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Le travail sans l'homme - Cnam - Lirsa

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n que le travail pourra se faire sans l'homme.

La psychologie des milieux de travail et de vie :

La fragilité des systèmes automatisés dément chaque jour l'illusion du travail sans l'homme et souligne l'investissement subjectif qui règne dans toutes les formes de travail. On ne peut séparer la vie et le travail, les valeurs et la technique. Le sens est toujours présent dans les activités apparemment les plus réglées.

L'analyse des milieux de travail et de vie participe au renouvellement en cours des théories de l'action.

Les sciences cognitives recommencent à s'intéresser au rôle de la situation, aux interactions sociales, aux environnements naturels et artificiels et à la culture.

Une psychologie du travail se définit comme une tension : science et art de la pratique.

Ils ne sont jamais que les deux termes entre lesquels l'activité de l'analyste du travail établit le lien d'un va et vient.

Cette discordance est le meilleur rempart des idées reçues. Elle est utile pour comprendre combien des initiatives managériales ne cessent de se heurter aux démentis du réel. Il s'agit d'explorer la psychologie non écrite dans des milieux de travail dont l'efficacité "malgré tout" se fraie une voie singulière.



¼%LES HYPOTHESES ¼% :


Le travail est-il une épreuve ou permet-il à l'individu de s'exprimer ?

Le travail salarié est une épreuve pour le salarié, pas seulement l'épreuve de son rapport à la nature ou à la matière ou à l'objet de son travail. C'est une épreuve qui renvoie aux rapports sociaux dans lesquels son activité s'insère.

Aujourd'hui la crise du salariat n'est pas simplement une dichotomie entre des salariés et des gens qui ne le sont pas. Le salariat s'est généralisé, s'est achevé dans le fait que la subordination n'a même plus le travail comme objet, c'est une subordination sociale tout court, dans laquelle des hommes et des femmes ne sont plus assez en situation de faire valoir leur utilité sociale.
Le travail est aussi souffrance quant il est précaire ou surtravail. Mais si le travail est une épreuve, il peut être aussi une occasion de réalisation.

Le salarié s'approprie-t-il le travail ?

L'individu construit sa compétence réelle dans les interstices de l'organisation du travail. Cette intelligence pratique de la tâche est aussi une critique implicite des limites de la rationalité technique et économique.

La responsabilisation s'est-elle-développée ?

Il y a plus d'initiative convoquée, plus de responsabilité, mais dans le même temps mois de possibilité d'y faire face. Les ressources indispensables de tous ordres sont chichement mesurées aux salariés de qui par ailleurs, on attend souvent des miracles. En gros, les résistances du réel, souvent trop compliqué sont abandonnées aux salariés de base, qui eux, ne peuvent pas s'y soustraire.

Le travail n'est-il pas de plus en plus lié aux évènements survenant dans la production ?

Le salarié est lié aux évènements induits par les systèmes techniques automatisés et informatisés, aux productions en flux tendus.

N'y-a-t-il pas contradiction entre rentabilité immédiate et efficacité ?

Il y a contradiction entre rentabilité immédiate et efficacité. On vise officiellement l'efficacité ou la qualité mais on économise sur le travail, on exclut le travail qui est leur véritable source. Le travail est trop souvent considéré comme de " la mauvaise graisse".

D'ailleurs l'exclusion sociale est précisément liée à ce mécanisme interne à l'entreprise. C'est un mécanisme illusoire comme si travailler de plus en plus intensément était indispensable pour faire fonctionner la société alors que dans le même temps on traite le travail comme superflu.

Le salarié est-il citoyen ?

La politique, c'est le cœur de l'élaboration symbolique. En même temps, parmi ses terrains d'investigation et d'élaboration, il y a l'entreprise et le travail.
Le travail peut être le lieu de la praxis et la politique peut se retrouver ressourcée d'une certaine manière, enracinée dans le social si elle pénètre comme force de subversion et de conflictualité dans le monde de l'entreprise.
On peut être citoyen à l'extérieur du travail, être sollicité dans sa civilité extérieure. D'où contradiction entre être citoyen à l'extérieur et dominé à l'intérieur de l'entreprise.


DEMONSTRATION : ( INTRODUCTION)


A l'aide d'un exemple, Yves CLOT souhaite nous faire comprendre l'une des préoccupations de son
livre : ayant eu l'opportunité de rencontrer les responsables de la RATP, son attention fut attirée par ce qui lui sembla être un problème de langage. En effet dans leur politique de communication, ces dirigeants ont pris l'habitude de désigner METEOR comme "un métro entièrement automatique".

Grâce à cet automatisme complet, la RATP espère pouvoir se dégager de la contrainte d'avoir à affecter un personnel nombreux à la conduite des trains. L'Homme restant un maillon faible de la fiabilité, l'entreprise souhaite pouvoir consacrer davantage de moyens aux services de proximité des voyageurs en créant de nouveaux métiers pour un personnel disponible et aimable à l'égard du public.

Or, à l'examen, un glissement sémantique sans importance mais très significatif en réalité se produit lorsqu'on passe de l'expression de "train sans conducteur" c'est-à-dire sans loge de conduite, à celle de "métro automatique".

Or en fait, l'automatisation des trains ne rend nullement le fonctionnement d'ensemble du métro "automatique", c'est même l'inverse : elle déplace et élargit l'activité humaine de conduite puisque les "régulateurs" qui vont se trouver dans le poste de commande central devront : gérer "un train électrique géant", en cas d'incident "parler" aux usagers par téléaffichage et par télésonorisation, être l'une des composantes d'un collectif de travail incorporant le personnel présent sur le terrain, au contact direct des voyageurs.

Enfin si l'on ajoute à cette description le fait que, au-delà de quinze minutes, tout le personnel, même le plus "commercial" devra se montrer capable de "reprendre le train en manuel" pour conserver la disponibilité et la qualité du service en temps réel, on mesure à quel point il est juste d'affirmer, comme le faisait notre interlocuteur de la RATP, que chaque "agent doit pouvoir conduire" ce nouveau métro.

Il n'y a pas déclin du travail humain mais déplacement de ces points d'application, élargissement spatio-temporel de ses protagonistes, problème d'identification, de connaissance et de "mise en mots" de la vie collective.

Par ailleurs, la recherche des meilleures conditions de la mobilisation subjective des personnels ne vise qu'à élargir les mécanismes traditionnels de dépendance qui unissent le salariat à l'entreprise.
La vague d'innovation managériale de ces quinze dernières années n'a pas seulement eu comme objectif de minimiser les effectifs salariés et de rechercher le redressement de la productivité par la diminution de l'emploi, elle a aussi affecté les conditions de travail en redécouvrant les vertus de l'intensification : les horaires fixes qui concernaient 61,3 % des salariés en 1978 et encore 59 % d'entre eux en 1984, n'en concernent plus que 52 % en 1991.

La recherche de la souplesse et de la flexibilité a renouvelé les contraintes de cadence : "la demande des clients pèse davantage sur le rythme de travail, les délais sont plus serrés." L'autonomie progresse, mais le travail à la chaîne ne recule pas."

Ces ambivalences de l'autonomie méritent que l'on s'y intéresse. D'un côté son développement est réel en matière de comportements opératoires : de 1987 à 1991, la proportion des salariés qui disent régler les incidents dans la plupart des cas passe de 43,4 % à 49,6 % et celle des salariés qui interviennent dans des situations prescrites à l'avance passe, au contraire, de 18,9 % à 15,2 %.

Mais de l'autre les enquêtes laissent voir une montée des contraintes hiérarchiques portant sur l'activité globale : 32, 9 % des salariés contre 28,9 % en 1987 déclarent "agir ou pouvoir faire agir sur l'augmentation de la prime ou la promotion" des autres salariés sur qui ils exercent une autorité.

De plus, les conditions de vie se sont détériorées : en sept ans la proportion de salariés ne disposant plus de quarante-huit heures de repos consécutives s'est élevée de 18,7 % à 21,3 % ; en dix ans le nombre de salariés se plaignant de mal de dos, de nervosité et d'insomnie a progressé de 50 %. Enfin on assiste bien à la diminution de la fréquence des accidents, mais c'est au prix de l'accroissement de la gravité de chacun d'eux.

En conséquence, une grande lucidité paraît de mise lorsqu'on veut étudier l'effet de la modernisation sur l'existence de ceux qui la vivent : l'épreuve que constitue l'injonction de prendre ses responsabilités sans avoir de responsabilités effectives. L'impact des techniques nouvelles remet l'organisation du travail au centre des préoccupations des salariés. Paradoxalement les progrès de l'autonomie sont sources d'inquiétude "car si la marge de manœuvre s'élargit pour ce qui concerne les initiatives de conduites de systèmes, les contraintes temporelles sur les objectifs à atteindre sont plus pesantes".

Enfin le second argument qui milite en faveur d'un exercice lucide d'analyse des évolutions du travail moderne, c'est notre propre histoire : l'histoire de la communauté scientifique, avec un souci de lucidité portant sur les changements anonymes, souvent visibles après coup seulement. L'auteur juge les évolutions en cours moins comme une entreprise réussie de subordination que comme une modernisation opposée à elle-même.

Le diagnostic de D.A. Norman, un maître de la psychologie cognitive américaine recoupe celui de Bruner : une intelligence désincarnée, pure et isolée du monde ne saurait demeurer bien longtemps un domaine d'avenir. Il faut redonner un rôle aux situations réelles où se déploient les artefacts de la culture et les relations sociales.

Le sens du travail tend à devenir la condition d'efficience des systèmes et des installations, la connaissance et la reconnaissance des activités humaines font de plus en plus partie du travail lui-même. Il faut même envisager, de considérer l'analyse du travail, la formalisation de l'expérience professionnelle, l'élaboration des langages pour la penser, comme l'un des ressorts d'une autre efficacité sociale.


Dans le livre : "Problèmes humains du machinisme industriel", de G. Friedmann l'une des trois parties s'intitule "limites du "facteur humain". Ce même auteur aurai-il écrit aujourd'hui un chapitre sur les limites des "ressources humaines?" Aucuns cas singulier n'est comparable. C'est peut-être dans le domaine des régimes de production de l'imprévu que la connaissance du travail peut apporter le plus.
RESUME

La première partie du livre relève d'abord des "arts et métiers" de l'analyse du travail, au vieux sens de ces mots.



I - TRAVAIL, RESSOURCES HUMAINES, IDEES REÇUES

1 - Un langage commun sans travail commun ?

Etude concernant des personnels de bas niveaux de qualification face à la modernisation, faisant réfléchir sur l'épaisseur du problème de langage dans l'entreprise : SOLTI P.M.E. familiale de production de pâtes alimentaires dont la bataille économique porte essentiellement sur la répartition des parts de marché, en particulier sur l'exploitation dans les circuits de la grande distribution.

Les politiques de croissance de productivité passent par la mobilisation du personnel. Or, du point de vue même de la direction le personnel est compétent et travailleur mais il y a des zones d'ombre au tableau : une forte proportion d'intérimaires, une productivité très faible et une médiocre qualité des produits, notamment due à un manque évident de communication entre les différentes équipes de production et les autres services de l'entreprise, un taux d'engagement des machines insuffisant, une charge de travail et un taux d'accident élevé, un turn-over décourageant les jeunes embauchés.

Se former pour faire des pâtes : définition des objectifs de l'action

Premièrement : définir le mode opératoire idéal pour travailler dans les meilleures conditions de délais et de sécurité

Deuxièmement : élever le niveau technique

Troisièmement : apprendre un langage commun pour que tout le monde parle de la même façon, des mêmes choses.

Les matériaux qui vont servir à étayer la réflexion sur les équivoques "du langage commun" proviennent d'une exploration conduite avec des conductrices, aides-conductrices, aide-conducteur du conditionnement "sans qualification" autre que celle acquise sur le tas.

Quatre phases :

La première a consisté à formuler, grâce à l'observation de l'activité de travail, un diagnostic ergonomique sur les rapports entre les machines automatiques et celles et ceux qui sont chargés de les maintenir en état de marche permanente.

La deuxième a permis de réaliser un document vidéo portant sur le fonctionnement de l'atelier, ligne par ligne, en recueillant plus particulièrement des séquences où le travail consiste soit à répondre individuellement à des aléas, soit à nouer des relations avec les autres membres du collectif pour les surmonter.

