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Quel y est le statut du sujet ? .... Cette sémantique structurale, taxonomie du sens
, débouche sur une émulation machinique. .... L'examen attentif des dispositifs
offerts aux apprenants d'une langue étrangère, en particulier dans .... La notion
de cadrage (" frame ") telle qu'elle a été promue par Bateson (1956) et élaborée
par ...
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Références : Chevalier, Y. (1998). "Les simulations orales dans les apprentissages assistés de langue". Dans Chanier, T., Pothier, M. (Dirs), "Hypermédia et apprentissage des langues", études de linguistique appliquée (éla), 110. 159-170.
LES SIMULATIONS ORALES DANS LES APPRENTISSAGES ASSISTÉS DES LANGUES
Résumé: Les usages sociaux du multimédia grand-public exercent un effet prescriptif puissant sur les pratiques institutionnelles de formation. L'analogie spontanée entre des dispositifs techniques, par exemple le questionnaire à choix multiple (Q.C.M.), et certaines stratégies de formation a pu favoriser la domination d'un modèle structural à quoi l'on réduit souvent les apprentissages assistés par le multimédia. L'arrivée de la vidéo numérique n'a pas modifié cette tendance. Les notions de virtualité et de simulation doivent donc être réinterrogées par les chercheurs et les praticiens qui ont vocation à définir le contrat et les procédures qui s'instaurent entre un usager-apprenant et un dispositif assisté. La notion de procédure permet d'échapper aux pièges de la notion d'interactivité en mettant l'accent sur le statut de l'usager : c'est à la place que ce dernier peut occuper dans le dispositif que doit s'évaluer une innovation.
À aborder les phénomènes dapprentissage ou les contenus didactiques par le biais dune technique de communication, fût-elle nouvelle, on risque dencourir le soupçon, souvent fondé, dinstrumentalisation. En effet, ce mode dapproche, ancré la plupart du temps dans une conception progressiste et techniciste de lhistoire, conçoit davantage les outils de formation comme des réponses à des questions qui nen sont pas, masquant ainsi des questions et des problèmes, authentiques ceux-là, qui affleurent dans les domaines concernés. Notre méthode dans cet article veut se démarquer dune telle approche : nous considérons les technologies de formation comme des occasions dadresser à un champ disciplinaire ou à des pratiques dapprentissage ou de communication, de nouvelles questions, voire danciennes, utilisant ainsi le potentiel critique que recèlent naturellement la nouveauté ou le décentrement des problématiques pourvu quon en accepte le jeu. Les techniques multimédias et leurs outils semblent bien fournir une telle occasion.
Les outils eux-mêmes sont maintenant bien connus, autant que le permettent les incessants progrès accomplis et autant quil soit possible den apercevoir les proches développements. Cest donc à larticulation dun champ disciplinaire et dune technique - ou dun ensemble de techniques - que nous installerons notre problématique. Quest-ce que le multimédia apporte de véritablement spécifique aux apprentissages assistés des langues, tant dun point de vue pratique que théorique ? Et comment rendre compte de cette spécificité ?
Nous formons lhypothèse que cette spécificité réside dans la capacité particulière de simulation que peuvent offrir les dispositifs multimédias, ainsi que dans la familiarité potentielle quentretiennent ces techniques avec des mécanismes fondamentaux comme la conceptualisation et la procéduralisation, offrant ainsi une précieuse occasion den réinterroger les mécanismes. Dès lors, les questions que nous aborderons dans cet article sont les suivantes :
Quest-ce quune simulation langagière ? Quels types dopérations un dispositif multimédia peut-il virtualiser ? De quelles opérations cognitives peut-il favoriser la mobilisation ? Quelles sont la nature et les conditions du contrat participatif qui peut sinstaurer ? Quel y est le statut du sujet ?
Il serait périlleux daborder le problème des apprentissages assistés des langues si lon se privait des formalisations et recherches disponibles dans des domaines aussi apparemment disjoints et en réalité complémentaires que lintelligence artificielle et la philosophie du langage, la didactique et la sémio-pragmatique, la psycholinguistique et la logique, pour ne citer que quelques couples disciplinaires. Les sciences et technologies de la connaissance fondent leur pertinence scientifique sur ces tensions intra- et interdisciplinaires. En outre, la perspective dautomatiser certaines tâches langagières nous invite à réfléchir sur les processus dautomatisation et dacquisition mais, cette fois, dans le cadre dune théorie de la connaissance.
