Les Justifications (III seul, transcrit de 1720) - chemins mystiques
Vous jouirez d'un repos très doux si votre c?ur ne vous accuse de rien. ... J'ai
déjà dit qu'en ce premier recueillement les puissances de l'âme ne sont point ......
en autorité, (a) parce que cela leur donnerait toute licence de faire ainsi. ..... ne
lui était auparavant que science, lui est désormais un vrai goût de sapience
divine.
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JUSTIFICATIONS
DE LA DOCTRINE
DE MADAME DE LA MOTHE-GUION,
Pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les Sts. Pères Grecs, Latins et Auteurs canonisés ou approuvés ; écrites par elle-même. Avec un examen de la neuvième et dixième conférence de Cassien sur létat de loraison continuelle,
Par MR DE FÉNELON, ARCHEVEQUE DE CAMBRAY.
Nouvelle édition, exactement corrigée.
TOME III.
A PARIS Chez les Libraires Associés. 1790.
( Tables. Doc. Annexe dans le CD du Père Max, saisies par M. Tronc)
1
JUSTIFICATION DU MOYEN COURT, ET DE LEXPLICATION SUR LE CANTIQUE
Troisième partie
L I. Quiétude. Tranquillité. Repos. Recueillement. Paix. Calme. Silence.
MOYEN COURT.
Il faut que la vive foi de Dieu présent dans le fond de nos curs nous porte à nous enfoncer fortement en nous-mêmes, recueillant tous les sens au-dedans, empêchant quils ne se répandent au dehors. Ch. 2. n. 2.
Après avoir prononcé ce mot de Père, quils demeurent quelques moments en silence avec beaucoup de respect. Chap. 3. n. 2.
On le regarde comme un Médecin ; et on lui présente ses plaies, afin quil les guérisse : mais toujours sans effort, et avec (2) un petit silence de temps en temps, afin que le silence soit mêlé daction, augmentant peu à peu le silence et diminuant le discours, jusquà ce quenfin, à force de céder peu à peu à lopération de Dieu, il gagne le dessus.
Lorsque la présence de Dieu est donnée et que lâme commence à goûter peu à peu le silence et le repos, ce goût expérimental de la présence de Dieu lintroduit dans le second degré doraison. Ch.3 n.3, 4.
Je demande surtout, quon ne finisse jamais loraison sans quon demeure quelque temps sur la fin dans un silence respectueux. Ch.4. n. 3.
Lâme par le moyen du recueillement se tourne tout au-dedans delle, pour soccuper de Dieu qui y est présent. Ch.10. n.2.
Quarrive-t-il à cet enfant qui avale doucement le lait en paix sans se mouvoir ? Qui pourrait croire quil se nourrit de la sorte ? Cependant plus il tète en paix, plus le lait lui profite. Que lui arrive-t-il, dis-je, à cet enfant ? Cest quil sendort sur le sein de sa mère : cette âme paisible à loraison sendort souvent du sommeil mystique, où les puissances se taisent. Ch.12. n. 5.
Le Seigneur est dans Son Saint Temple,(3) que toute la terre demeure en silence devant lui (a). La raison pour laquelle le silence intérieur est si nécessaire, cest que le Verbe étant la Parole éternelle et essentielle, il faut, afin quil soit reçu dans lâme, une disposition qui ait quelque rapport à ce quil est. Ch.14. n.1.
Le silence extérieur est très nécessaire pour cultiver le silence intérieur, et il est impossible de devenir intérieur sans aimer le silence et la retraite.
Ce serait peu de faire oraison et de se recueillir durant demi-heure, ou une heure, si on ne conservait pas lonction et lesprit doraison durant le jour. Là-même. n. 3.
Cest donc une action, mais une action si noble, si paisible, si tranquille, quil semble à lâme quelle nagit pas, parce quelle agit comme naturellement. Ch. 21. n. 2.
Qua-t-elle choisi, Madeleine ? La paix, la tranquillité et le repos. Là-même. n. 7.
Il faut (b) que toute chair se taise en la présence du Seigneur. Là-même. n. 11.
S. Jean rapporte que (c) dans le Ciel il se fit un grand silence. Ch. 24.n. 1
(4)
CANTIQUE.
Tirez-moi, dis-je, ô mon divin Amant, et nous courrons à vous par le recueillement.
Cet excellent parfum opère loraison du recueillement, parce que les sens aussi bien que les puissances courent à son odeur. Ch.1. v. 3.
Lâme, dans ce doux embrassement de fiançailles, sendort du sommeil mystique où elle goûte un repos sacré quelle navait jamais goûté. Dans les autres repos, elle sétait bien assise à lombre de son Bien-aimé par la confiance, mais elle ne sétait jamais endormie sur son sein, ni entre ses bras. Cest une chose étrange comme les créatures, même spirituelles, sempressent de retirer lâme de ce doux sommeil, quoique sous les plus beaux prétextes, mais elle est si endormie quelle ne peut sortir de son sommeil. Chap. 2. v.7.
La douceur quelle goûte au-dedans par le recueillement savoureux ly invite assez, mais quitter cette douceur au-dedans pour ne trouver que des amertumes au-dehors, cest ce qui est très difficile : outre que par le recueillement elle vit et se possède, mais (5) par la sortie delle-même, elle meurt et se perd. La-même. v. 14.
LAmante est si enivrée de la paix et de la tranquillité quelle goûtait, quelle nen pouvait sortir. Ch. 3. v. 2.
Les pas du dedans sont très beaux, puisque lEpouse peut toujours avancer en Dieu sans cesser de se reposer. Cest la beauté ravissante de cet avancement que dêtre un vrai repos, sans que le repos empêche lavancement, ni lavancement le repos : au contraire, plus on se repose, plus on avance, et plus on fait de progrès, plus le repos est tranquille. Ch.7. v. 1.
Comme Dieu est toujours agissant au-dehors et toujours reposant au-dedans, de même cette âme qui au-dedans est confirmée dans un parfait repos est aussi toujours agissante au-dehors. Ch.7.v.12.
AUTORITÉS
§. I Quiétude, et c.
St DENIS.
1.Voyez Union. n. 8
2. Honorons à présent et louons avec hymnes pacifiques la paix divine, Dame et Maîtresse de toute société et dassemblée. Car cest elle qui unit toutes choses, qui est la mère et louvrière (6) de la concorde et de la liaison naturelle qui est en toutes choses. Ce qui fait que toutes choses lapétent et la désirent, dautant que cest elle qui rassemble leur multiplicité divisée à une parfaite unité, et qui maintient en union toutes les parties de lUnivers, qui feraient autrement en une continuelle guerre civile, faisant que toutes demeurent en bon accord ensemble comme dans une même maison.
Donc par la participation de la paix divine, les premières puissances et vertus conciliatrices sont premièrement unies à elles-mêmes, et puis les unes aux autres, et après à lunique et premier principe de la paix de tout lUnivers, et de suite elles unissent les choses qui sont au-dessous delles, premièrement avec elles-mêmes, puis avec les autres, et finalement à la cause et au principe unique et universel de la paix de toutes choses. Et cette paix cheminant sans se diviser par-dessus toutes les créatures, elle borne, renferme et assure toutes choses comme dans de certains cerceaux qui relient et rassemblent les choses divisées, et ne permet pas quelles sen aillent par pièces et par morceaux, séparés les unes des autres, et quelles se répandent à linfini, sortant hors de leurs bornes, sans ordre, sans fermeté ni solidité, abandonnées de Dieu, sortant hors de leur union, brouillés pêle-mêle ensemble avec tout désordre et toute confusion.
Or de ce calme et de cette divine paix que le saint personnage Justus appelle silence et un repos immobile en toute émanation qui se connaît, il nest pas possible à aucune créature de dire ni de penser ce que cest, ni comme elle est tranquille (7) et demeure en repos, et comme quoi elle est en elle-même et dedans elle-même, et comment par une éminente raison elle est unie toute entière en elle-même, et comme quoi, soit quelle rentre à elle-même, ou quelle sorte pour se multiplier, elle ne quitte jamais lunion qui lui est propre, mais elle sort au-dehors et elle passe en toutes choses, sans bouger de dedans soi toute entière, par la suréminence de lunion qui surpasse toutes choses. Mais lui attribuant cela même qui est ineffable et inconnu, à elle, dis-je, qui est au-delà de toutes choses, nous nous contenterons de considérer seulement ses participations qui peuvent être entendues par la pensée et exprimées par la parole. Ce que nous ferons autant quil est possible aux hommes, et autant que nous-mêmes le pourrons, qui sommes de beaucoup inférieurs à plusieurs bons et saints personnages.
Il faut donc dire en premier lieu que la part divine est la cause productrice de la paix même considérée en soi, tant de luniverselle que de la particulière, et que cest elle qui tempère toutes choses les unes avec les autres, par le moyen de leur union qui nest point confuse, par le moyen de laquelle étant unies et conjointes ensemble sans division et sans quil y ait du vide en ces deux, elles demeurent néanmoins en lintégrité de leur espèce, pures et sans être troublées par le mélange de leurs contraires, et sans rien perdre de leur extrême pureté ni de leur union
exquise. Il faut donc ; etc
( Voyez Union n. 1) Des noms divins, Chap. 9.
3.Voyez Foi nue. n. 3.
4.Voyez Foi nue. n. 4.
(8)
5. Voyez Foi nue. n. 5.
St AUGUSTIN.
6. Que si (a) votre il intérieur séblouit, lorsquil veut sappliquer aux choses qui sont si fort au-dessus des sens, tâchez au moins de calmer votre esprit, (b) ne contestez plus contre la vérité comme vous faites et ne vous défendez plus que contre les illusions (c) de ces idées grossières, que vous avez tirées du commerce perpétuel que nous avons avec les choses corporelles. Mettez-vous au-dessus de cela seulement, et vous serez au-dessus de tout. (*) Nous cherchons lUnité souveraine qui est dune (9) parfaite simplicité de nature, cherchons-la donc dans une parfaite (a) simplicité de cur.
Tenez (b) vous en repos, nous dit-elle dans lEcriture, et vous connaîtrez que je suis le Seigneur. Ce nest pas dans un repos dinaction et de paresse quelle veut que nous nous tenions, mais dans un repos qui nous (c) mette le calme au-dedans de nous-mêmes en chassant de notre cur toutes les choses contenues dans toute sorte despaces et de lieux, et sujettes aux vicissitudes du temps : car cest de là que viennent toutes nos agitations, et ce sont les fantômes dont ces sortes de choses nous ont remplis qui nous empêchent de voir lunité immuable et toujours égale à elle-même. De la véritable religion. Ch. 35.
7. Lorsque Dieu se repose le septième jour, il le sanctifie. Il ne faut pas entendre cela puérilement comme sil était lassé à force de travailler. Le repos de Dieu signifie le repos de ceux qui se reposent en lui : comme la joie dune maison signifie la joie de ceux qui se réjouissent dans cette maison. Ainsi lorsque le Prophète dit que Dieu sest reposé, il marque fort bien le repos de ceux qui se reposent en lui et dont il est lui-même le repos.
(10)
HENRI SUSO.
8. Cette unité nue est un silence ténébreux et un repos tranquille, que celui-là seul peut avoir à qui la vraie liberté se découvre sans mélange daucune malice. Dialogue de la Vérité, Chap. 20.
LIMITATION DE JESUS CHRIST.
9. Jamais le superbe et lavare nest en repos. Le pauvre et lhumble desprit conserve dans son cur une paix profonde.
Cest donc en résistant aux passions quon trouve la vraie paix du cur et non pas en les contenant. Ainsi la paix du cur ne se trouve ni dans lhomme charnel, ni dans celui qui est extérieur et sensuel, mais dans les fervents et spirituels. Livr. I. Chap.6 §. 1, 2.
10. Si votre conscience est pure, vous serez toujours dans la joie. Lâme qui est ainsi pure dans le fond du cur peut souffrir beaucoup et sa joie se redouble dans les plus grands maux. Vous jouirez dun repos très doux si votre cur ne vous accuse de rien. Les méchants nont point de vraie paix, ni de joie intérieure parce que cest un oracle que Dieu même a prononcé : (a) quil ny a point de paix pour les impies.
Celui qui ne se soucie ni du blâme ni des louanges naura rien qui trouble la paix de son cur. Lâme pure demeure aisément contente et paisible. Livr. 2. Chap. 6. §. 1, 2, 3.
11.Ô mon âme ! Repose-toi en toutes choses et au-dessus de toutes choses, en ton Seigneur, parce quil est le repos éternel des Saints. Livr. 3. Chap. 21. §. 1.
12. Lhomme sage et spirituel ne considère pas ce qui se passe en lui-même, ni de quel côté (11) souffle le vent de linconstance et de linstabilité humaine, mais ne pensant quà savancer dans sa voie, il recueille et réunit tous les mouvements de son cur pour se porter tout à moi comme à son unique et à sa véritable fin. La-même. Chap. 33. §. 1.
13. Cest vous qui rendez le cur tranquille et qui le comblez de paix et de joie. Livr. 3. Chap. 34. §. 1.
Ste CATHERINE DE GÊNES
14. Voyez Consistance. n. 7.
15. Alors lâme voyant que le corps pour la moindre opération divine quil sente se voudrait jeter par terre comme mort, parce quil ne la peut souffrir nétant pas de sa portée, elle désire être en un lieu où elle ne soit point sujette : elle connaît (a) sa prison lorsquelle sent quelque excès du divin amour, mais non pas lorsquelle ny connaît rien autre chose, sinon quelle est unie à Dieu. Toutefois lâme et le corps font et demeurent ensemble avec si grande paix et obéissance et avec un si grand silence, quil ne se trouve pas un seul désir discordant en aucun deux parce que le corps obéit à lâme et lâme à Dieu, de sorte que chacun deux a ce quil lui faut par lordonnance et disposition divine avec une grande paix. En sa Vie, Chap. 30
16. Voyez Mortification. n. 3.
Ste THÉRÈSE
17. Ceci est un recueillement des puissances au-dedans de soi pour jouir de ce contentement avec plus de goût, mais néanmoins, elles ne se (12) perdent et ne sendorment pas ; la volonté seule est occupée de manière que sans savoir comment, elle demeure captive, seulement elle donne son consentement afin que Dieu la mette dans la captivité sachant bien quelle est captive de celui quelle aime. Vie, Chap. 14.
18. Jai déjà dit quen ce premier recueillement les puissances de lâme ne sont point privées de leurs opérations, mais lâme est si contente avec Dieu que pendant que cela dure, quoique les deux autres puissances, à savoir lentendement et la mémoire, soient distraites et vagabondes, néanmoins la volonté étant unie avec Dieu, la quiétude et la tranquillité ne se perd point, au contraire la volonté rappelle peu-à-peu lentendement et la mémoire au recueillement. Car quoiquelle ne soit pas encore toute absorbée en Dieu, si est-ce toutefois quelle est si bien occupée, sans savoir comment, que quelque effort quelles fassent, elles ne lui peuvent ravir son contentement. La-même, Chap. 15.
19. Quand la quiétude est grande et dure longtemps, il me semble que si la volonté nétait liée à quelque chose, elle ne pourrait durer si longtemps en cette paix. Chem. de perf. Chap. 31.
20. O fort et puissant amour de Dieu ! Ah ! quil lui semble quil ny a rien dimpossible à celui qui aime ! Heureuse lâme qui a obtenu cette paix de son Dieu, laquelle Notre Seigneur donne pour triompher de tous les travaux et de tous les dangers du monde, car elle nen redoute aucun pour faire service à un si bon Epoux ! Concep. de lamour de Dieu, Chap. 3.
LE B. JEAN DE LA CROIX
21. Que le spirituel apprenne à se tenir avec un (13) regard amoureux en Dieu, en tranquillité desprit, quand il ne peut méditer. Et sil a scrupule quil ne fait rien, quil croie que ce nest pas peu de calmer lâme et de la tenir en quiétude sans aucune uvre ni appétit, car cest ce que Notre Seigneur nous demande par le Prophète : (a) apprenez à vous évacuer de toutes choses et vous connaîtrez savoureusement que je suis Dieu. Montée du Mont Carmel, Liv. 2. Chap. 15.
22. Cest pourquoi il vaut mieux apprendre à mettre les puissances en silence et les accoutumer à se taire afin que Dieu parle. Car (comme nous avons dit) pour arriver à cet état, il faut perdre de vue les opérations naturelles, ce qui se fait selon le dire du Prophète, quand lâme selon les puissances (b) vient en solitude et que Dieu parle à son cur. La-même, Chap. 39.
23. Que si lâme commence à se laisser aller à la faveur de la dévotion sensible, elle narrivera jamais à la force des délices spirituelles, qui se trouvent en la nudité de lesprit, moyennant le recueillement intérieur. La-même, Chap. 39.
24. Voyez Opérations propres. n.15.
25. Il est bien vrai que souvent quand il y a en lâme de ces communications spirituelles très intérieures et très secrètes, encore que le Diable ne puisse découvrir quelles ni comment elles sont, néanmoins pour la grande pause et grand silence que quelques unes causent dans les sens et les puissances de la partie sensitive, conjecture de là quelle les a et que lâme reçoit quelque grand bien. Nuit de lâme. Livre ? Chap. 23
(14)
26. Or il faut entendre, pour savoir trouver cet Epoux, que le Verbe ensemble avec le Père et le St Esprit, est essentiellement caché dans le centre intime de lâme et partant lâme qui le doit trouver, doit se retirer de toutes les choses créées selon la volonté et entrer dans un très grand recueillement au-dedans de soi-même, ne faisant non plus cas de tout ce qui est au monde que sil nétait point. Cest pourquoi St Augustin sécrie en ses Soliloques : « Seigneur, je ne vous trouvais point dehors, parce que je vous cherchais mal dehors, vous qui étiez dedans. » Dieu donc est (a) caché en lâme, où le bon contemplatif doit le chercher. Cantique entre lEpouse et lEpoux. Coupl. 1.
27. En ce sommeil spirituel que lâme a dans le sein de son bien-aimé, elle possède et goûte tout le repos, quiétude et tranquillité de la nuit paisible, et reçoit conjointement en Dieu une abyssale et obscure intelligence divine. Cest pourquoi elle dit que son ami est pour elle une paisible nuit,
Pareille à laube gracieuse.
Elle dit que cette calme et tranquille nuit nest pas une nuit toute sombre et obscure, mais comme la nuit quand elle approche du point du jour : car ce repos et cette quiétude en Dieu nest pas à lâme du tout obscure comme une sombre nuit, mais un repos et quiétude en lumière divine et une nouvelle connaissance de Dieu en laquelle lesprit, très suavement calme, est élevé à la lumière divine.
En ce repos et silence de la nuit susdite, et en (15) cette notice de la lumière divine, lâme aperçoit une admirable convenance et disposition de la Sagesse de Dieu. Elle appelle cette musique silencieuse ou sans bruit parce que comme nous avons dit, cest une intelligence calme et tranquille sans aucun bruit de voix et ainsi on jouit en elle de la douceur de la musique et de la quiétude du silence. Et elle dit que son Ami est cette musique sans bruit parce quen lui se connaît et se goûte cette harmonie de musique spirituelle. La-même. Couplet 15.
28. Le Diable, au temps que Dieu donne à lâme du recueillement et de la suavité en foi, envie tellement cette paix de lâme, quil tache de jeter de lhorreur et de la frayeur dans lesprit pour empêcher ce bien, parfois comme la menaçant intérieurement en lesprit, et quand il voit quil ne peut arriver à lintérieur de lâme, à cause quelle est fort recueillie et unie à Dieu, au moins par dehors, il met en la partie sensitive de la distraction pour voir sil pourra tirer lEpouse de la quiétude de son lit.
Ces peurs sappellent veillantes à cause que de soi elles font veiller lâme, la réveillant de son doux sommeil intérieur. Cantique entre lEpouse et lEpoux. Couplet 30.
29. Mon âme est si seule, si aliénée et détachée de toutes choses créées supérieures et inférieures et est entrée si avant avec vous dans le recueillement, que pas une delles ne latteint point de vue.
Aminadab nosait paraître.
*Cet Aminadab en lEcriture sainte signifie le Diable, ennemi de lâme, qui la combattait (16) toujours et la troublait par son indicible appareil de tentations, afin quelle nentrât en cette forteresse et cachette du recueillement dans lunion de lAmi dans lequel lieu lâme est si favorisée, victorieuse et forte en vertus que le Diable nose paraître devant elle. Doù vient quétant favorisée de lappui dun tel bras, et le Diable étant tellement mis en fuite, et même lâme qui est arrivée à cet état layant tellement vaincu, il ne paraît plus devant elle.
Par une certaine redondance desprit, la partie sensitive et ses puissances reçoivent la récréation et délectation par laquelle ces puissances sont attirées au recueillement, dans lequel lâme boit déjà les biens spirituels. Ce qui est plutôt descendre à leur vue que les goûter essentiellement. Lâme nuse point dautre terme que de celui de descendre pour donner à entendre que ces puissances descendent de leurs opérations au recueillement de lâme, (a) dans lequel Jésus-Christ Notre Seigneur et très doux Epoux veuille mettre tous ceux qui invoquent son nom. Ainsi soit-il. La-même. couplet 40.
30. Si lâme veut opérer alors du sien, se comportant dautre manière que dune attention amoureuse, fort passivement et tranquillement, sans discourir comme auparavant, elle empêchera les biens que Dieu lui communique en la notice amoureuse, lesquels lui sont communiqués (17) au commencement dans lexercice de purgation et depuis en une plus grande suavité damour, laquelle, comme je dis, et il est ainsi, si on la reçoit passivement dans lâme et à la manière de Dieu, non pas à la façon de lâme, il sensuit que pour la recevoir, lâme doit être fort débrouillée de loisir paisible et calme à la manière de Dieu. Comme lair tant plus il est net, pur et tranquille, tant mieux il est éclairé et échauffé du soleil. Partant elle ne doit être attachée à rien, ni à chose de méditation, ni à goût aucun, soit sensible, soit spirituel, parce quil requiert un esprit si libre et si anéanti que quelque chose que lâme voudrait alors faire, soit discourant, ou pensant à quelque chose de particulier, ou sappuyant à quelque goût, cela lempêcherait et inquiéterait et ferait du bruit dans le profond silence que doit avoir lâme tant au sens quen lesprit, afin quelle puisse entendre cette profonde et délicate parole de Dieu, quil parle au cur en cette solitude, comme il le dit par Osée (a), et quelle écoute en une très grande paix et tranquillité, (comme dit David (b)) ce que parle le Seigneur, parce quil parle cette paix en elle.
* Quand donc il arrivera que lâme se sentira mettre en silence et aux écoutes, le regard amoureux dont jai parlé doit être très simple, sans souci ni réflexion aucune, en sorte quelle loublie presque, pour être tout occupée à entendre, afin que lâme demeure ainsi libre pour ce quon voudra lors delle. Vive flamme damour. Cant. 3. v. 3. §. 6.
(18)
31. Cette manière de calme et doubli vient toujours avec quelque absorbement intérieur, partant lorsque lâme a commencé dentrer en ce simple et tranquille état de contemplation. (a) En nul temps ni saison, elle ne doit vouloir semployer aux méditations, ni sappuyer sur des sucs, des goûts et saveurs spirituelles.
Tâchez dextirper de lâme toutes les convoitises de sucs, de goûts et de méditations, et ne linquiétez avec aucun soin ni sollicitude des choses den-haut et encore moins de celles den bas, la mettant en toute laliénation et solitude possible : car tant plus elle obtiendra cela et tant plutôt elle parviendra à ce calme et tranquillité, avec tant plus dabondance on lui verse lesprit de la sagesse divine, amoureux, tranquille, solitaire, paisible, suave, ravisseur de lesprit, se sentant parfois ravi et doucement navré sans savoir de qui, ni doù, ni comment, parce que cet esprit lui a été communiqué sans opération propre dans le sens qui a été expliqué. Et une parcelle de ce que Dieu opère en lâme en ce saint loisir et solitude est un bien inestimable, et plus que lâme ne saurait penser ni celui qui la gouverne, et on ne peut voir pour lors combien il éclairera en son temps. Au moins ce que lon pourra alors obtenir de sentir, cest une aliénation et une certaine abstraction de toutes choses, tant plus, tant moins, avec un doux respir de lamour et vie de lesprit, avec une inclination à la solitude et un ennui des créatures et du siècle. Car quand on trouve du goût dans lesprit, tout ce qui est de la chair est dégoûtant.
Mais les biens intérieurs que cette tranquille (19) contemplation laisse imprimés en lâme, sans quelle le sente, sont inestimables &c. (Voyez Opérations propres. N. 20) La-même. §.7.
32. Combien Dieu estime cette tranquillité ou cet endormissement, ou anéantissement du sens, on le peut bien voir en cette conjuration si remarquable et tant efficace quil fait au Cantique, disant (a) : Je vous en conjure, ô filles de Jérusalem, par les cerfs et par les chèvres des campagnes de ne point éveiller ma bien-aimée jusquà ce quelle le veuille. En quoi il donne à entendre combien il aime lendormissement et loubli solitaire, puisquil interpose ces animaux solitaires et retirés. Mais ces Maîtres spirituels ne veulent pas que lâme repose et demeure dans le calme, mais quelle travaille et opère toujours, en sorte quelle ne donne point lieu à lopération divine et ils font que ce que Dieu va opérant se détruise et sefface par lopération de lâme et c. La-même. §.11.
LE P. NICOLAS DE JESUS-MARIA
rapporte
33. St. Augustin parlant de la plus haute Contemplation. Là on voit la vérité claire sans aucune semblance de corps, elle nest offusquée daucun nuage de fausses opinions. Là, les facultés de lâme ne sont point opprimées ni laborieuses ; là toute vertu (et qui est seule), cest daimer ce que vous voyez, et la plus grande félicité, cest davoir ce que vous aimez (Livr. 12. Sur la Genès. Ch. 12.) Alors le spirituel aura commencé de (b) juger toutes choses et lui, de nêtre jugé de personne, bien quen cette vie, il (20) regarde encore comme par un miroir (Traité 102. Sur St Jean ) Eclairciss. des Phr. Myst. de J. de la Croix. P. II. Ch. 3. §. 3
34. Si le tumulte de la chair ne faisait plus aucun bruit dans une âme, si les fantômes et espèces de la terre, des eaux, de lair et du Ciel même la laissaient en repos, ne lui disant plus rien ; si lâme ne se disait plus rien elle-même et quelle passât au-delà de soi sans rien penser de soi et que dans cet état la vérité même lui parlât, non par ces sortes de songes ou de révélations qui se passent dans limagination, ni par des voix extraordinaires, ni par aucun autres de ces signes par où il a plu quelque fois à Dieu de se faire entendre, ni par la voix daucun homme, ni même par celle dun Ange, ni par le bruit du tonnerre, ni par les énigmes des figures et des paraboles, parce que toutes ces choses disent à qui a des oreilles pour entendre : nous ne sommes que louvrage de celui qui subsiste éternellement. Supposé donc quaucune de ces choses ne parlât à cette âme ou quelles ne lui disent que ce seul mot et quaprès cela, elles se tussent pour lui donner moyen de porter toute son attention vers celui qui les a faites, et que nous aimons en elles et quelle lentendit lui-même, comme nous avons fait en ce moment, où nous étant élevés au-dessus de nous-mêmes, nous avons atteint cette Sagesse suprême qui est au-dessus de tout et qui subsiste éternellement. Que ce qui na fait que passer comme un éclair à notre égard fut continu à légard de cette âme dont nous parlons et que sans être partagée par aucune autre vision, elle fût abîmée et absorbée tout entière (21) dans la joie toute intérieure et toute céleste de celle-ci et se trouvât fixée pour jamais dans létat où nous nous sommes vus dans ce moment de pure intelligence qui nous a fait soupirer damour et de douleur de ny pouvoir subsister : ne serait-ce pas là cette joie du Seigneur dont il est parlé dans lEvangile ? (Confess. Livr. 9. Chap. 10.) La-même.
35. Hugues de St Victor. Voyez Oraison. §. III. N. 14
36. Le Père Barthélemy des Martyrs. Voyez Opérations propres. n. 24.
37. St Bernard, (ou plutôt lAbbé Guillaume.). Cest ici la fin, cest la consommation, la perfection, la paix, la joie divine, cest la joie du St Esprit, cest le silence au ciel. Car pendant que nous sommes en cette vie, lamour jouit quelque fois du silence de cette très heureuse paix dans le ciel, cest-à-dire dans lâme du juste, qui est le siège de la Sagesse, mais cest une demi-heure ou presque ce temps-là, et pour ce qui reste des pensées, lintention en fait une fête perpétuelle au Seigneur. (De lamour et contemplation de Dieu. Chap. 4.)La-même. §. 8.
38. Richard (expliquant ces paroles du Psaume 23. V. 3. Qui montera en la montagne du Seigneur, ou qui demeurera en son saint lieu ?) Cest une chose rare de monter en cette montagne, mais beaucoup plus rare dy demeurer au sommet et de sy arrêter, mais très rare dy habiter et de se reposer en la montagne. (Préparat. A la Contempl. Ch. 76.) La-même.
39. D. Barthélemy des Martyrs. Voyez Opérations de Dieu. n. 10.
40. Suarez. La pensée de Dieu même sunit (22) mieux avec son amour que la pensée ou la connaissance de son amour. Car cest là la pensée dune chose créée qui ne conduit pas par elle-même à un tel amour et même il arrive que lorsque lâme est portée vers Dieu par amour, si elle est occupée autour de soi ou de ses actes, comme faisant réflexion sur ces actes, pensant ce quelle fait, elle est distraite et sattiédit en lamour de Dieu. (De loraison. Ch. 4 et c.) La-même, Ch.4 §. 2.
41. Blosius. Ici à cause de la connaissance, étant faite sans connaissance, lâme se repose en Dieu seul aimable, nu, simple et non connu. Car la lumière divine est inaccessible à cause de sa trop grande clarté, doù vient quelle est appelée obscurité. (Institut. Spirit. Chap.12.) La-même. §. 2
42. Le P. Louis du Pont. Ce repos semble être le sommeil que, dans le Cantique, Dieu commande aux âmes de garder. (a) Je vous en conjure, ô filles de Jérusalem, de néveiller ni faire éveiller ma bien-aimée jusquà ce quelle le veuille. LEpouse répond, cette voix est de mon Bien-aimé, ce morceau si doux et avec sûreté ne peut venir que de sa main. (Vie dAlvarez. Ch. 13.) La-même. §. 7.
43. Laquelle explication, (ajoute le P. Nicolas de Jésus-Maria) St Bernard avait donné auparavant, comme aussi St Anselme, Rupert et St Thomas, lesquels se sont tous servis à ce sujet du mot de sommeil. Il est dit en lEcriture (b) : Dieu envoya un sommeil à Adam, auquel lieu dautres lisent : Dieu envoya une extase à Adam, entendant par cet assoupissement ou sommeil quelque contemplation sublime : car ainsi linterprètent St Ambroise, St Grégoire, St Jean Chrysostome, St Isidore et dautres commentateurs avec lesquels saccordent, touchant la dite manière de parler, le Bienheureux Thomas de Villeneuve (sur le Cantique) et Suarez au Livre 2 de lOraison. La-même avec beaucoup de citations.
Le même Père rapporte encore
44. Richard de St.Victor. Etre esprit en lesprit, cest entrer en soi-même et se recueillir tout au-dedans de soi, et cependant ignorer entièrement ce qui se passe en la chair et autour de la chair. La-même. Chap. 12. §. 2.
LE P. JACQUES DE JESUS
45. St Denis appelle (a) cette contemplation la très claire nue du silence qui enseigne secrètement et remplit les entendements aveugles : tout y sonne nuit, silence, ténèbres, ne pas voir, ne pas opérer, abandon des puissances, et comme une réduction de lâme à son essence, laquelle se tenant vaincue et ainsi recueillie et comme mystiquement essentialisée en soi, se livre toute en union amoureuse et affective à Dieu qui assiste intimement, réellement et présentiellement selon son essence divine en lessence de cette âme amie, non seulement par titre dimmensité, mais encore par titre damitié. Notes sur J.de la Croix. Disc. 1. Phras. 4. §. 3.
ST FRANÇOIS DE SALES
46. Je ne parle pas ici du recueillement par lequel ceux qui veulent prier se mettent en la présence de Dieu, rentrant en eux-mêmes et retirant (24), par manière de dire, leur âme dans leur cur pour parler à Dieu. Car ce recueillement se fait par le commandement de lamour, qui nous provoquant à loraison, nous fait prendre ce moyen de la bien faire, de sorte que nous faisons nous-mêmes ce retirement de notre esprit. Mais le recueillement dont jentends parler ne se fait pas par le commandement de lamour mais par lamour même. Cest-à-dire : nous ne le faisons pas nous-mêmes par élection, dautant quil nest pas en notre pouvoir de lavoir quand nous voulons et ne dépend pas de notre soin. Mais Dieu le fait en nous par sa très sainte grâce. Celui, dit la bienheureuse Mère Thérèse de Jésus, qui a laissé par écrit que loraison de recueillement se fait comme quand un hérisson, ou une tortue, se retire au-dedans de soi, lentendait bien. Hormis que ces bêtes se retirent au-dedans delles-mêmes quand elles veulent, mais le recueillement ne gît pas en notre volonté, mais il nous vient quand il plait à Dieu de nous faire cette grâce. Or il le fait ainsi. Rien nest si naturel au bien que dunir et attirer à soi les choses qui le peuvent sentir, comme font nos âmes, lesquels les tirent toujours et se rendent à leur trésor, cest-à-dire à ce quelles aiment : il arrive donc quelque fois etc. (Voyez Présence de Dieu. N. 20.) De lAmour de Dieu. Livr. 6. Chap. 7.
47. Ainsi arrive-t-il à plusieurs saints et dévots fidèles quayant reçu le divin Sacrement qui contient la rosée de toutes bénédictions célestes, leur âme se resserre et toutes leurs facultés se recueillent non seulement pour adorer ce Roi souverain nouvellement présent dune présence (25) admirable en leurs entrailles, mais pour lincroyable consolation et rafraîchissement spirituel quils reçoivent de sentir par la foi le germe divin de limmortalité en leur intérieur. Où vous remarquerez que tout ce recueillement se fait par lamour qui sentant la présence du Bien-aimé par les attraits quil répand au fond du cur rapporte et ramasse toute lâme vers lui par une très aimable inclination, par un très doux contournement et par un délicieux repli de toutes les facultés du côté du Bien-aimé, qui les attire à soi par la force de sa suavité avec laquelle il lie et tire les curs, comme on tire les corps par les cordes et liens matériels.
Mais ce doux recueillement de notre âme en soi-même ne se fait pas seulement par le sentiment de la présence divine au milieu de notre cur, mais en quelle manière que ce soit, que nous nous mettions en cette sacrée présence, il arrive quelque fois que toutes nos puissances intérieures se resserrent et ramassent en elles-mêmes, par lextrême révérence et douce crainte qui nous saisit, en considération de la souveraine Majesté de celui qui nous est présent. La-même.
48. Lâme donc à qui Notre Seigneur donne la sainte quiétude amoureuse en loraison se doit abstenir, tant quelle peut, de se regarder soi-même, ni son repos lequel pour être gardé ne doit point être regardé curieusement, car qui laffectionne trop le perd. Et comme lenfant qui pour voir où il a ses pieds, a ôté sa tête du sein de sa mère, y retourne tout incontinent parce quil est fort mignard, ainsi faut-il que si nous nous apercevons dêtre distraits par la (26) curiosité de savoir ce que nous faisons à loraison, soudain nous remettions notre cur en la douce et paisible attention de la présence de Dieu, de laquelle nous nous étions divertis. Néanmoins il ne faut pas croire quil y ait aucun péril de perdre cette sacrée quiétude par les actions du corps ou de lesprit, qui ne se font ni par légèreté, ni par indiscrétion, car comme dit la bienheureuse Mère Thérèse, *cest une superstition dêtre si jaloux de ce repos que de ne vouloir ni tousser, ni cracher, ni respirer de peur de le perdre. Dautant que Dieu qui donne cette paix ne lôte pas pour de tels mouvements nécessaires, ni pour les distractions et divagations desprit quand elles sont involontaires. + Et la volonté étant une fois bien amorcée à la présence divine (a) ne laisse pas den savourer les douceurs, quoique lentendement et la mémoire se soient débandés et échappés. Il est vrai qualors la quiétude de lâme nest pas aussi grande que si lentendement et la mémoire conspiraient avec la volonté, mais toutefois elle ne laisse pas dêtre une vraie tranquillité spirituelle, puisquelle règne en la volonté qui est (b) la maîtresse de toutes les autres facultés. Mais pourtant la paix de lâme serait bien plus grande et bien plus douce si on faisait point de bruit autour delle et quelle neût (27) aucun sujet de se mouvoir, ni quand au cur, ni quand au corps, car elle voudrait bien être toute occupée en la suavité de cette présence divine, mais ne pouvant quelque fois sempêcher dêtre divertie aux autres facultés, elle conserve au moins la quiétude en la volonté qui est la faculté par laquelle elle reçoit la jouissance du bien. Et notez qualors la volonté retenue en quiétude par le plaisir quelle prend en la présence divine, elle ne se remue point pour ramener les autres puissances qui ségarent, dautant que si elle voulait entreprendre cela, elle perdrait son repos, séloignant de son cher Bien-aimé et perdrait sa peine de courir çà et là pour attraper ces puissances volages, lesquelles aussi bien ne peuvent être aussi utilement appelées à leur devoir que par la persévérance de la volonté en la sainte quiétude, car petit à petit, toutes les facultés sont attirées par le plaisir que la volonté reçoit et duquel elle leur donne certains ressentiments, comme des parfums qui les excitent à venir auprès delle pour participer au bien dont elle jouit. De lamour de Dieu, Liv. 6. Chap. 10.
LE FRÈRE JEAN DE ST SAMSON
49. Qui ne vous aimera, mon amour et ma vie, naura jamais en soi ni paix ni repos, car il ny a point de paix ni de repos quen vous, et hors de vous, tout nest que vanité et affliction desprit sur la terre. On ne peut dire que repos des méchants, sils en ont, soit un vrai repos : il nest que bestial et encore moindre que celui des bêtes. Mais lhomme malheureux na de repos ici-bas que pour le moment, trouvant toujours qui contrarie son appétit. Et ainsi pauvre et (28) misérable quil est, il va consumant sa triste vie à la recherche dun repos feint et simulé que vos amoureux estiment pire que lenfer. Contemplat. 4.
LAUTEUR DU JOUR MYSTIQUE
50. Loraison de repos mystique savoureux est une plaisante et agréable tranquillité, ou repos desprit, avec une allégresse de tout lintérieur qui est accompagnée dune inclination et mouvement au bien. Livr. I.Traité I. Ch. 6. Sect. 1.
51. Cette oraison, dit St Bonaventure (a), est une admirable et suave tranquillité, procédante en lâme dune douceur infuse qui lui est accordée en faveur de ses oraisons fréquentes. Lexpérience de ce repos ne se donne quà ceux qui sont grands spirituels.
Harphius (b) dépeint ce même repos avec dautres couleurs. Alors, dit-il, le Père céleste élance de sa face une certaine lumière brillante et simple en la plus haute pointe de la plus simple et nue pensée etc. La-même. Sect. 3.
Le jour Mystique ne parle dautre chose que de lOraison de repos dans le Livr. I. Trait. I. depuis le chap.3 jusquau 13. Ou dernier, le tout soutenu dautorités.
(29)
§. II. Silence.
ST JEAN CHRYSOSTOME.
1. Le silence est le langage des Anges, lEloquence du Ciel et lart de persuader Dieu.
STE THÉRÈSE.
2. Voyez Prière vocale. n. 12.
LE B. JEAN DE LA CROIX
3. Il dit dans son Enigme, ou dans la figure mise devant ses uvres, que lâme qui est au haut de la montagne, est dans un silence divin et dans un banquet perpétuel.
LE P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA
rapporte.
4. Tauler. Ici il se fait un certain silence intérieur et muet, et il ny est pas permis de proférer aucune parole, ni même de rien opérer, ni dedans, ni dehors. Mais lesprit souffre une certaine passion douce, insensible et ineffable dans le miracle surprenant de la Déité abyssale très clairement surluisante, (Institutions. Chap. 12.) Eclairciss. des Phras. Myst. De J. de la Croix. P. II. Chap. 4. §. 3.
ANTOINE DE ROYAS.
5. Il y a trois façons de se taire dans le recueillement. La première, quand tous les fantômes, toutes les imaginations et toutes les espèces des choses visibles cessent dans lâme, en sorte quelle se tait à tout ce qui est créé et demeure endormie pour toutes les choses temporelles, et quainsi nous taisant au-dedans de nous, comme le dit St Grégoire, nous nous recueillons au-dedans de notre âme, pour contempler notre Créateur, ne désirant aucune chose de ce (30) monde. Au contraire, tachant de chasser de notre cour tout mouvement des choses illicites et même des licites autant quon peut, comme lenseigne le Docteur Angélique, des viandes, des vêtements, des pensées licites, et ainsi on jouit dune grande tranquillité.
La seconde façon de se taire dans le recueillement, cest quand lâme étant mise en silence a une espèce doisiveté spirituelle, demeurant couchée avec Madeleine aux pieds de Notre Seigneur, disant ces paroles : (a) Jécouterai ce que le Seigneur parle en moi, et que Dieu dit à cette âme : (b) Ecoutez, ma fille, oubliez la maison de votre père et le Roi concevra de lamour pour votre beauté. Or cette seconde sorte de silence se compare à bon droit à une attention, car celui qui écoute, non seulement il se tait à légard des autres choses, mais encore, il veut que tout se taise à son égard, afin quil se convertisse plus parfaitement à celui qui lui parle.
St Grégoire déclare cette manière denseigner dont Dieu se sert disant (c) que les paroles de Dieu sont sans paroles, quil enseigne celui qui se dispose pour entrer en son école à être son disciple, sans syllabes, sans bruit et sans voix.
Le troisième silence de lentendement se fait en Dieu, quand lâme se transforme tout en lui et que la volonté savoure la douceur de Dieu et sendort en lui comme dans la cave des vins et se tait, (d) ne désirant rien davantage (31) puisquelle se trouve satisfaite. Au contraire, elle dort à soi-même, soubliant de la faiblesse de sa condition, parce quelle se voit toute divinisée.
Dans cette troisième sorte de silence, il arrive que lentendement est si tranquillisé et si occupé, quil nentend rien de tout ce quon lui dit, comme on rapporte dun saint Vieillard qui sexerçait en ce silence depuis cinquante ans. Vie de lEsprit. P. I . Chap. 18.
6. Toute sorte de connaissances, dit St Grégoire (a), étant disproportionnée pour connaître Dieu, il faut fermer les yeux si on le veut parfaitement contempler, à la façon de cette bonne Vieille, qui entrant dans lEglise, disait à Dieu avec beaucoup de dévotion : Seigneur, que ce que je vous souhaite marrive, et que ce que vous me souhaitez marrive. Et aussitôt avec la foi de ce quelle était avec Dieu, et sabandonnant entre ses mains, elle se taisait intérieurement et extérieurement, demeurant dans cette connaissance négative dont nous avons parlé. La-même. Dans les avis après le chap. 20.
7. Saint Augustin disait à Dieu : ô mon très doux Seigneur, faisons un accord, à savoir que je mourrai à moi-même, à condition que vous vivrez en moi, dedans et dehors de moi. Je garderai le silence, mais à condition que vous parlerez en moi et quétant assis en la chaise de mon cur, vous menseignerez comme celui qui est le Maître universel et de moi et de tout le monde. Je demeurerai ferme et immobile comme une borne, sans remuer ni pied ni main, me contentant de la vérité de la foi et de la résignation entre vos mains. Avec cela le Saint demeurait (32) comme un mort à légard de toutes les choses sensibles et de tout le créé avec un grand silence et beaucoup de quiétude. La-même, part. Part. II. Chap. 20.
Le même auteur rapporte
8. St Bernard. Le silence continuel et le détachement ou labstraction de tout ce qui nest pas Dieu, (autant que le permet lobligation de létat de chacun), dispose lâme pour lunion avec Dieu et oblige sa divine Majesté à nous favoriser de la contemplation. (Sur le Cantique.) Vie de lEsprit. Part. I. Chap. I.
9. St Thomas. Deux choses sont nécessaires : la première est de recueillir lâme au-dedans de soi-même, la retirant de la diversité des choses extérieures, la seconde est quelle laisse le discours de la raison. (Ult. 2. Quest. 80. Art. 6.) La-même, Chap. 19.
Mons. OLIER
10. Le Prophète dit que la grandeur, la beauté et la sainteté de Jésus-Christ doivent être honorées par le silence. En effet, il ny a point de parole qui ne soit indigne de lui. Toutes les expressions et les louanges sont au-dessous de ce quil est ; Il est ineffable et lon ne peut parler dignement de lui en sa présence. Sainte Magdeleine nest pas accusée doisiveté pour ne dire mot en la présence de Jésus. Elle le regarde, elle lentend, elle est pleine de lui et ne peut rien vouloir que lui. Elle est contente en tout, et rien ne peut entrer en elle que son Tout-aimé. Cette âme recevait sans rien dire. Elle était occupée sans parler. Elle était en tendance universelle de toute elle-même vers lui. Son amour était vivant, et quoiquil fût renfermé en elle, il était très bien (33) connu de son Epoux, qui lopérait dans le fond de son âme.
Soyez donc en paix dans votre silence, lorsque le Bien-aimé par sa présence vous réduira en cet état et vous obligera à vous taire pour vous obliger à le voir, à le considérer, à lentendre et à porter en paix ses opérations. Il nest jamais présent à lâme sans la vivifier, et sans opérer en elle quelque renouvellement imperceptible. Lettre 123.
Le P. EPIPHANE LOUIS rapporte
11. St Augustin. Voyez Abandon. N. 34.
L. II. Rassasiement.
MOYEN COURT.
Comme tous sont appelés à la béatitude, tous sont aussi appelés à jouir de Dieu, et en cette vie et en lautre, puisque la jouissance de Dieu fait notre béatitude.
Je dis de Dieu lui-même et non de ses dons qui ne pourraient faire la béatitude essentielle, ne pouvant pas contenter pleinement lâme. Car elle est si noble et si grande que tous les dons de Dieu les plus relevés ne pourraient la rendre heureuse si Dieu ne se donnait lui-même à elle.
On dira que lon feint dy être. Je dis que cela ne se peut feindre, puisque celui qui meurt de faim ne peut feindre, surtout (34) pour longtemps, dêtre dans un rassasiement parfait. Il lui échappera toujours quelque désir ou envie et il fera bientôt connaître quil est bien loin de sa fin. Ch. 24. N. 12, 13.
AUTORITÉS
St DENIS.
1. Voyez Consistance. N. 1.
Ste CATHERINE de GÊNES.
2. Voyez Non-désir. N. 6.
3. Ô pauvre langue qui ne trouve point de mots ! Ô pauvre entendement, tu es vaincu ! Ô volonté, combien es)tu en repos ! Tu ne veux plus autre chose, parce que tu es noyée de ton rassasiement. Vie, Chap. 21.
4. Voyez Perte. N. 19.
Ste THÉRÈSE.
5. Lâme est si contente de se voir près de la fontaine que même sans boire, elle est toute rassasiée. Il lui semble quil ny a rien à désirer. Chem. de perf. Chap. 31.
Le B. JEAN de la CROIX
6. voyez Quiétude. §. II. N. 3.
7. Il faut savoir que lâme se voit tellement investie du torrent de lesprit de Dieu et être maîtrisée de lui avec tant de force, quil lui semble être inondée de toutes les rivières du monde quinvestissent et noient toutes ses actions et passions dans lesquelles elle était auparavant. Et bien que cela se fasse avec tant de force, cest sans tourment parce que ces fleuves sont fleuves de paix, comme lEpoux dit par Isaïe : (35) (a) Je ferai descendre sur elle comme un fleuve de paix et comme un torrent qui dégorge la gloire. Et ainsi il la remplit toute de paix et de gloire.
La féconde propriété que lâme sent, cest que cette eau divine remplit les vides de son humilité et comble le creux de ses appétits, selon que le dit saint Luc : (b) Il a rempli de biens les affamés. Cantique entre lEpouse et lEpoux. Couplet. 14.
8. Car en répandant ses odeurs
Lesquelles sont par sois en si grande abondance, quil semble à lâme être revêtue de délices et baignée dans une gloire inestimable, en sorte quelle sent cela non seulement au dedans, mais encore il a coutume den rejaillir tant à lextérieur, que ceux qui y prennent garde de près le reconnaissent bien et il leur semble que cette âme est comme un jardin plein de délices et de richesses de Dieu. Et non seulement on aperçoit cela quand ces fleurs sont ouvertes, en ces saintes âmes, mais (c) ordinairement elles portent en soi un je ne sais quoi de grandeur et de dignité qui cause du respect et de la retenue aux autres par leffet surnaturel qui se répand dans le sujet, provenant de la prochaine et familière communication avec Dieu, comme il est dit de Moïse. La-même, Coupl. 27.
9. Toute la fin et tout le désir de lâme et de Dieu en toutes ses uvres, cest la consommation de cet état et jamais lâme ne se repose jusquà tant quelle y arrive parce quen cet état, il y a bien plus grande abondance et réplétion (36) de Dieu, une paix plus assurée et plus fiable, et une suavité plus parfaite sans comparaison quaux fiançailles. La-même. Couplet 28.
10. Encore quil soit vrai que cette communication est lumière et feu de ces lampes de Dieu, ce feu est si suave, quencore que ce soit une flamme immense, cest comme des eaux-de-vie qui rassasient et qui étanchent la soif. Vive Flamme damour. Cantiq. I. v. 1.
11. Ce grand sentiment arrive dordinaire vers la fin de lillumination et purification de lâme, avant quelle parvienne à lunion parfaite où les puissances se rassasient et satisfont pour lors. La-même. V. 3. §. 1.
Le Fr. JEAN de SAINT SAMSON.
12. Là, le vide est tout plein, mais par différence du plein et sans différence du plein. Là, le vide ou indigent, qui nest cependant ni vide ni indigent est surcomblé du plein, du plus plein, du très plein et même de la plénitude. Cabinet Mystique, Part. I, Chap. 8.
LAUTEUR DU JOUR MYSTIQUE.
13. Lunion amoureuse, dit Gerson (a), en laquelle consiste la Théologie Mystique, tranquillise lâme, rassasie sa faim et laffermit. Car comme chaque chose se tient en repos, lors quelle a acquis sa perfection et que notre esprit par amour est conjoint au Souverain Bien perfectionnant, il faut ensuite par nécessité quil y trouve son repos, son rassasiement et sa sureté. Liv. I. Trait. I. Chap. 10. Sect. 4.
14. Cette opération, dit Harphius (b), saccomplit (37) en la savoureuse volupté des délices spirituelles dont la suavité étant goûtée, en même temps le cur et toutes les puissances sensitives sont abreuvées dun torrent dune volupté divine, en sorte que lâme aimante embrasée par le divin Epoux et regorgeante de plaisirs célestes, et comme pénétrée dune ivresse spirituelle dun vin délicieux, nen peut contenir la force ni labondance sans quelle éclate au-dehors. Livre 3. Traité 6. Chap. 8. Sect. 4.
L III. Réflexions.
Je crois avoir fait assez voir dans les articles Abandon, Mort, Perte, Propriété, Purification etc. limportance de ne point réfléchir sur soi. Cest pourquoi jen dirai peu.
MOYEN COURT.
Lâme ne saperçoit point de son acte parce quil est direct et non réfléchi. Chap. 22. n. 6.
CANTIQUE.
Cette Amante ne sait pas que son regard est devenu si épuré, quétant toujours direct ( $$$$) et sans réflexion, elle ne connaît point son regard. Ch. 4. V. 9.
(38)
Le véritable amour na point dyeux pour se regarder soi-même. Ch. 5. V. 8.
Si cette Epouse avait pensé à elle-même, elle aurait dit : (a) Ne mappelez pas belle, elle aurait usé de quelque parole dhumilité. Mais elle est incapable de tout cela, elle na quune seule affaire, cest la recherche de son Bien-aimé. Elle ne peut penser quà lui et quand elle se verrait précipitée dans labîme, elle ny ferait point de réflexion. La-même.
AUTORITÉS.
Il faudrait écrire tout Jean de la Croix pour dire tous les endroits où il fait voir le dommage des réflexions. Et il y a tant de rapport aux propres opérations que je ne répète point ce qui en a été dit sous cet article-là.
HENRI SUSO.
1. Voyez Anéantissement. N. 5.
RUSBROCHE.
2. Parlant des Illuminés, il dit entre plusieurs autres choses que ce sont des gens remplis dune certaine inclination déréglée de lamour (b) naturel, qui est toujours réfléchi sur soi-même. Voyez Propriété. N. 23.
Le B. JEAN DE LA CROIX.
3. Voyez Quiétude. §. I. n. 30.
(39)
Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA
rapporte
4. Le P. Thomas de Jésus. Dans cette union de lâme avec Dieu, la force de lâme est tellement absorbée et retirée de ses autres opérations, quelle ne peut en aucune manière réfléchir sur elle-même, ou sur les actes de ses puissances. (de la Contemplat. Livre 5. Chap. 13.) Eclaircissem. des Phras. De Jean de la Croix, Part. II. Chap. 4.
S. FRANÇOIS DE SALES.
5. Il y a des esprits actifs, fertiles et abondants en considérations ; il y en a qui sont souples, repliants et qui aiment grandement à sentir ce quils font, qui veulent tout voir et éplucher ce qui se passe en eux, retournant perpétuellement la vue sur eux-mêmes pour reconnaître leur avancement. Tous ces esprits sont ordinairement sujets dêtre troublés en la sainte oraison. De lAmour de Dieu, Livr. 6. Chap. 10.
6. Voyez Abandon. N. 22.
Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
7. Voyez Franc-arbitre. N. 5.
8. Lamour excessivement réfléchi sur soi ne rend que trop souvent et facilement son sujet imaginaire, si bien quil demeure pris dans leffort de son imagination, quoique plus ou moins spiritualisée. Et vivant delle plus que de la foi nue, il la croit et la suit au grand préjudice de Dieu, et à son dommage propre. Diverses lumières appartenantes à la vie contemplative. N. 71.
(40)
L IV. Renoncement.
MOYEN COURT.
Cest pourquoi il est si nécessaire de renoncer à soi-même et à ses opérations propres, pour suivre Jésus-Christ, car nous ne pouvons point suivre Jésus-Christ si nous ne sommes animés de son Esprit. Or afin que lEsprit de Jésus-Christ vienne en nous, il faut que le nôtre lui cède la place. CH. 21. N. 7.
CANTIQUE.
Les Directeurs que Jésus-Christ a véritablement rendus ses compagnons, se les associant pour le gouvernement des âmes, nétant pas morts eux-mêmes, ni crucifiés au monde avec Jésus-Christ, napprennent pas à leurs dirigés à se renoncer et crucifier et mourir en toutes choses, afin de ne vivre quen Dieu seul et que Jésus-Christ vivent en eux. Doù il arrive que les uns et les autres étant dans une vie fort naturelle et immortifiée, leur conduite est aussi fort humaine. CH. I.V.6.
Comment sortir de soi ? Par le renoncement et par la fidélité à se poursuivre en toutes choses, sans se permettre aucune satisfaction naturelle et sans prendre vie en soi ni en rien de créé.
Cette sortie de soi-même par le renoncement continuel de tout propre intérêt est lexercice intérieur que lAmant céleste conseille aux âmes qui soupirent après le baiser de la bouche. La-même. V. 7.
AUTORITÉS.
LIMITATION DE JÉSUS-CHRIST
1. Lorsque je me vois destitué de la grâce et abandonné à ma pauvreté, il ne me reste point alors de meilleur remède que la patience et lentier renoncement à moi-même, pour ne rien vouloir que ce que Dieu veut. Livr. 2. Chap. 9. §. 6.
2. Quittez tout et vous trouverez tout. Renoncez à tous les vains désirs et vous trouverez le vrai repos. Livr. 3. Chap. 32. §. I.
3. Voyez Propriété. N. 4 et 5.
Le B. JEAN DE LA CROIX
4. Voyez Sortie de soi. N. 10.
5. Ceux qui sont enclins à ces goûts ont une autre grande imperfection, à savoir quils sont fort lâches à marcher par le rude chemin de la Croix dautant que lâme qui aime la saveur, naturellement a du dégoût de labnégation. Ils ont plusieurs autres imperfections qui leurs naissent (42) de là et que notre Seigneur guérit avec le temps, par des tentations, dégoûts, aridités et travaux qui font partie de la nuit obscure. La sobriété et la tempérance spirituelle a une trempe et propriété bien différente, vu quelle incline lâme en tout à a mortification, crainte et subjection, faisant voir que la valeur et perfection des choses ne consiste pas en la multitude, mais à savoir renoncer à soi-même, ce quils doivent essayer de faire autant quil sera en eux, jusquà ce que Dieu les veuille entièrement purifier, les mettant dans la nuit obscure. Obscur. Nuit. Livr.I.Chap. 6.
Le P. NICOLAS DE JÉSUS MARIA
rapporte
6. D. Barthelemi des Martyrs. Voyez Propriété. N. 24.
Le Fr. JEAN de SAINT SAMSON.
7. Lamour renoncé, ou la renonciation et abnégation évangélique, est un abandon entier de tout soi à Dieu en toutes choses, sans aucune exception ni douvres ni de temps. En vertu duquel abandon, la créature nagit, ne pâtit, ne veut, nordonne et naccepte rien pour soi ni pour son propre contentement, mais pour le seul bon plaisir de Dieu infini. Autant de fois quil se présente occasion de vraie perte et abandon de tout soi-même à Dieu, pour son infini amour, lâme vraiment amoureuse le fait toujours sans exception.
En effet, lhomme qui veut vivre à Dieu et laimer comme il faut, doit par nécessité mener une vie renoncée, et Dieu désire cela de nous tous, parce que cette sorte de vie est une disposition nécessaire à son amour et quelle nous est plus conforme, quoique plus fâcheuse au sens et à la nature. Or ce qui rend une telle vie si difficile à aborder, et même si inconnue, cest que lhomme nest presque jamais que dans les sens. Sil monte plus haut que les sens, il ne veut concevoir les choses divines que par voie dentendement et croit que tout la sainteté doit consister en la forte élévation et dans le lustre de son entendement illuminé de Dieu pour le connaître et le goûter. De là vient que lhomme ne veut point de cette vie renoncée, etc. (Voyez Opérations propres. N. 27.) Esprit du Carmel. Chapitre II.
8. Il faut encore savoir que les sujets de renonciation ne sont que peu de chose, tandis quon a inclination selon Dieu, de se porter ou non à quelque acte de mortification, quoique cela soit de grand mérite si on sy porte par le seul motif du pur amour. Mais la vraie vie renoncée en totale conformité et uniformité est lorsque Dieu, ou les hommes, ou lun est lautre ensemble, exigent de nous que nous allions et vivions à sens tout contraire de nous-mêmes, sans considérations de temps, de lieu, ni de personnes.