La troisième phase est une phase d'autoconfrontation. Le film est projeté aux ouvrières et ouvriers concernés et donne lieu à un dialogue d'où sort une série de réinterprétations de la situation telle que les chercheurs l'appréhendaient après le diagnostic ergonomique, une validation ou une correction des hypothèses préalablement formulées par nous et parfois une prise de conscience de ces salariés des dimensions de leur propre travail invisibles.

A partir de l'activité de travail commentée, il a été possible de conduire des entretiens individuels de nature "biographique" davantage centrés sur le récit des rapports subjectifs au travail, travail faisant l'objet d'un document vidéo.

Dans un quatrième temps, ils ont pu recueillir la presque totalité des séquences d'un cycle de formation à l'aide d'un troisième enregistrement vidéo.

C'est à partir de là qu'il a été possible à l'auteur de poser la question des enjeux du "langage commun" dans la vie de l'entreprise entre une direction et un personnel ayant accumulé une longue expérience à l'épreuve des dysfonctionnements.

les séquences de formation ont permis de réfléchir au poids du langage en situation de travail et de traiter le rire comme une source de connaissance du travail. Le rire devient un acte d'affranchissement des dissonances ou des conflits d'activité. c'est pourquoi il ne faut pas hésiter à considérer l'humour et le rire dans le travail comme des trappes d'accès essentielles pour approcher la vie subjective en milieu professionnel.

Serait-ce alors que l'intimité de l'expérience elle-même est un obstacle à la modernisation ? La métamorphose des significations dans le langage est indispensable en dehors d'une transformation du sens de l'activité des femmes et des hommes qui travaillent.
Si les "exécutant" sont tenus à l'écart dans la division du travail, personne ne peut parler "à leur place". Le langage n'est pas une "décoration" du travail, mais une appropriation symbolique des épreuves qu'il comporte.

Les objectifs formulés par la formation étaient : on n'est pas là pour se servir ou pour apprendre à se servir des machines, on est là pour apprendre les modes opératoires idéaux, pour apprendre à connaître les machines. Or, le diagnostic des conductrices met l'accent ailleurs : la formation sert à apprendre à appeler les choses par leur nom. Mais on ne nous apprend pas à résoudre les pannes ou à comprendre les erreurs. Le diagnostic de la direction mésestime le souci d'efficacité du travail dont on a la responsabilité, celle-ci fut-elle subalterne.



Les zones de développement potentiel :

Ce que réclament les ouvrières, c'est plus de formation et non pas moins. L'une décrit ainsi un moment de sa vie professionnelle : Par exemple on ne doit pas mettre les mains dans les armoires électriques ; mais le mécano nous dit d'y aller, d'appuyer sur certaines touches. Pas la peine de m'appeler pour ça. Pourtant, ils ont mis des serrures et des clés carrées. On ouvre avec un tournevis. Il ne faut pas le faire, mais ça arrange tout le monde. "C'est un problème peut-être pour la sécurité mais, en formation on n'en pas parlé de ça".

Comment comprendre la réaction de cette ouvrière à la formation sans mesurer à quel point ses compétences débordent largement l'enseignement formel des "modes opératoires-machines ?" On peut mesurer ici la présence, dans le milieu de travail, de ce qu'on peut appeler une zone de développement
potentiel en empruntant ce concept à L. Vygotski. "le trait fondamental de l'apprentissage consiste en la formation d'une zone proximale écrit Vygotski. . Le chevauchement permanent des qualifications auquel les opérateurs sont contraints de procéder "pour arranger tout le monde" rend les salariés peu qualifiés plus grands que leur tâche. Ils sont de ce fait, virtuellement disponibles pour passer à un autre palier de développement personnel.
La volonté de doter tout le personnel d'un langage unique préétabli oblitère la mise en mots imprédictible des rapports entre "s'occuper" et "connaître" que recèle toute zone de développement potentiel.

2 - Attendus et inattendu du projet :

Deuxième terrain d'enquête : un secteur de l'Education nationale : l'enseignement technique, portant sur la reconversion des professeurs d'ateliers des lycées professionnels.


Il n'y a pas de rapport de proportionnalité directe entre le service produit par le prestataire et le service effectivement "rendu" à l'usager.


La perte d'effectifs dans certaines sections de CAP et de BEP, en particulier dans le bâtiment et la mécanique, a conduit nombre d'enseignants d'atelier à ne plus pouvoir enseigner la spécialité pour laquelle ils avaient été recrutés.


En conséquence, une formation reposant sur l'accomplissement d'un parcours individualisé, projet personnel a été mis au point en coopération avec les différents services rectoraux coopérant avec l'équipe du dispositif ARIANE .


Le principe de ces enseignants étaient que les élèves sentent que le prof soit à la hauteur du métier. En même temps, un élève peut aussi faire une démonstration, s'il a acquis, en stage par exemple, des connaissances qu'il peut alors communiquer aux autres. C'est le moment où on valorise la profession. On ne force pas les choses, c'est une unité problématique du rapport à l'objet d'un côté et des rapports aux élèves, de l'autre, que sont enracinées l'efficacité pédagogique et la transmission symbolique entre générations.


Mais cette approche de la qualification et de l'activité, attentive à ce que peut avoir d'essentiellement informulée une expérience professionnelle, nous a conduit à faire un pas de plus : celui qui va de l'analyse du travail à l'analyse de la formation.

La reconnaissance de cet écart entre la formation prescrite et la formation réelle, entre le "service" produit et le "service" réellement rendu a été au centre de notre recherche. Les contournements de la norme valent le détour.


L' Institution a besoin d'eux : (les professeurs d'ateliers des lycées professionnels)

Ils auront disparu de la scène scolaire d'ici une quinzaine d'années. Ils emmèneront avec eux la mémoire de quatre décennies de pratiques et de valeurs qui sont le fondement de cet enseignement dont on sait qu'il constitue une figure originale dans l'espace européen. En outre, la scolarisation de la formation professionnelle des ouvriers est une forte originalité française car dans d'autres pays, elle est assumée par l'entreprise. Leur existence réelle est contestée par l'arrivée d'enseignants issus du technique supérieur (BTS/DUT).

Dans le même temps un rectorat comme celui de Grenoble recherche une nouvelle cohérence entre la formation et la vie économique régionale !

La situation de formation : toute une histoire :

Le développement des nouveaux diplômes BTS/DUT s'étant fait en concurrence avec la réorganisation des CAP et BEP, d'où la difficulté à anticiper sur quels postes ces enseignants pourraient être réaffectés.

Un formateur précisait : "tout devient compliqué : des gens complètement démotivés, angoissés, doutant d'eux-mêmes et persuadés que les objectifs qu'on leur proposait, c'est-à-dire se former en deux ans ou en trois ans, dans la perspective d'enseigner à des élèves de bac professionnel étaient des objectifs qui étaient trop élevés pour eux.


Redécouvrir le monde du travail :

Pour comprendre le processus, le travail des formateurs n'est pas la pédagogie mais l'amélioration de la formation professionnelle des élèves. Partis de l'efficience opérationnelle d'une action de formation largement dépourvue de sens au départ, nous nous retrouverions, à l'étage au-dessus, paradoxe de l'expérience, avec une action "gorgée" de sens dans l'attente d'une efficience à redémontrer.

L'envie de "monter plus haut" :

Parce qu'ils sont d'une génération des années quarante, et qu'ils savent ce que c'est que le travail, l'action de formation est devenue le mobile d'une activité nouvelle. A la manière d'A. Leontiev, on peut écrire : d'action définie par un but institutionnel, la voilà ramenée au statut d'une opération servant des objectifs personnels.

Reconvertir le système : les surprises de l'efficacité :

Vouloir créer une structure inter-territoriale comme ARIANE, avec une cellule de gestion prévisionnelle rassemblant différents acteurs n'est pas possible. L'action des sujets en formation sort des limites de la situation initiale qu'elle réalisait. Ils ne seront plus jamais comme avant. En effet, ce sont les surprises de l'efficacité qui déplacent les mobiles de l'activité. Sans doute que l'action de formation rétrocède toujours sa dynamique propre à la situation qui l'a engendrée au départ.

A l'inverse, jouer la carte de la qualité, c'est admettre l'efficacité d'un processus qui atteint d'autres résultats que les objectifs fixés. C'est bien l'échange entre prestataire et usager qui définit la relation de service. Mais cet échange pour demeurer efficace n'a pas pour seul horizon la relation.
3 - Vivre en flux tendu ?

Troisième expérience terrain : l' analyse de projet TWINGO chez Renault :

Il s'agit de comprendre ce que "Ingéniérie simultanée" liée aux organisations en flux tendu résout et génère comme problème.


Face aux expériences précédentes, au lieu de prévoir l'automatisation maximale dans "une usine du futur", c'est la modernisation progressive de l'usine de Flins qui est retenue. Les techniciens sont donc partis d'une tôlerie de base, manuelle et ils l'ont progressivement équipée en se demandant, à chaque décision d'automatisation, si elle était la meilleure réponse à la question de la rentabilité ou des conditions de travail.


Ingénierie simultanée : la transparence ?

"L'ergonomie sans ergonome" comme le précise F. Daniellou serait le produit de l'analyse que l'ingénieur projet a pu faire lui-même d'une situation critique caractéristique des modalités d'intervention de l'ingénierie "groupes fonction".

Problème rencontré au démarrage : en fabrication, il faut beaucoup d'écrans sous une voiture pour se protéger des fortes chaleurs. Les écrans en question étaient bruts d'emboutissage et certains bords étaient coupants. Un jour un ouvrier s'ouvre le bras. Débrayage. Le Directeur de l'usine et le Directeur du projet sont alors dans une relation tendue car l'un tient les clés de la qualité en tenant celles de la sécurité, et l'autre est sous la pression des urgences du démarrage. Yves CLOT avant de décider quelle décision prendre demande trois jours pour descendre sur la chaîne avec le responsable des conditions de travail de la ligne de montage.

Il s'aperçoit que seuls six ou sept postes sont dangereux. Il demande aux ouvriers leur avis sur ce qu'il faudrait faire pour changer la situation. L'un lui précise qu'il existe des gants qui pourrait faire l'affaire.
Il fait son enquête et propose la solution au directeur d'usine. Celui-ci refuse au motif que tout le monde va en réclamer, sans compter la fraude. En faisant un calcul de l'investissement, il démontre que même avec un taux de vol élevé, cette solution est raisonnable, beaucoup plus que celle de remplacer les écrans, mais les budgets affectés sont différents. Effectivement si l'interlocuteur ne compte pas en "francs Renault" mais en "francs usine", il ne peut être qu'opposé à l'idée, car la solution du changement d'écrans était entièrement imputée au budget global du projet.

Finalement, pour des questions de diplomatie, on a aménagé un écran sur 5 et pour les postes dangereux, on a procédé aux aménagements demandés par les ouvriers et on a fourni des gants.

Dans cet exemple, on mesure à quel point l'organisation décentralisée est capable de poser les problèmes de façon relativement naturelle à condition que chacun parle en "francs entreprise". Il faut reconnaître que cette méthode entre en contradiction avec les critères tayloriens de séparation des "cagnottes", qui rendent incomparables les minutes du monteur, les francs du budget du fabricant et ceux de l'usine et transforment la comptabilité en ennemie de l'économie réelle.

Cet exemple permet de noter la démarche qui s'engage sous l'impulsion paradoxale d'une rationalité gestionnaire qui tend à découvrir que le taylorisme coûte cher. Par ailleurs, on notera à quel point l'initiative laissée à l'équipe projet non seulement ne débouche pas sur une communication idéale, mais contribue à révéler, au travers de conflits de gestion, des dysfonctionnements cachés.

Enfin elle met en évidence que la qualité de l'ingénierie dans ce cas consisterait à placer l'organisation du travail au moins au même niveau de plasticité que celle atteinte par les matériaux et les outils. Un peu comme si l'organisation pouvait être jugée davantage sur la rapidité avec laquelle elle rassemble ceux qui peuvent résoudre un problème en commun que sur la vitesse de propagation d'une décision centralisée sur la ligne hiérarchique.

A ce compte, la "fluidité industrielle" ne résulte plus seulement de la "tension" des flux de matières et de produits mais, tout autant, de la qualité des flux d'informations conditionnant la rapidité et la justesse des arbitrages humains. Les différences d'espaces et de temps entre une gestion coordinatrice d'activités décentralisées et une gestion additive d'opérations artificiellement centralisées sont mises en évidence. Par cette conception "continuée", le travail humain revitalise en permanences les outils dont il fait usage. La circulation des connaissances débouche sur un questionnement des circuits de décision et de pouvoir. Non seulement les conflits n'en sortent pas émoussés, mais chacun est confronté à l'opacité des relations sociales.


