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Les Justifications (III seul, transcrit de 1720) - chemins mystiques

Vous jouirez d'un repos très doux si votre c?ur ne vous accuse de rien. ... J'ai déjà dit qu'en ce premier recueillement les puissances de l'âme ne sont point ...... en autorité, (a) parce que cela leur donnerait toute licence de faire ainsi. ..... ne lui était auparavant que science, lui est désormais un vrai goût de sapience divine.




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JUSTIFICATIONS
DE LA DOCTRINE
DE MADAME DE LA MOTHE-GUION,
Pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les Sts. Pères Grecs, Latins et Auteurs canonisés ou approuvés ; écrites par elle-même. Avec un examen de la neuvième et dixième conférence de Cassien sur l’état de l’oraison continuelle,
Par MR DE FÉNELON, ARCHEVEQUE DE CAMBRAY.
Nouvelle édition, exactement corrigée.
TOME III.
A PARIS Chez les Libraires Associés. 1790.

( Tables. Doc. Annexe dans le CD du Père Max, saisies par M. Tronc)

1

JUSTIFICATION DU MOYEN COURT, ET DE L’EXPLICATION SUR LE CANTIQUE
Troisième partie

L I. Quiétude. Tranquillité. Repos. Recueillement. Paix. Calme. Silence.

MOYEN COURT.

Il faut que la vive foi de Dieu présent dans le fond de nos cœurs nous porte à nous enfoncer fortement en nous-mêmes, recueillant tous les sens au-dedans, empêchant qu’ils ne se répandent au dehors. Ch. 2. n. 2.
Après avoir prononcé ce mot de Père, qu’ils demeurent quelques moments en silence avec beaucoup de respect. Chap. 3. n. 2.
On le regarde comme un Médecin ; et on lui présente ses plaies, afin qu’il les guérisse : mais toujours sans effort, et avec (2) un petit silence de temps en temps, afin que le silence soit mêlé d’action, augmentant peu à peu le silence et diminuant le discours, jusqu’à ce qu’enfin, à force de céder peu à peu à l’opération de Dieu, il gagne le dessus.
Lorsque la présence de Dieu est donnée et que l’âme commence à goûter peu à peu le silence et le repos, ce goût expérimental de la présence de Dieu l’introduit dans le second degré d’oraison. Ch.3 n.3, 4.
Je demande surtout, qu’on ne finisse jamais l’oraison sans qu’on demeure quelque temps sur la fin dans un silence respectueux. Ch.4. n. 3.
L’âme par le moyen du recueillement se tourne tout au-dedans d’elle, pour s’occuper de Dieu qui y est présent. Ch.10. n.2.
Qu’arrive-t-il à cet enfant qui avale doucement le lait en paix sans se mouvoir ? Qui pourrait croire qu’il se nourrit de la sorte ? Cependant plus il tète en paix, plus le lait lui profite. Que lui arrive-t-il, dis-je, à cet enfant ? C’est qu’il s’endort sur le sein de sa mère : cette âme paisible à l’oraison s’endort souvent du sommeil mystique, où les puissances se taisent. Ch.12. n. 5.
Le Seigneur est dans Son Saint Temple,(3) que toute la terre demeure en silence devant lui (a). La raison pour laquelle le silence intérieur est si nécessaire, c’est que le Verbe étant la Parole éternelle et essentielle, il faut, afin qu’il soit reçu dans l’âme, une disposition qui ait quelque rapport à ce qu’il est. Ch.14. n.1.
Le silence extérieur est très nécessaire pour cultiver le silence intérieur, et il est impossible de devenir intérieur sans aimer le silence et la retraite.
Ce serait peu de faire oraison et de se recueillir durant demi-heure, ou une heure, si on ne conservait pas l’onction et l’esprit d‘oraison durant le jour. Là-même. n. 3.
C’est donc une action, mais une action si noble, si paisible, si tranquille, qu’il semble à l’âme qu’elle n’agit pas, parce qu’elle agit comme naturellement. Ch. 21. n. 2.
Qu’a-t-elle choisi, Madeleine ? La paix, la tranquillité et le repos. Là-même. n. 7.
Il faut (b) que toute chair se taise en la présence du Seigneur. Là-même. n. 11.
S. Jean rapporte que (c) dans le Ciel il se fit un grand silence. Ch. 24.n. 1

(4)
CANTIQUE.

Tirez-moi, dis-je, ô mon divin Amant, et nous courrons à vous par le recueillement.
Cet excellent parfum opère l’oraison du recueillement, parce que les sens aussi bien que les puissances courent à son odeur. Ch.1. v. 3.
L’âme, dans ce doux embrassement de fiançailles, s‘endort du sommeil mystique où elle goûte un repos sacré qu’elle n’avait jamais goûté. Dans les autres repos, elle s’était bien assise à l’ombre de son Bien-aimé par la confiance, mais elle ne s’était jamais endormie sur son sein, ni entre ses bras. C’est une chose étrange comme les créatures, même spirituelles, s’empressent de retirer l’âme de ce doux sommeil, quoique sous les plus beaux prétextes, mais elle est si endormie qu’elle ne peut sortir de son sommeil. Chap. 2. v.7.
La douceur qu’elle goûte au-dedans par le recueillement savoureux l’y invite assez, mais quitter cette douceur au-dedans pour ne trouver que des amertumes au-dehors, c’est ce qui est très difficile : outre que par le recueillement elle vit et se possède, mais (5) par la sortie d’elle-même, elle meurt et se perd. La-même. v. 14.
L’Amante est si enivrée de la paix et de la tranquillité qu’elle goûtait, qu’elle n’en pouvait sortir. Ch. 3. v. 2.
Les pas du dedans sont très beaux, puisque l’Epouse peut toujours avancer en Dieu sans cesser de se reposer. C’est la beauté ravissante de cet avancement que d’être un vrai repos, sans que le repos empêche l’avancement, ni l’avancement le repos : au contraire, plus on se repose, plus on avance, et plus on fait de progrès, plus le repos est tranquille. Ch.7. v. 1.
Comme Dieu est toujours agissant au-dehors et toujours reposant au-dedans, de même cette âme qui au-dedans est confirmée dans un parfait repos est aussi toujours agissante au-dehors. Ch.7.v.12.

AUTORITÉS
§. I Quiétude, et c.

St DENIS.

1.Voyez Union. n. 8
2. Honorons à présent et louons avec hymnes pacifiques la paix divine, Dame et Maîtresse de toute société et d’assemblée. Car c’est elle qui unit toutes choses, qui est la mère et l’ouvrière (6) de la concorde et de la liaison naturelle qui est en toutes choses. Ce qui fait que toutes choses l’apétent et la désirent, d’autant que c’est elle qui rassemble leur multiplicité divisée à une parfaite unité, et qui maintient en union toutes les parties de l’Univers, qui feraient autrement en une continuelle guerre civile, faisant que toutes demeurent en bon accord ensemble comme dans une même maison.
Donc par la participation de la paix divine, les premières puissances et vertus conciliatrices sont premièrement unies à elles-mêmes, et puis les unes aux autres, et après à l’unique et premier principe de la paix de tout l’Univers, et de suite elles unissent les choses qui sont au-dessous d’elles, premièrement avec elles-mêmes, puis avec les autres, et finalement à la cause et au principe unique et universel de la paix de toutes choses. Et cette paix cheminant sans se diviser par-dessus toutes les créatures, elle borne, renferme et assure toutes choses comme dans de certains cerceaux qui relient et rassemblent les choses divisées, et ne permet pas qu’elles s’en aillent par pièces et par morceaux, séparés les unes des autres, et qu’elles se répandent à l’infini, sortant hors de leurs bornes, sans ordre, sans fermeté ni solidité, abandonnées de Dieu, sortant hors de leur union,  brouillés pêle-mêle ensemble avec tout désordre et toute confusion.
Or de ce calme et de cette divine paix que le saint personnage Justus appelle silence et un repos immobile en toute émanation qui se connaît, il n’est pas possible à aucune créature de dire ni de penser ce que c’est, ni comme elle est tranquille (7) et demeure en repos, et comme quoi elle est en elle-même et dedans elle-même, et comment par une éminente raison elle est unie toute entière en elle-même, et comme quoi, soit qu’elle rentre à elle-même, ou qu’elle sorte pour se multiplier, elle ne quitte jamais l’union qui lui est propre, mais elle sort au-dehors et elle passe en toutes choses, sans bouger de dedans soi toute entière, par la suréminence de l’union qui surpasse toutes choses. Mais lui attribuant cela même qui est ineffable et inconnu, à elle, dis-je, qui est au-delà de toutes choses, nous nous contenterons de considérer seulement ses participations qui peuvent être entendues par la pensée et exprimées par la parole. Ce que nous ferons autant qu’il est possible aux hommes, et autant que nous-mêmes le pourrons, qui sommes de beaucoup inférieurs à plusieurs bons et saints personnages.
Il faut donc dire en premier lieu que la part divine est la cause productrice de la paix même considérée en soi, tant de l’universelle que de la particulière, et que c’est elle qui tempère toutes choses les unes avec les autres, par le moyen de leur union qui n’est point confuse, par le moyen de laquelle étant unies et conjointes ensemble sans division et sans qu’il y ait du vide en ces deux, elles demeurent néanmoins en l’intégrité de leur espèce, pures et sans être troublées par le mélange de leurs contraires, et sans rien perdre de leur extrême pureté ni de leur union…exquise. Il faut donc ; etc…( Voyez Union n. 1) Des noms divins, Chap. 9.

3.Voyez Foi nue. n. 3.
4.Voyez Foi nue. n. 4.

(8)
5. Voyez Foi nue. n. 5.

St AUGUSTIN.

6. Que si (a) votre œil intérieur s’éblouit, lorsqu’il veut s’appliquer aux choses qui sont si fort au-dessus des sens, tâchez au moins de calmer votre esprit, (b) ne contestez plus contre la vérité comme vous faites et ne vous défendez plus que contre les illusions (c) de ces idées grossières, que vous avez tirées du commerce perpétuel que nous avons avec les choses corporelles. Mettez-vous au-dessus de cela seulement, et vous serez au-dessus de tout. (*) Nous cherchons l’Unité souveraine qui est d’une (9) parfaite simplicité de nature, cherchons-la donc dans une parfaite (a) simplicité de cœur.
Tenez (b) vous en repos, nous dit-elle dans l’Ecriture, et vous connaîtrez que je suis le Seigneur. Ce n’est pas dans un repos d’inaction et de paresse qu’elle veut que nous nous tenions, mais dans un repos qui nous (c) mette le calme au-dedans de nous-mêmes en chassant de notre cœur toutes les choses contenues dans toute sorte d’espaces et de lieux, et sujettes aux vicissitudes du temps : car c’est de là que viennent toutes nos agitations, et ce sont les fantômes dont ces sortes de choses nous ont remplis qui nous empêchent de voir l’unité immuable et toujours égale à elle-même. De la véritable religion. Ch. 35.
7. Lorsque Dieu se repose le septième jour, il le sanctifie. Il ne faut pas entendre cela puérilement comme s’il était lassé à force de travailler. Le repos de Dieu signifie le repos de ceux qui se reposent en lui : comme la joie d’une maison signifie la joie de ceux qui se réjouissent dans cette maison. Ainsi lorsque le Prophète dit que Dieu s’est reposé, il marque fort bien le repos de ceux qui se reposent en lui et dont il est lui-même le repos.

(10)
HENRI SUSO.

8. Cette unité nue est un silence ténébreux et un repos tranquille, que celui-là seul peut avoir à qui la vraie liberté se découvre sans mélange d’aucune malice. Dialogue de la Vérité, Chap. 20.

L’IMITATION DE JESUS CHRIST.

9. Jamais le superbe et l’avare n’est en repos. Le pauvre et l’humble d’esprit conserve dans son cœur une paix profonde.
C’est donc en résistant aux passions qu’on trouve la vraie paix du cœur et non pas en les contenant. Ainsi la paix du cœur ne se trouve ni dans l’homme charnel, ni dans celui qui est extérieur et sensuel, mais dans les fervents et spirituels. Livr. I. Chap.6 §. 1, 2.
10. Si votre conscience est pure, vous serez toujours dans la joie. L’âme qui est ainsi pure dans le fond du cœur peut souffrir beaucoup et sa joie se redouble dans les plus grands maux. Vous jouirez d’un repos très doux si votre cœur ne vous accuse de rien. Les méchants n’ont point de vraie paix, ni de joie intérieure parce que c’est un oracle que Dieu même a prononcé : (a) qu’il n’y a point de paix pour les impies.
Celui qui ne se soucie ni du blâme ni des louanges n’aura rien qui trouble la paix de son cœur. L’âme pure demeure aisément contente et paisible. Livr. 2. Chap. 6. §. 1, 2, 3.
11.Ô mon âme ! Repose-toi en toutes choses et au-dessus de toutes choses, en ton Seigneur, parce qu’il est le repos éternel des Saints. Livr. 3. Chap. 21. §. 1.
12. L’homme sage et spirituel ne considère pas ce qui se passe en lui-même, ni de quel côté (11) souffle le vent de l’inconstance et de l’instabilité humaine, mais ne pensant qu’à s’avancer dans sa voie, il recueille et réunit tous les mouvements de son cœur pour se porter tout à moi comme à son unique et à sa véritable fin. La-même. Chap. 33. §. 1.
13. C’est vous qui rendez le cœur tranquille et qui le comblez de paix et de joie. Livr. 3. Chap. 34. §. 1.

Ste CATHERINE DE GÊNES

14. Voyez Consistance. n. 7.
15. Alors l’âme voyant que le corps pour la moindre opération divine qu’il sente se voudrait jeter par terre comme mort, parce qu’il ne la peut souffrir n’étant pas de sa portée, elle désire être en un lieu où elle ne soit point sujette : elle connaît (a) sa prison lorsqu’elle sent quelque excès du divin amour, mais non pas lorsqu’elle n’y connaît rien autre chose, sinon qu’elle est unie à Dieu. Toutefois l’âme et le corps font et demeurent ensemble avec si grande paix et obéissance et avec un si grand silence, qu’il ne se trouve pas un seul désir discordant en aucun d’eux parce que le corps obéit à l’âme et l’âme à Dieu, de sorte que chacun d’eux a ce qu’il lui faut par l’ordonnance et disposition divine avec une grande paix. En sa Vie, Chap. 30
16. Voyez Mortification. n. 3.

Ste THÉRÈSE

17. Ceci est un recueillement des puissances au-dedans de soi pour jouir de ce contentement avec plus de goût, mais néanmoins, elles ne se (12) perdent et ne s’endorment pas ; la volonté seule est occupée de manière que sans savoir comment, elle demeure captive, seulement elle donne son consentement afin que Dieu la mette dans la captivité sachant bien qu’elle est captive de celui qu’elle aime. Vie, Chap. 14.
18. J’ai déjà dit qu’en ce premier recueillement les puissances de l’âme ne sont point privées de leurs opérations, mais l’âme est si contente avec Dieu que pendant que cela dure, quoique les deux autres puissances, à savoir l’entendement et la mémoire, soient distraites et vagabondes, néanmoins la volonté étant unie avec Dieu, la quiétude et la tranquillité ne se perd point, au contraire la volonté rappelle peu-à-peu l’entendement et la mémoire au recueillement. Car quoiqu’elle ne soit pas encore toute absorbée en Dieu, si est-ce toutefois qu’elle est si bien occupée, sans savoir comment, que quelque effort qu’elles fassent, elles ne lui peuvent ravir son contentement. La-même, Chap. 15.
19. Quand la quiétude est grande et dure longtemps, il me semble que si la volonté n’était liée à quelque chose, elle ne pourrait durer si longtemps en cette paix. Chem. de perf. Chap. 31.
20. O fort et puissant amour de Dieu ! Ah ! qu’il lui semble qu’il n’y a rien d‘impossible à celui qui aime ! Heureuse l’âme qui a obtenu cette paix de son Dieu, laquelle Notre Seigneur donne pour triompher de tous les travaux et de tous les dangers du monde, car elle n’en redoute aucun pour faire service à un si bon Epoux ! Concep. de l’amour de Dieu, Chap. 3.

LE B. JEAN DE LA CROIX
21. Que le spirituel apprenne à se tenir avec un (13) regard amoureux en Dieu, en tranquillité d’esprit, quand il ne peut méditer. Et s’il a scrupule qu’il ne fait rien, qu’il croie que ce n’est pas peu de calmer l’âme et de la tenir en quiétude sans aucune œuvre ni appétit, car c’est ce que Notre Seigneur nous demande par le Prophète : (a) apprenez à vous évacuer de toutes choses et vous connaîtrez savoureusement que je suis Dieu. Montée du Mont Carmel, Liv. 2. Chap. 15.
22. C’est pourquoi il vaut mieux apprendre à mettre les puissances en silence et les accoutumer à se taire afin que Dieu parle. Car (comme nous avons dit) pour arriver à cet état, il faut perdre de vue les opérations naturelles, ce qui se fait selon le dire du Prophète, quand l’âme selon les puissances (b) vient en solitude et que Dieu parle à son cœur. La-même, Chap. 39.
23. Que si l’âme commence à se laisser aller à la faveur de la dévotion sensible, elle n’arrivera jamais à la force des délices spirituelles, qui se trouvent en la nudité de l’esprit, moyennant le recueillement intérieur. La-même, Chap. 39.
24. Voyez Opérations propres. n.15.
25. Il est bien vrai que souvent quand il y a en l’âme de ces communications spirituelles très intérieures et très secrètes, encore que le Diable ne puisse découvrir quelles ni comment elles sont, néanmoins pour la grande pause et grand silence que quelques unes causent dans les sens et les puissances de la partie sensitive, conjecture de là qu’elle les a et que l’âme reçoit quelque grand bien. Nuit de l’âme. Livre ? Chap. 23

(14)
26. Or il faut entendre, pour savoir trouver cet Epoux, que le Verbe ensemble avec le Père et le St Esprit, est essentiellement caché dans le centre intime de l’âme et partant l’âme qui le doit trouver, doit se retirer de toutes les choses créées selon la volonté et entrer dans un très grand recueillement au-dedans de soi-même, ne faisant non plus cas de tout ce qui est au monde que s’il n’était point. C’est pourquoi St Augustin s’écrie en ses Soliloques : « Seigneur, je ne vous trouvais point dehors, parce que je vous cherchais mal dehors, vous qui étiez dedans. » Dieu donc est (a) caché en l’âme, où le bon contemplatif doit le chercher. Cantique entre l’Epouse et l’Epoux. Coupl. 1.
27. En ce sommeil spirituel que l’âme a dans le sein de son bien-aimé, elle possède et goûte tout le repos, quiétude et tranquillité de la nuit paisible, et reçoit conjointement en Dieu une abyssale et obscure intelligence divine. C’est pourquoi elle dit que son ami est pour elle une paisible nuit,
Pareille à l’aube gracieuse.
Elle dit que cette calme et tranquille nuit n’est pas une nuit toute sombre et obscure, mais comme la nuit quand elle approche du point du jour : car ce repos et cette quiétude en Dieu n’est pas à l’âme du tout obscure comme une sombre nuit, mais un repos et quiétude en lumière divine et une nouvelle connaissance de Dieu en laquelle l’esprit, très suavement calme, est élevé à la lumière divine.
En ce repos et silence de la nuit susdite, et en (15) cette notice de la lumière divine, l’âme aperçoit une admirable convenance et disposition de la Sagesse de Dieu. Elle appelle cette musique silencieuse ou sans bruit parce que comme nous avons dit, c’est une intelligence calme et tranquille sans aucun bruit de voix et ainsi on jouit en elle de la douceur de la musique et de la quiétude du silence. Et elle dit que son Ami est cette musique sans bruit parce qu’en lui se connaît et se goûte cette harmonie de musique spirituelle. La-même. Couplet 15.
28. Le Diable, au temps que Dieu donne à l’âme du recueillement et de la suavité en foi, envie tellement cette paix de l’âme, qu’il tache de jeter de l’horreur et de la frayeur dans l’esprit pour empêcher ce bien, parfois comme la menaçant intérieurement en l’esprit, et quand il voit qu’il ne peut arriver à l’intérieur de l’âme, à cause qu’elle est fort recueillie et unie à Dieu, au moins par dehors, il met en la partie sensitive de la distraction pour voir s’il pourra tirer l’Epouse de la quiétude de son lit.
Ces peurs s’appellent veillantes à cause que de soi elles font veiller l’âme, la réveillant de son doux sommeil intérieur. Cantique entre l’Epouse et l’Epoux. Couplet 30.
29. Mon âme est si seule, si aliénée et détachée de toutes choses créées supérieures et inférieures et est entrée si avant avec vous dans le recueillement, que pas une d’elles ne l’atteint point de vue.
Aminadab n’osait paraître.
*Cet Aminadab en l’Ecriture sainte signifie le Diable, ennemi de l’âme, qui la combattait (16) toujours et la troublait par son indicible appareil de tentations, afin qu’elle n’entrât en cette forteresse et cachette du recueillement dans l’union de l’Ami dans lequel lieu l’âme est si favorisée, victorieuse et forte en vertus que le Diable n’ose paraître devant elle. D’où vient qu’étant favorisée de l’appui d’un tel bras, et le Diable étant tellement mis en fuite, et même l’âme qui est arrivée à cet état l’ayant tellement vaincu, il ne paraît plus devant elle.
Par une certaine redondance d’esprit, la partie sensitive et ses puissances reçoivent la récréation et délectation par laquelle ces puissances sont attirées au recueillement, dans lequel l’âme boit déjà les biens spirituels. Ce qui est plutôt descendre à leur vue que les goûter essentiellement. L’âme n’use point d’autre terme que de celui de descendre pour donner à entendre que ces puissances descendent de leurs opérations au recueillement de l’âme, (a) dans lequel Jésus-Christ Notre Seigneur et très doux Epoux veuille mettre tous ceux qui invoquent son nom. Ainsi soit-il. La-même. couplet 40.

30. Si l’âme veut opérer alors du sien, se comportant d’autre manière que d’une attention amoureuse, fort passivement et tranquillement, sans discourir comme auparavant, elle empêchera les biens que Dieu lui communique en la notice amoureuse, lesquels lui sont communiqués (17) au commencement dans l’exercice de purgation et depuis en une plus grande suavité d’amour, laquelle, comme je dis, et il est ainsi, si on la reçoit passivement dans l’âme et à la manière de Dieu, non pas à la façon de l’âme, il s’ensuit que pour la recevoir, l’âme doit être fort débrouillée de loisir paisible et calme à la manière de Dieu. Comme l’air tant plus il est net, pur et tranquille, tant mieux il est éclairé et échauffé du soleil. Partant elle ne doit être attachée à rien, ni à chose de méditation, ni à goût aucun, soit sensible, soit spirituel, parce qu’il requiert un esprit si libre et si anéanti que quelque chose que l’âme voudrait alors faire, soit discourant, ou pensant à quelque chose de particulier, ou s’appuyant à quelque goût, cela l’empêcherait et inquiéterait et ferait du bruit dans le profond silence que doit avoir l’âme tant au sens qu’en l’esprit, afin qu’elle puisse entendre cette profonde et délicate parole de Dieu, qu’il parle au cœur en cette solitude, comme il le dit par Osée (a), et qu’elle écoute en une très grande paix et tranquillité, (comme dit David (b)) ce que parle le Seigneur, parce qu’il parle cette paix en elle.
* Quand donc il arrivera que l’âme se sentira mettre en silence et aux écoutes, le regard amoureux dont j’ai parlé doit être très simple, sans souci ni réflexion aucune, en sorte qu’elle l’oublie presque, pour être tout occupée à entendre, afin que l’âme demeure ainsi libre pour ce qu’on voudra lors d’elle. Vive flamme d’amour. Cant. 3. v. 3. §. 6.

(18)

31. Cette manière de calme et d’oubli vient toujours avec quelque absorbement intérieur, partant lorsque l’âme a commencé d’entrer en ce simple et tranquille état de contemplation. (a) En nul temps ni saison, elle ne doit vouloir s’employer aux méditations, ni s’appuyer sur des sucs, des goûts et saveurs spirituelles.
Tâchez d’extirper de l’âme toutes les convoitises de sucs, de goûts et de méditations, et ne l’inquiétez avec aucun soin ni sollicitude des choses d’en-haut et encore moins de celles d’en bas, la mettant en toute l’aliénation et solitude possible : car tant plus elle obtiendra cela et tant plutôt elle parviendra à ce calme et tranquillité, avec tant plus d’abondance on lui verse l’esprit de la sagesse divine, amoureux, tranquille, solitaire, paisible, suave, ravisseur de l’esprit, se sentant parfois ravi et doucement navré sans savoir de qui, ni d’où, ni comment, parce que cet esprit lui a été communiqué sans opération propre dans le sens qui a été expliqué. Et une parcelle de ce que Dieu opère en l’âme en ce saint loisir et solitude est un bien inestimable, et plus que l’âme ne saurait penser ni celui qui la gouverne, et on ne peut voir pour lors combien il éclairera en son temps. Au moins ce que l’on pourra alors obtenir de sentir, c’est une aliénation et une certaine abstraction de toutes choses, tant plus, tant moins, avec un doux respir de l’amour et vie de l’esprit, avec une inclination à la solitude et un ennui des créatures et du siècle. Car quand on trouve du goût dans l’esprit, tout ce qui est de la chair est dégoûtant.
Mais les biens intérieurs que cette tranquille (19) contemplation laisse imprimés en l’âme, sans qu’elle le sente, sont inestimables &c.  (Voyez Opérations propres. N. 20) La-même. §.7.
32. Combien Dieu estime cette tranquillité ou cet endormissement, ou anéantissement du sens, on le peut bien voir en cette conjuration si remarquable et tant efficace qu’il fait au Cantique, disant (a) : Je vous en conjure, ô filles de Jérusalem, par les cerfs et par les chèvres des campagnes de ne point éveiller ma bien-aimée jusqu’à ce qu’elle le veuille. En quoi il donne à entendre combien il aime l’endormissement et l’oubli solitaire, puisqu’il interpose ces animaux solitaires et retirés. Mais ces Maîtres spirituels ne veulent pas que l’âme repose et demeure dans le calme, mais qu’elle travaille et opère toujours, en sorte qu’elle ne donne point lieu à l’opération divine et ils font que ce que Dieu va opérant se détruise et s’efface par l’opération de l’âme et c. La-même. §.11.


LE P. NICOLAS DE JESUS-MARIA
rapporte

33. St. Augustin parlant de la plus haute Contemplation. Là on voit la vérité claire sans aucune semblance de corps, elle n’est offusquée d’aucun nuage de fausses opinions. Là, les facultés de l’âme ne sont point opprimées ni laborieuses ; là toute vertu (et qui est seule), c’est d’aimer ce que vous voyez, et la plus grande félicité, c’est d’avoir ce que vous aimez (Livr. 12. Sur la Genès. Ch. 12.) Alors le spirituel aura commencé de (b) juger toutes choses et lui, de n’être jugé de personne, bien qu’en cette vie, il (20) regarde encore comme par un miroir (Traité 102. Sur St Jean ) Eclairciss. des Phr. Myst. de J. de la Croix. P. II. Ch. 3. §. 3
34. Si le tumulte de la chair ne faisait plus aucun bruit dans une âme, si les fantômes et espèces de la terre, des eaux, de l’air et du Ciel même la laissaient en repos, ne lui disant plus rien ; si l’âme ne se disait plus rien elle-même et qu’elle passât au-delà de soi sans rien penser de soi et que dans cet état la vérité même lui parlât, non par ces sortes de songes ou de révélations qui se passent dans l’imagination, ni par des voix extraordinaires, ni par aucun autres de ces signes par où il a plu quelque fois à Dieu de se faire entendre, ni par la voix d’aucun homme, ni même par celle d’un Ange, ni par le bruit du tonnerre, ni par les énigmes des figures et des paraboles, parce que toutes ces choses disent à qui a des oreilles pour entendre : nous ne sommes que l’ouvrage de celui qui subsiste éternellement. Supposé donc qu’aucune de ces choses ne parlât à cette âme ou qu’elles ne lui disent que ce seul mot et qu’après cela, elles se tussent pour lui donner moyen de porter toute son attention vers celui qui les a faites, et que nous aimons en elles et qu’elle l’entendit lui-même, comme nous avons fait en ce moment, où nous étant élevés au-dessus de nous-mêmes, nous avons atteint cette Sagesse suprême qui est au-dessus de tout et qui subsiste éternellement. Que ce qui n’a fait que passer comme un éclair à notre égard fut continu à l’égard de cette âme dont nous parlons et que sans être partagée par aucune autre vision, elle fût abîmée et absorbée tout entière (21) dans la joie toute intérieure et toute céleste de celle-ci et se trouvât fixée pour jamais dans l’état où nous nous sommes vus dans ce moment de pure intelligence qui nous a fait soupirer d’amour et de douleur de n’y pouvoir subsister : ne serait-ce pas là cette joie du Seigneur dont il est parlé dans l’Evangile ? (Confess. Livr. 9. Chap. 10.) La-même.
35. Hugues de St Victor. Voyez Oraison. §. III. N. 14
36. Le Père Barthélemy des Martyrs. Voyez Opérations propres. n. 24.
37. St Bernard, (ou plutôt l’Abbé Guillaume.). C’est ici la fin, c’est la consommation, la perfection, la paix, la joie divine, c’est la joie du St Esprit, c’est le silence au ciel. Car pendant que nous sommes en cette vie, l’amour jouit quelque fois du silence de cette très heureuse paix dans le ciel, c’est-à-dire dans l’âme du juste, qui est le siège de la Sagesse, mais c’est une demi-heure ou presque ce temps-là, et pour ce qui reste des pensées, l’intention en fait une fête perpétuelle au Seigneur. (De l’amour et contemplation de Dieu. Chap. 4.)La-même. §. 8.
38. Richard (expliquant ces paroles du Psaume 23. V. 3. Qui montera en la montagne du Seigneur, ou qui demeurera en son saint lieu ?) C’est une chose rare de monter en cette montagne, mais beaucoup plus rare d’y demeurer au sommet et de s’y arrêter, mais très rare d’y habiter et de se reposer en la montagne. (Préparat. A la Contempl. Ch. 76.) La-même.
39. D. Barthélemy des Martyrs. Voyez Opérations de Dieu. n. 10.
40. Suarez. La pensée de Dieu même s’unit (22) mieux avec son amour que la pensée ou la connaissance de son amour. Car c’est là la pensée d’une chose créée qui ne conduit pas par elle-même à un tel amour et même il arrive que lorsque l’âme est portée vers Dieu par amour, si elle est occupée autour de soi ou de ses actes, comme faisant réflexion sur ces actes, pensant ce qu’elle fait, elle est distraite et s’attiédit en l’amour de Dieu. (De l’oraison. Ch. 4 et c.) La-même, Ch.4 §. 2.
41. Blosius. Ici à cause de la connaissance, étant faite sans connaissance, l’âme se repose en Dieu seul aimable, nu, simple et non connu. Car la lumière divine est inaccessible à cause de sa trop grande clarté, d’où vient qu’elle est appelée obscurité. (Institut. Spirit. Chap.12.) La-même. §. 2
42. Le P. Louis du Pont. Ce repos semble être le sommeil que, dans le Cantique, Dieu commande aux âmes de garder. (a) Je vous en conjure, ô filles de Jérusalem, de n’éveiller ni faire éveiller ma bien-aimée jusqu’à ce qu’elle le veuille. L’Epouse répond, cette voix est de mon Bien-aimé, ce morceau si doux et avec sûreté ne peut venir que de sa main. (Vie d’Alvarez. Ch. 13.) La-même. §. 7.
43. Laquelle explication, (ajoute le P. Nicolas de Jésus-Maria) St Bernard avait donné auparavant, comme aussi St Anselme, Rupert et St Thomas, lesquels se sont tous servis à ce sujet du mot de sommeil. Il est dit en l’Ecriture (b) : Dieu envoya un sommeil à Adam, auquel lieu d’autres lisent : Dieu envoya une extase à Adam, entendant par cet assoupissement ou sommeil quelque contemplation sublime : car ainsi l’interprètent St Ambroise, St Grégoire, St Jean Chrysostome, St Isidore et d’autres commentateurs avec lesquels s’accordent, touchant la dite manière de parler, le Bienheureux Thomas de Villeneuve (sur le Cantique) et Suarez au Livre 2 de l’Oraison. La-même avec beaucoup de citations.

Le même Père rapporte encore
44. Richard de St.Victor. Etre esprit en l’esprit, c’est entrer en soi-même et se recueillir tout au-dedans de soi, et cependant ignorer entièrement ce qui se passe en la chair et autour de la chair. La-même. Chap. 12. §. 2.


LE P. JACQUES DE JESUS
45. St Denis appelle (a) cette contemplation la très claire nue du silence qui enseigne secrètement et remplit les entendements aveugles : tout y sonne nuit, silence, ténèbres, ne pas voir, ne pas opérer, abandon des puissances, et comme une réduction de l’âme à son essence, laquelle se tenant vaincue et ainsi recueillie et comme mystiquement essentialisée en soi, se livre toute en union amoureuse et affective à Dieu qui assiste intimement, réellement et présentiellement selon son essence divine en l’essence de cette âme amie, non seulement par titre d’immensité, mais encore par titre d’amitié. Notes sur J.de la Croix. Disc. 1. Phras. 4. §. 3.

ST FRANÇOIS DE SALES
46. Je ne parle pas ici du recueillement par lequel ceux qui veulent prier se mettent en la présence de Dieu, rentrant en eux-mêmes et retirant (24), par manière de dire, leur âme dans leur cœur pour parler à Dieu. Car ce recueillement se fait par le commandement de l’amour, qui nous provoquant à l’oraison, nous fait prendre ce moyen de la bien faire, de sorte que nous faisons nous-mêmes ce retirement de notre esprit. Mais le recueillement dont j’entends parler ne se fait pas par le commandement de l’amour mais par l’amour même. C’est-à-dire : nous ne le faisons pas nous-mêmes par élection, d’autant qu’il n’est pas en notre pouvoir de l’avoir quand nous voulons et ne dépend pas de notre soin. Mais Dieu le fait en nous par sa très sainte grâce. Celui, dit la bienheureuse Mère Thérèse de Jésus, qui a laissé par écrit que l’oraison de recueillement se fait comme quand un hérisson, ou une tortue, se retire au-dedans de soi, l’entendait bien. Hormis que ces bêtes se retirent au-dedans d’elles-mêmes quand elles veulent, mais le recueillement ne gît pas en notre volonté, mais il nous vient quand il plait à Dieu de nous faire cette grâce. Or il le fait ainsi. Rien n’est si naturel au bien que d’unir et attirer à soi les choses qui le peuvent sentir, comme font nos âmes, lesquels les tirent toujours et se rendent à leur trésor, c’est-à-dire à ce qu’elles aiment : il arrive donc quelque fois etc. (Voyez Présence de Dieu. N. 20.) De l’Amour de Dieu. Livr. 6. Chap. 7.
47. Ainsi arrive-t-il à plusieurs saints et dévots fidèles qu’ayant reçu le divin Sacrement qui contient la rosée de toutes bénédictions célestes, leur âme se resserre et toutes leurs facultés se recueillent non seulement pour adorer ce Roi souverain nouvellement présent d’une présence (25) admirable en leurs entrailles, mais pour l’incroyable consolation et rafraîchissement spirituel qu’ils reçoivent de sentir par la foi le germe divin de l’immortalité en leur intérieur. Où vous remarquerez que tout ce recueillement se fait par l’amour qui sentant la présence du Bien-aimé par les attraits qu’il répand au fond du cœur rapporte et ramasse toute l’âme vers lui par une très aimable inclination, par un très doux contournement et par un délicieux repli de toutes les facultés du côté du Bien-aimé, qui les attire à soi par la force de sa suavité avec laquelle il lie et tire les cœurs, comme on tire les corps par les cordes et liens matériels.
Mais ce doux recueillement de notre âme en soi-même ne se fait pas seulement par le sentiment de la présence divine au milieu de notre cœur, mais en quelle manière que ce soit, que nous nous mettions en cette sacrée présence, il arrive quelque fois que toutes nos puissances intérieures se resserrent et ramassent en elles-mêmes, par l’extrême révérence et douce crainte qui nous saisit, en considération de la souveraine Majesté de celui qui nous est présent. La-même.
48. L’âme donc à qui Notre Seigneur donne la sainte quiétude amoureuse en l’oraison se doit abstenir, tant qu’elle peut, de se regarder soi-même, ni son repos lequel pour être gardé ne doit point être regardé curieusement, car qui l’affectionne trop le perd. Et comme l’enfant qui pour voir où il a ses pieds, a ôté sa tête du sein de sa mère, y retourne tout incontinent parce qu’il est fort mignard, ainsi faut-il que si nous nous apercevons d’être distraits par la (26) curiosité de savoir ce que nous faisons à l’oraison, soudain nous remettions notre cœur en la douce et paisible attention de la présence de Dieu, de laquelle nous nous étions divertis. Néanmoins il ne faut pas croire qu’il y ait aucun péril de perdre cette sacrée quiétude par les actions du corps ou de l’esprit, qui ne se font ni par légèreté, ni par indiscrétion, car comme dit la bienheureuse Mère Thérèse, *c’est une superstition d’être si jaloux de ce repos que de ne vouloir ni tousser, ni cracher, ni respirer de peur de le perdre. D’autant que Dieu qui donne cette paix ne l’ôte pas pour de tels mouvements nécessaires, ni pour les distractions et divagations d’esprit quand elles sont involontaires. + Et la volonté étant une fois bien amorcée à la présence divine (a) ne laisse pas d’en savourer les douceurs, quoique l’entendement et la mémoire se soient débandés et échappés. Il est vrai qu’alors la quiétude de l’âme n’est pas aussi grande que si l’entendement et la mémoire conspiraient avec la volonté, mais toutefois elle ne laisse pas d’être une vraie tranquillité spirituelle, puisqu’elle règne en la volonté qui est (b) la maîtresse de toutes les autres facultés. Mais pourtant la paix de l’âme serait bien plus grande et bien plus douce si on faisait point de bruit autour d’elle et qu’elle n’eût (27) aucun sujet de se mouvoir, ni quand au cœur, ni quand au corps, car elle voudrait bien être toute occupée en la suavité de cette présence divine, mais ne pouvant quelque fois s’empêcher d’être divertie aux autres facultés, elle conserve au moins la quiétude en la volonté qui est la faculté par laquelle elle reçoit la jouissance du bien. Et notez qu’alors la volonté retenue en quiétude par le plaisir qu’elle prend en la présence divine, elle ne se remue point pour ramener les autres puissances qui s’égarent, d’autant que si elle voulait entreprendre cela, elle perdrait son repos, s’éloignant de son cher Bien-aimé et perdrait sa peine de courir çà et là pour attraper ces puissances volages, lesquelles aussi bien ne peuvent être aussi utilement appelées à leur devoir que par la persévérance de la volonté en la sainte quiétude, car petit à petit, toutes les facultés sont attirées par le plaisir que la volonté reçoit et duquel elle leur donne certains ressentiments, comme des parfums qui les excitent à venir auprès d’elle pour participer au bien dont elle jouit. De l’amour de Dieu, Liv. 6. Chap. 10.

LE FRÈRE JEAN DE ST SAMSON
49. Qui ne vous aimera, mon amour et ma vie, n’aura jamais en soi ni paix ni repos, car il n’y a point de paix ni de repos qu’en vous, et hors de vous, tout n’est que vanité et affliction d’esprit sur la terre. On ne peut dire que repos des méchants, s’ils en ont, soit un vrai repos : il n’est que bestial et encore moindre que celui des bêtes. Mais l’homme malheureux n’a de repos ici-bas que pour le moment, trouvant toujours qui contrarie son appétit. Et ainsi pauvre et (28) misérable qu’il est, il va consumant sa triste vie à la recherche d’un repos feint et simulé que vos amoureux estiment pire que l’enfer. Contemplat. 4.

L’AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE
50. L’oraison de repos mystique savoureux est une plaisante et agréable tranquillité, ou repos d’esprit, avec une allégresse de tout l’intérieur qui est accompagnée d’une inclination et mouvement au bien. Livr. I.Traité I. Ch. 6. Sect. 1.
51. Cette oraison, dit St Bonaventure (a), est une admirable et suave tranquillité, procédante en l’âme d’une douceur infuse qui lui est accordée en faveur de ses oraisons fréquentes. L’expérience de ce repos ne se donne qu’à ceux qui sont grands spirituels.
Harphius (b) dépeint ce même repos avec d’autres couleurs. Alors, dit-il, le Père céleste élance de sa face une certaine lumière brillante et simple en la plus haute pointe de la plus simple et nue pensée etc. La-même. Sect. 3.
Le jour Mystique ne parle d’autre chose que de l’Oraison de repos dans le Livr. I. Trait. I. depuis le chap.3 jusqu’au 13. Ou dernier, le tout soutenu d’autorités.


(29)
§. II. Silence.

ST JEAN CHRYSOSTOME.
1. Le silence est le langage des Anges, l’Eloquence du Ciel et l’art de persuader Dieu.

STE THÉRÈSE.
2. Voyez Prière vocale. n. 12.

LE B. JEAN DE LA CROIX
3. Il dit dans son Enigme, ou dans la figure mise devant ses œuvres, que l’âme qui est au haut de la montagne, est dans un silence divin et dans un banquet perpétuel.

LE P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA
rapporte.
4. Tauler. Ici il se fait un certain silence intérieur et muet, et il n’y est pas permis de proférer aucune parole, ni même de rien opérer, ni dedans, ni dehors. Mais l’esprit souffre une certaine passion douce, insensible et ineffable dans le miracle surprenant de la Déité abyssale très clairement surluisante, (Institutions. Chap. 12.) Eclairciss. des Phras. Myst. De J. de la Croix. P. II. Chap. 4. §. 3.

ANTOINE DE ROYAS.
5. Il y a trois façons de se taire dans le recueillement. La première, quand tous les fantômes, toutes les imaginations et toutes les espèces des choses visibles cessent dans l’âme, en sorte qu’elle se tait à tout ce qui est créé et demeure endormie pour toutes les choses temporelles, et qu’ainsi nous taisant au-dedans de nous, comme le dit St Grégoire, nous nous recueillons au-dedans de notre âme, pour contempler notre Créateur, ne désirant aucune chose de ce (30) monde. Au contraire, tachant de chasser de notre cour tout mouvement des choses illicites et même des licites autant qu’on peut, comme l’enseigne le Docteur Angélique, des viandes, des vêtements, des pensées licites, et ainsi on jouit d’une grande tranquillité.
La seconde façon de se taire dans le recueillement, c’est quand l’âme étant mise en silence a une espèce d’oisiveté spirituelle, demeurant couchée avec Madeleine aux pieds de Notre Seigneur, disant ces paroles : (a) J’écouterai ce que le Seigneur parle en moi, et que Dieu dit à cette âme : (b) Ecoutez, ma fille, oubliez la maison de votre père et le Roi concevra de l’amour pour votre beauté. Or cette seconde sorte de silence se compare à bon droit à une attention, car celui qui écoute, non seulement il se tait à l’égard des autres choses, mais encore, il veut que tout se taise à son égard, afin qu’il se convertisse plus parfaitement à celui qui lui parle.
St Grégoire déclare cette manière d’enseigner dont Dieu se sert disant (c) que les paroles de Dieu sont sans paroles, qu’il enseigne celui qui se dispose pour entrer en son école à être son disciple, sans syllabes, sans bruit et sans voix.
Le troisième silence de l’entendement se fait en Dieu, quand l’âme se transforme tout en lui et que la volonté savoure la douceur de Dieu et s’endort en lui comme dans la cave des vins et se tait, (d) ne désirant rien davantage (31) puisqu’elle se trouve satisfaite. Au contraire, elle dort à soi-même, s’oubliant de la faiblesse de sa condition, parce qu’elle se voit toute divinisée.
Dans cette troisième sorte de silence, il arrive que l’entendement est si tranquillisé et si occupé, qu’il n’entend rien de tout ce qu’on lui dit, comme on rapporte d’un saint Vieillard qui s’exerçait en ce silence depuis cinquante ans. Vie de l’Esprit. P. I . Chap. 18.
6. Toute sorte de connaissances, dit St Grégoire (a), étant disproportionnée pour connaître Dieu, il faut fermer les yeux si on le veut parfaitement contempler, à la façon de cette bonne Vieille, qui entrant dans l’Eglise, disait à Dieu avec beaucoup de dévotion : Seigneur, que ce que je vous souhaite m’arrive, et que ce que vous me souhaitez m’arrive. Et aussitôt avec la foi de ce qu’elle était avec Dieu, et s’abandonnant entre ses mains, elle se taisait intérieurement et extérieurement, demeurant dans cette connaissance négative dont nous avons parlé. La-même. Dans les avis après le chap. 20.
7. Saint Augustin disait à Dieu : ô mon très doux Seigneur, faisons un accord, à savoir que je mourrai à moi-même, à condition que vous vivrez en moi, dedans et dehors de moi. Je garderai le silence, mais à condition que vous parlerez en moi et qu’étant assis en la chaise de mon cœur, vous m’enseignerez comme celui qui est le Maître universel et de moi et de tout le monde. Je demeurerai ferme et immobile comme une borne, sans remuer ni pied ni main, me contentant de la vérité de la foi et de la résignation entre vos mains. Avec cela le Saint demeurait (32) comme un mort à l’égard de toutes les choses sensibles et de tout le créé avec un grand silence et beaucoup de quiétude. La-même, part. Part. II. Chap. 20.

Le même auteur rapporte
8. St Bernard. Le silence continuel et le détachement ou l’abstraction de tout ce qui n’est pas Dieu, (autant que le permet l’obligation de l’état de chacun), dispose l’âme pour l’union avec Dieu et oblige sa divine Majesté à nous favoriser de la contemplation. (Sur le Cantique.) Vie de l’Esprit. Part. I. Chap. I.
9. St Thomas. Deux choses sont nécessaires : la première est de recueillir l’âme au-dedans de soi-même, la retirant de la diversité des choses extérieures, la seconde est qu’elle laisse le discours de la raison. (Ult. 2. Quest. 80. Art. 6.) La-même, Chap. 19.

Mons. OLIER
10. Le Prophète dit que la grandeur, la beauté et la sainteté de Jésus-Christ doivent être honorées par le silence. En effet, il n’y a point de parole qui ne soit indigne de lui. Toutes les expressions et les louanges sont au-dessous de ce qu’il est ; Il est ineffable et l’on ne peut parler dignement de lui en sa présence. Sainte Magdeleine n’est pas accusée d’oisiveté pour ne dire mot en la présence de Jésus. Elle le regarde, elle l’entend, elle est pleine de lui et ne peut rien vouloir que lui. Elle est contente en tout, et rien ne peut entrer en elle que son Tout-aimé. Cette âme recevait sans rien dire. Elle était occupée sans parler. Elle était en tendance universelle de toute elle-même vers lui. Son amour était vivant, et quoiqu’il fût renfermé en elle, il était très bien (33) connu de son Epoux, qui l’opérait dans le fond de son âme.
Soyez donc en paix dans votre silence, lorsque le Bien-aimé par sa présence vous réduira en cet état et vous obligera à vous taire pour vous obliger à le voir, à le considérer, à l’entendre et à porter en paix ses opérations. Il n’est jamais présent à l’âme sans la vivifier, et sans opérer en elle quelque renouvellement imperceptible. Lettre 123.

Le P. EPIPHANE LOUIS rapporte
11. St Augustin. Voyez Abandon. N. 34.



L. II. Rassasiement.

MOYEN COURT.
Comme tous sont appelés à la béatitude, tous sont aussi appelés à jouir de Dieu, et en cette vie et en l’autre, puisque la jouissance de Dieu fait notre béatitude.
Je dis de Dieu lui-même et non de ses dons qui ne pourraient faire la béatitude essentielle, ne pouvant pas contenter pleinement l’âme. Car elle est si noble et si grande que tous les dons de Dieu les plus relevés ne pourraient la rendre heureuse si Dieu ne se donnait lui-même à elle.
On dira que l’on feint d’y être. Je dis que cela ne se peut feindre, puisque celui qui meurt de faim ne peut feindre, surtout (34) pour longtemps, d’être dans un rassasiement parfait. Il lui échappera toujours quelque désir ou envie et il fera bientôt connaître qu’il est bien loin de sa fin. Ch. 24. N. 12, 13.

AUTORITÉS

St DENIS.
1. Voyez Consistance. N. 1.

Ste CATHERINE de GÊNES.
2. Voyez Non-désir. N. 6.
3. Ô pauvre langue qui ne trouve point de mots ! Ô pauvre entendement, tu es vaincu ! Ô volonté, combien es)tu en repos ! Tu ne veux plus autre chose, parce que tu es noyée de ton rassasiement. Vie, Chap. 21.
4. Voyez Perte. N. 19.


Ste THÉRÈSE.
5. L’âme est si contente de se voir près de la fontaine que même sans boire, elle est toute rassasiée. Il lui semble qu’il n’y a rien à désirer. Chem. de perf. Chap. 31.


Le B. JEAN de la CROIX
6. voyez Quiétude. §. II. N. 3.
7. Il faut savoir que l’âme se voit tellement investie du torrent de l’esprit de Dieu et être maîtrisée de lui avec tant de force, qu’il lui semble être inondée de toutes les rivières du monde qu’investissent et noient toutes ses actions et passions dans lesquelles elle était auparavant. Et bien que cela se fasse avec tant de force, c’est sans tourment parce que ces fleuves sont fleuves de paix, comme l’Epoux dit par Isaïe : (35) (a) Je ferai descendre sur elle comme un fleuve de paix et comme un torrent qui dégorge la gloire. Et ainsi il la remplit toute de paix et de gloire.
La féconde propriété que l’âme sent, c’est que cette eau divine remplit les vides de son humilité et comble le creux de ses appétits, selon que le dit saint Luc : (b) Il a rempli de biens les affamés. Cantique entre l’Epouse et l’Epoux. Couplet. 14.
8. Car en répandant ses odeurs
Lesquelles sont par sois en si grande abondance, qu’il semble à l’âme être revêtue de délices et baignée dans une gloire inestimable, en sorte qu’elle sent cela non seulement au dedans, mais encore il a coutume d’en rejaillir tant à l’extérieur, que ceux qui y prennent garde de près le reconnaissent bien et il leur semble que cette âme est comme un jardin plein de délices et de richesses de Dieu. Et non seulement on aperçoit cela quand ces fleurs sont ouvertes, en ces saintes âmes, mais (c) ordinairement elles portent en soi un je ne sais quoi de grandeur et de dignité qui cause du respect et de la retenue aux autres par l’effet surnaturel qui se répand dans le sujet, provenant de la prochaine et familière communication avec Dieu, comme il est dit de Moïse. La-même, Coupl. 27.
9. Toute la fin et tout le désir de l’âme et de Dieu en toutes ses œuvres, c’est la consommation de cet état et jamais l’âme ne se repose jusqu’à tant qu’elle y arrive parce qu’en cet état, il y a bien plus grande abondance et réplétion (36) de Dieu, une paix plus assurée et plus fiable, et une suavité plus parfaite sans comparaison qu’aux fiançailles. La-même. Couplet 28.
10. Encore qu’il soit vrai que cette communication est lumière et feu de ces lampes de Dieu, ce feu est si suave, qu’encore que ce soit une flamme immense, c’est comme des eaux-de-vie qui rassasient et qui étanchent la soif. Vive Flamme d’amour. Cantiq. I. v. 1.
11. Ce grand sentiment arrive d’ordinaire vers la fin de l’illumination et purification de l’âme, avant qu’elle parvienne à l’union parfaite où les puissances se rassasient et satisfont pour lors. La-même. V. 3. §. 1.

Le Fr. JEAN de SAINT SAMSON.
12. Là, le vide est tout plein, mais par différence du plein et sans différence du plein. Là, le vide ou indigent, qui n’est cependant ni vide ni indigent est surcomblé du plein, du plus plein, du très plein et même de la plénitude. Cabinet Mystique, Part. I, Chap. 8.

L’AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE.
13. L’union amoureuse, dit Gerson (a), en laquelle consiste la Théologie Mystique, tranquillise l’âme, rassasie sa faim et l’affermit. Car comme chaque chose se tient en repos, lors qu’elle a acquis sa perfection et que notre esprit par amour est conjoint au Souverain Bien perfectionnant, il faut ensuite par nécessité qu’il y trouve son repos, son rassasiement et sa sureté. Liv. I. Trait. I. Chap. 10. Sect. 4.
14. Cette opération, dit Harphius (b), s’accomplit (37) en la savoureuse volupté des délices spirituelles dont la suavité étant goûtée, en même temps le cœur et toutes les puissances sensitives sont abreuvées d’un torrent d’une volupté divine, en sorte que l’âme aimante embrasée par le divin Epoux et regorgeante de plaisirs célestes, et comme pénétrée d’une ivresse spirituelle d’un vin délicieux, n’en peut contenir la force ni l’abondance sans qu’elle éclate au-dehors. Livre 3. Traité 6. Chap. 8. Sect. 4.



L III. Réflexions.

Je crois avoir fait assez voir dans les articles Abandon, Mort, Perte, Propriété, Purification etc. l’importance de ne point réfléchir sur soi. C’est pourquoi j’en dirai peu.

MOYEN COURT.
L’âme ne s’aperçoit point de son acte parce qu’il est direct et non réfléchi. Chap. 22. n. 6.

CANTIQUE.
Cette Amante ne sait pas que son regard est devenu si épuré, qu’étant toujours direct ( $$$$) et sans réflexion, elle ne connaît point son regard. Ch. 4. V. 9.

(38)
Le véritable amour n’a point d’yeux pour se regarder soi-même. Ch. 5. V. 8.
Si cette Epouse avait pensé à elle-même, elle aurait dit : (a) Ne m’appelez pas belle, elle aurait usé de quelque parole d’humilité. Mais elle est incapable de tout cela, elle n’a qu’une seule affaire, c’est la recherche de son Bien-aimé. Elle ne peut penser qu’à lui et quand elle se verrait précipitée dans l’abîme, elle n’y ferait point de réflexion. La-même.


AUTORITÉS.
Il faudrait écrire tout Jean de la Croix pour dire tous les endroits où il fait voir le dommage des réflexions. Et il y a tant de rapport aux propres opérations que je ne répète point ce qui en a été dit sous cet article-là.

HENRI SUSO.
1. Voyez Anéantissement. N. 5.

RUSBROCHE.
2. Parlant des Illuminés, il dit entre plusieurs autres choses que ce sont des gens remplis d’une certaine inclination déréglée de l’amour (b) naturel, qui est toujours réfléchi sur soi-même. Voyez Propriété. N. 23.

Le B. JEAN DE LA CROIX.
3. Voyez Quiétude. §. I. n. 30.

(39)
Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA
rapporte
4. Le P. Thomas de Jésus. Dans cette union de l’âme avec Dieu, la force de l’âme est tellement absorbée et retirée de ses autres opérations, qu’elle ne peut en aucune manière réfléchir sur elle-même, ou sur les actes de ses puissances. (de la Contemplat. Livre 5. Chap. 13.) Eclaircissem. des Phras. De Jean de la Croix, Part. II. Chap. 4.

S. FRANÇOIS DE SALES.
5. Il y a des esprits actifs, fertiles et abondants en considérations ; il y en a qui sont souples, repliants et qui aiment grandement à sentir ce qu’ils font, qui veulent tout voir et éplucher ce qui se passe en eux, retournant perpétuellement la vue sur eux-mêmes pour reconnaître leur avancement. Tous ces esprits sont ordinairement sujets d’être troublés en la sainte oraison. De l’Amour de Dieu, Livr. 6. Chap. 10.
6. Voyez Abandon. N. 22.

Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
7. Voyez Franc-arbitre. N. 5.
8. L’amour excessivement réfléchi sur soi ne rend que trop souvent et facilement son sujet imaginaire, si bien qu’il demeure pris dans l’effort de son imagination, quoique plus ou moins spiritualisée. Et vivant d’elle plus que de la foi nue, il la croit et la suit au grand préjudice de Dieu, et à son dommage propre. Diverses lumières appartenantes à la vie contemplative. N. 71.

(40)

L IV. Renoncement.

MOYEN COURT.
C’est pourquoi il est si nécessaire de renoncer à soi-même et à ses opérations propres, pour suivre Jésus-Christ, car nous ne pouvons point suivre Jésus-Christ si nous ne sommes animés de son Esprit. Or afin que l’Esprit de Jésus-Christ vienne en nous, il faut que le nôtre lui cède la place. CH. 21. N. 7.

CANTIQUE.
Les Directeurs que Jésus-Christ a véritablement rendus ses compagnons, se les associant pour le gouvernement des âmes, n’étant pas morts eux-mêmes, ni crucifiés au monde avec Jésus-Christ, n’apprennent pas à leurs dirigés à se renoncer et crucifier et mourir en toutes choses, afin de ne vivre qu’en Dieu seul et que Jésus-Christ vivent en eux. D’où il arrive que les uns et les autres étant dans une vie fort naturelle et immortifiée, leur conduite est aussi fort humaine. CH. I.V.6.
Comment sortir de soi ? Par le renoncement et par la fidélité à se poursuivre en toutes choses, sans se permettre aucune satisfaction naturelle et sans prendre vie en soi ni en rien de créé.
Cette sortie de soi-même par le renoncement continuel de tout propre intérêt est l’exercice intérieur que l’Amant céleste conseille aux âmes qui soupirent après le baiser de la bouche. La-même. V. 7.

AUTORITÉS.

L’IMITATION DE JÉSUS-CHRIST
1. Lorsque je me vois destitué de la grâce et abandonné à ma pauvreté, il ne me reste point alors de meilleur remède que la patience et l’entier renoncement à moi-même, pour ne rien vouloir que ce que Dieu veut. Livr. 2. Chap. 9. §. 6.
2. Quittez tout et vous trouverez tout. Renoncez à tous les vains désirs et vous trouverez le vrai repos. Livr. 3. Chap. 32. §. I.
3. Voyez Propriété. N. 4 et 5.

Le B. JEAN DE LA CROIX
4. Voyez Sortie de soi. N. 10.
5. Ceux qui sont enclins à ces goûts ont une autre grande imperfection, à savoir qu’ils sont fort lâches à marcher par le rude chemin de la Croix d’autant que l’âme qui aime la saveur, naturellement a du dégoût de l’abnégation. Ils ont plusieurs autres imperfections qui leurs naissent (42) de là et que notre Seigneur guérit avec le temps, par des tentations, dégoûts, aridités et travaux qui font partie de la nuit obscure. La sobriété et la tempérance spirituelle a une trempe et propriété bien différente, vu qu’elle incline l’âme en tout à a mortification, crainte et subjection, faisant voir que la valeur et perfection des choses ne consiste pas en la multitude, mais à savoir renoncer à soi-même, ce qu’ils doivent essayer de faire autant qu’il sera en eux, jusqu’à ce que Dieu les veuille entièrement purifier, les mettant dans la nuit obscure. Obscur. Nuit. Livr.I.Chap. 6.


Le P. NICOLAS DE JÉSUS MARIA
rapporte
6. D. Barthelemi des Martyrs. Voyez Propriété. N. 24.