Par conceptualisation, nous entendons le processus complexe que décrit Vygotski (1934) par lequel un individu parvient à lutilisation fonctionnelle dun signe ou dun mot pour résoudre un problème auquel son activité communicante le confronte. La procéduralisation désigne les mécanismes contractuels par lesquels des individus simpliquent ou peuvent se trouver "enrôlés" (Bruner, 1983) dans une interaction communicationnelle, ainsi que les moyens mis en uvre pour que cette interaction se maintienne ou prenne fin.
Cet article propose donc une relecture transversale et croisée de quelques questions dont on peut dire quelles sont traditionnelles dans les champs qui les ont produites. Si lon prend comme exemple la notion de script née dans le champ de lintelligence artificielle (Schank et Abelson, 1977) et importée par Bruner (1983 ; 1987) et dautres dans le domaine de la psycholinguistique, on se rend rapidement compte que la généalogie conceptuelle, pour passionnante et utile quelle soit, ne nous permettrait pas déclairer immédiatement le champ de recherche qui est le nôtre.
1. Virtualité et simulation.
« Un mouvement général de virtualisation affecte aujourdhui non seulement linformation et la communication, mais aussi bien les corps, le fonctionnement économique, les cadres collectifs de la sensibilité ou lexercice de lintelligence. » Cest par ces mots que Lévy (1996) entame lun de ses derniers ouvrages. Cest dire que cette virtualisation est en fin de compte aussi bien une déterritorialisation quune dérégulation, des éléments dinformation et des biens symboliques collectifs qui constituent notre environnement social. Pour ce qui nous concerne, le virtuel touche aux supports numérisés du multimédia, et ce qui est en jeu et en débat touchera alors aux relations entre lindividu et les données accessibles ; mais il touche aussi bien à lessence de ces informations, et cest cet aspect épistémologique et cognitif du virtuel qui arrêtera dabord notre commentaire.
Rappelons que pour Aristote le virtuel soppose à lactuel, et non au réel. Le virtuel a ainsi une réalité véritable faite de potentialités. Le virtuel et lactuel sont deux modes dêtre. Le virtuel est en puissance, lactuel est en acte. De plus Aristote insiste longuement sur la précession de lactuel sur le virtuel, tant sur la plan logique que chronologique. DAristote aux usages les plus contemporains, par exemple lorsquon parle aujourdhui de " mondes virtuels ", cest bien de la dimension ontologique de la réalité en puissance, cest-à-dire de laltérité potentiellement en acte. Le terme grec dynamis quAristote ( Métaphysique, Dð, 12 ) utilise pour désigner la virtualité donne une idée de cette complexité.
La simulation semble, elle, avoir d emblée des connotations originaires plus pragmatiques, liée qu elle est à l histoire des machines intelligentes depuis Turing, ainsi qu à la modélisation mathématique mise au service de lexpérimentation. Son usage socio-discursif, moins récent que celui de virtualité, accompagne le discours récent de la technologie ; mais il plonge aussi ses racines dans la philosophie où il scande, depuis Platon (La République, X, 602 et Phédon, 92 c-d ), les débats sur les rapports de lart et de la nature, ainsi que sur la nature ontologique de la géométrie comme simulation intelligible du réel. La simulation apparaît ainsi dans ses usages comme une relation problématisée au réel : quil sagisse dune modélisation analogique pour une réalité dont on peut contrôler et faire varier les paramètres ou dune modélisation heuristique pour une réalité que lon cherche à cerner. Dans les deux cas, le modèle discipline les faits, pour les dénombrer ou pour les établir. La simulation nest autre quun protocole dexpérimentation assistée.
Comme le rappelle Lévy (1996), le langage est lune des trois virtualisations qui font que lhumanité peut être ce quelle est. Le langage virtualise le temps et lespace : cest cette virtualisation spatio-temporelle qui nous permet de contrôler notre appréhension du monde. La virtualisation du temps et de lespace par le langage, par " les langages ", précise Lévy, nest pas tant labstraction que lobjectivation, lexternalisation de leurs modalités, cest-à-dire leur mise à plat pour mieux les maîtriser. Il nous semble important de noter que simulation et virtualité désignent deux niveaux de réalité très différents. La virtualité est une notion ontologique quand la simulation est une notion sémio-pragmatique. La virtualisation est de lordre du concept ; la simulation travaille des données.