La peau du flux :

Il s'agit d'analyser les résultats à partir d'une enquête réalisée dans la tôlerie polyvalente d'une usine de l'autre grand groupe automobile français, pour le compte de la MIRE au Ministère du Travail :

Partout est impliqué le temps de réaction de l'entreprise sur le marché, sa "réactivité", comme il est devenu courant de dire dans un vocabulaire plus psychologique que technique.

La marchandise standard ne fait plus recette et l'industrie automobile elle-même, qui fut le champion de la grande série "à peu près", voudrait se targuer d'être aussi devenue le support d'une néo-industrie de la singularisation.

Plus généralement, la poursuite d'une intégration logistique sous l'angle de la gestion prévisionnelle des flux de produits et d'informations modifie le rapport au temps dans ces industries.

Comme le précise J. leplet : la "multifinalité de l'activité des sujets est la source de problèmes très divers : le plus commun est souvent désigné sous le nom de conflit de critères (vitesse/précision, qualité/quantité, production/sécurité, coût/efficacité, etc.).

Agir sur des paroles :

Au dispositif mécanique traditionnel homme/machine tend à se substituer un dispositif automatique équipe/système.

En cherchant à séparer les opérations manuelles de l'activité globale du sujet, en opposant l'exécution et la conception, la mécanisation taylorienne a développé l'expérience informelle de contrôle et de régulation des ouvriers spécialisés.

Dans les tôleries analysées, 95 % des points de soudure sont réalisés automatiquement à l'aide de 97 robots-soudeurs et de 27 autres robots "manipulateurs" qui déplacent et orientent les pièces à travailler.
La programmation de l'ensemble est possible grâce à la présence des 430 automates programmables et des 90 chariots automoteurs qui véhiculent les ensembles.

Ecoutons ce dépanneur parler de la singularité de chaque scrutation pour l'analyse du "travail" des automates : "d'un automate à l'autre, les choses changent et vous ne pouvez donc pas faire le même
raisonnement partout. … En plus, comme je suis technicien d'atelier, très souvent j'agis sur des paroles que les gars me disent : "tiens, quand on fait ça, il s'est produit ça, ça serait mieux que ça se passe autrement. On n'a pas compris pourquoi tu as fait ça…" alors, j'analyse le problème, si ce qu'ils ont demandé, c'est mieux, donc je plie la machine à ce qu'ils veulent. Si ça peut arranger tout le monde, les arranger eux, arranger la production, arranger tout, hein ? Cela fait plaisir de sentir que des gens ont besoin de vous. Cela fait très plaisir…"

Lorsque le technicien indique "je plie la machine à ce qu'ils veulent, la formule fait réfléchir. Autrement dit, c'est le sens personnel que prennent les informations qui permet d'élaborer les cadres de tri entre elles, d'en fournir l'interprétation ajustée, d'élaborer les buts des actions.

La montée des "coûts subjectifs" :

Si nous prenons plusieurs ouvriers techniciens dont l'activité essentielle consiste, soit à la fabrication directe, soit en maintenance, à programmer et reprogrammer les robots et les automates dans le but de réduire les temps de cycle, ou de fiabiliser les matériels pour supprimer les pannes, le constat est net : selon que ces actions sont celles d'un "mordu de la micro", comme on nomme ceux qui poussent l'amour de la technique jusqu'à programmer chez eux, celles d'un jeune électronicien qui attend l'occasion de quitter l'entreprise, celles d'un ancien professionnel en passe d'accéder à une position d'encadrement, celles du "marginal" qui travaille en VSD (vendredi, samedi, dimanche) pour se consacrer les autres jours de la semaine à son sport favori, les résultats de l'activité ne sont pas identiques.

Ainsi selon les mobiles, ce sont les buts des actions eux-mêmes qui diffèrent ainsi que les modes opératoires qui les réalisent donc les fonctionnements cognitifs en tant que tels. La nouveauté tient plutôt au poids que la modulation subjective des actions cognitives prend dans l'organisation de ces activités. C'est de moins en moins l'adaptation passive à des opérations prescrites qui est recherchée par les hiérarchies des usines étudiées ici, mais, de plus en plus, la création par les hommes d'opérations adaptées à la réalisation de buts focalisés non plus sur des contraintes de postes mais sur les exigences globales de l'atelier (1 200 voitures/jour).

Le taylorisme rapportait les buts de l'action aux modes opératoires. Le flux tendu enraciné dans l'automation fait dépendre, lui, la croissance de la productivité de la fiabilité du système de machines et donc de la qualité des échanges humains. Les buts s'élargissent au système et leur réalisation est alors exposée à la régulation des équipes à leur tour plus dépendantes de styles personnels et des mobiles communs, des valeurs et de l'éthique des collectifs. Autrement dit, l'efficacité est directement liée au rapport qui s'établit entre les buts et les mobiles de la production, nouveau terrain du face à face social.

4 - Le travail psychique, travail réel :

c'est peut-être un des paradoxes les plus significatifs de notre époque que celui des stratégies managériales oscillant entre une sur-presciption du travail psychique des salariés et son refoulement, parfois brutal.

Terrain de la situation décrite : en juin 1992, la société ALFER, spécialisée dans l'inginiérie du nucléaire décide d'un "plan social" débouchant sur environ deux cents licenciements, soit près de 10 % du personnel de son siège social. L'étude a pour objet de comprendre l'impact des suppressions d'emplois sur le travail du personnel demeuré dans l'entreprise.

Travail et perte d'idéal :

Les licenciements sont évoqués par les salariés comme une "déchirure" dans l'histoire d'ALFER. Après le départ d'une partie du personnel, même ayant conservé son emploi, chacun se sent un peu "licencié".

C'est un métier de gérer ce genre de crise. Les résultats devraient être meilleurs que cette grande brutalité, insensibilité et même que cette imperméabilité à la psychologie des gens. Et le paradoxe tient peut-être en ces mots : "il semble qu'on sache bien recruter mais mal licencier.." La société" n'a pas senti cette relation affective et elle a mis fin sans précaution à cette aventure."

Un management anonyme :

L'obscurité entretenue sur la signification du tri opéré dans le personnel alimente l'identification de ceux qui restent à ceux qui sont partis. Cet anonymat social est durement ressenti.
La désinformation agit en profondeur sur le climat de travail en nourrissant la vacance, confiant à la rumeur le soin de tisser le lien social que requiert toute situation de travail.

On ne peut qu'être déçu par le manque de volonté de la direction d'affronter les problèmes. Jamais d'explication précise ni de déclaration claire. On peut se demander si la hiérarchie se rend compte à quel point la culture a été forgée. C'est un état d'esprit. Un monde qui est devenu un réflexe. Ce monde est souvent désigné par son nom, il s'agit du paternalisme.
La réorganisation est venue trop tard. On comprenait mal pourquoi on attendait. Du coup on a tenu en réserve un personnel en sureffectif : attentisme et brutalité ensuite."

Les licenciements "donnent du travail" :

Lorsqu'il s'agit d'évoquer la décision économico-stratégique de licencier prise par la direction, il n'est plus seulement question de méthodes et des manières de licencier, mais de porter un jugement sur la légitimité financière des licenciements.
On opte pour le silence sur le problème, faute de trouver les mots pour en parler. La formation de ce système de défense résulte de l'inscription apparemment impossible du sens personnel du travail de chacun dans un contexte de signification sociale partagé par un collectif d'appartenance identifiable.

"La ligne de haute tension" entre "euphorie" et "mélancolie" professionnelle passe à l'intérieur de chaque salarié rencontré.

On ne peut écarter l'hypothèse que ces conflits intérieurs fasse l'objet d'une souffrance largement sous-estimée.

Fierté du travail et travail invisible :

Dans le métier d'ingénierie, il y a deux "races". Il faut les études de base, mais ensuite ça doit "rentrer dans le matériel". Les décisions qui tardent à venir d'en haut sont anticipées. Et pourtant ce travail est invisible d'en haut et même méprisé. Une certaine fierté de faire ce travail ne cesse d'être présente dans tous les entretiens. Même à des niveaux hiérarchiques n'impliquant pas d'ingénierie, on retrouve une préoccupation "spontanée" d'efficacité.

"Le boulot sera sorti quand même parce que la boite, c'est les collègues. On passe notre temps à se rendre service entre nous." Derrière les organigrammes, il y a un échange, il y a un climat. A vrai dire on conserve l'impression qu'une multitude de "microclimats" de travail, dispersés de manière inattendue sous l'épaisseur des organigrammes, producteurs de règles d'organisations informelles, contribuent à générer une efficacité tissée de fils invisibles. Les ratios captent mal la productivité à la source. Un peu comme si l'entreprise était pensée à l'envers : la tête en bas.

L'épreuve la plus importante à surmonter est celle qui a fait perdre sa signification sociale à l'entreprise nucléaire. Tous les "microclimats professionnels" qu'il a été possible d'approcher ne trouvent, alors, dans aucune météo générale de quoi penser leur avenir.


5 - L'efficacité "malgré tout" :

"Malgré tout dit un salarié, le sérieux du travail est incontestable. Pour la plupart des "décideurs", l'efficacité ne peut être générée qu'au prix d'une anticipation toujours plus grande de l'organisation du travail. Du coup, beaucoup de dirigeants n'admettent qu'avec beaucoup de réticences l'existence d'une efficacité puisant à d'autres sources.

L'auteur identifie cette attitude "faire ce qui doit être fait" en dépit des obstacles inattendus générés par l'organisation elle-même comme la poursuite d'une "efficacité malgré tout".

L'étude réalisée en milieu hospitalier, dans un service de La Pitié-Salpétrière spécialisé dans les greffes d'organes, cardiaques en particulier va corroborer cette efficacité malgré tout.

Le "flux vital" de la chirurgie cardiaque :

La source de l'engagement médical moteur, l'innovation, faut la chercher dans le flux vital qui ne cesse d'alimenter une équipe pionnière lucide sur ses capacités d'innovation et en quelque sorte fidèle à son histoire. Plutôt que d'accepter une régression de l'activité, l'organisation du travail va jusqu'à favoriser la cristallisation de ce qu'on peut appeler un "hybride catégoriel" : un volant d'intérimaires stables. Sous-traitance et intérim, stratégie désignée comme tentative récurrente d'adapter les contraintes extérieures aux capacités en évolution de l'équipe plutôt que d'accepter de subir le processus inverse.

L'efficacité collective :

En circulant de l'hospitalisation à la réanimation, de la réanimation au bloc opératoire, du bloc opératoire aux salles de consultation, en passant de l'équipe de jour à l'équipe de veille et de cette dernière à l'équipe de garde, une donnée de la situation s'est révélée peu à peu souvent c'est entre les différents segments de l'activité d'ensemble, aux frontières de chaque cycle de travail spécialisé que l'organisation révèle son efficacité ou ses dysfonctionnements.

Pour ce faire le choix de l'auteur s'est porté sur le suivi d'un parcours de malade, plus précisément l'observation des enchaînements du travail.

Le brancardier du service : le "garçon de bloc" et les protocoles de plaisanterie :

"C'est toujours le même refrain, indique l'agent, je plaisante pour les faire sourire. Mais ça ne s'étudie pas ; il ne faut rien préparer. Tout le monde n'aime pas la plaisanterie. Pour certains, il faut la détourner, faire comprendre qu'on plaisante."

Dans les séquences observées, les dialogues entre le garçon de bloc et les patients couchés sur le lit roulant dans le couloir obéissent à des scansions précises. Au-delà des transbordements préalables à l'entrée dans le bloc, il y a la phase d'installation finale, particulièrement décisive dans l'établissement de la posture la plus favorable pour le travail de l'équipe médicale.

Les actes techniques de cet agent de service ne sont jamais seulement techniques. Le patron du service précisera plus tard que le garçon de bloc et lui "forment les deux bouts de la chaîne".

Gestion des passages, tactique des installations, supervision implicite, récupération d'incidents : l'agent de service se trouve être l'interface non éliminable d'une responsabilité collective distribuée et redistribuée.


Deux infirmières, l'écrit et l'oral :

Il s'agit de montrer à quel point le collectif de travail devient très dépendant du style que chacun donne à son activité en s'appuyant sur l'établissement de chroniques d'activités pour comparer l'organisation de techniques de relève entre équipe de jour et de nuit chez deux infirmières différentes.

Deux infirmières assurent la responsabilité d'une équipe une nuit sur deux.