Le Fr. JEAN de SAINT SAMSON.
7. L’amour renoncé, ou la renonciation et abnégation évangélique, est un abandon entier de tout soi à Dieu en toutes choses, sans aucune exception ni d’ouvres ni de temps. En vertu duquel abandon, la créature n’agit, ne pâtit, ne veut, n’ordonne et n’accepte rien pour soi ni pour son propre contentement, mais pour le seul bon plaisir de Dieu infini. Autant de fois qu’il se présente occasion de vraie perte et abandon de tout soi-même à Dieu, pour son infini amour, l’âme vraiment amoureuse le fait toujours sans exception.
En effet, l’homme qui veut vivre à Dieu et l’aimer comme il faut, doit par nécessité mener une vie renoncée, et Dieu désire cela de nous tous, parce que cette sorte de vie est une disposition nécessaire à son amour et qu’elle nous est plus conforme, quoique plus fâcheuse au sens et à la nature. Or ce qui rend une telle vie si difficile à aborder, et même si inconnue, c’est que l’homme n’est presque jamais que dans les sens. S’il monte plus haut que les sens, il ne veut concevoir les choses divines que par voie d’entendement et croit que tout la sainteté doit consister en la forte élévation et dans le lustre de son entendement illuminé de Dieu pour le connaître et le goûter. De là vient que l’homme ne veut point de cette vie renoncée, etc. (Voyez Opérations propres. N. 27.) Esprit du Carmel. Chapitre II.
8. Il faut encore savoir que les sujets de renonciation ne sont que peu de chose, tandis qu’on a inclination selon Dieu, de se porter ou non à quelque acte de mortification, quoique cela soit de grand mérite si on s’y porte par le seul motif du pur amour. Mais la vraie vie renoncée en totale conformité et uniformité est lorsque Dieu, ou les hommes, ou l’un est l’autre ensemble, exigent de nous que nous allions et vivions à sens tout contraire de nous-mêmes, sans considérations de temps, de lieu, ni de personnes.
Quant à la soustraction des satisfactions momentanées que nous ôtons à nos sens, cela est mieux appelé mortification que renonciation. Car la renonciation regarde les choses qui sont de durée et qui nous sont si dures et contraires, qu’il semble que nous n’ayons point de liberté pour nous en délivrer ou pour faire autrement que ce qui se présente à souffrir, quoique nous soyons très libres, même à vouloir cela en notre amoureux désir et en notre amoureuse souffrance. Que si les croix, tant d’esprit que du corps,(44) nous sont si douloureuses, pesantes et ennuyeuses, et de si grande durée que cela passe encore au-delà de ce que je viens de dire, alors nous passons de l’état de renonciation à celui de résignation. Là-même.
9. Cette vie renoncée est si surnaturelle, qu’elle est par-dessus tous les miracles que les Saints ont opérés et opèrent en Dieu. Aussi se trouve-t-il très peu d’hommes qui l’exercent fidèlement. Car il y a beaucoup à pâtir et même, ce me semble, parfois tout (ce qu’il ne faut pourtant pas croire) mais il semble que cela est ainsi, à cause de la grande nudité, destitution et faiblesse dont on est aggravé, avec une totale ignorance de soi et de Dieu, et une entière effusion de ses puissances inférieures. Ce qui fait qu’on ne sait si on est mort ou vif, si on perd ou si on gagne, si on consent ou si on résiste. C’est là que l’âme agonisante, rendant la vie à Dieu, meurt et expire plus de douleur et d’angoisse que d’amour, ce lui semble. Mais cette amoureuse douleur et angoisse qu’elle souffre entre ses bras divins, demeurant là pour jamais entièrement soumise, renoncée et résignée à tout ce qui est de son bon plaisir. Or cette perfection est totalement accomplie et consommée, quand on est devenu simple et fort en habitude passive, soit pour contempler Dieu éternellement en très simple et très nue adhésion, ou pour lui adhérer simplement et uniquement en moindre état et constitution. Ou bien pour être totalement perdu et submergé en cette mer infiniment large, vaste et profonde, en laquelle on est totalement refus (reçu $$$$$$$), simple et éternel, comme elle-même par-dessus toute distinction. Là-même.
(45)
10. Voyez Opérations propres. N. 29.
11. Mais comme il n’est pas tant ici question de cet amour actif, comme du passif, vraiment et entièrement renoncé pour toujours, tant à sentir qu’à ne sentir pas les grâces et dons de Dieu et autres choses semblables, ce dernier nous est bien plus sortable parce que nous y pouvons donner plus de satisfaction à Dieu qu’en l’état précédent. C’est donc à quoi il faut nous résoudre, ne laissant rien à faire ou à endurer qui soit en notre pouvoir, afin d’effectuer selon le bon plaisir de Dieu notre Amour.
Or c’est un profond secret, qu’amour hautement exercé en soi-même, par tout le sujet, en tout son objet qui est Dieu, est infiniment autre en état et en constitution, que d’agir et de vivre seulement selon la volonté de Dieu. Quand vous serez perdu entièrement au vaste infini du total océan du même amour, vous verrez si je dis vrai et pourquoi. J’ai bien voulu le dire, afin que vous laissiez le moins noble pour le plus noble et ce qui est moins, quoique beaucoup, pour avoir le tout. Miroir et flammes d’amour. Chap. 3.
12. Voyez Abandon. N. 32.
Ce commandement de Jésus-Christ : (a) Renoncez-vous vous-même, est plus que suffisant pour justifier cette proposition.

(46)
L V. Résurrection. Vie nouvelle.

CANTIQUE
Pour cette âme, la mort est passée sur toutes choses extérieures, en sorte qu’il n’y a rien qui la puisse satisfaire. S’il y paraît encore quelque chose, c’est un renouvellement d’innocence. Chapitre 2. Vers. 11.
Jusqu’à ce, dit l’Epoux, que le jour de la vie nouvelle, que vous devez recevoir en mon Père, commence à paraître et que les ombres qui vous tiennent dans l’obscurité de la foi la plus nue, s’abaissent et se dissipent, je m’en irai sur la montagne de la myrrhe. Ch. 4. V. 6.
L’Epouse invite l’Esprit saint, l’Esprit de vie, de venir souffler en elle, afin que ce jardin si rempli de fleurs et de fruits répande son odeur pour l’utilité de plusieurs âmes.
C’est aussi l’Epoux qui demande que la résurrection de cette Epouse se fasse bientôt et qu’elle reprenne une nouvelle vie par le souffle de cet Esprit vivifiant qui est celui qui doit ranimer et faire revivre cette âme anéantie, afin que le mariage (47) soit parfaitement consommé. Là-même. V. 16.
L’Epoux ne veut pas non plus que sa Bien-aimée soit éveillée jusqu’à ce qu’elle s’éveille par l’effet de la voix toute-puissante de Dieu qui l’appelle du tombeau de la mort à la résurrection spirituelle. Ch. 8. V. 4.
Il leur en reste une qualité maligne et opposée à Dieu, jusqu’à ce que Dieu, par de longues, fortes et fréquentes opérations, ait ôté cette qualité maligne, tirant l’âme d’elle-même, lui ôtant toute son infection, lui redonnant une grâce d’innocence et la perdant en lui. C’est ce qu’il appelle la ressusciter innocente du même lieu où sa mère, qui est la nature humaine, fut corrompue. Là-même. V. 5.


AUTORITÉS

St. DENIS.
1. Pour avoir l’être divin, il faut divinement renaître. De la hiérarchie Eccles. Chap. 2.
2. Le Bien donc qui est par-dessus toute lumière est appelé lumière spirituelle, comme étant un rayon fontal et originaire, une effusion de lumière qui regorge de toutes parts et qui de sa plénitude illumine tout l’esprit, soit par-dessus le monde, soit autour du monde, soit aussi dans le monde, qui renouvelle toutes leurs puissances et facultés intellectuelles, qui les embrasse (48) et les contient tous. Des noms divins, chap. 4.

St. AUGUSTIN.
3. Voyez Consistance. N.5.

St CLIMAQUE.
4. D’autres disent que cette tranquillité est une résurrection de l’âme qui précède celle du corps. Echelle sainte, Degré 29. Art. 4.

HENRI SUSO.
5. L’homme pour avancer et pour être spirituellement ressuscité et régénéré en Dieu, doit être mort à la nature déréglée et toujours réfléchie sur elle-même. Dialog. De la vérité, chap. 10.

Le B. JEAN DE LA CROIX.
6. Dieu fait ainsi défaillir l’âme à tout ce qui n’est point Dieu, pour la revêtir de nouveau, étant dénuée et dépouillée déjà de sa vieille peau. Ainsi sa jeunesse se renouvelle comme celle de l’aigle, demeurant revêtue du nouvel homme, lequel, comme dit l’Apôtre (a), est créé selon Dieu. Ce qui n’est autres chose qu’illuminer l’entendement d’une lumière surnaturelle, en sorte que l’entendement humain se fasse divin étant uni avec le divin. Obscure nuit, Livr. 2. Chap. 13.
7. Voyez Mort entière. N. 9.
8. Voyez Mort entière. N. 10.


Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA.
9. Notre docteur mystique dit : (Vive Flamme, cant. 1, vers. 6.) qu’aux âmes parfaites, en cet état tout se convertit en amour et en louanges, n’y ayant déjà plus de levain qui corrompe la pâte, laquelle façon de parler est très véritable et tirée de St Paul, qui dit : (b) Purifiez-vous du vieux levain, afin que vous soyez une pâte (49) toute nouvelle. Eclairciss. Des Phrases Myst. De J. de la Croix. P.2. Ch. 14. §. 3.

Le même rapporte
10. St Bernard. Voyez Purification. N. 51.
11. St Ambroise. Voyez Création. N. 12.

St FRANÇOIS DE SALES
12.Voyez Défauts. N. 12.

Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
13. Or certains de ceux-ci se sont exercés à cela si heureusement, qu’ils jouissent à présent très abondamment, même pleinement, des fruits éternels de leur amoureux labeur, en la pleine possession desquels on les pourrait dire bienheureux, autant qu’on peut être en cette vie. Certes on ne peut rien dire de cette excellente perception, non pas même ceux qui jouissent de ce bien et quoique leurs écrits en expriment des choses grandes, cela néanmoins n’est rien au respect de ce qui en est : toutes les démonstrations possibles ne sont rien et n’en expriment rien. Là il n’y a que silence et sérénité en amour ineffable. Esprit du Carmel. Ch. 14.
14. tout ainsi que le Soleil fait diversement ses effets sur la terre, à proportion qu’il en est proche ou éloigné, afin de la rendre féconde pour le bien des hommes, ainsi le divin Soleil de justice ne manque point de produire les effets de son amour dans les hommes, aux uns plutôt, aux autres plus tard, et en différent degré, selon qu’il trouve la terre de leur cœur diversement disposée à cela par la grâce. La saveur et l’expérience que nous avons de cette vérité nous est di délicieuse que nous ne le pouvons assez exprimer. Et c’est ne cette manière que nous pénétrons tous les effets de cet amour, lesquels il ne produit dans les âmes que (50) les enrichir de plus en plus de se grâces, les élevant en lui et leur découvrant sa beauté et vives splendeurs, afin de les rendre parfaitement amoureux de lui-même, dont la vue et le goût éternel leur cause tout bien.
Par ces fréquents effets et ces divins succès, ils se dépouillent du vieil homme et se revêtent du nouveau qui est divin en eux et qui les rend divins en lui. Et cela se fait selon les divers degrés de grâce et selon la profonde lumière qu’ils ont reçue par le merveilleux écoulement de la divine sapience.
Ceux qui gisent au-dehors, dans la vie active, et qui y veulent reposer n’arriveront point aux splendeurs, manifestations et délices de la vie intérieure. Au reste, celui qui est simple selon ces vérités se donne bien de garde de s’empêcher au-dehors ni au-dedans, qui est beaucoup dire faisant plus de cas infiniment de son simple fond, auquel il est totalement réduit et transfus, que de tout ce que son fond même lui peut produire pour l’occuper et le tirer tant au-dehors qu’au-dedans.
C’est là que l’âme se délecte de Dieu lui-même en simplicité d’esprit et de repos par dessus la compréhension. Là-même. Ch. 15.


(51)
LVI. Sacrifice.

MOYEN COURT
La Prière doit être et Oraison et sacrifice.
Il faut que l’âme se laisse détruire et anéantir par la force de l’Amour. C’est un état de sacrifice essentiel à la Religion Chrétienne. Par là, l’âme se laisse détruire et anéantir pour rendre hommage à la Souveraineté de Dieu. Ch. 20. N.1 &3.

CANTIQUE
Une âme de ce degré porte un fond de soumission à toutes les volontés de Dieu, de manière qu’elle ne voudrait rien lui refuser. Mais lorsque Dieu explique ses desseins particuliers et qu’usant des droits qu’il s’est acquis sur elle, il lui demande les derniers renoncements et les plus extrêmes sacrifices, ah, c’est pour lors que toutes ses entrailles sont émues et qu’elle trouve bien de la peine où elle croyait ne plus en avoir. Et cette peine vient de ce qu’elle était attachée à quelque chose sans le connaître. Ch. 5. V. 4.

(52)
L’âme n’a pas plutôt reconnu sa faute qu’elle s’en repent et se relève par un renouvellement d’abandon et une étendue du sacrifice. Ce n’est pas toutefois sans douleur et amertume : la partie inférieure et toute la nature est saisie de tristesse et de frayeur. Toutes ses actions même en sont rendues plus pénibles et plus amères, mais de l’amertume la plus forte qu’elle eût encore éprouvée. Là-même. v. 5.


AUTORITÉS.

L’IMITATION DE JÉSUS-CHRIST.
1. Voyez Joie de l’âme. N. 5.

Le B. JEAN DE LA CROIX.
2.Voyez Union. N. 58.

St FRANÇOIS DE SALES.
3. Lorsque la peste attaqua le Diocèse de St Charles, il s’immola en esprit au bon plaisir de Dieu, et en baisant tendrement cette Croix, il s’écria du fond de son cœur avec St André : Je te salue, ô croix précieuse ! Je te salue, ô tribulation bienheureuse, ô affliction sainte, que tu es aimable ! De l’amour de Dieu. Livr. 12. ch. 9.
4. J’ajoute au sacrifice de St Charles, celui du grand Patriarche Abraham, comme une vive image du plus fort amour qu’on puisse imaginer en créature quelconque. Il sacrifia certes toutes les plus fortes affections naturelles qu’il pouvait avoir, lorsqu’entendant la voix de Dieu qui lui disait : (a) Sors de ton pays et de ta parenté et (53) de la maison de ton père, et viens au pays que je te montrerai, il sortit soudain et se mit promptement en chemin sans savoir où il irait.
Mais tout ceci n’est rien en comparaison de ce qu’il fit après (a), quand Dieu l’appelant par deux fois et ayant vu sa promptitude à répondre, il lui dit : Prends Isaac ton enfant unique, lequel tu aimes, et va en la terre de vision où tu l’offriras en holocauste sur l’un des monts que je te montrerai. Car voilà ce grand homme qui part soudain avec ce tant aimé et tant aimable fils, fait trois journées de chemin, arrive au pied de la montagne, laisse là ses valets et l’âne, charge son fils Isaac du bois requis à l’holocauste, se réservant de porter lui-même le glaive et le feu. En montant, l’enfant lui dit : Mon Père voici le bois et le feu, mais où est la victime de l’holocauste. A quoi il répondit : Mon enfant, Dieu se pourvoira de la victime de l’holocauste.
Qu’il lie son fils pour l’immoler, il l’a déjà sacrifié dans son cœur. Ah ! De grâce voyez donc quel holocauste ce saint homme fit en son cœur. Là-même. Ch. 10.
5. Voyez Franc-arbitre. N. 4.


Mons. OLIER
6. Le malin esprit a demandé de vous cribler, dit Jésus-Christ à ses Disciples (b). Par là il les disposait à la grande tentation qu’ils souffrirent en sa mort qui était l’heure de la puissance des ténèbres, en laquelle Dieu avait lâché la bride à la malignité des démons. Pendant tout ce temps-là, tous les Disciples, hormis St Jean, quittèrent le Fils de Dieu. Mais la Sainte Vierge (54) demeura inébranlable dans la foi de son Fils et dans l’estime de sa grandeur. Tenez-vous (a) avec elle recueillie en silence et en paix au pied de la Croix de Jésus-Christ. Tenez-vous intimement unie à la vertu et à la force de cette divine Mère, laquelle l’Ecriture sainte nous marque avoir été debout sur le Calvaire, pour exprimer la force de son cœur et la constance dans la tribulation de la croix qui était inexplicable. Lettre 153.
7. Mourez donc, je vous prie, à cette partie inférieure et délicate de vous-même, et par là vous ferez un sacrifice qui méritera votre résurrection spirituelle, étant toute revêtue de Dieu et de sa vie par la mort de tout vous-même. Que si vous êtes ainsi morte à tout vous-même et vivante à Dieu seul, votre vie qui est maintenant cachée au fond de vous avec Jésus-Christ, éclatera en vous et rejaillira hors de vous-même. Ce sera là le fruit de votre mort et de la sépulture entière de vous-même et ce que vous devez espérer, après que vous aurez enseveli votre vieil homme et toutes vos propres facultés dans l’Esprit de Dieu et dans sa propre vie. Pour cela accoutumez-vous surtout, comme je l’ai dit, à la mort de l’esprit, le soumettant aux jugements et aux pensées d’autrui. Cela vous acquerra facilité pour cette mort que mille fois je veux vous répéter et sans laquelle vous n’aurez jamais en vous la vie divine. Car elle ne se donne à l’âme qu’après qu’elle est morte à sa propre vie, puisque c’est de la mort à elle-même qu’elle doit ressusciter à la vie de Jésus-Christ. Lettre 169.






LVII. Saints inconnus.

Ces Saints sont inconnus et même persécutés.

CANTIQUE
C’est là ce qu’une âme bien abandonnée à son Dieu souffre parmi celles qui ne le sont pas. Car les autres font tout ce qu’elles peuvent pour la retirer de sa voie. Mais de même que le lis conserve et sa pureté et son odeur au milieu des épines, sans en être endommagé, aussi ces âmes sont conservées par leur Epoux au milieu des contrariétés qu’il faut qu’elles essuient de la part de ceux qui n’aiment qu’à se conduire eux-mêmes et à se multiplier dans leurs propres pratiques, n’ayant point de docilité pour suivre le mouvement de la grâce. Ch. 2. V. 2.
C’est une chose étrange comme les créatures, même (a) spirituelles, s’empressent (56) de retirer l’âme de ce doux sommeil. Là-même. v. 7.
Mais venez aussi des repaires des lions et des montagnes des léopards, car ce ne sera qu’à travers des plus cruelles persécutions des hommes et des démons comme d’autant de bêtes féroces que vous pourrez arriver à un état si divin. Chapitre 4. Vers. 8.
Comme l’écorce est la moindre partie de la grenade, et qui renferme en soi toute sa bonté, aussi ce qui paraît extérieurement de l’âme de ce degré est très peu de chose au prix de ce qui est caché. Le dedans est plein de la plus pure charité et des grâces les plus réservées, couvertes cependant d’un extérieur très commun, car Dieu prend plaisir de cacher les âmes qu’il veut pour lui-même. En sorte que ceux (57) qui en jugeraient selon l’apparence, les croiraient des plus communes, quoiqu’elles soient les délices de Dieu.
Ce ne sont point de celles-là qui éclatent dans le monde, ni par les miracles, ni par les dons extraordinaires : tout cela est trop peu pour elles. Dieu se les réserve et il en est si fort (a) jaloux, qu’il ne les expose pas aux yeux de hommes, au contraire il les scelle de son sceau, comme il dit lui-même, que son Epouse est (b) la fontaine scellée, dont il est lui-même le sceau ; Mais pourquoi la tient-il scellée ? C’est que (c) l’amour est fort comme la mort et la jalousie dure comme l’Enfer. Ô que ceci exprime bien ce que j’avance ! Car comme la mort enlève tout à celui (58) qu’elle tient, aussi l’amour arrache tout à l’âme et la cache dans le secret d’un sépulcre vivant. La jalousie de Dieu est dure comme l’enfer, en ce qu’il n’y a rien qu’il ne fasse pour posséder pleinement ses épouses. Ch. 6. V. 6.
Le raisin a cela de propre que quoiqu’il soit plein de liqueur, ce n’est point pour lui, mais il donne ce qu’il renferme à celui qui le presse. Cette âme est de la sorte : plus elle est pressée et opprimée par la persécution, plus elle se communique et est bienfaisante à c’eux-mêmes qui lui font du mal. Ch.7.v.7.


AUTORITÉS.

Ste CATHERINE DE GÊNES.
1. Voyez Opérations de Dieu. N.6.

Ste THÉRÈSE.
2. Voyez Communications. §II. N. 4.
3. Voyez à ce propos comment les saints se réjouissaient au milieu des injures et des persécutions, parce qu’ils avaient quelque chose à offrir à Notre Seigneur. Chem. de Perf. Ch. 36.
4. Voyez Souffrance. N. 2.


Le Fr. JEAN de SAINT SAMSON.
5. Voyez Opérations de Dieu. N. 17.
6. Ces saints hommes ne savent ce que c’est du nom de Saint, ni de Sainteté, en eux ni pour (59) eux. Quoiqu’ils le sachent bien pour les autres, croyant qu’il ne leur est dû que perpétuelle confusion et ignominie pour leurs péchés. Ils savent seulement ce que c’est que de parfaitement aimer. C’est ce qui fait qu’ils ne se soucient pas comment ni quand mourir, ne craignant non plus la Justice divine à la mort qu’en la vie et il ne leur importe de mourir seuls ou en public, confessés ou non, quoiqu’ils ne négligent pas de recourir aux Sacrements de l’Eglise. Ils meurent assurément et avec une renonciation de tout soi et par cela même ils sont inconnus aux hommes. C’est pourquoi les diables ont fort peu d’avantage sur eux à ce point de la mort et ainsi ils meurent plus d’amour que de douleur. Cabinet Mystique. P. 2. Ch. 4. N. 5.
7. Ces âmes, ô mon amour, sont autant de petites divinités sur la terre, inconnues aux médiocrement spirituels qui ne sont point fondus, réduits et tout perdus en votre immensité, comme elles. C’est pourquoi n’étant pas de même esprit et de même vie, ils les ont à dégoût et souvent à dédain, jusqu’à les calomnier et diffamer, même devant les plus saints. Mais tout cela ne leur sert que pour se mieux enfoncer et se perdre irrécupérablement en vous, ô mon Amour, où elles sont entièrement libres et exemptes des atteintes des langues envenimées et serpentines de ces misérables. Le dernier et le plus haut terme de la sagesse de ces calomniateurs et faux spirituels ne consiste qu’en eux-mêmes. Ils sont enlacés et conduits partout comme indignes esclaves de leurs plus secrètes et occultes propriétés intérieures qui les remplissent d’eux-mêmes et de leurs propres inventions subtiles et (60) diverses, et qui les tiennent ainsi misérablement captifs et serfs d’eux-mêmes. Peut-être qu’en plusieurs d’entre eux, ce mal continuera jusqu’au point de la mort, où leurs yeux seront ouverts.
Mais, mon Amour, quelles sont ces secrètes propriétés ? Ce sont les effets de l’amour propre et de la superbe spirituelle et très déliée. C’est de là que naît le propre jugement, propre bon-sembler, propre complaisance, propre sagesse, propre recherche en toute occasion. Tout cela n’a de source ni de fin que l’amour de soi-même, et ce sont des vices couverts du manteau de sainteté et des prétextes de vous plaire et de vous aimer. Cependant ces personnes ne sont devant vous qu’ordure et qu’esprit renversé, qui se plaît dans son propre malheur, mais d’une manière subtile et spirituelle. Ils ont une grande estime de leurs voies, de leurs œuvres, de leurs mérites, de leurs sentiments, en un mot d’eux-mêmes. Et pour se couvrir, ils s’humilient par des humiliations feintes et hypocrites devant ceux qu’ils savent éloignés de les croire tels, et desquels au contraire ils attendent des louanges pour s’en chatouiller et s’en délecter à plaisir. Contemplation 3.
8. Voyez Opérations de Dieu. N. 20.
9. Ces vrais sages sont bien éloignés (a) de l’esprit d’exagération et de toute indignation, abhorrant les extrêmes comme l’Enfer. Aussi savent-ils qu’il ne peut rien arriver à aucun (61) pécheur, tant selon les misères de l’esprit que du corps, qui ne leur puisse arriver par la divine permission. Il est vrai qu’aux pécheurs cela arrive par châtiment, et aux justes, c’est pour leur exercice et leur lustre, pour l’épreuve de leur amour, et pour faire en cela leur purgatoire en cette vie. C’est pourquoi il importe infiniment que ces personnes adhérent aux jugements secrets de Dieu comme elles font, sachant bien leur infinie profondeur, et qu’ils sont redoutables et adorables comme lui-même en tout ce qu’il permet arriver aux hommes. De la simplicité. Traité V. N. 25.
10. Or c’est la vérité que Dieu prend si grand plaisir au suprême lustre et sainteté des Saints, que pour en exercer certains, il permet assez souvent que toute son Eglise souffre très grande perte et dommage. Témoin St Bernard en l’exercice qui lui fut donné touchant la prédication de la croisade ; et le Roi St Louis, l’exercice et la fidélité duquel ne se peut voir sans pleurer de compassion et d’étonnement.
Il pourrait sembler aux personnes trop basses, sensibles et faibles, que Dieu ne devait pas se comporter ainsi au préjudice de toute l’Eglise et pour le bien et le lustre d’une seule âme. Mais c’est un sentiment puéril et une très grande faiblesse et ignorance, attendu que Dieu a aussi peu à faire de tout le créé que de ce qui n’est point. Et comment dira l’argile au potier qui la met en œuvre, pourquoi il lui donne plutôt une forme qu’une autre et pourquoi il la détruit selon son bon plaisir ? Qui est-ce qui pourra reprocher à Dieu ce qu’il fait ou ne fait pas ? Et qui pourra lui imputer à tort, si en un moment il veut anéantir tout le créé ? Il importe infiniment à (62) tout chrétien et, à plus forte raison, aux fidèles serviteurs de sa Majesté, de savoir que sa raison souveraine n’est pas conforme au sens et jugement des hommes qui sont tous répandu en la chair et au sang, et qui tels qu’ils soient, ne sont que terre au respect de la vue et des sentiments que les Anges, esprits très purs, ont des raisons et des ordonnances de Dieu lui-même.
C’est une nécessité de nous dépouiller ici du vieil homme et par conséquent de recevoir temporellement le châtiment dû à la Justice divine, en la corruption de notre vieil homme à cause duquel nous sommes répandus et totalement plongés dedans les ordures d’innombrables péchés qui accompagnent notre langoureuse vie. C’est pourquoi sa Majesté, autant juste que miséricordieuse, fait un très grand bien et un avantage incomparable à ses créatures quand il se résout de les châtier, ce semble, à toute rigueur ici-bas, leur ôtant même la vie comme chose qui lui appartient et dont il peut faire ce qui lui plaît et comme il lui plaît, avec bonté, justice et équité. Car en son ordre et prescience éternelle, plusieurs ne seront jamais justes ni sauvés que par le moyen de ses très justes châtiments. Et les autres ne seraient pas sauvés si excellemment, ni avec tant de gloire qu’ils le feraient pour s’être donnés en proie à la vie et à la mort, à sa divine Majesté.
Il faut (a) même aller jusque là, que, sans aucune considération de notre propre intérêt, nous désirions que le bon plaisir de Dieu soit fait éternellement à tout événement, vu qu’il en est (63) infiniment digne. De la simplicité, Traité 5. N. 25 et 26.
11. Ces personnes sont déjà si parfaitement renouvelées et changées en leur chair mortelle, pleinement assujettie à l’esprit, que ce sont autant d’excellentes Déités en terre, séparées et cachées du monde, totalement mortes et crucifiées au monde et à qui le monde est crucifié. Elles connaissent très bien le monde, quel il est, et le monde ne les connaît point. Que si d’aventure il leur est nécessaire de traiter avec lui pour la gloire de Dieu, il les persécute et les outrage cruellement par médisance et calomnie, comme ne les pouvant supporter, à cause de leur vie totalement contraire à la sienne. De la refusion de l’homme en Dieu, traité. 2. N. 27.
12. Voyez Opérations de Dieu. N. 23.



LVIII. Scandale.

On se scandalise de cet état.

CANTIQUE.

On m’objectera que cette âme n’est pas si cachée puisqu’elle aide au prochain. Mais je réponds que c’est ce qui la couvre d’abjection, Dieu se servant de cela pour la rendre plus méprisable à cause des contradictions qu’il faut qu’elle essuie. Pour l’ordinaire, Dieu permet que (64) l’extérieur commun de ces âmes choisies scandalise même ceux qui ont part à leurs grâces, jusques là qu’ils s’en séparent souvent après que Dieu en a tiré l’effet qu’il prétendait.
L’Epoux traite en cela son Epouse comme lui-même. Tous ceux qu’il avait gagnés à son Père (a) ne furent-ils pas scandalisés en lui ? Que l’on examine un peu la vie de Jésus-Christ : rien de plus commun quant à l’extérieur. Ceux qui font des choses plus extraordinaires sont les copies des Saints, desquels Jésus-Christ a dit (b) qu’ils feraient de plus grandes œuvres que lui. Ces âmes sont d’autres Jésus-Christ en terre, c’est pourquoi on y remarque moins(c) les traits des Saints, mais pour les caractères de Jésus-Christ, si on les examine de près, on les y verra très clairement. Cependant Jésus-Christ (d) est un sujet de scandale aux Juifs et semble une folie aux Gentils. Ces personnes scandalisent souvent dans leur simplicité ceux qui attachés aux cérémonies légales plutôt qu’à la simplicité de l’Evangile, ne regardent que l’écorce de la grenade sans pénétrer le dedans. Ch. 6. V. 6.
(65)

AUTORITÉS.

Ste CATHERINE DE GÊNES.
1. Il y a plusieurs personnes qui s’en étonnent et s’en scandalisent, parce qu’ils n’en savent pas la cause. Et si ce n’était que Dieu me soutient, je serais estimée du monde comme une folle. En sa Vie, chap. 22.
2. Qui voit ces créatures là et n’entend pas quelles elles sont, les admire plutôt qu’il ne s’en édifie. Nul n’en doit porter jugement, s’il ne veut se tromper. Dialog. Livr. 3. Chap. 10.

Ste THÉRÈSE.
3. Voyez Humilité. N. 6.

Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
4. Il faut vivre inconnu entre les meilleurs hommes et n’être connu que Dieu seul et de ceux qui sont vraiment humbles, dont fort souvent le nombre est si petit qu’à peine en peut-on trouver un seul. Il vaut mieux passer pour indiscret et imprudent que de se justifier là-dessus si ce n’était au respect des esprits grandement faibles, mais à l’égard de ceux qui sont grandement sages à leurs propres yeux et qui pour cela sont curieux et subtils examinateurs et scrutateurs des esprits, il ne faut pas le faire. Esprit du Carmel. Chap. 9. §9.
5. Voyez Humilité. N. 16.
6. Voyez Humilité. N. 17. 
7. Disons que ceux qui sont vraiment anéantis selon le dernier et suprême état, demeurent dès là même ignorés et inconnus et qu’ils sont différents de beaucoup d’assez saints et excellents Mystiques. On ne voit et on ne comprend (66) point comment cela peut être vrai en eux, d’autant qu’on les voit très libres à l’action, dont même les bons et les saints font conscience. Mais il faut savoir que plus on est devenu esprit et divin, à force d’agir, de (a) fluer, de pâtir et de mourir en Dieu, et à force d’aimer, soit dans l’amour, soit par dessus l’amour, moins (b) doit on être compris et jugés en ces voies, si ce n’est par un esprit tout semblable. Je ne les dis ni ne les crois pas impeccables, mais leurs fautes sont fort légères et fort petites devant Dieu. Esprit du Carmel. Chap. 9 §. 21.
8. Je dirai seulement que la vraie liberté des saints et vrais spirituels, dans son action sortie, est prise de ceux qui ne le sont pas pour la même superbe. Aussi est-il vrai qu’à cause des défauts qui s’y peuvent rencontrer, il n’est rien de plus difficile à connaître que la vraie humilité en telles personnes, d’autant que la vraie liberté n’en fait rien paraître en ses actions et paroles sorties. Car cette même liberté outrepasse tout propre intérêt, tant en soi-même qu’en autrui. Elle franchit librement toute crainte et respect humain, n’envisageant que la pure gloire de Dieu, que ces personnes-là désirent ardemment sur toutes choses, mourant à tout ce qui est du dehors et même à cette pratique.
Aussi est-il impossible que ce qui n’a rien de l’esprit voit et goûte l’esprit dans les actions et paroles sorties du vrai spirituel, d’autant que les vues de l’esprit sont simples et uniques en leur (67) élévation, pénétration et étendue, et qu’elles pénètrent d’un clin d’œil des vérités infinies. Là où ceux qui leur sont contraires ne font état que des actions de vertus et de perfection acquise et conservée à force de bras. C’est pourquoi ils jugent les parfaits par leur propre imperfection et défaut et sont souvent blessés d’amertumes dans leur cœur et d’autres immortifications intérieures, par exemple, de défiance et d’aversion de ces personnes spirituelles ne pouvant plus croire de bien d’elles qu’à force de persuasion et à très grande peine.
Cependant ces personnes de si bas aloi ne sont en comparaison des spirituels totalement perdus, que terre, que sens, que tout désordre, qu’immortification de leurs mouvements et passions au-dedans. Spécialement sur le fait des actions d’autrui : ce qui serait encore bien plus véritable si elles étaient en autorité, (a) parce que cela leur donnerait toute licence de faire ainsi. Cabinet Myst. I Chap. 7.
9. Voyez Opérations de Dieu. N. 24.

(68)
LXI. Sentiments.

Dieu est au-dessus des sentiments.

CANTIQUE
Quand le cœur de l’homme est assez fidèle pour vouloir outrepasser tous les dons de Dieu, afin de ne s’arrêter qu’à Dieu même, Dieu prend plaisir de le combler de ces mêmes dons qu’il ne recherche pas.
Ici l’Epouse préfère son Dieu à ses consolations spirituelles et aux douceurs de la grâce qu’elle éprouvait en suçant le lait de ses mamelles. Ch. 1. v. 3.
Les affections qui naissent de votre cœur sont si éloignées des choses de la terre qu’elles s’élèvent au-dessus des dons les plus excellents pour ne s’arrêter qu’à moi seul. Ch. 4. V. 1.


AUTORITÉS.

St DENIS.
1. Après avoir parlé admirablement de cette première cause de toutes choses, il conclut : Bref, elle n’est ni n’a en soi chose quelconque qui puisse tomber sous les sens. Théol. Myst. Chap. 4.


(69)
Ste CATHERINE DE GÊNES.
2.Tous les sentiments de l’âme sont tellement saisis et liés en cet amour qu’ils ne savent où ils sont ni ce qu’ils sont. Ils ne connaissent ni ce qu’ils ont fait, ni ce qu’ils doivent faire. Dial. Livr. 3. Chap. 7.

Ste THÉRÈSE.
3. J’ai dit autrefois, et je le répète encore, que celui qui commence ne se souvienne point qu’il y ait des caresses et consolations en ceci, parce que c’est une façon fort basse de commencer un édifice si noble et si précieux. Château de l’âme, Dem.2.Chap.1.

Le B. JEAN DE LA CROIX.
4. Voyez Communication. §.I. n.1.
5. Celui qui se veut beaucoup appuyer sur le sens corporel ne sera guère spirituel. Je dis ceci pour ceux qui pensent que par leur seule force et opération de leur sens vil et abject, ils parviendront à la hauteur et aux forces de l’esprit. Non, non, personne n’arrive ici, sinon que le sens corporel demeure dehors. C’est toutefois autre chose (a) quand il dérive de l’esprit quelque affection de sentiment aux sens, parce qu’il peut y avoir en cela beaucoup de spirituel, comme en St Paul, dont (b) le grand sentiment qu’il avait des douleurs de Jésus-Christ redondait en son corps, ainsi qu’il écrit aux Galates : (c) Je porte ne mon corps les stigmates de Notre Seigneur Jésus-Christ. Vive flamme d’amour. Cant. 2. v. 2.

(70)

6. L’âme goûte ici par une admirable manière et participation de toutes les choses de Dieu, sa Majesté lui communiquant la force, la sagesse, l’amour, la beauté, la grâce et la bonté. Parce que comme Dieu est tout cela, l’âme les goûte toutes par un seul attouchement de Dieu par une certaine éminence, et parfois de ce bien de l’âme, il découle sur le corps quelque peu de l’onction de l’esprit, qui semble pénétrer jusqu’aux os, conformément à ce que dit David : (a) Tous mes os diront : Seigneur, qui est semblable à vous ! Et d’autant que tout ce qu’on en peut dire est au-dessous de la chose, il suffit de dire que cela sent la vie éternelle. La-même. V. 4.


Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA
Rapporte

7. St Bonaventure. Il y a aussi des douceurs sensibles et suavités d’expérience qui sont quelque fois octroyées et infuses aux âmes dévotes, lesquelles étant véritables, et venant de Dieu, nous pouvons croire qu’elles sont données à certains apprentis, qui n’entendent pas encore clairement les choses spirituelles, afin qu’au moins ils soient consolés du Seigneur par des choses sensibles, puisqu’ils ne connaissent pas encore la vérité des choses purement spirituelles, dans lesquelles il y a une plus grande force, une vérité plus certaine, un avancement plus profitable et une perfection plus pure. Il faut savoir que plusieurs y sont trompés, qui croient que ceci, qui n’a en soi aucun mérite, soit grande chose. Eclaircissem. Des phrases de J. de la Croix, Part. II. Chap. 7. §. 2.



LX. Simplicité.

MOYEN COURT.

Le second degré est appelé de quelques uns : Oraison de simplicité. Chap. 4. N. 1.
Que l’âme se donne bien de garde de chercher d’autre disposition, quelle qu’elle soit, que son simple repos. Ch. 13. n. 3.
Il faut quitter la multiplicité de nos actions pour entrer dans la simplicité et unité de Dieu. (a) l’Esprit de Dieu est unique et multiplié, et son unité n’empêche point sa multiplicité. Nous entrons dans son unité lorsque nous sommes unis à son Esprit, comme ayant par là-même un même esprit avec lui. Et nous sommes multipliés au-dehors, en ce qui regarde ses volontés, sans sortir de l’unité. Chap. 21. N. 4.
Pour unir deux choses aussi opposées que le sont la pureté de Dieu et l’impureté de la créature, la simplicité de Dieu et la multiplicité de l’homme, il faut que Dieu opère singulièrement. Chap. 24. n. 2.
On ne peut être uni à Dieu sans la passiveté et la simplicité. Chap. 24. N. 11.

(72)

CANTIQUE.
Mais pourquoi dit-il à son Amante qu’elle sera dans peu belle de cette double beauté ? c’est que ces yeux et ses regards sont déjà comme ceux des colombes, en ce qu’elle est simple, au-dedans, ne se détournant point de la vue de son Dieu ; et au-dehors dans toutes ses paroles et actions qui sont sans déguisement.
Cette simplicité colombine est la plus sûre marque de l’avancement d’une âme : car n’usant plus de détours ni d’artifices, elle est conduite par l’Esprit de Dieu. L’Epouse conçut dès le commencement la nécessité de la simplicité et la perfection de la droiture, lorsqu’elle dit : (a) Ceux qui sont droits vous aiment, mettant la perfection de l’amour dans la simplicité et la droiture de ce même amour. Ch. 1. V. 14.
Vos yeux, par votre fidélité, droiture et simplicité sont comme ceux des colombes. Cette droiture est pour le dehors et pour le dedans. La vertu de simplicité tant recommandée dans les Ecritures nous fait agir à l’égard de Dieu incessamment, sans hésitation, directement, sans réflexion et souverainement, sans multiplicité de desseins, de motifs, ou de pratiques, mais (73) uniquement pour plaire à Dieu. Et même quand la simplicité est consommée, on le fait d’ordinaire sans y penser. Agir simplement avec le prochain, c’est agir avec naïveté, sans affectation, avec sincérité sans déguisement et avec liberté sans contrainte. Ce sont là les yeux et le cœur de la colombe qui charment le cœur de Jésus-Christ. Chap. 4. V. 1.
L’Epoux, par ces paroles, demande à son Epouse deux choses également admirables : l’une, qu’elle sorte à son égard de ce profond silence dans lequel elle a été jusqu’alors, car comme dans tout le temps de la foi et de la perte en Dieu elle a été dans un grand silence, à cause qu’il fallait réduire son fond dans la simplicité et unité de Dieu seul. A présent qu’elle est entièrement consommée dans cette unité, il veut lui donner cet admirable accord qui est un fruit de l’état consommé de l ‘âme, savoir l’accord de la multiplicité et de l’unité, sans que la multiplicité empêche l’unité, ni l’unité la multiplicité. Ch. 8. V. 13.

(74)

AUTORITÉS.

St DENIS.
1. Ceux qui furent les premiers chefs et les maîtres de notre Hiérarchie, ayant été remplis du don du St Esprit, que Dieu même, qui est par dessus tout être, leur communiqua et étant envoyés exprès par le même divine bonté afin de publier cette grâce par le monde et de la provigner $$$$ consécutivement sur les autres, comme ils étaient tous divins, aussi furent-ils très désireux d’attirer les autres après eux et de leur procurer le bien de divine ressemblance. Mais pour le faire (a), ils se sentirent obligés, selon les lois et selon les saintes ordonnances, de nous donner et délaisser par leurs doctrines, écrites et non écrites, les choses plus que célestes en images sensibles, en variété et en multiplicité ce qui est un, simple, et ramassé, en formes humaines ce qui est tout divin, sous des enveloppes de corps et de matière ce qui est purement spirituel, et de nous faire entendre les choses qui sont par dessus tout être par le moyen de celles qui nous sont familières et communes. Ce qu’ils ont fait no seulement à l’occasion des profanes, auxquels même il n’est pas permis de manier les signes et les sacrés symboles, mais pour autant que, comme j’ai dit, (75) notre Hiérarchie est toute symbolique, c’est-à-dire, qu’elle se sert de signes matériels pour s’accommoder à notre capacité, ayant besoin de choses sensibles pour nous élever par leur moyen plus divinement aux intelligibles. De la Hierarchie. Eccl. Chap. 1.
2. Cette très heureuse nature qui est Dieu (a), bien que par sa bonté divine elle sort et saille en avant pour se communiquer à tous ceux qui participent en quelque façon des choses saintes et sacrées qui sont en elle, néanmoins elle ne sort jamais hors de l’état immobile et de la ferme assiette qui lui est propre et naturelle. Et elle verse et envoie ses rayons par proportion sur tous ceux qui lui sont faits semblables, sans bouger toutefois de soi-même et sans être tant soit peu démise ni ébranlée en façon que ce soit de son état qui est toujours un et de même sorte. Il en est de même du divin Sacrement de la sinaxe. Car bien qu’il ait un principe qui est simple, unique, serré et replié en soi-même, et qu’il se multiplie pour l’amour des hommes en la sainte variété des signes extérieurs, et qu’il passe jusqu’à toute autre représentation de la Divinité qui se fait par images, si est-ce néanmoins que de cette multiplicité de signes il se restreint et resserre derechef uniformément à l’unité qui lui est propre et rassemble en un tous ceux qui sont attirés et conduits à lui. De la Hierarchie. Eccl. Chap. 3.

(76)
3. Il l’auteur, le principe, la cause, l’essence et la vie de toutes choses. C’est lui qui renouvelle et qui réforme ceux qui sont glissés et coulés au vice, par lequel est gâtée et corrompue en eux l’image et la ressemblance de Dieu. C’est lui qui affermit saintement ceux qui flottent en quelque sale et impure agitation. (*) il est l’assurance de ceux qui tiennent ferme, la guide qui conduit par la main et qui tire à soi ceux qui tendent et aspirent à lui. Il est la lumière de ceux qui sont illuminés, le principe d’initiation à ceux qui sont initiés la Déité de ceux qui sont divinisés, la simplicité de ceux qui sont unifiés, le principe plus que suressentiellement premier de tout autre principe, le bénin distributeur de celui qui est occulte, autant qu’il est licite de le distribuer. Et pour le dire en un mot, il est la vie des vivants, l’être des êtres, cause et principe de vie et d’être qui produit et conserve l’être aux êtres par sa bonté. C’est pourquoi il n’y a presque pas un traité ni livre de la Ste Ecriture où nous ne voyons que la Divinité est louée comme un monade et unité, à cause de la simplicité et de l’unité de son essence qui n’a point de parties, d’une façon surnaturelle par laquelle, comme par une force et vertu unitive, nous sommes faits un, et toutes nos diversités et multiplicités étant rassemblées, nous venons à être recueillis à une monade déiforme et à une unité semblable à Dieu, etc. Des noms divins. Chap. 1.
4. Les puissances intelligibles des esprits Angéliques étant épurées de toute matière et multiplicité, entendent ce qui est intelligible en la Divinité, spirituellement, immatériellement et (77) uniformément et leur puissance et leur action intellectuelle est éclairée d’une pureté simple et sans mélange. Là-même, Chap. 7.
5. Voyez Foi nue, n. 1.

St AUGUSTIN.
6. Voyez Quiétude. §. I.n. 6.

St JEAN CLIMAQUE.
7. J’en ai vu d’autres parmi ces hommes dignes d’une éternelle mémoire, qui étant tout blancs de vieillesse et ayant des visages d’Anges, avaient acquis par la ferveur de leurs travaux et par le secours de Dieu, une très parfaite innocence et une très sage simplicité qui n’avait rien de cet affaiblissement de la raison et de cette légèreté puérile qui fait qu’on méprise les vieillards du monde. On ne voyait en eux au-dehors qu’une extrême douceur, une bonté merveilleuse et une agréable gaieté sans qu’il y eût rien de feint, ni d’étudié, ni de fardé, sois dans leurs paroles, soit dans leurs mœurs, ce qui ne se trouve pas en beaucoup d’autres. E pour ce qui concernait le dedans de l’âme, ils ne soupiraient d’une part qu’après Dieu et après leur Supérieur, comme de petits enfants simples et innocents, qui regardent amoureusement leur père. Et d’autre part ils tournaient l’œil de leur âme avec un regard rude et audacieux sur les démons et sur les vices. Echelle sainte. Echelle Sainte. Degré 4. Art. 20.
8. Sachez, mon Père, que si quelqu’un s’abandonne soi-même volontairement à la simplicité et à l’innocence, le Démon ne trouve plus d’entrée dans son âme. Là-même. Art. 25.
9. Ces sortes de choses sont utiles et nécessaires à ceux qui ont besoin de lumière et e connaissance pour pratiquer les vertus, quoiqu’elles (78) soient entièrement inutiles à ceux qui agissent dans la simplicité et la rectitude du cœur ; car tous n’ont pas la lumière et la connaissance et tous aussi n’ont pas le don de cette bienheureuse simplicité qui est un bouclier contre tous les artifices des Démons. Degré 15. Article. 64.
10. L’âme qui est douce et paisible est le siège de la simplicité. Degré 24. Article. 9.
11. l’âme qui est droite et sincère est la fidèle compagne de l’humilité, au lieu ue celle qui est malicieuse et corrompue est la servante et l’esclave de l’orgueil. Là-même. Article 11.
12. La simplicité est une habitude de l’âme qui la rend incapable de toute duplicité, et immobile à tous les mouvements de la corruption de l’esprit et à la dépravation du cœur. Article 14.
13. L’innocence est l’état d’une âme tranquille qui est pleine d’une joie sainte et exempte de tout déguisement et artifice. Article 17.
14. La rectitude du cœur est une intention droite qui ne recherche point des subtilités et des détours pour s’écarter de la vérité. Elle est aussi sincère dans ses actions que simple et sans fard dans ses paroles. Article 18.
15. L’innocent est celui qui est dans ma pureté (a) naturelle, où son âme a été créée de Dieu et qui agit et parle avec tout le monde selon cette même pureté. Article 19.
16. L’une des premières qualités des petits enfants est une simplicité toute innocente, et tandis qu’Adam a possédé cette heureuse simplicité, il n’a eu aucune vue de la nudité de son âme, (79) ni aucune honte de la nudité de son corps. Article. 24.
17. La simplicité que quelques uns ont reçue de la nature est une qualité avantageuse et un bonheur inestimable, mais cette simplicité naturelle est beaucoup inférieure à la simplicité surnaturelle que nous avons comme entée sur la racine malheureuse de notre corruption et de notre malice, par le mérite de nos travaux et de nos sueurs. Car au lieu que la première, qui est celle de la nature, nous donne seulement une aversion de tous les déguisements et de tous les artifices, la seconde, comme étant au-dessus de la nature, nous procure l’humilité la plus sublime et la douceur d’esprit la plus parfaite. Et ainsi au lieu que la récompense de l’une ne sera pas grande, celle de l’autre sera infinie. Art. 25.
18. Les passions sont bannies de l‘âme par une parfaite simplicité et une innocence spirituelle et louable, comme venant de la grâce et non pas de la nature. Car selon David : (a) Dieu qui est juste assiste ces âmes simples. Le Seigneur sauve ceux qui ont le cœur droit, et les délices de péchés, sans qu’ils le sentent ou reconnaissent, comme les enfants étant dépouillés de leurs habits, n’ont presque aucun sentiment de leur nudité. Degré 26. Article. 65.
19. Un cœur droit se conserve pur dans la multiplicité des opérations et des affaires, et sa multiplicité innocente est comme un vaisseau dans lequel il navigue sûrement. Là-même. Article 120.

L’IMITATION DE JÉSUS-CHRIST.
20. Plus un homme sera recueilli en lui-même (80) et sera devenu simple au fond de son cœur, plus il avancera sans peine dans la connaissance des choses et en comprendra de plus élevées, parce qu’il recevra d’en haut le don de l’intelligence. L’âme pure, simple et constante ne se dissipe point en la multiplicité des actions parce qu’elle fait tout pour honorer Dieu et que, possédant la paix au-dedans de soi, elle tâche au dehors de ne se rechercher jamais soi-même. Livr. 1. Chap. 3. §. 3.
21. Heureux sont les simples, parce qu’ils jouiront d’une grande paix ! La-même, chap.2. §. 1.


HARPHIUS.
22. Voyez Oraison. §. III.n. 6.

Le Bhx JEAN DE LA CROIX.
23. Toutes les grandeurs qui sont ici déclarées sont éminemment en Dieu d’une façon infinie, ou pour mieux dire, chacune des ces grandeurs qui se rapportent ici est Dieu, et toutes ensemble sont Dieu, car autant que l’âme s’unit avec Dieu, elle sent que toutes les choses sont Dieu en un simple être, comme S. Jean le sentit lorsqu’il dit : (a) Ce qui a été fait en lui était vie. Cantique entre l’Epouse et l’Epoux, Coupl. 14.

Le P.BENOIT DE CANFELD.
24. Voyez Foi nue. N. 9.
25. La raison pourquoi cette opération doit être simple et pure est afin qu’elle n'éloigne pas trop l’âme de l’union et de l’amour fruitif et ne l’approche trop près de la nature, et ne l’abatte pas trop en elle-même, mais qu’au contraire, elle l’approche et la remette immédiatement dans l’union et nous jette en l’essence de Dieu, (81) en nous éloignant de nous-mêmes et nous élevant par dessus la nature. Règle de Perfect. Part. 3. Chap. 15.

Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
26. L’esprit ou pour mieux dire, tout l’homme rendu déiforme d’une ineffable manière est si unique et si simple en sa perception qu’il ignore toutes les formes, images et figures scientifiques. Que si on ne les ignore pas parce qu’on les a apprises autrefois, elles sont si éloignées de l’appétit qui ne veut jamais savourer que l’éminente sapience dont il est pénétré, que ce qui ne lui était auparavant que science, lui est désormais un vrai goût de sapience divine. Esprit du Carmel. Chap. 8.
27. L’âme qui est parvenue à Dieu par la secrète et sensible onction du St Esprit et qui se sent être par dessus toutes choses créées, dont l’impression lui est si insipide que l’esprit se bouche à cela comme à ce qui est sous ses pieds, ou pour mieux dire, comme à ce qui n’est rien du tout, cette âme est élevée et tirée en Dieu d’une si simple et si vive manière qu’elle est déjà en quelque façon au dessus des discours qui expriment les grandeurs et les perfections divines. Son présent état est d’élévation en une simple unité d’esprit. Ce qui fait en elle un repos et une quiétude en simple et nue contemplation de Dieu, lequel l’entendement regarde de son oeil simple, vivement pénétré par ses fréquentes lumières et par ses divins attouchements. Cabinet Myst. Part. I. Chap. I.
28. Supposé que vous soyez passé et transfus en simplicité d’essence, en l’abîme de la charité, qui est l’Essence divine même, vous vous (82) trouverez comme sans sentiment, tant de vous que de Dieu même, et sans pouvoir ni vouloir agir par simples aspirations qui supposent actions formées, ni même par regard simples et subtils qui supposent quelque pouvoir d’agir et par conséquent quelque désunion et entre deux de simple et subtil moyen, dont on se sert pour se transformer davantage et plus parfaitement dans l’Essence même de l’Epoux.
On commence déjà ici à voir Dieu simplement, sans formes et sans images, par-dessus le sens et les formes actives. Tout cela est anéanti avec la propre vie de l’âme, en ce fond vigoureux et suressentiel dans lequel elle est transfuse, et son appétit actif étant entièrement supprimé par la force de son simple amour, elle commence à jouir de l’Epoux à pur et à plein en simple essence, par le moyen même de ses simples attouchements qui la dilatent et l’étendent tout autrement en simplicité que jamais elle n’avait senti. Là les simples délices sont si profondes, et simplifient tellement l’âme qui les ressent, qu’il lui semble être passée en l’étendue de l’essence de Dieu qui est le fleuve d’où découlent ces mêmes délices. Là-même. Chap. 5.
29. Cela étant ainsi, l’âme jouit de son suprême Bien dans un très simple et tranquille regard et repos, qui ne sait plus ce que c’est que les profondeurs abyssales, faites de Dieu en elle-même en très simple et très profonde nudité et étendue d’elle-même en Dieu. Là-même.
30. Ces âmes ne sont touchées des choses que par dehors et non jamais dans leur fond. Et étant simples, comme elles sont toutes perdues et abîmées en Dieu, rien ne les peut atteindre ni toucher. (83) De plus, telles âmes ne désirent point paraître ni sortir en évidence à elles-mêmes, si elles n’y sont mises et tirées sans elles et sans leur sû, ou si ce n’est qu’elles jugeassent que cela fut pour leur très grande utilité ou nécessité. Comme par exemple il s’est passé un certain temps auquel le premier acte du simple fécond, je dis de la très sainte Trinité, se communiquant à elles en temps ordonné, leur versait ses vérités en l’entendement, auquel temps et durant lesquelles infusions, simplement divinement spéculées en contemplation simple, sous très simples formes, ces âmes pouvaient se sentir obligées de les tirer de ce simple fond pour leur future nécessité. Néanmoins ayant fait perte de tout cela, parce qu’elles se sont écoulées dans ce fond originaire, d’où elles avaient très fécondement flué, elles ne peuvent douter que cela n’ait été fait pour leur entière et totale consommation en ce même simple et vigoureux fond. Il y a une différence presque infinie entre le simplifié au-dehors et le simplifié au-dedans. La simplification du dehors procède toujours d’objets qui sont au-dehors. Au contraire, la vraie simplification du dedans procède toujours des objets intérieurs qui montrent évidemment son simple et intime objet en l’éminence de soi-même, conformément à ce que l’on est.
C’est là que le simple fond du simple créé est reçu par le simple unique incréé, aux embrassements et à la jouissance de l’unité simple et unique par dessus toute fécondité, dedans la quelle toute l’âme vraiment flue fécondement de la simple unité et reflue en la même simple unité par dessus toute fécondité, où elle est toute étendue, perdue, entièrement consommée au (84) repos ineffable de son unique jouissance. Cabinet Mystique, Part. I. Chap. 9.
31. L’Esprit de Dieu dominant une âme l’éloigne autant de toutes multiplicités qu’il est simple et unique en lui-même. C’est assez que lorsque l’âme est totalement consommée en Dieu et de Dieu, par la force de ses divins attouchements, elle soit alors et non plutôt propre pour les choses extérieures et capables d’aller, comme on dit, par le ciel et par la terre. De sorte que ceux-là se trompent beaucoup qui disent que c’est une marque certaine qu’on est bien intérieur quand on est suffisamment attentif à bien faire ses actions extérieures. Règles de conversation pour les personnes spirituelles. N. 77.
32. Quant à l’amour simple et perdu, il est tout réduit, fondu, transfus en une simple force et nudité très abstraite et très pure de l‘esprit, non seulement au plus haut de son essence, mais infiniment au-delà en Dieu même.
Cela se fait et se pratique ainsi fort diversement, sous diverses notions et manifestations, accompagnées pour l’ordinaire de très pénibles morts, qui suppriment jusqu’aux moelles du même esprit. Et dans ces agonies extrêmes, plus il fuit de soi-même, se perdant en Dieu, tant plus sa mort se trouve pénible, angoisseuse et insupportable. Mais c’est en ceci que l’amour se trouve fort (a) comme la mort. Heureux (b) sont ceux qui meurent de ce genre de mort en Dieu, car dès là même ils cessent et se reposent de toutes leurs propres œuvres et Dieu désormais agit et pâtit en eux comme il lui plaît. Lettre 19.
33. La simplicité est une haute et excellente (85) vertu et plus elle est véritablement en un sujet, tant plus est-il abstrait et perdu à tout ce qui est visible, sensible et réfléchi. Lettre 20.
34. Quand je lise vos écrits et les miens et que je vois ce qu’il faut que nous soyons pour ne contrarier aucunement Dieu, je suis totalement confus. Pour faire cela comme il faut, notre pureté devrait être Angélique tant au-dedans qu’au-dehors : au-dedans, en demeurant simples, uniques, également tendus, sans la moindre effusion d’esprit que ce soit. Lettre 21.
35. A peine personne peut-il savoir quelle est la simplicité de l’esprit, sinon celui qui est totalement converti à Dieu en esprit et sans réflexion sur soi. C’est à lui seul que convient l’éminente simplicité en suprême abstraction plus morte que mourante. Le vrai simple n’a rien qui l’arrête au-dehors, et il est divinement prudent, plein de l’éminente science des Saints. Lettre 27.
36. Ordonnez tout l’extérieur par des voies moins multipliées que vous pourrez, car le trop de préceptes et de maximes montre qu’on est empêché au-dehors, ignorant la douce, savoureuse et simple unité au-dedans. Réduisez-vous donc à peu de ces choses qui sont uniques, simples et essentielles, afin que vous puissiez goûter expérimentalement l’excellence des vrais exercices intérieurs en vraie simplicité d’intention. Tant de multiplicités au-dehors sont plutôt cherchées, spéculées et apprises des livres que simples et uniques, et nuisent au vrai recueillement des puissances en l’unité du cœur. Lettre 50.
37. Puisque nous sommes tous deux simples et petits, il faut que nous nous aimions et consolions l’un l’autre, tant de nos prières devant (86) Dieu, que par lettres quelquefois. Lettre 60.
38 Disons encore en peu de mots que la simplicité est une inclination amoureuse en l’âme, élevée plus ou moins hautement et excellemment en Dieu, laquelle inclination l’appelle et l’attire efficacement en son fond qui la produit et tire en même temps toutes ses puissances, tant hautes que basses, pour être toutes recueillies et fondues en lui, en unité et uniformité d’esprit. De la simplicité. Traité 1. N. 3.
39. Le second état de simplicité est encore plus tiré et perdu que le précédent. Car il ne veut pas même réfléchir sur les objets plus simples de l’esprit, pour y raisonner de propos délibéré, si la chose ne nous touche d’office, et l’âme n’en est non plus touchée que de ce qui n’est point.
Le troisième et dernier état de simplicité répond du tout à l’esprit. Il a et fait non seulement tout ce que je viens de dire, mais encore il tient son sujet mort par dessus toute appréhension et connaissance, et il est stable et arrêté à tout endurer d’une très haute et très forte manière, ne sortant jamais de là, pour quoi que ce soit. Sur quoi j’avertis que tout amour simplifie en haut ou en bas degré, selon que l’attrait et l’amour ont été forts à tout unir, tout fondre et tout perdre en Dieu. La-même. N. 4.
40. Les qualités donc essentielles de la simplicité sont 1. Amour et charité en un temps ; 2. Charité simple en un autre ; 3. Lumière et science suffisante à leur état ; 4. Et prudence pour tout juger et ordonner au-dedans et au-dehors, tant pour eux que pour autrui. Quiconque en est là, fait toujours reluire sa charité à tout le (87) monde, au plaisir et contentement de tous.
Les effets de cette charité divine en ses sujets sont voir, sentir et agir simplement, uniquement, essentiellement et d’un seul regard. Elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout, et à tout le reste des divins effets portés au texte de l’Apôtre. (I. Cor. 13.) La-même. N. 8.



LXI. Sortie de soi. Oubli de soi.
On aura la bonté de faire attention à ce que j’ai dit plus haut de la Sortie de soi. Voyez la note sur Explic. Du Cant.Ch. 3. V. 1. Dans l’article de la Présence de Dieu, tome II. Pag. 156.

MOYEN COURT.
Il faut s’oublier soi-même et tout propre intérêt. Chap. 14. N. 2.
Comment passer en Dieu ? Cela ne se peut faire qu’en sortant de nous-mêmes pour nous perdre en lui.

CANTIQUE
Il lui ordonne (a) de sortir. Et d’où ? D’elle même. Comment ? Par le renoncement (88) et par la fidélité à se poursuivre en toutes choses, sans se permettre aucune satisfaction naturelle, et sans prendre vie ni en soi ni en rien de créé. Et pour aller où ? Afin d’entrer en Dieu par un parfait abandon (a) d’elle-même.
Cette sortie de soi-même, par le renoncement continuel de tout propre intérêt et l’exercice intérieur que l’Amant céleste conseille aux âmes qui soupirent après le baiser de la bouche. Chap. I. v. 7.
Cette âme s’oublie de tout intérêt de salut, de perfection, de joie, de consolation, pour ne penser qu’à l’intérêt de son Dieu. Chap. 2. V. 4.
Il la fait sortir d’elle-même par le trépas mystique.
Ma Colombe simple et fidèle, levez-vous, sortez, puisque vous avez toutes les qualités nécessaires pour sortir de vous-même.
Cette sortie est bien différente de celle dont il a été parlé ci-dessus (b), et beaucoup plus avancée, car la première était sortie des satisfactions naturelles, pour ne vouloir plaire qu’à son Bien-aimé, (90) mais celle-ci est une sortie de la possession de soi-même, afin de n’être plus possédée que de Dieu, et que ne s’apercevant plus en elle , elle ne se trouve plus (a) qu’en lui. C’est un transport de la créature dans son origine. La-même. V. 10.
O terre fortunée ! Que ceux qui ont le bonheur de vous posséder sont heureux ! nous sommes tous conjurés avec l’Epouse de sortir de nous-mêmes pour y entrer. La-même. V. 13.
La suprême partie de votre âme est déjà belle et elle a tous les avantages de la beauté : il ne vous manque plus qu’une chose qui est de sortir de vous-même.
Si l’Epoux n’attirait son Amante au-dehors avec tant de force et de douceur, elle ne sortirait jamais d’elle-même. Il semble qu’autant qu’elle s’est trouvée autrefois recueillie et (b) enfoncée au-dedans, autant elle se sent maintenant tirée au-dehors et même avec plus de force, car il (91) faut bien être d’autres forces pour titrer l’âme d’elle-même que pour l’y enfoncer. La douceur qu’elle goûte au-dedans par le recueillement savoureux l’y invite assez. Mais quitter cette douceur du dedans pour ne trouver que des amertumes au-dehors, c’est ce qui est très difficile. Outre que par le recueillement, elle vit et se possède, mais par la sortie d’elle-même, elle meurt et se perd. La-même. V. 14.
Ce n’est plus hors de lui que vous le trouverez. Sortez hors de vous-même au plus vite pour n’être plus qu’en lui, et ce sera là qu’il se laissera trouver. O artifice admirable de l’Epoux ! Lorsqu’il est le plus passionné pour sa Bien-aimée, c’est alors qu’il fuit avec plus de cruauté, mais c’est une cruauté amoureuse, sans laquelle l’âme ne sortirait jamais d’elle-même, et conséquemment ne se perdrait jamais en Dieu. Ch. 3. V. 1.
L’âme s’étant quittée soi-même et ayant outrepassé toutes les créatures, rencontre son Bien-aimé qui se montre à elle avec de nouveaux charmes. La-même. V. 4.
Jésus-Christ invite toutes les âmes intérieures qui sont les filles de Sion à sortir hors d’elles-mêmes et de leur imperfection. La-même. V. 11.
(92)
L’âme étant passée en Dieu par l’heureuse sortie d’elle-même, c’est un repos dont elle ne sera jamais divertie. Chap. 8. V. 4.
L’âme monte peu à peu du désert, car son soi-même est un désert, depuis qu’elle l’a abandonné. Ce n’est plus seulement le désert de la foi, mai c’est le désert d’elle-même. La-même. V. 5.

