Td corrigé Erasme Cicéronianus ( 1528) - Prima elementa pdf

Erasme Cicéronianus ( 1528) - Prima elementa

L'adage 1012 (II, 1,12) : « Difficilia quae pulchra » est consacré à cette expression. .... être honoré dans les temps à venir comme Cicéronien plutôt que célébré comme un saint ? ...... [190] Hypologus « Tant de peine pour un sujet si mince ! » ...... et la maîtrise parfaite du grec et du latin, qu'il appliqua à l'examen des textes.




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uscrit A, celui de la première édition Froben, Bâle 1528.

La traduction et les fichiers de « lecture guidée » (texte latin accompagné de vocabulaire et de notes grammaticales) ont été répartis en sections, pour des raisons purement pratiques. Elles correspondent à peu près aux subdivisions, parfois un peu floues, que M. Pierre Mesnard donne dans son introduction au texte latin du Ciceronianus.
En voici le tableau. (Pour plus de commodité, j’ai transposé les lignes et pages de l’édition Mesnard dans la numérotation de l’édition des Itinera Electronica.)

Transposition Section 1
[1-463]A) Introduction [Phrases 1-43]
B) Psychologie et comportement d’un cicéronien en crise [Ph. 44-359]
C) Critique de Cicéron par réduction de l’idole [Ph. 360- 463]
Section 2
[463-1029]
D) Difficulté d’une heureuse imitation de Cicéron [Ph. 463- 881]
E) Langage cicéronien et pensée chrétienne [Ph.890-1029]Section 3
[1030-1257]
F) Retour au problème de l’imitation et du parfait orateur [Ph.1030- 1257]
Section 4
[1258-1825]G) A la recherche du vrai cicéronien dans le temps et dans l’espace [Ph.1258 -1825]

Section 5
[1825 -1937]H) Place actuelle du cicéronianisme dans l’humanisme chrétien : vaccination et propédeutique [Ph.1825-1937]
Section 6
[1938-1990]
I) Conclusion [Ph.1938-1990]
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Les difficultés de construction ou de sens ont été discutées selon les cas avec
Mme Groulez et M. Stéphane Partiot, que je remercie vivement !
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1) 
Section 1
[1-455]
A) Introduction [Phrases 1-43]
B) Psychologie et comportement d’un cicéronien en crise [Ph. 44-359]
C) Critique de Cicéron par réduction de l’idole [Ph. 360- 463]

[P.606, éd .Pierre Mesnard] [3] Bulephorus Quem video nobis procul in extrema porticu deambulantem ? [4] Nisi parum prospiciunt oculi, Nosoponus est, vetus sodalis et studiorum « suntrophos ».
[5]Hypologus An hic est ille Nosoponus, olim congerronum omnium lepidissimus, rubicundulus, obesulus, veneribus et gratiis undique scatens ?

[6] Bulephorus Is ipse est.
[7] Hypologus Unde haec nova species ? [8] Larvae similior videtur quam homini. [9] Num quis hominem habet morbus?

[10] Bulephorus Habet gravissimus
[11]Hypologus Quis obsecro ? [12] Num hydrops ?
[13]Bulephorus Interius malum est quam in cute.

[14] Hypologus Num novum hoc leprae genus, cui vulgus hodie scabiei nomine blanditur ?

[15] Bulephorus Et hoc interior haec lues.

[16] Hypologus Num ptysis?

[17] Bulephorus Penitius insedit malum quam in pulmone.
[18] Hypologus Num phthisis aut icterus ?

[19]Bulephorus Est quiddam felle interius.

[4,20] Hypologus Fortasse febris in venis et corde grassans.

[21]Bulephorus Febris est et non febris ; interius quiddam adurens quam si febris in venis aut corde grassetur, ab intimis animi penetralibus quae in cerebro sunt proficiscens. [22] Sed desine  frustra divinare : novum mali genus est.

[3] Bulephorus Dis donc, qui vois-je là-bas, qui se promène tout au bout du portique ? [4] Si mes yeux n’y voient pas trop mal, c’est Nosopon, notre vieux camarade et compagnon d’études.

[5] Hypologus Le fameux Nosopon ? C’est vraiment lui ? Autrefois c’était le plus aimable de nos camarades ! Un peu rougeaud, un peu rondouillard ! Il débordait littéralement de charme et d’élégance.
[6] Bulephorus C’est lui, en personne !
[7] Hypologus D’où lui vient cette étrange allure ? Il a bien plus l’air de ressembler à un fantôme qu’à un homme ! Serait-ce qu’une maladie le tient ? (Num : Est-ce que par hasard ’! serait-ce que ?)
[10] Bulephorus Oui ! et la plus grave !
[11] Hypologus Laquelle, je te prie ? Serait-ce l hydropisie ?
[13] Bulephorus Le mal est entré bien plus profond que la peau.
[14] Hypologus Est-ce que ce serait cette nouvelle sorte de lèpre, que le peuple, de nos jours, apprivoise du doux nom de gale ?
[15] Bulephorus Elle est ancrée encore plus profond que cela, cette infection.
[16] Hypologus Serait-ce la tuberculose ? (Trad. de J.Chomarat)
[17] Bulephorus Le mal s’est installé bien plus profondément que dans les poumons.

[18] Hypologus Serait-ce une sorte d’anémie générale (litt. consomption) ? ou bien la jaunisse ?
[19] Bulephorus C’est quelque chose de plus profond que la bile.
[4,20] Hypologus Peut-être une fièvre qui s’attaque aux veines et au cœur ?

[21] Bulephorus C’est de la fièvre et ce n’est pas de la fièvre! Quelque chose qui brûle plus profondément que si la fièvre progressait dans les veines et le cœur, quelque chose qui vient du plus profond des sanctuaires de l’âme que loge le cerveau. Mais arrête de chercher à deviner inutilement : c’est une nouvelle sorte de maladie !
[3] «Tiens donc / Dis moi » / « Regarde moi cela » : nobis pris comme datif éthique marque l’implication du locuteur dans son propos.
« Compagnon » (« qui partage le même pain ») cherche à rendre « suntrophos » : « nourri ensemble », nourrisson. Allusion possible, dit Pierre Mesnard, à Lucien, Nigrinus,12 : « ƹ»¹Ã¿Æw³ º±v Àµ½w³ Ã{½ÄÁ¿Æ¿¹ » (philosophia kai pénia suntrophoï) = « (Les Athéniens), élevés dans la philosophie et dans la pauvreté ». Ce début imite en tout cas les prologues des dialogues platoniciens et le terme grec (suntrophos) ne manque pas d’éveiller l’attention sur l’orientation socratique de l’entreprise de Buléphore. Voir « Socraticae eisagogai », [Ph. 821]. Et aussi cette accusation que l’on fait si souvent à Socrate « [1935] Hypologus Tot ambagibus nos circumagis ».
[3] « Parasitum tuum // video currentem [...] in plate ultim » Plaute, Curculio, vers 277-278 : ( « ton parasite, je le vois courir au bout de la place ». [4] « Nisi parum prospiciunt oculi » : citation de Térence, Phormion, 735 Il s agit bien de jouer une comédie (thérapeutique) à Nosopon [Ph. 39-40]!
[14] Que le peuple caresse par le nom de gale : euphémisme pour syphilis, selon J. Chomarat.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1) 
[23]Hypologus Nondum igitur habet nomen?
[24]Bulephorus Apud Latinos nondum, Graeci vocant zelodulean.
[25]Hypologus Nuper accidit, an « chronion » est malum ?
[P.606 L22, éd.P.M.] [26] Bulephorus Annos jam plus septem eo tenetur miser. [27] Sed heus, conspecti sumus. [28] Videtur huc gradum flectere; melius ex ipso cognosces quid sit mali [29] Initio Davum agam, tu fac orationi subservias et fabulae partem agas.

[30] Hypologus Equidem id faciam sedulo, si norim quid mihi deleges.
[31] Bulephorus Percupio veterem amiculum tanto levare malo.
[32] Hypologus Etiamne rem medicam calles ?
[33] Bulephorus Scis esse dementiae genus, quod non totam mentem adimit, sed unam modo partem animi laedit, verum insigniter, [33b] veluti sunt qui sibi videntur capite taurina gestare cornua [33c] aut naso praelongo onusti [33d] aut ingens idque fictile portare caput exili collo innixum, mox comminuendum, si se vel tantulum commoveant, [33e] nonnulli sunt qui, quoniam se mortuos arbitrantur, vivorum exhorrent congressum.

[6, 34] Hypologus Desine! [35] Novi istud morbi genus.
[36] Bulephorus Ad his medendum non alia via commodior quam si te simules eodem teneri malo.

[37] Hypologus Istuc audivi frequenter.
[38] Bulephorus Id nunc fiet.

[23] Hypologus Elle n’a donc pas encore de nom ?
[24] Bulephorus En latin, non pas encore ! Les Grecs la nomment Zélodulie, « l’esclavage de l’imitation ».

[25] Hypologus ça lui est arrivé récemment, ou ce mal est chronique (Adj. Grec = invétéré)?

[26] Bulephorus Cela fait déjà plus de sept ans que le malheureux en est possédé. [27] Ça y est ! Voilà qu’il nous a vus ! [28] On dirait qu’il dirige ses pas par ici : tu sauras bien mieux de sa propre bouche quel est son mal. [29] Au début je vais jouer le rôle de Dave, l’esclave ; toi arrange-toi pour renchérir sur ce que je dis et pour jouer ton rôle dans notre comédie.

[30] Hypologus Certes je le ferais sans hésiter si je savais quel rôle tu me réserves !

[31] Bulephorus Ce que je veux par-dessus tout, c’est soulager mon cher vieil ami d’un mal si terrible.

[32] Hypologus Tu t’y connais aussi en médecine ?

[33] Bulephorus Tu sais qu’il existe une sorte de démence qui n’ôte pas entièrement la raison, qui n’atteint qu’une partie de l’esprit, mais le blesse d’une manière particulièrement frappante. Tiens par exemple : comme ceux qui ont l’impression de porter sur leur tête des cornes de taureau, ou ceux qui se voient dotés d’un nez excessivement long, ou encore ceux qui s’imaginent avoir une énorme tête, et qui plus est en faïence ! perchée sur un cou trop gracile, et prête à voler en éclats au moindre mouvement qu’ils feraient ! Quelques uns, se croyant morts répugnent à fréquenter les vivants !

[6, 34] Hypologus Arrête ! Je connais cette sorte de maladie !
[36] Bulephorus Pour soigner ces malades-là, il n’y a pas de méthode plus appropriée que de feindre d’être possédé par le même mal.
[37] Hypologus ça, je l’ai souvent entendu dire.
[38] Bulephorus Eh bien, c’est ce qu’on va faire maintenant!


 [24] Zelodulea, néologisme d’allure platonicienne, dit P. Mesnard, = « l’esclavage né de l’imitation ». Zelos : rivalité, émulation ; Zeloûn : rechercher avec ardeur ; chercher à imiter (Thc ; Platon Rép 553) ; envier jalouser Voir [Ph.247 : Zelotypia : jalousie, envie ; kakozèlé, Ph. 496] Dulie < douleia : servitude. ; (voir [Ph. 104-106] et [126]. Le sens chrétien de Dulie interfère sans doute. « Du grec douleia : « servitude », « esclavage ». Pour comprendre ce mot, il faut remonter au double sens de « service » dans le langage hébraïque : Dieu a délivré son Peuple de la « servitude » des Égyptiens pour l’amener au « service » royal de Yahvé. Dans le langage théologique, le culte de dulie est celui que l’on rend aux saints : il est fait de respect, de confiance, d’attachement, exprimés par des « services », des prières et des gestes de dévotion ; les fêtes et les divers actes liturgiques qui honorent les saints constituent des manifestations de dulie. On parle d’hyperdulie pour le culte marial. Un tel culte se distingue essentiellement du culte qui ne peut être rendu qu’à Dieu seul : le culte de latrie, qui est l’adoration. Maintenir pratiquement, dans la liturgie, une telle distinction est un problème pastoral délicat ; le culte des saints prend parfois des proportions excessives ». Dom Robert Le Gall – Dictionnaire de Liturgie, Ed. CLD.
[29] Davus : esclave des comédies latines ; dans l’Andrienne de Térence, serviteur complaisant de Pamphile ; il fait souvent semblant de ne rien comprendre. Chez Horace (Sat. II,7) il fait la leçon à son maître ! 
[31] Voir : Descartes Méditations I, Et comment est-ce que je pourrois nier que ces mains et ce corps soient à moi ? si ce n’est peut-être que je me compare à certains insensés, de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois, lorsqu’ils sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre, lorsqu’ils sont tout nus ; ou s’imaginent être des cruches ou avoir un corps de verre » ?
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Erasme Ciceronianus ( 1528)]
Traduction (Section 1)
[39] Hypologus Hujus fabulae non modo spectator, verum etiam adjutor libens fuero. [40] Nam homini cum primis bene volo.
[41] Bulephorus Ergo compone vultum et sume personam, ne quid illi suboleat rem de composito geri.
[42] Hypologus Fiet.
[43] Bulephorus Nosoponum etiam atque etiam salvere jubeo
[44] Hypologus Et Hypologus Nosopono salutem dicit.
[45] Nosoponus Equidem vobis ambobus paria vicissim precor. [46] Sed utinam adsit quod optatis mihi.
[47] Bulephorus Non abesset, si nobis tam esset in manu dare, quam est optare. [48] Sed quid est, rogo te, mali ? [49] Nam ista facies ac macies nescio quid sinistri pollicentur. [50] Apparet hepatis esse vitium.

[51] Nosoponus Immo cordis, vir optime.


[52] Hypologus Bona verba. [53] Siquidem malum immedicabile narras.
[54] Bulephorus Nullane spes in medicis?

[55] Nosoponus Ab humanis praesidiis nihil est quod sperem. [56] Numinis opus est ope.
[57] Bulephorus : Atrocem morbum narras. [58] At cujus tandem numinis ?

[59] Nosoponus Est diva quae Graecis dicitur « peithô ».

[8,60] Bulephorus Novi deam flexanimam.

[61 Nosoponus Hujus amore depereo, emoriturus, ni potiar.

[62]Bulephorus Haud mirum, Nosopone, si contabescis. [63] Novi quam sit res violenta cupido et quid sit esse « numpholêpton ». [64] Sed quam pridem te corripuit amor ?
[65]Nosoponus Anni sunt ferme decem, quod hoc saxum volvo nec adhuc succedit. [66] Itaque certum est aut immori negotio aut assequi tandem quod amo.


[39] Hypologus Je ne veux pas seulement être spectateur de cette comédie, mais à vrai dire, je serai heureux d’y prêter la main ! Car avant tout je veux du bien à notre homme !

[41] Bulephorus Alors, compose ton visage et endosse ton personnage, de peur qu’il ne sente que l’affaire est montée de toutes pièces.
[42] Hypologus : C’est ce qu’on va faire !
[43] Bulephorus Permets moi de te saluer, Nosopon ! je te souhaite de te garder en bonne santé !
[44] Hypologus Moi aussi, Hypologus, je te donne le salut Nosopon!
[45] Nosopon Moi aussi, bien sûr, je vous en souhaite autant à tous les deux ! Mais si seulement ce que vous me souhaitez pouvait se réaliser (adsit : être là).
[47] Bulephorus Le salut ne serait pas si loin, s’il nous était aussi facile de le donner que de le souhaiter ! Mais, je t’en prie, qu’est-ce que c’est que ton mal ? Parce que, le visage que je te vois et ta maigreur n’annoncent rine de bon. Ça m’a tout l’air d’être un problème de foie ?

[51] Nosopon Cela vient bien plutôt du cœur, mon très cher ami !
[52] Hypologus Allons n’exagère pas ! Tu sais que tu nous parles d’une maladie incurable ?

[54] Bulephorus Il n’y a vraiment aucun espoir du côté des médecins ?

[55] Nosopon Des secours humains, il n’est rien que je puisse attendre ! C’est de l’aide d’une divinité dont j’ai besoin.

[57] Bulephorus Mais tu nous parles là d’une maladie atroce Quelle est cette divinité dont il te faudrait le secours ?

[59] Nosopon C’est cette déesse que les grecs nomment Peitho, la Persuasion.
[8,60] Bulephorus Je la connais : c’est une déesse qui fait plier la volonté.
[61] Nosopon Pour elle je me consume d’amour. Je vais mourir si je ne m’en rends pas maître !
[62] Bulephorus Rien d’étonnant à ce que tu dépérisses ! Je sais combien le désir est une passion violente, et ce que ce que cela veut dire que d’être « possédé des nymphes ». Mais depuis combien de temps cet amour t’a-t-il saisi ?

[65] Nosopon Voilà bientôt dix ans que je roule ce rocher et cela sans résultat (nec adhuc succedit : et cela n’a pas réussi, jusque maintenant) ! [66] C’est pourquoi il me faut soit mourir dans cette affaire soit enfin obtenir ce que j’aime.

[43] Formules emphatiques Voir [Ph. 618]  etiam atque etiam = vehementer. Le sens étymologique de « salvere » doit être pris en compte. [51] Bona verba signifie chez Plaute : « tout doux ! ».
[Ph. 52 et 53] « Bona verba » = « Tout doux ! » (Plaute), de mê [Ph. 701] Voir Erasme, Colloquia,19, 94 « La fille ennemie du mariage » ; Chomarat  renvoie à Térence, Andrienne v. 204 et traduit « Dis-moi quelque chose de plus plaisant car c’est un mal inguérissable ».
[60] Flexanimus : 1) dompteur des âmes : Pacuvius, cité par Cic. De Oratore, 2, 187, Catulle 64, 331 ; 2) transporté en délire, Pacuvius, cité par Cic. De Divinatione, 1, 80 (Gaffiot) .
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Erasme Ciceronianus ( 1528]
Traduction (Section 1)
[67] Bulephorus Tenacem pariter atque infelicem amorem narras, qui tot annis nec elabi potuerit nec copiam adamati fecerit.

Hypologus [68] Fortassis hunc nymphae suae copia discruciat magis quam inopia.

Nosoponus [69] Immo inopia maceror infelix.

Bulephorus [70] Qui potest ? [71] Quando sic hactenus omnium unus excelluisti dicendi facultate, ut plerique de te praedicarent, quod olim de Pericle dictum est, Suadelam in tuis sessitare labiis.

Nosoponus [72] Ut paucis dicam, mihi putet omnis eloquentia praeter Ciceronianam. [73] Haec est illa nympha cujus amore colliquesco.
Bulephorus [74] Nunc affectum intelligo tuum. [75] Speciosum illud et amabile Ciceroniani cognomen ambis.
Nosoponus [76] Adeo ut, ni consequar, vitam mihi acerbam existimem.

[10,77] Bulephorus Prorsus mirari desino. [78] Ad rem enim omnium pulcherrimam animum adjecisti, sed nimium verum est quod dici solet : « duskola ta kala ». [79] Jam tuis votis in me ipso faveo, si quis deus propitius nos respiciat.

Nosoponus [80] Quid rei est ?
Bulephorus [81] Dicam, si potes rivalem perpeti.
Nosopgonus [82] Quorsum ista?
Bulephorus [83] Ejusdem nymphae me discruciat amor.

Nosoponus [84] Quid audio? [85] Teneris eadem cura?

Bulephorus [86] Ut qui maxime, et in dies accrescunt flammae.


[67] Bulephorus Il est bien tenace et bien malheureux l’amour dont tu nous parles-là, s’il n’a pas pu en tant d’années ni s’effacer ni t’apporter la possession de l’objet que tu aimes tant !
[68] Hypologus Peut-être que lui, c’est de disposer librement de sa nymphe qui le mettrait à la torture, bien plus que d’en être privé !

[69] Nosoponus Bien au contraire c’est de ne pas l’avoir à moi que je me consume comme un malheureux !
[70] Bulephorus Comment est-ce possible ? Jusqu’ici mieux que tout le monde tu as brillé par ta maîtrise de la parole, à tel point que la plupart disaient de toi, comme on le disait de Périclès, que la Persuasion siégeait sur tes lèvres.

[72] Nosoponus Pour le dire en peu de mots, pour moi toute forme d’éloquence n’est que pourriture s’il ne s’agit pas de celle de Cicéron ! La voilà, la nymphe pour qui je me consume d’amour !
[74] Bulephorus Maintenant je comprends, la passion qui te mine ! Tu cours après ce titre si brillant et si désirable de Cicéronien !
[76] Nosoponus Tu n’imagines pas à quel point ! Si je ne l’obtenais pas, je considèrerais que j’ai raté ma vie !

[10,77] Bulephorus Alors, ça ne m’étonne plus du tout ! Tu as jeté ton dévolu sur la chose la plus belle de toutes ! Mais, comme on dit toujours, et ce n’est que trop vrai : périlleuses sont les grandes œuvres. [79] A partir de maintenant je m’associe à tes vœux, du fond du cœur, en espérant qu’un dieu nous accorde un regard favorable !

[80] Nosoponus : Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

[81] Bulephorus : Je te le dirai si tu peux supporter un rival !

[82] Nosoponus A quoi rime ce que tu me dis là ?
[83] Bulephorus C’est l’amour de la même nymphe qui me torture.
[84] Nosoponus Qu’est-ce que j’apprends ? Tu es tenu dans les filets du même amour ?
[86] Bulephorus J’y suis pris comme pas un ! Et ma flamme s’accroît de jour en jour !


[71]Voir Cic Brutus, 15, 59. «  quam deam in Periclis labris scripsit Eupolis sessitavisse ».
[78] Duskola ta kala : le caractère formulaire repose sur l’ellipse du verbe être, mais plus encore sur l homophonie -kola/kala.
Erasme traduit ainsi : « ”Íú¿»± Äp º±»q, hoc est : Ardua quae pulchra » dans l intrododuction (ch.II. et X) de ses Adages. L adage 1012 (II, 1,12) : « Difficilia quae pulchra » est consacré à cette expression.  
[ 85] Cura ae f : soin, souci ; amour !

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Erasme Ciceronianus ( 1528]
Traduction (Section 1) 
Nosoponus [87] Isto quidem nomine mihi carior es, Bulephore, ut, quem hactenus semper in primis dilexi, nunc etiam amare incipiam, posteaquam conveniunt animi.
Bulephorus [88] Fortasse nolles isto levari morbo, si quis herbis, gemmis aut incantamentis opem polliceatur.

[P.608 L9, éd.P.M.]

Nosoponus [89] Istuc esset occidere, non mederi. [90] Aut moriendum est aut potiundum, nil medium est.
Bulephorus [91] Ut facile tuum affectum ex meo diuinabam !
Nosoponus [92] Nihil itaque te celabo uelut iisdem mysteriis initiatum.
Bulephorus [93] Tuto quidem istuc feceris, Nosopone.

Nosoponus [94] Me non solum pulcherrimi cognominis splendor sollicitat, uerum etiam Italorum quorundam procax insultatio, qui cum nullam omnino phrasim probent praeter Ciceronianam summique probri loco ducant
[12,94] negari quempiam esse Ciceronianum, tamen huius cognominis honorem ab orbe condito nemini Cisalpinorum contigisse iactitant praeterquam uni Christophoro Longolio, qui nuper e uiuis excessit.
[95] Cui ne uidear hoc laudis inuidere, idem ausim de illo praedicare, quod de Caluo scripsit Quintilianus : "Fecit illi properata mors iniuriam".



Hypologus [96] Immo non tam illi quam optimis studiis praepropera Longolii mors fecit iniuriam. [97] Quid enim ille non potuisset nobis in bonis litteris restituere, si tali ingenio, tali industriae iustum uitae spatium addidissent superi ?


Bulephorus [98] Verum quid uetat, quominus, quod uni datum est, Musis fauentibus, obtingat pluribus ?



[87] Nosoponus [87] Ah crois moi Buléphore pour cette raison tu m’es encore plus cher ! Jusqu’aujourd’hui, j’avais la plus grande affection pour toi, mais voilà que je vais me mettre à t’aimer pour de bon, maintenant que nos âmes se rencontrent sur ce point.
[88] Bulephorus : Tu ne voudrais sans doute pas qu’on te soulage de cette maladie, te promettrait-on le secours des herbes, des amulettes, ou des formules magiques ?

[89] Nosoponus Ce serait me tuer, pas me soigner !
Il me faut la conquérir ou mourir : il n’y a pas de milieu !

[91]Bulephorus Comme il m’a été facile de deviner la nature de ton mal en me fondant sur le mien !

[92] Nosoponus C’est bien pour cela que je ne te cacherai rien ! Tu es initié aux mêmes mystères !

[93] Bulephorus Crois moi tu n’auras pas à t’en repentir, Nosopon !
[94] Nosoponus Moi, ce n’est pas seulement l’éclat de ce titre si beau qui me pousse, mais ce sont aussi les outrages et les insolences d’un certain nombre d’Italiens.
Absolument aucun autre style que celui de Cicéron ne trouve grâce à leurs yeux, ils vont jusqu’à estimer que c’est le plus grand affront que l’on puisse faire à quelqu’un que de lui refuser le titre de Cicéronien, et pourtant ils ne cessent de se vanter que jamais depuis la fondation du monde, l’honneur d’une telle distinction n’a pu échoir à qui que ce soit au-delà des Alpes ! Ils n’exceptent que le seul Christophe de Longueil, qui vient de quitter, il n’y a pas si longtemps, le monde des vivants. [95] Je ne voudrais pourtant pas avoir l’air de lui envier cette gloire ! A tel point que j’oserais dire de lui ce que Quintilien écrivit de Calvus : « La mort trop tôt venue lui a fait injure ».

[96] Hypologus J’irais plus loin : c’est moins à lui-même que la mort prématurée de Christophe de Longueuil a fait du tort, qu’aux sciences les plus nobles ! Que n’aurait-il pu obtenir dans le domaine des belles lettres, qu’il nous aurait restaurées, si les Puissances d’en Haut avaient allongé sa vie de la durée qui revenait en toute justice à un homme d’un tel talent, et d’une telle intelligence ?

[98] Bulephorus Mais à vrai dire qu’est-ce qui empêche qu’avec la faveur des Muses, plusieurs obtiennent ce qui ne fut donné qu’à un seul ?

[97] justus signifie aussi : complet suffisant [cf. infra, Ph. 206]
[94] Christophe de Longueil venait de mourir en 1522 ; le Ciceronianus parut en 1528.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
Nosoponus [99] Ille huic pulcherrimo facinori immortuus est, mea sententia, felix. [100] Quid enim pulchrius, quid amplius, quid magnificentius, quam Cisalpinum hominem Italorum suffragiis appellari Ciceronianum ?
[101] Gratulandum arbitror illius felicitati, qui suo tempore decesserit, priusquam hanc gloriam aliqua nubecula offuscaret uel ob Graecarum litterarum studium, cui se dicare coeperat, uel ex Christianis auctoribus oborta nebula, a quibus fortasse non satis constanter abstinuisset, si diuturnior uita contigisset.
Bulephorus [102] Sic est, ut ais; illi pulcherrimo facinori immori datum est. [103] At mihi spes est, futurum ut huic pulcherrimo facinori supersimus etiam, non immoriamur.

[14,104] Nosoponus Quam faueo tuis votis! [105] Dispeream, ni istuc malim quam in diuorum ascribi numerum.

[P.608 L33, éd.P.M.] [106] Bulephorus Quis enim non malit apud posteros celebrari Ciceronianus quam sanctus? [107] Ceterum, quando hoc amoris genus zelum nescit, obsecro te perque curas perque spes mihi tecum communes, ut pariter amanti saltem consilium tuum impartias, quibus rationibus tu tuam amicam ambias. Fortasse citius perveniemus ambo si uter alteri fuerit auxilio.


[99] Nosoponus En mourant au cours de ce très bel exploit, à mon avis, il est mort en pleine félicité. Qu’y-a-t-il, en effet, de plus beau, de plus grand et de plus magnifique, pour un Cisalpin, que d’être élu Cicéronien, par les voix des Italiens ?
Il me semble qu’on doit féliciter pour son bonheur un homme qui est mort au moment le meilleur pour lui, avant que cette gloire ne fût obscurcie par quelque nuage, que l’étude du Grec auquel il avait commencé à s’adonner aurait fait naître ou encore la fréquentation des auteurs chrétiens, dont il n’aurait peut-être pas su se tenir à l’écart avec assez de fermeté, si une vie plus longue lui avait été accordée.

[102] Bulephorus Tu as raison : il lui a été donné de mourir au milieu d’un très bel exploit ! Mais j’ai bien l’espoir que nous réussirons à survivre à cet exploit si beau sans mourir en cours de route !

[14,104] Nosoponus Tous mes vœux se joignent aux tiens ! Que je meure si je ne préfère pas cette gloire à l’honneur d’être compté au nombre des Saints !

[106] Bulephorus Evidemment ! Qui ne préfèrerait pas être honoré dans les temps à venir comme Cicéronien plutôt que célébré comme un saint ? D’ailleurs, puisque un amour de ce genre ne connaît pas la jalousie, je te conjure, au nom des tourments et des espoirs qui nous sont communs, de me faire partager au moins ton plan, puisque je suis aussi amoureux que toi, et de me dire par quelles méthodes tu comptes obtenir les faveurs de ton amie. Peut-être atteindrons-nous tous deux plus rapidement le but si chacun apporte son secours à l’autre.


[100] Pour les Italiens, Christophe de Longueil est un transalpin !
Christophe de Longueil (Marc Fumaroli, L’âge de l’éloquence p. 91, note 100 et J. Chomarat Erasme p. 929 Poche 6927).
Né à Malines, (1488-1522), bâtard d’Antoine de Longueil ( évèque de Léon), il étudia le droit à Paris, puis l’enseigna à Poitiers ; à Paris il publia en 1510 une Oratio de Laudibus divi Ludovici atque Francorum. Membre du parlement de Paris en 1515; Passé à Rome en 1517, où y fut accueilli avec honneur par Bembo Sadolet et les Cicéroniens romains qu’il aspirait à égaler, il se vit contester le titre de Civis Romanus qui lui avait été attribué et dut le défendre par deux éloquents discours (Venise 1515). Ses amis romains l’encouragèrent à mettre son talent au service de la polémique religieuse et il rédigea en style cicéronien une Oratio ad Lutheranos (Cologne,1529 ) dont Erasme ridiculisa la vaine éloquence apprêtée. Son Odyssée de « barbare du nord » ayant réussi à s’imposer à Rome lui valut en France un durable prestige. 1519 retour à Paris ; voyage en Angleterre ; visite à Louvain où il rencontre Erasme. Il retourne en Italie à Venise où il retrouve Bembo, puis à Padoue, où il vit dans une pauvreté croissante ; il y meurt en 1522. Ses relations avec Erasme ont été empoisonnées par le cicéronianisme, mais aussi par le patriotisme français de Longueil, qu’Erasme considérait pourtant comme un Brabançon.
Edition de ses Lettres en 1581 par Henri Estienne. Voir en ligne [http://www.archive.org/stream/cu31924005793405/cu31924005793405_djvu.txt] .
Marc Fumaroli, L’âge de l’éloquence p. 101-102, ajoute :
«  On peut s’étonner de voir Erasme élire pour représenter la sophistique moderne un disciple et un ami de Bembo et Sadolet, Chr. de Longueil. Un Filelfe, un Jérôme Aléandre ont beaucoup plus de traits communs avec les sophistes antiques que ce jeune Flamand dévoré de zèle pour l’antiquité et pour Cicéron. Mais Erasme s’intéresse moins aux traits extérieurs du type du sophiste – vénalité, opportunisme, vanité, histrionisme – qu’à son essence même : Nosopon-Longueil dans le Ciceronianus n’est ni cynique ni vain, mais il partage avec les sophistes tels que les décrits Platon et avec leurs héritiers de l’époque impériale la même « maladie » qui consiste à ériger les mots en idoles et à oublier les « choses » divines qu’ils ont pour tâche de servir et de signifier. Ces « mots-idoles », pour Nosopon, ce sont ceux de l’œuvre de Cicéron, érigée elle-même en idole. Et au lieu d’imiter les « choses » c’est à l’imitation des « mots » et du style cicéroniens que Nosopon se consacre totalement à grand renfort de répertoires […]. Cette idolâtrie des mots est aussi coupable aux yeux du Platon du Cratyle qu’ à ceux du Saint Augustin du De Doctrina Christiana. Enfoui dans une quête coupable, Nosopon paie le prix de son erreur : il est exilé des autres hommes comme de lui-même, et il souffre. Cette souffrance par laquelle le sage Buléphore a prise sur lui est l’amorce d’une rédemption et d’un réveil.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[P.609 L.1 éd.P.M.] [109] Nosoponus : Musae nesciunt inuidiam, multo minus Gratiae, Musarum sodales. [110] Studiorum socio nihil negandum est et amicorum oportet esse communia omnia.
[111] Bulephorus Plane bearis me, si id feceris.
[112] Hypologus Quid si me quoque in uestrum contubernium recipiatis ? [113] Sum enim iam pridem eodem oestro percitus.
[114] Nosoponus Recipimus. [115] Ergo uelut eidem initiatis deo retegam mysteria. [116] Iam annos septem totos nihil attingo praeter libros Ciceronianos, a ceteris non minore religione temperans quam Carthusiani temperant a carnibus.
[117] Bulephorus Cur istuc ?
[118] Nosoponus Ne quid alicunde haereat alienae phraseos ac ueluti labem aspergat nitori Ciceroniani sermonis. [119] Proinde ne quid hic peccem imprudens, quidquid est aliorum codicum, ab oculis submoui scriniis inclusum nec ulli prorsus est locus in mea bibliotheca praeterquam uni Ciceroni.

[120] Bulephorus O me negligentem! [121] Tanta religione nunquam colui Ciceronem.
[16,122] Nosoponus Non tantum in larario museoque, uerum et in omnibus ostiis imaginem illius habeo belle depictam, quam et gemmis insculptam circumfero, ne unquam non obuersetur animo. [123] Nec aliud simulacrum in somnis occurrit praeterquam Ciceronis.

[124] Bulephorus Non miror.

[109] Nosoponus Les Muses ne connaissent pas le sentiment d’envie ; et encore moins les Grâces, leurs compagnes ! Il ne faut refuser aucun effort pour aider un camarade et puis il convient que tout soit commun entre amis.

[111] Bulephorus Tu me combleras si tu le fais !
[112] Hypologus Que diriez-vous de me prendre moi aussi dans votre confrérie ? Depuis longtemps déjà la même passion m’aiguillonne de ses piqûres.

[114] Nosoponus Nous t’y recevons ! C’est donc en tant qu’initiés au même dieu que je vous révèlerai les mystères.
Depuis déjà sept années pleines, je ne touche plus d’autres livres que ceux de Cicéron. Des autres je m’abstiens avec autant de scrupule que les Chartreux s’abstiennent des plats de viande.
[117] Bulephorus Pourquoi cela ?
[118] Nosoponus Je ne voudrais pas que (litt. pour éviter que) une bribe du style d’un autre auteur ne reste accrochée à mon discours et n’en éclabousse d’une tâche, pour ainsi dire, l’éclat du style cicéronien. C’est pourquoi, de peur de pécher par imprudence dans cette affaire, j’ai éloigné de mes regards tous les autres manuscrits que j’avais ; je les tiens enfermés dans des caisses et il n’y a place dans ma bibliothèque que pour Cicéron et lui seul.
[120] Bulephorus Comme je suis négligent ! Je n’ai jamais mis un tel scrupule à vénérer Cicéron !

[16,122] Nosoponus Dans ma chapelle et dans mon cabinet de travail, j’ai un portrait de Lui, bien sûr, mais j’en ai fait peindre aussi de fort beaux sur toutes les portes de la maison, et j’en emporte un partout avec moi, gravé en camée, pour qu’il n’y ait pas un seul instant où mon esprit ne soit occupé de Lui. Et dans mes songes nulle image ne se présente à moi que celle de Cicéron !
[124] Bulephorus Je ne m’en étonne pas.
[109 Multo minus  : Nosopon se donne de bonnes raisons pour céder aux instances de Bulépohore : en nourrisson des Muses qu’il est il se doit d’être généreux. La phrase ne me semble pas ironique bien que Nosopon sans doute connaisse la dureté des Muses à l’égard de ceux qui les avaient défiées. Trois exemples fameux : elles aveuglèrent Thamyras poète et musicien de Thrace, lui firent perdre son don de chanter et jouer de la lyre (Homère Iliade, II, 594 etc. ) ; les filles de Pieros (Ovide, Métamorphoses,V) qui les avaient défiées furent changées en pies ; les Sirènes de même furent battues et plumées par elles ! (Voir P. Grimal).
Peîtho n’est pas une Muse ; elle est présentée comme une nymphe, et en tout cas une divinité par Nosopon et Buléphore. Pour Hermésianax Peithô est une des grâces (Charites). Ce qui expliquerait mieux la phrase de Nosopon (Erasme a lu Pausanias) .
Voir [ http://remacle.org/bloodwolf/erudits/pausanias/beotie.htm] Pausanias Description de la Grèce Livre IX CHAPITRE XXXV. « Noms et Statues des Charites ». « [5] Hésiode, dans sa Théogonie (admette qui voudra cette Théogonie parmi ses ouvrages), dit que les Charites sont filles de Zeus et d'Eurynome, et qu'elles se nomment Euphrosyne, Aglaé et Thalie; elles ont les mêmes noms dans les vers d'Onomacrite. Antimaque ne parle ni de leur nombre ni de leurs noms ; il dit qu'elles sont filles d'Aeglé et du Soleil. Hermésianax, le poète élégiaque, ne s'est écarté de l'opinion reçue avant lui, qu'en disant de Peithô qu'elle était elle-même l'une des Charites ».
[110] Studiorum peut dépendre de nihil comme de socio
—NB. Erasme a consacré son premier adage à cette formule : 1. I, I, 1. Amicorum communia omnia ¤p Äf½ Æw»É½ º¿¹½q, id est Amicorum communia sunt omnia. [& ]. Le syllogisme qu il attribue à Socrate éclaire peut-être un peu le raisonnement purement accumulatif et un peu décousu de Nosopon ([Ph.109] : « Ex hoc proverbio Socrates colligebat omnia bonorum esse virorum non secus quam deorum. Deorum, inquit, sunt omnia. Boni viri deorum sunt amici, et amicorum inter se communia sunt omnia. Bonorum igitur virorum sunt omnia. Dont je donne la traduction : De ce proverbe Socrate tirait la conclusion que tout appartient aux hommes de bien exactement comme aux dieux.
Tout appartient aux dieux dit-il, or les hommes de bien sont les amis des dieux ; et entre amis tout est commun. Donc tout appartient aux hommes de bien. » Nosopon et Buléphore sont amis ; mais sont aussi amis des Muses. Le raisonnement semble implicitement compléter l’allusion aux Muses.
[112] Allusion possible à Io, affolée d’amour et poursuivie par Héra.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1) 
[125] Hypologus Ego Ciceroni inter apostolos in calendario meo locum dedi.
[126] Bulephorus Nihil miror. [127] Deum enim eloquentiae quondam appellabant.
[128] Nosoponus In huius igitur scriptis euoluendis ac reuoluendis adeo sum assiduus, ut totum propemodum edidicerim.
[129] Bulephorus Industriam tuam mihi narras.

[130] Nosoponus Nunc accingor ad imitationem.

[131] Bulephorus Hic quantum temporis destinasti?
[132] Nosoponus Tantundem quantum lectioni.
[133] Bulephorus Rei tam arduae parum est. [134] Utinam mihi uel septuagenario contingat tam speciosi cognominis decus.

[P.609 L.23, éd.P.M.] [135] Nosoponus At mane! [136] Non huic fido diligentiae. [137] Nulla est in omnibus diuini uiri libris uocula, quam non in lexicon alphabeticum digesserim.
[138] Bulephorus Ingens uolumen sit oportet.
[139] Nosoponus Duo robusti baiuli uix tergo gestent probe clitellati
140] Bulephorus Hui! [141] At ego uidi Lutetiae, qui elephanto gestando sufficerent.
[142] Nosoponus Verum est alterum uolumen hoc etiam grandius, in quod iuxta litterarum ordinem annotaui formulas loquendi M- Tullio peculiares.
[18,143] Bulephorus Nunc demum me pudet oscitantiae meae pristinae.
[144] Nosoponus Additum est tertium.
[145] Bulephorus Hui ! etiamne tertium ?

[146] Nosoponus Sic opus est. [147] In hoc congessi pedes omnes, quibus Cicero uel incipit uel finit commata,
cola, periodos, quibusque numeris horum media temperat, tum quibus sententiis, quam modulationem accommodet, ut ne tantillum quidem possit suffugere.

[148] Bulephorus Verum qui fieri potest, ut primus index tanto maior sit toto Cicerone ?

[125] Hypologus Pour ma part, dans mon calendrier, j’ai fait une place à Cicéron parmi les Saints Apôtres.

[126] Bulephorus Cela ne m’étonne pas du tout : on l’a parfois appelé le « dieu de l’éloquence ».

[128] Nosoponus Je suis si assidu à lire et relire ses œuvres, que je le sais presque tout entier par cœur !

[129] Bulephorus Pour l’instant tu ne me parles que de ton acharnement au travail ! [130] Nosoponus Ne t’impatiente pas ! Je me prépare à parler de l’imitation.
[131] Bulephorus Combien de temps as-tu prévu pour cela ?
[132] Nosoponus Tout autant que pour la lecture.
[133] Bulephorus C’est peu pour un entreprise si difficile ! Si seulement l’honneur d’un titre si brillant pouvait m’échoir ! Qu’importe que ce fût même à soixante dix ans !

[135] Nosoponus Mais attends ! Je ne me contente pas de ce travail ! Il n’y a pas dans tous les livres de cet homme divin un seul petit mot que je n’aie classé dans un lexique alphabétique.


[138] Bulephorus Il faut que ce soit un énorme volume !
[139] Nosoponus Deux robustes portefaix bien bâtés ne le porteraient qu’avec peine sur leur dos!

140] Bulephorus Allons donc ! J’en ai vu à Paris qui auraient bien été capables de porter un éléphant !

[142] Nosoponus A vrai dire, j’ai un deuxième volume encore plus épais que celui-ci, dans lequel j’ai noté dans l’ordre alphabétique les expressions propres à Marcus Tullius.

[18,143] Bulephorus C’est maintenant que j’ai honte du temps que j’ai passé à bayer aux corneilles!

[144] Nosoponus Un troisième sy ajoute.
[145] Bulephorus Holà ! encore un troisième ?

[146] Nosoponus Il en fallait un ! Dans celui-là j’ai rassemblé toutes les sortes de mesures (pieds) par lesquels Cicéron commence ou finit ses répliques, ses membres de phrases, ses périodes oratoires ainsi que les rythmes par lesquels il équilibre leur partie centrale, et finalement j’ai relevé quelle modulation il adapte à quelle formule, afin que rien, pas même le moindre petit détail, ne puisse m’échapper.
[148] Bulephorus Mais comment peut-il se faire que le premier index soit déjà tellement plus épais que toute l’œuvre de Cicéron ?
Comma, tis, n. : - 1 - membre d'une période. - 2 - partie de vers, césure. - 3 - virgule. Phrase commatique voir Laurent Pernod p. 113 cMlOn (cMlum), i, n. : partie (de vers, de strophe), membre de phrase. Pr-Odus (pr-OdOs), f. : période oratoire Elenchus voir infra ph. 905
[139] Clitellati n’est pas dans les dictionnaires classiques , mais est dans Du Cange, sur le site Gallica . Clitellarius est chez Plaute et Cicéron.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[149] Nosoponus Disce rem et mirari desines. [150] Tu forte me credis hac cura contentum, ut singulas annotem dictiones.
[151] Bulephorus Sic opinabar. [152] Estne amplius ?

[153] Nosoponus Immo istuc plus quam nihil est.

[P.610 L1 éd.P.M.] [154] Bulephorus Qui, quaeso ?
[155] Nosoponus Vide, quantum aberres a scopo. [156] Eadem uox non semper eodem usurpatur modo. [157] Sit – exempli gratia – "refero" uerbum :
aliam uim habet, cum ait M- Tullius "referre gratiam",


aliam , cum ait "liberi parentes et forma corporis et moribus referunt",

aliam, cum ait "refero me ad intermissa studia",

rursus aliam, cum ait "si quid erit quod [20,157] mea referat scire",

denique aliam, cum ait "non ignota referam".

[158] Item aliud est "orare Lentulum", aliud "orare causam".

[159] Rursus aliter "contendit" qui cum altero certat, aliter qui quid instanter ab aliquo petit, aliter contendit qui magno studio conititur ad aliquid efficiendum, aliter qui res duas inter se committit comparatque.





[160] Hypologus Papae, istuc est scribere « lexikous elenchous ».

[161] Bulephorus Nunc demum intelligo et tuam uigilantiam et meam oscitantiam.


[149] Nosoponus Apprends ce qu’il en est et tu n’auras plus à t’étonner ! Tu crois sans doute que je me suis contenté de cette simple tâche de relever les expressions une par une ?

[151] Bulephorus Oui c’est ce que je pensais. Y-a-t-il quelque chose de plus ?
[153] Nosoponus Quelque chose de plus ? Mais jusque là c’est moins que rien ! ( « superlatif » de rien !)
[154] Bulephorus Que veux-tu dire s’il te plaît ?
[155] Nosoponus Vois combien tu es loin du compte ! [156] Le même terme n’est pas toujours utilisé de la même manière. [157] Prenons par exemple le verbe « refero » (rapporter / revenir) :
il n’a pas le même sens quand M Tullius dit «  Referre gratiam ( (témoigner de la reconnaissance)»

que quand il dit : « Liberi parentes et forma corporis et moribus referunt » ( (les enfants ressemblent à leurs parents par leur physique et leurs mœurs) ;

il en a un autre quand il dit « Refero me ad intermissa studia » ( ( je retourne à mes études interrompues) ;

un autre quand il dit : « Si quid erit quod mea referat scire ( (s’il y a quelque chose qu’il importe que je sache) ;

un autre enfin quand il dit : « Non ignota referam » ( (je ne rapporte pas là des faits inconnus ).

[158] De la même façon une chose est de dire« Orare Lentulum » ( (supplier Lentulus) une autre : « Orare causam » ( (plaider une affaire).

[159] Tiens encore un exemple : c’est d’une manière différente qu’il « fait tous ses efforts» (contendit) celui « qui combat contre un quelqu’un » (« Qui cum altero certat ») et celui « qui en sollicite instamment un autre » (« Qui quid instanter ab aliquo petit»). En un autre sens aussi celui qui s’efforce de réaliser quelque chose en y mettant toutes son cœur (« Qui magno studio conititur ad aliquid efficiendum »), tandis que l’autre « confronte deux choses et les compare entre elles » (« Qui res duas inter se committit comparatque »).

[160] Hypologus Oh dis donc ! Voilà ce qu’on appelle écrire un recueil d’expressions!

[161] Bulephorus C’est maintenant seulement que je comprends combien tu es diligent et combien je suis négligent !
Comma, tis, n. : - 1 - membre d'une période. - 2 - partie de vers, césure. - 3 - virgule. Phrase commatique voir Laurent Pernod p. 113
cMlOn (cMlum), i, n : partie (de vers, de strophe), membre de phrase. Pr-Odus (pr-OdOs), f. : période oratoire
Elenchus : appendice d un livre, Suétone De Grammaticis, 8,3 Voir infra ph. 905. P.Mesnard ad loc. comprend : en s appuyant sur un dictionnaire.
Erasme a écrit en grec »µ¾¹º¿z »s³Ç¿Å ce qui signifierait litt « écrire des preuves lexicales ». ********************

Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[162] Nosoponus Nec singulas dictiones incomitatas noto, sed adiungo quae praecedunt ac sequuntur. [163] Nec sat habeo unum aut alterum notasse locum, quod alii solent, sed quoties dictio reperitur apud Ciceronem, quamuis consimili forma, toties noto paginam, latus paginae,
et uersus numerum, addito signo, quod indicet, in medione uersus sit dictio an in initio an in fine. [164] His rebus fieri uides, ut una dictio plures occupet paginas.

[P.610 L.16 éd.P.M.] [165] Bulephorus Deum immortalem! quid tantÎ non efficiat curÎ ?
[166] Nosoponus Manedum, Bulephore! [167] Nihil est, quod hactenus audisti.
[168] Bulephorus Quid istis potest accedere ?
[169] Nosoponus Quid prodest tenere uerbum, si haereas aut etiam labaris in deflexis, deriuatis et compositis ?
[170] Bulephorus Non satis perspicio, quod dicis.
[171] Nosoponus Expediam. [172] Quid tritius aut uulgatius his uerbis: amo, lego, scribo?
[173] Bulephorus Etiamne haec in dubium ueniunt ?
[22,174] Nosoponus Aut his nominibus: amor, lectio, scriptor?
[175] Bulephorus Nihil.
[176] Nosoponus At illud habeto persuasum et necessum esse mihi et opus esse, quicumque contendat ad Ciceroniani cognominis dignitatem, tanta religione, ut nec his, quamlibet uulgatis, dictionibus utatur nisi consulto indice, nisi forte tutum existimas fidere grammaticis, qui uerba per omnes modos personas genera et tempora, nomina pronomina et participia per omnes casus et numeros inflectunt, cum nobis fas non sit quicquam horum usurpare, quod a Cicerone non fuerit usurpatum.[177] Non magnum est grammatice dicere, sed diuinum est Tulliane loqui.

[178] Bulephorus Dic, obsecro, clarius.
[179] Nosoponus "Amo, amas, amat", sit enim hoc exempli causa dictum, apud Ciceronem inuenio, at "amamus" et "amatis" fortasse non inuenio.[180] Item "amabam" inuenio, "amabatis" non inuenio. [181] Rursus "amaueras" inuenio, "amaras" non inuenio.[182] Contra "amasti" reperio, "amauisti" nequaquam. [183] Iam quid si "legeram, legeras, legerat" reperias, "legeratis" non reperias, si "scripseram" inuenias, "scripseratis" non inuenias ? [184] Ad eundem modum coniecta de uerborum omnium inflexionibus

[162] Nosoponus Et je ne relève pas seulement les expressions hors contexte, je note également ce qui les précède et ce qui les suit. Je ne me contente pas non plus de relever une occurrence ou deux, comme font les autres, mais chaque fois que l’expression se trouve dans Cicéron, quand bien même elle est se présente sous la même forme, je note la page et la colonne et le numéro de la ligne. J’ajoute une marque qui me permet de savoir si le mot se trouve au début au milieu ou à la fin de la ligne. C’est pour ces raisons vois-tu qu’il arrive qu’une seule expression occupe plusieurs pages.
[165] Bulephorus Dieu du ciel ! Quels résultats n’obtiendrait-on pas avec une telle application !
[166] Nosoponus Attends donc, Buléphore ! Tu n’as encore rien entendu !
[168] Bulephorus Mais qu’est-ce qu’on peut ajouter à cela ?
[169] Nosoponus A quoi bon connaître un mot si on hésite ou même si on achoppe sur sa déclinaison, ses dérivés, ses composés ?
[170] Bulephorus Je ne vois pas vraiment bien ce que tu veux dire.
[171] Nosoponus Je vais t’expliquer. Qu’y-a-t-il de plus courant et de plus utilisé que ces mots : « amo, lego, scribo » (j’aime, j’écris, je lis) ?
[173] Bulephorus Ceux-la aussi sont sujets à caution ?
[22,174] Nosoponus Ou encore ces noms : « Amour, lecture, écrivain » (amor, lectio, scriptor)?
[175] Bulephorus Rien de plus courant, en effet !
[176] Nosoponus Mais sois bien persuadé que c’est une nécessité pour moi et un besoin pour tout homme qui vise à la qualité de « Cicéronien », de faire preuve d’un tel scrupule qu’il n’ose se servir de ces termes, pourtant si ordinaires, sans avoir consulté un index. A moins bien sûr que tu n’estimes pouvoir te fier en tout sûreté aux grammairiens qui conjuguent les verbes à tous les temps, modes, voix et personnes et déclinent les noms, les pronoms et les participes à tous les cas et tous les nombres, alors qu’à nous il n’est pas permis d’utiliser une seule de ces formes dont Cicéron n’aurait pas fait usage. Ce n’est pas grand-chose de parler correctement selon la grammaire mais c’est une œuvre divine de parler selon la langue de Tullius.

[178] Bulephorus Parle, je t’en prie, un peu plus clairement.
[179] Nosoponus Mettons par exemple que je trouve « Amo, amas, amat », chez Cicéron, mais que je ne trouve pas
« amamus » ni «amatis ». De même je trouve « amabam » mais pas « amabatis ». [181] Ou encore je trouve « amaueras » mais pas « amaras » ! [182] Inversement je rencontre « amasti » mais ne trouve nulle part « amauisti ».
[183] Et maintenant imagine qu’on trouve « legeram, legeras, legerat », mais pas « legeratis » ! Et si on trouve « scripseram », mais pas « scripseratis»? [184] Sur le même modèle imagine ce qu’il en est de la conjugaison de tous les verbes !


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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
Nosopon, suite
[185] De casuum inflexionibus similis est ratio : "amor", "amores", "amorum", "amori" comperio apud Ciceronem, "o amor", "hos amores", "horum amorum", "his amoribus", "o amores" non comperio.

[P.610 L.36, éd.P.M.] [186] Item "lectio", "lectionis", "lectioni", "lectionem" inuenio, "lectiones", "lectionibus", "lectionum", "has lectiones" et "o lectiones" non inuenio. [187] Ita "scriptorem" et "scriptores" reperio, "scriptoribus" et "scriptorum" pro substantiuo nomine non reperio.


[P.611 L.2 éd.P.M.] [24,188] Non obsto quominus haec uideantur ridicula, si uos audebitis "stultitias" et "stultitiarum", "uigilantias" et "uigilantiarum", "speciebus" et "specierum", "fructuum", "ornatuum", "cultuum", "uultuum", "ambitibus" et "ambituum" aliaque huius generis innumera fando usurpare. [189] Ex his paucis exempli gratia propositis aestimare potes de ceteris omnibus, quae consimilem ad modum inflectuntur.

[190] Hypologus "In tenui labor".
[191] Bulephorus "At tenuis non gloria".
[192] Nosoponus Succinam et ego, "si quem numina laeua sinunt auditque uocatus Apollo".
[193] Nunc de deriuatis accipe. [194] "Lego" non uereor usurpare, "legor" non ausim dicere. [195] "Nasutus" ausim dicere, "nasutior" et "nasutissimus" nequaquam. [196] "Ornatus" et "ornatissimus", "laudatus" et "laudatissimus" intrepide dico, "ornatior" et "laudatior" nisi comperero, dicere religio sit.
[197] Nec quia "scriptor" et "lectio" offendo apud Ciceronem, statim ausim dicere "scriptorculus" et "lectiuncula".

[198] Bulephorus Immensam rerum siluam uideo.
[199] Nosoponus Nunc accipe de compositis. [200] "Amo", "adamo", "redamo" dicam, "deamo" non dicam3. [201] "Perspicio" dicam, "dispicio" non item4.
[26,202] "Scribo", "describo", "subscribo", "rescribo", "inscribo" dicam, "transcribo" non dicam, nisi deprehendero in libris M- Tullii5. 
Nosopon, suite
[185] La méthode est la même pour les cas, dans les déclinaisons : je trouve « amor », « amores », « amorum », « amori » chez Cicéron, mais « o amor », « hos amores », « horum amorum », « his amoribus », « o amores » je ne les rencontre pas !

[186] De même je trouve « lectio », « lectionis », « lectioni », « lectionem » alors que je ne rencontre pas « lectiones », « lectionibus », « lectionum », « has lectiones » et « o lectiones ». [187] Je trouve par exemple « scriptorem » et « scriptores » mais je ne trouve pas « scriptoribus » ni « scriptorum » utilisés comme noms communs.

[118] Je ne peux pas vous empêcher de trouver ces précautions ridicules, si, vous, vous osez utiliser, en vous fiant à ce qui se dit, « stultitias » et « stultitiarum » « uigilantias » et « uigilantiarum », « speciebus » et « specierum », « fructuum », « ornatuum », « cultuum », « uultuum »", « ambitibus »" et « ambituum » et autres formes innombrables de ce genre. De ces quelques termes proposés à titre d’exemples tu peux inférer pour les autres mots qui suivent exactement la même flexion.

[190] Hypologus « Tant de peine pour un sujet si mince ! »
[191] Bulephorus « Mais la gloire n’en sera pas mince ! »
[192] Nosoponus Laissez moi chanter aussi ma partie :: « si les divinités hostiles laissent faire le poète et si Apollon, invoqué, l’exauce ».
[193] Maintenant au tour des dérivés : écoute bien ! [194] Je n’hésite pas à employer « Lego » mais je n’oserais pas  dire « legor ». J’oserais dire « Nasutus », mais en aucun cas « nasutior » et « nasutissimus ». Je me risque hardiment à dire « Ornatus » et « ornatissimus », « laudatus » et « laudatissimus » mais je me ferais scrupule à dire, si je ne les ais pas rencontrés, « ornatior » et « laudatior ».
[197] Et ce n’est pas parce que je rencontre à chaque pas « scriptor » et « lectio » chez Cicéron, que j’oserais utiliser automatiquement () « scriptorculus » et « lectiuncula ».

[198] Bulephorus J’entrevois l’immensité de la tâche !
[199] Nosoponus Maintenant au tour des composés : écoute bien ! Je dirai « Amo », « adamo », « redamo » mais je ne dirai pas « deamo ». Je dirai « Perspicio », mais pas aussi facilement « dispicio ». [26,202] « Scribo », « describo », « subscribo », « rescribo », « inscribo » je les emploierai, mais « transcribo5 » je ne le dirai pas si je ne l’ai pas découvert dans les oeuvres de Marcus Tullius.

[190] Virgile Géorgiques, IV, vers 6 et 7 « In tenui labor, at tenuis non gloria si quem // numina laeua sinunt auditque uocatus Apollo". ( La IV° Géorgique porte sur les abeilles ; adresse à Mécène.) Trad. Goelzer (1926) « Le sujet de ce labeur est mince ; mais mince n’en sera pas la gloire, si le poète a la permission des divinité ennemies, et si Apollon invoqué exauce sa prière. »
[198] Silva : forêt ; abondance de matière.
[200].« Deamo te, Syre », Ter. Heaut. 4, 6, 21 : je te sais gré, Syrus.
[201] « Quod sperem non dispicio », Cic. Q. Fr. 1, 3 : je ne vois pas bien ce que je dois espérer. !
[202 ] Transcribo : copier, est chez Cic, Nat. 3, 74
***************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[203] Bulephorus Ne te plane commemorando defatiges, Nosopone, rem non aliter quam in speculo uidemus.

[204] Nosoponus Haec index ille minimus omnium complectitur.
[205] Bulephorus Cameli uideo sarcinam.

[206] Hypologus Et quidem iustam.

[P.611 L.19, éd.P.M.] [207] Bulephorus Qua ratione fit, ut in his tam uariis non aberres ?
[208] Nosoponus Primum hic nihil fido nec grammaticis nec ceteris auctoribus, quamlibet probatis, nec praeceptionibus nec regulis nec analogiis, quae plurimis imponunt.[209] In elencho noto omnes singularum uocum inflexiones, tum deriuationes, postremo compositiones. [210] Quae sunt apud Ciceronem, miniata uirgula signo, quae non sunt, atra. [211] Ita fieri non potest, ut fallar unquam.
[212] Bulephorus Quid si dictio sit apud Terentium aut aeque probatum auctorem ? notabitur atra uirgula?
[P.611 L25 éd.P.M.] [213] Nosoponus Nulla est exceptio. [214] Ciceronianus non erit, in cuius libris uel una dictiuncula reperiatur, quam non possit in Ciceronis lucubrationibus ostendere totamque phrasim hominis non aliter quam adulterinum numisma reprobam iudicabo, in qua uel unum uerbum resederit, quod Ciceroniani characteris non habeat notam, cui soli uelut eloquentiae principi datum est a superis Romani sermonis monetam cudere.
[215] Bulephorus Ista lex seuerior est etiam Draconis legibus si ob unam dictiunculam parum Ciceronianam totum uolumen damnatur quamuis alias elegans ac facundum.

[28,216] Hypologus Atqui iustum est. [217] An non uides ob unicum nummulum adulterinum ingentem pecuniae uim confiscari et uno naeuo, quamlibet exiguo totam puellae formam, licet alias egregiam, deuenustari?
[218] Bulephorus Accedo.

[219] Nosoponus Ex his quae diximus, si iam omnia conicientes satis intuemini quanta sit huius indicis moles, cogitate, quanto maior sit eius indicis, in quo formulas loquendi, tropos et schemata, gnomas, epiphonemata, lepide dicta similesque dictionis delicias omnes sum complexus. [220] Rursus tertii, qui numeros omnes et pedes, quibus M- Tullius orationis partes inchoat profert finitque, continet. 
[203] Bulephorus Ne te fatigue pas à tout exposer, Nosopon, nous voyons de quoi il s’agit aussi clairement que dans un miroir.
[204] Nosoponus Voilà ce que contient cet index, le plus petit des trois.
[205] Bulephorus Je vois ça d’ici ! Une cargaison de chameau !
[206] Hypologus Et une sacrée cargaison même !  

[207] Bulephorus Par quelle méthode arrives-tu à ne pas te tromper dans une telle variété de remarques ?
[208] Nosoponus Tout d’abord je ne fais confiance, sur aucun point, ni aux grammairiens ni aux autres auteurs, aussi reconnus soient-ils ; je ne me fie ni aux préceptes, ni aux règles ni aux analogies qui en imposent à presque tout le monde. Dans mon recueil je note pour chaque mot, tous les cas, tous les dérivés, tous les composés. Les formes qu’on trouve chez Cicéron, je les signale d’un trait rouge, celles qui n’y sont pas, d’un trait noir. De cette façon il ne peut pas se produire que je me trompe une seule fois !

[212 ] Bulephorus Et une expression qui se trouve chez Térence ou chez quelque auteur approuvé, tu la noteras aussi d’un trait noir ?
[213] Nosoponus [215] Il n’y a pas d’exception ! Ce ne saurait être un Cicéronien celui dans les livres de qui on trouverait ne serait-ce qu’une toute petite expression dont on ne pourrait montrer la trace dans les travaux de Cicéron. Et je réprouverai en bloc, tout autant que je rejetterais de la fausse monnaie, le style d’un homme qui aurait fait place à un seul mot qui ne porte pas la marque (/le coin) du style de Cicéron, le seul à qui les Puissances d’en Haut ont accordé le privilège de battre monnaie pour la langue Romaine !


[215] Bulephorus Ta loi est encore plus rigoureuse que les lois de Dracon, si à cause d’une seule petite expression, qui ne serait pas tout à fait Cicéronienne un livre, par ailleurs élégant et plein d’éloquence, se trouve entièrement condamné !

[28,216] Hypologus Oui mais c’est juste ! Ne vois-tu pas que pour une seule petite piécette de fausse monnaie une énorme quantité d’argent est saisie ? Ne vois-tu pas que la moindre verrue fait perdre à la jeune fille, la plus parfaite par ailleurs, sa beauté toute entière?
[218] Bulephorus Je l’admets.

[219] Nosoponus De tout ce que nous avons dit si vous faites maintenant la synthèse, et si vous prenez bien en considération le volume de ce premier index, vous comprendrez combien doit être encore plus épais le second dans lequel j’ai embrassé les caractéristiques stylistiques, les tropes et autres figures, les adages, les sentences, les finesses d’expression et autres semblables délices de l’éloquence. Imaginez aussi la taille du troisième qui contient tous les rythmes et pieds par lesquels Marcus Tullius commence, prolonge ou finit les parties de son discours.  [212] Térence était beaucoup lu et imité pour la clarté de sa langue.
[215]. Dracon fin VII° s avant JC. ; Solon Début VI° s ; Clisthène début V° s.**************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[221] (Nosopon suite) Nullus est enim in toto Cicerone locus, quem non ad certos pedes redegerim.

[222] Bulephorus Ista moles uel elephantum baiulum desideret.
[223] Hypologus Prorsus « hamaksiaion » onus narras.

[224] Nosoponus Atqui nihil mentior.

[P.612 L.6, éd.P.M.] [225] Bulephorus Ne ! tu septennium hoc haud male collocasti. [226] Nunc, quando perpulchre instructus es indicibus, superest ut nobis amicus amicis ac « summustais » et illud indices, quibus rationibus supellectilem istam praeclaram ad scribendi dicendiue usum accommodare soleas.
[227] Nosoponus Non committam ut quicquam per me quidem uos latuisse uideatur. [228] Ac de scribendo dicam prius, quando uere dictum est stilum optimum esse dicendi magistrum. [229] Primum illud est: nunquam ad scribendum accingor nisi nocte intempesta, cum profunda quies et [30, 229] altum silentium tenet omnia et, si mauultis Maronis audire carmen :
Placidum cum carpunt fessa soporem
Corpora per terras siluaeque et saeua quierunt
Aequora, cum medio uoluuntur sidera lapsu,
Cum tacet omnis ager, pecudes pictaeque uolucres
denique, cum tanta rerum omnium tranquillitas est, ut Pythagoras, si uiueret, orbium caelestium harmoniam exaudire liquido posset. [230] Nam tali tempore dii deaeque gaudent cum puris mentibus miscere colloquium.

[221] (Nosopon suite) En effet je peux dire qu’il n’y a aucun passage dans toute l’œuvre de Cicéron que je n’aie ramené à des formes métriques fixes.
[222] Bulephorus Mais pour une telle masse, même un éléphant ne suffirait pas comme porte-faix (bête de somme) !
[223] Hypologus A ce que tu dis c’est carrément un chariot qu’il faudrait pour tout ce chargement !
[224] Nosoponus Mais pourtant je ne mens pas du tout !

[225] Bulephorus Oui vraiment !
Tu n’as pas mal employé tes sept ans ! Maintenant que tu es si bien équipé en lexiques il ne te reste plus qu’à nous indiquer en ami, à nous tes amis et tes « correligionnaires », comment tu te sers ordinairement de tous ces excellents outils pour passer à la pratique, pour parler et écrire.

[227] Nosoponus Je me garderai bien de vous donner l’impression de vous cacher quelque chose. Je parlerai d’abord de l’art d’écrire, tant il est vrai, comme on dit, que la plume est le meilleur maître d’éloquence. Voici mon premier principe : jamais je ne m’apprête à écrire avant le milieu de la nuit, lorsque un grand calme et un silence profond tiennent toutes les choses et si, vous préférez l’entendre de la bouche de Virgile, lorsque
« Sur toute la terre, les corps épuisés cueillent la paix du sommeil ; que les forêts et les mers cruelles sont au repos, que les astres se retournent, au milieu de leur chute ; que partout les champs se taisent, (ainsi que) les troupeaux et les oiseaux bigarrés… »,
quand enfin, la tranquillité est si grande que Pythagore, s’il vivait encore, pourrait entendre clairement l’harmonie des sphères célestes.
Dans un tel moment, en effet, dieux et déesses prennent plaisir à nouer conversation avec les âmes pures. [229] Virgile Enéide IV, 520 ss. La citation est adaptée par Nosopon pour s’accorder aux temps de son discours.
« C'était la nuit, et sur toute la terre, les corps épuisés cueillaient la paix du sommeil; les forêts et les mers cruelles étaient au repos, au moment où les astres se retournent, au milieu de leur chute. 4, 525 Partout les champs se taisent : les troupeaux et les oiseaux bigarrés, les habitants des lacs aux étendues limpides et des épaisses broussailles dans les campagnes, se reposant la nuit dans un sommeil silencieux ». [229] Pythagore (v. 570-500 av. J.C.)
Son existence même demeure très mystérieuse, presque légendaire. Son système philosophique repose, entre autres, sur deux principes : "Qu'y a-t-il de plus sage ? Les nombres. Qu'y a-t-il de plus beau ? L'harmonie." Il aurait été le premier à affirmer la rotondité de la Terre, car la sphère étant la forme parfaite, l'univers en général ne peut être que sphérique : chaque planète est située sur un cercle. En outre, les astres produisent un son, comme tout objet en mouvement, et, selon le principe d'harmonie, ces sons ne peuvent être que sublimes : la musique produite par la vibration des différentes sphères devait composer une octave parfaite. (Expo : La vilette, 2004-2005) [http://archives.universcience.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/planete/soleil/rub_decouvrir/2.1.htm]
Philolaos (Ve siècle av. J.C.) Héritier des philosophes pythagoriciens, ses conceptions du monde ne sont connues qu'à travers Platon. Son système reprend le principe des huit sphères correspondant aux sept planètes et à la sphère des étoiles fixes. Il y ajoute la sphère de la Terre, qui n'est plus immobile au centre du monde, mais tourne avec les autres autour du Feu central, Hestia (qui n'est pas le Soleil). Pour parvenir au nombre sacré de 10 sphères, il imagine une autre planète, l'Anti-Terre, toujours invisible parce que parfaitement opposée à la Terre par rapport au Feu central. Il est le premier à penser, quoique de façon fantaisiste, que l'univers n'est pas géocentrique. Idem : [http://archives.universcience.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/planete/soleil/rub_decouvrir/2.1.htm]
L’harmonie des sphères (Wikipédia) est une théorie d'origine pythagoricienne, fondée sur l'idée que l'univers est régi par des rapports numériques harmonieux, et que les distances entre les planètes dans la représentation géocentrique de l'univers — Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne, sphère des fixes — sont réparties selon des proportions musicales, les distances entre planètes correspondant à des intervalles musicaux. La secte des pythagoriciens se partageait entre mathématiciens (de mathematikoi en Grec, « ceux qui savent ») et acousmaticiens (acousmatikoi, « ceux qui écoutent » les préceptes du maître Pythagore), mais les deux étaient intéressés par la notion, à la fois scientifique (astronomie, proportions, musicologie) et métaphysique (notion de Tout, d'harmonie).
La théorie de l'harmonie des sphères chez les pythagoriciens est attestée dès Platon (La République, 530d, 617b ; Cratyle, 405c) et surtout Aristote (Du ciel, 290b12). Elle date sans doute d'une période postérieure à Pythagore (530 av. J.-C.) et même à Philolaos (400 av. J.-C.).********************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[231] Hypologus Isto noctis tempore nos profani lemurum occursus formidare solemus.
[232] Nosoponus At nobis Musae dederunt et inauspicatos lemures "et malignum spernere uulgus".

[233] Bulephorus At sunt noctes adeo tranquillae, ut in his Austri Boreaeque ruinas aedium ac miseranda ludant naufragia3.
[234] Nosoponus Noui, sed ego tranquillissimas eligo.
[235] Non arbitror esse uanum, quod scripsit Ouidius :
"Est deus in nobis, agitante calescimus illo". [236] Si quid igitur diuinum habet hominis animus, id sese profert in eo profundissimo silentio.
[237] Bulephorus Non me fugit istud secretum semper a laudatissimis uiris fuisse captatum, quoties aliquid immortalitate dignum molirentur.

238] Nosoponus Habeo museum in intimis aedibus, densis parietibus, geminis et foribus et fenestris, rimis omnibus gypso piceque diligenter obturatis, ut uix interdiu lux aut sonitus ullus possit irrumpere nisi uehementior, qualis est feminarum rixantium aut fabrorum ferrariorum.

[P.612 L.32, éd.P.M.] [32,239] Bulephorus Vocum humanarum tonitrua et officinarum strepitus non sinunt animum sibi praesentem esse.
[240] Nosoponus Proinde ne in proximis quidem conclauibus patior quemquam habere cubile, ne uel dormientium uoces ronchiue cogitationis secretum interpellent.
[241]Sunt enim qui in somnis loquuntur, et nonnulli tam clare stertunt, ut procul etiam audiantur.

[242] Hypologus Mihi frequenter et sorices noctu scripturienti negotium facessunt.
[243] Nosoponus In meis aedibus ne muscae quidem locus est.

[244] Bulephorus Sapienter tu quidem atque etiam feliciter, Nosopone, si queas et animi curas obstrepentes1 excludere; quae si nos et nocte comitantur in abditum illud, quid profecerimus captato silentio?

[231] Hypologus A cette heure de la nuit, nous les profanes, nous craignons plutôt la rencontre des fantômes !
[232] Nosoponus Mais à nous, les Muses ont donné la chance de mépriser aussi bien les lugubres fantômes que « la foule mal-intentionnée ».

[233] Bulephorus Mais il y a des nuits si tranquilles que l’Auster et le Borée, comme pour rire, font crouler les maisons et provoquent de lamentables naufrages !
[234] Nosoponus Je le sais bien ! mais je choisis les nuits les plus calmes. Je crois qu’Ovide n’a pas tort de dire : « Un dieu nous habite, et quand il nous tourmente, nos cœurs brûlent ». S’il y a donc quelque chose de divin dans l’âme de l’homme, il ne peut se révéler que dans le plus profond silence.

[237] Bulephorus Il ne m’échappe pas que les hommes les plus admirés, tous ceux qui ont entrepris une tâche digne de l’immortalité, ont recherché cette solitude secrète de la nuit.

[238] Nosoponus J’ai, dans les entrailles de ma demeure, un cabinet de travail aux murs épais, dont les portes et les fenêtres sont doublées, dont les moindres fissures ont été bouchées par du plâtre et soigneusement calfeutrées à la poix : c’est à peine si la lumière et les bruits peuvent y pénétrer à l’occasion, et encore faut-il qu’ils soient bien forts, comme les disputes des femmes et les bruits de forge !

[32,239] Bulephorus
L’éclat des voix humaines et le fracas des fabriques ne permettent pas la concentration de l’esprit.

240] Nosoponus C’est pourquoi, je ne tolère pas non plus qu’on dresse un lit dans l’une des chambres à proximité. Il ne s’agirait pas que les paroles des dormeurs, ne serait-ce que cela, ou leurs ronflements ne viennent interrompre la profondeur de ma réflexion ! [241] Parce que, vous ne le croirez peur-être pas, il y a des hommes qui parlent en dormant, et certains éternuent si bruyammant qu’on les entend même de loin !

[242] Hypologus Moi, souvent, ce sont les souris qui me font des histoires quand je veux écrire en pleine nuit !

[243] Nosoponus Dans ma demeure il n’y a même pas de place pour une mouche !

[244] Bulephorus Tu serais bien sage, Nosopon, et même bien heureux si tu pouvais aussi laisser à la porte les soucis qui mènent leur danse au fond de notre âme : s’ils entrent avec nous, la nuit, dans notre retraite, à quoi nous servira le silence que nous aurons gagné ? [232] Allusion à Horace Odes, II,XVI Vers 37-40 ( derniers vers du poème ) « La Parque véridique m'a donné un petit domaine, un peu du souffle de la Muse Grecque [2,16,40] et le mépris du vulgaire envieux. » « […] mihi parva rura et // spiritum Graiae tenuem Camenae // Parca non mendax dedit et malignum // spernere uolgus »
[233] Auster : vent du Sud. Borée vent du nord.
[235] Ovide, Fastes VI, 5.
[244] le sens premier de obstrepo est : faire du bruit. Buléphore et Nosopon jouent sur ce sens.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[245] Nosoponus Recte mones, Bulephore. [246] Nam intelligo tumultus istos aliis saepe molestiores esse quam uicinorum fabrorum folles aut malleos.
[247] Bulephorus Quid ergo ? tibi nunquam obstrepunt amor, odium, liuor, spes, metus, zelotypia ?

[248] Nosoponus Ne te multis morer, illud semel scito, Bulephore, qui amore zelotypia ambitione studio pecuniae similibusque tenentur morbis, eos frustra hanc ambire laudem, cuius nos sumus candidati. [249] Res tam sacra requirit pectus non modo purum ab omnibus uitiis, uerum etiam ab omnibus curis uacuum, non aliter quam secretiores illae disciplinae, magia, astrologia
et quam uocant alcumisticam.
[250] Porro leuiores illae curae facile cedunt intentioni tam acri tamque seriae. [34,251] Quamquam et has, si quae sunt, dispello, priusquam sacrum illud adeam.
[252] Nam in hoc animum multo studio consuefeci meum. [253] Atque hac potissimum de causa caelebs agere decreui, nequaquam ignarus quam sacra res sit coniugium, sed quod uitari nequit quin uxor liberi affines multam curarum materiam secum trahant.

Bulephorus [254] Sapuisti, Nosopone. [255] Nam mea coniux, si noctu parem ad istum modum operam dare Ciceroni, perrumperet ostium, laceraret indices, exureret schedas Ciceronem meditantes et, quod his etiam est intolerabilius, dum ego do operam Ciceroni, illa uicarium accerseret, qui ipsi pro me operam daret. [256] Itaque fieret, ut dum ego meditor euadere Ciceroni similis, illa gigneret aliquem Bulephoro dissimilem.

[P.613 L 23 éd.P.M.] Nosoponus [257] Istuc quoniam scio quibusdam usu uenisse, alieno monitus periculo mihi in tempore caui. [258] Eodem consilio nec ullum munus publicum nec ecclesiasticam dignitatem suscipere uolui, ne quid ex his accederet animo sollicitudinis.

[259] Bulephorus At ista magnis studiis ambiuntur ab aliis.
[260] Nosoponus Non equidem inuideo. [261] Mihi uel consulatu uel summi pontificis regno potius est tum esse tum haberi Ciceronianum.

[262] Hypologus Qui uere amat, praeter unam amare non potest.

[245] Nosoponus Tes avertisssements sont justes Buléphore. Je sais bien que, pour les autres hommes, ce genre de tumulte est bien souvent plus pénible que le bruit des soufflets et des marteaux de la forge voisine.
[247] Bulephorus Mais quoi ? Toi, jamais ne te tourmentent amour, haine, envie, espoir, crainte, jalousie ?

[248] Nosoponus Pour ne pas te faire perdre ton temps : sache une fois pour toutes, Buléphore, que si l’on est possédé par la jalousie, l’ambition, le goût de l’argent, et autres maux semblables, c’est en vain qu’on brigue cette gloire à laquelle nous, nous sommes candidats. [249] Une chose si sainte réclame évidemment un coeur pur de tout vice, mais il faut encore qu’il soit libre de toute préoccupation, exactement comme l’exigent ces sciences de la solitude et du secret que sont la magie, l’astrologie, et celle qu’on appelle l’alchimie.
[250] D’ailleurs, ces préoccupations, plutôt superficielles, cèdent facilement à l’orientation (concentration) si intense et si sérieuse de mon esprit. [251] Pourtant, si elles surviennent, celles-là aussi je les chasse avant d’entrer dans ce lieu saint : [252] je me suis mentalement entraîné à cela avec le plus grand soin. [253] Et c’est plus particulièrement pour cette raison que j’ai décidé de vivre en célibataire : ce n’est absolument pas que j’ignore quelle chose sacrée est le mariage, mais c’est qu’il n’est pas possible d’éviter tous les ennuis qu’entraînent à leur suite femmes, enfants, famille …

[254] Bulephorus Tu as agi bien sagement Nosopon ! Moi, si je me préparais à m’occuper de Cicéron de cette façon, en pleine nuit, ma femme ferait sauter la porte, lacèrerait les dictionnaires, brûlerait les fiches que je lui ai consacrées, et ce qui est encore plus intolérable, pendant que je m’occupe de Cicéron, elle ferait venir un remplaçant qui s’occuperait d’elle à ma place ! Et ainsi, tandis que je travaillerais à ressembler le plus possible à Cicéron, elle m’engendrerait un (petit) être qui ne ressemblerait pas du tout à Buléphore !


[257] Nosoponus Comme je savais que cette mésaventure était déjà arrivée à quelques uns, averti par l’expérience ( le malheur) d’autrui , j’ai pris mes dispositions en temps et en heure. C’est dans le même esprit que je n’ai pas voulu me charger d’une fonction publique ni d’une dignité ecclésiastique, pour éviter toutes les sortes de préoccupations qui risqueraient d’en provenir.
[259] Bulephorus Ces fonctions sont pourtant recherchées par les autres avec le plus vif empressement.
[260] Nosoponus Je ne les envie vraiment pas. Pour ma part il vaut mieux être Cicéronien et être reconnu comme tel que d’avoir le consulat ou même le trône du Grand Pontife.

[262] Hypologus Qui aime véritablement ne peut aimer qu’une seule femme.
[247] Zelotypia : jalousie Voir [Ph.24] Zélodoulie : esclavage de l’imitation Zêloô : rechercher avec ardeur ; chercher à imiter Thc. Pl. ; envier jalouser
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[263] Nosoponus Tum si quid huius rei paro, sub eam noctem a cena tempero, leuiter etiam pransus, ne quid crassae [36,263] materiae liquidioris animi sedem inuadat neu qua nebula e stomacho exhalata grauet "atque affigat humo diuinae particulam aurae".

[264] Bulephorus Sic affectum fuisse arbitror Hesiodum, cum Musae cum ipso loquerentur.
[265] Hypologus "At Ennius ipse pater nunquam nisi potus ad arma prosiliit dicenda ».
[266] Nosoponus Et ideo scripsit uinum olentia carmina.
[267] Bulephorus "Et satur est, cum dicit Horatius "ohe".


[268] Nosoponus Quid agat furor poeticus, nihil ad nos. [269] Ciceromanum esse sobria res est.
[270] Hypologus Me cerebrum destituit, si quando ieiuno.
[271] Nosoponus Non plane ieiunum est. [272] Sumo decem acinos uuae passae minutulae, quam Corinthiacam uocant. [273] Hic neque cibus est neque potus et tamen utrunque est.
[274] Bulephorus Intelligo. [275] Leniter humectant conferuntque cerebro ac memoriae.
[276] Nosoponus Addo tria coriandri grana saccaro incrustata.
[277] Bulephorus Optime, ne quid uaporis ex decem illis acinis prouolet in mentis sedem.

[278] Nosoponus Neque uero quibuslibet noctibus abutor ad hanc operam.
[279] Bulephorus Non ? [280] Eas excepisti, quibus saeuit Auster aut Boreas. [281] Fortassis hibernas fugis ob noctis rigorem.
[282] Nosoponus Hoc incommodi facile depellit focus luculentus.
[ 263] Nosoponus Si je me prépare à quelque activité de cette sorte, ce soir là je m’abstiens de dîner ; le midi déjà je mange légèrement pour éviter que la matière épaisse n’envahisse le siège de l’âme, si subtile, ou que quelque vapeur s’élevant de l’estomac n’alourdisse « et ne cloue au sol cette légère parcelle de souffle divin ».

[264] Bulephorus A mon avis Hésiode était dans cet état quand il entendait les Muses lui parler !
[265] Hypologus « Mais Ennius lui-même, notre père, n’entonnait jamais le chant des combats sans avoir bu un coup ». (Horace)
[266] Nosoponus Et c’est comme cela qu’il écrivit des poèmes qui sentent le vin !
[267] Bulephorus « Et Horace a le ventre bien rempli, quand il lance son « Evohé ! » (Juvénal).

[268] Nosoponus Les effets de la possession (enthousiasme) poétique ne nous concernent pas. Etre Cicéronien requiert de la sobriété.
[270] Hypologus Moi, ma tête m’abandonne si je jeûne.
[271] Nosoponus Ce n’est pas complètement du jeûne.
Je prends une dizaine de petis grains de ce raisin séché qu’on appelle raisin de Corinthe. Ce n’est ni de la nourriture ni de la boisson et pourtant c’est un peu les deux.

[274] Bulephorus Je comprends. Ils fondent doucement en bouche et contribuent au travail intellectuel et à la mémoire.
[276] Nosoponus j’y ajoute trois grains de coriandre enrobés de sucre.
[277] Bulephorus Excellent ! Pour que la vapeur (d’alcool) produite par ces dix grains de raisin ne monte pas jusqu’au siège de la pensée !

[278] Nosoponus Et bien sûr je ne consacre pas n’importe quelles nuits à cette activité.

[279] Bulephorus Ah non ? Tu exclus celle où sévissent le Borée et l’Auster ? Peut-être fuis-tu les nuits d’hiver, à cause de la rigueur du froid ?

[282] Nosoponus Il suffit d’un bon feu pour chasser cet inconvénient ![263] Prandium repas du midi ( léger) ; Cena repas du soir (plus consistant) .
[263]. Horace Sat. II, 2, 79 Dans cette Satire, Horace fait l’éloge de la frugalité. « Diuinae particulam aurae » Les Pythagoriciens et après eux, les Stoïcens pensaient que l’âme était une parcelle de l’âme du monde Voir Cic. De senectute,78 : «Pythagoreos nunquam dubitasse quin ex universa mente divina delibatos animos haberemus ». (Trad. P. Wuilleumierin Budé : … Pythagore et les pythagoriciens n’ont jamais mis en doute que nos âmes fussent détachés de l’esprit divin qui anime l’univers ».
[264] Hésiode : Théogonie (v. 22-35) les Muses donnent au poète la mission de chanter les dieux immortels. Repris dans les Travaux et les jours vers 658-659. Ces deux passages d’Hésiode définissent sa conception de l’inspiration, plus libre que celle d’Homère.
[265]. Prosilire ad arma : sauter sur ses armes, mais arma dicere / canere : chanter les combats. Ennius est un poète épique (239-169 av. J.C.), ses armes sont le stylet et les tablettes ! Citation d’ Horace Epist. I, 19,7. — Erasme, semble-t-il, a lu prosiliit pour prosiluit (P. Mesnard). Horace traite de l’imitation dans cette épitre : quoiqu’imitant les grecs il le fait avec originalité et invention.
Traduction de ce passage d’Horace : Ch.-M. LECONTE de LISLE (1818-1894) sur Itinera electronica
[1,19,1] Si tu en crois le vieux Cratinus, (—NB. comique grec de l’époque d’Aristophane), docte Maecenas, aucuns vers ne peuvent plaire longtemps ni vivre s'ils ont été écrits par des buveurs d'eau. Dès que Liber (—NB. Dionysos) eut inscrit des poètes insensés parmi les Satyres et les Faunes, (1,19,5) les douces Muses sentirent le vin dès le matin. Homérus est tenu pour ivrogne, ayant fait l'éloge du vin; le Père Ennius lui-même ne s'est jamais élancé pour chanter les armes qu'après avoir bu. Je renvoie les gens à jeun au Forum et au Putéal de Libon; je défends aux sobres de chanter. (1,19,10) Depuis cet édit, les poètes n'ont point cessé de boire la nuit à qui mieux mieux, et de sentir le vin pendant le jour. Quoi! si quelqu'un, avec une face farouche, des pieds nus et l'étroite étoffe de sa toge, singe Cato, nous représentera-t-il les moeurs et la vertu de Cato? (1,19,15) L'éloquence rivale de Timagénès a fait crever Iarbita qui s'efforçait de paraître aussi poli et aussi disert. Un modèle imitable par ses défauts trompe. Si je pâlissais par hasard, ils boiraient du cumin qui rend exsangue. O imitateurs, troupeau servile, que votre cohue m'a souvent (1,19,20) remué la bile, ou fait rire! [...]
[267]. Juvénal Satires VII, 62. ***********************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[P.614 L.7 éd.P.M] [283] Hypologus At interim obstrepit fumus et materiae crepitus.
[38,284] Nosoponus Acapnis utor.
[285] Bulephorus Quas igitur noctes deligis ?
[286] Nosoponus Paucae sunt felices huic sane negotio, proinde prosperas deligo.
[287] Bulephorus Unde quaeso ?
[288] Nosoponus Ex astrologia.
[289] Bulephorus Cum te plus quam totum possideat Cicero, qui fuit otium astrologiae perdiscendae ?
[290] Nosoponus Indicem mihi mercatus sum ab huius artis peritissimo. [291] Huius consilio rem gero.

[292] Hypologus Audio multos indicibus istiusmodi fuisse delusos, quoties scriptor errauit in numero.
[293] Nosoponus Exploratum ac spectatum emi.
[294] Bulephorus Deum immortalem! [295] Istuc est scribere. [296] Nec jam miror, Hypologe, si nostra sunt incondita rudiaque. [297] Verum ad istum composito modum utra cogitatio prior, de rebus an de uerbis ?
[298] Nosoponus Utraque prior et utraque posterior.
[299] Bulephorus Aenigma dedisti, non responsum.

[300] Nosoponus At explicabo nodum.
[301] In genere de rebus prior est cogitatio, in specie posterior.
[302] Bulephorus Nondum satis liquet, quid uelis.
[303] Nosoponus Exemplo faciam perspicuum.
[304] Statui scribere Titio (sic fingite), ut quam primum curet ad me remittendos codices, quos illi commodato dederam, si nostram amicitiam uelit esse incolumem.
[305] Nam incidisse quiddam, ut illis mihi uehementer sit opus. [40,306] Id si fecerit, nihil esse in rebus meis, quod non suum ducere possit. [307] Sin minus, me ueteris amicitiae tesseram illi remittere ac simultatem denuntiare. [308] Haec prima cogitatio nimirum de re, sed in genere.
[309] Bulephorus Intelligo.
[310] Nosoponus Huic illico succedit uerborum cura. [311] Euoluo quam plurimas Ciceronis epistulas, elenchos meos omnes consulo, seligo uoces aliquot insigniter Ciceronianas, deinde tropos2, formulas, tum numeros. [312] Demum affatim instructus huiusmodi supellectile dispicio, quos flosculos quibus locis possim inserere. [313] Mox ad sententiarum curam redeo3. [314] Hoc enim iam artis est sensus ad haec uerborum ornamenta inuenire.
[283] Hypologus Mais parfois la fumée gêne et le bois crépite.
[38,284] Nosoponus Je prends du bois « qui ne fume pas » (Martial)
[285] Bulephorus Quelle nuits choisis-tu donc ?
[286] Nosoponus Il y en a peu qui sont propices à cette occupation, qui est un travail à part entière, c’est pourquoi je choisis celles qui sont favorables. [287] Bulephorus Par quelle méthode, s’il te plaît ?
[288] Nosoponus Par l’astrologie
[289] Bulephorus Alors que tu es tout entier pris par Cicéron, comment as-tu trouvé le temps d’étudier l’astrologie ?
[290] Nosoponus J’ai acheté un manuel à un homme qui s’y connaît très bien dans cet art. C’est sur ses indications que je mène mon affaire.
[292] Hypologus J’ai entendu dire que plus d’un s’est retrouvé berné par ce genre de manuel, parce que l’auteur s’était trompé dans son horoscope.
[293] Nosoponus J’en ai acheté un qui a fait ses preuves !
[294] Bulephorus Dieu du Ciel ! ça c’est écrire ! Je ne m’étonne plus maintenant, Hypologus, que ce que nous écrivons soit si informe et si peu raffiné ! Mais pour écrire une œuvre suivant cette méthode, à quoi réfléchis-tu en premier ? aux idées ou aux mots ?
[298] Nosoponus Chacune de ces choses est première et chacune d’elle est seconde.
[299] Bulephorus C’est une énigme que tu me donnes là, pas une réponse !
[300] Nosoponus Mais, je vais t’expliquer le nœud du problème. Du point de vue du genre, la réflexion sur le contenu est première, du point de vue de l’espèce elle est seconde.
302] Bulephorus Je ne vois pas encore clairement ce que tu veux dire.
[303] Nosoponus Je vais te le faire voir par un exemple.
J’ai décidé d’écrire une lettre à Titius (Imaginons cela!) pour lui demander de me renvoyer le plus vite possible des livres que je lui ai prêtés, s’il tient à ce que nous restions bons amis :
un imprévu fait que j’en ai le plus grand besoin. S’il s’exécute, il n’y a rien dans tous mes biens qu’il ne puisse considérer comme sien ! [307] Sinon, je lui fais savoir que je lui renverrai le gage de notre vieille amitié et que je lui déclarerai une guerre ouverte ! [308] Cette première réflexion porte évidemment sur les idées, mais du point de vue du genre. [309] Bulephorus Je comprends.
[310] Nosoponus Mais immédiatement après vient le travail sur les mots. Je feuillette autant de lettres de Cicéron que je peux, je consulte tous mes dictionnaires, je sélectionne un certains nombre d’expressions typiquement Cicéroniennes, puis les tropes et les formules puis viennent les rythmes. Alors enfin, abondamment pourvu de toute cette sorte de matériaux, je regarde quels ornements je peux introduire, à quel endroit je peux les mettre. Après cela je reviens au travail des pensées. En effet c’est maintenant la tâche de l’art de trouver le sens qui va convenir à ces ornements rhétoriques.[284] Acapna ligna : (Martial,13,15) bois qui ne fume pas en brûlant. Néologisme tiré du grec : Kapnos : fumée. Un distique avec un titre.
[13,15] XV. « Ligna acapna. // Si uicina tibi Nomento rura coluntur, // ad uillam moneo, rustice, ligna feras ».
[311] Tropes : voir : http://www.hku.hk/french/dcmScreen/lang3033/lang3033_intro_figures.htm
[313] L’opposition verborum cura ( 310 ) et sententiae cura (314) recouvre la distinction de la forme et du fond. ******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[P.614 L.31 éd.P.M.] [315] Hypologus Haud aliter quam si quis egregius artifex uestem praeclaram apparet, ad haec, monilium, anulorum et gemmarum uim, mox ceream affingat statuam, cui haec accommodet ornamenta uel potius, quam ad ipsa conflectat ornamenta.

[316] Bulephorus Quidni? [317] Verum age, Nosopone, num tota nox uni datur epistulae ?

[318] Nosoponus Quid mihi narras unam? [319] Musis pulchre uideor litasse, si periodum unicam absoluerit nox hiberna.

[320] Bulephorus Itane de re tam non magna tam prolixas scribis litteras ?
[321] Nosoponus Immo perbreues, ne sis insciens, ut quae sextam periodum non excedant.
[322] Bulephorus Quin igitur sex noctes sufficiunt his absoluendis ?
[42,323] Nosoponus Quasi satis sit scripsisse semel.
[324] Decies refingendum quod scripseris, decies ad indicem exigendum, ne qua forte dictiuncula te fefellerit adulterina.[325] Rursus altera superest examinatio de tropis ac formulis, postrema de numeris et compositione.


[326] Bulephorus Istuc nimirum est opus absoluere.


[327] Nosoponus Ne id quidem satis, o bone.
[328] Dehinc, quod elaboratum est cur quanta potest maxima, seponendum est in aliquot dies, ut ex interuallo, refrigerato iam inuentionis amore, uelut aliena legas quae tua sunt. [329] Hic demum grauis agitur censura. [330] Hoc seuerum, incorruptum et, ut Graeci uocant, « adekaston » iudicium, ubi qui scripsit, ex parente fit Areopagites. [331] Hic saepenumero fit ut uerso stilo nihil relinquas.

[332] Bulephorus Omnino sic fiunt accuratae litterae, sed interim ille fruitur codicibus abs te desideratis.
[333] Nosoponus Istuc incommodi malim perpeti quam aliquid a me proficisci quod non sit Ciceronianum. [334] Ducitur suo quisque iudicio. [335] Ego malim multum scribere quam multa.



[315] Hypologus C’est à peu près comme si un excellent artisan préparait un très beau costume et, là-dessus, se mettait à façonner force colliers, bagues et pierreries pour finir par un mannequin de cire sur laquelle il arrangerait tous ces ornements ou pour mieux dire qu’il plierait à la forme même de ces ornements.

[316] Bulephorus Et pourquoi pas ? Mais allons, Nosopon, ne me dis pas que la nuit toute entière est consacrée à cette seule lettre ?
[318] Nosoponus Une seule nuit ? Qu’est-ce que tu me chantes là ? J’ai déjà l’impression d’avoir obtenu la protection spéciale des Muses quand je réussis à mettre au point une seule période en une nuit d’hiver.

[320] Bulephorus Tu écris vraiment une lettre aussi étendue sur un sujet d’aussi faible importance ?
[321] Nosoponus Au contraire je les fais très courtes, pour ne rien te cacher, puisqu’elles ne dépassent pas six périodes.
[322] Bulephorus Pourquoi dans ce cas six nuits ne suffisent-elles pas à les achever ?

[42,323] Nosoponus Comme s’il suffisait de les écrire une fois ! [324] Il faut refaire dix fois ce que l’on a écrit, dix fois se référer au dictionnaire (se régler sur), de peur que la moindre particule illégitime ne t’ait échappé. [325] Puis après il faut encore une seconde relecture, pour les tropes et les formules, puis en dernier lieu une troisième pour les rythmes et l’arrangement harmonieux des mots

[326] Bulephorus Voilà ce qu’on appelle aller jusqu’au bout de son ouvrage !

[327] Nosoponus Ce n’est même pas encore assez, mon cher ! Après cela, ce que tu as élaboré avec le plus grand soin possible, il faut le laisser de côté pendant plusieurs jours, pour laisser refroidir en quelque sorte ta passion créatrice, et après cet intervalle lire le fruit de ton travail comme l’œuvre d’un autre. [329] Ce n’est qu’à partir de ce moment que peut s’exercer une censure (critique) sérieuse, ce jugement sévère incorruptible et comme disent les Grecs « adekaston » ( intègre), où l’écrivain, de père du discours se fait juge de l’Aréopage ! [331] Au cours de cette opération bien souvent on efface et on ne laisse rien !

[332] Bulephorus C’est tout à fait comme cela que se fait une lettre soignée, mais pendant ce temps ton destinataire profite des livres dont tu as besoin !
[333] Nosoponus Je préfèrerais subir ce dommage que de laisser émaner de moi quelque chose qui ne soit pas Cicéronien. [334] Chacun est entraîné par son propre point de vue. Moi je préfèrerais travailler beaucoup mes écrits qu’écrire d’abondance !

[ ] Virgile Bucoliques 2, 65 « Trahit sua quemque voluptas 
[330] Adekastos (adj. grec) : intègre. (Aristote, Eth. Nic. : 2,9,6 ) *********************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[336] Bulephorus Scribendi rationem habemus. [337] Ad dicendum qua meditatione te paras ?
[338] Nosoponus Prima cautio est, ne cui loquar Latine, quod queam effugere.
[339] Bulephorus Ne Latine? [340] Atqui dicendo fieri praedicant, ut bene dicamus. [341] Nouum autem exercitationis genus, si silendo discimus loqui.

[P.615 L17, éd.P.M.] [44,342] Nosoponus Dicendo fit ut dicamus expedite, ut Ciceroniano more, nequaquam. [343] Qui se parant equestri certamini, generosos equos a cursu prohibent, quo ad seriam rem integris uiribus ueniant. [344] Nec uenator prius demit lorum generoso cani, quam uisa est fera. [345] Ad garriendum de quibuslibet nugis sufficit mihi sermo Gallicus aut Batauicus; profanis ac uulgaribus fabulis non contamino sacram linguam. [346] Quodsi qua res urget, ut Latine dicendum sit, et pauca loquor nec sine praemeditatione. [347] Et in eum usum habeo paratas aliquot formulas.

[348] Bulephorus Quas dicis formulas ?
[349] Nosoponus Velut si sit salutandus aut resalutandus amicus eruditus, qui forte factus est obuius, aut uicissim laudandus, qui te laudarit, aut si gratulandum ex longinqua peregrinatione reduci siue ex aegrotatione graui rediuiuo, aut agendae gratiae , qui praestitit officium, aut bene precandum ei, qui nuper duxerit uxorem, aut deplorandus casus, cui periit uxor. [350] Ad haec et huiusmodi formulis instructus sum e Cicerone decerptis atque concinnatis; eas edidici, quo possim uti uelut ex tempore. [351] Porro si quis casus inciderit, ut uitari non queat quin in longum proferatur sermo, protinus multa lectione diluo quod contractum est labis. [352] Neque enim me fugit, hoc ipso colloquio, quod uobiscum nunc habetur, quantum flagitiorum admittam, quantum detrimenti capiam ad id quod molior. [353] Itaque ad sarciendium uix menstrua suffecerit lectio.

[354] Bulephorus Quid si detur spatium meditationi?
[46, 355] Nosoponus Tum quod fuerit iis quas dixi rationibus elucubratum edisco, quoque sit memoria certior, subinde mecum recito ; ita fit ut, cum res poscit, ueluti de scripto pronuntiem.

[336] Bulephorus Nous connaissons maintenant ta méthode pour écrire. Mais pour parler, quelle préparation suis-tu?

[338] Nosoponus Ma première précaution est de ne jamais parler en latin, à personne, pour autant que je puisse l’éviter.
[339] Bulephorus Ne pas parler latin ? Mais on ne cesse de répéter que c’est en parlant qu’on apprend à bien parler ? Nouveau genre d’exercice que d’apprendre à parler en se taisant !

[44,342] Nosoponus    C’est en parlant qu’on apprend à parler couramment, mais en aucun cas à s’exprimer à la manière de Cicéron. Ceux qui s’apprêtent à participer aux courses hippiques ne laissent pas galoper à fond leurs chevaux de race afin qu’ils en viennent aux choses sérieuses avec toutes leurs forces intactes. Le chasseur n’ôte pas non plus la laisse à son meilleur chien de chasse avant que le gibier ne soit en vue. Pour bavarder de tout et de rien le français ou le flamand me suffit. Je ne veux pas contaminer la langue sacrée par des histoires d’une banalité quotidienne et triviale. [346] Mais si la situation exige que je parle latin, je prononce quand même quelques mots mais ce n’est pas vraiment sans préparation. [347] Pour ce genre de cas j’ai quelques phrases toutes faites.
[348] Bulephorus De quelles formules parles-tu ?
[349] Nosoponus Par exemple, s’il faut saluer un ami lettré, que j’ai rencontré en chemin, ou répondre à son salut, ou s’il faut retourner un compliment à quelqu’un qui vient de t’adresser le sien, ou s’il faut féliciter un homme qui revient d’un long voyage à l’étranger, ou encore qui relève d’une grave maladie, ou s’il faut remercier celui qui t’a rendu un service, ou s’il faut souhaiter le bonheur à un homme qui vient de prendre femme ou s’il faut déplorer avec un autre la perte de son épouse. [350] Pour ces cas et ceux du même genre, je suis pourvu de formules que j’ai cueillies chez Cicéron et assemblées habilement. [351] Je les ai apprises par cœur pour pouvoir m’en servir comme si j’improvisais. De plus si un événement imprévu exige que l’entretien se prolonge, immédiatement après je cherche à diluer par d’abondantes lectures la souillure que j’ai ainsi contractée. [352] Et d’ailleurs je vois bien combien de fautes honteuses je laisse passer dans cet entretien que nous avons maintenant, quels dommages je subis du point de vue de la grande ambition que je nourris. Cela ne m’échappe pas ! [353] Pour réparer tout cela il ne faudra pas moins d’un mois de lecture.

[354] Bulephorus Et comment fais-tu si tu as le temps de te préparer ?
[46, 355] Nosoponus Alors J’apprends par cœur ce que j’ai élaboré au cours de mes veilles selon la méthode que je vous ai expliquée, puis je me le récite à maintes reprises afin que ma mémoire soit sans faille. Ainsi, quand la situation l’exige, je peux prononcer mon discours comme si je déclamais un texte écrit.
***************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1) 
[356] Bulephorus Quid si qua necessitas exigeret extemporalem orationem ?
[357] Nosoponus Qui potest incidere, qui nihil ago publicam? [358] Et si quam functionem publicam obirem, non sum melior Demosthene, qui nunquam uoluit nisi meditatus assurgere, quamlibet populi uocibus efflagitatus. [359] Nec mihi pudendum ducerem, quod in oratorum apud Graecos principe laudatur, nec me paeniteat conuicii, si quis dicat mea « ton luchnon apozein1 ». [P.616 L5 éd.P.M.]
[P.616 L6, éd.P.M.] [360] Bulephorus Equidem et propositum tuum admiror et animi fortitudinem suspicio, Nosopone, supra quam dici possit ; inuiderem etiam, si uel in hoc genere studiorum uel inter tam coniunctos amicos ac sodales tanta pestis incidere posset. [361] Ceterum, quoniam arduum est quod expetimus et uia non modo longa ac perdifficilis est, uerum etiam anceps ; si periculum proprie tuum esset, tamen arbitrarer hoc esse necessitudinis nostrae, neque uulgaris neque recentis, liberis consiliis amico prospicere, ne tot curas, tot uigilias cum ualetudinis ac rei familiaris dispendio frustra susciperet, susceptas urgeret neue, quod in rebus humanis nimium frequenter accidere uidemus, pro thesauro diu multumque quaesito tandem reperiret carbones.

[362] Nunc uero, cum pari cupidine ducamur omnes eiusdemque nymphae teneamur amore – nam et Hypologus eiusdem est animi – tuae quoque fuerit
[48,362] humanitatis et si quid admonemus, boni consulere, et si quid habes melius, libenter amicis communicare.

[363] Nosoponus Aequissimum, Bulephore, postulas; proinde nec te grauatim audiam, nec maligne, si quid consulere queam, in medium conferam.
[364] Bulephorus Primum illud mihi tecum conuenit, opinor, ei qui dicendi scribendiue laudem affectat, cognitis ante diligenterque perceptis artis praeceptionibus, ex multis laudatis scriptoribus optimum quempiam esse seligendum, quem imitetur et ad quem exprimendum se componat.
[365] Nosoponus Maxime.

[356] Bulephorus Mais si quelque nécessité t’obligeait à improviser un discours ?
[357] Nosoponus Comment cela pourrait-il m’arriver, puisque je ne mène aucune vie publique ? Et si je me chargeais de quelque fonction officielle : je ne suis pas meilleur que Démosthène, qui n’a jamais voulu se lever pour prononcer un discours à l’improviste, malgré les sollicitations pressantes de la foule. Je ne considérerais pas comme une honte pour moi, ce qu’on loue en Grèce chez le Prince des Orateurs ! Et si l’on disait que mes discours sentent l’huile je ne regretterais pas mon travail pour autant !

[ 360] Bulephorus C’est vrai Nosopon, j’admire ton projet et je regarde avec respect ta persévérance, j’irais même jusqu’à te porter envie si dans ce genre d’études (ou, plus simplement, entre des amis et des camarades aussi soudés que nous) une telle peste pouvait s’insinuer.
[361] D’un autre côté, ce que nous recherchons est d’un accès difficile, et la voie n’en est pas seulement longue et rude : elle est aussi dangereuse. Même si tu étais le seul à vouloir courir ce danger, j’estimerais pourtant que notre relation, qui n’est ni banale ni récente, me ferait un devoir de veiller sur mon ami par la franchise de mes conseils. Elle m’obligerait à lui éviter de se charger inutilement de tous ces tracas, d’entreprendre toutes ces veilles avec leur cortège d’ennuis de santé ou d’argent ; je veillerais aussi à ce qu’il ne s’y obstine pas s’il s’y est engagé, de peur qu’il ne trouve en fin de compte, comme cela arrive trop souvent dans les affaires humaines, nous le savons bien, du charbon au lieu du trésor tant recherché et si longtemps espéré.
[362] Mais de toute façon, puisque nous sommes tous trois conduits par la même passion et possédés par l’amour de la même nymphe, (Hypologus aussi est dans ce même état d’âme), ton amicale bienveillance te fera un devoir, à toi aussi, de prendre la chose du bon côté chaque fois que nous t’adresserons un conseil, et inversement si tu trouves quelque chose de mieux elle t’amènera à le faire partager à tes amis en toute franchise.

[363] Nosoponus Ta demande est on ne peut plus juste Buléphore. Aussi t’écouterai-je sans mauvaise humeur, et si j’ai un conseil à donner, je le mettrai en commun sans ironie.
[364] Bulephorus Tout d’abord il me semble que nous sommes d’accord sur ce point : celui qui recherche la gloire de l’écrivain ou de l’orateur, une fois qu’il a appris et parfaitement acquis les principes de l’art, doit se choisir parmi les auteurs reconnus, le meilleur d’entre eux de manière à l’imiter et à se modeler sur lui pour bien en reproduire les traits.
[365] Nosoponus Tout à fait !

[359] «Ton luchnon apozein » Plutarque Vie de Démosthène 8,2 (849d) : sentir la lampe (huile); rapprocher de Elucubratio : travail sous la lampe, veillée de travail, etc. *******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[366] Bulephorus Neminem autem esse, dumtaxat apud Latinos, qui pluribus eloquentiae uirtutibus excellat quam M- Tullius, de quo iure optimo praedicatum est quod de Apelle, in quem unum conflatum erat, quicquid in ceteris pictoribus erat eximium ac singulare.
[367] Nosoponus Quis istuc neget?
[368] Bulephorus Dabis ueniam, Nosopone, si crassius rusticiusque collegero, dialectices rudis.
[369] Nosoponus Inter amicos decet omnia boni consulere. [370] Quamquam et alioqui mihi satis argute colligit, qui uere colligit.

[P.616 L30 éd.P.M.] [371] Bulephorus Age, quid igitur sentis de Zeuxide Heracleota1 ?
[372] Nosoponus Quid aliud, quam quod excellentissimo graphices artifice dignum est ?
[373] Bulephorus Num et ingenio iudicioque ualuisse putas ?
[374] Nosoponus Qui potuit ars tanta carere iudicio?


