fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse
Sans doute est-ce le secret de polichinelle, qu'il y a belle lurette qu'il n'en est plus
.... requerrait plus que jamais son examen : à savoir la pédagogie maternelle, l'
aide ..... Il est frustration non d'un désir du sujet, mais d'un objet où son désir est
..... page de honte qu'on oublie ou qu'on annule, ou page de gloire qui oblige.
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en France, poursuivait depuis dix-huit ans la tradition devenue vénérable sous le titre de « Congrès des Psychanalystes de langue française », étendu depuis deux ans aux psychanalystes de langue romane (la Hollande y étant comprise par une tolérance de langage). Ce Congrès devait avoir lieu à Rome au mois de septembre 1953.
(82)Dans lintervalle, des dissentiments graves amenèrent dans le groupe français une sécession. Ils sétaient révélés à loccasion de la fondation dun « institut de psychanalyse ». On put alors entendre léquipe qui avait réussi à y imposer ses statuts et son programme, proclamer quelle empêcherait de parler à Rome celui qui avec dautres avait tenté dy introduire une conception différente, et elle employa à cette fin tous les moyens en son pouvoir.
Il ne sembla pas pourtant à ceux qui dès lors avaient fondé la nouvelle Société française de Psychanalyse quils dussent priver de la manifestation annoncée la majorité détudiants qui se ralliaient à leur enseignement, ni même quils dussent se démettre du lieu éminent où elle avait été prévue.
Les sympathies généreuses qui leur vinrent en aide du groupe italien, ne les mettaient pas en posture dhôtes importuns dans la Ville universelle.
Pour lauteur de ce discours, il pensait être secouru, quelque inégal quil dût se montrer à la tâche de parler de la parole, de quelque connivence inscrite dans ce lieu même.
Il se souvenait en effet, que bien avant que sy révélât la gloire de la plus haute chaire du monde, Aulu-Gelle, dans ses Nuits attiques, donnait au lieu dit du Mons Vaticanus létymologie de vagire, qui désigne les premiers balbutiements de la parole.
Que si donc son discours ne devait être rien de plus quun vagissement, au moins prendrait-il là lauspice de rénover en sa discipline les fondements quelle prend dans le langage.
Aussi bien cette rénovation prenait-elle de lhistoire trop de sens, pour quil ne rompît pas quant à lui avec le style traditionnel qui situe le « rapport » entre la compilation et la synthèse, pour lui donner le style ironique dune mise en question des fondements de cette discipline.
Puisque ses auditeurs étaient ces étudiants qui attendent de nous la parole, cest avant tout à leur adresse quil a fomenté son discours, et pour renoncer à leur endroit, aux règles qui sobservent entre augures de mimer la rigueur par la minutie et de confondre règle et certitude.
Dans le conflit en effet qui les avait menés à la présente issue, on avait fait preuve quant à leur autonomie de sujets, dune méconnaissance si exorbitante, que lexigence première (83)en ressortait dune réaction contre le ton permanent qui avait permis cet excès.
Cest quau delà des circonstances locales qui avaient motivé ce conflit, un vice était venu au jour qui les dépassait de beaucoup. Quon ait pu seulement prétendre à régler de façon si autoritaire la formation du psychanalyste, posait la question de savoir si les modes établis de cette formation naboutissaient pas à la fin paradoxale dune minorisation perpétuée.
Certes les formes initiatiques et puissamment organisées où Freud a vu la garantie de la transmission de sa doctrine, se justifient dans la position dune discipline qui ne peut se survivre quà se tenir au niveau dune expérience intégrale.
Mais nont-elles pas mené à un formalisme décevant qui décourage linitiative en pénalisant le risque, et qui fait du règne de lopinion des doctes le principe dune prudence docile où lauthenticité de la recherche sémousse avant de se tarir ?
Lextrême complexité des notions mises en jeu en notre domaine fait que nulle part ailleurs un esprit, à exposer son jugement, ne court plus totalement le risque de découvrir sa mesure.
Mais ceci devrait comporter la conséquence de faire notre propos premier, sinon unique, de laffranchissement des thèses par lélucidation des principes.
La sélection sévère qui simpose, en effet, ne saurait être remise aux ajournements indéfinis dune cooptation vétilleuse, mais à la fécondité de la production concrète et à lépreuve dialectique de soutenances contradictoires.
Ceci nimplique de notre fait aucune valorisation de la divergence. Bien au contraire, ce nest pas sans surprise que nous avons pu entendre au Congrès international de Londres où, pour avoir manqué aux formes, nous venions en demandeurs, une personnalité bien intentionnée à notre égard déplorer que nous ne puissions pas justifier notre sécession de quelque désaccord doctrinal. Est-ce à dire quune association qui se veut internationale, ait une autre fin que de maintenir le principe de la communauté de notre expérience ?
Sans doute est-ce le secret de polichinelle, quil y a belle lurette quil nen est plus ainsi, et cest sans aucun scandale quà limpénétrable M. Zilboorg qui, mettant à part notre cas, insistait pour que nulle sécession ne fût admise quau titre (84)dun débat scientifique, le pénétrant M. Wälder put rétorquer quà confronter les principes où chacun de nous croit fonder son expérience, nos murs se dissoudraient bien vite dans la confusion de Babel.
Nous pensons, quant à nous, que, si nous innovons, ce nest point à nous den faire état, et il nest point de notre goût de nous en faire un mérite.
Dans une discipline qui ne doit sa valeur scientifique quaux concepts théoriques que Freud a forgés dans le progrès de son expérience, mais qui, dêtre encore mal critiqués et de conserver pour autant lambiguïté de la langue vulgaire, profitent de ces résonances non sans encourir les malentendus, il nous semblerait prématuré de rompre la tradition de leur terminologie.
Mais il nous semble que ces termes ne peuvent que séclaircir à ce quon établisse leur équivalence au langage actuel de lanthropologie, voire aux derniers problèmes de la philosophie, où souvent la psychanalyse na quà reprendre son bien.
Urgente en tout cas nous paraît la tâche de dégager dans des notions qui samortissent dans un usage de routine, le sens quelles retrouvent tant dun retour sur leur histoire que dune réflexion sur leurs fondements subjectifs.
Cest là sans doute la fonction de lenseigneur, doù toutes les autres dépendent, et cest elle où sinscrit le mieux le prix de lexpérience.
Quon la néglige, et le sens soblitère dune action qui ne tient ses effets que du sens, et les règles techniques, à se réduire à des recettes, ôtent à lexpérience toute portée de connaissance et même tout critère de réalité.
Car personne nest moins exigeant quun psychanalyste sur ce qui peut donner son statut à une action quil nest pas loin de considérer lui-même comme magique, faute de savoir où la situer dans une conception de son champ quil ne songe guère à accorder à sa pratique.
Lexergue dont nous avons transporté lornement à cette préface, en est un assez joli exemple.
Aussi bien saccorde-t-elle à une conception de la formation analytique qui serait celle dune auto-école qui, non contente de prétendre au privilège singulier de délivrer le permis de (85)conduire, simaginerait être en posture de contrôler la construction automobile ?
Cette comparaison vaut ce quelle vaut, mais elle vaut bien celles qui ont cours dans nos convents les plus graves et qui pour avoir pris naissance dans notre discours aux idiots, nont même pas la saveur du canular dinitiés, mais nen semblent pas moins recevoir valeur dusage de leur caractère de pompeuse ineptie.
Cela commence à la comparaison que lon connaît, du candidat qui se laisse entraîner prématurément à la pratique, au chirurgien qui opérerait sans asepsie, et cela va à celle qui incite à pleurer sur ces malheureux étudiants que le conflit de leurs maîtres déchire comme des enfants dans le divorce de leurs parents.
Sans doute cette dernière née nous paraît sinspirer du respect qui est dû à ceux qui ont subi en effet ce que nous appellerons, en modérant notre pensée, une pression à lenseignement qui les a mis à rude épreuve, mais on peut aussi se demander à en entendre le trémolo dans la bouche des maîtres, si les limites de lenfantillage nauraient pas été sans préavis reculées jusquà la niaiserie.
Les vérités que ces clichés recouvrent, mériteraient pourtant quon les soumette à un plus sérieux examen.
Méthode de vérité et de démystification des camouflages subjectifs, la psychanalyse manifesterait-elle une ambition démesurée à appliquer ses principes à sa propre corporation : soit à la conception que les psychanalystes se font de leur rôle auprès du malade, de leur place dans la société des esprits, de leurs relations à leurs pairs et de leur mission denseignement ?
Peut-être pour rouvrir quelques fenêtres au grand jour de la pensée de Freud, cet exposé soulagera-t-il chez certains langoisse quengendre une action symbolique quand elle se perd en sa propre opacité.
Quoi quil en soit, en évoquant les circonstances de ce discours, nous ne pensons point à excuser ses insuffisances trop évidentes de la hâte quil en a reçue, puisque cest de la même hâte quil prend son sens avec sa forme.
Aussi bien avons-nous démontré, en un sophisme exemplaire du temps intersubjectif, la fonction de la hâte dans la précipitation (86)logique où la vérité trouve sa condition indépassable.
Rien de créé qui napparaisse dans lurgence, rien dans lurgence qui nengendre son dépassement dans la parole.
Mais rien aussi qui ny devienne contingent quand le moment y vient pour lhomme, où il peut identifier en une seule raison le parti quil choisit et le désordre quil dénonce, pour en comprendre la cohérence dans le réel et anticiper par sa certitude sur laction qui les met en balance.
INTRODUCTION
Nous allons déterminer cela pendant que nous sommes encore dans laphélie de notre matière car, lorsque nous arriverons au périphélie, la chaleur sera capable de nous la faire oublier. (Lichtenberg).
« Flesh composed of suns. How can such be ? » exclaim the simple ones.
(R. Browning,
Parleying with certain people).
Tel est leffroi qui sempare de lhomme à découvrir la figure de son pouvoir quil sen détourne dans laction même qui est la sienne quand cette action la montre nue. Cest le cas de la psychanalyse. La découverte prométhéenne de Freud a été une telle action ; son uvre nous latteste ; mais elle nest pas moins présente dans chaque expérience humblement conduite par lun des ouvriers formés à son école.
On peut suivre à mesure des ans passés cette aversion de lintérêt quant aux fonctions de la parole et quant au champ du langage. Elle motive les « changements de but et de technique » qui sont avoués dans le mouvement et dont la relation à lamortissement de lefficacité thérapeutique est pourtant ambiguë. La promotion en effet de la résistance de lobjet dans la théorie et de la technique, doit être elle-même soumise à la dialectique de lanalyse qui ne peut quy reconnaître un alibi du sujet.
Essayons de dessiner la topique de ce mouvement. À considérer cette littérature que nous appelons notre activité scientifique, les problèmes actuels de la psychanalyse se dégagent nettement sous trois chefs :
A) Fonction de limaginaire, dirons-nous, ou plus directement des fantasmes dans la technique de lexpérience et dans (88)la constitution de lobjet aux différents stades du développement psychique. Limpulsion est venue ici de la psychanalyse des enfants, et du terrain favorable quoffrait aux tentatives comme aux tentations des chercheurs lapproche des structurations préverbales. Cest là aussi que sa culmination provoque maintenant un retour en posant le problème de la sanction symbolique à donner aux fantasmes dans leur interprétation.
B) Notion des relations libidinales dobjet qui, renouvelant lidée du progrès de la cure, remanie sourdement sa conduite. La nouvelle perspective a pris ici son départ de lextension de la méthode aux psychoses et de louverture momentanée de la technique à des données de principe différent. La psychanalyse y débouche sur une phénoménologie existentielle, voire sur un activisme animé de charité. Là aussi une réaction nette sexerce en faveur dun retour au pivot technique de la symbolisation.
C) Importance du contre-transfert et, corrélativement, de la formation du psychanalyste. Ici laccent est venu des embarras de la terminaison de la cure, qui rejoignent ceux du moment où la psychanalyse didactique sachève dans lintroduction du candidat à la pratique. Et la même oscillation sy remarque : dune part, et non sans courage, on indique lêtre de lanalyste comme élément non négligeable dans les effets de lanalyse et même à exposer dans sa conduite en fin de jeu ; on nen promulgue pas moins énergiquement, dautre part, quaucune solution ne peut venir que dun approfondissement toujours plus poussé du ressort inconscient.
Ces trois problèmes ont un trait commun en dehors de lactivité de pionniers quils manifestent sur trois frontières différentes avec la vitalité de lexpérience qui les supporte. Cest la tentation qui se présente à lanalyste dabandonner le fondement de la parole, et ceci justement en des domaines où son usage, pour confiner à lineffable, requerrait plus que jamais son examen : à savoir la pédagogie maternelle, laide samaritaine et la maîtrise dialectique. Le danger devient grand, sil y abandonne en outre son langage au bénéfice de langages déjà institués et dont il connaît mal les compensations quils offrent à lignorance.
À la vérité on aimerait en savoir plus sur les effets de la symbolisation chez lenfant, et les mères officiantes dans la (89)psychanalyse, voire celles qui donnent à nos plus hauts conseils un air de matriarcat, ne sont pas à labri de cette confusion des langues où Ferenczi désigne la loi de la relation enfant-adulte.
Les idées que nos sages se forment de la relation dobjet achevée sont dune conception plutôt incertaine et, à être exposées, laissent apparaître une médiocrité qui nhonore pas la profession.
Nul doute que ces effets, où le psychanalyste rejoint le type du héros moderne quillustrent des exploits dérisoires dans une situation dégarement , ne pourraient être corrigés par un juste retour à létude où le psychanalyste devrait être passé maître, des fonctions de la parole.
Mais il semble que, depuis Freud, ce champ central de notre domaine soit tombé en friche. Observons combien lui-même se gardait de trop grandes excursions dans sa périphérie : ayant découvert les stades libidinaux de lenfant dans lanalyse des adultes et nintervenant chez le petit Hans que par le moyen de ses parents, déchiffrant un pan entier du langage de linconscient dans le délire paranoïde, mais nutilisant pour cela que le texte-clef laissé par Schreber dans la lave de sa catastrophe spirituelle. Assumant par contre pour la dialectique de luvre, comme pour la tradition de son sens, et dans toute sa hauteur, la position de la maîtrise.
Est-ce à dire que si la place du maître reste vide, cest moins du fait de sa disparition que dune oblitération croissante du sens de son uvre ? Ne suffit-il pas pour sen convaincre de constater ce qui se passe à cette place ?
Une technique sy transmet, dun style maussade, voire réticente en son opacité, et que toute aération critique semble affoler. À la vérité, prenant le tour dun formalisme poussé jusquau cérémonial, et tant quon peut se demander si elle ne tombe pas sous le coup du même rapprochement avec la névrose obsessionnelle, à travers lequel Freud a visé de façon si convaincante lusage, sinon la genèse, des rites religieux.
Lanalogie saccentue à considérer la littérature que cette activité produit pour sen nourrir : on y a souvent limpression (90)dun curieux circuit fermé, où la méconnaissance de lorigine des termes engendre le problème de les accorder, et où leffort de résoudre ce problème renforce cette méconnaissance.
Pour remonter aux causes de cette détérioration du discours analytique, il est légitime dappliquer la méthode psychanalytique à la collectivité qui le supporte.
Parler en effet de la perte du sens de laction analytique, est aussi vrai et aussi vain que dexpliquer le symptôme par son sens, tant que ce sens nest pas reconnu. Mais lon sait quen labsence de cette reconnaissance, laction ne peut être ressentie que comme agressive au niveau où elle se place, et quen labsence des « résistances » sociales où le groupe analytique trouvait à se rassurer, les limites de sa tolérance à sa propre activité, maintenant « reçue » sinon admise, ne dépendent plus que du taux numérique où se mesure sa présence à léchelle sociale.
Ces principes suffisent à répartir les conditions symbolique, imaginaire et réelle qui détermineront les défenses, isolation, annulation, dénégation et généralement méconnaissance , que nous pouvons reconnaître dans la doctrine.
Dès lors si lon mesure à sa masse limportance que le groupe américain a pour le mouvement analytique, on appréciera à leur poids les conditions qui sy rencontrent.
Dans lordre symbolique dabord, on ne peut négliger limportance de ce facteur c dont nous faisions état au Congrès de Psychiatrie de 1950, comme dune constante caractéristique dun milieu culturel donné : condition ici de lanhistorisme où chacun saccorde à reconnaître le trait majeur de la « communication » aux U. S. A., et qui à notre sens, est aux antipodes de lexpérience analytique. À quoi sajoute une forme mentale très autochtone qui sous le nom de behaviourisme, domine tellement la notion psychologique en Amérique, quil est clair quelle a désormais tout à fait coiffé dans la psychanalyse linspiration freudienne.
Pour les deux autres ordres, nous laissons aux intéressés le soin dapprécier ce que les mécanismes manifestés dans la vie des sociétés psychanalytiques doivent respectivement aux relations de prestance à lintérieur du groupe, et aux effets ressentis de leur libre entreprise sur lensemble du corps social, ainsi que le crédit quil faut faire à la notion soulignée par un de leurs représentants les plus lucides, de la convergence qui (91)sexerce entre lextranéité dun groupe où domine limmigrant, et la distanciation où lattire la fonction quappellent les conditions sus-indiquées de la culture.
Il apparaît en tout cas de façon incontestable que la conception de la psychanalyse sy est infléchie vers ladaptation de lindividu à lentourage social, la recherche des pattern de la conduite et toute lobjectivation impliquée dans la notion des human relations, et cest bien une position dexclusion privilégiée par rapport à lobjet humain qui sindique dans le terme, né sur place, de human engineering.
Cest donc à la distance nécessaire à soutenir une pareille position quon peut attribuer léclipse dans la psychanalyse, des termes les plus vivants de son expérience, linconscient, la sexualité, dont il semble que bientôt la mention même doive seffacer.
Nous navons pas à prendre parti sur le formalisme et lesprit de boutique, dont les documents officiels du groupe lui-même font état pour les dénoncer. Le pharisien et le boutiquier ne nous intéressent que pour leur essence commune, source des difficultés quils ont lun et lautre avec la parole, et spécialement quand il sagit du talking shop, de parler métier.
Cest que lincommunicabilité des motifs, si elle peut soutenir un magistère, ne va pas de pair avec la maîtrise, celadu moins quexige un enseignement. On sen est aperçu du reste, les mêmes causes ayant mêmes effets.
Cest pourquoi lattachement indéfectiblement réaffirmé par maints auteurs pour la technique traditionnelle après bilan des épreuves faites aux champs frontières plus haut énumérés, ne va pas sans équivoque ; elle se mesure à la substitution du terme de classique à celui dorthodoxie pour qualifier cette technique. On se rattache à la forme, faute de savoir à quel sens se vouer.
Nous affirmons pour nous que la technique ne peut être comprise, ni donc correctement appliquée, si lon méconnaît les concepts qui la fondent. Notre tâche sera de démontrer que ces concepts ne prennent leur sens plein quà sorienter dans un champ de langage, quà sordonner à la fonction de la parole.
Point où nous notons que pour manier aucun concept freudien, la lecture de Freud ne saurait être tenue pour superflue, fût-ce pour ceux qui sont homonymes à des notions (92)courantes. Comme le démontre la mésaventure que la saison ramène à notre souvenir dune théorie des instincts, revue de Freud par un auteur peu éveillé à la part, dite par Freud expressément mythique, quelle contient. Manifestement il ne saurait lêtre puisquil laborde par un exposé de seconde main, tenu sans cesse pour équivalent au texte freudien et cité sans que rien en avertisse le lecteur, se fiant, peut-être non sans raison, au bon goût de celui-ci pour len distinguer, mais prouvant par là que rien ne justifie cette préférence, sinon la différence de style par quoi louvrage reste ou non partie de luvre. Moyennant quoi de réductions en déductions, et dinductions en hypothèses, lauteur conclut par la stricte tautologie de ses prémisses fausses : à savoir que les instincts dont il sagit sont réductibles à larc réflexe. Telle la pile dassiettes dont lécroulement se distille dans lexhibition classique, pour ne laisser entre les mains de lartiste que deux morceaux dépareillés par le fracas, la construction complexe qui va de la découverte des migrations de la libido dans les zones érogènes au passage métapsychologique dun principe de plaisir généralisé à linstinct de mort, devient le binôme dun instinct érotique passif modelé sur lactivité des chercheuses de poux, chères au poète, et dun instinct destructeur, simplement identifié à la motricité. Résultat qui mérite une mention très honorable pour lart, volontaire ou non, de pousser à la rigueur les conséquences dun malentendu.
(93)I
PAROLE VIDE ET PAROLE PLEINE
DANS LA RÉALISATION PSYCHANALYTIQUE DU SUJET
« Donne en ma bouche parole vraie et estable et fay de moy langue caulte ». (LInternele consolacion, XLVe Chapitre : quon ne doit pas chascun croire et du legier trebuchement de paroles).
« Cause toujours ». (Devise de la pensée causaliste).
Quelle se veuille agent de guérison, de formation ou de sondage, la psychanalyse na quun médium : la parole du patient. Lévidence du fait nexcuse pas quon le néglige. Or toute parole appelle réponse.
Nous montrerons quil nest pas de parole sans réponse, même si elle ne rencontre que le silence, pourvu quelle ait un auditeur, et que cest là le cur de sa fonction dans lanalyse.
Mais si le psychanalyste ignore quil en va ainsi de la fonction de la parole, il nen subira que plus fortement lappel, et si cest le vide qui dabord sy fait entendre, cest en lui-même quil léprouvera et cest au delà de la parole quil cherchera une réalité qui comble ce vide.
Ainsi en vient-il à analyser le comportement du sujet pour y trouver ce quil ne dit pas. Mais pour en obtenir laveu, il faut bien quil lui en parle. Il retrouve alors la parole, mais rendue suspecte de navoir répondu quà la défaite de son silence, devant lécho perçu de son propre néant.
Mais quétait donc cet appel du sujet au delà du vide de son dire ? Appel à la vérité dans son principe, à travers quoi (94)vacilleront les appels de besoins plus humbles. Mais dabord et demblée appel propre du vide, dans la béance ambiguë dune séduction tentée sur lautre par les moyens où le sujet met sa complaisance et où il va engager le monument de son narcissisme.
« La voilà bien, lintrospection ! » sexclame lhomme qui en sait long sur ses dangers. Il nest pas certes le dernier à en avoir goûté les charmes, avant den avoir épuisé le profit. Dommage quil nait plus de temps à y perdre. Car vous en entendriez de belles et de profondes, sil venait sur votre divan.
