introduction generale - Td corrigé
Un homme n'est pas pauvre parce qu'il n'a rien, mais parce qu'il ne travaille pas.
.... 1) Rôles et fonction de l'éducateur spécialisé ...... L'effort de catégorisation est
un exercice complexe qui pose la question de ...... Ainsi, autant dire qu'il y aura
une marge entre le langage de la prescription, de l'ordonnancement, de la ...
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Université de Haute Bretagne
Ecole Doctorale « Humanité et Sciences de lhomme »
CREDILIF, équipe daccueil ERELLIF N° 320
N° attribué par la bibliothèque :
THESE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE LUNIVERSITE DE HAUTE BRETAGNE
Discipline : Sciences du langage
Présentée et soutenue publiquement par
Laurent CAMBON
19 Janvier 2006
Léducateur spécialisé à travers ses discours : une question didentité
Sous la direction de Philippe BLANCHET
Composition du Jury :
Philippe BLANCHET, Professeur Université Rennes 2
Josiane BOUTET, Professeur Université de Paris VII, Rapporteur
Jacques ION, Professeur Université de Saint Etienne, Rapporteur
Thierry BULOT, Maître de Conférence habilité à diriger des thèses - Université Rennes 2
Jean-Yves DARTIGUENAVE, Maître de Conférence Université Rennes 2
Un homme nest pas pauvre parce quil na rien, mais parce quil ne travaille pas.
MONTESQUIEU, De lesprit des lois, chapitre XXIX.
REMERCIEMENTS
Je remercie très chaleureusement Philippe BLANCHET pour sa générosité, sa patience, ses conseils et son humanité. Voilà presque 10 ans quil me suit dans ma carrière professionnelle, sans qui bien des fois jaurais perdu mon enthousiasme sil ne mavait appris à prendre du recul grâce à ses encouragements, et aux différents travaux quil a dirigés jusqu à aujourdhui !
Je rends hommage à tous ces jeunes et moins jeunes qui ont jalonné ma carrière éducative spécialisée, aux étudiants que jai pu accompagner dans leur parcours de formation au métier déducateur, sans lesquels je naurais trouvé ni la patience ni la passion pour mener cette thèse à son terme.
Je remercie tous les collègues et amis qui ont bien voulu me parler de notre métier. Je remercie Yasid qui maccompagne si amoureusement dans mon travail.
Jadresse enfin cette thèse à tous ceux qui soutiennent ça et là que les éducateurs nécrivent pas !
PLAN GENERAL
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : PREALABLES THEORIQUES
Chapitre premier : Le métier déducateur spécialisé
Un métier aux contours flous
Quest-ce que le travail social ?
Léducateur spécialisé est-il un travailleur social ?
Une multiplicité de publics
La prise en charge des handicaps
Lenfance inadaptée
Linsertion socioprofessionnelle
Une multiplicité de lieux dintervention
Les institutions médico-sociales
Les institutions pour lenfance inadaptée
Les institutions pour adultes inadaptés sociaux
Historique de léducation spécialisée
Fondements et premières racines
La proto histoire
La période pré-contemporaine
Lépoque contemporaine
Le métier déducateur en quête de sens
Chapitre deux : langue, identités et professions
Lidentité professionnelle : un problème de dénomination
Lidentité, cet objet complexe
La question de lidentité professionnelle
Langue et identité professionnelle : le monde des technolectes
La langue orale sur le lieu de travail
La langue écrite au travail
Education spécialisée et langue au travail
Chapitre trois : Méthodologie denquête
Les échantillons étudiés
Quelques données chiffrées
Projet déchantillonnage
Le questionnaire : stratégie et méthode
Lentretien : stratégie et méthode
Le traitement des données
Lanalyse des discours : problèmes et méthodes
Que recouvre lanalyse des discours ?
Lanalyse de contenus : formes et méthodes
Discours et construction identitaire
Le traitement informatique des discours
DEUXIEME PARTIE : ANALYSE QUALITATIVE DU CORPUS
Chapitre premier : La rhétorique de la formalisation de la pratique professionnelle
Le choix des concepts
Travail, activité professionnelle et métier
La formalisation de lactivité professionnelle
La mise en mots des savoir-faire éducatifs
La détermination des capacités professionnelles comme enjeu de la professionnalité
La construction des capacités professionnelles
Essai de typologie des aptitudes professionnelles
Synthèse des observations
3) La rhétorique de la formalisation de la pratique professionnelle
Exemple comparatif de note éducative spécialisée
Une rhétorique de la difficulté humaine
Une rhétorique basée sur la réparation
Une rhétorique basée sur la référence à la norme
La scientifisation des discours
Lavis dun agent EDF
Chapitre second : Lémergence dune identité professionnelle à travers les discours
La place du sujet dans lénonciation : pour une identité personnelle
Subjectivité et énonciation
Lusage des déictiques comme lieu dinscription de la subjectivité
Les subjectivèmes affectifs et évaluatifs
La place du « nous » dans le discours : pour une identité collective
Le sentiment dappartenance dans le discours
Lémergence dun langage professionnel commun
Le récit des motivations comme lieu de synthèse de lidentité collective et personnelle
Le récit de vie : définition et enjeux théoriques
La construction identitaire des éducateurs à travers leurs récits
TROISIEME PARTIE : ANALYSE QUANTITATIVE DES DONNEES
Chapitre premier : Ce quils disent des publics auxquels ils sadressent
La jeunesse des publics
Les troubles des usagers pris en charge
Chapitre deuxième : ce quils disent de leur institution
Généralités
Commentaires
Chapitre troisième : Ce quils disent des rôles et fonctions de léducateur
Rôles et fonction de léducateur spécialisé
Les compétences et savoir-faire à luvre dans le métier
Les rôles et fonctions
Les actes de langage constitutifs de lactivité professionnelle
Education spécialisée et actes de langage
Les types dactes de langage observés
QUATRIEME PARTIE : SYNTHESE DE LANALYSE DES DONNEES
Chapitre premier : la professionnalité dans le discours ou la professionnalisation des discours
Parler, une question de sens
Une relative difficile unité discursive entre les éducateurs
Du sens commun aux savoir professionnels : tout un univers dapproximations
Un métier fragile et perméable aux autres professions
Histoire du métier et activité langagière ou la dimension diachronique des discours
Aux origines de la profession : la religion et le militantisme laïc
Limpossible choix discursif entre don de soi et activité salariée
Chapitre deuxième : enjeux et perspectives sociolinguistiques
La dimension identitaire des discours professionnels
Pour une recherche-action : les enjeux de la thèse
CONCLUSION GENERALE
TEXTES DE REFERENCE
ANNEXES (DEUXIEME VOLUME)
Méthodologie de retranscription des entretiens
Les entretiens
Valérie
Marina
Thierry
Marie-Michelle
Maryvonne
Claude
Alban
Brigitte
Dominique
Philippe
David
Nadine
Quelques protocoles de stage
Enquêtes écrites auprès déducateurs spécialisés
Référentiel métier des éducateurs spécialisés VAE (PROMOFAF)
Sommaire des annexes
INTRODUCTION GENERALE
Voilà plus de dix ans que je travaille dans le secteur du travail social et notamment du travail éducatif spécialisé. Jai eu la chance de côtoyer des publics divers et nombreux qui vont des SDF, en passant par les jeunes de banlieue ou en internat et les demandeurs dasile. Toujours est-il que ces aventures humaines poussent aux questionnements personnels, aux hésitations et que le recours aux sciences humaines constitue un véritable besoin et une priorité pour affronter les difficultés inhérentes à ce type de travail.
La question identitaire a toujours plus ou moins été au centre de mes préoccupations de professionnel. Autant les jeunes issus de limmigration, les demandeurs dasile que les adolescents en difficultés familiales ou sociales mont forcé à regarder lindividu dans sa complexité et ont, à chaque fois remis en cause mes propres certitudes sur mon identité personnelle et professionnelle. Cest donc dans la confrontation à la différence, une confrontation certes parfois houleuse, que sest construite ma réflexion sur lidentité professionnelle des éducateurs spécialisés. Cette réflexion sur lidentité des éducateurs sest accrue lors de mon expérience de formateur à lInstitut de Travail Social de Rennes. En effet, il métait offert la fonction de former des étudiants à un métier que je connaissais de manière pragmatique, mais dont je navais pas mesuré toute la complexité et la difficulté à se définir. Certes, je nétais pas non plus novice à cette difficile question de lidentité professionnelle puisque javais pu assister à des conférences sur la question, mais il ma fallu le contact avec des étudiants pour mesurer combien il était complexe de former des gens à un travail dont les limites, les fonctions et les rôles ne vont pas de soi.
Récemment PROMOFAF a réuni des directeurs détablissement socio-éducatif, des universitaires, des éducateurs spécialisés afin de réfléchir à lélaboration dun référentiel métier de léducateur spécialisé. Ce référentiel est sensé servir à la base de la mise en place de la VAE (Validation des Acquis et de lExpérience) dans le secteur éducatif. Toutefois, la VAE a bien du mal à se mettre en place, et labsence dun descriptif du métier consensuel à tous les professionnels et les employeurs constitue lun des freins. A cela sajoutent des difficultés pratiques (problèmes de sélection des candidats, organisation de la formation par les écoles etc.). Il est remarquable de souligner que ce référentiel (qui est dailleurs proposé en annexes) est loin de faire lunanimité dans le secteur éducatif spécialisé. Dabord, il est très peu connu des professionnels, ensuite il a fait lobjet lors de sa parution de discussions et doppositions dans lesquelles chacun des secteurs particuliers de léducation spécialisée regrettait quil ne tienne pas compte des spécificités de leur intervention.
Cette thèse ne constitue pas un nouvel essai délaboration du référentiel métier de léducateur spécialisé. Elle sinscrit dans une perspective avant tout descriptive et analytique à partir dun corpus dinformateurs joint en annexe. Elle ne prétend donc pas figer la profession. Au contraire, sa démarche est sociolinguistique, autrement dit elle sintéresse aux représentations du métier dans et par le discours déducateurs spécialisés sans volonté de donner raison ou tord à tel ou tel type de discours. Il ne sagit pas dune démarche sociologique : je ne suis pas sociologue, mais sociolinguistique. Je propose une vision relative et circonstanciée de la représentation du métier déducateur spécialisé, à partir dun corpus qui na pas lambition de donner un aperçu exhaustif de lensemble de la population des éducateurs en France. Il sagit dun corpus qui vise à offrir au lecteur une vision significative de ce que les éducateurs interrogés affirment dire de leur métier. De plus, lélaboration du corpus a fait lobjet dune réflexion méthodologique rigoureuse tant dans le recueil que dans sa retranscription et son analyse.
Quest-ce qui motive le choix de la sociolinguistique pour aborder lidentité professionnelle des éducateurs spécialisés ? La bibliographie en fin de volume marque en effet une habitude des chercheurs à traiter des questions du métier déducateur spécialisé par le biais de la sociologie ou de la psycho-sociologie. Lentrée par le discours et le langage semble tout à fait nouvelle pour décrire le métier déducateur. Ce choix a dabord été motivé par un processus de formation personnelle. En effet, avant de morienter vers le travail social, jai toujours montré un vif intérêt pour la littérature et la linguistique. Jai en effet commencé à travailler très jeune (dès mes 18 ans) dans un foyer daccueil durgence de personnes SDF en région parisienne, et curieusement plutôt que de choisir dentreprendre directement une formation qualifiante en travail social, jai passé un DEUG et une licence en lettres modernes ; seulement plus tard, jai voulu mettre à profit mon expérience professionnelle en minscrivant en formation déducateur spécialisé. Le phénomène inverse sest produit à partir du moment où jai commencé à exercer sur des postes proprement éducatifs spécialisés : je suis en effet revenu vers la linguistique en mintéressant aux langages jeunes dans la cité où je travaillais comme éducateur de rue.
La rencontre avec lapproche ethno-sociolinguistique a provoqué une sorte de révélation intellectuelle : elle me permettait en effet de faire correspondre la connaissance que jai du métier déducateur spécialisé avec un domaine universitaire, ouvert, pluridisciplinaire, faisant tout aussi la synthèse de données linguistiques, sociologiques, psychosociologiques, ethnologiques que pédagogiques. Cétait un moyen efficace de faire correspondre mon parcours professionnel avec le besoin profond de référer ma pratique éducative à des modèles théoriques pertinents et ouverts.
La sociolinguistique, linterlinguistique si jose dire, offre, au-delà de mon intérêt personnel, une ouverture pluridisciplinaire qui permet daborder le monde dans sa complexité langagière et donc sociolangagière. Lidentité de la profession des éducateurs nest donc pas, dans cette perspective, quelque chose de sclérosé, de figé, mais une dynamique dont la réalité sélabore et senvisage à partir des représentations que les informateurs ont de celle-ci. La sociolinguistique regarde le monde à partir des langues, des codes sociolangagiers qui le composent, en ce sens elle trouve sa nourriture première dans lensemble des représentations qui composent et qui formalisent les choses. Lidentité des éducateurs nest donc pas envisagée dans cette thèse comme un objet prescriptif (ce que devraient être les éducateurs spécialisés) mais seulement à travers le recueil et lanalyse des représentations sociolangagières que les informateurs ont bien voulu me donner. Cest bien la raison principale pour laquelle jaborde dans cette thèse la question de lidentité professionnelle des éducateurs à travers les discours. Notons demblée que les discours, disons les formations discursives, nempruntent pas la seule forme orale mais aussi lécrit. Dans tous les cas, ces manifestations discursives offrent au chercheur que je suis des pistes relatives, circonstanciées, éminemment variables, des représentations qui fondent mais aussi accompagnent la construction identitaire des éducateurs. Je fais bien la nuance entre « fonder » et « accompagner » puisque je suis amené dans le corpus à faire parler les informateurs sur ce qui fonde leur identité, mais tout pendant quils parlent de leur pratique professionnelle, quils la décrivent, quils la formalisent, ils construisent quelque chose de cette identité. Il y a donc dans le corpus deux aspects complémentaires de lidentité professionnelle : quelque chose qui pré-existait avant lentretien, qui pré-existait à la mise en mots produite par lentretien, et quelque chose qui sest construit ou consolidé pendant lentretien lui-même. La sociolinguistique nest pas dupe de ce phénomène, elle considère la situation dentretien comme révélatrice du fonctionnement sociolangagier des informateurs, situation aussi importante que le contenu lui-même des discours. Ainsi, la sociolinguistique sempare de tous les phénomènes paraverbaux qui composent lentretien, le chercheur étant considéré comme un acteur particulier qui de fait a une incidence sur linteraction verbale entre lui et son informateur. Le corpus joint en second volume rend compte effectivement dentretiens dont la transcription a tenté de décrire les phénomènes paraverbaux qui interviennent dans la conversation. De même si LABOV a éminemment mis en lumière les paradoxes inhérents à toute forme dentretien, la sociolinguistique met un point dhonneur à considérer le chercheur qui conduit lentretien tout aussi important à analyser dans la mesure où il a une place active dans linteraction sociolangagière qui se joue entre lui et ses informateurs.
Il est important de signaler que jai mené cette recherche tout en poursuivant ma vie professionnelle. En effet, jexerce à ce jour une fonction de chef de service éducatif auprès de jeunes dits inadaptés sociaux. Cette position de praticien / chercheur a bien des mérites : il sagit dune véritable recherche-action dont je suis partie prenante. La question centrale que pose cette thèse est sensiblement la même que je me pose à propos de ma propre identité professionnelle et des éducateurs que jencadre. Limplication sur le terrain permet une connaissance du métier plus aisée que sil mavait fallu passer du temps à me faire accepter et légitimer pour mener des enquêtes auprès des professionnels. Les données recueilles sont analysées avec un regard de lintérieur ; des analyse sont faites dans tel ou tel sens parce que mon expérience professionnelle ma permis de confronter ces éléments à dautres moments. Enfin la rencontre avec les informateurs a été plus facile, dans la mesure où jai la chance de connaître un cercle plutôt large de travailleurs sociaux. Toutefois, le fait dêtre tout entier partie prenante a ses revers : la tentation de vérifier des hypothèses que jai pu construire tout au long de mes différentes expériences de terrain est là, la thèse ne servant finalement quà corroborer des a priori que jaurais déjà ; de même une trop grande proximité (tant affective parfois que professionnelle) avec les informateurs peut conduire ou induire un manque de distance par rapport à lobjet détude.
Toutefois le point de vue de cette thèse est clairement ethnographique : limplication sur le terrain de recherche a été déterminante tant dans le recueil des données que dans le traitement lui-même. Elle permet un contact avec les informateurs plus confiant, ce qui facilite une parole plus libre, moins parasitée par les biais inévitables à toute situation dentretien. De plus, les entretiens que jai pu mener étaient révélateurs de la culture du métier déducateur, ce qui a permis une plus grande pertinence dans les questions posées et un décodage plus facile des traits sociolinguistiques offerts. P. BLANCHET se positionne clairement par rapport à limplication ethnologique du chercheur. Son ouvrage La linguistique de terrain relate des expériences soit personnelles soit de chercheurs ou détudiants, très proches de leur objet détude ; il en dit tous les avantages pour permettre un abord véritablement de lintérieur des pratiques linguistiques étudiées.
La construction de la thèse a été facilitée par le fait quelle rend compte dun long apprentissage à la fois professionnel et universitaire. Mon expérience de formateur ma contraint de me plonger dans une série de livres multiples (droit, sociologie, psychologie, psychologie sociale etc.) dont il fallait que jextraie une synthèse pour les étudiants. Ainsi, tant mes travaux de maîtrise que de DEA que de maîtrise (Etude sur les récits de vie en HLM, études sur les parles jeunes en HLM) ont permis de me saisir de lensemble de ces ouvrages dans une perspective universitaire. Là où les étudiants ont besoin de temps et dénergie, ma situation professionnelle ma permis de lire un grand nombre de fondamentaux si je puis dire, en sociologie ou en psychologie sociale. De plus, ces lectures ne sont pas restées dans le seul domaine théorique puisque mon expérience déducateur na cessé dinterroger les modèles théoriques face à la réalité du terrain. Jai donc la chance davoir pu bénéficier d un grand nombre de lectures que jai confrontées aux complexités du terrain. On devinera à travers ce que je dis que cette thèse sinscrit en totale interdisciplinarité. Le propos nest ni tant sociologique, psychologique, linguistique quethno-socio-psycholinguistique si jose dire ! Il sinscrit dans une volonté de ne pas réduire le langage des éducateurs à son seul fonctionnement morpho-syntaxique ; au contraire, le langage est abordé dans sa complexité linguistique, discursive et psychosociologique. Cest parce que jétudie lidentité des éducateurs spécialisés à travers les discours, que la définition du terme « discours » revêt nécessairement une définition large, ouverte et pluridisciplinaire. Discourir, ce nest pas seulement mettre en uvre dans une communication donnée des éléments morphosyntaxiques et paraverbaux, cest interagir avec lenvironnement, cest dire le monde à partir duquel lon discourt, cest révéler son existence de sujet parlant, appartenant à un ensemble de communautés ou de groupes sociaux et manifestant une structure mentale particulière. Comme dit MAINGUENEAU, le discours « désigne moins un champ dinvestigation délimité quun certain mode dappréhension du langage : ce dernier ny est pas considéré comme une structure arbitraire mais comme lactivité de sujets inscrits dans des contextes donnés ». Il est absolument nécessaire de prendre en compte « lensemble des circonstances au milieu desquelles a lieu lénonciation (écrite ou orale). Il faut entendre par là à la fois lentourage physique et social où [la situation de discours] prend place, limage quen ont les interlocuteurs, lidentité de ceux-ci, lidée que chacun se fait de lautre (y compris la représentation que chacun possède de ce que lautre pense de lui), les événements qui ont précédé lénonciation (notamment les relations quont eues auparavant les interlocuteurs, et les échanges de paroles où sinsère lénonciation en question). » En ce sens, le discours est un élément qui donne vie à lidentité des sujets parlants. Il est révélateur dun certain contexte dénonciation, du statut et des identités multiples des locuteurs, et, pour reprendre GUILLAUME, des effets de sens observables dans linteraction sociolangagière.
La première partie de cette thèse tente de poser les principaux fondements théoriques nécessaires à la compréhension de la notion de langage professionnel. Une présentation relativement synthétique du métier déducateur commence cette partie. Demblée, elle pose la question de la difficile construction identitaire des éducateurs spécialisés comme une profession légitime, reconnue et stable. Elle permet en effet dapercevoir la multiplicité des champs dintervention de léducateur spécialisé, ainsi que la manière dont le métier sinscrit dans le travail social et les liens quil entretient avec lui. Finalement la construction identitaire difficile des éducateurs spécialisés ne serait quun exemple de la crise de légitimité et de définition qui traverse le travail social en général. Je termine notamment sur « la crise de sens de léducateur spécialisé » ce qui mamène tout naturellement à étudier plus particulièrement les liens entre langage et travail. Si les liens entre langage et travail sont ténus et complexes, ils interrogent profondément la manière dont les acteurs se positionnent par rapport à leur travail, sans pour autant être capables de dire autant quils le souhaiteraient. Le décalage entre travail réel et ce qui peut être dit de la réalité du travail constitue laxe essentiel à retenir de la réflexion. En tous les cas, il importe, si mon souhait est daborder lidentité professionnelle des éducateurs par leurs discours, de prendre en considération le fait que les informateurs ne disent que ce que le langage leur laisse dire, cest-à-dire quil ny a pas de corrélation absolument identique entre ce quils disent et ce quils voudraient dire de leur travail. Enfin, la première partie se finit sur la méthodologie à la fois denquête et de traitement des données. Une réflexion est amorcée sur la complexité de lanalyse de discours, dautant que je me suis retrouvé face à de nombreux ouvrages où le propos me paraissait dans un premier temps difficile et opaque, plutôt que de proposer une méthode simple et fiable danalyse de discours. Mon intérêt nest pas de rentrer dans une discussion sur ce que recouvre la notion de discours et les possibilités danalyse qui en découlent : je montre en effet que lanalyse ne sest pas faite demblée à partir dune grille tirée dun ouvrage mais que ce sont les matériaux eux-mêmes qui ont donné les pistes danalyse. Je minspire en fait largement de la méthode dite inductive que décrivent DUBAR et DEMAZIERE dans Analyser les entretiens biographiques Lexemple de récits dinsertion. Les auteurs montrent à partir de récits dinsertion comment le chercheur doit créer les catégorisations danalyse à partir du matériel tel quil se présente, et non le contraire, cest-à-dire dattendre du matériel sociologique des confirmations des hypothèses de travail quil avait élaborées au préalable. Néanmoins, il paraît fort difficile daborder une réflexion sur un ensemble de données sans avoir réfléchi au préalable aux enjeux analytiques. Dun point de vue méthodologique, le temps plutôt long passé à retranscrire les entretiens a été absolument un gain de temps plus tard pour commencer à extraire des catégories danalyse pertinentes. En effet, tout pendant que je tapais les discours, réembobinant inlassablement le magnétophone, un grand nombre de pistes de réflexion ont émergé.
La seconde partie est une rentrée en matière dans le dépouillement des données. Lors de mes réflexions sur la progression du travail, il mest apparu dévidence de mettre en lumière avant tout les tendances principales par lanalyse quantitative. Or, P. BLANCHET explique dans son ouvrage La linguistique de terrain tout lintérêt daller chercher dabord des données qualitatives, les statistiques pouvant dans un second temps les confirmer ou pas. Ce point de vue sexplique du fait que lanalyse qualitative permet de rentrer dans le corpus plus facilement et de manière plus profonde. En effet, si mon attention est portée sur tel ou tel discours et quelle ne séparpille pas dans les généralités, je suis plus en mesure dextraire des éléments qui ne me seraient pas apparus autrement. Ce que J. BOUTET appelle dans de nombreux travaux « la mise en mots » de lactivité professionnelle, constitue le premier axe de lanalyse. Cest un axe fondamental dans la mesure où les informateurs tentent dexpliciter, de formaliser quelque chose quils pratiquent au quotidien, parfois de manière automatique. Ce que jappelle la formalisation de lidentité professionnelle des éducateurs constitue un acte de réelle intelligibilité du travail. Pour ainsi dire, en dépit de la difficulté inhérente à ce type dopération de mise en mot de toute activité professionnelle, le travail serait infondé, sans ligne de conduite sil nétait pas soumis à un tel processus dintelligibilité. Je décline ainsi à partir de différents supports une sorte de rhétorique particulière des styles professionnels. Lidentité se décline dans la dynamique entre ce que lindividu pense connaître profondément de lui-même (identité personnelle), les influences régulières quil reçoit de son environnement (identité sociale), et ce quautrui perçoit de lui (identité attribuée) : cest bien pour cette raison que jai orienté mon analyse des discours sur la façon dont les informateurs encodent leur propre subjectivité dans les discours. Le recours aux travaux de C. KERBRAT-ORECCHIONI constitue une mine dor pour parvenir à dégager des marqueurs spécifiques à la subjectivité des énonciateurs. De même, mon analyse sest intéressée à la façon dont les informateurs font appel à des formes discursives qui marquent leurs influences et leurs appartenances collectives. Lémergence dun ensemble de discours ou de technolectes professionnels ne soppose pas aux subjectivèmes qui marquent les discours des locuteurs. Au contraire, ces différents éléments participent à lidentité socio-discursive des éducateurs, identité qui les marque comme sujets énonciateurs dun discours professionnel. Je mintéresse ensuite aux récits de vie, disons mieux aux récits dans lesquels les informateurs racontent ce qui les a conduits à devenir éducateurs spécialisés. Cette forme discursive qui emprunte la narration est très importante pour pouvoir décoder les racines qui vont structurer le futur professionnel. En effet, il est difficile dignorer que le choix dun métier daide ne relève pas que du seul hasard et les récits motivationnels des informateurs permettent réellement dapprécier ce quils engagent dun point de vue personnel dans leur travail. Le récit de vie permet une lecture des choses pluridisciplinaire, offrant à lanalyste des sources de compréhension des enjeux identitaires sur des modes variés comme la sociologie, la linguistique, la psychologie sociale et la littérature.
La troisième partie constitue une lecture des données dun point de vue essentiellement statistique et quantitatif. Toutefois la limite entre une analyse dite qualitative et une analyse dite quantitative nest pas si facile à faire. Ainsi, P. BLANCHET ma proposé de combiner cette partie à la seconde pour réellement mettre en lien les différents éléments danalyse. Je ny suis pas parvenu dans la mesure où la refonte du plan mobligeait à provoquer des liens entre des éléments ou à en ignorer dautres. Ainsi, le lecteur constatera des confirmations évidentes par la statistique déléments dégagés dans la seconde partie et vice versa. Je mintéresse dabord à la façon dont les professionnels parlent de leurs publics. Lâge des usagers et les troubles dont ils souffrent semblent constituer le filtre essentiel par lequel les informateurs regardent leurs usagers. Ils révèlent de manière forte les enjeux en terme de légitimité et de reconnaissance des éducateurs spécialisés. Se réclamer par exemple de concepts médicaux pour décrire des enfants confiés à des éducateurs pour des problèmes strictement éducatifs, met certes en lumière les rapports ambivalents de léducation spécialisée au secteur para-médical, mais surtout le besoin daffirmer un type de langage reconnu, sujet à la valorisation et la reconnaissance sociale. Néanmoins, les emprunts nombreux à des champs disciplinaires divers pour décrire les populations révèlent la plupart du temps des connaissances parcellaires de ces disciplines et résultent à un effet strictement négatif que plus haut, cest-à-dire un éclatement des référents théoriques et donc de la déconsidération et du mépris par ceux notamment qui se réclament de ces champs disciplinaires. Je mintéresse ensuite à la manière dont les informateurs parlent de leur lieu de travail. La culture de linstitution est très forte chez les éducateurs. Elle-même est empreinte des références tant judéo-chrétiennes quuniversitaires (sociologie, psychanalyse etc.), faisant ainsi la démonstration dun secteur hétéroclite, perméable à un ensemble dinfluences diverses, et sujet à des formes de hiérarchisations implicites qui tendent à valoriser des types de prise en charge sur dautres. Lanalyse quantitative mamène dans un troisième temps à étudier la manière dont les éducateurs encodent les rôles et fonctions de léducateur spécialisé. Cette question traverse la profession de manière profonde, dans la mesure où elle interroge spécifiquement la pertinence dune action professionnelle, sa légitimité par rapport au bénévolat ou à l action des salariés ne justifiant pas du diplôme détat. Cette question de rôles et fonctions constitue presque une épreuve à elle toute seule lors de lexamen du diplôme déducateur spécialisé. Elle permet une fois de plus de révéler à lanalyse labsence dune véritable unité entre tous les professionnels, en terme de représentation de leur métier. La multiplicité des concepts ou des savoirs professionnels qui structurent le métier, leur extrême hétérogénéité, confirment lhypothèse développée dans la première partie, à savoir celle dun métier aux contours flous, en quête de légitimité et de sens. Au lieu de conforter la profession dans ce quelle aurait de structuré et dimmuable, les références plus que relatives à des champs universitaires, la très grande variété des classes de mots, le manque de précision et de maîtrise dans les termes employés par les informateurs, termes qui pourtant se veulent sérieux et scientifiques, lambivalence dans les positionnements professionnels des éducateurs, hésitant sans cesse entre la revendication dun véritable métier et lappel à des valeurs humanistes dinspiration judéo-chrétienne ou militante, tout cela a pour effet de provoquer un véritable affaiblissement du métier, incapable de faire rempart à dautres professions de culture écrite ou socialement valorisées. En tous les cas, la recherche démontre à maintes fois la complexité identitaire des éducateurs, ne parvenant jamais à se constituer en profession forte et consensuelle, et à choisir de manière définitive entre la technicité et le service quasi religieux à lautre. Cette « perte de référence unifiante », cette « fin dune culture partagée » sont contenues en permanence dans les discours. Je termine enfin cette troisième partie sur une brève description des actes de langage présents dans les discours des éducateurs. Cela a pour fonction de prendre le parti de nombreux auteurs (Lemay, Gendreau etc.) qui décrivent le métier déducateur à partir de ses compétences relationnelles et donc verbales. Si les informateurs ne sont guère capables détablir ou de décrire des techniques précises, observables, le langage, comme activité susceptible de provoquer du changement chez leurs usagers, semble constituer loutil principal de léducateur. Il était donc difficile dignorer les actes de langage qui sont présents en permanence dans les discours quils tiennent auprès des jeunes quils ont en charge. Limportance donnée à lactivité discursive dans le métier, au détriment de la technique et du geste, peuvent avoir un effet négatif sur la représentation de personnes extérieures au métier. En effet, comme J. BOUTET a pu déjà le démontrer dans ses travaux, lactivité langagière saccorde mal avec la représentation souvent gestuelle du travail, la parole étant vécue comme une perte de temps, defficacité et dénergie.
La dernière partie constitue la conclusion à lensemble de la thèse. Elle fait la synthèse des nombreuses hypothèses interprétatives que les analyses qualitative ou quantitative ont permis de révéler. Elle tente de proposer de façon synthétique les différentes postures identitaires que les discours des éducateurs ont permis de mettre à jour. Cette partie pose plus globalement la question de savoir ce qui fonde la professionnalité dun discours déducateur, par rapport à un discours profane et néophyte dune personne qui aide les autres bénévolement par exemple. Je mintéresse notamment aux effets historiques de la profession sur les discours, cest-à-dire les liens que le métier entretient avec ses origines judéo-chrétiennes.
Le second volume de la thèse comporte lensemble du corpus qui a permis délaborer ma réflexion. Il sagit dun corpus varié, mêlant des entretiens oraux, des enquêtes écrites et des livrets pédagogiques de stagiaires rédigés par leurs formateurs de terrain. La retranscription des entretiens oraux a généré les habituels problèmes de fidélité entre loral et lécrit. Je me suis inspiré de la grille de retranscription élaborée par C. BLANCHE-BENVENISTE que jai quelque peu simplifiée et modifiée. Il était en effet nécessaire dinclure tous les aspects conversationnels et paraverbaux liés à la situation dentretien pour mener à bien lanalyse.
PREMIERE PARTIE
Préalables théoriques
LE METIER DEDUCATEUR SPECIALISE
Comme dit A. VILBROD en introduction à son ouvrage Educateur, une affaire de famille, il faut distinguer différents niveaux dans la notion même déducateur spécialisé :
Léducateur se distingue de léducation spéciale au sens dune éducation portée vers des publics inadaptées ou en difficultés intellectuelles ou sociales.
Léducateur se distingue de léducateur spécialisé, au sens quil est professionnel dune activité universelle, celle de léducation, ou dune activité traditionnellement tournée vers le bénévolat ou laction religieuse. Il est spécialisé, cest-à-dire formé à une éducation particulière dont il est le spécialiste.
Enfin, un éducateur se définit certes par sa formation sanctionnée par un diplôme détat, mais aussi par la spécificité même du public quil accueille. Il y aurait autant déducateurs spécialisés que de spécialisations selon le type de publics, la commande sociale et lorientation théorique de linstitution où il pratique. Autrement dit, sa spécialisation renseigne aussi sur les publics quil côtoie et les lieux où il exerce.
Ces trois niveaux grossièrement balayés montrent demblée la difficulté à envisager sereinement une recherche sur les langages de léducateur spécialisé. En effet, lobjet de la recherche ne se restreint et ne se définit pas sous le seul vocable « éducation spécialisée », mais il recèle de fait une multiplicité de réalités. On peut donc faire le pari que les langages éducatifs ne sappréhenderont pas de manière évidente et univoque, mais quils seront porteurs de variabilités, à lintérieur dun lecte professionnel lui-même caractéristique dune variation dun certain français. Ces langages seront extraits de locuteurs émanant dinstitutions différentes tant au niveau des pratiques professionnelles qui sy exercent que des publics auxquels elles sadressent. Ainsi, toute la difficulté de ce travail sera de parvenir à un niveau de généralisation du fait langagier de léducateur spécialisé quand la profession ne cesse de produire à lintérieur delle-même de la dissemblance et de la variation.
On voit ici quun détour épistémologique simposera au cours du travail afin de clarifier ces questions de généralisation de lanalyse linguistique et de la pertinence du fait langagier in vivo. Ce nest pas notre propos pour linstant. Il sagit dabord de dresser un aperçu tant diachronique que synchronique de la profession éducative spécialisée, et den extraire la problématique professionnelle qui la caractérise. Cette problématique servira de colonne vertébrale à lensemble de cette thèse.
Je rappelle simplement que je ne suis pas historien du travail social, ni sociologue mais que lobjet de la thèse est sociolinguistique. Autrement dit, je nai pas pour ambition de faire létat exhaustif de léducation spécialisée depuis ses origines à aujourdhui. Je suis seulement aidé par le fait dêtre éducateur spécialisé de formation initiale, et davoir exercé en qualité de formateur dans un institut de travail social.
Un métier aux contours flous :
Quest ce que le travail social ?
Quest ce que le travail social ? Posée comme telle, la question paraît bien impertinente. Et pourtant, depuis que le secteur du social existe, il ne cesse de sinterroger sur ses limites, ses prérogatives, ses missions, ses contours. A lintérieur même de la grande « galaxie des travailleurs sociaux » les professions se posent ou sopposent à cette dénomination en fonction de la légitimité quelles en attendent ou du souci dautonomie quelles souhaitent prendre par rapport à dautres métiers.
La notion de travail social est traditionnellement associée à la montée de lindustrialisation de la société française au 19ème siècle. « Le travail social est né de laffrontement de deux classes. Il est le produit de la classe bourgeoise dominante sur le prolétariat ». Autrement dit, depuis sa création, le travail social hésite sempiternellement entre le désir dassistance pour des gens laissés pour compte par le progrès capitaliste, et le souci dun meilleur contrôle social en prévention déventuels troubles que pourraient générer les pauvres gens affamés de consommation ! Si le travail est vécu au 19ème comme source de progrès social, il crée ses exclus, ses oubliés. En 1889, un Congrès International de lAssistance Publique fait le distinguo entre une misère qui serait subie et une misère due à une mauvaise éducation. Tout le travail social se débat entre ces deux extrêmes : sauver les exclus et en même temps sassurer du bon fonctionnement de la société que les « vagabonds, prostituées, indigents et vicieux » pourraient mettre à mal.
1790 amène, avec la Déclaration des droits de lhomme, lEtat au cur de la problématique de lexclusion. La misère, labsence de santé ou de travail deviennent une affaire détat. Il se crée une Assistance Nationale de Bienfaisance notamment en faveur des enfants abandonnés ou dit-on à lépoque enclins à la débauche. Ce souci de bienfaisance, de secours fait suite à une tradition daide jusqualors réservée au seul domaine du clergé. La Révolution fera perdre aux organisations religieuses le seul primat de lassistance. Dès lors sengage le combat inépuisable, encore dactualité, entre lEtat et ses services déconcentrés, et le mouvement associatif privé fort de propositions, de renouvellement et de progrès social. Traditionnellement les éducateurs spécialisés se retrouvent autour de ce que nomme F. MUEL-DREYFUS « une communauté du refus ou du dégoût » qui soppose aux choses établies et recherche une innovation permanente.
La dénomination elle-même est récente. Dans un ouvrage de 1976 Les socio-clercs, bienfaisance ou travail social écrit à ce sujet : « la notion est apparemment nouvelle tant chez les professionnels de laide sociale, de la prévention, de léducation ou de lanimation, jusque là séparés en corporations jalouses, que dans les discours de létat ». La création des associations loi 1901 aidera à une plus grande professionnalisation des intervenants sociaux mais globalement, il faut attendre la moitié du 20ème siècle pour que le secteur social se professionnalise réellement. Louvrage cité plus haut rajoute : « La démonstration nest plus à faire que notables et clercs ont collaboré très souvent à la fondation dassociations loi 1901 pour la protection de lenfance. Ce serre coude dans les gestions politiques locales a été historiquement déterminant quant à lédification du secteur de lenfance inadaptée ». Historiquement le travail social se situerait donc entre quatre axes :
Bienfaisance
Contrôle social TS Lutte contre le politique
facteur dexclusion
Refus de lassistance
A la fois, le travail social cherche à se défaire de la prégnance de lidéologie religieuse, contre laquelle maints travailleurs sociaux opposent un discours fort de laïcité et danticléricalisme, et à la fois, dans les actes, la nécessaire évaluation du travail, loutillage et la technique font craindre chez beaucoup de travailleurs sociaux une technicisation à outrance qui ferait oublier le caractère humaniste de leur tâche. Encore aujourdhui des grandes associations en Ille-et-Vilaine par exemple qui emploient des éducateurs comme lARAS, lAFTAM, ont à leur tête des directeurs ayant traversé au début de leur carrière des vocations religieuses plus ou moins assumées. « Il est maintenant établie que clercs et notables (
), grands prometteurs des uvres pour la protection de lenfance, sont aussi les animateurs gourmands du manège préceptoral de la profession »
De même, lautonomisation du travail social comme un secteur distinct des choses de létat reste encore difficile. En 1976, A. BELLEY fait « une analyse impressionniste dun secteur social idéologique détat, mais dont le rôle objectif serait la répression, le contrôle etc.
». Autrement dit, le travail social cherche à la fois à panser les troubles générés par les crises du capitalisme, et en même temps se retrouve lexécutant direct des politiques sociales. Les aspects répressifs ne sont pas à ignorer dans lhistoire du travail social, ce qui va jusquà faire écrire dans le même ouvrage : « Léducateur est né, non pas du scoutisme comme beaucoup le pensent, mais du gardien en uniforme dans les bagnes denfants ». Lexpression est violente certes mais nous verrons plus loin quelle nest pas complètement fausse. Aujourdhui, nombre dinstitutions refusent dêtre assimilées à des lieux de militance, et en même temps recherchent linnovation, les échappatoires légales pour favoriser linsertion et laccès aux droits communs de leurs usagers. Les relations avec les administrations de financement sont souvent ambiguës, empreintes de collaborations, de complicités et aussi de conflits, doppositions et de concurrences.
Répression
Contrôle social TS Innovation sociale
Emancipation sociale
On voit donc que le travail social, dun point de vue historique, fait état dun mouvement complexe, mobile et ambigu. Le secteur a du mal à se définir comme une entité pleine et existante mais rend compte « dune réalité plus diffuse dans laquelle sinscrivent volontiers dautres intervenants sociaux tels que lenseignant, le médecin, lagent de développement social, voire ladministration de lintervention sociale ». Les bouleversements du secteur liés à sa promiscuité avec les institutions politiques et sociales renforcent le peu de légitimité à sauto déclarer comme un secteur professionnel autonome, imperméable à dautres métiers et prémuni contre les influences extérieures à la profession.
Entre ses origines cléricales et le mouvement de professionnalisation des années 1950 et celui du développement des sciences humaines, le travail social a connu quatre grands changements :
Il est passé dune idéologie de laltruisme à celle de la professionnalisation de la relation usager/travailleur social. La mise en avant de valeurs familiales, la morale et le sens de la patrie et de la foi en Dieu ont laissé place aux fonctions curatives, adaptatives, régulatrices, réparatrices et préventives du travailleur social. Le 6ème plan (1971-1975) fait émerger un nouveau modèle de laction sociale qui développe et consolide la démocratie ; la loi de 1975 sur les institutions médico-sociales prévoit deux formes dintervention sociale : des actions globales préventives et promotionnelles dans le cadre des Communautés restreintes et des actions prioritaires et ciblées vers des populations dites à risques. « Tout a changé. Hier, le travail social avait pour mission de remettre durablement dans le peloton de la société salariale les laissés pour compte provisoires de la croissance. Aujourdhui il lui faut gérer dans lurgence, et sous le contrôle beaucoup plus direct des élus, la masse des « surnuméraires », des « inutiles au monde » dune société de plus en plus inégalitaire ».
Il est passé dune logique de respect de la personne à laide psychosociale. Les QCM instaurés par Binet et Simon (1912), lentrée massive de la psychanalyse dans les institutions puis lentrée des sciences humaines (sociologie, psychologie, pédagogie) jusque récemment les politiques de type managérial des institutions ont favorisé lémergence de la technique au détriment de la relation affective. La loi de 1975 sur les institutions médico-sociales prévoira une hyperspécialisation des pratiques sociales où le type de handicap préfigure à la compétence de linstitution.
Il est passé dun mouvement de promotion des groupes au mouvement de lintégration sociale des individus. Autrement dit, il ne sagit plus pour le travailleur social de répondre à une demande individuelle, de permettre à lusager victime de ses différents handicaps daccéder aux droits communs, mais de répondre à une demande collective dinsertion. Alors que, jusque la première crise pétrolière, létat providence se situait par lentremise de ses agents sociaux dans une logique de réparation du handicap, aujourdhui les travailleurs sociaux sont soumis à une plus forte dépendance du pouvoir politique. Les services se créent non pas pour répondre à tel type de difficultés mais pour favoriser quasiment lannulation du handicap afin de promouvoir la participation de lindividu à lidéal républicain.
Enfin, le travail social est passé dune logique de charité à des logiques économiques. La fin de létat providence pour reprendre ROSENVALLON a contribué à lémergence dune logique de résultats en dépit parfois dun service social difficilement évaluable. Longtemps les travailleurs sociaux se sont cachés derrière les mystères de la relation humaine pour éviter de mesurer les résultats de leur action. Les lois de décentralisation ayant favorisé un rapprochement des élus et des travailleurs sociaux, les budgets alloués aux services sociaux deviennent de fait soumis sinon à une obligation de résultats, à une évaluation des actions menées. Il nest plus possible de se cacher derrière la relation, le travail social sentoure de techniciens, de spécialistes en méthodologie de projets et se dote à la tête des institutions, de nouveaux directeurs formés à au management. Bref, le financier, la rationalisation des pratiques priment sur ce qui a constitué longtemps le ciment du travail social, à savoir la charité et le secours vers autrui.
Ce court historique, très schématique, a le mérite de poser le problème essentiel du travail social, à savoir sa difficulté à se délimiter précisément et à se légitimer en tant quun corps de métier solide et compétent. J. ION définit le social comme « un univers disparate » et ce pour plusieurs raisons :
Traditionnellement, les auteurs en travail social reconnaissent quelques métiers pivots comme assistant de service social, éducateur spécialisé, animateur, conseiller en économie sociale et familiale, constitutifs du travail social. Or, avec le rapprochement des travailleurs sociaux avec le politique a conduit à la création de postes souvent précaires, déqualifiés visant une réduction immédiate des phénomènes dinsécurité que génère lexclusion. Les emplois jeunes sous JOSPIN ont occupé toute une série de postes de type « médiateurs » normalement occupés par des travailleurs sociaux diplômés. Ces mêmes emplois jeunes en mal de reconnaissance ont revendiqué le statut de travailleurs sociaux, prétextant quils faisaient la même chose. Il en va de même pour toute une série de nouveaux métiers qui, petit à petit, prennent les places traditionnellement occupées par des travailleurs sociaux, mais sur des postes déqualifiés. Les recrutements se font par le bas, les métiers traditionnels de laction sociale sont éclatés en une multitude de diplômes de niveau moindre, et donc, à terme au coût moindre.
La demande sociale du traitement de lexclusion, on la vu plus haut, a changé : il ne sagit plus tant de favoriser un mieux-être de lindividu que de réduire lécart entre ses aspirations et les contraintes de la société. Ainsi, les changements ont provoqué un élargissement de loffre, le social devenant presque un marché soumis à la concurrence entre les services. Cette concurrence est certes financière mais surtout symbolique : les référents de laction sociale sopposent, se complètent, se recherchent, toutes dans lattente dune approbation du contrôle administratif. De même, la multiplication des types de publics conduit à des pratiques sociales très spécialisées, nayant quasiment plus rien à voir avec les pratiques institutionnelles des autres.
Bref, il apparaît ce que J. ION nomme « une perte de référence unifiante » ou encore « la fin dune culture partagée ». Les frontières du travail social se sont élargies. Les missions sont de plus en plus diversifiées, allant du simple service rendu à lusager à des pratiques clairement politiques. Il devient difficile de se nommer travailleur social dans un univers aux contours aussi peu clairs. Le travail social traverse ce quécrivent D. DOMINGUEZ-JORDAN, H. DUBOURG, AM. GOMEZ et J. ORLIAGUET une « crise dorganisation, une crise des professions, une crise statutaire avec la concurrence de nouveaux intervenants et de nouveaux métiers ».
Léducateur spécialisé est-il un travailleur social ?
On comprendra aisément après le tableau plutôt pessimiste qui a été dressé sur le travail social que la question en tant que telle est difficile à traiter.
Dans un premier temps, avant de répondre à la question, on prendra comme ressource de départ la définition de léducateur spécialisé par M. LEMAY : « dans le cadre dune équipe plus ou moins élargie, il vise par sa manière dêtre et sa manière de faire à constituer un lien privilégié de création, dexpression, de réalisation, didentification et de projection permettant, par sa présence affective, efficace, influente et significative, de proposer à un sujet en difficulté un champ dexpressions sociales linvitant à se définir et à se redéfinir dans son identité personnelle vis-à-vis dun groupe social donné ».
Dès que lon cherche à poser une définition de léducateur, des discussions et des polémiques émergent. Les récents travaux pour la validation des acquis et de lexpérience ont mis au point un référentiel de métier, qui a généré de la part de la profession frustrations, satisfactions et colères ! Bref, voilà un métier qui a du mal à vouloir se définir. Reprenons la définition plus de haut de M. LEMAY. Elle pose différentes questions à cet endroit de la réflexion :
Dans certains secteurs, léducateur ne travaille absolument pas en équipe. Il travaille seul, gère son propre emploi du temps et rend compte de ses actions à la seule direction. Labsence déquipe est souvent conditionnée par le peu de crédits accordé à linstitution qui lemploie.
Le débat à savoir si léducateur travaille avec son « être » ou ses « savoir-faire » est inépuisable. Depuis que le métier est sanctionné par un diplôme, la profession ne parvient pas à se mettre daccord sur ce problème.
Est-ce que le lien entre léducateur et lusager est privilégié ou bien nest-il pas seulement contractuel autour dun service social à rendre ? Léducateur a à la fois besoin dune relation de confiance avec les sujets, mais en même temps il nest pas tout puissant dans la résolution des problèmes et a besoin que cette relation soit partagée par dautres professionnels.
Quest-ce quune présence dite affective, efficace, influente et significative ? Quest-ce qui permet de mesurer les caractéristiques de la présence de léducateur auprès des enfants ?
Léducateur spécialisé sadresse souvent à des publics repérés comme en difficulté. Ceci dit, certains modes dintervention de type prévention spécialisée privilégient une rencontre avec des publics en risque dinadaptation mais pas forcément en difficulté. De plus, certains éducateurs se hérissent contre lidée que les usagers dun service éducatif ne soient définis que par leurs difficultés et non leurs capacités.
Le champ dexpression sociale mériterait de plus larges éclairages. Léducateur favorise-t-il les seuls apprentissages, la construction identitaire ou aide-t-il à la résolution des problèmes qui lui sont confiés ?
Le débat pourrait se prolonger. Lidée est de montrer la difficulté pour léducateur à se définir. On regrette le peu décrits de la part des éducateurs ; labsence dune définition qui transcenderait lensemble des éducateurs et qui permettrait une identification univoque du métier par autrui en est peut-être la cause.
De fait, répondre à la question si léducateur spécialisé est un travailleur social ne fait pas lunanimité dans le secteur. Trois discours sopposent : un premier refuse totalement la dénomination travail social, pour eux léducateur est un praticien éducatif et non social doù certaines attributions de centres de formations comme ITES (institut pour le travail éducatif et social) à Saint-brieuc ; un second au contraire pense que léducateur est un professionnel du social, il fait les mêmes choses que lassistant de service social, et bien souvent il occupe des poste en milieu ouvert à teneur assez généraliste ; enfin un dernier type de discours reconnaît certes à léducateur des spécificités mais pour autant son appartenance au travail social est évidente.
Ce qui est sûr, cest que parfois le besoin de léducateur de prôner son appartenance au travail social relève de la stratégie et dune lutte vers une plus grande légitimité.
Léducateur est en effet en besoin urgent de se « construire de nouvelles légitimités » la légitimité se définissant comme « le droit quon reconnaît à quelquun de faire ou de dire quelque chose au nom de certains principes ». Toute la question pour léducateur est de montrer sa raison dêtre, ce qui le constitue en propre, les changements et les évolutions quil a rencontrées. Sa légitimité se pose à la fois au nom des institutions où il exerce et au nom de ses propres compétences. H. HATZFELD démontre en quoi le travail social repose sur des fondements de légitimité insuffisants : la composante humaniste dorigine philosophique, aussi louable soit-elle, ne suffit pas convaincre le citoyen ou le financeur, la relation dans sa dimension duelle et affective nest pas assez crédible, et les dits savoir-être privilégiés aux savoir-faire laissent une « impression subjective et non conceptualisée dun ensemble de sensations, de sentiments, de perceptions », en tous les cas rien de bien professionnel. Comme dit S. CAILLEUX, « léducateur ne sait plus qui il est, il parle de son malaise à être, à exister professionnellement, il ne sait plus sil doit collaborer ou résister. (
) Menacé dans sa compétence mise en question, léducateur oscille entre la conception de lautorité autoritaire, la neutralité bienveillante, la démagogie, le laxisme, la reconnaissance du désir, le concept de lécoute, lordre nécessaire, lhumour possible
sans oublier le respect des droits de lhomme et léclairage des sciences modernes ». Autrement dit, en absence dun référentiel solide, léducateur traverse une véritable crise du sens. S. DEMOURON et A. FOCHESATO citent les raisons principales de cette crise :
Profession dont la fonction est mal définie
Profession dont la formation est inadaptée
Profession qui souffre dimmobilisme ou de routine
Absence didentité et de reconnaissance
Flou artistique de la fonction tant au niveau des champs dintervention que des statuts
Etc.
On voit bien que le métier, certes souffre de lintérieur dun malaise identitaire fort, mais aussi dun nombre important de stigmates portés par les éducateurs eux-mêmes sur leur profession ou les théoriciens du social. Quand on connaît la spécificité de la sociolinguistique par nature intéressée par les langues minorées, le choix de la discipline pour regarder la profession semble tout à fait opportun au vu de ce tableau plutôt pessimiste. Néanmoins, méfions-nous des « prénotions » possibles à lanalyse du métier. Quest-ce qui relève du sens commun ? Les éducateurs ne sont-ils pas victimes de discours universitaires négatifs à leur égard ? Ecrivent-ils si peu tel que cest couramment prétendu ? Quen est-il exactement de leur identité ? Cette thèse va tenter de répondre à ces questions au moins par le filtre des langages professionnels des éducateurs.
Une multiplicité de publics :
Pour faciliter la lecture et la compréhension des types de publics adressés aux éducateurs spécialisés, je propose trois entrées : la prise en charge du handicap, celle de lenfance inadaptée et linsertion socioprofessionnelle.
La prise en charge des handicaps :
Comme disent LEMAY et CAPUL, le problème de la catégorisation des publics auxquels dadresse léducateur spécialisé a toujours posé problème. « Si un essai de délimitation et spécification apparaît nécessaire pour une meilleure compréhension et donc pour envisager les mesures daide les plus appropriées possible, toute appellation renvoie à un processus de catégorisation ; avec le risque de « marquer » la personne ou lensemble de personnes qui en sont lobjet ». Cest pourquoi les auteurs préfèrent la dénomination « personnes en difficulté ». On optera donc pour une « prudence que requiert lutilisation de toute terminologie ; précaution dautant plus indispensable vu la multiplicité des variables, leurs possibles interférences et leur évolution dans le temps ; sans oublier la toujours présente part dinconnu ; sachant aussi que sous-ensembles, groupes et personnes ne se situent pas au même niveau danalyse ».
Le handicap vient de langlo-saxon hand in cap soit la main dans le chapeau. A lorigine, lors des courses de cricket tant prisée par les anglais, pour corser laffaire, on proposait que les coureurs chevauchent leurs étalons avec un handicap de plus cest-à-dire la main sur la tête.
La prise en charge des personnes handicapées renvoie à une multiplicité dappellations. La psychiatrie, les différents courants étiologiques, les nombreux schémas de classification internationale ont inventé pléthore de terminologies. Le handicap interroge de fait les notions de norme et de déviance. LOMS comprend le handicap comme la résultante de trois aspects :
La déficience
Dans le domaine de la santé, la déficience correspond à toute perte de substance ou altération dune fonction ou dune structure psychologique, physiologique ou anatomique.
La déficience est caractérisée par des pertes de substance ou des altérations qui peuvent être provisoires ou définitives. Elles comprennent lexistence ou lapparition danomalies, dinsuffisances et de pertes concernant un membre, un organe, un tissu ou autre structure de lorganisme, y compris la fonction mentale. La déficience représente lextériorisation dun état pathologique ; elle est le reflet des troubles manifestés au niveau de lorgane.
Les incapacités :
Dans le domaine de la santé, une incapacité correspond à toute réduction (résultant dune déficience) partielle ou totale de la capacité daccomplir une activité dune façon, ou dans des limites considérées comme normales pour un être humain.
Lincapacité est caractérisée par une perturbation, excès ou défaut, dans laccomplissement dune activité ou dun comportement. Ces troubles peuvent être temporaires ou permanents, réversibles ou irréversibles, progressifs ou régressifs. Les incapacités peuvent être soit la conséquence directe de déficiences, soit une réponse de lindividu, en particulier au niveau psychologique, à une déficience physique, sensorielle ou autre.
Lincapacité représente lobjectivation dune déficience, et, comme telle, reflète les perturbations au niveau de la personne elle-même. Lincapacité concerne les capacités prises dans le sens des activités et comportements composites généralement considérés comme des éléments essentiels de la vie quotidienne. Cela comprend par exemple des perturbations du comportement, des soins corporels (comme la capacité de se laver, de se nourrir soi-même...), de laccomplissement des autres activités de la vie quotidienne et de la locomotion (comme la capacité de marcher).
Le désavantage :
Dans le domaine de la santé, le désavantage social dun individu est le préjudice qui résulte de sa déficience ou de son incapacité et qui limite ou interdit laccomplissement dun rôle considéré comme normal compte tenu de lâge, du sexe et des facteurs socioculturels.
Le désavantage se rapporte à la valeur attachée à la situation ou à lexpérience dun individu quand elle sécarte de la norme. Celle-ci est caractérisée par une contradiction entre le statut (ou les possibilités) et les aspirations de lindividu lui-même ou du groupe dont il fait partie. Le désavantage représente ainsi la socialisation dune déficience ou dune incapacité et reflète donc pour lindividu les conséquences culturelles, sociales, économiques et environnementales issues de la déficience ou de lincapacité. Le désavantage vient de limpossibilité de se conformer aux normes ou aux attentes du monde dans lequel vit lindividu.
Le handicap est donc une notion complexe. Elle est très sujette aux normes et aux dispositifs daide et dinsertion en vigueur dans tel ou tel pays. Elle est aussi très relative selon les modalités de prise en charge qui lui sont destinées. Autrement, dit la manière dont tel locuteur caractérise un trouble, lui confère ou pas le statut de handicap, envisage ou pas la difficulté du point de vue de celui qui en souffre ou des conséquences sociales que le trouble génère ou du regard que porte la société sur la déficience, constitue le problème de fond. « Nommer cest produire. Dire handicapés, inadaptés, marginaux, quart-monde, pauvres, assistés : ce nest pas seulement choisir une dénomination ou une représentation. Cest opter pour une pratique, une forme daction, un type dobjectif
et les deux sont indissociables ».
Demblée, on se rend compte de la pertinence du regard sociolinguistique sur la question des publics propres à léducation spécialisée. La manière même dont ils sont caractérisés est le produit dun ensemble de représentations sociales, dappréciations subjectives, de jeux de langage, de pressions normatives, dattentes sociales, tant dans le discours de léducateur spécialisé, de son financeur que du bénéficiaire lui-même. Pour parodier AUSTIN, dire le handicap dautrui cest aussi pour le professionnel dire en quoi il est compétent, ce pour lequel il est mandaté.
Les institutions pour personnes handicapées mentales constituent environ la moitié des emplois offerts aux éducateurs spécialisés. Le handicap mental est donc un public traditionnellement cible de léducateur. Mais la notion de handicap mental ne sappréhende pas de manière évidente : elle recouvre des réalités tout à fait multiples allant de lenfant déficient léger, à lenfant trisomique, en passant par le malade mental, lautiste, ladulte en travail protégé, lenfant polyhandicapé etc.
« La définition de la débilité, comme toute définition est conventionnelle. Les connaissances sur lesquelles elle sappuie ne le sont pas, encore quelles puissent être discutées et améliorées. Mais une fois de plus nous devons bien prendre garde de ne pas confondre la marge dimperfection dune notion scientifique et la marge dincertitude du diagnostic individuel » écrivait en 1979 R. ZAZZO, lune des références encore dactualité en matière dhandicap. Lemploi ici de débilité peut choquer mais la caractérisation des handicaps a toujours fait lobjet dune multiplicité de vocables, vocables en continuelle réinvention par soucis de respect voire excès deuphémismes !
Ce qui est sûr, cest que la caractérisation dun état déficitaire a longtemps été difficile par rapport à un état déficitaire psychotique (autisme). Jusquà la fin des années 1960, autant les autistes que les déficients intellectuels sont condamnés à des prises en charge de type asilaire où ils mènent une vie végétative. Lintroduction de la psychanalyse, le travail innovant de pédagogues comme F. TOSQUELLES, D. ROUQUES, M. MANNONI etc. .. ont contribué non seulement à une plus grande humanisation des prises en charge mais aussi à une prise en compte réelle et outillée de leurs difficultés. « Si misérable quil puisse apparaître en regard du rêve tout-puissant et apothéotique de ses parents, si inutile quil puisse apparaître à une société conventionnelle de marchands et de « producteurs », le débile profond exige dêtre reconnu pour ce quil est ».
La loi de 1975 en faveur des personnes handicapées, les annexes XXIV doctobre 1989 vont énoncer les principes suivants : le droit à une éducation ordinaire soit à défaut spéciale, le développement détablissements spécialisés ainsi que le droit à une prise en charge spécialisée qui dissocie les handicaps mentaux des troubles du comportement ou des handicaps visuels, sensoriels ou moteurs.
En conclusion, les éducateurs ont en charge des publics diversifiés dans des structures spécialisées. Pour faire vite, il faut distinguer :
Différents types de handicaps mentaux (allant de la déficience légère à la déficience profonde)
Les handicaps moteurs
Les handicaps sensoriels
Les polyhandicapés associant des troubles mentaux, sensoriels, ou moteurs
Les maladies mentales
Les troubles du comportement de lenfant et ladolescent
chacune de ces typologies faisant lobjet de prises en charge spéciales.
A lintérieur même de ces typologies il faut distinguer les enfants des adolescents, des adultes qui, et des adultes vieillissants, qui, de par leur âge, leur statut de mineurs, de travailleurs de majeurs protégés ou de retraités recouvrent des réalités bien différentes. Dailleurs, léducateur spécialisé a vu en quelques trente ans un grand nombre de postes occupés par lui, être repris par des professionnels de qualification plus faible tels que des Moniteurs éducateurs ou des AMP (Aide Médico-Psychologiques) auxquels lon confie des tâches ingrates et pénibles caractéristiques des personnes souffrant dhandicaps lourds.
Lenfance inadaptée
Dans le vaste domaine de la dite enfance en difficulté, apparaît de manière récurrente la question de la délinquance juvénile. Nombreux travaux depuis quelques années traitent du phénomène, lequel semble au cur des préoccupations du politique.
Lexplication et le traitement du fait délinquant sont particulièrement sensibles à la demande collective en matière de sécurité. La loi de 1890 promulgue linstruction obligatoire des délits commis par les mineurs et le la loi de 1898 la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants. Si la création des tribunaux pour enfants en 1912 introduit la nécessité de méthodes éducatives préférables à une pure répression, il faut attendre lordonnance du 2 février 1945 pour que les colonies pénitentiaires deviennent des institutions déducation surveillée. Les éducateurs doivent beaucoup aux lois du 2 février 1945 et du 24 mars 1958 quant à la primauté de laide éducative sur la seule réponse pénale. En effet, tant les courants psychanalytiques (WINICOTT) que psychopédagogiques (LEMAY, LESCURE, REDL et WINEMAN, AMADO) expliquent souvent le fait délinquant par une violence familiale et sociale que le délinquant aurait lui-même subi. La carence affective se superpose avec la carence éducative, ce qui génère insécurité et agressivité. « Les adolescents, comme leurs cadets, apprennent la violence comme mode relationnel et risquent, en sidentifiant à lagresseur, de devenir eux-mêmes violents, agressifs. Ainsi, devant un adolescent dénoncé comme violent, la première démarche est de sinterroger sur léventualité quil soit lui-même victime de mauvais traitements » donnent par exemple des auteurs comme explication à la délinquance juvénile.
Bref, depuis 1945 la compétence éducative est quasi inébranlable dans le traitement de la délinquance jusquà récemment où les centres renforcés, les séjours de rupture ou les centres pénitentiaires pour mineurs refont surface. Ce retour à des modalités de traitement répressif nest pas nouveau et remet fortement en cause la présence des éducateurs auprès de lenfance difficile. On revoit surgir les anciennes colonies pénitentiaires, les tentatives décartement des mineurs des lieux dhabitation du tout venant par le biais de bagnes denfants où léducateur devient beaucoup plus un gardien quun professionnel dune éducation spéciale. « Un substrat répressif traverse toute lhistoire de la rééducation et des initiatives du siècle dernier jusquà leurs prolongements contemporains des colonies agricoles aux « bagnes denfants » des années 1930, il nen est pas une forme dencadrement où ne perdure cette volonté de mise au pas, bâtie sur un modèle coercitif » écrit A. VILBROD qui rappelait dans son ouvrage que léducation spécialisée sorigine entre autre dans léducation jésuite.
Lenfance malheureuse a porté tout une série de appellations. On a parlé denfance anormale, denfants vicieux, abandonnés, malheureux, coupables, pervers etc. Le fameux « enfant de la DDASS » ou « enfant de lassistance » représente avant tout lenfant qui à un moment de sa vie a eu besoin des services du juge ou de lAide Sociale à lEnfance pour pallier déventuelles carences éducatives ou le protéger dune situation de maltraitance sur le lieu familial. Si la souffrance de lenfant génère souvent de la compassion de Monsieur tout le monde, son traitement éducatif produit un ensemble de traits psychologisants qui vont de la notion de « carence éducative » à celles de « carence affective », d « enfants en miette », d « enfants abandonniques » etc. La maltraitance ou le risque de maltraitance recouvre chez lenfant ou ladolescent un ensemble épars de réalités physiques, affectives, sociales, sexuelles, sociologiques qui trouvent leur condensé dans lexpression de sens commun du « cas social ». La maltraitance crée des troubles divers auxquels léducateur est censé apporter une réponse éducative comme léchec scolaire, les troubles de la personnalité et du comportement, les fugues, les mises en danger, le manque de repères et de structure personnelle, linstabilité affective, des atteintes graves de la personnalité etc.
Le secteur de lenfance inadaptée représente donc un domaine complexe, aux frontières floues. Par exemple, il est courant que des enfants pris en charge dans des institutions médicosociales en direction de déficients intellectuels, ne souffrent pas dune pathologie clairement établie, mais relève plus dun manque de stimulations et de mauvais traitements dans leur famille. Leffort de catégorisation est un exercice complexe qui pose la question de lambiguïté de la dite spécialisation de léducateur. Comme dit G. GENDREAU « réfléchir sur léducateur de jeunes en difficulté représente un défi de taille car ce simple titre éducateur de jeunes en difficulté recouvre un ensemble bien mystérieux ».
Pourtant les ouvrages à visée diagnostique ne manquent pas. Le discours très familiaristes sont prolixes, proposant des explications diverses, pour certaines plus fantaisistes que réelles, aux troubles de comportement des enfants. Cependant, la polémique à savoir si les maltraitances familiales sont liées à la psychopathologie de la famille elle-même ou la situation sociale de la famille. Tel cette introduction à un chapitre nommé « pratiques sociales : insertion, exclusion, déviances » : « ce chapitre est consacré à certaines situations sociales cest-à-dire relatives à la société, à ses institutions, à ses valeurs, à son fonctionnement qui affectent, positivement ou négativement mais toujours de façon marquée, non seulement la place et le rôle de lenfant dans la famille et dans la société, mais aussi sa vie quotidienne, son développement, son avenir, et qui ont, avec la maltraitance, des liens complexes mais réels ». Cest pourquoi après la dérive forte des années 50-80 qui favorisait la séparation des enfants de leur famille dans des institutions, de plus en plus léducateur travaille avec les familles ; le placement devient une mesure exceptionnelle et le parent devient omniprésent dans la bouche de léducateur avec tout ce que cela peut générer de discours normatifs à lextrême, tentant de nommer ce quest une bonne famille a contrario de ce que présentent les parents dans le service éducatif. Est-il utile de rappeler que lextrême culpabilisation des familles est née entre autre pendant la période vichyste où larrivée de la psychologie médico-sociale a permis « limprégnation en douceur dun dispositif institutionnel dont les manques concrets en appellent à la science, dont les rouages nouveaux obligent aux médiations, dont la complexité relationnelle avec létat fabrique littéralement une
nouvelle vague de notables et de techniciens ». Bref, le problème de lenfance inadaptée devient pour léducateur spécialisé beaucoup plus un problème de parents inadaptés.
Il faut donc comprendre quil y trois formes principales de mesure éducative vis-à-vis de lenfance inadaptée :
Les mesures administratives (Articles 40 du Code de la Famille et de lAide Sociale) : même si elles sont proposées par la travailleur social, elles restent à linitiative de la famille. Autrement dit, la famille prend la décision de confier son enfant aux services de lAide Sociale à lEnfance tant sur le type de mesure (placement, observation, intervention dans le domicile familial) que sur la longueur (la famille peut théoriquement à tout moment mettre fin à la mesure éducative). On parle dans ce cas de mesure de prévention de maltraitance : la famille signe un contrat qui la lie aux services du département.
La mesure judiciaire (Article 375 du Code Civil) : le juge des enfants décide de létablissement de la mesure. Il doit certes recueillir au mieux ladhésion de la famille, il nempêche que cest à lui que revient la décision du type de mesure et du renouvellement ou pas de cette mesure. Normalement, le JE est sollicité quand les travailleurs sociaux nont pas pu mettre en place une mesure administrative ou bien si « si la santé, la sécurité ou la moralité dun mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises ».
Enfin le Juge des Enfants peut revêtir une casquette pénale (ordonnance du 2 février 1945). Lorsquil juge quune famille met en danger son enfant cest au titre du code civil. Lorsque le mineur a commis un délit, le JE est saisi mais cette fois au nom du code pénal. Il doit privilégier des mesures éducatives comme des admonestations, des mesures daide ou réparation, des mesures de placement, des mesures de liberté surveillée ou au pire il peut incarcérer un mineur. A ce jour, le mineur de 13 ans reste non responsable pénalement.
Dans tous les cas, léducateur interviendra dans le parcours institutionnel de lenfant. Le mineur le rencontrera dans les services daide sociale à lenfance, dans les tribunaux pour enfants jusque dans les foyers où il sera reçu si besoin.
Linsertion socioprofessionnelle :
Linsertion socioprofessionnelle renvoie au vaste travail de traitement ou de réduction de lexclusion. Si les lectures en la matière sont vastes, nous nous appuierons sur les travaux de S. PAUGAM pour comprendre ce que veut dire « exclusion ».
Lauteur cherche avant tout à construire un objet sociologique rigoureux qui puisse rompre avec les « prénotions » du sens commun, à propos de la pauvreté. Ainsi, il concentre son travail sur les rapports entre les « exclus » et les services sociaux qui les prennent en charge. Lapproche nest donc pas « objective », mais résolument « compréhensive » : lenquête de terrain, fondée sur des entretiens approfondis, et réalisée dans une cité de Saint-Brieuc, cherche à reconstituer les expériences individuelles et collectives des populations touchées par la « disqualification sociale », qui place ces individus dans un « statut social spécifique, inférieur et dévalorisé, marquant profondément lidentité de ceux qui en font lexpérience ». Lauteur construit par la suite une typologie de trois grands types de populations (les fragiles, les assistés, les marginaux), associés à sept types dexpériences possibles.
On peut dabord repérer les « fragiles », qui connaissent un éloignement de la sphère du travail, mais peuvent espérer une réinsertion : il sagit dun « apprentissage » de la disqualification, qui peut être vécu dans langoisse (« fragilité intériorisée ») ou conjuré par une attitude volontaire et pragmatique (« fragilité négociée »). Les services sociaux sont utilisés ponctuellement, mais encore mis à distance. Dans une situation plus difficile, les bénéficiaires de laction sociale en deviennent dépendants : ils adoptent le statut et la « carrière morale » des « assistés » : assistance « différée », « installée » ou « revendiquée », selon la motivation au retour au travail, le degré de dépendance et la relation aux services sociaux. Enfin, dans un troisième temps, les « marginaux » ne peuvent plus guère espérer une réinsertion économique ou sociale, ils sont dans une situation d « infra-assistance » et nont plus quà « résister au stigmate », à travers les attitudes de « marginalité conjurée » (avec une attitude de résistance à la disqualification, même si le changement de comportement et didentité paraît inévitable) ou bien de « marginalité organisée » (avec la rationalisation de la vie quotidienne dexclu, et la recherche despaces dautonomie).
Bref, lexclusion nest donc pas un état de fait mais bien un processus. Vue par le filtre de lintervention sociale, elle met donc en jeu les interactions qui président à la relation usager/service social. Si les travailleurs sociaux peuvent viser une certaine réduction de lexclusion, le système quils instaurent crée aussi du stigmate et donc de la disqualification sociale. Elle est le produit dun ensemble de représentations ancrées elles-mêmes dans un contexte historique particulier. Comme le montre AUTES, dune conception où lon tentait de décrire et de catégoriser lexclusion autour de conduites asociales, lexclusion dans les années 1970 est vue à travers « le dispositif de gestion (
) : on découpe, on normalise, on standardise en fonction du degré de handicap mental, physique, social ». Ainsi lexclusion devient plus une question de pratique sociale que détat de fait réel.
Léducateur spécialisé travaille avec des publics étiquetés comme exclus. Dabord parce quil travaille souvent au nom de financements publics, aussi parce quil occupe des postes de travail social traditionnellement réservés à des postes dassistantes de service social, enfin parce quil intervient dans des CHRS (Centre dHébergement et de Réadaptation Sociale) dont la vocation est laccueil en foyer de personnes temporairement ou continuellement sans logement. Léducateur peut aussi intervenir directement en prise avec les publics exclus dans la rue ou dans des quartiers HLM (services de prévention spécialisée).
La notion dexclusion est relative selon la période dans laquelle elle sexécute, selon le contexte politique qui stigmatise plus ou moins tel ou tel type de populations, et selon la demande sociale du contribuable. Le regard porté sur lexclus accompagne léducateur dans la représentation que le tout venant a de ce dernier et les attentes souvent démesurées quil a à son égard. Elle évolue, change de formes mais continue à toute époque de générer de langoisse. Dans les années 50, on seffrayait des « blousons noirs ». Dans les années 80, sous linspiration dO. GALLAND, est créée la catégorie des « jeunes en galère ». Aujourdhui il semble apparaître de nouveaux fléaux sociaux forts (ou plutôt vécus comme tels) comme limmigration, la prostitution, lusage de drogues etc.
En tous les cas, léducateur se retrouve confronté à chaque fois aux nouvelles formes dexclusion, dans cet effort désespéré de médiation entre une population de laissés pour compte et une société terrorisée. « Léducateur est toujours ce personnage qui tente détablir un pont entre en être actuel et en devenir et un environnement qui doit apporter sa contribution à un processus de mise en forme » écrivent LEMAY et CAPUL. On comprendra que léducateur se retrouve en face de publics multiformes, inépuisables parce que sans cesse produits à la fois par la société qui les contient et les individus eux-mêmes au vu du rôle quils souhaitent socialement occuper. Dès lors que létat tente de répondre spécifiquement à tels ou tels handicap ou difficulté sociale, se crée alors une autre forme dexclusion revendiquée ou pas par ceux qui lincarnent.
Plus généralement léducateur a pour fonction de prendre en charge les publics repérés comme déviants, voire lexclusion tout entière, celle qui « concerne des gens qui sont en dehors dune société et en même temps [qui] en font nécessairement partie », ceux que Saûl KARSZ appelle les « inutiles au monde ».
Linsertion devient une finalité essentielle de léducateur. Linsertion dit LORIOL « constitue à la fois un ensemble de dispositifs relevant dun certain type de gestion collective des problèmes sociaux, et une tentative pour agir sur des individus afin de les adapter à un certain nombre de normes fonctionnelles. Il sagit à la fois dun pratique et dun projet et ces deux dimensions renvoient à la même logique de réduction des problèmes collectifs nés de lélévation des exigences normatives à un problème individuel ; comment adapter ces individus ne répondant pas aux nouvelles exigences, notamment celles du marché du travail ? Lidée que lindividu doit faire lobjet dune intervention correctrice est donc sous-jacente à la notion dinsertion. Lacceptation de cette intervention devient alors le signe de linscription de lindividu dans lordre social ». Le problème nest donc plus pour léducateur tant la question de laide à apporter à un individu au vue des souffrances quil donnent à voir, mais damener à une réduction voire une disparition du trouble qui met le sujet au ban de la société. En ce sens, les publics concernés par linsertion socioprofessionnelle ne bénéficient pas de la priori positif de la personne handicapée ou du mineur maltraité dans la représentation que sen fait le citoyen ordinaire. Ils constituent une frange de la population dont le stigmate ne porte pas à la compassion et pour lesquels la société cultive lidée quils ne font aucun effort pour sintégrer dans la norme. Léducateur a donc deux missions complémentaires, celle daider à un mieux-être lindividu exclu et en même temps celle de travailler les représentations sociales qui freinent laccès de cet individu aux dispositifs de droit commun. Linsertion traverse ainsi plusieurs domaines qui vont de lhébergement, à la réadaptation sociale en passant par laccompagnement et la mise au travail par le biais de mesures de type RMI ou de stages divers dits dinsertion. Pour faire vite, louvrage à teneur pragmatique et juridique La lutte contre les exclusions comprend le problème de la réduction des exclusions autour de quatre axes : lhébergement, lemploi, laccès aux ressources et la santé
Parler des publics de léducateur spécialisé est quasiment un non sens puisquil recouvre des réalités et des visages complexes suivant langle de vue qui est pris pour en parler. « La marginalité sociale est particulièrement difficile à circonscrire » rappelle Robert CASTEL et il en est automatiquement de même pour les publics de léducateur. Dailleurs ce dernier a du mal à le désigner : il dira « lusager », le « client », le « bénéficiaire », le « résident » sans toujours être capable de préciser ce que la dénomination recouvre en terme de caractéristiques.
Une multiplicité de lieux dintervention :
La multiplicité des publics de léducateur spécialisé renvoie automatiquement à une multiplicité des lieux dintervention. Les textes de loi qui régissent le secteur sont donc innombrables et complexes. Je nai pas lambition de faire le tour exhaustif des institutions qui emploient des éducateurs mais bien de faire létat des lieux dun métier aux contours et aux pratiques multiples. Des ouvrages tout à fait intéressants tels que ceux de M. JAEGER ou V. LÖCHEN nous seront dune précieuse aide.
Les institutions médico-sociales :
Nous entendrons par institutions médicosociales toutes celles qui, historiquement, ont connu une emprise forte du regard médical et psychiatrique. Généralement, elles prennent en charge des personnes handicapées.
Les IME (Institut Médico-éducatif) reçoivent des enfants et adolescents déficients intellectuels, âgés de 3 à 20 ans, sauf dérogation spéciale (Amendement de CROTON) qui accorde aux jeunes adultes de rester pris en charge jusquà leurs 25 ans en attendant quune place se libère dans un CAT ou ailleurs.
Les IME se découpent en deux sections spécifiques : les SEES (Section déducation et denseignement spécial) qui accueillent les plus jeunes et les SIFPRO (Section dInitiation et de Formation Professionnelle) qui accueillent les adolescents.
Les IME sont parfois des établissements publics autonomes mais sont bien souvent privés et gérés par une association de type ADAPEI (Association des Amis et Parents dEnfants Inadaptés). Ils sont régis par lannexe XXIV du décret du 9 mars 1956, modifié par le décret du 27 octobre 1989. Pour faire vite, ces décrets prévoient une spécialisation des prises en charge, une séparation des enfants handicapés des enfants souffrant de troubles de la conduite dans des établissements distincts, une obligation de prise en charge sur la base de projets personnalisés alliant le regard médical, pédagogique et éducatif.
Les IME comprennent une multiplicité de services : des internats de semaines qui reçoivent les enfants après lécole quand lIME est éloigné du domicile familial ou quil a fallu pourvoir à la protection de lenfant déficient ; des services en externat qui accueillent les enfants à la journée et leur proposent des activités scolaires spécifiques ou des apprentissages en ateliers ; des SESSAD (Service Educatif de Soins Spécialisés à Domiciles ) qui promeuvent une intervention à domicile pour des enfants très en difficulté ; des CAMSP (Centre dAction Médico-Sociale Précoce) qui visent une prise en charge précoce des enfants de moins de 6 ans etc. Les IME proposent des interventions distinctes dans des établissements spécifiques pour les enfants souffrant de troubles auditifs et visuels (Instituts dEducation Sensorielle Mixte IESM), de seuls troubles sensoriels (Instituts dEducation Sensorielle pour Enfants atteints de Déficiences Visuelles/Auditives IESEDV/IESEDA), de troubles moteurs (Instituts dEducation Motrice IEM) lesquels accueillent des enfants handicapés physique ou polyhandicapés.
Les IME pallient la scolarisation obligatoire des enfants de moins de 16 ans. Les usagers sont dirigés vers létablissement spécialisé à linitiative de la CDES (Commission dEducation Spéciale) qui, dailleurs, a bien souvent été saisie par les médecins de familles, les psychologues scolaires ou les instituteurs eux-mêmes.
On dénombre aujourdhui 1213 établissements pour les seuls déficients intellectuels.
Les CAT (Centre dAide au travail) emploient essentiellement des éducateurs techniques spécialisés dans les ateliers. Les CAT reçoivent des adultes déficients intellectuels ou malades mentaux. Initialement, il sagissait de « centres de réentraînement au travail ». Ils permettent daider à linsertion de personnes handicapées qui ne peuvent momentanément ou durablement travailler ni en milieu ordinaire ni en ateliers protégés.
Les CAT peuvent être publics mais comme les IME ils relèvent plus généralement du secteur privé. Ils bénéficient de financements publics qui assurent laide éducative et sociale en faveur des travailleurs handicapés, mais aussi de financements émanant de la production elle-même. Dailleurs, alors que létat se désengage de plus en plus dans le financement des CAT, la production prend une place prépondérante, ce qui leur vaut souvent le reproche daccueillir des adultes autonomes et en difficultés moindres.
Il existe 131 établissements pour 89000 places.
Les Foyers dhébergement pour adultes handicapés jouxtent bien souvent les CAT. Ils proposent des formes diversifiées dhébergement allant du foyer concentré dans un bâtiment à des formules dites « éclatées » : appartements disséminés, HLM etc.
90 % des établissements reçoivent des handicapés mentaux. Il existe presque 1236 foyers.
Les foyers assurent le quotidien des adultes handicapés dans une logique dinsertion et douverture vers lextérieur. Les adultes participent au paiement du loyer. Le foyer propose un espace collectif où ladulte est aidé à nouer des relations avec les résidents et lenvironnement proche. Des activités, un accompagnement dans lautonomie à la vie quotidienne sont menés par léquipe éducative. Le projet repose sur une juste mesure entre ce qui pourrait relever dun certain assistanat et laccession à une certaine indépendance dans les gestes quotidiens et louverture sur lextérieur.
Les foyers de vie ou foyers occupationnels reçoivent des adultes handicapés à autonomie réduite. Leur étant impossible de travailler, les adultes trouvent un lieu où sont proposées des activités diverses pour lesquelles la stimulation est plus recherchée que la productivité. Les foyers de vie mêlent des prises en charge en journée et pour certains adultes une prise en charge la nuit et les week-ends. On parle de semi internat et dinternat.
Le foyer occupationnel tient une place particulière entre les foyers dhébergement et les MAS. Laccompagnement aux apprentissages du quotidien, la création dateliers ou dactivités occupationnelles, louverture sur lextérieur, le travail en réseau, laccès aux loisirs constituent le socle à une prise en charge dynamique et stimulante.
Les Maisons daccueil spécialisé (MAS) proposent elles des accueils à temps complet pour des adultes souffrant dune autonomie très réduite et nécessitant des soins réguliers. Les personnels éducatifs y sont plus rares. Des Aide Médico-Psychologiques (AMP) aident les adultes à une vie confortable en dépit des handicaps lourds qui les caractérisent. Des activités stimulantes et adaptées sont offertes aux résidents afin déviter au mieux des régressions dans les acquis. La prise en charge est importante, elle nécessite une proximité des personnels. Lentourage psychoaffectif des adultes par les encadrants cherche à prévenir les régressions physiques et psychologiques des résidents.
Les Instituts de Rééducation (IR) reçoivent des enfants et des adolescents présentant des troubles du caractère et de la conduite, relevant de léducation spécialisée et dune prise en charge psychologique particulière. La population a été séparée par les annexes XXIV du 27 Octobre 1989 des IME où jusqualors elle était prise en charge. Cest une population difficile à définir, tant elle se situe à lintersection entre les institutions psychiatriques et celles relevant de la protection de lenfance. Les textes réglementaires parlent « denfants ou adolescents dont les troubles du comportement rendent nécessaire, malgré des capacités intellectuelles normales ou approchant de la normalité, la mise en uvre de moyens médico-éducatifs pour le déroulement de la scolarité ».
Ce type dinstitutions est souvent reconnu comme des lieux où règne une importante violence. A troubles extrêmes correspondent débordements extrêmes. Les prises en charge associent des simples accueils en journée, des accueils à la semaine à des accueils péri-annuels en internat.
Les institutions pour lenfance inadaptée sociale :
Les Maisons dEnfants à Caractère Social (MECS) sont des établissements privés gérés par des associations. Leur mission essentielle est laccueil denfants, dadolescents ou de jeunes majeurs en situation de rupture familiale ou de maltraitance familiale. Les placements se font à linitiative des juges pour enfants ou de lAide Sociale à lEnfance (ASE).
Héritières des orphelinats, les MECS cherchent à fonctionner sur un modèle familial. Les associations gèrent différentes petites maisons sur une commune qui reçoivent les enfants selon leur âge. Les éducateurs se relaient chaque jour pour assurer le quotidien des groupes.
Le projet institutionnel, les projets individualisés, les relations avec la famille sont au cur des pratiques de ces internats. Les éducateurs occupent à la fois une fonction de protection mais aussi se substituent temporairement aux parents pour permettre les apprentissages éducatifs et sociaux nécessaires à lautonomie des enfants.
Ce sont les départements qui financent les MECS sur la base dun prix de journée multiplié par le nombre denfants pris en charge. On dénombre 45000 places en France en MECS.
Les foyers de lenfance reçoivent aussi des enfants et adolescents qui ont besoin dêtre protégés temporairement de leurs parents ou leur milieu familial. Cependant, pour les différencier des MECS, les FE sont rattachés directement aux services de lAide Sociale à lEnfance (ASE).
Les Foyers de lEnfance sont aussi des structures dinternat plus ou moins grandes, plus ou moins éclatées. Ils reçoivent des enfants de tout âge depuis le nourrisson (pouponnières) jusquau jeune adulte de 21 ans. Les accueils peuvent se faire durgence selon les besoins du département ou le signalement durgence déposé auprès dun Procureur de la République. Les placements se veulent généralement de courte durée puisque lobjectif pour les équipes éducatives est de proposer une orientation plus durable vers une autre structure après avoir mené une observation au quotidien et un diagnostic spécialisé.
On compte environ 199 établissements en France pour 10000 places.
Les foyers daction éducative (FAE) dépendent du Ministère de la Justice et plus exactement des services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). Ces établissements publics gèrent quasi exclusivement laccueil des enfants ou adolescents dans le cadre de lordonnance du 2 février 1945. Les structures de type internat sont spécialisées dans la prise en charge de lenfance délinquante. Il ne faut pas les confondre avec les CER (Centres Educatifs Renforcés) ou plus récemment les UEER (Unité Educatives à Encadrement Renforcé) qui prennent en charge dans des petites structures, avec un personnel éducatif important des délinquants récidivistes.
Les CAE (Centres dAction Educatives) dépendent aussi du Ministère de la Justice. Ces structures dites de milieu ouvert assurent deux missions : celle du suivi et de lorientation des enfants délinquants au moment du jugement ou en maison darrêt ; et celle de laccompagnement des mineurs déjà jugés pour lesquels le magistrat na pas demandé un placement en internat. Les CAE ont à leur charge lexécution des mesures de réparation, des mesures de sursis, des mesures dintérêts généraux en direction des mineurs. Ils proposent des services daide à la formation ou des classes relais pour les enfants déscolarisés mais encore soumis à lobligation scolaire.
Les éducateurs sont souvent confrontés à des manques de réponse institutionnelle pour traiter le problème de lenfance délinquante. Ils peuvent alors faire appel à des structures privées innovantes telles que des Services de séjour de rupture qui organisent des circuits à létranger dans des conditions difficiles ou sur des bateaux. Aussi, la remise en cause de lOrdonnance 1945 visant des condamnations plus fermes des mineurs délinquants, un abaissement de lâge de pénalisation des mineurs naident pas les éducateurs dans leur mission du traitement de la délinquance par léducatif.
Les services dAction Educative en Milieu Ouvert (AEMO) sopposent aux prises en charge en internat dans la forme du fait que les suivis éducatifs sont menés directement auprès du mineur et sa famille dans son milieu de vie ordinaire. Autrement dit, sil y a eu mesure de protection prononcée par un juge ou décidée par lASE, cette dernière sexécutera au domicile du mineur, lobjectif étant de prévenir un éventuel placement en institution et une aggravation de la situation familiale.
Comme pour les placements en institutions, les mesures se font soit à linitiative de la famille (on parle alors de mesure administrative ou dAction Educative en Milieu Naturel AEMN) soit à linitiative dun magistrat pour enfants lorsquil y a eu échec de la mesure administrative ou quau vu de la situation une protection du mineur doit simposer à la famille.
Les équipes sont généralement pluridisciplinaires et léducateur se fera appeler travailleur social. Son outil principal est lentretien. Certaines équipes se spécialisent dans des approches dites systémiques, dautres dites transactionnelles. La famille occupe une place prédominante dans lapproche des difficultés de lenfant, au détriment parfois dun regard sur tout lenvironnement qui peut conduire à des situations de maltraitance.
On estime à 128 000 le nombre total de mineurs suivis en AEMO dont 74 % à la suite dune décision judiciaire. Les orientations actuelles semblent privilégier des prises en charge de ce type, moins coûteuses que le placement en foyer. Près de 35000 professionnels travaillent dans 232 services.
Les services de prévention spécialisée appartiennent aussi aux formes de travail éducatif dites en milieu ouvert. On parle aussi déducateurs de rue pour désigner ce type dintervention. La prévention spécialisée sinscrit dans le dispositif de laide social à lenfance mais elle sexécute selon des critères particuliers : le non mandat, la libre adhésion du jeune à laction éducative proposée, la non institutionnalisation de laction et le respect de lanonymat. Autrement dit léducateur intervient certes au titre de lASE mais sur aucun mandat spécifique. Les éducateurs interviennent sur des quartiers où il existe des risques de marginalisation de leurs jeunes habitants. Ils font du travail de rue où leur mission consiste à être vu, à rentrer en relation avec les jeunes gens afin de leur proposer une aide éducative individualisée. Leurs rapports avec la justice sont particuliers du fait de leur position particulière avec les jeunes quils suivent. Il ne sagit pas dune prévention primaire mais dune action éducative spécialisée qui combine travail dapproche de publics marginalisés hors dispositif et travail dinsertion. 2700 éducateurs interviennent dans environ 621 clubs et équipes de prévention, lemployeur principal étant rarement des institutions publiques mais des associations qui leur permettent une certaine autonomie par rapport aux politiques de la ville.
Les institutions pour adultes inadaptés sociaux :
Le secteur en direction des adultes en difficultés sociales fait référence au vaste secteur de linsertion. Les CHRS (Centres dHébergement et de Réinsertion Sociale) regroupent diverses formes dhébergement pour des familles ou des personnes célibataires rencontrant des problèmes sociaux. Les difficultés financières sont souvent associées de problèmes psychologiques, ce qui rend urgent laide matérielle et éducative. Ils accueillent des personnes SDF, des sortants de prison, des femmes prostituées, des toxicomanes, des alcooliques en post-cure bref toute personne dont le manque de logement cache une plus importante difficulté. Les établissements sont publics ou privés. Ils sont financés par létat. Les personnes sont accueillies en principe pour six mois avec la possibilité de renouveler le contrat afin déviter des conduites dassistance.
Les Centres maternels sont conçus pour prévenir déventuels abandons denfants et donc daider des femmes enceintes et les mères isolées avec enfants de moins de trois ans à assumer le mieux possible leur maternité. Une aide à lhébergement est apportée ainsi quun soutien psychologique qui leur permette dexprimer le plus librement possible leur souhait ou pas de conduire leur grossesse à terme. Les établissements, souvent privés, sont financés par les Conseils Généraux. Ils peuvent accueillir des femmes majeures ou des mineures. A côté de laide à la maternité sont prévues des actions dinsertion.
Les Entreprises dinsertion fonctionnent avec des personnes privées demploi du fait de graves incapacités professionnelles ou dimportantes difficultés sociales. Les travailleurs sociaux tentent dapprendre ou de réapprendre à travailler et à trouver un emploi qui corresponde à leurs capacités. Les entreprises doivent concilier chiffre daffaire et aides sociales. Elles sont au cur des dispositifs ordinaires dinsertion (RMI) et des institutions de droit commun (ANPE, ASSEDIC, DDTE etc.). Des services formation proposent eux des formations et des remises à niveau adaptées aux publics en difficulté.
Ce tour dhorizon des institutions qui emploient des éducateurs est évidemment parcellaire et réducteur. Parcellaire parce que la multiplicité des structures, la dépendance du secteur social aux lois et aux changements gouvernementaux sont la conséquence dun tissu social, riche, complexe et mouvant. Réducteur parce que léducateur spécialisé a changé en même temps que le secteur qui lemploie. Comme le montre Jacques ION, plusieurs types déducateurs, léducateur étant lun des métiers quil nomme centraux dans le travail social, apparaissent : léducateur du front, cest-à-dire celui qui choisit de rester en lien direct avec les publics en difficulté sur des postes contraignants (internats), et léducateur en retrait, cest-à-dire celui qui na plus ou peu de contacts avec les publics en difficulté et exerce des actions de supervision de type ingénierie sociale. Cette scission entre le praticien et léducateur à cheval entre le politique et lintervention sociale crée une mise à mal des valeurs éducatives et des références collectives de la profession. Son choix dinstitution ou de poste complique son rapport au métier dans lacceptation ou le déni de sa motivation originelle à savoir le contact éducatif avec des publics exclus.