Quant à la soustraction des satisfactions momentanées que nous ôtons à nos sens, cela est mieux appelé mortification que renonciation. Car la renonciation regarde les choses qui sont de durée et qui nous sont si dures et contraires, quil semble que nous nayons point de liberté pour nous en délivrer ou pour faire autrement que ce qui se présente à souffrir, quoique nous soyons très libres, même à vouloir cela en notre amoureux désir et en notre amoureuse souffrance. Que si les croix, tant desprit que du corps,(44) nous sont si douloureuses, pesantes et ennuyeuses, et de si grande durée que cela passe encore au-delà de ce que je viens de dire, alors nous passons de létat de renonciation à celui de résignation. Là-même.
9. Cette vie renoncée est si surnaturelle, quelle est par-dessus tous les miracles que les Saints ont opérés et opèrent en Dieu. Aussi se trouve-t-il très peu dhommes qui lexercent fidèlement. Car il y a beaucoup à pâtir et même, ce me semble, parfois tout (ce quil ne faut pourtant pas croire) mais il semble que cela est ainsi, à cause de la grande nudité, destitution et faiblesse dont on est aggravé, avec une totale ignorance de soi et de Dieu, et une entière effusion de ses puissances inférieures. Ce qui fait quon ne sait si on est mort ou vif, si on perd ou si on gagne, si on consent ou si on résiste. Cest là que lâme agonisante, rendant la vie à Dieu, meurt et expire plus de douleur et dangoisse que damour, ce lui semble. Mais cette amoureuse douleur et angoisse quelle souffre entre ses bras divins, demeurant là pour jamais entièrement soumise, renoncée et résignée à tout ce qui est de son bon plaisir. Or cette perfection est totalement accomplie et consommée, quand on est devenu simple et fort en habitude passive, soit pour contempler Dieu éternellement en très simple et très nue adhésion, ou pour lui adhérer simplement et uniquement en moindre état et constitution. Ou bien pour être totalement perdu et submergé en cette mer infiniment large, vaste et profonde, en laquelle on est totalement refus (reçu $$$$$$$), simple et éternel, comme elle-même par-dessus toute distinction. Là-même.
(45)
10. Voyez Opérations propres. N. 29.
11. Mais comme il nest pas tant ici question de cet amour actif, comme du passif, vraiment et entièrement renoncé pour toujours, tant à sentir quà ne sentir pas les grâces et dons de Dieu et autres choses semblables, ce dernier nous est bien plus sortable parce que nous y pouvons donner plus de satisfaction à Dieu quen létat précédent. Cest donc à quoi il faut nous résoudre, ne laissant rien à faire ou à endurer qui soit en notre pouvoir, afin deffectuer selon le bon plaisir de Dieu notre Amour.
Or cest un profond secret, quamour hautement exercé en soi-même, par tout le sujet, en tout son objet qui est Dieu, est infiniment autre en état et en constitution, que dagir et de vivre seulement selon la volonté de Dieu. Quand vous serez perdu entièrement au vaste infini du total océan du même amour, vous verrez si je dis vrai et pourquoi. Jai bien voulu le dire, afin que vous laissiez le moins noble pour le plus noble et ce qui est moins, quoique beaucoup, pour avoir le tout. Miroir et flammes damour. Chap. 3.
12. Voyez Abandon. N. 32.
Ce commandement de Jésus-Christ : (a) Renoncez-vous vous-même, est plus que suffisant pour justifier cette proposition.
(46)
L V. Résurrection. Vie nouvelle.
CANTIQUE
Pour cette âme, la mort est passée sur toutes choses extérieures, en sorte quil ny a rien qui la puisse satisfaire. Sil y paraît encore quelque chose, cest un renouvellement dinnocence. Chapitre 2. Vers. 11.
Jusquà ce, dit lEpoux, que le jour de la vie nouvelle, que vous devez recevoir en mon Père, commence à paraître et que les ombres qui vous tiennent dans lobscurité de la foi la plus nue, sabaissent et se dissipent, je men irai sur la montagne de la myrrhe. Ch. 4. V. 6.
LEpouse invite lEsprit saint, lEsprit de vie, de venir souffler en elle, afin que ce jardin si rempli de fleurs et de fruits répande son odeur pour lutilité de plusieurs âmes.
Cest aussi lEpoux qui demande que la résurrection de cette Epouse se fasse bientôt et quelle reprenne une nouvelle vie par le souffle de cet Esprit vivifiant qui est celui qui doit ranimer et faire revivre cette âme anéantie, afin que le mariage (47) soit parfaitement consommé. Là-même. V. 16.
LEpoux ne veut pas non plus que sa Bien-aimée soit éveillée jusquà ce quelle séveille par leffet de la voix toute-puissante de Dieu qui lappelle du tombeau de la mort à la résurrection spirituelle. Ch. 8. V. 4.
Il leur en reste une qualité maligne et opposée à Dieu, jusquà ce que Dieu, par de longues, fortes et fréquentes opérations, ait ôté cette qualité maligne, tirant lâme delle-même, lui ôtant toute son infection, lui redonnant une grâce dinnocence et la perdant en lui. Cest ce quil appelle la ressusciter innocente du même lieu où sa mère, qui est la nature humaine, fut corrompue. Là-même. V. 5.
AUTORITÉS
St. DENIS.
1. Pour avoir lêtre divin, il faut divinement renaître. De la hiérarchie Eccles. Chap. 2.
2. Le Bien donc qui est par-dessus toute lumière est appelé lumière spirituelle, comme étant un rayon fontal et originaire, une effusion de lumière qui regorge de toutes parts et qui de sa plénitude illumine tout lesprit, soit par-dessus le monde, soit autour du monde, soit aussi dans le monde, qui renouvelle toutes leurs puissances et facultés intellectuelles, qui les embrasse (48) et les contient tous. Des noms divins, chap. 4.
St. AUGUSTIN.
3. Voyez Consistance. N.5.
St CLIMAQUE.
4. Dautres disent que cette tranquillité est une résurrection de lâme qui précède celle du corps. Echelle sainte, Degré 29. Art. 4.
HENRI SUSO.
5. Lhomme pour avancer et pour être spirituellement ressuscité et régénéré en Dieu, doit être mort à la nature déréglée et toujours réfléchie sur elle-même. Dialog. De la vérité, chap. 10.
Le B. JEAN DE LA CROIX.
6. Dieu fait ainsi défaillir lâme à tout ce qui nest point Dieu, pour la revêtir de nouveau, étant dénuée et dépouillée déjà de sa vieille peau. Ainsi sa jeunesse se renouvelle comme celle de laigle, demeurant revêtue du nouvel homme, lequel, comme dit lApôtre (a), est créé selon Dieu. Ce qui nest autres chose quilluminer lentendement dune lumière surnaturelle, en sorte que lentendement humain se fasse divin étant uni avec le divin. Obscure nuit, Livr. 2. Chap. 13.
7. Voyez Mort entière. N. 9.
8. Voyez Mort entière. N. 10.
Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA.
9. Notre docteur mystique dit : (Vive Flamme, cant. 1, vers. 6.) quaux âmes parfaites, en cet état tout se convertit en amour et en louanges, ny ayant déjà plus de levain qui corrompe la pâte, laquelle façon de parler est très véritable et tirée de St Paul, qui dit : (b) Purifiez-vous du vieux levain, afin que vous soyez une pâte (49) toute nouvelle. Eclairciss. Des Phrases Myst. De J. de la Croix. P.2. Ch. 14. §. 3.
Le même rapporte
10. St Bernard. Voyez Purification. N. 51.
11. St Ambroise. Voyez Création. N. 12.
St FRANÇOIS DE SALES
12.Voyez Défauts. N. 12.
Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
13. Or certains de ceux-ci se sont exercés à cela si heureusement, quils jouissent à présent très abondamment, même pleinement, des fruits éternels de leur amoureux labeur, en la pleine possession desquels on les pourrait dire bienheureux, autant quon peut être en cette vie. Certes on ne peut rien dire de cette excellente perception, non pas même ceux qui jouissent de ce bien et quoique leurs écrits en expriment des choses grandes, cela néanmoins nest rien au respect de ce qui en est : toutes les démonstrations possibles ne sont rien et nen expriment rien. Là il ny a que silence et sérénité en amour ineffable. Esprit du Carmel. Ch. 14.
14. tout ainsi que le Soleil fait diversement ses effets sur la terre, à proportion quil en est proche ou éloigné, afin de la rendre féconde pour le bien des hommes, ainsi le divin Soleil de justice ne manque point de produire les effets de son amour dans les hommes, aux uns plutôt, aux autres plus tard, et en différent degré, selon quil trouve la terre de leur cur diversement disposée à cela par la grâce. La saveur et lexpérience que nous avons de cette vérité nous est di délicieuse que nous ne le pouvons assez exprimer. Et cest ne cette manière que nous pénétrons tous les effets de cet amour, lesquels il ne produit dans les âmes que (50) les enrichir de plus en plus de se grâces, les élevant en lui et leur découvrant sa beauté et vives splendeurs, afin de les rendre parfaitement amoureux de lui-même, dont la vue et le goût éternel leur cause tout bien.
Par ces fréquents effets et ces divins succès, ils se dépouillent du vieil homme et se revêtent du nouveau qui est divin en eux et qui les rend divins en lui. Et cela se fait selon les divers degrés de grâce et selon la profonde lumière quils ont reçue par le merveilleux écoulement de la divine sapience.
Ceux qui gisent au-dehors, dans la vie active, et qui y veulent reposer narriveront point aux splendeurs, manifestations et délices de la vie intérieure. Au reste, celui qui est simple selon ces vérités se donne bien de garde de sempêcher au-dehors ni au-dedans, qui est beaucoup dire faisant plus de cas infiniment de son simple fond, auquel il est totalement réduit et transfus, que de tout ce que son fond même lui peut produire pour loccuper et le tirer tant au-dehors quau-dedans.
Cest là que lâme se délecte de Dieu lui-même en simplicité desprit et de repos par dessus la compréhension. Là-même. Ch. 15.
(51)
LVI. Sacrifice.
MOYEN COURT
La Prière doit être et Oraison et sacrifice.
Il faut que lâme se laisse détruire et anéantir par la force de lAmour. Cest un état de sacrifice essentiel à la Religion Chrétienne. Par là, lâme se laisse détruire et anéantir pour rendre hommage à la Souveraineté de Dieu. Ch. 20. N.1 &3.
CANTIQUE
Une âme de ce degré porte un fond de soumission à toutes les volontés de Dieu, de manière quelle ne voudrait rien lui refuser. Mais lorsque Dieu explique ses desseins particuliers et quusant des droits quil sest acquis sur elle, il lui demande les derniers renoncements et les plus extrêmes sacrifices, ah, cest pour lors que toutes ses entrailles sont émues et quelle trouve bien de la peine où elle croyait ne plus en avoir. Et cette peine vient de ce quelle était attachée à quelque chose sans le connaître. Ch. 5. V. 4.
(52)
Lâme na pas plutôt reconnu sa faute quelle sen repent et se relève par un renouvellement dabandon et une étendue du sacrifice. Ce nest pas toutefois sans douleur et amertume : la partie inférieure et toute la nature est saisie de tristesse et de frayeur. Toutes ses actions même en sont rendues plus pénibles et plus amères, mais de lamertume la plus forte quelle eût encore éprouvée. Là-même. v. 5.
AUTORITÉS.
LIMITATION DE JÉSUS-CHRIST.
1. Voyez Joie de lâme. N. 5.
Le B. JEAN DE LA CROIX.
2.Voyez Union. N. 58.
St FRANÇOIS DE SALES.
3. Lorsque la peste attaqua le Diocèse de St Charles, il simmola en esprit au bon plaisir de Dieu, et en baisant tendrement cette Croix, il sécria du fond de son cur avec St André : Je te salue, ô croix précieuse ! Je te salue, ô tribulation bienheureuse, ô affliction sainte, que tu es aimable ! De lamour de Dieu. Livr. 12. ch. 9.
4. Jajoute au sacrifice de St Charles, celui du grand Patriarche Abraham, comme une vive image du plus fort amour quon puisse imaginer en créature quelconque. Il sacrifia certes toutes les plus fortes affections naturelles quil pouvait avoir, lorsquentendant la voix de Dieu qui lui disait : (a) Sors de ton pays et de ta parenté et (53) de la maison de ton père, et viens au pays que je te montrerai, il sortit soudain et se mit promptement en chemin sans savoir où il irait.
Mais tout ceci nest rien en comparaison de ce quil fit après (a), quand Dieu lappelant par deux fois et ayant vu sa promptitude à répondre, il lui dit : Prends Isaac ton enfant unique, lequel tu aimes, et va en la terre de vision où tu loffriras en holocauste sur lun des monts que je te montrerai. Car voilà ce grand homme qui part soudain avec ce tant aimé et tant aimable fils, fait trois journées de chemin, arrive au pied de la montagne, laisse là ses valets et lâne, charge son fils Isaac du bois requis à lholocauste, se réservant de porter lui-même le glaive et le feu. En montant, lenfant lui dit : Mon Père voici le bois et le feu, mais où est la victime de lholocauste. A quoi il répondit : Mon enfant, Dieu se pourvoira de la victime de lholocauste.
Quil lie son fils pour limmoler, il la déjà sacrifié dans son cur. Ah ! De grâce voyez donc quel holocauste ce saint homme fit en son cur. Là-même. Ch. 10.
5. Voyez Franc-arbitre. N. 4.
Mons. OLIER
6. Le malin esprit a demandé de vous cribler, dit Jésus-Christ à ses Disciples (b). Par là il les disposait à la grande tentation quils souffrirent en sa mort qui était lheure de la puissance des ténèbres, en laquelle Dieu avait lâché la bride à la malignité des démons. Pendant tout ce temps-là, tous les Disciples, hormis St Jean, quittèrent le Fils de Dieu. Mais la Sainte Vierge (54) demeura inébranlable dans la foi de son Fils et dans lestime de sa grandeur. Tenez-vous (a) avec elle recueillie en silence et en paix au pied de la Croix de Jésus-Christ. Tenez-vous intimement unie à la vertu et à la force de cette divine Mère, laquelle lEcriture sainte nous marque avoir été debout sur le Calvaire, pour exprimer la force de son cur et la constance dans la tribulation de la croix qui était inexplicable. Lettre 153.
7. Mourez donc, je vous prie, à cette partie inférieure et délicate de vous-même, et par là vous ferez un sacrifice qui méritera votre résurrection spirituelle, étant toute revêtue de Dieu et de sa vie par la mort de tout vous-même. Que si vous êtes ainsi morte à tout vous-même et vivante à Dieu seul, votre vie qui est maintenant cachée au fond de vous avec Jésus-Christ, éclatera en vous et rejaillira hors de vous-même. Ce sera là le fruit de votre mort et de la sépulture entière de vous-même et ce que vous devez espérer, après que vous aurez enseveli votre vieil homme et toutes vos propres facultés dans lEsprit de Dieu et dans sa propre vie. Pour cela accoutumez-vous surtout, comme je lai dit, à la mort de lesprit, le soumettant aux jugements et aux pensées dautrui. Cela vous acquerra facilité pour cette mort que mille fois je veux vous répéter et sans laquelle vous naurez jamais en vous la vie divine. Car elle ne se donne à lâme quaprès quelle est morte à sa propre vie, puisque cest de la mort à elle-même quelle doit ressusciter à la vie de Jésus-Christ. Lettre 169.
LVII. Saints inconnus.
Ces Saints sont inconnus et même persécutés.
CANTIQUE
Cest là ce quune âme bien abandonnée à son Dieu souffre parmi celles qui ne le sont pas. Car les autres font tout ce quelles peuvent pour la retirer de sa voie. Mais de même que le lis conserve et sa pureté et son odeur au milieu des épines, sans en être endommagé, aussi ces âmes sont conservées par leur Epoux au milieu des contrariétés quil faut quelles essuient de la part de ceux qui naiment quà se conduire eux-mêmes et à se multiplier dans leurs propres pratiques, nayant point de docilité pour suivre le mouvement de la grâce. Ch. 2. V. 2.
Cest une chose étrange comme les créatures, même (a) spirituelles, sempressent (56) de retirer lâme de ce doux sommeil. Là-même. v. 7.
Mais venez aussi des repaires des lions et des montagnes des léopards, car ce ne sera quà travers des plus cruelles persécutions des hommes et des démons comme dautant de bêtes féroces que vous pourrez arriver à un état si divin. Chapitre 4. Vers. 8.
Comme lécorce est la moindre partie de la grenade, et qui renferme en soi toute sa bonté, aussi ce qui paraît extérieurement de lâme de ce degré est très peu de chose au prix de ce qui est caché. Le dedans est plein de la plus pure charité et des grâces les plus réservées, couvertes cependant dun extérieur très commun, car Dieu prend plaisir de cacher les âmes quil veut pour lui-même. En sorte que ceux (57) qui en jugeraient selon lapparence, les croiraient des plus communes, quoiquelles soient les délices de Dieu.
Ce ne sont point de celles-là qui éclatent dans le monde, ni par les miracles, ni par les dons extraordinaires : tout cela est trop peu pour elles. Dieu se les réserve et il en est si fort (a) jaloux, quil ne les expose pas aux yeux de hommes, au contraire il les scelle de son sceau, comme il dit lui-même, que son Epouse est (b) la fontaine scellée, dont il est lui-même le sceau ; Mais pourquoi la tient-il scellée ? Cest que (c) lamour est fort comme la mort et la jalousie dure comme lEnfer. Ô que ceci exprime bien ce que javance ! Car comme la mort enlève tout à celui (58) quelle tient, aussi lamour arrache tout à lâme et la cache dans le secret dun sépulcre vivant. La jalousie de Dieu est dure comme lenfer, en ce quil ny a rien quil ne fasse pour posséder pleinement ses épouses. Ch. 6. V. 6.
Le raisin a cela de propre que quoiquil soit plein de liqueur, ce nest point pour lui, mais il donne ce quil renferme à celui qui le presse. Cette âme est de la sorte : plus elle est pressée et opprimée par la persécution, plus elle se communique et est bienfaisante à ceux-mêmes qui lui font du mal. Ch.7.v.7.
AUTORITÉS.
Ste CATHERINE DE GÊNES.
1. Voyez Opérations de Dieu. N.6.
Ste THÉRÈSE.
2. Voyez Communications. §II. N. 4.
3. Voyez à ce propos comment les saints se réjouissaient au milieu des injures et des persécutions, parce quils avaient quelque chose à offrir à Notre Seigneur. Chem. de Perf. Ch. 36.
4. Voyez Souffrance. N. 2.
Le Fr. JEAN de SAINT SAMSON.
5. Voyez Opérations de Dieu. N. 17.
6. Ces saints hommes ne savent ce que cest du nom de Saint, ni de Sainteté, en eux ni pour (59) eux. Quoiquils le sachent bien pour les autres, croyant quil ne leur est dû que perpétuelle confusion et ignominie pour leurs péchés. Ils savent seulement ce que cest que de parfaitement aimer. Cest ce qui fait quils ne se soucient pas comment ni quand mourir, ne craignant non plus la Justice divine à la mort quen la vie et il ne leur importe de mourir seuls ou en public, confessés ou non, quoiquils ne négligent pas de recourir aux Sacrements de lEglise. Ils meurent assurément et avec une renonciation de tout soi et par cela même ils sont inconnus aux hommes. Cest pourquoi les diables ont fort peu davantage sur eux à ce point de la mort et ainsi ils meurent plus damour que de douleur. Cabinet Mystique. P. 2. Ch. 4. N. 5.
7. Ces âmes, ô mon amour, sont autant de petites divinités sur la terre, inconnues aux médiocrement spirituels qui ne sont point fondus, réduits et tout perdus en votre immensité, comme elles. Cest pourquoi nétant pas de même esprit et de même vie, ils les ont à dégoût et souvent à dédain, jusquà les calomnier et diffamer, même devant les plus saints. Mais tout cela ne leur sert que pour se mieux enfoncer et se perdre irrécupérablement en vous, ô mon Amour, où elles sont entièrement libres et exemptes des atteintes des langues envenimées et serpentines de ces misérables. Le dernier et le plus haut terme de la sagesse de ces calomniateurs et faux spirituels ne consiste quen eux-mêmes. Ils sont enlacés et conduits partout comme indignes esclaves de leurs plus secrètes et occultes propriétés intérieures qui les remplissent deux-mêmes et de leurs propres inventions subtiles et (60) diverses, et qui les tiennent ainsi misérablement captifs et serfs deux-mêmes. Peut-être quen plusieurs dentre eux, ce mal continuera jusquau point de la mort, où leurs yeux seront ouverts.
Mais, mon Amour, quelles sont ces secrètes propriétés ? Ce sont les effets de lamour propre et de la superbe spirituelle et très déliée. Cest de là que naît le propre jugement, propre bon-sembler, propre complaisance, propre sagesse, propre recherche en toute occasion. Tout cela na de source ni de fin que lamour de soi-même, et ce sont des vices couverts du manteau de sainteté et des prétextes de vous plaire et de vous aimer. Cependant ces personnes ne sont devant vous quordure et quesprit renversé, qui se plaît dans son propre malheur, mais dune manière subtile et spirituelle. Ils ont une grande estime de leurs voies, de leurs uvres, de leurs mérites, de leurs sentiments, en un mot deux-mêmes. Et pour se couvrir, ils shumilient par des humiliations feintes et hypocrites devant ceux quils savent éloignés de les croire tels, et desquels au contraire ils attendent des louanges pour sen chatouiller et sen délecter à plaisir. Contemplation 3.
8. Voyez Opérations de Dieu. N. 20.
9. Ces vrais sages sont bien éloignés (a) de lesprit dexagération et de toute indignation, abhorrant les extrêmes comme lEnfer. Aussi savent-ils quil ne peut rien arriver à aucun (61) pécheur, tant selon les misères de lesprit que du corps, qui ne leur puisse arriver par la divine permission. Il est vrai quaux pécheurs cela arrive par châtiment, et aux justes, cest pour leur exercice et leur lustre, pour lépreuve de leur amour, et pour faire en cela leur purgatoire en cette vie. Cest pourquoi il importe infiniment que ces personnes adhérent aux jugements secrets de Dieu comme elles font, sachant bien leur infinie profondeur, et quils sont redoutables et adorables comme lui-même en tout ce quil permet arriver aux hommes. De la simplicité. Traité V. N. 25.
10. Or cest la vérité que Dieu prend si grand plaisir au suprême lustre et sainteté des Saints, que pour en exercer certains, il permet assez souvent que toute son Eglise souffre très grande perte et dommage. Témoin St Bernard en lexercice qui lui fut donné touchant la prédication de la croisade ; et le Roi St Louis, lexercice et la fidélité duquel ne se peut voir sans pleurer de compassion et détonnement.
Il pourrait sembler aux personnes trop basses, sensibles et faibles, que Dieu ne devait pas se comporter ainsi au préjudice de toute lEglise et pour le bien et le lustre dune seule âme. Mais cest un sentiment puéril et une très grande faiblesse et ignorance, attendu que Dieu a aussi peu à faire de tout le créé que de ce qui nest point. Et comment dira largile au potier qui la met en uvre, pourquoi il lui donne plutôt une forme quune autre et pourquoi il la détruit selon son bon plaisir ? Qui est-ce qui pourra reprocher à Dieu ce quil fait ou ne fait pas ? Et qui pourra lui imputer à tort, si en un moment il veut anéantir tout le créé ? Il importe infiniment à (62) tout chrétien et, à plus forte raison, aux fidèles serviteurs de sa Majesté, de savoir que sa raison souveraine nest pas conforme au sens et jugement des hommes qui sont tous répandu en la chair et au sang, et qui tels quils soient, ne sont que terre au respect de la vue et des sentiments que les Anges, esprits très purs, ont des raisons et des ordonnances de Dieu lui-même.
Cest une nécessité de nous dépouiller ici du vieil homme et par conséquent de recevoir temporellement le châtiment dû à la Justice divine, en la corruption de notre vieil homme à cause duquel nous sommes répandus et totalement plongés dedans les ordures dinnombrables péchés qui accompagnent notre langoureuse vie. Cest pourquoi sa Majesté, autant juste que miséricordieuse, fait un très grand bien et un avantage incomparable à ses créatures quand il se résout de les châtier, ce semble, à toute rigueur ici-bas, leur ôtant même la vie comme chose qui lui appartient et dont il peut faire ce qui lui plaît et comme il lui plaît, avec bonté, justice et équité. Car en son ordre et prescience éternelle, plusieurs ne seront jamais justes ni sauvés que par le moyen de ses très justes châtiments. Et les autres ne seraient pas sauvés si excellemment, ni avec tant de gloire quils le feraient pour sêtre donnés en proie à la vie et à la mort, à sa divine Majesté.
Il faut (a) même aller jusque là, que, sans aucune considération de notre propre intérêt, nous désirions que le bon plaisir de Dieu soit fait éternellement à tout événement, vu quil en est (63) infiniment digne. De la simplicité, Traité 5. N. 25 et 26.
11. Ces personnes sont déjà si parfaitement renouvelées et changées en leur chair mortelle, pleinement assujettie à lesprit, que ce sont autant dexcellentes Déités en terre, séparées et cachées du monde, totalement mortes et crucifiées au monde et à qui le monde est crucifié. Elles connaissent très bien le monde, quel il est, et le monde ne les connaît point. Que si daventure il leur est nécessaire de traiter avec lui pour la gloire de Dieu, il les persécute et les outrage cruellement par médisance et calomnie, comme ne les pouvant supporter, à cause de leur vie totalement contraire à la sienne. De la refusion de lhomme en Dieu, traité. 2. N. 27.
12. Voyez Opérations de Dieu. N. 23.
LVIII. Scandale.
On se scandalise de cet état.
CANTIQUE.
On mobjectera que cette âme nest pas si cachée puisquelle aide au prochain. Mais je réponds que cest ce qui la couvre dabjection, Dieu se servant de cela pour la rendre plus méprisable à cause des contradictions quil faut quelle essuie. Pour lordinaire, Dieu permet que (64) lextérieur commun de ces âmes choisies scandalise même ceux qui ont part à leurs grâces, jusques là quils sen séparent souvent après que Dieu en a tiré leffet quil prétendait.
LEpoux traite en cela son Epouse comme lui-même. Tous ceux quil avait gagnés à son Père (a) ne furent-ils pas scandalisés en lui ? Que lon examine un peu la vie de Jésus-Christ : rien de plus commun quant à lextérieur. Ceux qui font des choses plus extraordinaires sont les copies des Saints, desquels Jésus-Christ a dit (b) quils feraient de plus grandes uvres que lui. Ces âmes sont dautres Jésus-Christ en terre, cest pourquoi on y remarque moins(c) les traits des Saints, mais pour les caractères de Jésus-Christ, si on les examine de près, on les y verra très clairement. Cependant Jésus-Christ (d) est un sujet de scandale aux Juifs et semble une folie aux Gentils. Ces personnes scandalisent souvent dans leur simplicité ceux qui attachés aux cérémonies légales plutôt quà la simplicité de lEvangile, ne regardent que lécorce de la grenade sans pénétrer le dedans. Ch. 6. V. 6.
(65)
AUTORITÉS.
Ste CATHERINE DE GÊNES.
1. Il y a plusieurs personnes qui sen étonnent et sen scandalisent, parce quils nen savent pas la cause. Et si ce nétait que Dieu me soutient, je serais estimée du monde comme une folle. En sa Vie, chap. 22.
2. Qui voit ces créatures là et nentend pas quelles elles sont, les admire plutôt quil ne sen édifie. Nul nen doit porter jugement, sil ne veut se tromper. Dialog. Livr. 3. Chap. 10.
Ste THÉRÈSE.
3. Voyez Humilité. N. 6.
Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
4. Il faut vivre inconnu entre les meilleurs hommes et nêtre connu que Dieu seul et de ceux qui sont vraiment humbles, dont fort souvent le nombre est si petit quà peine en peut-on trouver un seul. Il vaut mieux passer pour indiscret et imprudent que de se justifier là-dessus si ce nétait au respect des esprits grandement faibles, mais à légard de ceux qui sont grandement sages à leurs propres yeux et qui pour cela sont curieux et subtils examinateurs et scrutateurs des esprits, il ne faut pas le faire. Esprit du Carmel. Chap. 9. §9.
5. Voyez Humilité. N. 16.
6. Voyez Humilité. N. 17.
7. Disons que ceux qui sont vraiment anéantis selon le dernier et suprême état, demeurent dès là même ignorés et inconnus et quils sont différents de beaucoup dassez saints et excellents Mystiques. On ne voit et on ne comprend (66) point comment cela peut être vrai en eux, dautant quon les voit très libres à laction, dont même les bons et les saints font conscience. Mais il faut savoir que plus on est devenu esprit et divin, à force dagir, de (a) fluer, de pâtir et de mourir en Dieu, et à force daimer, soit dans lamour, soit par dessus lamour, moins (b) doit on être compris et jugés en ces voies, si ce nest par un esprit tout semblable. Je ne les dis ni ne les crois pas impeccables, mais leurs fautes sont fort légères et fort petites devant Dieu. Esprit du Carmel. Chap. 9 §. 21.
8. Je dirai seulement que la vraie liberté des saints et vrais spirituels, dans son action sortie, est prise de ceux qui ne le sont pas pour la même superbe. Aussi est-il vrai quà cause des défauts qui sy peuvent rencontrer, il nest rien de plus difficile à connaître que la vraie humilité en telles personnes, dautant que la vraie liberté nen fait rien paraître en ses actions et paroles sorties. Car cette même liberté outrepasse tout propre intérêt, tant en soi-même quen autrui. Elle franchit librement toute crainte et respect humain, nenvisageant que la pure gloire de Dieu, que ces personnes-là désirent ardemment sur toutes choses, mourant à tout ce qui est du dehors et même à cette pratique.
Aussi est-il impossible que ce qui na rien de lesprit voit et goûte lesprit dans les actions et paroles sorties du vrai spirituel, dautant que les vues de lesprit sont simples et uniques en leur (67) élévation, pénétration et étendue, et quelles pénètrent dun clin dil des vérités infinies. Là où ceux qui leur sont contraires ne font état que des actions de vertus et de perfection acquise et conservée à force de bras. Cest pourquoi ils jugent les parfaits par leur propre imperfection et défaut et sont souvent blessés damertumes dans leur cur et dautres immortifications intérieures, par exemple, de défiance et daversion de ces personnes spirituelles ne pouvant plus croire de bien delles quà force de persuasion et à très grande peine.
Cependant ces personnes de si bas aloi ne sont en comparaison des spirituels totalement perdus, que terre, que sens, que tout désordre, quimmortification de leurs mouvements et passions au-dedans. Spécialement sur le fait des actions dautrui : ce qui serait encore bien plus véritable si elles étaient en autorité, (a) parce que cela leur donnerait toute licence de faire ainsi. Cabinet Myst. I Chap. 7.
9. Voyez Opérations de Dieu. N. 24.
(68)
LXI. Sentiments.
Dieu est au-dessus des sentiments.
CANTIQUE
Quand le cur de lhomme est assez fidèle pour vouloir outrepasser tous les dons de Dieu, afin de ne sarrêter quà Dieu même, Dieu prend plaisir de le combler de ces mêmes dons quil ne recherche pas.
Ici lEpouse préfère son Dieu à ses consolations spirituelles et aux douceurs de la grâce quelle éprouvait en suçant le lait de ses mamelles. Ch. 1. v. 3.
Les affections qui naissent de votre cur sont si éloignées des choses de la terre quelles sélèvent au-dessus des dons les plus excellents pour ne sarrêter quà moi seul. Ch. 4. V. 1.
AUTORITÉS.
St DENIS.
1. Après avoir parlé admirablement de cette première cause de toutes choses, il conclut : Bref, elle nest ni na en soi chose quelconque qui puisse tomber sous les sens. Théol. Myst. Chap. 4.
(69)
Ste CATHERINE DE GÊNES.
2.Tous les sentiments de lâme sont tellement saisis et liés en cet amour quils ne savent où ils sont ni ce quils sont. Ils ne connaissent ni ce quils ont fait, ni ce quils doivent faire. Dial. Livr. 3. Chap. 7.
Ste THÉRÈSE.
3. Jai dit autrefois, et je le répète encore, que celui qui commence ne se souvienne point quil y ait des caresses et consolations en ceci, parce que cest une façon fort basse de commencer un édifice si noble et si précieux. Château de lâme, Dem.2.Chap.1.
Le B. JEAN DE LA CROIX.
4. Voyez Communication. §.I. n.1.
5. Celui qui se veut beaucoup appuyer sur le sens corporel ne sera guère spirituel. Je dis ceci pour ceux qui pensent que par leur seule force et opération de leur sens vil et abject, ils parviendront à la hauteur et aux forces de lesprit. Non, non, personne narrive ici, sinon que le sens corporel demeure dehors. Cest toutefois autre chose (a) quand il dérive de lesprit quelque affection de sentiment aux sens, parce quil peut y avoir en cela beaucoup de spirituel, comme en St Paul, dont (b) le grand sentiment quil avait des douleurs de Jésus-Christ redondait en son corps, ainsi quil écrit aux Galates : (c) Je porte ne mon corps les stigmates de Notre Seigneur Jésus-Christ. Vive flamme damour. Cant. 2. v. 2.
(70)
6. Lâme goûte ici par une admirable manière et participation de toutes les choses de Dieu, sa Majesté lui communiquant la force, la sagesse, lamour, la beauté, la grâce et la bonté. Parce que comme Dieu est tout cela, lâme les goûte toutes par un seul attouchement de Dieu par une certaine éminence, et parfois de ce bien de lâme, il découle sur le corps quelque peu de lonction de lesprit, qui semble pénétrer jusquaux os, conformément à ce que dit David : (a) Tous mes os diront : Seigneur, qui est semblable à vous ! Et dautant que tout ce quon en peut dire est au-dessous de la chose, il suffit de dire que cela sent la vie éternelle. La-même. V. 4.
Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA
Rapporte
7. St Bonaventure. Il y a aussi des douceurs sensibles et suavités dexpérience qui sont quelque fois octroyées et infuses aux âmes dévotes, lesquelles étant véritables, et venant de Dieu, nous pouvons croire quelles sont données à certains apprentis, qui nentendent pas encore clairement les choses spirituelles, afin quau moins ils soient consolés du Seigneur par des choses sensibles, puisquils ne connaissent pas encore la vérité des choses purement spirituelles, dans lesquelles il y a une plus grande force, une vérité plus certaine, un avancement plus profitable et une perfection plus pure. Il faut savoir que plusieurs y sont trompés, qui croient que ceci, qui na en soi aucun mérite, soit grande chose. Eclaircissem. Des phrases de J. de la Croix, Part. II. Chap. 7. §. 2.
LX. Simplicité.
MOYEN COURT.
Le second degré est appelé de quelques uns : Oraison de simplicité. Chap. 4. N. 1.
Que lâme se donne bien de garde de chercher dautre disposition, quelle quelle soit, que son simple repos. Ch. 13. n. 3.
Il faut quitter la multiplicité de nos actions pour entrer dans la simplicité et unité de Dieu. (a) lEsprit de Dieu est unique et multiplié, et son unité nempêche point sa multiplicité. Nous entrons dans son unité lorsque nous sommes unis à son Esprit, comme ayant par là-même un même esprit avec lui. Et nous sommes multipliés au-dehors, en ce qui regarde ses volontés, sans sortir de lunité. Chap. 21. N. 4.
Pour unir deux choses aussi opposées que le sont la pureté de Dieu et limpureté de la créature, la simplicité de Dieu et la multiplicité de lhomme, il faut que Dieu opère singulièrement. Chap. 24. n. 2.
On ne peut être uni à Dieu sans la passiveté et la simplicité. Chap. 24. N. 11.
(72)
CANTIQUE.
Mais pourquoi dit-il à son Amante quelle sera dans peu belle de cette double beauté ? cest que ces yeux et ses regards sont déjà comme ceux des colombes, en ce quelle est simple, au-dedans, ne se détournant point de la vue de son Dieu ; et au-dehors dans toutes ses paroles et actions qui sont sans déguisement.
Cette simplicité colombine est la plus sûre marque de lavancement dune âme : car nusant plus de détours ni dartifices, elle est conduite par lEsprit de Dieu. LEpouse conçut dès le commencement la nécessité de la simplicité et la perfection de la droiture, lorsquelle dit : (a) Ceux qui sont droits vous aiment, mettant la perfection de lamour dans la simplicité et la droiture de ce même amour. Ch. 1. V. 14.
Vos yeux, par votre fidélité, droiture et simplicité sont comme ceux des colombes. Cette droiture est pour le dehors et pour le dedans. La vertu de simplicité tant recommandée dans les Ecritures nous fait agir à légard de Dieu incessamment, sans hésitation, directement, sans réflexion et souverainement, sans multiplicité de desseins, de motifs, ou de pratiques, mais (73) uniquement pour plaire à Dieu. Et même quand la simplicité est consommée, on le fait dordinaire sans y penser. Agir simplement avec le prochain, cest agir avec naïveté, sans affectation, avec sincérité sans déguisement et avec liberté sans contrainte. Ce sont là les yeux et le cur de la colombe qui charment le cur de Jésus-Christ. Chap. 4. V. 1.
LEpoux, par ces paroles, demande à son Epouse deux choses également admirables : lune, quelle sorte à son égard de ce profond silence dans lequel elle a été jusqualors, car comme dans tout le temps de la foi et de la perte en Dieu elle a été dans un grand silence, à cause quil fallait réduire son fond dans la simplicité et unité de Dieu seul. A présent quelle est entièrement consommée dans cette unité, il veut lui donner cet admirable accord qui est un fruit de létat consommé de l âme, savoir laccord de la multiplicité et de lunité, sans que la multiplicité empêche lunité, ni lunité la multiplicité. Ch. 8. V. 13.
(74)
AUTORITÉS.
St DENIS.
1. Ceux qui furent les premiers chefs et les maîtres de notre Hiérarchie, ayant été remplis du don du St Esprit, que Dieu même, qui est par dessus tout être, leur communiqua et étant envoyés exprès par le même divine bonté afin de publier cette grâce par le monde et de la provigner $$$$ consécutivement sur les autres, comme ils étaient tous divins, aussi furent-ils très désireux dattirer les autres après eux et de leur procurer le bien de divine ressemblance. Mais pour le faire (a), ils se sentirent obligés, selon les lois et selon les saintes ordonnances, de nous donner et délaisser par leurs doctrines, écrites et non écrites, les choses plus que célestes en images sensibles, en variété et en multiplicité ce qui est un, simple, et ramassé, en formes humaines ce qui est tout divin, sous des enveloppes de corps et de matière ce qui est purement spirituel, et de nous faire entendre les choses qui sont par dessus tout être par le moyen de celles qui nous sont familières et communes. Ce quils ont fait no seulement à loccasion des profanes, auxquels même il nest pas permis de manier les signes et les sacrés symboles, mais pour autant que, comme jai dit, (75) notre Hiérarchie est toute symbolique, cest-à-dire, quelle se sert de signes matériels pour saccommoder à notre capacité, ayant besoin de choses sensibles pour nous élever par leur moyen plus divinement aux intelligibles. De la Hierarchie. Eccl. Chap. 1.
2. Cette très heureuse nature qui est Dieu (a), bien que par sa bonté divine elle sort et saille en avant pour se communiquer à tous ceux qui participent en quelque façon des choses saintes et sacrées qui sont en elle, néanmoins elle ne sort jamais hors de létat immobile et de la ferme assiette qui lui est propre et naturelle. Et elle verse et envoie ses rayons par proportion sur tous ceux qui lui sont faits semblables, sans bouger toutefois de soi-même et sans être tant soit peu démise ni ébranlée en façon que ce soit de son état qui est toujours un et de même sorte. Il en est de même du divin Sacrement de la sinaxe. Car bien quil ait un principe qui est simple, unique, serré et replié en soi-même, et quil se multiplie pour lamour des hommes en la sainte variété des signes extérieurs, et quil passe jusquà toute autre représentation de la Divinité qui se fait par images, si est-ce néanmoins que de cette multiplicité de signes il se restreint et resserre derechef uniformément à lunité qui lui est propre et rassemble en un tous ceux qui sont attirés et conduits à lui. De la Hierarchie. Eccl. Chap. 3.
(76)
3. Il lauteur, le principe, la cause, lessence et la vie de toutes choses. Cest lui qui renouvelle et qui réforme ceux qui sont glissés et coulés au vice, par lequel est gâtée et corrompue en eux limage et la ressemblance de Dieu. Cest lui qui affermit saintement ceux qui flottent en quelque sale et impure agitation. (*) il est lassurance de ceux qui tiennent ferme, la guide qui conduit par la main et qui tire à soi ceux qui tendent et aspirent à lui. Il est la lumière de ceux qui sont illuminés, le principe dinitiation à ceux qui sont initiés la Déité de ceux qui sont divinisés, la simplicité de ceux qui sont unifiés, le principe plus que suressentiellement premier de tout autre principe, le bénin distributeur de celui qui est occulte, autant quil est licite de le distribuer. Et pour le dire en un mot, il est la vie des vivants, lêtre des êtres, cause et principe de vie et dêtre qui produit et conserve lêtre aux êtres par sa bonté. Cest pourquoi il ny a presque pas un traité ni livre de la Ste Ecriture où nous ne voyons que la Divinité est louée comme un monade et unité, à cause de la simplicité et de lunité de son essence qui na point de parties, dune façon surnaturelle par laquelle, comme par une force et vertu unitive, nous sommes faits un, et toutes nos diversités et multiplicités étant rassemblées, nous venons à être recueillis à une monade déiforme et à une unité semblable à Dieu, etc. Des noms divins. Chap. 1.
4. Les puissances intelligibles des esprits Angéliques étant épurées de toute matière et multiplicité, entendent ce qui est intelligible en la Divinité, spirituellement, immatériellement et (77) uniformément et leur puissance et leur action intellectuelle est éclairée dune pureté simple et sans mélange. Là-même, Chap. 7.
5. Voyez Foi nue, n. 1.
St AUGUSTIN.
6. Voyez Quiétude. §. I.n. 6.
St JEAN CLIMAQUE.
7. Jen ai vu dautres parmi ces hommes dignes dune éternelle mémoire, qui étant tout blancs de vieillesse et ayant des visages dAnges, avaient acquis par la ferveur de leurs travaux et par le secours de Dieu, une très parfaite innocence et une très sage simplicité qui navait rien de cet affaiblissement de la raison et de cette légèreté puérile qui fait quon méprise les vieillards du monde. On ne voyait en eux au-dehors quune extrême douceur, une bonté merveilleuse et une agréable gaieté sans quil y eût rien de feint, ni détudié, ni de fardé, sois dans leurs paroles, soit dans leurs murs, ce qui ne se trouve pas en beaucoup dautres. E pour ce qui concernait le dedans de lâme, ils ne soupiraient dune part quaprès Dieu et après leur Supérieur, comme de petits enfants simples et innocents, qui regardent amoureusement leur père. Et dautre part ils tournaient lil de leur âme avec un regard rude et audacieux sur les démons et sur les vices. Echelle sainte. Echelle Sainte. Degré 4. Art. 20.
8. Sachez, mon Père, que si quelquun sabandonne soi-même volontairement à la simplicité et à linnocence, le Démon ne trouve plus dentrée dans son âme. Là-même. Art. 25.
9. Ces sortes de choses sont utiles et nécessaires à ceux qui ont besoin de lumière et e connaissance pour pratiquer les vertus, quoiquelles (78) soient entièrement inutiles à ceux qui agissent dans la simplicité et la rectitude du cur ; car tous nont pas la lumière et la connaissance et tous aussi nont pas le don de cette bienheureuse simplicité qui est un bouclier contre tous les artifices des Démons. Degré 15. Article. 64.
10. Lâme qui est douce et paisible est le siège de la simplicité. Degré 24. Article. 9.
11. lâme qui est droite et sincère est la fidèle compagne de lhumilité, au lieu ue celle qui est malicieuse et corrompue est la servante et lesclave de lorgueil. Là-même. Article 11.
12. La simplicité est une habitude de lâme qui la rend incapable de toute duplicité, et immobile à tous les mouvements de la corruption de lesprit et à la dépravation du cur. Article 14.
13. Linnocence est létat dune âme tranquille qui est pleine dune joie sainte et exempte de tout déguisement et artifice. Article 17.
14. La rectitude du cur est une intention droite qui ne recherche point des subtilités et des détours pour sécarter de la vérité. Elle est aussi sincère dans ses actions que simple et sans fard dans ses paroles. Article 18.
15. Linnocent est celui qui est dans ma pureté (a) naturelle, où son âme a été créée de Dieu et qui agit et parle avec tout le monde selon cette même pureté. Article 19.
16. Lune des premières qualités des petits enfants est une simplicité toute innocente, et tandis quAdam a possédé cette heureuse simplicité, il na eu aucune vue de la nudité de son âme, (79) ni aucune honte de la nudité de son corps. Article. 24.
17. La simplicité que quelques uns ont reçue de la nature est une qualité avantageuse et un bonheur inestimable, mais cette simplicité naturelle est beaucoup inférieure à la simplicité surnaturelle que nous avons comme entée sur la racine malheureuse de notre corruption et de notre malice, par le mérite de nos travaux et de nos sueurs. Car au lieu que la première, qui est celle de la nature, nous donne seulement une aversion de tous les déguisements et de tous les artifices, la seconde, comme étant au-dessus de la nature, nous procure lhumilité la plus sublime et la douceur desprit la plus parfaite. Et ainsi au lieu que la récompense de lune ne sera pas grande, celle de lautre sera infinie. Art. 25.
18. Les passions sont bannies de lâme par une parfaite simplicité et une innocence spirituelle et louable, comme venant de la grâce et non pas de la nature. Car selon David : (a) Dieu qui est juste assiste ces âmes simples. Le Seigneur sauve ceux qui ont le cur droit, et les délices de péchés, sans quils le sentent ou reconnaissent, comme les enfants étant dépouillés de leurs habits, nont presque aucun sentiment de leur nudité. Degré 26. Article. 65.
19. Un cur droit se conserve pur dans la multiplicité des opérations et des affaires, et sa multiplicité innocente est comme un vaisseau dans lequel il navigue sûrement. Là-même. Article 120.
LIMITATION DE JÉSUS-CHRIST.
20. Plus un homme sera recueilli en lui-même (80) et sera devenu simple au fond de son cur, plus il avancera sans peine dans la connaissance des choses et en comprendra de plus élevées, parce quil recevra den haut le don de lintelligence. Lâme pure, simple et constante ne se dissipe point en la multiplicité des actions parce quelle fait tout pour honorer Dieu et que, possédant la paix au-dedans de soi, elle tâche au dehors de ne se rechercher jamais soi-même. Livr. 1. Chap. 3. §. 3.
21. Heureux sont les simples, parce quils jouiront dune grande paix ! La-même, chap.2. §. 1.
HARPHIUS.
22. Voyez Oraison. §. III.n. 6.
Le Bhx JEAN DE LA CROIX.
23. Toutes les grandeurs qui sont ici déclarées sont éminemment en Dieu dune façon infinie, ou pour mieux dire, chacune des ces grandeurs qui se rapportent ici est Dieu, et toutes ensemble sont Dieu, car autant que lâme sunit avec Dieu, elle sent que toutes les choses sont Dieu en un simple être, comme S. Jean le sentit lorsquil dit : (a) Ce qui a été fait en lui était vie. Cantique entre lEpouse et lEpoux, Coupl. 14.
Le P.BENOIT DE CANFELD.
24. Voyez Foi nue. N. 9.
25. La raison pourquoi cette opération doit être simple et pure est afin quelle n'éloigne pas trop lâme de lunion et de lamour fruitif et ne lapproche trop près de la nature, et ne labatte pas trop en elle-même, mais quau contraire, elle lapproche et la remette immédiatement dans lunion et nous jette en lessence de Dieu, (81) en nous éloignant de nous-mêmes et nous élevant par dessus la nature. Règle de Perfect. Part. 3. Chap. 15.
Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
26. Lesprit ou pour mieux dire, tout lhomme rendu déiforme dune ineffable manière est si unique et si simple en sa perception quil ignore toutes les formes, images et figures scientifiques. Que si on ne les ignore pas parce quon les a apprises autrefois, elles sont si éloignées de lappétit qui ne veut jamais savourer que léminente sapience dont il est pénétré, que ce qui ne lui était auparavant que science, lui est désormais un vrai goût de sapience divine. Esprit du Carmel. Chap. 8.
27. Lâme qui est parvenue à Dieu par la secrète et sensible onction du St Esprit et qui se sent être par dessus toutes choses créées, dont limpression lui est si insipide que lesprit se bouche à cela comme à ce qui est sous ses pieds, ou pour mieux dire, comme à ce qui nest rien du tout, cette âme est élevée et tirée en Dieu dune si simple et si vive manière quelle est déjà en quelque façon au dessus des discours qui expriment les grandeurs et les perfections divines. Son présent état est délévation en une simple unité desprit. Ce qui fait en elle un repos et une quiétude en simple et nue contemplation de Dieu, lequel lentendement regarde de son oeil simple, vivement pénétré par ses fréquentes lumières et par ses divins attouchements. Cabinet Myst. Part. I. Chap. I.
28. Supposé que vous soyez passé et transfus en simplicité dessence, en labîme de la charité, qui est lEssence divine même, vous vous (82) trouverez comme sans sentiment, tant de vous que de Dieu même, et sans pouvoir ni vouloir agir par simples aspirations qui supposent actions formées, ni même par regard simples et subtils qui supposent quelque pouvoir dagir et par conséquent quelque désunion et entre deux de simple et subtil moyen, dont on se sert pour se transformer davantage et plus parfaitement dans lEssence même de lEpoux.
On commence déjà ici à voir Dieu simplement, sans formes et sans images, par-dessus le sens et les formes actives. Tout cela est anéanti avec la propre vie de lâme, en ce fond vigoureux et suressentiel dans lequel elle est transfuse, et son appétit actif étant entièrement supprimé par la force de son simple amour, elle commence à jouir de lEpoux à pur et à plein en simple essence, par le moyen même de ses simples attouchements qui la dilatent et létendent tout autrement en simplicité que jamais elle navait senti. Là les simples délices sont si profondes, et simplifient tellement lâme qui les ressent, quil lui semble être passée en létendue de lessence de Dieu qui est le fleuve doù découlent ces mêmes délices. Là-même. Chap. 5.
29. Cela étant ainsi, lâme jouit de son suprême Bien dans un très simple et tranquille regard et repos, qui ne sait plus ce que cest que les profondeurs abyssales, faites de Dieu en elle-même en très simple et très profonde nudité et étendue delle-même en Dieu. Là-même.
30. Ces âmes ne sont touchées des choses que par dehors et non jamais dans leur fond. Et étant simples, comme elles sont toutes perdues et abîmées en Dieu, rien ne les peut atteindre ni toucher. (83) De plus, telles âmes ne désirent point paraître ni sortir en évidence à elles-mêmes, si elles ny sont mises et tirées sans elles et sans leur sû, ou si ce nest quelles jugeassent que cela fut pour leur très grande utilité ou nécessité. Comme par exemple il sest passé un certain temps auquel le premier acte du simple fécond, je dis de la très sainte Trinité, se communiquant à elles en temps ordonné, leur versait ses vérités en lentendement, auquel temps et durant lesquelles infusions, simplement divinement spéculées en contemplation simple, sous très simples formes, ces âmes pouvaient se sentir obligées de les tirer de ce simple fond pour leur future nécessité. Néanmoins ayant fait perte de tout cela, parce quelles se sont écoulées dans ce fond originaire, doù elles avaient très fécondement flué, elles ne peuvent douter que cela nait été fait pour leur entière et totale consommation en ce même simple et vigoureux fond. Il y a une différence presque infinie entre le simplifié au-dehors et le simplifié au-dedans. La simplification du dehors procède toujours dobjets qui sont au-dehors. Au contraire, la vraie simplification du dedans procède toujours des objets intérieurs qui montrent évidemment son simple et intime objet en léminence de soi-même, conformément à ce que lon est.
Cest là que le simple fond du simple créé est reçu par le simple unique incréé, aux embrassements et à la jouissance de lunité simple et unique par dessus toute fécondité, dedans la quelle toute lâme vraiment flue fécondement de la simple unité et reflue en la même simple unité par dessus toute fécondité, où elle est toute étendue, perdue, entièrement consommée au (84) repos ineffable de son unique jouissance. Cabinet Mystique, Part. I. Chap. 9.
31. LEsprit de Dieu dominant une âme léloigne autant de toutes multiplicités quil est simple et unique en lui-même. Cest assez que lorsque lâme est totalement consommée en Dieu et de Dieu, par la force de ses divins attouchements, elle soit alors et non plutôt propre pour les choses extérieures et capables daller, comme on dit, par le ciel et par la terre. De sorte que ceux-là se trompent beaucoup qui disent que cest une marque certaine quon est bien intérieur quand on est suffisamment attentif à bien faire ses actions extérieures. Règles de conversation pour les personnes spirituelles. N. 77.
32. Quant à lamour simple et perdu, il est tout réduit, fondu, transfus en une simple force et nudité très abstraite et très pure de lesprit, non seulement au plus haut de son essence, mais infiniment au-delà en Dieu même.
Cela se fait et se pratique ainsi fort diversement, sous diverses notions et manifestations, accompagnées pour lordinaire de très pénibles morts, qui suppriment jusquaux moelles du même esprit. Et dans ces agonies extrêmes, plus il fuit de soi-même, se perdant en Dieu, tant plus sa mort se trouve pénible, angoisseuse et insupportable. Mais cest en ceci que lamour se trouve fort (a) comme la mort. Heureux (b) sont ceux qui meurent de ce genre de mort en Dieu, car dès là même ils cessent et se reposent de toutes leurs propres uvres et Dieu désormais agit et pâtit en eux comme il lui plaît. Lettre 19.
33. La simplicité est une haute et excellente (85) vertu et plus elle est véritablement en un sujet, tant plus est-il abstrait et perdu à tout ce qui est visible, sensible et réfléchi. Lettre 20.
34. Quand je lise vos écrits et les miens et que je vois ce quil faut que nous soyons pour ne contrarier aucunement Dieu, je suis totalement confus. Pour faire cela comme il faut, notre pureté devrait être Angélique tant au-dedans quau-dehors : au-dedans, en demeurant simples, uniques, également tendus, sans la moindre effusion desprit que ce soit. Lettre 21.
35. A peine personne peut-il savoir quelle est la simplicité de lesprit, sinon celui qui est totalement converti à Dieu en esprit et sans réflexion sur soi. Cest à lui seul que convient léminente simplicité en suprême abstraction plus morte que mourante. Le vrai simple na rien qui larrête au-dehors, et il est divinement prudent, plein de léminente science des Saints. Lettre 27.
36. Ordonnez tout lextérieur par des voies moins multipliées que vous pourrez, car le trop de préceptes et de maximes montre quon est empêché au-dehors, ignorant la douce, savoureuse et simple unité au-dedans. Réduisez-vous donc à peu de ces choses qui sont uniques, simples et essentielles, afin que vous puissiez goûter expérimentalement lexcellence des vrais exercices intérieurs en vraie simplicité dintention. Tant de multiplicités au-dehors sont plutôt cherchées, spéculées et apprises des livres que simples et uniques, et nuisent au vrai recueillement des puissances en lunité du cur. Lettre 50.
37. Puisque nous sommes tous deux simples et petits, il faut que nous nous aimions et consolions lun lautre, tant de nos prières devant (86) Dieu, que par lettres quelquefois. Lettre 60.
38 Disons encore en peu de mots que la simplicité est une inclination amoureuse en lâme, élevée plus ou moins hautement et excellemment en Dieu, laquelle inclination lappelle et lattire efficacement en son fond qui la produit et tire en même temps toutes ses puissances, tant hautes que basses, pour être toutes recueillies et fondues en lui, en unité et uniformité desprit. De la simplicité. Traité 1. N. 3.
39. Le second état de simplicité est encore plus tiré et perdu que le précédent. Car il ne veut pas même réfléchir sur les objets plus simples de lesprit, pour y raisonner de propos délibéré, si la chose ne nous touche doffice, et lâme nen est non plus touchée que de ce qui nest point.
Le troisième et dernier état de simplicité répond du tout à lesprit. Il a et fait non seulement tout ce que je viens de dire, mais encore il tient son sujet mort par dessus toute appréhension et connaissance, et il est stable et arrêté à tout endurer dune très haute et très forte manière, ne sortant jamais de là, pour quoi que ce soit. Sur quoi javertis que tout amour simplifie en haut ou en bas degré, selon que lattrait et lamour ont été forts à tout unir, tout fondre et tout perdre en Dieu. La-même. N. 4.
40. Les qualités donc essentielles de la simplicité sont 1. Amour et charité en un temps ; 2. Charité simple en un autre ; 3. Lumière et science suffisante à leur état ; 4. Et prudence pour tout juger et ordonner au-dedans et au-dehors, tant pour eux que pour autrui. Quiconque en est là, fait toujours reluire sa charité à tout le (87) monde, au plaisir et contentement de tous.
Les effets de cette charité divine en ses sujets sont voir, sentir et agir simplement, uniquement, essentiellement et dun seul regard. Elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout, et à tout le reste des divins effets portés au texte de lApôtre. (I. Cor. 13.) La-même. N. 8.
LXI. Sortie de soi. Oubli de soi.
On aura la bonté de faire attention à ce que jai dit plus haut de la Sortie de soi. Voyez la note sur Explic. Du Cant.Ch. 3. V. 1. Dans larticle de la Présence de Dieu, tome II. Pag. 156.
MOYEN COURT.
Il faut soublier soi-même et tout propre intérêt. Chap. 14. N. 2.
Comment passer en Dieu ? Cela ne se peut faire quen sortant de nous-mêmes pour nous perdre en lui.
CANTIQUE
Il lui ordonne (a) de sortir. Et doù ? Delle même. Comment ? Par le renoncement (88) et par la fidélité à se poursuivre en toutes choses, sans se permettre aucune satisfaction naturelle, et sans prendre vie ni en soi ni en rien de créé. Et pour aller où ? Afin dentrer en Dieu par un parfait abandon (a) delle-même.
Cette sortie de soi-même, par le renoncement continuel de tout propre intérêt et lexercice intérieur que lAmant céleste conseille aux âmes qui soupirent après le baiser de la bouche. Chap. I. v. 7.
Cette âme soublie de tout intérêt de salut, de perfection, de joie, de consolation, pour ne penser quà lintérêt de son Dieu. Chap. 2. V. 4.
Il la fait sortir delle-même par le trépas mystique.
Ma Colombe simple et fidèle, levez-vous, sortez, puisque vous avez toutes les qualités nécessaires pour sortir de vous-même.
Cette sortie est bien différente de celle dont il a été parlé ci-dessus (b), et beaucoup plus avancée, car la première était sortie des satisfactions naturelles, pour ne vouloir plaire quà son Bien-aimé, (90) mais celle-ci est une sortie de la possession de soi-même, afin de nêtre plus possédée que de Dieu, et que ne sapercevant plus en elle , elle ne se trouve plus (a) quen lui. Cest un transport de la créature dans son origine. La-même. V. 10.
O terre fortunée ! Que ceux qui ont le bonheur de vous posséder sont heureux ! nous sommes tous conjurés avec lEpouse de sortir de nous-mêmes pour y entrer. La-même. V. 13.
La suprême partie de votre âme est déjà belle et elle a tous les avantages de la beauté : il ne vous manque plus quune chose qui est de sortir de vous-même.
