. (
). De lesprit, isrecherchent soi même. (
).
Charlotte : Ouais. Daller chercher des choses au fond deux qui zauraient pas découvert sur lterre à terre, quoi. (
).
3. LA DÉVIANCE DES PRISES DE RISQUES, UNE RÉSISTANCE À LANONYMAT ET À LÉVICTION SOCIAL.
Lanalyse et les interprétations des données se sont faites de manières transversales et thématiques en confrontant les normes sociétales du corps et de la mort repérées par mes lectures à celles des participants issus de leurs propos ou de mes minces observations (non-ethnographiques). Dans une première sous partie, jaborderai la vision du corps, son utilisation pour les errants en tentant de comprendre ce que leur rapport au corps particulier leur apporte et sous-entend, comment il se construit aussi bien par un processus de carrière, détiquetage, quen lien avec le contexte situationnel, écologique, interprétatif dun point de vue adaptatif en essayant de dégager la place quil prend dans les interactions sociales, ce quil induit dans leurs formes et ce quil génère en terme de fonctionnement social.
Puis, dans une seconde sous partie, il sera question de la représentation de la mort des travellers en mesurant leurs écarts avec celles de la société actuelle et les formes spécifiques quelles revêtent afin de saisir les finalités de l'emploi de la mort sur un plan interactionnel.
3. 1. Le corps outil de revendications, détiquetage statutaire, de frontières entre travellers et gens ordinaires.
3. 1. 1. Entre dualisme et globalisme du corps et de lesprit.
La conception que se font les errants de leur corps est difficile à définir en terme de séparation ou damalgame de celui-ci à lesprit. En effet, ces deux visions cohabitent mais sont attribuées à des secteurs différents de lutilisation du corps.
Le monisme peut se constater dans la relation corps/travail, et corps/ look. Le contrôle du corps en situation demploi renverrait au contrôle de la pensée, voire de son effacement pour y introduire des idées plus en accord avec la demande patronale, sociétale. La pensée libre ne pourrait alors perdurer et toute la liberté, la créativité, en bref ce qui signifie la vie, pour les errants se verraient radicalement éradiquées par un esclavage aussi bien physiologique que mental.
Jon 2007 : Tu m vois revenir, tu vois 10 ans drue, mretrouver à lusine, quoi. Tm vois derrière une presse à être là (il mime le geste de louvrier à la presse, à la chaîne sennuyant) (
), ça tfait pas chier toi dête derrière 8h devant une presse pendant à faire lmême truc à la con, sans pouvoir parler à quelquun et tout euh... (
). Cest pire quune lobotomie, tsais. Cest tsais, jsais pas tsais, on ta enlevé ton cerveauTu rentres dans lusine tsais, on tenlève ton cerveau et on tle rend quand tu pars à la rtraite tu vois (
).
Bruno : Ben
Ben cest le fait de
de
tsais de
euh
slever à huit heures, de tobliger à
jsais pas comment dire ça, quoi. On te euh
tes un robot quoi ! On tprend pour un
Pour une machine, quoi. Pff
Tes un moins que rien pour lpatron cest vrai quoi. Cest malheureusement, tas des bons patrons mais la plupart du temps cest du
, cest du fric, cest une machine à fric, quoi. (
). On ssert de toi pour faire du fric quoi. Mon frangin, il était à la rue, isen est sorti. Il la (la rue) regrette quoi. Iregrette son côté liberté quoi un peu. Parcque mainant, il a des exigences (
). Mais jpense que ça lrend pas plus heureux, parce quau bout du compte cest
huit heures de boulot par jour, i vit pas, ila pas dtemps à côté pour faire ses choses pacque lui aussi ifait dla musique.
Lapparence est vécue en tant quextension de leur personnalité et de leurs corps, faisant écho aux conceptions des guerriers de la Grèce archaïque, les vêtements, la parure (piercings, tatouages, coiffure) racontent les valeurs, les idéologies, lhistoire de chacun et sont un prolongement du moi intérieur. « Le moi intérieur nest rien dautre que le moi organique. ». En effet, en utilisant des vêtements de récupération, les errants affichent leurs opinions non-consuméristes, non-matérialistes, basées sur le partage et la solidarité. Lallure de chacun paraît aussi narrer leurs divers parcours de vie. Jon et Patrick, par leur manque dintérêt pour la propreté et lagencement de leurs vêtements, de leurs cheveux, indiquent une lassitude, un alcoolisme, en se rapprochant physiquement de la typologie « clochard ». Jon souligne aussi son envie de se singulariser et de paraître ce quil est dans son for intérieur.
Jon 2008: Jcultiv cqui mressemble. (
). Cque jaffiche
un mec un peu barjot, qua pas peur du rgard justement, un peu extravagant, libre de shabiller comme on veut euh
et dessayer de ressembler à personne daut.
Charlotte lycéenne, récement errante, arbore une attitude soignée, féminine tout en indiquant son appartenance à la rue par des locks et des piercing.
Charlotte : Si jveux mfaire jolie, je m
(
). Pacqu jétais féminine par rapport à mon mode de vie pacqujétais propre.
Bruno lui aussi assez soigné mais très amaigri, offre limage dun jeune homme toujours en situation de séduction pour sa compagne et pourtant fatigué par 10 ans de rue.
Bruno : ben, jlai choisi quoi mon look, moi jkiffe ça. (
). Ben cest mon identité, cest ma personne, quoi. Jme cache pas dma personne. Cest mon, cest mon moi-même quoi.
Passe-Muraille, lui, porte un jean troué et une veste militaire indiquant son goût pour la musique Punk.
Passe-Muraille : (
) Moi je suis différent, y sont tous avec leur pento gel, leurs bordels, euh à 3000 euros le jean jsais pas quoi cest bon. Jai toujours été comme ça toujours été comme ça, depuis quje suis né jsuis comme ça. Jjai jamais trop aimé la tune, ça sert à rien.
Clara, la résistante, la dure à cuire, toute de kaki vêtue, tennis de skate aux pieds, fait figure daventurière prête à affronter toutes les circonstances y compris celles de violences. Sa tenue vestimentaire nest pas des plus féminines contrairement à sa coiffure. Selon ce quun éducateur me révéla, cette dernière travaillait en tant que stripteaseuse et ne le supportait pas bien. On peut alors imaginer que labord masculin serait une barrière contre le désir sexuel dautrui, une sorte de barrage.
Clara : (
) Les zonards on est en groupe rien que physiquement ça se reconnaît. les trucs dans les cheveux, Une locks cest trop jolie. Les trucs amples, habillés en vert en général habillés plutôt mal et militaire parce que ça tient très chaud et cest pratique, cest pas cher. (
). Trucs dans les cheveux pour la décoration, cest trop joli ! Jaime bien les habits militaires cest pratique, on aime bien tracer. (
). Jm fous davoir 3 millions, dêtre à la mode, jm en fous, être mal habillée avoir des trous dans les pulls jmen fous jai pas froid (
).
Lapparence est alors une affiche de la personnalité, des traits de caractères, de lhistoire de vie de chacun, de son identité sociale et de ses croyances, valeurs et normes.
La séparation corps / esprit par contre est abordée par Charlotte dans deux domaines uniquement : celui de la mort et de la consommation de drogues. Concernant la prise de psychotropes leur corps sert de garde-fous à lesprit trop avide de sensations et de jouissances. À lopposé des conceptions platoniciennes, ici cest lesprit qui est perçu comme source derreur. Le corps devient un partenaire, remplissant la fonction dalarme que lon se doit découter. Les ressentis sensoriels sont alors traités comme des informations.
Charlotte : (
). Cest pacque jconnais mes limites. Quand j'sens qumon corps imdit stop, ben, jarrête, quoi. (
). Cest pas ma tête cest mon corps quoi. Quand mon corps ipeut plus, jle sens.
Charlotte : Non, moi jcrois pas en dieu, ni rien dces trucs là. Par contre, la vie après la mort, quun esprit perdure aprés sa mort, ça , ça, jen suis plus convaincue, quoi. (
) même si ton corps isen va, jpense que lesprit peut perdurer, certains esprits, quoi.
Cette assimilation du corps comme matériel dintroduction des drogues, comme indicatrice technique, rempart à la surconsommation semble indiquer que dans le secteur des intoxications, le corps est un objet technologique dont la connaissance est nécessaire. Lesprit quant à lui, empreint didéologie de vie extrême doit alors être mis de côté pour sassurer une certaine longévité.
Concernant le champ de la mort, il est possible que la dichotomie corps / esprit permette dune part dapprivoiser la mort côtoyée régulièrement dans le mode de vie errant, mais surtout à mon sens induit une perpétuation des idéaux de vie, des valeurs sociales et humaines que les errants proclament. Devenus des âmes errantes, entourant les vivants, ils ont la possibilité de semer éternellement les germes de leur insoumission au système social, de continuer à être acteur.
3. 1. 2. Le corps outil de plaisir et de liberté.
Contrairement au dictat de la santé débordante sous-tendu par des injonctions dautocontrôle de préventions, considérant les risques sanitaires comme endogènes, les errants décrivent un rapport au corps beaucoup moins exigeant. En effet, bien quétant préoccupés par sa préservation, cette forme dattention au corps est en outre plus centrée sur la préservation de son caractère fonctionnel que sur un désir réel de longévité, doptimisation de ses fonctions et de son apparence. Il sagirait avant tout de maintenir ses fonctions dans un rapport utilitariste afin de perpétuer leur mode de vie extrême pour continuer à ressentir le plaisir et garder une indépendance, une liberté physiologique et psychique.
Jon 2008 : Non, non, quand même quand jsuis malade, jm' soigne. Dès qujvois qujmfais un abcès, jvais à lhôpital, sous antibiotique ou jme fais opérer ou jreste pas
jreste pas comme ça. (
). Ben tas pas trop envie quon tcoupe un bras, une jambe, euh
surtout quand tes à la rue quoi. Djà qucest pas pratique quand tes en appart et toi alors à la rue
Cest bon. Non, non. Jfais gaffe, jfais gaffe à ma santé.
3. 1. 2. 1. Corps de jouissance.
Cette dimension de jouissance corporelle se trouve exprimée tant dans lutilisation des drogues, la pratique de sports extrêmes que dans la relation à lalimentation et à la sexualité pour certains.
Concernant le champ des drogues, la quête de sensations, douvertures aux autres, à dautres formes de réalité paraissent constituer des formes de jouissances souvent abordées par les errants. La position découte des sensations corporelles dans une visée quasi mystique de voyage intérieur, ou dauto-thérapie pour dépasser ses difficultés par la drogue, est évoquée par quatre des interviewés sur sept. Lintoxication tout comme au XIXème siècle, viserait à ressentir des sensations pures, à mettre à lépreuve sa singularité et à dépasser ses limites.
Bruno : Sur les shamans, cest hyper cool, ifont des expériences.
Charlotte : Qui sont au fond dlAfrique avec des vraies plantes et des putains dplantes qui nous retournraient lcerveau dix fois plus, quoi, que des trucs dici.
Bruno : Cest intéressant, cest intéressant pacque ça ouvre des portes.
Charlotte : Mais eux ifont ça justement pour souvrir lesprit ou pour irecherchent queque chose de
queque chose deuh
Bruno : De lesprit, isrecherchent soi même.
Charlotte : Spirituel. (
). Ouais. Daller chercher des choses au fond deux qui zauraient pas découvert sur lterre à terre, quoi.
Jon 2008 : Ben euh
euh... au départ quand tu tdrogues cest soit tu veux faire une expérience. Ou soit tes pas bien. (
). Soit lun, soit lautre. Moi la première fois, jétais pas bien. (
). Ça ma rendu bien. (
). Et ensuite jai compris que fallait pas s leurrer.Même en prenant des drogues jallais êt' bien, mais après jserai plus bien. Donc fallait quj comprenne pourquoi jétais pas bien. (
). Pour après prendre des produits pour êt bien, mais êtbien après aussi.
Clara : (...).Pour le lendemain jvais prendre quelques amphétes, ...avec les amphétes on sent vachement les vibrations du son....on a limpression de tout ressentir,les gens sont complètement en transe, de gens des fois
, mais à leur manière quoi. On nous verra pas en train de suer devant Dieu, on va plutôt adorer la musique limite, par terre devant le son, le son le plus fort possible quoi, vraiment suivre le son avec le corps quoi. (...). Jai que des bads pour linstant (avec le LSD) comme certaines personnes, temps en temps jessaye avec un pote à moi, jlui demande qui reste avec moi tout le temps, et puis jessaye jusquà cque jarrive à smorser, quoi. Après le LSD cest un voyage intérieur. Plus tes compliqué dans ta tête, plus tu vas pas supporter. (
). Grâce au LSD, j sais cque cest mes problèmes intérieurs... Chaque problème intérieur je vais essayer de le gérer petit à petit, et à partir de là tous les petits problèmes que jaurais qui me traumatisent plus ou moins sans que je men rende compte tout façon cest inconscient béeuh après jpourrais en prendre et mamuser comme tout le monde avec le LSD (
).
Peut-on alors établir une analogie entre lapprentissage shamanique, les buts des pratiques rituelles des shamans et la quête des errants dans leur consommation de drogues ?
Le futur shaman tente par des « absences du corps ou de lesprit, souvent assimilées à une mort, (
) (d) acquér(ir) auprès des instances surnaturelles le savoir dont il tirera ses pouvoirs rituels. ». Il est tout de même étrange de noter, que si les expériences psychotropiques des errants ne paraissent pas sapparenter à un culte religieux comme chez les shamans, la poursuite de savoirs, commune aux deux types de populations, laisse indiquer quelques similitudes. Les errants ne cherchent sûrement pas à contacter les esprits pour soigner leurs compagnons, mais tentent dacquérir un savoir sur eux-mêmes, sur le monde (Bruno : Ça ouvre des portes), pour apparemment sapprivoiser, sépanouir. En Amérique du Sud, la consommation massive de drogues hallucinogènes avant laccès au statut de Shaman, est une quête volontaire. Sagit-il alors pour les toxicomanes rencontrés, qui eux aussi se sont inscrits délibérément dans des expériences toxicomaniaques, datteindre un statut au sein de leur groupe et de la société en général ?
Cette période dintoxication pour le shaman est définie comme une « maladie iniatique » au cours de laquelle lapprenti se trouve socialement marginalisé et physiquement exténué, « mais doù il ressort investi dun pouvoir dentretenir la vitalité de la communauté ». Les errants eux-mêmes exclus de la société et non de leur groupe par les consommations de stupéfiants, et physiquement marqués par ces dernières ne serviraient-ils pas dépouvantail social aux individus ordinaires contribuant à faire perdurer les valeurs de notre société ? Comme nous lavons vu le fantasme du SDF, apparu dans les années 90, générateur dangoisse pour les individus actifs, ne jouerait-il pas le rôle de maintien des valeurs de performances, de maîtrise et de contrôle que, tous, nous devons appliquer pour ne pas devenir nous-même des exclus ? La fonction de ces exclus comme le souligne P. Declerck à propos des clochards ne serait-elle pas le maintien de lordre social donc de la vitalité de la communauté des personnes insérées ?
On peut aussi remarquer une autre analogie entre la pratique shamanique et la pratique toxicomaniaque. Durant la période de transe où le shaman sagite corporellement, il tente daffronter les esprits dangereux, puis simmobilise comme inconscient. Cest à ce moment-là quil intègre le monde des esprits. Revenant alors à lui, il narre le récit de son voyage, de son aventure à toute la population. Les errants sous lemprise de psychotropes en soirée techno, décrivent eux-mêmes leur pratique de la danse comme étant une sorte de transe relativement violentelorsquon la regarde de lextérieur faisant penser à un combat suivi dune pause souvent sous héroïne. Cet état alors laisse supposer une forme dabsence au monde (lhéroïne anesthésiant, provoquant un état de somnolence).
Clara : (
) Le son le plus fort possible quoi. Vraiment suivre le son avec le corps quoi.En fait, comment dire, quand y a du speed core cest le truc le plus violent quoi, je veux dire, cest quy est bien cest de stnir aux enceintes et de donner des grands coup dedans ; enfin avec la tête quoi, sans toucher avec la tête non plus quoi. Vraiment tout ressentir à fond quoi. (
).Pour descendre jvais prendre un peu de came jvais éviter la drum. (
).
Quand au fait de partager son aventure avec ses pairs , il semble aussi que cela se produise de façon récurrente.
Clara : On parle beaucoup de prod mais pas du risque disons, plus du plaisir de
, des expériences que chacun on a vécu.
Les pratiques dincorporation des drogues sont des construits apparemment rationnels comme en attestent les diverses étapes décrites précédemment. Jai ainsi souvent noté que les errants avaient élaboré une gestion quasi méthodique de leurs intoxications, ayant pour objectif den apprécier leurs effets avec toujours la même intensité. Pour ce faire, ils échafaudent des stratégies de semi-sevrages, refusent dadditionner deux psychotropes qui en définitive se masqueraient lun lautre ou produiraient tellement de sensations quils ne pourraient plus en être conscients et voire savérerait psychologiquement ou physiquement dangereux sans procurer de réel plaisir.
Jon 2008: (
). Mais après y a daut drogues
justement tu tmets à
tu ten lasses et puis tu vois y a des drogues tu vas pas prendre tous les jours non plus. Tu vas pas prendre de la Ké tous les jours non plus. Finalement, cest les seuls trucs que jprends tu vois donc euh
voilà tsais. Puis, ten prends
tapprécies plus (dans le sens +) le produit quand ten prends moins. Tu vois cque jveux dire.
Bruno : Jconnais des gars qui tournent à 5, 6 prods par soirée jtrouve ça nul par exemple. Moi jlai jamais fait tu vois. (
). Ça sert à rien.
Charlotte : Ça sert à rien, quoi. Tu comprends plus rien tu calcules, rien cest inutile.
Bruno : Y en a ismettent loque quoi tu vois. Cest vraiment pour chercher la défonce et pis
Moi jvois pas lintérêt de
Bruno : (
). Non, moi jrecherche le côté dans la défonce
(
).
Charlotte : Festif.
Bruno : Tas envie
fétard quoi. Festif, tas
Clara : (
)Je sais ya des mélanges qufaut pas faire, par exemple cest amphétes, taz. Cest du md
jamais mélanger avec du speed cest hyper dangereux, par exemple sfaire clamser ! Cest des trucs tous les deux font battre le coeur à fond.
Ces techniques du corpsau sens de M.Mauss ont pour but de préserver son corps pour de futures utilisations afin de conserver les capacités de jouissance. Ces pratiques se traduisent entres autres par lélection de certains produits quils apprécient et lévitement de ceux qui ne leur procurent pas les effets escomptés.
Bruno : Cest plus hallucinogènes, Trucs, trip. Cest plus ça, quoi. (
). Cest plus ça que je recherche mainant, quoi. Pas lcôté taz, lcôté ouais cest bien mais aimer tout lmonde, machin
Cest bien, ça va un temps mais
Non, non, jrecherche le côté euh
(
). Ouais, voilà perception des choses et comme jte dis moi jfais du son et quand técoute la musique tu la vois autrement quoi la musique.
Jon 2008 : À part les extas. (
). La vie cest youpi devenez tous mes amis ! Euh... non. (
). Maintnant jprends dla drogue pour euh... voilà, hop ! Êtbien mais encore mieux bien, tu vois. La coc cest trop bon, moi jadore ça cest mon péché mignon.
Dans une optique doptimisation du plaisir certaines associations de psychotropes sont mises en place afin de palier aux effets secondaires de la première drogue consommée, potentialisant ainsi les effets positifs.
Clara : Si tu prends du L.S.D et dla came pour redescendre cest nickel !
On peut alors percevoir que le corps hédoniste occupe une place de médiateur de plaisir, doutil comme la seringue ou la paille. Cest en cela que lon peut supposer une extension de leur corps jusquau matériel de prise de produit. Cette prolongation du corps en dehors de lui-même et lattention sanitaire fonctionnelle spécifique que cette population développe, nadhérent pas au but sociétal de perfectibilité corporelle. Il ny a apparemment chez eux ni le désir de reconstruire un corps infaillible prêt à lendurance (dans son sens temporel et non dans le sens de la résistance), ni la volonté de rendement corporel. Lamélioration physiologique dans la prise de produits touche majoritairement les sens, la perception et le bien être psychique. Cest en se détachant dun corps garde fou, que la jouissance sensorielle cérébrale prend toute son ampleur.
Charlotte : (
). Cest pacque jconnais mes limites. Quand j'sens qumon corps imdit stop, ben, jarrête, quoi. (
). Cest pas ma tête cest mon corps quoi. Quand mon corps ipeut plus, jle sens.
Le corps joue donc le rôle aussi bien de médiateur que de limite, dentrave à un esprit avide de volupté. Par moments, alors la tentation de sen débarrasser apparaît. Les errants seraient pris dans le paradoxe de lévincer et en même temps de respecter les informations, les signaux quil leur envoie.
Les activités sportives extrêmes, sont les seules les intéressant.
Charlotte : Ouais, carrément, cest des sports que jaime bien.Je déteste le sport mais c'que jkiff ça va être dans ces trucs là. Cest clair. (
).Tout cquest extrême je kiffe.
La recherche de sensations et de perceptions semble la même que celle espérée dans les prises de drogues.
Bruno : Ça coûte hyper cher, ça dvient une drogue. Ça devient comme une drogue pacque ladrénaline cest quoi ? Cest
cest une substance que ton corps procure et ça te rend euphorique ou ça te rend bien et ça les gens i recherchent quoi ?
Le plaisir réside autant dans les effets que produisent ces expériences que dans la sensation de pousser au maximum sa résistance physique, de marcher tel un funambule sur un fil ténu entre la jouissance et la mort. Le vacillement des limites produirait des ressentis internes liés aussi bien à la peur de se perdre physiologiquement que psychiquement. Débarrassé de toutes contraintes y compris celles du corps, lindividu se trouve alors dans « un monde de satisfaction immédiate, sans impossible, sans frustration, sans hiatus. Ce monde intemporel et sans contrainte, ce nirvana de la pulsion de mort et du possible infini (
) ».
Jon 2007 : Jai fait 6 sauts en parachute et l dernier, le septième jl'ai fait tout seul, et maintenant jpeux sauter tout seul en parachute. (
). Tes tellement, tes tellement limite, tes tellement machin. Tsais que tu vois. Tsais même des fois tu tdis ton altimètre i sonne, et tes là ouais... encore une seconde tu vois. Tes là ouais... encore un ptit peu et là, ça fait : bip ! bip ! bip ! bip ! bip ! bip ! (...) . Ouais mais non ! Mais là, cest lpied ! Cest une adrénaline pure. Tu tsens complètement perché. Tsais cest comme si tavais bouffé 10 trips dun coup quoi ! Tsais on a beau tparler, tsais tentends pas, tsais tes dans ton truc, tsais tu restes au moins une demie heure dans ton... Tsais tes là mais putain, tas limpression davoir fait un voyage à la Mescaline ou à la Datura quoi.
Jon 2008 : Cest puissant, cest meilleur que toutes les drogues. Jte jure, t atterris tes ah ! Bfou ! Tu sais plus où tes et tout. Cest adrénaline, jte jure cest une bfou. (
). Moi pendant un quart dheure jétais perdu, jétais bfou
, tsais pour sen remettre bfou
franchement cétait formidable quoi. Partout, cest le corps tout bfou
dans ta tête tsais tes tout perdu. (
). Tes tellement perdu que tu vois plus rien, tsais, tu pourrais avoir des gens qui passent devant toi et tout, tu les verrais même pas, on tparlerait tentends pas euh
. Cest
Si le jeu avec la limite constitue une source de plaisir, un minimum de sécurité semble tout de même nécessaire pour ne pas tomber dans une angoisse danéantissement total.
Charlotte : Jsais pas. Ouais ladrénaline, cest ça jpense, ouais. Genre les grands manèges, j kiffe trop, ouais la sensation
c faire peur quoi. (
). Cest euh
en sachant quy a une sécurité derrière, voilà. Voilà sfaire peur, sfaire peur en étant en sécurité, quoi.
Bruno : Cest l fait ddire, cest l fait ddire, ouais tes en sécurité mais est-cque jy vais ? Est-ce que ça va tnir ? (
). Cest ccôté là qui fait que
Cest ccôté qui fait que bè
ça trip.
La nourriture quant à elle permet de percevoir la représentation dun corps machine. Les aliments sont donc présentés comme un carburant fournissant lénergie nécessaire au bon fonctionnement corporel.
Clara : On va sacheter des bières aussi dla bouffe pour le chien, on va aussi sacheter dlalcool à brûler pour schauffer, des pâtes, trucs comme ça quoi.
Lacquisition des produits alimentaires se fait grâce à des associations, à des dons lors de la manche ou par largent que celle-ci leur a procuré. On peut alors faire lhypothèse que le choix des aliments ne paraît pas fondamental, puisque venant de lextérieur et par conséquent que ceux-ci nont dintérêt que dans leurs fonctions nutritionnelles permettant de faire tourner le moteur corps. Seulement Jon, Bruno et Charlotte qui habitent ensemble présentent les repas comme des moments dépicurisme, de convivialité et de plaisir.
Bruno : Cest comme si on s payait un apéro chez des amis tu vois.
Charlotte : On sfait un apéro, chacun ramène ses trucs.
Bruno : Sauf que nous on peut sfaire nos barbecues, dehors
(
). Jkiffe ce côté là, tsais.
Charlotte : On aime la bonne bouffe, on aime s faire des bons plats
Bruno : Entre potes cest pareil, sfaire des grillades, apéros.On vit bien quoi ya pas dproblème là dssus, on sfait des repas
Même chez ces trois interviewés, le plaisir y est abordé plus sous la forme dun partage relationnel entre pairs pouvant être utile à la cohésion groupale que dune satisfaction gustative. On peut alors se questionner sur le but des repas : ont-ils pour vocation essentiellement un rôle affectif ou conservent-ils un aspect gastronomique ? En effet, aucun dentre eux ne ma particulièrement parlé dun plat quil apprécie, quil cuisine. Les thématiques gravitant autour de ce sujet étaient souvent en lien avec la débrouille ou la fête.
Sur le plan de la sexualité, très peu dinformations ont pu être glanées, liées à lintimité du sujet. Apparemment, pour certains, la dimension affective constituerait une priorité sur la jouissance purement sexuelle. Revendiquant pourtant une liberté dans leur mode de vie, il est assez étonnant de sapercevoir que chez Jon, la notion de sexualité ne serait pas centrale dans ses préoccupations. Il la rattache dailleurs automatiquement à une vision du couple plutôt traditionnelle, basée sur la fidélité, laffect. Lorsque je préciserai mes questions en lui demandant si en attendant dêtre en couple, il na pas daventures légères, il répondra « Après, ça marrive comme tout lmonde quoi. », avec gêne. À mon sens, cette répartie illustre plus une stratégie pour ne pas perdre la face quun véracité. On a la sensation en lisant le peu dextraits dentretiens sur le sujet, il ny a quune seule façon dêtre dans un entre deux : entre le couple affectif durable, et labstinence ; par des relations non sexuelles avec de la tendresse. Le plaisir corporel pur pourtant plébiscité actuellement avec les nouvelles formes dunions (triolismes, échangismes, unions libres, don juanismes) ne semblent pas du tout correspondre aux pratiques des errants revendiquant pourtant une liberté totale. La prépondérance de laffectif et de lengagement dans les relations intimes sexpliquerait peut-être par des manques infantiles dattention et damour parentaux.
Clara : Mon pote cest mon doudou (
). (
) Jai baisé 4 fois dans la vie ya pas trop de risques (
).
Tristana : Et davoir une nana, cest important pour toi ?
Jon (2008): Non, pas tant quça. Non jte dis, moi jsuis libre donc euh
moi, cest tu vois, moi jsuis resté 5 ans avec euh
mon ex là et
après on sest séparés et tout mais euh
Tu vois, moi faut qusoit quelquun qui est euh... qui pense comme moi, quoi. (
). Ouais, euh, convictions politiques, convictions sociales, convictions euh
par rapport euh
à lamour. Tu vois tout ça. Et bon, pour linstant jai pas trouvé. (
). Lamour cest, Ben
le respect, lhonnêteté surtout. Le respect surtout lrespect et la fidélité. Puis moi, jsuis mine de rien, jsuis quelquun dvachement
, vachement tendre émotionnel. (
). Jpense que lamour ça spartage pas quoi.
Tristana : Comme quoi lamour cest êt
; euh dans la jouissance quoi ?
Jon : Non, non. Ah non carrément pas. Moi cest
tes avec une personne tes voilà, jsais pas
Après, tas la baise et lamour. Après ça marrive comme tout lmonde quoi. Mais quand jsuis avec quelquun jsuis avec quelquun à fond. Pour met déjà avec quelquun faut
faut vraiment
J suis
jsuis vraiment dur avec ça.
Tristana : Limportant pour toi cest plus le côté affectif qute faire plaisir corporellement quoi
Jon : Ouais, ouais, tout à fait quoi. Moi jaimbien les câlins, êt avec quelquun, msentir bien quoi. Mais faut quce soit la bonne personne.
Passe-Muraille : Jamais de préservatif, jconnais un minimum la personne. Généralement on steste. Soit je me teste en même temps que jla connaît
Mais si le corps remplit son rôle de pourvoyeur de plaisir, il semblerait quen seconde instance, il permette détablir une forme de distance, dautonomie face au monde social et dans lintragroupal errant.
3. 1. 2. 2. Corps dindépendance.
Comme abordé précédemment le corps errant servirait donc à maintenir une sorte dautonomie face à lesprit avide de sensations et peu ou prou enclin à se raisonner lui-même dans sa quête perpétuelle déclate et au même moment permettant à cette population datteindre le chaos nirvanique détaché de toute matérialité. Mais dautres formes dindépendances fondamentales sont à noter, celle qui leur donne accès sans limitation à vivre une liberté totale, sans compromis et celle qui contrecarre les représentations normées du rapport au corps. Ces phénomènes trouvent leurs traductions dans les thématiques de la drogue, de la beauté, de la vieillesse, de lintimité et du nomadisme.
Limprégnation psychotropique des errants nous questionne sur leur façon dêtre au monde. Dans un système social où lacuité sensorielle semble plébiscitée dans le sens dun être au monde réaliste et utilitaristechaque individu est soumis à percevoir entièrement toutes stimulations visuelles, auditives, olfactives et tactiles afin de développer sa capacité adaptative à un environnement sans cesse en mouvement, en progrès technologique et perçu dans le même temps comme dangereuxles toxicomanes eux utilisent des filtres stupéfiants afin de sy tenir à distance. Cette recherche déloignement, si nous conservons un certain regard, pourrait être perçue comme une impossibilité psychologique de vivre réellement et la nécessité de se plonger dans un état semi-conscient induisant une vie de mort vivant. Mais à mon sens seul un individu, Patrick, sur les six que jai rencontré semblait en effet, développer ce type de désir. Serait-ce dû à un problème psychopathologique, de dépression ?
Patrick : (
). Cest que je sais le risque que je prends mais cest quau bout dun moment tellement la dose est forte que je men fous du risque. Cest loubli, doublier et de penser, demain cest un autre jour, et le lendemain tu te dis après demain cest un autre jour. Cest presque un support, cest pas une béquille mais presque. Cest jai pas envie de penser où jvais dormir ce soir, comment jvais manger, quest ce qui va marriver cest loubli, je veux oublier.
En revanche, pour la plupart, cet écart construit et en partie conscientisé, serait une façon de garder une indépendance de lesprit, déchapper à un mode de pensée collectif qui ne leur correspond pas. En effet, se sentant menacé par une forme dasservissement et de lobotomisation, la population errante cherche plus à conserver une autonomie réflexive, un sens critique qui leur paraît faire défaut dans notre système actuel.
Bruno : Métro boulot, dodo, télé. Et puis avec la télé on tlobotomise en plus, cest quand même pas croyable.
Charlotte : Ah, ouais. Cest ça qui mfait plus peur. (
). De rentrer dans tout ça, de rentrer dans lmoule et de même plus voir que tu rentres dans lmoule et qut'es comme tout lmonde, quoi. De même plus sen apercevoir que tu
ça ça mfrait lplus peur. (
). De plus réfléchir par nous même, quoi. (
). Réfléchir comme tout lmonde par cquon nous impose.