Il est étrange quun analyste, pour qui ce personnage est une des premières rencontres de son expérience, fasse encore état de lintrospection dans la psychanalyse. Car si cet homme tient sa gageure, il voit sévanouir ces belles choses quil avait en réserve et, sil soblige à les retrouver, elles savèrent plutôt courtes, mais dautres se présentent assez inattendues pour lui paraître des sottises et le rendre coi un bon moment, comme tout un chacun.
Il saisit alors la différence entre le mirage de monologue dont les fantaisies accommodantes animaient sa jactance et le travail forcé de ce discours sans échappatoire que le psychologue, non sans humour, et le thérapeute, non sans ruse, ont décoré du nom de « libre association ».
Car cest bien là un travail, et tant un travail quon a pu dire quil exige un apprentissage, et aller jusquà voir dans cet apprentissage la valeur formatrice de ce travail. Mais à le prendre ainsi, que formerait-il dautre quun ouvrier qualifié ?
Dès lors, quen est-il de ce travail ? Examinons ses conditions, son fruit, dans lespoir dy voir mieux son but et son profit.
On a reconnu au passage la pertinence du terme durcharbeiten auquel équivaut langlais working through, et qui chez nous a désespéré les traducteurs, encore que soffrît à eux lexercice dépuisement à jamais marqué en notre langue de la frappe dun maître du style : « Cent fois sur le métier, remettez
», mais comment louvrage progresse-t-il ici ?
La théorie nous rappelle la triade : frustration, agressivité, régression. Cest une explication daspect si compréhensible quelle pourrait bien nous dispenser de comprendre. Lintuition est preste, mais une évidence doit nous être dautant plus suspecte quelle est devenue idée reçue. Que lanalyse vienne à (95)surprendre sa faiblesse, il conviendra de ne pas se payer du recours à laffectivité. Mot-tabou de lincapacité dialectique qui, avec le verbe intellectualiser, dont lacception péjorative fait de cette incapacité mérite, resteront dans lhistoire de la langue les stigmates de notre obtusion en matière de psychologie
Demandons-nous plutôt doù vient cette frustration ? Est-ce du silence de lanalyste ? Une réponse, même et surtout approbatrice, à la parole vide montre souvent par ses effets quelle est bien plus frustrante que le silence. Ne sagit-il pas plutôt dune frustration qui serait inhérente au discours même du sujet ? Ce discours ne lengage-t-il pas dans une dépossession toujours plus grande de cet être de lui-même, dont, à force de peintures sincères qui laissent se dissiper son image, defforts dénégateurs qui natteignent pas à dégager son essence, détais et de défenses qui nempêchent pas de vaciller sa statue, détreintes narcissiques qui sépuisent à lanimer de son souffle, il finit par reconnaître que cet être na jamais été quune uvre imaginaire et que cette uvre déçoit en lui toute certitude. Car dans ce travail quil fait de la reconstruire pour un autre, il retrouve laliénation fondamentale qui la lui a fait construire comme une autre, et qui la toujours destinée à lui être dérobée par un autre.
Cet ego, dont nos théoriciens définissent maintenant la force par la capacité de soutenir une frustration, est frustration dans son essence. Il est frustration non dun désir du sujet, mais dun objet où son désir est aliéné et qui, tant plus il sélabore, tant plus sapprofondit pour le sujet laliénation de sa jouissance. Frustration au second degré, donc, et telle que le sujet en ramènerait-il la forme en son discours jusquà limage passivante par où le sujet se fait objet dans la parade du miroir, il ne saurait sen satisfaire puisquà atteindre même en cette image sa plus parfaite ressemblance, ce serait encore la jouissance de lautre quil y ferait reconnaître. Cest pourquoi il ny a (96)pas de réponse adéquate à ce discours, car le sujet tiendra comme de mépris toute parole qui sengagera dans sa méprise.
Lagressivité que le sujet éprouvera ici na rien à faire avec lagressivité animale du désir frustré. Cette référence dont on se contente, en masque une autre moins agréable pour tous et pour chacun : lagressivité de lesclave qui répond à la frustration de son travail par un désir de mort.
On conçoit dès lors comment cette agressivité peut répondre à toute intervention qui, dénonçant les intentions imaginaires du discours, démonte lobjet que le sujet a construit pour les satisfaire. Cest ce quon appelle en effet lanalyse des résistances, dont apparaît aussitôt le dangereux versant. Il est déjà signalé par lexistence du naïf qui na jamais vu se manifester que la signification agressive des fantasmes de ses sujets.
Cest le même qui, nhésitant pas à plaider pour une analyse « causaliste » qui viserait à transformer le sujet dans son présent par des explications savantes de son passé, trahit assez jusque dans son ton, langoisse quil veut sépargner davoir à penser que la liberté de son patient soit suspendue à celle de son intervention. Que le biais où il se résout puisse être à quelque moment bénéfique pour le sujet, ceci na pas dautre portée quune plaisanterie stimulante et ne nous retiendra pas plus longtemps.
Visons plutôt ce hic et nunc où certains croient devoir enclore la manuvre de lanalyse. Il peut être utile en effet, pourvu que lintention imaginaire que lanalyste y découvre, ne soit pas détachée par lui de la relation symbolique où elle sexprime. Rien ne doit y être lu concernant le moi du sujet, qui ne puisse être réassumé par lui sous la forme du « je », soit en première personne.
« Je nai été ceci que pour devenir ce que je puis être » : si telle nétait pas la pointe permanente de lassomption que le sujet fait de ses mirages, où pourrait-on saisir ici un progrès ?
Lanalyste dès lors ne saurait traquer sans danger le sujet dans lintimité de son geste, voire de sa statique, sauf à les réintégrer comme parties muettes dans son discours narcissique, et ceci a été noté de façon fort sensible, même par de jeunes praticiens.
(97)Le danger ny est pas de la réaction négative du sujet, mais bien plutôt de sa capture dans une objectivation, non moins imaginaire que devant, de sa statique, voire de sa statue, dans un statut renouvelé de son aliénation.
Tout au contraire lart de lanalyste doit être de suspendre les certitudes du sujet, jusquà ce que sen consument les derniers mirages. Et cest dans le discours que doit se scander leur résolution.
Quelque vide en effet quapparaisse ce discours, il nen est ainsi quà le prendre à sa valeur faciale : celle qui justifie la phrase de Mallarmé quand il compare lusage commun du langage à léchange dune monnaie dont lavers comme lenvers ne montrent plus que des figures effacées et que lon se passe de main en main « en silence ». Cette métaphore suffit à nous rappeler que la parole, même à lextrême de son usure, garde sa valeur de tessère.
Même sil ne communique rien, le discours représente lexistence de la communication ; même sil nie lévidence, il affirme que la parole constitue la vérité ; même sil est destiné à tromper, il spécule sur la foi dans le témoignage.
Aussi bien le psychanalyste sait-il mieux que personne que la question y est dentendre à quelle « partie » de ce discours est confié le terme significatif, et cest bien ainsi quil opère dans le meilleur cas : prenant le récit dune histoire quotidienne pour un apologue qui à bon entendeur adresse son salut, une longue prosopopée pour une interjection directe, ou au contraire un simple lapsus pour une déclaration fort complexe, voire le soupir dun silence pour tout le développement lyrique auquel il supplée.
Ainsi cest une ponctuation heureuse qui donne son sens au discours du sujet. Cest pourquoi la suspension de la séance dont la technique actuelle fait une halte purement chronométrique et comme telle indifférente à la trame du discours, y joue le rôle dune scansion qui a toute la valeur dune intervention pour précipiter les moments concluants. Et ceci indique de libérer ce terme de son cadre routinier pour le soumettre à toutes fins utiles de la technique.
Cest ainsi que la régression peut sopérer, qui nest que lactualisation dans le discours des relations fantasmatiques restituées par un ego à chaque étape de la décomposition de sa (98)structure. Car enfin cette régression nest pas réelle ; elle ne se manifeste même dans le langage que par des inflexions, des tournures, des « trébuchements si légers » quils ne sauraient à lextrême dépasser lartifice du parler « babyish » chez ladulte. Lui imputer la réalité dune relation actuelle à lobjet revient à projeter le sujet dans une illusion aliénante qui ne fait que répercuter un alibi du psychanalyste.
Cest pourquoi rien ne saurait plus égarer le psychanalyste que de chercher à se guider sur un prétendu contact éprouvé de la réalité du sujet. Cette tarte à la crème de la psychologie intuitionniste, voire phénoménologique, a pris dans lusage contemporain une extension bien symptomatique de la raréfaction des effets de la parole dans le contexte social présent. Mais sa valeur obsessionnelle devient flagrante à être promue dans une relation qui, par ses règles mêmes, exclut tout contact réel.
Les jeunes analystes qui sen laisseraient pourtant imposer par ce que ce recours implique de dons impénétrables, ne trouveront pas mieux pour en rabattre quà se référer au succès des contrôles mêmes quils subissent. Du point de vue du contact avec le réel, la possibilité même de ces contrôles deviendrait un problème. Bien au contraire, le contrôleur y manifeste une seconde vue, cest le cas de le dire, qui rend pour lui lexpérience au moins aussi instructive que pour le contrôlé. Et ceci presque dautant plus que ce dernier y montre moins de ces dons, que certains tiennent pour dautant plus incommunicables quils font eux-mêmes plus dembarras de leurs secrets techniques.
La raison de cette énigme est que le contrôlé y joue le rôle de filtre, voire de réfracteur du discours du sujet, et quainsi est présentée toute faite au contrôleur une stéréographie dégageant déjà les trois ou quatre registres où il peut lire la partition constituée par ce discours.
Si le contrôlé pouvait être mis par le contrôleur dans une position subjective différente de celle quimplique le terme sinistre de contrôle (avantageusement remplacé, mais seulement en langue anglaise, par celui de supervision), le meilleur fruit quil tirerait de cet exercice serait dapprendre à se tenir lui-même dans la position de subjectivité seconde où la situation met demblée le contrôleur.
(99)Il y trouverait la voie authentique pour atteindre ce que la classique formule de lattention diffuse, voire distraite, de lanalyste nexprime que très approximativement. Car lessentiel est de savoir ce que cette attention vise : assurément pas, tout notre travail est fait pour le démontrer, un objet au delà de la parole du sujet, comme certains sastreignent à ne le jamais perdre de vue. Si telle devait être la voie de lanalyse, cest sans aucun doute à dautres moyens quelle aurait recours, ou bien ce serait le seul exemple dune méthode qui sinterdirait les moyens de sa fin.
Le seul objet qui soit à la portée de lanalyste, cest la relation imaginaire qui le lie au sujet en tant que moi et, faute de pouvoir léliminer, il peut sen servir pour régler le débit de ses oreilles, selon lusage que la physiologie, en accord avec lÉvangile, montre quil est normal den faire : des oreilles pour ne point entendre, autrement dit pour faire la détection de ce qui doit être entendu. Car il nen a pas dautres, ni troisième oreille, ni quatrième, pour une transaudition quon voudrait directe de linconscient par linconscient. Nous dirons ce quil faut penser de cette prétendue communication.
Nous avons abordé la fonction de la parole dans lanalyse par son biais le plus ingrat, celui de la parole vide, où le sujet semble parler en vain de quelquun qui, lui ressemblerait-il à sy méprendre, jamais ne se joindra à lassomption de son désir. Nous y avons montré la source de la dépréciation croissante dont la parole a été lobjet dans la théorie et la technique, et il nous a fallu soulever par degrés, telle une pesante roue de moulin renversée sur elle, ce qui ne peut servir que de volant au mouvement de lanalyse : à savoir les facteurs psychophysiologiques individuels qui, en réalité, restent exclus de sa dialectique. Donner pour but à lanalyse den modifier linertie propre, cest se condamner à la fiction du mouvement, où une certaine tendance de la technique semble en effet se satisfaire.
Si nous portons maintenant notre regard à lautre extrême lexpérience psychanalytique, dans son histoire, dans sa casuistique, dans le procès de la cure , nous trouverons à opposer à lanalyse du hic et nunc la valeur de lanamnèse comme indice et comme ressort du progrès thérapeutique, à lintra-subjectivité (100)obsessionnelle lintersubjectivité hystérique, à lanalyse de la résistance linterprétation symbolique. Ici commence la réalisation de la parole pleine.
Examinons la relation quelle constitue.
Souvenons-nous que la méthode instaurée par Breuer et par Freud fut, peu après sa naissance, baptisée par lune des patientes de Breuer, Anna 0., du nom de « talking cure ». Rappelons que cest lexpérience inaugurée avec cette hystérique qui les mena à la découverte de lévénement pathogène dit traumatique.
Si cet événement fut reconnu pour être la cause du symptôme, cest que la mise en paroles de lun (dans les « stories » de la malade) déterminait la levée de lautre. Ici le terme de prise de conscience emprunté à la théorie psychologique quon a aussitôt donnée du fait, garde un prestige qui mérite la méfiance que nous tenons pour de bonne règle à lendroit des explications qui font office dévidences. Les préjugés psychologiques de lépoque sopposaient à ce quon reconnût dans la verbalisation comme telle une autre réalité que son flatus vocis. Il reste que dans létat hypnotique elle est dissociée de la prise de conscience et que ceci suffirait à faire réviser cette conception de ses effets.
Mais comment les vaillants de laufhebung behaviouriste ne donnent-ils pas ici lexemple, pour dire quils nont pas à connaître si le sujet sest ressouvenu de quoi que ce soit. Il a seulement raconté lévénement. Nous dirons, quant à nous, quil la verbalisé, ou pour développer ce terme dont les résonances en français évoquent une autre figure de Pandore que celle de la boîte où il faudrait peut-être le renfermer, il la fait passer dans le verbe ou, plus précisément, dans lépos où il rapporte à lheure présente les origines de sa personne. Ceci dans un langage qui permet à son discours dêtre entendu par ses contemporains, et plus encore qui suppose le discours présent de ceux-ci. Cest ainsi que la récitation de lépos peut inclure un discours dautrefois dans sa langue archaïque, voire étrangère, voire se poursuivre au temps présent avec toute lanimation de lacteur, mais cest à la façon dun discours indirect, isolé entre des guillemets dans le fil du récit et, sil se joue, cest sur une scène impliquant la présence non seulement du chur, mais des spectateurs.
(101)La remémoration hypnotique est sans doute reproduction du passé, mais surtout représentation parlée et comme telle impliquant toutes sortes de présences. Elle est à la remémoration vigile de ce quon appelle curieusement dans lanalyse « le matériel », ce que le drame produisant devant lassemblée des citoyens les mythes originels de la Cité est à lhistoire qui sans doute est faite de matériaux, mais où une nation de nos jours apprend à lire les symboles dune destinée en marche. On peut dire dans le langage heideggérien que lune et lautre constituent le sujet comme gewesend, cest-à-dire comme étant celui qui a ainsi été. Mais dans lunité interne de cette temporalisation, létant marque la convergence des ayant été. Cest-à-dire que dautres rencontres étant supposées depuis lun quelconque de ces moments ayant été, il en serait issu un autre étant qui le ferait avoir été tout autrement.
Lambiguïté de la révélation hystérique du passé ne tient pas tant à la vacillation de son contenu entre limaginaire et le réel, car il se situe dans lun et dans lautre. Ce nest pas non plus quelle soit mensongère. Cest quelle nous présente la naissance de la vérité dans la parole, et que par là nous nous heurtons à la réalité de ce qui nest ni vrai, ni faux. Du moins est-ce là le plus troublant de son problème.
Car la vérité de cette révélation, cest la parole présente qui en témoigne dans la réalité actuelle et qui la fonde au nom de cette réalité. Or dans cette réalité, seule la parole témoigne de cette part des puissances du passé qui a été écartée à chaque carrefour où lévénement a choisi.
Cest pourquoi la condition de continuité dans lanamnèse, où Freud mesure lintégrité de la guérison, na rien à faire avec le mythe bergsonien dune restauration de la durée où lauthenticité de chaque instant serait détruite de ne pas résumer la modulation de tous les instants antécédents. Cest quil ne sagit pour Freud ni de mémoire biologique, ni de sa mystification intuitionniste, ni de la paramnésie du symptôme, mais de remémoration, cest-à-dire dhistoire, faisant reposer sur le seul couteau des certitudes de date la balance où les conjectures sur le passé font osciller les promesses du futur. Soyons catégorique, il ne sagit pas dans lanamnèse psychanalytique de réalité, mais de vérité, parce que cest leffet dune parole pleine de réordonner les contingences passées en leur donnant le sens (102)des nécessités à venir, telles que les constitue le peu de liberté par où le sujet les fait présentes.
Les méandres de la recherche que Freud poursuit dans lexposé du cas de « lhomme aux loups » confirment ces propos pour y prendre leur plein sens.
Freud exige une objectivation totale de la preuve tant quil sagit de dater la scène primitive, mais il suppose sans plus toutes les resubjectivations de lévénement qui lui paraissent nécessaires à expliquer ses effets à chaque tournant où le sujet se restructure, cest-à-dire autant de restructurations de lévénement qui sopèrent, comme il sexprime nachträglich, après-coup. Bien plus avec une hardiesse qui touche à la désinvolture, il déclare tenir pour légitime délider dans lanalyse des processus les intervalles de temps où lévénement reste latent dans le sujet. Cest-à-dire quil annule les temps pour comprendre au profit des moments de conclure qui précipitent la méditation du sujet vers le sens à décider de lévénement originel.
Notons que temps pour comprendre et moment de conclure sont des fonctions que nous avons définies dans un théorème purement logique, et qui sont familières à nos élèves pour sêtre démontrées très propices à lanalyse dialectique par où nous les guidons dans le procès dune psychanalyse.
Cest bien cette assomption par le sujet de son histoire, en tant quelle est constituée par la parole adressée à lautre, qui fait le fond de la nouvelle méthode à quoi Freud donne le nom de psychanalyse, non pas en 1904, comme lenseignait naguère une autorité qui, pour avoir rejeté le manteau dun silence prudent, apparut ce jour-là ne connaître de Freud que le titre de ses ouvrages, mais bien en 1896.
Pas plus que Freud, nous ne nions, dans cette analyse du sens de sa méthode, la discontinuité psycho-physiologique que manifestent les états où se produit le symptôme hystérique, ni que celui-ci ne puisse être traité par des méthodes, hypnose, voire narcose , qui reproduisent la discontinuité de ces états. Simplement, et aussi expressément quil sest interdit à partir (103)dun certain moment dy recourir, nous excluons tout appui pris dans ces états, tant pour expliquer le symptôme que pour le guérir.
Car si loriginalité de la méthode est faite des moyens dont elle se prive, cest que les moyens quelle se réserve suffisent à constituer un domaine dont les limites définissent la relativité de ses opérations.
Ses moyen sont ceux de la parole en tant quelle confère aux fonctions de lindividu un sens ; son domaine est celui du discours concret en tant que champ de la réalité trans-individuelle du sujet ; ses opérations sont celles de lhistoire en tant quelle constitue lémergence de la vérité dans le réel.
Premièrement en effet, quand le sujet sengage dans lanalyse, il accepte une position plus constituante en elle-même que toutes les consignes dont il se laisse plus ou moins leurrer : celle de linterlocution, et nous ne voyons pas dinconvénient à ce que cette remarque laisse lauditeur interloqué. Car ce nous sera loccasion dappuyer sur ce que lallocution du sujet y comporte un allocutaire, autrement dit que le locuteur sy constitue comme intersubjectivité.
Secondement, cest sur le fondement de cette interlocution en tant quelle inclut la réponse de linterlocuteur, que le sens se délivre pour nous de ce que Freud exige comme restitution de la continuité dans les motivations du sujet. Lexamen opérationnel de cet objectif nous montre en effet, quil ne se satisfait que dans la continuité intersubjective du discours où se constitue lhistoire du sujet.
Cest ainsi que le sujet peut vaticiner sur son histoire sous leffet dune quelconque de ces drogues qui endorment la conscience et qui ont reçu de notre temps le nom de « sérums de vérité », où la sûreté dans le contresens trahit lironie propre du langage. Mais la retransmission même de son discours enregistré, fût-elle faite par la bouche de son médecin, ne peut, de lui parvenir sous cette forme aliénée, avoir les mêmes effets que linterlocution psychanalytique.
Aussi cest dans la position dun troisième, terme que la (104)découverte freudienne de linconscient séclaire dans son fondement véritable et peut être formulée de façon simple en ces termes :
Linconscient est cette partie du discours concret en tant que transindividuel, qui fait défaut à la disposition du sujet pour rétablir la continuité de son discours conscient.
Ainsi disparaît le paradoxe que présente la notion de linconscient, si on la rapporte à une réalité individuelle. Car la réduire à la tendance inconsciente nest résoudre le paradoxe, quen éludant lexpérience qui montre clairement que linconscient participe des fonctions de lidée, voire de la pensée. Comme Freud y insiste en clair, quand, ne pouvant éviter de la pensée inconsciente la conjonction de termes contrariée, il lui donne le viatique de cette invocation : sit venia verbo. Aussi bien lui obéissons-nous en rejetant en effet la faute sur le verbe, mais sur ce verbe réalisé dans le discours qui court comme le furet de bouche en bouche pour donner à lacte du sujet qui en reçoit le message, le sens qui fait de cet acte un acte de son histoire et qui lui donne sa vérité.
Dès lors lobjection de contradiction in terminis quélève contre la pensée inconsciente une psychologie mal dégagée de la logique, tombe avec la distinction même du domaine psychanalytique en tant quil manifeste la réalité du discours dans son autonomie, et leppur si muove ! du psychanalyste rejoint celui de Galilée dans son incidence, qui nest pas celle de lexpérience du fait, mais celle de lexperimentum mentis.
Linconscient est ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : cest le chapitre censuré. Mais la vérité peut être retrouvée ; le plus souvent déjà elle est écrite ailleurs. À savoir :
dans les monuments : et ceci est mon corps, cest-à-dire le noyau hystérique de la névrose où le symptôme hystérique montre la structure dun langage et se déchiffre comme une inscription qui, une fois recueillie, peut sans perte grave être détruite ;
dans les documents darchives aussi : et ce sont les souvenirs de mon enfance, impénétrables aussi bien queux, quand je nen connais pas la provenance ;
dans lévolution sémantique : et ceci répond au stock et aux (105)acceptions du vocabulaire qui mest particulier, comme au style de ma vie et à mon caractère ;
dans les traditions aussi, voire dans les légendes qui sous une forme héroïsée véhiculent mon histoire ;
dans les traces, enfin, quen conservent inévitablement les distorsions, nécessitées par le raccord du chapitre adultéré dans les chapitres qui lencadrent, et dont mon exégèse rétablira le sens.