Si lEpoux nattirait son Amante au-dehors avec tant de force et de douceur, elle ne sortirait jamais delle-même. Il semble quautant quelle sest trouvée autrefois recueillie et (b) enfoncée au-dedans, autant elle se sent maintenant tirée au-dehors et même avec plus de force, car il (91) faut bien être dautres forces pour titrer lâme delle-même que pour ly enfoncer. La douceur quelle goûte au-dedans par le recueillement savoureux ly invite assez. Mais quitter cette douceur du dedans pour ne trouver que des amertumes au-dehors, cest ce qui est très difficile. Outre que par le recueillement, elle vit et se possède, mais par la sortie delle-même, elle meurt et se perd. La-même. V. 14.
Ce nest plus hors de lui que vous le trouverez. Sortez hors de vous-même au plus vite pour nêtre plus quen lui, et ce sera là quil se laissera trouver. O artifice admirable de lEpoux ! Lorsquil est le plus passionné pour sa Bien-aimée, cest alors quil fuit avec plus de cruauté, mais cest une cruauté amoureuse, sans laquelle lâme ne sortirait jamais delle-même, et conséquemment ne se perdrait jamais en Dieu. Ch. 3. V. 1.
Lâme sétant quittée soi-même et ayant outrepassé toutes les créatures, rencontre son Bien-aimé qui se montre à elle avec de nouveaux charmes. La-même. V. 4.
Jésus-Christ invite toutes les âmes intérieures qui sont les filles de Sion à sortir hors delles-mêmes et de leur imperfection. La-même. V. 11.
(92)
Lâme étant passée en Dieu par lheureuse sortie delle-même, cest un repos dont elle ne sera jamais divertie. Chap. 8. V. 4.
Lâme monte peu à peu du désert, car son soi-même est un désert, depuis quelle la abandonné. Ce nest plus seulement le désert de la foi, mai cest le désert delle-même. La-même. V. 5.
AUTORITÉS.
St DENIS.
1. quant à nous, après que par des ascensions (a) saintes et spirituelles nous aurons élevé nos yeux vers les archétypes et les originaux de ces mystères, et que nous aurons été saintement instruits de leurs connaissances, alors nous entendrons de quels caractères sont ces impressions. De la Hierarch. Eccles. Ch. 2.
2. Voyez Union n. 10.
3. Voyez Dieu enseigne lâme. N. 2.
4. Voyez Foi nue. N. 3.
5. Voyez Anéantissement. N. 6.
RUSBROCHE.
6. Voyez Motion divine. N. 4.
LIMITATION DE JÉSUS-CHRIST.
7. Celui qui aime sincèrement Notre Seigneur Jésus-Christ et sa vérité et qui est vraiment intérieur (93) et dégagé des affections déréglées, na point de peine à se donner tout entier à Dieu, et à sélever en esprit au-dessus de soi-même, pour jouir dun repos céleste dan la jouissance de son Bien-aimé. Livr. 2. Ch. 1. §. 6.
8. on ne peut arriver à cet état sans une grande grâce qui élève lâme et qui la transporte au-dessus delle. Livr. 3. Ch. 31. §. 2.
9. Mon fils, vous entrerez et vous demeurerez en moi, à proportion (a) que vous pourrez sortir de vous-même. Livr. 3. Ch. 56. §. 1.
Le B. JEAN DE LA CROIX.
10. Lâme rapporte en ce Cantique le moyen et la manière dont elle sortit delle-même et de toutes choses, quant à laffection, mourant par ne vraie mortification à elles toutes et à soi-même, pour avoir le bien de vivre une vie damour, douce et savoureuse en Dieu, et dit que cette sortie hors de soi et de toutes choses se fit en une nuit obscure, quelle entend ici par la contemplation purgative, comme nous dirons après, laquelle fait renoncer lâme à soi-même et à toutes choses. Et elle dit ici quelle eut pouvoir de faire cette sortie par la force et chaleur que lamour de son Epoux lui donna pour ce sujet en ladite contemplation obscure, en quoi elle exalte le bonheur quelle eut de sacheminer à Dieu par cette nuit, avec si bon succès, que pas un des trois ennemis, qui sont le Diable, le monde et la chair, lesquels y mettent toujours de lobstacle, ne len purent empêcher, dautant que ladite nuit de contemplation purifiée fit endormir et mortifier en la maison de sa sensualité, (94) toutes les passions et appétits quant à leurs mouvements contraires. Obscure Nuit, Livre I. Introduction.
11. Cette nuit va tirant lesprit de son ordinaire et commun sentiment des choses, pour lélever au sens divin qui est étrange et éloigné de toute manière humaine, de sorte quil semble à lâme quelle marche hors de soi. La-même. Livr. 2. Chap. 9.
12. Voyez Purification. N. 46.
13. Dans les plaies damour, il ne peut y avoir de remède sinon de la part de celui qui les a faites. Cest pourquoi lEpouse sortit, cirant après celui qui lavait blessée avec la force du feu que cause la palie. Et il faut savoir que cette sortie sentend de deux façons : lune est sortant de toutes choses, ce qui se fait les abhorrant et les méprisant ; lautre est sortant de soi-même par un oubli de soi, ce qui se fait par lamour de Dieu, lequel élève lâme de telle manière quil al fait sortir de soi et des ses gonds et de sa façon naturelle, criant après Dieu. Cest ce quelle entend ici lorsquelle dit :
Je sortis après vous, criant.
Comme si elle disait : mon Epoux en ce votre toucher (a) et blessure damour, vous avez tiré mon âme non seulement de toutes choses, mais aussi vous lavez faite sortir de soi, (car à la vérité, il semble quil la tire même du corps), et vous lavez élevée à vous criant et soupirant pour vous, déjà dégagée de tout pour sattacher toute à vous.
Mais vous alliez toujours fuyant.
(95)
Comme selle disait : lorsque je voulais comprendre votre présence, je ne vous ai point trouvé et je me suis vue déprise et dégagée de toutes choses (a) sans être attachée à vous, travaillant et peinant dans lair damour sans lappui de vous ni de moi. Ce que lâme appelle ici sortir pour aller à son Bien-aimé, lEpouse dans le Cantique lappelle se lever, disant : (b) je me lèverai et jirai rodant la cité, par les rues et les places, je chercherai celui quaime mon âme. Je lai cherché et ne lai point trouvé. Ici se lever sentend spirituellement de bas en haut, qui est le même que sortir de soi , cest-à-dire de sa façon et de lamour bas au haut et sublime amour de Dieu. Mais elle dit quelle demeura blessée, parce quelle ne le trouva point. Cest pourquoi celui qui est épris damour, souffre toujours pendant labsence, parce que sétant déjà livré, il attend de lami le paiement du don et de la délivrance quil a faite, et néanmoins, on ne le lui donne point. Et sétant déjà perdu pour lui, il na point trouvé le gain désiré de sa perte, puisquil est privé de sa possession. Cantique de lEpouse et lEpoux, Coupl. I.
14. Joubliais ce que je savais.
Parce que non seulement lâme demeure aliénée de tout le monde, mais encore de soi-même, et anéantie et comme fondue en amour, qui consiste à passer de soi en lAmi. La-même. Coupl. 18.
15. En outre lâme dit avoir reçu de grandes (96) communications et beaucoup de visites de son Ami, où elle sest allée perfectionnant et établissant en son amour, de manière que sortant de toutes choses et de soi-même, elle sest livrée à lui par union damour en fiançailles spirituelles où elle a reçu de lEpoux de grands dons et de riches joyaux. La-même. Coupl. 28.
Le P. JACQUES DE JÉSUS rapporte
16. St Bonaventure. La perfection de la mémoire est que lhomme soit tellement absorbé en Dieu, quil oublie toutes choses et soi-même et quil repose suavement en Dieu seul. (De lavancement des Religieux, Livr. I.) Notes sur Jean de la Croix. Disc. 2. §. 7.
St FRANÇOIS DE SALES.
17. Voyez Fonte de lâme. N. 5.
Le F. JEAN DE SAINT SAMSON.
18. Il est bon de savoir que la nature, même dans les plus avancés, est tellement encline à se rechercher et à se délecter de soi qui si on lui ôte une chose, elle a aussitôt recours à une autre pour sy reposer et délecter. Que si on lui ôte un objet sensible, elle a aussitôt recours à un objet de lesprit. Si on lui ôte ceux de lesprit, elle se servira de Dieu même pour sy reposer pour elle-même et pour sa satisfaction. On doit prudemment et diligemment examiner ceci pour ne point laisser attacher les personnes spirituelles à elles-mêmes par semblables réflexions, donnant ordre de les tirer de cela et delles-mêmes, pour les unir et attacher à Dieu. Esprit du Carmel, Chap. II.
19. Les vrais Contemplatifs sont hors deux-mêmes nuement, simplement et totalement fondus en Dieu. Diverses lumière et règles pour les Supérieurs. § De diverses sortes dabstractions.
20. (97) Je vous dis outre cela, quencore par dessus cette adhésion qui vous est perceptible, mais comme hors de vous, il faut que vous viviez là dune foi très nue. Lettre 45.
Mons. OLIER.
21. Quel montre que lamour de soi-même, qui veut se voir en tout et qui ne peut souffrir quavec grande peine les exercices et les conduites du pur amour, qui tend toujours à Dieu et nous dérobe à nous-mêmes, pour nous porter, nous perdre et nous abîmer dans ce divin Tout ! Lettre 129.
22. Vous dirais-je un mot qui mest venu dans lesprit et qui vous paraîtra peut-être un peu sévère ? Cest que Dieu veut porter les âmes de ses fidèles jusquà ce point de dénuement, que de les arracher à elles-mêmes, et les tenir suspendues au-dessus de toute propre satisfaction. Il veut quelle vivent toujours à lui, et quelles le cherchent en pureté, en sainteté et en droiture, sans avoir égard à elles et sans se retourner sur elles-mêmes. Il ne veut point quon se voie et quon se regarde que pour lui, et il désire quon agisse dans cette vue unique de lui plaire en tout. Lettre 143.
(98)
LXII. Souffrance.
MOYEN COURT.
Soyez content de tout ce que Dieu vous fera souffrir. Si vous laimez purement, vous ne le rechercherez pas moins en cette vie sur le Calvaire que sur le Thabor. Il faut laimer autant sur le Calvaire que sur le Thabor, puisque cest le lieu où il fait paraître le plus damour. Ne faites pas comme ces personnes qui se donnent dans un temps et se reprennent en un autre. Ils se donnent pour être caressés et ils se reprennent lorsquils sont crucifiés, ou bien ils vont chercher dans les créatures leur consolation.
Non, vous ne trouverez point, chères âmes, de consolation que dans lamour de la croix et dans labandon entier. O qui na pas le goût de la croix, (a) na pas le goût de Dieu ! Il est impossible daimer Dieu sans aimer la croix, et un cur qui a le goût de la Croix, trouve douces, plaisantes et agréables les choses mêmes les plus amères. (b) Une âme affamée trouve douces les choses qui sont amères, parce quelle (99) se trouve autant affamée de la Croix quelle est affamée de son Dieu. La Croix donne Dieu et Dieu donne la Croix. La marque de lavancement intérieur est si on avance dans la Croix
Labandon et la Croix vont de compagnie.
Sitôt que vous sentez quelque chose qui vous répugne et qui vous est proposé (a) comme souffrance, abandonnez-vous à dieu dabord pour cette même chose et donnez-vous à lui en sacrifice. Vous verrez que lorsque la Croix viendra, elle ne sera plus si pesante, parce que vous laurez bien voulue. Ce qui nempêche pas quon nen sente le poids. Quelques-uns simaginent que ce nest pas souffrir que de sentir la Croix. Sentir la souffrance est une des principales parties de la souffrance même. Jésus-Christ en a voulu souffrir toute la rigueur.
(100)
Souvent on porte la Croix avec faiblesse, dautrefois avec force : tout doit être égal dans la volonté de Dieu. Ch. 7.
CANTIQUE.
Il est à moi, dit lAmante je ne puis douter quil ne se donne à moi dans ce moment puisque je le sens. Mais il est à moi comme un bouquet de myrrhe. Il ne lest pas encore comme un Epoux, que je doive embrasser dans son lit nuptial, mais seulement comme un bouquet de croix, de peines et de mortifications, comme un (a) Epoux de sang et un Amant crucifié, qui veut éprouver ma fidélité en donnant part à ses souffrances, car cest ce quil donne alors à cette âme-là.
Pour marquer néanmoins lavancement de cette âme déjà héroïque, elle ne dit pas : Mon Bien-aimé me donnera le bouquet de la Croix, mais il fera lui-même ce bouquet, car toutes mes croix seront celles de mon Bien-aimé. Le bouquet sera entre mes mamelles, pour marque quil me doit être un Epoux damertumes, aussi bien pour le dehors que pour le dedans. Les croix extérieures sont peu de chose, quand elles (101) ne sont pas accompagnées des intérieures. Et les intérieures sont rendues beaucoup plus douloureuses par lunion des extérieures. Mais quoique lâme naperçoive que la croix de toutes parts, cest pourtant son Bien-aimé qui est lui-même cette croix, et il ne lui fut jamais plus présent que dans ces amertumes, pendant lesquelles il demeure au milieu de son cur. Chap. I. v. 12.
O Dieu, vous reprenez agréablement votre Epouse de ce quelle voulait sitôt se reposer dans un lit bien fleuri, avant que de sêtre reposée comme sur le lit douloureux de la Croix. Je suis moi-même, dites-vous, la fleur du champ. Une fleur que vous ne cueillerez pas dans le repos du lit, mais dans le champ de combat, de travail et de souffrance. Il faut que vous entriez dans le combat et abs la souffrance. Ch. 2. V. 1.
Son fruit, qui est la Croix, la douleur et labjection, est doux à ma bouche. Il nest pas doux à la bouche de la chair, car la partie inférieure le trouve âpre et bien rude, mais il est doux à la bouche du cour après que je lai avalé et pour moi qui a le goût de mon Bien-aimé, il est préférable à tous les autres goûts. La-même. V. 3.( $$$$$)
Cette âme ne pense plus à jouir de ses (102) embrassements, mais à souffrir pour lui. V. 4.
Il est incroyable combien il faut que ces âmes dévorent de croix, dopprobres et de renversements. Chap. 3. V. 10.
Je men irai sur la montagne de la myrrhe, parce que vous ne me trouverez plus que dans lamertume et dans la croix. Ce sera néanmoins pour moi une montagne dune odeur très agréable, puisque lodeur de vos souffrances montera vers moi comme un encens, et ce sera par elles que je prendrai mon repos en vous. Chapitre 4. V. 6.
Jai recueilli ma myrrhe, dit lEpoux, mais cest pour vous, ô mon Epouse, car cest votre met qui nest que damertume, parce quil y a toujours à souffrir dans cette vie mortelle. Cette myrrhe pourtant nest jamais seule, elle est toujours accompagnées de senteurs très agréables. Lodeur est pour lEpoux et la myrrhe amère est pour lEpouse.
Ce divin Sauveur y invite tous ses Elus qui ont envie de se nourrir comme lui de souffrances, dopprobres et dignominies, de lamour de ses exemples et de sa pure doctrine qui sera pour eux un vin et un lait délicieux. Ch. 5. V. 1.
Je viens à vous de la sorte, afin de vous faire part de mes opprobres, de mes (103) ignominies et de mes confusions. Jusquà présent vous avez eu part à lamertume de ma croix, mais vous navez pas eu part à lignominie et à la confusion de ma croix. Lun est bien différent de lautre, vous allez faire une expérience terrible. La-même. V. 2.
LEpouse voyant que lEpoux parle de lui faire part de ses ignominies , craint beaucoup et autant quelle a été courageuse et intrépide à accepter la croix, autant a-t-elle de peur de labjection dont elle est menacée. Plusieurs veulent bien porter la Croix, mais il ny a presque personne qui veuille porter linfamie de la croix. La-même. V. 3.
Plus cette âme est pressée et opprimée par la persécution, plus elle se communique et est bienfaisante à ceux-même qui lui font du mal. Ch. 7. V. 7.
AUTORITÉS.
On a vu dans ce que jai écrit sur la Purification tant de souffrances intérieures, et même extérieures, quil en reste peu de chose à dire.
LIMITATION DE JÉSUS-CHRIST.
1. Nul ne sera propre à comprendre les choses du ciel sil ne se soumet à souffrir pour Jésus-Christ les maux de ce monde. Rien ne nous sera plus salutaire et plus agréable à Dieu (104) que de souffrir de la sorte, vous devriez plutôt souhaiter dêtre affligés pour Jésus-Christ, que dêtre comblé de consolations, parce que vous deviendriez ainsi plus semblable au Sauveur et à tous les Saints. Livr. 2. Chap. 12. §. 14.
Ste THÉRÈSE.
2. De là procède la force pour souffrir les persécutions et ce sont là les pommes dont parle aussitôt lEpouse : (a) Fortifiez-moi avec des pommes, comme si elle disait : donnez-moi, Seigneur, des travaux et des persécutions. Et véritablement, elle les désire, et la chose effectivement lui succède car nayant point dautre pensée que de contenter Dieu,sans avoir aucun égard à son propre contentement, son goût est dimiter en quelque chose la très pénible vie de Jésus-Christ. Or le pommier, jentends ici, larbre de la croix, parce quil est dit dans un autre lieu des Cantiques : Dessous larbre du pommier, je tai ressuscitée. (b). Et lâme qui est environnée de croix et de travaux est dans lattente dun grand remède. Elle nest pas si ordinairement jouissante du contentement de la contemplation, elle a une singulière délectation à souffrir sans que lexercice de la vertu consume et détruise ses forces, comme le fait la suspension des puissances dans la contemplation, si elle est bien ordinaire. Conception de lâme de Dieu. Chap. 7.
Le B. JEAN DE LA CROIX.
3. Qui mavez en ce deuil laissée.
Il faut remarquer que labsence du Bien-aimé cause un gémissement continuel en lamant, (105) car naimant rien que lui, il ne trouve e rien du repos et du soulagement : cest où lon connaîtra celui qui aime véritablement Dieu, sil se contente de quelque chose qui soit moins que Dieu. (a) St Paul donna bien à entendre ce gémissement, disant : (b) nous pleurons en nous-mêmes, attendant ladoption des enfants de Dieu. Cest là le gémissement que lâme a en ressentant labsence de lAmi, principalement lorsquayant goûté quelque douce et savoureuse communication, elle demeure aride et seule.
Vous fuyez mayant bien blessée.
Comme si elle disait : je navais donc pas assez de la douleur et de la peine, que je souffre ordinairement en votre absence, sans que vous me perçassiez du trait de votre amour, augmentant le désir de votre vue, (c) et fuyant avec la vitesse dun cerf, sans vous laisser tant soit peu comprendre. Cantique entre lEpouse et lEpoux. Coupl. 1.
4.Voyez Sortie de soi. n. 13.
5. Il semble à celui qui se donne à Dieu que le monde se représente à lui en limagination, comme les bêtes sauvages lui faisant de rudes menaces, et principalement en trois manières : la première que la saveur du monde lui manquera, les amis, le crédit, et même les biens. La seconde est une autre non moins cruelle, à savoir comment il pourra souffrir de navoir jamais de plaisir ni de contentement du monde et dêtre privé de toutes ses caresses, attraits, et douceurs. La troisième est encore pire, savoir que (106) les langues sélèveront contre lui, et en doivent faire un objet et sujet de risée. Bref, que chacun le montrera au doigt et laura en mépris. Lesquelles choses sont tellement représentées à quelques âmes quil leur est difficile, non seulement de résister à ces bêtes, mais même de commencer et davancer dun pas. Or il y a dautres âmes plus généreuses, auxquelles se présentent dautres bêtes qui sont plus intérieures et spirituelles, savoir des difficultés et des tentations, des tribulations et des travaux de plusieurs sortes, que Dieu envoie et permet que souffrent ceux qil veut éprouver comme lor en al fournaise, selon le dire de David (a) : Les tribulations des justes sont en grand nombre.
Lâme appelle les diables, qui sont le second ennemi, des forts, dautant quils tâchent avec beaucoup de force de lui couper le passage de ce chemin et parce quaussi leurs tentations et leurs artifices et embûches sont plus difficiles à vaincre et à découvrir que celles du monde et de la chair, joint aussi quils prennent escorte et renfort des deux autres ennemis, le monde et la chair, pour faire une cruelle et forte guerre à lâme. Doù vient que David dit (b) : Et les forts ont cherché mon âme, de la force desquels Job aussi parle en ces termes (c) : il ny a point de puissance sur la terre qui lui soit comparable, lui qui a été fait de telle sorte quil ne craignit personne. Cela sentend quil ny a point de pouvoir humain approchant du sien, et ainsi le seul pouvoir divin est capable de le vaincre et la seule lumière divine capable de connaître et de découvrir (107) ses menées. Cest pourquoi lâme qui aura à vaincre sa force, ne le pourra sans oraison et ne pourra aussi éventer ses ruses et ses tromperies sans humilité et mortification. Car pour ce sujet, St Paul dit ces mots davis aux fidèles : (a) Revêtez-vous des armes de Dieu, afin que vous puissiez résister aux aguets du Diable, parce que nous navons pas à lutter contre la chair et le sang, entendant par le sang le monde, et par les armes de Dieu, loraison et la croix de Jésus-Christ, en quoi gît lhumilité et la mortification que nous avons dit. La-même, coupl. 3.
Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA
rapporte
6. Denis le Chartreux. Que lhomme spirituel nait point daffection désordonnée ou immodérée à aucune chose créée, quil nait nulle délectation déréglée aux choses caduques, ni une crainte superflue de les perdre, ni une douleur excessive de leur perte, ni un désir démesuré pour les avoir. Que même il ne soit point affectionné à la renommée, ou à la gloire et à lhonneur vain et temporel, et ne se soucie ou sattriste avec excès de son infamie et de son mépris, mais plutôt quil sen réjouisse. (De la vie des Recluses, Art. 14.) Eclairciss. Des phrases Mystiques de J. de la Croix. Part. II. Chap. 12. §. 3.
Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
7. Sil se trouvait quelquun si fidèle à son devoir quil eut entièrement passé la région des mourants, en sorte que les profondes et continuelles morts lui eussent admirablement supprimé toute (108) sa propre vie dans le feu de lamour et dans la cuisante et consommante tribulation, tant desprit que de corps, ô Dieu quil serait excellent. Mais cest chose si rare à trouver en ce siècle quà peine en connaît-on un seul. Il ny personne qui se veuille cacher. Tout homme veut paraître, non ce quil est, mais ce quil nest pas, et être estimé et réputé saint. Et ce que les hommes ont reçu de Dieu pour le pouvoir aimer tourne à leur confusion et à leur dommage éternel.
Sans doute le sentiment amoureux et même le goût éternel, si ravissant quil puisse être, nest point le vrai amour. Les pécheurs (a) même, que Dieu veut tirer à lui, en sont quelquefois si pleins (109) quils semblent en regorger, encore quils soient en péché mortel. Cest en la souffrance, cest en la croix volontaire, cest en la pratique des vertus aux occasions, cest en profonde humilité et dans le mépris et abjection de soi-même, cest en léternelle pauvreté desprit en (110) suprême degré, cest enfin en lamour nu que consiste le pur, parfait et essentiel amour et la vraie sainteté, telle quelle doit être exercée en cette vie à léternelle suite de Notre Seigneur mourant tout nu sur la croix pour notre amour.
Je le dis encore une fois, sil se trouvait quelquun qui ne fût autre chose en pratique que lamour mourant, ce serait un Phénix entre les hommes. Peut-être y en-a-t-il mais croyez-moi quon ne les connaît plus. Tandis quun homme (b) ne sexcédera point, il saffranchira toujours de la Croix, pour vivre à la satisfaction de ses sens. Plusieurs même que lont croit excellents sont vaincus à ce point et se couvrent en cela de la volonté de Dieu. Chose qui ne se peut assez déplorer. Nêtre véritable que jusquà un certain terme, (111) cest ne rien faire. Il faut tout donner et toujours rendre la vie en cette agonie, sans espoir daucune allégeance et consolation. Et si les Saints neussent ainsi éternellement agonisé, Dieu ne serait pas si glorieux en eux, ni eux en lui. Celui qui ne se rassasie jamais des souffrances et des angoisses, dans leur abondance et dans leur durée, est très saint et partant est très merveilleux entre les hommes, cest ce que je nai encore guère connu entre les vivants. Il est vrai que cest assez à un corps faible dendurer ce quil peut, et le peu en ce sens, même le désir dans les Saints, est réputé pour le tout. Mais il faut de nécessité que lesprit soit infiniment fort pour nêtre jamais ébranlé, ni touché des désordres et des calomnies dont les vrais Saints sont souvent persécutés à tort et sans cause, quoique ceux qui les traitent ainsi le fassent ignoramment et avec la meilleure intention, ce leur semble. Esprit du Carmel Ch. 6.
8. Ils ont encore assez à faire et à souffrir, tant de la part deux-mêmes que des créatures, et ils reçoivent et soutiennent en toute humilité, patience, force et joie desprit, autant quil leur est possible, tout ce quil leur arrive de fâcheux, non comme venant de la main des créatures, mais purement de la libérale main de Dieu et comme les effets de son amour infini. La-même. Ch. 9. §. 18.
9. Cest pourquoi la fidélité de lEpouse est parfaitement éprouvée, car se montrant généreuse et constante à souffrir labsence de son Bien-aimé, elle pâtit extrêmement, ne cherchant, comme jai dit, consolation ni au-dehors ni au-dedans (112) ni directement ni indirectement. elle ne se console que de ses propres désolations, de ses et de ses gémissements plus amoureux, par lesquels elle exprime à son Epoux comme elle peut ses regrets tristes, lamentables et angoisseux, si toutefois il lui reste quelque respir actif pour cela. Sinon elle se plaint encore plus douloureusement dans sa totale suspension dans ses souffrances, angoisses et langueurs mortelles, par le continuel regard de son esprit vers son Epoux. LEpouse, dis-je, souffre plus ainsi quon ne peut exprimer, étant en cette manière attentive et arrêtée au regard de son Epoux, sans quelle y pense, pendant que laction de ses puissances est totalement suspendue. Car encore quelle ait souvent expérimenté les rigueurs de labsence de son Epoux dans les précédents moyens et de grâce et damour, celui-ci toutefois est beaucoup plus pénible. Il lui semble ici quelle est toute nouvelle et sans expérience en matière de souffrance, à cause des effets rigoureux quelle ressent, tout autres que les précédents. Et elle ne sait, par manière de dire, si elle est morte ou vive, ni si elle est à elle ou à son Epoux. Lunique consolation quelle a, cest quaucune créature ne la peut consoler dans la perte quelle pense avoir faite. Esprit du Carmel. Ch. 15.
10. Cest à cette perfection quil faut parvenir avec un ardent désir et y étant parvenus, il faut y demeurer pour conformer pleinement notre vie à celle de Notre Sauveur. Or pour faire cela comme il faut, rien nest tant à désirer que (113) la tranquille souffrance. Car en cela consiste la pleine félicité des amoureux esprits en cette présente vie, de souffrir cette amoureuse guerre, et la soutenir en pleine paix de cur et desprit, et en très grandes délices. Ce qui toutefois ne sera pas plutôt, quon ne soit mort à toutes choses par dedans. Car pendant quon sent de la répugnance à quelque chose, cest une marque que le cur nest pas entièrement plein de Dieu, ni lesprit entièrement assujetti à sa Majesté. Il faut donc toujours mourir à ses répugnances, et si elles durent toute la vie, il faut les supporter allégrement et arrêter là. Cabinet Mystique. P. 1.ch. I.
LXIII. Transformation.
CANTIQUE.
Dieu étant notre dernière fin, lâme peut sans cesse sécouler dans lui comme dans son terme et son centre et y être mêlée et transformée sans en ressortir jamais. Ainsi quun fleuve, qui est une eau sortie de la mer, et très distincte de la mer, se trouvant hors de son origine, tâche par diverses agitations de se rapprocher de la mer, jusquà ce quy étant enfin retombé, il se perde et se mélange avec elle, ainsi quil y était perdu et mêlé avant que den sortir. (114) Cest ce mélange que St Paul appelle (a) transformation, et Jésus-Christ (b) unité, mêmeté et consommation.
Or cela se fait lorsque lâme perd sa propre consistance pour ne subsister quen Dieu. Chap. I. v. 1.
Il faut savoir que lâme quoiquarrivée en Dieu, sélève peu à peu et se perfectionne dans cette vie divine, jusquà ce quelle arrive au séjour éternel. Elle sélève en Dieu insensiblement, comme laurore, jusquà ce quelle vienne à son jour parfait et son midi consommé qui est la gloire du Ciel. Chap. 6. v. 9.
LEpouse ne craint plus de perdre Dieu, puisquelle est non seulement unie, mais changée en lui. Chap. 7. v. 11.
LAmante demande que son union senfonce davantage. Quoique lâme transformée soit dans une union permanente et durable, elle est néanmoins comme une Epouse qui sapplique aux besoins de sa maison et qui a beau aller et venir sans quelle cesse dêtre Epouse.
Elle demande de plus une autre grâce qui ne saccorde que plus tard, et cest que le dehors soit transformé et changé comme le dedans : car le dedans est longtemps transformé (115) avant que tout le dehors soit changé. En sorte quil reste durant quelques temps certaines faiblesses légères qui servent à couvrir la grandeur de la grâce et qui ne déplaisent pas à lEpoux. Cependant elles sont une espèce de faiblesse qui attire en quelque sorte le mépris des créatures. Quil me transforme donc, dit-elle, par dehors, afin que personne ne me méprise plus. Chap. 8. v. 14.
AUTORITÉS
St DENIS
1.Voyez Consistance. N. 1.
St AUGUSTIN
2. Que si lhomme pendant quil est encore dans la carrière de cette vie, (a) travaille à combattre ses passions et ses désirs déréglés à qui il a donné des armes contre lui-même en se laissant aller au plaisir de jouir des choses passagères, et que mettant sa confiance dans le secours de la grâce de son Dieu, il vienne à bout de les vaincre, étant dailleurs fidèle à le servir avec un esprit pur et droit, il sera indubitablement renouvelé et réformé par cette Sagesse incréée dont toutes choses tiennent leurs formes et leur perfection aussi bien que le premier degré de lêtre, et passant de la (116) multiplicité des biens (a) périssables et sujets à changer à la simplicité du seul bien immuable, il arrivera à la jouissance (b) de Dieu même par le St Esprit qui est le don de Dieu.
Voilà de quelle manière lhomme de charnel quil était devient spirituel et se trouve en état (c) de juger de tout, sans pouvoir être jugé de personne, aimant son Seigneur et son Dieu de tout son cour, de toute son âme et de tout son esprit et son prochain comme lui-même, cest-à-dire dun amour pur et qui ne tient rien de la chair et du sang, comme nous devons nous aimer nous-mêmes. De la véritable Religion. Chap. 12.
3. les Anges et les Bienheureux, toutes les substances intellectuelles, ne peuvent avoir de bonheur et de perfection que de Dieu, de sorte quelles (d) ne sont heureuses quautant quelles le connaissent, ni parfaites quautant quelles se portent par leur amour vers ce premier principe de toutes choses.
(*) Il faut donc que la religion (e) nous (117) lie et nous unisse au seul Dieu tout-puissant et quelle nous y unisse (a) immédiatement et sans lentremise daucune créature, que cette lumière intérieure qui nous fait connaître le Père se communique à nos âmes et comme cette lumière nest autre chose que la vérité éternelle, adorons aussi dans le Père et avec le Père cette vérité qui lexprimait parfaitement et sans aucune différence, est la forme et le modèle de toutes les créatures, puisquil ny en a aucune qui ne vienne de lunité. Ce qui fait voir clairement à ceux qui ont les yeux de lesprit ouverts que toutes choses ont été faites par cette forme primitive qui seule exprime parfaitement ce que toutes les autres choses cherchent et imitent en quelque manière.
Adorons donc cette Ste Trinité dune seule et même substance : cest lunique Dieu en qui se trouve le principe qui nous a fait, et le don ineffable par lequel il nous conserve et nous fait subsister. Ce Dieu que nous avions abandonné et de qui nous avions perdu la ressemblance et qui na pas voulu nous laisser périr. Ce principe vers lequel nous retournons, ce modèle que nous suivons et auquel notre renouvellement nous rend conformes, et cette bonté, source de toute grâce qui opère notre réconciliation, ce Dieu souverainement bon, qui est lauteur de notre être, cette (b) ressemblance (118)substantielle du Père, par laquelle limage (a) de cette souveraine unité se retrace en nous, et cette (b) paix éternelle qui nous tient unis à Dieu, qui na eu quà parler pour faire tout ce quil y a de natures et de substances. Cette Parole éternelle par laquelle il les a faites, ce don ineffable de sa bonté qui a fait que les créatures quil a tirées du néant par sa parole ont trouvé grâce devant ses yeux et quil a bien voulu ne les pas laisser périr entièrement, cet unique Dieu qui comme Créateur nous a donné lêtre et la vie, qui comme Réparateur nous a fait entrer par le renouvellement quil fait en nous, dans une vie conforme aux règles de la véritable (c) Sagesse, qui comme Sanctificateur nous fait arriver à la vie bienheureuse(d) en nous communiquant son amour et en nous faisant jouir de lui, enfin cet unique Dieu de qui, par qui et en qui sont toutes choses : à lui soit honneur et gloire dans tous les siècles des siècles (e) Ainsi soit-il. La-même. Chap. 55.
(119)
4. Vouloir être heureux, cest chercher Dieu, et lêtre effectivement, cest lavoir trouvé et le posséder. Or le chercher, cest (a)laimer, et le posséder, ce nest pas être transformer et comme fondu en sa substance, en sorte quon ne soit plus quune même chose avec (120)lui ; cest être près de lui jusquà le toucher, mais dune manière ineffable que la seule (121) intelligence peut concevoir, en sorte quon soit non seulement éclairé, mais environné et pénétré (122) de sa vérité et de sa sainteté infinie, car il est la lumière par essence et toute lexcellence de notre nature ne consiste quen ce que nous sommes capables den être éclairés.
Or si la souveraine félicité nest autre chose que la possession de Dieu, il sensuit que le plus important des commandements, et qui nous conduits le plus sûrement à cette félicité, cest sans doute celui qui nous ordonne daimer (a) le Seigneur notre Dieu (b) de tout notre cur, de toute note âme et de tout notre esprit (a) (123) Et cest ce qui résulte de ce que dit St (125) Paul, (a) que tout tourne en bien à ceux qui laiment, et il ajoute un peu plus bas, (126) que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni les vertus, ni les maux présents, ni les biens à venir, ni ce quil y a de plus élevé ou de plus profond, ni aucune créature ne sauraient nous séparer de lamour de Dieu qui nous est communiqué par Jésus-Christ Notre Seigneur.
Il ne faut donc quavoir compris ce que nous venons détablir, et en être bien persuadé, pour voir clairement que sil est vrai, comme nous nen saurions douter, que tout tourne en bien à ceux qui aiment Dieu, il est donc ce quil y a de meilleur pour nous, cest-à-dire quil est le Souverain Bien, à lacquisition duquel nous devons travailler avec un empressement qui nous fasse mépriser tous les autres, et à qui tout le monde convient que tout notre amour est dû. Aussi nous ordonne-t-il non seulement de laimer, mais de laimer de telle sorte que nous aimions nulle autre chose.
Car cest ce que lEcriture nous veut faire entendre quand elle nous ordonne de laimer de tout notre cur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Et sil est vrai dailleurs, comme nous nen saurions douter non plus, quil ny a rien qui nous puisse séparer de lamour de Dieu, ni par conséquent nous le (a) faire perdre, nest-il pas plus clair que le jour quil est le plus solide et le lus assuré, aussi bien le plus grand et le plus excellent de tous les biens ? (b) Comment pourrait-on nous séparer de lamour de ce Bien ineffable, (127) en nous menaçant de la mort, puisque la partie de nous-même par où nous laimons ne saurait mourir quen cessant de laimer ? Car la mort de lâme nest autre chose que lextinction de lamour de Dieu en elle, et (a) cet amour séteint dès quelle aime quelque chose plus que Dieu, cest-à-dire, dès quelle cherche quelque autre bien préférablement à celui-là.
Comment pourrait-on nous en séparer par la promesse de la vie, puisque ce serait comme sien nous promettant de leau, no nous séparait de la source ? Comment les Anges pourraient-ils nous en séparer, puisque (b) la force dune âme qui est unie à Dieu nest point inférieure à celle des Anges (c) ?
Comment les vertus le pourraient-elles, puisque si on entend par ce mot-là quoique ce puisse être, de ce qui peut quelque chose dans lUnivers, lunion dune âme avec Dieu lélève au-dessus de lUnivers ? Ou si on entend par le mot de (128) vertus les dispositions de lâme qui en font la rectitude et la perfection, tant sen faut que les vertus nous puissent séparer de Dieu, que si elles sont dans les autres, elles nous sont un secours pour nous unir à lui ; que si elles sont en nous, cest par elles que nous sommes (a) unis à Dieu.
Comment les maux pourraient-ils nous en séparer, puisquils nous sont dautant moins sensibles (b) que nous sommes plus unis à celui dont ils semblent nous vouloir séparer ?
Comment les promesses de quelque bien à venir pourraient-elles nous séparer de Dieu ? Puisquil ny a de promesses solides et sûres que les siennes, ni de biens véritables que ceux quil nous promet, quil est lui-même le plus grand de tous les biens et quil est même déjà (c) présent à ceux qui lui sont unis de la manière dont on doit lêtre ?
(129)
Comment ce quil y a de plus élevé et de plus profond pourrait-il nous séparer de Dieu, puisque si on entend par ces mots, la sublimité ou la profondeur de la science, je sais que la curiosité est une des choses que je dois éviter pour ne me point séparer de Dieu ; quen vain les plus savants hommes sefforcent de men séparer, sous prétexte de me tirer de lerreur, puisque je sais que (a) personne nest dans lerreur que pour être séparé de lui ? Que si on entend par ces mots-là le ciel et lenfer, comment la promesse du ciel ou la crainte de lenfer pourraient-elles me séparer de Dieu, puisque je sais que le ciel est son ouvrage, et que si je nétais point séparé de lui, je naurais rien à craindre de lenfer ?
Enfin en quelque lieu quon me mette, comment pourrait-on me séparer de Dieu puisquil est partout ? Ce qui ne pourrait être, si quelque sorte despace ou de lieu pouvait le renfermer ou le contenir. Des murs de lEglise. Chap. II.
RUSBROCHE.
5. Nous passons de clarté en clarté, et par la lumière créée de la grâce divine, nous sommes élevés dans la lumière incréée qui est Dieu même. Nous sommes introduits et transformés en notre éternelle image qui est la Sainte Trinité. Là le Père nous trouve et nous aime en son Fils. Le Fils nous trouve et nous aime du même amour en son Père. Le Père et le Fils nous embrasse dans lunité (130) du Saint Esprit. Des sept gardes.Chapitre 17.
6. Voyez Opérations propres. n. 6.
HARPHIUS.
7. Cette déification est au-dessus de toute raison, et nest connue que de lexpérience. La raison se peut tromper aisément dans ces choses qui sont au-dessus delle, mais celui qui est pleinement éclairé de Dieu trouve et possède la vérité sans fausseté et sans erreur.Théol. Mystique. Livre. 3. Chap. 24.
Ste CATHERINE DE GÊNES.
8. Je ne vois plus dunion, parce que je ne puis plus voir autre chose que Dieu seul sans moi. Je ne sais où je suis, ni ne cherche pas à le savoir, ni nen veux avoir de nouvelles. Je suis aussi noyée dans la source de lamour et dans ce doux feu qui surpasse toute mesure, comme si jétais abîmée (a) dans la mer sans pouvoir ni voir ni sentir que leau. En sorte que je ne puis plus comprendre autre chose que tout amour, qui me fait fondre toutes les moelles de lâme et du corps. En sa Vie. Chapitre. 22.
9. Voyez Anéantissement. N. 12.
10. Voyez Création. N. 5.
Le B. JEAN DE LA CROIX.
11. Comme cette transformation et union ne peut tomber dans le sens et habileté humaine, il faut que lâme se dénue parfaitement et volontairement de tout ce qui peut être en elle. Je dis daffection et de volonté, en ce qui est de sa part, car qui empêchera Dieu de faire ce qui lui plaira en une âme résignée, dénuée et anéantie. Montée du Mont Carmel. Livre. II. Chap. 4.
12. Doù vient que Dieu se communique plus à lâme qui est avantagée en amour, ce qui consiste à avoir sa volonté plus conforme à celle de Dieu, et celle qui la du tout conforme et semblable est totalement unie et transformée en Dieu surnaturellement. La-même. Ch. 5.
13. Dieu enflamme la volonté avec lamour divin de manière que la volonté ne soit plus que divine, naimant pas moins que divinement, faite et unie en un avec lamour et la volonté divine. Et la mémoire pareillement, comme aussi les affections et les appétits sont tous changés selon Dieu divinement, et ainsi cette âme sera toute céleste et plus divine quhumaine. Obscure Nuit. Livre 2. Chapitre 13.
14. Or sur ce crayon de la foi, il y a un autre crayon damour en lâme de lamant qui est selon la volonté en laquelle la figure de lami se crayonne de telle manière et se dépeint en elle si conjointement et si vivement quand il y a union damour, quil est vrai de (132) dire que lami vit en lamant et lamant en lami. Et lamour fait une telle sorte de ressemblance en la transformation des aimés quon peut dire que chacun est lautre et que tous deux font un. La raison est parce quen lunion et la transformation damour, lun donne possession de soi à lautre et chacun se laisse, se donne et séchange pour lautre. Et ainsi chacun vit en lautre, et lun et lautre, et les deux sont un par transformation damour. Cantique entre lEpouse et lEpoux. Couplet 12.
15. Voyez Mariage spirituel. N. 6.
16. Lâme étant sortie de tout, se transforme en Dieu qui est celui quelle appelle ici jardin pour le lieu suave et délectable que lâme trouve ne lui. (*) Or on narrive point à ce jardin de pleine transformation, lequel est déjà joie, délectation et gloire de mariage spirituel, sans passer premièrement par les fiançailles et par lamour loyal et commun des fiancés. Dautant quaprès que lâme a été quelque temps fiancés en un entier et suave amour avec le Fils de Dieu, après le même Seigneur lappelle et la met en ce jardin fleuri pour consommer avec lui ce très heureux état de mariage, où il se fait une telle union des deux natures, et une telle communication de la divine à lhumaine, que, pas une ne changeant son être, chacun semble être Dieu, encore que pendant cette vie, cela ne puisse être parfaitement, bien que ce soit au-dessus de tout ce quon peut dire et penser. Elle jouit dune délectation de gloire de Dieu en la substance de lâme déjà transformée en lui. La-même. Couplet. 28.
(133)
17. Nous entrerons dans ces celliers.
Cest autant que si lâme disait : là nous nous transformerons en transformation de nouvelles notices et de nouveaux actes et communication de lamour. Car encore que lâme, lorsquelle dit cela soit déjà transformée, à cause de létat susdit, cela nempêche pas néanmoins quelle ne puisse avoir de nouvelles illustrations et transformations, de nouvelles connaissances et lumières divines. Au contraire, il y a des illuminations très fréquentes de nouveaux mystères que Dieu communique à lâme en la communication perpétuelle qui est entre lui et lâme. Oui même il lui communique cela en soi-même et elle entre comme de nouveau en Dieu, selon la notice de ces mystères quelle connaît en lui et en cette connaissance de nouveau elle laime hautement et très étroitement, se transformant en lui selon ces nouvelles notices. Et la saveur et délectation quaussi elle reçoit pour lors de nouveau est totalement ineffable. La-même Couplet 37.
18. Voyez Mariage Spirituel. n.9.
19. Voyez Création. n.11.
20. Voyez Communication §. I . n.2.
21. Voyez Entendre. n.21.
22. En cet état cette liaison paraît une toile si déliée, à cause quelle est déjà fort spiritualisée, illustrée, affinée ou subtilisée, que la Divinité ne laisse pas de luire au travers, et comme lâme sent la force de lautre vie, elle voit la faiblesse de celle-ci et la toile lui semble très délicate, et même une toile daraignée. Et encire est-elle bien moindre aux yeux de lâme qui est déjà si agrandie. Car étant élevée à une manière divine (134) de sentir, elle sent et juge les choses à la façon de Dieu devant lequel, comme dit le Prophète (a) mille ans sont comme le jour dhier qui est passé, et selon Isaïe (b) tous les peuples sont comme sils nétaient point. Et tout est devant lâme en ce prix et en cette estime, parce que toutes choses ne lui font rien, et elle encore à ses yeux nest rien, Dieu seulement lui est toutes choses.
Dieu, pour la consommer et élever davantage de la chair, fait en elle des investitures glorieuses et divines, à guise et forme de rencontres qui le sont véritablement, par lesquels il pénètre toujours, déifiant la substance de lâme et la rendant comme divine. En quoi lêtre de Dieu absorbe lâme, tout ainsi quil la rencontrée et transpercée vivement au St Esprit, duquel les communications sont impétueuses quand elles sont fervents, comme celle-là lest, en laquelle, parce que lâme goûte vivement de Dieu , elle lappelle douce, non parce que les autres attouchements et rencontres quelle reçoit en cet état ne soient doux et savoureux, mais à cause de léminence que ce rencontre a pardessus tous les autres.
23. Voyez Sentiments. n.5.
24. Voyez Union. n.58.
25. Voyez Communication. §. I. n.4.
26. Cest un don mystique et affectif de lâme à Dieu, car il lui semble véritablement que Dieu est sien et quelle le possède comme enfant adoptif de Dieu, avec propriété de droit, par la grâce que Dieu lui a fait de soi-même. Elle le donne donc à son Bien-aimé, qui est le (135) même Dieu qui sest donné à elle. En quoi elle paye tout ce quelle doit, car de la volonté elle lui en donne tout autant avec plaisir et joie inestimable, donnant le St Esprit chose sienne, en donation volontaire, afin quil soit aimé comme il mérite. Et en cela lâme reçoit une délectation indicible de voir quelle donne à Dieu une chose qui lui convient selon son Être infini. Car encore quil soit vrai etc
(Voyez Union n. 62.)Vive flamme damour. V. 5. & 6.
27. En ce réveil que fait ici lEpoux en cette âme parfaite, tout est parfait (a) car cest lui qui fait tout au sens quil a été dit. La-même. Cant. 4. V. 3.
Le P. NICOLAS DE JÉSUS MARIA
rapporte
28. St Bernard. Voyez Fonte de lâme. n.2.
29. D. Barthelemi des Martyrs. Voyez Propriété. N. 24.
30. Albert le Grand. Voyez Pur amour.n.29.
31. Richard. Lesprit semble défaillir de lhumain au divin, tellement quil nest plus lui-même. (Livr. 5. De la Contempl. Ch. 12.) Eclairciss. des Phr. Myst. de J. de la Croix. P.II. Ch. 16. §. 4.
32. Rossignolius, qui dit que St Grégoire de Naziance a qualifié cette union du nom de Deification ; dautres de celui de Deiformité. (Livr. 5. De la Perfect. Ch. 24.) La-même.
(136)
33. St Augustin, à qui Notre Seigneur disait : Je suis la viande des forts, croissez et puis vous me mangerez, vous ne me changerez pas néanmoins en votre substance, comme il arrive en la nourriture corporelle, mais ce sera vous qui serez changé en moi. (Confessions Livre. 7. Ch. 10) La-même.
34. Albert le Grand. Cest lamour seul par lequel nous nous convertissons à Dieu, nous nous transformons en Dieu, nous adhérons à Dieu, nous sommes unis à Dieu et sommes un esprit avec lui.
Il ny a rien de plus aigu que lamour, rien de plus subtil ou pénétrant, et il ne se repose point jusquà ce que naturellement il ait pénétré amiablement toute la vertu, profondeur et totalité. Et il se veut faire une chose avec laimé et sil le peut, la même chose que laimé. Car lamour est une force unitive et transformative, transformant lamant en laimé, et laimé en lamant, afin que lun des amants soit en lautre réciproquement, le plus intimement quil se peut. (De lattachement à Dieu. Ch. 12) La-même.
35. Denis le Chartreux. En cette transformation de lesprit en Dieu, lesprit même sécoule de soi, et défaut, et se laissant avec toute la propriété de soi-même et des autres choses, il est plongé et enfoncé, fondu et liquéfié, absorbé et abîmé dans cet abîme surineffable, très simple et i,terminable, et aussi en cette obscurité inscrutable et inaccessible, et afin de comprendre tout ensemble, il est anéanti et perdu, mais li vit en Dieu et étant avec lui nu, pur et libre de toute propriété , mélange et affection, il est fait une chose, un esprit, une âme, un être, une félicité, (137) car il reçoit et nadmet autre chose. Parce quil a passé en la simplicité déiforme, linfluence de Dieu le tirant intérieurement, et le contact le surélevant, aliène lâme de soi et la transporte comme en un être nouveau, non pas quen tout ceci la nature et lexistence de la créature soit changée ou cesse dêtre, mais parce que la façon est exaltée et la qualité déifiée. (De la vie solitaire. Livre 2. Ch. 10.) La-même.
Le P.BENOIT DE CANFELD.
36. Lâme hait à mort tout ce qui peut faire ressentir quelque plaisir, ou avoir autre pensée delle-même, ou qui lui persuade quelle est une et son Epoux un autre, en qui elle désire que toutes les créatures soient fondues, liquéfiées, consommées et anéanties. Ici elle sentend et reçoit cette essence en elle, non comme un vase reçoit quelque chose, mais comme la lumière de la lune celle du Soleil. Ici elle étant ses purs et chastes bras, pour plus étroitement embrasser et étreindre son Epoux, mais elle sen trouve plus étroitement embrassée et étreinte. Ici elle ouvre la capacité de son esprit pour engloutir cet abîme, mais au contraire elle sen trouve heureusement absorbée et ne sait que faire pour satisfaire limpétuosité de cet amour. Elle demeure seulement en une pure, simple et constante conversion et adhésion à Dieu, auquel elle demeure si immuablement attachée que comme parle lApôtre, elle (a) sen revêt, car par ce fixe regard elle le voit uniquement, par cette simple conversion elle se divertit de toutes les créatures, et par son immutabilité, elle les oublie toutes, afin quelle nentende, naime et (138) ne se ressouvienne que de lui. Et ainsi vraiment, comme dit lApôtre, elle le revêt et se transforme en lui.
Cette vaste étendue danéantissement est cette solitude de laquelle lEpoux dit en Osée : (a) Je la mènerai en solitude et là je parlerai à son cur. Mais dautant que cet immense espace danéantissement lui est maintenant comme habituel, pour en avoir vu le fond par expérience, aussi bien que cet excellent amour pour être fondue et transformée en lui, de là vient que leur effet est comme continuel, à savoir lhabitude dunion ou la continuelle assistance et propre vision de cette essence.
Toute cette imperfection est ici purgée, attendu que lâme a découvert en elle , et expérimentalement goûté, comme son Epoux est plus dedans quelle-même, et que par ce degré de continuelle et habituelle union, elle soccupe toujours en lui, sans en plus douter ni hésiter, de sorte quune telle âme vit toujours en la lumière, et toujours avec lEpoux céleste, sans que les ténèbres, la mort ou le Diable lui puissent nuire ou sapprocher delle, mais (b) le Diable sortira de dessous ses pieds, la mort senfuira de devant sa face. Et (c) les ténèbres ne seront point obscurcies de toi, et la nuit sera éclairée et comme le jour. (d) Les ténèbres des uvres extérieures ne seront pas obscurcies par toi, et la nuit de la vie (139) active sera illuminée comme le jour de la vie contemplative. Ses ténèbres seront de même que sa lumière.
Enfin voilà la vraie vie active et contemplative, non pas séparées comme quelques uns pensent, mais jointes en même temps, parce que la vie active de cette personne est aussi contemplative : ses uvres extérieures, intérieures ; les corporelles, spirituelles ; et les temporelles, éternelles. Règle de perfection. Part. 3. Ch. 7.
St FRANÇOIS DE SALES.
37. A force de se plaire en Dieu, on devient conforme à Dieu et notre volonté se transforme en celle de la divine Majesté par la complaisance quelle y prend. De lamour de Dieu. Livr. 8. Ch. 1.
38. Voyez Non-désir. N. 34.
Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
39. Lâme Epouse de Dieu étant arrivée à cette divine unité de son fond est dorénavant toute transformée en Dieu, non par nature, car cela ne se peut, mais par grâce et par effet dabondance dun amour vigoureux, lequel est généreusement actif en un temps, et nuement et simplement passif en un autre. Esprit du Carmel. Ch . 14.
40. Cette âme si heureuse vit de la vie de Dieu et Dieu vit en elle comme en soi-même (sil faut ainsi dire), sans aucune résistance de la créature, car elle est comme ce qui na jamais été, au moins si elle nest menteuse, contrariant en quelque chose à son juste devoir, comme en effet elle pourrait bien vivre de plus près ou de plus loin à soi-même. La-même. Ch. 22.
41. Voyez Consistance. N. 39.
(140)
42. Voyez Foi nue. N. 44.
43. Cest le feu divin et ineffablement délicieux, coulé en la terre de lhomme, je veux dire en son esprit, auquel toute lâme étant convertie, on doit croire que tout lhomme est très divin, autant quil est possible selon le présent état. En effet sa déiformité est si excellente que les Anges mêmes sen étonnent, à cause de ce qui est intervenu en ceci de la part de lhomme qui est la très libre application de son franc-arbitre, pour aimer Dieu son divin objet infatigablement et à perte dhaleine, vers lequel lamour la fait courir et quelquefois voler. Et enfin il atteint son Objet à force de courir après lui, tantôt à lodeur de ses parfums, tantôt et beaucoup plus souvent en morts et destitutions de sa présence sensible, et est parvenu à lunion inséparable avec lui.
Lâme lui est déjà si étroitement et si inséparablement unie, quelle a quelque sorte de communion à toutes les perfections, en toute sa déité. Car elle est pleine de Dieu selon la capacité présente de son vaisseau qui nen peut davantage contenir en son présent état. La déiformité est déjà si grande et si haute en la créature que Dieu se complait déjà grandement en elle en la jouissance de sa beauté. Cabinet Mystique. P. I. chap. 3.
44. Il faut savoir que la créature en cet état est encre fort éloignée de sa consommation tandis quelle est capable de recevoir quelque chose en la lumière divine, soit pour la simple spéculation, soit pour le goût, soit pour lextase, qui sont choses toutes différentes. Car sa consommation ne doit et ne peut-être que la fin et le succès de tous ces moyens mystiques ; De sorte (141) que si le sujet a été trouvé fort, tout cet ordre de Mysticité moyenne a eu son succès par une abondance deffets si prodigieux, si mystiques et si laborieux que le seul souvenir en est très plaisant au vrai et perdu Mystique. Mais ce qui reste de ceci à lâme, perdue en Dieu son Objet, est toute autre chose, et cest ce qui la ravit imperceptiblement, et en quoi saccroît et saugmente de plus en plus sa très simple et ineffable jouissance. Bonheur quelle possède en son repos ineffable, très simple et très unique, qui lui fait expérimenter quon ne peut (a) aller ni passer outre. La-même. Chap. 4.
45. dieu se délecte souverainement à inonder toute lâme de ses délices, pour lunir à soi tout autrement que jamais, en union dunité. En quoi lon peut dire que lâme est Dieu en Dieu même, non par nature, mais en amour et par amour. Dautant quelle a et possède ce quil possède, dune toute autre amplitude, largeur et profondeur, quelle ne se faisait aux unions simples et profondes de on action précédente. Car celle-ci est union au-delà de lunion, en lunité suressentielle de soi-même, comme on pourrait dire, que lunité de lâme et du corps fait un même de deux parties, unies et conjointes dun lien et dun amour inséparable. Je crois que jexprime naïvement par cette similitude autant quil est possible, cette déification profonde et suressentielle de lâme, déjà acquise en ce premier degré dans lequel elle est si pleinement regorgeante des délicieuses et efficaces actions de Dieu, tant dehors que dedans, quelle ne paraît ni ne sent (142) autre chose que cela en cela même. De là vient que sans son sû et sans son action, elle (a) senfonce et sabîme de plus en plus dedans ce fond abyssal.
En ce degré et en cette divine voie, lâme jouit, contemple et repose, en profondeur de délices, soit en profondeur de simples vues qui est un degré beaucoup au-delà du premier et de plusieurs autres qui sont entre lun et lautre, pour faire arriver lâme au dernier et suprême point de consommation. Dès ici, dis-je, et pour jamais elle est en fruition de tout cela, dans la jouissance objective de son unique Objet, sans temps, sans éternité, sans admiration. Et possédant ainsi son bien objectif en la suprême plénitude suressentielle de lui-même, elle se va plongeant et dilatant là-dedans, ni plus ni moins quune petite goutte deau jetée dans la mer se perd et sanéantit à elle-même, sincorporant à ce corps élémentaire, où elle est conservée, toute perdue à soi-même pour jamais, et sans jamais en pouvoir sortir telle, ou comme elle était en distinction. Je ne veux pas dire quici, ni même en la suprême consommation de lesprit parvenu au dernier point et degré des profondeurs consommées, lessence créée de lâme ne lui demeure pour simplement subsister et agir en ses fonctions ordinaires. Mais elle est perdue à son appétit sensitif et actif, par lequel elle désirait suprêmement et impatiemment retourner à son souverain et éternel principe et son bien unique et objectif, pour nen ressortir jamais vive. Jentends sans avoir jamais envie den sortir pour retourner à son appétit actif. Elle saint très bien quil y a (143) une infinie distance entre le désir et la commune possession qui consiste dans les plus profondes unions, et la très parfaite et entière possession du bien objectif possédé en lui-même, en la réplétion du simple surpassif où lâme étant arrivée, opère dune manière inconcevable, non par elle-même, mais par la très simple action de Dieu qui lagit, la tire, la ravit hors delle-même et de tout le créé, en labîme incréé, de profondeur en profondeur, et de plénitude en plénitude. Cabinet Mystique. P. I. ch. 5.
46. Cet état nest autre chose que la très simple transfusion de tout le créé en lincréé, lequel créé se dilatant par succession de temps là-dedans de plus en plus, jusquau dernier point de consommation, se trouve entièrement perdu pour jamais en ces abîmes de profondeur. Alors il se trouve simple, unique ; je dis quil se sent et se voit dune très simple vue, simple dans la très simple unité dans lEssence divine.
Là étant arrêté et établi, il est fait identité de son même fond vigoureux, simple et originaire, et cela se fait et se contient en léminence dune double fécondité, faite unique en unité du simple fond vigoureux. Car le simple fond du simple créé se dilate et se perd en même temps totalement au-dedans de labîme de son fond originaire qui est Dieu, allant à cet effet et senfonçant là-dedans comme dabîme en abîme, jusquà ce quil soit arrivé, comme nous avons dit, au dernier point de mêmeté et didentité possible, sauf la distinction et la différence qui demeure toujours entre lêtre incréé et le créé. Cabinet Mystique. P. I. ch. 9.