Bruno : Et puis moi jai mon style jai pas envie dchanger dstyle. Jai toujours eu ce style là depuis lâge de17 ans, quoi jte dis euh
jai toujours eu cstyle là, jai pas envie dchanger, ça plus voilà quoi.
Il sagit aussi détablir une distance face à un mode de vie cadré, aseptisé, globalisant. La singularité semble primordiale dans le traitement du corps et de lesprit. Cest avant tout la peur de perdre leur identité, leur personnalité qui générerait peut-être cette mise à distance du monde. En effet, lapparence physique, le choix des drogues relèvent du caractère de chacun et permettent de lextérioriser face au monde.
Bruno : Ouais, jpense, quoi. Parce que moi jai mon ptit
ma personnalité dans voilà quoi. Mainant jai ma ptite personnalité
puis jai des trucs qui mmanqueraient jpense. En allant dans la vie dtous les jours à travailler et tout, jpourrais plus faire les teufs que jfais, jpourrais plus êtdans lson que jfais.Jpense quy a des choses qui mmanqueraient et ça mfoutrait hors de moi mais
Jsais pas si jirais beaucoup mieux.
Les critères de beauté pourtant relativement définis par notre système, quil sagisse de corps musclés, façonnés par une exigence hygiéniste, de minceur extrême ou de mise en avant datouts de séduction relevant de la sexualité, ne semblent pas atteindre les errants. Ces derniers plaident plus pour une diversité des apparences traduisant leur être profond que dune définition structurée de ce que représente la beauté. Tout comme le corps divin en Grèce, lindividualisation, la revendication de ces particularités de personnalités ne serviraient-elles pas à décerner aux errants une « valeur dessence générale intemporelle, de puissance universelle inépuisable. » ?
Là encore une opposition, une distanciation face au monde paraît se matérialiser à travers le corps singularisé rejetant du même coup les normes de beauté actuelles, luniformisation et la conformisation. Par cette privatisation extrême de lapparence, ny aurai-t-il pas une quête absolue didentité totalement singulière« (
) le corps est ce qui donne au sujet son identité, en le distinguant, par son apparence, sa physionomie, ses vêtements, ses insignes, de tout autre de ses semblables. ».
Charlotte : Comme un gars, quétait vnu nous voir à une teuf aussi
ouais pacquil était habillé différemment quoi, il était pas en teuffeur quoi. Il était habillé normal. Et puis lgars i balisait trop « Là tout lmond me rgarde, jsuis pas bien habillé et tout, on va mregarder
»
Bruno : « Tu thabilles comme tu veux, on na pas
cest pas pacquon est pas habillé comme ça que toi, tu dois thabiller comme ça »
Charlotte : « On sen fout, la personne te rgarde quoi, On en a rien à foutre, regarde ! »
Bruno : Justement on est ouvert à tous les looks, tu peux être habillé comme ça, tu peux être
, Ouais voilà, quoi.(
). Jfais pas ddifférence quoi. Non, non jfais pas ddifférence quoi.
Si lon peut rapprocher leur préférence pour la jeunesse des préoccupations des guerriers grecs, ce nest pas parce quelle recèle en elle la beauté légendaire des dieux mais parce quelle permet de garder une autonomie physique, psychique et de continuer les activités qui leur tiennent à cur (fêtes techno, prise de drogues, voyages, rencontres). Mais au même moment on peut se questionner sur le fait que la vieillesse résonnerait en eux comme chez les Grecs en tant que perte de « (
) Lardeur vitale, (
) la fortitude, (
) le pouvoir de domination, (
) la crainte (
), lélan du désir (
), la fureur guerrière, (
) localisés dans le corps, liés à ce corps quils investissent, mais en tant que « puissances », ils débordent et dépassent toute enveloppe charnelle singulière : ils peuvent la déserter comme ils lont envahie. ». Ce pouvoir sur le corps quils aimeraient préserver par sa jeunesse, permettant le dépassement de la temporalité et de la matérialité corporelles, sans pour autant mettre en actes des stratégies anti-vieillissement, semblerait peut-être remplir un rôle de résistance constante face à un monde auquel ils nadhérent pas.
Charlotte : Pas arriver au stade où tu peux plus rien faire toi même, quoi. (
). Jusquau temps où j puisse encore être autonome, que mon corps me dise
quand mon corps m dira stop, jessaierai pas daller plus loin. (
). De ton esprit surtout.
Bruno : Moi jte ldis franchement jme mettrais une balle, si jsavais qujpeux plus rien faire. (
). Jpourrais pas
Jaime trop la vie, jaime trop
pour pas rien faire, rien. Jaime trop les trucs que
Par ailleurs il est fort possible que ce concept de beauté nait absolument aucune importance à leurs yeux. À part Clara qui soulignera quelle ne veut pas être trop maigre ou trop grosse, aucun interviewé na paru se sentir concerné par les injonctions médiatiques actuelles. À aucun moment, ils nont même mentionné la minceur comme obligation sanitaire, ni même le bronzage en tant quembellisseur.
Clara : (
) Moi si jdeviens grosse et moche jme tue directe, jvais pas prendre soin de moi par contre jai pas envie dêtre maigre non plus (
).
Pour Clara, on peut même se demander si ce souci de grosseur et de minceur na pas une visée sanitaire dun point de vue fonctionnel. Un corps trop gros lempêcherait de se mouvoir et un trop maigre ne serait pas assez endurant pour supporter un mode de vie extrême.
De plus, on peut sapercevoir que lindépendance se manifeste par rapport à lappartenance intra-groupale. Si Charlotte revendique sa féminité dune façon très personnelle, car tout de même habillée de vêtements larges ethniques et colorés mais ressemblant à de nombreuses lycéennes en filière artistique ou littéraire, pour Clara cette féminité symbolise la séduction, la sexualité, la femme facile attachée au désir masculin. On saperçoit donc que Clara tente détablir une indépendance face aux critères et au rôle de la femme véhiculés dans notre société (femme séduisante, objet de désir), contrairement à Charlotte qui y est toujours à minima encline. Malgré un back ground culturel quasi commun de Travellers on peut noter la coexistence de divergences idéologiques.
Clara : Celles qui sont habillées normales comme dun côté elles sont toujours traitées comme d salopes.
Lintimité corporelle chez les errants est elle aussi très spécifique et éloignée de nos conceptions. Ainsi, aux yeux de tous, jai assisté devant le supermarché à un changement de vêtements dun individu, chose rare pour la population ordinaire. Lhomme dévêtu sest retrouvé quasiment en sous-vêtements alors que les passants circulaient autour de lui, quelque peu éberlués par ailleurs de voir dans la cité un homme exposer son intimité de la sorte. Tout comme le souligne Patrick, il nest pas rare dassister à des défécations ou des urinements, sans que les errants se dissimulent réellement. Cette autonomie face aux dictats de pudeur donnerait à voir une animalité corporelle acceptée face à une société qui ne cesse de vouloir léradiquer. En outre, ce type daction remettrait en cause le cloisonnement de lespace privé et de lespace public.
Patrick : Jmen foutais de pisser devant un mur (
).
La prévention médicale véhiculant le mythe dun corps contenant en lui son propre ennemi, ne paraît pas faire écho chez les errants. Les maladies sont perçues de façon exogène et la médecine de façon curative.
Passe-Muraille : On sle dit tsais on a une seule vie, sserait con dcrever dune maladie, dune hépatite ou dun das. Lautre il a le sida, il est pas déclaré i sfait un taquer hop ! Jai pas dpompe, jprend la sienne et jen fais un. Jattrape ldas
Jon 2008 : Non, non, quand même quand jsuis malade, jm' soigne. Dès qujvois qujmfait un abcès, jvais à lhôpital, sous antibiotique ou jme fais opérer ou jreste pas
jreste pas comme ça. (
).
De toute évidence dans un mode de vie épicurien où seules la jouissance, la liberté ont droit de cité, comment est-il envisageable de penser à prévenir des dysfonctionnements corporels par une hygiène de vie contraignante et quelquefois même sans saveur ?
Le désir de lentretien de la fonctionnalité corporelle, se justifie aussi par le fait que cette population nomade éprouve un fort besoin de voyager pour rencontrer des gens différents, des cultures différentes.
Bruno : Jai envie dprendre mon camion et dbouger. Faire un peu
la world travel aventure !
Jon 2007: Moi jaurais profité dla vie. Jai bougé partout.Jsuis allé en Angleterre, en Espagne, au Portugal, au Maroc, en Algérie, en Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Italie ,en Bulgarie, en camion tu vois faire des technivals à poser du son, organiser des teufs, tsais vivre quoi!
Tous mont fait part de leurs voyages avec un tel enthousiasme que lon peut là encore sinterroger sur la signification de ceux-ci. Ces déplacements ne leur serviraient-ils pas à acquérir de nouveaux modes de pensées, une nouvelle façon de concevoir le monde ? Dans le même temps ne permettraient-ils pas encore une fois de se distancier physiquement et psychiquement de notre système social ?
Bruno : Ouais, Ouais, ouais pour mcultiv
et puis franchement rencontrer des bons gens quoi sur la route. Sur la route jai rencontré des gens, pfff
des artistes, des
voilà ça tfait voir autchose quoi. La misère du monde
Lintérêt premier semble plus lié à la découverte de nouveaux individus, mode de pensée quun désir de rester affilié à un mouvement clos. Cette curiosité pour laltérité va même jusquà lacceptation de personnes de la rue clochardisées beaucoup plus désocialisées et parfois incohérentes. La tolérance et la solidarité vis-à-vis de la différence semblent constituer une valeur dans le cas de personnes plus désocialisées queux.
Bruno : Des styles différents, tsais pacquon rencontre beaucoup d styles différents dans not vie, not mode de vie.
Charlotte : Puis, les teufs, cest c' qui rassemble des gens de tout
voilà quoi (
). Mais toujours des gens ouverts qui ont dquoi tfaire connait'ent
des découvertes.
Jon 2008 : Ouais comme jtai dit jaim bien rencontrer des gens donc euh
voilà tsais quoi, jreste pas dans un truc quoi. Faut
si tu veux découvrir dautchose, cest pas en restant dans lmême
dans lmême cercle on va dire que
tu vas
voilà quoi. Qutu vas rencontrer dautpersonnes
tu vois apprendre daut' choses, daut cultures
Faut êt cosmopolite quoi.
Charlotte : Moi jmen fous. Jvais êt sympa, jvais leur parler mais au bout dun moment, tu vois si ils sont trop alcoolisés, que jcomprends plus rien à cqui mvont mraconter, jvais leur dire dbouger mais bon au début j vais pas dire « Dégage ! ».
Bruno : Tu les renies pas.
Charlotte : « Pacque tu pues, tu sens lalcool ! » Complétment, complétment
débile.
Bruno : Jsuis à lécoute. Ji voulu quon soit à mon écoute sur certains trucs, y a une époque, donc ouais moi jsuis à lécoute
Charlotte : On est différents
(
). Faut pas sfier aux apparences, non plus, même si izont lair totalment
, dans ceux quon a vu quon dit justement quisont à part.
Quil sagisse du sport, des drogues, des rencontres, ces pratiques paraissent être sous-tendues par des aspirations pour de nouvelles expériences, la quête de frisson, de sensations et de liberté que lon peut reconnaître chez les Hobos de N. Anderson. Cet état desprit que lauteur nomme : la Wanderlust est à mon sens totalement approprié pour décrire les motivations intrinsèques des errants. Bien entendu, la population hobo et errante nest absolument pas identique, les uns travaillant et étant issus de limmigration, les autres refusant de travailler et étant le plus souvent originaires de France. Malgré tout, le désir de découverte, de nouveauté, de liberté et de sensation constitue des motifs similaires intrinsèques aux errants et Hobos dans leur choix de vie.
Si le corps permet en effet de construire, de conserver une liberté, de procurer de la jouissance, dautres fonctions peut-être plus sociales sont à aborder.
3. 1. 3. Quand le corps donne corps.
3. 1. 3. 1. De linvisibilité à la visibilité dans la cité.
Les errants par leurs pratiques du corps joueraient ou seraient le jouet des contextes, de leurs interprétations des situations et des interactions en terme de visibilité et invisibilité.
Le désir dêtre vu est souvent synonyme dune forme de reconnaissance sociale. Manifestement, dans les situations sociales comme la manche où la présence dans la rue, le fait de nêtre pas perçu les renvoie à une certaine inexistence. Par cette non visibilité ressentie, les errants ont la sensation quon leur ôte tout pouvoir décisionnaire, de nêtre plus acteurs mais agis par lenvironnement et la société, bref dêtre incorporés par ce quil y a plus négatif dans le processus dassimilation : la négation de la singularité, de la différence. De plus le contexte de mendicité nétant pas forcément très valorisant, le besoin de reconnaissance se trouve par les faits accrus afin de palier limpuissanciation de leur « transparence sociale ».
Bruno : Ben, moi j pense que jsais pas
cest
cest pour me margina
cest pour m mettre en avant de dire que bèèè jsuis quelquun de margin
pas marginal mais
mettre en valeur, style dire jsuis à côté et puis voilà quoi. Cest plus un habillement pour sdonner pas un style mais un repère quoi on va dire.
Bruno : Par exemple, par exemple. Ouais ça mtue ça aussi. (
). On parle beaucoup des gens dà côté mais nous
on na pas lair dssoucier, quà chaque fois quon sprend par exemple un contrôle didentité par les flics quand iviennent sur toi, cest direct : « On nous a appelé, cest les commerçants » « Hé putain ! Mais vous écoutez qules commerçants, les commerçants, les commerçants. Mais nous, vous nous écoutez jamais nous. Ben si font des
font passer Sud-Ouest, font des ptits articles, style « Ouais bè les gens dla rue, , nanana
, sont pas contents ». Mais bon cest un article et voilà ça bouge pas.
Tristana : Et quest-ce ten penses, jsuis moins visible que vous, non ?
Bruno : Que nous, ça cest sûr.
Charlotte : Nous demain, on va shabiller comme toi, nimporte qui même si, même si on continue à vivcte vie là, ben, les gens i vont faire comme si ivoyaient pas, ivont pas
Suivant leurs opinions, le fait dêtre pris dans la masse de la population indistinctement servirait à maintenir un certain ordre social apparent sans révéler les troubles et les difficultés de notre système social. Laffirmation de la marginalité par laspect extérieur serait alors un moyen de souligner ses dysfonctionnements. Le fait dêtre vu, sous-entend pour eux, la possibilité de provoquer des changements sociaux et des actions. Le corps alors se manifeste comme un acte de proposition, de modification de lenvironnement social.
Bruno : Jpense que cest ccôté là quoi. On veut tous te mett'e dans lmême pot et puis ça srait plus facile à gérer pour eux, quoi. Forcément quoi, cest tout ltemps la même chose, voilà quoi. Cest un peu ccôté là qui cherche aussi quoi. Mais cest vrai qui te
toblige à être dans un système où i pourront plus te contrôler quoi.
Bien que générant des contraintes en terme de contrôle policier et de stigmatisation, cette lisibilité sociale paraît fondamentale surtout psychologiquement. Il sagirait en tant quexclus que lon évite de regarder, de continuer à être, de conserver son statut dhumain et de participant social et non dobjet, danimal que lon déplace, camoufle selon la guise de la norme.
Bruno : Contrôle didentité toutes les cinq minutes. Et moi ça mgave on est pas des
on est pas des
on est pas des chiens, quoi. Et enfin et encore nous, même les chiens izont droit au respect, quoi.
Pour ce faire ,des stratégies médiatiques sont même utilisées. Les journaux, les télévisions peuvent êtres convoqués par leurs soins afin de se faire voir et entendre. Leurs corps se publicisent dans une visée de contestation politique. Malgré tout, les errants sont conscients des désavantages implicites de la médiatisation. Le profit réalisé sur le dos de leur misère les exaspère, ainsi que le sensationnel qui dégage une image deux impropre.
Bruno : Non, non, mais pff
Et malheureusement jcrois que
on aura beau parler jte dis, regarde y a eu, on a fait des
jai fait un passage à TV 7, Sud-Ouest, ben y a eu gavé dtrucs mais « Oui, oui, oui. » Ça avance pas, quoi. (
). Si izont parlé pour faire style pour dire que « isont là, qui vont faire queque chose » mais non ben, voilà, quoi.
Charlotte : Pour montrer, pour montrer la misère quoi, voilà. Cest bien beau dmontrer cqui spasse mais
Bruno : Cest bien beau dla montrer la misère, faut la faire bouger aussi tsais.
Tantôt utilisant des techniques situationnelles de monstration socialement valorisée, tantôt revenant à des choix moins bien connotés comme la manche, ces derniers arrivent toujours à garder une place, à attirer le regard dautrui sur eux-mêmes. Leur marginalisation alors, nest-elle pas à considérer, plus comme une stratégie dinclusion sociale que comme une exclusion ? Une participation politique, plus quune démission ?
Lune des incompréhensions de cette population réside dans le fait que lors de leurs actions de mendicité, les personnes ordinaires feignent de ne pas les remarquer. Ce type dinteraction engendre de la colère, de la rancur, de la souffrance liées au fait de se sentir nié, dépossédé de leur humanité, de tout intérêt social.
Charlotte : Nous ont dit bonjour avant chaque phrase !
Bruno : Jte dirais bonjour. On scroise jte dis : « Bonjour, comment vous allez ? » Mais des fois, on trépond même pas.
Charlotte : Cest tourne la tête, change de trottoir.
Bruno : Cest tourne la tête, change de trottoir.
Charlotte : « Jai pas entendu ».
Jon 2008 : Ouais jsais bien mais cest souvent quand on fait la manche quon est transparent. (
). Au début ouais, maintant jmy suis fait. Tvois ça
sape, des fois quand ty penses vraiment tas un pincement au cur, tes la putain vas-y tsais ! Jsuis un fantôme quoi tsais. Mais cest... moi jm' y suis habitué.
Par conséquent lorsque je suis allée les chercher pour les entretiens, jai pu observer quelques techniques mises en place pour attirer lattention des passants. Jon, comique professionnel, savançait physiquement de façon relativement proche des gens avec un grand sourire en clamant des phrases humoristiques empreintes dautodérision. Un autre, sur le ton de la provocation demandait dix mille euros en espérant capter lintérêt des individus arpentant le trottoir. Et à vrai dire, il faut admettre que ces deux techniques semblaient porter leurs fruits, un sourire était à minima décroché et une pièce de monnaie dans le meilleur des cas. En bref, les mendiants étaient devenus des pourvoyeurs dinteractions entre eux et les autres mais aussi entre les autres individus qui séchangeaient des regards amusés dun air complice.
Suivant leur mode de pensée, rien ne justifie selon eux la nécessité de cacher leur mode de vie et leur choix, expressions pures deux-mêmes, de leur histoire, de leurs idéaux.
Bruno : Moi jai choisi cmode de vie là
jai pas à cacher ma vie ! Jai pas à cacher ma vie ! Jai rien à cacher dma vie donc jai pas
Jai pas honte de cque jsuis, jai pas
.
Ils préfèrent assumer une visibilité qui leur nuit parfois plutôt que de se déguiser pour passer inaperçus. Ce travestissement serait le signe de la négation de tout leur système idéologique et même de leur personnalité propre.
Bruno : Jai un pote isest rmis à bosser, isest relooké
(
). Imdisait : « Bè, putain jme fais plus contrôler et tout non plus. » Plein dchoses comme ça. Ouais mais cest malheureux, quoi.
Charlotte : Nous on lsait quon aurait quà faire que ça pour
ne plus sfaire regarder
Bruno : Jai pas envie.
Charlotte : Pour ne plus sfaire contrôler mais on veut pas, quoi. Se srait smentir à soi-même, quoi.
Bruno : Cest nous les drogués .
Charlotte : Pacque nous on est des arrachés, on le montre, eux ils le montrent pas.
Bruno : Eux, cest pas des drogués, eux izont ldroit.
Certains contextes plus particuliers que jai pu noter en me promenant et non abordés dans les interviews mont paru primordiaux dans la compréhension du phénomène dinvisibilité des errants. Rares sont les moments où lon peut les voir se déplacer dans la ville à pied, en transport en commun alors que la plupart dentre-eux ne disposent que de ce mode de déplacement. En me fixant sur ce constat, jai pu observer que les errants lorsquils marchaient rabattaient souvent leur capuche sur le visage et fermaient totalement leurs anoraks. Avançant rapidement et furtivement, ces corps dissimulés par les couleurs sombres se rapprochant de celles de la cité pouvaient passer totalement inaperçus. Même leurs chiens déambulant à leur côté, têtes baissées, ne se faisaient pas remarquerhormis lors de rencontres avec un autre congénère. Cherchent-ils dans ces moments-là à sextraire totalement du social ? Veulent-ils se protéger des contrôles policiers car transportant des stupéfiants pour le ravitaillement collectif ? Seule une observation participante pourra permettre de nous éclairer sur ce phénomène. Dans tous les cas, il est intéressant de noter le parallèle entre les dieux grecs qui avaient aussi la spécificité de se rendre invisibles ou visibles suivant les situations. Les errants alors ne questionneraient-ils pas le désir social contemporain dacquérir un autre corps que le sien, un corps de dieu, adaptatif en opposition avec le corps humain soumis à une matérialité rigide et une visibilité constante ?
Par contre, la recherche de dissimulation dans le contexte de cheminement vers le squat sexplique, elle, plus aisément. Vivant à la rue avec dautres individus parfois violents et voleurs, les errants tentent de protéger leur habitat en le cachant le plus possible et en camouflant leurs allers et venues. De nombreux propos à ce sujet ont été recueillis lannée dernière mettant en avant larrivée massive de Roms pillant leur résidence.
Clara : Tsais tas des Roumains, isont venus, izont tout sacccagé (
).
De plus loccupation dimmeuble étant illégale, mieux vaut se protéger des policiers ou de propriétaires qui désireraient les expulser ou, comme je l'ai entendu les murer pendant leur sommeil.
Passe-Muraille : (
) Quand on ouvre un squat djà on a un risque ... y a les keufs qui passent, si tu fous un peu trop de bordel 2 jours après tu fais, les voisins appellent les keufs, qu'i' tfassent dégager (
).
Clara : Mais là, y a personne parce que cest caché. Personne sait où cest. Y a pas mal dembrouille.
Mais peut-être sagit-il aussi de conserver un vrai endroit à soi où lon peut exprimer son intériorité, son affectivité sans craindre de perdre la face devant les autres errants de la rue. Nous savons que la démonstration affective est synonyme de faiblesse, danormalité dans la norme commune mais aussi chez les errants (Cf., P.Ariès 1. 3. 3. 3. La représentation actuelle de la mort). Or, dans un groupe où la violence nest pas rare, montrer ses affects, ce serait sexposer au risque de devenir le bouc émissaire. Lhabitat doit alors être partagé avec des personnes proches affectivement, de confiance et séloigner de lunivers et des pratiques violents de la rue.
Passe-Muraille : On va sacheter une grande tente on va sposer sûrement en Espagne un truc comme ça, dans les bois et quitte à vivre comme un hippy cest-à-dire à cultiver, chasser, tout ça, quoi (
).
Charlotte, elle, souligne le besoin de passer inaperçue au Lycée depuis un épisode denfermement en Hôpital spécialisé, sur intervention de létablissement scolaire. Sétant aperçus quelle consommait des drogues, entre autre par le fait que son ami Bruno venait la chercher, par des propos rapportés par dautres lycéens et après de nombreux écarts par rapport au règlement intérieur (absences répétées, états divresse psychtropique en cours, provocations verbales
), ils auraient alors exigé son placement en psychiatrie, puis lauraient renvoyée. Du coup, ayant intégré depuis deux ans un nouvel établissement, la méfiance est de mise et elle nentretient aucune relation avec dautres élèves. La peur du jugement de lautre, de lenfermement et de la stigmatisation semble accentuer son absentéisme scolaire. Les stratégies de fuite répondraient alors à ce besoin dimperceptibilité par protection.
Tristana : Pourquoi on voulait tenfermer ?
Charlotte : Ben, lbahut. (
). Pacque voilà, quoi, pacquizont été chercher plus loin, vu que jvenais pas en cours.
Bruno : Is permettent
pour eux, elle a des problèmes de drogues.
Charlotte : Izont été fouiner un peu dans ma vie. Des gens ont raconté ma vie et donc isavent tout sur ma vie. Donc euh
forcément, jai plus grand chose à cacher.
Bruno : « Elle a pas à traîner avec des zonards, elle a pas à
». Cest cqui disaient.
Charlotte : Ça fait deux ans qujme tape là-bas (dans le nouveau Lycée) pacque jai rdoublé mon année (terminale). Pacque jy vais pas quoi. Après jessaye dy aller un peu plus mais cest vrai quc'est chaud quand y a pas une seule personne qui tparle euh... voilà qutes objet bizarre, tu le sais aussi, tsais. Même les profs, jle vois, jle sens, tsais, ifont une différence. Et jsuis pas dans lmoule. (
.). Jme suis fait renvoyer du M pour ça. J me suis fait renvoyer pacque jtraînais avec des zonards.
Bruno : Timagines ? Jallais la chercher au bahut, ilont dit « Ouais, ton copain faudrait quil évite dtchercher au bahut, quoi. »
Charlotte : Faut pas qujme montre. Pour eux ça fait partie de ma vie au Lycée.
À linverse, la dynamique de visibilité existe aussi et est à considérer dans lunivers intragroupal. Elle se traduit par des marques corporelles ou des capacités à la répartie verbale, voire physique. Les blessures physiques sont autant de signes qui permettent à lindividu dasseoir son appartenance au groupe en tant quêtre fort et le protège des tentatives violentes dautres individus. Ainsi repéré comme bon guerrier, rares seront ceux qui viendront linquiéter.
Clara : Si la barre à mine faut faire gaffe mais tsais faut lprendre en premier, mais jai djà atterri à lhôpital aussi, jai une cicatrice ici, cest une grande bagarre générale....
Bruno : Faut avoir beaucoup dla gueule.
Charlotte : Tes obligée d répondre queque chose, savoir quoi dire, quoi.
Tristana : Vous voyez quand même des cas, ça peut êtviolent quoi, cest ça ?
Charlotte : Ben, ouais, ouais.
Bruno : Y a des côtés violents, y a des gens violents, y a des cas aussi
À travers les différentes thématiques qui permettent de cerner lutilisation de la visibilité et de linvisibilité, il semble évident que la première pratique constitue une possibilité de participation sociale, dexistence singulière, de revendications dans la sphère sociale, daccès à un statut dans leur groupe dappartenance (nous verrons cela plus en détail dans la partie suivante) alors que la seconde serait motivée par le besoin de protection face à lextérieur perçu comme dangereux par moment.
3. 1. 3. 2. Corps au cur de la protestation sociale.
Pour M. Foucault, si lÉtat, les institutions (écoles, prisons, armée, hôpitaux généraux et psychiatriques, cadres législatifs, entreprises...) exercent légitimement un pouvoir sur le corps en termes de contrôle et de postures, les toxicomanes eux, par contestation sen empareraient hors des cadres de représentations prévus, avec pour objectif l'interpellation des individus ordinaires. En désirant le maîtriser en tant quoutil fonctionnel, de jouissance et dindépendance à travers des conduites déviantes (prise de produits stupéfiants, bagarres, manque dhygiène
), des apparences différentes (look peu féminin, militaire, fonctionnel créé à partir de vêtements récupérés), des rapports contredisant lautocontrôle social plébiscité (soins médicaux essentiellement curatifs, rapport à lalimentation utilitariste), la pacification, la prévention médicale et léloignement des critères de beauté, les errants tentent de sopposer à une société qui ne leur correspond pas. Cette contradiction des rapports corporels conformes aux représentations normées, dépossèderait le système de son pouvoir sur leurs corps. Les conduites à risque, coup dÉtat contre une domination institutionnelle du corps permettraient alors de mettre en lumière leur idéologie contestataire sous une forme militante. La volonté de résistance corporelle, de gestion de ses propres limites, trouverait son sens dans la relation conflictuelle quils entretiennent avec les valeurs sociétales. Ce corps résistant ne serait-il pas une forme métaphorique dune résistance bien plus profonde ?
La résistance aurait alors deux fonctions, lune inhérente à la critique sociale lautre, propre au mode de fonctionnement du groupe traveler.
Clara : Moi jai rien jsuis hyper résistante ! Tous ceux, ceux qui ont une bagarre i zont des cocards des oeils au beurre noir, vont a lhôpital. Jme bagarre pas particulièrement..... par contre jsuis hyper résistante, elles étaient trois. (
) Je peux pas faire grand chose mais cjuste que jarrive à cque jai pas mal, ... jai même pas mal... Surtout aussi, on va dire aussi après avoir pris des prods, ça enlève la douleur plus ou moins, quelquun quest perché tu vas lui mettre une grosse claque, il va pt être saigner mais il aura pas mal. I va se relver direct (
). Je suis pas fragile du tout comme fille.
Nous pouvons noter ici une stratégie dintoxication contre la douleur, endurcissant le corps dans un désir de prise de pouvoir sur ce dernier, engendrant une totale autonomie corporelle. Le corps résistant devient alors un moyen de contribuer à se libérer de la domination Étatique en dépossédant le système de sa seule légitimité à la violence. Tout comme léducation à Spartes, les errants apprennent à travers diverses pratiques à risque à endurcir leur résistance physique et psychologique afin de survivre dans un mode de vie violent et rude. Cette forme de résistance physique et psychologique servirait à développer des qualités de joutes verbales, dendurance aux coups moraux et corporels. Ceux dentre eux parvenant à cette sorte de cryptie deviendraient alors peut être les élites guerrières dune communauté. Reconnus ainsi par leurs pairs comme des individus courageux et solides, leur positionnement dans la rue sen trouverait modifié en acquérant le statut de ceux que lon ne doit pas provoquer.
Passe- Muraille : Jaime bien la bagarre cest marrant, ...soit ça passe, soit sa casse,...jm'en fiche. «Vas- y tu viens membrouiller pour quoi ? » D'jà à la base jpréfére discuter si on peut pas discuter, ben ça part en couille. (
). I peut faire 2 met'es de haut, 3 met'es de large, avoir un gun : « Vas-y tire ! Jai rien à perdre. » La mort à la base ça mfait pas peur. « Si tu crois qutas une grande gueule ! La mienne elle est plus grande encore ! ». Plus tu les pousses à faire le truc jusquau bout : « Vas- y tire tire tire !!! ». Si quelquun i mprovoque, jl provoque aussi à mon tour. Ça va faire genre un peu comme les chiens, comme les chiens dominants y en a un qui va provoquer lautre pour voir sil arrive à ldominer, ça part, ça part.
Bruno : Faut avoir beaucoup dla gueule.
Charlotte : On toblige à dvenir comme ça pacqu'on tfait tellement
on temmerde tellement toute la journée
Charlotte : Tes obligée d répondre queque chose, savoir quoi dire, quoi. (
).
Bruno : Y a des côtés violents, y a des gens violents, y a des cas aussi
(
). Faut pas non plus svoiler la face, on est pas tous bien là ddans.
Si les Spartes étaient éduqués dans un but de protection de la cité et de perpétuation dun individu fort, soumis aux décisions politiques, les errants eux, sinitient de leur propre chef sans visée collective, ciblant simplement leur survie individuelle dans un contexte de violence et de domination intragroupale et intergroupale. Par contre, ce mode de fonctionnement brutal génère une remise en cause des valeurs de pacification, dordre social, ainsi que la dépossession des corps par notre société
Indiquant à tout un chacun leur capacité à gérer eux-mêmes et à disposer de leurs propres corps comme bon leur semble, ils remettraient en cause la légitimité de notre système à pouvoir déposséder les individus de cette liberté. En effet, dans notre société, les individus diagnostiqués dangereux pour eux-mêmes (tentatives de suicides, idées suicidaires, anorexie, décompensations psychotiques
) peuvent être internés par la préfecture où lhôpital sous demande dun tiers, et que pour les cas de demandes deuthanasie, seul un tribunal peut donner son accord en sopposant à la loi actuelle qui interdit cette pratique mais proscrit également tout acharnement thérapeutique. Bref même la mort et le corps qui pourraient sembler être les propriétés fondamentales de lindividu ne lui appartiennent pas.
Les conduites à risque seraient-elles alors, un moyen de faire entendre son droit à la liberté de décision concernant ce qui peut nous paraître comme le plus intime et le plus privatif : notre corps ?