[P.616 L.33, éd. P.M.] [50,375] Bulephorus Commode respondes. [376] Quid igitur illi ueniebat in mentem, quod, cum Crotoniatis picturus Helenae simulacrum, in quo decreuerat quicquid artis suae uiribus posset explicare et absolutum formae muliebris (nam in hoc argumento ceteris antecelluisse legitur) exemplar uiuae simillimum edere, in quo nulla uenustatis portio desiderari ualeret, non unam quampiam omnium pulcherrimam adhibuit, sed ex omnibus oblatis aliquot ceteris praestantiores elegerit, ut ex singulis decerperet quod in quaque decentissimum esset, itaque demum admirandum illud artis suae monumentum absoluerit ?

[377] Nosoponus Diligentissimi pictoris officio functus est.

[366] Bulephorus Nous sommes encore d’accord sur ce fait : il n’y a personne, du moins chez les Romains, qui se distingue par plus de qualités oratoires que Cicéron. C’est même à fort juste titre qu’on disait de lui ce qu’on disait du peintre Apelle : lui ont été insufflés tous les dons exceptionnels qui n’ont été accordés aux autres peintres que séparément.
[367] Nosoponus Qui nierait cela ?
[368] Bulephorus Tu me pardonneras Nosopon, si j’argumente sans finesse ni raffinement, je ne suis pas expert en dialectique.
[369] Nosoponus entre amis il faut tout prendre du bon côté. Et puis d’ailleurs, à mes yeux, celui qui raisonne vraiment, raisonne déjà bien assez finement.

[371] Bulephorus Allons dis moi : que penses-tu donc de Zeuxis d’Héraclée ?
[372] Nosoponus Que veux-tu que je dise ? Il s’élève au niveau des plus extraordinaires maîtres de la peinture.
[373] Bulephorus Penses tu qu’il se distinguait aussi par son intelligence et son jugement ?
[374] Nosoponus Comment un art si élevé pourrait-il avoir été atteint sans jugement (Litt. manquer de jugement ?)

[50,375] Bulephorus Voilà une réponse sensée ! Mais alors, quand il se préparait à peindre pour les habitants de Crotone un portrait d’Hélène, dans lequel il avait décidé de déployer toutes les ressources de son art pour (et de) produire un modèle de beauté féminine — et dieu sait s’il surpassait les autres peintres dans ce domaine—, un portrait donc qui serait parfaitement semblable à une femme vivante, et dans lequel aucune sorte de charme ne laisserait à désirer, qu’est-ce qu’il lui était donc passé par l’esprit pour qu’il ne prenne pas pour modèle la plus belle de toutes, mais qu’il aille choisir parmi toutes celles qu’on lui présentait, quelques unes plus remarquables que les autres afin de recueillir auprès de chacune d’elles ce qu’elle avait de plus harmonieux ? C’est ainsi qu’il réalisa ce chef d’œuvre proprement (demum) admirable.
[377] Nosoponus Il s’est acquitté de sa tâche en peintre très scrupuleux !

[376] Zeuxis d’Héraclée : Peintre 464- 398 avant JC. [ Cicéron, De Inventione II (1- 3) ]
« Les gens de Crotone, comptés parmi les peuples les plus opulents de l’Italie, voulurent jadis décorer de peintures sans pareilles leur temple d’Héra. Ils songèrent à Zeuxis d’Hérakléia, estimé de beaucoup supérieur à tous les peintres de son siècle, et le firent venir à grands frais. Zeuxis pour représenter en une muette image l’idéal de la beauté féminine, voulut peindre une Hélène. Cette intention charma les Crotoniates, car, pensaient-ils, si Zeuxis, dans le genre où il excelle, s’applique de son mieux, il enrichira notre temple d’un chef-d’œuvre incomparable. […] Leur attente ne fut point trompée. Zeuxis leur demanda aussitôt quelles belles jeunes filles se trouvaient à Crotone : on le conduisit d’abord au gymnase et on lui montra de nombreux jeunes gens de la plus pure beauté … Comme il admirait vivement en eux la grâce et les proportions : « Nous avons ici, lui dit-on, leurs sœurs encore vierges : tu peux, en voyant leurs frères, te faire une idée de leur beauté. – « Présentez-moi donc, s’il vous plaît, dit Zeuxis, les plus belles de ces jeunes filles à titre de modèles pour le tableau promis : c’est ainsi que je pourrai faire passer dans une peinture inanimée la vivante vérité de la nature. » […] Par décision officielle, ils réunirent les jeunes filles en un seul lieu, et autorisèrent le peintre à choisir librement parmi elles. Il n’en retint que cinq, dont maint poète nous a transmis les noms pour avoir obtenu les suffrages du maître le plus capable d’apprécier la beauté. […] Il ne crut pas pouvoir découvrir en un modèle unique tout son idéal de la beauté parfaite, parce qu’en aucun individu la nature n’a réalisé la perfection absolue. La nature, comme si elle craignait de ne pouvoir doter tous ses enfants en prodiguant tout au même, vend toujours ses faveurs au prix de quelque disgrâce. » [Cicéron, De Inventione II (1- 3) [Voir aussi Pline l'Ancien «XXXV (IV)]
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[378] Bulephorus Vide igitur, num recto consilio ducamur, qui eloquentiae simulacrum ab uno Cicerone, quamuis praestantissimo, petendum arbitramur.

[379] Nosoponus Si tali forma uirginem Zeuxis esset nactus, qualis est in eloquentia M- Tullius, fortassis unius corporis exemplo fuisset contentus.

[380] Bulephorus Atqui hoc ipsum quo pacto iudicare potuisset nisi multis corporibus diligenter inspectis ?

[381] Nosoponus Finge persuasum fuisse.

[382] Bulephorus In hac igitur es sententia nullam in aliis oratoribus esse uirtutem imitatu dignam, quae non eximia sit in M- Tullio ?
[383] Nosoponus Ita censeo.
[52,384] Bulephorus Nec ullum in hoc esse naeuum, qui non maior sit in ceteris ?
[385] Nosoponus Ita prorsus.


[P.617 L.12, éd. P.M.] [386] Bulephorus Non hic proferam M- Brutum, qui totum hoc dicendi genus, quod Ciceroni uisum est optimum, improbauit, cumque status1 ac diuisionis propositiones2 uelut causae totius columnae, praecipua sit orationis pars, in oratione pro Milone, quam adeo suspiciunt omnes, Brutus non probauit primarium ac secundarium causae statum adhibitum a M- Tullio, sed eandem causam aliter tractauit3.
[387] Non obiciam Pomponium Atticum, cuius unguiculos ac miniatulas cerulas se metuere scribit Cicero, quibus ille notare solitus est quae in M- Tullii scriptis offendebant4, non M- Catonem qui Ciceronem, cum sibi maxime festiuus uideretur, ridiculum appellauit.

388] Hactenus et uiros graues et amicos Ciceronis recensui.



[378] Bulephorus Examine un peu maintenant si nous raisonnons juste. Avons-nous raison de penser qu’il ne faut chercher un modèle d’éloquence que chez Cicéron et chez lui seul, fût-il le plus remarquable ?
[379] Nosoponus Si Zeuxis avait trouvé une jeune fille aussi exceptionnelle par sa beauté que Cicéron dans le domaine de l’éloquence, peut-être se serait-il contenté d’un seul corps pour modèle.
[380] Bulephorus Mais comment aurait-il pu juger de cela-même sans avoir examiné beaucoup de corps ?
[381] Nosoponus Admets simplement qu’il en aurait été persuadé !


[382] Bulephorus Tu soutiens donc qu’il n’y a chez les autres orateurs aucune qualité oratoire, digne d’être imitée, qui ne soit portée à son plus haut degré d’excellence chez Cicéron ?
[383] Nosoponus C’est mon avis.
[52,384] Bulephorus Et inversement, selon toi, il n’y a pas de défaut chez lui qui ne soit encore plus marqué chez les autres ?
[385] Nosoponus C’est bien cela.


[386] Bulephorus Je n’avancerai pas ici l’exemple de Marcus Brutus, qui condamna en bloc la technique oratoire que Cicéron avait jugé la meilleure : alors que le statut de la cause et le choix des questions à traiter, sont pour ainsi dire les piliers de la plaidoirie, et constituent la partie principale du discours, Brutus condamna le statut de la cause choisi par Cicéron dans les deux étapes du procès de Milon, que tous pourtant regardent avec admiration. A tel point qu’il plaida la même affaire d’une autre façon.

[387] Je ne t’objecterai pas Pomponius Atticus, dont Cicéron (il l’écrit lui même) redoutait les coups de griffe et les traits de cire rouge, par lesquels il avait l’habitude de marquer ce qu’il trouvait choquant dans les écrits de Cicéron.
Je ne mettrai pas en avant non plus Marcus Caton qui trouvait Cicéron ridicule dans les passages où celui-ci se trouvait des plus spirituels.
[388] Jusqu’ici je n’ai cité que des hommes sérieux et des amis de Cicéron.


[386]1. Status causae : l’état de la cause. Voir de Laurent Pernod, La rhétorique dans l’antiquité, in Le livre de poche n°553. Voir Quintilien, Inst. III, 6, 96. Position que prend l’avocat (défenseur ou accusateur) face au chef d’accusation : « je n’ai pas fait ce dont on m’accuse » ; « je l’ai fait mais c’était en état de légitime défense » ; « si je ne l’avais pas fait il aurait nui à la cité » ; « si Clodius a monté un guet-apens pour attaquer Milon, Milon avait le «droit » de le tuer ».
[386] 2. Divisio ; propositio ; partitio = annonce des points à traiter, placée soit avant soit après la narration (L.Pernod p. 287).
[386] 3. Tractavit Quintilien, Inst. III, 6, 96 et XII, 1 ; 22.
[387] 4 Offendebant Cic. Lettres à Atticus XVI, 11 cerula miniata (miniatula), Cic. : bâtonnet de cire rouge, crayon rouge.// cerulas enim tuas miniatulas illas extimescebam, Cic. Att. 16, 11 : je redoutais tes fameux coups de crayon rouge (= ta critique).

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[389] Hic  si  adiciam Gallum, Lartium Licinium, Cestium, Caluum, Asinium, si Caelium ac Senecam,  si  complures alios, qui cum de Ciceronis ingenio non satis magnifice senserunt tum orationis genus damnarunt, aliis illum appellantibus aridum, ieiunum, exsucum, exsanguem, [54,389] elumbem ac dissolutum, mollem ac parum uirum, rursus aliis tumidum, Asiaticum ac superfluis redundantem  respondebis  haec esse uel inimicorum uel inuidorum iudicia, qui iam triumuirali proscriptione deiecti famam etiam moliti sunt si minus exstinguere, certe obscurare.
[390] Nosoponus Recte diuinas. [391] Nam istuc plane responsurus eram et optimo iure respondendum arbitror.

[P.617 L30 éd.P.M.] [392] Bulephorus Tribuantur sane haec iudicia vel odio uel liuori, certe fateberis, opinor, cum eruditis omnibus facetiam seu risum esse partem artis rhetoricae.
[393] Nosoponus Alioqui quorsum opus erat ab oratoribus tam multa de hoc praecipi?

[P.617 L. 33, éd. P.M.] [394] Bulephorus Nemo negat Ciceronem in iocando fuisse multum, alii nimium praedicant, tum intempestiuum et scurrilitati proximum. [395] Certe modum illi defuisse quemadmodum Demostheni facultatem, doctorum fere consensus fuit. [396] Nec admodum repugnat Quintilianus, culpam in Tironem conferens1, qui nimium indulserit numero dictorum ac plus in congerendis studii quam in eligendis iudicii adhibuerit. [397] Verum haec Tironis accusatio in patronum recidit. [398] Sed haec utcumque habent, quis unquam in hoc genere laudis primas tribuit M- Tullio? [399] Lacedaemoniorum peculiaris haec erat laus et secundum hos Atticorum. [400] Adeo ut, cum poema bucolicum et [56,400] comoedia lepore facetiaque potissimum commendetur, ad hanc uenerem Latini ne
aspirauerint quidem. [401] Est igitur aliqua uirtus oratoris, quae rectius petatur ab aliis quam a Cicerone.

[402] Nosoponus Nos de Latinis agimus.

[389] Suppose que j’ajoute maintenant Gallus, Lartius Licinius, Cestius, Calvus, Asinius, et encore Caelius et Sénèque, et beaucoup d’autres, qui n’ont pas eu pleinement conscience du talent de Cicéron, mais qui en outre ont condamné son genre d’éloquence. Les uns le traitaient de sec, de maigre, l’accusaient de manquer de suc et de sang ; d’être sans échine et sans tenue ; d’être mou et peu viril ! Les autres au contraire trouvent son style enflé, asiatique et regorgeant de superfluités. Tu me répondras sans doute que ce sont là les jugements de ses ennemis, ou encore les reproches de gens envieux, qui avaient pour projet de ternir sinon de noircir tout à fait la gloire d’un homme déjà abattu par les proscriptions des triumvirs.


[390] Nosoponus Tes suppositions sont justes. C’est bien cela que je m’apprêtais à répondre, et je pense qu’il faut leur répondre ainsi, et qu’on a d’excellentes raisons pour cela !
[392] Bulephorus Admettons que ces jugements soient dus à la haine ou à l’envie ! Mais tu reconnaîtras, je crois, avec tous les spécialistes, que la plaisanterie et le rire sont des éléments
de l’art oratoire ?

[393] Nosoponus Sinon pourquoi les grands orateurs auraient-ils eu besoin de donner tant de recommandations sur ce sujet?

[394] Bulephorus Personne ne nie que Cicéron aimait beaucoup la plaisanterie, trop même, selon certains, qui l’accusent de l’utiliser à tort et à travers, au risque de friser la bouffonnerie. C’est vrai, de l’avis de presque tous les connaisseurs : dans ce domaine il lui a manqué la mesure comme à Démosthène il a manqué le talent.
[396] Quintilien ne combat même pas cette opinion, mais il reporte la faute sur Tiron, qui, selon lui, aurait accordé trop d’attention à la quantité des bons mots, et mis plus de zèle à les recueillir que de jugement à les choisir.
[397] Cette accusation contre Tiron n’en retombe pas moins sur son « patron ». [398] Mais, quoiqu’il en soit, qui a jamais accordé la palme à Cicéron pour ce genre de mérite ? C’était le priviliège des Lacédémoniens et en second lieu des Athéniens. [400] C’est tellement vrai que les latins n’ont même jamais prétendu aux charmes de la comédie et du poème bucolique (l’idylle), qui se recommandent justement par la légèreté et les facéties.
[401] Il y a donc bien un genre de qualité oratoire qu’il serait préférable de demander à d’autres qu’à Cicéron.

[402] Nosoponus Ce sont des Latins que nous discutons, non ?


[389] Les Triumvirs sont Antoine (lieutenant de César) ; Lepide (maître de la cavalerie de César) ; Auguste (neveu et fils adoptif – posthume– de César). De 43 à 32 ces héritiers politiques de César, agissent de concert contre les assassins de Jules César et le parti sénatorial républicain. Proscriptions : une liste de leurs ennemis fut affichée ; ils furent recherchés et mis à mort. Cicérons fut assassiné en décembre 43 par les hommes de main d’Antoine qui ne lui pardonnait pas ses Philippiques.
[392] Voir Laurent Pernod, La rhétorique dans l’Antiquité, p. 262-266.
[396] Quintilien Inst. VI, 3,5 ; NB. Patronus, parce que Cicéron avait affranchi son secrétaire, Tiron.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[403] Bulephorus Age, audebimusne Ciceronis iocos cum C. Caesaris aut cum Octauii Caesaris dictis conferre ?

[404] Nosoponus Vix ausim, quod adhuc nemo doctorum ausus est.
[405] Bulephorus Itaque, si res festiuitatem desideret, non mihi fas erit aliquid ex Octauii dictis effingere ?

[406] Nosoponus Non, si uelis haberi Ciceronianus.

[407] Bulephorus Rursus abs te quaero, num sententias ponas inter ornamenta dictionis.
[408] Nosoponus Gemmae sunt et lumina, tantum abest ut submoueam ab arte.
[409] Bulephorus Hic appello tuum judicium, an in hoc genere laudis Cicero ceteris omnibus antecellat.

[410] Nosoponus Non me clam est, quod Seneca Publium mimographum in hac laude praefert omnibus. [411] Verum non protinus oraculum est, quod Senecae uisum est, qui ipse in sententiis immodicus est et quibusdam friuolis indulget.

[412] Hypologus Et istud Quintiliani et Auli Gellii judicium reici poterat3, quod uterque uideatur inuisum habuisse Senecam, alter ob aemulationem, alter ob ingenii dictionisque similitudinem.

[58,413] Bulephorus At idem Gellius4, quamuis parum aequus, fatetur inter Senecae sententias esse quibus nihil melius dici poterat.
[414] Nec fieri potest, ut omnes aeque felices sint, ubi sermo totus sententiis contextus est.
[415] Verum ex his facilius inuenias quod imiteris quam ex aliis, in quibus nec crebrae sunt nec insignes.

[416] Agedum. [417] Nonne res interdum exigit breuitatem ?
[418] Nosoponus Fortassis.
[419] Bulephorus Huius exemplum utrum rectius petes a Sallustio Brutoue an a Cicerone?
[420] Nosoponus Cicero breuitatem non affectauit.


[403] Bulephorus Bon ! Oserons nous comparer les plaisanteries de Cicéron avec les bons mots de César ou d’Octave (=Auguste) ?
[404] Nosoponus C’est à peine si je l’oserais, étant donné que jusque maintenant aucun des spécialistes n’a osé le faire.
[405] Bulephorus Donc si la situation réclamait un peu de verve, je ne serais pas autorisé à imaginer quelque bon mot sur le modèle de ceux d’Auguste ?
[406] Nosoponus Pas si tu voulais être tenu pour un Cicéronien.

[407] Bulephorus Encore une autre question : Est-ce que tu places les sentences parmi les ornements de l’art oratoire ?
[408] Nosoponus Elles en sont les pierreries et les joyaux ! Loin de moi l’idée de les exclure des ressources de l’art.
[409] Bulephorus J’en appelle à ton jugement : est-ce que dans ce genre de mérite Cicéron dépasse vraiment tous les autres ?

[410] Nosoponus Je ne suis pas sans savoir que dans ce domaine Sénèque met Publius le mimographe avant tous les autres. [411] Il ne s’ensuit pas pour autant que tout ce que dit Sénèque ait valeur d’oracle ! Lui-même quand il s’agit de formules manque parfois de modération et s’abandonne à certaines facilités.

[412] Hypologus Et puis, ces jugements de Quintilien et d’Aulu Gelle pourraient être rejetés, parce que tous deux paraissent avoir détesté Sénèque : l’un comme rival, l’autre parce qu’il avait une tournure d’esprit et une forme d’éloquence assez semblable à la sienne.

[58,413] Bulephorus Mais ce même Aulu Gelle, qui certes n’est pas tout à fait impartial, reconnaît aussi qu’il y a des maximes chez Sénèque que l’on ne pourrait mieux tourner. Il n’est pas possible que tous les auteurs soient également heureux dans toutes leurs formules quand on pense que leur discours tout entier est tissé de sentences. [415] Mais à coup sûr on trouverait chez ceux là plus facilement à imiter que chez d’autres auteurs dont les sentences ne sont ni nombreuses ni remarquables.

[416] Allons, passons ! [417] Est-ce que la situation n’exige pas aussi parfois de la brièveté ?
[418] Nosoponus Cela se peut !

[419] Bulephorus Aurait-on raison d’aller en chercher le modèle chez Cicéron plutôt que chez Salluste ou Brutus ?

[420] Nosoponus Cicéron n’a jamais recherché la brièveté.


[410 ] 2. Sénèque Lettres I, 8, 8-10 ; XV,2,43 ; De Tranquillitate. XI ; Consol. ad Marciam  IX.
[ ] 3. Quintiliani : Quint. Inst. VIII, 5,18 Aulu Gelle Noct. Att XII, 11, 13 ; 4. Aulu Gelle, Nuits Attiques,11,14.


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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[421] Bulephorus In Demosthene laudatur uis orationis1, hoc est neruosum quiddam ac naturale: ab utro hoc rectius petemus ?

[422] Nosoponus De Latinis agebamus.
[423] Bulephorus Verum haec sunt omnium linguarum communia. [424] Rursum res interdum postulat seueritatem ; huius exemplum rectiusne petemus a Cicerone an a Bruto et Pollione?

[P.618 L29 éd.P.M.] [425] Hypologus Ut pro hoc respondeam, ab his, qui hac nota fuerunt insignes.

[426] Bulephorus Ubi negotium inuolutum partitionibus2 explicandum est, utrum a Cicerone petemus an ab Hortensio aut si quis Hortensio similis ?

[427] Nosoponus Quid petemus ab eo, cuius praeter memoriam nihil exstat ?
[428] Bulephorus Verum disputandi gratia fingamus exstare.
[60,429] Nosoponus Nihil opus fingere, ueris ac notis agamus.

[430] Bulephorus Nemo non fatetur fidem in oratore praecipuam esse. [431] Eam conciliat probitatis et grauitatis opinio, eleuat artis aut intemperantiae suspicio.
[432] Habeatur sane Cicero uir bonus, quod uix illi Fabius3 licet impendio fauens, audet tribuere, sed, quod dissimulari non potest, artem magis ostentat, de se plura gloriose commemorat, licentius in alios inuehitur quam Cato, Brutus aut Caelius, cui sanctitatem tribuit Quintilianus. [433] Harum itaque rerum exemplum nonne rectius petemus ab Aristide, Phocione, Catone, Bruto quam a Cicerone?

[434] Nosoponus Videris huc venisse meditatus Ciceronis uituperationem.
[435] Bulephorus Minime gentium, o Nosopone.
[436] Si sermonis exitum patienter exspectaris, intelliges et Ciceronis et nostram agi causam.
[421] Bulephorus On loue chez Démosthène le « sens du discours », c'est-à-dire quelque chose de nerveux et de naturel : auquel des deux orateurs irions-nous le plus justement en demander la formule ?
[422] Nosoponus Nous parlions des Latins !
423] Bulephorus Mais ces caractéristiques sont communes à toutes les langues ! Supposons maintenant que la situation exige la gravité (severitas). A qui en demanderons-nous le modèle le plus légitimement ? A Cicéron ou à Brutus et Pollion ?

[425] Hypologus Si je peux me permettre de répondre à sa place : à ceux qui ont été remarqués pour cette caractéristique !
[426] Bulephorus Si une affaire est particulièrement compliquée et doit être expliquée par la division et la distinction des différents problèmes qu’elle pose, allons-nous nous adresser à Cicéron plutôt qu’à Hortensius ou à quelque orateur qui lui ressemble ?
[427] Nosoponus Qu’allons nous demander à un orateur dont il ne reste rien si ce n’est la réputation ?
[428] Bulephorus Mais pour le besoin de la discussion, imaginons qu’il reste quelque chose.
[60,429] Nosoponus Il n’est pas besoin d’imaginer ! Argumentons à partir de choses connues et vraies.


[430] Bulephorus Personne ne niera que la confiance qu’il inspire soit une qualité essentielle de l’orateur. Ce qui la procure c’est la réputation d’honnêteté et de sérieux. Ce qui la diminue c’est le soupçon d’artifice et le manque de retenue.
Admettons sans discuter que Cicéron soit un homme de bien, quoique Quintilien, ait beaucoup de mal à l’accorder, alors qu’il lui est pourtant très (impendio) favorable, mais en tout cas on ne peut dissimuler qu’il fait trop étalage de son art, qu’il rappelle ses exploits plus souvent qu’il ne faut pour s’en glorifier, qu’il dépasse la mesure quand il attaque les autres, beaucoup plus que le font Caton, Brutus ou encore Caelius, que Quintilien trouve irréprochable. Pour cette raison ne ferions-nous pas mieux aller prendre nos exemples de droiture chez Aristide, Phocion, Brutus, plutôt que chez Cicéron ?

[434] Nosoponus On dirait que tu n’es venu ici qu’avec l’intention de critiquer Cicéron.
[435] Bulephorus Pas le moins du monde, Nosopon ! [436] Si tu as la patience d’attendre la fin de notre conversation, tu te rendras compte que je plaide la cause de Cicéron, autant que la nôtre.

[421] . Vis comica = le comique ( Vis orationis : le sens du discours ? (sinon = la vigueur oratoire)
[426] 2. Partitio = divisio au sens d’articulation de l’argumentation, selon des points distincts (quaestiones) (Laurend Pernod, p. 201 et p. 291).
[432] Fabius = Quintilien : Quint Inst : XII, 1,14 -16 Quintilien consacre un chapitre entier pour établir qu’on ne peut être orateur sans être homme de bien. Il défend sur ce point Démosthène et Cicéron en ces termes : « Nec Marco Tullio defuisse video in ulla parte civis optimi voluntatem ».
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[P.619 L 7 éd.P.M.] Bulephorus (suite) [437] Ciceronis, ne forte perperam illum exprimentes gloriam eius obscuremus, quemadmodum solent imperiti pictores eos traducere, quorum effigiem secus quam oportet expresserunt ; nostram, ne male collocemus amores nostros ac ridiculum quiddam nec minus infelix usu ueniat nobis, quam quod obtigisse dicitur Ixioni, qui pro adamata Iunone nubis inane [62,437] simulacrum complexus est, aut Paridi, qui pro rapta Helena decem annis bellum gessit, cum interim mendax Helenae simulacrum amplecteretur, nimirum ipsa procul in Aegyptum deorum artificio sublata.
[438] Quid enim nobis infelicius aut magis ridiculum, si tot laboribus nihil aliud quam inanem ac fallacem Ciceronis umbram assequi contingeret?
[439] Nosoponus Istuc omen avertant superi.

[440] Bulephorus Auertant, inquam, et hoc agimus, ne quid simile eueniat.

[441] Nosoponus Nonnihil et illud conducit ad imitationem Ciceronis, ut quam optime sentiamus de Cicerone.
[442] Bulephorus Nouus candor, si melius sentiamus de Cicerone quam ipse sensit de se ipso. [443] Verum tribuatur hoc illius modestiae, si parcius de se praedicavit ; quis unquam ueterum sic admiratus est Ciceronem, ut ab uno petenda putarit omnia dictionis ornamenta ?
[444] Nosoponus At hodie sunt quam plurimi, quos haec habet opinio.
[445] Bulephorus Nihil moror quam plurimos, cordatum ac uere doctum reor esse neminem.
[446] Cui mortalium hactenus sic indulsit natura uel in una quapiam disciplina, ut unus in singulis eius partibus excelleret omnes, ut non aliquid reliquerit in eo desiderandum aut ita dederit, ut non ab aliis superaretur ? [447] Quanto id incredibilius in dicendi facultate, quae disciplinis propemodum omnibus constat, quae tot alias res desiderat, quas nemo praeceptis tradere possit ?

[437] Bulephorus (suite ) Je plaide la cause de Cicéron en ce sens qu’il ne faudrait pas que nous obscurcissions sa gloire en l’imitant à tort et à travers, à la manière des peintres peu expérimentés qui exposent à la moquerie du public, ceux qu’ils ont peints autrement qu’il n’aurait fallu. Je plaide notre cause au sens où il ne faudrait pas que nous allions placer notre amour en mauvais lieu. Nous en récolterions le ridicule et une infortune tout aussi malheureuse que celle qui, à en croire la mythologie, frappa Ixion : il n’eut à étreindre qu’une chimère sans chair et faite d’un nuage, au lieu de Junon dont il était amoureux. Nous aurions la même malchance que Pâris qui fit la guerre pendant dix ans pour Hélène, qu’il avait enlevée, et qui pendant tout ce temps ne tint dans ses bras qu’un fantôme qui l’abusait, alors que la véritable Hélène avait été emportée loin de lui, en Egypte, par une ruse des dieux. [438] Que pourrait-il nous arriver de plus malheureux et de plus ridicule que de n’obtenir, au prix de tant d’efforts, qu’une ombre trompeuse de Cicéron et privée de toute réalité ?

[439] Nosoponus Que les Puissances du Ciel détournent de nous cette menace !
[440] Bulephorus Oui, qu’ils nous en protègent ! Mais ce que j’en dis, c’est que nous faisons justement en sorte qu’une telle chose ne nous n’arrive pas.

[441] Nosoponus Néanmoins le fait que nous ayons la meilleure opinion possible de Cicéron, cela aussi est profitable à l’imitation.


[442] Bulephorus Quelle étrange forme de naïveté que d’aller croire que nous pourrions avoir meilleure opinion de Cicéron qu’il ne l’avait de lui-même ! Mais admettons qu’on attribue à la modestie du personnage le fait qu’il n’ait parlé de lui qu’avec modération : malgré cela, qui parmi les anciens a jamais admiré assez Cicéron pour croire qu’il faille lui demander à lui, et à lui seul, tous les ornements de l’art oratoire ? 
[444] Nosoponus Mais aujourd’hui ils sont de plus en plus nombreux à être de cet avis.
[445] Bulephorus Leur nombre ne m’intéresse pas ! Je pense qu’il n’y en a aucun de bien avisé et de vraiment savant ! Y-a-t-il, en effet, eu un seul mortel, jusqu’à nos jours, avec qui la nature se soit montrée assez généreuse, serait-ce même dans un seule discipline, pour qu’il surpasse à lui seul tous les autres dans tous les domaines de cet art ? Se serait-elle montrée si bienveillante qu’elle n’ait rien laissé à désirer en lui, ou au moins, si elle lui a donné quelque imperfection, serait-elle si légère qu’il ne serait quand même pas possible pour d’autres de le surpasser ?
Cela ne serait-il pas encore plus incroyable quand il s’agit de l’éloquence, qui est constituée de presque toutes les disciplines et qui réclame encore tellement d’autres connaissances que personne ne saurait réduire en principes (transmettre par des principes) ?
[437] Ixion : P. Mesnard, précise qu’Ixion engendra quand même les Centaures de ce simulacre d’Héra (Ovide Met XII, 504) et renvoie au Dictionnaire de Mythologie de P. Grimal.
[432] Ciceronis umbram P. Mesnard, p. 619 commente ainsi : « Les images mythologiques utilisées comme autant de précédents, n’ont pour but que de valoriser cette formule. Toute la dialectique d’Erasme consistera désormais à définir le véritable Cicéron et à éliminer ses mauvaises imitations ».
[432] Illius modestiae : Cicéron est pourtant souvent accusé de vantardise dans le Cicéronianus même. ( voir infra [548] Aucun défaut encore, si ce n’est pas un défaut d’accabler jusqu’à celui que l’on défend sous les louanges immodérées de ses propres mérites.)
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (Section 1)
[P.619 L. 29, éd. P.M.] [448] Bulephorus (suite) Fingamus hodie Ciceronem uiuere et esse [64,448] quendam Trachalo simillimum1, utrum malles a Cicerone uocis moderationem petere an a Trachalo? [449] Opinor ab eo, qui hac parte praefertur omnibus. [450] Pudoris ac modestiae specimen utrum malles a Crasso, si uiueret, petere an a Cicerone ? [451] Et ne de singulis commemorem, nonne sumeres a singulis, in quo ceteris antestarent ?
[452] Hypologus Quis non eligeret potiora, nisi qui uel non diiudicaret uel sibi inuideret ?

[453] Bulephorus Itaque mihi probatur Zeuxidis exemplum, quod secutus etiam Quintilianus imitatori praecipit2 nec unum esse legendum nec omnes nec quoslibet, sed ex praecipuis deligendos aliquot eximios, inter quos Ciceroni primas tribuit, non solitudinem.
[454] Summum enim esse uult inter proceres, non solitarium exclusis ceteris.


[455] Nosoponus Si Quintiliani consiliis auscultabimus, idem nobis usu ueniet quod euenit ipsi3.
[456] Bulephorus Quidnam ?
[457] Nosoponus Ut parum euadamus Ciceroniani. [458] Nobis alius propositus est scopus.

[459] Bulephorus An parum erit Ciceronianum4, cui quicquam accesserit, quod a Cicerone petitum non fuerit ?
[460] Nosoponus Sic autumant.
[461] Bulephorus Etiam si melius fuerit, quod ab alio petitur, aut ne sit quidem illud apud Ciceronem ?
[462] Nosoponus Quidni?



[
[448] Bulephorus (suite) Imaginons que Cicéron vive encore de nos jours et que que notre siècle connaisse aussi quelque autre orateur dont les qualités soient très proches de celles de Trachalus. Préfèrerais-tu rechercher l’art de moduler ta voix auprès de Cicéron ou auprès de Trachalus ? Je suppose que tu le demanderais à celui qui sur ce point est préféré aux autres.
Pour ce qui est de la modestie et de la retenue, en demanderais-tu le modèle à Crassus, s’il était vivant, ou à Cicéron ? Et pour ne pas les énumérer tous, ne prendrais-tu pas à chaque orateur la technique dans laquelle il surpasse tous les autres ?

[452] Hypologus Qui ne choisirait pas le meilleur ? A moins de manquer de jugement, ou de vouloir son propre malheur ?

[453] Bulephorus C’est bien pour cette raison que j’approuve l’exemple de Zeuxis. Pour l’avoir suivi aussi, Quintilien donne ces conseils à ceux qui veulent pratiquer l’imitation : il ne faut pas choisir un auteur unique comme modèle, ni les prendre tous, ni au gré de son caprice ; il faut sélectionner quelques auteurs exceptionnels parmi les principaux. Parmi ceux-ci, Quintilien attribue le premier rang à Cicéron, mais il ne lui accorde pas l’exclusivité. [454] Il veut en effet que Cicéron soit le plus grand parmi les maîtres, mais il n’entend pas qu’il soit le seul à l’exclusion de tous les autres.

[455] Nosoponus Si nous écoutons les conseils de Quintilien, il nous arrivera ce qui lui est arrivé à lui-même !

[456] Bulephorus Quoi donc ?
[457] Nosoponus Nous finirions par nous retrouver trop peu cicéroniens ! Or nous nous sommes quand même proposé un autre but !
[459] Bulephorus Une œuvre ne sera pas suffisamment cicéronienne s’il y entre un élément qu’on n’aura pas pris à Cicéron ?

[460] Nosoponus C’est ce qu’on prétend.
[461] Bulephorus Même si ce qu’on a pris chez un autre était meilleur, ou encore ne se trouvait tout simplement pas chez Cicéron ?
[462] Nosoponus Pourquoi pas ?



1. Quintilien, Institution oratoire, X, I, 119
CXIX. « Nam et Trachalus plerumque sublimis et satis apertus fuit et quem uelle optima crederes, auditus tamen maior: nam et uocis quantam in nullo cognoui felicitas, et pronuntiatio uel scaenis suffectura, et decor, omnia denique ei quae sunt extra superfuerunt: et Vibius Crispus compositus et iucundus et delectationi natus, priuatis tamen causis quam publicis melior. »
Traduction : « L'élévation, sans obscurité, caractérisait Trachalus, et l'idée de la perfection semblait dominer sa nature; mais il gagnait surtout à être entendu. Je n'ai jamais connu dans personne un accent aussi heureux; sa prononciation et sa grâce eussent été applaudies sur un théâtre; enfin il y avait en lui surabondance de tous les avantages extérieurs. » (Texte et traduction sont pris sur le site d’ Itinera electronica).
P. Mesnard ajoute, p.619) : « Ces dons exceptionnels de Valérius Trachalus consul pour l’an 68 qui ont donné naissance au proverbe « Trachalo vocalior » ne suffisent pas à lui valoir la palme de l’éloquence il reste encore à posséder les qualités « quae sunt intra  ». comme la philosophie et la force du raisonnement. »
[453] 2. Quintillien, Inst . XII, 10, 4-5 [455] 3. Quintillien Inst . X, 2 , 24-25 [459] 4. Ciceronianum semble être un neutre ( un écrit.

P. Mesnard note p. 586  Malgré ses réticences Nosopon semble se résoudre à admettre qu’il faut appliquer le précepte de Quintilien : choisir et imiter chez les meilleurs ce qu’ils ont de meilleur. Cela reviendra souvent à imiter Cicéron, qui est souvent le meileur (« Summus ») mais n’est pas le seul. « « Solitarium exclusis caeteris ») [Ph. 454].
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction section 2 [Ph. 463-1029]
Section 2
[463 – 1029]
D) Difficulté d’une heureuse imitation de Cicéron [Ph. 463- 881]
E) Langage cicéronien et pensée chrétienne [Ph.890-1029]

66,463] Bulephorus Sed interim illud mihi cogites uelim, optime Nosopone, quanta pars Ciceronianorum uoluminum interciderit et in his diuinum illud opus De Republica, cuius fragmentum nescio quo fato seruatum nihil aliud quam desiderio reliquorum uoluminum discruciat animos nostros, quae cuiusmodi fuerint ; hinc licet aestimare, leonem, ut aiunt, ex unguibus ;

[P.620 L. 20, éd. P.M.] [66,463] ne quid interim commemorem de tot epistularum libris, de tot orationibus iniuria temporum interceptis, de tribus uoluminibus, quibus Tiro libertus iocos et scite dicta Ciceronis complexus esse legitur1, deque ceterorum huius uiri scriptorum naufragio.
[464] Qui potes igitur absolutus esse Ciceronianus, qui tam multa illius non legeris ? [465] Adde quod Cicero non tractauit omnes materias.

[66,463] Bulephorus Mais en attendant ne voudrais tu pas réfléchir avec moi sur ce point, mon cher Nosopon ? Songe à la foule des livres de Cicéron qui ont disparu ! A commencer par La République, cette œuvre divine dont un fragment a survécu, je ne sais par quel hasard, avec pour effet principal de nous tourmenter l’esprit du regret des autres livres : quelle n’étaient pas sa teneur et son niveau ! Cela nous permet d’évaluer, comme on dit le lion à ses griffes !


[66,463] Je ne parlerai pas pour l’instant des volumes de lettres, si nombreuses, des discours innombrables détruits par l’injure du temps, des trois livres dans lesquels Tiron, à ce qu’on dit, a rassemblé les plaisanteries et les bons mots de Cicéron, ni du naufrage de tous les autres écrits de cet homme. [464] Comment pourras-tu donc être un Cicéronien accompli, alors qu’il y a tant d’œuvres de lui que tu n’auras pas pu lire ? [465] Ajoute à ceci le fait que Cicéron n’a pas traité de tous les sujets.


[463] Il s’agit sans doute d’une allusion au songe de Scipion, conservé par Macrobe.
Erasme a en outre consacré un adage à cette formule 834. I, IX, 34. Leonem ex unguibus aestimare 10, qui établit une fois de plus un lien entre rhétorique et peinture ou sculpture.
º Äf½ @½ÍÇɽ Äx½ »s¿½Ä± ³¹½}úµ¹½, id est Ex unguibus aestimare leonem, est ex una quapiam conjectura negotium universum perpendere, ex paucis multa, ex minimis maxima conjicere. Natum videtur adagium a Phidia statuario, qui, sicut narrat Lucianus in Haeresibus, inspecto leonis duntaxat ungui quantus esset totus leo perpendit totumque ex indicio unguis effinxit. Plutarchus in commentario De defectis oraculis videtur ad Alcaeum referre. Sic enim scribit : ŸP º±Ä »º±6¿½ ¾ D½ÅÇ¿Â Äx½ »s¿½Ä± ³ÁqÆ¿½Ä±Â, id est Non Alcaei more leonem ex unguibus depingentes, hoc est ex re minima maxima colligentes. Philostratus in Vita Apollonii : Ÿ7¿½ ¾ D½ÅÇ¿Â $´· AÁf, id est Qualem ex ungui jam esse video. Basilius magnus ad Maximum philosophum : •0ºy½µÂ D½ÄÉ Äf½ ÈÅÇf½ µ0Ãv½ ¿1 »y³¿¹‡ º±Äµ¼q¸¿¼µ½ ¿V½ õ ´¹p Ä¿æ ³Áq¼¼±Ä¿Â, Eÿ½ ƱÃv½ ¾ @½ÍÇɽ Äx½ »s¿½Ä±, id est Animi imago re vera est oratio. Proinde cognovimus te ex literis non aliter quam leonem, ut aiunt, ex unguibus. Fit autem hoc mathematica ratione, sicuti docet Vitruvius lib. III, ut ex membro vel minimo totius corporis modus colligatur. Quemadmodum Pythagoras Herculani corporis mensuram ex Pisano stadio, quod Hercules suis pedibus fuerat metatus, ratiocinatus est. Sic ex unius arteriae pulsu medici de tota hominis 728 valetudine judicant, sic ex coma aut cingulo aut oculorum nutu totam hominis vitam licet conjicere. Sic ex unica epistola doctrinam omnem aestimamus, ex unico responso totam hominis sapientiam perpendimus. Les Adages d’Érasme, présentés par les Belles Lettres et le GRAC (UMR 5037), 2010
Traduction
º Äf½ @½ÍÇɽ Äx½ »s¿½Ä± ³¹½}úµ¹½, ( connaître le lion à ses griffes)  c est-à-dire juger du lion par ses griffes cela veut dire estimer toute une entreprise à partir d une seule conjecture; c est conjecturer bcp à partir de peu, conjecturer les grandes choses à partir des petites. Le proverbe semble tenir son origine de Phidias le sculpteur, qui en ayant seulement examiné la griffe d’un lion estima la taille du lion tout entier et à partir de l’indice d’un ongle réalisa la statue de la bête toute entière. Plutarque dans son Commentaire « Sur la réponse de l’oracle », semble se référer à Alcée. Il écrit en effet : ŸP º±Ä »º±6¿½ ¾ D½ÅÇ¿Â Äx½ »s¿½Ä± ³ÁqÆ¿½Ä±Â. C est-à-dire « Ne décrivant pas à la manière d Alcée le lion d après ses griffes » c est à dire « ne tirant pas de très grandes conclusions d un fait minuscule ». Philostrate dans la Vie d Apollonius Ÿ7¿½ ¾ D½ÅÇ¿Â $´· AÁf, « Tel que je vois qu il est d après sa griffe » Basile le grand (330-379) à Maxime le Philosophe : •0ºy½µÂ D½ÄÉ Äf½ ÈÅÇf½ µ0Ãv½ ¿1 »y³¿¹‡ º±Äµ¼q¸¿¼µ½ ¿V½ õ ´¹p Ä¿æ ³Áq¼¼±Ä¿Â, Eÿ½ ƱÃv½ ¾ @½ÍÇɽ Äx½ »s¿½Ä±, Ce qui signifie : Le discours est réellement l’image de l’âme ( esprit / intelligence ? ) C’est pourquoi nous te connaissons par ta lettre comme, à ce que dit le proverbe on connaît le lion à sa griffe. Vitruve (livre III) enseigne aussi que par les proportions mathématiques on peut déduire d’un membre la mesure du corps entier. Ainsi Pythagore calcula la taille du corps d’Hercule à partir du stade de Pise (en Elide) qu’Hercule avait mesuré de ses pieds (arpenté). De même les médecins jugent de la santé d’un homme à partir des pulsations d’une seule artère. De même à partir de la chevelure, de la ceinture, d’un signe de tête on peut conjecturer de la vie entière d’un homme. De même d’une seule épître nous estimons la connaissance de quelqu’un, d’une seule réponse nous jugeons de toute sa sagesse.
[463] Legitur cf. Quint Inst VI, 3,5

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[466] Bulephorus (suite) Ergo si forte dicendum fuerit de his, quas ille non attigit, unde tandem petemus orationis supellectilem ? [467] An proficiscemur in campos Elysios ab ipso percontaturi, quibus uerbis ille talia fuerit dicturus?

[468] Nosoponus Ea dumtaxat tractabo, quae possint uerbis Tullianis explicari.
[469] Bulephorus Quid ? [470] An non iudicas Ciceronem oratorum praestantissimum ?
[471] Nosoponus Plus quam praestantissimum.

[472] Bulephorus Quid? [473] Apellem nonne pictorum optimum?
[474] Nosoponus Aiunt et credo.
[475] Bulephorus An eum Apelleum appellares, qui non posset quarumlibet rerum imagines effingere, sed tantum eas quas ante pinxisset Apelles ? [476] Atque adeo, qui non omnes tabulas Apellis manu depictas conspexisset ?

[68,477] Hypologus Quis istud diceret, nisi cui placet ille pictor, in quem iocatur Horatius, qui dato pretio conductus ad pingendum naufragium pinxit cupressum et indignatum
conductorem rogauit, ecquid uellet appingi prominens e cupresso?
[478] Bulephorus Quid aliud est esse Ciceronianum quam illi simillimum esse?
[479] Nosoponus Nihil aliud.
[480] Bulephorus An ille similis uidetur Ciceroni, qui non potest nisi de certis materiis dicere?
[466] Bulephorus (suite) Par conséquent, s’il nous faut parler des questions qu’il n’a pas abordées, où irons-nous donc chercher le matériau de notre discours ? Faudra-t-il que nous descendions aux Champs Elysées pour lui demander par quels mots il aurait exprimé tout cela ?

[468] Nosoponus Je ne traiterai que des sujets qui peuvent être développés en termes cicéroniens.

[469] Bulephorus Mais dis-moi : [470] est-ce que tu ne juges pas que Cicéron est le plus prestigieux des orateurs ?

[471] Nosoponus Il est bien plus que « le plus prestigieux des orateurs» !

[472] Bulephorus Mais dis-moi : est-ce que tu ne considères pas Apelle comme le meilleur des peintres ?

[474] Nosoponus C’est ce qu’on dit et je le crois.
[475] Bulephorus Est-ce que tu nommerais vraiment « disciple d’Apelle » un peintre qui ne saurait pas représenter tous les objets possibles, mais seulement ceux qu’Apelle aurait peints avant lui ; et à plus forte raison un peintre qui n’aurait pas vu toutes les peintures sorties des mains du maître?
[68,477] Hypologus Qui soutiendrait cela ? A part un homme capable d’apprécier ce peintre dont Horace se moque : payé un certain prix pour peindre un naufrage, il peignit un cyprès ! Son commanditaire s’en indignant, il lui demanda s’il voulait qu’il rajoute quelque chose au sommet du cyprès !

[478] Bulephorus Etre Cicéronien, qu’est-ce d’autre que d’être en tous points semblable à Cicéron ?

[479] Nosoponus Rien d’autre !

[480] Bulephorus Et il te paraît vraiment ressembler à Cicéron celui qui ne sait parler que de sujets bien définis ?


[477] Les marins romains faisaient peindre sur des tablettes votives les circonstances exactes du naufrage qu’ils avaient subi, en prenant soin de se faire représenter de manière bien reconnaissable dans le tableau.
Horace Art Poétique Vers 19- 21 « Sed nunc non erat his locus. Et fortasse cupressum // Scis simulare; quid hoc, si fractis enatat exspes  //    Navibus, aere dato qui pingitur ? » : « Mais ce n’en était pas pour l’instant le lieu. Peut-être savez-vous représenter un cyprès : qu’importe à l’homme qui vous paie pour être peint, se sauvant à la nage, ses vaisseaux brisés et tout espoir perdu ? » (-éd. Budé) » Selon les scoliastes, le peintre de cette annecdote, aurait dit « œu Ĺ º±v ºÅÀ±ÁwÃÿŠ¸s»µ¹Â ~ » : Veux-tu que j y mette aussi du cyprès ? (Ed.Budé).
Erasme Adages, 419. I, V, 19. Simulare cupressum Horatius in Arte poetica : (I, 19-21)
« Et fortasse cupressum // Scis simulare ; quid hoc, si fractis enatat expes // Navibus aere dato ?
Acron proverbium esse admonet, ortum ab imperito quopiam pictore, qui praeter cupressum nihil noverat pingere. A quo cum naufragus quidam petisset, ut vultum suum exprimeret ac naufragium suum depingeret, interrogavit ille, num ex cupresso vellet aliquid adjici. Res ea primum in jocum, deinde etiam in adagionem abiit. Concinne usurpabitur in eos, qui quod didicerunt, id ubique intempestiviter inculcant, cum ad rem nihil attineat ». (Acron est un des auteurs présumés des Scholies d’Horace.)
Traduction : Acron signale l’existence d’un proverbe né de l’histoire d’un peintre malhabile qui ne savait rien peindre d’autre qu’un cyprès. Comme le rescapé d’un naufrage lui avait demandé de peindre son naufrage en détail et d’y reproduire son visage avec précision, il lui demanda s’il voulait que quelque chose soit ajouté sortant du cyprès ! La chose fut d’abord source de plaisanterie puis finit par tourner au proverbe. On l’utilise précisément à propos de ceux qui répètent à tout bout de champ et hors de propos ce qu’ils ont appris, alors que cela n’a n’a aucun rapport avec la situation.
Voir encore Horace : « Qui variare cupit rem prodigialiter unam, delphinum silvis adpingit, fluctibus aprum » (Hor. A. P. 30) : celui qui désire varier un sujet d'une manière prodigieuse et originale peint un dauphin dans les bois et un sanglier dans l'eau. (Ce qu’Ovide a très bien réussi en représentant le déluge dans les Métamorphoses ! )
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[481] Nosoponus Perge!
[482] Bulephorus Mihi ne oratoris quidem titulo dignus haberetur. [483] Si Cicero quauis de re potuit optime dicere, is mihi Ciceronianus erit, qui quacunque de re ualeat praeclare disserere, quemadmodum Apelli simillimus erit, qui et deorum et hominum et animantium et omnium denique rerum formas penicillo suo poterit adumbrare.

[P.621 L.8, éd. P.M.] [484] Nosoponus Equidem pulchrius esse duco tres epistulas scribere phrasi Ciceroniana quam centum uolumina stilo quamlibet expolito, modo a Ciceroniano discrepante.
[485] Bulephorus Verum, Nosopone, si istaec sententia sederit animo nostro, uereor futurum ut non solum non euadamus Ciceroniani, sed ipsi etiam Ciceroni « anoi » uideamur.[486] Quaeso illud mihi bona fide respondeas, totum Ciceronem exprimendum censes an mutilum ?
[487] Nosoponus Et totum, quantus est, et solum.

[488] Bulephorus Qui totum, qui se totum non expressit? [489] Rursus, qui ea parte, qua se nobis conspicuum fecit, mutilus est ac uix dimidiatus ?

[490] Adde quod in his ipsis, quae exstant, aliquando sibi non satis fecit. [70,491] Siquidem De Inuentione libros substituto Oratore ueluti damnauit. [492] Et orationem pro Deiotaro munus leuidense uocat. [493] Ad haec in his, quae scripsit tantum, non etiam recognouit, ipse Cicero non est Ciceronianus, cuiusmodi sunt libri De legibus, praeter alia multa.

[494] Qui fiet igitur, ut totum, quantus est, aemulemur, quem et mutilum habemus et truncum et in nonnullis indolatum ac sui dissimilem ?
[495] Nisi forte probaturus es illum, qui inchoatas Apellis tabulas aut rudes Lysippi statuas imitans speret se alterum Apellem aut Lysippum euasurum.
[496] Id si conspiceret Apelles ipse, quem ferunt ingenio candido liberoque fuisse, nonne clamaret: "Quid facis,  « kakozehle »? [497] Istic non est Apelles".

[481] Nosoponus Continue !
[482] Bulephorus A mes yeux on ne devrait même pas le considérer comme digne du titre d’orateur ! S’il est vrai que Cicéron a pu parler de toute question d’une manière excellente, pour moi ne sera Cicéronien que celui qui sera capable de traiter brillamment n’importe quel sujet, exactement de la même façon que l’on ne saurait ressembler parfaitement à Apelle si l’on ne peut retracer de son pinceau aussi bien les formes des dieux, que celle des hommes, de tous les animaux vivants et finalement de toutes les choses.

[484] Nosoponus Et pourtant, je trouve plus beau d’écrire trois lettres dans la langue de Cicéron, que cent volumes, d’une langue raffinée, peut-être, mais s’écartant quand même du pur style cicéronien.

[485] Bulephorus Mais, Nosopon, si ton opinion fait son siège dans notre esprit, je crains que nous ne devenions jamais des Cicéroniens, mais, pire encore, que nous ne paraissions à Cicéron lui-même, bien « insensés » ! [486] Réponds moi je te prie en toute bonne foi : à ton avis, faut-il imiter Cicéron tout entier ou un Cicéron mutilé?
[487] Nosoponus Cicéron tout entier, tout ce qu’il en reste, et lui seul !

[488] Bulephorus Comment l’imiter tout entier, lui qui ne s’est pas exprimé dans sa totatalité ? Autre remarque : comment l’imiter tout entier, lui qui nous est arrivé mutilé, dans cette partie de son œuvre qui nous l’a fait connaître, et qui est réduite tout au plus à sa moitié.
[490] Ajoute à cela que certaines des œuvres qui nous sont parvenues, ne le satisfaisaient pas toujours ! Songe par exemple au De inventione : en lui substituant l’Orateur, il l’a pour ainsi dire condamné ! Il qualifie son discours Pour la défense de Dejotarus de « mince contribution ». En plus de cela, dans les livres qu’il a écrits, mais qu’il n’a pas révisés, Cicéron lui même n’est pas Cicéronien ! Les chapitres du De legibus, entre beaucoup d’autres, sont de cette sorte.


[494] Comment ferons-nous donc pour imiter « dans sa totalité, si grande ou si petite soit-elle», un auteur que nous n’avons conservé que mutilé et tronqué, et inégal à lui-même dans quelques unes de ses oeuvres restées à l’état brut !
[495] A moins que tu veuilles suivre l’exemple de cet artiste qui imite les tableaux juste esquissés par Apelle ou les statues non polies de Lysippe et qui espère ainsi devenir un autre Lysippe ou un autre Apelle ? [496] Si Apelle lui-même voyait cela, lui qui dit-on était d’un cœur franc et sincère, ne s’écrierait-il pas : « Que fais-tu là ‘triste copieur’ ? [497] Il n’y a rien d’Apelle là-dedans ! »
[485] « anoos » : adj grec. Insensé ; imprudent.
[491] Cicéron a corrigé les vues exprimées dans le De inventione, I,14 ; cf Quintilien, Inst. III, 6,60. « Sed Cicero quidem his pulcherrimos illos De Oratore substituit, ideoque culpari, tanquam falsa praecipiat, non potest. » (P. Mesnard p. 621, ad loc.)
[492] « Levidense munusculum » Cicéron, Ad fam. , IX, 12,2 (« un mince présent » traduit Gaffiot)
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[498] Iam si quis sibi proposuisset insignem Lysippi statuam effingendam, cui robigo uitiasset mentum et os aut ei parti non imposuisset artifex summam manum, grauaretur eius partis exemplum ab alio quopiam artifice sumere  An potius haberet illud, ut est corruptum et imperfectum, aemulari, ne recedat ab exemplo cui semet addixit, quam ex alterius artificis signo, quod deest, supplere ?

[499] Nosoponus Ut possumus, aiunt, quando ut uolumus non licet.

[500] Bulephorus [P.621 L 30, éd. P.M.] Aliis, Nosopone, rectius istud uerbum usurpabitur, qui quod in Cicerone deminutum est, ex aliis scriptoribus sarciunt.
Mallent enim ex uno omnia, uel quia promptius est uel quia nullus illo dixit felicius; uerum quando id non est datum, ex aliis mutuantur.
[72,501] Quid ? quod Ciceronem habemus non modo truncum ac lacerum, uerum etiam ita deprauatum, ut, si reuiuisceret, ipse, opinor, nec agnosceret sua scripta nec restituere posset, quae librariorum ac semidoctorum audacia incuria inscitiaque corrupta sunt, quod malum Teutonibus potissimum imputat Politianus1, quibus ut hic patrocinari nolim, ita puto nihilo minus inuectum mendarum ab audacibus quibusdam ac sciolis Italis.

[502] Ut ne commemorem interim suppositicia falsoque titulo Ciceronem auctorem mentientia.

[498] Voyons maintenant, si quelqu’un se proposait de reproduire une célèbre statue de Lysippe, dont la rouille aurait dévoré le menton et la bouche, – à moins que l’artiste n’ait tout simplement pas mis la dernière main à cette partie de son ouvrage –, se refuserait-il à prendre modèle sur un autre artiste pour la partie manquante ? Est-ce qu’il préfèrerait par hasard la copier telle qu’elle est, corrompue et imparfaite, pour ne pas déchoir par rapport au modèle auquel il s’est voué, plutôt que de compléter ce qui lui manque à partir d’une statue d’un autre sculpteur ?
[499] Nosoponus Comme on dit « à l’impossible nul n’est tenu ! » (Littéralement (on fait) comme on peut quand on ne peut pas faire comme on veut !)

[500] Bulephorus Ce proverbe conviendra bien mieux, Nosopon, à ceux qui prennent aux autres auteurs de quoi réparer ce qui chez est abîmé chez Cicéron. Ils préfèreraient, bien sûr, que tout vienne de lui seul, soit parce que c’est plus pratique, soit parce que personne ne l’a mieux dit que lui ; mais quand ils ne trouvent pas ce qu’ils cherchent, ils empruntent à d’autres.

[501] Que dire ? L’œuvre de Cicéron nous est parvenue non seulement tronquée et en lambeaux, mais encore tellement dégradée que s’il ressuscitait aujourd’hui, lui-même ne pourrait, me semble-t-il, ni reconnaître ses écrits, ni restaurer ceux que les bibliothécaires et demi-savants ont corrompus par leur ignorance et leur manque de soin. Politien attribue principalement ce malheur aux Allemands. Je ne voudrais pas les défendre ici, mais je pense que ce dommage n’en est pas moins l’œuvre de demi-savants (petits philologues) italiens, plus audacieux qu’érudits, qui l’ont surchargée de tout autant de corrections !
[502] Je ne vais pas ici mentionner tous les livres mis dans le berceau des œuvres de Cicéron, et faussement etiquetés de son nom ! [496] P. Mesnard note à propos de « kakozeles » : « Zèle intempestif et malheureux qui aboutit à l’affectation et au mauvais goût. Cf Lucien, Salt. 82 et Quintilien, qui en fait un défaut rhétorique caractérisé dans tous les domaines par la « mala affectatio » (Inst.,VIII,3,56).On ne peut pas trouver de terme plus juste pour qualifier les singes de Cicéron. »
[498] Cette question se trouve éclairée de façon intéressante par Cicéron, lui-même, dans le De Officiis, III, II, 10 « Au reste, Panétius annonce, à la fin de son troisième livre, qu'il complétera plus tard son travail. A cette preuve vient s'ajouter un témoignage précieux, celui de Posidonius : dans une de ses lettres il a écrit que P. Rutilius Rufus, disciple lui aussi de Panétius, avait coutume de dire : De même qu'il ne s'est pas trouvé de peintre pour achever la Vénus de Cos laissée inachevée par Apelle (la beauté du visage enlevait tout espoir que le reste du corps pût l'égaler), de même nul n'osait, étant donné ce qu'était la partie composée par Panétius, entreprendre d'écrire la partie manquante ».
Lire sur la question de la rhétorique et de la peinture Thierry Froment, «  La critique d’art dans Quintilien » Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux – 1882. ( disponible sur le site Méditérranée)
[501] Politianus, cf. Epistula ad Bartoloaeum Scalam (VIII, Cal.Ian.anno MCCCCXCIII). Le développement qui s’étend sur les phrases [ 501 à 511] se rattache à la tradition de purisme philologique issue de Laurent Valla : le premier but de la Renaissance littéraire est l’emendatio, qui débarrasse le latin de touts ses alluvions « gothiques ». (P. Mesnard)
Angelus Politianus = Angelo Ambrogini  ou Agnolo Poliziano (Montepulciano, Sienne, 1454 - Florence 1494) Formation grec/ latin à Florence. A seize ans il traduisit les livres II à V de l'Iliade en hexamètres latins très admirés. En 1473, au service de Laurent le Magnifique qui lui confie plusieurs charges. Politien devient son ami et le précepteur de ses fils Pierre et Jean (le futur pape Léon X)  Il écrit en italien et en latin. Fâché qq temps avec les Médicis, il se rend Ravenne, à Venise, puis à Mantoue auprès du cardinal Gonzaga. Après 1480 réconcilié, il revint à Florence, où il retrouve sa charge de précepteur et reçoit la chaire de rhétorique latine et grecque à l'université de Florence, charge qu'il conserve jusqu'à sa mort en 1494. Grand poète en langue italienne, Politien a surtout laissé le souvenir d'un philologue exceptionnel, par sa compréhension des problèmes de tradition des textes et les choix d'édition qui sont les siens. On peut le considérer comme le fondateur de la philologie moderne, en raison de son sens critique aigu, soutenu par une profonde culture humaniste et la maîtrise parfaite du grec et du latin, qu'il appliqua à l'examen des textes. ( ex.Wikipédia).
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[503] Quo de genere sunt libri rhetorici quattuor ad Herennium hominis haudquaquam indocti, sed ad Ciceronem balbi
[504] Sunt et inter orationes, quae non a Cicerone scriptae, sed ab alio quopiam erudito exercendae dictionis gratia confictae uidentur.

[505] Adiecta est nuper oratio Pro M- Valerio, quae soloecismis scatebat ; tantum abest ut Ciceroniana dici possit.
[506] Nec desunt qui Porcii Latronis Declamationem3 in Catilinam pro Ciceroniana legant oratione.
[507] Proinde si deuotis animis nos unius Ciceronis imitationi dediderimus, citra delectum expressuri quicquid apud illum compererimus, nonne nosmet in summum coniecerimus discrimen, ne, cum diu [74,507] multumque nos ipsos torserimus, tandem Goticas uoces aut Teutonum soloecismos pro Ciceronianis flosculis amplectamur aemulemurque ?
[508] Nosoponus Istud malum auertant Musae

[509] Bulephorus Vereor, ne Musis dormitantibus id nobis frequenter eueniat, Nosopone. [510] Nec enim semel lusum hunc uidimus. [511] Fragmentum e Cicerone decerptum addito Germani cuiuspiam titulo quam deridebant, quoties barbarum inclamabant, qui sibi ualde Ciceroniani uidebantur ! [512] Rursus aliquid pridie confictum proferebatur in medium, addebatur Ciceronis nomen et fingebatur exemplar repertum in bibliotheca peruetusta: quam exosculabantur, quam adorabant diuinam illam et inimitabilem Ciceronis phrasim !
[513] Quid ? quod eruditi non negant in Ciceronis scriptis inueniri soloecismos inexcusabiles, quales et olim exciderunt et excidunt hodie uiris eruditis, dum in uarias res distracta cogitatione magis sententiae praecedentis meminerunt quam uerborum, eoque fit ut periodi clausula prioribus non respondeat. [514] Quod genus sit: "Diutius commorans Athenis, quoniam uenti negabant soluendi facultatem, erat animus ad te scribere". [515] Initio uersabatur in animo "uolebam" aut "statueram", post magis arrisit "in animo erat", quae uoces eundem efficiunt sensum, sed parum congruunt iis quae praecesserant. 
[503] Les quatre livres de la Rhétorique à Herennius en sont un exemple. Certes ils sont d’un homme qui ne manque pas de culture, mais qui paraît balbutier (begayer) si on le compare à Cicéron !
[504] Parmi les discours aussi, il s’en trouve qui n’ont pas été écrits par Cicéron lui-même, mais qui ont été élaborés, de toute évidence, par quelque homme instruit dans le but de s’exercer à l’art oratoire.
[505] On a récemment ajouté à leur liste le Pro Valerio, qui regorgeait de solécismes. Il s’en faut en effet de beaucoup qu’on puisse le considérer comme une œuvre de Cicéron !

[506] Et il ne manque pas non plus de gens pour lire la Déclamation de Porcius Latro contre Catilina comme un discours de Cicéron.
[507] C’est pourquoi, si nous nous sommes consacrés coeur et âme à l’imitation de Cicéron, et de lui seul, avec l’intention de reproduire sans discrimination tout ce que nous avons trouvé chez lui, ne nous sommes nous pas exposés au risque énorme, alors que nous nous nous infligeons cette torture depuis si longtemps, d’adopter des expressions gothiques ou des solécismes teutons pour des fleurs de l’art Cicéronien et de nous mettre à les imiter?

[508] Nosoponus Que les Muses détournent de nous ce malheur!

[509] Bulephorus Je crains bien, mon cher Nosopon, que cela ne nous arrive bien souvent, lorsque les Muses somnolent !
[510] Ce n’est pas la première fois, tu peux me croire, que nous voyons se jouer un tour de ce genre! [511] Tiens par exemple ! Un fragment sorti d’une oeuvre de Cicéron ! On l’avait affublé du nom d’un savant germanique : comme ils en ont ri ! combien de fois ils l’ont décrié pour sa barbarie, ceux qui se prenaient pour de véritables cicéroniens! [512] Inversement, on avait fait paraître quelque texte confectionnné la veille ; on lui avait accolé le nom de Cicéron, tout en prétendant qu’on avait découvert l’original dans une bibliothèque très ancienne : que de louanges! Comme ils ont adoré la langue divine et le style inimitable de Cicéron!

[Ph. 513] Qu’ajouter d’autre ? Les érudits ne le nient pas : on trouve dans les écrits de Cicéron des solécismes inacceptables. Du même genre que ceux qui aujourd’hui comme autrefois échappent aux hommes de lettres, quand leur réflexion passe d’un sujet à l’autre et qu’ils se souviennent davantage de l’idée précédente que des mots exacts. De là vient que la fin d’une phrase ne correspond pas aux premiers mots ! Ainsi par exemple : « M’attardant plus longtemps que prévu à Athènes parce que les vents n’offaient pas la possibilité de lever l’ancre, mon intention était de t’écrire ». Au début, ce qu’il avait en tête était « je voulais » ou « j’avais décidé ». Un peu plus tard c’est « il était dans mon intention » qui lui a plu. Ces expressions produisent le même sens, mais ne s’accordent pas bien, du point de vue grammatical, aux débuts de la proposition.
[503] La Rhétorique à Herennius, très souvent alléguée par Quintilien, est restée chargée, au XVI° siècle, même pour Erasme, d’une autorité cicéronienne. La critique moderne l’attribue volontiers à Q. Cornificus, orateur intègre, qui fut tribun de la plèbe en 69 av. J.C. (P. Mesnard)
[506] Le rhéteur Marcus Portius Latro, ami de Sénèque l’ancien, cité par Quintilien, Inst. X,15,18, ne peut avoir été l’auteur de la médiocre Declamatio in Catilinam. (P. Mesnard)
[514-515] La rupture de construction consiste en ceci que « animus » (intention) s’accorde grammaticalement avec «commorans »  (attardant). Ce qui aurait été évité avec volebam : m’attardant, je voulais. ***************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[76,516] Buléphore suite Quin A- Gellius lib- VI- cap- decimo quinto profert locum ex secundo libro Ciceronis De Gloria, in quo manifesto lapsus est uersus aliquot Homericos ex Iliados H- tribuens Aiaci, cum ibi dicantur ab Hectore. [517] An id quoque conabimur aemulari? [518] Id profecto faciendum, si totum exprimemus.
[519] Ad haec obseruatum memoriaeque proditum est Ciceronem dixisse quaedam, quae nemo doctus putauit imitanda, ueluti cum ait "in potestatem esse" pro "in potestate esse". [520] Ac sane fieri potest, ut illud "-tem" pro "-te" fecerit in autographo calami fluxus aut alius quispiam casus aut in aliis exemplaribus librarius oscitans induxerit.

[521] Rursus in edicto M- Antonii M- Tullius ueluti barbaram et Latinis inauditam uocem proscindit "piissimus" a "pio", cum ea apud probatissimos Latinae linguae scriptores reperiatur.

[522] Idem ut soloecon in eo reprehendit, quod scripsisset "facere contumeliam", quemadmodum dicimus Latine "facere iniuriam", cum apud Terentium, optimum, ni fallor, elegantiae Romanae auctorem, ita loquatur Thais: "Nam si ego digna hac contumelia sim maxime, at tu indignus, qui faceres tamen"; opinor enim tacite repeti "contumeliam".


[523] Idem ab his uocibus "nouissime" et "nouissimus" ceu male Latinis abstinuit, cum eis non ueriti sint uti M- Cato et Sallustius. [524] Qua religione M- Tullium A- Gellius testatur usum et in aliis multis dictionibus, quibus auctores bene Latini et ante illum et post illum frequenter usi sunt. [525] Fertur et geminum "ss" scripsisse, quoties antecedebat longa uocalis, uelut in "caussa, uissae, remissi" pro "causa, uisae, remisi".
[78,526] Num igitur totum Ciceronem imitantes abstinebimus ab his, quae contra doctissimorum hominum sententiam uni Ciceroni non placuerunt, aut ea sequemur, quae nulli docti uoluerunt imitari ac nec excusare potuerunt ?
[527] Hypologus Istuc quidem amantium est etiam naeuos earum, quas amant, exosculari.
[76,516] (Buléphore suite) Bien plus, Aulu-Gelle (XV,6) porte à notre connaissance un passage du De Gloria, (livre II), où de toute évidence, Cicéron se trompe en attribuant quelques vers du septième livre de l’Iliade à Ajax alors que, dans le poème, ils sont prononcés par Hector ! [517] Cela aussi, nous nous efforcerons de l’imiter ? [518] C’est assurément là ce qu’il faut faire, si nous imitons Cicéron « tout entier » !

[519] En plus de cela on a observé, et on a transmis à la postérité quelques expressions que Cicéron a employées, et qu’aucun savant n’a jamais conseillé d’imiter ! Il dit par exemple « in potestatem esse » au lieu de « in potestate esse ». Et, je veux bien l’admettre, il se peut que ce « m » résulte, dans le manuscrit autographe, d’une bavure de la plume, ou d’un autre accident du même genre, ou encore c’est un copiste à moitié endormi qui l’a introduit dans les manuscrits suivants.
[521] Encore un exemple : dans un décret de Marc Antoine, Marcus Tullius n’a-t-il pas décrié, et traité de barbare comme une expression jamais entendue de mémoire de Romain, l’adjectif « piissimus », superlatif de « pius », alors qu’on le rencontre couramment chez les auteurs les plus reconnus de la bonne latinité ?
[522] Il reprocha de même à Marc Antoine comme un solécisme d’avoir écrit « facere contumeliam » (faire outrage) sur le schéma grammatical de « facere injuriam » (faire injure), qui se dit en bon latin. Mais Térence lui-même, un très grand auteur, d’une excellente romanité si je ne me trompe, fait dire à Thaïs : «  Si moi je méritais cet outrage au plus haut point, pour toi du moins, il n’était pas digne de me le faire » (traduction volontaire par le verbe « faire »). Or, je crois bien que contumeliam (outrage) est sous- entendu dans cette expression, (comme complément du verbe faire).
[523] De même Cicéron s’abstient d’utiliser les superlatifs « novissime » et « novissimus » comme étant du mauvais latin, alors que Marcus Caton et Salluste n’hésitent pas à s’en servir. [524] Aulu-Gelle atteste que Cicéron fait preuve d’un tel scrupule pour beaucoup d’autres expressions, dont les auteurs de bonne latinité usent fréquemment aussi bien avant qu’après lui. On rapporte aussi qu’il mettait deux « s » après une voyelle longue comme dans « caussa », « vissae », « remissi » pour « causa », « visae », « remisi ».

[78,526] Nous qui voulons imiter « Cicéron tout entier » allons nous donc nous priver de ces formes qui, contre l’avis de tous les hommes instruits, n’ont déplu qu’à Cicéron, et à lui seul ? Irons-nous au contraire suivre ces exceptions qu’aucun savant n’a jamais voulu imiter ni même jamais pu justifier ?

[527] Hypologus C’est justement là le propre de ceux qui sont amoureux que de couvrir de baisers jusqu’aux verrues de celle qu’ils aiment !
[516] Aulu Gellius : Erasme confond, semble-t-il, le livre VI, chap.V des Nuits atttiques avec XV,6 du même ouvrage.
H : livre hêta = le livre sept de l’Iliade. Voir par exemple « A Probable Fragment of Cicero's De Gloria », A Souter The Classical Review 46:0404, 151-152, Cambridge University Press, 9/1932.
[521 ]Piissimus : Cic. Phil. XIII, 19,43
[522] Contumeliam : Cic. Phil. III, 9,22 [522] Térence, l’Eunuque, 664-866 « Missa haec faciamus. Non te dignum, Cherea, Fecisti : nam si ego digna hac contumelia Sum maxime, at tu indignus faceres tamen. » (Note de P. M.)
[525] Aulu-Gelle Noct. Att. X, 21, 1-2 ; Remisi Quint. Inst. I, 7,20 ****************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[528] Bulephorus Age, si totus erit exprimendus, num illius exemplo « Musis et Apolline nullo » scribemus uersus?
[529] Nosoponus Carmen excipio.
[530] Bulephorus Ne tu bonam eruditionis partem excipis, dum carmen excipis. [531] Ceterum, quid uetat quominus utamur hac exceptione et in his uirtutibus, in quibus ab aliis superatur Cicero, quemadmodum in hoc toto genere multis est inferior, ne dicam omnibus ?
[532] Quam multos uersus admiscet scriptis suis ex Homero, Sophocle et Euripide parum feliciter uersos, praeter Graecorum exemplum in iambicis eam usurpans libertatem, quam sibi Latini comoediarum scriptores permiserunt. [533] Tu si quid simile uoles facere, num uereberis ea felicius, si possis, ac minore licentia uertere, ne sis parum Ciceroni similis ? [534] An non dehonestat orationem solutam, qui uersiculos, quos uertendo facit suos, parum reliquae dictioni congruentes admiscet ? [535] Tum, quoniam identidem ille suis libris aspergit uersus Ennianos, Naeuianos, Pacuuianos et Lucilianos horridam illam et inconditam antiquitatem resipientes, tibi religio erit similes, immo [80,535] dissimiles uersus ex Virgilio, Horatio, Ouidio, Lucano Persioue proferre, quorum lucubrationes ut minus horroris ita plus habent tum elegantiae tum eruditionis ? [536] An hic metues uideri M- Tullio dissimilis ?

[537] Nosoponus Certe nonnihil recesserimus ab eo, quem modis omnibus exprimere conamur.

[538] Bulephorus At quid est necesse semper ac modis omnibus esse similem, cum saepe potius sit esse parem et interdum facilius sit superare quam aequare, hoc est meliora scribere quam similia?

[539] Nosoponus Meliora Ciceronianis ne Musas quidem ipsas dicturas opinor.
[540] Hypologus Fortasse possent, si neruos intenderent et noctu incenatae scriberent ad lucernulam.

[541] Bulephorus Ne, quaeso, commoueare, Nosopone!
[542] Semel stipulatus sum impune dicendi, quae uiderentur, potestatem. [543] Si quis sit usque adeo deditus addictusque Ciceroni, quemadmodum nos hactenus sumus, an non periculum sit, ne caecus amore uel pro uirtutibus admiretur uitia uel sciens ipsa quoque uitia effingat?

[528] Bulephorus Bon ! S’il nous faut restituer Cicéron dans sa totalité, écrirons-nous nos vers à son exemple « Sans l’aide de Muse aucune ni d’Apollon aucun »? (sic !)

[529] Nosoponus J’exclus sa poéssie.
[530] Bulephorus En excluant sa poésie, ne risques-tu pas d’exclure une bonne partie de sa culture littéraire? [531] D’un autre côté, qu’est ce qui nous empêche d’étendre cette exception aux qualités oratoires où Cicéron est supplanté par d’autres, comme on le fait pour le genre poétique où il est inférieur à beaucoup, pour ne pas dire à tous ?

[532] Que de vers il mêle à ses écrits ! Des vers d’Homère, de Sophocle ou d’Euripide, qu’il rend assez mal, en iambes, sans respecter l’original grec mais en usant de cette liberté que se sont autorisée les comiques latins. [533] Toi, si tu veux faire quelque chose de comparable, hésiteras-tu à rendre les vers avec plus de talent (si tu en as), et moins de licence, de peur de ne pas ressembler à Cicéron d’assez près ?
[534] Est-ce que, pourtant, il ne désohonore pas la prose lui qui y mêle des vers qu’il s’est appropriés en les traduisant, mais qui ne s’harmonisent pas à la tonalité d’ensemble du texte ?

[535] Ensuite, du moment que Cicéron a parsemé ses livres de vers d’Ennius, de Naevius, de Pacuvius et de Lucilius, de toute cette vieillerie rugueuse (horror) et qui respire l’inélégance, auras-tu des scrupules à mettre semblablement dans les tiens les vers – à vrai dire si peu semblables ! – de Virgile, d’Horace, d’Ovide, de Lucain ou de Perse, dont les œuvres ont gagné en élégance et en savoir ce qu’elles ont perdu en rudesse (horror)? [536] Craindras-tu vraiment dans ce cas d’avoir l’air de ne pas ressembler à Marcus Tullius?

[537] Nosoponus Ce qu’il y a de certain c’est que nous ne ferons rien pour nous éloigner de celui que nous nous efforçons de prendre pour modèle de toutes les façons!
[538] Bulephorus Mais en quoi est-ce nécessaire de lui ressembler toujours et en toutes les façons, alors qu’il vaut souvent mieux lui être égal et qu’il est même plus facile parfois de le surpasser que de rester à sa hauteur ? Je veux dire qu’il est plus facile parfois d’écrire mieux que lui que comme lui !
[539] Nosoponus Parler mieux que Cicéron ? Les Muses mêmes, à mon sentiment, ne le sauraient !
[540] Hypologus Peut-être le pourraient-elles, à condition de bander toute leur énergie et d’écrire de nuit, sans manger, à la lueur d’une pauvre lanterne ?
[541] Bulephorus Ne te trouble pas Nosopon, Je t’en prie ! [542] Nous avons passé un contrat, Non ? Tu m’as bien accordé une fois pour toutes le droit de dire ce qui me semble bon ? [543] Un homme qui se serait livré et consacré à Cicéron autant que nous jusqu’à ce jour, ne courrait-il pas le risque de se laisser aveugler par son amour et de regarder avec autant d’admiration les défauts que les qualités de Cicéron ou bien même de reproduire jusqu’à ses défauts, en toute connnaissance de cause ? [528] Martial, Epigr. II, 89,1 [540 ] Relire les phrases [Ph. 263 sqq] pour apprécier l’ironie moqueuse d’Hypologus !
[539] Meliora Ciceronianis . Plutôt que Ciceronianis comme datif de pt de vue (aux yeux des Cicéroniens).
[548] Sén. De brevitate vitae V,5 « Quoniam illum ipsum consulatum suum, non sine causa sed sine fine laudatum detestatur ».
[556 et 560]Quinjtilien IX, 4,41**************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[544] Nosoponus “Hehrakleis!” in Cicerone uitia?

[545] Bulephorus Nulla, nisi forte soloecismus uitium est apud alios, apud Ciceronem non est. [546] At soloecismos, ut diximus, eruditi commonstrant in libris M- Tullii.

[547] Nisi labi memoria uitium non est, et hoc commonstratum est a doctis.
[548] Si uitium non est immoderata mentione propriarum laudum etiam illum grauare cui patrocinaris, quod in Milonis defensione factum testatur Asconius Pedianus, et uix usquam non submolestus est hoc affectu [82, 548] Cicero, non sine causa, ut eleganter inquit Seneca, sed sine fine glorians.
[549] Et haud scio, utra re sit intemperantior, de se gloriando an alios insectando.
[550] Quocunque colore defenderimus haec, illud infitiari non poterimus hac dumtaxat in parte rectius exemplum ab aliis peti posse.

[551] Nosoponus Missum faciamus sermonem de moribus; de uiribus ac uirtutibus eloquendi nobis instituta est disputatio.
[552] Bulephorus Ego uero libens missum fecero, nisi rhetores ipsi contenderent bonum oratorem esse non posse, qui non sit idem uir bonus.
[553] Verum age, num tibi uidetur esse uitiosa compositio, si dictio sequens incipiat ab iisdem syllabis, in quas desiit praecedens, uelut echus imaginem ludicram referens ?
[554] Quod genus, si dicas "ne mihi dona donato", "ne uoces referas feras", "ne per imperitos scribas scribas Basso" ?


[555] Nosoponus Fateor ineptam et absurdam compositionem.

[556] Bulephorus Atqui talem proferunt ex amasio nostro Cicerone : "O fortunatam natam me consule Romam".

[557] Nosoponus Iam semel carmen excepi.

[558] Bulephorus Per me licebit, modo simul excipias illud : “totum Ciceronem”. [559] Sed nondum elapsus es.


[544] Nosoponus Par Hercule ! Des défauts chez Cicéron ?

[545] Bulephorus Des défauts ? Aucun s’il se trouve que le solécisme est un défaut chez les autres écrivains, mais pas chez Cicéron ! [546] En tout cas, nous l’avons déjà dit, les érudits relèvent bien des solécismes dans les écrits de Marcus Tullius !
[547] Aucun défaut ! Si les défaillances de la mémoire ne constituent pas un défaut ! Et cela aussi les érudits l’ont bien montré. [548] Aucun défaut encore, si ce n’est pas un défaut d’accabler jusqu’à celui que l’on défend sous les louanges immodérées de ses propres mérites : or c’est ce que Cicéron n’a pas cessé de faire au cours de la défense de Milon, si l’on en croit le témoignage d’Ascanius Pédanius. Selon lui, il n’est pas un passage où Cicéron ne se soit montré à la limite du désagréable par cette insistance, « se glorifiant non sans raison », comme le dit élégamment Sénèque, « mais sans fin ». [549] Et je ne sais pas laquelle de ces deux attitudes manque plus de tenue : se glorifier sans cesse ou invectiver les autres ? [550] Par quelque justification qu’on défende ces pratiques, on ne pourra pas nier que, sous cet aspect au moins, on pourra trouver un meilleur exemple chez d’autres orateurs !

[551] Nosoponus Laissons de côté la question de la morale individuelle : notre discussion s’est élevée à propos de ses forces et de ses vertus oratoires.

[552] Bulephorus J’aurais bien volontiers laissé tout cela de côté, si les théoriciens de l’art oratoire ne s’efforçaient eux-mêmes de prouver qu’on ne peut être un bon orateur si l’on n’est pas en même temps homme de bien. [553] Mais allons ! Est-ce que ce n’est pas une faute, à ton avis, dans l’agencement des mots quand un terme commence par les mêmes syllabes qui terminent le mot précédent, comme s’il jouait à lui faire écho ? [554] Par exemple, si l’on disait "ne mihi dona donato" (approximativement « ne me donne dons à moi») ; "ne uoces referas feras" ( approx-t. « ne me nomme noms barbares  (sens de citer) » ; "ne per imperitos scribas scribas Basso" ? (Approx-t . «Quand tu écris à Bassus ne fais pas écrire par des scribes de basse main !).
[555] Nosoponus Je le reconnais, cet agencement des mots manque d’art et de pertinence.

[556] Bulephorus Mais pourtant on mentione un vers de notre très cher Cicéron qui a ce caractère : "O fortunatam natam me consule Romam". (« O Rome fortunée, sous mon consulat née ! » ;
[557] Nosoponus Je t’ai déjà dit que j’excluais sa poésie!

[558] Buléphore Oh moi je veux bien! Mais alors supprime au moins ton fameux : « Cicéron tout entier » [559] Mais tu n’es pas encore quitte !
[556] traduction de J.B de Martignac, 1778-1832 )
[554] peut-on oser « scribe de basse cour» ? 
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[560] Bulephorus En tibi nihilo meliorem compositionem ex oratione soluta refert Quintilianus : "Res mihi inuisae uisae sunt, Brute", aut si malis Ciceroniano sonare modo "inuissae uissae sunt". [84,561] Ne quid calumnier interim de duobus molossis in clausula.
[562] Nosoponus Istuc excidit in epistula familiari.

[563] Bulephorus Nihil repugno, tantum quaero, num existimes imitandum ? [564] Certe fateris aliquid posse dici melius.
[565] Nosoponus Nescio.
[566] Bulephorus Quid hic memorem de uocalium crebra collisione, quae reddit hiulcam et inamoenam orationem? [567] An non hoc quoque notatum est a doctis in Cicerone ?
[566] Bulephorus [568] Neglexit, inquies, nihil reclamo, modo fateamur quiddam esse quod apud alios aut non sit aut sit melius. [569] Rursus ex te quaeram, ecquem nouisti scriptorem tam uigilantem tamque felicem, ut non alicubi dormitarit?

[570] Nosoponus Quidni? homines erant.
[571] Bulephorus Inter homines igitur numeras Ciceronem?
[572] Nosoponus Interdum.
[573] Bulephorus Utrum igitur putes esse consultius imitari dormitantem Tullium an uigilanten Sallustium aut Brutum aut Caesarem ?
[574] Hypologus Quis non mallet uigilantem exprimere?

[575] Bulephorus An non sic Homerum imitatus est Virgilius, ut multa correxerit, nonnulla reliquerit ? [576] Nonne sic Hesiodum, ut nusquam non uicerit ? [577] Nonne sic Horatius est lyricos Graecos aemulatus, ut ex unoquoque decerpens, quod esset bellissimum, omnes post se reliquerit ? [86,578] Ego, inquit, apis Matinae More modoque Grata carpentis thyma per laborem Plurimum circa nemus uuidique Tiburis ripas operosa paruus Carmina fingo.
[579] An non sic imitatus est Lucilium, ut quaedam in illo sciens praetermiserit, ab aliis sumpturus quod imitatione dignius esset ?

[560] Bulephorus (suite) Voici justement chez Quintilien une formule tout exprès pour toi, pas vraiment plus heureuse du point de vue de l’arrangement des mots ! Elle est tirée de la prose de Cicéron : « Res mihi invisae visae sunt, Brute », ou au cas où tu préfèrerais la prononciation de Cicéron : "invissae vissae sunt". (litt Ces choses m’ont paru odieuses, Brutus). Je ne voudrais pas en plus dénigrer les deux molosses qui gardent la clausule !
[562] Nosoponus Cela lui a échappé ! C’est une lettre à l’un ses proches.

[563] Bulephorus Je n’ai rien là-contre ! Je te demande seulement si tu estimes vraiment qu’il faut imiter cela ? [564] Tu avoueras sans doute qu’on peut dire mieux ?

[565] Nosoponus Je ne sais pas.

[566] Bulephorus A quoi bon rappeler ici le choc si fréquent des voyelles, qui produit de discordants hiatus ? [567] Et cela par hasard, les savants ne l’ont pas non plus souligné chez Cicéron ?


[566] Bulephorus Tu me diras : il ne faisait pas attention ! Je n’objecte rien à cela ! Avouons seulement qu’il y a des défauts qu’on ne trouve pas chez les autres, ou qu’ils y sont moins marqués. Laisse-moi encore te demander : est-ce que tu connais un auteur si vigilant et si talentueux qu’il ne s’est jamais laissé aller à somnoler en aucun passage ?

[570] Nosoponus Comment cela ne leur arriverait-il pas ? Ce sont des hommes !
[571] Bulephorus Tu comptes donc Cicéron au nombre des hommes ?
[572] Nosoponus parfois !
[573] Bulephorus Trouveras-tu donc plus sage d’imiter Tullius somnolant, que Salluste, ou Brutus, ou César l’esprit parfaitement en éveil ?
[574] Hypologus Qui ne préfèrerait imiter celui qui a l’esprit en éveil ?


[575] Bulephorus N’est-ce pas ainsi que Virgile a imité Homère, corrigeant beaucoup, délaissant aussi plus d’un passage ? [576] N’est ce pas ainsi qu’il a fait avec Hésiode ? si bien qu’il n’est pas un endroit où il ne le surpasse ? N’est ce pas ainsi qu’Horace s’est fait l’émule des lyriques grecs, prenant à chacun ce qu’il avait de plus élégant, jusqu’à les laisser tous derrière lui ?  Moi, dit-il, « comme l'abeille du Matinus, Contente de cueillir le suc du thym avec beaucoup de fatigue, [4,02,30] je compose humblement mes vers laborieux dans les bois et sur les bords du frais Tibur. »
[579] N’est-ce pas ainsi qu’il a imité Lucilius le satiriste, négligeant sciemment certains aspects pour prendre aux autres ce qui méritait mieux d’être imité ?
[561] Le Molosse = trois longues. Nougaret, § 239.
[578] Le Matinus : montagne d’Apulie, célèbre pour son miel. Horace, Odes IV, 2,27-32 ; Traduction Itinera.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[580] Bulephorus Quid alios commemorem ? [581] Num ipse M- Tullius tam admirabilem eloquentiam ex uno quopiam contraxit ? [582] An potius excussis Graecorum pariter ac Latinorum philosophis, historicis, rhetoribus, comicis, tragicis, lyricis, demum ex omni scriptorum omnium genere suam illam diuinam phrasim collegit, contexuit, absoluit ? [583] Si modis omnibus libet imitari Ciceronem, et hoc illius exemplum imitemur.

[584] Hypologus Non absurde mihi, Nosopone, loqui uidetur Bulephorus.

[585] Bulephorus Quid ? an non hoc ipse docuit Cicero caput artis esse dissimulare artem ? [586] Friget enim et fide caret ac uelut insidiosa timetur oratio, quae significationem artis dedit. [587] Quis enim ab eo non metuat, qui fucum et uim parat animis nostris ? [588] Itaque si feliciter Ciceronem imitari uolumus, dissimulanda cum primis est ipsa Ciceronis imitatio.
589] At qui nusquam discedit ab illius lineamentis, qui uerba, figuras, numeros ex illo concinnat, quaedam imitans etiam non imitanda, ueluti quidam Platonis discipuli [88,589] adductis humeris praeceptorem referebant, Aristotelis auditores subbalbum quiddam in loquendo, quod in eo fuisse legitur, reddebant, quoniam manifesto prae se fert imitandi studium, cui uidebitur ex animo loqui aut quid laudis assequetur denique ?

Bulephorus (suite) [590] Nimirum id quod assequuntur ii qui scribunt centones. [591] Delectant fortassis, sed paulisper, sed otiosos dumtaxat; ceterum nec docent nec mouent nec persuadent. Summa laus est: probe tenet Virgilium, multo sudore concinnauit emblemata.

[592] Nosoponus Quo magis elucebit imitatio, hoc magis habebor Ciceronianus. [593] Haec est uotorum summa.

[594] Bulephorus Recte dicis, si facundiam ostentationi paramus, non usui. [595] Verum plurimum interest inter histrionem et oratorem. [596] Illi delectasse satis est, hic etiam prodesse studet, si modo uir bonus est; quod si non est, nec oratoris nomen tueri poterit. [597] Iam demonstrauimus, opinor, in Cicerone quaedam esse uitanda, quaedam in eo desiderari, quaedam sic adesse, ut in his ab aliis hac parte felicioribus superetur.

[580] Bulephorus A quoi bon en énumérer d’autres ? [581] Est-ce que Marcus Tullius lui-même a tiré toute sa merveilleuse éloquence d’un seul modèle ? N’a-t-il pas plutôt retourné en tous sens, philosophes, historiens, orateurs, comiques, tragiques lyriques, grecs aussi bien que latins, pour finalement assembler, construire, parachever sa phrase divine, à partir de ces écrivains de toute sorte ? [583] Si nous sommes tentés d’imiter Cicéron en tous points, alors, imitons aussi cet aspect là de son œuvre !


[584] Hypologus Ce n’est pas absurde ce qu’il dit là, je trouve, Nosopon !

[585] Bulephorus Allons ! N’est-ce pas Cicéron lui-même qui nous a enseigné que l’essence de l’art est de dissimuler l’art ? [586] Il est bien froid, et il n’inspire pas confiance et on le craint comme un piège, le discours qui étale les dessous de son art. Qui ne craindrait et ne se tiendrait à l’écart d’un homme qui sous le fard se prépare à imposer sa violence à nos esprits ? [588] C’est pourquoi si nous voulons imiter Cicéron avec talent, il faut avant tout dissimuler cette imitation même que nous en faisons !
Mais celui qui ne s’écarte jamais des contours que Cicéron a délimités, qui organise ses mots, ses figures, ses rythmes en se calquant sur lui, imitant même parfois des détails qui ne devraient pas l’être, comme certains disciples de Platon qui, marchaient les épaules en arrière, pour copier l’allure du maître ; ou comme certains élèves d’Aristote, qui tentaient de restituer en parlant ce léger bégaiement qu’Aristote avait, nous disent les livres : à qui un tel orateur, qui fait si bien montre de son zèle à imiter, donnera-t-il l’impression de parler du fond du cœur ? Quelle sorte de louange espère-t-il recueillir enfin ?
Bulephorus (suite) [590] Sans doute celles qu’obtiennent les assembleurs de centons : ils charment peut-être, mais pas longtemps et seulement des gens qui ont du temps à perdre ! Par ailleurs, ils n’instruisent pas, ils n’émeuvent pas, ils ne persuadent pas ! La plus grande louange qu’ils peuvent récolter se résume à ceci : « il connaît bien son Virgile ! Il s’et donné beaucoup de mal à assembler sa marquetterie » !
[592] Nosoponus Plus mon imitation brillera, plus je passerai pour cicéronien ! Et c’est le comble de mes vœux !

[594] Bulephorus Ce que tu dis est vrai, si nous nous préparons à l’éloquence pour en faire étalage, et non pour la pratiquer réellement. [595] Il y a, à vrai dire, une très grande différence entre l’acteur et l’orateur. Pour l’acteur il lui suffit de plaire, l’orateur lui cherche aussi à être utile, si c’est un homme de bien. S’il ne l’est pas il ne pourra même pas conserver le nom d’orateur. [597] Nous avons suffisamment démontré, je crois, qu’il y a chez Cicéron des défauts à éviter, que certains points chez lui laissent à désirer, qu’il se rencontre aussi dans ses écrits des éléments sur lesquels il est distancé par d’autres, qui sur ces mêmes points ont le talent plus heureux.
[585] L’adage 3402. IV, V, 2. Porte comme titre « Caput artis decere quod facias ». La citation est rapportée à Quintilien.
« Ars est celare artem » : n’est attribué à aucun auteur certain.
[590] Cento, Mnis, m. : - a - morceau d étoffe, étoffe composée de plusieurs morceaux cousus ensemble, patchwork (vêtement d'esclave, couverture de lit, couverture de cheval...). - b - discours sans suite, conte, sornette. - c - centon (poème composé de vers ou d'hémistiches pris chez divers auteurs). « centones sarcire alicui », Plaut. Ep. 3.4.19 : faire des contes à qqn, lui en faire accroire. ( Ex Dictionnaire Jeanneau)***********************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[598] Sed donemus nullum esse uirtutum aut ornamentorum genus, in quo non sit ceteris uel par uel superior, certe in aliis alia magis eminent ob raritatem, quae in M- Tullio ornamentorum densitate uelut obscurantur, perinde quasi si certas stellas notare uelis, [90, 598] facilius id facies, si rarae luceant, quam si tota caeli pars pariter insignibus obsita sit.
[599] Itidem si uestem conspicias totam gemmis obtectam, minus te capient singulae.


[600] Nosoponus Qui totum imbibit Ciceronem, non potest aliud quam Ciceronem exprimere.
[601] Bulephorus Eodem reuoluimur. [602] Fatebor eloquentem, qui Ciceronem feliciter expresserit, sed qui totum exceptis uitiis et, ne sim iniquior, una cum ipsis uitiis, modo totum. [603] Feremus illud subinane, feremus mentum laeua demulceri, feremus et collum oblongum atque exilius, feremus perpetuam uocis contentionem, feremus indecoram parumque uirilem in initio dicendi trepidationem, feremus iocorum intemperantiam et si qua sunt alia, in quibus M- Tullius uel sibi uel aliis displicuit, modo simul et illa exprimant, quibus ista uel texit ille uel pensauit.

[604] Nosoponus Utinam id mihi contingat ante supremum uitae diem.
[605] Bulephorus Istuc ut contingat, nunc agimus, Nosopone.
[606] At uide, quam multa quam paucis complectitur, qui totum dicit Ciceronem. [607] Sed, o Musae, quantulam Ciceronis portionem nobis referunt isti Ciceronis simii, qui uoculis formulis tropis et clausulis aliquot hinc atque hinc corrogatis summam modo cutem seu bracteam potius Ciceronis nobis exhibent. [608] Sic olim Atticum dicendi genus quidam aemulabantur, cum interim essent aridi ieiuni frigidique, semper, ut ait ille, manum intra pallium habentes nec subtilitatem nec sanitatem nec gratiam Atticorum ulla ex parte possent assequi.

[598] Mais accordons lui sans mesquinerie qu’il n’y a aucune sorte de qualité oratoire, ni aucun genre d’ornement dans lequel il ne soit au moins égal sinon supérieur à tous les autres. La différence est que chez les autres orateurs certains ornements ressortent davantage du fait de leur rareté ; chez Cicéron ils reluisent moins, si l’on peut dire, du fait du nombre et de la densité des ornements ! C’est exactement comme si tu voulais observer quelques étoiles précises : ce serait beaucoup plus facile si elles étaient peu nombreuses à luire, que si cette portion du ciel était entièrement constellé d’étoiles plus brillantes les unes que les autres !
[599] De la même manière si tu contemplais un vêtement entièrement cousu de pierreries, leur détail retiendrait moins ton attention.

[600] Nosoponus Celui qui s’est totalement imprégné des œuvres de Cicéron, ne peut que reproduire (du) Cicéron !
[601] Bulephorus Nous voilà revenus au même point ! [602] Je reconnaîtrai pour éloquent celui qui saura imiter Cicéron avec talent, mais qui l’imitera dans sa totalité, exceptés ses défauts. Et même pour ne pas être plus injuste qu’il ne faut, (pour faire bonne mesure) avec ses défauts mêmes, mais tout entier !
[603] Nous supporterons ce qu’il a d’un peu vain, nous supporterons cette main gauche qui ne cesse de caresser son menton et ce cou long et trop mince, nous supporterons cette tension qui force continuellement sa voix, nous supporterons ce tremblement inconvenant et peu viril qui accompagne chaque début de plaidoirie, nous supporterons ces débauches de plaisanteries et tous les autres détails par lesquels Cicéron a déplu, tant aux autres qu’à lui-même, pourvu que tous ces travers restituent aussi les qualités par lesquelles il les a couverts et même compensés.


[604] Nosoponus Puisse ce bonheur m’échoir avant l’heure ultime !

[605] Bulephorus C’est à cela que nous travaillons, Nosopon !

[600] Mais vois quelle multitude de choses on embrasse par ces quelques mots : « Tout Cicéron ». Cependant, ô Muses, quelle pauvre petite proportion de Cicéron ils nous restituent ces singes de Cicéron, qui au prix de quelques particules, formules, tropes et clausules ramassées ici et là ne réussissent qu’à faire miroiter sous nos yeux l’éclat de sa peau ! Et encore ce n’est qu’une pellicule brillante qu’ils portent plaquée sur eux. [608] Cela me fait penser à ces orateurs qui, dans le temps, cherchaient à imiter le style attique : ils ne parvenaient qu’à être secs, sans vigueur, et froids, avec leur bras toujours sous leur manteau, comme le fait remarquer Cicéron, et ils n’atteignaient en aucun cas à la finesse, à la clarté, à la grâce des orateurs attiques.
 
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[92,609] Buléphore suite Optimo iure Quintilianus irridet quosdam, qui se germanos Ciceronis haberi uolebant, quod aliquoties his uocibus absoluerent clausulam "esse uideatur", propterea quod ea semel atque iterum Ciceroni forsitan excidit, si periodum longiore ambitu circumduxissent, quod in initiis praesertim nonnunquam fecit ille.

[610] Nec hodie parum multi sunt istorum similes, qui sese ualde mirantur et alteros, ut aiunt, Cicerones esse credunt, si prima uox orationis sit "quanquam" aut "etsi" aut "animaduerti" aut "cum" aut "si", quod Officiorum libros sic ordiatur M- Tullius "Quamquam te, Marce fili", periodum uix nono uersu absoluens, et pro lege Manilia "Quanquam mihi semper". [ 611] Laudatissimam illam pro Milone orationem sic auspicatus est "Etsi uereor, iudices", rursus Philippicarum duodecimam "Etsi minime decere uidetur", item pro C- Rabirio "Etsi, Quirites"; et epistulis aliquot simile est initium. [612] Et haud scio an isti libros ad Herennium ob id tribuant Ciceroni, quod ab "etsi" capiat exordium.




[613] Porro De finibus bonorum librum quintum sic incipit "Cum audiuissem Antiochum, Brute", Tusculanas quaestiones sic auspicatur "Cum defensionum laboribus", et eiusdem operis quartum librum "Cum multis in locis nostrorum hominum ingenia", pro L- Flacco "Cum in maximis periculis", item pro domo sua [94,613] ad pontifices "Cum multa diuinitus", iterum pro Plancio "Cum propter egregiam" ; ad haec librum De natura deorum primum "Cum multae res in philosophia", et Scipionis somnium "Cum multae res in Africa" .

[92,609] Buléphore suite Quintilien a bien raison de se moquer de certains orateurs qui prétendaient se faire passer pour des frères naturels ( frères germains) de Cicéron parce qu’ils terminaient ici et là une clausule en « esse videatur », sous prétexte que cette formule lui avait échappé une fois ou deux ! Les voilà promus cicéroniens s’ils avaient developpé une période de quelque ampleur, ce que Cicéron a fait quelquefois il est vrai, particulièrement dans ses exordes !

[610] Et aujourd’hui leurs pareils ne manquent pas non plus. Ils ont une telle conscience d’eux-mêmes qu’ils se croient, comme ils le disent, des « seconds Cicérons », pour peu que le premier mot de leur discours soit « Quanquam » (quoique) ou « Etsi » (même si) ou « Animaduerti » ( j’ai remarqué) ou « Cum » (lorsque ; alors que) ou « Si », sous prétexte que Marcus Tullius a ouvert le De Officiis par ces mots : « Quamquam te, Marce fili », suivis d’une période qu’il a bien du mal à clore avant la neuvième ligne ! Le discours Pour la loi Manilia commence lui aussi par « Quanquam mihi semper ». [611] Le Pro Milone, ce discours si estimé, se range sous les auspices de ces mots : « Etsi uereor, iudices », (Quoique je craigne, messieurs les juges) ; la douzième Philippique à son tour y a recours : « Etsi minime decere uidetur » ( Quoiqu’il paraisse peu convenable… ), de même le Pro Rabirius commence par ces mots : « Etsi, Quirites » ; quelques lettres ont le même début. [612] Et je me demande même s’ils n’attribuent pas à Cicéron le traité de la Rhétorique à Herennius parce que l’exorde commence par « Etsi »!
[613] Autre chose maintenant : Cicéron commence le livre cinq du De Finibus par ces mots : « Cum audiuissem Antiochum, Brute » (Comme j’avais écouté les leçons d’Antiochus, …). Les Tusculanes commencent ainsi : « Cum defensionum laboribus …» (Comme je me trouvais libéré de mes tâches d’avocat…), et le quatrième livre de ce même ouvrage « Cum multis in locis nostrorum hominum ingenia ». (D’une part j’ai coutume d’admirer les talents et vertus de nos pères en de nombreux domaines… ) ; Le Pro L. Flacco commence ainsi « Cum in maximis periculis » (Lorsqu’au milieu des plus grands périls) ; De même le Pro domo sua, prononcé devant le collège des pontifes, [94,613] « Cum multa diuinitus » (D’une part beaucoup de choses ont été inspirées à nos ancêtres par les dieux) ; une fois encore dans le Pro Plancio « Cum propter egregiam » ( Comme je voyais, qu’ à cause de la remarquable loyauté …) ; Il faut ajouter à cela le premier livre du De la nature des dieux « Cum multae res in philosophia » ( D’une part il subsiste dans la philosophie beaucoup de problèmes non encore résolus…), Le songe de Scipion enfin : « Cum multae res in Africa ».
[609] Quintilien, Institution oratoire, X,2,18 [613] Dans les exemples de la longue phrase [613] cum n’a pas toujours le même sens. Il s’agit parfois de la corrélation cum … tum (Tusculanes IV ; Pro domo sua ) que l’on ne saurait bien traduire ici sans ajouter un contexte trop long.
[613] Dans la République, [6,4] (9), le discours de Scipion commence en réalité ainsi : [6,4] (9) Scipio: "Cum in Africam venissem » **************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[614] Pro Rabirio dicens sic orditur "Animaduerti, iudices", rursus ad Brutum de paradoxis Stoicorum "Animaduerti, Brute".

[615] Pro L- Cornelio Balbo sic orditur "Si auctoritas patronorum", pro P- Sestio "Si quis antea, iudices", pro Caecina "Si quantum in agro", pro Archia poeta "Si quid est in me ingenii", in Vatinium testem "Si tua tantummodo, Vatini", ad equites iturus in exsilium "Si quando inimicorum", ad senatum post reditum "Si, patres conscripti, uestris", pro M- Caelio "Siquis iudices", de prouinciis consularibus "Siquis uestrum, patres conscripti".



[616] Quid autem magis ridiculum ac Ciceroni dissimilius esse possit, quam nihil habere Ciceronis praeter tales uoculas in orationis exordio ? [617] De quibus si quis percontetur Ciceronem, cur ab iis uocibus sit orsus, respondebit, opinor, quod in insulis fortunatis Luciano respondit Homerus roganti, cur primam Iliadis dictionem uoluerit esse mênin (nam haec quaestio multis saeculis torserat grammaticos) "illud", inquit, "tum forte uenit in mentem".


[618] Consimilis impudentiae sunt, qui sibi plus quam Ciceroniani videntur, quod aliquoties infulciant "etiam atque etiam" pro uehementer et "maiorem in modum" pro ualde, "identidem" pro subinde, "cum" et "tum", quoties inaequalis momenti sunt quae conectimus, "tum" et "tum" quoties aequalis,



"tuorum in me meritorum", "quid quaeris" pro in summa aut breuiter,


"non solum peto, uerum etiam oro contendoque",

"a
ehac dilexisse tantum, nunc etiam amare mihi uideor",



"ualetudinem tuam cura et me, ut facis, ama",



[614] Sa plaidoirie pour Rabirius commence ainsi : « J’ai remarqué Messieurs les juges … » De même l’essai sur le paradoxe des stoïciens, dédié à Brutus s’ouvre sur «  J’ai remarqué Brutus ».
[615] Le discours Pour L. Cornelius Balbus, commence par Si : « Si auctoritas patronorum »  de même le Pro P. Sestio : « Si quis antea, iudices » ; le Pro Caecina : « Si quantum in agro », le Pro Archia poeta : « Si quid est in me ingenii ». Son interrogatoire In Vatinium testem commence de même par « Si tua tantummodo, Vatini » ; son discours aux Chevaliers Avant de partir en exil débute en ces termes: « Si quando inimicorum » ; son discours aux sénateurs, Après son retour  s’ouvre sur :  « Si, patres conscripti, vestris » ; dans le Pro M- Caelio il attaque par : « Siquis iudices » ; son discours De prouinciis consularibus commence lui aussi par : « Siquis uestrum, patres conscripti ».

[616] Or que pourrait-il y avoir de plus ridicule, et de plus différent du véritable Cicéron que de ne rien avoir à présenter de plus Cicéronien que de telles particules dans l’exorde de son discours? [617] D’ailleurs si l’on interrogeait Cicéron à leur propos, si on lui demandait pourquoi il a commencé son exorde par telle ou telle de ces conjonctions il répondrait, je crois bien, comme Homère, dans les Îles Fortunées, répondit à Lucien qui lui demandait pourquoi il avait voulu que le premier mot de l’Iliade soit « Mênin » (la colère) – cette question tourmentait en effet les grammairiens depuis des générations – : « il se trouve que c’est ce mot-là qui  m’est alors venu à l’esprit ».

[618] D’une effronterie tout à fait comparable sont ceux qui se considèrent comme « plus que cicéroniens » sous prétexte qu’ils insèrent de temps en temps «etiam atque etiam  (encore et encore) » au lieu de « vehementer » « beaucoup » et « maiorem in modum » (dans une assez grande mesure) pour dire « valde » (très) ; « identidem » (à plusieurs reprises) au lieu de « subinde » (sans cesse) « cum … tum » (d’une part … d’autre part et plus particulièrement) chaque fois que les éléments mis en balance ne sont pas d’une égale importance, et « tum… tum » (tantôt… tantôt) chaque fois que leur poid est égal.

Ils disent « Tuorum in me meritorum » ( de tes mérites à mon égard) ; « Quid quaeris » (qu’est ce que tu veux de plus?) au lieu de « in summa » (en somme) ou « breuiter  » (bref) ;

« Non solum peto, uerum etiam oro contendoque » ( je ne vous le demande pas seulement, mais je vous en prie et vous en conjure) ;
« Antehac dilexisse tantum, nunc etiam amare mihi uideor » (Jusqu’à ce moment il me semble que j’avais seulement de l’affection pour toi, mais maintenant je crois que je t’aime vraiment bien) ;
« Valetudinem tuam cura et me, ut facis, ama » ( Prends soin de ta santé et continue à m’aimer bien, comme tu le fais) ;
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
Buléphore suite "non ille quidem uir malus, sed parum diligens", qua locutionis formula sic M- Tullius uidetur delectatus, ut in edem pagin crebro repetitam inuenias.