47. Il nest plus possible à lâme ainsi consommée, de se divertir de cette très simple fruition par intention et volonté, dautant que ses forces sont entièrement consommées, pour navoir jamais dappétits contraires. Je dis de volonté et dintention, parce que la vie dont on vit ici est éternelle, simple et suressentielle, en repos et fruition de lEssence divine. Car lâme dans sa consommation est totalement recoulée et perdue en cette divine Essence avec tous les bienheureux esprits qui sy sont amoureusement perdus par leurs amoureux, perpétuels et très vigoureux plongements. En laquelle sétant totalement surpassés, et rien ne se trouvant plus deux, cette union intime fait quil ny a plus quune infiniment simple, amoureuse et aimable essence et substance, de laquelle et en laquelle ils vivent tous de pareille vie et plaisir delle-même.
Au reste tout ce qui vit éternellement au Père vit de même éternellement au Fils, et tout ce qui vit au Fils et au Père, vit pareillement au Saint-Esprit qui embrasse et ravit à soi et en soi toute la fécondité, et (a) nous avec elle, en toute létendue de cette suressentielle Essence dont les Personnes sortent incessamment à leur béatifique action, et nous avec elles, en rentrant incessamment avec nous en leur repos ineffable. Cabinet Mystique. P. I. ch. 10. §.6.
48. Je ne veux plus que vos Epouses semploient à vous annoncer que je languis de votre amour, car nous nous possédons lun lautre en notre commune jouissance. Nous nous embrassons très étroitement et mutuellement en létendue infinie de vous-même, où je suis, non (145) tellement quellement amoureuse, mais je suis passée au même amour que vous êtes pour vous-même. LEpouse qui a fait cette expérience sait si les traits et les attraits de votre ravissante beauté et les délices dans lesquelles vos Epouses sont toutes fondues de joie et damour, en vos divins et uniques embrassements, se peuvent exprimer par paroles si profondes et si essentielles quelles puissent être. Car la vue charmante de son objet que vous êtes, ravissant en soi-même son sujet, je veux dire son Epouse que je suis, dès ce même moment, il lui ôte les paroles, et les lui ravit en la force impulsive de son contentement qui surpasse tout sentiment. Il lui ôte, dis-je, le désir et la parole en sorte quelle ne veut, quelle nose, et même quelle ne peut rien exprimer de ceci. Soliloque. 6. Ch. 1.
49. Quand nous sommes parvenus à notre centre qui est Dieu, transfus et perdus en lui par lentière transformation de notre volonté en la sienne, nous jouissons dès ici-bas de la plénitude des Saints, même au plus fort de nos batailles et de nos croix. Cela est si merveilleux que dieu prend un singulier plaisir à nous polir de plus en plus par toutes sortes dexercices. Abrégé de sa Vie. Part. 2. Chap. 3. N. 94.
(146)
LXIV. Tromperie.
MOYEN COURT.
Mais quel danger peut-il y avoir à marcher dans lunique voie qui est Jésus-Christ, se donnant à lui, le regardant sans cesse, mettant toute sa confiance en sa grâce et tendant de toutes nos forces à son plus pur amour. Ch. 23. N. 3.
On ne peut être uni à Dieu sans la passiveté et la simplicité, et cette union étant la béatitude même, la voie qui nous conduit dans cette passiveté ne peut être mauvaise ; au contraire, elle est la meilleure et il ny a point de risque dy marcher. Ch. 24. N. 11 ?
CANTIQUE.
Je serai là en toute assurance, je ne me pourrai plus tromper. Ch. 1. V.6.
Vous êtes terrible (a) au Démon et au péché, comme une armée rangée en bataille. Ch. 6. V 3.
LEpouse est terrible et redoutable aux Démons, au péché, au monde, et à lamour (147) propre, comme une armée rangée prête à donner la bataille. La-même. V. 9.
AUTORITÉS.
St DENIS.
1. Voyez Opérations propres. N. 4.
Ste CATHERINE DE GÊNES.
2. O amour ! Qui mempêchera que je ne vous aime. Quand même je me trouverais parmi un camp de soldats, je ne pourrais en être empêchée. Si le monde, ou les maris pouvaient empêcher le pur amour de Dieu, ce serait une faible vertu, mais je sens en moi quil ny a rien qui puisse vaincre cet amour, car il surmonte toutes choses.
Il fut dit quelle pouvait être trompée du Diable, elle répondit : je ne puis croire quun amour qui nest point propre puisse être trompé.
On peut aussitôt dire quil ny a point de Dieu comme de dire que lamour de Dieu pur et net en quelque créature puisse être trompé. En sa vie. Ch. 19.
3. Lâme ne peut plus être trompée par sa partie propre, mais elle la réduit à un si grand désespoir, quelle ne lui veut donner aucun rafraîchissement, soit corporel, soit spirituel. La-même. Ch. 26.
Ste THÉRÈSE.
4. Voyez Non-désir. N. 16.
Le B. JEAN DE LA CROIX.
5. Voyez Défauts. N. 14.
6. Lorsque Dieu visite lâme par le moyen du (148) bon ange, elle nest pas du tout sure, ni si à lobscur, ni si cachée que lennemi nen découvre quelque chose. Mais quand Dieu la visite lui-même, cest alors que se vérifie bien le vers susdit :
(A lobscur, mais sans nul danger)
Parce que du tout à lobscur et cachée à lennemi, elle reçoit les faveurs spirituelles de sa divine Majesté. La cause en est, parce que comme Dieu est le Seigneur Souverain, il demeure substantiellement en lâme, où lAnge ni le Diable ne sauraient aborder pour entendre ce qui sy passe, et ne peuvent connaître les intimes et secrètes communications qui se traitent là entre Dieu et elle, car celles-ci, à cause que Notre Seigneur les fait par soi-même, sont totalement divines et souveraines.
* Ce qui est, quand déjà avec liberté desprit, sans que la partie sensitive le puisse empêcher, ni le Diable par son moyen le contredire, lâme jouit en faveur et en une paix intime de ces biens. Parce que pour lors le Diable noserait lattaquer, dautant quil ny pourrait atteindre, ni entendre ces divins attouchement en la substance de lâme avec celle de Dieu par la notice amoureuse. Personne narrive à ce bien là, si ce nest par intime purgation, nudité et cachette spirituelle de tout ce qui est créature, et cest là être à lobscur. Obscure nuit. Livr. 2. chap. 23.
7. Voyez Consistance.n. 24.
8. Voyez Quiétude. §. I.n.29.
9. Lautre aveugle que nous avons dit pouvoir empêcher lâme en ce genre de recueillement, cest le Diable qui veut quétant aveugle, lâme le soit aussi (149) . Lequel en ces très hautes solitudes où lon reçoit les délicates onctions du St Esprit, (dont il est fort fâché et envieux à cause que lâme lui échappe des mains, quil ny peut plus atteindre, et quil voit quelle sagrandit merveilleusement) , tâche de mettre en cette nudité et aliénation quelques cataractes de notices et ténèbres de sucs sensibles, parfois bons. Et en cela, il la distrait et retire facilement de cette solitude et recueillement. Vive flamme damour. Cant.2. v. 3.§ 14.
Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA.
10. St. Augustin. Voyez Quiétude. §I. n. 33.
11. St Ambroise. Voyez Création. n. 12.
Le Fr. JEAN DE SAINT-SAMSON.
12. Tout ce temps-là, le diable est contraint de roder au loin, sans pouvoir aucunement approcher, car sil voulait approcher de nous de la distance même de notre regard, il serait foudroyé par notre même regard. Cabinet Mystique. P. 2. Chap. I. n. 3.
LAUTEUR DU JOUR MYSTIQUE.
13. Il nest pas croyable quun si grand nombre dAuteurs aient été trompés en matière doraison quils fréquentaient ordinairement et qui était toute la consolation de leurs âmes. Dieu qui est trop fidèle pour permettre que de saints personnages, qui ne respiraient que sa gloire, aient été déçus en une chose qui était toute la conduite et toute la direction de leur vie, vu même que les uns ont été canonisés de lEglise, que les autres ont opéré quantité de miracles, quentre eux, il y en a eu de très savants, et que tous ont vécu dune vie très sainte et très exemplaire. De là, il est aisé de comprendre quel jugement on doit former de ceux qui, sans avoir égard à tout ce que dessus, décrient par leurs discours et mauvais écrits cette science des Saints, je veux dire, les pratiques et les exercices de la vie Mystique et cachée dans les âmes humbles. Livre. I Traité I. ch. 5. Sect. 4.
14. Un des plus beaux et des plus élevés discours que Notre Seigneur ait jamais fait, fut celui quil eut avec la Samaritaine, où entre plusieurs choses éminentes dont il lentretint, il lui dit (a) que Dieu était esprit et que comme tel il cherchait des adorateurs desprit et de vérité, comme insinuant quil ne pouvait être adoré en vérité sil nétait adoré spirituellement, cest à dire dune manière rapportante à la nature de Dieu qui est tout esprit. La-même. Sect ; 5.
15. Les Auteurs Mystiques disent que ce chemin est inconnu à lesprit malin qui ne sait ce qui se passe dans une telle âme, bien quil puisse connaître par la disposition de lhomme intérieur que quelque chose de singulier se fait en elle, par la lumière de grâce qui procède delle, la présence de laquelle ne pouvant supporter, il est contraint de fuir et déviter cette âme.
Ils disent encore que le moyen de connaître si une lumière vient de Dieu, cest de considérer si elle reluit au fond de lâme, parce que le malin esprit ne peut décevoir cet âme quen causant quelque douceur ou consolation dans la partie sensible et que Dieu seul peut entrer et sécouler dans son esprit ou partie suprême.
Ces autorités prouvent que le Diable na point de prise sur la suprême pointe de lesprit, parce (151) quil ne peut connaître ses opérations. Et la raison est que les opérations de cette pointe sont le repos et la tranquillité, et que ce repos tranquille est un consentement de volonté obscur et imperceptible.
De plus, si le Diable pouvait quelque chose sur cette suprême partie de lâme, ce serait en produisant quelque espèce ou acte en elle, ou empêchant sa propre opération. Or il ne peut ni lun ni lautre. Il ne peut rien produire en elle parce que la chose reçue prend la forme de son sujet, comme leau se reçoit en rond dans un vase qui a cette figure. Or cette cime ou pointe de lâme ne peut produire ou recevoir que des actes mystiques qui sont des quiétudes sans formes et sans images, que le Diable ne peut produire, ni en soi, ni en autrui. Livre 3. Traité 3. Chap. 9. Sect. 2.
LXV. Vertu.
Que cet état renferme toute vertu.
MOYEN COURT.
Cest là le moyen court et assuré dacquérir la vertu, parce que Dieu étant le principe de toute vertu, cest posséder toute vertu que de posséder Dieu, et plus on sapproche de cette possession, plus on a la vertu en degré éminent.
(152)
De plus je dis que toute vertu qui nest point donnée par le dedans est un masque de vertu, et comme un vêtement qui sôte et ne dure guère. Mais la vertu communiquée par le fond est la vertu essentielle, véritable et permanente. (a) La beauté de la fille du Roi vient du dedans. Et de toutes les âmes, il ny en point qui la pratiquent plus fortement que celles-ci, quoiquelles ne pensent pas à la vertu en particulier.
Dieu auquel elles se tiennent unies, leur en fait pratiquer de toutes sortes : il ne leur souffre rien, il ne leur permet pas un petit plaisir.
Quelle faim ces âmes amoureuses nont-elles pas de la souffrance ? A combien daustérités se livreront-elles, si on les laissait agir selon leurs désirs ?
Elles ne pensent quà ce qui peut plaire à leur Bien-aimé. Ch. 9. N. 1, 2.
CANTIQUE.
Ces ornements seront des chaînes en signe de votre parfaite soumission à toutes les volontés du Roi de gloire, mais elles seront dor, pour représenter que nagissant que par amour très épuré, vous (153) navez que la simple et pure vue du bon plaisir et de la gloire de Dieu dans tout ce que vous faites ou souffrez pour lui. Elles seront néanmoins marquetées dargent, parce que, quelque simple et pure que soit la charité en elle-même, elle doit se produire et signaler au-dehors par la pratique des bonnes uvres et des plus excellentes vertus.
Il faut remarquer que le divin Maître, en bien des endroits, prend un soin particulier dinstruire sa chère disciple de la pureté souveraine de lamour quil demande dans ses Epouses et de sa fidélité à ne rien négliger de tout ce qui regarde le service du Bien-aimé ou lassistance du prochain. Chap. I. v. 10.
Notre lit, dis-je, est préparé et orné par les fleurs de mille vertus. La-même. V. 15.
LAmante dit que son Bien-aimé prend son repas en elle parmi les lis de sa pureté. Il se repaît lui-même de ses grâces et de ses vertus ; il vit dinnocence et de pureté, afin de nous en nourrir. Chap. 2. V. 16.
Cette vapeur est composée des odeurs les plus choisies de toutes les vertus. Ch. 3. V. 6.
Ces trônes vivants du Très-haut étant pleins damour, ils sont aussi parés de tous les fruits et ornements de lamour, qui sont (154) les bonnes uvres, les mérites, les fruits du St Esprit, et la pratique des plus pures et des plus solides vertus. La-même. V. 10.
Venez, dit-il encore, du sommet des plus hautes montagnes, cest-à-dire de la pure pratique des plus éminentes vertus. Ch. 4. V. 8.
Lodeur de vos vertus et de vos bonnes uvres, qui vous servent comme de vêtements et auxquelles vous ne tenez plus, depuis que la propriété en est bannie, se répand partout comme un encens très odoriférant. La-même. V. II.
AUTORITÉS.
St AUGUSTIN.
1. Sil est vrai que Dieu est le Souverain Bien de lhomme et sil est vrai dailleurs que ce quon appelle bien vivre, cest chercher le Souverain Bien, il sensuit que bien vivre nest autre chose quaimer Dieu et laimer de tout notre cur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Et cela (a) importe de lui conserver tout entier et pur de toute corruption cet amour que nous lui devons, ce qui est loffice de la tempérance ; de ne se laisser affaiblir par nulle sorte dadversités, ce qui est loffice de la force ; de ne le (155) laisser asservir à nulle autre chose, ce qui est loffice de la justice, et enfin de tenir les yeux ouverts pour juger de toutes choses et pour prendre garde que lapparence de quelque faux bien ne nous séduise et ne détourne notre amour de son objet, ce qui est loffice de la prudence. (a)
Voilà (b) en quoi uniquement consiste toute la vertu et toute la perfection, et (c) le seul moyen quil y ait pour parvenir à jouir de la vérité dans toute sa pureté. Cest sur quoi les deux Testaments sont parfaitement daccord et à quoi lun et lautre nous porte et nous exhorte dune commune voix.
Il faut donc que tous ceux qui se proposent darriver à la vie éternelle aiment dieu de tout leur cur, de toute leur âme et de tout leur esprit. Or la vie éternelle est toute la récompense qui nous est promise, et il faut que le mérite précède la récompense, et que lhomme en soit digne avant quelle lui soit donnée. Cela ne se pourrait autrement sans que la justice fut blessée, et Dieu est la justice même. Que si lon demande ce que cest que la vie éternelle, celui qui la donne nous lapprendra. La vie éternelle, nous dit-il, (d) cest de connaître le vrai Dieu et le Christ quil a envoyé. La vie éternelle nest donc autre chose (156) que la connaissance de la vérité, puisque Jésus-Christ est la vérité, et cette vie bienheureuse est la récompense de la vérité.
Ce que nous avons donc à faire, cest (b) daimer de tout lamour dont nous sommes capables celui à la connaissance duquel nous aspirons. Des Murs de lEglise. Chap. 25.
St JEAN CLIMAQUE.
2. dieu mayant fait la grâce darriver à la seconde de ces vertus qui est la perpétuelle oraison, je me trouvai un jour au milieu des Anges et lun dentre eux méclaircissait des choses que je désirais avec ardeur de savoir. Degré 27. Art. 48.
3. Quoique je sois comme plongé dans une très profonde ignorance, couvert des ténèbres de mes passions, jose néanmoins entreprendre de parler de cette vertu éminente qui nous fait voir un ciel sur la terre et des Anges dans des corps mortels. Echelle Sainte, Degré 29. Art. 1.
4. Comme les étoiles sont la beauté du firmament, aussi les vertus sont la beauté de cette bienheureuse paix. Car jestime quelle nest autre chose quun ciel intérieur et spirituel, formé dans une âme qui ne considère plus tous les (157) artifices du Démon que comme des jeux et de vains fantômes. La-même. Art. 2.
5. Celui-là donc la possède véritablement aux yeux de Dieu et aux yeux des hommes qui a purifié sa chair de toute tache dimpureté, qui a élevé son esprit au-dessus de toutes les choses créées, qui a soumis tous ses sens à la raison et qui, tenant son âme toujours présente devant Dieu, se porte incessamment vers ce grand Objet par une force surnaturelle et qui est au-dessus de ses propres forces. Art. 3.
6. Dautres disent encore que cette tranquillité est une résurrection de lâme qui précède celle du corps. Dautres, que cest une parfaite connaissance de Dieu qui nest inférieure quà celle des Anges. Art. 4.
7. Ainsi cette vertu qui fait toute la perfection des âmes en cette vie et qui néanmoins comme étant toujours imparfaite, croît toujours jusquà la mort, sanctifie lâme dune telle sorte, (selon quun grand personnage qui était instruit par sa propre expérience me le dit autrefois) et la détache si fortement de toutes les affections de la terre, quaprès lavoir mise dans une porte céleste, elle lélève presque dès ce monde par une espèce de ravissement, jusques dans le Ciel pour y contempler et pour y voir Dieu. Ce qui a fait dire à David, qui lavait aussi éprouvé lui-même, que ces âmes extraordinaires sont comme (a) de puissants Dieux de la terre souverainement élevés au-dessus delle. Art. 5.
8. On peut dire quune âme possède cette parfaite tranquillité lorsque les vertus lui sont devenues aussi naturelles que les vices le sont aux voluptueux. Art. 9.
(158)
Ste CATHERINE DE GÊNES.
9. LAmour fait les hommes justes, simples, purs, riches, vertueux, sages et contents, et il adoucit toute amertume avec sa suavité. Dialogue Livre. 3. Chap. 5.
Ste THÉRÈSE.
10. cette eau des grands biens et faveurs que notre Seigneur répand ici dans lâme fait croître les vertus beaucoup plus sans comparaison quen loraison précédente, parce que lâme sort de sa misère et on lui donne un peu de connaissance des goûts de la gloire. Cela à mon avis la fait croître davantage et la fait aussi approcher plus près de la vraie vertu, doù procèdent toutes les vertus, savoir de Dieu, dautant que sa Majesté commence à se communiquer à cette âme et veut quelle sente comme il se communique à elle. Lappétit des choses dici-bas et de quelques goûts légers commence aussitôt à diminuer, car elle voit clairement quon ne peut jouir ici un seul instant de ce grand bien et que toutes les richesses, tous les domaines, tous les honneurs et toutes les délices de la terre ne sont pas capables de nous donner un seul moment de cette félicité quon voit être un véritable et solide contentement dont nous nous sentons remplis et rassasiés.
Je priais Notre Seigneur daugmenter lodeur de ces petites fleurs des vertus qui commençaient en apparence à vouloir sortir, et que cela fut pour sa gloire. Vie, chap. 14.
11. enfin cest ici que les vertus sont beaucoup plus fortes quen la précédente Oraison de quiétude : de sorte que lâme ne les peut ignorer parce quelle se voit toute autre et ne sait comment (159) elle commence à faire de grandes choses avec lodeur que ces fleurs jettent de soi. Car notre Seigneur veut quelles souvrent afin quelle connaisse quelle a des vertus, quoiquelle voie clairement quelle ne les pouvait et ne les a pu acquérir en plusieurs années par elle-même, et quen ce petit espace de temps le jardinier céleste les lui a données. Lhumilité qui demeure ici dans lâme est beaucoup plus grande et plus profonde quau degré précédent, car elle voit bien plus évidemment quelle na rien fait que consentir que sa divine Majesté lui fit des grâces, et que les embrasser avec la volonté. La-même. Chap. 17.
Le B. JEAN DE LA CROIX.
12. Il revêt lâme qui est au haut de la montagne (en son énigme) de toutes les vertus Chrétiennes et morales.
13. LEpouse dans les deux Couplets précédents a chanté les grâces et les grandeurs de son Ami, en celui-ci elle publie le sublime et lheureux état auquel elle se voit élevée, la sûreté de cette condition, et les richesses de dons et de vertus dont elle se voit douée et parée dans le lit de lunion de son Epoux, car elle dit, quétant unie avec son Bien-aimé, elle a les vertus fortes et solides, la charité parfaite et une paix accomplie.
A cause de la force et du courage du lion, elle compare les vertus que lâme possède déjà en cet état aux cavernes des lions, lesquelles sont très assurées et sans crainte de touts les autres anomaux, parce que redoutant la force et la hardiesse du lion qui est dedans, non seulement ils nosent y entrer, mais même ils nosent sarrêter auprès. De même chaque vertus, quand lâme (160) les possède déjà en perfection, est un antre et une retraite de lion dans laquelle demeure et assiste lEpoux, fort comme un lion, uni avec lâme en cette vertu, et chacune des autres. Et la même âme unie avec lui en ces mêmes vertus est comme un fort lion, parce quelle reçoit là les propriétés de lAmi.
Mais outre cette paix et satisfaction ordinaire, les fleurs des vertus de ce jardin ont coutume de souvrir en lâme de telle manière, et rendre une telle odeur et un parfum si agréable, quil lui semble, et il est de la sorte, quelle est pleine de délices de Dieu. Or je dis que les fleurs des vertus qui sont dans lâme ont coutume de souvrir parce quencore que (a) lâme soit remplie de vertus en perfection, elle nen est pas toujours jouissante en acte, bien que comme jai dit on jouisse ordinairement de la paix et tranquillité quelles causent. Car nous pouvons dire quelles sont en lâme en cette vie enfermées dans le jardin, comme des fleurs dans leur bouton. Et cest une chose merveilleuse de les voir toutes souvrir par lopération du Saint Esprit et jeter un parfum admirable en grande variété, car il arrive que lâme voie en foi les fleurs des montagnes, dont nous avons déjà parlé, qui sont labondance, la grandeur et la beauté de Dieu, et les lis des vallées ombrageuses, etc
Heureuse lâme laquelle en cette vie mortelle méritera de sentir quelquefois lodeur de ces fleurs divines !
Chaque vertu est de soi paisible, douce et forte, et par conséquent fait ces trois effets en lâme (161) qui la possède, à savoir la paix, mansuétude et force. Et dautant que ce lit est fleuri et composé de fleurs des vertus, lesquelles toutes ont ces trois qualités, de là vient quil est bâti de paix, et que lâme est pacifique, douce et forte, qui sont trois propriétés contre lesquelles ne peut prévaloir aucune guerre, ni du Diable, ni du monde, ni de la chair, et ces vertus tiennent lâme si paisible et si assurée quil lui semble quelle est toute bâtie de paix. Cantique entre lEpouse et lEpoux. Couplet. 16.
14. Les fleurs sont les vertus de lâme, comme nous avons déjà dit. Les rosiers sont les trois puissance de lâme, à savoir lentendement, la mémoire et la volonté qui produisent des roses et des fleurs de conceptions divines et des actes damour et des vertus. Lambre est le divin Esprit qui demeure en lâme, qui parfume les puissances et les vertus de lâme, lui donnant en elles des parfums de suavité divine. La-même. Couplet 32.
Le P. NICOLAS DE JÉSUS-MARIA rapporte.
15. St. Bonaventure. La prudence de lesprit purifié, cest non seulement en matière de choix, préférer les choses divines, mais ne connaître quelles seules, et ne regarder autre chose, comme sil ny avait rien hors delles : cette prudence a été singulièrement pratiquée par St Paul et par St François. La force de lesprit purifié, cest dignorer les passions par impassibilité, non pas de les vaincre, de ne savoir se mettre en colère et ne rien désirer : cette force a été principalement en Notre Dame et dans les Saintes Vierges et Martyres, Agnès, Agathe, Luce, (162) Cécile, Catherine, etc. La tempérance de lesprit purifié est non de réprimer les désirs terrestres, mais de les oublier entièrement, cest-à-dire de ne les pas sentir, comme il se voit au contemplatif frère Gilles. La justice de lesprit purifié, cest de surmonter tellement avec lEsprit divin, quelle garde avec lui une perpétuelle alliance pour limiter. (Sermon I. des luminaires de lEglise.) Eclairciss. Part. II. Chap. 12. §. 2.
Le P. JACQUES DE JÉSUS.
16. Voyez Consistance. N. 33.
St FRANÇOIS DE SALES.
17. Voyez Défauts. N. 12.
18. voyez La-même.
Le Fr. JEAN DE SAINT-SAMSON.
19. Le fond nest point pénétré damour quil nait surpassé totalement les vertus en telle sorte quelles soient toutes ses servantes, pour en faire à son bon plaisir et à sa discrétion.
Le pur amour ne convient quaux souverainement parfaits, et personne ne le saurait incessamment exercer en pureté et vérité desprit, sil nest souverainement vertueux. Enfin ce sont les vertus qui aboutissent immédiatement à lamour comme à leur fin, après quoi elles ne sont plus quune même chose avec lui. Bref, lamour se conserve par les vertus quil a transformées en soi. Esprit du Carmel. Ch. 5.
20. Voyez Opérations propres. N. 30.
21. Ceux qui nont que la vertu pour principe, sujet et matière dexercice, à peine tout ce qui sen peut écrire leur suffira-t-il, et ils ne passeront jamais au-delà parce quils trouvent cela beau, excellent et meilleur que toute autre chose. Cest pourquoi ils ne sauront jamais les vrais (163) exercices par la pratique desquels on devient esprit, en se perdant toujours de plus en plus à soi-même, abhorrant son propre repos sensible, que les communs spirituels prennent en toutes choses. Esprit du Carmel. Ch. 14.
22. Cette voie, aussi bien que lautre, requiert également la pratique de toutes les vertus. Cest pourquoi les Mystiques disent bien à propos quen cette voie laspiration comme telle et les vertus sont le corps, et lamour unitif très vif et très fort en est lesprit. Cet amour devient discret à mesure quil est fait divin, pour pouvoir soutenir toutes les opérations de son divin feu en elle, sans en recevoir lésion, faiblesse ou empêchement quant à sa nature corporelle au-dehors, encore quil soit vrai quelle soit parfaitement navrée au-dedans delle-même. La-même. Chap. 22.
23. Au reste, il ne faut pas penser dentrer en cet état si on nest premièrement résolu à lexercice et à lacquisition des vertus, et de consumer chair et sang en éternel holocauste damour : cette uvre demande tout lhomme. Que si on se sent imparfait dans la circonférence des vertus, quon ne présume pas dentrer ici. La-même. Chap.23.
24. Voyez Mystères. N. 4.
LXVI. Union. Unité.
MOYEN COURT.
Lâme a été créée une et simple comme Dieu. Il faut donc, pour parvenir à la fin de sa création, quitter la multiplicité de nos actions, pour entrer da,s la simplicité et unité de Dieu (a) à limage duquel nous avons été créés. LEsprit (b) de Dieu est unique et multiplié, et son unité nempêche point sa multiplicité. Nous entrons dans son unité lorsque nous sommes unis à son Esprit, comme ayant par là même un même esprit avec lui, et nous sommes multipliés au-dehors dans ce qui regarde ses volontés sans sortir de lunité. Ch. 21. N. 4.
David disait quil lui était bon de sattacher à Dieu et de mettre en lui toute son espérance. Quest-ce que cet attachement ? Cest un commencement dunion.
Lunion commence, continue, sachève et se consomme. Le commencement de lunion est une pente vers Dieu. Lorsque lâme est tournée au-dedans delle en la manière (165) quil a été dit, elle est en pente centrale, elle a une tendance forte à lunion. Cette tendance est le commencement . ensuite elle adhère, ce qui se fait lorsquelle approche plus près de Dieu. Puis elle lui est unie, et ensuite elle devient une, ce qui est devenir un même esprit avec lui. Et cest alors que cet esprit sorti de Dieu retourne dans sa fin. La-même. N. 7, 8.
Pour unir deux choses aussi opposées que le sont la pureté de Dieu et limpureté de la créature, la simplicité de Dieu et la multiplicité de lhomme, il faut que Dieu opère singulièrement. Car cela ne se peut jamais faire par leffort de la créature, puisque deux choses ne peuvent être unies quelles naient du rapport et de la ressemblance entre elles. Chapitre 24. N. 2.
Lâme narrive à lunion divine que par le repos de sa volonté et elle ne peut être unie à Dieu quelle ne soit dans un repos central. La-même. N.3.
Cela posé, je dis quafin que lhomme soit uni à son dieu, il faut que la Sagesse, accompagnée de la divine Justice, comme un feu impitoyable et dévorant, ôte à lâme tout ce quelle a de propriété et de terrestre. La-même. N. 6.
(166)
Dieu donc purifie tellement cette âme de toutes opérations propres, distinctes, aperçues et multipliées, qui font une dissemblance très grande, quenfin il se la rend peu à peu conforme et puis uniforme. La même. N. 8.
Nul nignore que le Bien Souverain est Dieu, que la béatitude essentielle consiste dans lunion à Dieu, que les Saints sont plus ou moins grands selon que cette union est plus ou moins parfaite, et que cette union ne se peut faire dans lâme par nulle propre activité, puisque Dieu ne se communique à lâme quautant que sa capacité passive est grande, noble et étendue. On ne peut être uni à dieu sans la passiveté et la simplicité, et cette union étant la béatitude même, la voie qui nous conduit à cette passiveté ne peut être mauvaise. La même. N. 11.
On dit quil ne sy faut pas mettre de soi-même. Jen conviens. Mais je dis aussi quaucune créature ne pourrait jamais sy mettre, puisque nulle créature au monde (a) ne pourrait sunir à Dieu par toutes ses efforts propres, et quil faut que Dieu se lunisse.
(167)
Si on ne peut sunir à Dieu par soi-même, cest crier contre une chimère que de crier contre ceux qui sy mettent deux-mêmes. La même. N.13.
CANTIQUE.
Ce baiser que lâme demande à son Dieu est lunion essentielle ou la possession réelle, durable et permanente de son divin objet. Cest le mariage spirituel.
Pour faire comprendre ceci, il faut expliquer la différence quil y a entre lunion des puissances et lunion essentielle.
Lune et lautre est ou passagère et seulement pour quelques moments, ou permanente et durable.
Lunion des puissances est celle par laquelle Dieu sunit lâme fort superficiellement : cest plutôt la toucher que lunir.
Elle est pourtant unie à la Trinité des Personnes, selon les différents effets qui lui sont appropriés, mais toujours comme aux Personnes distinctes et par opération médiate. Lopération servant ici de moyen et de fin, en ce que lâme se repose dans cette union quelle éprouve, ne croyant pas quil faille aller plus avant.
Cette union se fait par ordre dans chacune (168) des puissances de lâme. Et elle saperçoit quelquefois dans une ou deux dentre elles, selon le dessein de Dieu, et dautres fois dans les trois ensemble. Cest ce qui fait lapplication de lâme à la Sainte Trinité comme aux Personnes distinctes.
Lorsque lunion est dans le seul entendement, cest lunion de pure connaissance et elle est attribuée au Verbe, comme Personne distincte.
Lorsque lunion est dans la mémoire, ce qui se fait par un absorbement de lâme en Dieu et un profond oubli des créatures, elle est attribuée au Père comme Personne distincte.
Et lorsquelle se fait sentir dans la seule volonté, par une amoureuse jouissance, sans vue ni connaissance distincte, cest lunion damour attribuée au St Esprit comme Personne distincte. Et celle-ci est la plus parfaite de toutes parce quelle approche pus que nulle autre de l union essentielle, et cest principalement par elle que lâme y arrive.
Toutes ces unions sont des embrassements divins, mais ce nest point encore le baiser de la bouche.
Il est de deux sortes de ces unions : lune passagère qui ne dure que très peu ; et lautre permanente qui se soutient par une (169) présence de Dieu continuelle et par un amour doux et tranquille qui subsiste parmi toutes choses.
Voilà en peu de mots ce que cest que lunion des puissances, qui est une union de fiançailles, et qui a bien laffection du cour, les caresses et les présents réciproques, comme els fiancés, mais qui na point la parfaite jouissance de lobjet.
Lunion essentielle, et la baiser de la bouche, est le mariage spirituel où il y a union dessence à essence et communication de substance, où Dieu prend lâme pour son Epouse et se lunit, non plus personnellement ou par quelque acte ou moyen mais immédiatement, réduisant tout en unité et la possédant dans son unité même.
Alors cest le baiser de la bouche et la possession réelle et parfaite. Cest une jouissance qui nest point stérile ni infructueuse, puisquelle ne sétend à rien moins quà la communication du Verbe de Dieu à lâme.
Il y a des personnes qui disent que cette union ne se peut faire que dans lautre vie, mais je tiens pour certain quelle se peut faire en celle-ci, avec cette différence quen cette vie lon possède sans voir, et dans lautre, lon voit ce que lon possède.(170)
On peut encore résoudre la difficulté de quelques personnes spirituelles qui ne veulent pas que lâme étant arrivée en Dieu, (ce qui est létat dunion essentielle) parle de Jésus-Christ et de ses états intérieurs, disant que pour une telle âme cet état est passé. Je conviens avec eux que lunion à Jésus-Christ a précédé très longtemps lunion essentielle, puisque lunion à Jésus-Christ comme divine Personne séprouve dans lunion des puissances et que lunion à Jésus- Christ homme-Dieu est la première de toutes et quelle se fait dès le commencement de la vie illuminative. Mais pour ce qui regarde la communication du Verbe à lâme, je dis qu(il faut que cette âme soit arrivée en Dieu seul et quelle y soit établie par lunion essentielle et par le mariage spirituel, avant que cette divine communication lui soit faite, comme les fruits et les productions du mariage ne se font quaprès que le mariage a été consommé. Ceci est plus réel que lon ne peut dire.
Et comme Dieu possède ici toute lâme sans interruption, cest ce qui fait la différence de lunion à Dieu même davec les autres unions. En ce que dans les unions avec mes êtres créés, lobjet ne se peut posséder que pour des moments, à (171) cause que les créatures sont hors de nous. Mais la jouissance de Dieu est permanente et durable, parce quelle est au-dedans de nous-mêmes et que Dieu étant notre dernière fin, lâme peut sans cesse sécouler dans lui comme dans son terme et son centre et y être mêlée et transformée.
Il faut encore observer que Dieu nous a donné, en nous créant, une participation de son être propre être réunie à lui, et en même temps une tendance à cette réunion. Il a donné quelque chose de semblable au corps humain à légard de lhomme dans létat dinnocence, le tirant de lhomme même afin de lui donner cette pente à lunion comme à son origine. Mais cela étant entre des corps fort matériels, cette union ne peut être que matérielle et fort bornée, puisquelle se fait entre des corps solides et impénétrables. Pour mieux comprendre ceci, on peut se servir de la comparaison dun métal que lon veut joindre à un autre de différente espèce, mais quoiquon les fasse fondre pour les unir ensemble, ils ne peuvent être parfaitement alliés, à cause quils sont dune nature dissemblable. Cela réussit mieux dans le mélange dun métal avec un autre de même nature. Ou bien cest comme une eau(172)versée dans une autre eau qui peut-être tellement mêlée avec elle quon ny peut plus remarquer aucune distinction. Ainsi lâme étant dune nature toute spirituelle, elle est très propre à être unie, mêlée et transformée en son Dieu.
On peut être uni sans être mélangé. Cest lunion des puissances. Mais le mélange est lunion essentielle et cette union est toute entière, se faisant du tout dans le tout.
Il ny a que Dieu à qui lâme puisse être unie de cette manière, parce quelle a été créée dune nature à pouvoir être mélangée avec son Dieu et cest se mélange que St Paul appelle (a) transformation, et Jésus-Christ, (b)unité, mêmeté et consommation.
Or cela se fait lorsque lâme perd sa propre consistance pour ne subsister quen Dieu : ce qui se doit entendre mystiquement, par la perte de toute propriété et par un recoulement amoureux et parfait de lâme en Dieu. Ch. I. v. 1.
Lâme sera admise à lunion divine par la sortie delle-même, par le renoncement continuel à tout propre intérêt. La même. V. 7.
Ce qui lui persuade que le moment fortuné de la consommation du mariage est (173) proche et que lunion permanente se va lier. Ch. 3. V. 4.
Il faut monter plus haut et outrepasser toutes choses pour entrer avec moi dans le sein de mon Père et vous y reposer sans milieu et parla perte de tout moyen, lunion immédiate et centrale ne se faisant quau-dessus de tout le créé. Chap. 4. V. 8.
Sitôt que lâme est entièrement désappropriée, elle est toute disposée pour être reçue dans le lit nuptial de lEpoux, où elle nest pas plutôt introduite que, goûtant les sacrées et chastes délices du baiser de la bouche, quelle avait désiré dabord et quelle possède à présent par lunion essentielle dont elle vient dêtre gratifiée, elle ne peut sempêcher dexprimer son contentement par ces paroles : Je suis toute à mon Bien-aimé, et mon Bien-aimé est tout à moi. Ch. 6.V.2.
Cest ce mélange qui divinise (pour ainsi parler) les actions de cette créature, arrivée à un état aussi haut et aussi sublime que celui-ci, parce quelles partent dun principe tout divin, à cause de lunité qui vient dêtre liée entre Dieu et cette âme fondue et recoulée en lui.
Cest alors (après le mariage spirituel) que se fait cet admirable mélange de la créature avec son Créateur qui les réduit en (174) unité, pour ainsi parler, quoiquavec une disproportion infinie, telle quest celle dune petite goutte deau davec la mer. Ch. 6. V. 4.
Il faut remarquer que, quelques louanges que lEpoux eût données jusquici à son Epouse, il navait point encore dit (jusquà ce quil fut entièrement recoulée dans son unité divine) quelle fut unique et parfaite à cause que ces qualités ne se trouvent quen Dieu. La même. V. 8.
Tout ce qui se dit de cette ineffable union sentend avec toutes les différences essentielles entre le Créateur et la créature, quoiquavec une parfaite unité damour et de recoulement mystique en Dieu seul. Ch. 7. V. 11.
LEpouse a été dans une grand silence à cause quil fallait réduire lâme dans la simplicité et lunité de Dieu seul. A présent quelle est entièrement consommée dans cette unité, il veut lui donner cet admirable accord qui est un fruit de létat consommé de lâme, savoir laccord de la multiplicité et de lunité, sans que la multiplicité empêche lunité, ni lunité la multiplicité. Ch. 8.v.13.
(175)
AUTORITÉS.
St DENIS.
1. Voyez Conversion. N. 2.
2. Voyez Simplicité. N. 2.
3. Voyez Opérations propres. N. 1.
4. Voyez La même. N. 2.
5. Voyez Simplicité. N. 3.
6. Il est vrai aussi de dire quon ne saurait expliquer ni connaître ce que sont les unions des vertus célestes, dignes delles et convenables à leur nature, soit quon les doive nommer infusions, ou réceptions de la bonté plus quinconnue et plus que très claire. Lesquelles unions sont et se trouvent seulement aux Anges, qui par dessus la connaissance Angélique en ont été honorés et jugés dignes. Les hommes doués dun esprit divin etc
(Voyez Opérations propres. N. 3) Des Noms divins. Ch.1.
7. tout de même, pour ce que Dieu étant un et que départant cet un ) toute partie ou totalité, à tout un et multitude, il reste néanmoins toujours un et de même sorte dune façon suressentielle, nétant ni partie de plusieurs, ni un tout ramassé de plusieurs parties. Et partant, il nest ni un, ni ne participe de lun, et na point lun. Mais bien loin de tout cela, (a) il est un, par dessus un, un dans les êtres, multitudes indivisible, qui ne peut être rempli, et néanmoins plein , regorgeant par dessus, qui produit, qui perfectionne, qui contient tout un et multitude. Davantage par cette force et vertu quil a déifiée, (176) laquelle procède de lui, (a) plusieurs Dieux étant faits, autant que chacun est capable de la divine ressemblance, il y a ce semble, et aussi en parle-t-on de la sorte, une division et multiplication dun seul Dieu qui ne se peut diviser dans les choses qui ne peuvent être partagées, uni en soi-même, non mêlé ni multiplié en plusieurs. Celui que, mon maître et moi ensemble, nous avons eu pour guide et directeur à la lumière donnée de Dieu, personnage à la vérité très profond en la connaissance des choses divines, et qui a été la lumière du monde, ayant admirablement bien conçu et considéré ce que nous disons, parle de la sorte comme par un divin enthousiasme, en lune de ses sacrées Epitres. Car (b) bien quil y ait, dit-il, plusieurs appelés Dieux, soit au ciel ou en la terre, (comme véritablement il y a plusieurs Dieux et plusieurs Seigneurs), toutefois nous navons quun seul Dieu, qui est le Père, duquel sont toutes choses et nous en lui, et un seul Seigneur qui est JÉSUS-CHRIST, par lequel sont toutes choses et nous par lui. Car en fait des choses qui appartiennent à Dieu, les unions dominent et précèdent les distinctions et les mêmes choses divines (c) ne sont pas moins unies après même la distinction, qui est en elles unie et singulière, et ne sort jamais hors de lunité. La même. Ch. 2.
8. Le Bien, qui est par dessus toute lumière, comprend en soi, surmonte et a par anticipation toute la force et la vertu de ce qui a pouvoir dilluminer, comme étant le premier principe de la lumière et de tout ce qui est lumineux, qui recueille et rassemble en un toutes choses intellectuelles et raisonnables, et fait quelles soient unies, serrées et pressées. (*) Car tout ainsi que le propre de lignorance est de diviser et de séparer les esprits qui sont en erreur, de même le propre de la lumière intellectuelle est de recueillir et de réunir par sa présence les choses quelle illumine, de les perfectionner et de les convertir au vrai être, en recueillant leurs vues éparses et égarées en plusieurs objets, ou pour mieux dire leurs imaginations distraites et vagabondes, à une seule vraie, pure et uniforme connaissance, les remplissant de sa lumière qui est une et qui a le pouvoir de rendre uns ceux à qui elle se communique. La même. Ch. 4.
9. Par lamour soit divin, soit angélique, soit intellectuel, ou il se peut dire, animal ou naturel, nous entendons une certaine vertu qui a la force dunir et de tempérer les choses les unes avec les autres, laquelle meut les supérieures au soin et à la providence des inférieures, les égales à sentretenir par une liaison mutuelle et les inférieures den bas où elles sont, à se tourner et convertir vers les supérieures. La même. Extrait des hymnes de St Hiérothée.
10.Il faut savoir quil y a deux puissances et facultés en notre entendement, dont lune lui sert pour entendre, par laquelle il voit et contemple les choses intelligibles et spirituelles, lautre (178)est un certaine union qui surpasse la nature de lentendement par laquelle il est uni à ce qui est par dessus. Selon celle-ci donc, il faut considérer les choses divines, non point à la façon que nous considérons les nôtres, mais ne sortant entièrement hors de nous-mêmes et étant faits tout entiers à Dieu. Car il vaut mieux que nous soyons à Dieu quà nous-mêmes, dautant que par ce moyen les dons et les grâces divines se communiquent à ceux qui sont avec Dieu.La même. Chap. 7.
11. Voyez Quiétude. §. 1. N. 2.
12. Il faut donc que nous contemplions une certaine unique et simple nature de lunion de la paix, laquelle unit toutes choses et les conjoint premièrement en elles, puis à elle-même, et par après les unes aux autres, qui les maintient et les conserve toutes en bon tempérament les unes avec les autres, demeurant néanmoins pures, sans mélange et sans confusion. Par laquelle, dis-je, les Esprits divins étant unis à leurs propres notions et connaissances, sont par même moyen conjoints aux objets entendus et de là montent par après à lunion inconnue des choses qui sont élevées par-dessus lentendement. Des noms divins, chap. 11.
13. Par cette union les âmes raisonnables venant à unir tous leurs raisonnements qui sont fort divers, et les ramassant tous à une pureté intellectuelle , montent à leur façon, par ordre et par méthode, en formant une pensée épurée de toute matière et sans aucune composition de parties, et sélèvent à cette union qui est par-dessus la pensée.
Car cette paix (a) tout entière et universelle (179) passe et pénètre en toutes choses par la présence très pure et très simple de sa vertu et de sa force unitive, joignant ensemble les unes extrémités aux autres.
Et cependant cette divine paix ne laisse pas de demeurer indivise, montrant toutes choses en lun, et passant partout, et néanmoins ne sortant jamais de son état toujours le même. Car elle sort et sachemine vers toutes choses et elle se donne et distribue à toutes, autant quil est bon et convenable à chacune. Et toutefois elle est pleine et regorge (a) par-dessus, par la redondance de sa paix féconde, et par la suréminente excellence de son union, elle demeure plus quunie toute entière à elle-même aussi tout entière. La même.
14. Aussi faut-il que nous-mêmes étant convertis de la multitude de plusieurs objets à lun, par la force et par la vertu de lunité divine, nous célébrions dune façon singulière la déité toute et une, le même auteur de toutes choses, qui est auparavant tout ce qui est un. La même.Ch . 13.
15. Voyez. Foi nue. N. 3.
St AUGUSTIN.
16. Voyez Quiétude. §. 1. N. 6.
17. Que (b) cherche lorgueil, sinon le plus haut point de la puissance ? Or toute puissance se réduit à faire sans peine ce que lon veut et (180) cest à quoi (a) lâme ne parviendra que lorsquelle sera parfaitement soumise à Dieu, quelle ne dépendra que de lui, quune charité sans mesure la tenant unie à ce Dieu tout-puissant qui règne souverainement sur toutes choses fera quelle sera plus quun même esprit avec lui. De la véritable. Religion. Ch. 52.
18. Voyez Transformation. N. 3.
19. Par où est-ce que nous tenons à la vérité ? Cest par la sanctification dont leffet et de nous embraser (b) dune charité qui pénètre toutes les puissances de notre âme. Car cette charité est le seul lien par où nous puissions être unis à Dieu, cest aussi la charité qui nous rend conformes à Dieu et non pas au monde, et cest par elle que saccomplit en nous cette parole de st Paul (c) : Dieu nous a prédestinés pour être conformes à limage de son Fils. La charité est donc ce qui nous conforme à Dieu.
Nulle créature ne saurait nous unir à la vérité en nous séparant de tout ce qui est sujet à la vanité et au changement. Car comment est-ce que ce qui serait lui-même au nombre de ces sortes de choses pourrait nous en séparer et nous unir à la vérité ? Des murs de lEglise, Chap. 13.
20. Nous avons vu que St Paul (d) veut que nous soyons tellement unis à Dieu par une entière (181) dépendance de ses volontés que rien ne puisse nous séparer de lui. Mais puisque le Prophète nous fait entendre la même chose lorsquil dit : (a) Mon bien est de me tenir uni à Dieu, ce seul mot de David, se tenir uni à Dieu, ne comprend-il pas dune manière aussi précise quelle est courte, tout ce que St Paul dit plus au long de cette heureuse union qui est leffet de la charité en nous ? Et ce que St Paul dit un peu plus haut, (b)que tout tourne en bien à ceux qui aiment Dieu, ne revient-il pas à ce que dit David que son bien est de lui être uni ? Ainsi ce St Prophète nous fait voir dans une seule sentence qui ne consiste quen deux mots et la force de la charité, et le fruit que nous en recueillons. La même. Ch. 16.
21. La vie souveraine est heureuse, cest-à-dire celle où réside cette vérité qui nous rend indubitablement heureux quand nous sommes parvenus à la contempler dans toute sa splendeur, et que nous lui sommes intimement unis, dont nous ne saurions nous écarter sans nous jeter dans un abîme derreurs, de misères et de douleurs. La même. Ch. 19.
St JEAN CLIMAQUE.
22. La prière nest autre chose quun oubli de tout le monde visible et invisible. Disons à Dieu de tout notre cur par la bouche du Prophète-Roi : (c) Quy a-t-il dans le Ciel que je désire ? rien que vous, Seigneur. Quy a-t-il dans la terre que jaime et que je chérisse ? Rien que vous, Seigneur. Rien que dêtre si fort uni à vous par la prière que je ne puisse jamais être séparé de vous.(182) Les uns désirent des trésors, les autres de la gloire, les autres de grandes possessions et de grands biens. Mais pour moi je ne souhaite que dêtre inséparablement uni à vous et cest de vous seul que jespère et que jattends la parfaite tranquillité de mon âme. Echelle Sainte. Degré 28. Article 29.
23. Je crois que cest une des plus grandes preuves quon est parvenu à la bienheureuse paix de lâme de pouvoir dire véritablement avec David : Quand mon ennemi séloigne de moi, je ne men aperçois pas. Et je ne sais ni comment il vient, ni pourquoi il vient, ni comment il se retire, parce que je suis insensible à toutes ces choses, étant parfaitement et inséparablement uni à Dieu de toutes les puissances de mon âme. Degré 29. Art. 10.
24. Celui à qui dieu fait cette grâce de la mettre en cet état si sublime est dès ici bas, quoique revêtu encore dune chair mortelle, le temple vivant de Dieu, qui le conduit et le gouverne toujours dans toutes ses actions, ses paroles et ses pensées, qui par la lumière intérieure dont il éclaire son âme, lui fait comme entendre la voix de sa volonté divine, et lélevant au-dessus de toutes les instructions des hommes, lui fait dire avec David (a) : Seigneur, quand irai-je jouir de la vue bienheureuse de votre gloire ? La même. Art. 11.
25. Que dirai-je davantage ? Celui qui possède ce bonheur inconcevable ne vit (b) plus lui-même dans lui-même, mais cest Jésus-Christ seul qui vit en lui, selon la parole de ce grand (183) Apôtre qui avait (a) si saintement et si généreusement combattu et qui avait achevé sas course et gardé une foi inviolable à Jésus-Christ. La même. Art. 12.
HENRI SUSO.
26. Voyez Opérations de Dieu. N. 1.
27. Cet homme est tellement uni à Dieu, que Dieu même devient son fond. Dialog. de la Vérité. Chap. 10.
LIMITATION DE JÉSUS CHRIST.
28. Celui qui trouve tout dans lunité souveraine et qui rapporte tout à cette unité conservera toujours son cur immobile et demeurera en paix dans le sein de Dieu. Ô Vérité-Dieu ! Rendez-moi une même chose avec vous, en me liant à vous par une éternelle charité. Livr. 1. Ch. 3. §. 2.
29. Voyez Oraison. §. III. N. 3.
30. Comme on acquiert la paix intérieure en ne désirant rien au-dehors ; ainsi en se quittant intérieurement soi-même, on sunit à Dieu dans le fond du cur. Livre 3 Chap. 56. §. 1.
HARPHIUS.
31. Voyez Mariage spirituel. N. 1.
Ste CATHERINE DE GÊNES.
32. Cette sainte âme avait une si grande union avec Dieu et son franc-arbitre était tellement lié avec lui, quelle ne sentait en elle aucune résistance ni élection. Elle disait : si je mange ou si je bois, si je marche ou si je marrête, si je parle ou si je me tais, si je dors ou si je veille, si je vois, si jentends ou si je pense, si je suis à léglise, à la maison ou à la place, si je suis saine ou malade, à tout heure et à tout moment (184) je veux que tout soit en Dieu et pour Dieu. Je voudrais ne pouvoir, ni vouloir, ni faire, ni penser, ni parler autre chose, sinon la volonté de Dieu. Et je voudrais que la partie qui lui contredirait fut mise en poudre et jetée au vent. En sa Vie. Ch. 28.
33. Qui goûterait le repos de lunion à la volonté de Dieu, il lui semblerait dès cette vie présente être déjà en paradis. La-même. Ch. 31.
34. Voyez Communications. §. II.n. 3.
35. Ô Amour ! Vous êtes appelé amour jusquà ce que lamour que Dieu à versé dans le cur de lhomme soit tout consumé, car après cela, lhomme demeure tellement enivré et plongé en lui quil ne sait plus ce que cest que lamour, parce qualors lamour devient esprit et sunit avec lesprit de lhomme, ce qui fait que lhomme devient spirituel, et comme lesprit est invisible et insensible et quil ne peut tomber sous les puissances de lâme, lhomme demeure vaincu et surmonté, de sorte quil ne sait plus où il est, ni où il se doit arrêter, ni où il doit aller. Mais par cette intime et secrète union faite en esprit avec Dieu, il reste en lâme une impression si suave et si délicieuse, avec une satisfaction qui a tant de force et de fermeté quil ny a point de martyre que la pu vaincre, et lâme est remplie dun zèle si ardent que si lhomme avait mille vies, il les exposerait toutes pour satisfaire à cette intime impression qui est si forte que lenfer ne peut troubler. Dialog. Livre 3. Ch. 11.
Ste THÉRÈSE.
36. Cette manière doraison est, à mon avis, une très manifeste union de toute lâme avec Dieu, sauf quil semble que sa Majesté veut donner (185) licence aux puissances pour entendre et jouir des merveilles quelle opère alors. Il arrive quelquefois, et même fort souvent, que la volonté étant unie, on connaît que cette puissance est unie et liée et quelle est jouissante. Je dis quon connaît que la volonté seule est dans une grande quiétude et que dautre part la mémoire et lentendement sont si libres quils peuvent traiter daffaires et vaquer aux uvres de charité. Or bien que ceci semble être le même que ce que jai dit de loraison de quiétude, néanmoins il est différent en partie, parce quen celle-là, lâme ne voudrait point se remuer, jouissant de cette sainte oisiveté de Marie. Mais en cette oraison elle peut encore faire les fonctions de Marthe. Vie. Ch. 17.
37. Ce que je prétends dexpliquer, cest ce que sent lâme lorsquelle est dans cette union divine. Pour lunion, on sait bien que cest lorsque de deux choses divisées, il sen fait une. Vie. Ch. 18.
38. Il y a cette différence entre cette oraison et celle où lâme est toute avec Dieu, quen cette dernière lâme navale pas cette divine viande, mais la trouve dans soi, sans savoir comment Notre Seigneur ly a mise. Il semble en cette première quil veuille que lâme travaille un peu, quoique ce soit avec tant de repos que cela ne se sent presque pas. Ce qui la tourmente, cest lentendement ou limagination. Mais cela narrive pas quand il y a union des trois puissances, celui qui les a créées les suspend toutes, car par la jouissance quil leur donne, il les tient toutes occupées, sans quelles sachent comment et sans quelles le puissent entendre, lâme sentant en soi cette oraison qui est un grand et tranquille (186) contentement de la volonté, sans toutefois pouvoir discerner ce que cest en particulier. Chemin de Perf. Ch. 31.
39. Il est bien vrai que cette âme n se trouve pas même éveillée pour aimer, mais ô heureux sommeil ! Ô ivresse heureuse et désirable qui fait que lEpoux supplée à ce que lâme ne peut, qui est de donner un ordre merveilleux à ce que toutes les puissances étant mortes ou endormies, lamour demeure vif et que sans entendre comment elle opère, sa Majesté ordonne quelle opère si merveilleusement quelle devienne une chose avec le même Seigneur de lamour qui est Dieu par une pureté éminente, parce quil ny a rien qui lempêche, ni sens, ni entendement, ni mémoire : la seule volonté lentend. Conceptions de lAmour de Dieu. Ch. 6.
40. Mais on peut former ce doute, savoir si lâme est tellement absorbée et si hors de soi quil semble quelle ne peut rien opérer par lexercice de ses puissances, comment elle peut mériter ? Dautre part il semble quil nest pas possible que Dieu lui fasse une si grande grâce, afin quelle perde le temps et que pendant cet espace, elle ne gagne rien en méritant, cela nest pas croyable. Ô secrets divins ! Nous navons ici autre chose à faire quà soumettre et captiver notre entendement et penser quil nest nullement capable de pénétrer les grandeurs de Dieu. Nous nous devons ressouvenir ici de la façon dont se comporta la Vierge Notre Dame, avec toute la sagesse dont elle était douée quand elle interrogea lAnge par ces paroles : (a) Comment est-ce que cela se fera ? Car lui ayant répondu : Le (187) St Esprit surviendra en vous et la vertu du Très-haut vous fera ombre, elle ne se mit point en peine de sinformer dautre chose, et comme celle qui avait une grande foi et une singulière sagesse, elle entendit aussitôt que ces deux choses intervenant, il ny avait plus rien à savoir, ni aucun sujet de douter. La même.
41. Ce nest point comme certains savants que Dieu ne conduit pas par cette sorte doraison et qui nen nont aucun commencement, qui se veulent conduire avec tant de raison en toutes choses, et les compassent ou mesurent tellement suivant la capacité de leur entendement quil leur semble quavec leurs lettres ils doivent comprendre toutes les grandeurs de Dieu. Or sils avaient un peu de lhumilité de la Sainte Vierge ! Ô Madame, quon peut bien entendre par vous ce qui se passe entre Dieu et lEpouse, suivant ce que nous lisons dans les Cantiques ! La même.
Le B. JEAN DELA CROIX.
42. tous les appétits ne ont pas également préjudiciables (je parle des volontaires), et nembarrassent pas lâme de même façon. Car les appétits naturels empêchent peu ou point lunion de lâme avec Dieu, quand ils ne tirent aucun consentement et ne passent pas les premiers mouvements. Jappelle appétits naturels et premiers mouvements, tous ceux auxquels la volonté raisonnable na aucune part, ni devant, ni après, dautant quil est impossible de les ôter et mortifier entièrement en cette vie. Et ceux-là ne préjudicient pas, en sorte quon ne puisse arriver à lunion divine, encore quils ne soient totalement mortifiés, parce quil peut bien arriver quils soient en la nature, et que cependant (188) lâme demeure en liberté et franchise quant à ce qui est de lesprit raisonnable, dautant quil arrivera parfois que lâme sera en la haute union de quiétude en la volonté et quils demeurent actuellement en la partie sensitive de lhomme, la partie supérieure qui est en oraison nayant aucune part en eux. Mais quant aux autres appétits volontaires, soit de péchés mortels qui sont $$$$$$ les plus griefs, soit des péchés véniels qui sont plus légers, soit seulement des imperfections qui sont encore moindres, il les faut évacuer entièrement et lâme doit être épurée de tous, pour petits quils soient, si elle veut parvenir à cette totale union. La raison est, parce que létat de cette union divine consiste en ce que lâme tienne sa volonté dans une (a) totale transformation en la volonté de Dieu, de manière quen tout et par tout son mouvement soit la seule volonté de Dieu.
Cest pourquoi nous disons quen cet état de deux volontés, il nen est fait quune, cest à savoir de la mienne et de celle de Dieu. Encore que la volonté de Dieu soit aussi la volonté de l âme. Or si cette âme voulait quelque imperfection, laquelle sans doute déplait à Dieu, elle ne passerait pas et ne serait pas transformée en la volonté de Dieu, puisque lâme voudrait ce que Dieu ne veut pas. Doù il paraît que lâme, pour sunir à Dieu par amour et volonté, doit auparavant être évacuée de tous appétits de la volonté, et même de plus petits, cest-à-dire quelle ne consente sciemment et volontairement à aucune imperfection, et quelle ait le pouvoir (189) et la liberté dy résister aussitôt quelle sen apercevra.Je dis sciemment, car sans y prendre garde ou sans lentendre, ou sans être entièrement en son pouvoir de faire autrement, elle tombera bien en des imperfections ou en des péchés véniels, et dans les appétits naturels dont nous avons parlé. Car il est écrit de tels péchés qui ne sont point tant volontaires que (a) le juste tombera sept fois le jour et quil se relèvera de même. Mais le moindre des appétits volontaires et connus, si on ne les surmonte, suffit pour empêcher cette union. Et quant à certaines habitudes dimperfections volontaires, quon ne surmonte jamais totalement, il est vrai que non seulement elles empêchent lunion divine, mais encore lavancement à la perfection. Montée du mont Carmel. Livre 1. Ch. II.