Ce corps panneau daffichage dune contestation rappelle étrangement les slogans de mai 68 sur le droit au plaisir, la libération des murs, la remise en cause du modèle compétitif libéral, symbole de la classe dominante. De plus, en voulant ne pas vieillir, les errants ne sinsurgeraient-ils pas comme les étudiants de 68 contre un conservatisme quincarne justement la vieillesse ?
De même la parure quils arborent, piercings, tatouages, vêtements troués, sales relevant en partie de lesthétique punk seraient une provocation agressive contre la culture, la morale établie et participeraient encore une fois à la remise en cause de la pacification.
Alors que lallure des corps ne cesse de saccélérer aux rythmes de la robotisation et de lallongement des distances entre habitat et lieu de travail, les errants semblent prendre le contre-pied en déambulant plutôt lentement, nayant ni lieu de travail, ni dhabitation fixe. Si la vivacité est essentielle en cas de conflit verbal ou physique, de poursuites policières, elle nest mobilisée que dans ce type de situations. La critique de la performance et de la rentabilité paraît être de nouveau incorporée et trouve sa traduction dans lhabitus de marche.
Si les représentations du corps, la contestation en tant que posture sociale permettent de comprendre leur rapport à celui-ci, une interrogation reste à poser concernant lapprentissage des conduites à risque. Comment a-t-on lenvie, lidée de se mettre en péril et pour quelles raisons ?
3. 1. 3. 3. Lappris par corps.
3. 1. 3. 3. 1. Lapprentissage.
Ladoption du corps libérateur et plaisir ne sest pas établie spontanément, comme par magie chez les interviewés. Elle relève en effet dune succession dévénements vécus, dinteractions, dinterprétations et dobjectifs quils ont construits. Les conduites à risque sous-tendues par ce rapport au corps seraient considérées comme déviantes pour la norme. En effet, si nombre de politiques de santé publique, ou sécuritaires cherchent à les éradiquer ; cest quelles dérangent notre conception du risque et de la sécurité. En outre, il est inadmissible pour le corps social dassister à des mises en danger non-productives en termes de perfectionnement, de rendement. Le corps des errants, libéré des injonctions coercitives, répugnant à un autocontrôle soumis aux normes sociétales, signe en lui-même sa déviance, lassume après avoir subi létiquetage doutsider (cet étiquetage sera lobjet dune analyse dans une partie ultérieure : 3. 1. 4. Lapparence physique : une étiquette attribuée et assignée.) par la population ordinaire.
Pour les interviewés, lapprentissage des conduites à risque sest fait tout dabord par la découverte de la drogue puis sest étendu à dautres objets sauf pour Bruno qui a démarré sa carrière déviante par des vols.
Bruno : Non, du tout, du tout. Euh
conneries
ben, jai fait des vols, jai fait des braquages, enfin jai fait des choses pas bien quoi. Vol de voiture
, voler des bureaux dtabac, plein dchoses pas bien quoi. (
).Là, javoue jprends du produit mais jai commencé tard, jai commencé vraiment vers lâge de 18 ans, tu vois. (..). Non, jai commencé assez t
, enfin cest pas qujle connaissais djà avant . Non, mais jai pris ma responsabilité den prendre mais vers 18 ans et jai vraiment
jme suis vraiment mis ddans. Parc que ben, jai commencé à traîner en free party. (
). Et on peut pas dire qucest à cause de ça (des vols) franchement qujai commencé mes conneries non.
Quatre dentre eux ont expérimentée les drogues dans un groupe daînés, le quatrième avec un ami qui la amené en Hollande.
Les finalités sont convergentes. Elles visent lintégration dun groupe, un choix existentiel exprimant des intérêts communs. La curiosité comme trait de personnalité, est souvent mise en avant pour expliquer lexpérimentation des drogues.
Bruno : Et ça vnait des Spiral tribes quétaient rcherchées par interpol et tout, pour euh
trafic de LSD, machin. Cétaient des marginaux, quoi. Comme chez eux, on les a pas acceptés, isont vnus en France, izont lancé lmouvment, et voilà, quoi. Et les gens ssont identifiés quoi. Moi, jme suis identifié à ça.
Les interactions verbales concernant les descriptions des effets ressentis ont permis daccompagner les premières prises de produits, déduquer les novices quant aux perceptions quils allaient ressentir.
Passe-Muraille : I ma dit voilà lhéro tu vas ét'e là , bfouf ! Cest effet pétard 1000 ! Tu vas piquer du blaz. La coc ça va tfaire super puissant ! Trop bien ! Tes lmaître du monde ! Superman ! Et tout tsais. Voilà jétais là, ouais putain... ! Si tveux tas ça dvant toi cserait con dgâcher tu vois, pas mourir bête tu vois. Tu tdis, ça mplait cest cool !
Bruno : Moi jai eu la chance quy ait eu des personnes au bon moment pour mdire, comment faire, quoi.
Charlotte : Moi aussi, jai eu la chance de commencer avec des gens quétaient quand même
Bruno : Jétais bien structuré, tu vois cque jveux dire.
Lexplication technique se fait souvent grâce un mode de communication non-verbal : observation et imitation.
Passe-Muraille : I mont appris plein de trucs. (
). Cest simple tu prends une sèche, tu sens le shit si sent bon, (...) . (
). Tu prends un petit bout, tu roules ton joint. Une feuille, une clope, tu roules. Tu prends un carton un maroco.
Les échanges autour des stupéfiants et de leurs effets sont essentiels pour en saisir la subtilité. Les perceptions décrites par les autres membres du groupe vont être appliquées aux propres impressions du novice. Par lexercice répété, lindividu va ainsi développer des capacités à apprécier les sensations. Il va analyser ses expériences pour trouver les effets escomptés et en ressentir de nouveaux. « Ce processus engendre un système stable de catégories qui structurent la perception des effets. »
Charlotte : Si un gars, il a pris un truc cest la première fois quil prend
Bruno : Ouais voilà on est tous solidaires
Charlotte : Iva tposer des questions, iva ddire : « Bon là j vois qutas un quoi », « Jcommence à voir ça, cest normal ? Jcommence à mfaire ça ? » « Cest normal, tinquiètes pas ! Nanana
» (
). Ouais voilà après y a un
à viv bien son truc qui viv bien son truc. (
). « Attention ça va faire ça ! attention on mélange pas avec ça ! » comme jdisais, quoi. Pac quy en a cest leur première teuf
Cest ainsi quils passent dun statut dutilisateur à celui de connaisseur.
Jon 2007 : Le problème, cest quça ma plu, et donc voilà après... Après, tu vois ben... en zonant tu rencontres des gens. Après, i tdisent tiens tu veux aller à une teuf et tout ? Ben jsais pas, jconnais pas. Allez on va voir tiens ! En plus jsuis un mec vachement curieux et tout, tsais. Ben, y a des ecstas et tout. Allez hop ! On va voir. Tsais direct, ça ma plu. Le mec, il ma mis un carton dans la gueule ; ima dit « éclate toi ! ». Jm suis éclaté à fond.
Il faut que la personne apprenne à aimer les effets que cette conduite produit, quelle définisse ses ressentis comme agréables.
Clara : Le flash, cest ce quil y a de plus beau, cest mieux quun orgasme.
Le rôle des personnes expérimentées est denseigner au débutant la façon dont il doit prendre du plaisir avec les stupéfiants et à doser les dangers méthodiquement afin déviter le risque de mort ou de sensations désagréables.
Quand le goût est acquis, lindividu va désirer et rechercher ces effets. Durant ce processus, il va élaborer une motivation par le biais dexpériences, par les rencontres, les échanges avec le groupe. Il va apprendre à reconnaître puis à aimer les impressions.
Patrick : Cest chacun réagit par rapport aux substances. Moi, je sais que sous héroïne, jétais malade comme un chien, alors que dautres, cétaient des musclors.
Patrick explique contrairement aux autres, que nappréciant pas les effets il a arrêté la prise dhéroïne, il est donc nécessaire quil y ait plaisir pour que la poursuite de lexpérience se fasse. Si beaucoup de données sur lapprentissage de lusage du corps dans lintroduction des drogues ont été recueillies, peu déléments sur les autres pratiques à risque ont été livrés, mais on peut admettre sous réserve que si les errants élaborent une analogie entre prise de stupéfiants et pratiques de sport extrême, cest quapparemment il sagirait du même processus d'initiation.
Une fois les pratiques et les ressentis intériorisés et conscientisés, la prise de risque semble devenir par la suite quasi naturelle, un genre « dallant de soi » qui, par moments, a des difficultés à émerger dans le discours des interviewés. On peut alors se questionner sur le fait que ce rapport au corps spécifique se transformerait sur la durée en un habitus.
Afin de mieux saisir ce qui construit ladhésion à des pratiques déviantes que sont les conduites à risques, il mest apparu comme inévitable de décrire selon le concept de carrière de Becker, lexpérience de chaque interviewé afin de comprendre que cette adoption relève plus dune construction interactionniste, dun parcours que dun déterminisme social. Ainsi, comme nous le verrons cet agencement se fonde sur un rejet sociétal et l'assentiment à dautres normes, valeurs, par un engagement de plus en plus important dans la déviance.
3. 1. 3. 3. 2. La carrière.
Les modes de comportements toxicomaniaques se développent selon une séquence ordonnée, il y a succession de phases, de changements du comportement et de perspectives pour lindividu.
Pour quune personne adopte des conduites à risque chronicisées, il y a nécessité dun passage par plusieurs étapes.
Pour les quatre acteurs, les situations dexclusion et les premiers actes déviants se sont mis en place relativement jeune, de façon simultanée, et ont permis à dautres actes de se développer. On nomme « carrière », la succession dactes déviants dans le temps, exprimant une implication de plus en plus importante dans un style de vie hors normes.
La première étape serait la mise en place dune transgression dun principe adopté par le groupe dominant.
Les fugues de Passe-Muraille, premières étapes de sa carrière, alimentées par un rejet maternel lui ont permis détendre son goût de la transgression pour échapper à une violence psychique. Comme il lévoque, il ne voulait pas se plier aux exigences de sa mère et à son idéologie. Puis la désertion de lécole, la fréquentation de fumeurs de joints, ont contribué à développer des comportements hors normes. Il a très précocement évité de lier des alliances avec la société conventionnelle. La prison déjà deux fois (il a 18 ans), a conforté son inscription dans une carrière déviante. Cest une volonté de ne pas subir lexclusion qui la poussé à apprécier lopposition à un système qui lavait mis de côté. Les prises de drogues et de risques vont alors sinsérer dans des motivations hors-cadre, lui procurant en supplément des sensations agréables, apprises grâce à un groupe damis Punks. Avec eux, il débutera ses consommations dhéroïne, les bagarres anti skins. Le choix de ce groupe est lui aussi rationnel car proche de ses idées anti-règles sociales, anti-fascistes et anarchistes.
Clara, elle aussi a vécu une mise à lécart. Placée en foyer de lenfance précocement, sans liens affectifs familiaux, elle amorcera sa carrière déviante comme beaucoup par la prise de cannabis. En fuguant, fréquentant très jeune des gens de la rue, elle commencera à consommer des ecstasys. Elle a vite trouvé que les gens de la rue correspondaient à son idéal, et lintégration dun groupe quelle trouvait trop cool ! , lui a permis dexpérimenter lhéroïne, quelle a tout de suite appréciée.
Jon, lui, a débuté ses transgressions en consommant du cannabis. Se faisant épingler par son père, la punition disproportionnée la peut-être conforté dans une envie de rébellion à lencontre dun système familial très rigide et hiérarchisé (grand-père militaire, père policier). Lexpérience de larmée puis, du travail en usine nayant pas procuré de satisfaction, il a décidé de tester un autre mode de vie où il a pu trouver ce quil désirait : la liberté, le voyage et la solidarité. Les incarcérations nont fait que conforter un positionnement délinquant.
Patrick, raconte une vie de quartier où tous les jeunes étaient déjà des consommateurs de drogues, des dealers. Quartier déjà disqualifié socialement où les règles, les fonctionnements sont indépendants du système classique.
Patrick : Euh... les drogues dures. Cest que jai grandi en cité, et ça tournait dans la cité et puis pour faire comme les copains, jai goûté. Avant je sniffais, je prenais des cachetons, Valium, Néocodion. Cest pour faire comme les copains, parce que si tu fais pas comme les copains tes pas intégré, tes un exclu.
Nayant pas accès à une réelle intégration du fait de son lieu dhabitation relégué au rang de « banlieue », aurait-il fallu quétant déjà exclu, il devienne le paria des parias? Bien plus quune carrière en marge, il sagit pour lui dune appartenance précoce à une underclass engendrant un parcours devenu déviant par létiquetage social dune population, dun lieu.
Bruno, issu dune famille recomposée suite au décès de son père quant il avait cinq ans, vivait dans un milieu relativement précaire économiquement. Sa mère employée comme aide aux personnes âgées dans une maison de retraite est la seule participant au budget familial, dû au fait que le beau-père atteint par des problèmes de santé ne pouvait plus travailler. Bien que percevant une pension dinvalidité, Bruno dans sa façon dexprimer les faits, laisse imaginer que linactivité de ce dernier a pu entraîner des difficultés dune part financière et dautre part peut-être relationnelle.
Bruno : Cest assez difficile comme boulot, parcqui faut avoir envie dnettoyer un papi. (
). Cest pas évident et mon beau père fait rien pacque lui, il est
il a un problème au dos, i peut pas travailler à vie, quoi. (
). Donc, itouche une pension et voilà, quoi.
Bruno : Ça mest arrivé jeune, javais 5 ans quand jai perdu mon père. Jai eu une période où ça été difficile, vers lâge de
(
).Jai eu ltemps de dire
de faire le point. Ça a été difficile, jdis pas. Ça ma fait
bon travailler lcerveau quoi.
Évidemment la perte de ce père a généré une souffrance et quand Bruno souligne quil a vécu une période difficile suite à cet événement en laissant des points de suspension ( Jai eu une période où ça été difficile, vers lâge de
), je me suis demandée si cette phase nétait pas celle de ladolescence, âge auquel il a commencé ses délits de vol, ses braquages
Bruno : Moi aussi jai eu des problèmes de dépression, on ma bourré dcachets, quoi.
(
). Jme suis cassé avant. Une fois, izont voulu menfermer à lhôpital. Jmsuis barré dlhôpital. Pacqujmdisais, jtiens pas à ça, quoi, qucétait pas ça mon problème, quoi. Et jai bien fait, tu vois. Jai bien fait. (
). Pacque jétais dépressif, mais cétait plus par rapport à la mort dmon père et tout. Mais jdéprimais, jallais pas bien, du côté dma mère, ça allait pas bien non plus, donc euh
jdéprimais par rapport à des trucs comme ça.
Lépisode dépressif sur lequel il ne sattarde pas, ajouté aux problèmes relationnels, maternels et économiques de la famille, laisse supposer que la croyance dans un système égalitaire, méritocratique fut vite ébranlé par une réalité quotidienne non satisfaisante. La passion pour la musique et les fêtes techno a alors peutêtre permis à Bruno de construire un holding de remplacement que la structure familiale et la société nétaient pas en mesure doffrir et lui a, du même coup, conféré des valeurs culturelles de substitution, plus en adéquation avec son vécu. Quitte à être considéré comme membre appartenant au bas de léchelle sociale, autant se marginaliser et tirer profit de la situation par le choix dune vie extrême, faite de jouissance et libérée des contraintes sociales qui en contrepartie ne lui ont jamais rien offert. Embarqué dans une série de délits le conduisant à lincarcération, ayant tenté de vivre en appartement avec une compagne qui y mettra fin à cause de ses penchants pour les drogues, Bruno sest de nouveau retrouvé sans soutien affectif et a poursuivi son inscription dans son mode de vie déviant avec plus dintensité. La première transgression pour lui sest réalisée par le vol, puis ont suivi les intoxications et finalement ladoption dun mode de vie errant.
Charlotte, quant à elle décrit une vie de famille classique. Des parents séparés fréquentant de nouveaux conjoints, une mère avec un poste à responsabilité, un père intérimaire par choix qui gagne correctement sa vie. On ne saisit pas au premier regard, les raisons de lélection de ce mode de vie. Elle met en avant cependant des problèmes de communication avec son père qui feint de ne pas constater sa toxicomanie bien quelle ne lait jamais dissimulée. Elle raconte que celui-ci a construit une idéalisation de ce quelle est « une fille normale » et refuse den faire le deuil malgré les preuves qui saccumulent face à lui. Sa mère par contre semble avoir accepté la situation après de nombreuses discussions, préférant le maintien dun lien affectif à la coercition éducative. Charlotte évoque par ailleurs le fait quelle ait toujours été « dépressive » et ne sest jamais sentie à sa place dans le système classique. Le début de sa carrière déviante sest instauré par un absentéisme scolaire saccroissant au fil du temps, suivi de consommation de cannabis puis de toutes sortes de psychotropes. La vision posée par les établissements scolaires layant catégorisé comme déviante et layant placée en hôpital psychiatrique, na fait quaccroître son rejet dune société incapable daider ses jeunes, préférant lenfermement à la discussion, favorisant le prestige institutionnel de lécole à la compréhension et au soutien de ses élèves. La déception sociétale incarnée par lécole, a relayé celle induite par une mère sacharnant à la tâche sans retour satisfaisant, et celle provoquée par la non-communication paternelle développant un sentiment de non-attention à ses difficultés. Comment alors pouvait-elle tisser une relation de confiance vis-à-vis dune société qui semble plus se soucier de lordre social que du bien être de ses membres ?
Charlotte : Quest-c qui ma amenée
? Ben, jsais pas, déjà jétais attirée par cmilieu, jétais jeune javais 14 ans, puis jétais toujours chez Papa, Maman, jétais toujours à lécole. Jsuis toujours à lécole, dailleurs. Et puis voilà , jétais attirée par c milieu, pac que jsais pas avec les aut jeunes imcomprenaient pas. Jme sentais pas comme eux, jme sentais différente et voilà. Jétais attirée par la mentalité dabord. Puis, jai vu qudans cmilieu jétais pas rejetée, que javais ldroit dire mes idées que
, on avait les mêmes idées, les mêmes
Puis après voilà, jai trouvé ma voie quoi, on va dire. Comme tout lmonde à ladolescence. (
). Ma mère arrive à comprendre même si elle conçoit pas, elle comprend. Mais elle, comme idisait, cest on la mis dans un système et elle dit : sans lsystème avec deux gosses et tout, elle pourrait pas sen sortir, mais elle comprend qujai fait ce choix dvie, quoi. Pacquelle comprend quy a pas que des inconvénients. Qujarrive à bien vivre, que j suis même mieux quavant, que voilà quoi. (
). Y a jamais eu aucun dialogue mais euh
(
). Moi cest cque jai sorti à ma mère : « Tu veux qujai une vie comme toi. Que jme fasse chier toute ta vie au boulot. Qujsois malheureuse, et nanan.. » (
). Quand jai commencé à grandir, jai vu ça directe, ça ma fait peur.Jai dit « Ta vie ça mfait peur, jveux pas vous rssembler, quoi. Ça mfait peur vraiment, quoi. » Mon père, il a vraiment du mal à accepter, il en parle pas, ifait comme si de rien nétait, quoi vraiment. Comme si jrentrais dlécole tous les soirs et qujavais une ptite vie bien tranquille, bien normale comme mon frère. Mais ifait comme si de rien nétait quoi vraiment. Ilen parle jamais, i
Non cest pour srassurer. Il est comme ça, il aime pas
il aime pas
Il aime pas spréocuper quoi.
Charlotte : Moi, cest ça au début, javais besoin juste quon mécoute, quoi. Au lieu quon me file en hosto enfermée pendant un mois, tu vois. Ben, Jaurais prèféré quon
(
). Comme jte dis
Moi jme sens moi, jai toujours été pour moi. À partir du jour où on ma dit : « Tes dépressive. », pour moi ma vie, elle a pas changé. Cest pas
jsuis pas dvenue dépressive du jour au lendemain. Pour moi, ça a toujours été dans mon caractére, tu vois. (
). Moi ça fait des années quça dure et jpense que jle vis mieux avec le temps, pacque
Malheureusement, je sais quça, quça
qucest pas en mfilant des médocs que je vais me transformer du jour au lendemain. Cest pas en menfermant dans un hôpital que jvais ressortir, jvais êt toute guaize
Cest pas vrai, je sais qujchangerai pas au fond de moi- même, cest dans mon caractére.
Charlotte : Trop dquestions, auquelles jétais étonnée quisles posent même pas les psys en face de moi, quoi.
Les actions déviantes naîtraient donc dune désillusion du système classique, dont certaines familles, institutions sont porteuses, entretenues par des interactions avec la société ordinaire peu satisfaisantes puis elles seraient justifiées, motivées par un idéal de vie, appris grâce aux groupes fréquentés répondant aux intérêts des acteurs en termes affectif, de holding et de liberté.
Clara : Dabord cétait en groupe, plutôt festif, cétait vachement festif (...). (...) Javais à peu près 14 ans. Un groupe de gens que « jtrouvais trop cool ! » (en se moquant delle même). En fait jai vu qui spiquaient à la came et jles trouvais trop cool ! Jai voulu faire la même et cest comme ça qujai commencé d'tfaçon.
Bruno : Et ça vnait des Spiral tribes quétaient rcherchées par Interpol et tout, pour euh
trafic de LSD, machin. Cétait des marginaux, quoi. Comme chez eux on les a pas acceptés, isont vnus en France, izont lancé lmouvment, et voilà, quoi. (
). Moi jme suis identifié à ça.
Cest dans lidentification aux membres du groupe, à ladhésion aux valeurs de plaisir immédiat, de liberté et dopposition à un modèle imposé, que ces toxicomanes vont accroître les prises de risque. Impliqués dans un choix de vie rationnel, intentionnel et entourés de pairs, ils se sont engagés au fur et à mesure à vivre selon certains critères, certaines murs dont font partie les conduites à risque.
Dans cette vie communautaire, la création de relations affectives permet laccès à une substitution de celles manquantes de lenfance, catalysant lengagement dans un mode de vie déviant.
Ces passages à lacte seraient liés à la théorie de lengagement selon laquelle les individus ordinaires seraient impliqués petit à petit dans les institutions et les conduites conventionnelles. Lacteur adopte alors des comportements normés et ne veut ou ne peut sen dégager, ayant peur de perdre de façon indirecte ses activités. « Lhistoire normale dun individu dans notre société (...) (serait) une série dengagements de plus en plus nombreux et profonds envers les normes et les institutions conventionnelles. » Donc lindividu normal, tenté de transgresser, réprimera cette envie en pensant aux conséquences désavantageuses pour ses intérêts ; contrairement aux déviants qui y trouvent justement des bénéfices.
Pour cinq interviewés (Clara, Passe-muraille, Jon, Bruno, Charlotte) la motivation de déviance intentionnelle est exprimée sous plusieurs formes. Entre autres, depuis leur jeunesse, le lien avec la société conventionnelle a été bouleversé, ses normes nont pas vraiment de valeur pour eux.
L « (...) écart par rapport à certaines normes peut résulter non du rejet de celles-ci, mais de la priorité accordée au respect dautres normes, qui sont jugées plus pressantes, ou paraissent exiger un loyalisme de degré supérieur. » Cest ce que nous pouvons observer dans le choix de liberté de circulation qui contredit la vie en appartement. Lhabitat stable nest pas en lui-même écarté, mais lenvie de voyage, de technivals prévaut. La vie nomade en groupe et les risques sociaux quelle implique supplante en termes dintérêts affectifs, idéologiques, pratiques, la vie ordinaire.
La carrière déviante devient un genre de vie, une part de lidentité basée sur des comportements déviants. Elle se construit grâce au développement de motifs et dintérêts déviants tels que la prise de drogues, la jouissance par lextrême.
Les motifs socialement appris sont à lorigine de la déviance. Cest en interagissant avec des déviants expérimentés que lindividu va apprendre à reconnaître le plaisir que lacte déviant lui procure. Le vocabulaire quutilise la personne déviante pour expliquer son acte est acquis par échange avec le groupe de déviants auquel elle appartient.
Les motivations déviantes ont un caractère social même si certains actes sont commis seul, car il peut y avoir communication sur laction à posteriori dans le groupe sans que les autres y aient assisté. De plus, les actes transgressifs participeraient à la construction dune identité sociale signe dinterdépendance au groupe dappartenance .
Pour Patrick et Bruno, la justification dune carrière déviante présente quelques aspects divergents car ils souhaitent en partie sen dégager. Ils se sentent exclus par le système quils voudraient réintégrer. Pour les actionistes, lâge va jouer un rôle dans le désir de rupture avec une vie délinquante, ce qui expliquerait la baisse de criminalité lâge avançant. Lénergie, la tension déployées dans ce mode dexistence, fatiguent la personne adulte qui va reconsidérer ses choix au profit dun plus grand confort.
Bruno : Jai eu une époque à 18
, à 18 ans quand jai commencé les teufs, jai eu ma période branleur, ouais
à fond dans ltruc. On a tous un peu ccôté là quoi. Mais après tu tcalmes vite hein, jai 28 ans mainant. En 10 ans dtemps, ouais tu réfléchis plus, quoi. Tu vois les choses autrement, quoi. (
).
Bruno : Et puis lmode de vie aussi qui fait que ben
Cest pas toujours facile, aussi.tsais de bouger à droite, à gauche
Charlotte : Le plus dur physiqument cest la fatigue, jtrouve, dans cmodde vie.
Bruno : Dans cmode de vie, cest beaucoup dfatigue.
Patrick : (...) Quand jsuis tombé dans la rue je pensais comme eux, « ctait Fuck la vie ! » Et avec le temps je vois que je vis euh euh... que point de vue santé cest pas le top, jai envie de mintégrer.
Bruno : Ben
cqui y a, cest qucest difficile dans lsens que
ben, tas vu, moi mode de vie dès quon mvoit arriver déjà cest chaud. Donc là jme suis inscrit aux agences dintérims là. On mdon pas dboulot, jsuis sûr qucest à cause de ça aussi. Tsais jarrive
Quand on mvoit arriver djà avec ma tête
cest difficile quoi. On taccepte pas comme ça.
Pour Jon, la situation est différente. En 2007 clamant un pamphlet pro consommation de drogues, il semble aujourdhui quavec lâge, ce dernier nait plus envie de sensations aussi intenses ou du moins avec une fréquence plus raisonnable. En opposition avec Patrick et Bruno, il ne désire tout de même pas changer de mode de vie en travaillant ou en intégrant un appartement.
Jon 2008 : (
). Jfais la fête et puis voilà mais jtape pas tous les jours. Non, non, avant jfaisais. Voilà cest pareil à trente ans, tu calmes aussi tu vois. (
). Ben ouais quand javais tu vois entre 20 et 25 ans, cétait à fond, à fond, à fond. Après jm suis calmé , après jai recommencé à fond, à fond et puis là
À partir djuin lannée dernière, jai fêté mes trente ans dssus. Trente ans quand même déjà
jen prends un ptit peu moins, puis dmoins en moins et puis maintnant cest quand jvais en teuf.
Après avoir fait état de la construction dun mode de vie déviant ayant pour point commun la déception par rapport à un système incapable doffrir une sécurité affective, un épanouissement pour chacun, comment comprendre lutilisation sociale de leur corps et ses fonctions interactionnelles ? En établissant la suite des fonctionnalités quil revêt dans la partie qui suit, peut-on imaginer quil contribue à nourrir le statut de déviant, à permettre une opposition sociale, voire à entretenir, maintenir une place sociale singulière qui se détacherait de celle dexclu attribuée par le système ?
3. 1. 4. Lapparence physique : une étiquette attribuée et assignée.
3. 1. 4. 1. Le look traveller ou quand le corps sadapte aux contextes de vie.
Leur allure est décrite comme fonctionnelle, adaptée à leur mode vie itinérant. Vêtus de couleurs plutôt sombres, on peut imaginer que ce choix sest fait de façon rationnelle en rapport avec le manque daccès à des points de lavages. Ainsi la salissure paraît moins marquée sur des couleurs kaki que sur du blanc. Ces tons foncés offrent aussi la possibilité de se fondre mieux dans un paysage urbain plutôt gris, noir, marron, permettant peut-être de se cacher plus facilement à la vue de policiers ou d« ennemis ». En baissant leurs capuches, les individus camouflent alors ce qui les rend relativement visibles : leurs piercings et leurs coiffures colorées. Ne serait- ce pas là une stratégie adaptative à un milieu quelque peu violent ?
Bruno : Y a des côtés violents, y a des gens violents, y a des cas aussi
Jon 2008: Technopunk. (
) Pratique quon soit à laise dedans. Pratique à laise dedans et puis euh... et puis voilà.
De plus cette commodité des vêtements se justifie doublement. Vivant, dans des squats la plupart du temps sans chauffage et déambulant très souvent dans la cité, les tenues construites par superpositions dhabits larges paraissent totalement conformes à ces contraintes matérielles, alliant protection du froid et liberté de mouvements.
Cette fonctionnalité va sétendre aux apparats de joaillerie. Le visage décoré de piercings types « spikes » (cônes pointus) vont leur conférer un aspect agressif permettant peut-être daffirmer un caractère bien trempé afin déviter les conflits dans un univers relativement violent. « (
) Les formes pointues sont associées à lagressivité et par conséquent sont mal vues » par les personnes ordinaires. Comme je lai évoqué précédemment, chaque errant est tenu dasseoir une position de force dans le groupe qui se traduit aussi bien par laisance à la joute verbale, que celle de la bagarre. On peut donc supposer que le choix de ces bijoux aurait la même fonction intragroupale, en reposant sur limaginaire du guerrier primitif, porteur de signes traduisant la réussite de son initiation. Ainsi, par les piercings, les écarteurs, lerrant acquerrait un statut dhomme fort et viril (pour les femmes aussi), ayant dépassé définitivement celui denfant encore fragile et maléable. « En effet, par les valeurs quelles incarnent, les pratiques corporelles sont promues au titre de signifiants de statuts sociaux multiples. Par leur intermédiaire, on se définit, on se décrit à soi et aux autres. ». Les autres membres du groupe percevant les décorations dun nouveau traveller, sont alors au fait de sa longue inscription dans le même mouvement et de son caractère endurant (en termes de douleur), ils linterprètent par conséquent comme potentiellement à même de se défendre, nayant aucunement peur de la souffrance et donc éventuellement dangereux.
En revanche, en opposition avec la transparence situationnelle citée précédemment concernant le choix vestimentaire, ces bijoux montrés lors de la manche, offrent un pouvoir de visibilité auprès des passants. Hors normes dans leurs nombres et leurs aspects, ils interpellent le regard, donnant loccasion de ce fait de démarcher le quidam pris au piége dans léchange visuel qui sest établi par ces ornements. Ainsi, prisonnier dune relation non-verbale établie malgré lui, lindividu se sent sommé de répondre à minima, voire de donner quelques menus argents. Les pratiques décoratives deviendraient alors des techniques professionnelles du corps.
Les jeunes filles que jai pu observer, Clara en particulier, adoptent elles aussi des stratégies défensives ou attractives en optant pour une apparence peu féminine, mais en conservant des coiffures et un physique féminisé (relativement mince et propre). Jamais maquillées, en pantalon dhomme avec des sweets larges et de gros tennis, elles semblent parées à affronter les éléments comme des aventurières. Si la vie dans la rue recèle un certain inconfort qui explique en partie ce choix vestimentaire, la raison principalement invoquée est celle des risques dagressions sexuelles liées à une prédominance de la population masculine. Mais, ny-a-t-il pas là non plus une opposition face à une mode féminine faite avant tout pour séduire lhomme, et dès lors un refus de répondre à des attentes masculines ? Car si Charlotte semble chapotée par Bruno, Clara elle paraît remettre en cause totalement la conception de classification genrée du corps qui voudrait que la femme soit moins résistante que lhomme, soumise à ses désirs par lobligation de séduction. En revêtant des habits dhomme et en se coiffant fémininement ne met-elle pas en scène une forme de revendication féministe, portant aux yeux de tous dune part, une forme dégalité des sexes et dautres part, le droit malgré tout à une féminité nacquiesçant pas aux expectatives masculines ?
Clara :. Celle qui sont habillés normale comme dun côté elle sont toujours traitées comme dsalopes.