[96,619] Simile est, cum per "illud" pronomen indicat non quod praecessit, sed quod mox sequitur.
[620] Et in epistulis fortassis semel atque iterum dixit "cogitabam in Tusculanum"; itaque Ciceronianus sibi uidetur, qui subinde dixerit "Romam cogitabam" pro eo quod erat "in animo habebam" siue "statueram proficisci Romam".


[621] M- Tullius anni numerum non ascribit epistulis, sed tantum mensis diem : et Ciceronianus non erit, si quis a Christi natali annum ascripserit, quod saepe necessarium est, semper utile?

(idem non ferunt, si quis honoris gratia nomen eius, ad quem scribat, suo praeferat, quod genus sit "Carolo Caesari Codrus Urceus salutem".

[622] Par flagitium existimant, si quid dignitatis aut laudis addas proprio nomini, uelut "incluto Pannoniae Bohemiaeque regi Ferdinando Velius salutem dicit".

[623] Nec Plinio iuniori possunt ignoscere, quod "suum" appellat, si quando scribit amico, cum eius facti nullum apud Ciceronem exstet exemplum.
[624] Ut parum Tullianus reicietur, qui, quod exemplum a principum officiis mutuati docti quidam nuper usurpare coeperunt, summam eius epistulae, cui respondere parat, in initio proponat, quod id nusquam factum sit a M- Tullio.
[625] Noui quosdam notatos ut soloecos, quod in salutatione pro S- D- posuerint S- P- D-, i- e- salutem plurimam dicit, quod negarent hoc apud Ciceronem inueniri.

[626] Nonnulli uero putant et illud Tullianum esse salutationem non in fronte, sed in tergo litterarum ponere, quod his uerbis admoneretur lator, quas quibus deberet reddere non sine salutationis officio.

Buléphore suite « Non ille quidem uir malus, sed parum diligens » (Ce n’est pas que ce soit un mauvais homme, mais il manque par trop de sérieux) ; Il semble que cette formule a tellement plu à Cicéron qu’on la trouve plusieurs fois répétée dans la même page !
[619] C’est pareil pour le pronom « illud » quand il s’en sert pour indiquer non ce qui précède, mais ce qui suit immédiatement.
[620] Dans ses lettres il dit une fois ou deux « cogitabam in Tusculanum » je songeais à (me rendre à) Tusculum. Pour cette simple raison, il se prend pour un cicéronien celui qui ne cesse de dire  « Romam cogitabam » au lieu de ce qui devait être au départ : «in animo habebam proficisci Romam» (j’avais dans l’intention de me rendre à Rome) ou encore «Statueram proficisci Romam »  (j’avais décidé de partir pour Rome)

[621] Marcus Tullius n’inscrit pas le numéro de l’année dans l’en-tête de ses lettres ; il se contente d’indiquer le jour du mois : et bien sûr, à leurs yeux, on ne sera pas un cicéronien si l’on indique l’année à partir de la naissance du Christ, ce qui est pourtant souvent nécessaire et toujours utile !
De même ils ne tolèrent pas que l’auteur d’une lettre fasse figurer, par respect, le nom de son destinataire avant le sien propre, comme on dirait : « Carolo Caesari Codrus Urceus salutem » (A l’empereur Charles, Codrus Urceus adresse ses salutations).
[622] Ils trouvent tout aussi scandaleux d’ajouter le titre ou une distinction à un nom propre, comme : « Incluto Pannoniae Bohemiaeque regi Ferdinando Velius salutem dicit » (A l’illustre Ferdinand, roi de Pannonie et de Bohême, Velius adresse son salut).
[623] Ils ne peuvent pardonner à Pline le Jeune de qualifier de « suum » l’ami à qui il écrit (son cher ami), puisqu’on ne retrouve, selon eux, aucun exemple de ce fait chez Cicéron.
[624] On bannit de même comme trop peu cicéronien celui qui résume en tête de sa missive les points importants de la lettre à laquelle il s’apprête à répondre, parce que selon eux, on ne trouve nulle part chez Marcus Tullius, cette façon de faire, que quelques érudits ont commencé à adopter en suivant l’usage des administrations princières (chancelleries).
[625] Je connais quelques écrivains taxés de solécismes parce qu’ils ont utilisé dans leur formule de salutation S.P.D. ( Salutem Plurimam Dicit, c’est-à-dire : un tel adresse ses meilleures salutations) au lieu de SD (salutem dicit : adresses ses salutations). Les cicéroniens affirment qu’on ne trouve pas cette formule chez Cicéron.
626] Mais d’autres encore pensent qu’il est typiquement cicéronien d’inscrire la formule de salutation non au recto mais au dos la lettre, parce que de cette façon, on indique au porteur à qui il faut la porter, mais on lui rappelle aussi ainsi de ne pas oublier ses devoirs de politesse !
Codrus Urseus : ( 1446-1500) est présenté dans le catalogue d’auteurs dans la suite du Ciceronianus [Ph. 1427] comme non cicéronien et plutôt épicurien ! Autre plaisanterie d’Erasme : Charles Quint est né en 1500 ; Codrus, mort la même année, ne put lui écrire !
Ursinus Velius, Bernhardi, Gaspard de Schweidnitz (1493-1539) ; fut un temps précepteur des enfants de Ferdinand d’Autriche ( frère de Charles Quint ; devint roi de bohème et de Hongrie) ; il écrivit une histoire des guerres en Hongrie.

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[627] Buléphore suite Quantula res facit, ut ab hac palma decidamus!
[628] Multo uero minus erit Ciceronianus, qui salutarit hac formula: "Hilarius Bertulphus Leuino Panagatho totius hominis salutem" aut "salutem perpetuam". [629] Verum hic quoque longius aberit a Ciceroniano, qui sic orsus fuerit epistulam: "Gratia, pax et [98,629] misericordia a Deo patre et Domino Iesu Christo",
item, qui pro "cura ut recte ualeas" ita claudat epistulam: "sospitet te Dominus Iesus" aut "incolumen te seruet Dominus totius salutis auctor".

[630] Quos risus, quos cachinnos hic tollent Ciceroniani ? [631] Quid autem admissum est piaculi ? [632] An non uerba Latina sunt, munda, sonantia atque etiam splendida ? [633] Iam si sensum introspicias, quanto plus est hic quam in "salutem dicit" et "bene uale" ? [634] Quid uulgarius quam dicere salutem ? [635] Praestat hoc officium herus seruo, inimicus inimico. [636] Quis autem crederet esse Latinum "dicit illi salutem" et "iubet illum saluere", nisi nobis sermonem hunc ueterum consuetudo commendaret ? [637] Hoc in aditu. [638] Iam in digressu "uale" dicimus et his, quibus male precamur.
[627] Buléphore suite Comme il faut peu de chose pour perdre la palme du Cicéronien !
[628] Mais on passera encore bien moins pour cicéronien si l’on ose saluer en ces termes : « Hilarius Bertulphus souhaite à Leuinus Panagathus le Salut pour sa personne tout entière! » ou encore : « Salut pour l’éternité …! » [629] Et celui qui commencera sa lettre par ces mots : « Grâce, Paix et miséricorde te viennent de Dieu le père et de notre Seigneur Jésus Christ ! »  sera encore plus loin du titre ! De même si au lieu de « Veillle à bien te porter » on termine sa lettre par : «  Que le Seigneur Jésus te protège ! » ; ou encore « Que le Seigneur, auteur du salut absolu, te garde sain et sauf ! »


[630] Quels ricanements, quels éclats de rire s’élèveront du côté des Cicéroniens ! Pourtant : quel sacrilège aurons nous commis ? Ne sont-ce pas là des mots bien latins ? Ne sont-ils pas élégants ?  Ne sonnent-ils pas bien ? et même ne brillent-ils pas avec éclat ? Si on s’intéresse maintement au sens : nos salutations n’en ont-elles pas beaucoup plus que « Salut ! » ou « Porte toi bien ! » ? [634] Quoi de plus banal que de dire « salut ! » Le maître fait cette politesse à son esclave ; l’ennemi à son ennemi ! Qui d’ailleurs pourrait croire que ces expressions sont du bon latin : « un tel dit le salut à un tel » ou « un tel invite un tel à se garder sauf », si l’usage ne nous recommandait ces vieilles formules ? Voilà pour le début de nos lettres. Passons maintenant aux formules d’adieu : nous disons « Vale ! porte-toi bien ! » même à ceux à qui nous souhaitons du mal !

Hilarius Bertulphus (Bertholf) familier d’Erasme et son messager ; professeur et poète. Leuinus Panagathus autre familier d Erasme (=
Lievin Algoet ’! « tout bon » ; en fait, par antiphrase, selon Erasme = propre à rien) ; écrivit et edita des discours latins et grecs. Voir les notes de L'Erasmianus sive Ciceronianus d'Étienne Dolet  Par Émile Villemeur Telle (Droz,1974) (lisible en partie, en ligne).
Un exemple de ce mode de salut chez Pierre de Cluny :
« Dilectissimis nobisque plurimum devotis dominis L. V. D. B. PETRO L. atque Basiliis germanis fratribus Fr. P. C. F. S. indignus cum omni congregatione Cluniacensi totius salutis, totius bonitatis, totius benedictionis plenitudinem ». (XVII. Petri abbatis Cluniacensis Epistola ad Venetos senatores.---Ad ineundam suffragiorum societatem. (Anno incerto.) [MABILL. Analect. ed. in fol., p. 159.]) »
Totius hominis salus L’expression fait sans doute référence à la totalité de l’être comme corps et âme engagée dans le salut lors de la résurrection. (Voir par ex. Tertullien De la résurrection de la chair, [ch. 34 , § 8] « Habes totius hominis restitutionem, dum et quodcunque eius perit saluum facturus est dominus et quodcunque non perit utique non erit perditurus. ») « Par là tu possèdes le rétablissement de l'homme tout entier, puisque la faculté qui meurt en lui, le Seigneur la sauve, et que la faculté impérissable, le Seigneur ne l'anéantit pas ». Cette notion chez Tertullien est centrale dans la polémique contre le marcionisme.
Dominus totius salutis auctor : « Auteur du Salut Absolu / complet/ total» plutôt que « auteur de tout salut ». voir en outre en ligne Hobbes et l'histoire du salut: ce que le Christ fait à Léviathan  Par Dominique Weber [http://books.google.fr/books?id=B5xFCm788CEC&dq=salut+absolu++hobbes&source=gbs_navlinks_s].


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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[639] Quanto melior emphasis in formulis Christianorum, si modo uere et ex animo simus Christiani. [640]"Gratia" declarat gratuitam condonationem admissorum, "pax" quietem et gaudium conscientiae, quod Deum pro irato habemus propitium, "misericordia" dotes uarias et corporis et animi, quibus suos locupletat arcani Spiritus benignitas, quoque magis speremus nobis haec fore perpetua, additur "a Deo patre et Domino nostro Iesu Christo".


[641] Cum "patrem" audis, ponis seruilem trepidationem, ascitus in affectum filii ; cum "Dominum" audis, confirmaris aduersus uires satanae. [642] Non deseret ille, quod tam care redemit, et unus potentior est uniuersis satanae cohortibus. [643] Quid suauius his uerbis ei, qui iam haec apud se sentit, quid utilius hac admonitione ei, qui nondum in hunc affectum transiit.



[100,644] Verbis itaque non uincimur, immo uincimus potius, sententia longe superamus. [645] Restat illud decorum et aptum, quod ubique cum primis spectandum est. [646] At haec quanto magis conueniunt homini Christiano quam illa "salutem dicit" et "cura ut ualeas" ?



[647] Tantum facessat illa puerilis imaginatio : non sic locutus est Cicero. [648] Quid miri, si non sic locutus est, cum rem ignorarit ? [649] Quot milia sunt rerum, de quibus nobis frequenter dicendum est, de quibus M- Tullius ne somniauit quidem ? [650] At, si uiueret, nobiscum eadem loqueretur. [651] An non igitur frigidi uidentur imitatores, qui talium rerum obseruatiunculis referunt M- Tullium ac, dissimulatis tot diuinis uiri uirtutibus, numeris tropis formulis ac dictiunculis ea imitantur, quae M- Tullio uel placuerunt uel crebrius exciderunt ?


[652] Haec ad te quidem nihil attinent, Nosopone, sed tamen, quoniam incidit ut de Ciceronis imitatoribus loqueremur, et haec commemorare non ab re uisum est
[639] Comme les formules chrétiennnes sont plus riches de sens, pourvu qu’on soit vraiment chrétien du fond du cœur ! « Grâce » désigne le pardon gratuit (sans contrepartie) de nos mauvaises actions ; « Paix » désigne le repos de la conscience et la joie de savoir que Dieu nous traite avec bienveillance plutôt qu’avec colère ; « Miséricorde » désigne les dons variés du corps et de l’esprit dont le Saint Esprit, dans sa bonté comble mystérieusement les siens ; et afin d’augmenter nos raisons d’espérer que ces dons nous soient accordés pour toujours on ajoute : « de la part de Dieu le père et de notre Seigneur Jésus Christ »

[641] Lorsque on entend « Père » on se débarrasse de toute crainte servile, parce qu’on se sent appelé à partager l’amour du père pour son fils ; lorqu’on entend « Seigneur » on se sent raffermi contre les forces de Satan, [642] car Il n’ira pas abandonner ce qu’Il a racheté si chèrement ; et, à Lui seul, Il est plus fort que toutes les cohortes de Satan réunies. [643] Qu’y a-t-il de plus doux que ces paroles pour celui qui ressent déjà ces dons en lui ? Qu’y a t-il de plus utile que cet encouragement pour celui qui n’est pas encore entré dans cet amour ?

[644] On peut donc dire que du point de vue des mots, nous ne sommes pas vaincus : nous sommes plutôt vainqueurs ; et pour ce qui est de la pensée nous l’emportons de loin. Ne reste plus maintenant que l’angle de la convenance et de la bienséance, qu’il faut partout observer plus que tout. Mais comment nos formules ne conviendraient elles pas bien mieux au Chrétien que ces « Salut ! » et autres « Porte toi bien » !

[647] Il suffirait que disparaisse cette illusion puérile : « Oui mais Cicéron n’a pas parlé comme cela ! » [648] Qu’y a-t-il là d’étonnant puisqu’il ne connaissait pas l’objet dont on parle. [649] Combien de milliers de choses y-a-t-il dont nous avons à parler tous les jours, et dont Cicéron n’a pas eu l’ombre d’une idée, même en songe ? [650] Mais s’il vivait à notre époque, il parlerait comme nous. Ne les trouves-tu pas pas bien froids, ces imitateurs qui veulent rendre l’éloquence cicéronienne par l’observation tatillonne de tels détails et qui, sans mettre en valeur les vertus divines de l’homme ne l’imitent que par les rythmes, les figures, les formules, les expressions, qui lui plaisaient ou qui lui revenaient tout simplement assez souvent sous la plume ?

[652] Ces critiques-là ne s’appliquent pas à toi, Nosopon, je le sais bien ! Mais puisque la conversation est tombée sur les imitateurs de Cicéron, il ne m’a pas paru hors de propos d’y faire allusion quand même !
1. Ascitus in affectum filii : appelé à l’affection du fils ! parce qu’on se sent appelé à recevoir l’affection du père pour le fils ?
ou parce qu’on se sent appelé à partager l’affection du fils pour le père ? ****************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[102,653] Buléphore suite Hoc hominum genus et nobis et ipsi Ciceroni pariter inuisum esse debet; nobis, qui uere Ciceronem conamur exprimere, quia per istos uocamur in iocum et fabulam, dum ex illorum aestimamur stultitia ; Ciceroni, qui per tales, ut ante diximus, imitatores non aliter infamatur quam bonus praeceptor per malos discipulos, probus uir per improbos liberos, formosa mulier per imperitum pictorem.

[654] Perspexit hoc Quintilianus, dum queritur Senecam infamari quorundam immodico studio, qui uitia dumtaxat imitabantur itaque fiebat, ut, qui Senecam non legerant, ex illorum scriptis Senecae facundiam aestimarent. [655] Quemadmodum autem nulli magis se iactant uenditantque de praeceptorum ac maiorum nomine [104,655] quam indocti discipuli et improbi filii, aliunde captantes uirtutis opinionem, cum suis bonis eam conciliare non queant, ita nulli gestiunt insolentius nomine Ciceronis, quam qui Ciceronis sunt dissimillimi. [656] Noui medicos insigniter artis quam profitebantur imperitos, qui, quo quaestum facerent uberiorem, celebris alicuius medici, quem uix uiderant, se discipulos iactitabant rogatique, cur praeter artem hoc aut illud ministrarent aegrotis, conuicio respondere solebant: "Num tu illo doctior? Hunc praeceptorem sequor".

[658] Atqui illius quem nominabant paene nihil imitabantur praeter uitanda potius quam aemulanda, puta si forte celebris ille fuit in respondendo consultoribus difficilior aut morosior uel in exigenda mercede durior. [659] Quo tandem animo credis egregium illum medicum esse erga tales discipulos ?


[660] Hypologus Haud dubium quin pessimo, nisi prorsus nullam habet existimationis suae rationem.

[661] Bulephorus Quonam reliquos eiusdem medici ueros ac germanos discipulos?

[662] Hypologus Aeque malo, quod apud uulgus tales habentur discipuli, qualem experiuntur illum gloriosum impostorem. [663] Atqui, si pateris, ut orationis tuae cursum interpellem, faxo ut uideas.

[664] Bulephorus Licet.
[665] Hypologus Quidam casu uiderat Erasmum scribere calamo, cui ob breuitatem additum erat lignum, coepit ilico suis pennis alligare baculum atque ita sibi uisus est Erasmico more scribere. [666] Sed perge, obsecro.

[653] Buléphore suite D’ailleurs nous devrions haïr cette sorte d’homme, tant pour nous que pour Cicéron lui-même. Nous qui nous efforçons de faire ressortir le véritable Cicéron, nous devrions les haïr parce qu’ils attirent sur nous la dérision et la médisance, dans la mesure où c’est à l’aulne de leur sottise que nous sommes jugés. Quant à Cicéron sa réputation est salie par ces imitateurs dont nous avons parlé, de la même manière que celle du bon précepteur est mise à mal par ses mauvais élèves, celle de l’homme honnête par ses enfants malhonnêtes, celle de la belle femme par un peintre malhabile.
[654] Quintilien, déjà, avait bien vu cela. Il déplorait en effet que la réputation de Sénèque fût entachée par le zèle immodéré d’un certain nombre de ses imitateurs qui ne reproduisaient que ses tics, si bien que ceux qui n’avaient pas lu Sénèque se faisaient une opinion de son éloquence par le biais de leurs écrits. [655] Personne ne se vante plus ni ne se réclame davantage du renom de ses anciens professeurs et du nom de ses ancêtres que les élèves indociles et les enfants indignes, qui cherchent ainsi à se donner une réputation de vertu en la prenant aux autres, parce qu’ils ne réussissent pas à la bâtir sur leur propres qualités. Il en va de même du nom de Cicéron : personne ne brûle davantage de s’en couvir que ceux qui lui ressemblent le moins ! [656] J’ai connu des médecins, notablement ignares dans l’art qu’ils professaient, qui, pour augmenter leurs honoraires, se targuaient d’être les disciples de tel médecin célèbre, qu’ils avaient à peine vu. Et si on leur demandait pourquoi ils administraient, en dépit de toutes les règles de l’art, tel ou tel remède à leurs malades, ils avaient l’habitude de répondre en haussant le ton : «  Serais-tu plus savant qu’un tel ? eh bien c’est lui que je prends pour maître ! » [658] Mais à vrai dire, celui qu’ils invoquaient ainsi ils ne l’imitaient pratiquement pas si ce n’est pour ce qu’il aurait mieux valu éviter qu’imiter : par exemple,  la brusquerie de ses réponses aux patients qui le consultaient, ou son caractère revêche, ou encore une certaine dureté dans la manière de se faire payer ses honoraires. Dans quelle disposition d’esprit crois-tu que cet illustre médecin devait se trouver à l’égard de tels disciples ?
[660] Hypologus : Sans doute leur en voulait-il énormément! A moins qu’il ne tînt absolument aucun compte de sa réputation !

[661] Bulephorus Et dans quelle disposition d’esprit crois-tu que se trouvaient les véritables et authentiques élèves de ce même médecin à l’égard de ces soi-disant disciples?
[662] Hypologus Ils leur voulaient sans doute autant de mal ! parce que les gens les considéraient, eux les disciples véritables, comme aussi mauvais que ces vantards et ces imposteurs, dont ils avaient fait l’expérience. [663] Mais si tu permets que j’interrompe ton discours, je te réponds que tu vas comprendre le tableau !
[664] Bulephorus Vas-y !
[665] Hypologus Un homme un jour avait vu Erasme écrire avec une plume qu’il avait rallongée d’un petit morceau de bois, parce qu’elle était trop courte. Il se mit aussitôt à ficeler un petit bout de baguette à l’extrémité de ses plumes : il avait ainsi l’impression d’écrire comme Erasme ! Mais continue, je t’en prie !
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[106,667] Bulephorus Nec illepidum est nec « aprosdionuson », quod narras. [668] Ceterum ut institutum prosequar : An non audimus patres familias obiurgantes male moratos filios: "Vos me redditis infamem et inuisum ciuibus meis, uos obscuratis imagines maiorum, pudet me talium liberorum; si pergitis, abdicabo uos"? [669] Nonne ad consimilem modum audimus interdum fratrem indignari fratri, quod illius improbis moribus detrimentum opinionis suae capiat ? [670] Hoc animo probabile est Ciceronem esse in istos ridiculos simios, hoc animo nos esse decet qui illius « gnehsia tekna » studemus haberi.

[671] Nosoponus In re tam praeclara nonnihil est uel umbram assequi.
[672] Bulephorus Sit hoc aliquid iis quibus satis est umbra uocari Ciceronis; ego nec Apollinis umbram dici me cupiam. [673] Malim enim uiuus esse Crassus quam umbraticus Cicero. [674] Verum ut quod instituimus peragamus, fac esse qui totum Ciceronem in uerbis figuris et numeris exprimat, quod ipsum tamen an multi possint nescio, quantulum is habebit Ciceronis ?
[675] Sit hoc in imitando Cicerone quod Zeuxis fuit in effigiando corpore muliebri. [676] Expressit lineamenta colorem aetatem et, ut summum artificium praestiterit, affectus nonnihil, hoc est dolentis, gaudentis, irati, metuentis, attenti aut dormitantis. [677] Haec qui praestitit, nonne quicquid ars potest absoluit ? [108,678] Quantum licuit, uiuam hominis speciem in mutum simulacrum transtulit. [679] Nec aliud exigi potest a pictore. [680] Agnoscis formam eius, quae depicta est, uides aetatem et affectus, fortassis et ualetudinem ; adde quod a quibusdam effectum legimus: agnoscit indolem et mores et uitae spatium physiognomon.

[681] Sed immane quantum illic abest hominis ! [682] Quod ex summa cute conici potest, expressum est. [683] Ceterum, cum homo constet ex anima et corpore, quantulum illic est unius partis eiusque deterioris ?

[684] Ubi cerebrum, ubi caro, ubi uenae, ubi nerui et ossa, ubi intestina, ubi sanguis spiritus et phlegma, ubi uita, ubi motus, ubi sensus, ubi uox et sermo, denique ubi, quae sunt hominis propria : mens, ingenium, memoria, consilium ?
[106,667] Bulephorus Ton petit conte ne manque pas de charme ni de pertinence ! [668] Mais, si tu permets, je vais continuer sur ma lancée. Ne nous arrive-t-il pas d’entendre les pères de famille gronder leurs fils pour leurs mauvaises moeurs et leur adresser ces reproches : « Vous me déshonorez et me rendez odieux à tous mes concitoyens ; vous ternissez la gloire de vos ancêtres. J’ai honte d’avoir de tels enfants. Si vous continuez ainsi, je vais vous déshériter !  » ? [669] Ne nous arrive-t-il pas d’entendre quelquefois un homme s’emporter d’une manière comparable contre son frère et lui reprocher les dommages que sa propre réputation subit du fait de ses mauvaises mœurs ? Il est probable que Cicéron se trouve dans cet état d’esprit à l’égard de ces singes ridicules ; c’est dans cette même disposition qu’il faut que nous soyons à leur égard, nous qui faisons tout pour être considérés comme ses fils légitimes.
[671] Nosoponus Dans une affaire aussi prestigieuse ce n’est pas rien (que) d’attraper ne serait-ce que l’ombre de cette gloire.
[672] Bulephorus Admettons que cela signifie quelque chose pour ceux qui se trouvent contents qu’on les appelle des ombres de Cicéron ! Pour ma part je ne voudrais même pas qu’on me dise l’ombre d’Apollon ! [673] Je préfèrerais encore être un Crassus vivant que d’être l’ombre de Cicéron. [674] Mais pour en revenir à notre propos, imagine un orateur qui réussisse à restituer tout Cicéron dans ses mots, ses figures, ses rythmes – Je me demande même combien seraient seulement capables de cela ! – : en tout cas, quelle minuscule partie de Cicéron aura-t-il réussi à s’approprier ?
[675] Admettons qu’il parvienne dans son imitation de Cicéron à obtenir ce que Zeuxis a réussi à peindre dans ses corps de femmes. [676] Il a su à rendre leurs traits, leur teint, leur âge, et, faisant preuve par là d’une exceptionnelle maîtrise de son art, il a réussi à suggérer quelque émotion, les montrant tour à tour souffrant, ou en colère, ou saisies de crainte, bien éveillées ou somnolant. [677] Celui qui fait preuves de telles capacités, n’a-t-il pas réalisé toutes les possibilités de l’art ? [108,678] Il a fait passer, dans toute la mesure du possible, la figure vivante d’un être humain dans une image muette. [679] et on ne peut rien exiger de plus d’un peintre. [680] On reconnaît (la forme de) celle qui est peinte, on voit son âge et son humeur, peut-être même son état de santé. Ajoutons-y ce tour de force que certains peintres ont réalisé, si l’on en croit les livres : un physionomiste peut reconnaître dans le tableau le caractère du modèle, ses mœurs et combien il lui reste à vivre.
[681] Mais comme l’homme véritable est cruellement absent de tout cela ! Tout ce qui peut se conjecturer en s’en tenant à la surface de la peau a été exprimé, certes ! mais comme l’homme est constitué d’une âme et d’un corps, quelle infime portion d’une seule partie de lui-même est là-dedans ? et encore est-ce la moins bonne des deux ! [684] Où est le cerveau, où est la chair ? où sont les veines ? où sont les muscles et les os ? Où sont les organes ? Où le sang, le souffle et le phlegme ? Où donc sont la vie, le mouvement et les sens ? Où sont la voix et la parole ? Où sont enfin l’esprit, l’intelligence, la mémoire et la réflexion qui sont le propre de l’homme ? [667] « aprosdionuson » voir [Ph.819] : sans rapport avec la fête de Dionysos, d’où inopportun, déplacé ( P. Mesnard)
[680] Physiognomon se trouve chez Cicéron ; P. Mesnard édite « Physiognomus ».
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[685] Quemadmodum, quae sunt hominis praecipua, pictori sunt inimitabilia, ita summas oratoris uirtutes nulla assequitur affectatio, sed a nobis ipsis sumamus oportet. [686] Verum a pictore nihil aliud exigitur, si praestitit quod unum ars profitetur; a nobis, si totum Ciceronem exprimere uolumus, multo aliud requiritur. [687] Si nostrum simulacrum, quo M- Tullium effingimus, careat uita actu affectu neruis et ossibus, quid erit imitatione nostra frigidius ? [688] Sed multo magis erit ridiculum, si tuberibus neruis cicatricibus aliaue membri deformitate demum efficiamus, ut lector agnoscat nos legisse Ciceronem.

[110] [689] Hypologus Istius generis pictor quidam nuper risui nobis fuit. [690] Susceperat effingendum ad uiuam formam Murium sodalem nostrum cumque ueram hominis formam reddere non posset, circumspectabat, si quid haberet in corpore seu uestitu notabile. [691] Aestate coeperat iamque magna ex parte tabulam absoluerat, pinxerat anulum quem gestabat, pinxerat crumenam et cingulum, tum pileum capitis diligenter expressit ; animaduertit illi in laeuae manus indice esse cicatricem : eam expressit accurate, tum in dextra, qua manus paeninsula brachio committitur, tuber insigne : nec hoc praetermisit ; rursus in supercilio dextro pilos aliquot in diuersum flexos reddidit, item in bucca laeua cicatricem effinxit uulneris uestigium. [692] Ubi reuersus, nam crebro redibat ad exemplar, uidisset barbam demessam, affinxit nouum mentum, rursus, ubi barbam aliquantulum prouenisse, quia magis id placebat, mutauit illi mentum. [693] Interim oborta est Murio febricula, ea, ut solet, recedens in labrum eruperat : pictor expressit pustulam. [694] Tandem uenit hiems ; sumptum est aliud pileum : mutauit ille picturam ; sumpta est uestis hiberna pellibus subducta : pinxit nouam uestem ; rigor mutarat colorem et cutem, ut solet, contraxerat : mutauit totam cutem ; inciderat pituita, quae sinistrum oculum uitiarat et nasum, dum frequenter emungitur, reddiderat et aliquanto maiorem et multo rubicundiorem  : pinxit illi nouum oculum et nasum nouum. 
[685] De même que pour un peintre les caractéristiques principales de l’homme sont impossibles à imiter, de même aucune recherche ne peut mener aux qualités les plus hautes de l’orateur : il nous faut les tirer de nous-mêmes. S’il réalise déjà la seule chose que son art promet, on n’exige rien d’autre du peintre ; pour nous au contraire qui voulons imiter Cicéron tout entier, les exigences sont bien plus grandes. [687] Que la statue par laquelle nous voulons représenter Marcus Tullius vienne à manquer de vie, de geste, de sentiment, de nerfs et d’os : y aura-t-il quelque chose de plus froid que notre imitation ? [688] Mais elle sera bien plus ridicule encore si nous reproduisons les boutons, les verrues, les cicatrices ou tout autre difformité du corps dans le seul but de faire voir à notre lecteur que nous avons lu Cicéron !

[110] [689] Hypologus Il n’y a pas très longtemps un peintre de ce genre nous donna bien à rire ! [690] Il avait entrepris, d’après nature, un portrait de notre ami Murius et comme il ne parvenait pas à rendre la véritable figure de notre homme, il cherchait ce qu’il pouvait avoir de remarquable dans son corps ou dans sa manière de se vêtir. [691] Il avait commencé son tableau en été, et il était en grande partie achevé. Il avait peint l’anneau que portait Murius, sa bourse et sa ceinture ; il représenta alors avec soin le bonnet qu’il avait sur la tête. Puis remarqua une cicatrice qu’il avait sur l’index de la main gauche : il la reproduisit avec précision ; c’est alors qu’il observa à la main droite une protubérance remarquable, là où la main s’attache au bras comme une péninsule : il se garda bien de l’omettre ! Dans le sourcil droit quelques poils se rebiffaient : il rendit cela aussi ; il représenta de même, au coin gauche de la bouche, une cicatrice qui témoignait d’une ancienne blessure. [692] Un jour qu’il était retourné chez Murius — il revenait fréquement à son modèle — il constata que sa barbe avait été coupée : il lui refit un nouveau menton ! quand la barbe eut un peu repoussé, comme cela lui plaisait mieux, il lui changea encore une fois le menton ! [693] Entre temps Murius avait été pris d’une petite fièvre, qui lui avait laissé en se retirant, un bouton bourgeonnant sur la lèvre, comme cela arrive souvent en pareil cas : le peintre reproduisit le « bouton de fièvre ». [694] enfin vint l’hiver. On prit un autre bonnet : notre peintre modifia son portrait ; on prit une veste d’hiver, garnie de fourrure : il peignit la nouvelle veste. Le froid avait altéré son tient et resserré sa peau, comme cela se produit en hiver : le peintre refit la peau. Enfin survint un rhume, qui se porta sur l’oeil gauche. Comme Murius se mouchait souvent, ce rhume lui faisait le nez un peu plus gros et beaucoup plus rouge qu’à l’accoutumée : le peintre lui peignit donc un nouvel œil et un nouveau nez. [690] « Veram formam hominis » se prête sans doute à une lecture plus platonicienne (l’essence de l’homme ; « nature » irait bien voir infra [phrase 696]). [693] Pustula désigne me semble-t-il ici un « bouton de fièvre » (herpès labial). ********
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[695] Si quando uidisset impexum, exprimebat capillorum inaequalitatem ; rursum, si pexum, componebat capillitium ; forte dormitabat Murius, dum pingeretur : expressit dormitantem ; sumpserat pharmacum hortatu medici, ea res addidit aliquid senii : mutauit faciem. [112,696] Si ueram ac natiuam hominis formam potuisset exprimere, non confugisset ad haec « parerga ».

[697] Itaque, si ad istum modum imitemur Ciceronem, nonne merito clamet in nos Horatius-1)  :
« O imitatores, seruum pecus, ut mihi saepe
Risum, saepe iocum uestri mouere tumultus! »
[698] Sed finge nos feliciter expressisse in Cicerone, quicquid hominis exprimere potest absolutus pictor ; ubi pectus illud Ciceronis, ubi rerum tam copiosa, tam felix inuentio-2 , ubi dispositionis ratio, ubi propositionum-3 excogitatio, ubi consilium in tractandis argumentis, ubi uis in mouendis affectibus, ubi iucunditas in delectando, ubi tam felix ac prompta memoria, ubi tantarum rerum cognitio, denique ubi mens illa spirans etiamnum in scriptis, ubi genius ille peculiarem et arcanam afferens energiam ?
[114,699] Haec si absint, quam erit frigidum imitationis nostrae simulacrum ?

[700] Nosoponus Ista diserte tu quidem, Bulephore, sed quorsum spectant, nisi ut adulescentes ab effingendo Cicerone deterreas ?
[701] Bulephorus Bona uerba, Nosopone!( voir [Ph. 52] [702] Quin potius eo spectant haec omnia, ut contempto simiorum quorundam inepto tumultu, Ciceronem, quatenus licet, et totum et feliciter imitemur.
[703] Nosoponus Hic sane rem eandem agimus.


[695] S’il le voyait un jour non peigné, il cherchait à rendre le désordre de ses cheveux, s’il le voyait à nouveau peigné, il lui réarrangeait sa chevelure ! Murius somnolait-il, pendant qu’il peignait ? il le représentait endormi. Avait-il pris, sur le conseil de son médecin, quelque potion, qui le vieillissait un tant soit peu : il lui refaisait la figure.
[112,696] S’il avait pu rendre la nature véritable et profonde de cet homme, il n’aurait pas eu besoin de recourir à tous ces expédients.

[697] C’est pourquoi si nous imitions Cicéron de cette manière-là, Horace n’aurait-il pas raison de s’écrier contre nous : « O imitateurs ! Bande d’esclaves ! Combien de fois vous m’avez fait rire avec votre remue-ménage et combien de fois railler! » Mais imagine maintenant que nous ayons su reproduire de la plus heureuse manière dans Cicéron tout ce qu’un peintre achevé sait reproduire d’un homme : où serait pourtant ce cœur que Cicécon met à ce qu’il fait ? où serait cette richesse de contenu, cette efficacité d’invention ? cette disposition méthodique? Où serait cette ingéniosité à faire ressortir les points importants? Où verrait-on cette manière si avisée de manier les arguments ? Où cette chaleur quand il s’agit d’émouvoir les passions? Où cette facilité à plaire ? Où cette mémoire toujours si efficace et si vive ? Où retrouverait-on cette connaissance des choses élevées ? Où cet esprit enfin qui respire même dans ses écrits ? Où cette inspiration qui leur apporte cette énergie si particulière et si secrète ? [114,699] Si toutes ces choses lui manquent comme elle sera froide l’image de celui que nous aurons voulu imiter !

[700] Nosoponus Tu parles bien Buléphore, mais à quoi vise tout cela si ce n’est à détourner les jeunes gens de l’imitation de Cicéron ?
[701] Bulephorus Ne t’énerve pas Nosopon ! C’est tout le contraire ! Ce que je dis vise bien plutôt à mépriser et rejeter les gesticulations insensées de certains singes, pour pouvoir imiter Cicéron, avec succès et tout entier, dans la mesure où c’est possible.
[703] Nosoponus Sur ce point là assurément nous faisons la même chose !

1) Horace Epitres I, 19,19-20 Le texte d’Horace, dans l’édition Budé, porte Bilem au lieu de risum « O imitateurs, troupeau servile, que votre cohue m'a souvent remué la bile, ou fait rire! »
Les 21 premiers vers de cette Epître ont été donnés en note à la Ph. [265].

2) Parties de la rhétoriques / tâches de l’orateur (voir Laurent Pernot, La Rhétorique dans l’Antiquité. Thésaurus)
1) Inventio, ionis f : invention, consiste à trouver les arguments.
2) Dispositio / dispositionis ratio = le plan du discours.
3) Elocutio : expression, style ( mise en mots et phrases)
Compositio : arrangement disposition des mots (partie de l’elocutio, vise les effets phoniques et rythmiques par l’arrangement des mots.) Structura ( maçonnerie) = dispositio).
4) Memoria : mémorisation du siscours
5) Actio : prononcer / jouer le discours.3) Parties du discours (plan type, plutôt judiciaire ; voir Laurent Pernot, La Rhétorique dans l’Antiquité. Thésaurus)

Exorde : (exordium, principium, prooemium)
Narratio : exposé des faits.
Propositio ( divisio/partitio) : annonce des points à traiter ; placée soit avant soit après la narration).
Argumentation, (Argumentatio) divisée en :
Preuve (probatio, confirmatio).
Réfutation (refutatio / confutatio) : réfutation de la partie adverse ; réfutation des arguments exposés, ou, par anticipation, des arguments à venir.
Péroraison ( peroratio /conclusio).

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[704] Bulephorus Id ni fiat dextre, futurum est ut sedulo quidem, sed parum feliciter aemulando Ciceronis dissimillimi reddamur. [705] Nihil enim periculosius esse scito quam affectare Ciceronis imaginem. [706] Male cessit gigantibus affectasse sedem Iouis. [707] Nonnullis exitium attulit euocasse deos.
[708] "Periculosae plenum opus aleae" est diuinam illam et humana natura superiorem exprimere linguam.
[709] Cicero nasci fortassis potest aliquis, fieri nemo.


[710] Nosoponus Quid nunc agis ?
[711] Bulephorus Quia uirtutes illius, ut summae sunt, ita uitiis sunt proximae. [712] Porro fieri non potest, quin imitatio defluat ab eo quod sequi tantum, non etiam uincere studet. [713] Proinde, quo impensius affectas illius simulacrum, hoc uitio propior es.


[714] Nosoponus Non satis intelligo, quid dicas.
[715] Bulephorus Efficiam, ut intelligas. [716] Nonne medici corporis optimam ualetudinem praedicant periculosissimam, quod aduersae ualetudini sit proxima ?
[717] Nosoponus Audiui. [718] Quid tum postea?
[116,719] Bulephorus Summa monarchia nonne tyrannidi proxima est ?
[720] Nosoponus Aiunt.
[721] Bulephorus Et tamen summa monarchia nihil est melius, si absit tyrannis. [722] Et summa liberalitas nonne uicina est profusionis uitio ? [723] Et summa seueritas an non affinis est truculentiae ?
[724] Nosoponus Sane.
[725] Bulephorus Et summa festiuitas urbanitasque nonne ad scurrilitatis ac leuitatis accedit uiciniam ?


[726] Nosoponus Desine commemorare cetera, finge me de singulis esse confessum.

[727] Bulephorus Prius audies illud Horatianum : « Breuis esse laboro, Obscurus fio ; sectantem lenia nerui Deficiunt animique ; professus grandia turget ».
[728] Ita qui affectant Atticismum, pro argutis ac uenustis fiunt aridi, qui genus Rhodiense, dissoluti, qui Asiaticum, tumidi.

[704] Bulephorus Mais si on ne s’y prenait pas avec habileté, à force de chercher à l’imiter sincèrement mais sans succès, nous finirions par ne plus ressembler du tout à Cicéron. Voilà ce qui arriverait ! [705] Sache-le bien : il n’y a rien de plus dangereux que d’aspirer à devenir tout le portrait de Cicéron. [706] Cela n’a pas réussi aux Géants d’avoir des vues sur le trône de Jupiter. [707] Le seul fait d’avoir provoqué les dieux a apporté la mort à plus d’un ! « C’est une œuvre pleine de péril et d’incertitudes », que d’imiter cette langue divine et supérieure à la nature humaine. [709] Peut-être qu’un nouveau Cicéron peut encore naître ; le devenir personne ne le peut !

710] Nosoponus Qu’est-ce que tu as encore en tête ?
[711] Bulephorus Voilà ce que je veux dire : si ses qualités sont très élevées, en revanche elles sont très proches d’être des défauts ! [712] En outre, quand on imite, il est impossible de ne pas s’écarter insensiblement du modèle que l’on cherche simplement à imiter, si l’on ne s’étudie pas aussi à le dépasser. C’est pourquoi plus on aspirera à lui ressembler comme à un portrait, plus grand sera le risque de s’éloigner de lui !
[714] Nosoponus Je ne comprends pas vraiment bien ce que tu veux dire.
[715] Bulephorus Je vais faire en sorte que tu comprennes. [716] Les médecins ne proclament-ils pas qu’une excellente santé physique est la chose la plus périlleuse parce qu’elle très proche de la mauvaise santé ?
[717] Nosopon Je l’ai entendu dire. [718] Et après ?
[116,719] Bulephorus La monarchie absolue n’est-elle pas très proche de la tyrannie ?
[720] Nosoponus C’est ce qu’on dit.
[721] Bulephorus Et pourtant il n’y a rien de mieux que la monarchie absolue, à condition qu’elle se tienne éloignée de la tyrannie. [722] Et la plus grande libéralité n’est-elle pas très proche de ce vice qu’est la prodigalité ? [723] Et la plus grande sévérité n’est-elle pas voisine de la dureté ?
[724] Nosoponus tout à fait !
[725] Bulephorus Et les débordements de gaîté et d’amabilité sont-il si éloignés de la bouffonerie et de l’inconséquence ?
[726] Nosoponus Cesse d’énumérer tous les exemples que tu as encore en tête. Imagine-toi que j’ai donné mon accord pour chacun d’eux en particulier.
[727] Bulephorus Mais avant tu écouteras encore ces vers d’Horace ( Ars poetica, 25-27 ; Trad. Budé ) « Je fais effort pour être concis : je deviens obscur ; à chercher l'élégance, je perds la force et le souffle ; qui veut atteindre le sublime, tombe dans l'enflure […] ». [728] De même ceux qui se piquent d’atticisme, finissent par devenir secs à défaut d’être subtils et et spirituels. Ceux qui recherchent le style Rhodien, sont relâchés ; ceux qui affichent un style asiatique en deviennent boursoufflés. [708] « Periculosae plenum opus aleae » Horace, Odes II, I, 16.
[727] Horace Ars poetica, 25-27. Elocutio : expression, style ( mettre en mots et en phrases).
Compositio : arrangement et disposition des mots (partie de l’elocutio, vise les effets phoniques et rythmiques par l’arrangement des mots). Structura ( maçonnerie) : métaphore de Cicéron, Sénèque et Quintilien pour dispositio (Gaffiot). *******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[729] Laudata est in Sallustio compositionis breuitas : nonne, si quis hanc superstitiose conetur aemulari, periculum sit, ne concisus et abruptus euadat?
[730] Nosoponus Fortasse.
[731] Bulephorus Praedicatus est in Demosthene uerborum et argumentorum modus, cui nihil possis detrahere.
[732] Nosoponus Ita censuit Quintilianus.
[733] Bulephorus Ad hanc laudem aemulandam si quis componat se anxie, quo Demosthenicus uideatur, periculo uicinus est, ne minus dicat quam oportet. [734] Applauditur Isocratis structurae numerisque ; huc qui uehementer annitatur, in periculum ueniet, ne superstitione compositionis sit molestus et artificii iactatione fidem amittat. [118,735] Senecae laudata est copia ; huius incautus ac sedulus aemulator periclitatur, ne redundans et immodicus euadat pro copioso.
[736] Bruti grauitatem si aemuleris anxie, fortassis tristis et asper euades.
[737] Laudatur Crispi iucunditas ; huius aemulator uenit in discrimen, ne pro iucundo fiat ineptus aut leuis.
[738] Noui, qui, cum mirabilem illam Ouidii facilitatem conarentur exprimere, uersus effutirent et neruis et spiritu carentes. [739] Et ne singulos commemorando tibi fiam molestus, dicam in genere quod restat. [740] In quibusdam eminet argumentandi subtilitas ; hanc qui uehementer affectat, periclitatur, ne uel frigidus uel obscurus euadat.

[741] In aliis admiramur felicem artis neglectum ; hoc qui contendit effingere, fortassis in uulgare dicendi uel potius garriendi genus incidet. [742] In alio dilucet summa artis obseruatio ; id qui nitatur exprimere, incidet in scenicum quoddam dicendi genus.

[743] Atticae frugalitati proxima est exilitas, copioso uerborum fluxui uicina est loquacitas.
[744] Summam in mouendis affectibus g-deinohsin excipit insaniae species, ut granditatem fastus, asseuerandi fiduciam improbitas.

[745] Nosoponus Confessa praedicas.
[746] Bulephorus Ex his uero sunt quaedam, quae sic eminent in auctoribus, ut pro uitiis habenda sint, nisi iunctis uirtutibus pensarentur, quemadmodum in Seneca compositionis abruptum et sententiarum immodicam densitatem [120,746] multae uirtutes excusant, ut praeceptorum sanctitas, uerborum rerumque splendor ac iucunditas orationis ;
[729] On loue la brièveté  chez Salluste : à l’imiter trop scrupuleusement, ne risque-t-on pas, d’aboutir à un style elliptique et haché ?
[730] Nosoponus Peut-être
[731] Bulephorus On vante chez Démosthène un emploi si mesuré et si juste des mots et des arguments qu’on ne pourrait rien en retrancher.

[732] Nosoponus C’est l’avis de Quintilien.
[733] Bulephorus Si l’on s’attache à imiter strictement cette qualité, afin de passer pour un  « Démosthénien » on risque de dire moins qu’il ne conviendrait. [734] On loue chez Isocrate l’agencement des mots et les rythmes : celui qui emploierait toutes ses forces à obtenir ces effets, ne s’exposerait-il pas au danger de devenir lassant à force de disposer ses mots trop minutieusement et ne risquerait-il pas de susciter une certaine méfiance par l’étalage de sa technique ? [118,735] De Sénèque on loue l’abondance : l’imitateur imprudent et enthousiaste court le risque de se montrer en fin de compte redondant et de dépasser la mesure au lieu de produire le style abondant qu’il recherche. [736] Si on imitait de trop près la gravité de Brutus, on n’obtiendrait qu’un style austère et âpre. [737] On loue l’enjouement de Crispus ; son émule se met en péril : d’agréable ne finira-t-il pas par devenir inconsistant et sans poids ?
[738] J’en ai connu qui s’efforçaient de rendre dans leurs poèmes cette merveilleuse aisance qui caractérise Ovide : ils n’arrivaient qu’à débiter des vers sans force et sans souffle. [739] Et pour ne pas t’ennuyer en énumérant un par un tous les auteurs, je vais t’expliquer en général ce qu’il me reste à dire. [740] Chez certains domine la finesse d’argumentation : celui qui la recherche à toute force risque d’aboutir soit à la froideur soit à l’obscurité.
[741] Chez d’autres nous admirons le savant négligé de l’art : celui qui s’efforce de le reproduire a toutes les chances de tomber dans une sorte d’expression commune ou plutôt de badinage ordinaire. [742] Un autre brille par l’observation extrème des règles de l’art : celui qui s’efforcerait de reproduire cette manière, aboutirait à coup sûr à une sorte de discours théâtral.
[743] La sécheresse est très proche de la sobriété attique ; La fluidité et l’abondance verbales ne sont pas loin du bavardage ! [744] En voulant susciter les passions par une indignation excessive, l’orateur donne l’impression de fureur. De même l’élévation du style poussée à l’extrême produit l’impression d’arrogance ; l’impression de malhonnêteté résulte d’une trop grande assurance. .
[745] Nosoponus Tu proclames des évidences !
[746] Bulephorus Oui, mais de toutes ces caractéristiques certaines ressortent tellement chez les auteurs qu’il faudrait les tenir pour des défauts si elles n’étaient compensées par les qualités qui s’y joignent. Ainsi chez Sénèque, son style si haché et la densité excessive de ses formules [120,746] se pardonnent du fait de certaines qualités, telles que la pureté de ses principes, l’éclat des mots, la hauteur des sujets traités, le caractère enjoué du discours.

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[746] Buléphore suite nec Isocratis laudaretur compositio, nisi perspicuitas dictionis et sententiarum grauitas illi patrocinaretur.
[747] Nosoponus Nihil adhuc audio falsi ; ceterum, quorsum haec tendant, nondum uideo.
[748] Bulephorus Nimirum huc. [749] Cum in uno Cicerone tam multa sint huiusmodi, periculosa mihi uidetur illius superstitiosa et addicta aemulatio, quando uirtutes, quibus ista uel commendauit uel texit, aemulari non possumus.
[750] Nosoponus Quaenam ista dicis?
[751] Bulephorus Tam fluidum est illi dictionis genus, ut remissus ac solutus alicubi uideri queat ; tam exuberans uerborum copia, ut redundans ; tam artis obseruans, ut declamatori quam oratori propior, fidei jactura captans artificii gloriam ; tam liber in insectando, ut maledicus haberi possit ; tam effusus in iocos, ut Catoni consul risum mouerit ; tam blandus alicubi, ut abiectus ; tam compositus, ut seuerioribus ingeniis mollis ac parum uir dictus sit.

[752] Haec ut fateamur in Cicerone uitia non esse propter insignem illam naturae felicitatem quam decent quae facit omnia, ut etiam uirtutes sint, sic tamen insunt, ut ob uiciniam non careant specie uitiorum sub iniquo iudice, attamen ille reprehensionem omnem eximiis ac plurimis uirtutibus pensauit, ut omnium iudicio calumniator et impudens habeatur, qui conetur aliquid in huius oratione reprehendere.

[122,753] Verum has uirtutes non studemus exprimere et, si Fabio credimus, sunt inimitabiles nec ab exemplo praeceptisue peti possunt, sed a Minerua. [754] Hae uero si absint, qualis erit eorum quae commemorauimus imitatio ? [755] Colligimus igitur nullius imitationem esse periculosiorem quam Ciceronis, non tantum eo nomine, quod summus orator et extra omnem ingeniorum aleam positus est (quo titulo Flaccus ab aemulatione Pindari deterret, uidelicet Icari exemplo), uerum etiam, quod pleraque in illo sic summa sunt, ut uitiis sint proxima. [756] Hic nimirum praecipitii discrimen.


[746] Buléphore suite On ne louerait pas non plus le style d’Isocrate si sa clarté d’expression et la dignité de ses formules ne plaidaient pour lui.
[747] Nosoponus Je n’ai rien entendu de faux jusqu’ici, pourtant je ne vois pas encore à quoi tend tout cela.
[748] Bulephorus Rien d’étonnant à cela ! [749] Chez Cicéron, en particulier, les caractéristiques de cette sorte sont si nombreuses que l’imitation scrupuleuse et exclusive de son style me semble dangereuse, dans la mesure où nous ne pourrions pas imiter ces qualités par lesquelles tantôt il les rachète tantôt il les couvre.

[750] Nosoponus Mais de quelles choses veux-tu donc parler ?
[751] Bulephorus Son style est si fluide qu’il peut passer à certains endroits pour relâché et prosaïque ; son vocabulaire est si luxuriant qu’il peut sembler redondant ; il observe si soigneusement les règles de l’art qu’il ressemble plus à un déclamateur, qui cherche la gloire de l’artiste aux dépens de la bonne foi, qu’à un orateur ; quand il pousse ses attaques il use d’une telle liberté de parole qu’il pourrait passer pour médisant ; il se répandait si souvent en plaisanteries que Caton se moquait de lui, bien qu’il fût consul ! Il se montrait à l’occasion si flatteur qu’il en paraissait vil. Il se montrait tellement calme et maître de lui que les caractères les plus sévères le trouvaient mou et peu viril.

[752] Admettons que chez Cicéron ces tendances ne soient pas des défauts, du fait de sa remarquable et heureuse nature, à laquelle tout ce qu’il fait finit par s’accorder. Admettons même que ce soient des qualités : elles sont quand même là ; avec leur excès ! Aux yeux d’un juge partial, du fait de leur proximité avec eux, elles ne manqueraient pas de présenter quelque ressemblance avec des défauts ! Pourtant, Cicéron contrebalance toute espèce de critique par des qualités si nombreuses et si extraordinaires que, de l’avis de tous, il passerait pour un calmoniateur et un effronté celui qui essaierait de critiquer quelque chose à son style.
[122,753] Mais ce ne sont pas ces qualités-là que nous nous étudions à reproduire ; et d’ailleurs si nous en croyons Fabius (Quintiien), elles sont inimitables, et ne peuvent se trouver ni dans un modèle, ni dans des préceptes : il faudrait les demander à Minerve ! [754] Et pourtant si celles-là manquent à notre discours, que vaudra l’imitation de ces autres caractéristiques que nous avons mentionnées ? [755] Nous en concluons donc qu’il n’est rien de plus dangereux à imiter que Cicéron, non seulement pour cette raison qu’il est un très grand orateur, dont le génie est sans conteste, (c’est à ce titre que Flaccus (Horace) déconseillait à quiconque de rivaliser avec Pindare, de peur de subir sans aucun doute le sort d’Icare !) mais aussi parce que la plupart des qualités chez lui sont poussées si haut qu’elles sont très proches de devenir des défauts. [756] C’est là sans doute qu’on est le plus en danger de se précipiter dans l’abîme !
[753]Fabius : Quintilien, (Inst., X,II.) montre la difficulté d’imiter autre chose que les défauts de ses modèles. (P. Mesnard).
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[757] Nosoponus At prius conueniebat inter nos, quae maxime eminent, ad imitationem esse accommoda- tissima, quo uidelicet, ut nonnihil decidas ab eo quod effingere studes, tamen laudem auferas rectae dictionis.


[758] Bulephorus Aliud est eadem reddere, aliud similia, aliud imitari praescriptum, aliud seruire nec aliud quam sequi. [759] Denique defluit ab exemplo, qui non reddit et illa, quae reprehensionem excludunt.
[760] Atqui haec Fabius indicat fere inimitabilia felicibus etiam ingeniis.




[761] Nosoponus Atque ego ad huius laudis ambitum non recipio nisi uehementer eximia quaedam ac diis proxima ingenia, quibus si accesserit indefatigabile studium, ita demum spes est fore ut feliciter exprimant phrasim Tullianam.

[124,762] Bulephorus Fortasse, sed ita raros, ut numerari non ualeant. [763] Iam sunt arguti quidam, qui distinguunt imitationem ab aemulatione. [764] Siquidem imitatio spectat similitudinem, aemulatio uictoriam. [765] Itaque, si totum et unum Ciceronem tibi proposueris, non in hoc tantum, ut illum exprimas, uerum etiam, ut uincas, non praetercurrendus erit, sed relinquendus magis. [766] Alioqui, si illius copiae uelis addere, fies redundans, si libertati, fies petulans, si iocis, fies scurrilis, si compositioni, fies pro oratore cantor.
[757] Nosoponus Mais tout à l’heure on était pourtant tombé d’accord sur le fait que les qualités les plus éminentes se prêtaient le mieux à l’imitation, pour cette raison que, de toute évidence, même si on s’éloigne un peu de celui que l’on veut imiter, on en retirera quand même le mérite d’un style correct.
[758] Bulephorus Une chose est de reproduire les mêmes traits et une autre est d’en produire qui leur ressemblent ; c’est une chose d’imiter un modèle, c’en est une autre de s’en rendre esclave au point de ne rien savoir faire d’autre que d’en suivre le tracé. [759] Enfin c’est déchoir (démériter) par rapport à son modèle que de ne pas rendre aussi les caractéristiques qui échappent à la critique. [760] Mais pourtant, Fabius (Quintilien) présentes ces dernières comme quasiment inimitables, même pour les esprits les plus heureusement doués.
[761] Nosoponus Mais moi c’est pareil ! Je ne reçois pour candidats à cette gloire que les esprits tout à fait extraordinaires et proches des dieux ( presque divins), à qui il faudrait pourtant encore un travail infatigable pour qu’ils aient seulement l’espoir de pouvoir reproduire avec succès la phrase cicéronienne.
124,762] Bulephorus Je veux bien te croire ! Mais ils sont si rares qu’il ne vaut pas la peine d’en tenir compte ! [763] Certains, de nos jours, poussent la subtilité jusqu’à établir une distinction entre l’imitation et l’émulation. [764] L’imitation vise il est vrai à la ressemblance alors que l’émulation vise à la victoire. C’est pourquoi si on a pris pour modèle Cicéron, et rien que lui, non seulement dans le but de l’imiter mais avec l’intention de le vaincre il ne faut pas se contenter de le dépasser, mais il faut encore le laisser loin derrière soi. Faute de quoi, si tu voulais ajouter à l’abondance de son style, tu deviendrais redondant ; ajoute à sa liberté tu friseras l’insolence ; à ses plaisanteries : te voilà bouffon ! touche aux harmonies et rythmes de son discours : tu seras chanteur et non plus orateur.

Similis / par / idem

[758-760] Bulephorus « Aliud est eadem reddere, aliud similia ; aliud imitari praescriptum, aliud seruire nec aliud quam sequi ».
Il n’est pas trop difficile d’imiter purement et simplement les qualités de Cicéron ou d’un autre excellent orateur ( = eadem reddere). Mais dans ce cas on risque assez souvent de ne pas être à sa hauteur ( voir [711] Bulephorus « Quia uirtutes illius, ut summae sunt, ita uitiis sunt proximae. [712] Porro fieri non potest, quin imitatio defluat ab eo quod sequi tantum, non etiam uincere studet. [713] Proinde, quo impensius affectas illius simulacrum, hoc uitio propior es ». ).
Une deuxième erreur consiste à croire qu’il suffirait de dépasser (vincere/ praetercurrere) Cicéron pour éviter les basses platitudes de l’imitation servile ( c-à-d. de l’ étape précédente). Quoique elle puisse paraître meilleure (voir [Ph. 712)], en fait cela reviendrait au même  ([713] et [766] Alioqui … ) : en rivalisant avec lui sur le même terrain on pousse à l’extrème ses traits de style au point d’en faitre des défauts parce qu’on n’a pas son génie ( en fait  ingenium = (ici) : capacité d’adaptation 1 ) au sujet ; 2) à l’auditoire). Pour l’imiter correctement il faudrait posséder ce qui fait que ces qualités ne deviennent jamais chez lui des défauts : c’est son génie propre (genius) et son « cœur »  (pectus). Mais cela il faut le demander à Minerve ([753])!
Donc la bonne imitation ne se satisfait pas non plus de l’émulation : il ne s’agit pas de chercher à écrire ni eadem ni similia mais des meliora ! comme le dit Bulephorus en [538] « At quid est necesse semper ac modis omnibus esse similem, cum saepe potius sit esse parem et interdum facilius sit superare quam aequare, hoc est meliora scribere quam similia? »

Ecrire des meliora ? C’est-à-dire ce que Cicéron vivant à notre époque ferait avec toutes ses capacités, ses connnaissances et notre mentalité moderne. (Erasme le dit explictement dans voir Ph . 951 [951] « … sed quemadmodum ille […] dicturus esset hodie Christianus apud Christianos, si uiueret ».), à condition en plus que l’apprenti cicéronien tienne compte de son génie propre !
Par conséquent pour en revenir à [758-760]: il ne faut pas seulement dépasser Cicéron au sens de « praetercurrere»,  qui signifie autant courir à sa hauteur, que dépasser. Mais il faut le distancer au point de le laisser loin derrière soi (relinquere), mais aussi éventuellement se distancier de lui (relinquere), voire prendre ses distances avec lui si (puisque) l’environneemnt intellectuel et moral l’exige.

En résumé :
[1070] Bulephorus Nam M- Tullii phrasim ad materiam vehementer diversam adaptare est dissimilem illi fieri. [184,1072] Nec est necesse affectare similitudinem, si contingat esse parem aut certe propinquum, licet dissimilem.
Ou encore plus précisément
1237] Bulephorus A mediocri aemulandi studio te non revoco, modo, qua est optimus, hac aemuleris, modo aemuleris potius quam sequaris, [1237b] modo studeas aequalis esse verius quam similis, modo ne pugnes adversus genium tuum, modo ne sic affectes congruere Ciceroni tuam orationem, ut rei de qua loqueris non congruat.

[1907] Bulephorus Denique, quemadmodum plures esse possunt Attici, qui tamen inter se dissimillimi sunt, ita nihil vetat quominus plures dicantur Ciceroniani, qui dicendi virtutibus pares sunt, cum inter se similes non sint.


NB. Pétrarque (1304-1374, « l’inventeur de Cicéron ») précise lui aussi cette différence entre par et similis, dans une lettre à Boccace ( 1313-1375). « L’imitateur doit éviter que la ressemblance de son texte à celui de son modèle ne soit une identié, du même ordre que la ressemblance de l’objet à son image dans le miroir, au point que le mérite de l’artiste dépende du degré de reproduction dont il est capable ; la ressemblance doit être analogue à celle d’un fils à son père, qui s’accommode souvent d’une grande différence physique, et qui tient à rien, à un air, comme disent les peintres d’aujourd’hui : aussitôt qu’on voit le fils, le père revient en mémoire, la comparaison entre les deux les montre alors tout différents, et pourtant un mystérieux je ne sais quoi, maintient le rapprochement. Dans tout ce que nous écrivons à la ressemblance d’un modèle il faut introduire bcp de différences, et laisser voilé ce qui subsiste de ressemblance, si bien qu’on ne puisse le reamrquer sinon à tête reposée et plutôt comme un soupçon que comme une certitude. Il faut donc s’inspirer d’une nature créatrice et des qualités de son style, et ne pas reprendre ses propres termes : dans le premier cas, la ressemblance reste cachée, dans le second elle ressort ;
Dans le premier cas, on a affaire à un poète, dans le second à un singe ».

NB. Ange Politien Angelus Politianus = Angelo Ambrogini  (1454 - 1494) précisera de même le type d’imitation qu’il approuve. Marc Fumaroli, p. 81-82, cite un extrait de la Lettre de Politien à P. Cortesi « Tu as pour principe de ne tenir pour écrivains que les portraits de Cicéron. Pour moi, la tête d’un taureau ou d’un lion me paraît préférable à celle d’un singe, quoique celle-ci ressemble davantage à l’homme. Ceux qui passent pour avoir été les Princes de l’éloquence ne se ressemblaient pas, au témoignage de Sénèque. Quintilien tourne en dérision les orateurs qui se croyaient les cousins de Cicéron, sous prétexte qu’ils achevaient leurs périodes en « esse videatur ». Horace invective encore et encore les imitateurs. Pour ma part, je ne vois dans les spécialistes de l’imitation que des perroquets ou des pies puisqu’ils répètent ce qu’ils ne comprennent même pas. Ces écrivailleurs manquent d’énergie et de vie, ils sont incapables d’agir ni de sentir, ils n’ont aucun tempérament. Chez eux rien de vrai, rien de solide, rien de fécond ».

NB. Horace dans l’Epitre I, XIX, vers 23 24 prend le même genre de distance vis-à-vis de ses modèles grecs : il affirme son imitation des rytmes et des intentions poétiques mais il revendique son originalité dans le choix et le traitement des sujets :
« Parios ego primus iambos // ostendi Latio, numeros animosque secutus // 25 Archilochi, non res et agentia uerba Lycamben; ’! Le premier j ai fait connaître au Latium les Iambes de Paros, imitant les rythmes et la vivacité d Archiloque, non pas ses sujets ni ses mots qui s acharnent contre Lycambe ». (Traduction Budé)



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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[767] Bulephorus( suite ) Itaque fit ut, si Tullium aequare studeas, pericliteris ne hoc ipso peius dicas, quod diuinas hominis uirtutes, quibus ea pensauit, quae uel uitia sunt uel uitio proxima, non possis assequi, cetera nimirum assecutus, sin coneris et anteuertere, etiamsi in illis quae nullo studio possis assequi paria cum illo facias, tamen uitiosum erit quicquid Ciceroni fuerit adiectum, de quo uere pronuntiatum uidetur, quod illius eloquentiae nihil possit adici, quemadmodum Demosthenis nihil demi. [768] Vides, Nosopone, periculum.
[769] Nosoponus Nihil me terret periculum, modo tandem hoc laudis assequi liceat, ut dicar Ciceronianus.
[770] Bulephorus Haec omnia si contemnis, est alius scrupus qui magis urget animum meum, si non grauaberis audire.
[771] Nosoponus Utere pactis arbitratu tuo.
[126,772] Bulephorus An censes ullum hominem eloquentis nomen promereri, qui non dicat apte ?
[773] Nosoponus Nequaquam, quandoquidem haec praecipua uirtus est oratoris apposite dicere.
[774] Bulephorus Verum illud appositum unde perpenditur? [775] Nonne partim a rebus, de quibus uerba fiunt, partim a personis tum dicentium tum audientium, partim a loco tempore reliquisque cirumstantiis ?
[776] Nosoponus Maxime.
[777] Bulephorus Ciceronianum autem nonne praestantem oratorem esse uis ?
[778] Nosoponus Quidni?
[779] Bulephorus Itaque non erit Ciceronianus, si quis in theatro disserat de Stoicorum paradoxis deque Chrysippeis argutiis aut apud Areopagitas in capitis discrimine lasciuiat facetiis aut de re culinaria uerbis ac figuris tragicorum loquatur ?
[780] Nosoponus Iste nihilo minus ridiculus erit orator, quam si quis in tragico cultu saltet Atellanas aut feli, quod est in prouerbio, inducat crocoton, simiae purpuram, Bacchum aut Sardanapalum leonis exuuio et claua exornet Herculis. [781] Nihil enim laudis meretur quamlibet per se magnificum, si sit ineptum.
[782] Bulephorus Et commode respondes et uere.
[783] Ergo M- Tullius, qui suo saeculo dixit optime, non optime dixisset, si aetate Catonis Censorii, Scipionis aut Ennii simili modo fuisset locutus.
[128,784] Nosoponus Non tulissent aures comptum illud et numerosum dictionis genus, nimirum horridioribus assuetae. [785] Nam istorum oratio moribus illorum temporum congruebat.
[767] Bulephorus( suite ) C’est pourquoi si tu t’étudies à égaler Cicéron il y a de fortes chances que tu ne t’exprimes beaucoup moins bien que lui-même, parce que tu ne sauras pas atteindre les divines qualités par lesquelles notre homme compense celles de ses manières qui sont des défauts, ou peu s’en faut, tandis que tout le reste, évidemment, tu arriveras à l’atteindre ; si au contraire tu cherches à le dépasser, et même si tu arrives à te mettre à son niveau pour les qualités qu’on ne saurait atteindre par l’étude et l’effort, même dans ce cas, tout ce que tu pourras ajouter au style de Cicéron, dont nous avons me semble-t-il prononcé en toute conscience, sera quand même fautif, tant il est vrai que l’on ne peut rien ajouter à l’éloquence de Cicéron pas plus qu’on ne peut retrancher à celle de de Démosthène.
[768] Tu vois le danger, Nosopon !
[769] Nosopon Le danger ne me fait pas peur du tout pourvu qu’il me soit donné d’atteindre à ce degré de gloire : qu’on me nomme cicéronien !
[770] Buléphore Même si tu méprises tous ces périls, il reste un dernier point qui m’inquiète, si tu ne répugnes pas à l’entendre ...
[771] Nosopon. Use de notre accord à ta convenance !
[126,772] Bulephorus Crois-tu vraiment qu’un homme mériterait qu’on le dise éloquent, s’il ne parlait pas de façon adaptée ?
[773] Nosoponus Certainement pas ! C’est même la vertu principale de l’orateur que de parler de manière adéquate.

[774] Bulephorus Mais cette adéquation, selon quels critères l’évalueras-tu ? Ne dépend-elle pas en partie du sujet dont on parle ; en partie de la personnalité des auditeurs et de l’orateur ; en partie des lieux, des temps et des autres circonstances ?

[776] Nosoponus Tout à fait !
[777] Bulephorus Mais selon toi le cicéronien ne doit-il pas être un orateur de premier ordre ?
[778] Nosoponus Commment ne le serait-il pas ?

[779] Bulephorus Dans ce cas alors on ne considérera pas comme cicéronien celui qui au théâtre disserterait des paradoxes des Stoïciens ou des arguties de Chrisippe ? Que dire de celui qui en plein tribunal, dans un débat où il y va de la vie de quelqu’un, s’abandonnerait au plaisir de plaisanter ? Ou de celui qui parlerait de cuisine en usant des termes et les figures du style tragique ?
[780] Nosoponus Un orateur de cette sorte serait aussi ridicule qu’un acteur qui danserait sur des airs d’atellane en costume de tragédien ! Aussi ridicule que celui qui vêtirait un chat d’une robe de soirée en soie jaune, ou un singe d’une toge de pourpre ! Ridicule autant que celui qui voudrait parer Bacchus ou Sardanapale de la dépouille du lion ou de la massue d’Hercule ! Une prestation, aussi magnifique soit-elle par elle-même, ne mérite aucune louange, si elle n’est pas adaptée à la situation.
[782] Bulephorus Tu réponds comme il faut et sans fard ! Marcus Tullius, qui fut en son temps le meilleur orateur, n’aurait donc pas été le meilleur s’il avait parlé de la même manière à l’époque de Caton le Censeur ou de Scipion ou d’Enius?
[128,784] Nosoponus Leurs oreilles n’auraient pas supporté cette diction élégante et cadencée, habituées qu’elles étaient à des tons plus rudes. C’était bien le style de ces gens là qui convenait aux mœurs de ces temps-là !
Apte ; apposite : la traduction par « parler comme il faut » serait correcte et plus fluide mais l’expression latine a presque une valeur terminologique. De même « bene dicere » traduit par « bien parler » veut plutôt dire parler avec toutes les ressources de l’éloquence. ****************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[786] Bulephorus Dicis igitur orationem quasi uestem esse rerum ?
[787] Nosoponus Aio, nisi mauis picturam dici.
[788] Bulephorus Vestis igitur, quae decora est puero, non decet senem nec, quae feminae congruit, conueniret uiro nec, quae decet in nuptiis, deceret in funere nec, quae laudi dabatur olim ante annos C, nunc probaretur.

[789] Nosoponus Immo sibilis omnibus et risu omnium exciperetur.[790] Contemplare in picturis non admodum uetustis, fortassis ante annos sexaginta editis, cultum muliercularum aulicarum ac procerum, quo si quis nunc prodeat in publicum, futurum sit ut putribus malis a pueris ac morionibus lapidetur.

[791] Hypologus Verissima narras.[792] Quis enim nunc ferat in honestis matronis cornua pyramides metasque praelongas in uertice prominentes, frontes ac tempora pilis arte uulsis glabra ad medium prope cranium, in uiris pileorum toros cum ingenti cauda pensili, oras uestium insectas, toros in humeris tumentes, caesariem duobus digitis supra aures derasam, uestem longe breuiorem, quam ut ad genua porrigatur, uix pudenda tegentem, calceos rostris in immensum porrectis, catenam argenteam a genu ad talum usque reuinctam.[793] Nec illis temporibus minus prodigiosus fuisset cultus, qui nunc habetur honestissimus.



[130,794] Nosoponus De ueste conuenit.

[795] Bulephorus Da nunc, si libet, ex pictoribus Apellem, qui suae aetatis et deos et homines optime pingere solitus est, si quo fato rediret in hoc saeculum et tales pingeret Germanos, quales olim pinxit Graecos, tales monarchas, qualem olim pinxit Alexandrum, cum hodie tales non sint, nonne diceretur male pinxisse?

[796] Nosoponus Male, quia non apte.

[786] Bulephorus Tu dirais donc que le discours est comme le vêtement des choses ?
[787] Nosoponus Je l’affirme ; à moins que tu ne préfères dire qu’il en est la peinture.
[788] Bulephorus Le costume qui va bien à un enfant ne conviendrait donc pas à un vieillard ? Celui qui sied une femme ne conviendrait pas à un homme ? Celui qu’on met aux noces ne conviendrait pas à un jour d’enterrement, et celui qu’on portait aux nues il y a cent ans ne susciterait plus l’admiration de nos jours ?
[789] Nosoponus C’est le moins qu’on puisse dire ! Tout le monde l’accueillerait à coups de sifflets et d’éclats de rire. Prends les peintures : non pas les très vieux tableaux, mais ceux qui ont été peints il y a une soixantaine d’année, peut-être ; regarde les costumes des femmes de la cour et des notables : si quelqu’un se produisait en public ainsi vêtu il se retrouverait bombardé de pommes pourries par les enfants et les bouffons !
[791] Hypologus C’est fort vrai ce que tu dis ! Qui tolèrerait aujourd’hui de voir les femmes honnêtes porter ces cornes, ces pyramides, ces cônes démesurément allongés, plantés sur le sommet de leurs têtes, avec leurs fronts et leurs tempes soigneusement épilés, sans un cheveu presque jusqu’au milieu du crâne ? Et les hommes ? Supporterait-on aujourd’hui de les voir avec leurs chapeaux à bourrelet terminés d’une immense queue en plume, leurs manches à crevées, leurs bourrelets gonflant les entournures de leurs épaules, la tête rasée deux doigts au dessus de leurs oreilles ? Qui supporterait de leur voir ces tuniques à peine assez longues pour descendre jusqu’aux genoux, presque trop courtes pour cacher les génitoires ; et ces souliers prolongés de becs démesurés ? et cette chaîne d’argent qui reliait le genou au talon ? Et notre costume, qui aujourd’hui paraît des plus honnêtes, n’aurait pas paru moins excentrique en ces temps-là !
[130,794] Nosoponus Pour ce qui est du vêtement nous sommes d’accord !
[795] Bulephorus Parmi les peintres, prenons maintenant Apelle, si tu veux bien, qui peignait en général les plus beaux tableaux tant des hommes que des dieux de son temps : si par quelque hasard il revenait en notre siècle et peignait les Allemands sous les dehors qu’il prêtait autrefois aux Grecs, s’il représentait les rois comme il peignit Alexandre le grand, alors que ceux d’aujourd’hui n’ont rien de commun avec ce monarche : ne dirait-on pas de lui qu’il les a mal peints ?
[796] Nosoponus Si ! parce qu’il les aurait peints d’une manière inadaptée.

[786] les choses : le contenu de pensée.
Pour les « cornes » voir le portrait de Margareta-van-Eyck, ou le portrait des époux Arnolfini par Jan-van-Eyck-1395-1441
Pour le front épilé très haut : les portraits d’Agnès Sorel par Jean Fouquet et  son école donnent de bons exemples, mais aussi H.Memling .
H.Memling, Van der Weyden offrent des exemples de femmes portant hénin pointu ou tronqué. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Hennin
Manches à crevées : François 1er par F et J. Clouet. Portrait du jeune Charles de Habsbourg futur empereur Charles Quint vers 1515, peint par Bernard van Orley, Paris, musée du Louvre Lucas Cranach l’ancien (1472-1553) : Le Martyre de Sainte Barbe (1550) : crevées sur les manches de Ste Barbe et celles du bourreau (son père Dioscurus).
La Vierge au chancelier Rollin de Jan van-Eyck montre une coiffure «  à deux doigts au dessus des oreilles ».
Le portrait d’ Henry VIII, par Holbein montre une tunique courte, au dessus du genou.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029][797] Bulephorus Si tali habitu pingeret quis Deum patrem, quali pinxit olim Iouem, tali
specie Christum, quali tum pingebat Apollinem, num probares tabulam ?
[798] Nosoponus Nequaquam.
[799] Bulephorus Quid ? si quis Virginem matrem hodie sic exprimeret, quemadmodum Apelles olim effigiabat Dianam, aut Agnem uirginem ea forma, qua ille pinxit illam omnium litteris celebratam Anaduomenen, aut diuam Theclam ea specie, qua pinxit Laidem, num
hunc diceres Apelli similem ?
[800] Nosoponus Non arbitror.
[801] Bulephorus Et si quis templa nostra talibus ornaret simulacris, qualibus olim Lysippus ornauit fana deorum, num hunc diceres Lysippo similem ?
[802] Nosoponus Non dicerem.
[803] Bulephorus Cur ita ?
[804] Nosoponus Quia signa rebus non congruerent.
[805] Idem dicerem, si quis asinum pingeret specie bubali aut accipitrem figura cuculi, etiamsi ad eam tabulam summam alioqui curam et artem adhiberet.
[132,806] Hypologus Ego nec illum appellarem probum pictorem, qui deformem hominem in tabula formosum redderet.
[807] Bulephorus Quid si alioqui summam artem praestaret?
[808] Hypologus Non artis expertem tabulam dicerem, sed mendacem. [809] Potuisset enim aliter pingere, si uoluisset. [810] Ceterum ei, quem expressit, blandiri maluit uel illudere. [811] Sed quid ? num hunc putas probum artificem ?
[812] Nosoponus Ut sit, hic certe non praestitit.

[813] Bulephorus Bonum igitur uirum existimas?

[814] Nosoponus Nec bonum artificem nec bonum uirum. [815] Siquidem caput artis est rem, ut est, oculis repraesentare.
[816] Bulephorus Ad hoc non est magnopere opus eloquentia Ciceroniana. [817] Nam uestri rhetores permittunt oratori mentiri nonnunquam, res humiles uerbis attollere, magnificas deicere, quod sane praestigii genus est, obrepere insidiis in animum auditoris, postremo mouendis affectibus, quod ueneficii genus est, uim adferre mentibus.
[797] Bulephorus Si quelque peintre peignait Dieu le Père dans le même costume qu’Apelle peignait autrefois Jupiter, ou s’il peignait Jésus Christ sous les traits d’Apollon, estimerais-tu son tableau ?
[798] Nosoponus Absolument pas !
[799] Bulephorus Et s’il représentait de nos jours la Vierge, mère de Dieu, comme Apelle autrefois figurait Diane, ou s’il peignait Sainte Agnès, une vierge, avec cette silhouette qu’il prêta à sa Vénus Anadiomène que tous les auteurs ont tant célébrée, ou encore Sainte Thècle avec cette beauté qu’il a donnée à la courtisane Laïs : dirais-tu que que c’est un véritable Apelle ?
[800] Nosoponus Je ne crois pas !
[801] Bulephorus Et si quelque sculpteur ornait nos églises de statues du même genre que celles dont Lysippe autrefois orna les temples des dieux, dirais-tu de lui qu’il est un second Lysippe ?
[802] Nosoponus Je ne dirais pas cela.
[803] Bulephorus Pourquoi  ne le dirais-tu pas ?
[804] Nosoponus Parce que ses statues ne seraient pas en accord avec la réalité. Je dirais la même chose d’un peintre qui donnerait à un âne l’allure d’une antilope (ou buffle !) ou à un épervier une apparence de coucou, quelque soin et habileté qu’il mît par ailleurs à ce tableau.
[132,806] Hypologus Pour ma part je n’appellerais pas non plus « un peintre honnête » un artiste qui rendrait beau en peinture un homme laid en réalité.
[807] Bulephorus Quoi ? Même si par ailleurs il faisait preuve du plus grand art ?
[808] Hypologus Je ne dirais pas que son tableau manque d’art mais je dirais qu’il est mensonger, tout simplement parce qu’il aurait pu peindre autrement s’il l’avait voulu. Du reste il a préféré flatter celui qu’il a représenté, ou même se moquer de lui. Alors qu’en dis-tu ? Penses-tu que ce peintre-là est un honnête artisan ?
[812] Nosoponus A supposer qu’il le soit, il ne le montre pas dans cette œuvre.
[813] Bulephorus Tu crois quand-même que c’est un homme de bien ?
[814] Nosoponus Pas plus homme de bien que bon artisan s’il est vrai que l’essence de l’art est de représenter à la vue la chose telle qu’elle est.
[816] Bulephorus Pour cela on n’a pas vraiment besoin de l’éloquence cicéronienne ! Vos rhéteurs, en effet, permettent à l’orateur de mentir quelquefois, de sublimer les choses triviales par le choix des mots, d’abaisser de même les choses grandioses, ce qui relève de la prestidigitation ! Elle l’autorise aussi à s’insinuer insidieusement dans les esprits, et enfin, à leur faire violence, en suscitant en eux toute sorte de passions, ce qui relève de la sorcellerie !
Aprosdionusa P.Mesnard : alieniora BCD ; « aprosdionuson » voir [Ph.667] : sans rapport avec la fête de Dionysos, d’où inopportun, déplacé. Voir Lucien Bacchus, 6 ; Cic. Att.16,12,1 ; cf. Sextus 538 (Note de P. Mesnard).
Sainte Agnès. Vierge et Martyre,  née et tuée, vers l’âge de douze ans, entre 254 et 304 ; célébrée par le sermon De Virginibus de saint Ambroise (375 ou 376 ap J.C.). Sur le tombeau de la j-fille, Ste Constance, fille de Constantin, fit élever une basilique : Sainte-Agnès-hors-les-Murs.
Vénus anadiomène (Vénus sortant des eaux), dite Vénus de Cos, chef d’œuvre d’Apelle. Voir le commentaire de Cicéron sur le site suivant http://arts.ens-lsh.fr/peintureancienne/antho/menu2/partie1/antho_m2_p1_02.htm
Thecla d’Iconium (près d’Antioche) ; Vierge, martyre, elle est connue par un écrit apocryphe paru vers 180 ap J.C, les « Acta Pauli et Theclae ». Convertie par St Paul, elle aurait suivi Saint Paul comme disciple, et prêché la foi chrétienne. Elle figure au « Martyrologium Hieronymianum » et fut fort vénérée en Orient.
Laïs, courtisane grecque, née à Hyceara en Sicile, vers 420 av. J. C., ramenée en Grèce par les Athéniens lors de leur expédition en Sicile. Elle se fit une grande renommée à Corinthe par son esprit, sa beauté et la liberté de ses moeurs. Une autre courtisane du même nom, originaire de Corinthe, y vécut, environ 50 ans après la première. (Imago Mundi).
Apelle / Laïs : voir Athénée de Naucratis, Deipnosophistes XIII, § 54. *******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[818] Nosoponus Verum, ubi dignus est auditor, qui fallatur.
[819] Bulephorus Sed haec interim mittamus alieniora. [820] Mihi satis est, quod amictum non probes corpori parum accommodum, quod picturam damnas non aptam ei rei, quam profitetur se uelle effingere.
[821] Nosoponus Sed quem exitum habiturae sunt istae tuae Socraticae « eisagogai »?

[134,822] Bulephorus Videlicet huc ibam, mi Nosopone.
[823] Hoc mihi tecum conuenit Ciceronem omnium optime dicere.
[824] Nosoponus Conuenit.
[825] Bulephorus Nec Ciceroniani pulcherrimum mereri cognomen, nisi qui similiter possit dicere.
[826] Nosoponus Prorsus.
[827] Bulephorus Tum ne bene quidem dicere, qui non dicat apte.
[828] Nosoponus Conuenit et istuc.
[829] Bulephorus Ut autem apte dicamus, ita demum fieri, si sermo noster personis et rebus praesentibus congruat.
[830] Nosoponus Scilicet.
[831] Bulephorus Quid ? [832] Videtur praesens saeculi status cum eorum temporum ratione congruere, quibus uixit ac dixit Cicero, cum sint in diuersum mutata religio imperium magistratus respublica leges mores studia, ipsa hominum facies, denique quid non?
[833] Nosoponus Nihil simile.

[834] Bulephorus Quid igitur frontis habeat ille, qui a nobis exigat , ut per omnia Ciceronis more dicamus ?[835] Reddat is nobis prius Romam illam quae fuit olim, reddat senatum et curiam, patres conscriptos, equestrem ordinem, populum in tribus et centurias digestum, reddat augurum et haruspicum collegia, pontifices maximos, flamines et uestales, aediles, praetores, tribunos plebis, consules, dictatores, Caesares, comitia, leges, senatus consulta, plebiscita, statuas, triumphos, ouationes, supplicationes, fana, delubra, puluinaria, sacrorum ritus, deos deasque, Capitolium et ignem sacrum, reddat prouincias, colonias, municipia et socios urbis rerum dominae.
[836] Porro, cum undequaque tota rerum humanarum scena inuersa sit, quis hodie potest apte dicere nisi multum Ciceroni dissimilis ? [136,837] Adeo mihi uidetur hoc quod agebamus in diuersum exisse.


[818] Nosoponus C’est vrai, mais seulement quand l’auditeur mérite qu’on le trompe !
[819] Bulephorus Nous parlerons de cela plus tard. C’est une autre histoire. Pour l’instant il me suffit que tu n’apprécies pas un vêtement qui ne s’adapte pas bien au corps et que tu condamnes une peinture qui n’est pas conforme à la chose qu’elle prétend vouloir représenter.
[821] Nosoponus Mais à quelle conclusion aboutira cette introduction que tu nous sers là, à la mode socratique ?


[134,822] Bulephorus J’y arrivais justement mon cher Nosopon. Nous sommes bien d’accord, toi et moi, sur le fait que de tous les orateurs Cicéron est celui qui parle le mieux?

[824] Nosoponus Nous sommes d’accord.

[825] Bulephorus On ne mériterait pas le si beau titre de cicéronien, si l’on ne pouvait parler aussi bien que Cicéron ?

[826] Nosoponus Tout juste !

[827] Bulephorus De plus on ne ne parlerait même pas « bien » si on ne parlait pas de façon adéquate ?
[828] Nosoponus On est d’accord là-dessus aussi.
[829] Bulephorus Oui mais parler d’une façon adéquate, cela ne peut se faire que si notre langage cadre avec les personnes et les réalités du temps.
[830] Nosoponus De toute évidence.
[831] Bulephorus Mais quoi ? La situation générale de notre siècle te semble-t-elle correspondre au mode de vie de ces temps anciens où vécut Cicéron, alors que tout s’est transformé en des sens si divers ? La religion, le pouvoir, les magistratures, l’Etat, les lois, les mœurs, les goûts, et même la face de l’homme ! Qu’est-ce qui n’a pas changé ?
[833] Nosoponus Rien n’est resté pareil.


[834] Bulephorus Mais quel front faut-il avoir pour oser exiger de nous que nous parlions en toutes choses à la manière de Cicéron ? Qu’on nous rende d’abord Rome telle qu’elle était autrefois : qu’on nous rende le sénat et la curie, les Pères conscrits, l’ordre équestre, le peuple réparti en tribus et centuries ! Qu’on nous rende le collège des augures et celui des haruspices, les grands pontifes, les flamines et les vestales ! Qu’on nous rende les édiles, les préteurs ; les tribuns de la plèbe, les consuls, les dictateurs et les Césars ; les comices, les lois, les sénatus-consultes et les plébiscites ; les statues, les triomphes et les ovations ; les supplications, les temples les sanctuaires, les lectisternes, les cérémonies avec leurs rites ; les dieux et les déesses, le Capitole et le feu sacré ! Qu’on nous rende enfin les provinces, les colonies, les municipes et les alliées de la ville maîtresse du monde !
[836] En outre, alors qu’en tous points du globe le théâtre des affaires humaines est totalement bouleversé quel orateur pourrait de nos jours « parler de manière adéquate » si ce n’est celui qui chercherait à ressembler le moins possible à Cicéron ? [136,837] Tant l’époque que nous traversons me semble avoir évolué en un sens opposé !
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[838] Tu negas quenquam bene dicere, nisi Ciceronem exprimat, at res ipsa clamitat neminem posse bene dicere, nisi prudens recedat ab exemplo Ciceronis.
[839] Quocunque me uerto, mutata omnia, in alio sto proscenio, aliud conspicio theatrum, immo mundum alium. [840] Quid faciam ?

[841] Christiano mihi dicendum est apud Christianos de religione Christiana ; num, ut apte dicam, imaginabor me uiuere aetate Ciceronis et in frequenti senatu apud patres conscriptos in arce Tarpeia dicere, et ex orationibus quas in senatu dixit Cicero uoculas aliquot, figuras et numeros emendicabo ? [842] Habenda est contio apud promiscuam multitudinem, in qua sunt et uirgines et uxores et uiduae, dicendum est de laude ieiunii, de paenitentia, de fructu orandi, de utilitate eleemosynarum, de sanctitate matrimonii, de contemptu rerum fluxarum, de studio diuinarum litterarum : quid hic opitulabitur mihi Ciceronis eloquentia, cui quemadmodum res, de quibus dicendum est, erant ignotae, ita non potuerunt usitata esse uocabula, quae post illum noua cum rebus nouis exorta sunt.

[843] An non frigidus orator erit, qui ad has materias ueluti pannos Ciceroni detractos assuat ?


[844] Referam non rumore perlata, sed quod his auribus audiui, his oculis conspexi.[845] Florebant id temporis Romae praeter ceteros dicendi laude Petrus Phaedrus et Camillus, hoc aetate minor, sed eloquendi uiribus maior, nisi quod ille iam huius laudis arcem occuparat.[138,846] Verum horum neuter, ni fallor, genere Romanus erat.



[847] Erat autem cuipiam delegata prouincia, qui de morte Christi diceret die sacro, quem parasceues appellant, idque apud summum pontificem.[848] Aliquot ante diebus ad eam orationem audiendam sum inuitatus ab eruditis.[849] Caue, inquiebant, ne desis ; nunc demum audies, quid lingua Romana sonet in ore Romano. [850] Adfui percupide, astiti suggesto proximus, ne quid effugeret.

[838] Buléphore suite ] Toi tu affirmes que personne ne peut être un bon orateur s’il n’imite Cicéron mais la réalité, quant à elle, nous crie à plein gosier que personne ne peut « bien parler » s’il ne se tient à distance prudente de l’exemple de Cicéron. [839] De quelque côté que je me tourne tout est changé ! Je me tiens sur une autre scène ; c’est un autre théâtre que j’ai sous les yeux ; un autre monde même ! Que faut-il que je fasse ?
[841] Moi qui suis chrétien, je dois parler devant des chrétiens de la religion chrétienne ! Est-ce que, pour parler comme il faut, je vais aller m’imaginer que je vis à l’époque de Cicéron et que je prononce un discours au Capitole pour les Pères conscrits, devant le le Sénat au grand complet ? Est-ce que je vais aller mendier quelques particules, quelques figures et quelques clausules dans les discours qu’il a prononcés au sénat ? [842] Il me faut faire un sermon devant une multitude composée de toute sorte de gens : j’y vois des jeunes filles, des femmes mariées et des veuves. Il faut que je leur parle des mérites du jeûne, de la pénitence, des bienfaits de la prière, de l’utilité de l’aumône, de la sainteté du mariage, du mépris des choses qui passsent, de l’étude des Saintes Ecritures : comment l’éloquence de Cicéron me serait-elle de quelque secours ? Dans la mesure où les choses dont nous avons à parler lui étaient inconnues, il n’a pas pu faire usage des mots qui ont été inventés après sa mort, au fur et à mesure que naissaient des réalités nouvelles !
[843] Ne le trouverais-tu pas bien froid l’orateur qui irait coudre à de telles matières quelques haillons arrachés à Cicéron ?

[844] Ce que je vais ici te raconter, ce ne sont pas des histoires colportées par la rumeur : ce sont des choses que j’ai entendues de mes oreilles et que j’ai vues de mes yeux. A cette époque régnaient à Rome, deux orateurs qui surpassaient tous les autres par l’éclat de leur éloquence : Petrus Phedrus et Camillus. Ce dernier venait en seconde position du point de vue de l’âge, mais il était bien le plus grand par les ressources de son éloquence, n’était que l’autre occupait déjà la plus haute place dans ce domaine. Aucun d’entre eux pourtant, si je ne me trompe n’était Romain de naissance.
[847] On avait donc confié à un orateur quelconque la charge de prononcer le sermon sur la mort du Christ, en ce jour sacré que l’on nomme « Parascève », et cela devant le Souverain Pontife. Quelques jours auparavant, j’avais été invité par des connaisseurs à venir écouter ce discours. « Garde-toi de manquer cela! »  me disaient-ils « pour une fois tu entendras comment sonne la langue des Romains dans la bouche d’un Romain ! » [850] : Je m’y trouvai donc, dévoré de curiosité  debout le plus près possible de la chaire, pour que rien ne m’échappât !
Arx Tarpeia : la roche tarpéienne (une des hauteurs du Capitole) d’où l’on précipitait les traîtres à la patrie (en souvenir de la trahison de Tarpeia, livrant passage aux Sabins ou aux Gaulois, selon les version). « Arx tarpeia Capitoli proxima » (prov.) : la roche tarpéienne est proche du Capitole (= aux honneurs suprêmes peut succéder la déchéance). Par Métonymie Erasme désigne ici le Capitole, sur lequel était bâti le temple de Jupiter capitolin, où se tenait parfois les réunions du sénat ; où aboutissaient les processions du triomphe, etc.
Phaedrus. « Fedra » : surnom de Tommaso Inghirami  (1470-1516) chanoine de Saint Jean de Latran ; bibliothécaire de la bibliothèque vaticane ; peint par Raphaël vers 1509 ; Camillus = Giulio Camillo de Forli (1480 1544), professeur, cicéronien. (Voir Marc Fumaroli, p. 93 ; et J. Chomarat p. 942) —NB. Jules II (1443-1513) fut pape de 1503 à 1513.
Parascève (du grec À±Á±ÃºµÅu : préparation) dans la religion juive c est le sixième jour de la semaine, le jour de la préparation au sabbat. Il s agit ici du Vendredi Saint.******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[851] Aderat ipse Iulius secundus, quod solet, ualetudinis opinor causa, admodum raro, aderat frequens cardinalium episcoporumque consessus ac praeter ignobilem turbam docti plerique, qui tum Romae agebant. [852] Nomen oratoris non edam, ne cui uidear hominis probi et eruditi famam arrodere uoluisse. [853] Erat hoc animo quo tu nunc es, Nosopone, nimirum Ciceronianae facundiae candidatus.

[854] Prooemium et peroratio oratione paene tota longior consumebatur praedicandis Iulii secundi laudibus, quem appellabat Iouem O- M-, qui dextra omnipotente tenens ac uibrans trisulcum et "ineuitabile fulmen" solo nutu faceret quicquid uellet. [856] Quicquid aliquot annis gestum fuerat in Galliis, in Germania, in Hispaniis, in Lusitania, in Africa, in Graecia, id unius nutu perfectum esse praedicabat.[857] Atque haec quidem Romae Romanus ore Romano sonoque Romano.


[140,858] Sed quid haec ad Iulium Christianae religionis antistitem, Christi uices gerentem, Petri et Pauli successorem ? [859] Quid haec ad cardinales et episcopos reliquorum apostolorum uicem obtinentes ? [860] Iam argumento, quod susceperat tractandum, quid sacratius, quid uerius, quid mirabilius, quid sublimius, quid commouendis affectibus accommodatius ? [861] Quis hic uel uulgari quapiam eloquentia praeditus non saxeis etiam hominibus excitet lacrimas ?

[862] Consilium orationis hoc erat, ut primum Christi mortem faceret luctuosam, mox in diuersum flexa dictione redderet gloriosam ac triumphalem, nimirum ut nobis exhiberet exemplum Ciceronianae dinoseos, qua potuit auditorum animos in quemcumque uellet affectum rapere.

[863] Hypologus Quid ? successitne ?


[864] Bulephorus Mihi, cum maxime tractaret affectus illos tragicos, quos rhetores appellant « pathê », ne quid fingam, ridere libebat.


[851] Jules II lui-même assistait à la cérémonie, ce qu’il faisait fort rarement, pour des raisons de santé, je suppose. L’assemblée des cardinaux était au grand complet et outre la foule des inconnus se trouvaient là aussi la plupart des savants qui vivaient à Rome à cette époque. [852] Je ne dévoilerai pas le nom de l’orateur, pour ne pas avoir l’air de vouloir ruiner la réputation de cet homme honnête et cultivé. [853] Il se trouvait dans le même état d’esprit que toi maintenant, Nosopon, briguant tout simplement la palme de l’«éloquence cicéronienne ».
[854] L’exorde et la péroraison, qui à elle seule était presque plus longue que le discours tout entier, furent entièrement consacrés aux louanges de Jules II, que l’orateur appelait Jupiter très grand et très bon (Optimus Maximus) ! Il proclamait que le Pape, qui portait et brandissait de sa droite toute puissante les carreaux à trois pointes de « la foudre inévitable », réalisait d’un simple signe de tête tout ce qu’il voulait. [856] Il répétait que tout ce qui s’était fait au cours des années précédentes dans les Gaules, en Allemagne, en Espagne, au Portugal, en Afrique, en Grèce ne s’était accompli que sur un signe de sa tête. [857] Et tout cela fut dit à Rome, par un Romain ! sortit d’une bouche romaine, avec un accent romain !
[858] Mais quel rapport y avait-il entre tout cela et Jules II, le chef de la religion chrétienne, le vicaire du christ, le successeur de Saint Paul et de Saint Pierre ? [859] Quel rapport avec les cardinaux, les évèques et les autres représentants des apôtres ? [860] Quant au sujet qu’il avait choisi de traiter, qu’y avait-il en soi de plus sacré, de plus vrai, de plus admirable, de plus sublime de plus propre à soulever les émotions ? Avec un tel sujet quel prédicateur (même simplement armé d’une éloquence populaire) ne saurait tirer des larmes aux hommes, auraient-ils un cœur de pierre !
[862] La démarche de ce discours consistait à faire voir tout d’abord la mort du Christ sous l’aspect d’un deuil affligeant, puis bientôt en renversant les effets de son éloquence à nous la montrer comme un triomphe plein de gloire. Tout ceci naturellement pour nous donner un échantillon de cette habileté stupéfiante avec laquelle Cicéron pouvait, comme il le voulait, entraîner l’âme de ses auditeurs dans les tourbillons de n’importe quelle passion.
[863] Hypologus Et alors. A-t-il réussi ?

[864] Bulephorus En ce qui me concerne, pour ne rien te cacher, plus il jouait sur le clavier des émotions tragiques que les rhéteurs appellent « pathê » plus je riais !
[854] Jupiter Optimus Maximus : Jupiter Capitolin
Ovide Métamorphoses III, 301 Jupiter foudroie Sémélé :
« Ergo maestissimus altum // aethera conscendit uultuque sequentia traxit // [3,300] nubila, quis nimbos inmixtaque fulgura uentis // addidit et tonitrus et ineuitabile fulmen » « Accablé de tristesse, il remonte dans les cieux. Il entraîne les nuées; [3,300] il rassemble la pluie, les vents, les éclairs, le tonnerre, et la foudre inévitable. Il tâche, autant que cela lui est permis, d'en affaiblir la force ».
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]Buléphore (suite)
[865] Nec quenquam in toto illo consessu uidi pilo tristiorem, cum totis eloquentiae uiribus exaggeraret indignos innocentissimi Christi cruciatus, rursum nec tantulo hilariorem quenquam, cum totus in hoc esset, ut mortem illam redderet nobis triumphalem plausibilem et gloriosam.

[866] Commemorabat Decios et Q- Curtium, qui se pro salute rei publicae diis manibus deuouissent, item Cecropem, Menoeceum, Iphigeniam et alios aliquot, quibus patriae salus ac dignitas ipsa uita fuisset carior.

[142,867] Deplorabat autem ualde lugubriter, quod fortibus uiris, qui suis periculis rei publicae subuenissent, publicis decretis relata esset gratia, aliis in foro posita statua aurea, aliis decretis honoribus diuinis : Christum pro suis benefactis ab ingrata Iudaeorum gente praemii loco tulisse crucem, dira passum summaque affectum ignominia.


[868] Atque ita nobis bonum illum et innocentem uirum deque gente sua optime meritum reddebat miserandum, quasi Socratis aut Phocionis mortem deplorasset qui, cum nihil admisissent sceleris, ciuium suorum ingratitudine coacti sunt cicutam bibere, aut Epaminondae, qui ob res praeclare gestas compulsus est capitis causam apud suos dicere, aut Scipionis, qui post tot in rem publicam merita exsulatum abiit, aut Aristidis, quem populus Atheniensium non ferens cognominis inuidiam, quod ob insignem morum integritatem uulgo iustus diceretur, ostracismo iussit in exilium proficisci.

[869] Quaeso, quid his dici potuit frigidius aut ineptius ? [870] Et tamen Ciceronem pro uiribus aemulatus est.

[865] Et je n’ai vu dans toute cette assemblée personne devenir plus triste d’une demi-larme quand il amplifiait avec toutes les hyperboles que lui offrait son éloquence les tourments indignes qu’a subis le Christ, pourtant si totalement innocent. Inversement je n’ai pas vu un seul homme se montrer un tant soit peu plus joyeux quand il se donnait à corps perdu dans sa tâche de nous rendre la mort du Christ triomphale, admirable et glorieuse.
[866] Il faisait appel aux Décius et à Quintus Curtius, qui s’étaient voués aux dieux infernaux pour le salut de la République ; il allair chercher de même Cécrops, Ménécée, Iphigénie et nombre d’autres à qui le salut et la gloire de la patrie avait été plus chers que leur propre vie.
[142,867] Il déplorait d’un ton plein de douleur le fait que, tandis qu’à ces hommes courageux, qui avaient porté secours à la République au péril de leur vie, l’Etat avait officiellement montré sa gratitude en érigeant pour les uns une statue d’or en plein forum, en votant pour les autres les honneurs réservés aux dieux, le Christ lui, en guise de récompense n’avait obtenu de la part de l’ingrate nation juive que le droit de porter sa croix, de souffrir de cruels supplices et de subir la plus grande indignité.
[868] Et il cherchait à provoquer notre pitié à l’égard de cet homme bon et innocent, si dévoué à sa nation, dans les mêmes termes qu’il aurait déploré la mort de Socrate, ou celle de Phocion, que l’ingratitude de leurs concitoyens avait contraints à boire la ciguë alors qu’ils n’avaient commis aucun crime. On aurait dit qu’il déplorait le sort d’Epaminondas, qui pour prix de ses glorieux exploits fut conduit à plaider sa cause et défendre sa tête auprès de ses concitoyens (Thébains) ; il pleurait sur Scipion qui après avoir rendu tant de bons et loyaux services à la République dut partir en exil, ou encore sur Aristide contre qui le peuple athénien vota l’ostracisme, lui ordonnant de s’exiler parce qu’il ne supportait pas sans jalousie le surnom de « juste » qu’on lui donnait publiquement.
[869] Dis moi je t’en prie : que peut-on dire de plus froid et de moins adapté que cela? Et pourtant cet orateur s’efforçait de rivaliser avec Cicéron dans la mesure de ses moyens !

[866] Decius, père et fils, à une génération d’intervalle se jettent dans les rangs ennemis; Marcus Cuurtius se jette tout armé dans le « Lac Curtius »: voir Tite Live VIII, 9-10 ; Sur la devotio voir G.Dumézil, La Religion romaine Archaïque p. 108-110 et le compte rendu de Charles Guittard : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1984_num_128_4_14205
Cécrops 1 Fondateur légendaire d’Athènes ; Cécrops 2 : fils d’Erechthée (fils d’Héphaïstos et de la Terre, élevé par Athéna). Erasme le confond, semble-t-il, avec Erechthée lui-même qui dans une guerre avec Eleusis sacrifia un de ses filles pour obtenir la victoire d’Athènes, conformément à un oracle de Delphes. Voir Grimal, Dictionnaire de la Mythologie…
Menoeceus : Père de Créon, Jocaste et Hipponomé ; Selon Hygin, Tirésias ayant prédit qu’un descendant des « Spartes » devait mourir volontairement pour délivrer la ville de la peste, Ménécée se suicida durant le règne d’Œdipe.
Iphigenia fille d’Agamemnon et Clytemnestre, sacrifiée à Aulis pour apaiser la colère d’Artémis et permettre le départ de la flotte grecque.
[868] Socrate : 470 -399 av. J.C. (lire Xenonphon et Platon).
Phocion : (~402 env.-~318) Homme politique et stratège athénien. Après la bataille de Chéronée (~ 338), partisan d'un rapprochement avec la Macédoine, artisan de la paix de Démade, il entretint de bonnes relations avec Philippe puis Alexandre. Il tenta, après la mort d’Alex., d'empêcher Athènes de se lancer dans la guerre lamiaque et fut le principal négociateur de la paix conclue en ~ 322 avec le gal macédonien Antipatros ; celle-ci stipulait le rejet de la constitution démocratique et la remise à l'ennemi des principaux chefs démocrates, elle imposait aussi la présence d'une garnison macédonienne au Pirée. Lorsqu'en ~ 318 la démocratie fut restaurée à Athènes, Phocion fut accusé de trahison et condamné à mort. (Ex.Claude Mossé, in Encyclopédia Universalis).
Epaminondas (418-362) : général thébain. Malgré ses succès dans le Péloponèse est accusé d’avoir outrepassé ses fonctions. Le procès (369) tourna à son avantage. On ne peut donc déplorer ici sa mort. [144,873] « Iam in diuersa parte » ( mais inversement), oppose de façon très symétrique les réactions de Buléphore / Erasme à celles décrites en [864].
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]

[871] Ceterum de arcano supremi numinis consilio, quod hac inaudita ratione uoluit genus humanum a diaboli tyrannide redimere per mortem unici filii,tum de mysteriis, quid sit commori Christo, quid sit cum illo sepeliri, quid cum illo resurgere, nulla mentio.
[872] Deplorabatur illius innocentia, traducebatur Iudaeorum ingratitudo, at non deplorabatur nostra malitia, nostra ingratitudo, qui sic redempti, tot beneficiis affecti, ad tantam felicitatem inaudita benignitate prouocati rursus illum, quod in nobis est, crucifigimus, ultro reuoluti in satanae tyrannidem, seruientes auaritiae luxui uoluptatibus ambitioni, magis huic mundo dediti quam unquam fuerint ethnici, quibus Deus nondum aperuerat hanc caelestem philosophiam.

[144,873] Iam in diuersa parte, cum ille magno conatu id ageret, ut gaudio gestiremus, magis libebat flere, cum audirem Scipionis, Pauli Aemilii et C- Caesaris triumphos et imperatores in deorum numerum relatos cum crucis triumpho conferri.[874] Huius gloriam qui uoluisset uerbis attollere, Paulum apostolum potius sibi proponere debebat quam Ciceronem.
[875] Quam ille in hoc argumento exsultat, attollitur, superbit, regnat, triumphat omnia mundana uelut e sublimi despiciens, quoties in crucis praedicationem incidit ! Quid multis ? [876] Tam Romane dixit Romanus ille, ut nihil audirem de morte Christi.

[877] Et tamen ille Ciceronianae dictionis ambitiosissimus candidatus Ciceronianis uidebatur mirifice dixisse, cum de re paene nihil diceret, quam nec intelligere nec amare uidebatur, neque quicquam apposite dicebat nec ullos mouerat affectus.
[878] Tantum hoc laudis ferebat, quod Romane pronuntiasset et aliquid Ciceronis rettulisset. [879] Probari poterat hoc uelut indolis ingeniique specimen, si a puero apud pueros in schola fuisset habita talis oratio.[880] Verum ad talem diem, ad tales auditores, ad tale argumentum quid faciebat, obsecro ?

[881] Nosoponus Est « anohnumos », de quo loqueris?

[146,882] Bulephorus Nomen, ut dictum est, intelligi malo quam exprimi.[883] Neque enim nobis hic propositum est ullius nomen aspergere, sed errorem uitandum ostendimus, qui non paucis hodie sub splendidi nominis umbra imponit.[884] Hoc nostra refert, Nosopone ; nomen hominis, de quo narraui fabulam, scire nihil refert. 