Petit historique de léducation spécialisée :
Chaque chose sorigine dans une histoire et se poursuit dans un devenir. Il en va évidemment de même pour léducation spécialisée. Ce qui complique la donne, cest quil y a une histoire de léducation, une histoire de léducation spéciale et une histoire des éducateurs spécialisés. Parfois ces trois histoires se recoupent, parfois elles sopposent. Linterdépendance des politiques sociales dans le positionnement professionnel des éducateurs renforce la nécessité dun regard diachronique. En tous les cas ces multiples histoires ne simplifient pas le problème des identités professionnelles des éducateurs.
Nétant en aucun cas historien, je minspirerai très largement des travaux de DREANO que je complèterai de lectures, lintérêt étant de montrer comment la profession sest constituée en tant que telle et dans quel contexte historique elle a significativement changé. On nignorera pas pour autant la prudence de ce dernier qui écrit : « Il est toujours difficile de dater précisément ce qui peut être retenu comme un changement significatif, tant dans les mentalités que dans les pratiques. Alors que de nombreuses institutions perdurent parfois, sans grande modification dune période à lautre, certaines idées fortes et novatrices trouvent un lieu daccueil qui les fait progresser. A chaque période, et cela reste vrai, coexistent ainsi des éléments aux caractéristiques différentes, les institutions les plus récentes nétant pas toujours actualisées alors que parfois les plus anciennes ont su évoluer ».
Fondements et premières racines :
Léducation spécialisée sinscrit dans une histoire plus large qui est celle de léducation. Léducation apparaît comme un concept universel incontournable de lespèce humaine dans le sens « quaucune société ne peut en faire léconomie, autant pour ses enfants que pour elle-même, en revanche ses attentes, ses moyens, sa durée ainsi que ses systèmes sont régis par des valeurs, des règles et objectifs qui eux savèrent très dépendants des circonstances et font de léducation à travers le temps une donnée dont le sens évolue constamment ». Il en résulte une multiplicité de pratiques éducatives qui de toutes les manières ne réduisent pas le problème intrinsèque à chaque éducation à savoir le manque de références, de modèles et de recettes.
Léducation spécialisée prendrait ses racines au-delà du champ domestique de léducation, dans le secours et linstruction en direction des enfants désavantagés. Plus précisément linfluence des entreprises religieuses est déterminante dans lédification du secteur éducatif spécialisé, lesquelles entreprises ont certes appuyé leurs pratiques sur lévangile mais aussi sur le travail des philosophes humanistes et philanthropes des Lumières. « Incontestablement, les racines religieuses ont façonné durablement les formes institutionnelles du secteur et la sécularisation en uvre depuis quelques années nen a détruit le poids, ni dans les corps professionnels, même sil faut se méfier des analogies trop rapides entre deux champs qui certes entretiennent des rapports de proximité mais qui désormais prennent cependant les distances ».
Limpact du religieux se lit spécifiquement dans la thématique du charisme en tant que « mesures alliant coercition et bienfaisance avec un souci de paix sociale » et la dominance du modèle « familial-charismatique » cher à FUSTIER sur la technique éducative. « Le charisme trouvera sa voie et ses relais dans tous « les groupes verticaux », les « foyers familiaux », le « partage du quotidien » et avec eux toute une modélisation tout un vocabulaire se rapportant à des manières de penser et dagir nont pas encore évacué aujourdhui, loin sen faut, le terrain de léducation spécialisée ». « Nous, les éducateurs, nous avons la vocation du sacrifice et du silence, de lamour et de la patience. Et notre pédagogie est devenue bourgeoise. Propre, soignée et sans excès » écrit GOMEZ dans le récit de son métier, ou plutôt ce quil appelle son « nuage social en compagnie de la Vierge et de tous les Saints de laumônier du centre, du Chris mort sur la croix pour les péchés du monde ».
En même temps, si léducation spécialisée sinscrit profondément dans laide charitable à autrui, elle se fonde aussi dans une combativité et une résistance empreinte de créativité contre lordre établi. Le Moyen-âge voit en effet avec le développement des bourgs, et donc des misérables, des exclus, la constitution dun réseau dhospices de charité, dhôtels-Dieu et dhôpitaux qui, tentent à la fois de répondre à la commande politique et sociale décartement et de contrôle de la pauvreté, et à la fois de résister au regard policé et répressif en assurant une prise en charge au quotidien de type familial. F MUEL-DREYFUS parle de « communauté du refus ou du dégoût exprimant sous de multiples de formes son opposition à toute « éthique » du sérieux » pour qualifier les éducateurs, les situant ainsi dans « une tradition de linnovation ». Aux hospices du Moyen-âge succédera lhôpital général de lâge classique qui, enferme plus quil naccueille, toutes les personnes dès lors quelles sont taxées de marginales. En tous les cas ce type dexpérience fait percevoir dans le travail éducatif spécialisé aujourdhui des subsides peu assumés de répression, de soin et de surveillance.
La révolution et les Droits de lhomme vont chercher à favoriser des initiatives privées ou publiques qui échappent à lenfermement général et privilégient des prises en charge adaptées à chaque type de difficulté. Il est recherché avant tout une dignité dans la considération et le soin apporté à des êtres qui accèdent au statut dêtre humain. Linfluence du religieux reste prédominante dans le soin vers les personnes exclues même si les courant philanthropiques et humanistes vont favoriser lémergence dune idéologie laïque de lamour de lhomme au détriment de la charité chrétienne. Les religieux sont à linitiative de spécialisations du service spécifique rendu aux détenus, aux malades, aux infirmes ou aux pauvres. On voit donc émerger les prémices de la spécialisation de la prise en charge autour du découpage catégoriel des populations en souffrance.
La proto histoire :
Dès la fin du 18ème siècle, les enfants sont repérés comme difficiles parce quils émanent de milieux familiaux défavorisés et gravement perturbés dans leur capacité damour. Le contexte environnemental contribue dans les diverses réflexions philantropistes à expliquer les comportements déviants des mineurs. Le développement des villes notamment va provoquer une paupérisation importante de ses habitants et donc une montée du vagabondage et de lerrance des jeunes.
Le problème de lenfance délinquante est entre autre nourri par les inquiétudes de la bourgeoisie. Laltruisme nourrit alors, en même temps quil tente de réduire le problème de lerrance des jeunes, des rapports privilégiés avec la répression et le contrôle social. Ainsi, les colonies agricoles constituent dès le 19ème siècle les premières réponses à léloignement des enfants dits insoumis, vicieux, vagabonds et des orphelins. Autour de ces colonies se cristallisent des figures mythiques de léducation spécialisée (DEMETZ, ROLLET, JOUBREL) qui, comme le remarque A. VILBROD, constituent le socle fondateur des mouvements vers une éducation spéciale des enfants. Les colonies sont implantées en rase campagne, assurant ainsi la protection des villes et léducation à la terre des enfants placés. « Parce que cest la forme disciplinaire à létat le plus intense, le modèle où se concentrent toutes les technologies coercitives du comportement. Il y a là du cloître, de la prison, du collège, du régiment » écrit M. FOUCAULT. On y expérimente toutes sortes de pratiques qui vont de léducation fortement militarisée, en passant par des prises en charge familiales mélangeant vie collective, partage du quotidien et discipline de type paternaliste (Les Bons Pasteurs), jusquà des sortes de bagne denfants où les gardiens, à défaut dune valorisation sociale réelle et dune capacité à agir sur les troubles, font subir à leurs colons des châtiments terribles tous significatifs dune perversion certaine du système de garde.
Les enfants dits insensés, demeurés ou infirmes, jusque là enfermés dans des asiles obsolètes où se mêlent des populations diverses pour lesquelles le souci déducation semble bien éloigné, vont avec les travaux du médecin JM ITARD (1774-1838) sur lenfant sauvage de lAveyron ou ceux de labbé de lEpée sur les méthodes de communication des enfants sourds (1755), trouver un regain dintérêt nouveau. SEGUIN (1812-1880), très inspiré par ITARD ou lABBE DE LEPEE, va affiner une méthode déjà entamée qui servira de prémices au secteur médico-psychologique. Cet instituteur pensait que lenfant était un être en devenir et quel quétait son niveau il était possible de le faire progresser dès lors que le matériel employé était adapté. Ce type de défi sera engagé par dautres personnages chers à léducation spécialisée comme BOURNEVILLE (1840-1909) qui proposera, en vertu dune tradition laïque de lenseignement et des soins, à lasile une nette avancée : mélange et variété des difficultés, mixité des sexes, implantation à proximité des villes, qualité du cadre, prise en compte des familles et personnels spécialisés qui préfigurent léducateur à venir.
En tous les cas, les nombreuses tentatives et réalisations vont opposer constamment les regards : en effet, bien que des productions comme celles de MONTESSORI (1870-1952) aient fait la preuve de la pertinence du regard éducatif dans la prise en charge des enfants anormaux, rien ne peut se faire sans le contrôle et la coordination dun médecin. Léducation spécialisée montre déjà une difficulté à exister par elle-même en tant que discipline autonome, au contraire elle est toujours lenjeu de batailles intellectuelles et disciplinaires quant à la bonne appréciation des conduites à tenir auprès des enfants. Le psychologue BINET, connu pour ses travaux avec le docteur SIMON sur le Q.I. (Quotient Intellectuel), sévertuera une grande partie de sa vie à séparer et à éloigner le médical du suivi éducatif des enfants déficients. Il sagit dun véritable « marche de lenfance » où dominent les domaines médical, juridique scolaire et médico-psychologique. Les discours « pseudo scientifiques dordre nosographique » et « les discours corporatistes » commencent à émerger. « La médicalisation, et avec elle la transmutation de maints phénomènes sociaux en problèmes psychologiques individuels, va durablement imposer des schémas de perception qui infiltreront notoirement le métier déducateur et sa cohorte de discours mi-scientifiques, mi-oblatifs dont les ressorts seront lautonomie, le changement, lépanouissement et toute la logomachie psychologisante, signe comme le rappelle M. H. SOULT, de sa double origine »
La période pré-contemporaine :
Lindustrialisation conduit en même temps quun enrichissement des classes bourgeoises à une atteinte forte à la classe ouvrière identifiable dans la littérature de la seconde moitié du 19ème siècle : violences, alcoolisme, délinquance et aussi un risque dexplosion sociale. Devant lampleur de la tâche, la générosité des dames patronnesses, les connaissances rudimentaires en médecine, le soutien des surs de charité ne suffisent pas.
Concernant les enfants réputés vicieux de lassistance pour lesquels seules les méthodes coercitives étaient en vigueur au même titre que les mineurs délinquants, le pouvoir politique en la personne de T. ROUSSEL (1973) sengage à réformer les pratiques de protection de lenfance. Lécole devient un lieu dinnovation sociale au sens quelle accueille des enfants « sur la pente du vice et qui pourraient être sauvés ». Lécole de la réforme sincarne dans des initiatives comme en 1902 la création de la première école de la préservation ouverte pour des enfants indisciplinés et sans déficience mentale.
Le secteur de lenfance inadaptée sous linfluence des uvres privées tend à se constituer en spécialité juridique. « Ce secteur apparaît ainsi constamment marqué par une relation dialectique entre les innovations et la législation : la croisade menée par les fondateurs des patronages aboutit en fait à limportant code législatif en juillet 1912 et le détail de ces lois et de ses règlements dapplication contribuent à développer de nouveaux ensembles institutionnels ». Lexpérience de ROUSSEL engage un développement rapide dinstitutions privées sur le territoire à linitiative de sociétés de patronage, de comités de sauvegarde de lenfance coupable ou malheureuse, des Bons Pasteurs etc. Le juge ROLLET à cette époque fait partie des figures remarquées dans la création de patronages.
Les lois FERRY de 1902 rendent obligatoire linstruction primaire des enfants. Son caractère obligatoire pose alors la question des enfants qui en sont écartés soit pour des raisons dindiscipline soit pour des raisons de débilité.
Si le défaut dintelligence trouve sa réponse dans des institutions spéciales, les médecins en la personne de P. BONCOUR par exemple amorcent une réflexion sur linstabilité, lagitation, la turbulence et autres comportements inadaptés comme traits à prendre en compte dans la caractérisation de la déficience. Alors le pouvoir de la médecine qui cherche à sortie de lasile sempare des différents lieux où se trouvent les enfants depuis lécole, la famille, les associations de bienfaisance jusque lassistance publique pour y étendre sa connaissance et son regard. Il sensuit principalement entre les deux guerres louverture de consultations médico-psychologiques ainsi que les premiers contres dobservation et les établissements de rééducation. Lobservation minutieuse et outillée des enfants par une équipe spécialisée (instituteurs, éducatrices, infirmières, psychologues, médecins, assistantes sociales) devient lélément clef dune prise en charge individualisée. Cette observation dépasse la seule utilisation de tests de la personnalité mais sinscrit dans le quotidien à partir de supports éducatifs variés. Ces éducatrices sont appelées assistantes ou mères de familles et elles sont responsables de la vie matérielle, ludique et affective des enfants.
On trouve aussi des éducatrices dans les sanatoriums chargés de la prévention de maladies infectieuses pour des enfants dont les parents sont décédés de pareilles maladies. Ces monitrices de maisons denfants tentent de trouver une voie nouvelle entre discipline, chaleur et animations pour ces orphelins sans toutes fois avoir beaucoup de marges dinitiative et dautonomie par rapport au contrôle médical.
Les pupilles de létat sont accueillis pour leur part dans des institutions religieuses. Les Orphelins Apprentis dAuteuil datent de 1866. Elle seront déterminantes avec les initiatives de proximité telles que les patronages de paroisse, les pionniers, et la plupart des mouvements de jeunesse dont le scoutisme dont seront souvent et bientôt issus les premiers éducateurs de métier.
Lépoque contemporaine :
La fin de la première guerre mondiale constitue en France un regain de nouveauté et dinnovations sociales, politiques, éducatives quincarnent les dites années folles. Lenfant revêt des significations nouvelles, il doit être soutenu dans son devenir et faire preuve dune éducation plus respectueuse et plus attentive à ses besoins. MARARENKO, BADEN-POWEL pour le scoutisme énoncent des projets ambitieux et influents pour la jeunesse.
Des figures importantes simposent dans le décor éducatif. Des gens comme DELIGNY, JOUBREL, BERTRAND encore lus de nos jours apparaissent comme les pionniers dune nouvelle forme déducation spéciale. « lidée de pionnier évoque tout à la fois, laventure, lexpédition, le déchiffrage dans des lieux inconnus de tous, la découverte, les épreuves, le risque, la précarité, lincertain, le pari, lexploit
, toutes émotions partagées en limite du raisonnable et dune certaine inconscience
, mais aussi lélan qui les portent fait de rêve, de foi et dutopie ».
La seconde guerre mondiale génère son lot dincertitude, de peur, dinsécurité et produit une recrudescence de la misère, du vagabondage et de la délinquance et notamment celle des enfants qui se retrouvent en grand nombre seuls ou en bandes. Le gouvernement Vichyssois fait émerger un ordre moral en conséquence directe de la période dinsécurité ambiante. La répression, le retour à des valeurs catholiques et la famille sont magnifiés. Lordre moral et en même temps la nécessaire sécurisation du peuple français conduisent à une véritable technicisation de lenfance difficile autant dans linstauration de camps paramilitaires que dans le regard et limportance qui sont porté aux familles des mineurs placés. Sont menées de véritables luttes contre les fléaux familiaux qui dit-on à ce moment sont « à lorigine de la dégénérescence de la race et de la délinquance juvénile ». La loi de 1942 repose le principe de rééducation par opposition au répressif, notamment pour les « mineurs que la perversité ne permet pas damender par les méthodes ordinaires de redressement » et va donc amener à la création de centres daccueil, dobservation et de triage. Autrement dit, cest du fait du besoin fort des populations dêtre sécurisées que léducation va se spécialiser, quelle va affiner son regard et va emprunter à la science des explications aux troubles afin denvisager des réponses techniques fiables. Léducation spécialisée se tourne vers une forme dobligation de résultats en face de laquelle sont expérimentées les premières écoles de formation.
Les premiers éducateurs professionnels sont issus pour une grande partie des mouvements de jeunesse tels que le scoutisme. « Du chef scout, du responsable de jeunesse, du moniteur de colonies de vacances, ils transfèrent charisme et disponibilité au service de lenfance inadaptée ». Les formations cherchent à effacer une « symptomatologie morale, sensorielle et corrective de lenfance malheureuse au profit dune symptomatologie instrumentale (observation et triage), globale, individualisante et rééducative ». Ce fort mouvement de technicisation est accompagné de la montée du secteur privé à caractère sanitaire et social qui devient un interlocuteur privilégié de lEtat.
G. DREANO montre en quoi ces « grandes manuvres [politiques] [
] restèrent longtemps étrangères aux équipes pionnières de premiers éducateurs dont les préoccupations quotidiennes et lengagement existentiel étaient souvent dune autre essence ». Les pionniers ont réinventé la relation éducative. Elle cherche à rompre avec le clivage délinquant/surveillant pour une relation où jeunes comme chefs sont engagés sur le même bateau. Cest dans cette relation que sexpérimente la relation de confiance, le partage du quotidien, le rapport à lautre où lenfant doit se construire dans la référence au chef charismatique et la modélisation sur ladulte. Solidarité, cohésion, partage de la collectivité et du groupe, tutoiement sont les traits principaux de ce compagnonnage éducatif encore dactualité aujourdhui. « Plus encore que le scoutisme, dont personne ne niera linfluence, le début de la rééducation va être un laboratoire pour les théories de léducation nouvelle (travaux manuels, activités artistiques et de loisir), mais surtout lintroduction dun nouveau rapport maître-élève où laccrochage affectif apparaît comme essentiel et la discipline une préoccupation secondaire et différemment exercée ». La professionnalisation simpose à ces pionniers avec le nécessaire questionnement théorique qui puise lui conférer une crédibilité et une légitimité à exercer des actes éducatifs à la fois performants pour des enfants délinquants et à la fois reconnus pour leur vertu scientifique. « Je mengageais dans ce métier sans lavoir appris. Sans savoir même quil sagissait dun métier. Je voulais faire de mon mieux sans être aidé nullement, malgré les difficultés incessantes, malgré ce monde hostile et nouveau auquel je ne comprenais rien » raconte JF GOMEZ qui déplore à ses débuts labsence de congés, un salaire maigre. Il continue : « jai appris mon métier déducateur lentement, évènement après évènement, situation après situation, comme on apprend la vie ». Si à la libération, le profession se pose la question de la formation, elle se réunit en assemblées, en corps professionnels plus ou moins durables comme lANEJI le 15 juillet 1947 (Association Nationale des Educateurs pour Jeunes Inadaptés) qui entre autre interrogera lorganisation du travail, les traitements, la possibilité davoir une vie maritale en même temps que la possibilité dexercer cette fonction, ou encore lUNAEDE (Union Nationale des Assistants Educateurs de lEnfance) qui regroupe des éducatrices souvent religieuses soccupant denfants déficients. Les pionniers sont remis en cause du fait de lengagement trop fort quimplique la vie professionnelle sur la vie personnelle. La convention collective de 1966, qui continue dailleurs de faire référence dans le secteur éducatif, organisera le cadre dexercice du métier déducateur du point de vue des horaires et des salaires.
Laprès-guerre poussera le travail socioéducatif à sinterroger en profondeur. Il sagit de moins en moins dune action éducative qui ne repose que sur la bonne volonté, lhumanisme et les convictions religieuses ou politiques mais bien dune action que les sciences humaines enrichissent et remettent en cause. Les centres dobservation par exemple sont questionnés sur la validité de toute observation, le caractère éminemment subjectif de ce type dintervention et les références qui la sous-tendent. Le secteur médicosocial, sous linfluence des références psycho-socio-pathologiques, tend à distinguer le travail auprès des enfants déficients (moteur, intellectuel ou sensoriel) du travail psychothérapeutique pour les enfants souffrant de troubles de la personnalité en instituts de rééducation. Les décrets de 1946 puis de mars 1956 réorganisent complètement le secteur médico-éducatif en imposant des normes de prise en charge nouvelles et en outillant fortement le suivi éducatif. LUNAPEI (Union Nationale des Amis et Parents dEnfants Inadaptés) est constituée la même année, cet organisme va avoir un rôle déterminant dans lévolution de ce secteur jusquà aujourdhui où elle constitue un gestionnaire de taille des associations oeuvrant pour les personnes handicapées.
Si léducation spécialisée tend à sunifier, les orientations théoriques à lintérieur sont nombreuses et impriment aux professionnels des modèles daction tout à fait spécifiques : la psychanalyse, les méthodes pédagogiques et les orientations psychosociologiques divisent la profession, elle-même soumise à des clivages forts liés aux publics auxquels elle sadresse. Pour faire vite, les éducateurs se distinguent en deux grandes parties : les professionnels de lenfance protégée et ceux de lenfance déficiente. Ce clivage continue de perdurer, certes da ns une moindre mesure aujourdhui, mais il est déterminant dans le choix identitaire de léducateur spécialisé. Le secteur va notamment subir un envahissement très fort de la psychanalyse qui du même coup fait émerger les passions tant négatives que positives. Soit la psychanalyse force à ladmiration, elle fait lobjet dun quasi culte poussant les éducateurs parfois à singer LACAN ou FREUD dans des interprétations sauvages, soit elle fait horreur, les professionnels arguant une prise en charge qui privilégie la technique sur la psyché, le projet sur la compréhension empathique.
Jusquen 1968, de nombreux colloques cherchent à unifier la profession. Tantôt elle privilégie les outils, tantôt elle met laccent sur les orientations théoriques et disciplinaires qui simposent au métier. En tous les cas, lannée 1967 constitue un point dorgue dans lhistoire du métier puisque le diplôme détat est créé. Léducation spécialisée sancre dans un domaine plus large qui est le travail social. La notion de travail telle quelle sest constituée se fonde sur ce que nomme J. ION trois pôles de métiers traditionnels à savoir léducation spécialisée, lassistance sociale et lanimation. Trois grands modes dintervention sont distincts dans le travail social : lapproche groupale, lapproche individuelle et lapproche communautaire. Et paradoxalement à ce rattachement au domaine du travail social, léducation spécialisée senlise dans un questionnement sans fin sur sa fonction, ses limites, ses déterminants identitaires, la manière dont se distribuent les tâches dans le secteur. Certaines institutions sortent des murs et vont sexercer jusque dans la rue, jetant le trouble entre les éducateurs du front et ceux de larrière front.
Force est de constater que léducation spécialisée tout le temps quelle sest constituée nest jamais parvenue à une unité professionnelle clairement assumée comme telle. Les regards théoriques sont nombreux, les déterminants philosophiques et politiques sont aussi nombreux, jetant ainsi sur le métier léternelle question de sa définition. Les courants technicistes des années 1970 chercheront à faire valoir le primat du savoir-faire sur le reste. Les restrictions budgétaires qui succèdent aux crise pétrolières de ces mêmes années renforcent ce courant rationaliste qui veut à tout prix valoriser lutilité sociale du travail éducatif. Les notions de projet, dévaluation, de moyens, de résultats font concurrence aux référents psychanalytiques ou psychosociologiques. La professionnalisation appelle à « labandon de la culture de laffect et lélaboration doutils de travail, avec le risque faute de vigilance, de se normaliser et de perdre de vue les valeurs qui laniment ». Le travail éducatif néchappe donc pas au constat dinstrumentalisation fait par J. ION dans son ouvrage fameux Le travail social au singulier : la massification des problèmes dendettement, la montée de la pauvreté, la crise des banlieues, le chômage, la dislocation des modèles familiaux font de lexclusion une lutte prioritaire. Le travail social, condamné à une logique de résultats, est traversé par une véritable mutation où les frontières dun métier à lautre deviennent floues et se réinventent en une multiplicité de petits métiers souvent disqualifiés et mal payés.
Le métier déducateur spécialisé en quête de sens
Lhistoire du métier aura permis de poser les jalons à la réflexion sociolinguistique qui va suivre. Si tout historique est évidemment le résultat dune appréciation subjective sur un ensemble dévènements nayant de liens entre eux que les significations quon veut bien leur attribuer, il a le mérite de faire émerger les grandes tendances du métier.
Métier
Le concept apparaît bien hasardeux pour définir cette fonction dite éducative spécialisée, rémunérée comme telle, dénommée comme telle dans la Convention Collective de 1966, et pourtant à en croire les professionnels ou les chercheurs spécialistes dans la question, la notion de métier pour désigner cette tâche, pire celle de profession, ne vont pas de soi.
MC HELARI sinspire des travaux de C. DUBAR pour appliquer les notions de « profession » ou « métier » au groupe professionnel des éducateurs spécialisés. Elle est consciente que la tâche sera ardue puisque dès le début de son ouvrage elle annonce : « Se pencher sur la question du métier déducateur spécialisé aujourdhui nest pas une tâche facile. Si lon y regarde de trop près cela pourrait nous donner le vertige au vu de léclatement actuel de la profession et de la superposition des fonctions au fil du temps. (
) Ils sont entourés de flou quant aux qualifications, aux statuts, aux fonctions exercées. »
En effet, on ne parle pas du métier déducateur comme on parle de celui de professeur, de pharmacien, dinfirmier ou de garagiste. Même si tous le sociolinguistes reconnaissent quil est éminemment difficile de mettre en mots les tâches de travail accomplies quotidiennement, certains métiers se prêtent à une représentation immédiate, certes incomplète ou fausse, mais en tous les cas le commun des mortels apparaît beaucoup plus en mesure den définir au moins lobjet de travail. Lorsque moi-même jexerçais encore, quand javais besoin pour telle ou telle raison de dire mon métier, cela générait généralement des doutes, des questions sur lobjet de travail, son utilité ; une fois que javais rapidement exposé les choses, javais le droit soit à un sifflement dadmiration (« je ne pourrais jamais faire ce métier », « je suis trop sensible je tiendrai pas ») soit au contraire à une forme de suspicion où lon massimilait aux jeunes que javais en charge ou bien où lon me prêtait des intentions dextrême gauche ! Cet exemple montre en quoi ce métier a du mal à exister sans produire de la confusion dans lesprit de lhomme de la rue. De plus, généralement, si le terme « éducateur » est assez facilement descriptible, ladjectif « spécialisé » sème un trouble important générant des questions diverses comme « en quoi êtes-vous spécialisés ? » ou encore « dans quelle spécialité (sous entendu médicale) exercez-vous ? ».
Lhistoire du métier donne des explications à ces constats. Dabord, et la raison est conséquente, ce métier sinscrit dans une démarche altruiste quelle soit de nature religieuse ou laïque. Le propos est particulièrement éloquent sous la plume de F. TESTARD qui introduit le récit de vie professionnelle de P. BERTRAND : « Il avait pensé entrer dans les ordres, il devint éducateur ».La prégnance du souci humaniste et judéo-chrétien va souvent à lencontre de la notion de profession entendue comme un ensemble demplois institués, enregistrés officiellement, reconnus juridiquement et figurant de droit dans les nomenclatures. SANDERS et WILSON écrivait en 1933 « nous disons quune profession émerge quand un nombre défini de personnes commence à pratiquer une technique fondée sur une formation spécialisée ». Voilà où le bas blesse : lhumanisme, le matériel de léducateur étant proprement lhumain, empêchent au moins dans les discours lémergence dun ensemble de techniques précises, identifiables et identifiées par les centres de formation. En effet, dans les imaginaires des gens, le fait que léducateur soit en lien avec des personnes souffrantes nécessitant une aide sociale particulière apparaît comme un frein à une technicisation de la prise en charge. On entendra çà et là des discours du type « on ne traite pas avec de la marchandise mais des êtres humains » ou « on ne travaille pas avec des boites de conserves » etc.
Tout le problème de léducateur spécialisé est de se faire reconnaître comme un professionnel crédible à part entière qui ne travaille pas seulement sur sa bonne foi et son cur mais à partir dun ensemble de références et de modèles de pratique clairs. Or JF GARNIER et JY DARTIGUENAVE mettent laccent sur lurgence pour le travail social à se référer à des modèles scientifiques au risque de perdre une crédibilité déjà bien entamée. Ils écrivent à ce sujet « que la spécificité du travail social ne peut être uniquement fondée sur une technicité professionnelle, contrairement à ce que lon prétend souvent. Encore faut-il que cette technicité soit rattachée à un savoir sur lhomme permettant dorienter cette technicité, de lui conférer un sens, et déprouver sa validité. » Les éducateurs se retrouvent autour de concepts qui sont bien plus des mythes que des objets scientifiques amendables et contestables. Il suffit pour un groupe déducateurs de brandir les mots dautonomie, découte pour que chacun dentre eux se comprennent alors quen réalité chacun a une définition sans doute différente du mot. En cela les deux chercheurs parlent de mythes par opposition à des connaissances conceptuelles et scientifiques. Ce manque de repères est confirmé par une prégnance particulière du vécu personnel du praticien sur sa pratique professionnelle ce qui parfois peut produire des discours confus qui mêlent une appréciation pseudo-scientifique et tout à fait subjective des situations. Le métier « oppose un recrutement basé sur lappréciation des aptitudes personnelles qui minimise ce que lon sait au profit de ce que lon est ; aux métiers sans surprise où lavenir est joué davance, il oppose des postes aux contours flous, des institutions où lon peut innover, des carrières où lon peut toujours avoir le sentiment dinventer sa vie » écrit F. MUEL-DREYFUS pour marquer la confusion du secteur où le meilleur côtoie le pire.
Le passage par loccupation a marqué de façon particulière la profession. M. CHAUVIERE a montré quavant la guerre les éducateurs souffraient dun vide et dune incertitude techniques. La psychiatrie a certes provoqué un besoin de plus en plus fort dexpertise et de pronostique, mais surtout le souci defficacité technique est apparu sous limpulsion du gouvernement Vichy qui va imposer à la profession les classifications, le dépistage et lobservation comme bases de travail. Cette traversée nest pas indifférente et laissera incontestablement des traces aux vocations futures. Voilà donc un métier qui cultive lambiguïté : il conjugue charisme et technicité, rappel à lordre et aide inconsidérée et non jugeante pour lautre, innovation et conservatisme, etc. Les paradoxes constituent presque une clé de voûte dans la compréhension de cette « nébuleuse apte à décourager toute catégorisation rationnelle ». Dailleurs le rattachement des éducateurs au secteur des travailleurs sociaux na pas facilité la clarification. Pour A. VILBROD le travail social est une notion problématique, un « creuset derrière lequel se profile le projet éventé et jamais mis en uvre de substituer aux multiples catégories un travailleur unique et polyvalent ». Le travail social a donné lillusion dun consensus entre des métiers disparates, voire très différents, ce qui pour le cas des éducateurs a pu dans certaines institutions redorer son blason (en AEMO par exemple où les intervenants revendiquent leur identité de travailleur social au détriment du diplôme au titre duquel ils exercent) et dans dautres a renforcé les troubles et la confusion pour des fonctions pas toujours très explicites.
La question des savoir-faire et des savoir-être ne cessent de renvoyer les éducateurs à la difficulté de se déterminer une fonction particulière. Les éducateurs sont loin davoir une idée consensuelle sur la question. Au contraire, le débat souvre régulièrement que ce soit dans des colloques ou lors dépreuves de diplôme par exemple pour déterminer si un éducateur agit et interagit parce quil la appris ou parce quil a les qualités humaines et relationnelles pour le faire. En filigrane, derrière ce débat interminable, se cache le problème de lefficacité du travail éducatif, de son évaluation, de sa pérennité et de son utilité. En effet, quand on regarde les dernières pages des Actualités Sociales Hebdomadaires (ASH), le nombre impressionnant doffres demploi fait craindre quun grand nombre de postes ne sont pas occupés par des éducateurs mais par des salariés non diplômés à défaut de professionnels formés. Dailleurs la tentation est grande pour des moniteurs éducateurs ou des emplois jeunes de revendiquer quils font exactement la même chose que les éducateurs mais pour un salaire moindre. Et ces derniers dy opposer rarement un discours corporatiste ou argumenté qui prouve le contraire. La pluridisciplinarité est même attendue dans des institutions qui ont du mal à expliquer leur intérêt à un tel choix. De plus, la tendance actuelle du travail social va vers une rationalisation budgétaire au détriment parfois dune qualité des prises en charge, et donc les éducateurs perçus comme des personnels chers disparaissent au profit de salariés moins onéreux.
Il est tentant de qualifier les mouvements qui secouent la profession de crise. Cependant, la crise est toujours un moment passager, et lhistoire du métier fait état dun sempiternel questionnement sur sa pérennité et ses positionnements. Tout est sujet pour léducateur à interroger son efficience et son utilité car, comme lindique très justement J. MARPEAU « le processus éducatif, lorsquil réussit, disparaît dans le banal, lordinaire, le normal ». Justement, léducation spécialisée interroge là où elle agit cest-à-dire envers des personnes en difficulté pour lesquelles la possible insertion sera extrêmement difficile. A la fois on comprend que la tâche est ardue, puisque dépendante de la personne prise en charge et du contexte socio-économique, et à la fois on lui reproche de ne pas être parvenu à endiguer la délinquance, à surpasser les handicaps. Léducateur peut être parfois victime de « discours du désordre » nécessaires à une prise en compte des usagers en suivi, et en même temps «un substrat répressif traverse toute lhistoire de la rééducation, et des initiatives du siècle dernier jusquà leurs prolongements contemporains, des colonies agricoles aux bagnes denfants des années 1950 il nest pas une forme dencadrement où ne perdure cette volonté de mise au pas, bâtie sur un modèle coercitif ». Bref léducateur se retrouve tenaillé entre plusieurs extrêmes qui ne facilitent pas ses positionnements professionnels.
Rappel de la loi et de la règle
Coercition
Contrôle social ES Innovation sociale
Normalisation Créativité
Développement de la personne
Compréhension empathique de lautre
Léducateur est accusé de tous les maux. On lui reproche de ne pas savoir écrire, de se taire sur sa profession non par humilité mais par protection. La formation est sans cesse remise en cause dans la littérature du travail social. « léducateur ne sait plus qui il est, il parle de son malaise à être, à exister professionnellement, il ne sait plus sil doit collaborer ou résister » écrit S. CAILLEUX, « menacé dans sa compétence mise en question, léducateur oscille entre la conception de lautorité autoritaire, la neutralité bienveillante, la démagogie, le laxisme, la reconnaissance du désir, le concept de lécoute, lordre nécessaire, lhumour possible
sans oublier le respect des droits de lhomme et léclairage des sciences modernes ». Et devant une telle multiplicité des fonctions de léducateur, force est de constater que le « caractère protéiforme de laction socio-éducative hypothèque toute tentative de définir le métier de manière univoque ».
Léducation spécialisée révèle un véritable problème de positionnement identitaire. Le métier souffre dun besoin dexistence tant pour lui-même dans un système relativement uniforme et unifié que pour autrui à travers les représentations négatives ou faussées quil véhicule. La quête de sens paraît essentielle à sa survie à lheure où nombre de ses postes sont désertés par les professionnels, où ses choix de carrière changent et où les attentes sociales qui lui sont faites sont de plus en plus fortes, ce qui le met souvent en situation dinstrumentalisation de la commande publique.
Il est fort à parier que la difficulté à exister en tant que métier de léducateur va se faire entendre dans les discours quil tient sur lui-même ou quon tient à son égard et la manière dont il parle des bénéficiaires de son action éducative. « Nommer cest produire, nous indique M. AUTES. Des handicapés, inadaptés, marginaux, quart-monde, pauvres, assistés : ce nest pas seulement choisir une dénomination ou une représentation. Cest opter pour une pratique, une forme daction, un type dobjectif
et les deux sont indissociables. » Nombreux sont les textes qui témoignent des difficultés de léducateur à se dire, à écrire, textes dailleurs qui émanent duniversitaires et de chercheurs mais rarement déducateurs eux-mêmes. La parole qui constitue le socle technique primordial de léducateur devient rare lorsquelle tente de formaliser sa pratique, de donner sens à son action, de légitimer ses compétences. Elle ne parvient pas à séchapper du cadre routinier et quotidien de lexercice professionnel, ou bien lorsquelle arrive à se produire à la télévision, en réunion déquipe ou dans des ouvrages, elle ne réussit pas à communiquer le travail réel, peut-être parce « la personnalité de chacun est son principal instrument de travail » ou bien parce quil sagit « dun professionnel toujours en quête dun équilibre par rapport à lautre en difficulté et par rapport à soi-même ».
Le sens est produit par du langage. Le sens cest aussi la direction vers laquelle un sujet souhaite aller. Cette quête de sens quasi existentielle de léducateur procède donc des deux aspects : dire ses univers de référence et ses significations au monde, et en même temps dire vers quoi la profession va, à quelles aspirations elle se réfère et quel devenir elle se donne. Poursuivre le sens ou les sens dun métier, cest aussi énoncer ses savoirs, ses savoir-faire, ses savoir-être sil y a lieu, voire ses savoir sy prendre nous dirait J. BRICHAUX, bref tout lensemble des supports langagiers et techniques qui le constituent. Le choix de la perspective sociolinguistique semble un terrain particulièrement adapté pour létude de la profession déducateur qui souffre à mon avis bien plus dune crise du dire que dune crise du faire. En effet, toutes mes différentes expériences dans le secteur mont fait rencontrer des professionnels souvent passionnés par ce quils faisaient, le nez sur le guidon comme on dit vulgairement, mais peu occupés à se dire, à se questionner sur le devenir du métier, comme si lavenir des jeunes en charge prenait beaucoup plus de place que leur propre avenir, comme si la question de leur métier, de leurs compétences était une question subsidiaire et infime par rapport à la lourde tâche de réinsertion daccompagnement quils menaient. Quand G. GENDREAU écrit en 1978 : « linternat a été pendant longtemps un milieu dintégration privilégié lorsquon envisageait le traitement des jeunes en difficulté. Or, il y a quelques années, sous linstigation dun sociologue américain, létat du Massachusetts décidait la fermeture massive de ses institutions pour jeunes en difficulté. Cette nouvelle orientation fut guidée, à lépoque, par un souci defficacité et dhumanisme afin de chercher à répondre vraiment aux besoins des jeunes », il apparaît déjà en filigrane la question de la légitimité de la profession à travers la crise de ses institutions. Si comme le souligne J. LADSOUS dans larticle « les professionnels de laction éducative », le métier déducateur procède a priori dactes simples, la réflexion et lengagement réflexif sont nécessaires à sa survivance : « léducation demande un acte de foi (
) La laïcité ne nous a jamais demandé dêtre neutres ». Dans le sens de ce qui est écrit plus haut, il est naïf de considérer le problème de tel ou tel enfant indépendamment de ce que le professionnel peut lui apporter et de la pérennité de son action vis-à-vis de lui.
On a vu que léducateur en dépit quil sorte de la même formation que ses acolytes, quil ait en poche le même diplôme lui permettant dexercer, est confronté à une multiplicité de populations dans de multiples institutions. Cette multiplicité renforce le mystère de ladjectif « spécialisé » qui aurait pu se traduire en la périphrase suivante spécialisé dans une forme dintervention envers tel type de populations. En réalité, la spécialisation sil y a lieu, est différente dun éducateur à lautre, et surtout elle est provisoire car il est courant de voir des professionnels, lassés par tel public, se tourner vers une autre forme dinstitution. Ce diplôme spécialisé permettrait donc le contraire dune spécialisation, mais entérine son caractère généraliste à savoir le fait quun éducateur puisse postuler vers plusieurs institutions. Ce qui spécialiserait la fonction, cest comme lécrit le psychologue JP GAILLARD le fait de vivre et travailler « avec les mal nés, avec léventail des non intégrables et des non intégrés ».
La formation renforce ce caractère généraliste, du moins ce quelle est aujourdhui à travers la multiplicité des écoles et des orientations théoriques propres à chacun delles, en produisant des éducateurs semblables par le diplôme et les lieux dexercice, et différents par les apports théoriques qui les ont accompagnés pendant trois années. Léducateur est donc porté par un « savoir marqué par son caractère composite qui associe largement des savoirs théoriques appartenant à des disciplines différentes (la psychologie, la sociologie, léconomie, le droit, la psychosociologie, la psychopédagogie), mais aussi des savoirs pratiques variés mis en exercice dans des champs extrêmement variés et des savoirs méthodologiques transversaux à de nombreuses activités professionnelles ». Lhistoire a montré chez les éducateurs une grande perméabilité aux sciences humaines, aux courants philosophiques, aux modes intellectuelles. La psychanalyse constitue un exemple pertinent. Cette approche a considérablement influencé certains secteurs jusquà créer des professionnels beaucoup plus analystes que pédagogues, beaucoup plus individuants que collectivistes. A contrario, la psychosociologie privilégie les approches groupales dans certains lieux. Léducation spécialisée saffiche donc comme un non champ disciplinaire, et à ce titre, elle cristallise beaucoup de regards scientifiques, de dogmes qui ne parviennent jamais à faire lunanimité dans la profession. Et cette concentration de disciplines autour de lacte éducatif, lensemble des connaissances générales et peu spécialisées qui le commentent naident pas à une meilleure lisibilité du champ éducatif spécialisé, le mettant en situation de consommation des savoirs scientifiques dont il nest que lexécutant et jamais linstigateur.
Pour finir, on aura compris que la profession déducateur spécialisé traverse une mutation interminable, quasi constitutive de son histoire, qui pose la question du sens, de la légitimité et de son identité. Cest parce que léducateur a du mal à exister que paradoxalement il trouve ses forces dans ce que nomme F. MUEL-DREYFUS la communauté de linnovation et du refus, et en même temps il se perd en manque de reconnaissance, dans linstrumentalisation politique, universitaire et sociale. Souhaitons que cette recherche facilitera le nécessaire éclairage du métier et quelle ne servira pas la seule cause sociolinguistique par le biais dune profession en mal dexistence !!
LANGUES, IDENTITES ET PROFESSIONS
Nous entrons dans un avant-propos théorique qui va permettre de donner le cadre théorique général à cette thèse. En effet, il va sagir de montrer tout lintérêt de lentrée sociolinguistique sinon simplement linguistique pour analyser le champ professionnel des éducateurs. Le texte précèdent a fait état dun métier en mal didentité, en mal de marquages clairs, or justement lentrée par le langage permet deux choses : dabord les discours ont le mérite de fonder en propre ce métier dit de parole, du moins où lacte éducatif procède souvent dun ensemble de paroles et dentretiens, ensuite lanalyse discursive permet une approche assez neutre du métier, au sens où elle repose uniquement sur la base dun ensemble de matériaux linguistiques et quelle ne part pas des constats généraux qui ont pu être faits. Les prénotions sont donc évitables plus facilement puisque ce sont les discours et lanalyse de leurs contenus qui vont faire émerger les catégories récurrentes et significatives et non le contraire. En effet, il est toujours possible de dégager des catégories ou des axes théoriques que le corpus vient infirmer ou confirmer ; au contraire je privilégie une méthode inductive au sens que ce sont les matériaux présents dans le corpus qui permettent de dégager des grilles danalyse et non le contraire. En ce sens, il ny a pas une volonté de ma part de faire correspondre mes a priori ou mes attentes au corpus, mais une méthode dont les axes danalyse se dégagent au fur et à mesure de lexploration du corpus. La frappe des entretiens constitue un travail certes fastidieux, mais tout à fait primordial la recherche puisquil permet une réflexion, lémergence de catégories tout le temps de la transcription du matériel phonique en texte.
Il va sagir aussi de définir les thématiques et les concepts de fond à cette thèse à partir desquels je construirai ma problématique. Le problème de lidentité professionnelle des éducateurs peut senvisager de multiples façons. Le choix sociolinguistique ou ethnosociolinguistique dirait P. BLANCHET privilégie certains concepts au détriment de tels autres au vu des matériaux linguistiques sur lesquels le chercheur travaille. Les énoncer et les expliciter cest donc circonscrire le regard théorique qui sera le mien tout au long de la thèse.
Lidentité professionnelle : un problème de dénomination
Le concept didentité recouvre des réalités disciplinaires tout à fait multiples. Très en vogue dans les sciences humaines aujourdhui, lidentité apparaît dans un contexte social et économique où les peuples voyagent et étendent leurs univers de référence à dautres cultures, les ethnies se fragmentent au profit du tout mondial et en même temps où les minorités se recherchent, les replis communautaires se multiplient. On na jamais autant parlé didentité depuis que lêtre humain est encouragé à sortir de lui-même et à rencontrer lautre. En tous les cas, comme dit MORIN, il est impossible de déconnecter lidentité de lendroit où elle est parlée, où elle se manifeste car « connaître lhumain cest non pas le retrancher de lunivers, cest ly situer ». Autrement dit lurgence identitaire recouvre peut-être un besoin impérieux de se situer par rapport à soi et autrui à un moment où les systèmes de référence culturelle sélargissent et se métamorphosent.
Léducateur spécialisé néchappe pas au besoin existentiel de déterminer ce qui constitue son identité, lidentité étant entendue comme un objet pluriel, variable, en transformation dans des contextes de référence eux-mêmes en mouvement, un construit biologique psychologique, communicationnel et culturel et possédant des niveaux dappréciation différents (culturels, groupaux, sociaux et professionnels).
Lidentité, cet objet complexe :
Lidentité ne peut pas se penser de manière univoque et déterministe. Lidentité constitue avant tout un construit social, un ensemble de marquages accolés par autrui et par soi sur un objet déterminé dans un contexte déterminé et qui fonctionnent comme une réalité. Lidentité ne se comprend pas théoriquement ou abstraitement, elle se construit dans un rapport intersubjectif avec autrui, dans la relation avec autrui qui conjugue avec subtilité identification et individualité, distinction et singularité, dissemblance et ressemblance. « Être sujet fait de nous des êtres uniques, mais cette unicité est ce quil y a de plus commun » écrit MORIN pour montrer très justement combien lidentité contient à la fois de lunicité et du semblable, lêtre humain se constituant en même temps dans lindividuation et la référence à autrui. Finalement revendiquer une identité spécifique est loin dêtre original dautant que ce que je mattribue comme signes distinctifs je lai sans doute appris au contact des autres.
Toute la difficulté épistémologique de lidentité est de la considérer comme un objet existant demblée. Or, le concept didentité ne va pas de soi, il rend compte dun ensemble de réalités complexes que les différentes sciences humaines ont construites pour appréhender lhomme. Autrement dit, lidentité est un concept qui a beaucoup plus de réalité scientifique que de réalité tangible observable in situ et décodable immédiatement. Il est beaucoup plus aisé par exemple pour un psychologue du travail daffirmer de lextérieur et en observateur quil y a une identité sociale spécifique de léducateur que pour ce dernier de sarroger de fait quil partage une identité spécifique à son métier. Il me faudra donc veiller à toujours considérer que les éléments que je voudrai bien attribuer comme constitutifs de lidentité des éducateurs ne le seront pas forcément pour eux-mêmes.
Il apparaît que lidentité ne se pense pas isolément mais toujours dans la relation à autrui. Dabord, parce quun sujet existe en tant que tel à partir du moment où il est désigné par autrui, « lindividuation repose sur des procédures spécifiques de désignation distincte de la prédication, visant un exemplaire et un seul, à lexclusion de tous les autres de la même classe ». Lidentité dun sujet se constitue donc dans un double mouvement, celui où le sujet continue de se reconnaître comme un individu permanent, unique, indivisible, et celui où le sujet évolue en fonction des rencontres, sidentifie à autrui. Dans chacun de nous il y a du même et du différent, du même comme sentiment de permanence, du différent dans la discontinuité des rencontres, des regards portés sur soi, des rôles à jouer dans la société. Lidentité se pense donc à la fois dans lidée et la représentation que jai de moi-même, et dans les représentations et les attributions quautrui a envers moi. Je suis en même temps un individu unique et permanent, et un individu pluriel qui compose avec mon environnement, me transforme dans la rencontre avec lautre.
La complexité identitaire montre quune identité ne sappréhende pas de manière évidente et aisée. Déchiffrer ce que serait lidentité dun sujet, cest lécouter dans ce quil croit qui le compose mais cest aussi écouter ce que ses groupes de référence et autrui en général disent de lui. Les caractéristiques identitaires sont matérielles et physiques (caractéristiques, apparences physiques, ce que le sujet possède), historiques (origines, événements qui ont marqué lhistoire de lindividu, ce qui reste de cette histoire dans le présent), psychoculturelles (systèmes de références culturelles, mentalités, système affectif et cognitif) et psychosociales (références sociales, valeurs, groupes de référence, groupes dappartenance).
Lidentité professionnelle néchappe donc pas à la complexité. Au contraire, elle rajoute à la complexité quelle transcende les caractéristiques individuelles pour désigner les attributs dun groupe professionnel. Il y a certes des positions identitaires spécifiques chez un individu liées au métier quil exerce, mais pour parler didentité professionnelle il faut que ce sentiment dépasse lexemple et se réfère à un collectif. On est donc en face dune forme didentité collective qui se définit par « une unité collective réelle, mais partielle, directement observable et fondée sur des attitudes collectives, continues et actives, ayant une uvre commune à accomplir, unité dattitudes, duvres et de conduites, qui constitue un cadre social structurable tendant vers une cohésion relative des manifestations de la sociabilité », voire en face dune forme didentité culturelle entendue comme un ensemble de perceptions et de représentations du monde communes aux membres dun groupe. La notion didentité professionnelle ne peut guère se comprendre si les professionnels ne partagent pas le sentiment dexercer un même métier, dappartenir à un groupe commun constitué à partir de la formation et de la fonction professionnelles, ce qui on le verra chez les éducateurs est loin dêtre évident.
Fondamentalement lidentité professionnelle interroge le sens que les professionnels accordent à leur pratique professionnelle et à leurs interactions professionnelles. Elle sélabore avant tout autour des « compétences spécifiques à partir desquelles des individus se reconnaissent et se nomment, par delà leur contexte dexercice ». La composante technique du métier, le « lieu de travail comme espace social de rapports individuels et collectifs [sont] porteurs dun potentiel de représentations des identités et le champ professionnel [devient] un espace de productions identitaires précieuses, dautant plus quelles assignent aux individus et aux groupes des positions sociales déterminées par les enjeux sociétaux ». Lidentité sélabore donc à la fois dans les valeurs ou les modèles auxquels se réfère lacteur (identité de référence), dans la modélisation des comportements du sujet sur le groupe ou la communauté dont il se réclame (identité dappartenance), et dans un processus dintériorisation et dassimilation des valeurs sociales dun groupe donné (sentiment dappartenance) : il sagit dun processus complexe et dynamique « par lequel le sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de lautre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle de celui-ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série didentifications. »
La question de lidentité professionnelle
Evidemment il apparaît nécessaire de définir le terme de profession. Les sociologues du travail sont loin dêtre daccord sur les définitions, et parfois, la littérature importante sur le sujet complique le problème et donne limpression dune bataille de clochers beaucoup plus quelle néclaire les choses. Le Bureau International du travail désigne la profession comme une activité professionnelle de caractère intellectuel dont lexercice exige des connaissances et des compétences de haut niveau, généralement acquises dans le cadre détudes supérieures universitaires ou autre, dans les domaines tels que le droit, la médecine, la physique, les mathématiques. Cette définition met en lumière la traditionnelle opposition métier/ profession, lun désignant les arts manuels, lautre les tâches intellectuelles socialement plus nobles. Elle exclut un nombre important de métiers, dont celui déducateur spécialisé, qui certes se caractérise par une formation supérieure, mais qui ne prétend pas à lexpertise technique et qui conjugue à la réflexion des capacités manuelles et pragmatiques.
Au vu des nombreuses lectures sur la question proposées dans la bibliographie, un groupe professionnel peut se comprendre comme un ensemble faisant groupe autour dune activité professionnelle et réunissant les critères suivants :
Les membres exercent au sein dune organisation qui reconnaît un statut et une légitimité à exercer un travail rémunéré.
Ils ont suivi une formation garantissant un ensemble de compétences techniques spécifiques, interdites à ceux qui nont pas suivi la formation.
Ils ont obtenu un diplôme autorisant lexercice de lactivité professionnelle.
Ils partagent un ensemble de représentations, un référentiel commun qui guident les connaissances et les actions de travail.
Ils cultivent un langage spécifique et commun que la situation de travail rend signifiant.
La spécialisation technique limite lautorité du professionnel au seul domaine légitime de son activité.
La spécialisation technique fonde le pouvoir de prescription et de diagnostique.
La profession sorganise légalement et est contrôlée par des groupes ayant autorité pour le faire.
Les membres partagent une identité, ou plutôt un système identitaire de références et de représentations communes qui forcent à des solidarités inter-membres et à un sentiment dappartenance.
Tout le problème est de mesurer ce que recouvre réellement le partage dune identité professionnelle dun sujet exerçant telle ou telle fonction. Laccès à lidentité procède du même double mouvement didentification et de différenciation qui se jouent dans les relations de travail. Les rapports de force et de pouvoir apparaissent comme cruciaux dans ce jeu didentification/différenciation. Je suis assimilé à tel poste de travail parce que jen ai le statut, parce je suis reconnu comme disposant de la légitimité pour occuper ce poste et en plus je partage dans mes relations quotidiennes une « quête de force que lon trouve dans les ressources sociales du pouvoir pour arriver à la possibilité de se faire reconnaître comme détenteur dun destin propre ». Autrement dit, le processus didentité professionnelle sétablit dans lesprit spécifique dentreprise qui permet une « assimilation à un ensemble complexe où les relations interpersonnelles se dissolvent dans un grand enchaînement pyramidal de responsables ». Il ny a donc pas didentité professionnelle sans rapport de force et de pouvoir au vu de la considération, de la reconnaissance et de la représentation quéprouvent les collègues sur telle ou telle profession.
Lidentité professionnelle se gagne dans la synthèse entre les aspirations individuelles de lacteur, son propre parcours biographique, ses diplômes, son expérience, entre la façon dont il se distingue dautrui de part sa fonction et la place hiérarchique quoccupe cette fonction dans lentreprise, et entre la manière dont autrui caractérise la profession. R. SAINSAULIEU parle « dinterdépendance possible entre le monde des identités collectives observables dans les rapports sociaux et celui des identités individuelles qui effleurent dans lunivers des relations interpersonnelles ». Donc lidentité professionnelle fait la synthèse de trois dimensions :
La façon dont lacteur vit son travail, linvestit, lui donne sens, ce que C. DUBAR nomme le « monde vécu du travail ».
« La trajectoire socioprofessionnelle et notamment les mouvements demploi » de lacteur ou du groupe dacteurs.
« Le rapport entre des salariés à la fonction et spécialement la manière dont ils ont appris le travail quils font ou celui quils vont faire ».
Il y a toujours dans lidentité professionnelle la manière dont lacteur se perçoit et analyse son travail et la façon dont il est perçu comme exécutant un emploi stable sujet à échange de salaire contre leffort fourni. Cette forme didentité pour soi et didentité attribuée contribue à lélaboration dun métier avec ses régularités, ses incidences, ses caractéristiques propres et le sens commun ou spécialisé qui le définit.
Lidentité professionnelle est certes partagée par le salarié en son endroit mais surtout elle préfigure à une identité collective qui se cristallise au moins sur le métier commun ou le lieu dexercice commun. Léducateur spécialisé dans un Centre dAccueil de Demandeurs dAsile peut par exemple rechercher avant tout une pratique éducative spécialisée, il attendra de son poste de travail des tâches spécifiques à sa fonction et revendiquera auprès de son employeur quil ait été embauché en raison de sa formation ; un autre éducateur niera en partie sa formation initiale pour se centrer avant tout sur la spécificité des CADA, la difficulté dexercice étant la même quon soit éducateur, assistant de service social ou animateur, et limportant étant de remplir les fonctions ministérielles du CADA. Dans les deux cas, lacteur légitime sa position identitaire parce quil est reconnu en tant que tel et parce que son choix identitaire est corroboré par le groupe auquel il se réfère. Il est difficile dimaginer une identité professionnelle qui ne se construise que sur le propre imaginaire de lacteur, cette identité est nécessairement collective et représentée comme telle. Lidentité collective daprès LIPIANSKY est subjectivement vécue et perçue par les membres du groupe comme objective et réaliste, elle résulte de la conscience dappartenance des membres du groupe, elle soppose aux autre groupes, et elle recouvre un ensemble de représentations où sopposent traits négatifs et traits positifs. Parler didentité professionnelle cest « reconnaître aux champs des activités professionnelles la capacité de se construire des identités spécifiques à des groupes ». DUBAR poursuit : « pour quune identité de métier existe et se reproduise, il faut quun groupe professionnel existe dans la société non pas comme un simple témoin dun autre âge mais comme acteur dun système dactions concrètes se construisant constamment ».
On aura compris quune identité professionnelle se construit de la manière suivante :
En référence à un groupe qui partage des aspirations, des tâches communes et un savoir commun.
Du fait dun ensemble dinteractions sur un lieu de travail, dans une formation ou lors de rencontres inter-groupe.
En fonction de lenvironnement et de lorganisation de cet environnement.
Dans un contexte professionnel qui mobilise telle conduite identitaire plutôt que telle autre.
La question des savoirs professionnels est déterminante dans la construction des identités professionnelles. Les savoirs sont de plusieurs ordres. Ils sont techniques, seulement réservés au monde des initiés, ils peuvent être pragmatiques cest-à-dire sacquérant par lexpérience, ils peuvent être professionnels au sens quils impliquent une articulation entre savoirs pratiques et savoirs techniques, ils peuvent être théoriques et enfin ils peuvent être institutionnels cest-à-dire faisant écho à une certaine intelligence de lorganisation et de ses lieux de distribution du pouvoir. Cest pourquoi DUBAR parle de négociation et de système de transaction pour comprendre lidentité. En tous les cas, ce qui est sûr, cest que lidentité doit être comprise comme une dynamique ou encore un « processus contextualisé dans linteraction et non comme une forme stable et univoque signifiant lappartenance de lacteur à une organisation ».
De même la question des langages professionnels structure lappartenance ou le partage dune identité professionnelle. Ces technolectes si lon peut dire constituent le socle commun de cette identité et avant tout dans le système de représentations sociales quils véhiculent. Ces « représentations sociales sont élaborées dans laction et la communication professionnelle (interagir et interréagir) et sont spécifiées par des contextes, les acteurs appartenant à des groupes et les objets pertinents et utiles pour lexercice des activités professionnelles ».
La langue professionnelle devient une structure médiatrice de la subjectivité de lacteur, de lensemble des connaissances et des différents savoirs qui fondent sa professionnalité ainsi que de la tâche à traiter, et du monde de référence propre au groupe professionnel. « Cest dans lexercice langagier que lêtre humain se constitue en individu pensant, capable déprouver sa propre cohérence et son identité. Si lunivers de la parole est celui de la subjectivité, ce nest pas parce que le langage traduirait une subjectivité déjà là, mais parce quil la constitue réellement ». Autrement dit, le discours permet à lindividu de se constituer en un être professionnel reconnu comme tel parce que partageant et élaborant un marquage spécifique qui assigne son identité professionnelle. Lidentité professionnelle se définit donc comme une identité relationnelle structurée par du langage où « laccès à un langage technique commun constitue en effet lacquis essentiel de ces pratiques de formation permettant de comprendre les gens avec qui on travaille et de partager un ensemble de valeurs avec eux ».
Pour finir cette présentation synthétique sur lidentité professionnelle, on retiendra les éléments suivants empruntés à C. DUBAR et P. TREPIER :
Il ny a pas de définition définitive du groupe professionnel. La profession nest pas un groupe unifié et précis mais un ensemble de segments professionnels plus ou moins identifiables. Ainsi les travaux de DUBAR montrent laléatoire de la notion de profession, la multitude des conceptions qui ont tenté de la définir, et naturellement si léducation spécialisée peut correspondre à telle ou telle acception de la profession, elle peut aussi sen écarter chez tel ou tel auteur. DUBAR contourne le problème en disant quil y a autant dauteurs que de conceptions de la profession, et quil est préférable dun point de vue épistémologique denvisager le problème des métiers autour de la notion didentités partagées plutôt que de celle de profession.
Il ny a « pas de profession établie mais des processus de structuration et de déstructuration professionnelle dont les rythmes historiques, les formes culturelles et juridiques, les configurations politique sont très variables ».
Il ny a « pas de profession objective mais des relations dynamiques entre des institutions ou des organisations de formation, de gestion, de travail, et des trajectoires, cheminement et biographies individuels au sein desquels se construisent (et se détruisent) des identités professionnelles, tout autant sociales que personnelles ».
Langue et identité professionnelle : le monde des technolectes
Je viens desquisser lhypothèse par laquelle une identité professionnelle se structure autour de discours particuliers, de dialectes spécifiques ou plutôt de technolectes au sens des variétés de langue propres à un groupe professionnel. Ce que recouvre cette notion, cest non seulement la manière dont les initiés communiquent à lintérieur de lorganisation de travail, mais aussi la manière dont ils formalisent leur travail et la manière dont ils communiquent à lextérieur. Ces opérations complémentaires nimpliquent pas les mêmes exigences : la première nécessite un ensemble de savoirs théoriques ou pratiques intériorisés par lacteur sexécutant de manière quasi automatique autour de lobjet de travail, la seconde nécessite que lacteur se pose la question du contenu et du sens de son travail. Il y aurait donc un technolecte automatique, intériorisé qui exclurait les non initiés et un autre, plus intellectuel, difficile qui tente de rationaliser une pratique professionnelle exécutée sur le lieu de travail in vivo. A ce titre, C. TEIGER fait remarquer lactivité langagière du travail sexécute sur un mode quasi naturel, mais dans un « contexte non naturel, au sens où la situation de travail est socialement construite et comporte des contraintes inhabituelles qui empêchent la réalisation naturelle des activités de parole en particulier »
La langue orale sur le lieu de travail
Le langage sur le lieu de travail pose la problématique du dire et du faire. Je dis bien problématique puisque nombreux linguistes le confirment « les locuteurs éprouvent souvent le sentiment que le verbal reste en deçà de ce quils voudraient dire, quils ne réussissent pas à communiquer à autrui la singularité de leurs expériences de travail ». Il y a manifestement un écart entre le travail réel, le travail prescrit par les fiches de poste et les règles de travail, ce que lacteur est capable de dire de son travail et ce qui séchange réellement au cours de la tâche de travail.
Les communications de travail empruntent essentiellement deux voies : lécrit et loral. A lintérieur de ces deux médias se profilent une multiplicité de formes et de raisons à la communication. Prenons par exemple loralité : les ouvriers vont échanger entre eux de différentes manières selon quils seront occupés à se transmettre des informations professionnelles ou à se plaindre des conditions de travail au moment de la pause ; de même les discours seront différents auprès de leur chef de service ou en situation danalyse du problème posé par le travail. Bref la variation des langues et des discours néchappe en aucun cas à la sphère de lactivité professionnelle en dépit de la communauté et du sentiment dappartenance créé par le lieu de travail, les formations ou les tâches similaires aux acteurs, dautant, on la vu plus haut, que lidentité professionnelle se fonde dans une subtile synthèse entre les aspirations personnelles et celles produites par la profession. Il y a donc en chacun des locuteurs quelque chose de ce que lactivité professionnelle a déteint sur les discours et de ce quils amènent de leurs vies extérieures sur le lieu de travail.
Dans un premier temps, on sattardera sur les communications orales du travail. On pourra retenir le principe de M. LACOSTE par lequel « les communications de travail contribuent à la confrontation des expériences, à la constitution et à lévolution du savoir, à lélaboration et à la circulation des normes, à la négociation des territoires dintervention de chacun bref aux conditions deffectuation du travail réel ». Les échanges fondent au travail les modalités de laction, ils structurent le monde des références qui organisent la tâche, ils instituent les rapports énonciatifs entre les acteurs et ils permettent la confrontation des savoirs et des expériences.
On pourrait pousser la réflexion jusquà affirmer que cest le langage qui structure le travail et non le contraire. Le propos est évidemment exagéré. Ceci dit, J. BOUTET relève un paradoxe. Lorganisation taylorienne du travail a toujours condamné la parole au travail laccusant de perte de temps, de distraction et de déconcentration sur lacte à accomplir. Or, la communication au travail rend compte dune « aptitude à discuter, débattre, trouver des solutions et résoudre des problèmes par la parole ». Le discours devient « facteur de productivité », lentreprise aujourdhui et notamment le développement des services voient le « passage dactivités centrées sur le corps physique vers des activités de contrôle, de communication, de relation, de délibération. On travaille de moins en moins avec de la matière, sur des pièces à usiner, mais on travaille de plus en plus sur des représentations symboliques et sémiotiques de ces objets. » La matière première du travail devient essentiellement du langage et du symbole, ce qui est particulièrement vrai pour les éducateurs. M. LACOSTE est convaincue que la communication est indispensable au travail : elle permet la répartition des activités, la division du travail, la transmission dinformations, elle facilite la coordination, elle est le support à lévaluation du travail fourni etc
« Faire place à la parole comme travail, écrit M. LACOSTE, cétait reconnaître que lactivité verbale, loin dêtre annexe et superflue, peut constituer en elle-même lessentiel de la tâche ». Elle est dautant plus essentielle chez léducateur que léducation passe avant tout par la transmission de symboles et lacquisition de systèmes de référence nouveaux.
Parler nest plus contreproductif du coup ! Toute la question est de savoir ce quest une communication à usage professionnel, au contraire dune communication sur le temps de travail mais perçue comme une récréation ou une pause. Pour le sociolinguiste peu importe finalement. Même si les niveaux de discours sont importants dans lanalyse du matériel linguistique, ce qui importe véritablement cest globalement la parole qui sexécute dans le champ professionnel. Lactivité langagière au travail se caractérise par sa diversité, comme dailleurs toutes formes dactivité langagière quelle quelle soit.
Lanalyse sociolinguistique doit en effet permettre de faire émerger les différents registres de langage sur le terrain professionnel. Il y aurait des communications de type fonctionnel cest-à-dire qui permettent la réalisation de la tâche, la régulent et la structurent, et dautres dites non fonctionnelles assimilées à des discussions ou des communications non productives. Ces dernières intéressent le domaine de lanalyse des conversations. A priori anodins, souvent condamnés par la hiérarchie comme facteurs de distraction et de perte de temps, les échanges au travail assurent une réelle cohérence entre les membres du groupe de lentreprise. On va parler de son week-end, des relations quon entretient avec sa hiérarchie, en tous les cas, à chaque fois on inscrit cette parole dans le système spécifique du lieu de travail où les gens sont regroupés par une entreprise, un souci de carrière et donc où se jouent des rapports de force et de pouvoir particuliers. Si parler peut être interprété comme une perte de temps, cest aussi résister à cette interprétation ou rendre la tâche plus agréable à accomplir. La parole, les interactions qui accompagnent lacte de parole, les signes non verbaux contribuent donc pour certains à la finalité du travail de façon stratégique, permettant ainsi la répartition des pouvoirs, les finalités particulières des acteurs dans lentreprise, et faisant émerger lesprit particulier dans lequel sexerce la tâche. Dautres au contraire sopposent totalement aux prises de paroles sur le lieu de travail, elles créent des zones de distraction et de temps libre, même si, personne nest dupe quelles jouent un rôle non négligeable de facilitation dans lexécution de la tâche et la coexistence des acteurs dans un même lieu. En ce sens, les communications non fonctionnelles participent au climat dentreprise et impriment des conduites identitaires suivant la spécificité de lentreprise et les membres qui lincarnent. Un lieu où les gens ont en apparence plaisir à travailler induira des conversations différentes dun lieu où se jouent des tensions et des remaniements de personnels, tant dans la forme, les contenus eux-mêmes que les enjeux sous-jacents à la prise de paroles. « Le langage est partie prenante dans la structuration des identités professionnelles, dans létablissement et le maintien de communautés de travail, dans la vie des mondes sociaux de lentreprise, écrit Michelle LACOSTE. Les identités se marquent et se démarquent par les modes dinteraction, les formes discursives, les termes de ladresse ».
La communication devient alors essentielle dans le travail. Elle est le moteur autour duquel se structure lactivité de travail. Alors quon a pensé la communication comme un parasite, elle dépasse sa fonction de coopération et de coordination entre les acteurs, elle ne sert plus seulement lactivité, elle devient laction elle-même. Cela est dautant plus vrai avec lavènement du secteur tertiaire dans lactivité économique française. Le secteur social corrobore particulièrement cet argument puisque « quil sagit dinterroger, dexpliquer, de dire et de contredire, de donner des instructions, de rapporter des faits, de raconter des événements, les conduites verbales sont partout présentes dans le quotidien des entreprises ». Lacte de langage constitue lacte professionnel en lui-même, il est au cur de linteraction entre lusager du service et le travailleur social, il permet la réalisation du service, générant en même temps des enjeux de pouvoir, des conduites identitaires et des stratégies particulières. Quand LEMAY caractérise léducateur spécialisé comme un « technicien de la relation », il parle bien entendu de sa capacité à instrumentaliser les discours, à donner du sens au langage, à rentrer en contact avec lautre et à résoudre les difficultés de sa clientèle essentiellement par le filtre de la parole. « Le langage est non seulement constitutif, partie intégrante, matière première de nombre dactivités : cest avec du langage quil se fait ».
Le langage au travail transmet de lhistoire, du sens, de linteraction et de la matière. Matière parce quil constitue le terreau immédiatement accessible de lactivité de travail. « Les hommes sont de moins en moins au contact de la matière ou des objets, et de plus en plus au contact de leurs représentations symboliques : écrits, oraux, iconiques, graphiques, chiffres ». Lactivité langagière transmet un univers sémiotique significatif de la matière première du travail. La réalité de la tâche est transportée par le langage beaucoup plus quelle nest réelle, autrement dit sa réalité devient intelligible parce que du langage la traverse, lui donne sens, la structure. Du coup, les lieux de travail recréent du langage autant quils transforment la matière. Chaque service, chaque bureau, chaque métier a ses mots, ses technolectes, ou encore ses propres façons de désigner les collègues et lactivité de travail. En même temps que laction recompose les matières, les mots suivent leur évolution dans un interminable processus de renomination.
Ce processus est parfois appelé « argot de métier ». Parce que la langue vernaculaire nest pas suffisante pour dire la matière, pour qualifier et décrire laction, les techniciens sentourent en plus de leur savoir-faire, de vocables spécifiques à lactivité, de tournures discursives propres qui permettent, certes une précision dans la transmission dinformations, mais aussi de faire corps autour dun langage commun. Ainsi leur langue devient une langue dinitiés que la formation et lapprentissage peuvent rendre accessible. Le professionnalisme est bien sûr une affaire de savoir-faire mais plus encore didiomes spécifiques. La langue que je parle me permet dêtre reconnu par les initiés et de rejeter celui qui ne la partage pas. Elle porte les secrets du métier, ses ficelles, ses mystères, elle colore les relations humaines, elle joue avec la norme, celle des prescripteurs et celle des ouvriers, celle des ordonnateurs et celle des exécutants. Le processus de refabrication du langage fonctionne au travail comme un argot du fait dune incessante créativité dans les néologismes et les tournures morphosyntaxiques. Elle existe à tous les niveaux de lentreprise : dabord, quand il y a une relation de service ou marchande, dans le langage tenu entre le client et le professionnel, ensuite auprès des directions ou des organismes de formation où est prescrit une certaine terminologie et enfin auprès des salariés eux-mêmes. Il y a donc des technolectes officiels, prescrits, qui sont portés comme des indicateurs du travail accompli, et dautres plus souterrains, endogènes qui appartiennent au micro-univers du salarié avec sa machine ou son collègue et qui rendent compte de cet impossible à dire son travail, à le formaliser dans sa singularité et sa spécificité. « Monde de la conception et monde de lexécution font ainsi coexister des dénominations distinctes dun même objet ou dune même activité : ils sen trouvent, en conséquence, modifiés par le processus de renomination » écrit justement J. BOUTET. Elle poursuit plus loin : « ces mots, ces expressions, ces façons officieuses de parler, construites au sein des collectifs de travail, font lobjet dun attachement, voire dune fierté, de la part des ouvriers qui les emploient ; ils font rire, ils sont loccasion de se retrouver ensemble, déprouver la force du collectif et de lexpérience partagée ». Cest une autre manière de dire que le langage codé et décodé par les seuls initiés de lentreprise contribue au sentiment dappartenance et de partage dune identité commune. En ce sens, on vérifie quau travail ou ailleurs, « cest dans lexercice langagier que lêtre humain se constitue en individu pensant, capable déprouver sa propre cohérence et son identité. Si lunivers de la parole est celui de la subjectivité, ce nest pas parce que le langage traduirait une subjectivité déjà-là, mais parce quil la constitue réellement ». Lidentité au travail se structure dans lidentification à un langage commun et dans lexpérimentation de ce langage avec son pair ou son collègue.
Justement le langage au travail dépasse le cadre du technolecte ou du mot isolé. Il réfère plus largement à la notion de discours au sens dune « activité rapportée à un genre, comme institution discursive ». Or, les linguistes du travail font tous le constat dune difficulté énorme quéprouvent les gens à rapporter ces discours, à les organiser et à mettre en mots leurs expériences professionnelles. « Les cest difficile à dire, faudrait venir voir, je peux pas vous expliquer, cest compliqué reviennent comme un leitmotiv dans les propos de toutes les personnes à qui lon propose de parler de leur travail » constate J. BOUTET. Moi-même jai expérimenté ces difficultés lorsque jexerçais comme formateur à lIRTS de Bretagne où je travaillais avec les étudiants à la formalisation de leur pratique. Dans cette activité particulière, le langage devient insuffisant pour dire le singulier de chaque expérience de travail. Même si le professionnel crée du jargon professionnel, enrichit le langage de néologismes, la matière verbale apparaît toujours à un moment donné insatisfaisante pour dire linvisible du travail, les microsituations propres à la fonction, les interactions que génère le poste ou encore les savoirs pluriels à luvre dans lexercice de la profession. Travailler va au-delà dune action de lhomme sur la matière, il sentoure daspects multiples que toute langue est incapable de représenter dans sa réalité propre. Et pourtant cest dans cette tâche que je lance ma thèse, cette tâche impossible diront certains, sûr en tous les cas que je travaillerai autant sur les matériaux langagiers que moffriront mes indicateurs que la matière non verbale, ce que le langage narrive pas dire de leurs pratiques professionnelles. Nous touchons là sans doute à lune des limites de la linguistique à savoir lillusion que le langage dit tout du monde, quil est le média essentiel à la connaissance du monde et quautour de la langue seule se structure lidentité. Lanalyse linguistique est au contraire une entrée possible mais certainement incomplète pour une meilleure connaissance des identités au travail.
Les chercheurs ont énoncé plusieurs hypothèses relatives aux difficultés du travailleur à parler de son travail. Linsuffisance de la matière langagière fait partie des explications les plus répandues. La traditionnelle opposition entre le travail prescrit et le travail réel rend compte de cette insuffisance. Dun côté, il y a la tâche de travail telle quelle est définie et organisée par les concepteurs, les formateurs et les cadres ; de lautre il y a laccomplissement effectif de cette tâche dans la singularité de celui qui agit, et des aléas liés au contexte dexercice. Ainsi, autant dire quil y aura une marge entre le langage de la prescription, de lordonnancement, de la normalisation de la tâche, et le langage de représentation de la vie vécue par le sujet pendant et après lexercice professionnel. Ce que je dis dans linstant de mon travail sera évidemment différent de ce que jen dirai dans un autre contexte et ce en fonction de ce que jen aurai retenu, de linterlocuteur, et du sens que je souhaite donner à ma profession. Faut-il par ailleurs mettre en cause laccès plus ou moins inégal dun travailleur à lautre à la matière linguistique et au champ énonciatif du travail ainsi quà une parole légitime au travail ? La réponse à la question ferait pencher vers une thèse proche de celle de BOURDIEU qui défendrait lidée par laquelle la capacité à mettre en mots son travail sorigine dans laccès du professionnel au champ légitime de lénonciation professionnelle. Il est vrai que le travail prescrit fait preuve dune plus large représentation symbolique et dune meilleure légitimité sous la forme de règlements, de notices, de procédures, de schémas, tandis que le travail réel lui, reste confiné dans lentre-deux des salariés, il se publicise moins, il ne fait que saccomplir limitant ainsi son accès à autrui. Le travail réel est le lieu dune multiplicité de savoirs, savoir-faire et savoir-être incorporés dans un tout difficilement déchiffrable ; il ne permet pas une analyse immédiate de ces différents savoirs et cultive le secret de ce qui ne doit pas se dire à lextérieur de léquipe en réponse sans doute à la toute-puissance du travail codé et prescrit. Verbaliser son travail suppose une posture réflexive particulière sur laction, les savoirs engagés, la conscientisation des techniques à luvre, posture qui nest pas toujours évidente sur certains terrains professionnels, voire qui est proscrite par les travailleurs eux-mêmes la réservant aux cadres ou aux concepteurs. Ainsi, on constate par exemple chez les éducateurs des attitudes défensives qui opposent le tout pragmatique au tout réflexif, mettant à dos ceux du terrain, cest-à-dire ceux qui font, ceux qui se fatiguent, qui se confrontent aux réalités sociales, et ceux du haut, cest-à-dire ceux qui réfléchissent, qui théorisent sur la réalité mais nen ont quune vision intellectuelle. Comme le note M. SANTOIRE assistante sociale de formation à propos de la dimension langagière des pratiques sociales « il y a ce que lon dit et il y a ce que lon a fait ». Cette thèse mettra de fait en évidence ce cloisonnement plus ou moins important entre le monde des praticiens et le monde de la théorie, lun comme lautre servant de toutes façons le travail social.
La langue écrite au travail
Lécrit professionnel, et nous en finirons là avec cet aperçu théorique du langage au travail, constitue un lieu important des comportements sociolinguistiques au travail. A linstar de la parole professionnelle, le texte professionnel emprunte des formes multiples tant dans sa forme (tableau, note de transmission, graphique etc.), son contenu (note de service, information etc.) que la manière dont est élaboré lécrit (morphosyntaxe, vocabulaires employé). Entendons simplement par écrit de travail « un ensemble de documents émanant dune entreprise, plus largement de toute organisation productive publique ou privée ». Les modalités spécifiques de chaque écrit représentent une véritable rhétorique dutilisation. Le support utilisé poursuit des fins diverses en fonction de lusage qui lui est assigné. La couleur de papier, la taille, la forme du document font état dun marquage significatif de limportance et de la fonction que le locuteur veut donner à son acte. Dailleurs ces différents marquages du support prennent place dans un système social hiérarchisé à lintérieur duquel les différents écrits occupent des positions plus ou moins légitimes ou plus ou moins hautes.
La question est de savoir ce que disent les écrits professionnels dun travail, autrement dit sil y a un intérêt à sintéresser aux écrits pour décrire les variations discursives propres à un corps professionnel. Si la plupart des écrits professionnels sont monotones, puisent dans des vocabulaires conventionnels ou extrêmement techniques, sils objectivent fortement les informations au détriment de lémotion du locuteur, « ces écrits ont en commun dimposer à leurs rédacteurs certaines opérations de réflexion sur la pratique dun métier, certaines mises en formes dénoncés qui, par le pouvoir de linscrit, deviennent une référence » car, continue S. PENE, « mettre à plat une procédure de gestion, la schématiser, la commenter, rédiger un guide dutilisation ne sont pas des opérations de routine. Il faut se remémorer une succession, la justifier par des explications informatiques et comptables, par la représentation de chaque étape en relation avec la totalité de la procédure. Evidemment, ce travail cognitif peut devenir inapparent dans un écrit dont le style ennuie.» Donc, force est de constater que lécrit professionnel peut constituer un support significatif à la mise en mots dune pratique professionnelle et par conséquent à lémergence des vocables professionnels.
Ceci dit, lécriture professionnelle implique de nouvelles normes discursives liées au support scriptural lui-même par opposition au support verbal. Souvent lécrit tente de faire oublier son rédacteur. Il recherche une parole froide, objective, centrée sur lobjet professionnel et non son auteur. A contrario dune parole orale sur le lieu de travail ou dune mise en mots de lactivité professionnelle où le locuteur hésite, se perd dans les détails, la communication écrite au travail privilégie lefficacité, au point quelle peut paraître complètement rigidifiée dans une norme décriture automatisée et désincarnée. Le problème du linguiste, ou plutôt du sociolinguiste, est dextraire de ces textes le vivant de la parole, linscription du sujet parlant dans la transmission dinformations. Car, combien même un écrit professionnel tente de mettre à distance lauteur de lobjet de communication, il est souvent vecteur de stratégies particulières pour son auteur au cur de lentreprise, qui, pour X raisons, va préférer la forme écrite au face à face direct. Par ailleurs, lécrit professionnel ne peut senvisager indépendamment des savoir-faire techniques, des prescriptions de travail qui le sous-tendent et des personnes qui mettent en uvre ces savoirs. Lécrit « sert de reflet à lactivité. Il accompagne une extraction des savoirs pratiques et assure leur inscription sous forme de procédures ».
En éducation spécialisée, lécrit revêt sa forme la plus importante dans les notes de situation ou note de synthèse. Ces documents éminemment importants parce quen direction des autorités qui ont décidé la prise en charge de la personne en institution spécialisée, constituent des sortes de rituels institutionnels. A la fois lieux de méfiance et lieux de fascination, les fameux rapports de situation cristallisent autour deux des peurs diverses, notamment celles de ne pas avoir le temps de le terminer ou de passer sous le crible du chef de service ou du psychologue, ils renvoient le professionnel à ce quil redoute cest-à-dire la référence au savoir théorique et le marquage de sa pratique quotidienne dans un document fixe et atemporel. Dautres écrits sont repérables dans les institutions spécialisées, ce sont les cahiers de liaison. Ces derniers sont envisagés par les éducateurs avec beaucoup plus de détachement. Ils sont le reflet de la vie quotidienne, léducateur rapporte les événements importants de la journée quil souhaite communiquer à ses collègues et en même temps il se décharge des tensions quil a pu rencontrer au cours de son service. La parole est a priori plus libre, moins réfléchie, même si nul ne se leurre que derrière les informations de la journée se jouent des stratégies de pouvoir entre les membres de léquipe tout à fait remarquables. Dune manière générale, le rapport parfois tendu de léducateur à lécrit sexplique selon P. DELCAMBE de plusieurs manières : « On pense couramment que ce métier étant relationnel et impliquant, il est difficile de prendre du recul et de trouver une posture distanciée qui permette de parler de soi au travail. Mais une autre difficulté vient du langage lui-même : la difficulté à dire nest pas toute du côté du locuteur. A la difficulté commune demprunter les discours disponibles pour exposer une activité qui est toujours en partie inédite sajoute lobligation à parler dans le langage ordinaire : le manque de langage clinique laisse léducateur sans assurances dans la confrontation avec dautres membres de léquipe, tels que les psys. Enfin une autre difficulté est liée au caractère collectif du travail : lexpérience du travail consiste non en une exécution de tâches, mais en une adaptation aux conditions particulières de la situation, au besoin en trichant par rapport aux règles que prescrit lorganisation ». Toutes ces hypothèses disent en tous les cas quelque chose du positionnement des éducateurs par rapport à lécrit, positionnement significatif dune posture identitaire particulière.
Lécrit au travail occupe un statut paradoxal et contradictoire : pour les uns, il est le signe dune émancipation sociale. Signer tel rapport, participer à telle note de synthèse cest pour le professionnel un gage de reconnaissance sociale et de légitimation de ses capacité professionnelles. Pour les autres lécrit revêt un caractère répressif. Laisser une trace de son activité professionnelle est vécu comme un contrôle individuel. Quelle que soit la manière dont le professionnel envisage lécrit, il est révélateur dun ensemble de rapports de force autour des quels se joue la crédibilité du professionnel et des savoirs faire qui le constituent. En ce sens lécrit professionnel tient une place non négligeable dans les stratégies identitaires des travailleurs. Pour les éducateurs en particulier, B. FRAENKE fait référence à « limportance des traditions scripturaires dans ce secteur, lhéritage de genres décrits constitutifs dune culture professionnelle ».
Education spécialisée et langue au travail :
On aura compris à travers cette brève présentation théorique toute la pertinence de lentrée linguistique pour observer les conduites identitaires dune profession. Cette entrée vise à répondre à la même question que celle dAnni BORZEIX dans son article « Le travail et sa sociologie à lépreuve du langage » à savoir quels sont les effets de connaissance du monde du travail dont le langage est porteur.
Notre préoccupation va au-delà la connaissance de la sphère professionnelle à travers le langage, il sagit de comprendre les conduites identitaires au travail qui se construisent dans la production verbale. Les psychologues du travail, rapporte JF BLIN étudient le « système de représentations et de traitement qui constituent une intériorisation des domaines de auxquels le sujet a été confronté et dans lesquels il a développé son action ». Ainsi le sujet structure son activité professionnelle en lien avec son groupe de travail autour dun référentiel commun, cest-à-dire un langage spécifique que seule la situation de travail peut rendre signifiant. Ce langage commun, continue BLIN, constitue un « schéma de références partagées guidant la connaissance et laction de ses membres ». Dans cette perspective, nous pensons ainsi le langage comme le vecteur principal de représentations dordre professionnel, la représentation étant entendue comme une forme de connaissance socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourant à la construction dune réalité commune à un ensemble social. Les représentations sociales au travail portent sur des objets utiles à lexécution de la tâche, sur le cadre dintervention et lorganisation de lentreprise et la manière dont les acteurs envisagent leur idéal professionnel et leur soi professionnel. En ce sens, les représentations concourent à la construction dun savoir professionnel distinct du sens commun, à la communication entre les professionnels et à lélaboration de leurs identités professionnelles. Le contexte de travail produit donc des représentations collectives qui donnent lieu à des communications spécifiques autour de lobjet de travail et des manières de se comporter et de penser. De plus, ces représentations produites sur le lieu de travail servent aussi de marquages, elles sont prises par autrui comme des marques de reconnaissance de la profession. Le langage fonctionne comme un signe dexistence, provoquant parfois chez autrui ou de ladmiration (« tu en connais des choses dis donc ! ») ou du mépris (« je nai pas ton savoir »), ou du rejet (« je ne parle pas comme toi car je nai pas la même formation »), en tous les cas, le langage professionnel est perçu par les personnes extérieures à la profession comme la première manifestation dune spécificité.
Pour léducateur spécialisé, sil y a une identité professionnelle particulière, des langages professionnels qui composent cette identité, reste à lutter contre le constat quasi inhérent au métier à savoir si laction de léducateur se fonde « sur sa propre personnalité et non sur ses capacités techniques ou ses connaissances en matière dinteraction ».La difficulté à exister comme une profession légitime, noble et crédible a sans doute des répercussions visibles dans les langages propres à léducateur. Je fais lhypothèse que les éducateurs en labsence de référentiels de métier sérieux, ont construit leur jargon à partir des autres, cherchant ainsi dans des emprunts successifs aux discours de la psychanalyse, de la psychologie sociale, de la sociologie etc
à se garantir dune spécialisation quil na pas. Cette hypothèse extrêmement sévère, construite lors de mes différentes expériences professionnelles, mérite de toutes façons dêtre travaillée. Toute la thèse sera loccasion de mettre à plat un grand nombre de représentations souvent négatives de ce métier et de rendre compte du langage des éducateurs de lintérieur, tel quil est parlé véritablement et échangé dans les institutions éducatives spécialisées.
En tous les cas, il faut se poser de toutes manières la question de la pertinence, au moins dun point de vue épistémologique, de létude des parlers comme constituants et constitutifs dune identité de métier. Chez les éducateurs, je lai écrit à plusieurs reprises, la parole apparaît comme sinon loutil un outil éducatif de prédilection. Ce « professionnel de la relation » mène des entretiens, conduit des réunions, partage le quotidien des enfants quil accompagne de paroles, il médiatise, il verbalise, il facilite lexpression, il régule les prises de position dun groupe etc
bref, à linverse du courant tayloriste qui condamne les échanges entre les ouvriers, la parole est valorisée et se trouve au cur de la pratique éducative. Pour éviter la caricature, J. BOUTET relativise linterdit de paroles dans les organisations de type tayloriste du travail qui ont opéré peu à peu «un passage dactivités centrées sur le corps physique vers des activités de contrôle, de communication, de relation, de délibération » . En tous les cas, lusage de la parole constitue chez léducateur le creuset de lactivité de travail. En ce sens, elle ne fait pas que définir le métier, elle le remplit et le compose. Comme dit M. LACOSTE, « la communication nest pas seulement un outil au service de la coopération et de la coordination entre les différents acteurs. Elle ne se réduit pas à ce rôle de servante de laction, elle est elle-même action. Par-delà la simple affirmation du pouvoir performatif du langage, cest la nature langagière de certaines activités de travail qui demande à être reconnue ».
On distingue plusieurs types de discours relatifs à lexercice du métier déducateur. O. GALATANU propose les « discours qui accompagnent ou qui fondent et accompagnent, ces pratiques » et « les discours que les acteurs de ces pratiques tiennent sur eux-mêmes, sur leurs actes, sur leurs environnements, sur les autres acteurs sociaux ». Autrement dit, il y a le discours institutionnel ou le discours prescriptif, celui qui détermine la tâche objective et mesurable à accomplir, le discours que produisent les acteurs pendant lactivité de travail, cest-à-dire celui qui ne cherche pas à sinstitutionnaliser, qui ne se mesure pas mais qui saccomplit pendant la tâche dans lentre-nous discursif des travailleurs, et enfin le discours qui tente dorganiser, de mettre en mots la pratique quotidienne des acteurs dans leur rapport à leur propre travail et aux autres. A ce propos P. ZARUFIAN précise que « le discours du travail nexprime pas le travail concret, il en est lui-même une création langagière qui naura puisé, dans les éléments du « réel », dans lobservation des gestes ouvriers par exemple, que de simples matériaux nécessaires à sa construction (
). Le vrai problème est de savoir qui participe et qui ne participe pas au déploiement de ce discours et quel contenu il lui est donné ». Cela est dautant plus pertinent pour les éducateurs que la majorité des témoignages ou des ouvrages sur le métier émanent duniversitaires, de psychologues, de chefs détablissement mais rarement déducateurs encore en fonction. Il y a aussi le discours tenu auprès du bénéficiaire de laction éducative cest-à-dire à la fois celui qui désigne lenfant dans son handicap et celui qui est adressé directement au sujet et qui va favoriser les apprentissages. On retrouve dans ces différents niveaux de discours les trois degrés dégagés par A. BORZEIX : dire, accompagner, accomplir. « Dire renvoie aux fonctions référentielles, réflexives et expressives du langage, à une parole sur ou à propos du travail (Lacoste, 1995 b), à une matière énonciative de laprès-coup (commentaires, sondages, enquêtes, entretiens, récits) que les sociologues ont, depuis toujours, su solliciter, analyser, exploiter (Borzeix, 1995 b). Les verbes accompagner et accomplir impliquent, en revanche, une relation étroite entre parole et action. Ils invitent à comprendre cette relation comme une coproduction, une production conjointe où énonciation et activité sétayent et, parfois, se confondent. Ils soulignent le fait que les choses, au travail comme ailleurs, non seulement se disent mais se font avec des mots, pour reprendre le titre du livre de John L. Austin Quand dire cest faire (1970). Se font en partie, quand le langage accompagne, assiste laction (la parole daction) ou complètement, lorsquil laccomplit (la parole comme action).
Je propose à titre provisoire cette grille, qui, na pas la fonction darrêter la réflexion, mais de donner des indicateurs à lanalyse des enquêtes :
Le discours professionnel des éducateurs
Discours instituésDiscours instituantsParoles observées en temps réelDiscours prescriptifsDiscours entre salariésDiscours auprès du public
Les discours prescriptifs sont ceux qui tentent de rationaliser au plus la fonction des éducateurs. Ils énoncent des attendus formels qui ne peuvent correspondre au travail réel.
Les discours entre salariés renvoient aux trois dimensions de langue du travail décrites par J. BOUTET et B. GARDIN :
La dimension instrumentale : « le langage est le vecteur de la transmission dordres, de procédures, dinformations. Les ergonomes parlent à ce propos de langages opératifs puisque ceux-ci permettent daccomplir une tâche » .
La dimension cognitive : elle « désigne le fait que parler, mettre en mots, sert aussi à penser, à organiser et rendre intelligible pour soi et pour autrui, nos connaissances ».
La dimension sociale : elle « renvoie au fait que le langage est un medium privilégié de la construction des rapports sociaux, de la construction des collectifs comme identités individuelles ».
Les discours auprès du public sont ceux que les éducateurs produisent auprès des enfants afin de les aider à acquérir des apprentissages divers.
Labscisse porte les modalités spécifiques liées au recueil des informations. En effet, il faut imaginer que les informateurs en situations formelles dentretien tiendront sans doute des propos officiels sur leur pratique professionnelle. Le discours officiel est le discours institué cest-à-dire celui quil est recommandé de tenir auprès des personnes extérieures à linstitution.