AUTORITÉS.

St DENIS.
1. quant à nous, après que par des ascensions (a) saintes et spirituelles nous aurons élevé nos yeux vers les archétypes et les originaux de ces mystères, et que nous aurons été saintement instruits de leurs connaissances, alors nous entendrons de quels caractères sont ces impressions. De la Hierarch. Eccles. Ch. 2.
2. Voyez Union n. 10.
3. Voyez Dieu enseigne l’âme. N. 2.
4. Voyez Foi nue. N. 3.
5. Voyez Anéantissement. N. 6.

RUSBROCHE.
6. Voyez Motion divine. N. 4.

L’IMITATION DE JÉSUS-CHRIST.
7. Celui qui aime sincèrement Notre Seigneur Jésus-Christ et sa vérité et qui est vraiment intérieur (93) et dégagé des affections déréglées, n’a point de peine à se donner tout entier à Dieu, et à s’élever en esprit au-dessus de soi-même, pour jouir d’un repos céleste dan la jouissance de son Bien-aimé. Livr. 2. Ch. 1. §. 6.
8. on ne peut arriver à cet état sans une grande grâce qui élève l’âme et qui la transporte au-dessus d’elle. Livr. 3. Ch. 31. §. 2.
9. Mon fils, vous entrerez et vous demeurerez en moi, à proportion (a) que vous pourrez sortir de vous-même. Livr. 3. Ch. 56. §. 1.

Le B. JEAN DE LA CROIX.
10. L’âme rapporte en ce Cantique le moyen et la manière dont elle sortit d’elle-même et de toutes choses, quant à l’affection, mourant par ne vraie mortification à elles toutes et à soi-même, pour avoir le bien de vivre une vie d’amour, douce et savoureuse en Dieu, et dit que cette sortie hors de soi et de toutes choses se fit en une nuit obscure, qu’elle entend ici par la contemplation purgative, comme nous dirons après, laquelle fait renoncer l’âme à soi-même et à toutes choses. Et elle dit ici qu’elle eut pouvoir de faire cette sortie par la force et chaleur que l’amour de son Epoux lui donna pour ce sujet en ladite contemplation obscure, en quoi elle exalte le bonheur qu’elle eut de s’acheminer à Dieu par cette nuit, avec si bon succès, que pas un des trois ennemis, qui sont le Diable, le monde et la chair, lesquels y mettent toujours de l’obstacle, ne l’en purent empêcher, d’autant que ladite nuit de contemplation purifiée fit endormir et mortifier en la maison de sa sensualité, (94) toutes les passions et appétits quant à leurs mouvements contraires. Obscure Nuit, Livre I. Introduction.
11. Cette nuit va tirant l’esprit de son ordinaire et commun sentiment des choses, pour l’élever au sens divin qui est étrange et éloigné de toute manière humaine, de sorte qu’il semble à l’âme quelle marche hors de soi. La-même. Livr. 2. Chap. 9.
12. Voyez Purification. N. 46.
13. Dans les plaies d’amour, il ne peut y avoir de remède sinon de la part de celui qui les a faites. C’est pourquoi l’Epouse sortit, cirant après celui qui l’avait blessée avec la force du feu que cause la palie. Et il faut savoir que cette sortie s’entend de deux façons : l’une est sortant de toutes choses, ce qui se fait les abhorrant et les méprisant ; l’autre est sortant de soi-même par un oubli de soi, ce qui se fait par l’amour de Dieu, lequel élève l’âme de telle manière qu’il al fait sortir de soi et des ses gonds et de sa façon naturelle, criant après Dieu. C’est ce qu’elle entend ici lorsqu’elle dit :
Je sortis après vous, criant.
Comme si elle disait : mon Epoux en ce votre toucher (a) et blessure d’amour, vous avez tiré mon âme non seulement de toutes choses, mais aussi vous l’avez faite sortir de soi, (car à la vérité, il semble qu’il la tire même du corps), et vous l’avez élevée à vous criant et soupirant pour vous, déjà dégagée de tout pour s’attacher toute à vous.
Mais vous alliez toujours fuyant.

(95)
Comme s’elle disait : lorsque je voulais comprendre votre présence, je ne vous ai point trouvé et je me suis vue déprise et dégagée de toutes choses (a) sans être attachée à vous, travaillant et peinant dans l’air d’amour sans l’appui de vous ni de moi. Ce que l’âme appelle ici sortir pour aller à son Bien-aimé, l’Epouse dans le Cantique l’appelle se lever, disant : (b) je me lèverai et j’irai rodant la cité, par les rues et les places, je chercherai celui qu’aime mon âme. Je l’ai cherché et ne l’ai point trouvé. Ici se lever s’entend spirituellement de bas en haut, qui est le même que sortir de soi , c’est-à-dire de sa façon et de l’amour bas au haut et sublime amour de Dieu. Mais elle dit qu’elle demeura blessée, parce qu’elle ne le trouva point. C’est pourquoi celui qui est épris d’amour, souffre toujours pendant l’absence, parce que s’étant déjà livré, il attend de l’ami le paiement du don et de la délivrance qu’il a faite, et néanmoins, on ne le lui donne point. Et s’étant déjà perdu pour lui, il n’a point trouvé le gain désiré de sa perte, puisqu’il est privé de sa possession. Cantique de l’Epouse et l’Epoux, Coupl. I.
14. J’oubliais ce que je savais.
Parce que non seulement l’âme demeure aliénée de tout le monde, mais encore de soi-même, et anéantie et comme fondue en amour, qui consiste à passer de soi en l’Ami. La-même. Coupl. 18.
15. En outre l’âme dit avoir reçu de grandes (96) communications et beaucoup de visites de son Ami, où elle s’est allée perfectionnant et établissant en son amour, de manière que sortant de toutes choses et de soi-même, elle s’est livrée à lui par union d’amour en fiançailles spirituelles où elle a reçu de l’Epoux de grands dons et de riches joyaux. La-même. Coupl. 28.

Le P. JACQUES DE JÉSUS rapporte
16. St Bonaventure. La perfection de la mémoire est que l’homme soit tellement absorbé en Dieu, qu’il oublie toutes choses et soi-même et qu’il repose suavement en Dieu seul. (De l’avancement des Religieux, Livr. I.) Notes sur Jean de la Croix. Disc. 2. §. 7.

St FRANÇOIS DE SALES.
17. Voyez Fonte de l’âme. N. 5.

Le F. JEAN DE SAINT SAMSON.
18. Il est bon de savoir que la nature, même dans les plus avancés, est tellement encline à se rechercher et à se délecter de soi qui si on lui ôte une chose, elle a aussitôt recours à une autre pour s’y reposer et délecter. Que si on lui ôte un objet sensible, elle a aussitôt recours à un objet de l’esprit. Si on lui ôte ceux de l’esprit, elle se servira de Dieu même pour s’y reposer pour elle-même et pour sa satisfaction. On doit prudemment et diligemment examiner ceci pour ne point laisser attacher les personnes spirituelles à elles-mêmes par semblables réflexions, donnant ordre de les tirer de cela et d’elles-mêmes, pour les unir et attacher à Dieu. Esprit du Carmel, Chap. II.
19. Les vrais Contemplatifs sont hors d’eux-mêmes nuement, simplement et totalement fondus en Dieu. Diverses lumière et règles pour les Supérieurs. § De diverses sortes d’abstractions.
20. (97) Je vous dis outre cela, qu’encore par dessus cette adhésion qui vous est perceptible, mais comme hors de vous, il faut que vous viviez là d’une foi très nue. Lettre 45.


Mons. OLIER.
21. Quel montre que l’amour de soi-même, qui veut se voir en tout et qui ne peut souffrir qu’avec grande peine les exercices et les conduites du pur amour, qui tend toujours à Dieu et nous dérobe à nous-mêmes, pour nous porter, nous perdre et nous abîmer dans ce divin Tout ! Lettre 129.
22. Vous dirais-je un mot qui m’est venu dans l’esprit et qui vous paraîtra peut-être un peu sévère ? C’est que Dieu veut porter les âmes de ses fidèles jusqu’à ce point de dénuement, que de les arracher à elles-mêmes, et les tenir suspendues au-dessus de toute propre satisfaction. Il veut qu’elle vivent toujours à lui, et qu’elles le cherchent en pureté, en sainteté et en droiture, sans avoir égard à elles et sans se retourner sur elles-mêmes. Il ne veut point qu’on se voie et qu’on se regarde que pour lui, et il désire qu’on agisse dans cette vue unique de lui plaire en tout. Lettre 143.



(98)


LXII. Souffrance.

MOYEN COURT.
Soyez content de tout ce que Dieu vous fera souffrir. Si vous l’aimez purement, vous ne le rechercherez pas moins en cette vie sur le Calvaire que sur le Thabor. Il faut l’aimer autant sur le Calvaire que sur le Thabor, puisque c’est le lieu où il fait paraître le plus d’amour. Ne faites pas comme ces personnes qui se donnent dans un temps et se reprennent en un autre. Ils se donnent pour être caressés et ils se reprennent lorsqu’ils sont crucifiés, ou bien ils vont chercher dans les créatures leur consolation.
Non, vous ne trouverez point, chères âmes, de consolation que dans l’amour de la croix et dans l’abandon entier. O qui n’a pas le goût de la croix, (a) n’a pas le goût de Dieu ! Il est impossible d’aimer Dieu sans aimer la croix, et un cœur qui a le goût de la Croix, trouve douces, plaisantes et agréables les choses mêmes les plus amères. (b) Une âme affamée trouve douces les choses qui sont amères, parce qu’elle (99) se trouve autant affamée de la Croix qu’elle est affamée de son Dieu. La Croix donne Dieu et Dieu donne la Croix. La marque de l’avancement intérieur est si on avance dans la Croix
L’abandon et la Croix vont de compagnie.
Sitôt que vous sentez quelque chose qui vous répugne et qui vous est proposé (a) comme souffrance, abandonnez-vous à dieu d’abord pour cette même chose et donnez-vous à lui en sacrifice. Vous verrez que lorsque la Croix viendra, elle ne sera plus si pesante, parce que vous l’aurez bien voulue. Ce qui n’empêche pas qu’on n’en sente le poids. Quelques-uns s’imaginent que ce n’est pas souffrir que de sentir la Croix. Sentir la souffrance est une des principales parties de la souffrance même. Jésus-Christ en a voulu souffrir toute la rigueur.
(100)
Souvent on porte la Croix avec faiblesse, d’autrefois avec force : tout doit être égal dans la volonté de Dieu. Ch. 7.

CANTIQUE.
Il est à moi, dit l’Amante je ne puis douter qu’il ne se donne à moi dans ce moment puisque je le sens. Mais il est à moi comme un bouquet de myrrhe. Il ne l’est pas encore comme un Epoux, que je doive embrasser dans son lit nuptial, mais seulement comme un bouquet de croix, de peines et de mortifications, comme un (a) Epoux de sang et un Amant crucifié, qui veut éprouver ma fidélité en donnant part à ses souffrances, car c’est ce qu’il donne alors à cette âme-là.
Pour marquer néanmoins l’avancement de cette âme déjà héroïque, elle ne dit pas : Mon Bien-aimé me donnera le bouquet de la Croix, mais il fera lui-même ce bouquet, car toutes mes croix seront celles de mon Bien-aimé. Le bouquet sera entre mes mamelles, pour marque qu’il me doit être un Epoux d’amertumes, aussi bien pour le dehors que pour le dedans. Les croix extérieures sont peu de chose, quand elles (101) ne sont pas accompagnées des intérieures. Et les intérieures sont rendues beaucoup plus douloureuses par l’union des extérieures. Mais quoique l’âme n’aperçoive que la croix de toutes parts, c’est pourtant son Bien-aimé qui est lui-même cette croix, et il ne lui fut jamais plus présent que dans ces amertumes, pendant lesquelles il demeure au milieu de son cœur. Chap. I. v. 12.
O Dieu, vous reprenez agréablement votre Epouse de ce qu’elle voulait sitôt se reposer dans un lit bien fleuri, avant que de s’être reposée comme sur le lit douloureux de la Croix. Je suis moi-même, dites-vous, la fleur du champ. Une fleur que vous ne cueillerez pas dans le repos du lit, mais dans le champ de combat, de travail et de souffrance. Il faut que vous entriez dans le combat et abs la souffrance. Ch. 2. V. 1.
Son fruit, qui est la Croix, la douleur et l’abjection, est doux à ma bouche. Il n’est pas doux à la bouche de la chair, car la partie inférieure le trouve âpre et bien rude, mais il est doux à la bouche du cour après que je l’ai avalé et pour moi qui a le goût de mon Bien-aimé, il est préférable à tous les autres goûts. La-même. V. 3.( $$$$$)
Cette âme ne pense plus à jouir de ses (102) embrassements, mais à souffrir pour lui. V. 4.
Il est incroyable combien il faut que ces âmes dévorent de croix, d’opprobres et de renversements. Chap. 3. V. 10.
Je m’en irai sur la montagne de la myrrhe, parce que vous ne me trouverez plus que dans l’amertume et dans la croix. Ce sera néanmoins pour moi une montagne d’une odeur très agréable, puisque l’odeur de vos souffrances montera vers moi comme un encens, et ce sera par elles que je prendrai mon repos en vous. Chapitre 4. V. 6.
J’ai recueilli ma myrrhe, dit l’Epoux, mais c’est pour vous, ô mon Epouse, car c’est votre met qui n’est que d’amertume, parce qu’il y a toujours à souffrir dans cette vie mortelle. Cette myrrhe pourtant n’est jamais seule, elle est toujours accompagnées de senteurs très agréables. L’odeur est pour l’Epoux et la myrrhe amère est pour l’Epouse.
Ce divin Sauveur y invite tous ses Elus qui ont envie de se nourrir comme lui de souffrances, d’opprobres et d’ignominies, de l’amour de ses exemples et de sa pure doctrine qui sera pour eux un vin et un lait délicieux. Ch. 5. V. 1.
Je viens à vous de la sorte, afin de vous faire part de mes opprobres, de mes (103) ignominies et de mes confusions. Jusqu’à présent vous avez eu part à l’amertume de ma croix, mais vous n’avez pas eu part à l’ignominie et à la confusion de ma croix. L’un est bien différent de l’autre, vous allez faire une expérience terrible. La-même. V. 2.
L’Epouse voyant que l’Epoux parle de lui faire part de ses ignominies , craint beaucoup et autant qu’elle a été courageuse et intrépide à accepter la croix, autant a-t-elle de peur de l’abjection dont elle est menacée. Plusieurs veulent bien porter la Croix, mais il n’y a presque personne qui veuille porter l’infamie de la croix. La-même. V. 3.
Plus cette âme est pressée et opprimée par la persécution, plus elle se communique et est bienfaisante à ceux-même qui lui font du mal. Ch. 7. V. 7. 

AUTORITÉS.

On a vu dans ce que j’ai écrit sur la Purification tant de souffrances intérieures, et même extérieures, qu’il en reste peu de chose à dire.

L’IMITATION DE JÉSUS-CHRIST.
1. Nul ne sera propre à comprendre les choses du ciel s’il ne se soumet à souffrir pour Jésus-Christ les maux de ce monde. Rien ne nous sera plus salutaire et plus agréable à Dieu (104) que de souffrir de la sorte, vous devriez plutôt souhaiter d’être affligés pour Jésus-Christ, que d’être comblé de consolations, parce que vous deviendriez ainsi plus semblable au Sauveur et à tous les Saints. Livr. 2. Chap. 12. §. 14.

Ste THÉRÈSE.
2. De là procède la force pour souffrir les persécutions et ce sont là les pommes dont parle aussitôt l’Epouse : (a) Fortifiez-moi avec des pommes, comme si elle disait : donnez-moi, Seigneur, des travaux et des persécutions. Et véritablement, elle les désire, et la chose effectivement lui succède car n’ayant point d’autre pensée que de contenter Dieu,sans avoir aucun égard à son propre contentement, son goût est d’imiter en quelque chose la très pénible vie de Jésus-Christ. Or le pommier, j’entends ici, l’arbre de la croix, parce qu’il est dit dans un autre lieu des Cantiques : Dessous l’arbre du pommier, je t’ai ressuscitée. (b). Et l’âme qui est environnée de croix et de travaux est dans l’attente d’un grand remède. Elle n’est pas si ordinairement jouissante du contentement de la contemplation, elle a une singulière délectation à souffrir sans que l’exercice de la vertu consume et détruise ses forces, comme le fait la suspension des puissances dans la contemplation, si elle est bien ordinaire. Conception de l’âme de Dieu. Chap. 7.

Le B. JEAN DE LA CROIX.

3. Qui m’avez en ce deuil laissée.
Il faut remarquer que l’absence du Bien-aimé cause un gémissement continuel en l’amant, (105) car n’aimant rien que lui, il ne trouve e rien du repos et du soulagement : c’est où l’on connaîtra celui qui aime véritablement Dieu, s’il se contente de quelque chose qui soit moins que Dieu. (a) St Paul donna bien à entendre ce gémissement, disant : (b) nous pleurons en nous-mêmes, attendant l’adoption des enfants de Dieu. C’est là le gémissement que l’âme a en ressentant l’absence de l’Ami, principalement lorsqu’ayant goûté quelque douce et savoureuse communication, elle demeure aride et seule.
Vous fuyez m’ayant bien blessée.
Comme si elle disait : je n’avais donc pas assez de la douleur et de la peine, que je souffre ordinairement en votre absence, sans que vous me perçassiez du trait de votre amour, augmentant le désir de votre vue, (c) et fuyant avec la vitesse d’un cerf, sans vous laisser tant soit peu comprendre. Cantique entre l’Epouse et l’Epoux. Coupl. 1.
4.Voyez Sortie de soi. n. 13.
5. Il semble à celui qui se donne à Dieu que le monde se représente à lui en l’imagination, comme les bêtes sauvages lui faisant de rudes menaces, et principalement en trois manières : la première que la saveur du monde lui manquera, les amis, le crédit, et même les biens. La seconde est une autre non moins cruelle, à savoir comment il pourra souffrir de n’avoir jamais de plaisir ni de contentement du monde et d’être privé de toutes ses caresses, attraits, et douceurs. La troisième est encore pire, savoir que (106) les langues s’élèveront contre lui, et en doivent faire un objet et sujet de risée. Bref, que chacun le montrera au doigt et l’aura en mépris. Lesquelles choses sont tellement représentées à quelques âmes qu’il leur est difficile, non seulement de résister à ces bêtes, mais même de commencer et d’avancer d’un pas. Or il y a d’autres âmes plus généreuses, auxquelles se présentent d’autres bêtes qui sont plus intérieures et spirituelles, savoir des difficultés et des tentations, des tribulations et des travaux de plusieurs sortes, que Dieu envoie et permet que souffrent ceux q’il veut éprouver comme l’or en al fournaise, selon le dire de David (a) : Les tribulations des justes sont en grand nombre.
L’âme appelle les diables, qui sont le second ennemi, des forts, d’autant qu’ils tâchent avec beaucoup de force de lui couper le passage de ce chemin et parce qu’aussi leurs tentations et leurs artifices et embûches sont plus difficiles à vaincre et à découvrir que celles du monde et de la chair, joint aussi qu’ils prennent escorte et renfort des deux autres ennemis, le monde et la chair, pour faire une cruelle et forte guerre à l’âme. D’où vient que David dit (b) : Et les forts ont cherché mon âme, de la force desquels Job aussi parle en ces termes (c) : il n’y a point de puissance sur la terre qui lui soit comparable, lui qui a été fait de telle sorte qu’il ne craignit personne. Cela s’entend qu’il n’y a point de pouvoir humain approchant du sien, et ainsi le seul pouvoir divin est capable de le vaincre et la seule lumière divine capable de connaître et de découvrir (107) ses menées. C’est pourquoi l’âme qui aura à vaincre sa force, ne le pourra sans oraison et ne pourra aussi éventer ses ruses et ses tromperies sans humilité et mortification. Car pour ce sujet, St Paul dit ces mots d’avis aux fidèles : (a) Revêtez-vous des armes de Dieu, afin que vous puissiez résister aux aguets du Diable, parce que nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, entendant par le sang le monde, et par les armes de Dieu, l’oraison et la croix de Jésus-Christ, en quoi gît l’humilité et la mortification que nous avons dit. La-même, coupl. 3.

Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA
rapporte
6. Denis le Chartreux. Que l’homme spirituel n’ait point d’affection désordonnée ou immodérée à aucune chose créée, qu’il n’ait nulle délectation déréglée aux choses caduques, ni une crainte superflue de les perdre, ni une douleur excessive de leur perte, ni un désir démesuré pour les avoir. Que même il ne soit point affectionné à la renommée, ou à la gloire et à l’honneur vain et temporel, et ne se soucie ou s’attriste avec excès de son infamie et de son mépris, mais plutôt qu’il s’en réjouisse. (De la vie des Recluses, Art. 14.) Eclairciss. Des phrases Mystiques de J. de la Croix. Part. II. Chap. 12. §. 3.

Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
7. S’il se trouvait quelqu’un si fidèle à son devoir qu’il eut entièrement passé la région des mourants, en sorte que les profondes et continuelles morts lui eussent admirablement supprimé toute (108) sa propre vie dans le feu de l’amour et dans la cuisante et consommante tribulation, tant d’esprit que de corps, ô Dieu qu’il serait excellent. Mais c’est chose si rare à trouver en ce siècle qu’à peine en connaît-on un seul. Il n’y personne qui se veuille cacher. Tout homme veut paraître, non ce qu’il est, mais ce qu’il n’est pas, et être estimé et réputé saint. Et ce que les hommes ont reçu de Dieu pour le pouvoir aimer tourne à leur confusion et à leur dommage éternel.
Sans doute le sentiment amoureux et même le goût éternel, si ravissant qu’il puisse être, n’est point le vrai amour. Les pécheurs (a) même, que Dieu veut tirer à lui, en sont quelquefois si pleins (109) qu’ils semblent en regorger, encore qu’ils soient en péché mortel. C’est en la souffrance, c’est en la croix volontaire, c’est en la pratique des vertus aux occasions, c’est en profonde humilité et dans le mépris et abjection de soi-même, c’est en l’éternelle pauvreté d’esprit en (110) suprême degré, c’est enfin en l’amour nu que consiste le pur, parfait et essentiel amour et la vraie sainteté, telle qu’elle doit être exercée en cette vie à l’éternelle suite de Notre Seigneur mourant tout nu sur la croix pour notre amour.
Je le dis encore une fois, s’il se trouvait quelqu’un qui ne fût autre chose en pratique que l’amour mourant, ce serait un Phénix entre les hommes. Peut-être y en-a-t-il mais croyez-moi qu’on ne les connaît plus. Tandis qu’un homme (b) ne s’excédera point, il s’affranchira toujours de la Croix, pour vivre à la satisfaction de ses sens. Plusieurs même que l’ont croit excellents sont vaincus à ce point et se couvrent en cela de la volonté de Dieu. Chose qui ne se peut assez déplorer. N’être véritable que jusqu’à un certain terme, (111) c’est ne rien faire. Il faut tout donner et toujours rendre la vie en cette agonie, sans espoir d’aucune allégeance et consolation. Et si les Saints n’eussent ainsi éternellement agonisé, Dieu ne serait pas si glorieux en eux, ni eux en lui. Celui qui ne se rassasie jamais des souffrances et des angoisses, dans leur abondance et dans leur durée, est très saint et partant est très merveilleux entre les hommes, c’est ce que je n’ai encore guère connu entre les vivants. Il est vrai que c’est assez à un corps faible d’endurer ce qu’il peut, et le peu en ce sens, même le désir dans les Saints, est réputé pour le tout. Mais il faut de nécessité que l’esprit soit infiniment fort pour n’être jamais ébranlé, ni touché des désordres et des calomnies dont les vrais Saints sont souvent persécutés à tort et sans cause, quoique ceux qui les traitent ainsi le fassent ignoramment et avec la meilleure intention, ce leur semble. Esprit du Carmel Ch. 6.
8. Ils ont encore assez à faire et à souffrir, tant de la part d’eux-mêmes que des créatures, et ils reçoivent et soutiennent en toute humilité, patience, force et joie d’esprit, autant qu’il leur est possible, tout ce qu’il leur arrive de fâcheux, non comme venant de la main des créatures, mais purement de la libérale main de Dieu et comme les effets de son amour infini. La-même. Ch. 9. §. 18.
9. C’est pourquoi la fidélité de l’Epouse est parfaitement éprouvée, car se montrant généreuse et constante à souffrir l’absence de son Bien-aimé, elle pâtit extrêmement, ne cherchant, comme j’ai dit, consolation ni au-dehors ni au-dedans (112) ni directement ni indirectement. elle ne se console que de ses propres désolations, de ses et de ses gémissements plus amoureux, par lesquels elle exprime à son Epoux comme elle peut ses regrets tristes, lamentables et angoisseux, si toutefois il lui reste quelque respir actif pour cela. Sinon elle se plaint encore plus douloureusement dans sa totale suspension dans ses souffrances, angoisses et langueurs mortelles, par le continuel regard de son esprit vers son Epoux. L’Epouse, dis-je, souffre plus ainsi qu’on ne peut exprimer, étant en cette manière attentive et arrêtée au regard de son Epoux, sans qu’elle y pense, pendant que l’action de ses puissances est totalement suspendue. Car encore qu’elle ait souvent expérimenté les rigueurs de l’absence de son Epoux dans les précédents moyens et de grâce et d’amour, celui-ci toutefois est beaucoup plus pénible. Il lui semble ici qu’elle est toute nouvelle et sans expérience en matière de souffrance, à cause des effets rigoureux qu’elle ressent, tout autres que les précédents. Et elle ne sait, par manière de dire, si elle est morte ou vive, ni si elle est à elle ou à son Epoux. L’unique consolation qu’elle a, c’est qu’aucune créature ne la peut consoler dans la perte qu’elle pense avoir faite. Esprit du Carmel. Ch. 15.
10. C’est à cette perfection qu’il faut parvenir avec un ardent désir et y étant parvenus, il faut y demeurer pour conformer pleinement notre vie à celle de Notre Sauveur. Or pour faire cela comme il faut, rien n’est tant à désirer que (113) la tranquille souffrance. Car en cela consiste la pleine félicité des amoureux esprits en cette présente vie, de souffrir cette amoureuse guerre, et la soutenir en pleine paix de cœur et d’esprit, et en très grandes délices. Ce qui toutefois ne sera pas plutôt, qu’on ne soit mort à toutes choses par dedans. Car pendant qu’on sent de la répugnance à quelque chose, c’est une marque que le cœur n’est pas entièrement plein de Dieu, ni l’esprit entièrement assujetti à sa Majesté. Il faut donc toujours mourir à ses répugnances, et si elles durent toute la vie, il faut les supporter allégrement et arrêter là. Cabinet Mystique. P. 1.ch. I.

LXIII. Transformation.

CANTIQUE.

Dieu étant notre dernière fin, l’âme peut sans cesse s’écouler dans lui comme dans son terme et son centre et y être mêlée et transformée sans en ressortir jamais. Ainsi qu’un fleuve, qui est une eau sortie de la mer, et très distincte de la mer, se trouvant hors de son origine, tâche par diverses agitations de se rapprocher de la mer, jusqu’à ce qu’y étant enfin retombé, il se perde et se mélange avec elle, ainsi qu’il y était perdu et mêlé avant que d’en sortir. (114) C’est ce mélange que St Paul appelle (a) transformation, et Jésus-Christ (b) unité, mêmeté et consommation.
Or cela se fait lorsque l’âme perd sa propre consistance pour ne subsister qu’en Dieu. Chap. I. v. 1.
Il faut savoir que l’âme quoiqu’arrivée en Dieu, s’élève peu à peu et se perfectionne dans cette vie divine, jusqu’à ce qu’elle arrive au séjour éternel. Elle s’élève en Dieu insensiblement, comme l’aurore, jusqu’à ce qu’elle vienne à son jour parfait et son midi consommé qui est la gloire du Ciel. Chap. 6. v. 9.
L’Epouse ne craint plus de perdre Dieu, puisqu’elle est non seulement unie, mais changée en lui. Chap. 7. v. 11.
L’Amante demande que son union s’enfonce davantage. Quoique l’âme transformée soit dans une union permanente et durable, elle est néanmoins comme une Epouse qui s’applique aux besoins de sa maison et qui a beau aller et venir sans qu’elle cesse d’être Epouse.
Elle demande de plus une autre grâce qui ne s’accorde que plus tard, et c’est que le dehors soit transformé et changé comme le dedans : car le dedans est longtemps transformé (115) avant que tout le dehors soit changé. En sorte qu’il reste durant quelques temps certaines faiblesses légères qui servent à couvrir la grandeur de la grâce et qui ne déplaisent pas à l’Epoux. Cependant elles sont une espèce de faiblesse qui attire en quelque sorte le mépris des créatures. Qu’il me transforme donc, dit-elle, par dehors, afin que personne ne me méprise plus. Chap. 8. v. 14.

AUTORITÉS

St DENIS
1.Voyez Consistance. N. 1.

St AUGUSTIN
2. Que si l’homme pendant qu’il est encore dans la carrière de cette vie, (a) travaille à combattre ses passions et ses désirs déréglés à qui il a donné des armes contre lui-même en se laissant aller au plaisir de jouir des choses passagères, et que mettant sa confiance dans le secours de la grâce de son Dieu, il vienne à bout de les vaincre, étant d’ailleurs fidèle à le servir avec un esprit pur et droit, il sera indubitablement renouvelé et réformé par cette Sagesse incréée dont toutes choses tiennent leurs formes et leur perfection aussi bien que le premier degré de l’être, et passant de la (116) multiplicité des biens (a) périssables et sujets à changer à la simplicité du seul bien immuable, il arrivera à la jouissance (b) de Dieu même par le St Esprit qui est le don de Dieu.
Voilà de quelle manière l’homme de charnel qu’il était devient spirituel et se trouve en état (c) de juger de tout, sans pouvoir être jugé de personne, aimant son Seigneur et son Dieu de tout son cour, de toute son âme et de tout son esprit et son prochain comme lui-même, c’est-à-dire d’un amour pur et qui ne tient rien de la chair et du sang, comme nous devons nous aimer nous-mêmes. De la véritable Religion. Chap. 12.
3. les Anges et les Bienheureux, toutes les substances intellectuelles, ne peuvent avoir de bonheur et de perfection que de Dieu, de sorte qu’elles (d) ne sont heureuses qu’autant qu’elles le connaissent, ni parfaites qu’autant qu’elles se portent par leur amour vers ce premier principe de toutes choses.
(*) Il faut donc que la religion (e) nous (117) lie et nous unisse au seul Dieu tout-puissant et qu’elle nous y unisse (a) immédiatement et sans l’entremise d’aucune créature, que cette lumière intérieure qui nous fait connaître le Père se communique à nos âmes et comme cette lumière n’est autre chose que la vérité éternelle, adorons aussi dans le Père et avec le Père cette vérité qui l’exprimait parfaitement et sans aucune différence, est la forme et le modèle de toutes les créatures, puisqu’il n’y en a aucune qui ne vienne de l’unité. Ce qui fait voir clairement à ceux qui ont les yeux de l’esprit ouverts que toutes choses ont été faites par cette forme primitive qui seule exprime parfaitement ce que toutes les autres choses cherchent et imitent en quelque manière.
Adorons donc cette Ste Trinité d’une seule et même substance : c’est l’unique Dieu en qui se trouve le principe qui nous a fait, et le don ineffable par lequel il nous conserve et nous fait subsister. Ce Dieu que nous avions abandonné et de qui nous avions perdu la ressemblance et qui n’a pas voulu nous laisser périr. Ce principe vers lequel nous retournons, ce modèle que nous suivons et auquel notre renouvellement nous rend conformes, et cette bonté, source de toute grâce qui opère notre réconciliation, ce Dieu souverainement bon, qui est l’auteur de notre être, cette (b) ressemblance (118)substantielle du Père, par laquelle l’image (a) de cette souveraine unité se retrace en nous, et cette (b) paix éternelle qui nous tient unis à Dieu, qui n’a eu qu’à parler pour faire tout ce qu’il y a de natures et de substances. Cette Parole éternelle par laquelle il les a faites, ce don ineffable de sa bonté qui a fait que les créatures qu’il a tirées du néant par sa parole ont trouvé grâce devant ses yeux et qu’il a bien voulu ne les pas laisser périr entièrement, cet unique Dieu qui comme Créateur nous a donné l’être et la vie, qui comme Réparateur nous a fait entrer par le renouvellement qu’il fait en nous, dans une vie conforme aux règles de la véritable (c) Sagesse, qui comme Sanctificateur nous fait arriver à la vie bienheureuse(d) en nous communiquant son amour et en nous faisant jouir de lui, enfin cet unique Dieu de qui, par qui et en qui sont toutes choses : à lui soit honneur et gloire dans tous les siècles des siècles (e) Ainsi soit-il. La-même. Chap. 55.
(119)
4. Vouloir être heureux, c’est chercher Dieu, et l’être effectivement, c’est l’avoir trouvé et le posséder. Or le chercher, c’est (a)l’aimer, et le posséder, ce n’est pas être transformer et comme fondu en sa substance, en sorte qu’on ne soit plus qu’une même chose avec (120)lui ; c’est être près de lui jusqu’à le toucher, mais d’une manière ineffable que la seule (121) intelligence peut concevoir, en sorte qu’on soit non seulement éclairé, mais environné et pénétré (122) de sa vérité et de sa sainteté infinie, car il est la lumière par essence et toute l’excellence de notre nature ne consiste qu’en ce que nous sommes capables d’en être éclairés.
Or si la souveraine félicité n’est autre chose que la possession de Dieu, il s’ensuit que le plus important des commandements, et qui nous conduits le plus sûrement à cette félicité, c’est sans doute celui qui nous ordonne d’aimer (a) le Seigneur notre Dieu (b) de tout notre cœur, de toute note âme et de tout notre esprit (a) (123) Et c’est ce qui résulte de ce que dit St (125) Paul, (a) que tout tourne en bien à ceux qui l’aiment, et il ajoute un peu plus bas, (126) que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni les vertus, ni les maux présents, ni les biens à venir, ni ce qu’il y a de plus élevé ou de plus profond, ni aucune créature ne sauraient nous séparer de l’amour de Dieu qui nous est communiqué par Jésus-Christ Notre Seigneur.
Il ne faut donc qu’avoir compris ce que nous venons d’établir, et en être bien persuadé, pour voir clairement que s’il est vrai, comme nous n’en saurions douter, que tout tourne en bien à ceux qui aiment Dieu, il est donc ce qu’il y a de meilleur pour nous, c’est-à-dire qu’il est le Souverain Bien, à l’acquisition duquel nous devons travailler avec un empressement qui nous fasse mépriser tous les autres, et à qui tout le monde convient que tout notre amour est dû. Aussi nous ordonne-t-il non seulement de l’aimer, mais de l’aimer de telle sorte que nous aimions nulle autre chose.
Car c’est ce que l’Ecriture nous veut faire entendre quand elle nous ordonne de l’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Et s’il est vrai d’ailleurs, comme nous n’en saurions douter non plus, qu’il n’y a rien qui nous puisse séparer de l’amour de Dieu, ni par conséquent nous le (a) faire perdre, n’est-il pas plus clair que le jour qu’il est le plus solide et le lus assuré, aussi bien le plus grand et le plus excellent de tous les biens ? (b) Comment pourrait-on nous séparer de l’amour de ce Bien ineffable, (127) en nous menaçant de la mort, puisque la partie de nous-même par où nous l’aimons ne saurait mourir qu’en cessant de l’aimer ? Car la mort de l’âme n’est autre chose que l’extinction de l’amour de Dieu en elle, et (a) cet amour s’éteint dès qu’elle aime quelque chose plus que Dieu, c’est-à-dire, dès qu’elle cherche quelque autre bien préférablement à celui-là.
Comment pourrait-on nous en séparer par la promesse de la vie, puisque ce serait comme sien nous promettant de l’eau, no nous séparait de la source ? Comment les Anges pourraient-ils nous en séparer, puisque (b) la force d’une âme qui est unie à Dieu n’est point inférieure à celle des Anges (c) ?
Comment les vertus le pourraient-elles, puisque si on entend par ce mot-là quoique ce puisse être, de ce qui peut quelque chose dans l’Univers, l’union d’une âme avec Dieu l’élève au-dessus de l’Univers ? Ou si on entend par le mot de (128) vertus les dispositions de l’âme qui en font la rectitude et la perfection, tant s’en faut que les vertus nous puissent séparer de Dieu, que si elles sont dans les autres, elles nous sont un secours pour nous unir à lui ; que si elles sont en nous, c’est par elles que nous sommes (a) unis à Dieu.
Comment les maux pourraient-ils nous en séparer, puisqu’ils nous sont d’autant moins sensibles (b) que nous sommes plus unis à celui dont ils semblent nous vouloir séparer ?
Comment les promesses de quelque bien à venir pourraient-elles nous séparer de Dieu ? Puisqu’il n’y a de promesses solides et sûres que les siennes, ni de biens véritables que ceux qu’il nous promet, qu’il est lui-même le plus grand de tous les biens et qu’il est même déjà (c) présent à ceux qui lui sont unis de la manière dont on doit l’être ?
(129)
Comment ce qu’il y a de plus élevé et de plus profond pourrait-il nous séparer de Dieu, puisque si on entend par ces mots, la sublimité ou la profondeur de la science, je sais que la curiosité est une des choses que je dois éviter pour ne me point séparer de Dieu ; qu’en vain les plus savants hommes s’efforcent de m’en séparer, sous prétexte de me tirer de l’erreur, puisque je sais que (a) personne n’est dans l’erreur que pour être séparé de lui ? Que si on entend par ces mots-là le ciel et l’enfer, comment la promesse du ciel ou la crainte de l’enfer pourraient-elles me séparer de Dieu, puisque je sais que le ciel est son ouvrage, et que si je n’étais point séparé de lui, je n’aurais rien à craindre de l’enfer ?
Enfin en quelque lieu qu’on me mette, comment pourrait-on me séparer de Dieu puisqu’il est partout ? Ce qui ne pourrait être, si quelque sorte d’espace ou de lieu pouvait le renfermer ou le contenir. Des mœurs de l’Eglise. Chap. II.

RUSBROCHE.
5. Nous passons de clarté en clarté, et par la lumière créée de la grâce divine, nous sommes élevés dans la lumière incréée qui est Dieu même. Nous sommes introduits et transformés en notre éternelle image qui est la Sainte Trinité. Là le Père nous trouve et nous aime en son Fils. Le Fils nous trouve et nous aime du même amour en son Père. Le Père et le Fils nous embrasse dans l’unité (130) du Saint Esprit. Des sept gardes.Chapitre 17.
6. Voyez Opérations propres. n. 6.

HARPHIUS.
7. Cette déification est au-dessus de toute raison, et n’est connue que de l’expérience. La raison se peut tromper aisément dans ces choses qui sont au-dessus d’elle, mais celui qui est pleinement éclairé de Dieu trouve et possède la vérité sans fausseté et sans erreur.Théol. Mystique. Livre. 3. Chap. 24.

Ste CATHERINE DE GÊNES.
8. Je ne vois plus d’union, parce que je ne puis plus voir autre chose que Dieu seul sans moi. Je ne sais où je suis, ni ne cherche pas à le savoir, ni n’en veux avoir de nouvelles. Je suis aussi noyée dans la source de l’amour et dans ce doux feu qui surpasse toute mesure, comme si j’étais abîmée (a) dans la mer sans pouvoir ni voir ni sentir que l’eau. En sorte que je ne puis plus comprendre autre chose que tout amour, qui me fait fondre toutes les moelles de l’âme et du corps. En sa Vie. Chapitre. 22.
9. Voyez Anéantissement. N. 12.
10. Voyez Création. N. 5.

Le B. JEAN DE LA CROIX.
11. Comme cette transformation et union ne peut tomber dans le sens et habileté humaine, il faut que l’âme se dénue parfaitement et volontairement de tout ce qui peut être en elle. Je dis d’affection et de volonté, en ce qui est de sa part, car qui empêchera Dieu de faire ce qui lui plaira en une âme résignée, dénuée et anéantie. Montée du Mont Carmel. Livre. II. Chap. 4.
12. D’où vient que Dieu se communique plus à l’âme qui est avantagée en amour, ce qui consiste à avoir sa volonté plus conforme à celle de Dieu, et celle qui l’a du tout conforme et semblable est totalement unie et transformée en Dieu surnaturellement. La-même. Ch. 5.
13. Dieu enflamme la volonté avec l’amour divin de manière que la volonté ne soit plus que divine, n’aimant pas moins que divinement, faite et unie en un avec l’amour et la volonté divine. Et la mémoire pareillement, comme aussi les affections et les appétits sont tous changés selon Dieu divinement, et ainsi cette âme sera toute céleste et plus divine qu’humaine. Obscure Nuit. Livre 2. Chapitre 13.
14. Or sur ce crayon de la foi, il y a un autre crayon d’amour en l’âme de l’amant qui est selon la volonté en laquelle la figure de l’ami se crayonne de telle manière et se dépeint en elle si conjointement et si vivement quand il y a union d’amour, qu’il est vrai de (132) dire que l’ami vit en l’amant et l’amant en l’ami. Et l’amour fait une telle sorte de ressemblance en la transformation des aimés qu’on peut dire que chacun est l’autre et que tous deux font un. La raison est parce qu’en l’union et la transformation d’amour, l’un donne possession de soi à l’autre et chacun se laisse, se donne et s’échange pour l’autre. Et ainsi chacun vit en l’autre, et l’un et l’autre, et les deux sont un par transformation d’amour. Cantique entre l’Epouse et l’Epoux. Couplet 12.
15. Voyez Mariage spirituel. N. 6.
16. L’âme étant sortie de tout, se transforme en Dieu qui est celui qu’elle appelle ici jardin pour le lieu suave et délectable que l’âme trouve ne lui. (*) Or on n’arrive point à ce jardin de pleine transformation, lequel est déjà joie, délectation et gloire de mariage spirituel, sans passer premièrement par les fiançailles et par l’amour loyal et commun des fiancés. D’autant qu’après que l’âme a été quelque temps fiancés en un entier et suave amour avec le Fils de Dieu, après le même Seigneur l’appelle et la met en ce jardin fleuri pour consommer avec lui ce très heureux état de mariage, où il se fait une telle union des deux natures, et une telle communication de la divine à l’humaine, que, pas une ne changeant son être, chacun semble être Dieu, encore que pendant cette vie, cela ne puisse être parfaitement, bien que ce soit au-dessus de tout ce qu’on peut dire et penser. Elle jouit d’une délectation de gloire de Dieu en la substance de l’âme déjà transformée en lui. La-même. Couplet. 28.
(133)
17. Nous entrerons dans ces celliers.
C’est autant que si l’âme disait : là nous nous transformerons en transformation de nouvelles notices et de nouveaux actes et communication de l’amour. Car encore que l’âme, lorsqu’elle dit cela soit déjà transformée, à cause de l’état susdit, cela n’empêche pas néanmoins quelle ne puisse avoir de nouvelles illustrations et transformations, de nouvelles connaissances et lumières divines. Au contraire, il y a des illuminations très fréquentes de nouveaux mystères que Dieu communique à l’âme en la communication perpétuelle qui est entre lui et l’âme. Oui même il lui communique cela en soi-même et elle entre comme de nouveau en Dieu, selon la notice de ces mystères qu’elle connaît en lui et en cette connaissance de nouveau elle l’aime hautement et très étroitement, se transformant en lui selon ces nouvelles notices. Et la saveur et délectation qu’aussi elle reçoit pour lors de nouveau est totalement ineffable. La-même Couplet 37.
18. Voyez Mariage Spirituel. n.9.
19. Voyez Création. n.11.
20. Voyez Communication §. I . n.2.
21. Voyez Entendre. n.21.
22. En cet état cette liaison paraît une toile si déliée, à cause qu’elle est déjà fort spiritualisée, illustrée, affinée ou subtilisée, que la Divinité ne laisse pas de luire au travers, et comme l’âme sent la force de l’autre vie, elle voit la faiblesse de celle-ci et la toile lui semble très délicate, et même une toile d’araignée. Et encire est-elle bien moindre aux yeux de l’âme qui est déjà si agrandie. Car étant élevée à une manière divine (134) de sentir, elle sent et juge les choses à la façon de Dieu devant lequel, comme dit le Prophète (a) mille ans sont comme le jour d’hier qui est passé, et selon Isaïe (b) tous les peuples sont comme s’ils n’étaient point. Et tout est devant l’âme en ce prix et en cette estime, parce que toutes choses ne lui font rien, et elle encore à ses yeux n’est rien, Dieu seulement lui est toutes choses.
Dieu, pour la consommer et élever davantage de la chair, fait en elle des investitures glorieuses et divines, à guise et forme de rencontres qui le sont véritablement, par lesquels il pénètre toujours, déifiant la substance de l’âme et la rendant comme divine. En quoi l’être de Dieu absorbe l’âme, tout ainsi qu’il l’a rencontrée et transpercée vivement au St Esprit, duquel les communications sont impétueuses quand elles sont fervents, comme celle-là l’est, en laquelle, parce que l’âme goûte vivement de Dieu , elle l’appelle douce, non parce que les autres attouchements et rencontres qu’elle reçoit en cet état ne soient doux et savoureux, mais à cause de l’éminence que ce rencontre a pardessus tous les autres.


23. Voyez Sentiments. n.5.
24. Voyez Union. n.58.
25. Voyez Communication. §. I. n.4.
26. C’est un don mystique et affectif de l’âme à Dieu, car il lui semble véritablement que Dieu est sien et qu’elle le possède comme enfant adoptif de Dieu, avec propriété de droit, par la grâce que Dieu lui a fait de soi-même. Elle le donne donc à son Bien-aimé, qui est le (135) même Dieu qui s’est donné à elle. En quoi elle paye tout ce qu’elle doit, car de la volonté elle lui en donne tout autant avec plaisir et joie inestimable, donnant le St Esprit chose sienne, en donation volontaire, afin qu’il soit aimé comme il mérite. Et en cela l’âme reçoit une délectation indicible de voir qu’elle donne à Dieu une chose qui lui convient selon son Être infini. Car encore qu’il soit vrai etc…(Voyez Union n. 62.)Vive flamme d’amour. V. 5. & 6.
27. En ce réveil que fait ici l’Epoux en cette âme parfaite, tout est parfait (a) car c’est lui qui fait tout au sens qu’il a été dit. La-même. Cant. 4. V. 3.

Le P. NICOLAS DE JÉSUS MARIA
rapporte
28. St Bernard. Voyez Fonte de l’âme. n.2.
29. D. Barthelemi des Martyrs. Voyez Propriété. N. 24.
30. Albert le Grand. Voyez Pur amour.n.29.
31. Richard. L’esprit semble défaillir de l’humain au divin, tellement qu’il n’est plus lui-même. (Livr. 5. De la Contempl. Ch. 12.) Eclairciss. des Phr. Myst. de J. de la Croix. P.II. Ch. 16. §. 4.
32. Rossignolius, qui dit que St Grégoire de Naziance a qualifié cette union du nom de Deification ; d’autres de celui de Deiformité. (Livr. 5. De la Perfect. Ch. 24.) La-même.
(136)
33. St Augustin, à qui Notre Seigneur disait : Je suis la viande des forts, croissez et puis vous me mangerez, vous ne me changerez pas néanmoins en votre substance, comme il arrive en la nourriture corporelle, mais ce sera vous qui serez changé en moi. (Confessions Livre. 7. Ch. 10) La-même.
34. Albert le Grand. C’est l’amour seul par lequel nous nous convertissons à Dieu, nous nous transformons en Dieu, nous adhérons à Dieu, nous sommes unis à Dieu et sommes un esprit avec lui.
Il n’y a rien de plus aigu que l’amour, rien de plus subtil ou pénétrant, et il ne se repose point jusqu’à ce que naturellement il ait pénétré amiablement toute la vertu, profondeur et totalité. Et il se veut faire une chose avec l’aimé et s’il le peut, la même chose que l’aimé. Car l’amour est une force unitive et transformative, transformant l’amant en l’aimé, et l’aimé en l’amant, afin que l’un des amants soit en l’autre réciproquement, le plus intimement qu’il se peut. (De l’attachement à Dieu. Ch. 12) La-même.
35. Denis le Chartreux. En cette transformation de l’esprit en Dieu, l’esprit même s’écoule de soi, et défaut, et se laissant avec toute la propriété de soi-même et des autres choses, il est plongé et enfoncé, fondu et liquéfié, absorbé et abîmé dans cet abîme surineffable, très simple et i,terminable, et aussi en cette obscurité inscrutable et inaccessible, et afin de comprendre tout ensemble, il est anéanti et perdu, mais li vit en Dieu et étant avec lui nu, pur et libre de toute propriété , mélange et affection, il est fait une chose, un esprit, une âme, un être, une félicité, (137) car il reçoit et n’admet autre chose. Parce qu’il a passé en la simplicité déiforme, l’influence de Dieu le tirant intérieurement, et le contact le surélevant, aliène l’âme de soi et la transporte comme en un être nouveau, non pas qu’en tout ceci la nature et l’existence de la créature soit changée ou cesse d’être, mais parce que la façon est exaltée et la qualité déifiée. (De la vie solitaire. Livre 2. Ch. 10.) La-même.

Le P.BENOIT DE CANFELD.
36. L’âme hait à mort tout ce qui peut faire ressentir quelque plaisir, ou avoir autre pensée d’elle-même, ou qui lui persuade qu’elle est une et son Epoux un autre, en qui elle désire que toutes les créatures soient fondues, liquéfiées, consommées et anéanties. Ici elle s’entend et reçoit cette essence en elle, non comme un vase reçoit quelque chose, mais comme la lumière de la lune celle du Soleil. Ici elle étant ses purs et chastes bras, pour plus étroitement embrasser et étreindre son Epoux, mais elle s’en trouve plus étroitement embrassée et étreinte. Ici elle ouvre la capacité de son esprit pour engloutir cet abîme, mais au contraire elle s’en trouve heureusement absorbée et ne sait que faire pour satisfaire l’impétuosité de cet amour. Elle demeure seulement en une pure, simple et constante conversion et adhésion à Dieu, auquel elle demeure si immuablement attachée que comme parle l’Apôtre, elle (a) s’en revêt, car par ce fixe regard elle le voit uniquement, par cette simple conversion elle se divertit de toutes les créatures, et par son immutabilité, elle les oublie toutes, afin qu’elle n’entende, n’aime et (138) ne se ressouvienne que de lui. Et ainsi vraiment, comme dit l’Apôtre, elle le revêt et se transforme en lui.
Cette vaste étendue d’anéantissement est cette solitude de laquelle l’Epoux dit en Osée : (a) Je la mènerai en solitude et là je parlerai à son cœur. Mais d’autant que cet immense espace d’anéantissement lui est maintenant comme habituel, pour en avoir vu le fond par expérience, aussi bien que cet excellent amour pour être fondue et transformée en lui, de là vient que leur effet est comme continuel, à savoir l’habitude d’union ou la continuelle assistance et propre vision de cette essence.
Toute cette imperfection est ici purgée, attendu que l’âme a découvert en elle , et expérimentalement goûté, comme son Epoux est plus dedans qu’elle-même, et que par ce degré de continuelle et habituelle union, elle s’occupe toujours en lui, sans en plus douter ni hésiter, de sorte qu’une telle âme vit toujours en la lumière, et toujours avec l’Epoux céleste, sans que les ténèbres, la mort ou le Diable lui puissent nuire ou s’approcher d’elle, mais (b) le Diable sortira de dessous ses pieds, la mort s’enfuira de devant sa face. Et (c) les ténèbres ne seront point obscurcies de toi, et la nuit sera éclairée et comme le jour. (d) Les ténèbres des œuvres extérieures ne seront pas obscurcies par toi, et la nuit de la vie (139) active sera illuminée comme le jour de la vie contemplative. Ses ténèbres seront de même que sa lumière.
Enfin voilà la vraie vie active et contemplative, non pas séparées comme quelques uns pensent, mais jointes en même temps, parce que la vie active de cette personne est aussi contemplative : ses œuvres extérieures, intérieures ; les corporelles, spirituelles ; et les temporelles, éternelles. Règle de perfection. Part. 3. Ch. 7.

St FRANÇOIS DE SALES.
37. A force de se plaire en Dieu, on devient conforme à Dieu et notre volonté se transforme en celle de la divine Majesté par la complaisance qu’elle y prend. De l’amour de Dieu. Livr. 8. Ch. 1.
38. Voyez Non-désir. N. 34.

Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
39. L’âme Epouse de Dieu étant arrivée à cette divine unité de son fond est dorénavant toute transformée en Dieu, non par nature, car cela ne se peut, mais par grâce et par effet d’abondance d’un amour vigoureux, lequel est généreusement actif en un temps, et nuement et simplement passif en un autre. Esprit du Carmel. Ch . 14.
40. Cette âme si heureuse vit de la vie de Dieu et Dieu vit en elle comme en soi-même (s’il faut ainsi dire), sans aucune résistance de la créature, car elle est comme ce qui n’a jamais été, au moins si elle n’est menteuse, contrariant en quelque chose à son juste devoir, comme en effet elle pourrait bien vivre de plus près ou de plus loin à soi-même. La-même. Ch. 22.
41. Voyez Consistance. N. 39.
(140)
42. Voyez Foi nue. N. 44.
43. C’est le feu divin et ineffablement délicieux, coulé en la terre de l’homme, je veux dire en son esprit, auquel toute l’âme étant convertie, on doit croire que tout l’homme est très divin, autant qu’il est possible selon le présent état. En effet sa déiformité est si excellente que les Anges mêmes s’en étonnent, à cause de ce qui est intervenu en ceci de la part de l’homme qui est la très libre application de son franc-arbitre, pour aimer Dieu son divin objet infatigablement et à perte d’haleine, vers lequel l’amour la fait courir et quelquefois voler. Et enfin il atteint son Objet à force de courir après lui, tantôt à l’odeur de ses parfums, tantôt et beaucoup plus souvent en morts et destitutions de sa présence sensible, et est parvenu à l’union inséparable avec lui.
L’âme lui est déjà si étroitement et si inséparablement unie, qu’elle a quelque sorte de communion à toutes les perfections, en toute sa déité. Car elle est pleine de Dieu selon la capacité présente de son vaisseau qui n’en peut davantage contenir en son présent état. La déiformité est déjà si grande et si haute en la créature que Dieu se complait déjà grandement en elle en la jouissance de sa beauté. Cabinet Mystique. P. I. chap. 3.
44. Il faut savoir que la créature en cet état est encre fort éloignée de sa consommation tandis qu’elle est capable de recevoir quelque chose en la lumière divine, soit pour la simple spéculation, soit pour le goût, soit pour l’extase, qui sont choses toutes différentes. Car sa consommation ne doit et ne peut-être que la fin et le succès de tous ces moyens mystiques ; De sorte (141) que si le sujet a été trouvé fort, tout cet ordre de Mysticité moyenne a eu son succès par une abondance d’effets si prodigieux, si mystiques et si laborieux que le seul souvenir en est très plaisant au vrai et perdu Mystique. Mais ce qui reste de ceci à l’âme, perdue en Dieu son Objet, est toute autre chose, et c’est ce qui la ravit imperceptiblement, et en quoi s’accroît et s’augmente de plus en plus sa très simple et ineffable jouissance. Bonheur qu’elle possède en son repos ineffable, très simple et très unique, qui lui fait expérimenter qu’on ne peut (a) aller ni passer outre. La-même. Chap. 4.
45. dieu se délecte souverainement à inonder toute l’âme de ses délices, pour l’unir à soi tout autrement que jamais, en union d’unité. En quoi l’on peut dire que l’âme est Dieu en Dieu même, non par nature, mais en amour et par amour. D’autant qu’elle a et possède ce qu’il possède, d’une toute autre amplitude, largeur et profondeur, qu’elle ne se faisait aux unions simples et profondes de on action précédente. Car celle-ci est union au-delà de l’union, en l’unité suressentielle de soi-même, comme on pourrait dire, que l’unité de l’âme et du corps fait un même de deux parties, unies et conjointes d’un lien et d’un amour inséparable. Je crois que j’exprime naïvement par cette similitude autant qu’il est possible, cette déification profonde et suressentielle de l’âme, déjà acquise en ce premier degré dans lequel elle est si pleinement regorgeante des délicieuses et efficaces actions de Dieu, tant dehors que dedans, qu’elle ne paraît ni ne sent (142) autre chose que cela en cela même. De là vient que sans son sû et sans son action, elle (a) s’enfonce et s’abîme de plus en plus dedans ce fond abyssal.
En ce degré et en cette divine voie, l’âme jouit, contemple et repose, en profondeur de délices, soit en profondeur de simples vues qui est un degré beaucoup au-delà du premier et de plusieurs autres qui sont entre l’un et l’autre, pour faire arriver l’âme au dernier et suprême point de consommation. Dès ici, dis-je, et pour jamais elle est en fruition de tout cela, dans la jouissance objective de son unique Objet, sans temps, sans éternité, sans admiration. Et possédant ainsi son bien objectif en la suprême plénitude suressentielle de lui-même, elle se va plongeant et dilatant là-dedans, ni plus ni moins qu’une petite goutte d’eau jetée dans la mer se perd et s’anéantit à elle-même, s’incorporant à ce corps élémentaire, où elle est conservée, toute perdue à soi-même pour jamais, et sans jamais en pouvoir sortir telle, ou comme elle était en distinction. Je ne veux pas dire qu’ici, ni même en la suprême consommation de l’esprit parvenu au dernier point et degré des profondeurs consommées, l’essence créée de l’âme ne lui demeure pour simplement subsister et agir en ses fonctions ordinaires. Mais elle est perdue à son appétit sensitif et actif, par lequel elle désirait suprêmement et impatiemment retourner à son souverain et éternel principe et son bien unique et objectif, pour n’en ressortir jamais vive. J’entends sans avoir jamais envie d’en sortir pour retourner à son appétit actif. Elle saint très bien qu’il y a (143) une infinie distance entre le désir et la commune possession qui consiste dans les plus profondes unions, et la très parfaite et entière possession du bien objectif possédé en lui-même, en la réplétion du simple surpassif où l’âme étant arrivée, opère d’une manière inconcevable, non par elle-même, mais par la très simple action de Dieu qui l’agit, la tire, la ravit hors d’elle-même et de tout le créé, en l’abîme incréé, de profondeur en profondeur, et de plénitude en plénitude. Cabinet Mystique. P. I. ch. 5.
46. Cet état n’est autre chose que la très simple transfusion de tout le créé en l’incréé, lequel créé se dilatant par succession de temps là-dedans de plus en plus, jusqu’au dernier point de consommation, se trouve entièrement perdu pour jamais en ces abîmes de profondeur. Alors il se trouve simple, unique ; je dis qu’il se sent et se voit d’une très simple vue, simple dans la très simple unité dans l’Essence divine.
Là étant arrêté et établi, il est fait identité de son même fond vigoureux, simple et originaire, et cela se fait et se contient en l’éminence d’une double fécondité, faite unique en unité du simple fond vigoureux. Car le simple fond du simple créé se dilate et se perd en même temps totalement au-dedans de l’abîme de son fond originaire qui est Dieu, allant à cet effet et s’enfonçant là-dedans comme d’abîme en abîme, jusqu’à ce qu’il soit arrivé, comme nous avons dit, au dernier point de mêmeté et d’identité possible, sauf la distinction et la différence qui demeure toujours entre l’être incréé et le créé. Cabinet Mystique. P. I. ch. 9.
47. Il n’est plus possible à l’âme ainsi consommée, de se divertir de cette très simple fruition par intention et volonté, d’autant que ses forces sont entièrement consommées, pour n’avoir jamais d’appétits contraires. Je dis de volonté et d’intention, parce que la vie dont on vit ici est éternelle, simple et suressentielle, en repos et fruition de l’Essence divine. Car l’âme dans sa consommation est totalement recoulée et perdue en cette divine Essence avec tous les bienheureux esprits qui s’y sont amoureusement perdus par leurs amoureux, perpétuels et très vigoureux plongements. En laquelle s’étant totalement surpassés, et rien ne se trouvant plus d’eux, cette union intime fait qu’il n’y a plus qu’une infiniment simple, amoureuse et aimable essence et substance, de laquelle et en laquelle ils vivent tous de pareille vie et plaisir d’elle-même.
Au reste tout ce qui vit éternellement au Père vit de même éternellement au Fils, et tout ce qui vit au Fils et au Père, vit pareillement au Saint-Esprit qui embrasse et ravit à soi et en soi toute la fécondité, et (a) nous avec elle, en toute l’étendue de cette suressentielle Essence dont les Personnes sortent incessamment à leur béatifique action, et nous avec elles, en rentrant incessamment avec nous en leur repos ineffable. Cabinet Mystique. P. I. ch. 10. §.6.
48. Je ne veux plus que vos Epouses s’emploient à vous annoncer que je languis de votre amour, car nous nous possédons l’un l’autre en notre commune jouissance. Nous nous embrassons très étroitement et mutuellement en l’étendue infinie de vous-même, où je suis, non (145) tellement quellement amoureuse, mais je suis passée au même amour que vous êtes pour vous-même. L’Epouse qui a fait cette expérience sait si les traits et les attraits de votre ravissante beauté et les délices dans lesquelles vos Epouses sont toutes fondues de joie et d’amour, en vos divins et uniques embrassements, se peuvent exprimer par paroles si profondes et si essentielles qu’elles puissent être. Car la vue charmante de son objet que vous êtes, ravissant en soi-même son sujet, je veux dire son Epouse que je suis, dès ce même moment, il lui ôte les paroles, et les lui ravit en la force impulsive de son contentement qui surpasse tout sentiment. Il lui ôte, dis-je, le désir et la parole en sorte qu’elle ne veut, qu’elle n’ose, et même qu’elle ne peut rien exprimer de ceci. Soliloque. 6. Ch. 1.
49. Quand nous sommes parvenus à notre centre qui est Dieu, transfus et perdus en lui par l’entière transformation de notre volonté en la sienne, nous jouissons dès ici-bas de la plénitude des Saints, même au plus fort de nos batailles et de nos croix. Cela est si merveilleux que dieu prend un singulier plaisir à nous polir de plus en plus par toutes sortes d’exercices. Abrégé de sa Vie. Part. 2. Chap. 3. N. 94.