Un dispositif multimédia ne virtualise donc rien, mais sa conception repose, et doit reposer sur une virtualisation, sur une problématisation ontologique du réel. Le dispositif, par lui-même simule ou actualise cette problématisation. Cest donc de simulation quil sera ici question. La virtualisation ne constitue en rien une spécificité du multimédia, nen déplaise aux discours mythiques sur les mondes virtuels. Seul lêtre humain peut virtualiser, alors quun dispositif technique simule.
Plus le modèle de virtualisation sur lequel se fonde le dispositif technique multimédia est riche, plus la simulation sera fructueuse et efficace.
2. - Simulations et modèles théoriques
Les différents niveaux de simulation reposent tous sur une perspective théorique particulière. Par commodité danalyse, nous avons distingué deux types de simulation. Le premier, assez proche de ce que lon appelait lEAO (Enseignement Assisté par Ordinateur), met en uvre une approche structurale fondée sur la notion de modèle ou de script. Lapprentissage dune langue consiste en une appropriation successive et raisonnée de modèles ou scripts. C'est la simulation formalisée. Mais avant den décrire de plus près les mécanismes, un point simpose sur la notion de script qui la sous-tend.
2.1. La notion de script
La notion de script occupe une place particulière dans notre débat. En effet, issue de Schank et Abelson (1977), on la retrouve chez Bruner (1983 ; 1987). Nous lavons annoncé plus haut, nous ne nous livrerons pas à une traque généalogique sur la notion de script. Renvoyons plutôt à larticle de Fayol et Monteil (1988) et essayons de clarifier les raisons pour lesquelles cette notion est mobilisée. Il convient de noter que chez Schank et Abelson (1977), la notion de script joue un rôle spécifique : ces auteurs veulent, à laide des scripts parvenir à une formalisation des actes essentiels de langage. «A script is a structure that describes appropriate sequences of events in a particular context. A script is made up of slots and requirements about what can fill those slots. » (Schank et Abelson, 1977, page 41).
"Un script est une structure qui décrit des séquences particulières dévénements dans un contexte donné. Un script est constitué de "slots" ainsi que des consignes à propos de ce que peuvent contenir ces "slots" . Nous gardons " slot " qui exprime bien, par analogie avec le vocabulaire informatique, lidée dun contenu ou dun mécanisme " encapsulé ", connecté sur un dispositif principal. Ils ont une fonction essentiellement descriptive dans un premier temps et répondent à une question simple et très générale : «the best way to approach the problem of building an intelligent machine is to emulate the human conceptual mechanism that deal with language. » Schank & Abelson, 1977, p.1). Lintention des auteurs est claire : la formalisation à laquelle ils souhaitent aboutir a une visée algorithmique ; le script permet de compléter les lacunes dune histoire donc den favoriser la compréhension en mobilisant au moment voulu des connaissances spécifiques liées à tel ou tel script. Le script du restaurant que lon cite souvent en exemple permet de mieux saisir la nature de la démarche. Le script est ici une structure, un modèle, cest-à-dire une abstraction. Son intention théorique est dépuiser le réel, den rendre compte de manière exhaustive, le nouveau étant réputé réductible ou lisible à travers lancien. On conçoit aisément que lintérêt de Schank et Abelson (1977) pour les formalisations des récits au moyen des scripts est motivé par une perspective dautomatisation des mécanismes de compréhension, de conceptualisation et dexpertise. Cette sémantique structurale, taxonomie du sens, débouche sur une émulation machinique. À tout le moins, elle est destinée à rendre cette dernière possible. Modèle, analogie, clôture sémantique et reproduction, tels seraient les concepts les plus pertinents pour rendre compte de la notion de script chez Schank et Abelson.
Cest dans le cadre de cette acception du script que se situent de nombreux dispositifs assistés. Il sagit de créer des situations susceptibles daccueillir la reproduction de formes ou de structures. La réitération est destinée à automatiser la reproduction de la forme concernée, dans une approche strictement mécaniste. Ce genre dexercices multimédias reste très prisé car il est susceptible de faire lobjet dune préparation structurale traditionnelle simulant avec souvent beaucoup defficacité une démarche analogue au présentiel : exemples, observation, repérage, fonctionnalité, exercices de reproduction, entraînement intensif individuel. De même il rend possibles des évaluations sommatives automatisées.
