Td corrigé TOME II - Free pdf

TOME II - Free

Maladies professionnelles : brulures, malaise, fatigue inconfort ...... et de la sécurité des travailleurs dans l'exercice quotidien de leurs fonctions. .... ses ouvriers ou toute autre personne d'enlever ou d'endommager ces objets ou ces choses ... Le suivi vise à corriger « en temps réel », à travers une surveillance continue, les ...




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TOME
II











Acteurs et artistes du Petit théâtre d'Ernest, Orléans, mars 2005.
Illustrations no 14
Artistes lorrains.










TOME II
...des personnes handicapées à la situation de handicap.






"Je parle. Je n'ai pas d'autre gagne-pain et je n'ai pas d'autre dignité ; je n'ai pas d'autre manière de transformer le monde et je n'ai pas d'autre influence sur les hommes. La parole est mon travail ; la parole est mon royaume."

Paul Ricœur, La parole est mon royaume, in Eduquer : un métier impossible ? Prélude, Editions le Portique, Sous la direction de J.-P. Resweber, Metz, 1999, p. 7.


























IV. Quatrième partie
Etudes de cas et récits de situations


"...c'est ma maladie qu'il faut combattre. Car c'est bien elle l'ennemi, ce qui peut paraître un comble quand on sait que le seul muscle vital, qu'elle n'affecte pas, c'est le cœur !"

Alexis Ridray, A la fac comme sur des roulettes, Editions Dianoïa, 2004, p. 59.

























Chapitre 9. Témoignages et handicaps

1 Ecritures entrelacées et portées épistémologiques

Nous avons voulu expérimenter dans ce travail, la mise en place d'un double dialogue entre le profane et l'expert par la médiation de nos deux tomes qui forment en fait un continuum. Le premier dialogue, celui du tome I", a consisté à faire parler les scientifiques avec les réponses en écho, des données anthropologiques ainsi que des témoignages plus quotidiens. On retrouvera en notes de bas de page l'amorce de ces échanges. Dans le deuxième dialogue, ce fut l'inverse. Nous avons laissé notre interlocuteur s'exprimer sur de nombreux thèmes, les experts de multiples champs scientifiques ne viennent qu'en "complément" d'objectivation de leurs réflexions. Les notes de bas de pages sont, dans ce second ouvrage, plus à considérer comme un guide, une aide pour fournir des explications d'ordre médicales ou méthodologiques. Elles sont aussi un lieu (un éthos) pour faire converser les autres témoins directs et établir de ce fait un certain degré d'interconnaissance.
Travailler sur une telle "base polyphonique" ne fut ni aisé ni facile. Les dialogues sont loin d'être tous épuisés, certaines données mériteraient d'être réinterrogées. Nous sommes conscients de la dose d'empirisme, d'intuition que nous avons dû injecter dans le système pour le valider. Le nombre de sujets différemment "handicapés", les temporalités instables des retours d'enquêtes, l'éloignement géographique des personnes n'ont fait que "mettre" encore plus de bruit dans notre projet. La première analyse à faire est de dire qu'une conclusion à de telles investigations dans l'humain s'avère impossible à terminer. Le "chantier" ethnologique est toujours ouvert comme nous le montrera la synthèse par thématisation des dix-sept formes de récits autour des dix-sept sujets en situation de handicap au quotidien.
La technologie de captation des écritures, les techniques de communication utilisées nous auront juste permis de faire en sorte de ne pas diluer leurs paroles fixées par l'écrit dans la masse des données de toutes sortes. Il fallait, c'était notre présupposé de départ, redonner une parole longtemps confisquée par une foule d'autres experts. Il fut aussi question de donner une profondeur au témoignage par l'inscription de celui-ci sur la longue durée. Tout n'est pas stabilisé, loin s'en faut, le retour sur le terrain s'impose. Les thèmes que nous avons retenus pour écrire nos différents récits se regroupent dans une première étape autour des vocables les plus souvent observés dans le texte, ils sont plus globaux et se cristallisent autour des trois"C". Dans une deuxième étape (c'est ce que veut suggérer le tableau qui suit : illustration no 15) nous nous situerons plutôt sur leurs singularités, on entre par ce que nous avons nommé les trois "S" dans chaque intimité. Nous sommes aussi conscients qu'il existe des résistances, que certaines de leurs paroles "débordent" nos catégories et nos larges thématiques. Pour aborder l'écriture de chaque récit, nous avons procédé par une accumulation des données recueillies en les restituant par l'écriture en cinq espaces narratifs qui partent : de la rencontre et des présentations, des temporalités et des échanges, de la maladie et des institutions, de la souffrance et du stigmate et enfin des positivités et des soins à partager ensemble. Nous avons réussi, souvent difficilement, à rester dans ce cadre qui mériterait plus de rigueur méthodologique, de précisions conceptuelles mais néanmoins nous pensons avoir respecté globalement (dans les études au cœur de l'humain les bougés et le transformations sont fréquentes, nous les avons intégrés pas à pas) notre problématique qui était de montrer comment se transforment ces savoirs particuliers, accumulés par toutes ces expériences singulières, en savoirs à partager utiles à tous, citoyens, chercheurs et interlocuteurs. Ces savoirs peuvent-ils permettre de mieux "guérir" sinon les corps physiques mais avant tout les images faussées et dépréciatives que nous avons tous au fond de nos cerveaux de "bien pensants" ?
En fonction des cinq thématiques sélectionnées, nous avons élaboré ce tableau, pour montrer le travail sur les occurrences ainsi que la fréquence des mots centraux qui ont fourni la matière à chacune de nos descriptions ethnographiques. Les thématiques sont les suivantes :
-notre rencontre et les présentations avec leur contexte, les contacts par intermédiaires, l'initialisation de la rencontre, les réseaux sociaux...
-les temporalités de nos échanges, l'espace-temps géographique, la chronologie des contacts, le rythme des dialogues...
-leurs "maladies" et les administrations qu'elles recouvrent, les institutions qui encadrent les corps, les compétences réelles, les parcours sociaux...
-la souffrance, la douleur et "leur stigmate", la maladie et le handicap, l'angoisse, la place de la souffrance dans les vies, la réversibilité et l'irréversibilité des états, les cris, les difficultés quotidiennes...
Et enfin, -les positivités à apporter et les soins à partager ensemble, les nouvelles formes de soins, les exemplarités, les statuts et rôles sociaux à investir, les demandes nouvelles...


