gustave bord - Free
5 Oct 2006 ... The 5 and 25 µg/kg/day doses of bisphenol A significantly reduced testis and
seminal vesicle weights relative to ..... The LOEC in the experiments with NP was
10 pg/kg. ..... 4-n-nonylphenol contamination caused an inverted dose-response
curve. At low ..... The Science of the Total Environment 225:59-68.
part of the document
NOUVELLE
LIBRAIRIE NATIONALE
85, RUE DE RENNES, 85
PARIS
A MADEMOISELLE LOUISE SAZERAT
En te dédiant mon oeuvre, ma chère tante, il m'est doux de me souvenir de la tendresse discrète et profonde dont tu as entouré mon heureuse enfance et du dévouement admirable avec lequel tu m'as consolé et soutenu dans les jours de malheur.
GUSTAVE BORD.
Paris, ce 14 octobre 1908.
PREFACE
Depuis plus d'un siècle les historiens et les économistes se demandent comment un pays, foncièrement monarchique et catholique comme la France, a pu brusquement changer d'idéal et de foi. Suivant leurs passions politiques ou religieuses, ils ont donné à ce phénomène social les causes les plus diverses.
Il est hors de toute discussion que la société française était gravement malade à la fin du XVIIIe siècle, puisque de son sein sont sortis les doctrines et les acteurs de la Révolution. Ce qu'il nous paraît important de savoir, ce n'est donc pas si le corps social était contaminé, mais de quel mal il était atteint. Se mourait-il de vieillesse, avait-il une maladie organique, ou était-il en proie à une maladie infectieuse résultat d'une inoculation morbide ? Le mal était-il guérissable ou mortel ?
Aucun historien de bonne foi n'a mis en doute que l'âme du pays ne fût royaliste et croyante. L'Etat ne succombait pas faute de l'aliment nécessaire à son fonctionnement régulier; le déficit financier n'eut de gravité que parce que les adversaires de la monarchie s'en firent une arme. En réalité le mal, superficiel et passager, n'atteignait pas le gouvernement dans son
VIII LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
essence même ; à l'extérieur, la France était puissante et respectée.
Aucun pays ne jouissait alors de plus de libertés, d'esprit de tolérance, que la France. Son gouvernement paternel était d'une douceur extrême, souvent même débonnaire ; si on le compare au gouvernement anglais qu'on lui oppose sans cesse, il faudra constater que quarante ans s'étaient à peine écoulés depuis la répression féroce de Cumberland en Ecosse et des ministres en Irlande. A la veille de notre Révolution, les catholiques, exclus de toutes les fonctions publiques, étaient traqués dans les rues de Londres par les émeutiers dirigés par le maçon Gordon. Le moindre attorney distribuait, sous des noms différents, des lettres de cachet dont les rois de France se servaient de moins en moins. Le régime barbare des prisons anglaises, comparé au régime de la Bastille (1), est tout à l'avantage de la forteresse royale.
La jurisprudence anglaise avait, plus que la nôtre, envahi et déformé l'esprit des lois. C'est sur ce dernier point cependant que le gouvernement de la France était le plus attaquable ; mais les parlements étaient plus responsables que le roi et son conseil de cet encombrement judiciaire.
Dans la Grande Chambre siégeaient officiellement les adversaires les plus déclarés du pouvoir royal. Néanmoins, sans la faiblesse incompréhensible du souverain, la monarchie française, qui avait en maintes circonstances prouvé sa souplesse et son énergie,
(1) Voir à ce sujet la réponse du sollicitor Thomas Evans au pamphlet de Linguet : Réfutation des Mémoires..., p. 36, 39 et 54.
PRÉFACE IX
aurait dominé l'esprit public, mis à la raison les parlements révoltés et vaincu l'inertie de leur résistance.
Il faut donc qu'un mal plus terrible ait envahi ce qu'on appelait alors l'opinion publique ; le but de cette étude est de prouver que le mal, qui devait contaminer le monde entier, n'était pas seulement la franc-maçonnerie, mais surtout l'esprit maçonnique.
C'est bien là qu'il faut chercher les véritables causes et l'explication logique de la Révolution : identité des formules et des dogmes de la maçonnerie avec les principes de 1789; les maçons et les jacobins emploient les mêmes manoeuvres et livrent les mêmes combats.
L'esprit maçonnique enfanta l'esprit révolutionnaire, voilà ce que nous voulons démontrer.
Je ne puis me dissimuler la difficulté de la tâche que j'ai entreprise : écrire, au milieu de notre époque de luttes ardentes et de haines féroces, une histoire impartiale de la franc-maçonnerie en France, en un mot faire oeuvre d'historien et non de polémiste, semble presque impossible.
Cependant j'ai voulu, avec intensité, être juste envers ceux qui ne pensent pas comme moi ; par réaction, j'ai peut-être été dur envers mes amis. Je m'en excuse, mais je ne le regrette pas.
L'étude de la franc-maçonnerie a été l'objet de nombreux travaux depuis une cinquantaine d'années.
Presque tous sont l'oeuvre d'adversaires déclarés de l'Ordre ; la plupart des auteurs sont plus que des ad-
X LA FRANC MAÇONNERIE EN FRANGE
versaires, ils sont des ennemis acharnés d'une institution qui les irrite, les trouble et les déconcerte d'autant plus que ceux qu'ils attaquent ne répondent jamais, laissent le débat sommeiller, empêchant ainsi la discussion sinon de naître, au moins de prendre corps.
Les francs-maçons, de leur côté, ont publié divers ouvrages sur l'histoire de leur Ordre ; quelques-uns sont bien faits, mais leurs auteurs ne disent que ce qu'ils savent ou peuvent dire : tels ceux de Ragon, Rebold. Jouaust, Amiable, Daruty, Findel, Gould, etc. La plupart de ces ouvrages paraissent même être des oeuvres de bonne foi. En dehors des documents manuscrits, pour établir ma conviction, j'ai eu souvent recours à leurs aveux et jamais aux accusations de leurs contradicteurs, lorsque celles-ci n'étaient pas justifiées par des preuves indiscutables.
Malgré tous ces travaux, par suite de la passion des adversaires, plus on a écrit sur la matière, plus on semble avoir fait l'obscurité sur le sujet traité.
A quelles causes peut-on attribuer de semblables résultats ?
Est-ce à dire, d'après l'exposé ci-dessus, que la franc-maçonnerie soit injustement attaquée ?
Après avoir étudié la franc-maçonnerie, adversaire sincère et convaincu de l'idée maçonnique, j'ose le dire, sans parti pris, je crois que les causes de l'imbroglio dans lequel les partis se débattent tiennent aux raisons suivantes :
Les anti-maçons déterminés cherchent d'une part ce qui n'existe pas : l'origine juive de l'Ordre, ou
PRÉFACE XI
une direction occulte exclusivement dans les mains de l'Angleterre.
Les francs-maçons, de leur côté, se taisent sur ces questions, parce qu'ils n'en savent pas plus long sur leur Ordre que leurs adversaires ; beaucoup parmi eux croient même, comme de simples profanes, aux fameux secrets qu'ils espèrent connaître quand ils seront plus avancés dans les hauts grades. D'autre part, les attaques dirigées contre eux ne sont pas faites pour leur déplaire ; elles leur donnent un prestige mystérieux dont ils profitent ; le silence des frères apparaît sous forme de prudence et de discrétion, alors qu'il a son origine uniquement dans leur ignorance qui devient ainsi de l'habileté.
Quelle définition peut-on donner de la franc-maçonnerie ?
La franc-maçonnerie est une secte religieuse, qui, après quelques tâtonnements, s'organisa surtout en Europe, vers 1725, professa une doctrine humanitaire internationale et se superposa aux autres religions.
Son but avoué était de faire arriver les hommes à un état de perfection basé sur leur égalité sous toutes les formes ; indifférente à toutes les religions, elle devait conduire ses adeptes à ne croire à aucune. La généralisation de l'idée égalitaire devait l'amener rapidement à combattre même l'hypothèse d'une supériorité divine et à nier l'existence d'un être supérieur, créateur du monde. Sa définition d'un Dieu simplement architecte de l'univers supprime, en effet, le Dieu créateur, base de toutes les religions révélées. Le Dieu des francs-maçons est simplement la force qui régit la matière, la loi de l'uni-
XII LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
vers dont les hommes ne peuvent percevoir que les manifestations sensibles à leurs sens limités ; un Dieu inconscient du bien et du mal, qui conduit ses adeptes à admettre qu'il n'y a ni bien ni mal absolus en dehors des nécessités de leur propre conservation. Pour la secte, toute autorité est un mal provisoirement nécessaire, qu'on doit tendre à supprimer pour arriver à l'état de perfection. Les prêtres de cette religion d'incroyants sont les initiés actifs ; les fidèles, conscients ou inconscients, sont tous les profanes incroyants et tous ceux imbus des idées égalitaires, car les uns et les autres collaborent au succès du Grand Oeuvre : maçons parfaits, initiés incomplets ou profanes latomisés (1).
La franc-maçonnerie ne tend donc pas à un perfectionnement des sociétés existantes en tenant compte de leurs origines, de leur tempérament, de leur situation, mais à un retour à l'état de nature, à une agglomération d'êtres humains, satisfaits d'une vie végétative, pourvu que ses avantages matériels soient également répartis entre tous les citoyens.
La maçonnerie spéculative, celle qui fera l'objet de cette étude, a emprunté ses idées et ses formules à la maçonnerie professionnelle.
Cette première forme de la maçonnerie corporative, assurément fort ancienne, correspondait à une société restreinte, à une sélection hiérarchisée dans laquelle on pouvait appliquer utilement les doctrines d'égalité. Lorsque la maçonnerie s'est développée, lorsqu'elle a frappé aux portes de tous les métiers, de toutes les
(1) Par latomisé nous désignons toutes les personnes, initiées ou profanes, imprégnées de la doctrine maçonnique.
PRÉFACE XIII
professions, elle est devenue nécessairement destructive de tout ordre social.
Sur elle sont venus se greffer tous les esprits curieux chimériques. Cette lutte contre tout principe d'autorité n'était certes pas nouvelle ; au moyen âge, les passionnés de religion naturelle avaient déjà pris toutes les formes : métaphysiciens, ils s'étaient jetés dans la kabbale ; savants, dans l'alchimie ; médecins, dans l'empirisme ; astronomes, dans l'astrologie...
Plus tard, ces assoiffés de liberté absolue, d'égalité chimérique, de libre examen, ont fait la Réforme, le jansénisme, l'encyclopédisme, la maçonnerie et le jacobinisme.
Si les jacobins ont été les triomphateurs éphémères de l'entité égalitaire, les francs-maçons en ont été les protagonistes ; ce sont eux qui ont mis les combattants en présence, après avoir préparé le terrain de telle façon, que l'ancienne France devait fatalement succomber.
La franc-maçonnerie n'est pas née spontanément, elle n'est pas non plus une société secrète antique, ayant traversé et dirigé l'humanité depuis des siècles, et qui ne s'est trahie que lorsque son succès s'est manifesté d'une manière indiscutable. Elle est née lentement, poursuivant tour à tour des buts différents. L'organisation matérielle qui avait présidé à sa constitution prit, à la longue, la forme d'un dogme, puis celle d'une idée sociale transformatrice, lorsque les francs-maçons imaginèrent de réglementer l'humanité sur le modèle de leur Ordre. C'est à partir de ce moment que
XIV LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
naquit vraiment la franc-maçonnerie telle qu'elle existe encore de nos jours.
La franc-maçonnerie est, depuis près de deux siècles, une société secrète dans le sens strict du mot. En effet, quel que soit le but qu'elle poursuit, en admettant que ce but soit celui qu'elle proclame, elle fait tous ses efforts pour tenir cachées aux profanes ses délibérations et ses décisions. Si toutes les fantasmagories initiatiques qu'elle pratique ont un caractère mystérieux d'apparence puérile, le serment du silence a des conséquences beaucoup plus graves, bien que ce serment ait une tare initiale qui ne devrait pas affecter la conscience de ceux qui l'ont prêté, puisqu'on le leur a fait faire au sujet d'engagements imprécis, et même non révélés.
Le caractère secret de la société maçonnique a entraîné ses adversaires dans une série de fausses déductions. Ils ont défini la franc-maçonnerie, sous prétexte qu'elle cachait ses délibérations : société qui détient un secret religieux, social et politique, ayant un but caché criminel, et ils se sont mis à la recherche de ce secret.
« Faire croire qu'on dispose d'une puissance occulte, c'est presque la posséder », est un axiome maçonnique. La F:., M:., en effet, a intérêt à laisser croire qu'elle a eu et qu'elle a encore une influence occulte lui permettant d'intervenir dans l'histoire des peuples chaque fois qu'elle le croit nécessaire. L'affirmation est facile à faire et impossible à contrôler ; le maçon mis en mesure de faire la preuve de ses assertions se retranche toujours derrière son fameux secret. Ceux
PRÉFACE XV
qui l'attaquent sur ce terrain ou sont ses complices, ou font naïvement son jeu (1).
Lorsque le dogme maçonnique naquit, ses protagonistes entrevirent-ils les résultats sociaux que devait produire son application ? Assurément non. Aucun esprit n'était assez profond et assez avisé pour prévoir le cataclysme qu'il devait enfanter. On peut même dire que ceux qui soulevèrent la tempête étaient à ce point aveugles qu'ils furent les premières victimes de la tourmente. Cela était logique ; cela était juste. N'est-ce pas ainsi que la Providence, l'Être suprême comme disaient les jacobins, intervient dans les actes collectifs des hommes et fait marcher l'histoire des peuples ?
Nous aurons donc à prouver, au cours de cet ouvrage, que, pendant tout le XVIIIe siècle, la propagation de l'idée maçonnique fut funeste à la société, et que cette idée, néfaste par essence, entraîna, sans qu'ils s'en soient doutés, la plupart des francs-maçons beaucoup plus loin qu'ils ne l'avaient prévu.
Mais encore faut-il distinguer les maçons conscients isolés dans une vingtaine de loges, des maçons inconscients qui furent le plus grand nombre : dans les tableaux des loges, nous voyons figurer des représentants de toutes les branches de la société française ; le bataillon serré s'avance, maillets battants, à la con-
(1) Un F?M? me disait textuellement il y a quelques jours : « Une puissance inconnue du vulgaire mène le monde depuis sa création ; elle intervient dans l'histoire des peuples chaque fois que cela est utile ; cette force qui provient de Dieu ou du Diable, appelez-la comme vous voudrez, moi je l'appelle la F?M? ». Phénomène curieux produit par la latomisation ; mon interlocuteur était sincère.
XVI LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
quête de l'autorité pour la supprimer. Côte à côte défilent la noblesse authentifiée par d'Hozier et la noblesse née d'hier, incertaine ou usurpée ; le clergé janséniste et l'armée ; la magistrature et le barreau ; la finance et l'administration; la grande et la petite bourgeoisie ; l'industrie et le commerce...
Et lorsqu'on commence à entrevoir quelle sera l'issue du combat, la plupart des metteurs en oeuvre se retirent et regrettent l'ouvrage accompli. Parmi les maçons, il faut le reconnaître, parce que c'est la vérité et la justice, il y eut plus de victimes que de bourreaux. Si nous en rencontrons dans les assemblées électorales de 1789, à la Bastille le 14 Juillet et à Versailles les 5 et 6 Octobre, nous en trouvons au Dix Août, aux Tuileries; en Septembre, ils sont foule dans les prisons, et on en rencontre à Coblentz, à Bruxelles et à Londres aussi bien qu'à la Force ou à la Conciergerie...
Le dogme nouveau, déformation d'une vérité chrétienne, pouvait, il est vrai, séduire des esprits généreux mais superficiels. Mais aussi il développa outre mesure la juste fierté humaine et la transforma en orgueil dégradant et haineux ; transportée du cercle limité d'une loge à l'humanité entière, l'évolution de ce dogme devait conduire les peuples à la haine de toutes les supériorités sur la terre et à la destruction de toute croyance en un Dieu créateur et maître du monde.
Lorsque le Christ a enseigné l'égalité et l'humilité, il a dit aux despotes qui gouvernaient le monde : Devant mon Père, vous n'êtes pas plus que ceux que
PRÉFACE XVII
vous dominez sur cette terre. Cette idée sublime de l'humble égalité qui régénéra l'humanité, se trans-forma, sous l'impulsion de la franc-maçonnerie, en une idée abominable, parce que ceux qui la pilotèrent, enseignèrent l'égalité orgueilleuse et qu'ils dirent aussi bien à la brute qu'à l'infortuné : Vous êtes les égaux des plus hautes intelligences, des puissants et des riches et vous êtes le nombre.
C'est ce dogme, chrétien en apparence, que la franc-maçonnerie répandit. A défaut d'initiés proprement dits, la propagande égalitaire fit des latomisés dont le rôle fut très important : Diderot, d'Alembert, Rousseau, la Baumelle, Maupertuis, n'étaient probablement pas maçons Voltaire ne fut initié que quelques mois avant sa mort, alors que son oeuvre destructrice était faite depuis longtemps.
Le latomisé fut, à la vérité, un perturbateur tout aussi terrible que l'initié, car sa mentalité était la cause fatale de l'ambiance créée par le dogme égalitaire. La mentalité maçonnique agissait en effet autant sur le latomisé que sur l'initié, et la plupart d'entre eux ne voyaient pas exactement la transformation que la maçonnerie avait produite sur leur intelligence, sur leur volonté et sur leur conscience. Voilà précisément où se trouve la force de la franc-maçonnerie. Là aussi est le danger qu'elle présente.
Le premier effet de l'initiation est de purifier l'apprenti de toute mentalité chrétienne, s'il en a une ; puis, le compagnon revenu à l'état de nature, sans préjugés religieux et sociaux, sera capable, en devenant maître, d'avoir une mentalité nouvelle.
XVIII LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
L'enfant élevé dans la religion chrétienne voit, juge et agit chrétiennement ; le maçon né à la lumière du temple verra, jugera et agira maçonniquement.
Point n'est besoin de lui suggérer ses actes. Le Maître Parfait, en présence d'un jugement à porter, d'une décision à prendre, jugera et agira d'instinct, suivant les préceptes de la maçonnerie, pour le bien de l'Ordre; à la discipline chrétienne aura été substitué l'esclavage maçonnique, esclavage inconscient et par cela même plus complet, plus dangereux. L'initié n'a plus le libre arbitre du chrétien, il est revenu à la fatalité antique. Il ne doit plus compte de ses actes à un Dieu omniscient qui récompense ou punit dans ce monde ou dans l'autre, mais à lui-même, et seulement sur cette terre, avant de s'abîmer dans le néant d'une mort définitive et complète.
La brute et l'homme de génie, le bon et le coupable, mélangeront leurs poussières semblables pour retourner à la matière ; sorti du protoplasme, l'homme retournera à la vibration cosmique. L'âme, simple ferment, s'anéantira pour l'éternité. Rien avant, rien après. Dans un temps indéfini, la terre elle-même retournera au chaos, roulant d'un même rythme dans l'espace, avec la matière diffuse, ce qui fut lâme humaine.
Tous les initiés ne peuvent aller jusqu'à ces dernières conséquences ; combien s'arrêtent en chemin, doutant aussi bien du néant que de la vie éternelle, indécis, sans croyances quelconques, désespérés ! Ceux-là ne sont plus des chrétiens, mais ils ne sont pas des maçons parfaits. Néanmoins ils feront oeuvre de maçons, agiront en maçons.
PRÉFACE XIX
Je n'ignore pas qu'en attaquant le dogme de l'égalité je prête le flanc à des accusations de tous genres et que les moindres sont de me faire dire, sous une forme plus ou moins dédaigneuse, plus ou moins courtoise, que je suis né trop tard dans un monde trop jeune ; que je ne suis pas un homme de progrès ; que je suis paradoxal et peut-être encore plus ou moins que tout cela, selon qu'on voudra l'entendre moins ou plus.
A ces objections je répondrai par avance, qu'il me paraît, au contraire, que je suis venu trop tôt dans un monde déjà vieux ; que je ne crois pas à la pérennité de ce qu'on appelle l'esprit nouveau ; que tout dogme social qui a pour base la haine et l'orgueil ne peut avoir qu'une existence momentanée, que les grandes oeuvres ne peuvent être faites que par des hommes isolés et non par des collectivités, et que les deux grandes forces qui doivent conduire les hommes de demain sont la bonté et l'énergie.
Or, depuis que la franc-maçonnerie a été introduite en France, on n'a pas cessé, sous prétexte d'égalité, de conduire le grand troupeau des violents à l'assaut de toutes les supériorités, sous prétexte qu'elles ne représentaient pas le plus grand nombre.
Après m'être lu et relu, dans le calme de ma conscience, je n'ai rien trouvé à changer à mes conclusions, résultat d'un labeur considérable dont le lecteur pourra apprécier l'étendue.
Mon opinion a été formée et mon jugement rendu en toute indépendance de conscience ; pour être sincère, je
XX LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
dois reconnaître cependant que ce n'est ni en spectateur indifférent, ni en citoyen du monde que j'ai vu les choses et les gens, mais en amant passionné de celle qui est toujours pour moi la douce France, que j'aime avec ardeur, de cette généreuse France dont le grand passé me fait espérer dans son avenir, malgré toutes les tristesses de l'heure présente.
Les épreuves de la vie et les ans aiguisent ou adoucissent les angles ; le temps nous rend impitoyable ou indulgent. J'ai pensé qu'il était plus habile et plus particulier d'essayer d'être très indulgent, et je crois l'avoir été.
Dans mon étude du grand conflit du XVIIIe siècle entre la maçonnerie et le reste de la France, je n'ai pas perdu de vue un instant que, quoi qu'ils puissent dire ou faire, les maçons, vienne le temps de l'épreuve, sentiront malgré eux le vieux sang des aïeux circuler avec intensité et annihiler l'éducation artificielle et provisoire de leur cerveau. Beaucoup, parmi les adversaires actuels de l'Ordre, ne sont-ils pas les descendants des initiés du XVIIIe siècle ?
Mon travail veut donc être une oeuvre d'apaisement et, quelque paradoxale que ma prétention puisse paraître dans les circonstances actuelles, je persiste à croire que l'on peut tenter encore de réconcilier l'ancienne France avec la France moderne ; non pas que je veuille faire renaître le passé de toutes pièces : le passé est mort ; mais la vie d'aujourd'hui n'est-elle pas fille des morts d'hier, des morts d'il y a des siècles ? Les fleurs poussent sur les tombes.
Si je veux emprunter au passé les grandes lignes de sa
PRÉFACE XXI
tradition pour la direction à imprimer à nos destinées politiques, à l'intérieur comme à l'extérieur, je n'imagine pas un instant qu'on puisse prétendre à rétablir notre ancien état social. Par contre, je ne conçois pas non plus qu'on puisse ériger en axiome et encore moins en dogme, que notre état social actuel est une arche sacrée, renfermant la nouvelle Bible de l'humanité future.
Si, pour rendre mon récit vivant et sincère, je me suis attardé dans de menus détails, je n'ai retenu dans mes conclusions que les grandes lignes de l'ensemble ; si j'ai décrit des usages et des fêtes ridicules, j'ai aussi indiqué certaines solennités maçonniques qui n'étaient pas sans grandeur.
Je considère qu'il faut élever la discussion au-dessus de ces misères et de ces actes louables, dégager la thèse maçonnique et montrer résolument, nettement, son opposition avec la croyance nécessaire à toute société.
La franc-maçonnerie s'est posée, à ses débuts, en défenseur de la religion naturelle : croyance à l'au-delà, à l'existence de Dieu et à l'immortalité de l'âme, basée sur les seules données de la raison ; mais, peu à peu, cette religion naturelle s'est transformée en simple morale sociale, basée sur l'éternité de la matière, et après avoir passé par le panthéisme, elle a abouti à la négation de la Divinité.
Ses adversaires croient, au contraire, que la religion naturelle n'est que l'étape nécessaire pour arriver à la religion révélée et à toutes ses conséquences : croyance en l'au-delà, basée sur les lumières surnaturelles de la
XXII LA FRANC-MACONNERIE EN FRANCE
raison, grâce à une intervention directe de la Divinité, apportant la vérité aux hommes.
Au fond, toute la lutte religieuse est circonscrite à l'opposition de cette thèse à cette croyance.
Au point de vue social, l'antagonisme est tout aussi tranché.
En étudiant le développement des loges et les transformations de leurs doctrines, nous verrons la lutte s'engager et les résultats sociaux obtenus par le triomphe des ateliers de la maçonnerie.
Sans prétention électorale, je puis oser dire ce que de nombreux esprits, cultivés et sincères, n'osent murmurer et encore moins écrire.
La doctrine de l'égalité me révolte, parce qu'elle conduit infailliblement à la négation de toute hiérarchie indispensable, parce qu'elle nous ramène forcément au socialisme d'Etat, première forme de toute société qui sort des limbes de la barbarie, dernier spasme de toute société qui meurt ; parce qu'elle détruit inévitablement la famille et l'individualité ; parce qu'elle a pour conséquence inéluctable la négation de la supériorité divine qu'elle remplace par la loi du nombre.
Pour lutter contre de semblables doctrines, le pouvoir seul peut intervenir utilement. En France, moins qu'en tout autre pays, il ne peut se former de sociétés pour défendre purement et simplement le gouvernement constitué. Si, par hasard, des essais sont tentés, ils aboutiront à un but opposé à celui qu'on voudra poursuivre. Les défenseurs du pouvoir ne seront pas
PRÉFACE XXIII
désintéressés. Ils voudront protéger et réclameront des privilèges ; en cas de refus, ils crieront à l'injustice, à l'ingratitude et concluront à l'inutilité du dévouement. Les défenseurs du pouvoir deviendront ses pires ennemis.
La Révolution accomplie, au nom du dogme maçonnique, les loges elles-mêmes n'échapperont pas à cette loi fatale ; le gouvernement qu'elles auront créé, au nom même du dogme de l'égalité, se refusera à leur reconnaître des privilèges de fondateurs ; la Révolution se retournera contre eux. En ne tenant pas compte de ces lois sociales, l'historien est désorienté, il ne comprend pas, il trouve illogiques toutes les hypothèses qu'il peut imaginer. Comment expliquer autrement, en effet, que l'on retrouve presque tous les maçons de 1788 et 1789, soit hors de France, soit sous le couteau de la guillotine ?
Il faut reconnaître aussi que la royauté fut coupable : non seulement le gouvernement royal ne supprima pas la maçonnerie, mais encore il l'encouragea. Louis XVI et ses frères étaient maçons-protecteurs. Depuis longtemps les princes du sang et la noblesse de cour faisaient partie de l'Ordre. Les premiers, et avec eux les légitimés, affectaient une soumission chagrine à la personne du roi. Au pied du trône, au nom de l'égalité, ils regrettaient de n'être pas assis à côté ou même à la place du roi. De leur côté, les représentants des anciennes grandes familles, quasi royales, n'avaient pas oublié qu'il avait été un temps où elles marchaient de pair avec la maison de Bourbon et que, pour les dompter, il avait fallu Louis XI, Richelieu et
XXIV LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Louis XIV. Combien souffraient de ne plus être appelés qu'à faire partie de la haute domesticité de la couronne ! Les intrigues de cour ressemblaient à de véritables complots. On frondait le pouvoir royal à Chantilly, à Berny et à Sceaux, comme à Brunoy, à Bagatelle et à Villers-Cotterets. Toutes ces familles princières furent représentées dans la franc-maçonnerie, sinon par leur chef, tout au moins par ceux qui lui tenaient de près. L'exemple fut suivi : Versailles devint une vaste loge; on coudoyait le maçon aussi bien dans l'il-de-buf qu'à l'office et au corps de garde. Hauts dignitaires de l'armée et de la magistrature, maison du roi et des princes, maison de la reine, gardes du corps, chambre du roi...
Tout ce monde, pensionné de la liste civile, grouillant, intriguant, quémandant, avait prêté serment tout à la fois entre les mains du vénérable de sa L? et à la personne du roi.
Combien ne retrouveront leur foi royaliste qu'en présence du malheur frappant à leur porte ! Avec eux ils auront entraîné dans l'abîme la monarchie et le pays tout entier : le roi, l'admirable noblesse de province, la bourgeoisie et le peuple.
La F?M? aurait été impuissante à produire ce cataclysme, si elle n'avait été conduite et dominée par son dogme égalitaire.
Dans notre premier volume, nous verrons manoeuvrer les ouvriers de l'idée, ceux qui préparèrent le terrain.
PRÉFACE XXV
Dans le second, les ouvriers du fait bouleverseront de fond en comble le sol de notre pays et seront engloutis par l'abîme qu'ils auront creusé.
Dans le troisième enfin, nous verrons les ouvriers qui auront survécu diriger encore la France vers le chemin qu'ils lui avaient tracé et continuer en temps de paix violente la construction du Grand Ouvre.
Avec la franc-maçonnerie nous aurons vu passer devant nos yeux l'image de tous les vices, et aussi, il faut le reconnaître, celle de beaucoup de vertus. Son recrutement avait été multiple et varié, car elle avait frappé aussi bien aux portes des sociétés de plaisirs vulgaires qu'à celles qui avaient des aspirations élevées, attirant à elle tout ce qui était groupement : telle société inavouable est venue se fondre avec telle autre société dont le but était admirable.
Dans quelle mesure faut-il la blâmer et la louer ? La maçonnerie a été imprégnée de toutes les vertus et de tous les vices de son temps, et, il faut l'avouer, ceux-ci étaient les plus nombreux.
Après avoir déroulé devant les yeux du lecteur le tableau de toutes ces turpitudes, que faudra-t-il conclure ?
Que l'humanité est passée une fois de plus avec toutes ses hontes et toutes ses beautés.
L'humanité est passée, et comme elle a souffert, le regard de Dieu lui a donné une vie nouvelle.
L'homme, pour être vraiment digne de ce nom, a plus besoin d'idéal que de pain, et c'est l'idéal commun qui agrège les nations vivaces et généreuses. Cet idéal, il
XXVI LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
faut que nous le retrouvions et qu'il prenne la place de la haine qui frappe tout effort de stérilité.
L'ancienne France avait comme idéal la religion catholique et la royauté traditionnelle. C'est de l'union de ces deux croyances qu'est née la Patrie française; des doctrines maçonniques ont pu nous la faire oublier momentanément, mais je reste convaincu que la France de demain reprendra ses anciennes traditions ; que celles-ci seront d'accord avec les nécessités du monde moderne et que notre pays redeviendra la nation énergique et généreuse qu'elle fut sous ses rois.
GUSTAVE BORD
Paris, le 25 août 1908.
----------------------
AVERTISSEMENT
Les documents auxquels nous avons emprunté les listes de francs-maçons citées dans cet ouvrage sont trop nombreux et trop divers pour que nous en ayons fait mention dans des séries de notes qui eussent encombré inutilement presque chaque page.
Pour remédier à cette omission volontaire, nous nous tenons à la disposition de tout représentant d'un des noms cités pour lui indiquer les sources auxquelles nous avons puisé nos renseignements.
Nous tenons à remercier tout particulièrement MM. de Bessonies, Bon, Paul Fesch et Augustin Cochin des nombreux documents qu'ils ont bien voulu nous communiquer.
G. B.
LA FRANC-MAÇONNERIE
EN France
----------------------------------------
CHAPITRE PREMIER
LES PRÉCURSEURS
Le problème.- Les sources des doctrines maçonniques.- Les penseurs : les alchimistes. - La pierre philosophale. L'Alcaest, la Palingénésie et l'Homunculus. - Les principaux alchimistes ; leurs protecteurs et leurs adversaires. - Les kabbalistes : Raymond Lulle ; Thomas Morus ; Paracelse ; les Socins ; Andrea ; Robert Fludd ; le chancelier Bacon ; Pierre Bayle ; Swedenborg ; Willermoz.
Qu'est-ce que la franc-maçonnerie ? - Ce problème a été souvent posé ; presque toujours on y a répondu de façons différentes, et la multiplicité des solutions a fait la confusion et le mystère, au profit des maçons et au plus grand dommage de ceux qui les attaquent.
On a voulu personnifier la maçonnerie dans une succession de grands maîtres inconnus, connaissant seuls le secret de l'Ordre et seuls le dirigeant. Cette société, d'après les uns, aurait eu le même but caché et la même organisation mystérieuse depuis son origine; d'après les autres, l'Ordre n'est qu'une société de secours mutuels et de bienfaisance.
LA FRANC-MAÇONNERIE. - T. I. 1
2 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Les deux affirmations sont également fausses lorsqu'on les rapporte à toutes les époques de la maçonnerie ; elles sont la source de multiples erreurs.
Pour trouver la solution du problème, essayons d'abord de le poser.
N'y eut-il qu'une espèce de franc-maçonnerie ? Son but fut-il toujours le même ? A-t-elle eu successivement un ou quelques chefs connaissant seuls le secret du but de la société ?
Nous démontrerons que deux maçonneries se succédèrent : l'une, la plus ancienne, composée de gens de métier, de constructeurs, et que nous appellerons corporative ; l'autre, celle qui la remplaça, composée d'amateurs de philosophie et de sciences, que nous appellerons spéculative (1).
La substitution ne se fit pas brusquement de la première à la seconde forme : pendant plusieurs années des hommes influents s'introduisirent dans la première pour s'y livrer avec sécurité à leurs études souvent entachées d'hérésies ; d'autres voulurent la dominer pour en faire profiter leur parti politique, qui fut pendant les premiers temps celui des Stuarts. Ces maçons, connus sous le nom de maçons acceptés, lorsque la substitution de l'ordre à la corporation aura lieu, donneront naissance à deux courants différents : la maçonnerie jacobite et la maçonnerie anglaise. Ces deux soeurs ennemies, qui auraient dû représenter des adversaires irréconciliables, après avoir poursuivi des buts opposés, se trouveront confondues, plus tard, par la puissance du dogme fondamental de la Maçonnerie qui aura subsisté malgré eux, parce qu'une idée est plus forte que
(1) Les Anglais appellent la première opérative. Nous avons adopté le mot corporative, qui nous paraît plus complet, car il suffit à exprimer que ces travailleurs opéraient en corporation.
LES PRÉCURSEURS 3
les hommes et les conduit fatalement lorsque cette idée est vraiment puissante. Or, on ne pourra pas nier que, si l'idée maçonnique de l'Egalité des hommes est socialement détestable, elle n'en est pas moins forte et que le maçon lui-même n'a souvent qu'un abri bien précaire lorsqu'il a déchaîné l'orgueil de l'homme sous prétexte d'égalité et que le cyclone passe sur l'humanité terrifiée.
Aussi bien, à celui qui les attaque, comme au maçon dont sa propre lumière a brouillé les yeux, je puis dire, après avoir étudié le problème sans haine pour les hommes : le dogme maçonnique est une chose grave, une pensée dangereuse, qui conduit les sociétés aux pires cataclysmes ; ne cherchez pas dans le maçon, tantôt un ennemi de caste ou de nationalité, tantôt un ennemi politique ou religieux, car il renferme en même temps tous ces dangers. La f?m? n'est pas représentée par un homme, ni une, classe d'hommes, mais par une idée néfaste, la plus terrible qu'on puisse imaginer : l'idée de l'égalité. Tuez l'idée tuez-la d'abord en vous où elle a pénétré, et vous serez surpris de voir le lendemain que la f? m? n'existe plus.
Les maçons furent au XVIIIe siècle les prêtres et les soldats du dogme égalitaire. Sous le souffle de cette idée, ils ont exercé leur sacerdoce et livré leurs combats, pour la plupart inconsciemment. L'idée implacable les a entraînés jusqu'au bord de l'abîme où doivent succomber les sociétés modernes, car le dogme de l'égalité est par essence destructeur de toute idée sociale. Leurs adversaires, envahis eux-mêmes par cette idée, n'ont pas osé jusqu'ici les attaquer sur ce terrain, qui est le véritable terrain de lutte. Il faut le reconnaître nettement, franchement, il n'y a plus aujourd'hui que deux adversaires en présence : les anarchistes
4 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
égalitaires et ceux qui veulent vivre en société avec les hiérarchies nécessaires. Envisagée sous ce point de vue, l'idée égalitaire domine donc l'histoire de la f?m? comme elle domine les destinées des nations modernes.
La f?m?, telle qu'elle fonctionna pendant les premières années du XVIIIe siècle, peut être considérée comme un équipage de savants, vrais ou faux, d'abstracteurs de quintessence, de kabbalistes et de spirites, qui, s'étant réfugiés sur un navire dont l'équipage ancien ne trouvait plus à s'occuper, se firent accepter par le capitaine, peu à peu s'emparèrent de la manoeuvre et se substituèrent à l'ancien équipage. Si les hommes disparurent, leurs usages persistèrent, le nom du navire ne fut pas changé, et de la sorte une f?m? de penseurs se substitua à une franc-maçonnerie de constructeurs maçons.
Au moment du renouvellement de l'équipage, les nouveaux venus étaient les représentants des libres penseurs de l'époque, des empiriques, précurseurs des hommes de science et des kabbalistes précurseurs des philosophes. Cette catégorie de curieux avait existé de tous temps, car à toutes les époques il y eut des hommes qui cherchèrent à expliquer les phénomènes de la nature et à deviner le secret de Dieu. L'homme, dès son berceau, voulut connaître les causes de son origine, le but de son existence et sa destinée après sa mort. Il voulut goûter au fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, entrer en lutte avec la Divinité, et résoudre un problème dont il ne pouvait poser l'équation. Si les sciences firent chaque jour des progrès, et si l'on parvint peu à peu à déchirer le voile
LES PRÉCURSEURS 5
mystérieux qui entourait certains phénomènes naturels, tels que nous les voyons, on peut dire que les mystères qui enveloppent le berceau et la tombe de l'homme, sont encore aujourd'hui aussi cachés qu'à l'aurore de l'humanité.
Des hommes luttèrent désespérément, à la recherche de la vérité intangible, s'exaspérèrent, blasphémèrent et se révoltèrent contre le Grand Inconnu, contre Celui qui est. Dans tous les temps il y eut des sectes secrètes, qui prétendirent comprendre les lois qui régissent l'univers ; les uns croyaient véritablement posséder le secret ineffable ; les autres, les habiles, faisaient de leurs mystères un appât pour la foule, prétendant ainsi la dominer et la conduire ; tout au moins avaient-ils trouvé le moyen de l'utiliser à leur profit.
Cette lutte est, comme nous l'avons dit, vieille comme le monde ; à travers le temps et à travers les peuples, elle exista sans discontinuité ; pour nous en tenir aux temps modernes, au XVIe siècle les lutteurs s'appelèrent les réformés, fils des omniscients du moyen âge. A ce titre ils furent les précurseurs de la f?m? On peut donc dire que la secte des francs-maçons incarne depuis le XVIIIe siècle les sectes recherchant le secret éternel de l'humanité, de ces gens qui, ne pouvant comprendre et définir Dieu, las de le chercher en vain, trouvèrent plus commode de magnifier la matière et de déifier l'homme.
Envisagée sous ce point de vue, la f?m? est une secte fort ancienne, la plus ancienne même qui fût sur la terre ; sectaires en lutte acharnée avec l'homme résigné qui se contente du travail, de l'amour, de la foi et de la prière, les francs-maçons représentent, au point de vue chrétien, l'orgueil de l'homme, l'esprit du mal, la révolte contre Dieu.
5 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Un f?m? homme d'esprit, de science et de bonne foi, car je prétends qu'il en existe, avec lequel je discutais ces problèmes décevants, en matière de conclusions, me tint le discours suivant :
- Je ne discute ni ne critique vos dogmes et vos croyances de catholique ; ils me sont indifférents. Que ceux qui y croient les pratiquent, c'est ce qu'ils ont de mieux à faire ; ils ne viendront jamais parmi nous ; ils s'imaginent être avec les bons anges, soumis à la grande force de l'Architecte de l'Univers que vous appelez Dieu ; ils sont convaincus que nous sommes les adeptes des démons, Lucifer, Asmodée ou Belphégor ; soit, je l'admets et je prendrai les arguments qui vont suivre dans vos propres croyances, dans vos livres saints. Or qu'enseignez-vous ? que les démons sont des anges déchus et qu'au jugement dernier ils seront vaincus par les bons anges, milice de votre divinité. Ce jour-là, ils redeviendront de bons anges et votre Dieu, que vous dites magnifique et plein de miséricorde, leur pardonnera leurs méfaits passés ; il pardonnera également, sans cela il serait injuste, à tous ceux qui auront été entraînés par les démons ; donc le résultat sera le même pour nous que pour vous ; nous jouirons de la gloire éternelle et de la contemplation de Dieu ? Seulement vous aurez joué un métier de dupes, et nous aurons été des gens avisés.
Alors que vos bons anges vous enseignent la résignation et l'humilité, la sanctification de la bonne souffrance pour mériter de franchir la porte de votre Paradis des petits et des humbles, nos démons nous conduisent au même séjour de délice, par des chemins jonchés de roses sans épines, la tête haute ; c'est après une lutte d'égal à égal que nous prenons d'assaut votre Paradis. Tout au plus serons-nous obligés d'attendre
LES PRÉCURSEURS 7
pour y entrer le jour du grand jugement; mais d'ici là, il est à croire que le démon qui nous aura conduits dans ce monde nous protégera dans l'autre. Et, si la mort terrestre est l'anéantissement de l'être humain, comme beaucoup le croient, nous aurons été plus habiles que vous en évitant des souffrances inutiles.
Aussi, ne cherchons-nous pas à recruter parmi vous des adeptes ; impassibles, nous attendons que ceux qui n'ont pas trouvé dans la pratique de vos croyances le bonheur, la consolation, la paix ou la satisfaction, viennent à nous. Ceux-là, laissez-les-nous ; ils nous appartiennent ; nous n'en ferons pas des humbles, mais des hommes libres,heureux à notre façon qui deviendra la leur. Quel droit oserez-vous invoquer pour y mettre obstacle ?
- Je conviens, lui répondis-je, que le problème ainsi posé peut convaincre ceux qui ne croient pas et les entraîner dans votre sillage ; mais pour cela il faudrait nous entendre sur ce que nous appelons Dieu ; pour vous, c'est un simple Architecte de l'Univers ; pour moi, c'est le Créateur de toute chose. Votre Dieu, par définition, est la négation du mien. La puissance du vôtre est limitée puisqu'il se borne à utiliser la matière qu'il n'a pas créée, qu'il est même impuissant à créer. Enfin, puisque vous invoquez les textes des livres, saints, ou avez-vous lu que, après avoir été terrassé, le démon deviendra un bon ange ? Vous le déduisez par un raisonnement spécieux, en invoquant l'esprit de miséricorde d'un Dieu auquel vous ne croyez pas, oubliant ainsi qu'il est aussi un Dieu de justice. Je préfère demeurer avec le poète, ce devin de l'au-delà, qui fait gémir sa lyre en nous enseignant qu'on n'est un homme que lorsqu'on a souffert et lorsqu'on a pleuré. Pour concevoir le bonheur il faut pouvoir le comparer à ce
8 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
qui n'est pas le bonheur, et ne le supprimerait-on pas en supprimant la souffrance ? Enfin, il resterait à prouver qu'il suffit d'être initié pour ne connaître ni les peines ni les larmes.
Voilà ce que pensent encore de nos jours les f?m? qui ont gardé les traditions du passé de leur ordre. Je conviens que le plus grand nombre ne soulève plus le problème de l'humanité primitive et des destinées d'outre-tombe, que ses soucis se bornent à assurer le présent et, en agissant ainsi, il croit faire preuve de la sagesse d'un homme raisonnable et pratique. La plupart voient dans la maçonnerie une société d'admiration mutuelle, susceptible de favoriser avec sécurité l'épanouissement de leurs ambitions politiques, littéraires ou commerciales. En cela ils sont différents de leurs ancêtres, qui, eux, avaient souvent pour excuse la sincérité et le désintéressement de leurs convictions.
C'est la mentalité de ces derniers que je me bornerai à étudier, et l'on pourra comprendre, je l'espère, et excuser dans une certaine mesure, les hommes de bonne foi et d'intelligence plus qu'ordinaire qui se passionnèrent pour l'Art Royal. En dehors des dupes, il y eut des coupables, et souvent même en faveur de ces derniers on peut invoquer les circonstances atténuantes.
Pour comprendre clairement ce qu'était la secte philosophique des f?m? à son origine, il nous faudra remonter quelque peu en arrière, et étudier les divers savants empiriques qui eurent la faveur des premiers maçons non constructeurs.
Si l'on examine les discours, les formules, les adages et les doctrines des initiés du XVIII° siècle, on
LES PRÉCURSEURS 9
arrive à déterminer assez facilement à quelles écoles ils ont façonné leurs mentalités, car, tout au moins au début, tous n'eurent pas les mêmes convictions, très peu poursuivant le même but.
Suivant leur tournure d'esprit, leurs aptitudes et leurs aspirations, les uns furent des penseurs, kabbalistes ou théosophes, les autres des savants, alchimistes ou astrologues ; ceux-ci furent des artistes, ceux-là des politiciens.
En analysant les correspondances maçonniques et les travaux de loge, voici quels sont les principaux ancêtres qu'on peut leur attribuer.
Les précurseurs intellectuels directs de la f?m? furent les alchimistes et les kabbalistes, en donnant à ce premier mot son sens le plus complet. Pendant le XXVIIIe siècle, en effet, le maçon cherche, comme l'alchimiste, la pierre philosophale, la panacée universelle, et l'arbre de la science du bien et du mal révélant le mystère de la création : c'est à eux aussi bien qu'à Bacon qu'il emprunte la légende symbolique du Temple de Salomon et celle d'Hiram; les allures des plus fameux d'entre eux, Saint-Germain et Cagliostro, ressemblent singulièrement à celles du Cosmopolite, du Philalèthe et de Lascaris.
L'alchimie était, suivant l'alchimiste, une science, un art ou une supercherie. Son objet était d'opérer la transmutation des métaux vils en métaux nobles. Lorsque cette science prit naissance, vers le IVème siècle, à Byzance, l'état des connaissances chimiques pouvait permettre de poursuivre de semblables recherches. L'alchimiste supposait que les métaux étaient formés des mêmes éléments, étaient, comme aurait dit un chimiste du XIXe siècle, des corps
10 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
isomères et que, par conséquent, des manipulations physiques pouvaient changer leur état chimique. La grande erreur des alchimistes fut d'affirmer que la chose était possible parce qu'il n'était pas déraisonnable d'admettre qu'elle pouvait être. C'est ainsi qu'ils emprisonnèrent leur science et qu'après avoir donné à la chimie un essor incontestable, ils la paralysèrent en la spécialisant. Si, en cherchant une chose, ils en trouvèrent une autre et firent en quelque sorte malgré eux et au hasard progresser la chimie, il n'en est pas moins vrai qu'ils furent un obstacle sérieux au développement rapide et méthodique de cette branche des sciences.
Vers le VIIème siècle, de Grèce l'alchimie fit des adeptes en Egypte et, de là, les Arabes la transportèrent en Espagne, où elle fut longtemps en honneur. Peu à peu cette science avait envahi l'Occident, et au XVe siècle elle était cultivée dans toute la chrétienté. Au XVIe et au XVIIe, c'était une véritable folie ; il y avait des souffleurs dans toutes les classes de la société, et la légende de la fortune fantastique de Nicolas Flamel avait bouleversé toutes les cervelles.
Aux recherches matérielles on avait joint bientôt des combinaisons métaphysiques, et alors un philosophe était aussi bien celui qui recherchait la pierre philosophale que celui qui étudiait l'âme humaine. Le langage de ces fous qui, par hasard, trouvaient des choses raisonnables, était composé d'allégories et de paraboles ne voulant rien dire ou simplement ineptes, ou de logogriphes qui ne cachaient pas de mots.
Cependant les plus remarquables d'entre les abstracteurs de quintessence s'expriment plus clairement, tels Salmon et Philalèthe.
De leurs théories il ressort qu'ils considéraient les
LES PRÉCURSEURS 11
métaux comme des corps composés des mêmes éléments, dans des proportions et des conditions de formation différentes. Ils naissent, disent-ils, comme des êtres organisés, par la conjonction des semences mâles et femelles. L'or pur absolu est la semence mâle; le mercure des philosophes est la semence femelle. L'alchimiste réunit ses produits dans un récipient nommé Athanor, maison du poulet des sages ou oeuf philosophique, et au bout de six mois de chauffage intense il obtient la poudre noire qu'il nomme Saturne, tête de corbeau, ténèbres cimmériennes... En continuant à souffler, la poudre devient blanche; c'est avec celle-ci, qu'on appelle petite pierre philosophale, petit magistère ou teinture blanche, qu'on obtient l'argent. En chauffant encore, la matière devient verte et enfin rouge ; c'est la véritable pierre philosophale, grand magistère ou grand élixir, transformant immédiatement en or pur, quelque faible que soit la dose employée, des volumes considérables de tout vil métal en fusion sur lequel on la projette.
Et il ne faut pas se tromper sur la signification des mots, sous peine de rencontrer des contradictions inadmissibles. Ainsi, ces mêmes alchimistes qui donnent la recette que nous venons de décrire pour faire de l'or, prétendent d'autre part que tous les métaux sont un composé de mercure et de soufre, ce qui ne concorde pas en apparence avec les recettes qu'ils donnent ; il faut ajouter que le soufre et le mercure des alchimistes n'ont aucun rapport avec ces corps tels qu'on les définit vulgairement. Le mercure est la métalléité, l'éclat, la ductilité des métaux, et le soufre leur élément combustible.
Plus tard les astrologues introduisent leur science dans l'alchimie, et les principaux métaux se sont trou
12 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
vés sous des influences planétaires. Les médecins se mettent aussi de la partie et la pierre philosophale transmute les métaux, dirige les destinées, guérit les maladies et prolonge la vie.
Pour que rien n'y manquât, les alchimistes firent intervenir la magie blanche ou la magie noire dans leurs opérations : Dieu ou le Diable.
Pour l'alchimiste cherchant la transmutation des métaux, la difficulté est de se procurer le mercure des philosophes, qu'on ne peut avoir que par révélation divine ; ils l'appellent : mercure double, lion vert, serpent, eau pontique, lait de vierge, etc.
Aussi ne l'ont-ils jamais trouvé, et cependant ils l'ont cherché partout :
Dans les métaux : arsenic, étain, antimoine, mercure vulgaire, etc.
Arnauld de Villeneuve recommande de triturer trois parties de limaille de fer avec une partie de mercure et d'y ajouter du vinaigre et du sel.
Trismosin conseille de sublimer du mercure avec de l'alun et du salpêtre, puis de distiller le mélange avec de l'esprit de vin « en mangeant des tartines de beurre très épaisses ».
L'un et l'autre ne parvinrent qu'à fabriquer du sublimé corrosif et à calmer leur appétit.
Puis, sous prétexte que saint Luc avait dit que le sel était une bonne chose, on abandonna les métaux pour les sels : le sel marin, le salpêtre et surtout le vitriol, vitriolum, dont les propriétés étaient établies par la phrase suivante :
Visitando
Interiora
Terrae,
Rectificandoque,
LES PRÉCURSEURS 13
Invenies
Occultum
Lapidem,
Ueram
Medicinam.
Plus tard on essaya des substances végétales : suc de chélidoine, primevère, rhubarbe, lunaria.
Distillations de vers de fumier, de crapauds, de lézards, de serpents. Produits du corps humain : sang, salive, poils, semence, menstrues, matières fécales, organes génitaux.
Terre vierge, vitraux rouges des anciennes églises et enfin l'esprit du monde, spiritus mundi, matière qui se rencontrait dans l'air, l'eau de pluie, la neige, et surtout dans la rosée du mois de mai.
Trois choses sont ainsi recherchées par les alchimistes : l'Alcaest, la Palingénésie et l'Homunculus.
L'Alcaest, Esprit universel (all Geist), dissolvant de tous les corps, est l'idéal des menstrues. On le cherche dans le tartre, l'alcali (alcali est), la potasse, l'acide muriatique.
Kunckel ayant fait remarquer que s'il dissolvait toutes choses, il devait dissoudre le vase dans lequel on le renfermait, il n'en fallut pas plus pour discréditer l'Alcaest.
La Palingénésie était l'art de faire renaître les plantes de leurs cendres.
L'Homunculus était un homme en miniature fabriqué par des procédés hermétiques. Il se formait dans l'urine des enfants. D'abord invisible, il fallait le nourrir avec du vin et de l'eau de rose.
En dehors de toutes ces folies, certains se livrèrent à des recherches plus sérieuses, et nombre d'alchimistes ne furent ni des sots, ni des ignorants, ni des hommes
14 LA. FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
de mauvaise foi. Vu l'état de la science, on ne peut s'étonner que les décompositions chimiques aient été prises pour des transmutations.
« Si vous projetez sur du cuivre de l'arsenic blanc sublimé, dit saint Thomas d'Aquin, vous verrez le cuivre blanchir ; si vous ajoutez alors moitié argent pur, vous transformerez tout le cuivre en véritable argent »
Plus tard, par l'expérience, on reconnut que ce changement de couleur n'était pas une transmutation, mais une simple superposition.
Comme on ignorait également que les sels liquides pouvaient contenir des métaux, les précipitations étaient prises aussi pour des transmutations.
D'autre part, on avait des moyens imparfaits pour contrôler la présence de l'argent dans un alliage de ce métal avec l'or (cément royal, sulfure d'antimoine, eau forte). La chimie analytique n'existait pas, on ne faisait pas d'expériences de densité précises (1). Mais à toutes ces recherches, la véritable science trouvait parfois son compte. Si les explications étaient erronées, les faits étaient réels.
A côté des prestidigitateurs pipant le creuset (2), il y avait les gens de bonne foi introduisant dans les expériences des éléments aurifères ignorés, tels que le chlorure d'or.
(1) Voy. Berthelot : Les Origines de l'AIchimie.
(2) Dans un remarquable mémoire lu à l'Académie des sciences de Paris le 15 avril 1722, Geoffroy l'aîné dévoile les supercheries les plus usitées :
Creusets doublés, garnis dans le fond de chaux gommée, d'or et d'argent qui sous l'influence de la chaleur se désagrégeaient et séparaient leurs éléments ;
Parcelles d'or ou d'argent introduites dans des charbons creux ; Baguettes de bois creusées contenant à leur extrémité le métal
LES PRÉCURSEURS 15
Malgré toutes leurs erreurs leurs insanités ou leurs duperies, les alchimistes n'en ont pas moins préparé la méthode expérimentale : l'observation et l'induction, que Galilée, François Bacon et Descartes ont codifiées. Il faut reconnaître que si les alchimistes n'avaient pas amoncelé de nombreuses expériences, les créateurs de la science moderne n'auraient pas pu avoir même l'idée de chercher règles, formules et lois.
Si les alchimistes furent interdits au XIVe et au commencement du XVe siècle par le pape Jean XIII à Avignon, Charles V en France, Henri IV en Angleterre et le conseil de Venise, du XVIe au XVIIIe siècle ils étaient protégés dans l'Europe entière par les empereurs Rodolphe II, Ferdinand III et Léopold Ier, par Frédéric Ier et Frédéric II de Prusse, par l'électeur Auguste de Saxe, par Charles IX et Marie de Médicis en France, par Edouard III, Henri VI et Elisabeth en Angleterre, par Christian IV et Frédéric III en Danemark et Charles XII en Suède.
Si quelques-uns d'entre eux sont pendus de temps en temps par des princes allemands, c'est comme imposteurs, ou parce qu'ils ne veulent pas livrer les secrets dont on les croit détenteurs.
La liste des alchimistes contient, il faut le recon-
précieux qu'on déposait dans le creuset en agitant le métal en fusion ;
Petites quantités de métal précieux mêlé au métal vif qu'on travaillait ;
L'or coloré par le mercure, mêlé aux métaux blancs ;
Liquides comme le chlorure d'or et l'azotate d'argent contenant des métaux en dissolution ;
Métaux précieux dissimulés dans une gangue de métaux vils.
16 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
naître, des noms illustres et vénérés à côté de faux savants et de filous :
S. Thomas, Arnauld de Villeneuve, Albert le Grand, Alain de Lisle, Raymond Lulle, Paracelse, Nicolas Flamel, Talbot, Van Helmont dont le fils convertit Leibnitz à l'alchimie, Sweitzer (Helvétius) qui compta Spinoza parmi ses adeptes, le Cosmopolite, le Philalèthe, Lascaris, Botticher, Braun, Martin, Schmolz de Dierbach, Delisle, Gaetano comte de Ruggiero, Saint-Germain, Cagliostro, James Price qui en 1783, à Londres, acculé à une expérience de transmutation, s'empoisonna, Guyton de Morveau qui, en 1786, confirmant l'assertion d'un médecin de Cassel, annonça que l'argent fondu avec l'arsenic se changeait en or.
Voyons maintenant les kabbalistes, qui sont tous quelque peu alchimistes :
Parmi les meilleurs, les plus sincères, il faut nous arrêter à Raymond Lulle (1), à cet homme singulier qui fut canonisé par l'Église alors que ses adeptes étaient déclarés hérétiques. Le maçon lulliste, ainsi que son chef d'école dans son Grand Art, joue à la roulette avec les facultés de l'entendement humain ; comme lui, en faisant tourner trois roues concentriques, il pose des problèmes et les résout. Et cependant Raymond Lulle ne manqua parfois ni d'originalité, ni même de grandeur dans ses combinaisons naïves et bizarres, habilement appropriées aux habitudes ergoteuses de la scolastique. Au XVIIe siècle, le jésuite Kircher le préconisait encore et Leibnitz en fit l'éloge.
Il est un autre écrivain auquel il est étonnant que
(1) Né à Palma de Majorque en 1235, il fut martyrisé à Bougie en 1315.
LES PRÉCURSEURS 17
personne n'ait encore songé, c'est Thomas Morus (1486-1533). Dans son fameux ouvrage : Utopia, sive de optimo reipublicae statu (1518), on a voulu bien à tort ne voir qu'un badinage, qui aurait servi seulement à créer le mot utopie. Bien peu, il faut le reconnaître, ont entrepris de le lire, car après l'avoir étudié, on ne pourrait plus donner au mot utopie le sens de rêve irréalisable. En effet, de nos jours, ce rêve a été réalisé presque complètement. Pour le reste, on le trouve dans les programmes des partis politiques de l'extrême avant-garde socialiste et collectiviste.
Thomas Morus, dès le début, se pose en réformateur, voulant, sauf une exception que nous signalerons plus loin, supprimer la peine de mort et abolir la propriété pour constituer le bonheur de l'humanité.
Il expose son programme et le met en pratique dans l'île imaginaire d'Utopie, dans laquelle les habitants vivent sous une forme sociale nouvelle.
Là, le premier souci du gouvernement est de fournir aux besoins matériels de la consommation publique et individuelle ; tous les citoyens ont droit au gîte, à la nourriture et aux vêtements. On laisse à chacun le plus de temps possible pour s'affranchir de la servitude du corps, cultiver librement son esprit et développer ses facultés intellectuelles par l'étude des sciences et des lettres, qui constitue le vrai bonheur des Utopiens.
Tout vient du peuple, tout y remonte : les magistrats comme les prêtres sont élus au scrutin secret.
L'organisation civile est républicaine.
Les fonctions sont annuelles, excepté celle du chef de la nation qui est nommé à vie.
Tout, sauf les femmes, appartient à tous ! Le mariage ne peut se contracter que lorsque les fiancés se sont vus sans aucun voile ; par contre, il peut être dissous par
LA FRANC-MAÇONNERIE. -- T.1. 2
18 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
simple consentement mutuel ; aussi l'adultère est-il puni de mort.
On tolère toutes les religions.
Chacun est tenu de connaître l'agriculture et un autre métier, mais il n'est pas obligé de travailler plus de 6 heures par jour.
On mange en commun dans des salles parfumées, au son de la musique.
Il est un point cependant en désaccord, tout au moins apparent, avec les programmes modernes : dans la république d'Utopie, il y a des esclaves !
Un grand nombre de f?m? se sont aussi inspirés de la philosophie de Philippe-Aurèle Bombast de Hohenheim, connu sous le nom de Théophraste Paracelse (1493-1541), dont la doctrine était puisée à la kabbale, à la philosophie hermétique et à l'alchimie. Paracelse a la « prétention de connaître et d'exposer tout le système des forces mystérieuses qui agissent, soit dans la nature, soit dans l'homme, et qui échappent à la timidité de la philosophie et aux lenteurs de la science ».
Entre Dieu, la nature et l'homme, il y a des forces opératives qui produisent les phénomènes que nous percevons. Il s'agit pour l'homme de s'unir aux forces qui conviennent pour produire, soit des phénomènes physiques, soit des phénomènes intellectuels.
Paracelse admet implicitement l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et les principes de la morale dont il est impie de vouloir faire la preuve.
La création est divisée en macrocosme (l'univers) et en microcosme (l'homme) qui sont semblables ; au-
LES PRÉCURSEURS 19
dessus trône Dieu, centre et circonférence de tout.
Les germes de toutes choses possèdent en eux une force qui les rend capables d'agir et de se mouvoir, secondés par les influences d'agents extérieurs : lumière, chaleur, air, etc. Ces germes, il les appelle astres, aussi bien dans les parties de l'être humain que dans l'univers, où le vulgaire leur donne le même nom. Les astres de l'univers sont en rapport avec les astres de l'homme et ont une influence sur les cerveaux de ces derniers, sans toutefois paralyser leur volonté. Au contraire, l'homme, par l'énergie de son imagination, peut s'identifier les propriétés des astres.
C'est la puissance magique.
Paracelse développe la théorie des quatre éléments de la philosophie grecque : le feu, l'air, l'eau et la terre, qu'il réduit ensuite à trois, attendu que le feu est un agent donnant naissance aux astres avec sa propre substance.
C'est, en résumé, la théorie d'Empédocle dont l'alchimie s'était servie depuis longtemps en substituant aux éléments le sel, le soufre et le mercure ;
Le sel étant le fondement de la substance des corps ;
Le soufre celui de leur croissance et de leur combustion
Le mercure, leur liquidité et l'évaporation.
Mais il ne faut prendre ces corps que comme des symboles, avec leurs propriétés astrales et non avec leurs propriétés terrestres.
Le feu est la source de la sagesse et de la sensibilité des pensées ; c'est à lui que l'homme doit le développement de son intelligence.
Paracelse, malgré tout, est spiritualiste et il admet le principe de l'antériorité du principe spirituel sur le principe matériel ; il est même chrétien : « II y
20 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
a, dit-il, trinité et unité dans l'homme ainsi que dans Dieu ; l'homme est un en personne, il est triple en essence : il a le souffle de Dieu ou l'âme, l'esprit sidéré et le corps. »
Quelque invraisemblable que cela puisse paraître, ces questions sont encore agitées, discutées, appréciées et préconisées par des f?.m? contemporains (1) dans des formes analogues.
Si Lulle est catholique jusqu'à souffrir le martyre ; si, avant de mourir pour avoir résisté à Henri VIII, Thomas Morus, dans Utopia, est indifférent en matière de religion ; si Paracelse est vaguement chrétien, avec Socinus nous voyons apparaître le philosophe athée dont le rôle a une importance capitale, attendu que les f?m? le reconnaissent comme leur grand ancêtre.
Adriano Lemmi, l'avant-dernier grand maître du Grand Orient d'Italie, n'a-t-il pas affirmé, il y a quelques années, que « le gouverneur suprême de l'art » d'un bout du monde à l'autre était Lelio Sozzini, connu en France sous le nom de Socinus. En effet, le lendemain de son élection, le 29 septembre 1893, dans une lettre encyclique, il déclare : « Nous ne pouvons pas oublier que l'Italie a été le véritable berceau de la f?m? et que Sozzini fut son véritable père ; c'est pour cela que dans la direction des combats décisifs, par lesquels nous allons assurer notre victoire, il faut rester jusqu'à la fin en Italie » (2).
Lelio Sozzini naquit à Sienne en 1525 et mourut à
(1) Oswald Wirth, la Médecine philosophale.
(2) Cowan, The X Rays.
LES PRÉCURSEURS 21
Zurich le 16 mai 1562 ; il était fils d'un habile jurisconsulte; Mariano Sozzini, dit le jeune. Dès 1545, Lelio fonda à Vicence une société qui avait pour objet la destruction du christianisme, qu'il voulait remplacer par le rationalisme pur. Cette société recruta des adhérents surtout parmi les partisans de l'hérésie arienne. En 1547 fut tenue, également à Vicence, une conférence à laquelle assistèrent des délégués venus de tous les points de l'Europe ; si tous les assistants n'avaient pas les mêmes croyances. Ils étaient tous unis par leur haine commune du catholicisme et même du christianisme, car Lelio s'attira la haine des réformés aussi bien que celle des catholiques. Sa doctrine repousse, en effet, les dogmes de la Trinité (1), de la consubstantialité du Verbe, de la divinité de Jésus, de la satisfaction et de l'expiation, qu'il attribue à l'influence de la philosophie païenne sur l'Église chrétienne.
Après sa mort, il trouva un continuateur zélé dans son neveu Fausto Sozzini (1539-1604). Comme son oncle, Fausto reniait la divinité de Jésus-Christ, la rédemption, le péché originel et la doctrine de la grâce. Son catéchisme, connu sous le nom de catéchisme de Racow, rejette également la résurrection universelle ; le bon seulement doit revivre, pendant que le méchant met fin à son existence.
Il ne croyait donc ni au châtiment universel, ni à l'Enfer.
Sur sa tombe, à Luctavie, on grava ces deux vers :
Tota licet Babylon destruxit tecta Lutherus,
Muros, Calvinus ; sed fundamenta Socinus.
L'ambition de Sozzini était de construire sur les
(1) Il reconnaissait seulement Dieu le père ; le Fils était simplement un homme doué particulièrement ; dans le Saint-Esprit, il ne voyait qu'une force de la divinité.
22 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
ruines de l'Église un temple qui aurait renfermé l'exercice de toutes les croyances, depuis la libre pensée sans dogmes jusqu'au culte de Lucifer.
Tous les précurseurs de la f?m? n'avaient cependant pas des théories philosophiques aussi perverses que celle de Socinus.
Si, dans une certaine mesure, on peut considérer Paracelse comme le successeur de Lulle, Jacob Boehm fut l'héritier de Paracelse.
Son influence fut considérable en Allemagne, qu'il imprégna pendant le XVIIIe siècle et une grande partie du XIXe. Le personnage est du reste intéressant. Né près de Gorlitz en 1575, il était fils de pauvres paysans ; pendant sa jeunesse il était d'une dévotion exaltée. Sans instruction générale, il exerça le métier de cordonnier pendant toute sa vie.
Connu sous le nom de Philosophe Teutonique, c'était, au résumé, un mystique, un théosophe et un halluciné. Il se voyait, par un effet de la grâce, au comble de toutes les grandeurs. Ce fut sous l'influence de la philosophie de Paracelse qu'il fut entraîné au mysticisme. Il croyait sincèrement avoir reçu de Dieu la mission de dévoiler les mystères inconnus avant lui. Il eut à diverses époques trois extases qu'il a racontées. Il se sentait ravi dans le centre de la nature invisible, ayant une vue intérieure qui lui permettait de lire dans le coeur de chaque créature. Il était convaincu qu'il tenait de Dieu, par grâce spéciale, la science universelle et absolue, et cette science, il la communiquait à ses lecteurs, sans ordre et sans preuves, dans un langage emprunté à l'Apocalypse et à l'alchimie.
LES PRÉCURSEURS 23
Après avoir déblayé tout ce mysticisme de ses exagérations, on trouve dans Boehm un vaste système de métaphysique dont un panthéisme effréné fait, le fond.
Dieu est le principe, la substance et la fin de toutes choses, et voici comment il explique le mystère de la Trinité
1° Dieu considéré en lui-même ne peut être défini; il n'est ni bon ni méchant ; n'a ni volonté, ni amour, ni haine. Son sein renferme le mal et le bien ; il est tout et rien. C'est Dieu le Père.
2° Dieu, tel qu'il se manifeste et tel qu'on peut le comprendre, est la lumière dans les ténèbres ; il a une volonté : c'est Dieu le Fils.
3° L'expansion de la lumière, l'expression de la sagesse par la volonté, l'exercice des facultés divines, c'est le Saint-Esprit.
Boehm prend l'âme humaine pour exemple de sa théorie :
1° L'esprit par où tu penses, cela signifie. Dieu le Père.
2° La lumière qui brille dans ton âme afin que tu puisses connaître ta puissance et te conduire, cela signifie Dieu le Fils.
3° La base affective qui est la puissance de la lumière, l'expansion de cette lumière par laquelle tu régis ton corps, c'est Dieu l'Esprit Saint.
Il y a deux natures sorties de la même source : l'une éternelle, invisible, directement émanée de Dieu l'autre, la nature visible et créée, l'univers proprement dit.
L'homme contient en lui une image et un résumé de toutes choses ; il tient à Dieu par son âme, dont le principe se confond avec l'essence divine. Par l'essence de son corps, il tient à la nature éternelle, cause et siège de
24 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
toutes les essences ; par son corps proprement dit, il appartient à la nature visible.
Avec une semblable philosophie, toute morale est forcément un non-sens : le but de la vie est de ne s'attacher à rien dans ce monde, de dépouiller sa volonté, s'efforcer de ne pas être et de hâter par la prière contemplative l'instant où l'âme doit se réunir à Dieu.
Parmi les membres de la Stricte Observance templière d'Allemagne, nous trouverons de nombreux disciples de la philosophie de Boehm ; par Strasbourg et Lyon elle eut aussi de nombreux adeptes en France.
Un autre écrivain, qu'on ne peut à proprement dire être un véritable philosophe, eut une influence également considérable sur la f? m? C'est en effet sur ses indications que se formèrent des groupements de penseurs qui plus tard s'introduiront dans la f? m? et se substitueront à l'organisation corporative.
Jean Valentin Andrea (1), abbé d'Adelsberg, fut, sans le vouloir, le fondateur de l'ordre des Rose-Croix.
En 1610, Andrea publiait une oeuvre toute d'imagination, ayant pour titre : Fama fraternitatis, ou découverte de l'ordre honorable des Rose-Croix. Dans cette fiction, il racontait l'histoire fabuleuse d'un certain Christian Rose-Croix qui aurait trouvé un secret, enfoui depuis des siècles, pouvant faire le bonheur de l'humanité. Pour assurer le succès de sa propagande, il aurait fondé un collège secret (loge) ayant pour but la bienfaisance, l'internationalisme, l'avancement de la vraie
(1) Né à Herremberg (Wurtemberg) le 17 août 1586, mort le 27 juin 1654.
LES PRÉCURSEURS 25
morale et de la vraie religion. Les membres de cette société devaient s'engager à la plus sévère discrétion.
Le livre eut un grand succès et, en Angleterre en particulier, on crut à l'existence réelle de l'ordre des Rose-Croix. Andrea donna des suites à son premier roman. En 1614, il publiait la Réformation universelle du monde entier avec la Fama fraternitatis de l'ordre respectable de la Rose-Croix ; en 1616 paraissait la Noce chimique de Christian Rose-Croix ; en 1617, Rosa florescens, contra Menapii calomnias, dans laquelle il fait l'apologie des Rose Croix, sous la signature de Florentinus de Valentia.
Le clergé catholique aussi bien que le clergé protestant s'émurent du succès de ces ouvrages, qui pouvaient entraîner les gens de bonne foi, firent avertir Andrea d'avoir à cesser ses publications et à les désavouer.
Andrea se retira à Strasbourg où il fit imprimer en 1619 : Turris Babel, judiciorum de fraternitate Roseae Crucis chaos. Dans cet ouvrage Andrea proteste contre l'existence de la société des Rose-Croix, qui s'était réellement formée pour mettre sa fiction en pratique, déclare qu'il n'avait écrit qu'une série de romans dans ses oeuvres précédentes et qu'il avait choisi le nom de Rose-Croix en s'inspirant du cachet de sa famille : une croix de saint André avec une rose entre chaque branche ; il se moquait des gens qui avaient cru à la réalité de son conte, qui avait assez duré, puisqu'il était parvenu à mystifier ses lecteurs.
Andrea eut beau protester ; on ne voulut pas croire ses affirmations, et des sociétés inspirées de ses ouvrages se formèrent en Allemagne. Cependant les R?C? ne
.26 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
devaient être ni très nombreux ni très connus, car Descartes les chercha dans toute l'Allemagne sans pouvoir les rencontrer.
La France aurait eu, aussi sa société de R? C? sous Louis XIII.
On ne sait s'il faut prendre au sérieux les affiches que des R? C? ou des mystificateurs firent placarder, en 1622, dans les rues de Paris
« Nous, députés du collège principal des frères de la Rose-Croix, faisons séjour visible et invisible en cette ville, par la grâce du Très Haut, vers lequel se tourne le coeur des justes. Nous montrons et enseignons, sans livres ni marques, à parler toutes sortes de langues des pays où nous voulons être, pour tirer les hommes, nos semblables, d'erreur et de mort. »
Après leur échec, la même année, ils auraient fait placarder de nouvelles convocations :
« S'il prend envie à quelqu'un de nous voir, par curiosité seulement, il ne communiquera jamais avec nous ; mais si la volonté le porte réellement et de fait à s'inscrire sur le registre de notre confraternité, nous qui jugeons des pensées, lui ferons voir la vérité de nos promesses ; tellement que nous ne mettons point le lieu de notre demeure, puisque les pensées, jointes à la volonté réelle du lecteur, seront capables de nous faire connaître à lui et lui à nous ».
En Angleterre, Robert Fludd (1) se posa en défenseur de l'ordre des Rose-Croix, en le regardant comme
(1) Né à Milgate (Kent) en 1574, mort à Londres le 8 septembre 1637.
LES PRÉCURSEURS 27
l'antique symbole de la croix teinte du sang de Jésus-Christ. En 1617, sous le pseudonyme de Robertus de Fluctibus, il publie successivement à Leyde : Apologia compendiaria, fraternitatem de Rosea Cruce, suspicionis et infamiae maculis aspersam abluens et Tractatus apologeticus integritatem societatis de Rosea Cruce defendens contra Libanium et alios. Ces ouvrages eurent un succès considérable ; des sociétés de Rose-Croix se formèrent à Londres, sous l'influence de Fludd, dont elles adoptèrent les doctrines philosophiques. L'on peut même dire que ce furent aussi bien les théories de Fludd qui furent adoptées par les maçons philosophes, lors de la réformation de 1717, que la méthode de Bacon.
Fludd vaut du reste la peine qu'on étudie sa personne et ses écrits, fort peu connus en France.
D'abord militaire, il abandonna bientôt le métier des armes pour les sciences, les lettres, l'alchimie et la théosophie. Après avoir visité l'Allemagne, la France et l'Italie, il revint en Angleterre et se fit recevoir médecin.
Comme celle de Boehm, sa philosophie est inspirée de celle de Paracelse et de Cornelius Agrippa de Nettesheim ; c'est un mélange des chimères de l'alchimie, des idées kabbalistiques et des traditions néo-platoniciennes et hébraïques recueillies dans les prétendus écrits de Mercure Trismégiste, mêlées aux ambitions et aux rêveries des Rose-Croix. C'est le panthéisme le moins déguisé, presque le matérialisme, présenté sous le masque du mysticisme et avec le secours de l'interprétation allégorique avec laquelle il prétend donner le véritable sens de la révélation chrétienne.
Dieu est le principe, la fin et la somme de tout ce qui existe. Tous les êtres et l'univers lui-même sont
28 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
sortis de son sein, formés de sa substance et retourneront en lui, quand le temps et le but de leur existence seront accomplis. A proprement parler, la création n'a jamais commencé. C'est l'En soph de la kabbale, l'unité ineffable de l'école d'Alexandrie, le Père inconnu du gnosticisme.
L'être et le non-être, la lumière et les ténèbres, l'activité et l'inertie, la contraction et l'expansion, le bien et le mal, sont effacés et anéantis dans la plus parfaite identité. La volonté et la nolonté par leurs actions simultanées et leur combinaison ont créé les éléments et les qualités dont l'univers se compose.
On le voit, son panthéisme incline bien plus vers la matière que vers l'esprit.
Comme les philosophes de l'antiquité, il adopte la théorie des quatre éléments, dont il explique la formation et la succession. L'air refroidi est devenu l'eau ; celle-ci, condensée, est devenue la terre, et cette dernière, sous l'influence de la lumière, est devenue le feu.
C'est à la kabbale qu'il emprunte le mode de formation des êtres et ses quatre mondes étroitement unis et subordonnés l'un à l'autre :
1° Le monde archétypique, où Dieu se révèle à lui-même et qu'il remplit de sa substance sous la forme la plus élevée ;
2° Le monde angélique, habité par les anges et les purs esprits, agents immédiats de sa volonté divine.
3° Le monde stellaire formé par les étoiles, par les planètes et par tous les grands corps dont l'ensemble est nommé le ciel;
4° Le monde sublunaire, c'est-à-dire, la terre et les créations dont elle est peuplée.
En fait, il réduit ses quatre mondes à trois : Dieu, la nature, l'homme.
LES PRÉCURSEURS 29
Il adopte la doctrine de la Trinité ; mais il l'explique à sa manière.
D'abord Dieu n'existe qu'en puissance dans l'infini ineffable ; c'est la première personne de la Trinité ou Dieu le Père.
Puis il se révèle à lui-même et se crée tout un monde intelligible ; il apparaît comme la pensée, la raison universelle. C'est le Fils.
Enfin il agit et produit ; sa volonté s'exerce et sa pensée se réalise hors de lui. C'est l'Esprit.
Dieu, passant éternellement par certains états, nous offre ainsi l'image d'un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part.
Ce système, d'après Fludd lui-même, est aussi ancien que le monde. Miraculeusement enseigné au premier homme, il s'est transmis par la tradition aux patriarches, à. Moïse, à tous les âges de l'ancien Testament jusqu'au temps où le Christ jugea nécessaire de le révéler une seconde fois.
Pythagore, Platon et Mercure Trismégiste sont les seuls philosophes de l'antiquité dont il fait cas.
Fludd eut une influence déterminante sur un des principaux organisateurs de la f? m? de 1717, le pasteur Desaguliers, sur lequel nous reviendrons plus loin.
Un autre philosophe anglais contribua également à la formation de l'esprit maçonnique le chancelier François Bacon (1560-1626).
Dans, un ouvrage, fort intéressant à beaucoup de points de vue, M. Max Doumic (Le secret de la F?M?) a cru devoir donner au chancelier de Jacques Ier non
30 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
seulement un rôle prépondérant, mais encore un rôle exclusif dans l'organisation de la f?m?. Dans la maison de Salomon de l'île de Bensalem décrite par Bacon dans la Nouvelle Atlantide, M. Max Doumic croit voir la première forme de la société maçonnique; il serait plus juste de dire qu'il est possible que, dans une certaine mesure, Bacon s'est probablement inspiré, pour cette conception romantique, des oeuvres de Thomas Morus, de celles d'Andrea et de Robert Fludd, et qu'il a fait mouvoir ses personnages dans une société formée à l'instar de l'organisation de la corporation des maçons travailleurs, très connue et très caractéristique.
Le reproche que l'on peut faire à M. Max Doumic est d'avoir posé une thèse a priori pour établir que la f? m? est un outil exclusivement anglais et d'avoir cherché tous les documents pouvant confirmer son hypothèse, alors qu'il eût été préférable de dégager sa thèse d'un ensemble de faits déterminants, d'une authenticité indiscutable.
Je suis néanmoins en partie de l'avis de M. Doumic en ce qui concerne l'influence de Bacon sur la mentalité maçonnique du XVIIIe siècle ; il ne faut cependant pas faire de Bacon le précurseur, mais un des précurseurs.
La personnalité de Bacon est trop connue pour s'y arrêter longuement.
Chancelier de Jacques Ier, baron de Vérulam et vicomte de Saint-Alban, accusé en 1618, devant la chambre des Lords, de concussion et de vénalité, il dut humblement s'avouer coupable. Le 3 mai 1621 il fut condamné à se démettre de ses fonctions, à payer une amende de un million de livres et à être enfermé à la Tour de Londres.
C'est vraisemblablement entre 1622 et 1626 qu'il
LES PRÉCURSEURS 31
composa la Nouvelle Atlantide, publiée seulement après sa mort. Lorsqu'il travailla à cette oeuvre d'imagination, il connaissait certainement les ouvrages d'Andrea et ceux de Robert Fludd, qui avaient eu un grand retentissement ; quant à l'Utopia de Morus, c'était un ouvrage en quelque sorte classique.
Comme dans l'île d'Utopia, dans l'île de Bensalem le peuple a adopté la forme républicaine ; mais au lieu de s'occuper, comme Morus, de la vie sociale des habitants de son île imaginaire, Bacon s'occupe exclusivement de leur vie intellectuelle, littéraire et scientifique. Comme Andrea, il met à la tête une société secrète, un vaste institut qu'il appelle non pas le Temple, mais la Maison ou la Société de Salomon. Cette société est spécialement destinée à l'étude et à la contemplation des oeuvres de la Divinité et de toute la création.
Les affiliés, qui entre eux s'appellent frères, comme les membres d'une communauté religieuse et comme les maçons constructeurs, étudient les sciences en secret et s'engagent sous serment à ne rien révéler. Pour assurer les destinées de la société, on a installé un collège pour les novices, nommé collège des six jours de la création, qui ne doit être connu que des initiés.
Au lieu de la salle à manger parfumée et égayée par la musique, dont parle Morus, il y a dans le collège une salle des prodiges, flanquée de hautes tours et de grottes profondes destinées à observer les phénomènes de la nature, des eaux minérales, des appareils de féeries imitant les météores, le vent, la pluie, le tonnerre ; autour du collège, des jardins botaniques et des parcs remplis d'animaux, afin d'observer leurs moeurs.
Comment fonctionne la société ? - En dehors des
32 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
novices, elle se compose de neuf groupes de trois membres. Les quatre premiers groupes sont destinés à voyager à l'étranger, en cachant leurs personnalités. Ils ont à leur disposition des sommes considérables, pour acheter les secrets, corrompre les gens et fonder des succursales.
Voyons si les fonctions attribuées à chacun des neuf groupes ont quelque rapport avec les grades maçonniques :
1° Les commerçants de lumière doivent rapporter des machines et des échantillons de toute espèce ;
2° Les plagiaires doivent recueillir dans les livres et les manuscrits les expériences utiles ;
3° Les collecteurs rassemblent tout ce qui a rapport aux arts mécaniques ;
4° Les pionniers ou mineurs choisissent, dans les expériences qu'on a pu leur indiquer, celles qui leur ont paru les plus intéressantes et en rapportent la description ;
5° Les compilateurs ou rédacteurs rangent toutes ces notes dans des tables méthodiques ;
8° Les évergètes ou bienfaiteurs examinent les dossiers rapportés, les comparent et cherchent à les utiliser.
Après plusieurs assemblées générales où on discute en commun le résultat de ces enquêtes :
7° Les lampes (et non pas les lumières) tentent des expériences plus lumineuses ;
8° Les greffiers rédigent les mémoires, analysent les expériences ;
9° Les interprètes de la nature les étudient et tâchent d'en tirer des conséquences générales (1).
(1) La Nouvelle Atlantide a été traduite en français en 1702 par l'abbé Gilles-Bernard Baquet (1668-1748) et publiée en un vol. in-12 à Paris, chez J. Musier
LES PRÉCURSEURS 33
Il ne me parait pas que cette organisation ait un rapport quelconque avec celle de la maçonnerie, à laquelle elle ressemble beaucoup moins dans son but que celle de l'île d'Utopie de Thomas Morus.
C'est bien plus aux doctrines philosophiques de Bacon qu'à celle des sociétaires de lîle de Bensalem qu'il faut rattacher la f?m?.
Dans la Nouvelle Atlantide, il nous semble que Bacon a voulu vulgariser son Instauratio magna, donner une forme palpable de la méthode expérimentale, et montrer l'application pratique des sciences. Peut-être aussi dans l'oeuvre de ses dernières années a-t-il voulu faire une moins large part à la méthode d'induction, qu'il avait trop exclusivement préconisée dans ses oeuvres antérieures.
Sa philosophie, comme nous l'avons dit, était au contraire faite pour plaire aux f? m? penseurs, en ce qu'elle contenait en germe les bases des écoles sensualistes et matérialistes modernes. En condamnant les causes finales, il avait affaibli les preuves de l'existence de Dieu créateur, ce qui pouvait être considéré par les f?m? comme une théorie utile au développement du dogme égalitaire.
De tous les écrivains, Pierre Bayle fut assurément celui qui eut le plus d'influence sur les maçons français (1647-1706) ; calviniste, après une courte excursion dans le catholicisme, Bayle était revenu à la religion de ses pères. Nature sceptique, paradoxale et hypocrite, il n'attaque pas directement ses adversaires ; il procède par insinuation, expose avec un respect apparent les dogmes qu'il veut combattre et conclut en renvoyant le
LA FRANC-MACONNERIE. T. I.
34 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
lecteur à des ouvrages où ils sont attaqués avec violence.
« Mon talent est formé de doutes, disait-il ; mais ce ne sont que des doutes. » Avec ses procédés ambigus, son esprit terre à terre, il y avait cependant une chose dont il ne doutait pas, c'est que ses doctrines devaient accumuler la tempête sur les sociétés existantes ; aussi se comparait-il volontiers au Jupiter assemble-nuages d'Homère.
Ses doctrines, en effet, conduisaient immanquablement au matérialisme et à l'athéisme, par le chemin du doute, si facile à rendre agréable à l'aide de paradoxes aisément spirituels. Trop prudent pour entrer en lutte directe avec les autorités civiles et religieuses, Bayle ne nie pas l'existence de Dieu, mais il déclare qu'elle ne lui parait pas d'une évidence incontestable et il ajoute qu'il ne voit aucune contradiction à ce que la matière puisse penser.
Il ne glorifie pas les athées, mais il prétend que souvent un athée portera plus loin qu'un croyant la notion et la pratique du bien, et que, sous ce rapport, l'athéisme lui semble infiniment préférable à la superstition et à l'idolâtrie.
Pour vulgariser ses doctrines, Bayle fonda un journal qui eut un grand nombre de lecteurs : les Nouvelles de la République des lettres (1). Mais son oeuvre de propagande la plus considérable fut son Dictionnaire historique et critique (2), dont le succès fut immense dès son apparition. La première édition est de 1697.
(1) Ce journal parut de 1684 à 1718, mais Bayle l'abandonna pour cause de santé en 1687 et le confia à des continuateurs zélés : La Roque, Barrin, Jacques Bernard et Jean Leclerc.
(2) La seconde édition est de 1702. En 1740 il y avait déjà huit éditions, dont une anglaise (1735-1741).
LES PRÉCURSEURS 35
Ce recueil fut, pendant tout le XVIIIe siècle, la véritable Bible du f?m? français, et l'on peut dire qu'il fut aussi la première édition de l'Encyclopédie, dont il a les tendances philosophiques et la forme matérielle. Il suffira de lire les articles : David, Pyrrhonisme et Manichéens, pour se convaincre de la similitude de ses doctrines avec celles de la f?m?. C'est de Bayle que s'inspireront Fontenelle, d'Holbach, La Baumelle, Maupertuis aussi bien que les collaborateurs de l'Encyclopédie, ce grand bazar de la demi science.
Il est encore un auteur dont nous devons exposer les théories philosophiques, tant fut grande son influence sur toute une catégorie de maçons : les Martinistes et les Balsamistes. Bien que l'ensemble de ses oeuvres théosophiques soit postérieure à l'introduction de la f?m? en France, nous devons nous arrêter à Emmanuel Svedbord, anobli sous le nom d'Emmanuel de Swedenborg (1688-1772), qui fut le dernier théosophe célèbre.
La vie de Swedenborg se divise nettement en deux parties dissemblables. Dans la première, sa philosophie a pour but la connaissance de notre monde mécanique, et il a trois moyens pour y parvenir : l'expérience de Bacon, la géométrie de Descartes et le raisonnement de Bayle. D'après lui, si l'on doit renoncer à comprendre l'infini et l'essence de Dieu, on peut expliquer ses rapports avec le monde. Dieu n'a pas créé l'univers tel qu'il est, mais il en a créé les causes qui le produisent géométriquement. L'âme est la cause finale de la création sur la terre, c'est le terme suprême du mouvement; elle obéit à des lois géométriques et mécaniques ;
36 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
elle n'est que la partie la plus subtile de notre corps ; elle est donc matérielle : c'est une membrane, un appareil vibratoire.
Cette philosophie toute naturaliste est, on le voit, très éloignée de tout mysticisme. En dehors de ses études métaphysiques, Swedenborg s'occupait surtout de sciences pratiques : histoire naturelle, exploitations de mines, artillerie, etc.
En avril 1745, pendant un séjour qu'il fait à Londres, Swedenborg est brusquement transformé : il passe sans transition du naturalisme à la théurgie ; voici dans quelles circonstances :
Il était à table et achevait son repas, quand tout à coup il voit autour de lui d'affreux reptiles rampant dans l'obscurité ; puis apparaît un homme radieux qui lui dit : Ne mange pas tant. Le lendemain, nouvelle apparition du même homme qui lui annonce : « Je suis Dieu, le Seigneur, le Créateur et le Rédempteur ; je t'ai élu pour interpréter aux hommes le sens des saintes Ecritures. Je te dicterai ce que tu devras écrire ! ».
A partir de ces apparitions, Swedenborg, ainsi que Boehm, prend ses hallucinations pour des réalités et il se consacre exclusivement aux fonctions de secrétaire de la Divinité. Ce n'est pas ses oeuvres qu'il publie, mais les révélations divines qu'il transcrit. C'est sous la dictée du Seigneur qu'il définit et explique le mystère de la Trinité :
Dieu a une âme qui est le Père ;
Un corps divin-humain qui est le Fils ;
Une force qui opère, réchauffe et éclaire, qui est le Saint-Esprit.
Il divise le monde spirituel, ou Jérusalem céleste, en trois cieux
Le ciel inférieur, dans lequel les habitants reçoivent
LES PRÉCURSEURS 37
médiatement l'influence divine des deux autres cieux. Ses attributs sont : l'amour et l'intelligence ;
Le ciel spirituel, habité par des anges qui reçoivent médiatement du troisième ciel l'influence divine. Ils voient Dieu, mais pas dans toute sa splendeur. Son emblème est la lune, astre sans rayons ;
Le ciel supérieur, habité par les plus parfaits des anges, qui reçoivent directement l'influence de Dieu, qu'ils voient face à face. Son emblème est celui de Dieu, soleil d'un monde invisible ; il se manifeste par l'amour et la vérité représentés symboliquement par la chaleur et la lumière.
Dans ces trois royaumes célestes circulent des sociétés innombrables d'hommes et de femmes, unis par des mariages éternels ; chaque couple habite un palais splendide entouré de jardins merveilleux.
Au-dessous des régions célestes, il place le royaume des esprits, où se rendent les hommes après leur mort. Là, ils subissent une transformation angélique, et, suivant leurs mérites, ils vont au paradis ou en enfer.
Les maçonneries allemandes, danoises, suédoises et russes, furent les premières impressionnées par les théories swedenborgiennes, qui eurent également un grand succès dans l'est de la France. Ces doctrines ne semblent avoir eu d'influence à Paris et à Londres qu'après la mort de Swedenborg. La même année, en 1783, se formèrent dans ces deux villes des loges dans lesquelles on pratiqua le système du théosophe suédois.
Parmi les maçons du XVIIIe siècle, un des plus éclairés en science maçonnique est certainement Willermoz (1730-1824) ; il fut affilié à presque tous les régimes,
38 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
les connut dans leurs grades avancés, et tout en reconnaissant les divergences d'opinions religieuses qui séparent les membres influents de son Ordre, depuis le matérialiste jusqu'au chrétien, il demeure catholique, mais à sa façon. Il croit à la divinité du Christ et à la rédemption, mais il n'admet pas l'autorité du Pape ; c'est un pseudo janséniste, mélangé de gallican et de martiniste. Comme Boehm, Swedenborg et Saint-Martin, il a des hallucinations pendant une certaine période de sa vie. C'est, en résumé, un brave homme naïf dont l'esprit avait été déréglé par des recherches folles qui n'étaient pas à la portée de ses connaissances scientifiques ; ses études philosophiques ne le mettaient pas à même d'étudier sans danger un problème dont la recherche conduit à l'exaltation ou à l'hébétement lorsqu'on ne sait s'arrêter à temps.
J'ai choisi Willermoz parmi les nombreux maçons qui précédèrent la Révolution, précisément parce qu'il fut en rapport avec des membres de tous les rites et que ce qu'il dit de la maçonnerie est d'un ordre plus général que ce qu'en pourrait dire un chef de secte comme Saint-Martin (1). Willermoz, par sa correspondance incessante, fut en rapport avec les ducs de Brunswick et de Salm Charles de Hesse, Hund, Haugwitz, St-Germain, Cagliostro, Martines Pasqually, Saint-Martin, les ducs de Luxembourg et d'Havré, Bacon de la Chevalerie, Savalète de Lange, La Peyrouse, le marquis de Chefdebien, Naselli à Naples, d'Albarey à Turin, Wollner, Wechter, les maçons suédois et russes aussi bien que les maçons parisiens avec lesquels il échangeait des vues continuelles. Par lui on pourra donc constater,
(1) Du reste, Saint-Martin fut un chef de secte théorique : il n'organisa pas de sociétés; on s'inspira de ses oeuvres.
LES PRÉCURSEURS 39 ?
mieux que par tout autre, ce que pensaient les maçons et ce qu'ils voulaient.