Jai la chance de côtoyer un grand nombre déducateurs en exercice. Jappartiens à une association qui regroupe des professionnels dhorizons différents. De par la relation amicale et militante qui nous lie, il est à parier que les informateurs abandonneront rapidement le ton officiel pour un style de parole plus libre et moins contrôlé. Cest ce que jappelle les discours instituants cest-à-dire ceux qui, au moment de leur énonciation, tentent de formaliser les différents styles de paroles qui caractérisent leur pratique professionnelle.
Enfin, les discours observés en temps réel sont ceux que jai recueillis dans lexercice de ma fonction de chef de service éducatif tant auprès de mon équipe que des partenaires de travail. Ils regroupent aussi les propos écrits par des éducateurs (notes de situation, écrits de synthèse, cahiers de liaison etc
).
Cette grille, aussi incomplète et réductrice quelle puisse paraître, permet daborder la question épistémologique du mode danalyse des matériaux discursifs. Le choix délibéré qui est fait pour traiter de lidentité sociodiscursive des éducateurs spécialisés est le domaine de lethnosociolinguistique. Ce non champ disciplinaire, si je puis dire, est né de la rencontre interdisciplinaire autour de la langue comme lieu didentification et de représentation du monde. Il apparaît, bien au-delà des batailles de chapelles qui lui reprochent dêtre trop touche-à-tout ou trop généraliste, que cette vision particulière des choses permet de rendre compte au mieux des liens entre langue et identités. P. BLANCHET décrit la pertinence dune telle méthode en ces termes : « il me semble que létiquette ethno-sociolinguistique, malgré sa longueur, présente lavantage majeur de signifier ouvertement le double aspect ethnologique (incluant les questions de communauté ethnoculturelle, didentité, de représentation du monde par le langage, de micro-interactions) et sociologique (incluant les questions de stratifications sociales, de conflits sociaux, de politiques linguistiques et éducatives, de macro-situations), recouvrant de la sorte lensemble du champ des usages des langages humaines (et notamment des langues) ». La langue, pour reprendre FRIBOURG, est vue « soit comme une conception du monde (
), soit comme révélatrice du mode de vie dune société et des changements survenus au sein de la société, soit enfin comme une structure linguistique en corrélation avec les principes de la société ». En quelque sorte, lethnolinguiste cherche à appréhender lidentité culturelle à travers le prisme de la langue, et a contrario, à étudier les productions langagières à travers des données socioculturelles. En effet les microsituations langagières sont fonction à la fois dun macrocontexte indépendant des sujets parlants, et de la réalité même du sujet aussi petite quil soit. Lethnolinguistique « sefforce de comprendre le fonctionnement, la diffusion et lacceptation de la modernité et son impressionnante cascade de conséquences en chaîne, politiques, économiques, sociales et culturelles ; elle part à la recherche de lhomo urbi, du quotidien, du microsocial, du privé, de lindividu et ses pratiques » et ce par le biais du langage. D. BERTAUX énonce que « lhypothèse centrale de la perspective ethnosociologique est que les lois qui régissent lensemble dun monde social ou microcosme sont également à luvre dans chacun des microcosmes qui le composent en observant de façon approfondie un seul, ou mieux quelques uns de ces derniers, et pour peu quon parvienne à en dégager les logiques daction, les mécanismes sociaux, les processus de reproduction ou de transformation, on devrait pouvoir saisir certaines au moins des logiques sociales du microcosme lui-même ». Ainsi lethnolinguiste se présente sur le terrain en ignorant mais aussi avec la volonté de se fondre au mieux au milieu des interactions langagières. Il sadresse aux personnes qui exercent leurs activités de langage pour en connaître le fonctionnement profond. Chaque source, chaque informateur donnent à voir les logiques dun monde ou dune situation sociale. Il remontera du général au particulier « grâce à la mise en rapport de cas particuliers, de ce quils contiennent de données factuelles replacées dans leur ordre diachronique, dindices descriptifs ou explicatifs proposés par les sujets, grâce à la découverte de récurrences dun [cas particulier à lautre ] et à la mise en concepts et en hypothèses de ses récurrences ».
La langue dun groupe se situe au cur des interactions et des interférences des hommes avec leur environnement et des hommes entre eux. En quelque sorte la langue devient « le lieu même des représentations de la culture anthropologique et en même temps de la culture cultivée ». Adopter tel ou tel langage cest brandir un indice de consensualité dune communauté donnée et à la fois se poser en différent. Toute langue, dès lors quelle instaure de la règle, de lunité et de la diversité simpose à linterface dune identité culturelle spécifique. On peut faire lhypothèse quil en va de même pour des types de discours, des choix de lexiques propres à une activité de travail, des jargons de métier, qui seraient constitutifs dune dite identité professionnelle, cette fameuse culture professionnelle. « Laccès à un langage technique commun constitue en effet lacquis essentiel de ces pratiques de formation, permettant de comprendre les gens avec qui on travaille et de partager un ensemble de valeurs avec eux ». C. DUBAR nous invite à comprendre lidentité de métier comme un mouvement, une dynamique faite de ruptures et de changements incessants, qui rend compte dun processus de « compromis intérieurs entre identité héritée et identité visée mais aussi de négociations extérieures entre identité attribuée par autrui et incorporée par soi ». La langue serait donc à la fois lélément matériel porteur de linvestissement de soi, de la biographie personnelle dans la participation à lidentité collective du métier, et à la fois la résultante des influences propres au groupe de professionnels et des attributions portées par les autres professions sur eux, dans la logique de lipséité et de la mêmeté défendue par P. RICOEUR. « Loin dêtre un simple support à la pure transmission dinformations techniques, la parole au travail est ainsi reconnue comme le moyen de multiples phénomènes dinfluence et de rapprochements affectifs. (
) Etudier la communication entre les membres de lentreprise suppose que lon inventorie avec beaucoup de précision les types de stratégies dans les structures de travail et les habitudes de relations qui peuvent en découler ». Autrement dit, lidentité au travail se lit dans les discours professionnels tant au niveau des interactions langagières sur le lieu dexercice quau niveau du discours plus formalisé qui est tenu par les acteurs au sujet de leur métier ou par des acteurs extérieurs à la profession. Le discours professionnel revêt alors trois fonctions complémentaires : une fonction utilitariste une fonction emblématique et une fonction visant à lintercompréhension des acteurs.
Lenquête, au vu de la diversité des lieux dexercice de la profession, impose de multiplier au mieux les sources dinformations dautant plus quand à lintérieur de ces lieux se nouent des enjeux de hiérarchisation arbitraire, visant par exemple à valoriser des postes en intervention dit de milieu ouvert auprès de jeunes inadaptés sociaux (éducateurs de rue, Action Educative en Milieu Ouvert) au détriment des pratiques en internat ou auprès denfants déficients mentaux. A lheure actuelle de mes connaissances, plusieurs questionnements émergent de ma réflexion :
Comment le travail éducatif se structure-t-il en discours professionnels ? Produit-il des genres discursifs propres et lesquels ? Y a-t-il une grammaire éducative spécialisée ?
Ces discours sont-ils propres au secteur ou bien le résultat dinfluences disciplinaires diverses (psychologie, psychanalyse, psychosociologie, sociologie, droit etc
) elles-mêmes dépendantes de choix institutionnels ou politiques ?
Comment lhistoire de la profession déducateur spécialisé et de léducation spécialisée se structure-t-elle dans les discours ?
Y a-t-il des discours propres à lensemble de la profession ou bien au contraire les discours sont-ils emprunts de la variation des institutions et des publics spécialisés ?
Comment la profession sarrange-t-elle entre les discours à teneur judéo-chrétienne traditionnellement portés vers lautre et le souci de légitimité scientifique et politique tournée vers la rationalisation des techniques ?
Si les discours produisent une identité professionnelle spécifique, quelles représentations construisent-ils sur le monde à travers lacte de travail ?
Les discours sont-ils porteurs de cette dite difficulté à se définir en tant que métier ?
Pour faire vite, ce type de questionnements invite à une analyse de contenus, analyse de contenus étant entendue comme « la technique la plus appropriée pour identifier les opinions, les croyances, les prises de position et les points de vue véhiculés par les discours ». Cette analyse empruntera deux ensembles danalyse :
Une analyse quantitative qui repose sur des opérations mathématiques de comptage donc essentiellement sur les formes linguistiques employées.
Une analyse qualitative visant lobjectivation, lémergence de sens, lexplicitation du sens des contenus.
Il sagit donc détudier dans les discours des éducateurs les représentations quils ont et quont les acteurs autres de leur métier. Toutes fois, il est maladroit de séparer si arbitrairement le fond de la forme. On sait en effet que la forme est grandement significative de contenus identitaires autant que les sèmes eux-mêmes. Je lai appris dans une étude de maîtrise où jai tenté de décrire les langages des jeunes dans une banlieue lavalloise. Les choses ne sont pas si distinctes dans une langue, la langue est elle-même emprunte de variations et, donc, toute recherche doit sinscrire dans lhypercomplexité de lhumain tant décrite par E. MORIN.
En conclusion, cette thèse va poser les questions, et ce dans une perspective chère à P. BLANCHET dune dite « linguistique de la complexité » cest-à-dire dans une science du langage qui « cherche à comprendre lorganisation systématique des multiples facettes, fonctions et significations des langages et des langues », de lidentité professionnelle des éducateurs spécialisés. Il sagira denvisager par le filtre des discours les grands axes problématiques que pose la profession à savoir :
La difficulté à sénoncer comme métier ou profession sérieuse au sens technique du terme
La difficulté pour les éducateurs à se réunir autour de compétences communes, de savoir-faire communs tant les lieux dexercice, les types de publics auxquels ils sadressent sont nombreux et tendent encore à se multiplier
La difficulté à sériger en une profession avec un champ théorique légitime et propre à elle
La difficulté à concilier le souci de légitimité scientifique et le la référence à des valeurs judéo-chrétiennes portées vers lhumanisme inconsidéré
La difficulté à exister pour elle-même et en elle-même du fait dune soumission consentie ou pas aux exigences des politiques sociales
La difficulté à sétablir définitivement entre les exigences des normes sociétales auxquelles elle prépare les enfants inadaptés et un souci constant de créativité et dinnovation pédagogique que les souffrances des enfants imposent
La difficulté à se parler, cest-à-dire à mettre en mots une pratique complexe, elle-même construite sur des discours.
METHODOLOGIE DENQUÊTE
Les échantillons étudiés :
Quelques données chiffrées :
En janvier 2002, une enquête régionale a été menée sur la Bretagne à propos des formations sociales en Bretagne. Publiée sous légide de la DRASS de Bretagne, elle permet davoir une vision assez globale du nombre de travailleurs sociaux et des perspectives en terme de formation.
Je ne ferai ici que reprendre les chiffres annoncés par le document de la DRASS. Ces chiffres, rappelons-le, concernent uniquement la région Bretagne.
Professionnels en exercice : 2079 chefs de service non compris pour 41 329 éducateurs spécialisés en France en 1996.
La Bretagne accueille uniquement 5,03 % de lensemble des éducateurs en France. Ce dernier chiffre est un indicateur quant à la répartition assez faible du nombre de professionnels et donc dinstitutions spécialisées en Bretagne. Lhypothèse par laquelle les régions très urbanisées (région parisienne) ou en grandes difficultés sociales (nord) concentrerait la majorité des institutions daide sociale est très plausible. En effet, la rubrique emplois des ASH (Actualités Sociales Hebdomadaires) fait apparaître chaque semaine environ une centaine doffres de postes déducateurs spécialisés qui pour leur très grande majorité concernent Paris et sa banlieue. Les employeurs ont recours à des travailleurs sociaux non diplômés ou de diplômes inférieurs pour pallier le manque crucial de professionnels.
Le métier déducateur souffre dune mauvaise parité dans la distribution des postes entre les hommes et les femmes. Ces dernières occupent 62,07 % des postes et les hommes 37,93 %. Cette répartition sinverse complètement pour les postes dencadrement.
La répartition par tranche dâge est assez disparate. 48,68 % des praticiens ont entre 40 et 50 ans. Il serait possible que la répartition rende compte à la fois de la génération dite de laprès baby boom, et à la fois de lattrait de la Bretagne pour y terminer sa carrière.
Projet déchantillonnage :
Il paraît nécessaire que les éducateurs sondés rendent compte de la diversité des pratiques éducatives, des institutions et des populations. Aussi, lancienneté des éducateurs, le sexe, le statut (fonctionnaire ou secteur privé), la formation (DEES ou PJJ), les lieux de travail, les modalités dexercice de la fonction (milieu ouvert ou internat) et les publics auxquels ils sadressent seront des critères de diversification des personnes interrogées. Il faut en effet parvenir à dégager en dépit du caractère éclectique de la profession si des traits identitaires communs et spécifiques se dégagent dun professionnel à lautre.
Les éducateurs ont été contactés dans les groupes suivants :
Jai travaillé pendant trois ans à lIRTS de Bretagne en qualité de formateur titulaire. Je continue aujourdhui des vacations dans ce même établissement, lesquelles me permettent de rester en lien avec un nombre important de professionnels et détudiants. Ces derniers constituent une première partie des informateurs. Actuellement en dernière année de formation, ils font un stage dit long et à responsabilités éducatives. Ils ne fréquentent lécole quune semaine par mois et passent le reste de leur année sur un terrain professionnel. Leur regard est intéressant dans la mesure où ils ne sont pas encore totalement formatés aux discours de terrain, et en même temps où ils finissent une formation qui, certes produit des savoir-faire spécialisés, mais agit aussi sur les discours et les représentations. La formation des éducateurs spécialisés telle quelle est pratiquée à RENNES repose essentiellement sur la transmission de savoirs universitaires divers (droit, sociologie, pédagogie, psychologie etc.) que les étudiants confrontent aux réalités de terrain de stage ou quils discutent et analysent dans des groupes de travail. Cela a pour effet de modeler chez les étudiants des discours qui empruntent autant aux savoirs disciplinaires quaux pratiques langagières observables dans les institutions.
Grâce à mon travail comme formateur je me suis constitué un solide réseau de professionnels. Ces derniers exercent dans des secteurs multiples représentatifs de léducation spécialisée. En effet, ils sont sollicités par le centre de formation pour donner des cours ou intervenir sur leur pratique, et, à ce titre, ils sont recrutés dans tous les secteurs.
Je suis aussi en lien avec une association bretonne de travailleurs sociaux appelée Ki Pro Co. Son objectif principal est de réunir des professionnels de léducation spécialisée. Des rencontres de type amical (débat dans un café autour dun thème, apéritifs etc.) sont organisées afin de favoriser des échanges entre les personne sur leurs pratiques éducatives. Ces moments sont des lieux précieux pour recueillir une parole libérée des éventuels biais des enquêtes décrites par LABOV.
Par ailleurs jexerce la fonction de chef de service dans une MECS (Maison dEnfants à Caractère Social). Jencadre une équipe de travailleurs sociaux. Mon poste de travail mamène à rencontrer de nombreux travailleurs sociaux, et donc parmi eux des éducateurs. Ces rencontres, ce travail de management sont aussi des temps propices au recueil de matériaux sociolinguistiques.
Je compte ensuite sur leffet tâche dhuile. En effet, jinviterai chacun de mes informateurs à contacter un de leurs collègues pour participer à lenquête.
Bref, ce travail de thèse se construit à partir du recueil dun cinquantaine denquêtes écrites et surtout denviron une quinzaine dentretien oraux. Je ne compte pas dans ce chiffrage les temps informels de rencontre avec des éducateurs spécialisés sur mon propre lieu de travail, les temps de réunions interpartenariales et les temps passés au sein de Ki Pro Co qui constituent autant de sources intéressantes.
La taille de léchantillon est une garantie dune certaine objectivité même si je ne prétends pas à donner un portrait définitif et cloisonné de la population des éducateurs spécialisés. Léchantillon local choisi ne recherche pas la généralisation, mais doit rendre compte dune méthodologie scientifique et sérieuse. Jai donc eu soin lors du traitement et lanalyse des données de préciser que les résultats étaient représentatifs déducateurs spécialisés, certes, mais en 2003, et en région ouest. Autrement dit, lenquête tant du point de vue des résultats attendus que de léchantillon sélectionné se caractérise par le déterminant suivant, à savoir que la réalité linguistique et sociale se définit par la variation.
Le questionnaire : stratégies et méthodes
Le questionnaire écrit sert de base aux entretiens oraux. La difficulté à surmonter réside dans la réduction au mieux entre le nombre denquêtes envoyées et le nombre denquêtes répondues, le dernier chiffre étant évidemment celui qui peut faire défaut.
Jai choisi lInternet pour transmettre mon enquête pour différentes raisons. La première parce que lusage de lordinateur semble plus attractif que le support papier pour favoriser lattention et les efforts des indicateurs, la seconde parce lenvoi des réponses par mail permet un traitement rapide des informations sur le disque dur de lordinateur et un gain de temps, mévitant ainsi de retaper les résultats.
Le questionnaire disponible sur ladresse HYPERLINK "http://cambon.laurent.free.fr/" http ://cambon.laurent.free.fr/ est construit de la manière suivante :
Des questions de type fermées permettent davoir une vision plus précise sur les indicateurs. Le sexe, le statut (personne diplômé ou pas, le type de poste exercé), lancienneté dexercice professionnel de la personne, le lieu de travail nappellent pas à des commentaires plus longs mais suffisent à donner une représentation large des enquêtés.
Dautres questions proches des questions fermées invitent à une mise en mots sur les pratiques des éducateurs. Il est recherché la manière dont les professionnels décrivent leurs publics, la manière dont daprès eux sont décrits les publics, la manière dont ils perçoivent leurs institutions et dont ils sont perçus par lextérieur.
Des listings sont proposés aux personnes. Ils ont pour objet de lister les fonctions principales de leur métier, les références théoriques ou philosophiques principales qui structurent leur action, les valeurs qui sous-tendent leur mission. Pour les dix premières je leur demande à chaque fois décrire un texte de commentaire et de définition.
Je propose enfin une liste de tâches éducatives largement répandues dans le secteur. Ma connaissance, mon expérience professionnelle ont été un guide important dans lélaboration de cette liste. Jinvite les informateurs à sélectionner toutes les tâches qui leur sont familières, et à en choisir dix principales quils vont accompagner de commentaires.
Enfin je demande à mes informateurs un dernier commentaire sur le questionnaire lui-même afin dy apporter quelques correctifs.
Cette enquête souffre sans doute dune trop grande importance laissée aux questions ouvertes. Linvitation à la rédaction peut apparaître comme rébarbative notamment pour un métier qui montre tant de mal à se dire. Ceci dit, lintention est claire : nous ne nous situons pas tant dans une recherche de contenus que dans une étude des discours. Le contenu ne compte pas tant que la manière dont les éducateurs vont formaliser leurs pratiques, vont illustrer de vocables spécifiques leur action éducative. Ceci dit, je livre comme titre « enquête sociologique » aux informateurs afin que leur démarche ne sembarrasse pas defforts de tournure mais se concentre sur le contenu avant tout. Je fais le pari quen forçant lattention du lecteur sur les contenus identitaires de sa profession, il en oubliera la manière dont il va en rendre compte. Il sagit en effet de provoquer une certaine spontanéité de la forme linguistique, même si, on le reconnaîtra aisément, lécrit ne sy prête guère. En tous les cas, le traitement des données ne relève daucune sorte de lanalyse statistique, lanalyse des formes linguistiques est privilégiée même si la récurrence de tel ou tel trait sociolinguistique fera pencher les conclusions vers une possible généralisation du descripteur.
Lentretien : stratégies et méthodes
Les enquêtes écrites invitent les informateurs à donner suite ou pas à une proposition dentretien oral avec moi, lobjectif étant de rassembler environ une trentaine dinformateurs. Je compte sur la bonne volonté des personnes ainsi que sur la solidité de mon réseau professionnel, qui mont permis de forcer une certaine adhésion à ce type dexpérience.
Ceci dit, il est bon dévoquer les biais qui peuvent empêcher la spontanéité recherchée des formes linguistiques lors de la situation dentretien :
La présence dun magnétophone. D. BERTAUX a travaillé cet aspect dans le recueil entre autre des récits de vie. Le matériel peut induire des conduites verbales dhypercorrections. Il appartient donc au chercheur de mettre en confiance son informateur. Le magnétophone ne se met pas en marche immédiatement, dans un premier temps lessentiel réside autour de linstallation dune relation de confiance. Ensuite les effets induits par le matériel audio phonique peuvent satténuer avec le temps. Il est important de préciser que les bandes seront détruites, quil ny aura pas dusage nominatif du matériel linguistique recueilli, autrement dit il est essentiel de poser les conditions éthiques et déontologiques de la recherche.
La présence du chercheur. Lidéal peut-être serait que le recueil des matériaux langagiers soit instantané à leur exécution même. En effet, la présence du chercheur peut dériver vers beaucoup plus une recherche de confirmation des résultats quil attend quun véritable sondage des pratiques langagières. De même, linformateur peut adopter des attitudes dajustement liées à la situation de lenquête. « Linformateur est ainsi conduit à dissimuler certaines pratiques privées, à présenter de lui la facette qui lui semble le mieux convenir au rôle quil joue, à proposer des réponses quil présuppose attendues par lenquêteur, sollicitant même souvent de ce représentant institutionnel du savoir la confirmation quil a effectivement produit la bonne réponse ». P. BLANCHET décrit là le phénomène du paradoxe de lenquête tel que LABOV la précédemment étudié.
La retranscription et lutilisation des matériaux linguistiques. Enregistrer un entretien en sociolinguistique na de valeur quà partir du moment où lattention du chercheur est centrée non seulement sur le contenu verbal lui-même que les effets non verbaux liés à la situation dentretien ou aux hésitations de linformateur. En effet ne compte pas moins ce qui est dit que la manière dont les choses se disent. Le chercheur se dote dun papier, dun stylo, et prend des notes pendant le déroulement de lentretien. Il ne faut pas ignorer les effets que la prise de notes peut induire sur le comportement linguistique de linformateur. La retranscription est un moment important. Le chercheur doit écrire les choses telles quil les a entendues, erreurs de langage comprises. Se pose alors le problème de la lisibilité et de la transmissibilité des propos. En effet, la recherche nest pas un objet égocentré, sa mission première est dêtre reçue par un lectorat. De plus, transcrire une parole orale implique une relecture par le filtre du chercheur. Par exemple comment éviter la mécompréhension, les phénomènes dhomophonie ? Le chercheur sefforce davoir une écoute et une lecture des plus attentives à la recherche des significations. Des outils existent pour favoriser une retransmission des propos oraux. Pour ma part, je me suis servi du code que propose C. BLANCHE-BENVENISTE. Ce code permet en plus de la réécriture des mots une prise en compte des effets linguistiques tels que lallongement de syllabes, les arrêts plus ou moins longs, les hésitations, les onomatopées diverses etc
, effets tous significatifs de la langue parlée. En tous les cas, il ne faut pas ignorer que, quel que soit le code de retransmission utilisé, il est illusoire dattendre une conformité parfaite entre ce qui est dit et le passage à lécrit, de plus il est indispensable de rappeler que lacte de retransmission constitue de manière plus ou moins consciente un début dinterprétation du discours par le chercheur.
Maintenant que nous avons évoqué de manière rapide les biais éventuels liés à la situation dentretien, la méthode choisie par le chercheur pour mener ses entretiens est fondamentale. Elle va garantir, sinon lobjectivité, le sérieux dune démarche scientifique qui se concentre avant tout sur linformateur que sur ce quattend le chercheur de lentretien en terme de vérification des hypothèses quil a pu formuler antérieurement.
La non directivité semble la méthode la plus propice pour faire émerger une certaine spontanéité dans le discours. Si le contenu était plus important pour le chercheur que la manière dont se communiquent les choses, la non directivité aurait le défaut dentretenir une certaine ambiguïté au sens que « cest elle qui permet à lenquêté de développer sa propre pensée à partir dun thème très général nincluant aucun cadre de référence particulier ». Le manque de structuration de lentretien permet réellement une appropriation par linformateur de lenquête. Le chercheur, après quil ait défini son statut, quil ait posé le cadre et lobjet de son étude (même si pour le cas présent lobjet présenté est un mensonge puisquil détourne les informateurs des efforts éventuels du langage pour se concentrer sur les contenus identitaires de la profession déducateur spécialisé), le chercheur donc favorise une écoute empathique fondée quasiment sur le modèle rogérien de la relation daide. Lécoute décentrée permet une attitude réellement centrée sur linformateur, le rôle du chercheur est de faciliter le plus possible la prise de parole du sujet en soubliant lui-même, en reformulant les propos échangés et en relançant de questions qui aideront le personne à approfondir tel ou tel aspect de ce quelle dit. Le chercheur prend des notes et est attentif à la gestualité qui accompagne la parole. Néanmoins, il est illusoire de considérer que le chercheur sefface totalement et quil ninteragit pas avec le sujet. Dailleurs les entretiens sont enregistrés et la présence même de lappareil a des effets sur la parole. Il appartient donc au chercheur de ne pas dévoiler quil étudie les manières de dire et de sassurer que le sujet a suffisamment confiance en lui pour se livrer de manière intègre.
Lobservation participante permet une entrée en matière dans le dire des gens plus spontanée. P. BLANCHET dans son ouvrage La linguistique de terrain insiste sur la nécessité pour le chercheur de simmiscer dans le milieu quil étudie. Sa proximité avec les personnes quil étudie, voire sa propre participation dans la communauté linguistique qui lintéresse sont autant datouts pour enquêter de lintérieur les interactions langagières qui sy passent. Il nempêche et P. BLANCHET le rappelle fort bien que la démarche scientifique implique aussi une certaine distanciation avec lobjet détude. Tout est une question de dosage entre la participation active et intéressée aux scènes de vie et la nécessaire prise de recul par rapport à elles.
Nous nous situons là dans une perspective quasiment ethnologique de la linguistique. P. BLANCHET parle de démarche ethno-sociolinguistique. La langue est comprise non pas comme un ensemble détaché des pratiques sociales mais comme un fait social et culturel à part entière. En ce sens, lethnolinguistique correspond à une théorie particulière du langage et une méthode de recueil et de description des faits langagiers. Le chercheur, en simmergeant dans la communauté dont il étudie les comportements linguistiques, a beaucoup plus de chance de limiter les effets du paradoxe de lenquêteur et davoir affaire avec des discours spontanés et naturels. Se pose tout de même le problème de lenregistrement et du recueil de la langue in vivo. La méthode préconise là un véritable « retour du travail sur le terrain, le seul qui puisse fournir les données à organiser dans le cadre dune analyse structurale ». Au-delà de la méthodologie, lethnolinguistique sintéresse à la manière dont une langue sinscrit dans un ensemble de pratiques culturelles dun groupe donné. P. BLANCHET parle à la manière de MORIN dune linguistique de la complexité, cest-à-dire une linguistique qui trouve à la croisée de carrefours pluridisciplinaires afin de comprendre la langue non comme un élément isolé mais bien comme le « moyen dapproche pour saisir lorganisation socioculturelle dune société ». La langue sert là de révélateur de fonctionnements sociétaux et vice versa.
Le traitement des données :
Il importe avant de rentrer dans le vif du sujet de formuler quelque prudence dordre épistémologique quant à la spécificité dun travail linguistique sur les discours professionnels. En effet, le traitement de paroles vivantes ne doit pas se faire sans un minimum de clairvoyance dès lors quelles deviennent un prétexte à la généralisation de traits linguistiques. Pour dire plus simplement, jai pour ambition de rendre compte des comportements langagiers des éducateurs spécialisés au sens large, ce qui nest pas sans poser problème quand on sait que je nai pas enregistré tous les éducateurs de France et que les matériaux linguistiques que jai recueillis nont de pertinence quà titre exemplaire.
C. BAYLON et X. MIGNOT posent la question de la spécificité des parlers professionnels en prenant lexemple du corps médical : « La langue médicale nest quun vocabulaire médical : elle a la même phonétique, la même morphologie et la même syntaxe que la langue commune ; elle est un instrument secondaire, qui suppose le maniement de la langue commune ; seul le lexique change. ». Les auteurs interrogent là de façon un peu provocatrice la pertinence de létude dun langage professionnel quand ce dernier nest guère plus que la variable parmi dautre dune langue donnée. En fait, étant donné quil ny a pas de langues sans des gens pour les parler, le problème pour nous nest pas détudier un variable de langue pour un variable de langue, mais bien parce que derrière cette variation existe une communauté professionnelle particulière. Lentrée linguistique est une illustration de plus pour proposer un regard nouveau sur un groupe professionnel qui par ailleurs fait déjà lobjet de réflexions nombreuses quant à ses errements identitaires. Je partage évidemment la thèse de P. BLANCHET par laquelle « étudier les langues, cest sintéresser aux gens, à leurs pratiques, à leurs idées, à leurs désirs, à leurs projets, à leurs problèmes, bref à leur vie ». Cette sociolinguistique appliquée pour reprendre H. BOYER nous amène à envisager les phénomènes linguistiques non sans rapport avec les modes de vie dun groupe social mais comme une réalité sociale intrinsèque des phénomènes socioculturels. On a pu me reprocher lors de mes différents travaux universitaires de maîtrise ou de DEA mon implication de praticien et la volonté à travers lacte de recherche de faire progresser ma propre pratique déducateur spécialisé, je nen garde pas moins lidée que la recherche universitaire doit servir la connaissance et par là même doit réconcilier le terrain du théorique et vice versa.
Jassume donc pleinement le fait dêtre éducateur spécialisé et dexercer aujourdhui en qualité de responsable dun service de suite pour jeunes placés. La part subjective à toute recherche ici trouve son intérêt dans la mesure où mon accès à la communauté éducative est facilité. De plus la publication des résultats de ce travail sera légitimée par ce corps professionnel qui souffre tant dêtre continuellement étudié par les autres et à qui lon reproche tant laccès difficile à lécrit. Peut-être que mintéresser aux identités professionnelles de léducateur spécialisé sous le filtre des discours, cest aussi interroger mon propre parcours professionnel, mes propres incertitudes professionnelles. Le tout est de mesurer les implications subjectives à tout effort de recherche universitaire afin den éviter les éventuels travers.
Ce qui importe véritablement, cest le choix de lobjet de travail effectué par le chercheur, et en loccurrence ici, lidentité socio-discursive des éducateurs spécialisés. BOYER écrit : « Alors quon peut nommer usages des ensembles dhabitudes dexpression et de désignation en voie dharmonisation sociale dans des conditions de productions déterminées, et par codes certains usages normalisés et hiérarchisés, dont lun sera le français standard, les uns et les autres étant du domaine du virtuel et du possible, voire du sollicitant ou de limposé, on entendra par discours tout ce qui est constatable au terme dun échange langagier effectué. Qui dit discours sapprête donc à saisir les phénomènes « de langue » en situation et à lintérieur de corpus de données. » Le discours comme voie daccès à lanalyse de lidentité nest pas sans poser de questions. En effet, le parti pris de considérer la variable identitaire sous le filtre des variables de langue interroge quant à la validité scientifique ou non des représentations langagières comme objets de connaissance. Leur validité est dautant plus précaire que ces discours sont recueillis soit directement sur le terrain professionnel (avec tous les risques de perte dinformation, de sélections arbitraires de la part du chercher en labsence de matériaux denregistrement) soit en situation dentretien avec le chercheur. Lobjet détude exact dans ce cas serait donc lidentité des éducateurs spécialisés en situation dentretiens universitaires !
Le choix disciplinaire pour envisager lidentité des éducateurs spécialisés peut prêter à discussions. Plus précisément, le choix sociolinguistique peut surprendre notamment pour un objet comme celui-ci. Nombreux éducateurs que jai rencontrés sattendaient à un regard psychosociologique ou sociologique mais absolument pas linguistique. Cette surprise sexplique du fait que la linguistique est un domaine peu connu des travailleurs sociaux, du fait que les éducateurs se reconnaissent volontiers plus proches des domaines de la psychologie ou de la sociologie que de la linguistique et enfin du fait que les questions didentité sont traditionnellement traitées par des psychosociologues. Et pourtant la sociolinguistique en tant que carrefour disciplinaire a le mérite dassumer demblée le discours comme une des composantes identitaires des éducateurs. « Analyser un discours, cest aussi aborder le problème du sens et de la signification du contexte situationnel et du sujet parlant, donc de ses conditions de production. Le discours est une conduite sociale : dans une certaine mesure, locuteur et auditeur sont déterminés en tant que produits sociaux, usant dinstruments sociaux, mais encore les buts mêmes de lallocution sont socio-historiques ». Il ny a donc pas de frontières épistémologiques entre la production, le contexte de production de ce discours et les enjeux socio-identitaires dun discours. La sociolinguistique va donc tenter dexpliciter les liens entre ces trois dimensions à travers lanalyse du langage et de ses variables.
Sur quel modèle analyser les discours ?
Lentrée lexicale apparaît demblée appropriée. La statistique lexicale permet didentifier les différents champs lexicaux qui composent un parler professionnel. Le défaut essentiel à ce type dapproche est de considérer les mots extraits de discours différents comme significatifs, alors quils prennent leur véritable sens au cur du discours et non isolé de ce dernier. Un éducateur qui dira par exemple que sa fonction est de rendre acteur un enfant, le sens est évidemment différent si léducateur décrit les acteurs qui ont interagi pendant un entretien quil a mené auprès dune famille à domicile. Néanmoins, la multiplicité et la récurrence de termes peuvent constituer de sérieux indicateurs quant à la manière dont un professionnel construit ses discours et regarde le monde. Or, on voit bien les problèmes épistémologiques que pose lanalyse statistique. En effet, même si jai pris les garanties suffisantes pour que les échantillons sélectionnés soient représentatifs de la population des éducateurs spécialisés, le fait que je rencontre à plusieurs reprises tel ou tel monème nest pas pour autant la preuve que ce dernier compose de toutes manières le langage des éducateurs. En fait, la récurrence statistique na pas pour fonction de scléroser ce que serait le parler professionnel des éducateurs, mais de retenir des expressions qui vont servir de matière à lanalyse linguistique. Je me situe donc bien en qualité de linguiste et non de sociologue : ce qui mimporte ce nest pas tant le nombre doccurrences dune expression en tant que chiffres, mais bien les significations et les procédés de création lexicale à luvre derrière ces expressions.
Le langage professionnel et technique est tout à fait riche en terme dinventions lexicales, de néologismes et de créations de complexes unitaires. « La description des complexes unitaires est importante pour deux raisons. Tout dabord, à cause de leur nombre : dans la plupart des langues, les complexes unitaires sont aussi nombreux, voire plus nombreux, que les monèmes. En suite, à cause de leur utilité : de nos jours plus encore quautrefois, les locuteurs ont besoin de créer de nouvelles unités significatives qui nomment les évolutions, voire les mutations techniques et sociale.» Lécole fonctionnaliste offre une grille tout à fait intéressante pour la description des phénomènes de créations lexicales. Les figements de syntagme, les compositions, les dérivations, les confixations, les sigles, les abrègements des complexes unitaires constituent un terreau pertinent pour le traitement des expressions que la statistique a rendues significatives. En effet, la statistique ne dit rien des imaginaires langagiers et des systèmes de références. Le travail sur la forme verbale des discours professionnels implique un descriptif du signifiant, du signifié et de « ce à quoi réfère lunité dans la réalité extralinguistique telle quelle est perçue et découpée par lensemble des personnes qui utilisent lunité en question. Identifier une unité significative, cest identifier tout à la fois le signifiant et la valeur qui lui est associée ».
Signifiant
Ensemble de créations lexicales et phoniques spécifiques du champ professionnel
Signifié Référence
Lobjet conceptuel appartenant Ce à quoi réfère la chose
au monde professionnel. Dans le champ professionnel
On touche ici à la fois aux contenus professionnels tant en terme dobjets de travail, doutils de travail (signifiés) que de la manière dont les professionnels se représentent le monde dans sa réalité spécifique ou sont perçus par dautres (référent). Le référent, cest ce qui constitue lil éducatif à travers lequel le professionnel envisage le monde, agit sur ce monde, grâce à un système complexe de savoir-faire et de dispositions (savoir être ?) qui lui sont propres. Ce dont un professionnel est témoin de la réalité sociale ou plus précisément la connaissance quil a du monde est différente dun quidam ne disposant pas de son bagage linguistique. Quand un profane voit un marteau pour seul outil, le menuisier lui, sera en mesure de distinguer différents types de marteaux pour lesquels il fera correspondre un signifiant spécifique. Le concept de référence permet donc de montrer que la réalité est quelque chose de tout à fait subjectif selon le locuteur qui lappréhende, le vocabulaire quil emploie pour la caractériser et donc la situation sociale de ce dernier. « Les réalités sémantiques sont mouvantes pour diverses raisons mais en particulier parce que quelles sont sous la dépendance des relations qui sinstituent entre les êtres humains. Si, comme on le dit souvent, une vraie linguistique ne peut être que sociolinguistique, on ne saurait que trop insister sur la dimension sociosémantique dune vraie sémantique ».
Je proposerai donc une analyse sociosémantique, pour reprendre lexpression de MIGNOT et BAYLON, des parlers professionnels de léducateur spécialisé. Cette analyse prend en compte certes la manière dont les personnes encodent leurs représentations du monde mais aussi la manière dont elles interagissent les unes avec les autres dans un système de production sémantique spécifique. Ce système dinteractions est particulièrement intéressant chez les éducateurs quand on sarrête aux actes de discours qui composent leur pratique.
La pragmatique des discours permet lanalyse des actes de langage. Je lai signalé à plusieurs reprises, les éducateurs se définissent beaucoup dans la relation qui les lie à leurs bénéficiaires. Cette relation est le ciment principal qui va permettre de créer du changement ou de la socialisation chez lenfant. Autrement dit, grâce à la relation, grâce aux contenus discursifs de cette relation léducateur fait le pari quil va générer un mieux-être ou un apprentissage de la norme chez lusager. Léducateur dispose de ce quils nomment des outils pour produire ces changements. Ces outils sont pour leur grande majorité des outils linguistiques ou discursifs comme par exemple lentretien, lintervention directe auprès du groupe, la médiation etc, autant doutils qui visent non tant la transmission dinformations que de produire des effets particuliers sur les individus pris en charge. Quand AUSTIN écrit que « dire cest faire », lacte éducatif spécialisé, lui, repose essentiellement sur du dire, faire pour un éducateur cest avant tout dire. Il nous appartiendra donc de décrire chez léducateur spécialisé :
les différents actes illocutoires spécifiques qui permettent du changement chez les enfants
les différents types de langages indirects
des interventions discursives récurrentes de léducateur qui sous-tendent des savoir-faire particuliers, des stratégies éducatives spécialisées et des méthodes de travail décrites par des pédagogues ou des psychosociologues.
Le but nest donc pas de décrire des actes de langage et den dresser une typologie plus ou moins exhaustive mais bien didentifier les liens qui existent entre ces pratiques langagières spécifiques de lintervention professionnelle et les univers de représentation du monde des éducateurs. Ces univers de représentations sont entre autre le produit des connaissances techniques, des disciplines théoriques auxquelles ils se sont plus ou moins identifiés et des conceptions philosophiques et sociales quils ont de lhomme. Un exemple : j ai travaillé auprès de demandeurs dasile, la majorité dentre eux sont déboutés de leur demande dasile par létat et la loi prévoit quils doivent quitter le foyer un mois après la décision, indépendamment de leur situation sociale et de la régularité ou pas de leurs titres de séjour. La manière dont je vais les obliger à quitter le foyer sera très représentative dans mon discours des éventuelles techniques de persuasion que jai apprises, de la conception politique que jai de ce problème, de ma propre conviction à devoir mettre des personnes à la porte, de lidée que jai de mon métier et des enjeux éthiques à luvre dans ce type de situation. La difficulté est de concevoir une grille danalyse des actes de langage qui prenne en considération ces divers éléments, mais aussi de faire le choix des actes de langage spécifiques à lactivité professionnelle parmi ceux que les enquêtes me proposeront. Les statistiques et ma connaissance du métier seront dune aide précieuse pour envisager un choix des plus représentatif de la profession.
Létude des actes de langage présents dans les discours éducatifs spécialisés pourra répondre aux questions suivantes :
Comment les éducateurs encodent des actes professionnels ?
ACTIVITES PROFESSIONNELLESACTES DE LANGAGE CORRESPONDANTSActivités du matinFaire le leverPasser le relaisEtc.
A quelles activités professionnelles réfèrent certains actes professionnels a priori inconnus du sens commun ?
EXPRESSIONS DE TYPE PERFORMATIVEACTIVITES PROFESSIONNELLES CORRESPONDANTESFaire une visite médiatiséeAnimer un entretienFaire parler les gensChoisir un lieu spécifique pour lentretienEtc.
Avec quels matériaux langagiers léducateur dit chercher à produire du changement chez lenfant ? Quels changements sont poursuivis ?
ACTES DE LANGAGESENS ILLOCUTOIREEFFET PERLOCUTOIREJe tordonne deOrdreObligations de lenfant de se conformer aux exigences de ladulte
Létude des actes de langage et des activités professionnelles telles quelles sont référées par le langage rencontre la limite précédemment montrée, à savoir que le langage est toujours insuffisant pour dire létendue dune activité professionnelle. Ce problème important se trouve minoré dans la mesure où il est assumé comme tel et que cette thèse na pas pour objet de dresser ce que devrait être un éducateur spécialisé dans lidéal, mais bien de faire lanalyse des matériaux linguistiques que les informateurs auront apportés. Nous nous situons dans un travail avant tout descriptif des pratiques langagières au travail, a contrario dun travail prescriptif des attendus discursifs professionnels.
En fait, létude des actes de langage est lune des portes dentrée dun courant plus large quest lanalyse du discours. Au vu de la polémique et de la complexité de lobjet « discours », un chapitre spécifique simpose.
Lanalyse des discours : problèmes et méthodes
Que recouvre lanalyse des discours ?
Si lon en juge aux propos introductifs dA. REBOUL et J. MOESCHLER de leur ouvrage, la notion danalyse des discours est loin de faire lunanimité chez les linguistes. Les problèmes posés par ce type danalyse sont dordre disciplinaire, historique et donc épistémologique.
Avant même de proposer une définition de la notion de « discours », il est important de considérer que pour cette thèse, lobjet danalyse repose sur létude de discours professionnels ou apparentés à un métier, discours non tant propres à la pratique quà la manière dont les acteurs parlent de leur métier. Ces discours nont pas été recueillis sur le terrain professionnel en lui-même, mais sont bien ceux déducateurs spécialisés en situation dentretien auxquels le chercheur demande de parler de leur métier. Il sagit déventuels discours de formalisation de la pratique professionnelle déducateurs spécialisés, et donc, en aucun cas de discours de praticiens tels quils sont effectivement produits sur les lieux dexercice professionnel. Cette prudence épistémologique fait écho à la fameuse différenciation décrite dans le second chapitre entre les discours professionnels prescrits par la formation ou les autorités, les discours réellement pratiqués sur le lieu de travail, et les discours de reconstruction de lacte professionnel. Ce détour permet de rappeler que ce travail de thèse repose sur lanalyse de discours déducateurs sur leurs pratiques professionnelles, cest en ce sens un travail proprement linguistique qui na pas pour ambition de proposer un descriptif exhaustif de lidentité des éducateur spécialisés, mais de donner une expression de cette identité à travers les discours et seulement les discours. Néanmoins, les limites entre ces trois niveaux discursifs pourront parfois être relativisés dans la mesure où jai vers moi une multiplicité de sources dinformation entre les réponses portées sur les questionnaires écrits, les entretiens oraux, les conversations avec des professionnels sur le terrain, les comptes-rendus de stage écrits par des éducateurs à ladresse détudiants ou quelques documents spécifiques élaborés à lIRTS de Bretagne en direction de professionnels de terrain. Il est important néanmoins de reprendre lexpression de DEMAZIERE et DUBAR par laquelle « ce qui est visé, ce nest pas la personnalité psychologique ou culturelle (
) des sujets concernés, cest la forme symbolique et dabord langagière dans laquelle ils se racontent, argumentent et sexpliquent ». Cette citation est fondamentale pour apprécier à sa juste valeur cette thèse, à savoir quelle ne prétend pas à un descriptif de lidentité des éducateurs spécialisés mais bien à une analyse des discours à travers lesquels les informateurs vont dire quelque chose de leur identité professionnelle.
Il importe de savoir si ces diverses formes dinformations sont des discours au sens dune parole susceptible dintéresser cette recherche. G-E SARFATI définit le discours comme un « système de contraintes qui régissent la production dun ensemble illimité dénoncés à partir dune certaine position sociale ou idéologique (par exemple, le « discours féministe ») ». En quelque sorte, ce qui réunirait la multiplicité des sources à ma disposition némane pas tant de la forme empruntée par les discours que du contexte social de production, à savoir lactivité professionnelle. Il mappartiendra par contre de déceler dans lanalyse ce qui fait cohérence ou unité dans cet ensemble de discours, comme par exemple la formalisation dune identité de métier spécifique aux éducateurs.
Le mot est lâché ! Nombreux linguistes font des notions de cohérence et dunité interphrastique la clé de voûte du discours. Dans cette logique, lidentité professionnelle serait la marque significative des locuteurs, des individus qui composent les discours. Le travail consisterait donc à « recherche[r] des procédés linguistiques (shifters, modalisateurs, termes évaluatifs) par lesquels le locuteur imprime sa marque à lénoncé, sinscrit dans le message (implicitement ou explicitement) et se situe par rapport à lui ». Dune autre façon, la thèse va tenter détudier la subjectivité à luvre dans les discours, cest-à-dire la manière dont les éducateurs sidentifient dans leurs discours à une culture professionnelle. F. OSTY écrit : « la culture représente alors lexpression de lidentité collective dun groupe social et fonctionne comme un tout cohérent, articulant différents éléments sous forme dun système équilibré harmonieux, et offrant aux individus à travers de modes de socialisation via des institutions notamment éducatives un style inconscient de comportements pour toute les activités de la vie. Cette approche met laccent sur le poids des institutions comme vecteur de transmission des cultures et conçoit lidentité comme le produit dune socialisation simposant à lindividu. » Elle ajoute plus loin : « La culture de métier se distingue des autres cultures de travail par laccent mis sur lactivité de travail comme espace de subjectivation.» En quelque sorte, les discours qui transmettront quelque chose de cette culture professionnelle sont laboutissement entre un processus de socialisation et didentification au groupe professionnel et la manière dont le sujet incarne personnellement cette expérience dans sa trajectoire de vie. Il y a donc nécessairement dans ce type danalyse une prudence à avoir pour éviter une généralisation abusive des traits discursifs comme significatifs de la culture professionnelle et au contraire, une réduction des discours à la seule expérience du sujet dans son rapport au monde.
Lanalyse du discours doit donc prendre en compte ces deux dimensions complémentaires : la manière dont le sujet se situe par rapport à la situation dénonciation (axe subjectif) et la façon dont les déterminants collectifs liés à lespace professionnel imposent au discours tel ou tel caractère (axe objectif). Plus exactement, lappropriation du discours par le sujet renvoie à sa vision du monde (référence) à la situation dénonciation elle-même (co-texte) et la situation de communication (usage de déictiques). Comme on la vu plus haut, lidentité au travail se définit par un ajustement permanent entre ce qui relève du discours officiel, des catégorisations du réel imposées par la profession ou sanctionnées par la formation et les diplômes, et la propre trajectoire biographique et les degrés dengagement du sujet dans son métier. Le discours doit donc faire la synthèse de ces deux tendances constitutives de lidentité professionnelle.
IDENTITE PROFESSIONNELLE SOCIODISCURSIVE
AXE SUBJECTIFAXE OBJECTIFDomaine de lénonciationDiscours socialIdentité personnelle à luvre dans le discours, trajectoire personnelle sous-jacente au discoursIdentité sociale à luvre dans le discours, résultante de la formation ou des diplômesCodage spécifique du sujet pour catégoriser le réel (fonction référentielle)Catégorisation du réel par le groupe professionnel, qui simpose à lindividuModalisation du discours propre à lindividuContraintes de modalisation du discours imposées par le groupe professionnel Appréciations subjectives, place du sujet dans lénonciation, méta-commentaire par le sujet parlantEnumération objective des catégorisations imposées par le groupe professionnel, discours officiel ou prescriptif
Jentends par discours social un discours attendu par un groupe social donné en terme de contraintes particulières (lexiques, syntaxe, thématiques abordées) et énonciation « le lieu dancrage le plus manifeste de la subjectivité langagière », les deux constituant un discours particulier entendu comme « un ensemble de phrases reliées par certains principes à déterminer de cohérence, qui font quelles sont immédiatement perçues comme constituant un tout autonome ». Ces notions de cohérence et dunité du discours sont loin dêtre évidentes à appréhender. Elles posent bien des problèmes de délimitation et de définition, la question essentielle étant celle-ci : « Existe-t-il des éléments de niveau lexico-grammatical (des mots) qui contribuent directement et systématiquement à assurer la continuité sémantique du discours ? » Autrement quest-ce qui permet au chercheur de qualifier de cohérent un texte, quels sont les critères sémantiques qui permettent de déterminer les contours dun discours ?
Peut-être que lanalyse des discours ne fait pas autre chose que de tenter de déterminer les critères de cohérence et dunité transphrastique dun texte. En tous les cas, à cet endroit de la réflexion le discours me pose problème quant à la pertinence de son acception pour traiter de lidentité professionnelle. Quest-ce qui permet en effet de mesurer où commence et où finit un discours appliqué au champ professionnel indépendamment des marques formelles de type début et fin de lentretien ? On préférera donc pour linstant lanalyse de données ou de contenus à celle de discours.
Lanalyse de contenus : formes et méthodes
DUBAR et DEMAZIERE considèrent que « le sens dun entretien [est] construit par et dans sa mise en mots, en paroles qui constituent la matière première de la signification. [
] Cest dans lanalyse de lusage qui est fait de la langue par le sujet que réside le moyen détablir les sens possibles de ce qui est dit. La parole, dans cette perspective, nest ni transparente ni opaque, elle est un véhicule du sens. »
Dans cette logique, les entretiens devront être menés avec une particulière attention. En effet, si lon veut bien croire que la parole dun sujet est le révélateur le plus immédiat de sa propre expérience au monde, la technique dentretien devra aider la personne interrogée à faire le point, à faire émerger dans et par le dialogue avec le chercheur, le sens quelle a de la vie et du monde. La qualité dune analyse de contenu dépend fortement de la force maïeutique de lentretien. La non directivité a pour fonction de faciliter lexpression libre et argumentée de la logique de pensée de linformateur, ainsi que de favoriser lémergence de sa propre subjectivité à luvre dans la représentation quil a de lui-même, des autres et du monde. Cest à ce prix et uniquement à ce prix que lanalyse de contenu en tant que mise à jour du sens, sera crédible et légitime.
Lanalyse des données dans une perspective sociolinguistique doit étudier autant les caractéristiques formelles des discours (cest-à-dire la manière dont les sujets encodent leur appartenance à un groupe professionnel) que les structures sémantiques quils contiennent (structuration de lunivers sémantique et logique sociale du professionnel). Le souci est alors de décider les items significatifs, les grilles danalyse pour étudier ces deux aspects fondamentaux des discours.
Pour ce faire, DUBAR et DEMAZIERE proposent une méthode assez séduisante puisque, comme toute méthode, elle a le mérite de baliser la démarche, avec le défaut évident quelle est beaucoup plus facile à lire dans louvrage quaisée à mettre en uvre ! Les auteurs ont travaillé sur des entretiens de personnes en voie dinsertion. Ce type dentretiens diffère de lentretien sociologique type au sens quils sont conduits avant tout par la personne sondée que le chercheur préoccupé par son objet de travail. Du coup, la théorie produite par le chercheur rend compte dune démarche inductive, cest-à-dire une démarche qui ne produit pas de concepts ou de catégories prédéterminées, mais une « théorie émergente, adaptée, ajustée aux données ». Ce sont donc les entretiens qu produisent les catégories danalyse et non le contraire. Les auteurs parlent de « savoirs empirico-rationnels ».
Trois moments clés composent la méthode du chercheur. Le chercheur va dans un premier temps analyser les structures de signification au niveau sémantique. Cest un travail dobservation, de recueil de données et dégage des catégories pertinentes. Ensuite, le chercheur détermine les ordres catégoriels à laide dun schéma particulier issu de lanalyse de lentretien elle-même. Cest un travail de classement du réel dans un ordre catégoriel délimité par lanalyse. Enfin, le chercher met à jour les logiques pratiques à lensemble des entretiens par agencement et intégration des ordres catégoriels précédents. Plus concrètement, les auteurs organisent lanalyse des entretiens autour de trois axes tout à fait pertinents :
La manière dont les catégories sagencent et se combinent. Cest quils nomment « lordre catégoriel ».
Les relations entre ces catégories. Cest ce qui pour eux constitue « lunivers de croyances des personnes sondées ».
Ce que veulent signifier les gens. Cest ce quils nomment « les stratégies discursives ».
Les auteurs travaillent à la production dun « schème [quils ont] appelé spécifique et qui met en évidence le jeu des disjonctions/oppositions et des conjonctions/corrélations entre les mots-clés utilisés dans lentretien pour désigner la structure du monde socioprofessionnel (monde vécu) et la position du sujet parlant dans ce monde. » Les sociologues poursuivent : « il sagit dune démarche inductive qui ne présuppose aucune catégorie a priori mais fait émerger des catégories jugées pertinentes dans la structure du matériau.» En tous les cas, la méthode paraît séduisante. Elle a beaucoup à voir avec lanalyse sémique (classement des lexiques issus de lentretien en lexèmes) décrite par les structuralistes et peut constituer un moyens intéressant de rentrer dans le discours.
Discours et construction identitaire
Lidentité professionnelle sélabore dans la double dialectique de la représentation que le sujet a de sa fonction, de ses zones de compétence, et des représentations que ses collègues, ses responsables etc. ont de lui.
Les discours prescriptifs contribuent à ce mouvement. Ici, le discours est donc entendu comme une mise en mots de représentations stéréotypées de la profession dautrui, représentations qui ont valeur de vérité et de prescription pour celui qui les encode. Le prescripteur a nécessairement un rapport de hiérarchie ou de commande vis-à-vis du professionnel. Au-delà de la forme linguistique, le discours est un acte de paroles qui tente darrêter et de définir la profession en question. Il va de soi quen général on préfère entendre de son supérieur hiérarchique une représentation positive ou qui nous conforte dans la représentation que nous avons de nous-mêmes. En ce sens, je distingue deux types de prescripteurs, les prescripteurs positifs et les prescripteurs négatifs. Ceci dit, selon le contexte social ou politique, selon les interlocuteurs, le jugement positif ou négatif des prescripteurs peut évoluer dans un sens ou dans un autre.
Les travaux de R. SAINSAULIEU conçoivent lidentité professionnelle dans un rapport de pouvoir. « Lidentité désigne à la fois le permanence des moyens sociaux de la reconnaissance et la capacité pour le sujet à conférer un sens durable à son existence. (
) Elle est intimement liée au pouvoir car elle dépend des moyens de lute que lindividu trouve dans son expérience sociale pour imposer et faire respecter sa différence.» Lenjeu de la légitimité dans et par les discours dautrui rend compte de la nécessaire « manifestation dune position de pouvoir dans laquelle les ressources liées à la position dans lorganisation permettent de peser et de négocier les modes de reconnaissance dans lactivité. »
LEDUCATEUR SPECIALISE
PRESCRIPTEURS POSITIFSPRESCRIPTEURS NEGATIFSLemployeur, certains parents dassociations denfants handicapésDes parents dassociation pour enfants handicapésLe jury au diplôme détat dESCertains universitaires (juristes, psychologues)Les financeurs, les tutelles administrativesLe jugeLes bénéficiaires ou usagersLes bénéficiairesCertains sociologuesLes politiquesEtc.Les tutelles administratives
Les notions de prescription négative ou positive concernent ici des attentes péjoratives ou mélioratives vis-à-vis des éducateurs spécialisés. Il nest pas rare, par exemple, dentendre de la part des usagers des propos de type « de toutes façons les éducateurs sont payés à rien faire à part lire le journal » ou contraire des propos de type « sans mon éducateur je men serais jamais sorti » : dans les cas, il sagit dune évaluation que je nomme positive ou négative.
On peut discuter de lopportunité à classer les usagers de laction éducative spécialisée comme prescripteurs. Le choix que je fais ici sappuie sur la référence à des textes de loi sur le droit des usagers qui mettent ce dernier en quasi exigence vis-à-vis de certaines prestations sociales et éducatives. Indépendamment de ce problème, le schéma plus haut montre lambivalence de la position négative ou positive des prescripteurs. Par exemple, un élu pourra valoriser la professionnalisation dune équipe déducateurs de rue sur un quartier auprès des habitants, et à un autre moment dénigrer auprès délecteurs mécontents leur manque de coopération dans la dénonciation des actes délinquant quils peuvent observer sur le terrain. Il nempêche que lidentité professionnelle se construit en opposition ou en assimilation de ces discours prescriptifs, selon le bénéfice et le renforcement narcissique que les éducateurs en tirent.
Lidentité ne se construit pas seulement dans le rapport aux discours prescriptifs cest-à-dire aux discours qui ont force de modélisation sur lactivité professionnelle. Il y a les discours évaluatifs simples cest-à-dire les discours de personnes qui ont une représentation du métier, qui la font savoir auprès des professionnels eux-mêmes mais auxquels ces derniers peuvent sopposer sans risque pour leur existence en tant que groupe professionnel. Sil y a éventuellement risque cest pour leur légitimité. Il sagit dans ce cas de travailleurs sociaux autres quéducateurs spécialisés, éventuellement dusagers, de bénévoles, de policiers, de professionnels de la santé etc qui entretiennent un rapport de partenariat ou de collégialité directe avec léducateur. De la même façon léducateur va construire son identité professionnelle en opposition ou en adhésion à ces discours en fonction du pouvoir et de la crédibilité quils lui confèrent.
Ainsi lune des entrées de lanalyse du discours peut être la manière dont léducateur sest saisi de ces différents discours pour donner à son propre discours la légitimité qui fonde son identité. Les outils proposés par GENETTE (intertextualité, hypertextualité etc.) peuvent composer une aide précieuse pour étudier les discours sous-jacents de léducateur cest-à-dire ceux empruntés et réinterprétés par le professionnel pour donner corps à sa spécificité. Nous sommes proches de thèses de BAKHTINE sur le dialogisme et la polyphonie généralisée, que J. BOUTET consacre sur le milieu de travail en tant qu « espace sémiotique ». Pour les auteurs précédents, tout discours se trouve en prise avec dautres voix concurrentes ou convergentes à ce qui est dit. « Comme le dit BAKHTINE, parler cest toujours opposer une contre-parole, cest se situer par rapport aux discours antérieurs pour y opposer comme pour y adhérer. De ce fait, les discours antérieurs, ceux dautrui comme ceux du sujet lui-même, façonnent la matière et le sens de ce qui va être énoncé dans chaque situation nouvelle dénonciation. » Dans cette perspective, il paraîtra intéressant de regarder comment dans son discours léducateur construit sa légitimité notamment dans linteraction avec le chercheur. Cette légitimité se construit certes au regard des savoir-faire quil véhicule mais aussi de la manière dont il transmet son savoir, et en cela nous touchons au registre de largumentation cher à lanalyse des discours.
Enfin, dans la construction identitaire, il y a les discours de léducateur sur lui-même cest-à-dire ceux qui, à ses yeux, indépendamment de ce qui est prescrit ou dit sur lui, le fondent en propre. Ici nous touchons directement à la question de la subjectivité dans le discours, cest-à-dire la manière dont lindividu encode en propre la représentation quil a de lui-même et du métier quil incarne. A la manière de KERBRAT-ORECCHIONI il nous appartiendra détudier ce quelle donne en tête de chapitre : « de la subjectivité dans le langage : quelques lieux dinscription » lobjectif étant de mettre en lumière la manière dont les locuteur font trace de leur professionnalité dans le discours. BOUTET appelle cet exercice « la mise en mot du travail », pour ma part je préfère le terme de formalisation de lidentité professionnelle dans la mesure où ce concept renvoie à quatre axes essentiels dans le langage :
La forme discursive utilisée en propre par le locuteur (signifiant)
Le contenu de lidentité signifiée par le discours (signifié)
La réalité extérieure à laquelle lidentité professionnelle réfère (référent)
Le processus à luvre de mise en forme de ces trois dimensions.
Dans cette dimension, je propose donc daller plus loin que la seule analyse du matériel langagier en dépit des recommandations de J. BOUTET dans son ouvrage Construire le sens. Elle écrit à ce propos : « jai montré ici quil existe un point de vue linguistique sur les discours et que la spécificité du linguiste tient à sa capacité à prendre en compte la matérialité même des organisations linguistiques. La suspension de linterprétation au profit de la description minutieuse de la mise en mots caractérise une démarche linguistique. Ainsi nous navons pas demblée étudié les discours des enquêtés pour ce à quoi ils référent mais dabord pour la matérialité de la mise en mots : matérialité des organisations syntaxiques, matérialité des signifiants qui constituent des indices ou des traces pour le sujets mais qui, en même temps, opacifient et rendent difficile un chemin direct, univoque et transparent de ce qui est énoncé à ce que cela veut dire. » En gros, elle nous dit chacun son domaine, aux linguistes le langage, aux sociologues ses significations ! Je ne partage pas un tel retranchement disciplinaire pour ma part, et je vais tenter de proposer une analyse qui évidemment sintéressera à la matérialité des langages professionnels, mais aussi à la manière dont ils organisent le sens et transmettent quelque chose de lordre des identités professionnelles.
Le traitement informatique des discours :
Traiter donc de la matérialité des discours et de leurs systèmes de significations implique de bénéficier dun appareillage de traitement adapté. Linformatique apparaît privilégiée pour ce type dusage dans la mesure où les enquêtes écrites auront été remplies sur un site Internet disponible dans mon disque dur, et les entretiens oraux auront été retranscrits sous forme dun fichier Word. Un certain nombre de programmes permettent un traitement pratique et rapide des données avec évidemment toutes les prudences épistémologiques dont il faut sentourer. Louvrage de P. MARCHAND Lanalyse du Discours Assistée par Ordinateur va nous servir de base à la réflexion. Lauteur organise son argumentation autour de 5 axes : lanalyse para-verbale, lanalyse lexicale, lanalyse morphosyntaxique, lanalyse sémantique et lanalyse pragmatique, axes hormis le premier qui pourront constituer quelques éclairages pour cette thèse.
Lanalyse lexicale :
Lauteur parle de lexicométrie dont il emprunte la définition à SALEM à savoir : « tout une série de méthodes qui permettent des réorganisations formelles de la séquence textuelle et des analyses statistiques portant sur le vocabulaire à partir dune segmentation ». En gros, ce type détude se manifeste par un comptage statistique déléments déterminés par le chercheur dans un ensemble dunités analysables. Ces unités sont définies comme « une suite de caractères bornée par deux caractères délimiteurs », soit en fait une forme graphique constituant un mot. Les phrases peuvent constituer des unités lexicales aussi.
Une fois que le corpus a été divisé en un ensemble complexe dunités lexicales, le chercheur peut en calculer sa richesse, cette dernière étant entendue comme un indice en terme de taille et doccurrences. Par exemple, on peut comparer la taille et le vocabulaire, cest-à-dire diviser le nombre de formes distinctes par le nombre de formes total. MARCHAND énonce les critères suivants :
Longueur totale : nombre total de mots dans la réponse.
Richesse de la réponse : rapport entre le nombre total des mots de la réponse et le nombre de mots différents dans la réponse.
Banalité de la réponse : moyenne du nombre doccurrences dans tout le corpus, des mots contenus dans la réponse.
Au-delà du nombre doccurrences dun mot, lanalyse lexicométrique sintéresse au nombre de significations auxquelles renvoie un mot, en fonction de sa fréquence dans le corpus. De même, on peut regarder les contextes immédiats dune occurrence, ce qui est appelé la concordance, afin de « sassurer quune forme renvoie bien à une seule signification et distinguer déventuelle formes graphiques homonymes ou homographies ; ensuite repérer déventuelles locutions (segments composés dont le sens ne se réduit pas à la somme des parties : lutte des classes, point de vue, etc.) ; enfin, caractériser cette forme en fonction de son contexte, et non seulement intrinsèquement, ce qui permet dapprofondir sa signification. » La partition est létude de la distribution dune forme linguistique selon des variables sociologiques préalablement déterminés. La spécificité est son contraire, cest-à-dire létude dune forme linguistique dont lusage est spécifique de tel ou tel groupe social.
Il importe dans ce type de traitement informatique, en dépit de tous les logiciels possibles, de déterminer les catégories qui vont servir au comptage statistique. MARCHAND parle dindexation documentaire : « indexer consiste à assigner à un document un ensemble détiquettes, de mots clés, de descripteurs, pour fournir une indication et un moyen dextraction dinformation. » Lauteur rajoute plus loin : « Les approches statistiques ne se préoccupent pas du sens du texte, mais visent à établir des procédures méthodologiques permettant de réduire et de classer les segments du texte, cest-à-dire den donner un condensé parfaitement formalisé et den construire la structure. [
] Le discours est vu comme une combinaison de phrases, une suite linéaire, et lobjet de lanalyse nest pas den chercher le sens mais de déterminer comment sont organisés les éléments qui le constituent, sans faire appel à la connaissance que lanalyste peut avoir du sens spécifique de chaque morphème, de lintention de lauteur ou de la situation. »
Les analyses morpho-syntaxiques
Lanalyse statistique lexicale ne fait pas de distinction entre les différentes catégories de mots. « Lanalyse automatique de la structure morpho-syntaxique va sattacher aux relations syntagmatiques des formes, qui dépendent des fonctions des différentes catégories de termes (articles, noms, verbes, adjectifs, adverbes, etc.). » La morphosyntaxe organise le choix des termes du locuteur, indépendamment des stratégies discursives qui prédisposent à son discours, mais en fonction dun ensemble de règles.
« Lanalyse syntaxique va consister à affecter une catégorie aux mots dune chaîne lexicale, et à appliquer les règles de relations entre les catégories. La statistique et la programmation vont donc reposer essentiellement sur la constitution de dictionnaires de formes fléchies (lemmes, pluriels, féminins, verbes conjugués, etc.), de types de flexions (accords, conjugaisons), de terminaisons, etc., auxquels le corpus à analyser va être comparé, ainsi que sur le définition dalgorithmes permettant didentifier la fonction des formes ainsi repérées au sien de la proposition ou de la phrase. » Lauteur montre néanmoins la prudence avec laquelle il faut envisager lanalyse automatique morphosyntaxique notamment dans les cas dambiguïtés homophoniques.
Lanalyse morpho-syntaxique va rechercher des pronoms, des noms, des adjectifs, des verbes, des connecteurs non tant pour leurs propriétés lexicales ou sémantiques, que le rôle quils occupent dans la phrase. Dans tous les cas, lordinateur procède à un comptage des formes employées, et partir de là le chercheur peut généraliser les effets poursuivis par le locuteur.
Les analyses sémantiques et pragmatiques :
« Lanalyse du contenu thématique se présente comme une quantification de données qualitatives. » Lauteur rajoute plus loin : « Lanalyse du contenu met donc, en relation des signifiés du texte avec des variables psychologiques ou sociologiques (attitudes, jugements, opinions, environnement, etc.) préalablement définis et organisés sous forme de grilles catégorielles applicables sur les textes. »
En fait, il importe de retenir les deux principes généraux suivants qui prévalent dans lusage de linformatique pour lanalyse des discours :
Linformatique nest pas magique. Elle nenlève rien aux discours en eux-mêmes, elle ne permet pas de découvrir des objets cachés. Linformatique permet certes un gain de temps dans le comptage des éléments linguistiques, mais elle ne remplace pas le travail de réflexion et dinterprétation du chercheur.
Lessentiel réside dans la manière dont le chercheur va sapproprier les outils informatiques. Autrement dit, pour quun logiciel comptabilise des données, il faut que le chercheur ait catégorisé ce que lordinateur doit chercher.
SECONDE PARTIE
Analyse qualitative du corpus
Le choix est fait ici dentamer le travail par lentrée qualitative. On aurait pu attendre en effet avant tout un décryptage chiffré des manifestations linguistiques du métier déducateur spécialisé.
Jose rappeler que ce travail se situe autant dans une perspective danalyse du discours professionnel que de comptage statistique des caractères sociolinguistiques de ce dernier. Jai tendance donc à privilégier les données qualitatives pour la raison quelles rendent compte avant tout de manifestations discursives aussi aléatoires et exemplaires quelles puissent paraître. Néanmoins, lintérêt scientifique de ces données réside dans le fait quelles puissent être confirmées ou infirmées à lensemble des éducateurs dans un second temps. Démarrer sur des éléments chiffrés aurait pu empêcher de mettre à jour des manifestations linguistiques que la statistique ne laisse pas apparaître du fait de son caractère peut-être plus isolé mais surtout moins chiffrable en tant que tel. Prenons lexemple de la prédominance de ce que jappellerai plus tard le discours normé familiariste. Il est aisé de compter le nombre de récurrences ayant trait au registre de la famille. Ceci dit, lanalyse statistique nest pas suffisante pour mettre en relief les grilles souvent négatives et normatives à partir desquelles les éducateurs encodent leur représentation de la famille ou la parentalité, et cest ce que lanalyse qualitative propose. De plus, étudier un langage professionnel a tendance à décevoir en terme de récurrences statistiques, si notamment on a le souhait de dégager un langage spécifique avec ses mots propres, ses tournures syntaxiques propres comme on le ferait dune langue régionale. Seule lanalyse qualitative peut faciliter lémergence des caractéristiques dun tel sociolecte pour la raison quà première vue il ne diffère guère du français standard. Ce qui fait la différence, cest lusage des vocables dans le contexte professionnel et le système de significations auquel ils réfèrent. Lambition serait de dégager une sorte de grammaire du langage éducatif spécialisé, une stylistique du discours professionnel avec le risque évidemment de le réduire à une caricature.
Je propose deux chapitres pour aborder du point de vue qualitatif le langage éducatif spécialisé sil y a lieu de dire ainsi. Dabord je regarderai la manière dont les personnes sondées mettent en mots leur représentation du métier. En dautres terme je mintéresserai à ce que je nomme la formalisation de lactivité professionnelle avec la prudence que nous a enseignée J. BOUTET à savoir quil est difficile pour quiconque de dire avec des mots ce quil accomplit régulièrement dans son travail. Ensuite, je regarderai la manière dont les éducateurs encodent leur identité professionnelle, autrement dit la manière dont ils mettent en jeu leur propre subjectivité dans les discours professionnels et ce qui constituerait le socle commun à leur groupe professionnel. De ce fait, je tenterai de proposer des discours éducatifs types si lanalyse évidemment permet le surgissement de telles pratiques de langage chez les éducateurs. Le lecteur voudra bien excuser les listes de mots, que je reconnais difficiles et rébarbatives à lire, mais qui sont si nécessaires à la construction argumentaire et la précision scientifique dont se réclame cette thèse.
LA RHETORIQUE DE LA FORMALISATION DE LA PRATIQUE PROFESSIONNELLE
Le choix des concepts :
Il importe rapidement de préciser ce que jentends par « formalisation professionnelle ». De même il paraît nécessaire de préciser la pertinence dune stylistique de la mise en mots de la pratique professionnelle. Plusieurs concepts simposent dans ce court éclaircissement, ceux dactivité professionnelle, de métier et de mise en mots de lactivité professionnelle, ce que je nomme formalisation de lactivité professionnelle.
Travail, activité professionnelle et métier :
On rappelle souvent lorigine étymologique du mot « travail » à savoir tripalium (linstrument de torture). Cette allusion étymologique a sans doute pour effets de mettre en relief la souffrance que provoque toute tâche de travail, ou encore la peine nécessaire à la réalisation dune tâche et la production dun objet.
Néanmoins, comme le rappelle Vatin le travail se définit avant tout par son caractère technique puisque avant dêtre un instrument de torture, le tripalium latin représentait le trépied et le socle dont lusage était réservé à la torture. Le déploiement dune technicité en vue dune activité particulière constitue donc la première définition du travail au sens professionnel du terme. Le travail écrit F. VATIN « cest dabord le moyen dune production, la mise en uvre dune technicité ». Lidéologie économique a longtemps accompagné le travail des notions de fatigue, dénergie et de production, lactivité économique étant le produit dune énergie humaine ou machiniste et sorganisant de façon à obtenir des effets maximaux pour une fatigue humaine donnée. En gros, le travail se définit dans cette perspective à la fois comme leffort fourni, la technicité mise en uvre, lorganisation de la tâche et le résultat de la combinaison de ces trois derniers en terme de rendements.
Si longtemps « travailler cest [
] produire, cest-à-dire exister dans son uvre pour soi, pour soi et pour les autres », le travail se distingue de plus en plus en plus du travailleur, au sens où lhomme qui était facteur dénergie et donc de production, sest vu petit à petit remplacer par la machine. Ainsi, le travailleur se retrouve à une position de contrôleur ou de surveillance occupant ainsi une « fonction salariée font lobjet nest pas lexercice dune activité déterminée mais la surveillance dun processus autonome ». Le travailleur disparaît au profit dune « automatisation quasi généralisée, cest-à-dire à une exclusion complète du travail humain ». La recherche de flexibles renforce cette disparition de lhomme puisquil sagit grâce à la production de gaz ou de produits chimiques de faire fonctionner les machines en économisant lénergie humaine.
Ce très rapide historique de la notion de travail permet de comprendre que la réalisation dun travail peut se faire en dehors de lexercice dun métier particulier. Un OS (Ouvrier Spécialisé) en dépit de sa nomination est attendu pour sa capacité à intervenir à tous les endroits de la chaîne, et non à une tâche spécifique à cette production nécessitant un savoir-faire propre. Lorganisation taylorienne privilégie louvrier soumis au capital a contrario du métier qui se distingue par son autonomie technique et économique. « Le taylorisme en procédant à un découpage parcellaire des tâches, se serait attaqué au système des métiers, cest-à-dire à une forme dorganisation du travail, caractérisée par un découpage lâche des tâches entre des individus dotés dune grande autonomie dans la préparation et lexécution de leur travail ». Bref, le métier préfigure à lidée dune spécificité dun savoir-faire, dune autonomie professionnelle et technique qui prive laccès dun ouvrier généraliste à la tâche, et dune compétence propre liée aux matériaux de travail. Cette spécificité se caractérise aussi par la nécessaire transmission de savoirs fortement marqués par une logique de lapprentissage.
Au vu de mes lectures, jaurais tendance à considérer lactivité professionnelle comme la réalisation, lactualisation dun travail déterminé sur le chantier lui-même. Je nai que trop insisté dans la première partie de cette thèse sur le décalage quasi permanent entre le travail prescrit et le travail réel, ce qui fait parler A. PERRIER du « travail comme énigme ». Lactivité pose toute la question de son évaluation et de sa mesure : « Peut-on mesurer du travail sans le définir au plus juste, peut-on codifier des activités humaines sans les connaître dans leur épaisseur ? » Ce problème inhérent à la codification renvoie à ce que je nomme la formalisation de lactivité professionnelle sachant quil sagit dune opération abstraite visant à rendre concret un travail dont la mise en uvre et lexpérimentation sont toujours relativisés en fonction de ses conditions dexercice et des modes de relation entre les opérateurs.
La formalisation de lactivité professionnelle
Comme on vient de le constater, létude des activités professionnelles sinscrit complètement dans la logique de la sociolinguistique cest-à-dire lacceptation sans limite de la variation comme composante du langage humain. « Lactivité de travail nest pas directement accessible comme objet de communication. Etant du domaine de lexpérience, qui nest réelle que vécue, seule lacceptation du dénuement permet, à qui prétend la découvrir de façon non mutilante, de se confronter à la singularité fondamentale des vies au travail. » Voilà une autre manière de dire toute lambiguïté de la notion dactivité professionnelle qui mêle confusément travail, organisation du travail, relations interhumaines, paroles, collectivités et subjectivités. Il ny a donc pas de récit ou de retranscription univoques dune même activité professionnelle mais autant de mises en mots que de locuteurs.
Le travail entretient des rapports particuliers avec le langage en ce sens quil devient intelligible à partir du moment où il est formulé par du discours. Le langage permet au réel de la tâche de devenir existant, de prendre forme : à partir du moment où le travailleur a dit ce quil fait, du moins a tenté de transformer par du langage son activité professionnelle, son activité devient existante pour autrui, elle est alors soumise aux critiques éventuelles, à lévaluation, elle sinstitutionnalise. La formalisation permet au travail de se structurer, elle oblige à une rigueur intellectuelle, elle opère par transformation de la chose effectuée de manière automatique ou réfléchie en la production dun système de codages sensés rendre compte de la réalité de la tâche. Le discours est donc indispensable au faire, de même que le faire pour pouvoir bénéficier dune reconnaissance et dune légitimité a nécessairement besoin de discours. Si lon me demande le métier que je pratique, il paraît nécessaire daccompagner le titre de ma fiche de poste dune mise en mots qui puisse rendre significatif ce que le seul titre de la fonction ne révèle pas immédiatement. Par exemple, si je dis que je suis éducateur spécialisé pour des enfants délinquants, afin de ne pas être confondu avec un animateur jeunesse ou un bénévole, il me faudra préciser ce qui fonde la professionnalité de ce métier. Et les actes du quotidien que je pratique en direction des enfants délinquants (lever, coucher, nuit, repas etc.) nauront de visibilité réelle quà partir du moment où ils auront été formalisés dans du discours. En effet, comme lindiquent FAÏTA et DONATO, « lactivité se manifeste dabord dans la mise en mots. [
] Le langage, comme activité, est donc le tissu de lactivité, au sens où il peut seul autoriser le retravail et la stabilisation des rapports résolus dans laccomplissement des tâches ». Les auteurs nous disent que sans langage, sans mise en mots, le travail se limiterait à une suite dactes sans but ni réalité. La formalisation permet au contraire au travail de devenir sensé et intelligible, indépendamment des problèmes de laléatoire du signe inhérent à toute activité langagière.
Cette nécessaire formalisation de lactivité professionnelle nenlève rien à la complexité de sa mise en mots. Même si le travail comme chose réelle et institutionnelle ne peut se passer de discours, ce dernier se trouvera toujours dans lincapacité à tout dire du réel de lactivité, à tout signifier dautant plus quand les actes professionnels sont exécutés de manière automatique et rapide. Ce qui importe, ce nest pas tant la réalité et lexhaustivité de lactivité professionnelle dans le discours, que la manière dont le professionnel se situe face à son travail et met en mot sa propre subjectivité. La détermination identitaire trouve tout son sens dans cet exercice de formalisation de lactivité professionnelle puisque « parler du travail cest parler de celui qui travaille » plus que de lactivité elle-même.
La mise en mots des savoir-faire éducatifs :
Un métier sorganise avant tout autour dun ensemble de savoirs (savoir-faire, savoir-dire, savoirs théoriques, savoir être) propres à un groupe dindividus dépositaires dune technicité en la matière. Il importe donc pour parler de métier que les savoirs à luvre dans son exercice puissent être transmis grâce notamment à la formation professionnelle.
Cette technicité propre au métier se fonderait ainsi autour de trois axes essentiels :
Les référentiels théoriques qui président au choix non pas arbitraire mais réfléchi à des actes dits professionnels (CHAMP CONCEPTUEL). Grégoire CROZIER explique par exemple dans le domaine du dessin technique que le « champ conceptuel a pour situations de référence, les activités nécessitant de tracer, dimplanter dans le réel, conformément aux prescriptions contenues dans le dessin technique ».
Les activités et les gestes propres à laccomplissement de ce métier (DOMAINE DE LACTION). Nous nous situons ici dans le domaine de lopérationnalité, de la mise en acte des connaissances professionnelles. Notons que ces actes professionnels peuvent dans un second temps faire appel à des théories particulières et non pas uniquement émaner dune théorie qui fonderait laction.
Le langage qui permet larticulation entre lactivité, les concepts dans lesquels le métier sinscrit, et la mise en mots de ces derniers (PRAXIS). Cest ce langage spécialisé qui permet la transmission des différents savoirs spécifiques au métier voire lexécution même du métier si lon considère que lactivité professionnelle est essentiellement langagière chez les éducateurs.
Pour F. OSTY, la notion de métier se structure autour de trois pôles :
La détermination dun savoir savant
Un corpus de connaissances associé à une pratique professionnelle
Une expertise propre et une maîtrise autonome de lacte productif
Elle distingue plusieurs savoirs à luvre dans un métier : des savoirs acquis, des savoirs pratiques, des savoirs institués et des savoirs informels, cette fois difficilement accessibles. Ces savoirs informels « se situent à lintersection des savoirs acquis et des situations de travail ». Elle fait référence aux fameux savoir-être construits par lexpérience et les situations de travail particulières qui résistent à la technicité acquise. Elle invite aussi à prendre en compte dans toute activité de formalisation des savoirs à luvre dans lexercice dun métier des « savoirs tacites intériorisés qui résistent à la rationalisation » et de « linsuffisance doutils conceptuels pour mettre à jour les processus mentaux engagés dans les modes dacquisition et de mise en uvre des savoirs ». Cette remarque oblige demblée à affirmer que lensemble des capacités professionnelles et des savoirs nécessaires à lexercice du métier déducateur, tels quils ont été fournis par le corpus, est tout à fait limité et quil rend uniquement compte des éléments que les éducateurs ont réussi à formaliser.
La détermination des capacités professionnelles comme enjeu de la professionnalité
La formalisation des compétences et des savoirs éducatifs spécialisés est particulièrement observable dans lensemble des protocoles de stage rapportés dans le corpus.
Elle subit une construction particulière où laccent est mis sur la compétence à atteindre par le stagiaire :
Être capable de
Capacité à
Capacité de
Aptitude à
Savoir (+ verbe)
Connaître
Être en mesure de
Acquérir
Apprendre à
Prise de connaissance de
Pouvoir
Avoir (une bonne) connaissance de
Avoir des connaissances de
Faire preuve de
Développer (des connaissances)
Comprendre
Travail sur
Travailler
Maîtriser
Découvrir
Cette récurrence de la compétence à apprendre ou à atteindre nest pas seulement observable dans les protocoles de stage. Les écrits remis par les professionnels ainsi que leurs témoignages confirment limportance pour un éducateur spécialisé de revendiquer un certain nombre de savoirs pratiques construits sur une telle modalité à savoir « être capable de ».
La formulation rend compte de deux hypothèses :
Les entretiens ou les protocoles de stage appellent à un usage essentiellement pédagogique. Ainsi les éducateurs sondés légitiment leur spécificité par lensemble des apprentissages nécessaires à lexercice du métier. En ce sens, ils ne se situent pas dans le métier inné, ou la disposition humaine permettant dappréhender des populations en difficulté, mais véritablement une profession dont lexercice est déterminé par lacquisition dun ensemble de savoir-faire et de capacités éducatives professionnelles.
Laffirmation que le métier déducateur spécialisé sopérationnalise dans un ensemble de capacités transmissibles en école ou sur le terrain fait apparaître un mouvement complexe où le passage entre un individu lambda et un individu pouvant se réclamer de la profession déducateur ne peut se faire quà condition quil se soit soumis à lapprentissage de ces capacités, une évaluation par les professionnels eux-mêmes. Sans « capacité à faire », ce métier pourrait se réduire à un ensemble de dispositions personnelles. Au contraire, les éducateurs sondés revendiquent la capacité professionnelle comme fondatrice de la professionnalité. Ce nest donc pas tant la relation avec les usagers sur le terrain professionnel qui prime dans la professionnalité que le fait de se soumettre à lévaluation des compétences attendues par la profession.
Nous regarderons plus loin la manière dont les éducateurs évaluent lacquisition ou pas des savoir-faire poursuivis par les maîtres de stage vis-à-vis de leurs stagiaires. Aussi, il apparaît signifiant de chercher dans le corpus la manière dont les éducateurs interrogés apprécient ce qui relève de la professionnalité ou non.
Prenons plusieurs exemples :
Valérie :
un éducateur cest quelquun qui accompagne euh une personne en difficulté et à un moment de sa vie / et euh qui doit tout faire pour se rendre inutile / donc jpense que ya des tas de gens qui ont besoin dêtre accompagnés dans des moments difficiles euh / enfant ou adulte et queuh on est une espèce de béquille peut-être / mais il faut pas il faut jongler entre euh savoir aider et en même temps savoir se retirer aussi et pas que les enfants ou les adultes tombent dans un assistanat / euh enfin je trouve ça rapide je trouve que ça arrive trop souvent surtout quand ils ont un passé en institution / il faut vraiment sattacher à [ a] à srendre euh à pas se rendre indispensable justement dans leur vie
La jeune femme pose ici ce qui relève du domaine professionnel et du domaine profane. Elle oppose ainsi ce qui appartient à la généralité par lusage du pronom indéfini « quelquun » qui évoque une personne dordre général sans préciser son identité et qui comporte une indication dordre qualitatif imprécise. Lexpression « une personne en difficulté » ou le syntagme « ya des tas de gens qui ont besoin qui ont besoin dêtre accompagnés dans des moments difficiles » confirment le statut indéterminé du propos ; autrement dit tout un chacun peut éprouver des difficultés dans sa vie, léducateur est une personne parmi dautres qui peut accompagner les gens lors de ces passages difficiles. Le caractère professionnel de laccompagnement apparaît dans lusage de lexpression « il faut » et du verbe « savoir » qui situent cette fois le propos dans lordre de la prescription professionnelle, léducateur nétant plus quelquun qui aide des personnes indéterminées en souffrance, mais « une espèce de béquille » qui se doit d « aider et en même temps [
] se retirer aussi », « vraiment sattacher [
] à pas se rendre indispensable ».
Ce court extrait dentretien marque le passage à la professionnalité par la revendication de prescriptions professionnelles fortes (révélées par ladverbe « vraiment ») qui fonctionnent comme des règles à tenir garantes du professionnalisme de léducateur spécialisé, a contrario dun profane qui, par souci daider autrui, pourrait tomber dans lassistanat.
Marie-Michelle :
Moi : daccord / alors on est éducateur spécialisé / spécialisé en quoi ?
MM : ben quand / spécialisé euh spécialisé je dis quand même parce quon travaille plutôt avec des jeunes en difficulté / moi cest comme ça que je définis le mot « spécialisé » / euh des jeunes en difficulté et que bon euh [eu] tout en sachant que cest pas toujours facile et je me dis euh [eu] : le rôle de léducateur spécialisé cest pas de se / euh [eu] / de se donner un défi dans son travail / cest dessayer de faire avec ce quil a avec le potentiel quil a ce quil peut apporter au mieux à ce jeune sans pour autant trop tomber dans laffectif pour autant euh [eu] tomber dans la négation ou dans le subjectif / euh [eu] dautant plus dans notre travail euh [eu] ya pas une réponse il faut sadapter on travaille par tâtonnements / donc euh il faut rester très objectifs et donc réalistes
Léducatrice ici ne choisit pas laffirmation de prescriptions formelles pour rendre compte de la professionnalité de léducateur. Néanmoins, elle oppose dans son discours ce qui relève de sa propre subjectivité (mise en avant du JE de la praticienne) avec ce qui relèverait du groupe des éducateurs dont elle fait partie ; pour ce faire, elle met de côté le JE ou le MOI, pour se référer à « léducateur spécialisé » dans sa globalité. Du « je définis » ou « je dis » ou « moi cest », elle passe à la troisième personne du singulier, dénommant une personne abstraite qui voudrait représenter lensemble des éducateurs spécialisés. Les prescriptions professionnelles reprennent place par opposition à la parole subjective de la femme, dans les intitulés commençant par « cest » suivi dun verbe daction sensé représenter une compétence professionnelle, laffirmation du « on » et de lexpression « il faut ».
On saperçoit dans cet extrait dentretien que la professionnalité se fonde certes par la revendication de principes généraux et de compétences spécifiques, mais aussi et surtout par laffirmation dune pratique qui soit objective, la subjectivité étant assimilée par léducatrice au domaine de laffectivité et lobjectivité à la ce quelle nomme « la réalité ». Un métier ne peut donc se satisfaire de positions personnelles, il a besoin de se structurer autour dun NOUS collectif qui actualise une certaine objectivité des principes daction professionnelle défendus, ce que C. KERBRAT-ORECCHIONI décrit dans le discours comme « le masquage du sujet individuel derrière un sujet collectif »
Alban :
Moi : daccord / alors sinon les les les fonctions de léducateur dans ce type de [e] dintervention ? est-ce que yen a des propres ou est-ce que [e] ?
A : moi jai cest un travail que jai effectué avec euh le stagiaire le stagiaire éducateur de ce service / quest-ce qui caractérise léducateur spécialisé de [e] dautres professions ? on a [a] on a pu percevoir que cétait quand même difficile de repérer / et euh [eu] vraiment les nuances qui me semble-t-il est [è] est le peut-être le plus de léducateur spécialisé auprès dun public comme celui-là et dun service comme celui-là cest euh [eu] la [a] la capacité à répondre immédiatement à des situations gérer euh
Moi : à gérer lurgence ?
A : à gérer lurgence / je pense que cest un des plus / euh [eu] toute situation entraînant une réponse peut être assez rapide / et certainement aussi des modes dentrée en communication avec les personnes
Moi : ouais
A : cest-à- dire le ton euh [eu] lhumour euh [eu] euh aussi taper du poing sur la table quand il le faut etcetera tous ces modes de relation euh qui se jouent chez léducateur / cest limpression que jai
Moi : daccord / est-ce que toi au vu de ça tas des savoir-faire des trucs à toi enfin des ? ce qui te caractérise ? enfin ce que tu utilises dans ta pratique ?
A : (souffle, grand silence) euh [eu]
Moi : je sais pas ça peut être lentretien
A : ouais ouais / euh [eu eu] oui tout ce qui concerne euh lentretien je [e] connaissais depuis longtemps euh [eu] que je connaissais aussi toutes [e] les capacités dobservation et notamment dobservation de euh [eu] danger auprès denfants / voilà / donc de mal- tout ces toutes ces observations / autrement jai découvert des choses que je pensais pouvoir me débrouiller quétait pas du tout inhérente à ma fonction les partenariats de réseau euh [eu] par exemple je pensais pas que je maîtrisais à à euh enfin cétait pas quelque chose que je [e] pensais connaître à ce point-là auparavant
Moi : daccord / les fonctions de léducateur dans ce truc-là dans cette institution ? enfin du travailleur social où tu travailles peu importe ?
A : les fonctions ? (silence) / ouais les fonctions ? je vois pas (rires) / euh le problème cest que des fois je me pose la question si on fait du travail social / donc cest une des questions que je me pose / euh / hum voilà je réponds peut-être à côté de la plaque euh [eu] je me demande en quoi on est pas plus euh [eu] / derrière un lieu dinformations euh [eu] recherche recherche euh et de gestion de mouvements de masse de personnes de logements et de choses comme ça que que de fonctions éducatives
Moi : parce que donc dans tes représentations les fonctions éducatives ça serait quoi ? a contrario ?
A : et ben cest a contrario cest dêtre davantage dans une relation suivie une continuité de la relation dans une euh [eu] un travail de mise en confiance euh / tout ce qui concerne la relation daide mais euh euh jai plutôt le sentiment que cest de la relation daide quon a mais tellement ponctuelle et occasionnelle que ya pas de continuité dans le travail relationnel
Moi : ah ouais
A : donc en terme de projection notamment ya peu de travail projectif / avec les personnes
Moi : est-ce quil y a autres choses sur les euh rôle et fonctions dans lidée que tas de ce métier-là déducateur ?
A : lidée que jai jai de ce métier-là ? euh [eu eu] je réfléchis (rires) rôles et fonctions de léducateur / hum [um] euh / non dans limmédiat limmédiateté non peut-être que ça me viendra plus tard mais jai pas là
Cet extrait dentretien reprend des caractéristiques énoncées plus haut à savoir :
la capacité comme enjeu de professionnalité
lobjectivité poursuivie versus la subjectivité
le besoin pour léducateur de se référer à un collectif de professionnels afin de valider les compétences défendues
Lentretien apporte un élément de plus tout à fait intéressant : il ny aurait pas de compétences prédéfinies ou de rôles pré-élaborés de léducateur spécialisé. En effet lorsque je linterroge sur ses propres savoir-faire, il répond par une hésitation ; je suggère alors lentretien comme outil professionnel pour poursuivre le dialogue. Plus tard, quand je le questionne sur les fonctions dun éducateur, il fait part de son ignorance et de ses doutes autant sur les capacités sui generis dun éducateur que sur sa propre position de travailleur social dans le service où il travaille.