2.2. Script, formalisation et automatisation.
Cest paradoxalement la forme la mieux assimilable par un système dapprentissage traditionnel, disons vidéo-oral (qui ne serait que le résultat de ladjonction de limage animée aux méthodes audio-orales), mais c'est aussi la plus difficile à intégrer parce que très rigide. La solution offerte consiste la plupart du temps en une mobilisation de ces activités en parallèle par rapport aux activités du cours proprement dit. Cest alors quon parlera de renforcement, de révision, dancrage, de travail autonome... Les données traitées dans ce type de simulation sont produites grâce à une approche métalinguistique ; la plupart de ces données, morphologiques ou syntaxiques, structurales parce que aisément repérables dans leur contexte communicationnel et facilement isolables, tirent leur pertinence de leur nature morpho-syntaxique, bien plus que des caractéristiques de leurs occurrences communicationnelles, dont lexercice ne tient pas compte. Au-delà dune intention purement taxinomique, on peut aborder ces corpus avec une perspective générativiste : lapproche algorithmique vise alors à cerner les dispositifs de production langagière. Linspiration chomskyenne ne se laisse pas toujours saisir dans ces dispositifs logico-structuraux, néanmoins la formalisation et lautomatisation y sont nettement perceptibles, comme signes du souci de quitter le terrain de la psychologie du langage et des théories de lacquisition pour gagner celui dune sorte de biocybernétique du langage.
Mais la morpho-syntaxe, si elle est aisément automatisable, c'est-à-dire repérable et reproductible, ne rend pas souvent compte de lusage et de ses valeurs, ni de la performance et de l'énonciation. Lautomatisation dopérations de bas niveau ne saurait à ce stade passer pour de la production langagière que dans le cadre de ce que lon a appelé lenseignement programmé. De plus, cela présuppose que certains phénomènes langagiers soient strictement réductibles à des phénomènes structuraux, ce qui est certainement inexact, mais ce qui ne veut pas dire quun traitement automatisé ne puisse sappliquer à aucun élément phrastique ni aucune donnée énonciative. Mais, même dans le cadre dexercices banals de répétition, cest lexigence de cohérence sémantique qui devrait présider au découpage des segments. On peut cependant simuler une production langagière tout en privilégiant une approche formelle, cest ce que nous envisageons un peu plus loin à travers la notion de simulation formalisée.
3. - Scripts ou schÉmas ?
Il nest pas étonnant que, lorsque Bruner (1983 ; 1987) reprend cette notion, cest dans une perspective théorique toute différente. Notons quun flottement terminologique marque le recours à cette notion : dans le texte original, on trouvera tantôt " format ", " script ", mais aussi "schema", " routine ", dans des acceptions quasi identiques.
3.1. Les scripts comme configurations langagières.
Ce qui est demblée évident et important, cest lapproche constructiviste chez Bruner. Ce qui lintéresse, ce sont les supports à lacquisition du langage. Les scripts ne sont pour Bruner que des scénarios prévisibles dinteraction langagière, ce sont les canevas sur lesquels linteraction langagière se construit. Cest la prédictibilité attachée aux scripts - déjà relevée par Schank et Abelson (1977) - qui fait de ceux-ci des outils majeurs dans la construction du langage, quil sagisse de langue maternelle - cest à ce domaine que sappliquent les travaux de Bruner - ou de langue étrangère. Sil est un scénario, le script comportera, pourrait-on dire par analogie, des indications de mise en scène, la description des protagonistes, locuteurs et non locuteurs, des didascalies qui permettront de tenir compte des données non linguistiques.
À travers la notion de script, Bruner décrit les configurations langagières dans une perspective piagétienne. Bien plus que la structure sémantique, cest la construction du sens qui lintéresse. Le script est avant toute chose un "scénario prévisible dinteraction" (Bruner, 1983), un "scénario transactionnel" (ibidem). Ces "routines" qui font naître simultanément les mots et le sens fonctionnent parce quelles ménagent aux acteurs leur place et leur rôle. Compromis entre le verrouillage morpho-syntaxique et louverture sémantique, ces scripts articulent notre langage. Grize & alii écrivent : "Sous la forme dun schéma, des significations sont pressenties dont lessentiel peut être réactivé par linterlocuteur qui y découvre un signe à interpréter." (Grize, Borel, Miéville, 1983). Ce qui est très nouveau ici cest cette non-clôture du message. Les signes lus ne sont pas forcément ni strictement ceux qui ont été émis. Les signes véhiculent avec eux des schématisations, comme dit Grize, qui portent du sens préconstruit. Ces préconstructions peuvent être connues afin dêtre réinvesties au bénéfice de la communication. Communiquer, cest donc activer ou réactiver des significations.