No du récit et
Pseudonyme
Numérotation et paginationLes trois C (3C) : l'acteurLes trois S (3S) : le sujetCorps
Ligne no : mot clef
Cœur
Ligne no : mot clef
Cri
Ligne no : mot clef
Souffrance
Ligne no : mot clef
Stigmate
Ligne no : mot clef
Soin
Ligne no : mot clef
1 Abdel
-202 lignes
-6 pages16 : "poliomyélite au membre inférieur droit"133-134 : "stoïque"
117 : "si tu comptes venir en Tunisie tu seras le bienvenue "103-104 : "pas viable" ; "très humiliant"71-72 : "un sentiment qui tue"
56 : " de la décevoir"87 : "comme un boulet sur le dos"
84 : " se sentir autonome"
2 Yohan
-405 lignes
-12 pages174 : "on tremble de tout son corps"
315 : "athétose et noyaux gris centraux"395 : "il faut que j'apporte quelque chose"297 : "retourner inexorablement entre « quatre murs »."
373 : "je n'ai pas mal …mais mal au cœur"84 : "L'athétose se manifeste par des mouvements brusques incontrôlables." 388-389 : "il faudrait des locaux (...) pour avoir une certaine autonomie."
3 Serge
-954 lignes
-26 pages734 : " je me sens deux dans le même corps"715 : "J'ai envie aussi d'avoir des amis dans ce cadre-là"
726 : "prendre dans la tronche"734 : "c'est que je sens deux moi"6 : "Je suis myopathe de Duchenne !"
929 : "Le corps ne doit surtout pas être considéré comme son ennemi"4 Bernard
-3137 lignes
-94 pages1214 : "comme je suis aveugle"
2296-2897 : "j’en suis sorti, en dehors de la pitié "
623-627 : " j'ai eu du mal à l'accepter"