Cet entretien montre que les capacités professionnelles de léducateur ne se construisent pas tant à partir dun référentiel préexistant que partageraient lensemble des éducateurs de manière consciente ou pas, que dans linteraction et le dialogue quils peuvent avoir avec un individu à propos de leur identité professionnelle. Dailleurs une expérience récente organisée par PROMOFAF, lAFORTS et le GNI (2002) a tenté de mettre en place un référentiel de compétences de léducateur spécialisé en prévision de la mise en place de la VAE. Il en est ressorti un document qui nest absolument pas parvenu à faire lunanimité chez les éducateurs, malgré toute une année de réunions entre professionnels et consultants. Jen veux pour preuves des discussions interminables que nous avons pu avoir avec les professionnels de terrain et dans léquipe pédagogique au sujet de ce référentiel, lorsque jexerçais comme formateur à lIRTS de Bretagne. Tout lenjeu de ce travail était de produire un document unique qui aurait fixé ce qui relevait des compétences de léducateur spécialisé. Cela voulait dire que tout éducateur était en mesure de décrire de manière univoque ce que serait par exemple « dêtre davantage dans une relation suivie une continuité de la relation dans une euh [eu] un travail de mise en confiance euh / tout ce qui concerne la relation daide », ce qui apparaît plus haut un parfait contre-exemple dautant quand Alban avoue quil se situe plus dans « jai plutôt le sentiment que cest de la relation daide quon a mais tellement ponctuelle et occasionnelle que ya pas de continuité dans le travail relationnel » que dans léventuelle exactitude dun référentiel professionnel. On verra plus loin dans cette thèse létendue polysémique dune expression telle que « travailler avec un jeune ou un groupe de jeunes » employé par tous les informateurs de manière automatique, sans explication, et référant pourtant à une pluralité dactions éducatives.
En tous les cas, cet exemple nous enseigne que la capacité professionnelle de léducateur spécialisé résulte beaucoup plus dune co-construction langagière, dune négociation et dun dialogue permanents entre les éducateurs eux-mêmes et tous ceux qui ont à faire avec le monde des éducateurs, que dun ensemble normatif de prescriptions éducatives. Bref, à cet endroit de la recherche, la professionnalité dune activité éducative semble résulter beaucoup plus dun exercice langagier particulier avec ses normes et ses variations, ses rites et ses effets communicationnels, que dun ensemble prédéfini dont le langage ne serait quun simple média. Pour faire vite, ce qui fonderait la professionnalité de léducateur spécialisé cest du langage avant toute chose !! Je veux dire par là plus sérieusement, que ce qui fait quun acte éducatif spécialisé est considéré comme professionnel nest pas tant lié à lacte lui-même quà la manière dont il est dénommé ou qualifié. Ce nest pas le cas de tous les métiers : on reconnaîtra aisément le coup de main professionnel en électricité ou en maçonnerie selon quil est exercé par un professionnel formé ou un amateur sans quil y ait forcément besoin de langage ; chez un éducateur spécialisé, « faire la nuit » par exemple revient en fait à occuper la chambre de veille pendant que les enfants dorment ; lactivité devient professionnelle, certes parce quelle est exercée dans un cadre salarié, mais surtout parce quelle sentoure de jargons spécifiques qui apportent à lactivité une dimension supplémentaire inaccessible aux novices. « Faire la nuit » invoque alors les notions de sécurisation, dobservation, de passage de relais, de médiation etc.
Plus largement cet exemple montre la nécessité de considérer les discours professionnels comme la résultante dun dialogue entre les éducateurs eux-mêmes, les éducateurs et leurs clients, et pour le cas présent les éducateurs et le chercheur. En effet, le risque était grand de considérer ces discours professionnels comme détachés de la perspective dialogique et donc interactionnelle, cest-à-dire comme des self-talk pour reprendre GOFFMAN. Je rappelle à ce sujet la règle de base immanente à toute activité langagière de C. KERBRAT-ORECCHIONI à savoir : « Tout discours est une construction collective, ou une réalisation interactive ».
Dominique :
Moi : alors justement par rapport à / est-ce que toi tas des outils qui te sont propres en tant quéducateur ? / je sais moi est-ce quil y a des outils qui vraiment caractérisent ta pratique ? et si oui lesquels ?
D : alors jvais [é] / des outils qui euh qui me caractérisent le plus cest peut-être un peu prétentieux / cest euh cest une capacité à mettre les gens en confiance / et euh je veux dire bon de [e] je promets jamais la lune parce que bon jai pas les moyens de latteindre de toutes façons / euh [eu] quand je dis je fais / quand je sais pas je sais pas / euh [eu eu] je [e] je pense être un [un] un bon intermédiaire dans les contacts / et euh [eu] / ouais je pense être quelquun effectivement de de chaleureux et de sûr / ça pour des qualités relationnelles premières / ensuite je connais bien mon travail / je connais bien les les les comment ? les différents organismes les partenaires et effectivement léducateur pour moi cest une passerelle / cest un passeur cest tout ce quon veut / donc euh cest cest euh cest donc faire le lien / pour moi cette relation de liens ça passe effectivement par des qualités humaines euh euh [eu] / ben nécessaires à sa voir euh de lécoute de euh de la confiance de la distanciation / euh [eu] / être capable euh de ne pas projeter ses propres euh [eu] / moi jai pas de désirs sur la personne etcetera
Moi : donc léducateur est spécialisé par autant des savoir-faire que des capacités relationnelles en fait ?
D : je crois quil faut les deux / il faut les deux / bon il faut connaître effectivement un certain nombre de choses il faut connaître son taf quoi / je veux dire euh léducateur en CHRS sera pas le même quun éducateur en IME / donc euh il est clair queuh [eu] léducateur spécialisé nest spécialisé que dans lendroit où il travaille / tu vois ? donc euh [eu] je pense que quelquun qui a tout des qualités humaines euh requises pour faire éducateur sil sait pas ses outils sil sait pas à lheure actuelle effectivement ben euh [eu] les et quil connaît pas les lois de modernisation sociale sil connaît pas le dispositif RMI sil connaît pas euh les principes législatifs il va être inopérant / cest clair / donc ça passe par un savoir euh être entre guillemets important quoi
Jai pu entendre régulièrement des éducateurs sur le terrain vanter le professionnalisme de tel ou tel collègue. A chaque fois, léducateur était considéré comme « professionnel » sil était en capacité de sextraire du sens commun, duser dun langage partagé et perçu comme valorisant par les collègues, de faire valoir des connaissances inaccessibles au commun des mortels, et dagir de manière objective cest-à-dire a priori sans affectivité qui viendrait corrompre le regard outillé du professionnel. En tous les cas, on se situe bien dans un effet de langage particulier, une vision du monde particulière, un découpage spécifique de la réalité tel quil est envisagé par les éducateurs à travers leur langage, et non la réalité elle-même, puisque chacun sait bien évidemment quil ny a pas de relation interhumaine sans affectivité.
Lexemple plus haut issu de lentretien avec Dominique rend compte de laspect ambigu et ambivalent entre le professionnalisme et ce qui relève de lengagement personnel à luvre dans laction éducative. Des marquages sémantiques apparaissent pour distinguer les deux dimensions :
PROFESSIONNALISMEENGAGEMENT PERSONNEL- Capacité à + Verbe daction- Opposition entre « quelquun qui a tout des qualités euh humaines pour faire éducateur » et « éducateur spécialisé »- Verbes faisant appel à la notion de « savoir » ou de « connaître »- Appel aux notions faisant référence aux traits de caractère (« chaleureux », « qualités humaines ») opposés aux connaissances- Utilisation dune troisième personne générique (« léducateur cest
»)- Usage du « je », références au fonctionnement intra-psychique (« moi jai pas de désirs sur la personne »)- Modalités indiquant la prescription (« il faut que », « cest clair que », usage du futur)- Pas dexemples dans le corpus qui sopposent.- Transformation dun terme relevant du sens commun en un autre relevant des sciences psychosociales (« intermédiaire » transformé en « passeur »)- Pas dexemples dans le corpus qui sopposent.- Appel à des expressions propres au secteur social, eux-mêmes empruntés au secteur juridique (« lois de modernisation sociale », « dispositif RMI »)- Pas dexemples dans le corpus qui sopposent.- Appel à des vocables faisant référence au monde du travail (« partenaire », « organismes », « travail », « outils », « taf »)- Pas dexemples dans le corpus qui sopposent.- Utilisation de siglaisons propres au domaine dexercice de léducateur (« IME », « CHRS »)- Pas dexemples dans le corpus qui sopposent.- Recherche de lefficacité (« moyens à atteindre », « je connais bien mon travail/connaître son taf », « il va être inopérant », « être un bon »)- Pas dexemples dans le corpus qui sopposent.
Ces marquages sémantiques restent tout de même très aléatoires. Les outils que cite Dominique comme « lécoute », « la confiance », « la distanciation » ou ce quil nomme « un savoir euh être » relèvent indifféremment de lactivité professionnelle et de la relation humaine en règle général, avec tout de même en filigrane le vieux principe de MARC-AURELE « au corps les sensations ; à lâme, les impulsions ; à lintelligence, les principes ». Donc cette thèse va montrer en outre lacharnement permanent avec lesquels les éducateurs spécialisés revendiquent leur professionnalisme, par opposition à une intervention bénévole et charitable, en mettant en mots ainsi sur un mode quasi stoïcien ce qui incomberait à la passion et à la technicité : « Cest un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule : il faut plus que de lesprit pour être auteur » écrivait LA BRUYERE dans ses Caractères avec la même ferveur.
La construction des capacités professionnelles :
La règle la plus largement répandue dans le corpus est la suivante :
Etre capable de (et ses variables) + VERBE DACTION
La typologie de ces verbes sera étudiée plus tard. Néanmoins, on observe ça et là quelques variations à cette règle :
Le syntagme « être capable de » est parfois suivi dun nom faisant fonction de patient du procès en cours. Autrement dit, le verbe a subi une ellipse nenlevant rien au procès suggéré :
« Capacité dinitiative » exprime en réalité la capacité à faire preuve dinitiatives etc.
Certains noms qui suivent le syntagme verbal « être capable de » font fonction de verbe. Ils résultent en fait dune nominalisation dun verbe daction :
« Capacité dobservation » exprime la capacité à observer, « capacité de synthèse » exprime la capacité à synthétiser etc.
Parfois les syntagmes sont suivis de verbes détat se référant pourtant à des actions :
« Capacité à être autonome » exprime en fait la capacité à faire preuve dautonomie etc.
Les qualités humaines nécessaires à lexercice du métier déducateur subissent aussi une transformation en capacités à atteindre mais sans forcément faire appel à un verbe daction :
Utilisation de noms : « capacité découte », « dempathie naturelle » etc.
Utilisation dadjectifs : « consciencieuse », « rigoureuse » etc.
Utilisation de périphrases avec un lien distendu avec le syntagme verbal « être capable de » : « Capacités personnelles dans sa formation : (
) Empathie naturelle permettant aux jeunes et aux familles dinstaurer une relation de confiance plus rapide et de qualité qui facilite léchange et conduit à une résolution des problématiques Efficacité aussi dans la résolution des problèmes car grande capacité de travail et rigueur dans laccomplissement des tâches » etc.
Certains verbes sont sensés représenter une action professionnelle. Exprimés derrière lexpression « capacité à », ils doivent être effectivement considérés par le stagiaire comme une action à apprendre, même si lobjet du procès est loin dêtre évident voire complètement flou :
« Capacité à inscrire laction dans le cadre professionnel » ne désigne pas une inscription manuelle sur un mur ou un tableau mais plutôt une activité abstraite de positionnement professionnel, que le maître de stage évalue pourtant comme une action concrète.
« Capacité à se positionner en tant que professionnel » ne veut pas dire prendre une position objective, observable et univoque, mais rend compte plutôt dune action ambivalente, équivoque et abstraite, plus proche dun état que dune véritable action ; néanmoins le stagiaire est sensé lenvisager comme un acte qui sera soumis à lévaluation. Idem pour lexpression très courante « être capable de se situer par rapport à linstitution/le groupe/léquipe/les jeunes » etc.
Cette dérogation à la règle sus citée est particulièrement intéressante puisque non seulement elle est récurrente dans le corpus, mais en plus elle nest rarement voire jamais accompagnée dexplications qui donneraient sens aux capacités en question. Et pourtant les aptitudes poursuivies fonctionnent comme des objets définis, consensuels pour les éducateurs qui, si on les interrogeait à ce sujet auraient certainement chacun une idée différente de ce quelles signifient réellement.
A ce niveau de la réflexion, on peut faire lhypothèse que les éducateurs spécialisés font preuve dun consensus formel au niveau des aptitudes professionnelles (SIGNIFIANT) mais peu ou pas sur le contenu quelles signifient (SIGNIFIE). Cette hypothèse méritera dêtre approfondie plus tard.
Essai de typologie des aptitudes professionnelles :
Létude détaillée des différentes aptitudes professionnelles écrites dans les protocoles de stage par les éducateurs spécialisés à destination de leur stagiaire rend compte dune pluralité de contenus et de niveaux de professionnalité.
Les capacités professionnelles sont dabord le résultat dactivités verbales :
Repérer
Nommer
Préciser
Solliciter
Questionner
Enoncer
Rendre compte
Echanger sur
Prendre la parole
Restituer
Expliquer
Définir
Lister
Défendre son point de vue
Situer
Exprimer
Justifier
Donner par oral
Informer
Parler
Communiquer
Formaliser
Faire part
Retransmettre
Relater
Expliciter
Le verbe à teneur énonciative permet pour léducateur spécialisé dévaluer si son stagiaire dispose du savoir théorique nécessaire selon lui à lexercice du métier, mais surtout de mettre en mots des capacités techniques quil na pas réussi à formuler autrement. Par exemple, lorsquil écrit « nommer les missions et dispositifs de lASE » ce nest pas tant le fait que le stagiaire puisse réciter les missions lASE qui lintéresse que le fait que le stagiaire soit en mesure de les utiliser à bon escient dans sa pratique quotidienne. Idem pour « nommer les textes de loi qui régissent lASE » où lactivité de diction nest pas tant recherchée que la capacité à inscrire laction éducative dans le cadre légal de la protection de lenfance. On peut sétonner que léducateur spécialisé soit valorisé par le fait quil « prenne la parole en réunion » alors que sans doute la capacité visée ici nest pas tant la prise de parole que la capacité à transmettre un contenu éducatif, des propositions dactions, des hypothèses danalyse ou des observations en groupe de travail.
Dans le même sens, nombreux verbes évoquent le champ lexical de la cognition où, certes léducateur met laccent sur lactivité cognitive elle-même, alors quen réalité cest le résultat de lapprentissage reçu qui fonde la professionnalité de léducateur spécialisé :
Connaître
Analyser
Acquérir
Adopter une démarche de formation
Découvrir
Comprendre
Appréhender
Identifier
Classer
Rechercher des informations
Inscrire
Reconnaître
Réfléchir
Repérer
Envisager
Maîtriser
Garder à lesprit
Donner du sens
Expérimenter
Référer
Percevoir
Réfléchir
Discerner
Néanmoins lutilisation de lensemble de ces verbes se comprend dans la mesure où il sagit dun outil pédagogique pour les étudiants.
Laction professionnelle comme un ensemble de savoir FAIRE est récurrente dans lusage des verbes :
Mettre en place
Agir
Participer
Assurer (une prise en charge)
Mener (un entretien, une activité)
Gérer (un groupe, les conflits)
Faire preuve de
Effectuer
Poser (un cadre, une action, une sanction)
Faire (+ verbe)
Trouver (une légitimité)
Faire (un lever, la nuit)
Se positionner
Prendre (connaissance, contact)
Effectuer
Préparer
Elaborer
Expérimenter
Tenter
Faire des liens
Mettre en uvre
Adapter
Prendre en charge
Réaliser
Mettre (des priorités)
Être le moteur
Rentrer (dans la relation)
Contribuer
Donner du sens
Prendre des initiatives
Sengager
Prendre part
Organiser
Se rendre (disponible)
Coordonner
Ajuster, réajuster
Simpliquer
Instaurer
Concourir
Etablir (une relation)
Se servir
Conduire (un atelier)
Confectionner
Se situer professionnellement
Animer
Aller chercher
Se donner les moyens
Favoriser
Se mettre à lécoute
Visualiser
Individualiser (la relation)
Sintégrer
Être partie prenante
Apporter
Instaurer (des moments privilégiés)
Lutter contre
Aller vers (les jeunes)
Faire avec
Construire
Relationner
Sinvestir
Affronter
Tous ces exemples marquent bien une culture de métier où lagir prime sur le réflexif, cest-à-dire où le métier est valorisé dabord par ce quil produit dactes visibles, évaluables, mesurables. Même ce qui relève de linterrelation humaine doit absolument sénoncer en gestes professionnels. Le repère de léducateur spécialisé est le faire même dans des cadres de travail où a priori le quotidien, la passivité de certains publics pourraient induire des moments de calme et dimmobilité. Au contraire comme dit un informateur, on recherche avant tout l« Efficacité aussi dans la résolution des problèmes car grande capacité de travail et rigueur dans laccomplissement des tâches » indépendamment de lobjet produit. L « observation participante » est valorisée chez un stagiaire plutôt que lobservation distanciée, et linaction. Du coup, jai pu observer lors de mes différentes expériences professionnelles, et notamment en internat, un activisme quasi permanent, valorisé par les différentes directions, où ce qui fondait la légitimité de léducateur spécialisé nétait pas tant lindicible de la relation, lirracontable de la rencontre entre un adulte et un jeune en difficulté, que les actions menées, sources de financements divers et de valorisation institutionnelle et politique. Le responsable de la formation des éducateurs spécialisés à lIRTS de Bretagne, B. BOUNAFOUS, lorsquil enseigne à ses étudiants le projet éducatif spécialisé, fait souvent référence à ce quil nomme les projets vitrine, citant JM BARBIER : « on constate, dans un certain nombre de cas, que lélaboration de projets sinscrit dans une stratégie de visibilisation sociale des acteurs qui le promeuvent, ce qui conduit à lapparition de projets-vitrine ou de projets-alibi qui nont dautre effet que ceux de leur énonciation ».
Un grand nombre de verbes autour de la méthodologie de projet est observable :
Ce lien étroit quentretiennent les éducateurs spécialisés avec la méthodologie de projet sinscrit en continuité avec le recours quasi exclusif au faire dans le quotidien :
Le projet éducatif se décline dabord par une première phase de recueil des données. Les informateurs encodent ce moment par le recours incessant à lobservation et au diagnostic qui transparaît dans les séries verbales suivantes : « observer, nommer les troubles des enfants accueillis, repérer les besoins des enfants, mieux comprendre les troubles des enfants accueillis, poser un diagnostic, établir les particularités des jeunes, définir les symptômes des jeunes et la façon dont ils les manifestent, décoder les comportements, analyser les demandes, recueillir la parole des jeunes, évaluer les situations et les problématiques, appréhender les différentes problématiques des enfants en articulant théorie (notion de handicap mental) et réalité de terrain, observer et repérer les différentes problématiques rencontrées, définir les aptitudes de lusager à sinsérer dans la vie professionnelle et sociale, évaluer les compétences du jeune, repérer mais aussi à mettre en mots les difficultés relationnelles, émotionnelles du jeune, observer leurs comportements mimiques, à les décoder et à les identifier (souffrance, gaîté, malaise, bien-être, agressivité
), évaluer les acquis des jeunes en mesurant les résultats et en évaluant les écarts entre objectifs et acquis (grilles) etc
»
Cette suite verbale qui aurait pu être plus longue, permet de constater trois positionnements professionnels de léducateur spécialisé dans le recueil des données qui permettront lénonciation dobjectifs de travail :
Une position proche du médecin où léducateur se met en capacité de diagnostic vis-à-vis des troubles de lenfant. Ses connaissances théoriques, du moins ce quil en dit, le légitiment à identifier et à codifier ce qui fait problème chez lenfant, mais surtout à annoncer sa compétence à proposer lui seul un traitement adéquat.
Une position que je qualifierais de haute cest-à-dire qui met lenfant en situation dobservé, de demandeur, dassisté, donc en position basse par rapport à léducateur qui, lui, se pose en analyste, observateur confirmé, décodeur des troubles éventuels.
Une position que je qualifierais de manière un peu provocatrice de voyant, cest-à-dire qui met le professionnel en capacité de lire à travers des comportements, de décoder des expressions indépendamment de toute référence médicale ou psychosociologique précise.
On a limpression à la lecture de ces verbes, dun métier dont les bases théoriques et les objets de travail sont parfaitement circonscrits, permettant ainsi aux professionnels daffirmer une expertise absolue dans lobservation, lanalyse, linterprétation des difficultés des jeunes. Quand un informateur veut apporter à son stagiaire la capacité suivante : « connaissance des problèmes des usagers leurs difficultés leurs possibilités leurs codes culturels leurs particularités et pouvoir en analyser les caractéristiques et contribuer à un diagnostic sur le quartier », la sensation de toute-puissance analytique apparaît immédiatement. Léducateur serait donc cet être à la fois sociologue, psychologue, en mesure didentifier les problèmes des usagers et non quelques problèmes des usagers, ainsi que leurs difficultés, leurs codes culturels, leurs particularités, ce qui lui confère quasiment la possibilité de poser des diagnostics sociaux à la hauteur dun quartier. La compétence est admirable mais évidemment impossible, dautant si lon a en tête la complexité de lhumain, la difficulté à lappréhender dans ses réalités multiples, et le rapport complexe quil y a entre phénomènes sociaux et individuels. Je me souviens lors dun cours auprès de futurs éducateurs avoir brandi limage dun Super Educateur habillé comme Super Man arguant avec son poing la possibilité de sauver le monde, les étudiants ont certes ri, mais la métaphore ne leur semblait pas si saugrenue que cela. Le langage révèlerait là le rêve de léducateur à vouloir absolument mettre des mots sur lindicible de la souffrance, à techniciser absolument les difficultés des enfants, à associer absolument des troubles de comportement aux sciences humaines, et à affirmer une compétence absolue face aux difficultés quil aura nommées. Cette volonté langagière de tout sauver et de tout savoir de la détresse psychosociologique des enfants suivis ressemble ici de prime abord à une stratégie identitaire de visibilité sociale et de quête de légitimité, où, parce quil y a difficultés pour lesquelles léducateur est mandaté, il se devra de les traiter quelles que soient leur teneur ou leur portée. Dailleurs, il faut reconnaître que bien souvent les enfants sont adressés aux équipes éducatives spécialisées une fois que les institutions de droit commun (école, familles, etc.) ont montré leurs limites avec eux. Cela est sans doute la cause de ce qui pousse les éducateurs à arguer dans leurs discours une forme de toute-puissance curative et analytique.
Un informateur écrit :
« Acquérir suffisamment dassurance afin de pouvoir assumer les conséquences de mes interventions :
En posant des sanctions adaptées au comportement du jeune et en les faisant appliquer.
En affirmant mon autorité lors de tensions conflictuelles.
En cadrant la distance affective par lanticipation et le traitement de mes affects et de mes ressentis.
En étant capable de justifier ou exprimer auprès de membre de léquipe, une prise de décision concernant un jeune ou une action. »
Lexemple est extrêmement intéressant et représentatif de la volonté de toute-puissance de léducateur spécialisé qui se joue à plusieurs niveaux :
dabord au niveau de la relation ; léducateur se doit de contrôler les affects qui interagissent dans la relation avec les clients.
au niveau de laction éducative menée ; elle implique une obligation de résultat tant dans les objectifs qui lui sont immanents que dans lanticipation des actes à accomplir.
au niveau de léquipe ; lactivité éducative est motrice de légitimité et de reconnaissance professionnelle par ses pairs. Autrement dit le mieux-être de lusager nest pas tant visé que la valorisation et la reconnaissance professionnelle par les collègues.
Une fois les manques observés et diagnostiqués, les éducateurs expriment à travers cette nouvelle série de verbes la mise en place du projet éducatif spécialisé : « mettre en uvre une action éducative qui introduise des règles, un rapport à la loi, des repères structurants, capacités à mettre en uvre la double dimension des prises en charge : individualisées : projets individuels, références, écoute et prise en compte du vécu de chaque jeune collective : savoir être et faire avec un groupe denfants, travail en équipe pluridisciplinaire, définition des objectifs de travail au regard dune ordonnance de jugement ou dun contrat de placement ASE, dune problématique de jeune, définir de façon précise la fonction daccompagnement telle quelle est mise en pratique par linstitution : par la lecture du projet détablissement par lobservation des professionnels être capable de la mettre en pratique au quotidien : être capable dénoncer les objectifs/usager être capable den évaluer les effets/usager, trouver une légitimité auprès de la population : en étant considéré comme une personne aidante au quotidien ou à lélaboration dun projet individuel etc
» La liste aurait pu être beaucoup plus longue.
Tous ces exemples montrent chez les informateurs la volonté dune technicité en matière délaboration dobjectifs et de mise en uvre du projet.
Or, de la même manière que plus haut, le langage met en lumière un décalage important entre la mise en mots je dirais très élaborée et précise de la technique du projet (élaboration des objectifs, mise en uvre du projet, évaluation), et la réalité des projets sur le terrain où les éducateurs spécialisés ne cessent de confondre moyens et objectifs, buts et objectifs, ou encore où les éducateurs appliquent pour tous les jeunes de leur institution une série dobjectifs sensiblement similaires, ne prenant plus en compte les spécificités et les caractéristiques des enfants élaborés en réunion de synthèse. Il apparaît donc une forme de quête de légitimation professionnelle par le langage chez les éducateurs, plus que du langage réellement technique référé à des pratiques socioéducatives précises. « Dire, cest sans doute transmettre à autrui certaines informations sur lunivers de référence, mais cest aussi faire, cest-à-dire tenter dinfluencer autrui et de transformer le contexte interlocutif » écrit C. KERBRAT-ORECCHIONI : bref le langage sert dalibi pour le professionnel à se valoriser, à prouver son utilité, beaucoup plus quil ne réfère à une réalité des choses sensiblement transformées par le travail éducatif spécialisé. Les éducateurs parlent comme des éducateurs spécialisés pour être, beaucoup plus quils ne veulent dire quelque chose dune réalité spécifique liée aux situations de travail.
Un grand nombre de verbes sont centrés sur la relation entre léducateur et les jeunes publics et le contenu attendu de cette relation :
Relationner
Maintenir les liens
Répondre aux sollicitations
Solliciter les personnes
Assurer laccompagnement dun enfant
Assurer les liens de lenfant avec la famille naturelle
Etablir la relation avec les familles, établir une relation avec les adolescents, servant de support au travail éducatif, établir les relations avec les ados « à la bonne distance »
Accompagner (les jeunes, les familles)
Suivre un enfant
Rencontrer (les enfants, les parents, les partenaires)
Contacter, prendre contact avec les familles ou les jeunes, établir les contacts avec les familles
Rentrer en relation
Aller vers
Instaurer une relation de confiance plus rapide et de qualité qui facilite léchange et conduit à une résolution des problématiques
Réfère vite et travaille, intervient sur les points positifs et ressources des personnes mais cela ne biaise pas la fermeté et ne conduit à aucune complaisance
Souvrir aux autres
Favoriser, autant que possible, le maintien des liens familiaux et, au-delà, le rétablissement de relations familiales permettant un retour en famille
Echanger sur lhistoire personnelle de chacun et aider à vivre avec
Être capable de favoriser les échanges avec les usagers dans des moments informels : En me montrant disponible, ouvert, en faisant preuve de capacité découte en mettant en place des stratégies de communication
Effectuer une prise en charge
Partager la vie quotidienne dun groupe de jeunes
Accompagner des cheminements individuels permettant, au travers dactivités ludiques et valorisantes, de prendre conscience de soi, de réapprivoiser un plaisir à être pris, puis à apprendre et à grandir
Regarder, écouter, se laisser questionner. Confronter sa culture, son éducation, ses connaissances, ses idées à un milieu nouveau : les jeunes et leurs difficultés, les professionnels, linstitution
Regarder les autres professionnels et être regardé par eux
Vie quotidienne (relation avec un groupe et les individus dans le groupe) au travers des activités éducatives notamment celles mises en place par le stagiaire.
concertation avec les professionnels du groupe
Faire preuve dautorité
Faire du travail de rue
Ecouter, comprendre le message de lautre, aider à lexpression de ce message
Gérer les conflits
Faire preuve daisance relationnelle, montrer une aisance relationnelle autant auprès des jeunes que de ses collègues de travail
Valoriser les jeunes
Créer la confiance
Reconstruire le lien social
Restaurer la communication dans les relations familiales
Aider au développement dun réseau relationnel
Rentrer en relation, maintenir le lien tout en le considérant comme indispensable à lévolution de chaque jeune et voué à cesser au moment venu
Sengager, dans le respect de la juste distance, avec une aisance relationnelle avérée
Restaurer la relation aux autres
Simpliquer dans la relation
Se rendre disponible à lautre
Avoir une présence physique importante, rassurer les enfants par des attitudes discrètes et fermes à la fois (écoute, toucher, regard
) qui le mettent en relation de confiance avec lenfant, avoir une capacité à faire passer le message voulu individuellement
Faire preuve de présence physique
Rassurer
Réajuster ses réponses
Travailler la prise de distance entre lado et léducateur afin de la préparer au mieux dans son autonomie
Être capable de médiation avec les jeunes et les normes, valeurs, règles de la société.
Être capable de fermeté et de bienveillance de manière à permettre aux jeunes un travail délaboration des vécus émotionnels (empathie)
Mesurer la bonne distance à avoir avec les usagers jeunes et moins jeunes
Soutenir, aider, secourir
Être à lécoute des problèmes que peuvent rencontrer les usagers
Mener des entretiens
Discuter avec les usagers dans le cadre de soirées, participer avec eux à des activités de loisir au foyer
Répondre à des demandes des usagers ou bien les orienter
Instaurer des moments privilégiés avec les jeunes, être à leur écoute
Faire avec
Communiquer
Ajuster et réajuster ses relations en fonction des pathologies des jeunes
Rencontrer et utiliser les personnes ressources de léquipe pluridisciplinaire et autres services de linstitution
Cette longue liste montre combien la relation constitue le socle essentiel du métier déducateur spécialisé tel quil est annoncé par les informateurs. On observe que la thématique relationnelle recouvre une multiplicité de situations professionnelles dont le sens et la légitimité sévaluent avant tout sur la qualité interhumaine que le professionnel est parvenu à tisser. La relation éducative se définit dans une alternance continuelle entre les notions de proximité et de distanciation, notions qui « fonctionnent comme clivage entre les métiers de la présence sociale et ceux de lintervention directe. » Léducateur spécialisé sinscrit ainsi dans ces deux logiques où le contact avec le public est « construit sur une proximité à la fois spatiale, temporelle et culturelle (cest sur cette base que les intervenants sociaux construisent leur légitimité) et [
] structuré par des procédures formalisées qui traduisent la nécessité de processus de distanciation dans le temps et lespace et de mécanismes dobjectivation, base de la professionnalité (procédures de rencontre, rythmes organisés, projets finalisés
) ».
La relation éducative telle quelle est formulée par les éducateurs recouvre donc différentes situations professionnelles, avec comme en ligne de mire le néologisme relationner :
Relationner cest dabord prendre contact avec lusager cest-à-dire établir une relation de confiance, aller vers lui, faire du travail de rue etc.
Ensuite, relationner cest accompagner cest-à-dire suivre, aider, soutenir, sengager dans la relation etc.
Cest aussi communiquer cest-à-dire parler, discuter, questionner, mener un entretien, ajuster ses réponses etc.
Cest aussi maîtriser, contrôler les types de relation grâce à la gestion du groupe, la présence physique etc.
Et enfin relationner cest tenir ses distances, rester ferme, faire preuve dautorité etc.
Léducateur rend compte autour de ce seul néologisme « relationner » dun mécanisme relationnel complexe qui doit contenir à la fois de la proximité, de lempathie, de la spontanéité, de lengagement professionnel, et en même temps de la technicité, de la maîtrise, du savoir-faire, de la distance : « Quelle que soit la situation de travail elle sinscrit dans le registre de la parole, des échanges dans lintersubjectivité. Les techniques sont toujours des prétextes, des outils, des médiations, mais cest la relation quelles permettent qui est lessentiel de la transaction. Ce qui est linverse des prestations de service où la réparation de lobjet en panne, le conseil bancaire, la délivrance de soins saccompagnent bien sûr déchanges et de paroles qui ne sont pas sans effet sur la qualité et le succès de la réparation, du conseil ou du soin, mais la réparation, le conseil ou le soin restent lobjet central de la transaction. Ce nest pas le cas de lintervention sociale. Leur objet est la subjectivité et lintersubjectivité. Ce sont donc des relations où la subjectivité et lintersubjectivité de lintervenant est elle aussi profondément engagée. »
Enfin le verbe « travailler » constitue un creuset disparate et riche de compétences professionnelles en tout genre :
Voici pour exemples un certain nombre de situations discursives où le verbe « travailler » ou son substantif « travail » sont employés :
Le travail en équipe, travail déquipe
Le travail entrant dans le cadre de la référence
Le travail avec les familles
Le travail avec les différents partenaires, travail partenarial
Travailler les échanges dans un moment formel
Travail délaboration
Outils de travail
Travail auprès denfants déficients intellectuels
Travailler le dossier du jeune
Travail de mise en uvre du projet
Travailler ses attendus de stage
Travail de rue
Travailler la confiance en soi
Travail de recherche théorique
Le travail de léducateur spécialisé
Le travail pluridisciplinaire de linstitution
Travailler le projet individualisé
Travailler la prise de distance
Travail à partir de dossiers denfants
Le travail éducatif
Le travail sur les déplacements
Le travail en milieu ouvert
Travailler seul
Le travail daccompagnement individualisé
Ce travail relève du processus de « socialisation », et donne « sens » au développement de la personne (limites sociales, image corporelle ou sociale, maturation affective, développement dapprentissages pratiques
qui permettent à chaque personne lassimilation de son expérience, selon son rythme et ses repères, ses capacités à développer un équilibre nécessaire à la « vie en société » (autonomisation)
Travailler sur des notions, lintégration sociale
Travailler sur limage de soi et le rapport au corps
Travail sur le maintien des acquis
Travail daccompagnement qui seffectue auprès de chaque adulte, détape en étape, en tenant compte des capacités individuelles pour en favoriser le développement de « lautonomie sociale »
Type de travail lié à ses objectifs par la mise en place dactivités extérieures « socialisatrices » dune part, et de « suivre » (avec toute la distance nécessaire) certaines situations individualisées et de ce fait répondre à la demande des adultes
Travailler avec le groupe
Un travail de repérage, de compréhension du système institutionnel (articulation politique sociale départementale associative ADAPEI établissements sociaux-éducatifs) ceci afin de pouvoir situer ce type déquipement des autres dispositifs
Travailler seul implique de « savoir prendre des décisions » et de faire face aux situations qui se présentent
Travail dinvestigation documentaire, mais aussi consultative des différents partenaires de linstitution
Travailler en complémentarité avec les autres professionnels en poste (ME, CESF
)
Respecter le cadre de travail
Travailler (avec un public déterminé)
Travailler sur lorientation scolaire
Travailler le projet des jeunes
Un travail relationnel
Des pistes de travail
Un travail délaboration un travail clinique je dirais
Le travail de réseaux
Travailler avec un enfant
Travailler sur des termes un peu psy
Un travail thérapeutique
Travailler sur sa situation de la faire évoluer quoi
Travailler avec des organismes
Travail de référence
Travailler en internat
Travailler avec les familles
Travailler par tâtonnements
Travail dinitiation
Travail de relation de rencontre
Ya un travail à faire avec cet enfant
Travailler avec ses affects
Travailler en urgence
Travailler sur soi
Travailler sur le quotidien au sein dun petit groupe
Un axe de travail autour de linsertion professionnelle
Travailler en individuel
Travail de mise en confiance
Travail relationnel
Travail projectif
Travailler lagir
Travailler sur les écrits
Travailler quelque chose qui nest pas demandé par la famille
Travail thérapeutique
Travail au quotidien
Travailler dans le collectif
Travailler quelque chose de très concret qui va illustrer la leçon de linstitutrice
Ce listing a le mérite de montrer la pluralité des situations discursives où les informateurs font référence au « travail ». De manière tout à fait humoristique, jaurais tendance à considérer lusage de ce mot et ses variables comme la manifestation du syndrome des Schtroumfs, à savoir quil sert souvent à tout dire, à tout référer, quil semploie à tout va en remplacement de termes plus précis, avec une sorte de consensus commun propre aux éducateurs, emprunt de non-dits et de présupposés, dans la compréhension quils ont de la réalité à laquelle le terme réfère. Préside donc à la compréhension de ce terme tout un système sémantique implicite dont les éducateurs partagent en propre le décryptage, sans pour autant être capables dexpliciter de manière univoque ce que recouvrirait précisément sa signification dans tel ou tel contexte. On serait ici sur un forme de préconstruit tel que LE PÊCHEUX les décrit, cest-à-dire « des traces dans le discours déléments discursifs antérieurs dont on a oublié lénonciateur ». En effet, « travailler sur le quotidien dun groupe » ou « faire un travail avec un enfant » par exemple vont de soi pour les informateurs, sans quil ny ait besoin de les expliciter et pourtant, sans non plus quils soient en mesure den nommer la source.
Si lon regarde de près la liste plus haut, des sens relativement vagues semblent émerger :
« Travailler » cest dabord exercer le métier ou la fonction déducateur spécialisé dans tel ou tel établissement ou auprès de telle ou telle population. Ce sens est repérable dans les expressions «travailler en complémentarité avec les autres professionnels en poste (ME, CESF
), travail auprès denfants déficients intellectuels, le travail de léducateur spécialisé, travailler en internat ou en milieu ouvert, travailler en IR » etc. Il nempêche que les informateurs ne donnent aucune indication de ce que recouvre la fonction ou le métier déducateur sauf sils sont stimulés dans ce sens lors des entretiens. Ainsi, dire « travailler en internat » doit relever dune évidence pour les éducateurs, ce qui est loin dêtre le cas pour des personnes extérieures au métier.
« Travailler » renvoie dautre part au domaine cognitif où il réfère aux opérations danalyse et de décryptage théorique des concepts ou des notions propres au champ éducatif spécialisé. Les expressions « travailler sur lintégration sociale, un axe de travail autour de linsertion professionnelle, travailler ses attendus de stage » sont ici beaucoup plus centrés vers les étudiants qui apprennent le métier que les professionnels eux-mêmes. Il nempêche que les informateurs ne disent rien des méthodes pédagogiques nécessaires pour acquérir les connaissances visées. La référence à la pédagogie sexprime aussi dans des expressions comme « travailler par tâtonnements, travail dinitiation, travail sur le maintien des acquis, travail sur les déplacements » où la compétence des éducateurs en matière de pédagogie et dapprentissage est mise en valeur.
« Travailler » peut faire référence à une forme daction éducative guère précise qui relèverait autant du soutien affectif, de la stimulation intellectuelle et cognitive, de laide psychologique que dune sorte dattention remarquable chez un parent pour son enfant. Ainsi, « travailler quelque chose de très concret qui va illustrer la leçon de linstitutrice, travail thérapeutique, travail au quotidien, travailler lagir, travailler avec les familles, travailler par tâtonnements, travail de référence » etc. deviennent une espèce de fourre-tout formidable où dominent limprécision, laléatoire, et le manque de références théoriques sériées.
Il apparaît autour de la notion de « travail » une véritable énigme au sens de F. ABALLEA, G. DE RIDDER et C. GADEA. Ceux-ci écrivent qu « une définition étroite consolide incontestablement lidentité du corps professionnel et la reconnaissance de sa spécificité, mais elle tend à limiter son champ dintervention, et par là même les demandes qui lui sont adressées, voire à réduire son dynamisme. » La très grande polysémie du mot « travail » et limprécision de la chose auquel le mot réfère à la fois nuisent à la spécification du métier déducateur spécialisé, à lémergence dun savoir-faire particulier, et en même temps permettent aux praticiens une ouverture sur des champs nombreux et variés allant de la psychologie à la sociologie, leur donnant ainsi la légitimité à exercer leurs talents dans différents domaines, dès lors quils ont été validés par les équipes de travail comme faisant partie du vaste champ éducatif spécialisé. Ainsi, tout peut devenir éducatif spécialisé, tout peut constituer du « travail éducatif » parce quil est légitimé comme tel par les institutions et quil a été encodé dans les discours éducatifs puis repris de manière quasi automatique par les professionnels comme un objet existant, précis et réel. Le métier déducateur spécialisé se construit en partie par lappropriation normative de vocabulaires flous, élaborés en réunion déquipe, où limprécision permet aux professionnels délargir sans cesse leurs zones de compétence à des champs disciplinaires nouveaux ou anciens. A ce propos, DE SAINT JUST dans son article « Dialectique du savoir autour de la formation initiale des éducateurs spécialisés » décrit le métier déducateur spécialisé comme un métier qui nest jamais parvenu à se construire par lui-même et qui doit en permanence emprunter à des champs disciplinaires connexes (psychanalyse, psychologie sociale, sociologie, droit etc.) les discours et les concepts qui vont fonder sa professionnalité : « Le mystère du métier de léducation spécialisée a ceci de particulier quil fut et est toujours assujetti au discours et au savoir dun autre, à lun de ses maîtres qui, à linstar du philosophe grec, rapte son savoir au praticien de léducation. »
Néanmoins, le listing des expressions qui comportent le verbe « travailler » ou son substantif rend compte de ce que nomment F. BIGOT et T. RIVARD du phénomène de « segmentation du secteur professionnel ». Les auteurs abandonnent lidée dune unité du travail social mais au contraire assument la diversité, le pluralisme, la segmentation comme constitutifs du champ social. Les métiers du social se construisent donc pour eux dans un ensemble dentrecroisements et de compromis. Ils entendent le compromis comme « lexistence de plusieurs registres dactivité, et dautre part, [
] une tentative de conciliation, daccord entre ces différents registres ». Le verbe « travailler » se trouve ainsi à la croisée de tout une série dactivités professionnelles éducatives, certainement différentes pour les praticiens qui lexercent, mais encodées autour de ce seul terme. Ces compromis sencodent autour du polysème « travailler » qui réfère alors autant au monde domestique, à la relation daide, à la substitution parentale, à « linspiration comme en témoignent les références religieuses du mouvement et lengagement demandé aux femmes (les mères) », à la thérapie psychanalytique ou sociocognitive, au projet, à la médiation, quà lapprentissage de la norme, bref à toute lintervention éducative spécialisée dans son ensemble avec ses ambiguïtés, ses zones dombre, ses incertitudes et ses aires dinfluences.
Synthèse des observations :
Jai tenté ici une première analyse des données sociolinguistiques offertes par les informateurs. Dautres grilles danalyse, dont lorientation est plutôt inductive si lon veut bien se référer à la méthodologie que DUBAR et DEMAZIERE proposent, seront construites au cours de cette thèse.
Néanmoins il apparaît quelques éléments déterminants qui seront repris en fin de thèse dans la partie consacrée à linterprétation des données :
La récurrence des vocables flous et polysémiques
La référence à des champs disciplinaires nombreux et variés à partir desquels les professionnels extraient les matériaux linguistiques quils font leurs
La volonté affichée des professionnels dune hyper-compétence dans les domaines des sciences humaines et en matière de méthodologie de projets
La référence quasi permanente à la relation comme socle à toute action éducative spécialisée
La référence absolue au faire et au pragmatisme comme enjeu de professionnalité
La volonté à tout prix de mener des actions dites professionnelles a contrario dune activité bénévole ou militante.
Toute la question a venir est de savoir ce en quoi ces éléments interfèrent dans la construction identitaire des éducateurs spécialisés. Ceci dit, la présence dun technolecte semble bien compromise concernant les éducateurs spécialisés si lon veut bien se référer à la définition de L. MESSAOUDI à savoir « un ensemble langagier lié à un domaine scientifique ou technique qui se caractérise par lemploi de termes spécifiques, quils soient normalisés ou non. Il sadresse aux seuls initiés et ne pourrait être décrypté par les locuteurs étrangers au domaine, pour lesquels le message serait totalement ou partiellement opaque.» La linguiste précise plus loin que « dans le technolecte, il sagit dun effort vers une communication optimale, tendant vers une compréhension parfaite, basée sur une transparence qui nentache aucune ombre ; et si le langage y paraît hermétique, cest quil résulte paradoxalement du seul souci de clarté et de précision qui ne sont pas toujours garanties par la langue commune. » Or, dans les discours ou les écrits des éducateurs spécialisés, on sest aperçu que lutilisation de termes éventuellement complexes ou hermétiques, empruntés à différents domaines des sciences humaines, ne sert pas une communication optimale basée sur des objets précis, mais sert avant tout un souci de légitimation et de valorisation professionnelle. JF GARNIER et JY DARTIGUENAVE font le constat sévère mais ô combien juste : « Il reste que, par delà ces singularités, on peut repérer des similarités dans lusage de termes qui nont de sens commun que de faire consensus, cest-à-dire de nêtre, précisément, pas interrogés au regard de la singularité de leur usage. »
Avant de rentrer dans la dimension identitaire, il paraît important de regarder de plus près comment les discours éducatifs se structurent, autrement dit sil existe une rhétorique particulière aux discours de formalisation de lactivité professionnelle.
La rhétorique de la formalisation de la pratique professionnelle :
Exemple comparatif dune note éducative spécialisée
Lexemple qui suit est extrait dun rapport dactivité dun service dit CPH (Centre Provisoire dHébergement) qui a pour mission daccueillir des personnes reconnues réfugiées politiques pendant 6 mois.
Le texte est écrit par un éducateur spécialisé. Il nous importera dans une logique comparative de faire émerger sil y a lieu dêtre, des styles, des manières décrire ou de sexprimer qui seraient propres à un discours éducatif spécialisé. La référence aux entretiens oraux pourra infirmer ou confirmer ces habitudes de langage.
Jai fait lexpérience, pour parfaire lanalyse du rapport éducatif, de le soumettre à la compréhension dun ami complètement extérieur au champ du travail social, à savoir un agent commercial dEDF.
« LACCOMPAGNEMENT SOCIAL ET EDUCATIF DES 18-25 ans
Un constat
Au cours de lannée 2003, nous avons constaté une demande récurrente de personnes isolées relevant dun accompagnement C.P.H. Ces personnes avaient majoritairement entre 18 et 25 ans. Laccompagnement social CPH était jusquici principalement effectué auprès de cellules familiales (père + mère + enfants ou adultes isolés + enfants).
Face à cette population en augmentation permanente, et la spécificité de ses problématiques, léquipe du service C.P.H. sest interrogée sur les moyens à mettre en uvre pour laccompagner.
Quelques chiffres
En 2003, le service a accueilli 12 personnes isolées :
Sur 12 personnes, 8 avaient entre 18 et 25 ans.
Sur ces 8 personnes, 6 sont issus du continent Africain et 2 du Caucase.
4 ont un bas niveau détudes, les 4 autres ont un niveau baccalauréat.
3 ont une qualification professionnelle du pays dorigine (pas toujours reconnue en France).
2 font des études en France.
2 ont un emploi stable.
4 sont sans activité.
1 est en logement autonome et les autres dépendent du CPH.
Un accompagnement spécifique
La tranche dâge 18-25 ans est particulière pour différentes raisons :
dans la plupart des cas il sagit de personnes isolées donc fragilisées par la solitude et le manque de repères social, familial et affectifs ; une situation de transfert parental est alors souvent constatée dans la relation sétablissant avec les travailleurs sociaux.
Ces jeunes ont souvent un profil « adolescent », nécessitant un accompagnement contenant, cadrant dans la gestion de la vie quotidienne, de la vie scolaire ou professionnelle.
Les jeunes de 18-25 ans ont un statut social précaire (pas de droit RMI) et nécessitent de la part du travailleur social une connaissance spécifique des différents dispositifs et droits concernant ces jeunes.
Leur manque de qualification professionnelle les rend difficilement employables. Toutefois la frustration est moins importante et le travail de « deuil » moins difficile quune personne dont la vie professionnelle et affective était déjà construite dans son pays dorigine.
Leur isolement notamment financier (pas de R.M.I., prise en charge C.P.H. de 6 mois, pas de famille) les oblige à trouver un emploi rapidement et rend tout projet détudes difficile à réaliser.
Laccès au logement autonome est difficile parce que peu ou pas de ressources stables.
Le manque de logement relais au C.P.H. pour laccueil de personnes isolées.
Ces prises en charge nécessitent un véritable travail daccompagnement à lintégration, linsertion ne suffisant pas, France trouver un logement et un emploi. Les jeunes concernés ont besoin aussi dun suivi moins pragmatique, dun repère symbolique, dune « balise » rassurante et contenante, leur permettant lapprentissage de la vie et favorisant laccès à lenvironnement social.
Une situation : Alfredo
Alfredo est originaire de lAngola. Il arrive en France à 16 ans et demi. Seul, il est pris en charge par lAide Sociale à lEnfance jusquà sa majorité où il obtient le statut de Réfugié Politique après avoir fait une demande dAsile Politique.
Après ses 18 ans, le foyer éducatif dans lequel vit Alfredo loriente vers le Centre AFTAM sur le service CPH en tant que réfugié statutaire. Il est alors hébergé dans une chambre du foyer Guy-Houist (participation locative de 60¬ /mois) et perçoit une allocation de l Aide Sociale de 305¬ /mois.
Dès son arrivée Alfredo nous sollicite pour une avance d argent ; il nous raconte tout d abord qu il a des dettes à rembourser ; puis nous comprenons rapidement qu il a acheté un téléphone portable (160¬ ) et qu il lui reste à peine 40¬ pour les 4 semaines suivantes. Nous refusons lavance demandée lui expliquant labsurdité de son achat tandis que lui revendique au contraire sa nécessité. Nous lui proposons de faire des courses « très économiques » avec son argent restant. Face à notre refus, Alfredo refuse laccompagnement en invoquant que « nous sommes incapable de laider vraiment ! ». Le lendemain, nous le relançons et lui proposons de se rendre au Secours Populaire pour une demande daide alimentaire. Apaisé, il accepte ; sur le retour nous nous arrêtons dans un supermarché afin de lui conseiller des produits bon marché (riz, pâtes, pomme de terre, etc.).
Il paraît important de noter que ce jeune homme cherche des limites, à créer un lien rassurant parce quidentifiable en tant que repère fiable et contenant. Cette recherche de limites dans la relation éducative sera toujours présente sur la durée de laccompagnement mais dégressive, la relation de confiance sinstallant progressivement.
Par la suite Alfredo est admis au CLPS, Centre de Formation où il apprend à se mobiliser tous les jours de la semaine (durant 4 mois), où il perfectionne son français oral et écrit, découvre des métiers, amorce un projet professionnel et effectue des stages de découverte (notamment un stage dans une entreprise de maintenance informatique qui paraît correspondre à son projet). Sur cette période, Alfredo montre beaucoup dambitions quant à son avenir professionnel. Il est nécessaire dintervenir régulièrement pour relativiser ses propos et laider à réaliser une certaine réalité sociale. Nous rencontrons Alfredo presque tous les fins daprès-midi. Il passe à son retour du CLPS pour nous parler de sa journée (dans ce cas il est impératif dêtre souvent en lien avec les autres organismes afin dassurer une bonne cohésion dans laccompagnement dAlfredo), pour des demandes concrètes (comment passe t-on le permis de conduire ? comment mange t-on en France ? comment fonctionne la politique en France ? ou vais-je et comment vais-je vivre après le foyer ?) ou simplement pour nous saluer.
Ces visites quotidiennes même furtives ne sont pas dénuées de sens, elle représente bien le besoin dune certaine proximité comme pour se rassurer de notre présence telle une « balise », un repère.
Parallèlement, Alfredo a régulièrement des soucis financiers et nous sollicite dune manière ou dune autre en invoquant telle ou telle raison, nobtenant que des refus (sauf dans deux situations réellement justifiées). Il nous paraissait évident quAlfredo empruntait de largent à beaucoup de relations (plus ou moins amicales) se retrouvant parfois dans des situations particulièrement problématiques. Ces situations provoqueront des échanges vifs dans la mesure où la relation quentretenait Alfredo à largent représentait en fait une problématique importante : la dualité entre sa recherche de cadre et sa difficulté à le respecter. Il nous sollicite pour des questions dargent (recherche de cadre) et ne supporte pas que lon le cadre à ce sujet.
Après le CLPS, une mise en relais est réalisée avec la Mission Locale qui détermine avec Alfredo une orientation en formation pré-qualifiante dans les métiers du bâtiment avec lAFPA (à Laval).
Dans le même temps, un studio HLM est attribué à Alfredo, qui après visite accepte le logement. Il exprimera dabord sa joie dêtre indépendant, mais montre rapidement des angoisses quant à assumer sa vie seul. Il nous parle de ses consommations excessives dalcool en période de déprime, il aborde sa souffrance dêtre loin de sa famille et avec peu de nouvelle de celle-ci en Angola, de sa culpabilité davoir laissé sa mère en mauvaise santé et de son impuissance à lui apporter une aide. Cela nous demande beaucoup découte. Face à ces difficultés multiples, nous lui renvoyons la possibilité dun suivi psychologique. Il refuse.
Une semaine après son emménagement, nous accompagnons Alfredo à l AFPA de Laval (semaine en internat et Rennes le WE). Avec les frais d hébergement et de repas, il restera à Alfredo environ 140¬ /mois comme ressources pour assumer ses trajets, le loyer, les charges et sa vie personnelle : dès le départ, Alfredo exprime une grande contrariété, tout dabord pour ses faibles ressources et ensuite pour son éloignement disant avoir été hébergé de foyer en foyer depuis son arrivée en France et lorsquil acquiert enfin une stabilité dans le logement, il doit repartir à Laval dans des conditions précaires
il est important de noter que la prise en charge du CPH se termine sur cette période ; et compte tenu de la situation, nous jugeons important de passer en accompagnement « extérieur » (renouvellement 6 mois du contrat).
La semaine suivante il est de retour à Rennes ayant arrêté la formation. Nous contactons la Mission Locale pour expliquer la situation et afin de trouver une solution. LAFPA ne souhaite plus réintégrer Alfredo en raison de son départ injustifié.
Les causes de cet échec sont certainement liées aux raisons invoquées par Alfredo. Il semblerait aussi que la fin de prise en charge « classique » du CPH ait renforcé sa crainte disolement et favorisé son abandon.
La recherche dun emploi semble impérative. Il obtient un entretien dembauche pour un poste douvrier en bâtiment en CES (aux Compagnons Bâtisseurs). Il est engagé le mois suivant pour une durée de 6 mois.
Parallèlement, Alfredo étant sans aucune ressource, nous adressons une demande « d aide exceptionnelle à la population » auprès du CCAS de Villejean. 155¬ de secours lui est octroyé.
A la fin de l année 2003, Alfredo semble avoir trouvé une certaine stabilité et un apaisement même si les problèmes d alcool sont toujours présents.
Au début de lannée 2004, nous rencontrons Alfredo toutes les deux semaines environ. Le lien reste important, ses demandes sont dorénavant plus de lordre du soutien moral ou du conseil (il a parfois des phases dépressives). Après un an daccompagnement au CPH un chemin important à été effectué sur beaucoup de plan même sil reste malgré tout encore des problèmes à résoudre et un projet professionnel à définir.
Conclusion
Pour terminer, cette population de plus en plus représentée au sein du CPH demande un accompagnement spécifique (véritable travail de prévention) qui exige de la part des travailleurs sociaux une véritable connaissance des problématiques liées aux jeunes adultes ayant connu une rupture, que ce soit sur le plan social, psychologique ou sociologique. De plus, du fait du besoin dêtre un technicien compétent et connaître les réseaux existants, il doit être un professionnel de la relation (les enjeux étant souvent plus déterminants quavec un adulte confirmé).
Enfin, face aux différentes exigences comptables et de gestion de flux au CPH (accompagnement dune durée de 6 mois) et par conséquent des conditions de travail difficiles, le professionnel de terrain doit « résister » à ces pressions au bénéfice dun accompagnement de qualité et humain axé sur lintégration à la citoyenneté. »
Une rhétorique de la difficulté humaine
Le premier élément observable réside dans le fait que, ce qui fonde la légitimité dun éducateur spécialisé à intervenir, cest la jeunesse du public. En loccurrence ici, le professionnel sadresse à des personnes entre 18 et 25 ans, quil dit se caractériser par « un profil adolescent, nécessitant un accompagnement contenant, cadrant dans la gestion de la vie quotidienne, de la vie scolaire ou professionnelle ». Dailleurs, quasiment tous les informateurs, à ma question « Avec quels publics travaillez-vous ? », répondent par lâge ou le statut des personnes (mineurs ou majeurs protégés).
Exemples :
« je travaille avec des adolescents qui ont entreuh douze et seize ans / qui [iii] ont des troubles du comportement euh avec euh [oe oe oe] associé souvent des déficiences enfin pas des déficiences des difficultés scolaires importantes liées à leurs troubles psychologiques » (Valérie)
« ben des enfants de 6 à 18 ans / euh soit en placement administratif soit en placement judiciaire / donc euh des enfants qui euh [eu eu] (souffles) soit sont victimes de carences éducatives carences affectives attouchements sexuels incestes violences / euh [eu] soit des enfants qui ont des troubles du comportement et les parents sont un peu paumés / euh [eu] et aussi actuellement des enfants des jeunes étrangers mineurs » (Marina)
« donc un accueil de jeunes de 13 à 18 ans sur euh [eu] enfin en intra-muros et suivi jeunes majeurs jusquà 21 ans sils en font la demande » [
] « euh [eu] sinon la majorité cest des jeunes avec des troubles euh [eu]des troubles du comportement pro euh [eu] relations familiales difficiles /euh [eu eu] / ben des placements ordonnance 45 suite à des [é] actes délinquants euh [eu] / etcetera » (Thierry)
« je travaille au [au] centre jeunes et métiers plus précisément au foyer éducatif du Blosne auprès des jeunes de 15 à 18 ans et des jeunes majeurs de 17 euh 18 à 21 ans /on a euh deux habilitations / ASE et la justice / voilà » (Marie-Michèle)
« un institut de rééducation donc euh [eu] et qui accueille des enfants psychotiques et autistes » (Maryvonne)
« donc nous on reçoit des adolescents garçons et filles qui ont entre euh 14 et 18 ans / euh en sachant quils peuvent avoir jusquà 21 ans parce que on a aussi des jeunes majeurs euh que m la tranche dâges de ceux qui viennent sur le Tremplin suivi extérieur cest plus euh 19 20 ans on a rarement de jeunes à aller jusquà 21 ans » (Catherine)
Bref, lâge ou la statut de la personne (majeurs protégés sous tutelle, enfants, jeunes majeurs de moins de 21 ans) semblent être chez tous ces éducateurs un élément déterminant à toute intervention éducative spécialisée. Cela apparaît bien naturel, si lon considère que traditionnellement léducation, la pédagogie sadressent avant tout aux enfants ou à des futurs adultes responsables. La mention « jeunes majeurs » fait écho à une subsistance dun texte ancien du code civil qui, encore en 1981, considérait lenfant mineur jusquà ses 21 ans révolus.
Néanmoins quasi immédiatement après lâge des enfants, les informateurs associent la jeunesse de leurs publics à un ensemble de difficultés et de troubles divers qui fondent lintervention spéciale.
En ce sens, je parle de véritable rhétorique de la difficulté humaine. Chacun dentre nous peut hélas au cours de sa vie avoir à faire, pour lun de nos enfants, avec des services éducatifs spécialisés (handicap, enfants hyper actifs, adolescents difficiles etc.), il est fort à parier quà partir de ce moment notre enfant voire toute notre cellule familiale se révèlent à travers le filtre des discours éducatifs spécialisés comme un véritable creuset de difficultés psychosociologiques en tout genre !!
La souffrance des jeunes gens pris en charge se décline sur toute une série de manifestations. Elle constitue laxe à partir duquel léducateur fonde sa professionnalité, à partir duquel il construit sa légitimité et à partir duquel il se met en valeur. Il est ainsi courant que léducateur spécialisé entende de la part de ses proches des remarques admiratives de type « je ne serais jamais capable de faire ce que tu fais » ou « cest admirable ce que tu fais », ce auquel léducateur répond quil est avant tout professionnel, même si ces flatteries confortent son ego et constituent un moteur de motivation tout à fait important. Les informateurs témoignent de leur plaisir à exercer leur métier du fait du sentiment dutilité sociale que leur procure le service rendu auprès de jeunes gens en souffrance :
« ce qui procure ce qui me procure du plaisir cest dabord la [a] la dimension relationnelle / cest la dimension dêtre à un carrefour / à mon avis on est porté enfin on je suis porté par des valeurs / nimporte quel métier que je ferais serait porté par des valeurs et là je suis à un carrefour entre les personnes lenvironnement social économique politique des entreprises enfin qui me permet dagir en [en] de donner du sens à de donner du sens aux valeurs que je porte quoi » (Dominique)
« cest un métier où on se sent un petit peu utile même si cest pas très reconnu par euh le société ni en terme de salaire ni en terme de reconnaissance euh sociale à fin à tous les niveaux / euh cest un métier quand même où on se sent utile où on sert à quelque chose / alors le peu quon fait pour les autres cest déjà pas mal / aider des gens en soi cest déjà une certaine satisfaction quand on arrive » (Philippe)
« cest un métier cest un métier que je fais avec plaisir pour euh [eu] pour euh [eu] pour plusieurs choses très importantes / la rel- tout ce qui est relationnel avec les personnes donc euh [eu] / voilà / la relation daide globalement » (Alban)
« oui cest un métier que je fais vraiment avec plaisir / alors pourquoi ? pourquoi ? alors je pense dab- dans un premier temps parce que jai [ai] ya cette ce sentiment de [e] de faire quelque chose de bien / je crois que cest bien pour moi cest quelque chose dimportant le sentiment dêtre utile à quelque chose que ça aille enfin quun jeune quil sen sorte ou quil sen sorte pas peu importe / mais dêtre je prends souvent limage moi je dis aux jeunes que [e] ben je suis une béquille un moment dans leur vie et que [e] voilà cest [é] et [é] / donc je pense ya ça ce sentiment de [e] de se sentir utile un moment / et puis euh [eu] ouais moi je crois que je me suis valorisée à travers ce à travers ça quoi de par ma vie antérieure euh / besoin dêtre valorisée / et je me valorise à travers mon métier » (Catherine)
Le texte de léducateur plus haut révèle un nombre impressionnant de termes ayant trait au champ de la souffrance ou de la difficulté : « manque » employé 4 fois, « carence » employé 7 fois.
La difficulté de lusager se manifeste ainsi de plusieurs façons :
Elle concerne dabord un désoeuvrement affectif et social : les personnes sont « isolées » (employé 5 fois) cest-à-dire regardées comme « fragilisées par la solitude et le manque de repères social, familial et affectifs », ou dans une situation où « leur isolement notamment financier (pas de R.M.I., prise en charge C.P.H. de 6 mois, pas de famille) les oblige à trouver un emploi rapidement et rend tout projet détudes difficile à réaliser ».
Les entretiens avec des professionnels révèlent de la même manière ce désoeuvrement affectif et social dans les exemples suivants :
« je vois par exemple les mineurs isolés ya des CDAS qui refusent qui les mettent dehors et puis yen a dautres qui sen occupent énormément / bon donc euh [eu] ya des façons et des pratiques différentes dun CDAS à lautre et les gens sont très étonnés » (Claude)
« parce que nous avons des enfants en grandes difficultés de relation / hein ? qui ont un rapport au langage particulier / difficile / un lien social pour certains euh [eu] inexistant / ou en tous cas perturbé de toutes façons perturbé / hein ? donc ça euh cest [é] / pour certains cest très très difficile » (Maryvonne)
Les difficultés des usagers concernent aussi des formes de souffrance psychologique observables dans les comportements que déploient les jeunes gens. Léducateur note que « ces jeunes ont souvent un profil « adolescent », nécessitant un accompagnement contenant, cadrant dans la gestion de la vie quotidienne, de la vie scolaire ou professionnelle », que « les jeunes concernés ont besoin aussi dun suivi moins pragmatique, dun repère symbolique, dune « balise » rassurante et contenante, leur permettant lapprentissage de la vie et favorisant laccès à lenvironnement social », il nous parle dun jeune qui « montre rapidement des angoisses quant à assumer sa vie seul » ou qui « parle de ses consommations excessives dalcool en période de déprime, [qui] aborde sa souffrance dêtre loin de sa famille et avec peu de nouvelle de celle-ci en Angola, de sa culpabilité davoir laissé sa mère en mauvaise santé et de son impuissance à lui apporter une aide ».
Les entretiens que jai menés révèlent de façon tout aussi prolixe des difficultés dordre comportemental et psychologique chez les publics suivis.
Exemples :
« je travaille avec des adolescents qui ont entreuh douze et seize ans / qui [iii] ont des troubles du comportement euh avec euh [oe oe oe] associé souvent des déficiences enfin pas des déficiences des difficultés scolaires importantes liées à leurs troubles psychologiques / donc euh [ eo oe oe ] / on a des enfants difficiles euh qui ont des pathologies assez différentes mais qui peuvent aller jusquà la psychose quand même », « ce sont des enfants qui nacceptent pas quon leur dise non quon les frustre / donc ça veut dire que ben euh ben quils smettent en colère très facilement / euh / donc euh la violence individuelle pas trop mais par contre avec leurs camarades ou avec les éducateurs en groupe euh ça va très vite hein ? » (Valérie).
« difficultés de se retrouver dans un cadre avec des règles claires / difficultés à respecter ces règles / euh / donc difficultés à se tenir en [en] enfin à respecter le ces la norme sociale on va dire / euh [eu] / beaucoup ont des difficultés scolaires / euh [ eu] / euh difficultés par rapport à leur corps aussi savoir dire non / euh [eu] savoir respecter son corps / euh [eu] connaître les limites de son corps / tout ça quoi » (Marina)
« en gros leurs difficultés euh [eu] / ben je vais prendre lexemple euh Antoine qui vient darriver / Antoine a été un enfant entre guillemets maltraité / ben soit disant parce que cest laîné de la famille et la parents lui demandent trop / et comme la scolarité nest pas son fort ya une pression de telle manière que la gamin nest pas hors circuit au niveau de la scolarité / les parents nont pas pu comprendre parce que le petit frère est plus soit disant plus courageux plus / voilà / et ça a été un enfant qui a été euh [eu] / disons que tout prétexte pour euh [eu] un enfant battu en fait / voilà / et ya un signalement qua été fait par euh lassistante sociale de lécole qui a saisi euh laide sociale à lenfance euh [eu] / comme ça a été des trucs répétés / donc lenfant nous a été placé » (Marie-Michèle)
« ça peut être des gens très démunis le style un peu ATD euh un peu le quart monde des gens démunis / des gens dun milieu social classe moyenne qui ont eu des divorces des dépressions des licenciements économiques enfin leur vie a été a basculé un moment donné ils arrivent plus à faire face à leurs enfants à léducation de leurs enfants / mais aussi un public très différencié pouvant aller des classes sociales élevées euh pour des adolescents qui sont soit dans la délinquance que ce soit dans la marginalité » (Claude)
« la plupart enfin je dirais les 90 % des jeunes avec qui on travaille sont des jeunes qui ont des problèmes euh familiaux / et [é] donc des problèmes de comportements carences éducatives carences affectives euh [eu] des problèmes de scolarité / et donc pour les di les 10 % restants sont des jeunes qui effectivement ont [on] des euh [eu eu] ont été remis dans le droit chemin par la justice on peut le dire comme ça / en tous cas qui ont euh eu affaire à la justice avant darriver chez nous » (Catherine)
« euh [eu] bon cest un un public de personnes euh souvent un peu démunies avec ce quon appelle des accidentés un peu de la vie / euh et bon ben évidemment la constante cest la difficulté euh dans léducation des enfants ou les soins » (Brigitte)
« donc euh les accidentés de la vie hein ? / où euh actuellement effectivement en lespace dun mois euh deux mois on peut euh tout un chacun peut se retrouver quoi ? avec dans lordre ou dans le désordre une séparation une perte demploi je sais pas une maladie euh etcetera etcetera » (Dominique)
Les exemples peuvent évidemment être plus nombreux. Limportant ici est de montrer le caractère absolument pathétique du portrait des publics pris en charge, portrait où dominent des mots connotés négativement, généralement hyperboliques dans lexpression de la douleur ou de la souffrance.
La souffrance concerne autant le rapport quont ces jeunes gens avec leur famille, que leur situation sociale emprunte de ruptures et de précarités diverses. Dun point de vue épistémologique, la question que posent ces récits de la souffrance humaine est de savoir sil sagit dune réalité, ou bien si cette réalité est avant tout langagière. Il est fort à parier par exemple quun partisan de thèses extrémistes aura plus de difficultés à dresser un portrait sanglotant de jeunes gens demandeurs dasile quun éducateur spécialisé fort de sa fonction de médiateur et de porte-parole des jeunes exclus. Pour autant, traditionnellement le travail social sadresse à des personnes dites défavorisées dont on sait bien que la situation sociale génère des effets négatifs au-delà des simples conditions matérielles de vie.
En tout état de cause, cette rhétorique de la souffrance humaine conduit inévitablement à laffirmation dune pratique professionnelle basée sur la reconstruction et la réparation.
Une rhétorique basée sur la réparation
Jai pu décrire en début de thèse les liens historiques quentretient léducation spécialisée avec le monde médical et psychiatrique, et plus généralement le monde du soin. Ce rapport sest construit sur un mode souvent conflictuel où se jouait sans cesse le procès existentiel de la légitimité dexercice des soignants et des éducateurs.
Il est donc peu surprenant que le langage des éducateurs spécialisés sélabore sur le registre de la réparation, ou plus largement du RE.
« Laccompagnement » quil soit éducatif, social, voire psychologique constitue le concept clé de lintervention éducative. Le terme est cité plus de 14 fois dans le seul bilan du travailleur social. Les entretiens confirment la récurrence de ce terme. Cette forme daction sociale se décline de différentes façons :
elle peut concerner un accompagnement dit « social » distinct voire similaire à un accompagnement dit « éducatif »
elle réfère à un «accompagnement contenant, cadrant dans la gestion de la vie quotidienne, de la vie scolaire ou professionnelle »
elle réfère à un « accompagnement à lintégration, linsertion ne suffisant pas, France trouver un logement et un emploi. Les jeunes concernés ont besoin aussi dun suivi moins pragmatique, dun repère symbolique, dune « balise » rassurante et contenante, leur permettant lapprentissage de la vie et favorisant laccès à lenvironnement social. »
elle rend compte dun accompagnement « extérieur » cest-à-dire hors le cadre institutionnel.
elle revêt une forme « daccompagnement spécifique » cest-à-dire pour léducateur une forme de « prévention ».
elle doit en tous les cas privilégier un « accompagnement de qualité et humain axé sur lintégration à la citoyenneté ».
On saperçoit que le terme daccompagnement subit ce que je notais plus haut, non sans humour, le syndrome Schtroumpf, dans le sens où il sert à tout dénommer, il résume à lui seul lensemble de laction socio-éducative. Le terme peut être employé seul, cest-à-dire sans précision ou prédicat particulier, et pourtant doit absolument référer à une spécificité de la prise en charge. Laccompagnement est pensé par léducateur comme un objet de travail précis, se justifiant par lui-même par une sorte de consensus informel où parce quon est éducateur spécialisé, on doit comprendre ce que le terme signifie sans quil soit nécessaire de le définir, de le préciser voire de linterroger.
Les entretiens proposent une déclinaison de laccompagnement tout aussi prolixe :
il est « médical »
il se confond avec la « euh [eu] alors fonction daccompagnement / de médiation de médiateur / euh de garant dun cadre / euh deuh [eu] de [eu] / sécurité ouais euh offrir un minimum de sécurité de de de / quil puisse se poser aussi / euh voilà quoi »
il concerne « laccompagnement dun groupe au quotidien »
il se décline comme « fonction de protection fonction daccompagnement euh [eu] essentiellement je dirais / euh [eu] et puis [i] euh même si ça fait pas plaisir à tout le monde aussi un [un] / une fonction de substitut euh paternel euh enfin substitut familial parce que ben avec léquipe quon est on arrive à jouer un peu euh les papas les mamans les grands frères les grandes surs »
etc.
Bref, on voit que laccompagnement veut tout dire, veut tout référer. Les informateurs se privent de la moindre critique métalinguistique : le terme « accompagnement » existe de toutes manières comme une valeur sûre du domaine de léducation spécialisée, sans quil puisse être contesté. Il nest pas sans faire écho aux origines du métier qui privilégiaient notamment à lépoque des colonies agricoles une action axée sur lexigence de la relation et de la règle, le compagnonnage au quotidien, ainsi que les relents dun scoutisme militant. Le terme « accompagnement » fait donc preuve dune véritable ambiguïté sémantique où il est sensé référer pour les éducateurs à une méthodologie et une technicité précises, et en même temps où il réfère à une proximité relationnelle au quotidien beaucoup plus liée à linvestissement personnel que le professionnel souhaite engager dans son travail quà un référentiel technique univoque. JY DARTIGUENAVE et JF GARNIER parviennent exactement à ce constat dambivalence sémantique autour de la notion daccompagnement : « Il nest guère, là encore, de propos ou de textes à caractère officiel ou non qui, dans le domaine de laction sociale et du travail social ne fasse aujourdhui référence au terme daccompagnement. Ce terme a connu une telle inflation sémantique quil désigne aujourdhui à peu près tout et nimporte quoi. [
] A vouloir tout désigner, il fini comme beaucoup de termes en usage dans laction sociale et le travail social par ne plus rien signifier du tout. »
Toujours est-il que laccompagnement éducatif vise une réparation, une reconstruction, une renaissance, cest-à-dire le retour pour lusager à une situation jugée par les éducateurs comme un mieux-être, et une modification des problèmes et des souffrances quils avaient pu diagnostiquer.
Les entretiens regorgent de termes ayant trait à la réparation. Dores et déjà leur usage nest pas sans faire allusion au monde du soin et de la médecine dont, nous lavons abordé en début de thèse, na cessé de se constituer en rivalité voire en sur ennemie. Prenons lexemple de Nadine :
Ainsi aider lautre, le reconstruire, cest dabord « détablir un diagnostic sur lequel on peut euh [eu] sappuyer pour proposer des outils de remédiation ou des [é] / voilà / ce qui fait la différence avec linstit qui a pas du tout cette formation». Léducatrice qui travaille en IME auprès denfants handicapés dans une même formule fait écho à deux termes médicaux, celui de « remédier » (issu du latin remediare : guérir) qui nest pas sans faire référence au concept de médiation si abondamment utilisé dans le travail social, et « diagnostic ».
Ensuite, elle dit : « lautre partie de mon travail va plutôt euh cerner quelque chose
qui va être de lordre de la [a] bon quelque fois de la réparation puis aussi quelque
fois qui va être en lien avec euh le problème dominant du moment quon va essayer de [e] on va mettre lenfant dans des situations dexpérimentation euh favorisant quelque chose de narcissiquement positif ». Face aux « problèmes » lidée de léducatrice cest dopposer de la « réparation », cest-à-dire se poser sur un versant nécessairement « positif » pour lenfant. Toute la question est de savoir si ce positivisme poursuivi pour lenfant ne relève pas tant dune forme dethnocentrisme humaniste que dune véritable démarche daccompagnement de lenfant dans ce qui fonde sa spécificité et donc son altérité.
Ces incessantes référence au domaine médical sont quasi évidentes dans un IME où lhistoire des institutions médico-éducatives montre une tension permanente entre ce qui relèverait de la compétence médico-psychiatrique et de la compétence éducative spécialisée, lune ayant eu largement le dessus,si jose dire, sur lautre et vice versa. Il en résulte tout naturellement dans le discours de Nadine une description de la population qui hésite en permanence entre « ya des enfants euh [eu eu ] je / on a euh quelques cas euh très peu denfants qui ont des pathologies médicales évolutives / par exemple des épilepsies évolutives non stabilisables / actuellement là on en est la recherche la médecine tout ça on a quelques enfants comme ça qui vont plus vers un versant déficitaire / donc ces enfants-là ils restent euh dans un cursus de 6 à 12 ans en IME » (on se retrouve là sur un modèle exclusivement médical), « on a également des enfants qui sont euh plus sur le versant euh déficitaire léger avec troubles du comportement et qui sont euh dans le registre là de dans le registre névrotique donc euh des carences multiples / multiples et qui entravent le développement cognitif / et puis qui entravent euh lintégration sociale à cause des troubles du comportements » (cette fois il sagit dun modèle de discours mixte qui allie autant les concepts médicaux que sociaux) et « les enfants qui sont plus sur le versant de la carence alors euh culturelle affective euh sociale enfin tout ce quon peut imaginer euh le milieu est lui-même carencé » (il sagit dun discours essentiellement social).
On voit là donc trois discours types :
un discours uniquement médical
un discours uniquement socio-éducatif
un discours mixte qui alterne ou mélange indifféremment les deux précédents.
Dans tous les cas, ces discours renvoient à ce que pourrait constituer, dun point éminemment ethnocentriste cest-à-dire référé à partir de la seule vision de léducatrice, la normalité. Le recours à la norme, voire à la loi et à la règle semblent en effet fonder en propre les discours éducatifs spécialisés.
Une rhétorique basée sur la référence à la norme
Il est en prime abord intéressant de remarquer que les éducateurs spécialisés se défendent de ne pas se situer dans le jugement, la priori, arguant avant tout un respect inconditionnel de la personne. Ainsi, le professionnel de CPH termine son rapport en disant : « Enfin, face aux différentes exigences comptables et de gestion de flux au CPH (accompagnement dune durée de 6 mois) et par conséquent des conditions de travail difficiles, le professionnel de terrain doit « résister » à ces pressions au bénéfice dun accompagnement de qualité et humain axé sur lintégration à la citoyenneté. » Il exprime une résistance affichée à un traitement financier et capitaliste de laide sociale, ce qui constitue un positionnement tout à fait particulier dans une société où semblent primer le gain, la mondialisation des échanges et la libéralisation du système commercial. On retrouve bien là la thèse de F. MUEL-DREYFUS par laquelle le métier déducateur sest construit à la fois dans une stratégie de linnovation sociale et de résistance à lordre institutionnel établi et à la fois dans la référence aux lois et aux organisation sociales étatiques : « Ce secteur apparaît ainsi constamment marqué par une relation dialectique entre les innovations et la législation : la croisade menée par les fondateurs des patronages aboutit en fait à limportant code législatif en juillet 1912 et le détail de ces lois et de ses règlements dapplication contribuent à développer de nouveaux ensembles institutionnels »
Lors de lentretien avec Valérie, cette dernière déclare dans le même sens : « euh moi je valorise enfin jai un outil qui me permet de les valoriser et ça cest super / parce que euh à chaque fois quil font un stage quelle que soit lissue quest donnée à ce stage même sil est clashé au bout de trois jours je mattache à [a] voir avec le jeune à chaque fois euh quest-ce quil a pu en tirer comme bénéfice et quelles sont les difficultés quil a pu rencontrer et ça nous donne des pistes de travail / à aucun moment cnest un jugement une évaluation mais plus euh euh on mesure en terme dévolution cest-à-dire euh ». Ce court extrait multiplie les paradoxes :
A la fois léducatrice refuse le « jugement » ou « lévaluation » et en même temps elle « mesure en terme dévolution » les progrès de lenfant.
Elle refuse le « jugement » et pourtant sengage à « valoriser » les enfants, ce qui dun point de vue étymologique renvoie à la notion de valeur et de prix.
A chaque fin de stage, quelle quen soit lissue, sous entendue tout de même positive ou négative dans la représentation quelle a, elle, du monde professionnel, elle sattache à voir les bénéfices que lenfant en tire. Et pourtant, « les difficultés quil a pu rencontrer » vont constituer les « pistes de travail » à venir.
GARNIER et DARTIGUENAVE décrivent avec une particulière acuité ce paradoxe. Ils écrivent : « Incontestablement, la prégnance de références humanistes conforte les travailleurs sociaux dans leur volonté de se déprendre de la toute-puissance en reconnaissant à la personne un droit inaliénable à la liberté, une capacité à effectuer ses propres choix. Mais il sagit de reconnaître, dans le même temps, quelle tend à situer la personne en dehors de la loi, au double sens du terme de ce qui renvoie au principe de causalité et à la détermination de la responsabilité dans léchange social. »
Ainsi les professionnels construisent pour partie leurs discours sur ce que nomment GARNIER et DARTIGUENAVE « le positif de la personne, sur ses capacités, sur son dynamisme, afin de lui renvoyer une image valorisante delle-même, sans empiéter sur sa liberté individuelle, sans décider à sa place. » Par exemple, quand je demande à Philippe de me décrire les enfants avec lesquels il travaille, il me répond sur le mode de la boutade : « un enfant en IR cest un enfant qui ressemble à tous les autres enfants / la seule différence cest queuh ses difficultés lamènent à avoir des comportements inadaptés euh cest-à-dire violents agressifs », bref des enfants similaires à tous les autres, sinon quils peuvent de façon minorée montrer de la violence ! Catherine, qui exerce auprès dadolescents placés, déclare : « un jeune qui arrive on le prend pas sous enfin on le prend comme il arrive peu importe enfin pas peu importe ce quil a fait avant mais disons que on on on a pas ce regard jugeant que peut avoir euh tout à chacun / on part du principe que on peut tirer le meilleur on peut tirer quelque chose de bien ou de bon pour chaque être qui arrive / on peut [eu] effectivement lamener à avoir un projet de vie [i] ». Le discours marque bien la volonté de la part de la professionnelle de se démarquer dun regard jugeant, subversif et inquisiteur, mais qui privilégie de façon tout à fait humaniste des considérations positives et évolutives de lêtre humain. Il nest pas inutile de repérer dans ce dernier extrait les embarras et les hésitations de léducatrice (balbutiements, phrases qui ne se terminent pas, contradictions) à défendre son point de vue.
On parvient à ce stade à une double contradiction entre ce que jai pu décrire plus haut et ce que je montre à linstant : à la fois les éducateurs encodent leur spécificité sur une rhétorique de la souffrance et de la difficulté humaines qui fondent proprement la légitimité dune intervention dite spécialisée, et à la fois ils construisent un discours généreux et humaniste qui considère lêtre humain sur son versant avant tout positif.
Dans tous les cas, on peut généraliser que ces deux formes de discours sélaborent sur un registre ethnocentriste, cest-à-dire centré sur la représentation que le professionnel a de lhumanité et du monde à partir de lui-même, ce qui va légitimer cette référence incessante à la norme et à la loi comme axe de travail privilégié.
Le rapport écrit de léducateur spécialisé emprunte différentes formes de rappel ou de référence à la norme comme axe de travail :
La première forme consiste en une référence à la loi, aux institutions comme repère et axe de travail. Il écrit : « Les jeunes de 18-25 ans ont un statut social précaire (pas de droit RMI) et nécessitent de la part du travailleur social une connaissance spécifique des différents dispositifs et droits concernant ces jeunes. »
Par ailleurs, la référence à la norme sinscrit dans un contrôle quasi permanent du jeune Alfredo : « Dès son arrivée Alfredo nous sollicite pour une avance dargent ; il nous raconte tout d abord qu il a des dettes à rembourser ; puis nous comprenons rapidement qu il a acheté un téléphone portable (160¬ ) et qu il lui reste à peine 40¬ pour les 4 semaines suivantes. Nous refusons l avance demandée lui expliquant l absurdité de son achat tandis que lui revendique au contraire sa nécessité » : cet extrait renvoie à lambiguïté que jénonçais plus haut, à savoir une volonté de la part de léducateur de défendre lautonomie, la protection et le libre arbitre des personnes, et en même un contrôle sur des aspects financiers, donc éminemment centrés sur la seule conception que léducateur peut avoir de la consommation et de la gestion du budget.
« Il paraît important de noter que ce jeune homme cherche des limites, à créer un lien rassurant parce quidentifiable en tant que repère fiable et contenant. Cette recherche de limites dans la relation éducative sera toujours présente sur la durée de laccompagnement mais dégressive, la relation de confiance sinstallant progressivement » : le contrôle de léducateur est légitimé ici par un jugement de valeur à lemporte pièce où demblée, le jeune homme est considéré comme « cherchant des limites » ou un « repère fiable et contenant ». Evidemment léducateur se décrit ici comme le représentant idéal du « repère fiable et contenant ». Ce type de discours est très répandu pour des populations habituellement considérées comme souffrant de troubles du comportement (délinquants, Institut de rééducation) ce qui est loin dêtre le cas pour des personnes réfugiées politiques ayant un parcours de vie de militance politique dans des pays agités.
« Il est nécessaire dintervenir régulièrement pour relativiser ses propos et laider à réaliser une certaine réalité sociale » : lutilisation du terme « réalité » montre de manière quasi caricaturale le point de vue ethnocentriste de léducateur spécialisé. En effet, il semble ici le témoin de ce que serait la réalité, la bonne vision des choses.
« Parallèlement, Alfredo a régulièrement des soucis financiers et nous sollicite dune manière ou dune autre en invoquant telle ou telle raison, nobtenant que des refus (sauf dans deux situations réellement justifiées). Il nous paraissait évident quAlfredo empruntait de largent à beaucoup de relations (plus ou moins amicales) se retrouvant parfois dans des situations particulièrement problématiques. Ces situations provoqueront des échanges vifs dans la mesure où la relation quentretenait Alfredo à largent représentait en fait une problématique importante : la dualité entre sa recherche de cadre et sa difficulté à le respecter. Il nous sollicite pour des questions dargent (recherche de cadre) et ne supporte pas que lon le cadre à ce sujet. » : cet extrait montre combien une prise en charge par un éducateur induit un rapport perturbé au cadre, plus quil nexiste a priori de réel trouble en terme de référence au cadre chez le jeune. Ce qui fait constitue réellement le rapport troublé au cadre, réside dabord dans le choc de conception du monde et donc de la norme entre Alfredo et léducateur.
GARNIER et DARTIGUENAVE décrivent ce dualisme entre ce qui constitue la recherche absolue de lautonomie de la personne défendue par les éducateurs, la référence à la loi et à linstitution, et la référence à une norme perçue par les professionnels comme objective et inattaquable : « tout se passe comme si le respect et la liberté de la personne, érigés en une sorte dabsolu, venaient sinterposer entre la responsabilité quils se donnent dans la prise en charge et la nécessité de lexercer notamment au plan de lautorité. [
] On peut lire au travers de ces dilemmes auxquels se confrontent quotidiennement les travailleurs sociaux des doutes sur la légalité du légitime venant interroger leur responsabilité au plan de lintervention sociale. Ces doutes sont lexpression de conflits de codes, cest-à-dire dun conflit sur la définition sociale de ce que lon tient pour légitime. »
Lentretien avec Philippe, chef de service auprès denfants traditionnellement considérés comme souffrant de troubles de la conduite et du comportement, ce quon pouvait appeler dans un autre temps enfants caractériels, confirme tout à fait lusage de la norme comme repère incontestable de la pratique éducative spécialisée. Plus encore, les discours interrogent sur la réalité de ces troubles, du moins sils ne sont pas produits par léducateur dans lencodage spécifique quil a du réel beaucoup plus quils ne sont réels, ou bien sils ne servent pas la légitimité dune intervention spécialisée de léducateur.
« un enfant en IR cest un enfant qui ressemble à tous les autres enfants / la seule différence cest queuh ses difficultés lamènent à avoir des comportements inadaptés euh cest-à-dire violents agressifs euh [eu] instables euh avec une insécurité intérieure qui qui fait ils vont sexprimer euh par des actes inadaptés / mais physiquement ils sont » : cet extrait montre tout à fait la prégnance dune norme qui nest jamais nommée mais qui sert de mesure à lexplicitation de ce qui fait « différence » chez les enfants. Autrement dit, léducateur sinsurge contre une stigmatisation à outrance des enfants (« un enfant en IR cest un enfant qui ressemble à tous les autres enfants ») et en même temps appuie son argumentation sur une référence implicite à une norme qui permet de poser un diagnostic. Il justifie les écarts à la norme de ces enfants par des explications qui se veulent à teneur scientifique : «ses difficultés lamènent à avoir des comportements inadaptés euh cest-à-dire violents agressifs euh [eu] instables euh avec une insécurité intérieure qui qui fait ils vont sexprimer euh par des actes inadaptés ». La scientificité du propos transparaît en effet dans lusage du présent intemporel (comme dit BONNARD « il sagit évidemment dun présent intemporel sans aucune nuance de vivacité narrative ! La science se situe hors du temps. »), lusage de termes qui renvoient au champ sémantique de la psychologie clinique (« insécurité intérieure »).
« alors elle propose une euh [eu] une prise en charge éducative donc euh dinternat donc du lundi au samedi midi /euh [eu] cest une euh comme dire ? une prise en charge qui va travailler sur la quotidien hein ? cest-à-dire sur le le la remise en en état de de / comment dire ça ? euh dactivités normales euh normalement mais qui [i] pour ces enfants-là posent problème / par exemple rester à table enfin tout ce qui est respect de de la règle de la loi dans le cadre dune vie quotidienne quoi / se lever à telle heure et pas à telle heure euh ben passer se laver les mains avant de passer à table euh enfin jen passe des moins bonnes et des meilleures » : le professionnel décrit ici les activités de linstitution. La référence à la norme est clairement énoncée ici. Trois niveaux sont explicités : les enfants doivent en quelque sorte subir une « remise en état « cest-à-dire une réparation, un retour vers ce que le professionnel imagine dun comportement adapté ; cette réparation sinscrit dans la référence claire à la « loi » et la « règle » qui sont facteurs a priori pour léducateur de mieux-être pour lenfant ; enfin, la fonction de léducateur saffiche clairement comme cadrante.
La courte analyse des propos de Philippe montre dans tous les cas que le langage de la norme est quasi analogue à ce que peut exprimer le rapport écrit de léducateur qui pourtant ne travaille en aucun cas avec des personnes souffrant de troubles de la conduite, mais des personnes qui cherchent à sinstaller en France après que lOFPRA leur ait reconnu lasile politique. Toutefois, les professionnels légitiment leur position normative sur des productions discursives qui se veulent évidemment sérieuses et réalistes parce que fondées sur la référence à des champs disciplinaires tels que la psychologie ou la sociologie. Jappelle ces emprunts à différents champs disciplinaires la scientifisation des discours.
La scientifisation des discours
Je faisais référence plus haut au présent dit intemporel comme constitutif dun discours à caractère scientifique. J. DUBOIS généralise lui ce type de discours à du discours didactique, « produit de lactivité cognitive, comme invariant de base : il se caractérise par labsence de problèmes dénonciation, la phrase étant mise comme sil ny avait pas de sujet dénonciation spécifique ; elle peut avoir été dite par X ou Y. » Au-delà de cet aspect de lénonciation, il mappartient de décrire ce qui donne aux discours éducatifs spécialisés une portée scientifique, que les références scientifiques soient avérées ou pas dailleurs.
Les emprunts lexicaux apparaissent comme le premier élément formel de scientifisation du discours. Les champs disciplinaires les plus usuels sont par ordre dimportance la pédagogie, la psychologie clinique et la psychanalyse, la sociologie et dans une moindre mesure lethnologie, le droit, et de façon plus éclatée, la référence aux théories de la médiation, de la systémie, de lanalyse transactionnelle et de la PNL (Programmation Neuro-Linguistique). Dans une moindre mesure, on peut observer des emprunts aux méthodes de management et à léconomie. Tout ce multing-pot disciplinaire si jose dire est résumé par les écoles de formation ou aux épreuves du diplôme détat par la notion de psychopédagogie. Les canadiens dailleurs parlent de psychopédagogue pour désigner les éducateurs spécialisés. Les anglais, eux, préfèrent le terme plus généraliste de social worker et les allemands de sozial pädagog.
Je propose quelques exemples demprunts
Les emprunts à la pédagogie
La philosophie humaniste de la pédagogie est privilégiée. Ainsi, léducateur préfère le fameux « faire avec » au « faire sans » ou « faire à la place de ». Le compagnonnage évoqué plus haut réfère à une pédagogie de la réussite, le plus souvent non directive, qui envisage lenfant comme un « sujet », un « acteur de sa vie ».
Lindividualisation de la prise en charge sappuie sur les « ressources » de lindividu, la « méthodologie de projet » constituant pour les éducateurs interrogés le principal « outil » de travail. Il sagit de « faire émerger des souhaits » chez lenfant à partir desquels le professionnel va induire une série « dapprentissages ». Lindividualisation est optimale dans « lélaboration dobjectifs individualisés » qui est possible grâce « lentretien individualisé » ou « la relation duelle » entre léducateur et lenfant. Toute lattention de lenfant est portée vers « son devenir », « sa maturation », « son mûrissement » ou « son évolution ». Lenfant est réellement considéré comme « un être en devenir » dont il va falloir lui « apprendre » lexercice de la « responsabilité », « lautonomie » et la liberté.
Les apprentissages visés pour les enfants sont essentiellement psychoaffectifs ou cognitifs. Il est recherché pour lenfant de « se retrouver dans un cadre avec des règles claires », de « connaître les limites de son corps », de « travailler sur sa situation de faire évoluer les choses » ou encore de « réapprendre à vivre euh [eu] dans les normes sociales dans un petit endroit pour ensuite le faire ailleurs ».
Des pédagogues sont cités éventuellement par tel ou tel professionnel. On entend les noms de Deligny, Montessouri, Fresnet, bref autant de représentants des méthodes dites actives, où la pédagogie se pense à partir de chaque enfant et non le contraire.