Charlotte : On mla dit y a pas longtemps encore. Pacque dans la zone. Pacqu jétais féminine par rapport à mon mode de vie pacqujétais propre.
Bruno : Pacque cest vrai qu dans là
Pacque les personnes deviennent vachement masculines quoi. (
).Cest bien dommage quoi. Pacqu regarde tu peux très bien êt à la rue et garder ton côté féminin, quoi.
Charlotte : Ouais mais on est rare dailleurs à la rue, en meuf, tu rgardras, on est rare à êt féminine dans cmilieu là, quoi.
Bruno : Cest dommage, cest
Pacque y a beaucoup dhommes aussi, tu vois cque jveux dire. (
). Donc forcément les gens, les femmes elles se
pour se donner un côté plus euh
rassuré, pour se rassurer plus, elles vont sdonner un côté fort quoi, mâle, tu vois. (
). Y a peut êt ce danger là jveux dire. Cest vrai qule côté féminine, ça
ça attire lil.
Charlotte : Dés qutu fais
Cest vrai quon aime pas trop attirer lil, quoi donc euh
Bruno : Cest surtout cqui pourrait êt dangreux, cest qules gens dla rue, ivoyent pas forcément beaucoup dfemmes dans la rue, malheureusement. Et puis quand ivoient une femme féminine ben, ça attire lil et des fois ipeuvent êt relou des fois, tu vois.
Quant à lattrait dont peuvent être génératrice ces jeunes filles, il est utilisé dans le but dobtenir soit un hébergement, ou de largent. Sans changer leurs vêtements, elles adaptent leurs comportements en fonction des situations, imaginent les interprétations dautrui, tout en évaluant le danger contextuel et situationnel. De toute évidence, elles ne pratiquent la mendicité quaccompagnées de semblables ou de chiens, comme tous les autres errants par ailleurs.
Clara : (
). Pour la manche ou quoi ça marche mieux dêtre une fille, ... Cest plutôt un avantage, si tu veux jsais quen tant que fille si j me retrouve et jai plus squat ou quoi, y aura toujours un mec qui viendra mproposer son squat quoi, après ldésavantage cest les pervers qui sont dans la rue.
Ce regroupement permet entre autres de se faire remarquer auprès des normaux et contrecarre en partie lémergence de violences potentielles propres à la vie de rue.
Si lapparence revêt une utilité fonctionnelle dans leur univers, elle génère aussi des aspects plus ou moins négatifs, surtout vécus par les acteurs comme du rejet, de la disqualification.
3. 1. 4. 2. Le corps du rejet.
Presque tous les participants à lenquête n'ont eu de cesse de mentionner les relations délicates quils entretenaient avec les normaux (je me permets dutiliser ce terme par facilité mais aussi du fait de son utilisation par E. Goffman). Quil sagisse des passants, des commerçants, des policiers, des employeurs, les errants évoquent le sentiment de se sentir rejetés.
Bruno : Ah ouais ! Ça fout la haine quoi, ça te
et puis comme les
comme on est dvenu un peu Etat policier comme sur Bordeaux, on est catalogués. Tu fais cinq mètres tes
tout dsuite on tsaute dessus parce quben, on est habillés
ben on est un ptit peu kaki, vert kaki, une mèche à côté, ça y est on te fiche et on tcontrôle. Contrôle didentité toutes les cinq minutes. Et moi ça mgave on est pas des
on est pas des
on est pas des chiens, quoi. Et enfin et encore nous, même les chiens izont droit au respect, quoi.
Ils mont alors expliqué quà partir du moment où leur apparence physique nétait pas conforme à celle plébiscitée par la société, ils étaient particulièrement mal perçus et sujets à des interprétations dépréciatives fondées sur des a priori, des préjugés pouvant entraîner un traitement discriminant.
Jon 2008 : Jpense que tu vois, cest plus pour nous faire chier nous parce que jai croisé plein dmonde avec des bières et qui discutaient avec les CRS et tout euh, is faisaient pas emmerder quoi. Cest voilà, cest chez Monsieur Jupé grand ami de Sarkozy qui veut nous faire partir quoi.
Pour cette raison, il ma semblé intéressant de convoquer les théories de E. Goffman sur le stigmate. Le stigmate, un terme inventé par les Grecs, qualifiait des marques corporelles servant à rendre visible ce qui paraissait être « (
) Inhabituel et (
) détestable (dans) le statut moral de la personne ainsi signalée ». Ces signes identifiaient aux yeux de tous lesclave, le criminel ou le traître.
Dans le quotidien social, les individus se croisent sans prêter attention aux autres et cest lorsquun étranger (au sens de Becker) se présente à nous que nous tentons de lui assigner la catégorie que nous présupposons être la sienne. Cette catégorisation sociale liée au besoin de simplification pour une compréhension du monde social est inhérente à chaque individu. Cest par les attributs de loutsider que les autres personnes vont tenter de lui attacher une identité sociale. « Nous appuyant alors sur ces anticipations, nous les transformons en attentes normatives, en exigences présentées de bon droit. ». Ces attentes doivent alors se vérifier et vont former lidentité virtuelle de linconnu ainsi classé. Quand cet individu ne correspond pas aux critères ordinaires et quil possède des attributs dissemblables, moins attrayants, ceux-ci vont faire de lui un individu intégralement mauvais, dangereux. « Ainsi diminué à nos yeux, il cesse dêtre pour nous une personne accomplie et ordinaire, et tombe sous le rang dindividu vicié, amputé. Un tel attribut constitue un stigmate, surtout si le discrédit quil entraîne est très large (
).» .
Pour les errants les qualités les définissant comme stigmatisés, êtres vils et dangereux sont perceptibles dans lapparence physique, les odeurs, les comportements et les actions. La visibilité est dailleurs un facteur crucial car cest par son intermédiaire que le stigmate dautrui se manifeste à nous. Ces caractéristiques interpellent à la fois le sens visuel, auditif et olfactif leur conférant par ce fait une importante perceptibilité dans lunivers social. Ces signes sont des informations sociales, des symboles stigmatiques qui attirent lattention des normaux sur une faille de lidentité.
Concernant l'allure, les vêtements troués, mals adaptés à leurs tailles car trop grands, leurs aspects sombres et sales, les piercings, écarteurs, tatouages, les visages blafards aux yeux hagards dûs à labsorption de psychotropes, génèrent une identification immédiate au statut de SDF drogué, agressif, ayant de graves problèmes psychologiques.
Bruno : Ouais. Toutsuite piercing, tes un drogué quoi. (
).
Jon 2008 :
Ouais, puis ouais, cest pête notlook aussi un peu euh
un peu euhhh
extravagant ! Hein ! Qui font peur et tout quoi, mais les gens i prennent pas ltemps ddiscuter avec nous donc euh
hein, tsais, i viendraient discuter ne srait ce que 5 minutes avec nous là, i' verraient quon est pas méchant, on est comme tout le monde quoi ! Mais on est dehors.
Le manque dhygiène corporelle dégageant des effluves va alors servir à alimenter leur catégorisation de semi SDF. Ce classement pourtant ne peut être total du fait du jeune âge de la plupart des errants. Leur jeunesse en effet, oriente le catalogage vers celui denfant ingrat, de personne déviante, dangereuse, fainéante, profitant du système, des aides sociales et de la gentillesse des gens.
Bruno : Hummm
Pour eux, on veut rien faire, fin on est des moins que rien.Souvent jlentends quand jfais la manche, souvent jlentends « Ben, vous avez quà aller travailler !!! Vous avez quà aller
»Voilà quoi si isavaient quon essaye de chercher du boulot. Bon, ben moi, à côté dma manche, jcherche du boulot quoi.
Accompagnés des chiens, en groupe, les canettes de bières jonchant le sol, en situation de dépendance financière à légard des passants sous-entendant quils nont plus damour-propre pour eux-mêmes, le tableau de la mauvaise misère se construit. Les normaux peuvent se sentir menacés par cet aspect du miséreux malsain pour qui rien nest possible et qui de surcroît est responsable de sa situation, mais qui néanmoins a des besoins dalcool et de drogue. Une agression visant leur porte feuille est alors perçue comme un risque probable.
Jon 2008 : Jpense, jpense, ben cest, bon après cest vrai qudes fois quand tas dix personnes euh
dix chiens, qules chiens quaboyent et tout, y a certaines personnes quont peur mais on est pas méchant, on va pas leur sauter dssus, on
On leur taxe une pièce cest tout quoi.
Ici le stigmate corporel renverrait à des tares affectant leur caractère, un manque dhonnêteté, une dangerosité. Pour discréditer lhumanité du stigmatisé, les normaux vont bâtir une idéologie pour rationaliser leur animosité et créer une discrimination.
Bruno :. Et moi ça mgave on est pas des
on est pas des
on est pas des chiens, quoi. Et enfin et encore nous, même les chiens izont droit au respect, quoi. Et non, on tprend vraiment pour des
Bruno : Et sur Bordeaux, combien dgens je croise qui sont malpolis. Pac quon dit « Ouais isont malpolis ». Mais cest pas vrai. Toi tu mcroises
Charlotte : Nous, on dit bonjour avant chaque phrase !
Bruno : Jte dirai bonjour. On scroise jte dis : « Bonjour, comment vous allez ? » Mais des fois, on trépond même pas.
Charlotte : Cest tourne la tête, change de trottoir.(
). « Jai pas entendu ».
En postulant que les errants sont des drogués, des paresseux, des personnes violentes, lindividu ordinaire justifie le fait de feindre de ne pas voir ces derniers lorsquils sont en situation de quête. En invocant une supposée menace et en prétendant agir pour leur sécurité, ils ne sont alors pas soumis à la critique de lintolérance. Les commerçants peuvent ainsi à loisir faire appels aux forces de lordre pour évacuer ces fauteurs de troubles qui pourtant nont commis aucune infraction.
Jon 2008 : Ah ouais ? Ben y a eu euh
un article de fait justement dans lSud-ouest sur la zone, comme quoi euh, tas plein dcommerçants quont porté plainte et tout cont nous par ce quon était nuisible à leurs affaires et tout. Surtout les commerçants euh tu vois du début dla rue Y à (nom dun magasin) quoi.
Le stigmatisé ne bénéficie pas de la considération, ni du respect des normaux. Il est considéré comme inférieur et pour les errants comme responsable de sa propre déchéance. Les problèmes de drogues renvoyant à un manque de volonté, à une faute contre soi et la société, la saleté à lanimalité, et la pauvreté au manque de performance, le toxicomane voit alors son statut dêtre muté en celui danimal sauvage, non éduqué, inéducable et incontrôlable.
Bruno : Bien sur. Ben, malheureusement, cest pour eux
on est des gens pas normales quoi. (
). Tas raison dle dire. Cest vrai quoi, les gens nous considèrent comme des gens pas normales quoi ! Un peu fou quoi. Cest vrai y a des gens qui nous voyent pour des fous. Après, on nous a étiqueté voilà quoi. Et ça on lchangera pas, jcrois.
Charlotte : Pour des sous-merdes, quoi, cest ça. (
). On est des moins que rien, quoi.
De plus toute action servant à se défendre du stigmate serait interprétée comme une preuve directe de sa défaillance. En voulant expliquer ce qui fait leurs spécificités, leur choix de vie, les errants ne font que apporter de leau au moulin de la discrimination, en accentuant leurs attributs et en les rendant encore plus visibles aux yeux des normaux, ceux-ci en retour, sappuyant sur leurs propos, leurs attitudes vont pouvoir justifier leurs réactions vis-à-vis deux.
Jon 2008 : Et y a re-eu un article et tout comme quoi cétait scandaleux qu un journaliste prenne la défense euh... des SDF et tout. Qui puisse passer un article comme quoi on est limite des êtres humains et en fait, cest pas bien, on a pas ldroit vivre quoi.
Toutefois, le stigmate nest pas une simple attribution de critères et de catégorisation par les normaux à lencontre des errants, il est issu avant tout des interactions sociales entre ces deux groupes. Les commerçants et les policiers hostiles à la présence des mendiants et soutenus par la loi anti bivouac (nommée aussi loi anti-rassemblement) vont développer un ostracisme qui en retour va générer des provocations. Daprès E. Goffman, le problème du stigmate va se poser dautant plus intensément que les normes auxquelles ils ne répondent pas sont appliquées. Or, quil sagisse des normes corporelles, de pacifications, ou de la consommation de drogues et de la mendicité, nous assistons à lheure actuelle à leur intensification par une politique dautant plus coercitive quelle sappuie sur lauto contrôle de ses membres, voire depuis peu sur un retour du contrôle étatique. En refusant dadhérer à cette forme de surveillance endogène et exogéne dictée par le système, les errants signifient leur désir de disposer deux-mêmes et projettent aux regards de tous le fait de ne plus faire corps avec le corps social·.
Du reste, lindividu stigmatisé suppose que sa différence est visible et développe un sens de linterprétation quant aux actes des normaux quil perçoit comme accusateurs. Par exemple, quand une personne passe devant les errants en situation de mendicité et ne leur adresse pas la parole, il se peut que cette dernière puisse être absorbée par ses pensées, écoute de la musique dans un baladeur, ou soit simplement mal entendante. Dans ce cas-là, il ny a aucunement volonté de contrer une interaction possible, mais les toxicomanes perçoivent cette attitude comme une humiliation, un dénigrement liés à une mauvaise image deux.
La conscience du stigmate chez les errants est dautant plus importante que ce dernier nest apparu que tardivement par rapport aux individus handicapés de naissance. Ils connaissent tellement bien les normes et le sort réservé aux stigmatisés quils ont du mal à se réidentifier. Cette connaissance est décrite par E. Goffman grâce au concept de processus de litinéraire moral. En première instance, les individus toxicomanes sont socialisés comme tout un chacun et apprennent le point de vue des normaux, limage de soi que propose la société et à laquelle ils se doivent dadhérer. Puis, dans un second temps, ils saperçoivent quils sont détenteurs dun stigmate et conscientisent, du fait de leur précédente intériorisation de normes et des critères sociaux, les conséquences de celui-ci.
Le stigmatisé bien que revendiquant son sentiment de normalité est en même temps lucide de sa non-acceptation par les autres, par sa connaissance des normes sociétales. Il est donc pris au piège entre une prise de conscience de sa différence dépréciative et le désir de revendiquer, dêtre perçu et de se vivre comme ordinaire.
Jon 2008 : Jpense que tu vois, cest plus pour nous faire chier nous parce que jai croisé plein dmonde avec des bières et qui discutaient avec les CRS et tout euh, is faisaient pas emmerder quoi. Cest voilà, cest chez Monsieur Jupé grand ami de Sarkozy qui veut nous faire partir quoi.
Bruno : Quest cque la normalité ? Telle est la question.
Charlotte : Êt normal, mon père et moi
« Pourquoi jai pas une fille normale ? »
Bruno : Chacun sa perception dla normalité.
Charlotte : « Pacque toi tes normal ? Excuse- moi si toi tes normal
»
Bruno : Chacun ça perception dla normalité, tu vois. Pour moi, cque je suis cest normal, quoi.
De plus, il accepte et fait siens les attributs et la réaction de rejet des autres individus.
Charlotte : Nous on lsait quon aurait quà faire que ça pour
ne plus sfaire regarder
Bruno : Jai pas envie.
Charlotte : Pour ne plus sfaire contrôler mais on veut pas, quoi. Se srait smentir à soi-même, quoi.
Il finit donc par en tirer parti, en se conformant partiellement à ce qui est attendu de lui par les normaux en tant que stigmatisé. Quitte à être dénigré, autant profiter de ce statut pour quémander de largent et justifier, voire exiger l'aide que toute personne anormale est en droit de recevoir. La stigmatisation entraîne donc des stratégies adaptatives pour la rendre profitable en partie.
Bruno : Après jveux bien men sortir, jveux bien quon
Mais quon mdonne des atôuts, quon mdonne euh
quon essaye de maider dans mon sens, et après ouais.
Faisant sienne ces caractéristiques discriminantes, il va même jusquà les intégrer dans sa personnalité. Le look traveller devient alors la retranscription du moi profond des errants.
Bruno : Ben cest mon identité, cest ma personne, quoi. Jme cache pas dma personne. Cest mon, cest mon moi-même quoi. Cest
jvais pas mhabiller bien pour des gens quoi. Jsuis moi-même, on maccepte comme moi-même et puis voilà quoi.
Les attitudes elles-mêmes vont devenir assumées et partie intégrante de la personnalité. Si les errants sont perçus comme des délinquants, des drogués pourquoi alors tenter de dissimuler les prises de stupéfiants ? Pourquoi ne pas être un arraché ?
Charlotte : Pacque nous on est des arrachés, on le montre, eux ils le montrent pas.
Bruno : Eux, cest pas des drogués, eux izont ldroit. (en parlant des goldens boys qui consomment de la cocaïne)
En outre, comme le démontre lexpérience de Charlotte dans son ancien lycée, le seul fait dêtre en présence damis errants, porteurs dattributs physiques disqualifiants, lui transmettrait le stigmate et pourrait conduire léquipe éducative et l'établissement à être eux-mêmes discrédités par contamination. Ceci sexpliquerait par le mécanisme social qui fait que lidentité sociale de ceux se trouvant en présence dun individu, peut servir dinformation sur sa propre identité sociale. Le stigmate devient alors contagieux.
Bruno : « Elle a pas à traîner avec des zonards, elle a pas à
». Cest cqui' disaient.
Charlotte : Jai pas à aller au Lycée, à traîner avec des zonards. (
). Jme suis fait renvoyer du M pour ça.J me suis fait renvoyer pacque jtraînais avec des zonards.
Lécart entre lidentité virtuelle et réelle dun individu compromettrait lidentité sociale et couperait lindividu de lenvironnement social et de lui-même, devenant « la personne discréditée face à un monde qui la rejette. » . Cette identité de grand toxicomane délinquant, prêt à tout pour obtenir de la drogue, va se heurter à celle dêtre libre détaché de toute matérialité, sympathique,
, tout ce qui pourrait constituer une personnalité, et va ainsi altérer lidentité sociale des errants, devenus des parias. Par la reconnaissance cognitive, acte perceptif, et la reconnaissance sociale qui représente la part prise dans une cérémonie communicatrice, le public réagirait différemment en fonction de sa réputation. Les normaux fonderaient un système de contrôle social informel, élaboré sur la mauvaise renommée, à laquelle contribuerait le public. Lindividu errant réputé, est alors frappé dinfamie par lexistence de présupposés, de préjugés chez chaque passant qui sincluraient dans une vision plus large, celle du public. Limage publique serait faite de faits restreints et choisis, rendus spectaculaires et présentés comme un tableau total.
Jon 2008: Non, non, cest les gens qui nous considèrent en bas de léchelle. Mais moi jmsens pas du tout, du tout, du tout en bas dléchelle.
Bruno : Ça peut arriver à nimporte qui. Regarde ! Jai rencontré un gars quétait professeur
(
). Il est tombé à la rue.
Charlotte : Professeur de Philo, il a pété un plomb
Bruno : Il a pété un plomb, isest rtrouvé à la rue.
Charlotte : Ça fsait quand même dpuis trois mois, hein.
Bruno : Professeur de philo quoi timagines ! (
). Ça peut arriver à nimporte qui, quoi. Cest pas qudes gens comme nous, quoi !
Charlotte : Un pétage de plomb, tarrêtes de travailler, tu tretrouves dehors et voilà ça va vite.
Bruno : Et le gars il a tout perdu du jour au lendmain. (
). Et on sest pas occupé dlui. Pourtant, il a travaillé au fond. Pourquoi il a bossé des années ? Il a aidé des gens mêmes ! On la aidé pas plus. Non que dalle, quoi ! On la laissé plus au contraire quoi. On lui a dit « Écoutes tu tdébrouilles, quoi !
Charlotte : Isavent cquon leur montre.
Bruno : Cquon a envie dleur montrer quoi. Et cest pas forcément le meilleur quoi. Charlotte : Isavent pas cquon vit, cest totalment différent, quoi.
Ce professeur dont ils parlent sest vu en effet disqualifié socialement malgré un parcours précédent adhérant à la norme sociale. Perdant son emploi après des difficultés psychologiques, la prédominance accordée à son identité virtuelle de sans emploi aurait entaché son identité réelle, voire personnellepuisque aucun de ces collègues ne laurait aidé de personne enseignant aux enfants, aimant sa vie ordinaire. Lidentité virtuelle selon les errants se construirait en partie sur le manque de compréhension et de connaissance de chacun (présupposés, préjugés) et sur des informations médiatiques, donc limage publique qui définirait les attributs stigmatisant et les stigmatisés. Les normaux centrés sur ces critères, les adopteraient comme vérité en les prolongeant à toute la personnalité de lindividu désigné, sans se préoccuper de leurs bien fondés. Une fois étiqueté comme déviant, le public oublierait alors ce qui fondait lidentité réelle de la personne au profit dune catégorisation basée sur des présupposés, des stéréotypes et des normes. En effet, que fait un enseignant à la rue ? Cette transgression de la norme sociale qui ferait quun professeur se devrait dêtre un modèle social pour ses élèves et non un SDF (avec toutes les interprétations sociales que cela implique), ne pourrait conduire quà la supposition que cette situation lui est imputable. Manque de volonté, faiblesse mentale, maladie psychiatrique, fainéantise, être malsain... voilà peut-être quelques-unes des pensées de ses collègues et du public.
Ainsi, la déviance, deviendrait une identité sociale, et ne serait pas liée au seul comportement transgressif dun individu. Elle serait la conséquence de la construction de normes par un groupe social, additionnée à une catégorisation. Lindividu est alors qualifié de déviant par la genèse même de ces normes. La déviance ne serait pas seulement un acte mais la conséquence de lapplication de principes et de sanctions. Pour Becker la déviance serait « le produit dune transaction effectuée entre un groupe social et un individu qui aux yeux du groupe a transgressé une norme ». La personne déviante serait celle qui serait étiquetée comme telle par les membres dun groupe. Elle deviendrait « létranger » , « loutsider » qui verrait son statut alimenté de plus, par limportunité que génèrerait son stigmate dans linteraction sociale. Cette gêne serait entre autre induite par le sentiment dautodestruction corporelle quinterprèteraient les normaux du rapport au corps des errants. Témoin de leurs dégradations corporelles par la saleté, lamaigrissement, le manque dautocontrôle sanitaire et esthétique, le public se trouverait face à sa propre décrépitude inéluctable et ne pourrait la tolérer. Le renvoyant à sa propre mort, crainte quil tenterait de désamorcer continuellement, le toxicomane lui signifierait son impuissance à acquérir une immortalité. Les individus ordinaires vont alors lexclure de toute interaction de face à face. Lapparence corporelle des errants devient alors un stigmate dont le foyer apparent, sphère dactivité doù le stigmatisé est rejeté, se situerait au sein de ces interactions.
Charlotte : Imont dit qu jétais suicidaire, dépressive. Imont catalogué comme ça. Imont filé
« Tiens srang là ». Moi jen est jamais fait, jleur ai dit jai envie mais jle frais pas toutfaçon, donc : « Quest-ce que vous allez faire ? ». Jvais pas msuicider jen ai envie mais jle frais pas. Je sais qujy arriverais pas donc euh
Comme lillustre, le parcours psychiatrique de Charlotte, lécole encombrée par ses stigmates de toxicomanes, quelle interprétait comme un suicide à petit feu, aurait préféré demander un enfermement plutôt que de devoir subir leurs visions, dans les relations de tous les jours.
Si la position de stigmatisé et le stigmate définissent personnellement chaque errant, la façon collective dont ils lexpriment et la récurrence des attributs pose la question du groupe dappartenance, de lexistence dune idéologie commune, dune sous-culture qui serait la leur.
3. 1. 4. 3. Lidéologie tatouée dans les pratiques du corps.
Si le corps transmet les stigmates de la différence, il est aussi vecteur didéologie. Comme le signifie Wallon, le corps aurait avant tout pour fonction la communication avec lautre. Merleau-Ponty avance que les habitudes corporelles répondent à des projets de lindividu dans une perspective adaptative dêtre au monde. En ce sens, il semble important de décrypter la façon dont lidéologie des errants se traduit par le corps afin den comprendre la portée fonctionnelle.
Sept grands thèmes relevant de leurs valeurs et croyances ont pu être dégagés de lanalyse transversale des entretiens : la liberté, le droit au plaisir, le rejet du consumérisme et du matérialisme, la dénonciation de légoïsme, la défense de la solidarité, le refus de la pacification liée à la conception dun homme mauvais par nature, et finalement la tolérance à la différence.
Jon 2007 : Valeur: déjà Fraternité, respect, no jugement, no vol, entraide.
La liberté quils évoquent tous de façon récurrente et massive dans leurs propos se traduit aussi bien par le fait de ne pas vouloir travailler pour subvenir à leurs besoins que par celui de faire appel aux donations individuelles ou de lEtat.
Aucun deux ne semble vouloir en effet soumettre son corps à des contraintes dhoraires, de postures, defforts, de surveillance qui caractérisent sa gestion dans le monde professionnel. Ils ny trouveraient aucun intérêt, si ce nest une entrave à leur système de vie. Faire partie de la société relèverait même pour Jon de la lobotomie. La vie ordinaire serait essentiellement faite de contraintes, d'ennui, ne correspondant pas à une vie « déclate » à laquelle ils aspireraient. Ils préféraient donc se reposer sur le choix laissé à chacun de leur venir en aide. Par cette technique du corps, la manche, ils signifieraient leur désir dautonomie, face à linjonction de pourvoir par lactivité professionnelle à leurs besoins, rattachée à la participation collective à la société. Préférant se reposer sur la solidarité entre êtres humains, et la conscience tolérante de chacun à accepter ce mode de subsistance, peu enclin à la performativité sociale par le travail, ils se dégageraient de la norme sociétale du « self made man ».
Bruno : Non, non, mainant on sdébrouille, quoi. Y a toujours des moyens, faut pas dire que
non, non. Y a des moyens. Y a des assos qui donnent d la bouffe, y a toujours lsystème D puis ce côté
ccôté là aussi jaime bien, tu vois cque jveux dire.(
). Le seul truc quon dmande aux gens, ben
cest un peu dla monnaie et tout mais bon voilà on les oblige pas, tu vois cque jveux dire. (
). Les gens idonnent par eux-mêmes. Après les gens idonnent, idonnent quoi, tu vois. Ten mieux pour nous, quoi.
Charlotte : Cest ça, on leur met pas lcouteau sous la gorge.
Bruno : Cest chacun ça ptite vie, quoi. Pas dvie à côté cest très
Tandis qunous non, cest
on essaye
Clara : Jsuis assez individualiste jsuis pas très sociale non plus ça dépend des jours,... jaime bien être seule aussi, être individualiste ça m dérange pas trop mais des fois ça ménerve, aussi quoi, que'quun qua pas 10 centimes, la personne elle donne tous les jours 10 centimes à la fin du mois ça lui fait 3 euros, cest bon quoi.
Clara : (Parlant de son voyage en Afrique). Tu vois la mobylette elle sest arrêtée en panne quoi. I sont arrivés à 4 pour aider à pousser.En France, tu tarrêtes dans la rue en mobylette, tas toutes les voitures qui vont passer devant ta gueule, tas personne qui va appeler quelquun, tas personne qui va vnir taider. En fait, ils sont précipités pour vnir taider. I sont vachement solidaires.
Les injonctions sociales de performance ou de réussite socioprofessionnelle paraissent totalement absentes de leurs projections et même de leurs pensées. Par contre lépanouissement personnel semble au centre de leur préoccupation future, avec une forte référence à la liberté et à la jouissance. Ainsi, le contrôle des corps par la structure sociétale se trouverait mis à mal.
Passe-muraille : Ma liberté cest tout cque j demand. Après, tout cqui est tune et tout ça jen ai rien à foutre. Pour moi, jsais pas pour les autres, jsais pas pour moi, tout ce que jveux cest ma liberté. Jai pas envie travailler pour payer un loyer. Dans not' vie on est là pour en profiter, on est pas là pour être des esclaves,
Cette indépendance serait de plus réaffirmée par le choix vestimentaire, fait de récupération contredisant le modèle consumériste et matérialiste.
Passe- Muraille : Mon père ma dit soit différent des autres, moi je suis différent. I sont tous avec leur pento gel, leurs bordels, euh à 3000 euro le jean jsais pas quoi cest bon. Jai toujours été comme ça toujours été comme ça, depuis quje suis né jsuis comme ça, jai jamais trop aimé la tune, ça sert à rien,
Clara : Jm fous davoir 3 millions dêtre à la mode jm en fous, être mal habillée avoir des trous dans les pulls jm'en fous, jai pas froid,
Cette opposition à la consommation se retrouverait en outre dans les pratiques alimentaires. Nachetant que le strict nécessaire du fait du peu de moyens quils possèdent ou de par sa provenance grâce aux dons, peu de choix alimentaires leur seraient proposés. Ne revêtant apparemment aucune espèce dimportance, le principal résiderait dans le fait que la nourriture puisse pourvoir à leur subsistance et puisse leur accorder des temps de partages et de convivialité. Jon évoquera même son passé dans la ferme de ses grands parents comme modèle dautosuffisance.
Jon 2008: Non, carrément pas. Pratiqument tout cquon mangé ça vnait dla ferme.
Clara : Nous cquon veut tous quoi, cest plus tard avoir une maison à la campagne, un grand terrain et vivre de notre potager, enfin vivre nous même de not propre truc à nous quoi. Moi jai envie davoir des vaches. I sont tous foutus ma gueule ces connards. Moi jai envie davoir des vaches, quoi. Comme ça après jai mon propre lait, mon propre steak, ce sra nickel pour moi quoi, jai envie dvivre à la campagne, quoi, comme les schtroumpfs en fait, comme la maison des stroumpfs sans argent et tout.Et lseul argent qujaurai, ce sera assez pour payer l terrain, pour payer la bouffe de base, style du riz, pâte, niania. Mes potes à moi, cest leur truc aussi quoi. Et après si tout le monde fait ça jveux dire, les entreprises, elles marcheront plus ni rien. On va s retrouver au temps des rois, quoi.
Par conséquent, les pratiques alimentaires quils plébiscitent sont empreintes didéaux de sous-consommation (se référant aux principes de décroissance que lon voit apparaître dans les mouvements alter mondialistes), dautosuffisance et dautoproduction comme dans les anciennes communautés hippies, qui ne voulaient pas participer à la société de façon financière. Cette autoproduction permettrait en effet, aux errants de rester en marge de la société, de ne pas y concourir. Ceci ne renverrait-il pas à contester lidéologie de lEtat providence, mère nourricière de la population ? Renvoyant à lÉtat une image dune mère insuffisamment bonne, les errants par leur indépendance, ne lui signifieraient-ils pas son manque de holding ?
De plus, détachés de toute conception sanitaire, calorifique, diététique de lalimentation, ils projettent aux yeux de tous ce quelle était fondamentalement, un moyen de vivre, de faire fonctionner le corps, et renvoient par ailleurs le paradoxe dune société de pleine abondance où lindividu est tenu de se restreindre pour conserver une forme corporelle acceptable. En revenant à ce que le corps a de plus organique, ils assument lanimalité de ce dernier en le désacralisant, en lui ôtant ce que nous avons pensé être une spécificité humaine.
« Pour se libérer le corps doit transgresser sa dimension sacrée ». La sainteté du corps en effet, résidant dans lélimination de ses défauts grâce aux technosciences (seul champ où nous continuons de penser que le progrès engendrera le bonheur) se trouverait totalement contredite par le fait même que les errants les revendiquent, ne les camouflent pas et par la non-croyance dans le progrès. Cette animalité du corps se témoignerait dautant plus intensément quils dégagent pour certains des odeurs corporelles très fortes.
Jon identifie lhomme à un parasite sauvage, détruisant, avilissant tous les êtres qui lentourent.
Jon 2007 : On est des putains dparasites ! Tu trends compte de toute la sauvagerie quy a eu depuis qulêtre humain est là ! Tsais entre lesclavage, lapartheid, les guerres, le racisme, lhomophobie, timagines en 100 ans comment on ta pété la planète ! En 100 piges ! Alors que, attends, la vie quy a eu, tsais, des millions dannées quand même, regarde comment on a pété cette planète en 100 ans ! Va sy ! ouah ! lprogrès ! lprogrès ! ben ouais lprogrès ok. Voilà mais faut ptêtre arrêter ! Timagines, dans 50 ans y aura plus dpétrole. Tant mieux dailleurs ! Au moins on sbougera not cul tu vois. On roulera ptêtre tu vois en voiture électrique , même rouler à pied cest pas plus mal.