Létudiant qui aura lidée, assez rare, il est vrai, pour que notre enseignement semploie à la répandre , que pour comprendre Freud, la lecture de Freud est préférable à celle de M. Fenichel, pourra se rendre compte à lentreprendre, que ce que nous venons dexprimer est si peu original, même dans sa verve, quil ny apparaît pas une seule métaphore que luvre de Freud ne répète avec la fréquence dun motif où transparaît sa trame même.
Il pourra dès lors plus facilement toucher à chaque instant de sa pratique quà linstar de la négation que son redoublement annule, ces métaphores perdent leur dimension métaphorique, et il reconnaîtra quil en est ainsi parce quil opère dans le domaine propre de la métaphore qui nest que le synonyme du déplacement symbolique, mis en jeu dans le symptôme.
Il jugera mieux après cela du déplacement imaginaire qui motive luvre de M. Fenichel, en mesurant la différence de consistance et defficacité technique, entre la référence aux stades prétendus organiques du développement individuel et la recherche des événements particuliers de lhistoire dun sujet. Elle est exactement celle qui sépare la recherche historique authentique des prétendues lois de lhistoire dont on peut dire que chaque époque trouve son philosophe pour les répandre au gré des valeurs qui y prévalent.
Ce nest pas dire quil ny ait rien à retenir des différents sens découverts dans la marche générale de lhistoire au long de cette voie qui va de Bossuet (Jacques-Bénigne) à Toynbee (Arnold) et que ponctuent les édifices dAuguste Comte et de Karl Marx. Chacun sait certes quelles valent aussi peu pour orienter la recherche sur un passé récent que pour présumer avec quelque raison des événements du lendemain. Au reste sont-elles assez modestes pour repousser à laprès-demain leurs certitudes, (106)et pas trop prudes non plus pour admettre les retouches qui permettent de prévoir ce qui est arrivé hier.
Si leur rôle donc est assez mince pour le progrès scientifique, leur intérêt pourtant se situe ailleurs : il est dans leur rôle didéaux qui est considérable. Car il nous porte à distinguer ce quon peut appeler les fonctions primaire et secondaire de lhistorisation.
Car affirmer de la psychanalyse comme de lhistoire quen tant que sciences elles sont des sciences du particulier, ne veut pas dire que les faits auxquels elles ont à faire soient purement accidentels, sinon factices, et que leur valeur ultime se réduise à laspect brut du trauma.
Les événements sengendrent dans une historisation primaire, autrement dit lhistoire se fait déjà sur la scène où on la jouera une fois écrite, au for interne comme au for extérieur.
À telle époque, telle émeute dans le faubourg Saint-Antoine est vécue par ses acteurs comme victoire ou défaite du Parlement ou de la Cour ; à telle autre, comme victoire ou défaite du prolétariat ou de la bourgeoisie. Et bien que ce soit « les peuples » pour parler comme Retz, qui toujours en soldent les frais, ce nest pas du tout le même événement historique, nous voulons dire quelles ne laissent pas la même sorte de souvenir dans la mémoire des hommes.
À savoir quavec la disparition de la réalité du Parlement et de la Cour, le premier événement retournera à sa valeur traumatique susceptible dun progressif et authentique effacement, si lon ne ranime expressément son sens. Tandis que le souvenir du second restera fort vif même sous la censure, de même que lamnésie du refoulement est une des formes les plus vivantes de la mémoire , tant quil y aura des hommes pour soumettre leur révolte à lordre de la lutte pour lavènement politique du prolétariat, cest-à-dire des hommes pour qui les mots-clefs du matérialisme dialectique auront un sens.
Dès lors ce serait trop dire que nous allions reporter ces remarques sur le champ de la psychanalyse puisquelles y sont déjà, et que la désintrication quelles y produisent entre la technique de déchiffrage de linconscient et la théorie des instincts, voire des pulsions, va de soi.
Ce que nous apprenons au sujet à reconnaître comme son inconscient, cest son histoire, cest-à-dire que nous laidons à (107)parfaire lhistorisation actuelle des faits qui ont déterminé déjà dans son existence un certain nombre de « tournants » historiques. Mais sils ont eu ce rôle, cest déjà en tant que faits dhistoire, cest-à-dire en tant que reconnus dans un certain sens ou censurés dans un certain ordre.
Ainsi toute fixation à un prétendu stade instinctuel est avant tout stigmate historique : page de honte quon oublie ou quon annule, ou page de gloire qui oblige. Mais loublié se rappelle dans les actes, et lannulation soppose à ce qui se dit ailleurs, comme lobligation perpétue dans le symbole le mirage même où le sujet sest trouvé pris.
Pour dire bref, les stades instinctuels sont déjà quand ils sont vécus, organisés en subjectivité. Et pour dire clair, la subjectivité de lenfant qui enregistre en victoires et en défaites la geste de léducation de ses sphincters, y jouissant de la sexualisation imaginaire de ses orifices cloacaux, faisant agression de ses expulsions excrémentielles, séduction de ses rétentions, et symboles de ses relâchements, cette subjectivité nest pas fondamentalement différente de la subjectivité du psychanalyste qui sessaie à restituer pour les comprendre les formes de lamour quil appelle prégénital.
Autrement dit, le stade anal nest pas moins purement historique quand il est vécu que quand il est repensé, ni moins purement fondé dans lintersubjectivité. Par contre, son homologation comme étape dune prétendue maturation instinctuelle mène tout droit les meilleurs esprits à ségarer jusquà y voir la reproduction dans lontogenèse dun stade du phylum animal quil faut aller chercher aux ascaris, voire aux méduses, spéculation qui, pour être ingénieuse sous la plume dun Balint, mène ailleurs aux rêveries les plus inconsistantes, voire à la folie qui va chercher dans le protiste le schème imaginaire de leffraction corporelle dont la crainte commanderait la sexualité féminine. Pourquoi dès lors ne pas chercher limage du moi dans la crevette sous le prétexte que lun et lautre retrouvent après chaque mue leur carapace ?
Un nommé Jaworski, dans les années 1910-1920, avait édifié un fort beau système où « le plan biologique » se retrouvait jusquaux confins de la culture et qui précisément donnait à lordre des crustacés son conjoint historique, si mon souvenir est bon, dans quelque tardif Moyen Âge, sous le chef dune (108)commune floraison de larmure, ne laissant veuve au reste de son répondant humain nulle forme animale, et sans en excepter mollusques et punaises.
Lanalogie nest pas la métaphore, et le recours quy ont trouvé les philosophes de la nature, exige le génie dun Goethe dont lexemple même nest pas encourageant. Aucun ne répugne plus à lesprit de notre discipline, et cest en sen éloignant expressément, que Freud a ouvert la voie propre à linterprétation des rêves, et avec elle à la notion du symbolisme analytique. Cette notion, nous le disons, va strictement à lencontre de la pensée analogique dont une tradition douteuse fait que certains, même parmi nous, la tiennent encore pour solidaire.
Cest pourquoi les excès dans le ridicule doivent être utilisés pour leur valeur dessillante, car, pour ouvrir les yeux sur labsurdité dune théorie, ils les ramèneront sur des dangers qui nont rien de théorique.
Cette mythologie de la maturation instinctuelle, bâtie avec des morceaux choisis de luvre de Freud, engendre en effet des problèmes subjectifs dont la vapeur condensée en idéaux de nuées irrigue en retour de ses ondées le mythe originel. Les meilleures plumes distillent leur encre à poser des équations qui satisfassent aux exigences du mystérieux genital love (il y a des notions dont létrangeté saccommode mieux de la parenthèse dun terme emprunté), et elles paraphent leur tentative par un aveu de non liquet. Personne pourtant ne paraît ébranlé par le malaise qui en résulte, et lon y voit plutôt matière à encourager tous les Münchhausen de la normalisation psychanalytique à se tirer par les cheveux dans lespoir datteindre au ciel de la pleine réalisation de lobjet génital, voire de lobjet tout court.
Si nous, psychanalystes, sommes bien placés pour connaître le pouvoir des mots, ce nest pas une raison pour lorienter dans le sens de linsoluble, ni pour « lier des fardeaux pesants et insupportables pour en accabler les épaules des hommes », comme sexprime la malédiction du Christ aux pharisiens dans le texte de saint Matthieu.
Ainsi la pauvreté des termes où nous tentons dinclure un problème spirituel, peut-elle laisser à désirer à des esprits exigeants, pour peu quils se reportent à ceux qui structuraient jusque dans leur confusion les querelles anciennes autour de la Nature et de la Grâce. Ainsi peut-elle leur laisser à craindre (109)quant à la qualité des effets psychologiques et sociologiques quon peut attendre de leur usage. Et lon souhaitera quune meilleure appréciation des fonctions du logos dissipe les mystères de nos charismes fantastiques.
Pour nous en tenir à une tradition plus claire, peut-être entendrons-nous la maxime célèbre où La Rochefoucauld nous dit qu« il y a des gens qui nauraient jamais été amoureux, sils navaient jamais entendu parler de lamour », non pas dans le sens romantique dune « réalisation » tout imaginaire de lamour qui sen ferait une objection amère, mais comme une reconnaissance authentique de ce que lamour doit au symbole et de ce que la parole emporte damour.
Il nest en tout cas que de se reporter à luvre de Freud pour mesurer en quel rang secondaire et hypothétique il place la théorie des instincts. Elle ne saurait à ses yeux tenir un seul instant contre le moindre fait particulier dune histoire, insiste-t-il, et le narcissisme génital quil invoque au moment de résumer le cas de lhomme aux loups, nous montre assez le mépris où il tient lordre constitué des stades libidinaux. Bien plus, il ny évoque le conflit instinctuel que pour sen écarter aussitôt, et pour reconnaître dans lisolation symbolique du « je ne suis pas châtré », où saffirme le sujet, la forme compulsionnelle où reste rivé son choix hétérosexuel, contre leffet de capture homosexualisante qua subi le moi ramené à la matrice imaginaire de la scène primitive. Tel est en vérité le conflit subjectif, où il ne sagit que des péripéties de la subjectivité tant et si bien que le « je » gagne et perd contre le « moi » au gré de la catéchisation religieuse ou de lAufklärung endoctrinante, et dont Freud a fait réaliser les effets au sujet avant de nous les faire comprendre dans la dialectique du complexe ddipe.
Cest à lanalyse dun tel cas quon voit bien que la réalisation de lamour parfait nest pas un fruit de la nature mais de la grâce, cest-à-dire dun accord intersubjectif imposant son harmonie à la nature déchirée qui le supporte.
Mais quest-ce donc que ce sujet dont vous nous rebattez lentendement ? sexclame enfin un auditeur impatienté. Navons-nous pas déjà reçu de M. de La Palice la leçon que tout ce qui est éprouvé par lindividu est subjectif ?
Bouche naïve dont léloge occupera mes derniers jours, ouvrez-vous encore pour mentendre. Nul besoin de fermer les (110)yeux. Le sujet va bien au delà de ce que lindividu éprouve « subjectivement », aussi loin exactement que la vérité quil peut atteindre, et qui peut-être sortira de cette bouche que vous venez de refermer déjà. Oui, cette vérité de son histoire nest pas toute dans son rollet, et pourtant la place sy marque, aux heurts douloureux quil éprouve de ne connaître que ses répliques, voire en des pages dont le désordre ne lui donne guère de soulagement.
Que linconscient du sujet soit le discours de lautre, cest ce qui apparaît plus clairement encore que partout dans les études que Freud a consacrées à ce quil appelle la télépathie, en tant quelle se manifeste dans le contexte dune expérience analytique. Coïncidence des propos du sujet avec des faits dont il ne peut être informé, mais qui se meuvent toujours dans les liaisons dune autre expérience où le psychanalyste est interlocuteur, coïncidence aussi bien le plus souvent constituée par une convergence toute verbale, voire homonymique, ou qui, si elle inclut un acte, cest dun acting-out dun patient de lanalyste ou dun enfant en analyse de lanalysé quil sagit. Cas de résonance dans des réseaux communicants de discours, dont une étude exhaustive éclairerait les faits analogues que présente la vie courante.
Lomniprésence du discours humain pourra peut-être un jour être embrassée au ciel ouvert dune omnicommunication de son texte. Ce nest pas dire quil en sera plus accordé. Mais cest là le champ que notre expérience polarise dans une relation qui nest à deux quen apparence, car toute position de sa structure en termes seulement duels, lui est aussi inadéquate en théorie que ruineuse pour sa technique.
(111)II
SYMBOLE ET LANGAGE COMME STRUCTURE ET LIMITE
DU CHAMP PSYCHANALYTIQUE
((((((((((((((((((((((((((((.ð
(Évangile selon saint Jean,
viii, 25.)
« Faites des mots croisés ».
(Conseils à un jeune psychanalyste).
Pour reprendre le fil de notre propos, répétons que c est par réduction de l histoire du sujet particulier que lanalyse touche à des Gestalten relationnelles quelle extrapole en un développement régulier ; mais que ni la psychologie génétique, ni la psychologie différentielle qui peuvent en être éclairées, ne sont de son ressort, pour ce quelles exigent des conditions dobservation et dexpérience qui nont avec les siennes que des rapports dhomonymie.
Allons plus loin encore : ce qui se détache comme psychologie à létat brut de lexpérience commune (qui ne se confond avec lexpérience sensible que pour le professionnel des idées), à savoir dans quelque suspension du quotidien souci, létonnement surgi de ce qui apparie les êtres dans un disparate passant celui des grotesques dun Léonard ou dun Goya , ou la surprise quoppose lépaisseur propre dune peau à la caresse dune paume quanime la découverte sans que lémousse encore le désir , ceci, peut-on dire, est aboli dans une expérience, revêche à ces caprices, rétive à ces mystères.
Une psychanalyse va normalement à son terme sans nous livrer que peu de chose de ce que notre patient tient en propre de sa sensibilité aux coups et aux couleurs, de la promptitude de ses prises ou des points faibles de sa chair, de son pouvoir de retenir ou dinventer, voire de la vivacité de ses goûts.
(112)Ce paradoxe nest quapparent et ne tient à nulle carence personnelle, et si lon peut le motiver par les conditions négatives de notre expérience, il nous presse seulement un peu plus dinterroger celle-ci sur ce quelle a de positif.
Car il ne se résout pas dans les efforts de certains qui, semblables à ces philosophes que Platon raille de ce que leur appétit du réel les menât à embrasser les arbres , vont à prendre tout épisode où pointe cette réalité qui se dérobe, pour la réaction vécue dont ils se montrent si friands. Car ce sont ceux-là mêmes qui, se donnant pour objectif ce qui est au delà du langage, réagissent à la « défense de toucher » inscrite en notre règle par une sorte dobsession. Nul doute que, dans cette voie, se flairer réciproquement ne devienne le fin du fin de la réaction de transfert. Nous nexagérons rien : un jeune psychanalyste en son travail de candidature peut de nos jours saluer dans une telle subodoration de son sujet, obtenue après deux ou trois ans de psychanalyse vaine, lavènement attendu de la relation dobjet, et en recueillir le dignus est intrare de nos suffrages, garants de ses capacités.
Si la psychanalyse peut devenir une science, car elle ne lest pas encore , et si elle ne doit pas dégénérer dans sa technique, et peut-être est-ce déjà fait , nous devons retrouver le sens de son expérience.
Nous ne saurions mieux faire à cette fin que de revenir à luvre de Freud. Il ne suffit pas de se dire technicien pour sautoriser, de ce quon ne comprend pas un Freud III, à le récuser au nom dun Freud II que lon croit comprendre, et lignorance même où lon est de Freud I, nexcuse pas quon tienne les cinq grandes psychanalyses pour une série de cas aussi mal choisis que mal exposés, dût-on sémerveiller que le grain de vérité quelles recelaient, en ait réchappé.
Quon reprenne donc luvre de Freud à la Traumdeutung pour sy rappeler que le rêve a la structure dune phrase, ou plutôt, à nous en tenir à sa lettre, dun rébus, cest-à-dire dune écriture, dont le rêve de lenfant représenterait lidéographie primordiale, et qui chez ladulte reproduit lemploi phonétique et symbolique à la fois des éléments signifiants, que lon retrouve aussi bien dans les hiéroglyphes de lancienne Égypte que dans les caractères dont la Chine conserve lusage.
Encore nest-ce là que déchiffrage de linstrument. Cest (113)à la version du texte que limportant commence, limportant dont Freud nous dit quil est donné dans lélaboration du rêve, cest-à-dire dans sa rhétorique. Ellipse et pléonasme, hyperbate ou syllepse, régression, répétition, apposition, tels sont les déplacements syntaxiques, métaphore, catachrèse, antonomase, allégorie, métonymie et synecdoque, les condensations sémantiques, où Freud nous apprend à lire les intentions ostentatoires ou démonstratives, dissimulatrices ou persuasives, rétorsives ou séductrices, dont le sujet module son discours onirique.
Sans doute a-t-il posé en règle quil y faut rechercher toujours lexpression dun désir. Mais entendons-le bien. Si Freud admet comme motif dun rêve qui paraît aller à lencontre de sa thèse, le désir même de le contredire chez le sujet quil a tenté den convaincre, comment nen viendrait-il pas à admettre le même motif pour lui-même dès lors, que pour être parvenu, cest dautrui que lui reviendrait sa loi ?
Pour tout dire, nulle part napparaît plus clairement que le désir de lhomme trouve son sens dans le désir de lautre, non pas tant parce que lautre détient les clefs de lobjet désiré, que parce que son premier objet est dêtre reconnu par lautre.
Qui parmi nous au reste ne sait par expérience que dès que lanalyse est engagée dans la voie du transfert, et cest pour nous lindice quelle lest en effet , chaque rêve du patient sinterprète comme provocation, aveu larvé ou diversion, par sa relation au discours analytique, et quà mesure du progrès de lanalyse, ils se réduisent toujours plus à la fonction délément du dialogue qui sy réalise ?
Pour la psychopathologie de la vie quotidienne, autre champ consacré par une autre uvre de Freud, il est clair que tout acte manqué est un discours réussi, voire assez joliment tourné, et que dans le lapsus cest le bâillon qui tourne sur la parole, et juste du quadrant quil faut pour quun bon entendeur y trouve son salut.
Mais allons droit où le livre débouche sur le hasard et les croyances quil engendre, et spécialement aux faits où il sattache (114)à démontrer lefficacité subjective des associations sur des nombres laissés au sort dun choix immotivé, voire dun tirage de hasard. Nulle part ne se révèlent mieux quen un tel succès les structures dominantes du champ psychanalytique. Et lappel fait au passage à des mécanismes intellectuels ignorés nest plus ici que lexcuse de détresse de la confiance totale faite aux symboles et qui vacille dêtre comblée au delà de toute limite.
Car si pour admettre un symptôme dans la psychopathologie psychanalytique, quil soit névrotique ou non, Freud exige le minimum de surdétermination que constitue un double sens, symbole dun conflit défunt par delà sa fonction dans un conflit présent non moins symbolique, sil nous a appris à suivre dans le texte des associations libres la ramification ascendante de cette lignée symbolique, pour y repérer aux points où les formes verbales sen recroisent les nuds de sa structure, il est déjà tout à fait clair que le symptôme se résout tout entier dans une analyse de langage, parce quil est lui-même structuré comme un langage, quil est langage dont la parole doit être délivrée.
Cest à celui qui na pas approfondi la nature du langage, que lexpérience dassociation sur les nombres pourra montrer demblée ce quil est essentiel ici de saisir, à savoir la puissance combinatoire qui en agence les équivoques, et pour y reconnaître le ressort propre de linconscient.
En effet si des nombres obtenus par coupure dans la suite des chiffres du nombre choisi, de leur mariage par toutes les opérations de larithmétique, voire de la division répétée du nombre originel par lun des nombres scissipares, les nombres résultants savèrent symbolisants entre tous dans lhistoire propre du sujet, cest quils étaient déjà latents au choix où ils ont pris leur départ, et dès lors si lon réfute comme superstitieuse lidée que ce sont là les chiffres mêmes qui ont déterminé la destinée du sujet, force est dadmettre que cest dans lordre dexistence de leurs combinaisons, cest-à-dire dans le langage concret quils représentent que réside tout ce que lanalyse révèle au sujet comme son inconscient.
Nous verrons que les philologues et les ethnographes nous en révèlent assez sur la sûreté combinatoire qui savère dans les systèmes complètement inconscients qui constituent le langage, pour que la proposition ici avancée nait pour eux rien de surprenant.
(115)Mais si quelquun parmi nous voulait douter encore de sa validité, nous en appellerions, une fois de plus, au témoignage de celui qui, ayant découvert linconscient, nest pas sans titre à être cru pour désigner sa place : il ne nous fera pas défaut.
Car si délaissée quelle soit de notre intérêt et pour cause , Le mot desprit et linconscient reste luvre la plus incontestable parce que la plus transparente, où leffet de linconscient nous soit démontré jusquaux confins de sa finesse ; et le visage quil nous révèle est celui même de lesprit dans lambiguïté que lui confère le langage, où lautre face de son pouvoir régalien est la « pointe » par qui son ordre entier sanéantit en un instant, pointe en effet où son activité créatrice dévoile sa gratuité absolue, où sa domination sur le réel sexprime dans le défi du non-sens, où lhumour, dans la grâce méchante de lesprit libre, symbolise une vérité qui ne dit pas son dernier mot.
Il faut suivre aux détours admirablement pressants des lignes de ce livre la promenade où Freud nous emmène dans ce jardin choisi du plus amer amour.
Ici tout est substance, tout est perle. Lesprit qui vit en exilé dans la création dont il est linvisible soutien, sait quil est maître à tout instant de lanéantir. Formes altières ou perfides, dandystes ou débonnaires de cette royauté cachée, il nest pas jusquaux plus méprisées dont Freud ne sache faire briller léclat secret. Histoires du marieur courant les ghettos de Moravie, figure décriée dÉros et comme lui fils de la pénurie et de la peine, guidant de son service discret lavidité du goujat, et soudain le bafouant dune réplique illuminante en son non-sens : « Celui qui laisse ainsi échapper la vérité, commente Freud, est en réalité heureux de jeter le masque ».