Les emprunts à la psychologie et la psychanalyse
Le travail éducatif spécialisé se voit dans le discours de certains comme un « travail thérapeutique », ce qui fait même dire à Valérie que léducateur est un « soignant ». Lenfant est envisagé à partir de critères qui semblent beaucoup plus empreints de psychologie comme « un seuil de frustration inexistant ou très faible », « des gamins qui savent rebondir » (ici on voit lallusion très nette aux travaux sur la résilience). Néanmoins, ces emprunts à la psychologie ne sont pas toujours assumés, quand par exemple Marina dénonce que « que la psycho envahit léducation spécialisée » alors que plus loin dans lentretien, elle décrit les « crises » des enfants et attribue à celles-ci des troubles « psychotiques », « autistiques » ou « névrotiques ».
Linterprétation hâtive empruntée de loin à la psychologie clinique peut constituer une caractéristique des discours éducatifs. Thierry par exemple explique « la violence à canaliser » par le fait que cela soit un « exutoire » ce qui nest pas sans faire référence à la psychanalyse qui promeut la catharsis et qui estime que le comportement est une conséquence de dispositions intérieures. Dailleurs il avoue de lui-même que même si « les psychos ont pris pendant longtemps une place trop importante dans les institutions et queuh effectivement un psychologue il a sa place dans une pas toute la place », exercer le métier déducateur implique « la nécessité dune connaissance en psycho pour pouvoir faire ce boulot-là ».
Lentretien mené avec Maryvonne est le plus flagrant en terme demprunts à la psychanalyse. Les enfants quelle rencontre dit-elle sont des « enfants en grande difficulté de relation », confronté à « des impuissances, des répétitions de situation ». Ainsi, pour elle, le travail oblige à « une séparation symbolique » qui consiste en fait à confier les enfants à des familles daccueil. Elle fait lapanage de toute une série de termes à consonance psychanalytique qui vont de « lémergence du désir », « faire le deuil de lenfant idéal », « la culpabilité », « la conscience » et « linconscient », « lanxiété » ou « langoisse ». Elle parle de lenfant autiste sur un mode freudien où il est vécu avant tout à travers le filtre maternel : « on se rend compte aussi quavec ces enfants autistes ou psychotiques euh [eu] la définition même de la psychose cest dêtre non séparé cest être non séparé du discours de la mère cêtre non séparé de [e] de lautre quoi ». Le travail implique certes une technicité particulière avec lenfant, mais aussi pour elle à un travail que léducateur fait sur lui-même, ses affects afin, dit-elle, de parvenir à « la BD, la bonne distance ».
Dans tous les discours, « lhistoire » constitue le maître mot des éducateurs. Cette « histoire » de lenfant est dans quasiment tous les cas uniquement familiale, faisant fi quun enfant se construit aussi dans une histoire sociale et relationnelle avec ses amis, ses instituteurs etc. La famille apparaît comme le lieu soit de tous les vices, de toutes les difficultés, ou au contraire le lieu idéal duquel il faut absolument rapprocher lenfant. « Le lien social » poursuivi par les éducateurs semble avant tout familial. Cette histoire peut être institutionnelle, cest-à-dire faisant le bilan des différentes prises en charge qui ont pu avoir lieu autour de la famille et de lenfant.
Les emprunts à la sociologie
Le « groupe » occupe une part importante dans le discours des éducateurs. Il décrivent ainsi différents « phénomènes de groupes » à lintérieur desquels ils tentent de repérer les « meneurs », « leaders positifs et leaders négatifs », les « bouc émissaires ».
Indifféremment les éducateurs poursuivent une « insertion » ou une « intégration » de lenfant dans la « société », lidée étant de « redonner les bases dun minimum de de comment ? de savoir-être de savoir-vivre de savoir-faire euh / pour que cet enfant puisse ensuite retourner dans un environnement sociétal normal avec des attitudes à peu près adaptées à lenvironnement » (Philippe). Claude décrit les enfants quelle a en charge en faisant référence de manière explicite à la sociologie, elle dit : «on intervient spécifiquement sur les placements et ça cest une spécificité à la fois où il faut euh [eu] pouvoir euh [eu] pouvoir considérer euh la vie dun enfant dép- / enfin déplacé je dirais placé euh dun point de vue sociologique / il sort dun milieu social et euh [eu] avec un mode de pensée un mode de vie une certaine logique et il se retrouve euh du jour au lendemain plongeant dans un milieu social avec euh mode de vie et conditions complètement différentes ». Ainsi, léducateur se retrouve à gérer linadaptation, les différences quil juge généralement « culturelles ».
En tout état de cause, quelle que soit la nature des emprunts, les informateurs ont tous regretté le manque dun discours qui soit éducatif spécialisé à proprement parler mais qui soit fondé sur lemprunt à différents courants disciplinaires dont ils nont pas une véritable maîtrise. La complexification du discours, pour dire des choses somme toutes qui pourraient se dire avec des mots simples, constitue lun des travers essentiels de ces différents emprunts. Plutôt que de dire par exemple quun enfant a des comportements grossiers ou impolis vis-à-vis de son entourage familial, on dira quil a un « rapport distendu à la réalité ». David avoue par exemple : «quon ait un langage propre qui est [é] qui est constitutif de lidentité dune profession cest très bien encore faut-il qu elle soit accessible à lautre / et trop souvent me semble-t-il léduc alors je sais pas si cest un comportement par rapport à ses 3 ans détudes ou du fait quil ait flingué sa scolarité / il complexifie son langage pour des choses simples / du coup cest pas accessible aux autres et on perd de notre crédit à mon avis »
La scientifisation des discours se manifeste aussi par lusage de formes grammaticales particulières qui privilégient le présent atemporel, la référence au « on » et la généralisation de traits de comportement sans que les éducateurs ne prennent le soin de décrire des situations concrètes.
Lavis dun agent EDF :
Jai soumis le rapport écrit de léducateur spécialisé à un ami qui est parfaitement étranger au secteur de léducation spécialisée puisquil est agent commercial chez EDF.
Ses réactions sont particulièrement riches et éclairantes au regard de lanalyse identitaire des discours que jai souhaité proposer. En effet, lanalyse que je porte sur les entretiens et les textes des professionnels est certes le produit dune réflexion épistémologique que jai menée, mais aussi est le produit de ma propre logique de travailleur social, ce qui peut générer des ambiguïtés, des oublis ou des projections sur le matériel sociolinguistique à ma disposition. Un regard complètement extérieur au monde du social a le mérite dobjectiver autrement les choses, il souligne des éléments que jai pu occulter ou au contraire relativise des traits linguistiques que jai peut-être attribués à tord comme constitutifs du discours éducatif spécialisé. Un groupe social se construit à travers ses propres discours, les représentations quil a de lui-même, mais aussi dans laltérité, cest-à-dire dans la confrontation avec le regard de lautre, ses attentes, ses représentations même stéréotypées du groupe social en question. Cet informateur me semble particulièrement intéressant dans la mesure où il est sensibilisé au travail social du fait des échanges nombreux que nous avons eus à ce sujet, mais aussi dans la mesure où il a montré souvent de lagacement ou de lexaspération face aux conversations que je pouvais tenir avec dautres éducateurs à propos de notre travail.
La discussion que nous avons eue autour de lécrit de synthèse de léducateur spécialisé na pas été enregistrée pour des raisons techniques. Je lui ai soumis en plus un certain nombre de rapports de situation écrits par des étudiants en formation déducateur spécialisé.
Les réactions ont été souvent de lordre de lagacement. Il a mis en cause lobjectivité des écrits et surtout leur utilité : « cela veut rien dire », « ils découpent des cheveux en quatre », « ça sert à rien », « cest se prendre la tête pour ne rien dire » autant dexpressions qui rendent compte de son exaspération et de son incompréhension relativement à lécriture de tels textes.
Plus précisément, à légard du texte concernant Alfredo, lagent EDF a retenu quil sagissait dune « histoire qui explique sa vie ». Lintérêt des éléments narrés ou exposés nest pas ressorti pour la simple raison quil nen voit pas lutilité professionnelle. Il a émis des critiques qui portaient beaucoup plus sur la forme que sur le contenu du discours lui-même, remettant en cause ainsi labus des répétitions du prénom Alfredo, des passages peu clairs (« cest pas clair notamment la partie où il parle quil fallait le cadrer je sais pas quoi »).
Récemment cette même personne participait à un repas avec plusieurs personnes complètement extérieures au travail social. La réaction a été unanime : « je pourrais pas faire ça, ça me prendrait la tête ».
Les regards extérieurs à la profession se déclinent en deux discours opposés :
un premier qui marque du rejet, de lagacement à exercer des métiers vers laide sociale considérés comme de lassistance éperdue vis-à-vis de populations qui ne font pas defforts pour travailler, sinsérer etc.
un second qui marque au contraire de la considération très positive voire admirative à légard des travailleurs sociaux considérés comme des personnes qui se donnent à lautre sans limite ; il sagit ici dune vision humaniste ou religieuse du métier.
Certes les discours ne sont pas toujours aussi catégoriques, toutefois ils penchent toujours plutôt vers un pôle quun autre. Toujours est-il que la profession déducateur ne laisse rarement insensible et provoque quasiment systématiquement à chaque fois que jévoque mon travail, des débats nombreux et passionnés où se mêlent admiration, agacements et positionnements politiques.
LEMERGENCE DUNE IDENTITE PROFESSIONNELLE A TRAVERS LES DISCOURS
La place du sujet dans lénonciation : pour une identité personnelle
DUBAR répète à plusieurs reprises que lidentité professionnelle se construit dans un double mouvement : elle est la résultante des aspirations personnelles de lacteur professionnel en terme dobjectifs de travail, de conception de la tâche, dambition de carrière, ainsi que des aspirations collectives du groupe professionnel auquel il appartient. Plus précisément le sociologue écrit que lidentité professionnelle se construit sur « le monde vécu du travail », « les trajectoires socioprofessionnelles et notamment les mouvements demploi » et « le rapport des salariés à la fonction et spécialement la manière dont ils ont appris le travail quils font ou celui quils vont faire ». Ainsi la manière dont les acteurs formalisent leur activité professionnelle dit quelque que chose ce quil appelle « lidentité réelle au travail » a contrario de « lidentité virtuelle au travail ». Il écrit plus loin dans son ouvrage que la « construction dune identité de métier présuppose une forme de transaction subjective permettant lauto-confirmation régulière de son évolution conçue comme la maîtrise progressive dune spécialité toujours plus ou moins vécue comme un art. Mais elle suppose également des confirmations objectives par une communauté professionnelle dotée de ses propres instruments de légitimité. »
Il nous importe donc au vu des propos de DUBAR didentifier et de décrire la manière ont les informateurs encodent leur subjectivité dans leur travail à travers les discours, cest-à-dire ce qui constitue lidentité pour soi des éducateurs a contrario de lidentité pour autrui. Tout lintérêt sera pour nous de comprendre en termes sociolinguistiques les effets de la transaction objective et la transaction subjective qui sentendent comme « les résultats de compromis intérieurs entre identité héritée et identité visée mais aussi de négociations extérieures entre identité attribuée par autrui et identité incorporée par soi ».
Subjectivité et énonciation
C. KERBRAT-ORECCHIONI propose dans son ouvrage Lénonciation une grille étoffée dappréhension de la subjectivité dans le discours. Elle propose ainsi une grille qui vise « la recherche des procédés linguistiques (shifters, modalisateurs, termes évaluatifs, etc.) par lesquels le locuteur imprime sa marque à lénoncé, sinscrit dans le message (implicitement ou explicitement) et se situe par rapport à lui (problème de la distance énonciative) ».
Le constat immédiat qui apparaît chez les informateurs réside dans le fait que parler du métier déducateur spécialisé implique automatiquement une posture qui se veut objective. En dautres termes, les informateurs proposent au chercheur une vision du métier dont ils attendent une analyse et une distance axiologique. Ils se mettent donc dans la position a priori de descripteurs objectifs. Jentends ici par « objectivité » versus « subjectivité » des formes discursives qui empruntent des formules qui visent une représentation collective du métier déducateur, au contraire dune vision engagée et personnelle dont la validité ne réfère quau seul sujet qui lénonce.
Les débuts de chaque entretien semblent révélateurs sur cette posture énonciative qui va chercher à lutter contre ce qui pourrait induire une vision trop individuelle du métier déducateur :
Prenons un premier exemple auprès de Maryvonne
Moi : est-ce que tu peux euh est-ce que tu peux me dire dans quelle institution tu travailles ?
M : donc je travaille dans un IR
Moi : cest quoi un IR ?
M : un institut de rééducation donc euh [eu] et qui accueille des enfants psychotiques et autistes / hein ?
Moi : daccord / qui ont quel âge ces enfants ?
M : qui donc qui peuvent avoir entre 6 et 16
Moi : daccord
M : voire même 18 aujourdhui parce quon a donc des gros problèmes de sortie / euh [eu] voilà
Dès le début de lentretien, jannonce clairement mon besoin dentendre léducatrice en propre sur son métier. La première question par exemple fait apparaître trois fois le déictique « tu », ce auquel linformatrice répond effectivement par le déictique « je ». Or, lusage du pronom personnel disparaît immédiatement dès quil est question de linstitution, léducatrice décrivant sa pratique professionnelle par les missions de linstitution et les publics quelle a en charge, cest-à-dire par des éléments qui ne dépendent pas delle et de son appréciation personnelle.
Prenons lexemple de Catherine tout aussi significatif :
Moi : hein et euh que je connaissais pas le lieu où tu travailles / est-ce que tu peux me dire euh dans quel type de structure tu travailles ?
C : donc je travaille dans un internat [a] un foyer éducatif euh structure internat sur un groupe euh [eu] quon appelle Tremplin où [ou] les jeunes sont en semi autonomie cest-à-dire quils prennent en charge une partie de leur quotidien / donc on assure des soirées on fait aussi le suivi des jeunes une fois quils sont en appartement
Moi : daccord / et ça ressemble à quoi physiquement cette institution ?
C : alors cest un espèce de grand HLM sur deux étages / moche (rires) / euh [eu] avec euh comment ? en forme de Z ou de S je sais pas comment le dire / donc deux ailes distinctes avec les bureaux [o] qui séparent euh [eu] laile internat et laile Tremplin / donc voilà avec nous notre bureau tout au bout de laile Tremplin
Moi : et à lintérieur du Tremplin cest un lieu euh un lieu de vie ?
C : une lieu de vie avec une cuisine euh [eu] salle de bain en collectif et toilettes un salon et puis chambres
Moi : daccord / euh quel type de de publics vous tu reçois dans ton service ?
C : donc nous on reçoit des adolescents garçons et filles qui ont entre euh 14 et 18 ans / euh en sachant quils peuvent avoir jusquà 21 ans parce que on a aussi des jeunes majeurs euh que m la tranche dâges de ceux qui viennent sur le Tremplin suivi extérieur cest plus euh 19 20 ans on a rarement de jeunes à aller jusquà 21 ans
Ce début dentretien révèle chez linformatrice une volonté manifeste de taire sa subjectivité au profit dun descriptif légitimé et validé par le « nous » institutionnel ou le « on » de léquipe. Pourtant, à quasiment chaque question jinterpelle léducatrice sur sa propre subjectivité par lusage systématique du déictique « tu ». La question « quel type de de publics vous tu reçois dans ton service ? » marque de ma part le trouble, ce qui explique la correction immédiate du « vous » en « tu ». Et pourtant la jeune femme répond par le double usage du « on » et du « nous » que corrobore une construction de type démonstratif où sont recherchées la rigueur, la cohérence et lobjectivité par lusage de la conjonction de coordination « donc » ou lexpression « en sachant que ».
Cette volonté deffacement de la subjectivité des informateurs est peut-être produite par le protocole de lentretien de recherche. Ceci dit, la commande de parler de son métier semble induire chez les informateurs la nécessité dadopter un discours impersonnel où le « je » disparaît au profit dune expérience collective et institutionnelle du métier.
Des exceptions apparaissent, et ce notamment dans le discours des éducateurs confirmés ayant une longue expérience.
Lexemple de Claude qui était lune des éducatrices les plus expérimentées parmi les informateurs en est une parfaite illustration :
C : ben moi je travaille à laide sociale à lenfance euh [eu] dIlle et Vilaine au conseil général / jai toujours fait ça en fait parce que jai déjà choisi dès le départ de moccuper que des enfants placés / parce que le [e] le placement la place des gens la place des personnes ma toujours posé un problème tant au niveau des étrangers quarrivent dans un pays que de lenfant placé qui pour moi est un enfant déplacé en fait / sans doute jai pas trouvé ma place chez moi (rires)
Moi : donc / donc tu travailles à laide sociale à lenfance et à quoi ressemble cette structure ?
C : à quoi elle ressemble ma structure ? alors laide sociale à lenfance euh [eu) en Ille et Villaine a 21 CDAS / donc les CDAS sont un peu autonomes hein ? on a limpression / tu veux que je tienne ?
Moi : non
C : on a limpression que chaque CDAS a un peu [eu] sa manière de faire et ses fa- ses positionnements mais il devrait y avoir quand même euh [eu]
Moi : ya pas ?
C : ya pas franchement
Moi : cest-à-dire que chaque CDAS est autonome ?
C : ben normalement non / mais chaque responsable imprime un petit peu ce dont elle veut / je vois par exemple les mineurs isolés ya des CDAS qui refusent qui les mettent dehors et puis yen a dautres qui sen occupent énormément / bon donc euh [eu] ya des façons et des pratiques différentes dun CDAS à lautre et les gens sont très étonnés
Moi : et au niveau des publics quels publics tu reçois ? de qui tu toccupes en fait ?
C : on est sur le CDAS de Villejean donc cest un quartier dit sensible mais très diversifié / donc euh je trouve que cest un quartier moins difficile que Maurepas ou que la ZUP sud et que les gens que nous avons ben [en] ce sont des publics différents / ça peut être des gens très démunis le style un peu ATD euh un peu le quart monde des gens démunis / des gens dun milieu social classe moyenne qui ont eu des divorces des dépressions des licenciements économiques enfin leur vie a été a basculé un moment donné ils arrivent plus à faire face à leurs enfants à léducation de leurs enfants / mais aussi un public très différencié pouvant aller des classes sociales élevées euh pour des adolescents qui sont soit dans la délinquance que ce soit dans la marginalité
Moi : donc tu parles de gens mais cest quand même vers des enfants que tu tadresses ? toi éducatrice au-delà du CDAS ?
C : oui parce nous [ou] les éducateurs à laide sociale à lenfance on ne soccupe que des enfants placés euh [eu] / que du placement on nintervient quau niveau du placement / à partir du moment où ya un placement que ce soit par mesure judiciaire ou dune manière administrative cest-à-dire que les parents ont passé un contrat avec le CDAS / et bien nous on gère la placement
On observe ainsi dès le début de lentretien un refus manifeste de lanonymat, du moins un refus de se cacher derrière un « on » impersonnel.
Le « je » est présent pendant tout le début de lentretien jusquà la description de linstitution (« ma structure »). Elle accompagne immédiatement la présentation du lieu de travail des motivations qui ont présidé à son choix de métier et plus largement à son choix de populations et de types de prise en charge. Elle va même jusquà comparer sa propre position personnelle à celle des enfants quelle accompagne.
Lexemple de Dominique
Moi : donc normalement cest bon / donc euh on va faire comme si je connaissais rien à léducation spécialisée / ce qui est pas forcément simple
D : non
Moi : est-ce que tu peux me dire dans quelle institution tu travailles ?
D : je travaille dans [an] un CHRS / donc qui est un centre dhébergement et de réinsertion social / donc pour un public euh dhomme donc de 18 à 70 ans donc une population en situation sociale euh [eu] dégradée euh difficile voire extrêmement difficile en rupture en tous les cas/ ruptures familiales euh ruptures euh [eu] professionnelle euh [eu] ruptures euh [eu eu] ruptures de pays aussi jallais dire / cest-à-dire on reçoit aussi euh donc un [un] fort contingent de demandeurs dasile / donc voilà / donc des situations euh [eu eu ] toutes enfin ya je crois autant de situations quon reçoit de gens en fait au foyer quoi
Moi : alors avant de rentrer dans les publics à quoi ça ressemble un CHRS physiquement ?
D : ah ben le nôtre en tous cas ressemble à une grande maison donc qui est sur euh [eu] sur 3 étages / donc euh [eu] un premier étage sur lequel euh [eu] se situent en fait des bureaux euh euh restauration / donc un restaurant / donc des bureaux dans lesquels donc euh [eu] siègent habituellement donc directeur euh / grand le plus grand bureau cest le bureau du directeur / euh service de comptabilité secrétariat chef de service et un endroit stratégique qui est lendroit de laccueil / donc laccueil euh cest un lieu où les gens sadressent effectivement où ils sont orientés vers les travailleurs sociaux qui vont pouvoir les recevoir quoi / et donc en suite ya deux autres deux étages donc de chambres individuelles très peu de chambres à 2 personnes des chambres à 3 personnes / alors nous avons aussi une petite mai- ce quon appelle une maison cest une petite résidence à larrière du du foyer donc où se trouve euh lingerie un studio / on peut héberger euh [eu] des familles euh [eu] et puis quelques chambres à une ou deux personnes à létage et un service lingerie / voilà grosso modo plus alors / oui ce que je jaurais pu commencer par là mais jai commencé et cest sciemment que je lai dit à la fin car cest lendroit le plus honteux de la maison / quest lhébergement durgence / alors bien que les bâtiments soient neufs parce que tout a été rénové en 99 / euh lhébergement durgence donc à savoir 12 places se situent dans [an] dans le sous-sol / euh lieu que les résidents ont baptisé la cave parce que cest vraiment une cave cest très sombre ce sont des boxes de caves euh avec des murs de béton
Dominique se démarque entre autre de par sa grande expérience éducative spécialisée.
Cette fois, à la demande du chercheur de décrire linstitution, il répond par le « nous ». Néanmoins, il ne sagit pas seulement dun nous collectif et institutionnel, mais bien dun « nous » inclusif dont le « je » du locuteur participe pleinement. Le « je » intervient plus directement lorsquil commente sa propre argumentation et la construction de son propos. De même lusage de termes évaluatifs et affectifs (« honteux », « cest vraiment une cave très sombre ») obligent linformateur à personnaliser son discours au détriment du « nous » collectif qui emprunte un ton plus neutre quant au descriptif du foyer et des populations accueillies.
Tous ces exemples montrent que la subjectivité du discours sénonce avant toute chose dans lusage du « je », cest-à-dire celui dun locuteur qui ne se cache pas derrière un vague « on » institutionnel mais se positionne clairement en tant que sujet unique et différencié. Ceci dit, le « on » institutionnel ou collectif nempêche pas la subjectivité de sexprimer à travers les discours. KEBRAT-ORECCHIONI montre en effet que la subjectivité dans le discours emprunte des formes plus nombreuses et plus complexes que le seul usage du « je ». Je me propose dillustrer son analyse par des éléments du corpus.
Lusage des déictiques comme lieux dinscription de la subjectivité :
DEFINITION
La linguiste définit le shifter comme « une classe de mots dont le sens varie avec la situation ». Elle précise que « les déictiques exigent en effet, pour rendre compte de la spécificité de leur fonctionnement sémantico-référentiel, que lon prenne en considération certains des paramètres constitutifs de la situation dénonciation. » Plus précisément, elle écrit : les déictiques sont « les unités linguistiques dont le fonctionnement sémantico-référentiel (sélection à lencodage, interprétation au décodage) implique une prise en considération de certains des éléments constitutifs de la situation de communication à venir à savoir :
le rôle que tiennent dans le procès dénonciation les actants de lénoncé,
la situation spatio-temporelle du locuteur, et éventuellement de lallocataire. »
LES PRONOMS PERSONNELS
Reprenons lexemple de Claude plus haut afin danalyser plus finement la répartition des pronoms dits subjectifs et dits collectifs.
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Le schéma précédent montre lutilisation de déictiques pronominaux en terme de nombre de récurrences. Jentends par « je et ses déclinaisons » tous les usages du pronom de la première personne aussi bien dans sa forme sujet (« je ») quobjet direct, indirect etc.
On peut observer une confirmation de ce que jexposais plus haut à savoir une utilisation plus importante de la première personne. Toutes fois, au-delà du nombre de récurrences, des commentaires plus précis simposent.
Au début de lentretien, à la question du lieu dexercice de léducatrice, elle répond : ben moi je travaille à laide sociale à lenfance euh [eu] dIlle et Vilaine au conseil général / jai toujours fait ça en fait parce que jai déjà choisi dès le départ de moccuper que des enfants placés / parce que le [e] le placement la place des gens la place des personnes ma toujours posé un problème tant au niveau des étrangers quarrivent dans un pays que de lenfant placé qui pour moi est un enfant déplacé en fait / sans doute jai pas trouvé ma place chez moi (rires)
Le « je » réfère tout dabord à la situation même dinterlocution, cest-à-dire à linstance même du discours. Le pronom ne peut se comprendre indépendamment de lespace discursif. Néanmoins, deux « je » apparaissent de manière plus distincte :
Il sagit dabord du « je » propre au discours, cest-à-dire celui qui construit le discours en interaction avec le chercheur à linstant T0.
Il sagit aussi du « je » narratif, cest-à-dire celui qui est raconté par le « je » narrateur à linstant T-1.
En effet plusieurs temporalités se superposent :
« Je travaille » : il sagit du T0, cest-à-dire le Temps à proprement parler de lénonciation qui indique la situation professionnelle présente de la locutrice.
« Jai toujours fait ça » constitue un lapse de temps plus large qui englobe le passé (« Jai fait ça »), le présent de lénonciatrice (« Je continue aujourdhui de faire ça ») et le futur immédiat (« Je continuerai de faire ça »). Idem pour « la place des personnes ma toujours posé un problème », phrase où, grâce à ladverbe « toujours » laction passée se poursuit dans le présent.
Un instant T-1 qui raconte le passé de léducatrice à luvre dans son choix de métier. « Jai déjà choisi dès le départ » ou « jai pas trouvé ma place » constituent des éléments de passé de la personne sondée qui vient à raconter ce qui explique son choix de métier.
Il faut donc bien distinguer le « je » qui réfère uniquement à linstance de discours T0, et qui donc dans la bouche du chercheur correspond au « tu », du « je » narré qui met en mot son expérience professionnelle rapportée. Parfois, le « je » narrant fait preuve dinsistance voire demphase pour rappeler quil sagit de sa propre vision personnelle du métier et non dune vision collective : « pour moi », « je trouve que » sont des expressions qui ont pour fonction dindividualiser le discours, afin de se démarquer du « on » ou du « nous » institutionnels.
Il importe danalyser la fonction du « nous » et du « on » dans les entretiens. Je propose de prendre pour exemple le témoignage de Brigitte au moment où je lui pose la question de la définition et de la technicité de léducateur spécialisé :
Moi : euh un éducateur / le la mission ? la fonction de léducateur dans dans ce type de prise en charge ? est-ce quil y en a une ou euh ?
B : la mission première cest la protection de lenfant / cest de quand même tout mettre en uvre pour que euh ce qui a été révélé ou signalé sarrête ou satténue euh ou trouve en tous cas une solution / ça cest la mission première / je pense quil y en a dautres qui sont aussi [i] importantes / cest euh ben de de ben de dessayer de repérer de tout faire ben pour que la famille elle euh / comment dire ? elle prenne conscience de ses potentiels et puis arrive à passer à une autre étape / voilà quoi / parfois cest possible ben on arrive au bon moment / parfois cest pas possible / ben cest un peu daccompagner ça
Moi : un passage ?
B : ouais / tout à fait moi je pense que léduc est quelquun qui doit effectivement /on est des passeurs dun point A à un point B / il arrive que ça marche
Moi : et en quoi être éducateur spécialisé pour le coup cest un plus dans ce type dintervention ? ou cest peut-être un moins ? enfin je sais pas / ya une spécificité par rapport à une AS ou un anim
B : ben cest une question quon se pose souvent ici / bon pas quotidiennement mais régulièrement dans les réunions déquipe ou de synthèse / dailleurs on est composé euh moitié presque pour moitié des deux des deux formations / euh [eu] cest vrai que les assistants sociaux disaient beaucoup que ils étaient peut-être plus armés euh à travailler euh avec la famille / et léducateur peut-être plus proche de [e] ben ce que ressent lenfant léducation etcetera / jen suis pas persuadée parce queuh je pense de plus que la formation déducateurs spécialisés souvre à euh aux dysfonctionnements familiaux / et euh je pense queuh à partir de comment nos ? à partir de lapproche de lenfant quon a dans notre formation on est peut-être plus euh [eu] / on est peut-être plus pertinent je sais pas à rester quand même vigilent à notre mission première / quest bien euh [eu] ben centrée sur lenfant malgré tout / et / bon la tendance peut-être ou le risque euh ou lécueil si on est trop branché travail avec la famille cest de toujours espérer ou attendre delle et pendant ce temps-là ben le gamin euh effectivement on peut ne pas être suffisamment vigilent à ce quil vit / et ce qui peut être effectivement pendant un temps euh [eu eu ] bon à la place de ou euh en tous cas en parallèle à la famille pour que ça aille mieux quand même
Remarquons que le décompte des occurrences ne concerne que les propos de Brigitte et non ceux du chercheur.
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Cette fois, il y a visiblement une majorité de « on » ou de « nous ». Toutefois, on peut remarquer que le « je » se distribue de façon similaire à lexemple plus haut :
Il y a en effet le « je » argumentatif à linstant T0 cest-à-dire celui qui construit le discours, qui le commente, repérable dans les expressions telles que « moi je pense », « je sais » etc.
Il y a le « je » du professionnel en lui-même qui dit ce quil fait en pratique. Ceci dit dans lexemple il est rare voire quasi inexistant. On verra plus loin limportance de ce déictique lorsque jévoquerai la question du récit des motivations au choix du métier déducateur spécialisé.
Du coup, le « je » de la praticienne sexprime à travers le « on » ou le « nous ». Autrement dit le « nous » ou le « on » représentatifs de léquipe des travailleurs sociaux deviennent lalibi à lexpression personnelle.
Ben cest une question quon se pose souvent ici / bon pas quotidiennement mais régulièrement dans les réunions déquipe ou de synthèse / dailleurs on est composé euh moitié presque pour moitié des deux des deux formations / euh [eu] cest vrai que les assistants sociaux disaient beaucoup que ils étaient peut-être plus armés euh à travailler euh avec la famille / et léducateur peut-être plus proche de [e] ben ce que ressent lenfant léducation etcetera / jen suis pas persuadée parce queuh je pense de plus que la formation déducateurs spécialisés souvre à euh aux dysfonctionnements familiaux / et euh je pense queuh à partir de comment nos ? à partir de lapproche de lenfant quon a dans notre formation on est peut-être plus euh [eu] / on est peut-être plus pertinent je sais pas à rester quand même vigilent à notre mission première / quest bien euh [eu] ben centrée sur lenfant malgré tout / et / bon la tendance peut-être ou le risque euh ou lécueil si on est trop branché travail avec la famille cest de toujours espérer ou attendre delle et pendant ce temps-là ben le gamin euh effectivement on peut ne pas être suffisamment vigilent à ce quil vit / et ce qui peut être effectivement pendant un temps euh [eu eu ] bon à la place de ou euh en tous cas en parallèle à la famille pour que ça aille mieux quand même
On voit ici limportance du « on » par rapport au déictique pronominal de la première personne. Ce dernier ne représente pas directement la praticienne, mais sert plutôt à renforcer largumentation et à illustrer le propos. La mise en mots de la praticienne sexprime là par lintermédiaire du « on » collectif.
Que représente-t-il ?
Dabord il nest absolument pas purement déictique au sens de C. KERBRAT-ORECCHIONI. Un « nous » inclusif se résume à la formule suivante :
Nous/On = Je + Tu
Il est donc déictique et cotextuel, cest-à-dire que le On/Nous incluent à la fois le « je » de la praticienne et le « ils » des autres membres de son équipe :
Nous/On = Je + Il(s)
Ceci dit, on aperçoit plus finement que le « on » de léducatrice se pose demblée différent des « assistants sociaux » par exemple, même si elle cultive lambiguïté dune culture professionnelle commune. Dans ce cas, la formule attendue serait la suivante :
On/Nous = Je + Il(s) [éducateurs spécialisés] non Il(s) [assistants sociaux]
Léducatrice pointe sous forme de démenti des cultures communes entre les éducateurs spécialisés et les assistants sociaux, et en même temps quelle les pointe elle ne fait que rappeler le vieux débat entre ces deux professions et les différences de représentation du monde qui préexistent aux deux métiers.
ANALYSE
C. KERBRAT-ORECCHIONI décrit le fonctionnement des démonstratifs, des termes de parenté ou des localisations spatio-temporelles. Leur intérêt réside dans la compréhension de la situation de communication et des représentants auxquels ils référent (cotexte). Ceci dit, ils napportent pas déléments significatifs quant à limplication personnelle des informateurs dans leur construction de lidentité professionnelle.
Il importe de dégager des orientations propres à lensemble du corpus à partir des exemples plus hauts.
Il apparaît tout dabord un recours quasi exclusif à une référence au collectif, cest-à-dire à léquipe, aux collègues propres aux informateurs, voire à la communauté éducative spécialisée dans son entier dans les situations suivantes :
Le descriptif des populations prises en charge
Le descriptif de linstitution où ils exercent
La dépersonnalisation affichée des éducateurs à parler de leur institution ou des populations dont ils soccupent saccompagne de lusage de formes verbales ou syntaxiques qui visent à une généralisation des observations et rarement une démonstration qui sappuie sur des faits concrets à partir desquels ils sont en mesure de généraliser. Ainsi le présent perfectif est le temps verbal le plus usité, présent ponctué parfois de lutilisation du passé composé qui, lui, est significatif dune action passée, exemplaire issue de lexpérience du professionnel.
Moi : dans ton quotidien ces gamins-là leurs caractéristiques euh ?
M : ben dêtre bien abîmés / pas fracasse bien abîmés et puis euh [ eu] / quest-ce que je voulais dire ?
Moi : en terme de difficultés cest quoi les difficultés de ces mômes ?
M : un seuil de frustration inexistant ou très faible
Moi : ouais ?
M : euh [eu] / difficultés de se retrouver dans un cadre avec des règles claires / difficultés à respecter ces règles / euh / donc difficultés à se tenir en [en] enfin à respecter le ces la norme sociale on va dire / euh [eu] / beaucoup ont des difficultés scolaires / euh [ eu] / euh difficultés par rapport à leur corps aussi savoir dire non / euh [eu] savoir respecter son corps / euh [eu] connaître les limites de son corps / tout ça quoi
Moi : et en concrètement au quotidien ça se manifeste comment ?
M : et ben euh [eu] / les difficultés scolaires ça peut être dans les troubles de comportement à lécole / violences / violences physiques violences verbales / euh [eu] difficultés du corps et ben euh [eu] / une jeune fille de douze qui sait pas dire non qui a des relations sexuelles avec nimporte qui [i] / ou euh qui connaît pas les limites de son corps alors qui va manger qui va manger et euh [eu] et qui jusquà sen faire vomir ou qui au contraire va refuser de salimenter ou qui va euh sautomutiler ou euh [eu] / enfin ce genre de choses
Moi : ouais / et en terme de potentiels ? de capacités ?
M : euh des gamins qui savent rebondir / euh [eu] / comme ils ont une certaine négation de la réalité il va se préserver enfin plus ou moins et euh [eu] / des potentialités euh ? ben à partir du moment où on a réinstauré un dialogue euh [eu] / lacceptation de travailler sur sa situation de faire évoluer les choses quoi / de vivre pour soi / de retrouver la place qui est due euh à son âge / enfin ce genre de choses
Moi : et donc au quotidien quest-ce quest-ce que ? quelles actions tu as vers ces enfants-là/ quest-ce que tu fais au quotidien ? tu parlais tout à lheure de bilan de situation de truc comme ça
M : ben justement on fait le point avec eux où ils en sont / où est-ce quon va ou en tous cas où est-ce quon tend /à aller / euh [eu] / quest-ce nous on peut leur offrir quest-ce que nous on attend deux / euh comment ça va se jouer au quotidien / les règles de la maison daccueil donc euh une sorte de microsociété dans la société donc euh réapprendre à vivre euh [eu] dans les normes sociales dans un petit endroit pour ensuite le faire ailleurs / euh [eu] ça quoi
Cet exemple avec Marina est caractéristique. Le chercheur relance à plusieurs reprises la question des traits spécifiques aux enfants placés en foyer de lenfance en forçant la prise de position personnelle : « dans ton quotidien » « concrètement » « au quotidien » sont autant dinvitations pour que léducatrice personnalise son propos. Au contraire, elle répond par :
lusage systématique du « on » ou du « nous »
lutilisation du présent perfectif qui contribue à une généralisation du propos
labsence de faits personnels
lusage des pronoms « ils » pour désigner non des enfants précis précédemment cités dans le discours (ANAPHORE) mais des icônes presque, des êtres indifférenciés qui se retrouvent autour dun ensemble de difficultés psychoaffectives.
le recours à des formules généralisantes comme « lacceptation de travailler sur sa situation de faire évoluer les choses quoi / de vivre pour soi / de retrouver la place qui est due euh à son âge / enfin ce genre de choses » où lenfant nest plus pluriel mais un être unique, global et impersonnel, où prime limprécision du propos.
Les éducateurs spécialisés cultivent donc une sorte dambiguïté discursive où à la fois, nous lavons évoqué plus haut, ils valorisent lexpérience, le pragmatisme, où ils refusent la généralisation, la modélisation des comportements autour dune seule norme, et en même temps où ils taisent leur expérience personnelle au profit dune parole unique, générale, et impersonnelle.
Toutefois, laffirmation de la position personnelle est plus évidente quand ils sont invités à décrire leurs outils professionnels et leurs savoir-faire propres. Tous les informateurs ont exprimé un véritable embarras voire un agacement à la question des rôles et fonctions de léducateur ou de ce que recouvre leur spécialisation. Pour certains, le retour au « on » généralisant refait surface. Cest le cas de Thierry par exemple :
Moi : daccord / euh est-ce que tu as des techniques ou des savoir-faire des trucs qui / qui caractérisent ta pratique ?
T : personnels ?
Moi : ouais
T : (souffle) / ah
Moi : en gros comment tu fais quoi ?
T : oui / je je [e] / comment je fais moi ? différemment des autres si on veut quoi ?
Moi : je sais pas
T : ben je sais pas / euh [eu]
Moi : peut-être comme les autres ?
T : je pense que je fais / on a un fonctionnement enfin / ouais / en même temps ya deux types de fonctionnement qui sont assez distincts / ya le fonctionnement dune semaine et ya le fonctionnement du week-end qui sont complètement différents / euh [eu] / le fonctionnement de semaine bon jai envie de dire cest assez rigoureux il est important de fournir des repères et déviter tout risque de conflits de dérive / bon là jai envie de dire on fait un peu tous pareil / euh [eu] avec ben euh des règles quont un petit peu fixées par la [a] par le le léquipe éducative / euh le week-end on a plus de latitudes pour euh faire en fonction de [e] en fonction du groupe ou en fonction du temps tout simplement / sil fait beau ben on se balader à lextérieur si il fait pas beau ben on fait des choses dedans / euh [eu] / pour ce qui est de ma pratique à moi ben cest plus ben justement les aider à aller euh le samedi le dimanche voir les copains la famille euh des choses comme ça / euh [eu] / et den obtenir un retour euh / une exigence euh [eu] bien marquée au niveau des heures / si on dit 7 heures cest pas 7 heures un quart voilà / euh [eu] et puis euh [eu] je dirais un [un] un a priori de confiance quest souvent déçu mais euh quest posé comme principe de départ quoi / hein ? voilà quoi
Moi : et tes outils ? je sais pas ça peut être lentretien ou je je sais pas la gestion de groupe
T : euh [eu] / la gestion de groupe cest souvent lanimation collective donc jeux euh [eu] jeux repas euh ménage VTT donc des choses comme ça / euh [eu] lentretien individuel euh [eu] / euh [eu] souvent dans la chambre du jeune dans son espace à lui euh [eu] / quand enfin jai envie de dire pour euh [eu] la discussion un petit peu à bâtons rompus comme on des discussions avec ses enfants chez soi / euh [eu] et par contre la convocation dans le bureau quand ya un [un] /un recadrage où là pour imposer un lieu différent et puis si nécessaire un recadrage avec chef de service directeur euh enfin le cadre hiérarchique présent quoi
La difficulté à mettre en mots ses outils professionnels apparaît là de manière évidente. Si linformateur tente au départ de répondre à la question de « en gros tu fais comment toi ? », il répond par ce que font « les autres ». « Les autres » cest-à-dire les collègues éducateurs de léquipe sont mis en mot par le « on » voire lusage de phrases impersonnelles où les pronoms anaphoriques sont mis de côté comme dans la phrase au profit des pronoms impersonnels (« ya le fonctionnement du week-end », « cest assez rigoureux », « cest important de »). Ceci dit, « les unités déictiques ont [
] pour vocation, tout en appartenant à la langue, de la convertir en parole. Benveniste le répète inlassablement : le « je » du code appartient à tout le monde ; mais parler cest se lapproprier, ainsi que les formes du présent, cest organiser son discours sur le monde, donc le monde lui-même, autour de trois repères du je/ici/maintenant : toute parole est égocentrique. Permettant au « locuteur » de se constituer en sujet (identique à lui-même dun acte de parole à lautre, puisque toujours désignable par le même signifiant « je »), et de structurer lenvironnement spatio-temporel, les déictiques sont à considérer comme des unités de langue et de discours au même titre que toute autre unité linguistique, mais bien plus, comme ce qui rend possible lactivité discursive elle-même. » Parce quils disent « je » les éducateurs se constituent en sujets uniques discourant, qui parfois font appel au « on » collectif, qui est la marque dun besoin professionnel de se référer à leur communauté professionnelle ou leur institution dexercice pour donner sens à leur identité spécifique et donc partagée.
La subjectivité ne sexprime pas uniquement par lusage des déictiques. C. KERBRAT-ORECCHIONI étudie notamment « les subjectivèmes affectifs et évaluatifs » cest-à-dire pour faire vite tous les termes à connotation subjective qui impriment aux textes la marque personnelle de celui qui les énonce (indice dénonciation).
Les subjectivèmes affectifs et évaluatifs :
DEFINITION
Le terme « subjectivème » est un néologisme construit sur limbrication sémantique des mots « subjectif » et « sème ». La linguiste écrit : « lorsquun sujet dénonciation se trouve confronté au problème de la verbalisation dun objet référentiel, réel ou imaginaire, et que pour ce faire il doit sélectionner certaines unités dans le stock lexical et syntaxique que lui propose le code, il a le choix entre deux types dinformations :
Le discours « objectif », qui sefforce de gommer toute trace de lexistence dun énonciateur individuel ;
Le discours « subjectif », dans lequel lénonciateur savoue explicitement (« je trouve ça moche ») ou se pose implicitement (« cest moche ») comme la source évaluative de lassertion. »
En fait, on pourrait attendre dun discours qui parle de la profession un ton sérieux, objectif, cest-à-dire dénué de commentaires personnels appréciatifs, un discours descriptif qui ne saccorde pas la critique ni laffectivité. Cela est parfaitement impossible car que lon veuille ou pas, avant dêtre éducateur spécialisé, le locuteur est un être humain doué de raison certes mais aussi daffectivité et démotion. Cest pourquoi, C. KERBRAT-ORECCHIONI noppose pas naïvement le discours objectif du discours subjectif, elle parle de graduation axiologique qui prend en considération la relativité des concepts dobjectivité et de subjectivité, ainsi que leurs aspects culturels. Il ny pas donc pas des indices fiables et définitifs de subjectivité dans le discours, mais un positionnement du locuteur en tant que sujet à propos de ce quil dit plus ou moins apparent, plus ou moins expressif, plus ou moins important. Cest ce « plus ou moins » qui fonderait la subjectivité du discours sur un axe progressif. Les exemples qui vont suivre vont permettre un meilleur éclairage de ce que je viens de dire.
La récurrence des pronoms impersonnels dans les discours des éducateurs est prouvée par JP LHÔTE dans son article «les pronoms dans entretien en psychologie sociale ». En effet, ce chercheur a travaillé sur le corpus de J. RIFFAULT qui a enquêté auprès dun nombre important de travailleurs sociaux pour analyser la façon dont les éducateurs conçoivent les écrits professionnels. LHÔTE écrit : « Un premier groupe se dégage relativement homogène, et occupe la partie droite de laxe 1. Ce groupe, caractérisé par lemploi du pronom on est majoritairement composé déducateurs spécialisés. » Il poursuit : « A condition dutiliser quelques précautions, il nest pas absolument hasardeux de supposer que laxe 1 oppose les statuts en circonscrivant clairement le discours des éducateurs spécialisés impersonnalisé dans le on face au discours, plus dispersé, des autres intervenants institutionnels : psychologues et assistants de service social et personnel administratif, disposant de repères plus personnalisés. »
LES SUBSTANTIFS
Je vais mappuyer sur lentretien que jai mené avec Claude et Thierry.
Lorsque linformatrice parle « denfant placé » : le terme énonce une propriété objective, facilement vérifiable, du dénoté. Il sagit dun enfant qui a été confié à une structure daide sociale de type internat. Or, Claude commente immédiatement par le terme « denfant déplacé » : cette fois, le terme subit de la part de léducatrice un commentaire sous-jacent, un jugement évaluatif quelle décrit ainsi : « le placement la place des gens la place des personnes ma toujours posé un problème tant au niveau des étrangers quarrivent dans un pays que de lenfant placé qui pour moi est un enfant déplacé en fait / sans doute jai pas trouvé ma place chez moi (rires) » : lobjet dénoté ne concerne plus le seul statut de lenfant confié à un internat, mais celui dun être qui a été « déplacé » de lendroit où selon elle il devait rester. Elle est passé dun technolecte juridique auquel toute la communauté éducative spécialisée est susceptible de se référer, à un registre de parole plus personnel qui joue sur les signifiés et les signifiants (« placé » - « déplacé »).
Thierry, lui parle aussi denfants. Il utilise le terme « jeunes » dont la signification recouvre autant les enfants en bas âge que les jeunes majeurs. Il sautorise à certains moments de parler de « gamin » qui certes réfère au jeune âge du public, mais aussi rend compte dune coloration hypocoristique et affective.
Toujours est-il que les informateurs privilégient généralement dans leurs discours des substantifs à connotation scientifique, dont le référent ne réfère pas forcément à un objet consensuel à la communauté éducative spécialisée mais dans tous les cas ne cherche pas à connoter un objet péjoratif ou mélioratif. Le discours professionnel doit faire preuve de réserve quant à la subjectivité du locuteur, les informateurs fuient donc à ce titre les « axiologiques [qui] font figure de détonateurs illocutoires a effets immédiats et parfois violents » comme le serait une insulte. On a vu ainsi disparaître du langage éducatif spécialisé un terme comme « débile » pour ceux de « déficient intellectuel » ou « enfant autiste ou psychotique », terme dont la validité scientifique était de rigueur dans les années 70 et qui aujourdhui réfère au domaine de linsulte ou du mépris.
La caractérisation des publics revêt ainsi plusieurs niveaux dappréciation. Si par exemple, le Guide NERET en 1953 pouvait parler de « filles délinquantes, prédélinquantes, vagabondes, en danger moral » ou de « cas sociaux et arriérés scolaires », les informateurs préfèrent les termes « inadaptés sociaux » ou « jeunes en difficultés sociales », « des jeunes qui ont tous des capacités physiques et mentales de suivre une scolarité », « des jeunes avec des troubles euh [eu]des troubles du comportement », bref des expressions qui dénotent moins une plus grande réserve de la part du locuteur et une meilleure objectivité, au sens dun langage codifié, légitimé par les éducateurs et les universitaires spécialisés en sciences sociales, langage qui les met à labri dêtre accusés de mépris vis-à-vis des populations suivies.
Le terme « famille » est aussi employé à plusieurs reprises sans commentaires négatifs ou hyperboliques. Les éducateurs poursuivent le but « de renouer des liens avec leur famille » comme si ce lien était objectif, inaltérable, incontestable. Il serait impossible aujourdhui dentendre un éducateur décrire des « enfants orphelins et moralement abandonnés », ou encore des « enfants difficiles, indisciplinés, enclins au vagabondage » ou encore « denfants remis à leurs familles ou placés dans de bonnes familles chrétiennes », expressions pourtant dactualité en 1926 dans les rapports du Sauvetage de lEnfance : au contraire, Thierry dit que le travail de léducateur est « évidemment prioritaire sur le les [è] les relations avec la famille ».
Parler de manière professionnelle implique donc lusage de termes qui ne doivent pas prêter à confusion chez linterlocuteur ou dont la légitimité sappuie sur la référence à la science, la raison au sens philosophique du terme, qui taisent absolument lidéologie et la personnalité du professionnel. Il sagit dun discours procédural qui tente de faire oublier toute trace dénonciation dans le discours. Ainsi on peut observer les termes :
« recadrage » préféré aux termes de « dispute » ou « engueulade »
« entretien individuel » préféré au terme « discussion »
« animation collective » préféré à lexpression « jeux de groupe »
« lespace propre du jeune » préféré à « sa chambre » ou « sa piaule »
« substitut familial » préféré à « gardien denfants » ou « remplaçant parental » ou « parent dadoption »
« leader préféré à « meneur » ou « chef de bande »
« signalement » préféré à « dénonciation dactes de maltraitance »
« psychopathe » préféré à « fou »
etc
La technique de la reformulation, voire de leuphémisme, constitue le trait essentiel du discours professionnel où linformateur ne sexpose pas à la critique et cache le plus possible son appréciation personnelle des choses. Pourtant il arrive aux informateurs de lâcher ça et là quelques mots qui ne peuvent empêcher de faire émerger « la réaction émotionnelle du sujet ». Cest le cas de certains adjectifs ou verbes.
ADJECTIFS SUBJECTIFS
C. KERBRAT-ORECCHIONI range dans la catégorie des adjectifs subjectifs les « adjectifs affectifs » qui « énoncent en même temps quune propriété de lobjet quils déterminent, une réaction émotionnelle du sujet parlant en face de cet objet » et les « adjectifs évaluatifs » qui « impliquent une évaluation qualitative ou quantitative de lobjet dénoté par le substantif quils déterminent ».
Soit lexemple de Catherine :
Moi : quels types de jeunes cest ? est-ce quil y a des déficiences enfin je sais pas ?
C : ah oui daccord / donc cest [é] donc pour la plupart des jeunes euh qui sont placés par le juge des enfants / donc au titre de [e] larticle 375 donc par le juge des enfants ou alors par lASE euh de Laval / sinon on a quelques jeunes qui sont [on] accueillis au titre de lordonnance 45 euh [eu eu ] en alternative à lincarcération donc la plupart enfin je dirais les 90 % des jeunes avec qui on travaille sont des jeunes qui ont des problèmes euh familiaux / et [é] donc des problèmes de comportements carences éducatives carences affectives euh [eu] des problèmes de scolarité / et donc pour les di les 10 % restants sont des jeunes qui effectivement ont [on] des euh [eu eu] ont été remis dans le droit chemin par la justice on peut le dire comme ça / en tous cas qui ont euh eu affaire à la justice avant darriver chez nous
A la question « quels types de jeunes » qui invite évidemment à une qualification de linformatrice, elle répond par des descriptifs qui évitent absolument lévaluation normative ou affective :
- Ce sont des jeunes dits « placés » cest-à-dire « au titre de [e] larticle 375 donc par le juge des enfants ou alors par lASE euh de Laval » : la référence à la loi et au code civil permet une rationalisation du participe passé « placé » dont on pourrait attendre la connotation de rupture ou de déchirement familiaux. Le procédé est similaire pour les « quelques jeunes qui sont [on] accueillis au titre de lordonnance 45 euh [eu eu] en alternative à lincarcération », autrement dit les enfants délinquants.
- Les « problèmes familiaux » dont souffrent les jeunes gens placés son décrits de manière impersonnelle et scientifique. Catherine parle de «des problèmes de comportements carences éducatives carences affectives euh [eu] des problèmes de scolarité » plutôt que de sébattre dans un descriptif romanesque et complaisant des histoires familiales.
Toutefois, linformatrice laisse échapper « les 10 % restants sont des jeunes qui effectivement ont [on] des euh [eu eu] ont été remis dans le droit chemin par la justice on peut le dire comme ça » qui cette fois ne cache plus sa propre vision des choses. En effet, ladjectif « droit » accolé au terme « chemin » est relatif à lidée quelle se fait de la norme dévaluation, norme dont elle seul est capable den énoncer les limites. Elle est dailleurs consciente du trait purement normatif et subjectif de lexpression « droit chemin », la référence au langage judéo-chrétien étant évidente, puisquelle finit par ce que nomme C. KERBRAT-ORECCHIONI un processus de « subjectivité objectivité, permettant au locuteur de prendre position sans savouer ouvertement comme la source du jugement évaluatif » dans lexpression « on peut le dire comme ça ».
Marina, qui est une plus jeune professionnelle que Catherine, a plus de difficultés à mettre de côté sa propre subjectivité dans le discours :
Moi : dans ton quotidien ces gamins-là leurs caractéristiques euh ?
M : ben dêtre bien abîmés / pas fracasse bien abîmés et puis euh [ eu] / quest-ce que je voulais dire ?
Moi : en terme de difficultés cest quoi les difficultés de ces mômes ?
M : un seuil de frustration inexistant ou très faible
Moi : ouais ?
M : euh [eu] / difficultés de se retrouver dans un cadre avec des règles claires / difficultés à respecter ces règles / euh / donc difficultés à se tenir en [en] enfin à respecter le ces la norme sociale on va dire / euh [eu] / beaucoup ont des difficultés scolaires / euh [ eu] / euh difficultés par rapport à leur corps aussi savoir dire non / euh [eu] savoir respecter son corps / euh [eu] connaître les limites de son corps / tout ça quoi
Moi : et en concrètement au quotidien ça se manifeste comment ?
M : et ben euh [eu] / les difficultés scolaires ça peut être dans les troubles de comportement à lécole / violences / violences physiques violences verbales / euh [eu] difficultés du corps et ben euh [eu] / une jeune fille de douze qui sait pas dire non qui a des relations sexuelles avec nimporte qui [i] / ou euh qui connaît pas les limites de son corps alors qui va manger qui va manger et euh [eu] et qui jusquà sen faire vomir ou qui au contraire va refuser de salimenter ou qui va euh sautomutiler ou euh [eu] / enfin ce genre de choses
Adjectifs évaluatifsAdjectifs objectifsFracasseScolaireBien abîmésPhysiqueFaibleVerbalesSocialeSexuellesClairesInexistant
Dans cet extrait, il y a manifestement un équilibre entre les adjectifs dits évaluatifs et les autres dits objectifs. Néanmoins, lorsquon regarde les substantifs quils désignent, un certain nombre dexpressions versent dans lévaluation :
Expressions évaluativesExpressions objectivesFracassesRelations sexuellesBien abîmésØSeuil de frustration inexistantØSeuil de frustration très faibleØNormes socialesØDifficultés scolairesØViolences physiquesØViolences verbalesØ
Ici, tous les termes quasiment rentrent dans lévaluation subjective dont seule linformatrice est capable de déterminer et de définir ce sur quoi elle se fonde pour décliner ce que serait par exemple « un seuil de frustration inexistant » ou « une difficulté scolaire » ou des « violences physiques ». Et pourtant, à aucun moment elle ne prend le soin de décliner les valeurs et les normes à partir desquels elle construit son discours. Tout est fait dans un entretien à caractère professionnel pour faire croire à linterlocuteur quil sagit dun discours protocolaire, procédurier, dénué dune trop forte implication énonciative du locuteur, et pourtant, en regardant de près on ne peut que faire le constat dune implication du sujet dans ce quil dit tant au niveau de la mise en mots de lactivité professionnelle que de la description des objets particuliers qui composent lunivers professionnel.
La place du « nous » dans le discours : pour une identité collective :
La subjectivité transparaît dans les discours par le marquage énonciatif du locuteur. Plus le sujet est impliqué dans ce quil dit, plus sa position dénonciateur est forte, et plus le discours comporte des indices de subjectivité au sens de C. KERBRAT-ORECCHIONI.
Lanalyse que nous venons de faire a permis de montrer chez la plupart des informateurs une référence identitaire importante au « nous » collectif ou à léquipe à laquelle ils appartiennent. Cette référence va au-delà de la seule identification à linstitution ou à la communauté éducative spécialisée, elle se cristallise autour dun langage commun. Cest ce que je me propose de décrire.
Le sentiment dappartenance dans le discours :
Je vais faire un nouveau détour par les informations récoltées dans les protocoles de stage, qui relèvent plus de formes de discours prescriptives que de discours qui mettent en mots la pratique professionnelle telle quelle peut être perçue par ses acteurs.
La question de la référence au collectif est particulièrement importante dans les attendus de stage. Ce collectif se matérialise autour de trois aspects essentiels :
Le groupe comme lieu dexpérimentations éducatives (la loi, le cadre, la règle, laffection etc.)
Linstitution comme lieu dexercice de cette expérimentation
Léquipe comme lieu de garantie du bien fondé de cette expérimentation
LA REFERENCE AUX GROUPES
Plusieurs thématiques se dégagent pour mettre en valeur la nécessaire référence au groupe pour les éducateurs spécialisés :
Lintégration dans un projet de groupe : les références à la psychosociologie des groupes (Courants de Kurt LEWIN notamment) sont nombreuses ; on lit ainsi les notions de « leaderchip », de « dynamique de groupe », de « gestion de groupe » etc. Dans un Institut de Rééducation, un éducateur écrit : « Chaque éducateur du groupe est responsable de 4 ou 5 enfants du groupe. A ce titre, il est répondant de tout ce qui les concerne et coordonne lensemble du projet construit pour et avec lenfant et, dans ce cadre, rencontre avec sa famille daccueil ou sa famille dinternat et participe à la synthèse trimestrielle le concernant. Le groupe est le lieu de la nourriture du quotidien (matérielle et affective) et, est aussi un point dancrage dans la réalité, dans lespace et le temps. Cest autour de la satisfaction de ses besoins fondamentaux (se nourrir, se reposer, soigner son corps, jouer, avoir une idée satisfaisante de lui-même, être en projet, et avoir des perspectives, élargir son univers, avoir des relations satisfaisantes avec autrui, disposer dun système de valeurs) que lenfant va apprendre à réapprendre. » On lit ici que le groupe est certes un lieu dexpérimentation daspects qui pourtant relèveraient dun besoin individuel à savoir « la nourriture du quotidien (matérielle et affective) » ou encore « un point dancrage dans lespace et le temps » ainsi que « la satisfaction des besoins fondamentaux ». La référence à la pyramide de MASLOW est évidente à travers ces propos, seulement elle est appliquée à la question du groupe de rééducation. Léducateur va même jusquà assimiler les notions de « projet » avec celles de « groupe », qui certes ne sont pas incompatibles lune de lautre mais ne sont surtout pas exclusives lune de lautre. Cet autre exemple cherche à résumer en quelques lignes ce que serait le travail de groupe :
« Capacité à gérer un groupe en collectivité :
Repérer les interactions (attitudes, comportements
)
Repérer le rôle de chacun (leader
)
Retransmettre à léquipe des travailleur sociaux les observations faites
Evaluer lurgence dune demande ou dune situation
Demander de laide pour gérer des situations conflictuelles
Réguler les comportements, les attitudes. »
Le groupe de vie : Un « groupe » nest pas seulement défini comme un ensemble dindividus qui forment un collectif, il rend compte avant tout dune forme de prise en charge collective où règne une ambiance domestique particulière. Certains informateurs parlent de « groupe de vie » voire « dunité de vie ». Le petit collectif est privilégié dès lors quil « accueille les enfants pour les moments de vie quotidienne (lever, toilette, gestion du trousseau, adaptation de lhabillage, repas, soutien scolaire, jeux, loisirs, projets, perspectives). Il a ses locaux et son budget géré par ses propres encadrants pour la nourriture, lentretien et les loisirs à lintérieur ou lextérieur de létablissement. En lui offrant de nouvelles conditions de vie, linternat veut aider lenfant à sortir de ses comportements habituels et répétitifs, à accepter les règles de la vie sociale et à intégrer la loi. » Linternat doit inspirer la « sécurité », « la paix », le « (ré)confort », autant de thématiques largement abordées par les éducateurs. La référence au foyer comme havre de paix et de construction personnelle nest pas sans faire écho à toute une tradition du métier déducateur où lon continue de parler de « lieux de vie », de « maison denfants à caractère social », « de familles daccueil », où lon voit bien quil est recherché dans ces institutions charitables un lieu qui puisse rendre à lenfant ce quil na pas trouvé dans sa famille naturelle.
Le groupe comme lieu dexpérimentation de la norme : Sans doute que chacun des informateurs ont en tête certaines images historiques de léducation spécialisée comme les colonies au début du siècle, les dortoirs collectifs qui pouvaient regrouper jusquà 50 enfants. De ces différentes expériences, les informateurs entretiennent lidée que cest dans la confrontation, dans la proximité avec lautre que le respect des lois et des règles sapprennent. Ainsi, on peut glaner dans le corpus des expressions comme : « dans le secteur éducatif les buts visés sont : Apprentissages fondamentaux du quotidien (règles de vie en groupe, hygiène
) Stabilité du comportement visant la socialisation, lintégration (passage de lagir à la parole
) » : les grandes thématiques des apprentissages dans et par le collectif sont résumées ici autour de trois mythes fondamentaux, si je puis dire, à savoir lapprentissage des règles et de la norme, la socialisation et lintégration. Je ne peux mempêcher de faire référence à linfluence de la période pétainiste sur léducation spécialisée, où lon attendait de cette fameuse spécialisation éducative une capacité à trier les usagers (lon parlait de centres de triage), à proposer des lieux de vie extrêmement sévères qui puissent favoriser lapprentissage de la norme et un retour à la normalité par lendurance et la rigueur militaire. Un autre protocole de stage définit ainsi le rôle dune institution spécialisée : « offrir un environnement structurant : accueillir lexpression temporaire ou symptôme en lorientant vers un travail dexpérience ; permettre de faire lexpérience du rapport aux valeurs, aux règles, aux autres dans un cadre institutionnel qui situe les limites du possible et linterdit ; offrir un espace à une personne en devenir qui se construit : pas de recherche par léducateur de la soumission de lenfant, mais des propositions pour structurer les échanges, autoriser la découverte de sens, de se référer et de se construire ; offrir un cadre contenant et sécurisant.» Tout est réuni ici :
lobligation pour léducateur de promouvoir un lieu qui préserve la sécurité et la liberté des enfants
la recherche dun lieu qui soit prêt à être déstabilisé par la souffrance des enfants et lexpérimentation
la référence aux règles et au cadre institutionnel
Léducateur prend donc des risques pour faire du groupe un lieu dapprentissages et dexpérimentations, mais dans les limites de la loi et de la préservation de la sécurité des usagers. Il se situe donc dans un ensemble de paradoxes où tout à la fois il refuse laliénation de lindividu par le groupe, où il refuse le primat du sujet individualiste sur la société, où il refuse les méthodes directives dapprentissage et où il refuse de laisser lenfant évoluer seul sans cadre ni limites !! Cest dans cet ensemble de positionnements hétéroclites que les éducateurs saménagent une identité professionnelle faite de contrastes, dinjonctions paradoxales et de contradictions idéologiques. Je rappelle à cet effet la réflexion de S. CAILLEUX : « Léducateur ne sait plus qui il est, il parle de son malaise à être, à exister professionnellement, il ne sait plus sil doit collaborer ou exister. » Il y a certes un problème de reconnaissance chez les éducateurs qui expliquerait les difficultés identitaires de léducateur, mais il y a surtout une réelle difficulté à faire avec ses paradoxes, ses contradictions, et ses positionnements idéologiques. Il sagit à mon sens dune construction identitaire qui saménage par défaut dans un système où léducateur est à la fois le produit de son histoire (notamment judéo-chrétienne), de ses influences (valeurs humanistes), des représentations diverses qui le composent comme le bienfaiteur, le militant voire parfois le complice déviant des actes délinquants de ses bénéficiaires, et des mandats politiques et administratifs qui le commandent où il lui est certes demandé daider et de protéger des personnes exclues mais aussi dexercer une forme de contrôle social. F. MUEL-DREYFUS fait à ce sujet le constat que léducateur est « constamment marqué par la relation dialectique entre les innovations et la législation : la croisade menée par les fondateurs des patronages aboutit en fait à limportant code législatif en Juillet 1912 (Création des tribunaux pour enfants) et le détail de ces lois et ses règlements dapplication à développer de nouveaux ensembles institutionnels. » Ainsi léducateur na jamais cessé duvrer à une meilleure considération et une meilleure intégration de lenfance inadaptée, et tout en les favorisant a provoqué une institutionnalisation et une judiciarisation de la prise en charge. JP GAILLARD écrit plus précisément : « de fait, le métier déducateur spécialisé est indissociablement lié à la notion dinstitution. De A à Z, lexercice de la fonction est cadré par un univers institutionnel qui le définit étroitement et le surveille activement. »
LA REFERENCE A LINSTITUTION
Pour faire suite aux propos de JP GAILLARD, il sagit de regarder plus finement la manière dont les informateurs encodent leur appartenance à linstitution, et surtout leur identification aux fonctionnements extra-individuels produits par le lieu de travail.
Être éducateur cest adhérer au projet institutionnel : Le projet institutionnel est représenté dans les protocoles de stage comme avant tout linscription de laction éducative dans le cadre juridique et légal pour lequel linstitution est mandatée. Ainsi, le protocole de stage de Bénédicte met en objectifs premiers, avant même ceux proprement orientés vers la population, ceux qui concernent linstitution. Ils sont écrits ainsi :
Être capable de repérer le cadre administratif et légal du CDAS :
Connaît les missions et les modes dintervention des intervenants du CDAS
Nomme les missions et dispositifs de lASE
Nomme les textes de lois de référence de lASE
Elabore un organigramme du CDAS
Plusieurs remarques simposent :
La première concerne lusage des siglaisons. Se reconnaître faisant partie de linstitution à part entière cest partager la compréhension des sigles sans quil soit utile de les dérouler ou de les commenter à son collègue. Jai récolté de manière non exhaustive un grand nombre de sigles utilisés dans le domaine de léducation spécialisée :
Siglaisons utilisées par types dinstitutionsInstitutionsSiglaisons relativesPartenairesDivers au fonctionnement institutionnel Aide sociale à len-CDASCDES fanceCADCCPE CT CAE PMI AS AEMN AEMO ATD ES CESF Maisons denfants àMECSASE ETP caractère socialCDEJE FAEUFCV CJMCREAI CAEHLM PJJ CT PAE SEA ARAS AP OPP
Instituts médico-IMECAT éducatifCDESSACAT CPEA CLIS IMP SESSAD SIFPRO SIFPEP SEES Prévention spécialiséePS Centre dAide CATATI au TravailSACAT SAVS ALAPH ADAPEI AAH LO de 75 COTOREP DiversDDASSCHSCV DASSDURAPEDA ADFELHI RH EPSR PROMOTHE Institut de réédu-IRCIO cationIRPCIJB BACFA EDEFSMECS IRTS CAT Centre dHéber-CHRSDDASSBAFA gement et de ré-RMIIMEBASD adaptation ASI socialeHU HT ME AFTAM SCOHDA 35 CADA AI Action éducativeAEMOCDAS en Milieu OuvertAEMNJAF APASE TPSE CAD
Le tableau est loin de rendre compte de tous les sigles utilisés dans léducation spécialisée. Il est issu des propos tenus par les informateurs ou des protocoles de stage. Si la plupart sont bien connus des travailleurs sociaux, certains sont très spécifiques à une population particulière, et moi-même étant éducateur spécialisé je suis incapable de les déchiffrer : ADELHI, PROMOTHE, DURAPEDA, EPSR, HU, HT, etc.
Il est remarquable de constater quautant les informateurs que les concepteurs des protocoles de stage omettent de décliner le sens du sigle, faisant lhypothèse que le stagiaire ou le chercheur en interaction avec eux sont en capacité de le faire. Linterreconnaissance des éducateurs spécialisés sopère ainsi grâce à la capacité de décodage dun certain nombre de sigles propres au domaine social. Il sagit de remarquer que ces siglaisons ne référent pas à lactivité professionnelle ou au geste professionnel en lui-même à part de rares exceptions (Exemple : PEA Projet dAction Educative) mais beaucoup plus aux institutions. On nest pas dans le phénomène repérable dans le feuilleton Urgences où les équipes soignantes communiquent sans cesse par une série de sigles qui renvoient à des actes médicaux, et ce de manière quasi caricaturale. Les éducateurs ne font que répéter dans leurs discours un encodage spécifique préétabli par eux-mêmes ou leurs employeurs lorsque les sigles réfèrent à leur propre institution, ou par les autres lorsquils référent à des partenaires de travail. Toutefois, cette floraison de sigles montre combien léducateur spécialisé travaille dans un réseau social et institutionnel développé dont il doit sapproprier le codage par siglaisons pour en faire sien son langage. Ces emprunts ressemblent au phénomène décrit par Y. CLOT et D. FAÏTA selon lesquels « le dialogue associe toujours une troisième voix, celle des autres contenue par les mots que nous utilisons. Cette voix est en nous-même, donc la nôtre car cest bien par nos actes singuliers dénonciation quelle se manifeste, et celle de lautre puisque nous reprenons en partie les manifestations extérieures dune altérité diffuse ou identifiée. »
La seconde remarque concerne, pour les professionnels, une identification sans réserve à linstitution. Cela est très manifeste dans la manière dont les éducateurs peuvent parler de leurs partenaires de travail ou des institutions « concurrentes » qui ont la même mission. En effet, à plusieurs reprises, jai entendu régulièrement des échanges en réunion déquipe où les éducateurs dressent un tableau sans concession et souvent très critique à légard des autres institutions. Cela marque une adhésion au moins de façade au projet institutionnel, sans quil soit possible de le remettre en cause officiellement. Ceci dit, alors que les éducateurs critiquent les collègues dune institution B, en même temps ils subissent les critiques de cette même institution.
Ce phénomène semble manifester chez les éducateurs un sentiment dappartenance fort mais qui se limite à la seule institution, et qui ne concerne pas la communauté éducative dans son ensemble. Dailleurs, à ce jour, il nexiste en France aucun groupement déducateurs fort, structuré, comme cest le cas pour les assistantes sociales par exemple. Des groupements ont réussi à émerger, mais ils sorganisent le plus souvent autour dune population en particulier ou dun type de prise en charge comme cest le cas par exemple de lassociation AIR qui regroupe tous les Instituts de Rééducation.
La référence à linstitution se manifeste dans les discours prescriptifs des éducateurs autour de plusieurs axes :
La référence au cadre légal dintervention
La référence et le recours à la hiérarchie
La référence aux valeurs que défendent les projets institutionnels quand il y en a.
La référence à léquipe qui constitue le point essentiel de légitimation de léducateur spécialisé.
LA REFERENCE A LEQUIPE
Léquipe est présente de manière extrêmement importante dans le discours des éducateurs.
Dans le corpus à disposition dans le second volume, le terme est cité environ 200 fois ! La référence à léquipe est tellement forte quelle met du doute chez certains quant à lélaboration dune identité professionnelle propre à léducateur. JR LOUBAT écrit par exemple : « pris dans un réflexe corporatiste fluctuant, celui de lappartenance à une catégorie professionnelle faux-fuyante, et le microcosme de léquipe, léducateur a toujours eu du mal à exister en tant que tel dans linstitution. » Le recours à léquipe est si fort quon pourrait presque penser quil sert de corollaire à laffirmation difficile dun métier jugé par certains en péril (GENDREAU) ou en faillite identitaire (LEMAY). Autrement dit, à force de se réclamer comme appartenant à une équipe, léducateur peut oublier de se positionner en propre et ainsi se cacher derrière la voix collective de léquipe.
Néanmoins il nous appartient de regarder plus finement comment la notion déquipe se décline dans les discours des éducateurs.
Léquipe est souvent décrite comme un lieu démocratique où la cohésion, la complémentarité sont recherchées. Les protocoles de stage font la démonstration dattendus professionnels où léquipe est décrite de manière quasi idyllique. On lit par exemples :
Travail en équipe :
Léchange comme préalable à la compréhension de la situation, de problématiques.
Prise en compte des différents membres dans leur rôle, leur fonction et les incidences dans leur évaluation.
Limportance de la différence des points de vue, de la cohérence des décisions et de leur mise en application.
Ou encore :
Ces objectifs prioritaires demandent de la part de léquipe éducative un certain nombre de capacités :
bien identifier les valeurs qui fondent notre action éducative
représenter pour les jeunes une image sécurisante, autorité basée sur la cohérence plutôt que sur larbitraire et linjonction éducative
capacité à travailler en équipe
capacité à interroger sa pratique et mieux maîtriser les enjeux émotionnels qui animent toute relation à lautre
Ou encore :
Léquipe éducative joue un rôle de régulation et de réajustement. La dimension restreinte de léquipe facilite ce travail. Le stagiaire doit cependant conserver une certaine réserve dans les actions quil met en place. Compte tenu de la durée du stage, il est souhaitable quil ne mette pas en uvre des expérimentations quil ne pourra mener à leur terme (suivi des familles, relations avec les employeurs, lécole
). Il peut cependant, suivant les situations, accompagner et observer.
Léquipe est perçue comme un lieu qui doit absolument donner limpression dune cohérence, dune sécurité, dune complémentarité : les tensions ne doivent pas transparaître, la différence de points de vue et dappréciation coexiste de manière sereine, léquipe devient garante du bon fonctionnement de léducateur à titre individuel. Léquipe doit constituer la vitrine dun professionnalisme de qualité pour léducateur spécialisé. Léquipe permet le contrôle et la régulation de comportements éventuellement déviants, et en même temps elle permet dans les discours des éducateurs une créativité et un épanouissement du professionnel. Nulle part dans les protocoles de stage, il nest fait état dun éventuel assujettissement du professionnel à léquipe, de la force de la pression de conformité possible en équipe et des conflits inhérents à tout rassemblement de personnes dans un lieu de travail.
Au contraire, le travail en équipe ne peut prêter à léquivoque, il est nécessairement cadrant, stimulant et protecteur pour le professionnel dans la mesure où celui-ci fait preuve dune volonté à participer au collectif et donc à sy soumettre :
Inscription dans le fonctionnement de léquipe :
contribuer au bon fonctionnement de léquipe (apporter des observations, participer à la réflexion, faire part de ses hypothèses, prise de parole, affirmation de sa propre position
)
être en mesure de prendre en considération la parole de chacun des membres de léquipe
sinscrire dans un processus de participation et de prise de décision sur de bases démocratiques
capacité à établir des rapports, sous le contrôle en concertation avec les autres membres de léquipe, avec un certain nombre de partenaires
être en mesure de repérer et de donner du sens au rôle joué par léducateur, au sein de léquipe mais aussi dans le cadre institutionnel.
A partir du moment où le professionnel annonce que le travail en équipe se fait « sur des bases démocratiques », il lui est impossible de mettre en garde le stagiaire contre le pouvoir éventuellement totalitaire et subversif de tout travail déquipe.
Les témoignages oraux des éducateurs sont généralement tout aussi élogieux et emphatiques à légard du travail en équipe. Léquipe apparaît comme :
un lieu qui fixe les règles du jeu institutionnel :
bon là jai envie de dire on fait un peu tous pareil / euh [eu] avec ben euh des règles quont un petit peu fixées par la [a] par le le léquipe éducative (Thierry)
un lieu qui permet la multiplicité des interventions :
une fonction de substitut euh paternel euh enfin substitut familial parce que ben avec léquipe quon est on arrive à jouer un peu euh les papas les mamans les grands frères les grandes surs et euh [eu] / en jouant sur l équipe cest important (Thierry)
on a des [é] des repères et un cadre de référence par rapport à tout ce qui relève du travail en équipe travail en pluridisciplinarité qui me sert / ça peut pas être exhaustif (Dominique)
parce que on travaille nous on est quand même très attentif notre équipe à travailler en complémentarité et à diversifier justement les supports et les [é] les points les points dappui proposés aux enfants (Nadine)
un lieu de cohésion et dorganisation professionnelle :
un référent adulte qui le plus souvent est léducateur spécialisé de formation mais pas forcément / ce référent va mettre en place cest avec léquipe hein ? pas tout seul (Marina)
un lieu de contrôle qui transcende lindividu et qui permet de réguler ses affects :
je ne suis pas un Maître je ne sais pas je fais appel à lautre / et lautre et ensemble on va travailler / on est une équipe donc euh sinon moi je je crains que léducateur sil reste tout seul dans son coin / moi avec moi ça marche bien avec mon collègue on ne sait pas peut-être pas euh il faut faire attention à ça / parce que pour revenir encore aux affects chaque éducateur a son style propre / il faut reconnaître ça / moi il y a des enfants avec qui jaime bien travailler dautres moins mon collègue voilà / parce quon est tous différents / et cest ça la richesse dune équipe (Maryvonne)
un lieu délaboration de projets, de créativité et de soutien :
en plus tas une équipe parce que tas besoin des retours de léquipe des savoirs de chacun ça nous enrichit tous les jours (Catherine)
moi je crois beaucoup en léquipe / et euh moi je pense que nous tout seul évidemment on a un certain âge un sexe une histoire un parcours / donc a des ficelles euh qui se tendent un peu chaque fois quon a une situation / mais quand on a une équipe / dabord quand on est en co-intervention ben [en] parce que nous on pratique beaucoup ça / on a encore plus de ficelles / et quand on travaille en équipe si on sait euh [eu] si on sait travailler en équipe si on connaît euh un peu les richesses des autres euh [eu] les capacités les compétences des autres / ben on a encore plus de [e] ça fait une palette euh importante (Brigitte)
un lieu de plaisir et déchanges :
et un autre point cest quon est relativement libre dans nos actions et [é] euh lintérêt que je trouve à travailler aussi en équipe / moi je cest quelque chose auquel je [e] jadhère euh je crois que jaurais du mal à faire autrement (Alban)
un lieu de construction dun langage commun :
ben je sais pas euh [eu] autour du mot euh autour du mot dysfonctionnements [en] euh des [é] carences euh etcetera / mais on on a une commission ici qui travaille sur les écrits on est associé par le biais des personnes quon délègue / et on a une équipe qua de toutes façons qua toujours travaillé sur ses écrits notamment avec la tentative de /les familles de toutes façons nous obligent à ça hein ? de travailler les rapports de toujours citer des exemples citer les personnes citer leurs dire leurs mots / ce qui nous oblige à illustrer illustrer illustrer / donc nos mots-parasites enfin nos mots on les utilise quand même mais on essaye quand même de (Brigitte)
Dans les témoignages de informateurs, seule Catherine émet lidée que léquipe peut devenir un lieu de conflits interpersonnels où les jeux de pouvoir, de valorisation et de légitimation institutionnelles peuvent avoir raison du tableau idyllique que les éducateurs en ont fait :
moi ce qui me [e] ce qui me gène beaucoup dans ce métier cest [é] cest souvent lambiance de enfin les difficultés de léquipe / ouais ce que je parce que je quand même on est tous là enfin a priori on est tous là dans [an] dans le même but daid-enfin daider des publics daider des jeunes de se battre avec eux pour obtenir quelque chose et euh souvent on dépense énormément dénergie dans des [é] histoires entre nous / pour ainsi dire tout ce quon sait faire avec un jeune à la limite on est incapable de le faire avec son collègue et [é] ça ouais ça ruine un peu
Léducatrice souligne là la contradiction qui peut avoir entre les valeurs du travail éducatif spécialisé, lénergie qui est offerte aux jeunes pris en charge, la tolérance à légard des difficultés des usagers, et le travail déquipe où la compétition et les conflits peuvent exister.
Léquipe se manifeste de manière significative dans le travail de réunion.
Les réunions empruntent diverses formes dans le discours des éducateurs. Ils peuvent parler de « réunion de synthèse » dont lobjet est de faire le tour dune situation éducative à partir des observations des différents professionnels, la « réunion déquipe » plus traditionnelle dont lobjet est léchange dinformations et lorganisation du travail, « les réunions familles » dont lobjet est déchanger sur la pratique des éducateurs avec les familles, « les réunions institutionnelles », les « réunions de jeunes » dont lobjet est de permettre les échanges au sein du groupe pris en charge. Ces dernières réunions sinscrivent notamment dans lobligation qui a été faite par la loi 2002-2 sur les institutions médico-sociales dassocier les usagers à lorganisation institutionnelle.
Le travail en réunion implique dans les discours des éducateurs des compétences en matière communicationnelle. Les protocoles de stage déclinent ainsi des savoir-faire nombreux qui ont trait à léchange et à la prise de paroles pendant les temps de rencontre. Ces savoir-faire ont de remarquables quils font état de compétences spécifiques à acquérir, quand bien des professions ou des entreprises utilisent les réunions et pensent les capacités de participation et de prise de parole comme non spécifiques, et comme allant de soi. Par exemple, les capacités suivantes Aptitude à travailler avec les membres dune équipe : Capacité à questionner, à échanger avec les membres de léquipe, de manière formelle ou informelle renvoient plus à des capacités générales de communication que de savoir-faire spécifiques, spécialisés, nécessitant une formalisation en aptitudes. Pourtant les protocoles de stage sont remplis de capacités communicatives qui éclairent selon les professionnels le travail en équipe. On lit par exemple :
Capacité à travailler en équipe :
Savoir défendre mon point de vue
Observer et restituer
Savoir parler au nom de léquipe
Inscription dans le fonctionnement de léquipe :
contribuer au bon fonctionnement de léquipe (apporter des observations, participer à la réflexion, faire part de ses hypothèses, prise de parole, affirmation de sa propre position
)
être en mesure de prendre en considération la parole de chacun des membres de léquipe
sinscrire dans un processus de participation et de prise de décision sur de bases démocratiques
Participation à toutes les réunions de linstitution de façon à évaluer ses capacités à :
prendre la parole
connaître chaque membre de léquipe éducative dans sa fonction
coordonner ses propres actions ou interventions
réajuster son implication dans le suivi dun projet denfant
Être capable de découvrir le travail pluridisciplinaire de linstitution :
Capacité à :
sadresser aux bons interlocuteurs
communiquer
être présent à toutes les réunions de linstitution
sexprimer lors des réunions de synthèse selon les enfants concernés
Nous pourrions multiplier les exemples. Toujours est-il que le travail en équipe est décliné uniquement sur le mode verbal et langagier. Rien, ou très de capacités, renvoient au travail de terrain en lui-même où le travail déquipe est mis à contribution dans la coordination des actions, les passages de relais dun membre de léquipe à lautre etc. Ce primat du verbal sur le faire nest pas sans faire référence aux travaux de M. LEMAY, figure de référence dans le secteur éducatif spécialisé,qui à plusieurs reprises dans ses travaux assimile le métier déducateur à un professionnel de la relation. Cela nest pas nouveau puisque déjà en 1978 GENDREAU écrivait de léducateur quil est un « homme de la relation interhumaine ».
Cela dit, la sur-référence à des capacités verbales et paraverbales dans le métier déducateur spécialisé nest pas sans provoquer de lindignation chez dautres travailleurs sociaux de formation différente, qui reprochent de manière un peu caricaturale aux éducateurs quils soient très doués en paroles mais peu efficaces dun point de vue pragmatique. Je pense à une collègue au CADA de RENNES, Chantale, qui, au vu des recrutements récents déducateurs dans la structure, sinquiétait dune dérive de linstitution vers une sorte de culture professionnelle qui privilégierait les discours à laction. Les mots ou expressions quelle peut employer à légard des éducateurs spécialisés sont sévères comme « les éducateurs psychologisent tout », « ils font que causer », « ils ont un avis sur tout », « ils se sentent supérieurs », « ce sont des intellos » etc. Ce type de réactions contribue à lémergence dune identité professionnelle spécifique par opposition à dautres métiers du social et nourrit ainsi des stéréotypes, des a priori qui, que les éducateurs spécialisés le veuillent ou pas, ont un effet certain sur leur construction identitaire.
Lémergence dun langage professionnel commun :
Pour DUBAR, le langage commun contribue à la construction dune profession. Il permet entre autre le passage de loccupation ou lactivité professionnelles à la professionnalisation. Ce processus sélabore en quatre temps :
La reconnaissance par luniversité de lactivité
Lintégration du champ professionnel à luniversité
La transformation des savoirs empiriques en savoirs scientifiques
La constitution dune formation spécialisée
Parce quil y a formation, il y a donc formalisation de discours repérés comme constitutifs de lactivité professionnelle et de lidentité professionnelle des éducateurs. DUBAR et TRIPIED parlent de la formation de « mondes sociaux » comme un ensemble de routines, dhabitudes, dévidences propres au groupe professionnel, un ensemble de codes culturels, un espace commun dactivités, et un potentiel de créativité. Ils définissent les « univers de discours » dans le champ professionnel comme « une manière de parler et de penser, propre à un petit groupe interactif, et un ensemble de faits palpables, des sites, des objets, des technologies. »
Il apparaît ainsi un lien manifeste entre les discours, lactivité et la technologie utilisée par le groupe professionnel. L. MESSAOUDI parle ainsi de technolecte. Elle le définit comme « un ensemble langagier liée à un domaine scientifique ou technique qui se caractérise par lemploi de termes spécifiques, quils soient normalisés ou non. Il sadresse aux seuls initiés et ne pourrait être décrypté par les locuteurs étrangers au domaine, pour lesquels le message serait totalement ou partiellement opaque.» Elle précise qua contrario de largot qui vise une volonté cryptique de la part du locuteur, le technolecte rend compte dun effort de « communication optimale, basée sur une transparence que nentache aucune ombre ; et si le langage y paraît hermétique, cest quil résulte paradoxalement du seul souci de clarté et de précision qui ne sont pas toujours garanties dans la langue commune. »
Toutefois, il importe avant toute chose de regarder dans le corpus si les informateurs partagent le sentiment dun langage commun qui viendrait confirmer ou pas le sentiment dappartenance à un groupe professionnel commun :
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La majorité des informateurs interrogés reconnaissent et ce de manière catégorique quil existerait un langage propre aux éducateurs spécialisés. Lune des réponses qui nie lexistence dun tel langage est elle-même ambiguë :
euh [eu] / non enfin / je pense quil y en a un au départ quand on arrive mais en fait au fur et à mesure des interventions donc des co-rédactions euh les des lectures parce que quand on reprend un dossier etcetera / on finit par avoir un pot commun de [e] euh de langage que ce soit oral ou écrit
Linformatrice ne nie pas lexistence dun langage spécifique à lintervention sociale, elle dit simplement que ce langage nest pas spécifique aux éducateurs spécialisés. Sa position nest guère étonnante puisquelle intervient en AEMO qui mêle sur des postes similaires autant des assistantes sociales que des éducateurs spécialisés.
Toutefois, la conscience métalinguistique des informateurs à propos dun langage qui leur serait commun saccompagne quasiment à chaque entretien dironie ou de mépris. Alors que chez les médecins ou les juristes par exemple le langage spécifique est source de distinction, de reconnaissance et de valorisation, chez les éducateurs interrogés le langage est vécu de manière négative et dévalorisante pour la profession. Ainsi, jai observé quelques réactions négatives :
ouais on a des gros mots / ouais / ben un / pfff/ ouais / faire que la être acteur de son projet euh enfin je sais pas yen a des tas hein / on sen rend même pas compte parce quon est imprégné en fait de ce langage là / mais oui ya des formules toute faites qui nont pas vraiment de sens / cest difficile de les citer comme ça : ça me revient pas comme ça mais (Valérie)
cest du verbiage / ben ouais jcrois queuh enfin après cest vrai queuh je sais pas tu vas chez les informaticiens ils ont aussi un langage euh mais bon qui renvoie peut-être plus à de la technique ouais (Valérie)
ben « crise » enfin bon je prends comme mot « crise » mais je peux dire euh par exemple je sais pas un terme euh « il est en souffrance » / euh il euh / je sais pas des fois yen a même qui disent : tiens celui-là il est psychotique ou il est névrosé alors quon en sait strictement rien on est pas psy (Marina)
cest piqué un peu à la socio un peu à la psycho / ouais cest pas / mais cest pas enfin cest juste une profession quest encore jeune malgré tout et euh [eu] / euh [eu] le langage propre commence à venir quoi / quand on parle dactions collectives là on rentre vraiment dans un langage déducs quoi / cest plus euh [eu] / cest plus du langage emprunté quoi / hein ? (Thierry)
cest quand je suis surtout cest là cest à ce moment-là que je me rends compte / cest exactement jai le même jargon / mais quand je suis dans un établissement avec euh des familles et que jentends léducateur qui parle aux parents / le discours je me dis : oh la la ils vont rien comprendre quoi / mais à la fois euh je me dis : jai le même discours par ailleurs mais là bon (Claude)
euh [eu] euh [eu] on a « faire avec » / par exemple hein ? tiens ya un mot aussi / alors que cest marrant parce que euh avec une [e] une collègue quest en formation on en a parlé lautre jour et elle la cherché dans le dictionnaire et en fit cest un mot quon utilise tous les jours et qui nexiste plus / qui nexiste pas plus mais il nexiste pas / je cherche je sais plus ce que cest (Catherine)
ouais ya un jargon / oh ben oui [i] ya un jargon ya un jargon forcément aussi dépend des institutions / ya deux types de jargons / ya le jargon le général où on se comprend tous et celui de linstitution ouais tous les termes de « références » « coréférence » euh [eu] « groupe horizontal » « vertical » euh « rendr » le « rendre-compte » euh [eu] (rires) « répondants » dans certaines institutions à la place du référent euh [eu eu ] / « travailler lagir » euh [eu] enfin je cherche des mots comme ça (Alban)
ouais ya des choses pas terribles / bon euh (rires) / ben je sais pas euh [eu] autour du mot euh autour du mot dysfonctionnements [en] euh des [é] carences euh etcetera / mais on on a une commission ici qui travaille sur les écrits on est associé par le biais des personnes quon délègue / et on a une équipe qua de toutes façons qua toujours travaillé sur ses écrits notamment avec la tentative de /les familles de toutes façons nous obligent à ça hein ? de travailler les rapports de toujours citer des exemples citer les personnes citer leurs dire leurs mots / ce qui nous oblige à illustrer illustrer illustrer / donc nos mots-parasites enfin nos mots on les utilise quand même mais on essaye quand même de (rires) (Brigitte)
euh [eu] je pense que / euh enfin ça fait 25 ans que je suis dans le métier / et euh je pense quon a eu notre euh dans notre métier une fascination euh ya une vingtaine dannées pour / / pour les intellectuels une grande fascination alors euh qui ? euh des sociologues qui ? euh des psychos etcetera / et euh on a eu un petit peu cette espèce de terrorisme intellectuel entre guillemets qui je dirais / que je pense qui venait je pense euh parasiter le discours éducatif le noyer dans une espèce de psychologisation à outrance euh une intellectualisation à outrance euh / et ce qui fait que [e] euh léducateur fonctionnait énormément avec des phrases énormément avec des mots en té en tion / (rires) / et sans quon sache forcément ce quil y avait dedans / alors bon je sais pas si cest le fait de [e] de lâge ou si cest le fait de lévolution de la population enfin de du métier je trouve quil y a moins de [e] entre guillemets de grands courants de de de discours euh plaqués / euh [eu] et peut-être je pense que léducateur revient avec plus de / cest une impression hein ? plus dhumilités plus à une notion dartisan / enfin [in] enfin euh sil y a bon voilà [a a] ya pas ya plus de discours clés en main en fait euh on se rend bien compte bon euh / on peut le prendre dans dautres domaines mais euh / quand on regarde comment on parle déducation de lenfant par exemple euh [eu] un enfant ça se retourne tous les deux ans / cette image est parlante / cest que [e] bon euh je veux dire il y a bon on a eu le grand courant institutionnel bon moi je men suis très bercé très nourri par euh par Jantis Harry Cooper par euh des courants de type institutionnels par Maud Mannoni par euh / euh euh [eu eu] ce que [e e] les expériences qui ont qui qui / enfin je crois nos métiers nous obligent à inventer ça cest clair / et peut-être de moins en moins sinspirer de on sinspire peut-être de moins en moins euh de grands intellectuels / parce que peut-être aussi depuis un moment ya plus grand-chose et ils fournissent plus grand-chose non plus / pour euh pour se concentrer peut-être plus sur le sur de la tâche quoi / parce que en fait chaque institution elle peu être porteuse de ce quon de ses propres projets quoi / cest toujours une pièce unique en fait une institution / alors euh je pense quil y aussi moins le mythe de linstitution idéale / donc euh et quand je dis artisan il y a aussi bricolage quoi / jai limpression quen CHRS avec le nombre de tâches à accomplir on est un peu les Mac Gyver du travail social / donc ce qui fait on est avec des bouts de ficelle des bouts de machins hein ? quon essaye de raccorder pour que ça tienne quoi (Dominique)
On peut observer dans ces exemples des qualificatifs sévères quant à la description que les informateurs font de leur langage éducatif. Certains parlent de « gros mots », de « choses pas terribles », « jargon » au sens péjoratif du terme ou de « mots parasite ». Dautres réagissent au cours de lentretient par le rire ou le mépris dans la voix. Dominique est beaucoup plus violent dans ses propos : il accuse ce langage de « parasitage », de « terrorisme intellectuel » ou de « psychologisation à outrance ».