[871] Cela mis à part, nulle mention du dessein secret du Très Haut, qui a voulu dans une logique sans exemple, racheter le genre humain de la tyrannie du diable, par le moyen de la mort de son fils unique. Nulle mention de ce que veulent dire les Mystères de notre religion : que signifie mourir avec le Christ, être enseveli avec Lui et ressusciter avec Lui ?
[872] Il déplorait Son innocence, il s’étendait sur l’ingratitude des Juifs, mais notre malice il ne la déplorait pas !  ni notre ingratitude ! Nous qui avons été rachetés de la sorte, nous qui avons été comblés de tant de bienfaits, nous qui sommes appelés à une si grande félicité par la bonté sans exemple de Dieu, et qui pourtant, chacun à notre mesure, remettons le Christ en croix, en retombant volontairement sous la tyrannie de Satan, en nous faisant esclaves de la cupidité, du luxe, des plaisirs, de l’ambition ! Nous qui sommes plus voués à ce monde (matériel) que ne le furent jamais les païens, à qui Dieu n’avait pas encore révélé cette philosophie céleste.

[144,873] Mais inversement, plus il mettait d’efforts à nous faire exulter de joie, plus j’avais envie de pleurer en l’entendant comparer les triomphes de Scipion, de Paul Emile, de César, et la divinisation des empereurs romains, avec le triomphe de la croix. S’il avait eu l’intention de magnifier la gloire de la croix par son éloquence, il aurait dû se proposer pour exemple non pas Cicéron mais Saint Paul!


[875] Lui au moins, comme il exulte, comme il s’élève, comme il domine royalement chaque fois qu’il en vient à prêcher la gloire de la croix ! Il triomphe de toutes les valeurs du monde, comme s’il les regardait depuis le ciel ! Qu’ajouter d’autre ? Il parla en si bon romain, ce Romain-là, que je n’entendis pas un mot de la mort du Christ !

[877] Et pourtant, à en croire les cicéroniens, notre ambitieux qui aspirait tellement à l’éloquence cicéronienne, avait fait un très beau discours, alors qu’il n’avait presque rien dit de son sujet, — qu’il ne paraissait d’ailleurs ni comprendre ni aimer —, alors qu’il ne s’y était pas adapté et n’avait soulevé aucune émotion.
[878] Son seul mérite était d’avoir prononcé son latin avec l’accent romain, et d’avoir aussi reproduit quelques traits de Cicéron. [879] On aurait pu admirer cette performance comme une preuve de goût et d’intelligence si un discours de cette sorte avait été tenu dans une école, par un enfant devant d’autres enfants ! Mais qu’estce que cela pouvait bien apporter à un tel jour, à un tel auditoire, à un tel sujet? Je te le demande !
[881] Nosoponus : Mais il a bien un nom celui dont tu parles !
[146,882] Bulephorus Son nom, comme je te l’ai déjà dit, je préfère le laisser deviner que le dire clairement. Nous ne nous sommes pas donné pour but de salir la réputation de qui que ce soit, mais nous voulons mettre en évidence une erreur, qu’il faut éviter, parce qu’elle abuse aujourd’hui beaucoup de monde en circulant sous l’ombre d’un nom éclatant. Voilà ce qui nous importe Nosopon. Le nom de l’homme à propos de qui j’ai rapporté cette anecdote, il importe peu de le savoir !

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]

[885] Pertinet autem hoc et ad Ciceronis gloriam, cui uideo te supra modum fauere, cui quotquot usquam terrarum sunt eruditi merito fauent. [886] Nam isti simii non solum officiunt adulescentiae studiis ac moribus, uirum etiam ipsum Ciceronis nomen obscurant, cuius cognomine sese uenditant, cum nihil sint minus quam Ciceroniani.

[887] Quemadmodum eximiae pietatis uirum Benedictum infamant, quoties se cultu tituloque iactant Benedictinos etiam illi, qui uita propius ad Sardanapalum accedunt quam ad Benedictum, et minime malitiosum hominem Franciscum, qui se huius cognomine iactitant, cum moribus Pharisaeos propius exprimant quam Franciscum, et Augustinum, qui se ferunt Augustinenses, cum a doctrina simul ac pietate tanti uiri procul abhorreant, fortasse et Christum, qui praeter titulum nihil habent illius  : ita Ciceronis famae labem aspergunt, qui nihil habent in ore praeter Ciceronem et Ciceronianos, cum nulli magis absint ab eloquentia Ciceronis.


[888] Mirum, quo supercilio Thomae, Scoti, Durandi similiumque barbariem exsecrentur, et tamen, si res uocetur ad exactum iudicium, illi, cum se nec eloquentes nec Ciceronianos iactitent, magis Ciceroniani sunt quam isti, qui postulant haberi non iam Ciceroniani, sed ipsi Cicerones.


[148,889] Nosoponus Monstri simile narras.
[890] Bulephorus Non est monstrosa ueritas ; qui mentitur, monstri simile dicit. [891] Nonne fateris Ciceroni simillimum, qui de quacunque re dicit optime ?

[892] Nosoponus Fateor.
[893] Bulephorus Ad bene dicendum duae potissimum res conducunt, ut penitus cognitum habeas, de quo dicendum est, deinde ut pectus et affectus suppeditet orationem.

[894] Nosoponus Ista quidem docent Horatius-1) et Fabius et alioqui citra auctorem uerissima sunt ; quare non conabor infitias ire.




[885] Mais cette erreur touche aussi la gloire de Cicéron, à laquelle je vois que tu t’intéresses au-delà de toute mesure, à laquelle s’intéresse d’ailleurs, et à juste titre, tout ce que la terre compte d’érudits. [886] Car ces singes-là non seulement font du tort à la jeunesse, du point de vue des études et des mœurs, mais ils ternissent aussi le nom de Cicéron — dont ils prennent pourtant le surnom pour se se faire valoir — dans la mesure où ils ne sont rien moins que cicéroniens.

[887]  Ils jettent le déshonneur sur Saint Benoït, dont la piété était exemplaire, ceux qui ne cessent de se targuer, par le titre et l’habit du moins, d’être Bénédictins, alors que leur vie les rapproche plus de Sardanapale que de Saint Benoït. Ils discréditent Saint François, l’homme le moins porté qui soit au péché, ceux qui se parent de son nom, alors que leurs mœurs les apparentent plus aux Pharisiens qu’à ce saint homme. Ils portent préjudice à Saint Augustin ceux qui se proclament Augustiniens, alors que, tant par leur peu de piété que par leur peu de connaissance, ils sont à cent lieues de cet homme si admirable. Peut-être même ils nuisent au Christ ceux qui, mis à part le nom, n’ont rien de commun avec lui. De la même façon ils souillent la réputation de Cicéron ceux qui n’ont rien d’autre à la bouche que les noms de Cicéron et de Cicéroniens alors que personne n’est plus éloigné qu’eux de l’éloquence de Cicéron.

[888] Il faut voir de quel œil ils regardent Saint Thomas d’Aquin, Duns Scot, Durand  et leurs semblables : comme ils méprisent la barbarie de leur style ! Et pourtant si l’on voulait bien en juger avec équité : alors qu’ils ne se vantent ni d’être éloquents ni d’être cicéroniens, les Thomas et les Scots sont bien plus dignes de ce titre que cette espèce d’orateurs qui vont jusqu’à revendiquer qu’on les tiennent, non plus seulement pour des cicéroniens, mais bien pour des Cicérons en chair et en os !

[148,889] Nosopon Mais cela frise le monstrueux ce que tu racontes là !
[890] Buléphore La vérité n’est pas monstrueuse. C’est celui qui ment qui dit des monstruosités ! Ne reconnais-tu pas que l’orateur qui ressemble le plus à Cicéron est celui qui parle le mieux de n’importe quel sujet ?
[892] Nosoponus je le reconnais.
[893] Bulephorus Deux conditions principales sont nécessaires pour faire un bon discours : il faut connaître à fond le sujet dont on doit parler, et ensuite que l’émotion et le sentiment en soutiennent le développement.
[894] Nosoponus C’est bien là ce qu’Horace et Fabius (Quintilien) professent, mais de toute façon, indépendemment de leur autorité, ce sont des choses tellement vraies que je ne chercherai pas à les nier !


Thomas ae m : Saint Thomas d’Aquin (1225-174) Scotus i m : Jean Duns Scot (vers 1266 à Duns - 1308 à Cologne) Durandus i m : Guillaume Durand 1230 1296.
1) NB. P. M. renvoie à Horace Art poétique (309-316) Ars Poetica v. 309 « Scribendi recte sapere est et principium et fons » : La raison ( le bon sens), voilà le principe et la source de l'art d'écrire (trad. itinera el.) et Quintilien, Inst. X, 6 1-4 par la bouche de Fabius insiste sur le travail de préparation, de méditation et de mémoire.
Index ; elenchus : revoir [Ph. 160 ]*******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[895] Bulephorus Unde igitur Ciceroniani nomen feret, hoc est optime dicentis, qui de rebus loquitur, quas nec penitus intelligit nec affectu pectoris prosequitur, ut ne dicam quas plane negligit oditque ?

[896] Hypologus Id quidem perdifficile est. [897] Qui possit enim pictor, quamuis probus artifex, effingere figuram hominis, quem nunquam attente contemplatus est aut fortasse ne uidit quidem ? [898] Deinde uix impetres ab hoc artificum genere, ut scite rem exprimant, nisi delectentur argumento.
[899] Bulephorus Illud igitur in primis curandum erat Ciceronianis, ut intelligant mysteria Christianae religionis nec minore studio libros sacros euoluant, quam Cicero philosophorum poetarum iurisperitorum augurum et historicorum euoluerat. [150,900] His rebus instructus, ille fuit Cicero. [901] Nos, qui nostrae professionis nec leges nec prophetas nec historias nec interpretes attingimus, contemnimus etiam et horremus, qui tandem erimus Ciceroniani?
[902] Verum age, dicendum est apud Christianos, sed de re profana, puta de creando magistratu, de matrimonio aut de pangendo foedere aut de bello suscipiendo : an his de rebus Christiane apud Christianos eodem modo dicemus quo Cicero ethnicus loquebatur apud ethnicos ? [903] An non omnes uitae nostrae actiones conferendae sunt ad Christi regulas? [904] A quibus si tua recedat oratio, iam nec bonus orator nec uir fueris bonus.

[905] Quodsi is qui dicit nullum uerbum promit nisi ex indice suo, cum res mortalium in diuersum commutatae nouas uoces inuexerint, quid hic faciet Ciceronianus, cum eos non reperiet nec in M- Tullii libris nec in suo elencho?


[906] Si reicietur quicquid non deprehenditur in libris illius, cum tam multi interciderint, uide quam multa uitabimus ut barbara, quae sunt a Cicerone prodita , rursus quam multa quibus erat usurus, si de rebus huiusmodi dicendum fuisset.
[895] Bulephorus Dans ces conditions, alors, de quel droit porterait-il le nom de cicéronien, c’est-à-dire d’excellent orateur, celui qui traite de choses qu’il ne comprend pas à fond, dont il ne parle pas avec cœur et émotion, sans aller jusqu’à dire qu’elles ne l’intéressent pas du tout et qu’il les a en horreur ?
[896] Hypologus C’est sûr ! ce doit être bien difficile ! En effet, comment un peintre, aussi honnête ouvrier soit-il, pourrait-il faire le portrait d’un homme qu’il n’aurait jamais observé avec attention, ni peut-être même jamais vu ? [897] En outre on ne saurait facilement obtenir de cette sorte d’artistes qu’ils expriment habilement le fond des choses si le sujet ne leur plaît pas

[899] Bulephorus Il faudrait donc avant tout autre chose, que les cicéroniens s’attachent à comprendre les mystères de la religion chrétienne, et prennent soin d’en feuilleter les livres sacrés avec autant de zèle que Cicéron mettait à pratiquer les œuvres des philosophes, des poètes, des jusrisconsultes, des augures et des historiens. C’est par ces connaissances, qu’il fut Cicéron ! Alors nous qui ne nous occupons ni des lois ni des prophètes, ni des histoires ni des commentateurs de notre religion, nous qui les méprisons même et les regardons avec horreur, comment donc serions nous des Cicéroniens ?

[902] Mais continuons ! Il nous faut parler devant des Chrétiens, mais cette fois de choses profanes comme l’élection d’un magistrat, ou le mariage, ou la signature d’un traité, ou la déclaration de la guerre : est-ce que nous pourrons parler de ces choses d’un point de vue chrétien de la même manière que Cicéron, un païen, en parlait devant des païens ?  [903] Toutes les actions de notre vie ne doivent-elles pas être rapportées aux règles instituées par le Christ ? Si nos propos s’en écartaient, nous ne serions plus alors de bons orateurs, ni même des hommes de bien.
[905] Supposons en outre que l’orateur n’emploie aucun terme qu’il n’ait tiré de son dictionnaire personnel, alors que les choses humaines ont évolué en des sens divers et ont entraîné l’invention de nouveaux mots : que fera alors notre Cicéronien lorsqu’il ne les trouvera ni dans les livres de Marcus Tullius ni dans le lexique qu’il a établi ?

[906] Si l’on rejette tout terme qu’on ne trouve pas dans les livres de Cicéron, alors que tant d’entre eux ont disparu au fil du temps, ne vois-tu pas combien de mots on voudra éviter comme barbares, alors que Cicéron les a effectivement transmis? Inversement de combien de mots nous priverons nous, dont il se serait servi s’il avait eu à parler de choses de ce genre ?
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[907] Nusquam apud Ciceronem legimus Iesu Christi, uerbi Dei, spiritus sancti aut trinitatis uocabulum nec "euangelium" nec "euangelistam" nec "Mosen" nec "prophetam" nec "pentateuchum" nec "psalmos" nec "episcopum" nec "archiepiscopum" nec "diaconum" nec "hypodiaconum" nec "acoluthum" nec "exorcistam" nec "ecclesiam" nec "fidem", "spem" et "caritatem" nec "trium personarum eandem essentiam" nec "haeresim" nec "symbolum" nec septem ecclesiae sacramenta nec "baptismum" aut "baptistam" nec "confirmationem" nec "eucharistiam" nec "sacram unctionem" nec "poenitentiam" nec "sacramentalem confessionem" nec "contritionem" nec "absolutionem" nec "excommunicationem" nec "ecclesiasticam sepulturam" nec "missam", nec alia innumera quibus constat omnis uita Christianorum. [152,908] Haec nusquam non sunt obuia ; quacunque de re tentas dicere, ingerunt sese uel nolenti.


[909] Quid faciet, quo se vertet hic ille superstitiose Ciceronianus ? [910] An pro patre Christi dicet "Iupiter O- M-", pro filio dicet Apollinem aut Aesculapium, pro uirginum regina dicet Dianam, pro ecclesia sacram contionem aut ciuitatem aut rem publicam, pro ethnico perduellem, pro haeresi factionem, pro schismate seditionem, pro fide Christiana Christianam persuasionem, pro excommunicatione proscriptionem, pro excommunicare "diris deuouere" aut, quod nonnullis magis arridet, "aqua et igni interdicere",

pro apostolis legatos aut ueredarios, pro Romano pontifice flaminem Dialem, pro consessu cardinalium patres conscriptos, pro synodo generali S- P- Q- rei publicae Christianae, pro episcopis praesides prouinciarum, pro electione episcoporum comitia, pro synodica constitutione senatus consultum, pro summo pontifice summum ciuitatis praefectum, pro Christo capite ecclesiae summum rei publicae praesidem, pro diabolo sycophantam, pro propheta uatem aut diuinum, pro prophetiis oracula diuum, pro baptismo tincturam, pro missa uictimam, pro consecratione corporis dominici sacrosanctum panificium, pro eucharistia sanctificum crustulum, 
[907] Nulle part nous ne lisons chez Cicéron les noms de : « Jésus Christ », « Verbe de Dieu » , « Esprit saint », ou « Trinité ». On ne trouve pas non plus chez lui « Evangile » ni « Evangéliste » ; ni « Moïse » ni  « Prophète » ; ni « Pentateuche » ni « Psaumes » ; ni « évèque » ni « archevèque » ; ni « diacre » ni « sous-diacre » ; ni « acolythe » ; ni « exorciste » ; ni « Eglise » ; ni « foi, espérance et charité » ; ni « la même essence en trois personnes » ; ni « hérésie » ; ni « symbole » ; ni « les sept sacrements de l’Eglise » ; ni « Baptême » ; ni « Confirmation » ; ni « Eucharistie » ; ni « Onction Sainte » ; ni « Pénitence », ni « Sacrement de la confession » ; ni « contrition » ; ni « absolution » ; ni « excommunication » ; ni « funérailles chrétiennes » ; ni « Messe » ; on ne trouve pas non plus chez Cicéron tous les autres termes innombrables sur lesquels repose toute la vie des Chrétiens

[152,908] Il n’y a pas un domaine où ces mots ne se trouvent pas sur notre chemin ! Quel que soit le sujet dont on prétende discourir, ils se glissent au milieu de nos paroles, qu’on le veuille ou non.

[909 ] Dans ce cas, que fera notre cicéronien avec ses scrupules ? Vers quelle solution se tournera-t-il ? Est-ce que pour le père du Christ il dira « Jupiter très grand et très bon » ?  Pour le fils dira-t-il « Apollon » ou « Esculape » ? Pour la Reine des Vierges : « Diane » ? Pour l’Eglise parlera-t-il de « Sainte Assemblée », ou de « Cité Sainte », ou de « Sainte République » ? Pour païen dira-t-il « ennemi public » ; pour hérésie : « faction » ; pour schisme : « sédition » ? Au lieu de Foi Chrétienne préférera-t-il « croyance chrétienne » ? Pour excommunication utilisera-t-il « proscription » ? Pour excommunier dira-t-il « vouer aux Furies Infernales » ? ou comme certains préfèrent : « frapper de l’interdiction de l’eau et du feu » ?
Pour apôtres emploiera-t-il « envoyés » ou « courriers » ? dira-t-il le « flamine de Jupiter » pour désigner le Pontife Romain ? Pour le conclave des cardinaux dira-t-il « les pères conscrits  (ou les Sénateurs)» ? Pour le synode général : « Le Sénat et le Peuple de la République des chrétiens » ? Pour les évèques : les « gouverneurs des provinces » ? Pour l’élection des évèques : « les comices » ? Pour parler d’une constitution synodale parlera-t-il de « senatus consulte » ? Pour désigner le Souverain Pontife dira-t-il « Préfet suprême de la cité » ? Au lieu du « Christ, chef de l’église », dira-t-il « Le président suprême de la République » ? Pour le diable dira-t-il « sycophante » ? Pour prophète : « voyant » ou « devin » ? Pour prophéties « oracles des dieux » ? Pour Baptème : « bain de teinture » ? Pour messe : « victime » ? Pour la consécration du corps de notre Seigneur il la nommera : « la sacrosainte fabrication du pain » et l eucharistie : « petite galette consacrée » ? [906] PrMdo, re, d-di, d-tum : - tr. - 1 - faire sortir, émettre, produire; faire connaître, dévoiler, révéler, divulguer, découvrir, annoncer. - 2 - proclamer, désigner (officiellement), promulguer (une loi), créer, instituer. - 3 - léguer, propager; transmettre (un récit), rapporter, raconter. - 4 - surseoir, remettre, ajourner, renvoyer, prolonger. - 5 - livrer, abandonner sans secours, tromper, trahir, dénoncer, mettre en péril. ***************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
(Suite) pro sacerdote sacrificulum aut sacrorum antistitem, pro diacono ministrum aut curionem, pro gratia Dei numinis munificentiam, pro absolutione manumissionem ?
[154,911] Vides ex innumera uocabulorum turba quantulam portionem attigerim. [912] Quid hic faciet Ciceronianae phraseos candidatus ? [913] Utrumne tacebit an ad hunc modum immutabit recepta Christianis uocabula ?
[914] Nosoponus Quidni?

[915] Bulephorus Fingamus igitur exemplum.
[916] Hanc sententiam : "Iesus Christus, uerbum et filius aeterni patris, , iuxta prophetias uenit in mundum ac factus homo sponte se in mortem tradidit
ac redemit ecclesiam suam offensique patris iram auertit a nobis eique nos reconciliauit, ut per gratiam fidei iustificati et a tyrannide liberati inseramur ecclesiae et in ecclesiae communione perseuerantes post hanc uitam consequamur regnum caelorum"
sic efferet Ciceronianus :

"Optimi Maximique Iouis interpres ac filius, seruator, rex, iuxta uatum responsa ex Olympo deuolauit in terras et hominis assumpta figura sese pro salute rei publicae sponte deuouit diis manibus atque ita contionem (siue ciuitatem siue rem publicam) suam asseruit in libertatem ac Iouis O- M- uibratum in nostra capita fulmen restinxit nosque cum illo redegit in gratiam,
ut persuasionis munificentia ad innocentiam reparati et a sycophantae dominatu manumissi cooptemur in ciuitatem et in rei publicae societate perseuerantes, cum fata nos euocarint ex hac uita, in deorum immortalium consortio rerum summa potiamur".

[917] Nosoponus Ludis tu quidem, Bulephore.
[918] Bulephorus Ita me bene amet nostra « Peithô », rem seriam ago.
[919] Iam, si usus uenerit, ut de difficillimis dogmatum nostrorum quaestionibus sit disserendum, quantum lucis habebit disputatio, si talibus flosculis ornatus incedat sermo ? [156,920] Quid aliud quam fumum ingeram materiae tenebris ? [921] Quoties ad has salebras restitabit lector ? [922] Sed age, liceat hactenus ludere Ciceronis imagine, quid fiet, ubi res poscet diuinarum scripturarum testimonia ?
Pour le prêtre  parlera-t-il de « sacrificateur» ou de « préposé aux sacrifices » ? Pour le diacre dira-t-il « serviteur du culte» ou curion (=prêtre d’une curie) ? Pour désigner la Grâce de Dieu dira-t-il : « la générosité de la divinité », pour absolution emploiera-t-il le terme « d’affranchissement » ?
[154,911] Tu vois quel nombre infime dans cette foule immense de mots j’ai tout juste effleuré ! Que fera notre adepte du style cicéronien dans ces circonstances ? Se taira-t-il ou transformera-t-il le vocabulaire admis par les chrétiens suivant le procédé que je t’ai montré ?
[914] Nosoponus Qu’est-ce qui l’en empêcherait ?

[915] Bulephorus Imaginons donc cette phrase comme exemple.
[916] « Jésus Christ, verbe et fils du père éternel, , vint au monde conformément aux prophéties. Une fois fait homme, de son plein gré il se livra à la mort et racheta son Eglise. Il détourna de nous la colère de son père que nous avions offensé et nous réconcilia avec lui, afin que, justifiés par la grâce de la foi et libérés de la tyrannie de Satan nous soyons introduits dans l’Eglise, et que persévérant dans la communion de l’Eglise, nous obtenions après cette vie-ci le royaume des cieux ».
Notre cicéronien rendra cette phrase de la manière suivante :

« L’interprète de Jupiter, très bon et très puissant, son fils, sauveur et roi, suivant les réponses des oracles se laissa descendre de l’Olympe jusque sur la terre. Après avoir pris figure d’homme et pour le salut de la République, il se dévoua aux dieux infernaux et obtint ainsi la liberté pour l’Assemblée de son peuple, (ou sa Cité ou sa République). Il éteignit la foudre que Jupiter Très Bon et Très Puissant brandissait sur nos têtes et nous fit rentrer en grâce auprès de lui, afin que ramenés à l’innocence première par le cadeau magnifique de la croyance dont il nous a persuadés, et affranchis de la domination du sycophante, nous soyons élus et intégrés à sa Cité, et que par notre assiduité à participer à sa République, lorsque le sort fatal nous appellerait hors cette vie, nous partagions le pouvoir sur l’univers tout entier avec les dieux immortels ».

[917] Nosoponus Là tu veux rire Buléphore ! Non ?
[918] Bulephorus Que notre Sainte Persuasion m’en préserve ! Le sujet est trop sérieux !

[919] Supposons maintenant que nous soyons obligés de discuter des points les plus difficilies de notre doctrine, quelle clarté aura notre discussion si notre langage s’orne d’expressions fleuries de cette sorte? Apporterai-je autre chose que de la fumée à l’obscurité du sujet ? [918] Que de fois le lecteur sera-t-il arrêté par de tels obstacles?
[922] Mais allons! Admettons qu’on puisse jouer jusqu’ici à imiter Cicéron : que se passera-t-il lorsque le sujet exigera le témoignage des Saintes Ecritures? [918] Peithô est présentée comme une déesse au début du dialogue [Ph.59]
[922] pil ludere, Cic. de Or. 1, 73 : jouer à la balle. alicujus persona ludere, Cic. de Or. 3, 171 : plaisanter sous le masque de qqn, sous le couvert de qqn (= en faisant parler qqn). -mgo, -nis, f. : - 1 - image (produit de l'art), portrait, représentation, effigie. - 2 - masque de cire, portrait d' ancêtre. - 3 - image (naturelle), ressemblance, reflet, tableau (au pr. et au fig.). - 4 - ce que l'on se représente en imagination : idée, pensée, souvenir. - 5 - forme, signe extérieur, aspect, tableau; comparaison, image, métaphore (t. de rhét.) - 6 - ombre (des morts), fantôme, vision, simulacre, apparence (au pr. et au fig.). - 7 - imitation d'un son, écho.******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[923] An, cum erit citandum aliquid ex decalogi praeceptis, tantum ascribam "recita legem"? [924] Cum pronuntiandum erit constitutio synodi, ascribam "recita senatus consultum" ? [925] Cum erit aliquid promendum ex prophetis aut apostolis, ascribere sat erit "recita testimonium"? [926] Sic enim omnino solet Cicero. [927] Itaque uitabo, ne dictionem Ciceronianam uerbis non Ciceronianis contaminem ?
[928] Nosoponus Quid igitur? [929] Num auctor eris nobis sic loquendi, quemadmodum scripserunt Thomas et Scotus ?
[930] Bulephorus Si melius dicit qui dicit aptius, sic de rebus sacris loqui praestiterat quam in his Ciceronem exprimere. [931] Quanquam est medium quiddam inter Scotos et Ciceronis simias. [932] Nec statim male Latinum est, quod apud Ciceronem non exstat, qui, ut saepe iam dictum est, nec exstat totus, et si totus exstaret, non tractauit omnes materias, et si tractasset omnes illorum temporum, nostras res nec tractauit nec nouit.


[933] Postremo, quod ad sermonis proprietatem et elegantiam attinet, nec Ciceroni cedit M- Varro et hac dote praefertur C- Caesar. [158,934] Neque enim M- Tullius fuit auctor ac parens Romani sermonis, sed orator maximus et in causarum ciuilium actionibus primae laudis, in aliis inferior nonnullis, in carmine frigidus, in uertendis Graecis parum felix, qualis futurus in ceteris incertum.
[935] Si mihi de matrimonio dicendum sit, cuius multo alia nunc est ratio quam fuit olim et de quo M- Tullius nihil memoriae prodidit, num uerebor ex Aristotele Xenophonte Plutarcho, e diuinis libris, e Tertulliano Hieronymo et Augustino sententias ac uerba legere, ne cui uidear parum Ciceronianus ? [936] Item si de re rustica praecipiendum fuerit, fas non erit ex Virgilio Catone Varrone Columella decerpere quae placent?

[937] Si barbarum habetur, quicquid est nouum et recens natum, nulla uox non fuit aliquando barbara. [938] Quam multa reperies apud ipsum Ciceronem noua, praesertim in his libris, in quibus tractat artem rhetoricam aut rem philosophicam ? [939] Quis ante Ciceronem audiuit "beatitatem" et "beatitudinem" ? [940] Quid apud Latinos sonat "finis bonorum"2) , cum apud illum significet summum bonum aut id in quo quis statuit summam felicitatem?
[923] Quand il faudra citer un extrait du Décalogue, est-ce que je me contenterai d’écrire « donne lecture de la loi » ? Quand il faudra produire un arrêt du synode inscrirai-je « donne lecture du sénatus-consulte » ? Quand il faudra tirer quelque passage des prophètes ou des apôtres, suffira-t-il d’écrire : « donne lecture du témoignage » ? En effet, c’est exactement comme cela que procède Cicéron ! N’éviterai-je pas ainsi de contaminer mon style cicéronien par du vocabulaire non cicéronien ?

[928] Nosoponus Mais que veux-tu à la fin ? Nous conseilleras-tu de parler comme écrivaient Saint Thomas d’Aquin et Duns Scott ?

[930] Bulephorus Si le meilleur orateur est celui qui parle de la façon la mieux adaptée au sujet, alors il vaudrait mieux parler de religion à leur manière que d’imiter Cicéron en ce domaine. Mais il y a quand même un juste milieu entre les Scotts et les singes de Cicéron ! [931] Ce qui ne se trouve pas chez Cicéron n’est pas automatiquement du mauvais latin ! D’ailleurs comme on l’a souvent fait remarquer, « Tout Cicéron » n’a pas subsisté ; et même s’il restait tout entier, il n’a pas traité tous les sujets ; et s’il avait traité tous les sujets de ces temps anciens, il n’a pas traité des réalités de notre époque et ne les a pas même connues !

[933] Pour finir, en ce qui concerne la propriété des expressions et la correction du style, on ne peut pas dire que Varron le cède à Cicéron et sur ce point, César lui est préféré comme supérieur. D’ailleurs Cicéron ne fut ni l’inventeur ni le père de la langue romaine ! C’était un très grand orateur certes : de première force dans ses plaidoieries au tribunal civil, un peu moins bon que certains dans d’autres secteurs ; froid en poésie, assez peu talentueux dans ses traductions grecques : ce qu’il aurait fait dans d’autres domaines est difficile à imaginer !
[935] S’il faut que je parle du mariage, dont les principes sont aujourd’hui si différents de ce qu’ils étaient autrefois, et dont Marcus Tullius n’a rien écrit, hésiterais-je à emprunter des expressions ou des termes à Aristote, à Xénophon, à Plutarque, aux Saintes Ecritures, à Tertullien, à Saint Jérôme et à Saint Augustin de peur de ne pas avoir l’air assez cicéronien ? [936] De même s’il faut que j’expose les préceptes de l’agriculture ne me sera-t-il pas permis de cueillir ce qui me plaît chez Virgile, Caton, Varron, Colllumelle?

[937] Si l’on considère comme barbare tout ce qui est nouveau et récemment apparu, il n’y a pas un mot qui n’ait été un jour barbare ! Combien de termes nouveaux trouvera-t-on chez Cicéron lui-même, principalement dans les livres où il traite de rhétorique ou de philosophie !
[939] Qui avant Cicéron avait déjà entendu les termes de « beatitas » et « beatitudo » (bonheur) ?
[940] Que veut dire « La fin des biens » pour les Latins, alors que dans son œuvre cela désigne le « souverain bien », ou ce en quoi l’on place le plus haut degré de la félicité ?
[929] Thomas ae m : Saint Thomas d’Aquin (1225-174) Scotus i m : Jean Duns Scot (vers 1266 à Duns - 1308 à Cologne) Durandus i m : Guillaume Durand 1230 1296. [940] Le De finibus bonorum et malorum de Cicéron.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[941] Quid nobis sonat "uisum" et "uisio" "species" "praepositum" et "reiectum" ? [942] Quid Latinis auribus sonat "occupatio", quid "contentio", quid "superlatio", quid "complexio", quid "traductio", quid "frequentatio" "licentia" "gradatio", quid "status" et "constitutio", quid "iudicatio", quid "continens", quid "firmamentum", quid "demonstratiuum genus", quid "inductio", quid "propositum", quid "aggressio", quid "insinuatio", quid "acclamatio", quid aliae uoces innumerae, quas aut prius Latinis inauditas ausus est fingere aut in eam significationem detorsit, quam populus Romanus non agnoscebat ? 
[941] Pour nous que veut dire Visum  (chose vue) ; Visio (vision) ; species : (espèce/ nature) ; praepositus ( préposé = évèque) ; rejectus : (rejecté = excommunié) ? Aux oreilles d’un Latin, que voulaient dire  occupatio ; contentio ; superlatio ; complexio ? Que voulaient dire traductio ; frequentatio ; licentia ; gradatio ? Que signifiaient status et constitutio ? Que voulaient dire judicatio ; continens ; firmamentum ? Que signifiaient demonstrativum genus,  inductio, propositum ; aggressio ; insinuatio ; acclamatio ;
Quelle signification devaient avoir tous ces autres mots que Cicéron osait forger et que l’on n’avait jamais entendu de mémoire de Latin, ou qu’il détournait en un sens que le peuple romain ne reconnaissait pas ?
Je suppose qu’ici Erasme veut dire que ces mots ont pris des sens particuliers aux Chrétiens, que les latins n’auraient pas compris? Pour qq uns de ces termes on voit nettement l’évolution du sens vers des emplois rhétoriques, grammaticaux ou philosophiques.
.’! [940] F+nis, is, m. f. : 1  limite ; pl. frontières ; territoire ;  2 - fig. bornes, limites, mesure. 3 - fin, cessation, terme, point final, fin  de la vie, mort ;   4     5 - but (fin) d'une chose.     6  définition (Quint.) .  7 - mesure, proportion.  4 - le degré suprême, le comble ; cf grec Ä­»¿Â.     «  Sentis me, quod Ä­»¿Â Graeci dicunt, id dicere tum extremum, tum ultimum, tum summum ; licebit etiam finem pro extremo aut ultimo dicere », Cic. Fin. 3, 26 : « tu le remarques, ce que les Grecs appellent Ä­»¿Â je l'appelle tantôt l'extrémité, tantôt la limite, tantôt le sommet; je pourrai même, au lieu d'extrémité ou de limite, l'appeler terme (degré suprême) » Fines bonorum et malorum, Cic. Fin. 1, 55 : le degré suprême des biens et des maux.            Finis bonorum, Cic. Leg. 1, 52 : le souverain bien.
.( [ Ph. 941 ] Visum, i, n. : - 1 - ce qu'on voit, spectacle, vision. - 2 - vision nocturne, songe, rêve. - 3 - vision, prodige. - 4 - représentation (des objets dans l'esprit), image.  Visio : vision, prophétie révélation Species iei f : espèce ( nature divine et humaine du Christ) Praepositus i m : (St. Cyprien) = pasteur, évèque  : Rejectus : rejeté ; excommunié
.( [ Ph. 942a ] Occupt-o, Mnis, f. : - 1 - action de prendre possession, - 2 - occupation, affaire. - 3 - préoccupation. Cicéron lui donne un sens particulier en rh. : « ante occupatio », Cic. de Or. 3, 53, 205 : action de prévenir les arguments de l'adversaire.
.( [ Ph. 942] Content-o, Mnis, f. : - 1 - tension, effort [& ] - 2 - lutte, combat, rivalité, conflit, polémique. Nveaux sens chez Cic.Varron Quint. ’! effort de la voix= éloquence soutenue ; comparaison ; contradiction ; antithèse (t. de rhét.) ; degré de comparaison (Gram.Varron)
.( [ Ph. 942] Superlatio, Mnis, f : 1 - exagération, hyperbole (Rh.à Herennius et Cic.) 2  le superlatif. Quint. 1,5 45 ; Pour Saint Augustin = le survol des eaux par l esprit saint, avant la création !
.( [ Ph. 942] Complexio, Mnis, f. : - 1 - assemblage, jonction, union, liaison.  Verborum complexio (cic.)  : assemblage de mots ; [& ] Nveaux sens ’! 2 - conclusion (d'un raisonnement), résumé, sommaire. - 3 -  complexion (t. de rhét. Anaphore en début et en fin de phrases ; ou = rétorsion : retourner l argt de l adversaire contre lui-même ). - 4  contraction, synérèse
.( [ Ph. 942] Traductio (transductio), Mnis, f. : action de faire passer d'un état/ d un lieu / à un autre ; écoulement du tps [& ] Nouveaux sens rh. métonymie ; répétition d un mot .  et chez les Chrétiens Vulg. censure, punition ! Traducere : [& ] « traduire ».
.( [ Ph. 942] Frequentt-o Mnis f : abondance, grand nombre, emploi fréquent ’! accumulation rh.
.( [ Ph. 942] L-cent-a, ae, f : permission, faculté, pouvoir ; . - 2 - excès ou abus de liberté [& ] ; abus de pouvoir, ’! fougue déréglée (de l'orateur), hardiesse (de style) [& ]
.( [ Ph. 942] Grdt-o, Mnis, f : gradins, degrés ; escalier ; gradation
.( [ Ph. 942] Sttms, ks, m : état de repos ; posture ; position [& ] situation, état (des choses) ; position du guerrier ; condition sociale ; stature ; Sens introduits : ’! = Grec £Äqù (stasis) position que prend l orateur pour repousser l attaque de l adversaire ; Status causae : position de la question ; nature de la question à débattre, etc.
.( [ Ph. 942] Constitut-o, Mnis, f. : état condition situation organisation ; constitution (pol.), institution. Nveaux sens rh ou phil. : définition ; fond de la cause, point à juger ; [& ]
.( [ Ph. 942] Judict-o, Mnis, f. : action / pouvoir de juger, jugement, délibération ; enquête judiciaire. ’! point à juger, question, chef d'accusation
.( [ Ph. 942] Continens, continentis, part. prés. de contineo : retenir contenir [& ] ’! au n. principal, l essentiel [& ]  Continens causae, Quint : l'essentiel,le point fondamental de la cause.
.( [ Ph. 942] firmmentum, i, n. [firmo] :  ce qui affermit, appui, étai.  - fig. Firmamentum accusationis, Cic. Mur. 58 : le principal soutien de l'accusation Terminologique ’!   force confirmative, moyen de prouver (Cic.) ; rhét. le point essentiel = gr. Äx ÃŽ­Ç¿½.    Cic ; Her.; Quint. Chrétiens  le firmament.  Tert./Vulg. 
.( [ Ph. 942] Induct-o, Mnis, f. : action d introduire (en ts sens) ; détermination, résolution, [& ] ; t. de log. (Cic) : induction.
.( [ Ph. 942] [ Ph. 942] Propositum, i, n. : ce qu'on a mis en avant, plan dessein but résolution [& ] sens rh. chez Cic. ’! sujet traité ; thème ; thèse ; majeure d un syllogisme
.( [ Ph. 942] Aggress-o Mnis f : aggression, attaque, assaut Rhét.. Epichérème Quint. 5, 10,14
.( [ Ph. 942] Ins-nmt-o, Mnis, f : action de s'introduire, de pénétrer (en parl. de la mer) action de dire, discours. C. Just. déposition, rapport, relation. Rhét. exorde insinuant.
.( [ Ph. 942] Acclmt-o (adclmt-o), Mnis, f. :  acclamation ; huées ; action de crier ; rhét.exclamation Quint. 8, 5, 11.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 2)
[160,943] Hoc ille, reclamante saeculo, non est ueritus facere, cum philosophorum Graecorum dogmata Latinis auribus traderet et, ut quod erat in praeceptis rhetorum, peculiaribus uocabulis in hoc proprie repertis explanaret, nonnullas peregrinas uoces ciuitate Romana donauit : et nos piaculum admissum credimus, si rebus nouatis uocibus aliquot nouis utamur ?

[944] Nulla est ars humana, cui non concedimus ius utendi suis uocabulis. [945] Licet grammaticis dicere "supinum" et "gerundium", mathematicis "sesquialteram" et "superbipartientem", habent agricolae et fabri propria suarum artium uocabula : et nos caelum terrae miscemus, si nostrae religionis mysteria suis uerbis explicemus ?


[946] Voces aliquot Hebraicae, complures Graecanicae (quoniam e Palaestina, Asia minore et Graecia primum ad nos demanauit Christiana philosophia) una cum ipsis rebus inuectae sunt, quod genus sunt : hosanna, amen, ecclesia, apostolus, episcopus, catholicus, orthodoxus, haereticus, schisma, charisma, dogma, chrisma, Christus, baptizo, paracletus, euangelium, euangelizare, euangelista, proselytus catechumenus, exorcismus, eucharistia, symbolum, anathema ; nonnullas prisci Christianae religionis antistites usurparunt, quo commodius possent de rebus tam sublimibus disserere, cuiusmodi sunt «homoousios », quod nos "consubstantialis" uertimus, "fides" "gratia" "mediator" et si qua sunt alia, quae antehac uel inaudita Latinis erant uel non in eundem sensum usurpata.
[162,947] Num igitur tanti nobis erit dici Ciceronianum, ut de rebus, de quibus solis erat loquendum, prorsus sileamus aut uerbis uel ab apostolis traditis uel a maioribus repertis et in hunc usque diem tot saeculorum consensu receptis abstinebimus, alia quaedam in illorum locum pro suo quisque arbitrio comminiscentes ?
[948] Immo mel, piper et sinapi cum suae nationis uocabulis receperunt primum Graeci mox Latini : et nos fastidimus aliquot dictiones, quae nobis cum illa caelesti philosophia per Christum, per apostolos, per afflatos sacro spiritu patres ueluti per manus traditae sunt, atque interim ad Ciceronem confugimus inde mutuo sumpturi uoces, uidelicet « en tê phakê muron » quod apud Graecos dici solet?
[160,943] Tout cela il n’a pas craint de le faire, malgré les protestations de son siècle, quand il a entrepris de transmettre les doctrines des philosophes grecs à des oreilles latines. Pour pouvoir expliquer les préceptes des rhéteurs grecs à l’aide des termes spécifiques inventés pour cela, il accorda de même le droit de citoyenneté romaine à un certain nombre de vocables étrangers : et nous, nous croirions commettre un sacrilège si nous employions quelques mots nouveaux pour nommer des réalités nouvelles?

[944] Il n’y a aucun art inventé par les hommes auquel nous n’accordions pas le droit d’utiliser son propre vocabulaire. Il est permis au grammairien de dire  supin et gérondif comme au mathématicien de parler de nombres sesquialtères ( n + ½ =3/2 de n) ou superbipartients ( n + 2/3 = 5/3 de n) ; les paysans et les ouvriers ont un jargon propre à leur métier : et nous on nous accusera de renverser le ciel par-dessus la terre si nous tentons d’éclaircir les mystères de notre religion par les mots qui lui sont propres ?

[946] Quelques mots hébreux, un peu plus de mots grecs (il faut dire que la philosophie chrétienne nous est d’abord venue de Palestine, d’Asie mineure, et de Grèce) ont été introduits dans notre vocabulaire en même temps que les choses elles-mêmes comme par exemple : Hosanna ! Amen ! eglise, apôtre, évèque, catholique, orthodoxe, hérétique, schisme, charisme, dogme, chrisme, baptiser, paraclet, evangile, évangéliser, évangéliste, prosélyte, catechumène, exorcisme, eucharistie, symbole, anathème. Il y en a un certain nombre que les premiers chefs de la religion chrétienne ont employé pour pouvoir discuter plus commodément de sujets si sublimes : ce sont par exemple « homoousios » que nous, nous rendons par « consubstantiel » d’autres par Foi, Grâce, Médiateur (Intercesseur), et tous ceux que les Latins n‘avaient jamais entendu auparavant, ou du moins qui n’étaient pas utilisés dans le même sens.


[162, 947] Mais le titre de cicéronien a-t-il un un tel prix à nos yeux, que nous garderons carrément le silence à propos des seules choses dont il faudrait vraiment parler ? Ou nous abstiendrons-nous d’utiliser les termes transmis par les apôtres, tout comme ceux que nos premiers pères ont trouvés et que l’on a acceptés unanimement pendant des générations jusqu’à ce jour, pour en inventer d’autres à leur place, chacun selon notre goût ?
[948] Non mais c’est quand même fort ! Les Grecs d’abord, et les latins ensuite ont accueilli parmi les mots de leur langue maternelle « miel », « poivre », « moutarde » et nous, nous repoussons avec dégoût les quelques termes qui nous ont été transmis, pour ainsi dire de la main à la main en même temps que cette philosophie céleste, par le Christ, par les apôtres, par les premiers pères qu’inspirait le Saint Esprit, et dans le même temps nous nous réfugions auprès de Cicéron pour lui emprunter quelques expressions que nous versons dans notre discours « comme du parfum dans les lentilles », pour dire comme les Grecs. Voir Adages I,VII, 23 «  in lente unguentum ». cf. [sites.univ-lyon2.fr/lesmondeshumanistes/.../Adages-tome-1.pdf] Voir tome I, p. 571 de cette édition.*****************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[949] Siquis nobiscum summo iure contendat, citius diceret Ciceronis uerbis, figuris ac numeris Christianae philosophiae maiestatem foedari. [950] Verum istis non assentior ; mihi placet in quauis materia nitor ac mundities orationis. [951] At non ille dicit Ciceroniane, qui Christianus apud Christianos de re Christiana sic loquitur, quemadmodum olim ethnicus apud ethnicos de rebus profanis locutus est Cicero, sed quemadmodum ille eo praeditus ingenio quo tum erat, eo dicendi usu, ea rerum nostrarum cognitione qua tum profanarum erat instructus, postremo sic inflammatus studio pietatis erga rem publicam Christianam, quemadmodum tum uel gloria uel studio flagrabat in urbem Romanam et in maiestatem Romani nominis, dicturus esset hodie Christianus apud Christianos, si uiueret.

[164, 952] Hoc qui praestare ualet, prodeat, et aequis animis feremus illum dici Ciceronianum, si tantopere ducitur huius amore cognominis.

[953] Ipse M- Tullius, si uiueret hoc rerum statu, Dei patris nomen non iudicaret minus elegans quam Iouis O- M-, nec minus decoris putaret accedere dictioni, si subinde repeteret Iesum Christum quam si Romulum aut Scipionem Africanum aut Q- Curtium aut M- Decium. [954] Nec minus splendidum existimaret ecclesiae catholicae nomen quam patrum conscriptorum, quam Quiritium, quam senatus populique Romani.
[955] Diceret nobiscum "fidem in Christum", diceret "infideles" qui a Christo sunt alieni, diceret "paracletum spiritum", diceret "sanctam trinitatem".

[956] Quod dico probabilibus argumentis colligi potest. [957] Num illum deterruit elegantiae studium, quominus in Philippicis, dum praeit formulam senatus consulti, utatur uerbis sollemnibus magis quam Latinis ? [958] An non in Topicis utitur uerbis iureconsultorum longe alienis a phrasi rhetorica? [959] An ille fastidisset uerba nostrae philosophiae peculiaria ?

[960] Nosoponus Mihi quidem uideris satis feliciter declamare.
[961] Bulephorus Ad haec nonne gratia sermonis bona ex parte pendet ex condituris et allusionibus ? [962] At M- Tullius unde sumit haec condimenta? [166,963] Nonne ex Homero Euripide Sophocle Ennio Lucilio Accio Pacuuio Naeuio, tum ex philosophorum et historicorum libris ?

[949] En poussant cette discussion jusqu’à la dernière rigueur on en arriverait rapidement à déclarer que les mots, les figures, et les cadences de Cicéron entachent la majesté de la philosophie chrétienne. Mais je ne partage pas cette opinion ; il me plaît qu’un discours s’orne d’éclat et d’élégance, quel qu’en soit le sujet. [951] Seulement on ne peut pas dire qu’il s’exprime en cicéronien, le chrétien qui parle devant des chrétiens d’un sujet chrétien dans les mêmes termes qu’employait autrefois Cicéron, qui était un païen, pour traiter un sujet profane devant un public païen. Le véritable cicéronien parlera comme parlerait aujourd’hui Cicéron s’il vivait de nos jours : en chrétien, devant une assemblée de Chrétiens, avec le talent qu’il avait en son temps, avec la pratique du discours qui était la sienne, aussi instruit des questions de notre religion qu’il était féru des problèmes profanes de son époque, aussi zélé enfin et aussi enflammé d’un pieux amour pour la République Chrétienne que celui dont il brûlait à l’égard de la cité de Rome et du nom romain, soit par désir d’acquérir de la gloire soit par pur dévouement.
[164,952] Celui qui peut fournir une telle prestation : qu’il s’avance et nous n’aurons aucune réticence à lui reconnaître le titre de cicéronien, puisqu’il est animé d’un tel amour pour ce nom !
[953] Quant à Marcus Tullius, s’il vivait dans notre monde et partageait notre culture, il ne jugerait pas le nom de Jésus Christ moins distingué que celui de Jupiter très bon et très grand. Il ne penserait pas moins rehausser l’éclat de son discours par la répétion du nom de « Jésus Christ » que par l’anaphore de « Romulus » ou de « Scipion l’Africain» ou de « Quintus Curtius » ou de « Marcus Decius ». [954] Il n’estimerait pas l’expression « Eglise catholique » moins brillante que « Pères conscrits », « Quirites » ou « Sénat et Peuple Romain ». [955] Il parlerait comme nous de la « foi en Jésus Christ » ; nommerait « infidèles » ceux qui vivent éloignés du Christ, il dirait aussi « le Vent Paraclet » et la « Sainte Trinité ».

[956] Il ne manque pas de bons arguments pour conclure à ce que j’avance. [957] Est-ce que le souci de la correction a empêché Cicéron, dans les Philippiques, au moment de citer la formule du Sénatus-consulte, d’utiliser les termes consacrés par la tradition plutôt que les mots du latin courant ? [958] Est-ce qu’il n’a pas employé dans les Topiques le jargon des jurisconsultes, si éloigné du style des orateurs ? Un homme comme lui (ille) serait-il vraiment dégoûté par les termes propres à notre philosophie ?

[960] Nosopon A vrai dire, il me semble que tu ne t’en tires pas mal, quand tu te mets à déclamer !

[961] Bulephorus Mais en outre est-ce que la beauté du style ne tient pas aussi aux épices qui le relèvent et aux allusions dont on joue ? Mais Marcus Tullius, lui, d’où tire-t-il les assaisonnnent de ses discours? N’est-ce pas d’Homère, Euripide, Ennius, Accius, Pacuvius, Naevius et d’un autre côté des livres des philosophes et des historiens ? [957] Peut-être Philippique V, 15 : texte entièrement cité d’un Sénatus consulte décernant à Lépide une statue équestre.
[961] Allusio ionis f : action de jouer ; caresse, allusion ; « Facetiae sunt condimenta sermonum » ( Cic. de Or. 2,271) : la plaisanterie est l’assaisonnement de la conversation. ********************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[964] Nosoponus Nimirum sine his ornamentis sordida ac triuialis est oratio. [965] Haec ceu gemmmae flosculiue intertexta reddunt admirandum quod scribitur.

[966] Bulephorus Quid ? si nos eadem petamus ex Virgilio, Flacco, Ouidio, Seneca, Lucano, Martiale : num hac parte dissimiles erimus Ciceronis ?

[967] Nosoponus Istuc concedunt, licet aegre. [968] Habet enim apud Ciceronem nescio quid maiestatis antiquitas eorum, quorum dicta refert.

[969] Bulephorus Qui fit igitur, ut nos existimemus totam orationem conspurcatam, si condimenta, quae Cicero petebat ethnicus ab ethnicis, nos ex antiquissimis prophetis, Mose, psalmis, euangelicis et apostolicis literis petamus ?

[970] Admirandam quandam gemmam appositam existimamus, si quod Socratis dictum admiscuerimus orationi : et maculam accessisse credimus, si quid admixtum erit e prouerbiis Salomonis ? [971] An prae Socrate nobis putet Salomon ? [972] Si quid ex Pindari Flacciue dictis fuerit interiectum, splendet oratio : et sordescit, si quid e sacris psalmis apte fuerit attextum ?

[973] Pondus ac maiestatem additam arbitramur orationi, si quam Platonis sententiam inseruerimus : et plurimum gratiae decessisse uidetur, si quam Christi sententiam ex euangelicis literis addiderimus? [974] Unde haec tam praepostera iudicia? [975] An Platonis sapientiam uehementius admiramur quam Christi? [976] An libri spiritus caelestis afflatu proditi sordent nobis prae scriptis Homeri Euripidis aut Ennii ?

[977] Quin missam hic faciamus spiritus sacri mentionem, ne uideamur diuina cum humanis conferre. [168,978] Historia, si fidem detrahas, ne nomen quidem historias meretur. [979] Hic mihi confer, si libet, fabulosum Herodotum cum Mose, confer historiam orbis conditi, exitus ab Aegypto cum Diodori fabulis, confer libros Iudicum et Regum cura T- Liuio, qui non raro secum ipse dissidet in rerum gestarum narratione, tantum abest ut nusquam aberret a uero, confer Platonem cum Christo, Socratis g-eirohneias cum Christi caelestibus oraculis, confer psalmos nihil humani spirantes cum Pindaricis adulationibus, confer Salomonis canticum cum Theocriti naeniis. [981] Siue personas spectes siue rem, nihil simile.
[964] Nosoponus Rien d’étonnant à cela ! Sans ces ornements le discours est triste et plat ! Comme des pierres précieuses ou de jolies fleurs entrelacées au discours, ce sont ces insertions qui rendent ce qu’on écrit admirable.
[966] Bulephorus Et alors ? Si nous, nous demandons les mêmes assaisonnements à Virgile, Horace, Ovide, Sénèque, Lucain, Martial : serons-nous en cela si différents de Cicéron ?
[967] Nosopon On admet en général ces emprunts, quoiqu’avec un peu de réticence. Chez Cicéron, en effet, l’antiquité de ceux dont il rapporte les écrits comporte, quelque mystérieuse majesté.

[969] Bulephorus Comment se fait-il alors nous trouverions notre discours entièrement gâté si nous allions chercher dans les écrits de nos Prophètes les plus antiques, chez Moïse, dans les Psaumes, les Evangiles, ou les lettres des Apôtres les condiments et les épices que Cicéron en tant que païen empruntait aux auteurs païens ?
[970] Nous considérons que nous avons serti quelque admitable pierre précieuse dans notre discours quand nous y avons mêlé une sentence socratique : et nous croyons l’avoir maculé d’une tache si nous avons intégré quelque citation des Proverbes de Salomon ? Mais est-ce que nous trouvons Salomon si misérable en comparaison de Socrate ? Si y on introduit quelque expression prise à Pindare ou à Horace, notre discours est brillant! Le voilà terne et sans éclat si l’on y a entrelacé quelque passage bien choisi des Psaumes de l’Ecriture Sainte ?
[973] Nous croyons avoir donné du poids et du sérieux à notre propos quand nous y avons inséré quelque citation de Platon : et il nous semble avoir perdu beaucoup de sa grâce si nous y avons ajouté une citation du Christ, extraite des Evangiles ? [974] Mais d’où viennent ces jugements si déplacés ? [975] Admirons-nous vraiment la sagesse de Platon plus passionnément que celle du Christ ? [976] Est-ce que les livres produits sous l’inspiration du Saint Esprit nous paraissent si méprisables en comparaison des œuvres d’Homère, d’Euripide ou d’Ennius ?

[977] Et même : ne faisons pas ici mention du Saint Esprit, pour ne pas avoir l’air de comparer ce qui est humain avec ce qui est divin ! [168, 978] Prenons l’histoire : si on ne peut pas lui faire confiance elle ne mérite même pas le nom d’histoire !
[979] Eh bien ! Compare un peu, si tu le veux bien, les récits fabuleux d’Hérodote avec Moïse ! Compare l’histoire de la création du monde et la sortie d’Egypte avec les fables de Diodore ! Compare les Livres des Juges et les Livres des Rois avec les écrits de Tite Live : il se contredit si souvent d’un récit à l’autre qu’il n’est pas possible (croyable) qu’il ne s’écarte jamais du vrai ! Compare Platon avec le Christ, les questions ironiques de Socrate avec les divins préceptes du Christ ! Compare les Psaumes que rien d’humain n’alourdit, avec les flatteries de Pindare ! Compare le Cantique de Salomon avec les Idylles de Théocrite ! Si tu considères les personnes et le contenu : il n’y a aucune comparaison possible ! *******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[982] Habet diuina sapientia suam quandam eloquentiam, nec mirum si nonnihil diuersam a Demosthenica seu Ciceroniana, cum alius cultus deceat summi regis uxorem, alius gloriosi militis amicam.

[983] Hoc dicturus eram, si quis uerba cum uerbis, figuras cum figuris, numeros cum numeris incipiat comparare : An dulcius sonat auribus nostris "Thessala Tempe" quam "Mons Sion"? an plus habet maiestatis "a diis immortalibus datum" quam "a Deo patre datum" ? an iucundius est auribus nostris "Socrates Sophronisci filius" quam "Iesus Dei filius Deus"? [984] Cur magis blanditur auribus nostris "Hannibal Poenorum imperator" quam "Paulus gentium doctor" ?
[985] Si personas aestimes, ille Romano imperio moliebatur exitium, hic salutiferam philosophiam inuexit.
[986] Si uoces conferas, quaeso, quid interest ?

[987] Hypologus Si uerum fateri uolumus, nihil nisi quod apud homines plurimum ualet uel quae semel occupauit animum persuasio uel penitus hausta imaginatio.
[170,988] Hoc accepimus, hoc penitus insedit animis nostris uoces illas esse politas ac splendidas, has inamoenas et barbaras.

[989] Bulephorus Rem acu tetigisti. [990] Sed quae res istuc persuasit animis nostris ?
[991] Hypologus Nescio.
[992] Bulephorus Res ipsa?
[993] Hypologus Non opinor.
[994] Bulephorus Vis eloquar, quod uero uerius est?
[995] Hypologus Per me quidem impune.

[996] Bulephorus Huius exspecto uocem.

[997] Nosoponus Utere iure quod stipulanti concessimus.
[998] Bulephorus At uereor ne parum uideatur Ciceronianum quod dicturus sum.
[999] Nosoponus Hic nihil refert.
[982] La sagesse divine a une forme d’éloquence qui lui est propre, et il n’y a pas à s’étonner de voir qu’elle se distingue quelque peu de celle de Démosthène ou de Cicéron : après tout, autre est la parure qui convient à l’épouse du Grand Roi, autre est le costume qui va à la maîtresse du soldat fanfaron !

[983] Mais à celui qui se mettrait à comparer les mots avec les mots, les figures avec les figures, les rythmes avec les rythmes voici ce que je répondrai : est-ce que  « La Vallée du Tempé » sonne vraiment plus doux à nos oreilles que « La montagne de Sion » ? Est-ce que « donné par les dieux immortels » a plus de majesté que « donné par Dieu le père » ? Est-ce que « Socrate fils de Sophonique » est plus agréable à nos oreilles que « Jésus, Dieu fils de Dieu » ? [984] Pourquoi « Hannibal général des Carthaginois » flatte-t-il plus nos oreilles que «  Paul éducateur des païens » ?
[985] Si tu veux juger de leur personne : l’un travaillait à la destruction de l’empire romain, l’autre y introduisit la philosophie du salut !
[986] Si tu compares les mots dis-moi je te prie ce qui les différencie ?

[987] Hypologus : Rien, si nous voulons bien reconnaître la vérité ! Rien ! si ce n’est que chez les hommes ce qui a plus de poids que n’importe quoi c’est soit l’opinion qui s’est emparée de leur esprit une fois pour toutes, soit l’imagination qu’on puise au plus profond de soi. [988] C’est à cause de cette tendance que nous acceptons l’idée que telles expressions sont raffinées et brillantes et que telles autres au contraires sont choquantes et barbares, et qu’elle fait son siège dans nos esprits.
[989] Buléphore Tu as mis le doigt sur le problème ! Mais quelle force a réussi à persuader nos esprits de cela?
991] Hypologus Je ne le sais pas.
[992] Bulephorus Est-ce le sujet lui-même ?
[993] Hypologus A mon avis, non.
[994] Bulephorus Veux tu que je te dise la vérité vraie ?
(ce qui est plus vrai que vrai ?)
[995] Hypologus De moi du moins, tu n’a rien à craindre !
[996] Bulephorus C’est la voix de Nosopon que je veux entendre.
[997] Nosoponus Sers toi de la permission que nous t’avons accordée quand tu nous l’as demandée !
[998] Bulephorus C’est que je crains bien que ce ne soit pas très digne d’un Cicéronien ce que je vais dire là !
[999] Nosopon Entre nous cela n’a pas d’importance.
[982] Erasme a peut-être en tête « le grand roi » = le roi de Perse, auquel s’oppose traditionnellement le « soldat fanfaron » (Plaute).
[984] Imperator / doctor : homéotéleutes. Poenorum/ gentium dans une moindre mesure se font aussi écho.
[987] Persuasio : action de persuader ; persuasion ; opinion croyance (et dans ce contexte la « foi chrétienne » cf. supra ph. 909).
Imaginatio ionis f : image vision ; pensée méditation ; illusion ; et selon Lewis &Short Imagination après St.Augustin. Sur le modèle de « notitiam haurire » ou « cognitionem haurire » ( tirer une connaissance de qq source), « imaginationem haurire » signifierait « se faire une représentation imaginée  de qqc. Se faire une idée » etc. Mais de quelle source provient cette représentaiton erronnée ? De l’opinion implantée dans l’esprit ( persuasio) ?   De l’esprit lui-même ce qui revient à désigner l’imagination, comme principe de production de visions intérieures. ( Soit imaginatio hausta ex ea persuasione ; soit imaginatio hausta ex imo animo. ******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[1000] Bulephorus Paganitas est, mihi crede, Nosopone, paganitas est, quae ista persuadet auribus atque animis nostris. [1001] Titulo dumtaxat sumus Christiani. [1002] Corpus aqua sacra tinctum est, sed illota mens est ; frons cruce signata est, animus crucem exsecratur ; Iesum ore profitemur, sed Iouem O- M- et Romulum gestamus in pectore.

[1004] Alioqui, si uere, quod dicimur, essemus, quod tandem sub sole nomen oportuit uel cogitationibus uel auribus nostris esse iucundius nomine Iesu ?
Per quem a tantis malis erepti, cuius gratuita benignitate ad tantem dignitatem uocamur, ad aeternam felicitatem inuitamur, ad cuius mentionem contremiscunt impii spiritus generis humani plus quam capitales hostes, ceruices ac genua submittunt aethereae mentes ; quod tam efficax est, ut ad huius inuocationem fugiant daemones, cedant immedicabiles morbi, reuiuiscant mortui, tam blandum et amicum, ut nulla sit tam acerba calamitas, quin magno solatio leniatur, si Iesum ex animo nomines.

[172,1005] Et hoc nomine persuademus nobis sordidari nitorem orationis, cum Hannibal et Camillus mera sint orationis lumina? [1006] Eiciamus, revellamus, profligemus ex animo paganitatem hanc, pectus uere Christianum ad lectionem adferamus, et uidebimus lucidissimam stellam additam orationi, quoties Iesu Christi nomen fuerit insertum,
eximiam accessisse gemmam, quoties Virginis matris,
quoties Pauli Petrique nomen admiscebitur,

multum decoris accessisse, quoties ex diuinarum litterarum adytis, quoties e spiritus sancti lecythis ac myrotheciis sententiam uiderimus interiectam, modo in loco, modo ex animo,

multoque plus dignitatis adiunctum dictioni, quam si ex Ennianis aut Accianis scriptis X milia dictorum, quae in illis habentur uenustissima, fuissent addita.

[1007] Hypologus Isto sane pacto uitatur, ne quid haereseos insimulent theologi.

[1000] Buléphore C’est le Paganisme, crois moi Nosopn, c’est le paganisme qui persuade nos oreilles et imprègne nos nos intelligences de tels préjugés. [1001] Nous ne sommes chrétiens que par le nom ! Notre corps a été trempé dans l’eau sacrée du baptème, mais notre esprit n’est pas lavé ; notre front a été marqué du signe de la Croix, mais notre esprit exsècre la Croix ! Nous reconnaissons Jésus Christ du bout des lèvres mais c’est Jupiter très grand et très bon que nous portons dans notre cœur.
[1004] S’il en était autrement, si nous étions véritablement ce que l’on dit de nous, quel autre nom au monde, dites moi, devrait être plus agréable à nos esprits et à nos oreilles que le nom de Jésus ? Lui par qui nous avons été arrachés à de si grands maux ; Lui dont la bonté gratuite nous appelle à une si grande dignité et nous invite à une félicité éternelle ; Lui dont le seul nom fait trembler les esprits impies (les démons), qui sont les plus mortels ennemis du genre humain ; Lui dont le seul nom fait plier le genou et courber la nuque aux âmes célestes (anges). Son nom est si efficace qu’il fait fuir les démons, que les maladies incurables cèdent, que les morts revivent quand on l’invoque ! Son nom est si secourable et si doux qu’il n’y a pas un seul malheur, si amer soit-il, qui ne s’adoucisse et ne reçoive une grande consolation si l’on prononce le nom de Jésus du fond du coeur.
[172,1005] Et ce nom nous sommes persuadés qu’il ternit l’éclat d’un discours tandis que ceux d’Hannibal et de Camille y jettent une pure clarté? Rejetons de notre esprit ce paganisme, arrachons-le, anéantissons-le ; apportons à notre lecture un cœur vraiment chrétien et nous verrons qu’une étoile resplendissante illuminera (s’ajoutera à) le discours que nous lisons chaque fois que le nom de Jésus Christ s’y trouvera inséré et qu’une pierre précieuse de toute beauté y brillera (ajoutera à) à chaque fois que celui de la Vierge Mère ou de Pierre ou de Paul, s’y mêleront.

Le discours que nous lirons gagnera aussi beaucoup d’éclat chaque fois que nous verrons une formule tirée des santuaires de la Divine Ecriture, ou sortie des réserves parfumées de l’Esprit Saint s’entrelacer aux phrases d’un discours, soit citation réclamée par le sujet soit pur mouvement d’enthousiasme.

Nous verrons aussi que ces citations apportent au style beaucoup plus de dignité que si l’on y avait introduit dix mille expressions prises dans les œuvres d’Ennius ou d’Accius, parmi celles que l’on considère comme les plus délicates chez ces poètes.
[1007] Hyopologus Et de cette façon au moins on évite d’être accusé de quelque hérésie par les théologiens.
Loco ou in loco : à propos, au bon moment, en temps et lieu, à l'occasion, par moments. ex animo : du fond du cœur, sincèrement.
Lectionem : s’agit-il de lire un discours ou de produire un discours ? L’accusation d’hérésie semble contredire l’idée de lecture ; l’emploi des du verbe voir, des futurs antérieurs seconds et des passifs la conforte au contraire.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[1008] Bulephorus Iam si quid est ornatus in tropis ac schematis, id totum est nobis cum Cicerone commune ; rerum maiestate fideque longe sumus illo superiores. [1009] Tantum de uocibus imponit nobis imaginatio paganica, fallit affectus parum Christianus ; ideo putent nobis quae suapte natura sunt pulcherrima quia non amamus : utinam non odissemus ! [1010] Ut enim iuxta Theocriti sententiam amanti pulchra sunt et ea quae pulchra non sunt, ita nihil est odio non deforme.

[174,1011] Veniam ad allusiones, quas si tollas, scis ipse quantum ueneris decedat orationi.
[1012] Cur hic nobis uehementius blanditur, si quis significans aliquem indecenter admixtum alieno gregi dicat "uidisses corchorum inter olera" quam si dicat "uidisses Saulem inter prophetas" , aut si significans quippiam non in loco factum dictumue dicat "in lenticula unguentum " quam "anulum aureum in nare suilla" , aut si significans non fortunae sed bonae conscientiae fidendum esse dicat "in sacrae ancorae praesidio spem esse reponendam" quam si dicat "solidae petrae innitendum" ,
aut si quis uolens boni uiri partes esse alienis inseruire commodis potius quam utilitatis propriae rationem habere dicat "nihil minus decet Christianum hominem quam Aspendium agere citharoedum" quam si dicat ad Pauli dictum alludens "magis esse spectandum quid liceat quam quid expediat" ?
[1013] Haec si persequi laborem, iusti uoluminis res sit ; indicasse sat habeo.

[1014] Quam inhiamus, quam stupescimus, siquod ueterum daemoniorum simulacrum aut etiam simulacri fragmentum nacti fuerimus, et Christi ac diuorum imagines uix aequis oculis aspicimus !
[1008] Bulephorus Pour finir si l’on trouve que les figures et les tropes constituent des ornements : nous avons tout cela en commun avec Cicéron. Par contre, pour ce qui est de l’importance du contenu et de la confiance qu’on peut lui accorder, nous lui sommes de loin supérieurs ! [1009] Finalement ce n’est que du point de vue du vocabulaire que l’imagination païenne nous en impose et qu’une passion peu chrétienne nous égare ; des paroles qui par leur nature sont les plus belles nous dégoûtent parce que nous ne les aimons pas : puissions-nous ne pas en arriver à les haïr ! [1010] Comme le dit en effet une sentence de Théocrite, pour celui qui aime tout est beau, même ce qui ne l’est pas ; inversement sous le regard de la haine il n’est rien qui ne soit laid.
[1011] J’en viens maintenant aux allusions : tu sais bien toi-même de quel éclat on prive le discours en les supprimant !  
[1012] Pourquoi éprouvons-nous un plaisir plus vif à entendre quelqu’un s’exclamer : « On aurait dit du mouron au milieu des légumes !» pour parler d’un homme qui se mêle indûment à un groupe auquel il n’appartient pas, que s’il disait  « On aurait dit Saül parmi les prophètes » ? Ou encore si quelqu’un disait pour parler d’un homme qui agit à contretemps ou ne parle pas à propos : « C’est verser du parfum dans les lentilles » pourquoi cela nous flatte-t-il plus les oreilles que s’il avait dit : « C’est mettre un anneau d’or au groin d’un cochon ». Ou encore si pour exprimer l’idée qu’il vaut mieux se fier à l’honnêteté de sa conscience qu’à la fortune quelqu’un disait : « Il faut placer son espoir dans la protection d’une ancre sacrée » pourquoi éprouve-t-on plus de plaisir à entendre cela que « Il faut prendre appui sur une pierre solide » ? Si quelqu’un prétendant (voulant) que le rôle de l’homme de bien soit de servir les intérêts d’autrui plutôt que de ne tenir compte que des siens propres, disait : « Rien ne convient moins à un chrétien que de jouer les Citharède d’Aspende ! », pourquoi en éprouverait-on plus grand plaisir que s’il disait en faisant allusion à la formule de Saint Paul : « Il vaut mieux considérer ce qui m’est possible que ce qui me convient. »

[1013] Si je voulais poursuivre dans cette voie, il me faudrait encore un bon volume ! Il me suffit d’avoir indiqué ce que je voulais dire.

[1014] Nous restons bouche-bée et sans voix quand nous tombons sur quelque statue d’un des dieux antiques ou même un simple fragment de statue, et c’est à peine si nous jetons un œil bienveillant sur les images du Christ ou des saints !
[1009] Cela répond à la question des phrases [990 - 992] : ce n’est pas le sujet (res ipsa) qui détrourne les orateurs de citer les Ecritures.
[1010] Théocrite, Idylles, VI, 18, 19 : «  ÁÉĹ À¿»»qº¹Â ... Äp ¼· º±»p ÀsƱ½Ä±¹ ».
[1012]Corchoron : (Botanique) Selon Césalpin, on a donné anciennement ce nom au mouron, anagallis ; il ajoute que Théophraste le nommait chorchorus, ou, selon C.Bauhin, corchorus. Ce dernier nom est encore donné par Daléchamps à l épervière, hieracium murorum ; par Gesner à la podagraire aegopodium podagraria ; par Lohel à la corête, à laquelle il est resté. Voyez corête.
Corchorus (Ichthyol. ) Les grecs appelaient ºyÁÇ¿Á¿Â ou ºyÁº¿Á¿Â, une espèce de plante potagère à bas prix, d où était venu chez eux le proverbe : «  º±v ºyÁº¿Á¿Â ½ »qDZ½¿¹Â », corchorus inter olera. Quelques commentateurs d Aristophane ont prétendu que par ce mot les Grecs désignaient un petit poisson sans nulle valeur. (Extrait du Dictionnaire des sciences naturelles,... suivi d'une biographie des plus célèbres naturalistes par Férédéric Georges Cuvier ; voir en ligne :
http://books.google.fr/books?id=-WBIAAAAMAAJ&dq=corchorus+%2B+%22inter+olera%22&source=gbs_navlinks_s ) .
La corète potagère (Corchorus olitorius L.) est une plante de la famille des Tiliaceae originaire d'Inde. On la cultive dans le sud de l'Europe comme plante textile, notamment pour la fabrication de toile de jute (tige), et comme alimentaire (feuilles). Ses feuilles sont utilisées en cuisine (spécialités tunisienne (Mloukhiya ou Mouloukhia), égyptienne, syrienne et libanaise). Autres noms (Fr.) : Corète potagère, jute potager, mauve des Juifs, craincrain, krinkrin. Pour d’autres c’est le mouron. Bref en quel sens Erasme le prend-il ?
« Num et Saül inter Prophetas ? » : Livre des Rois, I, 19,24.
In lenticula unguentum voir Erasme adages 623. I, VII, 23 « In lente unguentum » Voir ci-dessus [Ph. 948]
Anulum aureum : ce qui est incongru n’est pas de percer le groin des porcs d’un anneau : c’est d’en mettre un en or ! On agit ainsi de nos jours encore pour empêcher les cochons d’élevage de détruire le sol et les portes de leurs étables.
« ultima fessis ancora Fabius », Sil. : « Fabius, notre dernière ancre de salut dans la détresse ». // Songer à  « Tu es Petrus, et super hanc Petram aedificabo Ecclesiam meam ». (Mathieu 16,18-19)
Aspendius : citharède d’Aspendos (en Pamphylie), qui jouait si délicatement que lui seul s’entendait ! cf. Cic. Verr. I, 53
Expediat : I, Cor. 6,12 : «  omnia mihi licent, sed non omnia expediunt. » ( Tout m’est permis mais tout ne me convient pas.)
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 2 [Ph. 463-1029]
[1015] Ut admiramur epigramma seu epitaphium in corroso quopiam saxo repertum  : "Luciae coniugi carissimae ante tempus exstinctae Marcellus posuit diis manibus sacrum. [1016] O me infelicem. [1017] Cur uiuo?"
[1018] In huiusmodi cum saepenumero non solum sensus inepti et paganici, uerum etiam insignes reperiantur soloecismi, tamen ea exosculamur -1), ueneramur ac propemodum adoramus antiquitatem, et apostolorum reliquias deridemus.

[176,1019] Si quis quid proferat ex duodecim tabulis, quis non iudicet sacratissimo loco dignum? [1020] Et leges digito Dei tabulis inscriptas quis nostrum ueneratur, quis exosculatur ?

[1021] Quam habemus in deliciis Herculis aut Mercurii aut Fortunac aut Victoriae aut Alexandri Magni Caesarisue cuiuslibet simulacrum nomismate expressum ! [1022] Et ueluti superstitiosos ridemus, qui lignum crucis, qui triadis ac diuorum imagines inter res caras habent.

[1023] Si quando Romae conspicatus es Ciceronianorum « mouseia », recole, quaeso, nuncubi uideris imaginem crucifixi aut sacrae triadis aut apostolorum ? [1025] Paganismi monumentis plena reperies omnia. [1026] Et in tabulis magis capit oculos nostros Iupiter per impluuium illapsus in gremium Danaes -2) quam Gabriel sacrae Virgini nuntians caelestem conceptum, uehementius delectat raptus ab aquila Ganymedes quam Christus ascendens in caelum, iucundius morantur oculos nostros expressa Bacchanalia Terminaliaue turpitudinis et obscoenitatis plena quam Lazarus in uitam reuocatus aut Christus a Ioanne baptizatus.
[1027] Haec sunt mysteria, quae sub Ciceroniani nominis uelo teguntur. [1028] Mihi crede, per speciosi tituli praetextum insidiae tenduntur simplicibus et ad fraudem idoneis adulescentibus. [1029] Paganitatem profiteri non audemus. [1030] Ciceroniani cognomen obtendimus. [1031] At quanto satius esset uel mutos esse nos quam in hunc affectum uenire ! 
[1015] Avec quelle admiration lisons-nous une inscription ou une épitaphe découverte sur une pierre toute rongée ! «  Pour Lucie, son épouse chérie, enlevée avant le temps, Marcellus a posé cette pierre (stèle) consacrée aux dieux Manes.  Comme je suis malheureux ! Pourquoi suis-je encore en vie ? »

[1018] Dans les inscriptions de ce genre en général le sens est simpliste et païen, mais en plus on y trouve des solécismes flagrants! Cela ne nous empêche pas de les louer à bouche que veux-tu, et c’est tout juste si nous n’en adorons pas l’antique vieillesse ; à côté de cela nous tournons en dérision les reliques des Apôtres !

[1019] Si l’on mettait au jour un fragment des Douze Tables, qui ne le jugerait pas digne d’être exposé dans le plus sacré des musées ? Mais quand il s’agit des lois gravées sur les tables par le doigt de dieu, qui d’entre nous les vénère ? Qui les loue d’une bouche aimante ?

[1021] Comme nous faisons nos délices d’un portrait d’Hercule ou de Mercure ou de la Fortune ou de la Victoire ou d’Alexandre le Grand, ou de l’un des Césars, reproduit sur une pièce de monnaie ! Et pourtant nous traitons de superstitieux, et nous nous moquons de ceux qui mettent le bois de la Croix, ou les représentations de la Trinité ou des Saints au rang de trésors bien aimés.

[1023] Si tu as eu l’occasion un jour de visiter à Rome les « musées » des Cicéroniens, essaie de te souvenir je te prie où tu as vu une image du Crucifié ou de la Sainte Trinité ou des Apôtres ! [1025] Tu trouveras tous ces cabinets remplis des monuments du paganisme. [1026] Et sur les tableaux des murs ce qui attire notre œil c’est Jupiter se glissant par l’impluvium dans le sein de Danaé, plus que Gabriel annonçant à la Vierge Marie la conception divine. L’enlèvement de Ganymède par un aigle nous charme plus vivement que l’ascension du Christ dans le ciel. Nos regards s’attardent avec plus de plaisir sur la représentation des débauches et des obscénités qui accompagnent les fêtes de Bacchus et du dieu Terme, que sur une « Résurrection de Lazare » ou un « Baptème du Christ par Jean Baptiste ».

[1027] Voilà les mystères que l’on couvre sous le voile du nom de Cicéron. [1028] Crois-moi, sous le prétexte de ce titre fallacieux, il s’en cache des pièges tendus aux esprits simples et aux jeunes gens faciles à tromper ! [1029] Nous n’osons pas avouer notre paganisme. Nous le voilons du nom de Cicéronianisme.
[1031] Mais comme il vaudrait mieux que nous soyons muets, à tout prendre, plutôt que d’en arriver à cette passion ! [1018] Exosculor ari : couvrir de baisers ; louer. Faut-il prendre le terme au sens propre ?
[1026] Danae au moyen âge était parfois comparée à la vierge Marie parce qu’elle avait conçu sans homme ! Le peintre Jean de Maubeuge la représente (en 1527) ainsi vêtue de bleu marial. Ex Wikipédia.
Voir Térence, L’Eunuque, V. 580-590 Chéréa parle : « Durant ces préparatifs, assise dans sa chambre, la jeune fille regarde un tableau représentant Jupiter au moment où, selon la légende, il fait tomber une pluie d'or dans le sein de Danaé. Je me mis, moi aussi, à le regarder; et parce que Jupiter avait joué bien avant moi un jeu exactement pareil, je prenais un plaisir bien plus vif à voir qu'un dieu se fût métamorphosé en homme et se fût introduit furtivement par l'impluvium sous un toit étranger pour aller séduire une femme ».
[…] Dum adparatur, virgo in conclavi sedet, // suspectans tabulam quandam pictam: ibi inerat pictura haec, Iovem quo pacto Danaae misisse aiunt quondam in gremium imbrem aureum. 585// Egomet quoque id spectare coepi; et quia consimilem luserat iam olim ille ludum, inpendio magis animus gaudebat mihi,// deum sese in hominem convortisse atque in alienas tegulas venisse clanculum per inpluvium fucum factum mulieri.// At quem deum! Qui templa caeli summa sonitu concutit. 590
[1031] Affectus : cette passion peu chrétienne pour la langue cicéronienne a été définie à la [Ph.1009] : « Tantum de uocibus imponit nobis imaginatio paganica, fallit affectus parum Christianus ».******
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 )
— Début de la 3° section — Ce qui correspond à 6° subdivision [F] « Retour au problème de l’imitation et du parfait orateur » [Ph.1030- 1257] dans le plan que propose M. P. Mesnard.
[178,1032] Nosoponus Exspectabam ut adiuuares conatus nostros. [1033] Ceterum nescio quo modo dilapsus alio labefactas animum meum, ne pertendam quod aggressus sum.

[1034] Bulephorus Iam dixi et repeto : non retraho animum tuum a praeclaris coeptis, sed ad ea quae sunt optima surrigo.
[1035] Neque enim haec ideo commemorata sunt, quod arbitrer te talibus affinem affectibus, [1035b] sed illud pro mea virili molior, ut feliciter affectemus Ciceronianam eloquentiam, [1035c] ne, sedulo quidem sed parum rectis judiciis id agentes, nihil aliud assequamur, [1035d] quam ut, dum valde studemus haberi Ciceroniani, nihil minus simus quam Ciceroniani, [1035e] si modo perpetuum esse pateris, quod donasti, Ciceronis esse quam optime dicere ac ne bene quidem dicere qui non dicat apte, [1035f] tum frigidam ac mortuam esse dictionem, quae non proficiscatur e pectore.

[1036] Nosoponus Qui fiet igitur, ut reddamur aliquando germane Ciceroniani ? [1037] Neque enim gravabor tuum sequi consilium, si quod habes meo rectius.

[1038] Bulephorus Hic est quod nobis optare, quod te monere possim, praeterea non multum. [1039] Ingenium ac naturam Ciceronis optare possum nobis, dare non possum. [1040] Habent singula mortalium ingenia suum quiddam ac genuinum, quae res tantam habet vim, ut ad hoc aut illud dicendi genus natur compositus frustra nitatur ad diversum. [1041] Nulli enim bene cessit « theomachia », quemadmodum Graeci solent dicere.

[180,1043] Nosoponus Scio, quod dicis, non indiligenter admonere Quintilianum.
[1044] Bulephorus Sit igitur haec admonitio prima, ne quivis sese addicat ad exprimendum Ciceronem, cujus genius vehementer abhorreat a genio Ciceronis, [1044b] alioqui monstri similis evadet qui, cum a sua nativa forma recesserit, alienam tamen non assequatur.
[178,1032] Nosoponus Et moi qui m’attendais à ce que tu secondes nos efforts ! [1033] Voilà au contraire que, déviant je ne sais comment dans une autre direction, tu ébranles mes résolutions, comme pour m’empêcher d’aller jusqu’au bout de l’entreprise où je me suis engagé.

[1034] Buléphore Je te l’ai déjà dit et je te le répète, je ne cherche pas à te détourner de tes brillants projets, mais je veux orienter tes efforts vers ce qu’il y a de meilleur et de plus élevé.
[1035] En effet, je n’ai pas mentionné ces exemples de comportements païens dans l’idée que tu aurais des penchants pour de tels excès. Pour ma part, voici à quoi je travaille : je voudrais que notre quête de l’éloquence Cicéronienne soit couronnée de succès. Je ne voudrais pas qu’en la poursuivant avec un zèle sincère, certes, mais peu éclairé par la réflexion et alors que nous travaillons tant à nous faire reconnaître comme de vrais Cicéroniens, nous finissions par ne plus l’être le moins du monde. (), si du moins tu continues d’admettre, comme tu l’as accordé tout à l’heure, que le propre de Cicéron est de parler le mieux possible ; et que ne parle pas même bien l’orateur qui ne parle pas de manière adaptée au sujet ; et qu’enfin tout discours qui ne sort pas du fond du cœur est froid et sans vie.

[1036] Nosoponus Qu’est ce qui fera donc un jour de nous de véritables Cicéroniens ? [1037] C’est vrai : je ne rechignerai pas à suivre ton plan si tu en as un meilleur que le mien !

[1038] Bulephorus Voici tout ce que je pourrais souhaiter pour nous et te conseiller ; je n’ai pas grand-chose d’autre. [1039] Le génie personnel et la nature de Cicéron je peux bien les souhaiter pour nous, les donner je ne le peux ! Chaque homme a son génie, qui se compose de quelque chose qui lui est propre et inné et qui a tant de force en soi même que celui qui est prédisposé à tel genre d’éloquence ou à tel autre s’efforcerait en vain de s’y opposer. Comme le disent les Grecs, « lutter contre les dieux » ne mène jamais à rien de bon, pour personne.

[180,1043] Nosoponus Je sais bien ! Ce que tu dis-là, Quintilien n’a de cesse de nous en avertir !
[1044] Buléphore Voici donc ma première recommandation : que personne ne se voue à l’imitation de Cicéron si son génie propre s’oppose en tous points à celui de Cicéron ! Sinon il finira par ressembler à une sorte de monstre, qui aura perdu la forme première que la nature lui avait donnée sans pour pour autant avoir conquis celle de l’autre.  [1032] Conatus nostros : Nos / mes efforts ? Ne pas oublier que Buléphore et Hypologus se sont déclarés atteints de la même maladie que Nosopon. [1040] ad diversum : aller dans le sens contraire ; ou ad diversum  : se diriger vers un autre genre d éloquence.
[1041] Theomachie : dans les chants XX-XXI de l Iliade les dieux se font la guerre. Dans la Théogonie d Hésiode la Gigantomachie succède à la Titanomachie. ˜µ¿¼±ÇµÖ½ voir infra la phrase [Ph.1869] et l Adage 1444. II, V, 44. Cum diis pugnare. ˜µ¿¼±ÇµÖ½, id est cum diis pugnare, dicuntur qui vel naturae repugnant, vel adversus fatalem necessitatem reluctantur. Sumptum a Gigantum fabula. M. Tullius in dialogo De senectute : Quid enim aliud Gigantum more bellare cum diis, nisi naturae repugnare ? Euripides in Bacchis : «š¿P ¸µ¿¼±ÇuÃÉ, Ãf½ »y³É½ Àµ¹Ã¸µv UÀ¿», id est « Cedam deis, parens tuis sermonibus». Fertur et hujusmodi senarius inter sententias proverbiales : «˜µ÷ ¼qǵø±¹ ´µ¹½y½ ÃĹ º±v ÄÍÇû, id est «Pugnare cum diis cumque fortuna grave est». Celebratur et illud Homericum : «ŸPº ÃĹ½ ÀÁx ´±w¼¿½± ÆÉÄv ¼qǵø±¹», id est Haud pugnare potest hominum cum numine quisquam. Id imitatus Pindarus : «§Át ´r ÀÁx ¸µx½ ¿Pº Áw¶µ¹½», id est Non convenit cum deo contendere». (fin). ****************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1045]Buléphore (suite) Illud igitur in primis inspiciendum est, ad quod dicendi genus te natura finxerit. [1046] Etenim, si qua fides astrologis, nemo temere fortunatus est in eo, a quo genesis abhorret.

[1047] Qui Musis natus est, nunquam felix erit in bello. [1048] Qui bello natus est, nunquam scribet felicia poemata. [1049] Qui conjugio natus est, nunquam erit bonus monachus. [1050] Qui agriculturae natus est, nunquam huic erit aula prospera ; et contra.

[1051] Nosoponus Atqui nihil est quod non expugnet « labor improbus ». [1052] Videmus arte humana lapidem verti in aquam, plumbum in argentum, aes in aurum, cur plantas exuere silvestre ingenium. [1053] Quid vetat quominus et hominis ingenium arte et usu transformetur ?

[1054] Bulephorus Naturam habilem adjuvat cur, leviter abhorrentem conciliat et corruptam emendat, at prorsus abhorrentem et ad diversa compositam frustra vexes, o Nosopone.
[1055] Equus discit in gyrum circumagi, discit incessum gradarium, at frustra bovem duxeris ad ceroma, frustra canem vocaris ad aratrum, frustra bubalum ad equestre certamen.
[182,1056] Aqua fortasse vertitur in aerem, aer in ignem, si quis omnino ignis est elementaris, sed terra nunquam vertitur in ignem nec ignis in aquam.


[1057] Nosoponus Sed quid vetat, quominus Ciceronis phrasim ad omnem materiam accommodemus ?

[1058] Bulephorus Fateor in M- Tullio quaedam esse generalia quae possunt in quodvis argumentum transferri, veluti candorem, perspicuitatem, sermonis elegantiam, ordinem et si qua sunt hujus generis ; [1058b] at hoc istis Tullii simiis non est satis, totam dictionis faciem exigunt.
[1059] Quod ipsum, ut in quibusdam materiis affinibus utcunque fieri posset, certe in his, quae tota ratione dissident, nequaquam valeat.

[1060] Maronem sic, opinor, fateris inter poetas Latinos tenere primas, quemadmodum M- Tullius inter oratores.

[1061] Nosoponus Fateor.

[1045] Buléphotre (suite) Il faut donc en premier lieu nous examiner et découvrir pour quel genre d’éloquence la nature nous a façonnés. [1046] Car, si on en croit les astrologues, personne n’a la moindre chance (temere) de réussir dans un domaine auquel (les signes de) sa naisssance répugnent.

[1047] Qui est né pour les arts ne sera jamais heureux à la guerre. Qui est fait pour la guerre n’écrira jamais de beaux poèmes. Qui est né pour le mariage, ne fera jamais un bon moine. A celui qui est né pour l’agriculture jamais la cour ne sera profitable ; et inversement.


[1051] Nosopon Il n’est rien pourtant dont « un labeur acharné » ne puisse venir à bout ! [1052] Nous voyons que la technique humaine, peut transformer la pierre en eau, le plomb en argent, le cuivre en or ; nous voyons qu’à force de soins les plantes perdent leur nature sauvage. [1053] Qu’est-ce qui empêcherait que la nature d’un homme soit également transformée par l’art et la pratique ?

[1054] Buléphore Les bons soins secondent une nature qui s’y prête ; ils assouplissent une nature qui rechigne juste un peu, et corrigent une nature dévoyée. Mais tu brimeras bien inutilement celle qui s’oppose radicalement à une telle transformation et est organisée pour d’autres fins, mon cher Nosopon !
[1055] Un cheval apprend à volter et à marcher à l’amble mais tu conduirais en vain un bœuf au manège, en vain tu exciterais un chien à tirer la charrue et en vain tu pousserais un buffle au concours hippique !
[1056] On peut bien transformer de l’eau en air ; de l’air en feu (si le feu, sous une forme ou une autre (quis) est bien réellement un élément) ; mais jamais on ne voit la terre changée en feu, ni le feu en eau.

[1057] Nosopon Mais qu’est-ce qui nous empêche d’adapter la phrase cicéronienne à toute sorte de sujet ?

[1058] Buléphore Je reconnais qu’il y a chez Cicéron des qualités générales qu’on pourrait transposer à n’importe quel sujet : éclat, clarté du discours, correction de la langue, progression logique et toutes les autres caractéristiques de cette sorte. Mais cela ne satisfait pas encore ces « singes de Cicéron » qui exigent tous les traits de son style.
[1059] Admettons que cela même soit possible d’une manière ou d’une autre, pour certains sujets qui ont quelque parenté avec lui ; en tout cas cela ne pourrait pas marcher avec ceux qui sont radicalement différents.
[1060] Tu, reconnais, je suppose, que Virgile tient le premier rang parmi les poètes latins, comme Cicéron parmi les orateurs ?
[1061] Nosopon Je le reconnais ! [1045] Genesis, is f : génération création ; genèse ; position des astres par rapport à la naissance, étoile, horoscope. --- Juv. 6, 579 ; Suet. Vesp. 14. 
[1051] « Labor omnia vincit // Improbus » Virgile, Géorgiques, I, 145-146 un travail acharné vient à bout de tout.
[1055] Bubalus : antilope d’Afrique (Pline) ou auroch ( bœuf de Germanie) Martial, Spect. 23,4.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1062] Bulephorus Age, si pares scribere carmen lyricum, utrum Horatium tibi propones an Maronem ?
[1063] Nosoponus Horatium, in hoc genere summum.
[1064] Bulephorus Quid si satiram?
[1065] Nosoponus Multo magis.
[1066] Bulephorus Quid si mediteris comoediam?
[1067] Nosoponus Ad Terentianum exemplar me conferam.
[1068] Bulephorus Nimirum ob insignem argumenti dissimilitudinem.
[1069] Nosoponus Sed habet Tulliana phrasis nescio quid privae felicitatis.

[1070] Bulephorus Totidem verbis et ego possim dicere : nescio quid imponit multis immodicus Ciceronis amor. [1071] Nam M- Tullii phrasim ad materiam vehementer diversam adaptare est dissimilem illi fieri. [184,1072] Nec est necesse affectare similitudinem, si contingat esse parem aut certe propinquum, licet dissimilem. [1073] Quid dissimilius quam smaragdus et pyropus et tamen pretio gratiaque pares sunt. [1074] Dissimilis est rosa lilio, diversus odor et tamen uterque flos alterum aequat.
[1075] An non saepe vidisti duas puellas facie dissimili, sed ambas e form, ut excellenti factur sit ambiguum delectum, si cui detur optio.


[1076a] Non statim melius est, quod ad Ciceronis imaginem propius accedit, [1076 b] quemadmodum antea dicere coeperamus nullum animal omnibus membris propius ad hominis figuram accedere quam simiam, adeo ut, si vocem addidisset natura, homo videri possit, [1076c] nihil autem homini dissimilius esse quam pavum aut cygnum, et tamen cygnus, opinor, aut pavus esse malles quam simius.
[1077] Hypologus Ego vel camelus esse malim aut bubalus quam simiorum formosissimus.
[1078] Bulephorus Dic mihi, Nosopone, utrum tibi dari malles vocem lusciniae an coccycis ?
[1079] Nosoponus Lusciniae.
[1080] Bulephorus Et tamen coccyx propius accedit ad vocem hominis. [1081] Utrum malles cum alaudis canere an cum corvis crocitari ?
[1082] Nosoponus Cum alaudis canere.
[1083] Bulephorus Et tamen corvorum vox similior est humanae.

[1062] Allons ! Suppose que tu te prépares à écrire un poème lyrique : choisiras-tu Horace comme modèle ou Virgile ?
[1063] Nosopon Horace ; c’est le meilleur dans ce genre.
[1064] Buléphore Et si tu veux écrire une satire ?
[1065] Nosopon Horace, à plus forte raison.
[1066] Buléphore Et si tu envisages une comédie ?
[1067] Nosopon Je me reporterai au modèle de Térence.
[1068] Buléphore Sans doute à cause de la différence évidente entre les sujets qu’ils abordent.
[1069] Nosopon Mais la phrase de Cicéron possède en elle ce « je ne sais quoi » d’heureux et d’accompli.

[1070] Bulephore Et moi je pourrais tout aussi bien te répondre dans les mêmes termes : « L’amour immodéré de Cicéron, impose à beaucoup un « je ne sais quoi » de faux et de malheureux ! » [1071] Chercher à adapter le style de Cicéron à un sujet totalement opposé aux siens c’est, en effet, s’interdire toute ressemblance avec lui. [1072] Et il n’est pas nécessaire de rechercher la similitude si on a le bonheur d’être égal à lui, ou du moins de le suivre de près, tout en différant de lui. [1073] Qu’y a-t-il de plus dissemblable que l’émeraude et le grenat ? et pourtant ils se valent par leur prix et par la faveur dont ils jouissent. [1074] La rose ne ressemble pas au lys, son odeur est différente et pourtant chacune de ces fleurs égale l’autre. [1075] Est-ce que tu n’as pas souvent eu l’occasion de voir deux jeunes filles, qui ne se ressemblent pas du tout par leur visage, mais toutes deux d’une telle beauté que leur perfection même, interdirait, s’il fallait choisir, de décider laquelle est la plus belle.
[1076] De plus, n’est pas automatiquement meilleur ce qui se rapproche le plus du modèle Cicéronien : nous l’avons déjà dit : aucun animal par ses membres n’est plus proche que le singe de la silhouette de homme, à tel point que si la nature lui avait donné en plus la voix, on pourrait le prendre pour un homme ; inversement rien ne ressemble moins à un homme qu’un paon ou un cygne, et pourtant on préfèrerait, je crois, être un paon, ou un cygne qu’un singe.


[1077] Hypologus Moi je préfèrerais encore être un chameau ou un buffle qu’être le plus beau des singes !
[1078] Buléphore Dis moi, Nosopon préfèrais-tu avoir la voix du rossignol ou celle du coucou ?
[1079] Nosopon Celle du rossignol !
[1080] Buléphore Et pourtant celle du coucou s’approche davantage de celle de l’homme.
[1081] Est-ce que tu préfèrerais chanter avec les alouettes ou croasser avec les corbeaux ?
[1081] Nosopon Chanter parmi les alouettes !
[1083] Buléphore Et pourtant la voix des corbeaux ressemble plus à celle de l’homme.


[1070]  Iimponere = en imposer à, induire en erreur.
[1077 ] Bubalus : antilope d’Afrique (Pline) ou Auroch ( bœuf de Germanie) Martial, Spect. 23,4.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1084] Utrum malles cum asinis rudere an cum equis hinnire ?
[186,1085] Nosoponus Cum equis hinnire, si ad alterutrum adigat fatorum necessitas.
[1086] Bulephorus Et tamen asinus veluti conatur humano more loqui.
[1087] Nosoponus At opinor meam Minervam non usque adeo aversam esse ab ingenio Ciceronis. [1088] Proinde, quod naturae deest, absolvet meditatio. [1089] Quare fac absolvas quod admonendum existimas.


[1090] Bulephorus Recte facis, quod in viam revocas, nam alio dilapsurus erat sermo meus. [1091] Summa est, ut quod cupimus vere faciamus, hoc est totum Ciceronem exprimamus, qui nec in verbis nec in formulis nec in numeris nec in scriptis totus est, immo vix dimidiatus, ut ante satis declaratum est.

[1092] Nosoponus Ubi igitur totus?
[1093] Bulephorus Nusquam nisi in se ipso. [1094] Quodsi totum vis exprimere Ciceronem, te ipsum non potes exprimere. [1095] Si te ipsum non exprimis, mendax speculum tua fuerit oratio nihiloque minus absurdum videbitur, quam si coloribus oblita facie te pro Nosopono Petronium esse simules.

[1096] Nosoponus Aenigmata loqueris.
[1097] Bulephorus Dicam crassius. [1098] Ineptiunt qui se torquent in hoc, ut Ciceronem istis rationibus totum exprimant, quod fieri nec potest, si expediat, nec expedit, si fieri possit.
[1099] Sic autem totus exprimi potest, si virtutes illius non easdem reddere contendamus, sed pares ad illius imitationem exprimere aut, si licet, etiam vincere.

[188,1100] Siquidem fieri potest, ut Ciceronianus sit maxime qui Ciceroni sit dissimillimus, [1100b] hoc est qui optime aptissimeque dicat, cum diversa ratione dicat, nimirum rebus jam in diversum commutatis,

[1100c] veluti si quis senem pingere velit quem Apelles pinxerat adulescentem, hoc ipso fuerit Apelli dissimilis, si jam alium factum velit eodem modo pingere.

[1101] Hypologus Sphinge dignum aenigma, ut hoc ipso dissimilis sit aliquis quo similis est.


[1084] Est-ce que tu préfèrais braire avec les ânes ou hennir avec les chevaux ?

[1085] Nosopon Hennir avec les chevaux, si la nécessité me poussait à choisir l’un de ces deux sorts.

[1086] Buléphore Et pourtant l’âne s’efforce, pourrait-on dire, de parler de manière humaine !

[1087] Nosoponus Mais je ne crois pas que mon intelligence soit si complètement à l’opposé du génie de Cicéron ! [1088] Du coup, ce qui me fait naturellement défaut, l’exercice le complètera. [1089] C’est pourquoi tâche d’achever ton exposé : dis-moi ce que tu penses encore devoir me recommander.

[1090] Bulephorus Tu fais bien de me remettre sur la voie : j’allais dévier sur tout autre chose. [1091] Le principal est que nous fassions ce que nous désirons vraiment, c’est à dire imiter Cicéron dans ses tous ses aspects. Or il ne se trouve tout entier ni dans le vocabulaire, ni dans les formules, ni dans les cadences du rythme ; même dans ses écrits il n’est pas donné tout entier : tout au plus en avons-nous la moitié comme nous l’avons déjà assez souvent répété !

[1092] Nosoponus Où donc se trouve-t-il tout entier ?
[1093] Bulephorus Nulle part ailleurs qu’en lui-même. [1094] Et si tu veux rendre Cicéron dans sa totalité, tu ne peux plus t’exprimer toi-même ! [1095] Si ce n’est pas toi que tu exprimes, ton discours ne sera qu’un miroir menteur et ne sonnera pas moins faux que si, toi Nosopon, tu t’enduisais le visage de fard pour te faire passer pour Petronius.

[1096] Nosoponus Tu parles par énigmes.
[1097] Bulephorus Je vais te le dire sans figure de style ! [1098] C’est une sottise de se torturer à vouloir imiter Cicéron dans son intégralité de cette manière-là : si cela servait à quelque chose ce ne serait pas possible ; et si c’était possible, cela ne servirait à rien.
[1099] On peut toutefois l’imiter dans toute sa perfection, à condition de ne pas chercher à copier ses qualités oratoires pour les rendre à l’identique, mais plutôt en les reproduisant, à son exemple, de façon à les égaler, voire, si c’est possible, à les surpasser.
[1100 ] Et de fait, il se peut qu’on soit Cicéronien au plus haut degré, tout en s’écartant au plus haut point de Cicéron lui-même : je veux dire si l’on parle le mieux et de la façon la plus adaptée au sujet, quoique d’une façon radicalement différente de la sienne, mais dans un monde qui lui aussi s’est transformé radicalement.
Tiens imagine un peintre qui voudrait peindre sous les traits d’un vieillard un homme dont Apelle avait fait le portrait en pleine jeunesse : il s’éloignerait d’Apelle par cela même qu’il voudrait peindre de la même manière que lui un homme qui a complètement changé depuis ce temps là.
[1101] Hypologus Voilà une énigme digne du Sphynx ! Se distinguer de quelqu’un par cela même qui fait qu’on lui ressemble!
[1087] Admonendum voir « admonitio prima » [Ph. 1044] *******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1102] Bulephorus An non id usu veniret, si quis eo modo caneret in funere, quo Hermogenes canere solebat epithalamia, aut ea gesticulatione causam diceret apud Areopagitas, qua saltare Roscius solebat in theatro ?
[1103] Verum hactenus licebit affectare Ciceronis similitudinem, si iisdem vestigiis ad eloquentiae palmam contendamus quibus ille pervenit.
[1104] Nosoponus Quibus ?

[1105] Bulephorus Num ad unius imitationem semet addixit? [1106] Nequaquam, sed ex praecipuis quod in quoque esset aptissimum exprimere studuit. [1107] Hic illi primus erat Demosthenes, non solus ; nec hunc ita sibi proposuit, ut totum exprimeret, sed ut congrua seligeret, nec sic, ut sequi contentus esset, sed ut delectu quaedam prudens vitaret, nonnulla corrigeret, quae vero probabat sic aemularetur, ut praeire contenderet.

[190,1108] Ad haec pectoris sui penum affatim explevit omnium disciplinarum, auctorum, veterum ac novarum rerum cognitione ; suae civitatis familias, ritus, instituta, leges, edicta, plebiscita diligenter ediscebat.
[1109] Nec solum studiose versabatur in adytis philosophorum, verum etiam in secessus Musarum se subinde recipiebat ; ab aliis pronuntiationem, ab aliis gestum discebat.
[1110] Haec qui faciet eadem, dissimillimus evadet M- Tullio, paria qui faciet aut similia, is Ciceroniani cognomen promerebitur.

[1111] Nosoponus Dic aliquanto dilucidius.
[1112] Bulephorus Qui pari studio sese exercebit in cognitione philosophiae Christianae, quo ille se exercuit in profana, [1112b] qui eo affectu imbibet psalmos et prophetas, quo ille hausit poetarum libros, [1112c ] qui tanta vigilantia studebit cognoscere apostolorum decreta, ecclesiae ritus, primordia, progressum ac deliquium rei publicae Christianae, quanta ille laboravit urbis Romanae, provinciarum, municipiorum et sociorum jura legesque perdiscere, [1112d] tum qui, quod his omnibus studiis comparatum est, ad res praesentes accommodabit, [1112e] is poterit aliquo jure Ciceroniani cognomen ambire.


[1113] Nosoponus Istaec omnia tua non video quorsum pertineant, nisi ut Christiane loquamur, non Ciceroniane.



[1102] Buléphore Mais n’est-ce pas ce qui se passerait si l’on chantait aux funérailles sur le même mode qu’Hermogène chantait ses épithalames aux banquets de mariage ? Ou si l’on plaidait devant les juges de l’Aréopage en gesticulant et dansant comme l’acteur Roscius sur la scène ?
[1103] Crois moi on ne pourra tendre à la ressemblance avec Cicéron que si on recherche la palme de l’éloquence par les mêmes voies que lui emprunta pour y parvenir.
[1104] Nosopon Lesquelles ?

[1105] Bulephorus S’est-il jamais voué à l’imitation d’un modèle unique ? En aucun cas ! Il s’essaya au contraire à imiter chez les principaux auteurs ce qui, en chacun d’eux, était le plus approprié. [1107] Sur ce point, il plaçait Démosthène au premier rang. Mais ce n’était pas le seul, et il ne le prit jamais pour modèle au point de le copier intégralement ; il sélectionnait au contraire ce qui convenait à son propos, et là encore, il ne se contentait pas de le suivre, mais effectuait un tri pour éviter prudemmnent certains défauts ; en corrigeait d’autres  et ce qu’il approuvait vraiment il l’imitait mais en cherchant à le surpasser encore !
[1108] En plus de cela, il s’était fait des réserves de connaissances, s’étant nourri l’esprit (affatim : à satiété) de la connaissance de toutes les sciences, de tous les auteurs, de tous les événements, anciens ou récents ; il savait tout sur les familles de sa cité, apprenait par cœur avec le plus grand scrupule les rites, les institutions, les lois, les édits, les plébisicites. [1109] Il ne fréquentait pas seulement avec assiduité les temples sacrés des philosophes : souvent aussi il trouvait refuge dans les retraites des Muses. De certains il apprenait la prononciation, des autres il apprenait les gestes. [1110] Celui qui cherchera à produire les mêmes discours que Cicéron s’éloignera de lui ; celui qui en produira d’un niveau égal, ou comparable celui là méritera le nom de Cicéronien.

[1111] Nosoponus Explique toi un peu plus clairement
[1112] Bulephorus Celui qui travaillera à connaître la philosophie chrétienne avec le même zèle que Cicéron mettait à cultiver la philosophie profane, celui qui s’imprègnera des Psaumes et des Prophètes avec le même enthousiasme que, lui, mettait à dévorer les œuvres des poètes, celui qui tâchera de connaître les décisions des apôtres, les rites de l’Eglise, les commencements de la République des Chrétiens, ses progrès et le déroulement de son histoire avec autant de persévérance que lui mit à apprendre le droit et les lois de la ville de Rome, des provinces, des municipes et des alliés, celui enfin qui saura accommoder / adapter aux temps présents tout ce qu’il aura acquis dans toutes ces études, oui, celui là aura bien le droit de briguer le titre de Cicéronien.

[1113] Nosoponus je ne vois pas très bien où tout ce que tu dis là conduit, si ce n’est au fait que nous parlerons un langage chrétien mais que nous ne saurons pas parler à la manière de Cicéron.

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1114] Bulephorus Quid ? Num tibi Ciceronianus est, qui nec apte dicit nec intelligit res de quibus verba facit?


[1115] Nosoponus Nequaquam.

[1116] Bulephorus At huc pertinent illorum studia qui nunc Ciceroniani volunt haberi. [1117] Id ne nobis usu veniat, disquirimus.
[192,1118] Nec ulla res vetat quominus idem et Christiane dicat et Ciceroniane, si modo fateris eum Ciceronianum qui dilucide, copiose, vehementer et apposite dicat pro rei natura proque temporum ac personarum condicione. [1119] Quidam enim bene dicendi facultatem non artem esse voluerunt sed prudentiam. [1120] Et ipse M- Tullius in Partitionibus eleganter definit « eloquentiam copiose loquentem sapientiam », nec dubitandum quin hoc eloquentiae genus ipse sectatus sit.

[1121] Ab hac formula, Deus bone, quantum absunt isti qui de rebus tota ratione diversis, quas ipsas nec intelligunt nec amant, more Ciceronis volunt dicere.

[1122] Quod autem nobis sordidum et soloecum videtur, quicquid a Cicerone dissonat, perniciosum ac mendax animi nostri somnium est procul a nobis relegandum, si velimus hoc laudis ferre inter Christianos quod Cicero tulit apud suos. [1123] « Scribendi recte sapere est et principium et fons », ait ille criticorum acutissimus.

[1124] Fons igitur eloquentiae Ciceronianae quis tandem est ?

[1114] Buléphore Tu ne vas quand même pas me dire que tu considères comme cicéronien quelqu’un qui d’une part ne parle pas de façon appropriée à son sujet et d’autre part ne comprend rien aux choses dont il discourt?
[1115] Nosoponus Jamais de la vie !