Deux approches différentes :

L'une dès son arrivée rassemble les informations portant sur le nombre de demandes d'intérimaires formulées pour la période de 10 heures qui suit.

Après avoir testé leur expérience en utilisant comme indicateurs le nombre de missions réalisées (intérimaires) et la connaissance du personnel en poste, en fonction de ces données, elle procède à la répartition des agents selon les secteurs. Ensuite elle fait le pont au planning sur les malades présents dans le service.
Puis, elle va vers "la grande réa" où elle procède à une visite personnelle systématique de chaque malade. Cette visite a pour objectif la recherche de paramètres propres à chaque patient : les informations consignées. Le tout complété par l'observation du "scope", écran disposé dans la salle de soins et qui centralise, sous la forme d'une présentation graphique, l'ensemble des données.

Une prise d'ambiance de l'état du malade suit ces opérations. Cette deuxième phase de la relève s'achève par la consultation du "cahier infirmier".

Une troisième phase s'ouvre ici, alors que l'infirmière note sur une troisième feuille, qui reste un document personnel, l'ensemble des données qu'elle vient de recueillir. A ce moment-là seulement, elle se sent en mesure de produire un diagnostic de situation qui lui permet de procéder à la répartition des malades entre les membres de l'équipe placée sous sa responsabilité, elle va s'efforcer d'y parvenir de la façon la plus équitable possible, c'est-à-dire en répartissant au mieux la charge de travail :
Trois possibilités de regroupement de malades pour attribution à une ou un infirmier :

1) regroupement d'un malade lourd, plus un moyen, plus un léger

2) regroupement de deux lourds

3) regroupement de trois légers

C'est la trame organisationnelle pour la nuit.

La quatrième phase est consacrée au "passage des transmissions". Elle s'effectue dès que l'organisation de l'équipe est terminée et que chacun ses malades affectés, se trouve en position de recevoir les consignes du professionnel de l'après-midi et ceux de nuit.




L'autre commence par un échange oral avec les infirmières de l'après-midi, présentes à son arrivée.

Elle part de l'évaluation subjective formulée par l'équipe antérieure. Le choix du préalable dans l'abord de la situation se conjugue avec une batterie d'options également différentes. Dans la répartition des personnels, elle n'opte pas pour la solution précédente qui conduit à accomplir des déplacements permanents entre la chambre 1 et la chambre 12 par exemple.

De sont point de vue, la gestion de l'aire géographique est le meilleur critère de répartition du personnel. Les malades sont affectés en bloc sur un indicateur de proximité des chambres, pour raccourcir les parcours et faciliter la surveillance, quelle que soit la "lourdeur" du cas.

C'est que selon elle, les intérimaires sont diplômés comme les autres et donc capables de faire face.
La seconde infirmière ne rentre pas dans les différences entre intérimaires et titulaires. Elle procédera à la "relève" pour chaque malade en se fiant au diagnostic de la surveillante ; en n'allant au départ visiter l'un d'entre eux qu'à partir de ses indications. Vers le milieu de la nuit un point est fait. Le premier tour de secteur se trouve déplacé de 21 heures à 4 heures.


Conclusion : les critères d'appréciation du milieu de travail ne sont pas identiques. A tel point que la seconde infirmière, qui transcrit les consignes de la surveillante sur document provisoire, laissera à l'équipe de jour, qu'elle n'attendra pas au-delà de 7 heures une relève écrite.

En un sens, l'écrit et l'oral de la "relève" finale entre leur équipe de nuit et l'équipe de jour signent une différence et une complémentarité.

La différence entre les deux infirmières remonte sans doute à leur système de vie respectif. La place du travail dans leur existence n'est pas non plus identique. L'idée qu'elles se font du professionnalisme appartient visiblement à des horizons de sens non totalement commensurables.
Mais par ailleurs, les rapports de ces deux infirmières ont tissé des liens de complémentarité assumés avec une lucidité frappante. C'est aussi par ce genre d'arrangements implicites où s'échange le sens différencié des existences humaines que ne cesse d'être redémontrée l'efficacité d'une équipe.

Se désorganiser pour s'organiser :

On peut référer la recherche d'efficacité dans la vie de ce milieu de travail à ce que le chef de service appelle métaphoriquement le "flux vital". Du coup l'inorganisation apparente se révèle très organisée.
C'est un peu la source d'une organisation souterraine, difficile à approcher du dehors puisque le paradoxe est : il faut se désorganiser sans arrêt pour s'organiser. On comprend alors pourquoi les obstacles sont ici souvent approchés comme des occasions d'inventer.


Dans la deuxième partie ,les méthodes et les concepts sont examinés.

II - MILIEUX ET SUJETS DU TRAVAIL

6 - Le fil de l'activité :

Après l'exposé des quelques analyses de situation de travail, est-il encore possible de regarder les choses ainsi ? La "prescription de la subjectivité", désignée comme l'une des tendances les plus vigoureuses des systèmes de travail contemporains ne révèle-t-elle pas, au contraire, le succès d'une entreprise de subordination salariale digne du taylorisme ? Les séductions du management participatif débouchent fréquemment sur le ressentiment ses travailleurs. Quelle est la nature de ce ressentiment, est-ce une immobilisation subjective, une sorte de passivité psychique.

Les caprices de la prescription :

L'OST peut être considérée comme la figure emblématique de la prescription des conduites humaines à tel point qu'on rend parfois synonyme prescription et taylorisme. En choisissant le mouvement qui réclame de sa part le moins d'entremise, on prive l'homme de son initiative. Or, "l'amputer de son initiative pendant sa journée de travail, pendant ses huit ou dix heures de travail, aboutit à l'effort le plus dissociant, le plus fatigant, le plus épuisant qui se puisse trouver.

On exige de lui un sacrifice qui "l'ampute d'une grande partie de ses disponibilités, qui laisse dans le silence toute une série d'activités nécessaires, de mouvements qui sont nécessaires parce qu'ils font un tout en quelque sorte organique avec les gestes exigés. Ce qu'on reproche au taylorisme ce n'est pas d'être allés trop loin dans l'analyse des gestes, mais, au contraire, d'être restés à leur surface pour des raisons utilitaires de rendement.

Analyser les tâches qui s'imposent aux hommes réclament en quelque façon de se placer du point de vue de l'activité qui les supplante ou plutôt du point de vue des activités imprévues qu'elles sollicitent.

Comme l'activité s'est vue artificiellement réduite par le taylorisme à un dressage opératoire, la subjectivité se voit aujourd'hui confondue avec l'attachement à l'entreprise. Mais la reconnaissance de la contribution subjective des salariés à la vie des organisations est aujourd'hui largement déniée.


Naissance et renaissance de l'activité :

L'activité a une carrière au cours de laquelle entrent en lice en des temps différents de nouveaux buts d'action et de nouveaux mobiles qui la transforment. Elle a donc une histoire dont il faut pouvoir tirer le fil, si l'on veut comprendre comment les caprices d'une prescription se retournent en initiative humaine au prix d'en déplacer sans cesse l'horizon.

Rappelons le destin de deux autres "gouttes de pluie" du travail :

La première appartient à ces infirmières et infirmiers intérimaires qui pour des modes de vie ont choisi l'intérim et sont devenus des "habitués" de l'organisation.

La deuxième est ce technicien de maintenance en tôlerie polyvalente, mordu de la micro à qui on demandait de gagner cinq centièmes ou dix centièmes sur un robot parce que ça permettait d'aller plus vite et de gagner un peu de temps. Or chaque jour on se trimbale deux heures et demie de pannes.
A la limite, c'est dérisoire de vouloir gagner dix centièmes. Le mot dérisoire évalue l'existence d'un "coût subjectif" élevé de cette activité. C'est comme si l'activité se trouvait poussée à redescendre d'un étage. Là, elle s'enkyste rapidement en souffrance si le sujet ne peut emprunter à d'autres compartiments de sa vie les ressources qui lui feront passer l'épreuve.

Si l'on reprend l'exemple du dispositif formel de formation par l'activité des "formés" sous l'impact de la formation réelle. L'un disait j'en étais arrivé à faire un certain complexe d'être redescendu si bas. Et là, ça m'a redonné le goût des études, j'ai envie de continuer l'an prochain, même si on ne m'accorde pas d'heures, j'ai envie de monter plus haut. Ce sont les valeurs ajoutées de l'action.

S'économiser : habileté et subjectivité :

C'est pour s'épargner des efforts inutiles que l'opératrice négocie avec le mécanicien ses "entrées" dans l'armoire électrique. La standardisation recherchée vise à générer sans cesse une disponibilité supplémentaire. Ce chapitre a montré que le processus de transformation de l'action en activité éclaire beaucoup sur l'élaboration de la subjectivité.

7- L'efficacité entre le sens et l'efficience :

Yves CLOT apparente les cinq premiers chapitres de son ouvrage à de la psychologie des milieux de travail et de vie.

Il précise qu'il considère cela comme la fabrication des "mémoires" de la psychologie des milieux de travail concernés. Cette élaboration des "annales" du travail et un peu ce que l'étude des archives est au métier d'historien, la confection de sa matière première.


Les archives de l'efficience : le "petit carnet" :

La psychologie non écrite : on ne peut dissocier par exemple, l'histoire des gestes de manipulation du garçon de bloc des instruments qu'il s'est fabriqués (cales de redressement faites de draps pliés) à l'occasion des milliers d'installations" (sur la table d'opération) qu'il a réalisées.

Ces objets, de la cale au billot du brancardier, du petit carnet au croquis commenté, de l'aide-mémoire au plan, du livre de consigne à la bible du bloc opératoire, sont précisément les particules anonymes où se trouve consignée la recherche d'efficience des collectifs de travail.
Mémoire objectivée du milieu intérieur, c'est en partant d'eux qu'on peut remonter le cours de l'activité en conservant ses annales.

Prenant un exemple donné par R. Montredon, ancien opérateur dans l'industrie pétrochimique : si vous stationnez dans une sale de contrôle et y observez l'équipe de quart confrontée à un mauvais fonctionnement de l'unité, vous pourrez y surprendre un opérateur tirant un petit carnet de la poche de son blouson. Dans ce petit carnet, on trouve des schémas partiels d'unité, des circuits, des régulations, des notes sur les actions éprouvées lors de tel ou tel type de situations, des formules de calculs.
On ne peut rencontrer deux petits carnets identiques et si on les supprimait, "on ne pourrait pas faire marcher l'usine".

Quel enseignement tirer de cette analyse où l'on voit le "petit carnet" apparaître à la fois comme l'organe et l'artefact d'une instrumentalisation de l'action des opérateurs ?


Au service de l'action :

La leçon a en retenir c'est qu'il faut considérer des auxiliaires opératoires comme des organes où se dépose l'efficience, mais qui délivrent leur puissance virtuelle seulement en fonction des buts de l'action en cours des opérateurs. Si l'instrument auxiliaire descend bien de l'action, l'action ne peut pas venir de l'instrument.

Pour suivre l'action au fil du temps c'est possible à deux conditions :
La première suppose de ne pas confondre la genèse de l'action et celle de ses instruments, plus largement l'action et les opérations de travail. La seconde, à l'inverse, consiste à ne pas les séparer artificiellement. Car alors on ne comprendrait plus pourquoi il y a bien une "genèse instrumentale" économe en action.

Le sens comme recréation des buts :

Si l'on prend l'action du transfert du malade par le brancardier, on dira qu'elle est guidée par une visée qui n'est qu'autre que l'arrivée du patient en salle d'anesthésie.

Le but de l'action devient alors que le malade sourie. On peut mesurer ici combien travailler, c'est juger. Telle action est alors inscrite dans une chaîne symbolique qui lui donne sens. A ce titre, le sens de l'action est une régulation latente plus qu'un attribut conscient de l'activité. la tâche effective réforme la tâche prescrite.

Les archives du sens : métaphores et créations verbales :

En donnant au travail sa contenance, les protocoles langagiers fixent aussi en quelque sorte sa morphologie.

Par exemple, au moment où la fin d'une opération "à cœur ouvert" se solde par l'arrêt du fonctionnement en circulation extra-corporelle, quand le cœur repart, le chirurgien en désignant du doigt cette renaissance de la fonction cardiaque sur l'écran de contrôle vidéo, se détend et déclare : "regardez ! le bébé gonfle ses joues".

Du coup la métaphore du bébé apparaît comme l'instrument symbolique d'une renaissance du but , désignée aussi comme recréation du but.