Ce langage spécifique est vécu chez les informateurs comme constituant en propre leur identité socio-discursive, et il est en même temps nié. Les éducateurs lui reprochent notamment quil soit peu signifiant de leur pratique professionnelle, quil soit plus ampoulé quil ne réfère réellement à des objets professionnels concrets et quil soit peu représentatif de leur conception du métier. Ils vivent ce langage comme une raison de dévalorisation de leur profession par les personnes qui ne partagent pas le même métier. Des informateurs accusent même les éducateurs dinventer des mots, dexagérer le discours par des tournures emphatiques. Dautres font lhypothèse que ce langage ne permet pas léchange avec dautres professionnels ou les usagers, au contraire il produirait de lisolement chez les éducateurs spécialisés. Enfin des informateurs reprochent à ce langage de sêtre construit sur des discours demprunts (psychologie, sociologie) sans que léducateur ne soit parvenu à se les approprier réellement. MC HELARI explique entre autre ce phénomène par le fait que le métier déducateur soit constitué sur un « savoir marqué par son caractère composite qui associe largement des savoirs théoriques appartenant à des disciplines différentes (la psychologie, la sociologie, léconomie, le droit, la psycho-sociale, la psychopédagogie), mais aussi les savoirs pratiques mis en exercice dans des champs certes variés et des savoirs méthodologiques transversaux à de nombreuses activités professionnelle. » DARTIGUENAVE et GARNIER font un constat sévère de la langue des travailleurs sociaux : « Si les travailleurs sociaux usent bien dune langue spécifique qui se distingue, par exemple, de celle des informaticiens ou des médecins, elle ne saurait désigner, stricto sensu, une manière de parler chez les travailleurs sociaux. [
] On peut repérer des similarités dans lusage de termes qui nont de sens commun que de faire consensus, cest-à-dire de nêtre, précisément, pas interrogés au regard de la singularité de leur usage. » Bref, ils nous disent que le langage des travailleurs sociaux, et donc des éducateurs spécialisés, a plus une fonction de consensualité, de rassemblement en groupe professionnel, dinter-reconnaissance, quune fonction de référencialité, ce que confirment dailleurs les informateurs. Ils ne disent pas autant de choses précises et techniques, quils ne marquent de par les discours leur appartenance à un groupe professionnel commun et leur identification à une certaine culture professionnelle. Comme lexplique P. BLANCHET, « le fait demployer une certaine variété linguistique construit un lien identitaire pour un groupe, et toute variété linguistique est un indicateur de constitution dun groupe ou dun sous-groupe différent. Chaque groupe a sa langue. Chaque langue, cest-à-dire chaque variété linguistique, est la marque dune identité spécifique (jusquà lidiolecte cest-à-dire lidentité individuelle). » A propos du langage commun à un groupe de travail, DUBAR précise que « laccès à un langage technique constitue en effet lacquis essentiel de ces pratiques de formation permettant de comprendre les gens avec qui on travaille et de partager un ensemble de valeurs avec eux ».
Cependant, ce langage devient parfois un objet de honte et de culpabilité des éducateurs, plus quun objet de prestige ou de distinction sociale. Cette honte est très manifeste dans la réaction des informateurs : en effet, sils ont répondu de manière directe et non hésitante quil existait un langage propre aux éducateurs, ils ont été tous très évasifs et très dubitatifs lorsque je leur ai demandé de citer des exemples de mots constitutifs de ce langage. Sils ont eu du mal à répondre, ils nont en aucun cas fait référence à leur propre pratique discursive mais toujours à celle de leurs collègues ou déducateurs dans des institutions extérieures à la leur. Sils savent ce langage comme constitutif de leur identité professionnelle, ils ne lassument pas en propre et lattribuent à dautres éducateurs queux, sautorisant ainsi davoir à leur égard une position ironique et critique. On voit là les prémisses dune identité professionnelle qui se construit dans la négation et le mépris dune variété de langue pourtant constitutive de cette identité.
Jai demandé aux personnes interrogées si elles étaient en mesure didentifier les champs disciplinaires à partir desquels les éducateurs spécialisés ont construit leur langage. Il en ressort le schéma suivant :
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La référence à la psychologie comme constitutive du langage des éducateurs spécialisés est quasi unanime chez les informateurs.
Néanmoins cette référence est vécue de façon négative la plupart du temps :
« La psycho a énormément envahi léducation spécialisée »
« cest piqué un peu à la socio un peu à la psycho »
« beaucoup par la psycho / parce que euh [eu] cest vrai euh on a un peu de psycho un peu de socio un peu de tout et [é] quon maîtrise pas bien »
« je pense quil y en a aussi qui viennent de la socio et [é] sans doute qui viennent de pleins dautres milieux / parce que je crois quon a pas un [un] léducation spécialisée on a pas un domaine à nous »
« euh moi je dirais que ça serait un langage qui serait construit à la fois sur le psycho mais aussi sur le socio / ya un petit peu déconomique aussi dedans mais cest beaucoup psycho et socio à mon avis qui construisent le le langage de léducateur spécialisé / après ya des éducateurs qui sont plus psycho yen a dautres qu sont plus socio que psycho »
« ben moi jaurais tendance à dire par rapport à [a] ce travers que javais et que jai peut-être encore mais que jessaye de corriger aux collègues que je rencontre euh qui nous / collègues éduc hein que je côtoie / qui nous vient soit de la [a] psycho ou du droit / jai à vrai dire je connais pas trop déducs qui ont fait socio avant mais à mon avis le travers vient de la psycho psychanalyse »
Ce qui semble poser problème aux éducateurs nest pas tant le fait que les éducateurs aient emprunté leur langage au champ psychologique, que le fait quils ne le maîtrisent pas toujours et quils ne soient pas en mesure didentifier un champ théorique et technologique qui leur soit propre. De plus, au vu des discours des éducateurs, il apparaît le risque dune construction identitaire qui se fasse sur le modèle du dogme et qui, à partir où le professionnel aura choisi de se modéliser à partir dune discipline particulière, exclut la référence à dautres champs disciplinaires. Cest ce qui fait dire à Philippe quil y a « des éducateurs qui sont plus psycho yen a dautres qu sont plus socio que psycho » ou à Claude « cest vrai euh on a un peu de psycho un peu de socio un peu de tout et [é] quon maîtrise pas bien / donc cest cest pas facile de trouver sa sa pla- son positionnement ». Cette dernière nous dit que la référence à tel ou tel champ disciplinaire a certes un effet constructif sur lidentité professionnelle des éducateurs, mais en même temps léclatement disciplinaire empêche les éducateurs de se constituer en un champ professionnel distinct, spécialisé et stable.
Il appartient maintenant de regarder comment les éducateurs se sont construits en propre entre ces références collectives et ce qui relève de leur parcours de vie, ce que DUBAR nomme « la biographie professionnelle » à luvre dans toute construction dune identité de métier. Le récit de vie, ou plutôt le récit des motivations au choix du métier déducateur constitue un bon moyen de comprendre les enjeux de la construction identitaire de léducateur spécialisé entre lindividuel et le collectif.
Le récit des motivations comme lieu de synthèse entre lidentité personnelle et lidentité collective :
Le récit de vie : définition et enjeux théoriques
Le récit de vie tient une place importante dans lapproche ethnolinguistique : en effet, la perspective ethnologique est un « type de recherche empirique fondé sur lenquête de terrain qui sinspire de la tradition ethnographique, mais qui construit ses objets par rapport à des problématiques sociologiques. » Lethnologie rend compte dun habile compromis entre létude de macrocosmes sociaux (catégories de situation, trajectoires sociales) et dun principe de différenciation où les microcosmes éclairent et fondent le macrocosme. Ainsi, cette approche nécessite la prise en compte de la variété des positions, de la même façon que tout sociolinguiste construit ses objets à partir de la certitude quune langue nexiste pas comme un objet autonome mais quelle est la manifestation dune multitude de productions langagières. D. BERTAUX ajoute que « il faut chercher à discerner ce qui, en fonction parcours bien spécifiques et de totalisations subjectives spécifiques, a rendu les individus porteurs de conduite différents, doù le recours aux récits de vie [et que] dans la perspective ethnosociologique, ce qui importe cest davoir couvert au mieux des possibilités du chercheur, la variété des témoignages possibles. Lenjeu nest pas seulement descriptif : il concerne également la validité du modèle. »
Le récit de vie apparaît comme une méthode particulière en sciences sociales où le chercheur positionne la personne interrogée comme sujet capable de biographies, dexpériences singulières au monde. Cette « recherche multicentrée qui se situe à plusieurs niveaux danalyse et dinterprétation et dont la réalisation se fera en un certain nombre dapproches complémentaires les unes des autres » rend compte dune démarche ethnobiographique. Le chercheur accueille des récits narratifs élaborés, dont le contexte dénonciation est tout aussi important à identifier que le contenu même du discours. Cette matière première du chercheur sintéresse à ce que nomme FERRAROTTI « les histoires venant du bas » cest-à-dire « les histoires de la quotidienneté, relevé et interprétation des pratiques de vie et de tradition, non pas vécues comme pur folklore populaire mais repensées de manière critique comme visions psychologiquement rassurantes et en même temps comme constellations de valeurs cognitives liées et vérifiées par lexpérience de vie de chaque jour. » Cette méthodologie fait la synthèse et allie des perceptions du monde comme objets autonomes, des expériences vécues uniques, et un cadre structural plus large qui contient lexpérience narrative du sujet interrogé. Le récit de pratiques humaines combine les prédéterminismes, les cadres sociaux qui pèsent sur le sujet, et son aptitude à la similitude-différenciation qui le fait reconnaître comme sujet unique, distinct et à la fois référencié à des modèles de conduite, des modèles dappartenance sociale ou des groupes didentification. Ainsi, le sociolinguiste a tout à apprendre des pratiques langagières au moment de sa récitation (récitation au sens du moment narratif où le sujet (re)construit son histoire personnelle) comme un rapport au monde homogène et différentiel en même temps. A ce propos, D. BERTAUX nomme trois fonctions du récit de vie : une fonction expressive, une fonction exploratrice où « le chercheur a tout à apprendre et aussi cest le plus difficile à désapprendre : il lui faut remettre en question les présupposés quil porte en lui », et une fonction analytique.
Un récit, si lon en croit GREIMAS, est la représentation dun évènement ». En dautres termes, un récit se constitue dès lors quil y a transformation dun évènement initial en un évènement final :
SHAPE \* MERGEFORMAT Ce squelette minimal semble constituer la structure générale dun récit. Une autre façon de dire serait la suivante : il y a récit dès lors quun narrateur met en intrigue la transformation dune situation initiale E1 en une situation finale E2. Plus précisément « les histoires de vie recouvrent en fait un ensemble de pratiques sattachant à la recherche et à la construction de sens à partir de faits temporels personnels et/ou collectifs ».
Le récit la construction professionnelle de chaque éducateur sondé peut se comprendre par le schéma suivant :
SHAPE \* MERGEFORMAT
Le parcours biographique des éducateurs constitue la transformation entre le moment où ils étaient en recherche de travail ou dorientation professionnelle, et léducateur spécialisé quils sont devenus au sens identitaire du terme. Il sagit dune méthode biographique rendue possible par la production dun texte oral, « qui nest pas conçu pour lécrit et qui marque et est marqué par la présence de la vive voix, lémission spontanée hic et hunc et la simultanéité dans lécoute. » En quelque sorte, il sagit avant tout dun entretien au sens dune « interaction complémentaire finalisée » où ce nest pas tant le contenu narratif qui détermine la nature du texte que la rencontre dialogique entre un chercheur et un éducateur. Ce récit se définit donc comme « une interaction sociale entre une personne qui raconte, le narrateur de récit mettant en scène, une mémoire et un interlocuteur, la narrataire, situé dans une attention institutionnelle très spécifique et placé dans une situation découte. » Ne serait-ce parce que le récit oral met en scène un narrateur et un interlocuteur, il est « éminemment le lieu dun entrecroisement et dune confrontation de cultures en tant que paroles dun sujet qui se ressaisit au travers de la multiplicité de ses appartenances et des voix quil fait entendre, faisant référence à cette polyphonie des voix communautaires, familiales
»
Cest dans toute cette complexité épistémologique que informateurs ont révélé quelque chose de leur identité professionnelle à travers ce que je nomme le récit de la construction professionnelle. Les informateurs sont en effet invités à exprimer en fin dentretien ce qui a motivé leur choix de ce métier. Je faisais en effet lhypothèse au cours de chaque entretien que ce métier ne se choisit pas par hasard et que les raisons personnelles qui fondent ce choix ont des conséquences sur la construction identitaire des éducateurs spécialisés.
La construction identitaire des éducateurs à travers leurs récits
Jai systématiquement posé deux questions pour comprendre le cheminement biographique de chaque éducateur à savoir les raisons qui ont motivé leur choix de leur métier et les effets que la formation a eu sur eux dans leur parcours professionnel. Les réponses que jai obtenues empruntaient plus une forme narrative quune forme descriptive ou conceptuelle repérée tout au long de lentretien.
Avant tout jai sélectionné dans les entretiens les passages suivants que je qualifie de « récits de la construction professionnelle » au sens énoncé plus haut :
Les récits de la construction professionnelle des informateurs :
Valérie :
Moi : quest-ce qui ta amené à choisir ce boulot là ? et euh est-ce quaujourdhui tas des regrets ou au contraire tu ty retrouves ou euh
V : jpense que jai choisi ce boulot là parce que euh javais envie de combler euh des [é] des déficits de ma petite enfance je pense / euh cest aussi une histoire de rencontre parce que je / quand jétais ado je me suis occupée dun petit garçon handicapé et donc cest sa maman qui ma fait connaître le milieu ben de lhôpital psychiatrique dans un premier temps et de léducation spécialisée dans un deuxième temps / jimaginais euh pouvoir aider les autres être utile euh / que ce soit valorisant tout le temps /ou queuh jallais faire du bien que jallais changer un peu enfin que jallais avoir un effet euh sur euh la vie de certaines personnes or euh je maperçois queuh ben [ en] / faut être modeste (rires) et jétais sûrement plus ambitieuse que je ne le suis maintenant et que euh / ben on nous renvoie souvent des choses très difficiles qui vont à lencontre de nos espoirs du début et euh et que ben cest terriblement frustrant de se rendre compte que ben cquon fait cest vraiment un petite goutte et si cest une goutte cest déjà pas mal
Moi : et quest-ce que ? quest-ce que ta laissé ta formation ? est-ce que ?
V : oahh / pfff/ pffff/
Moi : pas grand-chose ?
V : moi je dirais pas grand-chose non
Moi : tu te sers pas de ?
V : une formation minimum si mais euh je crois que je suis devenue éducatrice en travaillant plus que en [ en] étant à lécole quoi / bon après ya des acquis sûrement ya des théories ya de la théorie et bon ya les stages pratiques / donc euh je pense que jai été imprégnée euh comme la fac de psycho / je pense que je suis imprégnée de certaines notions euh / que je vois même plus trop maintenant non mais cest vrai queuh / autant à lIME yavait peut-être des outils que javais appris à lécole qui pouvaient me servir certaines références théoriques / mais lIR alors en plus jai changé bon de puisque entre linternat et ce que je fais maintenant ya une différence importante / mais euh jai limpression de mêtre formée sur le tas plus que à lécole quoi
Marina :
est-ce que tas du plaisir à faire ce métier-là ?
M : non pas du tout / je vais arrêter je pense pour devenir agricultrice / bien sur que si jai du plaisir à faire ce métier-là ?
Moi : et pourquoi ?
M : euh [eu] / bon parce que mes collègues elles sont sympas /(rires) / euh [eu] / parce que parce que je my retrouve / parce que euh parce que ça me permet de mépanouir moi et professionnellement et personnellement / et euh [eu] / parce que lorsque je fais un accueil durgence ya jamais de temps morts / ya toujours des situations de crises où il faut sadapter / des enfants qui ont entre 6 et 18 ans avec toutes sortes de problématiques / donc euh ça bouge ça peut être violent ça peut être euh / cest bien quoi / ya pas de routine pas de monotonie
Moi : ouais / et les difficultés de ce boulot ?
M : la violence et la différence de situations /enfin les difficultés sont aussi les avantages enfin [in] ya faut aussi se retrouver dans les deux / et puis ben le fait de travailler pour une administration / faut trois jours pour trois crayons quoi et trois formulaires en six exemplaires
Moi : ouais / et sinon quest-ce qui ta amené à choisir ce métier là ? et est-ce que entre tes choix de départ et aujourdhui ya euh ?
M : ben quand jétais petite avec la poupée super éduc / mais euh / non mais pfff / quest-ce que javais dit ? javais dit euh / pourquoi ce métier ? ben ce métier parce quon a besoin je pense que les éducs ont besoin de se sentir utiles et euh [eu] de pas être sur terre pour rien quoi / et puis ça permet de relativiser tes propres problèmes / ouais et puis cest une question dego tout simplement / cest bien de savoir utile non ?
Moi : bon et pour finir la formation ? quest-ce que tu en gardes ? est-ce que tu en gardes quelque chose ?
M : en théorie rien du tout /(rires)/ non mais euh / ouais cest ce que je disais on [on] / quand tas bien assimilé le truc / quand técris une lettre tu te poses pas la question de [e] : comment ça se fait que jécris le mot comme ça ? / tu le fais parce que tu sais que ça se fait comme ça / ben éduc là euh je [e] je me dis pas / cest Rogers qui mdit faut reformuler de cette façon-là : euh je le fais je me pose pas [a] 36000 questions théoriques / après peut-être que de temps en temps ça serait bon de revenir là-dessus mais là cest ce quon pourrait appeler les analyses de pratique / euh on en fait pas assez dans notre équipe parce que ya pas de supervision /donc ça manque un peu mais euh cest vrai le danger cest dêtre pris dans le quotidien et de pas réfléchir pourquoi tu fais les choses / mais euh [eu] / mais en général ouais on assimilé la formation donc on fait avec quoi
Thierry :
Moi : quest-ce qui ta amené à choisir ce métier ?
T : alors pour moi le choix il est assez euh [eu] il est un petit peu curieux euh [eu] / les antécédents font que jétais cadre dans un boite commerciale / donc jétais enfin un poste à responsabilités dans les métiers de lindustrie / et euh [eu] jai été licencié / donc euh étant cadre jai fait un bilan professionnel cadre euh qua dégagé plusieurs euh [eu] plusieurs pistes euh [eu] dont celle dassistant de service social / et celle déduc / euh [eu eu ] / après jai raisonné je dirais en [en] en opportunité demploi / donc ce qui donnait le plus dopportunités demploi cétait assistant de service social ben jai pas eu le [e] la sélection /et euh [eu] par un concours de circonstances enfin bon cest choses un peu compliquées / pour pouvoir bénéficier de lAFR il fallait que je [e] il fallait pas que je reprenne mon ancien travail / donc javais du travail mais fallait pas que je reprenne cétait compliqué comme tout / et euh [eu] pour occuper ce temps-là je me suis retrouvé dans une [e] à faire un stage dans une structure qui ma embauché comme euh / et jai fait la formation en cours demploi
Moi : daccord
T : cétait un petit peu cest pas cest pas le parcours euh général je dirais de [e] des gens de la profession
Moi : daccord / et ta formation quest-ce que tu en gardes ? est-ce que tu en gardes quelque chose ? est-ce que cest ?
T : ben jen garde plein de choses / cest euh [eu] / plein de choses intéressantes la rencontre dun tas de gens très intéressants euh [eu] / maintenant euh [eu] au niveau de lécole à Rennes euh [eu] des [é] des faiblesses je dirais dans euh [eu] les domaines de la psycho euh [eu] / quest-ce quon ? enfin quont pas été / heu [eu] comment dire ça ? cest vrai que les psychos ont pris pendant longtemps une place trop importante dans les institutions et queuh effectivement un psychologue il a sa place dans une pas toute la place / euh [eu] ceci dit il faut pas nier non plus euh [eu] la nécessité dune connaissance en psycho pour pouvoir faire ce boulot-là / et donc il serait intéressant de trouver un [un] un juste milieu / parce que ya encore certaines écoles qui font du tout psycho et finalement ça donne pas [a] non plus du très bon résultat / donc euh [eu] cest encore quelque chose qui reste à travailler mais je pense quil y a aussi / bon la mise en place doutils deuh une façon de réfléchir euh en utilisant ben des [é] des grilles danalyse qui [i i ] / qui justement permettent dêtre plus rationnel et objectif que euh [eu] que la psycho à deux balles quoi
Marie-Michèle :
Moi : quest ce qui ta amené à choisir ce métier ? tu te souviens hein ?
MM : cest le hasard
Moi : ça fait longtemps que tu fais ce métier-là ?
MM : voilà cest le hasard parce que normalement / voilà je voulais faire hôtesse de lair
Moi : ouais
MM : hum et mon père comme je suis issue dune famille catho mon père trouvait ça euh [eu] / hum pas trop pas très bien pas de bonne moralité sinon jaurais des hommes à chaque escale / ah ouais cest comme ça quil ma dit (rires) / et euh [eu] après bon après mon bac jai fait euh une première année en gestion dentreprise / mais je lai fait comme ça parce que en fait euh [eu] cétait pas mon truc puis euh [eu] un jour ya une conseillère dorientation qui disait : mais effectivement dans les pays euh africain cest curieux euh même si la famille africaine est très sociable tout ça mais il faut des travailleurs sociaux / parce que ya beaucoup des enfants qui traînent qui souffrent bon etcetera et euh [eu] /mais jamais on privilégie dans ces pays-là le social / on met beaucoup plus en avant léconomie et du coup euh je me suis dit : bon, puisque mon père ma toujours dit / je voulais enfin puisque mon père il voulait que je sois professeur enfin parce que mon père il est instit de formation / donc euh tout tout ou sage-femme / tout ce qui est qui reste dans le rapport humain en fait / et mon oncle voulait que je sois inspectrice des impôts machin tout ça / chacun me donnait son truc / et je me dis : bon puisque euh [eu] je déteste quon décide pour moi jai pris la décision de venir en France dêtre éducatrice spécialisée / voilà / et jai fini par aimer ce que je fais tout en me posant la question pourquoi je fais ce travail (rires)
Moi : de ta formation ten gardes beaucoup de choses ? ou euh ça te sert pas [a]
MM : ma formation a été pour moi un lieu de distanciation par rapport à mon travail / en fait euh [eu] au CJM on a privilégié les [é] parce que jai commencé par moniteur éducateur dans la mesure où euh [eu] le CREAI mavait dit puisque euh en dépit de mon niveau universitaire le CREAI ma dit : puisque dans ton pays tas jamais eu dexpériences professionnelles cest bien pour nous quon te fasse commencer par monitrice, tauras une base pour accéder / et je suis arrivée au CJM où cest une association où euh ils font pas la différence entre les moniteurs et les éducateurs les éducs spé / sauf au niveau de la paye / voilà / donc javais déjà des acquis quil fallait valider au niveau du diplôme et cest vrai que ma formation était très intéressante dans la mesure où ça ma permis de prendre beaucoup de distance et puis de voir les choses dune manière très objective / parce que un moment je faisais plus ou moins mon travail donc euh je tombais un peu dans la routine / ma formation ma permis de me ressourcer euh [eu] davoir dautres projets parce que je me dis : je peux me faire autre chose / jai trop donné en fait
Maryvonne :
Moi : toi de ta formation tu en gardes quelque chose ?
M : ben moi jai fait ma formation euh [eu] un peu à part parce que jai commencé à lâge de 20 ans à travailler et euh eu) sans formation / comme stagiaire / stagiaire avec des caractérielles délinquantes dans une institution de religieuses / pfff / et je crois que cétait déjà une école / voilà / jai fait quatre ans comme ça un stage euh [eu] statut de stagiaire qui pouvait être renouvelé euh / bon et / et euh [eu] / et donc cétait déjà une école / ensuite jai passé la sélection de moniteur éducatrice que jai eue à Rennes et je savais pas encore si jétais prête à faire ce travail-là javais besoin encore dexpériences / jai travaillé avec des toxicomanes après à lEnvol / euh [eu] deuxième école entre guillemets les toxicomanes qui mont [on] / ça ma beaucoup appris bon je nai fait que deux ans mais ah ça a été euh ça a été très très dense et [é] / ensuite ben jai fait ma formation parce que la formation elle était ben cétait plus valable donc je lai faite / euh [eu] avec intérêt monitrice éducatrice avec intérêt justement de mettre ça en mots et écrire peut-être mon expérience / ça ma appris ça puis de confronter aussi à dautres euh dautres étudiants enfin euh : donc jai bien aimé la formation des monitrices éducatrices / ensuite jai trouvé Poligné où jétais embauché et ensuite jai fait la formation jai fait la Passerelle / la Passerelle au Havre
Moi : ah oui oui / au havre pas à Rennes ?
M : non / donc la Passerelle au Havre / pourquoi au Havre ? je sais pas si ça existe encore / cétait une formation avec euh sur concours mais en un an pour les moniteurs éducateurs qui justifiaient de 5 ans euh dexercice / donc euh / et jai fait cette formation donc ben assez tard aussi et avec beaucoup dintérêts / cétait mon parcours à la fin comme si la formation à lécole elle était là pour euh pour conclure quelque chose / pour euh [eu] bon jai toujours été avec des plus jeunes aussi mais cétait très sympa / au Havre jai aussi de bons souvenirs euh de cette formation au havre vraiment / il était nous avions des cours de psychanalyse avec une psychanalyste de Rouen qui venait / jai trouvé que la formation du Havre était euh eu ouverte cétait en 88
Moi : est-ce que ? cest peut-être trop intime pour me répondre tu réponds pas si tu veux / quest-ce qui ta amenée à ce métier-là ?
M : ah ben ça cest une [e]
Moi : le hasard le ?
M : non oh non on se rend compte que cest pas un hasard hein ? toute personne qui travaille dans le social ou dans le sanitaire nest pas euh [eu / nest pas bon cest pas un hasard euh [eu] non je peux pas dire tout / tout se suit oui / bon voilà
Claude :
Moi : euh [eu] quest-ce qui ta est-ce que tu pratiques ce métier déduc avec plaisir ? si oui pourquoi ? et quelles sont au contraire les les difficultés les ?
C : ben oui cest un métier que jai choisi / cétait ça ou rien / je savais pas trop pourquoi cétait ça ou rien mais euh [eu] cest un métier que jai choisi mais en plus jai choisi dêtre que dans les placements
Moi : ah oui ?
C : oui / ça correspond à une euh je dirais une interrogation personnelle euh de place / la place des des enfants placés la place des enfants maltraités et puis sans doute ma place chez moi / parce que jétais jumelle (rires) donc euh trouver sa place tu vois ? et ça a dû être je me suis pas rendue compte mais cest quelque chose qui ma passionnée / je trouve que euh à laide sociale à lenfance je suis très très critique / absolument critique mais à la fois euh ben on évolue / on évolue aussi avec euh les problèmes euh [eu] de société mais [è] euh [eu] euh [eu] moi je le fais toujours avec passion et puis jallais dire en vieillissant cest encor mieux parce que tu tre sens beaucoup plus disponible / à lécoute quoi / les gens je me disais : oh la la en vieillissant les gens vont me prendre pour une mamie etcetera mais en fait ils ont confiance en toi et puis tu / enfin je dis tu te lâches tu tembêtes pas avec euh le premièrement de lentretien tes plus / tes dans une rencontre avec lautre tout en restant très professionnelle et ton expérience te permet de [e] euh [eu] / enfin je dirais pas enfin délargir un peu ta rencontre avec lautre tout en sachant bien te positionner au niveau professionnel mais pas rester dans [an]
Moi : dans lenclos ?
C : dans len- ouais / une différence et puis ça évolue toujours / là maintenant et jusquà ma retraite la question qui qui mimporte cest la protection de lenfance parce que je trouve quà laide sociale à lenfance on on a pris le risque de protéger lenfant quand il y a un risque on parle toujours de retour on le met dans une euh de on le met avec des parents qui peuvent pas avoir de parentalité etcetera / cest [é] comment on fait dans ça quoi ? cest un peu tout léchec que disait Berger sur la protection de lenfance / moi je suis assez daccord avec lui hein ? même si ce quil prenait cétaient des cas pathologiques de la parentalité mais cest vrai / donc euh ya toujours des choses à découvrir à refaire à repenser [é] et à faire évoluer aussi / moi je ça me plait beaucoup
Moi : et de ta formation quest-ce que ten gardes ? ça fait longtemps jimagine ?
C : de ma formation cétait dans les années euh 60 (rires) / jai commencé à travailler ici en 67 avec euh [eu] 4 ans que jai pris de disponibilité pour aller au Portugal mais jai commencé à travailler en 67 / de ma formation ? ben si ce que jen retiens de ma formation pour le plan de [e] la différence justement avec les assistantes sociale ici ces que cest le développement de lenfant / ce qui est lié au développement de lenfant à la construction de lenfant / on a tellement travaillé là-dessus parce quon était tous en internat cétait une obligation à cette époque-là
Catherine :
Moi : euh est-ce que tu sais est-ce que tu sais ce qui ta amenée vers ce métier-là ?
C : est-ce que je sais ce qui ma amenée vers ce métier-là / ouais / je pense que cest les relations à ma mère
Moi : ouais donc cest une histoire personnelle
C : cest une histoire personnelle
Moi : ouais cest pas un hasard ?
C : enfin pour moi non moi je / cest pas jai pas découvert ce métier-là dans un bouquin en me disant [an] / bon après cest plein dautres rencontres jai rencontré un mec quétait éducateur [eur] euh quétait un copain à mon père qui ma parlé de ce quil faisait je me suis / à la fois jétais très jeune javais 12 13 ans donc je sais pas si [i] mais je pense que cest resté dans ma tête euh [eu] / donc ben ouais mes relations à ma mère quétaient détestables donc forcément tu te poses plein de questions et tu te dis comment tu vas sortir de ça / et euh [eu] / et une rencontre au lycée avec une fille que jaimais beaucoup enfin une bonne copine et qui que jai vue euh décliner sans [an] sans réussir à mettre de mots dessus je lai vue se défoncer [é] enfin et euh jarrivais pas à me dire : ben cest enfin elle a besoin daide et tout jen étais pas là dans mon raisonnement euh / ça cest tout ça qui un moment a fait un déclic qui la dit : ben ouais peut-être que je vais aller voir ces métiers-là [a] et / et jai commencé par euh par aller bosser ben euh tu vois ? avec des ados handicapés physiques et des adultes handicapés physiques / je suis allée me confronter au truc avant parce cest bien de choisir un métier faut enfin faut aller voir est-ce que tes capable de gérer ça aussi / et puis ben [en] ouais effectivement ça a même si cétait euh sur des temps de vacances donc dans un contexte complètement [men] euh extérieur à ce que je fais aujourdhui !mais euh une confrontation handicap ma pas laissée euh
Moi : de marbre ?
C : non et qui ma été / puisque euh enfin les gens de mon entourage moint dit après que je suis revenue de ces deux mois : tes plus la même quoi
Moi : euh et [é ] une dernière question euh [eu] euh [eu] / je sais même plus ce que je voulais dire / euh [eu] quelle question / euh oui / ta formation ? est-ce que ten gardes quelque chose ? est-ce que ça te sert aujourdhui ou [ou] ? non tas appris dans le concret enfin
C : ben je pense je pense que ça me sert encore aujourdhui dans le sens ça a été les bases / ça euh ça a au moins donné des bases à un savoir que jai aujourdhui / maintenant cest clair que [e] ben cest un métier où il faut continuer / ben cest dur quelque fois parce que on est dans laction on a un métier épuisant et puis que ben se remettre dans les bouquins et tout ça tas pas trop envie et / mais bon là je jen arrive un peu à [a] jen arrive un peu à la limite de ce que je sais donc jai envie de repartir / euh là je vais faire une formation euh à lapproche systémique parce pour le boulot travailler avec les familles et puis aussi pour me dire : plus tard je vais peut-être pas non être dans 10 ans avec des ados en internat et que jai peut-être envie daller voir ailleurs / mais jai besoin doutils du coup parce que les outils que enfin quon quon prend à linternat cest lobservation enfin on apprend là on crée des [é] outils des [é] réflexes aussi / et euh [eu] qui sont indis- enfin moi à mon sens qui sont indispensables avant daller travailler en milieu ouvert [é] / et je pense que du coup tes beaucoup plus enfin pour moi tu vois beaucoup plus de choses en internant parce que en intervenant dans une famille cest pas simple et euh [eu] il faut être à laffût de tous ces ptits ces ptits indices qui sont clairsemés et être capables de [e] ben de les rassembler de les voir de les rassembler puis de du coup de les de faire des choses avec les usagers / je dirais quoi que cest une base après euh ben cest je crois que effectivement en se confrontant au public cest là que tapprends le plus /en plus tas une équipe parce que tas besoin des retours de léquipe des savoirs de chacun ça nous enrichit tous les jours
Alban :
Moi : alors par rapport à ça est-ce que tu te souviens ce qui ta amené vers ce métier-là ?
A : alors ce qui ma amené vers ce métier-là euh [eu eu] / ce qui ma amené vers ce métier-là cest euh [eu] jai toujours été dans un environnement quand même de familialement de [e] jai une mère infirmière avec des amis de mes parents / donc mon père il est pas du tout dans le domaine mais des amis de mes parents que ce soient des instituteurs des travailleurs sociaux euh donc jai des psychos / donc jai baigné un petit peu dans ce milieu-là euh cest notamment quand jai été au lycée expérimental de Saint-Nazaire où jai rencontré des [é] jai rencontré des éducs / en fait jai été personnellement voir euh voir plusieurs métiers et jai rencontré des éducs qui mavaient vraiment intéressés dans leur travail je trouvais ça vachement intéressant que jai / je crois que cest pour ça
Moi : alors cest des histoires de rencontres en fait ?
A : de rencontres et puis de [e] de mais cest maintenant que je le dis avec un [un] parcours scolaire aussi très atypique très particulier / qui me donnait pas qui moffrait pas aussi facilement des portes
Moi : justement par rapport au au à la scolarité est-ce que tu te souviens de ta formation ? est-ce que [e] euh [eu] est-ce que ça te sert dans ta pratique professionnelle ou est-ce que cest quelque chose de de ?
A : alors je me souviens de ma formation euh [eu] alors je euh [eu] / quand jai fait ma formation jai beaucoup aimé la première année euh [eu] / et beaucoup mois la deuxième / mais bon cest vrai que cétait un petit peu particulier euh on fonctionnait avec des traits verts des traits rouges / je sais pas si tu as vu ça ? et tu choisissais exactement quand tu voulais rendre / enfin tavais une date buttoir et tu devais rendre les devoirs en fonction de la date buttoir et tu pouvais te programmer sur la première ou la deuxième année / la première année jétais très [è] dynamique et jai beaucoup bossé / la deuxième année jai pas fait grand-chose (rires) jétais pas mal absent et il faut dire ce qui sest passé / la première année je vivais chez mes parents la deuxième ben jétais en appartement et [é] cétait un peu plus festif / donc jai ces souvenirs festifs de deuxième année euh [eu] cest-à-dire que jy allais quand même en cours dés que ça me fatiguait ben je partais / euh [eu] non jai découvert ça après enfin cest toujours dans laprès / écoute je me suis aperçu le contenu métait utile mais pas pendant euh deux ans après trois ans / je me suis dit : tiens finalement cétait intéressant euh tel cours sur tel domaine / donc jai des souvenirs comme ça sur ma formation
Moi : mais par contre aujourdhui cest moins ? dans dans ?
A : les souvenirs de ma formation ?
Moi : dans ta pratique quotidienne les apports sont moins ?
A : moi mais je pense que les apports ne sont même plus / enfin comme jinterviens auprès des étudiants ça a beaucoup changé aussi les apports quils sont entre ceux quon avait avant / on était beaucoup plus dans un truc très très général en terme euh [eu] en terme euh disciplinaire / donc cétaient des grands courants de pensée sociologiques philosophies histoires des trucs très larges / alors que là cest beaucoup plus précis beaucoup plus lié à
Moi : cest plus pragmatique
A : plus pragmatique ouais
Brigitte :
Moi : est-ce que euh ça fait du temps est-ce que tu te souviens ce qui ta amené vers ce métier-là ? le hasrd ? si cest [é] euh ?
B : non cest pas vraiment le hasard euh dans le sens où euh jai jai connu une fin dado- dadolescence un début dâge adulte assez difficile / euh [eu] jétais euh [eu] assez rebelle / jai eu la chance de rencontrer des personnes qui étaient assez comment dire ? euh [eu]
Moi : des repères ? cadrants quoi
B : oui cest ça / qui mont aidé à passer cette étape-là / euh par ailleurs moi jétais assez [é] intéressée attirée euh [eu] par euh les gamins avec des désirs de maternité très forts qui pouvaient pas être assouvis très vite / (rires) / donc javais envie ouais de faire un métier euh au départ avec des gamins et aussi en lien avec euh ouais un esprit de rébellion etcetera / pleins de sentiments comme ça / donc ben par la suite jai euh cherché un peu / voilà jai travaillé euh comme éduc sans diplôme euh voilà / je suis arrivée hein ? dans un certain nombre dinstitutions / oui et puis ben voilà ça sest fait de cette façon
Moi : les valeurs qui sous-tendent ton [on] encore aujourdhui ton métier ? parce que tu parlais de refus de linjustice de trucs comme ça dans ton choix
B : ouais
Moi : est-ce cest encore dactualité dans tes valeurs aujourdhui ?
B : ouais tout à fait
Moi : est-ce quil y en a dautres à luvre dans [an] ?
B : ouais / oui je pense / pour moi ya quelque chose qui est important quand même de de / pour moi le sentiment dêtre euh libre de ne pas se sentir coincé dans une situation / une alternative cest-à-dire un minimum de choix ça me paraît important / moi jai horreur davoir limpression dêtre obligée et quand je travaille avec les gens cest un truc que / jai souvent le souci du « ou bien » cest-à-dire / bon le souci on peut faire ça ça ou ça quoi / enfin ya une marche de manuvre
Moi : donc amener les gens à trouver des / dautres issues que celles
B : ouais voilà quoi / et quils aient pas limpression quand on travaille quon veut ça ou quon veut ça / que ça va être ça quoi / mais euh que ya [a] différentes possibilités quoi pour arriver ben [en] / cest vrai euh il faut arriver à ce quil se passe quelque chose pour lenfant ou pour eux / mais [é] je pense quil y a quand même ça qui me [e] qui reste important pour moi
Moi : les les regrets les difficultés dans ce boulot ? est-ce quil ya des choses qui sont vraiment difficiles et [é] ?
B : ouais
Moi : ou qui pèsent dans ce boulot ?
B : les les regrets cest [é] euh [eu]
Moi : les choses difficiles ?
B : les choses difficiles cest le manque de temps quand euh [eu] tu sens que la perso- / parce que ce quil faut pour ça marche faut la rencontre de pleins de choses / il faut que la personne euh elle soit euh on arrive au bon moment dans sa vie / donc quelle ait comme je sais pas ? une prise de conscience un déclic je sais pas nimporte quoi / en tous cas un concours de circonstances qui fasse que cest le bon moment pour elle / il faut que nous aussi il se passe quelque chose aussi quon se sente suffisamment concerné attentif et disponible / or euh ya ya quand même des tas de situations dans lesquelles on a un manque de disponibilité qui fait queuh ben on est pas / bon je pense on est pas là euh
Moi : euh est-ce quil y a des situations de violence de [e] ?
B : yen a ouais euh / bon pas dfaçons
Moi : récurrentes
B : récurrentes mais euh / voilà quoi / cest pas le cest pas celles dont jai le plus mauvais souvenirs
Moi : est-ce que le sentiment parfois dimpuissance / enfin jimagine bien cest des familles très précaires ?
B : oui
Moi : ya pas ya quasiment pas de solutions ? est-ce que ça mine ça ?
B : ouais ouais dans les situations où on a des doubles mesures euh [eu] où en TPSE AEMO et où on va [a] voir des gens ramer ramer euh sortir la tête de leau re- replonger parce que effectivement le ben / ya une question demploi de ressources où les enfants euh [eu] manifestent / jai vu des gamins euh [eu] se décrire comme pauvres / cest cest troublant quoi / et sinterdire des tas de trucs parce quils sont pauvres / ouais cest quelque chose quest quand même euh [eu] cest cest cest vachement dur je trouve
Moi : la toute dernière question / est-ce que ta formation tu ten souviens ? est-ce que tu en gardes quelque chose ? ou est-ce que euh [eu] ça pas beaucoup de sens être formé à être éduc dans une école ?
B : ce dont moi je me souviens le plus dans ma formation cest euh le temps / et cest ce qui ma semblé le plus important / avec le recul / le fait que ça ait pris trois ans moi cétait euh [eu] / voilà parce que bon moi je me souviens dun contenu euh je me souviens de lectures je me souviens de rencontres et du coup / ce qui me reste le plus cest ouais ben ouais ça pendant trois ans je suis parti là jai cheminé jai grandi jai-je sais pas jai javais jétais tout feu tout flamme il y a des choses que jai mis en berne ya des choses que jai abandonnées et ya des choses que jai repris différemment / jai limpression que cest surtout le temps qui a été important
Moi : donc en fait cette formation vaut plus queuh une transmission de savoirs de théories de trucs comme ça ? cest beaucoup plus une formation de soi ?
B : ouais
Moi : un parcours de vie
B : lopportunité de sarrêter / bon parce que je travaillais / donc de sarrêter euh [eu] davoir effectivement quand même un long temps disponible pour euh ben ouais apprendre des choses rencontrer des gens euh / et puis euh ben ouais des des / je sais pas abandonner des trucs auxquels tu croyais / ouais cest plus ça quoi qui qui me reste euh [eu] / et chaque fois que jai fait des formations par la suite ça a été aussi ça / cest-à-dire euh ben je partais euh trois jours euh dans une autre ville euh ben pendant ces trois jours-là je me consacrais quà lidée que ben je devais minterroger je devais apprendre des nouvelles choses / je me rappelle yavait un formateur qui parlait beaucoup désapprendre pour reconstruire / bon ça ça me paraît bien moi / jaimais bien ça casser des trucs et y revenir / tu vois cest (rires) / et euh maintenant ouais je pense que cest encore ça quoi et [é] jai envie encore de ça de me dire bon [on ] sarrêter un peu là [a]
Dominique :
Moi : est-ce quon devient éducateur par hasard ?
D : (rires)
Moi : toi par exemple ?
D : non moi je sais que cest pas par hasard que je suis éducateur / ça cest clair / euh [eu] et euh / je veux dire jai [ai] / quand quand javais 16 17 ans en moi yavait yavait un métier que je voulais faire euh je voulais être psychologue ou je voulais être journaliste / bon / alors euh [eu] mes parents navaient pas les moyens de me payer des études de journaliste mais euh [eu] javais passé le concours dentrée à lécole de [e] Lille javais été reçu à lécrit jai appris je je leur ai dit quand je devais avoir une trentaine dannées / javais envie de voir en fait de comprendre et de témoigner / les deux étaient déjà là en fait / et [é] euh avec un engagement politique euh viscéral très très jeune aussi / donc envie dêtre euh acteur du champ social / alors bon bien sûr quand on a 17 ans on a envie de faire on a envie dêtre révolutionnaire / euh [eu] quand on a 45 ans euh on reste euh on relativise sur les capacités quon a enfin de changer la société /en tous cas euh moi ce qui mintéresse cest dêtre euh cest dêtre vraiment sur le terrain quoi dêtre euh dêtre vraiment acteur et euh [eu] les pieds dans la réalité quoi
Moi : donc cun métier que tu pratiques avec plaisir quoi ?
D : ah ouais je prends mon pied au boulot ouais
Moi : et les par contre à lopposé les les ? quest-ce qui est difficile dans ce métier ?
D : le plus difficile cest euh les institutions / le plus difficile cest pas ce sont pas les usagers ou les résidents / ce sont les collègues de boulot ce sont cest la hiérarchie cest euh lhypocrisie les limites dun système / et je pense que [e] cest ça moi personnellement qui me fatigue le plus hein ? je veux dire euh [eu] / parfois avec humour on peut se dire une institution sans résident serait une institution idyllique et moi jarrive presque à dire linverse / quoi / je trouve euh [eu] que les institutions sont capables de créer des pathologies enfin dont on a pas besoin quoi / enfin qui minent complètement au quotidien dans la pratique / alors cest vrai que bon ya différents modèles institutionnels bon / euh mais euh [eu] bon jai aussi perdu lillusion de linstitution idéale donc euh [eu] / je crois que quelle que soit linstitution aussi [i] même aussi euh coercitive euh alambiquée soit-elle il y a toujours des espaces / donc bon ben il faut en faire contre bonne fortune (rires)
Moi et pour pour finir / cest la dernière question / ta formation est-ce que tu ten souviens ? est-ce que ça a structuré ton métier ou cest un métier qui sapprend [en] ailleurs que dans une école ?
D : alors moi ma formation ma vachement structuré / déjà ma première formation cétait mon stage de contact / euh jétais vraiment formé par un type qui sappelle Michel Boizec qui est toujours directeur dune boite à [a] Châteaulin / cest un type qui ma vraiment appris mon métier / et qui avait un fonctionnement bon euh jallais dire semi-directif cétait quelquun qui avait été en formation qui avait connu Lemay aussi / donc cest quelquun qui [i] qui ma formé aussi à lentretien Rogérien euh / cest quelquun à qui je dois vraiment beaucoup / beaucoup beaucoup / et sinon ma formation ben euh ya une partie que jai faite à Brest / jai tout arrêté pendant deux ans javais plus de thune fallait que je bosse / et jai monté des stages dinsertion [ion]et euh [eu] des stages formateurs bon BAFA BASD / et jai fait ma formation à Saint-Brieuc à une époque où euh cétait un formation à la carte quoi / et euh avec un esprit très euh [eu] ouais néo-libertaire /où euh la directivité justement amène à amener euh /enfin jétais très partisan de tout ce courant-là / euh à prendre des responsabilités à monter des projets de A à Z euh à le faire de façon transversale / non ma formation pour moi je dirais formation théorique et [é] du fait quelle ait été un petit peu articulée euh ben soit un petit peu à lesprit de la praxis / faire en sorte que ça a été quelque chose de très très structurant /ouais
Philippe :
Moi : est-ce que cest un métier quon choisit par hasard ?
P : alors je crois que moi jai longtemps que javais choisi ce métier-là par hasard et puis euh [eu] en réfléchissant un petit peu en euh faisant euh [eu] / comment dire ? un truc de vie ?
Moi : lhistoire de vie
P : lhistoire de vie ouais quest chère à Ziegler euh [eu] / je me suis aperçu quen fait non cest un métier quon choisit pas du tout par hasard et [é] je pense pas quon puisse choisir ce métier par hasard / parce que euh si on choisit pas hasard enfin si on le choisissait par hasard je pense quon aurait du mal à le faire parce que je pense quau fond de soi-même on doit avoir des motivations assez profondes pour avoir envie de comprendre dappréhender des gens qui ont des difficultés / alors ça veut pas dire quon a soi-même vécu des choses dramatiques des choses impossibles à surmonter mais ça veut dire quon a des choses en soi qui nous permettent de de mieux comprendre euh pour aborder ces gens-là
Moi : et juste pour finir / de ta formation est-ce quil en reste des choses et est-ce que ça a été structurant ? est-ce que cest un métier qui sapprend sur les bancs de lécole ?
P : euh je pense que cest un métier qui mériterait davoir une formation plus euh euh [eu] disons plus mélangée entre le stage et puis euh [eu] et puis la théorie / je pense que cest surtout un métier om on devrait régulièrement retourner en formation / parce que je pense quon oublie pas mal euh les choses au bout dun certain temps / donc euh on sait plus pourquoi on fait les choses au bout dun moment euh de refaire un petit tour par la théorie ça devrait pas faire de mal un petit tour par telle formation / on devrait avoir une formation continue obligatoire tout au long comme un peu les médecins qui sont obligés de se former en continu / on travaille avec des [é] avec des gens avec de lêtre humain il faut quon soit performant et on a pas le droit tellement à lerreur / or euh je trouve euh au bout de trois ans on sait pas forcément tout ce quil faut et on oublie ce quon a appris et ça mériterait davoir plus de formation en continu / et peut-être moins au départ mais plus étalé dans le temps / voilà quoi
David :
Moi : est-ce quon devient éducateur par hasard ?
D : non ya pas de hasard
Moi : est-ce que tu peux me dire ce qui ta amené vers ce métier-là ? cest des rencontres cest des ?
D : cest des [é] euh [eu eu] dabord dans lordre cest lhistoire alors lhistoire perso / ben la réalité cest ça en terme de rencontres cest aussi davoir croisé étant plus jeune des éducs / euh ce sentiment je pense darriver / cest assez marrant dailleurs avoir les réponses au jury de sélection à lentrée euh / moi je suis rentré dans ce métier-là pas persuadé que je faisais ça enfin le bon samaritain quoi / je vais aider les autres / et puis au bout de quelques années de pratique tu te rends compte que cest dabord toi que tas aidé en venant là et après / mais par contre le le la prise de conscience me semble-t-il le cheminement perso euh qui a amené chacun dentre nous à ces métiers-là on en arrive à une prise de conscience ben permet justement euh de se professionnaliser davantage et darriver à cette distance à cette neutralité / et sortir de cette toute-puissance
Moi : quest-ce que ? cest un métier que tu pratiquais avec plaisir ?
D : ouais carrément
Moi : ouais ?
D : carrément surtout que cest quune partie de ce que je tai dit
Moi : quest-ce qui procure du plaisir dans ce métier ?
D : ce qui procure ce qui me procure du plaisir cest dabord la [a] la dimension relationnelle / cest la dimension dêtre à un carrefour / à mon avis on est porté enfin on je suis porté par des valeurs / nimporte quel métier que je ferais serait porté par des valeurs et là je suis à un carrefour entre les personnes lenvironnement social économique politique des entreprises enfin qui me permet dagir en [en] de donner du sens à de donner du sens aux valeurs que je porte quoi
Moi : et a contrario ? les choses dures dans ce boulot ?
D : les choses ? ben [en en] cest plus difficile de répondre parce que le choses dures tu sais quelles en font partie / donc/ euh cest vrai que se colletiner euh se colletiner de la violence ou un conflit cest pas toujours marrant / ça réveille tes [é] enfin en tous les cas moi je jai aussi du coup mes peurs et mes angoisses à gérer derrière / euh [eu] les choses dures cest mais bon cest de se bouger un an deux ans trois ans et au final dans le vent / mais bon cest comme ça donc à mon avis tacceptes ou [ou] ou tu es ou ou tacceptes pas et tévolues tu fais en sorte dévoluer ou tacceptes un certain temps et après tes amené à revoir euh ton évolution professionnelle / aujourdhui moi ces choses dures ben je cest intégré et dans deux ans trois ans peut-être même moins ça sera trop pesant et jaurai envie de faire évoluer de faire évoluer mon / ben comment dire ? mon [on] aven ma carrière professionnelle entre guillemets quoi
Une co-construction du parcours professionnel :
Il apparaît dans un premier temps de façon tout à fait immédiate que ces formes de récit oral ne se construisent pas de manière linéaire avec un début et une fin. Ils sélaborent dans linteraction avec lenquêteur, mêlant autant des faits narratifs qui relatent lhistoire professionnelle des informateurs que des métacommentaires sur ces faits, ainsi quune analyse de ces événements à la lumière de ce que les professionnels sont devenus aujourdhui.
Lenquêteur participe activement à la construction du récit dans la mesure où il oriente les choses avec ses questions et réagit aux propos de son interlocuteur, en dépit de sa volonté de produire un entretien centré sur ce que dit lenquêté et non ce quil en attend en terme de vérification dhypothèses.
La construction de ces petits récits sélabore dans ce que BAKHTINE appelle lordre dialogique : « cest le dialogue, ordre dialogique, qui offrent la scène où les sujets se rencontrent eux-mêmes et les autres, ainsi que leurs histoires, environnements et circonstances. On sait que pour BAKHTINE tout dialogue inclut une dramatique intrinsèque, se déroule sur un théâtre où se confrontent une pluralité de voix, bien au-delà de celles des acteurs. » Cest dans le dialogue avec le chercheur que les informateurs laissent une part à leur propre récit, leur propre narration de leur histoire professionnelle, et en même temps continue de laisser un espace au langage attendu de léducateur spécialisé. En ce sens, je parle de co-construction du discours narratif professionnel qui, dans la confrontation avec le chercheur, lui-même éducateur spécialisé, permet la combinaison dune multiplicité de formes discursives : le technolecte professionnel, la mise en mots personnelle de lactivité professionnelle, la narrativisation des évènements qui ont permis à linformateur de devenir éducateur, les formes de reprises propres à la technique dentretien.
Toutefois, il paraît intéressant de relever les marqueurs linguistiques qui préfigurent à lalternance de ces différentes formes discursives. Lalternance polyphonique ne se manifeste pas uniquement par lusage de signes verbaux particuliers mais aussi par des signes paraverbaux propres à toute conversation orale (rires, souffles, hésitation etc.).
Les marqueurs narratifs posent la question suivante : à partir de quels signes un extrait dentretien de recherche devient-il narratif ? Autrement dit à partir de quel moment lentretien permet le passage dune vois à une autre dans la complexité des voix polyphoniques propre à chaque situation de communication ?
Le premier marqueur le plus évident est à chercher du côté du questionnement du chercheur. En effet, cest à partir du moment où jappelle les informateurs à parler de leur motivation au métier, ou du plaisir quils éprouvent à lexercer que les éducateurs répondent par une structure de communication semblable au récit. Les questions sont les suivantes :
quest-ce qui ta amené à choisir ce boulot là ? et euh est-ce quaujourdhui tas des regrets ou au contraire tu ty retrouves ou euh
est-ce que tas du plaisir à faire ce métier-là ?
sinon quest-ce qui ta amené à choisir ce métier là ? et est-ce que entre tes choix de départ et aujourdhui ya euh ?
bon et pour finir la formation ? quest-ce que tu en gardes ? est-ce que tu en gardes quelque chose ?
quest-ce qui ta amené à choisir ce métier ?
et ta formation quest-ce que tu en gardes ? est-ce que tu en gardes quelque chose ? est-ce que cest ?
quest ce qui ta amené à choisir ce métier ? tu te souviens hein ?
de ta formation ten gardes beaucoup de choses ? ou euh ça te sert pas [a]
toi de ta formation tu en gardes quelque chose ?
est-ce que ? cest peut-être trop intime pour me répondre tu réponds pas si tu veux / quest-ce qui ta amenée à ce métier-là ?
euh [eu] quest-ce qui ta est-ce que tu pratiques ce métier déduc avec plaisir ? si oui pourquoi ? et quelles sont au contraire les les difficultés les ?
et de ta formation quest-ce que ten gardes ? ça fait longtemps jimagine ?
euh est-ce que tu sais est-ce que tu sais ce qui ta amenée vers ce métier-là ?
ouais cest pas un hasard ?
alors par rapport à ça est-ce que tu te souviens ce qui ta amené vers ce métier-là ?
est-ce que euh ça fait du temps est-ce que tu te souviens ce qui ta amené vers ce métier-là ? le hasard ? si cest [é] euh ?
est-ce quon devient éducateur par hasard ?
est-ce que cest un métier quon choisit par hasard ?
de ta formation est-ce quil en reste des choses et est-ce que ça a été structurant ? est-ce que cest un métier qui sapprend sur les bancs de lécole ?
Etc.
On peut classer ces questions en deux catégories : une première qui invite linformateur à parler directement de lui-même (notions de plaisir, souvenirs), seconde qui interroge le métier déducateur dans sa généralité ou qui refuse daborder les choses de manière trop personnelle ou trop directe :
Questions à teneur personnellesquest-ce qui ta amené à choisir ce boulot là ? et euh est-ce quaujourdhui tas des regrets ou au contraire tu ty retrouves ou euhest-ce que tas du plaisir à faire ce métier-là ?sinon quest-ce qui ta amené à choisir ce métier là ? et est-ce que entre tes choix de départ et aujourdhui ya euh ?bon et pour finir la formation ? quest-ce que tu en gardes ? est-ce que tu en gardes quelque chose ?quest-ce qui ta amené à choisir ce métier ?et ta formation quest-ce que tu en gardes ? est-ce que tu en gardes quelque chose ? est-ce que cest ?quest ce qui ta amené à choisir ce métier ? tu te souviens hein ?de ta formation ten gardes beaucoup de choses ? ou euh ça te sert pas [a]toi de ta formation tu en gardes quelque chose ?euh [eu] quest-ce qui ta est-ce que tu pratiques ce métier déduc avec plaisir ? si oui pourquoi ? et quelles sont au contraire les les difficultés les ?alors par rapport à ça est-ce que tu te souviens ce qui ta amené vers ce métier-là ?est-ce que euh ça fait du temps est-ce que tu te souviens ce qui ta amené vers ce métier-là ? le hasard ? si cest [é] euh ?est-ce que ? cest peut-être trop intime pour me répondre tu réponds pas si tu veux / quest-ce qui ta amenée à ce métier-là ?
Lappel au récit personnel se fait par lusage de déictiques subjectifs « tu » (et ses déclinaisons) où la situation dentretien assume demblée la présence de sujets dénonciation en capacité de parler deux-mêmes. Le déictique « ce » accolé au terme « métier » implique une prise en considération par le chercheur dun métier incarné par le sujet énonciatif présent au moment du dialogue, et non le métier déducateur spécialisé exercé en général par des personnes extérieures à la situation dénonciation (cotexte). De même lusage de ladverbe locatif « là » dans lexpression « ce métier-là » réfère bien au métier exercé par la personne en situation dentretien et non à la référence cotextuelle du métier déducateur spécialisé.
Certains mots comme « plaisir » ou « difficultés » invitent linformateur à faire preuve des émotions que génère chez lui lexercice du métier déducateur. Ils « font intervenir une évaluation de x, laquelle est solidaire des systèmes dappréciation du locuteur ; dans la mesure où leur usage x restant invariant, pourra varier dune énonciation à lautre ; dans la mesure enfin où ils sont à éliminer dun discours à prétention dobjectivité, dans lequel le locuteur refuse de prendre position par rapport au dénoté évoqué, peuvent être considérés comme un trait sémantique [subjectif]. » Plus simplement, C. KERBRAT-ORECCHIONI nous explique ce qui peut fonder la subjectivité dans lusage de tel ou tel substantif, comme ceux que je viens de citer qui invitent effectivement le locuteur à faire preuve dun jugement évaluatif de dépréciation ou dappréciation par rapport à son métier.
Les verbes invitent enfin à une mise en intrigue du parcours professionnel des informateurs :
Cest le cas des verbes ou expression « se souvenir », ou « garder quelque chose de » qui font référence de manière explicite à des évènements personnels antérieurs à la situation dentretien.
Cest aussi le cas de lusage du passé composé dont la « valeur daccompli et la valeur dantériorité » manifestent de manière évidente la référence à des évènements passés.
On retiendra donc de cette première catégorisation des questions que la référence directe à la subjectivité du locuteur au sens de son inscription dans le discours est factrice de narrativisation.
Questions à teneur plus objectiveest-ce quon devient éducateur par hasard ?est-ce que cest un métier quon choisit par hasard ?
Ici, lusage du pronom « on » manifeste le refus explicite de la part du chercheur de référer à la subjectivité de son informateur ? Toutefois, ce refus explicite est la manifestation cette fois implicite que linformateur na pas choisi le métier par hasard, sinon la question ne méritait pas dêtre posée. Dailleurs, les deux informateurs ont répondu par « non ya pas de hasard » ou « alors je crois que moi jai longtemps que javais choisi ce métier-là par hasard et puis euh [eu] en réfléchissant un petit peu en euh faisant euh [eu] / comment dire ? un truc de vie ? », réponses qui font suite à une mise en narration immédiate du choix de métier.
La narrativisation du choix du métier :
Pour quil y ait récit, il faut une succession minimale dévènements survenant en un temps t puis t + n. « Le caractère commun de lexpérience humaine, qui est marqué, articulé, clarifié par lacte de raconter sous toutes ses formes, cest son caractère temporel » écrit P. RICOEUR, « tout ce quon raconte arrive dans le temps, prend du temps, se déroule temporellement ; et ce qui se déroule dans le temps peut être raconté ». BREMOND précise que ce critère de temporalité devient efficient pour quon parle de récit dès lors quun évènement est déterminé par une tension narrative. Le récit devient récit biographique ou narration parce quil est ordonné par une fin : « le narrateur qui veut ordonner la succession chronologique des évènements quil relate, leur donne sens, na dautres ressources que de les lier dans lunité dune conduite orientée vers une fin. »
Bref, le récit oral mélange au moins deux formes de temporalité :
une temporalité de lici et maintenant de la narrativisation, cest-à-dire le présent des locuteurs qui vont mettre en mot leur histoire professionnelle.
Une temporalité t, cest-à-dire celle de lhistoire racontée. Le récit professionnel est construit par un ensemble dévènements t + n sur une période plus ou moins longue, qui met en scène, ordonne et donne sens à une expérience de vie passée au présent de lénonciation.
BRES dit en ce sens quun récit est « la mise en ascendance du temps raconté par le temps racontant ». Un récit à visée autobiographique se reconstruit dans le temps du locuteur qui raconte au regard de son statut actuel, de linteraction avec le chercheur, bref de la situation de communication en général. « Par provocation, je dirais que ce nest pas le récit qui tire son ordre temporel de lévènement mais lévènement de sa mise en récit. Plus concrètement, si je maccorde avec LABOV de concevoir le récit minimal comme une suite au moins de deux propositions ordonnées, je conçois la jonction temporelle non comme donnée par lévènement mais comme produite par la mise en récit elle-même. »
Les récits professionnels se déroulent donc entre une situation initiale (Recherche de travail) et une situation finale (Devenir éducateur spécialisé) :
Exemple de Valérie
javais envie de combler euh des [é] des déficits de ma petite enfance : SITUATION INITIALE
cest aussi une histoire de rencontre parce que je / quand jétais ado je me suis occupée dun petit garçon handicapé : E1
et donc cest sa maman qui ma fait connaître le milieu ben de lhôpital psychiatrique dans un premier temps : E2
et de léducation spécialisée dans un deuxième temps : E3
jimaginais euh pouvoir aider les autres être utile euh / que ce soit valorisant tout le temps /ou queuh jallais faire du bien que jallais changer un peu enfin que jallais avoir un effet euh sur euh la vie de certaines personnes : E4
or euh je maperçois queuh ben [ en] / faut être modeste (rires) et jétais sûrement plus ambitieuse que je ne le suis maintenant et que euh / ben on nous renvoie souvent des choses très difficiles qui vont à lencontre de nos espoirs du début et euh et que ben cest terriblement frustrant de se rendre compte que ben cquon fait cest vraiment une petite goutte et si cest une goutte cest déjà pas mal : METACOMMENTAIRE DANS LE PRESENT DE LA NARRATIVISATION
je crois que je suis devenue éducatrice en travaillant plus que en [en] étant à lécole : E5
donc euh je pense que jai été imprégnée euh comme la fac de psycho / je pense que je suis imprégnée de certaines notions euh / que je vois même plus trop maintenant non mais cest vrai queuh / autant à lIME yavait peut-être des outils que javais appris à lécole qui pouvaient me servir certaines références théoriques : E6
mais lIR alors en plus jai changé bon de puisque entre linternat et ce que je fais maintenant ya une différence importante / mais euh jai limpression de mêtre formée sur le tas plus que à lécole quoi : E7
Je suis éducatrice en IR : SITUATION FINALE
Exemple de Thierry
les antécédents font que jétais cadre dans un boite commerciale / donc jétais enfin un poste à responsabilités dans les métiers de lindustrie : SITUATION INITIALE
et euh [eu] jai été licencié / donc euh étant cadre : E1
jai fait un bilan professionnel cadre euh qua dégagé plusieurs euh [eu] plusieurs pistes euh [eu] dont celle dassistant de service social : E2
après jai raisonné je dirais en [en] en opportunité demploi / donc ce qui donnait le plus dopportunités demploi cétait assistant de service social ben jai pas eu le [e] la sélection /et euh [eu] par un concours de circonstances enfin bon cest choses un peu compliquées / pour pouvoir bénéficier de lAFR il fallait que je [e] il fallait pas que je reprenne mon ancien travail / donc javais du travail mais fallait pas que je reprenne cétait compliqué comme tout : E3
et euh [eu] pour occuper ce temps-là je me suis retrouvé dans une [e] à faire un stage dans une structure qui ma embauché comme euh / et jai fait la formation en cours demploi : E4
Je suis éducateur en internat éducatif : SITUATION FINALE
Exemple de Marie-Michèle
voilà je voulais faire hôtesse de lair : SITUATION INITIALE
hum et mon père comme je suis issue dune famille catho mon père trouvait ça euh [eu] / hum pas trop pas très bien pas de bonne moralité sinon jaurais des hommes à chaque escale : E1
après bon après mon bac jai fait euh une première année en gestion dentreprise : E2
mais je lai fait comme ça parce que en fait euh [eu] cétait pas mon truc puis euh [eu] un jour ya une conseillère dorientation qui disait : mais effectivement dans les pays euh africain cest curieux euh même si la famille africaine est très sociable tout ça mais il faut des travailleurs sociaux / parce que ya beaucoup des enfants qui traînent qui souffrent bon etcetera et euh [eu] /mais jamais on privilégie dans ces pays-là le social : E3
on met beaucoup plus en avant léconomie et du coup euh je me suis dit : bon, puisque mon père ma toujours dit / je voulais enfin puisque mon père il voulait que je sois professeur enfin parce que mon père il est instit de formation / donc euh tout tout ou sage-femme / tout ce qui est qui reste dans le rapport humain en fait / et mon oncle voulait que je sois inspectrice des impôts machin tout ça : E4
chacun me donnait son truc / et je me dis : bon puisque euh [eu] je déteste quon décide pour moi jai pris la décision de venir en France dêtre éducatrice spécialisée / voilà / et jai fini par aimer ce que je fais tout en me posant la question pourquoi je fais ce travail : SITUATION FINALE
Exemple de Catherine
est-ce que je sais ce qui ma amenée vers ce métier-là / ouais / je pense que cest les relations à ma mère : SITUATION INITIALE
bon après cest plein dautres rencontres jai rencontré un mec quétait éducateur [eur] euh quétait un copain à mon père qui ma parlé de ce quil faisait je me suis / à la fois jétais très jeune javais 12 13 ans donc je sais pas si [i] mais je pense que cest resté dans ma tête euh [eu] : E1
donc ben ouais mes relations à ma mère quétaient détestables donc forcément tu te poses plein de questions et tu te dis comment tu vas sortir de ça : E2
et une rencontre au lycée avec une fille que jaimais beaucoup enfin une bonne copine et qui que jai vue euh décliner sans [an] sans réussir à mettre de mots dessus je lai vue se défoncer [é] enfin et euh jarrivais pas à me dire : ben cest enfin elle a besoin daide et tout jen étais pas là dans mon raisonnement euh : E3
ça cest tout ça qui un moment a fait un déclic qui la dit : ben ouais peut-être que je vais aller voir ces métiers-là [a] et : E4
et jai commencé par euh par aller bosser ben euh tu vois ? avec des ados handicapés physiques et des adultes handicapés physiques : E5
je suis allée me confronter au truc avant parce cest bien de choisir un métier faut enfin faut aller voir est-ce que tes capable de gérer ça aussi / et puis ben [en] ouais effectivement ça a même si cétait euh sur des temps de vacances donc dans un contexte complètement [men] euh extérieur à ce que je fais aujourdhui !mais euh une confrontation handicap ma pas laissée euh : E6
puisque euh enfin les gens de mon entourage mont dit après que je suis revenue de ces deux mois : tes plus la même quoi : SITUATION FINALE
Ces quatre exemples font la démonstration de récits relativement courts, soit environ sept évènements narratifs.
Toutefois, en dépit du nombre limité dévènement, la temporalité est relativement longue (enfance, recherche demploi, orientation professionnelle) qui a permis aux personnes de se construire une identité de métier où le choix daider les autres est clairement assumé.
Ce choix na pas été aisé pour ces quatre personnes. Certaines ont rencontré de la résistance familiale, dautres ont dû remettre en cause un parcours professionnel déjà bien entamé.
Il apparaît un choix de métier qui se fait par accident, cest-à-dire dans la rupture professionnelle, ou la rupture familiale. En effet, au moins trois interlocutrices mettent en avant les difficultés inhérentes à leur construction familiale en terme de carences ou de déficits affectifs.
Les rencontres apparaissent comme constitutives dans le choix et la construction de leur identité professionnelle. Bien souvent cest la confrontation avec des personnes elles-mêmes éducatrices spécialisées, ou des personnes habituellement prises en charge par des éducateurs (handicapés, jeune femme en difficulté sociale) qui ont permis aux informateurs de découvrir leur intérêt pour ce métier. On peut généraliser au vu des quelques exemples que le choix du métier déducateur spécialisé se structure à la fois sur des valeurs collectives humanistes (intérêt pour la souffrance des autres, soif dune meilleure justice sociale) et un parcours personnel en rupture. On retrouve là en écho la rhétorique de la souffrance humaine telle que je lexposais plus haut mais cette fois associée à leur propre parcours de construction professionnelle. A. VILBROD a montré dans son ouvrage Devenir éducateur spécialisé une affaire de famille un choix de métier qui est conditionné par des « parcours chaotiques » et notamment scolaires ainsi quune « aspiration à exercer un métier dordre ». Sans tomber dans une analyse psychologique rapide, on peut faire lhypothèse que le choix dun tel métier sopère dans la volonté consciente ou pas des acteurs à faire de lordre avant tout dans leur propre parcours personnel.
Toujours est-il que ces différents parcours de vie en souffrance sociale ou familiale vont imprimer sur lidentité professionnelle des éducateurs spécialisés une connotation particulière où à la fois la réparation de soi et des autres, la recherche dune plus grande égalité sociale, la croyance parfois démesurée en lordre social et en la loi, la tentative de palier des propres carences affectives seront poursuivis. On ne peut donc nier la prédominance daffects personnels et de projections personnelles sur la manière dont les éducateurs vont aborder leur public et les aider.
Des vocations à teneur militante sont repérables dans certaines expériences personnelles. Lexemple de Claude, éducatrice à lAide Sociale à lEnfance, en est un exemple manifeste. Elle dit :
ça correspond à une euh je dirais une interrogation personnelle euh de place / la place des des enfants placés la place des enfants maltraités et puis sans doute ma place chez moi / parce que jétais jumelle (rires) donc euh trouver sa place tu vois ? et ça a dû être je me suis pas rendue compte mais cest quelque chose qui ma passionnée / je trouve que euh à laide sociale à lenfance je suis très très critique / absolument critique mais à la fois euh ben on évolue / on évolue aussi avec euh les problèmes euh [eu] de société mais [è] euh [eu] euh [eu] moi je le fais toujours avec passion et puis jallais dire en vieillissant cest encor mieux parce que tu te sens beaucoup plus disponible / à lécoute quoi / les gens je me disais : oh la la en vieillissant les gens vont me prendre pour une mamie etcetera mais en fait ils ont confiance en toi et puis tu / enfin je dis tu te lâches tu tembêtes pas avec euh le premièrement de lentretien tes plus / tes dans une rencontre avec lautre tout en restant très professionnelle et ton expérience te permet de [e] euh [eu] / enfin je dirais pas enfin délargir un peu ta rencontre avec lautre tout en sachant bien te positionner au niveau professionnel mais pas rester dans [an]
Il apparaît dans son discours une double orientation :
une vocation à teneur collective sociale à savoir une critique des institutions et de la société dans le traitement de lenfance en danger
une vocation à teneur plus individuelle où la question du placement est associée à celle dune gémellité a priori difficile dans sa propre enfance.
Cet exemple marque la nécessaire combinaison chez les éducateurs spécialisés daspirations personnelles et sociales du métier, au sens de L. LALANDE qui écrit : « Une pensée engagée est dune part celle qui prend au sérieux les conséquences sociales et morales quelle implique, dautre part, celle qui reconnaît lobligation dêtre fidèle à son métier. » Ainsi, lidentité professionnelle de léducateur spécialisé pose dans le discours la question de lengagement personnel, social voire politique et celle des propres projections inhérentes à leur projet de vie. Autrement dit, Claude pose clairement la question de ce qui relèverait du professionnalisme (le métier, les techniques transmises à lécole) et des effets quont la personnalité sur la technique (le vieillissement par exemple). Dominique explique son choix de métier du fait de convictions politiques très fortes quil qualifie de « viscérales ». Le métier déducateur spécialisé parce que porté vers les autres, vers la souffrance sociale et humaine, sarrange ainsi dune certaine technicité qui fonde la légitimité du métier, et des influences évidentes de la personnalité sur la nature de la relation qui sinstalle entre un éducateur et un jeune pris en charge, au risque parfois que lun prenne le pas sur lautre ou que le métier ne puisse plus prétende à aucune évaluation. « Longtemps, nous explique P. GABERAN, et ce longtemps, sexplique au regard du rapport qui les lie à lexclusion, ils nont crû navoir de comptes à rendre à personne sinon à eux-mêmes. Avec une certaine légitimité, celle liée à la confidentialité de leur travail, ils se sont revendiqués de lombre. En outre, fuyant les discours et leurs argumentations, le fait dassurer quils travaillent avec leurs tripes a servi de paravent au vide conceptuel qui, aujourdhui, les aliène à la pensée dautrui. »
La construction de lidentité professionnelle de léducateur spécialisé se fait dans un processus complexe didentification à des valeurs collectives multiples :
Le pragmatisme versus la formation théorique est mis en exergue par Valérie et Marina. La première témoigne de lambivalence entre un nécessaire savoir théorique et lapprentissage du métier sur le terrain en ces termes : je crois que je suis devenue éducatrice en travaillant plus que en [ en] étant à lécole quoi / bon après ya des acquis sûrement ya des théories ya de la théorie et bon ya les stages pratiques / donc euh je pense que jai été imprégnée euh comme la fac de psycho / je pense que je suis imprégnée de certaines notions euh / que je vois même plus trop maintenant non mais cest vrai queuh / autant à lIME yavait peut-être des outils que javais appris à lécole qui pouvaient me servir certaines références théoriques / mais lIR alors en plus jai changé bon de puisque entre linternat et ce que je fais maintenant ya une différence importante / mais euh jai limpression de mêtre formée sur le tas plus que à lécole quoi. La seconde raconte que la formation ne lui a été daucune utilité même si elle avoue le besoin de référer sa pratique professionnelle à une réflexion. Elle dit : cest ce que je disais on [on] / quand tas bien assimilé le truc / quand técris une lettre tu te poses pas la question de [e] : comment ça se fait que jécris le mot comme ça ? / tu le fais parce que tu sais que ça se fait comme ça / ben éduc là euh je [e] je me dis pas / cest Rogers qui mdit faut reformuler de cette façon-là : euh je le fais je me pose pas [a] 36000 questions théoriques / après peut-être que de temps en temps ça serait bon de revenir là-dessus mais là cest ce quon pourrait appeler les analyses de pratique / euh on en fait pas assez dans notre équipe parce que ya pas de supervision /donc ça manque un peu mais euh cest vrai le danger cest dêtre pris dans le quotidien et de pas réfléchir pourquoi tu fais les choses / mais euh [eu] / mais en général ouais on assimilé la formation donc on fait avec quoi. Catherine cultive la même ambiguïté vis-à-vis des savoirs universitaires où elle se situe à la fois dans le rejet au profit du terrain, de lexpérience, de la confrontation aux usagers, et à la fois où elle avoue son envie de continuer à se former et son admiration pour lanalyse systémique jusquau risque den faire un dogme universel qui lui permette de changer de populations et de fonctions.
Marie-Michèle témoigne, elle, du choix de métier déducatrice spécialisée par opposition à des valeurs commerciales ou capitalistes. Elle dit : on met beaucoup plus en avant léconomie et du coup euh je me suis dit : bon, puisque mon père ma toujours dit / je voulais enfin puisque mon père il voulait que je sois professeur enfin parce que mon père il est instit de formation / donc euh tout tout ou sage-femme / tout ce qui est qui reste dans le rapport humain en fait. Finalement elle aurait pu devenir autant sage-femme quéducatrice, limportant étant de satisfaire le désir de son père et déchapper à une fonction qui ne soit humaniste. Lutilité pour soi ou pour les autres apparaît aussi dans le discours de Marina qui dit : ben quand jétais petite avec la poupée super éduc / mais euh / non mais pfff / quest-ce que javais dit ? javais dit euh / pourquoi ce métier ? ben ce métier parce quon a besoin je pense que les éducs ont besoin de se sentir utiles et euh [eu] de pas être sur terre pour rien quoi / et puis ça permet de relativiser tes propres problèmes / ouais et puis cest une question dego tout simplement / cest bien de savoir utile non ? En ce sens, le choix du métier déducateur spécialisé procède dune forme de contradiction où à la fois les informateurs cherchent à fuir des métiers basés sur le rendement capitaliste, des métiers où le primat du gain et de lindividualisme est affirmé, et en même ce métier oblige les professionnels à un travail sur soi, un grandissement de soi, une réconciliation de soi avec soi, « une question dego » comme dit Marina. David fait le témoignage clairvoyant dun choix de métier dont lenvie daider les autres nétait pas plus forte que celle finalement de saider lui-même : moi je suis rentré dans ce métier-là pas persuadé que je faisais ça enfin le bon samaritain quoi / je vais aider les autres / et puis au bout de quelques années de pratique tu te rends compte que cest dabord toi que tas aidé en venant là et après / mais par contre le le la prise de conscience me semble-t-il le cheminement perso euh qui a amené chacun dentre nous à ces métiers-là on en arrive à une prise de conscience ben permet justement euh de se professionnaliser davantage et darriver à cette distance à cette neutralité / et sortir de cette toute-puissance.
La référence à la valeur famille transparaît de différentes façons chez les informateurs. Pour Alban, le milieu familial a été la source de la découverte du métier déducateur. Pour Brigitte, cest la rupture avec son milieu familial (jai jai connu une fin dado- dadolescence un début dâge adulte assez difficile / euh [eu] jétais euh [eu] assez rebelle / jai eu la chance de rencontrer des personnes qui étaient assez comment dire ? euh [eu]) qui lui a permis de faire émerger son désir de maternité quelle va incarner dans son travail : moi jétais assez [é] intéressée attirée euh [eu] par euh les gamins avec des désirs de maternité très forts qui pouvaient pas être assouvis très vite / (rires) / donc javais envie ouais de faire un métier euh au départ avec des gamins et aussi en lien avec euh ouais un esprit de rébellion etcetera / pleins de sentiments comme ça / donc ben par la suite jai euh cherché un peu / voilà jai travaillé euh comme éduc sans diplôme euh voilà / je suis arrivée hein ? dans un certain nombre dinstitutions / oui et puis ben voilà ça sest fait de cette façon. Son expérience confirme de manière évidente les hypothèses de C. MUEL-DREYFUS pour laquelle le métier déducateur spécialisé sexécute dans la rupture, contre les institutions, dans ce quelle nomme linnovation, et en même temps saffilie de manière quasi aveugle à la norme environnementale ou des valeurs largement partagées par lensemble comme la référence à la famille. Tout le discours de Brigitte est construit sur le refus du chemin tracé à lavance, le refus de la routine, le refus du jugement moral et manichéen, et une position conformiste vis-à-vis de la loi, une fidélité à linstitution, et une acceptation loyale des conditions de travail.
Tous ces parcours de vie témoignent dun processus de professionnalisation complexe qui mêle laspiration à des valeurs collectives et humanistes, et des cheminements personnels difficiles où le besoin de se reconstruire était urgent. Il ny a donc pas une seule identité professionnelle de léducateur spécialisé, mais une identité de la complexité pour reprendre E. MORIN qui définit lhomme comme un produit de la diversité culturelle, cest-à-dire une « unité multiple » qui combine de la vie, de la similitude et de la singularité, du fini et de léternité : « tout individu est un, singulier, irréductible. Et pourtant il est en même temps double, pluriel, innombrable et divers. » Parce que chacun dentre nous est fait de « dualités internes, pluralité dinconscients, multiplicité dinstances cérébrales et psychiques », le métier déducateur néchappe pas à la complexité et permet dans le discours la réunion de valeurs contradictoires, de références multiples et incohérentes à certains moments des entretiens, faisant pourtant de chaque informateur un professionnel unique, non morcelé se reconnaissant entre autre à travers le métier quil pratique avec dautres.
TROISIEME PARTIE
Analyse quantitative du corpus
Chiffrer des discours peut relever du non-sens. Pourtant, les discours offerts par les informateurs proposent des régularités, des thématiques similaires dune production discursive à lautre même si la spécificité de chacun des informateurs provoque nécessairement des variations de langage tant au niveau du contenu que de la forme. De même, le distinguo entre une analyse dite qualitative et une analyse dite quantitative est loin dêtre évident, le quantitatif rejoint évidemment le qualitatif et vice versa.
Toutefois une analyse sociolinguistique de lidentité professionnelle des éducateurs spécialisés ne pourrait se priver dun regard et dune analyse à proprement parler chiffrés. La réflexion de P. BLANCHET invite à beaucoup de prudence et dhumilité en la matière. Dabord il rappelle lévidence quun sociolinguiste nest pas un statisticien confirmé et que « lutilisation de techniques statistiques plus sophistiquées présenterait souvent le double inconvénient dêtre un coût méthodologique disproportionné et dengager la recherche dans des prémisses théoriques détournés, éventuellement mal maîtrisés, et probablement incompatibles avec lapproche dominante adoptée. » Selon ses conseils, je me limiterai donc à une « proportionnalité simple (pourcentages) » sachant que ce qui importe, ce sont, beaucoup plus que les chiffres en eux-mêmes, les liens qui existent avec les éléments qualitatifs précédemment décrits. Lobjectif est bien de parvenir à une analyse interprétative du corpus qui permette de rendre compte de manière scientifique et rigoureuse de lidentité professionnelle des informateurs à travers ce quils disent.
Jai fait le choix détudier les actes de discours présents dans les matériaux recueillis en dépit du fait que lanalyse soit autant quantitative que qualitative. En effet, au-delà du nombre dactes de discours qui composent une activité professionnelle, il importe den connaître la teneur. Toutefois, lanalyse chiffrée permet davoir une vision globale du discours professionnel que lanalyse qualitative vient corroborer.
CE QUILS DISENT DES PUBLICS AUXQUELS ILS SADRESSENT
Je vais établir une analyse quantitative des vocables et expressions que les éducateurs attribuent aux populations quils ont en charge à partir des protocoles de stage, et notamment la partie qui est remplie par les professionnels au sujet des buts visés par linstitution en direction des publics visés, ainsi quà partir des entretiens. Les rôles et fonctions étudiés dans le chapitre suivant seront par contre analysés dans lensemble du corpus.
Des parallélismes apparaîtront de manière formelle avec lanalyse qualitative puisque jai été en effet regarder la manière dont les éducateurs décrivent leurs publics.
La jeunesse des publics :
Le critère de lâge apparaît de manière récurrente dans les qualitatifs que les éducateurs ont à légard des publics.
Cette récurrence paraît significative dans la mesure où lon attend dun métier qui se dit appartenir au champ de léducation, une action portée avant vers des enfants.
La jeunesse des publicsOccurrencesNbres%enfants13242 %jeunes10132 %gamins144,5 %Adolescent113,5 %mômes51,5 %ados41,2 %jeunes majeurs30,9 %la petite30,9 %adultes 30,9 %jeunes adolescents20,6 %mineurs20,6 %les douze-seize10,3 %à partir de 5 ans et d'mi10,3 %ils grandissent10,3 %ils s'approchent de la majorité10,3 %petit garçon10,3 %jeunes étrangers mineurs 10,3 %une jeune fille de douze ans10,3 %les plus grands10,3 %des enfants qui ont entre 6 et 18 ans10,3 %jeunes de 13 à 18 ans10,3 %jeunes de 15 à 18 ans10,3 %qui peuvent avoir entre 6 et 16 ans10,3 %voire même 1810,3 %tout enfant quel que soit l'âge 10,3 %les enfants qui ont entre 12 et 14 ans10,3 %ils ont 15 ans10,3 %le bébé10,3 %des jeunes adolescents qui ont entre 14 et 18 ans10,3 %un public d'hommes de 18 à 70 ans10,3 %un public une moyenne dâge qui doit être aux alentours de 40 44 ans actuellement 10,3 %Maurice par exemple qu'a 70 ans10,3 %le petit jeune loubard10,3 %des enfants de 6 15 ans10,3 %des enfants de 6 20 ans10,3 %enfants jeunes majeurs de 6 à 21 ans10,3 %grandes filles ne nécessitant pas une présence permanente10,3 %les plus jeunes10,3 %jeune adulte10,3 %jeunes filles 10,3 %jeunes âgés de 14 à 21 ans10,3 %jeunes de 6 à 20 ans10,3 %0 à 20 ans10,3 %âgé de 18 ans à l'âge de faire valoir sa retraite10,3 %enfants de 6 à 15 ans10,3 %pré-adolescents10,3 %
Les caractéristiques des publics peuvent être classées en 7 catégories significatives :
Les caractéristiques qui précisent spécifiquement lâge de la personne
Les caractéristiques liées au statut de la personne prise en charge
Les caractéristiques qui précisent létat physique de la personne
Les caractéristiques qui renvoient à une tranche dâge plus large et moins objective
Les termes affectifs ou familiers
Les termes objectifs
Comme toute catégorisation, certains termes trouvent leur place dans deux catégories à la fois.
Les caractéristiques qui précisent spécifiquement lâge de la personne les douze-seize1 à partir de 5 ans et d'mi1 une jeune fille de douze ans1 des enfants qui ont entre 6 et 18 ans1 jeunes de 13 à 18 ans1 jeunes de 15 à 18 ans1 qui peuvent avoir entre 6 et 16 ans1 voire même 181 les enfants qui ont entre 12 et 14 ans1 ils ont 15 ans1 un public d'hommes de 18 à 70 ans1 un public une moyenne dâge qui doit être aux alentours de 40 44 ans actuellement 1 Maurice par exemple qu'a 70 ans1 des enfants de 6 15 ans1 des enfants de 6 20 ans1 enfants jeunes majeurs de 6 à 21 ans1 jeunes âgés de 14 à 21 ans1 jeunes de 6 à 20 ans1 0 à 20 ans1 âgé de 18 ans à l'âge de faire valoir sa retraite1 enfants de 6 à 15 ans1 des jeunes adolescents qui ont entre 14 et 18 ans1 TOTAL22 POURCENTAGE7 %
Les caractéristiques liées au statut social des personnes prises en charge ils s'approchent de la majorité1 jeunes étrangers mineurs 1 jeunes majeurs3 âgé de 18 ans à l'âge de faire valoir sa retraite1 mineurs2 TOTAL8 POUCENTAGE8 %
Les caractéristiques qui précisent l'état physique ou psychique de la personne grandes filles ne nécessitant pas une présence permanente1 TOTAL1 POURCENTAGES0,1 %
Les caractéristiques qui renvoient à une tranche d'âge plus large et moins objectivable enfants132 jeunes 101adultes3 petit garçon1 les plus grands1 jeunes adolescents1 tout enfant quel que soit l'âge 1 adultes 3 les plus jeunes1 jeune adulte1 jeunes filles 1 ils grandissent TOTAL244 POURCENTAGES77%
Les termes affectifs ou familiers gamin 14 mômes 5 ados 4 la petite 1 le petit jeune loubard 1 TOTAL25 POURCENTAGES 8 %Les termes objectifs : pré-adolescents1 Adolescent 11 le bébé 1 adulte 3 TOTAL16 POURCENTAGES5 %
Le schéma qui suit permet davoir une vision plus globale des tableaux précédents :
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77 % des qualificatifs renvoient à des signifiés flous, plus ou moins objectivables. Si effectivement lâge des usagers est très important dans la mesure où il va orienter le type de prise en charge (établissement ou groupe particulier dans létablissement), la référence à lâge des usagers reste largement évasive dans les propos des éducateurs.
Il y a donc une forme de contradiction dans les discours des éducateurs qui prônent un discours professionnel, une manière de se positionner qui ne les assimile pas aux bénévoles, cest-à-dire un discours technique qui refuse dêtre confondu au sens commun, et en même temps les chiffres montrent un manque évident de précision dans les qualitatifs qui ont trait à lâge des publics.
Regardons si les caractéristiques quant aux troubles dont souffrent les populations prises en charge confirment cette hypothèse.
Les troubles des usagers pris en charge :
Jai repris lensemble des propos qui émanent des entretiens menés avec les professionnels.
On peut catégoriser les termes énoncés en sept catégories :
Des termes qui ont trait aux comportements des personnes prises en charge
Des termes qui ont trait à la situation socio-familiale des personnes prises en charge
Des termes médicaux ou dinspiration médicale
Des termes qui ont trait au développement psycho-cognitif des personnes
Termes qui ont trait au statut social des personnes
Termes à connotations subjectives ou affectives
Termes divers plus ou moins signifiants
De la même façon que plus haut, la catégorisation proposée pose parfois des ambiguïtés dans la mesure où un terme peut appartenir à deux catégories différentes. Toutefois cela reste assez rare.
Termes ayant trait au comportement des personnes prises en charge troubles du comportement, problèmes de comportements10la violence, violences physique violences verbales, hyper violents7agressivité, hyper agressifs3difficultés à savoir dire non2difficultés de se retrouver dans un cadre avec des règles claires 1difficultés à respecter ces règles 1situations de crises1comportements inadaptés1une incapacité à rester longtemps concentré1des troubles importants chez ces gamins-là1enfants hyper actifs1troubles particuliers1 TOTAL3021%
Termes qui ont trait à la situation sociofamiliale des personnes relations familiales difficiles, problèmes familiaux3parents dépassés / ils n'arrivent plus à faire face à leur enfant2parents paumés1troubles parents enfants1rupture familiale1parents en grande souffrance1l'accueil familial a pété1 TOTAL107%
Termes médicaux ou d'inspiration médicale handicap, des enfants handicapés, toute sorte de handicaps4enfants psychotiques3des jeunes en difficultés, difficultés psy3les enfants sur un versant psychotique 2difficultés par rapport à leur corps2grosse pathologie mentale, pathologies adjointes2polytoximanies2symptômes2des déficiences1qui ne connaît pas les limites de son corps1automutilations1des enfants malades des parents malades, des malades psy1déficiences intellectuelles1déficiences sensorielles1maladies invalidantes1tétraplégie1sclérose en plaque1VIH1schyzo1déficients visuels1trisomie ou quelque chose comme ça1IMC1des enfants dans le registre névrotique1déficit cognitif ou physique1épilepsies évolutives1pathologies médicales évolutives1anxiété1angoisse1parents très malades sur le plan mental1marquage physique1des dépressions1gens épuisés1des accidents de naissance1 TOTAL4531%
Termes qui ont trait au développement psycho-cognitif des personnes des difficultés scolaires des difficultés d'apprentissage scolaire4un seuil de frustration très faible2manque d'autonomie2victimes de carences éducatives carences affectives 2des difficultés psychologiques1ils ont une certaine négation de la réalité1difficultés physiques et mentales à suivre une scolarité normale1enfants qui ne sont pas performants1une estime de soi vraiment dégradée1une insécurité intérieure1une insécurité environnementale1des moments de repli1des enfants qui vont plus sur un versant déficitaire1des carences multiples qui entravent le développement cognitif1 TOTAL2014%
Termes qui ont trait au statut social des personnes abus sexuels, attouchements sexuels incestes violences 3un gamin qui vient bon on va dire de la DDASS1des cas sociaux1des délinquants1jeunes en danger1enfants maltraités1gens très démunis1style ATD quart monde1des gens dun milieu social classe moyenne 1qui ont eu des divorces1des licenciements économiques enfin leur vie a été a basculé1des populations en situations sociales dégradées1une forme de communautarisme1rupture professionnelle1des personnes qui ont déjà un passé institutionnel lourd1rupture de pays1forte désocialisation1difficultés d'intégration sociale1 1TOTAL2115%
Termes à connotations subjectives ou affectives ça se passe mal1jeune complètement désemparé, démuni1des impuissances des répétitions de situation1des mômes bien abîmés1c'est pas des anges1 TOTAL54%
Termes divers plus ou moins signifiants toutes sortes de problématiques/de problèmes/diverses problématiques4des personnes qui ont vécu des persécutions dans leur pays1des personnes dites défavorisées1des accidentés un peu de la vie1enfants déplacés1des enfants difficiles1ce sont des jeunes qui ont des difficultés1le monde extérieur les terrifie1 TOTAL118%
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La référence au domaine médicale apparaît de façon forte. Elle nest pas sans faire référence à lhistoire de la profession qui sest construite entre autre par conflits de légitimité avec le secteur médical et du soin. Toutefois, la référence au langage médical sert ici une fonction de légitimation du discours professionnel des éducateurs, et notamment en matière de crédibilité des diagnostics annoncés.