[1116] Buléphore Mais c’est pourtant à cela que tendent les efforts de ceux qui prétendent aujourd’hui se faire passer pour cicéroniens. [1117] C’est pour que cela ne nous arrive pas que menons soigneusement notre enquête.
[1118] Rien n’interdit à personne de parler à la fois en chrétien et en Cicéronien, si du moins tu reconnais pour cicéronien celui qui sait parler avec clarté, abondance, énergie, et avec justesse, tant en fonction de la nature de son sujet, que des circonstances tenant à l’époque et aux gens. [1119] D’ailleurs (enim) certains orateurs sont même allés jusqu’à dire que l’éloquence ne relève pas de la technique mais d’une forme de prudence (sagesse). [1120] Et Marcus Tullius lui-même, dans les Partitions oratoires, définit avec finesse « l’éloquence » comme « la sagesse qui parle avec abondance ». Il ne faut pas douter que c’est cette sorte d’éloquence là qu’il a recherchée.
[1121] Comme ils sont éloignés de cette formule, mon Dieu ! ceux qui veulent parler à la manière de Cicéron de matières qu’ils ne comprennent pas, qu’ils n’aiment pas non plus, et qui, de toute façon, s’écartent au plus haut degré des préoccupations qui étaient les siennes!
[1122] Mais voilà ! L’impression que tout ce qui ne sonne pas comme du Cicéron est inélégant et fautif, est une illusion pernicieuse et mensongère de notre esprit, que nous devons rejeter si nous voulons remporter parmi les Chrétiens la palme d’excellence que Cicéron avait méritée chez les siens. [1123] « Le bon sens, voilà le principe et la source de l'art d'écrire », comme le dit Horace en fin critique qu’il est.

[1124] Quelle est donc finalement la source de l’éloquence cicéronienne ?


[1120] « Nihil aliud est eloquentia, nisi copiose loquens sapientia » Cicéron, Partitiones oratoriae 23,79 .
Edition des Partitiones oratoriae par M. Bompart et révisée par J.P. Charpentier (1898), prise au site Méditérranées « XXIII. Toutes ces vertus sont pratiques. Mais il en est deux qui sont comme les ministres et les compagnes de la sagesse : l'une démêle dans les controverses la vérité de l'erreur, et saisit les conséquences dans les principes ; c'est la dialectique : l'autre est le talent de la parole : car l'éloquence n'est que la sagesse versée dans l'art de bien dire ; elle est soeur de la dialectique, mais, plus abondante, plus étendue, elle sait en outre émouvoir les passions et parler aux sens du vulgaire »
Voir l’édition des Partitiones oratoriae de Karl Wilhem Piderit ( 1867) en ligne sur le site :
http://books.google.com/books?id=KnvIkVMzuZEC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q=sapientia%20&f=false Voir p. 63 et 65.
22, 76 « Scientia » : zu der Reihe der dianoetischen Tugenden ( À¹ÃÄƼ±¹) rechnet hier Cicero 1) die Prudentia (ÆÁy½·Ã¹Â) als «  rerum bonarum et malarum neutrarumque scientia » (De inventione, I,1) mit ihren beiden Unterabteilungen als a) prudentia domestica und als b) prudentia civilis 2) die Calliditas, die Klugheit im engeren Sinn (Schauheit : ³Çw½¿¹±) 3) die Sapientia ( Ãyƹ±).
23, 79 « Oratoria » : « ipsam eloquentiam, quod ex bene dicendi scientia, constaret, unam quamdam esse virtutem » behauptete Mnesarchus, ein Schüler des Stoïkers Panëtius, III, 18,65 ; 14,55 « est enim eloquentia una quaedam de summis virtutibus ».
[1123 ] NB. P. M. renvoie à Horace Art poétique (309-316) Ars Poetica v. 309 « Scribendi recte sapere est et principium et fons » : La raison ( le bon sens), voilà le principe et la source de l'art d'écrire (trad. itinera el.)

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1125] Bulephorus ( suite) Pectus opulenter instructum varia rerum omnium cognitione, praesertim earum de quibus institueris dicere, [1125b] pectus artis praeceptionibus tum multo scribendi dicendique usu, diutina meditatione praeparatum [1125c] et, quod est totius negotii caput, pectus amans ea quae praedicat, odio prosequens ea quae vituperat.
[1126] His omnibus conjunctum oportet esse naturae judicium, prudentiam et consilium, quae praeceptis contineri non possunt.

[1127] Haec unde, te rogo, suppetunt istis qui nihil legunt praeter Ciceronem, qui unum hunc student « nocturna versare manu, versare diurna »?
[194,1128] Nosoponus Atqui non inscite dictum est, qui diutius in sole versati sunt, colorem ducere, et qui diutius in taberna aromataria consederint, odorem loci secum ferre, cum discedunt.

[1129] Bulephorus Mihi vero perplacet ista similitudo. [1130] Tincturam modo cutis secum ferunt et mox evanescentem aurulam.
[1131] Hac gloria qui contenti sunt, desideant quantumlibet in myrotheciis aut rosariis Ciceronis, apricentur in illius sole.
[1132] Ego malim, si quid est bonorum aromatum, demittere in stomachum, traicere in venas, ut non solum vicinos odore levi aspergam, sed totus incalescam ipse vegetiorque reddar, ut quoties res postulat, prodeat vox quae sani beneque pasti animi videri queat.


[1133] Ex intimis enim venis, non in cute nascitur oratio quae moratur auditorem, quae movet et in quemvis habitum animi rapit. [1134] Non haec eo dico, quod ex Ciceronis libris mediocrem aut paenitendam rerum cognitionem colligi existimem, sed quod ad parandam orationis opulentiam in quovis argumento solus non sufficiat.

[1135] Quid igitur superest, nisi ut ipsam etiam Ciceronis imitationem ex ipso discamus Cicerone ? [1136] Sic illum imitemur, quemadmodum ipse est alios imitatus.
[1126] Une intelligence richement pourvue de connaissances variées dans toutes les sciences, et plus particulièrement dans le domaine dont tu auras décidé de parler ; un esprit bien formé par les préceptes de l’art oratoire puis (tum) préparé par de nombreux exercices d’écriture et de déclamation, et par un long entraînement ; enfin, ce qui est le point capital de toute l’affaire, un cœur aimant passionnément ce qu’il glorifie dans ses discours mais poursuivant de sa haine ce qu’il prend pour cible. [1126] Il faut encore que se joignent à toutes ces qualités, le jugement naturel, la prudence, et l’esprit de décision qui ne sauraient être enfermés dans les principes de l’art oratoire.
[1127] Ces capacités, je te le demande, comment viendront-elles à ces gens qui ne lisent rien d’autre que Cicéron, qui n’ont que ses livres à la main et ne pensent qu’à les lire et relire de jour comme de nuit ?
[1128] Nosopon Pourtant on dit, non sans raison, que si l’on reste assez longtemps au soleil, on prend des couleurs et que si l’on s’arrête un peu longuement dans une épicerie (une boutique d’aromates) on emporte avec soi l’odeur du lieu en sortant.

[1129] Buléphore  Tiens ! ça c’est une comparaison qui me plaît ! [1130] On n’emporte ainsi sur la peau qu’une légère coloration et une vague odeur qui va disparaître peu de temps après. [1131] S’il y a des gens à qui cette gloire suffit, qu’ils s’attardent aussi longtemps qu’ils le veulent, au milieu des  « coffres à parfums » de Cicéron et dans ses champs de roses ; qu’ils se chauffent à son soleil : [1132] pour ma part, je préfèrerais faire descendre dans mon estomac et faire passer dans mes veines tout ce qui existe de bonnes épices. Je ne veux pas seulement envelopper d’un léger parfum ceux que j’approche, mais je veux être moi-même tout entier embrasé et empli d’une vie plus ardente, pour que, chaque fois que la situation l’exige, ma voix jaillisse, comme celle d’un homme à l’esprit en bonne santé et nourri de bonnes connaissances.

[1133] En effet ce n’est pas à fleur de peau, c’est au fond du cœur que prend naissance un discours capable de retenir l’attention de l’auditoire, de l’émouvoir, et de l’amener à la disposition d’esprit que l’on veut. [1134] Je ne veux pas laisser entendre par là que l’on ne tire des livres de Cicéron qu’une connaissance médiocre ou néfaste de la réalité, mais pour produire un discours riche et fourni sur n’importe quel sujet, je dis que Cicéron ne suffirait pas à lui seul.

[1135] Que nous reste-t-il à faire si ce n’est à apprendre de Cicéron lui-même comment l’imiter ? [1136] Imitons-le en effet comme lui-même imita les autres !

[1125] Pectus : poitrine, cœur ; désigne aussi bien l’intelligence que les émotions. L’anaphore en français me semble peu éclairante : j’ai traduit par « intelligence » ; « esprit » ; « cœur ».
—NB. Citation d’Horace, Art Poétique, 268-269 « Pour vous, allant aux modèles grecs, il faut que le jour, il faut que la nuit, votre main les tourne et les retourne (Trad. Villeneuve, éd. Budé)
Du Bellay s’en est souvenu « Lis donc et relis premièrement, ô poète futur, feuillette de main nocturne et journelle les exemplaires Grecs et Latins; puis me laisse toutes ces vieilles poésies françaises aux Jeux Floraux de Toulouse et au Puy de Rouen : comme rondeaux, ballades, virelais, chants royaux, chansons et autres telles épiceries, qui corrompent le goût de notre langue, et ne servent sinon à porter témoignage de notre ignorance ». Défense et illustration de la langue française, Joachim Du Bellay
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1137] Si totus in unius lectione desedit, si se ad unius praescriptum addixit, si potiorem habuit verborum quam rerum curam, si non nisi nocte concubia scripsit, si se totum mensem in una torsit epistula, si quicquam putavit eloquens quod ad res non congrueret : faciamus eadem, ut Ciceroniani simus.

[1138] Sin haec dissident plurimum ab exemplo Ciceronis, illius exemplo pectus supellectile rerum cognitu necessariarum expleamus ac prima sit sententiarum cura, deinde verborum, et verba rebus aptemus, non contra, nec inter dicendum usquam oculos a decoro dimoveamus.
[196,1139] Ita demum vivida fuerit oratio, si in corde nascatur, non in labiis natet.
[1140] Artis praecepta non ignoremus, conferunt enim plurimum ad inventionem, dispositionem, tractationem argumentorum et vitanda quae vel supersunt vel officiunt causae ; sed cum erit agenda causa seria, primas teneat consilium. [1141] Quamquam et in fictis causis, quae exercitationis gratia tractantur, conducit veris esse simillima quae dicuntur.

[1142] Cicero scripsit animum Laelii spirare in scriptis illius. [1143] Stultum est autem hoc conari, ut alieno scribas stomacho desque operam, ut in tuis scriptis spiret animus M- Tullii.
[1145] Concoquendum est quod varia diutinaque lectione devoraris, meditatione traiciendum in venas animi potius quam in memoriam aut indicem, [1145b] ut omni pabulorum genere saginatum ingenium ex sese gignat orationem, quae non hunc aut illum florem, frondem, gramenve redoleat, sed indolem affectusque pectoris tui, [1145c] ut, qui legit, non agnoscat fragmenta e Cicerone decerpta, sed imaginem mentis omni genere doctrinarum expletae.
[1146] Neminem priorum non legerat Cicero ; quid quisque probandum aut reprehendendum haberet, diligenter expenderat, at neminem illorum proprie agnoscas in Cicerone, sed vim mentis ex omnium sententiis vegetatae. [198,1147] Si te parum movet exemplum amasii tui, contemplemur exempla naturae.
[1137] S’il s’en est tenu à la lecture d’un seul auteur, s’il s’est voué aux leçons d’un seul maître, s’il se souciait davantage des mots que des réalités, s’il n’écrivait qu’au milieu de la nuit, si une seule lettre lui coûtait un mois d’efforts et de tourments, s’il pouvait trouver éloquent un mode d’expression qui ne cadrait pas avec son sujet : alors oui ! faisons exactement cela pour devenir Cicéroniens !

[1138] Si au contraire toutes ces pratiques sont à mille lieues des habitudes de Cicéron : à son exemple alors, emplissons nous l’esprit de tout le bagage nécessaire à la connaissance du monde ; que le souci des idées soit premier qu’ensuite viennent les mots ; adaptons les mots aux pensées et non l’inverse ; et jusque dans la plaidoirie même, ne détournons jamais les yeux de ce qui est convenable. [1139] Le discours ne sera vivant qu’à cette condition : qu’il naisse dans le cœur, plutôt que d’hésiter au bord des lèvres.
[1140] Ne dédaignons pas les principes de l’art car ils contribuent beaucoup à l’invention, à la disposition, au traitement des preuves ; il faut aussi éviter ce qui est superflu ou ce qui est défavorable à notre affaire. Mais quand il faudra plaider une affaire réelle, que la prudence tienne la première place. [1141] A vrai dire, dans les causes fictives que l’on traite pour s’entraîner, il est utile aussi que nos propos restent au plus près de la réalité.

[1142] Cicéron a écrit que « l’âme de Laelius respirait (encore) dans ses écrits » [1143] Ne serait-il donc pas stupide de nous efforcer d’écrire suivant l’humeur d’un autre et de déployer tous nos soins à donner l’impression que l’âme de Cicéron « respire » dans nos écrits ?
[1145] Il faut digérer ce qu’on a dévoré au cours de lectures variées et incessantes. Par un travail de réflexion il faut le faire passer dans les « veines de l’esprit » plutôt que dans la mémoire ou dans un lexique, pour que notre intelligence gorgée de toute sorte de nourritures, engendre d’elle-même un discours, qui ne conserve pas l’odeur de telle fleur, de telle feuille ou de telle herbe, mais exhale notre naturel et les passions de notre cœur. Notre lecteur ne reconnaîtra pas ainsi les fragments cueillis aux œuvres de Cicéron, mais en retirera la vision d’une âme remplie de connaissances de toute sorte.

[1146] Aucun des anciens n’avait échappé aux lectures de Cicéron : il avait soupesé avec soin ce qu’il fallait retenir ou blâmer de chacun d’eux, mais pourtant on ne saurait reconnaître (identifier) aucun d’entre eux en particulier chez Cicéron ; au contraire on reconnaît une vigueur de la pensée fortifiée par les opinions de tous les autres. [1147] Mais si l’exemple de ton grand amour ne te touche pas assez, observons ceux que donne la nature.
[1139] Natet « Democritus natare videtur » Cic. : Démocrite paraît hésiter.
[1140] Et vitanda . Non ignoremus = ne ignoremus post cl. ( voir Gaffiot s.v. Non, 5)
[Ph.1142] Spirare : respirer ( pr et fig) —NB. P. Mesnard indique : Cicéron, Ep. Ad M. J. Brut. 94 « Videtur mens Laelii spirare in scriptis ». Dans le contexte de cette lettre à Brutus Cicéron dit explicitment que l’énergie qui animait Laelius dans ses plaidoieries transparaissait encore dans ses discours écrits, à la différence de Galba. Erasme, semble-t-il, rappelle cette idée par le terme stomacho (humeur).
[1145] Meditatio : méditation ou exercice d’appropriation ? Meditation ne se distinguerait pas assez de « mémoire ». Gignat : la métaphore de la gestation sera reprise en [1149] ( gignunt et fetum)
[1146] « il avait soupesé avec soin ce que chacun avait de recommandable ou de critiquable » ; Cst tout aussi possible: «  ce que chacun d’entre eux estimait devoir être approuvé ou blâmé ». *****************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1148] Apes num ex uno frutice colligunt mellificii materiam an potius ad omnes florum herbarum fruticum species mira sedulitate circumvolant, frequenter e longinquo petentes quod condant in alvearia ?

[1149] Nec statim mel est quod adferunt, fingunt ore visceribusque suis liquorem ac in ipsas transformatum rursus ex sese gignunt, in quo non agnoscas nec floris nec fruticis delibati saporem odoremve, sed apiculae fetum ex omnibus illis temperatum.


[1150] Jam nec iisdem frondibus pascuntur capellae, quo lac illis modo cognatum reddant, sed omni frondium genere saginantur ; itaque non sucum herbarum, sed lac ex illis transformatum referunt.

[1151] Nosoponus Refert tamen, unde mellis sucum colligat apis aut qua fronde satientur capellae. [1152] Siquidem ex taxo toxica mella conficiunt nec idem erit sapor lactis e capella quernis frondibus et salignis pasta.


[1153] Bulephorus Assentior ; sed veniamus ad artifices. [1154] Qui laudem praeclaram ambiunt in arte statuaria graphicave, num ad unius tantum manus aemulationem addicunt sese, an potius quod in quoque delectat, id arripiunt ad artis absolutionem, sic imitantes, ut conentur, si queant, anteire ?

[200, 1155] Quid ? Architectus parans insignem aliquam domum absolvere, num ex unis aedibus sumit omnia ? [1156] Non opinor, sed cum judicio deligit e plurimis quod conspexerit esse felix.

[1157] Alioqui nihil egregiae laudis videbitur assecutus, si spectator agnoscat hoc aut illud aedificium imitatione redditum esse. [1158] Et tamen hic tolerabilius sit servisse exemplari quam in oratione.

[1159] Quae ratio est igitur nos tanta superstitione uni Ciceroni addictos esse ? [1160] Bis autem peccant qui non solum assident uni praescripto, verum etiam nullis artis rhetoricae praeceptionibus instructi, nec alium legunt quam Ciceronem nec aliud quam legunt.
[1161] Quid enim confert oculos in Ciceronem habere fixos, nisi admoveas artifices oculos ? [1162] Quid enim mihi profuerit graphices ignaro, si totos dies spectem Apellis aut Zeuxidis tabulas ?

[1148] Les abeilles, à ton avis, collectent-elles la matière de leur miel d’un seul arbuste ? Ne les voit-on pas plutôt voler autour de fleurs, d’herbes et d’arbustes de toute sorte, en déployant une admirable activité, souvent même, allant chercher au loin ce qu’elles mettront à l’abri dans les alvéoles de leurs ruches ?
[1149] Ce qu’elles rapportent n’est pas immédiatement du miel : elles façonnent dans leur bouche et dans leur ventre une liqueur, et ce qu’elles ont ainsi transformé en elles, elles le mettent au monde une seconde fois. On ne saurait y reconnaître ni l’odeur ni la saveur de la fleur ou de l’arbuste qu’elles ont butiné, mais on y goûte le fruit que la petite abeille a confectionnné dans ses entrailles à partir de toutes ces plantes justement dosées.
[1150] Voyons encore : les chèvres ne broutent pas toujours les feuilles des mêmes arbres, ce qui produirait un lait au goût typique de ces plantes, mais elles s’engraissent de toute sorte de feuillages. C’est pour cette raison qu’elles ne restituent pas du verjus mais donnnent le lait qu’elles ont transformé !

[1152] Nosopon Les plantes d’où les abeilles tirent le suc de leur miel, les branchages dont se rassasient les chèvres, ne sont quand même pas sans importance ! [1152] A partir de l’if les abeilles font bien un miel empoisonné, et le lait n’aura pas le même goût si les chèvres ont brouté des feuilles de chêne ou des feuilles de saule !

[1153] Buléphore Je suis d’accord avec toi. Mais passons maintenant aux artisans. [1154] Ceux qui briguent la réputation d’excellence dans le domaine de la statuaire ou du dessin, se vouent-ils à l’imitation d’une seule manière artistique ? Ou au contraire se saisissent-ils de ce qui leur plaît en chaque artiste pour parfaire leur propre technique ? Ne s’efforcent-ils pas de les imiter de façon à les dépasser s’ils le peuvent ?

[1155] Et l’architecte ? S’il se prépare à réaliser une maison digne d’être remarquée, prendra-t-il toutes ses idées d’un seul bâtiment ? J’en doute ! Il choisira plutôt avec discernement ce qu’il verra de particulièrment réussi dans plusieurs demeures.
[1157] De toute façon, il ne paraîtrait pas digne d’un premier prix si le spectateur reconnaissait les emprunts à tel ou tel édifice, même s’il est vrai qu’on tolère plus facilement l’obéissance au modèle dans le domaine de l’architecture que dans l’art oratoire.

[1159] Qu’est-ce qui fait donc que nous nous soyons voués à Cicéron avec une dévotion si profonde ? [1160] C’est une erreur de s’astreindre à suivre un seul maître pas à pas mais c’est pécher une deuxième fois que lire Cicéron à l’exclusion de tout autre, sans avoir aucune connaissance des principes de l’art oratoire, et, qui plus est, de se contenter de le lire.
[1161] Qu’est-ce que cela pourrait bien nous apporter, en effet, de garder les yeux rivés sur Cicéron si on n’y porte pas le regard du spécialiste ? [1162] A quoi cela pourra-t-il bien me servir de contempler des jours entiers les tableaux d’Apelle et de Zeuxis si j’ignore tout de la peinture ?
[1153] Puisque l’exemple de cicéron ne convainc pas Nosopon, (Ph. 1147) Buléphore examine les productions des animaux puis celles les artistes.
[1160] Praescriptum : le modèle tracé voir [757] *************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1163] Verum ubi didiceris recte dicendi praecepta, [1163b] ubi deinde peritus quispiam artifex indicarit tibi in aliquot Ciceronis orationibus, in quibus plurimum artis expressit, colorem et statum,
[1163c] tum propositiones feliciter inventas, mox harum ordinem, partitionem, tractationem, locupletationem, absolutionem, totius orationis in prooemio semina, tum coagmentationem singularum partium, [1163d] ad haec consilium judiciumque, quod animadverti potest, arte praecipi non potest, item prudentiam oratoris, quid quo loco posuerit, quid quare omiserit, quid in quem locum distulerit, praeterea quibus rationibus tractet affectus utriusque generis, postremo lucem, copiam, ornatum sermonis, [1163e] tum demum mira perspicies in Cicerone, quae non perspicit sedulus ille contemplator.





[202,1164] Non enim imitatur artem qui non intelligit, nec intelliget nisi artifex. [1165] Arte confectum opus interdum nonnulla voluptate delinit et eos qui artis sunt imperiti, sed quantulum est quod ille videt ?

[1166] Nosoponus Et artem unde petes rectius quam a Cicerone ?

[1167] Bulephorus Fateor, nemo tradidit felicius, nemo usus est absolutius, [1167] sed tamen accuratius praecepit Quintilianus atque etiam copiosius, qui non praecepta modo proponit, verum etiam elementa, progressum, rationem, usum, exercitationem ponit ob oculos, non pauca adiciens quae M- Tullius vel praetermisit vel obiter attigit. [1168] Quod genus sunt de ratione concitandorum affectuum, de generibus et usu sententiarum, de modis amplificandi, de inventione propositionum, de partiendis iisdem ac digerendis, de transmigratione et concursu statuum, de modo legendi, imitandi, scribendi.

[1169] Verum praeceptiones ut ignorari non oportet, ita non conducit in his consenescere, quorum anxia observatio facit, ut pejus dicamus, cum in hoc reperta sit artis ratio, ut bene dicamus. [204,1170] Commonstrator ille peritus multo plus contulerit quam praeceptiones.

[1171] Id conati sunt nonnulli tum apud Graecos tum apud Latinos, sed mea sententia non admodum feliciter.

[1163] Mais quand tu auras appris les principes de l’art oratoire, quand ensuite un habile spécialiste, t’aura montré, dans quelques unes des œuvres où Cicéron a le mieux exprimé son art, la tonalité et la démarche générales du discours,
[1163c] puis l’heureuse invention des propositions, et leur disposition, leur subdivision et comment elles sont démontrées, quand il t’aura fait constater la richesse des idées, la cohérence du discours achevé, dont les éléments principaux sont déjà contenus en germes dans l’exorde, puis encore l’assemblage des parties en un tout homogène ; [1163d] là-dessus encore il te fera remarquer la finesse de la réflexion, le jugement, ces qualités que l’on peut observer mais que l’art n’enseigne pas, la prudence de l’orateur aussi ; il te fera deviner ce qu’il a placé à tel endroit de son discours, ce qu’il a omis et pourquoi, ce qu’il a reporté, et à quel endroit (moment) ; il te fera comprendre comment il a manié les émotions des deux genres (indignation et pitié), il te rendra sensible à l’éclat, à la richesse, aux ornements du discours, alors à ce moment-là seulement tu apercevras, dans l’œuvre de Cicéron, des merveilles que n’aperçoit pas notre naïf et zélé (sedulus) contemplateur.

[1164] En effet, celui qui ne comprend pas l’art ne peut l’imiter ; et on n’y comprend rien si l’on n’est pas du métier. Il arrive bien sûr qu’une œuvre absolument parfaite procure aussi du plaisir à ceux qui ne sont pas spécialites ; mais quelle infime partie en voient-ils vraiment ?

[1166] Nosopon Et où apprendras-tu les règles de l’art plus correctement qu’auprès de Cicéron ?


[1167] Buléphore Je reconnais que personne ne les a transmises avec plus de talent ; que personne ne les a mises en pratique plus parfaitement, mais Quintilien pourtant les a enseignées de manière plus précise et beaucoup plus détaillée. Il n’expose pas seulement des principes mais il met également sous nos yeux les éléments, la progression, la méthode, la pratique, les exercices ; il ajoute un certain nombre de points que Cicéron a omis ou n’a fait qu’effleurer : [1168] par exemple la manière de provoquer les émotions ; les différents genres de formules et leur utilisation, les techniques d’amplification, l’invention, la partition, le classement des propositions, le transfert ou la concurrence des causes, la (bonne) manière de lire, d’écrire, d’imiter.

[1169] Mais s’il ne faut pas ignorer ces prescriptions, il ne sert à rien de s’y attarder toute sa vie : leur observation trop scrupuleuse aboutit à ce que nous sachions moins bien parler, alors qu’elles contiennent la méthode pour  apprendre à bien parler !  [1170] Notre guide expérimenté nous aura beaucoup plus apporté que tous ces principes.

[1171] Plus d’un a prétendu s’en tenir là, tant chez les Grecs que chez les Latins mais à mon avis peu y ont vraiment réussi.
[1163] On peut admettre aussi que la principale commence avec le premier «  Tum ».
Colores : les couleurs selon Laurent Pernot (p. 201) désigneraient les motivations des personnes en cause ; mais p. 286, 8 = forme de discours, figurée par allusion Status le statut de la cause, la position de défense qu’adopte l’orateur. P. 292) ; [1168] Transmigratio, ionis f : n’a pas de sens particulier en rhétorique ! je lui suppose le sens de Translatio : transfert de la cause ( L. Pernot p.. 293) Concursus us m : concurrence ( ou convergence ; réunification de deux statuts différents ? ) [Ph.1170] Commonstrator oris m (non répertorié dans Gaffiot, formé sur Commonstrare Plaute ; Tér. Cic.) désigne « peritus quispiam artifex » de Ph. 1161.******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1172] Cavendum est igitur, o Nosopone, ne, quod isti faciunt, vix degustatis praeceptionibus tantum assiduitate legendi Ciceronem confidamus nos fore Ciceronianos.
[1173] Nam hi, si quid assequuntur Ciceronis, praeter summam cutem, umbram et auram modo quamdam nihil assequuntur.
[1174] Nosoponus Tales esse permultos haud infitior, Bulephore, nec mihi placuit unquam illorum ratio.

[1175] Bulephorus Nec tua causa haec moneo, mihi et Hypologo canitur haec cantio. [1176] Nunc et illud aequis judiciis expendamus, vir amicissime, primum an deceat nos, deinde num operae pretium sit tantis vigiliis emere Ciceroniani cognominis honorem.

[1177] Nosoponus Nihil honestius. [1178] Quod autem honestum, idem non potest non esse decorum.

[1179] Bulephorus Ut de decoro disquiramus, fateris, opinor, M- Tullii dictionem non placituram fuisse saeculo Catonis Censorii, quippe comptiorem magisque lascivientem quam illius aetatis moribus conveniebat. [1180] Frugalis erat vita, frugalis erat oratio.
[1181a] Quin et ea aetate, qua vivebat Cicero, non deerant viri priscam illam severitatem adhuc spirantes, veluti Cato Uticensis et Brutus et Asinius Pollio, qui severius quiddam, minus theatricum magisque masculum requirerent in Ciceronis eloquentia, [1181b] et tamen illis temporibus eloquentia florebat ut cum maxime, tum in populari conventu, tum in consessu patrum, tum in judiciis, adeo ut ornamenta jucunditatemque dictionis et exspectarent et exigerent a patronis judices.

[206,1182] Quod igitur parum virile ducebatur in Cicerone, num putas decorum videri Christianis, quorum omnis ratio magis spectat ad bene vivendum quam ad ornate compteque dicendum, a quorum moribus oportet plurimum abesse quicquid ad fucos et scenicam delectationem accedit?
[1183] Sed fac esse decorum : quos fructus speras tantis pares sudoribus ? [1184] Finis totius hujus studii est persuadere. [1185] At quanto hic erat potentior Phocion quam Demosthenes, Aristides quam Themistocles, quanto efficacior Cato quam Cicero, qui reos nonnunquam gravabat suo patrocinio, accusatione sublevabat.


[1186] Nihil hic moror illa magnifice sane dicta "pulchrius est esse Phidiam quam scriniarium aut coquum", cum horum opera magis necessaria sint rei publicae quam signa Phidiae.

[1172] Il faut donc éviter de faire comme ces amateurs, qui ont à peine tâté des principes de l’art oratoire et se voient déjà devenir de véritables Cicéroniens par le seul fait qu’ils lisent Cicéron avec assiduité. [1173] Si ceux-là attrapent quelque chose de Cicéron ce ne sera qu’une mince pellicule, une ombre, une odeur, et rien de plus.

[1174] Nosopon Que les gens de cette sorte soient fort nombreux, je ne chercherai pas à le nier, Bulépohore, mais jamais leur manière de faire n’a eu mon approbation.
[1175] Buléphore Ce n’est pas pour toi que je mentionne tout cela. Ce refrain vaut pour Hypologus et pour moi. [1176] Maintenant examinons encore ce point d’un esprit impartial : premièrement est-il convenable, pour des gens comme nous, d’acheter la gloire du titre de Cicéronien au prix de tant de veilles ; et deuxièmement est-ce que cela en vaut la peine ?
[1177] Nosopon Rien n’est plus honorable. Or ce qui est honorable ne peut pas ne pas être convenable.

[1179] Buléphore Pour mener à bien notre enquête sur le convenable … tu admets je suppose que le style de Cicéron n’aurait pas plu au siècle de Caton le Censeur, parce qu’il était trop soigné et trop maniéré pour convenir aux mœurs de cette époque ? [1180] la vie était fruste, fruste était l’éloquence.
[1181] Mais allons plus loin ! même à l’époque où vivait Cicéron, il ne manquait pas d’hommes qu’animait encore cette antique gravité, tels Caton d’Utique, Brutus et Asinus Pollion pour réclamer de Cicéron un peu plus de sérieux, moins de théâtre, plus de virilité dans ses discours. Pourtant en ces temps-là l’éloquence fleurissait comme jamais, tant dans les réunions populaires, dans les assemblées du Sénat que dans les tribunaux. C’était à ce point que les juges allaient même jusqu’à attendre et exiger des avocats des discours ornés et agréables à écouter.
[1182] Mais ce qu’on estimait peu viril chez Cicéron, crois-tu donc que les Chrétiens le trouveraient convenable, eux que leurs principes poussent plutôt à mener une vie droite qu’à parler avec recherche et élégance ? Eux dont les mœurs exigent de tenir à l’écart, le plus loin possible, tout ce qui s’approche des faux semblants de la scène et de ses plaisirs.

[1183] Mais admettons que cela soit convenable. Quels fruits espères-tu recueillir de si grands efforts ? [1184] L’objectif final de toute cette formation est de savoir persuader. [1185] Mais sur ce terrain Phocion était bien plus fort que Démosthène et Aristide que Thémistocle! Combien Caton était-il plus efficace que Cicéron, qui aggravait même quelquefois la situation de l’accusé en facilitant la tâche de l’accusation !  
[1186] Je ne vais pas me laisser arrêter par cette objection certes sublime : « il est plus beau d’être Phidias que bureaucrate ou cuisinier ». En réalité les travaux de ces bons ouvriers sont plus nécessaires à la République que les statues de Phidias.
[1172] Isti sont les amateurs peu formés [Ph.1164-1165], désignés comme ceux qui pèchent deux fois dans la phrase [1160].
[1173] Aura : voir aurulam en [1130].
[1175] Ne pas oublier que Buléphore et Hypologus se disent atteints du même mal que Nosopon. Tous trois sont « possédés des nymphes », « initiés » de la même déesse (Peithô), etc.
[1186] P. Mesnard renvoie à Cic. Ad Brutum 257 « Ego me Phidiam esse mallem quam vel optimum fabrum tignarium  (= charpentier) »******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1187] Pictorum ac statuariorum ars delectandis oculis reperta est ; id ubi praestitit, absolvit munus suum. [1188] Eloquentia quae nihil aliud quam delectat, non est eloquentia, nimirum in aliud reperta, quod nisi praestat, nec decora videri debet bono viro.

[1189] Verum ut olim fuerit utilis eloquentia Ciceronis, hodie quis est illius usus?
[1190] An in judiciis? [1191] Ibi res agitur articulis ac formulis per procuratores et advocatos quidvis potius quam Ciceronianos, apud judices apud quos barbarus esset Cicero.

[1192] Neque multo major usus in conciliis, ubi singuli paucis aperiunt quod videtur idque Gallice aut Germanice.
[1193] Maximae vero res hodie per consilium quod arcanum vocant conficiuntur ; ad id vix tres homines adhibentur, illitterati fere ; reliquis licet consultare.

[208,1194] Jam etiam si res agerentur hodie Latine, quis ferret Ciceronem ea perorantem quae dixit in Verrem, in Catilinam, in Clodium, in Vatinium testem ?

[1195] Quis senatus tam otiosus, tam patiens, ut perpessurus sit orationes quas dixit in Antonium, cum in his tamen senilior sit, minus redundans, minus exsultans eloquentia? [1196] Itaque cui tandem usui paramus hanc operosam Ciceronis eloquentiam ? [1197] Num contionibus ? [1198] Vulgus Ciceronis linguam non intelligit et apud populum nihil agitur de re publica. [1199] Sacris vero contionibus minime congruit hoc dicendi genus.
[1200] Quis igitur superest usus, nisi forte in legationibus, quae Romae praesertim Latine peraguntur ex more magis quam ex animo et magnificentiae causa potius quam utilitatis gratia.

[1201] In his enim fere nihil agitur rei seriae ; in laudibus ejus ad quem mitteris, in testificatione benevolentiae illius a quo mitteris et in locis quibusdam vulgaribus consumitur omnis oratio. [1202] Quid multis ?
[1203] Totum hoc ejus generis est, ut rem magnam praestiteris, si speciem adulationis vitaris, cum ipsam adulationem non liceat.
[1178] Buléphore (suite) La peinture et la sculpture ont été inventées pour le plaisir des yeux ; quand elles sont parvenues à le procurer elles ont rempli leur fonction. [1188] Une éloquence qui ne produit rien d’autre que du plaisir n’est même pas de l’éloquence ; elle a été inventée pour d’autres fins ; si elle ne les atteint pas, elle ne doit même pas passer pour une activité convenable, digne de l’homme de bien. [1189] Or à supposer que l’éloquence Cicéronienne ait pu être utile autrefois : où est son utilité aujourd’hui ?

[1190] Serait-ce dans les tribunaux ? [1191] Là les affaires se règlent à coup d’articles et de formules, entre des procureurs et des avocats, qui sont tout ce que tu veux sauf cicéroniens, devant des juges auprès de qui Cicéron passerait pour un barbare !
[1192] Son utilité ne serait pas beaucoup plus grande dans les délibérations politiques, où quelques individus exposent devant un conseil retreint ce qui leur semble juste, et ceci en français ou en allemand ! De nos jours les affaires vraiment importantes sont traitées en conseils secret, comme on dit. A peine trois hommes s’y emploient, à peu près incultes. Les autres n’ont qu’un droit de consultation.
[1194] Et maintenant, même si les procès se plaidaient aujourd’hui encore en latin, qui supporterait les charges que Cicéron prononça dans ses plaidoiries contre Verres, Catilina, Clodius et dans l’interrogatoire du témoin Vatinius?

[1195] Quel sénat aujourd’hui aurait le temps ou la patience d’endurer les discours qu’il prononça contre Antoine, alors que son éloquence, vieillie avec lui, était déjà moins redondante et moins passionnée. [1196] Alors à quel usage réservons-nous cette éloquence cicéronienne, qui coûte tant de peine ? [1197] Sera-ce pour les assemblées populaires ?
[1198] La masse ne comprend pas la langue de Cicéron, et le peuple n’est plus consulté dans aucune décision politique.

[1199] Et pour ce qui est des assemblées religieuses, ce genre d’éloquence ne leur convient pas le moins du monde.

[1200] Où l’emploiera-t-on finalement si ce n’est peut-être dans les ambassades, qu’on mène en latin, à Rome particulièrement, pour suivre la coutume plutôt que par réelle conviction et par goût de l’apparat plus que par souci d’efficacité ?

[1201] On n’y traite en effet aucune affaire sérieuse. Tous le temps des entretiens se perd à louer celui à qui l’ambassade est adressée, à l’assurer des bons sentiments de celui qui l’envoie, et en un certains nombre de lieux communs. [1202] Qu’ajouter d’autre ?
[1203] Toute l’affaire se résume à cela : tu auras fait montre d’une grande habileté quand tu auras réussi à ne pas donner l’impression de flatter, alors que personne ne peut éviter de le faire.
[1195] senilior a pour sujet eloquentia.
[1203] cum ipsam adulationem < vitare > non liceat.****************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1204] Frigidus etiam est, quod huic ex more respondetur, interdum non sine gravi taedio prolixae dictionis, nonnunquam et pudore illius qui laudatur immodice, saepe dicentis non pudore tantum sed et periculo, dum sudat recitans quae edidicit, dum haeret, dum sibi aliquoties excidit vel oblivione vel animi perturbatione.

[1205] Quid autem admirationis habeant tales orationes, cum fere, qui recitat, ab rhetore quopiam elaboratam edidicerit, ut ad oratorem nostrum nihil redeat laudis praeter recitandi fortitudinem ?

[210,1206] Hic itaque praeter salutationis officium nihil agitur ; quod est serium, privatim litteris et Gallicis colloquiis peragitur. [1207] Quod igitur theatrum petet noster Ciceronianus ? [1208] Scribet epistulas Ciceronianas. [1209] Ad quos ? [1210] Ad eruditos ? [1211] Paucissimi sunt et hi nihil morantur Ciceronianam phrasim, modo sit sana, prudens, munda doctaque oratio.

[1212] Ad quos igitur? [1213] Ad quattuor Italos, qui se nuper jactare coeperunt Ciceronianos, cum, ut ostensum est, nihil sit Ciceroni dissimilius vixque tenuem umbram habeant Ciceronis.

[1214] Quod ipsum quicquid est, si minimo constaret, si praesto esset ultro, si non officeret majoribus commodis, fortasse non esset reiciendum. [1215] Nunc fac rationem tecum ineas, num hoc laudis sit tot vigiliis, tot sudoribus redimendum, non sine periculo valetudinis, ut a quattuor ineptis Italis adulescentibus recipiaris in catalogum Ciceronianorum ?

[1216] Nosoponus Non probas bene dicendi studium ?

[1217] Bulephorus M- Tullius non requirit a philosopho eloquentiam. [1218] An quenquam existimas inter ethnicos philosophos tam severum, ut putes cuivis Christiano praeferendum ?

[1219] Hypologus Immo tota Graecorum philosophia prae philosophia Christi somnium est ac nugamentum.

[1220] Bulephorus Qua igitur fronte nos exigimus a Christiano Ciceronianam eloquentiam, hoc est et inimitabilem et quam ethnici viro gravi vix decoram existimarunt ?

[1204] De plus notre orateur n’est pas bien enthousiaste parce qu’on lui répond sur le même ton. Cela ne va pas quelquefois sans l’ennui qu’entraîne un style bavard. Il n’est pas rare que s’y mêle aussi un peu de gêne de la part de celui qui reçoit des louanges excessives, et pour celui qui les débite en plus de la gêne il y a toujours ce risque de se mettre à suer à grosses gouttes tandis qu’il récite ce qu’il a appris par cœur, de buter sur un mot ou de perdre ses moyens, soit à cause d’un trou de mémoire, soit parce qu’il se trouble.
[1205] Quelle admiration peuvent bien remporter ces sortes de discours, puisque dans la plupart des cas celui qui les prononce les a appris par cœur de la bouche d’un professeur de rhétorique? Si bien qu’il ne revient d’autre mérite à notre orateur que celui d’avoir eu le courage de réciter son compliment.
[1206] C’est pourquoi dans ce genre de rencontre il n’est pas question d’autre chose que d’échanger les politesses d’usage. Pour ce qui est des affaires sérieuses, on les conclut en privé ; par lettres et au cours d’entretiens qui se font en français.
[1207] Quel théâtre recherchera donc notre cicéronien ? Il écrira des lettres de style cicéronien. Mais à qui ? Aux érudits ? Il y en a fort peu et ils ne se préoccuppent pas du style cicéronien pourvu que le discours soit de bon goût, réfléchi, élégant et instructif.
[1212] Mais à qui alors les adressera-t-il ? A quatre Italiens qui se sont mis à se vanter récemment d’être des cicéroniens, alors que, comme nous l’avons montré, ils n’y a pas plus différent qu’eux de Cicéron et qu’ils ont à peine l’ombre d’une ressemblance avec lui.

[1214] Mais cette ombre elle-même, si mince soit-elle, peut-être ne serait-elle pas à dédaigner si elle ne coûtait pas tant d’efforts, si elle était vraiment accessible, si elle ne faisait pas obstacle à des occupations plus utiles. Essaie maintenant, pour ton compte personnel, de dresser le bilan de tout cela : est-ce qu’il faut vraiment acheter au prix de tant de veilles, de fatigues, sans oublier leurs effets sur la santé, l’honneur d’être couché sur la liste des Cicéroniens par quatre gamins italiens sans cervelle ?

[1216] Nosopon Tu n’approuves donc pas la recherche de l’éloquence ?
[1217] Buléphore Marcus Tullius n’exige pas du philosophe qu’il fasse preuve d’éloquence. [1218] Mais vois-tu parmi les philosophes païens quelqu’un que tu estimes assez sérieux pour qu’on doive, selon toi, le préférer à n’importe lequel des philosophes chrétiens ?

[1219] Hypologus Allons donc ! La philosophie grecque toute entière n’est qu’un tissu de chimères et de balivernes à côté de la philosophie chrétienne.

[1220] Buléphore De quel front exigeons-nous donc du Chrétien qu’il use d’une éloquence cicéronienne, cette éloquence inimitable et que les païens ont estimée à peine convenable pour un homme sérieux / respectable ? [1204 ] Frigidus est très élliptique ! P. Mesnard imprime aussi frigidus mais traduit comme s’il y avait frigidius (« plus froide encore est la réponse protocolaire »). ******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[212,1221] Nec statim male dicit, qui secus dicit quam Cicero dixit. [1222] Nec omnino, quod crebro repetendum est, bene dicit qui non dicit apte.

[1223] Ad haec inutilis est armatura, quae, cum tantum ad ostentationem valeat, nec ad manum est, ubi res virum postulat. [1224] Interdum res urget, ut eodem die viginti scribamus epistulas. [1225] Quid hic faciet meus Ciceronianus ?
[1226] Ad haec quotusquisque nunc est, qui Ciceroniana phrasi capiatur ? [1227] Quid quod Cicero varius est in dicendo ? [1228] Alius est, cum sermone remisso placidoque docet philosophiam, alius in actionibus causarum, alius in epistulis, in quibus fere neglectus est et illaboratus sermo, atque hoc ipsum decet epistulam, quae in familiaris colloquii vicem successit.
[1229] An non igitur praepostere fecerit qui ea cura conscribat epistulam de re familiari, qua Cicero meditatus est orationem pro Milone ? [1230] Et nos epistulae non longae de rebus non ita magni momenti dabimus operam menstruam ?

[1231] Ne M- quidem Tullius tanti redempturus erat eloquentiam quam praestat in causis, si tot vigiliis constitisset, quanti nobis constat epistula,
cum illis temporibus tantus esset in re publica usus eloquentiae, cum hoc studium publice privatimque floreret, cum longe parabilior esset ea facultas.
[1232] Iure derisus est quidam, qui multis diebus se torserat nec adhuc potuerat orationis exordium invenire, quod affectaret melius dicere quam posset. [214,1233] Est in Cicerone felix quaedam facilitas, naturae donum, est nativa perspicuitas. [1234] Hoc si nobis natura negavit, cur nos ipsos frustra discruciamus ?

[1235] Quanto vero longius absunt a sana mente, qui temporibus alienis, qui rerum humanarum tota inversa scena, cum vix usquam sit Ciceronianae dictionis usus, hoc uno studio sese macerant, ut videantur Ciceroniani nec quicquam aliud quam Ciceroniani.

[1236] Nosoponus Belle tu quidem rhetoricaris, verum hunc affectum non possum excutere, adeo penitus insedit animo meo.


[1221] Buléphore (suite) Et puis on ne parle pas forcément mal parce qu’on parle autrement que Cicéron ! [1222] Mais par contre on ne parle absolument pas bien quand on ne parle pas d’une manière adaptée au sujet : on ne le répétera jamais assez !
[1223] Outre cela, des armes qui ne sont destinées qu’à la parade, et ne sont même pas maniables, ne sont d’aucune utilité quand la situation réclame un homme d’action ! [1224] De temps en temps les circonstances exigent que l’on écrive une vingtaine de lettres en un jour [1225] Que fera notre cicéronien dans ce cas ?
[1226] Ajoute à cela que de nos jours bien peu se laissent prendre au charme de la phrase cicéronienne. [1227] Et puis le style de Cicéron varie, selon les discours. [1228] Il parle une langue souple et fluide quand il enseigne la philosophie ; il est tout autre quand il plaide une cause ; tout autre encore dans ses lettres où son style est peu travaillé et presque négligé, ce qui convient fort bien à un courrier qui se veut (remplaçant) une conversation amicale.

[1229] N’est ce donc pas agir hors de propos que d’écrire une lettre sur un sujet de la vie quotidienne avec le même soin que Cicéron à dû mettre à préparer son discours pour défendre Milon ? [1230] Et nous ? Allons-nous réellement employer l’ouvrage de tout un mois à écrire une lettre, qui ne sera pas longue, sur un sujet qui n’a pas grande importance ?

[1231] Cicéron lui-même n’aurait pas été disposé à payer un tel prix pour l’éloquence dont il fait preuve dans ses plaidoiries si elle lui avait coûté autant de veilles que nous coûte à nous la moindre lettre, alors que pourtant en ces temps là, l’usage en était fort courant dans les affaires publiques, alors que l’étude en était florissance tant en privé qu’en public et que cette faculté était beaucoup plus facile à acquérir.

[1232] On a eu bien raison de se moquer de cet homme qui, après plusieurs jours d’efforts et de peine, n’avait pas encore réussi à produire l’exorde de son discours, parce qu’il cherchait à s’exprimer avec plus de recherche qu’il ne le pouvait. [1233] Il y a chez Cicéron une heureuse facilité, don de la nature ; une clarté naturelle aussi. [1234] Si la nature nous a refusé ces dons : pourquoi nous torturerions-nous en vain ?

[1235] Il ne faut pas être complètement sain d’esprit pour s’épuiser dans cette unique étude, pour vouloir paraître cicéronien, et rien d’autre que cicéronien, en des temps si éloignés de l’époque cicéronienne, quand le théâtre du monde a totalement changé de face, quand il n’est presque plus aucun lieu où l’on fasse encore appel à l’éloquence de Cicéron.
[1136] Nosopon. Ta rhétorique est bien jolie ! Mais je ne peux me défaire de l’emprise de cette passion, tant elle est profondément ancrée dans mon âme.

***************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1237] Bulephorus A mediocri aemulandi studio te non revoco, modo, qua est optimus, hac aemuleris, modo aemuleris potius quam sequaris, [1237b] modo studeas aequalis esse verius quam similis, modo ne pugnes adversus genium tuum, modo ne sic affectes congruere Ciceroni tuam orationem, ut rei de qua loqueris non congruat.

[1238] Super haec omnia absit anxietas, quae nusquam non est infelix, sed haud alibi quam in dicendo infelicior.

[1239] Postremo ne sic affectus sis, ut, si quod sequeris non assequaris, vitam acerbam putes nec vivere libeat non Ciceroniano, cum tot sint hominum eruditorum milia, qui sine hoc titulo et vivi laudem egregiam et mortui nominis immortalitatem sunt assecuti.


[1240] Nosoponus Hunc in modum nunc quidem affectus sum.
[1241] Bulephorus Idem affectus et me quondam habuit, sed ab eo morbo revalui
[1242] Nosoponus Quo tandem pacto ?
[1243] Bulephorus Adhibui medicum.
[1244] Nosoponus Quem, obsecro?
[216,1245] Bulephorus Facundum et efficacem.
[1246] Nosoponus Quem, inquam?
[1247] Bulephorus Ad quem nihil Aesculapius aut Hippocrates.
[1248] Nosoponus Enecas.
[1249] Bulephorus Quo nemo paratior nec amicior nec fidelior nec curat hepar aut stomachum ; hominis intima sanat.
[1250] Nosoponus Si nomen edere gravaris, saltem indica pharmacum.
[1251] Bulephorus Et nomen et pharmacum scies : ho logos, tô logô mihi medicatus est.
[1252] Hypologus Verissima praedicas ; « psuchês nosousês estin iatros logos ».





[1237] Buléphore Je ne veux pas te détourner d’une pratique modérée de l’imitation, à condition que tu imites Cicéron là où il est excellent, et à condition que tu rivalises avec lui plutôt que de te contenter de le suivre ; à condition que tu t’efforces d’être son égal dans le fond, plutôt que son double, à condition que tu ne combattes pas ton génie propre, à condition que tu ne plies pas ton discours à toute force au style cicéronien au point qu’il ne concorde pas avec le sujet dont tu veux parler.
[1238] Encore un point : bannis l’anxiété ! elle n’est jamais sans effet négatif ; mais nulle part elle ne conduit plus sûrement à l’échec que dans l’exercice de l’éloquence.
[1239] Pour finir : ne te laisse jamais affecter par cette passion au point de plus trouver qu’amertume dans ta vie si tu n’atteins pas ce que tu poursuis ; au point de ne plus avoir plaisir à vivre, sans être Cicéronien : tant de miliers d’hommes instruits ont obtenu de leur vivant une gloire éclatante et après leur mort un renom immortel, sans avoir jamais obtenu ce titre !

[1240] Nosopon  C’est pourtant bien de cette façon que je suis touché !

[1241] Buléphore J’ai été pris de la même maladie autrefois, mais j’en suis sorti et j’ai retrouvé la santé.
[1242] Nosopon  Mais enfin : de quelle façon ?
[1243] Buléphore J’ai eu recours à un médecin.
[1244] Nosopon Mais lequel, de grâce ?
[1245] Buléphore Eloquent et efficace
[1246] Nosopon Son nom te dis-je !

[1247] Buléphore Rien à voir avec Esculape ou Hippocrate.

[1248] Nosopon Tu me fais mourir !

[1249] Buléphore Je n’ai jamais vu personne plus disponible, plus amical, plus fidèle ; il ne guérit ni le foie ni l’estomac : il guérit l’homme à l’intérieur de lui-même.
[1250] Nosopon Si tu répugnes à me donner son nom, indique moi au moins le remède !
[1251] Buléphore : tu sauras et le nom et le remède ! « Le discours m’a guéri par le discours » !
[1252] Hypologus Tu ne dis là que des choses fort vraies : « le discours est le médecin de l’âme malade ».

[1252] «0±ÄÁx »y³¿Â» P. Mesnard renvoie à Eschyle, Prométhée, v. 377-78, que Cicéron a traduit dans les Tusculanes, III, 31 : « Mederi posse orationem iracundiae ». Puissance thérapeutique du langage. Il signale un contresens de Humbert (qui traduit par « raisonnement ») et de Gambaro. Il est tentant de traduire Logos par Verbe ; Mais en Logos se mêlent autant les connotations grecques et particulièrement platoniciennes que celles de l’Evangile. ***********
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction (section 3 [1030-1257])
[1253] Bulephorus Sic ab eo morbo revixi, Nosopone. [1254] Quodsi voles hic aliquantisper ejus quem prius gessi personam suscipere, ego « tou logou » (Ä¿æ »y³¿Å ) vices obiero.

[1255] Nosoponus Suscipio, quando ita videtur.
[1256] Bulephorus Cum me vehemens teneret morbi paroxysmus, sic adortus est medicus, quemadmodum nunc loquor tibi. [1257] Pudor, inquit, te malus urget infelix, qui ferre non possis convicium cum tot hominum milibus commune.

[1258] Nosoponus Quodnam ?
[1259] Bulephorus Quia negaris esse Ciceronianus.
[1260] Nosoponus Istuc me discruciat, fateor.[]
[1253] Buléphore C’est ainsi que j’ai retrouvé la vie, au sortir de ma maladie [1254] et si tu veux bien ici endosser pendant quelque temps le personnage que j’ai moi aussi joué il y a peu de temps, moi je m’empresserai de tenir le rôle du logos !

[1255] Nosopon je vais le faire puisque cela te paraît une bonne chose.
[1256] Buléphore Lorsque la maladie qui me possédait était à son paroxysme, le médecin m’aborda dans les termes que j’utilise aujourd’hui pour te parler : « Une mauvaise honte (injustifiée) te tient, malheureux ! Tu ne peux même pas supporter un déshonneur que des miliers d’hommes partagent en commun»
[1258] Nosopon  Lequel donc?
[1259] Buléphore Qu’on te refuse le titre de cicéronien.
[1260] Nosopon Je veux bien le reconnaître : c’est cela qui me détruit.
[1256] Loquor tr. avec datif est utilisé par Plaute
[1259] quia = parce que  relation assez lâche avec convicium ; assez proche ici de l’emploi môyen-âgeux de quod et quia au sens de  « que » apposé à convicium. Fin de la Section 3
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [1258-1825]
Qui correspond à la subdivision G dans le plan que P. Mesnard propose dans l’introduction de son édition. 
[1261] Bulephorus At responde mihi per Musas, quem mihi dabis Ciceronianum praeter unum Ciceronem? [1262] A veteribus ordiamur. [1263] In oratorum catalogo quem perlongum in Bruto contexuit M- Tullius vix duo sunt, quos dignetur oratorum titulo, tantum abest ut Ciceroniani videri queant.
[1264] Iam C- Caesar Ciceronianus dici non potest, vel quia vixit iisdem temporibus, vel quia longe aliud dicendi genus sibi proposuerat, contentus eleganter proprieque dicere.
[218,1265] At haec quantula est Ciceronis portio ? [1266] Neque enim tam praeclarum est oratorem Latine dicere quam turpe nescire Latine. [1267] Ad haec nihil exstat Caesaris praeter epistulas aliquot et commentarios rerum ab ipso gestarum, quamquam eruditi de horum auctore vehementer ambigunt. [1268] Nulla certe exstat oratio, cum hic demum excelluerit Cicero.

[1269] Idem mihi dicere licet de M- Caelio, Planco, Decio Bruto, quorum satis multas habemus epistulas Tironis studio servatas, [1269b] pauciores Cn- Pompeii, L- Cornelii Balbi, Lentuli, Cassii, Dolabellae, Trebonii, P- Vatinii, Seruii Sulpitii, Auli Caecinae Bithynii, M- Bruti, Asinii Pollionis, C- Caesaris et si qui forte sunt alii quos constat eadem aetate fuisse cum Cicerone, [1269c ] ut non magis conveniat M- Caelium dici Ciceronianum quam Ciceronem Caelianum.

[1270] Nec in his epistulis quicquam congruit praeter sermonis Romani dilucidam et inaffectatam elegantiam. [1271] At in hoc non est totus Cicero quem tibi proponis aemulandum.

[1272] Quid enim nunc commemorem de Crispo Sallustio qui, cum ejusdem fuerit aetatis, dictione dissimillimus est Ciceroni.
[1273] Nosoponus Ne commemora mihi priscos illos horridos et impexos, cum nondum una cum moribus enituisset eloquentia, nec eos qui pariter cum Cicerone decurrerunt ; eos refer qui Ciceronem secuti sunt.

[220,1274] Bulephorus Age, num tibi Seneca videtur Ciceronianus?
[1275] Nosoponus Nihil minus, praesertim in oratione soluta. [1276] Nam tragoediae quae probantur a doctis vix videntur a Seneca scribi potuisse.

[1261] Buléphore Mais réponds moi, au nom des Muses ! Qui pourrais-tu me donner comme exemple de cicéronien, si ce n’est Cicéron lui-même ? [1262] Commençons par les anciens ! [1263] Dans le long catalogue des orateurs que Cicéron dresse dans le Brutus, il s’en trouve à peine deux qu’il juge dignes de ce nom, et il s’en faut de beaucoup que nous puissions les considérer comme cicéroniens !
[1264] Passons maintenant à C. César. On ne peut pas dire qu’il soit cicéronien, tout d’abord parce qu’il vivait à la même époque que Cicéron ; et ensuite parce qu’il s’était choisi un genre d’éloquence très différent du sien, se contentant d’une correction et d’une précision élégantes.
[1265] Or cela ne représente qu’une toute petite partie des qualités du style cicéronien, n’est-ce pas ? [1266] Car pour un orateur il n’est pas tant glorieux de parler un bon latin qu’il serait honteux de pas bien le savoir. Ajoutons à cela que de César il ne reste rien que quelques lettres et les Commentaires
de ses propres exploits ; encore les érudits ont-ils de sérieux doutes sur leur auteur. [1268] Il ne reste, en tout cas, aucun discours de lui, alors que c’est précisément dans ce genre que Cicéron a excellé.

[1269] Je pourrais dire la même chose de M. Caelius, de Plancus, de Decius Brutus dont nous avons conservé un assez grand nombre de lettres, grâces aux bons soins de Tiron. Il reste un peu moins de lettres de Cn. Pompée, de L. Cornélius Balbus, de Lentulus, de Cassius, de Dolabella, de Trebonius, de P. Vatinius, de Servius Sulpicius, d’Aulus Caecina le Bithynique, de M. Brutus, d’Asinius Pollion, de C. César. Il en va de même de quelques autres qui furent, on le sait, contemporains de Cicéron, si bien qu’il ne conviendrait pas plus à M. Caelius d’être nommé Cicéronien qu’à Cicéron d’être traité de Caelinien.
[1270] Rien dans ces épîtres ne correspond au style cicéronien si ce n’est la clarté de la langue et une correction sans affectation, qui sont toutes romaines. [1271] Mais le Cicéron que tu t’es proposé d’imiter dans sa totalité, ne se limite pas à cela.
[1272] Qu’irais-je encore mentionner Salluste, contemporain de Cicéron, certes, mais si totalement différent de lui, du point de vue du style ?


[1273] Nosopon Arrête de m’énumérer ces ancêtres au style échevelé et peu soigné ! Ni l’éloquence ni le mode de vie ne brillaient alors par leur éclat. Ne me parle pas non plus des contemporains de Cicéron : cite moi seulement ceux qui sont venus plus tard.

[1274] Buléphore Allons ! Considèrerais-tu Sénèque comme cicéronien ?

[1275] Nosopon Certainement pas ! Surtout pas sa prose ! [1276] Car, pour ce qui est des tragédies que les doctes trouvent belles, il me semble à peine croyable que ce soit Sénèque qui les ait écrites.
[1267] De Bello Gallico : le VIII° livre est attribué à Hirtius ( mort pendant son consulat en 43). 
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [1258-1825] 

[1277] Bulephorus Num Valerius Maximus ?
[1278] Nosoponus Tam similis est Ciceroni quam mulus homini, adeo ut vix credas vel Italum fuisse qui scripsit vel hoc aetatis quod prae se fert vixisse, tam diversum est totum dictionis genus ; Afrum quempiam esse dicas nec ullum carmen elaboratius.
[1279] Bulephorus Quid Suetonius?
[1280] Nosoponus Non paulo longius abest a Cicerone quam Seneca, nec verbis nec structura nec perspicuitate nec figura dictionis nec urbanitate referens M- Tullium.
[1281] Bulephorus T- Livium hoc honore dignaris ?

[1282] Nosoponus Primum historicus est, deinde incompositus, nonnullis etiam Patavinitatem quandam resipere dictus est, hoc est minus Romane dicere.

[1283] Bulephorus Iam Cornelium Tacitum conferre non audeo.
[1284] Nosoponus Nec opus est.
[1285] Bulephorus Fortasse Quintilianum recipies in hoc album.
[1286] Nosoponus Is affectavit etiam Ciceroni dissimilis esse ; cujus utinam exstarent declamationes ! nam quas habemus, minimum habent Ciceronis.
[1287] Bulephorus Sed habeo quem non contemnas, Q- Curtium.
[222,1288] Nosoponus Historicus est.
[1289] Bulephorus Est, sed in historias exstant aliquot orationes.
[1290] Nosoponus Ceteris candidior est, sed nihil, aiunt, ad Parmenonis suem. [1291] Habet multas sermonis formulas a Ciceronianis diversas.

[1292] Bulephorus Si hunc reicis, non recipies, opinor, Aelium Spartianum, Iulium Capitolinum, Aelium Lampridium, Vulcatium Gallicanum, Trebellium Pollionem, Flauium Vopiscum, Aurelium Victorem.
[1293] Nosoponus In his vix est quod probes praeter historiae fidem, tantum abest ut eos Ciceroniani cognominis honore digner. [1294] Nam aegre tuentur sermonis Latini castimoniam.

[1277] Buléphore Alors Valère Maxime ?
[1278] Nosopon Il ressemble à Cicéron autant qu’un mulet à un homme ! C’est à se demander si c’est vraiment un Italien qui écrit ou même s’il est bien de l’époque dont il se réclame ! Son style est différent sur tous les points : on dirait que c’est un Africain qui écrit ; et sa prose est plus travaillée que de n’importe quelle poésie.
[1279] Buléphore Que dirais-tu de Suétone ?
[1280] Nosopon Il s’éloigne à peine plus de Cicéron que Sénèque. Il ne le restitue ni par le vocabulaire, ni par la musique des phrases, ni par la clarté, ni par la tournure générale de son style, ni par le raffinement.

[1281] Buléphore Estimes-tu que Tite Live soit digne de cet honneur ?
[1282] Nosopon D’abord c’est un historien ; ensuite il n’a pas le sens du rythme, et quelques critiques ont dit de lui que son style sentait le Padouan : c’est dire qu’il n’est pas d’une assez bonne romanité !
[1283] Buléphore Alors je n’ose plus te proposer Tacite !

[1284] Nosopon Ce n’est même pas la peine !

[1285] Buléphore Peut-être accepteras-tu Quintilien sur ta liste ?
[1286] Nosopon Il a tout fait pour ne pas ressembler à Cicéron ! S’il restait au moins quelques unes de ses déclamations ! Car, pour celles que nous avons, elles n’ont que très peu à voir avec celles de Cicéron.
[1287] Buléphore J’en ai un que tu ne vas pas mépriser : c’est Quinte Curce !

[1288] Nosopon C’est un historien !
[1289] Buléphore Oui, mais quelques discours se détachent dans ses histoires.

[1290] Nosopon Son style est plus pur que les autres, mais comme on dit, ce n’est rien auprès du cochon de Parménon ! Il emploie un certain nombre d’expressions fort peu cicéroniennes.

[1292] Buléphore Si tu rejettes celui-là tu n’admettras pas non plus, je suppose, Aelius Spartianus ni Julius Capitolinus ni Aelius Lampridius ni Vulcatius Gallicanus ni Trebellius Pollion ni Flavius Vopiscus ni Aurelius Victor.

[1293] Nosopon Il n’y a rien à louer chez eux si ce n’est la vérité historique. Il s’en faut de beaucoup que je les trouve dignes du nom de Cicéroniens, parce qu’ils ont bien de la peine à respecter la pureté de la langue latine.[1280] Structura ae f : maçonnerie ; métaphore de Cicéron pour compositio ; désigne l’arrangement des mots pour obtenir un rythme harmonieux dans les phrases. Certes cela pourrait aussi désigner la structure du discours.
[1281] Incompositus voir compositio. Cela pourrait aussi vouloir dire que l’ouvrage n’est pas bien composé.
—NB. Erasme consacre un adage au cochon de Parménon 10. I, I, 10. Nihil ad Parmenonis suem, dont l’histoire remonte à Plutarque.
Plutarque, Propos de table, Livre V, question I, §2, question liée à l’art et à l’imitation « On dit, en effet, que ce Parménon ayant une grande notoriété pour son imitation du pourceau, d'autres devinrent jaloux de lui et donnèrent de leur côté des représentations. Mais les spectateurs avaient l'esprit prévenu, et l'on disait : « Voilà qui est bien : pourtant ce n'est rien auprès du pourceau de Parménon.» Il y en eut un qui s'avisa de prendre un cochon de lait sous son aisselle et de se présenter devant le public. Et comme, en entendant le cri véritable, on se disait : « Qu'est ce cri auprès celui de Parménon? » il lâcha le cochon de lait au milieu de tous, afin de les convaincre que leur jugement était dicté par la prévention et non par la vérité ». Une autre allusion se trouve dans Plutarque, « Comment lire les poètes ».
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825] 
[1295] Bulephorus En adest Probus Aemilius.
[1296] Nosoponus Candidus est laudator omnium quorum vitam describit, ut encomiasten dicas verius quam historiographum.
[1297] Bulephorus At Ammianum Marcellinum fortasse recipies.
[1298] Nosoponus Difficilis est in eloquendo ac subinde compositio carmen moliri videtur, cum dicit, "ut captivos redderet nostros". [1299] Velleium Paterculum citius agnoverim, quanquam nec illum dignabor hoc honore.

[224,1300] Bulephorus Minus, opinor, agnosces epitomographos Florum, Eutropium et Solinum.
[1301] Nosoponus Agnoscam, si quisquam eruditus illos agnoscit, hoc sane nomine : referunt enim quos imitantur.

[1302] Bulephorus Verum retro mihi cursus flectendus est, duos Plinios praetermisimus.
[1303] Majorem, scio, non feres hic nominari, Juniorem fortassis admittes.
[1304] Nosoponus Immo qui sunt hujus causae censores, cum primis vetant contingi ab adulescentibus hujus epistulas, ne pro Ciceronianis evadant Pliniani.

[1305] Bulephorus At felicius scripsit orationem qua Trajanum laudat.
[1306] Nosoponus Felicissime, sed Ciceronem non exprimit.

[1307] Bulephorus Poetas sciens praetereo facile divinans quid sis responsurus, etiamsi clarissimos ac felicissimos omnium proposuero Virgilium Horatium Ovidium Lucanum et Martialem.
[1308] Nosoponus In Horatio nullum Ciceronis vestigium, in Virgilio nonnullum, licet obscurum, Ovidius inter poetas Cicero videri posset, [1308b] Lucanus dictus est oratori quam poetae similior, sed alienissimus ab imagine Ciceronis, [1308c] Martialis ad Nasonis facilitatem plurimum accedit et aliquid Ciceronianae laudis illi poterat tribui, ni in libros aliquot epistulis praefatus esset, Deum immortalem, quam non Ciceronianis.

[1309] Bulephorus Quid si proferam Lucretium ?
[1310] Nosopon Eadem opera profer et Ennium et Lucilium.



[1295] Buléphore Tiens ! que dis-tu de Probus Aemilius?
[1296] Nosopon Il ne sait pas faire autrement que louer purement et simplement tous ceux dont il décrit la vie, si bien qu’on le qualifierait plus justement de panégyriste que d’historiographe.
[1297] Buléphore Mais Ammien Marcellin ? Peut-être que lui tu l’accepteras ?
[1298] Nosopon Son style est assez lourd et puis tout à coup il se met à rechercher un rythme poétique comme quand il écrit « à cette condition (sub hac lege ut) qu’ils nous rendent nos captifs ». [1299] Je reconnaîtrais plus facilement Velleius Paterculus comme cicéronien, quoique, lui non plus, je ne le trouve pas vraiment digne de cet honneur.
[1300] Buléphore Tu reconnaîtras encore moins, je suppose, les compilateurs / abréviateurs Florus Eutrope, et Solin.

[1301] Nosopon Je les reconnaîtrai pour cicéroniens, si les érudits les reconnaissent, pour cette bonne raison qu’ils reflètent bien ceux qu’ils imitent.

[1302] Buléphore Mais il nous faut faire machine arrière ! Nous avons omis les deux Pline ! Pour Pline l’Ancien, je sais que tu ne supporteras pas qu’on le nomme ici ! Pour ce qui est de Pline le Jeune peut-être l’admettras-tu ?

[1304] Nosopon Surtout pas ! Ce que défendent (interdisent) en tout premier lieu les tenants de cette cause (le cicéronianisme) c’est précisément qu’on laisse les adolescents s’approcher de ses lettres, sous peine de se retrouver Pliniens plutôt que Cicéroniens !
[1305] Buléphore Mais pourtant son discours en l’honneur de Trajan est une réussite.

[1306] Nosopon Il est très réussi ! Mais il ne reflète pas Cicéron.


[1307] Buléphore Je laisserai volontairement les poètes de côté : je devine bien ce que tu vas me répondre, quand bien même je te proposerais les plus brillants et les meilleurs de tous : Virgile, Horace, Ovide, Lucain et Martial.

[1308] Nosopon Chez Horace il n’y a pas trace des caractéristiques cicéroniennes ; Virgile en offre quelques unes, quoique elles soient peu mises en valeur. D’Ovide, on pourrait dire que c’est le Cicéron des poètes. Quant à Lucain on a dit qu’il est plus proche de l’orateur que du poète. Mais il est très loin du modèle cicéronien. Martial a tout de la facilité qui caractérise Ovide et l’on pourrait lui attribuer le mérite d’avoir un style cicéronien s’il n’avait pas mis pour préfaces de ses livres certaines lettres aussi peu cicéroniennes que possible.

[1309] Buléphore Et si je disais … Lucrèce ?
[1310] Nosopon Et pourquoi pas Ennius et Lucilius pendant que tu y es ? [1295] Probus Aemilius : auteur incertain auquel la Renaissance attribuait les œuvres de Cornélius Népos ( P.M.).
[1298] Ammien Marcelin, Res Gestae a fine Corneli Taciti, Livre XVII, X, 4.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[226,1311] Bulephorus A- Gellii candidissimam phrasim mirantur eruditi.
[1313] Nosoponus Nec argumentum convenit nec phrasis primum affectata et verborum copia paene superfluens, rerum supellectile frugalis.

[1314] Bulephorus En tibi Macrobius.
[1315] Nosoponu Aesopicam corniculam mihi nominas ; ex aliorum pannis suos contexuit centones ; itaque sua lingua non loquitur et, si quando loquitur, Graeculum Latine balbutire credas.

[1316] Quod genus est illud ex commentario in somnium Scipionis secundo : "Et hoc esse volunt quod Homerus divinarum omnium inventionum fons et origo sub poetici nube figmenti verum sapientibus intelligi dedit".


[1317] Bulephorus At Symmachum in epistulis argutum admirantur quidam.
[1318] Nosoponus Admirentur, quibus studio est moleste potius quam bene dicere.
[1319] Bulephorus Sed heus, Apuleius nobis praeteritus est.
[1320] Nosoponus Hunc Ciceroni conferam, cum libebit graculum comparare lusciniae.
[1321] Bulephorus Sit sane in Asino et Floridis, at in Apologiis accedit.
[1322] Nosoponus Minus quidem abest, sed immenso sequitur intervallo.
[1323] Ceterum et Martianum Capellam oblitus es, si tales libet proferre.
[228,1324] Bulephorus Quid si veniamus ad semichristianos? [1325] Quis tibi videtur Boethius ?
[1326] Nosoponus Egregius philosophus, poeta non pessimus, a Ciceronis dictione longe semotus.

[1311] Buléphore Les savants admirent le style très pur d’Aulu Gelle.

[1312] Nosopon Ses sujets ne conviennent pas, ni son style, qui est trop recherché d’une part et, d’un autre côté, presque redondant, du fait de l’abondance du vocabulaire alors qu’il est pauvre en idées.
[1314] Buléphore  Tiens je te propose Macrobe.
[1315] Nosopon C’est la corneille d’Esope que tu me donnes-là ! Il confectionne ses centons avec les haillons arrachés aux autres. C’est pourquoi on peut dire qu’il ne parle pas sa langue et quand par hasard il la parle on croirait un Grec bégayant en latin !
[1316] Tiens voici une phrase de cet acabit, tirée de son commentaire du songe de Scipion « Et voilà ce qu’ils (les physiciens anciens) veulent qu’Homère, source et origine de toutes inventions divines, sous couvert de fiction poétique, a donné à comprendre aux sages comme choses comme vraies». (sic !)

[1317] Buléphore Certains admirent la finesse dont Symmaque fait preuve dans ses lettres.
[1318] Nosopon  Qu’ils l’admirent, s’ils préfèrent leur style ennuyeux plutôt que le beau discours !
[1319] Buléphore Mais bon sang ! voilà que nous avons oublié Apulée !

[1320] Nosopon Celui-là je le comparerai à Cicéron le jour où on trouvera bon de comparer les geais avec les rossignols !
[1321] Buléphore Soit ! pour L’âne et les Florides, je comprends, mais dans l’Apologie il s’en approche.

[1320] Nosopon Disons qu’il s’en éloigne moins, mais il ne le suit quand même qu’à une très grande distance !

[1323] D’ailleurs tu as oublié Martianus Capella, si tu t’engages dans cette catégorie.

[1324] Buléphore Bon et si on en venait aux « semi-chrétiens ». [1325] Que penses-tu de Boece ?
[1326] Nosopon Remarquable philosophe ; pas trop mauvais comme poète ; très loin du style cicéronien.

[Ph.1315] Cornicula ae f : corneille ( Esope Fable 185, la corneille se pare des plumes des autres oiseaux ) Contexo ere texui textum  : composer en tissant Cento onis m : centon ( pièce de vers en pot-pourri)
de Volunt a pour sujet dans le texte de Macrobe, II, 10 « les anciens physiciens ». Macrobe II, 10 Selon les plus anciens physiciens, le feu éthéré se nourrit de vapeurs; ils nous assurent que si la nature a placé, comme nous l'avons dit ci-dessus, l'Océan au-dessous de la zone torride que traverse le zodiaque, c'est afin que le soleil, la lune, et les cinq corps errants qui parcourent cette zone en tous sens, puissent tirer leur aliment des particules qui s'élèvent du sein des eaux. Voilà, disent-ils, ce qu'Homère donne à entendre aux sages, quand ce génie créateur, qui nous rend témoins des actions des dieux sur toute la nature, feint que Jupiter, invité à un banquet par les Éthiopiens, se rend dans l'Océan avec les autres dieux, c'est-à-dire avec les autres planètes; ce qui ne veut dire autre chose, sinon que les astres se nourrissent de molécules aqueuses.
[Ph.1316] « Le commentaire au songe de Scipion » de Macrobe (IV° -V° s.) a conservé ainsi une partie du Livre VI de la République de Cicéron, qu’on n’a redécouverte qu’au XIX° sous forme de palimpseste.
[1325] Boèce (470-525) Anicius Mantius Severinus. Homme d'État, philosophe, mathématicien ; chrétien et helléniste. En 485 il épouse la fille du consul Symmaque. 500, sénateur et patrice. 510, nommé consul. Ministre de Théodoric, roi des Ostrogoths à Rome. 522, maître des offices. Ses deux fils, encore adolescents sont nommés consuls. 523, exil. (Jean 1er Pape. Le traité de l'incarnation lui est dédié). 525 Boèce est torturé et exécuté sur l'ordre de Théodoric. Relai important entre la philosophie antique et le M-âge qui ne connut lgtps Aristote que par ses commentaires.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1327] Bulephorus Quis Ausonius?
[1328] Nosoponus Ingenium ac doctrinam tribuo, stilus aulae delicias licentiamque resipit quemadmodum et vita ; Ciceronianus adeo non est, ut studio habuisse videatur aliter dicere quam dixit Cicero. [1329] Proinde qui Ciceroniani nomen illi velit ascribere, pro honore contumeliam irrogarit homini, non aliter quam si quis Germanum appellaret qui studeret haberi Gallus, etiamsi Germanus esset.
[1330] Bulephorus Ne te longis ambagibus circumagam, veniamus, si videtur, ad Christianos, si quem forte reperiamus qui Ciceronianus dici mereatur. [1331] Inter hos, opinor, probabis Lactantium, qui Ciceronianae eloquentiae lacteo flumine manare dictus est.

[1332] Nosoponus Dictus, sed ab eo qui Ciceronianus non erat.
[1333] Bulephorus Verum illud infitiari non potes Lactantium Ciceronis eloquentiam affectasse.
[1334] Id declarat in tertium Institutionum librum praefatio, in qua defensurus Christianae philosophiae veritatem optat eloquentiam si non Tullianam, certe Tullianae proximam.

[1335] Nosoponus Nec porsus infeliciter affectavit, quanquam assecutus non est.
[230,1336] Bulephorus Qui sic?
[1337] Nosoponus Quoniam in prima statim operis praefatione sic locutus est : "Alioqui nihil inter Deum hominemque distaret, si consilia et dispositiones illius majestatis aeternae cogitatio assequeretur humana".
[1338] Ubi Cicero dixit "dispositiones" pro "decretis" ? [1339] Immo dum Ciceronianus esse studet, factus est Ciceroni dissimilis. [1340] Est enim hoc Ciceronis rem eandem duabus vocibus idem aut propemodum idem significantibus inculcare. [1341] Hinc est illud "consilia et dispositiones". [1342] Qui scis, an et vocalium hiatum captarit, ut Ciceronianus esset, in "consilia et", rursus in "cogitatio assequeretur".

[1343] Fortassis et compositionem affectavit scazontis clausul comma finiens velut in " blntMr " et " rch-p+rt ".

[1327] Buléphore Et Ausone ?
[1328] Nosopon Je lui reconnais du talent et de la connaissance. Son style se ressent des plaisirs de la cour et de la licence qui y règne, comme sa vie d’ailleurs. Il est si peu cicéronien qu’il semble avoir tout fait pour s’exprimer d’une autre manière que Cicéron. [1329] Par conséquent si on voulait lui attribuer le titre de cicéronien, on lui infligerait un outrage en croyant l’honorer, tout comme si on on traitait d’Allemand un homme qui s’efforce de passer pour Français, quand bien même il serait Allemand.

[1330] Buléphore Je ne veux pas te faire tourner en rond plus longtemps ! Venons-en, si tu es d’accord, aux Chrétiens. Nous en trouverons p-ê un qui méritera que nous le nommions cicéronien. [1331] Parmi eux tu approuveras, je crois, le choix de Lactance ? On a dit de lui que son discours coulait comme le fleuve de lait de l’éloquence cicéronienne !

[1332] Nosopon On l’a dit. Mais celui qui a dit cela n’était pas un Cicéronien !

[1333] Buléphore Tu ne pourras pourtant pas nier que Lactance a recherché de toutes ses forces l’éloquence cicéronienne ? [1334] Il le dit clairement dans la préface du troisième livre de ses Institutions où, se disposant à défendre la vérité de la philosophie chrétienne, il revendique le choix d’une éloquence sinon cicéronienne du moins la plus approchante possible.

[1335] Nosopon Ses efforts n’ont pas été tout à fait vains, mais il ne l’a pas vraiment atteinte.

[1336] Buléphore Comment cela ?

[1337] Nosopon Dès les premiers mots de la préface de son ouvrage il s’exprime en ces termes : « Autrement, il n’y aurait aucune différence entre Dieu et les hommes, si la réflexion humaine pouvait atteindre aux décrets et aux dispositions de cette majesté éternelle »
[1338] Où donc Cicéron a-t-il jamais employé « dispositions » pour « décrets » ? [1339] Mais allons plus loin ! C’est précisément en s’appliquant à se monter cicéronien qu’il s’en éloigne le plus ! [1340] En effet il est typique de Cicéron de souligner la même idée par deux mots de même sens, ou de sens proche. [1341] C’est de là que vient ce redoublement « consilia et dispositiones ». [1342] Va savoir même s’il n’a pas recherché, pour faire plus cicéronien, ces deux hiatus : « consilia et » et un peu plus loin « cogitatio assequeretur » ?
[1343] Peut-être même a-t-il consciemment disposé ses mots pour finir ses membres de phrase (comma) par une clausule boiteuse, (scazon), comme dans « blntMr » (baigneur) et « rch-p+rt » (chef des pirates) !
[Ph.1334] Titre = Divinae Intitutiones Praefatio est le sujet de declarat.
[Ph.1339 - 1347] Pierre Mesnard (suivant le ms A) attribue ce raisonnement à Buléphore.
[Ph.1343] BlntOr (bl-ntOr), Mris, m : baigneur [& ] ’! blntMr ; rch-p+rt, ae, m. : chef des pirates Scazon ontis m : « trimètre trochaïques ou iambique dont le dernier pied est un trochée % É Ø% ou un spondée % É É % » (de ú±¶É « boiter; être inégal » TLF ; au lieu de la finale % É Ø  % on a % É É  %cf. Nougaret ; Traité de métrique latine classique § 267 ) Clausula ae f : fin de phrase rythmée Comma atis n : membre de la période ; d  un vers, court et rythmé Voir L. Pernot « phrase commatique » p. 113 **************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1344] Cujusmodi clausulis frequenter utitur in eadem praefatione, ut in prima statim periodo "inhaerere" et rursus "instruere possimus" ac mox "apud Graecos" atque iterum "luce orationis ornata" et  authis au "honesta suscepta", mox et "honorasti" nec multo post "nominis tradas", iterum "ut sequerentur hortarer", item aliquanto post "reliquerunt".
[1345] Hoc certe Tullianum habet, quod subinde ditrochaeo finit, ut « cMntmlrknt », « cMnvOcmms », « sMp-mms », « +nchOmms » ; semel ponit in clausula « quaes+ss v-dtmr ». [1346] Haec indicant illum magno studio Ciceronis imaginem affectasse.
[1347] Verum hoc nomine justius reiceres Lactantium a titulo Tullianorum, quod nec eruditionem nec vim nec pectus attulerit ad defensionem philosophiae Christianae, quae M- Tullius attulit ad actionem causarum civilium.
[1348] Bulephorus E reliquorum numero quem primum aut ultimum proferam ? [1349] Cyprianum ?

[232,1350] Nosoponus Christiane scripsit verius quam Ciceroniane.
[1351] Bulephorus Hilarium ?
[1352] Nosoponus Ohe, nihil simile. [1353] Difficilis est et obscurus in eloquendo et Gallico, ut inquit ille, cothurno attollitur, verba quoque multa secum trahens quae non sunt Tullianae puritatis.
[1354] Bulephorus Sulpicius, opinor, videbitur hoc honore dignus.
[1355] Nosoponus Est ille quidem et mollior et jucundior et dilucidior et illaboratior Hilario, sed phrasis Gallum fuisse declarat. [1356] Non deest pietas, sed abest vis et gravitas et est floridum dicendi genus magis quam nervosum.
[1357] Bulephorus Tertullianum igitur admittes
[1358] Nosoponus Irrides ; is prudens ac sciens obscuravit malis verbis bonas sententias vel ipso durior Apuleio.


[1344] D’ailleurs il utilise souvent des clausules de cette sorte dans cette même préface : dans la toute première période par exemple « inhaerere » et « instruere possimus » et peu après  « apud graecos » et à nouveau « luce orationis ornata » et de nouveau « honesta suscepta » puis « honorasti » et pas très loin « nominis tradas » et encore « ut sequerentur hortarer » de même un peu plus loin « reliquerunt ».

[1345] A coup sûr c’est un trait cicéronien de finir régulièrement ses périodes par un ditrochée, comme il le fait dans "cMntmlrknt", cMnvOcmms", "sMp-mms", "+nchOmms" ; une fois même il utilise pour clausule "quaes+ss v-dtmr". Ces efforts indiquent clairement qu il a sérieusement cherché à imiter Cicéron. [1347] Mais il serait pourtant plus juste de rejeter Lactance de la liste des cicéroniens pour cette raison qu’il n’apporte à la défense de la philosophie chrétienne ni l’érudition, ni l’énergie, ni le cœur que Cicéron mettait à plaider des causes civiles.

[1348] Buléphore Parmi ceux qui restent, qui vais- je te présenter en premier ou en dernier ? Cyprien ?

[1350] Nosopon Il écrit à vrai dire bcp plus en chrétien qu’en cicéronien.

[1351] Buléphore Hilaire ?
[1352] Nosopon Ho là là ! Rien à voir ! Son éloquence est difficile et sans clarté ; il tente de se hausser, comme il le dit lui-même, sur le cothurne Gaulois, traînant dans son sillage bon nombre de mots qui n’ont pas la pureté du vocabulaire cicéronien.
[1354] Buléphore Sulpicius, il me semble bien, te paraîtra digne de cet honneur.

[1355] Nosopon C’est vrai, il est plus souple, plus agréable plus brillant, et plus spontané qu’Hilaire, mais son style déclare assez qu’il était Gaulois. [1356] Il ne manque pas de piété, mais l’énergie et le sérieux lui font défaut, et son genre d’éloquence est plus fleuri que nerveux.

[1357] Buléphore Tu admettras donc Tertullien ?
[1358] Nosopon Tu veux rire ! Il s’évertue consciemment et à dessin à rendre incompréhensibles des idées justes par un vocabulaire mal choisi. Son style est même plus dur / sec/ que celui d’Apulée. [1345] Certe s’oppose à fortassis de [Ph. 1343]. Ditrochaeus ou dichorée : | É Ø É Ø | ( voir Nougaret § 328) La finale est indifférente.
[1358] P. Mesnard traduit : « lui qui est sage et instruit ». Mais « Prudens et sciens eum offendit » : il fait exprès de le blesser Cic. Planct. 41 Le reproche adressé à Tertullien serait son vocabulaire technique et une éloquence trop peu persuasive. (Voir M. Fumaroli p. 99 et note p. 102). Sur Tertullien Voir infra [Ph.1901].

Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1359] Bulephorus Certe facundissimum illum simul et doctissimum Hieronymum non repelles.
[1360] Nosoponus Agnosco virum doctrina facundiaque praecellentem, Tullianum non agnosco, qui flagris ab imitatione Ciceronis depulsus est.

[1361] Bulephorus Augustinum igitur?
[1362] Nosoponus Is hoc habet Ciceronis, quod praelongo ambitu circumducit periodum, ut frequenter ergo revocet a diverticulo in viam. [1363] Verum non aeque ac Cicero prolixum orationis ductum membris et incisis distinguit nec facilitatem in dicendo nec felicitatem in tractando reddit.

[234,1364] Bulephorus Paulinum?
[1365] Nosoponus Vix umbram habet Ciceronis, nec sententiis nec verbis admodum felix.

[1366] Bulephorus Ambrosium igitur.
[1367] Nosoponus Romanum oratorem agnoscas, non Ciceronianum. [1368] Gaudet argutis allusionibus, acclamationibus nec praeter sententias quicquam loquitur ; membris incisis comparibus numerosus ac modulatus suum quoddam dicendi genus habet aliis inimitabile, sed a Tulliano genere diversissimum.

[1369] Bulephorus Saltem agnosce Romanum Gregorium ejus nominis inter pontifices primum.
[1370] Nosoponus Agnosco virum pium ea loquentem quae sentit. [1371] Et hic propius accedit ad M- Tullium quam Ambrosius, sed "fluit lutulentus" et Isocraticae structurae quasi seruit oratio, quod est a Cicerone alienum. [1372] Sic enim puer in scholis assueverat. 
[1359] Buléphore J’en suis sûr : tu ne vas pas repousser le très éloquent ainsi que très docte Saint Jérôme ?
[1360] Nosopon Je reconnais que c’est un homme doué d’une connaissance et d’une éloquence supérieures. Mais je ne le reconnais pas pour cicéronien : il s’est détourné de
l’imitation de Cicéron après les coups de fouet qu’il a reçus.

[1361] Buléphore Augustin, alors ?
[1360] Nosopon Il est cicéronien sur ce point : il construit des périodes au cheminement si long qu’il doit souvent se détourner d’une digression pour revenir dans sa voie. [1363] Mais il ne sait pas répartir aussi bien que Cicéron le cours d’une longue phrase en membres et en incises. Il n’atteint pas son éloquente facilité et ne montre pas son heureuse efficacité dans l’argumentation.

[1364] Buléphore Et, Paulin de Nole ?
[1365] Nosopon On ne rencontre en lui qu’une ombre de Cicéron et il n’a pas le même bonheur d’expression, pas plus pour formuler ses idées que pour choisir ses mots.

[1366] Buléphore Alors Ambroise ?
[1367] Nosopon Tu couronnes là un orateur romain, pas un cicéronien. [1368] Il prend plaisir aux allusions subtiles, aux exclamations et il ne dit rien qui ne soit ciselé comme une formule. Avec ses phrases découpées en membres et en incises équilibrés, son rythme cadencé et mélodieux, il a un genre d’éloquence inimitable mais absolument différent du style cicéronien.

[1369] Buléphore Reconnais au moins le Romain Grégoire, premier Pape du nom.
[1370] Nosopon je reconnais que c’est un homme pieux et qui dit ce qu’il pense. [1371] Et sur ce point il se rapproche plus de Marcus Tullius qu’Ambroise mais d’un autre côté son discours coule « comme un fleuve boueux » et reste l’esclave d’une structure de phrase isocratéenne, ce qui est très étranger à Cicéron. [1372] Mais c’est ainsi qu’on l’avait formé à l’école, dans son enfance.
[1360] LA LÉGENDE DORÉE  DE JACQUES DE VORAGINE (http://www.abbaye-saint-benoit.ch/voragine/tome03/147.htm)
« Jérôme fut le fils d'un homme noble nommé Eusèbc, et originaire de la ville de Stridonie, sur les confins de la Dalmatie et de la Pannonie. Jeune encore (12ans), il alla à Rome où il étudia à fond les lettres grecques, latines et hébraïques. Son maître de grammaire fut Donat, et celui de rhétorique, l’orateur Victorin. Il s'adonnait nuit et jour à l’étude des saintes Ecritures. Il y puisa avec avidité ces connaissances qu'il répandit dans la suite avec abondance. A une époque, il le dit dans une lettre à Eustachius, comme il passait le jour à lire Cicéron et la nuit à lire Platon, parce que le style négligé des livres des Prophètes ne lui plaisait pas, vers le milieu du carême, il fut saisi d'une fièvre tellement subite et violente, que son corps se refroidit, et la, chaleur vitale s'était retirée dans sa poitrine. Déjà qu’on préparait ses funérailles, quand tout à coup, il est traîné au tribunal du souverain juge qui lui demanda quelle était sa qualité, il répondit ouvertement qu'il était chrétien. « Tu mens, lui dit le juge; tu es cicéronien, tu n'es pas chrétien car où est ton trésor, là est ton coeur. » Jérôme se tut (133) alors et aussitôt le juge le fit fouetter fort rudement Jérôme se mit à crier : « Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi. » Ceux qui étaient présents se mirent en même temps à prier le juge de pardonner à ce jeune homme. Celui-ci proféra ce serment : « Seigneur, si jamais je possède des livres profanes, si j'en lis, c'est que je vous renierai. » Sur ce serment, il fut renvoyé et soudain il revint à la vie. Alors il se trouva tout baigné de larmes, et il remarqua que ses épaules étaient affreusement livides des coups reçus devant le tribunal de Dieu. Depuis, il lut les livres divins avec le même zèle qu'il avait lu auparavant les livres païens ». (Voir Lettre 22 à Eustoche 30) Voir Infra brève biographie [Ph.1903].
[1369] Grégoire Ier, dit le Grand, (né vers 540, mort le 12 mars 604), auteur des Dialogues, devient le 64e pape en 590. Docteur de l'Église, il est l'un des quatre Pères de l'Église d'Occident, avec saint Ambroise, saint Augustin et saint Jérôme. C'est à lui que l'on doit le nom de chants grégoriens. (Wikipédia).
[1370] Lutulentus fluit ( voir : Horace Sat. I, 4, 11 ; « cum flueret lutulentus  » et I, 10,50.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1373] Bulephorus At Tusci Leonis qui fuit ejus nominis primus Romanae urbis pontifex eloquentiam mirantur omnes.
[1374] Nosoponus Est, fateor, hujus bene numerosa satisque perspicua dictio nec ineptis sensibus, sed nihil ad Ciceronem.
[1375] Bulephorus Quid si tibi Bernardum e Burgundionibus adducam ?
[1376] Nosoponus Agnosco virum bonum, quae pars est oratoris, natura compositum ad urbanitatem et ad dictionis leporem, sed adeo non Ciceronianum, ut ex scriptis vix suboleat unquam illi lectum Ciceronem.
[236,1377] Bulephorus Posteaquam hunc reicis, non ausim tibi proponere Bedam, Remigium, Claudium, Hesychium, Anselmum, Isidorum.
[1378] Nosoponus Desine mihi « kolobôtas » istos commemorare ; cum aliena lingua loquantur, deteriora faciunt quae referunt ; dum sua promunt, vix loquuntur. [1380] In his aegrotabat eloquentia.

[1381] Bulephorus At vereor ne mortuam dicas, si posteriores commemoravero.
[1382] Praetermittam igitur Alexandrum Halensem, Petrum Gandavensem et hujus farinae scriptores innumeros ; duos « koruphaious » proferam, Bonaventuram et Thomam.
[1383] Nosoponus Bonaventura satis affluit verbis, sed qualibuscunque ; Thomas Aristotelicus prorsus est « apathês », in dicendo, tantum hoc agens, ut doceat lectorem.
[1384] Bulephorus Verum, in quaestionibus ; ceterum, ubi rhetorem aut poetam agit, satis spirat Ciceronem.

[1385] Nosoponus Quae mihi narras poemata? [1386] Mihi vero nusquam uidetur infantior, quam cum affectat oratoriae dictionis fluxum, id quod facit in tractanda materia de eucharistia.
[1387] Sed age, missos fac theologos istos scholasticos a quibus frustra requiras ullam eloquentiam, nedum Ciceronianam ; alios profer, si quos habes.

[1373] Buléphore Mais, tout le monde admire l’éloquence de Léon le Toscan, premier pape de ce nom à Rome.


[1374] Nosopon Son style, je le reconnais, est bien rythmé et clair. Il ne dit pas de sottises. Mais cela n’a quand même rien à voir avec Cicéron !

[1375] Buléphore Que dirais-tu si je te présentais maintenant Saint Bernard de Bourgogne ?

[1376] Nosopon Je reconnais que c’est un homme de bien, ce qui est déjà une qualité de l’orateur, par nature enclin à la finesse et à l’élégance. Mais il est si peu cicéronien que c’est à peine si on peut deviner d’après ses écrits qu’il a un jour lu Cicéron.
[1377] Buléphore Maintenant que tu as rejeté celui-là je n’oserais plus te proposer Bède, Rémigius, Claudius, Hésychius, Anselme, Isidore.

[1378] Nosopon Cesse donc de me citer ces  « mutilateurs ». Quand ils parlent une langue étrangère ( le latin ?) ils dénaturent ce qu’ils imitent. Quand ils s’expriment dans la leur, on ne peut pas dire qu’ils parlent. [1380] Dans leur bouche l’éloquence était bien malade.
[1381] Buléphore Alors je crains que tu ne la déclares morte, si je te nomme leurs successeurs !
[1382] Je laisserai donc de côté Alexandre de Halle, Pierre de Gand, et les innombrables écrivains de même farine ! je vais te proposer deux des ténors de ce chœur, Saint Bonaventure et Saint Thomas.

[1383] Nosopon Chez Bonaventure les mots viennent à flots, mais tous registres confondus. L’éloquence de Thomas l’Aristotélicien est absolument sans passion ; il n’a d’autre but que d’instruire son lecteur.

[1384] Buléphore C’est vrai pour les Questions. Mais ailleurs, quand il endosse le costume du poète ou du rhéteur, son inspiration est assez cicéronienne.
[1385] Nosopon Que viens-tu me parler de ses poèmes ! [1386] Il ne me paraît jamais aussi peu éloquent que lorsqu’il recherche l’ampleur du style oratoire, comme il le fait par exemple en traitant de l’Eucharistie.

[1387] Mais allons ! Passons ces théologiens scolastiques auxquels on réclamerait en vain le moindre sens oratoire, et encore moins une éloquence cicéronienne. Présente m’en d’autres, si tu en as en tête !
[Ph.1373] Tuscus : Etrusque ; Saint Léon Ier, le Grand, pape de 440 à 461.
[1375] Saint Bernard de Clairvaux, docteur de l'Église, né en 1091 à Fontaine en Bourgogne, mort en 1153.
[Ph. 1378] Note de Pierre Mesnard. Kolobôtas (acc. pl) : néologisme à partir de º¿»y²Éù : mutilation. Erasme épouse la condamnation passionnée de Laurent Valla en condamnant tous les auteurs latins du M- comme des « mutilateurs » de la langue. Il reconnaîtra tout de même l éloquence de Saint Bonaventure et la précision philosophique de saint Thomas.
[1382] Le Koryphée est le chef de chœur dans la tragédie grecque.
[1383] « Apathès » : impassible, « apatheia » : absence de passion.
[1384] Quaestiones disputatae de veritate / de anima / etc. ******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1388] Bulephorus Age, redibimus ad aliud scriptorum genus nostro saeculo vicinius. [1389] Nam aliquot aetatibus videtur fuisse sepulta prorsus eloquentia, quae non ita pridem reviviscere coepit apud Italos, apud nos multo etiam serius. [238,1390] Itaque reflorescentis eloquentiae princeps apud Italos videtur fuisse Franciscus Petrarca, sua aetate celebris ac magnus, nunc vix est in manibus ; [238,1390] ingenium ardens, magna rerum cognitio nec mediocris eloquendi vis.

[1391] Nosoponus Fateor. [1392] Atqui est ubi desideres in eo linguae Latinae peritiam et tota dictio resipit saeculi prioris horrorem. [1393] Quis autem illum dicat Ciceronianum, qui ne affectarit quidem ?

[1394] Bulephorus Quid attinet igitur referre Blondum ac Boccacium hoc inferiores tum in dicendi viribus tum in Romani sermonis proprietate? [1395] Ne Joannem quidem Tortellium audies.

[1396] Nosoponus Non audiam in his quidem comitiis.

[1397] Bulephorus Hunc secutus est ingens proventus eruditorum certatim sese ad Ciceronis imitationem componentium. [1398] Ecquem ex hoc numero dignaberis istius cognominis honore ? [1399] Num Franciscum Philelphum ?
[1400] Nosoponus Plane dignarer, si tam placeret eruditis omnibus quam placuit sibi. Et affectavit quidem ille sedulo Ciceronis effigiem, sed parum feliciter. [1401] Nec usquam illi dissimilior est, quam ubi maxime oportuit esse similem, nimirum in orationibus. [1402] Nam in epistulis satis adumbrat M- Tullium.

[1403] Neque haec dixerim in cujuspiam contumeliam. [240,1404] Agnosco viros aeterna posteritatis memoria dignos ac de studiis optime meritos, sed divinum quiddam est esse Ciceronianum.

[1388] Buléphore Bon ! Nous allons donc revenir à une autre catégorie d’écrivains, plus proche de notre siècle. [1389] En effet pendant un certain nombre de générations c’est comme si l’éloquence avait été enterrée ! Il n’y a pas si longtemps qu’elle a commencé à reprendre vie en Italie. Chez nous il a fallu attendre encore beaucoup plus. [1390] C’est Pétrarque qui apparut comme le prince de l’éloquence italienne, lors de sa nouvelle floraison. Lui qui fut si célèbre et si grand en son temps c’est à peine si aujourd’hui on le lit encore ! [1391] D’un naturel ardent il avait de grandes connaissances et un style oratoire qui ne manquait pas de vigueur.

[1391] Nosopon Je l’avoue ! Pourtant il y a dans son œuvre des passages où son latin laisse à désirer, et son style dans son ensemble se ressent encore de la rudesse du siècle précédent. [1393] Qui d’ailleurs irait proclamer cicéronien un homme qui ne cherchait même pas à l’être ?

[1394] Buléphore A quoi bon alors mentionner ici Blondio et Boccace, qui lui sont inférieurs, tant du point de vue des capacités oratoires que pour la précision de leur latin ? [1395] Tu ne voudras même pas entendre parler de Giovani Tortellius !
[1396] Nosopon Non ! Du moins pas dans ces élections-ci !

[1397] Buléphore Après lui vint une floppée d’érudits s’essayant à l’envi à l’imitation de Cicéron. [1398] Lequel dans cette foule jugeras-tu digne d’être honoré par ce titre ? [1399] Franciso Filelpho peut-être ?

[1400] Nosopon Je l’en estimerais complètement digne s’il plaisait autant à l’ensemble des érudits qu’il ne s’est plu à lui-même ! C’est vrai il a cherché sérieusement à imiter Cicéron, mais sans beaucoup de succès. Il n’est jamais si différent de lui que quand il devrait s’en approcher au plus près : dans les discours cela va sans dire ! [1402] Car dans ses lettres il évoque assez bien la silhouette de Cicéron.

[1403] Et je ne voudrais faire affront à aucun d’entre eux par mes jugements. [1404] je reconnais que tous ces hommes sont dignes de la postérité, et qu’ils ont rendus de signalés services au monde des sciences mais c’est une chose divine que d’être cicéronien.

[1388] —NB. Note de P. M. « Curieuse définition des débuts de l’humanisme qui permet de marquer la signification de Pétrarque. (1304-1374). Erasme revient souvent à Pétraque dans son œuvre. Dans sa correspondance, voir les lettres 337 ; 1211 ; 3002 & 3043 particulièrement qui donne un tableau très complet de l’humanisme italien de cette époque ».
[1394] Notes de P. Mesnard
Flavio Biondo (1388-1463) de Forli, auteur de nbx ouvrages sur l’histoire et les monuments de Rome. Il copia à Milan le ms unique du dialogue de Cicéron, De claribus Oratoribus (= Brutus) et le diffusa.
Giovani Boccace (1313-1375). Surtout connu comme conteur Italien. Son œuvre humaniste est importante en particulier le De Genealogia Deorum libri XV . Il revalorise Dante (1265-1321) aux yeux de la Renaissance Italienne.
[1395] Giovani Tortellius ( ca 1400-1466), humaniste né à Arezzo, grand ami de Laurent Valla, secrétaire de Nicolas V. Polygraphe, Interesse Erasme par son De potestate Litterarum, De orthographia, Lexicon, Commentariorum libri duo(1471).
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1406] Bulephorus Leonardus Aretinus mihi videtur alter Cicero.
[1407] Nosoponus Facilitate dictionis ac perspicuitate satis accedit ad Ciceronem, sed nervis aliisque virtutibus aliquot destituitur ; alicubi vix tuetur Romani sermonis
castimoniam, alioqui vir doctus juxta ac probus.

[1408] Bulephorus Guarinum, sat scio, non recipies nec Lapum nec Accioialum nec Antonium Beccariam nec Franciscum Barbatium nec Antonium Tudertinum nec Leonardum Iustinianum nec Achillem Bochium et si qui sunt qui mihi nunc non succurrunt, maxime quod horum plerique non alio monumento nobis innotuerunt quam vertendis Graecis, ubi nulla laus inventionis quae praecipua pars est eloquentiae.
[1409] Nosoponus Istorum neminem contemno, neminem tamen dignabor Tulliani cognominis honore.

[1410] Bulephorus Proferam itaque Pogium Florentinum vividae cujusdam eloquentiae virum.
[1411] Nosoponus Naturae satis erat, artis et eruditionis non ita multum, interim impuro sermonis fluxu, si Laurentio Vallae credimus.
[242,1412] Bulephorus Vallam igitur in illius locum substituamus.

[1406] Buléphore L’Arétin me semble (être) un second Cicéron !

[1407] Nosopon Par son aisance et par sa clarté il s’en approche. Mais il lui cède pour l’énergie et les autres qualités. En quelques endroits il peine à conserver la pureté de la langue latine. Au demeurant c’est un homme instruit autant qu’honnête.

[1406] Buléphore je sais bien que tu ne recevras pas Guarino Guarini, ni Jacopo Lapo ni Donato Acciaivoli ni Antonio Beccaria ni Marco Francesco Barbato ni Antonio Pasini da Toda ni Leonardo Giustiniani ni Achille Bocchi ni quelques d’autres qui ne me reviennent pas immédiatment à l’esprit, pour la raison essentielle que la plupart d’entre eux ne se sont illustrés qu’en traduisant des auteurs grecs, ce qui ne laisse pas grande part à l’invention ; or c’est-là la partie principale de l’éloquence.

[1409] Nosopon Je ne méprise aucun d’entre eux ! Mais pourtant aucun d’eux ne me paraîtra digne de l’honneur de recevoir le titre de cicéronien.

[1410] Buléphore C’est pourquoi je vais te présenter le Pogge de Florence, un homme d’une éloquence bien vivante.

[1411] Nosopon Pour le génie, il est assez doué ; mais trop peu de technique et d’érudition ! Si l’on en croit Laurent Valla le fil de son discours s’émaille de quelques impuretés.

[1412] Buléphore Mettons donc Laurent Valla à sa place ! Notes copiées de l’édition de Pierre Mesnard.
[Ph.1406] L. Aretinus Leonardo Bruni d’Arrezzo (1369-1444). Ami du Pogge. Nbses traductions partc de Procope ; de la Politique et des Economiques d’Aristote ; il a écrit deux livres importants sur l’histoire de l’Italie de son époque, partl de Florence ; il a écrit aussi des Vies de Cicéron, Dante, Pétrarque. Il laissa une nbse correspondance, base principale pour l’étude du XV° Italien. Cité par Erasme.
[Ph.1408] Jacopo Lapo ( -1381) Castiglionchio. Etudes à Bologne, prof de droit canon à Bologne d’où il fut exilé en 1376 ; Traduisit plusieurs Vies de Plutarque ; les Economiques de Xénophon, etc.
Donato Acciaïuoli (1428-1478) de Florence, étudie le Grec avec Argyropoulos, orateur, philosophe et mathématicien, Gonfalonier de Florence en 1473. Surtout connu par ses études sur Aristote et sa trad en langue italienne des l’histoire de Florence de L. Bruni d’Arrezzo.
Antonio Beccaria ( ca 1400- ) élève de Vittorino da Feltre, de d’Ermolao Barbaro, de Filelfe, etc. A publié des études sur Aristote, Saint Athanase, Denis d’Alexandrie, Plutarque, etc.
Barbatium : Marco Francesco Barbato da Sulmona ( province d’Aquilée) ; (ca 1300-1363) ; Haut magistrat ; Connu pour ses traduction et surtout pour son amitié et sa correspondance avec Pétrarque. Voir R.Weiss, Translators. …, « Rinasc. » I, 1950.
Tudertinum : Antonio Pasini da Toda, mort en 1466, traducteur de Plutarque.
L. Justininianum Leonardo Giustiniani ( 1386-1446) Humaniste vénitien ; traduisit en latin la vie de St Nicolas ; accueillit en Grec l’empereur Jean Paléologue au concile de Florence.
Bocchium : Achille Bocchi (1488-1562) H. Bolonais, éditeur d’une Apologia in Plautum cui accedit Vita Ciceronis auctore Plutarcho, nuper inventa, Bologne 1508. Fonde à Bologne l’Académie Bocchiana ou Bocchiale, avec pour devise « Hermathena ».
[Ph.1410] Poggium : Poggio Bracciolini (1380-1459) ; humaniste toscan, ami de Léonardo Bruni d’Arrezzo, Invectives et facéties (1437) assez libres de ton contre Philelphe et Laurent Valla. Remarquables lettres ; découvreur de mss ( plusieurs discours de Cicéron ; douze pièces de Plaute) ; traducteur de Diodore de Sicile, de Xénophon, de Lucain, auteur d’une histoire de Florence en latin (1476). Secrétaire apostolique sous sept papes successifs ; pdt un ½ siècle le personnage le plus important de la Rome Pontificale. Erasme le cite svt dans ses œuvres et sa correspondance.
[Ph.1412] Laurent Valla (1407-1457). Il éleva progressivement la critique de la grammaire à l’éxégèse et l’étendit à l’ensemble des sciences morales et politiques. Heureuse synthèse de l’éloquence et de la philosophie. Ses Elegantiarum linguae latinae libri VI composées vers 1440 et publiées en 1471 à Rome, Paris, Venise sont la base de l’humanisme érudit. Il a servi sur bien des plans de modèle à Erasme qui lui consacre une célèbre Paraphrasis in Elegantias Laur. Vallae. Cologne 1529, qui connut une cinquantaine d’édition au cours du 16° siècle. Malgré son excellence, sa ressemblance avec Cicéron ne suffit pas encore à en faire un cicéronien.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1413] Nosoponus Is propius accedit ad curam ac subtilitatem Quintiliani quam ad illaboratam Ciceronis facilitatem, quanquam ceteris elimatior puriorque.