43. Ce nest pas notre intention dexpliquer à présent en particulier quelle est lunion de lentendement, quelle est celle de la volonté et aussi celle de la mémoire, quelle est lunion (b) passagère et quelle est lunion stable et permanente en ces puissances, et enfin quelle est la totale, parce que nous en traiterons après en son lieu.
Pour entendre quelle est cette union dont nous voulons parler, il faut savoir que Dieu demeure dans toutes les âmes, fut-ce celle du plus grand (190) pécheur du monde et y est présent en substance, et cette manière dunion ou de présence, que nous pouvons appeler dordre naturel, est toujours entre Dieu et toutes les créatures, selon laquelle elle les conserve en leur être, de sorte que si elle venait à leur manquer, elles sanéantiraient tout à fait aussitôt et ne seraient plus. Ainsi quand nous parlerons de lunion de lâme avec Dieu, ce ne sera pas de cette présence substantielle de Dieu qui est toujours dans toutes les créatures (a) mais de lunion et de la transformation de lâme en Dieu par amour qui se fait seulement lorsquil y a une semblance damour, et partant celle-ci se nommera union de semblance, comme lautre sappelle union essentielle ou substantielle, et celle-là naturelle, celle-ci surnaturelle qui est quand les deux volontés, à savoir celle de lâme et celle de Dieu, sont conformes en un, ny ayant rien en lune qui répugnent à lautre. Partant quand lâme ôtera entièrement de soi ce qui répugne et nest pas conforme à la volonté divine, elle demeurera transformée en Dieu par amour. Ce qui ne sentend pas seulement de ce qui répugne selon lacte, mais aussi selon lhabitude, de manière que non seulement les actes volontaires dimperfection doivent être bannis, mais aussi les habitudes. Et (b)dautant que toute créature et toutes ses actions et habiletés narrivent pas à ce qui est Dieu, pour ce sujet lâme se doit dénuer de toute créature, de toutes actions et habiletés dicelle, à savoir de son entendre, de son goûter et sentir, afin que (191) chassant tout ce qui est dissemblable et no conforme à Dieu, elle vienne à recevoir la semblance de Dieu, ne demeurant en elle aucune chose qui ne soit volonté de Dieu et ainsi se transforme en lui. Montée du mont Carmel. Livre 2. Ch. 5.
44. Lâme donc faisant place, cest-à-dire, ôtant de soi tout voile et toute tache de créature, ce qui se fait en tenant la volonté parfaitement unie avec celle de Dieu (parce quaimer est travailler à ce dépouiller de tout ce qui nest point Dieu), elle demeure aussitôt éclaircie et transformée en Dieu, dautant quil lui communique son être surnaturel, de telle sorte quelle paraît semblable au même Dieu et semble avoir en quelque sorte ce que Dieu possède. Et il se fait une telle union lorsque Dieu départ cette souveraine saveur à lâme, que toutes les choses de Dieu et de lâme sont un en transformation participée, et lâme semble plus être Dieu quêtre âme, encore quà la vérité son être naturel soit aussi distinct de celui de Dieu comme il était auparavant, quoiquelle soit transformée, comme aussi la vitre a son être distinct de celui du rayon lorsquelle en est éclairée.
De ceci on voit plus clairement que la disposition pour cette union nest pas lentendre de lâme, ni le goût, ni le sentir, ni le penser en Dieu selon la manière naturelle, ni quelque autre chose que ce soit, mais seulement la pureté et lamour qui est une résignation parfaite et nudité totale seulement pour lamour de Dieu. Et comme il ne peut y avoir de transformation parfaite sil ny a la parfaite pureté, aussi selon la pureté sera lillustration, lillumination et (192)lunion de lâme avec Dieu en moindre ou plus haut degré, bien que, comme je dis, elle narrive pas à être toute parfaite (a) si elle nest entièrement claire et nette. Ce qui sentendra pareillement par une autre comparaison.
Il y a une image très accomplie dune excellence très extraordinaire, avec un émail très délicat et très subtil, et en la diversité de cet émail il y en a quelques uns si merveilleux et si fins que pour leur délicatesse et perfection on ne peut bien les discerner. Celui donc qui ne verra guère clair, ny apercevra pas tant dexcellence et de délicatesse, mais un autre qui aura bonne vue en découvrira mieux la perfection, et si quelquun a encore la vue plus épurée, il y remarquera plus dindustrie et de délicatesse. Enfin, tant plus on verra clair, on y remarquera plus de perfection et dexcellence, parce quil y a tant à voir en cette image que quoiquon en découvre, il en reste beaucoup davantage à remarquer. Aussi nous pouvons dire que les âmes se comportent de même manière avec Dieu en cette illustration et transformation. Car bien quà la vérité une âme, selon son peu ou plus de capacité, puisse être arrivée à cette union, néanmoins toutes ny parviennent pas en pareil gré, parce que cest comme il plaît à Notre Seigneur de le donner à un chacun, ce qui est en la manière que les Bienheureux le voient au Ciel. Car les uns le voient plus parfaitement et les autres moins, encore que tous voient Dieu, et que tous soient contents et satisfaits, vu que leur capacité est remplie selon leur plus grand et leur moindre mérite.(193)
Doù vient quencore quen cette vie nous trouvions des âmes avec un repos et une paix égale en leur état de perfection et que chacune demeure satisfaite, si est-ce néanmoins que lune pourra être plus haut élevée que lautre en cette union et toutes demeurer également satisfaite selon leur disposition et selon la connaissance quelles ont de Dieu. Mais celle qui narrive pas à la pureté requise aux illustrations et aux vocations de Dieu narrive jamais à la vraie paix et satisfaction, faute davoir évacué ses puissances, comme il est nécessaire à la simple union. La même.
45. Les âmes commencent à entrer dans cette obscure nuit quand Dieu les va tirant peu à peu de létat de ceux qui commencent, (a) qui est létat de ceux qui méditent en la voie spirituelle, et les met dans celui de ceux qui profitent, qui est déjà des contemplatifs, afin que passant par là, ils arrivent à létat des parfaits qui est celui de lunion divine de lâme avec Dieu. Obscure Nuit. Liv. I. ch. 1.
46. Voyez Purification. n. 42.
47. Voyez Opérations propres. N. 17.
48. Le huitième degré damour fait que lâme embrasse et étreint son ami avec une liaison indissoluble.
Le neuvième degré damour fait que lâme brûle avec suavité. Ce degré est des parfaits, lesquels déjà brûlent suavement en Dieu, parce (194) que cette ardeur suave et délectable leur est causée par le St Esprit, à raison de lunion quils ont avec Dieu. Cest pourquoi St Grégoire dit que quand les Apôtres reçurent visiblement le St Esprit, ils brûlèrent suavement damour en leur intérieur. On ne saurait parler des biens et des richesses de Dieu dont lâme jouit en ce degré, on en ferait plusieurs livres avant que den dire la moitié. Obscure Nuit. Liv. 1. Chap. 20.
449. Ce repos et cette quiétude de cette maison spirituelle vient à être gagné par lâme habituellement et parfaitement (en tant que la condition de cette vie le peut permettre), par le moyen de ces actes comme substantiels dunion divine que nous venons de dire, quelle a reçu de la Divinité secrètement et en cachette du trouble du Diable et des sens et des passions, où lâme a été purifiée, tranquillisée et rendue forte, constante et stable pour recevoir avec durée la dite union qui est le mariage divin entre lâme et le Fils de Dieu.
LEpouse donne à entendre le même aux Cantiques, disant quaprès (a) quelle eut évadé ceux qui lui ôtèrent son manteau durant la nuit et qui la blessèrent, elle trouva celui que son âme cherchait. On ne peut parvenir à cette union sans une grande pureté, et cette pureté n e sacquiert sans une grande nudité de toutes choses. La même. Ch. 24 ;
50. En cette douce boisson de Dieu, en laquelle, comme nous avons dit, lâme simbibe en Dieu dune très grande volonté avec beaucoup (195) de suavité, lâme se livre toute à Dieu, voulant être toute à Lui et navoir jamais rien en soi qui ne soi convenable et séant à une telle Majesté, selon la portée de sa condition, Dieu causant en elle en la dite union la pureté et perfection qui est requise pour cela, car en ce quil la transforme en soi, il la fait toute sienne et évacue delle tout ce quelle avait décarté et éloigné de Dieu. Doù vient que non seulement selon la volonté, mais encore selon leffet, elle demeure toute donnée et livrée à Dieu, sans réservée aucune chose, comme Dieu aussi sest donné librement à elle, de manière que ces deux volontés demeurent réciproquement livrées, contentes et satisfaites entre elles, de sorte quen quoi que ce soit lune nait à manquer à lautre avec foi et assurance de mariage. Cantique entre lEpouse et lEpoux. Coupl. 19.
51. Lâme est en cet état comme dans un fourneau ardent et embrasé en une union dautant plus paisible, plus glorieuse et plus tendre que la flamme de ce fourneau est plus ardent que le feu commun, de manière que lâme sentant que cette vive flamme lui communique vivement tous les biens, parce que cet amour divin les port avec soi, elle dit :
Ô vive flamme, ô sainte ardeur ! Qui par cette douce blessure perce le centre de mon cur :
Voulant dire, ô amour embrasé etc
(Voyez Purification. N. 47.) Vive flamme damour. Cant 1.
52. Il faut par nécessité avoir rompu les (196) toiles pour parvenir à cette possession de Dieu par union damour où toutes les choses du monde sont renoncées, le appétits et les passions mortifiés et les opérations de lâme faites divines, ce qui a été rompu parla rencontre de cette flamme quand elle était âpre et pénible. Car lâme en la purgation spirituelle achève de rompre ces deux toiles et de sunir comme elle est ici, et il ne reste plus à rompre que la troisième, de la vie sensitive. Cest pourquoi elle parle en singulier et ne dit pas les toiles, mais la toile, car il ny a plus que celle-là, laquelle la flamme ne heurte point rigoureusement ni rudement comme elle faisait les autres, mais doucement et savoureusement. Et ainsi (a) la mort de telles âmes leur est très suave et très douce et plus douce que ne leur a été toute leur vie, dautant quelles meurent avec des impétuosités et des savoureuses rencontres damour, comme le cygne qui chante plus mélodieusement quand il approche de la mort. Cest pourquoi David a dit (b) que la mort des justes est précieuse parce que là les rivières de lamour de lâme vont entrer dans lOcéan de laimer, et sont là si vastes et si calmes quelles paraissent déjà des mers, là se joignant le commencement et la fin, le premier et le dernier pour accompagner le juste qui part et qui va dans son royaume, sentendant les louanges des extrémités de la terre, cest à savoir la gloire du juste, et lâme se sentant alors avec ces glorieuses (197) rencontres sur le point de sortir et dentrer dans les abondances à posséder parfaitement le royaume, parce quelle se voit pure et riche (autant que la foi et létat de cette vie le peuvent compatir), et saperçoit disposé pour cela, car Dieu en cet état lui laisse déjà voir sa beauté, lui confie les dons et les vertus dont il la enrichie, vu quen elle tout se tourne en amour et louanges, (a) ny ayant plus de levain qui corrompe la pâte. La-même. V. 6.
53. Lâme bienheureuse qui a eu ce bien dobtenir ce cautère, (b) sait tout, goûte tout, fait tout ce quelle veut, prospère, et personne devant elle na lavantage et ne la touche, car cest celle dont lApôtre dit : (c) Le spirituel juge de tout et il nest jugé de personne ; et en un autre lieu : (d) il sonde toutes choses jusquaux profondeurs de Dieu.O grande gloire des âmes qui mérités$$$$$$$$$ de parvenir à ce très haut feu, lequel ayant une force infinie pour vous consommer et anéantir, ne vous consommant point, il vous consomme en gloire avec immensité ! Ne vous émerveillez pas que Dieu amène jusques ici quelques âmes, vu que lui en certaines (198) choses est singulier à faire des effets prodigieux. Donc ce cautère étant si suave, comme nous lavons ici donné à entendre, combien sera caressée celle qui sera touchée de ce feu. La-même Cantique 2. V. 1.
54. O attouchement délicat ! Verbe Fils de Dieu qui par la délicatesse de votre Être divin, pénétrez subtilement en la substance de mon âme et la touchant délicatement, vous labsorbez toute en des manières divines de suavités inouïes. La-même. v. 3.
55. Dieu se comporte de la sorte envers ceux quil veut favoriser et avantager selon lamendement le plus important car il les laisse tenter, affliger, tourmenter et épurer intérieurement et extérieurement jusquoù on peut arriver, afin de les déifier, leur donnant lunion en sa Sagesse qui est le plus haut de tous les états et les purgeant premièrement en cette même Sagesse, selon que David le marque, disant : (a) que la Sagesse du Seigneur est un argent examiné par le feu, éprouvé en la terre de notre chair et purgé sept fois, cest-à-dire très purgé. Et il ny a pas de quoi sarrêter ici davantage à déclarer comment se fait chacune de ces purgations pour parvenir à cette Sagesse divine qui est en létat de cette vie mortelle comme largent, lequel de si haut aloi et si épuré quil soit, ne sera jamais comme lor précieux qui est réservé pour la gloire.
Lâme confesse ici comme déjà bien satisfaite, disant :
Et paie toute dette.
Comme aussi David par ces paroles (b) (199) Combien mavez-vous montré de tribulations en grand nombre et mauvaises ; Et vous tournant, vous mavez vivifié, et mavez derechef retiré des abîmes de la terre, vous mavez multiplié votre magnificence et vous tournant vers moi, vous mavez consolé.
*De sorte que cette âme qui était auparavant dehors (a) aux portes du palais de Dieu, pleurant, comme Mardochée aux places de Susan $$$$$$ le péril de sa vie, vêtu de cilice, ne voulant recevoir le vêtement que la Reine Esther lui envoyait et nayant reçu ni faveur, ni récompenses pour les services quil avait rendus au Roi, ni pour la fidélité à lui conserver son honneur et sa vie, elle est payée de tout en un jour, la faisant non seulement entrer au palais et demeurer en la présence du Roi, revêtue de robes royales, mais aussi la couronnant dun diadème et lui donnant comme à une autre Esther, la possession du royaume, pour faire tout ce quelle voudra dans le royaume de son Epoux, parce que ceux de cet état obtiennent tout ce quils veulent, et toute la dette leur est bien payée, les ennemis de leurs appétits étant déjà morts, lesquels voulaient leur ôter la vie, et déjà vivant en Dieu. Vive Flamme damour. Cant. 2. V. 5.
56. On a ici grandement besoin de la faveur de Dieu pour expliquer et déclarer la profondeur
de ce Cantique, et celui qui le lira y doit apporter une grande attention, parce que sil na de lexpérience, il le trouvera fort obscur, quoiquil soit clair et agréable si on lentend. (200) Lâme en ce Cantique remercie intimement son Epoux des grandes faveurs quelle a reçues de lunion avec lui, lui communiquant par ce moyen plusieurs connaissances de soi-même très hautes et très sublimes, avec lesquelles les puissances + et les sens de son âme, qui avant cette union étaient obscures et aveugles, étant illuminées et enflammées damour, pour correspondre au Bien-aimé, offrant cette même lumière et amour à celui qui les a embrasées et blessées damour, versant en elles des dons si divins. *Car le vrai amant est alors content quand tout ce quil est et ce quil vaut et peut valoir, et quil a et peut avoir, il lemploie en lAmi, et tant plus cela est grand et excellent, tant plus prend-il de plaisir à le donner. La-même. Cant. 3.
57. O lampes de feux lumineux !
Supposé que ces lampes ont deux propriétés qui sont (a) déclairer et de brûler pour entendre ce vers, il faut concevoir que Dieu en son unique et simple être est toutes les grandeurs et vertus de ses attributs, parce quil est tout puissant, quil est sage, quil est bon, quil est miséricordieux, quil est juste, quil est fort, quil est amoureux, et quil est les autres attributs et vertus que nous ne connaissons pas de lui en cette vie. Et étant toutes ces choses quand il est uni avec lâme, et quil lui plaît de se manifester à elle par une notice très particulière (201)(a) elle aperçoit et connaît en lui ces vertus et ces grandeurs en unique et simple être, parfaitement, selon que cela compatit avec la foi : et comme chacune de ces vertus est le même être de Dieu, qui est Père, Fils et Esprit, et chacun de ces attributs étant Dieu même, et Dieu étant une lumière infinie et un feu divin infini, comme il a déjà été dit ; de là vient que selon chacun de ces attributs il éclaire et brûle comme vrai Dieu.
Et ainsi selon ces notices que lâme a connues de Dieu en unité, le même Dieu est plusieurs lampes à lâme, puisquelle a connaissance de chacune, et que chacune en sa manière léchauffe damour, et toutes sont en un être simple, et toutes sont (b)une lampe qui est toutes ces lampes, car elle éclaire et brûle de toutes les manières, ce que connaissant lâme, cette seule lampe lui est plusieurs lampes parce quencore quelle soit une, elle peut toutes choses, elle a seule toutes les vertus, et ramasse tous les esprits. Et ainsi nous pouvons dire que Dieu luit et brûle de plusieurs façons en une manière, parce quil luit et brûle comme tout-puissant, il luit et brûle comme sage, il luit et brûle comme bon, etc. donnant à lâme lintelligence et amour, et se manifestant à elle, en la façon quelle en est capable selon elles (202)toutes, car la splendeur que lui donne cette lampe, en tant quelle est toute puissante, $$$$$$ en lâme de la lumière et de la chaleur damour de Dieu, en tant quil est tout-puissant, etc.
Ces lampes furent montrées à Moïse sur le mont Sinaï, où dieu passant devant lui, il se prosterna à terre, et dit quelques grandeurs de celles quil avait aperçues en lui, et laimant $$$$$$$ selon les choses quil avait vues, il es $$$$distinctement par ces paroles : (a) Domine$$$$$$, Seigneur Dieu miséricordieux, etc. La même, Cant. 3. V. 1.
58. O âme, quelle et combien excellente et en combien de manières sera ta lumière et ton contentement, puisque tu sens quen toutes et de toutes, ces lampes de notices, il te donne sa joie et son amour, taimant selon ses$$$$$$ vertus, attributs et propriétés ? parce que celui$$$$ qui aime et fait du bien à un autre selon sa$$$$$ condition et ses propriétés, lhonore et loblige, de même ton Epoux en toi, (c) étant tout-puissant, te donne et taime avec toute-puissance, et étant sage, tu sens quil taime avec sagesse, étant bon, tu sens quil taime avec bonté, étant saint, tu sens quil taime avec sainteté, et ainsi du reste. Et comme il est libéral, tu $$$$$$$$ aussi (c) quil taime avec libéralité sans aucun (203) intérêt, mais seulement pour te faire du bien, te$$$ montrant joyeusement cette face remplie de grâces et te disant : je suis à toi et pour toi et $$$$bien aise dêtre tel que je suis pour me donner à toi et être à toi. Qui pourra expliquer ce que tu sens, ô âme bienheureuse, te voyant ainsi aimée et agrandie avec une telle estime. Nous dirons que (a) ton ventre, qui est ta volonté, ressemble au monceau de blé qui est couvert et environné de lis, parce quen ces $$$$$ du pain de vie que tu goûtes, ensemble les lis es vertus qui tenvironnent te recréent et te délectent, dautant que ces filles du Roi, qui sont ces vertus, de lodeur de leurs drogues$$$$ aromatiques, qui sont les connaissances quil te donne, te réjouissent merveilleusement, et tu y est si plongée et si imbue que tu es aussi$$$$$le puits des eaux vives qui courent impétueusement du mont Liban qui est Dieu. En quoi tu es merveilleusement réjouie selon lharmonie de ton âme, afin quil saccomplisse en toi aussi le dire du Psalmiste (b) : limpétuosité du fleuve$$$$$ réjouit la cité de Dieu. O Chose admirable qualors lâme (c) répande et dégorge des eaux divines et quelles sortent delle comme dune fontaine abondante qui regarde la vie éternelle ! Car encore quil soit vrai que cette communication est lumière et feu de ces lampes de Dieu, ce feu est ici si suave quencore (204) que ce soit une flamme immense, cest comme des eaux de vie qui (a) rassasient et étanchent la soif avec limpétuosité que lesprit désire.
Et ainsi, bien que ce soient des lampes de feu, ce sont des eaux vives de lesprit, comme aussi celles qui vinrent sur les Apôtres, encore que ce fussent des lampes de feu, étaient aussi des eaux pures et nettes, car Ezéchiel les nomme de la sorte, quand il prédit cette venue du St Esprit : (b)Je répandrai sur vous de leau nette et mettrai mon Esprit au milieu de vous. Partant encore que ce soit feu, cest aussi de leau, car il est figuré par le feu du sacrifice que Jérémie cacha, (c)lequel pendant quil était caché était de leau, et quand il servait au-dehors à sacrifier, cétait du feu. Et (d) ainsi * cet Esprit de Dieu, en tant quil est caché aux veines de lâme, cest comme de leau douce et fraîche qui étanche la soif de lesprit, et en tant quil sexerce au sacrifice daimer, il est de vives flammes de feu qui sont les lampes de lacte de dilection, dont lEpouse parle au (205) Cantique. (a) Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes, lesquelles lâme nomme de la sorte, parce que non seulement elle les goût comme des eaux de Sagesse en soi, mais encore comme feu damour, disant en acte damour : ô lampes de feu !
*Tout ce quon en peut discourir (b) nest rien au prix de ce qui en est. Si on remarque que lâme est transformée en Dieu, on entendra en quelque façon comme cest la vérité quelle est devenue fontaine deaux vives, ardentes, ferventes au feu damour qui est Dieu. La même.
59. Ces vues, ou ces montres de gloire en Dieu, qui se donnent ici à lâme, sont déjà plus continuelles que de coutume, et plus parfaites et plus stables, mais en lautre vie, elles seront très parfaites et sans altération de plus ni de moins, et sans vicissitude ou interstice de mouvement. Alors lâme verra clairement quencore quil parût ici que Dieu se mouvait en elle, il est toutefois immobile en soi, comme le feu qui ne se meut point dans sa sphère. Néanmoins ces splendeurs sont des (206) grâces et faveurs inestimables que Dieu fait à lâme, lesquelles on nomme autrement obombrations. Et celles-ci en cet état, à mon avis, sont des plus hautes qui puissent être ici en voie de transformation.
Pour entendre ceci, il faut savoir quobombrer signifie faire ombre, qui est autant que protéger et faire des faveurs, car venant à toucher lombre, cest signe que le corps qui la fait est proche pour favoriser et défendre.
Cest pourquoi il fut dit à la Vierge (a) que la vertu du TrèsHaut lui ferait une ombre, parce que le St Esprit en devait approcher si près quil devait venir sur elle. Et (b)notez que chaque chose a de lombre, et la fait selon sa propriété et sa figure. Si la chose est épaisse et obscure, elle rendra lombre de même ; si elle est plus rare et plus claire, lombre en sera plus claire, comme on peut voir au bois et au cristal, lun qui est opaque la fait obscure et lautre qui est transparent la rend claire. De même aussi aux choses spirituelles, la mort est privation de toutes choses, donc lombre de la mort sera des ténèbres qui privent aussi en quelque façon de toutes choses, ainsi lappelle le Psalmiste, disant : (c) Assis dans les ténèbres et en lombre de la mort. Si ces ténèbres sont corporelles, de mort corporelle, si elles sont spirituelles, de mort spirituelle. Ainsi lombre de la vie sera lumière ; (d) si divine, lumière divine (207), si humaine, lumière naturelle, et ainsi lombre de la beauté sera comme une autre beauté, selon la façon et propriété de celle dont elle est lombre, et lombre de la force sera comme une autre force, selon sa forme et condition ; lombre de la sagesse sera une autre sagesse, ou pour mieux dire, sera la même beauté, la même force, la même sagesse en ombre, en laquelle on connaît la forme et la propriété de la chose dont elle est lombre. Ceci présupposé, quelle sera, je vous prie, lombre que le St Esprit fait à lâme de toutes les grandeurs de ses vertus et attributs ? Etant si près delle quil ne la touche pas tellement quellement en ombre, mais aussi (a) quil demeure uni avec elle en ombre, entendant et savourant la grandeur et les propriétés de Dieu en lombre de Dieu, cest à savoir (b) en goûtant et entendant la propriété de la puissance divine, en lombre de la toute-puissance divine et (b) entendant et goûtant la sagesse divine en ombre de la sagesse divine, bref, goûtant la gloire de Dieu en lombre de la gloire, laquelle fait (b) savoir et goûter la propriété et (208) la manière de la gloire de Dieu : tout cela se passant en des ombres claires et ardentes, puisque les attributs de Dieu et ses vertus sont des (209) lampes, lesquelles, parce quelles sont resplendissantes et ardentes, doivent faire en leur manière (210) et propriété des ombres claires et ardents, et plusieurs en une seule essence. Ô que sera-ce de voir ici expérimentant la vertu de cette figure que vit Ezéchiel (a) en cet animal de quatre formes et figures, et en cette roue de quatre roues ? voyant son aspect qui (211) était comme de charbons allumés et comme un aspect de lampes, et voyant la roue, qui est la sagesse pleine dyeux dedans et dehors, qui sont des notices admirables de sagesse, et entendant ce son de leur démarche qui était comme le bruit dune multitude darmées qui signifient plusieurs choses en un (que lâme connaît ici en un seul son, dun seul pas de Dieu, et qui va (a) passant par elle), bref, goûtant ce son du battement de leurs ailes qui était, au dire du Prophète, comme u son de plusieurs eaux, et comme le son du très-haut Dieu par où est signifié limpétuosité des eaux divines à la chute desquelles le St Esprit investit lâme en flamme damour, laquelle jouit ici de la gloire de Dieu, à labri et saveur de son ombre, comme aussi le Prophète (b) dit que cette vision était une semblance de la gloire du Seigneur. Ô que cette heureuse âme est ici élevée ! Ô quelle est agrandie ! Quelle est ravie dadmiration de ce quelle voit, étant encore dans les limites de la foi. Qui le pourra dire ? Vu quelle est si abondamment imbue des eaux de ces splendeurs divines, où le Père éternel donne à pleine main larrosement den-haut et den bas, puisque ces eaux arrosant lâme, pénètrent aussi le corps. Vive flamme damour. Cant. 3. V. 2.
(212)
60. La capacité de ces Cavernes est donc (a) profonde, dautant que ce quelles doivent (213) recevoir en elles, à savoir dieu, est profond et infini, et ainsi leur capacité sera en quelque façon infinie, leur soif infinie, leur faim aussi infinie et profonde, leur peine et leur défaite en sa manière infinie. Partant quand lâme pâtit, encore que ce ne soit si âprement (214) quen lautre vie, néanmoins il semble que cen soit une vive image : à cause que lâme est en certaine disposition pour recevoir son comble, dont la privation lui est un fort grand tourment quoique cette peine soit dune autre trempe, parce quelle est dans le sein de lamour de la volonté et ici lamour ne soulage point la peine, puisque tant plus il est grand, plus il est impatient pour la jouissance de son Dieu, quelle attend à chaque moment avec un désir très véhément. La même, v. 3 §. 2.
(215)
61. Mais, mon Dieu, puisquil est certain que quand lâme désire Dieu avec une entière vérité, elle a déjà ce quelle aime, (comme dit St Grégoire), comment se peine-t-elle pour ce quelle a déjà ? Et si au désir quon les Anges, dit St Pierre, (a) de voir le Fils de Dieu, Il ny a aucune peine ni angoisse, à raison quils le possèdent déjà, il semble que si lâme tant plus elle désire Dieu, tant plus elle le possède, et comme la jouissance de Dieu délecte et rassasie, tant plus devait-elle sentir de satiété et de délectation en ce désir quil était plus véhément, puisquelle possède davantage Dieu, et ainsi par raison elle ne devait sentir aucune peine ni douleur.
En cette question il faut noter la différence quil y a davoir Dieu seulement par grâce et de lavoir aussi par union. Car lun est se vouloir réciproquement et lautre dit une très particulière communication, laquelle différence nous pouvons entendre de celle quil y a entre les fiançailles et le mariage. Car aux fiançailles il ny a quun accord et une volonté des deux parties, quelques bagues et joyaux que le fiancé donne à la fiancée. Mais (b) au mariage, il y a aussi union et communication des personnes : dans les fiançailles, encore que le fiancé voie quelquefois la fiancée et lui fasse des présents, néanmoins il ny a point union des personnes, qui est la fin des fiançailles $$$$$$. De même quand lâme est parvenue à une telle pureté en soi et en ses puissances, (216) que la volonté soit très purgée des autres goûts et appétits étrangers selon la partie inférieure et supérieure, et quelle ait entièrement donné (a) son consentement à Dieu, touchant tout ceci, la volonté de Dieu et celle de lâme étant déjà une en un consentement prompt et libre. Alors nous disons que lâme est venue à posséder Dieu par grâces et fiançailles et en conformité de volonté, dans lequel état de fiançailles spirituelles de lâme avec le Verbe, lEpoux lui fait de grandes grâces et la visite souvent très amoureusement, où elle reçoit de grandes faveurs et délices, mais ce nest rien au prix de celles du mariage spirituel. Car quoique cela se passe en lâme qui est très purgée de toute affection de créature (vu que les fiançailles spirituelles ne se font point devant cela), néanmoins pour lunion et le mariage spirituel, lâme a besoin dautres dispositions positives de Dieu, de ses visites et de plus grands dons, avec quoi il la va purifiant davantage, et lembellit et subtilise pour être dûment disposée à une (b) si haute union, et en cela il y va du temps, en quelques une plus, en dautres moins.
Ce qui a été figuré par les filles quon choisissait pour le Roi Assuerus (c). Car encore quon leût déjà tirées de leur pays et de la (217) maison de leurs parents, toutefois avant quelles vinssent au lit du Roi, on les tenait un an enfermées (quoique ce fut dan le palais), en sorte quelles se frottaient pendant six mois de certains onguents de myrrhe et dautres drogues aromatiques, et le reste de lannée se disposaient avec dautres parfums plus exquis, et par après on les menait au lit du Roi.
Partant au temps de ces fiançailles et de lattente du mariage spirituel, dans les onctions du St Esprit, quand les onguents des dispositions pour lunion de Dieu sont plus précieux, les angoisses des cavernes de lâme ont accoutumé dêtre extrêmes et délicates, parce que comme ces onguents disposent plus prochainement et plus immédiatement à lunion de Dieu, car ils lui sont plus conjoints, pour ce sujet ils lui causent plus de saveur et laffriandent de lui plus délicatement. Et ainsi le désir est beaucoup plus délicat et plus profond, le désir de Dieu étant une disposition pour sunir avec lui. Vive flamme damour. Cant. 3. §. 3.
62. Encore quil soit véritable, que lâme ne peut donner de nouveau le même Dieu à lui-même, vu quen soi il est toujours le même, néanmoins elle fait sagement et parfaitement, donnant tout ce quil lui avait donné pour payer lamour, ce qui est donner tout autant quon a reçu, et Dieu se paye par ce présent de lâme, car il ne saurait se contenter à moins, et le reçoit gracieusement et avec remerciement, comme chose qui appartient à lâme, laquelle lui est donnée dans le sens quil a été dit, en cela même il laime de nouveau et se livre librement à elle, et en cela même lâme (218) aime, et ainsi il y a actuellement entre Dieu et lâme un réciproque, en la conformité de lunion et en la délivrance matrimoniale, en laquelle les biens des deux, qui sont la divine essence sont possédés des deux en la donation volontaire de lun à lautre, lun disant à lautre ce que le Fils de Dieu dit à son Père : (a) Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi, et en tout cela, jai été glorifié, c e qui est dans lautre vie en la jouissance sans intermission, et en cet état dunion, quand la communication de lâme et de Dieu est mise en acte et exercice damour, alors dis-je, lâme peut faire ce présent, encore quil soit de plus grande entité que sa capacité et son être. Car il est tout clair que celui qui a plusieurs royaumes et nations à lui, encore quelles aient plus dentité que lui, il peut bien les donner à qui bon lui semble. Et cest là le grand contentement et satisfaction de lâme de voir quelle donne à Dieu plus quelle ne vaut en soi, donnant si libéralement dieu à soi-même, comme uns chose sienne, avec cette lumière divine et chaleur damour qui lui a été donnée. Et ainsi les profondes cavernes du sens donnent tout ensemble à leur ami lumière et chaleur, avec des excellences étranges ensemble, dautant que la communication du Père, du fils et du St Esprit est jointe en lâme qui sont lumière et feu damour.
Mais il faut noter ici brièvement avec quelles excellences lâme fait ici cette délivrance. Sur quoi il faut remarquer que comme en lacte de cette union, lâme jouit dune certaine (219) image de fruition qui est causée de lunion de lentendement et de laffection en Dieu, réjouie en soi et obligée, elle fait à Dieu donation ou reddition de dieu et de soi-même en Dieu par des moyens du tout merveilleux, car à légard de lamour, lâme se comporte envers Dieu avec des excellences étranges, et de même touchant ce vestige de jouissance, comme aussi quant (a) à la louange pareillement et quant au remerciement. Et à légard du premier qui est lamour, elle a trois principales excellences damour. La première, cest que lâme aime ici Dieu par le même Dieu qui est une excellence admirable, parce quelle aime enflammée par le St Esprit, et ayant soi-même le St Esprit, comme le Père aime le Fils, selon ce qui est dit en St Jean, : afin que lamour dont vous mavez aimé (dit le Fils au Père) soit en eux et moi en eux. La seconde excellence, cest daimer Dieu en Dieu, parce quen cette véhémente union lâme
Sabsorbe en amour de Dieu et Dieu se livre à lâme avec une grande véhémence. La troisième excellence damour, cest de laimer là pour ce quil est, parce quelle ne laime pas seulement (c ) à cause quil lui est splendide, bon, libéral etc, mais beaucoup plus, parce quil est tout cela en soi essentiellement. La même. V. 5 et 6.
LE PERE NICOLAS DE JESUS MARIA
Rapporte
63. Albert Le Grand. Lâme dévote doit être tellement unie avec Dieu et doit avoir et rendre sa volonté si conforme à la divine, quelle ne soccupe ou nadhère à aucune créature, comme lorsquelle nétait pas encore créée, ou comme si rien nétait que Dieu et lâme seule. (De lattach. à Dieu. Ch 6 et8.) Eclairciss. des Phras. Myst. de Jean de la Croix. P. II. Ch. I. §. 3.
64. La plus haute perfection de lhomme en cette vie, cest dêtre tellement uni à Dieu que toute lâme soit recueillie en Dieu son Seigneur avec toutes ses forces et puissances, afin quelle soit faite un esprit avec lui, et quelle ne se souvienne sinon de Dieu, quelle ne sente ou entende que Dieu, et que toutes ses affections unies en joie damour reposent doucement en la seule jouissance du Créateur. (Ch. 3) La même. Chap. 14. §. 4.
65. Le vrai amateur de Jésus-Christ doit être tellement uni en esprit par la bonne volonté à la volonté divine, et si dénué de tous les fantômes et passions quil ne prenne pas garde sil est moqué, aimé, ou à quelque chose que ce soit quon lui fasse. Car la bonne volonté accomplit tout et est au-dessus de toutes choses. Doù vient que si la volonté est bonne et purement conforme et unie à Dieu en esprit, la chair et la sensualité ne lui nuisent point. Lâme se plonge du tout et toute en son Créateur, tellement quelle dirige toutes ses opérations purement du tout en Dieu son Seigneur et ne cherche rien hors de lui, et ainsi elle est en quelque façon transformée en Dieu, en ce quelle ne (221) peut peser, ni entendre, ni aimer, ni se souvenir sinon de Dieu. (Chap. 6) La même.
66. Voyez Pur amour. N. 29.
67. St Thomas. Il y a dit, dit le Docteur Angélique, deux unions de lamant à laimé : lune réelle, comme lorsque laimé est présent à lamant, et lautre est selon laffection. Lamour donc fait la première union effectivement, parce quil (a) excite à désirer et rechercher la présence de laimé, comme lui étant convenable et lui appartenant ; mais pour la seconde union il la fait formellement, parce que lamour même est une telle union ou tel lien, doù vient que St Augustin dit au 8ème de la Trinité : que lamour est une certaine liaison conjoignant deux choses, ou désirant de les conjoindre, à savoir lamant et ce qui est aimé, car en ce quil dit conjoignant, il se rapporte à lunion daffection, sans laquelle il ny point damour. Mais ce quil dit, désirant de conjoindre, cela appartient à lunion réelle. (1.2.Qu. 28. Art. 1.) La même. Chap. 16. §. 1.
68. Voyez Présence de Dieu. N. 15.
69. Cornelius à Lapide. Voyez Présence de Dieu. N. 18.
ST FRANÇOIS DE SALES
70. Rien nest si naturel au bien que dunir et dattirer à soi les choses qui le peuvent sentir, comme font nos âmes, lesquelles tirent toujours et se rendent à leur trésor, cest-à-dire à ce quelles aiment. De lamour de Dieu. Livr. 6. Chap. 7.
71. Lunion se fait quelquefois sans que nous y coopérions, sinon par une simple suite, nous (222) laissant unir sans résistance à la divine bonté comme un petit enfant amoureux du sein de sa mère, mais tellement alangouri quil ne peut faire aucun mouvement pour y aller, ni pour se serrer quand il y est, mais seulement est bien aise dêtre pris et tiré entre les bras de sa mère et dêtre pressé par elle sur sa poitrine.
Quelquefois nous coopérons lorsquétant tirés, nous courons volontiers pour seconder la douce force de la bonté qui nous tire et nous serre à soi par son amour.
Quelquefois il nous semble que nous commençons à nous joindre et serrer à Dieu avant quil se joigne à nous, parce que nous sentons laction de lunion de notre côté, sans sentir celle qui se fait de la part de Dieu, lequel toutefois sans doute nous prévient toujours, bien que nous ne sentions pas toujours sa prévenance, car sil ne sunissait à nous, jamais nous ne nous unirions à lui. Il nous choisit et nous saisit toujours avant que nous le choisissions et saisissions. Mais quand suivant ses attraits imperceptibles nous commençons à nous unir à lui, il sait quelquefois le progrès de notre union, secourant notre imbécillité et se serrant sensiblement lui-même à nous, si$$$$$$$que nous le sentons quil entre et pénètre notre cur par une suavité incomparable. Et quelque fois aussi comme il nous a attirés insensiblement à lunion, il continue insensiblement à nous aider et secourir, et nous ne savons comme une si grande union se fait, mais nous savons bien que nos forces ne sont pas assez grandes pour la faire. Ainsi nous jugeons bien par là que quelque secrète puissance fait son insensible action en nous. Comme les nochers qui portent du fer, (223) lorsque sous un vent fort faible ils sentent leurs vaisseaux cingler puissamment, connaissent quils sont proches des montagnes de laimant qui les tire imperceptiblement et voient en cette force un connaissable et perceptible avancement provenant dun moyen inconnu et imperceptible. Car ainsi lorsque nous voyons notre esprit sunir de plus en plus à Dieu sous des petits efforts que notre volonté fait, nous jugeons bien que nous navons pas assez de vent pour cingler si fort, et quil faut que lamant de nos âmes nous tire par linfluence secrète de sa grâce, laquelle il veut nous être imperceptible, afin quelle nous soit plus admirable, et que sans nous amuser à sentir ses attraits, nous nous occupions plus purement et simplement à nous unir à sa bonté.
Quelquefois (a) cette union se fait si insensiblement que notre cur ne sent ni lopération divine en nous, ni notre coopération. Ainsi il trouve la seule union insensiblement toute faite, à limitation de Jacob, qui sans y penser se trouva marié avec Lia $$$$, ou plutôt comme un autre Samson, mais plus heureux, il se trouve lié et serré des cordes de la sainte union sans que nous nous en soyons aperçus.
Dautre fois, nous sentons les serrements, lunion se faisant par des actes sensibles, tant de la part de Dieu que de la nôtre.
Quelquefois lunion se fait par la seule volonté, et en la seule volonté, et dautrefois lentendement y a sa part, parce que la volonté le tire après soi et lapplique à son objet, lui donnant un plaisir spécial dêtre appliqué à le (224) regarder, comme nous voyons que lamour répand une profonde et spéciale attention en nos yeux corporels, pour les arrêter à voir ce que nous aimons.
Quelquefois cette union se fait de toutes les facultés de lâme, qui se ramassent toutes autour de la volonté, non pour sunir elles-mêmes à Dieu, car elles nen sont pas toutes capables, mais pour donner plus de commodité à la volonté de faire son union, car si les autres facultés étaient appliquées, une chacune à son objet propre, lâme opérant par elles ne pourrait pas si facilement semployer à laction, par laquelle lunion se fait avec Dieu. Telle est la variété des unions. De lamour de Dieu. Liv. 7. Ch. 2.
72. Sachez, Théotime, que la charité est un lien et un lien de perfection. Qui a le plus de charité, il est plus étroitement uni et lié à Dieu. Or nous ne parlons pas de cette union qui est permanente en nous par manière dhabitude, soit que nous dormions, soit que nous veillons, nous parlons de lunion qui se fait par laction et qui est un des exercices de la charité et dilection. Imaginez-vous donc que St Paul, St Denis, St Augustin, St Bernard, St François, Ste Catherine de Gênes ou de Sienne, sont encore en ce et quils dorment de lassitude, après plusieurs travaux pris pour lamour de Dieu ; représentez-vous dautres part quelque bonne âme, mais non si sainte queux, qui fut ne loraison dunion à même temps : je vous demande mon cher Théotime, qui est le plus uni, plus serré, plus attaché à Dieu, ou ces grands Saints qui dorment, ou cette âme qui prie ? Certes, ce sont ces admirables Amants, car ils ont plus de charité et leurs (225) affections, quoiquen quelque façon dormantes, sont tellement engagées et prises à leur Maître, quelles en sont inséparables. Mais, me direz-vous, comment se peut-il faire quune âme qui est en loraison dunion et même jusquà lextase, soit moins unie à Dieu que ceux qui dorment, pour saints quils soient ? Voici ce que je vous dis, Théotime : celle-là est plus avant dans lexercice de lunion et ceux-ci sont plus avant dans lunion, et ceux-ci sont unis et ne sunissent pas, puisquils dorment, celle-là est en lexercice et pratique actuelle de lunion. La même. Chap. 3.
Le Fr. JEAN DE SAINT-SAMSON
73. Cest déjà ici que les noces amoureuses se célèbrent, au mutuel plaisir de Dieu et de lâme divinement pénétrée des traits et attraits vifs, enflammés et délicieux de son cher 2poux. Et cest ce quils expriment tous deux en leur étroite et divine union, sous dinnombrables similitudes. Dans cet amour réciproque, lâme brûle de plus en plus de manifester, sil lui était permis, à tout le monde la grandeur et la beauté essentielle de son très cher époux. Et elle voit quon ne le peut dignement louer, sinon dune distance infinie de ses infinis mérites. Se voyant pénétrée en fonds damour, de lumière et de notices des excellences de cet Objet infini, elle ne peut assez sétonner de voir lingratitude des hommes qui louent si peu, et même déshonorent une si haute, si grande et si aimable Majesté.
Lâme en cet état ne peut plus se défier de la fidélité de son cher Epoux, se voyant tirée de la masse de perdition, et choisie entre plusieurs milliers de personnes, pour connaître son infinie (226) beauté, pour en jouir et pour laimer dun amour parfait. Cest pourquoi elle sent toujours un très doux effort damour qui la ravit et la pousse à réciproquer éternellement son amour à sa Majesté, comme elle y est toute résolue. Elle ne peut faire moins, étant si élevée en lui, et si pénétrée de lui, dont laction vive et le feu ardent lagitent, loccupent selon diverses voies et manières, en unité et simplicité mystique, qui tient toutes ses puissances recueillies et fondues en un et où tout lhomme est déjà esprit, pour le moins en unité de cur. Esprit du Carmel. Ch. 23.
74. Cest cette fruition qui pénétrant toujours de plus en plus limmense total, saugmente et saccroît par subtilité et simplicité de repos, lequel semble être et e moyen et leffet de la dite fruition en divers sens et manières. Celui qui est ici (a) placé et arrêté mentend bien. Tout ce qui se peut dire de toute cette fruition, cest ce mot repos ineffable. Mais lobjet infini qui est la cause de tout ce bonheur demeure non-exprimé en notre très large et très étendue fruition, laquelle na que le simple et lineffable pour notre sortie. Ceci, dis-je, nexprime rien du tout, ni de soi, ni de notre fruition aperçue toujours de mieux en mieux et de plus en plus, car plus nous sommes éloignés de nous sentir de si loin que ce soit, plus aussi cela est au suréminent ordre et en la suréminente nature de notre divin objet. Si bien quen cela même nous semblons ne différer nullement de notre surcomblée béatitude et félicité. Cabinet Mystique. Part.I. chap. 4.
75. Je dis donc que ces âmes sont toutes perdues (227) en lunité jouissante qui en tant quunité nopère point, mais est oiseuse. De cette unité les personnes de la Trinité sortant chacune à sa propre action se rend heureuse infiniment par un seul acte perpétuel qui est au-delà de toute compréhension et intelligence créée. Là, il ny a ni temps ni éternité, mais infiniment au-delà cette Essence suressentielle réside et demeure ne soi et par soi, se comprenant toute totalement en sa suprême plénitude.
Cest en cette plénitude et étendue que les âmes dont nous parlons sont transformées en Dieu et très largement étendues au-delà de toutes bornes et limites créées et créables. Elles sont, dis-je, Dieu même en un sens véritable, soit en ténèbres, soit en lumière, soit en passion, soit en surpassion, soit ne ignorance, soit par-dessus lignorance. Et nous expérimentons que cela est ainsi par les perceptions sans connaissance et même par dessus cela, ce qui nous porte bien loin au-delà de toutes connaissances.
CE que jai déjà dit est vrai, que chacune des trois personnes connaît e t comprend cette Essence infinie, au-delà de toute personnalité. Non que la compréhension actuelle des personnes distinctes soit au-dessous du vaste infiniment surétendu de leur commune essence. Mais je parle ainsi à cause de létroite connexion qui les lie, entrelace et unit en cette leur plus quessentielle unité, en laquelle les divines personnes jouissent de leur pleine et entière félicité, en repos et oisiveté, au-delà de toute personnalité (228) distincte. Or cela fait ainsi en nous en toute manière exprimée ci-dessus.
On peut encore dire à notre égard que comme nous connaissons sans connaître et percevons sans percevoir, ainsi en ce même état nous expirons sans expirer, mourons sans mourir, et vivons sans vivre. Que nous sommes transformés en Dieu et sommes lui-même, au-delà de tout ce qui sen peut dire ou concevoir, vu que Dieu est infiniment au-delà de tout ce qui se peut nommer, que dans cette sienne infiniment suressentielle unité, il jouit sans éternité et sans temps de tout soi, en soi, et par soi. Quencore que nous soyons lui-même, nous différons pourtant infiniment de cette suressentielle, dautant quelle nest et na rien de créé ni de créable pour sa propre félicité surinfiniment étendue.
Cependant nous sommes divinement transformés en elle au-delà de toute raison et conception, notre être créé nous demeurant toujours, car croire autrement ce serait une chose étrange et du tout absurde. Là, dus-je, bien loin au-delà de toute fruition aperçue, nous sommes ce que Dieu est, nous avons ce quil a, nous possédons ce quil possède, et cela en notre amour activement actif et continuellement enduré. Bref nous sommes lui-même en nous mêmes et pourtant sans nous mêmes. Car comment serait-il possible que cette infiniment noble et divine substance put très hautement béatifier tan de très excellente substances créées, par la force active dune plus quadmirable bonté et amour, si en lui-même il nétait infiniment au-delà (229) de toute béatitude et félicité quil puisse communiquer en sa très haute, très étroite et très parfaite union à toute excellence dêtre créé et créable ?
Il ny a donc (a) que lui en lui, il ny a que son être essentiel en sa suressentialité et il ny aura et il ny eut jamais aucun être créable, qui, nonobstant toute la jouissance compréhensive quil ait de lui, en lui et par lui, lui puisse être uni et conjoint, sinon dune infinie distance. Cabinet Mystique. Part. I. ch. 8.
76. En cet état, lâme se trouve toute autre quelle-même, toute totalement anticipée de chacune des personnes distinctes, qui comme nous avons dit, sortent à leur propre action béatifique, sans sortir de leur commun repos et jouissance possédée, et de cette leur et notre commune unité suressentielle. Toutefois leur repos personnel excède le nôtre dautant plus et dune infinie distance que leur nature, leur personnalité et leur substance divine excèdent la créaturalié et capacité de nos âmes, tant active que suractive, tant passive que surpassive, lesquelles néanmoins, parce quelles sont là consommées par une entière consommation de tout elles-mêmes, sont transformées en Dieu, bien au-delà de tout ce que les hommes peuvent concevoir par ce nom.
Voilà à mon avis, en quoi la déiforme déification de la créature qui a excédé toute créaturalité est différente de la totale Déité, (230)infiniment abstraite de tout ce qui est créé, non créé ou créable, si suressentiellement suressentiel et suréminemment éminent quil puisse être, se connaissant et se comprenant toute elle-même en soi, par soi et pour soi.
Ce que je dirai encore des âmes déifiées par transformation, en toutes les manières exprimées ci-dessus, cest que ce qui leur semble à présent procéder de leur vie propre, de leur propre action et de leur passion, nest que Dieu (a) qui vit, agit et pâtit en elles, dans lessence duquel étant entièrement consommées, perdues et totalement transformées, elles sont Dieu même au-dessus de toute nominalité de Dieu, comme nous avons dit. De sorte quon peut dire et lon doit croire que ce que lon désire et demande de telles âmes est au même instant sans instant, fait et ordonné, non tant par elles que divinement et de Dieu même, soit en action ou suraction, soit en passion ou surpassion, soit en perception ou imperception, (b) en lignorance ou pardessus lignorance. La même. Chap. 8.
77. Tous les états qui précèdent celui-ci, en quelque voie que ce soit, sont déduits chez les Mystiques. Mais celui-ci comprend tous dune assez divine manière par laquelle on se voit et on se sent fondu et réduit en un très petit point qui est le centre unique doù sont tirées toutes les lignes qui se peuvent concevoir. Ce qui tombe sous les sentiment et sous la simple (231) et spécifique perception, semble plutôt montrer ce qui est créé en une excellente manière que lincréé où nous sommes arrêtés, lequel nous tient purement attachés par-dessus tout amour, en nudité et simplicité unique et du tout suressentielle, par dessus tous les effets susdits du feu divin qui embrasait et consommait toute lâme en soi au temps de son action. De sorte que lâme étant ici arrivée ne trouve rien que dire, ni que penser, non pas même pour exprimer ce quelle a vu ou senti dans les états précédents et encore moins en celui-ci. La même. Chap. 10. §7.
78. En ce véritable amour, lâme est tellement une seule chose avec son Bien-Aimé quelle na comme plus dordre, dégard, ni de réflexion sur la diversité des temps, son amour unique lui étant toujours un en toutes choses et en lui-même, attendu quamour est tout le plaisir, tout le feu, toute la joie, gloire, félicité, réplétion, sainteté, essence et totalité de son infini Objet.
Celui donc qui (a) perdu en amour vit très heureusement en limage de Jésus-Christ et en sa vie très amoureuse, intérieure, divine, glorieuse et très unique, laquelle est très occulte à plusieurs et très connue à plusieurs. Un tel amour est très amoureusement et entièrement perdu en labîme de cette vie très divine et vivifiante de notre cher Sauveur et Epoux, vrai Dieu et vrai homme, fait homme pour lamour (232) des hommes et pour lattraction très forte et très rapide de ses intimes amis à soi, afin quils ne soient plus jamais séparés de lui, mais quen toute éternité ils soient une seule chose en tout lui-même, no par nature, mais par grâce. Miroir et flammes damour. Ch. 7.
79. Qui est-ce, ô mon Epoux, qui exprimera le mutuel amour et les mutuelles délices que nous possédons nous deux en notre commune union et repos ? On semble dire merveilles de lamour, mais on napproche pas point de paroles ni de similitudes qui expriment cela en la manière que je lexpérimente en vous et pour vous ! Mais, ô mon Amour ! Rien à moi et pour moi, tout à vous et pour vous, qui comme vous êtes tout, faites tout en moi, non pour moi, mais en vous et pour vous, et qui en cela même avez fait que je suis devenue, non tellement quellement, mais éperdument et passionnément amoureuse de vous et ensuite de cela je suis devenue amour même de lamour en amour. Soliloque 3.
80. Puis-je donc exprimer autre chose de lunique union qui est entre vous et moi, sinon que vous êtes tout simple en ma propre chair ? Nest-ce pas tout dire ? Oui, puisque cest tout être. Et je métonne beaucoup de voir la hardiesse quont prises quelques-unes de vos particulières Epouses, de découvrir aux hommes les abîmes de ce sujet. Car on voit manifestement que de parler de ceci si hautement quon le puisse faire, ou si peu quon le fasse, cest plutôt diminuer la gloire et la profondeur de notre simple, unique, intime et réciproque union en tout nous, que den dire quelque chose. Au contraire, le silence sur ce point ferait tout mon plaisir (233) et tout mon déduit, car je sais que par ce moyen, jen découvrirais plus aisément le mystère, en lineffable de nous deux, en notre union commune et réciproque et quainsi faisant je vous honorerais ce me semble à linfini. Que dis-je ? Pardonnez-moi, ô mon Epoux ! Je veux dire que demeurant dans le silence, je vous verrai et vous posséderai ineffablement. Mais que dis-je encore, ô mon cher Epoux ? Il semble que je ne fais ce que je dis, ni ce que je fais. Nous nous possédons ainsi lun lautre, vous en moi et pour moi, et moi en vous et pour vous. Soliloque 6. Chap. 1.
LAUTEUR DU JOUR MYSTIQUE
81. Dans loraison mystique, lâme parla foi nue sélève à un très pur amour et cest par cet amour que Dieu est connu. Il est connu et aperçu, parce quil est goûté et savouré et que comme dit très bien St Grégoire, lamour même est une connaissance qui procède dan les âmes de lunion avec celui quelles aiment, outre que dautant plus que lamour est exquis dans les opérations mystiques, dautant plus lunion y est étroite. Liv. 1. Traité I. Chap. 1. Sect. 9.
82. Salomon nous décrit merveilleusement bien dans le Cantique des Cantiques la méthode et la pratique dune parfaite oraison. Car ce livre quil a composé comme organe particulier du St Esprit est un pourparler et un entretien sacré et familier entre Dieu et une âme singulièrement aimée et ardemment amoureuse de ce divin Epoux, qui explique et comprend les plus hauts secrets du divin amour et de tout loraison unitive, où il décrit, avec un artifice admirable, les divers accidents damour que souffrent les âmes, (234)qui sont arrivées au point de lintime et souveraine union avec Dieu. La même. Ch. 2. Sect. 2.
83. Le vrai Dieu dinfinie Majesté regarde, aime et traite lâme qui lui est unie par la charité, comme son (a)Epouse et lâme réciproquement regarde et aime Dieu et traite avec lui comme son Epoux : tout est commun entre eux, ils saccordent par tout ; ils agissent et conversent amoureusement ensemble avec une mutuelle intelligence. Lexercice (b) de cette amitié qui procède en lâme dune charité parfaite fait quelle veut à Dieu tous ces biens, quelle sen réjouit et quelle sy complaît pour lamour de lui-même et Dieu réciproquement aime efficacement lâme, en sorte quil lui veut et lui communique ses même biens et plus lunion est étroite, plus ces deux esprits observent les lois de cette amitié divine, plus ils sembrassent et jouissent lun de lautre par une mutuelle bienveillance.
Si la gloire dune âme unie à Dieu par les actes de loraison est grande, il faut dire que le plaisir quelle y ressent ne lest pas moins, car loraison est le temps et le lieu des délices mutuelles entre Dieu et lâme qui conversent ensemble avec des privautés dignes de linfinie bonté et de la condescendance de cette suprême Majesté. Je souhaite, disait, une âme bien élevée, (c) que mon entretien agrée à mon dieu car pour moi, je nai point de plaisir qui égale celui dentendre sa voix et de jouir de présence.
(235)
Cest pour cette raison que quelques Saints Pères de lEglise ont assuré que le plaisir que lâme ressent en loraison, si elle atteint quelque degré dunion considérable, se peut appeler le Paradis de la terre. Le plus parfait bonheur de lhomme en cette vie, dit le docteur Séraphique (a) est dêtre tellement uni à Dieu que toutes ses forces et ses puissances étant recueillies en Dieu, il devienne un même esprit avec lui, en sorte quil ne ressente et ne voie que lui et que toutes ses affections plongées et réunies dans la joie du saint amour reposent doucement dans la jouissance du Créateur.
Et lAngélique en parle en même sens lorsquil dit (b) que dans les hommes parfaits, tels que sont ceux qui sont en la voie unitive et qui ont atteint quelque éminent degré doraison, il y a quelque commencement de la béatitude future, parce que bien quen cette vie, ils ne puissent avoir la parfaite jouissance du souverain Bien qui est réservée pour lautre, où ils verront Dieu face à face et à rideaux tirés, il y a pourtant en eux (c) quelque ressemblance et quelque participation de cette éternelle félicité, dans lactuelle jouissance quils ont de Dieu dans loraison unitive, puisque cette jouissance est une expérience réelle des douceurs de Dieu et une certaine intime conjonction de ce souverain Bien avec lentendement sous la raison dune souveraine vérité, et avec la volonté sous celle dune bonté universelle (237) souverainement délectable, qui peut sans doute et doit être appelée un avant-goût de la béatitude, lâme produisant alors les actes les plus parfaits qui soient possibles et que les théologiens appellent pour cet effet du nom de béatitudes.
Ce qui est bien remarquable et considérable en tout ceci, cest que la gloire et le plaisir qui est dans loraison est inséparablement accompagné dune perfection et dune sainteté égale à tous les deux, car comme lunion de lâme avec Dieu se fait par la charité qui est le lien de toute perfection et que le propre de tout amour et surtout du divin, comme plus efficace, est de transformer la volonté en ce quelle aime, aimant Dieu, elle toute déifiée et transformée en lui par la participation de son esprit, nopérant plus que par ses motions et ses instincts, doù résulte en elle une ressemblance merveilleuse dans la vie et dans les murs avec le Bien-Aimé, fondée en une parfaite conformité de sa volonté à la sienne, doù procède nécessairement lexercice continuel de toutes les vertus qui rendent une âme vraiment sainte et lui font toucher le point de cette haute et sublime perfection, recommandée dans lEvangile par notre Seigneur (a) où il nous exhorte de nous efforcer dacquérir une perfection semblable à celle du Père céleste. La-même. Sect. 3.
LXV11. Volonté d e Dieu.
Que la volonté de Dieu est notre volonté.
MOYEN COURT
Tout ce qui nous arrive de moment en moment est ordre et volonté de Dieu et tout ce quil nous faut. Chap. 6. n.1.
Pour la pratique de labandon, elle doit être de perdre sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu. Nous contenter du moment actuel qui nous apporte avec soi lordre éternel de Dieu sur nous et qui nous est une déclaration autant infaillible de la volonté de Dieu, quelle est commune et inévitable pour tous. La même. N. 4.