(146)
LXIV. Tromperie.

MOYEN COURT.
Mais quel danger peut-il y avoir à marcher dans l’unique voie qui est Jésus-Christ, se donnant à lui, le regardant sans cesse, mettant toute sa confiance en sa grâce et tendant de toutes nos forces à son plus pur amour. Ch. 23. N. 3.
On ne peut être uni à Dieu sans la passiveté et la simplicité, et cette union étant la béatitude même, la voie qui nous conduit dans cette passiveté ne peut être mauvaise ; au contraire, elle est la meilleure et il n’y a point de risque d’y marcher. Ch. 24. N. 11 ?

CANTIQUE.
Je serai là en toute assurance, je ne me pourrai plus tromper. Ch. 1. V.6.
Vous êtes terrible (a) au Démon et au péché, comme une armée rangée en bataille. Ch. 6. V 3.
L’Epouse est terrible et redoutable aux Démons, au péché, au monde, et à l’amour (147) propre, comme une armée rangée prête à donner la bataille. La-même. V. 9.

AUTORITÉS.
St DENIS.
1. Voyez Opérations propres. N. 4.

Ste CATHERINE DE GÊNES.
2. O amour ! Qui m’empêchera que je ne vous aime. Quand même je me trouverais parmi un camp de soldats, je ne pourrais en être empêchée. Si le monde, ou les maris pouvaient empêcher le pur amour de Dieu, ce serait une faible vertu, mais je sens en moi qu’il n’y a rien qui puisse vaincre cet amour, car il surmonte toutes choses.
Il fut dit qu’elle pouvait être trompée du Diable, elle répondit : je ne puis croire qu’un amour qui n’est point propre puisse être trompé.
On peut aussitôt dire qu’il n’y a point de Dieu comme de dire que l’amour de Dieu pur et net en quelque créature puisse être trompé. En sa vie. Ch. 19.
3. L’âme ne peut plus être trompée par sa partie propre, mais elle la réduit à un si grand désespoir, qu’elle ne lui veut donner aucun rafraîchissement, soit corporel, soit spirituel. La-même. Ch. 26.

Ste THÉRÈSE.
4. Voyez Non-désir. N. 16.

Le B. JEAN DE LA CROIX.
5. Voyez Défauts. N. 14.
6. Lorsque Dieu visite l’âme par le moyen du (148) bon ange, elle n’est pas du tout sure, ni si à l’obscur, ni si cachée que l’ennemi n’en découvre quelque chose. Mais quand Dieu la visite lui-même, c’est alors que se vérifie bien le vers susdit :
(A l’obscur, mais sans nul danger)
Parce que du tout à l’obscur et cachée à l’ennemi, elle reçoit les faveurs spirituelles de sa divine Majesté. La cause en est, parce que comme Dieu est le Seigneur Souverain, il demeure substantiellement en l’âme, où l’Ange ni le Diable ne sauraient aborder pour entendre ce qui s’y passe, et ne peuvent connaître les intimes et secrètes communications qui se traitent là entre Dieu et elle, car celles-ci, à cause que Notre Seigneur les fait par soi-même, sont totalement divines et souveraines.
* Ce qui est, quand déjà avec liberté d’esprit, sans que la partie sensitive le puisse empêcher, ni le Diable par son moyen le contredire, l’âme jouit en faveur et en une paix intime de ces biens. Parce que pour lors le Diable n’oserait l’attaquer, d’autant qu’il n’y pourrait atteindre, ni entendre ces divins attouchement en la substance de l’âme avec celle de Dieu par la notice amoureuse. Personne n’arrive à ce bien là, si ce n’est par intime purgation, nudité et cachette spirituelle de tout ce qui est créature, et c’est là être à l’obscur. Obscure nuit. Livr. 2. chap. 23.
7. Voyez Consistance.n. 24.
8. Voyez Quiétude. §. I.n.29.
9. L’autre aveugle que nous avons dit pouvoir empêcher l’âme en ce genre de recueillement, c’est le Diable qui veut qu’étant aveugle, l’âme le soit aussi (149) . Lequel en ces très hautes solitudes où l’on reçoit les délicates onctions du St Esprit, (dont il est fort fâché et envieux à cause que l’âme lui échappe des mains, qu’il n’y peut plus atteindre, et qu’il voit qu’elle s’agrandit merveilleusement) , tâche de mettre en cette nudité et aliénation quelques cataractes de notices et ténèbres de sucs sensibles, parfois bons. Et en cela, il la distrait et retire facilement de cette solitude et recueillement. Vive flamme d’amour. Cant.2. v. 3.§ 14.

Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA.
10. St. Augustin. Voyez Quiétude. §I. n. 33.
11. St Ambroise. Voyez Création. n. 12.

Le Fr. JEAN DE SAINT-SAMSON.
12. Tout ce temps-là, le diable est contraint de roder au loin, sans pouvoir aucunement approcher, car s’il voulait approcher de nous de la distance même de notre regard, il serait foudroyé par notre même regard. Cabinet Mystique. P. 2. Chap. I. n. 3.

L’AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE.
13. Il n’est pas croyable qu’un si grand nombre d’Auteurs aient été trompés en matière d’oraison qu’ils fréquentaient ordinairement et qui était toute la consolation de leurs âmes. Dieu qui est trop fidèle pour permettre que de saints personnages, qui ne respiraient que sa gloire, aient été déçus en une chose qui était toute la conduite et toute la direction de leur vie, vu même que les uns ont été canonisés de l’Eglise, que les autres ont opéré quantité de miracles, qu’entre eux, il y en a eu de très savants, et que tous ont vécu d’une vie très sainte et très exemplaire. De là, il est aisé de comprendre quel jugement on doit former de ceux qui, sans avoir égard à tout ce que dessus, décrient par leurs discours et mauvais écrits cette science des Saints, je veux dire, les pratiques et les exercices de la vie Mystique et cachée dans les âmes humbles. Livre. I Traité I. ch. 5. Sect. 4.
14. Un des plus beaux et des plus élevés discours que Notre Seigneur ait jamais fait, fut celui qu’il eut avec la Samaritaine, où entre plusieurs choses éminentes dont il l’entretint, il lui dit (a) que Dieu était esprit et que comme tel il cherchait des adorateurs d’esprit et de vérité, comme insinuant qu’il ne pouvait être adoré en vérité s’il n’était adoré spirituellement, c’est à dire d’une manière rapportante à la nature de Dieu qui est tout esprit. La-même. Sect ; 5.
15. Les Auteurs Mystiques disent que ce chemin est inconnu à l’esprit malin qui ne sait ce qui se passe dans une telle âme, bien qu’il puisse connaître par la disposition de l’homme intérieur que quelque chose de singulier se fait en elle, par la lumière de grâce qui procède d’elle, la présence de laquelle ne pouvant supporter, il est contraint de fuir et d’éviter cette âme.
Ils disent encore que le moyen de connaître si une lumière vient de Dieu, c’est de considérer si elle reluit au fond de l’âme, parce que le malin esprit ne peut décevoir cet âme qu’en causant quelque douceur ou consolation dans la partie sensible et que Dieu seul peut entrer et s’écouler dans son esprit ou partie suprême.
Ces autorités prouvent que le Diable n’a point de prise sur la suprême pointe de l’esprit, parce (151) qu’il ne peut connaître ses opérations. Et la raison est que les opérations de cette pointe sont le repos et la tranquillité, et que ce repos tranquille est un consentement de volonté obscur et imperceptible.
De plus, si le Diable pouvait quelque chose sur cette suprême partie de l’âme, ce serait en produisant quelque espèce ou acte en elle, ou empêchant sa propre opération. Or il ne peut ni l’un ni l’autre. Il ne peut rien produire en elle parce que la chose reçue prend la forme de son sujet, comme l’eau se reçoit en rond dans un vase qui a cette figure. Or cette cime ou pointe de l’âme ne peut produire ou recevoir que des actes mystiques qui sont des quiétudes sans formes et sans images, que le Diable ne peut produire, ni en soi, ni en autrui. Livre 3. Traité 3. Chap. 9. Sect. 2.

LXV. Vertu.
Que cet état renferme toute vertu.

MOYEN COURT.
C’est là le moyen court et assuré d’acquérir la vertu, parce que Dieu étant le principe de toute vertu, c’est posséder toute vertu que de posséder Dieu, et plus on s’approche de cette possession, plus on a la vertu en degré éminent.
(152)
De plus je dis que toute vertu qui n’est point donnée par le dedans est un masque de vertu, et comme un vêtement qui s’ôte et ne dure guère. Mais la vertu communiquée par le fond est la vertu essentielle, véritable et permanente. (a) La beauté de la fille du Roi vient du dedans. Et de toutes les âmes, il n’y en point qui la pratiquent plus fortement que celles-ci, quoiqu’elles ne pensent pas à la vertu en particulier.
Dieu auquel elles se tiennent unies, leur en fait pratiquer de toutes sortes : il ne leur souffre rien, il ne leur permet pas un petit plaisir.
Quelle faim ces âmes amoureuses n’ont-elles pas de la souffrance ? A combien d’austérités se livreront-elles, si on les laissait agir selon leurs désirs ?
Elles ne pensent qu’à ce qui peut plaire à leur Bien-aimé. Ch. 9. N. 1, 2.

CANTIQUE.
Ces ornements seront des chaînes en signe de votre parfaite soumission à toutes les volontés du Roi de gloire, mais elles seront d’or, pour représenter que n’agissant que par amour très épuré, vous (153) n’avez que la simple et pure vue du bon plaisir et de la gloire de Dieu dans tout ce que vous faites ou souffrez pour lui. Elles seront néanmoins marquetées d’argent, parce que, quelque simple et pure que soit la charité en elle-même, elle doit se produire et signaler au-dehors par la pratique des bonnes œuvres et des plus excellentes vertus.
Il faut remarquer que le divin Maître, en bien des endroits, prend un soin particulier d’instruire sa chère disciple de la pureté souveraine de l’amour qu’il demande dans ses Epouses et de sa fidélité à ne rien négliger de tout ce qui regarde le service du Bien-aimé ou l’assistance du prochain. Chap. I. v. 10.
Notre lit, dis-je, est préparé et orné par les fleurs de mille vertus. La-même. V. 15.
L’Amante dit que son Bien-aimé prend son repas en elle parmi les lis de sa pureté. Il se repaît lui-même de ses grâces et de ses vertus ; il vit d’innocence et de pureté, afin de nous en nourrir. Chap. 2. V. 16.
Cette vapeur est composée des odeurs les plus choisies de toutes les vertus. Ch. 3. V. 6.
Ces trônes vivants du Très-haut étant pleins d’amour, ils sont aussi parés de tous les fruits et ornements de l’amour, qui sont (154) les bonnes œuvres, les mérites, les fruits du St Esprit, et la pratique des plus pures et des plus solides vertus. La-même. V. 10.
Venez, dit-il encore, du sommet des plus hautes montagnes, c’est-à-dire de la pure pratique des plus éminentes vertus. Ch. 4. V. 8.
L’odeur de vos vertus et de vos bonnes œuvres, qui vous servent comme de vêtements et auxquelles vous ne tenez plus, depuis que la propriété en est bannie, se répand partout comme un encens très odoriférant. La-même. V. II.

AUTORITÉS.

St AUGUSTIN.

1. S’il est vrai que Dieu est le Souverain Bien de l’homme et s’il est vrai d’ailleurs que ce qu’on appelle bien vivre, c’est chercher le Souverain Bien, il s’ensuit que bien vivre n’est autre chose qu’aimer Dieu et l’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Et cela (a) importe de lui conserver tout entier et pur de toute corruption cet amour que nous lui devons, ce qui est l’office de la tempérance ; de ne se laisser affaiblir par nulle sorte d’adversités, ce qui est l’office de la force ; de ne le (155) laisser asservir à nulle autre chose, ce qui est l’office de la justice, et enfin de tenir les yeux ouverts pour juger de toutes choses et pour prendre garde que l’apparence de quelque faux bien ne nous séduise et ne détourne notre amour de son objet, ce qui est l’office de la prudence. (a)
Voilà (b) en quoi uniquement consiste toute la vertu et toute la perfection, et (c) le seul moyen qu’il y ait pour parvenir à jouir de la vérité dans toute sa pureté. C’est sur quoi les deux Testaments sont parfaitement d’accord et à quoi l’un et l’autre nous porte et nous exhorte d’une commune voix.
Il faut donc que tous ceux qui se proposent d’arriver à la vie éternelle aiment dieu de tout leur cœur, de toute leur âme et de tout leur esprit. Or la vie éternelle est toute la récompense qui nous est promise, et il faut que le mérite précède la récompense, et que l’homme en soit digne avant qu’elle lui soit donnée. Cela ne se pourrait autrement sans que la justice fut blessée, et Dieu est la justice même. Que si l’on demande ce que c’est que la vie éternelle, celui qui la donne nous l’apprendra. La vie éternelle, nous dit-il, (d) c’est de connaître le vrai Dieu et le Christ qu’il a envoyé. La vie éternelle n’est donc autre chose (156) que la connaissance de la vérité, puisque Jésus-Christ est la vérité, et cette vie bienheureuse est la récompense de la vérité.
Ce que nous avons donc à faire, c’est (b) d’aimer de tout l’amour dont nous sommes capables celui à la connaissance duquel nous aspirons. Des Mœurs de l’Eglise. Chap. 25.

St JEAN CLIMAQUE.
2. dieu m’ayant fait la grâce d’arriver à la seconde de ces vertus qui est la perpétuelle oraison, je me trouvai un jour au milieu des Anges et l’un d’entre eux m’éclaircissait des choses que je désirais avec ardeur de savoir. Degré 27. Art. 48.
3. Quoique je sois comme plongé dans une très profonde ignorance, couvert des ténèbres de mes passions, j’ose néanmoins entreprendre de parler de cette vertu éminente qui nous fait voir un ciel sur la terre et des Anges dans des corps mortels. Echelle Sainte, Degré 29. Art. 1.
4. Comme les étoiles sont la beauté du firmament, aussi les vertus sont la beauté de cette bienheureuse paix. Car j’estime qu’elle n’est autre chose qu’un ciel intérieur et spirituel, formé dans une âme qui ne considère plus tous les (157) artifices du Démon que comme des jeux et de vains fantômes. La-même. Art. 2.
5. Celui-là donc la possède véritablement aux yeux de Dieu et aux yeux des hommes qui a purifié sa chair de toute tache d’impureté, qui a élevé son esprit au-dessus de toutes les choses créées, qui a soumis tous ses sens à la raison et qui, tenant son âme toujours présente devant Dieu, se porte incessamment vers ce grand Objet par une force surnaturelle et qui est au-dessus de ses propres forces. Art. 3.
6. D’autres disent encore que cette tranquillité est une résurrection de l’âme qui précède celle du corps. D’autres, que c’est une parfaite connaissance de Dieu qui n’est inférieure qu’à celle des Anges. Art. 4.
7. Ainsi cette vertu qui fait toute la perfection des âmes en cette vie et qui néanmoins comme étant toujours imparfaite, croît toujours jusqu’à la mort, sanctifie l’âme d’une telle sorte, (selon qu’un grand personnage qui était instruit par sa propre expérience me le dit autrefois) et la détache si fortement de toutes les affections de la terre, qu’après l’avoir mise dans une porte céleste, elle l’élève presque dès ce monde par une espèce de ravissement, jusques dans le Ciel pour y contempler et pour y voir Dieu. Ce qui a fait dire à David, qui l’avait aussi éprouvé lui-même, que ces âmes extraordinaires sont comme (a) de puissants Dieux de la terre souverainement élevés au-dessus d’elle. Art. 5.
8. On peut dire qu’une âme possède cette parfaite tranquillité lorsque les vertus lui sont devenues aussi naturelles que les vices le sont aux voluptueux. Art. 9.
(158)

Ste CATHERINE DE GÊNES.
9. L’Amour fait les hommes justes, simples, purs, riches, vertueux, sages et contents, et il adoucit toute amertume avec sa suavité. Dialogue Livre. 3. Chap. 5.

Ste THÉRÈSE.
10. cette eau des grands biens et faveurs que notre Seigneur répand ici dans l’âme fait croître les vertus beaucoup plus sans comparaison qu’en l’oraison précédente, parce que l’âme sort de sa misère et on lui donne un peu de connaissance des goûts de la gloire. Cela à mon avis la fait croître davantage et la fait aussi approcher plus près de la vraie vertu, d’où procèdent toutes les vertus, savoir de Dieu, d’autant que sa Majesté commence à se communiquer à cette âme et veut qu’elle sente comme il se communique à elle. L’appétit des choses d’ici-bas et de quelques goûts légers commence aussitôt à diminuer, car elle voit clairement qu’on ne peut jouir ici un seul instant de ce grand bien et que toutes les richesses, tous les domaines, tous les honneurs et toutes les délices de la terre ne sont pas capables de nous donner un seul moment de cette félicité qu’on voit être un véritable et solide contentement dont nous nous sentons remplis et rassasiés.
Je priais Notre Seigneur d’augmenter l’odeur de ces petites fleurs des vertus qui commençaient en apparence à vouloir sortir, et que cela fut pour sa gloire. Vie, chap. 14.
11. enfin c’est ici que les vertus sont beaucoup plus fortes qu’en la précédente Oraison de quiétude : de sorte que l’âme ne les peut ignorer parce qu’elle se voit toute autre et ne sait comment (159) elle commence à faire de grandes choses avec l’odeur que ces fleurs jettent de soi. Car notre Seigneur veut qu’elles s’ouvrent afin qu’elle connaisse qu’elle a des vertus, quoiqu’elle voie clairement qu’elle ne les pouvait et ne les a pu acquérir en plusieurs années par elle-même, et qu’en ce petit espace de temps le jardinier céleste les lui a données. L’humilité qui demeure ici dans l‘âme est beaucoup plus grande et plus profonde qu’au degré précédent, car elle voit bien plus évidemment qu’elle n’a rien fait que consentir que sa divine Majesté lui fit des grâces, et que les embrasser avec la volonté. La-même. Chap. 17.

Le B. JEAN DE LA CROIX.
12. Il revêt l’âme qui est au haut de la montagne (en son énigme) de toutes les vertus Chrétiennes et morales.
13. L’Epouse dans les deux Couplets précédents a chanté les grâces et les grandeurs de son Ami, en celui-ci elle publie le sublime et l’heureux état auquel elle se voit élevée, la sûreté de cette condition, et les richesses de dons et de vertus dont elle se voit douée et parée dans le lit de l’union de son Epoux, car elle dit, qu’étant unie avec son Bien-aimé, elle a les vertus fortes et solides, la charité parfaite et une paix accomplie.
A cause de la force et du courage du lion, elle compare les vertus que l’âme possède déjà en cet état aux cavernes des lions, lesquelles sont très assurées et sans crainte de touts les autres anomaux, parce que redoutant la force et la hardiesse du lion qui est dedans, non seulement ils n’osent y entrer, mais même ils n’osent s’arrêter auprès. De même chaque vertus, quand l’âme (160) les possède déjà en perfection, est un antre et une retraite de lion dans laquelle demeure et assiste l’Epoux, fort comme un lion, uni avec l’âme en cette vertu, et chacune des autres. Et la même âme unie avec lui en ces mêmes vertus est comme un fort lion, parce qu’elle reçoit là les propriétés de l’Ami.
Mais outre cette paix et satisfaction ordinaire, les fleurs des vertus de ce jardin ont coutume de s’ouvrir en l’âme de telle manière, et rendre une telle odeur et un parfum si agréable, qu’il lui semble, et il est de la sorte, qu’elle est pleine de délices de Dieu. Or je dis que les fleurs des vertus qui sont dans l’âme ont coutume de s’ouvrir parce qu’encore que (a) l’âme soit remplie de vertus en perfection, elle n’en est pas toujours jouissante en acte, bien que comme j’ai dit on jouisse ordinairement de la paix et tranquillité qu’elles causent. Car nous pouvons dire qu’elles sont en l’âme en cette vie enfermées dans le jardin, comme des fleurs dans leur bouton. Et c’est une chose merveilleuse de les voir toutes s’ouvrir par l’opération du Saint Esprit et jeter un parfum admirable en grande variété, car il arrive que l’âme voie en foi les fleurs des montagnes, dont nous avons déjà parlé, qui sont l’abondance, la grandeur et la beauté de Dieu, et les lis des vallées ombrageuses, etc…
Heureuse l’âme laquelle en cette vie mortelle méritera de sentir quelquefois l’odeur de ces fleurs divines !
Chaque vertu est de soi paisible, douce et forte, et par conséquent fait ces trois effets en l’âme (161) qui la possède, à savoir la paix, mansuétude et force. Et d’autant que ce lit est fleuri et composé de fleurs des vertus, lesquelles toutes ont ces trois qualités, de là vient qu’il est bâti de paix, et que l’âme est pacifique, douce et forte, qui sont trois propriétés contre lesquelles ne peut prévaloir aucune guerre, ni du Diable, ni du monde, ni de la chair, et ces vertus tiennent l’âme si paisible et si assurée qu’il lui semble qu’elle est toute bâtie de paix. Cantique entre l’Epouse et l’Epoux. Couplet. 16.
14. Les fleurs sont les vertus de l’âme, comme nous avons déjà dit. Les rosiers sont les trois puissance de l’âme, à savoir l’entendement, la mémoire et la volonté qui produisent des roses et des fleurs de conceptions divines et des actes d’amour et des vertus. L’ambre est le divin Esprit qui demeure en l’âme, qui parfume les puissances et les vertus de l’âme, lui donnant en elles des parfums de suavité divine. La-même. Couplet 32.

Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA rapporte.
15. St. Bonaventure. La prudence de l’esprit purifié, c’est non seulement en matière de choix, préférer les choses divines, mais ne connaître qu’elles seules, et ne regarder autre chose, comme s’il n’y avait rien hors d’elles : cette prudence a été singulièrement pratiquée par St Paul et par St François. La force de l’esprit purifié, c’est d’ignorer les passions par impassibilité, non pas de les vaincre, de ne savoir se mettre en colère et ne rien désirer : cette force a été principalement en Notre Dame et dans les Saintes Vierges et Martyres, Agnès, Agathe, Luce, (162) Cécile, Catherine, etc. La tempérance de l’esprit purifié est non de réprimer les désirs terrestres, mais de les oublier entièrement, c’est-à-dire de ne les pas sentir, comme il se voit au contemplatif frère Gilles. La justice de l’esprit purifié, c’est de surmonter tellement avec l’Esprit divin, qu’elle garde avec lui une perpétuelle alliance pour l’imiter. (Sermon I. des luminaires de l’Eglise.) Eclairciss. Part. II. Chap. 12. §. 2.

Le P. JACQUES DE JÉSUS.
16. Voyez Consistance. N. 33.

St FRANÇOIS DE SALES.
17. Voyez Défauts. N. 12.
18. voyez La-même.

Le Fr. JEAN DE SAINT-SAMSON.
19. Le fond n’est point pénétré d’amour qu’il n’ait surpassé totalement les vertus en telle sorte qu’elles soient toutes ses servantes, pour en faire à son bon plaisir et à sa discrétion.
Le pur amour ne convient qu’aux souverainement parfaits, et personne ne le saurait incessamment exercer en pureté et vérité d’esprit, s’il n’est souverainement vertueux. Enfin ce sont les vertus qui aboutissent immédiatement à l’amour comme à leur fin, après quoi elles ne sont plus qu’une même chose avec lui. Bref, l’amour se conserve par les vertus qu’il a transformées en soi. Esprit du Carmel. Ch. 5.
20. Voyez Opérations propres. N. 30.
21. Ceux qui n’ont que la vertu pour principe, sujet et matière d’exercice, à peine tout ce qui s’en peut écrire leur suffira-t-il, et ils ne passeront jamais au-delà parce qu’ils trouvent cela beau, excellent et meilleur que toute autre chose. C’est pourquoi ils ne sauront jamais les vrais (163) exercices par la pratique desquels on devient esprit, en se perdant toujours de plus en plus à soi-même, abhorrant son propre repos sensible, que les communs spirituels prennent en toutes choses. Esprit du Carmel. Ch. 14.
22. Cette voie, aussi bien que l’autre, requiert également la pratique de toutes les vertus. C’est pourquoi les Mystiques disent bien à propos qu’en cette voie l’aspiration comme telle et les vertus sont le corps, et l’amour unitif très vif et très fort en est l’esprit. Cet amour devient discret à mesure qu’il est fait divin, pour pouvoir soutenir toutes les opérations de son divin feu en elle, sans en recevoir lésion, faiblesse ou empêchement quant à sa nature corporelle au-dehors, encore qu’il soit vrai qu’elle soit parfaitement navrée au-dedans d’elle-même. La-même. Chap. 22.
23. Au reste, il ne faut pas penser d’entrer en cet état si on n’est premièrement résolu à l’exercice et à l’acquisition des vertus, et de consumer chair et sang en éternel holocauste d’amour : cette œuvre demande tout l’homme. Que si on se sent imparfait dans la circonférence des vertus, qu’on ne présume pas d’entrer ici. La-même. Chap.23.
24. Voyez Mystères. N. 4.

LXVI. Union. Unité.

MOYEN COURT.

L’âme a été créée une et simple comme Dieu. Il faut donc, pour parvenir à la fin de sa création, quitter la multiplicité de nos actions, pour entrer da,s la simplicité et unité de Dieu (a) à l’image duquel nous avons été créés. L’Esprit (b) de Dieu est unique et multiplié, et son unité n’empêche point sa multiplicité. Nous entrons dans son unité lorsque nous sommes unis à son Esprit, comme ayant par là même un même esprit avec lui, et nous sommes multipliés au-dehors dans ce qui regarde ses volontés sans sortir de l’unité. Ch. 21. N. 4.
David disait qu’il lui était bon de s’attacher à Dieu et de mettre en lui toute son espérance. Qu’est-ce que cet attachement ? C’est un commencement d’union.
L’union commence, continue, s’achève et se consomme. Le commencement de l’union est une pente vers Dieu. Lorsque l’âme est tournée au-dedans d’elle en la manière (165) qu’il a été dit, elle est en pente centrale, elle a une tendance forte à l’union. Cette tendance est le commencement . ensuite elle adhère, ce qui se fait lorsqu’elle approche plus près de Dieu. Puis elle lui est unie, et ensuite elle devient une, ce qui est devenir un même esprit avec lui. Et c’est alors que cet esprit sorti de Dieu retourne dans sa fin. La-même. N. 7, 8.
Pour unir deux choses aussi opposées que le sont la pureté de Dieu et l’impureté de la créature, la simplicité de Dieu et la multiplicité de l’homme, il faut que Dieu opère singulièrement. Car cela ne se peut jamais faire par l’effort de la créature, puisque deux choses ne peuvent être unies qu’elles n’aient du rapport et de la ressemblance entre elles. Chapitre 24. N. 2.
L’âme n’arrive à l’union divine que par le repos de sa volonté et elle ne peut être unie à Dieu qu’elle ne soit dans un repos central. La-même. N.3.
Cela posé, je dis qu’afin que l’homme soit uni à son dieu, il faut que la Sagesse, accompagnée de la divine Justice, comme un feu impitoyable et dévorant, ôte à l’âme tout ce qu’elle a de propriété et de terrestre. La-même. N. 6.
(166)
Dieu donc purifie tellement cette âme de toutes opérations propres, distinctes, aperçues et multipliées, qui font une dissemblance très grande, qu’enfin il se la rend peu à peu conforme et puis uniforme. La même. N. 8.
Nul n’ignore que le Bien Souverain est Dieu, que la béatitude essentielle consiste dans l’union à Dieu, que les Saints sont plus ou moins grands selon que cette union est plus ou moins parfaite, et que cette union ne se peut faire dans l’âme par nulle propre activité, puisque Dieu ne se communique à l’âme qu’autant que sa capacité passive est grande, noble et étendue. On ne peut être uni à dieu sans la passiveté et la simplicité, et cette union étant la béatitude même, la voie qui nous conduit à cette passiveté ne peut être mauvaise. La même. N. 11.
On dit qu’il ne s’y faut pas mettre de soi-même. J’en conviens. Mais je dis aussi qu’aucune créature ne pourrait jamais s’y mettre, puisque nulle créature au monde (a) ne pourrait s’unir à Dieu par toutes ses efforts propres, et qu’il faut que Dieu se l’unisse.
(167)
Si on ne peut s’unir à Dieu par soi-même, c’est crier contre une chimère que de crier contre ceux qui s’y mettent d’eux-mêmes. La même. N.13.

CANTIQUE.
Ce baiser que l’âme demande à son Dieu est l’union essentielle ou la possession réelle, durable et permanente de son divin objet. C’est le mariage spirituel.
Pour faire comprendre ceci, il faut expliquer la différence qu’il y a entre l’union des puissances et l’union essentielle.
L’une et l’autre est ou passagère et seulement pour quelques moments, ou permanente et durable.
L’union des puissances est celle par laquelle Dieu s’unit l’âme fort superficiellement : c’est plutôt la toucher que l’unir.
Elle est pourtant unie à la Trinité des Personnes, selon les différents effets qui lui sont appropriés, mais toujours comme aux Personnes distinctes et par opération médiate. L’opération servant ici de moyen et de fin, en ce que l’âme se repose dans cette union qu’elle éprouve, ne croyant pas qu’il faille aller plus avant.
Cette union se fait par ordre dans chacune (168) des puissances de l’âme. Et elle s’aperçoit quelquefois dans une ou deux d’entre elles, selon le dessein de Dieu, et d’autres fois dans les trois ensemble. C’est ce qui fait l’application de l‘âme à la Sainte Trinité comme aux Personnes distinctes.
Lorsque l’union est dans le seul entendement, c’est l’union de pure connaissance et elle est attribuée au Verbe, comme Personne distincte.
Lorsque l’union est dans la mémoire, ce qui se fait par un absorbement de l’âme en Dieu et un profond oubli des créatures, elle est attribuée au Père comme Personne distincte.
Et lorsqu’elle se fait sentir dans la seule volonté, par une amoureuse jouissance, sans vue ni connaissance distincte, c’est l’union d’amour attribuée au St Esprit comme Personne distincte. Et celle-ci est la plus parfaite de toutes parce qu’elle approche pus que nulle autre de l’ union essentielle, et c’est principalement par elle que l’âme y arrive.
Toutes ces unions sont des embrassements divins, mais ce n’est point encore le baiser de la bouche.
Il est de deux sortes de ces unions : l’une passagère qui ne dure que très peu ; et l’autre permanente qui se soutient par une (169) présence de Dieu continuelle et par un amour doux et tranquille qui subsiste parmi toutes choses.
Voilà en peu de mots ce que c’est que l’union des puissances, qui est une union de fiançailles, et qui a bien l’affection du cour, les caresses et les présents réciproques, comme els fiancés, mais qui n’a point la parfaite jouissance de l’objet.
L’union essentielle, et la baiser de la bouche, est le mariage spirituel où il y a union d’essence à essence et communication de substance, où Dieu prend l’âme pour son Epouse et se l’unit, non plus personnellement ou par quelque acte ou moyen mais immédiatement, réduisant tout en unité et la possédant dans son unité même.
Alors c’est le baiser de la bouche et la possession réelle et parfaite. C’est une jouissance qui n’est point stérile ni infructueuse, puisqu’elle ne s’étend à rien moins qu’à la communication du Verbe de Dieu à l’âme.
Il y a des personnes qui disent que cette union ne se peut faire que dans l’autre vie, mais je tiens pour certain qu’elle se peut faire en celle-ci, avec cette différence qu’en cette vie l’on possède sans voir, et dans l’autre, l’on voit ce que l’on possède.(170)
On peut encore résoudre la difficulté de quelques personnes spirituelles qui ne veulent pas que l’âme étant arrivée en Dieu, (ce qui est l’état d’union essentielle) parle de Jésus-Christ et de ses états intérieurs, disant que pour une telle âme cet état est passé. Je conviens avec eux que l’union à Jésus-Christ a précédé très longtemps l’union essentielle, puisque l’union à Jésus-Christ comme divine Personne s’éprouve dans l’union des puissances et que l’union à Jésus- Christ homme-Dieu est la première de toutes et qu’elle se fait dès le commencement de la vie illuminative. Mais pour ce qui regarde la communication du Verbe à l’âme, je dis qu(il faut que cette âme soit arrivée en Dieu seul et qu’elle y soit établie par l’union essentielle et par le mariage spirituel, avant que cette divine communication lui soit faite, comme les fruits et les productions du mariage ne se font qu’après que le mariage a été consommé. Ceci est plus réel que l’on ne peut dire.
Et comme Dieu possède ici toute l’âme sans interruption, c’est ce qui fait la différence de l’union à Dieu même d’avec les autres unions. En ce que dans les unions avec mes êtres créés, l’objet ne se peut posséder que pour des moments, à (171) cause que les créatures sont hors de nous. Mais la jouissance de Dieu est permanente et durable, parce qu’elle est au-dedans de nous-mêmes et que Dieu étant notre dernière fin, l’âme peut sans cesse s’écouler dans lui comme dans son terme et son centre et y être mêlée et transformée.
Il faut encore observer que Dieu nous a donné, en nous créant, une participation de son être propre être réunie à lui, et en même temps une tendance à cette réunion. Il a donné quelque chose de semblable au corps humain à l’égard de l’homme dans l’état d’innocence, le tirant de l’homme même afin de lui donner cette pente à l’union comme à son origine. Mais cela étant entre des corps fort matériels, cette union ne peut être que matérielle et fort bornée, puisqu’elle se fait entre des corps solides et impénétrables. Pour mieux comprendre ceci, on peut se servir de la comparaison d’un métal que l’on veut joindre à un autre de différente espèce, mais quoiqu’on les fasse fondre pour les unir ensemble, ils ne peuvent être parfaitement alliés, à cause qu’ils sont d’une nature dissemblable. Cela réussit mieux dans le mélange d’un métal avec un autre de même nature. Ou bien c’est comme une eau(172)versée dans une autre eau qui peut-être tellement mêlée avec elle qu’on n’y peut plus remarquer aucune distinction. Ainsi l’âme étant d’une nature toute spirituelle, elle est très propre à être unie, mêlée et transformée en son Dieu.
On peut être uni sans être mélangé. C’est l’union des puissances. Mais le mélange est l’union essentielle et cette union est toute entière, se faisant du tout dans le tout.
Il n’y a que Dieu à qui l’âme puisse être unie de cette manière, parce qu’elle a été créée d’une nature à pouvoir être mélangée avec son Dieu et c’est se mélange que St Paul appelle (a) transformation, et Jésus-Christ, (b)unité, mêmeté et consommation.
Or cela se fait lorsque l’âme perd sa propre consistance pour ne subsister qu’en Dieu : ce qui se doit entendre mystiquement, par la perte de toute propriété et par un recoulement amoureux et parfait de l’âme en Dieu. Ch. I. v. 1.
L’âme sera admise à l’union divine par la sortie d’elle-même, par le renoncement continuel à tout propre intérêt. La même. V. 7.
Ce qui lui persuade que le moment fortuné de la consommation du mariage est (173) proche et que l’union permanente se va lier. Ch. 3. V. 4.
Il faut monter plus haut et outrepasser toutes choses pour entrer avec moi dans le sein de mon Père et vous y reposer sans milieu et parla perte de tout moyen, l’union immédiate et centrale ne se faisant qu’au-dessus de tout le créé. Chap. 4. V. 8.
Sitôt que l’âme est entièrement désappropriée, elle est toute disposée pour être reçue dans le lit nuptial de l’Epoux, où elle n’est pas plutôt introduite que, goûtant les sacrées et chastes délices du baiser de la bouche, qu’elle avait désiré d’abord et qu’elle possède à présent par l’union essentielle dont elle vient d’être gratifiée, elle ne peut s’empêcher d’exprimer son contentement par ces paroles : Je suis toute à mon Bien-aimé, et mon Bien-aimé est tout à moi. Ch. 6.V.2.
C’est ce mélange qui divinise (pour ainsi parler) les actions de cette créature, arrivée à un état aussi haut et aussi sublime que celui-ci, parce qu’elles partent d’un principe tout divin, à cause de l’unité qui vient d’être liée entre Dieu et cette âme fondue et recoulée en lui.
C’est alors (après le mariage spirituel) que se fait cet admirable mélange de la créature avec son Créateur qui les réduit en (174) unité, pour ainsi parler, quoiqu’avec une disproportion infinie, telle qu’est celle d’une petite goutte d’eau d’avec la mer. Ch. 6. V. 4.
Il faut remarquer que, quelques louanges que l’Epoux eût données jusqu’ici à son Epouse, il n’avait point encore dit (jusqu’à ce qu’il fut entièrement recoulée dans son unité divine) qu’elle fut unique et parfaite à cause que ces qualités ne se trouvent qu’en Dieu. La même. V. 8.
Tout ce qui se dit de cette ineffable union s’entend avec toutes les différences essentielles entre le Créateur et la créature, quoiqu’avec une parfaite unité d’amour et de recoulement mystique en Dieu seul. Ch. 7. V. 11.
L’Epouse a été dans une grand silence à cause qu’il fallait réduire l’âme dans la simplicité et l’unité de Dieu seul. A présent qu’elle est entièrement consommée dans cette unité, il veut lui donner cet admirable accord qui est un fruit de l’état consommé de l’âme, savoir l’accord de la multiplicité et de l’unité, sans que la multiplicité empêche l’unité, ni l’unité la multiplicité. Ch. 8.v.13.
(175)

AUTORITÉS.

St DENIS.
1. Voyez Conversion. N. 2.
2. Voyez Simplicité. N. 2.
3. Voyez Opérations propres. N. 1.
4. Voyez La même. N. 2.
5. Voyez Simplicité. N. 3.
6. Il est vrai aussi de dire qu’on ne saurait expliquer ni connaître ce que sont les unions des vertus célestes, dignes d’elles et convenables à leur nature, soit qu’on les doive nommer infusions, ou réceptions de la bonté plus qu’inconnue et plus que très claire. Lesquelles unions sont et se trouvent seulement aux Anges, qui par dessus la connaissance Angélique en ont été honorés et jugés dignes. Les hommes doués d’un esprit divin etc… (Voyez Opérations propres. N. 3) Des Noms divins. Ch.1.
7. tout de même, pour ce que Dieu étant un et que départant cet un ) toute partie ou totalité, à tout un et multitude, il reste néanmoins toujours un et de même sorte d’une façon suressentielle, n’étant ni partie de plusieurs, ni un tout ramassé de plusieurs parties. Et partant, il n’est ni un, ni ne participe de l’un, et n’a point l’un. Mais bien loin de tout cela, (a) il est un, par dessus un, un dans les êtres, multitudes indivisible, qui ne peut être rempli, et néanmoins plein , regorgeant par dessus, qui produit, qui perfectionne, qui contient tout un et multitude. D’avantage par cette force et vertu qu’il a déifiée, (176) laquelle procède de lui, (a) plusieurs Dieux étant faits, autant que chacun est capable de la divine ressemblance, il y a ce semble, et aussi en parle-t-on de la sorte, une division et multiplication d’un seul Dieu qui ne se peut diviser dans les choses qui ne peuvent être partagées, uni en soi-même, non mêlé ni multiplié en plusieurs. Celui que, mon maître et moi ensemble, nous avons eu pour guide et directeur à la lumière donnée de Dieu, personnage à la vérité très profond en la connaissance des choses divines, et qui a été la lumière du monde, ayant admirablement bien conçu et considéré ce que nous disons, parle de la sorte comme par un divin enthousiasme, en l’une de ses sacrées Epitres. Car (b) bien qu’il y ait, dit-il, plusieurs appelés Dieux, soit au ciel ou en la terre, (comme véritablement il y a plusieurs Dieux et plusieurs Seigneurs), toutefois nous n’avons qu’un seul Dieu, qui est le Père, duquel sont toutes choses et nous en lui, et un seul Seigneur qui est JÉSUS-CHRIST, par lequel sont toutes choses et nous par lui. Car en fait des choses qui appartiennent à Dieu, les unions dominent et précèdent les distinctions et les mêmes choses divines (c) ne sont pas moins unies après même la distinction, qui est en elles unie et singulière, et ne sort jamais hors de l’unité. La même. Ch. 2.
8. Le Bien, qui est par dessus toute lumière, comprend en soi, surmonte et a par anticipation toute la force et la vertu de ce qui a pouvoir d’illuminer, comme étant le premier principe de la lumière et de tout ce qui est lumineux, qui recueille et rassemble en un toutes choses intellectuelles et raisonnables, et fait qu’elles soient unies, serrées et pressées. (*) Car tout ainsi que le propre de l’ignorance est de diviser et de séparer les esprits qui sont en erreur, de même le propre de la lumière intellectuelle est de recueillir et de réunir par sa présence les choses qu’elle illumine, de les perfectionner et de les convertir au vrai être, en recueillant leurs vues éparses et égarées en plusieurs objets, ou pour mieux dire leurs imaginations distraites et vagabondes, à une seule vraie, pure et uniforme connaissance, les remplissant de sa lumière qui est une et qui a le pouvoir de rendre uns ceux à qui elle se communique. La même. Ch. 4.
9. Par l’amour soit divin, soit angélique, soit intellectuel, ou il se peut dire, animal ou naturel, nous entendons une certaine vertu qui a la force d’unir et de tempérer les choses les unes avec les autres, laquelle meut les supérieures au soin et à la providence des inférieures, les égales à s’entretenir par une liaison mutuelle et les inférieures d’en bas où elles sont, à se tourner et convertir vers les supérieures. La même. Extrait des hymnes de St Hiérothée.
10.Il faut savoir qu’il y a deux puissances et facultés en notre entendement, dont l’une lui sert pour entendre, par laquelle il voit et contemple les choses intelligibles et spirituelles, l’autre (178)est un certaine union qui surpasse la nature de l’entendement par laquelle il est uni à ce qui est par dessus. Selon celle-ci donc, il faut considérer les choses divines, non point à la façon que nous considérons les nôtres, mais ne sortant entièrement hors de nous-mêmes et étant faits tout entiers à Dieu. Car il vaut mieux que nous soyons à Dieu qu’à nous-mêmes, d’autant que par ce moyen les dons et les grâces divines se communiquent à ceux qui sont avec Dieu.La même. Chap. 7.
11. Voyez Quiétude. §. 1. N. 2.
12. Il faut donc que nous contemplions une certaine unique et simple nature de l’union de la paix, laquelle unit toutes choses et les conjoint premièrement en elles, puis à elle-même, et par après les unes aux autres, qui les maintient et les conserve toutes en bon tempérament les unes avec les autres, demeurant néanmoins pures, sans mélange et sans confusion. Par laquelle, dis-je, les Esprits divins étant unis à leurs propres notions et connaissances, sont par même moyen conjoints aux objets entendus et de là montent par après à l’union inconnue des choses qui sont élevées par-dessus l’entendement. Des noms divins, chap. 11.
13. Par cette union les âmes raisonnables venant à unir tous leurs raisonnements qui sont fort divers, et les ramassant tous à une pureté intellectuelle , montent à leur façon, par ordre et par méthode, en formant une pensée épurée de toute matière et sans aucune composition de parties, et s’élèvent à cette union qui est par-dessus la pensée.
Car cette paix (a) tout entière et universelle (179) passe et pénètre en toutes choses par la présence très pure et très simple de sa vertu et de sa force unitive, joignant ensemble les unes extrémités aux autres.
Et cependant cette divine paix ne laisse pas de demeurer indivise, montrant toutes choses en l’un, et passant partout, et néanmoins ne sortant jamais de son état toujours le même. Car elle sort et s’achemine vers toutes choses et elle se donne et distribue à toutes, autant qu’il est bon et convenable à chacune. Et toutefois elle est pleine et regorge (a) par-dessus, par la redondance de sa paix féconde, et par la suréminente excellence de son union, elle demeure plus qu’unie toute entière à elle-même aussi tout entière. La même.
14. Aussi faut-il que nous-mêmes étant convertis de la multitude de plusieurs objets à l’un, par la force et par la vertu de l’unité divine, nous célébrions d’une façon singulière la déité toute et une, le même auteur de toutes choses, qui est auparavant tout ce qui est un. La même.Ch . 13.
15. Voyez. Foi nue. N. 3.

St AUGUSTIN.
16. Voyez Quiétude. §. 1. N. 6.
17. Que (b) cherche l’orgueil, sinon le plus haut point de la puissance ? Or toute puissance se réduit à faire sans peine ce que l’on veut et (180) c’est à quoi (a) l’âme ne parviendra que lorsqu’elle sera parfaitement soumise à Dieu, qu’elle ne dépendra que de lui, qu’une charité sans mesure la tenant unie à ce Dieu tout-puissant qui règne souverainement sur toutes choses fera qu’elle sera plus qu’un même esprit avec lui. De la véritable. Religion. Ch. 52.
18. Voyez Transformation. N. 3.
19. Par où est-ce que nous tenons à la vérité ? C’est par la sanctification dont l’effet et de nous embraser (b) d’une charité qui pénètre toutes les puissances de notre âme. Car cette charité est le seul lien par où nous puissions être unis à Dieu, c’est aussi la charité qui nous rend conformes à Dieu et non pas au monde, et c’est par elle que s’accomplit en nous cette parole de st Paul (c) : Dieu nous a prédestinés pour être conformes à l’image de son Fils. La charité est donc ce qui nous conforme à Dieu.
Nulle créature ne saurait nous unir à la vérité en nous séparant de tout ce qui est sujet à la vanité et au changement. Car comment est-ce que ce qui serait lui-même au nombre de ces sortes de choses pourrait nous en séparer et nous unir à la vérité ? Des mœurs de l’Eglise, Chap. 13.
20. Nous avons vu que St Paul (d) veut que nous soyons tellement unis à Dieu par une entière (181) dépendance de ses volontés que rien ne puisse nous séparer de lui. Mais puisque le Prophète nous fait entendre la même chose lorsqu’il dit : (a) Mon bien est de me tenir uni à Dieu, ce seul mot de David, se tenir uni à Dieu, ne comprend-il pas d’une manière aussi précise qu’elle est courte, tout ce que St Paul dit plus au long de cette heureuse union qui est l’effet de la charité en nous ? Et ce que St Paul dit un peu plus haut, (b)que tout tourne en bien à ceux qui aiment Dieu, ne revient-il pas à ce que dit David que son bien est de lui être uni ? Ainsi ce St Prophète nous fait voir dans une seule sentence qui ne consiste qu’en deux mots et la force de la charité, et le fruit que nous en recueillons. La même. Ch. 16.
21. La vie souveraine est heureuse, c’est-à-dire celle où réside cette vérité qui nous rend indubitablement heureux quand nous sommes parvenus à la contempler dans toute sa splendeur, et que nous lui sommes intimement unis, dont nous ne saurions nous écarter sans nous jeter dans un abîme d’erreurs, de misères et de douleurs. La même. Ch. 19.

St JEAN CLIMAQUE.
22. La prière n’est autre chose qu’un oubli de tout le monde visible et invisible. Disons à Dieu de tout notre cœur par la bouche du Prophète-Roi : (c) Qu’y a-t-il dans le Ciel que je désire ? rien que vous, Seigneur. Qu’y a-t-il dans la terre que j’aime et que je chérisse ? Rien que vous, Seigneur. Rien que d’être si fort uni à vous par la prière que je ne puisse jamais être séparé de vous.(182) Les uns désirent des trésors, les autres de la gloire, les autres de grandes possessions et de grands biens. Mais pour moi je ne souhaite que d’être inséparablement uni à vous et c’est de vous seul que j’espère et que j’attends la parfaite tranquillité de mon âme. Echelle Sainte. Degré 28. Article 29.
23. Je crois que c’est une des plus grandes preuves qu’on est parvenu à la bienheureuse paix de l’âme de pouvoir dire véritablement avec David : Quand mon ennemi s’éloigne de moi, je ne m’en aperçois pas. Et je ne sais ni comment il vient, ni pourquoi il vient, ni comment il se retire, parce que je suis insensible à toutes ces choses, étant parfaitement et inséparablement uni à Dieu de toutes les puissances de mon âme. Degré 29. Art. 10.
24. Celui à qui dieu fait cette grâce de la mettre en cet état si sublime est dès ici bas, quoique revêtu encore d’une chair mortelle, le temple vivant de Dieu, qui le conduit et le gouverne toujours dans toutes ses actions, ses paroles et ses pensées, qui par la lumière intérieure dont il éclaire son âme, lui fait comme entendre la voix de sa volonté divine, et l’élevant au-dessus de toutes les instructions des hommes, lui fait dire avec David (a) : Seigneur, quand irai-je jouir de la vue bienheureuse de votre gloire ? La même. Art. 11.
25. Que dirai-je davantage ? Celui qui possède ce bonheur inconcevable ne vit (b) plus lui-même dans lui-même, mais c’est Jésus-Christ seul qui vit en lui, selon la parole de ce grand (183) Apôtre qui avait (a) si saintement et si généreusement combattu et qui avait achevé sas course et gardé une foi inviolable à Jésus-Christ. La même. Art. 12.

HENRI SUSO.
26. Voyez Opérations de Dieu. N. 1.
27. Cet homme est tellement uni à Dieu, que Dieu même devient son fond. Dialog. de la Vérité. Chap. 10.

L’IMITATION DE JÉSUS CHRIST.
28. Celui qui trouve tout dans l’unité souveraine et qui rapporte tout à cette unité conservera toujours son cœur immobile et demeurera en paix dans le sein de Dieu. Ô Vérité-Dieu ! Rendez-moi une même chose avec vous, en me liant à vous par une éternelle charité. Livr. 1. Ch. 3. §. 2.
29. Voyez Oraison. §. III. N. 3.
30. Comme on acquiert la paix intérieure en ne désirant rien au-dehors ; ainsi en se quittant intérieurement soi-même, on s’unit à Dieu dans le fond du cœur. Livre 3 Chap. 56. §. 1.

HARPHIUS.
31. Voyez Mariage spirituel. N. 1.

Ste CATHERINE DE GÊNES.
32. Cette sainte âme avait une si grande union avec Dieu et son franc-arbitre était tellement lié avec lui, qu’elle ne sentait en elle aucune résistance ni élection. Elle disait : si je mange ou si je bois, si je marche ou si je m’arrête, si je parle ou si je me tais, si je dors ou si je veille, si je vois, si j’entends ou si je pense, si je suis à l’église, à la maison ou à la place, si je suis saine ou malade, à tout heure et à tout moment (184) je veux que tout soit en Dieu et pour Dieu. Je voudrais ne pouvoir, ni vouloir, ni faire, ni penser, ni parler autre chose, sinon la volonté de Dieu. Et je voudrais que la partie qui lui contredirait fut mise en poudre et jetée au vent. En sa Vie. Ch. 28.
33. Qui goûterait le repos de l’union à la volonté de Dieu, il lui semblerait dès cette vie présente être déjà en paradis. La-même. Ch. 31.
34. Voyez Communications. §. II.n. 3.
35. Ô Amour ! Vous êtes appelé amour jusqu’à ce que l’amour que Dieu à versé dans le cœur de l’homme soit tout consumé, car après cela, l’homme demeure tellement enivré et plongé en lui qu’il ne sait plus ce que c’est que l’amour, parce qu’alors l’amour devient esprit et s’unit avec l’esprit de l’homme, ce qui fait que l’homme devient spirituel, et comme l’esprit est invisible et insensible et qu’il ne peut tomber sous les puissances de l’âme, l’homme demeure vaincu et surmonté, de sorte qu’il ne sait plus où il est, ni où il se doit arrêter, ni où il doit aller. Mais par cette intime et secrète union faite en esprit avec Dieu, il reste en l’âme une impression si suave et si délicieuse, avec une satisfaction qui a tant de force et de fermeté qu’il n’y a point de martyre que l’a pu vaincre, et l’âme est remplie d’un zèle si ardent que si l’homme avait mille vies, il les exposerait toutes pour satisfaire à cette intime impression qui est si forte que l’enfer ne peut troubler. Dialog. Livre 3. Ch. 11.

Ste THÉRÈSE.
36. Cette manière d’oraison est, à mon avis, une très manifeste union de toute l’âme avec Dieu, sauf qu’il semble que sa Majesté veut donner (185) licence aux puissances pour entendre et jouir des merveilles qu’elle opère alors. Il arrive quelquefois, et même fort souvent, que la volonté étant unie, on connaît que cette puissance est unie et liée et qu’elle est jouissante. Je dis qu’on connaît que la volonté seule est dans une grande quiétude et que d’autre part la mémoire et l’entendement sont si libres qu’ils peuvent traiter d’affaires et vaquer aux œuvres de charité. Or bien que ceci semble être le même que ce que j’ai dit de l’oraison de quiétude, néanmoins il est différent en partie, parce qu’en celle-là, l’âme ne voudrait point se remuer, jouissant de cette sainte oisiveté de Marie. Mais en cette oraison elle peut encore faire les fonctions de Marthe. Vie. Ch. 17.
37. Ce que je prétends d’expliquer, c’est ce que sent l’âme lorsqu’elle est dans cette union divine. Pour l’union, on sait bien que c’est lorsque de deux choses divisées, il s’en fait une. Vie. Ch. 18.
38. Il y a cette différence entre cette oraison et celle où l’âme est toute avec Dieu, qu’en cette dernière l’âme n’avale pas cette divine viande, mais la trouve dans soi, sans savoir comment Notre Seigneur l’y a mise. Il semble en cette première qu’il veuille que l’âme travaille un peu, quoique ce soit avec tant de repos que cela ne se sent presque pas. Ce qui la tourmente, c’est l’entendement ou l’imagination. Mais cela n’arrive pas quand il y a union des trois puissances, celui qui les a créées les suspend toutes, car par la jouissance qu’il leur donne, il les tient toutes occupées, sans qu’elles sachent comment et sans qu’elles le puissent entendre, l’âme sentant en soi cette oraison qui est un grand et tranquille (186) contentement de la volonté, sans toutefois pouvoir discerner ce que c’est en particulier. Chemin de Perf. Ch. 31.
39. Il est bien vrai que cette âme n se trouve pas même éveillée pour aimer, mais ô heureux sommeil ! Ô ivresse heureuse et désirable qui fait que l’Epoux supplée à ce que l’âme ne peut, qui est de donner un ordre merveilleux à ce que toutes les puissances étant mortes ou endormies, l’amour demeure vif et que sans entendre comment elle opère, sa Majesté ordonne qu’elle opère si merveilleusement qu’elle devienne une chose avec le même Seigneur de l’amour qui est Dieu par une pureté éminente, parce qu’il n’y a rien qui l’empêche, ni sens, ni entendement, ni mémoire : la seule volonté l’entend. Conceptions de l’Amour de Dieu. Ch. 6.
40. Mais on peut former ce doute, savoir si l’âme est tellement absorbée et si hors de soi qu’il semble qu’elle ne peut rien opérer par l’exercice de ses puissances, comment elle peut mériter ? D’autre part il semble qu’il n’est pas possible que Dieu lui fasse une si grande grâce, afin qu’elle perde le temps et que pendant cet espace, elle ne gagne rien en méritant, cela n’est pas croyable. Ô secrets divins ! Nous n’avons ici autre chose à faire qu’à soumettre et captiver notre entendement et penser qu’il n’est nullement capable de pénétrer les grandeurs de Dieu. Nous nous devons ressouvenir ici de la façon dont se comporta la Vierge Notre Dame, avec toute la sagesse dont elle était douée quand elle interrogea l’Ange par ces paroles : (a) Comment est-ce que cela se fera ? Car lui ayant répondu : Le (187) St Esprit surviendra en vous et la vertu du Très-haut vous fera ombre, elle ne se mit point en peine de s’informer d’autre chose, et comme celle qui avait une grande foi et une singulière sagesse, elle entendit aussitôt que ces deux choses intervenant, il n’y avait plus rien à savoir, ni aucun sujet de douter. La même.
41. Ce n’est point comme certains savants que Dieu ne conduit pas par cette sorte d’oraison et qui n’en n’ont aucun commencement, qui se veulent conduire avec tant de raison en toutes choses, et les compassent ou mesurent tellement suivant la capacité de leur entendement qu’il leur semble qu’avec leurs lettres ils doivent comprendre toutes les grandeurs de Dieu. Or s’ils avaient un peu de l’humilité de la Sainte Vierge ! Ô Madame, qu’on peut bien entendre par vous ce qui se passe entre Dieu et l’Epouse, suivant ce que nous lisons dans les Cantiques ! La même.