Le 31 janvier 1782, il écrit à Wechter pour lui parler de l'avenir de la maçonnerie, lui exposer son système aussi bien que ceux des autres. Dans cette lettre, destinée au plus grand secret, il met à nu les causes, les moyens et le but de la maçonnerie en général.
Il ne s'agit pas, dit-il, de créer une institution maçonnique qui existe et qui est plus répandue que jamais ; mais il faut satisfaire le voeu général en la réformant. Il faut refaire un centre auquel pourront se réunir toutes les parties de la société générale qui le voudront. Le moment est bon, la société est dans une période d'effervescence extraordinaire, mais elle n'est qu'un squelette.
Comment reconnaît-il le vrai but fondamental de la maçonnerie quand les institutions sont si variées ? Par trois moyens :
1° La tradition, bien qu'elle soit très obscurcie ;
2° L'étude de l'esprit actif ; ce qu'on dit et ce qu'on pense de la maçonnerie ;
3° L'emploi des connaissances personnelles.
Il appelle maçonnerie la science quelconque qui est le but de l'institution.
Il appelle institution maçonnique l'école dans laquelle on apprend à connaître et à pratiquer cette science.
Or, la science maçonnique faisant partie de la science universelle est aussi ancienne que le monde, bien que le terme maçonnerie soit récent et accidentel.
L'institution maçonnique contient diverses écoles qui se nomment : Symboliques, Théoriques et Pratiques.
Cette institution n'a pu être établie qu'après la connaissance des principales révélations du Temple de
40 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Jérusalem, qui est le type fondamental de la partie symbolique préparant aux deux autres (1).
La classe symbolique a voulu expliquer les symboles au gré de son imagination ; d'où une foule de systèmes, plus ou moins faux. Entre tous, celui de Hund (Stricte Observance templière réformée d'Allemagne) est un des moins mauvais, en limitant au XIVe siècle l'origine de l'institution.
Mais comme la maçonnerie a un but unique, l'éclectisme des Allemands est un vice fondamental, car ils amalgament toutes les connaissances secrètes qui sont à leur portée pour en faire un tout.
Dans la véritable doctrine maçonnique, explique Willermoz (2), il y a dans l'homme deux extrémités
(1) Dans une lettre du 20 janvier 1780, Willermoz écrit au duc de Brunswick : « La f?-m? fondamentale n'a pas essentiellement d'autre but que la connaissance de l'homme et de la nature ; étant fondée sur le Temple de Salomon, elle ne peut pas être étrangère à la science de l'homme, puisque tous les sages qui ont existé depuis sa fondation ont reconnu que ce fameux Temple n'a existé lui-même dans l'univers que pour être le type universel de l'homme général dans ses états passés, présents et futurs, et le tableau figuré de sa propre histoire. » Et, le 30 mai suivant, au même personnage : « Nous nous fixons sur la base de la maçonnerie qui est le Temple de Jérusalem, parce que ce temple fameux est le type universel de la vraie science de l'homme, substitué, à cause de sa perfection, à tous les types ou symboles qui l'avaient précédé... Ce temple est miraculeux. »
Le Temple de Salomon est le type parfait d'une Loge et Hiram son architecte en est le maître par excellence. Ce symbolisme maçonnique est emprunté à deux livres de la Bible : les Rois et les Paralipomènes (supplément au livre des rois).
(2) Le 20 mai 1782, Willermoz écrit à Haugwitz : « J'admets comme vous une union ternaire dans le composé de l'homme actuel, savoir : esprit, âme et corps matériel terrestre, ainsi que la grande supériorité du premier et la grande infériorité du troisième... Vous admettez dans la deuxième puissance ou âme une grande vertu et force magique, dont je ne comprends pas la valeur ni même les effets. »
LES PRÉCURSEURS 41
opposées de son individu : la nature spirituelle-intellectuelle (par laquelle il est image divine) ; la nature corporelle-élémentaire. Il a, en plus, une nature mixte ternaire, d'esprit, d'âme et de corps.
Ces trois natures ont donné naissance à trois sciences maçonniques successives, qu'on appelle aussi ordres et genres.
Ces trois sciences réunies forment la science universelle de l'homme-général, que seul Jésus-Christ a eue.
Ces sciences étant essentiellement vraies ont des résultats évidents, chacune dans son genre.
Il n'y a que trois systèmes maçonniques différents (1) :
1° Le matérialisme pur, qu'il abhorre ;
2° La Stricte Observance fondée par l'apôtre saint Jean ;
3° Le système suédois fondé par saint Pierre.
Quant à la pratique de la bienfaisance que la maçonnerie prétend avoir pour but de pratiquer, Willermoz la réduit à sa juste valeur dans une lettre du 31 décembre 1785, au duc d'Havré : « Le but de la bienfaisance, dit-il, tout louable qu'il est, n'exigeant par lui-même ni mystères, ni serments, et n'expliquant rien, ne peut être le vrai but de l'initiative maçonnique. »
C'est avec ces multiples données métaphysiques que se forma la mentalité des f?-m? du XVIIIe siècle. On peut facilement s'imaginer le pathos, les puérilités, les rêves antireligieux et antisociaux qui résultèrent de la
(1) Lettre du 27 septembre 1780 de Willermoz à Charles de Hesse.
42 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
mise en oeuvre de ces théories, la plupart surannées et obscures, lorsqu'on verra le travail de loge effectué par des gens d'intelligence souvent ordinaire, d'une instruction insuffisante, jouant à la philosophie comme au pharaon, à la bouillotte ou au lansquenet. Combien d'esprits se détraquèrent, combien de braves gens tournèrent à la monomanie maçonnique, de la meilleure foi du monde, tels les Martines Pasqually, les Bacon de la Chevalerie, les Savalète de Lange, les Luxembourg, les Willermoz, aussi bien que la duchesse de Brancas, la marquise de Lacroix, Beauchaine, Roettiers de Montaleau, Alliette, Stroganoff, Chambonas, Moét, le marquis de Thomé, Cagliostro et la foule des maçons moins célèbres ! Pour les uns c'était une élégance, pour les autres une religion.
Comment tous ces cerveaux en ébullition furent-ils menés vers un but commun ? Dans quelle organisation matérielle les adeptes furent-ils enrégimentés ? Comment furent-ils dirigés ? Par un homme, par un groupe ou par une idée ?
Y eut-il un seul initié de la première heure, d'un esprit assez profond, assez perspicace, pour entrevoir, en 1721, où devait conduire, en 1773 et en 1789, la mise en pratique des dogmes qu'il pratiquait dans les loges ?
Quant à nous, nous croyons que l'idée fut plus forte que les hommes, qu'elle les entraîna pour la plupart malgré eux et à leur insu. Combien peu nombreux furent ceux qui se retirèrent de l'Ordre, à la veille du cataclysme ! Parmi ceux qui virent clair, combien osèrent protester et brûler ce qu'ils avaient adoré? Combien comprirent que le danger était moins dans ces doctrines, surannées, dont l'interprétation souvent fantaisiste ne pouvait laisser de longues traces, que dans la
LES PRÉCURSEURS 43
mise en pratique, dans l'ordre social et politique, d'un usage qui avait eu sa raison d'être dans une corporation professionnelle : l'égalité pratiquée en loge, exprimée par le vote égal de tous les membres à la majorité des voix ? Cette coutume, simple acte matériel dans une réunion d'associés discutant des choses et des hommes de leur métier, mise en pratique par des penseurs qui voulaient réformer le ciel et la terre, devint une idée et comme le dogme essentiel de la maçonnerie. Après avoir dominé et poussé l'institution tout entière, après l'avoir mise en opposition avec ceux dont il niait la supériorité, ce pseudo-dogme la fit s'attaquer à Dieu même, sous prétexte d'inégalité à supprimer ; c'est ainsi que la f?-m? fut menée aux doctrines panthéistes, pour aboutir au matérialisme religieux et à l'anarchie sociale.
CHAPITRE II
LA PÉRIODE DE TRANSITION
La f?-m? corporative. - Les maçons anglais. - Les statuts. - Les landmarks. - La f?-m? jacobite. - Les Rose-Croix. - Ashmole. - Wren. - Desaguliers. - Ramsay. - Les hauts dignitaires de la f?-m? jacobite.
Si par franc-maçonnerie on entend désigner les anciennes corporations de maçons travailleurs, on peut la faire remonter aux époques les plus reculées.
Lorsque les hommes cessèrent la vie nomade, il se forma des associations de constructeurs pour édifier des abris durables et des remparts protecteurs. L'architecture devint un art, art difficile, demandant des connaissances spéciales et empiriques avant le développement des sciences exactes. Les constructeurs créèrent, en quelque sorte, une première aristocratie, exclusive et jalouse, dont les services étaient indispensables aux États qui s'aggloméraient et se formaient peu à peu. L'Association s'imposa, parce qu'un individu isolé ne pouvait faire seul une construction importante et parce qu'il fallait des connaissances professionnelles. En construisant des remparts, on formait des centres de paix, où l'homme pouvait penser avec sécurité. Il est vraisemblable qu'en dehors du peuple de Dieu, les premiers constructeurs eurent une religion à eux, basée sur l'art de bâtir, comme la religion des peuples nomades était inspirée par la contemplation des astres.
LA PÉRIODE DE TRANSITION 45
Les nomades avaient regardé le ciel, les maçons regardèrent la terre (1).
Pour le maçon corporatif, l'univers était un immense chantier de construction. Son rêve ou mieux son idéal correspondait, j'imagine, à un travail incessant qui, n'ayant jamais commencé, ne devait jamais finir, car la notion de l'infini est instinctive chez l'homme qui pense ; c'est la première manifestation de l'idée de Dieu qui germe dans son cerveau : le plus grand que tout, le plus petit que rien, ont toujours hanté l'âme humaine. De là l'idée d'un Grand Oeuvre, temple idéal, de plus en plus parfait, immense, universel, infini. Sous la forme symbolique nous retrouverons les traces de ces rêves antiques dans les franc-maçonneries qui se sont superposées à la franc-maçonnerie corporative.
En Égypte et en Syrie, les associations de constructeurs furent sacerdotales.
En Grèce, nous trouvons les architectes dionysiens ; A Rome, des collèges de constructeurs.
Lorsque l'Occident commencera à renaître, après l'absorption des barbares envahisseurs, nous constaterons, en Lombardie, la présence de sociétés de maçons dont le centre fut Côme, d'où le nom consacré, au XVe siècle, de magistri comacini.
De la Lombardie ils essaimèrent dans toute l'Europe, où ils construisirent cathédrales, palais, routes et canaux. Un diplôme du pape Nicolas III (1277) confirma leurs privilèges, qui furent renouvelés en 1334 par Benoît XII. Ils obtinrent alors des franchises de la papauté : exemptions d'impôts et de services militaires; juridictions spéciales, etc., d'où le nom de maçons affranchis, ou francs-maçons.
(1) Voyez sur ce sujet Oswald Wirth, Manuel de l'apprenti.
46 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Que des novateurs plus ou moins sincères, des kabbalistes à la recherche des mots magiques formés par les dernières lettres de versets de la Bible, que des alchimistes à la recherche de la pierre philosophale, se soient abrités dans ces corporations comme dans des lieux d'asile, rien de plus vraisemblable ; mais la franc-maçonnerie corporative n'en était pas moins exclusivement une société de constructeurs, soumis aux gouvernements des pays dans lesquels ils travaillaient, pratiquant avec zèle leurs devoirs religieux.
Pendant le XVIe siècle, les guerres de religion, pendant la première moitié du XVIIe° siècle, la guerre de Trente ans et les guerres civiles anglaises ralentirent les entreprises de grandes constructions ; au surplus, cathédrales et palais étaient, pour la plupart, édifiés. Les guildes, sociétés et corporations de maçons connurent une période de marasme et, pour ne pas mourir, elles reçurent parmi leurs membres des protecteurs insignes sous le nom de maçons acceptés.
Il n'y a aucun intérêt, dans la question qui nous occupe, et au surplus il n'y a aucune certitude, à vouloir fixer la date exacte à laquelle les f?-m? corporatifs s'organisèrent en Angleterre. Il serait tout aussi téméraire de vouloir reproduire les statuts des corporations du moyen âgé, dont l'authenticité parait tout au moins douteuse, comme par exemple « les lois et obligations soumises à ses frères maçons par le prince Edwin », en 926. Cela du reste importe peu à la formation de la f?-m? spéculative de 1717.
Ce qui parait sinon certain, tout au moins vraisemblable, c'est qu'il y avait à la fin du XVIe et au XVIIe siè-
LA PÉRIODE DE TRANSITION 47
cle, en Angleterre et en Écosse, des corporations de maçons constructeurs, sous le nom de freemasons, et que ces corporations, comme toutes les sociétés de métiers, avaient des statuts. Il est admissible et même vraisemblable que ces corporations se mirent volontiers sous la protection des souverains ou des personnages influents, et il est possible, comme le dit Preston (p. 136 et 137), qu'en 1507, après la démission de sir Thomas Sackville de sa qualité de G?M? des maçons d'York, la confraternité se soit divisée en deux branches, l'une pour le nord de l'Angleterre, avec le comte de Bedford comme G?M?, et que les mêmes fonctions aient été remplies pour le sud par sir Thomas Gresham. Ce qui est encore possible, c'est que les rois Jacques 1er (1603), Charles 1er (1625) et Charles II (1660) aient figuré parmi les successeurs de sir Gresham ; mais il me paraît certain que sir Christophe Wren était bien G? M? de la corporation en 1685.
Je ne discuterai pas la réalité de la construction de la tour et de l'abbaye de Kilwinning en Ecosse par les f?-m? en 1140 ; mais j'admettrai sans hésiter que, pendant le XVIIe siècle, Kilwinning était un centre important de maçons constructeurs écossais (1). S'il me paraît douteux que Édouard Ier Plantagenêt, alors qu'il était prince héritier, ait été initié par Raymond Lulle à la fin du XIIIe siècle, j'admettrai volontiers qu'au commencement du XVIIIe siècle, depuis de nombreuses années, les Saint-Clair barons de Rosslyn, comtes de Orkney et de Caithness, étaient juges et patrons héréditaires des maçons écossais.
Il me paraît certain également que Guillaume III
(1) Dans le t. II, nous reviendrons longuement sur le rite d'Hérodom de Kilwinning.
48 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
d'Orange fut initié vers 1694, ou mieux que certaines loges de maçons anglais se mirent à cette époque sous sa protection, et qu'en cette qualité il présida plusieurs fois des assemblées à Hampton Court. Je tiens aussi pour authentiques dans leur ensemble « les anciens devoirs et statuts, recueillis par ordre de ce souverain en l'année 1694 », publiés par Krauss et traduits par Daruty (1). Comme ils me paraissent le seul document certain relatant l'organisation de la corporation, on doit attacher une grande importance au texte de ces statuts, qui sont ceux qui furent adoptés en 1717 par la franc-maçonnerie spéculative, modifiés et considérablement augmentés en 1721 par Anderson et Desaguliers. Ils sont conçus en ces termes :
1. Votre premier devoir est d'être fidèles à Dieu et d'éviter toutes les hérésies qui le méconnaissent.
II. De plus, vous devez aussi être fidèles sujets de votre roi et obéir à ceux qu'il a investis de l'autorité. Vous ne devez vous associer à aucune haute trahison ou perfidie, mais en donner avis au roi ou à son conseil.
III.. De plus, vous devez être sincères vis-à-vis de tous les hommes et particulièrement à l'égard les uns des autres, vous instruire et vous aider mutuellement l'un l'autre, et par-dessus tout faire aux autres ce que vous voudriez qu'ils fissent pour vous.
IV. De plus, vous devez fréquenter assidûment les loges afin d'y recevoir constamment l'instruction, préserver les anciens usages et garder fidèlement le secret sur tout ce que vous aurez pu apprendre des choses concernant la maçonnerie, afin que les étrangers n'y soient pas initiés d'une façon irrégulière.
(1) Voir aux appendices un texte différent reproduit par M. Teder dans journal le Hiram (mai juillet 1908).
LA PÉRIODE DE TRANSITION 49
V. Vous devez aussi ne pas voler ni recéler, mais être fidèles au propriétaire qui vous paie et au maître pour qui vous travaillez ; veillez aussi aux intérêts du propriétaire et travaillez à son avantage.
VI. De plus, vous devez aimer tous les maçons, les traiter de compagnons ou frères et ne jamais les appeler par d'autres noms.
VII. De plus, vous ne devez pas séduire la femme de votre frère pour lui faire commettre un adultère, ni violer sa fille non plus que sa servante, ni lui causer de la honte d'aucune façon, ni l'exposer à perdre son travail.
VIII. De plus, vous devez payer honnêtement votre nourriture et votre boisson, là où vous vous arrêtez. Vous ne devez commettre aucun crime ni faire aucune vilenie qui puisse jeter la déconsidération sur la société des maçons.
Tels sont les devoirs généraux auxquels sont assujettis tout maître maçon et ses frères.
Il ressort de ce document, et cela est d'une importance capitale, qu'à la fin du XVIIe siècle il y avait en Angleterre :
Une corporation de francs-maçons ;
Qui s'appelaient entre eux : frères ;
Qu'il y avait des maîtres, des compagnons et certainement des apprentis, bien qu'il n'en soit pas fait mention ;
Que pour entrer dans la corporation il fallait subir une initiation
Qu'on devait fidèlement garder le secret sur tout ce qu'on pouvait apprendre concernant la maçonnerie.
On sait, de plus, que, dans les loges corporatives, les maçons anglais votaient par tête pour tout ce qui concernait leur profession.
50 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Tout porte à croire que ces anciens devoirs constituent les Landmarks (1), sur le texte desquels les maçons ne sont pas encore d'accord et qui sont les articles essentiels de la constitution de leur Ordre, ceux auxquels ils se sont engagés, lors de la fondation, à ne jamais rien changer, même du consentement unanime de tous les maçons de toutes les loges (2). Aussi ces Landmarks ont-ils disparu, et les écrivains maçonniques les plus érudits ne sont d'accord ni sur leurs termes ni sur leur nombre. Alors que Paton en compte vingt-cinq, Findel n'en admet que neuf (3).
Il paraît certain qu'ainsi qu'on l'a vu pratiquer en Allemagne, lorsqu'il s'est agi de l'élection des empereurs, ou de prendre un parti dans les guerres de religion, aussi bien que dans les Flandres sous Louis XI, lorsqu'on voulait soulever un pays, on s'adressait aux gildes et aux corporations qui présentaient des groupements, riches, puissants, organisés et armés. De même en Angleterre, lorsque la lutte s'engagea entre la royauté des Stuarts et le Parlement, et plus tard entre
(1) Les Landmarks (bornes des propriétés).
(2) L'opinion personnelle de Chabriaud est qu'on peut les résumer en trois articles :
1° Croyance en l'existence de Dieu et à l'immortalité de l'âme ;
2° Adoption de la légende d'Hiram et de toutes ses conséquences relatives aux cérémonies et aux détails du rituel ;
3° Application du régime démocratique au gouvernement des simples ateliers et des GG? LL?
(3) D'après le Dr Albert Hockey, G? Secret? du Sup? Cons? de Charleston, 25 ; d'après le Dr Olivier, 8 ; d'après John W. Simons, 15 ; d'après Robert Morris, 17 ; d'après Lockwood, 19 ; d'après la Constitution de la G? L? de New York, 31. (Chaîne d'union III. 197.309.403.)
LA PÉRIODE DE TRANSITION 51
les Stuarts et la maison d'Orange ou celle de Hanovre, les partis politiques durent grouper autour d'eux les corporations. C'était le moyen le plus pratique, la solution la plus élégante, comme nous dirions aujourd'hui. Les actes de rébellion ou de guerre civile prenaient ainsi l'allure de mouvements populaires, de manifestations nationales. Il est certain que les Stuarts, depuis Jacques 1er jusqu'à Charles III, usèrent de ces moyens, tout au moins à l'égard des francs-maçons. Il est certain aussi qu'ils copièrent l'organisation maçonnique pour l'introduire dans les régiments et en faire des partis politiques. En 1689, nous verrons les régiments écossais et irlandais débarquer en France, avec leurs cadres militaires et leurs cadres maçonniques. Les premiers étaient les agents exécutifs et les seconds le pouvoir directeur.
Mais en même temps, ou à peu près, s'était introduit dans la f?-m? corporative un élément philosophique qui plus tard devait faire naître et cimenter, la fusion de la f?-m? jacobite avec la f?-m? orangiste sur le terrain égalitaire.
Dans les loges militaires, en effet, comme dans les loges civiles, en franchissant la porte du temple le maçon perdait ses grades militaires et civils pour avoir des droits égaux à ceux de son frère et n'obéissait qu'à la hiérarchie maçonnique, établie par le vote de tous les maçons. En loge, le colonel apprenti était présidé par le capitaine maître, comme le rose-croix non officier de loge obéissait au vénérable maître. Sous ce rapport la f?-m? jacobite était donc aussi dangereuse que la f?-m? spéculative.
Lorsque le temps consacra le loyalisme des partisans de la maison de Hanovre, lorsque les Stuarts perdirent tout crédit et ne furent plus représentés que par
52 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
des collatéraux éloignés, les régimes séparés eurent intérêt l'un et l'autre à signer une trêve et à vivre parallèlement, d'accord sur la doctrine générale, sinon sur les manifestations extérieures du culte.
Un premier rapprochement sérieux se fit après la défaite du prétendant à Culloden, sans parler des défections individuelles qui précédèrent ce combat décisif. Après des luttes temporaires, provoquées par des questions d'intérêt matériel ou de préséance et les concordats provisoires, en 1772, 1784, 1799, 1807 et 1821, il s'établit un modus vivendi qui dure encore. Les Écossais ont oublié les causes premières de leur fondation, comme les membres du Grand Orient ont oublié leur origine au point d'ignorer complètement des faits qui leur sont devenus indifférents.
Un groupement spéculatif s'était introduit dans la f?-m? en même temps que la politique jacobite : la société des Rose-Croix.
Nous avons raconté, au chapitre précédent, comment, à la suite d'une équivoque, créée de toutes pièces par l'imagination d'Andrea, des sociétés réelles de Rose-croix s'étaient formées en Allemagne et en Angleterre, sur le modèle soi-disant inventé par Christian Rose-Croix.
La société, d'abord composée de quatre membres, s'était accrue bientôt de quatre membres nouveaux, et d'Allemagne s'était répandue en Europe.
En 1623 il fut constaté à Paris que l'ordre entier était alors composé de trente-six membres : six à Paris ; autant en Italie et en Espagne ; douze en Allemagne ; quatre en Suède et deux en Suisse.
LA PÉRIODE DE TRANSITION 53
Vers 1650, elle était puissamment organisée à Londres. Un des membres les plus actifs de cette société, en Angleterre, fut Élias Ashmole (né à Litchfield le 23 mai 1617, mort à Londres le 18 mai 1692). Il était connu sous le nom de Mercuriophile anglais.
Après avoir fait de bonnes études, grâce à la protection du baron Pagett, Ashmole avait été nommé sollicitor en 1638, et avait épousé la même année Eleanor Mainwarieg de Smollwood (Cheshire), qui mourut en 1641 (1).
Ashmole, qui était antiquaire, se retira alors dans son pays natal, embrassa avec ardeur le parti des Stuarts et en 1644 fut nommé commissaire du roi à Litchfield. A ceux qui prétendent que Ashmole était israélite, on peut objecter qu'en octobre 1646, il était un des membres les plus actifs du cercle catholique de Londres avec Lilly et Booker et qu'il fut enterré dans l'Église catholique de South Lambeth.
Ashmole aurait été introduit dans la société des Rose-croix par William Backhouse, puis, le 16 octobre 1646, aurait été admis comme maçon accepté dans la corporation des maçons de Warrington, en même temps que son beau-frère le colonel Henri Mainwarieg de Kerthingham, sous le patronage de Richard Penkett, Warden des Fellow-Crafts.
Il devait se retrouver dans la maçonnerie avec les frères Thomas et Georges Warton, le mathématicien William-Oughteed, les docteurs en théologie John Herwitt et John Prarson et l'astrologue William Lilly.
Avec eux il fonda une société qui avait pour but de bâtir la maison de Salomon, temple idéal des sciences,
(1) Le 1er mars 1647, Ashmole épousa une femme de vingt ans plus âgée que lui, veuve pour la troisième fois.
54 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
imité de ceux imaginés par Morus dans Utopia et par Bacon dans la Nouvelle Atlantide. Il obtint des maçons de se réunir dans leur local : Masons'Hall, in Mason Alley, Basing Hall street. C'est certainement par cette association de Rose-croix que la légende symbolique du Temple de Salomon et probablement celle d'Hiram, empruntées aux alchimistes, furent introduites dans la maçonnerie. Certes Ashmole ne se doutait guère alors du parti que la maçonnerie spéculative tirerait, soixante-dix ans plus tard, de cette légende fantastique.
La société formée par Ashmole, comme celles de Morus et de Bacon, devait rester secrète ; on devait s'y occuper, sous formes allégoriques, des sciences naturelles.
Au moment de l'entrée d'Ashmole dans la corporation des maçons, on ne procédait à aucune cérémonie pour la réception d'un apprenti. L'apprentissage terminé, on passait compagnon, sans initiation, et lorsqu'on était chargé de la surveillance des travaux, on était reçu maître, après avoir présidé une loge ; ces divers grades étaient conférés à la suite du vote des membres de la Loge.
Les secrets du métier, sous l'influence de la société mystérieuse d'Ashmole, devinrent l'origine de la légende des secrets de la maçonnerie spéculative ; c'est vers la même époque qu'on inventa les cérémonies initiatiques, imitées de celles de l'antiquité ou imaginées par des cerveaux enclins au mysticisme (1). Avec les mystérieux et obscurs symboles introduits dans les rituels, suivant les besoins de la cause, le grand maître maçon assassiné peut indifféremment être Hiram, Jacques.
(1) Le grade d'apprenti aurait été inventé en 1646, celui de compagnon en 1648 et celui de maître en 1652.
LA PÉRIODE DE TRANSITION 55
Molay ou Charles 1er. Le temple qu'on veut construire peut être celui de Salomon, comme la restauration des Stuarts. Entré dans cette voie symbolique, il n'y avait plus de raison pour s'arrêter, et chaque année on inventait de nouveaux grades. En Angleterre, le Puissant Maître Irlandais succédait au Maître Irlandais et au Parfait Maître Irlandais ; en Ecosse, le Royal Arch se superposait au Chevalier du Temple, au Novice et au Maître Écossais. C'est certainement le grade de Chevalier du Temple (de Salomon) qui donna plus tard l'idée d'inventer la Légende des Templiers.
C'est ainsi que la f?-m?, pendant le XVIIe siècle, devint l'Art Royal auquel on pouvait aussi bien donner la signification d'étude suprême de la nature, que d'étude des moyens à employer pour rétablir les Stuarts sur le trône d'Angleterre.
Lorsque Charles II monta sur le trône, la f?-m? perdait sa raison d'être politique. Aussi, comme elle languissait, les maçons acceptés imaginèrent de greffer sur leur corporation une société de bienfaisance et d'humanité ; sous prétexte de rétablir la paix entre les catholiques, les épiscopaux et les presbytériens, ils déclarèrent que leurs membres pourraient appartenir indifféremment à toutes les religions, et c'est après cette adjonction à leurs statuts que, le 27 décembre 1663, Henry Jermyn, comte de Saint-Alban, fut nommé G?M? dans une séance présidée, dit la légende, par le roi Charles II.
La f?-m? sous sa nouvelle forme commence alors à prendre corps. D'après Paton, en effet, c'est sous la grande maîtrise du comte de Saint-Alban qu'on adopta les articles suivants des ordonnances (1) :
(1) La preuve de l'authenticité de ces articles reste â établir.
56 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
I. Nul, quel que soit son rang, ne sera reçu freemason, si ce n'est dans une loge composée d'au moins cinq freemasons.
II. Nul ne sera reçu s'il n'est sain de corps, de naissance honorable, de bonne réputation et fidèle observateur des lois du pays.
III. Nul freemason ne sera admis dans une loge s'il n'est muni d'un certificat du maître de la loge dans laquelle il a été reçu ; ce certificat, écrit sur parchemin, constatera l'époque et le lieu de la réception...
V. A l'avenir la Fraternité sera administrée par un G? M? et par autant de surveillants qu'il sera nécessaire.
VI. Nul ne sera reçu freemason avant l'âge de vingt et un ans.
Cependant la corporation des maçons professionnels n'était pas encore morte, car en 1666, après l'incendie considérable qui dévora tout un quartier de Londres, la corporation, sous les ordres de l'architecte Christophe Wren, s'engagea à reconstruire rapidement le quartier détruit. Sept ans plus tard, sous la direction du même architecte, elle commença la construction de Saint-Paul, dont le roi Charles II posa la première pierre.
Le comte d'Arlington était alors G? M? (1) ; à sa mort, en 1685, Wren fut nommé à sa place.
(1) L'extrait suivant du Journal d'Ashmole, reproduit par William Preston, The origin of framasonry (1871), note p. 139, établit très nettement qu'il y avait en 1682 de nombreux maçons acceptés dans les loges corporatives :
« Le 10 mars 1682, vers cinq heures de l'après-midi, je reçus une convocation à me rendre à une loge qui devait se tenir le lendemain 11 mars, à Londres, à Masons'Hall. J'y fus, et vers midi
LA PÉRIODE DE TRANSITION 57
En 1688 Jacques Il fut détrôné. Wren, qui était jacobite ardent, occupa cependant ses fonctions jusqu'en 1695, date à laquelle il fut remplacé par Charles Lennox, duc de Richmond, maître de la loge de Chichester, fils naturel de Charles II et de Louise de Keroual, Duchesse de Portsmouth. La f?-m? reprenait donc sa tradition jacobite. En 1698, Wren était de nouveau nommé G?-M? et occupa ces fonctions jusqu'en 1702. A l'avènement de la reine Anne, il fut destitué de ses fonctions d'architecte de Saint-Paul. Il se démit alors de la G? Maîtrise ; il mourut à 91 ans, dans la plus profonde retraite (1).
En 1702, la f?-m? était encore à ce point jacobite, que les maçons refusèrent de continuer les travaux
on admit dans la société des freemasons sir William Wilson, chevalier ; le capitaine Richard Barthwiek ; William Woodman ; William Gray ; Samuel Taylor et William Wyse. Admis depuis 35 ans, j'étais le plus vieux compagnon. Avec moi il y avait les compagnons : Thomas Wyse, maître de la société des freemasons pour l'année présente, Thomas Shorthose et sept freemasons plus anciens. Tous nous prîmes part, à Half-Moon Tavern Cheapside, à un dîner remarquable, donné aux frais des nouveaux maçons acceptés. »
(1) Christopher Wren était né à East Knoyle, près Tirbury (Wiltshire), le 20 octobre 1632. Il était fils d'un recteur et petit-fils de François 'Wren, mercier à Londres. Sa mère Mary, fille de Robert Cox de Fontill Abbay, mourut pendant qu'il était encore enfant et il fut élevé par sa soeur. IL avait 11 ans quand celle-ci épousa le mathématicien William Holder. A l'âge de 25 ans, Wren succéda à Lawrence Rooke dans sa chaire d'astronomie du collège de Gresham. En 1660, il remplit les mêmes fonctions à Oxford. C'est en 1673 seulement qu'il abandonna les sciences pour s'occuper d'architecture. A la fin de sa vie, il habita Hampton Court et Piccadilly, Saint-James Street. Il vivait dans l'intimité de Halley, Newton, Isaac Barrow et Flamstead. Wren épousa en premières noces une fille de sir John Coghill et en secondes noces une fille de lord Fitz William. Il mourut à Londres le 25 janvier 1723, dans son fauteuil, après dîner.
58 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
de la cathédrale sous les ordres de William Benson, inspecteur des bâtiments du roi Georges 1er (1).
En 1703, la loge Saint-Paul prend une décision qui montre comment la f?-m? se transformait peu à peu. « Les privilèges de la maçonnerie, dit cette décision, ne seront plus désormais réservés seulement aux ouvriers constructeurs, mais, ainsi que cela se pratique déjà, ils seront étendus aux personnes de tous les états qui voudront y prendre part, pourvu qu'elles soient dûment présentées, que leur admission soit autorisée et qu'elles soient initiées d'une manière régulière. »
Bien que Wren n'ait pas été remplacé dans ses fonctions de G? M?, les maçons n'avaient pas déserté leurs loges jusqu'à l'achèvement de la cathédrale. Ce travail terminé, on ne peut suivre leurs traces, car ils n'ont plus de G? M? Cependant quatre loges de Londres se réunirent encore dans diverses tavernes dont elles prirent les noms : « L'Oie et le Gril » ; « La Couronne » ; « le Pommier » et « Le Gobelet et les Raisins ».
Les Stuarts ayant été défaits en 1715, d'une façon qui semblait définitive, Malgré l'impopularité dont la maison de Hanovre était entourée dans la personne de Georges 1er, qui savait à peine l'anglais et séjournait le plus longtemps possible sur le continent, un Français émigré à la suite de la révocation de l'édit de Nantes, et devenu ennemi féroce de son ancienne patrie, le Dr Desaguliers, songea à utiliser la maçonnerie en
(1) La cathédrale fut achevée en 1710, sous la direction de son fils et de Robert Mylne.
LA PÉRIODE DE TRANSITION 59
complète décadence pour en faire, avec l'approbation du roi Georges II, une corporation qui échapperait à l'influence des Stuarts.
Jean-Théophile, devenu John Theophilus Desaguliers, était fils de Jean Desaguliers, pasteur protestant de la congrégation d'Aitré ; il était né à la Rochelle, le 13 mars 1683. Après la révocation de l'édit de Nantes, son père s'enfuit sur un navire et, pour soustraire son fils aux recherches, le cacha dans un tonneau. Après un court séjour à Guernesey, il se rendit à Londres, où son père exerça les fonctions de ministre de la chapelle française protestante de Smallow Street, puis établit une école à Islington.
Dès l'âge de 17 ans, Theophilus partagea avec son père la direction de cette école. A la mort de celui-ci il abandonna l'enseignement et entra à l'université, d'Oxford, où il prit, en 1709, le grade de bachelor. En 1710, il entra dans les Deacons Orders, remplaça le Dr Keil comme professeur de philosophie expérimentale à Hart Hall, se rendit à Londres le 3 mars 1712, et, en juillet 1714, fut élu membre de la Royal Society.
Le prince de Galles, depuis Georges II, et sa femme la princesse Caroline, assistaient régulièrement à ses cours. Malgré les faveurs dont il était comblé, Desaguliers quitta l'Angleterre ; il parcourut la Hollande, où il fit des cours qui eurent beaucoup de succès ; il y connut l'astronome Huyghens; l'anatomiste Ruysch et le médecin Boerhave ; il comptait le philosophe S'Gravesend parmi ses auditeurs.
De retour en Angleterre, il seconda Newton devenu vieux dans ses expériences et ses démonstrations, et vulgarisa son système sur les mouvements célestes.
Au milieu de ses travaux sérieux, son esprit singulier l'entraîna à publier un ouvrage sur la construction
60 LA FRANC-MACONNERIE EN FRANCE
des cheminées avec le moyen de les empêcher de fumer (1716). L'année suivante il publia : A system of experimental philosophy proved by mechanics, as shown at the public lectures, in a course of experimental philosophy, et en 1728 un poème sur le système de Newton.
En 1742, nous le trouvons à Bordeaux, où il publie une dissertation sur l'électricité des corps et fait des prosélytes à la franc-maçonnerie, dans cette ville où un groupe de commerçants anglais avait déjà installé en 1732 la loge connue plus tard sous le nom de Anglaise n° 204. Desaguliers mourut le 29 février 1744. Son fils Thomas (1725-1780), officier d'artillerie dans l'armée anglaise, combattit constamment contre la France. Il était à Fontenoy, en 1745, et au siège de Belle-Isle en 1761.
Le rôle de Desaguliers dans la fondation de la franc-maçonnerie spéculative fut considérable. Il s'entoura des maîtres et surveillants des quatre loges de Londres : Anthony Sayer, Georges Payne, Jacob Lamball, maître charpentier, du capitaine Joseph Elliott, Goston, Cordwell, Calvert, Lumley, Ware, Madden, King, Joshua Timson et du Dr James Anderson, ministre presbytérien. C'est avec le concours de ces maçons professionnels et de ces maçons acceptés, qu'en juin 1717 il fonda les premières bases de la maçonnerie spéculative, sous la forme qui devait triompher.
Néanmoins la franc-maçonnerie jacobite n'était pas morte ; elle continuait à fonctionner sur le continent, et particulièrement en France, où les Stuarts avaient trouvé un refuge. C'est cette maçonnerie qui constitua presque toutes les loges de notre pays et particulièrement celles de Paris. Les régiments écossais et irlandais furent le germe d'où sortirent toutes les loges des régiments français, et leur nombre fut considérable. Toutes les loges
LA PÉRIODE DE TRANSITION 61
d'origine jacobite furent, par suite d'une confusion facilement explicable, étant donnée l'origine des Stuarts, qualifiées d'écossaises, alors qu'elles n'avaient rien de commun avec le régime écossais tel qu'on l'entend de nos jours ; aussi persisterons-nous à les qualifier de jacobites, même longtemps après la disparition des Stuarts, parce que les régimes vraiment écossais ne s'introduisirent que fort tard en France. Ainsi, c'est en 1788 seulement que la Grande Loge d'Ecosse, fondée depuis 1736, constitua sa première grande loge provinciale : l'Ardente amitié, à l'Orient de Rouen, alors qu'elle en avait constitué dans le monde entier. C'est en 1786 seulement que le Grand Chapitre de l'ordre royal d'Ecosse fonda des grandes loges provinciales à Rouen et à Paris, et en 1787 à Strasbourg, Laval, Aix et Château-Thierry, en 1788 à la Martinique, à Saint-Domingue et à Brest. Quant aux quatre directoires écossais qui furent fondés à Bordeaux, Lyon, Strasbourg (1776) et Montpellier (1781), ils n'ont aucun rapport avec les loges d'Ecosse, attendu qu'ils furent installés par la Stricte Observance templière réformée d'Allemagne, qui reconnaissait dans Charles III Stuart le Grand Maître secret de leur Ordre avant 1771. Quant à la mère loge écossaise de Marseille d'où sont sorties en 1766 la grande mère loge écossaise du Comtat Venaissin et en 1776 la grande mère loge du rite écossais philosophique du Contrat social, elle dérive si peu des loges d'Ecosse qu'elle fut fondée en 1751 par Georges de Walnon, gentilhomme écossais rentré en France à la suite de Jacques III.
Avant 1771, il n'y avait donc pas de loges écossaises en France, mais bien des loges jacobites. En confondant des origines aussi différentes, tous les historiens, y compris Daruty, ont fait une erreur telle qu'ils n'ont pu comprendre le mouvement maçonnique dont ils
62 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
avaient entrepris de raconter l'histoire. Nous verrons, dans un prochain chapitre, comment cette maçonnerie jacobite s'introduisit en France, avec Charles Radclyffe.
Un autre personnage, d'esprit plus distingué et de science plus vaste, Andrew Michael Ramsay, fit aussi tous ses efforts pour propager la maçonnerie jacobite sur le continent et même en Angleterre et en Ecosse. Fils d'un boulanger d'Ayr, il naquit dans cette ville le 9 juillet 1686. Après y avoir commencé ses études, il les termina à l'Université d'Édimbourg, puis accepta les fonctions de précepteur des fils du comte de Wemyss jusqu'en 1706. Son esprit curieux et mystique n'ayant pas trouvé une satisfaction suffisante dans la pratique de la religion anglicane, il se jeta dans le socinianisme, qui le dégoûta promptement. Après une période d'indifférence complète, Ramsay adopta les doctrines du pyrrhonisme universel. D'une activité dévorante et d'une bonne foi indiscutable, il s'adressait à tous les docteurs renommés de son entourage pour se faire éclairer. Vers 1706, il passa en Hollande où il vit beaucoup Pierre Poiret, le philosophe mystique, qui ne parvint pas à dissiper ses doutes ; ce fut Fénelon, qu'il connut en 1709 à Cambrai, qui le fixa dans une voie qui devait être définitive : Ramsay se fit catholique, d'un catholicisme tendre et mièvre, exagération de la foi du Cygne de Cambrai ; mis en rapport avec le duc de Bouillon, il fut chargé de l'éducation de ses fils ; en 1724, Jacques III l'appela à Rome pour remplir les mêmes fonctions ; l'éducation d'enfants aussi jeunes ne pouvait lui convenir ; malgré la grande affection qu'il avait pour les Stuarts, il quitta bientôt
LA PÉRIODE DE TRANSITION 63
Rome et, ayant obtenu un sauf-conduit pour se rendre en Écosse, il résida quelques années chez le duc d'Argyle. Il fut reçu docteur à l'Université d'Oxford en 1730, malgré sa qualité de catholique. Rentré en France, il séjourna tantôt à Paris, tantôt à Navarre ou à Sedan chez son ancien élève, le prince de Turenne, devenu duc de Bouillon. Il entretenait des relations constantes avec Jean-Baptiste Rousseau et Louis Racine. Ramsay n'avait pas abandonné le parti des Stuarts et il travaillait avec ardeur à leur restauration. C'est pour servir leur cause qu'il s'occupa de franc-maçonnerie. En 1728, il aurait, paraît-il, essayé de pénétrer dans la Grande Loge d'Angleterre pour y introduire les grades écossais (novice et chevalier du Temple), qui se pratiquaient depuis longtemps dans la loge de Saint-André d'Ecosse. Éconduit en sa qualité de catholique jacobite, il vint à Paris, où il obtint un grand succès, et où il développa le système des hauts grades qui, avant lui, n'étaient connus en France que par les grades irlandais.
Suivant Ramsay, la franc-maçonnerie aurait été instituée par Godefroy de Bouillon à l'époque des Croisades, et cet ordre aurait été introduit à la loge Saint-André d'Édimbourg par des chevaliers du Temple à leur retour de la Terre Sainte.
Il est possible, comme l'insinuent Kloss et Findel, que Ramsay ait été sinon le fondateur, peut-être le propagateur de la société connue sous le nom de Gormogones, qui se forma vers 1724, et contre laquelle la Grande Loge d'Angleterre fulmina des décrets l'année suivante. On sait du reste peu de chose de l'organisation des Gormogones, si ce n'est que, sur leurs tableaux, leurs noms et demeures étaient inscrits en chiffres ; que l'ordre avait été importé de Chine par un mandarin et
64 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
qu'il possédait, comme la franc-maçonnerie un secret d'une « valeur extraordinaire ». Il était interdit aux Gormogones de parler de la politique du pays où ils résidaient (1).
Dans le mandarin et la Chine, les frères Kloss et Findel voient un jésuite et Rome. Cette société fut dissoute entre 1730 et 1738. Elle aurait eu un chapitre à Londres, dans Castle Tavern, sous la direction du Suboecumenical Volgi de Rome ou de Paris. Il est certain qu'en 1737 Ramsay s'occupait de réglementer et de prendre la direction de la maçonnerie. Les Gormogones, qui n'en sont qu'une variété, ont pu fixer son attention; il est possible que ce soit à cette maçonnerie qu'il fasse allusion dans ses lettres au cardinal de Fleury, datées des 20 et 22 mars 1737 :
« Daignez, Monseigneur, soutenir la société des Free-Masons dans les grandes vues qu'ils se proposent et V. E. rendra son nom bien plus glorieux par cette protection que Richelieu ne fit le sien par la fondation de l'Académie française.
« L'objet de l'un est bien plus vaste que celui de l'autre. Encourager une société qui ne tend qu'à réunir toutes les nations par l'amour de la vérité et des beaux-arts est une action digne d'un grand ministre, d'un père de l'Église et d'un saint pontife. Comme je dois lire mon discours demain dans une assemblée générale de l'Ordre et le donner lundi matin aux examinateurs de la Chancellerie, je supplie V. E. de me le renvoyer demain avant midi par un exprès. »
Le cardinal voyait la maçonnerie d'un mauvais oeil, et dut le faire savoir à Ramsay qui s'empressa de lui
(1) Sur les Gormogones, voy. Gould : History of free-masonry, III, 482.
LA PÉRIODE DE TRANSITION 65
répondre : « J'apprends que les assemblées - de freemasons déplaisent à V. E. Je ne les ai jamais fréquentées que dans la vue d'y répandre les maximes qui auraient peu à peu rendu l'incrédulité ridicule, le vice odieux et l'ignorance honteuse. Je suis persuadé que si on glissait à la tête de ces assemblées des gens sages et choisis par V. E., elles pourraient devenir très utiles à la religion, à l'Etat et aux lettres. C'est ce dont je crois pouvoir convaincre V. E., si elle daigne m'accorder une courte audience à Issy. En attendant ce moment heureux, je la supplie de vouloir bien me mander si je dois retourner à ces assemblées, et je me conformerai aux volontés de V. E. avec une docilité sans bornes. »
Il semble ressortir de cette lettre que Ramsay n'avait pas en très haute estime des gens auxquels il reproche « une incrédulité ridicule, un vice odieux et une ignorance honteuse (1) ».
Fleury répondit que le roi ne permettait pas les réunions.
Tous les historiens sont d'accord pour attribuer à Ramsay l'introduction des hauts grades écossais et la légende des Templiers. Nous croyons qu'il faut rectifier ces affirmations dans une certaine mesure.
Les grades irlandais existaient depuis le XVIIe siècle, et ce sont eux que pratiquaient les régiments irlandais et écossais qui vinrent en France à la suite de Jacques II. Ramsay se borna à modifier leur appellation en remplaçant partout le mot irlandais par le mot écossais, pour en faire une institution jacobite. Quant à la création de l'ordre des Templiers, nous ne croyons
(1) Ces documents intéressants se trouvaient perdus dans l'Histoire de la Régence et de la minorité de Louis XV de Lemontey. C'est Daruty qui le premier les a exhumés.
66 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
pas qu'elle soit l'oeuvre de Ramsay, qui, ainsi que celui qui forma les hauts grades irlandais, ne parle que des Chevaliers du Temple (de Salomon) et non des Templiers sur lesquels, d'après Findel, il s'exprimait souvent d'une façon désavantageuse.
D'après une conversation que Ramsay aurait eue avec Gensau, en modifiant les hauts grades il aurait eu pour but de rendre les admissions plus difficiles et plus éclairées et de recueillir des fonds pour les Stuarts.
Il est également probable que ce fut Ramsay qui fit naître le conflit qui eut lieu entre le duc de Montagu et le duc de Wharton en 1722, lorsque ce dernier supplanta le premier dans les fonctions de G? M? de la G? L? d'Angleterre, le duc de Wharton ayant des sympathies pour les Stuarts. En 1728, Ramsay lui ménagea une entrevue à Parme avec Jacques III, et Wharton, qui plus tard se retira de la f?-m? pour entrer dans un couvent en Espagne, essaya, de concert avec le roi, de faire pénétrer la maçonnerie dans les loges d'Ecosse ; mais il ne put réussir, Desaguliers s'étant emparé de ces loges dès 1723. C'est probablement à la suite de l'échec de ces projets que Ramsay imagina de dominer la f?-m? par les hauts grades, dans lesquels il n'aurait admis que les partisans des Stuarts. Les hauts grades se répandirent rapidement en France et passèrent en Allemagne avec de Hund, le fondateur de la Stricte Observance, qui était venu puiser ses doctrines maçonniques dans le chapitre de Clermont, qui était de tendances jacobites. C'est de Hund qui imagina de fondre le grade de Chevalier du Temple (de Salomon) avec la légende des chevaliers croisés et d'inventer la fable des Templiers, grands maî-
LA PÉRIODE DE TRANSITION 67
tres de la franc-maçonnerie (1). Cette doctrine avait aussi une application pratique : elle permettait de se procurer des fonds, du moins de Hund l'espérait. Si les ff? mm?, en effet, étaient des descendants des Templiers, peut-être pourraient-ils revendiquer les biens qui avaient été confisqués à cet ordre sous Philippe le Bel ? Les Jacobites adoptèrent l'idée, et tentèrent de se procurer ainsi des sommes immenses qui leur permettraient de rétablir les Stuarts sur les trônes d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande. Malheureusement pour eux, ce grand oeuvre n'était pas plus réalisable que la fabrication de la pierre philosophale, ou la découverte du mystère de la création. L'ordre de Malte, qui avait en partie hérité des
(1) Les Templiers passaient, au surplus, pour avoir eu des moeurs inavouables, et l'on disait qu'à la fin du XVIIe siècle il y avait eu, sous la grande maîtrise de Jacques-Henri de Durfort, duc de Duras, « une petite résurrection des Templiers ». Il convient d'ajouter que c'était cette mauvaise langue de Bussy-Rabutin qui avait tenu ces vilains propos dans l'Histoire amoureuse des Gaules. Il se serait donc formé, en 1632, à Versailles, une société secrète dont les femmes étaient rigoureusement exclues, et afin que les membres de la confrérie ne fussent pas tentés de l'oublier, ils portaient sur leur chemise une décoration en forme de croix, imitée de la croix de Saint-Michel, représentant un homme foulant une femme aux pieds. Beaucoup de personnages de la cour auraient fait partie de la corporation : Manicamp, le chevalier de Tilladet, le duc de Grammont, le comte de Tallard, le marquis de Biron, etc. ; ce dernier fut le parrain du duc de Vermandois qui aurait subi les derniers outrages de l'initiation. Le Dauphin aurait été admis, mais sans épreuves. Instruit de ces infamies, Louis XIV fit fustiger le duc de Vermandois par un laquais, et envoya en exil les membres de la société qui se seraient cependant réunis de nouveau, en 1705, sous la présidence de Philippe d'Orléans, pour former une société politique dont le but semblait inconnu. Sans insister sur ces médisances, le caractère de Ramsay doit d'autant moins subir de semblables promiscuités que la légende de la maçonnerie templière est l'oeuvre de Hund et qu'elle ne fut acceptée officiellement que le 25 décembre 1763 au convent d'Iéna.
68 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Templiers, aurait certes mis obstacle à la réussite de ce projet s'il avait été réalisable.
Dans tous les cas, ainsi que nous le verrons dans l'historique des loges, ce fut cette maçonnerie jacobite qui essaima par toute la France, formant presque toutes les mères loges, à Marseille, Avignon, Montpellier, Arras, Strasbourg, Lyon, Toulouse, Orléans, Paris, etc. (1).
Ramsay, qui avait hérité des papiers de Fénelon, fut son éditeur après sa mort, et mourut lui-même en bon catholique à Saint-Germain-en-Laye, le 6 mai 1743 ; son acte de décès fut signé par Charles Radclyffe, lord Derwentwater et par lord Eglentoun (2).
(1) Avant de terminer cette biographie, je dois mentionner l'opinion de M. Teder sur le rôle de Ramsay ; d'après ce savant historien qui a compulsé les papiers de Charles-Edouard, Ramsay, intime ami de Desaguliers, aurait trahi les Stuarts au profit de la maison de Hanovre.
(2) « Le mardy septième may mil sept cent quarante trois, le corps de Messire André Michel de Ramsay, chevalier de Saint-Lazare et chevalier Baronet d'Ecosse, époux de Dame Horie de Nairne, mort le jour précédent, âgé d'environ 58 ans, a été inhumé dans l'église, vespres chantées, en présence du clergé dont les sieurs Maurice Morphy et Louis Guillon, prêtres, qui ont signé avec les parents et amis du défunt. »
CHAPITRE III ?
L'ORGANISATION PRIMITIVE : SON ÉVOLUTION
Les obligations d'un f?-m? - Les ordonnances de 1720. - L'égalité dans les loges. - L'égalité philosophique et sociale. - Le vote. - La définition de la f?-m? d'après les initiés : Findel, Ragon, Jouaust, Daruty, Oswald Wirth.
Lorsque la f?-m? spéculative s'établit en Angleterre, elle a eu évidemment le souci de ne pas alarmer les pouvoirs publics ; elle avait intérêt à laisser croire qu'elle était la continuation normale d'une association existant depuis un temps immémorial, toujours protégée par les chefs d'États.
C'est pour cela qu'avec un soin jaloux elle conserva tout ce qui pouvait avoir rapport à l'ancienne corporation des maçons travailleurs.
Elle eut l'habileté de tromper les autorités.
En réalité, il n'y avait pas eu continuation, mais substitution.
Le procédé employé pour se faire tolérer et reconnaître fut ingénieux; il est essentiellement maçonnique.
En apparence, les devoirs qui furent publiés étaient ceux d'une corporation de maçons travailleurs ; certains mots professionnels avaient été laissés à dessein ; tout en publiant de nouveaux statuts, ceux qui les rédigèrent les déclaraient fort anciens, et prétendaient avoir simplement réuni et condensé de vieux textes, alors qu'il est évident que les statuts- dans leur ensemble-
70 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
visaient bien plus la f?-m? spéculative que la f?-m? corporative.
Cette nécessité de la première heure explique pourquoi la f?-m? spéculative tint tant à prouver son antiquité et à établir qu'elle n'était que la continuation d'une corporation de travailleurs.
Cette organisation primitive eut une telle conséquence sur l'avenir de la maçonnerie que nous croyons devoir, malgré leur longueur, entrer dans tous les détails, car jusqu'ici, ceux qui ont étudié les origines de la f?-m? ont négligé de compulser et de tirer parti des règlements qui contribuèrent à sa formation.
Nous empruntons le texte des anciens devoirs à l'Histoire de la f?-m? de la Tierce, qui, en 1745, en a donné une traduction (I, 177), semblable, à part quelques mots, à la traduction donnée par Daruty (p. 36), d'après le texte anglais d'Anderson (62).
LES OBLIGATIONS D'UN F?-M?
1. - Touchant Dieu et la religion.
Un maçon est obligé, en vertu de son titre, d'obéir à la loi morale ; et s'il entend bien l'art, il ne sera jamais un athée stupide, ni un libertin sans religion. Dans les anciens temps, les maçons étaient obligés, dans chaque pays, de professer la religion de leur patrie ou nation quelle qu'elle fût ; mais aujourd'hui, laissant à eux-mêmes leurs opinions particulières, on trouve plus à propos de les obliger seulement à suivre la religion sur laquelle tous les hommes sont d'accord. Elle consiste à être bons, sincères, modestes et gens d'honneur, par quelque dénomination ou croyance particulière qu'on puisse être distingué : d'où il suit que la maçonnerie est le centre de l'union et le moyen de concilier une sincère amitié parmi des personnes qui n'auraient jamais pu sans cela se rendre familières entre elles.
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 71
II. - Touchant le magistrat civil, suprême ou subordonné.
Un maçon est un paisible sujet des puissances civiles, en quelque endroit qu'il réside ou travaille. Il ne trempe jamais dans les complots et conspirations contraires à la paix et au bien d'une nation. Il est obéissant aux magistrats inférieurs. Comme la guerre, l'effusion du sang et la confusion ont toujours fait tort à la maçonnerie, les anciens rois et princes en ont été d'autant plus disposés à encourager ceux de cette profession, à cause de leur humeur paisible et de leur fidélité. C'est ainsi qu'ils répondent par leurs actions aux pointilles (sic) de leurs adversaires, et qu'ils accroissent chaque jour l'honneur de la fraternité, qui a toujours fleuri pendant la paix.
C'est pourquoi, s'il arrivait à un frère d'être rebelle à l'État, il ne devrait pas être soutenu dans sa rébellion. Cependant on pourrait en avoir pitié, comme d'un homme malheureux ; et quoique la fidèle fraternité doive désavouer sa rébellion et ne donner pour l'avenir ni ombrage ni le moindre sujet de jalousie politique au gouvernement, néanmoins s'il n'était point convaincu d'aucun autre crime, il ne pourrait point être exclu de la loge et son rapport avec elle ne pourrait être annulé.
III. - Touchant les loges.
Une loge est un endroit où les maçons s'assemblent et travaillent ; de là vient qu'une assemblée ou société de maçons dûment organisée est appelée loge. Chaque frère doit absolument dépendre d'une telle loge, et être sujet à ses propres statuts et aux règlements généraux. Elle est, ou particulière, ou générale, ce qui se comprendra mieux en la fréquentant, et par les règlements de la grande loge ci-après annexés. Anciennement aucun maître ou compagnon ne pouvait s'absenter de sa loge particulière, quand il était averti d'y comparaître, sans encourir une sévère censure, à moins qu'il ne parût au maître et aux surveillants qu'il en avait été empêché par la pure nécessité.
Ceux qui sont admis à être membres d'une loge doivent être des gens d'une bonne réputation, pleins d'honneur et de droiture, nés libres et d'un âge mûr et discret. Ils ne
72 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
doivent être ni esclaves, ni femmes, ni des hommes qui vivent sans morale, ou d'une manière scandaleuse.
IV. - Touchant les maîtres, surveillants, compagnons et apprentis.
Toute promotion parmi les maçons est fondée uniquement sur la valeur réelle et le mérite personnel, afin que les seigneurs puissent être bien servis, que les frères ne soient point exposés à aucune confusion et que l'Art royal ne tombe point dans le mépris. Il est impossible de pouvoir donner par écrit une description de ces choses-là ; mais chaque frère doit être attentif dans sa place, et les apprendre d'une manière qui est toute particulière à cette fraternité. Les candidats peuvent seulement savoir qu'aucun maître ne doit prendre un apprenti, à moins qu'il n'ait suffisamment de quoi l'employer et que ce ne soit véritablement un jeune garçon n'ayant ni mutilation ni défaut en son corps qui puisse le rendre incapable d'apprendre l'Art, de servir le seigneur de son maître, d'être fait frère et ensuite compagnon, quand il en sera temps, c'est-à-dire après avoir servi un nombre d'années conforme à la coutume du pays. Il faut, de plus, qu'il soit descendu d'honnêtes parents, afin que, lorsqu'il a d'ailleurs les qualités requises, il puisse parvenir à l'honneur d'être surveillant, ensuite maître d'une loge, grand surveillant et enfin grand maître de toutes les loges, en conséquence de son mérite.
Aucun frère ne peut être surveillant sans avoir passé par le degré du compagnon, ni maître à moins qu'il n'ait été surveillant, ni grand surveillant à moins qu'il n'ait été maître d'une loge, ni grand maître à moins qu'il n'ait été compagnon avant son élection, qu'il ne soit d'une noble naissance, ou un gentilhomme de la meilleure sorte, ou quelque savant du premier ordre, ou quelque fameux architecte, ou quelque autre artiste, descendu d'honnêtes parents et qui, selon l'opinion de toutes les loges, est d'un mérite particulier.
Le G? M?, pour pouvoir mieux s'acquitter de son office et d'une manière plus facile et plus honorable, a le pouvoir de choisir lui-même son député G? M?, qui doit alors avoir été auparavant le maître d'une loge particulière. Il a
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 73
le privilège de faire tout ce que le G? M? son Principal pourrait faire lui-même, à moins que ledit Principal ne soit présent, ou qu'il n'interpose son autorité par une lettre.
Les conducteurs ou gouverneurs suprêmes et subordonnés de l'ancienne loge doivent, conformément aux anciennes obligations et règlements, être obéis par tous les frères dans leurs postes respectifs avec toute sorte d'humilité, de révérence, d'amour et de plaisir.
V. - Touchant la conduite de l'art en travaillant.
Tous les maçons travailleront honnêtement les jours ouvriers (sic), afin qu'ils puissent vivre honorablement les dimanches et les jours de fêtes, et on observera le temps marqué par les lois du pays ou confirmé par l'usage.
Le plus expert d'entre les compagnons sera choisi et établi maître ou inspecteur des travaux du seigneur, et il doit être appelé maître par ceux qui travaillent sous lui. Les compagnons doivent éviter les mauvais discours et ne point donner les uns aux autres des noms désobligeants ; ils doivent s'appeler frère ou compagnon et se conduire avec politesse dedans et hors la loge.
Le maître se sentant lui-même capable et adroit, entreprendra l'ouvrage du seigneur aussi raisonnablement qu'il se pourra ; il emploiera ses biens avec autant de bonne foi que s'ils étaient les siens propres et il ne donnera pas à un frère ou à un apprenti plus de gages qu'il n'en mérite réellement.
Tant le maître que les maçons qui reçoivent leurs gages avec justice seront fidèles au seigneur et finiront leur ouvrage honnêtement, soit que ce soit à la tâche ou à la journée, et ils ne feront point à la tâche l'ouvrage qui a coutume d'être fait à la journée.
Personne ne fera paraître de l'envie lorsqu'il verra prospérer un frère ; il ne le supplantera point et il ne le mettra pas hors de son ouvrage, s'il est capable de le finir lui-même, d'autant plus que qui que ce soit ne peut finir un ouvrage, autant au profit du seigneur, que celui qui l'a d'abord entrepris, à moins qu'il n'ait une parfaite connaissance du dessein et du plan de celui qui l'a commencé.
Quand un compagnon sera choisi surveillant du travail
74 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
au-dessous du maître, il sera fidèle tant au maître qu'aux compagnons, il visitera soigneusement l'ouvrage pendant l'absence du maître pour le profit du seigneur, et les frères lui obéiront.
Tous les maçons employés recevront toutes les semaines leurs gages sans murmurer et sans se mutiner, et ils ne quitteront point le maître jusqu'à ce que l'ouvrage soit fini.
Un nouveau frère sera instruit dans la manière de travailler, afin d'empêcher qu'il ne perde les matériaux par faute de jugement et pour augmenter et continuer l'amour fraternel.
Tous les outils dont on se servira pour travailler seront approuvés par la G? L?.
Aucun laboureur ne sera employé dans ce qui concerne proprement la maçonnerie et les F?-M? ne travailleront point avec ceux qui ne le sont pas sans une pressante nécessité ; de plus, ils n'enseigneront point les laboureurs et les maçons qui ne sont point acceptés, de même qu'un frère ou compagnon.
VI. - Touchant la manière de se conduire.
1° Dans la loge pendant qu'elle est constituée.
Vous ne ferez point de compagnies particulières ou de conversations séparées, sans la permission du maître ; vous ne parlerez d'aucune chose impertinente ou indécente ; vous n'interromprez ni le maître, ni les surveillants, ni aucun frère, pendant qu'il parle au maître. Vous ne vous comporterez pas d'une manière burlesque ou bouffonne pendant que la loge est occupée à ce qui est sérieux ou solennel et vous ne vous servirez d'aucun terme malséant, sous quelque prétexte que ce soit. Au contraire, vous aurez pour le maître, les surveillants et les compagnons, toute la révérence qui leur est due et vous les comblerez d'honneur.
S'il y a quelque plainte faite, le frère trouvé coupable s'en tiendra au jugement et à la détermination de la loge, où sont les juges compétents de telles disputes, à moins qu'il n'en appelle à la G? L? C'est là qu'elles doivent être renvoyées, à moins que l'ouvrage du seigneur ne soit en même temps retardé ; auquel cas on peut nommer des arbi-
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 75
tres particuliers ; mais il ne faut jamais se porter partie contre qui que ce soit pour ce qui concerne la maçonnerie, sinon lorsque la loge le juge d'une nécessité absolue.
2° Après que la loge est finie et lorsque les frères ne sont pas encore retirés.
Vous pouvez vous réjouir d'une manière innocente, vous traiter les uns les autres selon votre capacité, mais en évitant tout excès et en ne forçant aucun frère à manger ou à boire plus qu'il ne veut. Vous ne l'empêcherez point de se retirer, lorsque les affaires le demanderont, et vous ne ferez ou ne direz aucune chose qui puisse offenser ou empêcher la facilité et la liberté de la conversation. Autrement, cette belle harmonie, qui doit être entre nous, perdrait une partie de son éclat, et le but louable que nous nous proposons s'en irait en ruine. Il ne doit point être question d'aucune pique ou querelle particulière dans l'endroit où se tient la loge, encore moins de disputes touchant la religion, les nations ou la politique de l'État, parce qu'en qualité de maçons, nous sommes tous de la religion universelle dont il a été parlé ; comme aussi de toutes les nations, de toutes les langues et de toutes les familles. De plus, nous sommes opposés à tous ceux qui parlent de la politique, parce que c'est une chose qui ne s'accorde et qui ne s'accordera jamais avec la prospérité d'une loge. Cette obligation a toujours été étroitement enjointe et observée, mais particulièrement depuis la réformation dans la Grande-Bretagne, ou pour le dire autrement, depuis que cette nation est d'un sentiment contraire à la communion de Rome et qu'elle s'en est séparée.
3° Lorsque les frères se trouvent ensemble sans aucun étranger, quoique ce ne soit pas dans une loge.
Vous devez vous saluer d'une manière civile, ainsi qu'on vous l'enseignera, en vous traitant l'un l'autre de frère, et vous vous donnerez des instructions mutuelles, quand il sera trouvé à propos. Mais cela se doit faire sans être vu ni entendu, sans empiéter l'un sur l'autre et sans perdre le respect qui serait naturellement dû à un frère, quand même il ne serait pas maçon ; car, quoique tous les maçons soient frères sous le même niveau, cependant la maçonnerie ne prive point un homme des honneurs dont il jouissait aupa
76 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
ravant ; au contraire, elle en est un accroissement, particulièrement s'il a obligé la fraternité, qui doit faire honneur à qui il est dû et fuir les mauvaises manières.
4° En présence des étrangers qui ne sont pas maçons.
Vous serez circonspect dans vos paroles et dans vos démarches, en sorte que l'étranger le plus pénétrant ne puisse découvrir ou trouver ce qu'il n'est pas propre de donner à entendre, et quelquefois vous changerez de propos, ménageant cela pour l'honneur de la vénérable société.
5° À la maison et dans le voisinage.
Vous devez vous comporter en hommes de bonnes moeurs, en gens sages et surtout ne point faire connaître à vos familles, à vos amis et à vos voisins ce qui concerne la loge, etc. Tout au contraire, vous devez sagement consulter votre propre honneur et celui de l'ancienne fraternité pour raisons dont on ne doit point faire mention. Vous devez aussi prendre soin de votre santé, en ne demeurant point trop tard ensemble, ni trop loin de vos logis, après que les heures de la loge sont passées, et en évitant la gloutonnerie et l'ivresse, en sorte que vous ne fassiez point tort à vos familles par négligence et en vous rendant incapables de travailler.
6° Envers un frère étranger.
Vous l'examinerez avec précaution et suivrez en ceci la méthode que la prudence vous indiquera, afin de ne point vous en laisser imposer par un faux prétendant plein d'ignorance que vous devez rejeter avec mépris et dérision en vous donnant de garde de lui communiquer le moindre rayon de lumière. Mais si vous découvrez que c'est un bon et véritable frère, vous devez en conséquence de cela le respecter et, s'il est dans la nécessité, vous devez l'aider si vous pouvez, ou bien lui dire comment il peut être secouru : vous devez encore lui donner de l'occupation pendant quelques jours, ou bien le recommander pour lui en faire trouver. Au surplus, vous n'êtes pas obligé de faire plus que vous ne pouvez, mais seulement de préférer un pauvre frère, qui est bon et honnête homme, à toute autre pauvre personne qui se trouverait dans les mêmes circonstances. Enfin, non seulement vous observerez ces obligations,
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 77
comme aussi celles qui vous seront communiquées par une autre voie, mais de plus vous cultiverez l'amour fraternel, qui est le fondement et la maîtresse pierre, de même que le ciment et la gloire de cette ancienne fraternité. Vous éviterez les disputes, les querelles, la médisance et la calomnie, et vous ne souffrirez jamais que les autres médisent d'aucun honnête frère ; au contraire, vous défendrez sa réputation et lui rendrez toute sorte de bons offices autant que votre honneur et votre sûreté vous le permettront, mais non plus loin. Et, si quelqu'un de vos frères vous fait tort, vous devez vous adresser à votre loge un des jours de la communication du quartier ; ensuite de quoi vous êtes- en droit d'en rappeler à la G? L? annuelle, conformément à la louable pratique de nos pères dans chaque pays, lesquels ne poursuivaient jamais personne en justice, à moins que le cas ne pût être décidé autrement, mais qui écoutaient patiemment l'avis sincère et aimable du maître et des compagnons, quand ils voulaient les empêcher de prendre des étrangers à partie et les engager, au contraire, à mettre promptement fin à toute procédure, afin qu'ils pussent s'appliquer à l'affaire de la maçonnerie avec plus de plaisir et de succès. Mais, pour en revenir aux frères et compagnons qui sont en procès, le maître et les frères doivent obligeamment offrir leur médiation, à laquelle les frères qui sont en contestation devraient se soumettre d'une manière pleine de reconnaissance. Mais, s'ils trouvaient cette soumission impraticable, ils pourront continuer leur procès, non avec indignation l'un contre l'autre, comme il se pratique ordinairement, mais sans colère, sans rancune, en ne disant et ne faisant rien qui puisse empêcher l'amour fraternel et en continuant à se rendre de bons offices. En un mot, il faut qu'on reconnaisse en tout la bénigne influence de la maçonnerie, qui a été cause que tous les vrais maçons en ont agi ainsi, depuis le commencement du monde et en agiront de même jusqu'à la fin des temps.
En dehors des Obligations d'un f?-m?, la Tierce publia également les Statuts ou Règlements généraux de
78 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
la confrérie des f?-m? compilés en l'année 1720 par Georges Payne,alors G? M? et approuvés le jour de la St Jean-Baptiste 1721 par le très noble frère Jean duc de Montagu et par la grande loge qui le choisit comme grand maître (I, 195). Ces statuts ne comprennent que 39 articles.
Au lieu de reproduire ce texte, déjà imprimé à plusieurs reprises, nous utiliserons un manuscrit contemporain (vers 1739), que nous avons sous les yeux, provenant probablement du G? O? et qu'une note ajoutée sur la couverture indique avoir appartenu au prince Murat, qui fut grand maître du G? O? de France de 1848 à 1860.
Ce document, qui comprend 70 articles au lieu de 39, est beaucoup plus complet que les statuts publiés par la Tierce et a l'avantage d'être expliqué par des commentaires.
Il a pour titre :
Ordonnances générales des f?-m? tirées des archives de l'ordre et rédigées en 1720 par ordre du G? M? le frère George Payne, écuyer, et lues le 21 juin de la même année dans l'assemblée de Stationers Hall, lesquelles pour la conformité avec les usages des plus anciennes loges ont ensuite été constatées (sic) avec les anciens documents de la fraternité ; auxquelles le G? M? frère très éclairé Jean duc de Montaigu a fait ajouter des notes et des éclaircissements qui ont été reçus d'un consentement unanime et confirmés par tous les frères de la G? L? le 25 mars 1722 et sont communiquées en conséquence et mises depuis en pratique par toutes les loges légales (1).
(1) Ce manuscrit, traduit manifestement de l'anglais, n'est pas toujours écrit en très bon français. Nous l'avons corrigé en plusieurs endroits afin d'en rendre la lecture plus facile. Nous avons
L ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 79
1. -- Le G? M? ou son député a droit et autorité d'être non seulement présent à quelque loge que ce soit, mais aussi, s'il le juge à propos, de la gouverner en faisant placer à sa gauche le maître de la loge et en admettant les frères grands surveillants pour exécuter ses ordres ; néanmoins, les frères grands surveillants ne peuvent exercer leurs fonctions dans aucune loge particulière, ou y être regardés comme revêtus de quelque autorité sans la présence et le commandement exprès du G? M?, celui-ci pouvant enjoindre aux frères surveillants ordinaires de la loge ou même à d'autres frères de faire le service pro tempore (1).
II. - Le G? M? d'une loge particulière a droit et autorité de convoquer ses membres aussi souvent qu'il le juge à propos et de fixer le temps et le lieu de l'assemblée ; en cas de mort, de maladie ou d'absence du G? M?, ou de son député, le frère 1er surveillant prend sa place et en exerce les fonctions.
III. - Chaque loge doit avoir un livre qui renferme les décisions et tout ce qui mérite d'être noté, avec une liste des frères et des loges du même lieu. La préséance des loges se fonde sur leur ancienneté.
IV. - Nulle loge ne doit sans une permission expresse du G? M? ou de son député recevoir au delà de cinq frères dans un même jour, ni en admettre aucun qui n'ait vingt-cinq ans accomplis et qui ne soit son propre maître.
V. - Aucun frère ne saurait dans le même circuit être membre de plus que d'une loge ; il est permis, à la vérité, de l'adopter dans d'autres et de l'inviter aux différentes cependant laissé plusieurs incorrections trop difficiles à corriger sans altérer le sens.
(1) Dans l'article présent et les suivants, les G? M? des loges particulières sont simplement nommés maîtres de loges, pour les distinguer du G? M?de la G? L? du pays ou de la province, laquelle est formée de tous les maîtres des loges et de leurs surveillants qui ne s'assemblent que pour régler les assemblées générales et pour délibérer sur des cas uniquement relatifs à la f?-m?, le G? M? n'ouvrant jamais ladite loge pour une réception qui ne peut avoir lieu que dans une loge ordinaire (note du manuscrit).
80 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
loges de réception et d'instruction, mais il peut être admis à aucune assemblée économique que hormis celle de la loge dont il est membre et de laquelle il a reçu l'habit.
VI. - Personne ne saurait être adopté en qualité de membre d'une loge s'il n'a été annoncé un mois d'avance, de façon qu'on ait eu tout le temps nécessaire de prendre des informations de son caractère moral ; le G? M? peut seul néanmoins dispenser de cette règle.
Les loges ont coutume pour procurer une telle dispense à un frère qui voyage dans les pays étrangers de le munir, à sa réquisition, d'une lettre de recommandation.
VII. - Nul ne peut être reçu membre d'une loge sans le consentement unanime de tous les frères qui sont présents lorsqu'on le propose. C'est un droit qui n'admet aucune dispense, et le maître de la loge ne saurait déclarer une élection pour valable, tant qu'un frère refuse d'y donner sa voix et en allègue de bonnes raisons ; car, si l'on forçait une loge de recevoir en qualité de membre quelqu'un qui ne fût pas généralement agréé de tous, le mécontentement qui en résulterait préjudicierait à l'union et à la liberté si nécessaires aux frères ouvriers, et pourrait ainsi causer la destruction de la loge, ce que tout bon frère doit soigneusement prévenir.
VIII. - On ne doit jamais accorder l'entrée de la loge à un frère visiteur, quand même il serait instruit de l'art de la maçonnerie, si, préalablement, il n'est reconnu comme véritable maçon ou recommandé de sa loge, ou de quelque frère.
IX. - Tout frère qui a été reçu maçon ou qui a obtenu le droit de bourgeoisie dans une loge, est tenu de la vêtir, c'est-à-dire qu'il doit, à proportion de ses facultés et selon l'exigence des cas, fournir quelque chose aux besoins et à l'entretien de la loge, et s'engager de plus à se conformer aux usages et aux statuts de la loge qui lui seront communiqués en temps et lieu.
X. - Aucune société de maçons ni aucun frère en particulier ne doit se séparer de sa loge, à moins qu'elle ne soit trop nombreuse, et, alors, la dispense du G? M? ou de son
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 81
député est pourtant requise ; mais si, après l'avoir obtenue, ils se séparent, il faut qu'ils entrent dans une loge légale, ou qu'en se réunissant ils en forment une nouvelle avec la permission du G? M?.
XI. - Lorsqu'une société de maçons se réunit pour former une loge, sans en avoir le droit ou la permission du G? M?, les autres loges ne sont nullement obligées de les reconnaître pour de vrais f?-m?, encore moins d'approuver leurs ouvrages et leurs décisions ; ils doivent, au contraire, les regarder comme des séditieux jusqu'à ce qu'ils se soient soumis à la vraie loge et aux ordonnances du G? M?, et que celui-ci, après avoir donné son approbation à leur ouvrage, en ait fait part à toutes les loges légales.
XII. - Tout frère qui, sans y être autorisé, a donné à d'autres le grade de maçon, ne doit être admis dans aucune loge, ni comme membre, ni comme visiteur, jusqu'à ce qu'il ait expié sa faute ; néanmoins, un frère qui a été reçu de cette façon peut obtenir l'entrée de la loge pour qu'elle l'en juge digne et que tous les frères y donnent leur consentement.
XIII. - Ceux qui ont érigé sans permission une loge ne doivent point être reçus dans aucune loge légale, à moins qu'ils n'aient reconnu avec soumission leur faute et qu'ils n'en aient obtenu le pardon.
XIV. - Si une loge n'a pas travaillé ou qu'elle ne se soit point assemblée pendant douze mois, elle est censée être supprimée, et si elle veut être comptée de nouveau au nombre des loges régulières, elle perd pourtant son ancienneté, qui ne court que du moment qu'elle a recommencé à travailler.
XV. - Comme on a appris que des loges ont été établies en différents endroits très illégalement, sans autorité, ni le consentement d'aucun G? M?, il a été conclu que ceux qui déshonorent l'art de cette façon, ne pourront jamais avoir aucun office, soit dans les grandes ou particulières loges, et qu'ils ne doivent point s'attendre d'obtenir des secours, dans le besoin, d'aucune loge dûment constituée.
82 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
XVI. - Si un frère s'oublie au point que la loge ait sujet d'être mécontente de lui, le maître et les frères surveillants sont tenus de l'exhorter par deux fois en pleine loge de rentrer en son devoir ; mais, au cas qu'il refuse d'obéir et de se soumettre à la volonté des frères, la loge est en droit d'agir avec lui conformément aux lois, ou, si le maître et les frères le jugent à propos, de renvoyer l'affaire à la G? L?.
XVII. - Quand une loge particulière renvoie une affaire à la G? L?, on en dresse l'instruction par écrit à la pluralité des voix, en présence du maître et des surveillants de la loge, et on y donne l'approbation, à moins que la loge ne charge ceux-ci d'en faire le rapport de bouche.
XVIII. - Les loges ouvrières doivent être, autant qu'il est possible, uniformes dans leurs ouvrages ; dans cette vue, il faut invoquer souvent des frères experts en qualité de visiteurs, afin d'avoir l'oeil que l'on travaille partout sur les mêmes modèles.
XIX. - La G? L? est composée de tous les maîtres et des frères surveillants des loges particulières; elle a, de plus, son G? M?, son député et ses grands surveillants; aucun frère ne saurait y être admis, à moins qu'il ne soit membre de ladite loge. Dans tout ce qui s'y décide, chaque membre a sa voix et le G? M? en a deux, excepté dans le cas où l'affaire est entièrement remise à sa décision.
XX. - Outre les assemblées extraordinaires, qui peuvent avoir lieu de temps à autre, la G? L? s'assemble régulièrement sept fois par an, savoir : tous les quartiers, et trois fois aux grandes fêtes de l'ordre.
XXI. - Aucune nouvelle loge n'est reconnue et on n'admet point ses trois officiers à la grande loge, si, premièrement, elle n'a été légalement constituée en présence de la G? L? et après qu'on en a fait part aux autres loges.
XXII. - Généralement tous ceux qui ont été ou qui sont encore grands maîtres, députés ou surveillants, sont toujours membres de la G? L? et y ont leur voix.
XXIII. - Les maîtres des loges particulières et leurs surveillants se rendent toujours à la G? L? avec leurs
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 83
ornements au cou. On accorda cependant en 1728, le 26 novembre, l'entrée à un des trois officiers, quoiqu'il ne fût pas décoré de son ornement, qu'il avait remis en garde à un frère qui était absent. Lorsqu'un de ces officiers a quelque raison qui l'empêche de se rendre à la G? L?, il lui est permis de s'y faire représenter par un frère maître qu'il charge de son ornement, mais il faut que le frère qu'il choisit ait été antérieurement officier qualifié pour être membre de la G? L?
XXIV. - Il faut qu'aux assemblées de la G? L?, qui se tiennent tous les trois mois, toutes les affaires qui regardent la fraternité ou l'ordre en général, de même que celles qui concernent les loges particulières, ou quelques frères en particulier, y soient traitées et décidées avec beaucoup de réflexion, d'union et d'amitié. On y termine ces différends que l'on n'a pas pu finir dans les loges particulières, et si un frère n'est pas content de ce qu'on y décide, il est le maître d'en appeler à la première assemblée du quartier, ou trimestre suivant, et d'y faire remettre son appel par écrit.
XXV. - Aux grands jours de fête, on ne reçoit ni demandes, ni appels, ni quoi que ce soit qui paraisse troubler la concorde ou le plaisir de ces jours.
XXVI. - Le G? M? nomme tous les ans le secrétaire, le trésorier, l'orateur et le maître des cérémonies, ou bien il confirme à son introduction les précédents en leur remettant à cette occasion les livres et les marques de leurs dignités.
XXVII. - Quoique le trésorier ait sa voix en toutes occasions, il ne peut cependant la donner à l'élection d'un G? M? et des surveillants.
XXVIII. - Quand un G? M?, un maître de loge et le député sont absents, alors un ci-devant G? M? ou député prend le marteau. En absence d'un plus ancien G? M?, il est représenté par le grand surveillant, à son défaut par le second, et au cas que celui-ci manque encore, par un ci-devant grand surveillant ; mais si tous ceux-ci manquaient, le plus ancien maître de la loge prendrait sa place, et dans une loge particulière le plus ancien maître.
84 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
XXIX. - Dans l'absence des grands surveillants ou des surveillants ordinaires, les ci-devant grands surveillants ou surveillants ordinaires prennent leurs places, et lorsqu'ils n'y sont pas, le G? M? ou le député nomment quelque frère pour exercer leurs fonctions pro tempore.
XXX. - Tant pour la commodité du G? M? et des maîtres des loges que pour le maintien de l'honneur et de la dignité des députés, on a trouvé bon que les surveillants (à moins que l'affaire ne soit de conséquence), quand ils auront quelque chose à annoncer, s'adressent aux députés, et que ce ne sera que sur le refus de ceux-ci de proposer le cas, que les surveillants s'adresseront au G? M?.
XXXI. - Quand il survient quelque différend entre le député et les surveillants ou d'autres frères, il faut que les deux parties, après en être convenues, aillent au G? M? qui aplanit les difficultés ; ceci n'est encore jamais arrivé et le G? M? a exercé de tous temps des droits, plus par amitié générale qu'en vertu de son autorité.
XXXII. - Le G? M? ni les officiers de la G? L? ne peuvent exercer en même temps les fonctions de maître ou d'officiers d'une loge particulière ; mais dès qu'ils se démettent de celles qu'ils exercent dans la grande, ils reprennent de nouveau, dans les loges auxquelles ils sont attachés, les fonctions qu'ils exerçaient précédemment.
XXXIII. - Un grand officier, lorsqu'il est officier d'une loge particulière, n'est point privé des droits attachés à la place qu'il occupe dans la loge particulière et, en conséquence, il charge un des frères qualifiés (quand il est absent) de le représenter pro tempore à la G? L? si la nécessité l'exige.
XXXIV. - Si un G? M? abusait de ses droits et qu'il se rendît indigne de l'obéissance et du dévouement de la loge, il faudrait alors procéder contre lui, selon les nouvelles ordonnances que l'on ferait en pareil cas, car jusqu'ici elles n'ont pas été nécessaires. L'ancienne société des f?-m? est aussi fermement et pleinement persuadée qu'il ne sera jamais question de faire une telle ordonnance.
XXXV. - Il faut que le G? M? avec ses confrères fasse,
L ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 85
pendant qu'il est en charge, au moins une fois, la visite de toutes les loges particulières qui sont de son ressort.
XXXVI. - Cet ancien et très louable usage rend un député indispensablement nécessaire au G? M?, qui peut de temps en temps lui céder sa place et lui confier son autorité lorsqu'on érige une nouvelle loge.
XXXVII. - Les frères de toutes les loges et tous les vrais maçons dispersés sont tenus de s'assembler chacun en son lieu pour la célébration générale d'un jour dont on a fait choix, qui est celui de la fête de St Jean-Baptiste.
XXXVIII. - Si des empêchements ne permettent pas de célébrer ce jour, il faudra pourtant s'assembler afin de procéder à la nomination du G? M? de la G?L?
XXXIX. - Chaque loge doit avoir son jour de fête particulière ; mais il ne faut pas prendre celui de la fête générale, auquel les frères de toutes les loges se rassemblent.
XL. - Lorsque le G? M? et la loge jugent à propos de célébrer la grande fête selon l'ancien usage maçonnique, les grands surveillants font distribuer des billets d'invitation avec le sceau du G? M? et ont soin, conjointement avec ceux que les loges ont nommés pour cet effet, de faire acheter et préparer tout ce qui est nécessaire pour la célébration de ce jour.
XLI. - On ne doit point tirer de vin ce jour-là avant que le repas ne soit prêt ; après 8 heures du soir on ne donne plus de vin ni aucune liqueur forte.
XLII. - Les entrées des appartements destinés au travail sont couverts et gardés par des bons frères tuileurs et servants dont on a éprouvé la fidélité, ils ont l'oeil à tout afin de prévenir le désordre.
XLIII. - On doit prendre de bons frères pour le service parce qu'il n'est pas permis de se servir ce jour de personne qui ne soit vrai maçon, afin de jouir de toute la liberté possible.
XLIV. - On nomme des frères de toutes les loges pour recevoir ceux qui arrivent, prendre les billets, faire les
86 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
honneurs, introduire, ou refuser l'entrée, selon que les circonstances l'exigent il ne leur est cependant point permis de renvoyer quelqu'un sans en exposer les motifs à tous les frères de la loge, afin de prévenir tout mécontentement et qu'un vrai frère ne soit exclu et qu'un faux frère ou un trompeur ne soit admis. Ceux qui sont chargés de ce soin se rendent de bonne heure à l'endroit de l'assignation avant ceux qui ont des billets et avant les visiteurs.
XLV. - Les membres de la G? L? se rendent avant le repas, de bonne heure, à la place assignée et se séparent avec le G? M? des autres frères pour délibérer pendant quelque temps sur les points suivants :
1° Pour recevoir les appels, et après avoir pesé les raisons alléguées de part et d'autre, de chercher s'il est possible de réconcilier encore avant le repas les frères qui sont en différend, ou de renvoyer l'affaire à un temps plus convenable.
2° De prévenir les disputes et les désordres qui pourraient avoir lieu ce jour-là et de régler en général tout de façon que rien ne trouble l'union et le plaisir de la société.
3° De tenir conseil sur ce qui est relatif au décorum, afin que rien ne se passe dans une aussi nombreuse assemblée qui soit contre les moeurs et la bienséance.
XLVI. - Il n'y a pas fort longtemps, le 25 novembre 1723, qu'il fut décidé de ne point recevoir d'appel le jour de la grande fête. Anciennement les frères s'assemblaient le jour de la St Jean, au lever du soleil, dans un couvent, ou sur une haute montagne dans le voisinage, et après y avoir élu les grands officiers, ils se rendaient au lieu de la fête qui était ordinairement aussi dans un couvent ou dans la maison d'un maçon distingué, ou bien dans une auberge spacieuse et bien construite. Quelquefois les maîtres des loges et les surveillants des loges particulières y attendaient à l'entrée le G? M? et sa suite, pour le recevoir, le complimenter et l'introduire dans la loge. Mais, souvent aussi, le G? M? y précédait les frères et députait ses surveillants pour les inviter à entrer. On peut faire l'un et l'autre, il faut seulement que la loge soit en ordre avant le repas.
XLVII. - Quand ceci est fait, le G? M?, les grands surveillants et grands officiers se retirent pour peu de temps et
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 87
laissent les maîtres et les surveillants des loges particulières en liberté d'élire un nouveau G? M? ou de confirmer le précédent (s'entend, si l'élection n'est pas déjà faite). Si, par un consentement unanime, le précédent est confirmé, on l'invite de rentrer et on le prie, avec les témoignages de respect qui lui sont dus, de faire l'honneur à la société d'exercer encore, pendant un an, les fonctions de sa charge et, après le repas, on fait savoir qu'il a repris ou refusé le gouvernement, car ce n'est qu'alors qu'un des ci-devant G? M? le déclare à l'assemblée.
Il fut conclu en 1720, le 27 décembre, que l'on élirait à l'avenir le G? M? quelques jours avant la grande fête et que le nouveau G? M?, ayant celui qui sort de charge à sa gauche, se rendrait à la fête, de façon que l'élection dont on vient de parler ne serait simplement qu'une nouvelle confirmation ou une simple cérémonie.
XLVIII. - On se met ensuite à table et, après s'être levé, on ouvre la G? L? en présence de tous les frères assemblés.
XLIX. - Quand le précédent G? M? a été requis avant le repas de rester en charge pour l'année suivante et qu'il a accepté, un frère nommé à cet effet expose à l'assemblée les avantages dont on a joui sous le gouvernement dudit G? M? et, en s'adressant à lui-même, il le prie, au nom de la G? L?, de faire l'honneur aux frères d'être encore leur G? M? pour l'année suivante, et, après qu'il a donné son consentement par le signe d'approbation, celui qui en a le droit, le déclare à haute voix G? M? ; tous les frères le saluent selon l'usage et vont à lui séparément lui témoigner leur joie ; après quoi chacun se rend à sa place.
L. - Mais, au cas que les maîtres des loges et les frères -surveillants n'eussent pas requis ce jour-là ou antérieurement le G? M? de garder sa place ou qu'il eût refusé de la garder, alors celui-ci déclare le frère qui lui succède par élection, et dés que la loge y a donné son consentement unanime, on procède de la même manière que l'on vient de dire dans l'article précédent.
LI. - Si l'élection d'un G? M? n'est pas unanimement approuvée, les maîtres des loges et les surveillants y pro-
88 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
cèdent une seconde fois, et si on rejette encore celle-ci, il faut prier instamment pour la troisième fois le G? M? de l'année précédente de garder le marteau, ce qu'il ne saurait refuser alors.
LII. - La susdite élection se fait par le sort de la manière suivante : chaque maître de loge, député ou surveillant, écrit le nom de son candidat sur un papier et celui qui est le G? M? pour l'année suivante (sic).
LIII. - Dès que le G? M? a été confirmé ou que le nouveau a été installé et assis dans la chaise de Salomon, il nomme d'abord son député, qui est aussitôt proclamé, salué et installé par l'autre. Ensuite il nomme les frères grands surveillants qui doivent également être unanimement approuvés par la G? L? et installés par le sort, au cas que la susmentionnée élection n'ait pas été confirmée. Il nomme de plus ses autres officiers qui prennent leurs places. Pour conclusion, les maîtres de loges présentent leurs frères surveillants nommés dans leurs loges, ou élus par le sort, lesquels, en qualité de membres de la G? L?, sont reçus et félicités de la façon ordinaire.
LIV. - Si le frère que le G? M? nomme son successeur ne peut être présent à l'assemblée, soit pour cause de maladie, ou par d'autres raisons, il ne saurait être proclamé G? M? à moins que l'ancien G? M? ou quelque autre maître de loge n'assure, sur sa parole de maçon, que le susdit, nommé ou élu, accepte la charge en question et, dans ce cas, le précédent G? M? nomme en qualité de plénipotentiaire, le député et les frères grands surveillants ainsi que les autres grands officiers, car les places ne peuvent demeurer vacantes; il reçoit aussi, au nom du G? M? en charge les hommages des frères de la façon usitée. Le précédent G? M? ou un des anciens G? M? est plénipotentiaire du nouveau, jusqu'à ce que celui-ci ait occupé la chaise, car le député ou les grands surveillants ne sauraient occuper sa place, à moins que ce ne soit par son ordre exprès. Au reste, il remet en personne entre les mains du nouveau G? M? l'ornement et les outils.
LV. - À la suite de ceci, le G? M? permet aux frères-
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 89
qui sont présents de proposer quelque chose pour le bien de l'ordre, et l'on décide en conséquence ou l'on renvoie les affaires à la première assemblée ordinaire ou extraordinaire de la G? L?
LVI. - Ensuite, le G? M?, son député ou un autre qui en est chargé, adresse aux frères des exhortations convenables.
LVII. - Après cela, on peut porter Ies santés ordinaires et entonner les chansons des f?-m? avec l'accompagnement de la musique, et, lorsque tout ce qui est relatif aux devoirs et aux obligations du G? M? et des surveillants a été mis sur le tapis, et qu'on a délibéré sur ces objets, il est libre à chaque frère de se retirer, ou de demeurer, pourvu seulement que la loge se ferme de bonne heure.
LVIII. - Le maître d'une loge particulière est constamment maître de la loge qu'il a créée, soit en vertu de son droit, ou par permission de la G? L?, ou parce qu'il a été appelé. Lorsqu'il en résigne le gouvernement, il peut le remettre à qui il veut, à moins qu'il ne préfère que les frères élisent son successeur par le sort. Il nomme ou confirme tous les ans son député, ses surveillants, après le consentement préalable de la loge, ou, en cas qu'il soit refusé, par le sort. Au reste, ces ordonnances générales ont lieu pour les loges particulières dans tous les cas.
LIX. - Lorsqu'une loge particulière étant trop nombreuse prend le parti de se séparer (car la séparation ne peut avoir lieu dans la G? L?) elle doit en faire part au maître de la loge, qui demande en conséquence le signe d'approbation de sa loge, lequel doit être unanime pour cet effet ; il communique ensuite sa décision à la G? L?, en requiert le consentement et la prie de créer une nouvelle loge quand les frères qui se séparent ont élu préalablement leur maître et que celui-ci a été agréé par la loge mère ou par le G? M? du pays.
LX. - Aussitôt que la séparation est faite et qu'une nouvelle loge a été établie, l'ancienne ne peut demander aucun privilège à la nouvelle, ni celle-ci à l'autre, et un membre de l'une ne saurait être membre de l'autre en même temps.
90 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
LXI. - Quand le G? M? frappe le troisième coup de marteau, tout doit être dans un profond silence dans la loge, et quiconque y manque est puni sur-le-champ.