Cest la vérité en effet, qui dans sa bouche jette là le masque, mais cest pour que lesprit en prenne un plus trompeur, la sophistique qui nest que stratagème, la logique qui nest là quun leurre, le comique même qui ne va là quà éblouir. Lesprit est toujours ailleurs. « Lesprit comporte en effet une telle conditionnalité subjective
: nest esprit que ce que jaccepte comme tel », poursuit Freud qui sait de quoi il parle.
Nulle part lintention de lindividu nest en effet plus manifestement dépassée par la trouvaille du sujet, nulle part la distinction que nous faisons de lun à lautre ne se fait mieux (116)comprendre, puisque non seulement il faut que quelque chose mait été étranger dans ma trouvaille pour que jy aie mon plaisir, mais quil faut quil en reste ainsi pour quelle porte. Ceci est en rapport profond avec la nécessité, si bien dénoncée par Freud, du tiers auditeur au moins supposé, et au fait que le mot desprit ne perd pas son pouvoir dans sa transmission au style indirect. Bref ceci manifeste la conjonction intime de lintersubjectivité et de linconscient dans les ressources du langage, et leur explosion dans le jeu dune suprême alacrité.
Une seule raison de chute pour lesprit : la platitude de la vérité qui sexplique.
Or ceci concerne directement notre problème. Le mépris actuel pour les recherches sur la langue des symboles qui se lit au seul vu des sommaires de nos publications davant et daprès les années 1920, ne répond à rien de moins pour notre discipline quà un changement dobjet, dont la tendance à saligner au plus plat niveau de la communication, pour saccorder aux objectifs nouveaux proposés à la technique, a peut-être à répondre du bilan assez morose que les plus lucides dressent de ses résultats.
Comment la parole, en effet, épuiserait-elle le sens de la parole ou, pour mieux dire avec le logicisme positiviste dOxford, le sens du sens, sinon dans lacte qui lengendre ? Ainsi le renversement gthéen de sa présence aux origines : « Au commencement était laction », se renverse à son tour : cétait bien le verbe qui était au commencement, et nous vivons dans sa création, mais cest laction de notre esprit qui continue cette création en la renouvelant toujours. Et nous ne pouvons nous retourner sur cette action quen nous laissant pousser toujours plus avant par elle.
Nous ne le tenterons nous-mêmes quen sachant que cest là sa voie
Nul nest censé ignorer la loi, cette formule transcrite de lhumour dun Code de Justice exprime pourtant la vérité où notre expérience se fonde et quelle confirme. Nul homme (117)ne lignore en effet, puisque la loi de lhomme est la loi du langage depuis que les premiers mots de reconnaissance ont présidé aux premiers dons, y ayant fallu les Danaëns détestables qui viennent et fuient par la mer pour que les hommes apprennent à craindre les mots trompeurs avec les dons sans foi. Jusque-là, pour les Argonautes pacifiques unissant par les nuds dun commerce symbolique les îlots de la communauté, ces dons, leur acte et leurs objets, leur érection en signes et leur fabrication même, sont si mêlés à la parole quon les désigne par son nom.
Est-ce à ses dons ou bien aux mots de passe qui y accordent leur non-sens salutaire, que commence le langage avec la loi ? Car ces dons sont déjà symboles, en ceci que symbole veut dire pacte, et quils sont dabord signifiants du pacte quils constituent comme signifié : comme il se voit bien à ceci que les objets de léchange symbolique, vases faits pour être vides, boucliers trop lourds pour être portés, gerbes qui se dessécheront, piques quon enfonce au sol, sont sans usage par destination, sinon superflus par leur abondance.
Cette neutralisation du signifiant est-elle le tout de la nature du langage. Pris à ce taux, on en trouverait lamorce chez les hirondelles de mer, par exemple, pendant la parade, et matérialisée dans le poisson quelles se passent de bec en bec et où les éthologues, sil faut bien y voir avec eux linstrument dune mise en branle du groupe qui serait un équivalent de la fête, seraient tout à fait justifiés à reconnaître un symbole.
On voit que nous ne reculons pas à chercher hors du domaine humain les origines du comportement symbolique. Mais ce nest certainement pas par la voie dune élaboration du signe, celle où sengage après tant dautres M. Jules H. Massermann, à laquelle nous nous arrêterons un instant, non seulement pour le ton déluré dont il y trace sa démarche, mais par laccueil quelle a trouvé auprès des rédacteurs de notre journal officiel, qui conformément à une tradition empruntée aux bureaux de placements, ne négligent jamais rien de ce qui peut fournir à notre discipline de « bonnes références ».
(118)Pensez-donc, un homme qui a reproduit la névrose ex-pé-ri-men-ta-le-ment chez un chien ficelé sur une table et par quels moyens ingénieux : une sonnerie, le plat de viande quelle annonce, et le plat de pommes qui arrive à contretemps, je vous en passe. Ce nest pas lui, du moins lui-même nous en assure, qui se laissera prendre aux « amples ruminations », car cest ainsi quil sexprime, que les philosophes ont consacrées au problème du langage. Lui va vous le prendre à la gorge.
Figurez-vous que par un conditionnement judicieux de ses réflexes, on obtient dun raton laveur quil se dirige vers son garde-manger quand on lui présente la carte où peut se lire son menu. On ne nous dit pas si elle porte mention des prix, mais on ajoute ce trait convaincant que, pour peu que le service lait déçu, il reviendra déchirer la carte trop prometteuse, comme le ferait des lettres dun infidèle une amante irritée (sic).
Telle est lune des arches où lauteur fait passer la route qui conduit du signal au symbole. On y circule à double voie, et le sens du retour ny montre pas de moindres ouvrages dart.
Car si chez lhomme vous associez à la projection dune vive lumière devant ses yeux le bruit dune sonnette, puis le maniement de celle-ci à lémission de lordre : contractez (en anglais : contract), vous arriverez à ce que le sujet, à moduler cet ordre lui-même, à le murmurer, bientôt seulement à le produire en sa pensée, obtienne la contraction de sa pupille, soit une réaction du système que lon dit autonome, parce quordinairement inaccessible aux effets intentionnels. Ainsi M. Hudgins, sil faut en croire notre auteur, « a-t-il créé chez un groupe de sujets, une configuration hautement individualisée de réactions affines et viscérales du symbole idéique (idea-symbol) « contract », une réponse qui pourrait être ramenée à travers leurs expériences particulières à une source en apparence lointaine, mais en réalité basiquement physiologique : dans cet exemple, simplement la protection de la rétine contre une lumière excessive ». Et lauteur conclut : « La signification de telles expériences pour la recherche psychosomatique et linguistique na même pas besoin de plus délaboration ».
Nous aurions pourtant, quant à nous, été curieux dapprendre si les sujets ainsi éduqués réagissent aussi à lénonciation du même vocable articulée dans les locutions : marriage (119)contract, bridge-contract, breach of contract, voire progressivement réduite à lémission de sa première syllabe : contract, contrac, contra, contr
La contre-épreuve, exigible en stricte méthode, soffrant ici delle-même du murmure entre les dents de cette syllabe par le lecteur français qui naurait subi dautre conditionnement que la vive lumière projetée sur le problème par M. Jules H. Massermann. Nous demanderions alors à celui-ci si les effets ainsi observés chez les sujets conditionnés lui paraîtraient toujours pouvoir se passer aussi aisément dêtre élaborés. Car ou bien ils ne se produiraient plus, manifestant ainsi quils ne dépendent pas même conditionnellement du sémantème, ou bien ils continueraient à se produire, posant la question des limites de celui-ci.
Autrement dit, ils feraient apparaître dans linstrument même du mot, la distinction du signifiant et du signifié, si allègrement confondue par lauteur dans le terme idea-symbol. Et sans avoir besoin dinterroger les réactions des sujets conditionnés à lordre dont contract, voire à la conjugaison entière du verbe to contract, nous pourrions faire observer à lauteur que ce qui définit comme appartenant au langage un élément quelconque dune langue, cest quil se distingue comme tel pour tous les usagers de cette langue dans lensemble supposé constitué des éléments homologues.
Il en résulte que les effets particuliers de cet élément du langage sont liés à lexistence de cet ensemble, antérieurement à sa liaison possible à toute expérience particulière du sujet. Et que considérer cette dernière liaison hors de toute référence à la première, consiste simplement à nier dans cet élément la fonction propre du langage.
Rappel de principes qui éviterait peut-être à notre auteur de découvrir avec une naïveté sans égale la correspondance textuelle des catégories de la grammaire de son enfance dans les relations de la réalité.
Ce monument de naïveté, au reste dune espèce assez commune en ces matières, ne mériterait pas tant de soins sil nétait le fait dun psychanalyste, ou plutôt de quelquun qui y raccorde comme par hasard tout ce qui se produit dans une certaine tendance de la psychanalyse, au titre de théorie de lego ou de technique danalyse des défenses, de plus opposé à lexpérience freudienne, manifestant ainsi à contrario la (120)cohérence dune saine conception du langage avec le maintien de celle-ci. Car la découverte de Freud est celle du champ des incidences, en la nature de lhomme, de ses relations à lordre symbolique, et la remontée de leur sens jusquaux instances les plus radicales de la symbolisation dans lêtre. Le méconnaître est condamner la découverte à loubli, lexpérience à la ruine.
Et nous posons comme une affirmation qui ne saurait être retranchée du sérieux de notre propos actuel que la présence du raton laveur, plus haut évoqué, dans le fauteuil où la timidité de Freud, à en croire notre auteur, aurait confiné lanalyste en le plaçant derrière le divan, nous paraît être préférable à celle du savant qui tient sur le langage et la parole un pareil discours.
Car le raton laveur au moins, par la grâce de Jacques Prévert (« une pierre, deux maisons, trois ruines, quatre fossoyeurs, un jardin, des fleurs, un raton laveur ») est entré à jamais dans le bestiaire poétique et participe comme tel en son essence à la fonction éminente du symbole, mais lêtre à notre ressemblance qui professe ainsi la méconnaissance systématique de cette fonction, se bannit à jamais de tout ce qui peut par elle être appelé à lexistence. Dès lors, la question de la place qui revient au dit semblable dans la classification naturelle nous paraîtrait ne relever que dun humanisme hors de propos, si son discours, en se croisant avec une technique de la parole dont nous avons la garde, ne devait être trop fécond, même à y engendrer des monstres stériles. Quon sache donc, puisquaussi bien il se fait mérite de braver le reproche danthropomorphisme, que cest le dernier terme dont nous userions pour dire quil fait de son être la mesure de toutes choses.
Revenons à notre objet symbolique qui est lui-même fort consistant dans sa matière, sil a perdu le poids de son usage, mais dont le sens impondérable entraînera des déplacements de quelque poids. Est-ce donc là la loi et le langage ? Peut-être pas encore.
Car même apparût-il chez lhirondelle quelque caïd de la colonie qui, en gobant le poisson symbolique au bec béant des autres hirondelles, inaugurât cette exploitation de lhirondelle par lhirondelle dont nous nous plûmes un jour à filer (121)la fantaisie, ceci ne suffirait point à reproduire parmi elles cette fabuleuse histoire, image de la nôtre, dont lépopée ailée nous tint captifs en lîle des pingouins, et il sen faudrait de quelque chose pour faire un univers « hirundinisé ».
Ce « quelque chose » achève le symbole pour en faire le langage. Pour que lobjet symbolique libéré de son usage devienne le mot libéré de lhic et nunc, la différence nest pas de la qualité, sonore, de sa matière, mais de son être évanouissant où le symbole trouve la permanence du concept.
Par le mot qui est déjà une présence faite dabsence, labsence même vient à se nommer en un moment original dont le génie de Freud a saisi dans le jeu de lenfant la recréation perpétuelle. Et de ce couple modulé de la présence et de labsence, quaussi bien suffit à constituer la trace sur le sable du trait simple et du trait rompu des koua mantiques de la Chine, naît lunivers de sens dune langue où lunivers des choses viendra à se ranger.
Par ce qui ne prend corps que dêtre la trace dun néant et dont le support dès lors ne peut saltérer, le concept, sauvant la durée de ce qui passe, engendre la chose.
Car ce nest pas encore assez dire que de dire que le concept est la chose même, ce quun enfant peut démontrer contre lécole. Cest le monde des mots qui crée le monde des choses, d abord confondues dans l hic et nunc du tout en devenir, en donnant son être concret à leur essence, et sa place partout à ce qui est de toujours : kðtð(mðað ð(wð ð(((.
L homme parle donc, mais c est parce que le symbole l a fait homme. Si en effet des dons surabondants accueillent létranger qui sest fait connaître, la vie des groupes naturels qui constituent la communauté est soumise aux règles de lalliance, ordonnant le sens dans lequel sopère léchange des femmes, et aux prestations réciproques que lalliance détermine : comme le dit le proverbe Sironga, un parent par alliance est une cuisse déléphant. À lalliance préside un ordre préférentiel dont la loi impliquant les noms de parenté est pour le groupe, comme le langage, impérative en ses formes, mais inconsciente en sa structure. Or dans cette structure dont lharmonie ou les impasses règlent léchange restreint ou généralisé quy discerne lethnologue, le théoricien étonné retrouve toute la logique des combinaisons : ainsi les lois du (122)nombre, cest-à-dire du symbole le plus épuré, savèrent être immanentes au symbolisme originel. Du moins est-ce la richesse des formes où se développent les structures quon dit élémentaires de la parenté, qui les y rend lisibles. Et ceci donne à penser que cest peut-être seulement notre inconscience de leur permanence, qui nous laisse croire à la liberté des choix dans les structures dites complexes de lalliance sous la loi desquelles nous vivons. Si la statistique déjà laisse entrevoir que cette liberté ne sexerce pas au hasard, cest quune logique subjective lorienterait en ses effets.
Cest bien en quoi le complexe ddipe en tant que nous le reconnaissons toujours pour couvrir de sa signification le champ entier de notre expérience, sera dit, dans notre propos, marquer les limites que notre discipline assigne à la subjectivité : à savoir, ce que le sujet peut connaître de sa participation inconsciente au mouvement des structures complexes de lalliance, en vérifiant les effets symboliques en son existence particulière du mouvement tangentiel vers linceste qui se manifeste depuis lavènement dune communauté universelle.
La Loi primordiale est donc celle qui en réglant lalliance superpose le règne de la culture au règne de la nature livré à la loi de laccouplement. Linterdit de linceste nen est que le pivot subjectif, dénudé par la tendance moderne à réduire à la mère et à la sur les objets interdits aux choix du sujet, toute licence au reste nétant pas encore ouverte au delà.
Cette loi se fait donc suffisamment connaître comme identique à un ordre de langage. Car nul pouvoir sans les nominations de la parenté nest à portée dinstituer lordre des préférences et des tabous qui nouent et tressent à travers les générations le fil des lignées. Et cest bien la confusion des générations qui, dans la Bible comme dans toutes les lois traditionnelles, est maudite comme labomination du verbe et la désolation du pécheur.
Nous savons en effet quel ravage déjà allant jusquà la dissociation de la personnalité du sujet peut exercer une filiation falsifiée, quand la contrainte de lentourage semploie à en soutenir le mensonge. Ils peuvent nêtre pas moindres quand un homme épousant la mère de la femme dont il a eu un fils, celui-ci aura pour frère un enfant frère de sa mère. Mais sil est ensuite, et le cas nest pas inventé , adopté (123)par le ménage compatissant dune fille dun mariage antérieur du père, il se trouvera encore une fois demi-frère de sa nouvelle mère, et lon peut imaginer les sentiments complexes dans lesquels il attendra la naissance dun enfant qui sera à la fois son frère et son neveu, dans cette situation répétée.
Aussi bien le simple décalage dans les générations qui se produit par un enfant tardif né dun second mariage et dont la mère jeune se trouve contemporaine dun frère aîné, peut produire des effets qui sen rapprochent, et lon sait que cétait là le cas de Freud.
Cette même fonction de lidentification symbolique par où le primitif se croit réincarner lancêtre homonyme et qui détermine même chez lhomme moderne une récurrence alternée des caractères, introduit donc chez les sujets soumis à ces discordances de la relation paternelle une dissociation de ldipe où il faut voir le ressort constant de ses effets pathogènes. Même en effet représentée par une seule personne, la fonction paternelle concentre en elle des relations imaginaires et réelles, toujours plus ou moins inadéquates à la relation symbolique qui la constitue essentiellement.
Cest dans le nom du père quil nous faut reconnaître le support de la fonction symbolique qui, depuis lorée des temps historiques, identifie sa personne à la figure de la loi. Cette conception nous permet de distinguer clairement dans lanalyse dun cas les effets inconscients de cette fonction davec les relations narcissiques, voire davec les relations réelles que le sujet soutient avec limage et laction de la personne qui lincarne, et il en résulte un mode de compréhension qui va à retentir dans la conduite même des interventions. La pratique nous en a confirmé la fécondité, à nous, comme aux élèves que nous avons induits à cette méthode. Et nous avons eu souvent loccasion dans des contrôles ou dans des cas communiqués de souligner les confusions nuisibles quengendre sa méconnaissance.
Ainsi cest la vertu du verbe qui perpétue le mouvement de la Grande Dette dont Rabelais, en une métaphore célèbre, élargit jusquaux astres léconomie. Et nous ne serons pas surpris que le chapitre où il nous présente avec linversion macaronique des noms de parenté une anticipation des découvertes ethnographiques, nous montre en lui la substantifique (124)divination du mystère humain que nous tentons délucider ici.
Identifiée au hau sacré ou au mana omniprésent, la Dette inviolable est la garantie que le voyage où sont poussés femmes et biens ramène en un cycle sans manquement à leur point de départ dautres femmes et dautres biens, porteurs dune entité identique : symbole zéro, dit Lévi-Strauss, réduisant à la forme dun signe algébrique le pouvoir de la Parole.
Les symboles enveloppent en effet la vie de lhomme dun réseau si total quils conjoignent avant quil vienne au monde ceux qui vont lengendrer « par los et par la chair », quils apportent à sa naissance avec les dons des astres, sinon avec les dons des fées, le dessin de sa destinée, quils donnent les mots qui le feront fidèle ou renégat, la loi des actes qui le suivront jusque-là même où il nest pas encore et au delà de sa mort même, et que par eux sa fin trouve son sens dans le jugement dernier où le verbe absout son être ou le condamne, sauf à atteindre à la réalisation subjective de lêtre-pour-la-mort.
Servitude et grandeur où sanéantirait le vivant, si le désir ne préservait sa part dans les interférences et les battements que font converger sur lui les cycles du langage, quand la confusion des langues sen mêle et que les ordres se contrarient dans les déchirements de luvre universelle.
Mais ce désir lui-même, pour être satisfait dans lhomme, exige dêtre reconnu, par laccord de la parole ou par la lutte de prestige, dans le symbole ou dans limaginaire.
Lenjeu dune psychanalyse est lavènement dans le sujet du peu de réalité que ce désir y soutient au regard des conflits symboliques et des fixations imaginaires comme moyen de leur accord, et notre voie est lexpérience intersubjective où ce désir se fait reconnaître.
Dès lors on voit que le problème est celui des rapports dans le sujet de la parole et du langage.
Trois paradoxes dans ces rapports se présentent dans notre domaine.
Dans la folie, quelle quen soit la nature, il nous faut reconnaître, dune part, la liberté négative dune parole qui a renoncé à se faire reconnaître, soit ce que nous appelons obstacle au transfert, et, dautre part, la formation singulière dun délire qui, fabulatoire, fantastique ou cosmologique , (125)interprétatif, revendicateur ou idéaliste , objective le sujet dans un langage sans dialectique.
Labsence de la parole sy manifeste par les stéréotypies dun discours où le sujet, peut-on dire, est parlé plutôt quil ne parle : nous y reconnaissons les symboles de linconscient sous des formes pétrifiées qui, à côté des formes embaumées où se présentent les mythes en nos recueils, trouvent leur place dans une histoire naturelle de ces symboles. Mais cest une erreur de dire que le sujet les assume : la résistance à leur reconnaissance nétant pas moindre que dans les névroses, quand le sujet y est induit par une tentative de cure.
Notons au passage quil vaudrait de repérer dans lespace social les places que la culture a assignées à ces sujets, spécialement quant à leur affectation à des services sociaux afférents au langage, car il nest pas invraisemblable que sy démontre un des facteurs qui désignent ces sujets aux effets de rupture produite par les discordances symboliques, caractéristiques des structures complexes de la civilisation.
Le second cas est représenté par le champ privilégié de la découverte psychanalytique : à savoir les symptômes, linhibition et langoisse, dans léconomie constituante des différentes névroses.
La parole est ici chassée du discours concret qui ordonne la conscience, mais elle trouve son support ou bien dans les fonctions naturelles du sujet, pour peu quune épine organique y amorce cette béance de son être individuel à son essence, qui fait de la maladie lintroduction du vivant à lexistence du sujet, ou bien dans les images qui organisent à la limite de lUmwelt et de lInnenwelt leur structuration relationnelle.
Le symptôme est ici le signifiant dun signifié refoulé de la conscience du sujet. Symbole écrit sur le sable de la chair et sur le voile de Maia, il participe du langage par lambiguïté sémantique que nous avons déjà soulignée dans sa constitution.
(126)Mais cest une parole de plein exercice, car elle inclut le discours de lautre dans le secret de son chiffre.
Cest en déchiffrant cette parole que Freud a retrouvé la langue première des symboles, vivante encore dans la souffrance de lhomme de la civilisation (Das Unbehagen in der Kultur).
Hiéroglyphes de lhystérie, blasons de la phobie, labyrinthes de la Zwangsneurose, charmes de limpuissance, énigmes de linhibition, oracles de langoisse, armes parlantes du caractère, sceaux de lautopunition, déguisements de la perversion, tels sont les hermétismes que notre exégèse résout, les équivoques que notre invocation dissout, les artifices que notre dialectique absout, dans une délivrance du sens emprisonné, qui va de la révélation du palimpseste au mot donné du mystère et au pardon de la parole.
Le troisième paradoxe de la relation du langage à la parole est celui du sujet qui perd son sens dans les objectivations du discours. Si métaphysique quen paraisse la définition, nous nen pouvons méconnaître la présence au premier plan de notre expérience. Car cest là laliénation la plus profonde du sujet de la civilisation scientifique et cest elle que nous rencontrons dabord quand le sujet commence à nous parler de lui : aussi bien, pour la résoudre entièrement, lanalyse devrait-elle être menée jusquau terme de la sagesse.