Le B. JEAN DELA CROIX.
42. tous les appétits ne ont pas également préjudiciables (je parle des volontaires), et n’embarrassent pas l’âme de même façon. Car les appétits naturels empêchent peu ou point l’union de l’âme avec Dieu, quand ils ne tirent aucun consentement et ne passent pas les premiers mouvements. J’appelle appétits naturels et premiers mouvements, tous ceux auxquels la volonté raisonnable n’a aucune part, ni devant, ni après, d’autant qu’il est impossible de les ôter et mortifier entièrement en cette vie. Et ceux-là ne préjudicient pas, en sorte qu’on ne puisse arriver à l’union divine, encore qu’ils ne soient totalement mortifiés, parce qu’il peut bien arriver qu’ils soient en la nature, et que cependant (188) l’âme demeure en liberté et franchise quant à ce qui est de l’esprit raisonnable, d’autant qu’il arrivera parfois que l’âme sera en la haute union de quiétude en la volonté et qu’ils demeurent actuellement en la partie sensitive de l’homme, la partie supérieure qui est en oraison n’ayant aucune part en eux. Mais quant aux autres appétits volontaires, soit de péchés mortels qui sont $$$$$$ les plus griefs, soit des péchés véniels qui sont plus légers, soit seulement des imperfections qui sont encore moindres, il les faut évacuer entièrement et l’âme doit être épurée de tous, pour petits qu’ils soient, si elle veut parvenir à cette totale union. La raison est, parce que l’état de cette union divine consiste en ce que l’âme tienne sa volonté dans une (a) totale transformation en la volonté de Dieu, de manière qu’en tout et par tout son mouvement soit la seule volonté de Dieu.
C’est pourquoi nous disons qu’en cet état de deux volontés, il n’en est fait qu’une, c’est à savoir de la mienne et de celle de Dieu. Encore que la volonté de Dieu soit aussi la volonté de l ‘âme. Or si cette âme voulait quelque imperfection, laquelle sans doute déplait à Dieu, elle ne passerait pas et ne serait pas transformée en la volonté de Dieu, puisque l’âme voudrait ce que Dieu ne veut pas. D’où il paraît que l’âme, pour s’unir à Dieu par amour et volonté, doit auparavant être évacuée de tous appétits de la volonté, et même de plus petits, c’est-à-dire qu’elle ne consente sciemment et volontairement à aucune imperfection, et qu’elle ait le pouvoir (189) et la liberté d’y résister aussitôt qu’elle s’en apercevra.Je dis sciemment, car sans y prendre garde ou sans l’entendre, ou sans être entièrement en son pouvoir de faire autrement, elle tombera bien en des imperfections ou en des péchés véniels, et dans les appétits naturels dont nous avons parlé. Car il est écrit de tels péchés qui ne sont point tant volontaires que (a) le juste tombera sept fois le jour et qu’il se relèvera de même. Mais le moindre des appétits volontaires et connus, si on ne les surmonte, suffit pour empêcher cette union. Et quant à certaines habitudes d’imperfections volontaires, qu’on ne surmonte jamais totalement, il est vrai que non seulement elles empêchent l’union divine, mais encore l’avancement à la perfection. Montée du mont Carmel. Livre 1. Ch. II.
43. Ce n’est pas notre intention d’expliquer à présent en particulier qu’elle est l’union de l’entendement, quelle est celle de la volonté et aussi celle de la mémoire, quelle est l’union (b) passagère et quelle est l’union stable et permanente en ces puissances, et enfin quelle est la totale, parce que nous en traiterons après en son lieu.
Pour entendre quelle est cette union dont nous voulons parler, il faut savoir que Dieu demeure dans toutes les âmes, fut-ce celle du plus grand (190) pécheur du monde et y est présent en substance, et cette manière d’union ou de présence, que nous pouvons appeler d’ordre naturel, est toujours entre Dieu et toutes les créatures, selon laquelle elle les conserve en leur être, de sorte que si elle venait à leur manquer, elles s’anéantiraient tout à fait aussitôt et ne seraient plus. Ainsi quand nous parlerons de l’union de l’âme avec Dieu, ce ne sera pas de cette présence substantielle de Dieu qui est toujours dans toutes les créatures (a) mais de l’union et de la transformation de l’âme en Dieu par amour qui se fait seulement lorsqu’il y a une semblance d’amour, et partant celle-ci se nommera union de semblance, comme l’autre s’appelle union essentielle ou substantielle, et celle-là naturelle, celle-ci surnaturelle qui est quand les deux volontés, à savoir celle de l’âme et celle de Dieu, sont conformes en un, n’y ayant rien en l’une qui répugnent à l’autre. Partant quand l’âme ôtera entièrement de soi ce qui répugne et n’est pas conforme à la volonté divine, elle demeurera transformée en Dieu par amour. Ce qui ne s’entend pas seulement de ce qui répugne selon l’acte, mais aussi selon l’habitude, de manière que non seulement les actes volontaires d’imperfection doivent être bannis, mais aussi les habitudes. Et (b)d’autant que toute créature et toutes ses actions et habiletés n’arrivent pas à ce qui est Dieu, pour ce sujet l’âme se doit dénuer de toute créature, de toutes actions et habiletés d’icelle, à savoir de son entendre, de son goûter et sentir, afin que (191) chassant tout ce qui est dissemblable et no conforme à Dieu, elle vienne à recevoir la semblance de Dieu, ne demeurant en elle aucune chose qui ne soit volonté de Dieu et ainsi se transforme en lui. Montée du mont Carmel. Livre 2. Ch. 5.
44. L’âme donc faisant place, c’est-à-dire, ôtant de soi tout voile et toute tache de créature, ce qui se fait en tenant la volonté parfaitement unie avec celle de Dieu (parce qu’aimer est travailler à ce dépouiller de tout ce qui n’est point Dieu), elle demeure aussitôt éclaircie et transformée en Dieu, d’autant qu’il lui communique son être surnaturel, de telle sorte qu’elle paraît semblable au même Dieu et semble avoir en quelque sorte ce que Dieu possède. Et il se fait une telle union lorsque Dieu départ cette souveraine saveur à l’âme, que toutes les choses de Dieu et de l’âme sont un en transformation participée, et l’âme semble plus être Dieu qu’être âme, encore qu’à la vérité son être naturel soit aussi distinct de celui de Dieu comme il était auparavant, quoiqu’elle soit transformée, comme aussi la vitre a son être distinct de celui du rayon lorsqu’elle en est éclairée.
De ceci on voit plus clairement que la disposition pour cette union n’est pas l’entendre de l’âme, ni le goût, ni le sentir, ni le penser en Dieu selon la manière naturelle, ni quelque autre chose que ce soit, mais seulement la pureté et l’amour qui est une résignation parfaite et nudité totale seulement pour l’amour de Dieu. Et comme il ne peut y avoir de transformation parfaite s’il n’y a la parfaite pureté, aussi selon la pureté sera l’illustration, l’illumination et (192)l’union de l’âme avec Dieu en moindre ou plus haut degré, bien que, comme je dis, elle n’arrive pas à être toute parfaite (a) si elle n’est entièrement claire et nette. Ce qui s’entendra pareillement par une autre comparaison.
Il y a une image très accomplie d’une excellence très extraordinaire, avec un émail très délicat et très subtil, et en la diversité de cet émail il y en a quelques uns si merveilleux et si fins que pour leur délicatesse et perfection on ne peut bien les discerner. Celui donc qui ne verra guère clair, n’y apercevra pas tant d’excellence et de délicatesse, mais un autre qui aura bonne vue en découvrira mieux la perfection, et si quelqu’un a encore la vue plus épurée, il y remarquera plus d’industrie et de délicatesse. Enfin, tant plus on verra clair, on y remarquera plus de perfection et d’excellence, parce qu’il y a tant à voir en cette image que quoiqu’on en découvre, il en reste beaucoup davantage à remarquer. Aussi nous pouvons dire que les âmes se comportent de même manière avec Dieu en cette illustration et transformation. Car bien qu’à la vérité une âme, selon son peu ou plus de capacité, puisse être arrivée à cette union, néanmoins toutes n’y parviennent pas en pareil gré, parce que c’est comme il plaît à Notre Seigneur de le donner à un chacun, ce qui est en la manière que les Bienheureux le voient au Ciel. Car les uns le voient plus parfaitement et les autres moins, encore que tous voient Dieu, et que tous soient contents et satisfaits, vu que leur capacité est remplie selon leur plus grand et leur moindre mérite.(193)
D’où vient qu’encore qu’en cette vie nous trouvions des âmes avec un repos et une paix égale en leur état de perfection et que chacune demeure satisfaite, si est-ce néanmoins que l’une pourra être plus haut élevée que l’autre en cette union et toutes demeurer également satisfaite selon leur disposition et selon la connaissance qu’elles ont de Dieu. Mais celle qui n’arrive pas à la pureté requise aux illustrations et aux vocations de Dieu n’arrive jamais à la vraie paix et satisfaction, faute d’avoir évacué ses puissances, comme il est nécessaire à la simple union. La même.
45. Les âmes commencent à entrer dans cette obscure nuit quand Dieu les va tirant peu à peu de l’état de ceux qui commencent, (a) qui est l’état de ceux qui méditent en la voie spirituelle, et les met dans celui de ceux qui profitent, qui est déjà des contemplatifs, afin que passant par là, ils arrivent à l’état des parfaits qui est celui de l’union divine de l’âme avec Dieu. Obscure Nuit. Liv. I. ch. 1.
46. Voyez Purification. n. 42.
47. Voyez Opérations propres. N. 17.
48. Le huitième degré d’amour fait que l’âme embrasse et étreint son ami avec une liaison indissoluble.
Le neuvième degré d’amour fait que l’âme brûle avec suavité. Ce degré est des parfaits, lesquels déjà brûlent suavement en Dieu, parce (194) que cette ardeur suave et délectable leur est causée par le St Esprit, à raison de l’union qu’ils ont avec Dieu. C’est pourquoi St Grégoire dit que quand les Apôtres reçurent visiblement le St Esprit, ils brûlèrent suavement d’amour en leur intérieur. On ne saurait parler des biens et des richesses de Dieu dont l’âme jouit en ce degré, on en ferait plusieurs livres avant que d’en dire la moitié. Obscure Nuit. Liv. 1. Chap. 20.
449. Ce repos et cette quiétude de cette maison spirituelle vient à être gagné par l’âme habituellement et parfaitement (en tant que la condition de cette vie le peut permettre), par le moyen de ces actes comme substantiels d’union divine que nous venons de dire, qu’elle a reçu de la Divinité secrètement et en cachette du trouble du Diable et des sens et des passions, où l’âme a été purifiée, tranquillisée et rendue forte, constante et stable pour recevoir avec durée la dite union qui est le mariage divin entre l’âme et le Fils de Dieu.
L’Epouse donne à entendre le même aux Cantiques, disant qu’après (a) qu’elle eut évadé ceux qui lui ôtèrent son manteau durant la nuit et qui la blessèrent, elle trouva celui que son âme cherchait. On ne peut parvenir à cette union sans une grande pureté, et cette pureté n e s’acquiert sans une grande nudité de toutes choses. La même. Ch. 24 ;
50. En cette douce boisson de Dieu, en laquelle, comme nous avons dit, l’âme s’imbibe en Dieu d’une très grande volonté avec beaucoup (195) de suavité, l’âme se livre toute à Dieu, voulant être toute à Lui et n’avoir jamais rien en soi qui ne soi convenable et séant à une telle Majesté, selon la portée de sa condition, Dieu causant en elle en la dite union la pureté et perfection qui est requise pour cela, car en ce qu’il la transforme en soi, il la fait toute sienne et évacue d’elle tout ce qu’elle avait d’écarté et éloigné de Dieu. D’où vient que non seulement selon la volonté, mais encore selon l’effet, elle demeure toute donnée et livrée à Dieu, sans réservée aucune chose, comme Dieu aussi s’est donné librement à elle, de manière que ces deux volontés demeurent réciproquement livrées, contentes et satisfaites entre elles, de sorte qu’en quoi que ce soit l’une n’ait à manquer à l’autre avec foi et assurance de mariage. Cantique entre l’Epouse et l’Epoux. Coupl. 19.
51. L’âme est en cet état comme dans un fourneau ardent et embrasé en une union d’autant plus paisible, plus glorieuse et plus tendre que la flamme de ce fourneau est plus ardent que le feu commun, de manière que l’âme sentant que cette vive flamme lui communique vivement tous les biens, parce que cet amour divin les port avec soi, elle dit :
Ô vive flamme, ô sainte ardeur ! Qui par cette douce blessure perce le centre de mon cœur :
Voulant dire, ô amour embrasé etc… (Voyez Purification. N. 47.) Vive flamme d’amour. Cant 1.
52. Il faut par nécessité avoir rompu les (196) toiles pour parvenir à cette possession de Dieu par union d’amour où toutes les choses du monde sont renoncées, le appétits et les passions mortifiés et les opérations de l’âme faites divines, ce qui a été rompu parla rencontre de cette flamme quand elle était âpre et pénible. Car l’âme en la purgation spirituelle achève de rompre ces deux toiles et de s’unir comme elle est ici, et il ne reste plus à rompre que la troisième, de la vie sensitive. C’est pourquoi elle parle en singulier et ne dit pas les toiles, mais la toile, car il n’y a plus que celle-là, laquelle la flamme ne heurte point rigoureusement ni rudement comme elle faisait les autres, mais doucement et savoureusement. Et ainsi (a) la mort de telles âmes leur est très suave et très douce et plus douce que ne leur a été toute leur vie, d’autant qu’elles meurent avec des impétuosités et des savoureuses rencontres d’amour, comme le cygne qui chante plus mélodieusement quand il approche de la mort. C’est pourquoi David a dit (b) que la mort des justes est précieuse parce que là les rivières de l’amour de l’âme vont entrer dans l’Océan de l’aimer, et sont là si vastes et si calmes qu’elles paraissent déjà des mers, là se joignant le commencement et la fin, le premier et le dernier pour accompagner le juste qui part et qui va dans son royaume, s’entendant les louanges des extrémités de la terre, c’est à savoir la gloire du juste, et l’âme se sentant alors avec ces glorieuses (197) rencontres sur le point de sortir et d’entrer dans les abondances à posséder parfaitement le royaume, parce qu’elle se voit pure et riche (autant que la foi et l’état de cette vie le peuvent compatir), et s’aperçoit disposé pour cela, car Dieu en cet état lui laisse déjà voir sa beauté, lui confie les dons et les vertus dont il l’a enrichie, vu qu’en elle tout se tourne en amour et louanges, (a) n’y ayant plus de levain qui corrompe la pâte. La-même. V. 6.
53. L’âme bienheureuse qui a eu ce bien d’obtenir ce cautère, (b) sait tout, goûte tout, fait tout ce qu’elle veut, prospère, et personne devant elle n’a l’avantage et ne la touche, car c’est celle dont l’Apôtre dit : (c) Le spirituel juge de tout et il n’est jugé de personne ; et en un autre lieu : (d) il sonde toutes choses jusqu’aux profondeurs de Dieu.O grande gloire des âmes qui mérités$$$$$$$$$ de parvenir à ce très haut feu, lequel ayant une force infinie pour vous consommer et anéantir, ne vous consommant point, il vous consomme en gloire avec immensité ! Ne vous émerveillez pas que Dieu amène jusques ici quelques âmes, vu que lui en certaines (198) choses est singulier à faire des effets prodigieux. Donc ce cautère étant si suave, comme nous l’avons ici donné à entendre, combien sera caressée celle qui sera touchée de ce feu. La-même Cantique 2. V. 1.
54. O attouchement délicat ! Verbe Fils de Dieu qui par la délicatesse de votre Être divin, pénétrez subtilement en la substance de mon âme et la touchant délicatement, vous l’absorbez toute en des manières divines de suavités inouïes. La-même. v. 3.
55. Dieu se comporte de la sorte envers ceux qu’il veut favoriser et avantager selon l’amendement le plus important car il les laisse tenter, affliger, tourmenter et épurer intérieurement et extérieurement jusqu’où on peut arriver, afin de les déifier, leur donnant l’union en sa Sagesse qui est le plus haut de tous les états et les purgeant premièrement en cette même Sagesse, selon que David le marque, disant : (a) que la Sagesse du Seigneur est un argent examiné par le feu, éprouvé en la terre de notre chair et purgé sept fois, c’est-à-dire très purgé. Et il n’y a pas de quoi s’arrêter ici davantage à déclarer comment se fait chacune de ces purgations pour parvenir à cette Sagesse divine qui est en l’état de cette vie mortelle comme l’argent, lequel de si haut aloi et si épuré qu’il soit, ne sera jamais comme l’or précieux qui est réservé pour la gloire.
L’âme confesse ici comme déjà bien satisfaite, disant :
Et paie toute dette.
Comme aussi David par ces paroles (b) (199) Combien m’avez-vous montré de tribulations en grand nombre et mauvaises ; Et vous tournant, vous m’avez vivifié, et m’avez derechef retiré des abîmes de la terre, vous m’avez multiplié votre magnificence et vous tournant vers moi, vous m’avez consolé.
*De sorte que cette âme qui était auparavant dehors (a) aux portes du palais de Dieu, pleurant, comme Mardochée aux places de Susan $$$$$$ le péril de sa vie, vêtu de cilice, ne voulant recevoir le vêtement que la Reine Esther lui envoyait et n’ayant reçu ni faveur, ni récompenses pour les services qu’il avait rendus au Roi, ni pour la fidélité à lui conserver son honneur et sa vie, elle est payée de tout en un jour, la faisant non seulement entrer au palais et demeurer en la présence du Roi, revêtue de robes royales, mais aussi la couronnant d’un diadème et lui donnant comme à une autre Esther, la possession du royaume, pour faire tout ce qu’elle voudra dans le royaume de son Epoux, parce que ceux de cet état obtiennent tout ce qu’ils veulent, et toute la dette leur est bien payée, les ennemis de leurs appétits étant déjà morts, lesquels voulaient leur ôter la vie, et déjà vivant en Dieu. Vive Flamme d’amour. Cant. 2. V. 5.
56. On a ici grandement besoin de la faveur de Dieu pour expliquer et déclarer la profondeur
de ce Cantique, et celui qui le lira y doit apporter une grande attention, parce que s’il n’a de l’expérience, il le trouvera fort obscur, quoiqu’il soit clair et agréable si on l’entend. (200) L’âme en ce Cantique remercie intimement son Epoux des grandes faveurs qu’elle a reçues de l’union avec lui, lui communiquant par ce moyen plusieurs connaissances de soi-même très hautes et très sublimes, avec lesquelles les puissances + et les sens de son âme, qui avant cette union étaient obscures et aveugles, étant illuminées et enflammées d’amour, pour correspondre au Bien-aimé, offrant cette même lumière et amour à celui qui les a embrasées et blessées d’amour, versant en elles des dons si divins. *Car le vrai amant est alors content quand tout ce qu’il est et ce qu’il vaut et peut valoir, et qu’il a et peut avoir, il l’emploie en l’Ami, et tant plus cela est grand et excellent, tant plus prend-il de plaisir à le donner. La-même. Cant. 3.
57. O lampes de feux lumineux !
Supposé que ces lampes ont deux propriétés qui sont (a) d’éclairer et de brûler pour entendre ce vers, il faut concevoir que Dieu en son unique et simple être est toutes les grandeurs et vertus de ses attributs, parce qu’il est tout puissant, qu’il est sage, qu’il est bon, qu’il est miséricordieux, qu’il est juste, qu’il est fort, qu’il est amoureux, et qu’il est les autres attributs et vertus que nous ne connaissons pas de lui en cette vie. Et étant toutes ces choses quand il est uni avec l’âme, et qu’il lui plaît de se manifester à elle par une notice très particulière (201)(a) elle aperçoit et connaît en lui ces vertus et ces grandeurs en unique et simple être, parfaitement, selon que cela compatit avec la foi : et comme chacune de ces vertus est le même être de Dieu, qui est Père, Fils et Esprit, et chacun de ces attributs étant Dieu même, et Dieu étant une lumière infinie et un feu divin infini, comme il a déjà été dit ; de là vient que selon chacun de ces attributs il éclaire et brûle comme vrai Dieu.
Et ainsi selon ces notices que l’âme a connues de Dieu en unité, le même Dieu est plusieurs lampes à l’âme, puisqu’elle a connaissance de chacune, et que chacune en sa manière l’échauffe d’amour, et toutes sont en un être simple, et toutes sont (b)une lampe qui est toutes ces lampes, car elle éclaire et brûle de toutes les manières, ce que connaissant l’âme, cette seule lampe lui est plusieurs lampes parce qu’encore qu’elle soit une, elle peut toutes choses, elle a seule toutes les vertus, et ramasse tous les esprits. Et ainsi nous pouvons dire que Dieu luit et brûle de plusieurs façons en une manière, parce qu’il luit et brûle comme tout-puissant, il luit et brûle comme sage, il luit et brûle comme bon, etc. donnant à l’âme l’intelligence et amour, et se manifestant à elle, en la façon qu’elle en est capable selon elles (202)toutes, car la splendeur que lui donne cette lampe, en tant qu’elle est toute puissante, $$$$$$ en l’âme de la lumière et de la chaleur d’amour de Dieu, en tant qu’il est tout-puissant, etc.
Ces lampes furent montrées à Moïse sur le mont Sinaï, où dieu passant devant lui, il se prosterna à terre, et dit quelques grandeurs de celles qu’il avait aperçues en lui, et l’aimant $$$$$$$ selon les choses qu’il avait vues, il es $$$$distinctement par ces paroles : (a) Domine$$$$$$, Seigneur Dieu miséricordieux, etc. La même, Cant. 3. V. 1.
58. O âme, quelle et combien excellente et en combien de manières sera ta lumière et ton contentement, puisque tu sens qu’en toutes et de toutes, ces lampes de notices, il te donne sa joie et son amour, t’aimant selon ses$$$$$$ vertus, attributs et propriétés ? parce que celui$$$$ qui aime et fait du bien à un autre selon sa$$$$$ condition et ses propriétés, l’honore et l’oblige, de même ton Epoux en toi, (c) étant tout-puissant, te donne et t’aime avec toute-puissance, et étant sage, tu sens qu’il t’aime avec sagesse, étant bon, tu sens qu’il t’aime avec bonté, étant saint, tu sens qu’il t’aime avec sainteté, et ainsi du reste. Et comme il est libéral, tu $$$$$$$$ aussi (c) qu’il t’aime avec libéralité sans aucun (203) intérêt, mais seulement pour te faire du bien, te$$$ montrant joyeusement cette face remplie de grâces et te disant : je suis à toi et pour toi et $$$$bien aise d’être tel que je suis pour me donner à toi et être à toi. Qui pourra expliquer ce que tu sens, ô âme bienheureuse, te voyant ainsi aimée et agrandie avec une telle estime. Nous dirons que (a) ton ventre, qui est ta volonté, ressemble au monceau de blé qui est couvert et environné de lis, parce qu’en ces $$$$$ du pain de vie que tu goûtes, ensemble les lis es vertus qui t’environnent te recréent et te délectent, d’autant que ces filles du Roi, qui sont ces vertus, de l’odeur de leurs drogues$$$$ aromatiques, qui sont les connaissances qu’il te donne, te réjouissent merveilleusement, et tu y est si plongée et si imbue que tu es aussi$$$$$le puits des eaux vives qui courent impétueusement du mont Liban qui est Dieu. En quoi tu es merveilleusement réjouie selon l’harmonie de ton âme, afin qu’il s’accomplisse en toi aussi le dire du Psalmiste (b) : l’impétuosité du fleuve$$$$$ réjouit la cité de Dieu. O Chose admirable qu’alors l’âme (c) répande et dégorge des eaux divines et qu’elles sortent d’elle comme d’une fontaine abondante qui regarde la vie éternelle ! Car encore qu’il soit vrai que cette communication est lumière et feu de ces lampes de Dieu, ce feu est ici si suave qu’encore (204) que ce soit une flamme immense, c’est comme des eaux de vie qui (a) rassasient et étanchent la soif avec l’impétuosité que l’esprit désire.
Et ainsi, bien que ce soient des lampes de feu, ce sont des eaux vives de l’esprit, comme aussi celles qui vinrent sur les Apôtres, encore que ce fussent des lampes de feu, étaient aussi des eaux pures et nettes, car Ezéchiel les nomme de la sorte, quand il prédit cette venue du St Esprit : (b)Je répandrai sur vous de l’eau nette et mettrai mon Esprit au milieu de vous. Partant encore que ce soit feu, c’est aussi de l’eau, car il est figuré par le feu du sacrifice que Jérémie cacha, (c)lequel pendant qu’il était caché était de l’eau, et quand il servait au-dehors à sacrifier, c’était du feu. Et (d) ainsi * cet Esprit de Dieu, en tant qu’il est caché aux veines de l’âme, c’est comme de l’eau douce et fraîche qui étanche la soif de l’esprit, et en tant qu’il s’exerce au sacrifice d’aimer, il est de vives flammes de feu qui sont les lampes de l’acte de dilection, dont l’Epouse parle au (205) Cantique. (a) Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes, lesquelles l’âme nomme de la sorte, parce que non seulement elle les goût comme des eaux de Sagesse en soi, mais encore comme feu d’amour, disant en acte d’amour : ô lampes de feu !
*Tout ce qu’on en peut discourir (b) n’est rien au prix de ce qui en est. Si on remarque que l’âme est transformée en Dieu, on entendra en quelque façon comme c’est la vérité qu’elle est devenue fontaine d’eaux vives, ardentes, ferventes au feu d’amour qui est Dieu. La même.
59. Ces vues, ou ces montres de gloire en Dieu, qui se donnent ici à l’âme, sont déjà plus continuelles que de coutume, et plus parfaites et plus stables, mais en l’autre vie, elles seront très parfaites et sans altération de plus ni de moins, et sans vicissitude ou interstice de mouvement. Alors l’âme verra clairement qu’encore qu’il parût ici que Dieu se mouvait en elle, il est toutefois immobile en soi, comme le feu qui ne se meut point dans sa sphère. Néanmoins ces splendeurs sont des (206) grâces et faveurs inestimables que Dieu fait à l’âme, lesquelles on nomme autrement obombrations. Et celles-ci en cet état, à mon avis, sont des plus hautes qui puissent être ici en voie de transformation.
Pour entendre ceci, il faut savoir qu’obombrer signifie faire ombre, qui est autant que protéger et faire des faveurs, car venant à toucher l’ombre, c’est signe que le corps qui la fait est proche pour favoriser et défendre.
C’est pourquoi il fut dit à la Vierge (a) que la vertu du Très–Haut lui ferait une ombre, parce que le St Esprit en devait approcher si près qu’il devait venir sur elle. Et (b)notez que chaque chose a de l’ombre, et la fait selon sa propriété et sa figure. Si la chose est épaisse et obscure, elle rendra l’ombre de même ; si elle est plus rare et plus claire, l’ombre en sera plus claire, comme on peut voir au bois et au cristal, l’un qui est opaque la fait obscure et l’autre qui est transparent la rend claire. De même aussi aux choses spirituelles, la mort est privation de toutes choses, donc l’ombre de la mort sera des ténèbres qui privent aussi en quelque façon de toutes choses, ainsi l’appelle le Psalmiste, disant : (c) Assis dans les ténèbres et en l’ombre de la mort. Si ces ténèbres sont corporelles, de mort corporelle, si elles sont spirituelles, de mort spirituelle. Ainsi l’ombre de la vie sera lumière ; (d) si divine, lumière divine (207), si humaine, lumière naturelle, et ainsi l’ombre de la beauté sera comme une autre beauté, selon la façon et propriété de celle dont elle est l’ombre, et l’ombre de la force sera comme une autre force, selon sa forme et condition ; l’ombre de la sagesse sera une autre sagesse, ou pour mieux dire, sera la même beauté, la même force, la même sagesse en ombre, en laquelle on connaît la forme et la propriété de la chose dont elle est l’ombre. Ceci présupposé, quelle sera, je vous prie, l’ombre que le St Esprit fait à l’âme de toutes les grandeurs de ses vertus et attributs ? Etant si près d’elle qu’il ne la touche pas tellement quellement en ombre, mais aussi (a) qu’il demeure uni avec elle en ombre, entendant et savourant la grandeur et les propriétés de Dieu en l’ombre de Dieu, c’est à savoir (b) en goûtant et entendant la propriété de la puissance divine, en l’ombre de la toute-puissance divine et (b) entendant et goûtant la sagesse divine en ombre de la sagesse divine, bref, goûtant la gloire de Dieu en l’ombre de la gloire, laquelle fait (b) savoir et goûter la propriété et (208) la manière de la gloire de Dieu : tout cela se passant en des ombres claires et ardentes, puisque les attributs de Dieu et ses vertus sont des (209) lampes, lesquelles, parce qu’elles sont resplendissantes et ardentes, doivent faire en leur manière (210) et propriété des ombres claires et ardents, et plusieurs en une seule essence. Ô que sera-ce de voir ici expérimentant la vertu de cette figure que vit Ezéchiel (a) en cet animal de quatre formes et figures, et en cette roue de quatre roues ? voyant son aspect qui (211) était comme de charbons allumés et comme un aspect de lampes, et voyant la roue, qui est la sagesse pleine d’yeux dedans et dehors, qui sont des notices admirables de sagesse, et entendant ce son de leur démarche qui était comme le bruit d’une multitude d’armées qui signifient plusieurs choses en un (que l’âme connaît ici en un seul son, d’un seul pas de Dieu, et qui va (a) passant par elle), bref, goûtant ce son du battement de leurs ailes qui était, au dire du Prophète, comme u son de plusieurs eaux, et comme le son du très-haut Dieu par où est signifié l’impétuosité des eaux divines à la chute desquelles le St Esprit investit l’âme en flamme d’amour, laquelle jouit ici de la gloire de Dieu, à l’abri et saveur de son ombre, comme aussi le Prophète (b) dit que cette vision était une semblance de la gloire du Seigneur. Ô que cette heureuse âme est ici élevée ! Ô quelle est agrandie ! Qu’elle est ravie d’admiration de ce qu’elle voit, étant encore dans les limites de la foi. Qui le pourra dire ? Vu qu’elle est si abondamment imbue des eaux de ces splendeurs divines, où le Père éternel donne à pleine main l’arrosement d’en-haut et d’en bas, puisque ces eaux arrosant l’âme, pénètrent aussi le corps. Vive flamme d’amour. Cant. 3. V. 2.
(212)
60. La capacité de ces Cavernes est donc (a) profonde, d’autant que ce qu’elles doivent (213) recevoir en elles, à savoir dieu, est profond et infini, et ainsi leur capacité sera en quelque façon infinie, leur soif infinie, leur faim aussi infinie et profonde, leur peine et leur défaite en sa manière infinie. Partant quand l’âme pâtit, encore que ce ne soit si âprement (214) qu’en l’autre vie, néanmoins il semble que c’en soit une vive image : à cause que l’âme est en certaine disposition pour recevoir son comble, dont la privation lui est un fort grand tourment quoique cette peine soit d’une autre trempe, parce qu’elle est dans le sein de l’amour de la volonté et ici l’amour ne soulage point la peine, puisque tant plus il est grand, plus il est impatient pour la jouissance de son Dieu, qu’elle attend à chaque moment avec un désir très véhément. La même, v. 3 §. 2.
(215)
61. Mais, mon Dieu, puisqu’il est certain que quand l’âme désire Dieu avec une entière vérité, elle a déjà ce qu’elle aime, (comme dit St Grégoire), comment se peine-t-elle pour ce qu’elle a déjà ? Et si au désir qu’on les Anges, dit St Pierre, (a) de voir le Fils de Dieu, Il n’y a aucune peine ni angoisse, à raison qu’ils le possèdent déjà, il semble que si l’âme tant plus elle désire Dieu, tant plus elle le possède, et comme la jouissance de Dieu délecte et rassasie, tant plus devait-elle sentir de satiété et de délectation en ce désir qu’il était plus véhément, puisqu’elle possède davantage Dieu, et ainsi par raison elle ne devait sentir aucune peine ni douleur.
En cette question il faut noter la différence qu’il y a d’avoir Dieu seulement par grâce et de l’avoir aussi par union. Car l’un est se vouloir réciproquement et l’autre dit une très particulière communication, laquelle différence nous pouvons entendre de celle qu’il y a entre les fiançailles et le mariage. Car aux fiançailles il n’y a qu’un accord et une volonté des deux parties, quelques bagues et joyaux que le fiancé donne à la fiancée. Mais (b) au mariage, il y a aussi union et communication des personnes : dans les fiançailles, encore que le fiancé voie quelquefois la fiancée et lui fasse des présents, néanmoins il n’y a point union des personnes, qui est la fin des fiançailles $$$$$$. De même quand l’âme est parvenue à une telle pureté en soi et en ses puissances, (216) que la volonté soit très purgée des autres goûts et appétits étrangers selon la partie inférieure et supérieure, et qu’elle ait entièrement donné (a) son consentement à Dieu, touchant tout ceci, la volonté de Dieu et celle de l’âme étant déjà une en un consentement prompt et libre. Alors nous disons que l’âme est venue à posséder Dieu par grâces et fiançailles et en conformité de volonté, dans lequel état de fiançailles spirituelles de l’âme avec le Verbe, l’Epoux lui fait de grandes grâces et la visite souvent très amoureusement, où elle reçoit de grandes faveurs et délices, mais ce n’est rien au prix de celles du mariage spirituel. Car quoique cela se passe en l’âme qui est très purgée de toute affection de créature (vu que les fiançailles spirituelles ne se font point devant cela), néanmoins pour l’union et le mariage spirituel, l’âme a besoin d’autres dispositions positives de Dieu, de ses visites et de plus grands dons, avec quoi il la va purifiant davantage, et l’embellit et subtilise pour être dûment disposée à une (b) si haute union, et en cela il y va du temps, en quelques une plus, en d’autres moins.
Ce qui a été figuré par les filles qu’on choisissait pour le Roi Assuerus (c). Car encore qu’on l’eût déjà tirées de leur pays et de la (217) maison de leurs parents, toutefois avant qu’elles vinssent au lit du Roi, on les tenait un an enfermées (quoique ce fut dan le palais), en sorte qu’elles se frottaient pendant six mois de certains onguents de myrrhe et d’autres drogues aromatiques, et le reste de l’année se disposaient avec d’autres parfums plus exquis, et par après on les menait au lit du Roi.
Partant au temps de ces fiançailles et de l’attente du mariage spirituel, dans les onctions du St Esprit, quand les onguents des dispositions pour l’union de Dieu sont plus précieux, les angoisses des cavernes de l’âme ont accoutumé d’être extrêmes et délicates, parce que comme ces onguents disposent plus prochainement et plus immédiatement à l’union de Dieu, car ils lui sont plus conjoints, pour ce sujet ils lui causent plus de saveur et l’affriandent de lui plus délicatement. Et ainsi le désir est beaucoup plus délicat et plus profond, le désir de Dieu étant une disposition pour s’unir avec lui. Vive flamme d’amour. Cant. 3. §. 3.
62. Encore qu’il soit véritable, que l’âme ne peut donner de nouveau le même Dieu à lui-même, vu qu’en soi il est toujours le même, néanmoins elle fait sagement et parfaitement, donnant tout ce qu’il lui avait donné pour payer l’amour, ce qui est donner tout autant qu’on a reçu, et Dieu se paye par ce présent de l’âme, car il ne saurait se contenter à moins, et le reçoit gracieusement et avec remerciement, comme chose qui appartient à l’âme, laquelle lui est donnée dans le sens qu’il a été dit, en cela même il l’aime de nouveau et se livre librement à elle, et en cela même l’âme (218) aime, et ainsi il y a actuellement entre Dieu et l’âme un réciproque, en la conformité de l’union et en la délivrance matrimoniale, en laquelle les biens des deux, qui sont la divine essence sont possédés des deux en la donation volontaire de l’un à l’autre, l’un disant à l’autre ce que le Fils de Dieu dit à son Père : (a) Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi, et en tout cela, j’ai été glorifié, c e qui est dans l’autre vie en la jouissance sans intermission, et en cet état d’union, quand la communication de l’âme et de Dieu est mise en acte et exercice d’amour, alors dis-je, l’âme peut faire ce présent, encore qu’il soit de plus grande entité que sa capacité et son être. Car il est tout clair que celui qui a plusieurs royaumes et nations à lui, encore qu’elles aient plus d’entité que lui, il peut bien les donner à qui bon lui semble. Et c’est là le grand contentement et satisfaction de l’âme de voir qu’elle donne à Dieu plus qu’elle ne vaut en soi, donnant si libéralement dieu à soi-même, comme uns chose sienne, avec cette lumière divine et chaleur d’amour qui lui a été donnée. Et ainsi les profondes cavernes du sens donnent tout ensemble à leur ami lumière et chaleur, avec des excellences étranges ensemble, d’autant que la communication du Père, du fils et du St Esprit est jointe en l’âme qui sont lumière et feu d’amour.
Mais il faut noter ici brièvement avec quelles excellences l’âme fait ici cette délivrance. Sur quoi il faut remarquer que comme en l’acte de cette union, l’âme jouit d’une certaine (219) image de fruition qui est causée de l’union de l’entendement et de l’affection en Dieu, réjouie en soi et obligée, elle fait à Dieu donation ou reddition de dieu et de soi-même en Dieu par des moyens du tout merveilleux, car à l’égard de l’amour, l’âme se comporte envers Dieu avec des excellences étranges, et de même touchant ce vestige de jouissance, comme aussi quant (a) à la louange pareillement et quant au remerciement. Et à l’égard du premier qui est l’amour, elle a trois principales excellences d’amour. La première, c’est que l’âme aime ici Dieu par le même Dieu qui est une excellence admirable, parce qu’elle aime enflammée par le St Esprit, et ayant soi-même le St Esprit, comme le Père aime le Fils, selon ce qui est dit en St Jean, : afin que l’amour dont vous m’avez aimé (dit le Fils au Père) soit en eux et moi en eux. La seconde excellence, c’est d’aimer Dieu en Dieu, parce qu’en cette véhémente union l’âme
S’absorbe en amour de Dieu et Dieu se livre à l’âme avec une grande véhémence. La troisième excellence d’amour, c’est de l’aimer là pour ce qu’il est, parce qu’elle ne l’aime pas seulement (c ) à cause qu’il lui est splendide, bon, libéral etc, mais beaucoup plus, parce qu’il est tout cela en soi essentiellement. La même. V. 5 et 6.

LE PERE NICOLAS DE JESUS MARIA
Rapporte
63. Albert Le Grand. L’âme dévote doit être tellement unie avec Dieu et doit avoir et rendre sa volonté si conforme à la divine, qu’elle ne s’occupe ou n’adhère à aucune créature, comme lorsqu’elle n’était pas encore créée, ou comme si rien n’était que Dieu et l’âme seule. (De l’attach. à Dieu. Ch 6 et8.) Eclairciss. des Phras. Myst. de Jean de la Croix. P. II. Ch. I. §. 3.
64. La plus haute perfection de l’homme en cette vie, c’est d’être tellement uni à Dieu que toute l’âme soit recueillie en Dieu son Seigneur avec toutes ses forces et puissances, afin qu’elle soit faite un esprit avec lui, et qu’elle ne se souvienne sinon de Dieu, qu’elle ne sente ou entende que Dieu, et que toutes ses affections unies en joie d’amour reposent doucement en la seule jouissance du Créateur. (Ch. 3) La même. Chap. 14. §. 4.
65. Le vrai amateur de Jésus-Christ doit être tellement uni en esprit par la bonne volonté à la volonté divine, et si dénué de tous les fantômes et passions qu’il ne prenne pas garde s’il est moqué, aimé, ou à quelque chose que ce soit qu’on lui fasse. Car la bonne volonté accomplit tout et est au-dessus de toutes choses. D’où vient que si la volonté est bonne et purement conforme et unie à Dieu en esprit, la chair et la sensualité ne lui nuisent point. L’âme se plonge du tout et toute en son Créateur, tellement qu’elle dirige toutes ses opérations purement du tout en Dieu son Seigneur et ne cherche rien hors de lui, et ainsi elle est en quelque façon transformée en Dieu, en ce qu’elle ne (221) peut peser, ni entendre, ni aimer, ni se souvenir sinon de Dieu. (Chap. 6) La même.
66. Voyez Pur amour. N. 29.
67. St Thomas. Il y a dit, dit le Docteur Angélique, deux unions de l’amant à l’aimé : l’une réelle, comme lorsque l’aimé est présent à l’amant, et l’autre est selon l’affection. L’amour donc fait la première union effectivement, parce qu’il (a) excite à désirer et rechercher la présence de l’aimé, comme lui étant convenable et lui appartenant ; mais pour la seconde union il la fait formellement, parce que l’amour même est une telle union ou tel lien, d’où vient que St Augustin dit au 8ème de la Trinité : que l’amour est une certaine liaison conjoignant deux choses, ou désirant de les conjoindre, à savoir l’amant et ce qui est aimé, car en ce qu’il dit conjoignant, il se rapporte à l’union d’affection, sans laquelle il n’y point d’amour. Mais ce qu’il dit, désirant de conjoindre, cela appartient à l’union réelle. (1.2.Qu. 28. Art. 1.) La même. Chap. 16. §. 1.
68. Voyez Présence de Dieu. N. 15.
69. Cornelius à Lapide. Voyez Présence de Dieu. N. 18.

ST FRANÇOIS DE SALES
70. Rien n’est si naturel au bien que d’unir et d’attirer à soi les choses qui le peuvent sentir, comme font nos âmes, lesquelles tirent toujours et se rendent à leur trésor, c’est-à-dire à ce qu’elles aiment. De l’amour de Dieu. Livr. 6. Chap. 7.
71. L’union se fait quelquefois sans que nous y coopérions, sinon par une simple suite, nous (222) laissant unir sans résistance à la divine bonté comme un petit enfant amoureux du sein de sa mère, mais tellement alangouri qu’il ne peut faire aucun mouvement pour y aller, ni pour se serrer quand il y est, mais seulement est bien aise d’être pris et tiré entre les bras de sa mère et d’être pressé par elle sur sa poitrine.
Quelquefois nous coopérons lorsqu’étant tirés, nous courons volontiers pour seconder la douce force de la bonté qui nous tire et nous serre à soi par son amour.
Quelquefois il nous semble que nous commençons à nous joindre et serrer à Dieu avant qu’il se joigne à nous, parce que nous sentons l’action de l’union de notre côté, sans sentir celle qui se fait de la part de Dieu, lequel toutefois sans doute nous prévient toujours, bien que nous ne sentions pas toujours sa prévenance, car s’il ne s’unissait à nous, jamais nous ne nous unirions à lui. Il nous choisit et nous saisit toujours avant que nous le choisissions et saisissions. Mais quand suivant ses attraits imperceptibles nous commençons à nous unir à lui, il sait quelquefois le progrès de notre union, secourant notre imbécillité et se serrant sensiblement lui-même à nous, si$$$$$$$que nous le sentons qu’il entre et pénètre notre cœur par une suavité incomparable. Et quelque fois aussi comme il nous a attirés insensiblement à l’union, il continue insensiblement à nous aider et secourir, et nous ne savons comme une si grande union se fait, mais nous savons bien que nos forces ne sont pas assez grandes pour la faire. Ainsi nous jugeons bien par là que quelque secrète puissance fait son insensible action en nous. Comme les nochers qui portent du fer, (223) lorsque sous un vent fort faible ils sentent leurs vaisseaux cingler puissamment, connaissent qu’ils sont proches des montagnes de l’aimant qui les tire imperceptiblement et voient en cette force un connaissable et perceptible avancement provenant d’un moyen inconnu et imperceptible. Car ainsi lorsque nous voyons notre esprit s’unir de plus en plus à Dieu sous des petits efforts que notre volonté fait, nous jugeons bien que nous n’avons pas assez de vent pour cingler si fort, et qu’il faut que l’amant de nos âmes nous tire par l’influence secrète de sa grâce, laquelle il veut nous être imperceptible, afin qu’elle nous soit plus admirable, et que sans nous amuser à sentir ses attraits, nous nous occupions plus purement et simplement à nous unir à sa bonté.
Quelquefois (a) cette union se fait si insensiblement que notre cœur ne sent ni l’opération divine en nous, ni notre coopération. Ainsi il trouve la seule union insensiblement toute faite, à l’imitation de Jacob, qui sans y penser se trouva marié avec Lia $$$$, ou plutôt comme un autre Samson, mais plus heureux, il se trouve lié et serré des cordes de la sainte union sans que nous nous en soyons aperçus.
D’autre fois, nous sentons les serrements, l’union se faisant par des actes sensibles, tant de la part de Dieu que de la nôtre.
Quelquefois l’union se fait par la seule volonté, et en la seule volonté, et d’autrefois l’entendement y a sa part, parce que la volonté le tire après soi et l’applique à son objet, lui donnant un plaisir spécial d’être appliqué à le (224) regarder, comme nous voyons que l’amour répand une profonde et spéciale attention en nos yeux corporels, pour les arrêter à voir ce que nous aimons.
Quelquefois cette union se fait de toutes les facultés de l’âme, qui se ramassent toutes autour de la volonté, non pour s’unir elles-mêmes à Dieu, car elles n’en sont pas toutes capables, mais pour donner plus de commodité à la volonté de faire son union, car si les autres facultés étaient appliquées, une chacune à son objet propre, l’âme opérant par elles ne pourrait pas si facilement s’employer à l’action, par laquelle l’union se fait avec Dieu. Telle est la variété des unions. De l’amour de Dieu. Liv. 7. Ch. 2.
72. Sachez, Théotime, que la charité est un lien et un lien de perfection. Qui a le plus de charité, il est plus étroitement uni et lié à Dieu. Or nous ne parlons pas de cette union qui est permanente en nous par manière d’habitude, soit que nous dormions, soit que nous veillons, nous parlons de l’union qui se fait par l’action et qui est un des exercices de la charité et dilection. Imaginez-vous donc que St Paul, St Denis, St Augustin, St Bernard, St François, Ste Catherine de Gênes ou de Sienne, sont encore en ce et qu’ils dorment de lassitude, après plusieurs travaux pris pour l’amour de Dieu ; représentez-vous d’autres part quelque bonne âme, mais non si sainte qu’eux, qui fut ne l’oraison d’union à même temps : je vous demande mon cher Théotime, qui est le plus uni, plus serré, plus attaché à Dieu, ou ces grands Saints qui dorment, ou cette âme qui prie ? Certes, ce sont ces admirables Amants, car ils ont plus de charité et leurs (225) affections, quoiqu’en quelque façon dormantes, sont tellement engagées et prises à leur Maître, qu’elles en sont inséparables. Mais, me direz-vous, comment se peut-il faire qu’une âme qui est en l’oraison d’union et même jusqu’à l’extase, soit moins unie à Dieu que ceux qui dorment, pour saints qu’ils soient ? Voici ce que je vous dis, Théotime : celle-là est plus avant dans l’exercice de l’union et ceux-ci sont plus avant dans l’union, et ceux-ci sont unis et ne s’unissent pas, puisqu’ils dorment, celle-là est en l’exercice et pratique actuelle de l’union. La même. Chap. 3.

Le Fr. JEAN DE SAINT-SAMSON
73. C’est déjà ici que les noces amoureuses se célèbrent, au mutuel plaisir de Dieu et de l’âme divinement pénétrée des traits et attraits vifs, enflammés et délicieux de son cher 2poux. Et c’est ce qu’ils expriment tous deux en leur étroite et divine union, sous d’innombrables similitudes. Dans cet amour réciproque, l’âme brûle de plus en plus de manifester, s’il lui était permis, à tout le monde la grandeur et la beauté essentielle de son très cher époux. Et elle voit qu’on ne le peut dignement louer, sinon d’une distance infinie de ses infinis mérites. Se voyant pénétrée en fonds d’amour, de lumière et de notices des excellences de cet Objet infini, elle ne peut assez s’étonner de voir l’ingratitude des hommes qui louent si peu, et même déshonorent une si haute, si grande et si aimable Majesté.
L’âme en cet état ne peut plus se défier de la fidélité de son cher Epoux, se voyant tirée de la masse de perdition, et choisie entre plusieurs milliers de personnes, pour connaître son infinie (226) beauté, pour en jouir et pour l’aimer d’un amour parfait. C’est pourquoi elle sent toujours un très doux effort d’amour qui la ravit et la pousse à réciproquer éternellement son amour à sa Majesté, comme elle y est toute résolue. Elle ne peut faire moins, étant si élevée en lui, et si pénétrée de lui, dont l’action vive et le feu ardent l’agitent, l’occupent selon diverses voies et manières, en unité et simplicité mystique, qui tient toutes ses puissances recueillies et fondues en un et où tout l’homme est déjà esprit, pour le moins en unité de cœur. Esprit du Carmel. Ch. 23.
74. C’est cette fruition qui pénétrant toujours de plus en plus l’immense total, s’augmente et s’accroît par subtilité et simplicité de repos, lequel semble être et e moyen et l’effet de la dite fruition en divers sens et manières. Celui qui est ici (a) placé et arrêté m’entend bien. Tout ce qui se peut dire de toute cette fruition, c’est ce mot repos ineffable. Mais l’objet infini qui est la cause de tout ce bonheur demeure non-exprimé en notre très large et très étendue fruition, laquelle n’a que le simple et l’ineffable pour notre sortie. Ceci, dis-je, n’exprime rien du tout, ni de soi, ni de notre fruition aperçue toujours de mieux en mieux et de plus en plus, car plus nous sommes éloignés de nous sentir de si loin que ce soit, plus aussi cela est au suréminent ordre et en la suréminente nature de notre divin objet. Si bien qu’en cela même nous semblons ne différer nullement de notre surcomblée béatitude et félicité. Cabinet Mystique. Part.I. chap. 4.
75. Je dis donc que ces âmes sont toutes perdues (227) en l’unité jouissante qui en tant qu’unité n’opère point, mais est oiseuse. De cette unité les personnes de la Trinité sortant chacune à sa propre action se rend heureuse infiniment par un seul acte perpétuel qui est au-delà de toute compréhension et intelligence créée. Là, il n’y a ni temps ni éternité, mais infiniment au-delà cette Essence suressentielle réside et demeure ne soi et par soi, se comprenant toute totalement en sa suprême plénitude.
C’est en cette plénitude et étendue que les âmes dont nous parlons sont transformées en Dieu et très largement étendues au-delà de toutes bornes et limites créées et créables. Elles sont, dis-je, Dieu même en un sens véritable, soit en ténèbres, soit en lumière, soit en passion, soit en surpassion, soit ne ignorance, soit par-dessus l’ignorance. Et nous expérimentons que cela est ainsi par les perceptions sans connaissance et même par dessus cela, ce qui nous porte bien loin au-delà de toutes connaissances.
CE que j’ai déjà dit est vrai, que chacune des trois personnes connaît e t comprend cette Essence infinie, au-delà de toute personnalité. Non que la compréhension actuelle des personnes distinctes soit au-dessous du vaste infiniment surétendu de leur commune essence. Mais je parle ainsi à cause de l’étroite connexion qui les lie, entrelace et unit en cette leur plus qu’essentielle unité, en laquelle les divines personnes jouissent de leur pleine et entière félicité, en repos et oisiveté, au-delà de toute personnalité (228) distincte. Or cela fait ainsi en nous en toute manière exprimée ci-dessus.
On peut encore dire à notre égard que comme nous connaissons sans connaître et percevons sans percevoir, ainsi en ce même état nous expirons sans expirer, mourons sans mourir, et vivons sans vivre. Que nous sommes transformés en Dieu et sommes lui-même, au-delà de tout ce qui s’en peut dire ou concevoir, vu que Dieu est infiniment au-delà de tout ce qui se peut nommer, que dans cette sienne infiniment suressentielle unité, il jouit sans éternité et sans temps de tout soi, en soi, et par soi. Qu’encore que nous soyons lui-même, nous différons pourtant infiniment de cette suressentielle, d’autant qu’elle n’est et n’a rien de créé ni de créable pour sa propre félicité surinfiniment étendue.
Cependant nous sommes divinement transformés en elle au-delà de toute raison et conception, notre être créé nous demeurant toujours, car croire autrement ce serait une chose étrange et du tout absurde. Là, dus-je, bien loin au-delà de toute fruition aperçue, nous sommes ce que Dieu est, nous avons ce qu’il a, nous possédons ce qu’il possède, et cela en notre amour activement actif et continuellement enduré. Bref nous sommes lui-même en nous –mêmes et pourtant sans nous –mêmes. Car comment serait-il possible que cette infiniment noble et divine substance put très hautement béatifier tan de très excellente substances créées, par la force active d’une plus qu’admirable bonté et amour, si en lui-même il n’était infiniment au-delà (229) de toute béatitude et félicité qu’il puisse communiquer en sa très haute, très étroite et très parfaite union à toute excellence d’être créé et créable ?
Il n’y a donc (a) que lui en lui, il n’y a que son être essentiel en sa suressentialité et il n’y aura et il n’y eut jamais aucun être créable, qui, nonobstant toute la jouissance compréhensive qu’il ait de lui, en lui et par lui, lui puisse être uni et conjoint, sinon d’une infinie distance. Cabinet Mystique. Part. I. ch. 8.
76. En cet état, l’âme se trouve toute autre qu’elle-même, toute totalement anticipée de chacune des personnes distinctes, qui comme nous avons dit, sortent à leur propre action béatifique, sans sortir de leur commun repos et jouissance possédée, et de cette leur et notre commune unité suressentielle. Toutefois leur repos personnel excède le nôtre d’autant plus et d’une infinie distance que leur nature, leur personnalité et leur substance divine excèdent la créaturalié et capacité de nos âmes, tant active que suractive, tant passive que surpassive, lesquelles néanmoins, parce qu’elles sont là consommées par une entière consommation de tout elles-mêmes, sont transformées en Dieu, bien au-delà de tout ce que les hommes peuvent concevoir par ce nom.
Voilà à mon avis, en quoi la déiforme déification de la créature qui a excédé toute créaturalité est différente de la totale Déité, (230)infiniment abstraite de tout ce qui est créé, non créé ou créable, si suressentiellement suressentiel et suréminemment éminent qu’il puisse être, se connaissant et se comprenant toute elle-même en soi, par soi et pour soi.
Ce que je dirai encore des âmes déifiées par transformation, en toutes les manières exprimées ci-dessus, c’est que ce qui leur semble à présent procéder de leur vie propre, de leur propre action et de leur passion, n’est que Dieu (a) qui vit, agit et pâtit en elles, dans l’essence duquel étant entièrement consommées, perdues et totalement transformées, elles sont Dieu même au-dessus de toute nominalité de Dieu, comme nous avons dit. De sorte qu’on peut dire et l’on doit croire que ce que l’on désire et demande de telles âmes est au même instant sans instant, fait et ordonné, non tant par elles que divinement et de Dieu même, soit en action ou suraction, soit en passion ou surpassion, soit en perception ou imperception, (b) en l’ignorance ou pardessus l’ignorance. La même. Chap. 8.
77. Tous les états qui précèdent celui-ci, en quelque voie que ce soit, sont déduits chez les Mystiques. Mais celui-ci comprend tous d’une assez divine manière par laquelle on se voit et on se sent fondu et réduit en un très petit point qui est le centre unique d’où sont tirées toutes les lignes qui se peuvent concevoir. Ce qui tombe sous les sentiment et sous la simple (231) et spécifique perception, semble plutôt montrer ce qui est créé en une excellente manière que l’incréé où nous sommes arrêtés, lequel nous tient purement attachés par-dessus tout amour, en nudité et simplicité unique et du tout suressentielle, par dessus tous les effets susdits du feu divin qui embrasait et consommait toute l’âme en soi au temps de son action. De sorte que l’âme étant ici arrivée ne trouve rien que dire, ni que penser, non pas même pour exprimer ce qu’elle a vu ou senti dans les états précédents et encore moins en celui-ci. La même. Chap. 10. §7.
78. En ce véritable amour, l’âme est tellement une seule chose avec son Bien-Aimé qu’elle n’a comme plus d’ordre, d’égard, ni de réflexion sur la diversité des temps, son amour unique lui étant toujours un en toutes choses et en lui-même, attendu qu’amour est tout le plaisir, tout le feu, toute la joie, gloire, félicité, réplétion, sainteté, essence et totalité de son infini Objet.
Celui donc qui (a) perdu en amour vit très heureusement en l’image de Jésus-Christ et en sa vie très amoureuse, intérieure, divine, glorieuse et très unique, laquelle est très occulte à plusieurs et très connue à plusieurs. Un tel amour est très amoureusement et entièrement perdu en l’abîme de cette vie très divine et vivifiante de notre cher Sauveur et Epoux, vrai Dieu et vrai homme, fait homme pour l’amour (232) des hommes et pour l’attraction très forte et très rapide de ses intimes amis à soi, afin qu’ils ne soient plus jamais séparés de lui, mais qu’en toute éternité ils soient une seule chose en tout lui-même, no par nature, mais par grâce. Miroir et flammes d’amour. Ch. 7.
79. Qui est-ce, ô mon Epoux, qui exprimera le mutuel amour et les mutuelles délices que nous possédons nous deux en notre commune union et repos ? On semble dire merveilles de l’amour, mais on n’approche pas point de paroles ni de similitudes qui expriment cela en la manière que je l’expérimente en vous et pour vous ! Mais, ô mon Amour ! Rien à moi et pour moi, tout à vous et pour vous, qui comme vous êtes tout, faites tout en moi, non pour moi, mais en vous et pour vous, et qui en cela même avez fait que je suis devenue, non tellement quellement, mais éperdument et passionnément amoureuse de vous et ensuite de cela je suis devenue amour même de l’amour en amour. Soliloque 3.
80. Puis-je donc exprimer autre chose de l’unique union qui est entre vous et moi, sinon que vous êtes tout simple en ma propre chair ? N’est-ce pas tout dire ? Oui, puisque c’est tout être. Et je m’étonne beaucoup de voir la hardiesse qu’ont prises quelques-unes de vos particulières Epouses, de découvrir aux hommes les abîmes de ce sujet. Car on voit manifestement que de parler de ceci si hautement qu’on le puisse faire, ou si peu qu’on le fasse, c’est plutôt diminuer la gloire et la profondeur de notre simple, unique, intime et réciproque union en tout nous, que d’en dire quelque chose. Au contraire, le silence sur ce point ferait tout mon plaisir (233) et tout mon déduit, car je sais que par ce moyen, j’en découvrirais plus aisément le mystère, en l’ineffable de nous deux, en notre union commune et réciproque et qu’ainsi faisant je vous honorerais ce me semble à l’infini. Que dis-je ? Pardonnez-moi, ô mon Epoux ! Je veux dire que demeurant dans le silence, je vous verrai et vous posséderai ineffablement. Mais que dis-je encore, ô mon cher Epoux ? Il semble que je ne fais ce que je dis, ni ce que je fais. Nous nous possédons ainsi l’un l’autre, vous en moi et pour moi, et moi en vous et pour vous. Soliloque 6. Chap. 1.

L’AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE

81. Dans l’oraison mystique, l’âme parla foi nue s’élève à un très pur amour et c’est par cet amour que Dieu est connu. Il est connu et aperçu, parce qu’il est goûté et savouré et que comme dit très bien St Grégoire, l’amour même est une connaissance qui procède dan les âmes de l’union avec celui qu’elles aiment, outre que d’autant plus que l’amour est exquis dans les opérations mystiques, d’autant plus l’union y est étroite. Liv. 1. Traité I. Chap. 1. Sect. 9.
82. Salomon nous décrit merveilleusement bien dans le Cantique des Cantiques la méthode et la pratique d’une parfaite oraison. Car ce livre qu’il a composé comme organe particulier du St Esprit est un pourparler et un entretien sacré et familier entre Dieu et une âme singulièrement aimée et ardemment amoureuse de ce divin Epoux, qui explique et comprend les plus hauts secrets du divin amour et de tout l’oraison unitive, où il décrit, avec un artifice admirable, les divers accidents d’amour que souffrent les âmes, (234)qui sont arrivées au point de l’intime et souveraine union avec Dieu. La même. Ch. 2. Sect. 2.
83. Le vrai Dieu d’infinie Majesté regarde, aime et traite l’âme qui lui est unie par la charité, comme son (a)Epouse et l’âme réciproquement regarde et aime Dieu et traite avec lui comme son Epoux : tout est commun entre eux, ils s’accordent par tout ; ils agissent et conversent amoureusement ensemble avec une mutuelle intelligence. L’exercice (b) de cette amitié qui procède en l’âme d’une charité parfaite fait qu’elle veut à Dieu tous ces biens, qu’elle s’en réjouit et quelle s’y complaît pour l’amour de lui-même et Dieu réciproquement aime efficacement l’âme, en sorte qu’il lui veut et lui communique ses même biens et plus l’union est étroite, plus ces deux esprits observent les lois de cette amitié divine, plus ils s’embrassent et jouissent l’un de l’autre par une mutuelle bienveillance.
Si la gloire d’une âme unie à Dieu par les actes de l’oraison est grande, il faut dire que le plaisir qu’elle y ressent ne l’est pas moins, car l’oraison est le temps et le lieu des délices mutuelles entre Dieu et l’âme qui conversent ensemble avec des privautés dignes de l’infinie bonté et de la condescendance de cette suprême Majesté. Je souhaite, disait, une âme bien élevée, (c) que mon entretien agrée à mon dieu car pour moi, je n’ai point de plaisir qui égale celui d’entendre sa voix et de jouir de présence.
(235)
C’est pour cette raison que quelques Saints Pères de l’Eglise ont assuré que le plaisir que l’âme ressent en l’oraison, si elle atteint quelque degré d’union considérable, se peut appeler le Paradis de la terre. Le plus parfait bonheur de l’homme en cette vie, dit le docteur Séraphique (a) est d’être tellement uni à Dieu que toutes ses forces et ses puissances étant recueillies en Dieu, il devienne un même esprit avec lui, en sorte qu’il ne ressente et ne voie que lui et que toutes ses affections plongées et réunies dans la joie du saint amour reposent doucement dans la jouissance du Créateur.
Et l’Angélique en parle en même sens lorsqu’il dit (b) que dans les hommes parfaits, tels que sont ceux qui sont en la voie unitive et qui ont atteint quelque éminent degré d’oraison, il y a quelque commencement de la béatitude future, parce que bien qu’en cette vie, ils ne puissent avoir la parfaite jouissance du souverain Bien qui est réservée pour l’autre, où ils verront Dieu face à face et à rideaux tirés, il y a pourtant en eux (c) quelque ressemblance et quelque participation de cette éternelle félicité, dans l’actuelle jouissance qu’ils ont de Dieu dans l’oraison unitive, puisque cette jouissance est une expérience réelle des douceurs de Dieu et une certaine intime conjonction de ce souverain Bien avec l’entendement sous la raison d’une souveraine vérité, et avec la volonté sous celle d’une bonté universelle (237) souverainement délectable, qui peut sans doute et doit être appelée un avant-goût de la béatitude, l’âme produisant alors les actes les plus parfaits qui soient possibles et que les théologiens appellent pour cet effet du nom de béatitudes.
Ce qui est bien remarquable et considérable en tout ceci, c’est que la gloire et le plaisir qui est dans l’oraison est inséparablement accompagné d’une perfection et d’une sainteté égale à tous les deux, car comme l’union de l’âme avec Dieu se fait par la charité qui est le lien de toute perfection et que le propre de tout amour et surtout du divin, comme plus efficace, est de transformer la volonté en ce qu’elle aime, aimant Dieu, elle toute déifiée et transformée en lui par la participation de son esprit, n’opérant plus que par ses motions et ses instincts, d’où résulte en elle une ressemblance merveilleuse dans la vie et dans les mœurs avec le Bien-Aimé, fondée en une parfaite conformité de sa volonté à la sienne, d’où procède nécessairement l’exercice continuel de toutes les vertus qui rendent une âme vraiment sainte et lui font toucher le point de cette haute et sublime perfection, recommandée dans l’Evangile par notre Seigneur (a) où il nous exhorte de nous efforcer d’acquérir une perfection semblable à celle du Père céleste. La-même. Sect. 3.

LXV11. Volonté d e Dieu.
Que la volonté de Dieu est notre volonté.