[1414] Bulephorus Multos praetereo sciens quorum nomina, sat scio, non ferent aures tuae ; eximios tantum refero. [1415] Si quem alium, certe magnum illum Hermolaum Barbarum in hujus cognominis honorem admittes.
[1416] Nosoponus Vere magnum ac divinum hominem protulisti, sed in dicendo Ciceroni dissimillimum et ipso paene Fabio Plinioque elaboratiorem, cujus eloquentiae nonnihil offecit philosophiae studium.

[1417] Bulephorus Quid Joannem Picum Mirandulae comitem?
[1418] Nosoponus Indolem plane divinam narras, ingenium ad omnia factum, sed hujus quoque dictionem nonnihil vitiavit linguarum ac philosophiae atque etiam theologiae cura.

[1413] Nosopon Il s’approche plus de la précision et de la minutie de Quintilien que de l’aisance spontanée de Cicéron, quoiqu’en certains endroits son style soit assez poli et assez pur.
[1414] Buléphore Il y en a beaucoup que je laisse consciemment de côté, parce que je sais que tes oreilles ne supporteraient pas leur nom. Je ne vais donc mentionner que les plus remarquables d’entre eux. [1415] S’il y en a un à qui tu accorderas l’honneur de ce titre c’est bien le grand Hermolao Barbaro !
[1416] Nosopon C’est vraiment un grand homme et divin que tu m’offres-là. Mais quand il s’agit d’éloquence il s’éloigne au plus haut point de Cicéron et son style est presque plus travaillé que ceux de Quintilien et de Pline. Son goût de la philosphie nuit un peu à son éloquence.

[1417] Buléphore Qu’est ce que tu dis du comte Jean Pic de la Mirandole ?

[1418] Nosopon Tu me parles là d’un génie tout à fait divin. Un talent adapté à tout ; mais son souci de la théologie et de la philosophie a quelque peu vicié son éloquence.



[Ph.1415] Hermolao Barbaro : (1454-1493) Humaniste vénitien ; patriarche d’Aquilée, traducteur de nbx textes grecs et auteur d’une célèbre édition critique de l’Histoire Naturelle de Pline l’ancien (Rome 1492) ; Ce qui pousse Erasme à comparer son style avec celui de Pline.
[Ph.1417] Comes comitis m : comte Giovani Pico della Mirandolla (1463-1494) Humaniste, philosophe et cabaliste, surnommé le Phénix des esprits ; Surtout connu pour ses 900 thèses : De omni re scibili (Rome 1486) 13 de ses thèses furent condamnées par le Pape Innocent VIII. Il a surtout influencé la Renaissance par le De dignitate Hominis (Rome, 1496) et les Aurae ad familiares Epistolae Paris 1499.
Wikipédia Voltaire s'intéressa à Jean Pic de la Mirandole, pour en établir en fin de compte un bilan plutôt négatif dans son Essai sur les mœurs et l'esprit des nations : « Il est encore plus extraordinaire que ce prince, ayant étudié tant de langues, ait pu à vingt-quatre ans soutenir à Rome des thèses sur tous les objets des sciences, sans en excepter une seule. On trouve à la tête de ses ouvrages quatorze cents conclusions générales sur lesquelles il offrit de disputer. Un peu d'éléments de géométrie et de la sphère étaient dans cette étude immense la seule chose qui méritait ses peines. Tout le reste ne sert qu'à faire voir l'esprit du temps. C'est la Somme de saint Thomas ; c'est le précis des ouvrages d'Albert, surnommé le Grand; c'est un mélange de théologie avec le péripatétisme. On y voit qu'un ange est infini secundum quid : les animaux et les plantes naissent d'une corruption animée par la vertu productive. Tout est dans ce goût. C'est ce qu'on apprenait dans toutes les universités. Des milliers d'écoliers se remplissaient la tête de ces chimères, et fréquentaient jusqu'à quarante ans les écoles où on les enseignait. On ne savait pas mieux dans le reste de la terre. Ceux qui gouvernaient le monde étaient bien excusables alors de mépriser les sciences, et Pic de La Mirandole bien malheureux d'avoir consumé sa vie et abrégé ses jours dans ces graves démences (...) L'histoire du prince de La Mirandole n'est que celle d'un écolier plein de génie, parcourant une vaste carrière d'erreurs, et guidé en aveugle par des maîtres aveugles. » Même le don apparent de Pic pour les langues le laisse sceptique : « On dit qu'a l'âge de dix-huit ans, il savait vingt-deux langues. Cela n'est certainement pas dans le cours ordinaire de la nature. Il n'y a point de langue qui ne demande environ une année pour bien la savoir. Quiconque dans une si grande jeunesse en sait vingt-deux, peut être soupçonné de les savoir bien mal, ou, plutôt il en sait les éléments, ce qui est ne rien savoir. »
Francesco Giovani Pico della Mirandole (1470-1535), neveu du précédent ; humaniste et théologien très apprécié jusqu’en Angleterre ; il écrivit une vie de son oncle, qui sert de préfaces à toutes les éditions des œuvres complètes. Il prononça devant le concile de Latran un discours célèbre De reformandis moribus 1517.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1419] Bulephorus Nosti gentilem hujus Franciscum Mirandulanum ?
[1420] Nosoponus « Oud' eggus », aiunt ; nimium philosophus ac theologus est, alioqui vir magnus.
[1421] Ceterum qui convenit, ut eum recenseas inter Ciceronianos qui cum Petro Bembo disputans damnat addictos exprimendo Ciceroni ?

[244,1422] Bulephorus Ne ! Tu summam laudem illi tribuisti, si quis tamen omnino « nimium theologus » esse potest.
[1423] Nosoponus Potest ad huius palmae condicionem.

[1414] Buléphore Tu connais son neveu, Franciscus Pic de la Mirandole ?
[1420] Nosopon « Il n’en approche même pas » comme on dit ! Il est par trop philosophe et  par trop théologien. Au demeurant un grand homme !
[1421] Mais d’ailleurs : qu’est ce qui justifie que tu le ranges parmi les cicéroniens, alors que dans sa dispute avec Pierre Bembo il condamne ceux se vouent à l’imitation de Cicéron ?


[1422] Buléphore Ah dis donc ! Tu viens de lui attribuer la plus belle des distinctions, si toutefois on peut réellement être « trop théologien ».

[1423] Nosopon Cela se peut, vu ce qu’est la couronne du cicéronien !
[Ph.1420] « Oud’ eggus » : pas assez près  NB. « Ÿ{´ ³³{ » :
P. Mesnard réfère à Démosthène 524,5 « ŸPº À¿¹¿æ½ ıæı ¿P´ ³³{ » ( « ils ( Athènes, les Athéniens) ne firent ni cela, ni même à peu près cela » (Bailly sv. ³³{Â) . = Sur la couronne § 96 . //
Je trouve cette citation de Démosthène plus convaincante ǵ¹ ´' ¿PÇ ¿UÄÉ Ä±æı, ¿P´' ³³{ : [30] Mais il n'en est pas comme il le dit ; il s'en faut bien. Démosthène Harange Contre Midias. §303
Et surtout Erasme a consacré un adage à ce proverbe.
Erasme, Adage 1578. II, VI, 78. Ne propius ferire
« ŸP´ 4ºÄ±Á ²q»»µ¹½ », (oud iktar balleïn) id est Ne propius quidem ferire, dicuntur qui procul absunt a scopo multoque intervallo aberrant a re proposita. Sumptum est ab imperitis sagittariis, cujusmodi cum Diogenes ille Cynicus conspexisset, proxime scopum consedit ; rogatus quid sibi vellet, Ne me feriat, inquit, innuens quidvis illum tacturum potius quam scopum. Ergo qui nimium aberrant a signo, ¿P´ 4ºÄ±Á ²q»»µ¹½ dicebantur ; perinde valet quasi dicas ŸP´r½ E¼¿¹¿½, id est Nihil simile. Àx ú¿À¿æ dixit Homerus. Usurpavit hoc adagium Plato libro de Republica nono : š±v ıæı ´t Àq½Ä± ÀÁx ÄÍÁ±½½¿½ À¿½·Áw³ ĵ º±v ¸»¹yķĹ Ày»µÉ À±Á±²±»»y¼µ½± Äx »µ³y¼µ½¿½ ¿P´ 4ºÄ±Á ²q»»µ¹, id est Haec quidem sane omnia ad tyrannum collata malitia miseriaque civitatis haud quaquam accedunt ad scopum, ut proverbio dici solet. Suidas admonet e linguae proprietate dictum proverbium velut et illud quod proxime sequitur. Huc allusisse videtur Lucianus in dialogo quem inscripsit YÀrÁ Äf½ µ0ºy½É½ : œt ³pÁ µ7½±¹ Äf½ Ä·»¹º¿ÍÄɽ ¾w±½, ¼·´r ³³ÍÂ, id est Neque enim esse me tantis laudibus dignam, ne prope quidem. Item Aristides in Miltiade : ŸPº ÃĹ ıæı, ¿P´r ³³ÍÂ, id est Multum abest ut haec ita se habeant. Adagium hoc referendum in gregem illorum quae commemoravimus alibi : £›Â ¸ÍÁ±Â ¼±ÁÄq½µ¹½ et Toto errare caelo et Tota errare via.
Traduction
« ŸP´ 4ºÄ±Á ²q»»µ¹½ », c est à dire « Ne pas tirer assez près » se dit de ceux qui sont loin de la cible et s écartent à une grande distance de du sujet (qu ils se sont) proposé. Cette expression a été inspirée des archers inexpérimentés. Un jour que Diogène le cynique en observait un de ce genre, il alla s’assoir près de la cible. Comme on lui demandait ce qu’il faisait là : c’est pour qu’il ne me touche pas, répondit-il, indiquant par là qu il le voyait prêt à atteindre tout sauf la cible. C est pourquoi on dit de ceux qui s éloignent trop de l enseigne, ¿P´ 4ºÄ±Á ²q»»µ¹½. C est pourquoi l expression signifie à peu près « Nihil simile » ( rien de semblable) Homère lui disait plutôt : « Àx ú¿À¿æ » A côté de la cible. Platon utilisa cet adage dans la République, livre IX : (= 575c) (, et tous ces méfaits, pour ce qui est de leur influence sur la misère et le malheur de la cité, « n' approchent même pas », comme on dit, de la tyrannie. Trad. Hodoi Elektronikai ) C’est-à-dire toutes ces choses comparées à la tyrannie du point de vue de la malice et la misère de la cité n’approchent pas même de la cible comme dit le proverbe. Suidas rappelle que conformément à la propriété du vocabulaire cette expression a pris le nom de proverbe, de même que celui-là, qui le suit de très près. Lucien semble y faire allusion quand il écrit Dans YÀrÁ Äf½ µ0ºy½É½ : ( Des portraits) « œt ³pÁ µ7½±¹ Äf½ Ä·»¹º¿ÍÄɽ ¾w±½, ¼·´r ³³Í » C est à dire « En effet je ne suis pas digne de telles louanges, loin s en faut ! De même Aristide dans le Contre Miltiade : ŸPº ÃĹ ıæı, ¿P´r ³³ÍÂ, « les choses ne sont pas ainsi : loin s en faut  ! » Il faut rapproher cet adage de ceux que j ai mentionnés ailleurs  Manquer la porte ; errer par tout le ciel ; se tromper carrément de route ». fin.

[Ph.1421] Il eut avec Bembo une importante correspondance De Imitatione (Rome, 1512-1513), qu’Erasme semble n’avoir connue qu’après la 1° édition du Ciceronianus. (Cf. lettre du 24 jv. 1529), ce qui explique les additions de C et D([ ph. 1421-1423])

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1424] Bulephorus Bene habet ; unum, ni fallor, repperi quem non reicies, Angelum Politianum. [1425] Nam Marsilium Ficinum proferre non audeo.
[1426] Nosoponus Fateor Angelum prorsus angelica fuisse mente, rarum naturae miraculum, ad quodcunque scripti genus applicaret animum, sed nihil ad phrasim Ciceronis ; diversis virtutibus suspiciendus est.

[1427] Bulephorus Si producam in hunc ordinem Codrum Urceum, Georgium Trapezontium, si Theodorum Gazam, Ianum Lascarem, Georgium Merulam, M. Musurum, Marullum, prope divino, quid dicturus sis. [1429] Submovebis ab hoc certamine totum Graecorum genus quibus invisus est tuus amasius Cicero. [1430] Verum nolim in his comitiis habere suffragium iram, odium aut amorem.
[1431] Nosoponus Nec habebunt. [1432] De Jano, quoniam adhuc superest, dicendum est parcius : morum comitate generis nobilitatem prae se fert, acri judicio vir, multae in epigrammatibus argutiae ; poterat inter Ciceroniani cognominis candidatos numerari, ni crebrae legationes ac regum negotia revocassent hominem a Musis.
[1433] Codro nec Latinae linguae facultas deerat nec urbanitas, verum homo non dissentiens ab Epicuro neglexit hanc laudem, ut non vulgarem, ita nec parvo parabilem.

[1424] Buléphore ça y est ! J’en ai trouvé un : si je ne me trompe, tu ne le rejetteras pas ; c’est Ange Politien. [1425] Je n’oserais pas, en effet, te soumettre Marcile Ficin.

[1426] Nosopon Je dois reconnaître qu’Ange fut un esprit carrément angélique ! Véritable miracle de la nature, quel que fût le genre d’œuvre auquel il appliquât son intelligence. Mais rien à voir avec le style cicéronien ! Il faut l’estimer pour ses qualités propres, qui sont différentes.

[1427] Buléphore Si j’introduisais dans notre ordre (liste) Codrus Urceus, Georges de Trébizonde, Theodore Gaza, Jean Lascaris, Georges Merula, M. Musurus et Marulle, je suis à peu près sûr de savoir ce que tu vas dire !
[1429] Tu écarteras de cette compétition toute l’équipe des grecs qui haïssent ton Cicéron chéri ! [1430] Mais je voudrais bien que dans ces élections ni la colère ni l’amour ni la haine n’aient voix au chapitre.


[1431] Nosopon Ils ne l’auront pas ! [1422] De Jean Lascaris il faut parler avec pas mal de retenue, puisqu’il vit encore aujourd’hui. L’amabilité de ses manières montre sa noblesse. C’est un homme au jugement pénétrant et ses épigrammes sont pleines d’esprit. Il aurait pu faire partie des candidats au titre de cicéronien, si ses fréquentes ambassades et le service des rois ne l’avait détourné des Muses.

[1433] Codrus connaissait bien le latin et ne manquait pas de raffinement (urbanité). Mais en homme qui partage les conceptions d’Epicure, il n’a pas recherché l’honneur de cette distinction non pas qu’il la trouvât vulgaire mais elle coûtait trop d’efforts à ses yeux.
[Ph.1425] (Note de Pierre Mesnard) Marsile Ficin (1433-1499). Le fait que la candidature à la palme cicéronienne ne soit même pas posée pour le plus grand humaniste florentin, non slt introducteur de la pensée platonicienne dans la conscience européenne, mais aussi essayiste et épistolier de grande classe, montre à quel point Nosopon, et derrière lui Erasme, est muré dans le préjugé antiphilosophique et antithéologique.
[1429]Totum graecorum genus : Erasme exclut ainsi tous les pionniers grecs de la Renaissance et leurs disciples, trop hellénisés pour être vraiment cicéroniens. Ils n’étaient pourtant pas sans mérite.
[1432] Giano Lascaris (1445-1535). Né à Constantinople, il vint très jeune en Italie sous la protection du cardinal Bessarion. Chargé de nbses missions sous plusieurs rois de France, il collabore à la fondation de la bibilothèque de Fontainebleau. Placé par Léon X à la tête du collège des jeunes Grecs, il traduit ou commente Homère, Sophocle, Polybe.
[Ph.1433] Codro Urceo de Rubiera (1446-1500) [déjà cité supra Ph. 621] ami de Politien et d’Alde Manuce dont les Opera comprennenent quinze discours, dix lettres, etc.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[246,1434] Georgium Trapezontium fateor virum egregie doctum deque re litteraria pulchre meritum, et hoc absolutiorem Theodorum Gazam, quorum ille se ad Ciceronis dictionem effingendam studio composuisse videtur, hic Aristotelem exprimere maluit, quo non alius felicior, sive vertit Graeca Latine sive Latina Graece ;
1434b] cum sua loquitur, duo quaedam obstrepunt delicato lectori : philosophiae studium in quo totus erat, et illud « gnêsion » Graeci sermonis quod Latine loquentes sequi solet ac vix unquam dediscitur.

[1435] Bulephorus Quid vetat quominus Graecus absolvat Romanam linguam, si Britannis ac Frisonibus hoc contigit, praesertim cum sermo Graecus tum in verbis tum in tropis plurimam habeat affinitatem cum Latino?
[1436] Nosoponus Quid Britannis ac Frisonibus contigerit, aliis aestimandum relinquo, mihi videtur affinitas sermonis obstare puritati. [1437] Citius enim pure Romane loquetur Hibernus quam Gallus aut Hispanus, quemadmodum citius Gallus discet Germanice loqui pure quam Italice aut Hispanice.


[1438] Sed pergam. [1439] Georgium Merulam Alexandrinum esse scio, an Graecus fuerit nescio, vir in reddendis Graecis splendidus et elegans, ut cum veteribus multis conferri queat.

[1440] Marulli pauca legi, tolerabilia, si minus haberent paganitatis.
[248,1441] M- Musurum propius novi, virum insigniter eruditum in omni disciplinarum genere, in carmine subobscurum et affectatum, oratione prosa praeter unam alteramve praefationem nihil, quod sciam, reliquit ; mirabar hominem Graecum tantum scire Latine.

[1434 a] (Nosopon suite) Georges de Trébizonde, je le reconnais, était un homme remarquablement instruit, et il s’est joliment investi dans le développement des lettres. Théodore Gaza est encore plus parfait que lui. Le premier (G.Tr) s’est formé à l’imitation du style cicéronnien avec sérieux ; le second (Th. G) a préféré imiter Aristote  et personne n’y a mieux réussi que lui, qu’il traduise du grec au latin ou du latin au grec. [1434 b] Lorsqu’il s’exprime en son nom, deux choses gênent cependant le lecteur délicat : le goût de la philosophie auquel il se livrait totalement, et cet « esprit de la langue grecque » qui suit généralement les Grecs qui parlent latin et qu’ils ne désapprennent ( / perdent) jamais complètement.
[1435] Buléphore Qu’est-ce qui empêche un Grec de connaître parfaitement le latin si les Anglais et les Frisons y arrivent ? D’autant plus que le grec est parfois très proche du latin tant du point de vue du vocabulaire que des figures.

[1436] Nosopon Ce qui se passe avec les Frisons et les Bretons, je laisse le soin à d’autres d’en juger ; pour ma part je trouve que la proximité dont tu parles est un obstacle à la pureté de la langue. [1437] Un Irlandais apprend en effet plus vite à parler un latin correct (pur) qu’un Gaulois ou un Espagnol, de la même façon qu’un Gaulois apprendra plus vite à parler en bon (pur) allemand qu’en italien ou en espagnol.

[1438] Mais continons [1439] Je sais que George Merula est natif d’Alexandrie, et je me demande s’il n’était pas grec. Il rend brillamment et élégamment les œuvres grecques dans ses traductions, au point qu’on pourrait même le comparer à plus d’un auteur latin de l’ancien temps.

[1440] Pour ce qui est de Marulle le peu que j’en ai lu serait acceptable, si ses propos étaient moins païens.

[1441] Je connais Marcus Musurus d’un peu plus près. C’est un homme remarquablement instruit en toute sorte de sciences. Il pratique une poésie un peu obscure et recherchée, mais en prose il n’a rien laissé, que je sache, mis à part une ou deux préfaces. Cela m’a toujours étonné qu’un Grec sache aussi bien le latin.

[Ph.1434a] Georges de Trébizonde, (1396-1484). Crétois appelé par Fr. Barbaro pour enseigner le grec à Venise en 1430, traducteur de plusieurs Pères grecs, d’Aristote et de Ptolémée, auteur d’un commentaire sur les harangues de Cicéron.
[Ph.1434a] Théodore Gaza ( ca 1400 - 1478) Né à Théssalonique enseigna le grec à Ferrare puis à Rome en 1495. Le Pape Nicolas V le chargea de traduire de nbses œuvres dont l’Histoire des Animaux d’Aristote (Venise 1476) et les traités de botaniques de Théophraste. Inversement il traduisit en grec le songe de Scipion de Cicéron (Traduction attribuée aujourd hui à Planudes). Gaza est l auteur d une gr. grecque qui fit autorité pdt tt un siècle, éditée à V. en 1495, et dont Erasme donna une trad. latine, svt rééditée, chez Froben.
[Ph.1434b] ³½uù¿½ (gnêsion = adj. = de naissance) désigne l esprit propre à la langue grecque, qui transmet ses «  idiotismes » à la traduction latine.
[Ph.1439] Georgio Mérula (1424-1494) humaniste milanais, attaché à la maison de Ludovic le More, élève puis ennemi de Filfelfe. Nbses éd. d’écrivains latins dont le De Finibus de Cicéron (Venise 1471) ; divers ouvrages d’histoire, de critique et de polémique. Alexandrinum Erasme semble confondre Alexandrie d’Egypte et Alexandrie-de-la-Paille (Milanais) qui est la vraie patrie de Mérula.
[Ph. 1440] Michele Tarcaniota Marullo (ca 1445-1500). Grec de Constantinople brilla à la cour de Laurent le Magnifique et à l’Académie de Pontanus. Humaniste, poète et soldat, il édita d’acerbes Epigramimata (Rome 1490) et des Hymni naturales Flor. 1497, peu susceptibles de séduire Erasme.
[1441] Marco Mususuro (1470-1517) Crétois, formé en Italie, professeur de Grec à Padoue, Venise, Rome et finalement nommé archevèque par Léon X. Nbses éd. d’œuvres grecques dont la 1° comédie d’Aristophane, (Alde, 1498). Revoit la Gr. latine d’Alde l’Ancien et la publie en 1516.********************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1442] Et hunc fortuna retraxit a Musis ; dum Leonis favore Romam accitus incipit archiepiscopus esse, fato praereptus est.

[1443] Bulephorus Recipies igitur Pomponium Laetum.
[1444] Nosoponus Is elegantia Romani sermonis contentus nihil affectavit ultra.
[1445] Bulephorus Platinam igitur?
[1446] Nosoponus In historia valiturus erat, si nactus fuisset argumentum felicius. [1447] In Optimo Cive et Panegyrico nonnihil accedit ad Ciceronis imaginem,
sed tanto intervallo, ut hoc cognomen non promereatur eruditorum calculis ; alioqui vir doctus, facundus et, ni fallor, bonus.

[250,1448] Bulephorus Quid Philippum Beroaldum majorem ? [1449] Video, abnuis, id sciebam fore.
[1450] Nosoponus Immo adnuo, si mihi commendas hominem de litterarum studiis praeclare meritum ; sin postulas eum in Ciceronianorum ascribi catalogum, abnuo. [1451] Philippum Beroaldum juniorem citius recepero, quanquam is perpauca misit in litteras.

[1452] Bulephorus Jam frustra tibi recenseam Georgium Vallam, Christophorum Landinum, Mancinellum, Petrum Marsum, Baptistam Pium, Cornelium Vitellium, Nicolaos Leonicenum et Leonicum, Bartholomaeum Scalam, Paulum Cortesium, Petrum Crinitum, Iacobum Antiquarium.

[1442] Et lui aussi la fortune l’a détourné des Muses. Aussitôt qu’il eut été appelé à Rome, par la faveur de Léon X, pour y être nommé archevèque il se trouva emporté par le (son) destin.

[1443] Buléphore Tu recevras donc Pomponius Laetus.
[1444] Nosopon Lui s’est contenté de l’élégance propre au style romain, et n’a jamais recherché davantage.

[1445] Buléphore Alors Platina ?
[1446] Nosopon Dans le genre historique il aurait pu s’épanouir s’il s’était choisi un sujet plus porteur. Dans le Du Meilleur Citoyen et dans son Panégyrique il est n’est pas loin de prendre la tournure de Cicéron, mais il en reste encore tellement loin que les humanistes ne lui ont pas encore voté ce surnom. Par ailleurs il est instruit, éloquent et si je ne m’abuse, c’est un homme de bien.

[1448] Buléphore Que dis-tu de Philippe Béroald l’ancien ? [1449] Je vois que tu secoues la tête : je le savais d’avance !
[1450] Nosopon Ce n’est pas cela ! Je suis prêt à hocher la tête et à acquiescer si tu veux me recommander en lui un homme de grand mérite dans le domaine des lettres ; mais si tu me demandes de l’inscrire au catalogue des cicéroniens, je refuse en secouant la tête ! [1451] J’accepterai plus facilement Philippe Béroald le jeune quoiqu’il n’ait pas encore confié grand choses aux lettres.

[1452] Buléphore Alors il serait bien inutile que je t’énumère George Valla, Christophe Landino, Mancinelli, Pietro Marso, Baitista Pio, Corneille Vitelli, Nicolas Leoniceno et Nicola Leonico, Bartholomeo Scala, Paulo Cortesi, Pietro Crinito, Jacques Antiquario ! 
[1443] Pomponio Laeto (1425-1497). Bâtard d’une grande famille, eut une éducation soignée ; élève de Pierre de Monopoli et de Laurent Valla, animateur de l’Académie Romaine, dont l’ésotérisme finit par paraître suspect à Paul II. Fut le maître de Sabellicus, de Peutinger, d’Alexandre Farnèse, le futur Paul III. Complètement intoxiqué par le culte de la Rome antique, à laquelle il consacra plusieurs grands ouvrages, De magistratibus, sacerdotiis et legibus Romanorum, Venise 1474
[Ph.1445] Bartolomeo sacci dit Platina (1421-1481), natif de Piadena, près de Modène. Après avoir tâté du métier des armes, profita à Mantoue des leçons de Leonicenas, protégé par les cardinaux Frçois de Gonzague, Jacques Piccolomini, Bessarion, il obtint une place à Rome au collège des Abréviateurs. Ses difficultés avec le Pape Paul II, en partc. pour son activité au sein de l’Acad. Romaine lui valurent qq détentions. Sixte IV le nomma en 1475 bibliothécaire du Vatican. Auteur de nbx essais, d’un beau panégyrique de Bessarion et d’une célèbre histoire des Papes Le De optimo Cive dialogue dédié à L. de Médicis, en 1474, dont la première version était présnetée dans le De Principe en 1471
[Ph.1448] Philippo Beroaldo, dit l’ancien (1453-1505) édita et commenta de nbx auteurs latins, en partc. l’Histoire naturelle de Pline, œuvres de Properce avec commentaire. Nbx essai ou discours ; Erasme rend hommmage à son travail fécond. Mais trouve plus de talent à son neveu.
[Ph. 1451] Beroaldo Philippo le jeune (1472-1518) professeur au gymnase, puis à la Sapience de Rome, avant de devenir le secrétaire du cardinal Jean de Médicis, puis en 1516 le bibliothécaire du Vatican. Mais ses œuvres se réduisent malheureusement à peu de chose, une édition des Annales de Tacite, dédiée à Léon X, rome, 1515, et un recueil littéraire Odarum libri tres et Epigrammatum liber unus, Rome, 1530, qui devait être traduit en français par Marot.
Georgio Valla (1447-1499). Humaniste fécond de Piacenza laissa une énorme encyclopédie des connaissances du XV° s. De expetendis et fugiendis rebus opus (2 vol. Venise Alde, 1501) De nbses trad. latines d’auteurs grecs, dont la 1° trad. de la Poétique d’Aristote (1496).
Christoforo Landino (1424-1504) Précepteur de L et Julien de Médicis, membre de l’Académie Platonicienne de Florence, enseigna avec éclat publia de nbs éditions pré-critiques, de nbx essais ou discours en partc. Disputationum Camadulsensium libri IV Flor. ca 1480.
Jacopo Antiquario de Pérouse (1444-1512). Secrétaire de Ludovic le More, a laissé une importante correspondance avec les principaux Humanistes Italiens et une Oratio ad Ludovicum Regem Francorum, Milan 1509.+/+/+/+/+/+
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1453] Nosoponus Ut tu farragine quadam confundis diversos. [1454] Mancinellos, Vitellios ac Marsos sile, cum agitur de eloquentia. [1455] Baptista Pius suo more loqui conatus est. [1456] Scala sibi videbatur Tullianus, Politiano ne Latinus quidem videtur, adeo ut ne sensum quidem communem illi tribuerit.

[1457] De Paulo Cortesio post dicetur. [1458] Petrus Crinitus multum abest a charactere Ciceroniano, quanquam hominis eruditionem amplector. [1459] Leonicenus medicus erat, non rhetor.
[1460] Leonicus in adytis philosophiae, praesertim Platonicae, semper religiose versatus, ad Platonis ac Ciceronis dialogos effingendos sese composuit et praestat eloquentiae tantum, quantum fas est hodie a tali philosopho requirere ; Ciceronianus appellari nec ipse cupiat, ni fallor ; adhuc enim superest vir non minus integris moribus quam eruditione recondita.
[252,1461] Bulephorus Quid de Domitio Calderino?
[1462] Nosoponus Bona spes erat, ni Romanae deliciae, mox praepropera mors intercepissent juvenis bene coeptum in studiis cursum.

[1463] Bulephorus Porro Scipionem Carteromachum.
[1464] Nosoponus Agnosco virum citra ostentationem in utraque litteratura doctum, ceterum ex his quae scripsit non apparet illum affectasse Tullianam eloquentiam.

[1453] Nosopon Comme tu y vas ! Tu les mets tous dans le même sac malgré leur diversité !
[1453] Les Mancinelli, les Vitelli et les Marsi, tu peux les passer sous silence, si l’on ne parle que des qualités oratoires. [1455] Baptista Pio lui a tenté d’inventer son propre style. [1456] Scala se prenait pour un Cicéronin, alors que Politien ne le voyait même pas comme un auteur latin, si bien qu’il ne lui accordait même pas le sens commun.
[1457] On parlera plus tard de Paulo Cortesi. [1458] Pietro Crinito n’a pas le type cicéronien, quoique je salue en lui un homme de grande culture. [1459] Leonicenus, lui c’était un médecin, pas un maître de rhétorique.
[1453] Léonicus ne vit que dans les sanctuaires de la philososphie, principalement celle de Platon, il forma (conforma) son style à l’imitation des dialogues platoniciens et cicéroniens, et fit preuve d’autant d’éloquence qu’on est en droit d’en attendre, de nos jours, d’un philosophe tel que lui. De lui-même il ne souhaiterait pas, si je ne me trompe (en effet il vit encore), qu’on le nomme cicéronien ; ses mœurs ne sont pas moins intègres que son érudition n’est profonde.

[1461] Buléphore Que dirais-tu de Domizio Calderini ?
[1461] Nosopon Tous les espoirs lui étaient permis si les délices de la vie romaine, puis bientôt une mort prématurée n’avaient interrompu une carrière littéraire plutôt bien commencée.

[1463] Buléphore Voyons donc Scipion Carteromachus !
[1464] Nosopon Je vois en lui un homme qui possède à fond les deux cultures, grecque et latine, sans chercher à en faire étalage. Mais de ce qu’il a écrit il ne ressort pas qu’il ait jamais recherché le style cicéronien.

[Ph.1454] Antonio Mancinelli (1452-1505) Elève de Pomponius Maela, grammairien et pédagogue. Cornelio Vitelli de Cortone ( - ). 1er Professeur de grec à Oxford, (vers 1470-1475 ; puis et 1491) où il eut comme élève Grocyn et Linacre. De dierum mensium annorumque observatione. Pietro Marso (1442-1512) Ensigna à Mantoue et à Rome, auteur de nbx discours d’apparat et d’oraisons funèbres en particulier celle de Pomponius Méla.
[Ph.1455] Giovanni Battista Pio(1460-1540) succéda à son maître Philippo Beroaldo comme professeur de latin à Bologne 1524, enseigna l’éloquence à Rome à la Sapience 1534. Ami de clément VII, d’Isabelle d’Este. Nbx trx d’érudition philologique. Traduisit le Tableau de la vie humaine de Cébès de Thèbes en hexamètres latins.
[Ph.1456] Bartolomeo Scala (1428-1487)  Né dans la province de Sienne, fixé à Florence en 1450 en devint par la protection de Cosme de Médicis successivement citoyen, secrétaire gonfalonier de justice avant d’en écrire l’histoire en 20 livres : Apologia contra Vituperatores Civitatis Florentiae (1496)
[Ph.1457] Paulo Cortesi (1465-1510). Humaniste et Théologien. En lutte avec Politien puis évèque d’Urbin, auteur d’un commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard, Rome, 1503. Sur cette opposition voir Marc Fumaroli. p. 80 ss.
[Ph.1458] Pietro Crinito (1465-1505). H. florentin et ami de Pic de la Mirandole, écrivit un gros traité de De Honesta disciplina, Florence 1505, inspiré des Nuits Attiques d’Aulu-Gelle. Excellente édition moderne par Carlo Angeleri Rome 1955.
[Ph.1459] Niccolo Leoniceno de Vicence (1428-1524). Enseigna 60 ans la médecine à Ferrare où Erasme lui rendit visite en 1509. Sa philosophie critique le fit entrer avec le De Plinii in medicina erroribus, Ferrare, 1492, dans la grande polémique engagée sur cet auteur entre les humanistes italiens.
[Ph.1460] NiccoloTomeo Leonico (1456-1531) Savant et Humaniste, professeur de philosophie à Padoue, ami du cardinal Bembo : nbses trads. D’Aristote, Ptolémée, Théophraste, etc.
[Ph.1461] Domizio Calderini de Vérone (1447-1478). Appelé à Rome par Paul II (1471) comme professeur de lettres ; secrétaire de Sixte IV. Nbx commentaires sur Martial, Juvénal, Suétone, Virgile, etc. Première trad. de Pausanias ; Trad. de la Géographie de Ptolémée, Rome 1478, qui renferme les plus anciennes cartes gravées sur cuivre.
[Ph.1463] Scipione Forteguerri de Pistoie, dit Carteromaco (1466-1515). Politien lui enseigna le grec. Fondateur de la célèbre Académie Aldine à Venise, (1494) où il enseigna le grec. De laudibus litterarum graecarum Alde Venise 1504.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1465] Bulephorus Non reicies, opinor, Hieronymum Donatum patricium Venetum.
[1466] Nosoponus Epistulae, quod paene solum illius habemus, declarant illum quidvis praestare potuisse, si voluisset huc animum intendere, sed rei publicae negotia distraxerunt hominem ab otio litterario.
[1467] Bulephorus Agnoscis Antonium Sabellicum?

[1468] Nosoponus Agnosco natura facundum nec artis expertem. [1469] Nec infeliciter rhetoricatur interdum, in historia sat splendide versatus, sed in hac tantum quae suum dicendi genus desiderat.


[1470] Bulephorus Hactenus de mortuis plerisque ; nunc vivorum, ut aiunt, meminisse oportet, de quibus fortasse vereberis, quid sentias proloqui.

[254,1471] Nosoponus Minime, quandoquidem fateor hoc laudis vix ulli mortalium adhuc contigisse.

[1472] Bulephorus Nosti Paulum Aemilium ?
[1473] Nosoponus Hominis et reconditam eruditionem et diligentiam et vitae sanctitatem et summam in historia fidem exosculor ; Tullianam dictionem nec affectavit nec habet.
[1474] Bulephorus Profero Baptistam Egnatium.

[1465] Buléphore Je pense que tu ne vas pas rejeter Girolamo Donato, patricien de Venise.
[1466] Nosopon Ses lettres (c’est à peu près la seule chose que nous avons de lui) montrent qu’il aurait pu réaliser tout ce qu’on peut imaginer, s’il avait voulu y consacrer ses efforts, mais les affaires de la République ont détourné cet homme du « loisir littéraire ».
[1467] Buléphore Antonius Sabellicus, tu le reconnais pour un cicéronien ?

[1468] Nosopon Je reconnais qu’il est doué pour l’éloquence et qu’il n’est pas dénué de formation théorique. [1453] Il ne réussit d’ailleurs pas mal quand il se mêle de faire des discours ; il s’occupe assez brillamment d’histoire, mais ne s’intérresse qu’aux sujets qui se prêtent à son style d’éloquence.

[1470] Buléphore Jusqu’ici nous n’avons évoqué que des morts, pour la plupart ! Il faut maintenant « se souvenir des vivants », comme on dit. Mais, peut-être, craindras-tu de dire quel est ton sentiment à leur égard ?
[1471] Nosopon Pas le moins du monde, puisque je reconnais que l’honneur dont nous parlons n’a pour ainsi dire jamais jusque maintenant échu à un mortel.

[1472] Buléphore Tu connais Emilio Paulo ?
[1473] Nosopon Je l’embrasse de tout cœur pour sa profonde culture, et son sens du travail, pour la sainteté de sa vie et son extrème honnêteté en tant qu historien. Il n’a pas recherché le style cicéronien et ne le possède pas.

[1474] Buléphore Je te propose Gian Battista Cipelli
Girolamo Donato (1457-1511). Patricien, diplomate, théologien ; traduisit en latin Le commentaire au De anima d’Alexandre d’Aphodise refuta les prétentions de l’église Orthodoxe.
[1466] Otium litterarium voir aussi Otium cum dignitate Cicéron dans le Pro sestio présente cette solution pour l’homme politique qui se retire à cause des circonstances, mais se prépare dans son loisir studieux à être à nouveau utile à la République en réfléchissant et en écrivant sur les questions qui réclament l engagement de l intellectuel. Sénèque réfléchira de m à la question dans le De Otio. Voir l étude célèbre : L'otium dans la vie morale et intellectuelle romaine : des origines à l'époque augustéenne de Jean-Marie André,... / Paris : Presses universitaires de France, 1966.
[1470] P.M note : Vivorum désigne les contemporains proches ; c’est la 3° étape qu’Erasme distingue dans l’histoire de la Renaissance.
Voici encore un adage traité par Erasme : 152. I, II, 52. Vivorum oportet meminisse !
« Vivorum meminisse oportet. Vetus adagium in eos, qui plurimum de vita defunctis loquuntur, id quod vulgo putant ominosum mortuos in ore habere eosque ut velut citatos in sermonem adducere. Unde et M. Varro libro De lingua Latina tertio putat lethum Àx ÄÆÂ »u¸·Â, id est oblivione dictum, quasi in oblivionem abire conveniat, qui vita excesserit, atque in funeribus sic quondam a praecone dici solere : Ollus letho datus est. Refertur adagium a Cicerone libro quinto De finibus bonorum et malorum. Ubi cum Piso, deinde Q. Cicero dixissent se vehementer commoveri recordatione clarorum virorum ex contemplatione locorum in quibus aliquando vivi versati fuissent, et uterque recensuisset, quorum memoria 20 potissimum delectaretur, tum Pomponius Atticus quasi jocans : At ego, inquit, quem vos ut deditum Epicuro insectari soletis, sum multum equidem cum Phaedro, quem unice diligo, ut scitis, in Epicuri hortis, quos modo praeteribamus, sed veteris proverbii admonitu vivorum memini ; nec tamen Epicuri licet oblivisci, si cupiam, cujus imaginem non modo in tabulis nostri familiares, sed etiam in poculis et anulis habent. Hactenus Cicero. Plautus item in Truculento : « Dum vivit, hominem noveris ; dum mortuus est, quiescas ». At nunc vulgus ne beneficium quidem amicorum meminit, cum Thaletis dictum jure celebretur oportere non minus absentium amicorum quam praesentium memores esse ». Fin.
[Ph.1472] Emilio Paolo : (1460-1529) Humaniste de Vérone, nommé chanoine de Paris, pour écrire notre histoire depuis le commentcement de la monarchie jusqu’à Louis XII. IV livres ; inachevé.
[Ph.1474] Gian Battista Cipelli, H-iste Vénitien (1473-1553). Elève de Politien, puis prof. à Venise et mbr de l’Ac. Aldine. Edite plrs cl. à l’imprimerie d’Alde Manuce et, à sa mort, 6 fév 1515, devient l’un de ses successeurs et veille sur l’éduc. de son 3° fils Paul Manuce (1512-1574) qui devait se passionner pour Cicéron. De Romanis Caesaribus libri III, (1516) ; De origine Turcarum (1519) commandé par Léon X ; Ad Franciscum primum .. panegerycum prononcé à l’occasion de la victoire de Marigan (1515) ; De exemplis virorum illustrium venetiae civitatis atque aliarum gentium (V.1554) Correspond avec Erasme entre 1517 et 1534.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1475] Nosoponus Virum non minus probum et integrum quam eruditum et eloquentem nominasti, sed cui Tulliani cognominis honorem negant doctorum suffragia. [1476] Docte loqui maluit quam Ciceroniane, et quod uoluit assecutus est.
[1477] Bulephorus En tibi Paulum Bombasium.
[1478] Nosoponus Equidem exosculor Paulum Bombasium prorsus aurei pectoris hominem, quo vix alius unquam vixit amico amicior, sed valetudini parcens non admodum indulsit stilo.
[1479] Mox, ut erat animi minime abiecti, sordidorum competitorum improbis contentionibus offensus, nam Bononiae publico salario Graece profitebatur, ad rei publicae negotia sese contulit ; tandem accitus Romam augere rem maluit quam litteris insenescere.
[1480] Bulephorus Fortassis aequior eris junioribus. [1481] Quid censes de Andrea Alciato ?
[1482] Nosoponus Referam, quid eruditi sentiant, qui propius hominem noverant quam ego. 1483] Quam laudem M- Tullius partitur inter Q- Scaeuolam et M- Crassum, quorum hic dictus est eloquentium jurisperitissimus, ille jurisperitorum eloquentissimus, totam in hunc unum competere judicant.
[256,1484] Quid possit eloquentia, declaravit in praefatione quam Cornelio Tacito praefixam legimus. [1485] Nam in annotationibus docere proposuit, non rhetoricari.
[1486] Bulephorus Ex Italis, opinor, non ita multos praetermisimus memorabiles. [1487] Sed heus, occurrit Hieronymus Aleander nuper favore Clementis VII archiepiscopus Brundusinus, quem fortasse praeteritum non oportuit in hac recensione.


[1475] Nosopon Tu viens de nommer un homme aussi honnête et intègre que savant et éloquent, mais auquel les érudits, par leurs suffrages, refusent l’honneur du titre de cicéronien. Il a préféré parler savamment que « cicéroniennement » et il y est parvenu selon sa volonté. .

[1477] Buléphore Tiens ! Voilà Paulo Bombasio !
[1478] Nosopon Un véritable cœur d’or celui-là, que j’embrasse de toute mon affection ! Je ne sais pas s’il y eut jamais ami plus dévoué que lui à ses amis. Mais il épargnait trop sa santé pour soigner beaucoup son style.
[1479] Comme il n’avait pas l’âme basse, il se sentit bientôt blessé par les attaques malhonnêtes de concurrents sans scrupule : il faut dire qu’il était payé par la ville de Bologne pour enseigner le grec. Il finit donc par se consacrer aux affaires publiques. Enfin à Rome où on l’avait appelé, il préféra accroître sa fortune que vieillir dans les lettres.

[1452] Buléphore Peut-être seras-tu moins impitoyable avec les plus jeunes ? Que penses-tu d’André Alciat

[1478] Nosopon Je vais (tout simplement) rapporter le sentiment des humanistes qui l’ont connu un peu mieux que moi. [1483] Ce mérite que Cicéron partageait entre Q. Scaevola et P. Crassus, assurant que le premier était le plus habile juriste parmi les orateurs et que l’autre était le plus éloquent parmi les juristes, on juge qu’il se rencontre (converge) tout entièr en lui seul.
[1484] C’est dans la préface de son édition de Tacite qu’il montre toute la puissance de son éloquence, car dans ses annotations il s’est proposé d’instruire non d’écrire selon les règles de l’art oratoire.

[1486] Buléphore Pour ce qui est des Italiens, je ne crois pas que nous en ayons laissés tant que cela de côté qui vaudraient la peine qu’on se souvienne d’eux. [1487] Oh ! mais voilà que me vient à l’esprit le nom de Girolamo Aleandro, qu’une récente faveur du pape Clément VII a nommé archevèque de Brundisi. Il ne faudrait peut-être pas l’omettre dans ce recensement.
[Ph.1477] Paolo Bombasio  Humaniste avec qui Erasme travailla pdt son séjour à Bologne. Harangue à Louis XII en 1502 ; enseigna la rhétorique, la poésie et le grec. D’abord au service du cardinal Pacci, puis secrétaire de Clément VII. Il fut tué lors du sac de Rome en 1527. Correspondance abondante.
[Ph.1481] Andrea Alciati de Milan (1492-1550). Prof. de droit à Avignon, Bourges, Pavie. Humaniste complet : Fondateur de la critique juridique avec ses In tres posteriores codices Justiniani Annotationes Bologne 1513. Editeur de Plaute ; Historien de Milan ; commentateur de la correspondance de Cicéron ; remarquable épistolier. Correspond avec Erasme, qui lui révèle son désir de partir en guerre contre les Cicéroniens dans une lettre du 6 mai 1526. Voir introduction de P. Mesnard p. 583.
[Ph.1483] Partitur (Cic. Brutus, 145) : «  Eloquentium jusrisperitissimus Crassus jurisperitorum eloquentissimus Scaevola » .
[Ph.1485] P. Me. note : « un professeur comme tel ne peut être un véritable cicéronien. Le cicéronianime reste chasse gardée de ceux qui pratiquent une éloquence formelle : « rhetoricari ».
[Ph.1487] Girolamo Aleandro (1480-1542). H-iste, archevèque de Brindisi, ancien condisciple d’Erasme, devenu sa bête noire, depuis qu’ayant fait carrière à Rome, il s’était fait comme nonce, légat pontifical et cardinal, l’avocat d’une repression sévère du Luthérianisme alors qu’Erasme adhèrait à l’irénisme de la cour impériale. Importante correspondance diplomatique, qq œuvres de philologie, échange 6 lettres avec Erasme de 1512 à 1532. Composa un Lexicon Graeco-latinum 1512 ; des Tabulae sane utiles Graecarum Musarum addita compendio ingredi volentibus 1515 ; un abrégé de la Gr. Grecque de Chrysoloras ; il a laissé 4 livres du De concilio habendo (inachevé) et de nbx écrits ayant trait à ses nonciatures, consultés avec fruit par le concile de Trente et ses historiens, en particulier Pallavicino.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1488] Nosoponus Quid is possit in hoc genere, non satis liquet ex his quae scripsit. [1489] Nam et admodum pauca venerunt in lucem, in quibus ipsis non videtur hanc laudem ambisse, et jam pridem civilia bellicaque negotia alio rapuerunt hominem peritia linguarum eleganter instructum ac prorsus indignum qui profanis negotiis serviat.

[1490] Bulephorus Equidem arbitror Albertum Carporum principem propius ad Tullianam phrasim accedere quam Aleandrum.
[1491] Nihil hic edidit hactenus, quod equidem sciam, unicum dumtaxat librum aut si mavis prolixam epistulam ab illo scriptam vidi, qua respondet Erasmo, tametsi sunt qui ceu compertum asseverant eius operis alterum esse fabrum.
[1492] Nosoponus Accedit ille quidem, quisquis est, quatenus licuit homini in theologicis ac philosophicis litteris ab adulescentia versato.
[258,1493] Bulephorus Vides quam multos celeberrimi nominis scriptores commemorarim, Nosopone, quorum nemini fateris Tulliani cognominis decus obtigisse. [1494] Fortasse nonnulli fallunt meam memoriam ; tu suggere, si quos nosti, Hypologe !

[1495] Hypologus Duos Caelios, Rhodiginum et Calcagninum, nescio an volens praetermiseris.
[1496] Bulephorus Plane imprudens.
[1497a] Nosoponus Rhodiginus vir erat pius et variae lectionis, in eloquentiae certamen haudquaquam asciscendus ;
[1488] Nosopon Ce qu’il pourrait bien faire dans cette liste, ne ressort pas clairement de ses écrits. [1489] Tout d’abord fort peu de ses oeuvres ont paru, et il ne semble pas y rechercher cette palme ; ensuite il y a déjà un bon bout de temps que les guerres civiles et les affaires politiques ont emporté dans une autre direction cet homme, qui possède une fine connaissance des langues, et qui mérite beaucoup mieux que de servir des intérêts profanes.

[1490] Buléphore C’est vrai, pour moi Alberto Pio prince de Carpi approche bien plus du style cicéronien qu’Aléandro.

[1491] Jusque maintenant, il n’a rien produit, que je sache du moins, si ce n’est un livre que j’ai vu, une longue lettre si tu préfères, qu’il avait écrite pour répondre à Erasme, quoique certains assurent, comme une chose avérée, que cet ouvrage est de la main d’un autre.

[1492] Nosopon L’auteur, quel qu’il soit, s’en approche quand même dans la mesure évidement que peut atteindre un homme versé dans la théologie et la philosophie depuis l’adolescence.
[1493] Buléphore Tu vois Nosopon combien d’écrivains de très grand renom j’ai déjà mentionnés. Pourtant, de ton propre aveu, aucun n’a obtenu l’honneur du titre de cicéronien ! [1494] Il se peut que quelques uns m’aient échappé. N’hésite pas à m’en proposer, Hypologus, si tu en connais d’autres.

[1495] Hypologus Les deux Caelius, Rhodiginius, Calgagninus, c’est exprès que tu les as passés ?
[1496] Buléphore Pure inattention !
[1497a] Nosopon Rhodiginus était un homme pieux, qui a beaucoup lu, mais il ne faut en aucun cas le faire concourir dans cette joute d’éloquence.
 [Ph.1490] Aleandrum voir supra [Ph.1487]
[1490]Pio da Carpi (1476-1531). Sa vie fut bouleversée par les guerres intérieures et extérieures de l’Italie ; les vicissitudes de sa seigneurie, située près de Modène, occupée par des conquérants successifs, l’amenèrent à servir Louis XII, puis Maximilien puis François 1er auprès du Saint Siège. Neveu de Pic de la Mirandole, pupille d’Alde Manuce qui lui dédia son célèbre Aristote grec de 1495. Membre de l’Ac. Romaine, c’était une personnalité très influente dans le monde de la politique et de la culture. Après le sac de Rome il trouva un asile en France et y continua ses diverses activités. Antiluthérien déclaré, il considérait Erasme comme responsable de tte la Réforme : « Occasionem Lutherius hausit e libris meis » epist. 1634, L 69 ; « Me totius hujus tragoediae, seminarium praebuisse »ep.L 2421, L. 47. Malgré les explications respectueuses et très complètes données par Erasme ds la lettres du 10 oct. 1525, (ep 1634) , il aggrava son hostilité dans sa Responsio ad Erasmum Rot.paraenetica du 15 mai 1526, qui courut longtemps manuscrite avant d’être imprimée par Josse Bade le 7 jv. 1529. Dès qu’il en eut pris connaissance Erasme lui répondit en qq jours le 13 fév. 1529 : Ad exhortationem clarissimi doctissimique comitis Alberti Pii Carporum Principis Desiderii Erasmi Responsio. Mais la publication du Ciceronianus ne fit qu’exaspérer l’opposition du prince contre ce Batave auquel il déniait à la fois la qualité de théologien et celle d’Humaniste. Avec le concours de qq Franciscains de Paris, il amassa contre Erasme une masse d’arguments de tte nature, destinée à remplir les 23 livres d’un énorme Factum ( In locos .. retractandos Paris 1531). Bien qu’il eût paru après la mort de son auteur, le livre exigeait une riposte immédiate : ce fut Apologia adversus …. Anvers 1531. Il en parut au moins cinq éditions diverses en un an. Erasme était déchaîné et il exécuta durement son adveraire ainsi que son entourage franciscain dans les Obsèques séraphiques, l’un des plus acérés de ses Colloques. Les principaux textes de cette polémique sont contenus dans H. von der Hardt, Historia litteraria Reformationis, (Frankort &Leipzig 1717).
[1497a] Rhodiginum , Lodovico Celio Ricchieri de Rovigo (1460 1525). H-iste vénitien, élève de Leonicecus et de Leonicus. Il étudia la philo.à Ferrare et le droit à Padoue ; il vint à Paris et y connut Jean Grolier auquel il dédia son principal ouvrage. Prof. à Rovigo (1497-1504), puis à Vincence , Ferrare, Reggio, il fut chargé par François 1er, en 1515, de succéder à Chalcondylas à Milan cM prof. de grec et de latin : ses études portérent prc-t sur Cicéron, Horace , T-Live, Ovide et Virgile. Il enseigna à Padoue en 1521 et revint à Rovigo en 1523. Antiquarum lectionum libri XVI, Venise, Alde, 1516, qui sera réédité en trente livres à Bâle (1550) par son neveu Camille Ricchieri et J.M. Goretti. Lettre à Erasme du 22 avril 1509, cf. ép. 949.
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1497b] Nosoponus alter tum eruditione tum eloquentia superior, stilus elegans et ornatus, sed nonnihil resipiens philosophiam scholasticam, quae res hactenus officit, non ut non possit inter facundos numerari, sed ne inter Ciceronianos.

[1498] Bulephorus Pauculos praetereo sciens ad quorum commemorationem ipsa nos reducet oratio tempestivius. [1499] Interim, si placet, in Galliam et olim et hodie studiis florentissimam aliquantisper migremus, ex ea dumtaxat praecipuos relaturi, qui nuper scriptis in lucem editis eloquentiae laudem emeruerunt.

[1500] Robertus Gaguinus non ita pridem habitus est magni nominis, dictione tamen quam scriptis vendibilior.

[1501] Nosoponus Verum, suo saeculo ; nunc vix inter Latine loquentes reciperetur.

[1502] Bulephorus Quid commemorem duos fratres Ferdinandos?
[1503] Nosoponus Non feram.
[1504] Bulephorus Quid si Guidonem Juvenalem ?
[260,1505] Nosoponus Multo minus.


[1506] Bulephorus Quid si Jodocum Badium ?
[1507] Nosoponus Istum citius admiserim in hoc laudis certamen quam Apuleium, nec infeliciter omnino cessit conatus Badio ; adest illi facilitas non indocta,

[1497b] Nosopon Le second, Calcagninus, lui est nettement supérieur tant pour la culture que pour l’éloquence. Son style est élégant et orné mais il garde encore des relents de philosophie scholastique. Cela ne va pas jusqu’à interdire qu’on le compte parmi les orateurs éloquents, mais ne permet pas de le mettre au nombre des cicéroniens.

[1498] Buléphore Il y en a quelques uns que je laisse volontairement de côté parce que notre entretien nous ramènera à eux de lui-même en temps et en heure. [1499] En attendant, si tu veux bien, allons nous établir pendant quelque temps du côté de la Gaule, tout aussi florissante aujourd’hui qu’elle l’était autrefois dans le domaine des études. Nous n’y choisirons que les plus importants, ceux qui ont reçu des éloges pour leurs dernières parutions.

[1500] Robert Gaguin, il n’y a pas si longtemps avait grand renom, mais il était plus populaire par ses discours que par ses écrits.
[1501] Nosopon C’était vrai en son temps. Aujourd’hui on ne le classerait même pas parmi ceux qui parlent vraiment latin.

[1502] Buléphore A quoi bon alors rappeller les deux frères Ferdinand, de Bourges?
[1503] Nosopon Je ne supporterai pas cela!
[1504] Buléphore Et Guy Jouvenceaux ?
[1505] Nosopon Encore moins !

[1506] Buléphore Et Josse Bade ?
[1507] Nosopon Celui-là je l’admettrai plus facilement qu’Apulée dans cette course à la gloire ! Ses efforts dans cette voie n’ont pas mal réussi : il a de l’aisance et ne manque pas de formation. (… / … )  [1497b] Celio Calcagnini de Ferrare (1479-1541) Soldat, poète, ecclésiastique et savant. Chanoine et prof. à l’Université de Ferrare où il fonda l’Ac. des Elevati. Erasme l’y rencontra en 1508. Ambassadeur ducal en 1509 auprès de Jules II, puis de Léon X. Partl attaché au cardinal Hippolyte d’Este, il l’accompagne en Hongrie en 1518 et assiste au mariage de Bona Sforza avec le roi Sigismond à Cracovie (18 Avril 1518). A son retour en Italie (1519) la Rome de la Renaisssance suscite son admiration. Son œuvre, Opera (Bâle, Froben et Episc. 1544), comporte aussi bien des essais humanistes : Disputationes XXVI : In libros De officiis (il n’aimait pas Cicéron) ; De imitatione, De libero Arbitrio ( Bâle, Froben, 1525) ; que des recherches archéologiques ou techniques. Ami de Copernic il publia un traité original sur la rotation de la terre : Quod Caelum stet et terra moveat, Bâle 1544. Il a laissé une correspondance de 300 lettres, dont 3 avec Erasme de 1523 à 1533. Celle d’Erasme (ép. 1576) est très intéressante sur le prétendu Luthéranisme de Calcagnini, qui dans sa très belle et très longue réponse (ép 1587, du 6 jllt 1525) montre dans le Luth. une hydre universelle. Sa 2° lettre 17 sept. 1533 remercie Er. de l’avoir mentionné dans le Ciceronianus et émet sur cet ouvrage un avis intéressant.
[Ph.1500] Robert Gaguin ( 1433-1501). Moine flamand établi à Paris ; général des Trinitaires (1473) ; Ambassadeur du roi de France en Allemagne, Italie et Angleterre. Doyen de la faculté de droit canon ; Protagoniste de l’imprimerie. Poète et Historien à ses heures.
[Ph.1502] Ferdinandos : Charles et Jean Fernand ou Ferdinand de Bourges. Charles (mort en 1517) enseigna la philo et la théologie à l’université de Paris. Musicien du roi Louis XI. Devint Moine et bibliothécaire de l’abbaye de St Vincent du Mans. Relations avec G. Budé, J. Lefevre, Josse Clichtove, R. Guagin, etc. Il a écrit plrs traités religieux ; un De tranquillitate animae ; des Epistolae et une importante corresp. inédite. Jean son frère, moine lui aussi, a donné une Vie de Saint Sulpice Sévère, évèque de Bourges, recueillie par les Bollandistes.
[Ph.1504] Guy Jouvenceaux (ca 1450-1505). Etudes au Mans et à Paris. Abbé de St Sulpice de Bourges il réforma ce monastère. Il donna un excellent commentaire gram. de Térence (Paris, 1492) et un commentaire des « élégances de la langue latine » de Laurent Valla ( cf. Supra). Commentaires de la Règle de St Benoït, qu’il traduisit en fçs.
[Ph.1505] Selon P. Mesnard Ce « multo minus » ne traduit p-ê pas une csse réelle de Guy Jouvenceaux mais le préjugé antimonastique ».
[Ph.1506] Badium : Josse Bade Ascensius ( c-à-d natif d’Asche en Belg. ; 1462-1535). Etudia à Gand puis en Italie. Correcteur d’imprimerie à Lyon ; puis prof à Lyon et à Paris (1499), y fonde l’imprimerie Prelum Ascensianum ; Très attaché à Cicéron. Malgré le recul tactique exigé par les partisans de Budé, Erasme continue à lui attribuer une facilitas « non indocta » qui équivant à un brevet d’humanisme. Voir Marie Madeleine de la Garanderie La correspondance d’Erasme et de Guillaume Budé, Paris 1967, qui est doté d’un index très documenté sur nombre d’humanistes.******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1507] Nosoponus suite felicius tamen cessurus, nisi curae domesticae reique parandae studium interrupissent otium illud Musis amicum, huius laudis candidato necessarium.
[1508] Bulephorus Fortassis hujus honorem tituli tribues Galliarum decori Guilelmo Budaeo.
[1509] Nosoponus Qui tribuam quod ille nec ambit nec agnosceret, si tribuero ?
[1510] Quanquam is alioqui eximiis variisque dotibus suspiciendus est.

[1511] Bulephorus Iacobus Faber habetur celebratissimus.
[1512] Nosoponus Vir pius et doctus, sed qui theologice dicere maluerit quam Tulliane.

[1513] Bulephorus Ioannem Pinum fortassis agnosces.
[1514] Nosoponus Posset inter huius laudis competitores numerari, nisi et hunc negotiorum tumultus et ecclesiastica dignitas a studiis avulsissent.
[1515] Olim certe praeclarum sui specimen dedit, cum Bononiae Musarum sacra coleret.
[1516] Nunc episcopum audio factum ; quid accesserit eloquentiae, nescio. [1517] Fieri potest, ut plus accesserit eruditionis quam dignitatis.

[1507] Nosopon (suite ; Josse Bade) Pourtant, il aurait mieux réussi si la gestion de sa maison et le souci de faire fortune n’avaient troublé son loisir, cet ami des Muses, nécessaire à celui qui brigue une telle médaille.

[1508] Buléphore Peut-être voudras-tu attribuer l’honneur de ce titre à Guillaume Budé, la gloire de la nation française ?
[1509] Nosopon Pourquoi irais-je lui attibuer ce qu’il n’ambitionne pas, et dont il ne reconnaîtrait pas la validité si je lui attribuais ?
[1510] Il n’empêche qu’on lui doit le respect pour la variété de ses dons par ailleurs exceptionnels.

[1511] Buléphore On tient Jacque Lefevre pour très populaire.
[1512] Nosopon Il est pieux et savant. Mais il est homme à parler en théologien plutôt qu’en cicéronien.

[1513] Buléphore Peut-être reconnaîtras-tu Jean de Pins ?
[1514] Nosopon On pourrait le compter parmi les concurrents de cette course à la gloire, si le tourbillon des affaires et les fonctions de sa dignité ecclésiastique ne l’avaient pas détourné de ses études.
[1515] Autrefois il est vrai qu’il a donné des preuves de son excellence, quand il se consacrait aux Muses, à Bologne.
[1516] Mais j’ai entendu dire qu’il vient d’être nommé évèque, et je ne sais pas ce que cela ajoutera en fin de compte à son éloquence. [1517] Il se pourrait bien que cela lui procure plus de connaissance que de prestige en ce domaine.  [Ph.1507] —NB. Mss | Apuleium BCD LD : Guilhelmum Budaeum A | P. Mesnard imprime le ms A et précise « on ne voit pas par quelle association d’idée, Erasme ayant un trou à boucher aurait remplacé le nom de Budé par celui d’Apulée ».
[Ph.1508] — NB. P. Mesnard imprime le Ms A : [necessarium, utcumque Guilhelmus Budaeus eximiis variisque dotibus suspiciendus est. Buléphorus : Jacobus Faber etc.] (Le texte que nous traduisons édite BCD)
Pierre Mesnard note : « On ne voit pas comment Guillaume Budé (1468-1540), leader de la Renaissance française et représentant glorieux de l’humanisme juridique, pouvait avoir été assez impertinemment sacrifié à Bade Ascensius, alors que dès la 1° éd. ( Ms A) on le reconnaissait doué de « eximiis variisque dotibus »). L’expression « Galliarum decori » ajouté de mauvaise grâce (BCD), ne change rien quant au fond du problème.»
[Ph.1511] Jacques Lefèvre, d’Etaple, Picardie (ca 1450-1536) finit en Italie (1491-1492) des études commencées à Paris. Il y disséqua Aristote avec Ermolao Barbaro et de retour à Paris, pdt 15 ans, il enseigna au collège du Cardinal Lemoine (1592-1507), tout en publiant une paraphrase de la Physique (1492) puis bcp d’autres œuvres d’Aristote, Boèce, Denys l’Aéropagite. A partir de 1504 il tombe sous l’influence de son ancien élève Guillaume Briçonnet, abbé à Meaux où il devient son vicaire général (1523). François 1er le nomme précepteur de son fils Charles, duc d’Orléans. Il applique désormais à ses études bibliques les principes de la critique littéraire qui aboutissent au Psalterion quintuples Gallicum, romanum, hebraicum, vetus, conciliatum, chez H. Estienne 1509 et 1513. Ses Commentaires sur les Epîtres de St Paul (H. Estiennes, 1512) furent censurés quant à la philologie par Erasme, quant à la théologie par Béda. Qq travaux : Traduction française du Nouveau Testament (Paris, 1525) ; La grande Bible française (Anvers 1528 ; nbses rééd. dont celle de 1534 est la meilleure). Plusieurs fois inquiété par la Sorbonne pour ses écrits (1521-23-25), il se retire à Nérac auprès de Marguerite de Navarre, qui recueillit un certain nb de survivants du cercle de Meaux. Lefèvre d’Etaple eut une polémique assez violente avec Erasme à propos de ses Commentaires sur St Paul, Erasme ayant proposé, dans son Novum Instrumentum de 1516 une interprétation différente de Hebr. II, V, 7. Lefèvre maintint son interprétation dans sa réédition de 1517, jugeant une des opinions dErasme « Impium et Christo Deoque indignissimum.» Erasme y répondit le 5 août 1517 par une Apologia Ad I Fabrum Stapulensem dont la violence, désapprouvée par Budé, altéra profondément les relations d’Erasme avec les humanistes français. Voir Marie Madeleine de la Garanderie La correspondance d’Erasme et de Guillaume Budé, Paris 1967P. 132 et 137-145.
[Ph.1513] Jean de Pins (1470-1537) Toulousain ; étudie à Toulouse, Poitiers, Paris. Ordonné en 1497 ; En Italie il étudie pdt 5 ans le Grec avec Musurus, à Bologne. Il y suit aussi les cours de Beroaldus et y rencontre Erasme et Longueil. Revenu à Toulouse il devient conseiller au parlement (1515). Frçs 1er le fait sénateur à Milan ; ambassadeur à Venise ; puis au St Siège ; Nommé en 1522 évèque de Rieux. Nbres amitiés parmi les H-istes les plus divers. On a de lui un brillant De vita aulica libellus ; une vie de Ste Catherine de Sienne ; une vie de Beroald ; Légende de St Roch ; Epigrammes et lettres. Correspondance avec Erasme.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[262,1518] Bulephorus Agnoscis Nicolaum
Beraldum?
[1519] Nosoponus Agnosco dictionis illaborato fluxu Pino non dissimilem, verum is in hoc genus nunquam nervos intendit suos, dicendo quam scripto felicior.
[1520] Quid possit, satis divino, sed est magni laboris fugitantior.

[1521] Bulephorus Franciscum Deloinum non vererer obicere, si se talem praestare potuisset in oratione librove, qualem se praestitit in epistulis ex tempore scriptis ad amicos. [1522] Quod sane prodigii simile videri possit in homine, qui saeculo non admodum felici totam paene aetatem in Accursiis, Bartholis ac Baldis contrivisset. [1523] In litteris politioribus et senex et feliciter repubuerat.

[1524] Hunc nuper mors terris eripuit ipsi quidem matura, senex enim mortuus est, studiis vero, quibus evehendis ornandisque vir optimus natus videbatur, praepropera.


[1525] Superest Lazarus Baifius, qui unico libello de vestibus eoque non magno magnam laudem meruit summamque spem de se praebuit, si, quo coepit cursu, pergat in litterarum stadio. [1526] Quanquam ad docendum appositus, argutus esse mavult, ut videtur, et Atticus quam Ciceronianus.

[1518] Buléphore Reconnaîtras-tu Nicolas Béroald pour Cicéronien ?
[1519] Nosopon Il s’exprime de façon spontanée, dans un style assez proche de celui de Jean de Pins, je le reconnais, mais il n’a jamais mis toutes ses forces à travailler cette sorte d’éloquence qui en ferait un cicéronien ; il réussit pourtant mieux dans ses discours que dans ses écrits. [1520] Je devine assez bien ce dont il est capable, mais il fuit un peu trop le travail pour cela.

[1521] Buléphore Je n’hésiterais pas à te proposer François Deloynes s’il pouvait se montrer aussi brillant dans un livre ou dans un discours que dans les lettres qu’il a écrites à ses amis, en improvisant au gré des circonstances. [1522] Cela tient du prodige si l’on pense que cet homme a passé presque toute sa vie, au cours d’un siècle pas vraiment brillant, à fréquenter les Accursius, les Bartholi et les Balde!
[1523] Il avait retrouvé une seconde jeunesse, et un certain succès, dans sa vieillesse, au milieu de la renaissance des lettres.
[1524] La mort vient de l’arracher à la terre : certes, pour lui elle est venue en son temps, parce qu’il est mort déjà vieux après tout, mais c’est une mort prématurée pour le monde des lettres. Il semblait né pour en élever le niveau et les illustrer, mieux que n’importe qui.

[1525] Il nous reste à examiner le cas de Lazare Baïf, qui par un seul petit ouvrage sur les costumes, et bien que ce ne soit un gros livre, s’est acquis une grande réputation. Les plus beaux espoirs lui sont permis, pour peu qu’il continue dans la carrière des lettres où il vient de s’élancer. [1520] Mais quoique il soit fait pour enseigner, il a choisi, semble-t-il, un style vif et piquant, plus atticiste que cicéronien.

 [Ph.1518] Bérault, Nicolas (ca 1473. Orléans- 1550) « C’est le type même du professeur-éditeur » (M.-M. de La Garanderie, T.1, p. 481). Arts et droit civil à Orléans ; il a probl-t (vers 1494) voyagé en Italie, où il a dû rencontrer Ermolao Barbaro et Politien. Rentré à Orléans, il ouvrit un pensionnat (ou « pédagogie »). Érasme, en route pour l’Italie, s’y arrêta, à l’automne 1506. En mê tps qu’il enseigne, Bérault étudie le grec, suivant not-t les cours publics que donna à Orléans Jérôme Aléandre de déc.1510 à juin 1511. A Paris en 1512, il travaille avec Josse Bade et donne des leçons publiques à l’université. Introduit dans les milieux lettrés parisiens par François Deloynes (ami de Budé) il fréquente ainsi Budé, Germain de Brie, Louis Ruzé, Louis de Berquin, Janus Lascaris, Salmon Macrin. Il correspond avec Érasme et compte Étienne Dolet parmi ses élèves. En mai 1512, il publie chez Josse Bade, avec Louis de Berquin, les Opera omnia de Politien, d’après l’éd. aldine de 1498. Cela fait de lui « l’introducteur en France des théories poétiques de Politien ». En 1513, il explique Quintilien, puis commente Politien (de nov.1513 à jlt 1514). Suscitant l’enthousiasme de ses auditeurs, il devient vite « sans conteste le meilleur professeur de lettres de Paris ». Il donne une éd. de Pline l’Ancien (Paris 1516), travaille sur Suétone (praelectio en 1515), sur Cicéron et sur Aristote, et édite en 1518 les Commentaires de Théophylacte sur les Épîtres de Paul ; Lucrèce ; Lucien ; Appien etc . Il traduit deux opuscules de Lucien et compose des préfaces pour divers éditeurs parisiens. Enfin il publie en 1534 un dialogue sur l’art d’improviser en latin, inspiré à la fois de Politien et du Ciceronianus d’Érasme. ( http://www.europahumanistica.org/?Berault-Nicolas)
[Ph.1521] François Deloynes (1468-1524). Condisciple de Budé vers 1485, puis prof. de droit à Orléans, conseiller au Parlement de Paris (1500), président aux Enquêtes (1522). Etroitement mêlé aux relations entre Budé et Erasme à qui sa lettre du 26 nov. 1515 est un véritable serment d’allégeance : « Perge itaque, mi Erasme, de litteris, de rebus divinis, de Christiana philosophia, de republica ecclesiastica optime semper, ut facis, mereri ». Ep. 494,L.51-53
[Ph.1525] Lazare de Baïf, gentilhomme flêchois (1497-1547), appris le grec à Rome vers 1517 avec Lascaris et y connut Ch. de Longueil. En 1525 entra au service de Jean, Cardinal de Lorraine. De 1529 à 1534, ambassadeur à Venise, il y est un des pôles de la vie culturelle. Conseiller au Parlement de Paris en 1534, Maître des requêtes en 1537. Plusieurs essais humanistes dont : le De Vestiaria, Bâle 1526, vanté ici par Erasme, et le De Re navali, Paris 1536 dédié à Frçs 1er ; une trad. de Sophocle, Electra, Paris 1537. NB. Jean Antoine de Baïf, né à Venise, (1532-1589) est son fils.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1527] Bulephorus Succurrit etiamnum par unum, nequaquam, ut arbitror, fastidiendum. [1528] Nosti Claudium Cantiunculam Metensem et Cornelium Scepperum ?
[264,1529] Nosoponus Uterque mihi et e convictu notus est.
[1530] Cantiuncula, ut est ingenio festivo, in quovis argumento tractando suavissime canit praesertim oratione prosa ; quantum valeat carmine, nescio ; nec infeliciter properat ad exemplar Ciceronis.
[1531] Fluxum, perspicuitatem, copiam ac jucunditatem M- Tullii propemodum assecutus est,
sed jam pridem in principum legationibus fabulam agit motoriam, cum hoc negotium altissimam quietem desideret, et tamen ita quotidie se ipsum vincit, quasi per terras mariaque volitans Musas omnes secum ducat comites. [1532] Habet hoc eximium, quod jurisprudentiam ac philosophiae cognitionem eloquentiae conciliavit.

[1533] Scepperus praeterquam quod in omni disciplinarum genere versatus est, pari facultate et solutam orationem texit et carmen, quanquam et hic jam diu fabulam agit motoriam.

[1534] Bulephorus De Ruellio quid sentis ?
[1535] Nosoponus Quod peritissimo rei medicae dignum est, in vertendis Graecis religiosae fidei. [1536] Hoc laudis maluit quam haberi Tullianus.


[1537] Bulephorus Sed ubi mihi ponendus est Petrus Mosellanus Trevir, inter Germanos an inter Gallos ?
[1538] Nosoponus Nihil refert, ad id sane quod nunc agitur.
[1527] Buléphore Il m’en vient encore deux à l’esprit ; à mon avis ils ne sont pas du tout à dédaigner.
[1528] Connais-tu Claude Chansonnette, de Metz et Corneliusde Schepper ?
[1529] Nosopon Chacun d’eux m’est connu, et même personnellement.

[1530] Chansonnette, qui a l’esprit enjoué, quelque soit la matière qu’il traite nous chante une chanson des plus agréables, particulièrement en prose. Ce que vaut sa poésie, je l’ignore, mais il tend non sans succès vers le modèle cicéronien.
[1531] Il a presque atteint la souplesse, la clarté, l’abondance et l’agréable douceur de Marcus Tulllius,
mais depuis déjà longtemps, il joue un rôle actif dans les ambassades entre les princes, alors que l’activité littéraire réclame le plus grand calme.
Et pourtant, dans ces conditions mêmes, chaque jour il se dépasse tellement qu’on dirait qu’il emmène avec lui toutes les Muses comme compagnes de voyage, tandis qu’il va et vient sur terre et sur mer. [1532] Il accomplit en outre ce tour de force de réussir à concilier la connaissance de la philosphie et du droit avec l’éloquence.

[1533] De Schepper ne se contente pas de s’intéresser à toute sorte de sciences, il peut aussi avec une égale facilité composer en prose et en vers, quoique pourtant lui aussi mène depuis déjà longtemps une vie débordante d’activité.


[1534] Buléphore Que t’inspire Jean Ruelle ?
[1535] Nosopon Il est au niveau des plus habiles dans le domaine de la médecine, et d’une fidélité scrupuleuse dans ses tradutions des œuvres grecques. [1530] Il a choisi cette sorte de mérite plutôt que chercher à se faire considérer comme cicéronien.

[1537] Buléphore Mais où dois-je placer Petrus Mosellus, le Trévire ? Parmi les Gaulois ou parmi les Germains ?
[1538] Nosopon Du point de vue que nous traitons, du moins, cela n’a aucune importance.
 [Ph.1530] Claude Chansonnette (1490-1540), de Metz ; fit ses études de droit à Bâle, y devint prof. (1518), puis recteur (1519), enfin syndic de la ville en 1522. Il y composa ses Topica, traduisit en frçs l’Exomologesis d’Erasme (1524) et en allemand l’Utopia de Thomas More (1524). Il fit partie, avec Erasme, Ber et Ammerbach, de la commission chargée d’examiner les écrits d’Oecolampade. En 1525, il est chancelier de l’évèque de Metz, Jean, cardinal de Lorraine, puis il devient chancelier des ducs d’Autriche à Ensisheim (1540) jusqu’à sa mort. Il a laissé d’importantes paraphrases sur les Intitutes de Justinien (1533-1538) et entretenu une correspondance érudite avec Ammerbach et Zazius. Nous avons malheureusement perdu la lettre écrite à la mi-sept. par Cantiuncula à Erasme pour le décider à condamner Oecolampade, mais nous avons (fin spt. 1525) l’Ep. 1616, dans laquelle Erasme explique sa dérobade. Elle contient les plus grands éloges pour l’humanisme de son correpondant : « Nae tu, mi Cantiuncula, copiose, spendide, graviter omnia », Ep. 1616 l. 2-3.
[1533] Corneille De Schepper né à Nieuport (1503-1556). On se demande pq Erasme fait figurer dans la liste des H-stes fçs ( sinon pour ses 1°études à la Sorbonne) ce diplomate distingué qui, après avoir été au service de Christian II de Danemarck, entra à celui de Marguerite d’Autriche et chanta les victoires de Charles Quint à Tunis,  Rerum a Carolo V in Africa bello gestarum commentarii,Anvers, 1555. Schepper a laissé par ailleurs un important ouvrage scientifique, Adversus falsas quorundam astrologorum augurationes Assertio, Anvers, 1523.
[Ph.1534] Jean Ruelle, né à Soissons (1479-1537). Savant et H-ste, doyen de la Fac. de médecine de Paris en 1509 ; devenu veuf, entra dans les ordres, et devint chanoine de Notre-Dame. Médecin de Frçs 1er ; Publia une trad. de Dioscoride, De medicinali materia, Paris 1516 ; Veterinaria medicina, 1540 ; De natura stirpium, et un célèbre Actuarius posthume, De medicamentorum compositione.
[1537] Petrus Mosellanus (Peter Schade ; 1493 – 1524). Né en Moselle ; fit ses études universitaires à Cologne ; protégé par le duc Georges de Saxe, il enseigna le grec à Leipzig à la suite de son maître l’anglais Richard Crocus Voir : [http://petrus-mosellanus.de/engels/inleiding.htm] et cet excellent article [http://jps.library.utoronto.ca/index.php/renref/article/viewFile/9522/6472] ; Il fut plusieurs fois recteur de l’université de Leipzig. **************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1539] Bulephorus Agnoscis Ciceronianum ?
[1540] Nosoponus Admiror parem utriusque linguae peritiam, ingenium candidum minimeque sordidum, industriam indefatigabilem, dictionem vividam floridam ac dilucidam. [1541] Nihil ab eo non erat exspectandum, nisi juvenem non ita pridem hujus laudis agonem ingressum praepropera mors gravi doctorum omnium maerore nec levi studiorum dispendio sustulisset e medio.

[266,1542] Bulephorus E Galliis igitur, si videtur, iter flectamus in Angliam non infelicem ingeniorum altricem.
[1543] Sed Germanum Brixium paene praeterieram.
[1544] Non ignoras virum pari dexteritate in utraque lingua, sive carmen pangere velit sive prosam orationem condere, nec minus felicem Graecis in linguam Latinam transferendis. [1545] An ne hunc quidem recipies inter Tullianos ?
[1546] Nosoponus Ille quidem adhuc in cursu est, copiam et lucem assecutus est, in nonnullis tamen M- Tullio dissimilis, sed ita ut bonam de se spem praebeat, si, ut facit, totum se huic studio dediderit. [1547] Interim lubet gnaviter currenti applaudere.

[1548] Bulephorus Nunc igitur in Britanniam, quae cum multos habeat Tullianae dictionis candidatos, tantum eos nominabo qui scriptis innotescere voluerunt.
[1549] Si Guilelmum Grocinum proferam, respondebis nihil illius exstare praeter unicam epistulam elaboratam sane et argutam ac bene Latinam. 
[1539] Buléphore Le reconnais-tu pour cicéronien ?
[1540] Nosopon J’admire son égale connaissance des deux langues, grecque et latine, sa brillante intelligence qu’aucun sentiment bas n’altère, son infatigable ardeur au travail, son éloquence claire, vivante et fleurie. [1541] Il n’y a rien qu’on n’aurait pu attendre de lui, si la mort n’avait soustrait du milieu des hommes, cet homme jeune encore, engagé depuis peu dans cette compétition pour la couronne cicéronienne. Ce fut une très grande tristesse pour les savants et pour les sciences sa perte causa plus qu’un un léger préjudice.

[1542] Buléphore Si tu le veux bien quittons maintenant la France et dirigeons notre course vers l’Angleterre, nourrice fort féconde en beaux talents.
[1543] Mais voilà que j’allais oublier Germain de Brie ! [1544] Tu connais cet homme, d’une égale habileté à manier les deux langues, que ce soit dans les vers qu’il compose ou que ce soit dans sa prose ? Il réussit tout aussi bien dans la traduction des œuvres grecques en latin. [1530] Lui non plus, tu ne le recevras pas parmi les Tulliens ?

[1546] Nosopon Lui de toute façon il est encore dans la course ! Il est parvenu à l’abondance et à la clarté nécessaires. Sur un certain nombre de points, malgré tout, il est encore éloigné de Marcus Tullius, dans une mesure toutefois qui nous laisse de bons espoirs, à condition qu’il continue à se donner tout entier à sa tâche, comme il le fait actuellement. [1547] Il n’est pas interdit d’applaudir quelquefois le coureur en plein effort.

[1530] Buléphore Allons donc maintenant en Grande Bretagne. Comme il y a là-bas beaucoup de prétendants au style cicéronien, je ne nommerai que ceux qui ont pris la peine de se faire connaître par leurs écrits.
[1530] Si je te cite Guillaume Grocyn, tu répondras qu’il ne reste rien de lui, si ce n’est une seule lettre, travaillée il est vrai, au style vif et écrite en bon latin.
 [1540] Petrus Mosellanus (suite ; Peter Schade ; 1493 – 1524) a écrit entre autres un fameux manuel de latin constitué de dialogues Paedologia in puerorum usum conscripta, (1518 ; plusieurs fois réédité). Dans le De variarum linguarum cognitione paranda oratio, il prône la connaissance du latin et du grec mais aussi de l’hébreu. Discours prononcé en 1517 lorsqu’il prend la chaire de grec à Leipzig et publié en 1518. Correspondance avec Erasme. En 1519 le duc Georges le chargea d’ouvrir les débats de la « Dispute de Leizig » entre Martin Luther et les humanistes, (dont son ami Jean Eck).
[Ph.1543] Germain de Brie ( Mort à Chartres en 1538) Né à Auxerre dans le dernier tiers du 15° s. fit ses études à Venise, dans la « Familia » de Jean Lascaris, à Padoue il apprit le grec avec Musurus, (Erame évoque plus tard leur rencontre dans ces deux villes), et à Rome. Revenu en France, il entra au service du cardinal d’Amboise puis du chancelier de Ganay, enfin d’Anne de Bretagne (1521). Celle-ci avait apprécié un poème célébrant les glorieux combats de la marine fçse contre les Anglais, Chordigerae navis conflagratio (Badius, 1512) auquel Th. More répondit par une série d’épigrammes désobligeantes, qui passèrent de main en main avant d’être imprimés chez Froben en 1518. Malgré l’hommage fervent exprimé dans sa longue lettre du 6 av. 1517, de Brie ne put souscrire aux conseils pacifiques que lui envoyait Erasme dans la lettre 620 de l’été 1517 en excusant maladroitement l’agression de More : « Non scripsit illa in Brixum, quem non norat, scripsit in Gallum et scripsit in medio bello. » (Ep. 620, l. 34-35). Et de Brie déversa sa bile dans un Antimorus (hiver1519).Il fallut plrs années pour effacer ce mvs souvenir ; en revanche c’est de Brie qui avertit Erasme de l’émotion soulevée dans l’Humanisme fçs par l’affront fait à Budé ds la 1° éd. du Ciceronianus : lettre du 12 août 1528, (Ep. 2021). Cette lettre entraîne une longue réponse d’Erasme (avec copie conforme envoyée à Budé) qui s’efforce non slt de liquider l’incident mais d’apaiser sur ts les pts la suceptibilité réveillée des Français : lettre du 6 sept 1528, n° 2046. Il est assez amusant de voir l’énumération des H-stes frçs se terminer par le nom de cet ami aussi fidèle qu’ombrageux. Qt à de Brie, devenu chanoine de Notre-Dame avec un pied-à-terre à Gentilly où il hébergeait ses amis, il passa ses dernières années à traduire St Jean Chrysostome. Il fut aussi aumônier du roi.
[Ph.1549] Guillaume Grocyn (1446-1519). Etudes à Oxford. Après un voyage en Italie (1488-1490), prof. à Oxford de théol. et de grec, dont il est l’instaurateur. Il eut Thomas More comme élève. Participe au mvt du New Learning animé par Colet. Reçoit une chaire à Maidoirie en 1506. Bien qu’il n’ait pas laissé d’oeuvre imprimée, Erasme, dans une lettre à Fisher, le considère comme omniscient.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1550] (Nosopon, Guillaume Grocyn suite)
Maluit enim nihil scribere quam nihil videre, homo natura lusciosus. [268,1551] Ad epistularem argutiam appositus Laconismum amabat et sermonis proprietatem ; diceres Atticum in hoc sane genere, nec aliud affectavit ; Ciceronis copiam ferre non potuit si quando legeret illius libros. [1552] Nec scripto solum, sed et dicendo laconisabat. [1553] De hoc igitur non contendam.
[1554] Sed Thomam Linacrum non verebor proponere.

[1555] Nosoponus Novi virum undiquaque doctissimum, sed sic affectum erga Ciceronem, ut, etiamsi potuisset utrumlibet, prius habuisset esse Quintiliano similis quam Ciceroni, non ita multo in hunc aequior quam est Graecorum vulgus.
[1556] Urbanitatem nusquam affectat, ab affectibus abstinet religiosius quam ullus Atticus, breviloquentiam et elegantiam amat, ad docendum intentus, Aristotelem et Quintilianum studuit exprimere. [1557] Huic igitur viro per me quantum voles laudum tribuas licebit, Tullianus dici non potest, qui studuerit Tullio esse dissimilis.

[1558] Bulephorus Restat Ricardus Paceus.
[1559] Nosoponus Is quidem inter Tullianae facundiae candidatos censeri poterat, nisi nimium illi placuisset extemporalis illa scribendi celeritas et nisi mox juvenem e medio studiorum cursu pontificum ac regum negotia profanis curis propemodum obruissent.


[1560] Bulephorus Ab Anglia migrabo, si tibi Thomam Morum produxero.

[1550] (Nosopon, Guillaume Grocyn suite) Il a en effet préféré ne rien écrire (plutôt) que perdre la vue, tant il a les yeux faibles. [1551] Doué pour rédiger des lettres vives et fines, il aimait bien l’expresssion laconique et le vocabulaire précis. Dans ce genre du moins on aurait pu le dire atticiste, et il n’a jamais recherché autre chose. Il n’aurait pas pu supporter l’abondance verbale de Cicéron, s’il s’était un jour mis à lire ses livres. [1552] Il n’écrivait pas seulement de manière laconique, mais il l’était aussi dans ses discours. [1553] Je ne mettrai donc pas sa candidature en débat.
[1554] Mais je n’hésiterai pas à te proposer celle de Thomas Linacre.
[1555] Nosopon Je le connais pour être un homme très savant en tous domaines, mais il était si mal disposé contre Cicéron que même s’il avait pu choisir entre les deux, il aurait préféré ressembler à Quintilien qu’à Cicéron. Il n’était pas beaucoup plus juste à son égard que ne l’est toute la troupe des humanistes Grecs.
[1556] Nulle part dans ses écrits il ne recherche l’urbanité d’un style poli ; il se tient à l’écart des passions plus scrupuleusement qu’aucun Atticiste ; il aime le parler bref et précis ; entièrement consacré à l’enseignement, il s’est attaché à imiter Aristote et Quintilien. [1557] Tu pourras bien lui décerner autant de louanges que tu le veux, je n’ai rien contre (per me… licebit), mais on ne saurait nommer cicéronien un homme qui s’est appliqué à se différencier de Tullius.

[1558] Buléphore Reste alors Richard Pace.
[1559] Nosopon Lui c’est sûr on aurait pu l’inscrire sur la liste des candidats à l’éloquence cicéronienne, s’il ne s’était pas tant complu au style rapide de l’improvisation, et si dans sa prime jeunesse, alors qu’il était encore au beau milieu de ses études, les affaires des princes de l’église et des rois ne l’avaient pour ainsi dire enseveli ( accablé ) sous le poids de préoccupations totalement opposées aux Muses.

[1560] Buléphore Je quitterai l’Angleterre une fois que je t’aurai présenté Thomas More.
 [Ph.1554] Linacre (1460-1524) Etudia à Oxford vers 1484, poursuivit de longues études en Italie (1485- 1499). Il reçut le doctorat en médecine à Padoue (1492) et collabora à l'édition aldine d'Aristote. A son retour, il s'installe à Londres et y déploie une intense activité littéraire et scientifique. Médecin de Henri VIII (1509), il traduit les œuvres de Galien (1517-1524) et fonde l'Académie de Médecine de Londres (1518). Il avait donné en 1512 une grammaire latine et passait pour l'un des meilleurs hellénistes de l'époque. « Linacri judicio quid acutius, quid altius, quid emunctius?» (Ep.118 ). Cela ne l’empêche pas d'être précisément le contraire d'un cicéronien.

[Ph.1558] Richard Pace (1482-1556). Secrétaire de l'évèque de Winchester, qui l'envoya à Padoue en 1498 où il fut accueilli par Latimer et Tunstall, rencontra Erasme ; étudiant de Leonicus qu'il suivit à Ferrare (1508), où Erasme lui remit, avant de pousser jusqu’à Rome, ses papiers les plus compromettants. Il continua ses études à Bologne sous la direction de Bombasius, puis à Rome ; Il y entra au service du cardinal Bainbridge, ambassadeur auprès du St siège. L'assassinat de son maître (le 14juillet 1514) le force à retourner en Angleterre. Il y gagne la faveur de Wolsey qui l’emploie dans les affaires les plus importantes (mission en Suisse, 1515 ; élection impériale de 1519; candidature du cardinal aux conclaves de 1521 et 1523 et le comble de bénéfices, dont la succession de Colet au doyenné de Saint-Paul 1519). Son œuvre principale est le De fructu qui ex doctrina percipitur (1517).
[Ph.1560] Thomas More (1477-1535). Le plus grand nom de l’Humanisme Anglais. N’a cepdt appartenu au monde universitaire et littéraire pprt dit que par ses études à Oxford. Nosopon l’écartera donc comme un juriste anglais trop uniq-t adonné aux affaires pol. et relg. (Thomas More est lui même fils d’un juriste de Londres, John More, 1451-1530). C’est sous-estimer trop injust-t L’Utopie (1516) qui reste un des grands livres de l’époque, et divers écrits spirituels de la dernière période. La compréhension de More qui occupe tout l’intervalle allant de l’hédonisme naturaliste à l’ascétisme d’une sainteté authentique, est indispensable pour situer la position propre d’Erasme. L’attirance réciproque des deux hommes que l’amantissimus Erasme exprime à son mellitissimus et jucundissimus partenaire dès le 28 oct. 1499 (Ep. 114) ne s’est pas démentie leur vie durant. Elle a aboutit à l’admirable évocation du foyer de Thomas More dans la célèbre lettre à Ulrich Hutten du 23 jlt 1519 (Ep. 999) traduite par Germain Marc‘hadour dans Pierre Mesnard, Erasme, Phil.de tous les temps, Seghers, Paris, 1969.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1561] Nosoponus Fateor ingenium felicissime natum et quod nihil non potuisset efficere, si totum his studiis vacare licuisset. [1562] Ceterum illo puero vix tenuis odor litteraturae melioris demigrarat in Angliam.
[270,1563] Deinde parentum auctoritas ad leges ejus gentis discendas, quibus nihil illitteratius, adegit ; mox in causis agendis exercitatus, hinc ad reipublicae munia vocatus, vix succisivis horis respicere potuit ad eloquentiae studia.

[1564] Tandem in regiam pertractus et regni regiorumque negotiorum undis immersus magis amare potest studia quam colere. [1565] Et tamen dicendi genus, quod assecutus est, magis vergit ad Isocraticam structuram ac dialecticam subtilitatem quam ad fusum illud Ciceronianae dictionis flumen, quanquam urbanitate nihilo M- Tullio inferior est. [1566] Quoniam autem adulescens diu versatus est in poematibus scribendis, poetam agnoscas et in oratione prosa.

[1567] Bulephorus Angliam igitur relinquamus, neque enim nominabo Guilelmum Latamerum aut Reginaldum Polum, quorum prior vir pius theologiam absoluere maluit quam Ciceronianam eloquentiam, alter Ciceronis admirator summus et aemulator non infelix nihil adhuc suo nomine voluit in lucem prodire. [1568] Quanquam in epistulis familiaribus satis declarat quid valeat, sed non traducam ea quibus ipse lucem nondum tribuit. [1569] Alioqui habet innumeros ea insula summae spei juvenes, sed interim censorem agimus, non divinum. 
[1561] Nosopon Un des talents les plus heureusement doués, je dois le reconnaître. Il aurait pu tout se permettre s’il avait pu se consacrer tout entier à ses études. [1562] De plus il ne faut pas oublier que quand il était enfant c’est à peine si le progrès des lettres (la renaissance) se faisait sentir en Angleterre. [1563] Ensuite l’autorité paternelle le contraignit à étudier les lois de son pays, or il n’y a rien de moins littéraire que ce genre d’études ! Peu après, avocat rompu à plaider, il fut appelé à exercer une fonction dans l’Etat : c’est à grand peine qu’il put dérober quelques heures de son temps pour étudier l’éloquence.
[1564] Il fut finalement entraîné jusqu’à la cour, et, submergé par le flot des affaires du royaume et les intérêts des rois, il dut se contenter d’aimer les belles lettres sans pouvoir les honorer. [1565] Et pourtant le genre oratoire qu’il s’est forgé tend plus vers la phrase Isocratéenne et la subtilité de la dialectique que vers cette fluidité qui caractérise le discours cicéronien. D’un autre côté il ne lui cède en rien pour ce qui est de l’urbanité. [1566] Mais, sans doute parce qu’il s’est beaucoup occupé à écrire de la poésie dans son adolescence, je retrouve le poète en lui, même dans sa prose.


[1567] Buléphore Laissons donc l’Angleterre. En effet je ne veux pas nommer ici Guillaume Latimer, ni Réginald Pole. Le premier, un homme pieux, a préféré pousser à fond l’étude de la théologie plutôt que celle de l’éloquence cicéronienne. Le second, Réginald Pole, qui admire au plus haut point Cicéron et qui ne l’imite pas sans bonheur, n’a encore rien voulu faire paraître sous son nom. [1568] Quoique ses lettres à ses amis déclarent assez ce qu’il vaut, ce n’est pas à moi de trahir ce qu’il n’a pas encore mis lui-même en pleine lumière. [1569] Du reste cette île compte d’innombrables jeunes gens promis aux plus grands espoirs. Mais en attendant notre rôle est de jouer les censeurs pas les devins.
 Latamerum Guillaume Latimer (1460-1545). Premiers grades à Oxford puis six ou sept ans d’études en Italie, partl. à Padoue. Retour à Londre vers 1505 ; puis à Oxford, Sert de répétiteur auprès de R. Pole. Elogieuses appréciations de Pole, Erasme, More : il n’a pas laissé d’œuvre écrite.
Polum Reginald Pole (1500-1558) Le plus grand apologiste anglais, jeune cousin de Henry VIII, qui s’occupa de son éducation. Etudiant à Oxford puis à Padoue, (1521-1526). Il y étudia la philosophie avec Nicolo Léonico, les humanités avec Romolo Amaseo. Il fréquenta Bembo, Sadolet et Longueil qui lui découvre le danger Luthérien. Pole resta fidèle à son ami Longueil qui mourut chez lui. Il écrivit une Vita Longolii comme introduction à ses Epistolarum Libri IV(1522). Pole visita égal-t Venise, Florence et Rome où Clément VII et ses amis lui firent fête. Il retourna en Angleterre avec Lupset, chargé de mss. anciens en oct. 1526. Surpris par l’atmosphère qui régnait à la cour il repoussa les avances du cardinal Wolsey et de Thomas Cromwell et obtint l’autorisation de se retirer à la chartreuse de Sheen, puis de reprendre ses études à l’université de Paris. Il y était à peine arrivé à la fin de 1529 que le Roi l’employa comme agent de sa propagande en faveur du divorce. Après plusieurs péripéties dont son retour en Angleterre et une entrevue tragique avec le Roi, Pôle obtint de quitter le royaume, au printemps de 1532. Après une halte à Avignon, au contact de Sadolet devenu évèque de Carpentras, et deux ans de répit auprès de ses amis de Padoue et de Venise, il fut de nouveau incité à se pronononcer le 5 février 1535, cette fois sur le mariage du Roi avec Anne Boleyn consommé en janvier 1533. Ce théologien laïque réfléchissait méthodiquement à la question depuis six ans. L'indignation causée par l'exécution de Thomas More et de John Fisher pour lequel il avait la plus complète admiration lui donna la force de rédiger une réponse d'une force et d'une ampleur inattendues, le Pro ecclesiasticae Unitatis defensione, Rome, 1539. Pole aurait voulu réserver la primeur de sa réponse au roi lui-même, mais ayant soumis son texte à quelques prélats romains ceux-ci en firent éditer un tirage quasi-clandestin à usage de qq têtes mitrées et couronnées. L’exemplaire rarissime du Centre de la Renaissance de Tours a été à l’origine des travaux de Noëlle-Marie Egretier dont la traduction (avec une excellente introduction) de Défense de l’unité de l’Eglise de Reginald Pole font autorité.
Ce livre n’est pas slt la condamnation d’Henry VIII par un prophète de la foi catholique, il est la base de l’ecclésiologie du Concile de Trente, dont Pole, nommé cardinal en décembre 1536, présida les premières sessions (1541). N'ayant pu le faire assassiner lui-même, Henri VIII fit décapiter sa mère, la comtesse de Salisbury, le 27 mai 1541. Pole ne put retrouver l’Angleterre que le 24 nov. 1554, après l'avènement de Marie Tudor : les intrigues de la politique impériale, puis de Philippe II et de Marie la Sanglante firent échouer la politique de réconciliation religieuse dont il apportait le programme avec le titre de légat pontifical. (suite de la note : page suivante)
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1570 Buléphore, suite ]
Quid autem mirum illic efflorescere juventutem, ubi rex ipse non solum praemiis excitat bene nata ingenia, verum etiam exemplo suo quamlibet pigris subdit calcaria, duobus jam libellis testatus quantum et faveat pietati et ingenio facundiaque polleat.


272,1571] Nosoponus Ego sane libellos istos majorem in modum admiratus sum non abhorrentes a dictione Tulliana, nisi quod argumentum et regia dignitas suum quoddam eloquendi genus desiderare videtur.

[1572] Bulephorus Quid superest igitur, nisi ut hinc navigemus in Hollandiam ?
[1573] Nosoponus Prius in Scotiam censeo.
[1574] Bulephorus Non gravarer, si quem illic nossem quem te laturum existimem.
[1575] In Daniam malo, quae nobis dedit Saxonem Grammaticum, qui suae gentis historiam splendide magnificeque contexuit.
[1576] Nosoponus Probo vividum et ardens ingenium, orationem nusquam remissam aut dormitantem, tum miram verborum copiam, sententias crebras et figurarum admirabilem varietatem, ut satis admirari non queam, unde illa aetate homini Dano tanta vis eloquendi suppetierit, sed vix ulla in illo Ciceronis lineamenta reperias.


[1577] Bulephorus Igitur in Hollandiam.
[1578] Nosoponus Immo prius in Zelandiam, ne quem praetereas.

[1570] Buléphore, suite Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que la jeunesse s’épanouisse dans un pays où le roi lui-même ne se contente pas d’inciter par des récompenses les auteurs doués d’un beau talent, mais éperonne autant que possible par son propre exemple ceux qui auraient tendance à la paresse. En témoignent en effet, ces deux petits ouvrages par lesquel il prouve combien la piété lui est chère tout en montrant la puissance de son talent et son éloquence.

[1571] Nosopon Pour ma part j’ai grandement admiré ces libelles, qui ne s’éloignent pas du style cicéronien. Il n’en reste pas moins que leur sujet et la dignité royale réclament de toute évidence un genre d’éloquence qui leur est propre.


[1572] Buléphore Il ne nous reste plus donc qu’à faire voile vers la Hollande ?
[1573] Nosopon Je dirais d’abord l’Ecosse
[1574] Buléphore Cela ne me dérangerais pas si je connaissais là-bas quelqu’un que j’estimerais devoir te présenter.
[1554] Je préfère aller au Danemark : il nous a donné Saxo Grammaticus, qui a magnifiquement tissé et brillamment brodé le canevas de l’histoire de sa nation.

[1576] Nosopon J’apprécie beaucoup son talent vif et ardent, le rythme de son discours qui n’est jamais relâché, ni somnolant. J’admire aussi la richesse de son vocabulaire, l’abondance de ses formules, et la magnifique variété des figures qu’il emploie. Mais d’où lui vient ce sens du discours, à ce Danois, à cette époque ? Je ne cesse de m’en etonner ! Cela dit tu ne trouverais pas dans toute son œuvre un seul trait qui rappelle Cicéron.

[1577] Buléphore Va pour la Hollande !
[1555] Nosopon Attends ! D’abord la Zélande : il ne s’agirait pas d’oublier quelqu’un !


Polum Reginald Pole (1500-1558) suite de la note de Pierre Mesnard Ordonné prêtre le 20 mars 1556 et nommé archevêque de Cantorbery deux jours plus tard, il trouva dans l'administration vigilante de son diocèse quelques consolations à l'échec de sa politique et mourut le 17 novembre 1558, quelques heures après Marie Tudor. En ce qui concerne les aptitudes de Pole « le nerveux», Longueil semble avoir, sous-estimé les capacités de ce sentimental passionné, en le dépeignant, le 11sept. 1522, comme «ingeniosus et mehercule doctus et elegantissimi judicii adolescens, sed qui neque istius modi disputationibus ac nunciis magnopere, et mira quadam tum modestia, tum taciturnitate sit praeditus. » (Longueil, Ep. Fo 119). Les abominations d’ Henri VIII furent donc l'occasion de cette «rupture de taciturnité » dans laquelle les « sentimentaux » se libèrent de toute leur puissance secrète. Erasme avait au moins pressenti dans le texte commenté, le rare talent d'un jeune humaniste qui n'avait pas encore fait ses preuves : l'expression : « Ciceronis admirator summus, aemulator non infelix » est à retenir pour l’auteur d'un ouvrage que son meilleur critique compare très justement aux Verrines et aux Philippiques (Egretier, op. cit. p. 36). Quand on a bien compris l'idéal défini dans le Ciceronianus, c’est-à-dire, une éloquence latine exposant dans des circonstances dramatiques les thèmes fondamentaux de la civilisation chrétienne, on regrette qu' Erasme n'ait pas vécu assez longtemps pour saluer dans l'auteur du De Unitate le véritable cicéronien de ses rêves.
[Ph.1571] Regia dignitas. La revue de l'humanisme anglais se termine par des compliments diplomatiques à Henri VIII, dont Erasme avait pu juger lui-même la générosité envers les hommes de lettres. Il serait dangereux de pousser l'éloge plus loin, étant donné qu'on ne sait pas quelle part revient au roi lui-même dans les écrits publiés sous son nom : mieux vaut le mettre, hors concours.
[Ph.1574] Scotiam : l’Ecosse est encore considérée comme une terra incognita pour l'humanisrne italien.
[Ph.1575 Daniam : le Danemark obtient une mention honorable, mais avec un auteur du moyen âge, Saxo Grammaticus (ca 1158-1220). Source précieuse pour tout le folklore et l’histoire légendaire de son pays. Erasme l’a certainement lu ds l’éd. publiée sous le titre Danorum regnum heroumque historiae stilo eleganti a Saxone Grammatico abhinc supra CCC annos conscriptae.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1579] Bulephorus Alit et illa regio quaedam dextra ingenia, sed pleraque luxu obruuntur. [1580] Hinc sane tibi profero Adrianum Barlandum, in cujus scriptis agnoscas candorem ac facilitatem Tullianae dictionis.
[274,1581] Nosoponus Accedit hac sane parte, sed totum Ciceronem non exprimit.
[1582] Bulephorus E Zelandia facilis cursus est in Hollandiam haud infecundam bonorum ingeniorum parentem, sed illic nec honos habetur eloquentiae et voluptates non temere sinunt indolem maturescere.
[1583] Hinc tibi proferam Erasmum Roterodamum, si pateris.
[1584] Nosoponus Professus es te de scriptoribus dicturum. [1585] Istum vero ne inter scriptores quidem pono, tantum abest ut Ciceronianis annumerem.
[1586] Bulephorus Quid ego audio? [1587] Atqui videbatur et inter « polugraphous » censeri posse.

[1588] Nosoponus Potest, si « polugraphos » est, qui multum chartarum oblinit atramento. [1589] Alia res est scribere, quo de nos agimus, et aliud scriptorum genus. [1590] Alioqui qui manu describendis libris quaestum faciunt, scriptores dicentur, cum hos eruditi malint librarios dicere.
[1591] At hoc est nobis scribere, quod agro fructum producere, hoc nobis lectio quod agro stercoratio, hoc nobis concoctio et emendatio quod in agris occatio pastinatio putatio zizaniorum evulsio ac reliquae operae, sine quibus aut non emergit sementis aut non adolescit exorta.
[1592] Bulephorus Quid igitur ille?
[1593] Nosoponus Abicit ac praecipitat omnia nec parit, sed abortit, interdum justum volumen scribit "stans pede in uno" nec unquam potest imperare animo suo, ut vel semel relegat quod scripsit, nec aliud quam scribit, cum post diutinam lectionem demum ad calamum sit veniendum idque raro.

[1579] Buléphore Cette région aussi nourrit de bons esprits, mais la plupart finissent écrasés sous les excès de la débauche. [1580] Mais je peux raisonnablement te proposer Adrien de Baarland. Dans ses écrits on trouve la clarté et l’aisance du style cicéronien.
[1581] Nosopon de ce point de vue, c’est vrai, il s’en approche mais il n’exprime pas « tout Cicéron ».

[1582] Buléphore Il est facile de passer de Zélande en Hollande. C’est une mère féconde en bons esprits, mais on n’y n’honore pas l’éloquence et l’abus des plaisirs permet rarement aux dons naturels de mûrir.
[1583] Erasme de Roterdam est de là bas, si tu permets que je te soumette son nom ;

[1584] Nosopon Tu as déclaré en commençant que tu voulais parler d’écrivains ! [1580] Or, lui, je ne le range même pas parmi les écrivains, tu mesures combien je suis loin de le compter parmi les cicéroniens !
[1586] Buléphore Qu’est-ce que j’entends ? [1580] Il me semblait pourtant qu’on pouvait le classer parmi les polygraphes.

[1588] Nosopon On le peut si on définit comme polygraphe celui qui noircit beaucoup de papier ! [1590] C’est une chose que d’écrire, au sens qui nous occupe ; c’en est une autre d’appartenir à l’espèce des écrivains, [1590] sinon on finira par nommer écrivains ceux qui gagnent leur vie à recopier des livres à la main. Entre gens instruits on préfère les appeler « copistes » !
[1590] Pour nous, au contraire, écrire est comme, pour un champ, produire une récolte. La lecture est pour nous ce qu’est la fumure pour un champ. La réflexion et la correction sont pour nous ce que sont pour le champ herser, houer, sarcler, arracher les mauvaises herbes, et tous les autres soins de cette sorte sans lesquels les semences ne sortent même pas de terre, ou bien ne croissent pas si elles ont pu sortir.
[1592] Buléphore Et notre homme où est-il dans tout cela ?