XLII. - Nul frère ne peut être admis à la G? L? sans en être membre, à moins qu'il ne fût obligé de comparaître pour quelque affaire, comme suppléant ou comme témoin, ou qu'on eût été forcé de le faire appeler pour donner des explications et des éclaircissements dans un cas particulier.
XLIII. - Personne, excepté ceux qui ont quelque office, n'ose changer de place pendant les délibérations et l'ouvrage (sic).
XLIV. - Il n'est pas permis à un frère de parler plus d'une fois, sur le même objet, si ce n'est pour donner des éclaircissements et après avoir obtenu la permission du maître de la loge.
XLV. - Nul ne doit parler sans permission et qu'après s'être levé et tourné du côté de la chaise ; personne n'ose interrompre un frère qui parle ; mais lorsqu'il s'écarte de son sujet, le maître est en droit de le redresser, sur quoi il s'assied jusqu'à ce qu'il ait obtenu de nouveau la permission de poursuivre son discours.
XLVI. - Si quelqu'un contrevient deux fois aux ordonnances dans un même jour et qu'il récidive pour la troisième, on lui ordonne sérieusement de s'absenter ce jour-là de la loge.
XLVII. - Si quelqu'un se moque d'un frère ou qu'il tourne en ridicule ce qu'il propose, il doit être exclu de la société des frères et déclaré indigne de devenir jamais membre de la G? L?, à moins qu'il ne reconnaisse sa faute et qu'il n'en ait obtenu le pardon.
XLVIII. - On ne doit traiter aucun sujet dans la loge qui n'ait déjà été communiqué par écrit au G? M?, et après qu'il y a réfléchi les frères peuvent en porter leur jugement et le G? M propose le pour et le contre.
XLIX. - Le 26 novembre 1728, l'office d'intendant ou
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 91
de steward, qui pendant quelques années avait été hors d'usage, fut rétabli et a été conservé depuis à cause de son utilité : car c'est sur lui que roule particulièrement le soin de faire les préparatifs et les arrangements nécessaires pour les grandes fêtes. Vu donc le pénible de cette charge et l'avantage que les frères en retirent, il fut conclu que, pour éviter à l'avenir toutes disputes et altercations assez fréquentes dans de pareilles occasions, on confierait entièrement aux susdits frères stewards le soin de régler en général tout ce qui concerne les fêtes et de plus on leur donna par reconnaissance, le 24 juin 1735, le droit de former et d'établir une loge particulière (1), et on statua :
1° Que cette loge serait inscrite dans tous les livres et dans toutes les listes de la G? L? sous le nom de Loge intendante ou de stewards.
2° On leur accorda le privilège d'envoyer douze frères à la G? L? en qualité de syndics, savoir : le maître, les deux surveillants de leur loge, avec neuf frères dont chacun aurait sa voix.
3° On les décora d'un cordon rouge, en ajoutant la permission d'avoir une doublure de soie rouge à leurs tabliers, avec défense à toute autre loge de porter le même habit.
4° Les frères de la loge de stewards (à l'exception du maître et des frères surveillants) n'ont point de voix dans la G? L?, hormis dans les cas économiques.
5° Cette loge reçoit l'argent pour les jours de fêtes et prend soin des arrangements ; mais si les frais ne suffisent pas, leur loge est aussi obligée d'y suppléer, sans que cela retombe à la charge des autres loges. Depuis que cette loge est établie, elle s'est toujours chargée seule du soin de régler ce qu'il faut pour le jour de la grande fête.
LXX. - Toute G? L? a pleinement droit et autorité de faire pour le soutien de l'ancienne société maçonnique de nouvelles ordonnances et de changer celles-ci, de façon pourtant que les anciennes ordonnances ne soient point lésées et que les nouveaux statuts que l'on pourrait établir soient présentés par écrit dans une des premières assem-
(1) À la Corne d'abondance ; cette loge figure sous le tableau de Steele.
92 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
blées à la délibération des frères, et cela avant le jour de la grande fête, car le consentement unanime de tous les frères est indispensablement nécessaire pour donner aux susdites ordonnances force de loi ; dans cette vue, on doit demander solennellement ce consentement d'abord après le repas : au reste, il n'est permis à qui que ce soit, ni à aucune société, de faire de sa propre autorité une innovation quelconque dans la rue.
LXXI. -- En conséquence d'une décision et déclaration donnée en bonne forme le 25 novembre 1723, toute loge légalement assemblée a droit de perfectionner ou d'adapter aux circonstances particulières les ordonnances contenues dans le livre imprimé des constitutions, qui a paru par ordre de la G? L? d'Angleterre ; mais rien dans ce livre n'ose être altéré sans l'aveu de la plus ancienne loge ; et l'on ne doit point reconnaître dans aucune loge légale tel livre des constitutions qui aurait été ainsi réimprimé avec des changements.
C'est avec cette organisation matérielle que s'installa la f?-m? spéculative entre les années 1717 et 1723.
Essayons maintenant de dégager de ces documents les parties essentielles qui peuvent faire comprendre les tendances et le but des fondateurs.
Quelles étaient les bases de l'association maçonnique ? Quelle était sa portée pratique ? Quelles pouvaient être les conséquences philosophiques et sociales d'une semblable organisation ?
Pour bien comprendre la portée de ces documents, il faut d'abord en dégager le sens symbolique qui cache le sens véritable.
Les nouveaux maçons ne construisent plus pour des propriétaires, particuliers, collectivités ou États. Lorsqu'ils parlent des intérêts des propriétaires ou des seigneurs qui ont commandé le travail, il s'agit des chefs de l'ordre, ou mieux de l'ordre lui-même.
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 93
Lorsqu'ils font allusion au payement du travail, cela veut dire l'avancement de grade donné en récompense du zèle des initiés. Enfin il faut rapporter tous les conseils, les approbations ou les désaveux à la f?-m?.
Le travail à faire, c'est l'organisation et le développement de l'ordre ; la construction du temple à édifier, la suppression par la mort de ceux qui y mettent obstacle, c'est le but philosophique, et social de la maçonnerie à réaliser, en supprimant tout ce qui paralyse les moyens d'y parvenir.
Le maçon est obligé d'obéir à la loi morale, et ne pas être un athée stupide ou un libertin sans religion, veut dire qu'on doit obéir aux règlements maçonniques et croire à la religion de l'ordre. En ne prenant parti pour aucune des religions pratiquées ni pour aucune nation, cela veut dire que ces religions et ces nationalités doivent être indifférentes.
On engage le maçon à n'entrer dans aucun complot contre les gouvernements existants quels qu'ils soient ; c'est leur enseigner l'indifférence en matière de sociétés civiles.
Néanmoins, si un frère était rebelle à l'État, on ne pourrait l'exclure de la loge, c'est-à-dire qu'on devrait lui venir en aide.
On ne doit initier aucune personne ayant une mutilation pouvant l'empêcher d'apprendre l'art, et servir le seigneur de son maître : ceci veut dire qu'on ne peut recevoir aucun individu ayant des idées contraires aux dogmes maçonniques.
Travailler honnêtement les jours ouvriers (sic) et vivre honorablement les dimanches et jours de fêtes veut dire : participer avec zèle aux travaux de l'ordre et s'abstenir les autres jours, même d'en parler.
Tous les outils dont on se servira pour travailler
94 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
seront approuvés par la G? L? veut dire que tous les arguments dont on se servira, tous les dogmes qu'on invoquera, devront être conformes à la doctrine de l'ordre.
Vous devrez être circonspects dans vos paroles et dans vos démarches, en sorte que l'étranger le plus pénétrant ne puisse découvrir ou trouver ce qu'il n'est pas propre à entendre, et ne point faire connaître à vos parents et à vos amis ce qui concerne la loge veut dire : ne divulguez pas les secrets de l'ordre, même à vos parents et à vos amis.
Les disputes entre f?-m? doivent être jugées par le tribunal de la loge.
Les maçons sont donc des sectateurs de la religion universelle, et ils sont en même temps de toutes les nations.
Quant au procédé matériel à employer pour constituer les chefs et les officiers de l'ordre, recevoir les initiés, les juger, les chasser ; quant aux décisions d'ordre général ou particulier à prendre pour la propagation ou la sécurité de l'ordre, tout cela est expliqué très en détail dans un document qui fait suite aux ordonnances générales et qui fait partie du manuscrit provenant du G? M? le prince Murat.
Ce document a pour titre : Lois du Ballottage, qui doit s'interpréter, probablement à la suite d'une traduction insuffisante, par : règles du scrutin. Il se compose de 22 articles :
I. - Quand un étranger aspirant a obtenu le ballottage et qu'il est affirmatif en sa faveur, il est dès lors même en droit d'être reçu dans l'ordre.
II. - Dans une loge d'élection et de ballottage, tous les frères doivent rester tranquillement assis à leurs places, et personne n'ose quitter la sienne, sous peine de l'amende ordonnée.
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 95
III. - Tout aspirant accusé publiquement en justice d'adhérer à des opinions contraires à la vraie doctrine apostolique, ou chargé de vices honteux et de crimes contre nature, est exclu de l'ordre par une seule balle noire.
IV. - Si quelqu'un, après qu'on a ballotté en sa faveur, laisse écouler trois ans sans demander sa réception, on doit effacer son nom et il faut qu'il s'annonce de nouveau pour obtenir le ballottage.
V. - Le fils d'un f?-m? a le droit d'être reçu préférablement à des princes et à des rois et d'obtenir par conséquent avant eux le ballottage, bien entendu s'il est doué des qualités requises à tout frère de l'ordre.
VI. - Un étranger peut obtenir le ballottage dans sa vingt-quatrième année, et le fils d'un f?-m? dans sa vingt et unième ; on peut même, si sa conduite est décente et d'un homme fait, fixer un terme à vingt et un pour le premier et à dix-huit pour le dernier ; mais jamais au-dessous, et l'on ne doit avoir que fort rarement une telle condescendance.
VII. - Un frère ne doit jamais proposer quelqu'un pour frère servant, à moins que celui-ci n'ait été pour le moins trois ans à son service, de façon qu'il soit bien assuré de sa capacité et qu'il puisse en conséquence après le ballottage être son premier parrain.
VIII. - Après avoir ballotté pour un étranger et lorsque la réception s'est trouvée en sa faveur, on nomme trois parrains, entre lesquels celui qui l'a proposé doit toujours être le premier.
IX. -- Tous les frères f?-m? en général peuvent proposer des étrangers aspirants, pourvu néanmoins que celui qui propose soit en état de s'acquitter des fonctions de premier parrain et qu'il ait assez de capacité et des lumières suffisantes pour instruire de ses devoirs et de ses obligations celui qui doit être reçu ; c'est ici qu'un frère encore novice doit prendre garde de ne pas user de son droit avant qu'il se soit bien mis au fait de toutes les parties relatives aux instituts et travaux de notre ordre.
X. - Quand toutes les voix ont été reconnues favorables,
96 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
c'est-à-dire que tous les cailloux se trouvent blancs, on félicite alors, selon la forme ordinaire, celui en faveur duquel le ballottage s'est fait, en s'adressant pour cela à celui qui l'a proposé.
XI. - Lorsqu'il se trouve une seule balle noire, le G? M? déclare que la réception aura lieu sans qu'il soit nécessaire de s'informer qui est le frère qui a mis la balle noire.
XII. - Deux balles noires n'empêchent pas que la réception ne soit également déclarée bonne ; il faut seulement alors que la loge en reconnaisse une, et le G? M? selon son droit, l'autre pour bonne ; dans ce cas on ne demande pas de savoir pourquoi on a mis les balles noires.
XIII. - Trouve-t-on trois balles noires, la réception est remise jusqu'à la première assemblée, afin que, dans cet intervalle, ceux qui ont mis les balles noires puissent alléguer au G? M? les motifs qui les y ont déterminés. Celui-ci indique ensuite à la loge le jour qu'elle doit s'assembler de nouveau.
XIV. - Dans le cas de 4 ou 5 balles noires, la réception est retardée de six semaines, si avant la première assemblée on déclare au G? M? les raisons qui les ont fait mettre.
XV. - Lorsqu'il se trouve 6 ou 7 balles noires et que l'on indique les motifs avant le premier jour de loge, la réception est renvoyée à trois mois.
XVI: - Y a t-il plus de 7 balles noires et se trouve-t-il sept frères qui en donnent des raisons valables, alors l'aspirant est exclu pour toujours, ce dont alors on fait part à toutes les loges.
XVII. - Quand il y a plus de 7 balles noires, mais que sept frères n'allèguent aucun motif pourquoi on les y a mises et que d'ailleurs ces balles n'excèdent pas le tiers des frères qui sont présents, alors la réception peut néanmoins être déclarée favorable après trois mois.
XVIII. - Si aucun des frères qui ont mis les balles noires ne s'annonce dans le terme prescrit et suivant le
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 97
nombre que les § 13, 14, 15, 16 et 17 déterminent, la loge déclare alors la réception pour bonne, pourvu néanmoins que le nombre des balles noires n'excède pas le tiers des frères présents dans la loge
XIX. Nul G? M? n'ose, sans manquer à sa foi et à sa fidélité de f?-m?, nommer un frère qui a mis une balle noire, si celui-ci ne le souhaite lui-même dans la loge, et cela, sous peine de perdre sa place de G? M? et d'être exclu pour trois ans des loges de f?-m?
XX. - On ne refuse jamais le ballottage à un étranger aspirant, à moins qu'il n'ait été déjà annoncé dans une autre loge et qu'il en soit protégé ; c'est pourquoi les secrétaires des loges doivent s'informer mutuellement des ballottages ; mais si, par erreur, on avait ballotté en deux endroits différents, alors la loge qui la première a accordé le scrutin à un aspirant, a exclusivement le droit de le recevoir.
XXI. - Si, par méprise, on avait mis une ou plusieurs balles noires, les frères qui se sont trompés peuvent, après une permission préalable, le dire et déclarer alors ainsi leur balle blanche.
XXII. - Le G? M?, avec ses six officiers, ont droit de renvoyer le ballottage de quelqu'un à un autre temps, afin de ne pas l'exposer, lorsqu'ils peuvent prévoir que les voix ne seraient pas favorables.
Il faut le reconnaître, tous ces statuts, devoirs, règlements, sont rédigés avec le plus grand soin, étudiés avec la plus profonde habileté, pour assurer la continuité de l'Ordre, son expansion, sa régularité et la conservation de son secret des premiers jours. Alors que le but dissimulé était d'étudier, en dehors de toute confession régulière, les rapports de l'homme avec la création, ainsi que nous l'avons dit, cette question devint secondaire, épuisée, lorsque la maçonnerie en
98 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
arriva au panthéisme et au naturalisme ; mais les principes qui avaient présidé à son organisation matérielle se développèrent rapidement et prirent, à l'insu même des maçons, une importance prépondérante ; avant même que l'idée de Dieu ait été bannie de leurs doctrines, les idées d'égalité sociale imprégnèrent leurs mentalités, à tel point qu'elles se manifestèrent avant leurs idées antireligieuses, qui triomphèrent à leur tour, non pas comme unique but de la maçonnerie, mais comme conséquence de l'application de leurs théories d'égalité à l'au-delà, après les avoir appliquées dans la vie sociale et politique ; non seulement ils s'imprégnèrent, mais encore ils firent adopter leurs doctrines à la France et à l'Europe entière, à ce point que, de nos jours, il faut n'avoir aucune aspiration politique en vue pour oser attaquer de front ce qu'on est convenu, bien à tort, d'appeler le secret de la f?-m?, devenu la raison d'être des sociétés nouvelles.
Comment cette idée d'égalité se développa-t-elle au point de devenir le fondement essentiel de la doctrine maçonnique ?
Cette évolution peut s'expliquer par l'habitude et l'abus constant, ainsi que par les discussions continuelles dont l'application de ces principes d'égalité fut le prétexte lorsqu'on introduisit, pour des besoins financiers ou pour la propagande, des nouveaux adeptes recrutés dans un monde de gens d'intelligence et d'éducation plus vulgaires que les maçons primitifs. Les plus humbles tenaient avec férocité à être traités sur le même pied que les hommes de plus haut rang par la naissance, par le savoir ou par la fortune. Les luttes de loge à loge pour avoir la préséance en raison de leur ancienneté n'y furent pas non plus étrangères. Ne suffit-il pas aussi qu'une idée flatte les mauvais instincts de l'homme, son
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 99
orgueil, son envie ou sa haine pour qu'elle soit accueillie avec faveur ?
Les mots de liberté, égalité, fraternité sont bien en effet des étiquettes maçonniques. Ce sont bien les vertus que les maçons doivent pratiquer entre eux, mais entre eux seulement.
Le profane, en effet, celui qui est dans les ténèbres, fait partie d'une humanité différente du monde maçonnique ; lui n'est pas un égal ; c'est à peine si le maçon le considère comme une plante de la vaste pépinière dans laquelle il sélectionne ses rejetons ; mais, afin de déterminer les vocations, il contamine la pépinière entière, en la développant en vue des doctrines qui doivent dominer en lui ; en faisant naître chez le profane des doutes au sujet de ses croyances religieuses, il le conduit ainsi à la religion maçonnique.
Le maçon est organisé pour agir, le profane ne l'est pas ; le premier, quoique insignifiant comme nombre, doit triompher du second ! C'est fatal. Tous les initiés concourent au même but, les autres suivent des voies différentes et sont isolées ; autre source de succès pour l'Ordre.
Mais aussi combien parfaite est son organisation ! Avec quel soin jaloux tous les éléments de discorde ont été prévus ; avec quelle habileté ils sont paralysés ! Quelle connaissance du coeur humain, de ses faiblesses et de ses vices ! Combien les profanes devraient lire et méditer l'organisation matérielle de la maçonnerie ! C'est sa seule force et c'est ce qu'on peut appeler son secret. Aussi quel travail ont accompli les fils d'Hiram depuis deux siècles qu'ils sont fortement organisés ! Pendant que leurs adversaires effarés s'attardent à se moquer de leurs outils, de leurs atours, de leurs cérémonies initiatiques, qui ne sont que la parade du mystère
100 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
social qui se joue derrière leurs tréteaux, pendant qu'ils s'épuisent à la recherche d'un secret qu'ils ne peuvent imaginer, le maçon construit son Temple ; au moindre danger il interrompt ses travaux, il disparaît ; on le croit dompté, il s'organise pour un nouveau combat ; on le croit mort, il sommeille. Le maçon a tout prévu, tout, sauf le Dieu créateur, sauf le grain de sable lancé par la Providence, atome de l'univers, plus puissant que l'humanité. Aussi, comme il le craint ce Dieu de miséricorde et de justice, comme il l'attaque ! Seul obstacle à son triomphe final et définitif, il ne faut pas que ce Dieu soit ; c'est avec rage qu'il nie son existence. Sous sa férule impitoyable, comme l'humanité qui croyait a été précipitée dans le Temple du Néant !
N'assistons-nous pas, en réalité et non au figuré, à la réalisation du rêve de Thomas Morus ? A côté des théories philosophiques modernes, celles des kabbalistes, des théosophes, des cacomages, ne sont-elles pas plus voisines de celles des Pères de l'Église, que celles de ceux qui, sous prétexte de sagesse pratique, se posent en défenseurs du rationalisme ou du naturalisme pur ? Tout en invoquant la possibilité d'avoir une solution dans le sens chrétien et même catholique, certaines doctrines modernistes sont-elles moins dangereuses que celles de Saint-Martin, de Swedenborg ou de Willermoz ?
Sont-elles moins dangereuses surtout que celles que préconisent les plus modérés d'entre les f?-m? de la fin du XIXe siècle, ignorants peut-être de certaines choses de leur art, mais d'une mentalité suffisamment maçonnique pour ne pas être en contradiction avec les doctrines de leur ordre, parmi lequel ils ont des adeptes complètement convaincus ?
Nous voulons parler des ff? Findel, Ragon et
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 101
Jouaust, qui passent dans le monde du Grand Orient pour les seuls véritables auteurs maçonniques, et des ff? Daruty et Oswald Wirth, qui ont le même crédit auprès des loges écossaises.
Voyons ce que disent les uns et les autres.
Findel (1) se fait l'écho d'un autre écrivain maçonnique dont il adopte les définitions. A certains égards, c'est du Raymond Lulle et du Paracelse.
D'après Seydel, dit-il, la maçonnerie, en tant que disposition de l'âme, peut être assimilée au sentiment religieux ; la dévotion, la ferveur dans la prière, est une disposition toute maçonnique. La prière est l'acte du renoncement, de l'abandon, de l'abnégation complète de soi en présence du Dieu saint et éternel.
Dans l'âme humaine il y a deux tendances qui se combattent ou se concilient : le sentiment de la personnalité ou égoïsme et le sentiment idéal ou religieux.
Or, le sentiment religieux est hors de soi, car ce qui constitue le bien est la négation du moi devant une puissance idéale que la religion appelle Dieu, et le mal consiste dans l'empire absolu du moi : « La f?-m? est donc cette disposition de l'âme pour laquelle la tendance idéale, ou vers le bien, domine sur le penchant contraire, et cette domination de la tendance idéale, obtenue à un degré quelconque, est la seule condition nécessaire pour faire partie de la f?-m?. »
La société maçonnique n'est pas la réalisation d'un plan déterminé, c'est une institution en voie de développement et d'extension.
(1) Histoire de la F?-M?, I, p. 13 et suiv.
102 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
L'idéal poursuivi, c'est la situation par laquelle la volonté de Dieu est devenue la volonté de tous. Comme la f?-m? travaille à faire de ses adeptes des hommes de bien, elle les forme également et nécessairement à devenir des membres fervents de leurs religions respectives. Il proteste donc contre le reproche fait à la f?-m? de favoriser l'indifférence en matière de religion.
Et il explique que les loges régulièrement constituées portent le nom de loges de Saint-Jean, parce qu'elles honorent le saint précurseur comme leur patron dans les trois grades d'élèves, d'ouvriers et de maîtres.
Les principaux emblèmes de la f?-m? sont ceux de la profession de véritables maçons, dont le but est de construire le temple de Salomon ; chaque maçon doit tendre vers la lumière, la vérité et la vertu ; d'autres emblèmes sont tirés de la Bible, des mystères anciens et des écrits des Rose-Croix.
Dans les oeuvres du frère Ragon (1), la f?-m? a pour caractère fondamental l'universalité. Ce caractère est indispensable à son essence. Elle est une, et tout rite ou toute nation qui s'écarte de ce principe s'égare et sort de la voie maçonnique.
On a dit : la fraternité universelle engendrera l'unité. Qu'est-ce réellement que la fraternité universelle, si ce n'est la maçonnerie, dont les membres épars chez tous les peuples du globe tendent à n'en faire un jour qu'une seule famille de frères, pour arriver à l'unité de l'humanité ?
(1) Orthodoxie maçonnique, p. 354, 463 et suiv.
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 103
Ragon souhaite que la maçonnerie n'ait qu'un centre unique d'où elle rayonnera sur toutes les nations, afin de pouvoir créer l'unité hominale.
Ragon est un panthéiste, très voisin du matérialisme. Selon lui, le soleil est l'auteur de la substance universelle, et cependant il n'est point Dieu ; serait-il la résidence d'où Dieu anime l'univers ? Dieu est tout et tout est Dieu, ou tous dans un et un dans tous.
Dieu ne pouvant faire le néant, ni cesser d'être, deux barrières sont élevées contre sa toute-puissance. L'homme peut, en quelque sorte, franchir cette dernière, car il peut se détruire, cesser d'être homme ; il devient quelque chose, mais il n'est plus homme.
Le néant ne peut donc avoir lieu tant que Dieu sera. Dieu ne peut le faire. Le néant limiterait son infini, Dieu deviendrait fini ; il ne serait plus Dieu, ce qui ne peut pas être ; car rien, dans l'univers, ne se renouvellerait plus.
Donc, Dieu ne peut faire ni souffrir le néant, parce que Dieu ne peut cesser d'être. Il est tout: il est la toute-puissance, l'intelligence universelle, qui crée, anime tout. L'univers visible, dont il est le génie conducteur et conservateur, est Dieu manifesté.
Puis sans se proclamer matérialiste, Ragon prend la défense de cette doctrine qu'on ne peut confondre, dit-il, avec l'athéisme qui n'existe pas. La seule division qui existe, parmi les hommes de bonne foi, est dans la question de savoir si la cause de toute existence est spirituelle ou matérielle, c'est-à-dire isolée ou dépendante de la matière, ou bien inhérente à la matière et en faisant partie intégrante.
104 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Pour le f? Jouaust (1), la f?-m? a pour but l'amélioration morale et matérielle de l'homme, pour principe la loi du progrès de l'humanité, les idées philosophiques de tolérance, de fraternité, d'égalité, de liberté, abstraction faite de la loi religieuse, des nationalités et des distinctions sociales. Ce n'est pas une société secrète, parce que dans les pays où elle n'est pas persécutée « elle publie, dit-il, ses lois, règlements, tendances et travaux..., la liste de ses membres, leurs lieux et dates de réunions », et il adopte les conclusions de la constitution de la G? L? de Hambourg, en reconnaissant que « les symboles et leur explication pour atteindre le but proposé sont les seuls secrets de la f?-m? »
Le f? Emile Daruty est certainement, de tous les écrivains maçonniques contemporains, celui qui a fait l'oeuvre la plus documentée sur l'histoire de son Ordre (2) ; son livre, malheureusement incomplet, est écrit de bonne foi, et si l'on ne peut le suivre dans ses querelles avec le Grand Orient de France, car c'est un fervent adepte du rite écossais, les documents qu'il reproduit sont loyalement présentés et peuvent être utilisés avec sécurité par tous les historiens.
La f?-m?, selon Daruty est une alliance humanitaire, philanthropique et progressive, qui a pour bases et pour principes l'amour de la vérité et de la justice, la loi du progrès de l'humanité et les idées philosophiques de liberté, d'égalité, de fraternité, de respect et de solidarité... elle a pour objet l'exercice de la bienfaisance, la recherché de la vérité, l'étude de la morale
(1) Hist. du Grand Orient, p. 5 et suiv.
(2) Recherches sur le rite écossais ancien accepté.
L'ORGANISATION PRIMITIVE ; SON ÉVOLUTION 105
universelle, des sciences et des arts, et pour but, par l'instruction qu'elle recommande à ses adeptes d'acquérir et de propager, la vulgarisation du vrai, du beau et du bien, et, par suite, l'amélioration intellectuelle et morale de l'homme et de la société. Elle considère la liberté de conscience comme un droit absolu, propre à chaque individu... elle fait abstraction de la foi religieuse ou politique des membres, de leurs nationalités et des distinctions sociales, elle interdit toutes délibérations concernant des matières politiques et religieuses. Aussi quoiqu'elle proclame, sous le nom de « Grand Architecte de l'univers », la reconnaissance d'un principe originaire, laisse-t-elle à chacun; sur la nature même de ce principe, ses vues particulières et s'abstient-elle de tout acte confessionnel (1).
Nous terminerons ces énoncés de doctrines maçonniques par celles de M. Oswald Wirth (2), un des maçons écossais les plus intéressants de notre époque ; il connaît son art, il est partisan des traditions et les a étudiées, et, ce qui est plus rare, il les divulgue sans crainte de s'attirer ainsi les foudres du Grand Orient (3). Il n'a pas fait acte de trahison ; mais, ce qui est plus grave, il a parlé en enfant terrible, faisant remarquer qu'il pouvait parler après Ragon et Clavel. Il
(1) On sait que depuis plusieurs années le G? O? a supprimé le G? A? de l'Univ? de ses rituels. Quant à la politique, c'est la préoccupation constante de ses tenues.
(2) Le livre de 1' apprenti.
(3) Rapport confidentiel au grand collège des rites (novembre 1895) par le f? Amiable. Dans ce rapport, M. O. Wirth est malmené de la façon la plus discourtoise en même temps qu'un autre f? d'Orléans, le f? Doinel.
106 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
a donc dit ce qu'il savait. Comme M. O. Wirth est le descendant des alchimistes et des kabbalistes, il nous montre le lien qui les rattache aux f?-m? du XVIIIe siècle et à ceux des FF? nos contemporains qui ont conservé les traditions.
Les auteurs, dit-il, qui ont étudié la f?-m? dans son ésotérisme, c'est-à-dire dans son enseignement caché, ont beaucoup insisté sur l'importance de la question que le vénérable d'une loge pose au visiteur : D'où venez-vous ?
Elle doit être prise par le penseur dans son sens le plus élevé et conduire ainsi au problème de l'origine des choses. L'apprenti doit chercher d'où nous venons, le compagnon ce que nous sommes, et le maître où nous allons. Ces trois questions formulent l'éternelle énigme que toute science et toute philosophie tendent continuellement à résoudre.
En toute association il faut, dit-il plus loin, distinguer l'idée de la forme : l'idée ou l'esprit agit en tant que générateur abstrait ; c'est le père de la collectivité, dont la mère est représentée par le principe plastique qui lui donne sa forme. Ces deux éléments de génération et d'organisation sont représentés en maçonnerie par deux colonnes, dont la première (masculine active) fait allusion à ce qui établit et fonde, tandis que la seconde (féminine passive) se rapporte à ce qui consolide et maintient.
C'est dans ce but que la f?-m? est l'alliance universelle de tous les hommes de coeur qui éprouvent le besoin de s'unir pour travailler en commun au perfectionnement intellectuel et moral de l'humanité. M. O. Wirth développe ensuite le but de la f?-m? en développant à peu près les mêmes idées que le f? Jouaust.
Puis, dans l'explication des phases de l'initiation,
L'ORGANISATION PRIMITIVE SON ÉVOLUTION 107
M. O. Wirth nous fait voir comment la f?-m? est encore demeurée en contact avec les idées des anciens alchimistes, en plaçant le récipiendaire entre deux vases contenant l'un du sel et l'autre du soufre.
Le soufre correspond à l'énergie expansive qui part du centre de tout être (colonne J) ; son action s'oppose à celle du mercure qui pénètre toutes choses par une influence venant de l'extérieur (colonne B). Ces deux forces antagonistes s'équilibrent par le sel, principe de cristallisation, qui représente la partie stable de l'être.
Lorsqu'on demande, dans la chambre de réflexion, au récipiendaire quels sont ses devoirs envers Dieu, envers lui-même et envers ses semblables, voici ce que M. O. Wirth répond :
Cette division ternaire de toutes nos obligations morales est basée sur lés trois principes alchimiques.
Dieu est ici l'idéal que l'homme porte en lui-même ; c'est la conception qu'il peut avoir du vrai, du juste et du beau, c'est le guide suprême de ses actions, l'architecte qui préside à la construction de son être moral (il ne s'agit point là de l'idole monstrueuse que la superstition se forge sur le modèle des despotes terrestres). La Divinité est représentée par l'homme, par ce qu'il y, a en lui de plus noble, de plus généreux et de plus pur. Nous portons en nous un Dieu qui est notre principe pensant. De lui émanent la raison et l'intelligence, choses intérieures, que les hermétistes rapportaient au soufre. (Le soleil occulte qui brille dans le séjour des morts ; Osiris ; Sérapis ; Pluton ; la colonne J, centre d'initiative et d'action expansive.) Les devoirs envers soi-même sont relatifs au sel, essence de la personnalité, et les devoirs envers ses semblables au mercure, qui figure l'influence pénétrante du milieu
108 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
ambiant. Or, tout est nécessairement compris dans la réunion du contenu (soufre), du contenant (sel) et de l'ambiance (mercure).
Sous des formules plus techniques, d'apparences plus scientifiques, on le voit, il est encore parmi les maçons des adeptes zélés qui remontent à l'alchimie et à la kabbale, aux combinaisons de nombres auxquels ils attribuent des propriétés intrinsèques ; les maçons spéculatifs se complaisent encore dans la science de ce qui n'est pas visible, science qui ne se révèle qu'à celui qui sait regarder au dedans de soi, science de la vérité intégrale aussi certaine que les mathématiques.
Ceux qui voudront étudier les arcanes de l'hermétisme et les propriétés des nombres depuis l'unité jusqu'au quaternaire pourront lire avec intérêt le Livre de l'apprenti aussi bien que la Médecine philosophale de M. O. Wirth. Cette lecture sera d'autant plus utile à la compréhension de l'ésotérisme maçonnique que si l'auteur a des hypothèses que nous ne croyons pas exactes et que, de plus, nous estimons dangereuses à agiter pour la pauvre cervelle humaine, a utilisé dans sa discussion l'a fait avec compétence et sincérité.
CHAPITRE IV
CHARLES RADCLYFFE, COMTE DE DERWENTWATER ;
LE PRÉTENDANT CHARLES ÉDOUARD
Les ancêtres. - Les deux frères. - Les premières loges en
France. - Le Grand Maître. - Charles-Edouard Stuart. -
Culloden. - Le chapitre d'Arras. - Vincennes. - La fin d'une race. - Les persécuteurs et les martyrs. - L'échafaud de Tower-Hill. - Les descendants.
Tous les historiens qui ont étudié les origines de la f?-m? française, à, quelque parti qu'ils appartiennent, désignent Charles Radclyffe, lord Derwentwater, comme le premier grand maître de la franc-maçonnerie française en 1725, et la plupart lord Harnouester comme ayant été son successeur de 1732 à 1738.
Charles Radclyffe fut, en effet, le premier grand maître de la f?-m? jacobite en France, mais il ne le fut qu'à partir de 1732 ; quant à lord Harnouester, il n'a jamais existé (1).
Le premier grand maître de la franc-maçonnerie française ne fut pas lord Derwentwater, mais le duc d'Antin (1738-1743).
Pour étudier ce problème obscur et embrouillé de l'introduction de la f?-m? en France, nous devrons
(1) M. Teder croit que lord Harnouester était le duc de Richemond, parce que ce petit-fils de la duchesse de Portsmouth aurait reçu de la G? L? de Londres une patente l'autorisant à constituer des Loges en France.
110 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
entrer dans quelques détails sur la formation des premières loges et sur le rôle considérable joué par Charles Radclyffe et surtout par le prétendant Charles-Edouard à partir de 1744.
Cette étude fera comprendre comment, dans la première moitié du XVIIIe siècle, beaucoup de braves gens entrèrent dans la f?-m? sans se douter du rôle qu'ils seraient appelés à jouer par la suite.
Il ne sera pas sans intérêt de faire voir comment Charles Radclyffe mourut en bon chrétien et en parfait royaliste ; il ne sera pas sans intérêt non plus de constater que, par un singulier concours de circonstances, celui qui introduisit en France les éléments de destruction de la religion et de la monarchie était, en même temps, un descendant des Stuarts et des Bourbons.
Les Radclyffe appartenaient à une des plus anciennes familles d'Écosse, et jusqu'à l'extinction de leur race ils restèrent fidèles à la maison des Stuarts.
Leur fortune, considérable dès le moyen âge, s'était accrue en 1417 des terres de Derwentwater, par suite du mariage de Nicolas Radclyffe avec l'unique héritière de John de Derwentwater.
Un Francis Radclyffe ayant épousé Isabelle Grey fut créé baronnet le 31 janvier 1619 par Jacques VI d'Ecosse (Jacques le, d'Angleterre). Il mourut en 1622, laissant 13 enfants.
Son héritier Edward (1589-1663) épousa Elisabeth, fille de Thomas Barton, de laquelle il eut huit filles et un fils, Francis (1624-1697), qui eut de Catherine, fille de William Fenwick, cinq fils et deux filles. Il avait été créé comte par Jacques II, le 7 mars 1688. L'héritier du nom, Edward (j- le 29 avril 1705), avait épousé, le 18 août 1687, une fille naturelle de Charles II et de
CHARLES RADCLYFFE 111
Mary Davies, actrice célèbre, qui fit partie de la troupe de William d'Avenant, directeur du théâtre de Lincoln's Inn Fields de Londres. Mary chantait et dansait à la perfection. La chronique théâtrale anglaise raconte que, le 7 mars 1666, elle dansa une gigue en culotte d'homme, ce qui était alors une innovation audacieuse, qu'elle renouvela le 5 août 1667 avec le plus grand succès. Par ce triomphe l'artiste, qui était aussi une jolie femme, attira l'attention de la Cour et elle figura souvent dans les représentations que le frère de Charles II, le duc d'York (Jacques II), donnait dans son palais. Dès 1670, elle était la maîtresse du roi, et elle en eut, le 16 octobre 1673, une fille, Mary Tudor. Richard Fluknor fit sur la mère, en 1670, l'épigramme suivante :
Dear miss, delight of all the nobler sort,
Pride of the stage, and Darling of the Court.
Chère demoiselle, délice de toutes les plus nobles destinées,
Vous êtes l'orgueil de la scène et la favorite de la Cour.
Il existe trois délicieux portraits de Mary Davies : deux de Lely et un de Kneller.
En 1706, la veuve d'Edward Radclyffe épousa, en secondes noces, Henry Graham, et en août 1707, en troisièmes noces, James Rocke. Fidèle aux Stuarts, elle avait quitté l'Angleterre et mourut à Paris le 5 novembre 1726, laissant trois enfants de son premier mariage : James, Mary et Charles.
James, né à Londres le 28 juin 1689, suivit, avec sa famille, Jacques Il à Saint-Germain-en-Laye, et fut élevé à la cour que tenait cet infortuné prince, grâce à la générosité de Louis XIV. Le 10 juillet 1712, il épousa Anna Maria, née en 1693, fille de sir John Webb de Cauford, baronnet, et de Barbara, fille de John Bellasysa, baron de Worlaby. Comme nous le verrons plus
112 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
loin, James mourut exécuté en 1716; quant à sa veuve, elle mourut dans un couvent de Louvain le 30 août 1723, laissant une fille et un fils.
La fille, Anna Maria Barbara, née en 1715, épousa, le 2 mai 1732, Robert James, VIIIe lord Petre, né en juin 1713 et dont la descendance est représentée de nos jours par des héritiers directs.
Le fils John, né en 1714, fit ses études à l'Académie d'Angers et mourut à Londres, le 31 décembre 1731, à l'âge de 17 ans, chez John Webb, son grand-père maternel, Great-Marlborough street, des suites d'un accident de voiture ; comme il ne laissait pas d'héritier direct, ses titres échurent à son oncle Charles Radclyffe, qui ne porta donc le titre de 5e comte de Derwentwater qu'en 1732.
Charles, né à Little Parndon (Essex), le 3 septembre 1693, passa la plus grande partie de son enfance à la cour de Jacques II, à Saint-Germain, et à celle de Jacques III, à Rome. Il avait beaucoup de goût pour l'étude et avait la réputation justifiée d'être un homme fort instruit. Elevé dans la religion catholique, il n'aurait pas échappé, dit-on, aux influences philosophiques, et c'est seulement dans les dernières années de sa vie qu'il serait revenu aux pratiques de la religion de son enfance.
Au point de vue militaire, il avait des vertus généreuses et héroïques. Son esprit très alerte et très fin n'avait pas nui à son courage, car il était brave jusqu'à la témérité. N'ayant jamais servi, il ne connaissait rien de la discipline militaire, mais il savait utiliser ses troupes avec beaucoup d'à propos et de discernement.
Esprit curieux, dans ses voyages, il prenait toujours des notes sur les monuments, les faits et les gens remarquables.
CHARLES RADCLYFFE 113
En 1701, le Parlement déclara que seuls étaient accessibles au trône d'Angleterre les princes protestants. C'est pour ces causes que Georges-Louis, électeur de Hanovre, succéda à la reine Anne, sous le nom de Georges 1er. Sa mère, fille du duc de Brunswick-Zell, était petite-fille de Jacques 1er.
La nation anglaise apprit son accession au trône avec indifférence, et même avec animosité. Dès les premiers mois de 1715, il y eut des soulèvements auxquels les jacobites furent en partie étrangers, Jacques III ayant décidé tardivement d'intervenir. Sa tentative de restauration a été maintes fois racontée ; son rôle actif fut du reste de courte durée. Poursuivi par le duc d'Argyle, il dut s'embarquer sur un bateau français avec le comte de Mar et débarqua à Gravelines, pendant que ses partisans continuaient une lutte qui ne devait prendre fin qu'après la bataille de Preston (1), le 15 novembre 1715. Le lendemain, Thomas Pitt écrivait à Robert Pitt : « J'ai reçu avis hier matin à 6 heures, par notre frère, de la reddition des rebelles au nombre de 4 à 5.000 à Preston ; les lords Derwentwater et Widdrington et le fils de Macintosch sont en otages. Ces nouvelles ont été confirmées à 10 heures par un express envoyé par le colonel Nassau au Roi... (2) »
Le rôle des frères Radclyffe avait été considérable. L'attitude de Charles, qui n'avait alors que 22 ans, fut héroïque pendant le combat. Il encouragea ses troupes
(1) Il y eut un soulèvement sans importance en 1718, avec le concours de l'Espagne. Les chefs du parti jacobite furent les lords Keith et Scaforth. Jean Keith, comte de Kintore, fut élu G? M? de la G? L? d'Ecosse le 30 novembre 1138 et G? M? de la G? L? d'Angleterre le 24 décembre 1739.
(2) Manuscrits Fortescue, I, 55.
114 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
jusqu'à la dernière heure ; il proposa de ne pas se rendre et de faire une trouée ; mais il fut obligé de se ranger à l'avis de la majorité. L'armée jacobite, à laquelle on avait promis la vie sauve, se rendit au général Wills.
Néanmoins la répression fut sanglante et frappa les plus nobles têtes : Derwentwater, Wittresdala, Guruwarth, Winthoun, Nairn, Widdrington et Kennir.
James eut la tête tranchée le 24 janvier 1716, bien que des pétitions des deux chambres l'eussent recommandé à la clémence du roi et que la duchesse de Richmond eût fait des démarches personnelles auprès du souverain. Le roi fut inflexible; Walpole, du reste, s'opposa de tout son pouvoir à ce que la grâce fût accordée.
La veille de sa mort, James écrivit à son frère une superbe lettre d'un grand sentiment religieux, témoignant de son amour et de sa fidélité pour les Stuarts (1).
James n'avait demandé à Georges Ier qu'une grâce qui lui fut refusée : être enseveli auprès de ses ancêtres. Le roi, craignant un mouvement populaire, fit transporter ses restes dans le cimetière de Saint-Gilles (Holborn) ; mais s'il faut en croire une légende, ses amis le portèrent secrètement dans le Northumberland, dans la chapelle de Dilston, à côté de son père.
Les ballades écossaises firent souvent allusion à la mort du héros jacobite :
« Albeit that here in London town....
Quoique ce soit mon destin de mourir ici, à Londres,
Oh ! Transportez-moi au Northumberland pour m'y déposer dans le tombeau de mon père ; là, chantez mon Requiem solennel sous les saintes voûtes d'Hexham, et que six
(1) Dilston Hall, p. 136.
CHARLES RADCLYFFE 115
jeunes filles du beau vallon de Tynedale sèment des fleurs sur ma sépulture... »
Une autre ballade raconte que « le jour de l'exécution du malheureux comte, les fontaines du Northumberland répandirent une eau teinte de sang ; le blé porté aux moulins rendit une farine rougeâtre ; une aurore boréale teignit le ciel de lueurs sinistres et les habitants de la province appelèrent ce météore les cierges funèbres de lord Derwentwater ».
Roger Metcalf, qui avait été employé par lady Radclyffe pour embaumer les restes de son infortuné neveu, a rapporté que le confesseur qui avait assisté James lui avait dit que le comte et son frère Charles avaient écrit à lord Tawskind, secrétaire d'État, pour obtenir de le voir une dernière fois, et que cette demande avait été impitoyablement refusée.
Le coeur de James fut envoyé à Angers, dans un couvent de jeunes Anglaises, mais, au moment de la Révolution française, il aurait été transporté dans le couvent des Augustines de Paris.
Charles ne passa en jugement que le 18 mai 1716 à Westminster. Il était accusé de haute trahison. On lui laissa fort peu de temps pour sa défense et il fut, presque sans débat, déclaré coupable. Quelques jours plus tard, avec onze autres captifs, il fut conduit à Westminster dans six carrosses pour entendre sa sentence de mort. Lorsque la voiture dans laquelle il se trouvait traversa Fleet street, elle rencontra la cavalcade qui accompagnait dans la cité le roi Georges 1er, qui allait s'embarquer pour le Hanovre. La voiture des prisonniers s'étant arrêtée devant la porte d'un distillateur, près de Temple Bar, Charles demanda de l'anisette et but avec ses compagnons et le geôlier de la prison de Newgate ; quand il arriva à la Cour de l'Échiquier, il
116 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
était trop tard pour qu'on pût prononcer le jugement.
Grâce à cet incident il obtint, ainsi que quelques-uns de ses compagnons, un sursis jusqu'au mois de juillet, sursis qui fut encore prolongé jusqu'à la fin de l'année. Mais, désespérant d'obtenir son pardon complet, il prépara un plan d'évasion. Le 11 décembre 1716, il parvint à s'échapper du château de Newgate avec 30 prisonniers. Peu après, il put gagner la France ; il habita Paris quelques années, suivant la fortune et les déplacements du prince exilé et s'occupant sans relâche de sa restauration.
Durant tout ce temps, Charles n'avait pour vivre que la mince pension qui lui était accordée par son infortuné maître et quelques secours de son jeune neveu. Il remplissait auprès de Jacques III les fonctions presque gratuites de secrétaire.
Le 24 juin 1724, il épousa à Sainte-Marie de Bruxelles Charlotte Mary (1), fille unique et héritière de Charles Levingtone, comte de Newburgh. Née en 1693, Charlotte Mary était du même âge que Radclyffe ; veuve depuis le 21 février 1719, elle avait épousé en premières noces, en décembre 1713, Thomas Clifford, dont elle avait eu deux filles : Françoise, morte sans alliance le 7 juillet 1771 et enterrée à Chudleigh Church ; et Anne, qui épousa le comte Mahony.
Lorsque Charles Radclyffe (2) épousa Charlotte Mary, il y avait de nombreuses années qu'il était épris de la belle veuve. Il la demanda, dit-on, en mariage seize fois sans succès, et, s'il faut en croire des tradi-
(1) Elle mourut à Londres le 4 août 1755. Il existe un portrait de la comtesse de.Newburgh en mezzotinte cité par Smith.
(2) Charles Radclyffe signait : comte de Derwentwater; mais son fils et ses héritiers signaient Derwentwater, qui est du reste la véritable orthographe (lac de Derwent).
CHARLES RADCLYFFE 117
tions de famille, il n'obtint son consentement que la dix-septième fois en s'introduisant dans la chambre de la comtesse de Newburgh en descendant par la cheminée. Lord Petre possède un fort curieux tableau re-présentant cet incident.
Pour avoir été tardif, le mariage n'en fut pas moins fécond et, à partir de 1725, les enfants se succédèrent rapidement : James Bartholemew ; James Clément ; Charles ; Charlotte ; Barbara ; Tomasina et Mary.
La f?-m? corporative, après s'être transformée presque complètement en f?-m? politique jacobite en Angleterre, en Ecosse et en Irlande, pendant le XVIIe siècle et les premières années du XVIIIe siècle, persista pour la plus grande partie jusqu'en 1717 sous cette forme, pendant qu'une faible partie en Angleterre se rangeait sous la bannière de la maison de Hanovre en devenant spéculative. Pendant tout le XVIIIe siècle nous assistons à la lutte de ces deux courants, bien que la f?-m? écossaise soit, depuis la défaite de Culloden, beaucoup moins importante que la f? m? purement spéculative.
C'est sous la forme de f?-m? jacobite que cette secte fit son apparition en France avec les régiments irlandais et écossais (1).
Comme les Stuarts s'étaient réfugiés à Saint-Germain-en-Laye, il est probable que cette ville fut pendant longtemps le centre de la f?-m? jacobite, et tout
(1) D'après Clavel (120 et 165), la f?-m? aurait été introduite en Allemagne (Hambourg 1733) par les Stuarts. Les réfugiés jacobites dénués de ressources se faisaient de la maçonnerie un moyen d'existence.
118 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
porte à croire que la première loge battant maillet en France fut la Bonne Foi à l'O? des gardes écossaises du roi d'Angleterre (régiment de Dillon). Parmi les membres de cette loge figurent, entre 1700 et 1730, les noms de Lally, Linche, Macdonald, Bourke, Mac-Carthy O'Toolle, Dillon, O'Neil, Butler, FitzGerald, Talbot de Tyrconnel, etc. Le régiment de Walsh avait aussi une loge dont je n'ai relevé officiellement le titre : la Parfaite Égalité, qu'à partir de 1752. On vit figurer parmi ses membres, de 1700 à 1730 : Dorrington, Lesley comte de Rooth, Nagle, Butler, O'Calaghane, Mac Carthy, Wyndham, etc.
Nous retrouverons la plupart de ces noms lors de l'installation en 1726 de la loge Saint-Thomas, ainsi dénommée en souvenir de saint Thomas de Cantorbery, le saint vénéré de l'Angleterre des Stuarts (1).
Il est plus que probable que Charles Radclyffe fut initié par Ramsay, qui était son ami et qu'il rencontrait journellement, soit à la cour de Jacques III, soit chez le duc de Bouillon. S'il faut croire la tradition maçonnique, qui me paraît exacte, Charles Radclyffe aurait été le fondateur de la loge Saint-Thomas. Parmi les membres de cette loge, je n'ai pas trouvé trace de son nom et jusqu'ici je ne suis parvenu à relever positivement que François Heguerty (2), cadet au régiment
(1) Jusqu'à nouvel ordre, je crois devoir reléguer au nombre des légendes la patente de la loge de Dunkerque, soi-disant installée le 13 octobre 1721 par le duc de Montagu. Cette loge ne fut véritablement installée que le 1er mars 1756 par la G? L? de France.
(2) F. Héguerty, cadet le 1er avril 1724, réformé le 30 mai 1730 ; lieutenant 26 juin 1732 ; lieut.-col. le 21 mars 1747 ; cap. des grenadiers le 21 mars 1751 ; retiré en 1757. C'est par erreur que l'écrivain maçonnique, généralement bien informé, le F? Daruty, le désigne comme étant né à l'île Bourbon. Daniel Héguerty, né en effet à l'île Bourbon en 1722, ne pouvait installer une loge en 1726.
FAC-SIMILE DE SIGNATURES DE MAÇONS ÉCOSSAIS. 119
120 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
de Dillon ; Maclean (1) Drummond, duc de Perth ; Dillon ; Middleton, comte de Mommouth ; Douglas ; Sackeville ; O'Brien ; Max Dermott ; comte de Hamilton ; Scheldon ; Talbot, duc de Tyrconneli ; Fitz James; Hyde; Macdonald; Lally.... parmi les Français je trouve un Choiseul, probablement Henri-Louis de Choiseul-Meuse (1687-1754) ; un Tingry, probablement Chrétien-Louis de Montmorency-Luxembourg (1675-1746), qui fut maréchal de France ; Monin ; Leroy ; Salbray ; Picot ou Picod ; Drouin ou Dromy. Il est tellement absurde qu'avec un pareil recrutement on puisse supposer que cette loge ait été installée par la grande loge orangiste d'Angleterre, que je ne m'arrêterai pas un instant à discuter cette supposition. Pour les mêmes raisons, je ne puis admettre que, ni en 1726, ni plus tard, Charles Radclyffe ait été désigné par les loges orangistes pour remplir les fonctions de grand maître de la franc-maçonnerie française, et comme lord Harnouester est le même personnage que lord Derwentwater (2), on peut affirmer que' le premier grand maître de la franc-maçonnerie française fut le duc d'Antin.
D'après une brochure publiée à Francfort en 1744 et citée par Gould (III, p. 139), à la fin de 1736 il n'y aurait eu que 6 loges dans toute la France et pas plus de 60 maçons. A cette époque seulement Derwentwater avait été nominé G? M? comme suc-
(1) Maclean est désigné, par erreur, sous le nom de Maskelyne, qui est l'orthographe résultant du nom prononcé par un Anglais et écrit par un Français.
(2) Lord Harnouester est le nom de lord Derwentwater orthographié par un Français. Comme nous l'avons vu, en 1726 Charles Radclyffe ne pouvait porter le titre de comte de Derwentwater, qui appartenait à son neveu John ; celui-ci étant mort en décembre 1731, Charles Radclyffe prit en 1732 le titre de son neveu.
CHARLES RADCLYFFE 121
cesseur de James Hector Maclean, qui occupait ces fonctions depuis plusieurs années. Cette hypothèse est en partie exacte : Maclean fut simplement maître d'une loge militaire irlandaise (1). Avant Derwentwater, le besoin d'un G? M? de l'ordre de France ne se faisait pas sentir. D'après le St-James Evening Post du 12 mai 1737, il n'y avait en effet que cinq loges à Paris.
Du reste, on trouve fort peu de traces du rôle maçonnique de Radclyffe avant 1730 (2) et, à partir du 3 avril 1732, la loge de Saint-Thomas, par suite de l'influence du duc de Montaigu, se détacha des loges jacobites. Cette loge avait eu d'abord son local chez un traiteur anglais du nom de Hure, au « Louis d'argent ». En 1729, elle dut céder la place à la loge orangiste, qui prit le nom de cette auberge, et dont nous parlerons plus loin. Elle tint des séances, jusqu'en 1735 au moins, soit chez Landelle, rue de Buci, soit à l'Hôtel de Soissons, soit quai de la Rapée. Il dut donc y avoir, pendant un certain temps, deux loges sous le titre de Saint-Thomas : l'une jacobite, l'autre orangiste.
La première loge orangiste qui fut installée en France fut la loge du « Louis d'argent », qui figure sous le numéro 90 dans la liste de Richard Steele (1732) ; l'installation eut lieu le 12 juin 1729, rue de la Boucherie, à « la Ville de Tonnerre », chez Debure, cousin germain
(1) Je n'ai pas trouvé la trace de James Hector Maclean ; par contre, j'ai rencontré les noms de deux membres de cette famille : John Maclean, qui avait épousé Marie Macpherson, et le chevalier Alexandre Maclean, capitaine dans le régiment de Dorrington, qui avait épousé Marie Chilton.
(2) En 1743, au moment du décès de son fils Charles, il est encore à Saint-Germain, avec Alexandre de Montgomery, comte d'Eglentoun, le comte de Middleton, Georges Lesley et Alexandre Home.
122 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
du premier vénérable ou mieux maître de cette loge : André-François Lebreton, alors âgé de 21 ans, étant né le 21 août 1708, et qui fut le premier maître de loge anglais de France, ce qui établit que sa loge n'avait aucun rapport avec la loge jacobite de Saint-Thomas. En 1740, la loge du « Louis d'argent » porte le n° 78 (Pike) et elle est désignée sous le nom suggestif de « King's Head », Tête de Roi ; en 1763, elle porte le n° 49 (Cole); elle avait encore remplacé Saint-Thomas à la taverne de « la Ville de Tonnerre ». En 1735, elle était présidée par Desaguliers et le duc de Richmond ; en présence du comte de Waldegrave (1), ambassadeur d'Angleterre, du président de Montesquieu, du marquis de Lomuren, de lord Dursley, de Fitz-James, de Knight père et fils, de Hickam, etc., elle initia le duc de Kingston, le comte de Saint-Florentin et lord Chewton, fils du comte de Waldegrave. C'est de cette loge que se détacha une loge, une fille comme on disait alors, qui prit le nom « d'Aumont » lorsque le duc de ce nom en fut nommé vénérable (2). Alors que le « Louis d'argent » avait été rayé par la Grande Loge d'Angleterre, le 27 janvier 1768, pour avoir négligé de se conformer aux règlements, la loge d'Aumont existait encore en 1773 et avait pour vénérable Le Lorrain (3).
Une autre loge s'était détachée, dès le 1er décembre
(1) Le comte de Waldegrave, fils de lord Henri Waldegrave, qui avait épousé Henriette Fitz-James, fille de Jacques II et d'Arabella Churchill, soeur du fameux Marlborough. Malgré ses attaches jacobites, pour édifier sa fortune, le comte de Waldegrave s'était rallié à Georges II.
(2) Lors de l'installation de la Constante Amitié à l'O? de Caen, le 13 septembre 1765, Le Lorrain figure comme maître de cette loge et Moét, un des fondateurs de l'ordre de la Félicité, comme vénérable secret. En réalité il était vénérable de la loge « Le Secret».
(3) Jean-Pierre Le. Lorrain, graveur du roi pour l'artillerie, neveu de Robert Le Lorrain, officier honoraire du G? O?, le
CHARLES RADCLYFFE 12 3
1729, de la loge du « Louis d'argent » : la loge des Arts Sainte-Marguerite, dont le premier vénérable fut un lapidaire anglais du nom de Coastown (1). Cette loge fut reconstituée, le 29 octobre 1773, par le G? O?, avec Puisieux (2), architecte du roi, comme vénérable; cette loge existait encore en 1776 et n'était plus en vigueur en 1785.
Enfin une cinquième loge aurait été créée en 1729 sous le titre de St-Pierre et St-Paul en faveur du Vén? M? Puisieux; comme elle ne figure sur aucune liste de la G? L? d'Angleterre, on a tout lieu de la supposer de formation jacobite.
Ces cinq loges n'étaient pas régulièrement constituées par la f? m? de Londres qui, avant 1766, ne donna des patentes officielles qu'au Louis d'argent à l'O? de Paris ; à la Parfaite Union à l'O? de Valenciennes sous le n° 127 ; à la loge d'Aubigny le 22 août 1735 et à la loge anglaise de Bordeaux dite n° 204, et encore pour cette dernière faut-il faire des réserves, car si la G? L? de Londres reconnut ses travaux à partir du 27 avril 1732, elle ne délivra les patentes qu'en 1767. Toutes les autres loges étaient d'origine jacobite.
L'historique des cinq loges régulières ou irrégulières de Paris qui passent, avec raison, pour les cinq premières de France, m'a paru un exemple saisissant de l'incertitude et des difficultés qu'éprouva la f?-m?
5 juillet 1773, mourut en. 1778 (son testament déposé chez Boursier, le 2 avril 1768, fut insinué le 7 août 1778).
(1) Appelé Goustaud en France et Custos en Portugal. Ce Coastown a joué un grand rôle dans la propagation de la f?-m? sur le continent.
(2) Jean-Baptiste de Puisieux, né à Alland'huy (Ardennes) le 19 janvier 1679, mort à Paris, le 6 février 1776. Lors de la constitution du G? O? Puisieux était le doyen des maîtres de loge de Paris. Nous lui consacrons une notice, chapitre IX.
124 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
pour s'installer en France. Par la suite, pour des raisons d'intérêt ou d'orgueil, les f?-m? inventèrent des brevets anciens, comme celui de Gerbier, signé en 1721 par le duc d'Antin, qui n'avait alors que 14 ans ; malgré l'évidence de la fausseté du document, le G? O? n'hésita pas à le considérer comme authentique. Aujourd'hui les historiens de toutes nuances sont à peu près d'accord pour suspecter un grand nombre de pièces analogues.
En présence des progrès de la f?-m? jacobite en France, la f?-m? anglaise s'inquiéta. De même qu'elle tendait à la suppression de la secte concurrente dans la Grande-Bretagne, la Grande Loge de Londres envoya en France un émissaire, pour réagir contre la tendance anti anglaise de la f?-m? française. Son émissaire fut un de ses anciens grands maîtres, transfuge du parti des Stuarts et rallié à Georges II, Jacques Morton, comte de Douglas, qui eut à Paris des aventures qui firent beaucoup de bruit.
Les comtes de Morton étaient très avancés dans la f?-m? anglaise, et parmi les membres de cette famille on relève :
Jean Charles Douglas, comte de Morton, G? M? des loges écossaises, élu le 30 novembre 1739 ;
Jacques Douglas, comte de Motion, G? M? de la f?_m? anglaise, élu le 24 décembre 1740, installé le 19 mars suivant ;
Et Georges Douglas, comte de Morton, élu G? M? de la G? L? d'Ecosse en 1790 et 1791.
Celui qui nous intéresse est Jacques (James), 14e comte Morton, le G? M? de la f?-m? anglaise, né
CHARLES RADCLYFFE 125
à Edimbourg en 1702, mort en 1768. Il fut un des premiers transfuges qui abandonnèrent le parti des Stuarts pour se rallier à Georges II.
Homme de sciences, mathématicien, il fut élu membre de la Royal Society, le 19 avril 1733. Il s'occupait spécialement d'astronomie ; c'est lui qui fut chargé en 1769, par la commission des longitudes, d'observer le passage de Vénus.
Son rôle à Paris, où il séjourna pendant une partie de la durée de la guerre de succession d'Autriche, est au moins singulier.
Il était en France depuis 1743, sous prétexte de santé, et avait voyagé sur les rives de la Loire si chères aux Anglais. Il se trouvait à Lorient lorsque l'escadre britannique y fit une descente et fut sur le point de s'emparer de sa personne. Les jacobites le haïssaient et assuraient que si l'on faisait des perquisitions à son domicile, on trouverait des preuves d'espionnage et de trahison. Comme son passeport allait être périmé, il vint trouver d'Argenson à Fontainebleau. Le ministre lui déclara ne pouvoir le renouveler et lui conseilla de faire faire la demande par le prince Charles-Edouard, qui se trouvait précisément à la cour. Il n'osa le faire et se retira deux jours chez M. Vanhoey, à qui d'Argenson en fit amèrement le reproche. Dès qu'il sortit de son asile, sur ordre du 25 octobre 1746, contresigné Maurepas, on l'arrêta et on le conduisit à la Bastille. Pendant ce temps on arrêtait, à Paris, sa femme, la comtesse Agathe Morton, avec sa fille Mary, son fils, son domestique et sa femme de chambre. La comtesse Morton et ses enfants furent relâchés le 31 octobre suivant ; Morton ne sortit que le 6 décembre 1746, sur ordre contresigné d'Argenson. Tous ses papiers furent examinés et il subit de longs interrogatoires. On ne trouva
126 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
rien. Cette arrestation, qui avait fait beaucoup de bruit, fut d'une grande utilité pour le roi. Grâce à cet otage, le ministère britannique consentit à un règlement assez équitable pour les prisonniers français faits à Culloden, et permit de faire un échange avantageux.
De 1744 à 1746, Douglas avait essayé, sans succès du reste, de s'introduire dans plusieurs loges en Bretagne et sur les rives de la Loire (1) ; il, est permis de croire que le but du voyage du G? M? de la f?-m? anglaise fut provoqué par cette oeuvre de propagande. C'est à cette époque du reste que la lutte fut la plus ardente entre les loges anglaises et les loges jacobites.
Charles-Edouard - Louis - Philippe -Casimir Stuart, dont Radclyffe soutenait la politique avec le concours des loges maçonniques, était né au palais Pamphili, à Rome, le 30 décembre 1720. Plus de deux cents témoins assistèrent à sa naissance. Dans la nuit, un astre nouveau apparut dans le ciel et les jacobites superstitieux virent dans ce phénomène un présage heureux pour la destinée du jeune prince.
Son père était Jacques VIII d'Écosse, Jacques III d'Angleterre ; sa mère, Clémentine Sobieska, était la descendante de celui qui avait si vaillamment défendu la chrétienté sous les murs de Vienne en 1683.
Rarement naissance fut plus fêtée que celle de Charles-Edouard. Ses langes, valant 6.000 scudi, furent bénis par le pape Clément XI. Gitta, la sage-femme qui
(1) L'Union O? Lorient 1744; Saint-Louis de la Gloire O? Saumur (12 avril 1745) ; la Concorde écossaise O? Tours (27 septembre 1745); l'Heureuse Rencontre O? Brest (6 novembre 1745) ; la Noble Amitié O? Morlaix (1746).
CHARLES RADCLYFFE 127
le présenta aux partisans assemblés, reçut cent doublons de Jacques III et des dons particuliers des membres du Sacré Collège ; le Saint-Père la créa comtesse romaine. Jacques III annonça en grande pompe la naissance de son héritier à tous les souverains d'Europe.
Jusqu'à la naissance de son frère, le duc d'York, Charles-Edouard eut pour gouvernante une Anglaise catholique, qui portait un nom qui devait devenir l'effroi des jacobites: Miss Walpole.
Son frère, Henry-Benoît-Edward-Alfred-Louis-Thomas, naquit le 20 mars 1725. Miss Walpole fut alors remplacée par la maîtresse de Jacques III, la comtesse d'Inverness, qui était protestante.
Les deux frères eurent successivement pour gouverneurs : Ramsay, Murray, le comte de Dumbar et Thomas Sheridan.
Ramsay, comme nous l'avons vu, était très avancé dans la f?-m? ; il fréquentait assidûment les loges de Paris et se rendait souvent à Aubigny pour assister aux tenues maçonniques chez Louise de Keroual, duchesse de Portsmouth. C'est Ramsay qui initia le jeune Charles-Edouard aux secrets de la maçonnerie jacobite et qui, en dehors des satisfactions philosophiques qu'il devait y trouver, fit entrevoir à son royal élève l'intérêt politique qui pouvait eu résulter pour ses partisans.
L'éducation des jeunes princes fut particulièrement soignée. Charles-Edouard parlait couramment l'anglais, l'italien et le français, dont il ne put cependant adopter l'orthographe. Profondément artiste, le jeune Charles-Edouard était musicien de talent.
Il débuta brillamment dans la carrière militaire, à quatorze ans, au siège de Gaëte, en 1734, avec le maréchal de Berwick. L'année suivante, après un court
128 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
séjour à Naples et à Rome, il fit la campagne de Lombardie. La guerre terminée en 1737, sous le nom de comte d'Albany, il visita Parme, Gênes, Milan, Venise, et, passant par Padoue, Bologne et Florence, il revint se fixer à Rome et à Albano, où il demeura jusqu'à son départ pour la France. C'est dans la première de ces villes qu'en 1740 Horace Walpole fut à même de le voir et de l'étudier. La même année, le président Des Brosses était reçu dans leur palais, place des Saints Apôtres, par les fils de Jacques III ; il a laissé dans son journal le récit de sa visite. Des Brosses trouva le prétendant dévot à l'excès, mais aimable, poli et gracieux, dénotant une grande bonté de coeur et un grand courage. Pour faire accueil au président, les deux frères firent de la musique ; l'aîné jouait du violoncelle pendant que le cadet chantait. Ils exécutèrent la « Notte di Natale », concerto de Corelli.
Le sang du jeune Charles-Edouard bouillait dans ses veines et il avait hâte de rejoindre les armées de Louis XV, lorsqu'il apprit que, le 26 juin 1743, le comte de Clermont venait de se faire battre à Dettingen par Georges II en personne.
Les Stuarts habitaient Rome lorsque, dans les derniers jours de décembre 1743 lord Sempill, agent confidentiel de Jacques III à Paris, se rendit mystérieusement chez le chevalier de Saint-Georges. Il arrivait de Versailles, et, grâce à la duchesse de Châteauroux, qui s'intéressait à la cause jacobite, Louis XV l'autorisait à venir à Paris s'entendre avec ses partisans, et lui promettait son concours pour une expédition en Angleterre.
Charles-Edouard s'échappe de Rome le 9 janvier 1744, sous prétexte d'une partie de chasse. Grâce à la connivence du bailli de Tencin et du cardinal Aquaviva,
CHARLES RADCLYFFE 129
il court la poste à franc étrier, jusqu'à Gênes, où il s'embarque sur une felouque espagnole. Il traverse sans encombre une escadre anglaise, débarque le 13 à Antibes et couche à Paris le 20. A peine arrivé, il se rend à Dunkerque, où la flotte française appareillait Après avoir croisé quelques jours dans le Pas de Calais, l'escadre fut rejointe par la flotte anglaise commandée par l'amiral John Norris, devant Dunqueness, lorsqu'une tempête dispersa les combattants (1). Le 15 mars, Charles-Edouard était de retour à Gravelines sous le nom de chevalier de Douglas; veillant avec le maréchal de Saxe aux préparatifs d'une nouvelle expédition, qui fut contremandée peu après.
En juin, il était rentré à Paris et vivait comme un ermite à une lieue de la capitale. Louis XV ayant refusé de le recevoir, le prétendant s'en plaignit à son père, le 16 janvier 1745, et se rendit en Picardie chez le duc de Fitz-James, puis chez le duc de Bouillon (2) à Navarre. Pendant ce temps, le 11 mai 1745, avait lieu la bataille de Fontenoy dans laquelle les régiments écossais et irlandais rivalisaient de courage avec la Maison du roi.
Charles-Edouard préparait son expédition d'Écosse, demandant à ses partisans les fonds nécessaires. Le 12 juin il écrit de Navarre à son père qu'il doit 60.000 francs au vieux Waters, banquier à Paris, franc-maçon militant, et le double à son fils.
Avec le concours d'Antoine Walsh, il frète à Nantes
(1) « Si la mer n'avait pas été alors de notre côté, dit lord Mahon, les Stuarts ne pouvaient pas ne pas réussir. »
(2) Le duc de Bouillon ex-prince de Turenne (1686-1743), qui fut son premier élève avant d'être nommé précepteur des fils de Jacques III. Après 1730, à la suite d'intrigues de cour, Ramsay quitta ces fonctions et devint l'intendant du prince de Bouillon. En 1774, le G? O? de Bouillon, qui avait son siège à Bouillon, fonda plusieurs loges en France. Voir chapitre VI.
130 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
l'Elisabeth, vieux navire de 67 canons, commandé par le marquis d'0, et la Doutelle, petite frégate de 20 canons, commandée par Walsh. A la fin de juin 1745 il quitte Navarre et le 2 juillet il s'embarque à Saint-Nazaire sur un bateau pêcheur pour rejoindre la Doutelle, qui était mouillée sous Belle-Isle. Là, il attend l'Elisabeth et les deux navires appareillent de conserve le 12. Le 16 ils rencontrent un navire anglais de 58 canons, le Lyon, avec lequel ils se canonnent pendant cinq heures ; le combat fut acharné : l'Elisabeth dut rentrer à Brest et le Lyon dans un port anglais.
Malgré ce contretemps, Charles Edouard continue sa route avec la Doutelle et parvient à jeter l'ancre entre South-Uist et Eriska. Le 2 août il débarque dans cette dernière île et, d'après la légende, un aigle plana sur sa tête pendant qu'il atterrissait. Il prend enfin terre en Ecosse à Borodale.
Nous ne referons pas le récit bien connu de son expédition, qui le conduisit sans obstacles jusqu'à Derby, à 35 lieues de Londres. S'il avait marché de suite sur cette ville au lieu de passer des revues et de donner des bals à Edimbourg, il eût certainement triomphé, car il n'aurait pas laissé aux troupes auxiliaires, envoyées de Hollande, le temps d'arriver au secours du duc de Cumberland.
C'est pendant cette expédition que, le 24 septembre 1745, Charles-Edouard fut solennellement installé G? M? de la f?-m? écossaise, dans un chapitre général de l'ordre, tenu dans le palais d'Holyrood (1).
Le 19 septembre 1746, après avoir erré dans les petites îles qui entourent l'Ecosse, Charles-Edouard
(1) A winther with Robert Burns, Edinburgh, 1846, pp. 53 et 54, et Amédée Pichot :Charles-Edouard.
CHARLES RADCLYFFE 131
parvint à s'embarquer sur l'Heureuse, frégate de 30 canons, commandée par Warren, colonel du régiment de Dillon. L'Heureuse était convoyée par le Prince de Conti, de 22 canons.
Le prétendant débarqua à Roscoff le 10 octobre ; le 14 il avait rejoint son frère le duc d'York à Clichy. Par égard pour son infortune, Louis XV mit à sa disposition le château Saint-Antoine, et par traité signé d'Argenson et O'Bryan, la France le reconnaissait comme prince régent d'Angleterre.
Ayant obtenu d'être reçu par le roi à Fontainebleau, il se rendit près de Louis XV dans l'appareil royal le plus luxueux et le plus solennel, ce qui indisposa la cour contre lui, et, après un bref séjour, il retourna chez son frère à Clichy, sans avoir rien obtenu pour la nouvelle expédition qu'il projetait (1). S'il faut en croire les bruits de cour, la seconde fille de Louis XV aurait manifesté à son égard les sentiments les plus tendres, on aurait même parlé de leur mariage.
Après avoir touché barre à Paris, Charles-Edouard se rendit à Avignon, puis se dirigea vers l'Espagne, espérant trouver à Madrid les secours qui lui avaient été refusés à Fontainebleau. Il traverse donc la Catalogne, est reçu à Guadalaxara, le 12 mars 1747, par Ferdinand VI, qui, tout en montrant une grande sympathie pour ses infortunes, ne voulut prendre avec lui aucun, engagement politique. Il revint aussitôt en France et arriva à Paris vers le 15 avril.
(1) Les 22 et 26 octobre 1746, il remit à Louis XV deux mémoires qui n'eurent aucun effet.
132 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
C'est peu après son retour qu'il aurait constitué à Arras la loge la Constance, dont le père de Robespierre faisait partie. Voici le texte de ce document d'après la version la plus authentique, que nous empruntons à Daruty :
« Nous Charles-Edouard Stuwart, prétendant roi d'Angleterre, de France, d'Écosse et d'Irlande, et, en cette qualité G? M? du chap? de Hérédon, connu sous le titre de chevalier de l'Aigle, du Pélican, et, depuis nos malheurs et nos infortunes, sous celui de R?-C? + : (1)
« Voulant témoigner aux maçons artésiens combien nous sommes reconnaissant envers eux des preuves de bienfaisance qu'ils nous ont prodiguées avec les officiers de la garnison de la ville d'Arras, et de leur attachement à notre personne pendant le séjour de six mois que nous avons fait en cette ville (2), nous avons, en leur faveur, créé et érigé, créons et érigeons, par la présente bulle, en ladite ville d'Arras, un souverain chapitre prématial et métropolitain de R? C? +, sous le titre distinctif d'Ecosse JACOBITE, qui sera régi et gouverné par les chevaliers Lagneau, de Robespierre, tous deux avocats, Hazard et ses deux fils, tous trois médecins, J.-B. Lacef, notre tapissier, et Jérôme Tellier, notre horloger, auquel nous permettons et donnons pouvoir de faire, tant par eux que par leurs successeurs, non seulement des chevaliers R? C?, mais même de créer un chapitre dans toutes les villes où ils croiront pouvoir le faire, lorsqu'ils en seront requis, sans cepen-
(1) Il serait intéressant de savoir si les ? abréviatifs figurent dans l'original de la bulle, ce qui, étant donnée l'époque, pourrait rendre douteuse son authenticité.
(2) Peut-être les six premiers mois de 1745, ou mieux, six mois en plusieurs fois en 1744 et 1745.
CHARLES RADCLYFFE 133
dant, par eux ni par leurs successeurs, pouvoir créer deux chapitres dans une même ville, quelque peuplée qu'elle puisse être ; et pour que foi soit ajoutée à notre présente bulle, nous l'avons signée de notre main, et à icelle fait apposer le nom secret de nos commandements, et fait contresigner par le secrétaire de notre cabinet, le jeudi 156 jour du 2e mois l'an de l'Incarnation 1747.
« CHARLES-EDOUARD STUWART,
« De par le Roi : (1)
« Lord DEBERKLEY, secrétaire »
L'authenticité de ce document a été mise en doute parce que, sur la pièce originale, Charles-Edouard se serait qualifié roi ; après vérification, le mot employé étant prétendant roi, l'objection tombe.
Daruty croit qu'il faut dater la patente de 1745, parce qu'elle est datée du jeudi 15e jour du 2e mois 5747, soit du 15 avril 1747, et il fait remarquer, avec raison, qu'en 1747 le 15 avril était un samedi et non un jeudi. Il conclut de là que le 15 avril étant un jeudi en 1745, c'est à cette dernière année qu'il faut faire remonter le document, et il le date dans sa transcription de 1745.
Or, Daruty se trompe, car il est vraisemblable que Charles-Edouard suivait, comme ses compatriotes, le vieux style, alors en retard de 12 jours sur le nouveau style adopté en France, et dans ce cas, le 15 avril V. S. correspondait au 27 avril N. S. qui était bien un jeudi.
(1) Une expédition de ce bref destinée au Chap? Métrop? de Paris, fut vendue en vente publique le 27 mars 1863, par le libraire Tross (n° 9 du catal.). Les parties reproduites dans le catalogue sont conformes au texte de Daruty.
C'était une pièce in-fo sur vélin revêtue du grand sceau et sept timbres et d'un grand nombre de signatures.
134 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Dans ces conditions on peut admettre, mais sous réserves, l'authenticité du document que les faits matériels ne peuvent contredire, puisque Charles-Edouard était bien f?-m?, ainsi que nous l'avons dit plus haut (1).
En juillet 1747, le duc d'York se sépare de son frère et se rend à Rouen auprès de son père, ce qui provoqua un certain froid avec Charles-Edouard qui était resté à Saint-Ouen (2). Il n'avait pas renoncé à ses projets de restauration, lorsque par les préliminaires du traité d'Aix-la-Chapelle (21 avril 1748) Louis XV reconnut officiellement la maison de Hanovre et s'engagea à obliger les Stuarts à quitter la France. Les 10 et 18 juillet, Charles-Edouard écrivit à Louis XV pour protester, et à partir de cette époque il semble avoir eu une grande animosité contre la maison de Bourbon.
Au lieu de s'apprêter à quitter la France, il fait imprimer un mémoire qu'il fait distribuer dans les rues. Il proteste encore contre les fêtes données à l'occasion de la conclusion de la paix et se moque de Louis le Pacificateur. Bien plus, il fait graver par le F? Nicolas Roettiers une médaille sur la face de laquelle figuraient des vaisseaux de la marine anglaise forçant la France à la paix, et sur l'avers cette mention :
(1) Voir aux appendices, les règlements, protocoles, etc., de la f?-m? jacobite.
(2) Le duc d'York fut nommé cardinal le 3 juillet 1747. Après Culloden, en reconnaissance du bon accueil fait par les maçons de Toulouse à sir Samuel Lockhart, un partisan des Stuarts constitua dans cette ville, en 1747, un chapitre sous le titre les Ecossais fidèles, qui devint la vieille Bru et adopta plus tard un rite à 9 degrés.
CHARLES RADCLYFFE 135
Carolus Walliæ princeps, Amor et Spes Britanniæ.
- Si jamais je remonte sur le trône, disait-il à qui voulait l'entendre, j e forcerai la France à donner des otages.
Il affecte de se montrer en public, loue un riche hôtel quai des Théatins et y mène un grand train, tenant les propos les plus injurieux pour Louis XV, qu'il avait complètement cessé de voir.
L'ambassadeur d'Angleterre, de son côté, réclamait l'exécution de la clause du traité d'Aix-la-Chapelle qui avait été signé définitivement le 18 octobre.
Le mardi 10 décembre 1748, à 7 heures du soir, Charles-Edouard fut arrêté au Palais Royal, au moment où il s'apprêtait à entrer à l'Opéra. Pour cette arrestation on avait mobilisé 1.200 hommes commandés par le duc de Biron.
On s'empare de lui au moment où il descend de voiture, on lui lie les bras et les jambes avec des rubans de soie, et, pour éviter un attroupement, on le transporte dans une maison voisine. Le chevalier de Vaudreuil, major des gardes françaises, lui conseille de ne pas résister. Comme Charles-Edouard, furieux, continuait à se défendre et à protester, on lui enleva son épée, son couteau et ses pistolets ; on le conduisit en voiture à Vincennes, où le gouverneur du château vint l'attendre à la porte du donjon et lui fit retirer ses liens enrubannés, quand il eut promis de ne pas attenter à ses jours. Pendant ce temps, on enfermait à la Bastille onze gentilshommes de sa suite et trente-neuf domestiques de sa maison (1). Six gentilshommes avaient été emprisonnés avec lui à Vincennes.
(1) Ils furent libérés quelques jours après (entre le 11 et le 19 décembre).
136 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Le roi avait décidé de le faire conduire à la frontière de Savoie ; Charles-Edouard partit le dimanche 15 décembre à 5 heures du matin ; il voyagea royalement, à petites étapes. Le 18 il passait à Tonnerre, le 21 à la Maison Blanche, et le 23 au pont de Beauvoisin, à la frontière.
Mais Charles-Edouard ne se tient pas pour battu : à peine expulsé, il va à Chambéry, traverse le Dauphiné et se rend à Avignon. Invité à quitter le territoire pontifical, il traverse à nouveau la France pour se rendre à Venise, d'où on l'expulse. A partir de ce moment, on perd sa trace. Toutes ses lettres passaient par l'intermédiaire de Waters, banquier à Paris. On croit qu'il se tint caché chez le duc de Bouillon, dans les Ardennes.
En septembre 1750 il avait l'audace d'assister avec le colonel Brett à une réunion jacobite qui se tenait à Londres (1). Puis il séjourne à Gand. C'est là qu'il apprit que son ancienne amie d'Ecosse, Clémentine Walkenshaw, était parvenue à s'échapper et qu'elle était réfugiée à Paris. Il va la chercher, revient avec elle à Gand et, après plusieurs voyages en Allemagne, ils se fixent dans le pays de Liége, où il se fait appeler le comte de Johnson. C'est dans cette ville que naquit une fille, baptisée le 29 octobre 1753, sous le nom de Clémentine (2).
Ayant appris que la France allait déclarer la guerre à l'Angleterre, il se rend aussitôt à Navarre, puis à
(1) D'après une autre version, il n'aurait fait ce voyage qu'en 1753, au moment de l'exécution du Dr Cameron.
(2) Il signa Johnson sur le registre de Notre-Dame de Fonts. C'est cette fille qui devint la duchesse d'Albany.
CHARLES RADCLYFFE 137
Nancy, où il voit le comte de Lally. Pendant son séjour à Bouillon, il se brouille avec Clémentine et vient à Paris avec sa fille (1760). En 1761 il aurait assisté à Westminster au couronnement de Georges III.
Pendant un séjour qu'il faisait chez le duc de Bouillon, il apprit que son père Jacques III était mort à Rome, le 1er janvier 1766. II se rend aussitôt dans la capitale de la chrétienté, sous le nom de comte d'Albany, puis se retire avec son frère à Albano.
En 1772, il épouse la princesse Louise-Maximilienne-Caroline de Stolberg-Gredern (1), avec laquelle il fit un triste ménage qui est resté légendaire. Au moment de son mariage il avait 52 ans et sa femme 19. Ils habitèrent Florence ; s'il faut en croire la tradition, pendant que sa femme montrait un attachement exagéré à Alfieri (2), le prétendant se livrait à des accès de fureur provoqués par l'ivresse.
A partir de 1760, Charles-Edouard fut un maçon très actif, et de nombreuses loges écossaises, françaises et allemandes le reconnaissaient comme suprême Grand Maître de la franc-maçonnerie. Il fit partie de la Stricte Observance sous le nom d'Eques a sole aurea. Au convent de Willemsbad, plusieurs maçons déclarèrent qu'il était leur chef secret (3).
Charles-Edouard mourut à Rome le 31 janvier 1788 sans laisser de postérité légitime.
Son frère, devenu le cardinal d'York, mourut dans la même ville en 1807.
Avec ces deux princes s'éteignirent les descendants directs des Stuarts, et tout porte à croire que le car-
(1) Née à Mons en 1753.
(2) Plus tard elle aurait témoigné les mêmes sentiments au peintre Fabre.
(3) Voir aux appendices le brevet de la loge d'Orléans.
138 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
dinal d'York ne succéda pas à son frère comme grand maître secret de la f?-m? écossaise.
Pendant plusieurs mois la maison de Hanovre avait tremblé ; aussi après Culloden la répression fut-elle encore plus effroyable qu'en 1716.
Le soir de la bataille de Culloden, non contents d'achever les blessés et de mutiler les morts, les soldats anglais trempaient leurs mains dans le sang des victimes et s'en jetaient gaîment les éclaboussures à la face.
Ils laissèrent à dessein quelques blessés exposés aux intempéries et le lendemain ils vinrent les égorger. Comme ils avaient fait le dénombrement de leurs victimes réservées et que plusieurs manquaient à l'appel, ils revinrent le surlendemain, fouillèrent les chaumières voisines, massacrèrent ou brûlèrent ceux qu'ils rencontrèrent, en riant des contorsions de leurs victimes. Le troisième jour on fusillait encore.
Les survivants furent traqués comme des bêtes fauves pendant de longs mois. Si l'on en jugeait quelques-uns, on égorgeait le plus grand nombre sur place, on enlevait les vivres et l'on incendiait fermes et châteaux. Les malheureux Ecossais qui étaient venus demander grâce étaient parqués avec leurs femmes et leurs enfants, et les régiments anglais les regardaient joyeusement mourir de faim et de misère.
Les bourreaux, sous les ordres de Cumberland (1),
(1) Guillaume-Auguste, duc de Cumberland, troisième fils de Georges II, oncle de Georges III, né le 26 avril 1721, mort le 31 octobre 1765.
CHARLES RADCLYFFE 139
s'appelaient le général Hawley, le colonel Howard (1), le capitaine Scott, le major Lockhart.
Toutes les infamies furent commises : ceux auxquels on avait extorqué quelque argent, en leur vendant des cartes de protection, étaient brûlés avec leurs sauf-conduits, pendant qu'au camp de Cumberland on se livrait à des orgies macabres. Des soldats, sous les yeux de filles de joie dévêtues, pendaient, par les pieds, des prisonniers nus à deux hallebardes dressées en gibet et les passaient aux baguettes. Lorsqu'on parlait de lois au duc Sanglant, il répondait :
- Les lois ! Quelles lois ? J'enverrai une brigade pour vous donner des lois.
« La loi vint cependant glaner après la moisson du glaive. » Mais comment !
Malgré la parole du duc, les officiers de la garnison de Carlisle furent exécutés. Les officiers papistes, traînés en charrette, sans secours religieux, se rendirent résignés au supplice. L'un d'eux, Morgan, lisait des prières auxquelles ses compagnons répondaient. Pendus comme de vulgaires criminels, on leur tranchait la tête, on les mutilait, et on les brûlait. Le colonel Townley respirant encore, fut saigné au cou comme un porc ; on lui arracha les entrailles et le coeur qu'on jeta au bûcher.
Ainsi qu'aux portes d'un village de roi nègre, les portes de Temple Bar, de Carlisle et de Westminster reçurent leurs trophées de têtes coupées.
Loin du combat, abrités par la Constitution, siégeaient avec calme les 135 pairs présidés par le chancelier Hardnick. C'est devant eux que comparurent les plus nobles victimes : Cromarty, Kilmarnock, Balmerino, Radclyffe, Lovat.
(1) Miss Howard était la maîtresse de Georges II.
140 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
A l'unanimité, la main sur le coeur, les juges vinrent successivement déclarer à la barre du roi Georges : -- Coupable, sur mon honneur, Mylord !
Si le roi Georges gracie Cromarty, il est impitoyable pour Kilmarnock et Balmerino, et voici ce que porte la sentence habituelle :
« Vous serez pendus par le col, mais non pas jusqu'à ce que mort s'ensuive, car vous devrez être ouverts vivants. Vos entrailles seront arrachées et brûlées sous vos yeux ; vos têtes seront ensuite séparées du corps, et vos corps coupés en quatre parties et mis à la disposition du roi. »
Le roi cependant n'osa pas faire exécuter la sentence à la lettre ; eut-il peur ? eut-il honte ? les têtes furent seulement tranchées.
Le shériff eut même la prévenance abominable d'assurer à Kilmarnock que le bourreau était habile et, de plus, a very good sort of man.
La f?-m? orangiste avait vaincu la f?-m? jacobite. Le G? M? lord Cranstoun pouvait dormir en paix. Pendant que les pairs faisaient exécuter à Londres, la justice du roi ne chômait pas en Ecosse, et des clans entiers disparaissaient.
Le pasteur anglican, chapelain de la prison, prêchait devant les juges et prenait pour texte :
« Moïse dit au juge d'Israël : Tuez tout homme qui s'est joint à Baal Phégore (1). »
Et les cloches sonnaient dans les presbytères d'Écosse
(1) Nous vivons sur cette légende maçonnique que l'Angleterre était le pays le plus civilisé, le plus tolérant, le plus libéral du monde civilisé, alors qu'en France, au contraire, les malheureux sujets des rois étaient martyrisés, méprisés, traités en esclaves. Quant à la tolérance protestante à l'égard des catholiques, c'est une pure légende. Voici ce qui se passait à Londres en 1780,
CHARLES RADCLYFFE 141
pour magnifier le duc Sanglant, les poètes chantaient le héros vainqueur, le parlement lui votait un supplément de pension de 650.000 livres et le peuple anglais élevait à Guillaume-Auguste, au général toujours vaincu sur le continent, une statue triomphale sur une place de Londres.
A cette époque, la France pouvait écrire sur le socle les noms de ses victoires sur le duc de Culloden : Fontenoy, Lawfeld, Hastembek, Closterseven.
Après l'avènement de Georges II, Charles Radclyffe put résider quelque temps à Londres avec le consentement tacite de la police ; il habitait une modeste maison, à Pall Mall, sous le nom de Mr Johns. Après un séjour de quelques années en France (1730-1735), il revint en Angleterre et résida dans le comté d'Essex, d'où il se rendait fréquemment dans ses terres d'Ecosse. S'il ne fut pas molesté, il n'obtint pas un pardon, que du reste il ne sollicitait pas. En 1737, il rentra de nouveau en France et prit du service dans les armées de Louis XV. En 1745, il reçut une commission pour un régiment de Charles-Edouard et résolut de partir pour l'Ecosse avec son second fils James-Clément ; sa femme l'y attendait depuis plusieurs mois.
Il s'embarqua à Dunkerque, le 22 novembre 1745,
alors que le bill de 1778 avait rendu aux catholiques certains droits civils.
Georges Gordon, le méchant fou, comme l'appelle Gibbon, mit la ville à feu et à sang, pillant les églises, poursuivant les catholiques. Ce ne fut qu'au bout de quelques jours que le roi Georges III consentit à autoriser les troupes à marcher. Gordon était l'auteur d'ignobles pamphlets contre Marie-Antoinette. Arrêté, il fut défendu par Erskine. A la fin de sa vie, Gordon se fit juif.
142 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
sur un navire nommé le Soleil, emmenant avec lui des volontaires pour l'armée du prétendant. Il avait résolu d'atterrir à Montrose, lorsqu'il fut capturé sur le Dogger Bank par la frégate la Sheerness, ainsi que 20 officiers écossais, irlandais et français, 60 soldats et de nombreuses munitions de guerre. On conduisit les prisonniers à Londres. - Charles Radclyffe ressemblait tellement à Jacques III qu'on le prit pour le chevalier de Saint-Georges et son fils pour le Prétendant.
Ils furent enfermés dans la Tour de Londres ; mais le 27 mars 1746, le jeune Radclyffe et 4 officiers français furent libérés sur parole.
Le vendredi 21 novembre 1746, Charles Radclyffe fut conduit au banc du roi, à Westminster, dans une voiture fortement escortée ; il était accusé de haute trahison; mais comme sa tentative de 1745 n'avait eu aucun commencement d'exécution sur le territoire anglais, on fit remonter le crime dont on l'accusait à 1716, c'est-à-dire à 30 années pendant lesquelles il avait eu sa grâce tacite, puisqu'on avait à plusieurs reprises toléré son séjour sur le sol anglais.
C'était un magnifique cavalier qui n'avait pas moins de 5 pieds 10 pouces ; il se présenta la tête haute, fier du superbe uniforme qu'il avait revêtu pour la circonstance (1) : habit écarlate, avec revers de velours noir, rehaussé de boutons et de lacets dorés ; il portait une perruque à sac et était coiffé d'un chapeau à la mode espagnole avec une grande plume blanche.
Quand, dans l'acte d'accusation, on le dénomma Charles Radclyffe, il en interrompit la lecture pour déclarer que tel n'était pas son nom et il attaqua la régularité de la procédure.
(1) Ce costume semble être celui du régiment de Dillon.
CHARLES RADCLYFFE 143
- Je m'appelle le comte de Derwentwater, dit-il, je suis sujet du roi de France, commissionné officier de S. M. Très Chrétienne et je réside effectivement en France depuis près de trente ans.
On dut interrompre l'audience pour contrôler son identité, et le procès ne fut repris que le 24 novembre suivant. A cette seconde audience, lorsqu'on l'accusa de contumace, au lieu d'invoquer la prescription, il produisit simplement sa commission du roi de France et pria l'ambassadeur de S. M. sicilienne, qui était présent, d'en examiner l'authenticité.
Puis, déclarant à nouveau qu'il s'appelait le comte de Derwentwater, il refusa de plaider dans la forme accoutumée, en observant qu'on ne pouvait faire la preuve qu'il avait participé à la tentative de 1715.
Deux individus de Hexham, près de Dilston, Abraham Bunting et Thomas Mosley, attestèrent qu'ils le reconnaissaient à une cicatrice qu'il avait sur le front et qu'ils affirmaient que le comte de Derwentwater était bien la même personne que Charles Radclyffe, qui s'était échappé de Newgate en octobre 1715 et qu'ils avaient revu à Dilston en 1735.
A la suite de ces seuls témoignages, le jury délibéra aussitôt et, après une discussion qui dura à peine dix minutes, déclara qu'il était bien Charles Radclyffe, convaincu de haute trahison en 1716, et, en conséquence, le condamna à avoir la tête tranchée.
Le lundi 8 décembre 1746, à 8 heures du matin, deux détachements de life-guards, un de horsegrenadier-guards et de foot-guards s'acheminèrent vers Little Tower Hill.
Les horse-guards firent la haie pendant que les autres troupes entouraient l'échafaud. Il n'y avait pas
144 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
quatre mois qu'un public nombreux avait assisté à la mort des lords Kilmarnock et Balmerino.
L'échafaud sur lequel devait périr Charles Radclyffe était drapé de serge noire ; près de l'escalier, on avait placé la bière destinée à recevoir ses restes; recouverte de velours noir, elle était ornée de poignées et de clous dorés, sans inscription (1).