Ce serait aussi la croyance en une humanité mauvaise, agressive, individualiste toujours en quête de domination qui justifierait lidée que la pacification nest quune vaste illusion. Patrick dailleurs utilise la métaphore des loups pour expliquer les rapports humains, rappelant la fameuse phrase de J. P. Sartre « L'homme est un loup pour lhomme. »
Patrick : Dans la rue, cest une meute de loups. Ya des loups sympas, ya des loups si i peuvent te faire toutes les misères du monde i te le font.
La confrontation à la violence serait régulière, comme partie intégrante de leur quotidien. Tous, mis à part Patrick, racontent des épisodes agressifs avec une certaine jubilation, un détachement indiquant la normalité, la banalité de ce type dévénement. La violence rythmerait leur quotidien, quelle soit auto (prises de risque par produits...) ou extra dirigée. Pour les errants, la pratique de la violence ne serait quune mise en lumière du caractère profond de lhumanité et toujours une perpétuelle lutte contre les autocontraintes soutenues par des normes implicites.
Passe-Muraille : Avec des potes, ons mettait en forme. On picole, on picole comme des porcs et fallait toujours quy en est un dentre nous qui disait : « Vas-y on va faire une chasse aux Skins pour triper ! »
Bruno : Et ça vnait des Spiral tribes quétaient rcherchées par Interpol et tout, pour euh
trafic de LSD, machin. Cétaient des marginaux, quoi. Comme chez eux on les a pas acceptés, isont vnus en France, izont lancé lmouvment, et voilà, quoi. Et les gens ssont identifiés quoi. Moi jme suis identifié à ça. Et oui. Cest intéressant cmouvment tu vois cque jveux dire. Ça existe depuis longtemps. Tu prends les hippies à lépoque en 68, cest un peu lmême mouvment en fait, si tu suis par là, quoi. (
). Cqui change cest l look mais cest les mêmes revendications sinon cest quoi cqui voulaient les soixante-huitards à lépoque, cétait le côté libre, le côté euh
Charlotte : Ouais voilà cest ça surtout, cest que la société, elle a évolué dune façon
on peut plus être bisousnours, dans not système, ça devient plutôt
obligé dêt plus cruel, dêt plus trash pacque cest plus
La vie est dvnue plus dure, quoi. Les gens sont moins gentils, les gens sont
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La dénonciation de légoïsme social serait contenue tant dans la manière dont ils se procurent la nourriture (par le don), que dans le fait de la partager en squat, de faire des courses communes. Les achats de produits psychotropes, leur utilisation illustreraient aussi cette envie de solidarité, de partage. Il y aurait donc plusieurs façons de faire : soit chacun achèterait ce quil veut, savancerait de largent, des produits, se rembourserait, soit il y aurait communalisation des produits ou des fonds.
Passe Muraille : Celui qui veut acheter du bédot, il en achète, celui qui veut acheter dla coc, il en achète, celui qui veut dla rabla, il en achète. Puis après tu dmandes pour que tu mdépannes ci, jte dépanne ça, puis demain, voire la semaine prochaine si jai trouvé quelque chose... puis voilà ça marche comme ça.
Bruno : On spartage... (
). Cest mieux dsfaire ça en
On sfait ça en groupe. On samuse.
Charlotte : Cest rare quon sprenne , on smette dans nautcoin. Cest clair. (
). Jvois pas lintérêt dprendre mon produit toute seule dans ma chambre, quoi.
Tristana : Ouais, si ten as tu vas en offrir aux autres
Bruno : Ben, voilà, cest pareil. Vice-versa, quoi. Jaime pas prendre un produit tout seul. Jpréfère profiter avec des amis
Par contre, si une personne est sous lemprise de psychotropes et que les autres nen nont pas, il nest pas convenable de le leur indiquer afin ne pas leur faire envie. Cette attitude dénote de lempathie dont ils peuvent faire preuve les uns vis-à-vis des autres.
Passe-Muraille : Si yen a un qui arrive défoncé, généralement on évite de faire ça pour pas dégoûter les autres.
Lentraide, le respect, le don, lécoute des autres seraient semble-t-il, toujours au cur des pratiques.
Notons tout de même que si le partage semble être une composante des pratiques alimentaires et psychotropiques, lorquil sagit déchanger son matériel dincorporation de stupéfiants, il semblerait quil y ait nécessité dune relation affective plus approfondie. Passe-Muraille lui, céderait ou consentirait à ne prendre la paille que de son ami de rue quil connaît depuis quatre ans, en précisant que lutilisation ne se ferait pas du même côté. Par ailleurs, les prises de risque, en termes déchange de matériels, ne paraissent pas être ne soient pas choses courantes, ni valorisées, mais lorsque celles-ci surviennent, la relation amicale avec le prêteur soit indispensable, comme si elle garantissait la non contamination.
Les préservatifs lors des rapports sexuels ne sont pas utilisés. Les arguments les plus avancés sont presque similaires à ceux évoqués pour la qualité des produits et léchange de matériel. La connaissance du partenaire là aussi jouerait un rôle protecteur. Cette interprétation est liée à la notion de confiance, élément fondamental de leur façon de vivre.
Charlotte : Ben, la confiance, ça srègle sur la confiance tout dabord. Y a quça.
Bruno : La confiance, beaucoup dconfiance tu sais.
Charlotte : Y a qula confiance entre nous, quoi. Quest ctu veux daut quoi ?
Patrick : Lexcitation sexuelle faisait que jmen foutais; et parfois javais aussi confiance en la partenaire.
Passe-Muraille : Jamais de préservatif. Jconnais un minimum la personne (...). Jy pense pas, jy pense plutôt avec la drogue.
Les notions de partage de plaisir, de confiance réciproque semblent beaucoup plus centrale dans cette conduite que les notions de contamination, de protection. Comme si se protéger des maladies par une barrière plastique revenait à se murer matériellement et symboliquement de lautre, et faisant obstacle à une confiance mutuelle susceptible dengendrer une relation moins affective.
La mise en péril du corps servirait de communication passant par la revendication dune vie déclate, de sensations, de découvertes, daventures, de lincertain, produisant justement le piquant de la vie. Ces conduites à risque se déroulant dans des champs non attendus socialement comme celui de la santé, de lintoxication, de la vie dans la rue sans domicile, donneraient accès à la revendication à disposer de soi, devenant un vecteur de réalisation personnelle, dans un militantisme politique faisant écho aux principes de la contre-culture Américaine, de Mai 68 et du mouvement punk. Ces prises de risque remettent en cause les principes dune éducation tutélaire sociétale implicite, visant lautocontrôle véhiculé par les normes sociétales. Il sagit alors de sémanciper sur le plan culturel en plébiscitant le plaisir personnel, critiquant le droit du public à interférer dans le privé. Si notre société promeut lhédonisme, celui-ci se trouve cadré par les autocontrôles que lui fixent les normes sociales. Or, cest un hédonisme total, sans limite que les errants brandiraient, dégagé des dictâtes de beauté, de formes, de performances physiques mettant à nu lhypocrisie dune libération du corps qui na apparemment jamais vraiment eu lieu.
Le corps mouvant, transcendant les frontières incarnerait encore une fois lidéologie libertaire. Refusant la sédentarisation, les errants sopposeraient à une identification administrative, réfuteraient la notion dappartenance à une nation et peut-être même ce qui est au cur du débat actuel « lidentité nationale ». Ainsi ne se sentant pas membres dun pays, ils utiliseraient la mondialisation, non comme possibilité déchanges commerciaux, économiques mais comme opportunité à rencontrer lAutre dans sa différence et son enrichissement avec toujours comme principe sous-jacent la Wanderlust.
Bruno : On a envie dvoyager comme jtai dit prendre mon camion et bouger quoi. Le côté traveller quoi tu vois.Aller dans daut pays, voir dautcultures, garder la même
voir daut gens dans lmême style que moi et voir dautcultures dans daut pays quoi.
Comme précédemment décrites, les conceptions errantes qui rejaillissent dans le corps semblent inverser les normes communes et même les provoquer. Les normes choisies seraient en opposition avec celles du système sociétal, pour créer une rupture symbolique une communication, et formeraient par ces faits une subculture, une contre-culture. Cette construction culturelle serait liée au fait que « le stigmatisé se définit comme nétant en rien différent dun quelconque être humain alors même quil se conçoit comme quelquun à part. ». Pris dans ce dilemme, les errants chercheraient une stratégie pour sen sortir, une idéologie leur permettant de réduire cette incohérence, donnant un sens à la situation. Les conseils des professionnels alliant normalisation et défense contre une sur-normalisation, conseillant la dissimulation partielle de leurs différences et le refus dune identification à une attribution stigmatique trop négative, les pousseraient à devenir observateurs contestataires des relations humaines. Les conséquences alors seraient doubles. Dune part, les errants mettraient entre parenthèses les interactions sociales ordinaires avec les normaux pour les transformer en interactions purement de profits ; dautre part, leur prise de conscience du stigmate serait dautant plus accentuée. « (
) Les conseils adressés à lindividu stigmatisé traitent souvent des parties de son être les plus privées et les plus honteuses; il voit les plaies les plus enfouies touchées et examinées avec ce détachement clinique actuellement à la mode en littérature. (
) Ses fantasmes dhumiliation par les normaux et de revanche définitive lui sont renvoyés, concentrés et reliés. ». De ce fait, comme mode de défense à ces intrusions à ses ressentis dévalorisant, les contacts avec les normaux vont alors devenir un temps où les errants majoreraient les mérites, les qualités, les idéaux de leur groupe et plébisciteraient ce dernier. De là, ils traqueraient dans le discours des normaux tout ce qui pourrait justifier leur intolérance et les prendre en faute.
Par cette politisation, le stigmatisé séloignerait encore plus des normaux ; ce qui concorderait, par cette sur-visibilité des stigmatesdue à la forme revendicative avec les attentes différentielles du public. Cest donc en cela que la stigmatisation de plusieurs individus, dans notre cas les errants, concourrait à la création dun groupe soudé par une souffrance similaire, à la naissance dune culture de substitution.
3. 1. 4. 4. Lapparence ou le signe dappartenance au groupe traveller.
Le look, décrit plus haut, quarborent les errants aurait une utilité suplémentaire à celles évoquées antérieurement. Lallure traveller de Jon, Bruno, Charlotte, Clara, permettrait de signifier ladhésion au mouvement musical techno, fait de tribus voyageant en camion. Passe muraille, lui paraît saffilier plus au style punk, écoutant la musique y correspondant. Vraisemblablement, ces deux types de style bien que divergents, ne créeraient pourtant pas de scission dans le groupe des errants. Ces deux entités ne conserveraient quune dissimilitude superficielle, car tous écouteraient de la musique punck et techno.
Bruno : Travellers. Ben, moi jme considère comme travellers. Après tas lkepun mais cest dvenu en fait
tvois le kepun, y a eu les travellers, vu quon a tous le même esprit cest dvenu
ça cest mélangé quoi en fin dcompte. On sest tous rassemblé, on va dire un peu comme ça. Cest culture underground
Passe-muraille : La musique on écoute tous pareil du harcore, du core, du punk, des trucs comme ça. Moi temps en temps, jaime bien taper du bon vieux rap
Elles seraient donc regroupées. Et pour plus de lisibilité jemprunterai les termes de culture underground, puisés dans les paroles de Bruno pour identifier cette association. Cette terminologie étymologiquement indique ce qui se passe sous terre, elle nomme aussi le métro, le passage de clandestins (to go underground), évoquant, peut-être, leur sensation dêtre mis à lécart, dêtre « en bas de léchelle » (Jon 2008) sociale, terrés, dissimulés sous lasphalte de la rue. Elle contient donc, en elle-même, la notion de stigmatisation, de marge, de vie dans la rue et en même temps, fait écho au mouvement de la Factory des années 70 de Warhol et du Velvet underground, utilisant les codes publicitaires de la société de consommation pour la critiquer, avec en arrière plan les prémisses du « No future » traduit entre autres par leur importante prise dhéroïne.
Par conséquent, cette apparence, dotée de divers emprunts culturels (sur le plan artistique), permettrait aux errants dêtre reconnus et de se reconnaître entre eux.
Bruno : Cest plus un repère quoi. Par exemple jcroise des gens dans la rue qui sont quoi voilà
cest toutsuite on sconnaît, on va sparler, on sconnaît pas forcément mais on va sparler parce que bè voilà, on sait quon est dans lmême mouvment. Cest plus un m
, cest plus devenu un mouvement quoi jsais pas comment texpliquer ça, quoi. Bè comme tu disais dtà lheure une tribu, bèè une tribu ça sfait par des
par un look, par un
tvois des indiens ismettaient des
( mimant le maquillage indien du visage). Ben, nous on smet des piercings, on sdonne un look pour euh
« Salut, ben, moi jfais partie dce groupe là ».
Ce type de catégorisation sociale servirait à se repérer dans lespace social en stéréotypant les groupes au moyen de leurs apparences. Ainsi identifiés les errants ne pourraient alors interagir quavec leurs semblables et éviteraient tous types dinteractions ou en privilégieraient certaines de type utilitaires, avec les normaux ou autres groupes quils ne veulent pas fréquenter.
Charlotte : Tous les racailles et tout, inous donnent plus que des bourgeois, quoi. Ça cest sûr. (
). Pacque i
même si iconçoivent pas, quoi, icomprennent pacqui sont plus ou moins dans la même galère.
Bruno : Isont dans la même galère que nous, dans un sens. (
). On leur met des bâtons dans les roues à eux aussi, pour daut choses mais
Charlotte : Même si cest différent. Isavent quisont eux habillés en racaille, quivont sfaire emmerder autant par les flics que nous. On est aussi
(
). Par contre, ipourront jamais êt nous pacqui lsupporteraient pas. Pacquiy a trop c côté matériel dans cmode de vie quest hyper important.
Bruno : Puis izont une fierté, quoi, izont une fierté.
Charlotte : Cest un truc que nous on a pas, quoi.
Si Charlotte, Bruno, décrivent leur look comme appartenant à un mouvement, ils insistent aussi sur sa singularité. Jon, lui se défend de toute appartenance à un clan alors quil évoque le groupe comme étant une famille. On ne peut savoir alors sil y a réellement et rationnellement un sentiment de vraie adhésion groupale avec des liens affectifs, ou sil sagit dun mode de vie adapté à la violence de la rue, donc revêtant une fonction purement utilitariste, adaptative à lenvironnement.
Jon 2008 : Moi jsuis dJon, jsuis moi. Je suis pas jfais pas partie dun clan, jfais pas partie dune mode, jfais pas partie dun mouvement, dun groupe ethnique, jsuis un individu et jvis comme un individu qui a choisi peut ête un mouvement mais jen fais partie quand même.
Entre des croyances, des pratiques, des références artistiques, des normes communes et cette évocation dune individualité détachée de tout groupe, on peut se demander si ce groupe constitue un véritable groupe, une sous-culture réelle ou simplement fictive, induite par le mécanisme de stéréotypes et de catégorisation des normaux. Si cela se révélait exacte lindentification que jaurai faite de cette population viendrait alors de mon éthos de classe et de mon appartenance aux champs universitaire et éducatif qui auraient induit un regard ethnocentré et par conséquence une classification erronée de ces individus.
Pour Cohen, la sous-culture naît dun problème de statut. En effet, pour Clara placée en foyer daccueil, Passe-Muraille rejeté par sa mère, Jon tyrannisé par son père, Patrick mis à lécart dune vie ordinaire par lappartenance à une banlieue, Bruno rejeté par sa famille, Charlotte déçue par son environnement scolaire et familial qui la fait interner en hôpital psychiatrique, les relations familiales et sociales se seraient inscrites dans une typologie dexclusion. Cette éviction aurait généré un manque dinscription sociale, de statut, de reconnaissance, de considération quils tenteraient de corriger par lintermédiaire de rencontres avec dautres jeunes ayant les mêmes problèmes. Repoussés par le monde conventionnel, le groupe aurait alors pour fonction de créer le respect auquel ils nauraient pas eu droit, en prouvant leur valeur héroïque lors de situations de violence, en défendant les membres, les biens ou le territoire du groupe (squat, lieux de mendicité
) entre autres. Cohen explique que si un jeune nest pas respecté par son entourage et si celui si ne répond pas à ses attentes alors « il rencontre un problème dajustement humain ».Les membres du groupe ayant tous la même difficulté de reconnaissance, ladaptation au système ne serait plus possible, du fait de leur non-inscription.
Sans respect, sans statut du système conventionnel, ils conformeraient leur environnement à leurs attentes par la création de normes socialement opposées, leurs permettant ainsi dobtenir au sein dun groupe ce que la société na pu leur offrir.
Si, jusquà présent, nous avons pu noter que le mode de vie décrit sopposait au modèle traditionnel, il est important de souligner que les relations qui lient les personnes en squat semblent très affectives. En revanche, cette affectivité ne serait vécue que dans le microgroupe squatteur et ne serait pas étendue à toute la communauté des errants Bordelais. Si le groupe paraît défini comme une famille, tous mont signalé quils voyageaient de façon indépendante, sans garder de contacts téléphoniques, se revoyant au hasard de la vie. Le groupe derrants serait donc une association peu structurée, fluctuant selon les rencontres les allers et venues des membres, avec pourtant de fortes attaches affectives entres certains.
Jon 2007 : Tsais nous on est une famille, tu vois. Cest même pas une communauté, cest une famille, tu vois. Cest mes ptits frères, mes ptites soeurs, mes grands frères...dès quy'en un qui va pas bien, cest vas y ! On est tous dans la merde. (...). Les valeurs djà... , fraternité, respect, no jugement, no vol, entraide. Nous cest trop con family mais trop con family qui respecte ça.
La solidarité, lorganisation, les règles qui régissent leurs rapports entre eux savèreraient bien claires. Chacun aurait sa place, son rôle.
Cette sous-culture serait transmise par des interactions entre les nouveaux et les anciens du groupe. Comme nous lavons vu, cette communauté déviante serait constituée par des membres déjà engagés dans la déviance avec des centres dintérêts communs autour de la prise de drogues et de la vie nomade, en squat libérée de toutes contraintes sociales. Les goûts, les pratiques communes témoigneraient dun partage idéologique. Ce sont ces intérêts, ces systèmes de valeurs dont feraient partie les conduites à risque, cette culture qui dicteraient une marge de manoeuvre aux comportements admis. Ceux-ci se développeraient et saffirmeraient dans le temps, par la fréquentation du groupe qui les renforcerait et pousserait lacteur à sy engager plus avant.
Si les explications, la philosophie paraissent personnelles, le groupe leur donnerait forme.
Charlotte : Pac que moi jlai été fashion comme tu les et tout. Javais la même mentalité tu vois. Cest justement pour ça qujai changé de côté vestimentaire aussi, pour euh
, Pour me rapprocher des gens à qui jressemblais quoi. Pour mdonner limage, pour mdonner mon image de cqui mressemblait, quoi.
Ce que serait lindividu ou ce quil pourrait être dériverait de la place quoccupe sa catégorie au sein de la structure sociale, celle dexclu, de marginal. Le groupe, constitué dun agrégat de compagnons dinfortunes dont les portes paroles affirment quils sont le seul véritable groupe, offrirait la vision dune communauté à laquelle ils appartiendraient naturellement. Tous les autres groupes, dont chaque errant émane, seraient considérés implicitement comme nétant pas en réalité les siens (comme la famille par exemple). Labandon de leur nom de famille au profit dun pseudonyme ou de leur seul prénom illustre ce phénomène. Cette démarche laisse sous-entendre quils recréent une sorte de filiation. Le stigmatisé devrait par obligation être loyal et authentique avec son groupe sous peine de se voir qualifié de veule et stupide sil sen détournait. Il serait donc tenu de saligner sur le groupe. Du coup, le point de vue du groupe évoluerait vers un chauvinisme et un militantisme, voire un sécessionnisme.
Après le constat que les travellers semblent se constituer comme une sous-culture, nous tenterons dans la partie suivante de comprendre justement si cette forme communautaire établit des frontières entre eux et les individus ordinaires en décryptant les mécanismes de leur création.
3. 1. 4. 5. Les pratiques corporelles comme marqueurs de létablissement dune frontière Nous / Eux.
Il ma semblé tout dabord fondamental dexpliciter le choix théorique convoqué dans cette analyse qui au premier abord peut sembler quelque peu saugrenu. Utiliser en effet, les concepts de frontières ethniques et donc les théories de lethnicité interactionniste de F. Barth pour décrypter les mécanismes et dynamiques de cloisonnement, de séparation entre le groupe errant et le groupe des normaux peut paraître quelque peu inadapté car ne traitant pas dun même objetlidentité ethnique ne constituent pas exactement les mêmes marqueurs que lidentité dune sous-culture. Sil est vraisemblable que le groupe Travellers na rien dun groupe ethnique, (du fait que ces membres ne sont pas recrutés ou ne sadjoignent pas au groupe par rapport à leur lieu de naissance supposé, ni à leur origine géographique commune, ni sur une filiation réelle interne au groupe), il semble surprenant de constater que la dynamique que lon retrouve dans la création de lethnicité nest pas si éloignée de celle que lon observe dans cette sous-culture.
Tout comme dans la création de groupe ethnique, la principale spécificité ne résiderait pas dans la singularité et lécart culturel qui conduisent le monde social à se subdiviser mais cette culture serait au contraire peut-être la conséquence de létablissement de frontières entre groupes comme la laissé supposer lanalyse du corps du rejet par les théories du stigmate.
La culture étant une construction dynamique, mouvante, perméable aux diverses influences de groupes externes, de membres du groupe lui-même, de situations, de contextes écologiques, politiques, macrosociales, elle ne peut par conséquent définir un groupe, par ses seuls traits relativement labiles. Comme le souligne Amselle, la culture est un réservoir percé où chacun vient puiser ce qui lui est nécessaire. En cela, elle ne contient pas de traits distincts qui pourraient être répertoriés comme formant un ensemble clos. En ce sens, elle ne peut réellement définir et circonscrire un groupe.
Les groupes ethniques ne pourraient alors se voir caractérisés comme le revendique F. Barth comme étant :
« Des agrégats humains partageant essentiellement une culture commune, et des différences liées entre elles qui distingueraient chacune de ces cultures prises séparément de toutes autres. Puisque « la culture », il ne faut entendre rien dautre quune façon de décrire le comportement humain, on pourrait en déduire quil y a des groupes humains séparés, cest-à-dire des unités ethniques, qui correspondent à chaque culture. ».
Pour plus de clarté et pour montrer que si similarité il y a, les différences entre groupe ethnique et groupe errant sont majeures, jai pris le parti de remplacer le nom qualifiant le processus dethnicité par celui de subculturalité, permettant du même coup daccorder ces théories à mon objet de recherche tout en en signifiant la divergence.
Nous tenterons donc de comprendre comment les pratiques du corps des errants, considérées comme marqueurs de subculturalité, participent à la dichotomisation in-group / out-group, en traçant et entretenant des frontières.
La subculturalité serait donc comme lethnicité une forme dorganisation sociale et politique à loeuvre dans les sociétés contemporaines, basée sur une logique de différenciation et dinégalité structurelle. Elle serait le produit dinteraction et dacceptation sociale. En effet, le contact entre groupes et linégalité sociale (qui nest pas à démontrer par le caractère de précarité que revêt le mode de vie errant) sont essentiels à lémergence et la persistance de ce groupe subculturel. Cest par la proximité, la rencontre avec un autre groupe, que lon prend acte dune situation commune différente de celle de lautre groupe. Ainsi, les errants en relation avec les normaux dans leur quotidien saperçoivent des divergences de mode de vie, de conception et de traitements sociaux. Comme nous lavons vu, la peur sociale quinduisent les apparences errantes, leur mode de vie transgressant les normes du groupe des normaux, produiraient des interactions dévitement des normaux, les désignant par ce fait comme déviants. Ce qui était perçu comme étrange dans leurs comportements, attitudes, pratiques vont devenir des traits subculturels permettant de les catégoriser. Ces groupes seraient donc avant tout des types dorganisation, résultant de lassignation mais aussi de lauto-attribution des individus à des catégories. Stigmatisés en tant quindividus potentiellement dangereux, les travellers vont en partie endosser cette assignation, la détourner en y ajoutant dautres éléments afin de faire face à cette disqualification. À partir de cette dynamique de rejet et dopposition, les groupes des normaux et celui des errants vont donner naissance et entretenir des frontières qui les identifieront et créeront cette subculturallité underground. La dynamique de subculturalité est un aller-retour entre face externe des frontières et face interne. En étant catégorisé par lextérieur de la frontière, le groupe va du coup se définir de façon interne et construire sa subculturalité.
Par conséquent, « lon conviendra avec Barth que lethnicité (ou la subculturalité) est une forme dorganisation sociale, basée sur une attribution catégorielle qui classe les personnes en fonction de leur origine supposée (pour lethnicité) { pour nous il sagira plus dune différence issue de la supposition de traits de personnalité (fainéantise, délinquance, dangerosité
), dhistoires dexclusion sociale, communes à tous les errants}, et qui se trouve validée dans linteraction sociale par la mise en uvre de signes culturels socialement différenciateurs ».
Cette attribution catégorielle produisant le classement Nous / Eux souligne la dimension processuelle de la subculturalité. Lidentité subculturelle ne se définit pas seulement de façon endogène au groupe, mais elle est le produit dactes significatifs dautres groupes, ici les normaux. Ces derniers, percevant les errants comme des délinquants, des êtres viciés et dangereux, nhésitant pas pour les commerçants à faire intervenir la police, pour les autres à éviter scrupuleusement leur regard, vont par conséquent leur attribuer létiquette de déviants toxicomanes agressifs et les distinguer des normaux.
Bruno : « Rgardles ! Rgardles ! » Et des fois tu passes à côté dgens, les gens isont là : « Rgardles, eux ! Rgardles ! ». Toi ça tfait rire.Cest pas pacque tes invisible just'ment quon tourne la tête, cest justement quisavent que tes là, et Futtt
fermer les yeux.
Dans les situations de domination, (ici économique, culturelle et sociale), limposition dun label par les dominants a un pouvoir performatif. En nommant ils font exister dans la réalité une collectivité dindividus, sans savoir ce que ces personnes pensent de leur appartenance à une telle communauté. Les exo-définitions seraient globalisantes, unifiantes et différenciatrices, basées sur des similarités simplificatrices. Ainsi, cette nomination collective de « jeunes pommés », cette stigmatisation créeraient une solidarité liée au fait que tous sont lobjet dun traitement commun de dénigrement. Ceux qui partagent le même stigmate derrant, victimes dune mauvaise image, vont être oppressés par un étiquetage, une classification fausse et déformée. Ils vont se retrouver pour partager leurs lamentations dans un monde où ils se sentent acceptés comme des êtres ordinaires, semblables à tout un chacun. Ils adoptent alors un mode de vie corporatiste.
Jon 2007 : Tellement tu trimes tu sais quton pote i' trime aussi, tsais donc autant chacun part dson côté la journée, lsoir tu trejoints, même si yen a un quà fait 30 euro, lautre 4 euro, cest pas grave, cest la caisse communautaire (
).
La subculturalité fournit des éléments de biographie sociale offrant une explication à lappartenance commune des membres, la légitime, et donne aux acteurs une certaine vision leur permettant de sorienter vers les autres individus, soit comme des semblables, soit comme des outsiders. Car pour les errants, létranger serait celui qui est out-group. Cette subculturalité serait alors un guide dans le choix et le déroulement des relations sociales et des interprétations des situations. Par exemple, plébiscitant la mendicité comme moyen de subsistance, lappartenance groupale errante dicterait un modèle dinteraction entre ses membres et les non-membres de type utilitariste et proscrirait tout autre type dinteraction.
Les noms utilisés pour désigner le groupe, « SDF, toxicomane, mendiant, pommés, vagabond » vont alors devenir descriptifs du type dacteur social et de la relation appropriée à son égard dans un contexte donné. Les normaux vont donc chercher à éviter, fuir les contacts de personnes incarnant la déchéance sociale, le danger que recèle notre système économique et social. Les errants stigmatisés vont révéler linégalité sociale, et la remettre en cause. Ils apparaissent donc comme des troubles fêtes, comme une menace au maintien des valeurs de performance, de contrôle, de pacification, de sécurité que la société tente dentretenir.
Une imputation ethnique ou subculturelle implique des critères dappartenance en fonction desquels sont formulés des jugements de similitude ou de dissimilitude. Ces critères sont définitionnels et les indices informationnels. Mais les indices sont dépendants des critères qui les définissent. Pour les errants les critères dappartenance au groupe comme nous lavons vu sont issus dun mode de pensée anti-consumériste, non-matérialiste, solidaire, hédoniste, revendiquant lextrême, le nomadisme comme forme de vie. Ils sont donc oppositionnels aux normes et valeurs des normaux. Les symboles attachés à une identité subculturelle déterminent en partie les marqueurs : traits comportementaux, langue, indices visuels. Les marqueurs corporels qui vont alimenter la classification et lauto-attribution à la catégorie Travellers sont relativement nombreux et non-exhaustifs :
les cicatrices et plaies, les bagarres, les conflits verbaux renvoyant une opposition à la pacification et le droit à disposer de son corps
Le regard hagard et les postures corporelles instables traduisant la prise de stupéfiant et la volonté dune absence au monde.
Le choix de vêtements doccasion sopposant au culte actuel de lapparat, à la consommation, et à la superficialité.
Les piercings, tatouages, écarteurs signes de ralliement, de narration dune histoire vécue par les travellers, de résistance, de force.
Le refus dadhésion aux normes de beauté féminine et masculine, en se montrant tel quel.
Lexposition impudique de certains, projetant aux regards de tous, la brutalité dune réalité corporelle en décrépitude par opposition à la nécessité dune apparante bonne santé.
Le nomadisme contredisant lhabitat fixe, stable , sécure et laccession à la propriété comme symbole de réussite sociale.
La manche revendiquant le rejet de la valeur travail, le culte de la performance, de la rentabilité, de la participation économique à la société.
Bruno : Cest plus un repère quoi. Par exemple jcroise des gens dans la rue qui sont quoi voilà
cest toutsuite on sconnaît, on va sparler, on sconnaît pas forcément, mais on va sparler parce que bè voilà on sait quon est dans lmême mouvment. Cest plus un m
, cest plus devenu un mouvement quoi jsais pas comment texpliquais ça, quoi. Bè comme tu disais dtà lheure une tribu, bèè une tribu ça sfait par des
par un look, par un
tvais des indiens ismettaient des
( mimant le maquillage indien du visage). Ben, nous on smet des piercings, on sdonne un look pour euh
« Salut, ben, moi jfais partie dce groupe là.
Le domaine de saillance de lidentité subculturelle est délimité par les stéréotypes à travers lesquels les normaux définissent les gens et les situations. Désirant sexclure et revendiquer leur malaise social, les travellers vont alors privilégier les marqueurs oppositionnels, cest-à-dire ceux qui contrent les valeurs et les normes sociales en utilisant les préjugés des personnes ordinaires (violence, drogue, fainéantise, saleté) afin de se reconnaître comme membres dun même groupe.
Ladoption de vêtements larges, sales, recyclés, les bijoux, lentretien hygiénique précaire de leurs corps, leurs faces affichant des intoxications faciliteraient leur attribution à une catégorie de façon exogène mais aussi endogène. Pouvant se reconnaître dans nimporte quel lieu, les errants ont tendance à se regrouper et à ne privilégier les relations quentre membres.
Bruno : Ouais. Toutsuite piercing, tes un drogué quoi. (
).
Jon 2008:
Ouais, puis ouais, cest pête notlook aussi un peu euh
un peu euhhh
extravaguant ! Hein ! Qui font peur et tout quoi (
).
Charlotte : Pac que moi jlai été fashion comme tu les et tout. Javais la même mentalité tu vois. Cest justement pour ça qujai changé de côté vestimentaire aussi, pour euh
, Pour me rapprocher des gens à qui jressemblais quoi. Pour mdonner limage, pour mdonner mon image de cqui mressemblait, quoi. Pacque sinon jattirais des gens qui mressemblaient pas, quoi. Et avec qui jmentendais pas, quoi. Même si jaimais bien mhabiller comme ça, pacqu jtrouvais ça joli, ben, mainant j mtrouv encore mieux comme ça pacque ça mressemble quoi.