CANTIQUE
Lorsque lunion se fait sentir dans la seule volonté, par une amoureuse jouissance, sans vue ni connaissance distincte, cest lunion damour attribuée au St Esprit, comme Personne distincte et celle-ci est la plus parfaite de toutes, parce quelle approche plus que nulle autre de l union essentielle. Et que cest principalement par elle que lâme y arrive. Chap. 1. V. 1.
On sarrête trop aux moyens créés, quoique pieux : dieu seul (a) peut nous apprendre à faire sa volonté, parce que lui seul est notre Dieu. La-même. V. 6.
Les lèvres représentent la volonté qui est la bouche de lâme, parce quavec laffection elle serre et embrasse fortement ce quelle aime. Et comme la volonté de cette Amante naime que son Dieu et que toutes ses affections sont pour lui, lEpoux la compare à un ruban teint décarlate, qui signifie les affections réunies en une seule volonté, laquelle est toute charité et tout amour, toutes les forces de cette volonté étant réunies dans leur divin Objet. Chap. 4. V. 3.
Cela marque assez clairement que toutes les affections de lAmante ont été réunies en Dieu seul et quelle a perdu toutes ses volontés en celle de son Dieu.
De sorte que labandon de toute elle-même à la volonté de Dieu, par la perte de toute volonté propre et la droiture avec laquelle elle sapplique à Dieu sans faire plus de retour sur soi-même sont les deux flèches qui ont blessé le cur de son Epoux.
(239)
Les pas du dehors sont aussi pleins de beautés, car cette âme est toute réglée comme étant conduite par la volonté de Dieu et par lordre de la Providence. Ch. 7. V. 1.
Ayant perdu toutes volonté en celle de Dieu, elle ne peut rien vouloir. Ch. 8. V.14
AUTORITÉS
ST JEAN CLIMAQUE.
1. Je présenterai à Dieu ma volonté dans loraison et jattendrai quil me détermine en massurant de la sienne. Echelle Sainte, Degré 278. Art. 68.
2. Dépouillons-nous de notre propre volonté, approchons nous ainsi tout nus de Jésus-Christ, lorsque nous nous présentons devant lui pour le prier et ne lui demandons que la seule connaissance de sa volonté. Car ce sera alors que lEsprit de Dieu descendra dans nous, quil prendra le gouvernement de notre âme et la conduira sûrement dans le Ciel. Degré 28. Art. 28.
LIMITATION DE JÉSUS-CHRIST
3. Celui-là est véritablement savant qui sait bien faire la volonté de Dieu et abandonner la sienne propre. Liv ; 1. Ch. 3. §. 6.
4. Faites-moi désirer vouloir toujours ce qui vous est le plus agréable et ce que vous désirez plus de moi. Que votre volonté soit la mienne et que la mienne suive toujours la vôtre et sy conforme parfaitement. Que vouloir ou ne (240) vouloir pas soit toujours en moi de même quen vous et que je ne puisse jamais vouloir que ce que vous voulez, ni ne vouloir pas ce que vous ne voulez pas !
Faites que je meure à tout ce qui est dans le monde et à être méprisé pour lamour de vous. Faites que je me repose en vous, plutôt quen tout ce qui je puis jamais désirer et que mon cur trouve en votre sein sa paix et sa joie. Vous êtes seul notre asile et notre port, hors de vous, tout est pénible, tout est inquiet. Liv. 3. Ch. 15. §. 3, 4.
5. Celui-là est exposé à de grandes chutes qui ne se jette pas dans votre sein et qui ne se repose pas sur votre seul bonté de tout ce qui le regarde. Faites-moi la grâce seulement que ma volonté demeure ferme en vous et tende toujours à vous, et après cela disposez de moi comme il vous plaira, car il est impossible que tout ce qui marrive selon votre ordre ne soit pas toujours bon. Si vous voulez que je sois dans les ténèbres, soyez-en béni, si vous voulez que je sois dans la lumière, soyez-en aussi béni. Si vous daignez consoler mon âme, soyez-en loué, si vous voulez laffliger, soyez-en encore béni ! La-même CH. 17. §. 2.
6. Voyez Abandon. N. 3.
7. Attachez-vous fermement à ma volonté et rien ne vous pourra nuire. Si vous recherchez une chose plutôt que lautre et si vous affectez dêtre en un certain lieu pour satisfaire ainsi votre intérêt et votre propre volonté, vous ne serez jamais en repos et votre inquiétude vous suivra partout, parce quil manquera toujours quelque chose (241) à ce que vous aurez désiré et que vous trouverez toujours quelque contradiction au lieu même que vous aurez choisi. Liv. 3. Ch. 27. §. 3.
8. Je souhaiterais que vous fussiez en cette disposition et que nétant plus engagé dans votre propre amour, vous demeuriez attaché à ma volonté et aux ordres de celui que je vous ai donné pour conducteur et pour Père. Ch. 32. §.3.
9. Voyez Propriété. N.4.
10. Ce nest pas une petite vertu que de se quitter soi-même dans les petites choses.
Le progrès véritable dans la piété consiste à se renoncer soi-même, et celui qui est en cet état marche en liberté et dans une très grande assurance. Liv. 3. CH. 39.§. 3, 4.
11. Cest là que votre volonté étant comme perdue et absorbée en moi, elle ne désirera plus rien, soit détranger, soit de particulier. Chap. 49. §. 6.
STE CATHERINE DE GÊNES.
12. Comme Adam voulut faire sa volonté contre celle de Dieu, aussi au contraire il nous faut avoir la volonté de Dieu pour notre objet, afin quelle efface et anéantisse la nôtre propre et parce que de nous seul nous ne saurions anéantir cette propre volonté, à cause de notre mauvaise inclination et amour-propre, il est fort utile de se soumettre à quelquun pour lamour de Dieu, afin de faire purement et droitement pour son honneur plutôt la volonté dautrui que la nôtre. Et plus on sy assujettira, plus on se trouvera en liberté, délivré de cette maligne peste de la volonté propre qui est si subtile, si fine, (242) et si malicieuse, si intime et profondément enracinée en nous et se couvre de tant de moyens et se défend par tant de raisons quil semble que ce soit un diable plein de subtilité et de malice, tellement que quand nous ne la pouvons faire en une sorte, nous la faisons en une autre, sous beaucoup de prétextes de charité ou de justice ou de perfection ou sous ombre dendurer pour lamour de Dieu. Vie. Ch. 12.
13. Voyez Purification. N. 20.
14. Voyez Abandon. N. 10.
15. Nous devons vouloir faire la volonté de Dieu ayant fait de notre part tout ce que nous pouvons faire de bien, après cela tout ce qui nous arrive et qui nest pas en notre puissance, nous devons toujours le prendre de la pure ordonnance et dispositions de Dieu et nous y unir en tout par volonté. Vie. Ch. 31.
16. Qui goûterait (a) le repos de lunion à la volonté de Dieu, il lui semblerait dès cette vie présente être déjà en paradis. Ceux qui sétudient toujours à anéantir leur volonté, goûtent en quelque sorte ce contentement. Quand lhomme perd son propre vouloir, dieu prend son franc-arbitre, afin dopérer par lui et ne lui laisse plus venir autre chose en la volonté que ce qui lui plaît et ses volontés ainsi réglées sont après toutes parfaites. O anéantissement de volonté ! O vertu singulière ! Tu es reine du ciel et de la terre, tu nes sujette à aucune chose et ainsi tu ne trouves rien qui te puisse donner de la peine (243) parce que les douleurs et les déplaisirs sont causés par la propriété spirituelle ou temporelle.
O si je pouvais dire ce que je connais et ce que je sens de cet anéantissement de la propre volonté, je suis certaine que chacun aurait autant dhorreur de la sienne que si cétait un Diable, on ne soutiendrait jamais son opinion, on ne sexcuserait jamais, on ne dirait jamais cette chose est mienne ! La même.
STE THÉRÈSE.
17. La volonté seule est occupée de manière quelle demeure captive, sans savoir comment, seulement elle donne son consentement, afin que Dieu la mette dans la captivité, sachant bien quelle est captive de celui quelle aime. O Jésus et mon Seigneur, combien votre amour nous aide ici ! car il tient le nôtre tellement lié quil ne lui laisse point la liberté daimer autre chose que vous en ce temps-là. Les deux autres puissances aident la volonté, afin quelle se rende habile et propre pour jouir dun si grand bien, encore quil arrive quelquefois que la volonté étant bien unie, elles incommodent beaucoup, mais pour lors, quelle nen fasse point de cas et quelle demeure dans sa jouissance et dans sa quiétude, car si elle les veut recueillir, elle se perdra. Vie. Chap.14.
18. La volonté seule est celle qui soutient le combat, mais les deux autres puissances reviennent incontinent donner du trouble et de limportunité. Or comme la volonté est ferme dans son calme et dans sa suspension, elle les suspend derechef, dans lequel état elles demeurent un (244) peu de temps, puis elles retournent à leur premier être. En ceci se peuvent passer quelques heurs doraison et de fait elles sy passent, car les deux autres puissances ayant commencé à senivrer et à goûter de ce vin précieux et divin, elles retournent facilement à se perdre delles-mêmes pour se gagner avec plus davantage et accompagnent ainsi la volonté. La même. Chap. 18.
19. Voyez Opérations propres. N. 13.
20.Voyez Oraison. §. II. N. 14.
Le B. JEAN DE LA CROIX.
21. Lâme retirant sa volonté de tous les témoignages et signes apparents, elle sélève et exalte en une très pure foi, laquelle Dieu lui verse et augmente en degré beaucoup plus intense, et ensemble il lui accroit aussi les deux vertus théologales, à savoir la charité et lespérance, où elle jouit de très hautes connaissances divines, par le moyen de la nue et obscure habitude de la foi, et possède une grande délectation damour par le moyen de la charité, avec laquelle la volonté ne se réjouit en autre chose quen dieu vivant. Bref lâme jouit dune satisfaction en la volonté par le moyen de lespérance. Or tout ceci est un profit admirable, qui importe essentiellement et directement pour lunion parfaite de lâme avec Dieu. Montée du Mont Carmel. Liv. 3. Chap. 31.
22. Voyez Transformation. N. 13.
23. Voyez Union. N. 50.
24. Comme la fiancée ne met son amour et sa pensée en autre quen son Epoux, de même lâme en cet état na déjà plus daffections de volonté, ni dintelligence dentendement, ni (245) souci, ni action que tout ne soit porté à Dieu avec ses appétits, parce quelle est comme divine et déifiée, de manière (a) quelle na p as même les premiers mouvements contre ce qui est volonté de Dieu, autant quelle peut connaître et entendre. Car comme une âme imparfaite, fort ordinairement a au moins les premiers mouvements selon lentendement, la volonté, selon la mémoire et les appétits enclin au mal et à limperfection, ainsi lâme qui est en cet état, selon lentendement, la volonté et la mémoire et les appétits ordinairement dans les premiers mouvements se meut et incline vers Dieu, à cause du grand secours et de la fermeté quelle a déjà en Dieu, et à cause de la parfaite conversion quelle a déjà au bien.
Ce que David a bien remarqué parlant de son âme en cet état (b) Mon âme ne sera-t-elle pas sujette à Dieu ? Car de lui vient mon salut. Il est mon Dieu et mon Sauveur, celui qui ma reçu : je ne serai plus ému, dan lequel lieu disant : celui qui ma reçu, il donne à entendre que son âme pour être reçue en Dieu et unie avec lui, comme nous disons ici, ne devait plus avoir de mouvements contre Dieu. Cantique entre lEpouse et lEpoux. Couplet 19.
25. Voyez Non-désir. N. 20
26. Voyez Mariage spirituel. N. 9.
27. Voyez Oisiveté. N. 5.
28. Voyez Communications. § I. N.4.
LE PÈRE NICOLAS DE JÉSUS-MARIA rapporte
29. Albert Le Grand. Voyez Union. N. 63.
(246)
Le PÈRE BENOÎT DE CANFELD.
30. Cette volonté essentielle est purement esprit et vie, totalement abstraite, épurée en elle-même et dénuée de toutes formes et images de choses créées, corporelles ou spirituelles, temporelles ou éternelles, et nest comprise par le sens ni par le jugement de lhome, ni par la raison humaine, mais elle est hors de toute capacité et par dessus tout entendement des hommes, parce quelle nest autre chose que Dieu même, elle nest chose séparée, ni jointe ni unie avec Dieu, mais Dieu même et son Essence. Car cette volonté étant en Dieu, il sensuit quelle soit Dieu, puisquen Dieu, il ny a que Dieu, car sil y avait autre chose que lui, il y aurait quelque chose dimparfait, toutes choses étant imparfaites qui ne sont pas lui, et même il aurait beaucoup dimperfections si sa volonté était autre que son essence, parce quil ne serait pas un pur acte, cest-à-dire une simple essence (comme assurent les Docteurs) mais il aurait quelque composition. De plus, il ne serait pas Dieu si sa volonté était un être à part et nétait son essence. Règle de la perfection. P. III.Ch.I.
31. Ce (a) dénuement par son premier effet de purgation, purge lâme particulièrement dune très secrète image quelle retenait toujours de la volonté de Dieu qui est la seconde faute cachée de la contemplation dont il est parlé au quatrième chapitre, laquelle image était si subtile, déliée et spirituelle quen la volonté intérieure elle ne sen apercevait point mais se persuadait que purement et sans image (247) ou espèce, elle contemplait cette volonté en son essence, et même (a) elle ne se pouvait jamais apercevoir de cette image, jusquà ce quelle en eût été purgée, dautant quune chose imparfaite nest point connue pour imparfaite à celui qui ne fait rien de plus parfait. Or lâme ne connaissait rien de plus parfait, parce que cette image est la chose la plus parfaite et la plus pure quelle eût jamais contemplée et par conséquence elle ne la pouvait reconnaître pour imparfaite bien que quand elle en a été purgée, elle ait connu quelle était (b) imparfaite.
(248)
Si on demande comment elle se défait de cette image, puisquelle ne la connaît pas ? Je réponds que cest par le feu de lamour qui est toutefois une opération divine et non pas sienne et en laquelle elle est plus passive quactive. La-même. Ch. 5.
32. Ce second moyen est plus éloigné du sentiment, plus surnaturel, plus nu et plus parfait que lautre, ainsi quil a été dit. Car au lieu que lautre opère nuement et surnaturellement, alors seulement, ou au moins principalement, quand lâme est tirée hors delle par la force du susdit (249) actuel attrait de la volonté de Dieu, celui-ci le fait aussi quand tel attrait nest pas si actuel mais seulement virtuel. Lautre moyen est spirituel, nu et surnaturel lorsque lâme est élevée et dénuée, mais celui-ci lest aussi quand on est même empêché extérieurement et occupé daffaires, ce (a) moyen rendant les choses extérieures, intérieures, les corporelles, spirituelles et les naturelles, surnaturelles.
Or ce moyen nest autre que le commencement et la fin, à savoir la volonté de Dieu. La même. Chap. 8.
St FRANÇOIS DE SALES.
33. Voyez Quiétude. §. I. n. 48.
34. O vrai Dieu, cest une bonne façon de se tenir en la présence de Dieu, dêtre et vouloir toujours et à jamais être en son bon plaisir ! Car ainsi comme je pense en toutes occurrences, oui même en dormant profondément, nous sommes encore plus profondément en la très sainte présence de Dieu. Oui certes, Théotime, car si nous laimons, nous nous endormons, non seulement à sa vue mais à son gré, et non seulement par sa volonté, mais selon sa volonté. Puis à notre réveil, si nous y pensons bien, (b) nous trouvons que Dieu nous a toujours été présent et que nous ne nous sommes pas non plus éloignés ni séparés de lui. Nous avons donc été là en la présence de son bon plaisir, quoique sans le voir et sans nous en apercevoir, ainsi nous pourrions dire à limitation de Jacob : (a) Vraiment jai dormi auprès de mon Dieu et entre les bras de sa divine présence et providence, et je nen savais rien.
Or cette quiétude, en laquelle la volonté nest en repos que par un simple acquiescement au bon plaisir divin, voulant être en loraison sans aucune prétention que dêtre à la vue de Dieu, selon ce qui lui plaira. Cest une quiétude souverainement excellente, dautant quelle est pure de toute sorte dintérêt, les facultés de lâme ny prenant aucun contentement, ni même la volonté, sinon en la suprême pointe en laquelle elle se contente de navoir aucun autre contentement, excepté celui dêtre sans contentement pour lamour du contentement et bon plaisir de son Dieu, dans lequel elle se repose. Car cest le comble de lamoureuse extase de navoir pas sa volonté en son contentement, mais en celui de Dieu, ou de navoir pas son contentement en sa volonté, mais en celle de Dieu. De lamour de Dieu. Livr.6.Ch. 11.
36. Voyez Non-Désir. N. 34.
Le Fr. JEAN DE SAINT SAMSON.
37. La meilleure vie spirituelle que les hommes puissent pratiquer est de se perdre en esprit par une actuelle, éternelle et totale résignation à la volonté et au bon plaisir de Dieu. Cest pourquoi il ny a point de doute que ce ne soit votre meilleur de franchir toute difficulté et toute crainte (251) même raisonnable et de passer aux uvres que dieu désire maintenant de vous. En toutes ces occasions dabandon à lordre et au désir de dieu, il y a un très grand gain à faire, et comme vous savez combien il importe de laisser Dieu pour Dieu, plus les uvres auxquelles on vous applique se trouveront pénibles et laborieuses, et même contraire à votre solitude intérieure, plus aussi cela vous approfondira et vous perdra excellemment en Dieu. Car cest en son amour que nous agissons et désirons tout faire, selon lordre de sa plus parfaite volonté, en sorte que par une totale conformité, nous nous transformons dune excellente manière en lui, selon lamour ardent duquel nous laimons en vérité. Lettre 51.
LAUTEUR DU JOUR MYSTIQUE.
38. Lobjet de lOraison de repos nest autre que Dieu auquel lâme se repose tant que dure cette quiétude qui nadmet aucune pensée, ce qui se prouve par les raisons suivantes.
La première est prise de la façon avec laquelle la volonté se repose en son objet, car cet objet nest point aperçu de la volonté, disent plusieurs. Ou sil lest, comme il est plus probable, cette connaissance est si déliée et si directe quelle ne peut pas savoir en quoi elle se repose, dautant que lentendement ne lui peut donner plus de connaissance quil nen a : or lentendement ne saurait dire quel est lobjet auquel la volonté se repose encore quil le voie, comme on ne peut discerner une chose quon voit de loin. Lentendement présente bien à la volonté un objet désirable, mais il ne peut dire ce que cest, de sorte quen cette (252) oraison la volonté se repose sans savoir en quoi, ce qui donne une grande conjecture, que lobjet de cette oraison nest pas créé, puisque la volonté étant une puissance libre, ne se porte jamais à aimer un objet créé, que lentendement ne lui fasse voir la convenance quil y a entre elle et son objet, et le bien qui y est. Car un objet créé na pas une telle sympathie avec la volonté quil la tire à soi comme naturellement. Il faut donc que le bien de cet objet soit aperçu delle, comme convenable, et pour cet effet il est nécessaire que lentendement raisonne et discoure sur les convenances de cet objet présenté à la volonté, ce qui ne se peut faire sans un acte réfléchi ou aperçu, ou au moins quil le puisse être par lentendement, lorsquil réfléchira sur son acte. Cest pourquoi quand la volonté se porte à un objet qui nest point aperçu et qui ne le peut être, il faut dire que cest le Souverain Bien qui lui est présenté, auquel elle se porte sans savoir à quoi elle tend.
Secondement : dans cette oraison la volonté se repose en Dieu, plutôt par sympathie que par connaissance, comme les choses pesantes se portent en leur centre, sans connaissance de la convenance quil y a entre elles et leur centre ; ainsi le fer et tiré par laimant, sans connaître la convenance quil a avec lui. Lentendement en cette oraison ne fait autre chose que ce que fait la main de lhomme, qui prend la pierre daimant pour lapprocher du fer dune distance proportionnée, lequel sans être poussé ni élevé autrement que dune sympathie naturelle, malgré sa pesanteur, va embrasser ce cher aimant, ainsi lentendement présente et approche son objet de (253) la volonté sans lui découvrir quel il est et sans laider à sélever vers lui, néanmoins (a) par une sympathie naturelle, avec les forces que la grâce lui donne, elle se porte à lui et sy repose sans savoir en quoi, non plus que le fer attaché à laimant. Or qui peut avoir une si grande sympathie et convenance avec notre âme que Dieu, à limage duquel elle est créée ? La ressemblance est cause damour et dunion et comme Dieu est la source de tout bien, chacun a inclination naturelle de laimer, comme un bien commun, de même que les fleuves sortant de la mer y retournent par instinct naturel. Le bien commun est préféré au particulier et chaque partie sincline et se porte au bien du tout, ce qui fait que la main sexpose aux coups pour préserver le chef, ainsi par instinct naturel, chacun se dédie à Dieu comme à la fontaine de la béatitude et comme une partie au bien du tout, mais cela saccomplit bien plus parfaitement par la vertu de charité.
La troisième raison est prise de la façon avec laquelle la volonté embrasse son objet en cette oraison, car cest en sélevant au-dessus de tout ce qui est créé et delle-même, au-dessus des sens et même de la parie raisonnable, jusquau faîte de la pointe de lesprit, montrant bien que son objet est plus relevé quelle-même et que tout ce qui est créé, puisque pour latteindre il faut sélever au-dessus de tout et monter au-dessus de soi. Et ce qui est plus considérable, cest que cette âme, ainsi élevée au-dessus des plus hautes montagnes des choses crées, étendant les rayons (254) de sa vue autant quelle veut, elle voit néanmoins son objet si obscurément quelle ne sen peut apercevoir tant il se montre élevé au-dessus de tout. Or qui peut être si fort élevé au-dessus de lâme faite à limage de Dieu que Dieu-même ? Ce qui confirme ceci est que lâme ne pourrait sélever plus haut pour atteindre un objet, sans savoir quel il est, si elle navait pour lui une inclination naturelle qui est créée avec elle. Jour Mystique. Livre I. Traité I. Chap. 10. Sect. 2.
§§§
Jajoute à toutes les Autorités rapportées jusquici ce que le Père Benoît de Canfeld dit à la fin de la Préface de la troisième partie de sa Règle de Perfection, ou de la volonté essentielle.
Dautant, dit-il, quen cette troisième Partie, il se pourra trouver des propositions dont les simples ou ceux qui ne sont pas versés en la Théologie Mystique, ni aux Docteurs qui en traitent, pourront être incapables de comprendre quelques termes quils pourront juger nêtre pas à propos davancer, jai jugé quil était expédient de les rapporter ici avec les saints Docteurs qui sen sont servis. Telles pourraient être ces propositions.
Etre uni à Dieu sans aucun moyen. St Denis. Théol. Myst. Ch. 8. St Augustin. De lEsprit et de lâme. Ch 11. Tom. 3. St Bonaventure. Theol. Myst. Ch. 3. Part. 4. Harphius. Theol. Myst. Livr. 3. Part. 4. Ch. 27 et 28. Orig. Et Vercellensis dans St Bonaventure, 3. Chemin de lEtern. Part. 3. Dist. 2.
Contempler lEssence divine sans formes ni images. St Bonaventure. Chemin 3.de lEternité Distinct. 6. P. 1. Harphius Theol. Myst. LIvr. 3. P.4. Chap. 30.
Voir Dieu, à savoir, comme il peut être vu en cette vie. St Grég. Liv. 14 et 18. Des Morales. St Bonav. dans le Chemin de lEtern. Dist. 4. Art. 4. DIst. 6. Et dans le 6. Chem. de LEtern. Distinct. 6. Harphius Théol. Myst. L.3. P. 4. Chap. 27 et 29.
Contempler Dieu sans images. Orig. Sur Cantiq. 2. St Bernard sur le Cant. Serm. 53. Richard de la Contemplation. L. 1. Ch. 8. ST Bonav. CH. 3. De la Théol. Myst. P. 4. Et quaest. unique et Chemin 1 de lEternité Dist. 4. Harphius. Théol. Myst. L. 3. P. 4. Ch. 27, 29 et 30.
Cessation dopération, ou bonne oisiveté. St Bonav. Chemin 5. De lEtern. Dist. 6. après Lincoln. Sur la Théol. Myst. de St Denis et le même Théol. Myst. Ch. 3.P. 4. Harph. Théol. Myst. L. 3. P. 1. Ch. 1. Et P. 4. Ch. 27. et 28.
Ne penser à Dieu par pensée imaginaire. St Bonav. Théol. Myst. Chapitre 3. Et dern. Part. 4.
Denudation desprit. Orig. Sur Cant. 2. St Bernard sur le Cant. Serm. 53. St Bonav. dans le 3. Chem. ce lEtern. P. 3. Dist. 4. Harphius. Théol. Myst. L.3. P. 4.
Inactions de Dieu. Harphius. Théologie. Myst. L. 3. P. 4.
Anéantissement. St Denis. De lHier. Eccle. Chap. 2. Harphius. Plusieurs fois dans la Théol. Myst.
(256)
Il ajoute : jobmets plusieurs Autorités pour éviter dêtre prolixe, estimant que celles-ci seront suffisantes pour la pleine satisfaction de chacun, et remarquez que quand jallègue Harphius, cest toujours selon la correction faite à Rome, et tant St Bonaventure que lui, selon que tous deux y ont été récemment imprimés. Je crois quil ny a aucun autre passage ou terme de quoi les plus simples ne puissent être capables, que si jen pouvais connaître, il me serait facile de le confirmer par de semblables autorités.
(257)
CONCLUSION.
De la vérité de lintérieur marquée par tout, et des oppositions que les Démons et les hommes y font, mais inutilement. Soumission et docilité de lAuteur.
Il ny a rien dans lordre de la nature, non plus que dans celui de la grâce qui ne prouve très clairement la vérité de lINTERIEUR. Cette vérité est tellement répandue dans tout ce qui subsiste, quune personne éclairée la découvre en toutes choses, et quoiquil ny ait point de vérité parmi les hommes, quils soient tous menteurs, parce quils sont tous coupables, on ne laisse pas au travers de mille faux traits, que le Démon a gravé sur eux, de découvrir cette vérité qui est une émanation de la Divinité, répandue nécessairement dan toutes les créatures qui ont été produites par la volonté et la puissance de Dieu.
Il ny a rien dans la nature, soit plantes, éléments, pierres, qui nait un esprit et un sel. Cest le fonds de leur subsistance et la cause de leur incorruption. Dans leur corruption même, ce sel et cet esprit se conserve, mais pour les découvrir, il faut détruire la forme naturelle de la chose dont on veut tirer lesprit et le sel. Lair fournit cet esprit et ce sel à ceux qui le tirent avec de machines ; la terre, les plantes et les métaux même laissent découvrir en eux ce principe universel.
Ce sel signifie la divine Sagesse, et lesprit cet Esprit vivifiant. (258)La vérité de lintérieur se découvre dans tout ce qui est et subsiste. Il ny a aucune créature qui, en devenant incorruptible par sa propre destruction, ne nous apprenne que notre anéantissement et notre destruction est ce qui nous rend incorruptible, nous réunissant à notre tout et nous mettant dans la vérité de la Sagesse et de lEsprit vivifiant. Il ny a pas une fleur qui ne nous enseigne que quelque agréable quelle paraisse à nos yeux, elle serait comptée pour rien si elle ne se perpétuait par sa mort et sa pourriture. Les plantes, les fruits et tout ce qui est ne séternise que par sa destruction, comme si Dieu avait voulu nous donner une plus grande idée de son Tout par la destruction de tout ce qui subsiste que par leur création, puisquil est vrai que leur destruction même, en nous faisant voir le peu de durée des choses du monde, nous découvre leur principe par leur incorruption dans leur corruption même.
Si toutes les choses naturelles subsistent, même dans leur destruction apparente, cest un grand argument pour limmortalité de lâme, mais ce nest pas ce que ce que je prétends de prouver, puisque tout homme raisonnable nen doutera jamais. Ce que javance est que dans tout cela lesprit de vérité se découvre et une souveraine raison de la conduite de Dieu sur lâme. Il ny a pas un endroit de lEcriture, pas une histoire sacrée ou profane, pas une fable même où on découvre cette vérité, pas un événement dans lordre de la nature et de la grâce. Nous voyons les fortunes des hommes être comme une assurance de leur infortune. La jeunesse est imparfaite, quoiquelle soit la perfection de la beauté de lhomme. (259) Lhomme subsiste peu dans son état paraît : il croît et augmente jusquà la perfection de son état, après quoi il vieillit et éprouve en lui que les mêmes choses qui lont fait venir à la perfection de la jeunesse, de la santé, de la beauté, de lesprit le quittent peu à peu et quil nen éprouve plus quun triste débris. Ensuite de quoi, après la destruction des parties, la totalité se perd (pour ainsi parler) par la mort ; mais cette destruction apparente fait tout toute son incorruption et son immortalité. Lesprit se cultive par les sciences, mais ce qui fait son ornement, luse et le détruit dans la suite. Les plaisirs qui semblent être la fin des désirs de lhomme sont la mort de ces mêmes désirs et à force de vouloir se livrer au plaisir, tout plaisir le quitte et rien ne lui en cause plus, de sorte quil est puni par son dérèglement même.Il ny a pas une histoire où nous ne voyons après une fortune excessive, une décadence surprenante. La gloire dun Royaume nous signifie sa prochaine destruction, le calme marque la tempête etc
Tous les commencements de la vie spirituelle sont pleins de douceurs, quoi quaccompagnés de pénitences. Cest ce mélange de délices spirituels et daustérités corporelles qui rend le plaisir intérieur plus piquant. Ces commencements sont comme une belle fleur quun enfant admire et cueille, mais quun excellent jardinier laisse flétrir pour la perpétuer pas sa semence. Si cet état ne changeait point, il périrait en ne périssant pas. Cest ce qui fait que Dieu conduit lâme par de si étranges renversements qui ne sont que comme une flétrissure à cette fleur, flétrissure qui augmente à mesure que sa (260) graine mûrit. Quoique cette graine paraisse mûre, elle napporte du fruit quaprès quon la jetée dans la terre où elle pourrit, selon le témoignage de Jésus-Christ même.
La conduite que Dieu tient sur lhomme est une conduite universelle, car quoiquil y ait lordre particulier qui regarde chacun de nous, il est néanmoins tellement dépendant de cet ordre général et ce qui nous paraît désordre, à cause de notre manière de voir les choses est un ordre admirable selon la divine Sagesse. De sorte que ce désordre particulier est ce qui conserve lordre général.
Il est donc certain que cest là la conduite de Dieu. On estime une fleur heureuse parce quelle est cueillie dans sa beauté par la main du Roi et quelle lui a causé un instant de plaisir. Une personne qui meurt dans les prémices de lesprit, dans toute sa beauté intérieure, est comme cette agréable fleur. Personne ne doute du plaisir quelle a fait, mais pour ces fleurs rares quon ne cueille point, qui sèchent et sont serrées par le jardinier, on ny fait point dattention. Cependant elles simmortalisent par leur mort, qui pourtant les fait paraître vilaines aux yeux des hommes, dans les mêmes parterres dont elles avaient fait, peu de jours auparavant, tout lornement.
Lordre donc général est, que Dieu établit, quil détruit ce quil a établi et quil perpétue les choses par cette destruction. Et cest ce quil fait dans lordre de la grâce. Il établit dabord les (261) vertus, mais comme elles seraient semblables à la beauté dune fleur que le vent et la chaleur gâtent, il tire de cette vertu lesprit, il en ôte tout léclat au-dehors, de peur quelle ne soit corrompue par la vanité, il en laisse lesprit et le sel, cest-à-dire quil en laisse lessentiel et la vérité et quil nen ôte que léclat. Et cest de cette manière quil la rend immortelle. Il en est de même de ses faveurs, il ôte, après les avoir faites, tout ce quil y a déblouissant, et par conséquent damusant. Et il nen laisse que la substance, cest-à-dire que Dieu donne à lâme les qualités propres pour attirer ses faveurs, en lui ôtant la faveur apparente. Plus Dieu prend soin de détruire une chose, plus elle lui est chère. Les hommes nenvisagent les choses que superficiellement, de sorte quils ont horreur de toute sorte de destructions, ne comprenant point assez que Dieu ne détruit quun éclat trompeur et quil laisse le solide.
La mort qui est la destruction dune vie pleine de douleur, nest-elle pas le berceau de la véritable vie ? Dieu met son plaisir dans la vérité de son Esprit et de sa Sagesse en tous les êtres, parce que cet Esprit et cette Sagesse sont la même vérité qui nest autre que lui-même, et il ny a rien dans touts les créatures qui soit proprement sien, ni une émanation de lui-même, que cet Esprit et cette Sagesse.
Le Démon a travaillé à détruire par des dehors trompeurs et éclatants lessence de la vérité, mais tout ce quil a pu faire a été de la couvrir. Les hommes lont secondé en cela, de sorte que sattachant désordonnément à lextérieur de toutes choses, ils nont pas pénétré son esprit. Un (262) petit nombre dhommes ont découvert dan les choses naturelles leur quintessence qui est cet esprit et ce sel, encore nont-ils pas pénétré tous les usages. Un petit nombre dhommes spirituels ont pénétré lesprit de Sagesse et de vérité, répandu dans toutes sorte de biens, ce qui en fait lessence et ce tout incorruptible. Cette connaissance de la vérité cachée dans lessence des choses a fait quils ne se sont point attachés scrupuleusement à mille petites brillants dan le bien, que le vulgaire estime parce quil ne pénètre pas plus avant, au lieu quau contraire, eux, en avouant quune fleur a tout lagrément quelle peut avoir, ont fait plus de cas de sa semence et de sa racine que de son éclat. Le vulgaire amusé ou par léclat du dehors, ou par une habitude de nagir que par ce qui frappe les sentiments, ne sest attaché quau dehors et au brillant, sans pénétrer le solide, poussé quil est dailleurs à cela par lesprit de ténèbres, lequel craignant que lhomme, sans samuser à lappas trompeur, ni même au brillant de la vérité, ne passe jusquà la substance de cette même vérité, fait tous ses efforts pour lempêcher. Les hommes mêmes et aussi la nature semblent sy opposer. Les renversements, les ténèbres, les tremblements de terre qui arrivent à la mort de Jésus-Christ marquaient létat violent de la nature, non seulement parce que lauteur de la nature souffrait, mais de plus, parce quen mourant pour les hommes, il leur laissait son esprit de vérité. Et afin quils pénétrassent la vérité cachée dans le mystère, il fit ouvrir son cur, comme pour nous enseigner à pénétrer jusquau fond de la vérité.
Je ne suis point étonnée de tout ce qui sélève (263) pour empêcher la vérité de paraître dans sa substance, et ce sera ce désordre de toutes choses qui en rétablira tout lordre. La pente à agir par les sentiments et à préférer lextérieur à lintérieur est une suite du péché. Cependant quand (a) lEsprit de vérité est dans un cur, il lui découvre cette vérité en toutes choses. Il ny a pas, comme jai dit, une histoire, une fable, un événement dans la foi ridicule des païens, ni dans les hérésies, où lon n voie un caractère de la vérité, et ce qui les a fait écarter de cette vérité en quittant lordre général. Dans les lois, les coutumes même les plus barbares vous voyez partout cette vérité ; dans la fable des anciens, dans la multiplicité de leurs dieux, ce quils leurs attribuent, tous leurs égarements et leurs erreurs me sont un si fort argument de la vérité de notre Religion et de lesprit de Religion qui est lesprit intérieur que par ces mêmes choses on pourrait leur enseigner la vérité. Que le monde se déchaîne, que les hommes et les démons se joignent, ils peuvent causer quelque mal de peine extérieure, mais ils retomberont infailliblement dans lordre de Dieu. Ils serviront même à létablir en paraissant le détruire et mon Dieu régnera par ma destruction.
Je soumets encore de nouveau généralement tous mes Ecrits, tan les anciens que ce que jai ajouté ici, pour les éclaircir, protestant que ce que je me trouve dans une entière démission desprit, de jugement et de volonté pour tout ce quon voudra mordonner. Quoiquil me paraisse que je ne puis douter de la bonté de Dieu, et des expériences (264) quil ma fait faire, parce quelles portent avec elles un caractère ineffaçable, et ce serait mentir au St Esprit si quelque crainte ou respect humain mempêchait de le confesser. Je ny réfléchis néanmoins jamais, pas même pour écrire. Jai écrit ce que jai écrit dans une entière ignorance, et quoique je ne puisse douter, ainsi que je lai dit, des bontés de Dieu et de mes expériences, parce quelles sont dune nature à ne laisser aucun doute delles, je nai néanmoins aucune certitude si je suis digne damour ou de haine, mais je laisse lun et lautre dans celui, qui métant toutes choses, renferme pour moi toutes choses. Que sil se trouve encore quelques difficultés, jespère de la bonté de Dieu quil me les fera éclaircir. Pour ce que jai écrit de moi, je proteste que je ne lai écrit que pour obéir et que javais écrit dabord plus de défauts que de vertus. On me le fit brûler en me faisant comprendre quil y avait en cela un reste de propriété, et il est vrai. Jai dons écrit ensuite selon le commandement quon men a fait, tout ce qui mest venu plume courante. Peut-être lorgueil sen est-il mêlé, sans que je le susse, à cause de la grande difficulté que jai de réfléchir sur moi, mais je puis assurer et mon Dieu en est témoin que tant quil ma été permis de me regarder moi-même, je nai eu sur moi que des yeux de condamnation et même dhorreur. Depuis que je ne me vois plus, il me semble navoir les yeux ouverts que sur Dieu, de sorte quon ne condamne ni approuve ce que lon ne regarde point. Cest ce qui fait que je nai nulle difficulté de croire que je suis mauvaise lorsquon me le dit, non que je voie en particulier en quoi cela consiste, ni que jen puisse avoir de (265) peine, parce que je trouve en mon Dieu toute bonté, quoiquil me semble quune infidélité ou entre-deux me serait un enfer. Bien que ma conscience ne me reproche aucun crime, je ne me crois pas néanmoins justifiée pour cela. Il est vrai que je ne réfléchis pas et que je me laisse entièrement à mon Dieu, auquel je me suis donnée pour le temps et pour léternité, sans restriction ni réserve, pour la seule gloire et la seule volonté. Cependant je ne laisse pas de maccuser devant ses yeux divins de mille recherches et fautes secrètes que lui seul connaît et que lui seul peut purifier.
FIN.
(266)
NON NOBIS, DOMINE, NON NOBIS ETC.
OMNIS HONOR ET GLORIA ;
DEO SOLI.
(267)
RECUEIL DE QUELQUES AUTORITÉS DES SS. PÈRES DE LEGLISE GRECQUE.
(269)
AVIS.
On a déjà marqué dans lAvertissement qui se trouve après la Préface de cet Ouvrage que cest selon les intentions de lAuteur des Justifications quon ajoute ici ce Recueil dAutorités des Pères Grecs. Aussi ont-elles tant de rapport avec celles quon a vues jusquici quon y trouvera une entière conformité de la doctrine de ces grands hommes de lantiquité avec celle des SS. Auteurs Mystiques des temps postérieurs, comme chacun sen pourra convaincre par lui-même, en conférant les Articles de ce Recueil avec ceux qui portent le même titre dans les Justifications. On remarquera dabord que celui dentre les SS. Pères dont les témoignages sont le plus grand nombre de ce petit Recueil est St Cément dAlexandrie, ce Docteur Apostolique qui a reçu les traditions dans leur source. Mais pour bien entendre ce Père, il ne sera pas peut-être inutile à légard de plusieurs Lecteurs de les avertir, que par le mot grec $$$$$$, dont St Clément se sert assez souvent en ses Stromates, ou tapisseries, et quon traduit ici gnose, il entend la perfection, et que par celui de gnostique, il entend le parfait Chrétien. (270) Cela na pas besoin dêtre prouvé, presque tous les passages de ce père quon verra ici rapportés le marquent clairement. Et feu Mr. LEvêque de Meaux explique ainsi ces deux termes de gnose et de gnostique, dans son Instruction sur les états doraison (a). Cest aussi ce que ce Père insinue lui-même en des termes exprès au commencement de son VII. Livre des Stromates, en expliquant le mot de gnostique par véritable Chrétien, $$$$$$$$. Au reste, comme ces Livres des Stromates ne sont pas divisés en Chapitres ou autres sections, comme le sont ordinairement ceux des autres Pères, on a pu désigner les passages quon en rapporte que par le nombre des pages où ils se trouvent dan lEdition quon a suivie, qui est celle de Cologne de lan 1688, en grec et en latin.
TABLES DES ARTICLES DE CE RECUEIL.
I. Chercher dieu en soi. Règne de Dieu en nous.
II. Communications de Dieu à lâme.
III. Consistance. Etat de Consistance ou stabilité.
IV. Distractions. Tentations.
V. Entendre. Intelligence.
VI. Fécondité spirituelle.
VII. Habitude des vertus et Actes.
VIII. Impassibilité ou immobilité de lâme.
IX. Louange de Dieu.
X. Mystères.
XI. Oraison. Contemplation.
XII. Présence de Dieu.
XIII. Pur Amour.
XIV. Purifications. Epreuves.
XV. Quiétude. Repos.
XVI. Renoncement.
XVII. Souffrances.
XVIII. Transformation.
TABLE DES PÈRES RAPPORTÉS AU RECUEIL.
I. St Athénagore.
II. St Basile
III. St Clément dAlexandrie.
IV. St Denis.
V. St Ephrem.
VI. St Grégoire de Naziance.
VII. St Grégoire de Nysse.
VIII. St Jean Chrysostome.
IX. St Jean Climaque.
X. St Ignace.
XI. St Macaire.
XII. St Maxime.
XIII. Nicétas, commentateur de St Grégoire de Naz.
XIV. Origène.
XV. St Polycarpe.
XVI. St Théodoret.
RECUEIL
De quelques autorités des SS. Pères de lEglise Grecque.
I. Chercher Dieu en soi. Règne de Dieu en nous.
St MACAIRE.
Lâme qui porte Dieu dans soi, ou plutôt qui est portée de Dieu même, devient tout il. Et comme une maison qui jouit de la présence de son maître, se trouve ordinairement ornée, splendide et parée comme elle doit être, de même une âme qui jouit de la présence de son Seigneur, et qui le loge au-dedans delle, est toute remplie de gloire et de majesté, possédant comme elle fait ce vrai Seigneur avec tous ses trésors spirituels et sa divine direction.
Mais malheur à lâme dont le Seigneur est éloigné ! Malheur à celle qui na point Dieu présent ! Il ne se peut quelle ne soit désolée, ruinée, pleine de toute immondice, et toute en confusion. Là, selon la parole du Prophète(a), se rencontrent les démons et les bêtes farouches, une maison abandonnée nétant en effet quune retraite de toutes sortes de bêtes et de toutes sortes dimmondices. Malheur encore à cette âme si elle ne se relève point dune chute si grave, et quelle retienne en elle-même des ennemis qui, la portent à lintimité contre son divin Epoux, qui sefforcent de corrompre ses pensées et de les détourner de Jésus-Christ !
Si néanmoins le Seigneur vient sapercevoir quelle tâche den revenir, de se recueillir en soi-même autant quil lui est possible, sil voit quelle retourne avec persévérance à sa recherche, quelle veille en lattendant nuit et jour, quelle crie vers lui sans cesse, selon son ordonnance, et quelle prie à toute occasion : il ny a point de doute que selon sa promesse, il ne vienne (a) la venger de ses ennemis ; et que layant purgée de tout le mal qui est dans elle, il ne se (b) la rende une Epouse sans tâche et irrépréhensible.
Si maintenant vous croyez que ces choses sont véritables, comme en effet elles le sont, rentrez en vous-même, et considérez si votre âme a trouvé cette lumière divine pour son Conducteur, cette véritable viande et ce breuvage, qui sont le Seigneur même. Si cela nest pas, cherchez-le nuit et jour afin quil vous soit donné. Si vous voyez le Soleil, pensez à chercher le Soleil véritable, puisque vous êtes encore dans les ténèbres et laveuglement. Quant vous voyez la lumière, regardez dans votre cur, si vous y trouverez la véritable lumière qui est la divine : en un mot, envisagez tout ce qui se présente à vos yeux comme autant dombres et de représentations grossières des grandes choses qui doivent se trouver réellement au-dedans de votre âme : car outre lhomme extérieur et visible, il y a dans nous un autre homme tout intérieur ; il y a dautres yeux, que Satan a aveuglés ; et (275) dautres oreilles, quil a rendu sourdes. Or le Seigneur Jésus est venu pour la guérison et pour le rétablissement de cet homme intérieur. Homélie 33.
II. Communications de Dieu à lâme.
St CLEMENT DALEXANDRIE.
I. LEsprit de Dieu est un flambeau qui pénètre le profond des curs ; et plus un homme accomplissant la justice devient gnostique, plus lesprit qui illumine, lui est communiqué. Stomates. Liv. IV. P.517.
2. De même quil paraissait un rayon de gloire sur le visage de Moïse, à cause de sa vertu et de son entretien continuel avec Dieu, ainsi la force divine de la bonté qui sattache à lâme juste par linspection, par la prophétie et par une opération familière lui inspire un caractère brillant de justice comme dune splendeur intelligente, ou de la chaleur du soleil, et cest une lumière qui sunit à lâme par une charité inséparable qui porte Dieu et qui est portée par lui. Liv. VI. P. 666.
3. Les pensées des hommes vertueux se forment par la pensée, ou linspiration de Dieu, lâme étant en quelque manière affectée et le vouloir divin étant répandu dans les âmes des hommes. Lâ même, p. 693.
4. Ceux même qui disent que Dieu est leur Maître parviennent à peine à la connaissance de Dieu, la grâce les faisant venir à quelque connaissance, comme saccoutumant à contempler (276) la volonté par la volonté et le St Esprit par le St Esprit, parce que (a) lEsprit sonde les profondeurs de Dieu et lhomme animal ne comprend point les choses qui sont de lEsprit. Lâ même. P. 697.
St GREGOIRE DE NAZIANCE.
5. Il ne se sert, (le vrai Philosophe ou le parfait Chrétien), des soutiens de la vie quautant que la nécessité ly oblige : il na de commerce quavec soi-même et avec Dieu. Son âme lélève au-dessus de toutes les choses sensibles, et comme un miroir sans tâche, elle lui représente au naturel les divines images, sans mélange des espèces terrestres et grossières. Il ajoute tous les jours de nouvelles lumières à celles quil a déjà, jusquà ce quil parvienne enfin à cette source de lumières où lon ne puise que dans lautre vie, lorsque léclat de la vérité a dissipé lobscurité des énigmes et quon est parvenu au comble de la félicité. Orat. 29.
III. Consistance. Etat de consistance ou stabilité.
St CLEMENT DALEXANDRIE.
1. Celui qui est établi dans la Gnose ne mettra jamais sa fin dans son âme, mais en ce quil sera toujours heureux, étant ami de Dieu dune amitié qui fait régner. Stromates. Liv. IV. P. 495.
2. Les Apôtres imitant Jésus-Christ et étant véritablement gnostiques et parfaits, ont souffert pour les Eglises quils ont fondées ; ainsi les (277) gnostiques qui marchent sur les traces des Apôtres doivent être sans péché et parla charité pour Jésus-Christ, ils doivent aimer le prochain, en sorte que si le cas le demande, ils doivent supporter les souffrances pour lEglise et boire patiemment le calice. Lâ-même. P. 503,504.
3. Soit quon dise que la gnose est une habitude et une disposition, la partie supérieure de lâme demeure inaltérable, les différentes pensées ny entrant point, elle ne reçoit point la diversité des images, ne songeant point pendant le sommeil aux images que forment les occupations du jour. Voilà donc en quoi consiste la ressemblance avec Dieu, autant quil est possible de conserver son esprit dans cette disposition à légard des mêmes choses et cette disposition est de lesprit en tant quesprit. La même. P. 530.
4. Il demeure donc dans une même situation immuable aimant gnostiquement. Livr. 6. P. 651.
5. Ensuite par un soin continuel elle devient en habitude, il parle de la gnose et ainsi étant perfectionnée dans lhabitude mystique, par la charité, elle demeure sans pouvoir être renversée. P. 653
6. Le culte de Dieu est pour le gnostique un soin continuel de lâme et une occupation continuelle de la divinité par une charité qui ne cesse jamais. Liv. VII. P. 700.
7. Le gnostique est dune grande dignité, il est dun grand prix devant Dieu, lui en qui Dieu est établi, cest-à-dire, en qui la gnose de Dieu est consacrée ; nous trouverons là limage juste, lorsquelle est heureuse (278) puisquelle est purifiée et quelle fait dheureuses actions. P. 715.
8. Il ne désire rien de ce quil na pas, content de ce quil a, car il ne manque point des biens qui lui sont propres, étant suffisant à lui-même par la divine grâce et la gnose. Mais étant dans la suffisance et nayant pas besoin des autres choses, connaissant la volonté toute-puissante, possédant en même temps et priant, étant attaché à la force toute-puissante et sappliquant à être spirituel par une charité sans bornes, il est uni à lesprit. Il sapplique autant quil peut à posséder cette puissance (cest celle de la contemplation permanente) étant devenu maître de ce qui combat contre lesprit et demeurant perpétuellement dans la contemplation. P. 725.
9. Celui qui sest exercé pour arriver à la sublimité de la gnose et de lhomme parfait, tous les temps et tous les lieux lui conviennent, ayant une fois choisi de mener une vie exempte de chute et sétant exercé par cette stabilité égale de lesprit. En celui qui par un exercice gnostique a acquis une vertu qui ne se peut perdre, se forme une habitude et comme la pesanteur ne peut être séparée de la pierre, de même le gnostique ne peut perdre la connaissance, elle est affermie volontairement et non involontairement, par une puissance raisonnable, gnostique et prévoyante, et par le soin que lon en a, elle parvient à ne pouvoir être perdue.
Cest donc une très grande chose que la gnose, parce quelle conserve ce qui rend la vertu inamissible. Nous avons montré que le seul gnostique est pieux. P. 726.
10. La gnose est donc la perfection de lhomme (279) en tant quhomme : elle saccomplit par la science des choses divines, et dans la vie, dans le discours, dans les manières, elle est uniforme et daccord avec elle-même et avec le Verbe divin. Par elle, la foi se perfectionne et cest par elle seule que le fidèle est parfait. P.731.
11. La charité rend le gnostique ami, fils, homme véritablement parfait, qui a cru à la mesure de lâge. P. 739.
12. Elle est cause (il parle de la connaissance gnostique) que sil arrive quelque accident o trouble, le gnostique nest jamais ébranlé de sa disposition naturelle : car la possession éclairée du bien excellent est ferme et inébranlable, étant la connaissance des choses divines et humaines. La gnose donc ne devient jamais ignorance, et lexcellent ne se change point en mal, cest pourquoi il mange, il boit, il se marie, (a) non par choix, mais par nécessité. Seulement il se marie si le Verbe (la raison) le dit, et de la manière quil convient de le faire. P. 741.
13. Cest pourquoi et en mangeant et en buvant et en se mariant, si le Verbe le dit, ayant même des songes, il fait et pense des choses saintes, étant, par cette manière, toujours pur pour la prière. Car il prie avec les Anges, comme étant déjà égal aux Anges : il nest jamais hors dune sainte garde, et quoiquil prie seul, le chur des Anges est avec lui. P. 746.
(280)
14. Cest avec raison que nul accident ne le trouble, il ne craint rien de tout ce qui lui arrive par la disposition de Dieu, ce qui est toujours pour une fin utile. Il nappréhende point de mourir, sachant quil paraîtra devant les puissances, pur de toutes les taches de lâme, et sachant bien quil sera bien mieux après sa mort : cest pourquoi il ne préfère jamais ce qui est doux et utile à la disposition de Dieu. P.749.
IV. Distractions. Tentations.
St CLEMENT DALEXANDRIE
1. Il est austère, (le gnostique) non seulement pour nêtre point corrompu, mais même pour nêtre point tenté : car la tristesse et le plaisir ne peuvent ni le vaincre, ni même trouver entrée dans son esprit. Il ne donne rien aux mouvements de lâme, allant dune manière immuable où la justice le demande. Liv. 7. Des Stromates. P. 725.
2. Il a des tentations, (a) non pour sa purification, mais comme nous lavons dit, pour lutilité de son prochain. P. 744.
St MACAIRE.
3. Tous les efforts de note adversaire vont à ce quil puisse distraire notre esprit du souvenir de Dieu et de son amour, se servant à cet effet des appas de la terre, pour nous détourner du bien solide, vers des biens qui ne sont tels que par (281) opinion et non en réalité. Ce malin tâche encore de fouiller et de contaminer tout le bien que lhomme fait, en mêlant à lobservance du commandement divin la semence de la vaine gloire ou du propre, afin dempêcher quon ne fasse le bien pour lamour de Dieu et dune manière purement généreuse et désintéressée. De la garde de lâme. Ch. 3.
V. Entendre. Intelligence.
St CLEMENT DALEXANDRIE
1. Sil est vrai que le Seigneur est la vérité et la sagesse même et la puissance de Dieu, il faut montrer que celui qui laura connu, et le Père par lui, est véritablement gnostique. Le souvenir est pour les choses passées, lespérance pour les futures. Nous croyons que les choses passées ont été, et que les futures arriveront. Nous aimons que ces choses soient ainsi, les une passées, la foi nous ne persuadant, les autres futures, lespérance nous les faisant attendre, car la charité persuade tout au gnostique qui ne connaît que Dieu. Aux Stromates. Liv. II. P.383.
2. Moïse a déjà dit quil fallait écouter afin que nous reçussions Jésus- Christ qui est selon lApôtre laccomplissement de la loi. Or le gnostique profite, ou avance, dans lEvangile, ne se servant pas seulement de la loi comme dun degré, mais la connaissant et la comprenant, comme la donnée aux Apôtres le Seigneur de qui viennent les Testaments. La même. Livr. IV. P. 526.
(282)
3. Nous osons dire : celui qui a la foi gnostique sait tout, il comprend tout, il pénètre par une sûre compréhension les choses sur lesquelles nous hésitons, quand il est véritablement gnostique comme ont été Jacques, Pierre, Jean, Paul et les autres Apôtres. La prophétie est aussi pleine de gnose, ayant été donnée par le Seigneur et par lui, découverte aux Apôtres. Et la gnose nest-elle pas une propriété de lâme raisonnable qui sexerce pour parvenir par la gnose à être introduite dans limmortalité. LIVr. VI. P.648.
4. Le gnostique dont je parle comprend ce qui paraît incompréhensible aux autres, persuadé que rien nest incompréhensible au Fils de Dieu et par conséquent que tout peut-être enseigné, car celui qui a souffert pour nous, na rien omis pour linstruction de la gnose. La même. P. 649.
5. Les choses que le Seigneur a dites sont claires et découvertes pour lui, quoiquelles soient cachées pour les autres, car il a reçu la gnose de toutes choses. P. 654.
6. Qui est le sage et il entendra ces choses ? Qui est lintelligent et il comprendra ceci ? Car les voies du Seigneur sont droites, dit le Prophète (a) déclarant que le seul gnostique peut connaître et expliquer les choses dites dune manière cachée par lEsprit. Mais celui qui les comprend se taira à propos, dit lEcriture, cest-à-dire, quil ne les dira pas à ceux qui en sont indignes. La même. P. 671.
7. La nue, la grêle et les charbons de feu ont passé devant lui, dit le Prophète (b), nous enseignant (283) que les discours saints sont cachés, mais quils sont clairs et éclatants pour les Gnostiques, Dieu les envoyant comme une grêle innocente. P. 672.
8. Il est du Gnostique de savoir quand, de quelle manière et à qui il doit parler. La même
9. Celui-ci descendant, (Il parle de Josué qui avait été lé témoin de la gloire de Moïse, et à qui elle avait été plus découverte quà Caleb), raconta la Gloire quil avait contemplée, étant plus capable de voir que lautre (cest-à-dire que Caleb), comme étant plus purifié que lui, lhistoire nous faisant connaître par là que tous nont pas la gnose, car les sens regardent le corps des Ecritures, les dictions et les mots, comme le corps de Moïse (que Caleb voyait simplement), les autres en voient les sens cachés et ce qui est marqué par les mots, cherchant à découvrir ce Moïse qui était avec les Anges. P. 680.
10. Le gnostique entend toutes choses dune manière vraie et élevée, comme comprenant la science divine. Il entend le propre sens de ces paroles : vous ne commettrez point de fornication, vous ne tuerez point. Il sait de quelle manière cela se dit au Gnostique et non de la façon dont cela est compris par la multitude. Livr. VII. p.734.
11. Touchant les choses futures quil connaît et qui ne se voient pas encore, il en est si persuadé quil les croit plus présentes que celles qui sont proches de lui. P. 744.
(284)
VI. Fécondité Spirituelle.
St CLEMENT DALEXANDRIE.
1. Le Pasteur a soin de toutes les brebis. Il a pourtant un principal soin de ceux qui par leur nature excellente sont capables dêtre utiles à la multitude. Ce sont ceux-là qui sont propres pour conduire et enseigner. Cest par eux que lévidence de la providence paraît, quand Dieu veut, ou par linstruction, ou par la place où il les met, faire du bien aux hommes et il le veut toujours. Cest pourquoi il meut ceux qui sont propres aux choses qui procurent la vertu et la paix. Livr. 6. Des Stromates. P. 693.
2. Le Gnostique qui est rendu semblable à Dieu se crée et se forme lui-même, il orne aussi ceux qui lécoutent, rendant semblables, le plus quil est possible, à celui qui possède lapathie par nature, celui qui est parvenu dans lapathie par lexercice, et il fait un commerce et une union avec le Seigneur de laquelle il ne peut être arraché. Livr. VII. P. 706.
3. Le Gnostique est donc pieux, ayant premièrement soin de lui, et ensuite de ses prochains, afin quils deviennent excellents. P. 707.
4. Le Gnostique supplée à labsence des apôtres, vivant avec droiture, connaissant exactement, aidant ceux qui lui sont proches, transportant les montagnes de ses prochains et aplanissant les inégalités de leurs âmes. P. 745.
(285)
VII. Habitude des vertus et actes.
St CLEMENT DALEXANDRIE.
1. Celui qui possède la gnose prie et demande les vrais biens de lâme, coopérant aussi lui-même pour venir dans lhabitude de la bonté afin quil nait plus les biens comme des instructions qui lui sont proposées, mais quil sait $$$ bon. Livr. VII. P. 721.
2. Il ne loue pas seulement les choses bonnes, mais il est contraint lui-même dêtre bon serviteur, à cause de la perfection de lhabitude quil a acquise par linstruction et par le grand exercice vrai et pur. P. 735.
St BASILE.
3. On trouvera que les vertus seront devenues comme notre propre bien, lorsque par nos soins et exercices, elles nous seront devenues comme naturelles ou unies à notre nature même, en sorte quau milieu de nos épreuves et difficultés, elles ne viennent jamais à nous abandonner en cette vie si longtemps que nous ne les chassons par force en donnant place à des actions mauvaises. Homél. 23. Du dégagement des choses du monde.
(286)
VIII. Impassibilité ou immobilité de lâme.
St CLEMENT DALEXANDRIE.