MOYEN COURT
Tout ce qui nous arrive de moment en moment est ordre et volonté de Dieu et tout ce qu’il nous faut. Chap. 6. n.1.
Pour la pratique de l’abandon, elle doit être de perdre sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu. Nous contenter du moment actuel qui nous apporte avec soi l’ordre éternel de Dieu sur nous et qui nous est une déclaration autant infaillible de la volonté de Dieu, qu’elle est commune et inévitable pour tous. La même. N. 4.

CANTIQUE
Lorsque l’union se fait sentir dans la seule volonté, par une amoureuse jouissance, sans vue ni connaissance distincte, c’est l’union d’amour attribuée au St Esprit, comme Personne distincte et celle-ci est la plus parfaite de toutes, parce qu’elle approche plus que nulle autre de l ‘union essentielle. Et que c’est principalement par elle que l’âme y arrive. Chap. 1. V. 1.
On s’arrête trop aux moyens créés, quoique pieux : dieu seul (a) peut nous apprendre à faire sa volonté, parce que lui seul est notre Dieu. La-même. V. 6.
Les lèvres représentent la volonté qui est la bouche de l’âme, parce qu’avec l’affection elle serre et embrasse fortement ce qu’elle aime. Et comme la volonté de cette Amante n’aime que son Dieu et que toutes ses affections sont pour lui, l’Epoux la compare à un ruban teint d’écarlate, qui signifie les affections réunies en une seule volonté, laquelle est toute charité et tout amour, toutes les forces de cette volonté étant réunies dans leur divin Objet. Chap. 4. V. 3.
Cela marque assez clairement que toutes les affections de l’Amante ont été réunies en Dieu seul et qu’elle a perdu toutes ses volontés en celle de son Dieu.
De sorte que l’abandon de toute elle-même à la volonté de Dieu, par la perte de toute volonté propre et la droiture avec laquelle elle s’applique à Dieu sans faire plus de retour sur soi-même sont les deux flèches qui ont blessé le cœur de son Epoux.
(239)
Les pas du dehors sont aussi pleins de beautés, car cette âme est toute réglée comme étant conduite par la volonté de Dieu et par l’ordre de la Providence. Ch. 7. V. 1.
Ayant perdu toutes volonté en celle de Dieu, elle ne peut rien vouloir. Ch. 8. V.14

AUTORITÉS
ST JEAN CLIMAQUE.

1. Je présenterai à Dieu ma volonté dans l’oraison et j’attendrai qu’il me détermine en m’assurant de la sienne. Echelle Sainte, Degré 278. Art. 68.
2. Dépouillons-nous de notre propre volonté, approchons nous ainsi tout nus de Jésus-Christ, lorsque nous nous présentons devant lui pour le prier et ne lui demandons que la seule connaissance de sa volonté. Car ce sera alors que l’Esprit de Dieu descendra dans nous, qu’il prendra le gouvernement de notre âme et la conduira sûrement dans le Ciel. Degré 28. Art. 28.

L’IMITATION DE JÉSUS-CHRIST

3. Celui-là est véritablement savant qui sait bien faire la volonté de Dieu et abandonner la sienne propre. Liv ; 1. Ch. 3. §. 6.
4. Faites-moi désirer vouloir toujours ce qui vous est le plus agréable et ce que vous désirez plus de moi. Que votre volonté soit la mienne et que la mienne suive toujours la vôtre et s’y conforme parfaitement. Que vouloir ou ne (240) vouloir pas soit toujours en moi de même qu’en vous et que je ne puisse jamais vouloir que ce que vous voulez, ni ne vouloir pas ce que vous ne voulez pas !
Faites que je meure à tout ce qui est dans le monde et à être méprisé pour l’amour de vous. Faites que je me repose en vous, plutôt qu’en tout ce qui je puis jamais désirer et que mon cœur trouve en votre sein sa paix et sa joie. Vous êtes seul notre asile et notre port, hors de vous, tout est pénible, tout est inquiet. Liv. 3. Ch. 15. §. 3, 4.
5. Celui-là est exposé à de grandes chutes qui ne se jette pas dans votre sein et qui ne se repose pas sur votre seul bonté de tout ce qui le regarde. Faites-moi la grâce seulement que ma volonté demeure ferme en vous et tende toujours à vous, et après cela disposez de moi comme il vous plaira, car il est impossible que tout ce qui m’arrive selon votre ordre ne soit pas toujours bon. Si vous voulez que je sois dans les ténèbres, soyez-en béni, si vous voulez que je sois dans la lumière, soyez-en aussi béni. Si vous daignez consoler mon âme, soyez-en loué, si vous voulez l’affliger, soyez-en encore béni ! La-même CH. 17. §. 2.
6. Voyez Abandon. N. 3.
7. Attachez-vous fermement à ma volonté et rien ne vous pourra nuire. Si vous recherchez une chose plutôt que l’autre et si vous affectez d’être en un certain lieu pour satisfaire ainsi votre intérêt et votre propre volonté, vous ne serez jamais en repos et votre inquiétude vous suivra partout, parce qu’il manquera toujours quelque chose (241) à ce que vous aurez désiré et que vous trouverez toujours quelque contradiction au lieu même que vous aurez choisi. Liv. 3. Ch. 27. §. 3.
8. Je souhaiterais que vous fussiez en cette disposition et que n’étant plus engagé dans votre propre amour, vous demeuriez attaché à ma volonté et aux ordres de celui que je vous ai donné pour conducteur et pour Père. Ch. 32. §.3.
9. Voyez Propriété. N.4.
10. Ce n’est pas une petite vertu que de se quitter soi-même dans les petites choses.
Le progrès véritable dans la piété consiste à se renoncer soi-même, et celui qui est en cet état marche en liberté et dans une très grande assurance. Liv. 3. CH. 39.§. 3, 4.
11. C’est là que votre volonté étant comme perdue et absorbée en moi, elle ne désirera plus rien, soit d’étranger, soit de particulier. Chap. 49. §. 6.

STE CATHERINE DE GÊNES.
12. Comme Adam voulut faire sa volonté contre celle de Dieu, aussi au contraire il nous faut avoir la volonté de Dieu pour notre objet, afin qu’elle efface et anéantisse la nôtre propre et parce que de nous seul nous ne saurions anéantir cette propre volonté, à cause de notre mauvaise inclination et amour-propre, il est fort utile de se soumettre à quelqu’un pour l’amour de Dieu, afin de faire purement et droitement pour son honneur plutôt la volonté d’autrui que la nôtre. Et plus on s’y assujettira, plus on se trouvera en liberté, délivré de cette maligne peste de la volonté propre qui est si subtile, si fine, (242) et si malicieuse, si intime et profondément enracinée en nous et se couvre de tant de moyens et se défend par tant de raisons qu’il semble que ce soit un diable plein de subtilité et de malice, tellement que quand nous ne la pouvons faire en une sorte, nous la faisons en une autre, sous beaucoup de prétextes de charité ou de justice ou de perfection ou sous ombre d’endurer pour l’amour de Dieu. Vie. Ch. 12.
13. Voyez Purification. N. 20.
14. Voyez Abandon. N. 10.
15. Nous devons vouloir faire la volonté de Dieu ayant fait de notre part tout ce que nous pouvons faire de bien, après cela tout ce qui nous arrive et qui n’est pas en notre puissance, nous devons toujours le prendre de la pure ordonnance et dispositions de Dieu et nous y unir en tout par volonté. Vie. Ch. 31.
16. Qui goûterait (a) le repos de l’union à la volonté de Dieu, il lui semblerait dès cette vie présente être déjà en paradis. Ceux qui s’étudient toujours à anéantir leur volonté, goûtent en quelque sorte ce contentement. Quand l’homme perd son propre vouloir, dieu prend son franc-arbitre, afin d’opérer par lui et ne lui laisse plus venir autre chose en la volonté que ce qui lui plaît et ses volontés ainsi réglées sont après toutes parfaites. O anéantissement de volonté ! O vertu singulière ! Tu es reine du ciel et de la terre, tu n’es sujette à aucune chose et ainsi tu ne trouves rien qui te puisse donner de la peine (243) parce que les douleurs et les déplaisirs sont causés par la propriété spirituelle ou temporelle.
O si je pouvais dire ce que je connais et ce que je sens de cet anéantissement de la propre volonté, je suis certaine que chacun aurait autant d’horreur de la sienne que si c’était un Diable, on ne soutiendrait jamais son opinion, on ne s’excuserait jamais, on ne dirait jamais cette chose est mienne ! La même.

STE THÉRÈSE.
17. La volonté seule est occupée de manière qu’elle demeure captive, sans savoir comment, seulement elle donne son consentement, afin que Dieu la mette dans la captivité, sachant bien qu’elle est captive de celui qu’elle aime. O Jésus et mon Seigneur, combien votre amour nous aide ici ! car il tient le nôtre tellement lié qu’il ne lui laisse point la liberté d’aimer autre chose que vous en ce temps-là. Les deux autres puissances aident la volonté, afin qu’elle se rende habile et propre pour jouir d’un si grand bien, encore qu’il arrive quelquefois que la volonté étant bien unie, elles incommodent beaucoup, mais pour lors, qu’elle n’en fasse point de cas et qu’elle demeure dans sa jouissance et dans sa quiétude, car si elle les veut recueillir, elle se perdra. Vie. Chap.14.
18. La volonté seule est celle qui soutient le combat, mais les deux autres puissances reviennent incontinent donner du trouble et de l’importunité. Or comme la volonté est ferme dans son calme et dans sa suspension, elle les suspend derechef, dans lequel état elles demeurent un (244) peu de temps, puis elles retournent à leur premier être. En ceci se peuvent passer quelques heurs d’oraison et de fait elles s’y passent, car les deux autres puissances ayant commencé à s’enivrer et à goûter de ce vin précieux et divin, elles retournent facilement à se perdre d’elles-mêmes pour se gagner avec plus d’avantage et accompagnent ainsi la volonté. La même. Chap. 18.
19. Voyez Opérations propres. N. 13.
20.Voyez Oraison. §. II. N. 14.

Le B. JEAN DE LA CROIX.
21. L’âme retirant sa volonté de tous les témoignages et signes apparents, elle s’élève et exalte en une très pure foi, laquelle Dieu lui verse et augmente en degré beaucoup plus intense, et ensemble il lui accroit aussi les deux vertus théologales, à savoir la charité et l’espérance, où elle jouit de très hautes connaissances divines, par le moyen de la nue et obscure habitude de la foi, et possède une grande délectation d’amour par le moyen de la charité, avec laquelle la volonté ne se réjouit en autre chose qu’en dieu vivant. Bref l’âme jouit d’une satisfaction en la volonté par le moyen de l’espérance. Or tout ceci est un profit admirable, qui importe essentiellement et directement pour l’union parfaite de l’âme avec Dieu. Montée du Mont Carmel. Liv. 3. Chap. 31.
22. Voyez Transformation. N. 13.
23. Voyez Union. N. 50.
24. Comme la fiancée ne met son amour et sa pensée en autre qu’en son Epoux, de même l’âme en cet état n’a déjà plus d’affections de volonté, ni d’intelligence d’entendement, ni (245) souci, ni action que tout ne soit porté à Dieu avec ses appétits, parce qu’elle est comme divine et déifiée, de manière (a) qu’elle n’a p as même les premiers mouvements contre ce qui est volonté de Dieu, autant qu’elle peut connaître et entendre. Car comme une âme imparfaite, fort ordinairement a au moins les premiers mouvements selon l’entendement, la volonté, selon la mémoire et les appétits enclin au mal et à l’imperfection, ainsi l’âme qui est en cet état, selon l’entendement, la volonté et la mémoire et les appétits ordinairement dans les premiers mouvements se meut et incline vers Dieu, à cause du grand secours et de la fermeté qu’elle a déjà en Dieu, et à cause de la parfaite conversion qu’elle a déjà au bien.
Ce que David a bien remarqué parlant de son âme en cet état (b) Mon âme ne sera-t-elle pas sujette à Dieu ? Car de lui vient mon salut. Il est mon Dieu et mon Sauveur, celui qui m’a reçu : je ne serai plus ému, dan lequel lieu disant : celui qui m’a reçu, il donne à entendre que son âme pour être reçue en Dieu et unie avec lui, comme nous disons ici, ne devait plus avoir de mouvements contre Dieu. Cantique entre l’Epouse et l’Epoux. Couplet 19.
25. Voyez Non-désir. N. 20
26. Voyez Mariage spirituel. N. 9.
27. Voyez Oisiveté. N. 5.
28. Voyez Communications. § I. N.4.

LE PÈRE NICOLAS DE JÉSUS-MARIA rapporte

29. Albert Le Grand. Voyez Union. N. 63.

(246)
Le PÈRE BENOÎT DE CANFELD.
30. Cette volonté essentielle est purement esprit et vie, totalement abstraite, épurée en elle-même et dénuée de toutes formes et images de choses créées, corporelles ou spirituelles, temporelles ou éternelles, et n’est comprise par le sens ni par le jugement de l’home, ni par la raison humaine, mais elle est hors de toute capacité et par dessus tout entendement des hommes, parce qu’elle n’est autre chose que Dieu même, elle n’est chose séparée, ni jointe ni unie avec Dieu, mais Dieu même et son Essence. Car cette volonté étant en Dieu, il s’ensuit qu’elle soit Dieu, puisqu’en Dieu, il n’y a que Dieu, car s’il y avait autre chose que lui, il y aurait quelque chose d’imparfait, toutes choses étant imparfaites qui ne sont pas lui, et même il aurait beaucoup d’imperfections si sa volonté était autre que son essence, parce qu’il ne serait pas un pur acte, c’est-à-dire une simple essence (comme assurent les Docteurs) mais il aurait quelque composition. De plus, il ne serait pas Dieu si sa volonté était un être à part et n’était son essence. Règle de la perfection. P. III.Ch.I.
31. Ce (a) dénuement par son premier effet de purgation, purge l’âme particulièrement d’une très secrète image qu’elle retenait toujours de la volonté de Dieu qui est la seconde faute cachée de la contemplation dont il est parlé au quatrième chapitre, laquelle image était si subtile, déliée et spirituelle qu’en la volonté intérieure elle ne s’en apercevait point mais se persuadait que purement et sans image (247) ou espèce, elle contemplait cette volonté en son essence, et même (a) elle ne se pouvait jamais apercevoir de cette image, jusqu’à ce qu’elle en eût été purgée, d’autant qu’une chose imparfaite n’est point connue pour imparfaite à celui qui ne fait rien de plus parfait. Or l’âme ne connaissait rien de plus parfait, parce que cette image est la chose la plus parfaite et la plus pure qu’elle eût jamais contemplée et par conséquence elle ne la pouvait reconnaître pour imparfaite bien que quand elle en a été purgée, elle ait connu qu’elle était (b) imparfaite.
(248)
Si on demande comment elle se défait de cette image, puisqu’elle ne la connaît pas ? Je réponds que c’est par le feu de l’amour qui est toutefois une opération divine et non pas sienne et en laquelle elle est plus passive qu’active. La-même. Ch. 5.
32. Ce second moyen est plus éloigné du sentiment, plus surnaturel, plus nu et plus parfait que l’autre, ainsi qu’il a été dit. Car au lieu que l’autre opère nuement et surnaturellement, alors seulement, ou au moins principalement, quand l’âme est tirée hors d’elle par la force du susdit (249) actuel attrait de la volonté de Dieu, celui-ci le fait aussi quand tel attrait n’est pas si actuel mais seulement virtuel. L’autre moyen est spirituel, nu et surnaturel lorsque l’âme est élevée et dénuée, mais celui-ci l’est aussi quand on est même empêché extérieurement et occupé d’affaires, ce (a) moyen rendant les choses extérieures, intérieures, les corporelles, spirituelles et les naturelles, surnaturelles.
Or ce moyen n’est autre que le commencement et la fin, à savoir la volonté de Dieu. La même. Chap. 8.

St FRANÇOIS DE SALES.
33. Voyez Quiétude. §. I. n. 48.
34. O vrai Dieu, c’est une bonne façon de se tenir en la présence de Dieu, d’être et vouloir toujours et à jamais être en son bon plaisir ! Car ainsi comme je pense en toutes occurrences, oui même en dormant profondément, nous sommes encore plus profondément en la très sainte présence de Dieu. Oui certes, Théotime, car si nous l’aimons, nous nous endormons, non seulement à sa vue mais à son gré, et non seulement par sa volonté, mais selon sa volonté. Puis à notre réveil, si nous y pensons bien, (b) nous trouvons que Dieu nous a toujours été présent et que nous ne nous sommes pas non plus éloignés ni séparés de lui. Nous avons donc été là en la présence de son bon plaisir, quoique sans le voir et sans nous en apercevoir, ainsi nous pourrions dire à l’imitation de Jacob : (a) Vraiment j’ai dormi auprès de mon Dieu et entre les bras de sa divine présence et providence, et je n’en savais rien.
Or cette quiétude, en laquelle la volonté n’est en repos que par un simple acquiescement au bon plaisir divin, voulant être en l’oraison sans aucune prétention que d’être à la vue de Dieu, selon ce qui lui plaira. C’est une quiétude souverainement excellente, d’autant qu’elle est pure de toute sorte d’intérêt, les facultés de l’âme n’y prenant aucun contentement, ni même la volonté, sinon en la suprême pointe en laquelle elle se contente de n’avoir aucun autre contentement, excepté celui d’être sans contentement pour l’amour du contentement et bon plaisir de son Dieu, dans lequel elle se repose. Car c’est le comble de l‘amoureuse extase de n’avoir pas sa volonté en son contentement, mais en celui de Dieu, ou de n’avoir pas son contentement en sa volonté, mais en celle de Dieu. De l’amour de Dieu. Livr.6.Ch. 11.
36. Voyez Non-Désir. N. 34.

Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.

37. La meilleure vie spirituelle que les hommes puissent pratiquer est de se perdre en esprit par une actuelle, éternelle et totale résignation à la volonté et au bon plaisir de Dieu. C’est pourquoi il n’y a point de doute que ce ne soit votre meilleur de franchir toute difficulté et toute crainte (251) même raisonnable et de passer aux œuvres que dieu désire maintenant de vous. En toutes ces occasions d’abandon à l’ordre et au désir de dieu, il y a un très grand gain à faire, et comme vous savez combien il importe de laisser Dieu pour Dieu, plus les œuvres auxquelles on vous applique se trouveront pénibles et laborieuses, et même contraire à votre solitude intérieure, plus aussi cela vous approfondira et vous perdra excellemment en Dieu. Car c’est en son amour que nous agissons et désirons tout faire, selon l’ordre de sa plus parfaite volonté, en sorte que par une totale conformité, nous nous transformons d’une excellente manière en lui, selon l’amour ardent duquel nous l’aimons en vérité. Lettre 51.

L’AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE.
38. L’objet de l’Oraison de repos n’est autre que Dieu auquel l’âme se repose tant que dure cette quiétude qui n’admet aucune pensée, ce qui se prouve par les raisons suivantes.
La première est prise de la façon avec laquelle la volonté se repose en son objet, car cet objet n’est point aperçu de la volonté, disent plusieurs. Ou s’il l’est, comme il est plus probable, cette connaissance est si déliée et si directe qu’elle ne peut pas savoir en quoi elle se repose, d’autant que l’entendement ne lui peut donner plus de connaissance qu’il n’en a : or l’entendement ne saurait dire quel est l’objet auquel la volonté se repose encore qu’il le voie, comme on ne peut discerner une chose qu’on voit de loin. L’entendement présente bien à la volonté un objet désirable, mais il ne peut dire ce que c’est, de sorte qu’en cette (252) oraison la volonté se repose sans savoir en quoi, ce qui donne une grande conjecture, que l’objet de cette oraison n’est pas créé, puisque la volonté étant une puissance libre, ne se porte jamais à aimer un objet créé, que l’entendement ne lui fasse voir la convenance qu’il y a entre elle et son objet, et le bien qui y est. Car un objet créé n’a pas une telle sympathie avec la volonté qu’il la tire à soi comme naturellement. Il faut donc que le bien de cet objet soit aperçu d’elle, comme convenable, et pour cet effet il est nécessaire que l’entendement raisonne et discoure sur les convenances de cet objet présenté à la volonté, ce qui ne se peut faire sans un acte réfléchi ou aperçu, ou au moins qu’il le puisse être par l’entendement, lorsqu’il réfléchira sur son acte. C’est pourquoi quand la volonté se porte à un objet qui n’est point aperçu et qui ne le peut être, il faut dire que c’est le Souverain Bien qui lui est présenté, auquel elle se porte sans savoir à quoi elle tend.
Secondement : dans cette oraison la volonté se repose en Dieu, plutôt par sympathie que par connaissance, comme les choses pesantes se portent en leur centre, sans connaissance de la convenance qu’il y a entre elles et leur centre ; ainsi le fer et tiré par l’aimant, sans connaître la convenance qu’il a avec lui. L’entendement en cette oraison ne fait autre chose que ce que fait la main de l’homme, qui prend la pierre d’aimant pour l’approcher du fer d’une distance proportionnée, lequel sans être poussé ni élevé autrement que d’une sympathie naturelle, malgré sa pesanteur, va embrasser ce cher aimant, ainsi l’entendement présente et approche son objet de (253) la volonté sans lui découvrir quel il est et sans l’aider à s’élever vers lui, néanmoins (a) par une sympathie naturelle, avec les forces que la grâce lui donne, elle se porte à lui et s’y repose sans savoir en quoi, non plus que le fer attaché à l’aimant. Or qui peut avoir une si grande sympathie et convenance avec notre âme que Dieu, à l’image duquel elle est créée ? La ressemblance est cause d’amour et d’union et comme Dieu est la source de tout bien, chacun a inclination naturelle de l’aimer, comme un bien commun, de même que les fleuves sortant de la mer y retournent par instinct naturel. Le bien commun est préféré au particulier et chaque partie s’incline et se porte au bien du tout, ce qui fait que la main s’expose aux coups pour préserver le chef, ainsi par instinct naturel, chacun se dédie à Dieu comme à la fontaine de la béatitude et comme une partie au bien du tout, mais cela s’accomplit bien plus parfaitement par la vertu de charité.
La troisième raison est prise de la façon avec laquelle la volonté embrasse son objet en cette oraison, car c’est en s’élevant au-dessus de tout ce qui est créé et d’elle-même, au-dessus des sens et même de la parie raisonnable, jusqu’au faîte de la pointe de l’esprit, montrant bien que son objet est plus relevé qu’elle-même et que tout ce qui est créé, puisque pour l’atteindre il faut s’élever au-dessus de tout et monter au-dessus de soi. Et ce qui est plus considérable, c’est que cette âme, ainsi élevée au-dessus des plus hautes montagnes des choses crées, étendant les rayons (254) de sa vue autant qu’elle veut, elle voit néanmoins son objet si obscurément qu’elle ne s’en peut apercevoir tant il se montre élevé au-dessus de tout. Or qui peut être si fort élevé au-dessus de l’âme faite à l’image de Dieu que Dieu-même ? Ce qui confirme ceci est que l’âme ne pourrait s’élever plus haut pour atteindre un objet, sans savoir quel il est, si elle n’avait pour lui une inclination naturelle qui est créée avec elle. Jour Mystique. Livre I. Traité I. Chap. 10. Sect. 2.

§§§

J’ajoute à toutes les Autorités rapportées jusqu’ici ce que le Père Benoît de Canfeld dit à la fin de la Préface de la troisième partie de sa Règle de Perfection, ou de la volonté essentielle.
D’autant, dit-il, qu’en cette troisième Partie, il se pourra trouver des propositions dont les simples ou ceux qui ne sont pas versés en la Théologie Mystique, ni aux Docteurs qui en traitent, pourront être incapables de comprendre quelques termes qu’ils pourront juger n’être pas à propos d’avancer, j’ai jugé qu’il était expédient de les rapporter ici avec les saints Docteurs qui s’en sont servis. Telles pourraient être ces propositions.
Etre uni à Dieu sans aucun moyen. St Denis. Théol. Myst. Ch. 8. St Augustin. De l’Esprit et de l’âme. Ch 11. Tom. 3. St Bonaventure. Theol. Myst. Ch. 3. Part. 4. Harphius. Theol. Myst. Livr. 3. Part. 4. Ch. 27 et 28. Orig. Et Vercellensis dans St Bonaventure, 3. Chemin de l’Etern. Part. 3. Dist. 2.
Contempler l’Essence divine sans formes ni images. St Bonaventure. Chemin 3.de l’Eternité Distinct. 6. P. 1. Harphius Theol. Myst. LIvr. 3. P.4. Chap. 30.
Voir Dieu, à savoir, comme il peut être vu en cette vie. St Grég. Liv. 14 et 18. Des Morales. St Bonav. dans le Chemin de l’Etern. Dist. 4. Art. 4. DIst. 6. Et dans le 6. Chem. de L’Etern. Distinct. 6. Harphius Théol. Myst. L.3. P. 4. Chap. 27 et 29.
Contempler Dieu sans images. Orig. Sur Cantiq. 2. St Bernard sur le Cant. Serm. 53. Richard de la Contemplation. L. 1. Ch. 8. ST Bonav. CH. 3. De la Théol. Myst. P. 4. Et quaest. unique et Chemin 1 de l’Eternité Dist. 4. Harphius. Théol. Myst. L. 3. P. 4. Ch. 27, 29 et 30.
Cessation d’opération, ou bonne oisiveté. St Bonav. Chemin 5. De l’Etern. Dist. 6. après Lincoln. Sur la Théol. Myst. de St Denis et le même Théol. Myst. Ch. 3.P. 4. Harph. Théol. Myst. L. 3. P. 1. Ch. 1. Et P. 4. Ch. 27. et 28.
Ne penser à Dieu par pensée imaginaire. St Bonav. Théol. Myst. Chapitre 3. Et dern. Part. 4.
Denudation d’esprit. Orig. Sur Cant. 2. St Bernard sur le Cant. Serm. 53. St Bonav. dans le 3. Chem. ce l’Etern. P. 3. Dist. 4. Harphius. Théol. Myst. L.3. P. 4.
Inactions de Dieu. Harphius. Théologie. Myst. L. 3. P. 4.
Anéantissement. St Denis. De l’Hier. Eccle. Chap. 2. Harphius. Plusieurs fois dans la Théol. Myst.
(256)
Il ajoute : j’obmets plusieurs Autorités pour éviter d’être prolixe, estimant que celles-ci seront suffisantes pour la pleine satisfaction de chacun, et remarquez que quand j’allègue Harphius, c’est toujours selon la correction faite à Rome, et tant St Bonaventure que lui, selon que tous deux y ont été récemment imprimés. Je crois qu’il n’y a aucun autre passage ou terme de quoi les plus simples ne puissent être capables, que si j’en pouvais connaître, il me serait facile de le confirmer par de semblables autorités.

(257)
CONCLUSION.
De la vérité de l’intérieur marquée par tout, et des oppositions que les Démons et les hommes y font, mais inutilement. Soumission et docilité de l’Auteur.

Il n’y a rien dans l’ordre de la nature, non plus que dans celui de la grâce qui ne prouve très clairement la vérité de l’INTERIEUR. Cette vérité est tellement répandue dans tout ce qui subsiste, qu’une personne éclairée la découvre en toutes choses, et quoiqu’il n’y ait point de vérité parmi les hommes, qu’ils soient tous menteurs, parce qu’ils sont tous coupables, on ne laisse pas au travers de mille faux traits, que le Démon a gravé sur eux, de découvrir cette vérité qui est une émanation de la Divinité, répandue nécessairement dan toutes les créatures qui ont été produites par la volonté et la puissance de Dieu.
Il n’y a rien dans la nature, soit plantes, éléments, pierres, qui n’ait un esprit et un sel. C’est le fonds de leur subsistance et la cause de leur incorruption. Dans leur corruption même, ce sel et cet esprit se conserve, mais pour les découvrir, il faut détruire la forme naturelle de la chose dont on veut tirer l’esprit et le sel. L’air fournit cet esprit et ce sel à ceux qui le tirent avec de machines ; la terre, les plantes et les métaux même laissent découvrir en eux ce principe universel.
Ce sel signifie la divine Sagesse, et l’esprit cet Esprit vivifiant. (258)La vérité de l’intérieur se découvre dans tout ce qui est et subsiste. Il n’y a aucune créature qui, en devenant incorruptible par sa propre destruction, ne nous apprenne que notre anéantissement et notre destruction est ce qui nous rend incorruptible, nous réunissant à notre tout et nous mettant dans la vérité de la Sagesse et de l’Esprit vivifiant. Il n’y a pas une fleur qui ne nous enseigne que quelque agréable qu’elle paraisse à nos yeux, elle serait comptée pour rien si elle ne se perpétuait par sa mort et sa pourriture. Les plantes, les fruits et tout ce qui est ne s’éternise que par sa destruction, comme si Dieu avait voulu nous donner une plus grande idée de son Tout par la destruction de tout ce qui subsiste que par leur création, puisqu’il est vrai que leur destruction même, en nous faisant voir le peu de durée des choses du monde, nous découvre leur principe par leur incorruption dans leur corruption même.
Si toutes les choses naturelles subsistent, même dans leur destruction apparente, c’est un grand argument pour l’immortalité de l’âme, mais ce n’est pas ce que ce que je prétends de prouver, puisque tout homme raisonnable n’en doutera jamais. Ce que j’avance est que dans tout cela l’esprit de vérité se découvre et une souveraine raison de la conduite de Dieu sur l’âme. Il n’y a pas un endroit de l’Ecriture, pas une histoire sacrée ou profane, pas une fable même où on découvre cette vérité, pas un événement dans l’ordre de la nature et de la grâce. Nous voyons les fortunes des hommes être comme une assurance de leur infortune. La jeunesse est imparfaite, quoiqu’elle soit la perfection de la beauté de l’homme. (259) L’homme subsiste peu dans son état paraît : il croît et augmente jusqu’à la perfection de son état, après quoi il vieillit et éprouve en lui que les mêmes choses qui l’ont fait venir à la perfection de la jeunesse, de la santé, de la beauté, de l’esprit le quittent peu à peu et qu’il n’en éprouve plus qu’un triste débris. Ensuite de quoi, après la destruction des parties, la totalité se perd (pour ainsi parler) par la mort ; mais cette destruction apparente fait tout toute son incorruption et son immortalité. L’esprit se cultive par les sciences, mais ce qui fait son ornement, l’use et le détruit dans la suite. Les plaisirs qui semblent être la fin des désirs de l’homme sont la mort de ces mêmes désirs et à force de vouloir se livrer au plaisir, tout plaisir le quitte et rien ne lui en cause plus, de sorte qu’il est puni par son dérèglement même.Il n’y a pas une histoire où nous ne voyons après une fortune excessive, une décadence surprenante. La gloire d’un Royaume nous signifie sa prochaine destruction, le calme marque la tempête etc…
Tous les commencements de la vie spirituelle sont pleins de douceurs, quoi qu’accompagnés de pénitences. C’est ce mélange de délices spirituels et d’austérités corporelles qui rend le plaisir intérieur plus piquant. Ces commencements sont comme une belle fleur qu’un enfant admire et cueille, mais qu’un excellent jardinier laisse flétrir pour la perpétuer pas sa semence. Si cet état ne changeait point, il périrait en ne périssant pas. C’est ce qui fait que Dieu conduit l’âme par de si étranges renversements qui ne sont que comme une flétrissure à cette fleur, flétrissure qui augmente à mesure que sa (260) graine mûrit. Quoique cette graine paraisse mûre, elle n’apporte du fruit qu’après qu’on l’a jetée dans la terre où elle pourrit, selon le témoignage de Jésus-Christ même.
La conduite que Dieu tient sur l’homme est une conduite universelle, car quoiqu’il y ait l’ordre particulier qui regarde chacun de nous, il est néanmoins tellement dépendant de cet ordre général et ce qui nous paraît désordre, à cause de notre manière de voir les choses est un ordre admirable selon la divine Sagesse. De sorte que ce désordre particulier est ce qui conserve l’ordre général.
Il est donc certain que c’est là la conduite de Dieu. On estime une fleur heureuse parce qu’elle est cueillie dans sa beauté par la main du Roi et qu’elle lui a causé un instant de plaisir. Une personne qui meurt dans les prémices de l’esprit, dans toute sa beauté intérieure, est comme cette agréable fleur. Personne ne doute du plaisir qu’elle a fait, mais pour ces fleurs rares qu’on ne cueille point, qui sèchent et sont serrées par le jardinier, on n’y fait point d’attention. Cependant elles s’immortalisent par leur mort, qui pourtant les fait paraître vilaines aux yeux des hommes, dans les mêmes parterres dont elles avaient fait, peu de jours auparavant, tout l’ornement.
L’ordre donc général est, que Dieu établit, qu’il détruit ce qu’il a établi et qu’il perpétue les choses par cette destruction. Et c’est ce qu’il fait dans l’ordre de la grâce. Il établit d’abord les (261) vertus, mais comme elles seraient semblables à la beauté d’une fleur que le vent et la chaleur gâtent, il tire de cette vertu l’esprit, il en ôte tout l’éclat au-dehors, de peur qu’elle ne soit corrompue par la vanité, il en laisse l’esprit et le sel, c’est-à-dire qu’il en laisse l’essentiel et la vérité et qu’il n’en ôte que l’éclat. Et c’est de cette manière qu’il la rend immortelle. Il en est de même de ses faveurs, il ôte, après les avoir faites, tout ce qu’il y a d’éblouissant, et par conséquent d’amusant. Et il n’en laisse que la substance, c’est-à-dire que Dieu donne à l’âme les qualités propres pour attirer ses faveurs, en lui ôtant la faveur apparente. Plus Dieu prend soin de détruire une chose, plus elle lui est chère. Les hommes n’envisagent les choses que superficiellement, de sorte qu’ils ont horreur de toute sorte de destructions, ne comprenant point assez que Dieu ne détruit qu’un éclat trompeur et qu’il laisse le solide.
La mort qui est la destruction d’une vie pleine de douleur, n’est-elle pas le berceau de la véritable vie ? Dieu met son plaisir dans la vérité de son Esprit et de sa Sagesse en tous les êtres, parce que cet Esprit et cette Sagesse sont la même vérité qui n’est autre que lui-même, et il n’y a rien dans touts les créatures qui soit proprement sien, ni une émanation de lui-même, que cet Esprit et cette Sagesse.
Le Démon a travaillé à détruire par des dehors trompeurs et éclatants l’essence de la vérité, mais tout ce qu’il a pu faire a été de la couvrir. Les hommes l’ont secondé en cela, de sorte que s’attachant désordonnément à l’extérieur de toutes choses, ils n’ont pas pénétré son esprit. Un (262) petit nombre d’hommes ont découvert dan les choses naturelles leur quintessence qui est cet esprit et ce sel, encore n’ont-ils pas pénétré tous les usages. Un petit nombre d’hommes spirituels ont pénétré l’esprit de Sagesse et de vérité, répandu dans toutes sorte de biens, ce qui en fait l’essence et ce tout incorruptible. Cette connaissance de la vérité cachée dans l’essence des choses a fait qu’ils ne se sont point attachés scrupuleusement à mille petites brillants dan le bien, que le vulgaire estime parce qu’il ne pénètre pas plus avant, au lieu qu’au contraire, eux, en avouant qu’une fleur a tout l’agrément qu’elle peut avoir, ont fait plus de cas de sa semence et de sa racine que de son éclat. Le vulgaire amusé ou par l’éclat du dehors, ou par une habitude de n’agir que par ce qui frappe les sentiments, ne s’est attaché qu’au dehors et au brillant, sans pénétrer le solide, poussé qu’il est d’ailleurs à cela par l’esprit de ténèbres, lequel craignant que l’homme, sans s’amuser à l’appas trompeur, ni même au brillant de la vérité, ne passe jusqu’à la substance de cette même vérité, fait tous ses efforts pour l’empêcher. Les hommes mêmes et aussi la nature semblent s’y opposer. Les renversements, les ténèbres, les tremblements de terre qui arrivent à la mort de Jésus-Christ marquaient l’état violent de la nature, non seulement parce que l’auteur de la nature souffrait, mais de plus, parce qu’en mourant pour les hommes, il leur laissait son esprit de vérité. Et afin qu’ils pénétrassent la vérité cachée dans le mystère, il fit ouvrir son cœur, comme pour nous enseigner à pénétrer jusqu’au fond de la vérité.
Je ne suis point étonnée de tout ce qui s’élève (263) pour empêcher la vérité de paraître dans sa substance, et ce sera ce désordre de toutes choses qui en rétablira tout l’ordre. La pente à agir par les sentiments et à préférer l’extérieur à l’intérieur est une suite du péché. Cependant quand (a) l’Esprit de vérité est dans un cœur, il lui découvre cette vérité en toutes choses. Il n’y a pas, comme j’ai dit, une histoire, une fable, un événement dans la foi ridicule des païens, ni dans les hérésies, où l’on n voie un caractère de la vérité, et ce qui les a fait écarter de cette vérité en quittant l’ordre général. Dans les lois, les coutumes même les plus barbares vous voyez partout cette vérité ; dans la fable des anciens, dans la multiplicité de leurs dieux, ce qu’ils leurs attribuent, tous leurs égarements et leurs erreurs me sont un si fort argument de la vérité de notre Religion et de l’esprit de Religion qui est l’esprit intérieur que par ces mêmes choses on pourrait leur enseigner la vérité. Que le monde se déchaîne, que les hommes et les démons se joignent, ils peuvent causer quelque mal de peine extérieure, mais ils retomberont infailliblement dans l’ordre de Dieu. Ils serviront même à l’établir en paraissant le détruire et mon Dieu régnera par ma destruction.
Je soumets encore de nouveau généralement tous mes Ecrits, tan les anciens que ce que j’ai ajouté ici, pour les éclaircir, protestant que ce que je me trouve dans une entière démission d’esprit, de jugement et de volonté pour tout ce qu’on voudra m’ordonner. Quoiqu’il me paraisse que je ne puis douter de la bonté de Dieu, et des expériences (264) qu’il m’a fait faire, parce qu’elles portent avec elles un caractère ineffaçable, et ce serait mentir au St Esprit si quelque crainte ou respect humain m’empêchait de le confesser. Je n’y réfléchis néanmoins jamais, pas même pour écrire. J’ai écrit ce que j’ai écrit dans une entière ignorance, et quoique je ne puisse douter, ainsi que je l’ai dit, des bontés de Dieu et de mes expériences, parce qu’elles sont d’une nature à ne laisser aucun doute d’elles, je n’ai néanmoins aucune certitude si je suis digne d’amour ou de haine, mais je laisse l’un et l’autre dans celui, qui m’étant toutes choses, renferme pour moi toutes choses. Que s’il se trouve encore quelques difficultés, j’espère de la bonté de Dieu qu’il me les fera éclaircir. Pour ce que j’ai écrit de moi, je proteste que je ne l’ai écrit que pour obéir et que j’avais écrit d’abord plus de défauts que de vertus. On me le fit brûler en me faisant comprendre qu’il y avait en cela un reste de propriété, et il est vrai. J’ai dons écrit ensuite selon le commandement qu’on m’en a fait, tout ce qui m’est venu plume courante. Peut-être l’orgueil s’en est-il mêlé, sans que je le susse, à cause de la grande difficulté que j’ai de réfléchir sur moi, mais je puis assurer et mon Dieu en est témoin que tant qu’il m’a été  permis de me regarder moi-même, je n’ai eu sur moi que des yeux de condamnation et même d’horreur. Depuis que je ne me vois plus, il me semble n’avoir les yeux ouverts que sur Dieu, de sorte qu’on ne condamne ni approuve ce que l’on ne regarde point. C’est ce qui fait que je n’ai nulle difficulté de croire que je suis mauvaise lorsqu’on me le dit, non que je voie en particulier en quoi cela consiste, ni que j’en puisse avoir de (265) peine, parce que je trouve en mon Dieu toute bonté, quoiqu’il me semble qu’une infidélité ou entre-deux me serait un enfer. Bien que ma conscience ne me reproche aucun crime, je ne me crois pas néanmoins justifiée pour cela. Il est vrai que je ne réfléchis pas et que je me laisse entièrement à mon Dieu, auquel je me suis donnée pour le temps et pour l’éternité, sans restriction ni réserve, pour la seule gloire et la seule volonté. Cependant je ne laisse pas de m’accuser devant ses yeux divins de mille recherches et fautes secrètes que lui seul connaît et que lui seul peut purifier.
FIN.

(266)
NON NOBIS, DOMINE, NON NOBIS ETC.
OMNIS HONOR ET GLORIA ;
DEO SOLI.

(267)
RECUEIL DE QUELQUES AUTORITÉS DES SS. PÈRES DE L’EGLISE GRECQUE.

(269)
AVIS.

On a déjà marqué dans l’Avertissement qui se trouve après la Préface de cet Ouvrage que c’est selon les intentions de l’Auteur des Justifications qu’on ajoute ici ce Recueil d’Autorités des Pères Grecs. Aussi ont-elles tant de rapport avec celles qu’on a vues jusqu’ici qu’on y trouvera une entière conformité de la doctrine de ces grands hommes de l’antiquité avec celle des SS. Auteurs Mystiques des temps postérieurs, comme chacun s’en pourra convaincre par lui-même, en conférant les Articles de ce Recueil avec ceux qui portent le même titre dans les Justifications. On remarquera d’abord que celui d’entre les SS. Pères dont les témoignages sont le plus grand nombre de ce petit Recueil est St Cément d’Alexandrie, ce Docteur Apostolique qui a reçu les traditions dans leur source. Mais pour bien entendre ce Père, il ne sera pas peut-être inutile à l’égard de plusieurs Lecteurs de les avertir, que par le mot grec $$$$$$, dont St Clément se sert assez souvent en ses Stromates, ou tapisseries, et qu’on traduit ici gnose, il entend la perfection, et que par celui de gnostique, il entend le parfait Chrétien. (270) Cela n’a pas besoin d’être prouvé, presque tous les passages de ce père qu’on verra ici rapportés le marquent clairement. Et feu Mr. L’Evêque de Meaux explique ainsi ces deux termes de gnose et de gnostique, dans son Instruction sur les états d’oraison (a). C’est aussi ce que ce Père insinue lui-même en des termes exprès au commencement de son VII. Livre des Stromates, en expliquant le mot de gnostique par véritable Chrétien, $$$$$$$$. Au reste, comme ces Livres des Stromates ne sont pas divisés en Chapitres ou autres sections, comme le sont ordinairement ceux des autres Pères, on a pu désigner les passages qu’on en rapporte que par le nombre des pages où ils se trouvent dan l’Edition qu’on a suivie, qui est celle de Cologne de l’an 1688, en grec et en latin.



TABLES DES ARTICLES DE CE RECUEIL.

I. Chercher dieu en soi. Règne de Dieu en nous.
II. Communications de Dieu à l’âme.
III. Consistance. Etat de Consistance ou stabilité.
IV. Distractions. Tentations.
V. Entendre. Intelligence.
VI. Fécondité spirituelle.
VII. Habitude des vertus et Actes.
VIII. Impassibilité ou immobilité de l’âme.
IX. Louange de Dieu.
X. Mystères.
XI. Oraison. Contemplation.
XII. Présence de Dieu.
XIII. Pur Amour.
XIV. Purifications. Epreuves.
XV. Quiétude. Repos.
XVI. Renoncement.
XVII. Souffrances.
XVIII. Transformation.


TABLE DES PÈRES RAPPORTÉS AU RECUEIL.

I. St Athénagore.
II. St Basile
III. St Clément d’Alexandrie.
IV. St Denis.
V. St Ephrem.
VI. St Grégoire de Naziance.
VII. St Grégoire de Nysse.
VIII. St Jean Chrysostome.
IX. St Jean Climaque.
X. St Ignace.
XI. St Macaire.
XII. St Maxime.
XIII. Nicétas, commentateur de St Grégoire de Naz.
XIV. Origène.
XV. St Polycarpe.
XVI. St Théodoret.


RECUEIL
De quelques autorités des SS. Pères de l’Eglise Grecque.
I. Chercher Dieu en soi. Règne de Dieu en nous.

St MACAIRE.

L’âme qui porte Dieu dans soi, ou plutôt qui est portée de Dieu même, devient tout œil. Et comme une maison qui jouit de la présence de son maître, se trouve ordinairement ornée, splendide et parée comme elle doit être, de même une âme qui jouit de la présence de son Seigneur, et qui le loge au-dedans d’elle, est toute remplie de gloire et de majesté, possédant comme elle fait ce vrai Seigneur avec tous ses trésors spirituels et sa divine direction.
Mais malheur à l’âme dont le Seigneur est éloigné ! Malheur à celle qui n’a point Dieu présent ! Il ne se peut qu’elle ne soit désolée, ruinée, pleine de toute immondice, et toute en confusion. Là, selon la parole du Prophète(a), se rencontrent les démons et les bêtes farouches, une maison abandonnée n’étant en effet qu’une retraite de toutes sortes de bêtes et de toutes sortes d’immondices. Malheur encore à cette âme si elle ne se relève point d’une chute si grave, et qu’elle retienne en elle-même des ennemis qui, la portent à l’intimité contre son divin Epoux, qui s’efforcent de corrompre ses pensées et de les détourner de Jésus-Christ !
Si néanmoins le Seigneur vient s’apercevoir qu’elle tâche d’en revenir, de se recueillir en soi-même autant qu’il lui est possible, s’il voit qu’elle retourne avec persévérance à sa recherche, qu’elle veille en l’attendant nuit et jour, qu’elle crie vers lui sans cesse, selon son ordonnance, et qu’elle prie à toute occasion : il n’y a point de doute que selon sa promesse, il ne vienne (a) la venger de ses ennemis ; et que l’ayant purgée de tout le mal qui est dans elle, il ne se (b) la rende une Epouse sans tâche et irrépréhensible.
Si maintenant vous croyez que ces choses sont véritables, comme en effet elles le sont, rentrez en vous-même, et considérez si votre âme a trouvé cette lumière divine pour son Conducteur, cette véritable viande et ce breuvage, qui sont le Seigneur même. Si cela n’est pas, cherchez-le nuit et jour afin qu’il vous soit donné. Si vous voyez le Soleil, pensez à chercher le Soleil véritable, puisque vous êtes encore dans les ténèbres et l’aveuglement. Quant vous voyez la lumière, regardez dans votre cœur, si vous y trouverez la véritable lumière qui est la divine : en un mot, envisagez tout ce qui se présente à vos yeux comme autant d’ombres et de représentations grossières des grandes choses qui doivent se trouver réellement au-dedans de votre âme : car outre l’homme extérieur et visible, il y a dans nous un autre homme tout intérieur ; il y a d’autres yeux, que Satan a aveuglés ; et (275) d’autres oreilles, qu’il a rendu sourdes. Or le Seigneur Jésus est venu pour la guérison et pour le rétablissement de cet homme intérieur. Homélie 33.

II. Communications de Dieu à l’âme.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE.

I. L’Esprit de Dieu est un flambeau qui pénètre le profond des cœurs ; et plus un homme accomplissant la justice devient gnostique, plus l’esprit qui illumine, lui est communiqué. Stomates. Liv. IV. P.517.
2. De même qu’il paraissait un rayon de gloire sur le visage de Moïse, à cause de sa vertu et de son entretien continuel avec Dieu, ainsi la force divine de la bonté qui s’attache à l’âme juste par l’inspection, par la prophétie et par une opération familière lui inspire un caractère brillant de justice comme d’une splendeur intelligente, ou de la chaleur du soleil, et c’est une lumière qui s’unit à l’âme par une charité inséparable qui porte Dieu et qui est portée par lui. Liv. VI. P. 666.
3. Les pensées des hommes vertueux se forment par la pensée, ou l’inspiration de Dieu, l’âme étant en quelque manière affectée et le vouloir divin étant répandu dans les âmes des hommes. Lâ même, p. 693.
4. Ceux même qui disent que Dieu est leur Maître parviennent à peine à la connaissance de Dieu, la grâce les faisant venir à quelque connaissance, comme s’accoutumant à contempler (276) la volonté par la volonté et le St Esprit par le St Esprit, parce que (a) l’Esprit sonde les profondeurs de Dieu et l’homme animal ne comprend point les choses qui sont de l’Esprit. Lâ même. P. 697.

St GREGOIRE DE NAZIANCE.

5. Il ne se sert, (le vrai Philosophe ou le parfait Chrétien), des soutiens de la vie qu’autant que la nécessité l’y oblige : il n’a de commerce qu’avec soi-même et avec Dieu. Son âme l’élève au-dessus de toutes les choses sensibles, et comme un miroir sans tâche, elle lui représente au naturel les divines images, sans mélange des espèces terrestres et grossières. Il ajoute tous les jours de nouvelles lumières à celles qu’il a déjà, jusqu’à ce qu’il parvienne enfin à cette source de lumières où l’on ne puise que dans l’autre vie, lorsque l’éclat de la vérité a dissipé l’obscurité des énigmes et qu’on est parvenu au comble de la félicité. Orat. 29.

III. Consistance. Etat de consistance ou stabilité.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE.

1. Celui qui est établi dans la Gnose ne mettra jamais sa fin dans son âme, mais en ce qu’il sera toujours heureux, étant ami de Dieu d’une amitié qui fait régner. Stromates. Liv. IV. P. 495.
2. Les Apôtres imitant Jésus-Christ et étant véritablement gnostiques et parfaits, ont souffert pour les Eglises qu’ils ont fondées ; ainsi les (277) gnostiques qui marchent sur les traces des Apôtres doivent être sans péché et parla charité pour Jésus-Christ, ils doivent aimer le prochain, en sorte que si le cas le demande, ils doivent supporter les souffrances pour l’Eglise et boire patiemment le calice. Lâ-même. P. 503,504.
3. Soit qu’on dise que la gnose est une habitude et une disposition, la partie supérieure de l’âme demeure inaltérable, les différentes pensées n’y entrant point, elle ne reçoit point la diversité des images, ne songeant point pendant le sommeil aux images que forment les occupations du jour. Voilà donc en quoi consiste la ressemblance avec Dieu, autant qu’il est possible de conserver son esprit dans cette disposition à l’égard des mêmes choses et cette disposition est de l’esprit en tant qu’esprit. La même. P. 530.
4. Il demeure donc dans une même situation immuable aimant gnostiquement. Livr. 6. P. 651.
5. Ensuite par un soin continuel elle devient en habitude, il parle de la gnose et ainsi étant perfectionnée dans l’habitude mystique, par la charité, elle demeure sans pouvoir être renversée. P. 653
6. Le culte de Dieu est pour le gnostique un soin continuel de l’âme et une occupation continuelle de la divinité par une charité qui ne cesse jamais. Liv. VII. P. 700.
7. Le gnostique est d’une grande dignité, il est d’un grand prix devant Dieu, lui en qui Dieu est établi, c’est-à-dire, en qui la gnose de Dieu est consacrée ; nous trouverons là l’image juste, lorsqu’elle est heureuse (278) puisqu’elle est purifiée et qu’elle fait d’heureuses actions. P. 715.
8. Il ne désire rien de ce qu’il n’a pas, content de ce qu’il a, car il ne manque point des biens qui lui sont propres, étant suffisant à lui-même par la divine grâce et la gnose. Mais étant dans la suffisance et n’ayant pas besoin des autres choses, connaissant la volonté toute-puissante, possédant en même temps et priant, étant attaché à la force toute-puissante et s’appliquant à être spirituel par une charité sans bornes, il est uni à l’esprit. Il s’applique autant qu’il peut à posséder cette puissance (c’est celle de la contemplation permanente) étant devenu maître de ce qui combat contre l’esprit et demeurant perpétuellement dans la contemplation. P. 725.
9. Celui qui s’est exercé pour arriver à la sublimité de la gnose et de l’homme parfait, tous les temps et tous les lieux lui conviennent, ayant une fois choisi de mener une vie exempte de chute et s’étant exercé par cette stabilité égale de l’esprit. En celui qui par un exercice gnostique a acquis une vertu qui ne se peut perdre, se forme une habitude et comme la pesanteur ne peut être séparée de la pierre, de même le gnostique ne peut perdre la connaissance, elle est affermie volontairement et non involontairement, par une puissance raisonnable, gnostique et prévoyante, et par le soin que l’on en a, elle parvient à ne pouvoir être perdue.
C’est donc une très grande chose que la gnose, parce qu’elle conserve ce qui rend la vertu inamissible. Nous avons montré que le seul gnostique est pieux. P. 726.
10. La gnose est donc la perfection de l’homme (279) en tant qu’homme : elle s’accomplit par la science des choses divines, et dans la vie, dans le discours, dans les manières, elle est uniforme et d’accord avec elle-même et avec le Verbe divin. Par elle, la foi se perfectionne et c’est par elle seule que le fidèle est parfait. P.731.
11. La charité rend le gnostique ami, fils, homme véritablement parfait, qui a cru à la mesure de l‘âge. P. 739.
12. Elle est cause (il parle de la connaissance gnostique) que s’il arrive quelque accident o trouble, le gnostique n’est jamais ébranlé de sa disposition naturelle : car la possession éclairée du bien excellent est ferme et inébranlable, étant la connaissance des choses divines et humaines. La gnose donc ne devient jamais ignorance, et l’excellent ne se change point en mal, c’est pourquoi il mange, il boit, il se marie, (a) non par choix, mais par nécessité. Seulement il se marie si le Verbe (la raison) le dit, et de la manière qu’il convient de le faire. P. 741.
13. C’est pourquoi et en mangeant et en buvant et en se mariant, si le Verbe le dit, ayant même des songes, il fait et pense des choses saintes, étant, par cette manière, toujours pur pour la prière. Car il prie avec les Anges, comme étant déjà égal aux Anges : il n’est jamais hors d’une sainte garde, et quoiqu’il prie seul, le chœur des Anges est avec lui. P. 746.

(280)
14. C’est avec raison que nul accident ne le trouble, il ne craint rien de tout ce qui lui arrive par la disposition de Dieu, ce qui est toujours pour une fin utile. Il n’appréhende point de mourir, sachant qu’il paraîtra devant les puissances, pur de toutes les taches de l‘âme, et sachant bien qu’il sera bien mieux après sa mort : c’est pourquoi il ne préfère jamais ce qui est doux et utile à la disposition de Dieu. P.749.

IV. Distractions. Tentations.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE

1. Il est austère, (le gnostique) non seulement pour n’être point corrompu, mais même pour n’être point tenté : car la tristesse et le plaisir ne peuvent ni le vaincre, ni même trouver entrée dans son esprit. Il ne donne rien aux mouvements de l’âme, allant d’une manière immuable où la justice le demande. Liv. 7. Des Stromates. P. 725.
2. Il a des tentations, (a) non pour sa purification, mais comme nous l’avons dit, pour l’utilité de son prochain. P. 744.

St MACAIRE.
3. Tous les efforts de note adversaire vont à ce qu’il puisse distraire notre esprit du souvenir de Dieu et de son amour, se servant à cet effet des appas de la terre, pour nous détourner du bien solide, vers des biens qui ne sont tels que par (281) opinion et non en réalité. Ce malin tâche encore de fouiller et de contaminer tout le bien que l’homme fait, en mêlant à l’observance du commandement divin la semence de la vaine gloire ou du propre, afin d’empêcher qu’on ne fasse le bien pour l’amour de Dieu et d’une manière purement généreuse et désintéressée. De la garde de l’âme. Ch. 3.

V. Entendre. Intelligence.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE

1. S’il est vrai que le Seigneur est la vérité et la sagesse même et la puissance de Dieu, il faut montrer que celui qui l’aura connu, et le Père par lui, est véritablement gnostique. Le souvenir est pour les choses passées, l’espérance pour les futures. Nous croyons que les choses passées ont été, et que les futures arriveront. Nous aimons que ces choses soient ainsi, les une passées, la foi nous ne persuadant, les autres futures, l’espérance nous les faisant attendre, car la charité persuade tout au gnostique qui ne connaît que Dieu. Aux Stromates. Liv. II. P.383.
2. Moïse a déjà dit qu’il fallait écouter afin que nous reçussions Jésus- Christ qui est selon l’Apôtre l’accomplissement de la loi. Or le gnostique profite, ou avance, dans l’Evangile, ne se servant pas seulement de la loi comme d’un degré, mais la connaissant et la comprenant, comme l’a donnée aux Apôtres le Seigneur de qui viennent les Testaments. La même. Livr. IV. P. 526.

(282)
3. Nous osons dire : celui qui a la foi gnostique sait tout, il comprend tout, il pénètre par une sûre compréhension les choses sur lesquelles nous hésitons, quand il est véritablement gnostique comme ont été Jacques, Pierre, Jean, Paul et les autres Apôtres. La prophétie est aussi pleine de gnose, ayant été donnée par le Seigneur et par lui, découverte aux Apôtres. Et la gnose n’est-elle pas une propriété de l‘âme raisonnable qui s’exerce pour parvenir par la gnose à être introduite dans l’immortalité. LIVr. VI. P.648.
4. Le gnostique dont je parle comprend ce qui paraît incompréhensible aux autres, persuadé que rien n’est incompréhensible au Fils de Dieu et par conséquent que tout peut-être enseigné, car celui qui a souffert pour nous, n’a rien omis pour l’instruction de la gnose. La même. P. 649.
5. Les choses que le Seigneur a dites sont claires et découvertes pour lui, quoiqu’elles soient cachées pour les autres, car il a reçu la gnose de toutes choses. P. 654.
6. Qui est le sage et il entendra ces choses ? Qui est l’intelligent et il comprendra ceci ? Car les voies du Seigneur sont droites, dit le Prophète (a) déclarant que le seul gnostique peut connaître et expliquer les choses dites d’une manière cachée par l’Esprit. Mais celui qui les comprend se taira à propos, dit l’Ecriture, c’est-à-dire, qu’il ne les dira pas à ceux qui en sont indignes. La même. P. 671.
7. La nue, la grêle et les charbons de feu ont passé devant lui, dit le Prophète (b), nous enseignant (283) que les discours saints sont cachés, mais qu’ils sont clairs et éclatants pour les Gnostiques, Dieu les envoyant comme une grêle innocente. P. 672.
8. Il est du Gnostique de savoir quand, de quelle manière et à qui il doit parler. La même
9. Celui-ci descendant, (Il parle de Josué qui avait été lé témoin de la gloire de Moïse, et à qui elle avait été plus découverte qu’à Caleb), raconta la Gloire qu’il avait contemplée, étant plus capable de voir que l’autre (c’est-à-dire que Caleb), comme étant plus purifié que lui, l’histoire nous faisant connaître par là que tous n’ont pas la gnose, car les sens regardent le corps des Ecritures, les dictions et les mots, comme le corps de Moïse (que Caleb voyait simplement), les autres en voient les sens cachés et ce qui est marqué par les mots, cherchant à découvrir ce Moïse qui était avec les Anges. P. 680.
10. Le gnostique entend toutes choses d’une manière vraie et élevée, comme comprenant la science divine. Il entend le propre sens de ces paroles : vous ne commettrez point de fornication, vous ne tuerez point. Il sait de quelle manière cela se dit au Gnostique et non de la façon dont cela est compris par la multitude. Livr. VII. p.734.
11. Touchant les choses futures qu’il connaît et qui ne se voient pas encore, il en est si persuadé qu’il les croit plus présentes que celles qui sont proches de lui. P. 744.

(284)
VI. Fécondité Spirituelle.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE.

1. Le Pasteur a soin de toutes les brebis. Il a pourtant un principal soin de ceux qui par leur nature excellente sont capables d’être utiles à la multitude. Ce sont ceux-là qui sont propres pour conduire et enseigner. C’est par eux que l’évidence de la providence paraît, quand Dieu veut, ou par l’instruction, ou par la place où il les met, faire du bien aux hommes et il le veut toujours. C’est pourquoi il meut ceux qui sont propres aux choses qui procurent la vertu et la paix. Livr. 6. Des Stromates. P. 693.
2. Le Gnostique qui est rendu semblable à Dieu se crée et se forme lui-même, il orne aussi ceux qui l’écoutent, rendant semblables, le plus qu’il est possible, à celui qui possède l’apathie par nature, celui qui est parvenu dans l’apathie par l’exercice, et il fait un commerce et une union avec le Seigneur de laquelle il ne peut être arraché. Livr. VII. P. 706.
3. Le Gnostique est donc pieux, ayant premièrement soin de lui, et ensuite de ses prochains, afin qu’ils deviennent excellents. P. 707.
4. Le Gnostique supplée à l’absence des apôtres, vivant avec droiture, connaissant exactement, aidant ceux qui lui sont proches, transportant les montagnes de ses prochains et aplanissant les inégalités de leurs âmes. P. 745.

(285)

VII. Habitude des vertus et actes.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE.
1. Celui qui possède la gnose prie et demande les vrais biens de l’âme, coopérant aussi lui-même pour venir dans l’habitude de la bonté afin qu’il n’ait plus les biens comme des instructions qui lui sont proposées, mais qu’il sait $$$ bon. Livr. VII. P. 721.
2. Il ne loue pas seulement les choses bonnes, mais il est contraint lui-même d’être bon serviteur, à cause de la perfection de l’habitude qu’il a acquise par l’instruction et par le grand exercice vrai et pur. P. 735.

St BASILE.
3. On trouvera que les vertus seront devenues comme notre propre bien, lorsque par nos soins et exercices, elles nous seront devenues comme naturelles ou unies à notre nature même, en sorte qu’au milieu de nos épreuves et difficultés, elles ne viennent jamais à nous abandonner en cette vie si longtemps que nous ne les chassons par force en donnant place à des actions mauvaises. Homél. 23. Du dégagement des choses du monde.