Cette construction va chercher ses sources dans le schématisme kantien : les schèmes kantiens sont précisément des hybrides de phénomènes et de catégories pures, à la fois comme des monogrammes , cest-à-dire des marques regroupant en quelques signes entrelacés les lettres dun nom, et des dessins flottants ( gleichsam schwebende Zeichnung ) écrit Kant (1781) ; et cest parce quils sont hybrides, algorithmes conceptuels et méthode, quils construisent du sens. De même, cest parce quils sont à la fois clos et ouverts que les schémas peuvent produire et héberger du sens. Aux algorithmes des scripts répond lheuristique des schémas communicationnels. Cette ouverture sémantique est supportée par une narration ou un faire, une histoire ou une tâche.
4. Le contrat participatif.
Le statut du sujet et les procédures dinscription dans les interactions qui lui sont offertes par les différents dispositifs, constituent une dimension essentielle du contrat participatif quun dispositif multimédia peut instaurer. Une réflexion peut être menée à propos de la notion de procéduralité qui semble hésiter entre le positivisme le plus net et la pragmatique la plus audacieuse, révélant ainsi sa double origine. Cest précisément cette double origine qui constitue pour nous lintérêt de la notion : entre la définition de la procédure informatique comme structure algorithmique finalisée, comme processus, et lapproche de cette même notion, par la philosophie critique, comme dialogue, nous trouvons un concept multi-polaire qui nous permettra peut-être de rendre compte de la complexité que nous rencontrons à travers les questions que nous soulevons. Nous verrons alors en quoi, invoquer cette notion de procédure, nous permettra de formaliser la relation homme/dispositif dans le cas des apprentissages assistés.
4.1. Le statut du sujet.
Lexamen attentif des dispositifs offerts aux apprenants dune langue étrangère, en particulier dans le domaine de linteractivité orale, montre quil ne suffit pas doffrir une possibilité de répétition, denregistrement ou de discrimination auditive pour que lon puisse véritablement parler de procéduralisation ou même dinteractivité. On constate, de même, que ce qui est déterminant, cest le statut du sujet apprenant dans lensemble du dispositif assisté. On peut donc distinguer deux niveaux pour caractériser ce contrat participatif : celui qui concerne lécriture du programme, et nous sommes ici dans le virtuel, et celui qui caractérise les modalités de participation de lapprenant à une activité donnée, et il sagit là de la simulation proprement dite.
Lappareil pédagogique traditionnel qui permet dassurer ou de favoriser linvestissement personnel de lapprenant dans un programme assisté par le multimédia est bien connu : aides en ligne et aides hors ligne, livret daccompagnement (papier ou numérisé sur le CD-Rom, et il y aurait beaucoup à dire sur la tendance actuelle à quasi éliminer, tant pour des raisons financières quau nom de la modernité, tout support annexe papier, ce qui est, à lévidence, une maladie de jeunesse de lédition multimédia) restent de précieux outils, surtout sils peuvent faciliter cette double dimension de lapprentissage en autodidaxie et de lapprentissage semi-autonome en institution. Les aides contextualisées, voire individualisées selon le parcours et les performances de lapprenant sont un précieux élément détayage tout au long du travail. Nous ne nous attarderons pas sur ce type de contractualisation, sauf pour noter quon constate souvent une déconnexion entre laide et les activités proposées, phénomène que lon peut expliquer par une vision instrumentaliste de la formation. Ce qui nous intéresse davantage, cest le statut réservé à lapprenant. Ce statut apparaît demblée comme complexe. La qualité de son implication dans son propre apprentissage ne doit rien ici à la nature des outils mais tout à leur mise en uvre. La place du sujet, du point de vue du concepteur du programme, dans ces dispositifs assistés, est pure virtualité au sens où elle est problématisation d'une place dans une interaction. Il y aura apprentissage potentiel assisté par simulation sil y a contrat de langage. Cela signifie que lauteur doit créer virtuellement la place du locuteur apprenant, de telle sorte que celui-ci perçoive dans lengagement langagier à la fois le problème comunicationnel et les moyens de le résoudre. Les solutions les plus évidentes ou les plus techniques ne sont pas toujours les meilleures. Si lon analyse de près deux stratégies implicatives, celle qui est à luvre dans Une journée bien remplie (1995), (le chat du personnage principal apporte une tierce présence, à la fois interne et externe, et donne ainsi une épaisseur narrative au dispositif où lusager va pouvoir aisément sinsérer) semble beaucoup plus efficace que ces artifices qui interpellent lusager, par limage et le son, en le montrant du doigt ou lui annonçant que son tour de parler est venu. Dune part, cest une stratégie implicative globale qui repose sur la consistance narrative, dautre part cest un pur artifice instrumental et fonctionnel.