1. Revêtez-vous donc comme les Elus de Dieu saints et bien-aimés, des entrailles de la miséricorde, de la douceur, aimez à faire le bien, vous qui êtes encore dans le corps, comme les anciens justes qui ont recueilli pour fruit lapathie de lâme et limperturbabilité. Aux Stromates. Livr. IV. P. 496.
2. Il a appris (le gnostique) que la viande ne nous rendra pas recommandable, ni le mariage, ni le renoncement au mariage sans gnose, mais la vertu qui consiste à agir gnostiquement. Autrement il faut dire quun chien, qui est animal sans raison, est tempérant quand il sabstient de manger à cause du bâton qui est levé sur lui. Sachez quon connaitrait la disposition de ces hommes si les récompenses ou les menaces étaient ôtées, car ils nagissent point par le fond des choses, en sorte quils sy attachent gnostiquement jugeant que toutes les choses créées pour notre usage sont bonnes avec un usage modéré, comme le mariage, par exemple et que le plus grand des biens cest de parvenir à une vertu impassible par la ressemblance avec Dieu. La même. P. 533.
3. Dieu est impassible, incapable de colère et de désirs ; ce nest pas par crainte quil détourne les choses fâcheuses, et il nest pas tempérant par commander à ses cupidités, car la nature de Dieu ne peut tomber dans rien de pénible, et Dieu ne suit point la peur, de (287) même quil naura point de désirs afin de leur commander. Lhomme divinisé jusquà lapathie nayant plus de souillure devient unique. De même donc que ceux qui sont sur mer tirent lancre qui les a affermis de telle sorte quils sont attirés vers elle et quils ne lattirent point à eux, de même ceux qui attirent Dieu par la vie gnostique ne saperçoivent pas quils sont attirés eux-mêmes vers Dieu. Car celui qui sert Dieu se sert lui-même, et dans la vie contemplative, celui qui sert dieu a soin de lui-même, et par la sincérité de sa purgation propre, il contemple saintement le Dieu saint, car la sagesse qui lassiste, se considérant et se contemplant elle-même sans relâche devient semblable à Dieu, autant que la chose est possible. P.535.
4. Les Apôtres ayant surmonté la colère, la crainte, les désirs, par linstruction gnostique du Seigneur, ils neurent plus en eux les suites des passions qui paraissent avantageuses, comme le zèle, la hardiesse, lardeur, car par la constitution ferme de leur esprit, ils ne pouvaient éprouver aucun changement, mais par lhabitude de lexercice, ils demeurent toujours inaltérables depuis la résurrection du Seigneur. Car quoiquon regarde comme des bonnes choses celles dont on vient de parler, quand elles sont conduites par la raison, on ne doit point les admettre dans lhomme parfait. Il na point la hardiesse, ou il na point de quoi être hardi, car il ne se trouve point dans les choses fâcheuses, ne regardant nulle des choses de la vie comme fâcheuse, et rien ne le peut séparer de la charité quil a pour Dieu. Il na pas(288) besoin de tranquillité, car il ne tombe point dans la tristesse, persuadé que tout ce qui arrive est bon. Il ne sirrite point, car rien ne le peut porter à la colère, lui qui aime toujours Dieu, qui est tourné tout entier vers lui seul et qui par là ne hait aucune des créatures de Dieu. Il ne désire rien, car rien ne lui manque pour ressembler au beau et au bon. Il naime personne de cette commune amitié, mais il aime le Créateur dans les créatures ou par les créatures. Il na aucun désir, car il na besoin de rien pour lâme, étant par la charité avec son Bien-Aimé, avec qui il est uni familièrement par le choix quil a fait. Et par lhabitude qui vient de lexercice, il sen approche plus aisément, et il est heureux à cause de labondance des biens. Ainsi pour ces raisons, il sefforce de ressembler au Maître dans lapathie, car le Verbe de Dieu est intelligent, par lequel lassimilation de lesprit est aperçue dans lhomme seul. Par là, lhomme excellent par lâme devient déiforme et semblable à Dieu et Dieu devient semblable à lhomme (homiforme). Liv. 6. P. 650.
5. Il ne souhaitera point de ressembler aux bons ou aux choses bonnes, ayant par la charité lêtre de la beauté. Quel besoin peut-il avoir de hardiesse et de désirs, lui qui a reçu par la charité la conjonction, lunion (la familiarité) avec un Dieu impassible et qui par elle sest inséré$$$ au nombre de ses amis ? Il faut donc séparer de tout mouvement de lâme le gnostique et le parfait, car la gnose produit lexercice, lexercice produit lhabitude ou la disposition, et cette situation produit lapathie et non une modération de désirs, et lapathie est le fruit du retranchement total (289) des désirs. Le gnostique na point de part avec les bons qui sont encore dans linégalité, cest-à-dire qui sont encore sujets aux mouvements (aux sentiments) et sui sont bons. Jentends par ces sentiments, par exemple, la joie qui est sujette au plaisir et à la tristesse, à laffliction, au soin et à la crainte. Jentends la véhémence car elle est proche de la colère. Et quoique quelques-uns disent que ce ne soient plus des maux, mais des biens, il ne se peut que celui qui est consommé (perfectionné) par la charité et qui se nourrit perpétuellement et sans être jamais rassasié, de la joie de la contemplation qui est insatiable, il ne se peut, dis-je, quil trouve de la joie dans des choses petites et basses. Car quel juste sujet aurait encore de retourner vers les biens du monde celui qui a reçu une lumière inaccessible et si ce nest pas encore selon le temps et selon le lieu, il la reçue par cette charité gnostique par laquelle lhéritage est donné et le parfait rétablissement. Celui qui donne la récompense confirmant par les uvres ce que le gnostique, pour avoir choisi gnostiquement, a reçu par avance par la charité.
Certes, nétant plus dans un pèlerinage à légard du Seigneur, par la charité quil a pour lui, quoique sa demeure paraisse sur la terre, il ne se délivre point de cette vie, car cela ne lui est point permis, mais il a tiré son âme des passions car cela lui est permis : il vit ayant fait mourir ses désirs et il ne se sert plus de son corps, il lui permet seulement lusage des choses nécessaires, de peur quil ne soit cause de sa destruction. Comment cet homme a-t-il encore besoin de courage, nétant plus dans les maux, ny étant (290) plus présent mais tout entier avec celui quil aime ? Quel besoin a-t-il de la tempérance ? Il nen a que faire. Car davoir encore des désirs qui rendent la tempérance nécessaire pour les vaincre nest pas dun homme pur, mais dun homme sujet aux mouvements. La force est nécessaire à cause de la crainte et de la peur. Or il ne convient plus que celui qui est ami de Dieu, que Dieu a choisi devant la constitution du monde pour le faire entrer dans la parfaite adoption, soit encore sujet aux peurs et aux plaisirs, et quil soit encore occupé à vaincre (réprimer) ses passions. Et je ne crains point de le dire, de même quil est prédestiné par ce quil doit faire et obtenir, de même lui prédestinant , a par celui quil connaît celui quil aime. Il na pas besoin de connaître lavenir, comme plusieurs qui vivent en conjecturant, comprenant par la foi gnostique ce qui est inconnus aux autres, et le présent est présent en lui par la charité, car il croit à dieu qui ne trope point, à cause de la prophétie et à cause de la présence il ace quil croit et il obtient ce qui est promis. Liv. VI. P. 651, 652.
6. Ce Gnostique qui est fidèle et qui est persuadé que ce qui regarde le monde est bien conduit, se complait dans tout ce qui arrive. Livr. VII. P. 726.
7. La tempérance qui doit être choisie pour elle-même, qui est perfectionnée par la gnose et qui est toujours permanente, rend lhomme maître de lui, en sorte quil est un gnostique tempérant, impassible à légard des plaisirs et ne pouvant être amolli par les afflictions, comme on dit que le diamant est à légard du feu. P. 739.
(291)
8. Comme la mort est la séparation de lâme davec le corps, ainsi la gnose est comme la mort spirituelle, séparant lâme et la tirant avec force des passions et la conduisant dans la vie où on fait le bien, en sorte quelle dit alors à dieu avec confiance : je vis come vous voulez. P. 741.
9. Il convient à celui qui est parvenu à cette habitude dêtre saint, ne tombant daucune manière dans aucune passion, mais étant déjà comme sans chair et étant sans se ressentir de cette terre. P.752.
St GREGOIRE DE NAZIANCE
10. Il ny a rien de plus fort et de plus indomptable que la vraie Philosophie : tout cède à la générosité dun Philosophe. Si on le prive de toutes les commodités de la terre, il a des ailes pour sélever, pour prendre lessor et pour senvoler vers Dieu qui seul est son maître. On ne peut vaincre Dieu, ni un Ange, ni un Philosophe : quoiquil soit composé de matière, il est comme sil nétait pas matériel, il na point de bornes. Quoiquil ait un corps, il vit sur la terre comme un homme tout céleste : il est impassible au milieu de tant de passions, il souffre dêtre vaincu en tout le reste, mais non pas en grandeur de courage, il se met en cédant au-dessus de ceux qui croient leffacer, il ne tient plus ni au monde ni à la chair. Orat. 28.
IX. Louange de Dieu.
St CLEMENT DALEXANDRIE
1. Il ny a de véritablement pieuse que la manière gnostique dont le gnostique honore Dieu. Livr. VI. Des Stromates. P. 616.
2. Le gnostique prie donc avec ceux qui sont nouveaux dans la foi, touchant les choses quil doit faire avec eux. Et sa vie entière est une fête sainte. Livr. VII. P. 728.
St JEAN CHRYSOSTOME.
3. Glorifions le Fils de Dieu, non par la seule louange de la bouche, mais par celle de nos uvres, sans laquelle lautre nest rien. Homél. 51. Sur St Jean vers la fin.
X. Mystères.
St CLÉMENT DALEXANDRIE.
1. A légard des grands mystères, on ne peut en instruire, il faut en contempler et connaître la nature et les effets. Livr. V. des Stromates. P. 582.
St JEAN CHRYSOSTOME.
2. Il y a un danger à vouloir examiner avec curiosité les mystères de Dieu et en demander des raisons, il faut plutôt les embrasser avec amour. Homél. 27. Sur lépître aux Romains vers le commencement.
(293)
XI. Oraison. Contemplation.
St CLÉMENT DALEXANDRIE.
1.Heureux celui qui a la science de la contemplation, qui ne fait aucun tort aux citoyens et qui nest jamais engagé dans des actions injustes, contemplant la beauté toujours subsistante de la nature immortelle, comment et de quelle manière elle est établie. Jamais la pensée dune mauvaise action nentre dans ces hommes. Platon a même eu raison de dire de celui qui contemplerait les idées que cest un Dieu qui vivrait parmi les hommes. Lesprit est le lieu des idées et Dieu est le lieu de lesprit, il a appelé celui qui contemple le Dieu invisible, un Dieu vivant parmi les hommes. Quand donc lâme sélevant au-dessus de sa nature est avec elle-même et converse avec les idées, cet homme devenu déjà semblable à un Ange, sera avec Jésus-Christ occupé de la contemplation, considérant toujours la volonté de Dieu : celui-là est le seul sage, les autres voltigent comme des ombres. Aux Stromates. Livr. IV. P. 536, 537 ;
2. Si donc, ôtant tout ce qui appartient aux corps et aux choses quon appelle incorporelles, nous nous jetons nous-mêmes dans la grandeur de Jésus-Christ, que nous avancions par la sainteté dans cette immensité, nous serons conduits en quelque manière à la connaissance du Tout-Puissant, connaissant non ce quil est, mais ce quil nest pas. Liv. V. P. 582.
3.Abraham étant venu au lieu que Dieu lui avait dit, le troisième jour il vit le lieu de loin. (294) Le premier jour est celui qui arrive par la vue des choses belles ; le second est le désir dune âme excellente ; le troisième jour, lesprit voit les choses spirituelles, les yeux de lintelligence étant ouverts par le Maître qui a ressuscité le troisième jour. P. 583.
4. La gnose ayant été laissée par les Apôtres à un petit nombre sans écriture, est parvenue à nous. Il faut donc exercer la gnose ou la sagesse pour parvenir à une habitude de Contemplation continuelle et inaltérable. Livr. VI. P. 645.
5. Dieu nattend point la voix de celui-ci (du gnostique) dans la prière, lui qui a dit : demandez et je ferai, pensez et je donnerai. P. 653.
6. De la vérité, une partie est gnostique, lautre est pratique et coule (vient) de la Contemplation. P.660.
7. Dieu accorde ce que demandent dans leurs prières ceux qui nont pas cru fermement et qui se sont repentis de leurs péchés. Mais à ceux qui vivent sans péché et gnostiquement, Dieu le leur accorde, lorsquils ne font seulement que penser. Le gnostique prie donc en esprit à toute heure, vivant familièrement avec Dieu par la charité, et premièrement, il demande la rémission des péchés, ensuite de ne plus pécher, et puis de pouvoir bien faire, et de connaître les ouvrages et léconomie du Seigneur, afin quétant rendu pur de cur par lépignose qui vient du Fils de Dieu, il soit invité à lheureuse vision de face à face. Livr. VI. P. 665.
8. Je tais les autres choses, glorifiant le Seigneur, mais je dis que ces âmes gnostiques par la grandeur de leur Contemplation surpassent létat de chaque degré saint etc
Livr. VII. P. 706.
(295)
9. Il scelle sur le Gnostique (il parle du Verbe) une parfaite Contemplation selon sa propre image, en sorte que le gnostique est une troisième image divine, semblable autant quil est possible à la seconde cause, à la véritable vie par laquelle nous vivons véritablement. P. 708.
10. Quelques-uns prennent des heures marquées pour la prière, comme la troisième, la sixième et la neuvième, mais le gnostique prie pendant toute sa vie, sappliquant à être avec dieu par la prière. Celui qui est en cet état laisse toutes choses qui ne sont point utiles, étant parvenu à la perfection e ce qui se fait par la charité. P. 722.
11. A lui seul est accordé ce quil demande selon la volonté de dieu et lorsquil demande et lorsquil pense. Car comme Dieu peut tout ce quil veut, ainsi le gnostique obtient tout ce quil demande. P.723.
12. Le gnostique demandera la permanence( la durée) des choses quil possède, laptitude pour celles qui doivent arriver, et la perpétuité de celles quil doit recevoir. P. 725.
13. Il ne cherche rien des choses nécessaires à la vie, persuadé que Dieu qui connaît tout donne aux bons, sans quils le demandent, ce qui leur convient. Toutes choses sont données gnostiquement ou par la gnose au gnostique. P. 726.
14. Le gnostique, à cause de léminence de sa sainteté, est plus prêt de ne pas obtenir en demandant que dobtenir en en demandant pas. Toute sa vie et son commerce avec Dieu est une prière. P. 742.
15. Quand il a reçu la compréhension dune contemplation éclairée, il croit voir le Seigneur, (296) portant ses yeux sur les choses visibles, quoiquil paraisse voir ce quil ne veut pas voir. P. 744.
16. Le genre de la prière est laction de grâce pour les choses passées, présentes et futures comme étant déjà présentes par la foi, et cette disposition est précédée par le don de la gnose. Il demande (le gnostique) de passer le temps quil doit être dans la chair en gnostique et en homme qui na point de chair. Il demande aussi la rémission de nos péchés etc
P.746.
17. Celui qui est tel, cest-à-die gnostique, il ne demande pas, mais il exige du Seigneur. P. 748.
St MACAIRE.
18. Dieu est le Bien Souverain, vers lequel vous devez recueillir votre entendement et toutes vos pensées, sans songer à autre chose quà regarder après lui en lattendant toujours. Que votre âme soit donc comme une mère occupée à rassembler ses enfants vagabonds et que contraignant par la discipline les pensées dispersées par le péché à rentrer dans son domicile, elle attende le Seigneur dans labstinence et avec amour, jusquà ce quil vienne lui donner le véritable et le solide recueillement. Et bien quelle ne sache quand le Seigneur voudra venir à elle, que cela même la fasse espérer avec dautant plus de persévérance en ce divin directeur des esprits, se souvenant (a) de Rahab, laquelle ayant cru aux Israélites, bien quelle fût encore au milieu des infidèles, devint pourtant dès là, en vertu de sa foi, digne dêtre associée au peuple dIsraël, au lieu que les Israélites incrédules furent considérés (297), à raison de leur désir, comme retournés par effet dans le pays dEgypte. Ou comme la demeure que fit encore Rahab avec les étrangers ne lui fut plus nuisible, mais que sa foi la rendit dès lors associée au parti des Israélites, de même aussi le péché, (ce fond corrompu de pensées dégarements et de représentations étrangères dont nous sommes encore environnés), ne nuit plus à ceux qui attendent en espérance et en foi leur Rédempteur, lequel étant venu, change et transforme les pensées de lâme, les rend toutes divines, toutes célestes, toutes bonnes, et enseigne à lâme lOraison véritable, laquelle nest plus sujette à légarement ni à la distraction. (a) Ne crains point, dit Dieu lui-même par son Prophète, je marche devant toi, je vais aplanir les montagnes, briser les portes dairain, mettre en pièces les verrous de fer. Et encore ailleurs : Veille sur toi-même, (b) de peur que ton cur ne donne lieu à quelque pensée secrète dincrédulité qui le fasse pécher, et que tu ne dises en toi-même : cette multitude est trop nombreuse et trop forte pour être surmontée.
Si nous ne perdons pas cur en nous abandonnant au relâchement et à la négligence ; si nous ne donnons point de nourriture aux pensées déréglées de la corruption, mais que notre volonté fasse effort à en retirer notre esprit, contraignant nos pensées à se tourner vers le Seigneur, sans doute que le Seigneur de son propre mouvement viendra enfin à nous et quil nous recueillera et nous réunira véritablement en lui-même. Tout ce par où nous pouvons lui plaire et lui rendre service est dans la pensée. Faites donc vos efforts pour lui plaire, en lattendant toujours dans votre intérieur, le cherchant dans vos pensées, contraignant et forçant votre volonté et vos intentions à jeter toujours leur regard sur lui, et vous verrez comment il viendra dans vous et quil y établira sa demeure. Car plus vous recueillez et réunissez votre esprit au-dedans de vous pour le chercher, plus et beaucoup plus encore, est-il forcé par ses propres compassions et par sa clémence de venir à vous et vous donner repos. Cependant il lui plaît de se tenir arrêté quelque temps à vous considérer, vous, votre esprit, vos pensées, ce que vous aves dans le cur. Il regarde de quelle manière vous le recherchez : si cest de toute votre âme, ou bien dune manière négligée et avec nonchalance, et sil saperçoit de vos soins et de votre diligence à le chercher, le voilà qui vient tout dun coup se manifester à vous se faire voir, vous donner son secours, vous accorder la victoire et vous délivrez de tous vos ennemis. Mais il avait voulu premièrement voir avec quelle ardeur vous le rechercheriez, et comment toute votre attente était entièrement et continuellement tournée vers lui.
Cest alors quil vient être votre Maître, quil vient vous enseigner et vous donner la vraie prière et le vrai amour, qui nest autre que lui-même habitant en vous, et devenu en vous toutes choses, paradis, arbres de vie, perle précieuse, couronne de gloire, vigneron divin (cultivant notre âme pour quelle porte des fruits en abondance), passible (prenant sur soi ce que nous avons à souffrir), impassible (nétant altéré ni ébranlé de rien), homme (âme et principe (299) de toutes nos actions humaines), Dieu tout-puissant et rendant tout divin, vin céleste pour nous réjouir et fortifier divinement, eau vivante pour nous désaltérer et nous rafraîchir vivement, brebis, principe de simplicité, dinnocence, de douceur, de soumission, Epoux, guerrier, combattant nos ennemis, armes invincibles pour les terrasser et détruire, en un mot JESUS-CHRIST TOUT EN TOUS. Ainsi donc, comme un enfant qui ne saurait se secourir, ni shabiller soi-même, ne fait que regarder sa mère la larme à lil jusquà ce quémue de compassion, elle aille lembrasser, que les âmes fidèles en fassent de même envers le Seigneur, mettant toujours leur espérance en lui seul. Homél.31.
XII. Présence de Dieu.
St IGNACE.
1. Rien nest couvert au Seigneur : ce qui est le plus caché dans notre intérieur lui est présent. Faisons donc toutes choses comme en la présence de Dieu qui habite dans nous, afin que nous soyons ses vrais Temples et que lui soit notre Dieu dans nous. Epitre aux Ephésiens. Chap. 15.
St POLYCARPE.
2. Pour les veuves, quelles prient sans cesse, reconnaissant quelles sont les autels de Dieu, que Dieu nous regarde et tout ce qui nous concerne et que tout nos desseins, nos pensées et les choses les plus secrètes de notre cur lui sont à (300) découvert. Nous sommes exposés à la présence des yeux du Seigneur notre Dieu, comme aussi nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ pour y rendre compte chacun de soi-même. Jésus-Christ a porté nos péchés dans son corps sur le bois, celui qui na point commis de péché, et dans la bouche duquel ne sest point trouvé de fraude, a tout enduré afin que nous vivions dans lui. Aux Philippiens. Chap. 4,6. 8.
St ATHENAGORE.
3. Toute leur vie (il parle des Chrétiens) regarde Dieu comme la règle dune conduite irrépréhensible. Nous avons imprimé dans lesprit que Dieu est présent à toutes nos pensées et à tout ce que nous disons : nous le considérons nuit et jour, et nous sommes persuadés que comme il est la lumière même, il voit ce quil y a dans le fond de nos curs. Apologie des Chrétiens. Chap. 27.
St CLEMENT DALEXANDRIE.
4. Nous devons respecter en tout lieu la présence du Verbe qui est partout et sans lequel rien na été fait, et lon ne saurait bien demeurer ferme quen ayant dans la pensée que Dieu nous est toujours présent. Pédagogue.Livre III. Chap. 5.
5. Ce nest point dans un lieu marqué, dans un temple choisi, ni dans certains jours et fêtes marquées, mais cest pendant tout la vie, en tout lieu, soit quil soit seul, ou quil soit avec plusieurs fidèles, que le gnostique honore Dieu, cest-à-dire quil lui rend grâce de lavoir établi dans la gnose. Comment celui qui est toujours présent avec Dieu sans interruption par (301) sa vie, par sa gnose et par les actions de grâces, ne deviendra pas toujours meilleur, etc
? Livr. VII des Stromates. P. 719.
6. Toute notre vie étant donc un jour de fête, persuadés que Dieu est toujours présent partout, nous labourons en le louant, nous naviguons en chantant ses louanges, et dans tout ce que nous faisons, nous nous conduisons avec soin. Le gnostique habite plus près avec Dieu. La même. P. 720.
7. Il priera en tous lieux et cela ne paraitra pas à plusieurs. Il prie en se promenant, en conversant, en se reposant, en lisant, en faisant des choses raisonnables. Il prie en toute manière (c'est-à-dire quelque chose quil fasse. Que si dans le fond retiré de son âme, il pense seulement et quil invoque le Père par des gémissements inénarrables, il est auprès de lui dès quil parle. La même. P. 728.
ORIGENE.
8. Saurait-on trouver un plus grand repos à lâme fidèle que de penser à Dieu et de converser toujours en sa présence. Sur le Lev. ch.23Homil. 13.
St BASILE.
9. IL faut bien garder notre cur sur toutes choses et ne pas permettre que la pensée continuelle de Dieu nous tombe hors de lesprit, ni que le souvenir de ses divines merveilles soit souillé par lentremise des pensées vaines et inutiles, mais quau contraire, nous fassions tant deffort à nous ressouvenir de Dieu et cela si souvent et si purement quenfin sa sainte pensée nous en demeure imprimée au cur, comme un caractère ineffaçable que nous portions toujours avec nous. (302) Cest ainsi que sacquiert lamour de Dieu qui nous porte à observer ses commandements, et lunion de Dieu est aussi un effet du même souvenir de Dieu. Quiconque se détourne de la rectitude du commandement de Dieu en quoi que ce soit, cest une marque que Dieu est bien faiblement imprimé en sa mémoire. Souvenons-nous donc toujours de ces paroles du Seigneur : (a) Nest-ce pas moi qui remplis le ciel et la terre ? dit le Seigneur, et encore : Ne suis-je Dieu que de près ? dit le Seigneur, ne le suis-je pas aussi de loin ? et : (b) Où il y en a deux ou trois assemblés en mon Nom, je suis au milieu deux.
Et par conséquent faisons tout et pensons tout comme vivants effectivement devant ses yeux divins. Cest ainsi que sa sainte crainte, qui comme dit lEcriture, hait le péché, qui hait lorgueil, lélévation du cur et les voies des méchants, demeurera toujours avec nous et que naîtra ce divin Amour qui effectuera dans nous richement cette parole du Seigneur : (c) Je ne cherche point à faire ma volonté, mais celle de celui qui ma envoyé. Enfin quiconque est véritablement persuadé que Dieu lui est présent ne se souciera que de lui plaire et de faire ses commandements, sans se mettre en peine ni de ce que les hommes penseront de lui ni de leurs coutumes, humeurs et inclinations, etc
Dans les Règles Dem. 5.
St GREGOIRE DE NAZIANCE.
10. Nous devons nous souvenir de Dieu aussi souvent que nous respirons lair, et même (303) nous ne devons faire autre chose que de nous le mettre devant les yeux, soit que nous travaillions ou non, soit que nous soyons à la maison ou à la campagne, soit que nous ayons quelque autre occupation, parce que nous dépendons continuellement de sa présence pour conserver notre être et pour opérer, comme limage que le miroir forme dépend de la présence de lobjet, comme la vie du corps dépend de la présence de lâme, comme les rayons dépendent de la présence du Soleil. Orat. I. de Théol et c. (rapporté par le Père Maillard, Direction des âmes. Ch. 8.)
St MACAIRE.
11. Il représente létat des âmes (vraiment saintes) comme étant en parfaite réalité, ce chariot mystérieux qui fut montré en vision au Prophète Ezéchiel (a), et il dit : quune telle âme est un trône sur lequel Dieu repose continuellement, quelle est toute lumière et tout il, comme ces animaux célestes qui étaient pleins dyeux, quelle ne perd jamais Dieu de vue et que Dieu la dirige et la conduit dans toutes les voies par où elle doit marcher. Homél. I.
12. Comme après la dissolution de ce siècle, les justes vivront et converseront toujours dans le Royaume de Dieu, dans la lumière et dans la gloire, ne regardant plus rien que Jésus Christ, et comment il sera toujours assis à la droite de Dieu son Père, pareillement les mêmes justes étant, quant à leur esprit, transportés dès à présent dans ce siècle-là, où ils sont déjà comme captivés et domiciliés, ils y contemplent tout ce quil y a de grand et de merveilleux, car nous qui vivons encore sur la terre, nous avons (304) néanmoins notre conversation dans le ciel ; oui nous vivons et nous conversons dans ce divin monde-là selon notre esprit et selon lhomme intérieur. Et comme lil du corps, quand il est pur voit toujours clairement le Soleil, de même notre esprit étant purifié voit toujours la lumière de la gloire de Jésus-Christ et demeure avec le Seigneur nuit et jour. Tout ainsi que le corps du Seigneur uni à la Divinité demeure toujours inséparable du St Esprit. Il est pourtant vrai que les hommes ne peuvent dabord atteindre à des degrés si sublimes que premièrement ils naient subi beaucoup de travaux, dafflictions et de combats. Homélie. 17.
13. Comme un habile peintre ne saurait à la vérité exprimer par son travail le visage dune personne qui détournerait sa vue de lui, mais quil dépeint très bien celui qui le regarde sans cesse, cest ainsi que ce peintre est admirable, Jésus-Christ, en agit avec les âmes fidèles qui ont toujours les yeux jetés sur lui : il dépeint alors sur lhomme intérieur et céleste sa divine image, limage céleste tirée de son Esprit et de la substance de sa lumière ineffable ; et cest alors quil donne à lâme son incomparable et son céleste Epoux. Mais si quelquun refuse de jeter les yeux sur lui, en se détournant de tout le reste, le Seigneur ne dépeindra point aussi dans lui son image par le moyen de sa divine lumière.
Si donc nous croyons en lui et que nous laimons, jetons la vue fixement sur lui seul, en donnant congé à toute autre chose pour lenvisager toujours, afin quil puisse exprimer au-dedans de nos curs lempreinte de son image céleste, (305) et quainsi portant Jésus-Christ dans nous, nous recevions la vie éternelle et jouissions dès-là du vrai repos avec pleine confiance. Homélie. 30.
14. Il faut quun Chrétien ait en tout temps le souvenir de Dieu, car il est écrit : (a) Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cur. Il ne faut pas quil aime Dieu seulement quand il entre dans son cabinet pour prier, mais il faut quil se souvienne de Dieu, quil laime, quil lui donne ses affections quand il marche, quand il parle, quand il mange (b) Où est votre cur, là sera votre trésor, dit lEvangile. Tout ce à quoi ce cur est attaché, tout ce vers quoi le porte son désir, cela est son Dieu. Si donc un cur désire Dieu partout et continuellement, dieu est véritablement le Dieu de ce cur là. Homélie.43.
St EPHREM.
115. Il ny a rien de plus nuisible, ni de faute plus grave que de mettre en arrière le souvenir de Dieu, puisque le souvenir continuel de Dieu écarte de lâme les passions impures, ni plus ni moins que la présence dun juge rigoureux fait fuir les méchants. Doù sensuit quune telle âme devient le pur habitacle du St Esprit, au lieu quil ne règne que des ténèbres, de la puanteur et toute sorte de méchante pratique dans une âme qui est destituée de la pensée et du souvenir de Dieu. De la Vertu. Ch. 10.
St JEAN CHRYSOSTOME.
16. Puisquil y a tant de combats à essuyer dans le chemin du salut, et tant dobstacles à vaincre, comment serait-il possible den venir à bout sans la crainte de Dieu ? (306) Mais comment obtenir cette crainte si salutaire ? En nous mettant bien avant dans notre esprit que Dieu est présent partout, quil entend, quil voit tout, non seulement tout ce que nous faisons et tout ce que nous disons, mais aussi tout ce qui est caché dans notre cur et dans le plus profond de nos pensées, car (a) il discerne les pensées et les intentions du cur. Si nous nous mettons en ces dispositions, nous ne ferons, nous ne dirons et nous ne penserons jamais rien de mauvais. Car dites-moi si vous étiez toujours ne la présence du Prince, ne vous y tiendriez-vous pas dans la crainte ? Comment donc, étant devant Dieu, pouvez-vous rire, ou vous relâchez ? Et comment ne craignez et ne tremblez-vous pas ? Ne méprisez pas sa patience, car par sa longue attente, il vous invite à la pénitence. Nayez donc jamais le cur ou le courage de rien entreprendre quoique vous fassiez, sans penser que Dieu assiste, présent à tout, car en effet il y est présent. Soit donc que vous mangiez, soit que vous alliez coucher, soit que vous enleviez le bien dautrui, soit que vous vous mettiez à faire bonne chère, soit que vous fassiez telle autre chose que ce soit, pensez que Dieu y assiste présent en tout, et ainsi vous ne tomberez jamais dans un ris dissolu, vous ne vous emporterez jamais de colère. Si vous conservez continuellement cette pensée dans votre esprit, vous marcherez toujours avec crainte et tremblement, comme étant toujours en la présence de votre Roi. Homélie 8. Sur lEpitre aux Philip.
(307)
XIII. Pur Amour.
St CLEMENT DALEXANDRIE.
1. Si vous ôtez le péché qui est cause de la crainte, vous ôtez aussi la crainte et encore plus le châtiment, lorsque vous avez retranché ce qui de sa nature cause les désirs ; car la loi, dit lEcriture (a) nest pas établie pour le juste. Liv. IV. Des Stromates. P. 478.
2. Il ne faut sapprocher du Verbe salutaire ni par la crainte du châtiment, ni par le motif de la récompense, mais simplement à cause quil est bon. Ceux qui sont tels sont à la droite du Sanctuaire, mais ceux qui par le don quils font des choses périssables, espèrent recevoir en échange les biens de lincorruptibilité, sont appelés mercenaires dans la parabole des deux frères. Il dit deux lignes après que ces mercenaires sont à la gauche du Sanctuaire. La-même. P.485.
3. Il y a le peuple qui aime des lèvres, il y a celui qui livre son corps pour être brûlé. Si je distribue, dit-il, tous mes biens, non selon la règle de la communication qui vient de la charité, mais selon la règle de la récompense, regardant ou le bienfait à recevoir, ou le Seigneur qui promet, quand jaurais toute la foi, en sorte que je transportasse des montagnes, et que je guérisse les maux les plus cachés, si je ne suis pas fidèle au Seigneur par la charité, je ne suis rien en comparaison de celui qui rend témoignage gnostiquement devant la multitude. La même. P. 519.
(308)
4. Ces différences sont très justes : au gnostique est préparé ce que lil na point vu, ce que loreille na point entendu et ce qui nest pas monté dans le cur de lhomme, à celui qui a eu une simple foi, il lui assure le centuple de ce quil a laissé. La même.
5. Tel est le gnostique : son ouvrage nest pas de sabstenir du mal, ce qui est le fondement dun plus grand progrès, ni de faire le bien pu par crainte ou par lespérance de la récompense promise suivant quil est écrit (a) : voici le Seigneur et sa récompense est devant sa face pour rendre à chacun selon ses uvres.(b) Ce que lil na point vu, ce que loreille na point entendu et ce qui nest point monté dans le cur de lhomme, que le Seigneur a préparé à ceux qui laiment. Faire le bien uniquement par amour et à cause du beau même, est le partage du gnostique. Livr. IV. P. 528.
6. Dieu est représenté, disant au Seigneur (c) Demandez-moi et je vous donnerai toutes les nations pour héritage. Demande vraiment royale qui apprend à demander le salut des hommes sans récompense, afin que nous héritions et que nous jouissions de Jésus-Christ. Souhaiter la connaissance de Dieu pour quelque utilité, afin que ceci arrive ou narrive pas, ce nest point le propre dun gnostique. Il ne lui faut dautre motif de sa contemplation que la gnose même. Et je ne crains point de la dire : celui qui suit la gnose par cette science divine, ne la choisit point pour vouloir être sauvé, lhabitude quil a de connaître toujours sétend à connaître toujours : connaître toujours (309) est la substance du gnostique. Elle est sans interruption, cest une contemplation continuelle et une vive substance permanente.
Si quelquun, par supposition, demandait au gnostique ce quil choisirait ou de la gnose de Dieu, ou du salut éternel, et que ces deux choses, qui sont la même, fussent séparées, il choisirait sans hésiter la gnose de Dieu, jugeant quil faudrait choisir pour elle-même cette gnose qui, par la charité surpasse la foi. Celui qui est parfait fait le bien, mais ce nest point à cause de son utilité. Quand il a jugé quil est bon de faire une chose, il sy porte sans relâche, non en négligeant ceci et en faisant cela, mais en étant établi dans lhabitude constante de faire le bien, non à cause de la gloire que les philosophes appellent bonne renommée, ni pour la récompense qui lui vienne, ou des hommes, ou de Dieu, et il rend sa vie parfaite selon limage et la ressemblance du Seigneur. Si lorsquil fait bien, on le traverse, il ne rendra point le mal pour le mal, étant bon et juste envers les justes et les injustes.
Cest à ceux-là que le Seigneur dit : Soyez comme votre Père qui est parfait. En cet homme, la chair est morte ; il vit seul. De son sépulcre, il en a consacré un temple au Seigneur, ayant tourné vers le Seigneur lancienne âme pécheresse, nétant plus celui qui se contient et se surmonte, mais étant dans lhabitude de lapathie, attendant quil soit revêtu de la forme divine. Si vous faites laumône, dit-il, que personne ne le sache, et si vous jeûnez, oignez-vous, afin que Dieu seul le connaisse et que nul homme ne le sache. Celui même qui fait miséricorde, ne doit point savoir quil est miséricordieux. Quelquefois, il (310) aura ce sentiment, quelquefois il ne laura pas. En faisant par habitude ce qui va à soulager, il imitera la nature du bien. Livr. IV. P.528, 529.
7. Celui qui sabstient de mal faire par lespérance de la récompense promise aux justes, nest pas même bon par lespérance de la récompense promise aux justes, nest pas même bon pour un pur mouvement de sa volonté, car comme dans lun cest la crainte, de même dans lautre, cest la récompense qui le fait juste, ou plutôt qui le fait paraître juste. Livr. IV. P.532.
8. Mais celui qui obéit à la vocation toute nue, en tant simplement quil est appelé, il ne va à la gnose ni à cause de la crainte, ni à cause des plaisirs, car il ne regarde point sil lui en reviendra quelque utilité ou quelque agrément. Etant attiré par lamour du seul aimable, et conduit vers Dieu, il le sert en sorte que, si par supposition il recevait de Dieu la liberté de faire, sans être puni, les choses défendues, quand il saurait même quen les faisant, il aurait la récompense des Bienheureux, et quil serait sûr que Dieu ne saurait point ses actions ( ce qui est impossible), il ne voudrait jamais ne rien faire de ce qui est contre la droite raison, sétant une fois déterminé au beau, parce quil doit être choisi et aimé pour lui-même. La même.
9. Si donc toute union qui se fait avec les choses belles et excellentes se fait avec le désir, comment peut demeurer dans lapathie, disent-ils, celui qui désire ce qui est beau ? (voilà une objection que lon a faite à St Clément, voici comme il y répond) Il paraît que ceux qui parlent ainsi ignorent ce quil ya de divin dans lamour, car cet amour nest pas un désir de celui qui aime, mais cest une union de bienveillance, qui rétablit (311) le gnostique dans lunité de foi, nayant pus besoin de temps ni de lieu. Celui donc qui est déjà par la charité dans les choses où il doit être, comme ayant déjà reçu lespérance par la gnose, ne souhaite rien, ayant autant quil est possible ce qui est désirable. Livr. VII. P. 709.
11. Il faut choisir la charité pour elle-même et non pour autre chose. P. 738.
12. Quand on est juste, non par nécessité, par crainte ou par espérance, mais par choix, cette vois est appelée royale, par elle marche une nation royale, les autres voies sont sujettes aux chutes, on peut en être renversé et elles ont des précipices. P.743.
ST BASILE.
13. Je connais trois raisons dobéir à Dieu : car nous nous abstenons des vices, ou par la crainte du châtiment, et en cela nous prenons un esprit servile : ou bien étant attirés par lespérance de la récompense, nous rapportons lobservation de la loi à notre utilité et nous ressemblons en cela aux mercenaires ; ou bien étant touchés par le beau même et par lamour de celui qui nous adonné la loi, nous obéissons en nous réjouissant dêtre jugés dignes de servir un dieu si grand et si bon et ainsi nous imitons laffection des enfants bien nés envers leurs parents. Le serviteur ne négligera point certaines choses, pendant quil en accomplira dautres, mais il craindra également la peine de toute (312) désobéissance et cest pourquoi il sera bienheureux. De même le mercenaire ne négligera rien de tout ce qui est commandé. Car comment recevrait-il la récompense de son travail sil omettait quelquune des choses nécessaires selon la promesse ? Nous avons mis au troisième rang le travail quon fait par charité. Quel est donc le fils qui na quune seule application et un seul dessein qui est de plaire au Père ? Dans la préface sur les grandes Règles. Sermon. 7. Du Péché.
14. St Paul a osé quelque chose pour ses frères selon la chair, qui est encore plus grand, en sorte que moi-même jose quelque chose en le rapportant. Lapôtre souhaite par sa charité de les introduire auprès de Jésus Christ en sa place. Ô grandeur dâme ! Ô ferveur desprit ! Il imite Jésus Christ qui sest fait malédiction pour nous, qui a pris nos infimités et portés nos maladies, ou pour parler plus modérément, il veut souffrir comme un impie pour lamour deux, pourvu seulement qu'ils soient sauvés. Orat. I.
15. Nous nous soucions fort peu de plaire aux hommes, ne cherchant quune seule chose qui dêtre glorifiés de Dieu, et même nous nous élevons encore plus haut, je parle de ceux qui sont véritablement philosophes et pleins du véritables amour de Dieu. Ceux-là souhaitent dêtre unis au Souverain Bien pour lamour de lui-même et non pour la gloire qui y est jointe dans lautre vie, car ce nest quun second ordre dhommes louables qui agissent pour la récompense, comme il y en a un troisième de ceux qui fuient la corruption par la crainte du châtiment. Orat. 3.
(313)
16. Je sais quil y a trois ordres dhommes qui sont sauvés, savoir les esclaves, les mercenaires et les enfants. Si vous êtes esclaves, craignez les coups ; si vous êtes mercenaires, bornez-vous à regarder la récompense ; mais si vous vous élevez au-dessus deux, et si vous êtes enfants, respectez Dieu comme un Père et appliquez-vous aux bonnes uvres, parce quil est bon dobéir au Père, quand même il ne nous en reviendrait jamais aucune utilité, cest une assez grande récompense que de lui obéir. Orat. 40.
NICETAS.
17. Le fils (ou le juste parfait, quil distingue de lesclave et du mercenaire) ne sert et ne respecte point son Père par la crainte des châtiments, ni par lespérance dêtre récompensé, mais par amour, quand même il ne devrait recevoir aucune récompense de sa fidélité et de son attachement, lexécution de ce qui est agréable à son Père, lui tient-il seule lieu de récompense. Au Commentaire sur Greg. De Naz.
St GRÉGOIRE DE NYSSE.
18. Celui qui veut (a) que tous les hommes soient sauvés et quils viennent à la connaissance de la vérité, montre ici (dans le Cantique des Cantiques) une manière très parfaite et bienheureuse darriver au salut. Je dis que cest celle qui saccomplit par la charité. Car quelques unes se sauvent par la crainte, en sabstenant du mal à la vue de la géhenne dont ils sont menacés ; il y en a dautres qui se conduisent avec droiture et vertu, par lespérance de la récompense réservée (314) à ceux qui auront vécu pieusement, ne possédant pas le bien par la charité, mais par lattente de la récompense. Mais celui qui court du fond de son cur vers la perfection, chasse la crainte qui est une affection servile, il méprise la récompense même, de peur quil ne paraisse aimer la récompense plus que celui de qui elle vient. Première homélie sur le Cantique.
19. La perfection consiste certainement non pas à séloigner du mal par la crainte du châtiment, ce qui ne convient quaux esclaves, ni à faire le bien par lespérance, ne menant une vie que comme des marchands qui font des contrats et des échanges, mais à ne regarder aucune chose, pas même celles qui nous sont promises et qui font lobjet de notre espérance, pour nen craindre quune seule qui est de perdre lamitié de Dieu et nen croire quune seule digne dêtre estimée, qui est de devenir ami de Dieu, ce qui est selon mon avis, la perfection de cette vie. Vie de Moïse vers la fin.
20. Ceux qui sont doués du véritable amour de dieu, nont pas choisi de le servir pour lespoir du royaume (céleste) comme des marchands pour le gain, ou des mercenaires pour le loyer. Non plus parla crainte des peines préparées aux pécheurs, mais laimant comme le vrai Dieu et comme leur Créateur, ils voient quil suit de là selon léquité de lordre, que cest le juste devoir des serviteurs que de plaire à leur Seigneur et Créateur ; Lâme est dans le péril de la tentation, non seulement du côté des afflictions, mais du côté des consolations, car le Créateur les met à lépreuve de ces deux manières, afin quil paraisse avec évidence ce quelles sont, (315) si ce nest pas pour lamour du gain quelle laiment, mais si cest pour lamour de lui-même, et parce quil est véritablement digne de tout amour et tout honneur. Opuscule. VII. Ch. 20.
St JEAN CHRYSOSTOME.
21. Les âmes bonnes et généreuses regardent la beauté divine sans aucun motif dêtre récompensées : elles sy attachent et font le bien pour plaire à dieu, elles estiment la chasteté pour éviter non la punition, mais loffense de Dieu. Que si quelquun est trop faible, quil jette aussi les yeux sur la récompense. Homél. 76. Sur St Jean.
22. Nous considérons avec curiosité la récompense de nos uvres, faisant une supputation de marchands. Vous auriez une plus grande, si vous agissiez sans espérance dêtre récompensés. Il faut faire toutes choses pour Jésus-Christ et non pour la récompense. Aimons-le comme il est juste de laimer : cet amour est en vérité la grande récompense, le royaume du ciel, la volupté, les délices, la gloire, lhonneur, la lumière et la béatitude. Homél. 5. Sur lépître aux Rom. Vers la fin.
23. Comment demandez-vous, ô Paul, dêtre anathème ? Comment cherchez-vous laliénation et le divorce après lequel il ne reste plus rien ? Cest, dit-il par un excès damour. Mais comment cela ? Car la chose semble être une énigme. Comprenons dabord ce que cest quêtre anathème, par là nous apprendrons en quoi consiste ce genre damour secret et nouveau. Jeusse souhaité, dit lApôtre (a) dêtre anathème à légard de Jésus-Christ. Il ne dit pas (316) simplement jeusse voulu, mais se proposant cette fin, il dit : jeusse souhaité. Que si ces choses comme trop rabaissées vous troublent, considérez non seulement ce quil dit de son désir dêtre séparé, mais encore la cause pour laquelle il voudrait cette séparation. Je nignore pas que les choses que je vous dis vous paraissent incroyables. Paul supportant cette chose impatiemment et saffligeant pour la Gloire de Dieu, prie pour être anathème, si cela se pouvait, afin que les juifs fussent sauvés, que ce reproche qui tombait sur lui cessa, et que Dieu ne parut pas avoir trompé leurs ancêtres par la promesse de ses dons. Cest pour cela, dit-il, que je suis déchiré et je voudrais pouvoir être séparé de ce chur qui environne Jésus-Christ et être aliéné non pas de son amour, à Dieu ne plaise (car ce nétait que par son amour quil faisait ce souhait), mais je souffrirais dêtre privé de cette jouissance t de cette gloire, afin que mon Seigneur ne fut plus blasphémé. Afin donc quon ne parle plus ainsi contre Dieu, quoiquinjustement, je déchoirais volontiers et du Royaume du ciel et de cette gloire cachée.
Que si vous ne comprenez pas encore ceci, songez que beaucoup de pères ont fait de même pour leurs enfants, ne refusant pas dêtre séparés deux, afin quils fussent dans un plus grand éclat, et préférant leur gloire à la douceur de leur société. Parce que nous sommes loin de cet amour, nous nen pouvons pas même concevoir ce quon en dit. Car il y a des gens qui sont si indignés dentendre le langage de St Paul, et si éloignés de la grandeur de son amour, quils (317) simaginent quil ne veut parler que de la mort temporelle. Je soutiens quils ignorent autant le sens de St Paul et encore beaucoup pus, quun aveugle nignore les rayons du soleil. Non, non, cette explication nest point véritable, cest plutôt lopinion des vers de terre cachés dans le fumier. Sil eut parlé en ce sens, comment aurait-il demandé dêtre fait anathème à légard e Jésus-Christ ? Car cette mort corporelle laurait encore uni davantage au chur des Bienheureux qui environnent Jésus Christ, et laurait fait jouir de la gloire. Cet amour était plus étendu que toutes les mers, plus ardent que toutes l es flammes : nul discours ne peut lexprimer dignement. Celui-là seul connaît cet amour qui en est entièrement rempli. Il ne songeait pas seulement à être aimé de Jésus-Christ, mais principalement et par dessus tout à laimer, cest pourquoi il navait en vue que cela seul et souffrait facilement toutes choses : il nen considérait quune qui était de satisfaire cet excellent amour, et cest pourquoi il faisait une telle demande. Homél. 16. Sur lépître aux Rom. Vers le commencement.
24. St Paul ne courait point pour la récompense, car cétait pour lui une suffisante récompense que de faire ce qui plaisait à Dieu. Cest pourquoi quand il a dit (a) Si nous nespérions en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes. Il ne parle ainsi que pour eux, afin que la crainte de cette misère surmonte en eux lincrédulité de la résurrection et cest pour se rabaisser jusquà leur faiblesse quil parle ainsi, car dans le fond, cest (318) une grande récompense que de plaire à Jésus-Christ en toutes choses et de sexposer à toutes sortes de périls pour lui, quand on ne devrait jamais en être récompensé. Homél. 40 sur la 1 Epître aux Corinth.
25. Il faudrait être bon, quand même il ny aurait point de récompense promise. Mais dieu a voulu quon put pratiquer aussi la vertu en vue de la récompense, afin de saccommoder à notre faiblesse. Homel. 13. Sur lépître aux Hébreux.
26. Il faut aimer les commandements, non pour la récompense qui y est attachée, mais pour lamour de celui qui commande ; non pour les menaces de la géhenne, ni pour les promesses du royaume, mais pour celui qui a fait la loi. Exposition sur le Ps. CXI. V. 1.
27. Ne savez-vous pas que la récompense vous est augmentée quand vous travaillez non par lespérance dêtre récompensés, mais par laffection de plaire ?
28. St Paul nétait pas comme nous autres mercenaires. Lamour avait tellement saisi son âme quil méprisait pour plaire à Jésus-Christ ce qui est infiniment plus aimable que tout le reste, je veux dire dêtre avec Jésus-Christ même. Il était prêt de souffrir pour Jésus-Christ la privation du Royaume du Ciel, qui est la récompense de tout travail et il regardait comme une chose désirable pour lamour de Jésus-Christ, dêtre fait anathème à légard de Jésus-Christ même. De la composition du cur. Livr. I. Chap. 7.
St THEODORET.
29. St Paul a défié le ciel et lenfer de le séparer de Jésus-Christ. La gloire ne doit être rien pour le vrai fidèle en comparaison de lamour, car il ne faut point aimer Dieu pour les promesses, mais les promesses pour Dieu. Sur Epitre aux Rom.
St DENIS.
30. Lamour divin est extatique et ne permet pas que ses amoureux soient à eux-mêmes, mais au Bien-aimé. Des Noms divins. Ch. 4.
St JEAN CLIMAQUE.
31. Entre les créatures raisonnables, les unes sont les amis de Dieu, les autres ses vrais et fidèles serviteurs, les autres des esclaves inutiles.
Tous ceux qui renoncent volontairement aux commodités de la vie présente, le font ou par espérance du Royaume futur, ou à cause du poids énorme de leur péché, ou pour la gloire de Dieu souverainement bon.
Celui qui se retire du monde par lamour de Dieu même est embrasé dabord de ce feu du ciel et en ressent de plus en plus redoubler lardeur. Echelle Sainte, degré I. Art. 1. 6 ; 13.
32. Jai vu trois hommes pieux traités indignement. Le premier craignant la justice divine réprima sa douleur par le silence ; le second se réjouissait pour soi, parce quil en espérait être récompensé, mais saffligeait pour celui qui le traitait mal ; le troisième enfin soubliant, pleurait à chaudes larmes le malheur où se jetait celui qui loutrageait. On voyait en cette occasion trois insignes athlètes de la vertu, lun combattait par criante, lautre par espérance dêtre récompensé et le dernier avec désintéressement par la tendresse dun parfait amour. Degré. 8. Article. 28.
(320)
St MAXIME.
33. Il y a trois sortes de Chrétiens sauvés : ceux qui commencent, ceux qui avancent et ceux qui sont arrivés à la perfection. Les premiers sont les esclaves, les seconds les mercenaires et les troisième les enfants de Dieu. Les enfants ne sont touchés ni de la crainte des menaces, ni de lespérance des promesses, mais ils ne sont jamais séparés de dieu, tendant vers lui selon cette voie et cette habitude qui est la pente de leur volonté vers le bien. Ils sont comme ce fils auquel il est dit (a) : mon fils, vous êtes toujours avec moi. Mistagog. Ch. 24.
XIV. Purification. Epreuves.
St MACAIRE.
Lâme qui aime véritablement Dieu et Jésus Christ a un désir si insatiable de Dieu même, que bien quelle aurait fait mille et mille uvres de justice, elle est pourtant à ses propres yeux comme si elle navait rien fait du tout : et quand même elle aurait consumé son corps dans les jeûnes et dans les veilles, elle se met néanmoins au rang de ceux qui nont pas encore commencé à travailler pour acquérir les vertus. Quand même elle aurait été avantagée de la diversité des dons du St Esprit et des révélations divines et des secrets, elle est cependant toujours à ses propres yeux, comme si elle ne possédait encore rein, tant est insatiable et immense le désir de lamour quelle porte à Dieu.
Lamour du St Esprit layant blessée au cur, (321) elle est dans une oraison continuelle en soi et en charité, affamée et altérée après les biens secrets de la grâce et dans un désir insatiable de létat solide de la vertu. Elle ne fait quexciter continuellement dans soi par la grâce divine des désirs enflammés envers son Epoux céleste. Elle ne souhaite que dêtre rendue parfaitement digne de sa communication secrète et inexprimable dans la sanctification de lEsprit. Son visage intérieur étant dévoilé, elle jette toujours les yeux sur son Epoux divin, quelle envisage face à face dans la lumière spirituelle et ineffable. Elle est transformée en sa mort, elle attend toujours avec beaucoup dardeur de pouvoir mourir pour Jésus-Christ, enfin elle espère avec une foi parfaite de recevoir du St Esprit une parfaite délivrance du péché et des ténèbres de toutes les passions, afin que purifiée par lEsprit et que le corps étant sanctifié avec lâme, elle soit digne dêtre un vase pur qui reçoive lonction céleste et qui serve dhabitacle de Jésus Christ le véritable Monarque du Ciel.
Une telle âme devenue de la sorte le domicile très pur du Saint-Esprit est aussi devenue digne du don de vivre dune vie toute céleste et surnaturelle. Mais de parvenir à un tel degré, cest ce qui nest pas accordé à lâme tout dun coup, ni sans bien des épreuves : elle doit par beaucoup de travaux et de combats voir écouler bien du temps et bien des peines, passer par quantité dessais et de tentations, parmi quoi elle doit savancer toujours et prendre accroissement spirituel, jusquà ce quelle atteigne à la parfaite extinction de ses passions (322) alors ayant soutenu avec fermeté, avec courage et avec générosité tous les assauts du malin sans sébranler, on lui confère les grands et précieux honneurs, les dons spirituels et toutes les richesses du Ciel, cest ainsi quelle devient lhéritière du Royaume céleste en Jésus-Christ notre Seigneur, à qui soit la gloire et lEmpire à jamais. Homél. 10.
XV. Quiétude. Repos.
St CLEMENT DALEXANDRIE ;
1. Il est permis à celui qui a appris suffisamment les choses qui conduisent à la gnose de demeurer dans la suite en quiétude, se reposant, dirigeant ses actions à la contemplation. Livr. VI. Des Stromates. P. 60.
2. Lâme du gnostique étant devenue toute spirituelle, sétant avancée à ce qui lui est naturel dan lEglise spirituelle, elle demeure dans le repos de Dieu. Livr. VII. P. 739.
(323)
XVI. Renoncement.
St MACAIRE.
Tous les hommes, Juifs et Grecs, aiment la pureté, et cependant ils ny peuvent parvenir. Il est donc nécessaire de bien rechercher comment et par quels moyens, on peut acquérir cette pureté du cur. Cela ne se peut faire autrement que par celui qui a été crucifié pour nous, car cest lui qui est la voie, la vie et la vérité, cest la porte, cest la perle de grand prix, cest le pain vivant et céleste, et sans cette vérité nul ne connaîtra jamais la vérité, ni sera sauvé. Or comme vous avez déjà renoncé à toutes les choses de lhomme extérieur et aux biens visibles, lesquels vous avez donnés et quittés, il vous en faut agir de même avec votre sagesse mondaine : si vous avez des connaissances, si vous avez de léloquence , il vous faut rejeter tout cela et le réputer pour rien, afin que vous puissiez ainsi être fondé et construit sur la folie de la prédication, laquelle est la vraie sagesse, dénuée du bruit fastueux des paroles, mais munie de la vertu efficace et opérante de la Croix. Homélie. 17.
XVII. Souffrances.
St MACAIRE.
Si longtemps quel le propre a lieu dans quelquun, et que même il saccroît, on nest pas encore pauvre desprit et à ne pas sestimer soi-même, mais à se tenir pour abject et méprisable, à sanéantir et à se croire ignorant et dénué de tout, quelques connaissances et quelques dons que lon puisse avoir. Cette disposition doit être comme naturelle et unie inséparablement à lesprit de tous. Ne voyez-vous pas comment notre Père Abraham, personnage choisi de Dieu, avouait quil nétait que (a) terre et que cendre ? Et David que Dieu qui était avec lui avait fait oindre pour Roi, que dit-il de soi ? (b) Je suis un ver et non pas un homme, lopprobre des hommes et le mépris des peuples. Ceux qui comme eux veulent hériter les biens éternels, devenir leurs combourgeois dans la Cité céleste et être glorifiés ensemble, doivent être tous doués de la même humilité de cur et ne pas penser être quelque chose en eux-mêmes, mais avoir tous un cur contrit et brisé. Car bien que la grâce opère différemment dans chacun des Chrétiens qui sont plusieurs, néanmoins comme ils sont tous dune même cité, ils sont tous aussi dune même disposition dâme et dun même (325) langage, et sentreconnaissent mutuellement à ceci. Et comme il y a plusieurs membres dans un corps, mais quil ny a quune âme qui les remue et qui les gouverne, de même ny a-t-il quun seul esprit qui agit en tous, quoiquavec diversité. Tous sont cependant dune même Cité et tous tiennent une même voie.
En effet tous les justes ont marché par la voie étroite et serrée des afflictions : ils ont été persécutés, maltraités, outragés, vivant (a) couverts de peaux de chèvres dans les cavernes et dans les antres de la terre. Les Apôtres de même ne nous disent-ils pas (b) Jusquà présent nous endurons la faim et la soif, nous sommes nus, outragés et errants sur la terre ? Les uns ont été décapités, les autres crucifiés, et les autres affligés en diverses manières. Mais le Seigneur des Prophètes et des Apôtres, oubliant pour ainsi dire sa gloire divine, quelle voie a-t-il tenue ? Voulant être notre modèle, il a porté une couronne dépines quon lui avait mise sur la tête par dérision, il a enduré les crachats, les coups et la croix.
Si Dieu a tenu cette voie-là sur la terre, cest à vous à être son imitateur, et si les Apôtres et les Prophètes ont tenu le même chemin, il faut que nous les suivions si nous voulons être édifiés et établis sur le fondement du Seigneur et des Apôtres, puisque lApôtre nous dit par le mouvement du St Esprit (c) soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Jésus-Christ. Mais si vous aimez la gloire des hommes, si vous désirez den être respecté, si vous recherchez vos aises, (326) et votre repos, vous avez abandonné la voie. Il vous faut être crucifiés avec le crucifié et souffrir avec le souffrant, afin que vous soyez aussi glorifiés avec le glorifié, étant bien juste que lEpouse participe aux maux de son Epoux, pour être aussi participante à ses biens et à lhéritage de Jésus-Christ. Car il nest permis à personne dentrer dans la Cité des Saints, de sy aller reposer, dy régner éternellement avec le Roi de gloire, sans avoir été premièrement affligé, et sans avoir passé par la vie rude et étroite des tribulations. Homel. 12.
XVIII. Transformation.
St CLEMENT DALEXANDRIE.
1. Si nous suivons lEcriture qui est la voie des fidèles, pour devenir semblables au Seigneur autant quil est possible, il ne faut pas vivre de manière commune, mais il faut être purifié des désirs et des voluptés et avoir soin de son âme quil faut consommer (perfectionner) seulement dans ce qui est divin, car lesprit pur et délivré du mal devient capable de recevoir la puissance divine, limage de Dieu se formant en lui. Aux Stromates. Livr. II. P. 443.