623-627 : "D'abord je ne pouvais pas concevoir ma propre souffrance "219-220 : "des problèmes aux yeux liés à mon glaucome"
627 : "je suis quelqu'un qui est extrêmement bien entouré, j'ai beaucoup de copains."5 Jean-Paul
-970 lignes
-28 pages6 : "handicapé paraplégique à la suite d’un accident de la circulation"710 : "espérer que les choses soient mises en application et respectées"
67 : "Les choses progressent certes ! Mais "trèèèèèès" lentement !"514 : "le vocabulaire parfois fait un petit peu mal"
458 : "un être verticalement heurté ?"
173-174 : "les Américains ont une super qualité, ils croient que tout est possible."6 Lyse
-1293 lignes
-36 pages8 : "J'ai attrapé la Poliomyélite à 5 mois"22 : "c'est ma passion et je ne peux pas en parler en deux lignes"121 : "j'en sors toujours victorieuse !"603 : "sans mes douleurs et opérations"
119 : "une personne qui a eu une polio "
34 : "le besoin de chaque personne est différent"
7 Richard
-381 lignes
-11 pages349 : "parce que ma femme on doit l’habiller et la laver tous les jours"
310 : "j’ai une activité que j’aime bien, le théâtre"
313 : "sur scène, j’ai pleuré et cela c’était très émouvant pour moi"292-293 : "il m’a bloqué à la maison. J’ai (re) fugué pareil"
242-243 : "Là aussi, c’était une galère, pff. J’ai fait 5 années là dedans ! "
340 : "aillent faire un parcours "du combattant". Ils verront les difficultés !"343 : "Encore beaucoup de travail reste à faire, comme dans les bâtiments et les services publics."
7' Paula
-381 lignes
-11 pages-52 : " Nous sommes deux personnes à mobilité réduite en fauteuils roulants électriques"55-56 : "Nos deux plus grands bonheurs furent le jour de notre mariage et le jour ou on a eu les clés de notre appartement actuel."71 : "C’est la vraie galère d’être une personne handicapée."
43 : "Il y a des jours où le physique et le moral ne sont pas très fiable"
52-53 : " Nous sommes I.M.C de naissance"
53-54 : " Notre plus grande victoire : vivre en appartement seuls."8 Elyse
-1525 lignes
-42 pages-1291 : ", pour être sportif de haut niveau, il faut de l’entraînement, de la rigueur"1319 : "Elle avait peur de me blesser"
282 : "Ca c'est des choses qui me révolte."
37 : "Je sais que je risque de me retrouver non-voyante"18 : "Je suis handicapée... "
19 : "je suis malade depuis l'enfance"258 : "Soit on veut s'en sortir, et on fait tout pour."
9 Paul
-1085 lignes
-31 pages175 : "au théâtre, j’ai appris à bien travailler avec des gens qui sont en chaise roulante, des gens qui sont handicapés moteurs"31 : "Et cette fille m’a demandé en mariage, chose que je croyais impossible. Je l’ai fait et depuis tout va mieux."738 : "elle nous infantilise en nous prenant pour des personnes de 10 ou 13 ans."
170 : "et des gens qui sont handicapés mentaux comme moi. "
176 : "Je me disais : ces gens ne servent à rien !"15 : "qui sont malades mentaux comme moi"
187 : "on peut aider ces gens là. Comme moi, je suis aidé aujourd’hui"
9' Reine
-1083 lignes
-31 pages800 : "ils nous donnent des médicaments, (...) on a toujours la maladie qu’on avait avant. Ça ne part pas."850 : "je me suis retrouvée dans une personne, c’est ça. Et après je me suis mise à pleurer."