La teneur des expressions ou mots empruntés aux technolectes médicaux rend compte de divers niveaux, du plus précis au plus évasif voire plus farfelu. Jentends par « farfelu » une recomposition des termes médicaux en néologismes plus ou moins signifiants dune réalité médicale tangible :
Termes empruntés directement au jargon médical :
Référence aux maladies :
épilepsies évolutives
enfants psychotiques
sclérose en plaque
tétraplégies
VIH
des dépressions
IMC
Pathologies évolutives
Automutilations
Polytoximanies
Termes proprement médicaux mais dont lusage est plus répandu dans le langage commun :
Diagnostic
Symptômes
Handicaps
Angoisse
Anxiété
Termes empruntés au domaine médical mais dont la signification réfère à des données à proprement éducatives spécialisées :
Termes proprement médicaux :
Déficiences (intellectuelles, sensorielles, visuelles)
parents très malades sur le plan mental
enfants sur un versant psychotique
enfants dans le registre névrotique
trisomies ou quelque chose comme ça
Termes à connotation médicale mais appartenant au sens commun :
Parents très malades sur le plan moral
Difficultés psy
difficultés par rapport à leur corps
qui ne connaît pas les limites de son corps
enfants malades
parents malades
malades psy
marquage physique
Termes relatifs à la santé mais beaucoup plus flous dans lobjet référé :
Termes empruntés à la fois au domaine médical et au domaine pédagogique :
Déficit cognitif et physique
Termes relatifs à la santé à connotation subjective ou émotive :
Gens épuisés
Des accidents de naissance
Ces différents niveaux de signifiance démontrent la complexité du discours professionnel. Cette complexité sinscrit entre autre dans la continuité des travaux de BAKHTINE pour lequel linterdiscursivité est « une condition démergence didentité » par et dans le langage. M. GLADY poursuit : « Répétition et différenciation : deux façons dindiquer clairement que la construction des références sociales repose sur un interdiscours, cest-à-dire sur la représentation au sien du discours du sujet, dun discours-autre, qui est aussi un discours-avant, bref un déjà-là de la pensée sociale. Ce discours-autre est tantôt celui du Même (avec lequel le locuteur marque une identité de place), tantôt celui de lAutre (avec lequel il est en opposition de place). Mais dans tous les cas, ce rapport à lantériorité est fondateur : dès quun discours sexprime, il établit des relations de renvoi, dassociation, mais aussi dopposition ou de contradiction etc., avec dautres énoncés. Et le discours est demblée donné avec et contre les discours auxquels il soppose. »
GLADY nous enseigne ce en quoi le discours professionnel est marqué par un rapport de réinvention, de reconstruction, doppositions ou dadhésion tout en même temps à des discours antérieurs, en faveur ou contre lesquels les professionnels construisent leur identité sociodiscursive. Dans le cas présent, les éducateurs font la démonstration de discours complexes qui sinscrivent à la fois dans la référence au domaine médical (qui est un gage de légitimité des diagnostics portés sur les populations et du bien-fondé de lactivité éducative) et dans lopposition à ce même secteur contre lequel les éducateurs spécialisés veulent affirmer un champ dintervention spécifique. Les éducateurs spécialisés font ainsi la démonstration dun discours complexe qui emprunte des formes médicales en propre, qui en réinvente dautres, qui en distord dautres, ou qui se réapproprie les significations dorigine pour les appliquer au champ éducatif.
La référence au comportementalisme apparaît après le secteur médical de manière forte. Toutefois, si la référence nest en aucun cas explicitée comme telle par les informateurs, les termes qui renvoient à des comportements, évitant ainsi des appréciations de type interprétatives ou analytiques, empruntent des formes diverses plus ou moins objectives (au sens de traits de comportement renvoyant à des données observables et donc peu interprétatives) sont rares.
agressivité, hyper agressifscomportements inadaptésdes troubles importants chez ces gamins-làdifficultés à respecter ces règles difficultés à savoir dire nondifficultés de se retrouver dans un cadre avec des règles claires enfants hyper actifsla violence, violences physique violences verbales, hyper violentssituations de crisestroubles du comportement, problèmes de comportementstroubles particuliersune incapacité à rester longtemps concentré
Toutes ces expressions renvoient en propre à des qualifications qui concernent des aspects extérieurs de lenfant de lordre de lattitude ou du comportement. Néanmoins, les niveaux dappréciation relèvent beaucoup plus de lordre de linterprétation (cest-à-dire de la qualification de comportements en terme générique) que dun descriptif dactes et de comportements qui permettraient aux professionnels davoir une vision moins jugeante ou stéréotypée des populations. Par exemple « la difficulté à rester longtemps concentré » apparaît plus précis et observable que les notions de « violences » ou le qualificatif « hyper violent ». Tout cela confirme lhypothèse certes sévère de DARTIGUENAVE et GARNIER, pour lesquels lapproximation des évaluations portées sur les usagers se confronte à un obstacle majeur du travail social : « son savoir, à défaut dêtre confronté à un modèle conceptuel susceptible dinterroger ses approximations et ses impasses, den contester ses croyances, tend à se clôturer sur lui-même dans une perspective mythique, manifestant et redoublant ainsi la tendance proprement humaine à inscrire le rapport à lautre dans une perspective ethnocentrique. » En effet, létude des discours des éducateurs spécialisés rend compte dune forme de paradoxe où à la fois ils font la démonstration dune volonté dobjectivité, et à la fois ils ségarent dans des propos plus ou moins signifiants, plus ou moins précis qui renforcent les stigmates ou les stéréotypes plus quils ne les combattent.
CE QUILS DISENT DE LEUR INSTITUTION
La façon quont les acteurs de décrire leur institution est un indicateur significatif quant à la manière dont ils senvisagent dun point de vue de leur identité professionnelle. En effet, lidentité au travail ne sélabore à partir delle-même mais dans un ensemble dinteractions institutionnelles : « le lieu de travail comme espace social de rapports individuels et collectifs est porteur dun potentiel de réalisation des identités et le champ professionnel est devenu un espace de productions identitaires [
] dautant quelles assignent aux individus et aux groupes des positions sociales déterminées par les enjeux sociétaux » nous dit JF BLIN.
Lactivité professionnelle sinscrit dans un véritable système interactif qui comprend :
le contexte cest-à-dire les conditions réelles dexercice
les identités des acteurs cest-à-dire lensemble des règles qui régissent chaque groupe professionnel à lintérieur de linstitution
les pratiques cest-à-dire les styles dintervention
les représentations cest-à-dire les savoirs impliqués partagés.
Cest pour cette raison que je consacre ce court chapitre à compter les représentations des informateurs quils ont de leur lieu de travail. Le chapitre suivant, lui, sintéressera aux représentations de leurs rôles et fonctions dans leur institution. On entend par représentations le produit et le processus dune élaboration sociale et psychologique du réel qui se manifeste sous forme dimages qui condensent un ensemble de significations et proposent un système de références interprétatives du monde.
Généralités :
Pour traiter lensemble items relatifs au lieu où travaillent les éducateurs, jai recensé tous les termes qui étaient centrés sur linstitution elle-même et non le rôle et la fonction de léducateur à lintérieur de celle-ci. En effet, linstitution et les rôles et fonctions assumés par les acteurs qui la composent sont très dépendants les uns des autres. Parfois, les propos étaient plutôt ambivalents, cest pourquoi je nai retenu comme éléments que les seuls items dont le référent renvoie directement à la structure comme lieu de travail, et non les missions ou les pratiques éducatives qui y sont exercées. Je considère que ces dernières relèvent plus de lanalyse sur le rôle et la fonction des agents sociaux que linstitution elle-même. Par exemple, quand un informateur me dit « quil vise dans son lieu de travail une meilleure insertion des usagers », je considère que le référent est non pas centré sur linstitution mais sur lui-même en tant que professionnel exerçant une activité sociale dans un établissement donné. Au contraire, un informateur qui me dit quil travaille dans « un établissement dont la vocation est linsertion des personnes étrangères » je considère que le référent renvoie à linstitution dans laquelle bien évidemment il aura une fonction dinsertion.
En regardant lensemble des items dégagés, je suis parvenu à les classer en six catégories :
Généralités : il sagit de tous les termes ou expressions qui ont pour fonction de caractériser de manière générique le lieu de travail.
Types de prise en charge : il sagit des termes ou expressions qui caractérisent le lieu de travail par le type de prise en charge qui y est exercé.
Domesticité : il sagit de tous les termes ou expressions qui sont empruntés à la vie personnelle et familiale des éducateurs pour caractériser leur lieu de travail.
Critique : il sagit de tous les termes ou expressions qui dénotent une critique sous-jacente ou explicite du lieu de travail.
Cadre : il sagit des termes ou expressions qui dénotent le caractère cadrant et légal du lieu de travail.
Aide : il sagit de tous les termes ou expressions qui renvoient à la fonction aidante du lieu de travail.
Cette classification constitue une forme de relecture des données dégagées dans le corpus. Elle constitue en fait ce que nomme P. BLANCHET une forme de « synthèse interprétative » dans la mesure où je suis parvenu à opérer « des catégories danalyse en croisant des concepts opératoires issus de divers champs disciplinaires. » Les catégories énoncées renvoient en effet à des dimensions ethnosociologiques déjà contenues dans lensemble de ma thèse. Toutefois, leur caractère scientifique ne doit pas empêcher la discussion, au contraire, cest parce que je vise à une scientificité de la catégorisation quelles impliquent nécessairement une discussion.
Nous aurons les détails du contenu des différentes catégories dans des tableaux plus précis. Il apparaît une distribution générale des items relatifs au lieu de travail des éducateurs dans le schéma suivant. Le lecteur aura remarqué la prudence nouvelle avec laquelle jutilise le terme « institution » tel quil est annoncé clairement dans le chapitre. Je me suis aperçu en effet lors du traitement des données quil sagit dun terme très récurent dans les discours des éducateurs, et étant moi-même éducateur spécialisé, jen fais aussi un usage courant. Dailleurs, je maperçois que pendant les entretiens avec les informateurs jutilise régulièrement le terme, sans doute persuadé de la neutralité de son contenu.
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Commentaires :
TERMES GENERAUX RELATIFS AU LIEU DE TRAVAIL
institution3035%établissement, établissement spécialisé1417%centre1012%service78%ma structure, structure, structure spécialisée67%milieu institutionnel22%des bureaux dans lesquels siège habituellement le directeur11%service de comptabilité11%secrétariat11%l'accueil11%école11%différents modèles institutionnels11%équipement11%notre institution est organisée sur un modèle scolaire11%une grosse association nationale11%institut91%TOTAL87100 %
Nous avons vu plus haut que la majorité des termes employés par les informateurs pour caractériser leur lieu de travail sont des vocables à teneur généraliste.
En tous les cas, les chiffres montrent que ma remarque précédente à savoir que le mot « institution » est loin dêtre neutre, est confirmée. Alors quun ouvrier pourra dire « lusine » ou « latelier », léducateur spécialisé appelle majoritairement son lieu de travail par « institution » et ses dérivés (« milieu institutionnel », « institut », « différents modèles institutionnels »).
Le terme « établissement » nest pas attribuable en propre aux éducateurs spécialisés. Il réfère au contraire au secteur hospitalier ou scolaire. Cela nest pas sans faire référence aux origines du métier telles que les conçoit MUEL-DREYFUS, cest-à-dire en héritage direct avec les métiers du soin et dinstituteur.
Lensemble des vocables qui caractérisent le lieu de travail des éducateurs spécialisés renvoient pour le reste au monde du travail en général. Il est remarquable de constater que les informateurs ont conservé un style de langage relativement normé, ne sautorisant pas en situation dentretien ou sur les protocoles de stage dutiliser un style de langage plus argotique, tel quil a de grandes chances dêtre pratiqué au sein même des institutions dans les conversations quotidiennes.
TERMES QUI REFERENT AU CADRE
le cadre contractuel, cadre institutionnel, cadre professionnel et institutionnel, cadre légal1536%organisation 1126%association loi 1901512%missions25%la hiérarchie12%la loi et la tutelle qui régissent l'institution12%des bureaux dans lesquels siège habituellement le directeur12%réglementation12%conventions12%environnement structurant12%cadre contenant et sécurisant12%TOTAL43100%
Linstitution comme lieu cadrant et réglementé apparaît étonnamment en deuxième position, étonnamment dans la mesure où les informateurs affirment dans lensemble du corpus une ouverture desprit, un refus de lenfermement normatif, une tolérance et une volonté libertaire de permettre aux usagers de se développer en harmonie avec leurs propres désirs.
Toutefois mon étonnement doit rester mesuré dans la mesure où jai pu écrire à différentes reprises que le métier déducateur entretient des liens confus et ambigus avec la répression et lordre établi. P. GABERAN écrit à ce sujet que la professionnalisation de léducateur sétablit dans « labandon de la culture de laffect et lélaboration doutils de travail, avec le risque, faute de vigilance, de se normaliser et de perdre de vue les valeurs qui laniment. » Face au risque de laffect, les éducateurs opposent une technicité absolue que la référence à la loi et au cadre rationalise. Ainsi, un certain P. BERNARD décrivait dans lune de ces premières expériences professionnelles le « fonctionnement archaïque des patronages, personnel peu nombreux, discipline très grégaire, religieux ». Nous trouvons donc là lexplication dun usage tout à fait important du mot « cadre » (près de 36 % des termes référant à la notion dordre et de règlement), ce mot qui à lui tout seul supporte le fantasme par lequel le travail éducatif spécialisé se doit absolument de pallier les carences dautorité quauraient subies leurs usagers, jusquà faire de léducateur un représentant de cette autorité : « son souci de respecter lindividualité de lautre, ses forces personnelles, son originalité, et la nécessité de lui indiquer certains gestes à poser, en accord avec des schèmes déterminés par son rôle de représentant de lautorité» sont pour G. GENDREAU les fondamentaux comportementaux à opposer aux jeunes que léducateur à en charge.
Les discours font apparaître une confiance quasi aveugle à lordre institutionnel, ne permettant plus du coup dopposer des critiques, des remarques à légard de leurs lieux de travail. Pourtant la récente loi du 2 Janvier 2002-2 relative aux établissements médicaux, sanitaires et sociaux, a cherché à remettre lusager au centre du dispositif, le législateur ayant compris les risques de la toute-puissance institutionnelle. Si cette loi est largement commentée et utilisée par les éducateurs, peu dinformateurs ont osé prendre le contre-pied dune institution dont lefficacité majeure réside dans le cadre et la règle quelle impose aux bénéficiaires.
TERMES QUI REFERENT AUX MODES DE PRISE EN CHARGE
Foyer d'action éducative, Foyer, de type foyer1536,5%Milieu internat, internat1024 %Foyer d'hébergement avec gite couvert410%hébergement410%externat37%Accueil d'urgence37%semi-internat12%milieu ouvert12%TOTAL41100 %
Evidemment parler de son lieu de travail cest de décrire la façon dont les éducateurs spécialisés mènent leur travail éducatif.
Le corpus fait état de la traditionnelle séparation entre un travail dit dinternat et un travail dit dexternat. Cette séparation est très forte dans le secteur, opposant ainsi les éducateurs de foyer de ceux qui interviennent directement sur le milieu de vie des enfants. Les professionnels établissent des rapports hiérarchiques entre ces différents modes dintervention où tantôt cest léducateur de rue ou dAEMO qui est valorisé (« je suis le seul à être en relation avec des jeunes dont personne ne veut ») ou tantôt cest léducateur dinternat qui est encensé (« nous on accueille des jeunes cassés en rupture qui nont aucune place nulle part»). Ces formes de rivalités dun mode dintervention à lautre sont assez répandues dans le secteur éducatif spécialisé, créant ainsi des typologies réductrices de léducateur :
« léducateur dinternat »
« léducateur dAEMO »
« léducateur de prèv ou de rue »
« léducateur intervenant auprès des personnes handicapées »
Jai pu constater par exemple lors de mon expérience de formateur à lIRTS de Bretagne que les terrains de stage qui pouvaient accepter des étudiants en première année étaient souvent relégués aux fonctions basses du métier (IME, CAT soit en règle général le secteur qui prend en charge les adultes et enfants handicapés), à lopposé des services tels que lAEMO qui ne recevaient que des troisièmes années pour la raison que leur pratique méritait une expérience plus importante !
TERMES RELATIFS A LA DOMESTICITE
Maison, grande maison, maison collective1542%appartement de petits collectifs410%deux petites unités, unité39%Le studio26%une espèce de grand HLM13%un lieu de vie avec une cuisine13%un restaurant13%Les Appartements13%petite maison13%petite structure13%à la campagne13%la VAD visite à domicile13%Une grande longère13%C'est très convivial13%Très familial13%TOTAL32100 %
La thématique de la domesticité est la quatrième la plus usuelle dans la façon dont les informateurs caractérisent leur institution.
Les vocables employés dénotent bien une culture de métier où la référence à la famille dadoption ou de substitution, à la maison protectrice et rassurante en miroir avec la propre représentation que peuvent avoir les informateurs eux-mêmes de la famille, domine. Il sagit pour les éducateurs doffrir à leur progéniture un espace de vie qui ne doit pas renvoyer une image institutionnelle lourde et décharnée, mais un lieu qui sapparenterait au domicile familial tel quil est véhiculé par la norme.
Ainsi le lieu de travail est décrit en termes de « maison », « dappartement », de « studio » ou « dHLM », bref autant de vocables qui réfèrent à lhabitat du français moyen. Il sagit sans doute pour les informateurs de se défaire dune histoire lourde où les éducateurs et les religieux exerçaient dans des lieux austères, des pensionnats glacials emprunts de discipline, où lenfant navait de considération que celle dappartenir à un groupe important. Les institutions éducatives doivent absolument sécarter de la vision terrible de M. FOUCAULT : « Jaurais à choisir la date où sachève la formation du système carcéral je choisirais le 22 janvier 1840, inauguration officielle de Mettray. Parce que cest la forme disciplinaire à létat le plus intense, le modèle où se concentrent toutes les formes de technologies coercitives du comportement. Il y a là du cloître, de la prison, du collège, du régiment. »
Le modèle fortement familiariste de linstitution éducative spécialisée nest pas nouveau. M. CHAUVIERE assimile cet envahissement de la sphère familiale sur les institutions éducatives avec la montée en charge des technicités éducatives et des sciences rééducatives : larrivée de la psychologie médico-sociale est le résultat « dune imprégnation en douceur dun dispositif institutionnel dont les manques concrets en appellent à la science, dont les rouages nouveaux obligent aux médiations, dont la complexité relationnelle avec lEtat fabrique littéralement une nouvelle vague de notables et de techniciens. » Les éducateurs cultivent donc une forme dambiguïté où les institutions se veulent des endroits techniques, professionnels, et en même temps des endroits qui recherchent la quiétude et la douceur du cercle familial dont les travailleurs sociaux font lhypothèse que le manque crée de linadaptation chez leurs usagers. Les éducateurs annoncent en effet aujourdhui un refus manifeste des grandes institutions, préférant aux groupes importants, aux dortoirs, les petites unités qui tentent de reproduire lunité familiale.
TERMES QUI DENOTENT UNE CRITIQUE
le mythe de l'institution idéale222%le plus difficile c'est les relations avec les collègues222%On est sensé être un lieu neutre pour l'enfant111%c'est toujours une pièce unique une institution111%les institutions sont capables de provoquer des pathologies111%institution coercitive alambiquée111%institution préoccupée par sa restructuration111%TOTAL9100 %
Linstitution où travaillent les informateurs est évidemment loin dêtre idéale. Pourtant les propos à teneur négative noccupent que la cinquième position. Pour ainsi dire, parmi les entretiens que jai menés seuls deux informateurs ont clairement dressé un discours négatif et critique contre leur lieu de travail.
Ce refus des informateurs de donner au chercheur une appréciation négative de linstitution où ils exercent sexplique de deux raisons :
La première concerne la situation dentretien elle-même : en effet, il est éventuellement dangereux doffrir à un chercheur une vision négative du lieu de travail, danger professionnel dautant plus grand que je représente pour eux un pair (éducateur), qui plus est un formateur décole, de statut cadre, aux prises directes avec le secteur éducatif spécialisé.
La seconde est liée à la spécificité des protocoles de stage. Dans ce document à visée pédagogique, il est absolument maladroit de proposer aux étudiants en situation dapprentissage une image négative et critique du lieu qui va servir à leur formation.
TERMES QUI REFERENT AU CARACTERE AIDANT DE LINSTITUTION
lieu pour l'accès à la santé aux soins125%un lieu où se poser où se reposer125%un lieu thérapeutique en soi125%c'est pas que un lit quoi125%TOTAL4100 %
Le travail éducatif a pour mission première de porter secours à des populations souffrant de déficits éducatifs particuliers. Or, étonnamment la description de linstitution comme un lieu aidant est minoritaire dans les propos des informateurs.
Jai à plusieurs reprises participé ou animé des concours d entrée à lécole déducateurs spécialisés. Un certain nombre de professionnels sont invités pour évaluer la possibilité pour les concourants à rentrer en formation. Un grand nombre de ces étudiants défendent le besoin daider autrui comme motivation principale. Or, il est arrivé régulièrement que des éducateurs en situation de jury critiquent ironiquement ces discours, oubliant eux-mêmes que le choix de ce métier a dû procéder par un même besoin daider et dêtre utile à lautre. Cet exemple illustre bien loubli de la part des informateurs de lévidence selon laquelle linstitution éducative spécialisée a une fonction daide.
CE QUILS DISENT DES RÔLES ET DES FONCTIONS DES EDUCATEURS
La réflexion sur les rôles et fonctions de léducateur spécialisé occupe une place tout à fait importante dans le métier. La formation par exemple est très centrée sur ce type de réflexions, au point que le diplôme détat sanctionne un rapport de stage de première ou deuxième année uniquement basé sur cette question. Le métier de boulanger par exemple fait état dune fonction et dun rôle évidents : la fabrication du pain, mais il ne dit rien dans la manière dont ce pain sera fait ; cest le rôle de la formation. Pour les éducateurs, la formation consiste au contraire à verbaliser, à mettre en mots une activité exercée sur le terrain, qui devient proprement éducative spécialisée parce quelle a subi une formalisation en terme de rôles et fonctions. Derrière la question du rôle et de la fonction des éducateurs spécialisés se pose la question de lunivocité dun métier qui se pratique auprès de publics multiples et dans des institutions tout aussi multiples. Ces éléments expliquent aussi la difficulté à énoncer pour les praticiens de manière définitive les fonctions de léducateur spécialisé, ils sont lourds denjeu dans un contexte socioprofessionnel qui prône lefficacité et le rendement productif comme valeurs dentreprise essentielles.
Rôles et fonctions de léducateur spécialisé :
Les compétences et savoir-faire à luvre dans le métier déducateur :
Un détour théorique simpose avant de rentrer dans la matière sociolinguistique offerte par les informateurs. Il convient en effet de regarder les notions de rôles, fonctions, statuts, compétences etc. telles que G. DREANO les envisage dans son ouvrage Guide de léducation spécialisée.
La fonction est une « mise en acte » dune satisfaction dun ensemble de besoins. Autrement dit, la fonction concerne la manière dont linstitution va opérationnaliser les objectifs qui sont nécessaires à la réalisation du besoin professionnel en organisant les tâches et les attentes de chacun des salariés. Dans une logique systémique ou organique, la fonction permet de faire fonctionner lensemble et sélabore dabord du point de vue de linstitution dans sa globalité.
Les rôles sont « la manière de traiter la fonction, avec un statut donné, dans un espace limité. » Le rôle sexprime plus cette fois à partir de lindividu qui participe à linstitution. Il rend compte de la dimension créative de chacun, de son autonomie et de linterprétation quil a des fonctions qui lui sont assignées par linstitution.
On devrait donc trouver dans le corpus une distribution des fonctions sensiblement égales dun éducateur à lautre, le métier étant a priori commun et les besoins des publics sensiblement similaires ; le recueil des rôles devrait au contraire introduire de la diversité, une multiplicité des points de vue et des représentations sociales des fonctions. Il faut encore pouvoir sassurer que les informateurs font la différence entre les deux mots, ce qui est largement peu probable. Jen veux pour preuve quil a fallu moi-même me documenter sur la question, le distinguo entre les deux étant loin dêtre évident ! !
Le statut sinscrit en ligne directe avec la fonction. En effet, quand lorganisation sociale a pensé la répartition et la distribution des fonctions, elle est amenée à préciser qui peut exercer cette fonction, à quel titre, et où la personne va lexercer. Cette distribution de la légitimité à remplir la fonction constitue le statut qui autorise ou pas à exercer la tâche et la fonction demandées par lorganisation. Le statut implique du coup un certain nombre de droits et de devoirs (administratifs, salariaux, etc.) attenant à celui qui fait montre de tel ou tel statut.
Le secteur éducatif spécialisé est partagé entre la légalité qui permet lexercice de la profession et la légitimité qui reconnaît le savoir-faire pour exercer la fonction éducative. Ce débat permet pour les uns daffirmer la pertinence dembaucher des personnes diplômées qui percevront donc un salaire conventionnel différent des praticiens non diplômés, et pour les autres de faire face au manque crucial déducateurs diplômés, notamment en région parisienne.
La compétence professionnelle interroge « plus un savoir commun quun savoir quelque chose » : ce qui importe dans une compétence professionnelle, ce nest pas tant la connaissance de lobjet du champ professionnel que lobtention dun résultat ou dune performance qui prime. Pour DREANO, il faut comprendre la compétence sous trois angles complémentaires :
« Les aptitudes et capacités, éléments principaux qui disent le savoir-faire et consacrent à lexercice sa légitimité ;
Lautorisation qui confère à lexercice sa légalité ;
La contexte, ensemble de conditions concrètes qui permettent et facilitent lexercice. »
Jai voulu interroger la manière dont les informateurs exprimaient les compétences et les savoirs (faire, être) nécessaires pour accomplir leur fonction. On se situe ici bien dans ce que jai déjà nommé leffort de formalisation de la pratique professionnelle. Il mimportait de décliner cette formalisation de la pratique en un ensemble de représentations des compétences éducatives spécialisées. Je mappuierai sur les entretiens bien évidemment, mais aussi les enquêtes qui ont été adressées à des professionnels, lorsque jétais formateur à lIRTS de Bretagne, à propos des compétences, des rôles et des fonctions du métier déducateur.
Justement, la première question à laquelle les professionnels devaient répondre était celle des concepts quils utilisent ou quils doivent maîtriser pour exercer leur métier. Je suis parvenu à extraire des quelques 50 réponses au questionnaire jusquà 386 termes. Je précise bien « termes » dans la mesure où les mots ou expressions cités par les professionnels varient entre des concepts disciplinaires purs, des actions éducatives particulières, des valeurs générales et humaines. Les informateurs ont ainsi montré une interprétation particulière du mot « concept » à travers lequel ils ont montré la représentation quils avaient de leur métier, beaucoup plus que les concepts à luvre dans leur pratique professionnelle.
Comme dans les schémas précédents, jai classé les différents termes en catégories. Au vu de la multiplicité des termes recueillis, la classement a été beaucoup plus délicat. Quelques mots trouvent en effet leur place dans plusieurs catégories à la fois. Néanmoins, ce problème de catégorisation reste assez marginal, les mots trouvant relativement aisément une place dans telle ou telle catégorie. Les catégories que jai choisies sont les suivantes :
Termes psychanalytiques ou ayant trait aux soins
Termes empruntés à la psychologie sociale
Termes empruntés à la sociologie
Termes propres au monde de léducation et de la pédagogie spécialisées
Termes divers (cest à dire ne trouvant aucune place dans telle ou telle catégorie).
Il en ressort la distribution suivante :
La catégorie « éducation et pédagogie spécialisée » est majoritaire du point de vue des mots employés par les informateurs. Toutefois, il faut relativiser ce résultat, dans la mesure où jai pu montrer jusqualors la difficulté pour léducation spécialisée à se poser comme une discipline autonome. Les mots qui composent ce secteur sont, nous lavons vu à plusieurs reprises, empruntés à des disciplines connexes. Jai voulu dans cette catégorisation rendre compte de mots ou dexpressions typiques et récurrents au secteur éducatif, mots qui nappartiennent pas en propre aux disciplines telles que la psychanalyse, le sociologie, ou la psychologie sociale. Nous rentrerons dans les détails un peu plus tard.
On peut faire le constat inverse, à savoir que seuls 45 % des vocables revendiqués par les informateurs appartiennent en propre à léducation spécialisée. Autrement dit, les éducateurs interrogés considèrent que leur métier est construit, pour 55 % de termes ou concepts extérieurs à leur champ propre. Ce métier trouverait donc ses fondations majoritaires sur des concepts extérieurs au champ éducatif, ce qui le met de fait en difficultés voire en rivalité avec le monde universitaire, qui, depuis quelques années, forme des étudiants à des licences professionnelles dont le champ dintervention touche de très près lintervention éducative spécialisée. La carence de professionnels diplômés de léducation spécialisée naméliore en aucun cas la difficulté pour les éducateurs à faire face à des disciplines fortes, valorisées, soutenues et légitimées par luniversité. En dépit de leffort quasi désespéré de certains éducateurs à revendiquer une spécificité de leur action et de leur champ de compétences, le questionnaire montre pour plus de la moitié des termes employés, un métier qui se nourrit et se construit à partir de disciplines dont ils nen ont ni la totale maîtrise, ni la légitimité à en débattre.
Les informateurs font ainsi état dune sorte de métier demprunts dont la légitimité est fondée sur le recours à des disciplines nobles, reconnues, sérieuses, validées par la communauté scientifique. La psychanalyse et le domaine du soin constituent la première source demprunts du métier déducateur spécialisé, du moins dans ce quannoncent les informateurs. Notons que ce questionnaire était transmis à des éducateurs bretons dans le cadre de mon travail de formateur à lIRTS de Bretagne. Les réponses qui ont été faites sinscrivaient donc dans un souci destime professionnelle, dans la mesure où les formateurs dinstitut de travail social recrutent en permanence des professionnels pour assurer des vacations. Le rapport à létudiant, laspect lucratif de ces interventions sont suffisamment stimulants pour que les professionnels aient été tentés de séduire le formateur avec des propos ou des concepts quils jugeaient légitimes et valorisants pour décrire leur pratique. Il faut donc considérer les concepts décrits par les informateurs comme particulièrement importants et structurants pour eux. En ce sens, nous pouvons faire la conclusion que la psychanalyse continue de constituer un pôle attractif et valorisant pour les éducateurs spécialisés. Elle leur permet dafficher, ne serait-ce que dans les intentions, un discours scientifique ou pseudo-scientifique, se caractérisant par une certaine complexité verbale et conceptuelle. Ensuite arrivent la sociologie et la psychologie sociale comme sources de références pour les éducateurs. Il est vrai que si la psychanalyse continue de fasciner bon nombre déducateurs spécialisés, avides de discours ésotériques, la sociologie prend de plus en plus de place dans leurs discours.
Je propose danalyser rapidement dans un premier temps les concepts ou termes que jai rattachés en propre au domaine éducatif spécialisé et à la pédagogie.
TERMES EMPLOYESNbValeurs en %Autonomie (Notion d') Physique Personnelle Sociale, Autonomie / dépendance, Autonomisation126Projet et évaluation, Projet (individuel ou de groupe), Projet individualisé, Projet /contrat, Projets trajets, Démarche de projet126Autorité73,5Evaluation (écart entre projet et sa réalisation)73,5Référence éducative73,5Famille, Parent, Parentalité, Parler d'avenir avec les familles52,5Loi, Légal légitime, Rapport à la loi52,5Médiation, Médiation-négociation, Médiations, points d'ancrage du travail éducatif52,5Relation éducative52,5Responsabilisation, Responsabilité52,5Savoir, savoir être, savoir faire52,5Citoyenneté42Partenariat et réseaux, Partenariat42Respect, Respect des personnes42Substitut parental, suppléance parentale42Adolescence, Adolescence et handicap31,5Ethique et déontologie31,5Pluridisciplinarité31,5Activité et ateliers éducatifs21Analyse de la situation, Analyse réflexion21Apprentissage21Conflit21Contenance / référence21Contrat21Créativité21Déficience intellectuelle21Disponibilité (dans la tête)21Droits et citoyenneté, Droits et devoirs21Education21Internat21Limites, Limites cadre21Loisirs21Pédagogie21Sexualité21Accompagnement aide soutien suppléance10,5Accompagnement lors d'une promenade en ville10,5Acquis10,5Acte éducatif10,5Acteur10,5Action10,5Action éducative et clinique10,5Adaptabilité10,5Adulte10,5Attention / concentration10,5Attitudes éducatives10,5Capacités / incapacités10,5Carence affective10,5Co-intervention10,5Compétence10,5Complémentarité dans l'action10,5Concepts éducatifs thérapeutiques pédagogiques10,5Connaissance / action10,5Constance de comportement10,5Contrainte encouragement10,5Convivialité10,5Coopération10,5Coucher10,5Délinquance10,5Dimension économique10,5Ecrire formalisation des pratiques10,5Education spéciale10,5Encadrement10,5Enfant10,5Fonction accueillante10,5Formation / Enseignement / Apprentissage10,5Frustration10,5Gestion avec le milieu extérieur (gestion d'argent)10,5Hygiène10,5Inadaptation sociale10,5Information10,5Intimité10,5Lever10,5Majeur protégé10,5Mixité10,5Mobilisation 10,5Mode d'intervention / Action10,5Orientation spatio-temporelle10,5Ouverture sur environnement culturel enrichissant10,5Prévention10,5Problématique10,5Problème de comportements10,5Projection Anticipation QI10,5prothèse aide de l'éduc pour mieux réussir une tâche10,5Relations familiales (jeunes -parents)10,5Remise en question (formation continue)10,5Rencontre avec la famille10,5Rencontre avec le tuteur10,5Repas ( couvert, temps de repas, cuisine, menus, courses, vaisselles etc
)10,5Répondance10,5Résultat10,5Rupture10,5Sanction10,5Sécurité / danger10,5Situation d'entretien des locaux10,5Stabilité10,5Suivi, prise en charge10,5Synthèses - rapports écrits10,5Toilette et hygiène corporelle10,5Toute puissance / autoritarisme10,5TOTAL197100
Plusieurs remarques simposent au vu de cette liste de termes relatifs au champ de la pédagogie :
Il faut remarquer lextrême diversité des termes. Certains sont en effet directement tirés du champ de la pédagogie et constituent des concepts je dirais proprement psychopédagogiques. Cest le cas par exemple des mots « sanction », « autorité », « éducation », « coopération » etc. qui constituent tous des termes directement issus du champ de la pédagogie, plus largement des sciences de léducation ; dautres termes référent, eux, plus au champ dintervention éducative spécialisée : cest le cas des mots « internat », « prévention », « références éducatives », « synthèses » etc. qui renvoient à lactivité éducative dans sa spécificité professionnelle selon le type de fonctionnement institutionnel (internat ou milieu ouvert), ces termes par contre ne réfèrent pas à des concepts scientifiques particuliers mais beaucoup plus à des modes dintervention ou des contenus dactivité professionnelle ; enfin le corpus fait apparaître des termes plus divers qui, sils ne sapparentent en aucun cas à des concepts pédagogiques, réfèrent moins précisément à lactivité éducative spécialisée, ces termes sapparenteraient plus au sens commun (« convivialité », « repas », « sexualité » etc.). Cette multiplicité des types de mots est caractéristique dune difficulté pour les éducateurs à formaliser la représentation quils ont de leur métier à partir des concepts et des domaines scientifiques qui le fondent. Le formalisation se heurte à une mixité entre des mots qui se voudraient scientifiques et dautres qui référent à lactivité quotidienne. Le métier déducateur sinscrit en effet dans une double dynamique : il sagit dun métier sérieux, rémunéré, sanctionné par un diplôme détat qui sétablit donc dans une rigueur scolaire et universitaire, et en même dun métier qui sexerce dans le quotidien dusagers pris en charge, pas forcément désireux dune action éducative spécialisée, sinon de mener une partie de leur vie plus ou moins longue dans un lieu sécurisant et structurant. Le refus de la part de certains professionnels de théoriser leur activité professionnelle survit dans la profession du fait de cette double dynamique ; là où certains cherchent à donner un sens scientifique à ce quils font, dautres se refusent à tout métacommentaire scientifique, considérant que leur métier nest rien de plus quun prolongement de leur vie personnelle familiale au service denfants ou dadultes en souffrance. Cest ce qui explique cette forme de radicalisation du discours éducatif, par endroit très redondant, très parlé, truffé à chaque phrase de termes à teneur scientifique, et à dautres endroits très pauvre dun point de vue théorique, très affectif, très subjectif. Dans lensemble du corpus, léquilibre entre ces deux formes de discours est assez rare, les informateurs se revendiquant très ouvertement dun bord ou de lautre. Les discours mixtes ( cest-à-dire qui combinent autant des termes scientifiques que des termes issus du sens commun, référant au quotidien de laction éducative) sont peu nombreux.
La distribution des termes fait état dun corps de métier assez disparate, éprouvant des difficultés à se retrouver autour dun ensemble de mots plus ou moins communs. Labsence de termes réellement techniques, cest-à-dire dont le signifiant réfère à un signifié précis et peu contestable, en est lune des principales explications. Le tableau fait en effet la démonstration de termes très nombreux, sujets bien souvent à la polysémie ou dont les signifiants réfèrent à des signifiés larges. De plus, il ne se dégage pas une série de mots plus ou moins récurrente, les pourcentages montrent une multiplicité de mots sans véritable consensus dun informateur à lautre. Pourtant, dans ma pratique quotidienne déducateur, je peux témoigner quil se dégage des termes récurrents dun professionnel à lautre ; si dans les enquêtes que jai menées, la récurrence de termes est peu perceptible, cest sans doute lié à la difficulté quasi systématique des éducateurs à se dégager de leur quotidien du faire, pour parvenir à un niveau de formalisation plus important.
Regardons maintenant les mots qui réfèrent au soin et à la psychanalyse :
ConceptsNb%Ecoute77,9Handicap, déficience, incapacité, désavantage, Handicap, Handicap mental66,8Entretien d'aide55,6Sujet ( la communication, de son projet
), Sujet / objet, Sujet référencé au groupe, Sujet soumis aux lois du langage55,6Transfert, Transfert (théorie du transfert), Transfert : l'éducateur prend appui sur le transfert mais ne l'interprète pas, Transfert sur le lien55,6Affectif, affectivité44,5Distance / proximité, Distance affective33,4Empathie relation d'aide33,4Ethique et déontologie33,4Trouble de la communication, Troubles de la personnalité, Troubles du comportement33,4Vieillissement33,4Aide (relation, entretien)22,2Analyse de la situation, Analyse réflexion22,2Déficience intellectuelle22,2Demande22,2Maladie mentale22,2Sexualité22,2Soin22,2Triangulation22,2Action éducative et clinique11,1Approche systémique11,1Besoin11,1Carence affective11,1Clinique de l'éducatif // Clinique de la cure analytique : différences et points communs11,1Désir11,1Distanciation11,1Distribution des médicaments 11,1Dit et non dit11,1Evocation11,1Historicité11,1Image et connaissance de soi11,1Loi symbolique selon Lacan, ce qu'elle indique du rôle de l'éducateur11,1Objet transitionnel selon D.W. WINNICOTT11,1Observation11,1Processus de séparation / individuation11,1Que savons-nous de ce que nous faisons quand nous intervenons ?11,1Référence théorique choisie : ex : psychanalyse11,1Rôle des identifications dans la structuration de la personnalité11,1Séparation11,1Souffrance physique chez l'usager11,1Stade du miroir, souche de l'imaginaire et des identifications à venir11,1Symbolisation11,1Symptôme11,1Thérapie familiale11,1TOTAL88100
De la même façon que le tableau plus haut, on peut observer une multiplicité des concepts. Il ne se dégage pas de franches récurrences dun concept à lautre sinon les termes relatifs à « lentretien daide », « le handicap », « le transfert » et « le sujet » (et leurs dérivés) qui font état dun petit 4,4 % ou 5,2 % pour le plus important, de citations par les informateurs.
Les informateurs utilisent des séries de mots ou expressions dont la signification est plus ou moins précise. Certains termes a priori complexes, cest-à-dire dont le référent est loin dêtre perceptible immédiatement, sont exprimés par les informateurs sans entourage spécifique, qui permettrait une compréhension plus aisée de lobjet désigné. Prenons deux exemples : « processus de séparation / individuation » dit comme tel, sans explication ni précision, sapparente plus à du charabia quun objet conceptuel précis, objectif, clair ; on perçoit cependant linfluence de lectures psychanalytiques (WINICOTT ou DOLTO), mais lexpression est loin de suffire à elle seule pour que linterlocuteur attribue une crédibilité au propos. « Stade du miroir, souche de limaginaire et des identifications à venir » : si lexemple plus haut pouvait faire émerger un ensemble de significations plus ou moins précises, à condition tout de même de se référer à des ouvrages analytiques, lexpression de linformateur est complètement incompréhensible ; certes, elle contient des termes directement issus du champ psychanalytique ou de la psychologie clinique (« stade du miroir », « identifications », « imaginaire »), mais la construction qui est faite (« souche de limaginaire », « identifications à venir », lien sémantique entre « stade du miroir » et « souche de limaginaire et des identifications à venir ») rend le propos totalement alambiqué, voire insensé. Ces exemples marquent une assimilation complètement erronée de théories psychanalytiques. Lorsquun informateur écrit : « léducateur prend appui sur le transfert mais ne linterprète pas », il fait référence à la théorie du transfert contenu dans toute forme de relation, qui plus est thérapeutique ou aidante. Or, le contenu dune relation transférentielle est avant tout une question de représentation et donc de sens que le sujet donne à son éducateur et vice versa ; en ce sens, on peut estimer un véritable manque dappropriation de théories analytiques.
Ces quelques exemples montrent chez les informateurs une volonté manifeste de référer leur champ professionnel à la psychanalyse ou la psychologie clinique, volonté qui se fonde plus sur une recherche de crédibilité et de légitimité, que dune construction réelle dobjets professionnels analytiques. La référence reste donc très formelle, elle ne dit rien des contenus exprimés ; il suffit à lun de citer Lacan ou dutiliser des termes lus ou entendus chez des psychanalystes pour se donner lillusion dun savoir professionnel élaboré, dun métier noble et complexe. Ce constat sévère nest pas nouveau, puisque nous lavons déjà évoqué à plusieurs reprises au cours de cette thèse. Il témoigne dun métier fragile, en quête de légitimité et de reconnaissance qui, pour beaucoup des informateurs, a besoin de sentourer dun paradiscours complexe, élaboré, aux vocables riches empruntés à la psychologie, sans forcément en maîtriser le sens conceptuel. Un discours qui se veut riche et donc sérieux dun point de vue conceptuel, a contrario dun discours profane de bénévole par exemple ou de religieux, comporte un risque énorme de discrédit, discrédit dautant plus fort que le discours sinscrit en faux contre les non professionnels ou les personnes non formées en charge denfants en difficulté.
Regardons les mots ou expressions hérités de la psychologie sociale :
CONCEPTSNb%Autonomie (Notion d') Physique Personnelle Sociale, Autonomie / dépendance, Autonomisation1217,64Autorité710,2Identité, Identité professionnelle, Processus identitaire66,8Entretien d'aide57,3Groupe social, Groupe, Régulation de groupe57,3Relation / Communication, Relation, Relation d'aide, Relation duelle57,3Socialisation57,3communication45,8Empathie 34,4Aide (relation, entretien)22,9Conflit22,9Créativité22,9Coopération11,4Dynamique des groupes11,4Effets contenants du groupe11,4Image et connaissance de soi11,4Implication11,4Individu11,4Individu / société11,4Internalité11,4Leader - meneur11,4Motivation11,4TOTAL68100
Les concepts issus du champ psychosociologique marque, au contraire des champs psychanalytiques ou pédagogiques, une plus grande régularité des récurrences énoncées par les informateurs. « Lautonomie » et ses dérivés est cité à plus de 17 % : ce concept occupe une valeur importante chez les éducateurs. Toutefois, les définitions que proposent les éducateurs sont assez variables, lautonomie étant tout de même entendue assez largement comme laptitude à faire sans lassistance sociale dans la société. De même, les vocables ayant trait la technique dentretien rogérien (« relation daide », « empathie », « Relation / communication, Relation, Relation daide, Relation duelle ») occupent une part importante dans les concepts cités par les informateurs. Cela nest guère étonnant pour un métier qui revendique souvent la relation humaine et bienveillante comme un axe essentiel de travail.
Regardons les concepts issus du champ sociologique :
CONCEPTNb%Insertion sociale, Insertion professionnelle, Insertion sociale; Insertion/intégration813,1Intégration711,4Travail, Travail de réseaux, Travail en réseau, Travail d'équipe69,8Socialisation58,1Citoyenneté46,5Partenariat et réseaux, Partenariat46,5Institution, Institutionnalisation34,9Vieillissement34,9Acculturation23,2Interculturalité23,2Organisation, Organisation du travail23,2Temps libre, Temps libre (le temps vide)23,2Acquis11,6Acte éducatif11,6Adaptabilité11,6Complexité11,6Dimension économique11,6Individu / société11,6Interaction11,6Mixité11,6Ouverture sur environnement culturel enrichissant11,6Système social11,1Utilité sociale11,1Valeurs et culture11,1Vie sociale11,1TOTAL61100
Au même titre que le terme dautonomie et ses dérivés, « linsertion « et « lintégration » constituent une thématique répandue chez les éducateurs puisque ces mots représentent à eux seuls 26,6 % des termes dorigine sociologique cités. Néanmoins, sil fallait calculer les incidences de ces mots en pourcentage rattachés à lensemble de concepts cités, nous nous apercevrions de leur peu de représentativité. On se trouve donc en face dun métier éclaté dun point de vue conceptuel ou théorique, qui a du mal à se réunir autour de concepts forts, unanimes, et structurants, et qui se construit en piochant parmi une multitude de mots dorigines disciplinaires très différentes, donnant ainsi limpression dun métier opportuniste, très touche à tout, mais sans véritable stabilité théorique. Jai pu dailleurs faire le constat à maintes reprises dans mes rencontres avec des éducateurs spécialisés lors de mon activité professionnelle quotidienne, de personnes qui ne supportent pas de ne pas tout savoir et arguent une sorte de savoir universel, tout puissant, dissimulant derrière un discours élaboré et complexe la maîtrise évidemment difficile de lensemble des concepts et théories en sciences sociales.
On peut faire la remarque que les termes peuvent se répéter dun classement à lautre. En effet, la ligne qui sépare un mot issu du champ psychosociologique, pédagogique, sociologique nest pas toujours aisée à définir, les informateurs nétant pas toujours à même dexpliciter lorigine du concept ou du mot choisis. Plus largement, cela pose la question de la classification sémantique des termes dans des catégories plus ou moins précises.
CONCEPTSNb%Equipe, Equipe plurielle, Equipe pluridisciplinaire415,38Respect, Respect des personnes415,38Disponibilité (dans la tête)27,6Articulation13,8Clarté/simplicité13,8Complémentarité dans l'action13,8Complexité13,8Convivialité13,8Intimité13,8Investigation analyse13,8Justice13,8Langue, parole, discours13,8Qualité de la rédaction13,8Remise en question (formation continue)13,8Réunion d'équipe13,8Situation d'entretien des locaux13,8Stabilité13,8Supervision - contrôle13,8Utilité sociale13,8TOTAL26100
La dernière catégorisation des concepts, regroupée autour de lappellation « divers » résume lensemble des remarques que jai pu faire plus haut.
On observe en effet une pluralité de termes qui sont certes considérés comme des concepts par les informateurs, mais qui, en réalité, sont de niveaux structurels et théoriques très différents. Ce sont plus des mots qui rendent compte plus dune pratique socio-éducative (« équipe », « convivialité », « qualité de la rédaction » etc.) ou de principes éducatifs (« clarté/complexité », « stabilité » etc.) que de véritables concepts théoriques. Et pourtant, cest à partir de ces mots que les informateurs disent élaborer leur pratique professionnelle et structurer leur savoir professionnel, cest-à-dire lensemble des éléments qui justement doit les constituer en groupe professionnel. On perçoit bien la difficulté que les éducateurs ont de se réunir en un groupe univoque, surtout de se référer à une identité professionnelle particulière au vu de la pluralité à la fois des niveaux que des influences conceptuelles elles-mêmes. Lunité professionnelle (lidentité étant constituée, certes de multiplicité, mais aussi dun minimum de symbiose entre des acteurs professionnels se réclamant du même groupe professionnel) ne peut exister que difficilement du fait que les éducateurs ne parviennent à énoncer de manière claire, voire automatique, des concepts spécifiques, bien circonscrits, qui seraient lexpression dun minimum dunanimité et de consensualité parmi les professionnels interrogés. Pourtant, la totalité dentre eux exercent en Bretagne, se connaissent, fréquentent lIRTS de Bretagne soit comme intervenants ou anciens étudiants, font le même métier, bref partagent un ensemble déléments communs qui se confirment assez peu dans lexpression des savoirs professionnels auxquels ils tentent de se référer. Il ne faut pas non plus abonder dans largumentation inverse : si les consensus conceptuels ne sont pas massifs dun point de vue proportionnel, les informateurs ne proposent pas non plus un discours radicalement différent dun éducateur à lautre. Nous sommes donc en face dune identification à un ensemble de concepts théoriques et de savoirs professionnels mitigé, ni radicalement opposé dun informateur à lautre, ni radicalement semblable dun informateur à lautre, tout cela rend compte dune identification trop fragile, trop disparate pour quelle puisse faire force de crédibilité et de légitimité face à dautres groupes professionnels concurrents (assistantes sociales, moniteurs éducateurs, AMP etc.) ou complémentaires à la fonction éducative (magistrature, avocats, médecins, infirmières etc.).
Une fois que jai interrogé les professionnels sur les concepts qui fondent leur métier, je leur ai demandé de me citer les compétences (et donc capacités professionnelles) à luvre dans leur travail. Jai extrait de lenquête près de 339 items. De même que plus haut, ces items sont nombreux, et assez peu communs dun informateur à lautre. En revanche, le classement de ces items permet de dégager des catégories lexicales récurrentes, à savoir :
Les lexiques ayant trait à la pédagogie spécialisée
Les lexiques ayant trait à la méthodologie de projet
Les lexiques ayant trait aux aptitudes relationnelles de léducateur
Les lexiques ayant trait aux savoir-être de léducateur
Les lexiques ayant trait aux aptitudes et savoirs intellectuels
Les lexiques ayant trait au fonctionnement institutionnel
Lexiques divers ne trouvant place dans aucune des catégories
La répartition des mots ou expressions sétablit de la façon suivante :
Le métier déducateur spécialisé marque de la part des professionnelles une orientation nettement pragmatique. Cette visée pragmatique sinscrit dailleurs plus largement dans une représentation fortement répandue de la notion de métier : « A la base de la représentation habituelle du métier figure lidée dune spécificité dun savoir-faire, liées à la spécificité dun matériau de travail. »En effet, les aptitudes et savoirs intellectuels ne sont représentés dans les discours quà hauteur de 15 %. Les autres items réfèrent plus ou moins à des actions ou des attitudes concrètes à tenir auprès des usagers. Nous retrouvons bien lune des analyses du début où jai montré limportance que revêt le faire, laction dans la culture professionnelle des éducateurs. La théorie est vécue comme suspecte, voire inutile, elle regarde les intellectuels, léducateur doit poursuivre absolument la pratique, le faire qui sont sources de valorisation et defficacité. Toutefois, laction éducative spécialisée est minoritaire par rapport à des savoir-faire relationnels ou existentiels. Outre le fait quil soit peu aisé de définir ce qui relève dun savoir-être par rapport au savoir-faire, cette culture de la bonne attitude, de la disposition morale et psychologique est très forte chez les éducateurs. Toute la subtilité réside pour les éducateurs dans le fait de transformer des dispositions personnelles en des capacités objectives, appréhensives par lapprentissage, qui, pourtant ne sont pas à la portée de tous, la spécificité de léducateur spécialisé résidant essentiellement dans sa capacité à proposer des attitudes éducatives cohérentes et bienveillantes.
Les catégories ne sont guère originales. Nous retrouvons en effet les catégories structurelles de la culture éducative spécialisée déjà décrites au cours de la thèse, à savoir la référence au projet, à linstitution, la pédagogie spécialisée et les savoirs relationnels.
Items relevant daptitudes intellectuelles
Analyse ; Analyse (pas d'interprétation) ; Analyse de la pratique professionnelle ; Analyse d'une situation de conflits ; Analyser816%Ecriture ; Ecriture de la pratique/pratique de l'écriture ; Ecriture (communication) ; Rédiger un rapport ; Retranscrire un fait de façon objective612%Choix théoriques : lien théorie pratique ; Opter pour une référence théorique principale, en mesurer les incidences sur sa pratique ; Articulation théorie pratique (discours référé) ; Référencier sa pratique à des supports théoriques48%Synthèse méthodologique ; Synthétiser ; Synthétiser des écrits ; Ecrire une synthèse ; Faire des synthèses, des anamnèses48%Maîtrise de supports permettant la mise en uvre du travail éducatif ; Maîtrise de techniques, d'outils ; Posséder a minima des techniques d'activités et savoir les adapter36%Maîtriser le langage écrit et l'organiser pour transmettre les informations ; Maîtriser les écrits professionnels ; Production d'un discours professionnel36%Connaissances juridiques ; Connaître les textes réglementaires, droits du travail24%Esprit de synthèse24%Maîtriser les techniques (entretiens groupe famille)24%Avoir des connaissances théorique sur la maladie12%Avoir du recul et de la réflexion sur les situations 12%Concevoir et appliquer des méthodes d'apprentissage12%Connaissances techniques de reformulation12%Connaître et mesurer l'effet produit par son comportement, son image12%Connaître le développement de l'enfant12%Connaître l'histoire de chaque jeune12%Distinguer le discours et l'agir12%Elaborer un faisceau d'hypothèses de travail12%Etablir un diagnostic de la situation12%Expertise (observation, diagnostique)12%Fonder sa pratique à partir de la clinique12%Interpréter un schéma d'organisation12%La formation (savoir s'enrichir personnellement)12%Maîtriser théoriquement les étiologies afin d'adapter les actions éducatives12%Picorer dans de multiples approches équivaut à ne plus savoir de quoi on parle12%TOTAL50100%
Les savoirs théoriques à luvre dans le métier déducateur ne sont pas tant décrits par les informateurs que les dispositions psycho-cognitives et méthodologiques qui permettent daborder et dutiliser ces savoirs. Les verbes annoncés renvoient essentiellement à des compétences cognitives qui vont permettre que léducateur soit en capacité dagir auprès des populations en difficulté. Il ny a donc peu ou pas de savoirs qui soient gratuits, cest-à-dire qui naient pas dutilité directe avec la pratique professionnelle, la connaissance théorique étant vécue comme inutile à partir du moment où elle na pas dincidence avec le terrain. Ces verbes sont « maîtriser », « connaître », « élaborer », « établir », « concevoir », « fonder », autant de verbes qui, hormis peut-être « connaître », réfèrent à une forme dactivité cognitive particulière où prédomine laction à la réflexion. Quand un informateur écrit « Maîtriser théoriquement les étiologies afin dadapter les actions éducatives », on mesure immédiatement à quel point la connaissance doit avoir une visée pragmatique.
Nous nous trouvons en face dune culture de métier qui défend un savoir utilitaire. Léducateur spécialisé cultive ainsi une ambivalence forte où le savoir universitaire est à la fois fascinant pour un grand nombre de professionnels, les obligeant à des postures discursives savantes et alambiquées, et à la fois le savoir provoque un rejet massif dun grand nombre de professionnels, ce savoir étant perçu comme inutile et comme une perte de temps.
Le domaine lexical autour de la notion de « synthèse » représenté à hauteur de 8 % renvoie à une activité éducative particulière, plus que lactivité cognitive elle-même qui consiste à faire la synthèse de dimensions théoriques ou de textes épars. Les informateurs font strictement référence aux « réunions de synthèse » qui sont, dans les établissements éducatifs spécialisés, des lieux où les équipes, les différentes intervenants (psychologues, médecins, référents ASE etc.) se réunissent afin de confronter la connaissance quils ont dun jeune et de produire un écrit dit de synthèse qui sera envoyé à la personne détentrice de la décision de placement (magistrat, inspecteur ASE, etc.). Lutilisation du terme « synthèse » est certes empruntée au domaine de la cognition du point de vue de la forme de pensée qui intervient lors de ces réunions, mais il réfère directement à une pratique de terrain.
Quelques items comme ceux référant à la notion « danalyse » (qui représente tout de même 16 % des aptitudes intellectuelles citées) ou « avoir du recul sur les situations » ou « esprit de synthèse » réfèrent à une activité proprement intellectuelle sans lien direct avec une pratique éducative. Toutefois, lanalyse est vécue comme passant après la pratique et non comme un acte qui sous-tend la pratique professionnelle. Pour exemple, Marina confirme lors de lentretien à la question si elle retient quelque chose de sa formation : en théorie rien du tout /(rires)/ non mais euh / ouais cest ce que je disais on [on] / quand tas bien assimilé le truc / quand técris une lettre tu te poses pas la question de [e] : comment ça se fait que jécris le mot comme ça ? / tu le fais parce que tu sais que ça se fait comme ça / ben éduc là euh je [e] je me dis pas / cest Rogers qui mdit faut reformuler de cette façon-là : euh je le fais je me pose pas [a] 36000 questions théoriques / après peut-être que de temps en temps ça serait bon de revenir là-dessus mais là cest ce quon pourrait appeler les analyses de pratique. Elle ne nie aucunement la pertinence dune référence à la théorie, mais elle semble préférer à la réflexion analytique des automatismes professionnels, ajoutant tout de même quil « serait bon de revenir là-dessus » mais uniquement « après peut-être de temps en temps ». Thierry tient un discours assez similaire puisquil dit : je pense quil y a aussi / bon la mise en place doutils deuh une façon de réfléchir euh en utilisant ben des [é] des grilles danalyse qui [i i ] / qui justement permettent dêtre plus rationnel et objectif que euh [eu] que la psycho à deux balles quoi.
Aptitudes relevant de savoirs-être
Adaptabilité ; Adaptabilité / remise en cause ; Adaptation ; Adaptatation au rythme de l'enfant ; Adaptation du discours au niveau de l'enfant de façon à être compris ; Adapter son comportement et ses demandes au cas par cas ; S'adapter1114,50%Respect par rapport au handicap et reconnaissance de celui-ci ; Respect vis-à-vis de notre travail par rapport à l'usager ; Respecter aussi bien tous les enfants que tous les adultes (pros) ; Respecter des engagements par rapport aux jeunes Respecter des engagements par rapport aux jeunes ; Respecter la dignité et l'intimité de la personne ; Respecter les usagers ; Tolérance ( à la différence, à la frustration)911,80%Maîtrise / équilibre ; Maîtrise de soi ; Maîtriser ses affects (maîtrise de soi) ; Auto-contrôler les affects entre le trop et le pas assez ; Se décentrer (affects/usager/contexte)67,80%Ponctualité ; Rigueur ponctualité ; Rigueur vis-à-vis de notre travail par rapport à l'usager ; Être rigoureux et structurant67,80%Disponibilité ; Être disponible, écouter ; Faire preuve de disponibilité en matière d'écoute56,50%Être soi-même authenticité ; Identification de mes choix, éthique et valeurs ; Se re-connaître, identifier ses propres valeurs ; Se positionner (avoir des convictions)56,50%Imagination et création ; Innover proposer; Inventer construire; Créativité56,50%Distance, prise de recul ; Prendre du recul par rapport au vécu du jeune ; Prendre du recul par rapport aux situations vécues dans l'institution ; Prendre une distance émotionnelle et relationnelle45,20%Utiliser l'autorité : être ferme ou "laisser couler" quand il le faut ; Asseoir son autorité ; Autorité ; Autorité mais aussi attention ;45,20%Initiatives ; S'engager, prendre des risques ; S'impliquer33,90%La responsabilité ; Sens des responsabilités33,90%Dédramatiser des situations tendues par l'humour ; Dédramatisation ;22,60%Dynamisme22,60%Faire preuve de patience en cours de situations d'app. de la vie quotidienne ; Patience22,60%Ouverture d'esprit ; Ouverture sur le monde22,60%Assumer et réguler les conflits11,30%Confidentialité11,30%Congruence11,30%Être critique par rapport aux discours dominants11,30%Être précis sur les démarches administratives11,30%Faire preuve d'humilité11,30%Persévérance11,30%TOTAL76100%
Mon expérience de formateur ma permis de constater à chaque visite de stages (il sagissait dune rencontre organisée à linitiative du Centre de formation avec le formateur référent de lécole, létudiant et le moniteur de stage) limportance que les terrains accordent aux dits savoir-être. Pour ma part, je ne suis jamais parvenu à identifier de manière claire le distinguo qui était fait avec des savoir-faire, ce qui ma valu de nombreux débats passionnés avec les étudiants, ces derniers sévertuant à me convaincre de leur prime importance dans le métier déducateur. Je partais du principe peut-être abusif et faux quune qualité relationnelle et humaine comme par exemple la patience vis-à-vis de personnes handicapées mentales relevait dun apprentissage en terme de savoir-faire. Les débats étaient à chaque fois virulents, comme si je remettais profondément en cause une certitude partagée par lensemble de la profession par laquelle le métier déducateur spécialisé repose fondamentalement sur des savoir-être. Le témoignage de Dominique est formateur en la matière : des outils qui euh qui me caractérisent le plus cest peut-être un peu prétentieux / cest euh cest une capacité à mettre les gens en confiance / et euh je veux dire bon de [e] je promets jamais la lune parce que bon jai pas les moyens de latteindre de toutes façons / euh [eu] quand je dis je fais / quand je sais pas je sais pas / euh [eu eu] je [e] je pense être un [un] un bon intermédiaire dans les contacts / et euh [eu] / ouais je pense être quelquun effectivement de de chaleureux et de sûr / ça pour des qualités relationnelles premières / ensuite je connais bien mon travail / je connais bien les les les comment ? les différents organismes les partenaires et effectivement léducateur pour moi cest une passerelle / cest un passeur cest tout ce quon veut / donc euh cest cest euh cest donc faire le lien / pour moi cette relation de liens ça passe effectivement par des qualités humaines euh euh [eu] / ben nécessaires à sa voir euh de lécoute de euh de la confiance de la distanciation / euh [eu] / être capable euh de ne pas projeter ses propres euh [eu] / moi jai pas de désirs sur la personne etcetera. A la fois, il revendique des connaissances objectives (partenaires) mais surtout il met en avant les « qualités humaines » qui vont permettre « mettre les gens en confiance ». Il poursuit toujours sur la même ambivalence : je crois quil faut les deux / il faut les deux / bon il faut connaître effectivement un certain nombre de choses il faut connaître son taf quoi / je veux dire euh léducateur en CHRS sera pas le même quun éducateur en IME / donc euh il est clair queuh [eu] léducateur spécialisé nest spécialisé que dans lendroit où il travaille / tu vois ? donc euh [eu] je pense que quelquun qui a tout des qualités humaines euh requises pour faire éducateur sil sait pas ses outils sil sait pas à lheure actuelle effectivement ben euh [eu] les et quil connaît pas les lois de modernisation sociale sil connaît pas le dispositif RMI sil connaît pas euh les principes législatifs il va être inopérant / cest clair / donc ça passe par un savoir euh être entre guillemets important quoi. Le discours hésite en permanence entre lobligation pour léducateur spécialisé de se référer à des connaissances formelle, scolaires, et de recourir à sa propre personnalité. Dominique nassume pas complètement cette position puisquil se sent dans lobligation de dire « un savoir euh être entre guillemets ». Récemment mon Directeur au cours dune discussion sur les difficultés relationnelles dun membre de mon équipe arguait : il va falloir quil change ! loutil numéro un de léducateur cest sa personnalité.
La nuance entre des aptitudes de type savoir-être et des aptitudes relationnelles est très ténue. Jai classé les items plus haut dans la catégorie savoir-être, non sans difficulté, sachant que pour de nombreux items jai fortement hésité à les ranger dans lautre catégorie.
Ladaptation et le respect apparaissent comme deux valeurs phares dans la culture éducative spécialisée (28,30 % des items cités par les informateurs dans cette catégorie). Ces deux postures, je dirais personnelles, sont très complémentaires, voire redondantes, dans la mesure où une attitude respectueuse appelle nécessairement une adaptation par rapport à la singularité de lenfant suivi, et une adaptation par rapport à lenfant implique nécessairement un intérêt, un non jugement de la différence manifestée par le sujet. Indéniablement, les statistiques font la démonstration un métier qui sest construit dans une référence à des valeurs humanistes de bienveillance et de tolérance face à la différence. Cela nest pas sans faire écho aux influences judéo-chrétiennes encore très prégnantes dans un grand nombre dinstitutions éducatives françaises. Ces références humanistes se retrouvent aussi dans les groupes ditems qui réfèrent à « la disponibilité » (6,5 %), « lhumilité » (1 %), et « louverture desprit » (2 %).
Arrive en seconde position en nombre ditems, le groupe lexical qui fait référence au contrôle de soi dans la fonction déducateur (7,8%). Ces items renforcent laspect assez contradictoire entre un savoir-être annoncé par les éducateurs comme constitutif des capacités professionnelles, et le besoin quils ont de techniciser leur relation à lautre, de contrôler leurs affects, leurs émotions qui pourraient interférer dans leur rapport aux usagers. Cest sans doute ce besoin de contrôle qui fonde la différence entre ce qui relèverait de lêtre (« Être soi-même authenticité » ; « Identification de mes choix, éthique et valeurs » ; « Se re-connaître, identifier ses propres valeurs » ; « Se positionner (avoir des convictions) ») et du savoir-être (« Maîtrise / équilibre » ; « Maîtrise de soi » ; « Maîtriser ses affects (maîtrise de soi) » ; « Auto-contrôler les affects entre le trop et le pas assez » ; « Se décentrer (affects/usager/contexte) »). Tous les items relatifs à la prise de distance et de recul (« Distance, prise de recul » ; « Prendre du recul par rapport au vécu du jeune » ; « Prendre du recul par rapport aux situations vécues dans l'institution » ; « Prendre une distance émotionnelle et relationnelle ») concourent à leffort de rationalisation des émotions et des affects dont se targuent les éducateurs interrogés.
Le reste des items renvoient à des traits de personnalité de niveaux assez hétéroclites allant de la ponctualité, en passant par le dynamisme, la créativité, la persévérance, lesprit de responsabilité etc., autant de traits dailleurs que les éducateurs souhaitent développer pour leurs usagers. Il y a une sorte de projection en miroir entre les représentations que partagent les éducateurs relativement aux compétences et aux savoir-être quils souhaitent développer pour leurs usagers, et leurs propres savoir-être qui fondent leur identité professionnelle.
Termes ayant trait aux aptitudes relationnelles
Ecoute ; Ecoute de la parole de l'usager et ses silences ; Ecoute disponibilité ; Ecoute et prise en compte du discours du jeune ; Ecouter la demande ; Ecouter l'autre ; Ecouter être disponible ; Faire preuve de disponibilité en matière d'écoute ; Sens de l'écoute ;2133,80%Aller vers un groupe de jeunes connus . Aller vers un groupe de jeunes inconnus ; Créer le lien avec le jeune ; Entrer en relation avec un public en difficultés relationnelles ; Rentrer en relation avec les publics ; Savoir faire du lien69,60%Communication ; Communiquer ; Dialoguer ; Maîtriser le langage écrit et l'organiser pour transmettre les informations ; Utiliser des moyens de communication69,60%Maîtriser les techniques (entretiens groupe famille) ; Maîtriser les techniques d'entretien ; Mener un entretien ; Mener un entretien individualisé ;46,40%Décodage ; Décodage d'une demande de l'usager ; Percevoir au-delà des mots34,80%Diriger un groupe de parole ; S'adresser à un groupe23,20%Echanger des informations avec tous les membres de l'équipe pluridisciplinaire ; Echanger sur un pied d'égalité avec le psychiatre, le psychologue23,20%Emettre son point de vue et prendre position en ce qui concerne les sanctions à mettre en uvre ; Exprimer son point de vue23,20%Transmission (rendre compte) ; Transmettre des infos à l'équipe23,20%Capacités relationnelles11,60%Concentration en cours d'échange et entretiens11,60%Connaissances techniques de reformulation11,60%Entendre11,60%Être en relation11,60%Implication dans la rencontre singulière11,60%Parler de ce qui pose problème ou fait doute11,60%Provoquer une demande chez le sujet11,60%Questionnement11,60%Rencontrer les familles à leur domicile11,60%Répondre à des demandes ponctuelles : lettres de motivation, sorties11,60%Répondre aux attentes, angoisses des jeunes, sécuriser11,60%Restituer réaliser rendre compte11,60%Situer et réguler son rôle pour faciliter la créativité, l'expression des usagers11,60%TOTAL62100%
On peut observer que la majorité des groupes lexicaux relationnels réfèrent à des compétences conversationnelles et communicationnelles. On est bien en face dune culture professionnelle de la parole, de la communication dialogique. « Lentretien » et toutes les compétences orales, verbales et paraverbales qui vont avec constituent pour cette catégorie 80 % des items énoncés par les éducateurs. Je les ai grisés dans le tableau plus haut. Cela est révélateur dun métier qui privilégie linstantané des relations, la parole immédiate à la formalisation, la rationalisation des choses. Si le sens populaire dit que seul lécrit reste, laffiliation des éducateurs à une culture de loralité ne peut quavoir des effets sur la considération du groupe professionnel par dautres (comme certaines assistantes sociales qui peuvent avoir une représentation de léducateur de quelquun dans le discours et peu dans laction) et la difficile légitimité des éducateurs face à dautres professions de culture professionnelle plus écrite (magistrature, médecine, assistantes sociales, etc.). Mes différentes observations au cours des visites de stage ou de mes expériences professionnelles confirment la réticence très forte de nombreux éducateurs face à lécrit, préférant la volubilité des discours oraux. Néanmoins, il faut rester prudent devant le stéréotype par lequel les éducateurs spécialisés écrivent peu, si lon considère le nombre de plus en plus important de documents quils doivent remplir pour leurs usagers (rapports de situation, dossiers administratifs, récits OFPRA etc.).
« Lécoute » constitue à près de 34 % des occurrences citées par les informateurs. Cet aspect de la relation est revendiqué par la majorité des éducateurs comme un axe fort, voire essentiel du métier déducateur. Les éducateurs entretiennent un rapport ambivalent à lécoute, lenvisageant tout à tour comme une finalité (léducateur étant considéré comme un spécialiste de lécoute) et un moyen pour permettre un mieux-être de leurs usagers. De même, lécoute est envisagée à la fois comme une compétence professionnelle nécessitant un apprentissage particulier (« Maîtriser les techniques dentretien ») et un art personnel, une disposition morale et psychologique de type savoir-être (« sens de lécoute »). Nous retrouvons bien la double spécificité identitaire des éducateurs à savoir leur besoin déchapper au sens commun, à lengagement bénévole, grâce à la connaissance technique et théorique, et, en même temps, leur revendication dune bienveillance et dune ouverture à lautre empruntes de générosité et dempathie. Lécoute constitue en ce sens la compétence professionnelle qui se veut autant fondée sur la rigueur et la technicité, que lhumanisme et la générosité. Elle incarne de manière quasi exemplaire la difficulté pour les éducateurs spécialisés à échapper à leurs origines judéo-chrétiennes ou militantes, et à faire valoir un ensemble de compétences et de savoir-faire propres, dignes de légitimité et de crédibilité professionnelles. Lécoute nest quun aspect du manque manifeste de références collectives, qui permettraient de faire barrage au travail bénévole ou à la floraison de petits boulots à mi-chemin entre le bénévolat et le salariat, phénomène que décrit J. ION dans Le travail social au singulier.
Aptitudes relevant de la pédagogie spécialisée
Interdire / affronter ; Poser des limites, rappel des règles ; Poser un cadre sécurisant et rappeler les règles de vie commune et les faire appliquer ; Rappeler la loi ; Recadrer ; Sanctionner tous les actes des enfants69%Gérer des conflits ; Gérer un groupe ne pas se laisser envahir ; Gérer une situation difficile ; Gestion de groupe57,50%Agir, intervenir, s'impliquer dans la quotidien ; Agir, s'impliquer, être responsable ; S'engager, prendre des risques ; S'impliquer45,20%Cohérence ; Cohérence en matière de réponse éducative ; Choisir un type d'intervention adapté à l'objectif et à la personne concernée ; Mener des actions éducatives adaptées à un individu un groupe 45,20%Être contenant et sécurisant ; Répondre aux attentes, angoisses des jeunes, sécuriser ; Protéger les jeunes lors de violences physiques34,50%Intervention ; Intervenir en équipe ; Intervenir en cas de conflits physiques ou verbals auprès des jeunes34,50%Maîtrise de supports permettant la mise en uvre du travail éducatif ; Maîtrise de techniques, d'outils ; Savoir utiliser, maîtriser un support éducatif34,50%Organiser une activité ; Posséder a minima des techniques d'activités et savoir les adapter ; Proposer des activités34,50%Remettre en cause une action éducative, son comportement ; Remise en question : analyse et prise de recul34,50%Animation ; Animer un groupe23%Information (savoir informer) ; Informer23%Laisser faire ; Utiliser l'autorité : être ferme ou "laisser couler" quand il le faut23%Mener un entretien ; Mener un entretien individualisé ;23%Ne pas faire à la place de l'autre (subsidiarité) ; Ne pas faire à la place de l'usager23%Accompagner un sujet vers une institution ; Accompagner et orienter un jeune dans ses démarches23%Accueil au local d'un jeune ou d'un groupe11,50%Définir les justes médiations ou aides sans déposséder la personne handicapée de la maîtrise de sa vie et de ses droits11,50%Diriger un groupe de parole11,50%Discerner l'urgent, l'indispensable, le superflu11,50%Faire appel à un tiers11,50%Faire des démarches administratives11,50%Jouer - Jouer la comédie11,50%Motiver le jeune ou un groupe de jeunes11,50%Orienter les jeunes ou leur famille vers des dispositifs sociaux mieux adaptés11,50%Prise en compte de la notion de temps11,50%Prise en compte du désir en fonction de la réalité11,50%Professionnalisation - Prendre du recul11,50%Rechercher un stage un emploi réalisation d'un chantier11,50%Reconnaissance du handicap et discernement dans la situation des usagers11,50%Réguler et nourrir un habitat collectif11,50%Rencontrer les familles à leur domicile11,50%Rendre l'autre acteur de son parcours de vie11,50%Repérer les acquis11,50%Répondre à des demandes ponctuelles : lettres de motivation, sorties11,50%Valoriser l'usager, reconnaître ses capacités11,50%TOTAL66100%
La liste des compétences relatives à la pédagogie spécialisée ne fait pas paraître des tendances fortes ou des régularités importantes dans les occurrences, au contraire des listes précédentes. De même, la catégorisation des mots autour de ce qui relèverait dune pédagogie spécialisée a été loin peu aisée dans la mesure où léducation spécialisée sest constituée en périphérie dun ensemble de disciplines diverses, quelle sadresse communément à une multiplicité de populations, et quelle sexerce dans des lieux institutionnels variés. Les compétences professionnelles font inévitablement état dune remarquable variété et dun manque de connivences entre les différents professionnels. Les capacités professionnelles éducatives spécialisées sont lexpression dun métier éclaté : ce qui fait unité chez les éducateurs cest paradoxalement la variété des capacités professionnelles, labsence dun ensemble de compétences clairement identifiées, clairement circonscrites, faisant lunanimité auprès de lensemble des professionnels. CHAUVIERE montre dans cet esprit que les éducateurs sont dépendants dautres corps professionnels à tous niveaux, tant du point de vue des savoirs, du diagnostique, de la décision que de la finalisation du sens du travail. Cela explique la difficulté pour ce métier à asseoir un ensemble daptitudes spécifiques, à énoncer un référentiel de compétences qui soit définitif et socialement valorisant.
La tentation peut être alors grande chez les éducateurs de revendiquer comme professionnels jusquà des actes anodins de la vie quotidienne. Tout devient éducatif, même la pire des incohérence ! Jai pu assister à de nombreuses réunions de service, pendant lesquelles les éducateurs pouvaient défendre sur des prétextes dits éducatifs le contraire de son semblable. Les types de réponses éducatives sont si variées, si peu circonscrites quelles font lobjet dinventions permanentes. Cela nest pas sans aider à la crédibilité dun métier qui a du mal à se déterminer, à se définir autour dun ensemble de savoir-faire stables et solides. JR LOUBAT fait état à ce propos chez les éducateurs dun véritable « flou artistique au sujet de ses finalités, de ses modèles théoriques, et de ses pratiques sociales » qui produit inévitablement des approximations, voire des non-sens théoriques dans lappréciation quils portent aux situations éducatives.
En tous les cas, les mots ou expressions énoncés par les informateurs ne font pas apparaître des régularités de tel ou tel type dentrée. De plus, il est difficile dassocier les données au seul domaine de la pédagogie spécialisée, un certain nombre dentre elles étant connexes à dautres. Les domaines lexicaux relevant de ce que jai nommé les savoir-être ou les compétences relationnelles sont très proches dun certain nombre ditems caractéristiques dune pédagogie spécialisée. Tout cela révèle un métier pour lequel il est tout à fait difficile de considérer le langage comme un ensemble de technolectes spécialisés : au contraire, les éducateurs spécialisés font état, au moins dans leurs discours, dun ensemble de compétences peu spécifiques, peu précises, peu circonscrites, souvent aléatoires. Lévaluation de ces aptitudes sen trouvent dautant plus arbitraire et difficile, que la correspondance entre lobjet référé et le signifiant est plus que relative et plurielle. A contrario dun métier qui a besoin dun langage spécialisé pour référer des objets précis, dont la signification voire même lexistence en tant que tel nont de pertinence que dans lespace professionnel concerné, les éducateurs utilisent un langage peu spécificié, évasif, même si la forme recherche lélaboration et la complexité sémantico-syntaxiques, tout en revendiquant la spécificité de lactivité professionnelle. En tout état de cause, le manque de précisions, de rigueur sémantique dans le discours a pour effet immédiat un déficit de crédibilité, et la possibilité laissée au sens commun de semparer de ce que les éducateurs défendent comme leur territoire professionnel propre. Pour exemple, en 1993, JL MARTINET écrivait déjà que « léducateur est toujours à la recherche de sa légitimation », ce qui montre que la question dun besoin de légitimité et donc de reconnaissance nest pas nouveau pour ce métier. Pour autant, les éducateurs ne semblent toujours pas parvenus à se fonder un discours qui permette une plus grande crédibilité et un espace professionnel propre.
Aptitudes liées au projet
Elaboration et la mise en uvre du projet ; Elaborer des hypothèses / situation ; Elaborer des hypothèses / situation ; Elaborer et mettre en uvre un PAE ; Elaborer et mettre en uvre un projet interpartenarial ; Elaborer puis modifier des projets au décours de l'évolution de l'enfant ; Elaborer un faisceau d'hypothèses de travail ; Elaborer un projet (tenir compte de la dimension d'impossible) ; Elaborer un projet individualisé931%Evaluer ; Evaluer et s'évaluer ; Evaluer les capacités de l'enfant, l'état de son environnement, l'état de l'institutionnel ; Evaluer les capacités intellectuelles des jeunes ; Evaluer les possibilités physiques et psychiques de chaque jeune ; Evaluer une / des actions : stratégie de changement ; Observation Evaluation724,10%Mettre en uvre des projets ; Mise en uvre de projets ; Mettre en place une activité qui réponde réellement à des besoins constatés413,80%Construire un projet26,80%Rédiger un projet ; Rédiger un rapport26,80%Définir des objectifs13,40%Objectivation13,40%Choisir un type d'intervention adapté à l'objectif et à la personne concernée13,40%Organisation d'un projet d'action13,40%Sens du projet / objectifs13,40%TOTAL29100%
Le projet est envisagé par les professionnels au travers des trois étapes principales qui le caractérisent :
Lélaboration (31 %)
Lévaluation (24,1 %)
La mise en uvre (13, 8 %)
Il est remarquable de considérer que les informateurs donnent la priorité aux tâches intellectuelles qui composent la méthodologie de projet. Lévaluation et lélaboration correspondent à plus de la moitié des occurrences proposées par les informateurs. Laction proprement dite ne concerne que 13, 8 % des items. Cette configuration assez étonnante pour un métier qui privilégie le faire à lélaboration intellectuelle, rend compte dune connaissance et dune utilisation par les professionnels assez parcellaire et imprécise du projet. Du coup, les éducateurs préfèrent à la mise en uvre son élaboration dans la mesure où elle reste à létat théorique, ce qui les protège de léventuel reproche de leur hiérarchie ou des financeurs (rappelons à cet effet que la récente loi 2002-2 oblige les établissements médico-sociaux à établir des projets individualisés pour chaque usager), quen dépit du souhait annoncé de proposer aux enfants des objectifs individualisés et adaptés à leurs difficultés, les projets sont assez similaires dun usager à lautre. Pour J. ION, le travail social fait état dune frontière de plus en plus difficile avec le bénévolat : « la notion dintervenant vient marquer cette indétermination et peut-être signaler la fin dun processus que lon pensait irréductible, puisque ce terme autorise la réunion dans un même ensemble de professionnels et de bénévoles » ; or le projet constitue loutil qui permet aux travailleurs sociaux de faire la preuve de leur professionnalisme et de leur technicité. Hélas, les discours produits par les informateurs ne permettent pas de vérifier une assimilation de la méthodologie de projet aux données de terrain, ce qui nest en rien facteur dune meilleure crédibilité par rapport à une pratique bénévole.
Aptitudes liées au travail institutionnel
Travail en équipe ; Travail en équipe, partenariat ; Travailler avec les partenaires sur des projets ; Travailler en équipe pluridisciplinaire ; Travailler en équipe, collaborer ; Travailler en réseau, équipe ; Travailler sous le regard des collègues ; Travailler sous le regard des collègues ; Aptitude au travail d'équipe pluridisciplinaire1124,40%Organiser ; Organisation ; Organiser le temps ; Organiser le travail ; Organiser une activité ; S'organiser et planifier715,50%Rendre compte ; Rendre compte du travail (public institution)48,80%Travailler en partenariat ; Travailler en partenariat ; Travailler en partenariat et créer des synergies avec l'environnement de l'usager; Travailler en partenariat sur des projets48,80%Connaître les textes réglementaires, droits du travail ; Inscrire son action dans le cadre réglementaire24,40%S'instituer une fonction dans le service pour autrui (responsable de) ; S'instituer une place dans le rapport aux autres (collègues, parents)24,40%Transmettre des infos à l'équipe24,40%Institution: est-ce un passage ? Est - elle réparatrice ?12,20%Interpréter un schéma d'organisation12,20%Modifier le contexte12,20%Positionnement professionnel par rapport à l'environnement12,20%Prendre appui sur l'institution et tenir compte des limites12,20%Prendre des décisions et définir des modalités d'application12,20%Prendre du recul par rapport aux situations vécues dans l'institution12,20%Production d'un discours professionnel12,20%S'inscrire dans l'institution12,20%S'insérer dans une démarche collective12,20%Structurer son action12,20%Cadrer et expliciter aux usagers son intervention12,20%TOTAL44100%
La thématique de « léquipe » occupe une grande place dans les discours des éducateurs (24,4 %). Cela marque combien le sentiment dappartenance institutionnelle passe chez les éducateurs spécialisés par ce quils nomment « le travail en équipe ». Cette aptitude est très spécifique à la culture éducative spécialisée. Le travail en libéral ou en totale autonomie est mal perçu par les éducateurs, le travail en internat par exemple nécessitant pour des raisons pratiques détablir des roulements et de travailler à plusieurs. Ainsi, les établissements se doivent de mettre en place des outils qui permettent une communication efficace et une collaboration efficiente entre les personnes. Toujours est-il que les informateurs annoncent de manière forte leur besoin de travailler en équipe, sans pour autant être capables de proposer un contenu plus précis de ce que recouvrirait un travail en équipe.
Le « travail en partenariat » occupe une place non négligeable dans la culture éducative spécialisée. En loccurrence, la notion de partenariat est présente à hauteur de 8 % parmi les aptitudes liées au travail institutionnel. Toutefois, si la thématique du partenariat est importante, elle est assez peu déclinée par les éducateurs. Le risque important pour les professionnels est de mettre en exergue une notion phare telle que celle de partenariat, en restant au niveau de lintention. En effet, le fait même de faire appel à une autre institution ou de se réunir autour dune table pour discuter dun problème social constituent pour les éducateurs un travail de partenariat. Les niveaux de collaboration voire de concurrences sont très différents selon les situations, les besoins des professionnels, et les discours des éducateurs spécialisés ne font pas apparaître de nuances dans lappréhension de cette aptitude. Cette notion nest pas seulement forte chez les éducateurs spécialisés, elle traverse tout le secteur social de manière unilatérale. Hélas, elle reste souvent un vux pieux, les institutions étant évidemment soumises à des contingents financiers ou administratifs qui ne permettent pas des relations de partenaires au sens amical du terme, mais bien des relations de collaboration relativement intéressées et éphémères. En tous les cas, rien dans les discours des informateurs ne laisse paraître de nuances dans les formes de partenariat, sinon peut-être un idéal relationnel emplein de générosité et de bienveillance. La notion de partenariat fait une nouvelle fois écho aux origines judéo-chrétiennes du métier où la mission dassistance éducative est exprimée, au moins dans les intentions, dans la nécessité pour les professionnels de se réunir et de se battre pour la même cause. Ceci dit, si la notion de partenariat telle quelle est énoncée par les éducateurs fait appel à la générosité humaniste, personne nignore les rivalités financières du secteur éducatif.
Le témoignage de Claude est assez exemplaire dans labsence de nuances quand il sagit de décliner la notion de « partenariat » : ouais moi jaime travailler en partenariat / alors euh avec qui on travaille en partenariat ? ben par exemple dans une situation extrêmement difficile je je commence à voir clair dans ma situation uniquement parce que la mère est incarcérée / ça arrive de plus en plus / et que lassistante sociale de la prison et même son avocate euh / lassistante sociale euh du contrôle judiciaire euh [eu] on collabore énormément / par rapport à ça donc jen ai 5 ou 6 quand même qui sont [on] en contrôle judiciaire ou incarcérés donc euh ça cest un partenariat /partenariat beaucoup aussi de plus en plus avec euh la PJJ / les collègues de la PJJ parce que justement ya souvent des doubles mesures parce que les jeunes
A part le synonyme « collaboration », linformatrice est incapable dapporter des éléments plus précis, plus explicatifs de ce type daction sociale.
Ce quils disent des rôles et fonctions de léducateur spécialisé :
Nous avons décrit jusqualors dans les compétence professionnelles à partir desquelles les éducateurs fondent leur action, un souci peu confirmé par les discours de faire rempart à une culture du bénévolat, de revendiquer un ensemble de savoir-faire qui leur prêteraient une véritable légitimité professionnelle, sans pour autant être en capacité détablir un discours technique, autonome, suffisamment complexe et spécialisé pour peser contre les discours professionnels annexes au secteur éducatif spécialisé. Comme lécrit H. HATZFELD, les éducateurs participent aux paradoxes du travail social, à savoir quils tentent de « dire ce qui na pas de mots, de nommer ce qui na pas de nom » : cela a un effet très négatif sur la construction identitaire du métier, et sur la manière dont les éducateurs peuvent se fonder en un groupe professionnel autonome et crédible. Il nous importe de regarder la façon dont les informateurs ont décrit les rôles et fonctions attenants à leur métier, et si cette description a un effet aussi négatif et déstructurant pour leur groupe professionnel. Nous regarderons si les rôles et fonctions remplissent limpossible à dire pour reprendre la formule de HATZFELD.
Notons que jai pour le coup restreint la manière dont les informateurs décrivent les rôles et fonctions de léducateur spécialisé aux seuls entretiens oraux. Cette restriction sexplique du fait que la question à proprement parler des rôles et fonctions est posée de manière explicite lors des entretiens. De plus, les aspects oraux de la conversation permettent dévaluer les réactions des informateurs, réactions paraverbales tout à fait intéressantes pour rendre compte de lappréciation des éducateurs par rapport à cette question.
Se pose dabord de manière importante la fameuse question de la dite spécialisation des éducateurs. Cest dailleurs bien ladjectif « spécialisé » qui permet de faire le distinguo entre un éducateur exerçant des fonctions déducateur spécialisé mais sans en avoir le diplôme, un moniteur-éducateur exerçant aussi des fonctions déducateur mais avec un diplôme de niveau 4. Cette notion de spécialisation est loin dêtre évidente pour les éducateurs spécialisés, du moins elle offre quasiment autant de développements et dexplications quil ny a déducateur. A ce jour, aucun ouvrage, aucune formation, aucun descriptif officiels ne permettent de décoder ladjectif. Lappréciation du terme est donc laissée à la subjectivité de chaque éducateur. Toutefois, je peux faire lhypothèse que la dite spécialisation permet de différencier léducateur professionnel du secteur social de léducateur lambda comme le parent, le professeur etc.
Les discours des informateurs permettent de catégoriser la spécialisation des éducateurs en ces termes :
On observe immédiatement que 32 % des propos des informateurs font état dune non-spécialisation des éducateurs. Toutefois, les récurrences sont plus nuancées : pour certains, plus quune non spécialisation de léducateur, le besoin dune meilleure formation, plus adaptée aux spécificités de tel ou tel public prime ; pour dautres, la revendication de compétences généralistes est annoncée de manière forte. Autrement dit, les éducateurs se rangent en deux catégories distinctes : les personnes qui regrettent labsence de spécialisation de léducateur et les autres qui en font presque leur credo.
INTITULES RELATIFS A LA SPECIALISATION DES EDUCATEURS
LA NON SPECIALISATION DES ESje pense quon a une formation très généraliste et on est pas spécialisé dans beaucoup de choses euh [eu] en rien en tout quoi spécialisé en [en] en tout et en rien / euh [eu] cest un terme que jai jamais compris spécialisé donc euh cestcest plutôt un généraliste de léducationen tous les cas pour ce qui est des IR les instituts de rééducation je trouve euh que léducateur gagnerait à être plus spécialisé cest-à-dire à avoir une formation un peu / un peu plus pousséeet moi je trouve que les éducateurs spécialisés dune manière générale sont pas sont pas suffisamment armés sont pas suffisamment préparés à à à affronter / parce que cest un affrontement et un combat euh ces enfants-là qui ont des troubles particuliers alors les éducateurs spécialisés moi je trouve quils sont pas assez spécialisés LA SPECIALISATION PAR LA FORMATIONje pense que [e] spécialisé euh [eu] dans le sens où on a euh une formation qui nous permet détablir un diagnostic sur lequel on peut euh [eu] sappuyer pour proposer des outils de remédiation ou des [é] on a fait un stage troisième année dit stage long à responsabilités on était sensé sortir un mémoire de çaalors on est spécialisé euh [eu] dans un premier temps dabord à quelque chose qui est commun quest le tronc commun quon reçoit en formation LA SPECIALISATION PAR LA FORME DE PRISE EN CHARGEdonc je suis spécialisée dans laccueil durgence et dans linadaptation socialeje dirais que je me sens spécialisée parce que je suis dans une structure euh [eu] de laide sociale à lenfance on intervient spécifiquement sur les placements et ça cest une spécificitéje veux dire euh léducateur en CHRS sera pas le même quun éducateur en IME / donc euh il est clair queuh [eu] léducateur spécialisé nest spécialisé que dans lendroit où il travaille LA SPECIALISATION DANS LES PUBLICSspécialisé euh spécialisé je dis quand même parce quon travaille plutôt avec des jeunes en difficulté mais léducateur est spécialisé dans la dans la difficulté euh / en fait ce qui regroupe les éducateur spécialisés cest quil est spécialisé dans la difficulté que les gens ont à vivre dans la société dune façon ou dune autre soit handicap physique ou la capacité et puis laptitude du coup à aller sur plusieurs publicsDIVERSplus nos expériences varient plus on est plus on devient spécialiséspécialisé en quoi ? (rires) / spécialisé dans la gestion des conflits je pense
Nous pouvons observer dans les items plus hauts labsence totale de lhypothèse par laquelle la spécialisation fonderait la professionnalisation de léducateur. Au contraire, les arguments en faveur dune non-spécialisation ou dune spécialisation insuffisante de léducateur dominent. Concernant ce dernier argument, il est remarquable de constater que les informateurs regrettent le manque de spécialisations, sans pour autant être capables de décliner le contenu de léventuelle spécialisation de léducateur. Ce type de discours est très fort chez les praticiens en Institut de Rééducation qui défendent auprès des écoles le besoin dune formation spécifique qui permettrait aux intervenants de mettre en uvre des techniques spécifiques. Tout le problème est que ces mêmes praticiens sont incapables de décliner ce qui fonde la spécificité de leur action par rapport à dautres institutions et que leur action éducative fait état des mêmes approximations et incertitudes propres à tout acte éducatif (essai/erreurs). Il y a dans cette volonté dune plus grande spécialisation, une tentative de rassemblement corporatiste des éducateurs dIR, tentative qui puise de toute évidence ses sources dans la culture médicale où le médecin spécialisé jouit dun prestige plus important quun médecin généraliste. Cela est dautant plus vraisemblable que les Instituts de Rééducation sont très proches du secteur médico-psychologique, alliant dans leur prise en charge un regard autant éducatif que psychologique. La spécialisation senvisage chez les informateurs comme une forme didéal pragmatique qui permettrait dinventer des réponses quasi magiques à légard de publics en difficultés dans un contexte institutionnel donné.