Les shériffs Winterbottom et Alsop arrivèrent dans leurs voitures et demandèrent au général Williamson, député gouverneur, de leur remettre le condamné.
Pour son dernier supplice, Radclyffe était vêtu de son uniforme écarlate ; son habit avait des manches courtes serrées avec de longues et larges poignées. Ses boutons et ses lacets étaient dorés ; son gilet à longues basques était broché ; son habit de velours était brodé d'or ; il portait des bas de soie blanche avec des boucles en diamants à ses jarretières et à ses souliers. Son chapeau, orné d'une plume blanche, recouvrait une longue chevelure de cheveux bouclés tombant sur ses épaules. Son col et sa chemise étaient festonnés avec du ruban noir. Il portait un crucifix d'argent et un chapelet de perles.
Radclyffe s'avança avec fermeté, mais sans forfanterie, regardant droit devant lui. Arrivé sur l'échafaud, il s'adressa aux shériffs :
- Je meurs, dit-il, en vrai, obéissant et humble fils de l'Église catholique et apostolique, avec de sincères sentiments d'amour pour mon prochain, et le véritable bon souhait que je fais pour mon cher pays est qu'il ne soit jamais heureux tant qu'il ne rendra pas justice à son roi, le meilleur et le plus calomnié des souverains.
(1) D'après A. Pichot, Charles-Edouard, le cercueil aurait porté l'inscription suivante : « Carolus Radcliff, comes de Derwentwater, decollatus die 8 decembris 1746, aetate 58. - Requiescat in pace. »
CHARLES RADCLYFFE 145
Je meurs avec des sentiments de gratitude, de respect et d'amour pour le roi de France, Louis le Bien-aimé, un nom glorieux. Je recommande à S. M. Très Chrétienne ma chère famille. Je me repens du fond de mon coeur de tous mes péchés et j'ai le ferme espoir d'obtenir le pardon du Dieu tout-puissant, par les grâces de son bienheureux fils Jésus-Christ, Notre Seigneur, auquel je recommande mon âme (1). »
Après avoir achevé ces paroles, il se tourna vers le bourreau, auquel il pardonna, puis il lui remit quelques pièces d'or en disant :
- Je suis pauvre ; voilà dix guinées pour vous : si j'en avais davantage, je vous les donnerais. Je désire que, pour votre action, il ne vous soit pas fait la moindre peine. »
Alors Charles Radclyffe s'agenouilla près du billot et pria pendant quelques minutes. Tout le monde s'agenouilla ainsi que lui sur l'échafaud. Les prières terminées, il retira lui-même sa perruque, son habit et son gilet, puis il se tourna vers les shériffs pour prendre congé d'eux, récita une courte prière, fit plusieurs fois le signe de la croix, plaça sa tête sur le billot et pria le bourreau de faire son office quand il le verrait tendre ses mains en avant. Moins d'une demi-minute après, il donna le signal et sa tête roula sur l'échafaud.
Ainsi mourut dans l'amour de Dieu, à l'âge de 53 ans, Charles Radclyffe, comte de Derwentwater, le premier grand maître de la f?-m? jacobite en France, en invoquant le nom du Souverain d'en haut et celui de Louis XV, roi de France et de Navarre.
(1) D'après Voltaire, Précis du règne de Louis XV, in-12, 1785, p. 273, Radclyffe aurait voulu que son fils montât sur l'échafaud et lui aurait dit: « Mon fils, soyez couvert de mon sang et apprenez à mourir pour vos rois. »
146 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Son coeur fut embaumé et, selon son désir, porté près des restes de son père à Dilston, alors que le public le croyait enseveli à Saint-Gilles, dans le Fields ; si l'on en croit la tradition, son corps aurait été enlevé deux mois plus tard par M. Walmsley et transporté à Abbot-Stanstead, dans le Hertfordshire.
De nos jours, on n'a pu retrouver aucune trace de ses restes, malgré de minutieuses recherches qui furent faites à plusieurs reprises.
De son mariage avec la comtesse de Newburg, Charles Radclyffe avait eu sept enfants. Au moment de sa mort, il y en avait encore six de vivants, son troisième fils, Charles, né en 1733, étant mort le 15 septembre 1742 à Saint-Germain-en-Laye (1). Il laissait deux fils et quatre filles ; les trois aînées, Charlotte, Barbara et, Tomasina ne se marièrent pas. Charlotte, qui habita Lille presque toute sa vie, touchait de Louis XVI en 1790 une modeste pension de 1770 livres, en considération des services de sa famille. La plus jeune de ses filles, Mary, épousa M. Eyre de Hassop, le 11 juin 1755. Elle mourut le 27 août 1798 à
(1) Etat civil de Saint-Germain. « Le mercredy douzième septembre 1742 le corps de Messire Charles Rallif, fils de Messire Charles Rallif (sic), comte de Derwentwater, et de dame Charlotte Lewinston, mort le jour précédent, âgé de 9 ans, a été inhumé au cimetière, vêpres chantées en présence du Clergé dont les sieurs Maurice Morphy et Louis Guillon prêtres ont signé les parents et amis du défunt Morphy et Guillon.
« LA BO1SSEIERE De CHAMBORS,
« DE PARPAILLE;
« P. S. Grace,
« D. FLYN,
« MORPHY et GUILLON. »
CHARLES RADCLYFFE 147
Warkworth-Overtharpe, près Bandbury, où elle fut enterrée.
James Bartholomew était né à Vincennes le 23 août 1725 (1) et Jacques-Clément en 1727, à Rome. Ce dernier fut tenu sur les fonts baptismaux par Jacques III et la reine Marie-Clémentine Sobieska.
Après la mort de Charles Radclyffe, ses biens furent spoliés par la couronne, au profit de l'Hôpital Royal des Marins Invalides de Greenwich. La valeur de ces propriétés en 1816 ne représentait pas un revenu de moins de 43.487 £ (1.100.000 fr.), sans compter la valeur des mines.
L'héritier de Charles, James Bartholomew, 3e comte de Newburg, du chef de sa mère, épousa Barbara Kemp (1720-12 septembre 1797), de laquelle il eut un fils, Antony James, 4e comte de Newburgh, né en Angleterre, le 20 juin 1757, et qui mourut en 1814, sans postérité. Il avait épousé le 30 juin 1789 Anne Webb, née en 1761, et qui mourut centenaire en 1861. James Bartholomew était mort le 2 janvier 1786.
La vie de James Bartholomew se passa paisiblement, et il ne semble s'être mêlé en aucune façon à la politique. Il n'avait comme fortune personnelle que 24.000 £ (625.000 fr.) qui lui furent restitués en 1749 par Georges II, pour ses terres de Derwentwater.
(1) Mairie de Vincennes. Etat civil, paroisse Notre-Dame de la Pissotte : « Le samedy vingt cinq d'aoust 1725 fut baptisé un fils né le vint trois du mois et nommé Jacques fils de haut et puissant seigneur Messire Charles Radclyffe et de Dame Charlotte Levinston née comtesse de Newbrugh son épouse, le parein Jacques trois Roy d'Angleterre, représenté par Jean comte de Middleton, la maraine Catherine Brudchel, comtesse douairière de Middleton, représentée par mademoiselle Françoise Clifford, fille de feu Monsieur Thomas Clifford.
« LE COMTE DE MIDDLETON, « FRANCOISE CLIFFORD. »
148 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Jacques-Clément eut une vie plus aventureuse. S'il faut en croire une note sans date (1) entièrement de sa main, qui figure aux archives du ministère de la guerre, c'est lui et non son frère aîné qui aurait été pris avec son père en 1745 par la Sheerness.
Nous donnons in extenso cette note particulièrement intéressante :
Le comte de Radclyffe Derwentwater est arrière-petit-fils de Charles, second roi d'Angleterre, ainsi que les ducs de Richmond, de Grafton, de Claveland et de St-Albans, ses cousins. Le duc de Montagu, les comtes de Newburg, de Cardigan, de Berkley (2), d'Albermale, de Waldegrave, le lord baron de Belless, le prince de Guistiniani, sont ses frères, oncles ou cousins ou neveux.
Lés deux comtes de Derwentwater, son père et son oncle ayant armé en 1715 pour la maison de Stuart, eurent le malheur d'être pris à Preston, ville du duché de Lancastre. Son oncle périt sur un échafaud en février 1716 et son frère, qui échappa alors par la fuite à la mort à laquelle il avait été condamné, la retrouva sur le même échafaud dans l'entreprise d'Écosse, sous le prince Edouard que la France favorisait.
Voici ses dernières paroles, le 8 décembre 1746: Je meurs avec Ies sentiments d'amour et de respect pour le Roy de France Louis le bien-aimé, titre glorieux, je recommande à Sa Majesté ma chère famille.
Le baron eut alors la bonté d'accorder le brevet du colonel au comte de Radclyffe et une pension de 1500 fr, à chacune de ses trois soeurs. Il sert au régiment de Dillon depuis le 21 septembre 1741 et s'est trouvé dans toutes les batailles, affaires et sièges avec ses drapeaux. Il fut pris en 1745 avec son père, en mer, et après avoir essuyé les traitements les plus durs, enfermé dans la tour de Londres où il éprouva une longue captivité. Après le supplice de son
(1) Cette note doit remonter à 1786, car elle mentionne comme vieux de 3 ans le bill de restitution de 1783 (proposition Dundas).
(2) Berkley figure comme signataire de la Patente du Chapitre d'Arras.
CHARLES RADCLYFFE 149
père, le Parlement de la Grande-Bretagne confisqua au profit de l'Hôtel des Invalides-Matelots, les terres de sa maison, estimées alors à 300 et quelques mille livres de rente et à la jouissance desquelles son père aurait pu parvenir s'il eût voulu renoncer à sa fidélité pour son légitime souverain. De cette confiscation, le Parlement retira 24.000 £ qu'il rendit au comte de Newburg, frère aîné du comte de Radclyffe, et faute d'héritiers du comte de Newburgh, le comte de Radclyffe était appelé à cette succession. Il n'y a pas 3 ans que le parlement de la Grande-Bretagne a fait une loi pour rappeler ses sujets de la Grande-Bretagne qui sont au service de la France, et qui rend ceux qui n'obéissent point, déchus de leurs droits d'héritage et proscrits comme criminels de lèse Majesté. Il a fait avec joie ce nouveau sacrifice et s'est exposé à tout événement. Cependant, dans la dernière promotion il a été oublié dans le nombre des Brigadiers et quoique plusieurs de ses cadets y aient été compris, il espère de la bonté du Roi, son bienfaiteur personnel, et celui de sa famille, que tant de sang répandu, tant de biens abandonnés, et tant d'attachement et de fidélité, pour son service, lui feront obtenir le grade qu'il croit être dû à ses services. Le comte de Radclyffe n'a d'autres biens sur la terre que son épée. Il a même sacrifié jusqu'à ses espérances, à celles dont il se flattait au service du Roi. S'il les perd, il se trouve sans biens, sans patrie, sans état.
La reine d'Espagne, par bonté pour la comtesse de Mahoni, soeur du comte de Radclyffe et veuve du comte de Mahoni, lieutenant général au service de Naples, a bien voulu le recommander à Madame la Dauphine en mai 1752.
Il espère que M. le maréchal (de Belle-Isle ?) voudra bien enfin le servir auprès de Sa Majesté pour lui faire obtenir sa demande.
Voici quels furent ses états de service :
21 septembre 1741, enseigne au régiment de Dillon.
25 mai 1744, capitaine réformé.
3 janvier 1747, rang de colonel.
20 février 1761, brigadier.
3 janvier 1770, maréchal de camp.
150 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Il fut réformé en 1784 (Roussel, p. 84).
Le 22 décembre 1747 il avait été particulièrement recommandé à d'Argenson par le comte de Clermont, G? M? de la f?-m? Nous reproduisons la lettre de ce prince qui se trouve aux archives du ministère de la guerre.
Après la mort de milord Derwentwater, Monsieur, le roy jugea à propos de donner à M. Radclyffe son second fils, la commission de colonel et les appointements. Il avait alors la commission de capitaine et les appointements à la suite du régiment de Dillon, ce qui luy faisait en tout mille écus de revenu, qui est toute sa fortune. Aujourd'hui il se trouve diminué tout d'un coup de près de la moitié par la résolution que le Roy a prise de ne point donner de doubles appointements. Mais comme l'intention de S. M. n'est pas de lui retrancher cette petite augmentation de fortune qu'elle avait bien voulu luy faire, en considération de la perte de son père, il demande que ses appointements de colonel lui soient conservés en pension. Il ne nuira pas à l'arrangement général que le Roy a pris et il jouira toujours des mêmes bontés dont S. M. l'avait jugé digne par sa situation. J'ajouterai que par rapport à luy-même il mérite beaucoup. Il a été mon aide de camp la campagne dernière et j'ay eu lieu d'être extrêmement content de son application à son devoir et de l'envie qu'il a de bien faire. Je vous prie d'avoir égard à ses raisons, qui me paraissent très raisonnables, et à la recommendation très pressante que j'y ajoute. Vous connaissez, Monsieur, l'amitié sincère que je vous ai vouée..
Louis de BOURBON.
En 1789 il touchait de Louis XVI une pension de 3.456 fr. (2.456 fr. (1748 et 1760), y compris 456 fr. d'intérêts d'arrérages en considération de ses services. et 1.000 fr. en 1770 pour les mêmes causes).
Il était chevalier de Saint-Louis du 30 janvier 1757 (1).
(1) Brevet expédié par le comte de la Serre, maréchal de camp, le 19 janvier 1757.
CHARLES RADCLYFFE 151
Jacques-Clément ne s'étant pas marié, il n'y avait plus de représentants mâles de cette famille (1). La pairie passa dans la famille Cliffort.
(1) Le 27 septembre 1856, on communiqua le dossier Radclyffe au marquis Bauduini Giustiniani. La descendance de Charles Radclyffe est aujourd'hui représentée en Angleterre par Charles Stephen M. Leslie, descendant par les Eyre de Mary Radclyffe, fille de Charles. M. Leslie possède à Slindon et à Hassop l'épée maçonnique de Charles et le linge sanglant qui reçut sa tête. Les James Radclyffe sont représentés par lord Bette, ainsi que nous l'avons indiqué plus haut.
CHAPITRE V
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN FRANCE
Les maîtres de loges. - Le recrutement. - Les loges de Paris de 1726 à 1771. - Statuts particuliers. - Les grands maîtres français : le duc d'Antin, le comte de Clermont. - La G? L? anglaise de France. - La G? L? de France. - Les substituts : Baur, Lacorne et Chaillon de Jorville. - Beauchaine. - La patente d'Etienne Morin. - Les frères ennemis. - La papauté et la f?-m?
Les deux sources maçonniques qui avaient submergé l'Angleterre devaient également inonder la France, où le courant jacobite avait été accueilli sans méfiance, voire même avec sympathie, alors qu'il n'en était pas de même de la f?-m? anglaise (1).
Le développement fut pénible; l'esprit français n'admettait pas volontiers les règles précises de discipline qui avaient assuré le triomphe de l'ordre en Angleterre, et jusqu'à l'installation du G? O? en 1773, l'organisation maçonnique française fut une véritable foire, où chacun dans sa loge faisait ce qui lui plaisait, ne retenant de la réglementation anglaise que les cérémonies initiatiques, dont il ne comprenait pas le symbolisme, et les réunions gaies, suivies de banquets souvent tumultueux. Chaque maître de loge avait sa tradition, sa légende adamique, hiramique ou templière, sans compter les variantes. Trois maîtres de loge,
(1) Nous désignerons à l'avenir ces deux espèces de sociétés sous les noms de maçonnerie jacobite et de maçonnerie anglaise.
LES DEBUTS DE LA F?-M? EN France 153
moyennant finance, en initiaient un quatrième et l'autorisaient à ouvrir un atelier (1).
La plupart étaient des tenanciers de cabarets ; s'ils ne versaient pas à boire, ils avançaient les fonds et recueillaient les profits.
Dans ces réunions, on s'affublait de multiples rubans, plus ou moins brodés, agrémentés de bijoux variés ; on s'appelait frère et l'on portait des santés. Il ne semble pas qu'on y ait beaucoup causé philosophie, politique ou religion, et c'est assurément ce qu'on avait de mieux à faire. A peine quelques zélés, par-ci par-là, initiés en Angleterre ou possesseurs de documents anglais, parlaient-ils dans quelques coins du Grand Oeuvre, mais la plupart n'avaient nul souci de ces graves questions.
On inventait de nouveaux grades, de nouvelles origines, de plus en plus anciennes et de plus en plus extraordinaires. Tout cela faisait joyeusement passer le temps. Aux loges proprement dites étaient accouplées souvent des loges de Fendeurs ou de Félicitaires, dans lesquelles la police des moeurs aurait pu intervenir ; car à côté des joyeux compagnons se glissaient les vicieux de toutes catégories, et à côté de l'innocent maçon, le diable faisait bien de temps en temps quelque bonne recrue. Si l'on rencontre parfois les grands seigneurs
(1) « Another charge is, that the Lodges were proprietary, presided over by irremovable masters who had bought their patents, and in order to make a profit out of them, initiated every applicant however unworthy that this may have happened in some few cases, especially where the Master was innkeeper, I am not prepared to deny ; the taunts of some of the contemporary so called exposures would almost imply as much ; but considering how many high names were enrolled in the Craft at this period, I cannot imagine that the evil was of intolerable extent. » Gould III, 143.
154 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
parmi ceux qui fréquentaient les loges et trouvaient élégant de « s'encanailler », le plus grand nombre des maçons était recruté dans la petite bourgeoisie et le petit commerce. A part quelques loges élégantes que nous signalerons en leur temps, à part surtout les loges de régiments, qui ne prirent un certain essor qu'à partir de 1760, les loges réunissaient des gens de peu, comme on disait alors ; les loges écossaises étaient en général mieux fréquentées.
A part les ducs de Richemond, de Luxembourg et d'Aumont, les comtes de Noailles, de Choiseul et de Tessé, et l'architecte de Puiseux, parmi les maîtres de loges on ne trouve que de tout petits commerçants. La G? L? qui était censée gouverner tout ce monde turbulent, était à vrai dire plus aristocratiquement composée, et la plupart de ses membres tenaient loge chez l'un d'eux. On jouait à la maçonnerie comme on allait chez Ramponneau ou au Soleil d'Or. Pendant que la duchesse de Portsmouth battait maillet en bonne compagnie, dans son hôtel, à Paris, ou dans son château d'Aubigny; pendant que le duc d'Aumont pontifiait dans la loge qui porta son nom, avec les Luxembourg et les Noailles, le plus grand nombre allait se divertir chez Chapelot à la Rapée, chez Leroy rue Saint-Germain-l'Auxerrois, ou chez Landelle rue de Buci. Que n'en fut-il pas toujours de même !
Aussi les historiens f?-m? font-ils le silence sur toute cette période du développement de leur ordre. A force de se taire, ils ont fini par oublier les faits et gestes de leurs ancêtres, dont ils savent si vaguement les noms des plus importants d'entre eux, que nous avons vu que, dès 1770, ils donnaient à lord Derwentwater le nom de lord Harnouester dont les f?-m? font, aujourd'hui encore, le second Grand Maître
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 155
de l'ordre en France. Ils ignorent, en effet, à ce point leur histoire que le plus savant d'entre eux, Daruty, parvient à grand peine à signaler l'existence de 24 loges parisiennes et 199 loges provinciales avant la mort du comte de Clermont (16 juin 1771).
Or, des recherches heureuses m'ont permis de dresser une liste de 154 loges parisiennes, de donner le titre de 146 d'entre elles, et d'en désigner huit autres par le nom de leurs vénérables ; j'ai déterminé d'autre part 322 loges provinciales et 21 loges de régiment. Mes listes cependant sont certainement incomplètes, car en 1744, par exemple, il y avait, d'après divers auteurs, 22 loges à Paris, et je n'ai pu en dénommer que dix. Beaucoup de loges, il est vrai, ont dû avoir des existences éphémères, irrégulières. Tel groupement était orthodoxe pour tel maçon et ne l'était pas pour tel autre.
On pourra juger de la composition des loges parisiennes par la liste que nous donnons ci-dessous, dans laquelle nous avons pris soin de marquer d'une * les loges signalées par Daruty.
1726-1735
1* Saint-Thomas, n° 1, renouvelé le 3 avril 1732 12 juin 1726.
2* Loge de Coastown, (Goustaud) (1) - 1726.
3 Saint-Louis d'argent, dite Saint-Thomas, II, Lebreton 7 mai 1729.
4 Saint-Martin, Peny père 7 mai 1729.
5* Les Arts Sainte-Marguerite 15 décembre 1729.
6 Saint-Pierre-Saint-Paul, Puisieux. 1729,
7* Loge de Bussy (Aumont) -1735.
1743-1749
8* Concorde, renouvelée le 21 mars 1764 27 décembre 1743.
(1) Le nom qui suit le titre distinctif de la loge est celui de son vénérable maître qui servait souvent à désigner la loge. On disait également : L'Union ou la loge de Duret ; Saint-Martin ou la loge de Peny, etc.
156 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
9 Union, Duret 16 mai 1744.
10 Saint-Thomas, III, Decourt.. 29 septembre 1744.
11* La chambre du Roi 20 octobre 1745.
12 Saint-Jean-Baptiste, Couteux. 17 mai 1746.
13 Saint-André, I, Gautelme ler février 1747.
14 Saint-Simon-Saint-Marcel, Liégeois 8 février 1748.
15 La Magdelaine, Léveillé 10 mars 1749.
16 Coeurs réunis, Antin 10 avril 1749.
17 Saint-Fidèle, Baquet 25 octobre 1749.
1750-1755
18 Paix Immortelle, Pâris 25 octobre 1750.
19 Saint-Jean des amis de la vérité, Journalles 24 novembre 1750.
20 Vérité, Leur 1750.
21 Bon Zèle, Borel 17 janvier 1751.
22 Saint-Philippe, comte de Noailles. 24 février 1751.
23* Saint-Julien de la Tranquillité 25 avril 1751.
24 Saint-Jean de Luxembourg, Potel. 1751.
25 Constante vérité 27 décembre 1751.
26 Saint-Jean de la discrétion avant 1751.
27 Saint-Jean de la Triple Unité avant 1751.
28 Trinité, I, Pirlet 25 mars 1752.
29 Secret, Moét 27 septembre 1753.
30 Vrais amis, I, Clément 27 décembre 1753.
31 Saint-Louis des coeurs unis par excellence, Boitel 4 juillet 1754.
32 Saint-François, Guillot 15 décembre 1754.
33 Discrétion, Doyère 15 décembre 1754.
34 charité Maguet 15 décembre 1754.
35 Saint-Prudent, Robineau 27 avril 1755.
36 Egalité, Desserais 29 novembre 1755.
1756-1759
37 Sincérité de Saint-Jean, La Valnierre 17 janvier 1756.
38 Saint-André, II, Thibault 25 janvier 1756.
39* Le Bon Zèle, II 7 janvier 1757.
40 Saint-Frédéric, Martin 11 mai 1757.
41 Union des parfaits élus, Hardy 24 juillet 1757.
42 Bons citoyens, Soisson 21 décembre 1757.
43 Persévérance, Servant 21 décembre 1757.
44 Vrais amis, H, Molet 27 décembre 1757.
45 Saint-Remi, Herbin 27 décembre 1757.
46 Fête de la G. L. et Trinité, Perault. 16 avril 1758.
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 157
47 Saint-Louis des Croisades, Dantbiaua 27 juillet 1758.
48 Parfaite Tempérance, Lexcombart 17 décembre 1758.
49 Saint-Etienne des frères unis, Guillet 24 décembre 1758.
50* Sainte-Geneviève, Ledin 24 décembre 1758.
51 Sagesse des parfaits maçons, Du Houssoy 17 janvier 1759.
52 Satisfaits 18 février 1759
53 Saint-Nicolas des deux amis, Poulet. 19 février 1759.
54 Bonnes Moeurs, Gilet 19 février 1759.
1760-1764
55* Saint-Alphonse des amis parfaits de la vertu 23 mars 1760.
56 Frères choisis, Guainaud 23 mars 1760.
57 Saint-Pierre de la Bonne Foi, Brunet 20 avril 1760.
58 Bonne Intelligence, Pettre 10 novembre 1760.
59* Saint-Louis de la Martinique des frères réunis 11 janvier 1761.
60* La noble et parfaite Union 15 juin 1761.
61 Trinité dite Egalité, Tardieu 25 octobre 1761.
62 Sainte-Claude fille de Saint-Martin, Magnien 10 janvier 1762.
63 Bonne foi primitive, Lemonnier 25 janvier 1762.
64* Saint-Joseph de la Franchise 10, mars 1762.
65* Coeurs simples de l'Etoile Polaire 3 avril 1762.
66 Saint-Charles, Bigarré 31 mai 1762.
67 Enfants de la Gloire, comte de Choiseul 28 octobre 1762.
68 Saint-Clément Saint-Charles, Maurui 12 décembre 1762.
69 Saint-Louis les inséparables, Xerckove 24 septembre 1763.
70* Saint-Charles des amis réunis 24 décembre 1763. 71 Saint-Antoine de la Franche Liberté,
Borel 9 février 1764.
72* Saint-Pierre du parfait accord 4 novembre 1764.
1765-1769
73* Les Amis de la vertu 21 mars 1765.
74* Les Coeurs unis 7 mai 1765.
75* David 12 décembre 1765.
76 Humilité des bons citoyens, Lauguet 27 décembre 1765.
77* Saint-Lazare 30 mars 1766.
78* Etoile Polaire 17 mai 1766.
79 Gerbe dite la Providence, Dujy.. 3 juin 1766.
80 Union sincère, Saulnier 3 juin 1766.
81 Socrate de la parfaite union, Bourgeois 17 juillet 1766.
82 Saint-Antoine de la discrétion, P oussart 25 novembre 1766.
158 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
83 Sagesse, Saint-Edme, Saint-Louis des 4 février 1767.
84 amis réunis, Vallée. 10 mai 1767.
85 Saint-Jean de la Fidélité, Tricot. 21 juin 1767.
86 Saint-Prudent dite Egalité, Regnard.
La Vertu et l'Union parfaite de Saint-Simon 4 juillet 1767.
15 janvier 1768.
87* Union parfaite de la Persévérance ,
88 Bonne Foi, Blain 1er avril 1768.
89 Bons Frères réunis, Sellier 1er mai 1768.
90* Saint-Pierre des vrais frères 24 juillet 1768.
91 Saint-Henri, Saint-Martin, Pény fils. 11 juin 1769.
92 Saint-Joseph, fille de Saint-Etienne
Cornut 11 juin 1769.
93 Saint-Spire, Saint-Martin des Frères de l'aimable Union, Leroy. 11 juin 1769.
1771
94 Saint-Simon, patriarche de Jérusalem, 11 février 1771.
95 Hamet Saint-Jacques des parfaits chevaliers de l'ordre, Fouquet 7 mars 1771.
96 Saint-Charles des frères de la bonne union, Labet 7 mars 1771.
97* Les Amis réunis 23 avril 1771.
Loges dont le titre n'a pu être retrouvé.
98 Vén. Duc d'Enghien (comte de Clermont ?) 3 décembre 1750.
99 Leclerc - 1751.
100 Comte de Tessé 19 février 1759.
101 Dansse 20 novembre 1760.
102 Montroye 1766.
103 Chaudron entre 1767 et 1771.
104 Gourlin entre 1767 et 1771.
105 Detelleur entre 1767 et 1771.
Sur divers brevets j'ai relevé les loges suivantes qui existaient entre les années 1760 et 1766.
106 La Constance, Vén. chev. de Beauchaine.
107 L'Intelligence, prince Camille de Rohan.
108 Saint-Antoine, Chaillon de Jonville.
109 La Trinité, II, La Corne.
110 La Vertu, Le Boucher de Lenoncourt.
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 159
111 L'Exactitude, Brest de la Chaussée.
112 Saint-Alphonse, Daubertin.
113 La parfaite Harmonie (?), Etienne Morin.
114 La Constance et l'Amitié, le chev. de Beauchaine.
115 Saint-André, III, Percheron.
116 La Candeur, I, Drothier.
117 La Sincérité, Dutertre.
118 Les Inébranlables Chevaliers de l'Epée et du Mérite de France, Pollett.
119 Saint-Jean de Jérusalem.
120 Sciences.
121 La Sagesse, Lucet.
122 Triangle lumineux.
Enfin j'ai constaté l'existence des loges suivantes sans pouvoir déterminer les dates de leur constitution :
123 Coeurs simples.
124 Désir.
125 Double intimité.
126 Heureuse sympathie.
127 Notre-Dame de Bon Secours.
128 Paix.
129 Philanthropie.
130 Réunion de Saint-Martin.
131 Saint-Antoine des parfaits chevaliers d'Orient réunis.
132 Saint-Antoine de la perfection.
133 Saint-Augustin dit les frères chevaliers de Minerve.
134 Saint-Charles de la parfaite espérance.
135 Saint-Claude de la famille unie.
136 Saint-Etienne de la persévérance.
137 Saint-François de la parfaite union.
138 Saint-Georges.
139 Sainte-Hélène et Saint-Louis réunis.
140 Saint-Hilaire.
141 Saint-Jacques des amis intimes.
142 Saint-Jacques de la paix immortelle.
143 Saint-Jean de la sincérité.
144 Saint-Joachim.
145 Saint-Louis de bon accord.
146 Saint-Louis de la discrétion.
147 Saint-Mathieu de la parfaite unité.
148 Saint-Nicolas de la constance éprouvée.
149 Saint-Pierre des amis indissolubles.
150 Saint-Rémy des vrais frères réunis.
160 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
151 Saint-Simon de la bienfaisance.
152 Union des bons enfants.
153 Union parfaite de Saint-Jean de la Porte latine.
154 Union des Sept Frères.
(Il est possible que quelques-unes des loges de cette dernière catégorie fassent double emploi avec les n°' 98. à 105.)
Par qui était gouverné tout ce monde agité ? A la tête de la f?-m? française nous voyons succéder à lord Derwentwater, non pas comme membres actifs, mais comme insignes protecteurs, deux personnalités plutôt amusantes que dramatiques : le duc d'Antin et le comte de Clermont, bien faits l'un et l'autre pour commander aux disciples de Bacchus et pour présider à l'embarquement pour Cythère. Il ne faudrait cependant pas prendre trop au tragique leurs vices qui n'étaient pas plus accentués que ceux des gens de leur époque ou de la nôtre, et l'on ne sait vraiment si l'on doit rire ou prendre au sérieux les statuts reproduits dans l'histoire des f?-m? de la Tierce et que cet écrivain fervent de maçonnerie déclare être spéciaux pour la France (I, 174).
I. - Nul ne sera reçu dans l'ordre, qu'il n'ait promis et juré un attachement inviolable pour la religion, le roi et les moeurs ;
II. - Tout brocanteur en incrédulité, qui aura parlé ou écrit contre les sacrés dogmes de l'ancienne foi des Croisés, sera exclu à jamais de l'ordre, à moins qu'il n'abjure ses blasphèmes en pleine assemblée et qu'il ne fasse une répudiation de ses ouvrages ;
III. - Nul homme suspect de vices infâmes et dénaturés ne sera admis, qu'après avoir donné pendant trois ans des preuves éclatantes de son innocence et de son respect pour le beau sexe ;
IV. - Tout homme qui place la félicité à boire, manger
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 161
et dormir, et la perfection de l'esprit à jouer, chasser, badiner, savoir l'histoire des toilettes, parler le langage des ruelles et ne lire que des ouvrages frivoles est incapable d'entrer dans l'ordre ;
V. - Tout petit maître, idolâtre de sa personne, de son toupet et de ses ajustements sera obligé en entrant dans l'ordre de s'habiller simplement, sans galon, sans broderie, sans frange et sans parure femelle, pendant l'espace de trois ans;
VI. - Nul hypocrite en probité, en valeur, en dévotion, ni en morale sévère ne pourra être admis dans la sacrée confraternité ;
VII. - Tout savant qu'on recevra dans l'ordre sera tenu de promettre qu'il préférera à l'avenir le plaisir de savoir à l'envie de briller, qu'il tâchera d'avoir le beau dans la tête et le bon dans le coeur et qu'il ne montrera jamais l'un que pour faire aimer l'autre ;
VIII. - Nul bel esprit qui aura médit, calomnié, satirisé en vers ou en prose, et dépensé ses talents en faux frais, en sornettes obscènes ou impies, ne sera reçu qu'après avoir fait un ouvrage contre sa propre impertinence.
Et, ajoute la Tierce, ces statuts sont exprimés en des termes tout à fait propres pour le pays où ils doivent être observés, sans cependant rien renfermer qui répugne aux obligations générales et aux statuts en usage de toute antiquité dans les loges répandues sur la surface de la terre. Ce qui est une nouvelle preuve de l'attention de la vénérable confraternité pour tout ce qui peut corriger les défauts et les vices du genre humain selon les temps, les nations et les circonstances.
A la lecture d'un semblable document, on est en droit de se demander si l'auteur ne fait pas une allusion ironique à tous les travers qu'on reprochait au duc d'Antin ou au comte de Clermont, qui avaient bien des défauts communs.
On est d'autant plus en droit de se poser la question que tous les documents du recueil de la Tierce
162 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
sont des documents authentiques, y compris les origines de la maçonnerie. En la faisant remonter à Adam et en indiquant les loges fondées par les fils de Noé et leurs descendants, il ne fait que répéter une fable qui avait cours, fable à tout prendre qui n'est pas plus ridicule que celle d'Hiram ou celle des Templiers.
Que les statuts à l'usage des Français soient authentiques ou faux, dans les deux cas ils énumèrent ce qu'on reprochait alors à nos compatriotes initiés et justifient mes appréciations antérieures sur la mentalité maçonnique à cette époque.
Du reste, les grands maîtres que se choisissent les f?-m? ne déparèrent pas l'ordre, ainsi qu'on va le voir.
LE DUC D'ANTIN.
Louis de Pardaillan de Gondrin, duc d'Antin, naquit le 9 novembre 1707. Il fut connu pendant la première période de sa vie sous le titre de duc d'Epernon.
Il était fils de Louis, marquis de Gondrin (1689-1712), mort à l'âge de 23 ans, après avoir épousé Marie-Victorine-Sophie de Noailles qui se remaria avec le comte de Toulouse ; il était le petit-fils de Louis-Antoine (1665-1736) et de Julie-Françoise de Crussol, fille du duc d'Uzès. Il était enfin l'arrière-petit-fils du marquis de Montespan et de la belle Françoise-Athénais de Rochechouart.
Louis-Antoine avait eu cette bizarrerie d'être le seul enfant légitime du marquis de Montespan. Cette infortune le suivit toute sa vie, et à la cour du grand roi, avec l'indulgence en moins, il était un peu regardé sinon comme un bâtard, au moins comme un intrus.
Sa personnalité, du reste, n'était pas sympathique.
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 163
Médiocrement brave, on avait fort chansonné son attitude à la bataille de Ramillies, à laquelle il avait assisté derrière un buisson. Courtisan sans vergogne, il est possible cependant que les histoires des allées de marronniers tombant comme par enchantement sur un désir exprimé par Louis XIV soient inventées, car on n'est pas bien sûr que l'événement se soit produit à Petit-Bourg ou à Fontainebleau. Il était encore plus joueur que courtisan, et ses infortunes au lansquenet furent nombreuses. Comme on voulait obtenir pour lui un poste qu'il désirait vivement, et qu'on assurait au roi qu'il ne jouerait plus : « A la bonne heure, répondit Louis XIV ; mais qu'est-ce que ça me fait que d'Antin joue ou ne joue plus ? »
Si d'Antin ne brilla pas à la guerre, il se couvrit de gloire rue Quincampoix, et il fut du petit nombre des gens avisés dont Law fit la fortune.
En 1721, son petit-fils, celui qui devait tenir le maillet de Grand Maître, fut nommé gouverneur de l'Orléanais ; c'était en survivance, car il n'avait que quatorze ans ; en 1727, il n'en avait que vingt, lorsqu'il fut mis à la tête du régiment de Royal-Marine. Il n'eut pas l'occasion de prouver son courage. Sa vie fut assez terne, et il semble qu'à part ses fredaines maçonniques (il fut initié en 1734) il ne fit guère qu'une conquête dont un inspecteur de police, mauvaise langue, fut l'historiographe. Un jour, paraît-il, qu'en l'année 1732 il, allait à la messe aux Feuillants, car il allait à la messe, il aperçut M"° Elisabeth Le Duc la cadette (1), la danseuse postulante de l'Opéra, qu'on appelait l'Altesse, qui, elle aussi, se rendait dévotement aux Feuillants : « Il la trouva à son gré, nous dit l'indiscret poli-
(1) Il ne faut pas la confondre avec sa soeur aînée Thérèse Le Duc.
164 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
cier, la fit suivre par un de ses laquais qui lui proposa un rendez-vous de la part de son maître. La demoiselle n'eut garde de refuser cette bonne fortune ; le duc d'Epernon soupa avec elle dès le soir même ; il la prit en amitié », et comme il avait du crédit à l'Opéra, il la fit admettre d'autorité dans le corps de ballet de l'Académie royale. Nous retrouverons Mlle Le Duc chez le G? M? successeur du duc d'Antin.
Entre temps, le duc d'Antin avait épousé Géronne de Montmorency-Luxembourg, de laquelle il eut deux filles, et un fils, Louis (1727-1757), qui mourut sans postérité, mais en laissant son nom à un quartier de Paris.
C'est le jour de la fête de la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin 1738, que le duc d'Antin fut élu Grand Maître de la franc-maçonnerie. De quel pouvoir tenait-il son maillet souverain ? D'une loge écossaise ou d'une des grandes loges d'Angleterre ? Aucun historien n'est fixé sur ce point. Il est probable qu'il fut simplement désigné par un certain nombre de loges parisiennes, influencées par des maçons jacobites. Sa qualité de successeur de lord Derwentwater, permet de faire cette hypothèse, la seule vraisemblable. On ne sait rien de sa gestion. Les ouvrages maçonniques racontent, à sa louange, qu'il s'opposa bravement à l'entrée du lieutenant de police Hérault dans une loge à la Rapée, malgré les ordres du roi, et à cet acte se borne l'influence qu'il eut sur l'ordre en France.
La Tierce signale cependant à son actif un acte plus remarquable. En qualité de G? M?, dans une assemblée solennelle de la G? L? en 1740, il aurait prononcé un discours, duquel on peut retenir les passages suivants :
«... La philanthropie n'était pas la base des républiques de l'antiquité. L'amour de la patrie, mal entendu
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 165
et poussé à l'excès, détruisait souvent, dans ces républiques guerrières, l'amour de l'humanité en général... Le monde entier n'est qu'une grande république dont chaque nation est une famille et chaque particulier un enfant... » Décidément, le G? M? n'avait pas pour son pays un amour plus intense que celui témoigné par son grand-père à Ramillies.
« Nous avons des secrets, dit-il plus loin ; ce sont des signes figuratifs et des paroles sacrées qui composent un langage tantôt muet, tantôt très éloquent, pour se communiquer à la plus grande distance et pour reconnaître nos confrères de quelque langue qu'ils soient. » Il croit que c'est l'ancien mot de guerre des croisés !
Mais voici qui est plus grave et plus symptomatique « L'Ordre, dit-il, exige de chacun de vous de contribuer par sa protection, par sa libéralité ou par son travail, à un vaste ouvrage auquel nulle académie ne saurait suffire. Tous les G? M? en Allemagne, en Angleterre, en Italie et ailleurs exhortent tous les savants et tous les artisans de la confraternité de s'unir pour fournir les matériaux d'un dictionnaire universel des arts libéraux et des sciences utiles, la théologie et la politique seuls exceptés. On a déjà commencé l'ouvrage à Londres (1). »
Sous forme de réclame pour l'Encyclopédie britannique, nous voyons réaliser le projet des habitants de Bensalem, imaginé par Bacon, aussi bien qu'une nouvelle forme du Dictionnaire de Bayle.
(1) Daruty, op. cit., attribue ce discours à Ramsay; mais ses arguments ne me paraissent pas déterminants, les lettres de Ramsay à Joly de Fleury n'ayant aucun rapport certain avec le discours reproduit et pouvant faire allusion à un discours qui n'aurait pas été prononcé, si l'on s'en rapporte à la note de Joly de Fleury. L'ouvrage auquel fait allusion le duc d'Antin est l'Encyclopédie de Chambers publiée à Londres à partir de 1728 sous le titre de : English Cyclopedia.
166 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Le duc d'Antin, peu après avoir été nommé maréchal de camp, mourut à Paris, le 9 décembre 1743. Voyons son successeur.
LE COMTE DE CLERMONT.
Louis de Bourbon-Condé naquit à Versailles, le samedi 15 juin 1709, à 4 heures du soir. Il fut tenu sur les fonts baptismaux par Louis XV et par la duchesse de Berry le 15 novembre 1717.
Il était le troisième fils (1) de Louis III, duc de Bourbon, d'Enghien, de Châteauroux, etc. (1710), et de Louise-Françoise de Bourbon, dite Mlle de Nantes, fille naturelle légitimée de Louis XIV et de Mme de Montespan.
Louis de Bourbon, comte de Clermont, était donc, par Mme de Montespan, arrière-grand-oncle du duc d'Antin.
Destiné à l'état ecclésiastique, il fut pourvu, de 1717 à 1733, de six abbayes qui ne lui rapportaient pas un bénéfice de moins de 200.000 livres ; il fut pourvu plus tard de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, qui ne rapportait pas moins de 180.000 francs.
Sans être doué d'une haute intelligence, c'était un esprit curieux et cultivé ; indulgent pour son entourage, il aimait à répandre des bienfaits autour de lui, autant par faste et prodigalité que par réelle bonté ; courageux jusqu'à la témérité sur les champs de bataille, il fut assurément moins bien armé contre le malheur. Intelligence superficielle, il n'avait pas les qualités qui accompagnent généralement les natures légères, il manquait de finesse dans l'esprit ; il n'avait ni la répartie vive, ni le mot profond.
Comme celle de presque tous ses contemporains
(1) Ses frères étaient le duc de Bourbon et le comte de Chamais.
LES DÉBUTS DE LA F?-L? EN France 167
dans sa situation, son adolescence fut frivole et dissipée; mais ces travers eurent cependant quelques compensations.
Nous ne saurions lui faire grief d'avoir, à l'âge de 14 ans, fait construire un superbe monument funéraire à la mémoire de son singe Macathy, qui venait de trépasser, et juger son caractère d'homme par cette exagération enfantine, d'autant qu'il se consola, semble-t-il, assez vite. Les propos de ruelle, que devaient si fort mépriser les statuts maçonniques, racontent en effet, en 1724, une aventure plutôt un peu vive qui lui serait arrivée avec la fille de M. de Matignon, Mme de Grave, femme sans scrupules excessifs, qui au surplus passait pour une ébaucheuse, comme disaient les roués. Le vieux comte de Billy, mentor du jeune prince, semble avoir joué dans l'occurrence le rôle de Mercure. L'affaire fit tellement de bruit que le mari battit sa femme, puis, après réflexion, se calma.
Le comte de Clermont ne s'occupait pas que de galanterie, et son esprit se tournait avec assiduité vers les sciences et les arts.
S'inspirant peut-être de la Nouvelle Atlantide, dont l'abbé Raguet avait publié une traduction (1702), il imagina de former en 1729, dans son hôtel, une sorte d'académie : la Société des Arts, dont le programme comportait des exagérations d'un ordre gai. A chaque branche des sciences ou des arts, il aurait voulu accoupler une profession. On aurait ainsi agrémenté l'historien d'un brodeur, et on eût logé le poète à l'enseigne du teinturier. Cette académie fonctionna avec ou sans brodeur, avec ou sans teinturier jusqu'en 1737, et distribua des prix. Parmi les sociétaires figuraient artistes et grands seigneurs, La Grive, le graveur géographe ; Ledran, le chirurgien ; le chevalier de Bé-
168 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
thune et le prince de Grinberghem siégeaient à côté des horlogers Julien Leroy et Gaudron.
Le comte de Clermont ne protégeait pas que les savants, et son nom fut malheureusement mêlé aux incidents qui accompagnèrent la mort d'Adrienne Lecouvreur, car, à cette époque, il était l'amant en titre de la duchesse de Bouillon. Peu après, il abandonna cette femme tragique qu'il troqua avec Sourdis contre la Camargo. Il resta huit ans fidèle à la célèbre danseuse, qui lui donna deux enfants et lui fit faire deux millions de dettes.
Pour un abbé, la conduite était leste ; mais, comme il ne voulait abandonner ni ses bénéfices ni ses maîtresses, il obtint, dit-on, du pape Clément XII un bref l'autorisant à porter les armes, et fit honorablement la campagne de 1733.
Avant de succéder au duc d'Antin sur l'autel à sept marches où siégeaient les G? M?, il lui succéda dans les bonnes grâces de Mlle Le Duc, la danseuse dont nous avons déjà parlé. Décidément le fondateur de la Société des Arts trouvait qu'on pouvait accoupler la chorégraphie avec la marche symbolique du maître parfait.
Son zèle artistique dépassa cependant la mesure : le 22 mars 1742, oubliant qu'il avait reçu la Lumière, il célébrait les Ténèbres à Longchamp par une exhibition qui fit scandale. Il avait fait à Mlle Le Duc pour cette circonstance une galanterie qu'on chansonna trop. La danseuse figura au défilé dans une calèche de canne peinte en bleu, avec des ornements d'argent, attelée de six chevaux nains pas plus gros que des dogues ; un petit postillon et un petit hussard richement habillés, l'un en veste rouge toute couverte de galons d'argent avec une plume bleue au chapeau, l'autre en robe bleue, le sabre et le bonnet tout garnis de plaques
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 169
d'argent. Mlle Le Duc tenait les guides, escortée de deux valets de pied déguisés.
Le comte de Clermont s'affichait aussi avec elle à la Comédie-Française et à l'Opéra.
Ces aventures n'étaient assurément pas faites pour blesser tout le monde, car c'est au lendemain du scandale qu'elles avaient produit qu'il fut nommé, le 11 décembre 1743, G? M? perpétuel de la franc-maçonnerie par les vénérables de seize loges parisiennes qui composaient alors la Grande Loge de Paris, dite Grande Loge de France. Cette élection fut acceptée par les loges de provinces auxquelles on l'avait notifiée. Il avait eu comme concurrents à la Grande Maîtrise le prince de Conti et le maréchal de Saxe.
Le comte de Clermont ne semble pas avoir brûlé d'un zèle ardent pour les pratiques de l'Ordre, et si quelques événements importants se passèrent sous sa maîtrise, ils furent certainement provoqués par des sous-ordres fort peu recommandables, ainsi qu'en font l'aveu les historiens maçonniques.
Peu après son élection, il quitte Paris et s'absente trois années consécutives, pendant lesquelles il fait brillamment les campagnes de 1744-1747. Il participe largement aux prises de nombreuses places fortes, et s'il n'assiste pas à la bataille de Fontenoy, il a une excuse très réelle à son absence ; il s'était démis la rotule en jouant au volant avec Mlle Le Duc.
En 1747, il se retire de l'armée, ayant été blessé de ne pas avoir eu la conduite du siège de Berg-op-Zoom, confiée au maréchal de Lowendal.
A partir de cette époque, il se terre avec Mlle Le Duc dans le château de Berny, maison de campagne des abbés de Saint-Germain-des-Prés.
Là, il installe un théâtre, où l'on joue tout autre chose
170 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
que du classique ; le répertoire est en grande partie l'oeuvre de Collé ou celle de Laujon qui avait succédé, en 1750, dans les fonctions de secrétaire de ses commandements, à Moncrif, l'auteur de l'Histoire des chats. Le comte de Clermont s'essaya aussi dans la composition dramatique, mais sans grand succès.
Il installa sa musique sur le pied de celle de la chambre du roi ; elle était conduite par le flûtiste Michel Blavet et le violoniste André Pagni ; Laujon, Blavet et Pagni étaient francs-maçons.
Sa troupe dramatique, composée de professionnels, était souvent renforcée par des gentilshommes de sa maison, et lui-même ne dédaignait pas, malgré sa corpulence, de figurer les paysans, les rôles à manteau sérieux et les financiers. Son amour pour le théâtre était poussé à un tel point qu'il fit construire une seconde salle, rue de la Roquette, afin de pouvoir donner des représentations pendant ses séjours à Paris.
Malgré ce zèle artistique, lorsque, le 1er décembre 1753, il fut appelé à remplacer Gros de Boze à l'Académie, les libellistes trouvèrent ses titres un peu maigres, et l'un d'eux, le critique Roy, fit circuler la pièce suivante
Trente neuf joints à zéro,
Si j'entends bien mon numéro,
N'ont jamais pu faire quarante.
D'où je conclus, troupe savante,
Qu'ayant à nos côtés assis
Clermont, cette masse pesante,
Ce digne cousin de Louis,
La place est encore vacante.
Mal en cuit au pauvre poète, car, sans doute au nom de la fraternité maçonnique, le comte de Clermont le fit si vivement bâtonner que l'on fit courir le bruit de sa mort, bien qu'il n'ait trépassé que dix ans plus tard. En cherchant une excuse à ce manquement aux
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 171
maximes égalitaires, on peut ajouter que de tous les libellistes, Roy fut un des plus bâtonnés. Peut-être aussi n'était-il pas initié.
Bien que gouverneur de Champagne depuis 1751, le comte de Clermont ne quittait guère les jupes de Mlle Le Duc qu'il comblait de présents : maison à Paris, au coin de la rue de Richelieu, près des boulevards ; autre maison, 4, rue Popincourt ; terre de Tourvoye près de Berny, érigée en marquisat. Il fit tant et si bien, qu'en 1757 il fut obligé d'enrayer et de liquider sa maison dramatique. Peut-être pour se refaire, comme le maréchal de Richelieu, il eut l'idée désastreuse de demander et la mauvaise fortune d'obtenir, en 1758, le commandement en chef de l'armée de Hanovre, fort mal en point. C'est lui qui organisa la retraite de Minden et qui commandait à Crevelt. Remplacé en juillet par le maréchal de Contades, il vint prendre ses derniers quartiers à Berny, où il ne trouva rien de mieux à faire que d'épouser Mlle Le Duc, devenue marquise de Tourvoye (1).
Boudant la cour, le comte de Clermont mena une vieillesse assez maussade ; aigri par les désastres de la fin de sa carrière militaire (2), il fronda la royauté avec acharnement, lors du renvoi des parlements ; c'est à son lit de mort, où il était cloué par la goutte, que se réunirent les princes du sang pour protester contre le parlement Maupeou. Louis XV lui tint rigueur et ne s'inquiéta pas de ses derniers moments. Le comte de
(1) La marquise de Tourvoye mourut en 1793, rue Popincourt. D'après Gould (III, 142), le comte de Clermont « en juillet 1757, quitta l'armée, se retira de la cour et se consacra aux sciences et aux oeuvres de bienfaisance jusqu'à sa mort. »
(2) Après la bataille de Raucoux où le comte de Clermont s'était glorieusement conduit, alors que son homonyme le comte de Cler-
172 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Clermont mourut à Versailles le 16 juin 1771 à 6 h. du soir. Son corps fut transporté à son hôtel de la Roquette, où le service religieux fut fait par le curé de Sainte-Marguerite et par Mgr Louis de Conzié, évêque d'Arras. Son corps fut inhumé à Enghien (1).
Nous avons vu plus haut que le comte de Clermont tenait ses pouvoirs de G? M? du vote des vénérables de seize loges parisiennes et que ces pouvoirs avaient été ratifiés par les loges de province.
D'après les statuts généraux de la f?-m? anglaise, ces loges avaient-elles le pouvoir de conférer ce titre ? Assurément non.
Les historiens maçonniques racontent, avec une unanimité complète, sans en fournir du reste aucune preuve, que le 11 décembre 1743, la Grande Loge d'Angleterre constitua avec les loges parisiennes la Grande Loge anglaise de France, qu'elle conservait ainsi sous son obédience. Cet aveu est précieux à retenir.
mont-Gallerande avait failli compromettre la journée, on avait fait le quatrain suivant
A Raucoux où l'Anglais sous nos coups est tombé,
Des deux Clermont, chose extraordinaire,
L'abbé se bat comme un militaire,
Et le militaire en abbé.
Après la bataille de Crevelt, en juin 1758, on avait fait une variante :
Moitié plumet, moitié rabat,
Aussi propre à l'un comme à l'autre,
Clermont se bat comme un apôtre
Et sert son Dieu comme il se bat.
(1) Voir J. Cousin, le Comte de Clermont ; - Capon et Messis, en Théâtres clandestins; - d'Alméras et d'Estrées, les Théâtres libertins au XVIIIe siècle.
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 173
Depuis 1741, la France avait l'Angleterre comme principale adversaire dans la guerre de la succession d'Autriche, qui ne devait prendre fin qu'en 1748.
Comment, en pleine guerre, une société française aurait-elle osé se placer sous l'autorité immédiate de supérieurs anglais, et se dénommer Grande Loge anglaise de France ? Alors que Louis XV soutenait ostensiblement les projets de Charles-Edouard en faveur de la restauration de Jacques III Stuart sur le trône d'Angleterre, comment le comte de Clermont, qui devait figurer brillamment pendant cette guerre, aurait-il accepté, lui, prince du sang, une situation aussi fausse, aussi criminelle ?
On doit donc supposer qu'il fut circonvenu et expliquer son indifférence à l'égard de la f?-m? par le mécontentement qu'il dut avoir lorsqu'il s'aperçut qu'on l'avait trompé.
Est-ce encore pour ces raisons très plausibles que Louis XV aurait, le 5 juin 1744, renouvelé les défenses faites en 1737 et 1738 aux maçons de s'assembler en loges et aux propriétaires de maisons ou aux cabaretiers de les recevoir sous peine de 3.000 fr. d'amende ? C'est peut-être pour cela que, le 8 juin 1745, une escouade du guet avait dispersé une assemblée de f?-m? qui procédaient à une initiation à l'hôtel de Soissons, rue des Deux-Ecus, avait saisi meubles et ustensiles et condamné le traiteur maître de loge Leroy à l'amende réglementaire ?
S'il en est ainsi, et cela parait probable, on ne peut nier que la conduite des maçons ait été condamnable et antipatriotique.
Cette hypothèse vraisemblable expliquerait, au surplus, l'arrestation de Douglas, comte de Morton, dont nous avons déjà parlé (chap. IV, p. 124).
174 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
N'est-ce pas encore pour enrayer le courant maçonnique orangiste que Charles-Edouard installa le chapitre d'Arras ?
Il y avait certainement en France, à cette époque, au moins deux maçonneries ennemies. Les loges des régiments irlandais et écossais qui devaient se montrer si brillamment à côté de la Maison du Roi à Fontenoy étaient jacobites, alors que les seize vénérables de Paris faisaient le jeu de l'Angleterre. N'est-ce pas par une tactique toute maçonnique que les f?-m? orangistes eurent l'habileté de se placer sous le protectorat d'un prince du sang, dupe de sa condescendance ?
S'il en est ainsi, cela explique une fois de plus pourquoi les f?m? font avec soin l'obscurité et le silence sur cette période de leur histoire.
Dès qu'elle fut installée, « la Grande Loge anglaise de France » s'empressa de réviser la constitution, d'élaborer de nouveaux règlements et de créer, « pour Paris seulement, des maîtres de loges perpétuels et inamovibles, de peur que l'administration générale de l'Ordre, confiée à la G? L? de Paris, en changeant trop souvent de mains, ne devînt trop incertaine et trop chancelante. » Dans les provinces, les maîtres de loges devaient être renouvelés tous les ans.
Les ordonnances générales publiées par la G? L? à cette époque sont, à peu de choses près, la reproduction des 19 premiers articles des constitutions anglaises de 1723 et 1738. Mais le 20e et dernier article attaque très spécialement les loges écossaises dans le titre de maître écossais conféré par ces loges.
Dans leur mémoire, publié en 1744, les maîtres écossais protestent énergiquement contre les attaques dont ils sont l'objet.
En présence de ces luttes, souvent discourtoises, les
LES DÉBUTS DE LA F?M? EN France 175
loges de province s'émancipent, forment des groupes indépendants, constituent de leur propre autorité de nouvelles loges, et bientôt il y a un enchevêtrement de mères loges avec des rites particuliers dans chaque province de France. Bien qu'en 1747, alors que la paix était virtuellement conclue avec l'Angleterre, le comte de Clermont eût été autorisé par Louis XV à porter le titre de G? M?, les autorités maçonniques étrangères ne savaient à qui s'adresser.
A en juger cependant par les constitutions faites par les deux Églises maçonniques, les loges écossaises jacobites avaient beaucoup plus d'adhérents que la Grande Loge anglaise de France.
De 1743 à 1755, cette dernière constitue trois loges à Paris : la Concorde (1743), la loge de la Chambre du Roi (1745) et Saint-Julien de la Tranquillité (1751), pendant que les loges écossaises en constituent au moins vingt-deux. Il en était de même en province. Les loges de régiments ne se multiplient pas et se cantonnent toujours dans les régiments écossais ou irlandais.
La G? L? anglaise de France allait donc succomber ; mais en présence de sa décadence, elle fit un dernier effort. Alors que les hostilités allaient reprendre contre l'Angleterre et ses alliées (guerre de Sept ans, 1756-1763), le 4 juillet 1755 la Grande Loge anglaise décida de prendre à l'avenir le titre de G? L? de France qu'elle conservera jusqu'à la fin, et ce ne fut que plus tard, en 1768, que les loges de France et d'Angleterre rentrèrent de nouveau en relation et signèrent un concordat par l'intermédiaire d'une seconde G? L? qui s'était créée ainsi que nous le verrons plus loin.
D'après Clavel (p. 120), à partir de 1756, aux seuls
176 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
vénérables de Paris appartenait le gouvernement de l'Ordre, à l'exclusion des vénérables de province.
Les affaires étaient examinées et les décisions prises par neuf vénérables et neuf officiers qui formaient l'Assemblée ou Conseil dont les décisions étaient provisoires.
La Loge de communication de quartier, composée de trente officiers, nommés pour trois ans au scrutin, pouvait approuver ou réformer les décisions de l'Assemblée ou Conseil.
Les deux assemblées réunies formaient la Grande Loge.
La correspondance était faite par une chambre des dépêches, qui était chargée de faire des enquêtes sur les candidats ; elle se composait de neuf officiers et de six vénérables.
La G? L? connaissait de tous les jugements rendus par l'Assemblée ou Conseil et par la loge de communication de quartier.
La G? L? recevait un tribut annuel de toutes les loges de son ressort ; et l'excédent des dépenses était comblé par une cotisation personnelle de ses officiers.
Ces règlements furent en vigueur jusqu'à la réunion de la G?L? au G? O?, en 1799.
Le registre de toutes les délibérations, statuts, règlements et autres arrêtés de la T? R? et T? S? G? L? de France, tant dans les assemblées de communication de quartier que dans celles de conseils ordinaires et extraordinaires, fut vendu le 27 mars 1863 par Tross (n° 10 de son catalogue). C'était un registre in-f° de 88 feuillets comprenant les délibérations de la G? L? de juin 1743 à juin 1771, c'est-à-dire pendant toute la durée de la grande maîtrise du comte de Clermont.
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 177
Tross, parmi les signatures qu'il annonce très nombreuses, relève seulement les noms de Malibran, Martin, Carbonnel, Furet, Labady et Boulainvilliers (1).
Par son règlement de 1756, la G? L? de France, visant toujours les loges écossaises, décidait de ne reconnaître que les trois grades de la maçonnerie de Saint-Jean : apprenti, compagnon et maître, et de se composer exclusivement des vénérables inamovibles des loges de Paris, présidés par le G? M? et ses officiers à sa nomination.
Cette mesure fut inefficace, et la confusion continua dans la plupart des loges de Paris et de province. Le comte de Clermont ne s'occupait du reste pas de ses fonctions, et pendant qu'il était soit à l'armée, soit à Berny, il avait délégué ses pouvoirs à des substituts, recrutés dans la classe où se recrutaient ordinairement les simples maîtres de loges.
Dès le jour de son élection, le G? M? se fit suppléer par un personnage assez énigmatique, dont les historiens maçonniques ne sont pas parvenus jusqu'ici à fixer la personnalité : le banquier Baur. Plus heureux que ces historiens, je suis parvenu à identifier le personnage.
Christophe-Jean Baur était un petit banquier, originaire de Genève, qui installa rue Saint-Sauveur, vers 1740, une maison de prêt à l'usage des fils de famille
(1) Cette vente annoncée deux fois par Tross en 1860 et 1863, n'aurait pas eu lieu, paraît-il, et les documents figurant dans ce catalogne auraient été dispersés. Le registre de la G? L?, en particulier, fait aujourd'hui partie de la bibliothèque secrète du Président du Conseil des rites du G? O?
178 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
dans l'embarras et des jeunes danseuses de l'Opéra dans la peine. C'est ainsi qu'en 1744 il prête 8.000 fr. à Mlle Le Duc, dont nous savons le rôle auprès du comte de Clermont. Il est juste d'ajouter que celle-ci ne les lui rendit jamais. A l'exercice de cette profession, Baur fit cependant une petite fortune : de 1755 à 1770 il a pignon sur rue et exerce son sacerdoce place des Victoires. Lorsqu'il meurt, en 1770 (1), il laisse aux pauvres de Saint-Eustache, sa paroisse, 1.200 fr. et 3.000 fr. à son curé. Comme il possédait une petite propriété à Montrouge, il laisse 6.000 fr. aux pauvres de cette commune. Il n'oublie ni ses domestiques, ni ceux de sa femme. A celui de ses parents qui se trouvera en France au moment de son décès et qui sera apte à lui succéder, il laisse 30.000 fr. à prendre sur les fonds qui lui appartiennent dans la société qu'il a fondée avec Tourton et Sartorius. Le surplus de ses biens doit revenir au f? Jean-François Jaume, chevalier de Saint-Louis, son beau-frère et ancien ami, qu'il institue son légataire universel.
On a accusé Baur, pendant qu'il occupa les fonctions de substitut du G? M?, d'avoir multiplié les grades à l'infini et d'en avoir fait un honteux trafic (Globe I; 381). Au bout de peu de temps, le comte de Clermont aurait été obligé de se priver de sa collaboration.
Baur fut remplacé par un nouveau substitut qui ne valait certes pas mieux que lui, les historiens maçon-
(1) Son testament, daté du 23 mai 1769 et déposé chez Landeguerive (Leguay),le 16 septembre suivant, fut insinué le 23 novembre 1770.
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 179
niques eux-mêmes sont obligés d'en faire l'aveu. Naturellement ce second personnage est aussi énigmatique que le premier. Il s'agit du danseur Lacorne. Qui était Lacorne ?
En 1745, il y avait à Paris, sous les ordres du comte de Brionne, grand écuyer de France, trois académies pour l'éducation des jeunes gentilshommes. Le prix d'entrée à ces académies était assez élevé, et l'on enseignait aux élèves les mathématiques, les armes, la danse, l'exercice militaire et l'équitation.
Ces trois académies étaient tenues par Dugârd, rue de l'Université; Jouan, rue des Cornettes, vis-à-vis le portail Saint-Sulpice ; Croissy, au manège des Tuileries.
C'est chez Dugard que Lacorne battait ses entrechats. Il figure sur le tableau de cette école de 1753 au plus tard à 1763 au moins. Pendant toute cette période il habitait rue de Sèvres, près des filles Saint-Thomas (1).
Je ne serais pas étonné que Lacorne, étant donnée sa profession, n'ait été recommandé aux bontés du comte de Clermont par Mue Le Duc, dont il fut peut-être le professeur de danse. Lacorne était voisin du père de la marquise de Tourvoye, qui habitait le Luxembourg en qualité de concierge. Décidément Lacorne, vénérable maître de la loge de la Trinité, valait bien Chapelot, Leroy et Baur, et je ne sais pourquoi les historiens maçonniques I'ont chargé de tous les péchés d'Hiram !
Pour porter sur lui ce verdict indulgent, je dois
(1) Je ne sais s'il est la même personne qu'un certain Lacorne, commandant en 2e en 1793 de la section armée Bonne-Nouvelle, 121, rue de Gléry, ou si ce dernier était seulement son parent.
180 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
passer, à la vérité, sous silence l'accusation faite contre Lacorne par ses adversaires, souvent féroces plus que de raison, d'avoir rempli avec zèle auprès du comte de Clermont les fonctions que Lebel remplissait auprès de Louis XV.
Dans le doute il vaut mieux être indulgent.
Au milieu de ce monde interlope circulait alors un personnage bien curieux, bien de son temps. Était-il fou ou simplement exalté ? Etait-ce un convaincu jusqu'au fanatisme ou un chevalier d'industrie fort habile ?
Le chevalier de Beauchaine (1), le plus fanatique des vénérables inamovibles de la G? L? de France, le même personnage qui avait établi sa loge chez une cabaretière de la rue Saint-Victor, à l'enseigne du Soleil d'Or, où il couchait et conférait dans la même séance tous les grades maçonniques pour un écu de six livres, institua l'ordre Androgyne des Fendeurs et des Fendeuses. Il avait calqué les rites sur ceux des Fendeurs du Devoir.
La première assemblée qui eut lieu à Paris fut préparée et présidée, le 17 août 1747, par le Père Maître Beauchaine. Il l'appela : le chantier du Globe et de la Gloire. Il disait tenir ses pouvoirs de M. de Courval, grand maître des Eaux et Forêts du comté d'Eu, seigneur de Courval. Une grande partie de la cour et de la ville s'y rendit, la joie y fut franche et sans
(1) Je n'ai pu déterminer si ce Beauchaine était le même personnage que Beauchesne, mousquetaire de la 2e compagnie, chevalier de Saint-Louis, dont le brevet fut expédié le 12 juillet 1749 par le marquis de Cheffreville. Cette hypothèse est vraisemblable.
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 181
façon. On s'y promenait bras dessus, bras dessous, en habits d'étoffes grossières et en sabots. Le rendez-vous était dans un vaste jardin de la Nouvelle France.
Ce personnage qui faisait ainsi circuler la cour et la ville s'appelait Charles François, chevalier de Beauchaine. Pendant la guerre de Sept Ans, c'est lui qui suivit l'armée d'Allemagne avec une roulotte installée en loge, bondée de rituels, de catéchismes maçonniques, de bijoux, de rubans et de costumes. Il s'arrêtait ainsi sur les grandes routes pour conférer des grades. Il en avait quarante-cinq à la disposition des amateurs.
Comme Beauchaine voulait recevoir de toutes mains, il n'avait pas en apparence pris parti dans le conflit anglo-écossais qui divisait la f? m? française. Dans un brevet du 7 juin 1760, il se qualifie vénérable frère fondateur de la T? R? L? de Saint-Jean, écossaise et anglaise, établie à la suite de l'armée du roi très chrétien en Allemagne, sous le titre de la Constance. Et cependant il trahit son origine quelques lignes plus loin en se dévoilant « décoré de tous les honneurs et autorisé par le très digne, très cher et T? R? G? M? Charles Stuard Edouard » (1).
Beauchaine n'était pas une exception ; il n'était pas davantage un excentrique, comme les historiens maçonniques voudraient le laisser croire. Il était bel et bien f?-m? authentique et avait à sa disposition tout un personnel administratif, beaucoup mieux composé que celui de beaucoup d'autres rites. Il nous sera facile de le reconstituer tout au moins en partie à l'aide du brevet que nous venons de citer :
(1) Dans le Catal. Tross, du 27 mars 1863, figure, sous le n° 98, un manuscrit in-8° de 50 feuillets de la main de Beauchaine : Ordre des chevaliers G? T? G? S? protecteur de l'innocence. Ce manuscrit est daté de 1765.
182 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Boom, premier inspecteur.
Seur, deuxième inspecteur.
Noël, grand maître des cérémonies.
Valleton, trésorier.
De Maisonval, orateur.
Coque, grand inspecteur du Temple.
G. Voiart, gardien des archives.
Le marquis d'Estampes, secrétaire.
Lhote, garde du Temple.
Desjardins, ancien gardien du Temple.
Revillon d'Apreval, décorateur.
De Bermaire, S. E. Anglais.
Balletier, S. E. Anglais.
Et parmi les membres : Lantelme-Chafalier ; de-Mars ; chevalier de Fergent ; Dumand ; de Saint-Gand ; le prince Camille de Rohan ; Clousier, ancien chancelier ; Letournel.
Ce brevet, d'un modèle fort curieux, porte la mention qu'il avait été composé par le chevalier de Beauchaine, gravé par J. Sam. Mund et tiré par Joh. Mich. Ebense, Francofurti ad Moenum.
On voit par la composition de cette loge qu'elle ne mérite pas le mépris dont veulent la couvrir les historiens maçonniques, et qu'au contraire elle peut figurer parmi celles dont le tableau était le mieux composé. Six ans plus tard, son recrutement sera encore plus choisi.
Le 9 juin 1766, le chevalier de Beauchaine avait modifié le nom de sa loge, qu'il qualifiait de Grande Loge anglaise de France sous le titre distinctif de la Constance et l'Amitié. Malgré son nom, la loge est jacobite, ainsi qu'il résulte du texte gravé du brevet que nous avons sous les yeux. Après les formules de style que nous reproduisons en note comme type de ce genre de littérature, Beauchaine se dénomme véné
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 183
rable fondateur de la Loge anglaise de France de Saint-Jean dite de la Constance et de l'Amitié (1), régulièrement assemblée par le nombre mystérieux et autorisée par, S. M. Charles III (2), légitime roy d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande, revêtu des grades éminents de la maçonnerie, chevalier protecteur de l'Innocence et de Rose-Croix, prince d'Orient et d'Occident.
Par ce brevet, Beauchaine autorise Michel Martin Blain, huissier ordinaire du Roy en son bureau des finances et domaines de Tours, vénérable de la Constance royale, fondée dans cette ville en 1756, à fonder une nouvelle loge de Saint-Jean sous le titre de Triple Noeud, et à y conférer tous les grades jusqu'à celui de Parfait Maître.
Le brevet est signé par tous les membres présents.
La signature de Beauchaine, chevalier c?-k, est suivie de celles des quatre insignes protecteurs de la loge :
Le marquis de Seignelay, colonel du régiment de Champagne infanterie, 1er protecteur ; l'abbé d'Evry commandeur (sic) de Cluny, 2e protecteur ; le comte de Choiseul, colonel des grenadiers de France, vén. des Enfants de la Gloire, 3e protecteur; De Gourgue, président à mortier, 4e protecteur. Puis venaient les officiers de la loge : Noël, parfait écossais et anglais, secrétaire ; Rotrou, frère Terrible E? et A? ; De Mai-
(1) En haut à droite et à gauche de la gravure, différente de la précédente: Ubi Patria, ibi Virtus. Dans les deux colonnes, au milieu de dessins compliqués : D'un lieu très fort, très éclairé, très redoutable, asile assuré de la vertu opprimée, où règnent l'union, l'égalité et le silence, sous le point géométrique du triple triangle de la divine sagesse...
(2 Jacques III étant mort le 1er janvier 1766, Charles .Édouard avait pris le nom de Charles III.
184 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
sonval, orateur, E. et A; Alexandre Fieffé, trésorier ; Lafare, frère Terrible ; V. de Meslay, cons. au Parlement; De la Boullaye, maître des Requestes ; De la Guillaumie, cons. au Parlement ; Percheron, Vénérable de la L? Saint-André ; Drothier, Vénérable de la Candeur O? Paris ; Dutertre, Vén? de la Sincérité ; Passerat de Montleduc, G? Insp? G?, Élu, Vén? constitué de la loge de Dunkerque, tenant celle de Giessen ; Le Boucher de Lenoncourt, G? Vén? G? M? Gr? Insp? G? Elu constitué de la loge de France, d'Angleterre, Suède et Prusse, Vén? de la L? d'Hanau ; V. Pollett, major de Royal Deux ponts, Vén? des Inébranlables Chevaliers de 1'Epée, du Mérite de France ; Pincemaille, Vén? et maître de la Candeur O? de Metz ; Lucet, Vén? de la Sagesse ; Tardieu, 1er Surveillant de la Candeur O? Paris; De la Marche E? A? De Bermaire É? et A? ; Crépin A? ; Fontaine A? ; Blain E? ; Bareste A? ; De Curt A? ; Augé A? et Subl? E? ; Charbot A? ; Félet A? ; Marquis d'Évry, colonel de Champagne Cavalerie, et les maîtres : de Miode ; Moudran; Gamot fils ; Bouché ; le marquis de Clermont ; J. Gamot ; La Ferté jeune; Bonnet; Adam le jeune; Faureson ; N. Fieffé ; Bonselié ; Bertin ; Durou ; Prudhomme ; Gruglin ; Chevalier : Du Lac ; Bridel ; Bertin.
Les loges du chevalier de Beauchaine semblent avoir fait partie du régime des Empereurs d'Orient et d'Occident.
Elles fonctionnèrent à l'instar des loges dites militaires, qui n'étaient à l'Orient d'aucun régiment, ni d'aucune ville, mais à l'Orient de l'endroit où elles se trouvaient et qu'on désignait par la latitude et la longitude. La Constance, aussi bien que la Constance et l'Amitié, était donc une loge militaire comme St-Jean de la Gloire ou St-Alexandre, l'ancienne loge des mous-
LES DÉBUTS DE LA F?M? EN France 185
quetaires. Les FF? de ces loges étaient en quelque sorte des commis voyageurs en f?-m? et leur rôle fut considérable dans la propagation de l'Ordre.
C'est pendant la G?. Maîtrise du comte de Clermont qu'aurait été donnée la patente d'Etienne Morin, autour de laquelle les maçons du rite écossais ancien accepté ont beaucoup discuté sous le Directoire et sous l'Empire pour établir la régularité de leurs constitutions, qu'ils disaient tenir d'Etienne Morin, dûment autorisé par le conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident qui pratiquait le rite de Perfection.
Cette patente, qui n'est connue que par des traductions anglaises retraduites en français, est à bon droit suspecte. C'est en 1798 et 1799 qu'on produisit pour la première fois des copies de ce document, au moment de la première tentative de reconstitution du rite écossais ancien accepté. Cette patente aurait figuré sur le livre d'or de Delahogue que possède le suprême conseil de la juridiction Sud des Etats d'Amérique.
Tous les documents contenus dans ce recueil sont certifiés exacts par le comte Alexandre-François-Auguste de Grasse-Tilly, capitaine de cavalerie, auquel le suprême conseil du 33e degré de Charlestown aurait, en vertu de la patente de Morin, donné le pouvoir d'initier à ce degré et de constituer dans les deux hémisphères loges, chapitres et consistoires du rite ancien. Le comte de Grasse-Tilly était un maçon très actif que ses coreligionnaires accusèrent, ainsi que le frère Abraham, de fort vilaines choses plus ou moins exactes. En 1804, Grasse-Tilly fonda, pour la France, le Suprême Conseil des Souverains Grands Inspecteurs
186 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Généraux du 33e degré ; il était Vénérable de la loge Saint-Napoléon à l'Orient de Paris. Représentant à vie du G? M? dans le Gr?-Chap? Gén? du G? O? de France, Gr? Com? ad vitam, Président du Suprême Cons? des Souv? Gr? Insp? Gén? du 33e degré, membre honoraire de toutes les L? et Chap? de France. Le 4 juillet 1811, il fonda à Madrid un Suprême Conseil du 33e degré.
Or, la validité de tous ces pouvoirs reposait sur l'authenticité de la patente de Morin. Grasse-Tilly était très capable d'inventer cette pièce, comme Gerbier avait inventé la patente de 1721. Le document est composé avec plus de soins que celui fabriqué par Gerbier, car il ne contient pas d'anachronismes brutaux ; en cherchant bien, on peut constater que le Conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident prend le titre de Grand Conseil des Loges régulières sous la protection de la grande et souveraine loge de Saint-Jean de Jérusalem (1), erreur qui, en changeant l'origine du document, n'en entraînerait pas la fausseté. Le reste, il faut le reconnaître, est exact ou peut l'être.
Daté du 27 août 1761, il est signé par Chaillon de Jonville, substitut général de l'ordre, et par Lacorne, substitut du G?M?, et ce n'est qu'en 1762 que Chaillon remplaça Lacorne dans ses dernières fonctions. Il est aussi signé par le prince (Camille) de Rohan, Me de la G? L? l'Intelligence, Souverain Prince de la maçonnerie ;
Maximilien de Saint-Siméon, 1er surveillant, G? élu Parfait, Chevalier et Prince maçon ;
(1) Je ne trouve pas trace de cette loge avant 1766; il est cependant possible qu'elle ait commencé ses travaux avant cette époque.
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 187
Savalète de Bukley, G? Garde des sceaux, G? élu Parfait, G? Chev? et Prince maçon ;
Taupin G? Ambassadeur de S? H? G? Élu Parfait Chev? et Prince maçon ;
Le comte de Choiseul, Vén? M? de la Loge des Enfants de la Gloire, G? Elu Parfait Chev? et Prince maçon ;
Boucher de Lenoncourt, Vén? M? de la Loge de la Vertu, G? Elu Parfait Chev? et Prince maçon ;
Brest de la Chaussée, Vén? M? de la Loge de l'Exactitude, G? Elu Parfait Chev? et Prince maçon.
Il est enfin contresignée par ordre de la G? L? par Daubertin, G? Elu Parfait Chev? et Prince maçon, Vén? M? de la Loge de Saint-Alphonse, G? Secrétaire de la G? L? et du Sublime Conseil des Princes ; Parfaits Maçons en France.
Or, tous ces titres sont exacts et tous les personnages sont réels; à part Saint-Siméon, je les ai retrouvés à cette époque occupant ces mêmes fonctions dans des documents d'une authenticité indiscutable, sauf le comte de Choiseul, qui ne pouvait en 1761 être Vénérable des Enfants de la Gloire, cette loge n'ayant été constituée que le 28 octobre 1762.
Reste le titulaire même de la patente : Etienne Morin, dénommé Stephen Morin d'après la traduction anglaise, dont on a voulu faire un juif à cause de son prénom sous la forme anglaise. Ni Stephen, ni Morin ne sont des noms juifs, et quant au personnage lui-même, juif ou chrétien, on n'a pu jusqu'ici l'identifier avec certitude. Dans la patente il est qualifié Respectable Maître de la Parfaite Harmonie et, à ma connaissance, une seule loge en France portait ce titre à cette époque ; elle était à l'Orient d'Abbeville ; mais, ainsi que je l'ai déjà dit, je ne connais pas les noms de toutes les loges pendant cette période.
188 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Parmi les treize f?-m? portant le nom de Morin que j'ai relevés sur mes listes, il en est un qui est très probablement le titulaire de la célèbre patente : c'est Etienne Morin de Saint-Cirque, entrepreneur de la verrerie de Sèvres, puis distributeur des Nouvelles ecclésiastiques, enfermé pour délit de presse à la Bastille et élargi par ordres contresignés Maurepas, datés des 22 juillet 1747 et 27 juillet 1748. Sa femme, Marie-Nicole Boudet, avait été enfermée en même temps que lui et pour les mêmes causes du 22 juillet au 16 décembre 1747.
La f?-m? française touchait à un moment critique de son existence.
La nomination de Lacorne à la tête de l'administration avait provoqué des murmures qui s'accentuèrent d'autant plus qu'après s'être empressé de prendre possession de ses fonctions, il s'affubla des plus hauts grades et peupla la G? L? de ses créatures. Un grand nombre de maçons donnèrent leur démission ou cessèrent de participer aux travaux, puis exaspérés refusèrent de s'assembler sous sa présidence.
Furieux, Lacorne s'entoure de tous les gens tarés, recrute de nouveaux initiés dans les cabarets et forme ainsi une Gr? L? concurrente. La lutte s'engage avec fureur, et le désordre devient tel que le comte de Clermont, obligé de sortir de son apathie, révoque Lacorne en janvier 1762 et nomme à sa place Chaillon de Jonville, avec le titre de substitut général. Un calme relatif se produit et les deux grandes loges se réconcilient le 24 juin 1762 ; les postes honorifiques sont partagés. Néanmoins personne n'est satisfait et bientôt
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 189
la lutte recommence . Au renouvellement des officiers, qui devait avoir lieu en 1765, des cabales se forment et Lacorne et ses partisans sont tous exclus le 2 juin.
Les frères exclus refusent d'assister à la fête du 24 juin suivant et publient de nombreux libelles contre les frères élus. La G? L? met les auteurs de ces attaques en demeure de les rétracter sous peine d'exclusion définitive. La plupart obéissent, et les quinze qui refusent sont rayés par décrets des 11 juillet et 21 décembre 1765. Ils sont enfin bannis les 5 avril et 14 mai 1766 et déclarés déchus de tous leurs droits. Les frères frappés de cet ostracisme sont les frères Bigarré, Daubertin, Duret, Guillet, Guillot, Hardy, Labady, Lacan, Leveillé, Maurin, Peny, Perrault, Pethe, Pirlet et Poupart.
La G? L?, régénérée, comme s'appelaient naturellement les frères qui s'étaient emparés du pouvoir, se composait, le 1er janvier 1765, des officiers suivants :
Méry-Darcy, Dr de la Cie des Indes, Prés. ; Bacquet, Prés. ; Duret, Surveillant; Leveillé, Surveillant; Deveau de Moiré, Surveillant ; Moët, off. de la maison du Roi, Secret. gén. ; Levrault, Secrét. ; Gillet, Secrét. ; Picot du Breuil, Secrét. ; Leroy Louis-François, avocat au Parl., Orat. ch. Paris ; Ledin, Trésorier ; Prader, Expert ; Couteux, Expert; Paris, Expert ; Martin, Expert; Guaisnard Jean, de Genève, Exp. ch. Paris ; Lacan, Exp. hospit. ; Poilet, Maître ; Paillan, Exp. hospit. ; Lexcombart, Exp. hospit. ; Chaudron, Aumônier ; La Chaussée, G. Sc. T. et Arch. ; Puisieux, arch. juré du roi, Architecte.
Le 14 août 1766 la G? L?, qui prenait le titre de Grand Orient de France, était composée de :
Moët, président de la T? R? G? L?, Le Lorrain, Huet du Plessis, Baudson, Gaillard, Paris, Richard,
190 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Saunier, Borel, Pingré, Lafin, Lexcombart, Goulard, Leroy, orateur, Zambault, secrétaire général, Brest de la Chaussée, garde des sceaux, Joubert de la Bourdinière.
Les lettres devaient être adressées à Zambault, rue de la Grande-Truanderie.
Le 21 septembre 1766, le Conseil Souverain des Chevaliers d'Orient de France se composait des frères : Moèt, Zambault, Leroy, Le Lorrain, Baudson, Marcel, Ledin, Desalla, Bougault, Beauvillain, Gouin, Paulmier Deynaut. Les lettres devaient être adressées à Brest de la Chaussée, rue de la Chanvrerie.
Par suite de toutes ces discussions, la G? L? n'avait pu célébrer la fête de l'Ordre du 27 décembre 1766 ; on avait dû la remettre au 4 février suivant. Les frères bannis se présentèrent pour entrer ; sur le refus des gardiens, ils employèrent la violence et forcèrent les portes du temple. Comme on ne leur permit pas d'assister à la tenue, on échangea des injures et bientôt des coups. Le scandale fut énorme ; le comte de Clermont refusa de se mêler au débat, et le lendemain M. de Sartines interdit les assemblées de la G? L? qui furent ainsi suspendues jusqu'à la mort du comte de Clermont.
Les partisans de Lacorne en profitèrent pour se réunir chez Labady. Le lieutenant de police fait aussitôt arrêter ce dernier ; il est emprisonné et exilé à Blois. Lacorne laissa le calme se produire, et lorsqu'il crut que le temps avait amené l'oubli, il reforma une nouvelle G? L? dans le faubourg Saint-Antoine, qui se mit aussitôt à constituer à Paris et en province. Il parvint à entrer en correspondance avec la G? L? d'Angleterre et à se faire reconnaître par elle, puis lança une circulaire aux loges de province. La nouvelle G? L? de
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 191
France annonce que les ff? Peny, Duret et Leveillé ont reçu en délégation tous les pouvoirs de l'ancienne Grande Loge (1).
Pendant ce temps, l'ancienne G? L? fonctionnait néanmoins, mais clandestinement. Chaillon de Jonville et Brest de la Chaussée, garde des sceaux et timbres, continuaient la correspondance et constituaient des loges de leur côté, profitant de toutes les circonstances pour discréditer leurs adversaires. Le 8 octobre 1769, ils adressent à cet effet une circulaire à toutes les loges de France. Le 28 février 1770, quelques maçons essayèrent, mais sans succès, de réformer la G? L? Presque personne ne se rendit à la convocation. L'année suivante le comte de Clermont mourait.
La direction centrale maçonnique ainsi supprimée, on pourrait supposer que l'Ordre était en train de disparaître de France. Mais il n'en était rien ; les loges avaient plus ou moins conservé leur vie particulière, formant des centres régionaux, demandant ou octroyant des constitutions et se groupant suivant les systèmes qui étaient pratiqués.
La f?-m? ainsi dispersée ne présentait pas en France un danger social immédiat. Alors qu'en Angleterre l'unité se faisait chaque jour, en France comme en Allemagne, l'ordre éparpillé n'avait pas d'unité d'action. Dans ces conditions, la f?-m? devait disparaître ; elle n'entrait pas en sommeil, elle se mourait, ayant perdu sa qualité essentielle qui était son organisa-
(1) En 1758, le secrétaire général était Robineau et les secrétaires : Devaux (1758), marquis de Briqueville (1762), Mat (1763).
192 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
tion homogène et surtout l'uniformité de la mentalité de ses adeptes. Cependant, si la maçonnerie expirait en France comme société, son dogme égalitaire s'y était implanté plus que dans aucune autre contrée du monde ; c'est là qu'il devait produire le plus de mal. Que tous ces égalitaires dispersés soient groupés sous une direction unique, qu'ils acceptent la discipline, et l'on verra bientôt le cataclysme social éclater. Le mal couvait et une étincelle pouvait le ranimer. Ce réveil sera l'oeuvre du G? O?
Tous les petits commerçants, tous les clercs de procureurs qui étaient entrés dans les loges, considérés comme des frères par les grands seigneurs qu'ils traitaient en égaux, conservaient leurs idées maçonniques en dehors de l'atelier; ils trouvaient l'égalité aussi vraie en dehors qu'au dedans, et lorsque les grands seigneurs ou les hauts fonctionnaires voulurent, mais trop tard, les expulser des loges, ils protestèrent, s'exaspérèrent et décidèrent fermement qu'ils prendraient les premières places, puisqu'ils pouvaient le faire. Comme ils étaient le nombre, ils devaient triompher, ils en avaient la certitude. Le vote par ordres était supprimé dans les loges depuis longtemps lorsqu'on le supprimera aux États généraux.
Louis XV avait-il vu clair lorsqu'il fit fermer la G? L? et renvoya les parlements ? On pourrait le croire, s'il n'avait pas laissé le G? O? se reformer en 1772 et 1773, à moins que ceux qui se mirent à la tête de la maçonnerie à cette époque n'aient eu le talent de le convaincre qu'en s'emparant de l'Ordre ils supprimaient le danger, et peut être le crurent-ils de bonne foi et entraînèrent-ils la royauté dans cette voie si funeste en croyant la sauver. Louis XV, qui était resté ferme contre les Parlements, céda devant la maçonnerie.
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN France 193
Comment se retrouver dans ce labyrinthe ? Faut-il prêter à des hommes des vues aussi profondes à des échéances aussi lointaines ? N'est-il pas plus logique, comme nous l'avons dit précédemment, d'admettre que le dogme maçonnique fut plus fort que les maçons, que c'est lui qui triompha plus que ceux qui le pratiquaient ? Un vertige ne s'était-il pas aussi emparé de tous les cerveaux, de ceux des rois et des princes comme de ceux du premier maçon venu ? A part l'Autriche, l'Espagne et le Portugal, les autres nations protégeaient la f?-m?, et encore l'Espagne et le Portugal la toléraient-ils.
Lorsque les maçons étrangers virent le désarroi qui s'était emparé des maçons français, ils essayèrent d'envahir la France et d'y faire fleurir leurs régimes. A partir de 1772, une nuée d'étrangers envahit notre pays, placé au centre des nations européennes ; Paris et Versailles furent les lieux de rendez-vous de tous ceux qui recherchaient les satisfactions les plus élevées de l'intelligence, les plaisirs les plus raffinés, comme les vices les plus dégradants. Tous ces gens nous arrivent d'Angleterre, d'Allemagne, de Suède, de Danemark, de Russie et de Suisse. La société parisienne devient cosmopolite ; les Anglais sont accueillis avec empressement par les gens de la Cour ; les Allemands par les hommes de science, les Suisses s'emparent des financiers et les remplacent. La f?-m? anglaise inspire le G? O? ; la f?-m? allemande, les philosophes. Au milieu de cette confusion de peuples, les idées égalitaires et cosmopolites font de tels progrès que la France entière en est imprégnée. Les f?-m? l'ont saturée de ces utopies dangereuses. Tout le monde conspire contre l'ordre de choses établi, le plus souvent sans le vouloir et sans le savoir. L'idée chemine, arrive et triomphe. C'est la course à l'abîme. La vieille
194 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
France en mourra. Qui pourra dire quelle nation renaîtra de ses cendres ? Naîtra-t-il même un nouveau peuple ?
Est- ce que personne ne vit clair dans cette nouvelle orientation donnée à la vie sociale de l'Europe ? Est-ce que personne ne vit le danger vers lequel l'humanité était entraînée ?
La Papauté fut le seul pouvoir qui se rendit nettement compte du péril que présentait la maçonnerie, et cela presque dès le début. Lorsque le pape Clément XII lança, le 4 mai 1738, sa bulle « in eminenti apostolatûs speculâ », des enquêtes avaient dû être faites sur les agissements de la secte, et il serait de la plus haute importance d'avoir communication des mémoires qui furent adressés au Vatican, s'ils existent encore. La bulle, en effet, ne vise aucun fait précis, et se borne aux attaques générales ; mais ses termes sont trop formels pour ne pas avoir été provoqués par des faits particuliers indiscutables :
« Nous avons appris, dit Clément XII, et le bruit public ne nous a pas permis d'en douter, qu'il s'était formé une certaine société, assemblée ou association, sous le nom de francs-maçons ou Liberi Muratori, ou sous une appellation équivalente, suivant la diversité des langues, dans laquelle sont admises indifféremment des personnes de toute religion et de toute secte, qui, sous les dehors affectés d'une probité naturelle, qu'on exige et dont on se contente, se sont établi certaines lois, certains statuts qui les lient les uns aux autres, et qui, en particulier, les obligent, sous les plus grièves peines, en vertu d'un serment prêté sur les
LES DÉBUTS DE LA F?M? EN France 195
saintes Écritures, de garder un secret inviolable sur tout ce qui se passe dans leurs assemblées. »
Le pape interdit, en conséquence, de faire partie de ces sociétés, de favoriser leur accroissement, de leur donner asile chez soi ou ailleurs, sous peine d'excommunication.
Le 15 juin 1751, le pape Benoît XIV renouvela, par sa bulle Providas Romanorum Pontificum, les prohibitions de son prédécesseur et précisa les conséquences funestes que devaient avoir ces associations Attendu « que dans ces sortes de sociétés et assemblées secrètes, on associe indistinctement les hommes de toute secte et religion, d'où il est évident qu'il doit résulter un grand dommage pour la pureté de la religion catholique », et que « l'obligation stricte du secret impénétrable, par lequel sont cachées toutes les choses qui se passent dans ces assemblées secrètes, auxquelles on peut avec raison adapter l'adage dont s'est servi Cecilius Natals, dans la cause très différente néanmoins contre Minutius Félix : Les choses honnêtes se plaisent au plein jour ; les crimes sont secrets.
Le pape relève ensuite les maçons d'un serment prononcé dans les conditions où ils se trouvaient quand on le leur avait demandé ; « comme s'il était permis à quelqu'un de s'étayer d'une promesse ou d'un serment, pour se dispenser de répondre à la puissance légitime qui rechercherait à connaître si dans ces sortes d'assemblées secrètes, il ne se ferait pas quelque chose contre l'État, la religion et les lois »
Le caractère secret de la f?-m? n'était alors nié par personne, les ff?-mm? le reconnaissant hautement. Quelques années plus tard, un de leurs premiers historiens, Thory, débute dans son avant-propos de His-
196 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
toire de la fondation du G? O? de France, par cet aveu : « De toutes les associations secrètes, la plus répandue en France, et en même temps la moins connue sous les rapports historiques, est, sans contredit, l'Ordre de la Franche-Maçonnerie. »
La Papauté avait bien vu le péril ; en temps utile elle l'avait signalé.
Elle ne fut pas crue ; en France elle ne fut même pas écoutée. Les Parlements refusèrent d'enregistrer les bulles pontificales qui, n'étant pas fulminées, ne pouvaient avoir aucun effet utile. Un monde allait disparaître.
CHAPITRE Vl
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES
Le travail de loge. - L'habileté de la nature. - Les dupes. - Les jésuites. - Les chefs secrets ! - Le symbolisme. - Les cérémonies initiatiques. - Retour à l'alchimie et à la kabbale. - Les grades. - Les Rose-Croix. - Les Réaux-Croix. - Le chevalier Kadosh.
Une des erreurs les plus répandues parmi les profanes est d'assimiler les grades maçonniques aux grades dans l'armée, alors qu'ils devraient être plutôt assimilés aux grades universitaires.