(286)

VIII. Impassibilité ou immobilité de l‘âme.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE.

1. Revêtez-vous donc comme les Elus de Dieu saints et bien-aimés, des entrailles de la miséricorde, de la douceur, aimez à faire le bien, vous qui êtes encore dans le corps, comme les anciens justes qui ont recueilli pour fruit l’apathie de l‘âme et l’imperturbabilité. Aux Stromates. Livr. IV. P. 496.
2. Il a appris (le gnostique) que la viande ne nous rendra pas recommandable, ni le mariage, ni le renoncement au mariage sans gnose, mais la vertu qui consiste à agir gnostiquement. Autrement il faut dire qu’un chien, qui est animal sans raison, est tempérant quand il s’abstient de manger à cause du bâton qui est levé sur lui. Sachez qu’on connaitrait la disposition de ces hommes si les récompenses ou les menaces étaient ôtées, car ils n’agissent point par le fond des choses, en sorte qu’ils s’y attachent gnostiquement jugeant que toutes les choses créées pour notre usage sont bonnes avec un usage modéré, comme le mariage, par exemple et que le plus grand des biens c’est de parvenir à une vertu impassible par la ressemblance avec Dieu. La même. P. 533.
3. Dieu est impassible, incapable de colère et de désirs ; ce n’est pas par crainte qu’il détourne les choses fâcheuses, et il n’est pas tempérant par commander à ses cupidités, car la nature de Dieu ne peut tomber dans rien de pénible, et Dieu ne suit point la peur, de (287) même qu’il n’aura point de désirs afin de leur commander. L’homme divinisé jusqu’à l’apathie n’ayant plus de souillure devient unique. De même donc que ceux qui sont sur mer tirent l’ancre qui les a affermis de telle sorte qu’ils sont attirés vers elle et qu’ils ne l’attirent point à eux, de même ceux qui attirent Dieu par la vie gnostique ne s’aperçoivent pas qu’ils sont attirés eux-mêmes vers Dieu. Car celui qui sert Dieu se sert lui-même, et dans la vie contemplative, celui qui sert dieu a soin de lui-même, et par la sincérité de sa purgation propre, il contemple saintement le Dieu saint, car la sagesse qui l’assiste, se considérant et se contemplant elle-même sans relâche devient semblable à Dieu, autant que la chose est possible. P.535.
4. Les Apôtres ayant surmonté la colère, la crainte, les désirs, par l’instruction gnostique du Seigneur, ils n’eurent plus en eux les suites des passions qui paraissent avantageuses, comme le zèle, la hardiesse, l’ardeur, car par la constitution ferme de leur esprit, ils ne pouvaient éprouver aucun changement, mais par l’habitude de l’exercice, ils demeurent toujours inaltérables depuis la résurrection du Seigneur. Car quoiqu’on regarde comme des bonnes choses celles dont on vient de parler, quand elles sont conduites par la raison, on ne doit point les admettre dans l’homme parfait. Il n’a point la hardiesse, ou il n’a point de quoi être hardi, car il ne se trouve point dans les choses fâcheuses, ne regardant nulle des choses de la vie comme fâcheuse, et rien ne le peut séparer de la charité qu’il a pour Dieu. Il n’a pas(288) besoin de tranquillité, car il ne tombe point dans la tristesse, persuadé que tout ce qui arrive est bon. Il ne s’irrite point, car rien ne le peut porter à la colère, lui qui aime toujours Dieu, qui est tourné tout entier vers lui seul et qui par là ne hait aucune des créatures de Dieu. Il ne désire rien, car rien ne lui manque pour ressembler au beau et au bon. Il n’aime personne de cette commune amitié, mais il aime le Créateur dans les créatures ou par les créatures. Il n’a aucun désir, car il n’a besoin de rien pour l’âme, étant par la charité avec son Bien-Aimé, avec qui il est uni familièrement par le choix qu’il a fait. Et par l’habitude qui vient de l’exercice, il s’en approche plus aisément, et il est heureux à cause de l’abondance des biens. Ainsi pour ces raisons, il s’efforce de ressembler au Maître dans l’apathie, car le Verbe de Dieu est intelligent, par lequel l’assimilation de l’esprit est aperçue dans l’homme seul. Par là, l’homme excellent par l’âme devient déiforme et semblable à Dieu et Dieu devient semblable à l’homme (homiforme). Liv. 6. P. 650.
5. Il ne souhaitera point de ressembler aux bons ou aux choses bonnes, ayant par la charité l’être de la beauté. Quel besoin peut-il avoir de hardiesse et de désirs, lui qui a reçu par la charité la conjonction, l’union (la familiarité) avec un Dieu impassible et qui par elle s’est inséré$$$ au nombre de ses amis ? Il faut donc séparer de tout mouvement de l‘âme le gnostique et le parfait, car la gnose produit l’exercice, l’exercice produit l’habitude ou la disposition, et cette situation produit l’apathie et non une modération de désirs, et l’apathie est le fruit du retranchement total (289) des désirs. Le gnostique n’a point de part avec les bons qui sont encore dans l’inégalité, c’est-à-dire qui sont encore sujets aux mouvements (aux sentiments) et sui sont bons. J’entends par ces sentiments, par exemple, la joie qui est sujette au plaisir et à la tristesse, à l’affliction, au soin et à la crainte. J’entends la véhémence car elle est proche de la colère. Et quoique quelques-uns disent que ce ne soient plus des maux, mais des biens, il ne se peut que celui qui est consommé (perfectionné) par la charité et qui se nourrit perpétuellement et sans être jamais rassasié, de la joie de la contemplation qui est insatiable, il ne se peut, dis-je, qu’il trouve de la joie dans des choses petites et basses. Car quel juste sujet aurait encore de retourner vers les biens du monde celui qui a reçu une lumière inaccessible et si ce n’est pas encore selon le temps et selon le lieu, il l’a reçue par cette charité gnostique par laquelle l’héritage est donné et le parfait rétablissement. Celui qui donne la récompense confirmant par les œuvres ce que le gnostique, pour avoir choisi gnostiquement, a reçu par avance par la charité.
Certes, n’étant plus dans un pèlerinage à l’égard du Seigneur, par la charité qu’il a pour lui, quoique sa demeure paraisse sur la terre, il ne se délivre point de cette vie, car cela ne lui est point permis, mais il a tiré son âme des passions car cela lui est permis : il vit ayant fait mourir ses désirs et il ne se sert plus de son corps, il lui permet seulement l’usage des choses nécessaires, de peur qu’il ne soit cause de sa destruction. Comment cet homme a-t-il encore besoin de courage, n’étant plus dans les maux, n’y étant (290) plus présent mais tout entier avec celui qu’il aime ? Quel besoin a-t-il de la tempérance ? Il n’en a que faire. Car d’avoir encore des désirs qui rendent la tempérance nécessaire pour les vaincre n’est pas d’un homme pur, mais d’un homme sujet aux mouvements. La force est nécessaire à cause de la crainte et de la peur. Or il ne convient plus que celui qui est ami de Dieu, que Dieu a choisi devant la constitution du monde pour le faire entrer dans la parfaite adoption, soit encore sujet aux peurs et aux plaisirs, et qu’il soit encore occupé à vaincre (réprimer) ses passions. Et je ne crains point de le dire, de même qu’il est prédestiné par ce qu’il doit faire et obtenir, de même lui prédestinant , a par celui qu’il connaît celui qu’il aime. Il n’a pas besoin de connaître l’avenir, comme plusieurs qui vivent en conjecturant, comprenant par la foi gnostique ce qui est inconnus aux autres, et le présent est présent en lui par la charité, car il croit à dieu qui ne trope point, à cause de la prophétie et à cause de la présence il ace qu’il croit et il obtient ce qui est promis. Liv. VI. P. 651, 652.
6. Ce Gnostique qui est fidèle et qui est persuadé que ce qui regarde le monde est bien conduit, se complait dans tout ce qui arrive. Livr. VII. P. 726.
7. La tempérance qui doit être choisie pour elle-même, qui est perfectionnée par la gnose et qui est toujours permanente, rend l’homme maître de lui, en sorte qu’il est un gnostique tempérant, impassible à l’égard des plaisirs et ne pouvant être amolli par les afflictions, comme on dit que le diamant est à l’égard du feu. P. 739.

(291)
8. Comme la mort est la séparation de l’âme d’avec le corps, ainsi la gnose est comme la mort spirituelle, séparant l’âme et la tirant avec force des passions et la conduisant dans la vie où on fait le bien, en sorte qu’elle dit alors à dieu avec confiance : je vis come vous voulez. P. 741.
9. Il convient à celui qui est parvenu à cette habitude d’être saint, ne tombant d’aucune manière dans aucune passion, mais étant déjà comme sans chair et étant sans se ressentir de cette terre. P.752.

St GREGOIRE DE NAZIANCE

10. Il n’y a rien de plus fort et de plus indomptable que la vraie Philosophie : tout cède à la générosité d’un Philosophe. Si on le prive de toutes les commodités de la terre, il a des ailes pour s’élever, pour prendre l’essor et pour s’envoler vers Dieu qui seul est son maître. On ne peut vaincre Dieu, ni un Ange, ni un Philosophe : quoiqu’il soit composé de matière, il est comme s’il n’était pas matériel, il n’a point de bornes. Quoiqu’il ait un corps, il vit sur la terre comme un homme tout céleste : il est impassible au milieu de tant de passions, il souffre d’être vaincu en tout le reste, mais non pas en grandeur de courage, il se met en cédant au-dessus de ceux qui croient l’effacer, il ne tient plus ni au monde ni à la chair. Orat. 28.


IX. Louange de Dieu.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE
1. Il n’y a de véritablement pieuse que la manière gnostique dont le gnostique honore Dieu. Livr. VI. Des Stromates. P. 616.
2. Le gnostique prie donc avec ceux qui sont nouveaux dans la foi, touchant les choses qu’il doit faire avec eux. Et sa vie entière est une fête sainte. Livr. VII. P. 728.

St JEAN CHRYSOSTOME.
3. Glorifions le Fils de Dieu, non par la seule louange de la bouche, mais par celle de nos œuvres, sans laquelle l’autre n’est rien. Homél. 51. Sur St Jean vers la fin.

X. Mystères.

St CLÉMENT D’ALEXANDRIE.
1. A l’égard des grands mystères, on ne peut en instruire, il faut en contempler et connaître la nature et les effets. Livr. V. des Stromates. P. 582.


St JEAN CHRYSOSTOME.
2. Il y a un danger à vouloir examiner avec curiosité les mystères de Dieu et en demander des raisons, il faut plutôt les embrasser avec amour. Homél. 27. Sur l’épître aux Romains vers le commencement.

(293)
XI. Oraison. Contemplation.

St CLÉMENT D’ALEXANDRIE.
1.Heureux celui qui a la science de la contemplation, qui ne fait aucun tort aux citoyens et qui n’est jamais engagé dans des actions injustes, contemplant la beauté toujours subsistante de la nature immortelle, comment et de quelle manière elle est établie. Jamais la pensée d’une mauvaise action n’entre dans ces hommes. Platon a même eu raison de dire de celui qui contemplerait les idées que c’est un Dieu qui vivrait parmi les hommes. L’esprit est le lieu des idées et Dieu est le lieu de l’esprit, il a appelé celui qui contemple le Dieu invisible, un Dieu vivant parmi les hommes. Quand donc l’âme s’élevant au-dessus de sa nature est avec elle-même et converse avec les idées, cet homme devenu déjà semblable à un Ange, sera avec Jésus-Christ occupé de la contemplation, considérant toujours la volonté de Dieu : celui-là est le seul sage, les autres voltigent comme des ombres. Aux Stromates. Livr. IV. P. 536, 537 ;
2. Si donc, ôtant tout ce qui appartient aux corps et aux choses qu’on appelle incorporelles, nous nous jetons nous-mêmes dans la grandeur de Jésus-Christ, que nous avancions par la sainteté dans cette immensité, nous serons conduits en quelque manière à la connaissance du Tout-Puissant, connaissant non ce qu’il est, mais ce qu’il n’est pas. Liv. V. P. 582.
3.Abraham étant venu au lieu que Dieu lui avait dit, le troisième jour il vit le lieu de loin. (294) Le premier jour est celui qui arrive par la vue des choses belles ; le second est le désir d’une âme excellente ; le troisième jour, l’esprit voit les choses spirituelles, les yeux de l’intelligence étant ouverts par le Maître qui a ressuscité le troisième jour. P. 583.
4. La gnose ayant été laissée par les Apôtres à un petit nombre sans écriture, est parvenue à nous. Il faut donc exercer la gnose ou la sagesse pour parvenir à une habitude de Contemplation continuelle et inaltérable. Livr. VI. P. 645.
5. Dieu n’attend point la voix de celui-ci (du gnostique) dans la prière, lui qui a dit : demandez et je ferai, pensez et je donnerai. P. 653.
6. De la vérité, une partie est gnostique, l’autre est pratique et coule (vient) de la Contemplation. P.660.
7. Dieu accorde ce que demandent dans leurs prières ceux qui n’ont pas cru fermement et qui se sont repentis de leurs péchés. Mais à ceux qui vivent sans péché et gnostiquement, Dieu le leur accorde, lorsqu’ils ne font seulement que penser. Le gnostique prie donc en esprit à toute heure, vivant familièrement avec Dieu par la charité, et premièrement, il demande la rémission des péchés, ensuite de ne plus pécher, et puis de pouvoir bien faire, et de connaître les ouvrages et l’économie du Seigneur, afin qu’étant rendu pur de cœur par l’épignose qui vient du Fils de Dieu, il soit invité à l’heureuse vision de face à face. Livr. VI. P. 665.
8. Je tais les autres choses, glorifiant le Seigneur, mais je dis que ces âmes gnostiques par la grandeur de leur Contemplation surpassent l’état de chaque degré saint etc…Livr. VII. P. 706.

(295)
9. Il scelle sur le Gnostique (il parle du Verbe) une parfaite Contemplation selon sa propre image, en sorte que le gnostique est une troisième image divine, semblable autant qu’il est possible à la seconde cause, à la véritable vie par laquelle nous vivons véritablement. P. 708.
10. Quelques-uns prennent des heures marquées pour la prière, comme la troisième, la sixième et la neuvième, mais le gnostique prie pendant toute sa vie, s’appliquant à être avec dieu par la prière. Celui qui est en cet état laisse toutes choses qui ne sont point utiles, étant parvenu à la perfection e ce qui se fait par la charité. P. 722.
11. A lui seul est accordé ce qu’il demande selon la volonté de dieu et lorsqu’il demande et lorsqu’il pense. Car comme Dieu peut tout ce qu’il veut, ainsi le gnostique obtient tout ce qu’il demande. P.723.
12. Le gnostique demandera la permanence( la durée) des choses qu’il possède, l’aptitude pour celles qui doivent arriver, et la perpétuité de celles qu’il doit recevoir. P. 725.
13. Il ne cherche rien des choses nécessaires à la vie, persuadé que Dieu qui connaît tout donne aux bons, sans qu’ils le demandent, ce qui leur convient. Toutes choses sont données gnostiquement ou par la gnose au gnostique. P. 726.
14. Le gnostique, à cause de l’éminence de sa sainteté, est plus prêt de ne pas obtenir en demandant que d’obtenir en en demandant pas. Toute sa vie et son commerce avec Dieu est une prière. P. 742.
15. Quand il a reçu la compréhension d’une contemplation éclairée, il croit voir le Seigneur, (296) portant ses yeux sur les choses visibles, quoiqu’il paraisse voir ce qu’il ne veut pas voir. P. 744.
16. Le genre de la prière est l’action de grâce pour les choses passées, présentes et futures comme étant déjà présentes par la foi, et cette disposition est précédée par le don de la gnose. Il demande (le gnostique) de passer le temps qu’il doit être dans la chair en gnostique et en homme qui n’a point de chair. Il demande aussi la rémission de nos péchés etc…P.746.
17. Celui qui est tel, c’est-à-die gnostique, il ne demande pas, mais il exige du Seigneur. P. 748.

St MACAIRE.
18. Dieu est le Bien Souverain, vers lequel vous devez recueillir votre entendement et toutes vos pensées, sans songer à autre chose qu’à regarder après lui en l’attendant toujours. Que votre âme soit donc comme une mère occupée à rassembler ses enfants vagabonds et que contraignant par la discipline les pensées dispersées par le péché à rentrer dans son domicile, elle attende le Seigneur dans l’abstinence et avec amour, jusqu’à ce qu’il vienne lui donner le véritable et le solide recueillement. Et bien qu’elle ne sache quand le Seigneur voudra venir à elle, que cela même la fasse espérer avec d’autant plus de persévérance en ce divin directeur des esprits, se souvenant (a) de Rahab, laquelle ayant cru aux Israélites, bien qu’elle fût encore au milieu des infidèles, devint pourtant dès là, en vertu de sa foi, digne d’être associée au peuple d’Israël, au lieu que les Israélites incrédules furent considérés (297), à raison de leur désir, comme retournés par effet dans le pays d’Egypte. Ou comme la demeure que fit encore Rahab avec les étrangers ne lui fut plus nuisible, mais que sa foi la rendit dès lors associée au parti des Israélites, de même aussi le péché, (ce fond corrompu de pensées d’égarements et de représentations étrangères dont nous sommes encore environnés), ne nuit plus à ceux qui attendent en espérance et en foi leur Rédempteur, lequel étant venu, change et transforme les pensées de l‘âme, les rend toutes divines, toutes célestes, toutes bonnes, et enseigne à l’âme l’Oraison véritable, laquelle n’est plus sujette à l’égarement ni à la distraction. (a) Ne crains point, dit Dieu lui-même par son Prophète, je marche devant toi, je vais aplanir les montagnes, briser les portes d’airain, mettre en pièces les verrous de fer. Et encore ailleurs : Veille sur toi-même, (b) de peur que ton cœur ne donne lieu à quelque pensée secrète d’incrédulité qui le fasse pécher, et que tu ne dises en toi-même : cette multitude est trop nombreuse et trop forte pour être surmontée.
Si nous ne perdons pas cœur en nous abandonnant au relâchement et à la négligence ; si nous ne donnons point de nourriture aux pensées déréglées de la corruption, mais que notre volonté fasse effort à en retirer notre esprit, contraignant nos pensées à se tourner vers le Seigneur, sans doute que le Seigneur de son propre mouvement viendra enfin à nous et qu’il nous recueillera et nous réunira véritablement en lui-même. Tout ce par où nous pouvons lui plaire et lui rendre service est dans la pensée. Faites donc vos efforts pour lui plaire, en l’attendant toujours dans votre intérieur, le cherchant dans vos pensées, contraignant et forçant votre volonté et vos intentions à jeter toujours leur regard sur lui, et vous verrez comment il viendra dans vous et qu’il y établira sa demeure. Car plus vous recueillez et réunissez votre esprit au-dedans de vous pour le chercher, plus et beaucoup plus encore, est-il forcé par ses propres compassions et par sa clémence de venir à vous et vous donner repos. Cependant il lui plaît de se tenir arrêté quelque temps à vous considérer, vous, votre esprit, vos pensées, ce que vous aves dans le cœur. Il regarde de quelle manière vous le recherchez : si c’est de toute votre âme, ou bien d’une manière négligée et avec nonchalance, et s’il s’aperçoit de vos soins et de votre diligence à le chercher, le voilà qui vient tout d’un coup se manifester à vous se faire voir, vous donner son secours, vous accorder la victoire et vous délivrez de tous vos ennemis. Mais il avait voulu premièrement voir avec quelle ardeur vous le rechercheriez, et comment toute votre attente était entièrement et continuellement tournée vers lui.
C’est alors qu’il vient être votre Maître, qu’il vient vous enseigner et vous donner la vraie prière et le vrai amour, qui n’est autre que lui-même habitant en vous, et devenu en vous toutes choses, paradis, arbres de vie, perle précieuse, couronne de gloire, vigneron divin (cultivant notre âme pour qu’elle porte des fruits en abondance), passible (prenant sur soi ce que nous avons à souffrir), impassible (n’étant altéré ni ébranlé de rien), homme (âme et principe (299) de toutes nos actions humaines), Dieu tout-puissant et rendant tout divin, vin céleste pour nous réjouir et fortifier divinement, eau vivante pour nous désaltérer et nous rafraîchir vivement, brebis, principe de simplicité, d’innocence, de douceur, de soumission, Epoux, guerrier, combattant nos ennemis, armes invincibles pour les terrasser et détruire, en un mot JESUS-CHRIST TOUT EN TOUS. Ainsi donc, comme un enfant qui ne saurait se secourir, ni s’habiller soi-même, ne fait que regarder sa mère la larme à l’œil jusqu’à ce qu’émue de compassion, elle aille l’embrasser, que les âmes fidèles en fassent de même envers le Seigneur, mettant toujours leur espérance en lui seul. Homél.31.

XII. Présence de Dieu.

St IGNACE.
1. Rien n’est couvert au Seigneur : ce qui est le plus caché dans notre intérieur lui est présent. Faisons donc toutes choses comme en la présence de Dieu qui habite dans nous, afin que nous soyons ses vrais Temples et que lui soit notre Dieu dans nous. Epitre aux Ephésiens. Chap. 15.

St POLYCARPE.
2. Pour les veuves, qu’elles prient sans cesse, reconnaissant qu’elles sont les autels de Dieu, que Dieu nous regarde et tout ce qui nous concerne et que tout nos desseins, nos pensées et les choses les plus secrètes de notre cœur lui sont à (300) découvert. Nous sommes exposés à la présence des yeux du Seigneur notre Dieu, comme aussi nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ pour y rendre compte chacun de soi-même. Jésus-Christ a porté nos péchés dans son corps sur le bois, celui qui n’a point commis de péché, et dans la bouche duquel ne s’est point trouvé de fraude, a tout enduré afin que nous vivions dans lui. Aux Philippiens. Chap. 4,6. 8.

St ATHENAGORE.
3. Toute leur vie (il parle des Chrétiens) regarde Dieu comme la règle d’une conduite irrépréhensible. Nous avons imprimé dans l’esprit que Dieu est présent à toutes nos pensées et à tout ce que nous disons : nous le considérons nuit et jour, et nous sommes persuadés que comme il est la lumière même, il voit ce qu’il y a dans le fond de nos cœurs. Apologie des Chrétiens. Chap. 27.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE.
4. Nous devons respecter en tout lieu la présence du Verbe qui est partout et sans lequel rien n’a été fait, et l’on ne saurait bien demeurer ferme qu’en ayant dans la pensée que Dieu nous est toujours présent. Pédagogue.Livre III. Chap. 5.
5. Ce n’est point dans un lieu marqué, dans un temple choisi, ni dans certains jours et fêtes marquées, mais c’est pendant tout la vie, en tout lieu, soit qu’il soit seul, ou qu’il soit avec plusieurs fidèles, que le gnostique honore Dieu, c’est-à-dire qu’il lui rend grâce de l’avoir établi dans la gnose. Comment celui qui est toujours présent avec Dieu sans interruption par (301) sa vie, par sa gnose et par les actions de grâces, ne deviendra pas toujours meilleur, etc… ? Livr. VII des Stromates. P. 719.
6. Toute notre vie étant donc un jour de fête, persuadés que Dieu est toujours présent partout, nous labourons en le louant, nous naviguons en chantant ses louanges, et dans tout ce que nous faisons, nous nous conduisons avec soin. Le gnostique habite plus près avec Dieu. La même. P. 720.
7. Il priera en tous lieux et cela ne paraitra pas à plusieurs. Il prie en se promenant, en conversant, en se reposant, en lisant, en faisant des choses raisonnables. Il prie en toute manière (c'est-à-dire quelque chose qu’il fasse. Que si dans le fond retiré de son âme, il pense seulement et qu’il invoque le Père par des gémissements inénarrables, il est auprès de lui dès qu’il parle. La même. P. 728.

ORIGENE.
8. Saurait-on trouver un plus grand repos à l’âme fidèle que de penser à Dieu et de converser toujours en sa présence. Sur le Lev. ch.23Homil. 13.

St BASILE.
9. IL faut bien garder notre cœur sur toutes choses et ne pas permettre que la pensée continuelle de Dieu nous tombe hors de l’esprit, ni que le souvenir de ses divines merveilles soit souillé par l’entremise des pensées vaines et inutiles, mais qu’au contraire, nous fassions tant d’effort à nous ressouvenir de Dieu et cela si souvent et si purement qu’enfin sa sainte pensée nous en demeure imprimée au cœur, comme un caractère ineffaçable que nous portions toujours avec nous. (302) C’est ainsi que s’acquiert l’amour de Dieu qui nous porte à observer ses commandements, et l’union de Dieu est aussi un effet du même souvenir de Dieu. Quiconque se détourne de la rectitude du commandement de Dieu en quoi que ce soit, c’est une marque que Dieu est bien faiblement imprimé en sa mémoire. Souvenons-nous donc toujours de ces paroles du Seigneur : (a) N’est-ce pas moi qui remplis le ciel et la terre ? dit le Seigneur, et encore : Ne suis-je Dieu que de près ? dit le Seigneur, ne le suis-je pas aussi de loin ? et : (b) Où il y en a deux ou trois assemblés en mon Nom, je suis au milieu d’eux.
Et par conséquent faisons tout et pensons tout comme vivants effectivement devant ses yeux divins. C’est ainsi que sa sainte crainte, qui comme dit l’Ecriture, hait le péché, qui hait l’orgueil, l’élévation du cœur et les voies des méchants, demeurera toujours avec nous et que naîtra ce divin Amour qui effectuera dans nous richement cette parole du Seigneur : (c) Je ne cherche point à faire ma volonté, mais celle de celui qui m’a envoyé. Enfin quiconque est véritablement persuadé que Dieu lui est présent ne se souciera que de lui plaire et de faire ses commandements, sans se mettre en peine ni de ce que les hommes penseront de lui ni de leurs coutumes, humeurs et inclinations, etc…Dans les Règles Dem. 5.

St GREGOIRE DE NAZIANCE.
10. Nous devons nous souvenir de Dieu aussi souvent que nous respirons l’air, et même (303) nous ne devons faire autre chose que de nous le mettre devant les yeux, soit que nous travaillions ou non, soit que nous soyons à la maison ou à la campagne, soit que nous ayons quelque autre occupation, parce que nous dépendons continuellement de sa présence pour conserver notre être et pour opérer, comme l’image que le miroir forme dépend de la présence de l’objet, comme la vie du corps dépend de la présence de l’âme, comme les rayons dépendent de la présence du Soleil. Orat. I. de Théol et c. (rapporté par le Père Maillard, Direction des âmes. Ch. 8.)

St MACAIRE.
11. Il représente l’état des âmes (vraiment saintes) comme étant en parfaite réalité, ce chariot mystérieux qui fut montré en vision au Prophète Ezéchiel (a), et il dit : qu’une telle âme est un trône sur lequel Dieu repose continuellement, qu’elle est toute lumière et tout œil, comme ces animaux célestes qui étaient pleins d’yeux, qu’elle ne perd jamais Dieu de vue et que Dieu la dirige et la conduit dans toutes les voies par où elle doit marcher. Homél. I.
12. Comme après la dissolution de ce siècle, les justes vivront et converseront toujours dans le Royaume de Dieu, dans la lumière et dans la gloire, ne regardant plus rien que Jésus Christ, et comment il sera toujours assis à la droite de Dieu son Père, pareillement les mêmes justes étant, quant à leur esprit, transportés dès à présent dans ce siècle-là, où ils sont déjà comme captivés et domiciliés, ils y contemplent tout ce qu’il y a de grand et de merveilleux, car nous qui vivons encore sur la terre, nous avons (304) néanmoins notre conversation dans le ciel ; oui nous vivons et nous conversons dans ce divin monde-là selon notre esprit et selon l’homme intérieur. Et comme l’œil du corps, quand il est pur voit toujours clairement le Soleil, de même notre esprit étant purifié voit toujours la lumière de la gloire de Jésus-Christ et demeure avec le Seigneur nuit et jour. Tout ainsi que le corps du Seigneur uni à la Divinité demeure toujours inséparable du St Esprit. Il est pourtant vrai que les hommes ne peuvent d’abord atteindre à des degrés si sublimes que premièrement ils n’aient subi beaucoup de travaux, d’afflictions et de combats. Homélie. 17.
13. Comme un habile peintre ne saurait à la vérité exprimer par son travail le visage d’une personne qui détournerait sa vue de lui, mais qu’il dépeint très bien celui qui le regarde sans cesse, c’est ainsi que ce peintre est admirable, Jésus-Christ, en agit avec les âmes fidèles qui ont toujours les yeux jetés sur lui : il dépeint alors sur l’homme intérieur et céleste sa divine image, l’image céleste tirée de son Esprit et de la substance de sa lumière ineffable ; et c’est alors qu’il donne à l’âme son incomparable et son céleste Epoux. Mais si quelqu’un refuse de jeter les yeux sur lui, en se détournant de tout le reste, le Seigneur ne dépeindra point aussi dans lui son image par le moyen de sa divine lumière.
Si donc nous croyons en lui et que nous l’aimons, jetons la vue fixement sur lui seul, en donnant congé à toute autre chose pour l’envisager toujours, afin qu’il puisse exprimer au-dedans de nos cœurs l’empreinte de son image céleste, (305) et qu’ainsi portant Jésus-Christ dans nous, nous recevions la vie éternelle et jouissions dès-là du vrai repos avec pleine confiance. Homélie. 30.
14. Il faut qu’un Chrétien ait en tout temps le souvenir de Dieu, car il est écrit : (a) Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. Il ne faut pas qu’il aime Dieu seulement quand il entre dans son cabinet pour prier, mais il faut qu’il se souvienne de Dieu, qu’il l’aime, qu’il lui donne ses affections quand il marche, quand il parle, quand il mange (b) Où est votre cœur, là sera votre trésor, dit l’Evangile. Tout ce à quoi ce cœur est attaché, tout ce vers quoi le porte son désir, cela est son Dieu. Si donc un cœur désire Dieu partout et continuellement, dieu est véritablement le Dieu de ce cœur là. Homélie.43.

St EPHREM.
115. Il n’y a rien de plus nuisible, ni de faute plus grave que de mettre en arrière le souvenir de Dieu, puisque le souvenir continuel de Dieu écarte de l’âme les passions impures, ni plus ni moins que la présence d’un juge rigoureux fait fuir les méchants. D’où s’ensuit qu’une telle âme devient le pur habitacle du St Esprit, au lieu qu’il ne règne que des ténèbres, de la puanteur et toute sorte de méchante pratique dans une âme qui est destituée de la pensée et du souvenir de Dieu. De la Vertu. Ch. 10.

St JEAN CHRYSOSTOME.
16. Puisqu’il y a tant de combats à essuyer dans le chemin du salut, et tant d’obstacles à vaincre, comment serait-il possible d’en venir à bout sans la crainte de Dieu ? (306) Mais comment obtenir cette crainte si salutaire ? En nous mettant bien avant dans notre esprit que Dieu est présent partout, qu’il entend, qu’il voit tout, non seulement tout ce que nous faisons et tout ce que nous disons, mais aussi tout ce qui est caché dans notre cœur et dans le plus profond de nos pensées, car (a) il discerne les pensées et les intentions du cœur. Si nous nous mettons en ces dispositions, nous ne ferons, nous ne dirons et nous ne penserons jamais rien de mauvais. Car dites-moi si vous étiez toujours ne la présence du Prince, ne vous y tiendriez-vous pas dans la crainte ? Comment donc, étant devant Dieu, pouvez-vous rire, ou vous relâchez ? Et comment ne craignez et ne tremblez-vous pas ? Ne méprisez pas sa patience, car par sa longue attente, il vous invite à la pénitence. N’ayez donc jamais le cœur ou le courage de rien entreprendre quoique vous fassiez, sans penser que Dieu assiste, présent à tout, car en effet il y est présent. Soit donc que vous mangiez, soit que vous alliez coucher, soit que vous enleviez le bien d’autrui, soit que vous vous mettiez à faire bonne chère, soit que vous fassiez telle autre chose que ce soit, pensez que Dieu y assiste présent en tout, et ainsi vous ne tomberez jamais dans un ris dissolu, vous ne vous emporterez jamais de colère. Si vous conservez continuellement cette pensée dans votre esprit, vous marcherez toujours avec crainte et tremblement, comme étant toujours en la présence de votre Roi. Homélie 8. Sur l’Epitre aux Philip.
(307)

XIII. Pur Amour.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE.
1. Si vous ôtez le péché qui est cause de la crainte, vous ôtez aussi la crainte et encore plus le châtiment, lorsque vous avez retranché ce qui de sa nature cause les désirs ; car la loi, dit l’Ecriture (a) n’est pas établie pour le juste. Liv. IV. Des Stromates. P. 478.
2. Il ne faut s’approcher du Verbe salutaire ni par la crainte du châtiment, ni par le motif de la récompense, mais simplement à cause qu’il est bon. Ceux qui sont tels sont à la droite du Sanctuaire, mais ceux qui par le don qu’ils font des choses périssables, espèrent recevoir en échange les biens de l’incorruptibilité, sont appelés mercenaires dans la parabole des deux frères. Il dit deux lignes après que ces mercenaires sont à la gauche du Sanctuaire. La-même. P.485.
3. Il y a le peuple qui aime des lèvres, il y a celui qui livre son corps pour être brûlé. Si je distribue, dit-il, tous mes biens, non selon la règle de la communication qui vient de la charité, mais selon la règle de la récompense, regardant ou le bienfait à recevoir, ou le Seigneur qui promet, quand j’aurais toute la foi, en sorte que je transportasse des montagnes, et que je guérisse les maux les plus cachés, si je ne suis pas fidèle au Seigneur par la charité, je ne suis  rien en comparaison de celui qui rend témoignage gnostiquement devant la multitude. La même. P. 519.
(308)
4. Ces différences sont très justes : au gnostique est préparé ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu et ce qui n’est pas monté dans le cœur de l’homme, à celui qui a eu une simple foi, il lui assure le centuple de ce qu’il a laissé. La même.
5. Tel est le gnostique : son ouvrage n’est pas de s’abstenir du mal, ce qui est le fondement d’un plus grand progrès, ni de faire le bien pu par crainte ou par l’espérance de la récompense promise suivant qu’il est écrit (a) : voici le Seigneur et sa récompense est devant sa face pour rendre à chacun selon ses œuvres.(b) Ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu et ce qui n’est point monté dans le cœur de l’homme, que le Seigneur a préparé à ceux qui l’aiment. Faire le bien uniquement par amour et à cause du beau même, est le partage du gnostique. Livr. IV. P. 528.
6. Dieu est représenté, disant au Seigneur (c) Demandez-moi et je vous donnerai toutes les nations pour héritage. Demande vraiment royale qui apprend à demander le salut des hommes sans récompense, afin que nous héritions et que nous jouissions de Jésus-Christ. Souhaiter la connaissance de Dieu pour quelque utilité, afin que ceci arrive ou n’arrive pas, ce n’est point le propre d’un gnostique. Il ne lui faut d’autre motif de sa contemplation que la gnose même. Et je ne crains point de la dire : celui qui suit la gnose par cette science divine, ne la choisit point pour vouloir être sauvé, l’habitude qu’il a de connaître toujours s’étend à connaître toujours : connaître toujours (309) est la substance du gnostique. Elle est sans interruption, c’est une contemplation continuelle et une vive substance permanente.
Si quelqu’un, par supposition, demandait au gnostique ce qu’il choisirait ou de la gnose de Dieu, ou du salut éternel, et que ces deux choses, qui sont la même, fussent séparées, il choisirait sans hésiter la gnose de Dieu, jugeant qu’il faudrait choisir pour elle-même cette gnose qui, par la charité surpasse la foi. Celui qui est parfait fait le bien, mais ce n’est point à cause de son utilité. Quand il a jugé qu’il est bon de faire une chose, il s’y porte sans relâche, non en négligeant ceci et en faisant cela, mais en étant établi dans l’habitude constante de faire le bien, non à cause de la gloire que les philosophes appellent bonne renommée, ni pour la récompense qui lui vienne, ou des hommes, ou de Dieu, et il rend sa vie parfaite selon l’image et la ressemblance du Seigneur. Si lorsqu’il fait bien, on le traverse, il ne rendra point le mal pour le mal, étant bon et juste envers les justes et les injustes.
C’est à ceux-là que le Seigneur dit : Soyez comme votre Père qui est parfait. En cet homme, la chair est morte ; il vit seul. De son sépulcre, il en a consacré un temple au Seigneur, ayant tourné vers le Seigneur l’ancienne âme pécheresse, n’étant plus celui qui se contient et se surmonte, mais étant dans l’habitude de l’apathie, attendant qu’il soit revêtu de la forme divine. Si vous faites l’aumône, dit-il, que personne ne le sache, et si vous jeûnez, oignez-vous, afin que Dieu seul le connaisse et que nul homme ne le sache. Celui même qui fait miséricorde, ne doit point savoir qu’il est miséricordieux. Quelquefois, il (310) aura ce sentiment, quelquefois il ne l’aura pas. En faisant par habitude ce qui va à soulager, il imitera la nature du bien. Livr. IV. P.528, 529.
7. Celui qui s’abstient de mal faire par l’espérance de la récompense promise aux justes, n’est pas même bon par l’espérance de la récompense promise aux justes, n’est pas même bon pour un pur mouvement de sa volonté, car comme dans l’un c’est la crainte, de même dans l’autre, c’est la récompense qui le fait juste, ou plutôt qui le fait paraître juste. Livr. IV. P.532.
8. Mais celui qui obéit à la vocation toute nue, en tant simplement qu’il est appelé, il ne va à la gnose ni à cause de la crainte, ni à cause des plaisirs, car il ne regarde point s’il lui en reviendra quelque utilité ou quelque agrément. Etant attiré par l’amour du seul aimable, et conduit vers Dieu, il le sert en sorte que, si par supposition il recevait de Dieu la liberté de faire, sans être puni, les choses défendues, quand il saurait même qu’en les faisant, il aurait la récompense des Bienheureux, et qu’il serait sûr que Dieu ne saurait point ses actions ( ce qui est impossible), il ne voudrait jamais ne rien faire de ce qui est contre la droite raison, s’étant une fois déterminé au beau, parce qu’il doit être choisi et aimé pour lui-même. La même.
9. Si donc toute union qui se fait avec les choses belles et excellentes se fait avec le désir, comment peut demeurer dans l’apathie, disent-ils, celui qui désire ce qui est beau ? (voilà une objection que l’on a faite à St Clément, voici comme il y répond) Il paraît que ceux qui parlent ainsi ignorent ce qu’il ya de divin dans l’amour, car cet amour n’est pas un désir de celui qui aime, mais c’est une union de bienveillance, qui rétablit (311) le gnostique dans l’unité de foi, n’ayant pus besoin de temps ni de lieu. Celui donc qui est déjà par la charité dans les choses où il doit être, comme ayant déjà reçu l’espérance par la gnose, ne souhaite rien, ayant autant qu’il est possible ce qui est désirable. Livr. VII. P. 709.
11. Il faut choisir la charité pour elle-même et non pour autre chose. P. 738.
12. Quand on est juste, non par nécessité, par crainte ou par espérance, mais par choix, cette vois est appelée royale, par elle marche une nation royale, les autres voies sont sujettes aux chutes, on peut en être renversé et elles ont des précipices. P.743.

ST BASILE.
13. Je connais trois raisons d’obéir à Dieu : car nous nous abstenons des vices, ou par la crainte du châtiment, et en cela nous prenons un esprit servile : ou bien étant attirés par l’espérance de la récompense, nous rapportons l’observation de la loi à notre utilité et nous ressemblons en cela aux mercenaires ; ou bien étant touchés par le beau même et par l’amour de celui qui nous adonné la loi, nous obéissons en nous réjouissant d’être jugés dignes de servir un dieu si grand et si bon et ainsi nous imitons l’affection des enfants bien nés envers leurs parents. Le serviteur ne négligera point certaines choses, pendant qu’il en accomplira d’autres, mais il craindra également la peine de toute (312) désobéissance et c’est pourquoi il sera bienheureux. De même le mercenaire ne négligera rien de tout ce qui est commandé. Car comment recevrait-il la récompense de son travail s’il omettait quelqu’une des choses nécessaires selon la promesse ? Nous avons mis au troisième rang le travail qu’on fait par charité. Quel est donc le fils qui n’a qu’une seule application et un seul dessein qui est de plaire au Père ? Dans la préface sur les grandes Règles. Sermon. 7. Du Péché.
14. St Paul a osé quelque chose pour ses frères selon la chair, qui est encore plus grand, en sorte que moi-même j’ose quelque chose en le rapportant. L’apôtre souhaite par sa charité de les introduire auprès de Jésus Christ en sa place. Ô grandeur d’âme ! Ô ferveur d’esprit ! Il imite Jésus Christ qui s’est fait malédiction pour nous, qui a pris nos infimités et portés nos maladies, ou pour parler plus modérément, il veut souffrir comme un impie pour l’amour d’eux, pourvu seulement qu'ils soient sauvés. Orat. I.
15. Nous nous soucions fort peu de plaire aux hommes, ne cherchant qu’une seule chose qui d’être glorifiés de Dieu, et même nous nous élevons encore plus haut, je parle de ceux qui sont véritablement philosophes et pleins du véritables amour de Dieu. Ceux-là souhaitent d’être unis au Souverain Bien pour l’amour de lui-même et non pour la gloire qui y est jointe dans l’autre vie, car ce n’est qu’un second ordre d’hommes louables qui agissent pour la récompense, comme il y en a un troisième de ceux qui fuient la corruption par la crainte du châtiment. Orat. 3.

(313)
16. Je sais qu’il y a trois ordres d’hommes qui sont sauvés, savoir les esclaves, les mercenaires et les enfants. Si vous êtes esclaves, craignez les coups ; si vous êtes mercenaires, bornez-vous à regarder la récompense ; mais si vous vous élevez au-dessus d’eux, et si vous êtes enfants, respectez Dieu comme un Père et appliquez-vous aux bonnes œuvres, parce qu’il est bon d’obéir au Père, quand même il ne nous en reviendrait jamais aucune utilité, c’est une assez grande récompense que de lui obéir. Orat. 40.

NICETAS.
17. Le fils (ou le juste parfait, qu’il distingue de l’esclave et du mercenaire) ne sert et ne respecte point son Père par la crainte des châtiments, ni par l’espérance d’être récompensé, mais par amour, quand même il ne devrait recevoir aucune récompense de sa fidélité et de son attachement, l’exécution de ce qui est agréable à son Père, lui tient-il seule lieu de récompense. Au Commentaire sur Greg. De Naz.

St GRÉGOIRE DE NYSSE.
18. Celui qui veut (a) que tous les hommes soient sauvés et qu’ils viennent à la connaissance de la vérité, montre ici (dans le Cantique des Cantiques) une manière très parfaite et bienheureuse d’arriver au salut. Je dis que c’est celle qui s’accomplit par la charité. Car quelques unes se sauvent par la crainte, en s’abstenant du mal à la vue de la géhenne dont ils sont menacés ; il y en a d’autres qui se conduisent avec droiture et vertu, par l’espérance de la récompense réservée (314) à ceux qui auront vécu pieusement, ne possédant pas le bien par la charité, mais par l’attente de la récompense. Mais celui qui court du fond de son cœur vers la perfection, chasse la crainte qui est une affection servile, il méprise la récompense même, de peur qu’il ne paraisse aimer la récompense plus que celui de qui elle vient. Première homélie sur le Cantique.
19. La perfection consiste certainement non pas à s’éloigner du mal par la crainte du châtiment, ce qui ne convient qu’aux esclaves, ni à faire le bien par l’espérance, ne menant une vie que comme des marchands qui font des contrats et des échanges, mais à ne regarder aucune chose, pas même celles qui nous sont promises et qui font l’objet de notre espérance, pour n’en craindre qu’une seule qui est de perdre l’amitié de Dieu et n’en croire qu’une seule digne d’être estimée, qui est de devenir ami de Dieu, ce qui est selon mon avis, la perfection de cette vie. Vie de Moïse vers la fin.
20. Ceux qui sont doués du véritable amour de dieu, n’ont pas choisi de le servir pour l’espoir du royaume (céleste) comme des marchands pour le gain, ou des mercenaires pour le loyer. Non plus parla crainte des peines préparées aux pécheurs, mais l’aimant comme le vrai Dieu et comme leur Créateur, ils voient qu’il suit de là selon l’équité de l’ordre, que c’est le juste devoir des serviteurs que de plaire à leur Seigneur et Créateur ; L’âme est dans le péril de la tentation, non seulement du côté des afflictions, mais du côté des consolations, car le Créateur les met à l’épreuve de ces deux manières, afin qu’il paraisse avec évidence ce qu’elles sont, (315) si ce n’est pas pour l’amour du gain qu’elle l’aiment, mais si c’est pour l’amour de lui-même, et parce qu’il est véritablement digne de tout amour et tout honneur. Opuscule. VII. Ch. 20.

St JEAN CHRYSOSTOME.
21. Les âmes bonnes et généreuses regardent la beauté divine sans aucun motif d’être récompensées : elles s’y attachent et font le bien pour plaire à dieu, elles estiment la chasteté pour éviter non la punition, mais l’offense de Dieu. Que si quelqu’un est trop faible, qu’il jette aussi les yeux sur la récompense. Homél. 76. Sur St Jean.
22. Nous considérons avec curiosité la récompense de nos œuvres, faisant une supputation de marchands. Vous auriez une plus grande, si vous agissiez sans espérance d’être récompensés. Il faut faire toutes choses pour Jésus-Christ et non pour la récompense. Aimons-le comme il est juste de l’aimer : cet amour est en vérité la grande récompense, le royaume du ciel, la volupté, les délices, la gloire, l’honneur, la lumière et la béatitude. Homél. 5. Sur l’épître aux Rom. Vers la fin.
23. Comment demandez-vous, ô Paul, d’être anathème ? Comment cherchez-vous l’aliénation et le divorce après lequel il ne reste plus rien ? C’est, dit-il par un excès d’amour. Mais comment cela ? Car la chose semble être une énigme. Comprenons d’abord ce que c’est qu’être anathème, par là nous apprendrons en quoi consiste ce genre d’amour secret et nouveau. J’eusse souhaité, dit l’Apôtre (a) d’être anathème à l’égard de Jésus-Christ. Il ne dit pas (316) simplement j’eusse voulu, mais se proposant cette fin, il dit : j’eusse souhaité. Que si ces choses comme trop rabaissées vous troublent, considérez non seulement ce qu’il dit de son désir d’être séparé, mais encore la cause pour laquelle il voudrait cette séparation. Je n’ignore pas que les choses que je vous dis vous paraissent incroyables. Paul supportant cette chose impatiemment et s’affligeant pour la Gloire de Dieu, prie pour être anathème, si cela se pouvait, afin que les juifs fussent sauvés, que ce reproche qui tombait sur lui cessa, et que Dieu ne parut pas avoir trompé leurs ancêtres par la promesse de ses dons. C’est pour cela, dit-il, que je suis déchiré et je voudrais pouvoir être séparé de ce chœur qui environne Jésus-Christ et être aliéné non pas de son amour, à Dieu ne plaise (car ce n’était que par son amour qu’il faisait ce souhait), mais je souffrirais d’être privé de cette jouissance t de cette gloire, afin que mon Seigneur ne fut plus blasphémé. Afin donc qu’on ne parle plus ainsi contre Dieu, quoiqu’injustement, je déchoirais volontiers et du Royaume du ciel et de cette gloire cachée.
Que si vous ne comprenez pas encore ceci, songez que beaucoup de pères ont fait de même pour leurs enfants, ne refusant pas d’être séparés d’eux, afin qu’ils fussent dans un plus grand éclat, et préférant leur gloire à la douceur de leur société. Parce que nous sommes loin de cet amour, nous n’en pouvons pas même concevoir ce qu’on en dit. Car il y a des gens qui sont si indignés d’entendre le langage de St Paul, et si éloignés de la grandeur de son amour, qu’ils (317) s’imaginent qu’il ne veut parler que de la mort temporelle. Je soutiens qu’ils ignorent autant le sens de St Paul et encore beaucoup pus, qu’un aveugle n’ignore les rayons du soleil. Non, non, cette explication n’est point véritable, c’est plutôt l’opinion des vers de terre cachés dans le fumier. S’il eut parlé en ce sens, comment aurait-il demandé d’être fait anathème à l’égard e Jésus-Christ ? Car cette mort corporelle l’aurait encore uni davantage au chœur des Bienheureux qui environnent Jésus Christ, et l’aurait fait jouir de la gloire. Cet amour était plus étendu que toutes les mers, plus ardent que toutes l es flammes : nul discours ne peut l’exprimer dignement. Celui-là seul connaît cet amour qui en est entièrement rempli. Il ne songeait pas seulement à être aimé de Jésus-Christ, mais principalement et par dessus tout à l’aimer, c’est pourquoi il n’avait en vue que cela seul et souffrait facilement toutes choses : il n’en considérait qu’une qui était de satisfaire cet excellent amour, et c’est pourquoi il faisait une telle demande. Homél. 16. Sur l’épître aux Rom. Vers le commencement.
24. St Paul ne courait point pour la récompense, car c’était pour lui une suffisante récompense que de faire ce qui plaisait à Dieu. C’est pourquoi quand il a dit (a) Si nous n’espérions en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes. Il ne parle ainsi que pour eux, afin que la crainte de cette misère surmonte en eux l’incrédulité de la résurrection et c’est pour se rabaisser jusqu’à leur faiblesse qu’il parle ainsi, car dans le fond, c’est (318) une grande récompense que de plaire à Jésus-Christ en toutes choses et de s’exposer à toutes sortes de périls pour lui, quand on ne devrait jamais en être récompensé. Homél. 40 sur la 1 Epître aux Corinth.
25. Il faudrait être bon, quand même il n’y aurait point de récompense promise. Mais dieu a voulu qu’on put pratiquer aussi la vertu en vue de la récompense, afin de s’accommoder à notre faiblesse. Homel. 13. Sur l’épître aux Hébreux.
26. Il faut aimer les commandements, non pour la récompense qui y est attachée, mais pour l’amour de celui qui commande ; non pour les menaces de la géhenne, ni pour les promesses du royaume, mais pour celui qui a fait la loi. Exposition sur le Ps. CXI. V. 1.
27. Ne savez-vous pas que la récompense vous est augmentée quand vous travaillez non par l’espérance d’être récompensés, mais par l’affection de plaire ?
28. St Paul n’était pas comme nous autres mercenaires. L’amour avait tellement saisi son âme qu’il méprisait pour plaire à Jésus-Christ ce qui est infiniment plus aimable que tout le reste, je veux dire d’être avec Jésus-Christ même. Il était prêt de souffrir pour Jésus-Christ la privation du Royaume du Ciel, qui est la récompense de tout travail et il regardait comme une chose désirable pour l’amour de Jésus-Christ, d’être fait anathème à l’égard de Jésus-Christ même. De la composition du cœur. Livr. I. Chap. 7.

St THEODORET.
29. St Paul a défié le ciel et l’enfer de le séparer de Jésus-Christ. La gloire ne doit être rien pour le vrai fidèle en comparaison de l’amour, car il ne faut point aimer Dieu pour les promesses, mais les promesses pour Dieu. Sur Epitre aux Rom.

St DENIS.
30. L’amour divin est extatique et ne permet pas que ses amoureux soient à eux-mêmes, mais au Bien-aimé. Des Noms divins. Ch. 4.

St JEAN CLIMAQUE.
31. Entre les créatures raisonnables, les unes sont les amis de Dieu, les autres ses vrais et fidèles serviteurs, les autres des esclaves inutiles.
Tous ceux qui renoncent volontairement aux commodités de la vie présente, le font ou par espérance du Royaume futur, ou à cause du poids énorme de leur péché, ou pour la gloire de Dieu souverainement bon.
Celui qui se retire du monde par l’amour de Dieu même est embrasé d’abord de ce feu du ciel et en ressent de plus en plus redoubler l’ardeur. Echelle Sainte, degré I. Art. 1. 6 ; 13.
32. J’ai vu trois hommes pieux traités indignement. Le premier craignant la justice divine réprima sa douleur par le silence ; le second se réjouissait pour soi, parce qu’il en espérait être récompensé, mais s’affligeait pour celui qui le traitait mal ; le troisième enfin s’oubliant, pleurait à chaudes larmes le malheur où se jetait celui qui l’outrageait. On voyait en cette occasion trois insignes athlètes de la vertu, l’un combattait par criante, l’autre par espérance d’être récompensé et le dernier avec désintéressement par la tendresse d’un parfait amour. Degré. 8. Article. 28.

(320)
St MAXIME.
33. Il y a trois sortes de Chrétiens sauvés : ceux qui commencent, ceux qui avancent et ceux qui sont arrivés à la perfection. Les premiers sont les esclaves, les seconds les mercenaires et les troisième les enfants de Dieu. Les enfants ne sont touchés ni de la crainte des menaces, ni de l’espérance des promesses, mais ils ne sont jamais séparés de dieu, tendant vers lui selon cette voie et cette habitude qui est la pente de leur volonté vers le bien. Ils sont comme ce fils auquel il est dit (a) : mon fils, vous êtes toujours avec moi. Mistagog. Ch. 24.

XIV. Purification. Epreuves.

St MACAIRE.

L’âme qui aime véritablement Dieu et Jésus Christ a un désir si insatiable de Dieu même, que bien qu’elle aurait fait mille et mille œuvres de justice, elle est pourtant à ses propres yeux comme si elle n’avait rien fait du tout : et quand même elle aurait consumé son corps dans les jeûnes et dans les veilles, elle se met néanmoins au rang de ceux qui n’ont pas encore commencé à travailler pour acquérir les vertus. Quand même elle aurait été avantagée de la diversité des dons du St Esprit et des révélations divines et des secrets, elle est cependant toujours à ses propres yeux, comme si elle ne possédait encore rein, tant est insatiable et immense le désir de l’amour qu’elle porte à Dieu.
L’amour du St Esprit l’ayant blessée au cœur, (321) elle est dans une oraison continuelle en soi et en charité, affamée et altérée après les biens secrets de la grâce et dans un désir insatiable de l’état solide de la vertu. Elle ne fait qu’exciter continuellement dans soi par la grâce divine des désirs enflammés envers son Epoux céleste. Elle ne souhaite que d’être rendue parfaitement digne de sa communication secrète et inexprimable dans la sanctification de l’Esprit. Son visage intérieur étant dévoilé, elle jette toujours les yeux sur son Epoux divin, qu’elle envisage face à face dans la lumière spirituelle et ineffable. Elle est transformée en sa mort, elle attend toujours avec beaucoup d’ardeur de pouvoir mourir pour Jésus-Christ, enfin elle espère avec une foi parfaite de recevoir du St Esprit une parfaite délivrance du péché et des ténèbres de toutes les passions, afin que purifiée par l’Esprit et que le corps étant sanctifié avec l’âme, elle soit digne d’être un vase pur qui reçoive l’onction céleste et qui serve d’habitacle de Jésus Christ le véritable Monarque du Ciel.
Une telle âme devenue de la sorte le domicile très pur du Saint-Esprit est aussi devenue digne du don de vivre d’une vie toute céleste et surnaturelle. Mais de parvenir à un tel degré, c’est ce qui n’est pas accordé à l’âme tout d’un coup, ni sans bien des épreuves : elle doit par beaucoup de travaux et de combats voir écouler bien du temps et bien des peines, passer par quantité d’essais et de tentations, parmi quoi elle doit s’avancer toujours et prendre accroissement spirituel, jusqu’à ce qu’elle atteigne à la parfaite extinction de ses passions (322) alors ayant soutenu avec fermeté, avec courage et avec générosité tous les assauts du malin sans s’ébranler, on lui confère les grands et précieux honneurs, les dons spirituels et toutes les richesses du Ciel, c’est ainsi qu’elle devient l’héritière du Royaume céleste en Jésus-Christ notre Seigneur, à qui soit la gloire et l’Empire à jamais. Homél. 10.

XV. Quiétude. Repos.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE ;
1. Il est permis à celui qui a appris suffisamment les choses qui conduisent à la gnose de demeurer dans la suite en quiétude, se reposant, dirigeant ses actions à la contemplation. Livr. VI. Des Stromates. P. 60.
2. L’âme du gnostique étant devenue toute spirituelle, s’étant avancée à ce qui lui est naturel dan l’Eglise spirituelle, elle demeure dans le repos de Dieu. Livr. VII. P. 739.

(323)

XVI. Renoncement.

St MACAIRE.
Tous les hommes, Juifs et Grecs, aiment la pureté, et cependant ils n’y peuvent parvenir. Il est donc nécessaire de bien rechercher comment et par quels moyens, on peut acquérir cette pureté du cœur. Cela ne se peut faire autrement que par celui qui a été crucifié pour nous, car c’est lui qui est la voie, la vie et la vérité, c’est la porte, c’est la perle de grand prix, c’est le pain vivant et céleste, et sans cette vérité nul ne connaîtra jamais la vérité, ni sera sauvé. Or comme vous avez déjà renoncé à toutes les choses de l’homme extérieur et aux biens visibles, lesquels vous avez donnés et quittés, il vous en faut agir de même avec votre sagesse mondaine : si vous avez des connaissances, si vous avez de l’éloquence , il vous faut rejeter tout cela et le réputer pour rien, afin que vous puissiez ainsi être fondé et construit sur la folie de la prédication, laquelle est la vraie sagesse, dénuée du bruit fastueux des paroles, mais munie de la vertu efficace et opérante de la Croix. Homélie. 17.

XVII. Souffrances.

St MACAIRE.
Si longtemps quel le propre a lieu dans quelqu’un, et que même il s’accroît, on n’est pas encore pauvre d’esprit et à ne pas s’estimer soi-même, mais à se tenir pour abject et méprisable, à s’anéantir et à se croire ignorant et dénué de tout, quelques connaissances et quelques dons que l’on puisse avoir. Cette disposition doit être comme naturelle et unie inséparablement à l’esprit de tous. Ne voyez-vous pas comment notre Père Abraham, personnage choisi de Dieu, avouait qu’il n’était que (a) terre et que cendre ? Et David que Dieu qui était avec lui avait fait oindre pour Roi, que dit-il de soi ? (b) Je suis un ver et non pas un homme, l’opprobre des hommes et le mépris des peuples. Ceux qui comme eux veulent hériter les biens éternels, devenir leurs combourgeois dans la Cité céleste et être glorifiés ensemble, doivent être tous doués de la même humilité de cœur et ne pas penser être quelque chose en eux-mêmes, mais avoir tous un cœur contrit et brisé. Car bien que la grâce opère différemment dans chacun des Chrétiens qui sont plusieurs, néanmoins comme ils sont tous d’une même cité, ils sont tous aussi d’une même disposition d’âme et d’un même (325) langage, et s’entreconnaissent mutuellement à ceci. Et comme il y a plusieurs membres dans un corps, mais qu’il n’y a qu’une âme qui les remue et qui les gouverne, de même n’y –a-t-il qu’un seul esprit qui agit en tous, quoiqu’avec diversité. Tous sont cependant d’une même Cité et tous tiennent une même voie.
En effet tous les justes ont marché par la voie étroite et serrée des afflictions : ils ont été persécutés, maltraités, outragés, vivant (a) couverts de peaux de chèvres dans les cavernes et dans les antres de la terre. Les Apôtres de même ne nous disent-ils pas (b) Jusqu’à présent nous endurons la faim et la soif, nous sommes nus, outragés et errants sur la terre ? Les uns ont été décapités, les autres crucifiés, et les autres affligés en diverses manières. Mais le Seigneur des Prophètes et des Apôtres, oubliant pour ainsi dire sa gloire divine, quelle voie a-t-il tenue ? Voulant être notre modèle, il a porté une couronne d’épines qu’on lui avait mise sur la tête par dérision, il a enduré les crachats, les coups et la croix.
Si Dieu a tenu cette voie-là sur la terre, c’est à vous à être son imitateur, et si les Apôtres et les Prophètes ont tenu le même chemin, il faut que nous les suivions si nous voulons être édifiés et établis sur le fondement du Seigneur et des Apôtres, puisque l’Apôtre nous dit par le mouvement du St Esprit (c) soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Jésus-Christ. Mais si vous aimez la gloire des hommes, si vous désirez d’en être respecté, si vous recherchez vos aises, (326) et votre repos, vous avez abandonné la voie. Il vous faut être crucifiés avec le crucifié et souffrir avec le souffrant, afin que vous soyez aussi glorifiés avec le glorifié, étant bien juste que l’Epouse participe aux maux de son Epoux, pour être aussi participante à ses biens et à l’héritage de Jésus-Christ. Car il n’est permis à personne d’entrer dans la Cité des Saints, de s’y aller reposer, d’y régner éternellement avec le Roi de gloire, sans avoir été premièrement affligé, et sans avoir passé par la vie rude et étroite des tribulations. Homel. 12.