Pour en donner une formulation exemplaire, nous ne saurions trouver terrain plus pertinent que lusage du discours courant en faisant remarquer que le « ce suis-je » du temps de Villon sest renversé dans le « cest moi » de lhomme moderne.
Le moi de lhomme moderne a pris sa forme, nous lavons indiqué ailleurs, dans limpasse dialectique de la belle âme qui ne reconnaît pas la raison même de son être dans le désordre quelle dénonce dans le monde.
Mais une issue soffre au sujet pour la résolution de cette impasse où délire son discours. La communication peut sétablir pour lui valablement dans luvre commune de la science et dans les emplois quelle commande dans la civilisation universelle ; (127)cette communication sera effective à lintérieur de lénorme objectivation constituée par cette science et elle lui permettra doublier sa subjectivité. Il collaborera efficacement à luvre commune dans son travail quotidien et meublera ses loisirs de tous les agréments dune culture profuse qui, du roman policier aux mémoires historiques, des conférences éducatives à lorthopédie des relations de groupe, lui donnera matière à oublier son existence et sa mort, en même temps quà méconnaître dans une fausse communication le sens particulier de sa vie.
Si le sujet ne retrouvait dans une régression, souvent poussée jusquau stade du miroir, lenceinte dun stade où son moi contient ses exploits imaginaires, il ny aurait guère de limites assignables à la crédulité à laquelle il doit succomber dans cette situation. Et cest ce qui fait notre responsabilité redoutable quand nous lui apportons, avec les manipulations mythiques de notre doctrine, une occasion supplémentaire de saliéner, dans la trinité décomposée de lego, du superego et de lid, par exemple.
Ici cest un mur de langage qui soppose à la parole, et les précautions contre le verbalisme qui sont un thème du discours de lhomme « normal » de notre culture, ne font quen renforcer lépaisseur.
Il ne serait pas vain de mesurer celle-ci à la somme statistiquement déterminée des kilogrammes de papier imprimé, des kilomètres de sillons discographiques, et des heures démission radiophonique, que la dite culture produit par tête dhabitant dans les zones A, B et C de son aire. Ce serait un bel objet de recherches pour nos organismes culturels, et lon y verrait que la question du langage ne tient pas toute dans laire des circonvolutions où son usage se réfléchit dans lindividu.
We are the hollow men
We are the stuffed men
Leaning together
Headpiece filled with straw. Alas !
et la suite.
La ressemblance de cette situation avec laliénation de la folie pour autant que la formule donnée plus haut est authentique, à savoir que le sujet y est parlé plutôt quil ne parle, (128)ressortit évidemment à lexigence, supposée par la psychanalyse, dune parole vraie. Si cette conséquence, qui porte à leur limite les paradoxes constituants de notre actuel propos, devait être retournée contre le bon sens même de la perspective psychanalytique, nous accorderions à cette objection toute sa pertinence, mais pour nous en trouver confirmé : et ce par un retour dialectique où nous ne manquerions pas de parrains autorisés, à commencer par la dénonciation hégélienne de la « philosophie du crâne » et à seulement nous arrêter à lavertissement de Pascal résonnant, de lorée de lère historique du « moi », en ces termes : « les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou par un autre tour de folie, de nêtre pas fou ».
Ce nest pas dire pourtant que notre culture se poursuive dans des ténèbres extérieures à la subjectivité créatrice. Celle-ci, au contraire, na pas cessé dy militer pour renouveler la puissance jamais tarie des symboles dans léchange humain qui les met au jour.
Faire état du petit nombre de sujets qui supportent cette création serait céder à une perspective romantique en confrontant ce qui nest pas équivalent. Le fait est que cette subjectivité, dans quelque domaine quelle apparaisse, mathématique, politique, religieuse, voire publicitaire, continue danimer dans son ensemble le mouvement humain. Et une prise de vue non moins illusoire sans doute nous ferait accentuer ce trait opposé : que son caractère symbolique na jamais été plus manifeste. Cest lironie des révolutions quelles engendrent un pouvoir dautant plus absolu en son exercice, non pas, comme on le dit, de ce quil soit plus anonyme, mais de ce quil est plus réduit aux mots qui le signifient. Et plus que jamais, dautre part, la force des églises réside dans le langage quelles ont su maintenir : instance, il faut le dire, que Freud a laissée dans lombre dans larticle où il nous dessine ce que nous appellerons les subjectivités collectives de lÉglise et de lArmée.
La psychanalyse a joué un rôle dans la direction de la subjectivité moderne et elle ne saurait le soutenir sans lordonner au mouvement qui dans la science lélucide.
Cest là le problème des fondements qui doivent assurer à notre discipline sa place dans les sciences : problème de formalisation, à la vérité fort mal engagé.
(129)Car il semble que, ressaisis par un travers même de lesprit médical à lencontre duquel la psychanalyse a dû se constituer, ce soit à son exemple avec un retard dun demi-siècle sur le mouvement des sciences que nous cherchions à nous y rattacher.
Objectivation abstraite de notre expérience sur des principes fictifs, voire simulés de la méthode expérimentale : nous trouvons là leffet de préjugés dont il faudrait nettoyer dabord notre champ si nous voulons le cultiver selon son authentique structure.
Praticiens de la fonction symbolique, il est étonnant que nous nous détournions de lapprofondir, au point de méconnaître que cest elle qui nous situe au cur du mouvement qui instaure un nouvel ordre des sciences, avec lavènement dune anthropologie authentique.
Ce nouvel ordre ne signifie rien dautre quun retour à une notion de la science véritable qui a déjà ses titres inscrits dans une tradition qui part du Théétète. Cette notion sest dégradée, on le sait, dans le renversement positiviste qui, en plaçant les sciences de lhomme au couronnement de lédifice des sciences expérimentales, les y subordonne en réalité. Cette notion provient dune vue erronée de lhistoire de la science, fondée sur le prestige dun développement spécialisé de lexpérience.
Mais aujourdhui les sciences de lhomme retrouvant la notion de la science de toujours, nous obligent à réviser la classification des sciences que nous tenons du xixe siècle, dans un sens que les esprits les plus lucides dénotent clairement.
Il nest que de suivre lévolution concrète des disciplines pour sen apercevoir.
La linguistique peut ici nous servir de guide, puisque cest là le rôle quelle tient en flèche de lanthropologie contemporaine, et nous ne saurions y rester indifférent.
La forme de mathématisation où sinscrit la découverte du phonème comme fonction des couples dopposition formés par les plus petits éléments discriminatifs saisissables de la sémantique, nous mène aux fondements mêmes où la dernière doctrine de Freud désigne, dans une connotation vocalique de la présence et de labsence, les sources subjectives de la fonction symbolique.
Et la réduction de toute langue au groupe dun tout petit (130)nombre de ces oppositions phonémiques amorçant une aussi rigoureuse formalisation de ses morphèmes les plus élevés, nous laisse entrevoir une voie dabord tout à fait stricte des phénomènes du langage.
Ce progrès se rapproche de notre portée au point de lui offrir un accès immédiat, de la marche quopère à sa rencontre dans les lignes quil polarise, lethnographie, avec une formalisation des mythes en mythèmes qui nous intéresse le plus directement.
Ajoutons que les recherches dun Lévi-Strauss, en démontrant les relations structurales entre langage et lois sociales, napportent rien de moins que ses fondements objectifs à la théorie de linconscient.
Dès lors, il est impossible de ne pas axer sur une théorie générale du symbole une nouvelle classification de sciences où les sciences de lhomme reprennent leur place centrale en tant que sciences de la subjectivité. Nous ne pourrons bien entendu ici quen indiquer le principe, mais ses conséquences sont décisives quant au champ quil détermine.
La fonction symbolique se caractérise, en effet, par un double mouvement dans le sujet : lhomme fait un objet de son action, mais pour lui rendre en temps voulu sa fonction fondatrice. Dans cette équivoque, opérante à tout instant, gît tout le progrès dune fonction où se confondent action et connaissance.
Exemples empruntés lun aux bancs de lécole, lautre au plus vif de notre époque :
le premier mathématique : premier temps, lhomme objective en deux nombres cardinaux deux collections quil a comptées, deuxième temps, il réalise avec ces nombres lacte de les additionner (cf. lexemple cité par Kant dans lintroduction à lesthétique transcendantale, § IV dans la 2e édition de la Critique de la raison pure) ;
le second historique : premier temps, lhomme qui travaille à la production dans notre société, se compte au rang des prolétaires, deuxième temps, au nom de cette appartenance, il fait la grève générale.
(131)Ce nest pas par hasard que nous avons choisi ces deux domaines, ni que nos exemples se situent aux deux extrêmes de lhistoire concrète.
Car les effets de ces domaines ne sont pas minces et nous viennent de loin, mais ils sentrecroisent dans le temps de façon singulière, la science la plus subjective ayant créé une réalité nouvelle, la réalité la plus opaque devenant un symbole agissant.
Certes le rapprochement surprend dabord de la science qui passe pour la plus exacte avec celle qui savère pour la plus conjecturale, mais ce contraste nest pas contradictoire.
Car lexactitude se distingue de la vérité, et la conjecture nexclut pas la rigueur. Et si la science expérimentale tient des mathématiques son exactitude, son rapport à la nature nen reste pas moins problématique.
Si notre lien à la nature, en effet, nous incite à nous demander poétiquement si ce nest pas son propre mouvement que nous retrouvons dans notre science, en
cette voix
Qui se connaît quand elle sonne
Nêtre plus la voix de personne
Tant que des ondes et des bois,
il est clair que notre physique nest quune fabrication mentale, dont le symbole mathématique est linstrument.
Car la science expérimentale nest pas tant définie par la quantité qui la domine en effet, que par la mesure.
Comme il se voit pour le temps qui la définit et dont linstrument de précision sans lequel elle serait impossible, lhorloge, nest que lorganisme réalisé de lhypothèse de Galilée sur léquigravité des corps, autrement dit sur laccélération uniforme de leur chute. Et ceci est tellement vrai que linstrument a été achevé dans son montage avant que lhypothèse ait pu être vérifiée par lobservation, quil a dailleurs rendue inutile.
Mais la mathématique peut symboliser un autre temps, notamment le temps intersubjectif qui structure laction humaine, dont la théorie des jeux, dite encore stratégie, quil (132)vaudrait mieux appeler stochastique, commence à nous livrer les formules.
Lauteur de ces lignes a tenté de démontrer en la logique dun sophisme les ressorts de temps par où laction humaine, en tant quelle sordonne à laction de lautre, trouve dans la scansion de ses hésitations lavènement de sa certitude, et dans la décision qui la conclut donne à laction de lautre quelle inclut désormais, avec sa sanction quant au passé, son sens à venir.
On y démontre que cest la certitude anticipée par le sujet dans le temps pour comprendre qui, par la hâte précipitant le moment de conclure, détermine chez lautre la décision qui fait du propre mouvement du sujet erreur ou vérité.
On voit par cet exemple comment laxiomatisation mathématique qui a inspiré la logique de Boole, voire la théorie des ensembles, peut apporter à la science de laction humaine cette formalisation du temps intersubjectif, dont la conjecture psychanalytique a besoin pour sassurer dans sa rigueur.
Si, dautre part, lhistoire de la technique historienne montre que son progrès se définit dans lidéal dune identification de la subjectivité de lhistorien à la subjectivité constituante de lhistorisation primaire où shumanise lévénement, il est clair que la psychanalyse y trouve sa portée exacte : soit dans la connaissance, comme réalisant cet idéal, et dans lefficacité, comme y trouvant sa raison. Lexemple de lhistoire dissipe aussi comme un mirage ce recours à la réaction vécue qui obsède notre technique comme notre théorie, car lhistoricité fondamentale de lévénement que nous retenons suffit pour concevoir la possibilité dune reproduction subjective du passé dans le présent.
Plus encore, cet exemple nous fait saisir comment la régression psychanalytique implique cette dimension progressive de lhistoire du sujet dont Freud nous souligne quil fait défaut au concept jungien de la régression névrotique, et nous comprenons comment lexpérience elle-même renouvelle cette progression en assurant sa relève.
La référence enfin à la linguistique nous introduira à cette méthode qui, en distinguant les structurations synchroniques des structurations diachroniques dans le langage, peut nous permettre de mieux comprendre la valeur différente que prend notre langage dans linterprétation des résistances et du (133)transfert, ou encore de différencier les effets propres du refoulement et la structure du mythe individuel dans la névrose obsessionnelle.
On sait la liste des disciplines que Freud désignait comme devant constituer les sciences annexes dune idéale faculté de psychanalyse. On y trouve auprès de la psychiatrie et de la sexologie : « lhistoire de la civilisation, la mythologie, la psychologie des religions, lhistoire et la critique littéraires ».
Lensemble de ces matières déterminant le cursus dun enseignement technique, sinscrit normalement dans le triangle épistémologique que nous avons décrit et qui donnerait sa méthode à un haut enseignement de sa théorie et de sa technique.
Nous y ajouterons volontiers, quant à nous : la rhétorique, la dialectique au sens technique que prend ce terme dans les Topiques dAristote, la grammaire, et, pointe suprême de lesthétique du langage : la poétique, qui inclurait la technique, laissée dans lombre, du mot desprit.
Et si ces rubriques évoquaient pour certains des résonances un peu désuètes, nous ne répugnerions pas à les endosser comme dun retour à nos sources.
Car la psychanalyse dans son premier développement, lié à la découverte et à létude des symboles, allait à participer de la structure de ce quau Moyen Âge on appelait « arts libéraux ». Privée comme eux dune formalisation véritable, elle sorganisait comme eux en un corps de problèmes privilégiés, chacun promu de quelque heureuse relation de lhomme à sa propre mesure, et prenant de cette particularité un charme et une humanité qui peuvent compenser à nos yeux laspect un peu récréatif de leur présentation. Ne dédaignons pas cet aspect dans les premiers développements de la psychanalyse ; il nexprime rien de moins, en effet, que la recréation du sens humain aux temps arides du scientisme.
Dédaignons-les dautant moins que la psychanalyse na pas haussé son niveau en sengageant dans les fausses voies dune théorisation contraire à sa structure dialectique.
Elle ne donnera des fondements scientifiques à sa théorie comme à sa technique quen formalisant de façon adéquate ces dimensions essentielles de son expérience qui sont, avec la théorie historique du symbole : la logique intersubjective et la temporalité du sujet.
(134)III
LES RÉSONANCES DE LINTERPRÉTATION
ET LE TEMPS DU SUJET
DANS LA TECHNIQUE PSYCHANALYTIQUE
Entre lhomme et lamour,
Il y a la femme.
Entre lhomme et la femme,
Il y a un monde.
Entre lhomme et le monde,
Il y a un mur.
(Antoine Tudal, in Paris en lan 2000).
Nam Sibyllam quidem Cumis
ego ipse oculis meis vidi in
ampulla pendere, et cum illi
pueri dicerent : (((((((((((
((((((( respondebat illa :
(((((((((((((((
(Satyricon, xlviii).
Ramener lexpérience psychanalytique à la parole et au langage comme à ses fondements, ne saurait aller sans retentir sur sa technique. À en restaurer les principes dans leur fondement, le chemin parcouru se découvre et le sens unique où linterprétation analytique sest déplacée pour sen éloigner toujours plus. On est dès lors fondé à soupçonner que cette évolution de la pratique motive les nouveaux buts dont la théorie se pare.
À y regarder de plus près, les problèmes de linterprétation symbolique ont commencé par intimider notre petit monde avant dy devenir embarrassants. Les succès obtenus par Freud y étonnent maintenant par le sans-gêne de lendoctrination dont ils paraissent procéder, et létalage qui sen remarque dans les cas de Dora, de lhomme aux rats et de lhomme aux loups, ne va pas pour nous sans scandale. Il est vrai que nos habiles (135)ne reculent pas à mettre en doute que ce fût là une bonne technique.
Cette désaffection relève en vérité, dans le mouvement psychanalytique, dune confusion des langues dont, dans un propos familier dune époque récente, la personnalité la plus représentative de son actuelle hiérarchie ne faisait pas mystère avec nous.
Il est assez remarquable que cette confusion saccroisse avec la prétention où chacun se croit délégué de découvrir dans notre expérience les conditions dune objectivation achevée, et avec la ferveur qui semble accueillir ces essais théoriques à mesure même quils savèrent plus déréels.
Il est certain que les principes, tout bien fondés quils soient, de lanalyse des résistances, ont été dans la pratique loccasion dune méconnaissance toujours plus grande du sujet, faute dêtre compris dans leur relation à lintersubjectivité de la parole.
À suivre, en effet, le procès des sept premières séances qui nous sont intégralement rapportées du cas de lhomme aux rats, il paraît peu probable que Freud nait pas reconnu les résistances en leur lieu, soit là même où nos modernes techniciens nous font leçon quil en ait laissé passer loccurrence, puisque cest son texte même qui leur permet de les pointer, manifestant une fois de plus cette exhaustion du sujet qui, dans les textes freudiens, nous émerveille sans quaucune interprétation en ait encore épuisé les ressources.
Nous voulons dire quil ne sest pas seulement laissé prendre à encourager son sujet à passer outre à ses premières réticences, mais quil a parfaitement compris la portée séductrice de ce jeu dans limaginaire. Il suffit pour sen convaincre de se reporter à la description quil nous donne de lexpression de son patient pendant le pénible récit du supplice imaginaire qui constitue le thème de son obsession, celui du rat forcé dans lanus du supplicié : « Son visage, nous dit-il, reflétait lhorreur dune jouissance ignorée ». La signification actuelle de la répétition de ce récit ne lui a donc pas échappé, non plus que lidentification du psychanalyste au « capitaine cruel » qui a fait entrer de force ce récit dans la mémoire du sujet, et non plus donc la portée des éclaircissements théoriques dont le sujet requiert le gage pour poursuivre son discours.
(136)Loin pourtant dinterpréter ici la résistance, Freud nous étonne en accédant à sa requête, et si loin quil paraît entrer dans le jeu du sujet.
Mais le caractère extrêmement approximatif, au point de nous paraître vulgaire, des explications dont il le gratifie, nous instruit suffisamment : il ne sagit point tant ici de doctrine, ni même dendoctrination, que dun don symbolique de la parole, gros dun pacte secret, dans le contexte de la participation imaginaire qui linclut, et dont la portée se révélera plus tard à léquivalence symbolique que le sujet institue dans sa pensée des rats et des florins dont il rétribue lanalyste.
Nous voyons donc que Freud loin de méconnaître la résistance, en use comme dune disposition propice à la mise en branle des résonances de la parole, et il se conforme, autant quil se peut, à la définition première quil a donnée de la résistance, en sen servant pour impliquer le sujet dans son message. Aussi bien rompra-t-il brusquement les chiens, dès quil verra quà être ménagée, la résistance tourne à maintenir le dialogue au niveau dune conversation où le sujet dès lors perpétuerait sa séduction avec sa dérobade.
Mais nous apprenons que lanalyse consiste à jouer sur les multiples portées de la partition que la parole constitue dans les registres du langage : dont relève la surdétermination de lordre quintéresse lanalyse.
Et nous tenons du même coup le ressort du succès de Freud. Pour que le message de lanalyste réponde à linterrogation profonde du sujet, il faut en effet que le sujet lentende comme la réponse qui lui est particulière, et le privilège quavaient les patients de Freud den recevoir la bonne parole de la bouche même de celui qui en était lannonciateur, satisfaisait en eux cette exigence.
Notons au passage quici le sujet en avait eu un avant-goût à entrouvrir la « psychopathologie de la vie quotidienne », ouvrage alors dans la fraîcheur de sa parution.
Ce nest pas dire que ce livre soit beaucoup plus connu maintenant même des analystes, mais la vulgarisation des notions freudiennes dans la conscience commune, leur rentrée dans ce que nous appelons le mur du langage, amortirait leffet de notre parole, si nous lui donnions le style des propos tenus par Freud à lhomme aux rats.
(137)Mais il nest pas question ici de limiter. Pour retrouver leffet de la parole de Freud, ce nest pas à ses termes que nous recourront, mais aux principes qui la gouvernent.
Ces principes ne sont rien dautre que la dialectique de la conscience de soi, telle quelle se réalise de Socrate à Hegel, à partir de la supposition ironique que tout ce qui est rationnel est réel pour se précipiter dans le jugement scientifique que tout ce qui est réel est rationnel. Mais la découverte freudienne a été de démontrer que ce procès vérifiant natteint authentiquement le sujet que décentré de la conscience de soi, dans laxe de laquelle la maintenait la reconstruction hégélienne de la phénoménologie de lesprit : cest dire quelle rend encore plus caduque toute attribution defficacité à la « prise de conscience » qui, de se réduire à lobjectivation dun phénomène psychologique, fait déchoir la Selbstbewusstsein de son sens universel, et du même coup de sa particularité en la réduisant à sa forme générale.
Ces remarques définissent les limites dans lesquelles il est impossible à notre technique de méconnaître les moments structurants de la phénoménologie hégélienne : au premier chef la dialectique du Maître et de lEsclave, ou celle de la belle âme et de la loi du cur, et généralement tout ce qui nous permet de comprendre comment la constitution de lobjet se subordonne à la réalisation du sujet.
Mais sil restait quelque chose dinaccompli dans la reconnaissance, où se mesure le génie de Hegel, de lidentité foncière du particulier et de luniversel, cest bien la psychanalyse qui lui apporte son fondement concret chaque fois quelle ouvre la voie à travers ses obstacles vers le point où ils se confondent pour un sujet dès aujourdhui. Et si dans cette voie rien de proprement individuel et du même coup de collectif ne peut apparaître qui ne soit de lordre du mirage, cest ce qui ne peut plus être oublié, grâce à elle, sinon par les psychanalystes eux-mêmes qui dans les prétendues « nouvelles tendances » de leur technique forgent une discipline renégate à son inspiration.
Que si Hegel seul peut nous permettre dassumer authentiquement la position de notre neutralité, ce nest pas que nous nayons rien à apprendre de la maïeutique de Socrate, ni même de lusage technique où Platon nous la présente, ne serait-ce que pour situer par rapport à lidée ce que nous mettons en (138)uvre dans le sujet, et qui en est aussi distinct et distant que la répétition analysée par Kierkegaard lest de la réminiscence supposée par Platon.