832 : "pourquoi nous mettre des étiquettes sur le dos ? Je ne comprends pas ! Partout c’est comme ça."753 : " et j’ai souffert."
751 : "moi, j’ai fait treize ans d’H.P. Sans sortir, rien "
935 : "il n’y pas assez de subvention"
946 : "pour moi, parfois, j’ai l’impression qu’on est refoulé de la Société. 10 Jean
-934 lignes
-28 pages145 : "On me confond souvent avec un myopathe"231-232 : "le met pour ma part, au rang des exemples d'intégration"
830 : "pour que l'apitoiement soit encore plus prononcé"187-188 : "dépendants de nos conjoints, ce qui est carrément malsain."143 : "atteint d'une amyotrophie spinale infantile de type 2"857 : "L'amélioration du quotidien"
11 Jacques
-2271 lignes
-66 pages352 : "je suis sportif de haut niveau"
857 : "que vous soyez handicapé ou pas, l'amour ne changera jamais"28 : "d'une perception de l'Handicapé comme étant un attardé !"965 : "il faut voir la souffrance de certaines personnes"
36 : "amputations traumatiques"
1021 : "il faut, je pense respecter ces gens et leur décision"
12 Georges
-469 lignes
-14 pages9 : "je possède la maladie du Little !"
272 : "Je te laisse en t'affirmant mon amitié"
440 : "Comment revendiquer lorsque nous sommes en institution !"283 : "mieux faire apparaître leurs difficultés"
293 : " une certaine honte"432 : "Deux handicaps contre les handicapés : l'enfermement et l'exclusion"418 : "Le concept de l'affection compte beaucoup pour une personne handicapée"13 Roland
-744 lignes
-22 pages517 : "Je venais d'Albi et j'ai joué pendant huit ans"
667-669 : "il m'arrive d'être sur le bord de "chialer", (...) leur joie est incroyable, émouvante, communicative."594 : "mais les vrais experts ce sont les sourds"
606 : "Pour les entendants c'est la surdité qui fait barrière"654 : "nous sommes des handicapés du savoir !"
624-625 : "Aux USA, on ne regarde pas la surdité mais les capacités et les compétences "14 Carole
-290 lignes
-9 pages202 : "On ne fait pas d'un âne, un cheval de course !"
33 : "Carole tient beaucoup à communiquer"
9 : "Carole insiste avant la répétition pour témoigner dans ma recherche."
77-78 : "elle semble s’isoler de longs moments"(...) "elle monologue très souvent"62 : "elle a beaucoup de mal à parler."
181 : "une infantilisation et un sentiment coupable chez le résident"
15 Marie
-1032 lignes
-34 pages221 : "l'oreille est l'horloge du temps"1001-1002 :"faire des ponts entre les sourds"972 : "personne n'est parfait"664 : "à croire qu'ils sont handiphobes !"943 : "ne pas pouvoir éteindre mes oreilles !"919 : "il me faut juste une compensation et non un avantage !"
Illustration no 15. (ci-dessus pages 201 à 202)
Paroles choisies.

(Se reporter à l'annexe IV sur Cdrom. L'ensemble des données est gravé sur ce support particulier. Il est à la disposition des chercheurs avec l'accord des auteurs).



2 Quelques "héros" du quotidien



Récit no 1. À propos d'Abdel : "La poliomyélite fait moins mal que la dépendance sociale !"