Les grades symboliques, les seuls classiques en maçonnerie : apprenti, compagnon et maître, correspondent dans une certaine mesure aux grades de bachelier, licencié et agrégé.
L'obtention de ces grades témoigne de connaissances maçonniques plus ou moins avancées, mais ne confère pas ipso facto à ceux qui les obtiennent une autorité sur ceux qui ont des grades inférieurs.
Au XVIIIe siècle, la complication des grades était extrême ; chaque régime avait sa série spéciale qui n'était pas reconnue par le régime voisin.
Chaque grade correspondait à un avancement dans la science ou mieux dans l'art maçonnique qu'on appelait alors l'Art Royal, ce qui voulait dire pour les uns l'art de restaurer les Stuarts, pour les autres l'art par excellence. Qu'était donc cet Art suprême ?
198 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Pour les uns c'était l'étude de l'homme : ses origines, son existence, son but ; pour les autres c'était l'art de mener les hommes, la première solution étant seulement l'étape nécessaire pour arriver à la seconde.
Au premier abord, de semblables études n'ont rien de répréhensible; la curiosité en pareilles matières ne peut être que fort louable.
On peut à la vérité s'étonner cependant que, pour se livrer à ces études profondes, on s'enferme avec un soin jaloux et qu'on fasse prêter à ceux qu'on admet à y participer le serment de garder le secret. Il semblerait au contraire que, par amour de l'humanité, on devrait propager les lumières et transformer le temple en Soleil dont les Etoiles extérieures pourraient augmenter l'éclat. »
On serait en droit de s'étonner aussi que des gens d'un modeste intellect et d'une instruction sommaire soient appelés à collaborer à des travaux qui demandent du temps, une intelligence supérieure et des connaissances approfondies. Étudier en effet les origines de l'homme, c'est étudier l'origine de l'humanité, et étudier l'origine de l'humanité, c'est étudier l'origine du monde. Pour rester dans le domaine des sciences exactes, c'est connaître la cosmogonie, la cosmographie, la géologie, la paléontologie et l'anatomie aussi bien que la métaphysique, la chimie et la physique. Je sais plus d'un maçon du XVIIIe siècle qui s'est livré à ces études avec un acharnement et une sincérité vraiment édifiantes. Leurs correspondances, que j'ai été à même de parcourir, en font foi. Ils échangeaient entre eux des vues bizarres, de temps en temps, pas souvent, des combinaisons ingénieuses, mais, en résumé, aucune idée digne d'être retenue.
On a beau leur enseigner que la maçonnerie est
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 199
« l'habileté de la nature, l'intelligence du pouvoir qui est dans la nature et ses diverses opérations ». On a beau leur expliquer que l'habileté de la nature est d'engendrer, que l'intelligence du pouvoir qui est dans la nature est la Nature-Dieu, et que les différentes opérations de la nature sont la génération universelle, quels secrets révèle-t-on, quelles idées fait-on naître, si ce n'est que l'Acte générateur est l'acte d'un Dieu, que le Feu sacré est la semence universelle de tous les êtres, que la Parole est la faculté de produire, ainsi qu'on l'enseigne au compagnon ?
Comme ils ne trouvaient pas la solution avec leurs propres moyens, beaucoup recherchaient le secret perdu. L'homme primitif savait, croyaient-ils. Quelques-uns, élevés cependant dans la foi chrétienne, oubliaient que l'homme avait été puni pour avoir voulu savoir ce qu'il ne pouvait et ne devait pas savoir : le mystère de sa création et son avenir. Quel est l'homme qui supporterait la vie s'il connaissait son lendemain ?
Comme naturellement ces chercheurs ne trouvaient rien, beaucoup parmi eux s'en prenaient à l'auteur de toutes choses et arrivaient rapidement à conclure que s'ils ne trouvaient rien c'est qu'il n'y avait rien, et pour se consoler de la désespérance de ce néant, ils déclaraient indifférent le problème des origines.
Comme ils avaient trouvé vide la première chapelle de leur temple, ils frappaient à la porte de la seconde.
Là, au moins, ils trouveraient la clef du mystère de notre être. L'homme est-il ou n'est-il pas ? Qu'est-ce que son corps ? Qu'est-ce que son âme ? Il est certain qu'il a un corps, mais a-t-il une âme ? Et ils recommençaient à agiter tous ces problèmes, revenant toujours malgré eux à l'origine du corps et de l'âme, et ils trouvaient la seconde chapelle vide comme la première.
200 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Ces étapes sont celles que doit parcourir le maçon pour se perfectionner dans l'art, pour gagner ses grades. Si sa patience n'est pas à bout, s'il a les loisirs de s'occuper de spéculations métaphysiques qui ne nourrissent pas son corps, il sera prêt à entrer dans la troisième chapelle, et les frères qui en ont déjà franchi la porte lui permettront de la franchir. Là, on lui apprendra que tout ce qu'il a fait jusqu'ici n'a aucun intérêt, que ces études ne conduisent à rien, mais qu'il était nécessaire qu'il connût par lui-même ces vérités négatives. Ce qui est intéressant et ce qu'il faut qu'il apprenne, c'est comment on conduit les hommes, comment on les fait concourir, malgré eux, à la prospérité de l'Ordre. On leur explique comment un petit groupe organisé en aristocratie secrète mène la foule non organisée ; comment un pouvoir occulte, irresponsable mais actif, mène le pouvoir responsable et le rend le principal artisan de sa décadence et de sa mort. On leur apprend que les vices de l'humanité sont les grands leviers des habiles ; que, dans la pratique, on ne rencontre qu'un obstacle : la révolte de la conscience humaine, cette chose qu'ils n'ont pu saisir ni comprendre dans les deux premières chapelles, et que tout l'art consiste à endormir cette conscience pour l'empêcher de se révolter. On leur apprend que lorsqu'il suffira à l'homme de déposer un bulletin anonyme dans une urne pour entretenir ses vices et flatter son orgueil, il le mettra.
Lorsque l'initié saura tout cela, il sera un maçon parfait ; sa mentalité maçonnique sera parachevée. En aucune circonstance, il ne sera nécessaire de lui donner un ordre compromettant, il agira de lui-même et il fera agir, conformément à la doctrine maçonnique, il coopérera consciemment ou inconsciemment au Grand Oeuvre.
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 201
Voilà ce qu'au XVIIIe siècle on appelait le travail de loge. Voilà comment, au nom de l'égalité, le maçon escamotait cette égalité à son profit. Il veut l'égalité entre initiés, il veut l'égalité entre profanes, mais il ne veut pas l'égalité entre initié et profane. Comme il connaît la puissance des groupements organisés et silencieux, il s'organise et commande le silence. Pour empêcher l'ennemi de naître, il s'attaque à tous les groupements qui se créent. Autant que possible, il les absorbe et, s'il est impuissant à triompher par ce moyen, il les détruit. De tous les groupements, les plus puissants sont les groupements religieux. Contre eux la lutte a été permanente et il est curieux de suivre le combat entamé contre le groupement ennemi par excellence : la Papauté. Contre elle, tout d'abord, les maçons ne luttent pas de front, ils ne l'attaquent pas dans ses dogmes, mais dans sa discipline. Dans la correspondance des maçons, comme dans celle de Willermoz par exemple, on constate qu'autour de lui on veut revenir à la primitive Église ; on reconnaît la divinité du Christ qui avait mis l'humanité dans sa vraie voie. Mais cet homme pieux, même dévot, a l'horreur de la Papauté; c'est elle qui a tout perdu, c'est d'elle que vient tout le mal. Gallicans, jansénistes et parlementaires pensent comme lui, aussi gallicans et jansénistes et parlementaires encombrent-ils les loges. Ils feront plus tard le clergé constitutionnel.
A la vérité, ils étaient peu nombreux, les maçons qui se livraient à ce travail ; beaucoup, partis pleins d'ardeur à la conquête du feu sacré, nouveaux Argonautes, sombraient en route ou succombaient comme Pro-
202 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
méthée. Hiérophantes de nouveaux mystères, quelques-uns se retiraient découragés ; quelques autres, comme le duc d'Havré, écoutaient leur conscience tressaillir, et abandonnaient la partie.
Mais les cerveaux de la grande masse des maçons étaient modifiés par l'ambiance ; les mots perpétuellement murmurés par ceux qu'ils savaient plus avancés dans l'étude de l'Art les impressionnaient; ils croyaient que ceux-là savaient ; ils retenaient leurs lambeaux de révélations, suivaient leurs conseils. Ceux-là, demi-dupes, à leur tour faisaient le travail du dehors, la propagande de la doctrine maçonnique. Si un adversaire se présentait, on le tuait moralement, on tâchait, au nom de l'humanité, de l'anéantir ; s'il donnait prise à la critique, on le poussait tout doucement dans un piège, on ameutait l'opinion contre lui. A la veille de la Révolution, on l'accuse d'accaparement : le procédé réussit toujours ; si le coupable résiste il est tué, comme Berthier ou Foulon. C'est la foule des profanes ameutés qui aura commis l'assassinat légal. Le meurtre anonyme et collectif échappe à la justice. L'ouvrier du crime lui-même sera épargné. Les auteurs vraiment responsables auront eu individuellement une si petite part à l'attentat, que leur conscience ne s'agitera pas. Bien plus, pour beaucoup d'entre eux, la victime seule est coupable. Pourquoi a-t-elle résisté à l'opinion publique ? Pourquoi s'est-elle mise dans un mauvais cas ? Et je sais des maçons, fort honnêtes gens pour le reste, qui ont ainsi pensé en 1789 !
Comme nous l'avons dit, le plus grand nombre des maçons ne se livrait pas au travail de loge transcendant. A côté des loges exclusivement aristocratiques comme la Candeur, le Contrat social, Saint-Louis du régiment du Roi, Montmorency-Luxembourg du régi-
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 203
ment de Hainaut, etc., il y avait, et celles-là étaient les plus nombreuses, les loges de menus employés, de petits commerçants, de clercs de procureurs, d'huissiers... L'objectif des membres des premières était la recherche du plaisir, celui des secondes était la satisfaction de la vanité. La pratique et l'abus des plaisirs démoralisa les uns ; le besoin de satisfaire l'orgueil incita les autres à la haine. Lorsque le cataclysme éclatera, l'aristocratie sera découragée, les autres seront forts de toute la puissance de leur haine exaspérée. La maçonnerie est bien l'art de conduire les hommes.
A côté de la Papauté un autre corps organisé attirera dès le début les attaques de la maçonnerie. Les jésuites sont puissants ; ils sont riches ; ils sont intelligents; ils sont unis. Il faut les détruire. Avec quelle habileté on crée les dangers sous leurs pas ! avec quelle virtuosité on tire parti du procès de la Chalotais et de celui du Père La Valette ! On forme contre eux l'opinion : dans les loges, dans les salons, dans les sociétés littéraires, dans les pamphlets, dans la rue. Le maçon ne cesse de crier à la persécution à l'occasion des procès-verbaux dressés chez des marchands de vin, pendant que Choiseul chasse les jésuites de France, pour que le maçon martyr s'installe dans le noviciat de leur ordre, rue du Pot-de-Fer ; et le courant de l'opinion est tellement violent que personne ne s'aperçoit de la supercherie ! Cette proscription est tellement une tactique générale, que les jésuites sont chassés de tous les royaumes catholiques, de l'Espagne, du Portugal et, ce qui est plus extraordinaire, de Rome même ! Voilà comment on conduit les hommes.
204 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Pour remporter toutes ces victoires, y a-t-il une volonté unique, y a-t-il un comité directeur ? un chef ou des chefs inconnus ? Est-ce une nation ? est-ce une race qui mène le branle ? Albion ou Israël ?
Non, la f?m? n'a pas de semblables chefs, parce que les régimes sont trop différents, trop nombreux, souvent trop ennemis les uns des autres. C'est l'idée maçonnique qui, en évoluant, mène tout ce monde à l'insu même du plus grand nombre. Tantôt elle lie partie avec une nation, tantôt avec une autre ; tantôt elle prête son concours à une émeute, tantôt à une autre, suivant que son instinct la pousse d'un côté ou de l'autre. Jusqu'en 1771, la grande loge anglaise n'a probablement constitué que cinq loges, tant à Paris qu'à Bordeaux, à Valenciennes, à Aubigny et à Grenoble ; si celle de Bordeaux en a constitué à son tour une dizaine, les deux autres n'en ont pas constitué une seule. Toutes les autres loges sont d'origine jacobite ; un petit nombre seulement a adopté les régimes allemands. Comment peut-on admettre qu'avec une semblable origine la f? m? ait été une société exclusivement anglaise ? Est-elle juive ? Pas davantage. Des polémiques ont été engagées sur ce sujet entre adversaires de la f?m? Les partisans de l'origine juive ont tout juste trouvé dans une loge de Bayonne quelques juifs avec lesquels leurs frères refusaient de travailler. Il faut vraiment peu connaître la société française du XVIIIe siècle pour émettre une semblable hypothèse. Socialement parlant, le juif n'existait pas avant 1790. Il n'y a pas lieu de s'attarder sur ce sujet tant que l'on n'aura pas donné la preuve de la présence des juifs dans les loges.
Ces hypothèses gratuites, inventées pour les besoins d'une petite église, n'ont aucune valeur historique.
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 205
Pourquoi s'acharner à trouver des êtres humains là où il n'y a qu'une idée ? pourquoi s'acharner à trouver un secret là où on ne peut trouver que l'évolution de cette idée ?
Il y a cependant dans la f?m? une autre source de danger : les symboles des cérémonies initiatiques, dans lesquelles on parle constamment de vengeances à exercer, d'actes matériels à accomplir en immolant une victime. Ces fantasmagories ne sont pas sans influence ; elles éduquent le cerveau et la conscience ; elles peuvent, à un moment donné, provoquer chez des sujets spéciaux des résolutions coupables. On connaît la légende du meurtre d'Hiram, l'architecte du temple de Salomon ; la mort du templier Jacques Molay et l'exécution du roi Charles 1er. Suivant les régimes, c'est l'un ou l'autre de ces meurtres qu'il faut venger. Bien entendu, en langage symbolique, Hiram, Molay, Charles 1er, veulent dire la f?m?. A tous les degrés de l'échelle maçonnique on fait allusion à cette vengeance. Les initiations aux grades symboliques ont été maintes fois racontées, nous ne nous y attarderons pas .
Mais nous entrerons dans des détails plus précis sur le rituel de Rose-Croix tel qu'il était suivi à la veille de la Révolution par les membres du Contrat social. Nous verrons, par l'énoncé des doctrines adoptées et par les rites indiqués, comment le maçon du XVIIIe siècle est le descendant direct de l'alchimiste, de l'astrologue et du kabbaliste.
Le document que nous avons sous les yeux est des plus précieux. Il fait partie d'un recueil de rituels en usage dans les loges du rite écossais philosophique.
206 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
En tête, une gravure à la sépia représente un soleil dont les rayons, traversant un triangle, sont limités par un cercle encadré par un carré concentrique entouré de branches d'acacia dans lesquelles circule un ruban portant en haut la légende Si fodieris invenies, et sur les côtés : Loge du Contrat social de Saint-Jean à l'Orient de Paris. Les rituels datés du 21 février 1784 (21e jour du 12e mois 5783) sont signés : La Rochefoucauld-Bayer, Brommer, Lafisse, Grant de Blaërfindy, Bertolio, de Leutre et Laborde.
Le rituel donne dans les plus grands détails la description des salles et les costumes des membres du chapitre. Nous résumerons toutes ces descriptions pour faire voir à quelles puérilités s'attachaient des gens qui tournaient en dérision les cérémonies du culte catholique.
Le grade de Rose-Croix est conféré en chapitre. Le chef du chapitre s'appelle souverain G?M? ; son premier surveillant prince grand prieur ; le second, prince grand surveillant. Les officiers, tels que l'orateur, secrétaire, trésorier, économe, sont qualifiés princes commandeurs, et les autres frères simplement princes ou chevaliers.
Le but du chapitre en ce grade est, pour tous les chevaliers, d'attendre l'arrivée du soleil dans les douze maisons ou figures du zodiaque et de tirer des quatre éléments et des trois règnes de la nature, alliés ensemble, le fameux Alkaest des alchimistes.
La salle où l'on tient chapitre est un carré long, plus étendu de l'Orient à l'Occident que du Midi au Nord, à cause du soleil qui éclaire plus de ce côté. Dans le centre, on figure un grand cercle, autour duquel sont représentées les douze figures du zodiaque, lesquelles renferment le cadavre d'Hiram-Abif, symbole de la
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 207
nature morte que le Grand Oeuvre doit faire revivre. Au-dessus se trouve la grande pentacule (1) de Salomon, lame d'or de forme triangulaire capable de tout vivifier par sa vertu divine ; d'un côté une clef, de l'autre une balance. Le zodiaque est entouré de nuages. On y voit d'un côté un grand aigle qui désigne un gardien terrible et de l'autre un soleil qui marque le but du grade de Rose-Croix et la recherche du soleil de vie. A l'Occident est le Mont Ebron, où est censé être le corps d'Hiram. La planche à tracer de maître y est figurée ; c'est l'image du premier travail des philosophes qui opère la vie en produisant la vraie pierre cubique, dite pierre bénite ou des philosophes.
A l'entrée deux grandes colonnes, Jackin et Booz, symbolisent l'apprentissage dans le Grand oeuvre ; un coq représente la vigilance et la force dans les opérations ; une étoile flamboyante indique le commencement
(1) Voici en résumé l'explication de la pentacule donnée dans une autre partie du rituel : le roi Salomon en instituant la maçonnerie créa trois grades, dont le dernier était la maîtrise. Les maîtres étaient instruits de la science kabbalistique ; leur marque honorifique était un triangle d'or appelé pentacule, grâce auquel on connaissait toutes les sciences occultes, y compris les plus abstraites. Sur un côté de la pentacule était gravé dans un double delta le mot : Messias, qui signifie : Trésor des philosophes, entouré du mot Adonaï, renfermé dans les six angles des deux deltas. De l'autre côté était gravé, également dans le double delta, le sublime mot qui signifie : Lumière du grand oeuvre accompli ; les six angles portaient le mot Jehova. Lorsque Hiram Abif fut trouvé mort, il portait la pentacule sur son sein suspendue à une chaîne d'or ; on la porta à Salomon, qui, en récompense de la découverte qu'on avait faite du corps d'Hiram et de ses assassins, désigna quinze maîtres parmi les plus zélés et les décora de la pentacule, en leur donnant les connaissances kabbalistiques qui lui étaient attribuées. On espérait, à l'aide de ce bijou sacré, retrouver la parole perdue qui d'un seul mot exprimait aux initiés tout ce qu'ils pouvaient désirer en partageant en quelque sorte la gloire éternelle et les trésors les plus précieux de l'humanité.
208 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
de l'oeuvre prenant couleur ; la lune est le symbole des sacrés mystères de l'Ordre. Une pierre brute désigne la matière informe et une pierre cubique pyramidale cette matière développée par le sel et le soufre. De plus, une équerre, un niveau, un fil à plomb et un maillet. On remarque encore un grand autel enflammé par le feu élémentaire tiré du ciel ; un grand bassin pour purifier les trois règnes de la nature ; un castor, image du travail continuel du vrai philosophe, et enfin une chouette, emblème du secret et du silence dans lequel on doit opérer.
Pour procéder à la réception d'un Rose-Croix, la salle du conseil doit être tendue de noir et décorée de douze colonnes corinthiennes de marbre blanc veiné de noir, avec des chapiteaux et des socles en or (deux à l'Orient, deux à l'Occident, quatre au Nord et quatre au Midi). Sur le milieu de chaque colonne est suspendu un cartouche entouré de festons et de guirlandes de feuilles, de fleurs et des pierres précieuses attribués à chaque mot dans le Grand Oeuvre. Ces douze cartouches représentent les douze maisons célestes correspondant aux douze noms de Dieu n'en composant qu'un seul. On écrira aussi sur les cartouches en lettres d'or les douze noms de l'Être suprême et des esprits qui sous sa puissance président à chaque mois de l'année, enfin les douze signes du zodiaque qui y correspondent. Le tout sera disposé de la façon suivante :
1° A l'Orient du côté du Nord : Marchidiel, Jehova, Mars, le Bélier ;
2° A l'Orient du côté du Midi : Asmodel, Emmanuel, Avril, le Taureau ;
3° A l'Occident du côté du Nord : Ambriel, Tétragrammaton, Mai, les Gémeaux ;
4° A I'Occident du côté du Midi : Mariel, Jeha, Jesas, ou Jesus, Juin, le Cancer;
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 209
5° Au Midi du côté de l'Orient : Verchiel, Messias, Juillet, le Lion ;
6° Au Midi : Kormaliel, Orpheton, Août, la Vierge ;
7° Au Midi : Zuriel, Anasbona, Septembre, la Balance;
8° Au Midi : Barbiel, Erigion, Octobre, le Scorpion;
9° Au Nord du côté de l'Occident : Adnakiel, Jersemon, Novembre, le Sagittaire;
10° Au Nord : Hamdel, Eloym, Décembre, le Capricorne ;
11° Au Nord : Gabriel, Agla, Janvier, le Verseau ;
12° Au Nord : Acchiel, Meleck, Février, les Poissons.
Le trône du souverain grand maître est placé entre les deux colonnes de l'Orient et élevé sur trois marches. Le dais aux tentures rouges galonnées d'or est surmonté d'un grand aigle d'or becqué, membré et couronné en noir, tenant dans ses serres d'un côté une balance, de l'autre une clef d'or. Le trône est noir et or. Au fond du dais, une étoile flamboyante d'or ornée du Yoth. A gauche du trône un autel triangulaire en or portant une Bible, un compas, une clef et un maillet. Au milieu du plancher la balance kabbalistique de Salomon et au-dessous une balance réelle.
La salle du conseil est éclairée sur les quatre faces par dix bras de métal doré, ayant chacun trois branches et placés entre les colonnes deux à l'Orient, deux à l'Occident, trois au Midi et trois au Nord.
Le pavé est également éclairé à l'Orient du côté du Midi et de chaque côté de l'Occident par un chandelier à deux branches, au centre par un chandelier à une branche. Toutes les bougies sont jaunes et n'ont servi qu'une fois, parce que tous les matériaux employés au Grand uvre doivent être vierges, non mixtes. Pour les allumer, il faut autant que possible employer de l'amadou enflammé au soleil et, à son défaut, la pierre
210 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
et l'acier, mais jamais le feu commun et ordinaire.
Le prince grand prieur et le prince grand surveillant sont assis dans de petits fauteuils d'or élevés sur un degré, ayant devant eux une petite table triangulaire couverte d'un tapis d'or pour pouvoir frapper du maillet.
L'orateur et le secrétaire sont assis de la même manière, niais avec des ornements proportionnés à leurs charges.
Tous les princes sont assis sur des chaises bleues filetées de noir ; chacune d'elles porte les armoiries de son titulaire. On devra faire usage de maillets noirs filetés de jaune.
Les princes sont vêtus de noir, chapeau uni à plumet blanc sur la tête, l'épée au côté, garde ornée d'un ruban feu au lieu de l'écharpe ordinaire. Leur tablier blanc est bordé et doublé de rouge ; une broderie ou un dessin, représentant sur son milieu un grand aigle noir pareil à celui qui orne la salle ; sur sa bavette, renversée pour la circonstance, la lettre J est figurée en noir. Ils portent à la troisième boutonnière de leur habit une rosette de ruban rouge à laquelle pend un aigle d'or. Les gants doivent être bordés et doublés de rouge ; sur le dessus de la main droite est brodée en noir une balance et une clef au-dessus de la gauche.
Les princes sont décorés de trois bijoux : un compas couronné appuyé par son ouverture sur un quart de cercle portant au milieu une croix tirée de la balance kabbalistique de Salomon, à ses pieds un pélican avec sept petits et de l'autre côté un aigle les ailes éployées. Une branche d'acacia circule entre ces ornements. Ce bijou est l'emblème des trois règnes de la nature qui entrent dans le travail de la vraie science. Le second bijou est un triangle équilatéral, autrement dit penta-
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 211
cule du roi Salomon. Ce bijou renferme toute la science kabbalistique dont chaque lettre renferme une puissance dans l'opération du Grand Oeuvre ; le dernier bijou est l'aigle noir dont nous avons déjà parlé. Il est le symbole du rang suprême de l'Ordre où on l'emploie.
Pour être à l'ordre dans le chapitre, on porte les trois doigts du milieu de la main droite sur le coeur, en tenant le pouce et le petit doigt dans le creux de la main.
Pour la réception d'un aspirant Rose-Croix, la chambre de réflexion est dépouillée de tout ornement ; aussi obscure que possible, elle sera éclairée seulement par une petite lumière posée sur une table noire sur laquelle on a placé un pot d'eau, du sel, un pain et du soufre. Au-dessus de la table est pendu au mur un tableau représentant un coq et un sablier, portant écrit au-dessus en gros caractères : Patience et persévérance. Devant la table, un trépied percé par le fond sert de siège au récipiendaire.
Le rituel de l'ordre du Chevalier de l'Aigle noir ou Souverain prince Rose-Croix débute par un aperçu historique qui mérite d'être intégralement reproduit :
« Tout bon maçon instruit des mystères de l'Ordre, possédant les hauts grades, doit s'être imaginé que la maçonnerie a un but qui doit encore exister, que le travail ne portait pas seulement à élever des édifices au vrai Dieu, qu'il ne se bornait pas non plus aux seules vertus morales ; quelque autre motif avait donné naissance à un ordre aussi sublime ; oui, mes TT? CC? FF?, la vraie philosophie connue et mise en pratique par le roi Salomon, c'est la base sur laquelle la maçonnerie est bâtie ; cet homme doué de sapience et le plus sage des rois de son temps, ne pouvant travailler seul, choisit dans ses États un nombre de sujets selon son coeur; il se
212 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
les attacha par les bienfaits en les regardant comme ses ff? et les initia dans les secrets les plus cachés de l'art kabbalistique ; qu'il serait à souhaiter, mes TT? CC? FF?, que cet art nous fût parvenu dans toute sa clarté; mais nos anciens maçons, soit par prudence ou par d'autres raisons, nous ont caché les points les plus importants de cet art divin sous des types qui ne présentent que des énigmes ; heureux celui d'entre nous qui sera assez laborieux pour faire, par ses recherches et son travail, la découverte de ces sublimes vérités, il pourra être assuré d'avoir trouvé la vraie félicité à laquelle un mortel puisse aspirer, car sa santé sera conservée, ses jours prolongés et ses moeurs exemptes d'être corrompues par les vices où l'indigence et l'infirmité ne conduisent que trop l'espèce humaine. Réfléchissons, MM? TT? CC? FF?, sur tous les objets qui vous auront affectés dans les différents grades par où vous aurez passé, et vous verrez que c'étaient autant de signes et de mystères dont vous deviez un jour avoir la clef, c'est-à-dire apprendre au vrai à quoi ils devaient s'appliquer.
« Cet éminent grade les renferme tous, il en fait l'analyse, il vous présente du travail à entreprendre; c'est à vous, MM? TT? CC? FF?, à entrer dans sa carrière munis de l'amour de la vérité et de la persévérance. Ce grade, qui compte un ordre de parfaits maçons, a été mis en lumière par le f? R? Qui l'a tiré du trésor kabbalistique du Docteur et Rabbin Néamuth, chef de la synagogue de Leyde en Hollande, qui en avait conservé les précieux secrets et le costume ainsi qu'on va voir les uns et les autres dans le même ordre qu'il les a mis dans son Talmud mystérieux. »
Plus loin on explique que si les Chevaliers de l'Aigle noir sont appelés Roses-Croix ,c'est parce que « Raymond
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 213
Lulle (1), grand maçon et philosophe hermétique, ayant trouvé par la science kabbalistique le vrai salut de vie par le mariage des six métaux, il en composa un parfait appelé or ; il le présenta au roi d'Angleterre qui en fit fabriquer de la monnaie, où d'un côté était une croix symbole des quatre éléments, et de l'autre une rose, symbole du triomphe du Travail et le prix des sages, l'épine n'appartenant qu'aux vrais trompeurs et aux sots.
Raymond Lulle fut fait chevalier et, depuis lui, tous ceux qui travaillent à la science kabbalistique ou art royal sont appelés chevaliers Roses-Croix.
« Ce sublime grade est en vénération dans toutes les cours du Nord et en Prusse, où le souverain en est le protecteur et le G?M? C'est pour cela qu'il lui a même donné le nom d'Aigle noir comme roi des oiseaux et le seul fait pour voler au devant du soleil et en fixer la lumière.
« Le but de ce grade est la science sublime des connaissances de la nature et d'en tirer un travail utile au genre humain, soit dans la purification des métaux imparfaits pour les transmuer en or, seule production parfaite de la nature et comme telle l'emblème de la divinité qui n'a en soi ni impuretés, ni commencement, ni fin ; aussi l'or se trouve-t-il toujours en même poids et valeur dans tel feu que vous puissiez le mettre ; c'est aussi le fond du mystère de la salamandre qui vit dans le feu et du phénix qui renaît de ses cendres. Il n'est point ici compris parmi les six autres impurs parce que physiquement il est tout esprit et par
(1) Les kabbalistes désignaient Raymond Lulle sous le nom d'Alallamack. Seul il serait parvenu à réaliser le mariage céleste de l'époux avec les six vierges dont il eut le bonheur de faire naître le Messias, probablement dans une vie antérieure, car les kabbalistes mettent Alallamack en relation avec Salomon.
214 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
ce moyen est incorruptible. De ce métal pur et rendu potable vous en tirez magnétiquement la médecine universelle, dont l'existence ne peut se nier, attendu tout ce qui est dit dans l'Écriture sacrée et dans tous les philosophes hermétiques et notamment (Le diadème des sages, 1782), par le premier but de l'association des chanoines de Paris et autres officiers ecclésiastiques qui sont venus après les druides ou prêtres des anciens Gaulois, desquels ils tenaient cette science par tradition, ce qui se trouve aisément dans les annales de Paris.
« Ces ecclésiastiques qui, suivant les anciens apôtres, étaient médecins des corps et des âmes, soignaient les malades et les traitaient avec beaucoup d'humanité et de charité. Ce qui était admirable, c'est qu'ils guérissaient toutes les maladies et infirmités (si Dieu n'en ordonnait autrement) par des remèdes naturels, dont ils avaient la connaissance philosophique acquise par l'usage et l'étude de la sage nature qui les fournit en profusion à ceux qui sont ses scrutateurs, sans qu'il soit besoin d'avoir recours à des secours étrangers, impuissants et destructeurs. C'est pourquoi ils avaient leur école de médecine près de leur église, rue de la Bûcherie, laquelle existe encore aujourd'hui. Et comme l'amour de Dieu et du prochain faisait tout leur devoir et leur mérite, en ces temps de sagesse et de simplicité, ils obtinrent de faire construire près d'eux un hôtel de charité, où l'on apportait, recevait et traitait les infirmes et malades avec tous les soins et secours dont par esprit d'institution et d'état ils étaient capables, et s'en faisaient un point essentiel de religion. Ils opéraient des cures et guérisons miraculeuses et si surprenantes que cet hôpital d'infirmerie fut alors appelé Hôtel de Dieu et par corruption Hôtel-Dieu, ainsi qu'on peut le voir dans Nicolas Flamel ».
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 215
Nous sommes entrés dans tous les détails qui accompagnaient les initiations et nous avons choisi la plus curieuse d'entre elles ; nous avons également donné in extenso le type d'un balustre (discours) tel qu'il était d'usage d'en prononcer, afin que le lecteur puisse se rendre compte de la phraséologie amphigourique alors en usage, et enfin qu'il soit un exemple des formules employées pour faire allusion au mystère de la création. Nous en avons assez dit précédemment pour qu'il soit inutile d'insister sur l'étoile flamboyante et la parole perdue.
Nous allons voir maintenant comment on ouvrait un chapitre et comment se faisait la réception d'un aspirant Rose-Croix.
Le souverain G?M?, après s'être fait assurer des portes et de la valeur maçonnique des ff? présents, frappait un grand coup de maillet sur l'autel. Aussitôt tous les princes se tenaient debout et à l'ordre. Lorsque les deux surveillants avaient à leur tour frappé un coup de maillet, le souverain G?M? prenait la parole :
Princes chevaliers de l'Aigle noir, prince grand prieur, prince grand surveillant et officiers dignitaires, aidez-moi à ouvrir le chapitre .
On échangeait alors le signe, puis le prince grand prieur et le prince grand surveillant présentaient la pointe de leur épée au souverain G?M?, et tous les princes se mettaient à l'ordre ; le souverain G?.M? reprenait alors la parole.
D. Prince grand prieur, quelle heure est-il ?
R. Souverain G?M? l'étoile du matin paraît.
D. Prince grand prieur, que devons-nous faire ?
R. Nous devons reprendre nos travaux.
D. Prince grand surveillant, quel est votre devoir ?
R. S?G? M? c'est de voir si le chapitre est scellé
216 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
hermétiquement, si les matériaux sont prêts, si les éléments se distinguent, si le noir fait place au blanc et le blanc au rouge.
D. Prince grand surveillant, voyez si tout est prêt.
R. S?G?M?, tout est prêt, vous pouvez commencer l'oeuvre ; tout est prêt, le feu prend couleur, tout est prêt.
D. Prince grand prieur et prince grand surveillant, quittez le fer, prenez vos maillets et disposez les princes dans leurs postes.
R. Princes chevaliers qui habitez le zodiaque, observez dans vos travaux d'être exacts à nous procurer les trois règnes de la nature, c'est-à-dire : les animaux, les végétaux et les minéraux, subordonnés à chaque signe et à chaque mois de l'année, et renfermez tous vos métaux dans la maison du soleil.
D. Princes, que le bruit de vos outils retentisse d'un pôle à l'autre et que l'Orient et l'Occident dirigent désormais le cours des planètes.
Le Souverain G?M? frappe ensuite trois fois deux coups de maillet, les deux surveillants font de même.
D. Princes chevaliers, le chapitre est ouvert ; faisons notre devoir.
Les deux surveillants répètent ces paroles, tous les assistants font les signes ; on applaudit sept fois (six et un) en disant trois fois Vivat, puis chacun prend sa place et l'on procède à la réception.
Le parrain, assisté d'un chevalier préparateur, va chercher le récipiendaire dans la chambre de réflexion et lui demande s'il désire toujours avec ardeur se faire recevoir chevalier de l'Aigle noir. Sur sa réponse affirmative, le préparateur, après lui avoir bandé les yeux, l'introduit en le prenant par la main dans un appartement tendu de noir dans lequel se trouve étendu sur une
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 217
table le dernier chevalier reçu, couché sur le dos, contrefaisant le mort ; on fait toucher le corps au récipiendaire, et pendant qu'on lui fait faire des voyages autour de la chambre, le chevalier étendu sur la table se retire sans bruit et l'on met à sa place un coeur de boeuf ou de mouton, une tête de mort et une lumière.
On demande au récipiendaire s'il est toujours décidé à poursuivre sa course et à anéantir tout ce qu'on lui ordonnera. Dès qu'il a répondu affirmativement, on le conduit armé d'un poignard près du coeur de boeuf et on lui dit :
- Frappez et n'hésitez pas ; malheur à vous si vous vous repentez du coup que vous aurez porté.
L'aspirant perce le coeur et y tient le poignard plongé.
- Savez-vous ce que vous venez de faire? lui demande le préparateur,
-Je ne sais rien. Tout ce que je puis croire, c'est que j'ai frappé quelque corps, mais je ne m'en repens pas, et pour preuve de ce que j'avance, je suis prêt à recommencer.
On retire le bandeau qui couvrait les yeux de l'aspirant, afin qu'il puisse contempler la lumière, le coeur et la tête de mort. Au bout d'un instant, le préparateur reprend :
- Emportez ce coeur au bout de votre poignard et suivez-moi.
Arrivé à la porte du chapitre, le parrain frappe deux coups irréguliers, auxquels le prince grand surveillant répond par une batterie semblable, et s'adressant à son collègue ;
- Prince grand prieur, on frappe en profane à la porte du chapitre.
Celui-ci en prévient le souverain G?M?, qui ordonne au prince grand surveillant qui frappe de lui en
218 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
rendre compte. Après avoir parlementé avec le préparateur, le prince grand surveillant assure au souverain G?M? que le trophée que l'aspirant va lui présenter sera une garantie suffisante en sa faveur.
On demande au parrain le nom, l'âge du candidat, les grades par lesquels il a passé pour oser prétendre au sublime grade de Rose-Croix.
On l'introduit ensuite à l'occident du chapitre, le parrain et le préparateur remettent le récipiendaire au souverain G?M? et vont reprendre leurs places.
Après avoir posé à l'aspirant des questions sur son passé maçonnique, le souverain G?M? lui explique que le trophée représenté par le coeur a pour objet de lui rappeler que lorsqu'il a été reçu apprenti il a prêté le serment solennel, et qu'il a consenti à avoir le cur arraché s'il devenait parjure à ses engagements. Comme, de plus, dans le grade de Rose-Croix, il faut des hommes résolus sur lesquels on puisse compter dans le besoin, on a voulu éprouver son courage. L'aspirant profite de la circonstance pour assurer qu'il est prêt à exécuter les ordres du souverain G?M? de quelque nature qu'ils soient.
Lorsqu'il a reçu cette assurance, le souverain G?M? autorise l'aspirant à venir jusqu'au pied de son trône en exécutant la marche des quatre éléments, qui se fait par les quatre points cardinaux en partant par l'Occident passant par le Centre, allant au Nord, traversant de nouveau le Centre pour arriver au Midi, puis à l'Orient et enfin aux pieds du souverain G?M?, devant lequel il se met à genoux en posant la main droite sur le plat de la Bible.
Le récipiendaire prête alors son serment.
- Je promets et jure, dit-il, devant le Suprême et Grand Architecte de l'Univers et devant le souverain
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 219
chapitre ici assemblé de sceller, garder et ne jamais révéler les secrets des chevaliers de l'Aigle noir, dits Roses-Croix, à aucun des profanes ou maçons inférieurs à ce grade, sous quelque prétexte que ce puisse être ; de n'en parler qu'en chapitre et lors du travail. Si j'y manque et que je devienne parjure, je consens et je pardonne ma mort à ceux des chevaliers qui me la donneront de quelque manière que ce soit, par le fer, le feu ou le poison ; que ma mémoire soit en horreur parmi les Roses-Croix et les maçons répandus dans le monde entier ; priez pour moi, mes frères, que Dieu me soit en aide et me préserve de manquer à mon obligation.
Le serment prêté, le grand prieur fait relever le candidat, le présente au souverain G?M? qui le fait passer à sa droite et le décore sur-le-champ des bijoux, gants et tablier de l'ordre ; puis il lui donne les signes, mots et attouchements.
- Le signe, dit-il, se fait dans l'appel en portant l'index de la main droite sous le nez, ensuite sur la joue jusqu'à l'oreille, puis en le descendant le long du cou jusqu'à la clavicule afin de former l'équerre. On répond par le même signe, mais avec la main gauche.
- L'attouchement se donne en s'embrassant réciproquement : chacun avance son pied droit et se donne un coup de talon. Le mot sacré est Messias, qui veut dire trésor des philosophes. Celui de passe ou d'entrée est Och, qui signifie semence de tous les métaux.
Le candidat va se faire reconnaître par tous les princes, puis est reçu par le souverain G?M? qui lui dit :
- Par le pouvoir que j'ai reçu et du consentement unanime de cette auguste assemblée, je vous reçois prince maçon par le T? P? grade de Chev. de l'Aigle noir de Rose-Croix d'Allemagne dont vous êtes revêtu et devenu membre.
220 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
L'orateur lui dévoile alors en ces termes les mystères du grade :
- La figure de cette loge tracée est un carré long plus étendu de l'Orient à l'Occident que du Midi au Nord, parce que le soleil éclaire plus le globe terrestre dans le premier sens que dans le second, puisqu'il ne sort jamais au delà des tropiques.
Vous voyez ici, dans le centre, un grand espace circulaire composé de nuages renfermant les cercles du zodiaque où sont contenues les douze maisons du soleil, gardées chacune par un des douze mois de l'année ; chaque mois vous devez rentrer dans la chambre qui le représente pour y travailler et attirer la visite de l'astre lumineux vivifiant toute la nature et toute la matière.
Le soleil doit être reçu par les quatre éléments que vous inviterez à vous tenir compagnie, car sans eux la maison serait triste ; vous ferez banqueter le soleil des mets tirés des animaux et des fruits, qui sont nourris dans l'intérieur de chaque maison céleste. Si vous observez toutes ces choses, vous opérerez avec fruit.
Dans le cours de notre travail, il faut considérer la matière comme morte ; le cadavre d'Hiram en est l'emblème. Il faut le vivifier et le faire renaître de ses cendres, ce que vous obtiendrez par la végétation de l'arbre de vie représenté par la branche d'acacia ; mais vous ne saurez opérer avec fruit, si vous vous écartez de l'équerre et du compas qu'il faut sans cesse avoir devant vous.
Ces deux bijoux ne sont pas les seuls dont vous devez faire usage ; ils sont accompagnés des deux instruments indispensables : la balance et la clef. Vous ne pouvez non plus vous passer de la pentacule, qui renferme toutes les vertus célestes.
Abandonnons pour un moment, MM? VV? CC?
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 221
FF?, le centre mystique de notre loge, traversons la lune qui doit couvrir nos sacrés mystères et parcourons l'espace qui l'environne. A l'Occident nous trouverons le mont Ebron, sur le sommet duquel on éleva les deux grandes colonnes Jackin et Booz, c'est-à-dire Force et Beauté, premier principe du grand oeuvre que vous allez entreprendre. La force est représentée par les matériaux que vous devez employer et la beauté par l'ouvrage qu'ils nous produiront.
La colonne Jackin était dédiée à Dieu, tout venant de lui ; c'est ce que vous êtes présentement, puisque vous allez commencer à travailler. Vous deviendrez compagnons quand vous commencerez à connaître la beauté de la matière élémentaire ; enfin, vous deviendrez maîtres quand vous aurez placé dans votre planche la route fixe du soleil.
A l'Orient, nous voyons un grand aigle, roi des animaux de l'air, le seul qui puisse fixer l'astre radieux, car la matière de sa nature n'a point de forme; c'est la forme qui développe la couleur ; le noir, c'est la matière hors d'oeuvre. Change-t-elle de couleur ? elle reprendra une forme nouvelle, et un soleil des plus brillants en sortira. De même que la naissance du soleil est annoncée par l'étoile du matin, l'étoile flamboyante dans sa rougeur est accompagnée par la fraîcheur argentine de la lune.
Dans le plan de la loge, vous découvrirez une pierre brute, matière informe qu'il faut préparer, une pierre cubique à sommet pyramidal, et la matière développée : le sel et le soufre.
L'équerre, le niveau, la perpendiculaire et le maillet vous serviront à construire les maisons du soleil par où vous devez faire passer la matière informe. Aussi faudra-t-il les construire avec règle et préparation ; sans cela l'esprit de vie ne saurait s'y loger.
222 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Avec tous ces instruments vous construirez le grand autel sur lequel brûlera le feu tiré du ciel, et le grand bassin servira à vous purifier les mains, le corps et tout ce que vous toucherez pour opérer avec fruit. Soyez laborieux comme le castor et cachez-vous comme la chouette, afin de bien travailler à l'abri des regards des curieux.
Le souverain G?M? ajoute à son tour :
- Chevaliers, princes nouveaux reçus dans l'ordre des chevaliers de l'Aigle noir, lorsqu'on vous mit en réflexion, vous aperçûtes du pain, de l'eau, du sel, du soufre, un coq et un sablier, avec ces mots : Patience et persévérance ; matières symboliques et faciles à expliquer.
Par le pain et l'eau, on vous marque la sobriété dans vos repas ; par le sel, les bonnes moeurs que vous devez avoir pour vous conserver parmi les hommes ; par le soufre, l'ardeur secrète que vous devez avoir de parvenir à la science kabbalistique en formant votre esprit à savoir promptement tous les instants où la lumière vous éclairera ; par le coq, la vigilance dans toutes vos oeuvres, et le sablier désigne le temps que l'on doit employer au travail qui doit être compté par heures et par minutes. Aidons donc les nouveaux chevaliers à découvrir le principe de vie renfermé dans le coeur de la matière première connue sous le nom d'Alkaest.
Puis le souverain G?M? fait l'instruction du grade par un dialogue avec les surveillants. De ce dialogue il résulte que le souverain G?M? se tient à l'Orient pour y attendre l'arrivée du soleil et l'accompagner dans ses douze maisons célestes dont les honneurs sont faits par le Grand Architecte de l'Univers lui-même, sous douze noms sacrés, tirés chacun des douze lettres du grand nom de Dieu en hébreu: Getimoaljeam. Les douze
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 223
maisons sont partagées en quatre parties égales qui sont les quatre saisons de l'année, qui expliquent l'utilité du travail.
Dans ce travail on doit employer les quatre éléments et les trois règnes de la nature qui, pour être utilisés convenablement, doivent être pris dans leurs vraies saisons, pour que le genre humain puisse y trouver d'immenses trésors.
Adonaï, le plus puissant nom de Dieu, met tout l'univers en mouvement ; le chevalier qui serait assez heureux pour le prononcer kabbalistiquement aurait à sa disposition les puissances qui habitent les quatre éléments et les esprits célestes ; il posséderait aussi toutes les vertus utiles à l'homme et parviendrait avec leur concours à la découverte du premier des métaux qui est le soleil, qui provient de l'alliance intime des six métaux (1) inférieurs, dont chacun contient la semence, et la fournit dans le lit nuptial.
Les six métaux inférieurs, le plomb, l'étain, le fer, le cuivre, le mercure et l'argent, sont symbolisés par Saturne, Jupiter, Vénus, Mercure et la Lune ; l'or-soleil, le premier des métaux, est placé en leur centre, bien que physiquement il ne soit point un métal, car il est tout esprit et par là incorruptible, et c'est pour ces raisons qu'il est l'emblème de la Divinité, incapable d'aucune altération .
Pour parvenir à allier les six métaux et à n'en faire qu'un seul qui ne soit point un métal, on se sert de la règle et de la balance que Salomon a laissées dans son traité précieux de ses Clavicules kabbalistiques. La Kabbale est la pratique secrète des hautes sciences ou
(1) Salive, suc gastrique, suc intestinal, bile, sang, lymphe et moelle, toutes matières condensées dans la semence.
224 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
connaissance des secrets de la nature et de la grandeur de Dieu.
Pour sa balance, Salomon se servait de 25 nombres sous-divisés de la façon suivante : 1, 2, 3, 4, 5, qui contient 25 fois l'unité ; 12 fois 2, 8 fois 3, 6 fois 4 et 5 fois 5.
Sept philosophes ont donné la clef de cette balance : Albumasaris, Pythagore, Ptolémée, Antidonis, Platon, Aristote et Hali. Chacun d'eux s'est attaché à un métal, ils en ont fait un traité et en ont donné la mesure, la règle et la balance pour les mettre en oeuvre, et chaque traité est sous la domination d'un génie élémentaire. Les métaux et les génies correspondants sont: Plomb, Aratron ; Etain, Retor ; Fer, Phalech ; Or, Och ; Cuivre, Hagit ; Mercure, Aphiel, et Argent, Hali.
Pour fabriquer l'Alkaest, esprit ou dissolvant, inventé par Van Helmont, il faut commencer par travailler à l'alliance des quatre éléments simples dont tous les êtres sont composés et les trois règnes de la nature chacun dans leur saison, renfermés dans chacune des maisons du soleil en commençant par celle de Mars, parce que c'est par elle que commence l'année dans la philosophie hermétique et en astronomie. On prépare mystérieusement les trois productions de la nature avec le feu élémentaire tiré de la matière première par attraction et force centripète des mixtes, mises en digestion dans le fourneau économique allumé par les quatre vents.
Ce trésor produit des trésors immenses pour l'humanité et qui dureront autant que le monde. Il n'y a que les vrais maçons qui puissent participer au Grand oeuvre, et encore bien peu y parviennent-ils.
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 225
Si étrange que cela puisse nous paraître, des gens qui n'étaient pas stupides ni de mauvaise foi s'amusaient à ce jeu étrange à la fin du XVIIIe siècle ; le marquis de la Rochefoucauld-Bayer (1), un des auteurs de ce rituel, était un fort honnête homme, qui ne songea pas un instant à fronder la royauté, ni à attaquer la religion. Et cependant, depuis 1776, il était G?M? du rite écossais philosophique. En 1780, il était membre de la Candeur à l'Orient de Paris, et en 1787 député au G?O? de Saint-Jean-d'Ecosse de l'Indulgente Amitié à lO? de Barbezieux, et vénérable du Contrat social à lO? de Paris ; il est vrai que, l'année suivante, il fut remplacé dans ces dernières fonctions par le comte de Gand.
Quelque singulière que soit l'initiation au grade de Rose-Croix ordinaire, celle des Réaux-Croix, autre variété du même grade, est encore plus bizarre. Dans sa correspondance avec le prince Charles de Hesse et avec le duc Ferdinand de Brunswick, Willermoz, qui avait été admis Réau-Croix par Bacon de la Chevalerie, délégué de Martines de Pasqually, définira ce grade, et une lettre de Pasqually expliquera comment on devait le conférer (2).
Pour les Réaux-Croix, l'Angleterre est bien la patrie de la f?m? et Cromwell aurait trouvé l'ancien institut des architectes d'Orient, conservé dans le palais de Whitehall, mais il l'aurait mal interprété. Cet institut avait été fondé par les F. R. A. C. X. (Fratres Roseæ et
(1) Jacques-Louis de La R.-B. (1717-1797) avait épousé, par contrat du 18 août 1750, Suzanne Poictevin du Plessis-Landry. En 1789, il habitait 110, rue de Vaugirard, et touchait une pension de 4.000 fr. en qualité de colonel réformé des grenadiers royaux du Poitou.
(2) Dans le tome II nous reviendrons sur l'histoire des Réaux-Croix. Voir, Gould, III.
226 FRANC-MAÇONNERIE EN France
aureae crucis Christiani) qui font remonter leur origine à un prêtre de Sérapis, nommé Ormus, qui vivait vers l'an 46, au temps où saint Marc évangélisait l'Egypte. Ormus ayant été baptisé, adapta les doctrines secrètes des Egyptiens aux enseignements du christianisme.
En l'an 151, des Esséniens et des juifs convertis et savants dans les sciences occultes, se joignirent aux Ormusiens conservateurs des mystères de Moise, de Salomon et d'Hermès. Ces doctrines furent transformées au VIème et au VIIème siècle et n'ont pas changé depuis. En 1188, quand Jérusalem fut reprise, trois adeptes vinrent en Ecosse et perpétuèrent l'Ordre, qui ne comportait que peu d'initiés. Cromwell aurait été Réau-Croix. D'après Charles de Hesse, les R.+ d'Occident ainsi que les f? moraves étaient sortis d'une branche de ces Réaux +, mais ils avaient des connaissances très inférieures à celles des Réaux-Croix, qui étaient infiniment sublimes.
Willermoz donne de curieux détails dans une lettre qu'il adresse au prince de Hesse, le 20 octobre 1780.
Il explique que, bien qu'ayant fait suivre sa signature du signe R. +, il n'est pas Rose-Croix, mais Réau-Croix : « J'admets, écrit-il, beaucoup des connaissances des Roses-Croix, mais leur base est toute de la nature temporelle ; ils n'opèrent que sur la matière mixte, c'est-à-dire mélangée du spirituel et du matériel ; et ont par conséquent des résultats plus apparents que ceux des Réaux-Croix, qui n'opèrent que sur le spirituel temporel et dont les résultats se présentent sous forme de hiéroglyphes ».
Dans chaque groupe de Réaux-Croix il y a un chef plus puissant que les autres. Sur toute la surface de la terre il n'y a que 7 chefs, sans compter le chef suprême. Pasqually en aurait connu un en Italie et un autre en Asie. Willermoz dit ne posséder sur tout que des con-
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 227
naissances théoriques , son initiateur (Pasqually) l'ayant élevé rapidement et l'ayant, peu après, quitté pendant de longues années : « Il devait revenir en France pour achever mon instruction, quand il mourut. Celui que je crois son légitime successeur (le fils de Pasqually) a encore bien des années à attendre pour reconnaître les vertus qui ont été mises en lui et encore plus pour être utile aux autres, étant encore très jeune.
« J'ai été établi pour conserver le dépôt qui m'a été confié, et plusieurs, par mon ministère, ont eu des signes certains que la route que je leur traçais était sûre, et moi-même, quoique moins virtuel pour mon propre compte que je l'ai été pour autrui, j'en ai reçu quelquefois des signes si positifs, si évidents, si convaincants que je ne puis douter de la vérité des principes ».
Pour Willermoz, c'est dans l'ordre des Réaux-Croix que réside l'ordre par excellence dans toute la force du terme (Réau, puissant prêtre). Les connaissances perdues par la chute de l'homme et rendues par le Christ, auraient été perdues par les papes. Les vrais Réaux seuls ont gardé la puissance d'ordination sacerdotale du culte primitif. Ceux ainsi ordonnés s'appellent Coëns.
Voyons maintenant comment on était admis parmi les Réaux-Croix. C'est Pasqually qui l'explique dans une lettre à Bacon de la Chevalerie ; nous la reproduisons textuellement, y compris les fautes d'orthographe caractéristiques.
« A Bordeaux, le 2 mai 1768.
« Je réponds T. H. T. R. M. aussi promptement que je le peut à la demande que vous me faites touchant le grade de Réau croix que vous voulez donner à notre T. H. T. R. M. De Villermoz. Je ne me refuserais jamais pour que ce R. M. soit récompensé à tout égards et même avec sa-
LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
tisfaction, personne plus que lui le mérite davantage. Vous me permettrez P. M. de vous faire les observations secrètes de notre loy abstraite à ce sujet. Vous ne devez point ignorer que nous ne jouissons en notre qualité d'hommes, d'Image et de ressemblance divine que de deux choses qui sont réellement en notre pouvoir qui sont les différents actes cérémoniaux de nos opérations qui sont au nombre de quatre auxquelles il nous est donné une seule puissance a chaque, qui font quatre puissances ce qui complète avec les quatre cérémonies le nombre infini de huit. Toutes ces choses nous sont données avec précision d'heures, de jours, de semaines, de mois, de lunes et d'années. Et que par ce moyen en suivant scrupuleusement ce qui nous est prescrit par Dieu même, nous osons nous attendre à un succès plus considérable de nos travaux que lorsque nous en sortirons.
Vous savez que je vous ai toujours dit qu'il n'était point en mon pouvoir de satisfaire entièrement l'homme à ce sujet et qu'à Dieu seul appartenait cette sublime opération.
A toutes ces choses prés, T. P. M. comment pouvoir nous promettre quelque succès en faveur du candidat que vous voulez admettre à une opération hors de son tems, un fruit prématuré est hors de saison, une opération de principe faite hors de son tems est sans fruit. Vous me répondrez à tous cela comment faire ? Je lui ai promis. Je dirai a cela tempis, vous avez mal promis, ces sortes de choses sont-elles en votre pouvoir ? Indifféremment cela ne se peut d'aucune façon si nous ne suivons scrupuleusement ce qui nous est prescrit. La précision de la cérémonie ne suffit pas seule, il faut encore une exactitude et une sainteté de vivre au chef qui mène les cercles d'adoption inllecte (sic) il lui faut donc une préparation spirituelle faite par la prière, la retraite et la moration, vous avez sçu comment je me suis comporté a Paris a cet égard. Cependant je ferai mes efforts pour abandonner mes affaires domestiques afin de me disposer a vous fortifier dans votre opération, pour récompenser le zèle et les travaux laborieux au R. M. De Willermoz, que je crois être digne du succès que je lui désire dans cette opération, il ne dépendra pas de moi pour qu'il soit satisfait. Qu'il vous souvienne que c'est le dernier et le premier.
Vous observerez pour cette cérémonie de faire les mêmes
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 229
cercles que je fis pour la réception du T. P. M. de Luzignem, vous attaquerez l'angle de l'Ouest comme votre chef angle. Il ne vous est point permis d'attaquer a l'Est directement, ce tens étant passé. Vous ferez toutes les mêmes cérémonies, tant en prières qu'en parfum ; vous n'offrirez d'autre holocauste d'expiation que la tête d'un chevreuil mâle, que vous ferez acheter indifféremment au marché, laquelle tête sera avec sa peau velue. Vous la préparerez ainsi que l'on prépare le chevreuil avant de l'égorger. Ensuite vous dresserez trois feux nouveaux. Dans celui qui sera au nord vous mettrez la tête sans langue ni cervelle mais bien avec les yeux, Dans celui qui sera au midi vous y mettrez la cervelle. Dans celui qui sera à l'Ouest vous y mettrez la langue. Lorsque le tout brûlera le candidat jettera trois grains de sel assez gros dans chaque feu. Ensuite il passera ses mains par trois fois sur chaque flamme de chaque feu en signe de purification. Il aura le genout droit à terre et l'autre debout et dira ensuite ce mot ineffable que vous trouveriez marqué dans l'écrit cy joint ainsi que leur nombre caractères et hiéroglyphes lesquels seront tracés devant chaque feu tel qu'ils sont marqués.
« Si on ne peut avoir une tête de chevreuil, on prendra la tête d'un agneau couverte de sa peau. Il faut absolument que sa peau soit noire sinon l'holocauste serait action de grâce et non d'expiation. Le candidat fera la cérémonie de la tête d'agneau ou de chevreuil avant tout autre cérémonie. Les cercles et l'appartement où l'on fait l'opération, seront entièrement préparés ainsi que nous avons jadis fait. Vous aurez de l'eau comme il convient, vous commencerez votre opération le onze du courant, vous suivrez le 12 et finirez le 13 pour que vous vous rencontriez aux jours relatifs ou manquement de la saison. Par le nombre des jours que je vous fixe, vous remarquerez le nombre de confusion par 1 1. Le nombre
2
terrestre et corporel par 1 2 et par 1 3 puissance.
3 4
Ensuite vous ferez commencer par les invocations ordinaires et conjurations entre lesquelles vous joindrez celle du commandeur d'Orient. Après les trois jours d'opérations faites, vous ramasserez soigneusement les cendres des trois feux que vous joindrez à celle que je vous ai donnée. Vous donnerez au candidat un scapulaire pareil a celui des autres R. +. Vous lui ferez faire un talisman égal aux
230 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
autres, vous assemblerez pareillement vos deux P. M. R. + dont l'un et l'autre feront chaque jour une opération et vous ferez la dernière, il est égal qui des deux commence. Vous observerez de faire dire au candidat la prière qui est a la suite des mots d'abord qu'il aura passé les mains ouvertes sur le feu de l'holocauste, vous aurez de toutes nécessité deux réchauds un peu grands pour faire consommer la langue et la cervelle, et celui qui sera sous la cheminée de la Chambre figurera le Nord, les deux réchauds figurerons le midi et l'Ouest conformément à l'ancien usage, ou lon portait des caisses grillés pour faire les holocaustes en campagne. Voilà T. P. M. tout ce que je puis faire en faveur du zèle du R. M. De Willermoz, Dieu fasse qu'il l'entende et qu'il retire de cette opération tout l'avantage et le succès qu'il mérite. J'abandonne avec plaisir mes propres affaires pour sa satisfaction ne comptant pas beaucoup sur la propagation de l'ordre par la lenteur que je lui voie. Je vous prie d'assurer le R. P. M. de Willermoz de mon sincère attachement.
« Ne faites fautes de prévenir tous les R. R. M. M. Réaux Croix de l'opération que vous allez faire à l'extraordinaire, n'importe qu'ils soient ou non avertis quinze jours d'avance comme il convient. Si vous n'agissiez point, comme je vous le dis, les R. + pourraient très bien vous refuser la reconnaissance du R. + que vous auriez fait et m'en porter leurs plaintes pour qu'il ne fût point inscrit dans mes circonférences secrètes ainsi que dans mon répertoire universel. Faites écrire par un des R. P. R. + aux T. P. M. de Champoleon, au T. P. M. de Grainville, au T. P. M. de Luzignem pour éviter toutes sortes de discussion.
« Vous n'oublierez point de faire boire le calice en cérémonie après la réception et vous donnerez le pain mystique ou cimentaire a manger a votre Réau + nouvellement reçu dans la même cérémonie que vous m'avez vu faire ».
On a vraiment peine à croire qu'en plein XVIIIe siècle il y avait encore des gens se livrant à ces pratiques surannées et ridicules, surtout lorsqu'on constate que Willermoz n'était pas parmi les plus exagérés, et qu'en
L'IDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES 231
dehors de la maçonnerie c'était un brave homme, un honnête commerçant et un bon père de famille.
Il est un autre rituel également intéressant, c'est celui de chevalier Kadosch, dont nous n'avons pu trouver aucun exemplaire ancien aussi explicite que ceux de Rose-Croix et de Réau-Croix que nous venons de citer. Cependant nous en avons rencontré un qui pour être moins ancien n'en est pas moins intéressant, attendu que s'il faut en croire l'auteur, le f? Fabien 30e, le texte qu'il donne est la reproduction d'un « Rituel ancien formulé à nouveau suivant la pratique moderne (1) ». Dans ce rituel il est expliqué que « dans les grades philosophiques, le maçon ne reçoit plus l'impulsion de personne. Dans la première série, il façonne les coeurs, dans la seconde il façonne les esprits ; voici que dans la troisième, il façonne les volontés » (p. 13).
Puis il explique au candidat que l'échelle maçonnique a sept échelons, qui symbolisent: la probité, l'expérience, la fermeté, la persévérance, la religion, la science, et enfin le septième échelon « est », dit-il, « celui que tu gravis maintenant en groupant les sciences et les vertus qui peuvent te rendre apte à gouverner la volonté des autres en lui faisant accepter ton autorité » (p. 16 et 17). En conséquence, les échelons descendants symbolisent : les lettres, les sciences proprement dites, les arts, l'agriculture, l'industrie, le commerce et la politique.
(1) Paris, Hugonis, près le G:. Bibl. de l'Institut, N. S. O:. 19.012.
-------------------------------
CHAPITRE VII
LE POUVOIR ROYAL ET LA F.-M. - LES SCHISMES
L'attitude du pouvoir. - Louis XV était-il f?m? ? - Le G?O? de Bouillon.
- La vieille Bru. - La M?L? Ecossaise de Marseille. - . Le chapitre de Clermont. - Martines de Pasqually et les Elus Cohens. - St-Jean de Jérusalem et les Empereurs d'Orient et d'Occident. - La maçonnerie de perfection. - Les Chevaliers d'Orient. - Le baron de Tschoudy. - Perneti et les Illuminés d'Avignon. - Chatanier et la Nouvelle Jérusalem des illuminés théosophes. - La décadence de la maçonnerie.
Si les persécutions sont favorables aux sociétés qui les subissent, la f?m? n'aurait guère dû se développer en France, car elle ne peut sérieusement invoquer les rigueurs de l'ancien régime pour expliquer l'hostilité dont elle fera preuve contre la royauté. Nous avons signalé (chap. v, p. 164 et 173) les bénignes mesures de police prises contre des f?m? dont les réunions, contraires au règlement et quelque peu tumultueuses, avaient attiré l'attention.
Dans l'Orléanais, leurs nombreuses assemblées inquiétèrent l'administration locale, qui, en fin de compte, ne fit rien pour les disperser. Par le récit que nous allons faire de ces incidents, on pourra se rendre compte à quel point l'autorité royale était bienveillante et paternelle (1).
(1) Nous avons extrait ce récit et les documents qu'il contient d'un ouvrage sur les loges d'Orléans, que l'auteur a cru devoir retirer de la circulation.
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 233
Le 2 mai 1744, le procureur du Roi au Présidial, Leclerc de Douy, qui avait succédé en 1740 à Legrand de Melleray, adressait au chancelier d'Aguesseau la dépêche suivante :
« Il se forme depuis quelque temps, en cette ville, une association sous le nom de francs-maçons, et le nombre en augmente de jour en jour. Ces particuliers s'assemblent jusqu'au nombre de 30 et 40, de différents états et conditions, et ne se retirent le plus souvent du lieu de l'assemblée que dans la nuit. Le secret inviolable qu'ils s'obligent à garder, et qu'ils observent en effet, me fait ignorer le motif de pareilles assemblées ; et, quoique je pense que le plaisir de la table en fasse le principal objet par les fréquents repas qu'ils se donnent les uns aux autres, je craindrais les suites de cette union, si l'on n'y remédiait dès sa naissance. De pareilles assemblées, quoique innocentes dans leurs commencements, peuvent devenir un jour criminelles, et toutes les lois du royaume s'accordent à les proscrire comme pouvant être préjudiciables au repos et à la tranquillité de l'Etat. »
Il demande des ordres ; en conséquence le chancelier écrit à Guillaume-François Joly de Fleury, qui était alors procureur général au Parlement de Paris, le 4 mai 1743 :
« Par les différents avis qui me parviennent des provinces, je vois que le mystère ou la folie des f?m? se répand dans beaucoup d'endroits, et que c'est une maladie qui devient contagieuse. Toute association, de quelque genre qu'elle soit, est toujours dangereuse dans un Etat, et surtout quand on y mêle un secret et une apparence de religion, qui pourrait bien cacher beaucoup de libertinage. Je crois donc que vous jugerez à propos d'approfondir la vérité des faits que notre substitut explique, et de prendre les mesures nécessaires pour dissiper cette nouvelle troupe qui se forme à Orléans. »
Le procureur général demanda des éclaircissements et, le 15 mai, Leclerc de Douy lui répondit :
«... Ils forment entre eux un corps composé de gens de différents états et conditions, unis entre eux par des liens d'une confraternité réciproque, qui ne leur permet plus que
234 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
de s'appeler du nom de frères. Le noble et le roturier, l'officier et l'artisan, honteusement confondus, jouissent ensemble des mêmes avantages. La qualité d'homme qu'ils envisagent seule les uns dans les autres, qui les rend tous égaux par la nature, leur fait oublier toute distinction de rang et de naissance, et même de religion, puisqu'ils ne feraient aucun scrupule de s'associer l'hérétique, l'infidèle, l'idolâtre ; je le sais d'un f? m? étranger qui m'en est convenu, et je craindrais fort que cette association ne fut un jour préjudiciable à la religion, si elle ne l'est aussi â l'Etat, puisqu'il est difficile de porter des coups à la religion, que l'Etat, par un contrecoup inévitable, ne s'en ressente aussi, et, si je ne me trompe, dans l'idée que je me fais des maximes, quoique austères en apparence, qui servent, selon eux, de fondement à leur association, et qu'ils doivent s'étudier à réduire en pratique, je n'y aperçois rien que de propre à former l'honnête homme païen ; je n'y trouve point le chrétien et le catholique. »
Après de nombreux et très exacts détails sur les réceptions et les rites, il termine ainsi :
« J'apprends en ce moment que les assemblées des f?m? sont fréquentes, qu'elles sont portées bien avant dans la nuit et que les associés ne se retirent même le plus souvent qu'au jour. »
L'affaire n'eût pas de suite, probablement grâce â l'intervention de M. de Beauclas, substitut de Joly de Fleury et qui était f?m?
On se borna donc le 5 juin 1744 à renouveler les défenses de 1737.
Il est singulier de constater d'autre part l'attitude des f?m? à l'égard de la personne du roi. A lire leurs panégyriques, il semblerait que ce sont eux qui lui ont donné le surnom de Bien-Aimé. Il est le meilleur, le plus grand, le plus vertueux des princes ; sous son règne, on voit renaître l'âge d'or.
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 235
Voici ce qu'on chante dans la très vénérable confrérie des francs-maçons en 1752 (1) :
Sous l'auguste Louis, dont l'amour le plus tendre
Couronne les vertus, que ne doit-on attendre ?
En lui l'humanité prodiguant son Trésor,
Ouvre, par l'Esprit Saint, l'entrée au siècle d'or.
Dans les papiers de l'abbé Pingré, f?m? des plus militants (bibl. Sainte-Geneviève, 2484), nous trouvons des manifestations de tendresse encore plus vives. Voici ce qu'il écrit sur Louis XV, lorsque ce prince posa la première pierre de l'église Sainte-Geneviève :
Lorsque le sceptre en main Louis dicte des lois,
Dans son maître un Français bénit un tendre père :
Si, pour fonder un temple il prend en mains l'équerre,
Dans son frère un maçon voit le plus grand des rois.
Vient ensuite une poésie latine (2) dont voici la traduction :
« O vous par qui notre Art vraiment Royal doit, après avoir dissipé les ténèbres, répandre une lumière toujours nouvelle sur la postérité la plus reculée, vivez longtemps, et que vos années multipliées soient toujours marquées au sceau du bonheur. Vivez pour vos peuples, ils ne peuvent être heureux sans vous. En affermissant les traités d'une paix désirée, vous faites fleurir toutes les sciences, les arts n'imitent pas seulement, ils surpassent la nature; le commerçant, en sûreté sous vos auspices, vole sans crainte aux extrémités de l'univers. Par vous la religion conserve toute sa splendeur; sous vos lois, Thémis rappelle tout aux poids d'une balance aussi ferme qu'équitable ; la piété et la foi osent montrer leur front auguste, une juste vengeance est le prix certain de tous les crimes. O le meilleur des rois,
(1) Morphée Franc-maçon, Jérusalem, MDCCLII, p. 91.
(2) En tête la dédicace suivante : Ludovico dilectissimo lapidem ad normam exigenti.
236 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
par qui les Français voient renaître le siècle d'or, puissiez-vous vivre heureux pendant un nombre de siècles égal à celui des canons que les maçons ont tirés en votre honneur dans toute l'étendue de l'univers, à celui des éloges que l'assemblage de toutes les vertus vous a mérités, à celui des citoyens dont la tranquillité est nécessairement liée avec la conservation du vrai Père de la Patrie. »
Peut-on conclure de ces citations que ce plus grand des rois dans lequel le maçon voit un frère, l'équerre en main, était également f?m?? Il est très probable que Louis XV ne fut jamais initié, mais on peut croire qu'il accepta le titre de protecteur insigne de l'ordre.
Alors que, dans toute l'étendue de l'univers, les maçons tiraient le canon en son honneur, c'est-à-dire buvaient à sa santé, peut-on accuser Louis XV d'avoir persécuté la f:. m:. . Assurément non.
D'autre part, le grand nombre de schismes qui naquirent de 1745 à 1771, la disjonction de ces nombreux régimes, prouvent au contraire que l'ordre avait toute licence pour se développer.
Enumérons donc les plus importantes de ces petites églises.
Sans être téméraire, on peut supposer que les divers régimes jacobites sont sortis du GRAND ORIENT DE BOUILLON, bien qu'on ne puisse en faire la preuve absolue.
Les ducs de Bouillon, ainsi que nous l'avons vu dans le chapitre IV, ont été, pendant tout le XVIIIe siècle, sous l'influence directe des Stuarts. Charles-Edouard est constamment à Navarre, en Normandie, à Bouillon, dans le Luxembourg, à Sedan ou à l'hôtel Bouillon du
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 237
quai Malaquais, et Ramsay, après avoir été le précepteur du fils du duc de Bouillon, devint l'intendant du père.
Or, comme le duc de Bouillon fonda un régime spécial, et que de son côté Ramsay faisait remonter la maçonnerie à Godefroy de Bouillon, c'est-à-dire à l'époque des Croisades, on est en droit de supposer que ce rite nouveau fut l'oeuvre de la collaboration de ces deux personnages. On ne sait pas exactement à quelle époque fut installé cet Orient. Ragon prétend qu'il n'existait plus en 1774, et précisément, d'après Thory, au cours de cette année, il constituait plusieurs loges ; plus loin nous citerons une patente de cet Orient, datée de 1780.
Le siège de ce régime était à Bouillon ; le duc en était le grand maître avec le titre de Protecteur, ainsi qu'il résulte du sceau de cet Ordre autour duquel était inscrite la légende suivante : Godfredus, Dei gratia, Dux Bulloniensis, Protector. Les constitutions étaient délivrées au nom de la G?L? Royale d'Edimbourg. Parmi ses membres, tous gens de haute naissance, figuraient les Rohan. D'après un diplôme donné en 1780 (1), par la T?Rm?L? Ecoss. de St-Jean sous le titre distinctif de St-Charles de la Parfaite Harmonie, du G?O? de Bouillon, à Jean Bagge né à Bergen (Norvège) les hauts officiers étaient : le prince Camille de Rohan, le prince de Guemené, le duc de Montbazon, Jobard, Linotte, etc.
A la fin du XVIIe siècle et au commencement du XVIIIe, un Bouillon avait été en lutte ouverte avec Louis XIV. Emmanuel-Théodore de la Tour d'Auvergne, cardinal de Bouillon (2), avait, pendant la guerre
(1) Catal. Tross du 27 mars 1863, no 68.
(2) Né à Turenne, le 24 août 1644, mort à Rome en mars 1715.
238 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
de la succession d'Espagne, entretenu des correspondances coupables, avec Marlborough, Orrery, Galloway, etc., et avait dû quitter la France en 1710 ; décrété de prise de corps par le Parlement, il vit mettre le séquestre sur ses abbayes. Après avoir erré en Europe, envoyant à tous propos des mémoires justificatifs, il parvint à obtenir la restitution de ses revenus et mourut à Rome dans une profonde retraite. Depuis cette époque, les ducs de Bouillon figuraient parmi les seigneurs qui n'avaient pas pris leur parti de la suppression des grandes puissances féodales et avaient reconnu la royauté française avec une arrière-pensée et le regret d'un passé déjà lointain. Cependant, Charles-Godefroy occupa les fonctions de grand chambellan du roi Louis XV à partir de 1728 jusqu'à sa mort (1770).
Charles Godefroy avait eu deux fils.
Emmanuel-Théodore, prince souverain de Bouillon, se maria quatre fois. De son premier mariage avec une La Trémoille il eut deux fils et cinq filles un fils du deuxième lit mourut en bas âge ; deux filles de son troisième et de son quatrième lit épousèrent l'une le prince de Soubise, l'autre le prince de Beauvau.
Ses deux fils du premier lit, Frédéric-Maurice-Casimir, prince de Turenne, grand chambellan (1723), et Charles-Godefroy, vicomte de Turenne (1706-1771), épousèrent successivement Marie-Pauline Sobieska, et par leur femme étaient par conséquent alliés aux Stuarts, Jacques III ayant épousé une Sobieska.
Charles-Godefroy, le G?M? du G?O? de Bouillon, était un des princes les plus titrés de France. En dehors de sa souveraineté de Bouillon, il était duc d'Albret et de Château-Thierry, comte d'Auvergne, d'Evreux et de Bas-Armagnac, baron de Montgacon, Caullac, Oliergues, seigneur de Crégny, Senis, Fres-
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 239
seins, Vawercourt, pair et grand chambellan, gouverneur et lieutenant général pour le Roi du haut et bas pays d'Auvergne, mestre de camp, et depuis 1748 grand chambellan en survivance.
De son mariage avec sa belle-soeur Marie Sobieska (1724) il eut un fils et une fille qui épousa Jules Mériadec de Rohan.
Le fils Godefroy-Charles-Henri, qui lui succéda dans ses titres et dans sa G:.M:. (26 janvier 1728-3 novembre 1792), mourut non pas à l'étranger, mais au château de Navarre.
C'est lui qui reconnut comme membre de sa famille Théophile - Malo Corret de Kerbeauffret, connu plus tard comme premier grenadier de France, sous le nom de la Tour d'Auvergne (1).
Godefroy-Charles-Henri se maria deux fois : la première fois il épousa Melle de Marsan, de la maison de Lorraine, et la seconde fois Melle de Banastre, dont il n'eut pas d'enfants (2).
De son premier lit il eut trois fils et une fille. Les trois derniers moururent en bas âge (3).
L'aîné, Jacques-Léopold-Charles-Godefroy, qui fut le dernier duc de Bouillon (15 janvier 1746-7 février 1802), était né sans jambes et on avait dû l'élever dans un fauteuil. Le jour de son mariage avec la princesse de Hesse Rheinfels Rothenbourg (1766), «on dut le por-
(1) Il était descendant illégitime de Henri de la Tour vicomte d'Auvergne, etc., et de Adèle Court.
(2) Les amours de la duchesse de Bouillon avec Maurice de Saxe, le comte de Clermont, le marquis de Sourdis, etc., sont connus.
(3) Il eut aussi de nombreux enfants naturels dont un de la grand'mère de George Sand, Marie Raniteau, dite Mme de Verrières, puis Mme de Furcy, actrice de la troupe du maréchal de Saxe, Ce fils fut connu sous le nom de Beaumont-Bouillon.
240 LA FRANC-MACONNERIE EN France
ter dans le lit de sa femme ; ce fut du reste la seule et unique fois, car il jura le lendemain qu'il ne la reverrait jamais de sa vie et tint parole (1) ».
Pendant qu'il faisait des folies pour une demoiselle Guesse, sa femme avait une liaison publique avec le prince Emmanuel de Salm-Salm, un des membres les plus militants de la loge des Neuf Soeurs.
S'il mourut sans postérité légitime, il avait eu cependant un fils de Marthe Serson, dite Mme d'Aubigny, puis de Moitiers ; ce fils était mort en 1779, âgé de trois ans (2).
Le dernier duc de Bouillon resta en France pendant toute la Révolution et ne fut jamais inquiété, malgré ses titres et son immense fortune. Faut-il attribuer cette bienveillance des pouvoirs jacobins à ses infirmités ou à ses origines maçonniques ? Un membre de sa famille, Godefroy de Beaumont-Bouillon, dit le chevalier de Beaumont, abbé et avocat au Parlement (1750-1823), fut, de 1780 jusqu'à sa mort, un des membres influents de la maçonnerie.
En 1747 ou 1748, deux officiers de Charles-Edouard, sir Samuel Lockhart et Barnewal, vicomte de Kingston, fondèrent à Toulouse un régime nouveau, sous le titre d' « Ecossais fidèles », connu par la suite sous le nom de VIEILLE BRU (3).
(1) Il avait adopté Jacques-Léopold-Charles-Godefroy de la Tour d'Auvergne, pauvre lieutenant de vaisseau de la marine anglaise.
(2) Voir Vte Révérend, Annuaire de la noblesse.
(3) Voir, dans la seconde partie, l'historique de cette loge.
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M?- LES SCHISMES 241
A la tête de ce régime siégeait un consistoire composé de trois chapitres, dont les membres s'appelaient menatzchims, ou chefs suprêmes. Le premier chapitre comprenait les grades d'apprenti, de compagnon, de maître et de maître d'art ; le second suivait le système templier (Ramsay) ; il comprenait quatre degrés d'élus ; le troisième comprenait les initiés à la maçonnerie scientifique (kabbale, alchimie, etc.).
Le G?O? ne voulut pas reconnaître la Vieille Bru, et plus tard, lorsque « les Ecossais fidèles » devinrent « Napoléonmagne », cette loge demanda, mais en vain, de faire dater sa fondation de 1747. L'authenticité de la patente primitive était douteuse et Napoléonmagne prit date du 27 mars 1805.
Muni de pouvoirs datés d'Edimbourg du 17 juin 1751, un Ecossais entré en France à la suite de Jacques II, George de Walnon (1), fonda, le 27 août 1751, une loge à Marseille sous le titre de Saint-Jean-d'Ecosse, puis céda ses pouvoirs à un membre de cette loge, Alexandre Routier, qui les transporta à son tour, le 17 mai 1762, à la loge à laquelle il était affilié, qui prit alors le titre de MÈRE LOGE ÉCOSSAISE DE MARSEILLE. Cette
(1) Le 1er juillet 1751, la Perfect Lodge Scotland était dirigée par Worchester G. M ; S. Egmond, ler G. Survt ; G. Oston, 2e G. Survt ; Leicester ; Mansfield et Duvainons. C'est peut-être. de ce dernier qu'il s'agit.
Cette même année, la Grande Loge d'Ecosse avait à sa tête : James, Lord Boyd, G. M. ; colonel John Young Dép. G. M. ; John Douglas, subst. G. M. ; James Stewart, sen. G. W. ; John Handerson of Leiston, Jun. G. W.; Thomas Miln G. Tr.; John Mac Dougal G. See; Robert Alison, G. Clk. Les grands stewards étaient : John Wilson ; John Oswald ; John Ros ; Georges Ritchie et William Mac Lean.
242 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
loge devint rapidement la rivale de la G?L? anglaise de France. Elle fonctionna avec activité jusqu'en 1793, constituant de nombreuses loges en Provence, dans le Levant et dans les colonies. Lorsqu'elle reprit ses travaux, le 10 mars 1801, elle prit le titre de M?L? écossaise de France ; ses travaux ne prirent fin qu'en 1815.
Parmi les loges fondées par la M?L? Écossaise de Marseille figure Saint-Jean-d'Ecosse de la Vertu persécutée, constituée en 1766, à lO? d'Avignon, qui prit plus tard le titre de Mère Loge Ecossaise du Comtat Venaissin ; c'est cette dernière loge qui céda ses titres à la loge de Saint-Lazare à l'O? de Paris, qui devint Saint-Jean-d'Ecosse du Contrat social (1).
En 1752, fut fondé à Paris un régime maçonnique qui a laissé peu de traces de sa constitution et de son fonctionnement, bien que divers rites paraissent s'être inspirés de celui qu'il pratiquait.
LE SOUVERAIN CONSEIL SUBLIME MÈRE LOGE ÉCOSSAISE DU GRAND GLOBE FRANÇAIS, qui modifia son titre pour devenir le Souverain Conseil Sublime Mère Loge des Excellents du Grand Globe Français, octroyait les plus hauts grades. La déclaration du duc de Luxembourg du 1er mai 1772 permet de supposer que ce frère actif en faisait partie. En 1780, le conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident s'empara du titre sous le nom de Sublime Mère Loge Ecossaise du Grand Globe Français, Souveraine G?L? de France.
(1) Voir la liste des loges constituées par cette puissance dans l'historique des loges.
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 243
Les dissentiments qui divisaient les loges de Paris et leur mauvaise composition provoquèrent la formation d'un groupement nouveau. Un ardent partisan des Stuarts, le chevalier de Bonneville, fonda à Paris, le 24 novembre 1754, un chapitre auquel il donna le nom de CHAPITRE DE CLERMONT, du nom du G?M? sous les auspices duquel il s'était placé. Les membres de ce régime, qui faisaient partie des personnages les plus distingués de la cour et de la ville, se réunissaient dans le superbe local de la Nouvelle France (faubourg Poissonnière) qui servait aussi aux réunions des Fendeurs du chevalier de Beauchaine. Ce chapitre n'eut qu'une existence éphémère, mais il acquit néanmoins une grande puissance et une haute réputation ; on y suivait le régime de Ramsay-Bouillon. C'est là que le baron de Hund reçut les hauts grades et qu'il puisa les principes de la doctrine de la Stricte Observance ; c'est lui qui transforma les chevaliers du Temple (de Salomon) en Templiers. Dans ce régime se serait fondue l'autre branche de la maçonnerie jacobite connue sous le nom de Souverain Conseil Sublime Mère Loge du Grand Globe Français, dont on ignore les actes.
On confond généralement le chevalier de Bonneville, soit avec Nicolas de Bonneville, né en 1722, et qui depuis 1779 touchait une pension de 3.000 fr. pour retraite en qualité de lieutenant-colonel du régiment de Commissaire-Général-Cavalerie, avec rang de mestre de camp, soit avec Nicolas de Bonneville, homme de lettres et libraire, auteur des Jésuites chassés de la maçonnerie brisée par les maçons et des Jésuites retrouvés dans les ténèbres (3 vol. 1788), sans remarquer que ce dernier, illuminé de Weishaupt, né en 1760, ne pouvait fonder un chapitre en 1754.
Le fondateur de ce régime était le chevalier Chris-
244
LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
tophe de Bonneville, né en 1724, lieutenant en second au régiment de Royal-Roussillon (1), membre de l'Union Fraternelle à l'O? de ce régiment (2).
Le rite des Élus Cohens, composé en 1754 par Martines Pasqually, ne semble pas avoir une origine jacobite, mais il fut adopté par un certain nombre de loges de ce régime. Pasqually passa sa vie à enseigner dans les loges et sociétés mystiques une espèce de religion qu'il disait tenir d'une ancienne tradition. Il voulait réunir tous ses adeptes épars dans une vaste organisation et il aurait été le grand prêtre d'une religion secrète dont les hauts titulaires étaient désignés par le titre de Réaux-Croix (3). Il affilia un grand nombre d'adhérents dans le Midi et en particulier à Avignon, à Marseille, Toulouse et Bordeaux (4). Il eut moins de succès à Paris, où, il enseigna dès 1768, et où on ne parvint à former un groupement qu'en 1775. Avec Pasqually nous sommes en pleine théurgie.
D'après son traité sur la réintégration des êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissances spirituelles et divines, Martines était partisan d'une sorte de panthéisme mystique, affirmé et non démontré : à l'origine, tous les êtres sont contenus dans le sein de Dieu, auteur de toutes choses, et dont la volonté les dirige dans cette unité, tout en les faisant émaner
(1) En 1789, touchait 550 fr. de pension en qualité d'ancien lieutenant en second au régiment de Royal-Roussillon.
(2) Le vénérable de cette loge était le capitaine comte de Moreton de Chabrillan, qui joua un rôle important dans la formation de la garde nationale parisienne, en juillet 1789.
(3) Voir chap. VI, le grade de Réaux-Croix.
(4) En février 1770, Pasqually habitait â Bordeaux chez Carvalho, juif converti, maison Poiraud, près la porte de la Monnaie. En avril 1771, il habitait Paris, hôtel des Trois-Rois, rue Montorgueil, près la Comédie-Italienne (Papus, p. 48).
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 245
par une effusion perpétuelle sous la forme de chérubins, séraphins et archanges, dont l'expansion provoqua la chute. L'homme créé est donc déchu. Dans son exil, il aspire à la réintégration et, pour cela, il doit identifier sa volonté avec celle de Dieu et, par conséquent, s'annihiler. Les purs esprits peuvent à ce prix reconquérir l'existence divine.
Mais comme, pour atteindre ce but, il faut l'intervention des esprits qui peuplent l'intermonde, on doit entrer en relation avec eux. Par gradation, on arrivera jusqu'à Dieu par la pratique d'un culte mystérieux. C'est le retour aux traditions de la Kabbale, aux sacrifices expiatoires d'animaux.
Il y a neuf degrés divisés en trois classes pour arriver jusqu'à Dieu :
1ère classe : apprenti, compagnon, maître, grand élu et apprenti Cohen.
2e classe : compagnon et maître Cohen, grand architecte et chevalier commandeur, ces deux derniers degrés formant les Elus Cohens.
Enfin la classe secrète avec les Réaux-Croix.
C'est la régénération de l'homme par sa réintégration dans son innocence primitive perdue par le péché originel.
La doctrine mystique embrasse la création de l'homme, et les châtiments de son corps, de son âme et de son esprit, dont on arrivera à la réintégration par deux opérations successives :
Le postulant, monceau de boue, pour recevoir la lumière devra s'engager à ne plus toucher à l'arbre de la science du bien et du mal. Néanmoins il violera ses engagements et sera précipité dans les flammes, mais par ses remords il obtiendra le pardon de Dieu.
Dans la seconde, phase, il est animé du souffle divin
246 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
et peut connaître alors les secrets les plus cachés de la nature, y compris toutes les sciences, même la Kabbale.
Le 12 décembre 1765, la G?L? de France désavoua les doctrines de Pasqually et refusa de reconnaître les loges formées par lui. Néanmoins il fit quelques adhérents, et plus tard le G?O? devait revenir sur les décisions de la G?L? en reconnaissant que le rite des Elus Cohens était celui qui avait conquis le plus d'élèves et conservé avec le plus de soin le secret de ses mystérieux travaux.
Les sectateurs prirent le nom de MARTINISTES et furent confondus par la suite avec les adeptes de Saint-Martin, son élève le plus célèbre. Dans leurs réunions, les Elus Cohens développaient leurs vertus actives et, par des voies sensibles, on obtenait d'abord des manifestations d'ordre intellectuel puis la science des esprits, par des visions d'ordre sentimental, initiaient à la science des âmes.
« Martinez Paschalis, dit Martinès de Pasqually, et qui probablement s'appelait Martin Pascalis, juif portugais, fut le fondateur des Illuminés français, des Elus Coëns ! » Telle est la légende qui a cours sur ce personnage.
Qui a prouvé que Martin Pascalis était juif et Portugais ? Il a signé parfois Don Martines de Pasqually. Or, Don est espagnol ; un Portugais eût signé Dom Martines. Le nom de Pascalis n'est pas plus juif que celui de Portalis ; Pasqually et surtout de Pasqually n'a rien d'hébreu.
Au surplus, l'acte de baptême (à Sainte-Croix de Bordeaux) de son fils, reproduit par Papus, établit la catholicité de Pasqually. Dans cet acte, du 20 juin 1768, le fils est appelé Jean-Jacques-Philippe-Joacin-
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 247
Anselme de La Tour de la Case ; le père, sire Jacques-Delivon-Joacin La Tour de la Case, Don Martines de Pasqually, et la mère dame Marguerite-Angélique de Colas de Saint-Michel. Pasqually se serait marié à Bordeaux, en septembre 1767, avec Mlle de Colas, fille du major du régiment de Foix.
En 1769, lors de son procès contre Bonnichon (dit du Guers), Pascalis prouva sa catholicité.
D'autre part, M. Franz von Baader prétend que Pascalis est né à Grenoble, paroisse Saint-Hugues (Notre-Dame), en 1715, et que c'était un simple ouvrier en voiture.
Pascalis n'est pas né à Grenoble, ni paroisse Saint-Hugues, ni paroisse Saint-Louis, ni paroisse Saint-Laurent, ni paroisse Saint-Joseph.
J'ai tout lieu de croire cependant qu'il est originaire d'une famille de Grenoble et qu'il est fils de Jean-Pierre Pascalis, maître écrivain, professeur de langue latine, et de Madeleine d'Alençon. De ce mariage sont nés :
1° Madeleine, baptisée le 4 avril 1711 à Saint-Hugues
2° Françoise, baptisée le 2 décembre 1712 à la même paroisse ;
3° Marie, baptisée le 5 juin 1721 à Saint-Louis ;
4° Félix, né en 1724 à Saint-Hugues, mort le 3 juin 1727.
On peut supposer que celui qui nous occupe est né en 1715 dans les environs de Grenoble, et que son nom est tout simplement Martin Pascalis.
Pasqually, puisque tel est le nom qu'il adopta, s'embarqua pour Saint-Domingue à Bordeaux le 5 mai 1772. Il avait, paraît-il, entrepris ce voyage pour recueillir une succession. Il mourut à Port-au-Prince
248 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
le mardi 20 septembre 1774, laissant un fils qui faisait ses études au collège de Lescar, près de Pau (1). Avant de mourir, il désigna pour son successeur son cousin Armand-Robert Caignet de Lestère, commissaire général de la marine à Port-au-Prince depuis 1771.
Parmi les disciples de Pasqually, un grand nombre parvint à la célébrité :
Paul-Henry Thury, baron d'Holbach (1723-1789), le fameux auteur du Système de la nature ;
Duchanteau (Touzay) , hébraïsant et kabbaliste, auteur d'un Calendrier magique, convoqué aux convents de Paris de 1785 et 1787, qui mourut des suites d'une expérience alchimique faite dans la loge des Amis réunis de Paris. Je ne sais si Duchanteau est le même personnage que Touzé, vénérable le 28 mai 1777 de la loge Saint-Nicolas de la Parfaite Union à l'Orient de Paris, en 1778 secrétaire de la Chambre de Paris de la G?L?, ou que Touzet, procureur au Châtelet, cloître Saint-Merry, en 1776 membre de l'Etoile Polaire à l' O? de Paris, et en 1774 et 1787 député de la Réunion des Etrangers O? de Moscou ;
Pierre-André de Grainville, créole de l'île-Bourbon, capitaine au régiment de Foix (1767-8) et chef de bataillon au régiment de Boulonnais, chevalier de Saint-Louis, chevalier Grand Profès de la Stricte Observance, le 26 mars 1785, sous le nom d'Eques a Cilice stellata, commis voyageur très actif de ce régime en Bretagne, convoqué aux convents de Paris de 1785 et 1787.
L'abbé Fournier, auteur d'un ouvrage mystique publié à Londres en 1791: Ce que nous avons été, ce
(1) Dans un brevet du 29 février 1804 de la Parfaite Réunion à l'Orient de Paris figure la signature d'un Pascali.
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? LES SCHISMES 249
que nous sommes et ce que nous serons ; nous retrouverons l'abbé Fournier à La Haye en 1811, parmi les Illuminés les plus actifs. C'est probablement Dom Achille Fournier, auteur de l'Histoire de l'homme considéré dans ses moeurs et dans sa vie privée, Paris, Leclerc, 1779, 3 vol. in-12 ;
Jacques Cazotte (1720-1792), le célèbre auteur du Diable amoureux, visionnaire convaincu, qui devait mourir guillotiné à la suite d'une condamnation inexplicable ;
Le comte puis marquis Gabriel de Bernège, qu'on appellera tantôt Berney, tantôt Lerney ou Lernay, major au service du roi de Sardaigne, qui en 1758 introduisit dans la loge des Trois Globes à l'O? de Berlin les grades du Conseil des empereurs d'Orient et d'Occident, membre très actif de la Stricte Observance, où il remplissait les fonctions de grand maître provincial de la VIIIe province sous le nom d'Eques a Turre aurea ;
Saint-Amand, probablement le même personnage que Jean-Florimond Boudon de Saint-Amans (1748-1831), l'ancien correspondant du Musée de Paris à Agen, membre de diverses académies, en 1809 orateur des Admirateurs de l'Univers à l'O? de Paris, naturaliste, archéologue, historien, littérateur et agronome ;
D'Hauterive, dont nous n'avons pu déterminer la personnalité civile ;
Bacon de la Chevalerie, Saint-Martin Willermoz, de Luzignem, de Loos, etc., sur lesquels nous aurons à revenir longuement.