INTITULES RELATIFS AUX RÔLES ET FONCTIONS DE LES
FONCTION AFFECTIVEil faut vraiment sattacher à [ a] à srendre euh à pas se rendre indispensable justement dans leur vieFONCTIONS HYPOTHETICO-DEDUCTIVESque léducateur est plus là pour poser des hypothèses éducatives plutôt que dire au jeune : tes comme ça comme ci parce que tas fait cela euh : mais plus le euh le questionner et euh le faire euh / le faire sexprimer sur ses propres difficultés quoi FONCTION DE SUBSTITUTION PARENTALEune fonction de substitut euh paternel euh enfin substitut familialFONCTION RELATIONNELLEcest dêtre davantage dans une relation suivie une continuité de la relation dans une euh [eu] un travail de mise en confiance euh FONCTION DE POSITIONNEMENTmais euh cest pas lui il se positionne bien en tant quéducateur spécialisé avec ses spécificités du travail au quotidien auprès de ces enfants-là sur tous les aspects bien particuliers de léducatif qui sont euh ben qui sont les règles de de de vie de en société / par contre effectivement euh il va de par cette action-là faciliter le travail thérapeutique dun enfant cest-à-dire qui va lui permettre dy aller de respecter certaines règlesFONCTION D'ACCOMPAGNEMENTquelquun qui accompagne euh une personne en difficulté et à un moment de sa vieben cest pour moi cest euh ben cest accompagner le jeune euh fonction daccompagnement fonction daccompagnement euh [eu] essentiellement je diraison est dans laccompagnement bon le quotidien cest laccompagnement bon à toutcest un peu daccompagner çaFONCTION DE SECURISATIONeuh deuh [eu] de [eu] / sécurité ouais euh offrir un minimum de sécurité de de deje dirais no-notre premier rôle cest dêtre un repère un repère qui peut être un repère affectif un moment un re- un repère euh un re- un regard valorisant au moins euhde garant dun cadre FONCTION DE MEDIATIONje pense que léduc est quelquun qui doit effectivement /on est des passeurs dun point A à un point Bun bon intermédiaire dans les contacts léducateur pour moi cest une passerelle / cest un passeurmédiation de médiateur FONCTION D'APPRENTISSAGEsa fonction déducateur cest de euh cest de redonner les bases dun minimum de de comment ? de savoir-être de savoir-vivre de savoir-faire euh / pour que cet enfant puisse ensuite retourner dans un environnement sociétal normal avec des attitudes à peu près adaptées à l environnementdessayer de repérer de tout faire ben pour que la famille elle euh / comment dire ? elle prenne conscience de ses potentiels et puis arrive à passer à une autre étape FONCTION DE PROTECTIONcest la protection de lenfant fonction de protectionFONCTION THERAPEUTIQUEla fonction thérapeutique / euh cest de faire émerger euh une personnalité cest de quand même tout mettre en uvre pour que euh ce qui a été révélé ou signalé sarrête ou satténue euh ou trouve en tous cas une solutionune espèce de béquille FONCTION COGNITIVEnon pas vouloir faire changer le jeune mais euh faire émerger en lui euh ses capacitéscest surtout pas vouloir le faire différent de ce quil est cest euh lui faire prendre conscience de euh pourquoi à certains moments il peut être agressif ou violentcest dessayer de faire avec ce quil a avec le potentiel quil a ce quil peut apporter au mieux à ce jeune sans pour autant trop tomber dans laffectif pour autant euh [eu] tomber dans la négation ou dans le subjectifFONCTION PROJECTIVEon peut [eu] effectivement lamener à avoir un projet de vie [i]
Dun point de vue plus quantitatif, les items proposés par les informateurs se distribuent de la façon suivante :
24 % des items rendent compte de la fonction daccompagnement de léducateur. Cela ne fait que confirmer des éléments que nous avons pu déjà dégager dun point de vue qualitatif. Ceci dit, cette thématique de laccompagnement, telle quelle est décrite par les informateurs, narrive pas à résoudre le dilemme par lequel laccompagnement éducatif nest pas une fin en soi mais un moyen pour parvenir à autre chose pour les usagers. Et cest cet « autre chose » que les informateurs sont incapables de décliner, de rendre plus signifiant dune réalité professionnelle. Le risque réside alors pour les éducateurs qui semblent se satisfaire dapproximations, qui se cantonnent dans leurs discours aux moyens et non aux finalités de leur travail, dans le fait quils peuvent se faire dérober le contenu de leur travail par des professionnels qui auront intégré le langage professionnel, et surtout le fait quils se soumettent en dépit de leurs envies, à la critique des financeurs ou des administrateurs, critique qui prétend que le travail social coûte cher et nest pas capable de faire la preuve non seulement de son efficacité mais aussi de ses finalités.
Le discours des éducateurs, du fait de limprécision, des approximations tant théoriques que pragmatiques largement décrites au cours de cette thèse, produisent malgré eux des contre-discours forts qui opposent à leur besoin dexister en tant que profession légitime et sérieuse, labsence dune catégorisation professionnelle du réel. F. GUELAMINE écrit fort justement « que la légitimation des pratiques des intervenants sociaux senracine dans un paradoxe fondateur et fondamental : cest au nom dune éthique sattachant à respecter les droits des individus comme sujets désirants que les praticiens du social agissent. Mais cest aussi au nom du mandat que leur donnent la société et les institutions que les travailleurs sociaux interviennent. Cette tension constante dans laquelle sexerce laction du travailleur social sarticule à une autre caractéristique. Les pratiques discursives et matérielles de catégorisation du réel sont constitutives du champ social. [
] Ce travail discursif comme production symbolique du travail social, permet la valorisation de son action, qualifie le travailleur et le travaillé, lacteur et lusager et lobjet des interventions des travailleurs sociaux en définissant les besoins des usagers. » Voilà justement le problème des éducateurs : en même temps quils refusent dans et par leur activité discursive lavilissement de leur profession par dautres ou la domination juridico-administrative sur leur action, ils produisent un discours souffrant dun véritable déficit de catégorisation du réel, ce qui ne manque pas de les mettre en situation de fragilité vis-à-vis de leurs détracteurs. Autrement dit, les discours produits sont incapables de faire rempart aux discours institutionnels forts que leur opposent les mandataires financiers et politiques et les corps de métier concurrents. F. BIGOT et T. RIVARD font le constat timide à mon sens que « les métiers de lintervention sociale ne font pas référence aux mêmes univers. Ils se situent à lentrecroisement (Strauss, trad. 1992) de plusieurs mondes, ou pour utiliser une autre notion, ils sont le produit dun compromis ( Boltanski et al., 1991) » Justement ce quil nomme « la référence à une position intersticielle » a pour effet une difficulté pour les éducateurs à exister pour eux-mêmes et par eux-mêmes, en dehors de toute tentative de compromis, ce qui met leurs discours en prise directe avec dautres discours plus construits, plus institutionnalisés, plus valorisés. Les discours manifestent une véritable crise de légitimité sociale, ce qui les met en position basse vis-à-vis de la plupart des autres professions.
2) Les actes de langage constitutifs de lactivité professionnelle :
Education spécialisée et actes de langage :
Léducation spécialisée, un métier de paroles ! Cest parce que bien souvent les professionnels revendiquent la parole et la relation qui laccompagnent ou la sous-tendent comme loutil essentiel à leur fonction quil faut y voir sinon un acte thérapeutique, en tous les cas un ensemble dactes dont lutilité est de provoquer chez lusager un changement ou une réaction bénéfiques pour lui. Laction éducative spécialisée utilise beaucoup la parole, quelle soit formelle (entretiens dans un bureau) ou plus spontanée dans le cadre dun accompagnement spécifique ou dans le quotidien dun internat. Ces entretiens poursuivent lambition, outillée ou pas, réfléchie ou pas, de provoquer chez lusager en souffrance un mieux-être et donc un changement de comportements. Dans tous les cas, ce primat du discours actualise de manière forte le prédicat de C. KERBRAT-ORECCHIONI par lequel : « Les paroles sont aussi des actions : dire, cest sans doute transmettre à autrui certaines informations sur lobjet dont on parle, mais cest aussi faire, cest-à-dire tenter dagir sur son interlocuteur, voire sur le monde environnant. Au lieu dopposer comme on le fait souvent la parole et laction, il convient de considérer que la parole est elle-même une forme daction. » Il faut même pouvoir aller plus loin et prétendre dans le cas des éducateurs spécialisés que la parole fonde par excellence le faire tout entier des éducateurs, quelle constitue le principal voire le seul outil professionnel qui caractérise leur activité professionnelle. Dire cest réellement faire, autrement dit le métier déducateur apparaît comme un véritable métier de paroles où lattente fondamentale tant des usagers que des employeurs se situe dans la parole que produit le professionnel, beaucoup plus que les gestes ou les techniques quil accomplit. La compétence recherchée est avant tout discursive, ce qui parfois peut provoquer chez les enfants ou des observateurs extérieurs au métier des réactions telles que : « les éducateurs font rien à part causer et lire le journal » ou encore « tout le monde est capable de faire éduc, il suffit de bien parler ». Toutefois, il nest pas sûr que la compétence discursive des éducateurs soit tout à fait bien valorisée auprès des financeurs et des politiques qui attendent de laction sociale une forme de contrôle et de réponse structurée, immédiatement opératoire et efficace, à des fléaux sociaux.
Le métier déducateur sinscrit dans une véritable culture de la performativité. « Un énoncé performatif est un énoncé, qui sous réserve de certaines conditions de réussite, accomplit lacte quil dénomme, cest-à-dire fait ce quil dit faire du seul fait quil le dise. » C. KERBRAT-ORECCHIONI dit encore pour décrire un acte performatif : « Dire cest faire, ou du moins, cest prétendre faire », le performatif étant un « énoncé qui exécute (ou performe) une action. » Si létude des speech acts a pour vocation de sintéresser à tous les moyens par lesquels sexerce la fonction agissante inhérente au langage, la force daction des éducateurs est contenue tout entière dans leurs produits discursifs. En ce sens, je me suis intéressé à un certain nombre de discours tenus par des éducateurs auprès de leurs jeunes dans des entretiens dits de bilan lors de situations de travail réel. Il sagit de jeunes gens de 16 à 21 ans placés par une mesure daide sociale à lenfance. Tous les trimestres, linstitution qui les accueille organise des bilans où léducateur de lASE, le référent de linstitution, et le chef de service (cest-à-dire moi) se réunissent avec le jeune afin de faire le point sur sa situation et lui proposer des pistes de travail nouvelles. Ces réunions rassemblent des actes parfaitement locutoires, illocutoires et perlocutoires dans la mesure où les participants se trouvent en pleine activité discursive (actes locutoires), que cette activité discursive constitue une pratique professionnelle spécifique (acte illocutoire) et quelle a pour effet de produire un changement chez le jeune (acte perlocutoire). Chaque journée de léducateur est ainsi ponctuée dentretiens plus ou moins formels, plus ou moins préparés, mais qui sinscrivent dans la volonté de léducateur daccompagner les personnes vers un mieux-être, une insertion sociale et une maturité. Le discours, sil est une activité éducative à lui tout seul, doit être facteur de changements chez le jeune et doit faire la démonstration dune certaine efficacité. A ce titre-là, les éducateurs font la preuve dune activité langagière riche, créative, où léducateur doit manifester des stratégies langagières nombreuses pour mener à bien son projet de changement chez le jeune. Il sagit en quelque sorte de techniques langagières propres à la manipulation.
Ces techniques langagières qui visent à obtenir de lusager un changement sont souvent complexes. Elles constituent en général des actes de langage indirects au sens que « un même un acte peut recevoir un grand nombre de réalisations » cest-à-dire quun même énoncé peut comporter plusieurs valeurs ou actes de langages superposés. C. KERBRAT-ORECCHIONI parle dactes secondaires pour les actes contenus dans lénoncé au sens littéral et les actes primaires pour ceux qui ont un sens dérivé. Il sagit dans ce cas de « structures interphrastiques généralement polysémiques ».
Les types dactes de langage observés :
Le recueil des actes de langage lors dentretiens de bilans a eu lieu sur une semaine. Il ny a pas eu denregistrement des entretiens, je me suis contenté de noter ce que jévaluais comme des actes de langage sur un papier. Aucun des participants nétaient informés de mon observation, moi-même étant occupé à jouer mon rôle de chef de service éducatif. Les actes de langage étant, nous le savons, fort nombreux dans toute activité discursive, je me suis contenté de prendre en compte les actes en direction des jeunes dans une volonté de changer leurs comportements. Une récente conversation avec mon équipe à propos dun jeune qui avait souhaité me rencontrer pour négocier un point de règlement intérieur et que javais renvoyé au cours du discours à ses propres contradictions, a montré chez les professionnels une colère et un rejet de la notion tout entière du pouvoir du travailleur social sur lusager et des tentatives de manipulation sur les jeunes. Pourtant, en dépit de ce quannoncent les éducateurs, les actes de langage montrent une véritable directivité de la part des professionnels, directivité qui se manifeste dans lensemble des requêtes quils utilisent abondamment. Si la démocratie et la volonté de ne pas nuire à la liberté du jeune sont poursuivies en tant que valeurs phare, les éducateurs font état dun discours qui manifeste dans les faits une véritable directivité, laissant au jeune peu de place pour se défendre.
Etant donné que les actes de langage sont adressés au jeune dans le but de produire chez lui du changement, la notion de « requête » telle que C. KERBRAT-ORECCHIONI la décrit est tout à fait appropriée à ce type dactivité discursive : « nous parlerons de requête chaque fois quun locuteur produit un énoncé pour demander à son interlocuteur daccomplir un acte quelconque (à caractère non langagier). » Il faut toutefois adapter la définition de C. KERBRAT-ORECCHIONI dans la mesure où, parfois, le changement comportemental attendu de lenfant est de lordre langagier (insultes à corriger, propos à tenir etc.).
Je donne ci-après une liste de requêtes relevées lors dentretiens de bilan, voir de questions, la limite entre les deux notions nétant pas toujours aisée à faire. Ce relevé est loin dêtre exhaustif dans la mesure où nous étions nombreux autour de la table (et surtout du pauvre adolescent en situation dévaluation) et quil métait donc difficile à la fois de me concentrer sur la prise de notes des actes de discours et lentretien en lui-même. Dailleurs une recherche axée sur lusage des seuls speech acts dans léducation spécialisée ne serait pas inutile. Toutefois, la liste proposée est suffisamment éclairante à titre exemplaire pour rendre compte une nouvelle fois dun métier complexe qui prétend à la fois revendiquer des valeurs humanistes axées sur l stricte liberté de lindividu, et en même temps use de formes pédagogiques verbales pour le moins peu démocratiques.
ENONCES RELEVESNe crois-tu pas qu'il serait bon que tu te secoues un peu ?Et toi ? Tu arrives à te satisfaire de cette situation ?Bon sang bouge ton cul ! Remue-toi !Il serait tout à fait souhaitable que tu parviennes à voir un médecin.Et toi t'en penses quoi de tout ça ?Moi je sais que c'est bon pour toi.Je suis sur qu'on se trompe pas pour toi.Il me paraît plutôt bien que tu te rendes à ce rendez-vous.Il me semble préférable que tu donnes pas suite à ce contrat.Je te demande de nous rendez chaque mois tes justifs.C'est un ordre Julien tout simplement.Tu n'as pas le choix de toutes façons. C'est ça ou la rue.Il nous semble à tous autour de la table que tu fais un mauvais choix.De toutes façons, la décision elle t'appartient au final.C'est ça Ludivine ou rien.On pourra pas aller plus loin avec toi si ça continue comme ça.Change bon sang !Vas-y fonce Julien.Nous on est là pour t'aider.Si c'est ton truc hésite pas une seconde. Tu vis pour toi.Dans tous les cas tu dois te conformer un minimum aux règles du service.Moi je crois pas que cela te corresponde, mais bon après cest toi qui vas faire cette formation !Maintenant il se pose véritablement une question de confiance entre toi et le service.Je veux pour la fin du mois tes justifs de juin et juillet.T'auras pas une seconde chance Julien.Non Aymar ! Tu dis ça pour nous faire rire ou cest vrai ?C'est pour qui ce choix d'orientation ? Toi ou ton père ?Tu te diras plus du moins je le souhaite : ils avaient raison finalement aux Gavroches.
Une remarque générale simpose sur le corpus : les propos qui émanent de discussions orales ne montrent peu ou pas de tournures grossières à quelques exceptions près. Il sagit en effet dun moment institutionnel fort où le jeune se retrouve en situation dévaluation, ce qui implique professionnalisme et sérieux. Il sagit en effet dun moment institutionnel important où les enjeux tant pour le jeune que les professionnels sont lourds dans linter-reconnaissance et les interactions qui vont sopérer entre les acteurs en présence. Ce type de rencontre impose donc des formes protocolaires particulières où à la fois le jeune est soumis à lévaluation des professionnels, léducateur référent à celle du chef de service, et le chef de service à celle de léducateur mandataire de lASE. Lefficacité doit être défendue, ce qui implique tout naturellement lusage dactes de langage plus ou moins directifs visant un changement durable du jeune. Plusieurs niveaux sont identifiables dont notamment le degré dautorité dans lacte de langage posé.
KERBRAT-ORECHIONI distingue dans les requêtes des énoncés quelle dit « plus ou moins brutaux » dénoncés « au contraire adouci[s] ». Certes, la limite entre les deux nest pas toujours aisée à faire, néanmoins un certain nombre de modélisateurs permettent dévaluer que « certaines formulation indirectes peuvent avoir des allures fort autoritaires méritant à ce titre dêtre considérées comme des ordres ».
ENONCES PLUS OU MOINS BRUTAUXBon sang bouge ton cul ! Remue-toi !Moi je sais que c'est bon pour toi.Je suis sur qu'on se trompe pas pour toi.Je te demande de nous rendre chaque mois tes justifs.C'est un ordre Julien tout simplement.Tu n'as pas le choix de toutes façons. C'est ça ou la rueDe toutes façons, la décision elle t'appartient au final.C'est ça Ludivine ou rien.On pourra pas aller plus loin avec toi si ça continue comme ça.Change bon sang !Vas-y fonce Julien.Si c'est ton truc hésite pas une seconde. Tu vis pour toi.Dans tous les cas tu dois te conformer un minimum aux règles du service.Maintenant il se pose véritablement une question de confiance entre toi et le serviceJe veux pour la fin du mois tes justifs de juin et juillet.T'auras pas une seconde chance Julien.ENONCES ADOUCISNe crois-tu pas qu'il serait bon que tu te secoues un peu ?Et toi ? Tu arrives à te satisfaire de cette situation ?Il serait tout à fait souhaitable que tu parviennes à voir un médecin.Et toi t'en penses quoi de tout ça ?Il me paraît plutôt bien que tu te rendes à ce rendez-vous.Il me semble préférable que tu donnes pas suite à ce contrat.Il nous semble à tous autour de la table que tu fais un mauvais choix.Nous on est là pour t'aider.C'est pour qui ce choix d'orientation ? Toi ou ton père ?Tu te diras plus du moins je le souhaite : ils avaient raison finalement aux Gavroches.
En létat, je considère que 60 % des énoncés comportent un caractère brutal. Les indicateurs suivants mont permis de classer tels ou tels énoncés dans les actes de langage directifs :
Les tournures verbales :
Lusage de limpératif : « vas-y fonce », « bouge ton cul ! remue-toi » « hésite pas une seconde »
Lusage du présent ou du futur assertifs : « tu nas pas le choix » « cest ça ou rien » « on pourra pas aller plus loin avec toi si ça continue comme ça » , « tauras pas une seconde chance »
Morphèmes à caractère brutal ou directif :
Mots familiers évoquant une impatience de léducateur : « bon sang »
Mots ou tournures évoquant lordre : « cest un ordre » « tu nas pas le choix » « tauras pas une seconde chance »
Adverbes expressions adverbiales qui amplifient la brutalité du propos : « tout simplement », « de toutes façons », « dans tous les cas »
Utilisation de constructions verbales indirecte : « je sais que », « je te demande de », « je veux que », « je suis sur que » « tu dois » « je veux + substantif »
Parmi ces actes directifs, un certain nombre sont menaçants et laissent à linterlocuteur peu ou pas de place au refus dobéir à moins quil ne se mette en difficultés sociales ou affectives par rapport aux éducateurs :
« Cest ça ou la rue »
« Je suis sûr quon se trompe pas pour toi »
« De toutes façons la décision elle tappartient au final »
Maintenant il se pose une véritable question de confiance entre toi et le service »
Les 40% des autres énoncés ont été classés comme des requêtes. Le indicateurs qui mont permis de les range dans cette catégories sont de trois ordres :
Des tournure verbales :
Usage du conditionnel : « il serait tout à fait souhaitable »
Usage de tournures verbales indirectes : « il nous semble que », « il me paraît », « il me semble ».
Lusages de monèmes à caractère adoucissant :
Des adjectifs : « préférable », « souhaitable »
Des adverbes : « plutôt bien »
Des verbes : « je le souhaite »
Des expressions diverses :
Des expressions interrogatives qui mettent le jeune en situation de répondre à ses propres questionnements : « Ne crois-tu pas quil serait bon
? », « Et toi quen penses-tu ? »
Divers : « Nous on est là pour taider »
Toutefois, il faut considérer, quen dépit du propos adoucissant de léducateur, la finalité visée par lui pour le jeune reste un objectif opératoire à atteindre absolument. Les tournures moins directives ne sont finalement que des actes de manipulation moins directifs qui visent un même changement du jeune.
QUATRIEME PARTIE
Synthèse de lanalyse des données
Cette dernière partie de la thèse tente de faire la synthèse de lensemble des éléments que les analyses qualitative et quantitative ont permis de mettre à jour dans le corpus. Elle termine la thèse, et de toute évidence, ouvre dautres portes, dautres perspectives à la recherche.
LA PROFESSIONNALITE DANS LES DISCOURS OU LA PROFESSIONNALISATION DES DISCOURS
Toute la thèse na cessé de poser de manière implicite la limite ou la borne entre ce que serait un discours néophyte (celui du bénévole, du religieux au service de populations défavorisées) de celui du professionnel, éducateur spécialisé, se réclamant dune technicité particulière générant un salaire. A plusieurs reprises, les discours ont manifesté une ambivalence, du moins un rapport ambigu et complexe entre la revendication dun professionnalisme rationnel et technique, et lappel à des valeurs et des savoir-être beaucoup plus proches dune posture damour et de bienveillance religieuses quun simple rapport à lautre administratif et austère. Les informateurs ont témoigné plusieurs fois dans les discours du besoin dhabiter leur professionnalité dun ensemble de postures relationnelles intègres et affectives. Cette question en quelque sorte reprend celle soulevée par les informateurs eux-mêmes, à savoir lopposition ou la nécessaire complémentarité entre ce qui relèverait dune position dite objective, rationnelle, outillée, et dune position dite subjective, affective et spontanée à lautre. Le métier déducateur est véritablement traversé dans toute son identité par cette inépuisable question. Elle est marquée parfois de façon caricaturale par des jeunes professionnels ou des étudiants qui affirment la nécessité de recul, de prise de distance épistémologique et relationnelle, face à des professionnels plus aguerris qui semblent moins préoccupés par la relation quils entretiennent avec leurs usagers que des effets quelle produit sur eux. Plus généralement, la professionnalisation du service à lautre ou de lactivité éducative renvoie à ce qui fonde le passage souvent subtil entre le dévouement, léducation populaire et familiale, à lactivité structurée, sanctionnée par une formation, institutionnalisée, et soumise à des compensations financières.
Parler, une question de sens :
Une relative difficile unité discursive entre les éducateurs
DUBAR et TREPIED affirme que la profession est « un corps auquel on appartient et qui fournit à ses membres un statut et une identité » ; les origines religieuses du terme profession sexpliquent dans le fait que la profession « implique une division sociale essentielle entre ceux qui en sont membres et ceux qui nen sont pas, ceux qui ont un statut et ceux qui nen ont pas, ceux qui sidentifient à un nom et ceux qui ne peuvent pas, ceux qui sont sacrés et ceux qui sont profanes. » Et cette appartenance à profession se structure, selon les auteurs, entre autre autour dun univers de discours particulier, cest-à-dire « une manière de parler et de penser, propre à un petit groupe interactif, et un ensemble de faits palpables, des sites, des objets, des technologies. »
Or, les analyses que nous avons pu dégager de lensemble du corpus font état dun groupe professionnel pluriel, assez éclaté qui ne parvient à faire la démonstration dun discours unifié, reconnaissable immédiatement dun éducateur à lautre, et surtout un discours qui permette de faire émerger un ensemble de significations et de représentations du monde spécifiques au groupe. Il nen est rien, disons presque rien, puisque des régularités de discours apparaissent certes, mais des régularités qui manifestent un système de significations peu précis, peu ou pas référé à des technologies. Cette absence dunité professionnelle dans le discours des éducateurs sinscrit en miroir à la grande disparité des formes de prise en charge, des publics suivis, des institutions et des influences théoriques ou disciplinaires.
Labsence dune réelle unité professionnelle est manifestée par les éducateurs spécialisés par le refus ou la prudence de se référer à un langage commun. Nous avons en effet pu voir lextrême méfiance des informateurs face à un éventuel langage éducatif spécialisé, dans la mesure où ce langage est assimilé à quelque chose de peu crédible, à du verbiage et non un ensemble de significations révélatrices des objets et tâches professionnels des éducateurs. Il ne sagit pas pour autant de conclure quen labsence dun discours qui rassemble un minimum dadhésion et de cohésion entre les éducateurs, les éducateurs spécialisés ne partagent pas des univers de discours communs. La reconnaissance se fait entre éducateurs beaucoup plus à partir de ce qui se dit, de la représentation que les professionnels ont des choses ou du monde, que de la forme discursive elle-même. Comme dit F. MARTINI, « parler du travail cest parler de celui qui travaille. Le travail qualifie (dénomme) le travailleur. » Lacte de travailler imprime donc chez chacun dentre nous des représentations particulières du monde, en ce sens il modélise certaines conduites identitaires. Les éducateurs ont chacun transmis des valeurs, des conceptions du monde qui permettent de faire la preuve dune certaine unité professionnelle, même si cette dernière reste fragile, peu structurée. Ceci dit, les formes de discours restent très disparates, très hétéroclites, mêlant des influences universitaires, politiques et institutionnelles nombreuses. Ce qui fait unité dans le discours des éducateurs appartient beaucoup plus au domaine de la politique, de la moralité, de la philosophie que de la technologie propre à un groupe professionnel. Il sagit de représentations consensuelles relativement à lenfant, à lêtre humain en général, à la société mais peu voire jamais relativement aux techniques de prises en charge.
Remarquons demblée que le constat par lequel les éducateurs disent refuser de se référer à un discours ou un langage communs ne dit pas quil ny a pas de langage commun. Je me suis intéressé à la manière dont les informateurs considèrent leur parler professionnel, ce qui constitue un indicateur bien connu en sociolinguistique à propos de la conscience métalinguistique.
Quelques thématiques sémantiques traversent en effet les discours des éducateurs spécialisés. Il sagit de thèmes fort appréciés des éducateurs comme la référence au cadre et à la loi, la référence à léquipe, la référence à la norme, la référence à la famille etc. De même des notions phares comme « laccompagnement », « le travail », notions qui perdent en crédibilité du fait des définitions nombreuses et des acceptions larges quelles recouvrent chez les éducateurs, abondent dans les discours. Dun point de vue plus formel, les éducateurs décrivent leurs usagers dans des discours pour leur grande majorité très tristes, très douloureux, très axés sur la détresse en dépit de leur volonté explicite de regarder les enfants avant tout sous le filtre de leurs capacités. Toutefois, toutes ces marques discursives a priori unanimes chez les éducateurs restent très fragiles dans la mesure où elles manifestent en permanence des contradictions, des manques sérieux de maîtrise des champs sémantiques en question.
Tout cela révèle la grande complexité des discours, complexité chère à E. MORIN. Il y a de lunité, mais il y a aussi ou surtout de la diversité, ce qui, rassure dun point de vue identitaire. En effet, lidentité rassemble de la cohérence, de la mêmeté mais aussi, bien évidemment, de laltérité, de la différence à lintérieur dun même groupe. Il nempêche quune cohérence plus affirmée des éducateurs, notamment en ce qui concerne la manière dont ils décrivent les rôles et fonctions, aiderait à la consolidation de ce groupe professionnel, déjà fort abîmé par « la mosaïque des emplois sociaux » décrite par J. ION. Pour parler didentité professionnelle, il importe tout de même que les acteurs manifestent des marques de mêmeté minimales, marques suffisamment solides et profondes. Or, les éducateurs sont victimes dun métier encore jeune, de plus en plus sujet à la pression et à la démagogie politiques, ne cessant dêtre contesté ou concurrencé par les militants bénévoles ou dautres corps de métier déqualifiés, ce qui les met en situation de fragilité face à des corps professionnels plus établis, régis par des règles éthiques et déontologiques formelles, et protégés par des organismes structurés qui les représentent. Pour exemple, les éducateurs spécialisés ne sont jamais parvenus à se rassembler autour dune forme dordre ou de syndicat déducateurs spécialisés. Le conflit qui a présidé à lélaboration du référentiel métier est la preuve dun secteur incapable de se rassembler autour dun ensemble de compétences et de savoirs unanimes. Lune des plus grandes manifestations dhétérogénéité dans les discours éducatifs repose sur linépuisable débat des savoir-faire versus savoir-être. Ces fameux savoir-être servent quasiment de fourre-tout à tout ce quils ne parviennent à hiérarchiser dans un système stable et officiel dun référentiel métier.
Du sens commun aux savoirs professionnels : tout un univers dapproximations
A différentes reprises jai souligné le décalage qui existe entre un discours annoncé et ce que recouvre réellement ce discours en terme de réalité professionnelle et de référent. Les éducateurs font la manifestation de discours riches, élaborés, complexes du point de vue des concepts auxquels ils se réfèrent, des champs disciplinaires dont ils empruntent des mots ou des constructions discursives. Mais ces discours ne parviennent pas à établir une correspondance entre la richesse discursive et formelle et ce que cela devrait induire de précisions, de subtilités dans la représentation quils ont de leur réel professionnel par rapport au sens commun.
Ces tournures complexes, faites demprunts à la psychologie, la sociologie, la pédagogie et le droit pour lessentiel, ont une fonction de légitimation et de valorisation du discours éducatif spécialisé. Il sagit pour les éducateurs de faire montre dun discours sérieux, qui est la marque de la professionnalité du propos, a contrario dun bénévole ou dun militant, qui, dans leurs représentations, se cantonnerait à un discours affectif, non distancié, non technique. Le passage dun discours profane à un discours professionnel ne seffectue pas tant par la recomposition du réel autour du « particulier, [du] précis et [du] déterminé » où, pour le cas des technolectes, le discours professionnel « requiert un tracé à bord précis et à traits spécifiques », mais sur lemprunt de formules à teneur scientifique mais dont les éducateurs nen maîtrisent peu ou pas la délimitation conceptuelle. Pour dire autrement, les éducateurs ont lambition de proposer un discours précis et scientifique, mais ils ne disent pas plus ni moins, en terme de référent, que ne dirait un non professionnel à propos de leurs objets de travail. Si un informaticien me parle de « pop under » et de « pop up », il réfère pour chaque mot à une bannière spécifique dune page Internet ayant deux réalités distinctes ; pour moi, qui suis un novice de lInternet, je me contenterais de parler dune « page de pub ». Pour un éducateur qui va parler « du suivi personnalisé de lenfant » ou « de laccompagnement individualisé dun enfant», je ne suis pas sûr quil désigne deux réalités différentes que ne comprend une personne extérieure à la profession. Les éducateurs manifestent donc un langage complexe, élaboré dun point de vue formel ou matériel, mais la réalité référée reste assez similaire de celle du bénévole ou du sens commun.
Cela a un effet parfaitement destructeur en terme de crédibilité du métier déducateur. Le langage technologique reste un effet dannonce, du coup cela donne limpression quil suffirait dapprendre les tics de langage pour devenir éducateur, mais que finalement il ny a pas de technologie précise à cette profession. Cela ouvre dailleurs la possibilité à tout une série de sous-professionnels au sens de personnes disqualifiées, mal payées, doccuper les postes habituellement réservés à des éducateurs spécialisés sans que les éducateurs spécialisés ne soient capables de leur opposer un discours et une technologie plus précis. Par exemple, quand un éducateur accompagne un enfant auprès du juge et quil signe dans un rapport éducatif que ce jeune « souffre de troubles de la personnalité et de la conduite », le fait quil soit éducateur spécialisé ou moniteur éducateur ne change rien hélas à la perception que le juge aura de lui et à la définition de ce que recouvre un trouble de la conduite. Dailleurs, mon expérience me permet dobserver que les professionnels dans les institutions éducatives se font tous nommer « éducateur » sans aucun distinguo quant à leur formation initiale, quils signent les rapports sous la seul dénomination « éducateur », ladjectif « spécialisation » se perdant de plus en plus dans le langage des éducateurs. Cette spécialisation noccupe finalement quun rôle administratif et juridique, permettant de classer un éducateur spécialisé dans une grille plus rémunérée quun moniteur éducateur ; mais elle ne prédit en rien dune compétence accrûe et dune connaissance plus fine, plus délimitée des objets propres au secteur social. Dailleurs, lorsque nous avons évoqué cette question de la spécialisation, cela nous a permis de constater une difficulté pour les professionnels à la caractériser voire à y adhérer, le caractère généraliste de léducateur étant souvent mis en avant. DARTIGUENAVE et GARNIER appellent en militants du travail social à une visée scientifique du travail social, cest-à-dire à « la nécessité pour le travail social darticuler et de confronter sa réflexion et ses pratiques à une connaissance objectivée cest-à-dire à une connaissance élaborée selon les règles que se donne une démarche scientifique des mécanismes humains quils se donne pour tâche de traiter. » Or, autant leur ouvrage que cette thèse font la démonstration dun secteur professionnel en réelle fragilité, en perte de sens du fait de professionnels qui se contentent pour leur grande majorité de construire leur champ professionnel à partir dapproximations scientifiques et sémantiques. Il ne sagit pas de réduire pour autant aux seules manifestations langagières les raisons des difficultés des éducateurs spécialisés : disons que les discours montrent de façon explicite ce mal-être et quils y concourent parmi dautres facteurs.
La contestation de ces phénomènes de déclin professionnel des éducateurs peut avoir lieu sur le mode des idéologies. Toutefois, dun point de vue des observations faites à partir des discours des éducateurs, il est difficile de résister à une vision pessimiste et négative du métier. Pour ma part, les discours révèlent un métier en crise grave qui aura du mal à résister à la tentation des politiques dembaucher des personnes sous-qualifiées pour mener à bien une politique fondée sur le contrôle social et la réduction des fléaux sociaux. Les manifestations discursives des éducateurs ne permettent pas détablir le bien-fondé, la crédibilité dune profession face à la concurrence forte des licences professionnelles, des DUT carrière sociale, qui, eux, sont enseignés en université par des professeurs dépositaires dun savoir noble, légitime et reconnu. A ce jour, la quasi-totalité des formations des éducateurs est assurée par des formateurs issus du secteur éducatif, justifiant dune maîtrise de sciences sociales : le métier sappuie sur une culture de la « spécificité dune forme de transmission de savoir, fortement marquée par la logique de lapprentissage ». Certes cela renforce la vocation pragmatique du métier, qui est par ailleurs très importante dans le discours des éducateurs, mais cela peut avoir pour effets de produire des clivages concurrentiels entre le monde du savoir universitaire et le monde des savoirs métier, lun se réclamant supérieur à lautre et vice versa. Les éducateurs ont manifesté de façon profonde leur souci du faire, de lactivité, au détriment de la réflexion et lanalyse. Or, la profession sen trouverait renforcée si elle ne séparait pas les deux et si elle parvenait à établir un savoir et un langage précis, structurés, solides, assumant pleinement le besoin de se référer à des disciplines universitaires.
Un métier fragile et perméable aux autres professions
Les systèmes de référence des éducateurs spécialisés se construisent dans le discours sur un ensemble de dichotomies quasi constitutives dune identité professionnelle. Ces dichotomies participent dans tous les cas à lélaboration des univers de discours des éducateurs spécialisés, univers complexes, tout entiers construits sur un système de paradoxes dans lesquels les éducateurs ne parviennent à se positionner et se stabiliser :
Objectivité / Subjectivité : Les éducateurs poursuivent une activité qui soit objective, cest-à-dire qui soit raisonnable, rationnelle, structurée, non soumise aux aléas de laffectivité. A cela, les éducateurs opposent la subjectivité cest-à-dire linterrelation, laffectivité, lappréciation personnelle, larbitraire qui sous-tendent toute relation humaine, qui plus est éducative spécialisée. Les discours noffrent peu ou pas de compromis entre ces deux pôles, la professionnalisation étant perçue par les uns comme lhyper-rationalisation de la relation humaine, et les autres comme le détachement de la technique. La méthodologie de projet est loccasion pour les uns de revendiquer une action outillée, scientifique, évaluable et mesurable. La professionnalité se mesure alors à la capacité de produire de la mesure et de lefficacité dans la nébuleuse de la relation humaine. Pour dautres, le projet est vécu comme réducteur, trop rationnel dans le sens où il donne limpression dune action éducative morcelée, déshumanisée, trop prévisible : la professionnalité se mesure cette fois à la capacité quaura le professionnel à produire de linédit et à créer de lhumain.
Lordre établi et la contestation de la norme : voilà un autre axe où les éducateurs éprouvent une grande difficulté à faire des choix philosophiques et moraux. F. MUEL-DREYFUS a parfaitement décrit lémergence du métier déducateur en résistance contre la norme et lordre établi. Et pourtant, M. CHAUVIERE a montré de manière tout aussi remarquable la façon dont ce métier sest construit dans la conformité et lobéissance au régime de Vichy. Les discours des éducateurs portent cette ambivalence essentielle entre la soumission à lordre qui sillustre dans ladmiration de la loi et de la norme, et la résistance à lordre qui sincarne notamment dans un discours fort, violent contre la religion par exemple ou les administrations. Fondamentalement, cette dichotomie pose la question de laffiliation professionnelle des éducateurs à ce qui relève dune éthique de la responsabilité et ce qui relève dune éthique de la conviction pour reprendre WEBER. Léthique telle quelle est posée par la fonction éducative fait référence à la définition de LALANDE : « Une pensée engagée est dune part, celle qui prend au sérieux les conséquences sociales et morales quelle implique, dautre part celle qui reconnaît lobligation dêtre fidèle à son projet. » Or, on touche là un impossible dans les discours des éducateurs qui, dans le même temps sont capables de dresser un discours qui prône une philosophie de lémancipation de lindividu, et un discours qui vante la nécessaire conformité de lindividu aux limites des institutions et de la loi. Et de la même façon que plus haut, les discours se situent rarement dans le compromis au moment où ils évoquent ces questions.
Le faire absolument et lécoute empathique : cet autre antagonisme constitue un axe où les éducateurs manifestent une réelle complexité. A la fois, ils revendiquent dans les discours laffirmation dune culture de métier qui privilégie laction, le faire à la réflexion et lanalyse. Un bon éducateur, selon les discours, est un professionnel actif qui na pas peur du mouvement et des efforts. Le stress, le débordement apparaissent comme deux valeurs fortes chez les éducateurs. En face de cet aspect, les éducateurs valorisent le besoin de se poser, de faire preuve de mesure pour assurer une plus grande disponibilité auprès des jeunes. Lécoute apparaît comme un élément absolument incontournable dans la culture éducative spécialisée. Or, les éducateurs ne cessent de produire de lambivalence autour de cette notion découte, dans la mesure où ils ne parviennent jamais à se résoudre à la considérer comme un moyen pour favoriser un mieux-être chez les jeunes ou comme une fin en soi, une compétence à elle toute seule.
Lhumanisme et le professionnalisme : le discours sur les savoir-être constitutifs dune identité professionnelle participent à la nécessité des éducateurs de faire preuve de bienveillance et de qualités relationnelles. « Devenir éducateur repose sur une conception humaniste : idéologie du respect de la personne, de la relation humaine, du service à rendre aux personnes et à la société » écrit G. GENDREAU en 1978. Fondamentalement, la référence aux savoir-être renvoie à la difficile professionnalisation dun métier qui doit beaucoup au bénévolat, à lengagement politique et religieux. Pour autant, les éducateurs refusent dassumer ces sources structurelles, alléguant la professionnalisation à « labandon de la culture de laffect et lélaboration doutils de travail, avec le risque, faute de vigilance, de se normaliser et de perdre vue les valeurs qui laniment. » Cette dichotomie pose dune autre manière le positionnement difficile des éducateurs perdus entre la commande sociale dont ils sont les exécutants, et le besoin de porter la souffrance sociale des jeunes gens dont ils en sont les premiers témoins. Comme écrit GABERAN, « être éducateur est un engagement et un métier. [Il sélabore] dans la double inscription de lacte éducatif dans léconomique dune part, et dans léthique, dautre part. »
Ces systèmes discursifs construits en dichotomies font du discours éducatif un discours fragile, ambivalent, perméable aux influences et aux modes disciplinaires. La psychanalyse a par exemple beaucoup influencé les discours éducatifs, les amplifiant ainsi de termes cliniques dont peu de professionnels en maîtrisent le contenu, ou en connaissent la source. Certes, ces effets demprunts discursifs sont significatifs du fait que « la langue, qui a été souvent décrite comme une structure de médiation pour la pensée, du fait même de linterdiscursivité, est un espace de dialogue et de positionnement interdiscursif. » Les éducateurs manifestent donc dans leurs discours des héritages discursifs divers, des pluralités de paroles acquises dans le lieu de travail, dans la rencontre avec dautres corps de métier dont les psychologues ou les chercheurs en sciences sociales, plus largement dans lespace social où ils exercent : « toute parole se situe dans une filiation » nous rappelle M. GLADY. Mais encore faut-il que les éducateurs se soient réellement appropriés ces pluralités de paroles, les aient recomposés, les aient réhabilités dans leur espace professionnel propre. Cest là où le bas blesse : les éducateurs portent des discours qui ne sont pas les leurs, disons quils ne les ont pas intégrés suffisamment pour modifier la représentation de leur réalité professionnelle. La pluralité des voix demeure au niveau des formes discursives, mais peu au niveau des choses auxquelles ces formes discursives réfèrent. Du coup, les éducateurs spécialisés cèdent à la tentation de vouloir contenir le semblable et le contraire dans les discours : à la fois ils veulent proposer une parole qui soit militante, représentative des populations exclues de paroles, et à la fois ils condamnent lengagement politique qui empêche le recul et la distance. Il y a là quelque chose de létourdissement qui freine lémergence dun discours professionnel fort, structuré, pouvant exister par lui-même. Un exemple : un psychologue qui témoigne lors dune cours dAssise des mineurs va être considéré comme un expert judiciaire, la parole de léducateur qui accompagne lenfant elle, naura pas valeur dexpertise.
Les éducateurs apparaissent donc comme des professionnels en quête permanente de discours, de mots, de significations qui pourront leur assurer la légitimité, la crédibilité, la stabilité, et donc la reconnaissance sociale et professionnelle. Cette quête de sens se manifeste dans la perméabilité et lidentification à dautres métiers ou des disciplines universitaires. Mais ces influences restent pour leur grande majorité fugitives et partielles, ne faisant quimprimer aux discours des traces de mots dont les éducateurs oublient rapidement lorigine et la signification technique propre. DARTIGUENAVE décrit la tentation forte des travailleurs sociaux délaborer « des modèles scientistes et technicistes, à partir desquels on entend prendre de la hauteur, sélever pour avoir une vision surplombante et totale de la réalité sociale. » Le problème réside dans le fait que ces productions discursives scientistes ou technicistes ont la fonction certes délever le niveau de compréhension du monde, mais ne lélève en rien en réalité dans le mesure où les discours ne modifient pas la représentation du réel par rapport au sens commun. Si la professionnalisation dun discours sélabore dans la mise en mots de lactivité de travail et des objets auxquels lactivité de travail souhaite répondre, encore faut-il que cette mise en mots apporte une modification des référents.
Les éducateurs sont aussi tributaires dune réalité sociale complexe, en perpétuel mouvement. Un éducateur spécialisé aujourdhui âgé denviron 60 ans, encore en exercice, peut témoigner au cours de sa carrière dun ensemble hétéroclite de rencontres avec des jeunes allant des blousons noirs, en passant par les familles défavorisées type quart monde, les jeunes de banlieue et les jeunes dorigine étrangère. La jeunesse et les difficultés sociales des publics implique pour les éducateurs dêtre en prise avec des réalités sociologiques multiples selon les contextes dintervention. Inévitablement la nécessaire adaptation des éducateurs à ces réalités multiformes sociologiques a des effets sur les postures identitaires. Dailleurs la thématique de « ladaptation » occupe une place non négligeable dans les discours des éducateurs. A cela se rajoute un contexte sociopolitique en mouvement qui, selon les périodes données, confère aux éducateurs des rôles de contrôle social.
Histoire du métier et activité langagière ou la dimension diachronique des discours :
Aux origines de la profession : la religion et le militantisme laïc
« Quand on recherche lorigine de léducation spécialisée (comme fonction), on peut être tenté, sappuyant sur les termes, de sen tenir aux manifestations qui dans lhistoire en semblent les plus proches, soit les débuts des secours et de linstruction en direction denfants désavantagés. Ce fut le cas dès la fin de lAntiquité et tout au long du Moyen Âge où, dans les monastères, des moines ouvrant cette voie, firent parfois bénéficier dinstruction et dassistance des enfants pauvres ou abandonnés. Saint Benoît, dont linfluence sera grande pour lorganisation des Ordres, le recommande dès le Vème siècle. »
« Dès lors que lon envisage le travail comme une construction sociale, nous enseigne I. BILLIER, on introduit une dimension jusquici laissée dans lombre : celle de lhistoire et des processus sociohistoriques. [
] Le travail et lindividu sont toujours situés ; ils sont, lun et lautre, des productions sociales, des constructions historiques. Ils sont coproduits par une société ou une époque donnée ; a fortiori le rapport au travail et le sens du travail.» Il est donc difficile denvisager les discours des éducateurs comme des entités abstraites, hors lhistoire et le contexte socio-politique dans lequel ils ont lieu. La filiation de léducation spécialisée avec les ordres et la religion est incontestable, du moins dans le rapport quelle entretient avec laide. Inévitablement, ces racines impriment aux discours des éducateurs des représentations de lautre et du secours à lenfant exclu qui ont beaucoup à voir avec la compassion, la bienveillance et le don de soi. Toutefois, ces valeurs ne sont pas exclusives des religieux mais sinscrivent aussi dans lesprit des philosophes des Lumières. Il y a donc chez les éducateurs une double influence, celle de linvestissement judéo-chrétien, et celle des philosophes philanthropes. Lune des conséquences immédiate de cette double influence sobserve dans la façon dont les institutions valorisent leur conception de lautre dans leurs projets institutionnels. Chacune des ces institutions revendiquent la spécificité de leur prise en charge et des valeurs qui les sous-tendent. Or, pour avoir visité de nombreux établissements, je maperçois de valeurs sensiblement identiques dun établissement à lautre, valeurs qui mettent en avant des thèmes comme « le respect de lautre « , « le respect de la différence », « la croyance en lhomme » etc. « Il va donc de soi que le mépris, le racisme
, même derrière un propos correct, savéreront foncièrement incompatibles avec lexercice de léducation spécialisée qui par définition est une prise de position quasi militante contre cet état de lesprit qui lui peut avoir en chacun quelques racines » écrit G. DREANO comme une évidence. Ceci dit, les éducateurs spécialisés nont pas lexclusivité de ce type de valeurs, et il paraît difficile dimaginer une institutions éducative où le racisme, le préjugé, le mépris, le rejet etc. ne parviennent à rentrer en dépit de leffort du personnel à proposer une attitude éducative des plus ouvertes et tolérantes. Cela nous fait dire que, plus quune réalité effective dans les établissements éducatifs spécialisés, laffirmation de valeurs humanistes et généreuses participent à lélaboration de la culture de métier des éducateurs fortement héritée de lhumanisme religieux et philosophique. Il est en effet inconcevable quune institution ou un éducateur défendent par exemple lidée que lêtre humain est inégal selon son groupe social ou son ethnie, et quil faut le rejeter dès quil sécarte de la norme dominante dans linstitution ! ! Quand bien des groupes professionnels naffirment pas de manière aussi forte des valeurs humanistes, les éducateurs se font forts dun discours emprunt de générosité et de bienveillance qui constitue lune des manifestations de leur culture professionnelle.
La thèse a fait la démonstration dun métier en concurrence, disons mieux, en rivalité avec le secteur médical. Les mouvements dantipsychiatrie ont fortement contribué à lémergence du secteur éducatif spécialisé qui a voulu revendiquer que lenfant handicapé na pas tant besoin de soins que de stimulations qui vont lui permettre de se développer et sintégrer. Les discours éducatifs sont remplis de vocables et dexpressions qui sinscrivent en continuité de linfluence médico-psychologique sur le métier. A ce titre, la psychanalyse a notamment une place très importante dans les discours. Dans tous les cas, la référence aux soins contenue dans les discours contribue à la construction dune identité de métier qui poursuit le prestige et lefficacité du monde médical. Il y a chez les éducateurs une forme dambivalence à légard du soin, ambivalence faite de jalousie, de mépris, dadmiration tout à la fois. Elle est un signe fort aussi de la proximité historique et épistémologique entre lunivers médical et lunivers éducatif qui poursuivent tous deux un mieux-être des personnes prises en charge. Le premier est beaucoup plus ancien, il a eu le temps de se structurer autour de savoirs scientifiques reconnus et valorisés, il jouit dune reconnaissance sociale et institutionnelle certaine ; le second est un secteur professionnel récent qui continue de nourrir des confusions dans le sens commun entre une activité domestique (léducation parentale des enfants), une activité bénévole et militante (lengagement religieux vers les enfants démunis) et une activité sérieuse, efficace et donc professionnelle. Là où en médecine le professionnalisme va de soi, léducation spécialisée a besoin de se référer un minima aux soins pour jouir de la reconnaissance professionnelle. Par exemple, les écoles de travail social forment les étudiants à lépreuve de psychopédagogie : au delà de laspect transdisciplinaire de la psychopédagogie, ce courant manifeste une ambivalence structurelle entre le soin et la pédagogie spécialisée.
A force de sénoncer dans des discours psychologisants, les éducateurs spécialisés entretiennent de manière forte la confusion entre ce qui relèverait de lactivité éducative et de la thérapie. Il en est de même avec la référence à la loi et au cadre normatif. Les éducateurs expliquent ces incessantes références au cadre du fait quil soit structurant pour lenfant, ce qui est dailleurs très vrai. Mais, parfois, le discours va au-delà de laspect thérapeutique de la loi pour affirmer des positions clairement institutionnelles, peu marquées par le refus de la conformité et la militance. En ce sens, le métier déducateur spécialisé rappelle « tout ce que les configurations présentes dun secteur doivent à ce passé sédimenté, à ces rapports ambigus aussi entre un tissu associatif de droit privé reconnu dutilité publique et un Etat accommodant. »
Limpossible choix discursif entre don de soi et activité salariée
Au vu de ce parcours historique de la profession, nous constatons que les éducateurs spécialisés ne parviennent à élaborer des discours qui se positionnent entre leur besoin de reconnaissance sociale, leur besoin de technicité, et leur besoin de faire valoir une action éducative qui soit soucieuse de lautre et qui manifeste un véritable don de soi. Ce grand écart est permanent dans les discours éducatifs spécialisés.
Ce que jai appelé les récits de vie motivationnels, cest-à-dire les récits des éducateurs relatifs à leur choix de métier et leur formation, témoignent quasiment tous dun choix de métier qui cherche à faire coïncider un besoin dutilité sociale à un moment de leur vie où ils en traversaient quelques difficultés personnelles et celui de travailler. Ce besoin de reconnaissance et dutilité sociales est révélé la plupart du temps par une rencontre avec un intervenant social ou un jeune handicapé en difficulté qui ont mis en exergue chez le futur professionnel sa sensibilité à autrui et son appel à secourir autrui. Il procède dans le choix de métier quelque chose de lordre dune forme de vocation religieuse, même si les éducateurs le formalisent dans les discours et sen offusquent tout aussi immédiatement. Les éducateurs refusent en effet en bloc la notion de vocation quils opposent à celles de professionnalisme, dapprentissage et de connaissances théoriques.
Les notions « daide » et « daccompagnement » sont extrêmement importantes dans les discours des éducateurs spécialisés. Elles constituent ce que jappelle le Syndrome Schtroumfs dans la mesure où elles sont employées à tout va et quelles réfèrent à une multiplicité dactes professionnels. Il sagit en fait dune polysémie qui rend compte entre autre des aspects très approximatifs des termes ou expressions employés par les éducateurs pour désigner leur activité professionnelle. Plus largement, ces notions contribuent à renforcer la posture ambivalente des éducateurs entre le secours quasi religieux vers autrui (il est difficile dignorer létymon du verbe « accompagner » qui réfère de toutes évidences aux apôtres qui partagent le pain avec le Christ), le don de soi dans le secours à autrui («Prêter son concours à quelqu'un pour lui faciliter l'accomplissement d'un acte, la réalisation de quelque chose; secourir une personne dans le besoin » est la définition que propose J. DENDIEN du verbe « aider »), et lacte de travail éducatif contenu dans les expressions comme « laccompagnement éducatif ». Il y a là un choix quasi impossible entre leur rêve de professionnalité et leur recours nécessaire à des valeurs et des postures humanistes héritées de lhistoire de la profession pour exercer le métier. Cela a pour conséquence lélaboration de discours qui derrière une construction sérieuse, référée à des domaines ou des théories universitaires, se targuant de mettre en valeur des savoir-faire évaluables, sujets à lapprentissage, ne peuvent écarter tout une série de mots ou dexpressions qui réfèrent à des attitudes et des valeurs à connotation religieuse. Ces constructions discursives participent complètement à cette culture de métier écartelée entre don de soi et professionnalisme.
Le travail qui a été fait sur la spécialisation des éducateurs spécialisés et ce que je nomme la formalisation de lactivité éducative ne cesse de rendre compte du poids historique fort sur la profession. En effet, les discours très approximatifs permettent de faire la part belle autant à la professionnalisation du dire (usage de termes scientifiques ou de termes génériques au travail social comme « médiation », « accompagnement », « insertion » etc.) quà limplication personnelle et émotive du praticien dans le dire (termes affectifs, termes révélant des formes de compassion etc.). Lapproximation joue un véritable rôle de synthèse et déquilibre entre ces deux formes de positionnement, et finalement, plus quun écartèlement, elle produit un discours spécifique dune identité professionnelle en recherche déquilibre entre la nécessaire technicité et scientificité de la fonction, et lappel aux ressources personnelles, morales et subjectives de lacteur. Certes, les éducateurs tentent en permanence de faire valoir un ensemble de savoirs opératoires dont ils se réclament compétents, mais lon ne peut ignorer quils sélaborent dans le rapport complexe que chaque éducateur a avec lhistoire du métier, sa propre histoire qui la amené vers un métier daide, son rapport avec linstitution dans laquelle il exerce et son rapport à lusager dans ce que sa souffrance, ses difficultés peuvent lui renvoyer. « Avoir un métier, cest sinscrire dans une dynamique de production dun savoir opératoire, érigeant lexpérience en mode dapprentissage privilégié. (
) La dynamique de construction des savoirs pratiques dépend des différentes formes et modalités de savoir effectivement engagées pendant lacte productif. La notion de compétence, comportant un aspect dynamique en relation avec lactivité de travail et incluant le système social de proximité comme support et vecteur de la construction dune dynamique professionnelle, représente alors un concept adapté à une lecture des processus à luvre dans la construction dun savoir opératoire et efficace. » Les compétences telles que les éducateurs les formalisent mettent en évidence le fait quelles ne se comprennent pas en dehors des contingents sociaux, émotionnels, institutionnels et personnels à luvre dans lactivité de travail. Nous nous trouvons en face dune véritable dynamique identitaire qui se construit dans la complexité du rapport du professionnel à lui-même, à son lieu de travail, à son groupe dappartenance professionnelle, à lhistoire de son métier et à la typologie des usagers.
ENJEUX ET PERSPECTIVES SOCIOLINGUISTIQUES
La dimension identitaire des discours professionnels des éducateurs :
La spécificité de cette thèse, si jose dire, réside dans le fait quelle ne traite pas de lidentité professionnelle des éducateurs spécialisés en tant que telle, mais de cette identité, ou plutôt de ces identités, telles quelles sont exprimées dans les discours. Il ny a pas une identité professionnelle des éducateurs, mais des positionnements identitaires variables, plus ou moins stables, qui résultent dune dynamique particulière dans le contexte sociohistorique et institutionnel qui est le leur. Là où la thèse a montré des ambivalences dans les discours des éducateurs, il faut entendre une dynamique identitaire complexe et perméable aux aléas de lexercice professionnel et à son besoin de reconnaissance.
Ces discours de représentation de lidentité professionnelle sinscrivent dans une forme de culture professionnelle : « point de métier sans culture, nous dit F. OSTY, cest-à-dire sans des règles techniques et comportementales intériorisées par lapprentissage, mobilisées en vue de la perfection dun art. Lidentification à lactivité de travail et la transmission sont les deux volets sur lesquels repose la culture de métier. [
] Mais toute culture fonctionne également dans le registre du symbolique et de laccès au sens par lexpérience. Là aussi, le métier sinscrit dans une dimension culturelle par la force même des identités quelle construit. » Que nous disent donc les éducateurs de leur culture de métier ?
Les éducateurs font montre dune identité interstitielle, au sens dun métier qui se construit en permanence dans la double référence à des métiers socialement valorisés. Autrement dit, les éducateurs spécialisés ne cessent daffirmer la pertinence de leur métier en tant que tel, par opposition à ceux du soin ou de lautorité juridique, et en même temps les éducateurs se disent redevables de ces métiers. Ils ne parviennent à senvisager sans se référer aux discours, aux référents théoriques qui constituent le socle de ces métiers. Cet entre-deux culturel est dautant plus saillant dans la construction de leur savoir professionnel quil sillustre dans la référence à des types de savoirs antagonistes, des valeurs et des idéaux ambivalents, des contradictions qui fondent en propre la culture professionnelle des éducateurs spécialisés. Beaucoup plus quune crise de sens, les éducateurs spécialisés se construisent dans une culture de la complexité et de la contradiction. Parce quil y a de la contradiction, parce quil y a à la fois de la conformité et de lanti-conformité, les discours éducatifs spécialisés révèlent une identité en quête de stabilité et de reconnaissance, quête quasi inaccessible au vue de la complexité identitaire dans laquelle les éducateurs se trouvent. Certes, ils aspirent à une reconnaissance de leur métier, une plus grande valorisation de ce quils font, et en même temps ils refusent la nécessaire institutionnalisation de leurs savoirs. Ils senferment dans des savoirs flous, que leur langage ne parvient pas à rendre signifiants et révélateurs dune spécialisation.
Les éducateurs composent une identité professionnelle de lapproximation. Il y a chez eux une véritable envie de revendiquer des savoir-faire professionnels propres que le Diplôme et la formation rendent efficients. Ces savoir-faire sencodent dans un langage qui a lambition de faire preuve de précision et de technicité. La revendication doutils éducatifs est très forte chez les éducateurs, outils qui sont pour leur grande majorité de nature verbale. Or, lorsquon regarde de plus près les discours, on saperçoit que les savoir-faire ne rendent pas compte de savoirs véritablement opératoires et spécifiques. Le langage des éducateurs fait la démonstration de postures identitaires spécifiques, au sens de la fonction emblématique du langage telle que L-J CALVET la décrit pour largot, mais ne signifie pas des techniques spécifiques. Le langage des éducateurs est un langage demprunts, un langage qui se cherche une légitimité technique et scientifique, mais hélas un langage qui ne désigne pas des savoirs spécifiques. Pour une même matière langagière, les éducateurs désignent tout une série dactes professionnels, de même, à linverse, les éducateurs fabriquent par emprunts un langage complexe et riche dont ils sont peu capables den expliquer les subtilités et qui réfère à peu dactes professionnels différents.
Les éducateurs spécialisés se construisent dans une culture professionnelle de lemprunt. Il saffilient à un langage pluriel et composite qui sest construit petit à petit en prenant pour soi des expressions et des mots empruntés à des secteurs ou des disciplines qui ont exercé sur la profession une influence certaine. Cela est particulièrement manifeste pour la médecine et la psychanalyse. Ces deux secteurs ont imprimé au langage des éducateurs des références, des tics de langage dont ils sont, pour leur grande majorité, peu capables den identifier les sources. Ces emprunts ont une fonction de valorisation et de légitimation. Parce quils parviennent à échapper à un langage commun, au langage de la rue, les éducateurs ont le sentiment de constituer un groupe professionnel sérieux, légitime, se démarquant par sa technique et son opacité langagière. CALVET parle de fonction cryptique de largot, fonction qui rehausse le langage, qui le sort de lordinaire et qui le met à labri du sens commun. A linstar des médecins, les éducateurs affichent lambition de produire un langage qui ne soit plus accessible aux non initiés. Toutefois, cette ambition reste très relative dans la mesure où les éducateurs spécialisés ont à légard des sciences et des disciplines universitaires à la fois de ladmiration sans borne, et à la fois une grande méfiance. Il y a là la manifestation dune culture qui privilégie le sens pratique au sens symbolique, qui privilégie le pragmatisme à la théorisation des pratiques. Et pourtant le langage se veut ambitieux, élaboré, instruit et révélateur dune science psychopédagogique légitime et autonome. Cette ambition se prévaut dune forme de regroupement corporatiste qui sous-tend des revendications liées au statut et aux salaires.
Tous ces débats corporatistes sur le bien-fondé de lintervention éducative spécialisée participent dune culture particulière de la professionnalité. En effet, les éducateurs composent des discours qui manifestent une identification forte à des références idéologiques de type judéo-chrétien ou militant, et en même temps à des valeurs de professionnalisme où le souci de la technicité, lactivité de travail comme acte rémunérateur dominent. Les éducateurs spécialisés ne parviennent pas à afficher un discours tourné définitivement vers la professionnalité ; tout en revendiquant la nécessité de professionnaliser ce qui longtemps relevait du secours religieux, ils décrivent un travail qui sort de lordinaire parce que basé sur la relation humaine. Les éducateurs cultivent ainsi une culture professionnelle où la référence à lhumain, la référence à lautre, la référence à la personne comme un être unique, prend parfois le pas sur le service public quils produisent. La relation comme axe de travail éducatif peut même justifier des refus de la part des éducateurs de participer à lévaluation et à la rationalisation de leur activité professionnelle : parce que le travail essentiel sinscrit dans lentre-deux relationnel entre le jeune et léducateur, il échapperait à toute tentative dévaluation du son coût et de son efficacité. Un creuset idéologique fort nourrit cette culture de la relation humaine : globalement les éducateurs affirment des valeurs sociales pour ne pas dire socialistes, où à la fois lindividu est décrit comme un être autonome, sujet de droit, un être libre qui mérite de la part des éducateurs tolérance et ouverture desprit, et à la fois comme un être inscrit dans une société avec ses règles, ses contraintes qui priment sur la toute-puissance du sujet. Il sagit donc dune forme de professionnalité particulière qui sétablit à mi-chemin entre le bénévolat, le militantisme religieux ou laïc et lactivité salariale. Cette professionnalité particulière est dautant plus criante dans la façon dont les éducateurs encodent leurs rôles et fonctions, et leurs savoir-faire : si la référence à loutillage éducatif est nettement prépondérante dans les discours, ils ne cessent dhabiller ces outils de dispositions personnelles et morales, à leur sens indissociables dune pratique éducative spécialisée.
La question qui traverse la culture professionnelle des éducateurs spécialisés est celle de sa pérennité et donc du crédit qui lui est accordé dans un contexte social où priment le rendement et le capital. Cette question est évidemment contenue dans le débat permanent qui occupe les éducateurs spécialisés quant à lunité de leur groupe professionnel et à leur identité professionnelle. La recherche de sens chez les éducateurs renvoie beaucoup plus à une quête de légitimité qui se fonde essentiellement dans la construction de discours qui seront perçus par les financeurs, les partenaires institutionnels, les professionnels de laction sociale, comme crédibles et donc professionnels. La professionnalité des éducateurs spécialisés ne va pas de soi, elle implique des constructions discursives légitimes, à défaut dune technicité claire, opératoire, et directement perceptible par autrui.
En ce sens, les discours des éducateurs constituent autant une limite quun fondement à leur légitimité professionnelle. En effet, si pour certains corps de métier, les discours des éducateurs sont apparentés à du verbiage, cest-à-dire quils serviraient à masquer une absence de technicité, les éducateurs nont pas dalternative autre que dasseoir leur légitimité à partir des discours dans la mesure où le langage constitue, sinon le seul, lun des matériaux essentiels à partir duquel ils travaillent. Lanalyse des actes de discours a démontré limportance que les éducateurs accordent au langage pour agir sur les jeunes quils ont en charge. Néanmoins, les effets du langage ne sévaluent pas aussi aisément que laction dune machine, ce qui peut provoquer du discrédit et de la déconsidération quant à lefficacité de leur action. Cette efficacité est dautant plus mise à mal que les éducateurs sont confrontés à des jeunes gens fragiles, pas toujours capables de sen sortir, mettant donc en échec les actions entreprises par les éducateurs spécialisés. De plus, la grande pluralité des références théoriques, voire lapproximation des référents universitaires, à partir desquels les éducateurs fondent leur métier, naident pas à une évaluation positive de leur activité.
Les discours des éducateurs spécialisés sont lune des manifestations du débat éthique qui traverse le travail social. Sil y a complexité et paradoxes dans ce quils disent, il y a complexités et paradoxes dans lactivité professionnelle quils mènent et les missions qui leur sont confiées. Cette culture professionnelle des interstices ou des dualismes idéologiques sinscrit dans le choix quasi impossible qui est fait aux travailleurs sociaux entre une éthique de la responsabilité et une éthique de la conviction. Les éducateurs spécialisés ne parviennent pas à senvisager en dehors dune doctrine sociale et dun ensemble de convictions idéologiques et morales propres, et en même temps, la spécificité de la mission éducative publique, les financements issus majoritairement des collectivités publiques, les enjeux forts qui se jouent autour de la résolution des problèmes liés à la précarité, mettent les éducateurs spécialisés en nécessité dinscrire leur action dans la réalité sociale et institutionnelle. Les discours ne peuvent donc pas éviter les paradoxes et les contradictions, ils ne peuvent pas se fixer une régularité dans les positionnements dans la mesure où leur activité professionnelle est elle-même sujette à la contradiction. De même, lappel à des valeurs personnelles comme références qui vont permettre au praticien de fixer les limites et les règles auprès de ses usagers, implique une pareille ambivalence entre un discours stricto sensu professionnel et un discours personnel empreint des valeurs et des idéologies de chacun, même si un certain nombre de ces valeurs sont relayées par les institutions. J. LOUBET parle de « lêtre éducateur » quil définit dans la double dimension politique et sociale du champ professionnel des éducateurs, montrant dans la formule même la double vocation des éducateurs qui se situent à la fois dans lengagement personnel (fonction éducative dévolue à tout à chacun) et lengagement professionnel (éducation spécialisée). Toujours est-il que la réflexion sur léthique éducative spécialisée ne peut échapper à la réflexion sur lengagement des éducateurs spécialisés, et en ce qui nous concerne, du degré dengagement dans les discours. Cet engagement se lit dans les discours à travers trois aspects complémentaires : la performativité du discours cest-à-dire ce en quoi le discours est action et engage léducateur et ses usagers, le contenu idéologique et moral dans le discours, et le contenu politique et institutionnel du discours. Les éducateurs spécialisés se situent donc dans leurs discours à la croisée de ces trois dimensions qui fondent ce que LOUBET nomme « lêtre éducateur » :
IDENTITE DES EDUCATEURS
Actes de langageEthique de convictionEthique de responsabilitéPerformativité du discoursEngagement idéologique et moral dans le discoursContraintes politiques, sociales et institutionnelles à luvre dans le discours
Cet entrelacs des références tant morales, idéologiques que techniques dans lactivité de travail a un effet évident sur la construction des identités des éducateurs spécialisés : « La situation organisée de travail produit des identités collectives, participe de la construction de lidentité personnelle à travers la reconnaissance de soi dans le travail, inculque des modes de perception du monde et de soi dans le monde qui marquent aussi de leur empreinte la vie sociale hors de lentreprise. » Il y a une véritable interpénétration de la sphère professionnelle et privée dans le travail des éducateurs qui produit sur le terrain des dynamiques identitaires particulières.
Pour une recherche-action : les enjeux de la thèse
Faut-il se contenter de ce que disent les éducateurs spécialisés de leur métier ? En fait, jai cherché au cours de cette recherche à analyser et à donner du sens à des pratiques professionnelles à partir du matériel verbal que les informateurs ont bien voulu moffrir.
Mais il est difficile de résister à une seule analyse des choses sans produire une sorte de remise en cause des éducateurs qui aura, jose le croire, une incidence sur la structure de leur métier. Lors dune interview avec E ADAMOU, J. BOUTET partage son souhait que « les sociolinguistes, et cest aussi la position de Calvet, ait une action sur le politique, dans la vie de la cité. » Cette position résolument militante invite à aller au-delà du langage, à dépasser les observations, pour provoquer du changement, pour bouleverser les idéologies. Dans notre cas, il sagirait dune provocation pour les éducateurs spécialisés à travailler leurs discours, et donc leur identité professionnelle, pour quils sassurent dune pérennité et dune légitimité meilleure.
En effet, la recherche a décrit tout au long de cette thèse un métier en fragilité, disons autrement, un métier dont les discours professionnels produisent un véritable déficit de légitimité. Si comme lécrit régulièrement J. BOUTET, la difficulté à dire son activité professionnelle est immanente à chacune des professions, la façon quont les éducateurs à se dire est certes difficile, mais surtout elle crée le contraire de ce quelle doit produire, cest-à-dire un ensemble confus de références théoriques ou pratiques qui ne parvient pas à proposer une représentation stable et crédible du métier.
Si pour P. ZARIFIAN, travailler cest « conduire un advenir [
] et avoir présent à lesprit les destinataires de ce travail, les effets que ce travail va produire », il est difficile de résister à une analyse et une observation passive de discours qui discréditent plus quils ne construisent la profession des éducateurs spécialisés. En effet, les discours recueillis vont véritablement à linverse dun advenir du métier, mais semblent quasiment le condamner à un remplacement progressif par des personnes sous-qualifiées. Cette condamnation est largement bien entamée dans certaines régions (Ille de France par exemple) où le manque de professionnels diplômés est criant. Un journal hebdomadaire comme les Actualités Sociales Hebdomadaires (ASH) publie chaque semaine une cinquantaine de postes éducatifs vacants pour la seule région parisienne, postes que les employeurs ont bien du mal à remplir. De plus, les récentes lois de décentralisation renforcent le coût de lactivité socio-éducative aux collectivités locales, ce qui provoque inévitablement des baisses dans les budgets des associations. Bref, tout semble propice pour inciter les employeurs à embaucher des personnels éducatifs déqualifiés et moins coûteux dautant quand les éducateurs spécialisés ne donnent pas à voir dans leurs discours une force de conviction et de légitimité professionnelles. Cette thèse doit encourager les éducateurs spécialisés à changer leurs discours, à en connaître les limites et les effets, à mesurer le besoin de mieux circonscrire les référentiels théoriques et les savoirs (savoir-faire, savoir-être, savoirs livresques) à luvre dans leur activité professionnelle. Il ny a pas de profession crédible sans, certes un ensemble de savoirs pragmatiques et théoriques, mais aussi un ensemble de savoir-dire : les éducateurs spécialisés ont à engager un véritable travail sur les représentations de leur activité professionnelle, dans la mesure où celles-ci, si lon en croit JF BLIN, participent à la construction des savoirs professionnels, constituent la base des communications professionnelles, orientent et guident les pratiques par un travail de mobilisation des compétences cognitives, mais surtout définissent les identités professionnelles. Pour lauteur, les représentations professionnelles ont une fonction de guidage. Si les éducateurs veulent sauver entre guillemets leur métier, et donc consolider leur identité professionnelle, ils ont un effort important à fournir dans les représentations quils en ont et quils donnent à entendre. La nécessité de consolider leurs savoir-dire par la formation est, je le souhaite, contenue tout entière dans cette recherche. « Laccès à un langage technique commun constitue en effet, pour C. DUBAR, lacquis essentiel de ces pratiques de formation permettant de comprendre les gens avec qui on travaille et de partager un ensemble de valeurs avec eux. » Et cette formation doit en passer par lapproche des phénomènes langagiers. Dans un métier qui se réclame autant du langage, il paraît en effet absurde quaucune place ne soit faite à la linguistique. En effet, si les sociologues (ION, AUTES, CHAUVIERE, etc.) ou les psychologues sont nombreux à écrire autour du métier, les linguistes ignorent ou sont ignorés des éducateurs. « Toutes les modalités relationnelles [
] se concrétisent de façon privilégiée dans la parole : cest par lécoute de ce que lautre transmet que nous lui démontrons respect et estime ; cest par lempathie que nous pouvons reconnaître les éléments latents dun message et les traduire dune manière recevable ; cest par la reprise de son discours en termes apaisés et cohérents que nous réalisons notre fonction de contenant. [
] Tout lart de léducateur est de savoir ainsi capter au bon moment, au décours déchanges apparemment décousus, le message formulé afin de confirmer quil a été entendu ; puis de savoir prononcer le mot ou la phrase dont le contenu est tantôt libérateur, tantôt évocateur dune nouvelle idée » : les propos de LEMAY et CAPUL, éminents spécialistes de léducation spécialisée, marquent en quelques lignes les héritages linguistiques du métier, et pourtant, leur biographie ne laisse la place à aucun linguiste. Cette négation de limpact linguistique dans léducation nest pas nouvelle. Citons à cet effet A. AICHHORN qui écrit en 1935 « léducateur surévalue souvent la signification de la psychologie pour son travail. Il doit prendre en considération beaucoup dautres facteurs tels que psychiatriques, sociologiques, économiques et culturels » soit encore un exemple où la pluridisciplinarité est reconnue hormis la linguistique.
Par ailleurs, cette recherche est loin dêtre close. Elle ouvre au contraire de nouveaux chantiers qui vont continuer de nourrir et ma pratique de chercheur et ma pratique déducateur spécialisé. Létude des notes de synthèse des éducateurs doit par exemple constituer un chantier prioritaire dans ma réflexion de praticien. Je reçois chaque semaine une dizaine de notes qui émanent déducateurs en Circonscription en vue de ladmission dun jeune dans le service que jencadre. Ces écrits manifestent à travers les jeunes décrits la représentation que les professionnels ont de leur réel. Un formateur à lIRTS de Bretagne, B. BOUNAFOUS, avait lhabitude de dire que les écrits professionnels disent beaucoup plus du professionnel lui-même que des enfants qui y sont décrits. A ce titre, une exploration plus profonde simpose et doit constituer un champ détude urgent. En effet, il est absolument consternant de découvrir des textes plus ou moins bien écrits, plus ou moins explicites, qui donnent à lire une vision souvent stigmatisante et compassionnelle des enfants. Nous avons dailleurs abordé ce phénomène dans ce que jai nommé la rhétorique de la souffrance. Le gain en légitimité des éducateurs passera aussi par un travail sur les écrits quils produisent, lécrit restant pour de nombreux professionnels un passage obligé mais douloureux de leur métier. Dautres champs sociolinguistiques entiers restent à explorer comme les phénomènes verbaux repérables auprès des jeunes pris en charge, les phénomènes de contacts de langue avec les populations dorigine étrangère et les éducateurs qui les ont en charge etc.
La vocation de cette recherche et des recherches à venir est donc descriptive, mais aussi dynamique : il sagit dune véritable recherche-action au sens de R. BARBIER, professeur à Paris 8 : « lobjet final de la recherche action existentielle demeure un changement de lattitude du sujet (individu ou groupe) en rapport avec la réalité qui simpose en dernière instance (principe de réalité). Il ne sagit pas pour autant dattendre un changement miraculeux ou de rester dans une attitude de passivité. En vérité, dans laction même en faveur du changement social et personnel, une lucide appréciation du principe de réalité demeure constante sans sengouffrer dans la position frileuse de tous ceux qui nous rabâchent un il ne faut pas rêver ». Mes travaux de recherche présents et à venir doivent viser un changement chez les éducateurs, une transformation du travail social en profondeur. Jaborde ce nouveau métier de chercheur avec en tête laxiome de R. BARBIER : « pas de recherche sans action, pas daction sans recherche, comme disait LEWIN » dans lespoir que ce beau métier ne sera pas mis à mal dans les années qui viennent. Lidée de ce militantisme intellectuel serait daider les travailleurs sociaux à dépasser « la crise du sens du travail » en parvenant à réintroduire dans leur travail « le discours des valeurs ».
CONCLUSION GENERALE
Trois années de travail sachèvent et je clos cette recherche. Du moins, je rédige les dernières pages dun travail qui a été long, exigeant mais passionnant. Trois années à voyager à travers les représentations que les éducateurs spécialisés ont de leur métier. Trois années à découper, analyser, disséquer des entretiens, des enquêtes et des rapports stage. Trois années à redécouvrir un métier qui est pourtant le mien, et qui ne cesse de provoquer en moi à la fois de ladmiration, de lintérêt, mais aussi, comme tout passionné, de lagacement ou de la colère.
La perspective sociolinguistique pour décrire un groupe professionnel a montré, au cours de cette recherche, non seulement son efficacité mais aussi sa pertinence :
Lanalyse des discours se prévaut finalement dune analyse des représentations que les informateurs ont de leur métier. Sils parlent de leur travail, des tâches quils y accomplissent, des rôles et des fonctions qui sont les leurs, ils disent la représentation quils ont de leur réalité de travail. Il ne sagit donc pas de la réalité du métier déducateur, mais des réalités plurielles, singulières, mais aussi convergentes, groupales dun métier avec sa problématique identitaire propre. Le travail danalyse des représentations permet de mettre à jour, de décoder, la vision que les éducateurs peuvent avoir du monde dans leur travail. Lanalyse va donc au-delà de létude de la professionnalité, elle prend en compte la singularité dindividus qui, consacrent une partie de leur journée à jouer aux éducateurs spécialisés avec tout ce quils sont, tout ce qui les fonde du point de vue de leur identité personnelle. Le langage actualise le passage de lhomme de la rue, lhomme du quotidien, au professionnel, même si les limites entre ces différentes scènes ne sont pas imperméables : la sphère professionnelle apporte nécessairement à la sphère domestique (et vice versa) des habitudes linguistiques, des visions du monde particulières, notamment dans un travail comme celui déducateur spécialisé qui fait autant appel aux valeurs personnelles, morales et idéologiques. Le langage constitue donc un aspect fondamental de cette mise en scène de la professionnalité. On devient éducateur, certes parce quon est employé pour mener ce travail, quon en a le statut et la légitimité dexercice, mais aussi parce quon parle comme un éducateur.
La prégnance du langage dans lactivité des éducateurs spécialisés rend indispensable lapport linguistique. Parce que les éducateurs revendiquent le langage comme matière première de leur activité professionnelle, il paraît indécent et absurde que la linguistique ignore son analyse. Les mots que les éducateurs mettent sur leur univers professionnel sont vécus par eux comme à la fois fascinants, fondateurs mais aussi sujets à caution. Récemment jassistais à un colloque organisée par lAide Sociale à lEnfance de la Seine Saint Denis, réunissant une cinquantaine de professionnels autour de la question des placements ; arrive un moment où un éducateur évoque son besoin en tant que professionnel de mettre en mot le rejet, voire le ras de bol quil a pu éprouver vis-à-vis denfants dits « incasables », ajoutant quil ne sagissait que de langage ; sen est suivi tout un débat passionné, loquace et grandiloquent, où les uns confirmaient son propos et dautres sindignaient violemment quon puisse parler « denfants incasables », cest-à-dire quon puisse provoquer de lexclusion par le seul fait de nommer aussi brutalement les difficultés par du langage. Bref, le langage constitue autant un moyen de structuration de leur univers professionnel quun risque de détournement de ce quils croient être leur réel professionnel. Le langage participe profondément aux positionnements identitaires des éducateurs à travers les enjeux de pouvoir quil représente. Rappelons-nous des enseignements de R. SAINSAULIEU à propos des liens étroits que lidentité professionnelle entretient avec le pouvoir des acteurs dans lentreprise.
Cette recherche a donc pu dégager des positionnements identitaires dun groupe professionnel à travers leurs discours. Il ne sagit évidemment de réduire une dynamique identitaire des éducateurs aux seules manifestations langagières, toutefois le discours constitue un terreau évident pour lappréhension des univers de représentations des éducateurs. Le langage constitue un indicateur tout à fait important dans le décryptage dune identité professionnelle en mouvements dès lors que le chercheur se garantisse dune méthodologie et dune analyse scientifiques et rigoureuses. Nous avons pu montrer un métier de la complexité, cest-à-dire un métier qui ne se veut pas univoque et définitif, mais bien sujet à la dynamique de ses membres et aux interactions quils entretiennent à lintérieur des institutions et avec leur environnement professionnel. En ce sens, cette recherche se veut proprement sociolinguistique dans la mesure où elle sentoure dun nombre important de garanties scientifiques, mais surtout où elle prend demblée en compte le fait que les discours des informateurs sont porteurs de variations et quils ne reflètent quune réalité partielle de lidentité professionnelle des éducateurs à un moment X. Il y a en effet de fortes chances que ce que jai pu écrire à propos de lidentité professionnelle des éducateurs ait déjà évolué. S. SCHEHR écrit dans une étude sur les chômeurs que « rendre compte de lidentité de ces populations implique de prendre en compte toutes les formes dappartenance, ce qui revient à tenir compte de la façon dont les personnes gèrent subjectivement la complexité sociale. Lidentité telle quelle apparaît intègre une dimension temporelle : elle est situationnelle donc impermanente et réticulaire. » Cela vaut exactement pour les éducateurs et tout groupe dont on sattache à étudier leur identité.
Cette recherche a montré comment les discours participent à laffaiblissement de la profession. Cela veut dire que les éducateurs spécialisés ont tout intérêt à travailler leur langage, et donc leurs univers de signification, pour parvenir à une plus grande légitimité et crédibilité professionnelles. Un grand nombre defforts des éducateurs se situent autour de leur besoin de reconnaissances, et ce besoin sera satisfait à partir du moment où ils produiront des discours dont la validité scientifique ne sera pas remise en cause. Certes, le résultat de lactivité éducative spécialisée constitue un moteur de reconnaissance, mais nul nignore que ce résultat est dautant plus apprécié quil est communiqué dans un discours dont on reconnaît lautorité et la légitimité.
Je me suis attaché à étudier et analyser les discours autant dun point de vue quantitatif que qualitatif. Les statistiques ont pu vérifier la validité des analyses exemplaires issues du corpus. Tous ces éléments ont montré un métier qui sélabore dans la complexité et lambivalence où à la fois les éducateurs revendiquent une autonomie et ne cessent de construire des discours dont ils empruntent les vocables et les structures à dautres corps de métier. Lapproximation scientifique, lambivalence technique et idéologique dans lélaboration discursive des savoir-faire qui leur sont propres, participent à la fragilisation de ce métier en véritable quête de reconnaissance et de valorisation. Il sagit dun métier où le passage de la vie domestique à la vie professionnelle nest pas si aisé à distinguer dans la mesure où lexercice éducatif spécialisé sétablit dans la référence perpétuelle à des valeurs, des idéologies, une morale et une conscience politique qui traversent lexistence de chacun. Dans tous les cas, les besoins de reconnaissance montrent pour cette catégorie de professionnels combien « le travail est loin davoir perdu son rôle de repère central pour les individus, comme lattestent des enquêtes sur limportance persistante du métier dans le processus identitaire : lidentification au métier reste prépondérante alors même que le contexte conduit à des processus dabstraction du travail ; le reconnaissance du métier et de la qualification est toujours un enjeu qui oppose salariés et direction dans les entreprises. »
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS Page 3
PLANPages 5-9
INTRODUCTION GENERALEPages 10-19
PREMIERE PARTIE : PREALABLES THEORIQUESPages 20-111
Chapitre premier : Le métier déducateur spécialiséPage 21-62
1) Un métier aux contours flousPages 22-30Quest-ce que le travail social ? Pages 22-27Léducateur spécialisé est-il un travailleur social ? Page 27 -30
2) Une multiplicité de publics Pages 30-40La prise en charge des handicapsPages 30-34Lenfance inadaptéePages 34-37Linsertion socioprofessionnellePages 37-40
3) Une multiplicité de lieux dinterventionPages 40-46Les institutions médico-socialesPages 40-43Les institutions pour lenfance inadaptéePages 43-45Les institutions pour adultes inadaptés sociauxPages 45-46
4) Historique de léducation spécialiséePages 47-55Fondements et premières racinesPages 47-49La proto histoirePages 49-50La période pré-contemporainePages 50-52Lépoque contemporainePages 52-55
5) Le métier déducateur en quête de sensPages 55-62
Chapitre deux : langue, identités et professionsPages 63-87
1) Lidentité professionnelle : un problème de dénominationPages 64-70Lidentité, cet objet complexePages 64-66La question de lidentité professionnellePages 66-70
2) Langue et identité professionnelle : le monde des technolectesPages 70-79La langue orale sur le lieu de travailPages 71-76La langue écrite au travailPages 76-79
3) Education spécialisée et langue au travailPages 79-87
Chapitre trois : Méthodologie denquêtePages 88-111
1) Les échantillons étudiésPages 88-90Quelques données chiffréesPage 88Projet déchantillonnagePages 89-90
2) Le questionnaire : stratégie et méthodePages 90-92
3) Lentretien : stratégie et méthodePages 92-95
4) Le traitement des donnéesPages 95-101
5) Lanalyse des discours : problèmes et méthodesPages 101-111Que recouvre lanalyse des discours ?Pages 101-104Lanalyse de contenus : formes et méthodesPages 104-105Discours et construction identitairePages 106-109Le traitement informatique des discoursPages 109-111
DEUXIEME PARTIE : ANALYSE QUALITATIVE DU CORPUS Pages 112-232
Chapitre premier : La rhétorique de la formalisation de la pratique professionnellePages 114-166
1) Le choix des conceptsPages 114-117Travail, activité professionnelle et métierPages 114-115La formalisation de lactivité professionnellePages 115-117
2) La mise en mots des savoir fairePages 117-144La détermination des capacités professionnelles comme enjeu de la professionnalitéPages 118-127La construction des capacités professionnellesPages 127-128Essai de typologie des aptitudes professionnellesPages 128-143Synthèse des observationsPages 143-144
3) La rhétorique de la formalisation de la pratiquePages 144-156Exemple comparatif de note éducativePages 144-148Une rhétorique de la difficulté humainePages 148-153Une rhétorique basée sur la réparationPages 153-156Une rhétorique basée sur la référence à la normePages 156-161La scientifisation des discoursPages 161-165Lavis dun agent EDFPages 165-166
Chapitre second : Lémergence dune identité professionnelle à travers les discoursPages 167-232
1) La place du sujet dans lénonciation : pour une identité personnellesPages 167-186Subjectivité et énonciationPages 168-172Lusage des déictiques comme lieu dinscription de la subjectivitéPages 172-181Les subjectivèmes affectifs et évaluatifsPages 181-186
2) La place du « nous » dans le discours : pour une identité collectivePages 186-205Le sentiment dappartenance collective dans le discoursPages 186-199Lémergence dun langage professionnel communPages 199-205
3) Le récit des motivations comme lieu dune synthèse entre lidentité personnelle et lidentité collectivePages 205-232Le sentiment dappartenance collective dans le discoursPages 205-208Lémergence dun langage professionnel communPages 208-232
TROISIEME PARTIE : ANALYSE QUANITATIVE DES DONNEES Pages 233-297
Chapitre premier : Ce quils disent des publics auxquels ils sadressent.Pages 235-247
1) La jeunesse des publicsPages 235-240 2) Les troubles des usagers pris en chargePages 240-247
Chapitre deuxième : Ce quils disent de leur institution.Pages 248-255
1) GénéralitésPages 248-2502) CommentairesPages 250-255
Chapitre troisième : Ce quils disent des rôles et fonctions de léducateur.Pages 256-297
1) Rôles et fonctions de léducateur spécialisésPages 256-291 Les compétences et savoir-faire à luvre dans le métierPages 256-284Ce quils disent des rôles et fonctions de léducateur spécialiséPages 284-291
2) Les actes de langage constitutifs de lactivité professionnellePages 291-297Education spécialisée et actes de langagePages 291-292Les types dactes de langages observésPages 292-297
QUATRIEME PARTIE : SYNTHESE DE LANALYSE DES DONNEES Page 298-320
Chapitre premier : la professionnalité dans le discours ou la professionnalisation des discours Page 300-312
1) Parler une question de sensPages 300-308Une relative difficile unité discursive entre les éducateursPages 300-302Du sens commun aux savoir professionnels : tout un univers dapproximationsPages 302-305Un métier fragile et perméable aux autres professionsPages 305-3082) Histoire du métier et activité langagière ou la dimension diachronique des discoursPages 308-312Aux origines de la profession : la religion et le militantisme laïcPages 308-310Limpossible choix discursif entre don de soi et activité salariéePages 310-312
Chapitre deuxième : enjeux et perspectives sociolinguistiques Pages 313-320
1) Le dimension identitaire des discours professionnnels des éducateursPages 313-3172) Pour une recherche action : les limites de la thèsePages 317-320
CONCLUSION GENERALE Pages 312-324
SOMMAIRE Page 325-329
TEXTES DE REFERENCE Pages 330-338
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Cette bibliographie noffre que les ressources littéraires dont une trace apparaît explicitement dans la thèse sous forme de citation ou de résumé. Un grand nombre de textes ou douvrages en rapport avec la présente recherche auraient pu trouver leur place mais cest bien par souci dhonnêteté intellectuelle quils ny figurent pas. En effet, comme je lindique en introduction, ce travail de thèse sest construit dans un long processus de formation où il ma été offert la possibilité de lire des textes dans des domaines aussi diversifiés que le linguistique, la psychologie (sociale et clinique), la pédagogie (générale ou spécialisée), la sociologie, le droit qui ont eu une influence sur cet écrit. Décemment, je ne peux reprocher à mes informateurs de se satisfaire dans leurs propos dapproximations scientifiques, si à mon tour je dresse une liste généreuse et touffue de références que jaurais certes lues mais il y a trop longtemps pour être actualisées. Cest donc pour cette raison que je préfère à « bibliographie » le titre « textes de référence ».
Avec du recul, je maperçois que certains textes ont été décisifs pour commencer ce travail de recherche. Dautres me sont apparus quen fin de travail comme absolument capitaux pour comprendre la question du langage au travail. Cest par exemple le cas de BAKHTINE dont jai lu un certain nombre de commentaires et dexégèses, mais qui aujourdhui me semble très important dans la compréhension de la complexité des discours éducatifs. Cette thèse se termine aujourdhui et je maperçois déjà douvrages récents qui auraient pu apporter à la recherche des éclaircissements autres comme les récents ouvrages de J. ION comme Militer aujourdhui ou Les débats du travail social. Il semble en effet que la dimension éthique à luvre dans le travail social est particulièrement abordée par le sociologue.
Les textes de DUBAR et BOUTET ont eu une importance tout à fait considérable pendant cette recherche. J. BOUTET ma par exemple aidé à prendre conscience que la difficile formalisation de la pratique professionnelle est générale à tous les métiers ; plus largement tous les auteurs qui appartiennent au réseau langage et travail ont eu une influence considérable dans ce travail. Les textes de DUBAR eux mont apporté une aide considérable dans lintroduction à la sociologie des professions ainsi que dun point de vue méthodologique.
Je finirai ce petit commentaire bibliographique sur limportance que revêt son ouvrage La linguistique de terrain puisquil fait la synthèse dun courant linguistique dont cette recherche est une illustration, à savoir lethno-sociolinguistique. Le livre ma accompagné tout au long de cette recherche du point de vue autant méthodologique que des contenus.
Il sagit dun organisme paritaire agréé par lEtat pour collecter et gérer les fonds de la formation professionnelle continue des entreprises de la branche sanitaire et sociale.
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