Un contact compliqué

Pour cette première histoire, il faut signaler que je n'ai pas encore rencontré physiquement notre " héros "  du quotidien malgré deux ans d'échanges avec des moments forts et de longues périodes de silence ! C'est justement dans notre démarche ethnographique, sur ce cas précis, que notre curiosité de chercheurs a été mise en éveil. Il fallait absolument rendre compte de cette histoire singulière.
En effet, au gré de notre démarche de recherche et d'enquêtes, les témoignages se sont tous singularisés très rapidement dans les dialogues, dans des temporalités construites par le chercheur et ses pairs.
La rencontre ne s'est donc pas faite physiquement, il me fallait néanmoins la décrire puisqu'elle a mobilisé beaucoup d'énergie de part et d'autre ; cette histoire à travers ce corps "handicapé" mais aussi "étranger" au sens d'Abdel Malek Sayad, qui nous enseigne toutes les potentialités de ces corps d'immigrés et d'émigrés qui s'écrient et s'écrivent entre la rêverie d'un eldorado lointain là-bas et la souffrance d'une réalité plus que tangible ici. Oui, une énergie a été déployée pleine de potentialités et de promesses comme celle de "cette énergie du vide" décrite aujourd'hui par les théoriciens de l'astrophysique. D'une "matière noire", car ces entretiens comportent de nombreuses plages obscures, on peut contre toute attente en extraire des enseignements ethnographiques ; voilà, le sens de cette métaphore.
Notre rencontre était pleine de ces incertitudes, de ces vides, de ces difficultés. Alors et malgré tout, nous avons voulu savoir comment s'inscrivaient dans cette économie du handicap, sa poliomyélite et ses réflexions malgré les "idées noires" qu'il laisse apparaître ici et là dans nos échanges.
À l'heure où l'on nous vante de plus en plus les compétences des personnes "en situation de handicap" avec des publicités comme celles de "Nike, France Telecom et Adia", etc. ainsi que la nouvelle loi d'orientation qui devrait être votée pour les personnes handicapées à partir de janvier 2005, nous sommes bien loin de ce que nous renvoie Abdel dans le cadre de ces entretiens sur les nombreux sujets que je lui ai envoyés !
Pourquoi avoir choisi ce cas ? Quelle est sa force de généralisation et d'exemplarité ? Comment retrouve-t-on le passage des trois "C" aux trois "S" avec quelle pertinence et avec quelles nuances pour cette étude singulière ? C'est ce que nous allons tenter d'analyser et de montrer dans cette étude incarnée, dans cette biographie de quelques années qui cristallisent un moment de "leurs existences entremêlées" dont on peut faire émerger un savoir à portée de généralisation entre le chercheur et le témoin.
En effet, comme Alexandre Luria (1988), notre but est de suivre des individus appréhendés comme un tout, le plus longtemps possible, pour constituer un réseau de connaissances et les solliciter le plus longtemps possible pour mesurer avec eux les avancées et les reculs de leur vie à travers le projet institutionnel et étatique des lois de 1975 et celles de 2005 en devenir.
C'est avec cette population de 17 personnes en situation de handicap au quotidien, que nous voudrions établir de façon microsociologique ce que la future décennie leur réserve au niveau anthropologique, sociologique, politique ainsi qu'au niveau éthique.
Aujourd'hui en effet, Abdel, ne veut plus nous faire part de ses impressions personnelles concernant son "handicap" parce qu'il est, à notre avis en souffrance, mais en tant que chercheur il nous ouvre les portes de la connaissance du handicap en Tunisie en allant à Tunis au centre documentaire. Abdel est au fait des problèmes liés aux difficultés d'une thèse ainsi que de la recherche en général, s'étant engagé lui aussi dans un doctorat en lettres anglaises à la Sorbonne.