Le 4 juillet 1755, des statuts, scellés du sceau mysté-
250 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
rieux du livre rouge avec des fils d'or et d'azur, étaient dressés par la R?L? de Saint-Jean de Jérusalem à l'O? de Paris, gouvernée par le comte de Clermont, G?M? de toutes les loges régulières de France. Ces statuts, en 44 articles, devaient servir de règlement à toutes les loges de France ; ils proclamaient la suprématie des grades écossais, en indiquant l'origine jacobite de ce régime, établissant ainsi son hostilité avec la G?L? anglaise de France qui ne reconnaissait pas ces grades (1).
C'est de cette loge que faisaient partie les fondateurs du CONSEIL DES EMPEREURS D'ORIENT ET D'OCCIDENT.
La loge de Saint-Jean de Jérusalem semble être entrée en sommeil au moment de la formation du G?O?, la plupart des membres du Conseil des Empereurs étant entrés dans la combinaison du duc de Luxembourg. Mais la G?L? dissidente la reconstitua le 3 janvier 1779. Elle eut, depuis cette époque jusqu'en 1813, pour vénérable le f? Jeanty, négociant, 14, rue Poissonnière (2).
Cette loge rentra, sous l'Empire, dans la juridiction du G?O?
Le Conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident fut un des régimes maçonniques les plus importants. Ce chapitre de hauts grades formé à Paris, en 1758, constituait loges, chapitres et collèges. Les membres prenaient les noms les plus pompeux :
(1) Nous nous rangeons, sur ce point, à l'avis de Daruty, contre Kloss et Findel, qui attribuent ces réglements à la G?L? anglaise de France. C'est à tort que Thory attribue la fondation du Conseil des Empereurs à la grande loge du rite ancien et accepté de Londres.
(2) En 1784, Jeanty était également membre de Saint-Pierre de la Fidélité des Amis réunis à l'O? de Paris.
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 251
Souverains Princes maçons ;
Substitut général de l'Art royal ;
Grands surveillants ;
Officiers de la grande et souveraine loge de Saint-Jean de Jérusalem.
Ce Conseil aurait été fondé par un sieur de Saint-Gelaire, qui avait déjà introduit en France, en 1757, l'ordre des Noachites ou chevaliers prussiens ; Saint-Gelaire prenait le titre d'Inspecteur général des loges prussiennes.
Pendant que la G? et S? L? de Saint-Jean de Jérusalem constituait par toute la France des loges de Perfection, le Conseil des Empereurs créait collèges et chapitres, et en particulier le collège de Valois et en 1759, à Bordeaux, un Souverain Grand Consistoire des Sublimes Princes du Royal Secret (1), qui constitua à son tour plusieurs ateliers.
Malgré l'opposition de la G?L?, plusieurs de ses membres se font affilier au Conseil des Empereurs : Chaillon de Jonville, le prince Camille de Rohan, Daubertin (2), etc.
Le Conseil publie, en 1762, une liste des 25 degrés
1) Voy. chap. V, Beauchaine et Etienne Morin.
(2) Joseph-Alphonse Daubertin, rue de la Madeleine (Boissy d'Anglas), vis-à-vis le marché d'Aguesseau, conseiller du roi, greffier, commissaire en chef du Conseil d'Etat privé, caissier de l'artillerie et du génie. En 1761, G:. Secrét. de la G?L? et du Sup. Conseil des Princes parfaits maçons en France, vénérable maître de Saint-Alphonse O? Paris, banni de la G?L? en 1765 ; rentré en grâce en 1771, fut un des signataires de l'acte d'union du 17 septembre 1772 entre la G?L? et le Conseil des Empereurs ; 2ème et 1er surveillant de la Chambre d'administration du G?O? (1773-4) ; secrétaire général de cette Chambre (1774-1784). En 1776 député au G? O? de la Parfaite Amitié O? d'Auxonne; de la Parfaite Fraternité O? du Croisic ; de la G?L? Provinciale de la Concorde et de la Parfaite Amitié O? de Dijon.
252 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
qu'il conférait alors, et, le 22 septembre de la même année, le Grand Consistoire des Princes du Royal Secret adopte à Bordeaux les règlements et constitutions de la Maçonnerie de Perfection ; ce document fut ratifié à Berlin le 25 octobre suivant.
Dans ce rite de Perfection dit aussi d'Hérodom, les 25 degrés étaient divisés en sept classes, et pour passer d'un grade à un autre, il fallait avoir un nombre de mois déterminé de chaque grade. Pour passer d'apprenti à T?Ill?Souv? Prince de la Maçonnerie, grand Chev? Subl? commandeur du Royal Secret, il fallait le nombre mystérieux de 81 mois. A l'expiration de ce délai, le maçon cueillait la Rose mystique (secret templier).
Ce sont ces règlements qui furent appelés « Les Grandes Constitutions de 1762 ». Comme ils ne furent connus en France que lors de la réintroduction du rite écossais en France par le comte de Grasse-Tilly, leur authenticité est très discutable, et elle a été du reste très discutée par les historiens défenseurs du G?O?, ennemis de l'écossisme, et en particulier par Ragon.
En 1762 se produisit une scission dans le Conseil des Empereurs, un nouveau conseil se forma sous le nom de Chevaliers d'Orient. Mais à la fin de 1779 les deux fractions se réunirent et formèrent le CONSEIL SUPREME DES PRINCES MAÇONS dont les hauts dignitaires prenaient le titre de Grands Inspecteurs généraux.
A la tête des mécontents était le frère Pirlet, tailleur d'habits et vénérable de la Trinité à l'O? de Paris.
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 253
Le baron de Tschoudy était l'auteur de leurs rituels. D'après le nouveau Conseil, l'initiation maçonnique remontait aux Egyptiens ; le rite, composé de quinze grades, s'arrêtait à celui de chevalier d'Orient ou de l'Epée.
En 1766, le baron de Tschoudy adresse une circulaire aux ff?m? français, pour protester contre la filiation templière, et il se sépare pendant deux ans de ce régime, pour fonder l'Ordre de l'Etoile Flamboyante sur laquelle nous reviendrons plus loin.
A bout de ressources, le 22 janvier 1780, les membres du Conseil Suprême réunirent à leur régime l'ancien Grand Globe Français qui était en décadence, et la réunion de ces trois groupes forma la Sublime Mère Loge Ecossaise du Grand Globe Français, souveraine G?L? de France. Malgré ces efforts, les trois régimes périclitaient et en étaient réduits à proposer par souscription les grades maçonniques à raison de 6 livres par livraison. Plus tard tous ces débris joindront leurs infortunes à des groupes que le G?O? avait délaissés et formeront le Grand Chapitre général de France (1782).
C'est encore à la suite de mécontentements et de discussions au sein du Conseil des Empereurs que se forma un régime nouveau, celui de l'ETOILE FLAMBOYANTE, dont le fondateur était le baron Théodore-Henry de Tschoudy, sur lequel nous nous arrêterons, par suite de l'incertitude des historiens sur sa personne civile.
Les Tschoudy appartenaient à une famille parlementaire, originaire de Suisse et établie à Metz depuis le commencement du XVIème siècle.
254 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
On a confondu Théodore-Henry avec son cousin et beau-frère Jean-Baptiste-Louis-Théodore, né à Metz le 15 août 1734 et mort dans la même ville le 7 mars 1784. Capitaine au régiment de Jenner, chevalier de Saint-Louis, à la mort de son père Claude-Henry, il avait été bailli de Metz et chef de la noblesse messine. A la fin de sa vie, il s'occupa de littérature et d'histoire naturelle. Son fils Jean-Joseph-Charles Richard a été également confondu avec Théodore-Henry. Né à Metz le 3 avril 1764, il mourut le 14 août 1822. Ancien officier général, il était correspondant de la Société royale et centrale d'agriculture de Paris.
La vie de Théodore-Henry fut plus compliquée que celle de ses proches.
Né à Metz le 21 août 1727, fils d'un conseiller d'honneur au Parlement, il débuta dans la carrière paternelle, mais pendant fort peu de temps, son humeur vagabonde l'entraînant dans de multiples aventures. En 1752, Théodore-Henry, après avoir publié à la Haye, contre la bulle de Benoît XIV, les Etrennes au Pape ou les f?m? vengés, se rend à Rome, sous le nom de chevalier de Lucy, où il publie le Vatican vengé , apologie ironique, ou Lettre d'un père à son fils. A la suite de la publication de ce pamphlet, il dut quitter Rome, et se réfugia en Russie. Sans ressources, il s'engagea dans la troupe des comédiens français de la tzarine Elisabeth, puis devint secrétaire particulier du comte Ivan Schouvaloff, sous le nom de comte de Petlange. C'est sous ce nom qu'en 1755 il publia le Caméléon littéraire. Il abandonna ce journal pour remplir les fonctions de secrétaire de l'Académie de Moscou, et enfin celles de gouverneur des pages de la Cour.
Pendant qu'il était auprès du comte Schouvaloff,
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 255
commettant un véritable abus de confiance, il avait livré à ce ministre une lettre chiffrée, qu'un agent diplomatique nommé Meissonnier l'avait chargé de mettre à la poste à l'adresse de Durand, ministre du roi de France à Varsovie, ce qui avait provoqué l'arrestation de Meissonnier.
Obligé de quitter la Russie, Tschoudy eut l'imprudence de se rendre à Paris. A peine arrivé, il fut enfermé à la Bastille le 16 mai 1756, sur ordre de d'Aguesseau, et il y resta jusqu'au 2 août suivant, la cour de Russie, sur la demande de sa mère, étant intervenue en sa faveur. Il se lance alors exclusivement dans la maçonnerie messine. Le 5 mars 1764, il préside la loge Saint-Etienne à l'O? de Metz ; mais, en 1765, il donne sa démission et vient se fixer à Paris, où il se fait affilier au Conseil des Chevaliers d'Orient.
En 1766, il fonde l'Ordre de l'Étoile Flamboyante composé de grades chevaleresques, remontant aux Croisades d'après le système templier. C'était un retour au système de Ramsay, mais perfectionné par l'expérience, s'il faut l'en croire. D'après lui, la f?m? aurait été fondée par Pierre l'Ermite. Son système aurait été emprunté à l'ordre de la Palestine, qui existait, dit-on, à Paris du temps de Ramsay. Tschoudy, dans son Etoile Flamboyante ou la société des f?m? considérés sous tous les aspects, réduit les grades à cinq : Apprenti, Compagnon, Rose-Croix, Grand Ecossais de la voûte sacrée de Jacques VI et Grand Ecossais de Saint-André d'Ecosse, supprimant le grade de maître, sous prétexte qu'il aurait été inventé uniquement en souvenir de la mort de Charles 1er.
Tschoudy mourut en 1769, laissant un manuscrit inédit qui ne fut publié qu'en 1787 : Recueil précieux de la maçonnerie adonhiramite, dans lequel il préconi-
256 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
sait un système de treize grades comprenant le grade de maître et ayant pour grade suprême le noachite ou chevalier prussien.
Un brevet donné à l'abbé Pingré le 25 août 1766 (Bibl. Sainte-Geneviève, Mist. 3031), en nous faisant entrevoir l'organisation de Tschoudy, nous donne la liste de ses adhérents.
Nous Sérénissime Lord maître grand comr du chap? T? Ill? de la Palestine, Mtre de la L. S. E. de Metz, assisté de quelques-uns des officiers du 4. f. R. collège fondateur St-André St-Théodore y établis et de tous les 4. f. R. collège St-Pierre et de France, par nous exigés en cet Orient, Certifions que notre T?C?F? Alexandre Guy de Pingré a été par nous reçu chev. de St-André d'Ecosse et admis au complément de l'Art Royal, en sa qualité d'apprenti, compagnon et maître, comme tel imbu de toutes les connaissances de l'ordre et de droit constitué l'un des chefs d'iceluy. Le recommandons à l'amitié et bon accueil de tous nos collèges correspondants. Sa signature étant en marge pour la vérification des présentes. Enfoy de quoi les lui avoir fait expédier signées de nous, contresignées par le com. au bureau, scellé du sceau du 4 f. R. collège fondateur et de celui de S?L?M? pour par ledit frère jouir de tous les honneurs, prérogatives et privilèges attachés à sa dignité. Donné à l'Orient de Paris le 25 août 1766.
F? Théodore Henry, baron de Tschoudy, G. Cmr. de la Palestine S?L?M? du Col?, M? de la L?P?E?, Ch? de l'ordre du Christ.
Moët, L S. M. du collège Ec? de St-Pierre ; Puisieux; Cretot ; Garrou ; Martin ; Saget ; Loreau; Caseuilh jeune ; Caseuilh aîné ; Paulinier ; Ledin ; Joubert de la Bourdinière ; Loisel ; Maheu ; De Fosseux; Colson ; Zambault, G. des Sceaux. - Par mandement : FOUVIER, chev. de Palestine.
Antoine-Joseph Perneti naquit à Roanne le 13 février 1716. Il était le neveu du chanoine de Lyon Jacques
258 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Perneti, littérateur (mort en 1777), et oncle de Joseph-Marie Perneti, qui fut baron du premier empire, général de division, pair de France et sénateur du second empire (1766-1856).
D'après le père du général Thiébault, « Perneti avait un caractère de modération et de bonhomie tel qu'il ne se brouillait jamais avec personne, que même il obligeait, quand il le pouvait, et qu'il était d'une complaisance précieuse dans la société. Il croyait à la kabbale, aux revenants, aux sortilèges, etc. ; mais, malgré ce ridicule, tout le monde l'aimait ». Entré jeune dans les ordres, il prononce ses voeux comme bénédictin de Saint-Maur, à Saint-Germain-des-Prés. La première oeuvre qui soit restée de lui est un Manuel bénédictin de 1754. Il s'occupa ensuite de beaux-arts et, en 1757, publia un Dictionnaire portatif de peinture.
Sous l'influence des doctrines de Pasqually, il s'adonne à la Kabbale et, en 1758, fait paraître son Dictionnaire mytho-hermétique et les Fables Egyptiennes et Grecques dévoilées. Persuadé qu'Homère avait appris l'alchimie en Égypte, il ne voit dans l'Iliade que des leçons allégoriques sur cet art, et dans l'Odyssée, qu'une peinture des erreurs où tombent les adeptes avant de parvenir à la connaissance du grand-oeuvre. Puis il abandonne provisoirement l'alchimie, part en qualité d'aumônier en 1763 avec Bougainville pour l'expédition des Iles Malouines et publie le récit de son voyage. Rentré à Saint-Germain-des-Prés, la vie monastique lui paraît lourde et il est un des vingt-huit religieux de ce couvent qui, le 15 juin 1765, demandent l'abolition de la règle. Il se rétracte avec ses collègues, le 11 juillet suivant, mais sans changer d'avis. Peu après, il jette le froc aux orties et se rend, en 1765, à Avignon, où il organise, en 1766, le régime des ILLUMINES D'AVIGNON et crée le
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 259
grade de Chevalier du Soleil ; plus tard, l'Académie des vrais maçons ou Académie des sages, qui se fonde à Montpellier, s'occupe sous le régime de Perneti de science hermétique et porte le nombre des grades à six :
1° Le Vrai Maçon ;
2° Le Vrai Maçon dans la Voie droite ;
3° Le Chevalier de la Clef d'or ;
40 Le Chevalier de l'Iris ;
5° Le Chevalier des Argonautes ;
6° Le Chevalier de la Toison d'or.
Obligé de quitter Avignon, Perneti se rend en Prusse, où Frédéric II, qui l'a confondu avec son oncle Jacques, le nomme, en 1767, conservateur de la bibliothèque de Berlin et membre de l'Académie Royale de cette ville avec 1.200 rixdales d'appointements. Peu après, il reçoit le bénéfice de l'abbaye de Burgel, en Thuringe. Il remplit ces diverses fonctions jusqu'en 1782; sa traduction des merveilles du Ciel et de l'Enfer, de Swedenborg, lui fit perdre la faveur de Frédéric, et il rentra en France en 1783.
Il était resté en relations avec ses adeptes d'Avignon, où il revint probablement à plusieurs reprises, car, d'après Clavel, ce fut lui qui fonda en 1770 la G?L? Ecossaise du Comtat Venaissin. D'après un manuscrit conservé à la bibliothèque d'Avignon (n° 3090), de 1779 à 1785, Perneti était en relations avec de nombreux Illuminés : le comte Grabianca, grand seigneur polonais et sa femme ; Annette et Tècle Grabianca ; la comtesse Stadnisca ; le comte Tarnovski ; le comte Ronikier ; Borelli ; Catherine Baley ; Morinval ; Louis-Joseph-Bernard-Philibert de Morveau dit Brumore ; Melle Bruchié ; le prince Henri de Prusse ; Perneti Cadet ; de Servières ; Blainville ; Bouge ; de la Richardière, etc.
260 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
En 1774 et 1775 existait encore une loge irrégulière (d'après le G?O?), sous le titre de Saint-Jean des sectateurs de la vertu, qui pratiquait le régime de Perneti. Cette loge avait pour vénérable un Sr de Saint-Léger, qui sollicita sa régularisation auprès de la G?L? par l'intermédiaire de son député François Martin de la Noue, avocat au Parlement. Cette régularisation fut refusée, sur l'opposition de Fonvielle.
Il semble que cette loge se soit fondue avec Saint-Jean d'Ecosse de la vertu persécutée, instituée par Saint-Jean d'Ecosse à lO? de Marseille le 17 août 1774. D'après la Chaîne d'union (IV, 417), cette loge existait dès 1742 comme mère loge, mais tous les papiers la concernant auraient été saisis par le grand inquisiteur Mabile, qui fit poursuivre ses membres.
En décembre 1775, de Leutre demanda au G?O? de réviser les titres de cette loge, dont on trouvait l'antiquité exagérée, attendu qu'elle ne put produire les diplômes qu'elle tenait, disait-elle, du comte de Clermont et que son vénérable, Saint-Léger, remit des titres provenant d'une puissance maçonnique inconnue ou méconnue du G?O?
Parmi ses membres figuraient : Pierre Joseph d'Aulps, marquis de Blacas ; Guignet de Bassinet ; Charles-Michel-Jean-Louis-Toussaint, marquis d'Aigrefeuille (1); Dom Bolindreau, Dom Chabrier et Dom Bequar, bénédictins ; de Bassinet d'Augard, chanoine ; Baron d'Astier, ami de J.-J. Rousseau ; de
(1) Chevalier de Malte, procureur général à la chambre des comptes et cour des aydes de Montpellier, administrateur du dépôt littéraire, président du chapitre des hauts grades philosophiques.
En 1806 membre du Choix (H. D. M. de Kg.), vénérable d'honneur du Phénix O? de Paris, G. off, honoraire du G?O? (1745-1818).
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 261
Leutre (1) ; de Falque (2) ; d'Aymé ; de Fonvielle ; Bertholier, prêtre ; Nalives de Saint-Cyr (orateur en 1788).
Cette loge en constitua plusieurs :
La Parfaite Union à l'O? de Villeneuve, le 7 octobre 1781 ; Saint-Charles du triomphe de la Parfaite Harmonie à l'O? de Paris, le 19 mai 1782 ; la Vraie Sagesse à l'O? de Montpellier, le 27 avril 1773.
Lors de son retour à Paris en 1783, Perneti eut des démêlés avec l'archevêque, qui voulait le faire réintégrer son couvent. Il se retira chez son jeune frère, directeur des fermes à Valence, et de là se rendit à Avignon, où il fit encore du prosélytisme maçonnique. En 1787, il avait une centaine d'affiliés qui se réunissaient à sa maison de campagne, appelée le Thabor, près de Bédarrides. En 1790, il publia à Paris : Les vertus, le pouvoir, la clémence et la gloire de Marie, mère de Dieu. Arrêté en 1793, il est sauvé par le 9 thermidor. Il se retire de nouveau à Valence; où il continue ses recherches
(1) Bourgeois de Paris, l'un des fondateurs de la M?L? du rite écossais philosophique dans laquelle il a rempli les fonctions de secrétaire (1779), maître parfait Ecossais (1784), député des Amateurs de la sagesse O? Marseille (1787). Poursuivi en 1793 comme membre du Contrat social, il dut s'expatrier et mourut à Hambourg, d'après Daruty. Cependant, nous trouvons en 1812 de Leutre père membre non résident de la Mère Loge Ecossaise. Son fils, Joseph-Antoine-François, négociant à Lyon, en 1806 était membre non résident du Choix O? de Paris, sous le nom de R-p-t., et en 1812 grand inspecteur non résident de la M?L? Ecossaise.
(2) Peut-être est-ce Ernest-Frédéric-Hector Falcke, conseiller et bourgmestre à Hanovre, reçu profès de la Stricte Observance le 1er novembre 1782, sous le nom de Eques a Rostro, par Ferdinand, duc de Brunswick Lunebourg. Falcke aurait fait partie des Illuminés de Bavière sous le nom d'Epéménidès ; nous signalons pour mémoire un Falck-Schek, grand rabbin qui en Angleterre aurait donné au G?M? le duc de Chartres un talisman en lapis-lazuli qui devait conduire ce prince au trône et que Mme de Lacroix brisa par exorcisme sur sa poitrine.
262 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
sur la pierre philosophale et l'élixir de longue vie. C'est dans cette ville qu'il mourut en 1801, persuadé, jusqu'à sa dernière heure, qu'il avait trouvé le moyen de prolonger son existence de plusieurs siècles.
En 1767, un maçon français, le chirurgien Benedict Chatanier, essaya vainement de fonder à Paris une société secrète, dans le but de propager le système de la Nouvelle Jérusalem de Swedenborg, sous le nom d'ILLUMINES THÉOSOPHES; il se disait théosophe chrétien. A la suite de son insuccès, bien qu'il fût membre de la Gr?L? de France et vénérable de Socrate de la Parfaite Union à lO? de Paris, il alla pratiquer son système à Londres, où il réussit. Son rite comprenait six degrés :
1° Apprenti Théosophe ;
2° Compagnon Théosophe ;
3° Maître Théosophe ;
4° Ecossais sublime ou Théosophe illuminé de la Jérusalem céleste ;
5° Frère Bleu ;
6° Frère Rouge.
On a pu se convaincre par l'étude que nous venons de faire de tous ces schismes que la maçonnerie française était très divisée, et encore n'avons-nous énuméré que les principaux, ceux ayant cours à Paris et dans quelques grandes villes.
A la vérité, leur nombre était beaucoup plus considérable, si l'on compte les schismes locaux qui
LE POUVOIR ROYAL ET LA F?-M? - LES SCHISMES 263
étaient presque aussi nombreux que les loges. Nous aurons l'occasion d'y revenir, lorsque nous ferons l'historique des ateliers et chapitres de province.
Jusqu'en 1771, nous ne voyons donc qu'un nombre infime de loges d'origine anglaise ou vraiment écossaise, et ces dernières ne sont-elles encore que des loges anglaises constituées par l'intermédiaire d'une loge d'Ecosse, elle-même sous l'obédience de la grande loge de Londres.
En France, deux courants se sont dessinés : le courant jacobite, le plus nombreux, et le courant alchimique, qui prendra par la suite plus d'importance au fur et à mesure que la politique jacobite n'aura plus de raison d'être, ni de but possible, même pour les gens enclins aux illusions les plus excessives.
La Grande Loge de France, ou mieux la G?L? de Paris, est divisée en deux confraternités qui se poursuivent de leurs invectives et même de leurs coups. Nommées exclusivement par des maîtres de loges parisiens, elles n'ont qu'une autorité illusoire sur les loges de province. Les luttes byzantines des plus hautes autorités maçonniques de France semblent présager la fin d'une organisation religieuse, philosophique et sociale qui n'a aucune raison d'être. La vraie f?m?, la f?m? anglaise, n'avait pas pu s'acclimater dans notre pays.
Dans notre prochain volume, nous verrons comment et sous quelles influences le duc de Luxembourg inconscient réorganisa la f?m?française, en s'inspirant exclusivement de la f?m? anglaise. Nous constaterons comment, en la groupant et en l'unifiant, il en fera le redoutable engin de destruction de l'ancienne France.
CHAPITRE VIII
LES PETITS SECRETS DE LA F?M?
Leurs causes et leur but. - Les locaux : Les tenues privées. -
La Grande Loge. - Le Grand Orient ; ses pérégrinations. - Les locaux parisiens. - Les faux noms des loges. - Les hiéroglyphes. - Les ères maçonniques. - Les mots secrets. - Les signatures. - Le langage conventionnel.
La f?m? s'est plu, dès le début de son organisation, à entourer les réunions de ses membres d'une série de petits mystères qui devaient frapper l'imagination des profanes et leur faire croire que, pour cacher avec autant de soin ce qui se passait dans ses assemblées, elle devait posséder un terrible secret : emploi de mots bizarres et de sens incompréhensible, signes et attouchements spéciaux, noms de loges dénaturés, correspondance par lettres chiffrées, costumes et bijoux singuliers, almanachs surannés.
Sans parler du prestige qu'elles leur donnaient auprès du public profane et des menus initiés, toutes ces fantasmagories enfantines, pour ridicules qu'elles nous paraissent, avaient, à tout prendre, leur côté pratique : elles donnaient de l'importance au serment du silence imposé aux adeptes, et assuraient pratiquement la sécurité des réunions. Ces petits mystères, inutiles en apparence, amusaient ceux qui les pratiquaient ; beaucoup les prenaient même très au sérieux ; ils faisaient partie de l'exercice du culte. Pour la plupart des f?m? du
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 265
XVIIIe siècle, ils constituaient la maçonnerie, et c'est là leur excuse. Nous verrons même les plus notoires d'entre eux discuter gravement pour savoir si l'on peut oser remplacer le mot des apprentis : Tubalcaïn, par le mot Thaleg, sous prétexte que Tubalcaïn était le père de la métallurgie et que les métaux étaient enlevés aux candidats à l'apprentissage. Pour les maçons latomisés, ces menues choses ont autant d'importance que l'origine des êtres, les merveilles de la nature, les phénomènes de la génération, les destinées de l'humanité et l'existence de Dieu. Ils s'acharnent, dans des combats homériques, à propos de procédés d'initiation, et, au nom de la fraternité, échangent des paroles aigres-douces, de très hypocrites insinuations, et même de fort vilaines accusations.
Voyons donc en quoi consistaient ces menus mystères.
Parcourons d'abord les locaux où on les mettait en pratique.
LES LOCAUX
Nous n'avons pu trouver aucun document positif sur le local dans lequel avaient lieu les tenues de la Grande Loge de France (1). Selon l'usage presque constant à cette époque, les réunions importantes devaient avoir lieu chez le substitut du G?M? ou chez un grand dignitaire. L'adresse officielle pour la correspondance était le bureau du Secrétaire, chez le Grand Garde des Sceaux et Archives. Nous pouvons
(1) Dans ce chapitre nous étudierons l'histoire de la f?m? jusqu'en 1815, afin de ne plus avoir à revenir sur ce côté épisodique de notre travail.
266 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
donc suppposer qu'avant 1771 la G?L? de France avait son local ordinaire chez Brest de la Chaussée, c'est-à-dire hôtel de Charras, rue de la Sourdière. Les dissidents (les frères bannis) siégeaient rue St-Antoine, avant 1773, et rue d'Argenteuil, chez Diavant, après 1775.
Lorsque le G?O? se forma, ses membres se réunirent quelquefois chez le duc d'Orléans, mais le plus souvent les assemblées avaient lieu, soit chez le duc de Luxembourg, soit dans des établissements publics ; une d'elles fut convoquée au local de la loge des Amis réunis, dont j'ignore l'emplacement à cette époque.
D'après des gravures du XVIIIe siècle, dédiées à Travenol, auteur du Catéchisme des Francs-Maçons, les loges ne procédaient pas à leurs tenues dans des locaux ayant une architecture intérieure spéciale ; on étalait simplement par terre la figuration d'une loge peinte sur une toile ; on raconte même que le chevalier de Beauchaine se contentait de dessiner à la craie sur le parquet les emblèmes nécessaires aux tenues (1). Néanmoins, d'après les descriptions des assemblées, on devait disposer d'une façon particulière les meubles, tables, bancs, chaises et fauteuils, suivant le grade des officiers qui devaient les occuper. Il y avait aussi un grand luxe de lumières. L'organisation d'une tenue nécessitait tout un appareil spécial difficilement transportable.
Les assemblées de loges ordinaires avaient lieu chez le Vénérable Maître, qui fournissait local, vivres et rafraîchissements, et c'est peut-être pour cette cause
(1) L'abbé Perau, dans le Secret des francs-maçons (1744), p. 65 et 87, fait observer « qu'au milieu de la chambre de réception il y a un grand espace sur lequel on crayonne deux colonnes », et que les figures nécessaires à la réception sont également crayonnées sur le plancher de la salle.
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 267
que, dans beaucoup de cas, les Vénérables Maîtres étaient limonadiers ou traiteurs. Il était certes des accommodements avec le Grand Architecte de l'Univers ; l'initié était invité à ne voir que trois pieds dans une table qui en avait quatre, et à multiplier par la pensée le nombre restreint des lumières afin d'en voir le nombre sacramentel ; de même on effectuait des voyages remplis de péripéties en faisant, les yeux bandés, le tour de la salle de réception. Ce ne fut, en effet, qu'à partir de 1774 qu'on développa en France la pompe du culte. Les f?m? français, en s'installant dans le noviciat des jésuites, suivirent l'exemple des f?m? anglais qui, après s'être réunis cinquante ans dans des tavernes, avaient fait construire un superbe local.
La G?L? d'Angleterre avait pris cette décision depuis 1771. Le 22 février 1775, on lui présenta le plan d'un nouveau local ; les frères avaient souscrit 100.000 fr. Le 1er mai suivant, on posa solennellement la première pierre du monument, qui fut inauguré le 23 mai 1776 (1).
C'est au coin de la rue de Mézières et de celle du Pot-de-fer (actuellement rue Bonaparte, n° 82), dans l'ancien noviciat des jésuites chassés de France depuis dix ans, que, le 12 août 1774, le G?O? prit possession de son somptueux local dont le loyer annuel atteignait le prix de 5.400 fr., très élevé pour l'époque (2). Des dépenses
(1) En 1788 on construisit en plus à Londres une Taverne, pour les f?m?
(2) Ce local avait été proposé le 7 mars 1774 au G? O? par Pierre Poncet, entrepreneur des bâtiments du roi, architecte vérificateur général de la caisse et membre de la chambre d'administration au G?O? Poncet était député de plusieurs loges de Chalon-sur-Saône et de Dijon de 1774 à 1787 et membre de la L. des Arts Ste Marguerite.
268 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
considérables furent faites pour l'aménagement. Voici la description qui en est faite dans l'état du G?O? (1) que nous résumons.
Les ateliers étaient élevés de vingt-quatre degrés au-dessus du sol de la ville et composés de trois salles auxquelles on accédait par des vastes portiques en enfilade, qui permettaient, de l'entrée, d'apercevoir le trône distant de 125 pieds (42 mètres).
La première salle était décorée d'une étoffe à fleurs de différentes couleurs, la seconde d'une moire bleue et blanche avec un double rang de banquettes bleues garnies de franges d'or. Ces deux salles étaient éclairées par un grand nombre de lustres en cristaux. La 3e salle, celle des travaux, longue de 78 pieds et large de 21 (environ 26 m sur 7 m.), était divisée en deux parties. La partie de l'orient avait 27 pieds de long et 35 de hauteur, avec un plafond bleu de ciel ; elle était formée par une estrade élevée de 3 marches. Le pourtour de lambris sculpté portait des piédestaux surmontés de pilastres cannelés or et argent. Cette partie de la salle était éclairée par 150 lustres de cristal. Au fond, une nouvelle estrade, également surélevée de 3 marches, portait le trône élevé d'une marche et formant une troisième estrade sur laquelle était le fauteuil de velours bleu rehaussé d'or du Sér? G?M?. Un tapis brodé d'or et d'argent, nuancé des couleurs les plus éclatantes, couvrait l'autel (table). Le trône était surmonté d'un vaste dais enrichi d'ornements d'or et d'argent et surmonté d'un lustre de 20 lumières.
Sur la seconde estrade, deux fauteuils de velours bleu étaient réservés au T? Ill? Administrateur général et au T?R? G? Conservateur. Sur la première
(1) Etat de 1777, 4e partie, p. 7 et suivantes.
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 269
estrade, des sièges de même étoffe placés en demi-cercle étaient réservés aux grands officiers. Du côté du midi, étaient les bureaux du G? Orateur, des Orateurs des Chambres, du Trésorier général et de l'Architecte vérificateur de la caisse ; du côté du nord, les bureaux du Secrétaire général, des Secrétaires des chambres et du Garde des Sceaux.
L'autre partie de la salle avait 51 pieds de long sur 21 de hauteur ; tendue en bleue, ornée de galons et de franges d'argent et de festons dorés, elle était couronnée par un plafond d'azur éclairé par deux cents bougies placées sur des girandoles en cordon. Elle était garnie d'un double rang de banquettes ornées d'argent placées sur des gradins. Sur le rang inférieur à l'intérieur, se tenaient les Officiers et les plus anciens Députés. A l'occident, étaient les tables triangulaires des Surveillants couvertes de tapis bleus, avec des broderies d'or et d'argent, figurant les attributs de ces officiers. A côté, s'élevaient deux colonnes d'or ornées de chapiteaux, portant chacune un lustre de 15 lumières.
C'est dans ce local que siégea le G? O? jusqu'en février 1793, date à laquelle le duc d'Orléans ayant donné sa démission de G? M?, l'Ordre entra en sommeil pour ne se réveiller qu'en 1795. Le f? Alexandre-Louis Roettiers de Montaleau emporta les archives et tint quelques réunions clandestines chez lui, 23, rue de Bondy. Emprisonné pendant la Terreur, il vit périr sur l'échafaud deux de ses parents ; plus heureux qu'eux, il fut délivré par le 9 Thermidor.
Peu à peu, le G?O? se reconstitua, et, en 1801, il
270 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
tint ses assemblées dans l'ancienne maison des Dames de la Miséricorde, rue du Vieux-Colombier, n° 450 (n° 8 en 1806), en face de la rue du Gindre (partie de la rue Madame) (1). C'est le 24 décembre 1802 seulement que fut inauguré officiellement le nouveau local.
Ce jour-là, le parvis du Temple était occupé par un nombre de frères d'autant plus grand qu'on célébrait la fête de l'Ordre. Les colonnes (bancs) étaient complètement garnies. Le G? Vén? Roettiers de Montaleau, qui remplaçait le G? M? dont les fonctions avaient été supprimées, après avoir fait procéder à l'appel des Vén? des LL? établies à l'O? de Paris, suivant l'ancienneté de leurs constitutions, se mit à leur tête, accompagné des Officiers du G? O? et des Députés, et se rendit à la porte du nouveau Temple. Ayant frappé mystérieusement, il lui fut répondu par un seul coup, à la manière des profanes. A sa voix, les portes s'ouvrirent et il se rendit à la place qui lui était réservée sur l'estrade. Tous les postes étant occupés, on éleva les pavillons de l'Ordre, et la cérémonie débuta par une invocation au G? A? de l'Univers. Le G? Vén? purifia l'eau et tira d'une pierre à fusil le feu nouveau dont il éclaira le Temple. Une « harmonie éclatante » emplit le parvis et « suspendit tout sentiment » dans le coeur des frères. Une « mélodie majestueuse et tendre d'un cantique » chanté par des frères, sur les paroles du f? Bizancourt avec musique du f? Bertin de l'Opéra ayant imprégné toutes les âmes, on procéda à la puri-
(1) En 1836, la maison située en face de la rue du Gindre portait les n° 10 et 12. Le n° 8 était à moitié distance entre la rue du Gindre et la rue du Pot-de-fer. Tout ce quartier a été bouleversé lors du percement de la rue de Rennes. En 1789, l'immeuble portait le n° 61.
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 271
fication par le feu. Le G? Vén? invoqua la protection et les bénédictions du G? A? de l'Un? Des couplets du f? Beaumont mis en musique par le f? La Forêt, artiste de l'Opéra, furent chantés ; le f? Pajot d'Orville le jeune, orateur de la chambre symbolique, prit la parole, racontant ce que les ff? avaient souffert pendant la Terreur, célébrant « la fermeture du Temple de Janus et l'aimable paix redescendue sur la terre grâce aux prodiges opérés par un héros aussi sage dans les conseils que vaillant dans les combats », dont l'Europe étonnée ne savait « ce qu'elle devait le plus admirer en lui, du guerrier ou du pacificateur ».
Au G? Orateur succéda le f? Angebault, 1er Grand Surveillant, qui présenta l'examen des opinions établies sur la maçonnerie ; il fit l'historique de l'Ordre ; « le fruit de ses recherches profondes fut un puits lumineux » où les maçons devaient trouver d'utiles et salutaires instructions. Le f? Angebault n'hésita pas à faire remonter les origines de l'Ordre aux premiers âges du monde. D'après lui, les montagnes de Caf dans le Caucase semblent avoir été ses premiers berceaux. Surkage, prince des géants, ayant défendu de molester les enfants de Selth, ce dernier lui donna sur sa demande Rucail son frère, versé dans toutes les sciences, pour l'éclairer et gouverner ses Etats. Cainmarath, qui vivait dans la même région, ayant remis son empire à son fils, celui-ci fut assassiné par les géants ; Cainmarath remonta sur le trône pour le venger et retrouver son corps. Après avoir raconté l'histoire de Salomon ou Salimon, des Chinois, des Indous, des Chaldéens, des Perses, des Égyptiens, de Zoroastre, du Soleil, d'Adonis, de Mercure, de Toth, de Moïse et de Tibère, etc., sans vouloir se prononcer entre Wittemberg, Genève et Rome, Luther, Calvin et la
272 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Papauté, l'orateur vantait la grandeur passée de la maçonnerie et annonçait son triomphe futur.
Le G? O? ne devait pas faire un long séjour rue du Vieux-Colombier. En 1806, il abandonna son local, qui fut occupé par de nombreuses loges sous l'Empire, et s'installa 47, rue du Four-Saint-Germain (297 sectionnaire, 43 actuel), en face de la rue de l'Egout, supprimée par le percement de la rue de Rennes.
Le G? O? tint ses assises dans ce local jusque sous le second empire ; c'est à cette époque qu'il s'installa 16, rue Cadet, où il siège encore.
Les locaux des loges parisiennes ont une histoire moins pompeuse et moins précise que celle des locaux du G? O?, tout au moins pour la période qui précède l'empire.
La première loge parisienne, Saint-Thomas au Louis d'Argent, s'installa chez Landelle, rue de Buci ; elle quitta ce local en 1732 pour tenir ses séances chez de Bure, à la ville de Tonnerre, rue des Boucheries-Saint-Germain. Elle fut remplacée rue de Buci par la loge du duc d'Aumont. En 1737, les f?m? tiennent leurs agapes, sinon leurs séances, chez Chapelot, à l'enseigne de Saint-Bonnet, à la Rapée ; en 1738 et 1745, chez Leroy, traiteur, hôtel de Soissons, rue des Deux-Ecus. En 1747, le chevalier de Beauchaine brocante les hauts grades, au Soleil d'or, rue Saint-Victor. En 1773, le duc de Chartres tint ses assises à son château de Mousseau et dans une loge particulière qu'il avait fait installer cour des Fontaines (place de Valois actuelle). Sous la Révolution, l'immeuble portait le n° 1114. Il fut occupé en 1804 par le Temple des Muses et en 1806 par le Cercle oriental des Philadelphes.
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 273
En 1775, la loge de Saint-François du Parfait Contentement, qui avait pris la direction des frères bannis du G?O?, se réunissait chez son vénérable Jean-Ferdinand Diavant, traiteur rue d'Argenteuil. La même année, la Candeur avait une tenue de réception suivie d'une grande fête au Vaux Hall dé la rue de Bondy, chez l'artificier Torré.
En 1776, la loge des Neuf Soeurs se réunissait rue du Pot-de-fer et sa loge d'adoption à Auteuil.
En 1778, les Chevaliers et Nymphes de la Rose, société pseudo-maçonnique, tenait ses séances à la Folie Titon, rue de Montreuil, que devait occuper quelques années plus tard le marchand de papiers peints Réveillon.
La loge du Contrat social avait acheté le 19 juin 1779 l'hôtel Bullion, ancien hôtel de la Grande Chancellerie de France, 10, rue Coq-Héron (rue Jean-Jacques-Rousseau). Elle en posait la première pierre le 24 décembre suivant, sous la présidence du G? M? marquis de la Rochefoucauld-Bayer, assisté de Troubat de la Salle, de Lafisse et de Leutre. Cet hôtel devait être pillé en 1789. Sous le nom de Saint-Alexandre, cette loge reviendra dans son ancien local en 1815.
En 1781 les Amis Réunis s'assemblaient 7, rue Royale-Montmartre (rue Pigalle) ; mais leurs chapitres étaient convoqués 3, rue de la Sourdière. Les Coeurs Simples de l'Étoile polaire s'étaient installés en 1783 rue du Fouarre.
La loge parisienne de la Stricte Observance, la Bienfaisance, avait loué en 1787 l'Hôtel de Brégy, 21, rue des Mauvais-Garçons. La même année, les Amis des Noirs tenaient leurs séances à l'hôtel de Lussan, 10, rue Croix-des-Petits-Champs ; la loge « l'Amitié », 34, rue des Petites-Écuries, aux Jardins de l'Amitié,
274
LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
à côté du cabinet d'histoire naturelle du Sr Aubert ; le club ou société des Colons, 171, Palais-Royal ; la Société Olympique, 65, dans le même Palais, et la Société des Etrangers (Réunion des Etrangers), 11, rue Plâtrière. En 1808, la loge Saint-Alexandre devait occuper quelque temps ce dernier local.
Le 10 mars 1797, le Centre des amis s'installe dans son nouveau temple, 450, rue du Vieux-Colombier (n° 8, en 1806) où devait s'installer peu après la Vraie Réunion (1800-1814). Le G? O?, qui en fit son local en 1802, donna asile ou eut pour successeurs dans cet immeuble : la Parfaite Réunion (1802) ; l'Amitié et les Amis Eprouvés (1804) ; l'Olympique de la Parfaite Estime, la Colombe, la Paix Immortelle, Saint-Alphonse des Amis Parfaits de la vertu, Saint-Eugène et l'Union, ci-devant Saint-Louis (1806) ; l'Impériale des Francs Chevaliers et Caroline (1808).
A l'hôtel d'Aligre, rue d'Orléans-Saint-Honoré, siégèrent conjointement : l'Espérance (1802) ; l'Epi d'Or (1804) ; les Amis de la Sagesse (1805) ; l'Avenir Français et les Sincères (Amis 1806).
Les Elèves de Minerve s'installèrent luxueusement 7, rue Paradis, en 1803 (n° 4 en 1806). Le Point Parfait et la Bonne Union venaient les rejoindre en 1806.
En 1804, les loges écossaises s'assemblaient dans un souterrain, chez Mauduit, traiteur, boulevard Poissonnière ; l'Océan, 25, rue du Mail.
Un des locaux les plus fréquentés à partir de 1805 était la galerie de Pompéi, 38, rue Neuve-des-Petits-Champs (23 actuel). C'est Saint-Alexandre qui semble l'avoir inauguré en 1804 ; viennent ensuite : les Amis de la vertu (1805) ; Anacréon, Sainte-Caroline, Saint-Jean d'Ecosse de la Parfaite Union, Sainte-Joséphine et
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 275
Saint-Napoléon (1806) ; les Frères Amis, le Phoenix et Royal Arch (1808) ; le Grand Sphinx (1810).
Le Châtelet, 1 ter, place et maison du Châtelet, donnait asile en 1806 aux Amis de la Paix, aux Chevaliers de la Croix, à la Clémente Amitié, à Mercure et Thémis, à Saint-Antoine du Parfait Contentement, à Saint-Claude de la Paix sincère, à Saint-Jean du Bon Accord, à Saint-Jean de Palestine, à Saint-Louis de la Martinique des Frères Réunis, à Saint-Pierre des Amis Réunis et à Sainte-Thérèse des Amis de la Constance ; en 1810, aux Amis Triomphants.
En 1808, le Centre des Amis se réunissait dans le local du G?O? 47, rue du Four-Saint-Germain. Il est plus que probable qu'un grand nombre de loges fréquentaient également ce local.
Au 219 bis de la rue Saint-Honoré, en face de la rue du Lycée (rue de Valois, un local spécial servait en 1809 aux Admirateurs de l'Univers et, en 1810, au Point Parfait.
Enfin, en 1815, la loge Sainte-Caroline avait ouvert un nouveau local, 10, rue d'Antin.
LES FAUX NOMS DES LOGES
Après avoir vu où se tenaient les assemblées maçonniques, voyons comment on dissimulait les noms des loges.
Le procédé est plus qu'enfantin. Il ne fut du reste guère employé qu'à partir de la formation du Grand Orient, qui donna l'exemple en s'appelant le Grand Netori. La plupart des loges l'imitèrent en se faisant adresser leur correspondance sous le couvert de l'anagramme de leurs noms.
La Candeur fait adresser ses lettres à M. du Nacre ;
275 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
les Amis Réunis à M. Misa du Renis ; les Amis Incorruptibles à M. Sima Selbet purrocni ; les Amis Eprouvés à M. Moïse Vuparès ; le Grand Sphinx à M. Legrand d'Esphingloux (la loge du Grand Sphinx) ; Saint-Claude de la Paix sincère à M. Salinçaix père, etc.
Les loges de provinces imitent l'exemple donné par les loges de la capitale.
L'Age d'or d'Agen fait écrire à M. Garode ; la Parfaite Sincérité d'Amiens, à M. Feratipeterniceis; l'Aménité d'Angoulême à Mme Maétine ; Napoléon Le Grand de la même ville, à M. Noel Opan ; la Paix et Union de Nantes, à M. Pontuxi aîné ; les Vrais Frères unis de Tonnay-Charente, à MM. Sivranius frères ; les Amis de l'ordre et de l'Union de Villefranche (Aveyron), à MM. Roder et Unoni, etc. (1).
J'en passe et des meilleurs.
Le procédé est tellement... naïf qu'il en est presque touchant.
LES HIÉROGLYPHES
Pour chiffrer leurs lettres, le procédé n'est guère plus savant.
La cryptographie est un art difficile, et il est presque impossible d'inventer un chiffre qu'on ne puisse mettre au clair. Néanmoins, il y a des procédés qui rendent le déchiffrage long, pénible, et qui demandent des connaissances techniques spéciales.
Or, tout procédé qui consiste à remplacer la même lettre toujours par le même signe, permet à un écolier
(1) Voir la liste de ces anagrammes dans la Franc-Maçonnerie démasquée de 1906, où se trouve un curieux article de M. Soulacroix.
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 277
cryptographe de déchiffrer le texte caché presque à livre ouvert en quelques minutes. Bien que les tables de Vigener, les chiffres à grille ou à dictionnaires aient été connus au XVIIIe siècle, ce fut cependant, sauf une exception, le procédé d'écolier qu'employèrent les F?M?.
Nous donnons aux appendices les séries d'hiéroglyphes maçonniques que nous avons pu connaître, car ils peuvent servir à toute personne possédant des brevets à découvrir la signification des phrases qui veulent être secrètes.
L'ÈRE MAÇONNIQUE.
Les dates maçonniques ne sont pas plus mystérieuses que les hiéroglyphes de leurs correspondances.
Les maçons les plus sages, il faut le reconnaître, sont les maçons anglais, qui se servent tout simplement de l'ère chrétienne grégorienne.
En général, les Français se bornent à ajouter 4.000 ans à l'ère chrétienne, à commencer l'année le 1er mars et à dénommer les mois de un à douze, le mois de mars portant le numéro un et le mois de février le numéro douze.
Le suprême Conseil du 33e de Charlestown, celui de Dublin et l'ordre de Misraïm ajoutent 4004 ans (annus lucis).
Le rite écossais ancien accepté, sous prétexte de dater de l'ère de la restauration des Stuarts (?), se sert de l'ère judaïque, et ajoute à l'ère chrétienne 3.760 ans (annus mundi).
Le rite de Royal-Arch ajoute 530 ans à l'ère chrétienne (annus inventionis).
Les Templiers ajoutent tantôt 1.000 ans (annus dispositionis), tantôt 1.118 ans (annus ordinis).
278 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Le rite écossais change fréquemment les noms des mois et emploie les dénominations judaïques :
Mars, Nissan.
Avril, Jiar.
Mai, Sivan.
Juin, Tamouz.
Juillet, Ab.
Août, Elul.
Septembre, Tisri.
Octobre, Hesuan.
Novembre, Kislev.
Décembre, Tebeth.
Janvier, Schebat.
Février, Adar.
LES MOTS SECRETS
Les mots constituent un mystère plus sérieux ; il est certain que, sans indiscrétion, il est impossible de les deviner et ils peuvent être des moyens certains de se reconnaître entre initiés. Comme on peut et comme on doit les dire à voix basse, ils sont plus sûrs que les signes et les attouchements, qu'un oeil indiscret peut voir, retenir et reproduire.
Il y a deux sortes de mots maçonniques : les mots solsticiaux ou mots de semestre, qu'on change deux fois par an, en juin et en décembre, et les mots propres à chaque grade, qui restent les mêmes, sauf modifications des rituels.
On peut arriver à connaître les premiers, et une étude, même peu approfondie, de la maçonnerie permet de connaître les seconds.
En principe, les mots de reconnaissance étaient toujours les mêmes ; c'étaient ceux de l'apprenti :
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 279
Jakin et Booz; mais bientôt ces mots furent divulgués. C'est pour éloigner les faux frères que, lors de l'installation du duc de Chartres en qualité de G?M?, le 28 octobre 1773, on inventa le mot de semestre. Ce mot fut donné par le grand administrateur général, le duc de Luxembourg. Pour le transmettre aux loges de province, on avait fait faire des feuilles imprimées portant sur la partie extérieure la mention suivante : « Ce billet ne peut être ouvert qu'en loge par le T? C? F? Vén? ou, en son absence, par l'officier qui présidera ». Le billet, plié et clos, était mis sous enveloppe à l'adresse des loges. Le mot du 24 juin 1778 est : Aimons-nous (1). Le billet, après communication aux frères, était brûlé en loge par le Vénérable.
Quant aux mots correspondants aux grades, ils étaient les suivants avant la Révolution :
Mots secrets Mots de passe
Apprenti Jakin Tubalcain
Compagnon Booz Schibboleth
Maître Mac Benac Giblin
Maître parfait Jehovah Cabal
Maître parfait par curiosité Jehovah Zerbal
Puissant Irlandais,
juge des ouvriers Tito Xingel
Petit Elu des neuf
ou chev. de l'inconnu Nékum Stokin
G. maître élu des quinze Zeomot Eleham
Maître anglais Jakinaï Jehova
Dans les loges Ecossaises jacobites
Apprenti Jakin, Acacia Tubalcain
Compagnon Jakin, Stokin Mac Benac
Maître Gomes,Gabaon Giblin
G. Ecossais de Clermont Jakin, Jehova Gabaon, Giblin
Arche maître Jehova, Adonaï Alleluia
Royal Arch Betel Ego sum
(1) Bibl. Arsenal, Ms. 10247.
280 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
G. Ecossais du Levant ou
Souverain Pontife Adonaï Good
Parfait Elu du G. Ecoss. } { Gabaleon
de Jacques VI, roi de la } Adonaï { Mohabin
Grande-Bretagne } { Macmaharabahac
Chevaliers de l'Epée Juda, Benjamin Libertas
Chevaliers de l'Orient Rafodom Javerum,Hamann
Rose-Croix, Chevaliers del'Aigle I.n.r.i Emmanuel
Chevaliers de Palestine ou
de la Triple Croix Dieu le veut Le voyage de Dieu
Souverain du Temple Jakin, Jerusalem Mac Benac, Hiram
Prince de Jérusalem Adar Thébet
Chevaliers Ecossais Pharax Kadosch
Noachides, chevaliers prus- } S. C. J. {Phaleg
siens } Sem, Cham Japhet{ Phaleg
Chevalier du Soleil Adonaï Stibium
II est certain qu'en présence d'un pareil déluge de mots fantastiques, le nouvel initié croyait à des secrets extraordinaires et que, pour avoir la clef, il fallait arriver aux grades les plus élevés ; il n'avait que la première lettre du logogriphe, à lui de trouver la dernière. Dans chaque régime, des frères se mettent à l'oeuvre, cherchent la signification symbolique de tous ces mots, les rattachant aux légendes d'Adam premier maçon, de Noé, de Salomon, d'Hiram, de Labance, des Croisades, des Templiers, de Charles 1er Stuart. Autant de régimes, autant de mots, d'orthographes, de sens et de légendes. Et tout cela, pour en revenir à la légende primitive, la reconstruction symbolique du temple de Jérusalem supposé merveilleux, dissimulant l'étude de l'homme dans le passé, le présent et le futur. Dans tous ces mythes, il y a constamment un homme assassiné, dont il faut venger la mort ; assassinat symbolique de Hiram, architecte du temple imaginaire, vengeance réelle contre ceux qui s'opposent au développement pratique du travail du Grand uvre maçonnique.
Ces logogriphes ont tellement peu un sens réel et positif qu'en 1813 le f? de l'Aulnaye publia un Tui-
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 281
leur des 23 degrés de l'Ecossisme, dans lequel les mots sacrés aussi bien que les mots de passe sont très différents de ceux qu'on voit figurer dans les rituels antérieurs et que nous avons reproduits plus haut.
Voici les nouveaux mots :
Mots sacrés Mots de passe
Apprenti Booz Tubalcain
Compagnon Jakin Schibboleth
Maître Moabon Tubalcain
Maître secret Iod Zizon
Maître parfait Jehovah Acacia
Secrétaire intime Ivah Johaber
Prévôt et juge Jakinaï Tito
Intendant des bâtiments Jakinaï Juda
Maître élu des neuf Neckam Nikar
Maître élu des quinze Zerbal Helcham
Elu secret Neckam Neckam
Sublime chevalier élu Adonaï Stolckin
Grand maître architecte Adonaï Rabacim
Royal Arch Jehovah Ego sum
Grand Ecossais de la voûte sacrée Jehovah Macmaha
Chevalier d'Orient ou de } Raphadon { Ya yaurum
lEpée } { hamein
Prince de Jérusalem Adar Thebet
Chevalier d'Orient et d'Oc-
cident Abaddon Jabulum
Rose-Croix d'Herodom Salathiel Emmanuel
Grand Pontife ou Sublime
Ecossais Alleluia Emmanuel
Vénérable grand maître Ragabassi Jeksonne
Noachite ou chevalier prus-
sien Cham, Japhet Phaleg
Japhet
Chevalier Royal Hache ou
Prince du Liban Noe Japhet
Chef du Tabernacle Jehovah Ouriel
Prince du Tabernacle Dieu le veut Le voyage
de Dieu
Chev. du Serpent d'airain Moïse I.n.r.i.
Ecossais Trinitaire ou
Prince de la Merci Jehovah. Jakin Gomel
G. Com. du Temple I.n.r.i Salomon
Chev. du Soleil Adonaï Stibium
G. Ecossais de St-André Nekamah Ardarel
Chev. Kadosch ou chev. de
l'Aigle blanc et noir Jabamiah Eliel
G. Inspecteur Inquisiteur
commandeur Justice Phaal kol
282 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Sublime Prince du Royal Secret Salis Phaal kol
Souv. G. Insp. Général Baclim Endiague
Par un phénomène très singulier, mais cependant très explicable, après s'être meublé la tête de tous ces noms compliqués, après s'être entêtés dans des recherches extravagantes, les cerveaux des initiés Travailleurs se déformaient et ils en arrivaient à croire à la réalité de leurs rêves. Ces études conduisaient à un genre de folie spéciale : l'acharnement dans l'hébétement latomique qui conduisait le malade aux baquets de Mesmer, à la loge de Cagliostro, chez le tireur de tarots Etiella, ou à l'Illuminisme, après avoir passé par les Chevaliers bienfaisants, les Philalèthes, ou le rite écossais philosophique.
LES SIGNATURES
La signature ornée d'un signe maçonnique n'a jamais été obligatoire pour les initiés, ni dans leurs signatures courantes, ni même dans leurs signatures maçonniques. A cet égard, il n'y a pas de règles, et c'est par zèle ou par nécessité que certains d'entre eux, environ la moitié, ont adopté les trois points symptomatiques.
On peut donc affirmer qu'il ne suffit pas qu'une signature n'ait pas de signes maçonniques pour que l'individu qui l'a faite ne soit pas f?-m?.
Par contre, il faut reconnaître que le hasard seul ou la fantaisie ne peuvent expliquer l'introduction, dans une signature, des signes particuliers que nous allons énumérer. On peut tout au plus admettre que, dans des circonstances spéciales, ces signes aient été employés
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 283
par quelques mystificateurs ou quelques vaniteux de franc-maçonnerie.
Je suis parvenu à établir 60.000 fiches, et j'estime que j'ai à peine dépassé la moitié du nombre des initiés français pendant une période d'un siècle environ. Or, parmi les signatures ornées des signes maçonniques, j'ai pu établir que 83 % d'entre elles figuraient sur mes listes. Il n'est donc pas téméraire d'admettre que si je n'ai pu identifier les 17 % qui restent, cela tient à l'état incomplet de mes listes.
Quels sont les signes distinctifs les plus usités ?
1° Les 3 points en ligne :
2° Les 3 points en ligne entre deux barres :
284 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
3° Les deux barres : =
4° Les 3 points en triangle :
Et, plus rarement, les signes suivants :
Le troisième et le dernier de ces signes sont moins probants que les cinq autres et on les trouve souvent à la fin d'un document pour indiquer qu'il est terminé. Le dernier accompagne quelquefois des signatures notoirement profanes, celle de Molière par exemple.
Le signe le plus ancien nous vient d'Angleterre, où il était adopté avant 1745 : les 3 points en ligne et, quelquefois, ces points entre deux barres.
Le plus ancien diplôme français dans lequel j'ai constaté l'emploi des trois points entre les deux barres est du 7 juin 1760. Ce sont les deux premières séries et les deux barres sans points qui sont presque exclusivement adoptées jusque vers 1771, et jusqu'en 1820, elles sont encore les plus généralement employées.
Vers 1771 apparaissent les 3 points en triangle. La plus ancienne signature que je connaisse sous cette
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 285
forme, est celle du baron de Toussaint, qui, non content de mettre cette variante après son nom, le faisait précéder du type n° 2. Sans compter les autres fioritures hiramiques.
La première pièce imprimée du Grand Orient, contenant les 3 points en triangle, est une circulaire du 12 août 1774, et l'emploi de ces trois points est exclusivement réservé à indiquer des abréviations dans l'emploi des mots usuels : G? O? pour Grand Orient, G?A? de l'U? pour Grand Architecte de l'Univers, etc. Les procès-verbaux originaux, jusqu'en 1791, les seuls que j'aie eus en mains, en font même un usage très restreint.
A partir de 1771, et surtout de 1781, le type 4 se substitue de plus en plus aux types 1, 2 et 3, et, à partir de 1820, il est le type presque exclusivement adopté.
En dehors de ces types, une grande variété de signes et d'abréviations est, par contre, en usage, mais exclusivement dans des documents maçonniques.
Ainsi, le duc de Luxembourg fait toujours précéder sa signature du triangle lumineux, au centre duquel il place la lettre hébraïque Yoth.
286 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
D'autres remplacent ce Yoth soit par un Gamma, soit par un G, soit par trois points.
Les signatures font aussi presque toujours mention des fonctions : V? (vénérable) ; G? O? (grand orateur) ; G? des S? et Arch? (garde des sceaux et archives) ; F? Terr? (frère terrible) ; M? E? (maître écossais) ; S? P? R? + (Souverain Prince Rose-Croix) ; K? D? S.? (Kadosch) et pour les grades supérieurs 32ème, 33ème.
Dans les diplômes écossais, particulièrement, on indique soigneusement la longitude et la latitude de la loge, comme si l'on était en pleine mer. Les signes cabalistiques et les écritures puérilement secrètes sont multipliés. Lorsqu'ils parlent de leurs très respectables frères, ils portent le zèle jusqu'à écrire TTT? RRR? FFF?, de telle sorte que le signe perd complètement sa valeur abréviative.
Dans les loges du rite d'Hérodom de Kilwining, les membres se distinguent par des noms de convention, noms de vertus philosophiques ou morales, en supprimant une partie des lettres du mot : S. n. c. r. t. (sin-
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 287
cérité), P. r. s. v. r. C. (Persévérance). Le grade suprême Astharta s'écrit A. s. t. r. t. Dans la Stricte Observance, les membres se placent sous l'invocation d'une planète, d'un objet, ou d'une épithète élogieuse ; ils signent en latin, d'abord leur prénom, puis la mention du grade de chevalier, puis le nom de la planète ou de l'objet. Ainsi : Ferdinand, chevalier de la Victoire (Ferdinandus Eques a Victoria), est le duc Ferdinand de Brunswick ; Hubertus Eques a Tomba sacra est le baron de Dalberg ; Carolus Eques a Leone resurgente est le prince Charles de Hesse.
Tous les brevets sont rehaussés de larges rubans multicolores auxquels sont attachés des sceaux enfermés dans des boîtes en fer-blanc et parfois en argent. Tel brevet en possède sept ; sur l'un d'eux j'ai relevé près de cent signatures, et quelles signatures !
Les Templiers ajoutent, en dehors de leurs grades interminables, une croix à deux branches.
Les Amis Réunis sont plus compliqués; voyez Doazan :
Certains mettent cinq, sept, neuf points et même plus ; mais le record de la complication appartient sans contredit à Martines de Pasqually :
288 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Toutes ces fantasmagories avaient pour but de satisfaire la vanité des initiés et d'exciter la curiosité des profanes cela avait un petit air mystérieux et cabalistique qui n'était fait pour déplaire ni aux uns, ni à certains autres.
Mais pourquoi les deux barres et les points?
Bien que je n'aie trouvé d'explication officielle dans aucun ouvrage, il me paraît que, sans être devin, on peut facilement en trouver une.
Les deux barres symbolisent les deux colonnes du Temple et les points les nombres mystérieux des grades maçonniques.
Dans la religion d'Hiram, car en somme la maçonnerie est une religion, les nombres jouent, en effet, un rôle considérable les f?-m? leur attribuent des significations symboliques souvent bizarres.
Les trois premiers grades, les seuls que les f?-m? qui se disent sérieux reconnaissent : Apprenti, Compagnon et Maître, sont numériquement représentés par les nombres 3, 5 et 7, correspondant aux nombres de coups frappés dans les cérémonies initiatiques à ces divers grades. Dans les grades supérieurs, ils ne parlent pas de moins de 3 fois 3 et vont même jusqu'à 3 fois 3 répétés 3 fois 3 fois, ce qui fait 81, le nombre parfait. J'avoue que, dans mes recherches, je n'ai encore pu mettre la main sur la signature de ce maçon idéal.
LE LANGAGE CONVENTIONNEL.
Les francs-maçons français, dans leur langage et dans leurs écrits, emploient une phraséologie spéciale et des mots auxquels ils donnent un sens différent de leur sens habituel. Bacon de la Chevalerie fut l'inventeur
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M? 289
de plusieurs de ces termes particuliers, les autres furent consacrés par l'usage et l'habitude.
Les réunions de francs-maçons dans les loges s'appellent des tenues et dans les G?L? ou au G?O? on emploie de préférence le mot : assemblées. Les discours s'appellent des balustres ; les minutes des procès-verbaux, des esquisses, et les procès-verbaux, des planches à tracer. Les oraisons funèbres sont des colonnes funèbres.
Dans une loge, les tenues des grades symboliques se font dans le Temple de l'atelier. Il y a, en plus, les Chapitres qui réunissent les membres qui possèdent des grades supérieurs à celui de maître, les Aréopages, les Grands Tribunaux, etc.
A l'entrée on tuile l'arrivant pour reconnaître s'il est bien initié, et le frère chargé de ces fonctions s'appelle frère tuileur. A l'intérieur le frère couvreur veille à la sécurité et au secret des réunions.
Mais c'est spécialement dans les banquets qu'on emploie, sans raison sérieuse, des mots dénaturés pour exprimer des choses vraiment insignifiantes. Ainsi :
Barrique veut dire bouteille
Canon - verre
Cantique - chanson
Ciment - poivre
Colonne d'Harmonie - musiciens
Drapeau - serviette
Etoile - lumière
Glaive - couteau
Lumière - officier
Mastiquer - manger
Pierre brute - pain
Pioche - fourchette
Plateau - plat
290 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Poudre faible veut dire eau
- forte - vin
- fulminante - liqueur
Sable - sel
Sable jaune - poivre
Tirer le canon - boire
Truelle - cuiller
Tuile - assiette
Voile - nappe
On pourrait multiplier les exemples de ces paroles mystérieuses, mais cela serait sans intérêt.
Il est plus curieux, par contre, de signaler les expressions maçonniques auxquelles la Révolution a fait une fortune.
Ainsi les provinces maçonniques étaient appelées des départements ; la réunion des députés des loges et des hauts dignitaires s'appelait puissance législative et corps législatif ; les décisions étaient des décrets.
Les grades maçonniques étaient groupés sous trois couleurs particulières : le bleu correspondait aux grades. symboliques ; le rouge, aux grades chapitraux ; le blanc, aux grades philosophiques.
Enfin la devise maçonnique : Liberté, Égalité, Fraternité, devint la devise révolutionnaire.
________________
CHAPITRE IX
PROFILS MAÇONNIQUES
La manie égalitaire ; ses conséquences. - Le cabaretier maître de loge. - Le robin. -- Le bourgeois. - L'homme à talent. - L'officier. - Le parlementaire. - Le noble. - Puisieux. - Procope. -- St-Germain. - Le Breton. Bacon de la Chevalerie. - Stroganoff. - Savalète de Lange.
Dans les chapitres précédents nous avons déjà donné les biographies d'un certain nombre de francs-maçons importants et mis en lumière les mentalités que la pratique de l'Art Royal avait développées chez eux.
Charles Radclyffe, Charles-Edouard, le duc d'Antin et le comte de Clermont furent plutôt de grands protecteurs honoraires que des maçons ardents. Aucun d'eux ne semble avoir fait du travail de loge. Par contre, nous nous sommes étendus longuement sur un certain nombre de pratiquants, de dévots, de bigots et de fanatiques de la religion d'Hiram, tels que Ashmole, Désaguliers, Ramsay, Swedenborg, Martines de Pasqually, Perneti, Beauchaine, Tschoudy et Willermoz. La série ne serait pas complète, les types ne seraient pas suffisamment variés, si nous ne joignions pas à ces chefs de sectes, penseurs plus ou moins profonds, des personnalités ayant surtout joué un rôle pratique. Nous essayerons donc de représenter tous les types divers que la franc-maçonnerie a pu produire ; le jovial Procope ; Puisieux le doux fanatique; Saint-Germain le thaumaturge;
292 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
le religieux Le Breton ; Bacon de la Chevalerie, le militaire exalté ; l'étranger Stroganoff; Savalète de Lange, le passionné de la secte et du sexe. A côté de, toutes ces personnalités qui ont laissé un nom et ont eu des carrières qu'on a pu suivre, il y avait la foule des maçons qui n'ont laissé que peu de traces personnelles, mais qu'on peut facilement reconstituer, lorsqu'on a parcouru de nombreuses correspondances échangées entre initiés ; des types généraux surgissent d'eux-mêmes, sans qu'aucun de ces types puisse s'appliquer à une personne déterminée, types collectifs beaucoup plus dangereux que les déformations individuelles, car leur responsabilité est impersonnelle, ou partagée avec trop de complices.
Quel détraquement pouvait produire l'enseignement et la pratique des idées égalitaires, sur des personnalités différentes, appartenant à des milieux sociaux hétérogènes, plus habitués à s'apercevoir qu'à se fréquenter ? quelle influence pouvaient avoir sur des cerveaux bourgeois les appellations pompeuses des hauts grades maçonniques, les emblèmes et les bijoux donnant l'illusion de grands cordons et de décorations ? quels terribles effets devait produire sur des cervelles de petits commerçants leur promiscuité dans les banquets avec les grands seigneurs et les riches financiers? Comment les cerveaux des uns et des autres se déformaient-ils ?
Dans les conditions où se recrutaient les membres des loges, les idées maçonniques devaient amener une désagrégation sociale, provoquée par l'envie haineuse des classes inférieures, et par la sensibilité philosophique exagérée des hautes classes, émasculées par les rêveries creuses de leurs cerveaux qui roulaient à vide. Le calme était donné aux hommes timorés par l'ap-
PROFILS MAÇONNIQUES 293
parente de grandeur de l'idée égalitaire ; les cerveaux ardents étaient exaltés par ces mêmes doctrines ; les âmes religieuses, confondant l'humilité sociale avec l'humilité individuelle, n'apercevaient que la mise en pratique des paroles du Christ. Toutes les consciences pouvaient donc être en paix.
Le cabaretier, maître de loge, a fort peu souci de l'origine, de la raison d'être et du but de l'Ordre auquel il est affilié. Il en connaît tout le culte extérieur, et rien de plus ; mais ces puérilités pompeuses, il les connaît à fond ; il ne fait pas une faute dans le serrement de main, ni dans la marche, ni dans les mots secrets ; il connaît par le menu les tentures que l'on doit mettre et les costumes qu'il faut porter dans chaque circonstance. La f?-m? est une annexe de son commerce, un comptoir où l'on consomme, où l'on paie vin, limonade et présence; elle lui apporte une clientèle dont il est jaloux. S'il est âpre au gain, comme tout petit commerçant, il est flatté d'être appelé vénérable maître par le robin, l'officier et quelquefois le noble, vrai ou faux, qui achalande son industrie. Pour lui, la f?-m? est une bonne affaire. Parfois il prend son rôle au sérieux et estime, à force de s'entendre honorer dans ses fonctions, qu'il est l'égal de ceux qui fréquentent sa loge. Le dogme maçonnique agit sur lui à sa façon, terre à terre ; néanmoins, l'empreinte est profonde. Les blessures faites à sa vanité ou à son envie ne seront pas oubliées. Il se déclasse par en haut, prend des vices au-dessus de son rang et au-dessus de sa bourse. Que viennent les mauvais temps, qu'il ait à se plaindre, avec ou sans raison, d'un voisin qui aura refusé de
294 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
le traiter en égal sans cependant vouloir l'humilier, la haine lui montera au coeur, et si l'occasion s'en présente, il le lui fera bien voir.
Il est une autre sorte de maçon plus dangereuse encore, c'est le clerc de procureur, I'huissier, l'homme de loi sans talent et sans clientèle, qui en cherche une dans les loges, persuadé qu'il importe peu d'avoir du mérite et des connaissances professionnelles, mais qu'avec des relations on fait son chemin, qu'on ne le fait pas autrement ; il a le caractère ergoteur des gens de chicane, la conscience relative de ces clercs de la basoche qui ont l'âme tranquille lorsqu'ils ont respecté la loi en la tournant habilement. Pour eux, la légalité retorte remplace la vérité et la justice, mots creux, vertus dangereuses à pratiquer. Ce genre de maçons traite volontiers les frères comme il traiterait la partie adverse dans un mauvais procès.
Sur lui aussi l'égalité maçonnique fera ses ravages ; elle augmentera ses talents à ses propres yeux, et par contre diminuera ceux de ses adversaires ; à fréquenter des gens titrés, il s'appellera du nom de la terre de son père, ou de celui de son vide-bouteille ; s'il n'a rien de tout cela, il empruntera le nom de sa ville natale. S'il s'introduit dans les hauts grades, affublé de tous les oripeaux d'usage, paré de décorations plus brillantes que la croix de Saint-Louis, enrubanné de soieries plus éclatantes que les ordres du roi, traité de Souverain Prince ou de Sublime Quelque chose, il prendra tout cela au sérieux, titres et défroques, méprisera son voisin, qui garde sa boutique, sa femme et son temps, méprisera bien plus encore, mais cette fois au nom
PROFILS MAÇONNIQUES 295
de l'égalité, celui qui passera à ses côtés comblé d'honneurs et d'ornements authentiques. Dans son esprit faussé la haine régnera en souveraine maîtresse, car il appliquera l'égalité ainsi qu'une décision judiciaire. Ce n'est pas lui qui perdra son temps dans des recherches illusoires sur l'origine de l'homme et son but final. Encore une recrue pour l'émeute, si les temps s'y prêtent. Celui-là s'appellera Maillard, Joachim Ceyrat, Coffinhal.
Ou bien encore le petit bourgeois, vivant en rentier, soit qu'il ait su se contenter d'une fortune modeste, soit qu'il ait pris sa retraite et cédé son commerce. Ne plus rien faire est une étape vers la noblesse. S'il ne trouve aucune fissure pour y pénétrer, la fraternité maçonnique lui en donnera l'illusion. Sa mentalité lui fait envisager toutes choses comme une transaction commerciale ; est-ce que le commerce ne consiste pas à acheter au meilleur marché et à vendre le plus cher possible? Défendre son argent et attaquer celui des autres, n'est-ce pas le but de l'existence? Il achètera de l'égalité à bon compte dans les loges, nulle part il ne trouvera mieux. Et comme il a payé en entrant, qu'il débourse pour rester, il veut en avoir pour son argent, la meilleure part. Désoeuvré, il cherchera les fonctions d'officier de loge pour tenir une place d'honneur dans cette société d'égaux. Il fraternisera dans les banquets avec ses anciens clients et en prendra les allures. Le soir en rentrant, il resservira à sa femme stupéfaite, mais émerveillée, toutes les bribes de fausse science qu'il aura broutées dans les parterres de la maçonnerie ; il lui dévoilera, par faveur spéciale, des lam-
296 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
beaux de la légende d'Hiram, et dans son demi-sommeil il parlera de projets de vengeance ; dans ses rêves il accomplira des actes héroïques pour défendre une société où on lui apprend de si belles histoires. Il discutera toutes choses avec des phrases toutes faites, apprises à force de les entendre répéter. Philosophe, politique, homme de guerre, il sera tout cela et trouvera qu'il était né pour toutes ces choses; il parlera d'égalité à tout venant, et si on le critique, ou même si l'on ne le comprend pas, au nom de cette même égalité, il pensera que contradicteurs ou indifférents sont des êtres inférieurs et stupides. La maçonnerie aura encore déformé ce malheureux, né brave homme, et dont la destinée n'aurait pas dû le porter plus haut que son bonnet de nuit, ni le descendre plus bas que les cancans de son arrière-boutique. Heureux encore si une nature particulièrement prudente lui fait craindre les coups qu'on peut éviter ; il n'ira pas se compromettre dans une journée révolutionnaire ; mais il y assistera des fenêtres de l'Hôtel de Ville, dont il sera électeur; il s'appellera Veytard, Buffaut, Varangue. Certes, il ne tuera ni Berthier ni Foulon, mais il trouvera que ces gens-là ont eu grand tort de s'attirer la haine des habitués de la place de Grève et du Palais-Royal, et qu'il vaut mieux les abandonner à l'émeute que de risquer d'en être soi-même la victime.
C'est encore l'homme à talent, heureux malgré tout de frayer avec des militaires et des hommes bien nés ; le temps qu'il perdra dans les loges ne lui rapportera que des flatteries pour son amour-propre ; mais il y sera sensible ; intelligent, si en plus il est malin,
PROFILS MAÇONNIQUES 297
il saura faire mousser ses qualités, trouver une clientèle parmi les frères. Peut-être ne se lancera-t-il pas dans les hautes spéculations métaphysiques; mais comme tous ces gargarismes philosophiques et humanitaires sont de mode dans les loges, il prendra le vernis d'une science qui n'est pas la sienne, et son amour-propre y trouvera encore son compte. Comme tous les gens qui ne connaissent que la surface d'une science ou d'un art, il s'y croira maître. S'il est obligé de s'avouer qu'en pareille matière il n'est pas créateur, il se croira bon juge. Son intelligence générale et son talent particulier y perdront quelque chose, et il sera la victime de son luxe maçonnique ; il n'osera pas, lorsque les mauvais temps viendront, blâmer ce qu'il a si souvent encensé ; les théories de loge sur l'égalité qu'il a répétées à tout propos, le désarmeront contre la poussée de l'égalité venue d'en bas.
Dans les parlottes maçonniques, le moins que puisse y perdre l'homme de haut mérite, c'est le temps qu'il aurait pu passer à produire ou à agir. Avec l'habitude journalière de traiter sur le pied d'égalité des gens qui lui sont très inférieurs, il doutera de lui-même ; dans les échanges d'idées auxquels il se laissera entraîner, il donnera plus qu'il ne recevra, et ses enseignements seront toujours des présents inutiles et même dangereux ; en vulgarisant de grandes pensées, il les rapetissera, ne fût-ce que pour se faire comprendre.
Si, par malheur, il se laisse prendre au piège habilement préparé du travail de loge, il se détournera de sa vocation pour suivre une voie nouvelle, dans laquelle il sera un homme ordinaire, en attendant d'être un
298 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
mécontent, car il se sera engagé dans un chemin sans issue, dans la recherche d'un problème sans donnée sérieuse, sans équations possibles et sans solution désirable.
La grande science expérimentale et pratique de Condorcet se perdra dans des abstractions. Bailly égarera son bagage scientifique en se laissant entraîner par la politique des loges ; leurs rôles seront pitoyables et leurs fins tragiques.
A fréquenter des gens d'éducation médiocre, le noble apprendra peut-être à son frère d'atelier quelques belles façons, dont celui-ci se parera comme M. Jourdain de sa prose, mais de son côté il y perdra de sa distinction plus qu'il en aura donné ; son charme disparaîtra et son prestige, vu de trop près, n'y gagnera assurément pas. Souvent, aussi ridicule que le bourgeois ou le boutiquier, lorsqu'il voudra faire de la haute science maçonnique, il laissera, sans s'en douter, glisser dans la rue l'égalité quil a courtoisement pratiquée dans les loges ; sans compter qu'à force de la proclamer, il finira souvent par y croire. Après avoir considéré les cérémonies des loges comme une escapade passagère, il en fera le péristyle lumineux conduisant à la politique et aux assemblées de la Révolution. Lorsque celle-ci explosera, le noble aura lui-même détruit son ordre. Quant à lui, démoralisé, émasculé, il sera devenu un combattant inutile; il n'aura pas le courage actif qui provoque la résistance nécessaire, mais seulement le courage résigné à la mort. Avec lui il aura entraîné toute l'ancienne France, depuis le roi jusqu'au dernier gagne-denier.
PROFILS MAÇONNIQUES 299
Ossature de la monarchie, il s'étonnera, après s'être supprimé avec élégance, de voir cette monarchie s'écrouler.
Sur l'officier les idées égalitaires feront les ravages les plus pernicieux et auront des conséquences les plus dangereuses pour la société qu'il est appelé à défendre. A fréquenter les loges, où les sous-officiers et soldats sont admis, lorsqu'il n'y a pas une loge spéciale pour eux souchée au régiment, il perdra son prestige et son autorité auprès de ses subordonnés, ses égaux et parfois ses supérieurs dans l'atelier, en même temps que ces inférieurs perdront le sentiment de la hiérarchie nécessaire et l'esprit de la discipline indispensable. Il subira encore une autre transformation mentale néfaste à l'égard de ses supérieurs, analogue à celle de ses inférieurs envers lui. Lorsque viendra la Révolution, la désorganisation intellectuelle et hiérarchique sera complète, en attendant le désordre matériel que les Jacobins provoqueront et entretiendront.
Chez le magistrat au Parlement, en lutte traditionnelle depuis deux siècles avec le pouvoir royal, la désagrégation aura encore de plus terribles effets. Dans ce milieu, où la dignité et la vertu sont souvent factices et intéressées, les idées égalitaires ne feront qu'entretenir et exaspérer cet état de révolte latent qui avait produit déjà tant de maux. Le magistrat, légiste implacable, appliquera ses théories comme une ordonnance ou un arrêt, et il le fera d'autant plus complètement qu'elles seront en accord complet avec sa mentalité
300 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
professionnelle. Les loges n'auront pas besoin d'avoir recours aux lits de justice pour lui faire enregistrer et appliquer leurs décisions.
Le duc d'Orléans réclamera à Louis XVI l'égalité devant les marches du trône de France ; il aura beau ensuite faire abandon du nom et des droits de sa race pour personnifier le dogme maçonnique : sur le même échafaud que son roi roulera la tête de Philippe Egalité.
Après avoir sauvé la maçonnerie désorganisée et expirante, en lui donnant la direction unique du G? O? ; après avoir versé dans toutes les sectes, depuis les loges militaires jusqu'aux loges égyptiennes de Cagliostro, le duc de Luxembourg, à la fin de sa carrière, ira former un régiment émigré en Portugal; les Noailles battront maillet pour voir guillotiner le maréchal de Mouchy ; le duc de la Trémouille, prince de Tarente, aura donné au G? O? le crédit de sa présence pour que le prince de Talmont soit fusillé par un Rossignol; les Rohan, les La Rochefoucault, les Choiseul, les Ségur, auront brillé dans les loges pour voir leurs noms sur les listes de victimes de l'Abbaye, des Carmes, de Gisors ou de la place de la Révolution. Et, derrière eux, toute la noblesse de cour sortira des loges pour se rendre à l'armée de Condé ou au tribunal révolutionnaire. Si quelques-uns d'entre eux ne furent que des inconscients et quelques autres des criminels, tous furent des coupables. Les sociétés sont toujours détruites par les fautes de leurs défenseurs naturels. La maçonnerie a conduit la noblesse au suicide. Il faut oser le reconnaître, il faut oser le dire, pour que
PROFILS MAÇONNIQUES 301
la leçon de la veille puisse servir demain. Toute brave qu'elle était sur les champs de bataille ou dans les combats singuliers, la noblesse de cour est morte de lâcheté morale, entraînant avec elle dans sa chute toute l'admirable noblesse de province vivant modestement et dignement sur ses terres; pour être disproportionné, le châtiment n'en était pas moins fatal. La fissure qui a fait crouler notre ancien édifice social n'avait été faite ni par les vices ni par l'insuffisance de la noblesse, mais par le corrosif, l'esprit d'égalité maçonnique.
J.-B. DE PUISIEUX
(1679-1776)
Le plus vénérable des Vénérables français est sans contredit Jean-Baptiste de Puisieux, architecte juré du roi. Né à Alland'huy (Ardennes) le 19 janvier 1679, il a presque découvert l'élixir de longue vie, car il mourut âgé de 97 ans, à Paris, le 6 février 1776.
Il avait été cristallisé par la f?-m? car c'était assurément le maçon le plus assidu et le plus convaincu de France ; il consacrait tous ses loisirs à l'Art Royal. Placé par son père chez un avocat au Parlement de Paris, il abandonna bientôt l'étude du droit pour se consacrer aux sciences et à l'architecture.
S'il publia, en 1765, un Traité de Géométrie, on ne peut douter que c'est uniquement parce que cette science avait été perchée sur le plus haut degré de l'échelle templière. Il s'occupa aussi d'architecture, probablement pour les mêmes raisons et peut-être aussi parce qu'il était architecte juré du roi. Il présenta même, en 1758, un projet pour la nouvelle église Sainte-Geneviève ; si ses plans ne furent pas adoptés, sa défaite fut hono-
302 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
rable, car il fut nommé contrôleur de travaux sous les ordres de son heureux vainqueur Jacques-Germain Soufflot. Ses succès furent plus notoires, par compensation, dans l'architecture maçonnique. Appelé à faire partie de la Grande Loge de France en 1762, le 1er janvier 1765 celle-ci l'honorait des fonctions de grand architecte, malgré ses 86 ans. Lors de la constitution du G? O?, il figura comme député en qualité de doyen, car à ses titres il pouvait ajouter qu'en 1729 il avait été maître de la loge Saint-Pierre et Saint-Paul à l'Orient de Paris, où il avait été remplacé dans ces fonctions le 13 septembre 1765 par le frère Zambault. Son fils était vénérable d'une des plus anciennes loges de France : les Arts Sainte-Marguerite.
Pour rendre hommage à la vérité et mettre l'honorable Vénérable à l'abri de la médisance et du ridicule, j'ajouterai qu'il ne faut pas le confondre avec Philippe-Florent de Puisieux, dont la femme, Madeleine d'Arsant, défraya abondamment la chronique scandaleuse, à une époque où les chroniqueurs étaient bavards et malveillants. La belle Madeleine, après avoir été fort liée avec Diderot, qui fit pour elle les Bijoux Indiscrets, devait mourir aux Incurables, le 29 janvier 1799. L'épouse légitime de Jean-Baptiste était au contraire une femme fort vertueuse, qui mourut bien avant son mari, auquel elle n'avait donné qu'un fils.
Puisieux avait fait son testament le 10 mars 1771 et huit jours après sa mort, le 14 février 1776, la minute en fut déposée au greffe de l'Abbaye royale Sainte-Geneviève, le défunt étant mort rue Saint-Etienne-des-Grès, où il avait son domicile depuis le 5 septembre 1763, ayant à cette date vendu, devant Me Régnault, notaire royal, sa maison de la rue des Bernardins à
PROFILS MAÇONNIQUES 303
la fabrique de Saint-Nicolas du Chardonnet. Puisieux laissa à son fils une médaille d'or ; à sa soeur ses meubles et 300 livres, et il donnait quittance de sa créance à Louise-Geneviève Laisné, femme d'Antoine Nollet, marchand à Paris. D'après les rituels que je possède et qui lui ont appartenus, Puisieux devait suivre le régime jacobite. Il devait s'occuper également de kabbale et d'alchimie, ayant laissé un manuscrit indiquant le moyen de faire, avec de l'étain de Cornouailles, de l'argent « sortant du feu blanc et pouvant souffrir la coupelle ». Pour lui, « l'aigle étendu est de l'armoniac sublimé (sic) ; la gelée de loup, de la teinture d'antimoine congelée ; l'estomac d'autruche, de l'eau forte ; le Lyon vert, de la teinture de vitriol, etc. »
Jean-Baptiste de Puisieux appartenait à la catégorie des maçons sincères, ne voyant dans les régimes qu'ils pratiquaient que l'étiquette humanitaire, les prétentions scientifiques, les aspirations métaphysiques creuses, et prenant tout cela au sérieux. Les travaux maçonniques du f? de Puisieux n'ont jamais dû faire tort qu'à ses travaux professionnels. Puisieux était du reste un fort brave homme et ses connaissances alchimiques lui servirent au moins à composer une eau excellente pour les yeux, qu'il distribuait aux pauvres chaque matin. Dans un âge très avancé, il allait encore visiter les malheureux et leur porter ses bienfaits et ses consolations.
MICHEL PROCOPE
(1684-1753)
Gil Blas, en rentrant chez l'épicier liquoriste de la rue des Fossés-Saint-Germain, y trouva, nous raconte Lesage, un petit médecin brun qu'on nommait le
304 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Dr Cuchillo, dont la figure lui fit mépriser la colère. Lesage avait traduit en espagnol le nom italien de Coltelli, comme les habitants du quartier de Bussy l'avaient traduit en français sous le nom de Couteau. Ce docteur dont Gil Blas méprisait la colère, petit, laid, noir et bossu, était Michel Procope Couteau, le plus gai des maçons de France. Malgré ses infirmités, le Dr Procope fut un homme à succès, dont le beau sexe appréciait les mérites. Il avait du reste de qui tenir. Son père, Francesco dei Coltelli, fils d'Onofrio, gentilhomme palermitain, en avance sur son siècle, n'avait pas cru déchoir, lorsque après avoir traîné inutilement dans les rues de Paris son épée en verouil, il s'était décidé à prêter l'aide de sa jeune activité aux Arméniens qui, en 1670, tenaient un café à la foire Saint-Germain. A ce métier encore innommé, il avait su faire fortune et, en 1675, il se lançait dans le commerce et dans le mariage. Epicier et cafetier-liquoriste, rue de Tournon, il distilla lui-même ses produits et épousa Marguerite Crouïn, dont il eut au moins huit enfants. La pauvre Marguerite en mourut ; elle ne fut pas pleurée longtemps. Dans l'année qui suivit sa mort, le. 15 juillet 1697, Francesco convolait en secondes noces à Saint-Sulpice, malgré ses quarante-sept ans, avec une fille de bonne maison, âgée de vingt-quatre ans, Anne-Françoise Garnier de Vaulnay. Cette seconde épouse ne lui donna que quatre héritiers. Riche de douze enfants, Francesco dei Coltelli, devenu François Procope, sans qu'on ait jamais su pourquoi il s'était placé sous le patronage de Procope de Gaza, historien byzantin, installa son célèbre café rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, en face de la Comédie, sous la protection du Saint-Suaire de Turin.
Il se retira en 1716, après fortune faite, laissant la
PROFILS MAÇONNIQUES 305
place à son second fils Alexandre, qui fit souche de cafetiers.
Comme beaucoup de commerçants parisiens, François avait destiné un de ses fils à l'état ecclésiastique. Michel avait, dès l'âge le plus tendre, montré des dispositions singulières et un aplomb remarquable : à l'âge de neuf ans, il prêchait dans l'église des Cordeliers un sermon en grec, composé par lui. Son zèle religieux devait bientôt se refroidir ; après avoir reçu les ordres mineurs, il renonça à soigner les âmes pour se vouer au soin des corps. En 1708, il était reçu docteur médecin. Singulier médecin du reste ; agité, jamais à la même place, on le trouvait plus souvent au café fraternel, dont il était un des attraits, dans les loges de f?-m? ou au spectacle que dans son cabinet de consultations. A plusieurs reprises il quittait Paris, pour aller on ne sait où ; se mariant authentiquement deux fois, sans compter une certaine Anglaise fort riche, qui passe pour avoir été sa femme, sans qu'on puisse trouver la trace de cette union.
Né à Paris le 7 juillet 1684, Michel avait épouse, avant 1718, Charlotte Beaune, qui mourait en 1726, précédant de quelques mois dans la tombe une fille qu'elle avait eue en 1719. Peu après le décès de sa femme, Michel, suivant l'exemple paternel, épousait en secondes noces Madeleine-Henriette de Brisseau de Montfort, qui habitait le château de Montfort près du Mans. Comme sa première femme, Madeleine mourait prématurément en 1735, la même année qu'un fils qu'elle avait eu en 1733. Michel se fixait alors à Paris : en 1741, il était professeur de pathologie, en 1747, professeur de chirurgie française et, en 1752, bibliothécaire et régent de la Faculté. Il mourut le 31 décembre 1753, rue de Seine, faubourg Saint-Germain. Quelques jours avant
306 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
sa mort, le 25 décembre, il avait fait son testament devant Me Dupré, notaire royal, laissant une fortune modeste et pas d'héritiers directs. A sa soeur, chanoinesse régulière de Picpus, il laissait 60 livres de rentes viagères ; 160 livres de capital à la dame de Gages et 150 à la femme Cochois.
Comme médecin, Michel Procope laissa un léger bagage littéraire. Son oeuvre la plus connue est l'Art de faire des garçons, publiée à Montpellier, en 1770 seulement. Ce travail ressortissait peu de la science médicale ; il était bien plutôt le fruit de l'exemple donné par son père, à moins qu'il n'ait été la divulgation du secret maçonnique.
Son intarissable gaîté et sa passion pour les spectacles, dont il jugeait finement les pièces nouvelles, ses fréquentes relations avec les acteurs auxquels il donnait de bons conseils, et avec les actrices auxquelles il en donnait de mauvais, incitèrent Procope à se lancer dans la carrière d'auteur dramatique, où il obtint quelques succès, avec Arlequin balourd joué à Londres en 1719, l'Assemblée des Comédiens, les Fées, Pygmalion, la Gageure et Les deux Basiles,
La colonne funèbre (oraison funèbre) de Michel Procope fut prononcée par le f? Claude-Martin Giraud en 1754, sous le titre de la Procopade ou Apothéose du docteur Procope, poème en six chants, publié à Londres en 1754.
Procope était membre de la R? L? de Saint-Jean de la Discrétion à 1'O? de Paris. Les ouvrages contemporains du fameux docteur parlent de son zèle maçonnique, et je ne serais pas étonné que le célèbre café de la rue des Fossés-Saint-Germain ait souvent servi de loge. Procope est presque le seul maçon de cette époque dont le nom soit resté populaire.
PROFILS MAÇONNIQUES 307
Ainsi que nous l'avons dit, Michel Procope était un maçon gai, et cependant précurseur du Neveu de Rameau ; frère peu terrible, il ne dut pas prendre la maçonnerie plus au sérieux que la médecine ou le mariage.
SAINT-GERMAIN
(1700 (?)-1784)
L'inconnu qui apparaît successivement dans toutes les contrées de l'Europe, pendant la seconde moitié du XVe siècle, sous les noms de comte Tzarogy, prince Rakoczy, général Soltikoff, marquis de Montferat, comte de Bellamye, comte de Saint-Germain et comte de Veldona, est sans contredit le produit le plus curieux de la flore maçonnique.
Dans ce singulier personnage tout est mystérieux et extraordinaire : son origine, sa vie et sa mort.