Lexercice se cristallise donc sur les facettes de ce problème communicationnel, mais il nexiste de fait que si lapprenant peut y trouver sa place, cest-à-dire sil y a véritablement simulation dun échange. Cette problématisation est tout autant linguistique que langagière, et ce de façon conjointe : cela signifie que les éléments strictement linguistiques ny apparaissent pas de manière distincte et purement utilitaire, comme les moyens de résoudre le problème communicationnel. En effet, bien souvent ces éléments eux-mêmes, dans leur matière linguistique, sont au cur du problème tel quil se pose. On le perçoit nettement à travers ce que nous appelons les scripts. Il est, de fait illusoire et inutile de distinguer dans ces scripts ce qui serait de nature strictement linguistique.
On touche ici à la nature du contrat initial : procéduraliser lécriture multimédia consistera à mettre en place les clauses dun contrat de langage dont lun des contractants est lapprenant lui-même.
4.2. Le contrat d'interaction.
Les critères qui peuvent présider à la définition de ces clauses sont de deux types : tout dabord lorientation communicationnelle globale de lexercice déterminera les possibles vers lesquels linteraction peut évoluer compte tenu de la nature des objectifs visés par le dispositif, cest le guidage magistral. Mais les scripts ou schémas communicationnels mis en oeuvre ainsi que les stratégies que lapprenant va mobiliser, constitueront lessentiel des contraintes de la contractualisation.
On peut également dire quil y a apprentissage dès lors que linteractant devient sujet ratifié, c'est-à-dire quand il a trouvé dans la procédure langagière la place que le dispositif et son auteur lui destinaient. Cette remarque nous amène au second aspect du contrat de participation. Prévoir pour lapprenant un statut de participant ratifié implique une conception non mécaniste de linteraction. Dans ce genre de simulations, lenjeu est extrêmement délicat : dune part, les outils orientent le travail vers une situation interactionnelle dialogique réduite à une succession de paires adjacentes, comme si le monde autour des locuteurs pouvait être découpé absolument entre locuteurs et récepteurs : même si les outils disponibles dépassent largement aujourd'hui le stade du QCM et de la répétition, les machines nous contraignent à nous plier à une séquentialisation de linteraction en tours de parole strictement délimités (Lhote E., Abecassis L. & Amrani A., ce numéro); il faut dès lors ruser pour " casser " cette logique séquentielle additive. Dautre part, un véritable statut de sujet ratifié suppose, à linverse, une ouverture vers des cadres interactionnels plus complexes impliquant une stratification de lénonciation, une "polyphonie" (Ducrot, 1989), et constituant le véritable cadre participationnel simulé pour un apprenant. La notion de cadrage (" frame ") telle quelle a été promue par Bateson (1956) et élaborée par Goffman (1974), constitue ici pour nous une référence précieuse. La ratification du sujet apprenant ne se fait pas une fois pour toute comme dans une sorte de note préliminaire. Létayage doit être conçu de telle sorte que, tant du point de vue de la forme, - on pourrait dire du point de vue de linterface multimédia -, que du point de vue du contenu langagier de linteraction, le sujet se sente engagé par un contrat à double détente : un contrat institutionnel de formation (fût-ce vis-à-vis de lui-même, en cas dautodidaxie) et un contrat individuel de langage. Ce clivage du sujet, nest supportable par le dispositif que parce quil rend possible et conditionne la constitution du sujet de la simulation.
Comme nous le verrons dans la simulation schématisée, létayage repose sur un travail danalyse de probabilité langagière dans le cadre dun script. La machine multimédia pourrait traiter ce genre de données de manière exhaustive, mais il est bien entendu impossible de prévoir la nature de limplication personnelle que lapprenant choisira pour se situer dans léchange, ne serait-ce quau niveau lexical. Ce qui est dès lors déterminant, cest doffrir les moyens à lapprenant de tester par comparaison ou en poursuivant linteraction, son niveau de ratification ou dimplication (cest-à-dire à la fois en termes de compréhension et dexpression) dans linteraction. Non pas produire la réponse type, mais produire une intervention permettant de rester dans léchange, et d'honorer ainsi le contrat de langage. Traiter les interactions comme des manifestations langagières cadrées par des scripts, cest dune certaine façon, pour des nécessités et selon des contraintes dordre pédagogique, admettre quil est possible den inventorier les figures, et dans une perspective quasi déterministe sengager à rendre compte des paramètres qui les caractérisent.