En effet, les travellers choisissent des attributs dexhibition identiques entre membre marquant ainsi une origine commune.
Bruno : Cest une forme de reconnaissance, on va dire. Cest entre nous, même pour faire voir aux gens parce que moi jmen cache pas dma
Je suis comme je suis et jai pas honte.
Cette croyance dans lorigine commune de lethnicité se trouverait transformée chez les errants en conviction dune même souffrance issue de difficultés familiales, de lexclusion du système et dans le partage dune carrière délinquante commune, formant ainsi une histoire de vie quasi similaire.
Bruno : Cest cque jdisais tà lheure, quand tas pas dfamille
Pacquon tdit « Ouais, euh, mais quest-ctu fais dehors ? », « Ouais mais garçon, toi tas ta famille, ok. Mais moi jai pas dfamille derrière quoi ! »
Charlotte : Même si on a la famille, cest un choix dvie aussi. Voilà on est pas obligé de
de sobliger à viv chez nos parents pacqu on a
alors quon a un choix différent, quoi. On va pas sobliger à rester enfermé dans une vie quon naime pas alors quon pourrait être heureux ailleurs, quoi.
Jon 2008: Pêt tu vois, ça strouve i srait pas mort quand jétais aussi jeune, pêt jaurais pas pris cte décision.
Ce mythe de lorigine commune peut être fictionnel car on ne peut savoir en tant que chercheur, lors dentretiens, si la déviance et la souffrance sont avérées ou participent dun fantasme qui permet lintégration au groupe travellers. Il va alors se créer une histoire sédimentée mise en intrigue et connectés comme des événements qui sont arrivés aux mêmes, aux membres du groupe. « La mémoire historique sur laquelle un groupe fonde son identité présente (
) peut nêtre que celle de la domination et de la souffrance partagées. » Rejetés depuis leur plus jeune âge, trahi par un système dans lequel ils ne croient plus, le passé du groupe, sa tradition, semblent sélaborer sur des discours individuels de souffrance, des expériences de violences inhérentes à la rue, de force physique de prises de stupéfiants, de stigmatisation qui se communalisent.
Clara: Tout à lheure y a une fille complètement débile quà essayer de tous nous monter les unes contre les autres...elle prend un bâton, elle tape les plus faibles,elle a tapé X, elle est défonce, laurait pu aller à lhosto, elle est complètement dingue ct meuf, on va tous aller la voir dt'à lheure, histoire dla calmer (
).
Passe-muraille: Comme KK cest une vraie dictature y a tout le monde y cest barré quoi quasiment, la meuf, elle prend la grosse tête, elle prend la tête à tout le monde. Elle frappe les vieux, les plus faibles. Et moi qui mfout dsa gueule, elle va gueuler mais elle va pas mfrapper(
).
Tristana : Mais toute façon même dans lfait quvous changiez les prénoms et tout, tous, cest comme si vous aviez une nouvelle vie quoi, vous vous créez une identité quoi
Jon 2008: Ouais tout à fait quoi. Cest ça.
Tristana : Vous larguez tout derrière et euh ouais cest ça ?
Jon 2008: Tout cquétait derrière, bon après jai des contacts avec ma famille euh
euh
Cest juste contact quoi. Cest rare que jles voyent mais jgarde
Pour entériner cette histoire et cette appartenance commune à une même origine fictionnelle, les changements de noms en pseudonymes ou la conservation du seul prénom leur permettraient de reconstruire une filiation fictive détachée de leur passé. Reconstruisant une identité de la rue par ces nouveaux noms, ils évacuent tous liens avec leurs relations et leur identité antérieures ou conservent juste ce qui les intéresse de ce passé. Ils rebâtiraient ainsi leur identité sociale dans le détachement de leur parenté familiale (bien que conservant des contacts minimes avec leur famille), sen créant une autre celle du groupe. En effet, chaque errant semble remplir une fonction, un rôle de type familiale, positionnant les chiens comme des enfants. À défaut davoir eut une famille suffisamment bonne ne la remplaceraient-ils pas par une autre leur convenant mieux ?
Jon 2007 : Tsais nous on est une famille, tu vois. Cest même pas une communauté, cest une famille, tu vois. Cest mes ptits frères, mes ptites soeurs, mes grands frères... dès quy'en un qui va pas bien, cest vas y ! Nos chiens (...) cest nos ptits bébés.
Clara : La fille qui vit avec moi dans l squat, elle a quarante ans, cest un peu ma grand soeur...
De plus, lélaboration despace scénique, dopérations externes comme la mendicité, la mise en danger,
vont donner une valeur expressive aux attributs culturels en tant que revendication publique de leur spécificité, demandant à être validée et ratifiée par lensemble des différents groupes constituant la société. Ainsi, en faisant la manche aux yeux de tous, en se querellant sur les places publiques, les errants donnent à voir, à travers les pratiques de mendicité et de violence, leurs singularités subculturelles et les valeurs qui les sous-tendent. Perçus du coup comme étant des comportements non acceptés par les normaux, leurs différences sen trouveraient accentuées et permettraient dentretenir la frontière Nous / Eux.
Les frontières entre les normaux et les travellers se constitueraient donc par assignation et auto-attribution dune identité subculturelle identifiée par les acteurs grâce à des marqueurs visibles. Une fois ces marqueurs validés par les deux groupes, ils permettraient aux errants et aux normaux de repérer la dichotomie Eux / Nous, de se reconnaître eux-même dans une appartenance à lun des deux groupes et dêtre identifié par les autres. Le mythe de lorigine commune ne ferait alors que renforcer cette scission et entretiendrait les frontières.
Les marqueurs et le contenu culturel des groupes étant mouvant et ne définissant pas les groupes ethniques ou subculturels, on peut se demander si le groupe subculturel Travellers nest pas issu à la base des groupes de contestation hippies et punk qui auraient vu leurs attributs culturels se modifier en suivant les évolutions macrosociales ?
Bruno : Tu sais quen France le mouvment comme ça, cest arrivé en 91, tu vois, un peu les styles comme nous. Traveller et tout cest arrivé en 91. Cest arrivé dAngleterre pacqui ssont fait virer dchez eux là bas. Isont vnus en France. (
). Et ça vnait des Spiral tribes quétaient rcherchés par Interpol et tout, pour euh
trafic de LSD, machin. Cétaient des marginaux, quoi. Comme chez eux, on les a pas acceptés, isont vnus en France, izont lancé lmouvment, et voilà, quoi. Et les gens ssont identifiés quoi. Moi, jme suis identifié à ça. Et oui. Cest intéresant cmouvment tu vois cque jveux dire. Ça existe depuis longtemps. Tu prends les hippies à lépoque en 68, cest un peu lmême mouvment en fait, si tu suis par là, quoi.
Charlotte : Ouais, cest des revendications.
Bruno : Cqui change, cest l look mais cest les mêmes revendications sinon cest quoi cqui voulaient les soixante huitard à lépoque, cétait le côté libre, le côté euh
Charlotte : Ouai voilà cest ça surtout, cest que la société, elle a évolué dune façon
on peut plus être bisousnours, dans not système, ça devient plutôt
obligé dêt plus cruel, dêt plus trash pacque cest plus
le vie est dvnue plus dure, quoi. Les gens sont moins gentils, les gens sont
Bruno : Mai 68, cest 40 ans dça.
Charlotte : Tout est dvnu plus dure, quoi.
Suite à ces diverses constatations sur les fonctions du corps et les pratiques corporelles des errants, il semble fondamental danalyser leurs rapports à la mort afin de comprendre si ceux-ci divergent des normes actuelles. Sil savérait exact quil y ait dissimilitude, il faudrait alors sinterroger sur les buts de ces représentations et leurs portées sociales. Participeraientelles elles aussi à la dichotomisation travellers, normaux ?
3. 2. Représentations de la mort, divergences de cultures, moyen de provocation, catharsis permettant le maintien de lordre social ?
3. 2. 1. La mort dans la vie, un contrepoint culturel.
La mort chez les errants ne paraît pas être évoquée en tant que tabou, quinterdit. Le sujet est abordé spontanément, tel un fait naturel inhérent à la vie elle-même. Bien quen ayant apparemment totalement conscience, et recontextualisant les nombreux risques quils encourent leur laissant penser quils y seront soumis peut-être plus que dautres, la peur de la mort ne paraît pourtant pas les préoccuper. Ne relevant pas dun déni puisque abordée, on peut se questionner sur le fait que les errants néprouveraient pas de crainte ou alors bâtiraient une stratégie spécifique pour gérer le trépas.
Faisant écho à la vision moyenâgeuse de lapprivoisement de la mort, jai pu noter que le contexte de vie jouirait dune influence non négligeable sur cette familiarisation. Lhomme du Moyen Âge, soumis aux aléas démographiques liés aux épidémies, au manque dhygiène, de nutrition, de sciences médicales performantes, aux guerres, etc, sest vu contraint daccepter la précarité de lexistence et la violence de son mode de vie, admettant la mort comme partie intégrante de lordre de la nature sur lequel on ne peut avoir de prises. Confrontés sans cesse à la brutalité du quotidien de la rue, on peut avancer que cest peut-être ce contexte, les situations expérientielles qui ont amené les errants à rejeter le principe de pacification sociale, perçu comme un leurre, et à développer du même coup une pensée naturaliste. Par conséquent, la mort serait perçu comme un événement inéluctable, naturel, ne témoignant aucunement dun caractère dramatique intrinsèquement subi, ni attaché à une quelconque spiritualité, religion. La violence étant le principe même de la vie et de lêtre humain, la mort sy rattacherait alors de la même manière comme composante indéniable et essentielle, comme un fait de nature. Il est bien évident que je ne prétends pas avancer que les travellers seraient immunisés contre cette chose terrible quest le trépas, mais ils auraient abdiqué dans cette lutte futile et impossible en lacceptant.
Charlotte : Y a toujours des risques (
). Dans un sens y a toujours des risques
Bruno : Cest du produit, ben, cest du produit
Charlotte : On sait jamais cqui a ddans. (
).On a eu dla chance quoi on va dire.
Sétant résignés à sa venue à nimporte quel moment de leur existence, elle devient même pour certains comme au Moyen Age, partie intégrante de la vie, tapie dans son ombre. À lopposé des représentations actuelles situant la mort comme un ennemi extérieur à combattre, le corps pour les errants dès sa naissance est soumis à une petite mort continuelle qui sachèvera soit par la vieillesse ou par accident. « Bref, lhomme moderne dOccident pratique en permanence une stratégie de coupure : vie / mort pensées en termes antinomiques alors (
) » que les errants y verraient une complémentarité. Le mourant pour les normaux devient un « proscrit (out cast), un déviant vis-à-vis dune institution organisée pour assurer le primat de la vie (
) ». Comme chez les Grecs, la mort siégerait dans le corps, serait présente dans la vie. Et nest-il pas là le problème, dans le fait même que lerrant véhiculent aux yeux de tous son corps mourrant par intoxication, manquant de soin et introduisant par ce fait la mort dans la vie ? Les travellers se verraient identifiés du coup, au fantasme de mourant, effrayant les individus ordinaires. Les normaux, subissant cette vision contrant le prescrit de la vie à tout prix, apeurés par lévidence de la mort qui leur est projetée au visage telle une fatalité, étiquetteraient les travellers comme déviant une nouvelle fois pour sen prémunir et léloigner.
Jon 2008 : Y a un cycle de vie quoi. Tu nais, tu meurs. Voilà après tu sais pas quand, tu sais pas quand
Cest cquon est entrain dfaire là.
Tristana : Bé ouai, on est entrain dmourir là
Jon 2008 : Ben voilà, tu vieillis. Ben quand tu vieillis au bout dun moment tsais, jsais pas euh
hup ! Euh... tu peux passer là tu fais pas gaffe, boum tiens ça y est (il me montre la rue indiquant un accident de voiture). Jsuis mort. (
). Cest une mort toute con. Voilà tfaçon toutes les morts sont cons.
3. 2. 1. 1. La bonne et la mauvaise mort chez les errants.
Dans cette sous partie, trois thématiques ont été choisies pour rendre compte des représentations de la bonne et de la mauvaise mort chez les errants. À travers la spécificité de leur regard nous tenterons de comprendre leurs conceptions de la mort de soi, de la mort de lautre dans ses deux dimensions, et finalement de la mort de soi pour lautre.
Les errants, comme nous lavons vu antérieurement avancent labsence de crainte par rapport à la mort. Par contre, le mourir paraît les préoccuper. Si Charlotte ne veut pas savoir quand elle va mourir, ce nest pas par peur de la mort mais pour justement profiter de la vie sans avoir à se rappeler quelle va bientôt mourir. Cest donc pour la vie elle-même, en son hommage et dans une optique de liberté et dindépendance face au corps médical, quelle préfère rester dans lignorance.
Charlotte : Jpréférerais pas lsavoir
Ouais, voilà. Ouasi, voilà. Ça marrive, jmeurs, cest bon. Plutôt qupendant dix ans jme dis ouais, jvais crever, jvais crever.
Sils définissent la belle mort de soi comme un événement soudain du mourir se rapprochant de la norme actuelle, ils ne désirent pourtant pas la voir gérer par les institutions, voire redoutent dêtre hospitalisés, placés en maison de retraite. En effet, ils ne cherchent pas à la repousser dans le temps, mais accepte que celle-ci survienne dans la vie, sans crier gare, les arrachant soudainement dans toutes leurs capacités physiques, psychiques, fixant leur être dans ce quil est dactif, dans leurs actions glorifiantes au sein de leur groupe. La belle mort doit alors se caractériser par sa qualité de hasard, issu ou non du destin et est souvent évoquée dans un contexte de sommeil transcrivant peut-être les aspects de paix, de repos. Le corps endormi personnifierait alors ce quil y a de meilleur en eux car nexhibant pas les souffrances dune mort violente par des rictus ou des atteintes physiologiques. La singularité de leur personnalité rayonnant dans cette représentation paisible transcrite dans cette mort de soi corporelle, pourrait alors se prêter à une déploration publique acceptable aimante et faire rejaillir toutes leurs qualités humaines.
Jon 2008 : Tu tcouches et hop ! Tu tréveilles pas quoi.
Bruno : Comme la mère Soleil, mndormir dans mon sommeil.
Cest donc une mort semblable à Thanatos incarnant lirrémédiable de la destinée humaine, auquel nul néchappe, quévoquent les errants. Celle-ci offre ainsi lopportunité aux travellers de laisser transparaître leurs seules qualités humaines dans un mourir esthétiquement préservé, participant à lhistoire et à lentretien dune filiation communautaire.
Par laffrontement à travers les conduites à risque, une autre attente semble visée, celle de la survie par la gloire, grâce à la belle mort, la mort soudaine, sur laquelle nous reviendrons dans la partie traitant du mythe héroïque.
La mauvaise mort véhiculée par la maladie pourrait être mise en parallèle avec les figures de Kerè et Gorgô, incarnant lindicible, la béance, loubli, symbolisation de la décomposition cadavérique. Cette perte de face issue de cette mauvaise mort engendrerait un corps maltraité par les infections, le réduisant à un état passif, incompatible avec le désir daction, de perpétuation à travers la mort dans la pensée communautaire. Elle serait alors une mort brute, terrorisante et stérile car ne servant aucune cause sociale, civique, politique, ne recélant en elle aucun sens.
Bruno : La mort me fait pas peur mais euh
Si cqui pourrait mfaire peur cest le style de mort, quoi. Pas la souffrance en elle même mais
Charlotte : Dcrever dune maladie, traîner une maladie.
Bruno : Jvois tu vois mon père, tu vois mon père, il est mort noyé, tu vois. Cest pas une belle mort quoi par exemple. Jme lsentirais pas, tu vois cque jveux dire.
Charlotte : Pas arrivé au stade ou tu peux plus rien faire toi même, quoi. Arriver jusquà au temps ou tes bien, tu vois ou voilà,
(
) jusquau temps ou j puisse encore être autonome, que mon corps me dise
quand mon corps m dira stop, jessairai pas daller plus loin.
Bruno : Si mon corps à 70 ans, ipeut fair dla teuf, encore, jveux bien, mais...
Charlotte : Ouais. Moi aussi mais jpense pas.
Passe-muraille : On sle dit tsais on a une seule vie, se serait con dcrever dune maladie, dune hépatite ou dun das.
De plus, qui dit mort par pathologie, dit dépossession de son corps par les institutions qui tenteraient de le secourir sans demander son avis, confiscation du mourir qui nest pas forcément évoqué par le personnel soignant, ce qui dès lors, les priveraient de leur droit à gérer leur être au monde, leur être à mourir donc le fondement de ce quils considèrent comme primordial : leur liberté. Tous, par ailleurs, ont souligné leur volonté de décéder chez eux dans leur lit et non à lhôpital. Désirant sécarter de la société et de ses normes comme les renonçant Bramaniques mais en même temps participer au social dune autre manière que celle prescrite en lien avec leurs propres valeurs afin dacquérir le statut dêtre exceptionnel détaché de toute matérialité et des futilités de la vie, ils ne peuvent évidemment pas consentir à voir leur mort administrée par des institutions symbolisant le système social quils rejettent. À cheval entre la conception Indienne destituant le mort de son identité sociale et la vision Mésopotamienne maintenant le statut social et familial du défunt, les errants oscillent entre le désir dabandonner leurs anciennes identités sociales issues de leur filiation familiale et de leur ancienne inscription dans le monde des normaux et la volonté irrépressible de conserver lidentité communautaire travellers à travers la mort. Le rapprochement avec les croyances Brahmanique mortuaires peut encore être perçu dans le rapport à lerrance et linforme plébiscités par les toxicomanes.
La mort de lautre, à linverse de la mort de soi, possède un caractère inquiétant. Elle est constituée de deux facettes : lune renvoyant au décès dun proche sans quil y ait responsabilité des errants dans cette disparition, lautre sancrant dans la possibilité de donner la mort de façon volontaire ou involontaire.
Dans ce premier cas de figures, si la mort de soi ne constitue pas une crainte pour cette population, la mort dun proche (même issu dune famille problématique que la personne a pourtant quitté délibérément) en revanche est toujours vécue comme une perte, une douleur à laquelle il faut faire face. Il ne sagit pas de tenter doublier ses morts et la façon dont ils sont décédés mais darriver à accepter ces événements comme faisant partie intégrante de la nature même de la vie. La peine occasionnée par la perte dun être cher est évoquée par Bruno et Jon sans la moindre gêne, sans évitement. Le discours sancre demblée sur les souffrances et la période de deuil difficile à réaliser. Contrairement à nos conceptions actuelles pathologisant le deuil, pour les errants il est fait état dune période tout à fait ordinaire et cruciale par laquelle il faut passer. Lévocation des affects librement exprimés paraît faire partie intégrante dun rituel dacceptation du départ dautrui, en opposition avec nos prescriptions de contrôle des effusions. Le renvoi à sa propre mort est abordé sous une forme pragmatique, comme sil était question dun exercice pour apprivoiser son futur destin.
Bruno : (
). Mon père est décédé. (
). Cest un peu plus dur. Avec le temps, ça
(
). Ça mest arrivé jeune, javais 5 ans quand jai perdu mon père. Jai eu une période où ça été difficile, vers lâge de
(
). Cest difficile et dun, pacque cest quelquun dproche et puis dessentiel et deux, ça renvoie des fois un peu à cque, au fait quon soit aussi là que pour un moment. (
). Ouais, malheureusement. Cest la vie comme on dit. (
). Cest la vie, comme on dit. Cest assez euh
on laccepte, quoi. Tsais, on sait tous quun jour ou laut, voilà on va y
Cest vrai quy a des belles morts et des pas belles morts.
Le pathologique pour Jon résulterait plus dune non-expression des sentiments douloureux plutôt que de leur dissimulation.
Jon 2008 : Ça rmonte à ladolescence, tu vois, moi jai été élevé par mes grands parents et euh
Quand mon grand père est décédé, jai pas mal pris (dans le sens den prendre plein la gueule). Jai tout gardé pour moi et... en fait cest ça
davoir gardé trop dchoses, javais pas faitldeuil en fait. (
). Non, même pas, cest un truc vachement bizarre quoi. Et tu vois, cest après
tu vois jai même pas pleuré, jai même pas été malheureux, jte dis jai tout gardé pour moi et euh
Cest une fois que voilà tsais
jai cogité et jétais là : nanana, jai pleuré comme un taré et en fait cest par rapport au décès de mon grand père. Et une fois qujai compris ça. Putain, ça a été dure. (
). Moi mon père, cest mon grand père. (
). Mais mon grand père, on avait un rapport vachement fusionnel quoi. Tsais cétait, cétait
im regardait dans les yeux isavait cqujpensais et moi cétait pareil quoi. (
). Cétait vraiment énorme quoi. Cétait euh
. (des larmes perlent aux coins de ses yeux).
Bien quil y ait comme pour les normaux, une privatisation de la mort transcrite par les liens affectifs forts quils ont entretenu avec le parent mourant, lexpressivité publique elle, ne semble pas en pâtir (vu quils labordent sans que je les questionne directement sur cette voie). Leur mode de privatisation de la mort ne toucherait alors que l'affectivité. La mort conserverait donc toujours son aspect public, mais redéfini. La mort acceptable de lautre nest pas corrélée avec laperturbation des vivants, ni le respect dun monde routinier que même la mort ne peut troubler. La vie est justement un remue-ménage perpétuel où les sentiments explosent, quils sagissent de joie ou de peine. Cest peut-être parce que beaucoup dentre-eux ont connu un environnement avec une morbidité importante, à linverse de nombreux individus ordinaires, que les travellers ont appris à lapprivoiser, à la considérer comme naturellement constitutive de la vie.
Dans cette seconde section de la mort de lautre, laccent est mis sur la responsabilité individuelle de ne pas mettre en péril autrui par ses actes risqués. Pensant que chacun est libre dadopter nimporte quel comportement, de mener sa vie à sa guise, les errants pourtant nadmettent pas que lon puisse empiéter sur celle des autres par des actions malencontreuses ou malveillantes. La notion de responsabilisation, de libre-arbitre divulguant une attribution causale interne paraît être essentielle. Il est surprenant néanmoins de voir sallier ensemble une conception des relations aux normaux utilitariste et au même moment un sens de lautre aussi exacerbé. Malgré les divergences de points de vue, les interactions conflictuelles avec les normaux et leur manque destime vis-à-vis des errants, les travellers paraissent préoccupés de lincidence que pourraient avoir leurs attitudes sur la vie de ces derniers. Cette conception qui dicte lattention à lautre serait sans doute motivée par la valeur de solidarité et lopposition à lindividualisme constituant une partie de larète errant.
Jon 2008 : Non, non, jconduis euh
pépére. Vas-y déjà en camion tu roules à 90 tu vois. Non, non, non. Déjà quand jconduis jpicole pas si jrente de teuf jm repose un peu avant. Quen jsens que je peux prendre le volant
Jprends lvolant
si j vois qujuis en vrac, je le prends pas. (
). Parce que jai pas envie d tuer quelquun. (
). Jai pas envie dmendormir au volant tuer mes potes, tuer quelquun quarrive en face. Imagine en plus tu ten sors, vas-y tta vie tu portes ça sur toi, pas cool, quoi.
Dans ce même rapport empathique à lautre, la mort de soi pour autrui semble constituer une thématique de réflexion. Bien quétant éloignée de leurs univers familiaux, cette population paraît être soucieuse de ce que pourraient éprouver certains proches quils estiment, à lannonce de leur décès. Manifestant une grande empathie à leur égard, ils évoquent ce garde-fou comme défense face à leurs aspirations excessives, avides de sensations et de proximité au danger. Les chiens identifiés comme leurs enfants participent encore davantage à la modération de ces comportements. Se sentant en charge, responsable de lanimal, ils ne veulent pas lui infliger les conséquences dun choix de vie quils ont fait seuls sans son assentiment. Ces quelques relations affectives qui persistent pourraient alors constituer un facteur de protection contrant lextrémisation des pratiques à risque.
Jon 2008 : Voilà jme fais un shoot, jsais très bien qujpeux y rester aussi tu vois. Ou quand on est en teuf, abuser et tout, mais euh
ça mfait pas plus peur que ça. Ya un truc qui me ferait vraiment chier, si jmeurs là maintnant, cest pour ma chienne.
Pour la famille aussi, tu vois mais surtout pour ma chienne. (
). Ma chienne, jai un engagement envers elle. (
). Voilà, si y a quelquun qui doit partir en premier cest elle, cest pas moi. Après moi, jmen foutrai dpartir.
Si dans ce paragraphe, nous avons abordé différentes facettes de la bonne et la mauvaise mort physiologique chez les errants, lune de leurs spécificités est dadjoindre au thème mortuaire ceux de linvisibilité, de limpuissantiation sociale, et de la privation de leurs valeurs idéologiques.
3. 2. 1. 2. Lautre mauvaise mort : la mort sociale.
Les pertes dautonomie physique, psychique, de liberté daction et de mouvement, du plaisir, exposées par les travellers comme étant la véritable mort, celle quils redoutent le plus, met en avant leur crainte de se voir effacer socialement du monde. Cette omission sociale est qualifiée par J.P Vernantde non-vie dans son passage sur Ulysse détenue par Calypso hors du monde des dieux et des humains. Les différentes formes que peuvent revêtir cet état se voient matérialiser dans les propos traitant du travail, des médias, de lidéologie de masse, de ladoption dun mode de vie classique, du handicap physique, de la folie, de lenfermement, ainsi que de la perte de jouissance, de sens critique, dindividualité. Ces caractéristiques peuvent être classées en deux thématiques : celle de la disparition par amalgame à la masse et celle par enfermement.
Tout comme le passage de Lodyssée où Calypso envoûte Ulysse pour le pousser à loubli de sa vie dIthaque, des siens en lui promettant limmortalité, les errants voient dans les divers médias télévisuels, ou papiers, une manière de séduire lopinion publique par du sensationnel en lui faisant perdre de vue les valeurs essentielles de lexistence. Craignant la lobotomisation, la perte de leur individualité critique et créative, les errants vont alors justifier leur retrait partiel du monde social, de lopinion commune avilissante, afin de le percevoir réellement tel quil est dans toute sa brutalité. La propagande médiatique est vécue alors comme une intoxication, une mort spirituelle.
Bruno : Métro boulot, dodo, télé. Et puis avec la télé on tlobotomise en plus, cest quand même pas croyable.
Charlotte : Ah, ouais. Cest ça qui mfait plus peur.
Bruno : Et puis les médias itfont voir cqui z ont envie dt faire voir. Et puis de
Charlotte : De rentrer dans tout ça, de rentrer dans lmoule et de même plus voir que tu rentres dans lmoule et qut'es comme tout lmonde, quoi. De même plus sen apercevoir que tu
ça ça mfrait lplus peur. (
). De plus réfléchir par nous même, quoi. (
). Réfléchir comme tout lmonde par cquon nous impose.
Lerrance, la violence des épreuves de la rue seraient bien peu de souffrances comparées à la perte de leur arète, de leur vie extrême, semblable à celles du héros qui transcende par sa force les périples, les adversités de la vie, donnant à chaque errant la possibilité dêtre plus quun homme ordinaire, un héros.
La vie ordinaire faite de routine, dattachement à la matérialité, de contraintes externes ne semble pas satisfaire lattente bien plus intra-individuelle de reconnaissance sociale des travellers.
Bruno : Izont peur dnotcôté, mais nous aussi on a peur dun côté.
Bien que ne se traduisant pas sous la forme commune de réussite par largent, le statut professionnel, ou familial, les travellers chercheraient à élaborer une identité sociale reconnue par la mise en avant de leur capacité de résistance aux entraves de la précarité. Cest par les épreuves de leur quotidien, que les errants pourraient démontrer leur valeur intrinsèque, singulière détachée de la masse des ordinaires, leur arète liée aux normes et valeurs de leur communauté quils arborent fièrement. En mettant de côté leur aréte, cest la vie même quils mettraient entre parenthèse, leurs élans vitaux. La mort alors vue par les errants se définirait plus par son caractère symbolique de reniement de ses valeurs et de leurs vertus que par son aspect physiologique.
Jon : Non, jai essayé y a
euh,
y a trois ans. Jai essayé tu vois euh
par rapport à mon RMI, iz allaient mle couper si j'faisais rien. Donc jme suis pris un appart, jai fait un CES. Puis euh
au bout dun ans, jai fait non ! Ah mais ouais ! Ouais euh
ouais euh
Déprime totale quoi. (
). Non, Ah ouais non ouais. Jétais tsais au point
euh... non quoi putain ! Si faut quj tourne au Valium au machin comme ça pour tenir
euh non ! (
). Ouais, ouais ouais, cest tout à fait ça !!! cest tout à fait ça, jétais opprimé, mal. Tsais non quoi. (
). Ouais, ouais ouais, un mouton, un mouton. Perdre ton identité
ouais ouais cest tout à fait ça. C'est jouer un rôle en fait. Qu cest ouais voilà cest
qucest, ici tes un SIM.
En acceptant de vivre comme tout un chacun comme un non- héros, les errants se trouveraient plongés dans la masse des inconnus, des hommes ordinaires sans valeurs particulières, sans singularité et auraient la sensation de perdre leur identité constituée en partie par laréte héroïque. Cest entre autres grâce à la mort physique que ces dimensions de valeur et de vertu prennent sens. Cette mort fertile qui pourrait survenir à nimporte quel moment de leur existence risquée détiendrait ainsi toute sa teneur symbolique du caractère éphémère de leur vie. Ce trépas fécond permettrait en effet de maintenir les valeurs de liberté totale, de jouissance, de courage, de force, de solidarité formant ainsi toute la densité et le sens de la vie contrant lautocontrôle voulu dune société qui veut que rien ne déborde des carcans implicites quelle dicte.
Ainsi, Ulysse reclus chez Calypso, malgré limmortalité promise, se voit retranché de la mémoire humaine et nest donc ni dans la condition de vivant, ni de mort. Il est alors devenu invisible, àïstos, et ignoré, àpusos , « (
), hors de la portée de ce que peuvent atteindre le regard et loreille des hommes, caché dans lobscurité et le silence. » . Cest cette situation de mutisme sociale engendrée par ladhésion à une vie sans risque, tranquille des hommes ordinaires, que les errants rejetteraient, la vrai mort étant la mort sociale, cest-à-dire linvisibilité issue de la noyade dans la masse informe des ordinaires conformistes. Mieux vaut alors être un stigmatisé quun sans nom.
Cette crainte de la mort sociale trouve une autre traduction dans la perte de contrôle corporelle et spirituelle. Le corps servant lidéologie de lesprit par ses facultés locomotives et sensorielles, les errants ne peuvent tolérer quil soit amputé de ses aspects fonctionnels. Cette petite mort liée à un handicap physique participerait à entraver la mise en place dactions héroïques et donc les empêcherait datteindre la visibilité sociale quils ne cessent de mettre en acte par les conduites à risque. Ce corps deviendrait alors lui-même un lieu denfermement et de contraintes.
Bruno : De plus êt maître de moi-même.
Charlotte : Ouais davoir mal, de plus pouvoir faire certains trucs à cause de la maladie, quoi.
Bruno : Moi le truc cest
cest dvnir une loque , plus êtautonome de moi-même.
La privation de leurs capacité psychique soulève les mêmes inquiétudes. Similairement à certains peuples africains, la maladie mentale et la mort évoquent la possession, lévanouissement, le sommeil de lesprit. Cette période dimpuissance serait une syncope entre deux états de vie où lâme fuirait créant une situation danomie engendrée par la séparation du groupe et projetant lindividu vers lextérieure de sa communauté quil ne réintégrerait que par un rite adapté.
Patrick : Parce que la mort physique tout séteint, donc tu nas plus de problème tu sais pas cqui spasse après, que si tu deviens entre guillemet un débile mentale, tes dépendant, tu physiquement pour faire ta toilette, ou plein dchoses de la vie courante. Tes obligé davoir une assistance, cest une souffrance et quelque part tu dois en être conscient de cqui tarrives et tu peux rien faire pour que tout change. Tu peux pas revenir en arrière.