XVIII. Transformation.

St CLEMENT D’ALEXANDRIE.
1. Si nous suivons l’Ecriture qui est la voie des fidèles, pour devenir semblables au Seigneur autant qu’il est possible, il ne faut pas vivre de manière commune, mais il faut être purifié des désirs et des voluptés et avoir soin de son âme qu’il faut consommer (perfectionner) seulement dans ce qui est divin, car l’esprit pur et délivré du mal devient capable de recevoir la puissance divine, l’image de Dieu se formant en lui. Aux Stromates. Livr. II. P. 443.
2. Il faut que celui-là surmonte les obstacles des désirs et des passions qui doit ne voir plus la gnose de Dieu avec un miroir. Livr. IV. P. 479.
3. Celui qui est établi dans la gnose est semblable à Dieu, autant qu’il est possible. Il est déjà spirituel et par conséquent choisi, élu, séparé. La même. P. 542.
4. L’Ecriture dit que c’est un holocauste (327) pour le Seigneur que tout homme qui est attiré à la sainteté et qui est éclairé ou enlevé jusqu’à l’union qu’on ne peut discerner. Livr. VII. P. 706.
5. Que dirons-nous donc du gnostique, ne savez-vous pas, dit l’Apôtre (a) que vous êtes le temple de Dieu ? Le gnostique est donc déjà divin et saint, portant Dieu et étant porté de Dieu. La même P. 748.
6. C’est pourquoi dans l’usage des choses du monde, non seulement il rend grâce et admire la créature, mais il est loué pour l’usage convenable qu’il en fait. Car la fin qu’il se propose parvient à la Contemplation par une efficace opération gnostique qui est selon les commandements et par la science, jouissant déjà des richesses de la Contemplation. Ayant reçu avec excès la grandeur de la gnose, il avance vers la sainte récompense de la transmutation, car il a entendu le Psaume qui dit : (b) Entourez Sion et environnez-la, racontez ses tours. Il signifie, comme je crois, que ceux qui reçoivent le Verbe d’une manière élevée, seront comme des tours élevées et qu’ils sont affermis dans la foi et dans la gnose. La même. P.749.
7. Celui qui a abandonné l’erreur, quia obéi aux Ecritures et qui confie (abandonne) sa vie à la vérité, il devient Dieu en quelque manière d’homme qu’il était. La même. P.757.
8. Ainsi celui qui obéit au Seigneur, et qui suit l’inspiration, la prophétie donnée par lui devient parfaitement selon l’image du Maître, un dieu conversant dans la chair. La même. P.761.

St MACAIRE.
9. Lorsque l’âme est arrivée à la perfection de l’esprit, elle est parfaitement purifiée de toutes les passions. Puis unie et mêlée qu’elle est avec le St Esprit par une communion ineffable, elle est rendue digne de devenir esprit mêlé avec l’Esprit Saint, elle est alors toute lumière, tout œil, tout esprit, toute joie, toute récréation, toute allégresse, tout amour, toute entrailles de charité, toute bonté, toute clémence. Comme une pierre dans le fond de la mer est environnée d’eau de tous côtés, de même ces âmes mêlées entièrement avec le St Esprit deviennent semblables à Jésus-Christ, ayant constamment dans elles les vertus de la puissance du St Esprit, sans tâche, sans macule et toutes pures intérieurement et à l’extérieur car tant rétablies par le St Esprit, comment pourraient-elles porter de mauvais fruits au dehors ? Tous au contraire, tous les fruits de l ‘Esprit y paraissent perpétuellement avec éclat. Homélie 18.


TRADITION DES SS. PERES DU DESERT
SUR L’ETAT FIXE D’ORAISON CONTINUELLE.
Ou
Examen de la neuvième et dixième conférence de
CASSIEN.
Par Mr. De FENELON,
Archevêque-duc de Cambrai.

(331)
EXAMEN
de la neuvième et dixième conférence de
CASSIEN.
Touchant l’état fixe d’oraison continuelle.

SOMMAIRE.
1. De l’autorité de Cassien et de celles de ses Conférences. 2. Variété de leur matière.

CONFERENCE IX.

3. Ch. I. II. Sujet de cette Conférence et de la suivante : l’Oraison continuelle et comment y parvenir. 4. En quoi consiste cette Oraison. 5. En quel sens l’Oraison peut être continuelle ou non. 6 ; Contradiction apparente de l’abbé Moïse en la Conférence I et de l’abbé Isaac en celle-ci. 7. Que l’abbé Moïse reconnait l’Oraison continuelle en son véritable sens. 8. Ch. III-VI. La même oraison reconnue par l’abbé Isaac en cette vie. 9. Ch. VII-XVII. De plusieurs sortes d’Oraisons. 10. Ch. XVIII. Qu’il y a un état d’Oraison plus élevée dont le Pater n’est que le chemin. 11. Pur amour dans cet état. 12. Des Ch. XIX-XXIV. 13. Ch. XXV. Que cet état exclut toute distinction. D’abord il n’est que passager. 14. Différence entre (332) les communications passagères de Dieu et l’état même de l’âme. 15. Ch. XXVI-XXX. Passiveté qui exclut les efforts pour la vertu active. 16. Ch. XXXI. Autorité de St Antoine. 17. Ch. XXXII. Certitude du sentiment intérieur dans la voie passive.18. Ch. XXXIII-XXXVI. Avis pour les commençants. Eloge de cette Oraison. Ce qui en reste à expliquer.


CONFERENCE X.

19. Ch I-IV. Qu’on peut parvenir à cette Oraison très pure qui est sans aucune espèce. 20. Ch. VI. Raison de sa pureté. 21. Ch. VII. Tout y devient Dieu à l’âme. Avant-goût de la béatitude. 22. Déification. Union sans moyen etc… conformité des Anciens avec les Mystiques modernes. 23. Ch. VIII, IX. Des éléments pour être introduit en cette Oraison. 24. Ch. X. Formule donnée pour cela et qui comprend toutes pratiques de Religion. 25. Ch. XI. Méditation active de cette formule, suivie de l’état passif. 26. Description de cet état et de ses effets. Transformation. 27. Ch. XII, XIII. Instabilité de l’âme dans la méditation commune et comment y remédier. 28. Ch. XVI. Mayens actifs pour les commençants. 29. Effets de ces instructions en Cassien. Que personne n’est exclu de cette voie. 30. Récapitulation de la Tradition des Pères du désert, exposée en ces deux conférences.

1. L’autorité de Cassien est assez établie dans toute l’Eglise pour les matières de la spiritualité. Il n’est suspect que sur le dogme de (333) la grâce. Encore même est-il facile de monter, que s’il a écrit sur ce point en des termes peu corrects, il n’a fait en cela que ce que les Grecs ont fait : qu’il a écrit avant les disputes de St Augustin contre les Pélagiens. Quoiqu’il en soit, plus on le croira défectueux sur la grâce, moins on devra le croire suspect sur l’état d’Oraison passive qui est sans doute, (supposé qu’il soit véritable) le chef-d’œuvre de la grâce. St Prosper, St Fulgence, Cassiodore, St Jean Climaque, Grégoire de Tours, Pierre Damien, St Dominique, st Thomas, Denis le Chartreux, Bellarmin et beaucoup d’autres l’ont loué magnifiquement. Mais l’autorité la plus remarquable est celle de St Benoît qui dans sa Règle le donne, avec St Basile, comme les deux grands Maîtres de la perfection Monastique.
On peut révoquer en doute (car de quoi ne doute-t-on pas ?) si ces Conférences sont de vraies conversations, qu’il a eues avec ces vénérables Solitaires qu’il nous représente. Mais enfin on ne peut nier qu’il n’ait rapporté dans ces Conférences les Traditions des Solitaires qu’il avait apprises dans les voyages qu’il fit pour les voir après la mort de son Maître St Chrysostome. D’ailleurs les saints que j’ai nommés l’admirent dans les choses qu’il rapporte. Donc on ne peut douter de l’autorité des choses qu’il dit, quand même on douterait que les abbés Moïse, Paphnuce, Isaac, Chemeron etc… les lui eussent enseignées en détail.
2. Ces Conférences ne sont point liées les unes aux autres, ni par la conformité des matières, ni par un ordre suivi. Les unes sont (334) des discours d’un abbé, les autres d’un autre, sur des matières détachées. Chacun d’eux peut avoir eu ses pratiques, ses lumières, ses traditions. De ce que Moïse ne croit pas une chose, il ne s’ensuit pas qu’Isaac ne la puisse croire, et qu’elle ne soit vraie selon Cassien. Il peut même se faire que l’un découvrira à Germain et à Cassien des mystères que l’autre n’osera leur découvrir. Cela dépend des occasions et des marques que ces deux voyageurs peuvent avoir données à l’un de ces abbés plutôt qu’à l’autre, de leurs dispositions, pour recevoir avec fruits les mystères cachés.

CONFERENCE NEUVIEME.
3. Je commence par la neuvième Conférence qui n’est avec la dixième qu’une seule explication, suivie d’un certain genre d’Oraison.
Cassien dit d’abord au chapitre I qu’il avait déjà promis dans ses Institutions d’expliquer ce qu’il explique ici, et il y déclare même (a) qu’il en jette là par avance quelque fondements, afin que s’il venait à mourir sans avoir accompli son dessein, tout ne fut pas perdu. Vous voyez qu’il s’agit de quelques dons précieux : De perpetua Orationis atque innecssabili $$$$jugitate, quod in $$$$$$ Institutionum libro promissium est. ( J’ai promis, dit-il, dans mon second livre des Institutions de parler de al perpétuelle continuité d’Oraison sans interruption)
Voilà donc une chose importante, préparée de loin et qui fait le sujet de ces deux Conférences IX et X. (335) Il s’y agit de la perpétuelle continuité d’Oraison sans interruption. On ne peut dire que ces termes ne soient assez précis et assez décisifs. On ne peut les accuser que d’être un grand pléonasme, perpétuelle continuité.
Remarquez qu’il dit que cet ouvrage est plus long ($$$) qu’il ne l’avait prétendu, s’étant appliqué non seulement à dire succinctement ce qu’il fallait dire, mais encore à taire beaucoup d’autres choses : studentibus nobis non solum sermone succindo $$$$$perstingere, sed etiam purim silentio $$$. C’est donc par ces deux Conférences, faites exprès pour traiter la matière, qu’il faut$$$$de ce qu’il n’en est dit ailleurs qu’en passant. Mais il ne faut pourtant pas croire qu’il développe à fond tous les mystères de la vie intérieure qu’il a appris, car il déclare qu’il veut tenir dans le silence beaucoup de ces choses :$$$silentio praeterire.
La fin que le Moine se propose, dit Cassien (ou plutôt l’abbé Isaac, chap. II.) et la perfection de son cœur, c’est de tendre, autant que la fragilité humaine le permet, à la persévérance sans interruption dans l’Oraison, à l’immobile tranquillité de l’âme et à la perpétuelle pureté : $$$ Monachi finis cordisque perfectio ad jugem atque$$$$$Orationis perseverantiam tendit et quan$$$ humanae fragilitati conceditur, ad immobilem $$$$$ mentis ac perpetuam nititur puritatem. Ensuite il répète encore qu’il veut expliquer comment on peut acquérir et consommer cette perpétuelle et continuelle tranquillité d’Oraison (acquiri et consummari perpetua Orationis jugis$$$ tranquillitas). Et il assure que l’Oraison et les vertus sont inséparables, en sorte qu’on ne (336)parvient à ce genre d’Oraison perpétuelle et sublime qu’après avoir vidé du cœur tout ce qu’on en arrache en le purgeant et tous les débris des passions mortes : nisi egesta prius omni repugatione vitiorum mortuisque ruderibus passionum.

4. Il ne faut pas s’imaginer que cette Oraison sans interruption, dont il parle et que (a) St Paul après Jésus-Christ a recommandé soit une contention perpétuelle d’esprit pour n’avoir jamais d’autre objet de sa pensée que Dieu seul. Je ne dirai pas que cette Oraison soit absolument impossible, car (b) rien n’est impossible à Dieu. Mais je dis qu’elle ne convient ni aux hommes engagés aux devoirs de la vie civile, ni même aux solitaires qui sont obligés d’obéir. Cependant on ne peut douter qu’il n’y ait un genre d’Oraison continuelle qui est possible et même recommandés aux Chrétiens. Il faut donc qu’il y ait une certaine disposition fixe et habituelle de l’âme, toujours tournée vers Dieu par état, qui soit cette Oraison continuelle et que les affaires ni même les distractions continuelles ne puissent interrompre. Il faut qu’elle dure, lors même que l’âme ne l’aperçoit point et que l’imagination présente d’autres objets. C’est une tendance secrète et continuelle de la volonté vers Dieu qui n’est point un mouvement interrompu et par secousse, mais une pente habituelle et uniforme qui fait que la volonté, par son état et par son fond ne veut plus que Dieu et le laisse sans cesse faire tout en elle.
Cette union à Dieu ne peut être ni par effort, (337) ni par excitation du cœur, ni par contention d’esprit, ni par une vue distincte. Rien de tout cela ne peut être absolument continuel, car tout ce qui est distinct et marqué ne l’est que par être différent de ce qui précède et de ce qui suit, d’où il faut conclure que toutes ces choses distinctes ne sont que passagères. Aussi voyons-nous que ceux qui parlent de cette Oraison sans interruption ne veulent pas même la nommer union, mais unité pour en exclure toute action distincte. C’est ce que dit St François de Sales (a). C’est pour cela que le même Saint dit que l’Oraison dont il parle dure même en dormant (b) C’est cette présence de Dieu que l’Ecriture représente comme continuelle dans certains hommes de l’Ancien Testament (c) : ils marchaient en la présence de Dieu. Toute leur voie, toute leur conduite, toutes leurs actions communes n’étaient que présence de Dieu.
On ne pense pas toujours à la lumière, mais on la voit toujours sans réflexion et c’est par elle qu’on voit tout le reste. Il en est de même pour certaines âmes. Elles ne pensent pas toujours à Dieu d’une pensée distincte et aperçue, mais elles en ont toujours une certaine occupation d’autant plus secrètes et confuse qu’elle est plus intime et devenue plus naturelle. Ils ne font point des actes d’amour, mais ils aiment sans penser à aimer, comme tous les hommes aiment sans cesse à être heureux, sans chercher distinctement (338) ni plaisir, ni intérêt, ni bonheur. L’âme pénétrée de Dieu est de même pour lui. Voilà donc un état où l’on fait Oraison en tout temps et en tout lieu sans intermission. C’est-à-dire que toutes les fois que l’âme s’aperçoit elle-même, elle se trouve non pas disposée à faire des actes, mais dans une conversion constante, habituelle et fixe vers Dieu qui est une espèce d’unité avec lui. Dans le moment où l’âme aperçoit Dieu, elle ne commence point à s’unir, mais elle se trouve déjà toute unie et elle sent qu’elle l’a toujours été, lors même qu’elle n’y pensait pas actuellement. Voilà ce que tous les Mystiques appellent état d’oraison continuelle.
5. Outre cette Oraison sans relâche, il y en a une plus formelle et plus expresse que l’on fait en certains temps destinés à cet exercice. Alors l’âme est plus occupée de Dieu parce qu’elle l’est uniquement et que tout autre occupation est suspendue. Cette Oraison plus expresse se fait ou dans les temps réglés si on est dans un état actif, ou dans les temps que l’Esprit intérieur marque par son attrait si on est dans un état passif.
Quand on a démêlé ces deux sortes d’Oraison dans une même personne, on n‘a pas de peine à comprendre les manières de parler qui naissent naturellement de cette double Oraison. En un sens, il est vrai de dire que l’Oraison n’est jamais interrompue ; en un autre sens, il est vrai de dire que l’Oraison ne peut être continuelle en cette vie, que c’est l’état des Bienheureux et qu’ici bas, on est souvent distrait de l’Oraison. Ces deux manières de parler sont également vraies et ne se contredisent qu’en apparence. Le langage humain est rempli de ces apparences contradictoires.
(339)
6. C’est par là qu’il faut entendre la contradiction apparente de Cassien. Il fait parler dans cette neuvième Conférence l’abbé Isaac sur l’Oraison continuelle dans les termes les plus forts, et dans la première il dit qu’elle est impossible.
Germain demande à Moïse : (a) Qui est-ce qui peut dans cette chair fragile être toujours attaché à la Contemplation, en sorte qu’il ne pense jamais à l’arrivée de son frère, à la visite d’un malade, au travail des mains, ou à l’hospitalité qu’il faut exercer vers les étrangers ? Nous désirons d’être instruits comment l’esprit n’est point distrait par les soins du corps, comment il peut être attaché inséparablement à Dieu invisible et incompréhensible.
Moïse répond : (b) Il est impossible à l’homme dans cette chair fragile d’être attaché continuellement et inséparablement à Dieu et à sa contemplation, en la manière que vous le dites (quemadmodum dicitis). Voilà une restriction qu’il faut bien remarquer et sans laquelle Moïse se contredirait grossièrement lui-même. C'est-à-dire qu’on ne peut ici bas penser toujours actuellement à Dieu, sans être interrompu par les distractions du sommeil, des affaires, des objets extérieurs, des besoins de la vie. Il faut obéir, consoler et secourir le prochain etc… Ainsi l’Oraison de la terre a des distractions involontaires, au lieu que celle du ciel n’a aucune distraction.
7. Je dis que Moïse se contredirait s’il ne reconnaissait pas une Oraison perpétuelle. En voici la preuve. En parlant (c) à Cassien et à (340) Germain du renoncement que les Solitaires refusent à Dieu sur les petites choses, après l’avoir fait pour les grandes, le même Moïse dit : cela n’arriverait point s’ils conservaient la contemplation fixe d’un cœur pur, c'est-à-dire une union à Dieu par un cœur détaché de tout ce qui n’est point lui et une union qui ne fut point passagère, mais fixe, habituelle et uniforme. Le même dit (a) bientôt après qu’il faut éviter comme nuisible tout ce qui trouble cette tranquillité et pureté d’âme, quelqu’utile et nécessaire qu’il paraisse. Voilà sans doute l’exclusion constante des meilleurs pratiques de la voie active, qui altéraient ou interrompaient la consistance de l’âme dans un état de détachement universel et de tranquillité. La raison qu’il en rend est encore plus remarquable : c’est, dit-il, que les jeûnes, les veilles, la méditation de l’Ecriture, la privation de tous les secours ne sont pas la perfection mais les instruments et moyens de la perfection. Ce n’est pas en ces pratiques que consiste la fin de notre discipline, elles n’en sont que le chemin, le terme comme vous le voyez, qu’il faut préférer aux moyens c’est la tranquillité et la pureté de l’âme.
Aussi Cassien avait-il dit (b) dès le commencement que cet abbé Moïse était embrasé non seulement par l’actuelle Contemplation, mais encore parla vertu contemplative. Vous voyez qu’il distingue la vertu contemplative, qui est l’oraison habituelle et continuelle, de la Contemplation actuelle qui est le temps où l’on suspend toute autre occupation pour contempler.
Il ajoute que Moïse n’ouvrait point la porte (341) de la perfection à ceux qui ne la souhaitaient pas, ou n’en étaient altérés qu’avec tiédeur, ni aux indignes, ni aux dédaigneux, de peur de paraître un homme qui se vante, ou de trahir le mystère. On ne saurait trop souvent remarquer cette économie et ce secret sur la perfection.
Ce même Moïse est si éloigné de condamner ce que nous verrons dans la doctrine de l’abbé Isaac sur l’Oraison, qu’en parlant de Marthe et de Marie, il dit (a) que la part de Marie ne lui sera jamais ôtée, savoir la Contemplation. Vous voyez que le Seigneur a mis le principal bien dans la Contemplation seule, in sola Theoria, id est in Contemplatione divina. Le mot de SOLA est bien fort. Voici sa conclusion encore plus forte.
Ainsi quoique nous jugions les autres vertus nécessaires et utiles, nous ne croyons pourtant les devoir mettre qu’au second degré, parce qu’on ne les cherche toutes qu’en vue de cette chose unique dont Jésus-Christ dit : (b) Marthe, Marthe, vous vous mettez en peine de plusieurs choses, il n’y en a qu’une nécessaire. Il a mis le souverain bien non dans le travail, quoique louable et abondant en fruits, mais dans la Contemplation qui est véritablement simple et une. Il déclare qu’il faut peu pour cette parfaite béatitude qui est la Contemplation.
D’abord elle est dans la considération d’un petit nombre d e Saints. Puis celui qui est encore dans le progrès s’élève et parvient par le secours divin à ce qui est appelé un, c'est-à-dire au regard de Dieu seul, afin que passant au-dessus des actions des Saints et de leurs fonctions admirables, il se repaisse désormais de la beauté et de la (342) et de la science de Dieu seul. $$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$.

Si on demande des preuves littérales, on n’a qu’à bien peser en toute rigueur grammaticale la force exclusive de ces termes, jam solius dei. Le JAM signifie DESORMAIS et emporte l’avenir absolu ; et SOLIUS DEI exclut toute médiation des mystères et des exemples. C’est comme quand St Pierre dit : (a) ut jam non $$$$$hominum$$$$$$.
Il est donc clair qu’il y a une Oraison continuelle que Moïse exclut et que nul mystique moderne n’a jamais avancé, du moins, je n’en ai vu aucun. Il y a une autre Oraison continuelle que non seulement il ne condamne pas, mais qu’il autorise comme la vraie perfection, à laquelle il faut tendre dès cette vie. Voilà ce qui regarde l’abbé Moïse expliqué par lui-même.
Revenons à l’abbé Isaac dans la neuvième Conférence où nous verrons quelle est cette Oraison continuelle que le Solitaire doit croire non seulement possible ici-bas, mais encore qu’il doit regarder comme l’unique but de la vie monastique.
8. quand il parle d’un but, il ne veut point parler d’un but auquel on atteint après la mort, mais d’un but qu’est dès cette vie la perfection de l’état monastique et après lequel il ne reste plus rien. Car le but est le lieu où l’on s’arrête. C’est ce que nous allons voir.
Comme il a posé pour fondement de la Contemplation, la purgation des vices et l’acquisition (343) des vertus, il traite dans le chap. III de la pureté qui prépare à l’Oraison. Dans le IV, il compare l’âme à une plume qui ne peut être enlevée par le souffle de l’Esprit de Dieu si elle est appesantie par l’humidité terrestre. Dans le V, il traite les causes qui appesantissent l’âme. Dans le VI, il rapporte l’histoire d’un vieillard qu’il finit en disant que d’autres affections empêchent l’union avec Dieu. Elles ne permettent pas, dit-il, que le Solitaire quittant la lie terrestre respire vers Dieu dans lequel son intention doit être toujours fixe. Il doit croire que la moindre séparation de ce Souverain Bien lui est une mort présente et très funeste : Non sientes deposita face terrena, ad Deum, in quo debet semperesse fixa intentio, respirare monachum, cui ab illo summo bono vel parva separatio, mors praesens ac perniciosissimus est interitus credendus. Voilà sans doute un but auquel on arrive, puisque le moindre instant qui en sépare, quand on y est arrivé, est une mort funeste.
Voici comment il conclut. Quand l’âme sera fondée dans une telle tranquillité, dégagée de tous les liens des passions charnelles et attachée à cet Unique Souverain Bien par cette très tenace intention du cœur, tenacissima cordis intentione, elle accomplira cette parole de l’Apôtre : (a) Priez sans intermission. Voilà donc un enseignement de l’Apôtre qui s’accomplit ici-bas par un regard fixe de Dieu seul en lui-même, par une intention qui ne lâche jamais prise tenacissima intentione. Il n’est pas question d’être dans cette Contemplation passagèrement, il faut y être établi, y être immobile, y être fondé avec tranquillité, et (344) garder la moindre interruption, comme la mort de l’âme.
Dans cette pureté, dit-il, le sens de l’esprit étant pour ainsi dire absorbé, sensu mentis absorpto, et étant purifié de l’impureté terrestre, pour être transformé en une ressemblance spirituelle angélique, tout ce que l’âme reçoit, tout ce qu’elle traite, tout ce qu’elle fait sera une très pure et sincère Oraison.
On ne peut plus douter que dans cette disposition fixe et habituelle de l’âme, il ne reconnaisse une Oraison en cette vie sans aucune interruption. Cette Oraison ne se fait point par ne faire jamais autre chose. Si on prenait l’Oraison en ce sens, elle serait souvent interrompue et il n’y a que les Bienheureux qui la fassent ainsi. Mais c’est une Oraison secrète et intime qui se trouve dans toutes les actions communes de la vie. Ce n’est pas encore assez dire. Il faut ajouter qu’en cet état tout ce qu’on fait de plus commun est cette très pure Oraison, rien en peut l’interrompre que les distractions. Tant que la volonté n’est point distraite, l’âme demeure dans son intention qui ne lâche jamais prise, tenacissima cordis ontentione. Et elle n’est point détournée de son Oraison par les égarements involontaires ni des sens, ni de l’imagination, ni même de l’esprit ou pensée. Voilà précisément ce que disent les Mystiques modernes. Ils n’en demandent pas davantage.
9. Dans le VII. Chap., il examine s’il est plus difficile de garder les bonnes pensées que d’en exciter. Vous voyez que cela va toujours peu à peu au but, qui est la présence habituelle de Dieu. Dans le VIII. Chap., il propose plusieurs sortes (345) d’Oraison. Dans le IX, il en marque quatre sortes dont St Paul (a) a parlé, savoir les Obsécrations, Oraisons, Postulations et Actions de grâces. Il les explique toutes dans le X, et dans le XI, dans le XII, XIII, XIV, XV et XVI. Il dit dans le XVII que Jésus-Christ a prié de ces quatre sortes d’Oraison pour nous en donner l’exemple. D’où il faut conclure qu’il ne s’ensuit pas qu’une Oraison soit la plus parfaite de ce que Jésus-Christ l’a pratiquée. Car il dira ensuite qu’il y a une autre sorte d’Oraison, au-dessus de ces quatre sortes ci-dessus marquées.
10. Dans le XVIII chapitre, il dit qu’il y a un autre état plus élevé et plus sublime que ces espèces de supplications : sublimior adhuc statu sac praecesior subsequitur.
Voilà le terme d’ETAT sur lequel on fait tant d’efforts inutiles et de subtilités. C’est un état plus élevé que celui de ces quatre autres Oraisons, et le mot de SUBSEQUITUR marque un ordre, une suite et des degrés subordonnés dans la vie intérieure. Mais quel est cet état sublime ? Il se forme, dit-il, par la Contemplation de Dieu seul et par l’ardeur de la charité : l’âme résolue en cet amour et jetée très familièrement en Dieu, converse avec lui comme avec son Père dans une piété singulière : contemplatione Dei solius et caritatis ardore formatur, per quam mens in illius delectione resoluta et tejecta familiarissime Deo velut Patri proprio, peculiari pietate colloquitur.
Voilà la Contemplation de Dieu seul à l’exclusion de toute autre chose, quelqu’utile et nécessaire qu’elle paraisse, comme le disait l’abbé Moïse. La voilà cette Contemplation par état tranquille (346) et immobile. Elle se fait par une purgation et réformation de l’homme en la ressemblance des anges. Les mots de RESOLUTA et de REJECTA représentent l’âme fondue et jetée passivement dans le pur Amour. C’est ce qui produit une familiarité incompréhensible avec Dieu. Voilà sans doute l’Oraison sans interruption qui aime toujours, qui prie toujours suivant le principe de st Augustin, qui se laisse toujours passivement à l’Esprit de Dieu, ne cesse point d’aimer en la manière la plus parfaite, ni par conséquent de prier. Celui en qui Dieu opère sans cesse et qui se délaisse sans cesses totalement à l’opération divine, ne laisse point d’être dans la plus pure et la plus sincère Oraison, quoiqu’il n’ait pas toujours une pensée actuelle et distincte de Dieu. La formule, dit-il, de l’Oraison Dominicale nous a appris à rechercher soigneusement cet état. Voilà le mot d’ETAT encore répété. L’Oraison Dominicale n’est qu’une formule à laquelle il ne faut point se borner. Elle ne nous est donnée que pour chercher cet état de Contemplation avec grand soin. Elle n’en est que le moyen, la voie, la formule préparative. Ensuite il explique en détail le Pater. Il dit que quand nous serons élevés à cet ordre et à ce degré des enfants, in quem filiorum ordinem gradumque provecti, illa continua que $$$$bonis filiis pietate flagrabimus : nous serons brûlants de cette piété filiale déjà marquée ci-dessus et le terme de CONTINUELLE nous fait reconnaître cette Oraison continuelle, dont le Pater n’est que le chemin.
11. Quand nous serons arrivés, nous ne répandrons plus alors nos affections pour nos propres utilités, mais pour la gloire de notre Père, sanctificetur nomen tuum. Voilà sans doute l’amour pur (347) et désintéressé qui ne se compte plus pour rien, témoignant dit-il que tout notre désir et toute note joie est de al gloire de notre Père, imitant celui qui dit (a)Quiconque parle de soi-même cherche sa propre gloire, etc…
St Paul, vase d’élection, plein de ce sentiment, souhaite (b) d’être anathème par Jésus-Christ pour ses frères, pourvu qu’il lui acquière une nombreuse famille. Michée (c) veut être menteur et aliéné de l’inspiration du St Esprit, pourvu qu’il détourne de dessus le peuple de Dieu les plaies qu’il a prédites. Moïse dit : (d) Ou remettez-leur cette faute, ou si vous ne le faites, effacez-moi de ce livre que vous avez écrit.
Voilà trois exemples d’hommes qui ont renoncé pour Dieu à tout intérêt sans exception. C’est ainsi qu’il faut que le Contemplatif aime Dieu : il ne dit le Pater que pour entrer dans cet amour. Voilà l’abandon total et l’Oraison continuelle qui sont inséparables. Mais enfin voilà un état où l’âme ne forme plus aucun désir ni demande pour elle-même. Cet état n’est pas celui de l’âme qui dit le Pater, car le Pater a encore vers la fin diverses demandes, mais c’est un état d’immobile tranquillité, d’Oraison pure et continuelle, de regard fixe de Dieu seul, état auquel le Pater prépare l’âme fidèle.
12. Dans le chapitre XIX et XX, il explique les demandes du Pater, et il dit que quand on prononce ces mots : Que votre volonté se fasse sur la terre comme dans le ciel, l’Oraison, dit-il, ne peut être plus grande. Ce sera alors, dit-il, que s’accomplira (348) ce que dit Isaïe : (a) Omnis voluntas fiat in eis. Après avoir examiné les demandes du reste du Pater dans les chap. XXI, XXII, XXIII, XXIV, il remarque dans ce dernier chapitre qu’il ne faut demander rien de temporel. Donc l’état suivant qui exclut toute demande pour notre utilité exclura même les demandes pour l’utilité spirituelle.
13. Le Chap. XXV doit être rapporté tout entier, tant il est fort. Cette Oraison, dit-il, parlant de la Dominicale, quoiqu’elle paraisse contenir la plénitude de la perfection comme étant instituée par l’autorité du Seigneur, élève néanmoins ses domestiques à cet état plus élevé que nous avons marqué (cet état d’immobile tranquillité, l’Oraison sans intermission, le pur amour, la fonte de l’âme), et les mène à cette Oraison de feu connue et éprouvée de très peu de gens. Ou pour mieux dire, à cette Oraison ineffable par l’éminence de son degré, laquelle transcendant au-dessus de tout sens humain n’est plus distincte ni par le son de la voix, ni par le mouvement de la langue, ni par aucun mot articulé. Ceci n’exclut pas seulement l’Oraison vocale, mais encore toute distinction de terme et toute expression même intérieure. C’est ce que signifie le mot d’ineffable. C’est une Oraison que l’âme éclairée par l’infusion de cette lumière céleste ne désigne plus par les expressions humaines qui sont trop étroite, mais qu’elle répand largement comme d’une abondante fontaine, par des sentiments conglobés et qu’elle pousse ineffablement au Seigneur, produisant dans ce très court moment tant de choses que l’âme ne peut facilement (349) ni les exprimer, ni même les parcourir, quand elle est revenue à elle. J’avoue que voilà un état qui n’est encore que passager et court : l’âme revient à elle-même, mais cet état est au moins passif puisque par l’infusion céleste les sentiments sont conglobés. Commençons par établir bien cet état pour le connaître dans toute son étendue, puis nous examinerons si ce qui est d’abord passager devient dan la suite fixe et habituel.
14. Il faut même remarquer qu’il y a non seulement dans les commençants, mais encore dans les âmes consommées une extrême différence entre les communications que dieu leur fait et l’état de volonté en eux.
Les communications divines sont souvent passagères et courtes, elles vont, elles viennent, dieu les donne, il les ôte : ce n’est point là l’état. L’état, c’est l’immobilité de l’âme toujours pure et détachée de tout ce qui n’est pas Dieu, toujours également tranquille, soit que l’Esprit souffle ou ne souffle pas pour les communications distinctes, toujours fidèlement passive pour se prêter à toutes les opérations divines. Voilà l’état qui est une disposition habituelle et qui n’empêche pas que l’âme après certaines communications ne demeure comme vide et dans un état où elle revient à elle, non pour s’en occuper par quelque intérêt pais pour voir ce que dieu lui montre qu’il a opéré en elle. Cette vue de foi en cette manière, loin d’être une interruption de la passiveté en est un exercice très pur.
15. dans le chapitre XXVI, il reprend les choses de la voie active pour arriver au but, il parle des moyens d’exciter la ferveur. Le chapitre (350) XXVII continue la même matière. Le XXVIII et le XXIX parlent des larmes.
Le XXX est remarquable. Il ne faut pas néanmoins, dit-il, extorquer ainsi cette profusion de larmes de ceux qui ont déjà passé au-delà de l’affection des vertus, ni chercher beaucoup ces gémissements de l’homme extérieur, lesquels quand même ils seraient excités, de quelque manière que ce soit, ne pourront jamais atteindre à cette profusion de larmes qui coulent d’elles-mêmes, car distrayant par leurs efforts l’âme de celui qui est en Oraison, elles le rabaissent le plongeant en bas et le font déchoir de cette sublimité céleste dans laquelle l’âme de celui qui prie, étonné, doit être fixe indéclinablement et en relâchant son attention la feront languir pour des petites gouttes de larmes stériles et contraintes. Voilà sans doute ce que les Mystiques appellent passiveté qui exclut les efforts. Les larmes excitées ne sont rien en comparaison des données. Il ne faut point chercher ces dévotions sensibles dans ceux qui ont passé au-delà de l’affection des vertus. Il y a donc un état où cette affection des vertus n’est plus de saison. En cet état toute vertu excitée rabaisse l’âme, la distrait, relâche son attention, la plonge en bas, la fait déchoir de la céleste sublimité, la fait languir dans des pratiques forcées et stériles. Mais quelle est donc cette céleste sublimité ? C’est d’être étonné, c’est d’être fixe indéclinablement. Les Mystiques qu’on croit les plus outrés n’ont jamais rien dit de plus fort. Voilà un regard fixe et indéclinable qu’il ne faut pas interrompre même pour s’exciter à la pénitence. Si les actes les plus essentiels de la vertu active ne doivent plus l’interrompre, qui est-ce qui l’interrompra ?
16. après avoir avancé une chose si hardie, il (351) sent qu’il a besoin de quelque autorité. C’est pourquoi dans le chapitre XXXI, il cite la plus grande qu’on puisse citer sur la vie intérieure, après celle des apôtres et des hommes Apostoliques : (a)Ut orationis verae percipiatis affectum, non meam vobis, sed Beati Antonii sententiam proferam. St Antoine, dit-il, persévérait tellement dans l’Oraison qu’il se plaignait quand le jour commençait à paraitre. Voici, dit Cassien, une sentence de lui qui est céleste et plus qu’humaine sur le but de l’Oraison. L’Oraison n’est point parfaite quand le Solitaire aperçoit encore qu’il prie, ou ce qu’il prie : Non est perfecta in qua Monachus, vel hoc ipsum quod orat intelligit.
Vous voyez qu’il apporte cette autorité, pour exclure les vertus excités de cette sublime Oraison, et il ajoute que cette Oraison dont parle St Antoine est celle qu’il a entrepris d’expliquer savoir la perpétuelle immobilité de l’âme.
17. Le chapitre XXXII montre combien Isaac entend parler d’une voie passive. Lors, dit-il, que nulle hésitation ne nous arrêtera dans la prière et ne nous fera désespérer de notre demande, si nous sentons dans le moment de notre demande que nous obtenons ce que nous demandons, ne doutons point que notre prière n’ait pénétrée efficacement jusqu’à dieu. Chacun méritera d’être exaucé et d’obtenir autant qu’il croira être regardé de Dieu et que Dieu peut lui accorder. Car cette parole du Seigneur est irrévocable : (b) tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous le recevrez etc…
(352)
Il réduit tout au sentiment intérieur. Dans la voie active, ce serait présomption, ce serait tenter Dieu. Il veut que le mouvement intérieur fasse une pleine certitude : il faut que ce soit une chose inspirée. Aussi voyons-nous que St Clément dit (a) que son Gnostique n’a pas encore achevé sa demande, qu’elle est exaucée suivant cette Parole du Seigneur : (b)Avant qu’ils crient, je les exaucerai. Le même Esprit qui désire et qui demande dans l’âme passive exauce dans le moment. On ne peut point parler ainsi des demandes de la voie active, que notre esprit excite en nous et que Dieu rejette souvent.
La promesse de Jésus-Christ prise dans toute l’étendue de la lettre ne regarde que les demandes que son Esprit intérieur imprime en nous, elles sont toutes exaucées à cause de la révérence de l’Esprit qui les fait.
Pourvu que nous n’hésitions point dans la foi, quand elle nous est ainsi mise au cœur et que notre esprit par ses doutes n’arrête point l’impression soudaine de celui de Dieu, nous transporterions des montagnes selon sa promesse.
Il paraît par là qu’Isaac demande même des commencements de voie passive, dans les choses qui sont encore de la voie active. Il conclut (au chapitre XXXIV) qu’il faut finir toutes les demandes en disant à Dieu : (d) Verumtamen non sicut ego volo. Sed sicut tu. Néanmoins qu’il arrive selon votre volonté et son selon la mienne.
18. Le XXXIII, XXXIV, et XXXV chapitres parlent des dispositions avec lesquelles il faut (353) prier et de ce qu’il faut prier en secret pour être plus recueilli et pour n’être point de vu du prochain.
Le XXXVI et dernier chapitre recommande une Oraison fréquente et courte : frequenter quidem,sed breciter est orandum, ne immorantibus nobis, inserere aliquid nostro cordi infidiator possit inimicus. Vous voyez qu’il s’agit de ceux qui commencent cette voie d’Oraison qu’il a entrepris d’expliquer dans toute cette Conférence. Une trop longue Oraison pourrait donner prise à l’ennemi dans une âme encore imparfaite. C’est aussi ce que les Mystiques modernes recommandent aux commençants pour l’Oraison du silence. Ils veulent qu’ils ne la fassent pas trop longtemps et qu’ils reprennent même la Méditation.
Au reste cette Oraison est selon lui l’oblation salutaire, les libations pures, le sacrifice de justice et de louange, les véritables victimes, l’holocauste etc…, en un mot toute la Religion.
Quoique la Conférence eut beaucoup duré, dit Cassien, et que plusieurs choses nous parussent au-dessus de la mesure de notre faiblesse, nous crûmes pourtant la conférence courte à cause de la sublimité et de la difficulté de la matière, étant plus étonnés que remplis de ces saints discours, nous allâmes etc…devant retourner dès le point du jour, pour demander une plus ample instruction, nous réjouissant des préceptes déjà reçus et de la certitude de ceux qui nous étaient déjà promis , car nous avions aperçu qu’Isaac nous avait seulement montré par avance (praemonstratam) l’excellence de cette Oraison, mais que nous n’en avions point entièrement compris l’ordre et la vertu, par laquelle il faut (354) acquérir et conserver sa perpétuité : ordinem vero atque virtutem, qua etiam perpetuitas ejus vel acquirenda vel teneda, necdum nos integre percepisse illis disputationibus senseramus.
Voilà donc l’étonnement naturel à des hommes à qui cette doctrine de l’Oraison avait été jusqu’alors inouïe. Cassien et Germain en sont d’abord plus étonnés qu’instruits. L’impatience d’achever suit de près la surprise. Ils avaient entendus bien des choses nouvelles, mais ils ne comptaient qu’il s’en fallait beaucoup qu’ils ne sussent tout. Isaac leur avait promis d’achever dans une nouvelle Conférence. Ils n’avaient encore vu que comme par avance l’excellence de cette Oraison. Il s’agissait de bien entendre son ordre et sa vertu. Son ordre signifie sans doute par quels degrés on y parvient, sa vertu marque l’état où elle doit y opérer. Cet ordre et cette vertu ont besoin d’être bien compris parce qu’il faut en acquérir la perpétuité, si on ne l’a pas encore, et la conserver si on l’a déjà.
Voilà donc sans doute l’Oraison de simple présence de Dieu, sans retour sur soi, sans désir, sans demande distincte ; telle qu’Isaac la dépeint dans St Antoine et dans les autres Solitaires les plus parfaits. Jusqu’ici nous n’avons pas encore entièrement vu un état habituel et fixe. Mais c’est ce qui est réservé à la X Conférence : car la perpétuelle immobilité de l’âme est l’unique fin dans ces deux discours.

CONFERENCE DIXIEME.

19. Dans le I chapitre, il avertit qu’il mêle exprès aux sublimes instructions des Anachorètes (355) certaines digressions, c’est pour les éclaircir, de même que St Clément. Dans le II, il parle de la coutume de l’Egypte pour célébrer la Pâque. Dans le III, il raconte l’histoire de Sérapion. Cassien et Germain demandent à Isaac une instruction nouvelle pour parvenir à cette qualité d’Oraison dont il leur avait parlé si magnifiquement. Elle nous étonne, disent-ils et nous ne savons comment y parvenir.
Dans le V, Isaac parle de l’erreur des Gentils sur la Divinité, de celle des Anthropomorphites et passe au Catholique qui peut parvenir, dit-il, à cette très pure qualité d’Oraison qui ne mêlera dans sa supplication, non seulement aucune image de la Divinité, (ce qu’il n’est pas même permis de dire), no aucun linéament corporel, mais encore admettra mais encore admettra en soi la mémoire d’aucune parole et d’aucune action, ni l’espèce ou forme d’aucun caractère : Nec ullam in se memoriam dicti cujusdam, vel facti speciem seu formam cujuslibet caracteris admittet.
Voilà manifestement une qualité d’Oraison qui exclut toute méditation des mystères même de Jésus –Christ. Car on ne peut les méditer sans mémoire des paroles et des faits. Cette Oraison est la plus pure, et on peut y parvenir : ad illam orationis purissimam perveniet qualitatem.
20. Dans le chapitre VI, il dit que c’est à proportion de cette pureté que chacun s’élève et se forme dans l’Oraison, c’est-à-dire qu’il se retire de la considération des choses matérielles autant qu’il est pur et qu’il regarde Jésus, par des regards intérieurs, ou comme dans sa chair, ou (356) comme glorifié : si nous avons connu, dit St Paul, le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus de même. Nous voyons un dessein suivi, il s’agit de la plus pure Oraison qui n’admet plus ni espèce, ni mémoire, ni trace d’aucun fait ni d’aucune parole distincte. En cet état on ne regarde plus le Christ selon la chair ? Ceux-ci, dit Isaac, sont seuls à contempler sa Divinité avec des yeux très purs, s’élevant au-dessus des œuvres basses et terrestres ; ils se retirent avec lui dans la solitude d’une haute montagne. Il révèle par une foi très pure la gloire de sa face à ceux qui méritent de la voir par les yeux très purs de l’âme. Les troupes du peuple le voient aussi, mais non dans cette clarté, ne pouvant monter sur la montagne. Retirons-nous donc avec lui, dit Isaac, afin que dans ce corps mortel nous ayons une ressemblance de la béatitude promise, et que Dieu nous soit toutes choses en tout.
21. Voici le VII, tout entier. Cette demande du Seigneur sera alors parfaitement accomplie en nous, cette Oraison, dis-je, par laquelle il demande à son Père : (b) Que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux et eux en nous, et encore : Qu’ils soient un , comme vous êtes en moi et moi en vous, que de même ils soient un en nous. Cette prière, dis-je, s’accomplira quand le parfait amour de Dieu, dont il nous a aimés le premier passera dans notre cœur, la demande du Seigneur que nous ne croyons point pouvoir être sans effet étant accomplie. Cela arrivera lorsque tout amour, tout désir, toute affection, tout effort, toute pensée en nous, tout ce que nous voyons, (357) disons, espérons, sera Dieu. Et que cette unité qui est maintenant du Père avec le Fils et du Fils avec le Père sera transfuse dans notre âme. Afin que comme il nous aime d’une sincère, pure et indissoluble charité, nous soyons de même unis à lui par une charité perpétuelle et inséparable, étant unis à lui, en sorte que tout ce que nous espérons, concevons et disons soit Dieu, arrivant de la sorte à la fin ci-dessus marquée, dont le Seigneur dans sa prière a désiré l’accomplissement : Qu’ils soient un comme nous ne sommes qu’un, moi en eux et eux en moi afin qu’ils soient aussi consommés en un. Telle est, dit Isaac, l destination du Solitaire ; tel est le but auquel il doit tendre, afin qu’il mérite de posséder dans ce corps l’image de la future béatitude et goûter par avance dans ce petit vase en quelque manière un arrhe de la conversation et de la gloire céleste : c’est là, dis-je, le terme de toute perfection que l’âme soit tellement extenuée de tout ce qui est charnel qu’elle s’élève chaque jour aux choses spirituelles, jusqu’à ce que toute sa conversation et tout le mouvement de son cœur soit une seule et continuelle Oraison.
22. Voilà un amour fixe, indissoluble, inséparable, très permanent. Voilà la perpétuelle et immobile tranquillité en Dieu dans ce corps mortel. Voilà ce que les Mystiques après St Denis(a) et St Clément(b) nomment la Déification de l’âme. Alors tout ce qu’elle voit est Dieu, tout ce qu’elle opère est Dieu. Combien ces expressions (358) dans un mystique moderne scandaliseraient-elles un docteur spéculatif et sans expérience ? Mais on les lit dans les Anciens sans les remarquer, parce que ce n’est pas ce qu’on y cherche. Voilà ce que les Mystiques veulent dire quand ils parlent d’une union sans moyen. On ne tient plus à Dieu par les dons, mais par lui-même et par l’amour du Père et du Fils transfus en nous. On ne s’unit plus à Dieu par efforts passagers, par actes réfléchis et interrompus, mais on y demeure toujours habituellement et inséparablement uni. On est un avec lui, comme le Fils avec le Père. On est consommé dans l’unité, et ce qui est très remarquable, c’est que Cassien emploie précisément le même passage que les Mystiques modernes, pour prouver cette Déification ou cette consommation de l’âme. Que si on doute encore de cet état fixe et habituel, j’avoue que je ne connais plus de terme dans le langage des hommes au-delà de ceux que Cassien répète tant de fois pour prévenir les doutes.
Voilà la multiplicité des actes passagers et réfléchis d’amour, de désir, d’espérance, de vigilance, tous les efforts, toutes les demandes, toutes les pensées, toutes les opérations intérieures réduites à quelque chose qui est uniquement Dieu et Dieu par état, et un état d’Oraison simple et continuelle et immobile qui se fait par l’exténuation de l’âme, c'est-à-dire de ses puissances et où tous les mouvements du cœur ne sont qu’Oraison. En vérité si je voulais faire des passages exprès, je ne pourrais pas en faire autrement, peut-être même aurais-je honte de les faire si forts. Un Docteur qui croirait ces expressions de quelque Moderne, les censurerait comme abominables.
(359)
23. Dans le VIII chapitre, Germain demande les premiers éléments pour cette discipline parfaite, ut a quibusdam mollibus incipiens rudimentis, facilioribus primum ac tenerrimis intiis imbuatur. Puis il fait une comparaison d’un enfant qui apprend les lettres de l’alphabet avant que de pouvoir les joindre pour former les syllabes : il demande que de même on l’introduise par la méditation dans la pensée de Dieu, qua meditatione teneatur vel cogitetur Deus. Enfin, dit-il, comment peut-on conserver ce bien ? immobiliter custodire : car nous ne doutons point que ce ne soit le comble de la perfection.
Dans le IX chapitre, il reprend la comparaison de Germain. Il faut donc, dit-il, vous donner une formule de cette théorie spirituelle, comme on donne aux enfants des caractères de cire pour leur apprendre à lire. Attachez-vous, dit-il, à cette formule, tenacissime indisrupta jugitate, très tenacement, avec une continuité sans interruption, afin que par son usage et méditation vousp puissiez monter à des plus sublimes regards, vel sublimiores intuitus scandere illius usu ac meditatione possitis.
Voilà donc une formule qui ne sera qu’un rudiment grossier, que les premiers éléments de la doctrine, que les caractères de cire qu’on donne aux enfants, et qu’ils quittent dès qu’ils savant un (360) peu épeler. La formule n’est donc que passagère et c’est l’oraison très pure, immobile et continuelle, sans image, sans mémoire ni de parole, ni d’action, qui lui sera substituée et qui est le terme où le solitaire doit s’arrêter par état.
Cette formule donnée par les plus anciens Pères est (a) Deus in adjutorium meum intende. Vous remarquerez qu’au lieu de celle-là, Grégoire Lopez avait pris (b) Fiat voluntas tua. Un docteur spéculatif n’aurait garde de se contenter de cette formule, il exigerait des actes distincts d’espérance, de contrition, de foi, d’amour, des demandes expresses pour se conformer aux prières de toute l’Eglise, des retours sur soi-même pour s’examiner et pour accomplir les préceptes essentiels de la vigilance. Mais le St Abbé Isaac moins attaché à la lettre de la loi, entre dans les secrets de l’esprit. Il dit que cette formule est elle seule éminemment toutes les pratiques de Religion, elle réunit tout. Ce petit verset, dit Isaac, reçoit toutes les sortes d’affections et s’accommode à tout état. Il comprend l’invocation, l’humilité, la sollicitude, la vigilance, la considération de sa fragilité, la confiance. Il est le remède à tous les maux et à tous les dangers. Il est l’âme de la sobriété et de la pénitence. Il conserve la chasteté. Il réprime la colère, l’avarice, la tristesse. Il rabaisse l’orgueil. Il soutient l’âme contre les distractions dans l’oraison sans image.
Il faut donc condamner Cassien avec sa Tradition des plus parfaits Solitaires, ou avouer que ce seul verset peut suffire à un Chrétien sans aucune (561) autre demande distincte, ni aucun acte intérieur de vertu. Si ce verset suffit parce qu’il contient tout éminemment, à plus forte raison, l’Oraison d’immobile tranquillité suffira-t-elle, puisqu’elle est la perfection dont le verset n’est que le rudiment très imparfait et qu’elle lui doit succéder comme la science succède au bégaiement des enfants ? Méditez donc, dit Isaac, ce verset en veillant, e, dormant et même dans les dernières nécessités de la vie. Cette formule vous conduira aux invisibles et célestes Contemplations et vous élèvera à cette ardeur d’Oraison ineffable et éprouvés de très peu de gens, perpaucis expertum. Que le sommeil vous prenne dans cette méditation, jusqu’à ce qu’étant formé par cet ineffable exercice, vous vous accoutumiez à le chanter dans le sommeil, per soporem. Vous voyez que ce chant n’est pas un vrai chant, mais une vraie occupation intérieure. Qu’ainsi votre Oraison devienne directe et perpétuelle, $$$$ et erecta.
25. Le XI marque que l’âme doit garder sans cesse cette formule, jusqu’à étant affermie par sa continuelle méditation, elle rejette les richesses et les amples soutiens de toutes les pensées et qu’étant resserrée dans la pauvreté de ce seul verset, elle parvienne par une pente facile à cette Béatitude Evangélique qui tient le premier rang parmi les autres : (a) Bienheureux les pauvres d’esprit. Et qu’ainsi par l’illumination divine s’élevant à la multiforme science de Dieu, elle commence à être engraissée des plus sublimes et plus sacrés mystères. La méthode de ce verset est ce qu’il a appelé l’ordre de cette (362) Oraison, puis il parlera de ce qu’il a appelé la vertu de cette Oraison.
Voilà un travail actif dans la méditation de ce verset qui ne doit pas toujours durer. Ce n’est que jusqu’à ce que l’habitude fixe l’âme et change les actions passagères en état ou conversion habituelle. Cette méditation active appauvrit l’âme pour l’enrichir ; elle lui retranche la multitude des objets, des motifs, des actes et des demandes, pour l’introduire par cette pauvreté ou unité dans la multiforme science de Dieu. Alors elle passe dans un état passif, où Dieu, pour ainsi dire la multiplie après l’avoir simplifiée et l’engraisse des plus sublimes mystères.
26. Cet état est l’accomplissement de ces paroles du Prophète : (a)Mons excelsi cervis etc…Le Solitaire paîtra sur les montagnes des Prophètes et des Apôtres dans les plus sublimes mystères, recevant en lui les affections des Psaumes (remarquez en passant cette expression RECEVANT EN SOI) ; et il commencera à les chanter non comme composés par le Prophète, mais comme faits par lui-même, comme répandant sa propre Oraison de la profonde componction de son cœur, comme si ces psaumes étaient adressés à sa personne. Il connaît que les sens des paroles ne sont pas seulement accomplis par le Prophète ou dans le Prophète, mais encore en soi chaque jour. Alors les divines Ecritures s’ouvrent plus clairement avec leurs veines et moelles. Ca notre expérience n’en reçoit pas seulement, mais encore en prévient la notion. Les sens sont ouverts non par voie d’exposition mais par l’enseignement (sans doute de (663) l’esprit intérieur et la suite le montre), ayant en nous le même sentiment dans lequel le psaume a été écrit ; nous en sommes comme les Auteurs, nous ne suivons pas, mais nous prévenons le sens, nous recevons plutôt la vertu que l’intelligence des paroles ;nous nous ressouvenons de tout ce qui s’est passé en nous etc… Etant ainsi instruits par les effets qui sont nos maîtres, ma$$$$$$$effectibus eruditi, nous ne connaissons pas les vérités comme entendues, mais nous les touchons comme accomplies en nous, nous les avons non comme mises dans la mémoire, mais comme nées avec nous ; nautrae insitae : nous les enfantons de l’intime sentiment de notre cœur, nous les pénétrons non par le texte qu’on lit, mais par une expérience prévenante. Ainsi l’âme parvient à cette incorruption d’Oraison, à laquelle l’ordre marqué dans les Conférence précédente nous a conduits. Elle est occupée sans aucun regard d’image, elle n’est distincte par aucune suite ni de voix ni d’expression, elle est produite par le regard enflammé, par l’essor ineffable du cœur avec une invincible joie. L’âme hors de tous les sens et de tous les objets visibles la répand devant dieu par des gémissements ineffables.
Voilà sans doute un état d’inspiration habituelle, où l’âme Prophétique et Apostolique lit l’Ecriture par le même Esprit qui a animé les auteurs sacrés. Elle ne lit pas l’Ecriture, elle la $$$$ ; ce n’est pas l’Ecriture qu’elle a devant les yeux qui l’instruit, c’est elle qui sort du fond de son cœur comme de la source céleste. Voilà les Etats qu’on refuse de croire et qui sont manifestement les états de transformation.
Vous voyez qu’après avoir parlé de l’ordre de (364) cette Oraison, c’est-à-dire de la manière d’y arriver qui est la méditation du verset, il en a dépeint la vertu, c’est-à-dire cet état où elle n’est plus instruite par l’Ecriture et où elle est elle-même une Ecriture vivante, un Prophète et un Apôtre.
27.Le chapitre XII n’est qu’un demande de Germain pour savoir comment les commençants peuvent retenir toujours ce verset.
Dans le chapitre XIII, le même Germain parle de la mobilité de l’âme dans la méditation commune. Il dit qu’après avoir compris un capitule d’un Psaume, cet endroit lui échappe insensiblement et qu’elle passe avec étonnement et sans le savoir à quelque autre texte de l’Ecriture : à peine commence-t-elle à rouler celui-là en elle-même et avant qu’il soit entièrement examiné, elle se ressouvient de quelque autre passage qui exclut la méditation du premier ; de celui-là, elle passe encore à un autre, une nouvelle méditation succédant. Ainsi l’âme étant tournée comme une roue de Psaume en Psaume, sautant du texte de l’Evangile à la lecture de l’Apôtre, de là aux paroles des prophètes et ensuite à quelques histoires spirituelles, demeure instable et errante par tout le corps des Ecritures, ne pouvant ni choisir, ni finir aucun endroit par un plein examen. Ce lecteur ne fait que toucher et goûter les sens spirituels, il n’en devient ni le générateur ni le possesseur. Germain conclut sa question, en demandant comment on pourra donc garder immobilement ce verset.
Vous voyez qu’il s’agit toujours par un desseins suivi sans relâche, de parvenir à un état fixe et immobile. L’inconvénient de la mobilité de l’âme, c’est que dans la méditation discursive, la variété (365) des objets fait qu’on ne s’en approprie aucun, qu’on les goûte tus, mais que l’âme n’en est pas substantiellement nourrie, pour faire sien ce qu’elle trouve en autrui. On ne parvient point par cette méditation variée à cet état où l’âme lit les paroles d’un Prophète comme étant le Prophète elle-même, et comme tirant les mystères de son propre cœur ainsi que de leur source. Elle ne prend aucune situation fixe et habituelle. Elle n’est point nourrie par le fond, c’est ce qui fait qu’elle a besoin d’être appauvrie même spirituellement. Il faut lui retrancher ces richesses de la parole divine, comme Isaac l’a remarqué. Voilà à quoi sert d’être borné à un seul verset, ou à quelque autre formule qui appauvrisse et simplifie peu à peu l’âme, pour la rendre tranquille et immobile dan l’Oraison continuelle. C’est en l’appauvrissant ainsi qu’elle sera mise dans la multiforme science de Dieu. C’est ce que St Denis a exprimé quand il a dit (a) : l’âme n’entendant rien, surpasse toute intelligence ;
28. Dans le chapitre XIV, et dernier Isaac répond que pour remédier à l’instabilité de l’âme, il faut employer les veilles, la Méditation, l’Oraison et le détachement sans réserve de la vie présente.
Voilà selon lui, les moyens de la voie active pour les commençants. Mais la fin qu’on se propose est l’accomplissement du Précepte Apostolique : sine intermissione orate, priez sans intermission, car celui-là, dit-il, prie très peu qui n’a accoutumé de prier que quand on fléchit le genou. C’est pourquoi il faut que nous soyons avant le temps (366)de l’Oraison tels que nous voulons être dan l’Oraison même, et il faut que l’âme soit alors formée par son état précédent.
29. Voilà, dit Cassien, ce qu’Isaac, dans cette seconde conférence nous expliqua de la qualité d’oraison, dont nous fûmes bien &tonnés. Nous admirions beaucoup sa doctrine sur la méditation de ce petit verset qu’il nous avait donné à retenir comme une méthode pour dresse les commençants, quam velut informationis loco incipientibus tradiderat retinendam. (Ces paroles montrent encore que le verset n’est que pour un temps et que la ttrès pure et immobile Oraison lui doit succéder comme fin au moyen) ; Nous souhaitions, dit-il, de cultiver avec une entière fermeté ce verset, et excoleretenacissime cupientes, croyant cette doctrine abrégée et facile, compendiosam ac facilem. Nous avons néanmoins expérimenté qu’elle est plus difficile à observer que cette application d’esprit, par laquelle nous avions accoutumé de parcourir par la variété de la méditation tout le corps des Ecritures sans aucun lien de persévérance, absque ullius perseverantiae vinculo.
Voici les dernières paroles de Cassien sur le genre d’Oraison sublime et sur le verset par lequel on peut y parvenir. Et il finit.
Il est donc constant que personne sans exception n’est exclus de cette perfection de cœur par l’ignorance des lettres et que la rusticité n’est point un obstacle pour acquérir cette pureté de cœur et d’âme, laquelle est à la portée de tous par ce chemin très abrégé, pourvu qu’ils conservent la sainte et entière attention à Dieu par la méditation continuelle de ce verset.
30. La Tradition des Pères du Désert rapportée (367) par Cassien, témoin si autorisé dans toute l’Eglise est donc :
1. Qu’il y a une Oraison encore plus parfaite que la méditation affectueuse de l’Ecriture, et même que l’Oraison Dominicale.
2. Que cette Oraison encore plus sublime, qu’il nomme très pure et incorruptible, est la Contemplation fixe de Dieu seul dans sa substance incorporelle et incompréhensible, sans image, sans espèce, sans aucune mémoire d’aucune parole ni aucune action, par conséquent sans aucune trace ni des mystères, ni des préceptes Evangéliques, même sans aucune distinction discursive et que l’âme doit être indéclinablement fixe dans ce regard de pure foi.
3. Que la perfection de cette Oraison est de ne s’apercevoir plus ni de ce que l’on fait, ni même si l’on prie ; que les efforts les plus pieux distrairaient et rabaisseraient l’âme en cet état.
4. Que cette Oraison lui est infuse par une lumière céleste, par l’amour du Père et du Fils transfus en nous et par leur unité consommée dans l’âme et par conséquent inspirée ou passive ; qu’elle y devient remplie de la multiforme science de Dieu, Apostolique et Prophétiques en lisant les Apôtres et les Prophètes ; que tout ce qu’elle voit au-dehors et tout ce qu’elle opère au-dedans est Dieu même.
5. Que cette Oraison peut s’acquérir par la méditation d’un verset qui n’est que les éléments et le rudiment de ceux qui commencent ; que ce verset y introduit en exténuant et appauvrissant l’âme et en la fixant.
6. Que cette Oraison, fin de toute la vie monastique, est éprouvée et connue de très peu de (368) Solitaires ; que les plus anciens l’ont confié à d’autres, qui la confient à leur tour à ceux qui ont la vraie foi.
7. Que la grossièreté et l’ignorance n’excluent point de cette voie.
8. Que cette Oraison n’est point passagère, mais au contraire le terme de tout acte passager, le regard fixe et indéclinable, la perpétuelle et immobile tranquillité de l’âme.

FIN.