On fait sur sa naissance les récits les plus contradictoires ; non seulement il ne les dément pas, mais au contraire il les encourage, les multiplie. Est-il Portugais, Espagnol, Juif, Français ou Russe ? Nul ne peut le dire avec preuves à l'appui.
Tour à tour, avec les noms que nous venons d'énumérer, il se dit ou on le dit fils : du prince de Transylvanie, le célèbre Rakoczy ; d'un Portugais, le marquis de Betmar ; du père Aymar, jésuite espagnol ; d'un juif d'Alsace, nommé Wolff ; d'un sieur Rotondo, receveur des contributions à Aix. D'après Choiseul, qui l'a protégé quelque temps à la Cour, il était fils d'un juif portugais et dirigeait une manufacture d'indienne à Moscou. Si on lui désigne plusieurs pères, personnages inconnus ou hypothétiques, on ne lui désigne qu'une mère : il aurait été le fils naturel de la veuve
308 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
du roi Charles II d'Espagne, la reine Anne de Neubourg, dont Victor Hugo devait faire la maîtresse de Ruy Blas.
Avant d'examiner la maternité possible d'Anne de Neubourg, il faudrait fixer approximativement la date de la naissance de l'enfant qu'elle aurait mis au monde. Sur ce point, les versions sont également contradictoires et invraisemblables. En 1760, Saint-Germain aurait eu 4.000 ans selon les uns, 350 ans suivant les autres ; les plus raisonnables lui attribuaient seulement une centaine d'années. Comme nous le verrons plus loin, il est probable qu'il naquit à la fin du XVIIe ou pendant les premières années du XVIIIe siècle. Comme il mourut très âgé, en 1784, c'est à cette dernière hypothèse, la seule admissible, que nous nous arrêterons.
Marie-Anne de Pfalz-Neubourg était née le 28 octobre 1667 ; soeur de l'empereur d'Allemagne, elle avait épousé en premières noces l'électeur palatin. Après la mort de Louise d'Orléans, nièce de Louis XIV et première femme de Charles II, l'Autriche l'imposa comme épouse à ce prince dégénéré de la maison de Habsbourg (4 mai 1690). Cette princesse prit aussitôt le pouvoir en main, avec le concours d'intrigants allemands : Henri de Visser, ministre palatin, le Père Gabriel Chiesa, capucin, et le baron de Berlepsch. Sa vie privée aurait été désordonnée, et parmi les amants qu'on lui prête figurent le musicien Matteuci et le banquier Adanero, qui devint ministre des finances. Après avoir fait le jeu de l'Autriche, la reine Marie, grâce à l'habileté de l'ambassadeur de France, détermina au dernier moment Charles Il à faire son testament en faveur du petit-fils de Louis XIV. Si Philippe V l'éloigna de la cour, à cause de son esprit d'intrigue, et l'exila à Tolède puis à Bayonne, il lui fit une pension de 400.000 ducats.
PROFILS MAÇONNIQUES 309
C'est le 20 septembre 1708 que la reine arriva à Bayonne. Reçue par les autorités à la porte Saint-Léon avec les plus grands honneurs, elle fut logée au Château-Vieux, puis s'installa à l'hôtel Montaut, qui appartenait aux Lalande. Après avoir passé deux ou trois étés à Lissagne, qu'elle avait acheté aux Belzunce, elle fit construire le château de Marrac, mais ne voulut jamais l'habiter, parce qu'une de ses femmes s'était installée sans son ordre dans une des chambres.
D'une taille majestueuse, d'un teint éclatant, elle était déparée par un embonpoint excessif. Sa mauvaise santé l'obligeait d'aller fréquemment aux eaux de Cambo ou à celles de Tercis.
Menant une vie fastueuse, elle était très aimée des habitants de Bayonne. Malgré son énorme pension, elle fit 1.200.000 livres de dettes que Ferdinand VI acquitta avant son départ de Bayonne (17 septembre 1738). La population l'accompagna en grande pompe jusqu'à Lorminthoa.
Gravement indisposée en passant à Pampelune, elle mourut à Guadalajara, le 16 juillet 1740.
D'après la tradition locale, que ne confirme pas l'état civil, elle aurait eu, pendant son séjour à Bayonne, une fille du chevalier de Larreteguy, dont le frère aurait été détenu longtemps au château d'If pour avoir crié : Place à ma belle-soeur! un jour que la reine était arrêtée dans les rues de Bayonne par un encombrement. Le chevalier de Larreteguy se maria par la suite et eut un fils Charles-Léonard-Eugène de Larreteguy-Vignolles, capitaine aux chasseurs des Vosges (1).
(1) Epousa Marie-Catherine-Julie Potier. En 1787 possédait une maison rue de la Chaussée-d'Antin. Il figura sur les listes des émigrés sous le nom dénaturé de Larritigny-Vignolles.
310 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Si Saint-Germain était le fils de Marie de Neubourg, on ignore si son père était Matteuci, Adanero, Larreteguy ou un autre, car d'après les mémoires de Grosley, vers 1763, les grands banquiers de Hollande disaient qu'il était fils d'une princesse réfugiée à Bayonne au commencement du XVIIIe siècle et d'un juif portugais de Bordeaux, version acceptée par le duc de Choiseul,
Si l'on s'en rapporte aux confidences de Saint-Germain, son origine serait très différente. Voici ce que raconte le prince de Hesse sur ce singulier personnage qui avait été son commensal pendant ses dernières années (1) :
« A mon retour de la guerre de succession de Bavière, fin août 1779, je vis à Altona le comte de Saint-Germain, qui parut vouloir m'accorder son amitié, surtout quand il apprit que je n'étais pas un paresseux et que je n'avais pas de prédilections pour d'autres études qui auraient pu m'empêcher de m'occuper de sciences naturelles. Il me dit alors : « J'irai vous voir en Schleswig et vous verrez alors quelles grandes choses nous ferons ensemble. » - Je lui fis comprendre que j'avais beaucoup de raisons de ne pas répondre aussitôt à sa bienveillance. - Il me répondit : « Je sais que je suis obligé d'aller vous voir et de vous causer. » - Je ne sus trouver d'autre excuse pour échapper à ses instances que de lui dire que le commandant de Kappen, qui était resté en arrière pour cause de maladie, me suivrait quelques jours après et qu'il pourrait lui communiquer ce qu'il avait à me dire. Aussi j'écrivis à Kappen pour le prier de faire son possible et lui faire comprendre qu'il ne pouvait pas venir. Kappen vint à Altona et lui parla. Alors le comte lui dit : « Vous pourrez dire ce que vous voudrez, il faut que
(1) Mémoires du prince de Hesse, dictés par lui-même Le texte traduit que nous reproduisons est une analyse du texte très prolixe.
PROFILS MAÇONNIQUES 311
j'aille en Schleswig et je n'en démordrai pas, le reste s'arrangera ! Faites en sorte de me trouver là un logement. » Kappen me fit part de son désir que je ne pus approuver. J'avais du reste reçu bien des renseignements à l'armée prussienne sur cet homme peu ordinaire et j'avais surtout causé de lui avec mon ami le commandant Frankerberg qui me dit : « Vous pouvez être assuré que ce n'est pas un trompeur et qu'il possède de grandes connaissances. Il se trouvait à Dresde quand j'habitais cette ville avec ma femme. Il nous témoignait à tous deux beaucoup de bienveillance. Ma femme voulait vendre une paire de boucles d'oreilles. Un bijoutier lui en offrait un prix dérisoire. Elle en parlait en présence du comte qui lui dit: « Voulez-vous me les montrer? » ce qu'elle fit volontiers. Puis il reprit : « Voulez-vous me les confier pendant quelques jours?» Puis il les lui rendit embellies. Le bijoutier auquel elle les remontra lui dit: « Ce sont là de belles pierreries, elles sont toutes différentes de celles que vous m'avez montrées autrefois », et il lui en donna plus du double.
« Saint-Germain vint, peu après, à Schleswig. Il m'entretint de grandes choses qu'il voulait entreprendre pour le bien de l'humanité. Je n'avais nulle envie d'être son disciple, mais, peu après, je me fis un devoir de conscience de renoncer à des connaissances qui pouvaient m'être utiles, par un esprit de fausse sagesse et par avarice. Il parla beaucoup de rendre les couleurs plus belles, d'améliorer les métaux, et il soutint qu'il ne fallait pas chercher à produire de l'or alors même qu'on en trouverait la combinaison, et il resta inflexible sur ce point. Les pierres précieuses coûtent leur prix de premier achat, mais quand on sait les traiter, leur prix s'élève de beaucoup. Il n'y avait pour ainsi dire rien dans la nature qu'il ne savait améliorer ou utiliser. Il me communiqua presque toutes ses connaissances sur les sciences naturelles, mais il ne me donnait là que les premiers principes et m'abandonnait à moi-même pour trouver les moyens pratiques d'arriver au but et se réjouissait beaucoup sur mes progrès dans ces sortes de recherches.
« C'est ainsi qu'il fit par rapport aux métaux et aux pierres précieuses. Pour ce qui concerne les couleurs, il m'instruisit directement et me mit au courant de bien d'autres choses importantes. On sera peut-être curieux de connaître son
312 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
histoire et je désire la donner fidèlement en me servant de ses propres paroles, tout en ajoutant quelques notes explicatives. »
D'après Charles de Hesse, il avait 84 ans quand il vint en Schleswig et mourut à l'âge de 88 ou 89 ans. Il dit à ce prince qu'il était le fils du prince Rakoczy de Sickenburgen et de sa première épouse, née Tékely. Il fut placé sous la protection du dernier Medici, qui, pendant son enfance, le faisait coucher dans sa propre chambre. Quand il apprit que ses deux soeurs, filles de la princesse Charlotte-Amélie de Hesse-Rotenburg-Manfried (1), s'étaient soumises à l'empereur Charles VI et avaient reçu de ce souverain les noms de Saint-Charles et de Sainte-Elisabeth, il résolut de se nommer lui-même Saint-Germain, le Saint Frère.
Si le prince de Hesse ne peut authentiquer l'origine de Saint-Germain, il déclare avoir appris, par d'autres sources, que les derniers Medici l'avaient réellement beaucoup protégé. Les membres de cette grande famille florentine étaient très au courant des recherches scientifiques, et il n'est pas étonnant qu'il ait reçu d'eux ses premières connaissances sur ces matières. Saint-Germain déclara au prince de Hesse avoir découvert les forces de la nature par ses propres moyens et par des recherches persévérantes. Il connaissait les propriétés des simples et en avait composé des médicaments dont il usait personnellement et qui avaient contribué à fortifier sa santé et à prolonger sa vie. Il connaissait aussi tous les remèdes utilisés par les médecins de son temps. Cependant, après sa mort, les docteurs attaquèrent violemment la
(1) On a vu chap. VII p. 239, que le duc de Bouillon avait épousé une princesse de Hesse.
PROFILS MAÇONNIQUES 313
réalité de ses connaissances médicales. Il y avait, à Schleswig, un médecin nommé Labow, exerçant en même temps la profession de pharmacien. Il ne lui payait pas moins de 1.200 thalers par an pour préparer ses formules et en particulier un thé spécial connu sous le nom de thé de Saint-Germain et qu'on pouvait encore se procurer à l'époque où le prince de Hesse écrivait ses mémoires. Il le faisait vendre aux riches et distribuer gratuitement aux pauvres qu'il faisait aussi soigner avec succès par le Dr Labow. Ce qui n'empêche pas qu'après la mort de Saint-Germain, le prince de Hesse fut harcelé par des récriminations venues de toutes parts.
Saint-Germain voulut aussi fonder une fabrique de couleurs. Celle de M. Otto, maire et conseiller à Eckenforde, étant inoccupée depuis la mort de cet industriel, Charles de Hesse l'acheta dans de bonnes conditions, y installa son hôte et lui procura des tissus de soie et de lin. Il vit teindre en sa présence, dans une grande chaudière, quinze livres de soie suivant un procédé expérimenté au préalable dans une simple tasse. Malheureusement, sur ces entrefaites, Saint-Germain fut atteint de rhumatismes dont il ne se guérit jamais, malgré ses remèdes. Hesse allait le voir souvent à Eckenforde, et prétend qu'à chaque visite il acquérait de lui de nouvelles connaissances.
Quelque temps avant sa mort, le Prince le trouva très affaibli. Il déclinait à vue d'oeil. Après avoir dîné avec lui dans sa chambre à coucher, Saint-Germain l'obligea à s'asseoir près de son lit, lui parla avec abandon et lui fit de nombreuses prédictions. Au moment de se séparer, il le supplia de revenir le voir le plus tôt possible. A la visite suivante, Hesse le trouva beaucoup mieux, mais aussi beaucoup moins expansif.
314 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Néanmoins, lorsque le prince partit pour Cassel en 1783, Saint-Germain lui fit la confidence que, s'il venait à mourir pendant son- absence, il trouverait un billet cacheté à son adresse lui donnant toutes satisfactions. Ce billet, remis à des mains peut-être infidèles, ne lui parvint jamais. Au moment de le quitter, il l'avait supplié en vain à plusieurs reprises de lui révéler verbalement ce qu'il promettait de lui écrire ; il lui répondit : Oh ! combien je deviendrais malheureux, mon cher prince, si je me permettais de parler !
L'opinion de Charles de Hesse lui était exceptionnellement favorable. S'il faut croire les mémoires de ce prince, il n'aurait jamais rencontré un homme aussi sage, aimant autant l'humanité, ne demandant d'argent que pour le donner aux pauvres. Il pensait rendre les gens plus heureux en leur procurant des jouissances à des prix modérés ; brillantes étoffes aux belles couleurs. Très lucide, il connaissait l'histoire d'une façon admirable. Il avait séjourné dans tous les pays d'Europe, y compris la Turquie ; mais la France était son pays de prédilection. Présenté à Louis XV par Mme de Pompadour, il aurait été invité aux petits soupers de Marly. Le roi, qui avait grande confiance dans ses moyens, lui confia plusieurs missions diplomatiques à l'insu de ses ministres ; mais selon l'habitude de ce souverain, lorsque ses agents étaient brûlés, il les abandonnait. Envoyé dans ces conditions à la Haye pour négocier de la paix avec l'Angleterre, Choiseul en eut connaissance et résolut de le faire arrêter. Saint-Germain parvint à s'échapper et se réfugia en Allemagne sous le nom de comte de Weldona (Weil dope, bien fait).
Ses principes philosophiques étaient le plus pur matérialisme, qu'il défendait avec une telle habileté
PROFILS MAÇONNIQUES 315
qu'il était difficile de le contredire. Rien moins qu'admirateur du Christ, il se laissait aller à des attaques auxquelles Hesse fut obligé de répondre :
-- Mon cher comte, il ne dépend que de vous de croire ou de ne pas croire en Jésus-Christ; mais je ne vous cacherai pas que vous me causez un véritable chagrin lorsque vous parlez ainsi d'une croyance à laquelle je suis attaché.
Après un long silence, Saint-Germain lui répondit :
- Jésus-Christ n'est rien, mais vous faire de la peine c'est quelque chose ; aussi je vous promets de ne plus traiter ces questions en votre présence.
Néanmoins sur son lit de mort à Eckenforde, comme Hesse était absent, il pria le Dr Labow de dire au prince de Hesse, lorsqu'il reviendrait de Cassel, que Dieu lui avait fait la grâce avant de mourir de changer de manière de voir et que, sachant le plaisir que cela lui causerait, il pourrait, dans un autre monde, contribuer à son bonheur. Le récit de la mort de Saint-Germain, tel qu'il est exposé dans les mémoires du prince de Hesse, est en tous points conforme au récit qu'en fit ce prince au moment même des événements. Le 28 mai 1784, il écrivait en effet de Hanau à Willermoz
« ... Le fameux comte Saint-Germain a expiré le 27 février au matin, après une maladie d'une année et demie à peu près. Il me fit savoir, quelques semaines avant sa mort, par un homme de confiance, qu'il avait enfin appris par ce long terme de souffrances à se soumettre à Dieu. C'était un bien grand mot de sa part. Je ne sais si je vous ai fait part d'une des dernières conversations que j'ai eues avec lui. Vous savez qu'il disait : Je suis le plus ancien des maçons, mais il avait toujours fait semblant de ne rien savoir de la maçonnerie et des hautes connaissances ; cependant, la dernière année, bien des circonstances me confirmèrent le contraire. Enfin, dans une conversation bien intéressante, où il revenait
316 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
justement d'une agonie où il avait cru expirer, et moi qui étais présent n'en avais point douté, je commençais à entrer dans plusieurs détails avec lui, auxquels il me répondit avec une précision et promptitude surprenantes. Je lui demandais : Est-ce que vous avez connu un certain Marschal de Bieberstein ?
Rép. - Oui, très bien.
- Où l'avez-vous vu ?
- A Varsovie.
- Est-ce qu'il savait quelque chose 7
- Relata refero. Il ajouta : Me comprenez-vous bien, mon enfant ?
- Oui, mon cher comte ; je vois que cela veut dire qu'il avait des papiers et que cette instruction, il pouvait la donner à d'autres.
Il approuva cela.
- Feu Hund ne voulait pas nous tromper pourtant, n'est-ce pas ?
- Non ! c'était un bon homme.
Je dis ex abrupto : Qui était le prédécesseur de Marschall ?
Réponse très prompte et sans penser un instant : - Le baron Rod, à Kônigsberg.
Voici de toutes les preuves de notre filiation la seule bonne que j'aie jamais eue ; mais elle ne saurait l'être pour d'autres. J'ai cru vous faire plaisir en vous communiquant cette anecdote
(1)
Un autre document confirme encore l'exactitude de la date de sa mort ; c'est le relevé du registre de l'état civil de la ville d'Eckenforde (Schleswig) ; à la date du 2 mars 1784 il est fait la mention suivante :
Gestorben : am 27 Februar
Bestattet : am 2 Mars
Der sich so nennende Graf von St Germain und Wel-
(1) Dans le tome II, nous reviendrons sur cette conversation relative aux origines de la Stricte Observance.
PROFILS MAÇONNIQUES 317
dona, weitere nachrichten sind nicht beckannt worden in hiesiger kirche still beygesetzt (sic).
Décédé le 27 février.
- Enterré le 2 mars.
« Celui qui se donnait le nom de comte de St Germain et Weldona et sur lequel on n'a pas d'autres renseignements, a été enterré dans cette église. »
Nous avons vu dans le récit du prince de Hesse que Saint-Germain lui avait dit positivement qu'il était fils du prince Rakoczy et de sa première femme née Tékely et qu'il avait 84 ans vers 1780, époque de son arrivée à Schleswig. Il serait donc né vers 1696 et probablement en Transylvanie ou en Hongrie. Un chercheur heureux aura peut-être la bonne fortune de trouver son acte de naissance, si Saint-Germain a dit la vérité au prince de Hesse.
Le plus célèbre des Rakoczy, le père supposé de Saint-Germain, est surtout connu du public français par la marche qui porte son nom et que Berlioz a immortalisée (1). François-Léopold Rakoczy, né en 1676 au château de Borshi, près de Patak, était le descendant de Georges Ier Rakoczy, prince de Transylvanie (1591-1648). Il épousa en effet une Tékely en premières noces et en secondes noces, en Italie, une princesse de Hesse. Soutenu par Louis XIV, après avoir lutté avec énergie contre l'Autriche, il dut se réfugier à Paris au commencement de 1713, où le grand roi lui fit une pension de 100.000 livres. Ces ressources étant, paraît-il, insuffisantes, car il avait avec lui une suite nombreuse de
(1) Cette marche, attribuée successivement à Barna Mihali, à Scholes et à Bihari, n'est certainement pas l'oeuvre de Rakoczy. (Voir Intermédiaire des Ch. et des C. 1907.)
318 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
compatriotes, Rakoczy aurait augmenté son revenu en donnant à jouer à l'hôtel du Pérou, rue Jacob, puis à l'hôtel de Transylvanie, qu'il avait loué quai Malaquais (1). D'un tempérament excessif, quand Rakoczy n'était pas à la tête de ses bandes de Kuruczes, il menait une vie d'ascète. C'est ainsi qu'après avoir séjourné à Paris, à Passy et à Clagny, il se réfugia, en 1714, chez les camaldules de Grosbois. Le 26 août 1717, il prit congé des bons Pères pour reprendre son aventureuse existence. En 1718, il se rendit à l'appel du sultan, qui venait de déclarer la guerre à l'Autriche. Bien qu'il n'ait rien pu tenter contre les impériaux, par suite de la victoire du prince Eugène à Belgrade, il fut traité avec beaucoup d'égards par la Porte ; après la paix de Passarovitz, il se retira à Radosto, non loin de la mer de Marmara, menant avec les siens une vie monacale jusqu'à sa mort, le 8 avril 1735.
Faut-il voir dans cette personnalité chevaleresque le père du comte de Saint-Germain ? Je laisse cette hypothèse vraisemblable à vérifier aux chercheurs hongrois qui s'intéressent à la haute figure de Rakoczy.
Si, abandonnant le récit du prince de Hesse, nous cherchons, dans les mémoires contemporains, ce qui a pu être dit sur les origines et sur les actes de Saint-Germain, nous ne trouvons que les affirmations conformes à celles du prince.
(1) Hôtel Lautrec. Cet immeuble est occupé en partie de nos jours par M. Rapilly, marchand d'estampes. Voir la très intéressante étude de M. Mouton sur l'hôtel de Transylvanie. C'est à l'hôtel de Transylvanie que l'abbé Prévost fait jouer Manon et le chevalier des Grieux.
PROFILS MAÇONNIQUES 319
Nous analyserons successivement les principales d'entre elles.
Dans ses souvenirs, le comte de Gleichen (p. 121) nous raconte que
« revenant à Paris en 1759, il fit une visite à la veuve du chevalier Lambert, qu'il avait connue précédemment ; il y vit entrer après lui un homme de taille moyenne, très robuste, vêtu avec une simplicité magnifique et recherchée. Il jeta son chapeau et son épée sur le lit de la maîtresse du logis, se plaça dans un fauteuil près du feu et interrompit la conversation en disant à l'homme qui parlait : - Vous ne savez pas ce que vous dites, il n'y a que moi qui puisse parler sur cette matière, que j'ai épuisée, tout comme la musique que j'ai abandonnée, ne pouvant plus aller au delà.
« Je demandais avec étonnement à mon voisin qui était cet homme-là, poursuit Gleichen, et il m'apprit que c'était le fameux M. de Saint-Germain, qui possédait les plus rares secrets, à qui le roi avait donné un appartement à Chambord, qui passait à Versailles des soirées entières avec S. M. et Mme de Pompadour et après qui tout le monde courait quand il venait à Paris. »
Mme Lambert invita Gleichen à dîner pour le lendemain avec Saint-Germain : celui-ci faisait la cour à sa fille et logeait dans la maison. Gleichen, médusé par le personnage, ayant risqué quelques propos sur la peinture, eut l'approbation de Saint-Germain qui, après le dîner, lui montra une dizaine de tableaux merveilleux. Il lui fit également voir des pierreries et surtout des diamants de couleur d'une grosseur et d'une perfection surprenantes. Saint-Germain raconta qu'il avait assisté à l'histoire, en témoin : Henri VI, François 1er, etc., lui avaient parlé.
« Ces bêtes de Parisiens, dit-il à Gleichen, croient que j'ai 500 ans et je les confirme dans cette idée parce que je vois que cela leur fait tant de plaisir ; ce n'est pas que je sois infiniment plus vieux que je ne parais. »
Lord Gower, qui contrefaisait admirablement les gens, se fit passer un jour dans un salon du Marais pour Saint-Germain et déclara avoir connu particulièrement Jésus-Christ, la sainte
320 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Vierge; sainte Elisabeth, et même sainte Anne. C'est cette facétie qui fit croire que Saint-Germain avait dix-sept cents ans.
Quoi qu'il en soit, Rameau et une vieille parente de l'ambassadeur de France à Venise, assurèrent avoir connu Saint-Germain dans cette ville en 1710 et qu'il paraissait alors avoir 50 ans ; en 1759 il paraissait en avoir 60. Et le secrétaire de Gleichen, Morin, qui l'avait connu en Hollande en 1735, ne le trouvait pas changé. A sa mort, en 1780, on lui donnait toujours 60 ans (nous avons vu qu'il mourut en 1784). Sa philosophie était celle de Lucrèce. Il laissait volontiers planer le mystère sur la noblesse de son origine et racontait son enfance environnée d'une suite nombreuse, sur des terrasses magnifiques, sous un soleil radieux. En fait, personne n'a rien su de lui.
Il parlait l'allemand, l'anglais et le français avec un accent piémontais, et l'espagnol et le portugais sans le moindre accent,
Il se serait fait appeler autrefois marquis de Montferrat. Le vieux baron de Stoch a dit à Florence que sous la Régence, il avait connu un marquis de Montferrat qui passait pour un fils naturel de la veuve de Charles II, retirée à Bayonne, et d'un banquier de Madrid.
Saint-Germain fréquentait chez M. de Choiseul, qui un jour, en présence de Gleichen, dit à sa femme qu'il lui défendait de suivre le régime d'un homme aussi équivoque que Saint-Germain.
Le bailli de Solar ayant demandé si on savait qui il était, Choiseul répondit que c'était le fils d'un juif portugais, qui trompait la crédulité de la cour et de la ville, et qu'il était dangereux de laisser le roi seul avec un semblable personnage.
Saint-Germain était l'âme damnée du maréchal de Belle-Isle. Il aurait été envoyé avec les instructions du maréchal, approuvées par le roi, à la Haye pour traiter avec le duc Louis de Brunswick d'une alliance avec la Prusse et d'une rupture avec l'Autriche.
M. d'Affry, ambassadeur du roi en Hollande, se plaignit à Choiseul et réclama aux états généraux de lui livrer Saint-Germain pour l'envoyer à la Bastille. Le roi n'osa pas intervenir et laissa toute liberté à Choiseul. Saint-Germain parvint à s'échapper en Angleterre (1). De là, il se rendit à Pétersbourg, à Dresde, à Venise, à Milan. En 1770, il reparaît à Libourne avec un nom et un uniforme de général russe.
Gleichen termine en racontant son séjour chez le margrave
(1) Dans les Nouvelles de Londres du 10 mai 1760, reproduites dans la Gazette de France du 24 mai suivant (p. 249), nous lisons : « Le prétendu comte de Saint-Germain a été arrêté dans cette ville et il a été confié à la garde d'un messager d'Etat. »
PROFILS MAÇONNIQUES 321
d'Anspach et sa mort à Eckenfeerde, chez le prince Charles de liesse.
De son côté Mme du Hausset, dans ses Mémoires publiés par Crauford, donne sur lui d'intéressants détails (1).
« Il venait souvent chez Mme de Pompadour un homme qui était bien aussi étonnant qu'une sorcière. C'est le comte de Saint-Germain, qui voulait faire croire qu'il vivait depuis plusieurs siècles. Un jour, Madame lui dit devant moi, à la toilette : - Comment était fait François 1er? C'est un roi que j'aurais aimé. - Aussi était-il très aimable, dit Saint-Germain, et il dépeignit ensuite sa figure et toute sa personne comme l'on fait d'un homme qu'on a bien considéré. - C'est dommage qu'il fût trop ardent. Je lui aurais donné un bien bon conseil qui l'aurait garanti de tous ses malheurs ; mais il ne l'aurait pas suivi, car il semble qu'il y ait une fatalité pour les princes qui ferment leurs oreilles, c'est-à-dire celles de leur esprit, aux meilleurs avis, surtout dans les moments critiques. - Et le Connétable, dit Madame, qu'en dites-vous? - Je ne puis en dire trop de bien et trop de mal, répondit-il. - La cour de François 1er était-elle fort belle ? - Très belle, mais celle de ses petits-fils la surpassait infiniment ; et du temps de Marie Stuart et de Marguerite de Valois, c'était un pays d'enchantement, le temple des plaisirs ; ceux de l'esprit s'y mêlaient. Les deux reines étaient savantes, faisaient des vers, et c'était un plaisir de les entendre. Madame lui dit en riant : - Il semble que vous ayez vu tout cela. - J'ai beaucoup de mémoire, dit-il, et j'ai beaucoup lu l'histoire de France. Quelquefois je m'amuse non pas à faire croire, mais à laisser croire, que j'ai vécu dans les plus anciens temps. - Mais enfin vous ne dites pas votre âge, et vous vous donnez pour fort vieux. La comtesse de Gergy, qui était, il y a cinquante ans, je crois, ambassadrice à Venise, dit vous y avoir connu tel que vous êtes aujourd'hui. - Il est vrai, Madame, que j'ai connu, il y a longtemps, Mme de Gergy. - Mais, suivant ce qu'elle dit, vous auriez plus de cent ans
(1) Mém. de Mme du Hausset, p. 148 et 179.
322 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
à présent ? - Cela n'est pas impossible, dit-il en riant ; niais je conviens qu'il est encore plus possible que cette dame, que je respecte, radote. - Vous lui avez donné, dit-elle, un élixir surprenant par ses effets ; elle prétend qu'elle a longtemps paru n'avoir que vingt-quatre ans. Pourquoi n'en donneriez-vous pas au roi ? - Ah ! Madame, dit-il avec une sorte d'effroi, pour que je m'avise de donner au roi une drogue inconnue, il faudrait que je fusse fou.
Je rentrai chez moi pour écrire cette conversation. Quelques jours après, il fut question entre le roi, Madame, quelques seigneurs et le comte de Saint-Germain, du secret qu'il avait de faire disparaître les taches des diamants. Le roi se fit apporter un diamant médiocre en grosseur qui avait une tache. On le fit peser, et le roi dit au comte : - Il est estimé six mille livres, mais il en vaudrait dix sans la tache. Voulez-vous vous charger de me faire gagner quatre mille francs ? Il l'examina bien et dit : - Cela est possible, et dans un mois je le rapporterai à Votre Majesté. - Le comte, un mois après, rapporta au roi le diamant sans tache ; il était enveloppé dans une toile d'amiante qu'il ôta. Le roi le fit peser, et à quelque petite chose près, il était aussi pesant. Le roi l'envoya à son joaillier, sans lui rien dire, par M. de Gontaut, qui rapporta 9600 fr. ; mais le roi le fit redemander pour le garder par curiosité. Il ne revenait pas de sa surprise, et il disait que M. de Saint-Germain devait être riche à millions, surtout s'il avait le don de faire avec de petits diamants de gros diamants. Il ne dit ni oui ni non ; mais il assura très positivement qu'il savait faire grossir les perles et leur donner la plus belle eau. Le roi le traitait avec considération, ainsi que Madame. C'est elle qui m'a raconté ce que je viens de dire.
M. Quesnay m'a dit, au sujet des perles : - C'est une maladie des huîtres, et il est possible d'en savoir le principe. Ainsi M. de Saint-Germain peut grossir les perles ; mais il n'en est pas moins charlatan, puisqu'il a un élixir de longue vie, et qu'il donne à entendre qu'il a plusieurs siècles ; le maître au reste en est entêté et en parle quelquefois comme étant d'une illustre naissance.
Je l'ai vu plusieurs fois, il paraissait avoir 50 ans ; il n'était ni gras ni maigre ; avait l'air fin, spirituel, était mis très simplement, mais avec goût, et portait aux doigts de
PROFILS MAÇONNIQUES 323
très beaux diamants, ainsi qu'à sa tabatière et à sa montre. Il vint, un jour où la cour était en magnificence, chez Madame, avec des boucles de souliers et de jarretières de diamants fins si belles, que Madame dit qu'elle ne croyait pas que le roi en eût d'aussi belles. Il passa dans l'antichambre pour les défaire et les apporta pour les voir de plus près ; et en comparant les pierres à d'autres, M. de Gontaut, qui était là, dit qu'elles valaient au moins 200.000 fr. II avait ce même jour une tabatière d'un prix infini, et des boutons de manches de rubis qui étaient étincelants. On ne savait pas d'où cet homme était si riche, si extraordinaire, et le roi ne souffrait pas qu'on en parlât avec mépris et raillerie. On l'a dit bâtard d'un roi de Portugal.
M. de Saint-Germain dit un jour au roi : - Pour estimer les hommes, il ne faut être ni confesseur, ni ministre, ni lieutenant de police. Le roi lui dit : - Et roi. - Ah ! dit-il, Sire, vous avez vu le brouillard qu'il faisait, il y a quelques jours ; on ne voyait pas à quatre pas. Les rois, je parle en général, sont environnés de brouillards encore plus épais, que font naître autour d'eux les intrigants, les ministres infidèles; et tous s'accordent, dans toutes les classes, pour lui faire voir les objets sous un aspect différent du véritable.
J'ai entendu cela de la bouche du fameux comte de Saint-Germain, étant auprès de Madame, qui était incommodée et dans son lit. Le roi y vint et le comte, qui était très bien vu, avait été reçu. Il y avait là M. de Gontaut, Mme de Brancas et l'abbé de Bernis. Je me souviens que le même jour, le comte étant sorti, le roi tint un propos qui fit de la peine à Madame. Il était question du roi de Prusse, et le roi dit: - C'est un fou qui risquera le tout pour le tout, et qui peut gagner la partie, quoique sans religion, sans moeurs et sans principes. Il veut faire du bruit, et il en fera ; Julien l'Apostat en a bien fait. - Jamais, dit Madame, lorsqu il fut sorti, je ne l'ai vu si animé ; mais enfin la comparaison de Julien l'Apostat n'est pas mauvaise, vu l'irréligion du roi de Prusse, S'il se tire d'affaire avec tous les ennemis qu'il a, il sera dans l'histoire un grand homme. M. de Bernis lui dit : - Madame est juste dans ses jugements, car elle n'a pas lieu, ni moi non plus qui l'approuve, de s'en louer. »
324 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Enfin Dufort de Cheverny (1) décrit le personnage d'une façon qui mérite d'être retenue :
« ... Chez deux jeunes femmes fort aimables, qui voyaient la meilleure compagnie de Paris et tout ce qui faisait le plus de bruit, il rencontra le fameux Saint-Germain, Rose-Croix, Juif errant, qui a fait des pierres et diamants à Chambord, et s'est éclipsé depuis, pour finir, très âgé, obscurément, dans une petite ville d'Allemagne. C'était un petit homme de 45 ans (1747), d'une figure très commune, mais fort spirituel ; magnifique pour donner des bagatelles aux femmes, parlant avec feu et bien, mais par énigmes, donnant ou laissant toujours quelque chose à deviner ; se vantant de connaître comme de visu les personnages les plus fameux dont on lui parlait, s'enveloppant d'un nuage sur son âge et sur sa vie, parlant de tout, comme s'il avait tout appris, se trompant du reste souvent. »
L'abbé Barruel, parlant de la société qui se réunissait à Ermenonville après la mort de J.-J. Rousseau, sous la direction du R? F? de Saint-Germain, « ose avancer, dit Abraham (2), que les femmes réunies dans cette société étaient communes aux ff?, à l'exception de celle que le chef avait choisie ; cette assertion est contraire à toute vérité. Tous ceux qui, comme moi, ont eu l'avantage de connaître le f? de Saint-Germain, peuvent assurer qu'il n'a jamais donné ni des exemples ni des leçons de libertinage... »
Pour être juste, il faut reconnaître, en effet, que les accusations portées contre Saint-Germain par Barruel (3), ne peuvent être exactes en ce qui concerne sa participation aux orgies d'Ermenonville. Car les faits qu'il relate se passèrent en 1785, et, à cette époque, Saint-Germain était mort depuis plus d'un an.
D'après des renseignements particuliers qui m'ont été obligeamment fournis par le prince Charles de Loevens-
(1) Mémoires, I, 56. -
(2) Histoire du Jacobinisme, IV, 270.
(3) Miroir, III, 17.
PROFILS MAÇONNIQUES 325
tein : « Au cours de ses nombreux voyages, Saint-Germain arriva à Leipzig, en 1777, où il se présenta sous le nom de comte de Weldona ; il disait également s'appeler le prince Rakoczy. Il fit dans cette ville la connaissance du conseiller du Bose. Ce conseiller, dans une lettre au prince Frédéric-Auguste de Brunswick, déclare que Saint-Germain est expert en matière de teinture de la laine et de la soie et qu'il est à la tête d'une manufacture d'indienne à Moscou ; il savait également colorer les pierres précieuses, sauf le diamant, mais ne savait fabriquer ni l'or, ni les pierres. En présence du conseiller intime Wurmb, qui le fit venir à Dresde, il avoua avoir entre 60 et 70 ans, être f?-m? au 4e degré, mais qu'il ignorait les secrets de la secte. »
Ce qui ressort de cet ensemble de documents, c'est que Saint-Germain était f?-m?, et plus avancé en grade qu'il lui plaisait parfois de le reconnaître. D'après Le Couteulx (1), il aurait été initié par Schaepfer. Il fit, dans tous les cas, partie de la Stricte Observance d'Allemagne (2).
Je ne connais qu'une oeuvre de Saint-Germain : c'est un manuscrit relié en veau, de forme triangulaire, écrit sur parchemin en caractères particuliers. Il a pour titre : La Magie sainte révélée : Mosé retrouvé dans un monument égyptien et pieusement conservé en Asie sous la devise d'un dragon ailé.
Le faux-titre porte la mention suivante : Ex dons
(1) Les Sectes et sociétés secrètes, p. 151.
(2) Voir également sur Saint-Germain : Gérard de Nerval ; les Illuminés, p. 227.-Mounier, de l'Influence..., p. 139-143. - Doinet, La Loque noire. - La Mothe-Langon, le Comte de Saint-Germain et la Marquise de Pompadour (pour mémoire). - Mémoires de Casanova, III, 250. - Voltaire, édit. Beuchot, LIII, 393, et LVIII, 360, 390. - Bulaü, etc.
326 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
sapientissimi comitis Saint-Germain qui orbem terrarum percucurrit (1).
Saint-Germain fut à coup sûr un précurseur élégant de Cagliostro. Sa mentalité maçonnique est particulièrement intéressante à étudier.
Sur sa personne il laisse planer un mystère qui doit éveiller la curiosité, attirer des sympathies. Virtuose dans l'art du mensonge, il ne dit pas de contrevérités; mais par son silence il sait, mieux que par les plus savants discours, accréditer les fausses légendes qu'on répète sur son compte. Il a la rare faculté de savoir se taire et d'en profiter avec habileté. Probablement possesseur d'une fortune moyenne, il sut à propos faire d'utiles sacrifices d'argent : ainsi donna-t-il à Louis XV un diamant de 10 000 au lieu et place d'une pierre de 6 000 ; nous l'avons vu employer en Allemagne le même procédé. A ces manoeuvres, il trouvait vite son compte de toutes façons. Ces sacrifices étaient de bons placements : affichage et réclame judicieux et productifs.
Eut-il dans la f?-m? un rôle dirigeant, prépondérant ? Certes non, car personne n'eut ce rôle. Il semble avoir été surtout un frère de la section des sciences vraies ou fausses, et surtout un frère industriel habile. Mystificateur de premier ordre, après avoir vécu comme s'il avait une fortune qui permît de ne pas compter, il mourut, semble-t-il, sans fortune. Il mentit en silence jusqu'à sa dernière heure, et, inconsciemment, ses adeptes le font encore mentir du fond de sa tombe, d'où ils le font sortir, revivre et circuler encore de nos jours.
(1) Ce manuscrit appartient à M. Potier.
PROFILS MAÇONNIQUES 327
LEBRETON (1708-1779)
André-François Lebreton, né à Paris le 21 août 1708, fut le premier maître de loge dont le nom soit parvenu jusqu'à nous. Sa loge avait pour titre : le Louis d'argent (1).
En 1725, à la mort de Laurent d'Houry, qui avait imaginé l'Almanach Royal en 1683, sa veuve continua la publication de ce recueil et s'adjoignit pour sa rédaction son petit-fils Lebreton, qui devint à son tour imprimeur de l'almanach en 1744. Lebreton, qui avait épousé Marguerite Devaux, mourut sur la paroisse de Saint-Séverin, le 4 octobre 1779. Son acte de décès porte qu'il était premier imprimeur du roi, ancien juge-consul et syndic de la librairie. Il fut inhumé dans le charnier du Crucifix de cette église, en présence de Laurent d'Houry, imprimeur de S. A. S. Mgr le duc d'Orléans, de son cousin germain, et d'André-François Debure, libraire, gendre du Sr d'Houry. Sur son testament, déposé le 30 août 1779 chez Me Boursier (aujourd'hui Me Georges Meunier, notaire, 94, boulevard Montparnasse), il laissa aux pauvres de la paroisse Saint-Séverin une somme de 1.200 francs et pareil legs à ceux de Massy (Palaiseau). En bon chrétien, il demande qu'il soit dit, tous les ans à perpétuité, une messe le 30 novembre, tant à Saint-Séverin qu'à Massy, pour le repos de son âme, et laisse à cet effet 100 francs de rente à chacune de ces fabriques. A l'abbé Lebreton de la Lonetière, il fait don d'un exemplaire du dictionnaire de Ducange et de quatre volumes de Fables de la
(1) Voy. chap. IV, et monographies des loges.
328 LA FRANC-MAÇONNERIE EN. France
Fontaine, illustrés par Oudry ; au curé de sa paroisse, l'abbé Cantuel de Blanus, il lègue une tabatière d'or.
Jusqu'à la fin de sa vie, Lebreton assista religieusement à toutes les tenues du G? O? et sa signature figure parmi celles des vénérables doyens à côté de celles de Carbonel, Puisieux, Le Lorrain, Leveillé, etc.
Pour ne rien celer, je suis obligé d'avouer que Lebreton fut embastillé comme un simple gentilhomme : entré à la Bastille le 23 avril 1766, par ordre contresigné Saint-Florentin (un f?-m?), il en sortit le 30 ; « on ne sait pas exactement le motif de sa détention, nous dit M. Funck-Brentano, auquel il faut toujours emprunter quelque chose lorsqu'on parle de la Bastille; mais il paraît que son crime n'était pas capital et que sa faute n'était qu'une imprudence occasionnée par l'envie qu'il avait d'obliger. »
BACON DE LA CHEVALERIE
(1731-1821) (?)
Parmi les nombreuses variétés de f?-m? que vit éclore le XVIIIe siècle, une des plus curieuses est sans contredit celle des rêveurs naïfs, imaginatifs convaincus, se livrant au travail spéculatif de loge, alchimie du cerveau. Parmi ces maçons, disciples de Swedenborg, de Martines de Pasqually ou de Saint-Martin, figurent les Willermoz, le duc de Luxembourg, Roettiers de Montaleau et Bacon de la Chevalerie.
La branche des Bacon à laquelle appartenait Bacon de la. Chevalerie, fixée dans le Lyonnais, sortait vraisemblablement des Bacon de Normandie dont la famille avait été illustre. Par contrat du 10 juillet 1390, Jean de Luxembourg épousa Alice de Flandre,
PROFILS MAÇONNIQUES 329
dame de Richebourg, fille de Jeanne Bacon, dame de Molay. Cette descendance incertaine n'était pas faite pour déplaire à Jean-Jacques Bacon, qui par la suite n'hésitait pas à rappeler qu'il tenait par alliance au templier Jacques Molay.
En 1514, nous trouvons un Bacon tabellion en Normandie. A partir de cette époque, la famille des Bacon semble avoir mené une existence nomade. Thomas Bacon, officier des armées du roi vers 1760, laisse trois fils.
En 1700, Pierre Bacon de Lambrine, seigneur de Gourdet, ancien lieutenant au régiment d'Auvergne-infanterie et volontaire dans le régiment de cavalerie d'Audicourt, habitait à Saint-Marias-lez-Bourges, en la sénéchaussée de Guyenne, et fournissait ses lettres de noblesse. Son frère aîné, Pierre, avait été successivement volontaire dans les gardes du roi, lieutenant au régiment de Jonzac et volontaire au régiment d'Audicourt ; son frère cadet, Girard de Bacon, seigneur de Bardes, avait servi en qualité de cadet aux régiments de Nazze et de Jonzac. On trouve enfin, à la date du 17 juillet 1709, le contrat de mariage de Henri-Louis Bacon, fils de Jean, qui épouse une de ses parentes, Marguerite Bacon, fille de Claude Bacon, conseiller du roi, lieutenant des traites foraines à Châlons.
Jean-Jacques Bacon de la Chevalerie naquit à Lyon, sur la paroisse Saint-Paul, le 8 janvier 1731. Il était fils de Daniel Bacon de la Chevalerie, et de Claudine André, sa légitime épouse. Il eut pour parrain Jean Bonnat de Mably, prévôt général des provinces de Lyonnais, Forest et Beaujolais, père du célèbre abbé, et pour marraine demoiselle Jacqueme Basset, épouse de Jean-Baptiste Bay, seigneur de Curis.
En 1746, Jean-Jacques Bacon, âgé de 15 ans, entre
330 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
dans la seconde compagnie des Mousquetaires de la garde du roi, dits Mousquetaires noirs, dont le capitaine-lieutenant était, depuis 1729, le marquis de Montboissier. En 1747, il est successivement lieutenant en second et lieutenant au régiment de Custine-infanterie. En 1757, il est aide-major dans le corps des volontaires du Dauphiné ; l'année suivante, à la date du 1er mars, il prend rang comme major de ce régiment, puis passe la même année dans un régiment de dragons en qualité de capitaine. En août 1761, il est pensionné de 500 fr. ; en octobre, il est lieutenant-colonel et commande un corps de 300 hommes d'infanterie, et le 15 octobre, il est décoré de Saint-Louis.
Par ordonnance du 3 décembre 1762, il est employé à Saint-Domingue avec 2.000 francs d'appointements.
Au commencement de 1768, il remplissait encore les fonctions de lieutenant-colonel d'infanterie dans cette colonie, et il attendait, depuis sept ans, sa nomination de brigadier (1). Le retard apporté à sa nomination provenait des inimitiés puissantes qu'il s'était créées dans la famille de sa femme ; d'après une note sans date du bureau des colonies, « il avait épousé à Saint-Domingue une parente de Fournier de la Chapelle, procureur général, et ce fonctionnaire, mécontent de ce mariage, s'était dispensé d'assister au mariage. Bacon était en discussion et en échange d'injures avec son beau-père, et disait à qui voulait l'entendre que sans l'âge et la grosseur énorme du père de sa femme, il aurait terminé la discussion par des voies de fait. Un procès était en instance devant le juge du Cap. Il avait été décerné contre lui un décret d'arrestation lorsque le
(1) Ministère de la guerre. Dans ses lettres des 7 janvier et 2 février 1768, il dit qu'il a sept enfants dont cinq fils.
PROFILS MAÇONNIQUES 331
vicomte de Belzunce fit arrêter les poursuites en se faisant remettre la procédure ». Néanmoins, à la suite de ces scandales, Bacon dut rentrer en France pour que l'affaire n'eut pas de suites. Il était du reste très éprouvé par le climat, et son frère venait de mourir de la dysenterie.
Le 20 août 1768, il prend rang comme colonel d'infanterie. Le 1er juillet sa pension est réglée à 2.650 francs, et le 1er mars 1780 il est nommé brigadier d'infanterie. Enfin, en décembre 1789, il est désigné par les électeurs des communes du département du nord de Saint-Domingue comme capitaine général des troupes patriotiques avec rang de lieutenant général.
Avec cette carrière si bien remplie, Bacon ajoutait de brillants états de service. Il s'était trouvé aux sièges de Berg-op-Zoom, des forts Rowere et Mormond, de Lille et de Maestricht ; il avait pris part aux batailles de Lawfeld, Minden et aux combats de Warburg et de Corbach.
Il avait reçu un coup de feu à la jambe au siège de Berg-op-Zoom, avait eu le pied percé de part en part d'un coup de baïonnette, et l'épaule cassée à la surprise de Zierenberg ; après avoir eu trois chevaux tués sous lui, il avait été fait prisonnier.
Le 10 octobre 1759, il avait attaqué et enlevé à Kesselback un détachement de dragons ennemis, plus nombreux que celui qu'il commandait. Pendant la retraite de Minden, il avait pris le service d'aide maréchal général des logis à la tête de la colonne d'artillerie par ordre du maréchal de Contades.
Aussi, en 1780, lorsqu'il prend sa retraite provisoire, ses notes sont-elles excellentes ; elles portent : « officier qui a des talents militaires, très intelligent ».
Sa nomination de lieutenant général commandant la
332 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
partie nord de Saint-Domingue fut confirmée par un décret sanctionné par le roi en 1790. Rentré en France pour prendre les ordres de Louis XVI au sujet de cette colonie dont l'ordre était gravement compromis, il pouvait dire que, pendant son commandement, pas une goutte de sang n'avait été répandue. Lorsqu'il arriva à Paris, la monarchie allait succomber, il fut aussitôt arrêté, mis en prison, et dépouillé de tout ce qu'il possédait, même de ses papiers. Sa pension fut liquidée à 167 francs. Pendant « vingt ans il dut vivre du travail de ses mains, ne voulant pas plier devant l'usurpateur du trône de ses maîtres (1) ».
Le 16 mars 1815, il expose qu'il est dans une misère extrême, qui ne lui permet pas de se procurer un habit et une croix de Saint-Louis pour être présenté au roi qui lui a fait une pension de 1.200 francs ; qu'il ne peut retirer son brevet de maréchal de camp, parce qu'il ne peut payer le droit de sceau ; qu'il a 85 ans et qu'il est chevalier de Saint-Louis depuis 54 ans ; qu'il est malade d'un catarrhe ; que, « vieux serviteur du roi, il brûle de sacrifier à son service le reste de sa vie. »
Sur la chemise du dossier, il est fait mention qu'une pension supplémentaire de 800 francs lui avait été accordée le 1er juillet 1819.
Le 19 janvier 1821, il réclamait encore, rappelant qu'il avait 90 ans et que lorsqu'il parvint en France, en 1792, il avait été témoin « de la chute de son infortuné monarque et avait été plongé lui-même dans des cachots où il avait langui vingt-cinq mois ».
Je n'ai pu découvrir la date de la mort de Jean-Jacques Bacon de la Chevalerie.
En juillet 1844, le ministère de la guerre ignorait la
(1) Ministère de la guerre, lettre du 14 juillet 1814.
PROFILS MAÇONNIQUES 333
date et le lieu de son décès et faisait faire des recherches qui demeurèrent infructueuses. Son dernier domicile connu était 42, rue du Four-Saint-Germain (1821) près le G? O?
La vie maçonnique de Bacon fut aussi longue que sa vie militaire. Disciple de Martines de Pasqually (1) et de Saint-Martin, Bacon dut débuter dans la maçonnerie entre 1750 et 1760.
En 1762, il était vénérable de la Félicité à l'Orient de Rouen et en 1764 vénérable de la loge militaire de Saint-Jean de la Gloire, alors à Lyon. Dans cette dernière loge il faisait, le 17 janvier 1766, en qualité de G? Orateur de la G? L? Prov?, l'oraison funèbre de Bay de Thelius, capitaine de dragons au régiment d'Autichamp. En 1766 il était substitut universel du G? M? des Elus Coëns. En 1768 il figurait parmi les disciples de Martines de Pasqually. Il collabora activement, de 1771 à 1773, à la formation du G? O?. C'est en partie grâce à son concours que la paix put être conclue, le 26 juin 1773, entre la loge Saint-Alexandre et celle des Amis réunis (2). Le 27 octobre suivant, c'est sur sa proposition que le G? O? arrête que les artisans, domestiques et gens de maison ne pourront être reçus que comme ff? servants et que les mots
(1) Lorsque Pasqually installa son tribunal souverain de Paris, en mars 1767, Bacon fut nommé substitut de Pasqually.
(2) Le rôle de Bacon en cette circonstance est assez louche. Il aurait voulu présider à une concentration maçonnique dans le genre de celle que tentait à la même époque la Stricte Observance templière en Allemagne. Membre des Amis réunis et de la Stricte Observance, il louvoya habilement entre les deux régimes, qui voulaient l'un et l'autre accaparer le G? O?. En fin de compte, Bacon fit le jeu des Philalèthes. En cela il obéit peut-être à l'influence des doctrines de Pasqually, bien qu'il eût été en froid avec son souverain maître, qui l'avait remplacé dans ses fonctions de substitut par le f? de Serre.
334 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
procès-verbaux et plumitifs seront remplacés par planches à tracer et esquisses. Très féru de la grande science, il est désigné, le 27 décembre de la même année, pour faire partie, avec le comte de Stroganoff et le baron de Toussainct, de la Commission des hauts grades.
Le 26 janvier 1774, il est président de la chambre de Paris et député de la G? L? provinciale de Lyon, de la Parfaite Amitié, des Vrais Amis réunis, de la Sagesse et de la Parfaite Union.
Le 2 avril 1775, il est un des fondateurs de la loge militaire de la Candeur, dont il est G? Orateur puis G? Aumônier.
En 1776, alors que l'on ne pouvait représenter que cinq loges au G? O?, il est député de l'Amitié et de la Française à l'O? de Bordeaux, de la Concorde à l'O? de Colmar, de la G? L? provinciale de Lyon, de l'Auguste Félicité à l'O? de Nancy et du Directoire écossais de Strasbourg.
Le 31 mai 1776, en qualité de G? Orateur du G? O?, il provoque le traité d'union entre le G? O? et les Directoires de la Stricte Observance de Lyon, Bordeaux et Strasbourg (1).
De 1777 à 1782, il rédigera les États du G? O? et représentera la Bienfaisance à 1'O? de Lyon.
Le 13 mai 1777, c'est lui qui fait à la Candeur le récit des persécutions subies à Naples par les f?-m? Lors de la formation de la loge d'adoption annexée à cet atelier, il composera les couplets chantés parle comte et la comtesse de Bethizy pour la réception de la comtesse de Rochechouart.
(1) Le 6 mars 1781, il provoquera la même union avec le directoire de Septimanie (Montpellier).
PROFILS MAÇONNIQUES 335
De 1782 à 1785, il se brouillera avec le G? O?
De 1785 à 1789, il sera le député au G? O? de la Bienfaisance à 1'O? de Grenoble, de l'Urbanité à l'O?, de Montpellier, de Saint-Jean à l'O? de Saint-Quentin, des Braves Maçons de Saint-Louis à l'O? de Saarbruck, de la Parfaite Union et de la Bonne Amitié à 1'O? de la Martinique.
En 1785 et en 1787, il sera convoqué aux convents organisés à Paris par les Philalèthes, en qualité de représentant de la Stricte Observance, dont il était grand profès sous le nom d'Eques ab apro.
Sous l'Empire, nous le retrouverons officier d'honneur du G? O?, dont il sera G? Expert en 1814. Il était aussi Vénérable d'honneur des Arts réunis à l'O? de Rouen.
En 1806, il se faisait affilier à l'ancienne académie des vrais maçons de Narbonne (Philadelphes) et était en relations fréquentes avec les Chefdebien, fondateurs du régime. Le 20 janvier 1806, il écrivait à l'un d'eux : « Je ne suis pas Philalèthe, mais je suis, comme vous le savez, substitut universel pour la partie septentrionale du R? ordre des Elus Coëns, rit intérieurement peu connu », et le 6 septembre suivant : « Je suis au rang de ces vieux animaux domestiques qui ne sont plus bons à rien et qu'on laisse vivre par charité. »
En 1808, Bacon s'était retiré dans le giron du G? O? et à chaque changement de domicile s'en rapprochait de plus en plus. De la rue Guisarde (1808), il se rend 6, rue du Vieux-Colombier (1814), et enfin, 42, rue du Four-Saint-Germain-des-Prés (1815-1821).
Fanatique de f?-m?, le travail de loge avait quelque peu atrophié son intelligence, et, pendant toute une période de sa vie, il fut affligé d'une folie spéciale que l'on rencontre fréquemment chez les martinistes : il se
336 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
croyait le fils de Dieu. Sorti de la f?-m?, il raisonnait comme tout le monde, ainsi que sa correspondance permet de le constater.
Le 31 octobre 1780, Willermoz, écrivant au duc de Brunswick, disait de lui « qu'il avait reçu depuis longtemps des connaissances distinguées, mais qui s'étaient fort effacées pour les avoir beaucoup négligées bien qu'il n'en convienne pas », et Willermoz ajoutait confidentiellement : « Il n'est point dans l'ordre intérieur de la classe de grand profès et il en ignore même l'existence. » Mais, ce qui est plus grave pour l'état mental de Bacon, c'est ce que Millanois écrivait sur lui à Willermoz le 14 août 1783: « J'ai vu la Chevalerie dont les affaires vont bien mal. Je ne suis pas étonné que vous soyez si éloignés l'un de l'autre; quoique vous ayez puisé dans les mêmes sources, vous pensez bien différemment : vous croyez en Jésus-Christ, et lui se croit semblable à lui. Voilà ce que je n'ai pas entendu sans étonnement et sans scandale. » Bacon de la Chevalerie est un des exemples les plus typiques des déformations cérébrales que produisait alors la f?-m?, même sur des cerveaux assez solidement constitués.
On se rendra compte de son état d'esprit par la lettre suivante, publiée par M. Baader (1) dans son intéressant ouvrage sur Pasqually « Un jour que je n'étais pas parfaitement pur, raconte Bacon, je combattais tout seul dans mon petit cercle, et je sentais que la force supérieure d'un de mes adversaires m'accablait et que j'allais être terrassé. Un froid glacial, qui montait de mes pieds vers le coeur, m'étouffait, et, prêt à être anéanti, je m'élançai dans le grand cercle poussé par une détermination obscure et irrésistible. Il me sembla
(1) Enseignements secrets de Martinès de Pasqually, p. XXXVI.
PROFILS MAÇONNIQUES 337
en y entrant que je me plongeais dans un bain tiède délicieux, qui remit mes esprits et répara mes forces dans l'instant. J'en sortis victorieux, et par une lettre de Pasqually, j'appris qu'il m'avait vu dans ma défaillance et que c'était lui qui m'avait inspiré la pensée de me jeter dans le grand cercle de la puissance suprême. » Et Bacon n'était pas un des plus exaltés parmi ceux qui s'occupaient de travail de loge !
ALEXANDRE DE STROGANOFF.
(1733-1811)
La f?m? française au XVIIIe siècle était essentiellement cosmopolite ; et autour des loges et dans les chapitres nous voyons figurer un nombre considérable d'étrangers, qui ne trouvant pas chez eux la liberté nécessaire, venaient en France où ils avaient la faculté de tout faire, d'autant plus grande que précisément ils étaient étrangers. Dans les loges françaises, ils ne sont pas des comparses et jouent souvent des rôles importants, se considérant comme chez eux ; il semble du reste qu'il y ait eu dans la f?-m? européenne un mot d'ordre général : les souverains étrangers étaient admirés, portés aux nues en France, tels Frédéric II, la grande Catherine, les rois de Danemark, de Suède, les petits princes souverains d'Allemagne. Ce qui même était plus inexplicable, plus dangereux, tous les ennemis du pouvoir royal en France étaient accueillis avec enthousiasme par les divers souverains, travaillant ainsi à. la perte des pouvoirs monarchiques avec une coupable inconscience. D'Allemagne, de Russie, de Pologne, de Suède, de Danemark, de Suisse, de Hollande et des Pays-Bas autrichiens nous arrivaient une foule de ma-
338 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
çons de toutes les conditions : philosophes, banquiers et grands seigneurs. Tous ces gens venaient préparer chez nous la recherche du grand oeuvre, le triomphe de la maçonnerie. Ils s'appelaient Hund, Cagliostro, Mesmer, Stark, Walterstoff, Hesse, Salm, Kirbourg, Stroganoff, Proly, Pereira, Saint Germain, Staël, Aranda, Dorset, Bommer, Hulsen, Kollowrath ; les ambassades, transformées en loges, étaient des lieux d'asile assurés, au seuil desquelles les agents du pouvoir royal devaient s'arrêter.
Pendant la période qui suivra la mort du comte de Clermont et qui précédera la Révolution, nous retrouverons tous ces personnages, intriguant, organisant la chute de la monarchie française, le gouvernement, par sa tolérance coupable, leur assurant une sécurité inexplicable !
Parmi les premiers arrivés figurait Alexandre de Stroganoff, dont nous allons étudier le rôle (1).
Les Stroganoff appartenaient à une vieille famille moscovite, qui était sortie du commerce au XVe siècle pour entrer dans la noblesse par la grande porte. En 1446, lors de l'invasion tartare, un Stroganoff avait payé, de ses propres deniers, la rançon du Kniaz Vasili l'aveugle, prisonnier de l'ennemi. Pendant le XVIe siècle, un autre Stroganoff avait entrepris la conquête de la Sibérie.
En 1756, cette illustre famille était représentée par Alexandre Stroganoff, dont la mère, Sophie Naryschkin, était morte en 1737 et dont le père, Serge, venait de mourir.
Alexandre était né le 3 janvier 1733. Comme tous
(1) Nous avons adopté l'orthographe : Stroganoff et non Strogonoff, parce que c'est ainsi qu'il signait.
PROFILS MAÇONNIQUES 339
les jeunes seigneurs russes, à peine sa première instruction achevée, il entreprit avec son précepteur un voyage en Europe. Il parcourut ainsi l'Allemagne, la Hollande, l'Italie, la Suisse et la France. Il rentrait à Pétersbourg le 23 juillet 1757, pour épouser, le 18 février 1758, Anna Michaïlowna Vorontzoff, qui mourut le 21 février 1769, après s'être séparée de lui en 1764. Peu d'années auparavant, en 1760, à la suite d'une mission à Vienne, Stroganogoff avait été créé comte du Saint-Empire.
Il ne resta pas veuf longtemps. En 1770, il épousait en secondes noces la princesse Catherine Petrowna Troubetzkoi (1). Après avoir fait à Ferney le pèlerinage à la mode, le ménage vint se fixer à Paris, rue de Verneuil, près la rue de Poitiers (2), où il résida jusqu'en 1779. Ce second mariage ne fut pas plus heureux que le premier. La comtesse Stroganoff, à la fin de 1779, abandonnait son mari en lui laissant son fils Paul, pour aller vivre publiquement avec Yvan Nicolaïewith Korsakov (3). Le scandale avait éclaté en Russie. Stroganoff revint aussitôt en France (4), servant à sa femme une grosse pension. Il avait néanmoins conservé à Pétersbourg, où il venait fréquemment, un grand train de maison, s'occupant de charité et consacrant ses dernières années à la direction de la construction du sanctuaire de Notre-Dame de Kazan.
Comme beaucoup d'étrangers, Stroganoff était imbu
(1) Née en 1744, morte le 20 novembre 1815.
(2) De 1776 à 1779, ils habitaient rue Montmartre, prés le boulevard, en face de l'hôtel d'Uzès (emplacement du n° 26 actuel).
(3) Né en 1754, mort en 1831.
(4) De 1780 à 1783 il habita 13, rue de Richelieu (26 actuel).Dans cette maison habitaient également le Sr Messin, tenant « magasin de toutes sortes de marchandises de fantaisie », et Mlle Bertin, célèbre modiste de Marie-Antoinette.
340 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
avec excès des idées philosophiques françaises, et c'est dans la pratique des doctrines encyclopédiques qu'il fit élever son fils Paul par Gilbert Romme, celui-là même qui devait prendre une si large part à la Révolution dès son début, siéger à la Convention et se poignarder après l'insuccès de l'insurrection jacobine de prairial an III(1). Gilbert Romme ne se consacrait pas exclusivement au jeune Stroganoff; il s'occupait, avec le père de son élève, de recherches de mines en Auvergne et en Dauphiné, voulant réaliser pratiquement sous cette forme la découverte de la pierre philosophale. Paul fut élevé à la Jean-Jacques, pratiquant les sports en même temps que la philosophie. Lorsque la Révolution arriva, il se trouvait, sous le nom de Paul Ochter, particulièrement lié, du consentement de son Mentor, avec Théroigne de Méricourt, la célèbre courtisane révolutionnaire. Ils habitaient ensemble rue Saint-Honoré (2). Il la suivit ensuite dans le local des Amis de la loi, moitié loge maçonnique, moitié club, situé, 23, rue de Bouloi, à l'hôtel de Grenoble, près la rue Croix-des-Petits-Champs (3). Paul Ochter était bibliothécaire du club. Romme le présenta même aux Jacobins et l'envoya rouler la brouette au Champ-de-Mars, lors de la fête de la Fédération.
Alexandre Stroganoff, peut-être déjà désillusionné par les premiers événements de la Révolution, était resté en Russie ; inquiet de la tournure que Romme faisait prendre à l'éducation de son fils, il leur conseilla dis-
(1) Nous avons emprunté une partie de ces documents à la remarquable étude de S. A. I. le grand-duc Nicolas Mikaïlowich sur le comte Paul Strogonoff.
(2) Dans la maison qui portait le numéro 282 avant le percement de la rue des Pyramides.
(3) En l'an XI, cet hôtel, tenu par Vary, portait le n° 35. Probablement n° 6, en 1806, et n° 4 actuel.
PROFILS MAÇONNIQUES 341
crètement de quitter Paris, Le précepteur et l'élève se rendirent en Auvergne. Sur le conseil de Romme, Paul Ochter signa un procès-verbal d'enterrement civil de son domestique. Alexandre trouva que Romme allait un peu loin et rappela son fils à Pétersbourg. Sous des influences plus calmes, Paul Ochter redevint le comte Stroganoff et il mourut à Pétersbourg en 1817, après avoir été grand chambellan, président de l'académie des Beaux-Arts et conseiller intime d'Alexandre I.
Quand Alexandre Stroganoff collabora avec Savalète de Lange à la fondation de la loge des Amis réunis, pendant les premiers mois de 1771, il était déjà très avancé dans les grades maçonniques. Lorsque les officiers de cette loge furent élus à la suite de sa reconstitution par le G? O?, il fut nommé, le 21 juin 1773, Premier Surveillant. A cette même date, il était Trésorier de la Chambre d'administration du G? O?, et le 27 décembre il fut désigné pour remplir les fonctions de Grand Garde des sceaux.
En 1775 il était le représentant au G? O? de toutes les loges de Franche-Comté réunies. Il collabora à la fondation de la Candeur à 1'O? de Paris, et en 1775 il en était le deuxième Surveillant. En 1777 il est premier Grand Surveillant du G? O? ; en 1779, associé libre de la loge des Neuf Soeurs. Il faisait enfin partie de la Stricte Observance depuis 1774.
Convoqué aux convents de Paris en 1775 et 1787, il n'y assista pas.
Créé comte russe le 21 avril 1798, il mourut le 11 septembre 1811 (1).
(1) Très versé dans la littérature française, il fut l'auteur d'une pièce intéressante; La Matinée de l'amateur, jouée sous Catherine II au théâtre de l'Hermitage (Théâtre de l'Hermitage, Paris, Buisson, an VII, 2 vol. in-8°).
342 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
SAVALÈTE DE LANGE
(1746-1797)
Le nom de Savalète de Lange a défrayé les chroniques de l'histoire anecdotique, à propos du célèbre homme-femme mort à Versailles, le 6 mai 1858, sous le nom d'Henriette-Jenny Savalète de Lange. Autour de cette aventure dont on n'a pas encore percé le mystère, on a accumulé une telle quantité d'erreurs, que les personnalités des Savalètes sont aujourd'hui confondues. On ne distingue plus le père du fils.
Pour retrouver le fameux maçon philalèthe, rétablissons les états civils.
Savalète père, né le 11 novembre 1713 et mort à Paris le 22 février 1797, garde du Trésor royal en titre de 1756 à 1788, ne porta jamais que le nom de Magnanville et ne semble pas s'être occupé de maçonnerie. De Marie-Emilie Joly de Choin, son épouse, il eut deux fils et trois filles. Celles-ci devinrent Mmes Dupleix de Pernon, Thiroux de Gervilliers et Dompierre d'Hornoy. Le plus jeune des fils mourut en 1754, âgé de quatre ans.
L'aîné, Jean-Pierre-Paul, né en 1746, mourut à Paris, le 11 décembre 1797. Conseiller au Parlement, puis en 1774 adjoint à son père avec la survivance de garde du Trésor royal, il occupa ces fonctions jusqu'en juillet 1788. A partir de cette époque, il ne fut plus qu'administrateur sous les ordres de Dufresne, intendant du Trésor royal. En 1790, Dufresne prend le titre de directeur général du Trésor public et Savalète de Lange celui de trésorier et payeur (1).
(1) Savalète de Lange est en même temps capitaine des gardes nationales parisiennes du bataillon de Saint-Roch et aide de camp de Lafayette.
PROFILS MAÇONNIQUES 343
Par la loi du 30 mars 1791 le Trésor public devient la Trésorerie nationale, dirigée par un comité composé de six membres dont Grouville est le secrétaire ; Savalète, dès lors, n'est plus que le commissaire de la deuxième section des dépenses. C'est ce Savalète qui est le célèbre f?-m?
Savalète de Lange eut de Geneviève-Louise Hatry, de 1790 à 1797, quatre enfants qu'il reconnut avant de mourir: Augustin-Charles-Théophile, né le 12 mai. 1790, mourut le 1er novembre 1865 ; Ange-Louis-Dieudonné, né le 17 février 1792, mourut le 31 mars 1831; Louise-Léonie, née en 1795, mourut le 5 octobre 1871 ; et Isidore-Paulin, né le 4 juillet 1797, mourut le 9 mai 1860.
Il n'eut certainement pas de Geneviève Hatry d'autre enfant né en 1786, sans cela il l'eût reconnu comme les autres, et on peut au surplus s'étonner à bon droit que les quatre enfants reconnus et leur mère ne soient pas intervenus, en 1820, lorsque Henriette-Jenny fit dresser son acte d'identité soit pour protester, soit au contraire pour le confirmer.
Donc si Henriette-Jenny était fils de Savalète de Lange, il n'était pas fils de Geneviève Hatry.
Était-il fils de Mlle Grandville, comme le suppose M. Moussoir ? C'est possible, et dans ce cas, étant donné le passé de la mère, on s'explique facilement pourquoi Henriette-Jenny disait ne pas connaître son nom, et pourquoi les enfants se tinrent cois, en 1820.
Peut-être aussi était-il fils d'une jeune comédienne qui avait 14 ans en 1785 et dont nous parlerons plus loin (1).
(1) M. Lenôtre suppose que Henriette-Jenny était un domestique d'Orléans nommé B., qui, après avoir substitué Mlle de Tin-
344 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Qui était Mme de Grandville ? Raconter son histoire, c'est raconter celle de Savalète de Lange et de quelques f?-m? ; nous nous étendrons sur le sujet avec des réserves dont les lecteurs comprendront les raisons. Mme de Grandville ou mieux Mlle Grandville portait probablement un nom de guerre ; elle demeurait rue des Bons-Enfants ; c'était une des prêtresses les plus achalandées du bataillon de Cythère, à la fin du règne de Louis XV.
Sa clientèle était nombreuse et presque choisie, et nous n'en connaissons certainement qu'une faible partie. S'il faut croire les rapports de police publiés par M. Piton, nous voyons circuler dans son boudoir un grand nombre de personnages plus ou moins distingués : un Hollandais, M. Maibon; Groue, officier de cavalerie qui lui fait faire un carrosse, dont le marquis de Crussol (1) fournit les chevaux ; le comte d'Usson la fait venir chez lui, dès que sa femme est partie ; M. Genty lui donne un noeud de diamants de 6.000 livres, dont elle réclame la facture afin de pouvoir la montrer à ses amies ; de plus, Genty lui donne 50 louis par mois ; M. de Caire lui donnait, dit-on, son coeur et sa fortune, pendant que sa femme, qui ne l'ignorait pas, réparait les torts faits à son patrimoine avec les libéralités du duc
teniac à mile de Savalète, s'était lui-même substitué à Mlle de Tinteniac et par conséquent à mlle de Savalète. Pour établir sa thèse, il suppose encore qu'il y avait un Savalète, parent des gardes du Trésor royal, qui aurait été le père de Mlle de Savalète. Or, à la fin du XVIIIe siècle, il n'y avait pas d'autres Savalète que ceux dont nous avons parlé. Enfin il est inadmissible qu'en 1793 on ait pu substituer Mlle de Tinteniac, née à Plouneventer (Finistère) le 11 janvier 1776 et, par conséquent, âgée de 17 ans, à mue de Lange, née en 1786, âgée de 7 ans.
(1) Vénérable des Frères d'Armes à l'O? de Berry-cavalerie. Grand conservateur de l'ordre en France.
PROFILS MAÇONNIQUES 345
d'Aumont (1) ; Chaillon de Jonville (2) lui donne 9.000 livres pour sa fête ; M. de Garigaud, armateur de Lorient, lui donnait 30 louis par mois; M. de Ségur, officier aux gardes, ne lui offrait pas d'argent ; M. de Sainte-Foy n'allait chez elle que le matin, afin de ne pas rencontrer M. de Caire ; le vicomte de Noé, furieux de s'être aperçu que le marquis de Crussol lui avait pris sa maîtresse, se vengeait avec Mlle Granville, etc.
La vie extérieure de Mlle Grandville n'était pas plus régulière que sa conduite intime. Elle assiste à tous les soupers donnés chez le baigneur de la rue de Richelieu et dans bien d'autres maisons moins recommandables ; elle a des procès avec ses fournisseurs ; reçoit des coups de canne à travers le visage, jette des chandeliers à la tête de ses partenaires, car elle donne à jouer; chez elle on se traite de j.-f., on se soufflette et on ameute le Palais-Royal.
C'est au milieu de ce sabbat, de 1770 à 1775, que le pauvre Savalète, que certains f?-m? appelleront l'Ange par dérision, essaie de temps en temps de placer naïvement son mot et d'apporter son coeur, pour avoir sa place rue des Bons-Enfants. Mais il n'apportait pas que son coeur; les rapports de police nous apprennent que M. de Magnanville le fils, c'est ainsi qu'on appelait alors le futur philalèthe, lui écrivait tous les jours et lui envoyait tout ce qu'il pouvait. Il commence par des bracelets, qu'il paie, puis fait des dettes, et son père, vers 1772, en règle pour 40.000 fr. Il promit alors de ne plus recommencer ; mais peu après
(1) Maître d'une loge portant son nom. Très lancé dans la maçonnerie, ainsi que sa soeur la duchesse de Villeroi.
(2) En 1762, substitut général du comte de Clermont, vénérable maître de la loge Saint-Antoine, dite Saint-Thomas.
346 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Mlle Granville lui ayant déclaré net qu'elle le mettrait à la porte s'il interrompait le cours de ses générosités, il commande à nouveau bracelets et diamants, et cependant il joue chez elle le rôle de doublure... en quatrième et ne montre le nez que lorsqu'il ne plaît pas aux autres de venir.
L'inspecteur de police ne dit pas si on tenait loge rue des Bons-Enfants, mais nous avons été à même de voir qu'il ne manquait qu'un initié pour avoir les cinq Frères nécessaires à la constitution d'un atelier parfait.
Je ne crois pas devoir m'excuser de cet exposé quelque peu long des aventures de cette jeune personne ; il nous fait voir Savalète sous un jour peu connu et nous démontre qu'alors les f?-m? n'étaient pas plus vertueux que leurs profanes contemporains.
C'est au milieu de ces aventures de jeunesse, qui auront des suites, que Savalète s'occupait du grand oeuvre, de l'origine des êtres, de leur vie présente et du but final. Il fondait l'ordre sévère des Philalèthes, chercheurs de vérité, se faisait écouter au G? O? et provoquait des convents à Paris. Avec le duc de Luxembourg, il est une des étoiles les plus éclatantes du ciel maçonnique. Il fraye avec Cagliostro le cacomage, avec le tireur de cartes Etiella(sic), aussi bien qu'avec Willermoz, Saint-Martin, Roettiers de Montaleau, Duchanteau et le duc de Chartres.
Nous n'avons trouvé aucune trace de la vie maçonnique de Savalète de Lange avant les premiers mois de 1771, et cependant il est probable qu'il fut initié quelques années avant cette époque. La fondation de la Société des Philalèthes n'était pas assurément l'oeuvre d'un débutant. Est-ce par Duchanteau, ou par Martines Pasqually, ou bien encore par Court de Gébelin
PROFILS MAÇONNIQUES 347
qu'il fit son apprentissage ? Si l'on tient compte du milieu dans lequel il vivait, de la nature de ses aspirations maçonniques, du régime qu'il fonda, on peut croire que ce furent surtout les théories de Martines Pasqually qui l'influencèrent, et précisément cette espèce d'illuminé vint à Paris en 1767. Plus tard seulement Saint-Martin l'inspira ; plus tard encore, il croira progresser dans la science maçonnique en adoptant les théories des Illuminés d'Allemagne.
En 1771, Savalète avait 25 ans ; avocat au Parlement, il fut exilé lors de l'arrivée de Maupeou à la tête de la nouvelle magistrature politique. Avec les anciens présidents des Grandes Chambres il entra en lutte avec le pouvoir royal ; ceux-ci avaient pris pour protecteurs les princes du sang et en particulier le comte de Clermont, G? M? de la maçonnerie.
Parmi les fondateurs de la secte des Philalèthes nous voyons, à côté de Savalète, son oncle Thiroux de Gervillers, son cousin germain du Pleix de Perles, le baron de Salis-Séevis, le marquis de Clermont-Tonnerre, Nicolas Autour, le marquis de Chambonas, le comte de Stroganoff, le comte de Salignac-Fénelon, les frères Tassin, Bouret de Vezelay, Bollioud de Saint - Julien , le vicomte de Saulx-Tavannes , le vicomte d'Houdetot, le marquis de la Jamaïque, Méry d'Arcy, etc. Pas un seul de ces maçons n'avait encore marqué, d'aucune façon, ni dans la maçonnerie, ni ailleurs.
Ce n'est que plus tard, après la formation du G? O?, à laquelle les Philalèthes collaborèrent avec ardeur, que des célébrités comme Court de Gébelin (1) furent
(1) Le premier tableau des Amis réunis, celui de 1774, ne fait pas mention de Court de Gébelin.
348 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
admises, et plus tard encore que les hommes qui devaient provoquer le mouvement révolutionnaire furent introduits ; la loge des Philalèthes fut fondée par la G? L? de France le 23 avril 1771 sous le titre distinctif des Amis réunis. Ses vénérables furent successivement Savalète, Bollioud de Saint-Julien, Taillepied de Bondi et le banquier Tassin.
Les règlements des Amis réunis furent arrêtés pour la première fois le 24 juin 1774. Par la suite, ils furent modifiés le 22 février 1778, le 26 mars 1783 et le 6 mars 1788. Lors de cette dernière réorganisation, on en fit une véritable machine de guerre politique divisée en cinq branches comprenant : les fondateurs, les agrégés, les associés libres résidents, les associés libres correspondants et les gardiens du Temple ou membres du chapitre qui comprenait douze classes.
Les membres de la loge se réunissaient, le premier vendredi de chaque mois, rue Royale-Montmartre, ceux du chapitre, 37, rue de la Sourdière (1) (art. 6). En plus, le bureau des fondateurs devait nommer deux commissaires qui, réunis au vénérable, au trésorier et au contrôleur, devaient former un comité permanent (art. 7). Les douze classes dont nous avons parlé se décomposaient de la façon suivante :
1. - Collège de Maçonnerie symbolique :
1° Apprenti ; 2° compagnon ; 3° maître ; 4° élu ; 5° écossais.
II. - Chapitre des Chevaliers des Amis réunis, formant tribunal d'honneur:
6° Chevaliers d'Orient ; 7° Roses-Croix ; 8° Chevaliers du Temple.
(1) Voir chap. VIII.
PROFILS MAÇONNIQUES 349
III. - Conseil des T. B. des Amis réunis, formant tribunal maçonnique :
8° Philosophes inconnus ; 10° Sublimes Philosophes ; 11° Initiés ; 12° Philalèthes.
Au début, l'organisation était moins complète ; les Philalèthes, ou Amis de la vérité, comme leur nom l'indique, professaient une doctrine qui avait pour but le perfectionnement de l'homme en le rapprochant de la source divine. C'étaient les théories de Swedenborg et de Pasqually. Une large part était donnée aux sciences occultes Chacun travaillait dans la branche de l'Art qui convenait le mieux à ses aspirations. Savalète, par exemple, après avoir essayé du mesmérisme, faisait de la médecine occulte (1) et de l'initiation par communication, nous dirions aujourd'hui par contact. Il s'occupait avec ardeur de tout ce qui touchait à la maçonnerie, cherchant à s'introduire dans tous les régimes concurrents pour connaître leurs secrets et faire des adhérents (2). Il cherchait à se faire désigner ainsi que les autres Philalèthes comme représentant des loges de province, et cherchait même à
(1) En 1783, Savalète était très lié avec Onésime-Henri de Loos (1725-1785), alchimiste, disciple de Pasqually, qu'il avait assisté à Paris comme membre de son Tribunal souverain. Lorsque les Philalèthes s'étaient réunis chez du Terray pour organiser le convent de 1785, Savalète avait fait partie de cette réunion avec Loos, Salzac, Lamarque, Astier, Labady, Saulx-Tavannes, Court de Gébelin et Von Reichel. Loos était l'auteur d'un volume bizarre publié en 1781 sous le pseudonyme de Philanthropos, citoyen du monde : « Décadence des sages ou démonstration de la nature inférieure, dans laquelle on trouvera une analyse raisonnée des Erreurs et de la Vérité (de Saint-Martin), une dissertation étendue sur la Médecine universelle. »
(2) En 1781, il était parvenu à se faire remettre les archives des Elus Coëns de Pasqually.
350 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
accaparer le G? O?, dont il avait été un des membres les plus actifs.
Le 21 juin 1778, il est maître des cérémonies de la Chambre d'Administration du G? O?
Le 6 juin et le 27 décembre 1774, il est secrétaire, puis orateur de la même Chambre. Il est en même temps député de Saint-Jean Orient de Beauvais ; de Saint-Jean O? de Guise ; de l'Union indissoluble du corps du génie à l'Orient du régiment (Mézières) ; de l'Humanité O? Saint-Quentin et de la Parfaite Union O? de Rennes.
Le 28 février 1776, il est 2e surveillant de la Chambre des Provinces du G? O? ; il est député des Amis réunis, Saint-Hilaire et Notre-Dame O? de Givet ; de l'Intimité O? de Niort; de la Parfaite Union O? de Saint-Pierre de la Martinique.
En 1777, il est grand secrétaire du G? O?, en 1778, président de la Ve classe des Amis réunis, et en 1779 il préside la XIIe.
En 1785, il fonde la Société Olympique O? de Paris ; en 1787, officier d'honneur du G? O?, il est député de l'Union Parfaite O? de Salins; des Frères choisis O? de Saint-Pierre de la Martinique; de l'Olympique de la Parfaite Estime O? Paris et de la Parfaite Amitié O? de Port-Royal de la Martinique. En 1788 et 1789 il sera membre du Lycée, filiale de la maçonnerie. Pendant la Révolution, il fera partie de la Société de 1789, et des clubs Monarchique et de Valois.
Nous ne raconterons pas ici le rôle des convents de Paris de 1785 et 1787 qu'il organisa et présida, réservant cette étude longue et importante pour le 2e volume de ce travail.
Nous ne pouvons cependant passer sous silence l'influence qu'eurent auprès de lui les Illuminés de
PROFILS MAÇONNIQUES 351
Bavière. En dehors de Bode (1) (Amelius) et de Busche (Bayard) (2), qui jouèrent un rôle secondaire, deux autres illuminés jouèrent un rôle beaucoup plus considérable auprès des Amis réunis : le marquis de Chefdebien (3), avec lequel Lange finit par se brouiller par suite de compétitions personnelles et un illuminé autrichien, Kollowrath (4), qui vint à Paris dans les derniers mois de 1782 pour illuminiser Savalète et les Philalèthes. Kollowrath poursuivait en même temps un autre but : empêcher tout rapprochement entre les membres des Amis réunis et ceux de la Stricte Observance, Brunswick, Hesse et Willermoz, en particulier, Kollowrath réussit dans sa mission et, le 4 mars 1783, Savalète écrivait à Willermoz : « Nous n'avons aucun tort envers vous, nous ne craignons pas vos menaces. Nous n'avons rien voulu de vous que ce que nous avons obtenu : votre démission. Le f? de Lange et tous ses amis vous permettent de dire et de penser ce qu'il vous plaira sur leur régime dont vous ne connaîtrez rien, absolument rien, pas même son plan et son objet. Je n'aurai pas de
(1) Bode (Jean-Joachim-Christophe), instrumentiste et compositeur allemand (1730.1793), connu sous le nom d'Amelius dans la secte des Illuminés de Bavière et d'Eques a lilio convallium dans la Stricte Observance.
(2) Busche (baron Guillaume de), officier hanovrien au service de Hollande. II ne faut pas le confondre avec Durand Joseph Busche, Procureur au Parlement, officier du G? O?, suppléant du Tiers aux Etats généraux pour Paris hors les murs.
(3) Marquis de Chefdebien, François, ancien chevalier de Malte, membre de la Stricte Observance sous le nom d'Eques a capite galeato. Fondateur du rite primitif des Philadelphes de Narbonne.
(4) Kollowrath-Krakowski (le comte Léopold de), président d'une loge d'adoption à Vienne, était en relations intimes avec Bacon de la Chevalerie; illuminé de Bavière sous le nom de Numénius, il était membre de la Stricte Observance sous le nom d'Eques ab aquila fulyente. Ministre d'Etat autrichien (1726-1809).
352 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
peine à prouver votre ignorance à cet égard en publiant votre correspondance, et je le ferai pour me justifier aux yeux de mes amis, vis-à-vis desquels vous cherchez à m'inculper. Je la remets à sept membres de la XIIe classe des Amis réunis dont voici les noms : d'Héricourt, de Cony, de Méry, Gébelin, Taillepied de Bondy, qui, réunis au marquis de Chefdebien et à moi, composent cette réunion de six ou sept frères que vous citez avec une ironie peu fraternelle et une insinuation encore moins charitable dans votre lettre au f? de l'Étang. Mais ils ne gouvernent point, ils travaillent entre eux de bon accord, non pas à dominer les autres dans l'Europe, mais à s'instruire eux et les autres Amis réunis de leur classe dans le petit cercle où la Providence divine les a placés. »
On peut voir par cette lettre que la correspondance entre membres de régimes concurrents n'était pas précisément tendre. Les relations fraternelles cessaient dès que les membres d'un groupe craignaient l'envahissement des membres d'un autre groupe.
Kollowrath parti, Savalète essaya de se rapprocher de Willermoz par l'intermédiaire du duc d'Havré-Croy (1); mais ce dernier perça bien vite la tactique du chef des Philalèthes et, le 10 juin 1783, il écrit à Willermoz que toute réunion des deux régimes à Paris serait la suppression de la Stricte Observance en raison de l'énorme supériorité du nombre des Philalèthes.
Ayant échoué auprès du duc d'Havré, Savalète fait de nouvelles tentatives auprès d'un autre ami de Willermoz, Millanois (2). Celui-ci écrit, le 6 juillet 1783, que
(1) Duc d'Havré-Croy, colonel commandant du régiment de Flandre-infanterie, vénérable de la Bienfaisance à 1'O? de Paris, membre de la Stricte Observance sous le nom d'Eques a porto optato.
(2) Millanois (Jean-Jacques-François), avocat du roi en la séné-
PROFILS MAÇONNIQUES 353
Savalète a essayé de le circonvenir, en diminuant l'importance du convent de Willemsbad et en lui déclarant d'un ton prophétique que l'enthousiasme des Princes allemands ne durerait pas. Puis brusquement il lui a parlé « de son attachement avec une femme à laquelle il tient fortement, attachement qu'il considère comme licite ». Est-ce encore Mlle Granville? Est-ce déjà Geneviève Hatry ? Est-ce une troisième ? Le 13 juillet suivant, Savalète insiste sur l'alliance des deux régimes auprès de Millanois. Il est prêt, dit-il, à seconder l'installation de la loge de la Stricte Observance à Paris (la L? la Bienfaisance), si on le laisse l'installer. En ce moment un autre illuminé, le baron de Hillmer (1), influence fortement Savalète et fait de nombreuses tentatives auprès de Saint-Martin.
Le 27 juillet, Millanois raconte à Willermoz la visite qu'il a faite à Auteuil à l'amie de Savalète : « J'y ai bien souffert, écrit-il, et je vous avoue que je ne puis être de l'avis du f? de Lange sur cette liaison. Il a eu beau me dire que je devais la regarder comme sa femme et cependant ne pas en faire semblant, je me suis cru chez une fille, qui a l'entretien honnête, j'en conviens, l'esprit cultivé, peut-être des qualités, mais elle laisse entrevoir sous cette écorce ce qu'elle fut autrefois (2). »
En 1785, ce sont des histoires plus étranges que l'on
chaussée de Lyon, député du tiers de cette ville aux Etats généraux, membre de la Stricte Observance sous le nom d'Eques a quatuor pallis.
(1) Baron d'Hillmer, baron du Saint-Empire, se disait prince palatin, chef d'un établissement (?) à Varsovie.
(2) D'après le ton de cette lettre, on doit croire qu'il s'agit plutôt de Mlle Grandville que de Geneviève Hatry. Signalons, pour ne rien omettre, que cette dernière avait une soeur, qui s'appelait précisément Henriette-Louise, née le 15 juillet 1780, institutrice, morte à Paris le 6 août 1832.
354 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
raconte, et le latin seul devrait, dans plusieurs circonstances, braver les termes des anecdotes racontées par le correspondant de Willermoz qui est le f? Tieman (1).
Nous avons dit que Savalète s'occupait de médecine maçonnique, nous allons voir comment il la pratiquait : « Lange se perd tête baissée, écrit Tieman le 21 mars 1785 ; il a établi deux ou trois boutiques qu'il dirige. Dans sa Société Olympique il fait des maçons par communication ; il y reçoit des femmes, car tout doit être maçon. De là, ne croyant guère au magnétisme, il travaille une jeune comédienne de quatorze ans pour lui donner ses règles et finit par coucher avec elle. Tout cela fait des disparates épouvantables. Le baron de Gleichen (2) me dit l'autre jour que la vérité est comme un pucelage que tout le monde cherche, qu'on juge cher, et dont on dit en rougissant après l'avoir attrapé que c'est bien peu de chose. Jugez-moi un peu, je vous prie, ces chercheurs (3). »
La maçonnerie, on le voit, pouvait conduire à de singuliers résultats.
Si Tieman s'étonne de la thérapeutique de Savalète, il reçoit quelques jours plus tard des confidences d'un tout autre genre qui le surprennent encore plus. Le 2 mai de la même année, il écrit : « Lange a la fièvre, il croit en Dieu ! »
Avec Savalète de Lange, nous avons vu un genre de maçon spécial qui ne fut pas une exception. Avec lui
(1) Tieman de Berend (Frédéric), Saxon an service de Catherine II. Il voyageait beaucoup pour la Stricte Observance, où il portait le nom de Eques a corde.
(2) Baron de Gleichen (Charles-Henri), diplomate danois (1733-1807), secrétaire des Amis réunis.
(3) La lettre est de 1785 ; Henriette Jenny serait né en 1786. Ne serait-il pas le fils de la jeune comédienne en traitement
PROFILS MAÇONNIQUES 355
nous assistons à une dépression cérébrale d'un genre très particulier provoquée par des études hors de la portée de l'intelligence et de l'instruction de celui qui s'y adonne imprudemment. Nous reviendrons longuement sur le personnage dans le récit que nous ferons, dans le second volume, de l'organisation maçonnique qui précéda la Révolution et dans l'étude des événements qui l'accompagnèrent.
Après la mort de Savalète de Lange, on vendit aux enchères publiques les papiers des Philalèthes dont il était demeuré détenteur, et les instruments du laboratoire de chimie installé dans les annexes de la loge des Amis réunis et qui avaient été la cause de la mort de l'infortuné f? Duchanteau (1), victime d'une explosion.
(1) Duchanteau (Touzay), peintre. Professeur de Théosophie, hébraïsant et kabbaliste, auteur d'un calendrier magique, disciple de Pasqually, c'est lui qui avait initié le baron de Staël et le duc d'Havré-Croy.
APPENDICES
_________
I
MANUSCRIT MAÇONNIQUE ANGLAIS DE 1693 EN LA POSSESSION
DE LA YORK LODGE N° 236
C'est au journal Hiram (mai et juillet 1908) que nous avons emprunté ce très curieux document maçonnique, dont la traduction a été faite par M. Teder, un des maçons les plus instruits sur l'histoire de l'Ordre auquel il appartient :
Parmi tous les manuscrits anglais, dit M. Teder, nous avons choisi de préférence, pour être traduit et publié, celui de 1693, parce qu'il prouve d'une manière incontestable que, sous la dynastie protestante de Guillaume d'Orange, l'ancienne maçonnerie britannique continua d'être parfaitement catholique romaine.
Il est vrai qu'en 1690 Guillaume d'Orange, initié par quelques maçons dissidents et rebelles, avait créé avec eux une maçonnerie spéciale à son usage particulier, dont les statuts, publiés en 1694, portèrent ce qui suit :
Votre premier devoir est d'être fidèles à Dieu...
De plus, vous devez être fidèles sujets de votre Roi ...
La maçonnerie spéciale inféodée au protestantisme de Guillaume d'Orange biffait simplement la sainte Eglise, à laquelle les maçons avaient toujours été tenus de jurer fidélité.
Mais nous possédons aussi la copie d'un manuscrit de 1704, établissant, sans réplique possible, que la maçonnerie ancienne, sous le régime protestant de la reine Anne, était toujours catholique romaine.