La rencontre épistolaire

Notre rencontre avec ce jeune professeur d'anglais, très diplômé, comme nous le disions, s'est faite il y a bientôt trois ans dans notre univers professionnel. A l'époque où je recherchais des témoignages de personnes handicapées qui représenteraient en quelque sorte à travers leur expérience singulière une part d'universel.
Notre attente se trouvait récompensée dans l'année 2000-2003, par le contact pris par notre collègue d'anglais à l'université et qui m'avait recommandé Abdel, un jeune professeur vacataire de 33 ans né en Tunisie, atteint d'une poliomyélite au membre inférieur droit contractée tardivement dans l'enfance. Abdel ajoute aujourd'hui : avec un taux d'invalidité de moins de 80 % qui le place en "catégorie B", selon la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (C.O.T.O.R.E.P). Il souligne avec force que : « Je ne perçois aucune aide sociale ! ». Il parle de ces positions institutionnelles et administratives sur sa situation de personnes handicapée depuis sa venue en France qui remonte du mois d'août 2001. Il est marié à une française, n'a pas d'enfant. Je le contacte donc par téléphone. Il semble très heureux et intéressé de participer à notre étude, nous convenons comme pour les autres personnes d'une rencontre pour mettre en place le protocole et pour faire connaissance lors d'un premier entretien informel.
Les premiers échanges se font en France au niveau épistolaire, mais rapidement il repart chez lui en Tunisie après une période de quatre mois puis une autre de huit mois de retard sur notre correspondance. Il s'excuse néanmoins, il veut bien reprendre avec moi nos entretiens, car il sait ce que représente le travail de recherche. Nous correspondons par le moyen épistolaire et surtout par Internet. Comme il doit revenir en France, nous nous mettons d'accord pour effectuer à ce moment-là des entretiens plus approfondis en prenant les documents deux par deux pour gagner du temps. Mais malheureusement au milieu de l'année 2004, c'est la rupture, suite aux derniers articles que je lui avais envoyés sur le corps et l'école. Il voulait bien continuer à être pour moi une entrée sur le handicap en Tunisie malgré tout, et cela, malgré une certaine souffrance que je voyais apparaître dans ses lettres et ses courriels.
Cela nous a fait tout de suite penser à la phrase d'Abdelmalek Sayad (1998) sur la souffrance de l'immigré. Il signale à ce sujet qu'il n'est, "ni citoyen, ni étranger, ni vraiment du côté du même, ni totalement du côté de l'autre, il se situe en ce lieu bâtard dont parle aussi Platon, à la frontière de l'être et du non-être social".
Après avoir présenté notre "témoin", nous allons dérouler les temporalités de nos échanges épistolaires entre la France et le Maghreb. Dans ce premier temps, nous croiserons nos écritures au gré des réflexions suscitées par les articles, au gré aussi des difficultés et des avancées de l'existence des personnes.
Dans un second temps, nous allons essayer d'avoir une relecture de sa "maladie" par rapport et dans la maladie invalidante que représente la poliomyélite aujourd'hui en France et dans le monde.
Enfin, nous montrerons comment se retrouve à travers ce cas singulier qui touche un peu à l'universel, le passage du cri, du cœur et du corps (les 3C) vers celui plus fin à visée anthropologique que traversent la souffrance, le stigmate et enfin le soin porté à cet autre qui nous côtoie tous les jours.

Chronologie et chrono thématique de notre rencontre. Le dialogue lointain

Fin décembre 2002, j'ai envoyée le premier document concernant l'immense enquête I.N.S.E.E, en date elle aussi de décembre 2002. Abdel l'a reçu le 7 janvier 2003 à son domicile en France. Je signale aussi dans l'interrelation la présence de son épouse puisque c'est avec elle que j'avais eu le premier contact puis seulement après avec Abdel lorsqu'il a enfin accepté le protocole.

Enfin le 15 février 2003, il m'envoie son curriculum vitae ainsi que les premières réponses avec ses analyses personnelles sur l'enquête I.N.S.E.E. Il est curieux de constater qu'il m'envoie d'abord les réponses puis seulement son curriculum vitae. À ce propos, je lui avais demandé d'extraire du texte les données importantes et les réflexions par rapport à son handicap et par rapport à la situation de handicap en général. Je lui avais aussi demandé, ce qui pouvait être amélioré ou critiqué dans ces textes.
Entre cet envoi et celui du 22 octobre 2003, Abdel a séjourné en Tunisie. Son épouse me donna ses coordonnées en me signalant qu'il voulait tout arrêter ! Après quelques échanges sur Internet et par téléphone il m'annonça qu'il souhaitait continuer à travailler avec moi après des discussions amicales. Je devais donc le rencontrer en France mais il repart précipitamment en Tunisie sans rien dire qui ne le laissait supposer auparavant et ce, définitivement m'a-t-il semblé. C'est un peu cette impression d'irréversibilité sans gravité cependant que m'a laissée son épouse sur cette délicate situation lors de notre dernier contact pour obtenir d'adresse Internet de son mari. Après des moments de flottements personnels qu'il ne nous appartient pas de juger, il est reparti définitivement en continuant d'échanger avec nous.