Autre exemple dans l'automobile, la direction de l'entreprise appelle "noria" la circulation des flux. Comment les opérateurs la voient-ils ? réponse parmi d'autres : "j'aime bien les prendre à contre-pied quand ils parlent de la noria. Pour dire que les ouvriers se déplacent, ils ont trouvé ce mot savant. Moi j'appelle cela la transhumance. Je suis plus près des pâquerettes. On a beau dire que c'est automatisé, mais si on ne mettait pas notre nez partout, tout cela s'arrêterait vite. C'est finalement l'histoire du sujet
qui lui ouvre la possibilité de se tenir à distance d'une activité qui ne le contient pas tout entier et à laquelle il peut donner un sens personnel.

Techniques de la parole et de la pensée :

Dans l'entreprise d'inginiérie retenue au quatrième chapitre de ce livre, les conflits larvés que provoquait la mise en œuvre par la direction des procédures "qualité" furent l'objet de délibérations multiples et animées, nourries par de nombreuses controverses. L'un des interlocuteurs en parla ainsi "ils font de la grammaire sans connaître la langue qu'on parle".

La psychologie populaire, telle qu'elle a été définie par J.Brunner est le système de signification par lequel nous organisons notre expérience du monde social. Or, écrit-il, elle "dépend à un point difficilement imaginable du pouvoir des figures de rhétorique (métaphores, métonymies, synecdoques, implications …)

Ces techniques symboliques, ajoute-t-il, "nous parlent d'êtres humains qui agissent sur la base de leurs desseins, qui cherchent à atteindre des buts, qui rencontrent des obstacles qu'ils parviennent à surmonter ou qui, au contraire, les dominent tout cela se produisant au fil du temps.

8 - Le travail entre activité et subjectivité :

On vient de mesurer à quel point l'activité langagière portait témoignage de la production de sens non éliminable dont le travail est le théâtre.

L'auteur souhaite montrer qu'il existe une théorie naturelle du sujet colportée. Cette conceptualisation tacite, en acte dans le langage ordinaire, transpire, par exemple, dans la récurrence des métaphores de la navigation circulant sur les lieux de travail.

Théorie naturelle du sujet, mythe et science :

Sous le coup des licenciements, les cadres d'ingénierie créent une matrice métaphorique qui connaîtra des variantes : parti avec son équipage, le capitaine doit arriver au port avec cet équipage et la cargaison saine. Si l'on se tourne vers l'atelier de la tôlerie polyvalente du secteur automobile, on rencontre une déclinaison rhétorique qui nous déplace du bateau à la galère en passant par la chaloupe pour éviter de couler, en fonction du niveau des obstacles auxquels les conducteurs d'installation sont confrontés.

Dans l'atelier de l'usine agro-alimentaire, une opératrice, pour transmettre son plaisir à travailler dans sa "zone", déclenche les rires autour d'elle en disant : "sur mon petit rafiot, je suis comme un marin sur son bateau. Dans les services hospitaliers, on cherche à atteindre la vitesse de croisière contre vents et marées.

Le recueil de ces figures déborde vite le chercheur. Le psychologue averti précise que trois modèles sont envisageables, le sujet humain n'est qu'une girouette. La direction vers laquelle l'individu se tourne finalement est celle des forces externes qui s'exercent selon lui. Le deuxième, le sujet est un prisme déviant, par sa structure établie, les rayons lumineux du déterminisme social. Le troisième assimile le sujet au barreur d'un bateau.

La mythologie peut nous être secourable, on sait quelle technique de pensée elle est encore aujourd'hui. Considérons-là comme la symbolisation des conflits de l'activité humaine. Alors on sera attentif au fait suivant : dans l'univers des dieux où se déploie l'intelligence grecque, ce sont les puissances jumelées et rivales à la fois d'Athéna et de Poséidon, ces deux puissances de la mer qui rendent compte des tensions au sein desquelles le sujet prend part aux épreuves du monde.

L'envers de l'action :

Si nous prenons l'exemple des deux infirmières surveillantes, elles abordent la situation avec une batterie d'options différentes. Jusque dans les détails du travail, se réfracte la disparité des choix par lesquels chacune se définit dans la situation et lui donne, par un choc en retour, une configuration unique.

L'idée que ces deux infirmières se font du professionnalisme appartient visiblement à des horizons de sens incommensurables et, du coup même si leur collaboration n'en souffre pas, leur commune situation de travail n'est pas identique.

En conséquence de quoi, le milieu professionnel de trouve régulièrement métamorphosé et surtout l'organisation du travail est en quelque sorte dénaturalisée, rouverte sur ces contradictions.


Le sujet dans les théories de l'action :


C'est une "illusion grammaticale" que de se représenter la subjectivité comme un état mental déposé dans une "instance externe de pilotage de l'action et d'attribution de sens." La subjectivité n'a pas plus de consistance qu'une émergence en cours d'accomplissement public de l'action.

Le soi n'est pas quelque chose qui existe, pour ainsi dire, un remous dans le courant social. Dans la perspective de ce "béhaviorisme social" la démonstration suit donc le chemin d'une assimilation complète de la subjectivité à l'intentionnalité, puis, celle-ci étant réduite à une propriété émergente de l'action, l'analyse débouche sur l'identification de l'agent à un corrélat de l'accomplissement social de ses actes.

La théorie naturelle du sujet serait à ranger dans la catégorie des illusions qu'il faut perdre.





La controverse sur "l'intention" :

Au bout du compte, la discussion semble se focaliser sur le problème de l'intentionnalité. Contrairement aux apparences, l'anti-psychologisme militant de l'interactionnisme ne fait pas la part belle au social.

Or, vivre en société n'est pas un exercice de grammaire symbolique. Certes, on ne peut savoir ce que l'on cherche à faire si ce qu'on fait n'a jamais été fait par quiconque, mais il faut bien expliquer pourquoi, alors nous nous entêtons à chercher à faire ce qui n'a jamais été fait. Pourquoi les situations de travail présentées ci-dessus sont-elles caractérisées par ces "caprices" de la prescription non éliminables ?

Subjectivité et intentionnalité : quel social ?

Transparente, la situation est sans énigme. Sens personnel et signification sociale y sont confondus. Elle n'offre pas d'intrigues à l'intersection des formes sociales, mais seulement l'immédiateté de l'arrangement spontané des parties. Ce qui est alors occulté, c'est le temps des questions ou des doutes qui sont partie liée avec les contradictions multiples de la situation, pour ne laisser subsister que l'espace des réponses grammaticalement possibles.


Quel sujet :

Les histoires avortées, les projets suspendus ne sont pas abolis. Les intersections entre plusieurs vies sont aussi le ressort de la topologie subjective, ce qui lui ôte toute transparence. C'est d'ailleurs ce qui rend la réponse à la question "pourquoi" non seulement délicate pour celui qui cherche à interpréter l'activité des autres, amis aussi pour ceux-là mêmes qui agissent.

P. Pharos n'accepte pas de supprimer la question du pourquoi. L'auteur pense qu'il neutralise à l'excès les tensions internes et confondant subjectivité et intentionnalité et, pour cette raison, risque de substantifier le social. Il soutiendrait ce paradoxe : un peu de subjectif nous éloigne du social, mais beaucoup nous en rapproche, et inversement, un peu de social nous écarte du subjectif et beaucoup nous y ramène.

Le sujet : un vivant social :

Selon la formule de Ph. Malrieu, l'analyse de la correspondance de Hölderlin auquel il a procédé , lui a permis de définir qu'il donnait à chacun de ses interlocuteurs une représentation différente de son intention "caractéristique" d'un des cheminements de sa vie : d'une de ses vies.

L'expérience de Hölderlin nous renseigne, à sa manière sur tout milieu de travail. Ses dissociations ne sont pas le contexte de l'activité individuelle. Elles en sont plutôt le subtexte. La vie individuelle ne s'exprime pas dans la vie sociale, elle s'y réalise aux deux sens du terme. Inversement, la vie sociale, elle s'y réalise aux deux sens du terme. Inversement, la vie sociale n'est pas dans la vie individuelle comme un contenu dans son contenant. Cette trans-subjectivité entre beaucoup dans la formation des intentions.
9 - Psychologie écrite et psychologie non écrite :

Entre psychologie écrite et psychologie non écrite, il existe un rebond dans l'analyse. C'est pourquoi l'auteur a essayé de mettre un certain outillage théorique à l'épreuve de quelques situations de travail dans l'objectif de mieux comprendre leur mouvement. La remarque de A.Rich "lorsque quelqu'un qui jouit de l'autorité du professeur, par exemple, décrit le monde et que vous n'en faites pas partie, il y a un moment de déséquilibre psychologique un peu comme si vous regardiez dans un miroir sans vous y voir."

Le médecin psychologue Oddone disait dans son livre tiré de son expérience de formalisation de l'expérience ouvrière à la FIAT, l'expérience du travail s'acquiert en établissant la jonction entre organisation formelle et organisation réelle. Il en tirait la conclusion qu'il existe deux psychologies du travail : une qui est formalisée, écrite, transmissible et l'autre qui, pour être en attente d'élaboration, n'en élargit pas moins considérablement le domaine de ses véritables objets.

Le problème rebondit si l'on veut bien percevoir que cette position ne se résume pas dans la distinction entre travail réel et travail prescrit. Elle porte sur la reconnaissance d'une difficulté structurelle dont on ne se fait pas seulement idée : c'est une illusion tenace, sans doute nécessaire au travail scientifique que de croire en la possibilité d'un recouvrement de ces deux psychologies.

L'intelligence des situations n'épouse pas l'intelligence conceptuelle et inversement.

Concepts quotidiens et concepts scientifiques :

La double racine de la pensée qui a servi de cadre de réflexion en psychologie de l'enfant, s'affirme comme un bon outil pour aborder l'analyse psychologique de l'adulte en situation de travail ou de formation. Au début de l'ouvrage Yves CLOT s'en ai servi afin de comprendre comment se nouaient, pour des opératrices de conditionnement, les rapports entre "s'occuper" d'une machine et la connaître.

L'analyse des situations de travail ne manque jamais de révéler la portée des concepts quotidiens.

Chez nous, dit par exemple un conducteur d'installation automatisée dans l'industrie automobile, qualité s'écrit quantité.

Le concept d'automation devient singulier à l'écoute de ce polyvalent de zone : le robot fait la soudure, peut-être, mais enfin, nous on est là pour le faire marcher en permanence et il faut qu'on ait le nez partout.

L'enfant ne commence jamais à assimiler sa langue maternelle par l'étude de l'alphabet, la lecture et l'écriture, la construction consciente et intentionnelle d'une phrase, la définition de la signification d'un mot, l'étude de la grammaire, toutes choses qui constituent habituellement le début de l'assimilation d'une langue étrangère.
L'enfant assimile sa langue maternelle de manière inconsciente et intentionnelle, alors que l'apprentissage d'une langue étrangère commence par la prise de conscience et l'existence d'une intention.

La volonté de faire de la psychologie autrement fut la condition du renouveau conceptuel, aujourd'hui constaté.

Le principe extopique :

Si la psychologie du travail peut être rangée sous la rubrique de l'ethnoscience, elle ne saurait y entrer tout entière. Elle mène une autre vie, celle d'une discipline avec son histoire et ses concepts.

Cette discordance créatrice délibérée me paraît être le ressort indispensable de la recherche et de l'action en analyse du travail.

Un psychologue comme H. Wallon a insisté sur ce point : autrefois lorsqu'un peuple européen arrivait dans un pays nouveau, il mettait tout à feu et à sang pour convertir les indigènes à ses idées, à sa civilisation. Maintenant, nous faisons exactement le contraire.



Il y a clinique et clinique :

La clinique ce n'est pas l'adoption d'une théorie du sujet. C'est l'art de ménager les passages entre rationalité de l' action et rationalité scientifique, l'exercice pratique du déplacement entre le sens d'une expérience et la signification des concepts.

La physiologie, c'est le recueil des solutions dont les malades ont posé les problèmes par leurs maladies dit Leriche. Yves CLOT dit que c'est parce qu'il y a des hommes pour lesquels le travail est une épreuve -occasion ou souffrance- qu'il y a psychologie du travail et non parce qu'il y a des psychologues du travail que les hommes apprennent d'eux les atouts ou les revers de leur expérience.

D. Lagache écrivait: nous serions portés pareillement à considérer la psychologie théorique comme l'élucidation de la psychologie pratique et le recueil des solutions dont les êtres humains par leurs difficultés vitales ont posé les problèmes aux psychologues.