D'autre part, si nous nous reportons à la fondation de la maçonnerie moderne de 1717, - laquelle fut une simple reprise de la maçonnerie spéciale de Guillaume d'Orange, - nous voyons que les constitutions qu'elle fit en 1723 prétendirent, sous la plume du clergyman Anderson, que les constitutions d'Edwin, en 926, commençaient par ces mots :
" Votre premier devoir est d'honorer Dieu sincèrement et d'observer les lois des Noachites... Vous devez être fidèles à votre roi sans trahison... "
En retranchant des constitutions d'Edwin la question de la sainte Eglise, Anderson voulait laisser croire aux naïfs que la maçonnerie de 1717 reprenait la tradition de 926.
506 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Or, dans le manuscrit de 1693 dont nous donnons ci-après la copie traduite, on peut voir, au contraire, que les constitutions d'Edwin furent absolument catholiques romaine
D'où il faut conclure que la maçonnerie ancienne était toujours, en 1717, catholique romaine ; tandis que la maçonnerie moderne de 1717, création aussi irrégulière que celle de la confrérie à laquelle avait été initié Guillaume d'Orange, ne justifia sa venue qu'en donnant un coup de ciseau dans les constitutions de 926 et ne fut, en définitive, qu'une maçonnerie d'État inféodée à la dynastie usurpatrice et protestante de Georges 1er.
Après ce préambule, M. Teder passe au manuscrit de 1693 dont nous reproduisons les parties essentielles :
Que la Puissance du Père Céleste et la Sagesse de son Bienheureux Fils, par la bonté du Saint-Esprit, soient avec nous à notre commencement et nous donnent aussi la grâce de gouverner notre existence de manière que nous puissions atteindre les joies éternelles.
Bons Frères et Compagnons,
Notre intention est de vous dire comment et de quelle façon le corps de la Maçonnerie a commencé, et ensuite comment il advint qu'il fut connu de puissants Rois et dignes Princes et de beaucoup d'autres hommes respectables. Et à ceux qui savent entendre, nous proclamons le Mandement qu'il appartient à tout vrai Maçon de tenir en bonne foi, et, si vous y faites attention, vous reconnaîtrez qu'il est très honorable qu'il soit gardé par un corps respectable et par une science curieuse.
Il y a sept sciences qui n'en forment qu'une et qui sont comme il suit :
La première est la Grammaire, qui enseigne à prononcer et parler correctement ; la seconde est la Logique, qui enseigne à discerner entre le vrai et le faux ; la troisième est la Rhétorique, qui apprend à parler en termes subtils ; la quatrième est la Musique, qui enseigne l'art du chant et la voix de la harpe et de l'orgue ; la cinquième est l'Arithmétique, qui enseigne à calculer ; la sixième est la Géométrie, qui enseigne à mesurer la terre et autres choses parmi lesquelles se trouve la Maçonnerie ; la septième est l'Astronomie, qui enseigne le cours du soleil, de la lune et autres ornements des cieux.
Ces sept sciences reposent sur une seule : la Géométrie, qui enseigne le partage, la mesure, la pondération et le poids de toutes sortes de choses sur la terre. Il n'y a pas un homme qui, attaché à telle ou telle science, ne travaille pas au moyen de quelque mesure, et ceci est Géométrie. Artisans et marchands dépendent de cette science, et spécialement les laboureurs et les cultivateurs, en ce qui regarde le blé, les semences, les vignobles, les plantations, etc. Ni en Grammaire, ni en Astronomie, ni en aucune autre science, un homme ne peut trouver une seule mesure sans la Géométrie, et c'est pourquoi cette science est plus noble que toutes les autres...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et, après la mort du roi David, le Temple qu'il avait commencé fut terminé par son fils Salomon qui, pour cette fin, demanda des Maçons dans diverses contrées, ce qui fit qu'il eut 80.000 ouvriers travaillant la pierre ; ils furent nommés Maçons et 3.300 d'entre eux furent choisis et élus Maîtres et gouverneurs des travaux. Et il y avait un roi appelé Hiram qui, affectionnant Salomon, lui donna des bois de charpente pour le travail ; il avait
APPENDICES 507
un fils appelé Aymon, et il était Maître en Géométrie et chef Maître de tous les ouvriers, ainsi que Maître du travail de sculpture et de toute autre maçonnerie appartenant au Temple - comme cela est écrit dans le Ve chapitre des Rois, livre 1.
Et ledit Salomon confirma les Instructions et Coutumes que son père avait données aux Maçons.
Et ceci fut l'illustre Corporation de la maçonnerie dans la terre d'Israël et la cité de Jérusalem, et dans beaucoup d'autres royaumes.
D'admirables ouvriers allèrent à l'étranger, quelques -uns pour apprendre davantage le métier, d'autres pour l'enseigner. Et il arriva qu'il y eut un Maçon curieux appelé Minus Greneusis, qui avait été à la construction du Temple de Salomon ; il se rendit en France, où il enseigna le métier de la Maçonnerie aux hommes de France. Et là, il y en avait un de lignée royale de France, appelé Charles Martel, qui aimait beaucoup ce Minus Greneusis à cause de son métier ; il en adopta les Instructions et Coutumes, et, après, il fut, par la grâce de Dieu, élu roi de France.
Quand il fut dans son Royaume, il y installa beaucoup de Maçons qu'il mit au travail, et, comme il les chérissait, il leur donna, avec une bonne page, les Instructions et Coutumes qu'il avait apprises lui-même d'autres Maçons ; en outre, il leur octroya une Charte, les autorisant à tenir une Assemblée tous les ans.
Et ainsi vint le métier en France.
L'Angleterre, durant ce temps, était sans Maçons -- et ce fut ainsi jusqu'à l'époque de Saint-Albans.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Juste après la mort de Saint-Albans vinrent de grandes guerres en Angleterre entreprises par diverses nations, de sorte que la bonne règle de la Maçonnerie fut détruite jusqu'au temps d'Athelstan, lequel fut un illustre roi d'Angleterre. Ce roi établit la paix dans la contrée, construisit plusieurs fameux édifices, tels qu'abbayes, châteaux, etc., et manifesta une grande affection pour les Maçons. Et il eut un fils appelé Edwin, lequel tint les maçons en plus haute estime encore que ne l'avait fait son père ; il était versé dans la science de la géométrie et il fut ainsi conduit à communier avec eux pour apprendre leur métier. II fut donc fait maçon et reçut de son père une Charte et une Commission autorisant la Corporation à tenir une fois par an une assemblée dans n'importe quelle partie du Royaume, afin que les Maçons pussent corriger entre eux les fautes et délits commis dans le métier. Et il organisa lui-même une assemblée à York, où il créa des Maçons, prescrivit des Instructions et enseigna la morale maçonnique, en ordonnant que cette règle serait toujours observée : il donna ensuite à la corporation une Charte et une Commission, en décidant qu'elles continueraient de roi en roi.
Lors de cette assemblée, il proclama que tout Maçon pouvait apporter les écrits en sa possession relatifs aux connaissances du métier, soit en Angleterre, soit dans toute autre contrée. Ces écrits furent réunis. Il y en avait en français, quelques-uns en grec, en latin, en anglais et autres langages. Le sens en fut trouvé, et Edwin ordonna qu'un Iivre serait fait pour établir comment le métier avait été découvert ; il prescrivit que ce livre serait lu et expliqué à tout Maçon nouveau, ensuite qu'on ferait connaître à celui-ci les Instructions.
Depuis ce temps, les coutumes des Maçons ont été tenues et observées
508 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
dans cette forme, du moins autant qu'elles pouvaient l'être par des hommes. En outre, dans plusieurs assemblées, et suivant les conseils des meilleurs maîtres et compagnons, diverses instructions furent ajoutées petit à petit aux précédentes.
A présent, vous savez en détail comment cette noble et fameuse corporation de la Maçonnerie a été inventée, et comment, miraculeusement, elle a été conservée ; vous savez aussi combien elle a été affectionnée par les rois et les potentats depuis son commencement jusqu'à ce jour, et combien elle est encore aimée et tenue en haute estime par toutes sortes de personnes.
L'un des anciens prend le Livre ; celui ou CELLE qui doit être fait Maçon pose les mains sur le Livre, et alors les Instructions sont données.
Tout Maçon doit prendre attention à cela. Si vous vous sentez coupables d'aucune des fautes énumérées dans ces Instructions, efforcez-vous de vous amender ; et spécialement vous qui pouvez être accusés, prenez bien soin d'observer les Instructions, car c'est un grand péril pour l'âme d'un homme que de se parjurer sur le LIVRE.
« Le premier article de vos Instructions est que vous serez fidèles à DIEU et à la SAINTE EGLISE, et que vous n'emploierez ni hérésie ni erreur dans votre entendement.
« Secondement, que vous serez hommes liges fidèles au Roi sans aucune trahison, niais que vous la réparerez, si vous le pouvez, et que vous en avertirez le Roi ou son Conseil.
« Troisièmement, que vous serez sincères les uns envers les autres, c'est-à-dire envers les Maîtres et les Compagnons du corps de la Maçonnerie qui sont reconnus pour tels, et que vous serez pour eux ce que vous voudriez qu'ils fussent pour vous ; et aussi que chaque maçon fréquentera les Chambres et les Loges ou tous autres Conseils tenus maçonniquement.
« Quatrièmement, que vous serez fidèles au maître ou propriétaire que vous servirez, en faisant votre possible pour son avantage.
« Cinquièmement, que vous appellerez tous les Maçons camarades ou frères, que vous ne leur donnerez pas un autre nom, et que vous ne séduirez pas la femme de votre camarade ni ne désirerez illégalement sa fille ou même sa servante.
« Sixièmement, que vous paierez exactement pour la table, la nourriture et la boisson, partout où vous prendrez pension. »
Telles sont les Instructions générales auxquelles sont assujettis les Maçons, aussi bien les Maîtres que les Compagnons.
A présent, je rappellerai les Instructions générales relatives à tout vrai Maître ou Compagnon :
« Premièrement, aucun Maître ou Compagnon ne doit accepter aucune tâche s'il ne se sent pas la capacité ni l'adresse de l'exécuter, afin que la Corporation ne soit pas sujette à la calomnie et que le propriétaire puisse être bien et fidèlement servi ; de plus, aucun Maître ne doit accepter aucun travail sans un salaire raisonnable, de manière que le propriétaire soit fidèlement servi pour son propre avantage et que les Maîtres et Compagnons aient une paye exacte et honnête, telle que l'exige la Corporation.
« De plus, aucun Maître ou Compagnon ne doit supplanter un camarade, c'est-à-dire que si celui-ci a du travail, il ne peut en être privé s'il est capable de l'achever.
« De plus, aucun Maître ou Compagnon ne peut prendre un apprenti
APPENDICES 509
que pour sept ans, excepté si cet apprenti est de bonne naissance, capable et sain.
« De plus, aucun Maître et Compagnon ne peut être autorisé à faire un Maçon sans le consentement d'au moins cinq ou six de ses camarades ; et celui qui doit être fait Maçon doit être né libre, de bonne parenté, et non pas un serf, et être sain de corps, comme un homme doit l'être.
« De plus, aucun Maître ou Compagnon ne doit donner à exécuter le travail des propriétaires à ceux qui ont l'habitude de voyager ; et aucun Maître ne doit accorder à aucun Compagnon plus de salaire que celui-ci n'en mérite, afin de ne pas être trompé par les faux ouvriers.
« De plus, aucun Maçon ne doit se livrer aux jeux de hasard ou autres jeux, afin que la Corporation ne soit pas calomniée.
« De plus, chaque Maître ou Compagnon doit se rendre à l'Assemblée, si elle n'a pas lieu dans un rayon au delà de 50 milles, et s'il a reçu avis d'assister à la récompense des Maîtres et Compagnons : s'il manque à ce devoir et si un rapport est fait à ce sujet, il doit se soumettre à l'arbitrage des Maîtres et Compagnons, et, si l'entente ne peut avoir lieu, il est tenu de se présenter devant l'Assemblée commune.
« De plus, aucun Maçon ne peut montrer aucune forme, équerre ou règle à aucun Maçon grossier (rough Mason), et ne doit, soit dans la Loge, soit au dehors, fixer ou poser aucune moulure qui ne soit de sa fabrication.
« De plus, chaque Maçon doit bien accueillir les camarades étrangers qui se présentent dans la contrée et les assister dans le travail, s'il le peut, c'est-à-dire que, s'il a des moulures à placer, il doit leur procurer du travail au moins pendant deux semaines et leur payer le salaire. S'il n'y a rien pour eux, alors il doit leur fournir de l'argent pour leur permettre de se rendre à la Loge voisine.
« Enfin, tous les Maçons doivent être exacts à leur travail, qu'il soit à la tâche ou à la journée, et le mener fidèlement à bonne fin, s'ils reçoivent leur salaire comme ils doivent le recevoir. »
Ici, suit l'Instruction de l'Apprenti : « Qu'il sera fidèle à DIEU et à la SAINTE EGLISE, au PRINCE, à son MAITRE et à la DAME qu'il servira ; et qu'il ne volera ni ne dérobera les biens de son Maître ou de sa Dame, ni ne s'absentera de leur service, ni ne les quittera pour son plaisir de jour ou de nuit sans leur permission ; et qu'il ne commettra ni adultère ni fornication dans la maison de son Maître avec la femme de celui-ci, ou avec sa fille, sa servante ou toute autre femme ; et qu'il tiendra secrètes toutes choses dites en Loge ou Chambre par tous Maçons, Compagnons ou Francs-Maçons ; et qu'il n'emploiera aucun argument de désobéissance contre aucun Franc-Maçon, ni ne révélera aucun secret au sujet duquel un différend aurait pu surgir entre Maçons, Compagnons ou Apprentis, mais qu'il se comportera toujours d'une manière respectueuse vis-à-vis de tous les Francs-Maçons qui sont des frères assermentés devant son Maître ; et qu'il ne se livrera pas aux cartes ou autres jeux trompeurs et illégaux, ni ne fréquentera les tavernes ou brasseries où se font les dépenses inutiles, sans la permission de son Maître ou de quelque autre Franc-Maçon ; et qu'il ne commettra pas d'adultère dans la maison d'aucun homme où il travaille ou reçoit nourriture ; et qu'il ne dérobera ni ne volera aucuns biens d'aucune personne, ni ne causera volontairement aucun préjudice ou scandale durant son apprentissage, soit chez son Maître ou sa Dame, soit chez aucun autre Franc-Maçon ; et qu'il doit résister de toutes ses forces aux mauvaises
510 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
impulsions et en informer, le plus tôt possible, son dit Maître ou quelque autre Franc-Maçon. »
Telles sont les Constitutions de la noble et fameuse corporation appelée Maçonnerie, établies et à présent pratiquées par les meilleurs Maîtres et Compagnons, pour diriger et guider tous ceux qui emploient la dite Corporation.
Scripted p. me vicesimo tertio die Octobris, anno regni Régis et Regince Gulielmy et Mary quinto annoque Domini 1693.
MARK KYPLING.
Les noms de la Loge :
WILLIAM SIMPSON CHRISTOPHE THOMPSON
ANTHONY HORSMAN CHRISTOPHER GILL
Me ISAAC BRENT, surveillant de la Loge :
« Nous, soussignés, avons comparé la copie qui précède avec le Document original en la possession de la York Lodge n° 236, document ayant appartenu autrefois à l'ancienne Grande Loge de toute lAngleterre siégeant dans la cité d'York, et, par le présent acte, nous certifions que cette copie est exacte et fidèle.
« Villiam Cowling, P. M. et Trésorier, 236
« Ralph L. Davison, P. M., 236. »
« York, 13 mai 1870. a
Le Document original est un rouleau de parchemin légèrement mutilé, portant la mention suivante :
« N° 4-1693. Le F? Geo. Walker de Wetherby, à la Grande Loge d'York.»
II
LOGES FRANÇAISES A LONDRES
Il y avait en Angleterre, sous le maillet de la G? L? orangiste, deux L? françaises à l'O? de Londres : « French Lodge », à l'enseigne du Cygne, et la L? « au duc de Lorraine », dans Suffolk Street.
Dans le tableau de Richard Steele, la première porte le n° 20 et la seconde le n° 98.
D'après l'approbation de l'Histoire des Francs-Maçons de la Tierce, on voit que cet écrivain faisait partie de cette dernière Loge en 1733 (la Tierce, p. IX) : « Le 3e mardi du mois d'août 1733, le comte de Strathmore étant le T? Vén? G? M? de toutes les L? du royaume d'Angleterre, le Vén? M?, les surveillants, compagnons et apprentis de la L? française des f?m? sise à Londres, dans la rue de Suffolk, à l'enseigne du duc de Lorraine, déclarent
APPENDICES 511
unanimement que l'Histoire des F?-M? du f? la Tierce ne contenait rien qui ne fût conforme aux lois, aux statuts, aux règlements et aux usages de la très ancienne et très vénérable confraternité : Friard, secrétaire. »
III
L'ÉTAT-MAJOR DE LA F?- M? JACOBITE EN 1760
D'après une série de rituels manuscrits, ayant appartenu à Duchesnay, vénérable de la Parfaite Union à l'O? de Quimper, en 1769, les hauts officiers de la F?-M? Jacobite étaient les personnages suivants :
Grand officier G. V. Le f. is C. G. HD. St F. (sic ?).
Illustre député G V. Le f. Cte de la Tour du Pin.
G. 1er assistant, de la Baguerie.
G. de Lauret, président.
G. Secrétaire, Le Gondat.
G. Econome, Gouvion.
G. Orateur, comte de Melit.
D'après le même manuscrit, les provinces maçonniques avaient à leur tête :
Paris : le comte de la Tour du Pin, brig. des armées du roi.
Auvergne : le chevalier de la Gondole, cap. com. du rég. de Condé Infie.
Rouergue : le chev. de Pomerol, cap. com. de Condé Infi.
Haut Languedoc : chev. de la Baguerie.
Narbonne et Béziers : le ch. de Maxinchina ; - Suisse supérieure Le Blaize ; - et Suisse inférieure : Zalleroffre. Francfort : le chev. de Horsech.
Iles Antiques de l'Amérique : le chev. Veyère et La Salle.
Prusse : le chev. d'Ascim.
Italie : le marquis de Cumes.
Angleterre : les Stuarts.
Piémont : l'abbé de Gonasque.
Navarre, Bigorre, Béarn : de Belgarde.
Hambourg : le baron de Voylosk.
Anjou et Poitou : le Defigue, cap. réformé de dragons ; Du Beloy, officier au rég. de Planta-Suisse ; Servady.
512 FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
IV
LES ROSES-CROIX JACOBITES
INSTRUCTIONS GÉNÉRALES SUR LE SUBLIME GRADE DE CH? DE L'AIG... OU DU PEL? S. P. R. C. D'HER? PAR? MAC? LIB? MISES EN ORDRE PAR LE TR? R? et P? F?CHEV.
(DEVAUX) S? P? R? C? A L'OR? DE PARIS. - MDCCLXXIX. - D? L? M? D? N? R? 1746.
Tel est le titre du manuscrit du XVIIIe siècle dont nous reproduisons les parties essentielles. Son auteur, Devaux d'Hugueville, fut, en 1780, le vénérable fondateur de l'Aménité à l'O? de Paris.
INSTRUCTIONS GÉNÉRALES SUR LE SUB? GRADE DE CH? DE R? C?
Avertissement.
Avant d'entrer dans le détail de tout ce qui concerne ce grade, il est bon de savoir auparavant quel est son objet et quels en sont les titres. C'est ce qui se trouve expliqué dans l'introduction suivante.
INTRODUCTION
OBJET ET TITRE DU GRADE DE CHEV? R? C?
Ce grade est le vrai but de la maç?, qui toute se rapporte à la même fin.
Celui qui est revêtu de ce grade se nomme :
1° Ch? R? C?, et c'est le titre qui lui convient le mieux ;
2° Chev? de l'Aig(le) parce qu'il y a un Aigle) sur le bijou ;
3° Chev? du Pél(ican) par comparaison du Fils de Dieu qui versa son sang pour nous ;
4° Maç? d'Hér(odom) parce que le premier Chap? de ce grade s'est tenu sur la montagne de ce nom, située entre l'Or? et le N? de l'Ecos? et c'est encore l'endroit où est la maîtresse dignité et
APPENDICES 513
le siège du S? G? M? dans un château antique appartenant aux Chev. de R? C?. C'est ce qui a déterminé les trois quarts des chap? d'Ang(leterre) à prendre ce nom, pendant que l'autre quart prend celui de R? C?
Le Grand M? réside à Ed(imbourg), à 60 milles du château, et y tient souvent le siège.
5° Chev? de Saint-An(dré) parce que les premiers Chev? d'Eco? faisaient chaque année une procession le jour de la fête de ce saint et parce que c'est le jour de leur cons?reg?. C'est ce qui a engagé le peuple à les nommer Chev. de Saint-An (dré), ce qui a fait qu'en Ecosse, après la persécution et le trouble du pays, la forme des vrais bijoux s'étant perdue on y avait substitué un Saint-An(dré) attaché à une C(roix).
Quoique les cérémonies de ce grade n'aient aucun rapport avec ce bijou, on le porte encore aujourd'hui par suite des anciens usages, à Col(ogne) attaché à un collier ponceau, et à Ber(lin) attaché à un collier vert. Dans quelques autres endroits, à la boutonnière. D'autres y portent une médaille de la Rés(urrection), mais tous ces usages sont locaux et particuliers.
On remarquera que, de tous les titres, le premier et véritable est celui de Chev? de l'Aig? S? P? R? S? d'Hér?.
Les Ch? du premier Chap? avaient fait frapper des médailles sur lesquelles était une R(ose) sur une C(roix), emblème du fils de D(ieu) qui est comparé à une R(ose) dans l'Ev(angile).
On trouve quelques-unes de ces médailles dans les cabinets des antiquaires et des curieux.
CHAPITRE 1er
ORDONNANCES GÉNÉRALES.
ARTICLE PREMIER.
Devoirs d'un R? G? envers son Dieu et son Prince.
Un Chev? de l'Ai? S? P? R? C? doit adorer son Dieu, défendre son Prince jusqu'à la dernière goutte de son sang et ne peut sous aucun prétexte passer au service d'un Prince étranger sans une permission du sien et de ses supérieurs.
ART. II.
Ses devoirs envers les pauvres, les prisonniers et les morts.
II est obligé à la charité envers les pauvres, et surtout envers les Chev? et les Maç? dans l'adversité et le besoin, ainsi que de visiter les prisonniers. Jadis il était aussi obligé d'enterrer les morts, mais cela n'a plus lieu qu'envers les Chev?
514
FRANC-MAÇONNERIE EN France
ART. III
Ses devoirs envers ses frères.
Il lui est interdit de se battre, sous quelque prétexte que ce soit, contre un autre Chev?
ART. IV.
Fête de l'Ordre; banquet ; obligation de le faire.
La Fête de l'Ordre est le Jeudi Saint. On ne peut jamais s'exempter du banquet ce jour-là. S'il n'y a qu'un seul Chev? dans un endroit, il doit absolument faire le banquet seul et se réunir en esprit avec ses frères qui font commémoration de lui en ce jour. Cet article a lieu quand même on serait en route.
ART. V.
Obligation respective de deux Chev? pour le banquet dans les lieux où il
n'y a pas de Chap?
Si deux Chev? sont à portée l'un de l'autre et qu'il n'y ait point de Chap? ils doivent s'inviter au banquet et au besoin ils font chacun la moitié du chemin.
ART. VI.
Chev?visit? en un Chap?
Lorsqu'un Chev?va visiter au Chap? il salue le M?le 1er et le 2è Surv? et les FF? et par humilité il se met le dernier du Chap?
ART. VII.
Discrétion d'un Chev?
Un Chev? R? C? ne doit jamais faire connaitre, même à des R? C?, ni le M? d'un Chap? ni celui qui l'a reçu, non plus que les cérémonies de la réception, ni les lieux, jours ou heures où se tient le Chap?.
ART. VIII.
Privilèges d'un Chev...
Il a le privilège de faire seul des maçons, s'il ne se trouve point de L? R? dans une ville, ou à 10 lieues à la ronde, ou pour cause extraordinaire, et il peut leur donner les six grades jusqu'à celui de Chev? de l'Epée dit d'O?. Celui de R? C? est réservé par son bref.
ART. IX.
Usage qu'il doit faire de ce privilège.
Il doit être très circonspect sur l'objet du 8è article, qui exige beaucoup de prudence, pour n'user de ce droit que dans de graves circonstances, ce qui est remis à sa conscience.
ART. X.
Réserve faite à ce privilège.
Il ne doit user en aucun cas du droit de conférer des grades, suivant l'article 8 ci-dessus, qu'autant qu'il ne pourrait se procurer des M? R? en nombre suffisant, au moins deux contre lui.
APPENDICES 515
ART. XI.
Droits d'un Chev? et l'usage qu'il doit en faire.
Il a droit de constituer une L? par sa présence, où il n'y a point de L? R? à dix lieues à la ronde, ce qui régularise les travaux auxquels il assiste ; sur quoi il doit être de la plus grande réserve.
ART. XII.
Devoirs d'un Chev? sur l'assistance au Chap?
Il ne peut se dispenser de venir au Chap? étant convoqué, mais ayant exposé ses besoins, il pourra demander à se retirer.
ART. XIII.
Signature d'un Chev? ; obligation de porter le bijou en L?
Il ne doit jamais rien signer des affaires de la maç? sans y ajouter ses qualités par ces lettres initiales S? P? R? C?
Quelques-uns usent pour cela du triangle lumineux, ce qui est moins rég?
Allant en quelque L? que ce soit, il doit porter le bijou de l'ordre.
ART. X1V.
Prérogatives d'un Chev? en L? ; honneurs qui lui sont dus.
Les Chev? R? C? ont la prérogative de tenir le maillet du M? dans les LL? et s'ils refusent de le prendre ils se mettent à la droite du M? et avant aucun off?.
Ils sont introduits dans les LL? qu'ils vont visiter, en passant sous la voûte d'acier, précédés de deux étoiles et au bruit des applaudissements continuels.
Arrivé à l'Or?, il se met à genoux sur les marches du trône ; le M? en descend, s'agenouille et lui présente le Livre Resp? et le maillet ; s'il l'accepte, le M? lui donne la main et le mène au faut?, puis il le place immédiatement à sa droite, fait remettre les glaives et faire les applaud? ordinaires.
Alors le visiteur fait les travaux qu'il juge à propos, puis, lorsqu'il veut remettre le maillet au M? il descend, s'agenouille et lui présente le Liv? Resp? et le Mail? que le M? reçoit aussi à genoux. Le visiteur donne la main au M?, le mène au faut? et se place immédiatement à sa droite. Alors il fait des appl? et remercie la L? des honneurs qu'il a reçus.
Si le M? ne rend point d'honneurs, le R? C? peut se placer après le dernier f? de la col? J et s'y asseoir par terre après le dernier app? par humilité, et cela pour forcer la L? à lui rendre les honneurs.
Il y a des LL? qui rendent plus ou moins d'honneurs et ne présentent pas le maillet. Un R? C? ne doit pas l'exiger, pour ne pas troubler l'harmonie, d'autant que plusieurs LL? ignorent ces droits, ou les trouvent trop étendus et que les règlements des LL? sont peu d'accord sur cet article.
ART XV.
Nombre qui doit composer un Chap?
Un Chap? rég? sera au moins de 3 Chev? savoir, le M? et les 2 Surv?, dont le second fera les fonctions de Secrét? jusqu'à ce que le
516 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Chap? soit plus nombreux. Pour lors, il aura ses Off? comme dans les LL? ordinaires.
Les élections des off? se feront le J(eudi) S(aint) et ils entreront de suite en fonctions. Les anciens doivent être prêts à rendre leurs comptes ce jour-là.
ART. XVI.
Reddition des comptes.
Le M?, les Surv? et les autres Off? seront électifs par scrutin. Les comptes se rendent particulièrement, ne pouvant pas soupçonner un Chev? de manquer de foi. Cependant les registres doivent être en règle.
ART. XVII.
Jours d'assemblée d'un Chap...
Un Chap? rég? existant dans une ville s'assemblera au moins 5 fois par année, savoir : le Jeudi Saint, à Pâques, à la Pentecôte, à la Toussaint et à Noêl, sans que les membres du Chap? puissent se dispenser des ass? gén? des LL? bleues aux deux fêtes de Saint-Jean.
Quelques chapitres ont aussi maintenu l'usage de s'assembler le jour de Saint-An?, jour de la procession des R? C? d'Écosse.
ART. XVIII.
Nomination du Chap?
Le Chap? sera toujours éclairé en bougies jaunes ou huile d'olive.
ART. XIX.
Quête des pauvres.
On ne tiendra point de Chap? sans quêtes pour les pauvres. Le M? emploiera ces aumônes qui, dans un instant de nécessité, pourront être appliquées au Chap?
ART. XX.
Discours d'obligation.
Il se fera un discours pour l'édification du Chap? à chaque fête solennelle.
ART. XXI.
Affaires qu'on doit et qu'on ne doit point traiter en Chap?
Il ne sera jamais question d'affaires étrangères, mais seulement de celles qui ont rapport à l'ordre. Les matières d'Etat ou de prochain n'y seront jamais discutées et la médisance sera punie avec rigueur comme le vice le plus bas et le plus lâche. Il en sera de même de la flatterie.
ART. XXII.
Convocation du Chap?
Avant de former le Chap? le M? convoquera pour le suivant et le reg? sera signé de 3 Chev? au moins.
APPENDICES 517
ART. XXIII.
Exclusion des servants.
Il ne sera jamais admis de servants. Les deux derniers Chev? en font les fonctions. Nul n'en est exempt.
ART. XXIX.
Devoirs envers les Chev? malades et ceux qui meurent.
Si un Chev? tombe malade, on sera obligé de le visiter et d'avoir attention qu'il ne lui manque rien. S'il meurt, on l'enterrera avec un bijou au col ; tous les Chev? iront à l'enterrement ayant leur collier sous l'habit. Ils lui feront ensuite un service après lequel on tiendra Chap?. Les bijoux seront couverts de crêpe, au convoi, au service et au Chap?. On fera un discours funèbre sur la mort du F?.
ART. XXV.
Obligation du successeur du dignitaire défunt.
Si c'est un dignitaire, celui qui le remplacera portera pendant 3 Chap? un crêpe à son bijou. Il sera nommé dans le Chap? qui suivra le service.
ART. XXVI.
Indélébilité du nom du défunt.
Le nom du Chev? défunt ne sera jamais effacé du Liv? ni du tableau du Chap?, mais on y placera une tête de mort et 2 os en sautoir.
ART. XXVII.
Cérémonies et emblèmes du banquet.
Les R? C? entre eux n'ont d'autres cérémonies de table que celle qui se trouve dans les instructions et qui est en commémoration du repas que J? C?fit à Emmaüs lorsqu'il se fit reconnaître à ses disciples après sa résurrection. Elle est indispensable à l'égard de chaque Chev? au jour du J? S? et dans tous les Chap? aux ass.? des fêtes d'obligation et aux réceptions.
ART. XXVIII.
Des Chap?où l'on mange un agneau.
Il y a des Chap? où l'on peut manger un agneau à certaines fêtes, mais il faut que la tête et les pieds y soient. Le M? les coupe avant que personne y touche et les jette au feu comme victimes et offrandes. Il ne peut y avoir qu'un seul couteau, une seule coupe et jamais de bouteille.
ART. XXIX.
Formalités pour l'admission à ce grade.
Personne ne sera admis à ce grade qu'après un long examen et 3 scrutins distants l'un de l'autre et absolument favorables. Aucun Chev? n'a droit à 2 voix ; tout est égal.
518 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
ART. XXX.
Précautions pour l'admission.
On sera très scrupuleux à accorder ce grade, pour ne pas le multiplier sans de puissants motifs.
ART. XXXI.
Qualités et devoirs du candidat.
Lorsqu'il se présente un cand? il faut qu'il soit Chev? de l'Ep? dit d'Or? et qu'il se conforme aux articles qui le concernent.
ART. XXXII.
Requête du candidat.
Il présentera une req? conçue en ces termes :
Aux Chev? de l'Aig.. S? P? R? C? tenant leur S? Chap? à l'Or? de? (il faut désigner le nom de l'Or?) S? T? H? ses noms de baptême et de famille, surnom, s'il en a, le lieu de sa naissance et ses qualités civiles, Chev? de l'Ep? dit d'Or?, membre de la R? L? de Saint-Jean régulièrement constituée à l'Or? de? et demande au S? Chap? que, vu le désir ardent qu'il a de parvenir au Sub? grade, point parfait de la maç?, il lui plaise, étant maintenant assemblé, l'admettre au nombre des Chev? s'il en est jugé digne.
Le Sup? ne cessera de faire des voeux au ciel pour la prospérité de l'Ordre et de tous ses Chev?. Il régnera, s'habillera en chev? d'Or?, se présentera à genoux et tête nue, à la porte du Chap? où il frappera en Chev? d'Or?
ART. XXXIII.
Comment elle doit lui être rendue.
II attendra que sa requête soit décrétée, et la recevra à genoux et tête nue, un Chev? la lui jettera à terre, en lui disant : Lisez et retirez-vous. Puis il rentrera au Chap?. Le Cand? trouvera sur un Reg? le jour indiqué ainsi que le nom du Chev? qui devra l'instruire de ce qu'il doit savoir.
ART. XXXIV.
Comment on doit l'instruire et ce qu'il doit donner.
Ce F? fera venir chez lui le Cand? et lui donnera lecture des art? 1, 2, 3, 7, 34, 35, 36, 37 et 38 des présentes ord?, prendra son engagement de s'y conformer ; lui fera donner 3 paires de gants dont une de femme, 2 bâtons de cire d'Espagne pour les sceaux, 5 bougies jaunes pour le Chair?, 3 bougies blanches pour le M?, une paire de gants d'homme et une de femme, 2 bâtons de cire d'Espagne et 2 bougies blanches pour chaque Chev?. Il lui fera donner aussi la somme suffisante pour l'emplète des habits de l'Ordre qui devront lui être fournis à la réception.
ARTICLE XXXV.
Offrande qu'il doit donner.
Il lui fera donner ainsi une offrande au moins de 12 livres pour la M(aîtresse) Dem(eure) d'Hér(odom) dont le M? pourra disposer en
APPENDICES 519
faveur des pauvres s'il n'est pas en relation avec le G? Chap? ou en frais du Chap? s'il est nécessaire.
ARTICLE XXXVI.
Dispense qui peut être accordée à cet égard et comment.
Au lieu de l'aumône arbitraire au moins de 12 livres les Chap? peuvent régler le prix déterminé de cette offrande et aussi dispenser des gants, cire d'Espagne et bougies portés à l'art. 34, en convertissant ces droits en une somme applicable aux besoins du Chap?
ARTICLE XXXVII.
Promesses que doit faire le Candidat.
Le Cand? promettra de se conformer aux Ord? et Statuts du Chap? et de s'entretenir honnêtement vêtu, autant que faire se pourra ; de reconnaître son M? en tous temps et en tous lieux, de ne jamais conférer ce grade, sans sa permission ou celle d'un Chap? rég? en cas d'éloignement, et de répondre de la probité de ceux qu'il proposera.
ARTICLE XXXVIII.
Obligations qu'il doit contracter.
Il engagera sa parole dhonneur de ne jamais révéler le lien où il aura été reçu ; encore moins ceux qui l'auront reçu, ni les cérém? qui auront été observées, pas même à un R? C?
(N°. C'est cet avis? qui a rendu jusqu'à ce jour et rend encore ce grade si rare parmi les Maç? en France, puisqu'il est si strictement et si bien observé parmi les Chev? qu'on a beaucoup de peine à y parvenir. Les Chev? R? C? sont même inconnus à la plupart des LL? qui ignorent les honneurs qui leur sont dus.)
Ce grade n'a été communiqué aux Français qu'en reconnaissance des services rendus par les Maç? Français aux Chev? prisonniers pendant la guerre de 1747 (après la bataille de Culloden).
ARTICLE XXXIX
Déclaration que doit faire sur la requête du Candidat le F? chargé de son instruction ; à qui il doit la remettre, ainsi que les fonds.- Appel du candidat pour la réception.
Après que les Art? des Ord? qui concernent le Cand? auront été remplis, le F?chargé de son instruction mettra sur sa Req? sa déclaration qu'il a suffisamment instruit le Cand?, lequel a satisfait à tout ce qui est prescrit ; il remettra cette Req? au Chap? et les fonds au Trésorier. Alors le Cand? sera appelé par ordre du M? aux lieux et heures indiqués pour sa réception.
Quand il s'y rend, on le met dans une chambre des réflex? tendue en noir, si faire se peut, et éloignée du Chap?. On lui donna un livre de morale et on le laisse à ses réflex? jusqu'à ce que le M? envoie vers lui le M? des Cérém? suivant les instructions.
ARTICLE XL.
Statuts particuliers de chaque Chapitre.
Chaque Chap? aura ses statuts particuliers qu'il fera approuver et qui seront exécutés comme les présentes ordonnances.
520 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
V
PROTOCOLE
AVERTISSEMENT (1)
On appelle Protocole le modèle ou la forme des actes relatifs au Chap? de R? C?.
Ces actes sont de deux sortes : ceux qui restent secrets dans le Chap? et ceux qui vont au dehors.
Les délib? que l'on prend au Chap? sont de la première espèce ; elles doivent être écrites tout de suite, sans caractères ni hiéroglyphes particuliers.
Quant à ceux qui vont au dehors du Chap? tels que les extraits de délib? et les brefs de toutes espèces, ils doivent être écrits en caractères particuliers.
A l'égard de ceux-ci il y a trois choses essentielles à remarquer : le timbre, la date hébraïque et la signature. Le timbre des brefs est un triangle lumineux au-dessous duquel se trouvent en hébreu le mot incommunicable, la par(ole) sacrée des Chev? et le nom de la M(aître)sse demeure.
La date hébraïque sera expliquée plus loin.
La signature caractéristique est celle du maître et n'est autre chose que le mot de passe en hébreu.
ARTICLE PREMIER.
Planche.
L'an mil sept cent quatre vingt.. et D? L? M? D? N? R? (de la mort de notre Rédempteur) - cette date change tous les ans le jeudi saint - la... année de la Gr? Malts? du S? G? M? d'Hér? notre Maît? Dem? le? jour du? mois maç? 578?. Les TT? RR? et PP? FF? membres du Souv? Chap? étant régulièrement assemblés, le Tr? S? et P? S? M? a ouvert les Trav? à l'assistance des RR? et PP? FF? (on les nomme tous et on fait mention des absents : les TT? RR? et PP? FF? étant absents).
On inscrit tout le travail par ordre et par art? et avant de se séparer on fait signer tous les FF? présents.
ARTICLE II.
Extrait de la Planche.
Les copies délivrées pour extraits sont dressées de même, avec cette différence qu'on met en entier et en hiéroglyphes les six mots dont les initiales sont en tête de la planche (D?L?M?D?N?). On supprime ce qui suit, ces mots : a ouvert les trav? et on inscrit tout de suite l'art? demandé, puis on met au bas : Pour extrait conforme au registre et plus bas : Par commandement du S? M? d'Hér? et au-dessous de ces mots le secrétaire met sa signature.
(1) Ce document est également extrait du manuscrit de Devaux dHuguevi .
APPENDICES 521
Hiéroglyphes.
Il y a deux sortes d'hiéroglyphes : ceux des lettres et ceux des chiffres. Pour les uns comme pour les autres, voir appendice IX.
ARTICLE III.
Brefs.
Les brefs sont des actes qui vont au dehors du Chap? et qui doivent être revêtus de la signature caractéristique.
Dans tous les actes qui vont au dehors des Chap? avec Sign? Caract? on met une date en hébreu, outre celle qui est dans la teneur de l'acte?. Elle se pose où l'on veut.
Cette date comprend le nom de la Messe? Den?, le jour du mois, le nom de ce mois, l'année du G? M?, quel quantième est ce G? M? et le mot Père, puis l'an vulgaire. Tous les noms sont en hébreu et les chiffres tels qu'on les voit dans les exemples ci-dessous.
La signature caractéristique est :
Cest la signature du M? et le mot de passe en hébreu qui doit être mis sous le cordon du sceau.
En tête des brefs il doit y avoir pour timbre après le triangle lumineux et au-dessous :
1° Le mot incommunicable :
2° La Par(ole) sacrée des Chev
3° La M(aîtr)esse Dem(eure) :
Les mois hébraïques se comptent, se nomment et s'écrivent ainsi qu'il suit :
1° mars Nisan
2° avril Jiar
522 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
3° mai Sivam
4° juin Thaummus
5° juillet Ab
6° août Elus
7° septembre Tieri
8° octobre Marchasvan
9° novembre Caslen
10° décembre Thebet
11° janvier Schebat
12° février Adar
Tous les mots et les époques de cette date s'écrivent avec ces caractères et les chiffres ci-dessus, en commençant par le dernier, et ainsi à rebours jusqu'au premier.
APPENDICES 523
Par exemple pour dire :
Hér. Ier Nisan 29. 54e Père 1779, il faut écrire cette date : 1779. Ab (père) 54. 29 Nisan 1. Hér.
Pour l'intelligence de cette date, il est à propos d'observer ce qu'on entend par le nombre des années du G? M? et par la computation que l'on en fait.
Le 1er G?M?a été N(otre) R(édempteur). Il a vécu 33 ans. Après lui la G? Mse?est restée indivise entre tous les membres du Chap? d'Hér? et ceux de tous les autres Chap? rég?et tous ces Chap? font exercer une année quelconque de la G? M? suivant l'époque de l'année courante à leurs MM? annuellement électifs, celui d'Hér? tenant le siège effectif, en sorte que le corps entier est G? M?, les MM? en charge forment en corps son représentant en exercice et celui d'Hér? le représentant en tenant le siège effectif.
Après N? R? comptons du 2d G? M? 33 ans, du 3e pendant le même temps et ainsi de suite jusqu'à présent. Ces années commencent au mois de mars appelé Nisan, le jour du jeudi saint ; ainsi le 54e G? M? a commencé au mois de mars 1750 les 33 années finissant le jeudi saint du mois de mars 1783. On datera alors du mois de Nisan de la 1ère année du 55e G? M? et ainsi de suite à perpétuité.
Outre le triangle lumineux, les 3 mots en hébreu écrits au-dessous qui servent de timbre, la date en caractères hébraïques et en hiéroglyphes et la signature caractéristique, on met encore au-dessous du timbre en lettres ordinaires l'Or? du Chap?. Ensuite l'intitulé ordinaire à tous les brefs, la date de l'année en caractères connus, celle D? L? M? D? N? R? en hiéroglyphes. Tous les Chev? signent indistinctement avec ces quatre lettres initiales : S? P? R? C?. Après le nom de chacun et au bas après toutes les signatures, le secrétaire met ces mots :
Par commandement du S? Ch? d'Hér?, et il met sa signature au-dessous avec sa qualité de S? P? R? C? et de Secrétaire.
Au bas du bref et à l'une des extrémités doit être le sceau de l'ordre qui est le seul et qui doit pendre à un cordon enlacé de ruban rouge et noir, et c'est sous ce cordon que doit se trouver la signature caractéristique.
Le sceau doit porter dans un manteau ducal un aigle sur l'estomac duquel sera une croix chargée d'une rose ; cette croix est sur sept degrés. A l'entour le collier de l'ordre, de gueules avec un pélican pendant au bas, le tout surmonté d'une couronne antique. Le manteau parsemé d'hermines et de sable semé de croix potencées d'or. Aux coins la croix à 8 pointes de gueules. La croix qui est au coeur est d'or ainsi que les degrés sur un fond de gueules, l'écusson carré long.
L'empreinte de ce sceau doit être en cire rouge appliquée sur une plaque de fer-blanc de la même largeur.
La légende porte en hiéroglyphes de Chev? le nom du royaume ou état, la province et l'Or? où le Chap? est établi. Au reste, le dessein
524 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
du sceau est varié. II ne doit pas y avoir d'autre légende que les 3 mots séparés par des points.
Le petit cachet est partout de sable, une tête de mort et deux os en sautoir d'argent, entouré pour légende du seul nom eu hiéroglyphes.
?LE CHAP? DE PARIS?
?Au lieu très saint de la montagne d'Écosse?
?Par les nombres sacrés?
?Salut?
L'an mil sept cent.... et
mil sept cent... le... jour du... mois maçonnique cinq mille sept cent... midi plein, le souv? Chap? de R?C.?, assemblé en notre nom sous notre autorité et pleine puissance,
Ayant vu le zèle et l'empressement...
Nous, d'un commun accord...
Si mandons à tous les maç?
A ces causes...
Donné à l'Or? de...
Par commandement du S. Ch. d'Hér?
ART. IV.
Bref d'un récipiendaire.
L'an 17... et D? L? M? D? N? R? 17... le. . jour du .. mois mque 57... M.? P?.
Le S? Ch? de R? C? assemblé en notre nom sous notre autorité et pleine puissance.
Ayant vu le zèle et l'empressement pour parvenir au dernier grade et point parfait de la maç? du T? R? et P? F?
né à... province de... au royaume de..., le..., du mois de... 17... professant la religion..., chev? de l'Ep? dit d'Or? m? de la L? St-J? reconnue rég? et duement constituée à l'O? de... sous le titre distinctif de... Après avoir jugé de la capacité et une scrupuleuse information de sa conduite, vie et moeurs tant en L? que dehors, desquels bon rapport nous a été fait et qu'il a satisfait à tous les devoirs du vrai maç? qui sont exigibles en pareil cas.
Nous, d un commun accord avec nos TT? RR? et PP? FF? sous-signés, lui avons fait prêter son obligation, l'avons reçu et admis, créé et constitué à présent et pour toujours chev? de l'Ai? parf? et souv? Pr? maç? d'Hér? sous le titre de R? C? pour par lui jouir des prérogatives attachées à ce grade par toute la surface de la terre et sur sa demande lui donnons plein pouvoir de, partout où il n'y aura point de L? régulièrement constituée, faire et parfaire des maç? jusqu'au 6e grade dit Chev? de l'Ep? ou d'Or? inclusivement, sans
APPENDICES 525
avoir besoin de requérir notre autorité, nous réservant le seul grade de R? C? qu'il ne pourra conférer sans notre consentement autant que faire se pourra, ou sans celui d'un Chap? régulièrement assemblé, lui communiquant par ces présentes et par l'autorité qui nous a été donnée par la métrop? L? d'Angl? d'Ec? et d'In? une partie de nos pouvoirs pour constituer une L? par sa présence avec le droit de tenir le siège dans toutes les LL? régulières répandues sur la surface de la terre, de réformer les abus qui pourraient s'être glissés dans les LL? soit par innovation ou ignorance et de faire généralement tout ce qui tendra au bien et à la propagation du T? R? ordre de la maç? ; promettent d'observer et faire observer partout où il se trouvera les statuts de l'ordre, ainsi que de nous reconnaître pour S? G? M?.
Si mandons à tous les maç? et prions tous nos RR? et PP? FF? qui habitent la surface de la terre, de le reconnaître, honorer et soulager dans ses besoins, promettons d'en faire autant à tous ceux qui viendront de leur part munis de certificats et qui se feront reconnaître.
A ces causes nous lui avons délivré le présent bref auquel foi doit être ajoutée pour lui servir et valoir en tant que besoin sera. Lequel nous avons fait signer par NN? TT? RR? et PP? FF? et contresigner par N? T? Puis? et Part? F? notre secrétaire, y avons apposé notre sceau puis l'avons fait accepter en notre présence par le T? R? et P? F?
. en apposant sa signature à la marge pour éviter toute supercherie.
Béni soit celui qui lui fera bon accueil et lui sera utile ; que son nom soit à jamais honoré et chéri de tous les maç?, qu'il reçoive par nous et en notre nom tous les honneurs dus par les membres à nous connus.
Donné à l'Or? de l'Un? le siège effectif se tenant à Hér? la. .. année de notre avènement à la Gr? M? de l'ordre comme 54e G.?M?.
ART. V.
Bref pour un Chapitre suffragant.
(Il faut qu'il y ait 3 FF? de l'Or? où le Chap? veut s'établir qui soient régularisés avant d'expédier ce bref. )
L'an 17... et D? L? M? D? N? R? 17... le... jour du... mois maç.'. 57
.. M? P. .
Le S? Ch? de R? C? assemblé en notre nom sous notre autorité et pleine puissance.
Les TT? RR? et PP? FF?
habitant à l'Or? de... tous trois Chev? de l'Ai? part? et Souv? Pr? maç? lib? d'Hér? sous le titre de R? C? et membres de notre Souv? Chap? nous ayant exposé le désir sincère qu'ils avaient de se réunir pour travailler régulièrement audit Or? et nous ayant demandé qu'il nous plaise leur accorder le droit d'y conférer le sub? grade de Chev? de l'Ai? S? P? R? C? d'Hér? que nous nous sommes réservé en les constituant Chev? dudit ordre et ayant rédigé des statuts particuliers qu'ils se proposent d'exécuter en outre des ordonnances générales, lesquels statuts nous ont été présentés, après avoir jugé de la capacité et du zèle des-dits TT? RR? et PP? FF? et qu'ils ont satisfait à tous les devoirs qui sont exigibles en pareil cas.
Nous, d'un commun accord, avec NN? TT? RR? et PP? FF?
526 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
soussignés, en vertu des pouvoirs émanés du S? Chap? d'Hér? notre M? Dem? avons accordé et accordons aux dits RR? PP? FF? pouvoir de s'assembler audit Or? de... et d'y former et établir un Souv? Chap? dépendant de notre M? Dem? et suffragant libre de celui régulièrement établi à notre Or? et sur leur demande, donnons plein pouvoir audit Chap? régulièrement assemblé audit titre, de conférer le grade Subl? Chev? de l'Ai? S? P? R? C? à ceux qui étant régulièrement élevés au 6e grade de la maç? dits Chev? de l'Ép? ou d'Or? auront mérité cette récompense par leur zèle, leur capacité et leur conduite tant en L? qu'au dehors.
Pourquoi ledit Chap? pourra recourir à notre autorité, créer et constituer des Chev? de l'Ai? Parf? et Souv? Pr? maç? Lib? d'Hér? sous le titre de R? C? pour, par les FF? ainsi constitués par ledit Chap? séant à l'Or? de..., jouir à toujours et sur toute la surface de la terre, des privilèges attachés à ce subi? grade, à charge par ledit Chap? de se conformer exactement aux instructions renfermées dans le cahier du grade, aux ord? gén? et aux stat? part? rédigés par les TT? RR? et PP? FF? lesquels ont été approuvés à toujours.
A ces causes, nous leur avons délivré ce présent bref, auquel foi doit être ajoutée, pour leur servir et valoir en tant que besoin sera, lequel nous avons fait signer par NN? TT? RR? et PP? FF? et contre-signer par notre Tr? Puis.? et Parf? F? notre secrétaire, y avons apposé notre sceau sous lequel nous avons annexé un exemplaire des instructions reg? des ord? gén? et des stat? part? avant dits.
Puisse le G? A? de lUn? bénir les travaux du Chap? établi par le présent bref et combler de ses grâces tous les TT? RR? et PP? FF? qui y participeront.
Donné à l'Or? de l'Un? le siège effectif se tenant à Hér? la... année de notre avènement à la G? M? de l'ordre comme 54e G? M?.
Lorsqu'un Chap? en établit un suffragant du sien, il faut qu'il n'y en ait pas de rég? plus près que lui, sans quoi c'est à celui-là qu'appartiendrait ce droit. Il doit ensuite en donner avis à celui dont il est suffragant. Celui-là en fait autant au sien et ainsi de suite, en sorte que la chaîne des suffragants réciproques soit connue. Les Chap? en tiennent tableau. Les 3 FF? qui obtiennent le bref sont membres de celui qui le donne et par réciprocité les 3 Lum? actuelles de ce dernier deviennent membres honoraires et perpétuel de celui qui s'établit, ils sont mis sur les tableaux respectifs.
Ceux qui ont obtenu le titre ont pour preuve de cette qualité le certificat de leur réception ou affiliation au Chap? qui établit l'autre, ne pouvant en former la demande que daprès lun ou l'autre de ces actes. Les 3 Lum? du Chap? qui établit l'autre reçoivent au jour de la première assemblée le certificat de leur qualité dans icelui, d'après la délibération qu'en prend le nouveu Chap? après son élection d'officiers.
ART. VI.
Bref pour un membre honoraire.
L'an, etc..., sur la demande qui nous a été faite par le T? R? et P? F? Chev? de l'Ai? Parf? et Souv? Pr? maç? lib? d'Hér? sous le titre de R?C.?, membre du Souv? Chap? régulièrement établi à
APPENDICES 527
l'Or? de... à ce qu'il nous plaise lui accorder le titre de membre honoraire et perpétuel de notre Gr? Chap?.
Nous, d'un commun accord avec NN? TT? RR? et PP? FF? soussignés, avons accueilli favorablement la demande et en conséquence avons accordé et accordons au T? R? et P? F? le titre de membre bon? de notre Souv? Chap? pour par lui jouir des droits attachés à ladite qualité.
A ces causes, nous lui avons délivré le présent bref auquel foi doit être ajoutée pour lui servir et valoir en tant que besoin sera, lequel nous avons fait signer par NN? TT? RR? et PP? FF? et contresigner par N? T? Puis? et P? Fr? notre secrétaire, et y avons apposé notre sceau.
Donné à lO? de l'Un?, etc.
ART. VII
Bref pour affilier un Chev? Régulier.
(On ne peut affilier que des FF? qui sont munis d'un certif? de réception d'un Chap? Rég?, car si son Chap? n'était pas établi régulièrement, ce qui se voit par les caractères de son bref, il serait obligé de prêter une obligation nouvelle après laquelle il serait recréé et constitué Chev? R? C? en lui donnant le Col? comme il est dit dans le cahier des réceptions, et alors il recevrait un bref de récipiendaire). Si son Chap? est rég? alors il est affilié et reçoit le bref suivant :
L'an, etc... Le Souv? Chap? de R? C?, etc... ayant vu le zèle que nous a témoigné le T? R? et P? F? Chev? de l'Ai? Parf? et Souv? Pr? maç? lib? d'Hér? sous le titre de R? C?, membre du Souv? Chap? régulièrement établi à l'Or? de... dont il nous a présenté le bref de sa réception en bonne forme et ledit T? R.? et P? F? nous ayant exposé qu'il est dans l'impossibilité de suivre les trav? de son Souv? Chap? à cause de son éloignement et ayant témoigné un désir sincère de participer à nos mystères pourquoi il nous a demandé de l'agréger au nombre des membres qui composent notre Souv? Chap?.
Nous, d'un commun accord, avec NN? TT? RR? et PP? FF? soussignés avons accueilli favorablement la demande et en conséquence avons accordé et accordons audit T? R? et P? F? le titre de memb? agrégé à notre Souv? Chap? aux trav? duquel nous l'avons affilié et affilions pour par lui jouir des droits et prérogatives attachés à ladite qualité.
A ces causes nous lui avons délivré, etc.
Donné à l'Or? de l'Un?, etc.
VI
GRADE DE L'INITIÉ DANS LES PROFONDS MYSTÈRES
Objet de ce grade (1).
Le Grade de l'Initié dans les profonds mystères a pour objet de faire connaître, aux vrais maç? parfaitement affermis dans les principes de
(1) Suite du manuscrit de Devaux d'Hugueville.
528 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
la maç? ce qu'il y a de bon ou de vicieux dans tous les autres grades dont on y fait la critique ; c'est pourquoi pour pouvoir juger sainement si les grades qu'on y approuve ou désapprouve donnent réellement lieu au jugement que l'on en porte, il est essentiel d'avoir reçu tous ces grades, ou du moins de les connaître.
Ces grades sont principalement les trois de la maç? Bleue, celui de M? Parf? ; celui d'Elu ; l'Élu de l'inconnu ; celui des Quinze ; celui d'Écossais ; celui de Souv? Cons? du Temple ; celui d'Élu suprême, celui de Chev? d'Or? ; celui de Chev? d'Occ? ; celui de Sublime Philosophe ; celui de Chev? du Soleil ; celui de Chev? du Phénix ; celui de Chev? de l'Aigle Noir, ou R? C? de Marseille.
Pour mettre plus d'ordre dans ce traité nous le diviserons en 2 chapitres dont le premier aura pour objet une instruction générale relativement à ce grade et sera composé de 10 sections et le 2° aura pour objet tous les trav? qui se font dans la L? de l'Initié dans les profonds mystères et sera divisé en 5 sections.
CHAPITRE PREMIER.
Instructions générales sur ce grade.
Ce premier Chap? sera divisé en 10 sections qui auront pour objet, savoir :
La 1°, le lieu où l'on peut tenir la L? ;
La 2°, les ornements des FF? en L? ;
La 3°, les noms des Offi? en L? ;
La 4°, la batterie pour s'annoncer à la porte de la L? ;
La 5°, la proposition d'un récipiendaire ;
La 6°, les signes du grade et l'Ord? ;
La 7°, les mots du grade ;
La 8°, l'attouch? du grade ;
La 9°, le baiser du grade ;
La 10°, le changement de M?.
SECTION PREMIERE.
Du lieu où l'on peut tenir L?
Dans tous les autres grades il faut avoir un local particulier, pour tenir L?, et ce local doit être décoré suivant le grade dont on tient L?.
Dans celui-ci, la L.? se tiendra où l'on voudra ; il n'y aura aucune nécessité d'avoir une tenture particulière parce que le fond de ce grade ne consiste que dans le discours que le F? Orat? prononce au Récip? après son admission en L?.
SECTION II.
Ornements des FF.-.
Les ornements que les FF? doivent porter en L? sont le tablier, les gants, le collier et le bijou.
Le tablier est blanc, brodé d'un ruban couleur de rose pâle sans autre ornement.
Les gants sont blancs.
Le collier est de ruban moiré blanc, liséré comme le tablier et au bas du collier pend le bijou.
APPENDICES 529
Le bijou est un soleil sortant d'un nuage avec cette devise : Post tenebras lux.
SECTION III.
Nom des officiers en L?
Dans tous les hauts grades on donne des noms pompeux aux off?. Dans celui-ci on ne leur donne d'autres noms que ceux qu'ils ont dans la Maçonnerie simple.
Le maître s'appelle simplement Vén?.
Les 2 autres lumières de la L?, s'appellent surveillants et ainsi de tous les autres off?.
SECTION IV.
Manière de frapper pour entrer en L?
Lorsque la L? est ouverte, les FF? qui se présentent pour y entrer doivent s'annoncer à la porte par 2 coups, séparés au moins d'une minute. On leur répond du dedans et ils répètent, après quoi on leur ouvre.
SECTION V.
Proposition d'un récipiendaire.
L'on ne proposera un récip? qu'avec toutes les précautions et après l'assurance de ses qualités strictes tant civ? que maç?.
Comme dans ce grade, l'amitié et l'union doivent être plus intimes que dans tous les autres, un seul opposant suffira pour faire rejeter un candidat, fût-il doué de toutes les qualités, élevé à tous les grades maç? possibles : parce qu'il est à remarquer qu'il y a beaucoup de maç? qui quoique étant parvenus à la connaissance des grades sup? n'ont pas acquis les vertus qu'ils enseignent et n'ont pas même le caractère formé de façon à vivre avec tout le monde.
Voici d'où naissent les intrigues qui divisent les LL? et qui font d'un lieu de paix et de tranquillité, le séjour de la discorde et quelquefois de la haine la plus envenimée.
SECTION VI.
Des signes et ordres.
Il y a deux signes : celui d'opposition et celui d'admiration.
Le signe d'opposition consiste à faire tomber la main droite sur la cuisse.
Le signe d'admiration est le même que celui de comp? dans la Maçonnerie Bleue. Il se fait en portant la main droite sur le coeur. C'est ce même signe qui sert d'ordre.
SECTION VII.
Des mots.
II y a aussi deux mots :
Le 1° est Amitié ;
Le 2° Union.
530 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
SECTION VIII.
Des attouchements.
L'attouch? consiste à se prendre et à se serrer réciproquement avec le pouce la 2e phalange du doigt auriculaire ou petit doigt.
SECTION IX.
Du baiser.
Le baiser des Initiés est le même que celui de la Maçonnerie Bleue.
SECTION X.
Changement de maître.
Chaque memb? deviendra maît? à son tour, à moins que tous les memb? d'un commun accord ne veuillent la continuation de l'exerçant. Par ce moyen, l'égalité subsistera, n'y ayant aucune place distinguée parmi les FF?
CHAPITRE II
Des travaux.
Ce Chap? sera divisé en 5 sections qui ont pour objet, savoir :
La 1°, l'Ouverture de la L? et la prière qu'on y fait ;
La 2°, la Réception ;
La 3°, l'Instruction gén? de la L? ;
La 4°, le Discours de l'Orat? relativement à ce grade, et ceux dont nous avons parlé dans l'objet de ce grade ;
La 5°, la Clôture de la L?
SECTION PREMIÈRE.
Ouverture de la L?
Dès que tous les FF? sont entrés, décorés et assis, le Vén? fait les questions suivantes :
D. - F? 1er Surv?, quel sujet nous rassemble ?
R. - Celui de nous dépouiller de nos préjugés, de devenir hommes et d'être vertueux et honnêtes
D. - Sommes-nous à couvert de toute surprise ?
R. - Oui, Tr? Vén?, aucun mortel ne peut pénétrer en ce lieu. Et après cette réponse le M? dit :
Mes FF?, puisque nous sommes sùrs d'être à couvert, que notre but est la vertu et que l'amitié la plus intime nous unit, cherchons tous les moyens de nous rendre meilleurs.
La Prière.
O toi, Souv? de ce vaste Univ? que nos coeurs cherchent et qu'ils aperçoivent dans la sublimité de tes oeuvres, daigne être propice à nos voeux ; seconde la pureté de nos intentions et fais que, dégagés des liens qui nous attachent aux choses terrestres, nous trouvions le bonheur véritable des Elus dans la pratique des vertus.
Amen.
APPENDICES 531
SECTION II.
Réception.
Lorsque la L? est ouverte, le F? expert conduit le récip? auprès de la porte, où il s'annonce par la batterie du grade. Alors le M? dit : Fr? 1er Surv?, faites voir qui frappe à la porte de la L?.
Le 1er Surv? rend l'ordre au F? M? des Cérém? qui lui dit qui c'est, et il le dit lui-même au M?.
T? Vén?, c'est un maç? qui, connaissant tous les Gr? de la Maçonnerie, en secoue les préjugés et cherche un asile où habite la vraie vertu.
Après cette réponse, le M? dit :
Mes FF?, donnez-lui l'entrée de notre Temple et qu'il trouve parmi nous le bien inestimable que son coeur désire.
Lorsque le candidat est entré, le M? lui dit :
Mon C? F?, étant parfaitement assuré de la docilité de votre caractère, de la droiture de votre âme, de votre zèle à secourir les malheureux, nous nous félicitons de vous voir admis dans le choix que nous faisons des maç? vertueux.
Je vous engage de vous unir à nous par l'amitié la plus étroite. Prenez place, mon T? C? F?, et profitez des instructions que l'on va faire.
SECTION III.
Instruction.
D. - Êtes-vous initié ?
R. - J'adore le divin créateur de la nature. Je reconnais sa puissance sans borne. Je conçois sa bonté. J'espère en sa miséricorde. Enfin, je suis persuadé qu'il n'a pu nous créer que pour nous rendre heureux.
D. - Qu'avez-vous fait pour être admis dans nos mystères ?
R. - J'ai cherché la vertu. J'ai tâché d'imiter celui qui nous a créés en devenant doux et compatissant pour les malheureux, et je fais mes efforts pour être l'ami de tous les hommes vertueux.
D. - Par quel degré êtes-vous donc parvenu jusqu'à nous ?
R. En secouant le joug des préjugés que j'avais reçus dans les différents grades de la Maç? que je méprise en partie et que je déteste dans l'autre.
D. - Quelles sont donc vos idées ?
R. - Je pense que l'apprentissage et le compagnonnage, où l'on nous donne des préceptes de vertus sont bons et honnêtes. Que dans la Mse le crime a quelque accès, mais qu'il est puni dans lElu. Que le Parf? M? Angl? est de tous les autres grades le plus raisonnable et le seul qui soit parfaitement bon. Que les différents Ecos? sont inutiles, que l'Él? Sup? est ampoulé et que le Chev? d'Or? est futile ; que celui d'Occ? est dépourvu de sens commun; que le Souv? Comm? est indécent ; que le Gr? Elu est détestable ainsi que le R? C? de Marseille dit le Chev? de l'Aigle Noir qui est digne d'horreur. Que le Chev? du Soleil est méprisable ; le Subl? Philos? digne de pitié ; le Chev? du Phénix absolument déraisonnable.
D. - Pourquoi continuez-vous la Maçonnerie, puisque vos idées lui sont aussi désavantageuses ?
532 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
R. - Je ne méprise que les abus, j'aime à entendre les bons principes qu'elle nous donne. Je tâche de les mettre en pratique et notre travail ne tend qu'à les faire révérer et les faire paraître parmi nous avec plus d'éclat.
D. - Comment y parviendrez-vous ?
R. - En n'admettant dans notre Soc? que des gens choisis et qui conviennent à tous égards au titre de Vrais Initiés.
D. - Quelles sont les qualités que nous exigeons?
R. - La droiture du coeur et de l'âme, un caractère docile qui est toujours de l'avis de ses frères et qui ne l'emportera jamais lorsque les défauts dont aucun homme n'est exempt, lui seront représentés avec la douceur que les parfaits maçons doivent mettre dans leurs remontrances.
SECTION IV.
Discours de l'Orateur.
Après que l'instruction est finie, le F? Ora? lit le discours suivant, dans lequel se trouve expliqué parfaitement tout l'objet de ce grade :
Vous avez passé par tous les grades, on vous a fait parcourir jusqu'à aujourd'hui, les uns après les autres, tous les mystères redoutables au vulgaire, parce qu'il ne les connaît pas et que le sage voit pour la plupart d'un oeil méprisant et dédaigneux.
Nous savons rendre justice à la vertu et à la vérité, elles nous sont chères. Ce que vous allez entendre vous en convaincra de plus en plus.
L'analyse de ces grades va vous être dévoilée, vous allez en pénétrer les replis les plus cachés.
En vous découvrant les moindres circonstances, vous en reconnaîtrez les explications et vous sentirez enfin ce qu'ils méritaient de votre approbation et de votre mépris.
Les connaissances que vous avez dû acquérir après avoir été reçu Apprenti, Comp? et M? dans les grades de l'Elu Ecossais, Parfait M? Anglais, Elu suprême, Souv? Com?, Chev? d'Or? et d'Occ?, Prince de R? C?; Grand Elu, Chev? de l'Aigle Noir, Chev? du Soleil et des adept?, Subl? Philosophe et Chev? du Phénix sont les seuls sur lesquels nous nous étendrons. Les autres, qui sont en quantité et qui ne sont que des répétitions sèches et stériles de ceux dont il vient d'être fait mention, resteront dans l'oubli et ne nous laisseront d'autres impressions que le dédain le plus parfait pour ceux qui ont pu employer leur temps à des ouvrages aussi futiles, de peur d'être obligé de les haïr comme des gens infâmes, que la cupidité seule a conduits dans un travail aussi pitoyable.
APPRENTI ET COMPAGNON. - Les deux premiers grades nous apprennent l'entreprise que fit Salomon de bâtir un Temple à l'Éternel ; les précautions qu'il prit pour le rendre magnifique ; la demande qu'il fit d'Hiram Abif à Hiram, roi de Tyr, pour lui confier en chef la conduite de cette sainte entreprise ; le partage que fit Hi? Ab? des ouvriers en trois classes ; les signes, mots et attouch? dont il convint avec eux pour les reconnaître les uns d'avec les autres ; les proportions du Temple et des deux fameuses colonnes.
Jusqu'ici il n'y a rien de mystérieux ; ouvrez la Bible, vous y trou-
APPENDICES 533
verez les mêmes choses expliquées peut-être plus clairement. Mais n'importe, reconnaissons la prévoyance de notre instituteur.
Pour parvenir à son but, qui était de rendre les hommes égaux et de les faire vivre ensemble dans l'union la plus étroite et la plus intime, il sut s'accommoder à leurs moeurs et de plus à la faiblesse de leur âme. Il reconnaissait combien le merveilleux a de pouvoir sur le coeur humain. Il descendit à des considérations, rendit l'entrée de l'ordre difficile, imagina de rendre les réceptions terribles et formidables et sut les rendre respectables par lappareil mystérieux qu'il répandit sur tout ce qui nous environnait.
Il sentit d'ailleurs la dure nécessité de ces formalités ; il vit qu'en trompant le vulgaire, il éprouverait l'âme de ceux qu'il voulait admettre, qu'il sondait par là leur coeur et leur façon de penser, et qu'il pourrait par ce moyen distinguer la bonté du caractère et de l'esprit de candeur.
D'ailleurs l'établissement de notre M? est louable; il tendait par son application à faire vivre les hommes dans l'égalité et à n'admettre entre eux de prééminence que celle que donne la vertu.
Maîtrise. - Si nous avançons, la M? nous offre le massacre d'Hir? par 3 malheureux consp? jaloux de la gloire et de la faveur qu'il recevait en vivant familièrement avec le roi Salomon, l'assemblée que tinrent les maîtres pour délibérer sur ce qu'ils avaient à faire, afin de prouver leur innocence à Salomon, la recherche du corps du R? M? Hir? qu'ils retrouvèrent et l'exhumation qu'ils en firent.
Déjà dans ce grade le crime se glisse parmi les constructeurs du Temp?, mais on sut le tourner à profit pour en montrer l'horreur et le faire détester de ceux qui étaient membres de l'ordre naissant.
Elu. - Dans l'élu, la vengeance tirée des meurtriers est une leçon qui nous prouve que le crime ne reste jamais impuni, que l'auteur de la nature est infiniment bon, juste et implacable pour les méchants.
On découvre dans ce grade Abir?, un des auteurs de ce meurtre ; mais d'où vient qu'on fit des recherches contre Cebal et Méphiboseth ? pourquoi multiplier les êtres ? Ne pouvons-nous pas dire que déjà le vice se glissait dans la Maç? et que cette multiplication était un présage des désordres qui allaient s'ensuivre ? Le crime puni et le corps retrouvé, il fallut inhumer notre R? M? avec la pompe qu'exigeait le service qu'il avait rendu, et il aurait sans doute mérité une autre récompense.
C'est le sujet de l'Ecossisme, où l'on glisse des cérémonies judaïques qui ne peuvent faire qu'un très mauvais effet, surtout dans un temps où les personnes qui sont à la tête des LL? sont souvent peu instruites et ont d'ailleurs des dépenses à faire, pour les rendre avec dignité, motifs qui peuvent les faire regarder comme contraires aux règles de l'ordre, par celui qui possède au fond du coeur les vrais principes de la nature qui est de saisir les occasions de se rendre utile à l'humanité souffrante.
Parf? M? Angl? - De là on passe à la M? du Parf? M? Angl? qui est une répétition générale de ce qu'on a vu et qui aurait dû être le seul grade, si notre législateur n'eût eu crainte de communiquer trop vite l'intelligence de notre ordre, et de donner lieu à l'indiscrétion en communiquant tout d'un coup ce qu'il y avait de mystérieux à un homme nouvellement reçu.
Voilà ce qui a fait longtemps le secret de notre ordre respectable.
Elu de l'inconnu et des quinze. - Tout était bon jusqu'alors. Rien,
534 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
excepté les élus de l'inconnu et des quinze, n'était de trop. Tout tendait au bien et au maintien de l'ordre ; mais il n'est rien de stable. Les hommes aussi changeants que I'ombre et aussi légers que le vent pouvaient-ils rester longtemps dans l'état heureux où notre législateur s'était efforcé de les mettre ? Pleurons leurs faiblesses et leur aveuglement, mais sachons réparer leurs torts et donner un nouveau centre à l'Art Royal en rétablissant les premières LL?, en rendant un culte pur à l'Étre suprême, en déchirant impitoyablement le bandeau qui nous a privés jusqu'à ce jour de la vraie lumière.
Ecossais. - On fit ensuite du Parf? M? Angl?, le grade d'Écoss?, qui renferme la cérémonie de la dédicace du Temple. Il était, suivant les apparences, naturel de terminer lhistoire.
Souv? Commandeur du Temple. - Mais où cela nous conduit-il ? Au Souv? Com? du Temp?, grade où l'indécence la plus outrée et l'insolence la plus criante sont permises à celui qui en est décoré, par la seule raison qu'il sait que c'était au com. qui en gardait la clef et qui avait l'honneur d'être admis à la cour du roi Salomon.
Elu suprême. - On sentit ensuite qu'on pourrait ajouter à celui qui vient d'être dit la chute du roi Salomon, son impiété et les sacrifices abominables qu'il faisait aux faux dieux, dans ce même temps qu'il avait fait construire pour le seul et véritable Maître de la nature et le comble de la folie en faisant substituer à l'arche d'alliance les simulacres des divinités que lui apportaient ses femmes et ses concubines. On imagina donc l'El? Sup? où l'on jure une haine implacable à cet ennemi déclaré de celui qui l'avait comblé de ses bienfaits.
Chevalier d'Orient. - Il fallut aller plus loin ; le rétablissement du Temple de Dieu sous Cyrus fut le sujet du Chev? d'Or?. Vous y apprenez la manière dont Zorobabel va se présenter devant Cyrus. Il pousse dans son antichambre des soupirs qui sont entendus des gardes. On va voir quel est lhomme revêtu d'un voile, couvert de cendres, qui pousse ces gémissements. On le fait prosterner aux pieds du roi qui gracieusement lui laisse voir son visage et qui ordonne à son ministre de lui donner des instructions qui consistent à lui dire qu'il faut avoir un mot de passe pour se reconnaître dans un besoin et qu'il faut être bien unis. On l'arme ensuite en Chev? d'Or? en lui mettant une écharpe sur laquelle est représentée un pont traversant une rivière, parsemée de têtes de mort et d'ossements. On y apprend le fameux combat du fleuve Starburzanaï ; la victoire que remporte Zorobabel sur les sujets du roi Cyrus qui l'avaient attaqué malgré le passeport qu'ils voulurent lui faire avoir, signé de leur roi.
Les noms des ouvriers du nouveau Temp?, le nombre des hommes qui y furent employés, la résolution qu'ils prirent de travailler, mais avec l'épée au côté, le nombre d'années qu'ils furent à le construire qui fut de 40 ans : toute cette histoire se trouve encore dans la Bible, sauf la réception du Chev? par Cyrus dont il n'est fait aucune mention et qui d'ailleurs est par elle-même fort peu nécessaire.
Chevalier d'Occident. - On trouve dans l'Apocalypse le sujet du Chev? d'Occ? où vous êtes ensuite transporté. La L? représente le ciel tel qu'il est décrit par saint Jean. Le M? de la L? représente l'Alpha et l'Omega ; il tient un livre fermé, sept sceaux qui s'ouvrent
APPENDICES 535
et dont il sort des traits ; une balance, une épée, emblèmes que l'on explique et qu'on fait rapporter à la M?
Comme l'Apocalypse est indéchiffrable, ce grade l'est tout autant et ne peut être regardé comme admirable que par ceux auxquels les choses auxquelles ils ne comprennent rien paraissent des mystères et des merveilles ; absurdité moins criminelle que celles dont on vient de parler, mais encore plus folle.
Sublime Philosophe. - L'or, ce métal source de tant de crimes et d'horreurs et dont nous devrions pouvoir nous passer, est l'idole que nous cherchons avec le plus grand empressement.
Le Subl? Philos?, titre sublime et qui ne convient qu'à celui qui l'est et non point à un homme dont l'occupation est absolument contraire ; titre qui ne doit être accordé tout au plus qu'à celui qui a la vertu pour principe, qui la pratique et qui par son moyen sait se rendre heureux, le Subl? Phil?, disons-nous, fait son unique étude de la richesse de ce fantôme, et prétend par ses découvertes égaler la science du créateur et de l'auteur de tout être.
Chevaliers du Soleil et du Phénix. - Ces grades sont un mélange de religion, de mercure, de soufre et dautres ingrédients qui entrent dans la composition de ce précieux métal qu'Hir? ainsi que Sal? possédaient, mais qui a été perdu et qui ne se trouve plus que chez quelques-uns des descendants de ces fameux alchimistes ou de leurs élèves. L'on cherchera dans ce grade la vertu et le repos après le travail immense qu'exige ce grand oeuvre dont le secret n'est pas encore trouvé et ne se trouvera pas de sitôt. Ce grade donne des relâchements (sic) au moyen desquels on se flatte de pouvoir le trouver.
On pardonnerait à des hommes fous ou insensés de s'y appliquer. Mais que, sans la moindre notion de chimie et sans la moindre teinture physique des autres sciences nécessaires à un travail de cette espèce, on s'y adonne et l'on s'y livre dans ces grades où il en est question, il faut être absolument dépourvu de bon sens, et c'est se mettre dans le cas d'être enfermé aux petites maisons.
Souverain Prince Rose-Croix. - Comme l'Ancien Testament a fait place au Nouveau dont il n'était que la figure, et que la loi de grâce a fait disparaître la loi judaïque, on a cru devoir consacrer cette heureuse révolution dans la M? par un grade particulier. Ce grade est celui de S? P? R? C? Autrement dit le Chev? de l'Aigle ou du Pélican qui a pris sa naissance à Hérodom. Il a pour objet les mystères de la mort et de la résurrection du Sauveur du monde.
L'objet de ce grade est sublime, puisqu'il nous rappelle le mystère de notre rédemption opéré par l'incarnation du Souv? M? de la nature qui pour l'amour de nous a fait le sacrifice volontaire de sa vie, sacrifice dont la mort d'Hir?, qui fait l'objet des premiers grades, n'est qu'une bien faible image, et le triomphe de la religion chrétienne par la résurrection du Verbe. Mais les honneurs et les privilèges extraordinaires qu'on attribue à ceux qui sont revêtus de ce grade sont entièrement contraires à l'esprit d'humilité qu'on enseigne et aux maximes de l'Evangile.
C'est la Cène qu'on y fait. A cela près, ce grade est réellement respectable.
536 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Chev? de I'Aigle Noir. - Le désir de se singulariser a fait imaginer à Marseille un grade qui n'a de commun avec celui-ci que le nom de R? C? qu'on lui a donné fort mal à propos. Ce grade, appelé autrement Chev? de l'Aig? Noir, n'a pour objet essentiel que le Grand uvre, comme tous les autres grades prétendus philosophiques dont il a été parlé ci-dessus, par conséquent il n'est ni moins extravagant ni moins ridicule que ces autres grades. La réception est contraire aux lois de la nature et fait horreur à toute âme délicate ; elle est plus propre à former un fanatique qu'un par? mac?.
Grand Elu. - Le grade de Gr? Élu? est un mélange de l'Elu du Chev? Kad? et des grades philos?. On ne voit pas qu'il ait d'autre objet que l'orgueil et l'esprit de domination dans les LL?, vices qui sont également proscrits par les lois de la Maç? ; ce qui seul suffit pour prouver l'inutilité et l'indécence de ce grade qu'on devrait totalement anéantir.
Voilà les principaux grades analysés. Réfléchissons sur les derniers, qui ont pour objet le Grand uvre, et voyons quel bien il pourrait en résulter quand même le moyen de faire de l'or serait découvert.
L'homme qui le posséderait en serait-il plus sage et plus vertueux ? Pourrait-il faire le bonheur de l'humanité et de ses semblables ? Point du tout.
Au contraire, avec la facilité de satisfaire tous ses désirs, il s'abandonnerait beaucoup plus librement aux grands excès, et l'or devenant plus commun rendrait la subsistance et tous les besoins de la vie beaucoup plus chers et ferait périr de misère ceux qui n'auraient pas le bonheur d'en posséder.
Dégageons-nous tous, mes ff?, de la tyrannie de ces prétendus connaisseurs, et entrons pour n'en sortir jamais dans le vrai sentier du bonheur. Plus de préjugés : ne soyons plus les enfants d'Hir? constructeurs du Temp? ni du prince de Juda qui reconstruisit le Temple de l'Eternel, ni de saint Jean l'Apocalyste transporté dans l'île de Pathmos, ni enfin les descendants de personne.
Soyons vertueux, adorons l'Etre suprême parce qu'il est notre bienfaiteur. Chérissons les mortels aveugles parce qu'ils sont nos ff? ; aidons-les dans leurs besoins, parce que c'est soulager l'humanité. Donnons des conseils parce que par là nous pourrons tirer du joug de l'erreur.
Aimons nous parce que l'Éternel nous fit pour nous rendre heureux. Rendons-nous la vie douce par une conduite agréable et honnête. Sachons enfin passer dans le bonheur le peu de temps que nous avons à demeurer sur terre et restons vertueux au milieu des crimes et des désordres où l'univers est plongé. Amen.
SECTION V.
Clôture de la Loge.
Après que le discours est fini, le vén? demande si les ff? ont quelques propositions à faire et, après que les propositions ont été faites et discutées, il fait la clôture de la L? par la demande suivante qu'il adresse au f? 1er surv? :
D. - Quel est le terme de nos travaux ?
R. - Le moment où la nécessité nous oblige de nous rendre où nos affaires nous appellent ayant toujours la vertu pour guide.
APPENDICES 537
Après cette réponse, le vén? dit :
Que ne pouvons-nous, ô mes chers f?, rester perpétuellement ensemble et jouir des douceurs attachées à une amitié pure et désintéressée. Mais nos besoins, notre travail particulier, les devoirs de nos états, nous forcent à nous séparer. Jurons-nous tous, de nouveau, les mêmes sentiments ; promettons-nous de nous rester inviolablement attachés, et que le baiser fraternel que je vous invite à me faire parvenir soit le gage et la marque assurée de la fidélité de nos engagements. Amen. Amen. Amen.
VII
PATENTES DE CONSTITUTION D'UNE LOGE PAR LA G? L?
A la gloire du grand architecte de l'Univers, et sous le bon plaisir de S. A S. Monseigneur le comte de Clermont, prince du sang, très illustre et très respectable grand maître des L? régulières de France et autres.
Ce jourd'hui 21 novembre 1756, heures de midi plein.
Nous maîtres des L? régulières soussignés de l'ordre respectable de la Franche-Maçonnerie. Au requisitoire du vén? frère Baillot, aussi maître de L? Nous nous serions transportés et assemblés à la L? Saint-Jean, situé à l'Orient de Paris, où étant, il nous aurait communiqué que plusieurs frères, tous bons maçons de la ville de Lyon, s'étant unis en nombre compétent, désireraient pour s'unir à nous plus étroitement, par les liens précieux de la fraternité, d'être formés et constitués en L? régulière et suffragante de la grande L? de Paris, dite de France ; desquels frères à nous proposés avons été assurés et certifiés par ledit frère Baillot qu'ils étaient dignes et capables d'exercer les lois et règlements tant généraux que particuliers de la Franche-Maçonnerie, et en outre que laditte L? sera soumise et se soumettra à l'avenir et généralement aux règlements faits et à faire par la grande L? de Paris, dite de France, comme en faisant corps, à quoi nous maîtres de L? régulières, ouï le bon rapport à nous fait par ledit frère Baillot, avons par ces présentes, constitué et constituons une L? régulière pour et dans la ville de Lyon, être établie à perpétuité, laquelle aura pour titre et nom la Parfaite Amitié et pour maître de ladite L? avons pareillement constitué et constituons le frère Jean-Baptiste Willermoz ; pour premier surveillant, le frère Claude Veulty ; et pour second surveillant, le frère François Claudy, et enjoignons à tous les susdits frères, tant maître qu'officiers de laditte L?, de se conformer à tout ce qui tendra au bien de notre ordre; d'y garder et faire garder et observer très exactement la décence, la sagesse, la concorde et l'union qui doit régner dans les nobles coeurs des maçons et tout ce que dessus étant exactement suivi et exécuté conformément à notre zèle.
Si mandons et enjoignons à tous bons maçons tant de laditte ville de Lyon que tout autre, de reconnaître la présente L? pour régulière et suffragante de la G? L? de France comme en faisant corps, en foy de quoy nous lui avons délivré ces présentes pour luy servir de titre, valoir et demeurer laditte L? perpétuellement établie et installée en laditte ville de Lyon et icelles signées et délivrées par nous maîtres de L? à l'Orient de Paris ledit jour et an que dessus.
538 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
VIII
VIRTUS DEDIT ARDENS. DIPLOME DE MAITRE JACOBITE
Les ténèbres ne l'ont point comprise.
Pro amore Populi A. L. O. Charitas nos docet.
D'un lieu éclairé où règne le silence, la paix et la concorde, l'an de la lumière 5757, de notre calcul ordinaire le 9 avril 1757, joie, salut et prospérité aux très vénérables frères qui liront ces présentes.
Nous les maîtres, inspecteurs et ouvriers de la Respectable L? de Saint-Jean, écossaise anglaise, sous le titre des Enfants de la Sagesse et Concorde (revêtue) de tous les honneurs et authorités par notre cher frère le grand maître le prince Charles Edouard Stuard, régulièrement assemblée par le nombre mystérieux,
Attestons et affirmons à toutes les personnes éclairées répandues sur la surface de la terre qu'en conséquence du zèle et équité et droiture que nous a montré notre cher frère le sieur Targe natif de Paris, âgé de 18 ans, dont la signature est ci-jointe ne varietur et l'ayant reconnu pour apprenti, compagnon et maître, l'avons décoré des grades éminans d'Elu, Ecossais Trinitaire François et, la maîtrise du Parfait Ecossais Anglais, lui ayant sacré l'ceil à la manière accoutumée et ce, comme une récompense de notre ordre royal due à son mérite particulier exactitude et équité pour ce, prions les très respectables L? qui verronts ces présentes de le reconnaître pour bon maçon et de lui décerner les honneurs que ses pénibles travaux lui onts acquis. A ces causes, la Très Respectable L? assemblée lui a fait dresser le présent certificat pour être une marque vivante durable et éternelle de notre inaltérable amitié et pour qu'il soit aidé, consolé et assisté s'il tombait dans quelques périls, dangers ou indigence conformément à nos sacrés engagements, statuts et obligations indispensables et l'avons fait signer de nos principaux officiers et scellé de notre grand sceau et petit sceau de notre Ordre Royal.
Fait passé et délivré en notre très respectable L?
D'Humainbourg, vén? de la présente L? Ecossaise et Anglaise. - Itéguiemme. ex-maître substitut A. S. P. Chev. de l'Orient et de Rose-Croix. - Genieusse-Vilmarceaux, 1er surv. - Grossard, Chev? d'orient. -Targe.
__________________________
APPENDICES 539
IX
HIEROGLYPHES MAÇONNIQUES.
Hiéroglyphes en usage en Angleterre.
Anciens hiéroglyphes en usage en Hollande.
540 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
Nombres. Se forment par additions.
APPENDICES 541
Hiéroglyphes en usage dans la Stricte Observance.
1er Degré.
Ces hiéroglyphes, peu différents de ceux adoptés en 1804 par le G. O.,
étaient en usage dans les loges jacobites dès 1765. C'est le
type anglais moins le W.
Hiéroglyphes en usage dans la Stricte Observance.
2e Degré.
Variante des chevaliers
de l'aigle souverain de
Rose Croix.
542 LA FRANC-MAÇONNERIE EN France
Hiéroglyphes en usage dans la Stricte Observance.
3' Degré.
Anciens hiéroglyphes en usage en France avant 1804.
APPENDICES 543
544 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
APPENDICES 545
546 LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
APPENDICES 547
TABLE DES MATIÈRE
PRÉFACE VII
Avertissement XXVII
CHAPITRE PREMIER
LES PRÉCURSEURS
Le problème. - Les sources des doctrines maçonniques. - Les penseurs: les alchimistes. - La pierre philosophale. - L'Alcaest, la Palingénésie et l'Homunculus. - Les principaux alchimistes ; leurs protecteurs et leurs adversaires. - Les kabbalistes : Raymond Lulle ; Thomas Morus ; Paracelse ; les Socins ; Andrea ; Robert Fludd ; le chancelier Bacon ; Pierre Bayle ; Swedenborg ; Willermoz
CHAPITRE II
LA PÉRIODE DE TRANSITION
La f?-m? corporative. - Les maçons anglais. - Les statuts.
- Les landmarks - La f? m? jacobite. - Les Roses-Croix.
- Ahsmole. - Wren. - Desaguliers. - Ramsay. - Les hauts dignitaires de la f?-m? jacobite 44
CHAPITRE III
L'ORGANISATION PRIMITIVE : SON ÉVOLUTION
Les obligations d'un f?-m?- Les ordonnances de 1720. - L'égalité dans les loges. - L'égalité philosophique et sociale. - Le vote. - La définition de la f?-m? d'après les initiés : Findel, Ragon, Jouaust, Daruty, Oswald Wirth 69
CHAPITRE IV
CHARLES RADCLYFFE, COMTE DE DERWENTWATER, LE PRÉTENDANT
CHARLES-EDOUARD
Les ancêtres. - Les deux frères. - Les premières loges en France. - Le Grand Maître. - Charles-Edouard Stuart. - Culloden. - Le chapitre d'Arras. - Vincennes. - La fin d'une race. - Les persécuteurs et les martyrs. - L'échafaud de Tower-Hill. - Les descendants 109
550 TABLE DES MATIÈRE
CHAPITRE V
LES DÉBUTS DE LA F?-M? EN FRANCE
Les maîtres de loges. - Le recrutement. - Les loges de Paris de 1726 à 1771. - Statuts particuliers. - Les grands maîtres français : le duc d Antin, le comte de Clermont. - La G? L? anglaise de France. - La G? L? de France. - Les substituts : Baur, Lacorne et Chaillon de Jorville. - Beauchaine. - La patente d'Etienne Morin. - Les frères ennemis. - La papauté et la f?-m? 152
CHAPITRE VI
LIDÉE MAÇONNIQUE ET LES GRADES
Le travail de loge. - L'habileté de la nature. - Les dupes. - Les jésuites. - Les chefs secrets. -- Le symbolisme. - Les cérémonies initiatiques. - Retour à l'alchimie et à la kabbale - Les grades. - Les Roses-Croix. - Les Réaux-Croix. - Le chevalier Kadoch 197
CHAPITRE VII
LE POUVOIR ROYAL ET LA F.-M. - LES SCHISMES.
L'attitude du pouvoir. - Louis XV était-il f?-m? - Le G? O? de Bouillon. - La vieille Bru. - La M? L? Écossaise de Marseille. - Le chapitre de Clermont. - Martines de Pasqually et les Élus Cohens. - Saint-Jean de Jérusalem et les Empereurs d Orient et d Occident. - La maçonnerie de perfection. - Les Chevaliers d'Orient. - Le baron de Tschoudy. - Perneti et les Illuminés d'Avignon. - Chatanier et la Nouvelle Jérusalem des illuminés théosophes. - La décadence de la maçonnerie 232
CHAPITRE VIII
LES PETITS SECRETS DE LA F?-M?
Leurs causes et leur but. - Les locaux : les tenues privées. La Grande Loge. - Le Grand Orient ; ses pérégrinations. - Les locaux parisiens. - Les faux noms des loges. - Les hiéroglyphes. -; Les ères maçonniques. - Les mots secrets. Les signatures. - Le langage conventionnel 261
CHAPITRE IX
PROFILS MAÇONNIQUES
La manie égalitaire ; ses conséquences. - Le cabaretier maître de loge. - Le robin. - Le bourgeois. - L'homme à talent, - L'officier. - Le parlementaire. - Le noble. - Puisieux. - Procope. - St-Germain. - Le Breton. - Bacon de la Chevalerie. - Stroganoff. - Savalète de Lange 291
TABLE DES MATIÈRE 551
ÉTAT Des LOGES EXISTANT EN FRANCE EN 1771.
1. - Loges de Paris 357
H. - Loges de province 389
III. - Loges militaires 489
APPENDICES
I. - Manuscrit maçonnique anglais de 1693 en la possession de la York Logde n° 236 505
II. - Loges françaises à Londres 510
III. - L'état-major de la f?-m? jacobite en 1760 511
IV. - Les Roses-Croix jacobites 512
V. - Protocole 520
VI. - Grade de l'initié dans les profonds mystères 527
VII. - Patentes de constitution d'une loge par la G? L? 537
VIII. - Virtus dedit ardens, diplôme de maître jacobite 538
IX. - Hiéroglyphes maçonniques 539
Camaldule, ordre qui avait été fondé en Italie par Saint Romuald en 1012, mais ne vint en France qu'au XVIe siècle.
Ils s'installent dès 1290 dans le faubourg Montmailler, au nord de Limoges. L'église fut achevée en 1301, et la première messe célébrée le jour de l'Assomption. Nous n'avons que très peu de renseignements sur cette implantation, voir l'état du clergé du diocèse de Limoges de Gilles Le Duc dressé en 1702. Officiellement le premier ermitage Camaldules fut fondé au Val-Jésus, commune de Chambles (Loire) par Dom Boniface Antoine, avec l'accord de l'archevêque de Lyon et l'appui d'un prêtre de l'Oratoire, le père Vital de Saint Paul en 1633. Les Camaldules obtinrent la permission de Louis XIII de s'établirent en France qu'en 1634. Mais cet ordre ne prit pas d'extension, et le recrutement fut très faible. Ils s'établirent dans la forêt de Grosbois, au Mont-Valérien, dans le Vendômois et à l'Ile-Chauvet en Vendée. Les Camaldules passèrent très inaperçus, Il fallut les querelles du jansénisme pour attirer sur eux l'attention du public, car une bonne moitié de l'effectif se déclara en faveur de l'hérésie. La commission des Réguliers supprima cette institution en 1770, bien que Loménie de Brienne reconnaisse que ces religieux menaient une vie pauvre et austère, et qu'ils observaient leur règle...!
??
??
??
??
1