5. Les simulations et l'apprentissage de l'oral.
Nous distinguerons, à titre exploratoire, deux types de simulation. La simulation formalisée et la simulation schématisée. Par simulation langagière, nous entendons la mise en uvre d'une configuration de communication orale, assistée par un dispositif technique, au moins pour une partie de ses composantes.
5.1. Les simulations formalisées.
Elles restituent les conditions concrètes dune interaction en simulant, par le truchement de la machine, lun des protagonistes ; leur principe reste fondé sur la reproduction ou le réinvestissement de scripts langagiers ou dactes de parole contextualisés. Il sagit en effet de réinvestir un script dans dautres contextes que ceux dans lesquels on la découvert. Mais la norme reste très présente, le modèle proposé en correction ou en étayage également, même si on ne limite pas lexercice à de la reproduction morpho-syntaxique.
Ainsi par exemple, lun des dialogues du volume 2 de "Je vous ai compris" (Chevalier, Derville, Perrin, 1997a) fait dire à lun des personnages jugeant les goûts vestimentaires de son mari : "Jai beau lui dire de changer, rien à y faire ..... !"
Dans la pure tradition des exercices structuraux, lactivité propose dans un premier temps de reprendre à lidentique la structure proposée, puis, dans deux ou trois autres contextes. Il est manifeste, dans ces réemplois, que la contrainte nest pas sémantique, même si chacun dentre eux vise la cohérence : ainsi quand le partenaire-machine dit : "tu ne trouves pas que Pierre parle de plus en plus mal ?", linjonction à produire "jai beau le corriger ....." est renforcée par lignorance du contexte. Lapprenant ne sait rien de Pierre, ni des deux adultes que montre le dessin, si ce nest linquiétude de ladulte femme qui y est aisément perceptible. On peut même aller jusqu'à penser que c'est précisément l'ignorance du contexte, sinon la décontextualisation qui est garante de la pertinence de l'exercice. On parlera dans ce cas de script car ces items langagiers peuvent être considérés comme rentables dans une perspective de marché linguistique au sens où Bourdieu (1989) en parle. On pourrait dire quun script, cest un item langagier dont lapprentissage est rentable, parce que les occasions de le réutiliser seraient statistiquement nombreuses.
5.2. Les simulations schématisées.
A linverse de la simulation formalisée, la simulation schématisée ne met pas laccent sur la structure ou sur le script. Cest linteraction qui prévaut. Cest, pour reprendre les termes de Grize (1996), une "représentation discursive orientée vers un destinataire". Donner à voir et à entendre une histoire interactive qui servira de contexte, de contrainte et de guide à lapprenant ; lui ménager la possibilité dune insertion narrative dans le dispositif communicationnel mis en place ; le guider tout au long de la tâche en lui donnant les moyens dauto-évaluer la pertinence de son implication. Telles sont les caractéristiques de la simulation schématisée. Les contraintes communicationnelles sont portées par la narration, donc de manière référentielle, mais aussi par linjonction que constitue la mission. La schématisation, au-delà de sa dimension descriptive, référentielle et close, saccompagne toujours dune certaine indétermination qui rend linterprétation du destinataire nécessaire : une schématisation nest jamais fermée. La structure narrative arborescente permet largement de simuler louverture qui permettra doffrir à lapprenant sa place dans les interactions. Jouant sur la durée, les simulations schématisées constituent des interactions de tutelle simulées en utilisant les schémas comme des machines à produire et à structurer du sens personnalisé.
5.3. La simulation comme contrat langagier.
Nous évoquions plus haut le contrat à double détente que doit receler un dispositif de simulation multimédia. En l'état actuel des performances techniques, une simulation langagière orale ne peut être autre chose qu'un contrat par tiers technique interposé. La première dimension de ce contrat est de l'ordre de la pragmatique linguistique, cest-à-dire à la fois un travail sur l'usage et sur la sémantique. La mise en uvre de contrat est précisément l'objet des "histoires interactives" du programme "Je vous ai compris" (Chevalier, Derville & Perrin, 1997a, 1997b), qui constituent l'environnement dynamique des interactions d'apprentissage.