La méthode du sosie : clinique et langage :

Yves CLOT donne un exemple de ce que peut être ce régime clinique de connaissance et de transformation du travail. Il a souvent été question des méthodes d'autoconfrontation grâce auxquelles un sujet ou des sujets sont mis en position de fournir un commentaire et un récit concernant leur propre travail, restitué par exemple à l'aide d'enregistrement vidéo.

La coanalyse du travail par la "méthode du sosie" , elle implique un travail de groupe au cours duquel un sujet volontaire reçoit la consigne suivante :

Suppose que je sois ton sosie et que demain je me trouve en situation de devoir te remplacer dans ton travail. Quelles sont les instructions que tu voudrais me transmettre afin que personne ne s'avise de la substitution ?
Cette méthode d'autoconfrotation obéissait chez I. Oddone à un cadre d'analyse sensiblement différent.

Yves CLOT dit avoir conscience des déplacements substantiels qu'on fait subir à cette technique lorsqu'on cherche, avec elle, à comprendre le travail entre activité et subjectivité pour autant il a conservé dans le cadre des enseignements de psychologie du travail du CNAM, les critères du découpage de la situation du travail utilisés par l'équipe d' Oddone.


Un protocole concret : le sosie d'un trompettiste :

Voilà un protocole concret : le sujet concerné est un trompettiste classique, premier prix du conservatoire national supérieur de musique de Paris.

Séquence de travail retenue : soutenir le premier trompette, de le relayer dans les moments où une page entière dans l'aigu est à jouer très fort, par exemple.

Situation non exceptionnelle dans les orchestres, mais qui se prépare, si l'on veut parvenir à l'efficacité maximale permettant au public de ne rien remarquer . Cependant tout ne peut être prévu, c'est une histoire de sensation, "vous sentez que le collège à côté n'arrive plus à respirer. Vous le sentez physiquement. Vous êtes donc à l'écoute de ce qu'il fait… A la limite, il vous fait une plus grande confiance que celle que vous faites vous-même. Le doute s'installe : il a besoin d'être rassuré et ça fausse peut-être un peu son jugement…

Il est évident que la reconnaissance professionnelle d'une personne de son niveau apporte un "réconfort" et une certaine assurance, mais cela ne peut suffire à lui redonner toute la plénitude de ses moyens.

Ici, l'inefficience instrumentale supposée n'est plus rapportée à une faiblesse des capacités instrumentales. Elle renvoie à l'inhibition engendrée par l'utopie de la perfection que le sujet entrevoit à l'occasion de l'échange avec le sosie. On dirait qu'il ne veut pas reconnaître qu'il a eu une progression. A ce moment là, il reconnaît les raisons de sa stagnation, voire de sa régression.
Ce déplacement du sens à une renaissance sur l'activité. Une certaine disponibilité psychologique se trouve libéré par le sujet dont l'activité, dans une zone critique entre dans une période de battement.

Du coup, le commentaire, se mêle au déroulement de l'activité, l'affranchit de ces conflits, le précipite
en avant, changeant par les mots sa structure et créant ainsi l'événement : la question sur l'instrument, l'a fait réfléchir sur l'adéquation entre le matériel (modèle d'embouchure, de trompette) qu'il utilise et les évolutions de sa technique instrumentale ces dernières années. Pour une fois, il acceptait de laisser ces a priori de côté. Et si ce blocage quant au changement n'était qu'un prétexte pour ne pas aller plus loin et ne pas exploiter davantage ses possibilités.

L'entrée de l'activité dans une zone critique après la prise de conscience du sens inattendu de la "stagnation" débouche sur la prise de conscience par le sujet d'une proposition qu'un un collègue de travail lui avait faite, il y a longtemps: c'est-à-dire changer d'instrument.

Par le langage, le sujet dénoue les problèmes ou plutôt les déplace.

En tout cas le fil de l'activité dit Yves CLOT vaut d'être suivi ainsi, si l'on veut faire "germer vers le haut" les concepts quotidiens et "vers le bas" les concepts scientifiques. C'est une clinique du lien entre activité et subjectivité que le langage ne cesse de trahir à tous les sens du terme.


La troisième partie réfléchit sur ce que l'histoire sociale et scientifique qui continue nous permet d'envisager.


III - TRADITIONS ET PROBLEMES DE l'ANALYSE DU TRAVAIL

10 - La réception française du taylorisme : une expérience à méditer :

C'est l'espace social laissé à la pluralité des dénouements possibles du drame de chaque situation qui infléchit la carrière des activités considérées. C'est en donnant l'impression d'avoir compris la portée de ce grippage que prolifèrent les politiques de "gestion des ressources humaines" focalisées sur l'identification des compétences en situation de travail. Mais c'est souvent une compétence arrêtée qui est visée, un attribut des sujets, une ressource dont il convient de tirer le meilleur parti. Il reste que la formalisation de l'expérience est à l'ordre du jour tant il est vrai que travailler, c'est de plus en plus savoir ressaisir et pouvoir transmettre des connaissances.

Des compétences multifinalisées :

Le problème de l'évaluation des compétences : le taylorisme cherchait à frayer un accès à la source de productivité que cache le maquis du travail humain; c'est le concept d'aptitude qui servit alors à frayer ce chemin, dans des conditions techniques différentes. Aujourd'hui qu'est-ce que cherchent les évaluateurs de compétences ? Le travail est une constellation de compétences en actes dans une histoire. Un conducteur d'installation automatisée en tôlerie polyvalente peut dire, parlant d'un robot "tant qu'on n'a pas trouvé le moyen de lui donner des conditions qui sont les siennes pour travailler, rien n'est possible."

Travailler dit G. de Terssac, ce n'est pas simplement mettre en œuvre des procédures, mais gérer l'univers situationnel dans lequel se déroule l'action.
L'état de dysfonctionnement à la fois permanent et invisible de l'extérieur , par lequel on peut définir les systèmes techniques contemporains, porte à considérer que "récupérer une situation" qui dérive est maintenant au cœur des activités professionnelles. L'activité de récupération n'est pas entièrement définie par la tâche, elle dépend du travailleur, de sa conception du travail, de son style et de ce fait est au cœur de l'analyse psychologique.

En général, les activités de production s'apprennent au cours de l'apprentissage, les activités de récupération par expérience.

Définir la compétence comme la gestion de la tension entre la compétence par concept et la compétence par expérience, cette dissociation conduit de plus en plus à des gâchis de qualifications et
d'efficacité.

La récupération par catachrèse évoquée par Faverge désigne les formes subtiles de transgression par lesquelles les travailleurs détournent la règle établie, font un usage informel du formel pour obtenir simplement le résultat attendu par la ligne hiérarchique. La compétence est aussi l'histoire inachevée d'un milieu. Elle est pour certain la compétence sociale c'est-à-dire une prise de responsabilité engageant la gestion concrète des installations.

De la compétence à l'aptitude :

Faverge ironisait : pour bien faire ce travail, l'ouvrier devait avoir une attitude attentive. Mais comment rendre compte de cette compétence de "scrutation"?

Les automatismes d'un conducteur de métro ou d'un opérateur en scrutation ne ressemblent guère aux aptitudes formellement requises. Mais ils ont la plasticité des schèmes d'actions sélectionnés par le sujet en activité, triés au cours de l'histoire personnelle et collective . La compétence est située, elle est rétive au pronostic.

Soit la compétence se ramène aux connaissances qui permettent d'engendrer l'activité et plus rien ne la distingue de l'aptitude, soit il y a autant de compétences qu'il y a d'expériences différentes dans un milieu du travail.

Autrement dit, la compétence devrait choisir entre expérience et savoir. Or, dans les deux cas, elle n'est plus travail, déplacements, mais substance.

Ce sont les termes mêmes du débat qu'alimente la diffusion des testes d'aptitudes dans la première moitié du XXème siècle.

D'un côté les tenants d'une identité des mécanismes de Pieron, de l'autre, le souci des situations locales et singulières de Naville.

Pieron s'engage avec E. Toulouse et N. Washide dans un programme de recherche : ils prétendent avec technique pouvoir faire des examens individuels étendus , permettant d'attribuer à des individus comme des formules numériques relatives à leurs opérations mentales et des coefficients personnels.

Naville s'élève contre cette naturalisation des aptitudes.

En somme, il n'est pas plus possible de séparer l'individu des tâches qu'il accomplit pour extraire de son activité des aptitudes à priori, antérieures à l'acte même qui les détermine et les crée.



L'aptitude antitaylorienne :

L' évaluation des aptitudes est anti-taylorienne. "L'homme n'a pas trois bras dit Lahy. C'est ne voir dans l'homme que sa valeur de rendement. L'aptitude dont Lahy fait son objet s'oppose à celle qui est l'objet du chronométrage taylorien. Ce que mesure Lahy au sein du laboratoire psychotechnique de la société de Transports en Commun de la région Parisienne (STCRP) crée en 1924, c'est la marge de récupération des machinistes. Pour ce faire il propose 5 tests classants :

La suggestibilité motrice,
L'attention diffusée avec excitations visuelles seules,
L'attention diffusée avec excitations visuelles et auditives,
La régularité et l'homogénéité des temps de réaction.

Lahy cherche à tester l'aptitude des conducteurs à résister à l'épreuve de leur tâche. La sélection des aptitudes s'enracinent dans l'analyse du travail.


La psychotechnique oublie l'analyse du travail :

Lahy s'élevait contre l'idée que la psychotechnique repose sur un ensemble de recettes très simples et faciles à appliquer. Faire de la psychotechnique dit-il c'est faire de la recherche. Les faiblesses originaires du style psychotechnique promu par Lahy sont les causes de la dérive. Après la guerre, le sentiment éprouvé en parcourant les volumes du travail humain est celui d'une pratique psychotechnique qui semble n'avoir d'autre objet que sa cohérence interne.

Pour résoudre la question sociale :

En 1922, au troisième congrès international de psychotechnique on entendait : mus par un sentiment commun de confiance dans la science et de sympathie pour tous les travailleurs, nous voulons que de nos efforts naisse, pour l'humanité tout entière, une ère d'organisation rationnelle du travail succédant à l'empirisme quasi barbare qui dans ce domaine règne encore à peu près partout."

Pour Lahy, le progrès passe par l'utilisation rationnelle des aptitudes de chacun, scientifiquement diagnostiquées, abstraction faite des milieux sociaux d'appartenance.

"Patrons et ouvriers ont un égal intérêt à organiser scientifiquement le travail professionnel."

Mais par suite d'un préjugé persistant, les industriels cherchent à dérober aux hommes de science leurs tentatives. Certes, la science a toujours été l'ennemie irréductible des organisations qui se refusent à évoluer.

"Une fois déterminées très exactement les conditions d'une bonne expérience, on peut comme l'a si bien démonté Claude Bernard, écrit Lahy réduire sa recherche à un cas précis. Ce qui importe, c'est de trouver les conditions topiques. C'est la fonction heuristique de l'analyse du travail qui se trouve invalidée.

La dissolution des milieux d'analyse :

Les interrogations ne manquent pas dans les entreprises elles-mêmes sur le caractère aléatoire des "potentiels" identifiés aujourd'hui en remplacement des aptitudes d'hier. "La seule façon de détecter le potentiel de quelqu'un, c'est de le mettre en situation de développer ses compétences et cela de façon progressive, de telle façon qu'il puisse se "dépasser", écrit B. Gentil. Alors, on conviendra que l'analyse du travail en milieu "naturel" doit revenir au premier plan. Mais il est peut-être souhaitable de profiter des leçons des expérimentations des laboratoires d'entreprises transmises par nos pairs.

11 - La psychologie cognitive au milieu du gué :

L'avenir ne devait pas donner tort à S. Pascaud qui craignait les dérives d'une analyse du travail réduite à l'application des recettes de la "testation automatique" : la rationalisation accélérée a bien focalisée l'analyse sur le contrôle des temps et des mouvements.

Le travail est certes déterminé pour une grande part par la machine, mais pour une grande part aussi il se construit dans les interactions interpersonnelles qui tissent, sur une trame économique et culturelle, les relations de savoir et de pouvoir dans les organisations.

L'ergonomie de la tâche prescrite n'est donc pas superposable à l'ergonomie de l'activité. Il y a bien deux ergonomies, l'une projette la tâche sur l'activité, l'autre a appris que toujours l'inattendu finit par arriver. Mais y-a-t-il pour autant deux psychologies du travail ?