Mais il est aussi une différence historique quil nest pas vain de mesurer de linterlocuteur de Socrate au nôtre. Quand Socrate prend appui sur une raison artisane quil peut extraire aussi bien du discours de lesclave, cest pour faire accéder des maîtres authentiques à la nécessité dun ordre qui fasse justice de leur puissance et vérité des maîtres-mots de la cité. Mais nous avons affaire à des esclaves qui se croient être des maîtres et qui trouvent dans un langage de mission universelle le soutien de leur servitude avec les liens de son ambiguïté. Si bien quon pourrait dire avec humour que notre but est de restituer en eux la liberté souveraine dont fait preuve Humpty Dumpty quand il rappelle à Alice quaprès tout il est le maître du signifiant, sil ne lest pas du signifié où son être a pris sa forme.
Nous retrouvons donc toujours notre double référence à la parole et au langage. Pour libérer la parole du sujet, nous lintroduisons au langage de son désir, cest à dire au langage premier dans lequel, au delà de ce quil nous dit de lui, déjà il nous parle à son insu, et dans les symboles du symptôme tout dabord.
Cest bien dun langage quil sagit, en effet, dans le symbolisme mis au jour dans lanalyse. Ce langage, répondant au vu ludique quon peut trouver dans un aphorisme de Lichtenberg, a le caractère universel dune langue qui se ferait entendre dans toutes les autres langues, mais en même temps, pour être le langage qui saisit le désir au point même où il shumanise en se faisant reconnaître, il est absolument particulier au sujet.
Langage premier, disons-nous aussi, en quoi nous ne voulons pas dire langue primitive, puisque Freud, quon peut comparer à Champollion pour le mérite den avoir fait la totale découverte, la déchiffré tout entier dans les rêves de nos contemporains. Aussi bien le champ essentiel en est-il défini avec quelque autorité par lun des préparateurs associés le plus tôt à ce travail, et lun des rares qui y ait apporté du neuf, jai nommé Ernest Jones, le dernier survivant de ceux à qui furent donnés les sept anneaux du maître et qui atteste par sa présence aux postes dhonneur dune association internationale quils (139)ne sont pas seulement réservés aux porteurs de reliques.
Dans un article fondamental sur le symbolisme, le Dr Jones, vers la page 15, fait cette remarque que, bien quil y ait des milliers de symboles au sens où lentend lanalyse, tous se rapportent au corps propre, aux relations de parenté, à la naissance, à la vie et à la mort.
Cette vérité, ici reconnue de fait, nous permet de comprendre que, bien que le symbole psychanalytiquement parlant soit refoulé dans linconscient, il ne porte en lui-même nul indice de régression, voire dimmaturation. Il suffit donc, pour quil porte ses effets dans le sujet, quil se fasse entendre, car ces effets sopèrent à son insu, comme nous ladmettons dans notre expérience quotidienne, en expliquant maintes réactions des sujets normaux autant que névrosés, par leur réponse au sens symbolique dun acte, dune relation ou dun objet.
Nul doute donc que lanalyste ne puisse jouer du pouvoir du symbole en lévoquant dune façon calculée dans les résonances sémantiques de ses propos.
Ce peut être là lobjet dun retour à lusage des effets symboliques, dans une technique renouvelée de linterprétation.
Nous y pourrions prendre référence de ce que la tradition hindoue enseigne du dhvani,en ce quelle y distingue cette propriété de la parole de faire entendre ce quelle ne dit pas. Cest ainsi quelle lillustre dune historiette dont la naïveté, qui paraît de règle en ces exemples, montre assez dhumour pour nous induire à pénétrer la vérité quelle recèle.
Une jeune fille, dit-on, attend son amant sur le bord dune rivière, quand elle voit un brahme y engager ses pas. Elle va à lui et sécrie du ton du plus aimable accueil : « Quel bonheur aujourdhui ! Le chien qui sur cette rive vous effrayait de ses aboiements ny sera plus, car il vient dêtre dévoré par un lion qui fréquente les alentours
»
Labsence du lion peut donc avoir autant deffets que le bond quà être présent, il ne fait quune fois, au dire du proverbe.
Le caractère premier des symbole les rapproche, en effet, de ces nombres dont tous les autres sont composés, et sils sont donc sous-jacents à tous les sémantèmes de la langue, nous (140)pourrons par une recherche discrète de leurs interférences, au fil dune métaphore dont le déplacement symbolique neutralisera les sens seconds des termes quelle associe, restituer à la parole sa pleine valeur dévocation.
Cette technique exigerait pour senseigner comme pour sapprendre une assimilation profonde des ressources dune langue, et spécialement de celles qui sont réalisées concrètement dans ses textes poétiques. On sait que cétait le cas de Freud quant aux lettres allemandes, y étant inclus le théâtre de Shakespeare par la vertu dune traduction sans égale. Toute son uvre en témoigne, en même temps que du recours quil y trouve sans cesse, et non moins dans sa technique que dans sa découverte. Sans préjudice de lappui dune connaissance classique des Anciens, dune initiation moderne au folklore, et dune participation intéressée aux conquêtes de lhumanisme contemporain dans le domaine ethnographique.
On pourrait demander au technicien de lanalyse de ne pas tenir pour vain tout essai de le suivre dans cette voie.
Mais il y a un courant à remonter. On peut le mesurer à lattention condescendante quon porte, comme à une nouveauté, au wording : la morphologie anglaise donne ici un support assez subtil à une notion encore difficile à définir, pour quon en fasse cas.
Ce quelle recouvre nest pourtant guère encourageant et lémerveillement dont un auteur nous fait part du succès opposé qua rencontré auprès de son patient lusage successif quil a fait sans préméditation, nous dit-il, des mots de need et de demand pour analyser la même résistance, laisse rêveur. Nous croyons ne faire preuve ni dun grand besoin de purisme, ni dune excessive exigence de rigueur, en y mesurant le degré de bafouillage que cet émerveillement démontre être courant dans la pratique.
Car need et demand pour le sujet ont un sens diamétralement opposé, et tenir que leur emploi puisse même un instant être confondu revient à méconnaître radicalement lintimation de la parole.
Car dans sa fonction symbolisante, elle ne va à rien de moins (141)quà transformer le sujet à qui elle sadresse par le lien quelle établit avec celui qui lémet, soit : par la vertu du don quelle constitue.
Cest pourquoi il nous faut revenir, une fois encore, sur la structure de la communication interhumaine et dissiper définitivement le malentendu du langage-signe, source en ce domaine des confusions du discours comme des malfaçons de la parole.
Si la communication du langage est en effet conçue comme un signal par quoi lémetteur informe le récepteur de quelque chose par le moyen dun certain code, il ny a aucune raison pour que nous naccordions pas autant de créance et plus encore à tout autre signe quand le « quelque chose » dont il sagit est le sujet lui-même : il y a même toute raison pour que nous donnions la préférence à tout mode dexpression qui se rapproche du signe naturel.
Cest ainsi que le discrédit est venu chez nous sur la technique de la parole et quon nous voit en quête dun geste, dune grimace, dune attitude, dune mimique, dun mouvement, dun frémissement, que dis-je, dun arrêt du mouvement habituel, car nous sommes fins et rien narrêtera plus dans ses foulées notre lancer de limiers.
Nous allons montrer linsuffisance de la notion du langage-signe par la manifestation même qui lillustre le mieux dans le règne animal, et dont il semble que, si elle ny avait récemment fait lobjet dune découverte authentique, il aurait fallu linventer à cette fin.
Chacun admet maintenant que labeille revenue de son butinage à la ruche, transmet à ses compagnes par deux sortes de danse lindication de lexistence dun butin proche ou bien lointain. La seconde est la plus remarquable, car le plan où elle décrit la courbe en 8 qui lui a fait donner le nom de wagging dance et la fréquence des trajets que labeille y accomplit dans un temps donné, désigne exactement la direction déterminée en fonction de linclinaison solaire (où les abeilles peuvent se repérer par tous temps, grâce à leur sensibilité à la lumière polarisée) dune part, et dautre part la distance jusquà plusieurs kilomètres où se trouve le butin. Et les autres abeilles répondent à ce message en se dirigeant immédiatement vers le lieu ainsi désigné.
Une dizaine dannées dobservation patiente a suffi à (142)Karl von Frisch pour décoder ce mode de message, car il sagit bien dun code, ou dun système de signalisation que seul son caractère générique nous interdit de qualifier de conventionnel.
Est-ce pour autant un langage ? Nous pouvons dire quil sen distingue précisément par la corrélation fixe de ses signes à la réalité quils signifient. Car dans un langage les signes prennent leur valeur de leur relation les uns aux autres, dans le partage lexical des sémantèmes autant que dans lusage positionnel, voire flexionnel des morphèmes, contrastant avec la fixité du codage ici mis en jeu. Et la diversité des langues humaines prend, sous cet éclairage, sa pleine valeur.
En outre, si le message du mode ici décrit détermine laction du socius, il nest jamais retransmis par lui. Et ceci veut dire quil reste fixé à sa fonction de relais de laction, dont aucun sujet ne le détache en tant que symbole de la communication elle-même.
La forme sous laquelle le langage sexprime, définit par elle-même la subjectivité. Il dit : « Tu iras par ici, et quand tu verras ceci, tu prendras par là ». Autrement dit, il se réfère au discours de lautre. Il est enveloppé comme tel dans la plus haute fonction de la parole, pour autant quelle engage son auteur en investissant son destinataire dune réalité nouvelle, par exemple quand lhomme dit : « Tu es ma femme », pour signifier son propre don.
Telle est en effet la forme essentielle dont toute parole humaine dérive plutôt quelle ny arrive.
Doù le paradoxe dont un de nos auditeurs les plus aigus a cru pouvoir nous opposer la remarque, lorsque nous avons commencé à faire connaître nos vues sur lanalyse en tant que dialectique, et quil a formulé ainsi : le langage humain constituerait donc une communication où lémetteur reçoit du récepteur son propre message sous une forme inversée, formule que nous navons eu quà reprendre de la bouche de lobjecteur pour y reconnaître la frappe de notre propre pensée, à savoir que la parole inclut toujours subjectivement sa réponse, que le (143)« Tu ne me chercherais pas si tu ne mavais trouvé » ne fait quhomologuer cette vérité, et que cest la raison pourquoi dans le refus paranoïaque de la reconnaissance, cest sous la forme dune verbalisation négative que linavouable sentiment vient à surgir dans l« interprétation » persécutive.
Aussi bien quand vous vous applaudissez davoir rencontré quelquun qui parle le même langage que vous, ne voulez-vous pas dire que vous vous rencontrez avec lui dans le discours de tous, mais que vous lui êtes unis par une parole particulière.
On voit donc lantinomie immanente aux relations de la parole et du langage. À mesure que le langage devient plus général, il est rendu impropre à la parole, et à nous devenir trop particulier il perd sa fonction de langage.
On sait lusage qui est fait dans les traditions primitives, des noms secrets où le sujet identifie sa personne ou ses dieux jusquà ce point que les révéler, cest se perdre ou les trahir, et les confidences de nos sujets, sinon nos propres souvenirs, nous apprennent quil nest pas rare que lenfant retrouve spontanément la vertu de cet usage.
Finalement cest à lintersubjectivité du « nous » quil assume, que se mesure en un langage sa valeur de parole.
Par une antinomie inverse, on observe que plus loffice du langage se neutralise en se rapprochant de linformation, plus il apparaît chargé de redondances. Cette notion de redondances a pris son départ de recherches dautant plus précises quelles étaient plus intéressées, ayant reçu leur impulsion dun problème déconomie portant sur les communications à longue distance et, notamment, sur la possibilité de faire voyager plusieurs conversations sur un seul fil téléphonique ; on peut y constater quune part importante du médium du langage est superflue pour que soit réalisée la communication effectivement cherchée.
Ceci est pour nous hautement instructif, car ce qui est (144)redondance pour linformation, cest précisément ce qui, dans la parole, fait office de résonance.
Car la fonction du langage ny est pas dinformer, mais dévoquer.
Ce que je cherche dans la parole, cest la réponse de lautre. Ce qui me constitue comme sujet, cest ma question. Pour me faire reconnaître de lautre, je ne profère ce qui fut quen vue de ce qui sera. Pour le trouver, je lappelle dun nom quil doit assumer ou refuser pour me répondre.
Je midentifie dans le langage, mais non comme un objet. Ce qui se réalise dans mon histoire, nest pas le passé défini de ce qui fut puisquil nest plus, ni même le parfait de ce qui a été dans ce que je suis, mais le futur antérieur de ce que jaurai été pour ce que je suis en train de devenir.
Si maintenant je me place en face de lautre pour linterroger, nul appareil cybernétique, si riche que vous puissiez limaginer, ne peut faire une réaction de ce qui est la réponse. Sa définition comme second terme du circuit stimulus-réponse, nest quune métaphore qui se soutient de la subjectivité imputée à lanimal pour lélider ensuite dans le schéma physique où elle la réduit. Cest ce que nous avons appelé mettre le lapin dans le chapeau pour ensuite len faire sortir. Mais une réaction nest pas une réponse.
Si je presse sur un bouton électrique et que la lumière se fasse, il ny a de réponse que pour mon désir. Si pour obtenir le même résultat je dois essayer tout un système de relais dont je ne connais pas la position, il ny a de question que pour mon attente, et il ny en aura plus quand jaurai obtenu du système une connaissance suffisante pour le manuvrer à coup sûr.
Mais si jappelle celui à qui je parle, par le nom quel quil soit que je lui donne, je lui intime la fonction subjective quil reprendra pour me répondre, même si cest pour la répudier.
Dès lors, apparaît la fonction décisive de ma propre réponse et qui nest pas seulement comme on le dit dêtre reçue par le sujet comme approbation ou rejet de son discours, mais vraiment de le reconnaître on de labolir comme sujet. Telle est la responsabilité de lanalyste chaque fois quil intervient par la parole.
Aussi bien le problème des effets thérapeutiques de linterprétation (145)inexacte qua posé M. Edward Glover dans un article remarquable, la-t-il mené à des conclusions où la question de lexactitude passe au second plan. Cest à savoir que non seulement toute intervention parlée est reçue par le sujet en fonction de sa structure, mais quelle y prend une fonction structurante en raison de sa forme, et que cest précisément la portée des psychothérapies non analytiques, voire des plus communes « ordonnances » médicales, dêtre des interventions quon peut qualifier de systèmes obsessionnels de suggestion, de suggestions hystériques dordre phobique, voire de soutiens persécutifs, chacune prenant son caractère de la sanction quelle donne à la méconnaissance par le sujet de sa propre réalité.
La parole en effet est un don de langage, et le langage nest pas immatériel. Il est corps subtil, mais il est corps. Les mots sont pris dans toutes les images corporelles qui captivent le sujet ; ils peuvent engrosser lhystérique, sidentifier à lobjet du penis-neid, représenter le flot durine de lambition urétrale, ou lexcrément retenu de la jouissance avaricieuse.
Bien plus les mots peuvent eux-mêmes subir les lésions symboliques, accomplir les actes imaginaires dont le patient est le sujet. On se souvient de la Wespe (guêpe) castrée de son W initial pour devenir le S. P. des initiales de lhomme aux loups, au moment où il réalise la punition symbolique dont il a été lobjet de la part de Grouscha, la guêpe.
On se souvient aussi de lS qui constitue le résidu de la formule hermétique où se sont condensées les invocations conjuratoires de lhomme aux rats après que Freud ait extrait de son chiffre lanagramme du nom de sa bien-aimée, et qui, conjoint à lamen terminal de sa jaculation, inonde éternellement le nom de la dame de léjet symbolique de son désir impuissant.
De même, un article de Robert Fliess, inspiré des remarques inaugurales dAbraham, nous démontre que le discours dans son ensemble peut devenir lobjet dune érotisation suivant les déplacements de lérogénéité dans limage corporelle, (146)momentanément déterminés par la relation analytique.
Le discours prend alors une fonction phallique-urétrale, érotique-anale, voire sadique-orale. Il est dailleurs remarquable que lauteur en saisisse surtout leffet dans les silences qui marquent linhibition de la satisfaction quen éprouve le sujet.
Ainsi la parole peut devenir objet imaginaire, voire réel, dans le sujet et, comme tel, ravaler sous plus dun aspect la fonction du langage. Nous la mettrons alors dans la parenthèse de la résistance quelle manifeste.
Mais ce ne sera pas pour la mettre à lindex de la relation analytique, car celle-ci y perdrait jusquà sa raison dêtre.
Lanalyse ne peut avoir pour but que lavènement dune parole vraie et la réalisation par le sujet de son histoire dans sa relation à un futur.
Le maintien de cette dialectique soppose à toute orientation objectivante de lanalyse, et la mise en relief de cette nécessité est capitale pour pénétrer laberration des nouvelles tendances manifestées dans lanalyse.
Cest par un retour à Freud que nous illustrerons encore ici notre propos, et aussi bien par lobservation de lhomme aux rats puisque nous avons commencé de nous en servir.
Freud va jusquà en prendre à son aise avec lexactitude des faits, quand il sagit datteindre à la vérité du sujet. À un moment, il aperçoit le rôle déterminant qua joué la proposition de mariage apportée au sujet par sa mère à lorigine de la phase actuelle de sa névrose. Il en a eu dailleurs léclair, nous lavons montré dans notre séminaire, en raison de son expérience personnelle. Néanmoins, il nhésite pas à en interpréter au sujet leffet, comme dune interdiction portée par son père défunt contre sa liaison avec la dame de ses pensées.
Ceci nest pas seulement matériellement inexact. Ce lest aussi psychologiquement, car laction castratrice du père, que Freud affirme ici avec une insistance quon pourrait croire systématique, na dans ce cas joué quun rôle de second plan. Mais laperception du rapport dialectique est si juste que linterprétation de Freud portée à ce moment déclenche la levée décisive des symboles mortifères qui lient narcissiquement le sujet à la fois à son père mort et à la dame idéalisée, leurs deux images se soutenant, dans une équivalence caractéristique de lobsessionnel, lune de lagressivité fantasmatique qui la perpétue, (147)lautre du culte mortifiant qui la transforme en idole.
De même, est-ce en reconnaissant la subjectivation forcée de la dette obsessionnelle dont son patient joue la pression jusquau délire, dans le scénario, trop parfait à en exprimer les termes imaginaires pour que le sujet tente même de le réaliser, de la restitution vaine, que Freud arrive à son but : soit à lui faire retrouver dans lhistoire de lindélicatesse de son père, de son mariage avec sa mère, de la fille « pauvre, mais jolie », de ses amours blessées, de la mémoire ingrate à lami salutaire, avec la constellation fatidique, qui présida à sa naissance même, la béance impossible à combler de la dette symbolique dont sa névrose est le protêt.
Nulle trace ici dun recours au spectre ignoble de je ne sais quelle « peur » originelle, ni même à un masochisme pourtant facile à agiter, moins encore à ce contre-forçage obsessionnel que certains propagent sous le nom danalyse des défenses. Les résistances elles-mêmes, je lai montré ailleurs, sont utilisées aussi longtemps quon le peut dans le sens du progrès du discours. Et quand il faut y mettre un terme, cest en y cédant quon y vient.
Cest pourtant ainsi que le patient arrive à introduire dans sa subjectivité sa médiation véritable sous la forme transférentielle de la fille imaginaire quil donne à Freud pour en recevoir de lui lalliance, et qui dans un rêve-clef lui dévoile son vrai visage : celui de la mort qui le regarde de ses yeux de bitume.
Aussi bien si cest avec ce pacte symbolique que sont tombées chez le sujet les ruses de sa servitude, la réalité ne lui aura pas fait défaut pour combler ces épousailles, et la note en guise dépitaphe quen 1923 Freud dédie à ce jeune homme qui, dans le risque de la guerre, a trouvé « la fin de tant de jeunes gens de valeur sur lesquels on pouvait fonder tant despoirs », concluant le cas avec la rigueur du destin, lélève à la beauté de la tragédie.
Pour savoir comment répondre au sujet dans lanalyse, la méthode est de reconnaître dabord la place où est son ego, cet ego que Freud lui même a défini comme ego formé dun (148)nucleus verbal, autrement dit de savoir par qui et pour qui le sujet pose sa question. Tant quon ne le saura pas, on risquera le contresens sur le désir qui y est à reconnaître et sur lobjet à qui sadresse ce désir.
Lhystérique captive cet objet dans une intrigue raffinée et son ego est dans le tiers par le médium de qui le sujet jouit de cet objet où sa question sincarne. Lobsessionnel entraîne dans la cage de son narcissisme les objets où sa question se répercute dans lalibi multiplié de figures mortelles et, domptant leur haute voltige, en adresse lhommage ambigu vers la loge où lui-même a sa place, celle du maître qui ne peut se voir.
Trahit sua quemque voluptas ; lun sidentifie au spectacle, et lautre donne à voir.
Pour le premier sujet, vous avez à lui faire reconnaître où se situe son action, pour qui le terme dacting-out prend son sens littéral puisquil agit hors de lui-même. Pour lautre, vous avez à vous faire reconnaître dans le spectateur, invisible de la scène, à qui lunit la médiation de la mort.
Cest donc toujours dans le rapport du moi du sujet au je de son discours, quil vous faut comprendre le sens du discours pour désaliéner le sujet.
Mais vous ne sauriez y parvenir si vous vous en tenez à lidée que le moi du sujet est identique à la présence qui vous parle.
Cette erreur est favorisée par la terminologie de la topique qui ne tente que trop la pensée objectivante, en lui permettant de glisser du moi défini comme le système perception-conscience, cest-à-dire comme le système des objectivations du sujet, au moi conçu comme corrélatif dune réalité absolue, et ainsi dy retrouver, en un singulier retour du refoulé de la pensée psychologiste, la « fonction du réel » à quoi un Pierre Janet ordonne ses conceptions.
Un tel glissement ne sest opéré que faute de reconnaître que dans luvre de Freud la topique de lego, de lid et du superego est subordonnée à la métapsychologie dont il promeut les termes à la même époque et sans laquelle elle perd son sens. Ainsi sest-on engagé dans une orthopédie psychologique qui na pas fini de porter ses fruits.