Ces histoires sont très proches des jeux de rôle : il s'agit d'occuper une place narrative et langagière dans un micro-récit. Mais ces jeux de rôle présentent la particularité d'être conçus a priori. La machine sanctionne donc positivement, par continuité sémantique et narrative, le maintien de l'usager dans l'interaction.
Mais cette première dimension du contrat ne prendra tout son sens que dans l'interaction de tutelle qu'est l'apprentissage d'une langue étrangère. La tutelle, ici, c'est le contexte d'apprentissage ; entre le présentiel et l'autonomie, les normes et les tâches seront portées tantôt par l'institution (centre de langues, professeur, conseiller, moniteur, ...), tantôt par le dispositif technique, mais dans la perspective d'un étayage concerté.
5.4. Les histoires interactives de "Je vous ai compris".
Voici un extrait du livret du volume 3 de "Je vous ai compris" (Chevalier, Derville & Perrin, 1997a) qui présente à lapprenant les histoires interactives et qui donne, à titre d'exemple, le résumé dune histoire interactive.
Histoires interactives :
nð Il s agit de situations concrètes dans lesquelles vous avez un rôle actif à jouer. Dans chaque histoire vous êtes un personnage, masculin ou féminin, et vous avez des missions à accomplir.
nð La prise d'information est un moment essentiel pour la réalisation de chaque mission, il est vivement recommandé de prendre des notes.
nð Dans les dialogues, c'est à vous de comparer votre production avec les phrases modèles. Il est indispensable de refaire l'histoire plusieurs fois.
nð Pour les exercices écrits, vous pouvez comparer votre travail au modèle proposé et les imprimer pour les faire corriger par votre professeur.
La réception - une histoire interactive
Pour fêter les soixante ans de sa mère, Lucie décide d'organiser une réception, avec les amis de la famille, et en particulier Jacqueline, l'amie d'enfance de Madeleine. Mais Jacqueline est introuvable.
Cette histoire comprend 15 dialogues (conversations téléphoniques et rencontres) et deux exercices écrits. Elle représente trois à quatre heures de formation.
6. CONCLUSION.
Lexistence prochaine doutils véritablement interactifs, cest-à-dire capables dévaluer une production écrite et même orale dans une simulation langagière et dinteragir en étayage avec lutilisateur, est très probable. Cette quasi certitude devrait inciter la communauté des chercheurs et des praticiens à orienter leurs préoccupations vers loptimisation de ces formes dinteractivité machinique que lavenir va nous donner : en dautres termes penser lavenir des relations hommes/machines dans la perspective spécifique des simulations langagières assistées par le multimédia. Penser aux procédures plutôt quaux outils. Penser lautonomie comme lun des modes de socialisation et non comme une résistance masquée à linstitution. Utiles aujourd'hui, en l'état actuel des performances des machines, ces mêmes réflexions structureront demain les stratégies d'apprentissage assistées par des dispositifs plus experts.
Schématisations et procédures d'engagement apparaissent comme des concepts-clefs d'une théorie de la simulation orale assistée par le multimédia. La recherche doit, nous semble-t-il, mettre laccent sur la constitution et lencouragement déquipes mixtes regroupant des didacticiens, des linguistes et des psycho-linguistes, des informaticiens et des spécialistes de la communication, des cognitivistes et des spécialistes de lintelligence artificielle.
Lexigence étant aujourdhui de compenser le poids des discours profanes sur les apprentissages assistés par des réflexions dexperts et par des problématiques nouvelles.
Yves CHEVALIERUniversité Charles de Gaulle Lille 3. UFR de Lettres ModernesBP 149. 59653 Villeneuve d'AscqMél : chevalier@univ-lille3.fr
Notice biographique
Yves CHEVALIER, Maître de Conférences en Information Communication à lU.F.R. de Lettres Modernes de lUniversité de Lille III. Chargé des enseignements en Maîtrise Français Langue Etrangère, responsable du DESS Médiation des Savoirs et Multilinguisme. Responsable scientifique et co-auteur du programme multimédia Français Langue Etrangère Je vous ai Compris . Domaines de recherches : les simulations dinteractions orales dans les environnements assistés ; sémantisme des représentations dans les médias de masse. Domaines dexpertise : implantation des centres dapprentissage semi-autonome des langues.
Références
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CHEVALIER, Y., DERVILLE, B. & PERRIN, D. (1997a). "Je vous ai compris" . Programme multimédia de français langue étrangère, 3 cédéroms, Université de Lille 3-Neuroconcept.
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