Tache et activité :

Dans un article de référence de J. Plat et J.M. Hoc, ce problème a été traité, selon leur formulation ramassée, la tâche indique ce qui est à faire, l'activité ce qui se fait. Cette tâche appelée "tâche effective" n'est rien d'autre que le but et les conditions qui sont réellement pris en compte par celui qui travaille. Il y a bien tâche et tâche, mais une seule psychologie du travail, car c'est la description de la tâche effective qui permet d'avoir accès à l'activité inobservable. L'analyse de la situation de travail porte sur le "système" fonctionnel "sujet-tâche".

Une idée trop faible de la tâche

Une idée trop faible de la prescription ne conduit-elle pas une certaine psychologie et une certaine ergonomie à une idée également trop simple de l'activité concrète de travail.

A lire certaines analyses cognitives du travail, on garde l'impression qu'une tâche artificiellement découpée dans la texture des activités sociales de conception forme comme un pochoir pour l'activité du travail, ne laissant ensuite de place qu'à un sujet opératoire dévitalisé.

Plusieurs activités sans la même tâche :

Les ergonomes écrivent : tout travail comme processus économique implique une séparation des hommes entre eux. Il n'est rien de tel qu'une chaîne pour le découvrir.

Observons une chaîne composé d'une cinquantaine de postes de travail. La durée du cycle est de 96 secondes. Pour ces cinquante femmes, ces 96 secondes sont abstraites, dans le sens où elles nient ce qui fait leur spécificité individuelle. En même temps, elles sont terriblement concrètes puisqu'elles définissent la cadence du travail.

Cette abstraction concrète condense un échange d'activités économiques et personnelles qui constitue la situation où naissent et se reproduisent les actions de travail organisées. La tâche prescrite réalise à la fois l'activité économique d'un management d'entreprise soumis aux lois du marché et celles des opératrices qui travaillent pour vivre selon des modalités chaque fois singulières.

Cette activité réalise la tâche en existant comme réplique aux activités antérieures de conception. A la manière de M. Bakhtine, on peut définir la tâche de l'opérateur comme un écho rempli des appels d'autres activités.


La tâche est une triade vivante simultanément tournée vers son objet et vers l'activité des autres portant sur cet objet.

Si l'on s'en tient au face-à-face entre l'activité et la tâche en laissant de côté le rapport des autres à cette tâche, on peut écrire que l'activité c'est "ce qui se fait". Mais quel statut alors accorder à ce qui, dans l'activité pourrait de faire et ne se fait pas ? Pensons à l'opératrice de conditionnement aux prises avec les problèmes de sécurité qu'elle rencontre sans pouvoir les résoudre faute d'interlocuteur, ou encore au conducteur d'installation contraint à une focalisation sur les temps de cycle des robots alors qu'il sait pouvoir se tourner plus efficacement vers la prévention durable des pannes.

L'activité du travailleur n'est jamais une réaction elle est le filtre subjectif qui retire du champ d'action de la tâche ce qui a un sens pour la vie du sujet ; sens tout autre que celui qu'y déposent les activités de conception.



Prendre la tâche au sérieux :

Ceux qui travaillent réarbitrent entre des priorités que la tâche prescrite avait finalement hiérarchisées, mais qui sont "remises en jeu" dès lors qu'elles s'inscrivent dans une situation singulière. Ex : F. Daniellou a montré que la prescription de minimiser les temps d'arrêt d'une presse automatisée poussait les opérateurs à des arbitrages conflictuels entre production et maintenance.

Retour à l'activité des sujets :

A son sens, Yves CLOT précise que toute psychologie en milieu de travail doit se mesurer avec ce choc en retour, des régulations cognitives sur les régulations subjectives.

Une recherche significative s'attaque au problème non résolu du couplage homme/machine des systèmes d'assistance "intelligents", dans le cas des pilotes de combat en mission par mauvais temps, à très basse altitude et à grande vitesse.

L'approche débouche sur une clinique ergonomique.

Sous l'appellation de "paradigme de Joseph" du nom du premier pilote expert concerné par l'analyse, les auteurs cherchent un résultat représentatif d'un seul style

Le style "prudent" choisi aura été sélectionné en coopération avec un groupe de pilote associés à l'expertise, validé auprès des autres opérateurs.

Ainsi un mouvement itératif de va-et-vient entre un style de personnel et un groupe social éprouvant son expérience au contact du premier débouche sur une interrogation méthodologique.

Cette "prudence" relève d'une sorte de méta-expertise définit par Yves CLOT : sa mise en place se ferait progressivement, à travers les expériences de la vie quotidienne, en prenant compte l'histoire sociologique de l'individu et donnerait un style général aux conduites de cet individu. Autant dire qu'elle convoque la vie psychique de l'opérateur dans ce qu'elle comporte non seulement d'échanges intersubjectifs mais également d'échanges instrasubjectifs, de lui à lui.

Chaque sujet est confronté pour J. Curie, V. Hajjar et A. Baubion-Broye au défi de réguler ses comportements dans un domaine de vie par la signification qu'il leur accorde dans d'autres domaines de vie.

Les effets du travail sur la vie personnelle "sont contingents", d'une part aux possibilités dont dispose un individu pour réguler son système d'activités, à un moment déterminé, compte tenu des ressources et contraintes existant dans ses autres domaines de vie et , d'autre part à la signification qu'il accorde au travail dans ses autres sphères d'activités. Cette signification dépend de son modèle de vie.

Généraliser :

La généralisation des résultats de l'analyse est donc rendu possible par la communauté structurale de l'unité de base utilisée.

12 - Du travail à l'anthropologie : aller et retour :

En suivant M. Godelier, les forces de structuration paraissent prendre leur source dans deux champs de la pratique sociale qui entretiennent des liens d'affinité structurelle, qui sont plus que la conséquence d'un processus d'adaptation réciproque, les activités tournées vers la production des moyens de subsistance et des richesses matérielles et celles tournées vers le gouvernement de la société et le contrôle des hommes.

Crise du travail et subjectivité :

Quand la machine s'est substituée à l'homme en très grande partie, qu'elle a fait ce qu'il faisait et plus, qu'il l'a vue fonctionner quasi seule, l'homme a regardé, a vu le travail, il a pu l'objectiver en saisir l'aspect systématisé et différencié, le penser comme tel.

Ce détachement qui s'accompagne simultanément de l'affirmation de la dignité du travail au travers des conquêtes ouvrières et d'une promotion de la personne au centre de ses actes, ouvre l'horizon : l'homme pressent ce que le travail pourrait être pour lui, ce qu'il n'est pas encore.

On comprend alors, que la psychologie du travail soit née au XXè siècle.

Pour qu'elle devienne une discipline autonome, qu'elle eût ce double donné, constitué et établi : la fonction psychologique du travail, systématisée et différenciée ; l'agent d'un type psychologique nouveau, la personne, étoffée, organisée et centrée.

Nombreuses sont les tentatives intéressées pour façonner aujourd'hui un homme disponible, entrepreneur de sa propre existence. On peut repérer une double originalité subjective de la crise présente du travail : la première toucherait la matrice anthropologique de l'espèce humaine , la seconde concernerait l'exaspération pour échapper à l'impasse où s'enferment bien les analyses sociologiques actuelles à propos des transformations du système de travail : soit, sous le constat que la rentabilité économique demeure plus que jamais la régulation dominante, le taylorisme est considéré comme indépassable et les changements de travail comme trompeurs ; soit sous le constat que certaines innovation antitayloriennes marquent bien la vie des entreprises : elles débouchent sur un changement effectif du modèle social de production.

Or, elles ne débouchent pas pour autant sur des progrès. Changement et progrès ne vont pas forcément ensemble selon les schémas d'une causalité linéaire. On peut donc parler d'un avenir imprédictible du travail.

En effet, le modèle économique dominant ne peut digérer la poussée des innovations qu'à un coût social démesuré en multipliant les épreuves pour un monde salarié en voie de précarisation généralisée. Or, ces épreuves deviennent de plus en plus fréquemment souffrances et ressentiments.

Le paradoxe Leroi-Gourban :

Si H. Bergson pensait que l'homme ne se soulèverait au-dessus de terre que si un outillage puissant lui fournissait le point d'appui. Il devra peser sur la manière s'il veut se détacher d'elle.

Pour Leroi-Gourhan, la pensée est identique mais en plus l'inquiétude domine et il attend le sursaut que l'homme peut programmer.

Cette logique est l'hominisation , elle pourrait bien se décrire ainsi : le déclin de l'écriture, la régression de la main, d'une fraction grandissante du corps et même la cession d'une partie de la pensée opératoire au profit d'une extension des instruments électroniques rendent disponibles les organes ainsi libérés pour d'autres fonctions qui pourraient bien être celles du travail de l'homme sur lui-même.

A condition qu'il ait la sagesse d'une prise de conscience lui évitant de terminer sa carrière dans la tragédie où peut conduire une vision imaginaire de sa liberté.


Le décapage des antagonismes :

C'est sur le terrain où les rapports sociaux dominants entre les hommes connaissent des tensions exaspérées, symbolisées par le chômage de masse que s'enracine la seconde originalité subjective de la crise du travail : l'épaisse matérialité sociale du lien salarial.

Le salariat, compris comme la "subordination" contractuelle du producteur à son employeur, est peut-être devenu, après avoir été un facteur d'émancipation des attaches communautaires, un obstacle à l'avènement de la conversion.

Pour l'anthropologue F. Sigaut, c'est le réel du travail qui est ainsi refoulé : "Aussi n'est-il pas étonnant que, dès qu'ils en ont le pouvoir, les groupes sociaux s'efforcent de se débarrasser de ce réel si incommode, soit en s'en déchargeant sur des groupes inférieurs, soit en le dissimulant ou en le déguisant.


Des techniques tournées vers nous :

Les technologies intellectuelles : ces instruments symboliques comptent aujourd'hui au premier rang des innovations en matière d'informatisation des situations de travail.

Il est vrai que l'ordinateur et ses logiciels matérialisent bien cette discordance nouvelle de la technologie en se présentant avec les images comme un test pour le travail coopératif, à la fois instrument technique et instrument psychologique, à la fois médiation des échanges intersubjectifs et puissance d'intervention inégalée sur les objets.

En effet, en raison de l'ouverture de la polyvalence de ces outils, le niveau de productivité du travail est subordonné au sens des échanges entre les sujets :

la pensée
les jugements
les arbitrages
les choix ( conditionnant la portée cognitive contenues dans les procédures mises en œuvre).

Dans l'exemple du projet "Twingo" , on y voit comment la productivité du travail se met à dépendre davantage du travail de l'organisation que de l'organisation du travail.

Pour certains sociologues le rôle désormais central d'une authentique communication est une compréhension intersubjective dans l'efficacité industrielle.

En écrivant que dans le travail contemporain, on ne communique pas seulement entre activités mais l'activité elle-même consiste à communiquer, ont-ils sans doute tendance à couper trop facilement les ponts entre hier et aujourd'hui.

Analyse de travail et dissociation économique :

L'analyse du travail ne peut rester en l'état et doit se mesurer à un univers beaucoup plus potentiel qu'auparavant.

Elle n'est plus compatible avec l'ingénierie taylorienne, entendue au sens large. Celle-ci s'est focalisée sur l'analyse des modes opératoires des tâches mécanisées. C'est une clinique de l'action tournée vers l'objet, le sujet étant seulement regardé comme un instrument parmi d'autres instruments.

Cette dissociation économique envahit la vie subjective à la fois sollicitée et refoulée par la recherche d'une adhésion psychique des salariés à des idéaux managériaux.

Mais ces modalités de protection psychique sont la source de conflits intérieurs auxquels beaucoup de ces travailleurs n'échappent qu'en oscillant entre une mélancolie professionnelle et une euphorie du travail. Sans doute il s'agit de ces nombreux exemples d'agressions sociales qu'on retourne contre soi-même, au risque d'enrichir le tableau de la psychopathologie du travail.

La technique, science de l'homme :

La tendance est bien que la subjectivité, comme terrain de choix, même malmenée prenne l'ascendant dans les activités humaines.

L'activité technique est "triadique" :elle se reconnaît aux traditions sociales qui la transmettent et aux effets matériels sensibles qu'elle produit.


13 - une psychopathologie du travail ?

Devant cette montée en puissance des questions subjectives sur le lieux de travail et surtout le malmenage des sujets, ne faut-il pas penser que le centre de gravité d'une psychologie en milieu professionnel se trouve dans une psychopathologie du travail.

Il a fallu l'opiniâtreté de quelques spécialistes en France pour que cette sorte un peu particulière de psychopathologie de la vie quotidienne soit reconnue comme une réponse légitime à l'altération des conditions de vie au travail.