[1593] Nosopon Il détruit tout et laisse tout en ruines ; il ne met rien au monde, il avorte ! De temps en temps il écrit un livre de bonne longueur, sans prendre le temps de s’arrêter, « en dansant sur un seul pied » comme dit Horace. Jamais il ne peut obtenir de lui-même qu’il relise, ne serait-ce qu’une fois, ce qu’il vient d’écrire. Et il ne fait que cela, écrire ! quand il ne faudrait en venir à prendre la plume qu’après de longues heures de lecture ; et encore : rarement !  Ph.1580] Adrien de Baarland (en Zélande ; 1486-1538). Etudes à Baarland et Gand, études sup. à Louvain : après sept ans de philo, il se voue aux Humanités qu’il enseignera à partir de 1512. Prof de latin 1518-1519 au collège des Trois-Langues ; prof de Rhétorique à l’Université de Louvain en 1525. Publia de nbx textes classiques à usage pédagogique et nb d’études historiques très svt rééditées. Une longue lettre publicitaire sur les œuvres d’Erasme, que celui-ci s’empressa de faire figurer dans les Epistolae elegantes. Ailleurs, il remercie, sans être dupe, Erasme de l’avoir évoqué en termes élogieux dans son Ciceronianus.
[Ph.1585] Inter scriptores c’est la question de fond, que ses adversaires, voire ses meilleurs amis ne cessent de poser à Erasme et sur laquelle il ne cesse de se défendre, souvent en plaidant coupable. On le voit ( et il se voit lui-même) plutôt comme un publiciste, à la fécondité inépuisable que comme un véritable auteur, méditant longuement une œuvre et la rédigeant avec soin. « Stans pede in uno » (Horace, Sat, I, 4, 10) dépeint une activité de primaire toujours en prise sur le moment présent et jamais attelé à une de ces œuvres de longue haleine que lui réclamait Budé.
NB. Polygraphe 1. Auteur qui traite de sujets nombreux et variés, le plus souvent de caractère didactique, sans être spécialiste 2. Péj. Auteur qui, n'étant pas spécialiste, écrit sans originalité sur des matières variées. (Trésor de la Langue Française).
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[276,1594] Nosopon, suite Quid quod ne affectat quidem Tulliano more dicere, non abstinens a vocibus theologicis, interim ne a sordidis quidem ?

[1595] Bulephorus Tersior erat Guilelmus Gaudanus.
[1596] Nosoponus Atticus erat in epistulis, in carmine bonus ; sed o scelerate luxus, quantum felicium ingeniorum vel corrumpis vel abrumpis ?


[1597] Bulephorus Nosti Aegidium Delphum ?
[1598] Nosoponus Virum eruditionis variae, versificatorem non malum, si facilitati nervos addidisset.

[1599] Bulephorus Nuper decessit Martinus Dorpius.
[1600] Nosoponus Ingenium felix et ad quidvis versatile nec infestivum, sed alienis judiciis quam suo duci maluit.
[1601] Tandem theologiae studium retraxit hominem a Musis.

[1602] Bulephorus Quis tibi videtur Jacobus Ceratinus ?
[1603] Nosoponus Praeclaram de se spem dedit, a Ciceroniano multum abest.

[1604] Bulephorus Hinc igitur, si videtur, in Frisiam commigremus.
[1605] Alit enim ea regio prorsus alba, quod dici solet, ingenia ; sed male convenit Como cum Musis. [1606] Langios igitur et Canterios omittam, Rodolphus Agricola sufficit unus pro multis.
[1593] Nosopon, suite Que dire en outre du fait qu’il ne cherche même pas à parler à la manière de Cicéron ! Il ne se prive pas d’utiliser le vocabulaire de la théologie et use même parfois de mots de basse extraction !

[1595] Buléphore Wilhelm de Gouda écrivait de manière plus châtiée.
[1596] Nosopon Dans ses lettres c’était un véritable atticiste ; il était bon poète aussi ; mais ô criminelle débauche ! Combien as-tu déjà ruiné d’esprits prometteurs ? combien même en as-tu brisé ?

[1597] Buléphore Tu connais Gilles de Delf ?
[1598] Nosopon Un homme de grande culture ; comme versificateur il ne serait pas mauvais s’il soutenait son talent naturel par un travail plus énergique.

[1599] Buléphore Martin Dorp vient de mourir.
[1600] Nosopon Un esprit fécond et capable d’exceller en toutes choses. Il ne manque pas de charme, mais il préfère suivre les opinions des autres plutôt que les siennes propres. [1601] L’étude de la théologie l’a finalement détourné des Muses.

[1602] Buléphore Quel genre d’écrivain, à ton avis, est Jacob de Hoorn ?
[1603] Nosopon Il a fait naître de très grands espoirs, mais il est loin d’être cicéronien.

[1604] Buléphore Quittons donc cette terre, si tu le veux bien : en route pour la Frise !
[1605] Cette région nourrit en effet quelques brillants esprits, des « oiseaux rares » comme on dit, mais les Muses s’accommodent mal de Comos, compagnon de Bacchus. [1606] Je laisserais donc de côté les Lang et les Kanter : un seul suffira à les représenter tous : je te propose Rodolphe Agricola.
 [Ph.1595] Guilelmus Gaudanus Wilhelm Hermann de Gouda (1466 ?- 1510). Parent de Cornelius Gérard ; compagnon d’étude et de Monastère d’ Erasme dont il resta un fidèle correspondant. QQ poèmes qu’Erasme aida à publier ; une histoire de la Hollande dont Erasme fit un éloge pompeux dans son Panégyrique de Philippe de Bourgogne. Il le compare à Tite Live !
[Ph.1597] Aegide de Delft (mort en 1524). Théolg et H-iste de 2°plan. Etudia et vécut surtout à Paris. Docteur de Sorbonne puis recteur de la Sorbonne (Déc.1486- mars 87). Nbx écrits. Etaples lui dédia une œuvre ; QQ lettres de lui à Erasme, (aujourd’hui disparues) pour le soutenir dans sa lutte contre Pierre Couturier.
[Ph.1599] Martin Bartholomé van Dorp (1485-1525) de Naaldwyk en Hollande. Etudiant puis prof. au Collège du Lis à l Université de Louvain. Docteur en Théol (1515), et en m tps chanoine de St Pierre et prof. à l Uni.dont il fut recteur qq mois en 1523. Il écrivit de nbrses préfaces et leçons d ouverture ; chargée par l Uni, très conservatrice, d attaquer Erasme il réussit presque tjs à éviter le choc. Mis à part les remous suscités par L’éloge de la Folie (voir Pierre Mesnard, Erasme La philosophie chrétienne, Paris Vrin, 1970.) , il resta en bons termes avec Erasme qui composa son épitaphe. Voir Pierre Mesnard Comment les Théologiens lisaient L’éloge de la Folie 1969.
[Ph.1602] Jacob Ceratinus = Jacques Teyng ( - 1530 ). Né à Hoorn en Hollande du nord, d’où son nom latin de Hornensis ou grec Ceratinus. Etudes à Cologne avec Caesarius ; rencontre Budé à Paris (1519) ; Prof à Tournai, Louvain, Leipzig, Cologne. Réédite le dictionnaire grec de Craston préfacé par Erasme ; publie un De sono litterarum praesertim graecarum avec une préface d’Erasme. Il meurt à Louvain « Presbyter Deo devotum »
[Ph.1605] Comos : Erasme introduit ce personnage dans le cortège de Môria, la Folie. Le Kômos était le cortège des fêtes de Dionysos. Comos n’est donc pas compatible avec Apollon, Musagète. Erasme a souligné ainsi plus d’une fois le tort que l’abus de boisson fait à la culture des pays germaniques.
[Ph.1606] Langios et Canterios P. Mesnard cite ici Gambaro : « noms ficitifs indéterminés pour indiquer, à l’imitation de Saint Jérôme, des peuples ou des écrivains de peu d’importance ».
[Ph.1605] Rodolphus Agricola, célèbre Humaniste Frison (1444-1485). Né à Baflo, près de Groningue, il poursuit ses études à Louvain (M.A. 1460), Cologne et p-ê Paris. En Italie il suit les cours de grec de Théodore Gaza (4 ans à Ferrare). Finit cM prof. de philo à Heildelberg. Le De Inventione dialictica libri omnes integri et recogniti (1539) regroupe tous ses écrits. Loué par Mélanchthon et Erasme.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1607] Nosoponus Agnosco virum divini pectoris, eruditionis reconditae, stilo minime vulgari, solidum, nervosum, elaboratum, compositum, sed qui nonnihil resipiat et Quintilianum in eloquendo et Isocratem in orationis structura, utroque tamen sublimior, Quintiliano etiam fusior ac dilucidior. [278,1608] Quod voluit praestitit, nec dubito quin Ciceronis figuram potuisset effingere, si huc vertisset animi studium. [1609] Et huic tamen ad summam laudem cum alia quaedam obstitere, tum praecipue regionis ac temporum infelicitas, quibus vix quicquam honoris habebatur litteris politioribus, et nationis parum frugalis vita. [1610] In Italia summus esse poterat, nisi Germaniam praetulisset.

[1611] Bulephorus Superest Hayo Hermanus gentis ejusdem.
[1612] Nosoponus Agnosco juvenem divinae cujusdam indolis, cujus tamen nullum exstat in litteris specimen praeterquam in epistulis aliquot quibus nihil purius sanius aut suavius. [1613] Is fortasse palmam hanc tulerit, si naturae felicissimae par accesserit industria.


[1614] Bulephorus Haud transeundam censeo Vuesphaliam, quae nobis dedit Alexandrum Hegium.

[1615] Nosoponus Virum eruditum sanctum ac facundum nominas, sed qui gloriae contemptu nihil magni molitus sit.


[1616] Bulephorus Dedit et Hermannum Buscium.
[1617] Nosoponus In carmine pangendo felicem, in oratione soluta magna vis adest ingenii, lectio varia, judicium acre, nervorum satis, sed compositio Quintiliano propior quam Ciceroni.

[280,1618] Bulephorus Conradum Goclenium, opinor, non nosti.
[1619] Nosoponus Num illum dicis, qui apud Brabantos jam pridem ornat non modo Busleidianum quod quidam trilingue vocant, sed totam etiam illam academiam, licet alioqui florentissimam ?
[1607] Nosopon Je salue en lui (Rodolphus Agricola) un homme que les dieux inspirent. Il est d’une rare érudition et son style est des moins ordinaires. Il est solide, travaillé, composé mais son éloquence sent encore son Quintilien et la composition de ses phrases garde un parfum d’Isocrate. Il s’élève pourtant bien plus haut qu’eux deux ; son style est même plus coulant et plus clair que celui de Quintilien. [1608] il a montré de lui l’image qu’il qu’il voulait donner, mais je ne doute pas qu’il aurait pu incarner Cicéron s’il avait dirigé son énergie intellectuelle dans ce sens. [1609] Mais ce qui s’est opposé à ce qu’il obtienne le titre suprême c’est, plus que toute autre chose, la misère intellectuelle de cette époque et de cette nation, où l’on accordait si peu d’hommage au beau style ; les excès alimentaires de ce peuple y furent aussi pour beaucoup. [1610] Agricola aurait pu être le meilleur en Italie, mais il a préféré l’Allemagne.

[1611] Buléphore Dans la même nation il reste Haio Herman le Frison.
[1612] Nosopon C’est un jeune homme divinement doué ! Mais il ne reste aucun échantillon de ses productions littéraires, si ce n’est quelques lettres. On ne saurait trouver langue plus pure, style plus doux et meilleur goût que cela! [1613] Lui, aurait sans doute remporté la palme s‘il s’était donné la peine de travailler en proportion des dons que la nature lui avait si généreusement accordés !

[1614] Buléphore Je crois qu’il ne faut pas traverser la Westphalie sans s’y arrêter : c’est elle qui nous a donné Alexandre de Hoeck !
[1615] Nosopon Tu nous nommes-là un homme instruit et éloquent, un saint homme. Mais le mépris de la gloire l’a conduit à ne rien entreprendre de grand.

[1616] Buléphore elle nous a aussi donné Hermann van den Busch.
[1617] Nosopon En poésie il réussit bien ; en prose il fait preuve d’une grande intelligence. Ses lectures sont variées, son jugement pénétrant, son style est assez énergique, mais sa composition est plus proche de celle de Quintilien que de celle de Cicéron.

[1618] Buléphore Je suppose que tu ne connais pas Conrad Goclenius ?
[1619] Nosopon Est-ce que tu parles de ce Goclenius, qui depuis déjà longtemps fait le renom du collège de Busleiden dans la province de Brabant et que certains nomment le collège des trois langues ? Mais il fait aussi la gloire de toute cette fameuse Académie, quoiqu’elle soit très florissante encore par bien d’autres aspects ?
 [1611] Hajo Hermanus : Ami et correspondant d’Er. et de G. Budé. Voir Erasme et l' Espagne, recherches sur l'histoire spirituelle du XVIe siècle, M. Bataillon, J. Cl. Margolin p. 163 : [http://books.google.fr/books/about/Erasme_et_l_Espagne.html?id=PJ3YYyZE5L0C]
[Ph.1614] Erasme a déjà fait un éloge semblable de la Westphalie dans une lettre à Cornélius Gérard. Transition chonologique plus que géographique, indique P. Mesnard. Alexandre Hegius de Hoeck près de Horstmar (1433 - 1498). Elève du moine Thomas a Kempis. Prof et directeur de collèges. Il eut comme élève : Erasme, H. von dem Busche, Conrad Goclenius, Conrad Mutianus, et le pape Adrien VI. Nbx essais poétiques, philosophiques et artistiques. Il remplaça les manuels scolaires par la lecture directe des auteurs.
[Ph.1616] Herman von den Bush : lui aussi fut élève d’Alexander Hegius, comme Erasme, Conrad Goclenium, Conrad Mutianus, et même le futur Pape Adrien VI.
[Ph.1618] Conrad Gockelen (1489-1539). Lui aussi élève de A.Hegius. Il succèda à Barland cM prof. de Latin à Busleiden, et le resta jusqu à sa mort. Erasme à donc raison de le considérer cM une gloire de l Université de Louvain. Mais son oeuvre eut peu de notoriété.*************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1620] Bulephorus Istum ipsum.
[1621] Nosoponus Mihi quidam « kai oikothen » notus est.
[1622] Bulephorus Num quid in illo desideras, quominus habeatur inter Ciceronianos ?
[1623] Nosoponus Opinor illud ingenium posse quicquid serio voluerit, verum mavult obesulus esse quam polygraphus.
[1624] Hypologus Unum in illo novi, quo Ciceroni multum est dissimilis.
[1625] Bulephorus Quidnam ?
[1626] Hypologus Ciceronem accipimus praelongo et exili fuisse collo. [1627] Goclenius et pulchre obeso et adeo non longo, ut mentum pectori paene contiguum sit.
[1628] Bulephorus Non hic de collo, sed de stilo disputamus.
[1629] Ceterum, ut a Vuesphalia recedamus, habet Saxonia juvenes summae spei nihil mediocre de se pollicentes, quorum est et Christophorus Carlebitzius imaginibus majorum ornatissimus, sed litteris ac moribus compositissimis ornatior ; verum horum commemoratione te non fatigabo, quorum indoles adhuc subolescit et, ut ita loquar, in herba est.

[1630] Pergam ad reliquos Germanos, quorum princeps fuit Capnion.
[1631] Nosoponus Vir magnus, sed oratio redolebat suum saeculum adhuc horridius impolitiusque.

[1620] Buléphore Celui-là même !
[1621] Nosopon Je le connais depuis l’enfance !
[1622] Buléphore Trouves-tu en lui quelque chose à redire et qui nous empêcherait de le considérer comme membre des cicéroniens ?

[1623] Nosopon Avec son intelligence à mon avis il aurait pu réussir dans tout ce qu’il aurait voulu un peu sérieusement. Mais il a préféré devenir obèse que polygraphe !

[1624] Hypologus Je ne connais qu’un seul point qui le distingue nettement de Cicéron !

[1625] Buléphore Quoi donc ?
[1626] Hypologus Nous savons que Cicéron avait le cou très long et très mince. [1627] Goclenius a le cou sacrément gras et si court que son menton lui colle presque à la poitrine.
[1628] Buléphore Nous ne discutons pas ici de cou mais de style !

[1629] D’ailleurs, pour quitter les frontières de la Wesphalie : la Saxe a de nombreux jeunes gens prometteurs qui ne laissent rien présager de médiocre. Je pense par exemple à Christophe Carlowitz : très illustre par ses ancêtres, il brille plus encore par ses écrits et ses mœurs si bien ordonnés. Mais je ne te fatiguerai pas par l’évocation de jeunes gens dont le talent naturel est encore en évolution et est pour ainsi dire encore en herbe.

[1630] Je vais passer directement aux autres orateurs de Germanie, dont Capnion peut passer pour le « prince ».
[1631] Nosopon Un grand homme ; mais son discours sentait encore son siècle, encore un peu rugueux et pas encore assez poli.  [Ph.1621] « º±v ¿4º¿¸µ½ » = « et depuis la maison », ie. « et depuis l’enfance » ; ce qui est exact puisqu’ils ont été condisciples précise P. Mesnard.
[1621] Il me semble que l’idée est celle-là : « Mais il a préféré devenir polyphage que polygraphe ! »
[Ph.1629] Christopher von Carlowitz, né à Hermsdorf en Saxe (1507-1571). Véritable Erasmien qu’Er. appuya tt au long de sa carrière. Etudes à l’Univ. de Leipzig (1520-1224) sous Mosellanus, dont il édita plrs ouvrages. Edita à Cologne les Antidoti de Valla contre le Pogge ; on le trouve à Louvain et Bâle. Au service du Duc Georges de Saxe il rencontra Th. More en Angleterre (1529) et Sigismond de Herbertstein à Cracovie (1530). Modération et opportunisme lui firent s’adapter aux fluctuations religieuses de son pays après la mort du duc Georges (1539).
— NB. Le jus imaginum : droit de conserver et d’exposer les portraits et bustes des ancêtres dans l’atrium et de les porter en procession lors des funérailles ; à Rome il était réservé aux nobiles, et commençait avec l’edilité curule. Christopher von Carlowitz est noble !
[1630] Capnion : C’est le nom grécisé de l’humaniste Jean Reuchlin ( Rauch = la fumée). (1455- 1522). Né à Pforzheim alors résidence des Margraves de Bade. Il accompagne le jeune Frédéric de Bade à Paris en 1473, y étudie la grammaire avec Jean de Lapierre, la rhétorique avec Guillaume Tardif et Robert Gaguin, et le grec dans le séminaire de Grégoire de Tiferno. Il poursuit ses dernières études à Bâle sous Andronicus Contoblacas, et il y est fait docteur en philosophie en 1477. Il y apprend qq éléments d’hébreu avec Jean Wesel de Groningue et rédige des manuels pour l’éditeur Amerbach.
En 1478, il revient en France, donne qq leçons privées à Orléans et y acquiert son baccalauréat en droit. Obtient sa licence à Poitiers en 1481, et le doctorat à Tùbingen la même année. Il devient alors secrétaire d’Eberhard de Würtemberg qui l’emmène en Italie en 1481 et 1490. Reuchlin connaît ainsi tous maîtres de la Renaissance florentine et romaine. A son retour, il s'établit au service du duc d’Eberhard. Une de ses missions auprès de l’empereur en 1492 lui rapporte le titre de « comte palatin » et lui permet de prendre de sérieuses leçons d’hébreu auprès de Jacob Jechiel Loans, médecin de l’empereur. A la mort de son protecteur en 1496, il trouva asyle à Heidelberg, auprès de l’évèque de Worms, Dalberg, et de l’électeur palatin, Philippe. Celui-ci l’envoya en 1498 à Rome où Reuchlin se perfectionna en hébreu auprès du rabbin Abdias Sporno et charma Argiropoulos par son héllénisme impeccable. « Graecia nostra exilio transvolavit Alpes. » Rentré en faveur auprès du nouveau souverain, le Duc Ulrich, Reuchlin revient à Stugartt en 1499 et y resta 20 ans occupant de 1502 à 1513 le post important de triumvir de la ligue de Souabe. Lorsque la guerre éclata entre cette ligue et e duc Ulrich, R. dut s’exiler et enseigna le grec et l’hébreu en 1520 à Ingolstad. Retour à Stutgartt 1521 ; puis nouvel exil à Tübingen où il enseigna grec et hébreu jusqu’à sa mort.

Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1632] Qualis et Iacobus Vuimphelingus et si qui sunt hujus similes, quorum opera tamen non parum utilitatis accessit Germaniae studiis. [282,1633] Quanquam hic in nepote suo quodammodo repubuit Jacobo Spiegellio.

[1634] Bulephorus Capnionis ergo discipulum agnoscis Philippum Melanchthonem ?
[1635] Nosoponus Nihil hoc ingenio felicius, si totum vacasset Musis.
[1636] Nunc hanc laudem leviter affectauit ac naturae felicitate contentus nec artis nec curae permultum ad scribendum adhibuit, et haud scio an affectantem nervi fuerint defecturi. [1637] Extemporali dictioni natus videtur ; nunc aliis intentus, eloquentiae studium magna ex parte videtur abjecisse.

[1632] Nosopon (suite). C’est aussi le cas de Jacques Wuilmpheling et tous ceux de sa sorte. Leur ouvrage pourtant n’en a pas moins été fort utile au développement des études en Allemagne. [1633] Malgré tout, il revit d’une certaine façon en son neveu Jacques Spiegel.

[1634] Buléphore Tu connais, je suppose, Philippe Melanchthon, disciple de Capnion ?
[1635] Nosopon Il n’y aurait pas d’esprit plus heureusement doué que celui-là, s’il avait voulu se consacrer tout entier aux Muses !
[1636] Mais voilà ! Il ne s’est que légèrement investi dans la conquête de cette couronne, se satisfaisant de son aisance naturelle, sans apporter beaucoup de soin à apprendre à bien écrire. Je me demande même si ses forces auraient tenu, s’il s’était livré à fond à cette quête. [1637] Il paraît plus fait pour l’improvisation. De toute façon maintenant qu’il est engagé dans d’autres luttes il semble bien qu’il ait rejeté à peu près totalement l’étude de l’éloquence.


[1630] Capnion (Jean Reuchlin) suite de la note de Pierre Mesnard.
Sa vie ne fut pas troublée seulement par les bouleversements politiques de son époque, mais aussi par la crise culturelle dite «Querelle de Reuchlin » Reuchlin ayant défendu le droit des juifs à posséder des livres écrits en leur langue, il s'ensuivit une longue controverse passionnée (1510-1516) qui l'opposa à Arnold de Tongres à Ortvinius Gratius, docteurs de Cologne, et au grand inquisiteur de Cologne, Jacques Hoogstraten. Malgré la mobilisatjon de tous les humanistes, Erasme compris, par sa Défense et le succès des Lettres des hommes obscurs d’Ulrich de Hutten (cf. infra, p. 686, n, L. 6}, Reuchlin fut condamné par les universités de Cologne, de Louvain, d'Erfurt, de Mayence et de Paris ; mais ses amis furent assez puissants à Rome pour obtenir du pape le 20 jlt 1516 un Mandatum de supersedendo et l'affaire en resta là.
Les principaux ouvrages de Reuchlin sont le Liber de verbo mirifico : dialogue entre trois interlocuteurs, épicurien, Juif et chrétien, sur la valeur de la Cabale, les secrets du langage et de la nature etc. Le sujet est repris dans le De arte caballistica libri tres. Son célèbre De rudimentis hébraïcis (1506) fournissait désormais une grammaire et un disctionnaire hébreux, qui facilitaient l’accès de la langue et de la tradition. Enfin les Septem Psalmi poenitientiales hebraïce cum grammatica tralatione latina (1512) constituaient le 1er livre hébreu imprimé en Allemagne.
Quoiqu’il ait à plrs reprises regretté la violence de certaines attaques de Reuchlin, Erasme ne cessa de prendre son parti et la « canonisation » qu’il en fait dans les Colloques est encore plus significative que celle de Socrate : la Théologie y couronne la Philologie dans une exaltation du Verbe et de ses serviteurs.
Dans l’Apotheosis Reuchlini Capnionis, Erasme invente cette collecte (prière qui suit le Gloria). « Amator humani generis Deus, qui deum linguarum, quo quondam apostolos tuos ad Evangelii praedicationem per Spiritum Sanctum caelitus instruxeras, per electum famulum tuum Joannem Reuchlinum mundo renovasti : da ut omnibus linguis, omnes ubique praedicent gloriam filii tui Iesu ; ut confundas linguas pseudoapostolorum, qui conjurati substruunt impiam turrim Babel, tuam gloriam obscurare conantes, dum suam student attolere : cum uni tibi debeatur omnis gloria , cum Jesu, filio tuo unigenito, Domino nostro, Spiritu sancto, in aeterna saecula, Amen ». Cette prière exprime l’axe fondamental du Ciceronianus et doit permettre d’interpréter correctement sa conclusion.
[Ph.1632] Vuimphelingus : Jacques Wuilmpheling (1450-1528) né à Sélestat. Il fait ses études (1444- 1470) de philosophie et de théologie à Fribourg-en-Brisgau, Erfurt et à l'Univ. d'Heidelberg. Professeur puis doyen de l’université de Heidelberg en 1481. il devint prédicateur à la cathédrale de Spire (1485-1498) ; retourna à Heidelberg comme prof. en 1498. De 1500 à 1515 il vécut à Strasbourg où il accomplit une œuvre culturelle importante en donnant ses leçons à J. Sturm et Ringmann) ; il anima la première Sodalitas de la ville ; relations fécondes avec Jean Geiler de Kaiserberg et Sébastien Brant. Il retourna dans sa ville natale de Sélestat en 1515.
Œuvres pédagogiques importantes Elegantiarum medulla oratoriaque praecepta in ordinem redacta (1493); Adolescentia ; Diatriba de proba puerorum institutione ; Isidoneus Germanicus,etc .  Ecrits pour la propagande impériale Avec sa Germania, écrit en 1501, Wimpheling passe pour le fondateur de l’historiographie nationale allemande. Il tente de prouver que Charlemagne était Allemand. En 1512 il écrivit son autobiographie Expurgatio contra detractores publiée par son neveu Jacques spiegel en même tant que la traduction d’Isocrate, De Regno gubernando.
[Ph.1633] Jacques Spiegel (1483 -1547) : neveu de Jacques Wuilmpheling ; Voir cette belle page des archives du Bas-Rhin : http://archives.cg67.fr/imgs/03service/bibliotheque%20de%20jacob%20spiegel_fiche%20eleve.pdf.
[Ph.1634] Melanchthon Philippe Schwarzerd, le Praeceptor Germaniae (1497-1560) naquit à Bretten près de Pforzheim, Arrière neveu de Reuchlin qui grécisa son nom et l’encouragea dans ses études à Heidelberg (150 -1511) et à Tübingen ( 1512-1514). Jeune humaniste il écrivit une ode grecque à Erasme ; lui fut présenté ; prit une part active dans la Querelle de Reuchlin ; influencé par la lecture du Novum Instrumentum d’Erasme, il s’engagea à la suite d’Erasme dans le courant Evangéliste. Mais il fut aussi attiré dans le tourbillon Luthérien. Professeur de grec à Wittmberg depuis 1518 il participa à de nbx colloques qui définissaient les thèses luthériennes et les rapports avec les autres confessions. Er. regrettait son éloignement du catholicisme et sa spécialisation en tant que théol. et pédagogue. En réalité M. traité à peu près ts les sujets. Sa grande œuvre est l’exposé complet de la théologie luthérienne : Loci communnes.Wittemberg, 1521****************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1638] Bulephorus En igitur tibi Ulricum Huttenum.
[1639] Nosoponus Sat splendoris et copiae praestat in oratione soluta ; in carmine felicior erat, ceterum a Ciceronis imagine procul aberat.
[1640] Bulephorus Bilibaldum prius commemorasse oportuit, quo duce primum efflorescere coepit apud Germanos eloquentia, quam et morum pietate et fortunae splendore illustravit.
[1641] Nosoponus An illi sequatur nescio, certe non assequitur, nec tam obstat ingenium quam rei publicae negotia parumque prospera valetudo, cum non alius sit prosperrima dignior. [1642] Tamen ex tempore scribens adeo feliciter, abunde declarat quantum praestare valeret, si nervos intenderet suos.

[284,1643] Bulephorus Ulrico Zasio plurimum laudis tribuit universa Germania.
[1644] Nosoponus Minus tamen, quam vir ille promeritus est.
[1645] Praeter exactam juris quod profitetur scientiam felicissima quaedam adest vel ex tempore scribendi dicendique facultas ; diceres orationem bonis electisque verbis simul ac sententiis ex uberrimo quodam manare fonte, adeo nec resistit unquam nec haeret nec intersilescit, tum adest etiam in scriptis alacritas juvenilis et, ut ita dicam, vita ; negares senis esse quod legis, attamen Politianum propius exprimit quam Ciceronem. 
[1638] Buléphore Tiens voilà donc Ulrich Hutten !
[1639] Nosopon Sa prose offre pas mal d’éclat et d’abondance, mais il réussissait encore mieux en poésie. N’empêche qu’il était fort éloigné de reproduire l’image de Cicéron.
[1640] Buléphore Il aurait fallu rappeler en premier lieu la mémoire de Wilibald Pirckheimer : c’est sous sa conduite que l’éloquence s’est mise à fleurir pour la première fois en Allemagne. Il l’a fait briller par la pureté monacale de ses moeurs et l’éclat de sa fortune.
[1641] Nosopon J’ignore s’il a cherché à atteindre l’éloquence cicéronienne, mais à coup sûr il n’y est pas parvenu. Ce qui l’en a empêché ce n’est pas tant le manque de génie, que ses activités politiques et sa santé qui n’était pas florissante. Et pourtant si quelqu’un méritait la plus belle santé du monde c’était bien lui ! En dépit de cela, la qualité de ses improvisations, montre bien ce qu’il pourrait donner s’il pouvait tendre toutes ses forces vers ce but.

[1628] Buléphore Et Zazius ? L’Allemagne tout entière lui a décerné les plus grandes louanges.
[1631] Nosopon Moins pourtant encore que cet homme fameux ne le méritait !
[1645] Outre la connaissance précise du droit, qu’il enseigne, il écrit et il parle avec facilité, même quand il improvise. On dirait que son discours riche de belles maximes coule en termes précis et choisis d’une source abondante, au point qu’il n’hésite jamais, qu’il ne bute jamais sur un mot, qu’il ne reste jamais suspendu un instant sans parler. Et puis même dans ses écrits règne la vivacité de la jeunesse et pour tout dire une sorte de vie ! On ne saurait pas dire que c’est un vieillard qui a écrit ce qu’on lit ! Mais pourtant il ressemble plus à Politien qu’à Cicéron.
 [Ph.1638] Ulrich Hutten (1488-1523). Famille noble ; bien qu’étant l’aîné, son père le destine au monastère : il s’enfuit du monastère de Fulda en 1505 et devient un étudiant errant pdt 8ans ; Soldat en Italie ; Réconcilé avec les siens il sert l’empereur Maximilien « mente et calamo » ; sort un livre d’ épigrammes relatant les guerres d’Italie et invectivant les ennemis de son maître, Jules II et les Français. Il est couronné « Poète Lauréat » par Maximilien. Connu pour son Ars versificandi (1511), il atteint la célébrité par  Nemo  1512 & 1518, et surtout avec les violentes « philippiques » écrites en 1516-1519 pour venger l’honneur de son parent hans von Hutten, tué par son suzerain. Orationes digne de Cicéron et Démosthène contrastant avec le style moins pur des Lettres des hommes obscurs par lesquelles il défendait Reuchlin. Le Misaule ou Aula dialogus 1518 ; De Guaiaci medicina et morbo Gallico 1519 ; Le grand moment de Hutten fut l’élection de Charles Quint pour laquelle il se dépensa sans compter. Il espérait en la cst d’une grande Allemagne dont Luther et Erasme seraient les cerveaux et Sicklingen et lui-même les bardes. Erasme d’abord favorable à Hutten se voit sommé par celui-ci de rejoindre le camp luthérien ; puis invectivé et traîné dans la boue. Riposte cinglante d’Erasme. Haine irréconciliable : Voir la lettre 1378 à Ulrich Zwingle. Nemo chant puissant du rebelle intégral « Nemo fidem christo non habet, et bonus est. Nemo sorte sua vivit contentus et intra Fortunam didicit Nemo manere suam ». Le poème Nemo est en ligne : http://www.uni-mannheim.de/mateo/camena/hutten1/huttenopera.html P. 109 ss.
[Ph.1640] Bilibaldum Wilibald Pirckheimer (1470-1530 ) Humaniste et mécène allemand. Né à Eichstadt, dans une famille de juristes. De 1490 à 1497, étudie le grec à Padoue et le droit à Pavie. Echevin à Nüremberg jusqu’en 1522. Belle demeure richement ornée. Il écrit un De Bello Helvetico dont la 1° partie est une histoire gale de la Suisse et la 2° raconte la campagne de 1494 qu’il a faite à la tête d’un détachement de Nurembergeois au service de l’Empereur. Lettres intéressantes de Dürer à BWP. La Correspondance très intéressante de BWP avec Erasme permet de suivre l évolution de l opinion des H-istes à l égard de Luther. Erasme considère BWP cM un ami fidèle, dont l avis est éclairant (ep.1512).
[1643 ] Zazius (1461-1536) Né à Constance. grand Juriste ; prof de droit à Fribourg ; Important correspondant d’Erasme. Voir Érasme et L'Espagne,Vol.2 Marcel Bataillon, Daniel Devoto, Charles Amiel, Droz, 1991. http://books.google.fr/books?id=ShIB0XwZ0WkC&printsec=frontcover#v=onepage&q&f=false
Voir aussi Les éloges des hommes savants tirés de l'Histoire de M. de Thou ..., Volume 3 ;  Par Jacques-Auguste de Thou, Antoine Teissier, Pierre p. 235 [http://books.google.fr/books?id=PJ4BAAAAMAAJ&dq=zazius&source=gbs_navlinks_s]
[1645] Voir l’éloge de que Cic. donne de Laelius Ep. Ad M. J. Brut. 94 « Videtur mens Laelii spirare in scriptis ». Dans le contexte de cette lettre à Brutus Cicéron veut dire que l’énergie qui animait Laelius dans ses plaidoiries transparaissait encore dans ses discours écrits, à la différence de Galba. Voir [Ph.1142]. NB. Senis : Zazius est mort à 75 ans. NB. Politien (1454-1494)
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1646] Bulephorus Age, sed ex proximo tibi profero Brunonem Amerbachium Rauracum, quo viro nihil unquam natura finxit candidius.
[1647] Nosoponus Quatenus licet ex gustu cognoscere, magnus erat futurus, ni festinata mors juvenem studiis eripuisset.
[1648] Bulephorus Henricum Glarianum agnoscis Helvetium?
[1649] Nosoponus Is maluit in philosophia ac mathematicis disciplinis consenescere quam aemulari phrasim Ciceronianam, cui vix convenit cum subtilitatibus mathematicorum.

[1650] Bulephorus Unus superest, quem si non recipis, migrabimus in Pannoniam.
[1651] Nosoponus Quis ?

[1652] Bulephorus Ursinus Velius.
[286,1653] Nosoponus In carmine felix nec infelix in oratione soluta, spirituum et urbanitatis habet affatim ; ubi prodierit historia quam de rebus a Pannoniae Bohemiaeque rege Ferdinando gestis texere dicitur, certius pronuntiabimus.

[1654] Bulephorus Mihi certa spes est illum et principis sui claritati et rerum magnitudini facundiae viribus responsurum. [1655] Hujus commemoratio nos deduxit in Pannoniam, nam illic nunc agit, ubi neminem novi praeter Iacobum Pisonem studiosum eloquentiae Tullianae candidatum, sed primum aula, deinde calamitas, nuper etiam mors hominem nobis abripuit.
[1656] Nosoponus Audivi et dolui.
[1646] Buléphore Allons ! dans les mêmes parages je vais te présenter Bruno Amerbach, dit Raucarus. La nature n’a jamais rien modelé de plus brillant que cet homme-là.
[1647] Nosopon Autant qu’on peut en juger pour l’avoir à peine goûté, il allait devenir un grand, si la mort, venue trop tôt n’avait arraché ce jeune homme à ses études.

[1648] Buléphore Reconnais-tu comme candidat Henri Loriti, l’Helvète ?
[1649] Nosopon Lui, il a préféré s’attarder dans l’étude des mathématiques et de la philosophie plutôt que de rivaliser avec Cicéron sur le plan du style. D’ailleurs le style cicéronien ne s’accorde pas facilement aux subtilités des mathématiciens.

[1650] Buléphore Il n’en reste qu’un ! Si tu ne le reçois pas parmi les cicéroniens nous nous déplacerons en Pannonie.
[1651] Nosopon Qui as-tu en tête ?

[1652] Buléphore Ursinus Velius.
[1653] Nosopon En poésie il est bon et il n’est pas mauvais en prose. Il a du souffle à revendre (affatim = à satiété !) et une urbanité sans faille (affatim = à satiété ) ! Quand il aura édité l’Histoire des Hauts Faits de Ferdinand, Roi de Pannonie et de Bohême, qu’il est en train de rédiger, à ce qu’on dit, nous nous prononcerons de façon plus décisive.

[1654] Buléphore J’ai le ferme espoir que son éloquence a assez de force pour s’élever à la hauteur de la gloire de son prince et de la grandeur de son sujet. [1655] Le fait d’avoir mentionné Ursinus Velius nous a conduit en Pannonie où il passe sa vie actuellement.
Dans cette région je ne connais que Jacques Borsody, dit Jacques Pison, comme candidat sérieux à l’éloquence cicéronienne. Mais la vie de la cour, puis les malheurs, puis récemment la mort même nous ont ravi cet homme.
[1656] Nosopon Je l’ai entendu dire, et cela me fait de la peine.
 [Ph.1646] Bruno Amerbach Raucarus (1485-1519), né à Bâle (les Rauraques sont voisins des Hélvètes, selon César). Fils du grand imprimeur Jean Amerbach, il lui succéda à la mort de son père. Lui et son frère Basile étudient à Sélestat ; à Paris il obtint grades de BA (Artium Baccalaureatus) et MA ( Artium Magister) ; revenu à Bâle il apprend le grec et l’hébreu. Erasme le considérait comme trilingue, et doué d’une science assez rare (ep. 305). Editeur et correspondant d’Erasme ; relations étroites et excellentes.
[Ph.1648] Glarianus Heinrich Loriti, Humaniste suisse, né à Molis, canton de Glarus (1488-1563). Culture prodigieuse : poésie, géographie, mathématiques, philo ; théol ; philologie cl. servie par un humour assez caustique, lui valut bcp d’envieux et rendit ses rapports difficiles avec nb de contemporains. Obtint ses titres univ. à Cologne en 1510 ; couronné par le laurier du Poète en 1512. Partisan déclaré de Reuchlin, il dut quitter Cologne et voyagea en Italie. Au retour il fonda une Académie à Bâle. Opposé à la réforme De Zwingli et de Luther, il dut émigrer à Fribourg 1520, où il enseigna la poésie latine. Il publia un grd nb d’auteurs classiques à usage pédagogique : Horace, Ovide, Lucain, Cicéron, Salluste, Valère Maxime, Suétone, César, Térence, etc. Œuvres  remarquables : Annotationes in Tacitum de moribus Germanorum (1574). De Geographia 1527 ; Dodecachordon 1547 ; Arte Musica (1549). L’aspect scientifique de cette œuvre justifie le rejet des Cicéroniens. Il écrivit un poème « Ad Erasmum Rotterodamum, immortale Belgarum decus, º±ÄyÃĹǿ½».
[Ph.1652] Ursinus Velius : Caspar Bernhardi (1493-1531) de Schweidniz près de Breslau. Vers 1510 il entre au service de Mathieu Lang, évèque de Gurk, qui l emmène en Iltalie (1512-1514) et à Vienne (1515 et 1516). Il enseigne le grec.Puis à Bâle renconte Zazius et Erasme. Publie ses Poemata en 1522. Séjour à Rome ; puis à Vienne prof de Rhétorique. En 1527 il est nommé Historien de Ferdinand de Habsbourg, dont il chante les victoires contre les Turcs, dans le De bello Pannonico (inachevé ; publié en 1762).
[Ph.1655] Jacobus Piso Jacques Borsody (mort en 1527). H-iste de Transylvanie, ambassadeur de Hongrie, en poste à Rome lors de la 1° visite d’Erasme en fév. 1509 ; resta en contact avec lui et lui adressa, dans un excellent latin, qq lettres pleines de sages conseils, en partl. de ne pas se laisser prendre au mirage anglais (ep 216).

Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1657] Bulephorus Habet et Sarmatia quos non possis contemnere, sed non commemorabo, nisi qui libellis in lucem datis sui specimen dederunt.

[1658] Horum princeps est Andreas Critius episcopus Plocensis, qui prorsus ingenium habet, ut ait ille, in numerato, carmina pangit feliciter, felicior etiam in oratione soluta, praesto est ex tempore scribenti docta facilitas, sermo perpetua quadam orationis festivitate jucundus.
[1659] Nosoponus Paucula quaedam illius degustavi, quae mihi sane spem egregiam praebent, nisi legationibus, tum regni simul et ecclesiae negotiis cogatur a Musarum otio recedere.

[1660] Bulephorus Iam Hispania, quae non ita pridem coepit ad pristinam ingeniorum gloriam reflorescere, doctos et eloquentes viros permultos, qui scriptis innotuerunt non ita multos habet ; in his Antonium Nebrissensem virum eruditionis variae, sed cujus mentionem laturus non sis in catalogo Tullianorum.
[288,1661] Nosoponus Rem divinasti.

[1662] Bulephorus Ne Lopidem quidem, opinor, aut Sanctium.

[1657] Buléphore Chez les Sarmates aussi il y a des hommes à ne pas mépriser. Mais je ne retiendrai ici que ceux qui ont déjà fourni un échantillon de leurs capacités, en publiant quelque petit ouvrage.

[1658] A leur tête on trouve Andreas Critius, l’évèque de Plock. Comme on dit : la bourse de son talent est toujours ouverte ! Heureux en poésie, plus heureux encore en prose,
il est toujours prêt à improviser à l’écrit avec une aisance nourrie d’une vaste culture ; son ton toujours enjoué rend sa conversation agréable.
[1659] Nosopon Je n’ai fait que feuilleter quelques pages de sa main, qui m’ont donné, il est vrai, les plus grands espoirs, à condition toutefois que les fonctions d’ambassadeur ou les affaires du royaume ou de l’Eglise ne le contraignent pas à abandonner le champ du loisir artistique !

[1660] Buléphore A l’Espagne maintenant ! Il n’y a pas si longtemps qu’elle a commencé à refleurir pour revenir au niveau de son ancienne gloire intellectuelle. Elle compte beaucoup d’hommes instruits et éloquents, mais encore assez peu se se sont illustrés par leurs écrits. Parmi eux Antonio de Nebrija est un homme de vaste érudition, mais je ne porterai pas son nom sur la liste des cicéroniens.
[1661] Nosopon Tu as vu juste !

[1662 ] Buléphore Tu ne veux pas non plus, je suppose de Lopez de Zuñiga ni de Sancho Carrenza de Miranda?  [Ph.1658] Andreas Critius (1482-1537) André Crzicki H-iste polonais de gde famille. Etudia probabl-t en Italie. En 1504 chanoine de Poznan ; Remarqué pour un Epithalamium par le roi de Pologne, il devint chancelier de la reine en 1516, prévôt de Pozan en 1519, évèque de Przemysl en 1522, évèque de Plock en 1527, et en 1535 Primat de Pologne. D’abord attiré par les réformateurs, en partl Mélanchthon, Critius prit une position anti-luthérienne : in Luterum oratio Cracovie 1524. CM Erasme, il chercha dans les Psaumes le remède à l ébranlement religieux de son époque ( De affectione Ecclesiae Cracovie 1527). On peut s étonner de voir l humanisme polonais, si florissant à l époque du Ciceronianus, réduit à un seul nom.
[Ph.1658] NB. Erasme Adages 3282. IV, III, 82. In numerato
In numerato habere, si ad animi res transferatur, proverbii rationem habuerit, velut Octavius Augustus, ut refert Seneca, pronunciavit de Vinitio oratore, quod ingenium in numerato haberet, propterea quod in causis agendis ingenio esset praesentissimo et quicquid aliis praestaret diutina cogitatio, id illi prima statim animi intentio daret. Sumptum est ab his qui res suas ad certissimum calculum redegerunt, 10 hoc est ad pecuniam numeratam. Quintilianus in sexto : De actore, inquit, facile dicente ex tempore dictum est olim ingenium eum in numerato habere. Vide proverbium « Numero dixisti ». Ce que nous faisons !
2658. III, VII, 58. Numero dicis Plautus in Casina « Numero dicis » dixit pro eo, quod est facile et compendio. Festus exponit pro cito ac celeriter, citans tum alios multos auctores, tum hunc Plauti locum. Sed apud Festum adeo depravata est scriptura, ut referre pigeat, nisi quod illinc colligitur veteres non solum dixisse numero dicis, sed numero scis, numero facis, numero expungere, numero credere, numero venire pro facile ac cito venire. Nonius Marcellus putat numero dici pro multum, sed exempla, quae adducit, magis indicant accipi pro cito ac facile sive statim. Quod ipsum ille fatetur in fine. Idem in Amphitryone : Numero mihi in mentem fuit. Usurpatur apud eumdem et aliis aliquot locis.
Ph.1660] Elio Antonio de Nebrija (1444-1522). H-iste et Théolg. Espagnol ; étudia 5 ans à Salamanque, puis 10 à Bologne avant de passer au service de l’Achevèque de Séville, Alfonse de Fonseca. Il enseigna lgpts à Salamanque une herméneutique très voisine de celle d’Erasme. Vers 1515, suite à de nbses attaques contre lui, il se retira à Alcala où il professa jusqu’à sa mort. Œuvre considérable : Institutiones grammaticae, 1° livre imprimé à Séville 1481. Grammatica sobre la langua castillana ; Lexicon latino-hispanicum et hispano-latinum 1492, 1° gr et 1° dictionnaire qu’on ait eus en Espagne. Il édita de nbx auteurs cl. ou modernes ; des notes critiques sur l’Ecriture Sainte 1514-1516 ; enfin il prit part à la rédaction de la célèbre Bible polyglotte d’Alcala (1514-1517).
[Ph.1662] Lopez de Zuñiga dit Stunica théol. espagnol. Le plus dangereux des adversaires d’Erasme, car ayant travaillé à la Bible d’Alcala il était plus fort que lui en exégèse. Alerté par L’éloge de la Folie, il prépara dès l’apparition du Novum instrumentum (1516) une critique violente. Malgré l’opposition du cardinal Cisnéros et de Léon X, il sut tjs profiter de la mort des protecteurs d Erasme pour attaquer violemment l H-isme. Dix vol. écrits par Zuñiga contre Erasme. Les ripostes d Erasme sont parfois plus que brutales : il présente Zuñiga cM est un fou furieux ! Ep. 1415.  ([Ph.1662] Sanctium : voir note suivante).
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1663] Nosoponus Hic theologus est nec affectavit hanc laudem, ille multo infelicior est in laudando quam in reprehendendo ; nec hic nec ille Ciceronianus.
[1664] Bulephorus Demirabor, si Joannem Ludovicum Vivem ab hoc honore submovebis.
[1665] Nosoponus Equidem nec ingenium nec eruditionem nec memoriam in illo desidero, adest illi parata sententiarum ac verborum copia, cumque fuerit initio duriusculus, in dies magis ac magis in illo maturescit eloquentia ; quem si nec vita nec studium destituerit, bona spes est fore ut inter Ciceronianos numeretur.
[1666] Sunt enim quibus scribendi conatus juxta Mandrabuli morem, ut habet proverbium, succedat.
[290,1667] Hic quotidie vincit se ipsum.
[1668] Et habet ingenium ad quidvis versatile eoque ad declamandi facultatem unice compositus [1669] Aliquot tamen M- Tullii virtutes nondum absoluit, praecipue jucunditatem dictionis ac mollitudinem.
[1670 a] Bulephorus Et Lusitanos aliquot eruditos novi, qui vulgarint ingenii sui specimen, neminem novi praeter Hermicum quendam in epigrammatibus felicem, in oratione soluta promptum ac facilem, ad argutandum dexterrimae dicacitatis, 
[1663] Nosopon Ce dernier (Sancho) est un théologien et n’a pas brigué cette palme. L’autre, Lopez, est nettement moins doué pour louer que pour blâmer ! Ni l’un ni l’autre ne sont des cicéroniens.
[1664] Buléphore Je serais surpris que tu écartes Jean Louis Vivès de cet honneur.
[1653] Nosopon C’est vrai je ne trouve rien à redire à son talent, ni à sa culture, ni à sa mémoire ; Les maximes et les mots lui viennent toujours en abondance, et bien que son style fût un peu sec à ses débuts, son éloquence mûrit chaque jour davantage. S’il ne quitte pas la vie, s’il n’abandonne pas ses études, il y a de fortes chances qu’on puisse le compter au nombre des cicéroniens.
[1666] Il y des gens dont les efforts pour améliorer leur style vont en diminuant à la manière des dons de Mandrabule, comme dit le proverbe. [1667] Mais lui (Vivès) se surpasse chaque jour.
[1668] Son talent se plie à tout ce que tu peux imaginer et le rend par-dessus tout propre à la déclamation. [1669] pourtant il reste quelques qualités de Cicéron qu’il n’a pas encore menées à leurs perfections, particulièrement en ce qui concerne le charme et la souplesse du style.
[1670a] Buléphore J’ai aussi entendu parler de quelques érudits Portuguais qui ont publié des échantillons de leur talent. Je n’en connais aucun en particulier, si ce n’est un certain Juan Cayado Hermico fort habile à composer des épigrammes, s’exprimant avec aisance en une prose spontanée et doté d’un redoutable sens de la raillerie dans la plaisanterie.


[Ph.1663] Hic = Sanctium ; Ille = Lopez ( voir note précédente) 
Sancho Carrenza de Miranda, théolg. navarrais, mort en 1531. Etudes à Paris ; Chanoine de Calahorra ; chapelain de B. Matinus puis d’Alexandre VI, qui l’emmène à Rome. Le 22 mai 1496 il prononce à St Pierre un sermon qui n’eut guère de succès ; il eut de meilleurs résultats par ses livres de scolastique et une défense de l’Immaculée Conception. Enseigna de nbses années à l’Univ d’ Alcala ; eut Sépulveda comme élève. Devint en 1528 inquisiteur de Navarre. Contre Erasme il défendit les positions de l’exégèse traditionnelle : Opusculum in quasdam Erasmi annotationes (1522). Erasme y répondit dans son Aplogia (1522) ; polémique assez courtoise. S. C. de Miranda défendit les oeuvres d’Erasme à la conférence de Valladolid en 1527.
[Ph.1664] Vivès Jean Louis Vivès de Valencia (1492- 1540). Célèbre Humaniste, qui servit de trait d’union entre l’Espagne, les Pays-Bas et l’Angleterre. Il enseigna à Oxford et fut précepteur de la Princesse Marie jusqu’à l’affaire du divorce. A partir de 1528 il se maria et s’installa à Bruges, et consacra cette demi-retraite à une abondante production. On lui doit de nbses études sur Aristote, Virgile, Cicéron ; une très belle édition de La Cité de Dieu de St Augustin 1522, entreprise à la demande d’ Erasme, qui donna lieu à de nbses polémiques. Outre son célèbre petit livre De Institutione feminae Christianae 1524 dédié à Catherine d’Aragon, Vivès a couvert le champ entier de la pédagogie par l’un des plus grands livres de l’H-isme européen, le De Disciplinis, 1531. C’est une synthèse de trois œuvres déjà volumineuses :le De corruptis artibus en sept livres, qui expose la nécessité de réformer entièrement l’étude des disciplines fondamentales ; le De tradendis disciplinis sive de doctrina christiana en cinq livres ; le De artibus en huit livres. Il étudia aussi les pbs sociaux De subventione pauperum 1532 et la coexistence avec les turcs dans plusieurs ouvrages très orignaux. Vivès ayant tjs entretenu de bons rapports avec Erasme, l’omission de son nom dans la 1° éd. du Ciceronianus n’en n’est que plus inexplicable.
[Ph.1665] Juxta morem Mandrabuli : « A la manière de Mandrabule », Lucien II, 165, c’est à dire en diminuant progresssivement.
Voir Erasme Adagia 158. I, II, 58. « Mandrabuli more res succedit » (Les Adages d’Érasme, Belles Lettres et le GRAC, 2010 P 218-219), en ligne. Extrait « […] Res Mandrabuli ordine succedit, hoc est in dies in pejus labitur. Inde natum quod Mandrabulus quidam cum 20 thesaurum reperisset, primum auream ovem posuit Junoni Samiae, proximo anno argenteam, tertio aeream ». Erasme cite ici Lucien, Sur ceux qui sont aux ordres des grands : « Mandrabule, ayant trouvé un trésor à Samos, consacra la première année une brebis d'or à Junon ; l'année suivante, une brebis d'argent ; un an après, une brebis d'airain ».
[Ph.1667] L’expression « Hic quotidie se vincit » de la phrase 1667 reprend, dans les mêmes termes, la fin de l’adage en question (« Mandrabuli more … »). Selon Erasme Platon ne dit pas autre chose dans le De legibus,I, dont Erasme traduit ainsi le passage « Si quis ipse seipsum vincat, omnium victoriarum tum prima tum optima est. Rursum ipsum seipso inferiorem esse, omnium et turpissimum est et gravissimum.Vincit enim seipsum, qui proficit in melius, at seipso inferiorem evadere est deteriorem reddi ».
[Ph.1670a] Juan Cayado Hermico (1470-1509) Humaniste portugais, de Lisbonne, fut disciple de Politien. M. B. Knott précise qu’Erasme l’a probablement rencontré à Rome ; Réputation de buveur et spirituel. Er. raconte sa mort dans les Adages VII, 8,2. ******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1670b] et () Genesium, qui nuper edito Romae libello praeclaram de se spem praebuit.

[1671] Vide, quot regiones peragraverimus, Nosopone, dum unum quaerimus Ciceronianum, nec quisquam adhuc repertus est quem digneris huius cognominis honore cujus amor te macerat.
[1672] Quot priscos commemorauimus, quot saeculorum posteriorum, quot nostrae memoriae, quot nostrae aetatis recensuimus in quibus, ut sint nonnulli quos fastidiosus censor possit contemnere, quam multi sunt qui suum quisque saeculum, suam patriam, qui ecclesiam, qui rem litterariam doctrina facundiaque sua ornarunt illustrarunt nobilitarunt, nec ullum tamen adhuc invenimus Ciceronianum.

[1673] Quid reliquum est, nisi ut proficiscamur in insulas fortunatorum, inde petituri quem donemus hoc nomine?


[1674] Moderatius perpetimur mala nobis cum plerisque communia. [1675] Non maeret Hispanus, si non habet flavam caesariem, non Indus, quod colore sit lurido, non Aethiops quod atro, quod simis naribus, et tu discrucias animum nec concoquere potes convicium, quod non es Ciceronianus ? [292,1676] Hoc an malum sit nescio, sed si esset malum, non tu aequo animo feres incommodum tibi cum tot talibusque viris commune?

[1677] Nosoponus Atqui hoc laudis assecutus est Christophorus Longolius, homo Brabantus, tum apud Gallos educatus.
[1678] Huic uni Cisalpinorum palmam hanc tribuunt Itali, ceteros omnes ut barbaros submovent.


[1670 b] Mis à part aussi Juan Gines de Sepulveda dont le petit livre qu’il a fait récemment paraître à Rome suscite énormément d’espoirs.
[1671] Vois combien de régions nous avons parcourues, Nosopon, à la recherche d’un malheureux (unique) Cicéronien Et jusqu’ici nous n’en avons trouvé aucun que tu juges digne d’honorer de ce titre pour lequel tu te meurs d’amour !

[1672] Combien d’auteurs anciens avons-nous mentionnés ! Combien d’auteurs tardifs ! Combien d’hommes de l’époque qui nous a juste précédée avons-nous recensés ! Combien de contemporains aussi ! Parmi tous ces gens, il y en a bien quelques uns qu’un censeur au goût difficile pourrait mépriser : admettons-le ! Mais combien il y en a qui ont orné, illustré et ennobli de leur connaissance et de leur éloquence, qui leur siècle, qui leur nation, qui l’Eglise, qui la littérature en général ? Et pourtant nous n’avons pas encore trouvé un seul Cicéronien !
[1673] Que nous reste-t-il à faire ? Nous n’avons plus qu’à nous en aller aux Iles Fortunées pour y chercher quelqu’un à qui nous ferons cadeau de ce nom !

[1674] Il nous est plus facile de supporter nos maux quand ils nous sont communs avec la plupart des hommes. [1675] L’espagnol ne se désole pas de ne pas avoir les cheveux blonds, l’Indien ne se plaint pas d’avoir la peau pâle, l’Ethiopien ne se plaint pas d’avoir la peau noire et le nez épaté : et toi tu te tourmentes l’esprit et tu ne peux digérer l’outrage de ne pas être nommé cicéronien ? [1676] Je ne saurais pas dire si c’est vraiment un mal. Mais si c’en était un, est-ce que tu ne pourrais pas supporter d’une âme égale un mal qui t’est commun avec tant d’hommes de ce niveau ?

[1677] Nosopon Christophe de Longueil, pourtant, un homme du Brabant qui a fait par la suite ses études en France, a bien obtenu cette gloire, lui !
[1678] Il est le seul des Cisalpins à qui les Italiens ont décerné cette palme.Tous les autres ils les tiennent à l’écart et les considérent comme des barbares !

[Ph.1670 b] Genesium : Juan Gines de Sepulveda (1491-1572) H-iste espagnol extrêmement fécond qui avait déjà donné bcp plus que les promesses dont parle Erasme. Après de solides études à Cordoue et à Alcala, il fut envoyé par Cisneros au collège espagnol de Bologne, dont il écrivit l’histoire (1521). En 1523 il entre dans la maison du prince Alberto Pio de Carpi (supra [Ph.1490). Après le sac de Rome il passa au service du cardinal Thomas de Vio, puis du cardinal Quingnonès, qui l’introduisit dans la cour impériale, où il devint historiographe de Charles Quint en 1536. Après quoi il retourna en Espagne. En 1557 il se retire de la cour, devient chanoine à Salamanque où il publie la même année sept livres de Lettres. Oeuvres principales : savantes trad d’Aristote en latin : Opera Aristotelis Latina facta 1532 ; La Politique 1548 ; De fato et libero arbritrio libir XIII, quo in opere dogma Lutheri confutatur 1525 ; plusieurs beaux dialogues dont : Gonsalus 1523 : Democrates 1534 ; Theophilus, 1538. Il laissa inédit un De Rebus Gestis Caroli V ; et une Historia Philippi II. Sepulveda a joué un rôle important dans l’histoire culturelle par la controverse qu’il soutint de 1548 à 1550, contre Melchior Cano et Barthelemy de Las Casas au sujet de la colonisation et dans la part prise dans la polémique anti-erasmienne. (A la Responsio paraenetiica d’ Alberto de Carpi,   Erasme répondit par une Apologia (1531)  à laquelle Sépulvéda répliqua par un Antapologia pro Alberto Pio in Erasmum (1532)
[Ph.1673] Insulae Fortunatorum : les îles des bienheurueux dont parle Homère. [Relire supra Ph.617 ]
[Ph.1677] Homo Brabantus, apud Gallos educatus ( Christophe de Longueil (1488-1522) : le fait qu’on n’ait pas pu trouver un autre Cicéronien valable rend encore plus exorbitant le privilège accordé par les Italiens à Chr.de Longueil. (Voir, outre P. M., Marc Fumaroli, L’âge de l’éloquence p. 91, note 100) et Chomarat Erasme p. 929 Poche 6927).
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1679]Bulephorus Plurimum sane laudis tulit Longolius, sed nimio emptum.
[1680] Diu tortus est, tandem et immortuus est certamini nondum peracto, non leui profecto studiorum jactura, quibus magno usui futurus erat, nisi totum animum omnesque ingenii vires ad inanis tituli studium contulisset.

[1681] Quanquam ille non uni Tullio assidebat, sed per omne auctorum genus sese voluerat, disciplinas liberales omnes diligenter edidicerat, ultra juris peritiam,
[1681b] nec erat contentus exprimere lineamenta Ciceronis, sed in inventione rerum peracutus fuisse videtur et copiosus, in tractandis argumentis dexter ac felix, nusquam non praebens admirandae cuiusdam indolis specimen.

[1682] Nihil est igitur, quod isti Ciceronis simii nobis Longolium obiciant ; aliis dotibus ille magnus erat, etiamsi Ciceronianus non fuisset, et haec ipsa vanissimi tituli ambitio fructum propemodum studiorum illius corrupit, vitam abrupit.


[294,1683] Quanquam multum etiam afuit a Cicerone, cui materia defuit exercendae mirabilis illius eloquentiae, quam in seriis gravibusque causis Cicero praestitit.

[1684] Longolius edidit epistulas sane quam elegantes ac feliciter elaboratas, fateor, sed multas argumento perquam humili, plures affectato, quod genus videntur aliquot epistulae Plinii junioris.
[1685] Atqui tales non arbitror in epistularum numero ponendas.
[1686] Quid enim habent epistulae Senecae quod epistulae congruat praeter titulum ?

[1679] Buléphore Longueil a remporté la plus belle des couronnes, c’est vrai, mais il l’a payée trop cher !

[1680] Il s’est longtemps torturé et a fini par mourir au cours d’une bataille qu’il n’avait pas encore remportée. Assurément ce n’est pas une petite perte pour le progrès des sciences, auxquelles il pouvait être fort utile, s’il n’avait pas jeté toutes les forces de son intelligence dans la quête d’un titre vide !
[1681] Et d’ailleurs il ne s’en tenait pas seulement à Cicéron, mais il avait frayé avec des auteurs de tout genre ! Il avait appris toutes les sciences libérales, en plus de la jusrisprudence.
[1681b] Il ne s’est pas non plus contenté de reproduire les traits de Cicéron ; il se montrait d’une grande finesse dans l’invention des idées et usait d’une grande richessse de vocabulaire ; il était aussi adroit et efficace dans le maniement des arguments ; il n’est pas un passage où il ne fasse preuve de l’un ou l’autre de ses admirables dons naturels.

[1682] Il n’y a donc aucune raison pour que ces singes de Cicéron nous jettent sans cesse Longueil à la tête ! Il avait bien d’autres qualités pour faire un grand orateur, quand bien même il n’aurait pas été reçu Cicéronien ! Et d’ailleurs c’est cette ambition même à vouloir obtenir le plus vain des titres qui a presque gâché tout ce que ses études lui avaient apporté de bénéfique, et lui a arraché la vie.

[1683] Et pourtant il était encore loin de Cicéron ! Il lui a manqué l’occasion de pratiquer cette admirable éloquence dont Cicéron faisait montre dans les affaires graves et sérieuses.
[1684] Chr.de Longueil a rédigé les lettres les plus élégantes possibles, les plus travaillées et les plus réussies qui soient, je le reconnais, mais leur sujet est vraiment très mince quand il n’est pas complètement artificiel, comme dans certaines lettres de Pline le jeune !
[1685] Pourtant, malgré leurs qualités je ne crois pas qu’il faille les ranger dans le genre épistolaire.
[1686] Qu’est ce que les Lettres de Sénèque nous offrent, en effet qui corresponde vraiment à ce qu’on attend d’une lettre, hormis le terme lui- même ?
 Christophe de Longueil (1488-1522) Né à Malines, bâtard d’Antoine de Longueil (évèque de Léon), il étudia le droit à Paris, puis l’enseigna à Poitiers ; à Paris il publia en 1510 une Oratio de Laudibus divi Ludovici atque Francorum. Membre du parlement de Paris en 1515. A Rome en 1517, il fut accueilli avec honneur par Bembo, Sadolet et les Cicéroniens romains qu’il aspirait à égaler ; il se vit pourtant contester le titre de Civis Romanus qui lui avait été attribué et dut le défendre par deux éloquents discours (Venise 1515). Ses amis romains l’encouragèrent à mettre son talent au service de la polémique religieuse et il rédigea en style cicéronien une Oratio ad Lutheranos (Cologne,1529) dont Erasme ridiculisa la vaine éloquence apprêtée. Son Odyssée de « barbare du nord » ayant réussi à s’imposer à Rome lui valut en France un durable prestige. 1519 retour à Paris ; voyage en Angleterre ; visite à Louvain où il rencontre Erasme. Retourne en Italie à Venise où il retrouve Bembo, puis à Padoue, où il vit dans une pauvreté croissante et meurt en 1522. Ses relations avec Erasme ont été empoisonnées par le cicéronianisme, mais surtout par le patriotisme français de Longueil, qu’Erasme considérait pourtant comme un Brabançon. (Voir P. Mesnard «  Un Brabançon qui n’a pas son pareil en Europe » in Commemoration d’Erasme 1970) Edition de ses Lettres en 1581 par Henri Estienne. Voir en ligne [http://www.archive.org/stream/cu31924005793405/cu31924005793405_djvu.txt]
[Ph.1681] — NB. Cicéron écrit « in omni scelerum genere volutari » : se rouler dans tte sorte de crimes ; Lucrèce utilise volvi : se rouler, se vautrer. Du point de vue des Cicéroniens se plaire à la lecture de tous les auteurs c’est se vautrer dans l’ordure ! (voir le vocabularie de la souillure : labem [Ph. 118] ; putet [72]  etc. )
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1687] At in Ciceronis epistulis nihil est accersitum. [1688] Aut de gravibus seriisque negotiis scribit ea quae coram exponeret, si licuisset, aut cum amicis absentibus de familiaribus colloquitur rebus aut de studiis confabulatur, quemadmodum solent amici praesentes inter se miscere sermonem.
[1689] Quid quod Cicero non edidit epistulas suas et quasdam videtur scripsisse neglectius, quam loqui solitus erat ? [1690] Unde bona pars earum, quas Tiro Ciceronis libertus collegerat, intercidit, haud, opinor, peritura, si docti eas judicassent immortalitate dignas. [1691] Primum igitur illa simplicitas et gratia sermonis inaffectati, deinde veritas abest in epistulis Longolii plerisque.

[1692] Ad haec, quoniam nec eadem fuit fortuna Longolii quae Ciceronis nec eadem negotia, fit ut interdum inepta sit ac frigeat imitatio.

[296,1693] Quod genus sit : M- Tullius senator et vir consularis scribit ad suae dignitatis homines, quid moliantur duces in provinciis, quam instructae sint legiones, ostendit periculum, divinat rerum exitum ; cum ad imitationem Ciceronis similia scribit ad eruditos amicos et in otio viventes Longolius veluti sollicitus de summa rerum, nonne friget affectatio?



[1694] Quid quod ipse in museum abditus interdum litteris mandat vanissimos rumores, quales vulgo circumvolitant, indigni qui vel sermone cordati hominis commemorentur ?

[1695] Sed in orationibus, inquies, quas duas reliquit velut in Capitolio habitas, Ciceronem praestitit. [1696] Eas ego sane magna cum animi tum admiratione tum voluptate legi, fateor. [1697] Effecerunt enim, ut de illius ingenio longe quam ante magnificentius sentirem ; adeo, cum de illo praeclaram concepissem existimationem, vicit multis partibus exspectationem meam. [1698] Videtur enim in has deprompsisse quicquid vel suo potuit ingenio vel e Ciceronis orationibus hauserat.
[1699] Eae tamen tot annis elaboratae, toties sub incudem revocatae, toties criticorum censuram perpessae, quantulum habent Ciceronis ? [1700] Non quidem Longolii culpa, sed temporum.

[1687] Dans les lettres de Cicéron au contraire rien n’est artificiel. [1688] Soit il traite de sujets graves et importants qu’il aurait abordés en face avec son interlocuteur, s’il avait été en mesure de le faire ; soit il discute avec ses amis absents de questions personnelles ou bavarde de ce qui l’intéresse comme on le fait d’habitude dans une véritable conversation entre amis.
[1689] Et puis Cicéron n’a pas édité ses lettres ; dans quelques unes même, il semble avoir écrit de façon plus négligée qu’il ne parlait habituellement ! [1690] De là vient qu’une bonne partie de ces lettres que Tiron, l’affranchi de Cicéron, avait rassemblées a fini par disparaître. Elles n’auraient pas péri, je crois si les savants les avaient jugées dignes de l’immortalité. [1691] Pour en finir avec cela, les lettres de Christophe de Longueil n’ont pas cette simplicité ni cette allure charmante d’un entretien sans affectation. Il leur manque aussi pour la plupart d’être vraies.
[1692] De plus, dans la mesure où Chr. De Longueil n’a pas eu la même destinée, ni les mêmes préoccupations que celles de Cicéron, il en résulte que parfois son imitation est déplacée et nous laisse froids.
[1693] Voici un exemple : Marcus Tullius, sénateur et consulaire, écrit à des hommes du même rang que lui pour leur dévoiler ce que préparent les chefs dans les provinces, combien de légions sont sous les armes ; il leur montre le danger, conjecture l’issue de tout cela. Mais quand Chr. De Longueil écrit, à l’imitation de Cicéron, le même genre de choses à ses amis humanistes, qui vivent dans le calme du loisir, leur parlant comme s’il était préoccupé de la situation générale : cette affectation ne nous laisse-t-elle pas complètement froids ?
[1694] Que faut-il penser de cela encore ? Il vit en reclus dans son Musée et de temps en temps confie aux lettres les rumeurs les moins fondées, comme celles qui circulent dans le peuple, indignes d’être mentionnées entre honnêtes hommes, pas même dans la conversation !
[1695] Mais, vas-tu me dire, dans les deux discours qu’il a laissés, prononcés comme il le dit au Capitole, il s’est montré un vrai Cicéron. [1696] Je les ai lus, je le reconnais, avec une très grande admiration et autant de plaisir. [1697] Je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir pour son génie une bien meilleure opinion que celle que j’en avais auparavant : alors que l’estime que j’avais conçue pour lui était déjà très grande, il a dépassé mes attentes en tous points. [1698] Il semble avoir exprimé dans ces deux discours tout ce qu’il pouvait tirer de son génie ou bien tout ce qu’il avait puisé aux sources des discours de Cicéron.
[1699] Et pourtant : ces discours travaillés pendant tant d’années, tant de fois remis sur le métier, tant de fois soumis à l’épreuve des censeurs et de leurs critiques, quel pâle image de Cicéron reflètent-ils ? [1700] Bien sûr la faute n’en est pas à Longueil, mais aux temps, qui le veulent ainsi.
[1690] Haud peritura : à propos de cette opinion, à tout le moins optimiste, voir les premières pages de la « traduction » de Fraënckel que j’ai mise sur ce même site.
[1695] Praestare alicui, Cic. (praestare aliquem, Liv.) : l'emporter sur qqn. On pourrait comprendre en construisant comme Tite Live : il a surpassé Cicéron :. Praestare a bcp de sens. Ici probablement = (Mot à mot) il nous a montré Cicéron.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1701] Aptissime dicebat Cicero, vix apte Longolius, quandoquidem Romae nec patres conscripti sunt hodie nec senatus nec populi auctoritas nec tribuum suffragia nec magistratus, qui solebant esse, nec leges nec comitia nec actionum forma nec provinciae nec municipia socii cives ; postremo Roma Roma non est nihil habens praeter ruinas ruderaque priscae calamitatis cicatrices ac vestigia.


[298,1702] Tolle pontificem, cardinales, episcopos, curiam et hujus officiarios, deinde legatos principum, ecclesiarum, collegiorum et abbatiarum, tum colluviem hominum, partim qui vivunt ex hisce nundinis, partim qui vel libertatis amore vel fortunam aucupantes eo confluunt, quid erit Roma ?
[1703] Dicet aliquis pontificum regnum a Christo traditum augustius esse, quam fuerat olim senatus populique Romani aut etiam, si libet, Octavii Caesaris. [1704] Mea nihil refert, modo fatearis diversum regni genus esse. [1705] Quo fit, ut nec oratio congruat eadem, si putamus Ciceronianum esse sermonem ad rem praesentem accomodare.

[1706] At ille praeclarus juvenis orationem adtemperavit ad hominum affectus qui veterem Romam, rerum dominam « gentemque togatam », adhuc somniant, quemadmodum Judaei nondum desinunt suum Mosen ac templum Hierosolymitanum somniare.

[1707] Jam Christophorus juvenis nec magistratu nec rebus gestis nec ullo alio nomine magnus erat quam ingenio, quod ego sane pulchrius esse duco quam si regno polluisset, sed haec persona nihil ad Ciceronem.


[1708] Nunc argumentum accipe. [300,1709] Inciderat illi contentio cum Italo quodam adulescente in hoc, opinor, subornato, ut Ciceronianam eloquentiam a barbaris vindicaret. [1710] Et est, ut audio, nunc Romae sodalitas quaedam eorum, qui plus habent litteraturae quam pietatis ; docti vocantur et apud multos habentur in pretio.
[1701] Les discours de Cicéron étaient parfaitement adaptés à leur temps. On pourrait difficilement dire la même chose de Chr. De Longueil puisque aujourd’hui à Rome il n’y a plus ces Pères conscrits, ce sénat, cette autorité du peuple, ces votes des tribus, ces magistrats qu’il y avait alors. Plus de lois non plus ! ni de comices ni de procédures légales ni de provinces ni de municipes, d’alliés, de citoyens ! Enfin Rome n’est plus Rome : il ne lui reste plus que des ruines et des décombres, cicatrices et vestiges des malheurs qui la frappent depuis longtemps.

[1702] Qu’on enlève le Pape, les cardinaux, les évèques, la curie et tous ses fonctionnaires ; après cela qu’on enlève les ambassadeurs des princes, des églises, des collèges et des abbayes ; qu’on ôte maintenant ce ramassis d’hommes qui vivent de toute les trafics que cela entraîne, ou des autres qui affluent dans la Ville par goût de la liberté ou pour chercher fortune : que restera-t-il de Rome ?
[1703] On pourra m’objecter que le règne des Papes transmis par le Christ est bien plus auguste que ne le furent autrefois le sénat et le peuple romain, ou même si on veut que celui d’Octave- César (Auguste) lui-même ! [1704] Cela ne m’intéresse pas ! Reconnais seulement que c’est un règne d’un tout autre genre. [1705] Il en résulte qu’un discours qui serait le même que celui de Cicéron ne conviendrait pas, si du moins nous sommes convaincus que pour être un véritable cicéronien il faut adapter ses propos à la situation actuelle.

[1706] Mais ce brillant jeune homme a ajusté son discours aux passions d’hommes qui de nos jours encore rêvent à la Rome antique, dominatrice du monde, « nation vêtue de la toge », comme les juifs qui n’ont pas encore cessé de rêver de leur Moïse et de leur temple de Jérusalem.


[1707] Le jeune Christophe n’avait pas alors acquis de gloire ni par le biais d’une magistrature ni par ses hauts faits ni par aucun autre moyen : il n’avait pas alors d’autre titre de grandeur que son génie, ce qui à mes yeux est bien plus beau que s’il l’avait souillé par l’exercice du pouvoir ! Mais ce personnage qu’il jouait là n’avait rien à voir avec Cicéron !

[1708] Ecoute maintenant le sujet de ces discours. [1709] Il lui était venu une querelle avec un jeune italien, qu’on avait poussé, je crois, à vouloir libérer l’éloquence cicéronienne du joug des Barbares ! [1710] Il y a même maintenant à Rome, d’après ce que j’ai entendu dire une association de ces gens, qui ont plus de lettres que de piété. On les appelle les doctes et beaucoup les tiennent en grande estime.
[Ph.1701] Apte dicere : parler de manière adaptée au sujet (— NB. ce critère, avec le convenable – decorum, decus, decet – , sont des leitmotive de l’éloquence cicéronienne.) — Relire [Ph. 835 « qu’on nous rende Rome ! » Mê vocab. même sens] Confer ce sonnet de
Joachim du Bellay (1522-1560), Les Antiquités de Rome, 1558.
« Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome / Et rien de Rome en Rome n’aperçois,/ Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,/ Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme. // Vois quel orgueil, quelle ruine et comme/ Celle qui mit le monde sous ses lois,/ Pour dompter tout, se dompta quelquefois,/ Et devint proie au temps, qui tout consomme. // Rome de Rome est le seul monument,/ Et Rome Rome a vaincu seulement./ Le Tibre seul, qui vers la mer s’enfuit, // Reste de Rome. Ô mondaine inconstance !/ Ce qui est ferme est par le temps détruit,/ Et ce qui fuit au temps fait résistance ».
[Ph.1701] Actionum forma littéralement = la forme des actions publiques ( procès ; actions des tribuns de la plèbe, etc. )
[Ph.1706] « Gens togata » : nation en toge (Virg. En. I, 282) ’! 281 « [..] mecumque fouebit // 282 Romanos rerum dominos gentemque togatam » : Et avec moi chérira // les Romains, maîtres du monde, peuple de citoyens en toge.****000****
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1711] Per hos otiosos hoc certamen studiis hinc atque hinc effervescentibus accensum est, ut ea civitas undiquaque captat voluptatis materiam.
[1712] Interim Longolii causam gravabat Lutheri causa, cujus gratia apud Romanos male audiebat quicquid erat affine Germaniae, ne dicam Cisalpini omnes.
[1713] Jamque Christophoro tametsi natione barbaro ([1713b] nam hujusmodi vocabulis adhuc utuntur illi, quasi facies rerum non tota sit immutata), tamen ob admirandam sermonis elegantiam visum est candidioribus aliquot honoris gratia decernere civis Romani titulum.

[1714] Fiebat hoc olim et erat munus non minus utile quam honorificum.
[1715] Nunc autem quid est esse civem Romanum ?

[1716] Profecto minus aliquanto quam esse civem Basiliensem, si contemptis verborum fumis, rem aestimare libeat.
[1717] Atque hinc in barbarum Longolium competitoris ipsique faventium invidia.

[1718] Tandem quaesita est illa voluptas otiosis, ut in Capitolio (sic enim vocant curiam quandam non admodum magnificam, in qua solent agi per pueros exercitandi ingenii gratia fabulae) causam diceret Longolius.
[302,1719] Subornatus adulescens audaculus, qui accusationem, quam ab alio compositam edidicerat, recitaret.
[1720 a] Accusationis haec erant capita : primum quod Christophorus Longolius olim puer, dum ingenii periclitandi gratia laudat Galliam in qua tum vivebat, in nonnullis ausus sit eam aequare Italiae, [1720b] deinde quod in ea laudasset tribus verbis Erasmum et Budaeum barbarus barbaros, [1720c] praeterea quod diceretur ab his subornatus ac delegatus in Italiam, ut optimos quosque libros deportaret ad barbaros, quo possent cum Italis de principatu eruditionis contendere, [1720d] postremo quod homo barbarus et obscurae familiae minime dignus videretur honore tanti cognominis, ut civis Romanus appellaretur.

[1721] Habes praeclarum argumentum, in quo nervos intendas eloquentiae Tullianae.
[1711] Entretenue par ces oisifs la querelle s’enflamma en prises de position passionées dans un camp comme dans l’autre, étant donné que cette cité prend son plaisir partout où elle le trouve !
[1712] Entretemps la cause de Longueil s’était aggravée du fait de l’affaire Luther : à cause de celui-ci, à Rome, tout ce qui touchait de près ou de loin à la Germanie, pour ne pas dire à tous les Cisalpins, avait mauvaise presse. [1713] Déjà il avait semblé bon à quelques esprits un peu plus objectifs que les autres de décerner à Christophe de Longueil, quoique il fût d’une nation barbare (Ils utilisent toujours ce genre de vocabulaire, comme si le monde n’avait pas changé totalement de visage), de lui décerner disai-je le titre de Citoyen Romain à titre honorifique, en hommage à l’admirable élégance de son éloquence. [1714] Cela se pratiquait dans les temps anciens de Rome, et c’était une distinction non moins utile qu’honorifique. [1715] Mais aujourd’hui qu’est ce que c’est qu’être « Citoyen Romain » ? [1716] Sans aucun doute c’est bien moins que d’être « Citoyen de Bâle », si on veut bien réfléchir à la chose au delà de l’écran trompeur des mots.

1717] Et pourtant c’est de là qu’est venue la haine contre Ch. de Longueil, celle de son concurrent et celle de ses partisans !

[1718] Ces oisifs désirèrent finalement s’accorder le plaisir d’entendre Chr. de Longueil plaider sa cause au Capitole (C’est ainsi qu’ils nomment une salle de spectacle qui n’a rien d’extraordinaire, où les enfants viennent régulièrement jouer des pièces de théâtre pour exercer leurs talents). [1719] On poussa un jeune homme, assez présomptueux pour cela, à venir soutenir l’accusation qu’un autre avait rédigée.

[1720a] Voici les principaux chefs d’accusation.
Tout d’abord, Christophe de Longueuil, qui avait dans son enfance, pour éprouver son talent oratoire, prononcé un éloge de la Gaule, pays où il vivait alors, avait eu, sur quelques points, l’audace d’égaler la Gaule à l’Italie.
[1720b] Deuxièmement, dans la-dite déclamation, il avait eu, barbare qu’il était, trois mots de louange pour Erasme et Budés, eux aussi des Barbares.
[1720c] Outre cela on l’accusait d’avoir été suborné, et délégué en Italie par ces deux-là, pour en rapporter au pays des barbares tous les meilleurs livres, afin qu’ils pussent rivaliser avec les Italiens pour le premier prix d’éruditon.
[1720d] Enfin un barbare, de naissance obscure, ne pouvait être jugé digne de l’insigne honneur d’être nommé « Citoyen romain ». 

[1721] Ne voilà-t-il pas un brillant sujet dans lequel mettre en œuvre tous les ressorts d’une éloquence cicéronienne !
[1712] Cisalpins : du point de vue d’Erasme ! ***************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1722] Atqui hoc plane ludicrum ille plus quam serio agit mirifico sane verborum apparatu, magna ingenii significatione, summa vehementia, multa interdum urbanitate, non aliter alludens ad aetatem Ciceronis quam is, qui scripsit Batrachomyomachiam, allusit ad Homericam Iliadem, ranis ac muribus rebusque ridiculis ac frivolis deorum dearum heroum splendida verba factaque accommodans ;
[1722b] ita Longolius exaggerat capitis discrimen, armatas cohortes, gladiatorum manum quorum violentia auctoritas amplissimi ordinis ac secundum leges agendi libertas fuerit impedita.

[1723] Fingit priscam illam Romam orbis reginam et hujus praesidem ac tutorem Romulum cum suis Quiritibus, somniat patres conscriptos et augustissimum ordinem regnorum dominum, populum in suos ordines ac tribus distinctum, praetorum jus, tribunorum intercessionem, somniat provincias, colonias, municipia et socios urbis septicollis, recitatur senatus consultum, citantur leges ; miror non meminisse clepsydrarum quae reo solent infundi, novem, opinor.
[304,1724] Hic excitantur illa « pathê », appellantur veteres illi Romanae civitatis principes eque monumentis excitantur, quid non ? [1725] Perquam faceta res est.

[1726] Equidem fateor hunc ludum videri posse non inelegantem, si ad eum modum exerceretur juventus in scholis declamatoriis, etiamsi non frustra praecepit
Quintilianus ut declamationis simulacrum quam proxime accedat ad veras actiones, nimirum quod quidam declamandi themata petere soleant e poetarum fabulis nec veris nec verisimilibus.

[1727a] Nam habent in adulescentibus et illa progymnasmata fructum haudquaquam paenitendum, cum, argumento ex historia sumpto, verba sententiaeque ad illorum temporum condicionem accommodantur, sed tamen instructior erit ad veras causas agendas, qui quaestionem tractat praesentis temporis involutam circumstantiis, [1727b ] veluti si quis tractet


[1722] Et pourtant Christophe de Longueil traita plus que sérieusement ce qui n’était franchement qu’un amusement dérisoire : éblouissant déploiement de vocabulaire, belle démonstration d’intelligence, la plus vive des ardeurs, mêlée d’un raffinement des plus civils. Il ne joua pas autrement des allusions à l’époque Cicéronienne que l’auteur de la Batrachomyomachie joue de l’Iliade d’Homère,
adaptant les paroles orgueilleuses et les actions d’éclat des dieux, des déesses et des héros aux grenouilles, aux rats et à leurs actions ridicules et sans importance.
[1722] De Longueil exagéra de la même manière le danger mortel qu’il encourait, il peignit les légions en armes, la troupe des gladiateurs dont la violence avait mis à mal l’autorité du plus grands des ordres et entravé la liberté d’agir selon les lois.

[1723] Il représenta la Rome fameuse des premiers temps, reine du monde et son chef et protecteur, Romulus, entouré de ses Quirites. Il évoqua les pères conscrits, et l’ordre le plus auguste, maître des rois, il évoqua le peuple, réparti en ordres et en tribus, le roi des préteurs, l’intercession des tribuns ; il évoqua les provinces, les colonies, les municipes et les alliés de la ville aux sept collines ; il lut le sénatus consulte, cita les lois. Je suis même surpris qu’il n’ait pas mentionné les clepydres, qui se vident pour marquer le temps de l’accusé, neuf, je crois.

[1724] C’est alors que les passions furent excitées ! Que l’on invoqua les chefs antiques de la cité romaine, qu’on les exhorta à sortir de leurs tombeaux ! Et pourquoi pas ?
[1725] La fête fut ainsi complète !

[1726] Je veux bien reconnaître que cet amusement pourrait passer pour distingué, s’il s’agissait d’un exercice pour la jeunesse dans une école d’art oratoire, quoique Quintilien n’ait pas tort de recommander que les discours simulés ressemblent le plus possible aux « vraies plaidoiries ». Sans doute parce qu’il y a toujours des professeurs pour emprunter leurs sujets aux fables des poètes qui ne sont ni vraies ni vraisemblables.

[1727a] Il faut reconnaître que ce genre d’exercices préparatoires, n’apporte aux jeunes gens que des bénéfices et sont sans inconvient, puisqu’il s’agit, à partir d’un sujet historique donné, de choisir le vocabulaire et la formulation des idées de manière à adapter parfaitement le discours aux réalités de ces temps anciens. Mais pourtant il sera beaucoup mieux préparé à plaider de véritables causes l’étudiant qui s’entraîne à traiter de questions étroitement liées aux circonstances du temps présent. [1727b] Comme par exemple…
[Ph.1722a] Batrachomyomachie : poème héroï-comique attribué à Homère par Martial, Stace et d’autres ; l’antiquité doutait déjà de cette attribution.
[Ph.1727] —NB. Progymnasmata : Marc Fumaroli, L’âge de l’éloquence p.222, note 370 et infra la note [Ph.1832] Progymnasmata
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1727b ] veluti si quis tractet, num expediat rei publicae, ut principes filias aut sorores suas in procul semotas regiones elocent, || an sit in rem Christianae pietatis proceres ecclesiasticos onerari ditione profana, ||| utrum consultius sit juvenem evoluendis auctoribus an peragrandis longinquis regionibus periclitandisque rebus multarum rerum cognitionem colligere, |||| num expediat puerum, imperio destinatum aut natum, multum temporis in litteris ac liberalibus disciplinis consumere.

[1728] Ceterum argumentum quod tractat Longolius, cum nec sit ex historia petitum, ut saltem per fictionem suo tempori congruere possit, nec ejusmodi tamen, ut vere suo tempori suisque personis conveniat, [1728b] qui fieri potuit, ut hic totum exprimeret Ciceronem, qui depulsis armis Antonii sublatoque mortis metu libere dixit apud senatum populumque Romanum ?

[1729] In hac tamen materia tanto studio tantaque ingenii dexteritate rem gessit egregius juvenis, ut hodie neminem norim vel apud Italos, — cum pace omnium dixerim —, quem existimem idem praestare posse, tantum abest ut Longolii laudibus aliquid studeam detrahere.
[1730] Talibus enim ingeniis non queam non favere, etiamsi mihi male vellent. [1731] Haec eo tantum dicuntur, (ut adolescentiae studiis prospiciam), ne se superstitiose discrucient affectatione Ciceronianae similitudinis sic, ut hac intentione ab utilioribus magisque necessariis studiis avellantur.

[1732] Rem habes, Nosopone ; orationes supersunt quae me coarguant, siquid mentior.
[308,1733] Nunc mihi rationem ineas velim, sitne operae pretium ingenia felicissime nata in has « epideixeis » tantum aetatis et operae consumere, ne dicam immori talibus curis. [1734] Quantum utilitatis vel religioni Christianae vel studiis vel patriae laturus erat, si vigilias, quas actionibus illis ludicris impendit, in res serias collocasset ?


[1735] Nosoponus Profecto miseret me Longolii et vix habeo quod respondeam.
[1736] Bulephorus Ad haec testatur se scripsisse orationes quinque in laudem urbis Romae. [1737] O pulchre collocatam operam ! [1738] Quanto rectius eam collocasset, si civitatem illam atque eos praecipue, qui bonas litteras ibi profitentur, orationibus aliquot elaboratis ad Christi cultum ac pietatis amorem inflammare studuisset. 
[1727 b] Par exemple : est-il avantageux pour l’Etat que les filles ou les sœurs des princes soient mariées dans des provinces très éloignées ? || Est-ce l’intérêt de la foi chrétienne que les chefs de l’Eglise soient chargés d’une autorité profane ? ||| Est-il plus sage pour un jeune homme d’acquérir une grande connaissance du monde en parcourant les auteurs qui en ont écrit, ou en voyageant dans des contrées lointaines, et en se frottant aux réalités ? |||| Convient-il qu’un enfant né pour gouverner ou choisi (élu) pour cela consume une grande partie de son temps dans l’étude des lettres et des arts libéraux ?
[1728] Par ailleurs, le sujet que traite Longueil n’est pas un sujet historique, ce qui pourait donner un discours bien adapté, au moins par le biais de la fiction, aux réalités de ce temps passé, ce n’est pas non plus un sujet choisi de manière à véritablement coller au temps où il est effectivement prononcé ni à ses acteurs : comment dans ce cas pourrait-il exprimer tous les sentiments d’un Cicéron, qui, une fois chassées les armées d’Antoine, libéré de la crainte de la mort, prononçait ses discours en homme libre, devant le sénat et le peuple romain ?
[1729] Dans cette occasion il (Longueil) mena pourtant l’affaire avec une telle ardeur et une telle finesse, que je ne connais personne aujourd’hui, serait-ce même ches les Italiens, (soit dit sans offense), que j’estimerais capable d’une telle prestation. C’est dire si mon intention est de retrancher la moindre parcelle de gloire à Christophe de Longueil !
[1730] En effet, je ne saurais pas m’empêcher d’éprouver de la sympathie pour de tels génies, quand bien même ils me voudraient du mal ! [1731] Je n’ai dit ces choses que pour éviter aux jeunes gens (il faut que bien que je me préoccupe un peu de l’instruction de la jeunesse !) de se torturer à chercher à imiter Cicéron si scrupuleusment que cette obsession ne finisse par les détourner d’études plus utiles et plus nécessaires.
[1732] Tu connais toute l’affaire Nosopon ! De toute façon il reste les discours, qui me confondraient si je mentais sur quelque point.
[1733] Je voudrais bien maintenant que tu réfléchisses et que tu me dises s’il vaut la peine que des esprits si heureusement doués par la nature consacrent tant de temps et de labeur à de telles « performances » à la mode sophistique, pour finir, si j’ose dire, par mourir à la tâche ! [1734] Quels services n’aurait-il pas rendus tant à la religion chrétienne, qu’aux aux sciences, ou à sa patrie s’il avait consacré à des choses sérieuses toutes les veilles qu’il a gaspillées à préparer ces procès-pour-rire !

[17] Nosopon Assurément j’ai pitié de Christophe de Longueil, et je ne vois pas grand-chose à te répondre.
[1736] Buléphore Ajoute à cela qu’il a écrit cinq discours à la gloire de Rome, comme il en atteste lui même. [1737] Quelle riche manière d’occuper son temps ! [1738] Comme il aurait mieux employé sa peine s’il s’était appliqué par quelques discours bien travaillés à enflammer de piété pour le Christ et d’amour pour la religion cette cité-là et plus particulièrement ceux qui y professent les belles lettres ! *********************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1739] Buléphore suite Intelligis, Nosopone, quid dicam, immo potius, quid non dicam.
[1740] At quibus tandem vigiliarum tantum datum est ? [1741] Senatui ?
[1742] Senatus, si quis omnino Romae est, Latine nescit. [1743] Populo ? [1744] Barbare loquitur, tantum abest ut dictione Tulliana capiatur. [1745] Sed valeant haec « epideiktika ».

[1746] Adversus Martinum Lutherum rem agit et seriam et gravem. [1747] Ubi qui potuit esse Tullianus de rebus disserens, quas M- Tullius prorsus ignorauit ? [1748] At oratio non potest esse Tulliana, id est optima, quae nec tempori nec personis nec rebus congruit. [310,1749] Satis quidem Tulliane conviciatur.


[1750] Ubi tandem ventum ad errorum capita recensenda, subobscursus est et vix ab illis intelligitur, qui Lutheri dogmata tenent. [1751] Atqui hic res summam orationis perspicuitatem desiderabat, si voluisset esse Ciceronianus.
[1752] Jam ex ipsa rerum propositione non difficile fuerit conjectare, qualis futurus fuerit in refellendis dogmatibus adversarii suisque confirmandis.

[1753] Sedulo quidem vitat voces nostrae religionis, nunquam usurpans fidei vocabulum, sed in ejus locum substituens "persuasionem" aliaque permulta quae prius attigimus, semel tamen atque iterum utitur nomine Christiani, per imprudentiam, opinor. [1754] Nam ea dictio nusquam exstat in libris M- Tullii.

[1755] Quanquam et hic multa felicissime dixit nec alia re magis peccauit, quam quod nimis anxie studuit esse Ciceronianus, cui maluit orationem congruere quam causae.

[1756] Nosoponus At tamen istis dictu mirum quam nunc applaudant Itali quidam.

[1757] Bulephorus Confiteor, laudant illa, sed ista legunt. [1758] Batavi oratoris naenias, quae Colloquia vocantur, quanto plures terunt manibus quam Longolii scripta, quamlibet eloborata, quamlibet expolita, quamlibet Tulliana et, ut Graece dicam, melius « kekrotêmena ».


[1739] Buléphore suite Tu comprends ce que je dis Nosopon, ou plutôt ce que je ne dis pas !
[1740] Mais finalement pour qui a-t-il consacré tant de veilles au travail ?
[1741] Pour le Sénat ? [1742] Le Sénat, si tant est qu’il y en ait un à Rome, ne sait pas le latin !
[1743] Pour le peuple ? [1744] Le peuple parle une langue barbare ! Il est bien loin de comprendre quelque chose à l’éloquence cicéronienne. [1745] Mais laissons-là ces « discours d’apparat».

[1746] S’opposer à Martin Luther était au contraire une affaire sérieuse et importante. Comment Longueil aurait-il pu se montrer véritablement cicéronien en discutant de choses que Cicéron ignorait carrément? [1748] N’est-il pas vrai qu’un discours ne peut pas être considéré comme cicéronien, c’est-à-dire excellent, s’il ne s’accorde pas en tous points aux circonstances et aux personnes ? [1749] Mais il est vrai que dans cette affaire il a manié l’invective de manière assez cicéronienne !

[1750] Quand on en vint enfin à énumérer les principaux points d’erreur (hérésie), il se montra plutôt obscur et c’est à peine si ceux mêmes qui connaissaient les dogmes de Luther le comprirent. [1751] Et pourtant c’était bien ici que l’affaire réclamait la plus grande clarté d’exposition s’il tenait à se montrer digne de Cicéron. [1752] Rien qu’à l’énoncé des problèmes à traiter, il n’aurait pas été difficile de deviner comment il se comporterait dans la réfutation des thèses de l’adversaire et dans confirmation des siennes.

[1753] Quoiqu’ il évite soigneusement les termes de notre religion, ne se servant jamais du terme de « foi » (auquel il substitue « persuasio », croyance) pas plus qu’un tas d’autres dont nous avons déjà touché un mot tout à l’heure, il utilise pourtant une foi ou deux le nom de Chrétien, par inadvertance, je suppose, [1754] parce que ce mot ne se trouve nulle part dans les œuvres de Cicéron !

[1755] Ici encore, pourtant, il s’est exprimé la plupart du temps de la manière la plus heureuse qui soit et n’a pas commis d’autre faute que de vouloir trop étroitement ressembler à Cicéron, auquel il a préféré accorder son discours plutôt que de l’adapter à la cause.

[1756] Nosopon Mais pourtant, ces discours que tu condamnes, tu ne peux pas t’imaginer comme aujourd’hui encore certains Italiens les applaudissent !
[1757] Buléphore Je le confesse ce sont bien ces beaux discours qu’ils louent, mais écoute quelles méchants petits ouvrages ils lisent ! [1758] Si tu savais combien les gens sont plus nombreux à tenir entre leurs mains les inventions puériles d’un orateur Batave, qu’on nomme les Colloques, que les écrits de Longueil, aussi travaillés soient-ils, aussi polis soient-ils, aussi cicéroniens qu’ils soient et pour le dire en Grec d’une langue tellement plus « harmonieuse » que la sienne![1758] P. M. note : melius « kekrotêmena » = « plus harmonieux » cf. Dion Hal. Comp. 25******************
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1760] Buléphore suite Quid in causa? [1761] Quid nisi quod illic res ipsa capit moraturque lectorem qualicunque sermone tractata ?
[1762] Ad haec, quoniam theatrica sunt et vita carent, dormitat lector stertitque.

[312,1763] Utilitas commendat etiam mediocrem eloquentiam. [1764] Quae tantum afferunt voluptatem eadem diu placere non possunt, praesertim iis qui litteras in hoc discunt, non solum ut politius dicant, verum etiam ut rectius vivant.
[1765] In summa, qui juvenem illum ad hujus laudis ambitum inflammarunt, non optime meriti sunt vel de ipso vel de re litteraria. [1766] Sed de Longolio fortasse nimis multa.

[1767] Nosoponus Praetercurristi Jacobum Sadoletum ac Petrum Bembum, prudens, opinor.
[1768] Bulephorus Ne ! Prudens viros eximios raraque horum temporum exempla nolui miscere turbae. [1769] Petri Bembi nihil exstat quod sciam, praeter aliquot epistulas in quibus exosculor non modo dilucidum quoddam, sanum, et ut ita dicam, Atticum dicendi genus, sed probitatem ac humanitatem ac singularem ingenii candorem in oratione velut in speculo relucentem, nec alia re vel fortunatiorem vel ornatiorem judico Longolium quam talium virorum amicitia.

[1760] Buléphore suite La raison de tout cela ? [1761] Que veux-tu que ce soit, si ce n’est que dans ces œuvres-là le sujet s’empare du lecteur et le lâche pas, que le style en soit bon ou non, alors que le lecteur s’endort et ronfle à la lecture des discours de Longueil, parce que les sujets en sont aussi artificiels que ceux des comédies et manquent de vie.

[1763] L’utilité fait passer même une éloquence médiocre, [1764] tandis que les œuvres qui ne visent que le plaisir ne peuvent plaire longtemps, surtout aux lecteurs qui n’ apprennent pas les lettres dans le seul but de s’exprimer avec plus de politesse mais aussi pour apprendre à vivre avec plus de rigueur morale.
[1765] En somme, ceux qui ont enflammé ce jeune homme du désir de briguer cet honneur ne lui ont pas rendu le meilleur service, ni à lui-même ni à la littérature en général.
[1766] Mais peut-être n’avons-nous que trop parlé de Christophe de Longueil.

[1767] Nosopon Tu as laissé de côté Jacques Sadolet et Pierre Bembo : de propos délibéré je suppose ?
[1768] Buléphore Oui ! Je l’ai fait exprès ! Je n’ai pas voulu mêler à la foule ces hommes exceptionnels, exemples rares à notre époque. [1769] De Pierre Bembo il ne reste rien, je crois, si ce n’est quelques lettres dans lesquelles je salue non seulement un genre d’éloquence fait de clarté et de bon goût, et pour ainsi dire attique, mais aussi l’honnêteté, la culture et un rayonnement qui est propre à son génie et qui se réfléchit dans ses écrits comme dans un miroir. Pour moi, si l’on peut dire de Longueil qu’il eut de la chance et fut plutôt bien loti dans sa vie c’est avant pour avoir rencontré l’amitié de tels hommes.
[Ph.1769] Pierre Bembo (1470-1545). Erasme évoque avec une opportune imprécision la silhouette de Pierre Bembo, dont la vie exprime typiquement les moeurs cultivées et faciles de la Renaissance italienne dans les hautes classes de la société. Fils d’un patricien ambassadeur de Venise, il fut bien accueilli dans les univ. où son père l’envoyait et dans les cours où il était en poste. Bembo se lia avec Sadolet à l’univ. de Ferrare avec Julien et Jean de Médicis à Urbin. Jean de Médicis devenu Pape (Léon, X 11 mars 1513) employa Bembo et Sadolet comme secrétaires jusqu’en 1521. Bembo, qui n’avait reçu que les ordres mineurs, se retira alors dans sa villa avec sa compagne. A la mort de celle-ci en 1539 il fut ordonné prêtre à l’occasion de son élévation au titre de Cardinal. Il continua à mener à Rome la vie d’un Mécène éclairé, amassant une collection de manuscrits rares aujourd’hui conservés à la Vaticane. A l’exception des lettres écrites au nom de Léon X, et publiées en 1535, il n’avait à l’époque du Ciceronianus écrit que l’Aetna (1495) et en Italien Gli Azolani ( Venise 1505) récits amoureux composés au château d’Azolo. Il affectait de mépriser toute littérature chrétienne, et traitait d’Epistolaccie les épîtres de Saint Paul. Il forme donc le chaînon intermédiaire entre les cicéroniens critiqués par Erasme et Sadolet dont l’attitude religieuse est tt à fait différente.
Pour compléter cette note de Pierre Mesnard : Marc fumaroli, L’âge de l’éloquence, p. 88.
« En somme dans l'Epistola de Imitatione, le « meilleur style » cicéronien, fruit de plusieurs générations de grammairiens humanistes, apparaît comme un atticisme d'inspiration hellénique (Platon, Xénophon), cicéronienne (le genus humile de l’Orator) et tacitéenne (la prose littéraire selon Marcus Aper, accordée au goût virgilien par Maternus). Prose unie et élégante, économe de figures et d'effets, renonçant à la tripertita varietas du discours oral. Pour Bembo, il n'y a qu'une Idée du Beau, un seul modèle à imiter, et par conséquent un seul style, conquis par émulation à force de travail et d'exercice, à force de purification et de choix.
Les maîtres-mots employés par Bembo sont ceux-là même qui reviendront sans cesse sous la plume de la critique classique en France au XVII* siècle : jugement (judicium), sens des bienséances (prudentia), pureté et exactitude du vocabulaire (eligere, deligere), justesse de l'expression qui dit le plus avec le moins de moyens possibles (delere). L'atticisme cicéronien, qui seul mérite le qualificatif de « classique », allie chez Bembo, son premier théoricien, l'enthousiasme pour le Beau à l'exercice du jugement critique.
Bembo estime — et il y insiste — que cette conquête d'une Beauté objective ne se fait pas aux dépens de l'identité personnelle de l'écrivain. L'imitation cicéronianiste n'est pas seulement libération des déterminismes subjectifs, elle est dépassement de soi, élan généreux qui vise non seulement à rejoindre, sur la voie royale du Beau, le point suprême atteint par Cicéron, mais même à le dépasser. Quête du Graal classique. Paul Manuce n'aura pas à forcer la leçon de Bembo en la rattachant à celle du Traité du Sublime.
Le classicisme français, qui voudra faire du siècle de Louis XIV une « répétition » (à la fois imitatio et aemulatio) du siècle d'Auguste et du siècle de Léon X, retrouvera pour l'essentiel la doctrine esthétique de l'Epistola de Imitatione. Nous verrons par quels cheminements l'Idea bembiste parviendra à Paris et y triomphera une seconde fois. Au surplus, Bembo, arbitre des élégances néo-latines, secrétaire des Brefs de Léon X, est aussi l'auteur italien des Asolani et des Prose délia volgar lingua. Et de ce point de vue il frayait la voie à un classicisme en langue vulgaire, fondé sur l’imitation-émulation des chefs-d'œuvre antiques ».
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1770] At Jacobus Sadoletus cetera fere aequalis Bembo in Commentario quem elegantissimum edidit in Psalmum 50 non adeo affectat haberi Ciceronianus, ut non personae decorum tueatur (est enim episcopus Carpentoractensis), ut non materiae serviat, ne in epistulis quidem abhorrens a vocibus quibusdam ecclesiasticis. [1771] Quid igitur ? [1772] Non dixit Tulliano more? [1773] Non dixit, immo dixit potius, qui eo modo dixit, quo probabile est iisdem de rebus, si viveret, dicturum esse Ciceronem, hoc est de christianis christiane.

[314,1774] Huiusmodi Ciceronianos ferre possum, qui summo praediti ingenio, disciplinis omnibus absoluti, tum judicio prudentiaque singulari, sive unum Tullium in dicendo sibi proposuerunt sive paucos eximios sive doctos omnes, non possunt non optime dicere.



[1775] Nosoponus Multum suffragiis eruditorum tributum est Baptistae Cassellio.
[1776] Bulephorus Oratio De lege agraria, quam paulo ante mortem edidit, declarat illum summo nisu Tullianae dictionis affectasse lineamenta et hactenus propemodum assecutus est quod voluit ; lucis habet plurimum, verba nitida, compositionem suavem. [1777] Ceterum immane quantum est quod desideratur, si ad Ciceronem conferas.

[1778] Nosoponus Certe Pontanum uno ore praedicant omnes, huic Ciceronianae dictionis palmam tribuunt eruditorum centuriae.
[1770] Jacques Sadolet, quant à lui, est à peu près l’égal de Bembo sur tous les points. Mais dans le Commentaire qu’il a donné du Psaume cinquante dans une langue très soignée, il ne cherche pas à passer pour cicéronien à tout prix : il veille à ménager la dignité de sa fonction (il est quand même évèque de Carpentras !) ; il met son style au service de son sujet, sans hésiter à employer, pas même dans ses lettres, le vocabulaire ecclésiastique. [1771] Quoi donc ? [1772] Il ne parle pas à la manière de Cicéron ? [1773] Non ou plutôt si ! Il parle de cette façon de parler que Cicéron aurait probablement, s’il vivait de nos jours, et traitait des mêmes questions, c’est-à-dire à la manière d’un Chrétien parlant à des chrétiens.

[1774] Voilà le genre de Cicéroniens que je peux supporter : ceux qui sont doués d’un très grand talent, sont parfaitement instruits dans toutes les sciences, sont dotés d’un jugement singulier et d’une prudence hors du commun et qui ne sauraient pas s’exprimer autrement qu’à la perfection, qu’ils se soient proposés d’imiter uniquement l’éloquence de Cicéron, ou qu’ils prennent pour modèles un petit nombre d’auteurs exceptionnels, ou qu’ils s’inspirent de tous les auteurs compétents.

[1775] Nosopon Les humanistes ont accordé beaucoup de crédit à Baptista Casseli.
[1776] Buléphore Le discours « Sur la loi agraire » qu’il a publié peu avant sa mort, déclare assez qu’il a recherché de toutes ses forces à reproduire les traits du discours cicéronien, et qu’il s’est approché dans une certaine mesure de ce qu’il recherchait. Il a vraiment beaucoup d’éclat, il utilise un vocabulaire brillant, ses phrases ont un rythme et des sonorités harmonieuses. [1777] Et pourtant c’est fou ce qui lui manque quand tu le compares à Cicéron !