Michaël Balint a analysé dune façon tout à fait pénétrante les effets intriqués de la théorie et de la technique dans la genèse (149)dune nouvelle conception de lanalyse, et il ne trouve pas mieux pour en indiquer lissue que le mot dordre quil emprunte à Rickman, de lavènement dune Two-body psychology.
On ne saurait mieux dire en effet. Lanalyse devient la relation de deux corps entre lesquels sétablit une communication fantasmatique où lanalyste apprend au sujet à se saisir comme objet ; la subjectivité ny est admise que dans la parenthèse de lillusion, et la parole y est mise à lindex dune recherche du vécu qui en devient le but suprême, mais le résultat dialectiquement nécessaire en apparaît dans le fait que la subjectivité du psychanalyste étant délivrée de tout frein, laisse le sujet livré à toutes les intimations de sa parole.
La topique intra-subjective une fois entifiée se réalise en effet dans la division du travail entre les sujets en présence. Et cet usage détourné de la formule de Freud que tout ce qui est de lid doit devenir de lego, apparaît sous une forme démystifiée ; le sujet transformé en un cela a à se conformer à un ego où lanalyste naura pas de peine à reconnaître son allié, puisque cest de son propre ego quen vérité il sagit.
Cest bien ce processus qui sexprime dans mainte formulation théorique du splitting de lego dans lanalyse. La moitié de lego du sujet passe de lautre côté du mur qui sépare lanalysé de lanalyste, puis la moitié de la moitié, et ainsi de suite, en une procession asymptotique qui ne parviendra pourtant à annuler, si loin quelle soit poussée dans lopinion où le sujet sera venu de lui-même, toute marge qui puisse lavertir de laberration de lanalyse.
Mais comment le sujet dune analyse axée sur le principe que toutes ses formulations sont des systèmes de défense, pourrait-il être défendu contre la désorientation totale où ce principe laisse la dialectique de lanalyste ?
Linterprétation de Freud, dont le procédé dialectique apparaît si bien dans lobservation de Dora, ne présente pas ces dangers, car, lorsque les préjugés de lanalyste (cest-à-dire son contre-transfert, terme dont lemploi correct à notre gré ne saurait être étendu au delà des raisons dialectiques de lerreur) lont fourvoyé dans son intervention, il le paie aussitôt de son prix par un transfert négatif. Car celui-ci se manifeste avec une force dautant plus grande quune telle analyse a déjà (150)engagé plus loin le sujet dans une reconnaissance authentique, et il sensuit habituellement la rupture.
Cest bien ce qui est arrivé dans le cas de Dora, en raison de lacharnement de Freud à vouloir lui faire reconnaître lobjet caché de son désir en cette personne de M. K. où les préjugés constituants de son contre-transfert lentraînaient à voir la promesse de son bonheur.
Sans doute Dora était-elle elle-même feintée en cette relation, mais elle nen a pas moins vivement ressenti que Freud le fût avec elle. Mais quand elle revient le voir, après le délai de quinze mois où sinscrit le chiffre fatidique de son « temps pour comprendre », on la sent entrer dans la voie dune feinte davoir feint, et la convergence de cette feinte au second degré, avec lintention agressive que Freud lui impute non sans exactitude certes, mais sans en reconnaître le véritable ressort, nous présente lébauche de la complicité intersubjective quune « analyse des résistances » forte de ses droits, eût pu entre eux perpétuer. Nul doute quavec les moyens qui nous sont maintenant offerts par notre progrès technique, lerreur humaine eût pu se proroger au delà des limites où elle devient diabolique.
Tout ceci nest pas de notre cru, car Freud lui-même a reconnu après coup la source préjudicielle de son échec dans la méconnaissance où il était alors lui-même de la position homosexuelle de lobjet visé par le désir de lhystérique.
Sans doute tout le procès qui a abouti à cette tendance actuelle de la psychanalyse remonte-t-il, et dabord, à la mauvaise conscience que lanalyste a pris du miracle opéré par sa parole. Il interprète le symbole, et voici que le symptôme, qui linscrit en lettres de souffrance dans la chair du sujet, sefface. Cette thaumaturgie est malséante à nos coutumes. Car enfin nous sommes des savants et la magie nest pas une pratique défendable. On sen décharge en imputant au patient une pensée magique. Bientôt nous allons prêcher à nos malades lÉvangile selon Lévy-Bruhl. En attendant, nous voici redevenus des penseurs, et voici aussi rétablies ces justes distances quil faut savoir garder avec les malades et dont on avait sans doute un peu vite abandonné la tradition si noblement exprimée dans ces lignes de Pierre Janet sur les petites capacités de lhystérique comparées à nos hauteurs. « Elle ne comprend rien (151)à la science, nous confie-t-il parlant de la pauvrette, et ne simagine pas quon puisse sy intéresser
Si lon songe à labsence de contrôle qui caractérise leur pensée, au lieu de se scandaliser de leurs mensonges, qui sont dailleurs très naïfs, on sétonnera plutôt quil y en ait encore tant dhonnêtes, etc. ».
Ces lignes, pour représenter le sentiment auquel sont revenus maints de ces analystes de nos jours qui condescendent à parler au malade « son langage », peuvent nous servir à comprendre ce qui sest passé entre temps. Car si Freud avait été capable de les signer, comment aurait-il pu entendre comme il la fait la vérité incluse aux historiettes de ses premiers malades, voire déchiffrer un sombre délire comme celui de Schreber jusquà lélargir à la mesure de lhomme éternellement enchaîné à ses symboles ?
Notre raison est-elle si faible que de ne pas se reconnaître égale dans la médiation du discours savant et dans léchange premier de lobjet symbolique, et de ny pas retrouver la mesure identique de sa ruse originelle ?
Va-t-il falloir rappeler ce que vaut laune de la « pensée », aux praticiens dune expérience qui en rapproche loccupation plutôt dun érotisme intestin que dun équivalent de laction ?
Faut-il que celui qui vous parle vous témoigne quil na pas, quant à lui, besoin de recourir à la pensée, pour comprendre que sil vous parle en ce moment de la parole, cest en tant que nous avons en commun une technique de la parole qui vous rend aptes à lentendre quand il vous en parle, et qui le dispose à sadresser à travers vous à ceux qui ny entendent rien ?
Car si nous ne saisissons dans la parole quun reflet de la pensée cachée derrière le mur du langage, bientôt nous en viendrons à ne plus vouloir entendre que les coups frappés derrière le mur, à les chercher non pas dans la ponctuation mais dans les trous du discours.
Dès lors, nous ne serons plus occupés quau décodage de ce mode de communication et, comme il faut avouer que nous ne nous sommes pas mis dans les conditions les plus propres à en recevoir le message, nous aurons à le faire répéter quelquefois pour être sûrs de le comprendre, voire pour faire comprendre au sujet que nous le comprenons, et il se pourra quaprès un nombre suffisant de ces allers et retours le sujet ait simplement (153)appris de nous à frapper ses coups en mesure, forme de « mise au pas » qui en vaut bien une autre.
À mi-chemin de cet extrême, la question est posée : la psychanalyse reste-t-elle une relation dialectique où le non-agir de lanalyste guide le discours du sujet vers la réalisation de sa vérité, ou se réduira-t-elle à une relation fantasmatique où « deux abîmes se frôlent » sans se toucher jusquà épuisement de la gamme des régressions imaginaires, à une sorte de bundling, poussé à ses limites suprêmes en fait dépreuve psychologique.
En fait, cette illusion. qui nous pousse à chercher la réalité du sujet au delà du mur du langage est la même par laquelle le sujet croit que sa vérité est en nous déjà donnée, que nous la connaissons à lavance, et cest aussi bien par là quil est béant à notre intervention objectivante.
Sans doute na-t-il pas, quant à lui, à répondre de cette erreur subjective qui, avouée ou non dans son discours, est immanente au fait quil est entré dans lanalyse, et quil en a conclu le pacte principiel. Et lon saurait dautant moins négliger la subjectivité de ce moment que nous y trouvons la raison de ce quon peut appeler les effets constituants du transfert en tant quils se distinguent par un indice de réalité des effets constitués qui leur succèdent.
Freud, rappelons-le, touchant les sentiments quon rapporte au transfert, insistait sur la nécessité dy distinguer un facteur de réalité, et ce serait, concluait-il, abuser de la docilité du sujet que de vouloir le persuader en tous les cas que ces sentiments sont une simple répétition transférentielle de la névrose. Dès lors, comme ces sentiments réels se manifestent comme primaires et que le charme propre de nos personnes reste un facteur aléatoire, il peut sembler quil y ait là quelque mystère.
Mais ce mystère séclaircit à lenvisager dans la phénoménologie (153)du sujet, en tant que le sujet se constitue dans la recherche de la vérité. Il nest que de recourir aux données traditionnelles que les bouddhistes ne seront pas seuls à nous fournir, pour reconnaître dans cette forme du transfert lerreur propre de lexistence, et sous trois chefs dont ils font le compte ainsi : lamour, la haine et lignorance. Cest donc comme contre effet du mouvement analytique que nous comprendrons leur équivalence dans ce quon appelle un transfert positif à lorigine chacun trouvant à séclairer des deux autres sous cet aspect existentiel, si lon nen excepte pas le troisième généralement omis pour sa proximité du sujet.
Nous évoquons ici linvective par où nous prenait à témoin du manque de retenue dont faisait preuve un certain travail (déjà trop cité par nous) dans son objectivation insensée du jeu des instincts dans lanalyse, quelquun, dont on reconnaîtra la dette à notre endroit par lusage conforme quil y faisait du terme de réel. Cest en ces mots en effet quil « libérait », comme on dit, « son cur » : « Il est grand temps que finisse cette escroquerie qui tend à faire croire quil se passe dans le traitement quoi que ce soit de réel ». Laissons de côté ce quil en est advenu, car hélas ! si lanalyse na pas guéri le vice oral du chien dont parle lÉcriture, son état est pire quavant : cest le vomissement des autres quil ravale.
Mais si la question posée dans cette boutade, mieux inspirée que bien intentionnée, a bien son sens, nous croyons quil faut lenvisager dans la distinction fondamentale du symbolique, de limaginaire et du réel.
La réalité en effet dans lexpérience analytique reste souvent voilée sous des formes négatives, mais il nest pas trop malaisé de la situer.
Elle se rencontre, par exemple, dans ce que nous réprouvons habituellement comme interventions actives ; mais ce serait une erreur que den définir par là la limite.
Car il est clair, dautre part, que labstention de lanalyste, son refus de répondre, est un élément de la réalité dans lanalyse. Plus exactement, cest dans cette négativité en tant quelle est pure, cest-à-dire détachée de tout motif particulier, que réside la jointure entre le symbolique et le réel. Ce qui se comprend en ceci que ce non-agir est fondé sur notre savoir affirmé du principe que tout ce qui est réel est rationnel, et sur (154)le motif qui sensuit que cest au sujet quil appartient de retrouver sa mesure.
Il reste que cette abstention nest pas soutenue indéfiniment ; quand la question du sujet a pris forme de vraie parole, nous la sanctionnons de notre réponse, mais aussi avons-nous montré quune vraie parole contient déjà sa réponse et que seulement nous doublons de notre lai son antienne. Quest-ce à dire ? Sinon que nous ne faisons rien que donner à la parole du sujet sa ponctuation dialectique.
On voit dès lors lautre moment où le symbolique et le réel se conjoignent, et nous lavions déjà marqué théoriquement : dans la fonction du temps, et ceci vaut que nous arrêtions un moment sur les effets techniques du temps.
Le temps joue son rôle dans la technique sous plusieurs incidences.
Il se présente dans la durée totale de lanalyse dabord, et implique le sens à donner au terme de lanalyse, qui est la question préalable à celle des signes de sa fin. Nous toucherons au problème de la fixation de son terme. Mais dores et déjà, il est clair que cette durée ne peut être anticipée pour le sujet que comme indéfinie.
Ceci pour deux raisons, quon ne peut distinguer que dans la perspective dialectique :
lune qui tient aux limites de notre champ et qui confirme notre propos sur la définition de ses confins : nous ne pouvons prévoir du sujet quel sera son temps pour comprendre, en tant quil inclut un facteur psychologique qui nous échappe comme tel ;
lautre qui est proprement du sujet et par où la fixation dun terme équivaut à une projection spatialisante, où il se trouve dores et déjà aliéné à lui-même : du moment que léchéance de sa vérité peut être prévue, quoi quil puisse en advenir dans lintersubjectivité intervallaire, cest que la vérité est déjà là, cest-à-dire que nous rétablissons dans le sujet son mirage originel en tant quil place en nous sa vérité et quen le sanctionnant de notre autorité, nous installons son analyse en une aberration, qui sera impossible à corriger dans ses résultats.
(155)Cest bien ce qui sest passé dans le cas célèbre de lhomme aux loups, dont limportance exemplaire a été si bien comprise par Freud quil y reprend appui dans son article sur lanalyse finie ou indéfinie.
La fixation anticipée dun terme, première forme dintervention active, inaugurée (proh pudor !) par Freud lui-même, quelle que soit la sûreté divinatoire (au sens propre du terme), dont puisse faire preuve lanalyste à suivre son exemple, laissera toujours le sujet dans laliénation de sa vérité.
Aussi bien en trouvons-nous la confirmation en deux faits du cas de Freud :
Premièrement, lhomme aux loups, malgré tout le faisceau de preuves démontrant lhistoricité de la scène primitive, malgré la conviction quil manifeste à son endroit, imperturbable aux mises en doute méthodiques dont Freud lui impose lépreuve , jamais narrive pourtant à en intégrer sa remémoration dans son histoire.
Deuxièmement, lhomme aux loups démontre ultérieurement son aliénation de la façon la plus catégorique, sous une forme paranoïde.
Il est vrai quici se mêle un autre facteur, par où la réalité intervient dans lanalyse, à savoir le don dargent dont nous nous réservons de traiter ailleurs la valeur symbolique, mais dont la portée déjà sindique dans ce que nous avons évoqué du lien de la parole au don constituant de léchange primitif. Or ici le don dargent est renversé par une initiative de Freud où nous pouvons reconnaître, autant quà son insistance à revenir sur ce cas, la subjectivation non résolue en lui des problèmes que ce cas laisse en suspens. Et personne ne doute que çait été là un facteur déclenchant de la psychose, au reste sans savoir dire trop bien pourquoi.
Ne comprend-on pas pourtant quadmettre un sujet à être (156)nourri dans le prytanée de la psychanalyse (car cest en fait dune collecte du groupe quil tenait sa pension) pour le mérite du service à elle rendu par lobservation de son cas, cest précipiter définitivement en lui laliénation de sa vérité ?
Un rêve du sujet durant le supplément danalyse où Mme Ruth Mac Brunswick le prend en charge, démontre ce que nous avançons au delà de toute rigueur souhaitable, ses images symbolisant jusquau mur même de notre métaphore, derrière lequel se pressent dans un vain effort les loups de la scène primitive, jusquà ce quils arrivent à le tourner avec laide de lanalyste qui nintervient ici quen fonction seconde. Rien ne serait plus instructif pour notre propos que de montrer comment Mme Mac Brunswick a mené ce rôle second. Lidentification de lensemble du discours de la première analyse à ce mur même quil faut tourner, serait la plus belle illustration des rôles réciproques de la parole et du langage dans la médiation analytique, mais la place nous manque ici pour en donner le développement.
Ceux qui suivent notre enseignement le connaissent déjà, et ceux qui nous ont suivi maintenant pourront le retrouver sans doute par leurs propres moyens.
Nous voulons en effet toucher un autre aspect particulièrement brûlant dans lactualité, de la fonction du temps dans la technique. Nous voulons parler de la durée de la séance.
Ici il sagit encore dun élément qui appartient manifestement à la réalité, puisquil représente notre temps de travail et, sous cet angle, il tombe sous le chef dune réglementation professionnelle qui peut être tenue pour prévalente.
Mais ses incidences subjectives ne sont pas moins importantes. Et dabord pour lanalyste. Le caractère tabou sous lequel on la produit dans de récents débats prouve assez que la subjectivité du groupe est fort peu libérée à son égard, et le caractère scrupuleux, pour ne pas dire obsessionnel, que prend pour certains, sinon pour la plupart, lobservation dun standard dont les variations historiques et géographiques ne semblent au reste inquiéter personne, est bien le signe de lexistence dun problème quon est dautant moins disposé à aborder quon sent quil entraînerait fort loin dans la mise en question de la fonction de lanalyste.
Pour le sujet en analyse, dautre part, on nen saurait (157)méconnaître limportance. Linconscient, profère-t-on sur un ton dautant plus entendu quon est moins capable de justifier ce quon veut dire, linconscient demande du temps pour se révéler. Nous en sommes bien daccord. Mais nous demandons quelle est sa mesure ? Est-ce celle de lunivers de la précision, pour employer lexpression de M. Alexandre Koyré ? Sans doute nous vivons dans cet univers, mais son avènement pour lhomme est de date récente, puisquil remonte exactement à lhorloge de Huyghens, soit à lan 1659, et le malaise de lhomme moderne nindique pas précisément que cette précision soit en soi pour lui un facteur de libération. Ce temps de la chute des graves est-il sacré comme répondant au temps des astres en tant que posé dans léternel par Dieu qui, comme Lichtenberg nous la dit, remonte nos cadrans solaires ? Peut-être en prendrons-nous quelque meilleure idée en comparant le temps de la création dun objet symbolique et le moment dinattention où nous le laissons choir ?
Quoi quil en soit, si le travail de notre fonction durant ce temps reste problématique, nous croyons avoir assez mis en évidence la fonction de travail de ce quy réalise le patient.
Mais la réalité, quelle quelle soit, de ce temps y prend dès lors une valeur particulière, celle dune sanction de la qualité dans ce travail.
Sans doute jouons-nous de notre côté un rôle denregistrement, en assumant la fonction, fondamentale en tout échange symbolique, de recueillir ce que do kamo, lhomme dans son authenticité, appelle la parole qui dure.
Témoin pris à partie de la sincérité du sujet, dépositaire du procès-verbal de son discours, référence de son exactitude, garant de sa droiture, gardien de son testament, tabellion de ses codicilles, lanalyste participe du scribe.
Mais il reste avant tout le maître de la vérité dont ce discours est le progrès. Cest lui, avant tout, qui en ponctue, avons-nous dit, la dialectique. Et ici, il est appréhendé comme juge du prix de ce discours. Ceci comporte deux conséquences.
La suspension de la séance ne peut pas ne pas être éprouvée par le sujet comme une ponctuation dans son progrès. Nous savons comment il en calcule léchéance pour larticuler à ses propres délais, voire à ses échappatoires, comment il lanticipe en la soupesant à la façon dune arme, en la guettant comme un abri.
(158)Lindifférence avec laquelle la coupure du timing interrompt les moments de hâte dans le sujet, peut être fatale à la conclusion vers quoi se précipitait son discours, voire y fixer un malentendu, sinon donner prétexte à une ruse rétorsive.
Il est remarquable que les débutants semblent plus frappés que nous des effets de cette incidence.
Cest un fait quon constate bien dans la pratique des textes des écritures symboliques, quil sagisse de la Bible ou des canoniques chinois : labsence de ponctuation y est une source dambiguïté, la ponctuation posée fixe le sens, son changement le renouvelle ou le bouleverse, et, fautive, elle équivaut à laltérer.
Certes la neutralité que nous manifestons à appliquer strictement cette règle maintient la voie de notre non-agir.
Mais ce non-agir a lui-même sa limite, sans quoi nous ninterviendrions jamais. Et ce nest pas en maintenir la voie que de la pousser sur ce seul point à la rigueur.
Le danger qui sannonce à la seule évocation dune formation obsessionnelle à son propos, est dy rencontrer la connivence du sujet. Et elle trouvera à sexercer chez dautres types de sujet que lobsessionnel lui-même. Nulle part pourtant elle ne trouvera mieux à se démontrer quà comprendre le sens que prend chez lobsessionnel le travail. Sens de travail forcé qui simpose même à ses loisirs. Ce sens est soutenu par sa relation subjective au maître en tant que cest sa mort quil attend.
Lobsessionnel manifeste en effet une des attitudes que Hegel na pas développée dans sa dialectique du maître et de lesclave. Lesclave sest dérobé devant le risque de la mort, où loccasion de la maîtrise lui était offerte dans une lutte de pur prestige. Mais puisquil sait quil est mortel, il sait aussi que le maître peut mourir. Dès lors, il peut accepter de travailler pour le maître et de renoncer à la jouissance entre temps : et, dans lincertitude du moment où arrivera la mort du maître, il attend.
Telle est la raison intersubjective, tant du doute que de la procrastination qui sont des traits de caractère chez lobsessionnel.
Cependant tout son travail sopère sous le chef de cette intention, et devient de ce chef doublement aliénant. Car non seulement luvre du sujet lui est dérobée par un autre, ce qui (159)est la relation constituante de tout travail, mais la reconnaissance par le sujet de sa propre essence dans son uvre où ce travail trouve sa raison, ne lui échappe pas moins, car lui-même « ny est pas », il est dans le moment anticipé de la mort du maître, à partir de quoi il vivra, mais en attendant quoi il sidentifie à lui comme mort, et ce moyennant quoi il est lui-même déjà mort.
Néanmoins il sefforce à tromper le maître par la démonstration des bonnes intentions manifestées dans son travail. Cest ce que les bons enfants du catéchisme analytique expriment dans leur rude langage en disant que lego du sujet cherche à séduire son super-ego.
Cette formulation intra-subjective se démystifie immédiatement à la comprendre dans la relation analytique, où le working through du sujet est en effet utilisé pour la séduction de lanalyste.
Ce nest pas par hasard non plus que, dès que le progrès dialectique approche de la mise en cause des intentions de lego chez nos sujets, le fantasme de la mort de lanalyste, souvent ressenti sous la forme dune crainte, voire dune angoisse, ne manque jamais de se produire.
Et le sujet de repartir dans une élaboration encore plus démonstrative de sa « bonne volonté ».
Comment douter, dès lors, de leffet de quelque dédain marqué par le maître pour le produit dun tel travail ? La résistance du sujet peut sen trouver absolument déconcertée.
De ce moment, son alibi jusqualors inconscient commence à se découvrir pour lui, et on le voit rechercher passionnément la raison de tant defforts.
Nous nen dirions pas tant si nous nétions pas convaincu quà expérimenter en un moment maintenant venu à sa conclusion de notre expérience, ce quon a appelé nos séances courtes, nous avons pu faire venir au jour chez tel sujet mâle, des fantasmes de grossesse anale avec le rêve de sa résolution par césarienne, dans un délai où autrement nous en aurions encore été à écouter ses spéculations sur lart de Dostoïevski.