Ne plus pouvoir se fier seulement à soi-même mais dépendre entièrement des valeurs, de la volonté des autres, des normaux conformistes, les conduirait à être réduit à létat de passivité quils ne supporteraient pas. Acteurs et actif dans leur existence et dans leurs critiques acerbes du système social, la perte de leur lucidité mentale les positionnerait dans une non vie, effacé du social, à laquelle ils préfèrent la mort. La mort physiologique et lexistence extrême, à contrario, donnent accès justement à la survie par la gloire, dans la mémoire collective et sociale. Elle permet de ce fait, de conserver une place que la personne handicapée physique ou psychique na plus du fait de son impossibilité à être considéré comme actrice et participante de la société. Cette forme de mise à lécart social recèlerait en elle un principe coercitif implicite sous-tendu par des normes sociétales pouvant considérer les personnes handicapées dun point de vue légal comme des incapables majeurs. Elles se voient donc privées de certains droits fondamentaux comme celui de voter, de gérer elles-mêmes leur argent, leur logement, leur façon de vivre
Lenfermement, quil soit abordé sous langle carcéral ou psychiatrique par les travellers, revêtirait cette même préoccupation dêtre écarté du social, mais par un principe de contrainte révélée dans sa forme la plus repérable, explicite. En effet, la matérialisation de la mise à lécart social se voit explicitée par des lieux clairement définis à cette fonction.
Charlotte et Bruno : Ça y rssemble un peu. (La prison et la psychiatrie).
Charlotte : Tas des barreaux aux fnêtres. Ouais, cest clair que
(
). Soit tes avec des gens comme toi, tu vois, soit avec des gens qui sont trop mals. Et ça tremonte vraiment pas lmoral, pacque toute la journée tes fixée sur ça, en fait. Tu vois que des médcins qui font que dtparler dça, tas des trucs dans les couloirs ça parle que de ça, les gens iparlent entre eux, iparlent que de ça. Tu sors de là, bé, tu parles que dça, tas que ça dans la tête. Jsuis une dépressive euh
, jai envie dmourir, voilà. À force ça rentre dans ta tête puisque tu sais qutu les. Ite disent que tes comme ça, quoi. Donc au bout dun moment, finalment tu finis par le devnir, quoi.
Jon 2008 : Pff ! Lhorreur. Lhorreur. La prison et avec des tarés quoi. Enfin avec des tarés
cest méchant cque jdis là.
Bruno : Le pire. Cest dmenlver ma liberté.
Charlotte : Ouais moi daller en taule moi aussi. L srait ça lpire. Direct jpense à ça quoi, aller en taule, cest ltruc qui mfait lplus peur quoi.
Quil sagisse de lhôpital psychiatrique, cloîtrant des individus pour leur sécurité et celle des autres où des prisons visant à préserver lordre social, cette relégation des individus deviendrait synonyme dappartenance à une classe de sous hommes, ceux qui sont poussés hors de la cité par bannissement et réclusion dans des institutions de types totalitaires : les reclus, les incarcérés, les détenus... La société actuelle comme Spartes entre le Ve et le IIIe siècle avant J.C, perçoit la révolte comme venant de lextérieure, des étrangers, des outsiders quil convient donc déloigner par lenfermement dans notre monde moderne, mais qui à lépoque spartiate étaient tout bonnement exécutés par une armée très hiérarchisée protégeant la cité. Outre la réclusion, ces institutions totalitaires auraient pour fonction la création dune « rupture quelle provoque avec lunivers familier, virtuel ou réel de ses membres. », et pourraient même conduire à une mortification de la personnalité en dépossédant les individus de leurs rôles, de leurs anciens statuts, de leurs effets personnels par le rite de dépouillement à lentrée dans létablissement. Le reclus serait donc défiguré par la perte de ses attributs identitaires que constitueraient ses vêtements, ses objets personnels, mais aussi par certaines sévices corporelles que lui infligeraient ces institutions (traitements médicamenteux chocs, maltraitance, contention, obligation de manger avec des couteaux à bout rond, interdiction davoir des ciseaux
). Lindividu se sentirait alors perpétuellement menacé et violé dans une intimité quil serait obligé dexposer à tous. Comme lévoquent Charlotte ou Jon, le plus angoissant dans ces situations serait le fait de craindre une forme de contamination dautres reclus auxquels ils ne sidentifieraient pas du tout et auxquels ils ne voudraient absolument pas ressembler... Baignant sans cesse dans un univers de folie et de dépression Charlotte a la sensation de se perdre elle-même, de devenir ce que lon lui attribue identitairement, une dépressive, une malade mentale, bref de subir une sorte de dépersonnalisation.
Les situations de travail sont évoquées par ailleurs de la même façon induisant les mêmes types de risque. La gestion du corps, dans des temps bien précis imputés aux institutions gérant la main duvre, semblerait faire écho de la même manière à la dépersonnification et dépersonnalisation des employés pour les travellers.
Bruno : Ben quand même parc que
pour moi cest pas une vie de
jsais pas
le boulot, travailler, lboulot, travailler, lboulot. La vie des gens srésume à ça, hein, malgré tout quoi.
Bruno : Ben
Ben cest le fait de
de
tsais de
euh
slever à huit heure, de tobliger à
jsais pas comment dire ça, quoi. On te euh
tes un robot quoi ! On tprend pour un
Pour une machine, quoi. Pff
Charlotte : Moi cest cque jai sorti à ma mère : « Tu veux qujai une vie comme toi. Que jme fasse chier toute ta vie au boulot. Qujsois malheureuse, et nanan.. » « Non, jpréfére qutu fasses ta vie et puis voilà. Qutu fasses tes choix, mais
» (
). Quand jai commencé à grandir, jai vu ça direct, ça ma fait peur. Jai dit « Ta vie ça mfait peur, jveux pas vous rssembler, quoi. Ça mfait peur vraiment, quoi. »
Jon 2007 : Mort psychique mort perchée, plus rien comprendre à la vie, jen connais des chépers. Jvoudrais pas êt'e comme ça. Jpréfère la mort physique. Mort psychique cest comme une mort physique tu comprends plus rien à la vie et tout, on tparle t mmmm.... tes comme un con. (
). Les mecs i rentrent à lusine à 20 ans iz en rsortent à 60 ans. Vas-y touches ta retraite ! On tredonne ton cerveau en même temps ! Voilà tsais mais, cest tu tfais chier 8 h devant une machine à faire le même truc quoi, .....
Compte tenu de la part fondamentale que les errants accordent à la singularité de leur personnalité, ils prégèreraient la mort physique plus douce à leur yeux.
Lépisode dUlysse et Calypso développé par J.P. Vernant, nous éclaire sur les ressentis des errants face à cette mort sociale. Ulysse en effet, dans sa mise à lécart de la société des hommes par lenlèvement de Calypso, devient un homme de nulle part, privé de remembrance, il na plus de renom. Évanoui dans limperceptible, il a disparu sans notoriété, engendrant lomission de tous ses actes, de son honneur. Partager limmortalité dans les bras de Calypso le plonge alors dans les ténèbres de lamnésie sociale car son immortalité anonyme, comme est anonyme la mort des hommes qui nont pas de destin héroïque et qui forment dans lHadès la masse indistincte des sans noms, des nònumnoi, le plonge dans la nuit dun silence où il demeurera caché à jamais. En ce sens les travellers ne désirent pas atteindre limmortalité, puisque comme nous lavons vu, cest la mort, elle-même, qui confère valeur et vertu à ces personnes. Tout comme pour certains africains, la crainte de la mort pour les errants devient alors bien peu de choses en comparaison de loubli social représentant la mort finale par lomission de ses défunts. Ulysse refusant léternité que lui offre Calypso incarne alors le refus héroïque de limmortalité. Cette perpétuité étant inconnue de tous, donc non célébrée, nest ainsi pas vraiment sienne car conduisant les hommes à oublier ces exploits héroïques. Ulysse alors se lamente sans cesse, vidé de son suc vital, il regrette sa vie de mortel, pensant à Pénélope. Il préfère, tout comme les travellers « (
) sa vie précaire et mortelle, les épreuves, les errances sans cesse recommencées, ce destin de héros dendurance quil faut assumer pour devenir lui-même (
) ».
Suite à la description des représentations errantes sur le thème de la mauvaise mort, voyons maintenant les stratégies que déploieraient cette population spécifique afin dapprivoiser la mort et de diminuer la charge affective qui incombe à tout être humain face à cet événement inexorable.
3. 2. 1. 3. La vie du héros comme gestion de la mort et possibilité déternité.
Comme nous lavons vu, de nombreux parallèles pourraient être fait entre la conception héroïque Grecque de la mort et celle des errants. La dimension héroïque voudrait en effet faire prévaloir la logique du tout ou rien et plus explicitement la logique dune vie extrême dans laquelle le héros se plongerait entièrement, conférant du même coup à la vie et à ses plaisirs une place de choix.
Jon 2008 : Ouais, ben ouais. Quand tu choisis ctvie cest y a pas djuste milieu.
Lacceptation de la mort, le plaidoyer en faveur dune vie brève, intense, lhonneur retranscrit par la défense des valeurs (liberté, jouissance, solidarité
) de la subculture sur lesquelles aucun ne semble transiger, leur serviraient à sauto conférer une valeur sociale relative au groupe dappartenance mais aussi à témoigner dune vaillance, dun courage aux yeux des normaux qui les considèreraient comme des parasites passifs de la société.
Bruno : Faut avoir beaucoup dgueule.(
).
Charlotte : Même si moi jsuis pas comme ça
tes obligée dtfaçon. Cest
ça te
ftorise (Le mot est quasi inaudible cest peut-être : force) et tu ldeviens.
Bruno : Ça trassure.
Deux types de croyances sur la mort paraissent coexister dans le monde travellers sans lien de prime abord avec les conceptions grecques : l'une concevant une vie après la mort et l'autre, représentée comme une mort néant, point final à lexistence biologique et spirituelle. Charlotte faisant référence aux croyances ésotériques du spiritisme, croit ainsi, qu'après la mort certains esprits persisteraient et erreraient dans notre monde des vivants. Il ne s'agirait pas d'une croyance élaborée sur des dogmes religieux mais d'une opinion fabriquée par la réflexion personnelle et la lecture douvrages traitant du retour à la vie après une mort clinique.
Pour Jon, la mort serait un rien. L.V.Thomas souligne que cette idéologie sexpliquerait par une préparation de lindividu à cet événement. Jon réduirait celui-ci à ses justes limites, lattendrait dans lindifférence. Ainsi comme le disait Épicure par cette phrase qui illustre à mon sens la vision de Jon : «Si je suis là, cest quelle nest pas ; quand elle sera là je ny serai plus. ».
Une constante concernant la non-adhésion aux religions semble quasi unanime chez les interviewés, contrairement aux Grecs, population fort dévouée au culte polythéiste.
Il est intéressant de noter que, pour Charlotte, seuls certains hommes seraient élus et resteraient en tant quesprit sur terre, indiquant en partie leur valeur spécifique et leur conférant un statut d'être à part. Qu'il soit état de cette conception ou d'une mort totale, anéantissement de l'être, ces deux stratégies de gestion de la mort mettraient en avant le fait que le trépas permettrait daccéder au statut total de héros, par son affrontement dégageant un caractère individuel louable. Dans son aspect irrémédiable, la mort confèrerait à l'homme soit un statut de mort attaché à l'existence par sa présence encore au monde sous forme d'esprit gazeux, soit un statut particulier de celui qui fut, laissant une trace de son existence précaire par ces actes, par la remémoration collective de ses vertus. Cest cette mort totale qui accorderait un sens glorieux aux pratiques à risque calquées sur le combat héroïque.
Jon 2008 : Euh ouais vu qujcrois pas en dieu
(silence).
Bruno : Voilà. Non jsuis athée, jai pas dcroyance
Jai rien contre ceux qui croyent en queque chose, jveux dire, jai rien cont les croyances mais non, mais y a
dans ma vie, en fait, y a rien qui ma fait voir quyavait un dieu, quy avait
, tu vois cque jveux dire.
Charlotte : Non, moi jcrois pas en dieu ni rien dces trucs là. Par contre, la vie après la mort, quun esprit perdure après sa mort, ça, ça, jen suis plus convaincue, quoi. Jai lu pas mal de truc sur ça, ça ma pas mal intéressée pendant un moment, ça. Et ctruc là, ouais ça jy crois.
Bruno : Moi jy crois pas.
Charlotte : Justement, vu cquon dit dla séparation du corps et dlesprit même si ton corps isen va, jpense que lesprit peut perdurer, certains esprits, quoi. Après jy crois, ouais. Mais jcrois pas en dieu. Toutes les religions pour moi
Jon 2008 : Jvais tdire, honnêtement jespère quy a rien après la mort. Ouais.
La fragilité du corps et son dépassement, additionnés à la mort absolue consacreraient dautant plus de prestige aux errants quils auraient franchi ou frôlé les limites de leurs capacités physiques, psychiques et côtoyé ce dont on ne revient jamais : le trépas.
Jon 2008 : On est tous fragiles. (...). Autant on peut êt fragile au niveau du corps, autant on peut êt fragile mentalement ou y en a qui sont plus émotifs que daut, yen a qui sont plus fragiles que daut et euh
ben tsais cest clair.
Tristana : Même si tu dis j gère, j contrôle, en fait est cque tu gères vraiment, est-cqu tu contrôles vraiment ? Cest la grosse question quoi.
Jon : Ben écoute quoi, est-ce que tu crois qutu contrôles ta vie ? (...). Voilà. On pense la contrôler mais y a toujours un truc qui fait que non.
Cette vulnérabilité corporelle et cet absolu des représentations de la mort semblent dessiner les pourtours dune arène où les conduites à risque pourraient divulguer toute leur expressivité. Les pratiques risquées se déroulant en présence de spectateurs, se verraient renforcées dans leur aspect glorifiant, de remémoration et donc pourvoiraient à une forme dimmortalité sociale.
Bien que certains semblent ne pas croire au destin, ils admettent, tout de même, que la vie est faite en partie de hasard lui conférant sa saveur, mais aussi de responsabilités individuelles inhérentes aux choix de chacun. La prise en compte de l'imprévu témoignerait de la conscience quauraient les travellers dêtre peu de chose dans lunivers global, mais la lutte, le courage et la force offriraient l'opportunité de dépasser cette passivité, pour devenir un Homme respectable et acteur. Cette oscillation entre ces deux points de vue permettrait aux errants de valoriser leur aréte individuel en dépassant justement la fragilité physiologique et en décidant en pleine conscience ce qui serait bon de faire. Pour Jon, le destin nexisterait pas car il renverrait à une inertie, une impuissanciation de la vie laissant de côté le libre-arbitre de chacun. Bien quil ne se range pas à lidée dun contrôle possible de lexistence, il ne considère pas les événements comme étant écrits davance. Il envisagerait donc la vie comme une interaction entre des situations dérivées de choix individuels et des coïncidences fondées sur laspect aventurier propre à lexistence elle-même.
Tristana : Comment tu vois ça ldestin ? Comment tu pourrais lexpliquer ? Ça cest des questions un peu plus dures.
Charlotte : Ouais, là
. ? Cest philosophe.
Bruno : Comment jpourrais lexpliquer. Hein
aide moi !
Charlotte : Non, non (en le narguant).
Bruno : Euh
comment jpourrais
(au moins 1mn30 de silence, il réfléchit) jsais pas jle vois comme une chose euh
Charlotte : En gros que tout est écrit, ou le hasard, quoi.
Bruno : Jpense que voilà, cest le has
qucest dû euh
en fonction dta vie aussi qu tu mènes.
Charlotte : Tes choix, quand même.
Bruno : Tes choix. Cest en fonction dcertains choix qutas fait dans ta vie qui vont faire que, ben
qutu prendras cte route ou celle là, tu vois cque jveux dire. (...). Y a un moment donné tu vas arriver à une intersection, et tu vas tdire cest soit ça ou soit ça. (...).
Charlotte : Le destin isfait sûrement en fonction d'tes choix, mais y a une part de hasard aussi.
Jon 2008 : Y a rien qui décide. Cest toi qui décides mais euh... Cqui va s pass
mais euh
Cest quoi ldestin, cest quoi ldestin, cest quoi ldestin pour toi ?
Tout comme les Grecs qui se représentaient la vie comme étant le fait de leurs actions mais aussi des interventions divines, les travellers opteraient pour une vision médiane entre libre-arbitre et aléas de la vie. Cette lutte par corps pour défendre les valeurs communautaires relèverait par ailleurs dun combat contre la précarité corporelle humaine, lié à une conception dune corporéité idéale, transcrivant leurs mérites. Voulant dépasser ce sous-corps, sa mise à l'épreuve permettrait de ce fait de s'approcher plus en avant dune idéalité corporelle, dune idéalité de soi, de sa personnalité donc de sa propre valeur intrinsèque.
Bien que nétant pas vraiment sensibles aux injonctions de jeunisme ambiant, les errants ne se projetteraient pas dans la vieillesse. Ils ne la percevraient pas comme un obstacle au caractère producteur du corps prescrit à tous les membres de notre société. Dune part, ils considèrent que leur mode de vie mettra inévitablement un terme à leur existence en pleine jeunesse, dautre part, ils ne simaginent pas continuer à vivre de façon extrême en étant âgés (le corps trop fatigué ne suivant pas). Donc considérant ces deux aspects, ils préfèreraient mourir jeunes que de devoir renoncer à la jouissance par lextrême.
Charlotte : Jai pas non plus envie de mourir vieille non plus, quoi, donc cest... Quand jen aurai assez profité, quand jestimrai que voilà, jaurai tout vu, tout fait, tout cque jveux moi, je pense que ça servirait à rien que jreste. Dans une maison dretraite, quoi par exemple.Ouais, ouais. Jveux en profiter à fond tant qujsuis jeune. Avant de plus pouvoir, justement et avant ddevoir me
dêt contrainte pacque jaurai plus la patate. Jme dis dans 20 ans,jpourrai plus avoir cmode de vie pacque je
jaurai plus la force physique aussi.
Clara : Ça me dirait pas dattendre la fin bien.(
). Jai toujours dis que jmourerais dune OD, je lsentirai pas venir, ça fait pas mal, comme ça jpartirai dans une perche, jaime la drogue donc jai envie de mourir avec. Moi 40 ,50 ans cest fini.
Jon 2007 : Vivre vite et mourir jeune.
Jon 2008 : Toutfaçon jpense pas non plus, vu la vie quje mène, jpense pas vivre vieux, tu vois euh... cest clair. Ouais à sdéfoncer, à boire tous les jours
euh..voilà jsuis encore là
(...). Profiter au maximum. Profiter au maximum.
Tout comme le héros Grec, la vieillesse serait synonyme dune vie rangée sans saveur, qui sopposerait à la gloire, aux idéaux dérivés de la vie extrême. La sénescence synonyme de dépendance, dennui contrasterait avec les valeurs dintensité, de liberté, dautonomie et de jouissance des Travellers. Par la vie intense interrompue demblée, sans amorce de décrépitude visible, fixant le corps dans sa puissance, sa totalité et son éternité imaginaire, les errants neutraliseraient la mort. En mourrant de ce quils définissent comme une belle mort en opposition avec la belle mort des normaux, celle de la vieillesse, les toxicomanes pourraient prendre une place au-dessus de celle de lhomme ordinaire, mouton dune société qui lui dicterait jusque dans sa mort ce quil serait bon de faire. Par la connaissance et lacceptation de la mort, ils la désamorceraient tout en ayant conscience de l'inutilité de cette lutte, mais dans cette défaite inexorable, la gloire, la puissance et la force, formant une sorte daretè rejailliraient et se figeraient par la promptitude dune mort survenant dans lacmé de la jeunesse. Contrant tous les présupposés qui voient dans ces pratiques une forme suicidaire ou dautodestruction, ce serait avant tout une mort dans la vie, une mort pour la vie que les errants revendiqueraient. Tout en étant une réponse au déclin de la vieillesse et de la mort, cet idéal du mourir offrirait laccès à la singularité en échappant par le choc de la violence de ces morts (overdose, accident, bagarre
) à lanonymat grâce aux souvenirs si macabres soient-ils. Les errants autant que les héros grecs ou les sociétés guerrières archaïques privilégieraient donc une mort jeune mais choisie, en opposition avec la représentation de la mort actuelle faite de vieillesse, de passivité et de dépossession par des institutions prévues à cet effet qui les mèneraient à perdre au fil des ans leur statut si particulier. A cette fin calme et sans encombre, les travellers favorisent les départs en fracas, retentissant dans la mémoire et les affects, les élevant au rang dimmortel consacré.
Les conduites à risque semblablement, à la joute héroïque, viseraient à préserver l'honneur de soi et des siens, la culture, la communauté, dans une dialectique articulant un regard interne de soi-même et un regard externe, social. Ne pourrait être brave et glorieux que le combattant ayant reçu lassentiment des siens et ayant provoqué chez les autres, les ennemis, de la crainte, de leffroi, de lincompréhension, marquant du coup latypisme de son attitude, laltérité de sa personnalité. Ainsi pointé dans sa singularité par la reconnaissance dune part de son groupe de pairs et par la stigmatisation des normaux dautre part, lerrant refuserait de sinscrire dans un statut préformé socialement, il voudrait et tenterait dacquérir un statut individualisé spécifique à son être quil se construirait lui-même. Par une mort féconde, transcendant son être, le grandissant, les errants exalte la condition humaine « reconna(isssent) le prix de la vie dans la mesure où (ils) (...)(sont) prêt(s) à la risquer. ». Cette mort féconde se risque pour des valeurs civiques, révolutionnaires, bafouées et pour sa propre valeur dhomme, sa dignité afin de ne pas se renier soi-même. Ces valeurs, fondement de lindividu, sont alors reconnues comme supérieures à la vie, elles sont immortelles et surpassent le trépas lui-même qui se trouve ainsi négligé.
Patrick : Est-ce que cest pas la roulette russe? Tu vois on va tenter, ça passe ou ça casse. Par moments, cest passé mais avec de graves conséquences mais cest pas un truc que je renouvelle. Pour saffirmer, pour se sentir fort, je la mets devant moi cest elle ou cest moi, cest un défi quelque part quon se lance, mais avec le recul jme dis que cest un défi et sur le moment on pense pas à ça, on se dit basta et ouf!
Les cérémonies funéraires, elles aussi très personnalisées dans limaginaire des errants, témoigneraient du désir de conserver une place dans la mémoire collective. Lincinération telle quévoquée par Jon se rapprocherait des solennités du héros Grec. En effet, il désirerait que cette crémation puisse lui permettre de se relier à ses ancêtres par la dispersion de ses cendres dans des lieux affectifs familiaux et relatifs à sa subculturerendant ainsi hommage par sa mort aux deux filiations de ses deux vies (la vie chez ses grands parents qui représentent des autruis significatifs, et les travellers étant des pourvoyeurs dorientation) et de conserver par ce fait une place sociale. Ces rites mortuaires seraient donc une assimilation, une civilisation de la mort, une politique du trépas instaurant ces règles spécifiques. Par le désir de commémoration par des fêtes se déroulant lors de son incinération et lors de ses dates danniversaires, Jon souhaiterait comme les héros grecs une remémoration de son nom, de ses actes, de sa personnalité transcendant ainsi les générations de Travellers. Ces actes serviraient à entretenir un lien, une racine pour la communauté comme en Inde et, au même moment, à perpétuer des valeurs mondaines (jouissance, extrême, liberté, solidarité) et des pratiques inhérentes à son groupe (défonce, entraide, opposition sociale).
Clara, elle, souhaiterait être cueillie par la mort dans lapogée de sa beauté. Lintégrité physique paraît être fort importante comme relevant dune sorte de kalokagathia. La vénusté ne serait que le miroir de la splendeur de lesprit et de la personnalité. En ce sens, elle voudrait fixer son éclat par une mort prématurée afin de laisser une image delle-même suffisamment bonne.
Clara : Jai pas envie que les gens izaient une image de moi dans le cercueil toute moche, toute ridée. Je veux qui voient une jolie jeune fille, trés belle.
La musique, la consommation de stupéfiants, la convivialité de la fête alliée à la jouissance soulevées par Clara et Jon, seraient une retranscription actuelle des louanges, chants poétiques des Grecs, servant de témoin permanent de leur identité singulière, de substitut corporel exprimant la valeur de leur vie et les immortalisant dans une certaine gloire. La subculture ici, par ses valeurs de fraternité, de vie extrême, aurait le pouvoir de conférer le statut de « beau mort » et permettrait au héros errant de demeurer dans le temps après sa mort.
Jon 2008 : Quon mincinère, quon metun tiers de mes cendres dans lJura, dans les montagne du Jura, un tiers de mes cendres sur une plage dans les Landes, et un tiers de mes cendres dans une putain dteuf de balle. (
). Parce que jai grandi dans lJura, ma grand mère... jpassais mes vacances chez ma grand mère dans les Landes, et puis ben, la teuf
euh
jaime bien faire la teuf donc euh
voilà. (
). Tte façon, jnai
nimporte quel pote qu' tu vois
quand jmourrai, tfaçon, jpense qumes potes y gard'ront en mémoire « Cétait un sacré gars, un bon gars, et on loubliera pas. » (
). Moi jsais quy a des gens tu vois y penseront toujours à moi quoi. Ça cest clair, voilà. (
). Ah, ouais, non jsais que
voilà y aura toujours des discussions par rapport à moi : « Jon il est plus là tout ça. Il est plus là aujourdhui, cest son anniversaire, aller on sbourre la gueule, on prend des extas. » (
). Ah ouais !Ah ben ouais ! Je veux pas que tu vois euh
même euh... même pour mon anniversaire qui fassent la fête, qui sbourre la gueule pour moi, foncedé la gueule tu vois, tu vois en rigolant pas en pleurant. Je voudrais pas les voir tristes tu vois. Moi, jespère quvoilà euh
Jsais qui vont pleurer tu vois mais
mais jespère quaprès voilà i front la fête en pensant à moi.
Jon 2007 : Jaimerais bien laisser quelque chose derrière moi.
Ces fêtes, autour de sa disparition, induiraient une proximité des morts et des vivants que lon tente pourtant déviter actuellement. Elles découleraient dune création stratégique, parade à la crainte de la mort, alimentée par une pensée naturaliste. Ces réjouissances ne sont pas sans similitude avec celles de lépoque moyenâgeuse où lamoncellement de crânes et de squelettes décoraient les pourtours des églises, où la population nhésitait pas à ripailler, danser, parmi les défunts (mais sans la dimension du péché quincarnait la décomposition cadavérique).
La vraie mort, pour eux, serait alors celle de loubli total, de labsence de renom, de singularité de ne pas avoir marqué leur passage terrestre. Cest peut-être en cela que les errants refuseraient dintégrer la société, de sanonymer jusque dans un traitement mortuaire fait daseptisation, géré par les institutions comme un événement perturbant. Les cendres volant dans les airs seraient alors le symbole dune dissémination de leur personnalité laissant une trace sur le monde, une autre façon dêtre au monde bien plus réelle que celle issue de lintégration socioéconomique.
Nest-ce pas justement, cette décision du comment et quand mourir, clairement définie, assumés, voire même revendiqués dans sa dimension dindépendance face aux attentes sociétales que les normaux ressentiraient avec une certaine brutalité ? Enclins à vouloir échapper ou du moins oublier la mort, les individus ordinaires se trouveraient face à une autre gestion de la mort pointant pourtant les mêmes buts : la gestion du mourir et le désir déternité, mais sous des traductions divergentes et inintelligibles pour eux.
3. 2. 2. La mort, un bon argument pour attirer lattention.
Le choix de telles pratiques corporelles faisant entrer la mort en jeu nest à mon sens pas anodin. Sil est vrai que les errants nont peut-être pas totalement conscience de limplication de leurs conduites à risque en tant que provocation sociale, ils auraient apparemment une vision de ce que la mort évoque chez les normaux.
Jon 2008 : Parce qui' zont peur justement. Tu penses pas parce que tas peur. Ben ouais, moi jpense pas tu vois, tu meurs ton esprit i part dans lparadis et tout, ça cest les gens pour srassurer parce quils veulent surtout pas quy ait rien après la mort quoi. Tu vois y zont vu qules gens izont peur dla mort iveulent absolument êt' sûrs tu vois, y a après une continuité. Alors i zont peur daller en enfer mais iveulent surtout aller aux paradis tu vois.
Du fait de leur appartenance antérieure au système classique ils savent que ces derniers la craignent et désirent limmortalité ; tandis queux-mêmes issus dun système revendiquant la non accumulation de biens matériels, soumis à la violence au quotidien, donc à la rencontre peutêtre plus habituelle de la mort, y penseraient fréquemment et ne la percevraient pas comme un trauma. Le stigmate nétant parvenu que tardivement, les normes et valeurs sociétales ont été largement acquises. Étant conscients ou du moins pressentant que la mort par les normaux est avant tout réelle et subie, donc individuelle et individualisante, manquant de rite de mise à mort symbolique, les errants vont alors heurter cette loi dans une tentative de maîtrise. Les conduites à risque serviraient alors à conférer un but, un fondement, une fonction à la mort, bref à rétablir sa charge symbolique. « Lexclu véritable cadavre social » soulignerait le refoulement de la mort comme nouvelle gestion, se traduisant par une déritualisation, une désymbolisation quincarneraient aussi bien la prolifération des conduites funéraires, que ladministration du mourir par les institutions tenues dassurer la sécurité de ses membres dans un devoir du non mourir. La mort devenue obscène, scandaleuse, que lon chercherait à dépasser par la science deviendrait ainsi un terrain de prédilection pour la contestation sociale. En interrogeant donc sa charge symbolique qui permettrait de donner un sens à la vie, de régénérer le groupe par sa renaissance symbolique socialement jouée et donc de parer à linévitabilité de la mort physique, les errants révéleraient aux yeux de tous, notre incapacité à tisser du lien, du sens dans notre social.
Le choc opposant normaux et travellers sexpliquerait aussi par le fait que la mort de lautre est la seule approche possible de sa propre mort. Voyant des individus se délabrer et arborer un corps en dynamique de dégradation, les personnes ordinaires apprendraient alors de leur propre trépasdevenant ainsi un peu le leur ils intérioriseraient, conscientiseraient leur mourir et leur devoir mourir. « Cest la mort dautrui qui fait vivre la menace du dehors au dedans ». De plus, les travellers se révélant être des individus jeunes, le mourir affiché en tant quinéluctabilité par leur corps, apparaîtrait comme dramatique, chosifiant et mettant un terme à toutes les espérances quincarne la jeunesse.
Si daprès L.V. Thomas le suicide servirait de moyen de communication, de destruction du personnage social et datteinte à la société, ne peut-on pas entendre les conduites à risque de la même façon ? En effet, comme nous lavons vu précédemment les errants recréent une identité, cherchent à échapper à leur ancien personnage social et à celui de stigmatisé par moment en sopposant idéologiquement au système social et à ses valeurs. En sagressant eux-même, nagressent-ils pas la société en se servant de la notion de respect de la personne quils bafoueraient incessamment par leurs pratiques à risque ?
Pour la société, cette auto-agression serait un affront envers les proches de lindividu concerné, une offense à la société qui a investi dans la formation de ses sujets. Mais, ne serait-ce pas, non plus, une manière doutrepasser ses droits en dépossédant le système de sa seule légitimité à pouvoir déterminer les règles qui régissent la mort et à la donner, en exacerbant la notion de libre-arbitre ? Ce serait donc une remise en cause tout entière des fondements sociaux et un rappel de la mort comme étant notre lot à tous qui se joueraient dans ces pratiques extrêmes du corps.
Le caractère exogène de la mort perçu comme une agression du dehors que la société finirait par interdire, serait à contrario revendiqué par les travellers mais dans son inéluctabilité et sa fatalité. Plébiscitant, justement, le naturalisme du trépas et mettant en cause la notion de progrès positif, les errants sopposeraient encore une fois aux normaux et à la toute puissance supposée de nos sociétés techniciennes.