2. Il faut que celui-là surmonte les obstacles des désirs et des passions qui doit ne voir plus la gnose de Dieu avec un miroir. Livr. IV. P. 479.
3. Celui qui est établi dans la gnose est semblable à Dieu, autant quil est possible. Il est déjà spirituel et par conséquent choisi, élu, séparé. La même. P. 542.
4. LEcriture dit que cest un holocauste (327) pour le Seigneur que tout homme qui est attiré à la sainteté et qui est éclairé ou enlevé jusquà lunion quon ne peut discerner. Livr. VII. P. 706.
5. Que dirons-nous donc du gnostique, ne savez-vous pas, dit lApôtre (a) que vous êtes le temple de Dieu ? Le gnostique est donc déjà divin et saint, portant Dieu et étant porté de Dieu. La même P. 748.
6. Cest pourquoi dans lusage des choses du monde, non seulement il rend grâce et admire la créature, mais il est loué pour lusage convenable quil en fait. Car la fin quil se propose parvient à la Contemplation par une efficace opération gnostique qui est selon les commandements et par la science, jouissant déjà des richesses de la Contemplation. Ayant reçu avec excès la grandeur de la gnose, il avance vers la sainte récompense de la transmutation, car il a entendu le Psaume qui dit : (b) Entourez Sion et environnez-la, racontez ses tours. Il signifie, comme je crois, que ceux qui reçoivent le Verbe dune manière élevée, seront comme des tours élevées et quils sont affermis dans la foi et dans la gnose. La même. P.749.
7. Celui qui a abandonné lerreur, quia obéi aux Ecritures et qui confie (abandonne) sa vie à la vérité, il devient Dieu en quelque manière dhomme quil était. La même. P.757.
8. Ainsi celui qui obéit au Seigneur, et qui suit linspiration, la prophétie donnée par lui devient parfaitement selon limage du Maître, un dieu conversant dans la chair. La même. P.761.
St MACAIRE.
9. Lorsque lâme est arrivée à la perfection de lesprit, elle est parfaitement purifiée de toutes les passions. Puis unie et mêlée quelle est avec le St Esprit par une communion ineffable, elle est rendue digne de devenir esprit mêlé avec lEsprit Saint, elle est alors toute lumière, tout il, tout esprit, toute joie, toute récréation, toute allégresse, tout amour, toute entrailles de charité, toute bonté, toute clémence. Comme une pierre dans le fond de la mer est environnée deau de tous côtés, de même ces âmes mêlées entièrement avec le St Esprit deviennent semblables à Jésus-Christ, ayant constamment dans elles les vertus de la puissance du St Esprit, sans tâche, sans macule et toutes pures intérieurement et à lextérieur car tant rétablies par le St Esprit, comment pourraient-elles porter de mauvais fruits au dehors ? Tous au contraire, tous les fruits de l Esprit y paraissent perpétuellement avec éclat. Homélie 18.
TRADITION DES SS. PERES DU DESERT
SUR LETAT FIXE DORAISON CONTINUELLE.
Ou
Examen de la neuvième et dixième conférence de
CASSIEN.
Par Mr. De FENELON,
Archevêque-duc de Cambrai.
(331)
EXAMEN
de la neuvième et dixième conférence de
CASSIEN.
Touchant létat fixe doraison continuelle.
SOMMAIRE.
1. De lautorité de Cassien et de celles de ses Conférences. 2. Variété de leur matière.
CONFERENCE IX.
3. Ch. I. II. Sujet de cette Conférence et de la suivante : lOraison continuelle et comment y parvenir. 4. En quoi consiste cette Oraison. 5. En quel sens lOraison peut être continuelle ou non. 6 ; Contradiction apparente de labbé Moïse en la Conférence I et de labbé Isaac en celle-ci. 7. Que labbé Moïse reconnait lOraison continuelle en son véritable sens. 8. Ch. III-VI. La même oraison reconnue par labbé Isaac en cette vie. 9. Ch. VII-XVII. De plusieurs sortes dOraisons. 10. Ch. XVIII. Quil y a un état dOraison plus élevée dont le Pater nest que le chemin. 11. Pur amour dans cet état. 12. Des Ch. XIX-XXIV. 13. Ch. XXV. Que cet état exclut toute distinction. Dabord il nest que passager. 14. Différence entre (332) les communications passagères de Dieu et létat même de lâme. 15. Ch. XXVI-XXX. Passiveté qui exclut les efforts pour la vertu active. 16. Ch. XXXI. Autorité de St Antoine. 17. Ch. XXXII. Certitude du sentiment intérieur dans la voie passive.18. Ch. XXXIII-XXXVI. Avis pour les commençants. Eloge de cette Oraison. Ce qui en reste à expliquer.
CONFERENCE X.
19. Ch I-IV. Quon peut parvenir à cette Oraison très pure qui est sans aucune espèce. 20. Ch. VI. Raison de sa pureté. 21. Ch. VII. Tout y devient Dieu à lâme. Avant-goût de la béatitude. 22. Déification. Union sans moyen etc
conformité des Anciens avec les Mystiques modernes. 23. Ch. VIII, IX. Des éléments pour être introduit en cette Oraison. 24. Ch. X. Formule donnée pour cela et qui comprend toutes pratiques de Religion. 25. Ch. XI. Méditation active de cette formule, suivie de létat passif. 26. Description de cet état et de ses effets. Transformation. 27. Ch. XII, XIII. Instabilité de lâme dans la méditation commune et comment y remédier. 28. Ch. XVI. Mayens actifs pour les commençants. 29. Effets de ces instructions en Cassien. Que personne nest exclu de cette voie. 30. Récapitulation de la Tradition des Pères du désert, exposée en ces deux conférences.
1. Lautorité de Cassien est assez établie dans toute lEglise pour les matières de la spiritualité. Il nest suspect que sur le dogme de (333) la grâce. Encore même est-il facile de monter, que sil a écrit sur ce point en des termes peu corrects, il na fait en cela que ce que les Grecs ont fait : quil a écrit avant les disputes de St Augustin contre les Pélagiens. Quoiquil en soit, plus on le croira défectueux sur la grâce, moins on devra le croire suspect sur létat dOraison passive qui est sans doute, (supposé quil soit véritable) le chef-duvre de la grâce. St Prosper, St Fulgence, Cassiodore, St Jean Climaque, Grégoire de Tours, Pierre Damien, St Dominique, st Thomas, Denis le Chartreux, Bellarmin et beaucoup dautres lont loué magnifiquement. Mais lautorité la plus remarquable est celle de St Benoît qui dans sa Règle le donne, avec St Basile, comme les deux grands Maîtres de la perfection Monastique.
On peut révoquer en doute (car de quoi ne doute-t-on pas ?) si ces Conférences sont de vraies conversations, quil a eues avec ces vénérables Solitaires quil nous représente. Mais enfin on ne peut nier quil nait rapporté dans ces Conférences les Traditions des Solitaires quil avait apprises dans les voyages quil fit pour les voir après la mort de son Maître St Chrysostome. Dailleurs les saints que jai nommés ladmirent dans les choses quil rapporte. Donc on ne peut douter de lautorité des choses quil dit, quand même on douterait que les abbés Moïse, Paphnuce, Isaac, Chemeron etc
les lui eussent enseignées en détail.
2. Ces Conférences ne sont point liées les unes aux autres, ni par la conformité des matières, ni par un ordre suivi. Les unes sont (334) des discours dun abbé, les autres dun autre, sur des matières détachées. Chacun deux peut avoir eu ses pratiques, ses lumières, ses traditions. De ce que Moïse ne croit pas une chose, il ne sensuit pas quIsaac ne la puisse croire, et quelle ne soit vraie selon Cassien. Il peut même se faire que lun découvrira à Germain et à Cassien des mystères que lautre nosera leur découvrir. Cela dépend des occasions et des marques que ces deux voyageurs peuvent avoir données à lun de ces abbés plutôt quà lautre, de leurs dispositions, pour recevoir avec fruits les mystères cachés.
CONFERENCE NEUVIEME.
3. Je commence par la neuvième Conférence qui nest avec la dixième quune seule explication, suivie dun certain genre dOraison.
Cassien dit dabord au chapitre I quil avait déjà promis dans ses Institutions dexpliquer ce quil explique ici, et il y déclare même (a) quil en jette là par avance quelque fondements, afin que sil venait à mourir sans avoir accompli son dessein, tout ne fut pas perdu. Vous voyez quil sagit de quelques dons précieux : De perpetua Orationis atque innecssabili $$$$jugitate, quod in $$$$$$ Institutionum libro promissium est. ( Jai promis, dit-il, dans mon second livre des Institutions de parler de al perpétuelle continuité dOraison sans interruption)
Voilà donc une chose importante, préparée de loin et qui fait le sujet de ces deux Conférences IX et X. (335) Il sy agit de la perpétuelle continuité dOraison sans interruption. On ne peut dire que ces termes ne soient assez précis et assez décisifs. On ne peut les accuser que dêtre un grand pléonasme, perpétuelle continuité.
Remarquez quil dit que cet ouvrage est plus long ($$$) quil ne lavait prétendu, sétant appliqué non seulement à dire succinctement ce quil fallait dire, mais encore à taire beaucoup dautres choses : studentibus nobis non solum sermone succindo $$$$$perstingere, sed etiam purim silentio $$$. Cest donc par ces deux Conférences, faites exprès pour traiter la matière, quil faut$$$$de ce quil nen est dit ailleurs quen passant. Mais il ne faut pourtant pas croire quil développe à fond tous les mystères de la vie intérieure quil a appris, car il déclare quil veut tenir dans le silence beaucoup de ces choses :$$$silentio praeterire.
La fin que le Moine se propose, dit Cassien (ou plutôt labbé Isaac, chap. II.) et la perfection de son cur, cest de tendre, autant que la fragilité humaine le permet, à la persévérance sans interruption dans lOraison, à limmobile tranquillité de lâme et à la perpétuelle pureté : $$$ Monachi finis cordisque perfectio ad jugem atque$$$$$Orationis perseverantiam tendit et quan$$$ humanae fragilitati conceditur, ad immobilem $$$$$ mentis ac perpetuam nititur puritatem. Ensuite il répète encore quil veut expliquer comment on peut acquérir et consommer cette perpétuelle et continuelle tranquillité dOraison (acquiri et consummari perpetua Orationis jugis$$$ tranquillitas). Et il assure que lOraison et les vertus sont inséparables, en sorte quon ne (336)parvient à ce genre dOraison perpétuelle et sublime quaprès avoir vidé du cur tout ce quon en arrache en le purgeant et tous les débris des passions mortes : nisi egesta prius omni repugatione vitiorum mortuisque ruderibus passionum.
4. Il ne faut pas simaginer que cette Oraison sans interruption, dont il parle et que (a) St Paul après Jésus-Christ a recommandé soit une contention perpétuelle desprit pour navoir jamais dautre objet de sa pensée que Dieu seul. Je ne dirai pas que cette Oraison soit absolument impossible, car (b) rien nest impossible à Dieu. Mais je dis quelle ne convient ni aux hommes engagés aux devoirs de la vie civile, ni même aux solitaires qui sont obligés dobéir. Cependant on ne peut douter quil ny ait un genre dOraison continuelle qui est possible et même recommandés aux Chrétiens. Il faut donc quil y ait une certaine disposition fixe et habituelle de lâme, toujours tournée vers Dieu par état, qui soit cette Oraison continuelle et que les affaires ni même les distractions continuelles ne puissent interrompre. Il faut quelle dure, lors même que lâme ne laperçoit point et que limagination présente dautres objets. Cest une tendance secrète et continuelle de la volonté vers Dieu qui nest point un mouvement interrompu et par secousse, mais une pente habituelle et uniforme qui fait que la volonté, par son état et par son fond ne veut plus que Dieu et le laisse sans cesse faire tout en elle.
Cette union à Dieu ne peut être ni par effort, (337) ni par excitation du cur, ni par contention desprit, ni par une vue distincte. Rien de tout cela ne peut être absolument continuel, car tout ce qui est distinct et marqué ne lest que par être différent de ce qui précède et de ce qui suit, doù il faut conclure que toutes ces choses distinctes ne sont que passagères. Aussi voyons-nous que ceux qui parlent de cette Oraison sans interruption ne veulent pas même la nommer union, mais unité pour en exclure toute action distincte. Cest ce que dit St François de Sales (a). Cest pour cela que le même Saint dit que lOraison dont il parle dure même en dormant (b) Cest cette présence de Dieu que lEcriture représente comme continuelle dans certains hommes de lAncien Testament (c) : ils marchaient en la présence de Dieu. Toute leur voie, toute leur conduite, toutes leurs actions communes nétaient que présence de Dieu.
On ne pense pas toujours à la lumière, mais on la voit toujours sans réflexion et cest par elle quon voit tout le reste. Il en est de même pour certaines âmes. Elles ne pensent pas toujours à Dieu dune pensée distincte et aperçue, mais elles en ont toujours une certaine occupation dautant plus secrètes et confuse quelle est plus intime et devenue plus naturelle. Ils ne font point des actes damour, mais ils aiment sans penser à aimer, comme tous les hommes aiment sans cesse à être heureux, sans chercher distinctement (338) ni plaisir, ni intérêt, ni bonheur. Lâme pénétrée de Dieu est de même pour lui. Voilà donc un état où lon fait Oraison en tout temps et en tout lieu sans intermission. Cest-à-dire que toutes les fois que lâme saperçoit elle-même, elle se trouve non pas disposée à faire des actes, mais dans une conversion constante, habituelle et fixe vers Dieu qui est une espèce dunité avec lui. Dans le moment où lâme aperçoit Dieu, elle ne commence point à sunir, mais elle se trouve déjà toute unie et elle sent quelle la toujours été, lors même quelle ny pensait pas actuellement. Voilà ce que tous les Mystiques appellent état doraison continuelle.
5. Outre cette Oraison sans relâche, il y en a une plus formelle et plus expresse que lon fait en certains temps destinés à cet exercice. Alors lâme est plus occupée de Dieu parce quelle lest uniquement et que tout autre occupation est suspendue. Cette Oraison plus expresse se fait ou dans les temps réglés si on est dans un état actif, ou dans les temps que lEsprit intérieur marque par son attrait si on est dans un état passif.
Quand on a démêlé ces deux sortes dOraison dans une même personne, on na pas de peine à comprendre les manières de parler qui naissent naturellement de cette double Oraison. En un sens, il est vrai de dire que lOraison nest jamais interrompue ; en un autre sens, il est vrai de dire que lOraison ne peut être continuelle en cette vie, que cest létat des Bienheureux et quici bas, on est souvent distrait de lOraison. Ces deux manières de parler sont également vraies et ne se contredisent quen apparence. Le langage humain est rempli de ces apparences contradictoires.
(339)
6. Cest par là quil faut entendre la contradiction apparente de Cassien. Il fait parler dans cette neuvième Conférence labbé Isaac sur lOraison continuelle dans les termes les plus forts, et dans la première il dit quelle est impossible.
Germain demande à Moïse : (a) Qui est-ce qui peut dans cette chair fragile être toujours attaché à la Contemplation, en sorte quil ne pense jamais à larrivée de son frère, à la visite dun malade, au travail des mains, ou à lhospitalité quil faut exercer vers les étrangers ? Nous désirons dêtre instruits comment lesprit nest point distrait par les soins du corps, comment il peut être attaché inséparablement à Dieu invisible et incompréhensible.
Moïse répond : (b) Il est impossible à lhomme dans cette chair fragile dêtre attaché continuellement et inséparablement à Dieu et à sa contemplation, en la manière que vous le dites (quemadmodum dicitis). Voilà une restriction quil faut bien remarquer et sans laquelle Moïse se contredirait grossièrement lui-même. C'est-à-dire quon ne peut ici bas penser toujours actuellement à Dieu, sans être interrompu par les distractions du sommeil, des affaires, des objets extérieurs, des besoins de la vie. Il faut obéir, consoler et secourir le prochain etc
Ainsi lOraison de la terre a des distractions involontaires, au lieu que celle du ciel na aucune distraction.
7. Je dis que Moïse se contredirait sil ne reconnaissait pas une Oraison perpétuelle. En voici la preuve. En parlant (c) à Cassien et à (340) Germain du renoncement que les Solitaires refusent à Dieu sur les petites choses, après lavoir fait pour les grandes, le même Moïse dit : cela narriverait point sils conservaient la contemplation fixe dun cur pur, c'est-à-dire une union à Dieu par un cur détaché de tout ce qui nest point lui et une union qui ne fut point passagère, mais fixe, habituelle et uniforme. Le même dit (a) bientôt après quil faut éviter comme nuisible tout ce qui trouble cette tranquillité et pureté dâme, quelquutile et nécessaire quil paraisse. Voilà sans doute lexclusion constante des meilleurs pratiques de la voie active, qui altéraient ou interrompaient la consistance de lâme dans un état de détachement universel et de tranquillité. La raison quil en rend est encore plus remarquable : cest, dit-il, que les jeûnes, les veilles, la méditation de lEcriture, la privation de tous les secours ne sont pas la perfection mais les instruments et moyens de la perfection. Ce nest pas en ces pratiques que consiste la fin de notre discipline, elles nen sont que le chemin, le terme comme vous le voyez, quil faut préférer aux moyens cest la tranquillité et la pureté de lâme.
Aussi Cassien avait-il dit (b) dès le commencement que cet abbé Moïse était embrasé non seulement par lactuelle Contemplation, mais encore parla vertu contemplative. Vous voyez quil distingue la vertu contemplative, qui est loraison habituelle et continuelle, de la Contemplation actuelle qui est le temps où lon suspend toute autre occupation pour contempler.
Il ajoute que Moïse nouvrait point la porte (341) de la perfection à ceux qui ne la souhaitaient pas, ou nen étaient altérés quavec tiédeur, ni aux indignes, ni aux dédaigneux, de peur de paraître un homme qui se vante, ou de trahir le mystère. On ne saurait trop souvent remarquer cette économie et ce secret sur la perfection.
Ce même Moïse est si éloigné de condamner ce que nous verrons dans la doctrine de labbé Isaac sur lOraison, quen parlant de Marthe et de Marie, il dit (a) que la part de Marie ne lui sera jamais ôtée, savoir la Contemplation. Vous voyez que le Seigneur a mis le principal bien dans la Contemplation seule, in sola Theoria, id est in Contemplatione divina. Le mot de SOLA est bien fort. Voici sa conclusion encore plus forte.
Ainsi quoique nous jugions les autres vertus nécessaires et utiles, nous ne croyons pourtant les devoir mettre quau second degré, parce quon ne les cherche toutes quen vue de cette chose unique dont Jésus-Christ dit : (b) Marthe, Marthe, vous vous mettez en peine de plusieurs choses, il ny en a quune nécessaire. Il a mis le souverain bien non dans le travail, quoique louable et abondant en fruits, mais dans la Contemplation qui est véritablement simple et une. Il déclare quil faut peu pour cette parfaite béatitude qui est la Contemplation.
Dabord elle est dans la considération dun petit nombre d e Saints. Puis celui qui est encore dans le progrès sélève et parvient par le secours divin à ce qui est appelé un, c'est-à-dire au regard de Dieu seul, afin que passant au-dessus des actions des Saints et de leurs fonctions admirables, il se repaisse désormais de la beauté et de la (342) et de la science de Dieu seul. $$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$.
Si on demande des preuves littérales, on na quà bien peser en toute rigueur grammaticale la force exclusive de ces termes, jam solius dei. Le JAM signifie DESORMAIS et emporte lavenir absolu ; et SOLIUS DEI exclut toute médiation des mystères et des exemples. Cest comme quand St Pierre dit : (a) ut jam non $$$$$hominum$$$$$$.
Il est donc clair quil y a une Oraison continuelle que Moïse exclut et que nul mystique moderne na jamais avancé, du moins, je nen ai vu aucun. Il y a une autre Oraison continuelle que non seulement il ne condamne pas, mais quil autorise comme la vraie perfection, à laquelle il faut tendre dès cette vie. Voilà ce qui regarde labbé Moïse expliqué par lui-même.
Revenons à labbé Isaac dans la neuvième Conférence où nous verrons quelle est cette Oraison continuelle que le Solitaire doit croire non seulement possible ici-bas, mais encore quil doit regarder comme lunique but de la vie monastique.
8. quand il parle dun but, il ne veut point parler dun but auquel on atteint après la mort, mais dun but quest dès cette vie la perfection de létat monastique et après lequel il ne reste plus rien. Car le but est le lieu où lon sarrête. Cest ce que nous allons voir.
Comme il a posé pour fondement de la Contemplation, la purgation des vices et lacquisition (343) des vertus, il traite dans le chap. III de la pureté qui prépare à lOraison. Dans le IV, il compare lâme à une plume qui ne peut être enlevée par le souffle de lEsprit de Dieu si elle est appesantie par lhumidité terrestre. Dans le V, il traite les causes qui appesantissent lâme. Dans le VI, il rapporte lhistoire dun vieillard quil finit en disant que dautres affections empêchent lunion avec Dieu. Elles ne permettent pas, dit-il, que le Solitaire quittant la lie terrestre respire vers Dieu dans lequel son intention doit être toujours fixe. Il doit croire que la moindre séparation de ce Souverain Bien lui est une mort présente et très funeste : Non sientes deposita face terrena, ad Deum, in quo debet semperesse fixa intentio, respirare monachum, cui ab illo summo bono vel parva separatio, mors praesens ac perniciosissimus est interitus credendus. Voilà sans doute un but auquel on arrive, puisque le moindre instant qui en sépare, quand on y est arrivé, est une mort funeste.
Voici comment il conclut. Quand lâme sera fondée dans une telle tranquillité, dégagée de tous les liens des passions charnelles et attachée à cet Unique Souverain Bien par cette très tenace intention du cur, tenacissima cordis intentione, elle accomplira cette parole de lApôtre : (a) Priez sans intermission. Voilà donc un enseignement de lApôtre qui saccomplit ici-bas par un regard fixe de Dieu seul en lui-même, par une intention qui ne lâche jamais prise tenacissima intentione. Il nest pas question dêtre dans cette Contemplation passagèrement, il faut y être établi, y être immobile, y être fondé avec tranquillité, et (344) garder la moindre interruption, comme la mort de lâme.
Dans cette pureté, dit-il, le sens de lesprit étant pour ainsi dire absorbé, sensu mentis absorpto, et étant purifié de limpureté terrestre, pour être transformé en une ressemblance spirituelle angélique, tout ce que lâme reçoit, tout ce quelle traite, tout ce quelle fait sera une très pure et sincère Oraison.
On ne peut plus douter que dans cette disposition fixe et habituelle de lâme, il ne reconnaisse une Oraison en cette vie sans aucune interruption. Cette Oraison ne se fait point par ne faire jamais autre chose. Si on prenait lOraison en ce sens, elle serait souvent interrompue et il ny a que les Bienheureux qui la fassent ainsi. Mais cest une Oraison secrète et intime qui se trouve dans toutes les actions communes de la vie. Ce nest pas encore assez dire. Il faut ajouter quen cet état tout ce quon fait de plus commun est cette très pure Oraison, rien en peut linterrompre que les distractions. Tant que la volonté nest point distraite, lâme demeure dans son intention qui ne lâche jamais prise, tenacissima cordis ontentione. Et elle nest point détournée de son Oraison par les égarements involontaires ni des sens, ni de limagination, ni même de lesprit ou pensée. Voilà précisément ce que disent les Mystiques modernes. Ils nen demandent pas davantage.
9. Dans le VII. Chap., il examine sil est plus difficile de garder les bonnes pensées que den exciter. Vous voyez que cela va toujours peu à peu au but, qui est la présence habituelle de Dieu. Dans le VIII. Chap., il propose plusieurs sortes (345) dOraison. Dans le IX, il en marque quatre sortes dont St Paul (a) a parlé, savoir les Obsécrations, Oraisons, Postulations et Actions de grâces. Il les explique toutes dans le X, et dans le XI, dans le XII, XIII, XIV, XV et XVI. Il dit dans le XVII que Jésus-Christ a prié de ces quatre sortes dOraison pour nous en donner lexemple. Doù il faut conclure quil ne sensuit pas quune Oraison soit la plus parfaite de ce que Jésus-Christ la pratiquée. Car il dira ensuite quil y a une autre sorte dOraison, au-dessus de ces quatre sortes ci-dessus marquées.
10. Dans le XVIII chapitre, il dit quil y a un autre état plus élevé et plus sublime que ces espèces de supplications : sublimior adhuc statu sac praecesior subsequitur.
Voilà le terme dETAT sur lequel on fait tant defforts inutiles et de subtilités. Cest un état plus élevé que celui de ces quatre autres Oraisons, et le mot de SUBSEQUITUR marque un ordre, une suite et des degrés subordonnés dans la vie intérieure. Mais quel est cet état sublime ? Il se forme, dit-il, par la Contemplation de Dieu seul et par lardeur de la charité : lâme résolue en cet amour et jetée très familièrement en Dieu, converse avec lui comme avec son Père dans une piété singulière : contemplatione Dei solius et caritatis ardore formatur, per quam mens in illius delectione resoluta et tejecta familiarissime Deo velut Patri proprio, peculiari pietate colloquitur.
Voilà la Contemplation de Dieu seul à lexclusion de toute autre chose, quelquutile et nécessaire quelle paraisse, comme le disait labbé Moïse. La voilà cette Contemplation par état tranquille (346) et immobile. Elle se fait par une purgation et réformation de lhomme en la ressemblance des anges. Les mots de RESOLUTA et de REJECTA représentent lâme fondue et jetée passivement dans le pur Amour. Cest ce qui produit une familiarité incompréhensible avec Dieu. Voilà sans doute lOraison sans interruption qui aime toujours, qui prie toujours suivant le principe de st Augustin, qui se laisse toujours passivement à lEsprit de Dieu, ne cesse point daimer en la manière la plus parfaite, ni par conséquent de prier. Celui en qui Dieu opère sans cesse et qui se délaisse sans cesses totalement à lopération divine, ne laisse point dêtre dans la plus pure et la plus sincère Oraison, quoiquil nait pas toujours une pensée actuelle et distincte de Dieu. La formule, dit-il, de lOraison Dominicale nous a appris à rechercher soigneusement cet état. Voilà le mot dETAT encore répété. LOraison Dominicale nest quune formule à laquelle il ne faut point se borner. Elle ne nous est donnée que pour chercher cet état de Contemplation avec grand soin. Elle nen est que le moyen, la voie, la formule préparative. Ensuite il explique en détail le Pater. Il dit que quand nous serons élevés à cet ordre et à ce degré des enfants, in quem filiorum ordinem gradumque provecti, illa continua que $$$$bonis filiis pietate flagrabimus : nous serons brûlants de cette piété filiale déjà marquée ci-dessus et le terme de CONTINUELLE nous fait reconnaître cette Oraison continuelle, dont le Pater nest que le chemin.
11. Quand nous serons arrivés, nous ne répandrons plus alors nos affections pour nos propres utilités, mais pour la gloire de notre Père, sanctificetur nomen tuum. Voilà sans doute lamour pur (347) et désintéressé qui ne se compte plus pour rien, témoignant dit-il que tout notre désir et toute note joie est de al gloire de notre Père, imitant celui qui dit (a)Quiconque parle de soi-même cherche sa propre gloire, etc
St Paul, vase délection, plein de ce sentiment, souhaite (b) dêtre anathème par Jésus-Christ pour ses frères, pourvu quil lui acquière une nombreuse famille. Michée (c) veut être menteur et aliéné de linspiration du St Esprit, pourvu quil détourne de dessus le peuple de Dieu les plaies quil a prédites. Moïse dit : (d) Ou remettez-leur cette faute, ou si vous ne le faites, effacez-moi de ce livre que vous avez écrit.
Voilà trois exemples dhommes qui ont renoncé pour Dieu à tout intérêt sans exception. Cest ainsi quil faut que le Contemplatif aime Dieu : il ne dit le Pater que pour entrer dans cet amour. Voilà labandon total et lOraison continuelle qui sont inséparables. Mais enfin voilà un état où lâme ne forme plus aucun désir ni demande pour elle-même. Cet état nest pas celui de lâme qui dit le Pater, car le Pater a encore vers la fin diverses demandes, mais cest un état dimmobile tranquillité, dOraison pure et continuelle, de regard fixe de Dieu seul, état auquel le Pater prépare lâme fidèle.
12. Dans le chapitre XIX et XX, il explique les demandes du Pater, et il dit que quand on prononce ces mots : Que votre volonté se fasse sur la terre comme dans le ciel, lOraison, dit-il, ne peut être plus grande. Ce sera alors, dit-il, que saccomplira (348) ce que dit Isaïe : (a) Omnis voluntas fiat in eis. Après avoir examiné les demandes du reste du Pater dans les chap. XXI, XXII, XXIII, XXIV, il remarque dans ce dernier chapitre quil ne faut demander rien de temporel. Donc létat suivant qui exclut toute demande pour notre utilité exclura même les demandes pour lutilité spirituelle.
13. Le Chap. XXV doit être rapporté tout entier, tant il est fort. Cette Oraison, dit-il, parlant de la Dominicale, quoiquelle paraisse contenir la plénitude de la perfection comme étant instituée par lautorité du Seigneur, élève néanmoins ses domestiques à cet état plus élevé que nous avons marqué (cet état dimmobile tranquillité, lOraison sans intermission, le pur amour, la fonte de lâme), et les mène à cette Oraison de feu connue et éprouvée de très peu de gens. Ou pour mieux dire, à cette Oraison ineffable par léminence de son degré, laquelle transcendant au-dessus de tout sens humain nest plus distincte ni par le son de la voix, ni par le mouvement de la langue, ni par aucun mot articulé. Ceci nexclut pas seulement lOraison vocale, mais encore toute distinction de terme et toute expression même intérieure. Cest ce que signifie le mot dineffable. Cest une Oraison que lâme éclairée par linfusion de cette lumière céleste ne désigne plus par les expressions humaines qui sont trop étroite, mais quelle répand largement comme dune abondante fontaine, par des sentiments conglobés et quelle pousse ineffablement au Seigneur, produisant dans ce très court moment tant de choses que lâme ne peut facilement (349) ni les exprimer, ni même les parcourir, quand elle est revenue à elle. Javoue que voilà un état qui nest encore que passager et court : lâme revient à elle-même, mais cet état est au moins passif puisque par linfusion céleste les sentiments sont conglobés. Commençons par établir bien cet état pour le connaître dans toute son étendue, puis nous examinerons si ce qui est dabord passager devient dan la suite fixe et habituel.
14. Il faut même remarquer quil y a non seulement dans les commençants, mais encore dans les âmes consommées une extrême différence entre les communications que dieu leur fait et létat de volonté en eux.
Les communications divines sont souvent passagères et courtes, elles vont, elles viennent, dieu les donne, il les ôte : ce nest point là létat. Létat, cest limmobilité de lâme toujours pure et détachée de tout ce qui nest pas Dieu, toujours également tranquille, soit que lEsprit souffle ou ne souffle pas pour les communications distinctes, toujours fidèlement passive pour se prêter à toutes les opérations divines. Voilà létat qui est une disposition habituelle et qui nempêche pas que lâme après certaines communications ne demeure comme vide et dans un état où elle revient à elle, non pour sen occuper par quelque intérêt pais pour voir ce que dieu lui montre quil a opéré en elle. Cette vue de foi en cette manière, loin dêtre une interruption de la passiveté en est un exercice très pur.
15. dans le chapitre XXVI, il reprend les choses de la voie active pour arriver au but, il parle des moyens dexciter la ferveur. Le chapitre (350) XXVII continue la même matière. Le XXVIII et le XXIX parlent des larmes.
Le XXX est remarquable. Il ne faut pas néanmoins, dit-il, extorquer ainsi cette profusion de larmes de ceux qui ont déjà passé au-delà de laffection des vertus, ni chercher beaucoup ces gémissements de lhomme extérieur, lesquels quand même ils seraient excités, de quelque manière que ce soit, ne pourront jamais atteindre à cette profusion de larmes qui coulent delles-mêmes, car distrayant par leurs efforts lâme de celui qui est en Oraison, elles le rabaissent le plongeant en bas et le font déchoir de cette sublimité céleste dans laquelle lâme de celui qui prie, étonné, doit être fixe indéclinablement et en relâchant son attention la feront languir pour des petites gouttes de larmes stériles et contraintes. Voilà sans doute ce que les Mystiques appellent passiveté qui exclut les efforts. Les larmes excitées ne sont rien en comparaison des données. Il ne faut point chercher ces dévotions sensibles dans ceux qui ont passé au-delà de laffection des vertus. Il y a donc un état où cette affection des vertus nest plus de saison. En cet état toute vertu excitée rabaisse lâme, la distrait, relâche son attention, la plonge en bas, la fait déchoir de la céleste sublimité, la fait languir dans des pratiques forcées et stériles. Mais quelle est donc cette céleste sublimité ? Cest dêtre étonné, cest dêtre fixe indéclinablement. Les Mystiques quon croit les plus outrés nont jamais rien dit de plus fort. Voilà un regard fixe et indéclinable quil ne faut pas interrompre même pour sexciter à la pénitence. Si les actes les plus essentiels de la vertu active ne doivent plus linterrompre, qui est-ce qui linterrompra ?
16. après avoir avancé une chose si hardie, il (351) sent quil a besoin de quelque autorité. Cest pourquoi dans le chapitre XXXI, il cite la plus grande quon puisse citer sur la vie intérieure, après celle des apôtres et des hommes Apostoliques : (a)Ut orationis verae percipiatis affectum, non meam vobis, sed Beati Antonii sententiam proferam. St Antoine, dit-il, persévérait tellement dans lOraison quil se plaignait quand le jour commençait à paraitre. Voici, dit Cassien, une sentence de lui qui est céleste et plus quhumaine sur le but de lOraison. LOraison nest point parfaite quand le Solitaire aperçoit encore quil prie, ou ce quil prie : Non est perfecta in qua Monachus, vel hoc ipsum quod orat intelligit.
Vous voyez quil apporte cette autorité, pour exclure les vertus excités de cette sublime Oraison, et il ajoute que cette Oraison dont parle St Antoine est celle quil a entrepris dexpliquer savoir la perpétuelle immobilité de lâme.
17. Le chapitre XXXII montre combien Isaac entend parler dune voie passive. Lors, dit-il, que nulle hésitation ne nous arrêtera dans la prière et ne nous fera désespérer de notre demande, si nous sentons dans le moment de notre demande que nous obtenons ce que nous demandons, ne doutons point que notre prière nait pénétrée efficacement jusquà dieu. Chacun méritera dêtre exaucé et dobtenir autant quil croira être regardé de Dieu et que Dieu peut lui accorder. Car cette parole du Seigneur est irrévocable : (b) tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous le recevrez etc
(352)
Il réduit tout au sentiment intérieur. Dans la voie active, ce serait présomption, ce serait tenter Dieu. Il veut que le mouvement intérieur fasse une pleine certitude : il faut que ce soit une chose inspirée. Aussi voyons-nous que St Clément dit (a) que son Gnostique na pas encore achevé sa demande, quelle est exaucée suivant cette Parole du Seigneur : (b)Avant quils crient, je les exaucerai. Le même Esprit qui désire et qui demande dans lâme passive exauce dans le moment. On ne peut point parler ainsi des demandes de la voie active, que notre esprit excite en nous et que Dieu rejette souvent.
La promesse de Jésus-Christ prise dans toute létendue de la lettre ne regarde que les demandes que son Esprit intérieur imprime en nous, elles sont toutes exaucées à cause de la révérence de lEsprit qui les fait.
Pourvu que nous nhésitions point dans la foi, quand elle nous est ainsi mise au cur et que notre esprit par ses doutes narrête point limpression soudaine de celui de Dieu, nous transporterions des montagnes selon sa promesse.
Il paraît par là quIsaac demande même des commencements de voie passive, dans les choses qui sont encore de la voie active. Il conclut (au chapitre XXXIV) quil faut finir toutes les demandes en disant à Dieu : (d) Verumtamen non sicut ego volo. Sed sicut tu. Néanmoins quil arrive selon votre volonté et son selon la mienne.
18. Le XXXIII, XXXIV, et XXXV chapitres parlent des dispositions avec lesquelles il faut (353) prier et de ce quil faut prier en secret pour être plus recueilli et pour nêtre point de vu du prochain.
Le XXXVI et dernier chapitre recommande une Oraison fréquente et courte : frequenter quidem,sed breciter est orandum, ne immorantibus nobis, inserere aliquid nostro cordi infidiator possit inimicus. Vous voyez quil sagit de ceux qui commencent cette voie dOraison quil a entrepris dexpliquer dans toute cette Conférence. Une trop longue Oraison pourrait donner prise à lennemi dans une âme encore imparfaite. Cest aussi ce que les Mystiques modernes recommandent aux commençants pour lOraison du silence. Ils veulent quils ne la fassent pas trop longtemps et quils reprennent même la Méditation.
Au reste cette Oraison est selon lui loblation salutaire, les libations pures, le sacrifice de justice et de louange, les véritables victimes, lholocauste etc
, en un mot toute la Religion.
Quoique la Conférence eut beaucoup duré, dit Cassien, et que plusieurs choses nous parussent au-dessus de la mesure de notre faiblesse, nous crûmes pourtant la conférence courte à cause de la sublimité et de la difficulté de la matière, étant plus étonnés que remplis de ces saints discours, nous allâmes etc
devant retourner dès le point du jour, pour demander une plus ample instruction, nous réjouissant des préceptes déjà reçus et de la certitude de ceux qui nous étaient déjà promis , car nous avions aperçu quIsaac nous avait seulement montré par avance (praemonstratam) lexcellence de cette Oraison, mais que nous nen avions point entièrement compris lordre et la vertu, par laquelle il faut (354) acquérir et conserver sa perpétuité : ordinem vero atque virtutem, qua etiam perpetuitas ejus vel acquirenda vel teneda, necdum nos integre percepisse illis disputationibus senseramus.
Voilà donc létonnement naturel à des hommes à qui cette doctrine de lOraison avait été jusqualors inouïe. Cassien et Germain en sont dabord plus étonnés quinstruits. Limpatience dachever suit de près la surprise. Ils avaient entendus bien des choses nouvelles, mais ils ne comptaient quil sen fallait beaucoup quils ne sussent tout. Isaac leur avait promis dachever dans une nouvelle Conférence. Ils navaient encore vu que comme par avance lexcellence de cette Oraison. Il sagissait de bien entendre son ordre et sa vertu. Son ordre signifie sans doute par quels degrés on y parvient, sa vertu marque létat où elle doit y opérer. Cet ordre et cette vertu ont besoin dêtre bien compris parce quil faut en acquérir la perpétuité, si on ne la pas encore, et la conserver si on la déjà.
Voilà donc sans doute lOraison de simple présence de Dieu, sans retour sur soi, sans désir, sans demande distincte ; telle quIsaac la dépeint dans St Antoine et dans les autres Solitaires les plus parfaits. Jusquici nous navons pas encore entièrement vu un état habituel et fixe. Mais cest ce qui est réservé à la X Conférence : car la perpétuelle immobilité de lâme est lunique fin dans ces deux discours.
CONFERENCE DIXIEME.
19. Dans le I chapitre, il avertit quil mêle exprès aux sublimes instructions des Anachorètes (355) certaines digressions, cest pour les éclaircir, de même que St Clément. Dans le II, il parle de la coutume de lEgypte pour célébrer la Pâque. Dans le III, il raconte lhistoire de Sérapion. Cassien et Germain demandent à Isaac une instruction nouvelle pour parvenir à cette qualité dOraison dont il leur avait parlé si magnifiquement. Elle nous étonne, disent-ils et nous ne savons comment y parvenir.
Dans le V, Isaac parle de lerreur des Gentils sur la Divinité, de celle des Anthropomorphites et passe au Catholique qui peut parvenir, dit-il, à cette très pure qualité dOraison qui ne mêlera dans sa supplication, non seulement aucune image de la Divinité, (ce quil nest pas même permis de dire), no aucun linéament corporel, mais encore admettra mais encore admettra en soi la mémoire daucune parole et daucune action, ni lespèce ou forme daucun caractère : Nec ullam in se memoriam dicti cujusdam, vel facti speciem seu formam cujuslibet caracteris admittet.
Voilà manifestement une qualité dOraison qui exclut toute méditation des mystères même de Jésus Christ. Car on ne peut les méditer sans mémoire des paroles et des faits. Cette Oraison est la plus pure, et on peut y parvenir : ad illam orationis purissimam perveniet qualitatem.
20. Dans le chapitre VI, il dit que cest à proportion de cette pureté que chacun sélève et se forme dans lOraison, cest-à-dire quil se retire de la considération des choses matérielles autant quil est pur et quil regarde Jésus, par des regards intérieurs, ou comme dans sa chair, ou (356) comme glorifié : si nous avons connu, dit St Paul, le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus de même. Nous voyons un dessein suivi, il sagit de la plus pure Oraison qui nadmet plus ni espèce, ni mémoire, ni trace daucun fait ni daucune parole distincte. En cet état on ne regarde plus le Christ selon la chair ? Ceux-ci, dit Isaac, sont seuls à contempler sa Divinité avec des yeux très purs, sélevant au-dessus des uvres basses et terrestres ; ils se retirent avec lui dans la solitude dune haute montagne. Il révèle par une foi très pure la gloire de sa face à ceux qui méritent de la voir par les yeux très purs de lâme. Les troupes du peuple le voient aussi, mais non dans cette clarté, ne pouvant monter sur la montagne. Retirons-nous donc avec lui, dit Isaac, afin que dans ce corps mortel nous ayons une ressemblance de la béatitude promise, et que Dieu nous soit toutes choses en tout.
21. Voici le VII, tout entier. Cette demande du Seigneur sera alors parfaitement accomplie en nous, cette Oraison, dis-je, par laquelle il demande à son Père : (b) Que lamour dont vous mavez aimé soit en eux et eux en nous, et encore : Quils soient un , comme vous êtes en moi et moi en vous, que de même ils soient un en nous. Cette prière, dis-je, saccomplira quand le parfait amour de Dieu, dont il nous a aimés le premier passera dans notre cur, la demande du Seigneur que nous ne croyons point pouvoir être sans effet étant accomplie. Cela arrivera lorsque tout amour, tout désir, toute affection, tout effort, toute pensée en nous, tout ce que nous voyons, (357) disons, espérons, sera Dieu. Et que cette unité qui est maintenant du Père avec le Fils et du Fils avec le Père sera transfuse dans notre âme. Afin que comme il nous aime dune sincère, pure et indissoluble charité, nous soyons de même unis à lui par une charité perpétuelle et inséparable, étant unis à lui, en sorte que tout ce que nous espérons, concevons et disons soit Dieu, arrivant de la sorte à la fin ci-dessus marquée, dont le Seigneur dans sa prière a désiré laccomplissement : Quils soient un comme nous ne sommes quun, moi en eux et eux en moi afin quils soient aussi consommés en un. Telle est, dit Isaac, l destination du Solitaire ; tel est le but auquel il doit tendre, afin quil mérite de posséder dans ce corps limage de la future béatitude et goûter par avance dans ce petit vase en quelque manière un arrhe de la conversation et de la gloire céleste : cest là, dis-je, le terme de toute perfection que lâme soit tellement extenuée de tout ce qui est charnel quelle sélève chaque jour aux choses spirituelles, jusquà ce que toute sa conversation et tout le mouvement de son cur soit une seule et continuelle Oraison.
22. Voilà un amour fixe, indissoluble, inséparable, très permanent. Voilà la perpétuelle et immobile tranquillité en Dieu dans ce corps mortel. Voilà ce que les Mystiques après St Denis(a) et St Clément(b) nomment la Déification de lâme. Alors tout ce quelle voit est Dieu, tout ce quelle opère est Dieu. Combien ces expressions (358) dans un mystique moderne scandaliseraient-elles un docteur spéculatif et sans expérience ? Mais on les lit dans les Anciens sans les remarquer, parce que ce nest pas ce quon y cherche. Voilà ce que les Mystiques veulent dire quand ils parlent dune union sans moyen. On ne tient plus à Dieu par les dons, mais par lui-même et par lamour du Père et du Fils transfus en nous. On ne sunit plus à Dieu par efforts passagers, par actes réfléchis et interrompus, mais on y demeure toujours habituellement et inséparablement uni. On est un avec lui, comme le Fils avec le Père. On est consommé dans lunité, et ce qui est très remarquable, cest que Cassien emploie précisément le même passage que les Mystiques modernes, pour prouver cette Déification ou cette consommation de lâme. Que si on doute encore de cet état fixe et habituel, javoue que je ne connais plus de terme dans le langage des hommes au-delà de ceux que Cassien répète tant de fois pour prévenir les doutes.
Voilà la multiplicité des actes passagers et réfléchis damour, de désir, despérance, de vigilance, tous les efforts, toutes les demandes, toutes les pensées, toutes les opérations intérieures réduites à quelque chose qui est uniquement Dieu et Dieu par état, et un état dOraison simple et continuelle et immobile qui se fait par lexténuation de lâme, c'est-à-dire de ses puissances et où tous les mouvements du cur ne sont quOraison. En vérité si je voulais faire des passages exprès, je ne pourrais pas en faire autrement, peut-être même aurais-je honte de les faire si forts. Un Docteur qui croirait ces expressions de quelque Moderne, les censurerait comme abominables.
(359)
23. Dans le VIII chapitre, Germain demande les premiers éléments pour cette discipline parfaite, ut a quibusdam mollibus incipiens rudimentis, facilioribus primum ac tenerrimis intiis imbuatur. Puis il fait une comparaison dun enfant qui apprend les lettres de lalphabet avant que de pouvoir les joindre pour former les syllabes : il demande que de même on lintroduise par la méditation dans la pensée de Dieu, qua meditatione teneatur vel cogitetur Deus. Enfin, dit-il, comment peut-on conserver ce bien ? immobiliter custodire : car nous ne doutons point que ce ne soit le comble de la perfection.
Dans le IX chapitre, il reprend la comparaison de Germain. Il faut donc, dit-il, vous donner une formule de cette théorie spirituelle, comme on donne aux enfants des caractères de cire pour leur apprendre à lire. Attachez-vous, dit-il, à cette formule, tenacissime indisrupta jugitate, très tenacement, avec une continuité sans interruption, afin que par son usage et méditation vousp puissiez monter à des plus sublimes regards, vel sublimiores intuitus scandere illius usu ac meditatione possitis.
Voilà donc une formule qui ne sera quun rudiment grossier, que les premiers éléments de la doctrine, que les caractères de cire quon donne aux enfants, et quils quittent dès quils savant un (360) peu épeler. La formule nest donc que passagère et cest loraison très pure, immobile et continuelle, sans image, sans mémoire ni de parole, ni daction, qui lui sera substituée et qui est le terme où le solitaire doit sarrêter par état.
Cette formule donnée par les plus anciens Pères est (a) Deus in adjutorium meum intende. Vous remarquerez quau lieu de celle-là, Grégoire Lopez avait pris (b) Fiat voluntas tua. Un docteur spéculatif naurait garde de se contenter de cette formule, il exigerait des actes distincts despérance, de contrition, de foi, damour, des demandes expresses pour se conformer aux prières de toute lEglise, des retours sur soi-même pour sexaminer et pour accomplir les préceptes essentiels de la vigilance. Mais le St Abbé Isaac moins attaché à la lettre de la loi, entre dans les secrets de lesprit. Il dit que cette formule est elle seule éminemment toutes les pratiques de Religion, elle réunit tout. Ce petit verset, dit Isaac, reçoit toutes les sortes daffections et saccommode à tout état. Il comprend linvocation, lhumilité, la sollicitude, la vigilance, la considération de sa fragilité, la confiance. Il est le remède à tous les maux et à tous les dangers. Il est lâme de la sobriété et de la pénitence. Il conserve la chasteté. Il réprime la colère, lavarice, la tristesse. Il rabaisse lorgueil. Il soutient lâme contre les distractions dans loraison sans image.
Il faut donc condamner Cassien avec sa Tradition des plus parfaits Solitaires, ou avouer que ce seul verset peut suffire à un Chrétien sans aucune (561) autre demande distincte, ni aucun acte intérieur de vertu. Si ce verset suffit parce quil contient tout éminemment, à plus forte raison, lOraison dimmobile tranquillité suffira-t-elle, puisquelle est la perfection dont le verset nest que le rudiment très imparfait et quelle lui doit succéder comme la science succède au bégaiement des enfants ? Méditez donc, dit Isaac, ce verset en veillant, e, dormant et même dans les dernières nécessités de la vie. Cette formule vous conduira aux invisibles et célestes Contemplations et vous élèvera à cette ardeur dOraison ineffable et éprouvés de très peu de gens, perpaucis expertum. Que le sommeil vous prenne dans cette méditation, jusquà ce quétant formé par cet ineffable exercice, vous vous accoutumiez à le chanter dans le sommeil, per soporem. Vous voyez que ce chant nest pas un vrai chant, mais une vraie occupation intérieure. Quainsi votre Oraison devienne directe et perpétuelle, $$$$ et erecta.
25. Le XI marque que lâme doit garder sans cesse cette formule, jusquà étant affermie par sa continuelle méditation, elle rejette les richesses et les amples soutiens de toutes les pensées et quétant resserrée dans la pauvreté de ce seul verset, elle parvienne par une pente facile à cette Béatitude Evangélique qui tient le premier rang parmi les autres : (a) Bienheureux les pauvres desprit. Et quainsi par lillumination divine sélevant à la multiforme science de Dieu, elle commence à être engraissée des plus sublimes et plus sacrés mystères. La méthode de ce verset est ce quil a appelé lordre de cette (362) Oraison, puis il parlera de ce quil a appelé la vertu de cette Oraison.
Voilà un travail actif dans la méditation de ce verset qui ne doit pas toujours durer. Ce nest que jusquà ce que lhabitude fixe lâme et change les actions passagères en état ou conversion habituelle. Cette méditation active appauvrit lâme pour lenrichir ; elle lui retranche la multitude des objets, des motifs, des actes et des demandes, pour lintroduire par cette pauvreté ou unité dans la multiforme science de Dieu. Alors elle passe dans un état passif, où Dieu, pour ainsi dire la multiplie après lavoir simplifiée et lengraisse des plus sublimes mystères.
26. Cet état est laccomplissement de ces paroles du Prophète : (a)Mons excelsi cervis etc
Le Solitaire paîtra sur les montagnes des Prophètes et des Apôtres dans les plus sublimes mystères, recevant en lui les affections des Psaumes (remarquez en passant cette expression RECEVANT EN SOI) ; et il commencera à les chanter non comme composés par le Prophète, mais comme faits par lui-même, comme répandant sa propre Oraison de la profonde componction de son cur, comme si ces psaumes étaient adressés à sa personne. Il connaît que les sens des paroles ne sont pas seulement accomplis par le Prophète ou dans le Prophète, mais encore en soi chaque jour. Alors les divines Ecritures souvrent plus clairement avec leurs veines et moelles. Ca notre expérience nen reçoit pas seulement, mais encore en prévient la notion. Les sens sont ouverts non par voie dexposition mais par lenseignement (sans doute de (663) lesprit intérieur et la suite le montre), ayant en nous le même sentiment dans lequel le psaume a été écrit ; nous en sommes comme les Auteurs, nous ne suivons pas, mais nous prévenons le sens, nous recevons plutôt la vertu que lintelligence des paroles ;nous nous ressouvenons de tout ce qui sest passé en nous etc
Etant ainsi instruits par les effets qui sont nos maîtres, ma$$$$$$$effectibus eruditi, nous ne connaissons pas les vérités comme entendues, mais nous les touchons comme accomplies en nous, nous les avons non comme mises dans la mémoire, mais comme nées avec nous ; nautrae insitae : nous les enfantons de lintime sentiment de notre cur, nous les pénétrons non par le texte quon lit, mais par une expérience prévenante. Ainsi lâme parvient à cette incorruption dOraison, à laquelle lordre marqué dans les Conférence précédente nous a conduits. Elle est occupée sans aucun regard dimage, elle nest distincte par aucune suite ni de voix ni dexpression, elle est produite par le regard enflammé, par lessor ineffable du cur avec une invincible joie. Lâme hors de tous les sens et de tous les objets visibles la répand devant dieu par des gémissements ineffables.
Voilà sans doute un état dinspiration habituelle, où lâme Prophétique et Apostolique lit lEcriture par le même Esprit qui a animé les auteurs sacrés. Elle ne lit pas lEcriture, elle la $$$$ ; ce nest pas lEcriture quelle a devant les yeux qui linstruit, cest elle qui sort du fond de son cur comme de la source céleste. Voilà les Etats quon refuse de croire et qui sont manifestement les états de transformation.
Vous voyez quaprès avoir parlé de lordre de (364) cette Oraison, cest-à-dire de la manière dy arriver qui est la méditation du verset, il en a dépeint la vertu, cest-à-dire cet état où elle nest plus instruite par lEcriture et où elle est elle-même une Ecriture vivante, un Prophète et un Apôtre.
27.Le chapitre XII nest quun demande de Germain pour savoir comment les commençants peuvent retenir toujours ce verset.
Dans le chapitre XIII, le même Germain parle de la mobilité de lâme dans la méditation commune. Il dit quaprès avoir compris un capitule dun Psaume, cet endroit lui échappe insensiblement et quelle passe avec étonnement et sans le savoir à quelque autre texte de lEcriture : à peine commence-t-elle à rouler celui-là en elle-même et avant quil soit entièrement examiné, elle se ressouvient de quelque autre passage qui exclut la méditation du premier ; de celui-là, elle passe encore à un autre, une nouvelle méditation succédant. Ainsi lâme étant tournée comme une roue de Psaume en Psaume, sautant du texte de lEvangile à la lecture de lApôtre, de là aux paroles des prophètes et ensuite à quelques histoires spirituelles, demeure instable et errante par tout le corps des Ecritures, ne pouvant ni choisir, ni finir aucun endroit par un plein examen. Ce lecteur ne fait que toucher et goûter les sens spirituels, il nen devient ni le générateur ni le possesseur. Germain conclut sa question, en demandant comment on pourra donc garder immobilement ce verset.
Vous voyez quil sagit toujours par un desseins suivi sans relâche, de parvenir à un état fixe et immobile. Linconvénient de la mobilité de lâme, cest que dans la méditation discursive, la variété (365) des objets fait quon ne sen approprie aucun, quon les goûte tus, mais que lâme nen est pas substantiellement nourrie, pour faire sien ce quelle trouve en autrui. On ne parvient point par cette méditation variée à cet état où lâme lit les paroles dun Prophète comme étant le Prophète elle-même, et comme tirant les mystères de son propre cur ainsi que de leur source. Elle ne prend aucune situation fixe et habituelle. Elle nest point nourrie par le fond, cest ce qui fait quelle a besoin dêtre appauvrie même spirituellement. Il faut lui retrancher ces richesses de la parole divine, comme Isaac la remarqué. Voilà à quoi sert dêtre borné à un seul verset, ou à quelque autre formule qui appauvrisse et simplifie peu à peu lâme, pour la rendre tranquille et immobile dan lOraison continuelle. Cest en lappauvrissant ainsi quelle sera mise dans la multiforme science de Dieu. Cest ce que St Denis a exprimé quand il a dit (a) : lâme nentendant rien, surpasse toute intelligence ;
28. Dans le chapitre XIV, et dernier Isaac répond que pour remédier à linstabilité de lâme, il faut employer les veilles, la Méditation, lOraison et le détachement sans réserve de la vie présente.
Voilà selon lui, les moyens de la voie active pour les commençants. Mais la fin quon se propose est laccomplissement du Précepte Apostolique : sine intermissione orate, priez sans intermission, car celui-là, dit-il, prie très peu qui na accoutumé de prier que quand on fléchit le genou. Cest pourquoi il faut que nous soyons avant le temps (366)de lOraison tels que nous voulons être dan lOraison même, et il faut que lâme soit alors formée par son état précédent.
29. Voilà, dit Cassien, ce quIsaac, dans cette seconde conférence nous expliqua de la qualité doraison, dont nous fûmes bien &tonnés. Nous admirions beaucoup sa doctrine sur la méditation de ce petit verset quil nous avait donné à retenir comme une méthode pour dresse les commençants, quam velut informationis loco incipientibus tradiderat retinendam. (Ces paroles montrent encore que le verset nest que pour un temps et que la ttrès pure et immobile Oraison lui doit succéder comme fin au moyen) ; Nous souhaitions, dit-il, de cultiver avec une entière fermeté ce verset, et excoleretenacissime cupientes, croyant cette doctrine abrégée et facile, compendiosam ac facilem. Nous avons néanmoins expérimenté quelle est plus difficile à observer que cette application desprit, par laquelle nous avions accoutumé de parcourir par la variété de la méditation tout le corps des Ecritures sans aucun lien de persévérance, absque ullius perseverantiae vinculo.
Voici les dernières paroles de Cassien sur le genre dOraison sublime et sur le verset par lequel on peut y parvenir. Et il finit.
Il est donc constant que personne sans exception nest exclus de cette perfection de cur par lignorance des lettres et que la rusticité nest point un obstacle pour acquérir cette pureté de cur et dâme, laquelle est à la portée de tous par ce chemin très abrégé, pourvu quils conservent la sainte et entière attention à Dieu par la méditation continuelle de ce verset.
30. La Tradition des Pères du Désert rapportée (367) par Cassien, témoin si autorisé dans toute lEglise est donc :
1. Quil y a une Oraison encore plus parfaite que la méditation affectueuse de lEcriture, et même que lOraison Dominicale.
2. Que cette Oraison encore plus sublime, quil nomme très pure et incorruptible, est la Contemplation fixe de Dieu seul dans sa substance incorporelle et incompréhensible, sans image, sans espèce, sans aucune mémoire daucune parole ni aucune action, par conséquent sans aucune trace ni des mystères, ni des préceptes Evangéliques, même sans aucune distinction discursive et que lâme doit être indéclinablement fixe dans ce regard de pure foi.
3. Que la perfection de cette Oraison est de ne sapercevoir plus ni de ce que lon fait, ni même si lon prie ; que les efforts les plus pieux distrairaient et rabaisseraient lâme en cet état.
4. Que cette Oraison lui est infuse par une lumière céleste, par lamour du Père et du Fils transfus en nous et par leur unité consommée dans lâme et par conséquent inspirée ou passive ; quelle y devient remplie de la multiforme science de Dieu, Apostolique et Prophétiques en lisant les Apôtres et les Prophètes ; que tout ce quelle voit au-dehors et tout ce quelle opère au-dedans est Dieu même.
5. Que cette Oraison peut sacquérir par la méditation dun verset qui nest que les éléments et le rudiment de ceux qui commencent ; que ce verset y introduit en exténuant et appauvrissant lâme et en la fixant.
6. Que cette Oraison, fin de toute la vie monastique, est éprouvée et connue de très peu de (368) Solitaires ; que les plus anciens lont confié à dautres, qui la confient à leur tour à ceux qui ont la vraie foi.
7. Que la grossièreté et lignorance nexcluent point de cette voie.
8. Que cette Oraison nest point passagère, mais au contraire le terme de tout acte passager, le regard fixe et indéclinable, la perpétuelle et immobile tranquillité de lâme.
FIN.