Une discipline " mal nommée" ?

La discussion est amenée sur la question du sens, du plaisir au travail.

La psychodynamique du travail ne regarde plus seulement la souffrance, mais aussi le plaisir dans le travail ; plus seulement l'homme, mais le travail, plus seulement l'organisation du travail, mais les situations de travail dans le détail de leur dynamique interne.

Une psychopathologie de l'aliénation :

Ch. Dejours écrit : "la souffrance ne peut être décelée qu'au travers d'une enveloppe formelle propre à chaque métier, qui constitue en quelque sorte sa symptomatologie. De ce fait, la souffrance du travailleur donne lieu à des conduites qui prennent le nom d'idéologie défensive de métier, dans le bâtiment ou les industries chimiques de syndrome de contamination par les comportements conditionnés dans les tâches taylorisées.

Prenons des exemples : l'anxiété des travailleurs du bâtiment, dominée par la fierté, la rivalité, la valeur attachée aux signes extérieurs de la virilité, la bravoure mais aussi la témérité, voire l'inconscience devant la réalité, l'absence de discipline. Cette idéologie de métier n'est qu'une parade une simple inversion de la proposition relative au risque qui neutralise la peur.

Pour réprimer leur fonctionnement psychique, les salariés "s'auto-accélèrent dans leur travail. Ce conditionnement qui paralyse la vie psychique est si malaisé à atteindre qu'une fois acquis, il devient précieux. C'est pourquoi les travailleurs taylorisés-robotisés redoutent tant les changements de poste et même toute forme de changement dans la mesure où elle signifie une menace pour l'équilibre, si chèrement acquis.

Nous sommes confrontés à l'enchevêtrement suivant : souffrance, défense protectrice, défense adaptative, défense exploitée.

La clinique du travail s'est constituée pour contrer les illusions d'une causalité linéaire et mécanique nourries par les approches agressologiques et épidémiologiques qui, aujourd'hui, convergent sur le concept du stress.
Ce qu'il s'agit d'étudier écrit Ch. Dejours, c'est la place des sujets dans le rapport au travail et plus précisément l'espace laissé au sujet pour se servir du travail comme "résonance métaphorique" à la scène de l'angoisse et du désir, ou au contraire les entraves que le travail oppose à cette résonance métaphorique.

Psychodynamique du travail :

L'organisation du travail se trouve redéfinie dans les termes d'un compromis passé entre les hommes.

De sorte que c'est un peu le contenu d'une psychologie dynamique que cherche à approcher Ch. Dejours lorsqu'il décide de considérer que les conduites laborieuses sont organisées par le sens que les sujets assignent à leur rapport au travail, produit des interprétations de sa situation et de sa condition, socialise ces dernières dans des actes intersubjectifs, réagit et s'organise mentalement, affectivement et physiquement en fonction de ses interprétations, agit enfin sur le procès de travail même et apporte une contribution à la construction et à l'évolution des rapports sociaux de travail.

Intersubjectivité ? :

Ch. Dejours a été conduit à rattacher la psychopathologie à la psychodynamique du travail.
Mais il précise que les différences sont encore nombreuses : la pesanteur des faits sociaux est trop ignorée comme la pesanteur des faits psychiques.

Une psychologie dynamique du travail peut-elle échapper à la vulnérabilité de l'intentionnalité de la conscience en situation de travail. La psychodynamique privilégie les relations que les sujets entretiennent entre eux, dans des collectifs et avec l'organisation du travail.

Le réel du travail :

L'organisation du travail est tout entière "le lieu des mouvements de subversion, d'enveloppement et de contournement des contraintes centripèdes exercées par le réel du travail.

Le travail c'est l'activité déployée par les hommes et les femmes pour faire face à ce qui n'est pas déjà donné par l'organisation prescrite du travail.


Epreuve et souffrance :

Dans ce drame au sens scénique, la vie subjective est à la fois convoquée et refoulée, mais il n'y a jamais d'éclipse du sujet.

CONCLUSION

Peut-on se passer du travail humain dans les organisations ?

Il est impossible de répondre positivement ou négativement à cette question.
Bien des situations de l'ouvrage d'Yves CLOT expriment plusieurs tendances.

Sans cesse, on y découvre comment les déconvenues qui résultent de la rusticité d'un certain nombre de stratégies managériales font connaître, au travail salarié, des épreuves manifestes.

C'est au moment où le travail humain est convoqué à manifester sa créativité industrielle et collective qu'on croit pouvoir gouverner les techniques en donnant congé aux hommes sous diverses formes.Par le chômage de masse, en réduisant trop souvent au silence, chez ceux qui travaillent encore la multitude de pensées et d'actions, de jugements et de délibérations, pourtant engagés dans la disponibilité exigée d'eux.

L'homme est ainsi condamné à un isolement à la mesure de l'injonction à participer dont il devient l'objet. La souffrance qui en résulte prend alors la forme d'un ressentiment à l'égard des entreprises et des institutions dans lesquelles cet homme s'expose sans être reconnu pour autant.


Yves CLOT définit l'activité laborieuse comme l'unité de base de l'échange social, il propose de la dessiner comme une triade vivante à la fois tournée vers son objet par le médiations techniques et vers l'activité des autres portant sur cet objet par médiations symboliques interposées. Le sujet doit ressusciter les ressources psychiques de sa propre histoire s'il veut "tenir la distance" dans les dilemmes sociaux où il est, qu'il le veuille ou non emmaillé. En se rapprochant des situations, il n'échappe pas aux réalités que redecrouvre la "cognition située". : la singularité de chaque milieu de vie.

La reconnaissance sociale de la création passe par la connaissance des compétences mises en œuvre par les travailleurs. Or, celles-ci sont voilées non seulement au yeux des hiérarchies qui les sollicitent, mais le plus souvent, aux yeux des opérateurs eux-mêmes.

Pour yves CLOT le rôle pratique d'une psychologie des milieux est de proposer ses talents pour changer, en coopération, le régime de production des connaissances sur le travail.

Le travail des hommes n'a-t-il pas besoin d'un creuset d'initiatives où puisse être reconnue sa contribution au monde qui bouge et progresse : un conservatoire du travail avec l'homme.




¼% COMMENTAIRES¼%



Pour les entreprises, aujourd'hui, l'idéal c'est de faire de l'argent pour l'argent sans l'intermédiaire de la production et des hommes. Le salarié est la variable d'ajustement !

Pour le Pr Dejours, cette notion de "rentabilité" est proche de la forfaiture, car économiquement, c'est une société ou une activité qui est rentable et non pas un individu qui entièrement dépendant du groupe, ne dispose pas de la marge de manœuvre pour pouvoir être évalué selon des critères qui s'appliquent en réalité à l'entreprise elle-même. Ce n'est pas la technique qui chasse l'homme, mais l'homme qui devient un facteur essentiel de productivité.

Les plans sociaux ne sont-ils pas les effets pervers des modes d'organisation ?

Chaque jour les médias nous relatent la face noire des entreprises : salariés "kleenex" et patrons "voyous", la liste des fermetures d'usines ne cesse de s'allonger : Métaleurop, Daewo, Canal +, Air Liberté….

Du jour au lendemain, le rideau de la fermeture tombe sur des centaines de salariés, voire des milliers. Cette brutalité entraîne désespoir chez les salariés et parfois les conduit à des attitudes violentes. (vandalisme, harcèlement sous toutes ses formes, auto-agressions ou hétéro-agressions )

Cette violence peut être "socialement recyclée dans les vengeances imaginaires avertit Yves CLOT, conjoints, enfants, voisins et inconnus se transforment en exutoire.

Mais d'une manière générale c'est le sentiment d'abandon qui domine.

Si l'on prend l'exemple des anciens de Moulinex, dix huit mois après le dépôt de bilan de leurs usines, 186 salariés se trouvent en grande difficulté. Il n'y a pas de pathologie mais une souffrance dans le parcours personnel. Le plus dramatique c'est la perte d'espoir dit le Docteur Gadois du centre psychothérapique de l'orne ;

Moulinex n'était pas une simple usine. C'était un lieu de vie, un lieu de sociabilité et de vécu. Cette entreprise paternaliste mettait en place de nombreuses activités extérieures à l'usine qui renforçaient encore les liens entre les employés et l'importance de l'entreprise dans l'organisation de leur vie.

Comment dire à un chômeur qu'on ne travaillera plus, c'est justifier une souffrance, celle du chômage.

Pour les autres, ceux qui travaillent c'est favoriser la généralisation de l'acceptation de la précarité.

Mais aujourd'hui travailler qu'est-ce-que c'est ?

Nous n'exerçons "plus un métier (avec son langage, sa culture, ses modes de transmission entre anciens et nouveaux) mais une sorte d'ouvrage ponctuel lié à un projet". Par ailleurs la plupart des salariés vivent des conditions de subordination difficile et ont les plus grandes difficultés à faire ce qu'ils ont à faire : pression sur les objectifs, individualisation des performances, exaltation de la polyvalence.

Paradoxe : Pourquoi toucher au travail, c'est toucher à l'homme ?

"Le travail est l'activité la plus humaine qu'il soit". Travailler, ce n'est pas simplement pour avoir un salaire des biens, c'est s'inscrire dans l'histoire de l'humanité. Dans les situations de travail les plus contraintes, le sentiment de jouer ce rôle existe. Ainsi, quand on chasse les gens du travail, on les prive de leur inscription symbolique dans la vie sociale. Etre dépossédé de toute place dans la société, entraîne, en contrepartie spéculaire au sein de l'individu, la dépossession psychique nécessaire au déploiement de la pensée indique J. Altounian.

Non la valeur travail n'est par morte !

Nous nous acquittons d'une tâche qui reprend un héritage et nous la transmettons à d'autres.
"Elle accumule de génération en génération un patrimoine qui permet aux hommes de vivre"
"C'est la mémoire de l'humanité qu'on transmet." Elle est dans les objets produits par le travail elle est dans le langage".

Ce que regrettent le plus les chômeurs, ce sont les collègues. Faire, échanger, voyager, s'enrichir personnellement : il y a peu d'activités humaines qui autant que le travail permettent tout cela en même temps.

Ces peurs permanentes de la précarisation et de l'évaluation débouchent sur une perplexité anxieuse du salarié, qui peut se traduire par des troubles cognitifs et l'impression de ne plus raisonner ou travailler.
Cette souffrance psychologique s'exprime rarement par des troubles psychiatriques mais par des vraies maladies clairement somatiques mais parfaitement réelles.

"C'est ce client, dictateur éclairé, qui imposerait ses volontés. La liberté de consommer devient la seule idéologie opérante, avec une pression constamment accrue sur les opérateurs."

La situation ne pourra évoluer que lorsque la société dans son ensemble le décidera. "Le problème de cette société réside alors dans sa démesure, dans son projet de responsabilité illimitée, de service à la perfection infinie, surhumaine, de l'ordre d'un idéal qui n'est plus celui de la science mais celui de la métaphysique".

On ne pourra pas continuer indéfiniment à restreindre le travail à des groupes de plus en plus pressurés et de moins en moins nombreux. D'une part parce que la masse de travail à accomplir dépasse la disponibilité de ceux qui le fond, de plus parce que la qualité commence à s'en ressentir.
Par ailleurs, le poids des exclus du travail est intolérable. "lutter contre les exclus qu'elle génère est moins rentable que de chercher à les intégrer".

Il faut que les entreprises finissent par réaliser qu'une gestion à long terme de leur personnel intégrant qualité, expérience et qualification est plus profitable qu'une utilisation à cour terme de celui-ci.
Pour l'instant ce ne sont pas les entreprises qui paient le côté sanitaire et social de cette gestion immédiate mais les organismes sociaux.

Si les dépenses deviennent insupportables pour la société, celle-ci aura peut-être la sagesse de s'interroger sur la façon dont elle gère l'emploi. reconnaîtra-t-elle les ravages et les coûts de ces méthodes de travail en prenant conscience que celles-ci entraînent plus d'inconvénients que d'avantages.

Le laminage de la contestation syndicale et la mise en avant du caractère éclaté de la résistance à la domination, nous conduisent à s'en remettre aux médecins du travail qui par leur position d'observateur privilégié du monde professionnel et assumant leurs responsabilités en matière de santé publique peuvent contribuer à la prise de conscience.

Mais il ne faut pas exclure une remobilisation des travailleurs. Il faudra peut-être faire preuve d'imagination pour relancer le mouvement !
























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