[17] Nosopon Pontanus ! lui au moins tout le monde le loue d’une seule bouche ! Des bataillons d’humanistes lui attribuent la palme de l’éloquence ciéronienne.
[Ph.1770] Jacopo Sadoleto (1477-1547). Fils d’un prof. de droit Romain à Ferrare, où il fit ses études univ. avant de monter à Rome près des cardinaux Caraffa et Fregoro. Il devint avec Bembo secrétaire du Pape Léon X.  Humaniste enthousiaste. Composa un poème (admiré par Lessing) lors de la découverte du Laocon en 1566. Fait partie de Académie Romaine, mais à la différence de nbre de ses collègues se montre chrétien fervent, et hoe d’église conscient de ses devoirs. En 1517 il est évèque de Carpentras ; secrétaire par intermittences des papes Léon X ; Adrien VI, Clément VII. 1536 Cardinal, il participa à la commission pontificale pour la réforme de l’Eglise de 1536 à 1538. Ses relations avec Erasme furent tjs excellentes et celui-ci lui envoie son De Libero Arbitrio en 1524 et lui dédie en 1532 son éd. des œuvres de St Basile/ Les œuvres les plus connues de Sadolet sont un traité de pédagogie, De liberis recte intituendis,1533 Phaedrus sive de laudibus philosophiae, 1538. Mais ce qui intéresse davantage Erasme c’est l’effort accompli par Sadolet pour accorder sa culture latine aux nécessités du message Judéo-Chrétien. Le commentaire du psaume 50 publié à Rome en 1525 (ainsi que celui du Psaume 93 en 1530) témoigne déjà en faveur de ce cicéronianisme chrétien qui aux yeux de l’humaniste est le véritalbe cicéronianisme.
[Ph.1775] Johannes Baptista Casseli ( ? - 1525). Un des amis cicéroniens de Ch. de Longueil. Chanoine du Latran ; mbre de l’Académie Romaine ; édita la fameuse Defensio de Longueil (Rome,1519). Il prononça devant Clément VII un discours inattendu : In legem agrariam pro communi utilitate et ecclesiastica libertate tuenda, doublement cicéronien par l’abondance de la langue et le sérieux réel du sujet : la défense des propriétaires contre la fiscalité pontificale.
[Ph.1778] Eruditorum Centuriae : Politien a écrit des centuriae latinae. Allusion ou non à ce texte ou à cette expression, les très érudites Centuriae Latinae, Cent une figures humanistes de la Renaissance aux Lumières offertes à Jacques Chomarat, réunies par Colette Nativel, Librairie Droz, Genève, 1997, 831 p. Ce T 1 est suivi d’un et T 2 offer à M. M. de la Garanderie. Pour Pontanus voir la note à la page suivante.

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1779] Bulephorus Non sum vel tam hebes vel tam invidus, ut non fatear Pontanum multis egregiis ingenii dotibus virum fuisse summum.
[1780] Ac me quoque rapit placido quodam orationis lapsu ; verborum dulce quiddam resonantium amoeno tinnitu demulcet aures, demum splendore quodam perstringit dignitas ac majestas orationis.

[1781] Nosoponus Quid igitur obstat quominus illum fateare Ciceronianum ?
[316,1782] Bulephorus Ex meo judicio nihil illius laudi vel accesserit vel decesserit. [1783] Quaedam illius degustavi. [1784] Tractat materias profanas quasique locos communes de fortitudine, de oboedientia, de splendore, quae tractata facillime nitescunt atque ex se facile suppeditant sententiarum copiam, easque sic tractat, ut aegre possis agnoscere Christianus fuerit necne.
[1785] Similiter temperat stilum in libello De principe.
[1786] Praeterea non memini me quicquam illius legisse praeter aliquot dialogos ad Lucianum effictos.

[1787] At ego non agnoscam Tullianum, nisi qui res nostras Ciceroniana tractet felicitate.

[1788] In epigrammatibus plus tulisset laudis, si vitasset obscenitatem, quod nec in dialogis satis cavet.

[1789] In Meteoris et Urania quaesivit materiam, quae facile splendescit, et rem sane feliciter tractavit nec illic requiro Christianam dictionem.

[1779] Buléphore Je ne suis ni assez obtus ni assez envieux pour refuser de reconnaître que Pontanus fut un très grand homme, doué d’un talent exceptionnel aux multiples facettes.
[1780] Moi aussi, je suis ravi par cette sorte de cours paisible qui caractérise son discours ; l’espèce de douceur qui résulte des sonorités cristallines de ses mots me chatouille agréablement les oreilles, l’éclat de son discours enfin donne une dignité et une majesté à sa parole qui me saisissent, moi aussi.
[1781] Nosopon Mais alors qu’est-ce qui te retient de le reconnaître comme Cicéronien ?

[1782] Buléphore Si je ne me trompe pas, cela n’ajouterait rien à son mérite, et ne lui retirerait rien non plus. [1783] J’ai feuilleté quelques unes de ses œuvres. [1784] Il traite de matières profanes et pour ainsi dire de lieux communs, tels que le courage, l’obéissance, le prestige, qui brillent tout simplement du seul fait qu’on les traite, et fournissent d’elles-mêmes pléthore de belles pensées. Il les aborde de telle manière qu’on ne saurait deviner s’il était Chrétien ou non.
[1785] Il retient tout autant sa plume dans son livre sur Le Prince. 
[1786] A part cela, je ne me souviens pas d’avoir lu autre chose de lui, si ce n’est quelques Dialogues à la manière de Lucien.
[1787] Mais de toute façon je ne reconnaîtrai personne pour cicéronien à moins qu’il ne sache traiter des questions de notre temps avec autant de bonheur que Cicéron l’aurait fait.
[1788] Pontanus aurait récolté plus de louanges pour ses Epigrammes s’il avait évité cette obscénité dont il ne se se garde pas suffisamment, même dans ses dialogues.
[1789] Pour ce qui est de ses Météores, et de son Uranie, il a recherché dans ces œuvres une matière qui fait facilement de l’effet, et il l’a assez heureusement traitée. Là je n’attends pas de lui une forme d’expression particulièrement chrétienne.

[Ph.1779] Giovano Pontano (1426-1503).
Erasme le traite avec moins d’égards que Bembo, Sadolet et Casselli : il est mort et il a un dossier politique assez chargé, nous dit Pierre Mesnard. Les guerres civiles et étrangères lui font fuir son Ombrie natale ; naturalisé Napolitain, il sert Alphonse II ; Très belle carrière de secrétaire des rois de Naples Ferdinand I et II. (( De bello Italico Naples, 1508). Il livra pourtant les clés de la ville à Charles VIII en 1495, avec un discours insultant pour son maître. « Efficacissimo poeta, vigoroso prosatore latino » (Gambaro) ; Weiss au contraire lui reproche ses poésies amoureuses obscènes et ses cinq dialogues remplis d’obscénités et de satires contre les écclésiastiques. Dialogus qui Charon inscribitur, 1491… Œuvres poétiques et astronomiques parues en 1505 ; œuvres en proses 1518-1519 ; Erasme connaissait au moins le Charon lorsqu’il s’étonnait, dans sa lettre 337 à Martin Dorp, fin mai 1515, de voir les théologiens si courroucés contre l’Eloge de la Folie, alors qu’ils lisaient sans sourciller les insultes et les malédictions que P. profère contre le clergé ( cf. Ep. 337, l. 337-338). Mais son correspondant proteste en disant que les théologiesn exècrent tt autant Le Pogge et Pontanus. Par ailleurs Pontanus était devenu une sommité littéraire. Disciple et collaborateur de Panormita, il lui succéda à la tête de l’Académie qu’il avait fondée à Naples, et qui s’appela de ce fait Académie Pontanienne. C’était un milieu aussi paganisant que l’Académie Romaine : Erasme avait déjà essayé de soulever l’opinion contre ces cicéroniens impies avant d’écrire le Ciceronianus : dans la lettre à G.Budé 15 fév. 1517 range déjà P. parmi les « singes » de Cic. Une autre letttre à Francis Vergera du 13 oct. 1527 classe P. parmi « Ceux qui auraient plus de honte à ne pas être cicéroniens qu’à ne pas être chrétien » (ep. 1885). Etant donné ces prémisses, on peut considérer la présentation qu’Erasme donne de Pontanus comme modérée et objective.
NB. [1789] (Urania poème en cinq livres sur l’astronomie ; un autre sur les Météores) Pierre Duhem, Sauver les apparences : essai sur la notion de théorie physique, de Platon à Galilée, Vrin, 2003 donne quelques pages éclairantes sur la clairvoyance de Pontanus.. http://books.google.fr/books?id=PNHadpleE_8C&dq=Pontano+physicien&source=gbs_navlinks_s

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1790] In ceteris interdum desidero decorum et aptum et aculeos, quos M- Tullius in animo reliquit etiam posito codice.
[1791] Certe ad istam legem quam tu nobis praescripseras Ciceronianus non erit, in cujus scriptis sescentas voces possem ostendere, quae nusquam sunt apud Ciceronem.
[1792] Postremo vides, quam infrequens sit in manibus Pontanus, vir extra controversiam in litteris inter praecipuos numerandus.
[1793] Nosoponus Pontano successit Accius Syncerus, qui partum Virginis matris mire felici carmine descripsit, cui supra modum applausum est a Romano theatro.

[1794] Bulephorus Testantur hoc abunde Leonis et Clementis brevia, sic enim hodie vocant, tum Aegidii cardinalis addita praefatio, ne ceteros commemorem, nec sine causa tantopere placuit. [318,1795] Mihi certe magna cum animi voluptate perlectum est opus utrumque.
[1796] Nam et Eclogas scripsit piscatorias.
[1797] Quis autem talem indolem in juvene patricio non exosculetur?

[1798] Hoc nomine praeferendus est Pontano, quod rem sacram tractare non piguit, quod nec dormitanter eam nec inamoene tractavit,
[1798b] sed meo quidem suffragio plus laudis erat laturus, si materiam sacram tractasset aliquanto sacratius,
[1798c] qua quidem in re levius peccavit Baptista Mantuanus, quanquam et alias in huiusmodi argumentis uberior.
[1799] Nunc quorsum attinebat hic toties invocare Musas et Phoebum ?

[1790] Dans ses autres œuvres, je regrette ici ou là la beauté que donne la bienséance, l’adéquation au sujet ainsi que les traits piquants et vifs que la lecture de Cicéron laisse dans l’esprit du lecteur, même une fois le livre posé.
[1791] Assurément, si l’on s’en tient aux règles que tu nous as prescrites, on ne saurait considérer Pontanus comme un cicéronien, puisque je pourrais te montrer dans ses œuvres six cents termes qui ne se trouvent nulle part dans Cicéron.
[1792] Enfin tu peux constater par toi-même que Pontanus n’est pas tellement lu. Pourtant il n’y a pas de doute : il faut le compter au nombre des principaux auteurs.
[1793] Nosopon Accius Syncerus a succédé à Pontanus. Il a représenté l’enfantement de la Vierge Mère en un poème admirablement réussi qui a été applaudi au-delà de toute mesure dans toutes les salles de Rome.
[1794] Buléphore Les brefs de Léon X et de Clément VII, comme on dit aujourd’hui, en attestent abondamment ; de même la préface que le Cardinal Aegidio ajouta à l’édition ; pour ne citer qu’eux. Ce ne fut pas sans raison que l’oeuvre plut autant. [1795] Moi aussi assurément j’ai lu avec un grand plaisir intellectuel ses deux ouvrages. [1796] Oui deux, parce qu’il a aussi écrit des « Eglogues des pêcheurs ».
[1797] Qui d’ailleurs n’admirerait du fond du cœur de si bonnes dispositions chez un jeune patricien ?

[1798] Mais le véritable motif pour lequel il faut le préférer à Pontanus est qu’il n’a pas rougi de traiter un sujet sacré et que l’œuvre qu’il en a tirée ne manque ni d’intérêt ni de charme. [1798b] A mon sens pourtant il aurait gagné plus de gloire s’il avait traité cette matière sacrée dans un esprit un peu plus religieux. 1798 c] Sur ce point Baptiste le Mantouan qui pourtant a écrit abondamment sur des sujets de ce genre, s’expose beaucoup moins à ce reproche.
[1799] Mais quel besoin avait donc Sannazar, d’aller invoquer si souvent les Muses et Apollon dans cet Enfantement de la Vierge?

[Ph.1793] Accius Syncerus : Jacopo Sannazaro (1458-1530). A l’académie Pontanienne il est surnommé le Virgile Chrétien. Erasme semble avoir lu de lui De Partu Virginis libri III, Eclogae V, Salices, Lamentatio de Morte Christi, Naples, 1526. Sannazar est aussi un bon poète italien (Arcadia, 1502). Auteur chrétien trop soucieux par purisme littéraire de conserver des expressions classiques encore marquées d’esprit païen comme en témoigne le vers cité par Erasme (De Partu I, 19). De partu (1526), en trois livres : Annonciation ; Nativité ; Adoration des bergers. De retour de son exil en France et après la mort de Pontanus (1503), il devint président de l’Académie Pontanienne.
[Ph.1794] Léon X  Second fils de Laurent le Magnifique et de Clarisse Orsini, Jean de Médicis naquit le 11 décembre 1475 à Florence et mourut à Rome le 1er décembre 1521. Il fut pape sous le nom de Léon X de 1513 à 1521. Clément VII Jules de Médicis, né le 26 mai 1478 à Florence et mort le 25 septembre 1534 à Rome, a été pape de 1523 à 1534 sous le nom de Clément VII
[Ph.1796] Ces églogues ont sans doute influencé les « Pêcheries » de Rémy Belleau (sur les conseils de Du Bellay, qui les cite en exemple, dans sa Défense).
[1798c] Battista spagnoli Mantuatus (1448-1516) Jean Baptista Spagnuoli Mantuanus (17 Avril 1447 – 20 Mars 1516). Moine Carme, participe à la réforme de son ordre en Italie ; humaniste et poète abondant. ( le « good old Mantuan » de Shakespeare
As “good old Mantuan” he was memorialized as the foolish Holofernes’ favorite author in William Shakespeare's Love’s Labor’s Lost. A line from his sixth eclogue is echoed in Winter’s song at the end of the same play. And his rustic realism stands behind the world of Corin and William in Shakespeare’s As You Like It. (Wikipedia). Erasme dans sa lettre 49 de 1496, parle de B. M comme d’un Virgile Chrétien et loue sa retenue dans l’utilisation des œuvres profanes pour traiter les sujets chrétiens. Colet n’hésitait pas à le faire lire aux enfants de Saint Paul’s school. (ex. Betty I. Knott,Toronto) .
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1800] Quid ? quod Virginem fingit intentam praecipue Sibyllinis versibus, ||| quod non apte Proteum inducit de Christo vaticinantem, |||| quod nympharum, hamadryadum ac Nereidum plena facit omnia?

[1801] Quam dure respondet Christianis auribus versus ille qui, ni fallor, Virgini matri dicitur : "Tuque adeo spes fida hominum, spes fida deorum".
[1802] Scio "deorum" metri gratia positum loco "divorum".
[1803] Me quidem leviter offendit in tot virtutibus, quod synaloephae frequentes hiulcam reddunt compositionem.

[1804] Ne multis : si carmen hoc proferas ut specimen adulescentis poeticen meditantis, exosculabor, si ut carmen a viro serio scriptum ad pietatem, longe praeferam unicum hymnum Prudentianum « De natali Jesu », tribus libellis Accii Synceri,

[1804b] tantum abest ut hoc carmen sufficiat et ad prosternendum fund Goliam ecclesiae minitantem et ad placandum cithar Saulem furentem, quam laudem illi tribuunt praefationes.
[320,1805] Atque haud scio, utrum sit magis reprehendendum, si Christianus profana tractet profane, Christianum se esse dissimulans, an si materias Christianas tractet paganice. [1806] Siquidem Christi mysteria non solum erudite, verum etiam religiose tractanda sunt.
[1807] Nec satis est temporari delectatiuncul delinire lectoris animum, excitandi sunt affectus Deo digni.

[1800] Pourquoi aussi avoir représenté la Vierge, toute entière occupée à lire les oracles sibyllins ? Quel intérêt d introduire, hors de tout propos, un Protée prophétisant la venue du Christ ? Pourquoi avoir rempli tout son univers de nymphes et d’hamadryades et de néréides ?
[1801] Comme il sonne durement aux oreilles d’un chrétien ce vers qui, si je ne m’abuse, s’adresse à la Vierge mère :
« et toi aussi, espoir inébranlable des hommes, espoir inébranlable des dieux » ( De virginis partu I,19), même si , je le sais bien, [1802] c’est pour des raisons métriques qu’il a utilisé deorum (les dieux) au lieu de divorum (les saints) ! [1803] En tout cas cela me gêne un peu qu’au milieu de tant de qualités de trop nombreuses synalèphes de trop fréquents hiatus brisent le rythme des phrases.

[1804] En un mot : si on me présente cette œuvre comme l’essai d’un écolier s’exerçant à la poésie, je le louerai à bouche que veux-tu ! Si tu me le donnes pour le poème d’un homme d’esprit rassis, écrit pour susciter la piété, alors je te dirai que préfère de loin le chant unique de l’« Hymne sur la naissance de Jésus » qu’a écrit Prudence aux trois livres d’Accius Syncerus.
[1804b] Il s’en faut de beaucoup, en effet, que ce poème ait assez de force pour abattre de sa fronde Goliath menaçant l’Eglise, ou pour charmer de sa lyre la fureur de Saül, comme nous le promettent les préfaces de l’oeuvre.

[1805] Et puis je ne sais pas ce qui est le plus condamnable : qu’un Chrétien traite des sujets profanes d’une manière profane, en dissimulant qu’il est chrétien ou qu’on traite des sujets chrétiens de façon païenne ? [1806] En effet les Mystères du Christ ne doivent pas seulemement être traitées avec érudition mais il y faut encore mettre un respect tout religieux. [1807] Et il ne suffit pas de séduire l’esprit du lecteur par les petites satisfactions d’un plaisir passager, il faut éveiller en lui des passions dignes de Dieu.
 [Ph.1800] Hmdrydes, um, f : les hamadryades (nymphes des forêts, "dryades qui font corps avec le chêne").   Hmdrys, dis : une Hamadryade. Nr-des (Nr-des), um, f : les Néréides (filles de Nérée et de Doris, nymphes de la mer). Nris (Nris), -dis, f. (acc. -ida).
[Ph.1803] Synalèphe (de ÃŽ±»¿¹Æ·), subst. fém. « Fusion de deux ou plusieurs émissions vocaliques en une seule, par élision (...), par synérèse (...), par contraction » (Mar. Lex. 1951, p. 219 ; ex TLF, par Lexilogos). P. Mesnard renvoie à Denys d’Halicarnasse (rhéteur), Composition des mots, 6,22.
Voir dans ce livre en ligne une critique intéressante du jugement d’Erasme, p. 88 de la vie de Sannazar par Vallori 1828, qui rapporte la défense de ce passage de Sannazar , par Floridus Sabinus (2° partie de l’ouvrage scanné, p. 88) contre les critiques d’Erasme. http://books.google.fr/books?id=xtOW5JyiaeAC&dq=inauthor%3A%22Jacopo%20Sannazaro%22&pg=PA2#v=onepage&q&f=false
[Ph.1804] Le De natali Jesu est le XI° Hymne du Cathemerinon, de Prudence ; on trouve cette œuvre sur le site de Philippe Remacle [http://remacle.org/bloodwolf/eglise/prudence/cathemerinon.htm#01a]. Erasme a donné un commentaire des hymnes 11 et 12 en 1524.
[Ph.1804b] Pierre Mesnard note : « l’addition fort utile de CD (« quam laudem illi tribuunt praefationes ») nous renvoie à la lettre écrite par Bembo au nom de Léon X, le 6 août 1521 : « Nobis ipsis, quibus imminente hic Goliade armato hinc Saule a furiis agitato, affuerit pius David illum funda a temeritate, hunc lyra a furore compescens ». (’! Ce pieux David s est offert pour nous porter secours, nous que menaçaient d un côté Goliath armé de pied en cap,  de l autre Saül agité par ses Furies : de sa fronde il retient le premier de se livrer à sa témérité, de sa lyre il détourne l’autre de ses fureurs).
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1808] Quod fieri non potest, ni penitus cognitum habeas argumentum quod versas ; [1808b] neque enim hic inflammabis, si frigeas ipse, nec ad amorem rerum caelestium accendes lectorem, si tibi talium vel levis admodum vel nulla cura est. [1809] Hic si praesto sunt ultro nec accersita vel non magno constantia dictionis ornamenta, figurarum illecebrae, quibus fastidiosum lectorem allicimus allectumque remoramur, non arbitror reicienda, modo primas teneant ea quae praecipua sunt.

[1810] Quale porro sit materiam piam ob hoc ipsum putere nobis, quod pie tractata sit ? [322,1811] At pie tractari qui potest, si nunquam dimoueas oculos a Virgiliis Horatiis ac Nasonibus ?


[1812] Nisi forte quorundam studium approbas qui fragmentis Homericorum aut Virgilianorum versuum undique decerptis et in centonem consarcinatis Christi vitam descripserunt.

[1813] Operosum sane scribendi genus, sed cui unquam ista lacrimulam extuderunt ?

[1814] Quem ad pietatem commouerunt ?
[1815] Quem ab impura uita reuocarunt ?



[1808] Et cela ne serait pas possible sans une profonde connaissance du sujet dont on s’occupe. En effet on ne réussira pas à embraser le lecteur si on est soi-même sans enthousiasme; et on ne l’enflammera pas d’amour pour les réalités célestes si on ne fait aucun cas, ou presque, des choses de cette sorte. [1809] A ce stade, si les ornements oratoires nous viennent spontanément sans recherche excessive ni coûteux efforts, comme ces figures agréables qui séduisent le lecteur puis, une fois séduit, le retiennent, je ne crois pas qu’il faille les rejeter, à condition que ce qui est l’essentiel continue d’occuper le premier plan.

[1810] Comment d’autre part se pourrait-il qu’une matière sacrée, par cela seul qu’elle est traitée dans un esprit pieusement chrétien nous paraisse insupportable ? [1811] Mais comment aussi pourrait-on traiter une question chrétienne avec piété si l’on ne lève jamais les yeux de son Virgile, de son Horace, de son Ovide ?

[1812] A moins peut-être de partager le gôut de ces écrivains qui ont raconté la vie du Christ à l’aide de fragments de vers arrachés un peu partout aux œuvres d’Homère ou de Virgile et recousus sous la forme de « centons » faits de pièces et de morceaux !
[1813] Cette façon d’écrire demande du travail, c’est vrai, mais à qui ces vers ont-il jamais fait couler la moindre petite larme ?
[1814] En qui ont-ils ému quelque réaction de piété ?
[1815] Quel homme ont-ils détourné de la vie impure qu’il menait ?

[1812] Consarcino are : coudre ensemble. Cento onis m : 1) pièce d’étoffe rapiécée, morceau d’étoffe (Caton ; César) ; 2) fig centones alicui sarcire : (Plaute)n conter des bourdes à quelqu’un ; 3) centon, pièce de vers en pot-pourri (Ausone, Cent.Tit. ; Augustin, Cité de dieu 17,15) (Gaffiot ).

NB. Faltonia Betitia Proba (c. 306/c. 315 - c. 353/c. 366), poétesse de l’antiquité tardive écrivit un Cento vergilianus de laudibus Christi.
Eudocie/ Eudoxie (vers 400 - †460), épouse de l’empereur Théodose II, écrivit des centons en complément des Centons homériques de patricius Voir Centons homériques, Sources chrétiennes n°427 (1998). (Wikipédia)
Le TLF (sur Lexilogos) précise
« Le plus célèbre centon est le Chant nuptial d'Ausone, où le poète, défié par l'empereur Valentinien, parvint à rendre obscène la chaste muse de Virgile (d'apr. Guérin 1892). Le recueil d'antiennes et de répons que le Pape saint Grégoire le Grand (...) rédigea ou « centonisa » (...) a servi de base à la restauration récente du chant liturgique (M. Brenet, Dict. pratique et historique de la musique. 1926, p. 18). »

Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 4 [Ph. 1258-1825]
[1816] Atqui non ita multum dissimilis est istorum conatus, qui verbis, sententiolis, figuris, ac numeris ex Cicerone congestis convestiunt argumentum Christianum.

[1818] Quid enim laudis fert ille rhapsodus? [1819] Nempe, quod accurate versatus est in Homero sive Virgilio.
[1820] Quid fructus adfert hic Ciceronianus ? [1821] Applauditur diligenter in M- Tullii scriptis versato, sed tantum ab iis qui et ipsi in iisdem versati, quid unde decerptum sit, agnoscunt.

[1822] Habet ea res voluptatem plane quandam, fateor, sed cum apud perpaucos tum ejus generis, ut facile vertatur in satietatem, postremo quae nihil aliud sit quam voluptas.
[1823] Ceterum illud, sine quo Fabius negat esse mirabilem eloquentiam, quod in concitandis affectibus situm est, prorsus abest.
[1824] Et tamen nobis interim videmur Marones ac Cicerones.


[1816] Et pourtant ils ne diffèrent pas tellement de cette façon de travailler les efforts de ceux qui accumulent les petites formules sententieuses de Cicéron, ses figures et les cadences de ses discours pour en habiller un sujet chrétien.

[1818] Voyons : quelle espèce de louange reçoit notre rhapsode, couseur de centons, [1819] mis à part sans doute qu’il est un fin connaisseur de Virgile et d’Homère ?

[1820] Et quelle espèce de profit récoltera de son côté notre cicéronien ? Il sera applaudi comme un humaniste versé dans les œuvres de Cicéron ; mais seulement par des hommes eux-mêmes férus de ces mêmes œuvres, qui seront seuls capables de repérer les emprunts et citations.

[1822] Cette pratique procure, sûrement un certain plaisir, je le reconnais, mais d’une part il ne touche que fort peu de gens et d’autre part, par sa nature même, il tourne vite à la satiété ; c’est enfin un plaisir qui n’est rien de plus qu’un plaisir.
[1823] Il lui manque par-dessus tout ce sans quoi, comme le dit Quintilien, aucune éloquence n’est digne d’admiration : la capacité à provoquer l’émotion.
[18] Cela ne nous empêche pourtant pas de temps à autre de nous prendre pour de vrais Virgiles et de véritables Cicérons ! [1823] Fabius = Quintilien ; voir Inst. VI, 2, 1 -17

Fin de la section 4, qui coïncide avec la division [G] selon le découpage proposé par Pierre Mesnard,
qui clôt cette partie à la page700, ligne 18 de
l’édition d’Amsterdam, (1971).

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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 5 [Ph. 1825-1937]
Section 5, c’est-à-dire la division H dans le plan de Pierre Mesnard
« Place actuelle du cicéronianisme dans l’humanisme chrétien : vaccination et propédeutique »

[1825] Dic mihi, Nosopone, si quis argumentum rapti Ganymedis eleganter constructum opere musaico dissolvat et iisdem tessellis aliter concinnatis exprimere conetur Gabrielem caeleste nuntium adferentem Virgini Nazarenae, nonne durum parumque felix opus nascetur ex optimis quidem tessellis, sed minus argumento congruentibus?

[324,1826] Nosoponus Poetas excusat a priscis concessa licentia.
[1827] Bulephorus Audies hic illud Horatianum : "At non ut placidis coeant immitia, non ut Serpentes avibus geminentur, tigribus agni".
[1828] Minus, opinor, convenit Musis Apollini reliquisque diis poeticis cum Christianae pietatis mysteriis quam serpentibus cum avibus aut tigribus cum agnis, praesertim in argumento serio.

[1829] Alioqui, si quid obiter per jocum aspergatur ex veterum fabulis, ferendum arbitror magis quam probandum. [1830] Oportebat enim omnem Christianorum orationem resipere Christum, sine quo nec suave nec splendidum est quicquam nec utile nec honestum nec elegans nec facundum nec eruditum.
[1831] Liceat sane praeludere ad seria pueris. [1832] In veris, in seriis, quodque gravius est, in piis materiis quis ferat ista paganica progymnasmata?

[1825] Mais dis moi donc Nosopon : supposons que l’on démonte une mosaïque soigneusement assemblée, représentant avec finesse le rapt de Ganymède, et que l’on s’efforce de représenter avec les mêmes pièces mais en les disposant autrement, l’archange Gabriel délivrant son message divin à la Vierge Marie (l’Annonciation) : obtiendra-t-on une œuvre délicate et vraiment réussie, à partir de ces pièces, certes les plus belles qui soient, mais beauxoup moins bien adaptées à leur sujet ?

[1826] Nosopon L’antiquité a accordé aux poètes une licence qui excuse beaucoup de leurs libertés!
[1827] Buléphore Tu devrais écouter ce que dit Horace à ce propos : « oui mais qui ne se permette pas d’apparier les êtres paisibles avec les bêtes cruelles, qui n’aille pas jusqu’à accoupler les serpents avec les oiseaux, les tigres avec les agneaux ». [1828] Or, à mon avis, les Muses, Apollon et les autres dieux de l’inspiration poétique sont encore moins compatibles avec les mystères de la foi Chrétienne que les serpents avec les oiseaux, les tigres avec les agneaux ! Surtout quand il s’agit de sujets d’importance !

[1829] Malgré tout, si quelque plaisanterie tirée des fables antiques vient éclabousser en passant notre propos, il faut le tolérer, à mon avis, sans l’approuver pour autant. [1830] Il vaudrait mieux en effet que tout discours portant sur des questions chrétiennes exhale l’odeur du Christ, sans qui il n’y a ni douceur ni éclat ; ni utilité ni honnêteté ; ni élégance ni éloquence ni érudition.

[1831] On pourrait fort bien accorder aux enfants le droit de faire leurs gammes sur des questions sérieuses. [1832] Car qui pourrait supporter ces acrobaties païennes qu’on leur donne en guise d’exercices quand il s’agit de problèmes réels et sérieux, ou plus grave encore quand il est question de la religion ?

[Ph.1825] Voir l’article suivant « L'enlèvement de Ganymède figuré sur les mosaïques », par Louis Foucher, in Antiquités africaines, Année 1979, Vol. 14 N°14 pp. 155-168 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/antaf_0066-4871_1979_num_14_1_1024
[Ph.1827] Citation d’ Horace, Ars P. 10-15 : [10] […] Mais, direz-vous, peintres et poètes ont // toujours eu le droit de tout oser. - Je le sais; c'est un // [12] droit que nous réclamons pour nous et accordons aux // autres. Il ne va pourtant pas jusqu'à permettre l'alliance // [14] de la douceur et de la brutalité, l'association des // serpents et des oiseaux, des tigres et des moutons.
[Ph. 1829] Aspergo ere (tr.) « huic generi orationis aspergentur etiam sales » (Cic. Or. 87) : sur ce genre de style on répandra aussi le sel de la plaisanterie. » (Gaffiot sv.)
[1831] On peut comprendre aussi : « Soit ! Que les enfants s’entraînent par ces exercices (imitations diverses des anciens) aux choses sérieuses. Mais alors l’inquiétude de Nosopon en [ph.1833] n’a pas lieu d’être.
[Ph.1832] Progymnasmata : Vers le début de notre ère, le rhéteur AElius Théon a écrit un traité sur les exercices préparatoires (progymnasmata) à l'enseignement rhétorique proprement dit, destinés aux jeunes gens qui sortaient de chez le grammairien et aux professeurs qui les instruisaient. (ex Fiche technique de l’éd. de M.Patillon, chez Budé).Voir (extraits en ligne) L'art rhétorique, « Hermogenes » par Michel Patillon, ( 1997) p. 40-56, qui détaille chacun des quatorze exercices. Le site suivant montre les sujets développés par le rhéteur Libanios (sans doute à titre de modèle) : voir http://recherche.univ-montp3.fr/cercam/IMG/html/oeu3.html
Quatorze Progymnastica
1) Fables ; 2) Récits ; 3) Chries ; 4) Sentences ; 5) Réfutations ; 6) confirmations ; 7) Lieux communs ; 8) Éloges ; 9) blâmes ; 10) Parallèles ; 11) Éthopées  ; 12) Ekphraseis ; 13) Thèses ; 15) Propositions de lois. Voir Laurent Pernot p. 284-285.
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Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 5 [Ph. 1825-1937]
[1833] Nosoponus Quod igitur tuum est consilium ? [1834] Ut Ciceronem abiciam e manibus ?
[1835] Bulephorus Immo, ut semper in sinu sit potius adulescenti eloquentiae candidato, [1835b] sed quorundam morositas fastidiumque prorsus abiciendum est, qui scriptum alioqui doctum et elegans reicere solent et indignum lectu judicare, non ob aliud, nisi quod ad Ciceronis imitationem non sit elaboratum. [1836] Primum enim non quibuslibet ingeniis congruit Tulliana phrasis, ut male cessura sit affectatio ; [1836b] deinde, si desunt naturae vires, ut inimitabilem dicendi felicitatem assequaris, quid stultius quam in eo discruciari, quod non potest contingere ?
[326,1837] Ad haec, nec materiae cuivis nec personis omnibus congruit Tulliana phrasis et, si congrueret, quaedam negligere praestat quam nimio parare. [1838] Si M- Tullio tanti constitisset sua facundia quanti nobis, aliqua, ni fallor, ex parte neglexisset orationis ornamenta.
[1839] Nimio vero paratur, quod tanto aetatis, valetudinis ac vitae etiam dispendio emitur. [1840] Nimio paratur, cujus grati disciplinas cognitu magis necessarias negligimus. [1841] Denique nimio paratur, quod pietatis jactura emitur.


[1842] Si ideo discitur eloquentia, ut delectemus otiosos, quid attinet rem scenicam tot vigiliis perdiscere ?
[1843] Sin, ut persuadeamus quae sunt honesta, efficacius dixit Phocion Atheniensis quam Demosthenes, saepius persuasit Cato Uticensis quam M- Tullius.

[1844] Jam si in hoc paratur eloquentia, ut scripta nostra terantur manibus hominum, et si citra studium contingeret Ciceronianae dictionis similitudo, tamen arte varietas esset affectanda, quae lectoris nauseanti stomacho mederetur.



[1845] Tantam vim habet in rebus humanis varietas, ut nec optimis semper expediat uti. 
[1833] Qu’est-ce que tu me conseilles donc ? [1834] De laisser tomber Cicéron définitivement ?
[1835] Buléphore Tout au contraire ! Qu’il soit plutôt toujours dans les mains du jeune candidat à l’éloquence ! Non ! mais ce qu’il faut rejeter complètement c’est le purisme dégoûté d’un certain type d’érudits qui ont pour habitude de condamner une œuvre, par ailleurs savante et écrite avec élégance, et de la juger illisible, pour l’unique raison qu’elle n’a pas été construite sur le patron des œuvres de Cicéron. [1836] Il ne faut pas les suivre en effet, parce, tout d’abord, le style cicéronien ne convient pas à toutes les formes de personnalité, si bien que l’imitation risque de mal tourner ; deuxièmement si l’on n’a pas assez de forces pour aboutir à cette inimitable réussite de l’éloquence, qu’y a-t-il de plus stupide que de se torturer à poursuivre ce que l’on ne peut atteindre ?
[1837] Allons plus loin : le style cicéronien ne convient ni à tous les sujets ni à tous les auteurs ;  mais à supposer qu’il convienne il vaut mieux en négliger certaines facettes que de les payer trop cher. [1838] Si son éloquence avait coûté autant d’efforts à Cicéron qu’elle nous en coûte à nous, je suis bien convaincu qu’il aurait moins soigné, dans une certaine mesure, l’ornementation de ses discours. [1839] A vrai dire on paie trop cher, ce que l’on achète au prix exhorbitant de sa jeunesse, de sa santé voire de sa vie. [1840] On paie trop cher tout ce qui nous conduit à négliger des connaissances qui nous seraient plus nécessaires et qu’il vaudrait mieux acquérir. [1841] Enfin on paie trop cher tout ce qui ne s’achète qu’en jetant la piété par-dessus bord.

[1842] Si l’on apprend l’art de l’éloquence dans le seul but de
distraire les oisifs, à quoi bon apprendre cette technique de spectacle / de scène au prix de tant de veilles ? [1843] Si au contraire c’est pour persuader les gens de faire ce qui est honorable, Phocion d’Athènes était plus éloquent que Démosthènes et Caton d’Utique emporta plus souvent l’adhésion que Cicéron ! [1844] Maintemant si on se prépare à l’éloquence avec l’espoir de voir ses livres dans toutes les mains, à supposer en outre que l’on ait reçu en partage le don d’imiter l’éloquence cicéronienne sans avoir à travailler pour cela, eh bien ! malgré cela, il faudrait quand même rechercher la variété, parce qu’elle est seule capable d’éviter au lecteur d’avoir l’estomac retourné par la nausée !

[1845] La variété exerce un tel pouvoir dans les affaires humaines, qu’il n’est même pas toujours utile de n’avoir recours qu’aux meilleurs.

[Ph.1835] Eloquentiae candidatus : Quintilien 6, praef. 13
[Ph. 1839] Cicéron en est un bon exemple n’en déplaise à Erasme ! Voir Tacite Dialogue des Orateurs, § 40 : « Sed nec tanti rei publicae Gracchorum eloquentia fuit, ut pateretur et leges, nec bene famam eloquentiae Cicero tali exitu pensavit ». Trad. Budé « la république paya trop cher le talent oratoire des Gracques, s'il fallut aussi endurer leurs lois ; et toutes les perfections de l'éloquence ne rachètent pas pour Cicéron le malheur de sa fin ». 
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 5 [Ph. 1825-1937]
[1846] Nec usquam non verum est illud Graecorum proverbio jactatum « metabolê pantôn gluku ».
[1848] Nec alio nomine magis commendatur Homerus et Horatius, quam quod rerum ac figurarum admirabili varietate non sinunt oboriri taedium lectionis.
[1849] Ad hanc nos natura quodammodo finxit, suum cuique tribuens ingenium, ut vix duos reperias, qui eadem vel possint vel ament.


[328,1850] Jam cum nihil sit humano stomacho delicatius aut fastidiosius, tum ad eruditionem parandam tantum voluminum nobis sit devorandum, quis posset in perpetua lectione perdurare, si cunctorum esset idem stilus ac similis dictio ? [1851] Praestat igitur, ut in epulis ita et in scriptis, esse quaedam deteriora quam per omnia similia.

[1852] Qualis autem esset ille convivator qui, cum plurimos acciperet, inter quos vix duo palati judicio consentiunt, cibos apponeret omnes eodem more conditos, etiamsi delicias Apicianas apponeret ?


[1853] Nunc dum alius alio dicendi genere capitur, fit ut nihil non legatur. [1854] Ut ne repetam, quod ipsa quoque natura repugnat isti affectationi, quae voluit orationem esse speculum animi.


[1855] Porro cum tanta sit ingeniorum dissimilitudo, quanta vix est formarum aut vocum, mendax erit speculum, nisi nativam mentis imaginem referat, || et hoc ipsum est, quod in primis delectat lectorem, ex oratione scriptoris affectus, indolem, sensum ingeniumque cognoscere, ||| nihilo minus quam si complures annos cum illo consuetudinem egeris.

[1846] Et il n’y a pas un seul cas où ne se vérifie (pas) cette fameuse formule, passée en proverbe chez les Grecs : « Le changement, en tout, est agréable »
[1847] Et il n’a y a pas de raison plus évidente au succès d’Homère et Horace que cette admirable variété des actions et du style grâce à laquelle ils ne lassent jamais leur lecteur. [1849] D’une certaine manière la nature elle-même nous a astreints à la variété, en attribuant à chacun d’entre nous un caractère propre, au point que l’on trouverait difficilement deux personnes qui aient les mêmes capacités, ou encore qui aiment les mêmes choses.

[1850] Et comme il n’y a pas plus délicat ni plus facile à écoeurer que le goût des hommes, et comme il faut quand même dévorer un sacré volume de pages pour se procurer de la culture : qui pourrait résister à une lecture incessante, si tous les auteurs avaient même plume et même langue ?
[1851] Il vaut donc mieux, aussi bien quand il s’agit de festin que de livres, qu’il y ait quelques plats moins bons plutôt que des mets toujours semblables en tous points.
[1852] Quelle sorte d’hôte, aussi, faudrait-il être, quand on reçoit un grand nombre de convives, parmi lesquels il n’y a pas deux palais qui se trouveront d’accord sur ce qu’ils goûtent, pour leur faire servir tous les plats accommodés de la même façon, quand bien même ils s’agiraient des plus délicieuses recettes d’Apicius ?

[1853] Mais à vrai dire tant que chacun prend plaisir à un genre oratoire différent, il n’y a rien qui reste sans être lu, [1854] pour la bonne raison, mais je ne voudrais pas me répéter, que la nature elle-même répugne à la recherche de la similirarité / similitude, elle qui a voulu que le discours soit le miroir de l’âme.
[1855] Si l’on va jusqu’au bout de la comparaison : comme la diversité des caractères est presque plus grande que celle des formes (du corps) ou des voix, on dira que le miroir est menteur s’il ne reflète pas l’image naturelle de l’esprit. Or c’est cela précisément qui plaît en premier lieu au lecteur : connaître les passions, les penchants, la sensibilité et la tournure d’esprit de l’écrivain, presque aussi bien que s’il le fréquentait familièrement depuis plusieurs années.

[Ph.1846] « Le changement en toute chose est agréable. » ’. Erasme a consacré l adage XXXVIII à ce proverbe.
664. I, VII, 64. Jucunda vicissitudo rerum « œµÄ±²¿»t Àq½Äɽ ³»ÅºÍ », id est Jucunda rerum omnium vicissitudo. Sententia proverbialis cum ab aliis passim auctoribus usurpata tum vero ab Aristotele secundo Rhetoricarum praeceptionum libro : š±v Äx ¼µÄ±²q»»µ¹½ !´Í‡ µ0 ÆÍù½ ³pÁ ³w½µÄ±¹ ¼µÄ±²q»»µ¹½. ¤x ±PÄx µv QÀµÁ²¿»t½ À¿¹µ6 ÄÆ º±¸µÃÄ}÷ ¾µÉÂ, E¸µ½ µ4Á·Ä±¹, ¼µÄ±²¿»t Àq½Äɽ ³»ÅºÍ, id est Varietas quoque vicissitudoque jucunda. Fit enim juxta naturam transmutatio. Quod autem semper idem stati perpetuique habitus parit satietatem. Unde illud dictum est : vicissitudo rerum omnium jucunda. Usurpatur ab eodem libro Moralium Eudemiorum septimo. Sumptum apparet ex Euripidis Oreste : œµÄ±²¿»t Àq½Äɽ ³»ÅºÍ, id est Mutatio jucunda rerum est omnium. Eodem allusit Vergilius in Bucolicis : « Alternis dicetis, amant alterna camoenae ». Fertur et mimus quidam in hanc sententiam non illepidus : « Nil jucundum, nisi quod commendat varietas ». Item alter huic consimilis : « Bonarum rerum consuetudo pessima est ». Ea rerum natura, ejusmodi sensus humani fastidium, ut nihil esse possit tam suave, quod non abeat in nauseam, si paulo diutius utare, nihil tam egregium, quod idem diu placere possit. Unde et illud Juvenalis : Voluptates commendat rarior usus. Varietas autem tantam in omni re vim habet, ut commendatione novitatis interdum et pessima pro optimis placeant.» (adage entier).
Les Adages d’Érasme, présentés par les Belles Lettres et le GRAC (UMR 5037), 2010 606
[Ph.1852] Apicius : cuisinier célèbre d’Auguste et Tibère, vilipendé par les stoïciens et les premiers chrétiens. Le traité De re coquinaria écrit, sous nom, sans doute au 1° S et remanié plusieurs fois, daterait dans sa forme finale du IV° s.
[Ph.1854] « isti affectationi » renvoie à [Ph. 1844] : « Ciceronianae dictionis similitudo ».
[Ph.1854] … on dira que le miroir est menteur s’il ne reflète pas l’image naturelle de l’esprit (comme un miroir reflète les formes physiques avec exactitude, aussi variées soient-elles).* * * * * * * * *
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 5 [Ph. 1825-1937]
[1856] Et hinc diversorum tam diversa erga librorum scriptores studia, prout quenque genius cognatus aut alienus vel conciliat vel abducit, haud aliter quam in formis corporum alia species alium delectat offenditve.


[1857] Dicam, quid mihi contigerit. [1858] Adulescens adamabam poetas omnes.
[1859] Verum simul atque sum Horatio factus familiarior, prae hoc omnes ceteri putere coeperunt alioqui per se mirabiles. [330,1860] Quid existimas in causa fuisse nisi geniorum arcanam quandam affinitatem, quae in mutis illis litteris agnoscitur ?

[1861] Hoc genuinum ac nativum non spirat in oratione nihil nisi Ciceronem exprimentium. [1862] Quid ? quod probi viri, quanquam parum felici form nati sunt, // nolint tamen apposit person formosissimi cujuspiam mentiri speciem /// ac ne pingi quidem ali form sustineant, quam dedit natura, //// quod turpe sit mentit facie imponere cuiquam et ridicula res sit mendax speculum aut assentatrix imago.



[1863] At turpius mendacium sit, si cum sim Bulephorus, velim haberi Nosoponus aut alius quilibet.
[1864] An non igitur ab eruditis merito ridentur improbi quidam, qui viros alioqui doctos et eloquentes ac nominis immortalitate dignos non alio nomine reiciunt ac velut e bibliothecis submovent, || nisi quod se ipsos stilo maluerint exprimere quam Ciceronem, ||| cum imposturae genus sit te ipsum non exprimere, sed alienae formae praestigium oculis hominum obicere ?


[1865] Et haud scio an, – si liceat ita permittente Deo –, multos inventuri simus, qui totam corporis sui speciem velint cum aliena commutare ; multo pauciores arbitror fore, qui mentem et ingenium totum cum alterius ingenio sint permutaturi.
[1866] Primum quod nemo velit alius esse quam est, deinde quod suis quisque dotibus sic temperatus est naturae providenti, ut, etiamsi quid adsit vitii, virtutibus adjunctis paria faciat.

[332,1867] Habet animus faciem quandam suam in oratione velut in speculo relucentem ; quam a nativa specie in diversum refingere quid aliud est, quam in publicum venire personatum ?
[1856] Voilà ce qui explique tant de préférences diverses, pour des auteurs d’œuvres si variées : la parenté de génie, ou au contraire une tournure d’esprit toute différente conduit chacun à préférer un auteur ou au contraire à le repousser, à peu près de la même manière que dans l’immense variété des corps l’un est charmé de telle apparence et l’autre s’en rebute.

[1857] Je vais t’expliquer ce qui m’est arrivé. [1858] Quand j’étais jeune j’aimais tous les poètes.

[1859] Mais au fur et à mesure qu’Horace me devenait plus familier, tous les autres, pourtant admirables par eux-mêmes se mirent à me dégoûter quand je les comparais à lui. [1860] Pour quelle autre raison, crois-tu, si ce n’est à cause de cette secrète affinité entre les caractères qui se laisse découvrir dans ces lettres (pourtant) muettes ?

[1861] On ne sent pas respirer cette authenticité et ce naturel dans les discours de ceux qui ne cherchent qu’à reproduire le style de Cicéron. [1862] Eh quoi ? Même quand la nature ne les a pas dotés d’un très beau visage, les hommes honnêtes ne voudraient pas se donner l’aspect mensonger d’un très bel homme en portant un masque, et ils ne supporteraient pas qu’on les peigne sous d’autres dehors que ceux que la nature leur a donnés, parce qu’ils savent bien qu’il est honteux d’en imposer à quelqu’un par un visage fardé de manière trompeuse et que c’est une chose ridicule que d’exposer de soi un reflet infidèle ou un portrait trop flatteur.
[1863] Mais ce serait un mensonge plus honteux encore, alors que je suis Buléphore, de vouloir passer pour Nosopon ou n’importe qui d’autre ! [1864] Les érudits n’ont-ils donc pas raison de se moquer de certains acharnés qui rejettent et pour ainsi dire chassent des rayonnages de leurs bibliothèques des auteurs savants à tous égards, éloquents et dignes de la gloire de l’immortalité, pour l’unique raison qu’ils ont préféré faire ressortir sous leur plume leurs propres traits plutôt que de reproduire ceux de Cicéron, alors que c’est une sorte d’imposture de ne pas se dévoiler tel qu’on est, et de se montrer aux yeux des hommes sous une autre forme par un tour de passe-passe?

[1865] Peut-être bien qu’on trouverait pas mal de gens qui désireraient échanger la forme de leur corps pour une autre,
— si tant est que cela soit possible, avec la permission de Dieu ! — Mais je pense qu’il y en aurait beaucoup moîns qui seraient prêts à faire l’échange complet de leur personnalité et de leur nature avec celles d’un autre.
[1867] D’abord parce que personne ne voudrait être autre que ce qu’il est, ensuite parce que la nature, en sa prévoyance, a dosé en chacun ses dons de telle sorte que même s’il se trouve quelque défaut dans sa composition, il se trouve rééquilibré par les qualités qui s’y joignent.
[1867] Chaque âme a son visage, qui se reflète dans le discours comme dans un miroir. La remodeler pour lui donner une apparence opposée à celle qu’elle a reçue à la naissance, qu’est-ce d’autre que de se présenter en public dissimulé sous un masque ?

Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 5 [Ph. 1825-1937]
[1868] Nosoponus Vide ne, quod aiunt, saepta tua transiliat oratio, quae mihi videtur eo provecta, ut damnet omnem imitationem, || cum rhetorica tribus potissimum constet : praeceptis, imitatione et usu, ||| nisi forte qui M- Tullium imitantur faciem alienam assumunt, qui ceteros, suam habent.

[1869] Bulephorus Amplector imitationem, sed quae adjuvet naturam, non violet, quae corrigat illius dotes, non obruat ; || probo imitationem, sed ad exemplum ingenio tuo congruens aut certe non repugnans, ne videare cum gigantibus « theomachein »


[1870] Rursus imitationem probo non uni addictam praescripto, a cujus lineis non ausit discedere, sed ex omnibus auctoribus aut certe praestantissimis, quod in quoque praecellit maxime tuoque congruit ingenio, decerpentem [1870b] nec statim attexentem orationi quicquid occurrit bellum, sed in ipsum animum velut in stomachum traicientem, ut transfusum in venas ex ingenio tuo natum, non aliunde emendicatum esse videatur ac mentis naturaeque tuae vigorem et indolem spiret,

[Ph.1870c] ut, qui legit, non agnoscat emblema Ciceroni detractum, sed fetum e tuo natum cerebro, quemadmodum Palladem aiunt e cerebro Jovis vivam parentis imaginem referentem, || nec oratio tua cento quispiam videatur aut opus musaicum, sed spirans imago tui pectoris aut amnis e fonte cordis tui promanans.


[1868] Nosopon Fais attention quand même à ne pas dépasser les bornes, comme on dit ! Ton discours me semble se diriger tout droit vers la condamnation de toute forme d’imitation, or tu sais que la rhétorique repose principalement sur trois principes : connaissance théorique, imitation, pratique. Ou bien irais-tu prétendre que ceux qui imitent Cicéron, changent de visage et que ceux qui imitent les autres orateurs gardent le leur ?
[1869] Buléphore J’approuve l’imitation de tout cœur, mais celle qui porte secours à la nature, pas celle qui lui fait violence ; celle qui redresse les penchants qu’elle a donnés sans les écraser au sol. J’approuve l’imitation quand elle prend pour exemple un modèle qui correspond à nos dispositions ou tout au moins qui ne les combat pas, de peur que nous ne paraissions combattre les dieux aux côtés des géants.

[1870] Tout au contraire j’approuve cette sorte d’imitation qui n’est pas liée aux traits d’un seul modèle, dont on n’oserait pas détacher les yeux, mais qui cueille (prélève) à tous les auteurs, ou du moins aux plus prestigieux ce que chacun présente d’excellent, et qui convient au génie propre de l’imitateur. [1870b] Je ne voudrais pas que tu entrelaces immédiatement à ton discours tout ce qui t’a paru « gracieux», mais que tu fasses passer tout cela dans ton esprit comme les aliments passent par l’estomac, afin que tranfusés dans tes veines ces matériaux paraissent naître de ton intelligence-même, au lieu d’avoir l’air d’avoir été mendiés ailleurs. Que ton discours enfin respire ainsi la vigueur de ta nature et de ton esprit, ainsi que sa tournure particulière, [1870c] de façon que le lecteur n’y puisse pas reconnaître une marquetterie composée de pièces arrachées à Cicéron, mais une œuvre enfantée par ton cerveau, comme Pallas qui dit-on sortant du cervau de Jupiter, offrait aux regards une vivante image de son père. Que ton discours n’ait pas l’air d’une sorte de centon, ou de mosaïque, mais qu’il donne de toi-même une image pleine de vie et de souffle ou encore qu’il soit un fleuve s’écoulant des sources ton cœur !
 [Ph.1868] NB. Quod aiunt indique un proverbe Voir 993. I, X, 93. Ultra septa transilire (Les Adages d Érasme, présentés par les Belles Lettres et le GRAC (UMR 5037), 2010 826) (Septa = saepta).
YÀrÁ Äp ú±¼¼s½± À·´¶½, id est Septa transilire. Congruit vel in eos, qui rem quampiam novam et incredibilem designant longeque supra vulgarium hominum facultatem. Vel in hos, qui a re proposita digrediuntur. Vel in illos, qui praescriptos sibi terminos et potestatis mandatae modum transeunt. Natum adagium a Phayllo quodam pentathlo Pontico, ut quibusdam placet, Crotoniata, qui tum saltu tum disco mirum in modum valuisse legitur. Haec ferme Suidas. Extat et inscriptio statuae illius hujusmodi :  s½Ä Àv Àµ½Äuº¿½Ä± Ày´±Â Àu´·Ãµ ¦qË»»¿Â, // ”¹ÃºµÍµ¹ ´ º±Äx½ Às½Ä À¿»µ¹À¿¼s½É½, id est Quinque supra quinquaginta pedes saliit Phayllus, discum autem jacit centum exceptis quinque. Meminit hujus adagii Plato in Cratylo : š±v QÀrÁ Äp ú±¼¼s½± »sø±¹, id est Et ultra septa salire. Refert et Julius Pollux libro De rerum vocabulis tertio. Lucianus in Somnio : YÀrÁ Äp ú±¼¼s½± $´· À·´¶, id est Ultra septa jam transilit. De somnio, cujus finis, cum sit somnus, jam etiam vigilanti duraret. Chrysostomus homilia in II Cor. III : ¤p úq¼¼±Ä± À±Ás²·, id est Septa transcendit ; de Paulo loquitur, qui cum gratis doceret Evangelium, plus praestitit quam ab apostolis exigebatur. Cicero De oratore libro primo : Et quasi certarum artium forensibus cancellis circumscriptam scientiam. Idem in actionibus : Ab his cancellis, quibus me circumscripsi, declinavero. Locus enim is, in quo celebrantur ludi forenses, fossis, cancellis, aut aliis id genus septis erat circumscriptus. (fin).
[Ph.1869] ˜µ¿¼±ÇµÖ½ [Ph.1869]: voir la phrase 1041 et l Adage 1444. II, V, 44. Cum diis pugnare.
« ˜µ¿¼±ÇµÖ½, id est cum diis pugnare, dicuntur qui vel naturae repugnant, vel adversus fatalem necessitatem reluctantur. Sumptum a Gigantum fabula. M. Tullius in dialogo De senectute : Quid enim aliud Gigantum more bellare cum diis, nisi naturae repugnare ? Euripides in Bacchis : «š¿P ¸µ¿¼±ÇuÃÉ, Ãf½ »y³É½ Àµ¹Ã¸µv UÀ¿», id est « Cedam deis, parens tuis sermonibus». Fertur et hujusmodi senarius inter sententias proverbiales : «˜µ÷ ¼qǵø±¹ ´µ¹½y½ ÃĹ º±v ÄÍÇû, id est «Pugnare cum diis cumque fortuna grave est». Celebratur et illud Homericum : «ŸPº ÃĹ½ ÀÁx ´±w¼¿½± ÆÉÄv ¼qǵø±¹», id est Haud pugnare potest hominum cum numine quisquam. Id imitatus Pindarus : «¦Át ´r ÀÁx ¸µx½ ¿Pº Áw¶µ¹½», id est Non convenit cum deo contendere » (fin de l adage)
[Ph.1870c] Cento onis m : un centon (poème composé de vers repris à un auteur et assemblés)* * * * * * * * * *
Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 5 [Ph. 1825-1937]
[334,1871] Sit autem prima praecipuaque cura cognoscendae rei, quam tractandam suscipis. [1872] Ea tibi suppeditabit orationis copiam, suppeditabit affectus veros ac nativos. [1873] Ita demum fiet, ut tua vivat, spiret, agat, moveat et rapiat oratio teque totum
exprimat.


[1874] Nec statim adulterinum est, quod accedit ex imitatione.
[1875] Est aliquis cultus qui nec virum dedecet et nativam formam commendat, veluti lotio, vultus moderatio sed in primis cura bonae valetudinis.

[1876] Jam si tuam faciem velis ad ejus speciem componere, qui tibi dissimillimus est, nihil agas. [1877] Ceterum si videris in quopiam tui non admodum dissimili effusiore risu immodicaque rictus diductione dehonestari formam, || aut adductione superciliorum, corrugatione frontis, subductione nasi, reductione labiorum aut improba oculorum sublatione aliisque similibus minus decentem reddi faciem, ||| potes his vitatis tuam formam reddere meliorem, nec tamen vultum sumes alienum, sed tuum compones.

[1878] Item : vides alterum parum decere caesariem impexam aut aequo promissiorem, tuam licebit corrigere.

[1879] Rursum si conspexeris in alio, quantum addat gratiae frontis hilaritas modesta, oculorum verecundia totusque vultus habitus ad probitatem compositus, ut nec torvum quicquam aut insolens nec leve aut incompositum prae se ferat, non erit praestigium, si tuum vultum ad hujus imitationem formaris. [336,1880] Siquidem in te situm est, ut et animus vultui respondeat.

[1881] Quoniam autem varia est formarum gratia, ne statim existimes deterius, quod dissimile est illi cujus formam miraris.

[1882] Nam quemadmodum diximus, fieri potest ut qui inter se dissimillimi sunt, aequales tamen sint.
[1883] Nec quicquam vetat, quin Ciceroni dissimillimus potior sit eo, qui Ciceronis lineamenta propius exprimit.
[1871] Mais que ton premier soin et ta préoccupation principale, soient de bien connaître le sujet que tu entreprends de traiter. [1872] C’est cela qui te fournira en abondance la matière de ton discours, qui t’insufflera des sentiments vrais et naturels. [1873] C’est à cette condition seulement que ton discours sera vivant, plein de souffle et efficace, qu’il soulèvera les émotions et emportera l’adhésion de tes auditeurs, et te permettra d’exprimer toute ta personnalité.

[1874] Et d’ailleurs ce qui provient de l’imitation n’est pas toujours artificiel ni faux.
[1871] En effet il y a une forme de recherche qui ne messied pas à un homme et qui met en valeur sa beauté propre : la propreté, la maîtrise des expressions de son visage contribuent à cet effet, et avant tout, bien sûr, les soins qui le maintienent en bonne santé.

[1876] Bon c’est vrai, si tu voulais composer ton visage sur le modèle de quelqu’un qui est tout le contraire de toi-même, tu n’obtiendrais aucun résultat ! [1877] Mais sans tomber dans cette erreur, si tu remarques, chez un homme qui te ressemble d’assez près, qu’un éclat de rire excessif, l’ouverture démesurée de sa bouche déforment la régularité de ses traits, ou encore qu’en fronçant les sourcils, en plissant son front, en retroussant le nez, en pinçant les lèvres, en levant les yeux au ciel avec effronterie, et par d’autres mimiques du même genre il compromet l’harmonie de sa figure, tu pourras alors en évitant ces grimaces, améliorer la beauté de ton visage. Cela ne veut pas dire que tu auras pris à quelqu’un son expression, mais tu auras appris à composer la tienne.
[1878] De même, si tu vois quelqu’un à qui sa chevelure mal peignée ou plus longue qu’il ne faut, ne va pas du tout, il te sera loisible de rectifier la tienne en conséquence.

[1878] Inversement si tu constates chez un autre combien de charme lui apportent la gaîté mesurée qui déride son front, son regard modeste et l’expression d’honnêteté qui marque si sincèrement son visage qu’il ne se dégage de sa personne ni sévérité ni insolence, ni légèreté ni étourderie : ce ne sera pas vouloir faire illusion que de chercher à former ton visage à l’imitation du sien. [1880] Après tout il dépend de toi que ton âme elle aussi corresponde à cette physionomie !

[1881] Mais étant donné que les différentes formes de beauté produisent des charmes variés, ne va pas automatiquement juger que ce qui ne ressemble pas à la figure de celui que tu admires lui est inférieur.

[1880] Comme nous l’avons dit en effet, il se peut fort bien que ceux qui se ressemblent le moins, se valent pourtant.
[1883] Et rien n’empêche que l’orateur le plus différent de Cicéron soit plus fort que celui qui en reproduit les traits de la manière la plus ressemblante.

Erasme Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 5 [Ph. 1825-1937]
[1884] Age, ponamus aliquantisper nostros amores ; ex judicio rationis, non ex affectu feramus sententiam.

[1885] Si tibi tua Pitho det optionem, utrum pro Nosopone Quintilianus esse malis an is qui de rhetoricis scripsit ad Herennium, utrum eliges ?
[1886] Nosoponus Equidem malim esse Quintilianus.
[1887] Bulephorus Et tamen alter quanto Ciceroni similior est!
[1888] Utrum malles esse Sallustius an Q- Curtius ?
[1889] Nosoponus Malim esse Sallustius.
[1890] Bulephorus At Q- Curtius propius accedit ad Ciceronem.
[1891] Utrum malis esse Leonardus Aretinus an Laurentius Valla ?
[1892] Nosoponus Malim Valla.
[1893] Bulephorus Leonardus tamen Ciceroni vicinior est.
[1894] Utrum malles esse Hermolaus Barbarus an Christophorus Landinus ?
[1895] Nosoponus Barbarus.
[1896] Bulephorus At alter ille propinquior est M- Tullio.


[1897] Utrum malles esse Politianus an Paulus Cortesius ?
[338,1898] Nosoponus Politianus.
[1899] Bulephorus At alter videri postulat Ciceronianus.

[1900] Jam utrum malles esse Tertullianus, haeresim excipio, an Beda ?
[1901] Nosoponus Tertullianus.
[1902] Bulephorus At Beda plus habet phraseos Ciceronianae.
[1884] Allons ! Laissons quelque temps nos amours de côté ! Suivons le jugement de notre raison plutôt que nos passions pour rendre nos verdicts.
[1885] Suppose que ta Peitho te donne à choisir : préfèrerais-tu, au lieu de Nosopon être Quintilien ou cet auteur qui écrivit la rhétorique à Herennius ? Lequel choisiras-tu ?
[1886] Nosopon Assurément je préfèrerais être Quintilien !
[1887] Buléphore Et pourtant l’autre, comme il ressemble davantage à Cicéron !

[1888] Préfèrerais-tu être Salluste ou Quinte Curce ?
[1889] Nosopon Je préfèrerais être Salluste !
[1890] Buléphore Mais pourtant le style de Quinte Curce s’approche beaucoup plus de celui de Cicéron !

[1891] Préfèrerais-tu être Léonard l’Arétin ou Laurent Valla ?
[1892] Nosopon Je préfèrerais Valla.
[1893] Buléphore Et Pourtant c’est Léonard qui est le plus voisin de Cicéron par son style !

[1894] Préfèrerais-tu être Hermolaus Barbarus ou Christophe Landino ?
[1895] Nosopon Barbarus !
[1896] Buléphore Mais l’autre, le fameux Landino, est plus proche de Marcus Tullus !

[1897] Préfèrerais-tu être Politien ou Paul Cortesi ?
[1898] Nosopon Politien !
[1899] Buléphore Et Pourtant c’est l’autre qui revendique l’honneur de passer pour Cicéronien.

[1900] Maintenant, préfèrerais-tu être Tertulien, son hérésie mise à part, ou Bède le vénérable ?
[1901] Nosopon Tertullien
[1902] Buléphore Mais c’est Bède qui a le style le plus cicéronien.
 [Ph.1885] Pitho, Peitho : la déesse Persuasion, dont Nosopon et ses interlocuteurs sont amoureux. Relire les phrase [59-65]
La Rhétorique à Herennius, très souvent alléguée par Quintilien, est restée chargée, au XVI° siècle, même pour Erasme, d’une autorité cicéronienne. La critique moderne l’attribue volontiers à Q. Cornificus, orateur intègre, qui fut tribun de la plèbe en 69 av. J.C. (P. Mesnard) [voir supra Ph. 503]
[Ph.1889] Salluste (86-35) : Historien La conjuration de Catilina et La guerre de Jugurtha (etc.) Quinte Curce ( 1° après J.C.) : Histoire d’Alexandre le grand.
[Ph.1894] Hermolao Barbaro : (1454-1493) Humaniste vénitien  [Voir supra Ph.1415] Christoforo Landino (1424-1504) [Voir supra Ph. 1451]
[Ph.1897] Paulo Cortesi (1465-1510). Humaniste et Théologien. [Ph.1457] ; Angelus Politianus = Angelo Ambrogini  ou Agnolo Poliziano (Montepulciano, Sienne, 1454 - Florence 1494) [Voir Ph. 501]
[Ph.1901] Tertullien [ vers 160 - vers 220 ] Carthaginois (vers 160 – vers 220). Né païen et doté d’une solide formation rhétorique, il se convertit, probabl-t ds la dernière décennie du IIe s. et exerça dans sa communauté des fonctions difficiles à préciser. Vers 206-207 il adhéra à un mvt spirituel, le montanisme, et s’éloigna peu à peu de la « catholica » — sans pour autant céder à un schisme formel. Tertullien, dans une œuvre abondante et de combat, toucha à l’apologétique, à la morale et à la discipline (par des traités catholiques, puis montanistes — ceux-là fort agressifs, envers les catholiques), aux questions dogmatiques (contre les gnostiques, contre Marcion, contre le monarchien Praxeas). Ex. fiche technique éditions du cerf. [Voir supra Ph. 1345 ss.]
[Ph.1901] Bède, dit le Vénérable (Beda Venerabilis, 673, Northumbrie - 735). Son Histoire ecclésiastique du peuple anglais, lui a valu le surnom de « Père de l'histoire anglaise ». Il est également linguiste et traducteur, et ses traductions des œuvres grecques et latines des premiers pères de l'Église ont joué un rôle important dans le développement du christianisme en Angleterre. En 1899, Bède fut proclamé docteur de l'Église par le pape Léon XIII ; il est à ce jour le seul natif de Grande-Bretagne à avoir été ainsi honoré. En 708, Bède fut accusé d'hérésie pour son De Temporibus[]. À l'époque prévaut la théorie des six âges du monde, mais Bède, plutôt que d'accepter l'autorité d'Isidore de Séville, calcule de son côté l'âge du monde et estime que le Christ est né 3952 ans après la création du monde, alors que les théologiens de l'époque s'accordent sur un nombre d'années supérieur à 5 000[]. (ex Wikipédia).
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Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 5 [Ph. 1825-1937]
[1903] Utrum malles esse Hieronymus an Lactantius ?
[1904] Nosoponus Hieronymus.
[1905] Bulephorus At alter quantus est Ciceronis simius!

[1906] Vides igitur non continuo melius dicere eum qui propius accedit ad Ciceronem, nec pejus qui dissimilior est.


[1907] Denique, quemadmodum plures esse possunt Attici, qui tamen inter se dissimillimi sunt, ita nihil vetat quominus plures dicantur Ciceroniani, qui dicendi virtutibus pares sunt, cum inter se similes non sint.
[1908] At quis ferat sciolos quosdam miro supercilio reicientes quicquid non referat lineamenta Tullianae phraseos, quam verbulis dumtaxat, figuris et numeris expendunt?

[1909] Frigide sectatur Tullianam phrasim qui non multorum auctorum lectione, multarum disciplinarum scientia, multarum cognitione rerum instructus accedit, ne repetam quod dictum est de vi naturae et prudentia.



[1910] Feram tamen hanc ineptam gloriolam in adulescente, feram in doctis, qui hunc naevum multis egregiis dotibus pensant, [1910b] quis ferat senes qui nihil aliud captant, quam ut sint Ciceroniani, qui viros ipsis et eruditiores et eloquentiores eradunt ex albo scriptorum, quod ausint a Ciceronis lineamentis alicubi recedere, [1910c] cum ipsi fere adeo Ciceroniani non sint, ut subinde destituantur grammaticae praesidiis ?

[1903] Préfèrerais-tu être Lactance ou Saint Jérôme ?
[1904] Nosopon Saint Jérôme.
[1905] Buléphore Mais c’est l’autre le véritable singe de Cicéron ! Et comment !
[1906] Tu vois donc bien que celui qui parle le mieux n’est pas toujours celui qui s’approche le plus du style de Cicéron, et que le plus mauvais n’est pas nécessairement celui qui lui ressemble le moins.
[1907] Enfin, de même qu’il y a plus d’un orateur qu’on peut qualifier d’atticiste, alors qu’ils diffèrent pourtant du tout au tout les uns des autres, de même rien n’empêche de qualifier de cicéroniens plusieurs orateurs qui sont de force égale du point de vue de l’éloquence, bien qu’ils aient des styles différents. [1908] Mais qui pourrait supporter certains demi-savants qui rejettent d’un sourcil dédaigneux tout ce qui ne porte pas la marque du style cicéronien, qu’ils n’estiment qu’en fonction des mots, des figures et des rythmes ?

[1909] Ce ne peut qu’être un imitateur bien froid celui qui aborde le style cicéronien sans s’être solidement fortifié par la lecture de nombreux auteurs, sans s’être instruit dans de nombreuses disciplines, sans avoir une ample connaissance des choses du monde, et je passe sur ce que j’ai déjà dit à propos de la force de la nature et de la prudence.

[1910] Chez un jeune homme pourtant, je supporterais ce vain désir de gloriole, chez des savants qui compensent cette coquetterie par beaucoup d’autres qualités, je le supporterais aussi, mais qui supporterait cela chez des vieillards qui n’ont d’autre ambition que d’être des « cicéroniens », qui gomment du catalogue des écrivains des auteurs bien plus savants et plus éloquents qu’eux-mêmes, sous prétexte qu’ils ont osé s’écarter en quelques passages des caractéristiques de Cicéron. Ils sont pourtant eux-mêmes, la plupart du temps, si peu cicéroniens qu’on les trouve à tout moment dépourvus du soutien de la grammaire !
 [Ph.1903] Lactance Lactance [entre 240 et 260 - après 325] Lucius Caecilius Firmianus, aussi appellé Lactance, naquit en Afrique. Lactance fut l'élève d'Arnobe et devint, comme son maître, professeur de rhétorique latine. Il acquit une réputation sans doute assez considérable, puisque Dioclétien le manda à Nicomédie pour qu'il occupât une chaire de rhétorique latine. En 303, quand la persécution de Dioclétien a commencé, Lactance, s'étant converti récemment au christianisme, a dû perdre son poste officiel. Il vécût dans le loisir et la pauvreté et se mit à écrire. En tout cas, il n'eut guère à souffrir de la persécution. À la fin de sa vie, vers 316 ou 317, il devint précepteur du César Crispus, fils de Constantin. Vers 320, l'éducation de Crispus devait être terminée, et Lactance être âgé d'au moins 70 ans. La suite de sa vie n'est pas connue de manière sûre. Souvent comparé avec Cicéron pour l'élégance de son style ( le « Cicéron Chrétien »), Lactance est le premier écrivain d'Occident à tenter un exposé systématique de la doctrine chrétienne en s'adressant à la classe cultivée d'un monde romain, dont il accepta à tout cœur la tradition culturelle et littéraire ainsi que la tradition sociale et politique, pour fondre le tout avec le message moral et religieux du christianisme. (Fiche des éditions du Cerf).
[1904] Saint Jérôme ( ca. 347-420) Né d’une famille riche, Jérôme se rend à Rome vers douze ans et se passionne pour la littérature classique, l’oeuvre de Virgile et Cicéron. Il a pour maître le grammairien Donat. Baptisé en 365, il étudie la théologie à Aquilée. Vers 373, il part vivre en ermite au désert de Chalcis en Syrie. A Antioche il apprend le grec et l'hébreu Il renonce aux lettres profanes, se consacre à l’exégèse et reçoit le sacerdoce. A Constantinople, il découvre l'exégèse d'Origène et se met sous la direction de saint Grégoire de Nazianze. Il commence à cette époque à traduire les livres saints. En 382, il est de retour à Rome et chargé par le pape Damase d’établir un texte officiel de l’ancienne version latine de la Bible. Mais son rigorisme, sa défense de la vie monastique et son dégoût du christianisme mondain suscitent contre lui une vive opposition et il quitte Rome pour se fixer en Palestine. Il passe les trente dernières années de sa vie, dans un monastère. Cette période est marquée par une intense activité intellectuelle (traduction latine de la Bible, commentaires sur l’Ancien et le Nouveau Testament). Passionné, de nature violente et intraitable, c’est par la perfection toute classique de son style et par l’ampleur de sa science profane et sacrée qu’il étonne ses contemporains. Sa traduction de la Bible prend au XIIIe siècle le nom de Vulgate et est déclarée canonique par le Concile de Trente (1545-1563). (Classes BNF et wikipédia ; Voir le rêve de Saint Jérôme supra [Ph. 1360])
[Ph.1905] Simius i m : singe P. Mesnard note : « cette opinion péjorative, qui classe Lactance parmi les « singes » de Cicéron (alors que Saint Jérôme le traitait plus avantageusement de « Cicéron Chrétien ») repose sur l’analyse étendue effectuée plus haut, où les méfaits d’une imitation maladroite était déjà soulignés ». Voir [Ph. 1333].*****************
Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 5 [Ph. 1825-1937]
[340,1911] Non exprimam quorundam nomina, quibus fortasse in votis sit vel sic innotescere. [1912] De Bartholomaeo Scala dicam, cui Hermolaus et Politianus visi sunt parum Ciceroniani ; ipse sibi Tullianus est visus, utcumque dissimulat. [1913] At ego malim somnia Politiani quam quae Scala sobrius summoque studio elaboravit.


[1914] Paulus Cortesius non dissimulat hujus affectationis studium, sed Deum immortalem, quanto longius illius epistula discrepat ab imagine Ciceronis quam Politianica, cui respondet!
[1915] Sed non alia re mihi videtur Ciceroni dissimilior Cortesius, quam quod toto fere sermone aberrat a scopo.

[1916] Sic enim agit causam, quasi Politianus deterreat ab imitatione Ciceronis, tum quasi nolit eum qui scribit ullum scriptorem sibi imitandum proponere, || cum eos taxet qui nulla lectione bonorum auctorum, nulla eruditione, nullo usu instructi tantum hoc moliuntur, ||| ut Ciceronis exprimant lineamenta, quos ob id simios appellat Ciceronis.


[1917] Taxat eos qui ex Cicerone verba frustillatim mendicant, qui semper alienis ingrediuntur vestigiis, cum nihil ex se gignant, qui nihil aliud quam imitantur et verbula dumtaxat imitantur.

[1918] Hos negat se ferre posse qui, cum nihil minus sint quam Ciceroniani, tamen Ciceronis titulo sese venditantes non verentur de summis viris pronuntiare. [342,1919] Proinde monet amicum, ut, posteaquam Ciceronem primum at non solum, sed cum aliis multis eximiis scriptoribus diutina lectione contrivisset, edidicisset, concoxisset, [1919b] tum demum, si quando pararet aliquid scribere, poneret morosam illam et anxiam sollicitudinem imitandi tantum Ciceronem nunquam a lineamentis illius oculos deflectens, quod haec anxietas efficiat, ut minus hoc ipsum assequaris quod sequeris.
[1911] Je tairai leur nom : peut-être certains n’espèrent-ils rien d’autre qu’une forme de notoriété, serait-ce celle là ! [1912] Je vais plutôt parler de Bartholomée Scala, qui trouve qu’Hermolaus et Politien ne sont pas assez cicéroniens. Lui par contre se prend pour un véritable Cicéronien, bien qu’il fasse tout pour ne pas le montrer. [19132] Et bien pourtant, moi, je préfèrerais ce que Politien n’aurait fait que rêver aux écrits que Scala a produits au prix de tant d’efforts et de sobriété !
[1914] Paulo Cortesi, quant à lui, ne dissimule pas son désir d’imiter Cicéron, mais, ô Dieu immortel ! Comme la lettre par laquelle il répond à Politien reflète moins bien le style de Cicéron que celle de Politien !
[1915] Mais, dans le fond, si je trouve que Paul Cortesi diffère vraiment trop de Cicéron, c’est d’abord et avant tout parce que tout au long de son discours il manque sa cible.

[1916] En effet, il plaide sa cause comme si Politien condamnait toute espèce d’imitation de Cicéron, puis comme s’il refusait à tout homme qui écrit le droit de se proposer un écrivain pour modèle, alors qu’en réalité Politien s’en prend à ceux qui, sans s’être au préalable fortifiés par la lecture de bons auteurs, par la culture, et par la pratique de l’éloquence, n’ont qu’une idée en tête : essayer de reproduire le style de Cicéron trait pour trait. C’est pour cette raison qu’il les appelle des singes.
[1917] Il (Politien) est très mordant à l’égard de ceux qui mot après mot mendient leurs phrases à Cicéron, qui vont toujours sur les traces des autres sans jamais rien faire naître de leur propre invention, qui ne savent rien faire d’autre qu’imiter et, qui plus est, ne savent imiter que des mots sans poids!
[1918] Il affirme qu’il ne saurait supporter ceux qui ne sont rien moins que des cicéroniens mais qui pourtant se parent toujours de ce titre pour prononcer, sans hésitation, à propos des plus grands auteurs. [1919] Il invite par conséquent son ami à lire tout d’abord Cicéron, mais avec lui aussi beaucoup d’autres auteurs, parmi les plus remarquables, puis de les mâcher et remâcher par de longues lectures, puis de les apprendre par cœur et de les digérer, puis encore, et précisément à ce moment-là, si jamais il se disposait à écrire quelque chose, il lui recommande de se débarraser de ce souci paralysant et angoissant d’imiter Cicéron à l’exclusion de tout autre, sans jamais quitter des yeux les lignes de son modèle, parce que cette anxiété-là a pour effet d’empêcher quiconque d’atteindre l’objectif qu’il poursuit.  [Ph.1912] Bartolomeo Scala (1428-1487) voir [Ph.1456]  Politien [Voir Ph. 1897 & 501] ; Hermolao Barbaro : (1454-1493) [Voir supra Ph. Ph.1894 & 1415]. P. Mesnard renvoie à l’Epistola ad B. Scalam du VIII Kal Januar. 1493, (25 déc. 1492) in Politiani opera, Bâle 1553 p. 59
[Ph.1914] Cui respondet : Paulo Cortesi (1465-1510) humaniste, théologien et evèque répondit en effet à A.Politien avec qui il était en lutte à propos de la question de l’imitation et du purisme cicéronien officiel de l’Eglise (supra Ph. 1457). NB. Politianica : P. Cortesi avait envoyé à Pol. une édition de ses lettres, auxquelles P. avait réagi assez durement (Mesnard renvoie à Politiani opera, Bâle, 1553 p.113-116). Voici un extrait de la Lettre de Politien à P. Cortesi que cite Marc Fumaroli, p. 81-82 : « Tu as pour principe de ne tenir pour écrivains que les portraits de Cicéron. Pour moi, la tête d’un taureau ou d’un lion me paraît préférable à celle d’un singe, quoique celle-ci ressemble davantage à l’homme. Ceux qui passent pour avoir été les Princes de l’éloquence ne se ressemblaient pas, au témoignage de Sénèque. Quintilien tourne en dérision les orateurs qui se croyaient les cousins de Cicéron, sous prétexte qu’ils achevaient leurs périodes en « esse videatur ». Horace invective encore et encore les imitateurs. Pour ma part, je ne vois dans les spécialistes de l’imitation que des perroquets ou des pies puisqu’ils répètent ce qu’ils ne comprennent même pas. Ces écrivailleurs manquent d’énergie et de vie, ils sont incapables d’agir ni de sentir, ils n’ont aucun tempérament. Chez eux rien de vrai, rien de solide, rien de fécond ».
[Ph.1919] NB. Pierre Mesnard précise : Politianus emploie presque les mêmes termes : « Sed cum Ciceronem, cum bonos alios multum diuque legeris, contriveris, edidiceris, concoxeris … » Politiani opera, Bâle 1553 p. 113.* * * * * * * * * *
Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 5 [Ph. 1825-1937]
[1920] An hoc est deterrere ab imitatione Ciceronis ? [1921] Num hoc est docere neminem omnino imitandum esse ?
[1922] An is qui varia lectione instructus atque, ut ita dicam, saginatus, dum scripturienti quod in quoque legit optimum venit in mentem, non imitatur aliquem, || etiamsi non illis servit nec assidet, sed suos affectus ac rem de qua parat dicere adhibet in consilium ?

[1923] At Cortesius negat sibi placere simios Ciceronis "similem", inquiens, "volo, mi Politiane, non ut simiam hominis, sed ut filium parentis", eadem loquens quae dixerat Politianus. [1924] Id multis verbis prosecutus tandem velut immemor sui fatetur se malle esse simium Ciceronis quam aliorum filium. [1925] Si vox haec "aliorum" complectitur Sallustium Livium Quintilianum Senecam, quis non malit se esse similem illis, quemadmodum filius est patri, quam sic esse similis M- Tullio, quemadmodum simia similis est homini ?


[1926] Post haec multa congerit in eos qui sese ingurgitant varia lectione nec ea quae legunt concoquunt. [344,1927] Horum orationem exsistere scabram, inconditam et asperam. [1928] Sed quid haec ad epistulam Politiani? [1929] Si sentit cum illo, cur ita respondet, quasi dissentiat ? [1930] Si dissentit, quae Politianus probat erant refellenda.
[1920] Et c’est cela qu’on appelle « détourner de l’imitation de Cicéron » ? [1921] Et ce serait cela « enseigner qu’il ne faut imiter absolument personne » ?

[1922] Celui qui est instruit, et pour ainsi dire gavé de lectures de toutes sortes, peut-on vraiment dire qu’il n’imite personne, quand, sitôt qu’il se met à écrire, tout ce qu’il a lu de meilleur en chaque auteur, lui remonte à l’esprit, même s’il n’est asservi ni voué à aucun d’eux, mais qu’au contraire il fait entrer en ligne de compte ses propres sentiments et la question qu’il doit traiter.

[1923] Mais, c’est vrai, Paul Cortesi affirme qu’il n’aime pas les « singes de Cicéron », allant jusqu’à dire « je ne veux pas être semblable, mon cher Politien, comme un singe est semblable à un homme, mais bien comme un fils à son père », employant les mêmes termes que Politien lui-même avait utilisés. [1924] Poursuivant longuement sur ce sujet, sans doute oublieux de ce qu’il venait de dire, il finit par avouer qu’il préfèrerait être le singe de Cicéron que le fils des autres! [1925] Si « les autres » englobent Salluste, Tite Live, Quintilien, Sénèque, qui ne préfèrerait être « semblable à eux » comme un fils à son père, que d’être semblable à Cicéron comme un singe ressemble à un homme ?



[1926] Après cela, P. Cortesi accumule les critiques contre ceux qui se plongent dans des lectures de toute sorte sans digérer ( assimiler) ce qu’ils lisent : [1927] il en résulte selon lui que leur discours est abrupt, mal ordonné et inégal. [1928] Mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec la lettre de Politien ? [1929] S’il partage l’opinion de Politien, pourquoi s’exprime-t-il comme s’il était en désaccord avec lui ? [1930] S’il n’est pas d’accord avec lui, il fallait qu’il réfute ce que Politien trouve bon !

Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 5 [Ph. 1825-1937]
[1931] Nam illud vel maxime Ciceronianum est dispicere, quid sit in controversia, quid conveniat cum adversario et in quo sit causae status, neque quicquam extra causam dicere.
[1932] Proinde prolixam epistolam elaboravit Cortesius magis quam Ciceronianam, cui velut aliena loquenti nihil respondit Politianus.

[1933] At Politianus, qui audiebat non Ciceronianus, quanto melius Ciceronem exprimit breviore licet epistula, non tantum sententiarum argutia, verum etiam verbis aptis, elegantibus, ac significantibus, etiamsi me non fugit hujus viri meritis famam apud eruditos Italiae malignius respondisse ; quam ob rem, nescio.


[1934] Neque vero mihi dicuntur haec in sugillationem Cortesii, nec enim contumeliosum est postponi vix cuipiam imitabili Politiano, sed ut adolescentibus exemplo commonstretur, quid sit vere Ciceronem exprimere.

[1935] Hypologus Tot ambagibus nos circumagis, Bulephore, ut parum absit quin ex Hypologo fiam Hyponosus. [1936] Quin tu simpliciter explana, quid de Cicerone quidque de hoc imitando sentias.

[1937] Nosoponus Hoc ipsum et ego pervelim, nam eo propemodum tua me perduxit oratio, ut statuerim tuis obtemperare consiliis.

Fin de la section 5

[1931] Car c’est peut-être bien cela qui caractérise le mieux Cicéron : percevoir précisément l’objet du débat, déterminer la conduite à tenir à l’égard de l’adversaire, avoir une vue juste du statut de la cause, ne pas sortir de la question.

[1932] Pour conclure : Cortesi a écrit là une lettre plus verbeuse que cicéronienne : d’ailleurs Politien n’y a rien répondu, réagissant comme si l’auteur n’y avait tenu que des propos insensés.
[1933] Quant à Politien, au contraire, qui n’avait pas la réputation d’être cicéronien, comme il a bien mieux fait ressortir ce qu’il y avait de Cicéron en lui ( imité Cicéron) , dans cette lettre certes assez brève ! Il n’y déploie pas une grande finesse dialectique, mais emploie des mots adaptés, précis, et qui ont du sens. Il ne m’échappe pas toutefois que la gloire n’a pas généreusemnt répondu aux mérites de cet homme, auprès des humanistes Italiens. Pour quelle raison ? je ne sais !

[1934] Mais mes propos ne visent pas à railler P. Cortesi, et je ne crois pas que ce soit insultant de se retrouver classé derrière Politien, qui est quasiment inimitable. Non ! J’ai dit cela pour faire voir aux jeunes gens, par un exemple, ce que c’est que de s’exprimer en véritable Cicéron !

[1935] Hypologus Tu nous fais parcourir tant de détours, Buléphore, que j’en ai la tête qui tourne : peu s’en faut que d’Hypologus je ne devienne Hyponosus ! [1936] Pourquoi ne nous exposerais-tu pas simplement ton point de vue sur Cicéron et ce que tu penses du fait de l’imiter ?

[1937] Nosopon Moi aussi je voudrais bien que tu fasses cela! Ton discours, c’est vrai, m’a pratiquement conduit au point de me décider à me conformer à tes conseils !

Fin de la section 5[Ph.1931] Nam : cette phrase clôt le raisonnement commencé en [Ph. 1915]
[Ph.1935] Hyponosus : légèrement malade ; mais surtout mélange des deux noms ! (Voir Plaute : Amphitryon . v. 303-305 « et Quintus fiam e Sosia ». Sosie avoue à Mercure qu’il ne sait plus qui il est, dans des termes comparables. Il joue sur les mots : v. 383-84 Sosie / socius : allié de Amphitryon ; etc. )
[Ph. 1935] « Tot ambagibus nos circumagis » : c’est le reproche que ses interlocuteurs adressent souvent au Socrate des dialogues platoniciens. 

Fin de la section 5
Qui correspond à la
section H, du plan proposé par P. Mesnard,
« Place actuelle du cicéronianisme dans l’humanisme chrétien :
vaccination et propédeutique ».

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Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 6 [Ph. 1938-1990 ]Section 6
Qui correspond à la 9° subdivision, I,
« Conclusion »,
du plan proposé par P. Mesnard.
 
[346,1938] Bulephorus Nihil arbitror restare, nisi ut quae sparsim disserta sunt hactenus in compendium contrahamus.
[1939] Nosoponus Quis tibi videtur M- Tullius?
[1940] Bulephorus Dicendi artifex optimus atque etiam, ut inter ethnicos, vir bonus, quem arbitror, si Christianam philosophiam didicisset, in eorum numero censendum fuisse qui nunc ob vitam innocenter pieque transactam pro divis honorantur. [1941] Artem et usum in illo plurimum valuisse fateor, sed multo maximam eloquentiae suae partem debuit naturae, quam nemo sibi dare potest.

[1942] Nec alium e Latinis scriptoribus arbitror magis habendum in sinu pueris et adolescentibus, qui in eloquentiae laudem educantur.
1943] Poetarum tamen lectionem, Latinorum dumtaxat, volo priorem esse, quod hoc Musae genus magis convenit aetati tenerae.
[1944] Nec quenquam ad Ciceronis accuratam imitationem vocari volo, nisi prius cognitis artis rhetoricae praeceptis.

[1945] Post haec adesse volo commonstratorem artis, veluti solent pictores discipulis in tabula quapiam insigni demonstrare, quid ex arte factum sit, quid contra.


[1946] Rursus M- Tullium in parte studiorum praecipuum ac primum esse volo, non solum, nec sequendum tantum puto, sed imitandum potius atque aemulandum etiam.

[1948] Etenim qui sequitur, alienis ingreditur vestigiis et servit praescripto. [1949] Porro vere dictum est eum non posse bene ambulare, qui pedem semper ponit in alieno vestigio, nec unquam bene natare, qui non audet abicere suber.

[1938] Buléphore A mon avis il ne reste rien d’autre à dire si ce n’est récapituler les points que nous avons traités au fil de notre discussion.

[1939] Nosopon Pour toi quel genre d’homme est Cicéron ?
[1940] Buléphore Dans l’art de l’éloquence, le plus grand des artistes ! et aussi, sans oublier que c’est un païen, un homme de bien. Je crois bien que s’il avait connu la « philosophie chrétienne »,  il faudrait le compter au nombre de ceux que l’on honore aujourd’hui à l’égal des saints pour la pureté et la piété de leur vie. [1941] Je reconnais que la connaissance théorique et la pratique comptent beaucoup dans son éloquence, mais la part qu’il doit à la nature est de loin la plus importante. Or, cette dot personne ne peut se la donner à soi même !
[1942] Et je pense aussi que s’il y a une œuvre parmi les auteurs de l’antiquité latine que les enfants et les jeunes gens, doivent tenir en permanence sur leur genoux, c’est bien celle de Cicéron, si du moins l’éducation qu’on leur donne a en vue le prestige de l’éloquence.
[1943] C’est pourtant par la lecture des poètes, du moins des poètes latins, que je veux les faire commencer, parce que ce genre littéraire convient mieux à l’âge tendre. [1944] Et je ne veux pas les pousser à l’imitation stricte de Cicéron avant qu’ils ne connaissent les principes de la rhétorique.

[1945] Après cela je veux qu’ils aient à leur côté un guide, qui leur fasse découvrir cet art, sur le modèle des peintres qui ont pour habitude de montrer à leurs élèves ce qui, dans un tableau remarquablement célèbre, est fait selon les règles de l’art, et ce qui, au contraire s’en écarte.

[1946] Je le répète, je veux que Cicéron ait la place principale et soit au premier rang dans le programme d’études, sans être pour autant le seul orateur étudié ; je ne veux pas non plus qu’on se contente de le suivre, mais je veux plutôt qu’on l’imite et même qu’on cherche à rivaliser avec lui.
[1948] Et en effet, celui qui suit, marche dans les traces d’un autre et est esclave du chemin qu’il a tracé. [1949] Et pour suivre cette image : on a raison de dire qu’il ne peut pas faire une belle promenade celui qui met toujours ses pas dans les pas d’un autre, et aussi qu’il ne saura jamais bien nager celui qui n’ose pas lâcher sa planche de liège.

[Ph.1940] P. Mesnard renvoie en outres aux conceptions cicéroniennes du De Natura Deorum II, 62).
[Ph.1945] Commonstrator, oris, m : relire les phrases [1163-1170].
[Ph.1948] Voir [758] Bulephorus « Aliud est eadem reddere, aliud similia, aliud imitari praescriptum, aliud servire nec aliud quam sequi ».

Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 6 [Ph. 1938-1990 ]
[348,1950] Imitator autem non tam eadem dicere studet quam similia, immo ne similia quidem interdum, sed paria magis.
[1951] Aemulator vero contendit etiam, melius dicere si possit. [1952] Nullus autem fuit unquam tam absolutus artifex, in cujus opere non aliquid deprehendas quod melius reddi possit.

[1953] Ad haec nolim hanc imitationem nimis anxiam ac superstitiosam esse. [1954] Nam hoc ipsum obstat, quominus efficiamus quod volumus.

[1955] Nec ita censeo M- Tullium adamandum ut a ceteris omnibus abhorreas, sed optimos quosque primum legendos et ex optimis quod in quoque est optimum excerpendum ; neque enim est necesse ut quenquam totum imiteris. [1956] Nec illos aspernandos censeo, qui dictionem quidem non multum juvant, sed tamen rerum copiam suppeditant, velut Aristoteles, Theophrastus et Plinius.


[1957] Ad haec nolim quenquam sic addictum esse Ciceroni imitando, ut a suo recedat genio et valetudinis vitaeque dispendio consectetur, quod, repugnante Minerva non possit assequi vel nimio constaturum sit, si tandem assequatur.
[1958] Praeterea nolim hoc solum agi nec ita laudem Ciceronianae dictionis ambiendam arbitror, ut liberales disciplinas cum primis necessarias negligas.

[1959] Ab istis vero velut a peste cavendum, qui clamitant esse nefas uti voce, quae non reperiatur in libris Tullianis. [1960] Posteaquam enim jus Latini sermonis desiit esse penes vulgarem consuetudinem, [1960 b] quicquid vocabulorum deprehenditur apud idoneos scriptores usurpemus nostro jure, cum opus est, et si durius obsoletumque videtur, quod a paucis sit usitatum, nos in lucem proferamus crebraque ac tempestiva usurpatione molliamus.

[350,1961] Quae tandem invidia sit, cum veteres Graecorum voces mutuo sumpserint, quoties Latinae vel deerant vel minus significantes habebantur, nos, ubi res postulat, a dictionibus, quas apud probos auctores comperimus, temperare ?
[1962] Nec minore studio fugiendi videntur et illi qui reiciendum et ommino lectu indignum vociferari solent, [1962 b ] quicquid verbis, formulis et numeris non effictum sit ad Ciceronis imitationem, cum liceat diversis virtutibus, si non similes, certe pares esse Ciceroni. 
[1950] Or l’imitateur ne s’applique pas tant à tenir les mêmes discours qu’à en tenir de semblables ; et même parfois ses propos ne sont pas même semblables, mais ils sont plutôt d’égale qualité.
[1951] Quant à celui qui veut se faire l’émule de son modèle, il s’efforce même de faire de meilleurs discours que lui, s’il le peut. [1952] Et de fait, il n’y a jamais eu d’ouvrier aussi parfait qu’on ne trouve (déniche) dans son ouvrage quelque détail qu’on ne puisse rendre mieux que lui.
[1953] Encore un mot là-dessus : je voudrais que cette imitation ne soit ni trop méticuleuse ni trop scrupuleuse, [1954] car c’est cela même qui nous empêche de réussir ce que nous voulons.
[1955] Et, si tu veux mon avis, il ne faut pas adorer Cicéron au point de se détourner des autres comme s’ils nous dégoûtaient. Je crois au contraire qu’il faut tout d’abord lire tous les meilleurs orateurs et ensuite des meilleurs d’entre eux recueillir ce qu’il y a de meilleur en chacun ! Il n’est pas non plus nécessaire d’imiter un auteur dans tous ses aspects. [1956] A mon avis, il ne faut pas dédaigner non plus les auteurs qui ne nous apportent peut-être pas grand-chose du point de vue du style oratoire, mais nous fournissent une foule de connaissances, comme Aristote, Théophraste, et Pline.

[1957] Je voudrais aussi que l’on ne se livre pas à l’imitation de Cicéron au point d’en arriver à nier son génie propre et de poursuivre au prix de sa santé et même de sa vie quelque chose qu’on ne ne peut atteindre sans l’accord de Minerve, ou du moins qu’on risque de payer trop cher si jamais on finit par y arriver.
[1958] De plus je voudrais que l’on ne fasse pas que cela, et je pense qu’il ne faut pas briguer la palme du cicéronianisme au détriment des études libérales qui, elles, sont, plus que tout, nécessaires.
[1959] Il faut en vérité se garder comme de la peste de ceux qui ne cessent de clamer qu’il est interdit d’utiliser un mot que l’on ne trouve pas dans les œuvres de Cicéron.
[1960] En effet depuis que le tribunal de la langue latine n’est plus aux mains du peuple qui la pratiquait, il ne nous reste plus qu’à utiliser selon notre propre jugement et quand le besoin s’en fait sentir tous les mots que l’on peut trouver dans les auteurs adéquats, et, si un terme paraît trop dur ou passé de mode, parce qu’il n’a été utilisé que par peu d’auteurs, il nous appartient de le mettre en lumière, et d’en adoucir l’étrangeté en l’employant fréquemmment et quand il faut.

[1961] Quelle aversion nous pousse à nous abstenir, quand le sujet l’exige, des expressions que nous trouvons chez d’honnêtes auteurs, alors que les anciens ont emprunté des termes aux Grecs à chaque fois que les mots latins manquaient ou étaient moins précis ?

[1962] Il me semble qu’on doit fuir aussi avec autant de zèle ceux qui ne cessent de vociférer qu’il faut rejeter, comme totatement indigne d’être lu, tout ce qui n’est pas forgé, mots, formules, rythmes de phrases sur le modèle de Cicéron, alors qu’il est bien possible, avec des vertus distinctes, de se montrer égal sinon semblable à Cicéron.
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Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 6 [Ph. 1938-1990 ]
[1963] Absit a nobis haec fastidiosa morositas, quin potius quod Naso ludens narrat sibi accidisse in puellarum amoribus id nos serio praestemus in auctorum lectione. [1964] Illi proceram commendabat puellam, quod heroina videretur, | brevis placebat ob commoditatem, || primam aetatem flos ipse commendabat, ||| grandiorem rerum usus, [1964 b ] in illitterata delectabat simplicitas, in erudita ingenium, || in candida coloris gratiam amabat, ||| in fusca nescio quid latentis gratiae sibi fingebat.


[1965] Eodem candore si nos ex singulis scriptoribus excerpemus quod habent probandum, nullum fastidiemus, sed ex omnibus aliquid delibabimus quod nostram condiat orationem.

[1966] Ceterum illud ante omnia providendum, ne simplex ac rudis aetas Ciceroniani cognominis praestigio decepta pro Ciceroniana fiat pagana.
[352,1967] Videmus enim hujusmodi pestes nondum prorsus exstinctas subinde meditari repullulascentiam, sub hoc fuco veteres haereses, sub alio Iudaismum, sub alio paganitatem.


[1968] Sic ante complures annos factiones oriri coeperant apud Italos Platonicorum et Peripateticorum.

[1969] Facessant haec dissidiorum cognomina, ea potius inculcemus quae et in studiis et in religione et in omni vita concilient alantque mutuam benevolentiam.


[1970] Proinde de rebus sacris primum ea combibenda est persuasio, quae vere Christiano digna sit. [1971] Id si fiat, nihil videbitur ornatius caelesti philosophia, nihil suavius Iesu Christi nomine, nihil venustius vocabulis quibus ecclesiae lumina res arcanas tractarunt.



[1972] Nec videbitur ullius sermo venustus, qui non congruit personae nec rebus est accommodatus, monstrosus etiam, qui res pietatis tractat verbis impiorum quique materiam Christianam paganicis nugis contaminat.


[1973] Quodsi quid hic veniae datur adolescentiae, ne sibi sumat idem juris aetas provectior. 
[1963] Gardons-nous bien de ce purisme chagrin ! Que n’appliquons nous avec sérieux à la lecture de nos auteurs ce qu’Ovide nous raconte en riant de ses amours avec ses maîtresses ! [1964] Une grande jeune fille de haute taille l’attire par son allure d’héroine épique ; une fille un peu trop petite lui plaît par la souplesse de ses mouvements. La prime jeunesse n’a pas besoin pour lui d’autre recommandation que sa fraîcheur ! La plus âgée se fait valoir par son expérience ! Chez l’ignorante la simplicité même a son charme ; chez la savante, c’est l’intelligence qui lui plaît ! De la fille à la peau claire il aimait la beauté de son teint ; De la fille à la peau sombre il se figurait je ne sais quelle grâce mystérieuse.
[1965] Si nous choisissions avec la même simplicité ce qu’il y a de plus recommandable dans chaque auteur, nous n’en repousserions aucun, mais nous prendrions à tous un peu d’épice pour relever notre discours.

[1966] Mais il faut par-dessus tout veiller à ce dernier point : que la jeunesse, cet âge simple et encore peu subtil, ne se laisse pas tromper par le clinquant du titre et ne bascule pas du Cicéronisme dans le paganisme. [1967] Nous voyons en effet que des fléaux de ce genre, qui ne sont pas encore tout à fait éradiqués ne songent qu’à se propager à nouveau : sous le masque du cicéronianisme d’anciennes hérésies, sous un autre déguisement, le paganisme sous un autre encore le judaïsme tendent à renaître.
[1968] C’est ainsi qu’il y a déjà pas mal d’années avaient commencé à voir le jour en Italie des groupes de Platoniciens et d’Aristotéliciens.
[1969] Que disparaissent enfin ces titres, sources de discordes ! Inculquons plutôt aux jeunes gens ces notions qui, dans les sciences aussi bien que dans la religion et dans toute la vie enfin, favorisent et nourrissent la bienveillance mutuelle.
[1970] Mais pour cela dans le domaine de la religion il faut imprégner les jeunes d’une foi qui soit vraiment digne d’un chrétien. [1971] Si l’on y arrivait, rien ne nous paraîtrait plus distingué que la « philosophie chrétienne » rien ne nous paraîtrait plus doux à entendre que le nom de Jésus christ, rien ne nous semblerait plus aimable que ces expressions par lesquelles les docteurs, ces lumières de l’Eglise, ont traité les mystères de la religion.
[1972] Et aucun auteur n’aura pour nous de charme si sa langue ne s’accorde pas à sa personne ou n’est pas adaptée à son sujet. Nous jugerons même monstrueux celui qui traitera de la foi en utilisant le vocabulaire des auteurs impies, et qui contaminera ainsi un sujet chrétien d’élucubrations imaginées par les païens.
[1973] Et dans ce domaine, d’ailleurs, si l’on montre quelque tolérance à l’égard de la jeunesse, que l’âge mûr ne se donne pas le droit des mêmes exceptions !
[Ph.1964] Heroina n’est pas répertorié ds Gaffiot = Heroine es f. NB. Ovide écrit II, IV, 33 « Tu qui tam longa es, veteres heroidas aequas » (tu égales) Commoditas tatis f : Ovide dit qu elle est habilis : « facile à manier » ou selon d’autres « souple ».
[Ph. 1968] Voir Marcile Ficin : les platonismes à la Renaissance sous la direction de Pierre Magnard, Vrin, 2001


Ciceronianus ( 1528)
Traduction Section 6 [Ph. 1938-1990 ]
[1974] Qui sic est Ciceronianus, ut parum sit Christianus, is ne Ciceronianus quidem est, quod non dicit apte, non penitus intelligit ea de quibus loquitur, non afficitur his ex animo de quibus verba facit.

[1975] Postremo non eodem ornatu tractat res suae professionis, quibus Cicero tractauit argumenta suorum temporum. [1976] Huc discuntur disciplinae, huc philosophia, huc eloquentia, ut Christum intelligamus, ut Christi gloriam celebremus. [354,1977] Hic est totius eruditionis et eloquentiae scopus. [1978] Admonendi sumus et illud, ut, quod in Cicerone praecipuum est, imitemur. [1979] Id non in verbis aut orationis superficie, sed in rebus ac sententiis, in ingenio consilioque situm est.
[1980] Quid enim refert, si filius parentem oris lineamentis referat, cum ingenio moribusque sit dissimilis ?

[1981] Postremo, si non continget nobis, ut istorum suffragiis Ciceroniani dicamur, moderate ferendum est, quod nobis cum tot egregiis viris quos ante recensuimus commune est. [1982] Stultum est sequi quod assequi non possis. [1983] Delicatum est ob id misere discruciari, quod tot eximii scriptores aequo tulerunt animo. [1984] Indecorum est affectare, quae nobis non congruunt. [1985] Ineptum est aliter velle dicere quam res postulat. [1986] Insanum est tantis vigiliis emere, quod vix usquam sit usui futurum.


[1987] Huiusmodi ferme pharmacis medicus ille meo me morbo liberavit ; ||| quae si non gravabimini devorare, spero futurum ut et te, Nosopone, et te, Hypologe, febris ista relinquat.
[1988] Hypologus Ego sane jamdudum morbo levatus sum.
[1989] Nosoponus Et ipse propemodum, nisi quod mali diu familiaris etiamnum reliquias aliquas sentio.

[1990] Bulephorus Istae paulatim elabentur, et si quid opus erit, denuo « ton logon » medicum accersemus.

Fin de la 6° Section
Fin du Ciceronianus


[1974] Celui qui se montre plus cicéronien que chrétien, n’est même pas cicéronien, parce que ses propos ne s’adaptent pas à son sujet, parce qu’il ne comprend pas profondément les choses dont il parle, parce qu’il n’est pas touché au fond du cœur par ces sujets dont il fait son discours.

[1975] Pour en finir l’orateur ne traitera pas les matières de sa religion avec le style que Cicéron employait pour débattre des questions de son temps. [1976] L’enseignement des sciences, de la philosophie et de l’éloquence doit aboutir à ce que nous comprenions le Christ et à ce que nous célébrions la gloire du Christ. [1977] C’est là le but de toute la formation intellectuelle et oratoire. [1978] Il faut sans cesse nous remettre en mémoire que nous devons imiter chez Cicéron ce qui est le principal : [1979] ce ne sont ni les paroles, ni l’allure extérieure du discours, mais bien le contenu et les pensées, le génie et la réflexion. [1980] Quelle importance en effet cela peut-il avoir que le fils ressemble à son père par les traits du visage, s’il en diffère totalement du point de vue des mœurs et du caractère ?

[1981] Pour en finir, si nous n’avons pas la chance d’être élus cicéroniens par cette bande de sectaires, il faut le supporter sans excès d’amertume : cela est commun à tant d’hommes de mérite que nous avons recensés au fil de notre discussion !
[1982] Il est stupide de poursuivre ce que l’on ne peut atteindre, [1983] et c’est faire preuve de faiblesse que de se tourmenter comme un malheureux de ce que tant d’hommes remarquables ont supporté d’une âme égale. [1984] Il n’est pas à notre honneur de rechercher avec tant d’ardeur ce qui ne nous correspond pas. [1985] Cela n’a pas de sens de vouloir parler d’une chose en d’autres termes que ceux qu’elle réclame. [1986] Il n’est pas raisonnable d’acheter au prix de si longues veilles quelque chose qui ne trouvera d’emploi pour ainsi dire nulle part.

[1987] C’est par des remèdes de cette sorte que ce médecin fameux me libéra de mon mal. Et, si vous ne trouvez pas trop pénible de les avaler, j’ai bon espoir que cette fièvre vous laissera tranquilles, toi Nosopon, aussi bien que toi, Hypologus.
[1988] Hypologus  Moi je me sens déjà guéri de cette maladie depuis déjà un bon bout de temps.
[1989] Nosopon Et moi je le suis presque aussi, mis à part quelques vestiges de ce mal qui m’accompagne depuis longtemps et que je ressens encore maintenant.

[1990] Buléphore Ces symptômes vont disparaitre peu à peu, et si le besoin s’en fait sentir, nous ferons de nouveau appel au « Discours-Médecin ».

Fin de la 6° Section
Fin du Ciceronianus
[Ph. 1990] O logos nominatif ; Ton logon accusatif de logos : le mot, la parole la raison, le discours, et en termes chrétiens « le verbe ».
« ½ ÁÇÇ &½ A ›Ì³¿Â, º±v A ›Ì³¿Â &½ ÀÁx Äx½ ˜µÌ½, º±v ˜µx &½ A ›Ì³¿Â. » incipit de l Evangile de Saint Jean.
[1990] « Le Discours-Médecin » pour dire comme Molière ! Buléphore et Hypologus s’étaient proposé en effet, au début du dialogue, de jouer une comédie thérapeutique à leur ami Nosopon.

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Fin de la Section 6
Qui correspond à la
Division I du plan proposé par P. Mesnard,
« Conclusion ».
Fin du cicéronianus

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La lettre à Jean Vlatten qui sert de préface au Cicéronianus est donnée en latin dans la section 7.
Une traduction en est visible sur le site Itinera electronica.
Elle n’est donc pas donnée ici.  
JP. Woitrain

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. Werner Welzig, Erasmus von Rotterdam. Ausgewählte Schriften. t.7, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1972.
. Pierre Mesnard, Erasme, La Philosophie chrétienne, Vrin, 1970.
. Ciceronianus or A Dialogue on the Best Style of Speaking. Translated by Izora Scott M, with an introduction by Paul Monroe, PH. D. Published by Teachers College, Columbia University, NewYork City, 1908 (qui est en ligne).
. Literary and Educational Writings vol 6 ;  LIENHYPERTEXTE "http://www.google.fr/search?tbo=p&tbm=bks&q=bibliogroup:%22Collected+Works+of+Erasmus%22&source=gbs_metadata_r&cad=9" Numéro 28 de Collected Works of Erasmus Ciceronianus traduit par Mme Betty I. Knott, Presse de l’Université de Toronto, 1986. (extraits en ligne).









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