Au reste nous ne sommes pas là pour défendre ce procédé, mais pour montrer quil a un sens dialectique précis dans son application technique.
Et nous ne sommes pas seuls à avoir fait la remarque quil (160)rejoint à la limite la technique quon désigne sous le nom de zen, et qui est appliquée comme moyen de révélation du sujet dans lascèse traditionnelle de certaines écoles extrême-orientales.
Sans aller jusquaux extrêmes où se porte cette technique, puisquils seraient contraires à certaines des limitations que la nôtre simpose, une application discrète de son principe dans lanalyse nous paraît beaucoup plus admissible que certains modes dits danalyse des résistances, pour autant quelle ne comporte en elle-même aucun danger daliénation du sujet.
Car elle ne brise le discours que pour accoucher la parole.
Nous voici donc au pied du mur, au pied du mur du langage. Nous y sommes à notre place, cest-à-dire du même côté que le patient, et cest sur ce mur, qui est le même pour lui et pour nous, que nous allons tenter de répondre à lécho de sa parole.
Au-delà de ce mur, il ny a rien qui ne soit pour nous ténèbres extérieures. Est-ce à dire que nous soyons entièrement maîtres de la situation ? Certainement pas, et Freud là-dessus nous a légué son testament sur la réaction thérapeutique négative.
La clef de ce mystère, dit-on, est dans linstance dun masochisme primordial, soit dans une manifestation à létat pur de cet instinct de mort dont Freud nous a proposé lénigme à lapogée de son expérience.
Nous ne pouvons en faire fi, pas plus que nous ne pourrons ici ajourner son examen.
Car nous pouvons remarquer que se conjoignent dans un même refus de cet achèvement de la doctrine, ceux qui mènent lanalyse autour dune conception de lego dont nous avons dénoncé lerreur, et ceux qui, comme Reich, vont si loin dans le principe daller chercher au delà de la parole lineffable expression organique, que pour, comme lui, la délivrer de son armure, ils pourraient comme lui symboliser dans la superposition des deux formes vermiculaires dont on peut voir dans son livre de lanalyse du caractère le stupéfiant schéma, linduction orgasmique quils attendent comme lui de lanalyse.
Conjonction qui nous laissera sans doute augurer favorablement de la rigueur des formations de lesprit, quand nous aurons montré le rapport profond qui unit la notion de linstinct de mort aux problèmes de la parole.
La notion de linstinct de mort, pour si peu quon la considère, se propose comme ironique, son sens devant être cherché (161)dans la conjonction de deux termes contraires : linstinct en effet dans son acception la plus compréhensive est la loi qui règle dans sa succession un cycle de comportement pour laccomplissement dune fonction vitale, et la mort apparaît dabord comme la destruction de la vie.
Pourtant la définition que Bichat, à lorée de la biologie, a donnée de la vie comme de lensemble des forces qui résistent à la mort, non moins que la conception la plus moderne que nous en trouvons chez un Cannon dans la notion de lhoméostase, comme fonction dun système entretenant son propre équilibre, sont là pour nous rappeler que vie et mort se composent en une relation polaire au sein même de phénomènes quon rapporte à la vie.
Dès lors la congruence des termes contrastés de linstinct de mort aux phénomènes de répétition auxquels lexplication de Freud les rapporte en effet sous la qualification de lautomatisme, ne devrait pas faire de difficultés, sil sagissait là dune notion biologique.
Chacun sent bien quil nen est rien, et cest là ce qui fait buter maints dentre nous sur son problème. Le fait que beaucoup sarrêtent à lincompatibilité apparente de ces termes peut même retenir notre attention en ce quil manifeste une innocence dialectique que déconcerterait sans doute le problème classiquement posé à la sémantique dans lénoncé déterminatif : un hameau sur le Gange, par quoi lesthétique hindoue illustre la deuxième forme des résonances du langage.
Il faut aborder en effet cette notion par ses résonances dans ce que nous appellerons la poétique de luvre freudienne, première voie daccès pour en pénétrer le sens, et dimension essentielle à en comprendre la répercussion dialectique des origines de luvre à lapogée quelle y marque. Il faut se souvenir, par exemple, que Freud nous témoigne avoir trouvé sa vocation médicale dans lappel entendu dune lecture publique du fameux Hymne à la nature de Goethe, soit dans ce texte retrouvé par un ami où le poète au déclin de sa vie a accepté de reconnaître un enfant putatif des plus jeunes effusions de sa plume.
À lautre extrême de la vie de Freud, nous trouvons (162)dans larticle sur lanalyse en tant que finie et indéfinie, la référence expresse de sa nouvelle conception au conflit des deux principes auxquels Empédocle dAgrigente, au Ve siècle avant Jésus-Christ, soit dans lindistinction présocratique de la nature et de lesprit, soumettait les alternances de la vie universelle.
Ces deux faits nous sont une suffisante indication quil sagit là dun mythe de la dyade dont la promotion dans Platon est au reste évoquée dans l« au-delà du principe du plaisir », mythe qui ne peut se comprendre dans la subjectivité de lhomme moderne quen lélevant à la négativité du jugement où il sinscrit.
Cest-à-dire que de même que lautomatisme de répétition quon méconnaît tout autant à vouloir en diviser les termes, ne vise rien dautre que la temporalité historisante de lexpérience du transfert, de même linstinct de mort exprime essentiellement la limite de la fonction historique du sujet. Cette limite est la mort, non pas comme échéance éventuelle de la vie de lindividu, ni comme certitude empirique du sujet, mais selon la formule quen donne Heidegger, comme « possibilité absolument propre, inconditionnelle, indépassable, certaine et comme telle indéterminée du sujet », entendons-le du sujet défini par son historicité.
En effet cette limite est à chaque instant présente en ce que cette histoire a dachevé. Elle représente le passé sous sa forme absolument réelle, cest-à-dire non pas le passé physique dont lexistence est abolie, ni le passé épique tel quil sest parfait dans luvre de mémoire, ni le passé historique où lhomme trouve le garant de son avenir, mais le passé qui se manifeste toujours présent dans léternel retour.
Tel est le mort dont la subjectivité fait son partenaire dans la triade que sa médiation institue dans le conflit universel de Philia, lamour, et de Neikos, la discorde.
Il nest plus besoin dès lors de recourir à la notion périmée du masochisme primordial pour comprendre la raison des jeux répétitifs où la subjectivité fomente tout ensemble la maîtrise de sa déréliction et la naissance du symbole.
Ce sont ces jeux doccultation que Freud, en une intuition géniale, a produit à notre regard pour que nous y reconnaissions que le moment où le désir shumanise est aussi celui où lenfant naît au langage.
(163)Nous pouvons maintenant y saisir que le sujet ny maîtrise pas seulement sa privation en lassumant, mais quil y élève son désir à une puissance seconde. Car son action détruit lobjet quelle fait apparaître et disparaître dans la provocation anticipante de son absence et de sa présence. Elle négative ainsi le champ de forces du désir pour devenir à elle-même son propre objet. Et cet objet prenant aussitôt corps dans le couple symbolique de deux jaculations élémentaires, annonce dans le sujet lintégration diachronique de la dichotomie des phonèmes, dont le langage existant offre la structure synchronique à son assimilation ; aussi bien lenfant commence-t-il à sengager dans le système du discours concret de lambiance, en reproduisant plus ou moins approximativement dans son Fort ! et dans son Da ! les vocables quil en reçoit.
Fort ! Da ! Cest bien déjà dans sa solitude que le désir du petit dhomme est devenu le désir dun autre, dun alter ego qui le domine et dont lobjet de désir est désormais sa propre peine.
Que lenfant sadresse maintenant à un partenaire imaginaire ou réel, il le verra obéir également à la négativité de son discours, et son appel ayant pour effet de le faire se dérober, il cherchera dans une intimation bannissante la provocation du retour qui le ramène à son désir.
Ainsi le symbole se manifeste dabord comme meurtre de la chose, et cette mort constitue dans le sujet léternisation de son désir.
Le premier symbole où nous reconnaissions lhumanité dans ses vestiges, est la sépulture, et le truchement de la mort se reconnaît en toute relation où lhomme vient à la vie de son histoire.
Seule vie qui perdure et qui soit véritable, puisquelle se transmet sans se perdre dans la tradition perpétuée de sujet à sujet. Comment ne pas voir de quelle hauteur elle transcende cette vie héritée par lanimal et où lindividu sévanouit dans lespèce, puisquaucun mémorial ne distingue son éphémère apparition de celle qui la reproduira dans linvariabilité du type. Mises à part en effet ces mutations hypothétiques du phylum que doit intégrer une subjectivité que lhomme napproche encore que du dehors, rien, sinon les expériences où lhomme lassocie, ne distingue un rat du rat, un cheval du (164)cheval, rien sinon ce passage inconsistant de la vie à la mort, tandis quEmpédocle se précipitant dans le Vésuve, laisse à jamais présent dans la mémoire des hommes cet acte symbolique de son être-pour-la-mort.
La liberté de lhomme sinscrit toute dans le triangle constituant de la renonciation quil impose au désir de lautre par la menace de la mort pour la jouissance des fruits de son servage, du sacrifice consenti de sa vie pour les raisons qui donnent à la vie humaine sa mesure, et du renoncement suicide du vaincu frustrant de sa victoire le maître quil abandonne à son inhumaine solitude.
De ces figures de la mort, la troisième est le suprême détour par où la particularité immédiate du désir, reconquérant sa forme ineffable, retrouve dans la dénégation un triomphe dernier. Et il nous faut en reconnaître le sens, car nous avons affaire à elle. Elle nest pas en effet une perversion de linstinct, mais cette affirmation désespérée de la vie qui est la forme la plus pure où nous reconnaissions linstinct de mort.
Le sujet dit : « Non ! » à ce jeu de furet de lintersubjectivité où le désir ne se fait reconnaître un moment que pour se perdre dans un vouloir qui est vouloir de lautre. Patiemment, il soustrait sa vie précaire aux moutonnantes agrégations de lÉros du symbole pour laffirmer enfin dans une malédiction sans parole.
Aussi quand nous voulons atteindre dans le sujet ce qui était avant les jeux sériels de la parole, et ce qui est primordial à la naissance des symboles, nous le trouvons dans la mort, doù son existence prend tout ce quelle a de sens. Cest comme désir de mort en effet quil saffirme pour les autres ; sil sidentifie à lautre, cest en le figeant en la métamorphose de son image essentielle, et tout être par lui nest jamais évoqué que parmi les ombres de la mort.
Dire que ce sens mortel révèle dans la parole un centre extérieur au langage, est plus quune métaphore et manifeste une structure. Cette structure est différente de la spatialisation de la circonférence ou de la sphère où lon se plaît à schématiser les limites du vivant et de son milieu : elle répond plutôt à ce groupe relationnel que la logique symbolique désigne topologiquement comme un anneau.
À vouloir en donner une représentation intuitive, il semble (165)que plutôt quà la superficialité dune zone, cest à la forme tridimensionnelle dun tore quil faudrait recourir, pour autant que son extériorité périphérique et son extériorité centrale ne constituent quune seule région.
Ce schéma satisfait à la circularité sans fin du processus dialectique qui se produit quand le sujet réalise sa solitude, soit dans lambiguïté vitale du désir immédiat, soit dans la pleine assomption de son être-pour-la-mort.
Mais lon y peut saisir du même coup que la dialectique nest pas individuelle, et que la question de la terminaison de lanalyse est celle du moment où la satisfaction du sujet trouve à se réaliser dans la satisfaction de chacun, cest-à-dire de tous ceux quelle sassocie dans une uvre humaine. De toutes celles qui se proposent dans le siècle, luvre du psychanalyste est peut-être la plus haute parce quelle y opère comme médiatrice entre lhomme du souci et le sujet du savoir absolu. Cest aussi pourquoi elle exige une longue ascèse subjective, et qui ne sera jamais interrompue, la fin de lanalyse didactique elle-même nétant pas séparable de lengagement du sujet dans sa pratique.
Quy renonce donc plutôt celui qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité de son époque. Car comment pourrait-il faire de son être laxe de tant de vies, celui qui ne saurait rien de la dialectique qui lengage avec ces vies dans un mouvement symbolique. Quil connaisse bien la spire où son époque lentraîne dans luvre continuée de Babel, et quil sache sa fonction dinterprète dans la discorde des langages. Pour les ténèbres du mundus autour de quoi senroule la tour immense, quil laisse à la vision mystique le soin dy voir sélever sur un bois éternel le serpent pourrissant de la vie.
Quon nous laisse rire si lon impute à ces propos de détourner le sens de luvre de Freud des assises biologiques quil lui eût souhaitées vers les références culturelles dont elle est parcourue. Nous ne voulons ici vous prêcher la doctrine ni du facteur b, par quoi lon désignerait les unes, ni du facteur c, où lon reconnaîtrait les autres. Nous avons voulu seulement vous rappeler la, b, c, méconnu de la structure du langage, et vous faire épeler à nouveau le b-a, ba, oublié, de la parole.
Car, quelle recette vous guiderait-elle dans une technique qui se compose de lun et tire ses effets de lautre, si vous ne reconnaissiez de lun et lautre le champ et la fonction.
(166)Lexpérience psychanalytique a retrouvé dans lhomme limpératif du verbe comme la loi qui la formé à son image. Elle manie la fonction poétique du langage pour donner à son désir sa médiation symbolique. Quelle vous fasse comprendre enfin que cest dans le don de la parole que réside toute la réalité de ses effets ; car cest par la voie de ce don que toute réalité est venue à lhomme et par son acte continué quil la maintient.
Si le domaine que définit ce don de la parole doit suffire à votre action comme à votre savoir, il suffira aussi à votre dévouement. Car il lui offre un champ privilégié.
Quand les Dévas, les hommes et les Asuras, lisons-nous au premier Brâhmana de la cinquième leçon du Bhrad-âranyaka Upanishad, terminaient leur noviciat avec Prajapâti, ils lui firent cette prière : « Parle-nous ».
« Da, dit Prajapâti, le dieu du tonnerre. Mavez-vous entendu ? ». Et les Devas répondirent : « Tu nous as dit : Damyata, domptez-vous », le texte sacré voulant dire que les puissances den haut se soumettent à la loi de la parole.
« Da, dit Prajapâti, le dieu du tonnerre. Mavez-vous entendu ? ». Et les hommes répondirent : « Tu nous as dit : Datta, donnez », le texte sacré voulant dire que les hommes se reconnaissent par le don de la parole.
« Da, dit Prajapâti, le dieu du tonnerre. Mavez-vous entendu ? ». Et les Asuras répondirent : « Tu nous as dit : Dayadhvam, faites grâce », le texte sacré voulant dire que les puissances den bas résonnent à linvocation de la parole.
Cest là, reprend le texte, ce que la voix divine fait entendre dans le tonnerre : Soumission, don, grâce. Da da da.
Car Prajapâti à tous répond : « Vous mavez entendu ».
. Cf. Le temps logique ou lassertion de certitude anticipée, voir Cahiers dart, 1945.
. Ferenczi, Confusion of tongues between the adult and the child, Int. Jour. of Psycho., 1949, XXX, IV, pp. 225-230.
. Cest là la croix dune déviation autant pratique que théorique. Car identifier lego à la discipline du sujet, cest confondre lisolation imaginaire avec la maîtrise des instincts. Cest par là soffrir à des erreurs de jugements dans la conduite du traitement : ainsi à viser un renforcement de lego dans maintes névroses motivées par sa structure trop forte, ce qui est une voie sans issue. Navons-nous pas lu, sous la plume de notre ami Michaël Balint, quun renforcement de lego doive être favorable au sujet souffrant dejaculatio praecox, parce quil lui permettrait une suspension plus prolongée de son désir. Comment le penser pourtant, si cest précisément au fait que son désir est suspendu à la fonction imaginaire de lego que le sujet doit le court-circuit de lacte, dont la clinique psychanalytique montre clairement quil est lié à lidentification narcissique au partenaire.
. Ceci dans le travail même qui reçoit notre palme à la fin de notre introduction.
. G. W., XII, p. 71, Cinq psychanalyses, p. 356, traduction faible « du terme ».
. G. W., XII, p. 72, n. 1, dernières lignes. On retrouve soulignée dans la note la notion de Nachträglichkeit, Cinq psych., p. 356, n. 1.
. Dans un article à la portée du lecteur français le moins exigeant, puisquil est paru dans la Revue neurologique dont la collection se trouve habituellement dans les bibliothèques de salles de garde.
. Nous empruntons ces termes au regretté Edouard Pichon qui, tant dans les indications quil donna pour la venue au jour de notre discipline que pour celles qui le guidèrent dans les ténèbres des personnes, montra une divination que nous ne pouvons rapporter quà son exercice de la sémantique.
. Idem note précédente.
. Cf. Gegenwunschträume, in Traumdeutung, G. W., II, pp. 156-157 et pp. 163-164. Trad. anglaise, Standard édition, IV, p. 151 et pp. 157-158. Trad. franç., éd. Alcan, p. 110 et p. 146.
. Cf. Oberndorf (C. I.), Unsatisfactory results of psychoanalytic therapy, Psychoanalytic Quarterly, 19, 393-407.
Cf. entre autres : Do Kamo, de Maurice Leenhardt, chap. IX, et X.
Jules H. Massermann, Language, behavior and dynamic psychiatry, in Intern. Journal of Psychan., 1944, 1 et 2, pp. 1-8.
. Aphorisme de Lichtenberg : « Un fou qui simagine être un prince ne diffère du prince qui lest en fait, que parce que celui-ci est un prince négatif, tandis que celui-là est un fou négatif. Considérés sans leur signe, ils sont semblables ».
. Pour obtenir immédiatement la confirmation subjective de cette remarque de Hegel, il suffit davoir vu, dans lépidémie récente, un lapin aveugle au milieu dune route, érigeant vers le soleil couchant le vide de sa vision changée en regard : il est humain jusquau tragique.
. Les lignes supra et infra montrent lacception que nous donnons à ce terme.
Lerreur de Reich, sur laquelle nous reviendrons, lui a fait prendre des armoiries pour une armure.
. Cf. Claude Lévi-Strauss Language and the analysis of social laws, in American anthropologist, vol. 53, n° 2, april-june 1951, pp. 155-163.
. Cf. sur lhypothèse galiléenne et sur lhorloge de Huyghens : An experiment in measurement, par Alexandre Koyré, in Proceedings of American philosophical Society, vol. 97, avril 1953.
. Il sagit de lenseignement dAbhinavagupta, au Xe siècle. Cf. louvrage du Dr Kanti Chandra Pandey : Indian esthetics, in Chowkamba Sanskrit series, Studies, vol. II, Bénarès, 1950.
. Ernst Kris, Ego psychology and interpretation, Psychoanalytic Quarterly, XX, n° 1, January 1951, pp. 15-29, cf. le passage cité pp. 27-28.
. Ceci à lusage de qui peut lentendre encore, après avoir été chercher dans le Littré la justification dune théorie qui fait de la parole une « action à côté », par la traduction quil donne en effet du grec parabolê (mais pourquoi pas « action vers » ?) sans y avoir du même coup remarqué que si ce mot toutefois désigne ce quil veut dire, cest en raison de lusage sermonnaire qui réserve le mot verbe, depuis le Xe siècle, au Logos incarné.
. À chaque langage, sa forme de transmission, et la légitimité de telles recherches étant fondée sur leur réussite, il nest pas interdit den faire un usage moralisant. Considérons, par exemple, la sentence que nous avons épinglée en épigraphe à notre préface. Son style, dêtre embarrassé de redondances vous paraîtra peut-être plat. Mais que vous len allégiez, et sa hardiesse soffrira à lenthousiasme quelle mérite.
Oyez :
« Parfaupe ouclaspa nannanbryle anaphi ologi psysoscline ixispad anlana égniakune nrbiol ô blijouter têtumaine ennouconç
».
Voici dégagée enfin la pureté de son message. Le sens y relève la tête, laveu de lêtre sy dessine et notre esprit vainqueur lègue au futur son empreinte immortelle.
. Edward Glover, The therapeutic effect of inexact interpretation ; a contribution to the theory of suggestion, Int. J. Psa., XII, p. 4.
. Robert Fliess, Silence and verbalization. A supplement to the theory of the « analytic rule », Int. J. Psa, XXX, p. 1.
. Équivalent pour nous ici du terme Zwangsbefürchtung quil faut décomposer sans rien perdre des ressources sémantiques de la langue allemande.
. On désigne, sous ce terme, la coutume dorigine celtique et encore en usage dans certaines sectes bibliques en Amérique, qui permet aux fiancés, et même à lhôte de passage conjoint à la jeune fille de la maison, de coucher ensemble dans le même lit, à la condition quils gardent leurs vêtements. Le mot tire son sens de ce que la jeune fille y est ordinairement empaquetée dans des draps.
(Quincey en parle. Cf. aussi le livre dAurand le Jeune sur cette pratique dans la secte des Amish.)
Ainsi le mythe de Tristan et Yseut, voire le complexe quil représente, parrainerait désormais le psychanalyste dans sa quête de lâme promise à des épousailles mystifiantes par la voie de lexténuation de ses fantasmes instinctuels.
. Car cest là la traduction correcte des deux termes quon a traduits, avec cette infaillibilité dans le contresens que nous avons déjà signalée, par « analyse terminée et analyse interminable ».
. Cf. Aulu-Gelle, Nuits attiques, II, 4 : « Dans un procès, quand il sagit de savoir qui sera chargé de laccusation, et que deux ou plusieurs personnes demandent à se faire inscrire pour ce ministère, le jugement par lequel le tribunal nomme laccusateur sappelle divination
Ce mot vient de ce que laccusateur et laccusé étant deux choses corrélatives, et qui ne peuvent subsister lun sans lautre, et lespèce de jugement dont il sagit ici présentant un accusé sans accusateur, il faut recourir à la divination pour trouver ce que la cause ne donne pas, ce quelle laisse encore inconnu, cest-à-dire laccusateur ».
Cest la forme appelée Laksanalaksana..
On entend bien quil ne sagit pas ici de ces « dons » qui sont toujours censés faire défaut aux novices, mais dun don qui leur manque en effet plus souvent quà leur tour.
1953-09-26 fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse
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