Les notionsdautonomie, de jouissance sur lesquelles ils ne veulent pas transiger au prix même de leur vie, pourraient se justifier dans lapproche même quils ont de la mort et de la vie, ainsi que dans le lien les unissant. Comme la vie est synonyme déclate, dextrême, dhédonisme, dépicurisme dans son sens le plus total, lexistence se définirait donc en rapport à la mort, au néantune vie pleine à en déborder face au gouffre dune mort vide et apaisée. Cet abîme par sa teneur symbolique de fin irrémédiable acceptée, pousserait ces individus à profiter de tous les plaisirs quoffre le monde des vivants. Par conséquent, sils consentaient à la non-mort, par la quête dune éternité physiologique, leur existence se transformerait en une non-vie détachée de tout intérêt par lévacuation de toute la charge intense que recèle leur symbolique de la mort. Cest cette dialectique complexe vie /mort qui conférerait un sens à ces deux entités par une dynamique de réciprocité.
Jon 2008 : Ben, ouais voilà la vie cest dure, mais elle est belle quand même. La vie cest dure tu souffres, tu pleures, tu rigoles, tas des joies, tas des peines et ça vaut la peine dêt vécue.
Tristana : Jpense qulfait dte mettre dans des situations où tu risques ta peau ça renforce cette idée là qula vie elle est chouette ?
Jon : Ouais.Ouais. Complètement. Complètement.
Ainsi, leur rapport à la mort se rapproche plus de celui des Grecs que de nos conceptions actuelles, par la construction de lidéalité de la vie adoucissant celle de la mort. Sadjoignant à cette composition, la mort elle-même pourvoirait au sens et à la valeur de la vie. Ces deux phénomènes seraient alors intimement imbriqués, regroupés dans un seul processus celui de vie, alors que pour nous, membres dune société technicienne, la mort serait une perte que rien ne pourrait combler, une activité interne à lhomme manquant dinstitutionnalisation. Réalisant une coupure nette Mort/ Vie, dans une relation antinomique, les errants à travers leur vision de complémentarité du mourant et du vivant se placeraient et se trouveraient classés comme déviants dans une société assurant le primat de la vie. La mort évoluerait donc, au rythme de nos objectifs sociétaux de rentabilité, defficacité et deviendrait un problème de management. Les travellers développant des valeurs inverses à celles-ci, vont donc pouvoir utiliser la mort comme bannière protestataire, indiquant sa désocialisation, sa désolidarisation menant à une professionnalisation voire une bureaucratisation de sa gestion.
De même la violence de la mort que les errants exposeraient sans retenue, semble percuter la mort douce, don de soi en toute sérénité que préconiseraient les idéaux Chrétiens. Pour les normaux cette brutalité sopposerait à la mort naturelle par vieillesse et serait par conséquent suspecte (crime, accident, suicide). Or, toute mort est violence, nécessitant une construction symbolique pour ladoucir. De nos jours, la stratégie employée pour évacuer la crainte quelle suscite, relèverait de lisolation des morts et des mourants dans des institutions prévues à cet effet permettant lévitement de la contamination de cette violence. On décède donc en cachette, on efface le trépas sous les traits de la maladie dont on sobstine à guérir. Cependant, on ne guérit pas de la mort. La discrétion devient la forme moderne de la dignité mortuaire. Cest donc une mort escamotée qui devient la mort convenable. Sérigeant contre cela, les travellers ne désireraient pas décéder loin des vivants mais avec eux, en conservant par la suite une place de choix dans la mémoire collective. On note par conséquent ici un réel contraste entre dune part des normaux qui éloigneraient les morts des vivants pour gérer leur peur et des errants optant pour la cohabitation de ces deux états. Par ce fait, la monstration dun corps sous psychotropes décrépit décadent, ne dérangerait pas les travellers, mais en revanche choquerait les normaux soumis au devoir de retenue et de dissimulation de toutes formes de violence corporelle recelant en leur sein un caractère morbide.
Charlotte : Pacque nous on est des arrachés, on le montre, eux ils le montrent pas.
À lopposé du nos desiderata contemporains de jeunisme, de conservation du corps dans sa forme la plus performante traitant le corps comme une machine sur laquelle on interviendrait sans remords, en changeant les pièces défaillantes, les errants eux, bien que ne voulant pas décéder vieux, envisageraient le corps comme fragile, leur rappelant la fugacité de lexistence.
Jon 2008 : On est tous fragiles. (...). Autant on peut êt fragile au niveau du corps, autant on peut êt fragile mentalement ou y en a qui sont plus émotifs que daut, yen a qui sont plus fragiles que daut et euh
ben tsais cest clair.
Tristana : Même si tu dis j gère, j contrôle, en fait est cque tu gères vraiment, est-cqu tu contrôles vraiment ? Cest la grosse question quoi.
Jon : Ben écoute quoi, est-ce que tu crois qutu contrôles ta vie ? (...). Voilà. On pense la contrôler mais y a toujours un truc qui fait que non.
La mort serait donc comme en Grèce archaïque, non pas le terme de la vie, elle y serait inscrite et se manifesterait dans le corps comme témoin de sa précarité. Elle serait alors naturelle et non une aberration telle que nous pouvons limaginer. Ce caractère naturel contrairement au moyen age pousserait les errants à jouir de tout, à se détacher du matériel, à accepter la mort de lautre non sans douleur mais par une stratégie damadouement.
Passe-muraille : Si jarrive à sauter un immeuble de 9 mètre et à rien mpéter pas être mort, jtrouve quça gère. Franchement la mort jen ai pas peur, cest pas grave faut y passer un jour ou lautre. On a quune vie faut en profiter un maximum. Et en même temps tu tfais buter par un car tant pis on va tous y passer. Cest pas toi quà choisi. Dune overdose jmen fous, dune bagarre jmen fous, me faire écraser jmen fous ! Mon père une fois y mavait dit « Sois différent des autres ! » et moi jai dans cqui la dit, jai compris soit différents des autres, des autres qui travaillent. Pourquoi jtravaillerais si eux y travaillent
Tristana : Mais taimerais toi la contrôler si cétait possible on va dire ? Si tavais la super baguette magique.
Jon 2008 : Non. Parce quy aurait pas dsurprise. Cest laventure.
Ah cest ça cest ladrénaline qui suit
A contrario des valeurs de contrôles déversées sans cesse dans tous les domaines sociaux comme relevant dune qualité personnelle, les errants eux, préfèrent limprévisible qui les pousse à se mesurer à eux-mêmes, à faire preuve de valeur héroïque. Laventure, quelle soit intérieure grâce aux drogues ou externe par la pratique dactions à risque, est toujours source de plaisir. Lintensité émotionnelle qui se dégage dans linattendu et pousse le traveller à sadapter, à trouver des stratégies de gestion ne fait que conforter son estime de lui-même. Percutant lidée sociale que nos institutions pourvoient à notre sécurité, et nous protégent de toute peine en réglementant le jeu social des émotions en vue de faire primer le survivant sur le mourrant, les travellers par le goût du risque nous indiqueraient une nouvelle fois que la mort est la vie, quil sagit dune seul et même processus contre lequel il ne sert à rien de lutter mais quil faudrait accepter, faire sien
CONCLUSION : Une alerte au sens.
Durant ce travail de recherche, je nai eu de cesse de me demander pourquoi les errants, des individus sommes toute relativement courtois, déchaînaient tant de passions sur le plan politique, humain ? Cette préoccupation sest même vue relayer par la création dune interdiction municipale légale sur le rassemblement dans la rue, proscrivant tout regroupement (de deux personnes et plus) au début des années 2002-2003. Même mon entourage ne cessait de me questionner sur cette population qui le s inquiétait et générait dautre part une sorte de rejet. Agacés par leurs demandes dargent perpétuelles, culpabilisant de ne pouvoir donner à tous et au même moment relevant les incohérences idéologiques dindividus désirant vivre hors société et bénéficiant aussi de laide de celle-ci, les discussions avec mes proches furent quelques fois houleuses. Et le plus étrange dans tout cela, est le fait que len sattaquant à eux, moi-même je me sentais dévalorisée scientifiquement, comme si le sujet traité navait aucune légitimité. Sintéresser à des accusateurs dune société qui en profitaient par ailleurs, à quoi bon ? Je me retrouvais face à ce quun de mes formateurs dIRTS avait évoqué le mythe du mauvais pauvre, vil et exploiteur des sentiments de compassion des bonnes gens. Comment faire alors pour se dégager dun militantisme réactif à toutes ces remarques ?
Réfléchissant sans cesse aux propos de P. Bourdieu, J.C Chamboredon, J.C Passeron à ce sujet, jai donc tenté et jespère en partie avoir réussi à me dégager de cette pression. Écrire un essai pro errants naurait en effet, rien arrangé à leur stigmatisation, ni à leurs difficultés.
En outre, il est intéressant de noter que lorsque que lon cherche à étudier une population mettant en jeu son corps dans une relation à la mort, les individus ordinaires ne peuvent quêtre interpellés dans leur for intérieur. Quoi de plus viscéral dailleurs que la corporéité, la mort ? Chacun renvoyé à sa propre façon de gérer ce corps, ce corps obnubilant les contenus médiatiques et donc les acteurs sociaux, chacun mis face à sa crainte de mourir dont on ne parle que rarement, lerrant se pose en trouble fête ; troublions dune vie que lon veut pacifier, dun corps que lon tente de contrôler dans sa forme, son apparence et sa jeunesse, dune mort que lon voudrait voir disparaître. Les travellers sont là, non pour nous aider à comprendre notre propre rapport à ces deux phénomènes que sont la mort et le corps, mais pour nous questionner sur le sens même de nos normes, de nos valeurs de vie.
Faut-il vivre en sécurisant tout, au risque de ne plus vivre ? Où situer la mort ? Quelle place donner au corps ? Peut-on disposer de celui-ci à notre guise ? Sommes-nous réellement libre ? Que faire de cette frange marginalisée qui repousse ardemment toute insertion sociale et refuse de participer comme nous lentendons à notre société ? Sont-ils agis ou acteurs de leurs parcours et de leur mode de vie ? Et sils sont acteurs sont-ils, par conséquent, responsables de leur précarité ? Voilà les questions que les errants projettent à nos yeux dans une brutalité dérangeante.
Ce corps technicisé, perfectible et donc imparfait, contrôlé, maîtrisé, se révèle être étendard des plus pertinents en tant que voix de protestation sociale. La société voulant éliminer le corps, les pratiques à risque des errants sont un détournement de son ordre. En tablant sur la mort et le corps, les conduites à risque jouent avec eux, grâce à eux dans une tentative de singularisation, de résistance sociale et en même temps contribuent fortement à leur stigmatisation. « (La prise de risque) ne procède pas dun hygiénisme pacificateur (elle) est violence. (Elle) nest pas disparition dun corps invivable, mais monstration de soi jusquà l'indécence du cadavre. ». Cadavre provocateur qui se heurte à un corps socialement lisse, formé, jeune ; arme dun conflit social et entrave à une gestion de la mort par la quête dune immortalité physiologique qui ne pourrait donner sens à ce que les travellers définissent comme la vrai vie. Cest avec un corps, outil de jouissance, de liberté, de connaissance de soi, un corps monstrateur didéologies, extension de leurs personnalités, alarme et protecteur face à un esprit avide de sensations, un corps qui permet encore une distanciation face à un monde que les errants ne veulent pas faire leur et qui ne les a pas adopté, un corps qui donne tout simplement une consistance visuelle aux yeux de tous, que les travellers tentent de faire face à lautocontrôle plébiscité et dépossèdent lÉtat de sa légitimité à administrer les corps et la violence.
Lapprentissage des pratiques à risque serait engendré par des interactions et linscription de plus en plus profonde dans un mode de vie déviant issu du processus détiquetage social et dauto assignation. Catégorisés comme dangereux déviants, les errants cessent alors aux yeux des normaux dêtre des hommes pour devenir des inférieurs. Quand les stigmates permettent aux normaux de se prémunir contre les indésirables en les repérant, les indésirables sils désirent rester acteurs ne disposent que du corps pour sexprimer en le détourant de sa fonction de catégorisation initiale. En utilisant ce corps stigmatisé comme porte-parole de revendications sociales, lerrant résiste, résiste de toutes ses forces à lautocontrôle et à la coercition. Poussant la liberté à son paroxysme, lerrant ne cesse dinterroger les valeurs républicaines et la légitimité politique de notre société plébiscitant lautonomie, la liberté dentreprise, la réussite au mérite tout en conservant encore sous certains aspects les traits dun état providence dans sa seule fonction coercitive.
PAGE 78La déviance devenue une identité sociale, va produire de nombreuses tensions internes chez lerrant qui grâce à une idéologie, une politisation de la question va pouvoir les réduire par la création dun groupe dentraide dont les membres vivent les mêmes souffrances. Découlant de cette formation groupale, une culture de substitution « la culture underground » va alors voir le jour. Les attributs de cette culture vont donc permettre aux errants de privilégier les interactions seulement avec leurs semblables, se bornant à des relations utilitaristes avec les normaux. Par une attribution catégorielle, des marqueurs corporels différenciateurs eux/nous, les frontières entre normaux et travellers vont alors se constituer, générant la création dune subculturalité qui guidera les actions, les valeurs, les normes et les règles de cette communauté. Par la création dune histoire commune, dune filiation fictionnelle par le changement de nom que tous opèrent en adhérant à ce mouvement, cette subculturalité va se consolider.
Les errants, ne parvenant pas à se faire entendre par des interactions ordinaires, reste la provocation des limites de la mort par le corps, seule façon de communiquer, seule façon de se faire une place, de réexister socialement, de résister. « Lexistence de cette mort constitue une sortie hors dun processus destructeur, elle devient la forme extrême dun rapport social ». Les errants ne craignent pas la mort, elle est naturelle partie intégrante du processus de vie, tout comme la violence, ce sont elles qui donnent corps à lexistence dans toute son intensité et sa beauté. Pour les risqueurs, cest dans la vie que la mort arrive, pour vivre. Ces expériences dérangent en ce quelles font entrer la mort dans la vie ; Pire, elles signifient que la mort est la vie, au lieu dune séparation classifiant la fin comme aboutissement de la vie. Cest la mort qui témoigne dun état ultérieur de vie, et non la vie comme passage vers et dans la mort. Même si la souffrance nest pas recherchée à travers les comportements à risque, elle est intégrée à la vie elle-même des errants et cest peut-être cela qui rend si inacceptable à nos yeux de telles pratiques.
Le combat corporel quotidien serait une façon de gérer la mort, une forme dimmortalité contenue dans la mémoire collective intra-groupale qui évincerait loubli représentant la mort dans ce qu'elle recèle de plus atroce. Les errants ont en effet peur de linvisibilité, de limpuissanciation sociale plus que tout autre chose. En cela la mort et la violence de leurs pratiques à risque permettraient dy résister par une valorisation de leur arète contenue dans la position dacteur quils ont choisie. Cest donc la mort sociale apparentée à ladoption dun mode de vie ordinaire, à des façons dêtres et de penser usuelles, à la dépossession de son corps et de son esprit quils cherchent à vaincre comme le héros grec, quitte à en payer le prix fort : celui de la mort physique. En adéquation avec le fonctionnement héroïque, les errants tentent coûte que coûte de préserver leur singularité, leur être au monde, leur personnalité.
Les conduites à risque seraient un refus de mal vivre, un moyen de se raccrocher à lexistence, une opposition à une vie conformiste quils ne veulent pas vivre. Vivre oui, mais pas dans une non-vie. Ressentant leurs vies comme méconnues, niées par la stigmatisation et lidentification de ces pratiques à celles de malades mentaux, ils montrent quils existent jusque-là, jusque dans la mort et à travers elle.
Les prises de risque signent un détraquement, qui nest pas le fait dun groupe mais du social dans une visée dalerte à la perte de sens sociétal. Le frôlement de la mort alors est un acte qui met en question lordre communautaire, labsence de signification octroyée à la finitude et la quête insensée dune forme damortalité. P. Baudry explique que cest limpuissanciation pesant sur les individus, due à une situation sociétale a-conflictuelle, qui les pousse à adopter des actes provocateurs, extrêmes, brutaux, pour signifier la volonté dêtre au monde. Ils questionneraient alors le lien social en rappelant que cest la ritualisation de la mort et de la violence qui construit la vie sociale.
Par ailleurs, les travellers ne soulignent-ils pas à travers leurs conduites à risque limpasse idéologique dans laquelle nous semblons nous trouver ? Ni innovation, ni vision à long terme, le système politique paraît ronronner en labsence de nouvelles utopies. Cette jeunesse pourtant proche des hippies de 70 dans ses valeurs anti-consuméristes, de jouissances et de liberté, se démarque par son approche nihiliste, défaitiste de lavenir. Les conduites à risque seraient-elles alors une révolte politique par le corps ? Et si cela savérait exacte, est-ellle conscientisée par les acteurs ? On peut alors se demander si cet épicurisme outrancier et extrême ne signalerait pas limpossibilité à vivre dans de telles conditions. De toute évidence quitte à survivre dans un système se précarisant et ne donnant pas accès aux biens de consommation promis synonyme de bonheur, autant brûler ses ailes dans une existence certes fort dangereuse mais qui octroie tout de même de nombreux plaisirs.
Les pratiques à risque questionneraient donc le manque de ritualité de notre société, de sens, de projets politiques, de liens sociaux, seraient révélatrices dune lutte contre lexclusion, « dun refus de se laisser impuissanter », dun rejet du non-conflit menant à une homogénéisation des êtres empêchant toute innovation conceptuelle.
En concluant sur ces constatations et ces interprétations, je ne prétends pas avoir compris les conduites à risque dans toute la complexité de leurs fonctions sociales, ni avoir réussi à décrypter de façon exhaustive les représentations de la mort et du corps quelles induisent. Jespère juste avoir pu donner une vision différente de cette problématique, détachée des conceptions individualisantes et déterministes.
Cette approche, en effet, mériterait comme je lai évoquée dans le chapitre II, une triangulation méthodologique par une observation participante mais aussi une analyse plus poussée du contexte macrosiocial ( changement structuraux de la société française, législation, évolution de la vision de la jeunesse, etc.) et de son influence interactionnelle. De plus, lanalyse comparative menée entre représentations des errants et des normaux ne me paraît pas assez satisfaisante ainsi que mes investigations sur le corps et la mort quil faudrait parfaire. Il me semble par ailleurs, quune comparaison qualitative Européenne, voire internationale des pratiques à risque derrants issus de pays différents savérerait nécessaire par la suite afin de nous éclairer sur la véracité de leur fonction politique. Si, dans dautres territoires ces conduites se produisaient avec évidemment un contexte historique, juridique et culturel divergent, trouver des similarités, des différences de représentations, dinteractions, de fonctions pourraient nous permettre de trouver les mécanismes sous-jacents, dobjectiver dautant plus les résultats et dasseoir comme indispensable lapproche sociologique de ce phénomène.
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LEXIQUE.
Bads ( trips) : mauvaises expériences délirogénes avec des hallucinogènes
Bédot : joint
Blaz : nez
Cailles : caillera, racaille, jeunes de banlieue
Caissons : hauts parleurs
Came : héroïne
Camtart : camion
Core : déminutif de hardcore
Chéper : être atteint dune maladie psychiatrique due aux consommations de drogues (surtout psychose)
Chos : fête techno
Coc : cocaïne
Datura : plante toxique, hallucinogène à petite dose
Extas : extasie
Hardecore : musique techno rapide et violente
Hardtek : un genre de musique techno, rapide, festive et galopante qui est surtout jouée dans les milieux techno alternatifs ( free-party et teknival)
Kepun : punk
Flash : premier effet de la montée des produits
Free party : fête techno sans autorisation légale
Héro : héroïne
Matos : seringue ou drogues
Mescaline : hallucinogène issu dun cactus
Néocodion : médicaments pour les maux de gorge servant de drogue
Md : extasie
OD : overdose
Perche : être sous leffet dune drogue
Prod : drogue
Québlo : bloqué, dans le sens de décompensation psychologique
Rabla : héroïne
Shoot : injection
Smorser : délirer
Son ( poser un) : faire un concert techno
Speed: amphetamine
Spiral tribes: premier sound système (groupement de musiciens) anglais née en 1989 inventeur de la hardtek sillonant leurope.
Taquet : injection
Tazs : extasie
Technival : festival techno
Techos : fête techno
Teuf : fête techno
Teuch : shit, cannabis
TNT: sound système français de hardtek
Trips : buvard avec L.S.D
SIM : personnage que lon crée dans un jeu video. On les fait évoluer en faisant des familles, en inventant leur vie et leur carrière profesionelle.
Valium : médicament anxiolytique qui pris à haute dose de façon détournée en tant que drogue permet un effet dexcitation
EXPLICATION TYPOGRAPHIQUE :
Les paroles des interviewés sont retranscrites en italiques. Les (...) signifient des coupures effectuées par mes soins dans leurs discours. Lorsque les mots sont écrits en format standard dans les synthèses dentretien, il sagit de mes mots, nécessaires à la mise en forme.
ANNEXES : EXTRAITS DENTRETIENS SIGNIFICATIFS DES BIAIS MÉTHODOLOGIQUES :
Entretien de 2008 avec Jon :
Tristana : Mais toute façon même dans lfait quvous changiez les prénoms et tout, tous, cest comme si vous aviez une nouvelle vie quoi, vous vous créez une identité quoi
Jon : Ouais tout à fait quoi. Cest ça.
Tristana : Vous larguez tout derrière et euh ouais cest ça ?
Jon : Tout cquétait derrière. Bon après jai des contacts avec ma famille euh
euh
Cest juste contact quoi. Cest rare que jles voyent mais jgarde
Iz ont toujours des nouvelles. Izont eu du mal à comprendre, tu vois i mont fait la gueule pendant quand même pas mal de temps parce qu izont eu carrément du mal à comprendre
que jpouvais, que j pouvais choisir un chmin comme ça quoi, parce que eux i z ont tous, tu vois, un bon taf, euh
Jai ma frangine, elle a fait une société avec son mari, jai une frangine quest infirmière, jai une frangine quest assistante sociale, jai mon frangin quest ambulancier euh... Izont tous des enfants ; i sont tous mariés euh... dme voir comme ça euh... iflipaient totales quoi.
(
).
Tristana : En même temps vous lêt' pas tant que ça si les commerçants i zont commencé à faire des pétitions et du bordel pour vous faire chier, cest que vous êt' pas transparents.
Jon : Pour les commerçants, on est pas transparent parce que vu quon fait plus ou moins peur à certaines personnes donc les gens osent pas rentrer dans les boutiques. Ils préfèrent tracer leur chemin. Mais quand tes tout seul, hé ben, les gens je te jure i t regardent plus.
Tristana : Cest un peu paradoxal dailleurs. Mais euh
parce quen même temps tu dis qutaimes limprévu, cest marrant parce que tu dis tu contrôles pas ta vie, si tu crois en queque chose soit ldestin ou dieu, peu importe dailleurs cque cest, et en même temps tu dis ouais voilà là si ... jadore limprévu et limprévu cest quoi. Qui cest qui décide cest quoi qui décide ?
Jon : Ben justement rien.
(
).
Tristana : Pourquoi tu dis qucest dla défonce ?
Jon : Cest puissant, cest meilleur que toute les drogues. Jte jure t atterris tes ah ! Bfou ! Tu sais plus où tes et tout. Cest adrénaline, jte jure cest une bfou.
Tristana : Cest un peu comme les moines bouddhistes quand ifont dla méditation, izont limpression de séparer dleur corps, davoir lesprit un peu ailleurs, qui surplombe et euh
Jon : Ça ça lfait avec la Kétamine mais là franchement lsaut en parachute faut vraiment lfaire pour comprendre parce que jte jure cest
Moi pendant un quart dheure jétais perdu, jétais bfou
, tsais pour sen remettre bfou
franchement cétait formidable quoi.
Tristana : Cétait dans ta tête ou dans ton corps qutu ressentais
Jon : Partout, cest le corps tout bfou
dans ta tête tsais tes tout perdu. Tsais plus où tes, cest magnifique, je tjure cest ah ! !... Tes tellement perdu que tu vois plus rien, tsais, tu pourrais avoir des gens qui passent devant toi et tout, tu les verrais même pas, on tparlerait tentends pas euh
. Cest
Tristana : Cest pour ça qujtparlais dméditation parce quand les gars i sont en méditation tout lreste autour ça existe plus ; i sont dans un espèce détat mental particulier
Jon : Ça la méditation faut jmy mette, hein. Je te jure cest formidable. Moi cest la plus belle expérience que jai fait dma vie. Franchement
. ça daille par contre mais
cest une super expérience, faudrait qutessayes.
Entretien avec Charlotte et Bruno :
Tristana : Jsais pas taurais peur dperdre ton identité aussi, des trucs comme ça à rentrer dans queque chose de métro, boulot, dodo, tu vois ?
Bruno : Ouais, jpense, quoi. Parce que moi jai mon ptit
ma personnalité dans voilà quoi. Mainant jai ma ptite personnalité
puis jai des trucs qui mmanqueraient jpense. En allant dans la vie dtous les jours à travailler et tout, jpourrais plus faire les teufs que jfais, jpourrais plus êtdans lson que jfais. Jpense quy a des choses qui mmanqueraient et ça mfoutrait hors de moi mais
Jsais pas si jirais beaucoup mieux.
RÉSUMÉ EN FRANÇAIS, ESPAGNOL ET ANGLAIS :
Résumé en français :
Mots clefs :
- toxicomanie
- sans domicile fixe
- conduites et pratiques à risque
- histoire de la mort
- histoire du corps
- stigmatisation
- déviance
- interactionnisme symbolique
Cette étude a cherché à mettre en évidence les représentations de la mort et du corps des toxicomanes errants dans leurs pratiques à risque. Tentant de dépasser les approches psychanalytiques et épidémiologiques individualisantes et critiquables dun point de vue épistémologique, jai adopté un cadre danalyse anthropo-historique pour mieux saisir ces phénomènes dun point de vue social. Lapproche choisie pour cerner les comportements à risque est avant tout interactionniste. Je pense, en effet, que les conduites à risque sont une forme de déviance dans le sens de H.S. Becker. Elles seraient alors construites à travers des interactions entre ceux qui transgressent les normes et ceux qui les conçoivent, les appliquent et sinscriraient dans une trajectoire, une carrière.
Afin, dappréhender ce phénomène jai choisi une méthodologie qualitative et compréhensive basée sur des entretiens non-directifs réalisés sur deux ans auprès de sept personnes. Lannée précédente, les entrevues sétaient déroulées dans un cadre associatif, mais cette année jai décidé de réaliser les rencontres dans la rue pour atténuer les biais que javais pus noter.
Lanalyse des données recueillies est thématique et comparative. Je désirais mesurer lécart entre les normes corporelles et mortuaires des errants et des individus ordinaires qui sest révélé important par ailleurs.
Par conséquent, jai émis lhypothèse que cest à travers cette opposition des normes du corps et de la mort que les errants parvenaient à conserver leur positionnement dacteur en dépassant la stigmatisation issue des interactions entre groupe de travellers et groupe de normaux.
Ces normes spécifiques au groupe dappartenance travellers seraient alors des outils de contestation sociale et politique contre notre système et instaureraient une frontière subculturelle entre les errants et les normaux.
Resumen en español :
Palabras llaves :
- Toxicomanía
- personas sin hogar, vagabundos
- comportamientos y practicas arriesgados
historia de la muerte
- historia del cuerpo
- estigmatización
- desviación
- Interaccionismo simbólico
Este estudio trata de examinar las representaciones de la muerte y del cuerpo de una única población, la de los vagabundos toxicómanos que tienen comportamientos arriesgados.
Intentando sobrepasar las diferentes teorías psicoanalíticas y epidemiológicas que explican este fenómeno de manera muy individual sin ver sus explicaciones sociales, he decidido relacionar esos comportamientos con una visión antropológica, histórica y estudiar las interacciones. Pienso pues, como H.S.Becker que la carrera marginal se construye sobre una trayectoria desviada, con un aprendizaje que interacciona entre los que transgreden las normas y los que las conciben.
He construido mi metodología de manera comprensiva y cualitativa con entrevistas no directivas. Esta técnica micro sociológica se interesa por lo que pueden decir los actores. Efectivamente, pienso que los individuos son racionales y adaptan sus comportamientos con las situaciones, los contextos, sus estatutos y sus funciones sociales. Para entrar en relación con los vagabundos, tuve que vagabundear también en la calle.
Las siete entrevistas presentadas se desarrollaron en los anos 2007 y 2008. El primer año, decidí encontrarles en una asociación. Este ano, para evitar algunos errores metodológicos me parecía que era más interesante encontrarles en la calle.
He usado el método de análisis comparativo y temático para medir la diferencia entre las normas corporales y de la muerte de la gente ordinaria y las de los toxicómanos vagabundos. Al observar la importancia de la desviación entre las representaciones, mi hipótesis es la siguiente: gracias a la oposición a estas normas, los vagabundos pueden seguir siendo actores de su vida.
Entonces las normas que ellos edifican, sirven de instrumentos a la contestación social y política contra el sistema francés. Les permiten superar la estigmatización que viven y establecer una frontera subcultural entre ellos y los demás (los normales).
3. English abstract :
Key words :
- Drug addiction
- homeless, transient drug addict
- risk behaviour
-history of death
- history of the body
- stigmatization
- deviance
- symbolic interactionism
This research examines the body death representations of transient drug addicts in their risk behaviour. We wanted to go beyond the psychoanalytical and epidemiological approaches too individual and develop an epistemology we do not agree. We advocated an anthropological and historical approache to take into account this risk behaviour from a social point of view. In order to understand why this population needs to take risk we used the integrationist concepts of deviance and stigmatisation from H.S Becker and E.Goffman.
Thus, in adequacy with this subject we chose a qualitative and comprehensive methodology by using non-directive interviews. We interviewed seven mobile drug addicts for tow years. The first before, we did it in an association but this year, we decided to change the place of the interviews because it producced bias.
The data longitudinal and comparative analyses assess the difference between the normal peoples and the transient drug addictsdeath and body representations, the gap being enormous. Consequently, we hypothesised that this death and body standards opposition gave visibility to the mobile drug addicts and helped them be still actors of their lives. Furthermore, transient drug addictsgroup of membership standards serve to dispute the social and political French system and to surpass the stigmatization. The interactions between normal peoples and mobile drug addicts would establish a borderline between both groups.
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En effet, si lespérance de vie était de 25 ans en 1750, elle passe à 45 ans en 1850. Source INED.
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Les normes « (
) sont dérivées des valeurs, qui jouent ainsi le rôle de principes ultimes. » mais « (
) pas automatiquement (
) ». Pour ce faire elles néccéssitent une situation problème. H.S Becker, op.cit, p155.
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Légoïsme ici abordé, est celui quévoque Durkeim. Il sagirait dun stade supérieur à celui de lindividualisme sociétale, ne prennant plus cas dautui, de la communauté et construisant sa destinée dans un désir daccomplissement purement individuel et acheminant le sytème social vers lanomie. J. Rich, Cours de Licence 3 « La sociologie de lécole », 2007.
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P. Poutignat, J. Streiff-fenart, F. Barth, ibid, p157.
P. Poutignat, J. Streiff-fenart, F. Barth, op.cit, p 34.
P. Poutignat, J. Streiff-fenart, F. Barth, op.cit, p127.
Comme présentée dans la partie 3. 1. 3. 3. Lapris par corps. P 142 à p153.
P. Poutignat, J. Streiff-fenart, F. Barth, op.cit, p179.
P. Poutignat, J. Streiff-fenart, F. Barth, op.cit, p 180.
P. Poutignat, J. Streiff-fenart, F. Barth, op.cit, p 181.
P. Poutignat, J. Streiff-fenart, F. Barth, op cit, p 126
P.Aries, op.cit, p 61.
P.Aries, op.cit.
P.Aries, op.cit, p 32.
L.V.Thomas, op.cit, 2004, p 44.
L.V.Thomas, op.cit, 2004, p 44.
L.V.Thomas, op.cit, 2004, p 44.
P. Aries, op.cit, p 45.
P.Aries, op cit, p 45.
J. Vernant, op cit.
3. 2. 1. 3. Le mythe du héros comme extension de la vie et moyen dimmortalité.
Vernant, op.cit, p 133 à p 134.
P. Aries, op cit, p 70.
P. Aries, op cit, p 64.
P. Aries, op cit, p 36.
P. Aries, op.cit, p 61 à 74.
J.P. Vernant, op cit,p 151.
L.V.Thomas, op.cit, 2004, p 206,.
J.P. Vernant, op.cit,p 149.
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L.V. Thomas,op.cit, 2004, p 9.
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P. Baudry, op cit..
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P. Baudry, op.cit.
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