Le 22 octobre 2003, les premières réponses aux documents nommés "dossier sur le cœur" me sont parvenues. Elles étaient axées sur des réflexions à mener sur l'émotion, la pitié, la charité ...
Nous sommes satisfaits tous les deux de notre future collaboration. Je vois apparaître en faisant une analyse de nos échanges les vocables, "amitié, bonne continuation, salut" et Abdel me demande de le tutoyer et vice versa pour plus de convivialité. À partir de ces contacts amicaux, je décide de lui demander, parce qu'il connaît le milieu universitaire, des renseignements en ce qui concerne la situation du handicap en Tunisie. Il pourrait me faire parvenir par exemple des articles, des journaux sur des exemples de situation de handicap. Je lui ai demandé de prendre contact avec moi lors de son retour en France et de m'envoyer une photo afin que l'on fasse connaissance par l'image.

Le 02 février 2004, il m'a envoyé ses réflexions sur les documents du dossier trois qui parle des cris de révolte, des cris de "galère" des personnes handicapées. C'était une longue lettre pleine d'observations intéressantes où apparaissaient aussi ses premiers doutes ainsi que ses premières souffrances.

Par les lettres datées, du 27 avril et du 01 juin 2004, Abdel m'écrivit de nouveau en ajoutant à ces missives deux articles, du journal tunisien "La presse", parlant du handicap à l'école. On y parle de l'intégration scolaire de jeunes handicapés mentaux dans la société tunisienne. Il a joint aussi à ce courrier sa photo en plus d'une carte postale sur l'artisanat tunisien. Tout va pour le mieux, notre collaboration s'annonçait sous les meilleurs auspices.

Le 29 septembre 2004, Abdel m'avertissait par mail que ses observations sur les derniers documents du dossier quatre sur "le corps" prendraient du retard car il avait eu de nombreuses "difficultés" pendant cet été 2004.

Le 01 octobre 2004, un mail tout à fait inattendu, me signalait la clôture de nos échanges personnels ! Ceci reste tout à fait surprenant de sa part mais une porte reste cependant ouverte pour m'aider dans mes recherches plus "institutionnelles" sur le handicap en Tunisie. Il me faut analyser la teneur des interactions que l'on a partagée tous les deux pour entrevoir, en respectant son intimité, pourquoi il "craque" subitement. J'ai rapidement réagi et lui ai répondu par courrier que je respectais ses décisions, que je le remerciais du fait de bien vouloir continuer le travail sur un terrain plus universitaire avec moi.
Depuis décembre 2004, j'attends de ces nouvelles et de prendre des contacts suite à ses promesses pour continuer à travailler sur le handicap dans ce pays du Maghreb. Je pense que le "mal être" est bien plus profond que je ne le présupposais au départ.
La poliomyélite d'Abdel aujourd'hui en France et dans le monde.

"Sa poliomyélite" apparaît souvent dans ses écrits, elle revient en filigrane ou en force dans des termes telles que, "les soucis de la vie, une poliomyélite au membre inférieur droit, une maladie contractée durant l'enfance, le handicap était un sujet tabou dans notre société, c'est la volonté de Dieu, je suis titulaire de la carte station debout pénible, etc."
Abdel souligne que le véhicule qui doit lui donner un peu plus d'autonomie doit être aménagé spécialement, qu'il coûte donc "forcément plus cher" ! Il ajoute que même un geste d'une "extrême banalité" pour tout un chacun ne l'est pas pour un "handicapé".
Pour lui, par exemple, un obstacle peut aller de la simple marche un peu étroite d'un escalier qu'il doit monter, jusqu'à enfiler un bermuda ou une paire de chaussures "avec des lacets" !
Mais il y a aussi la peur, celle de décevoir ses proches, par exemple, sa mère, qui a des problèmes de marche, de locomotion au quotidien. Elle vit près de lui en Tunisie. Elle s'appuie sur lui pour sortir ou faire les courses Pour Abdel, la plus grande crainte est de tomber, de glisser pour montrer qu'en fin de compte il ne pas être à la hauteur. C'est tout de même lui le fils de famille, l'homme de la famille !

La poliomyélite dans les années 50 était aussi effrayante que ne l'est aujourd'hui le sida (syndrome d'immunodéficience acquise dû au virus V.I.H), avec son cortège d'infirmité, de contamination sournoise, d'entorse à l'hygiène avec enfin, toutes les images dramatiques associées aux infirmités que l'on pouvait avoir de ces maladies contagieuses, de ces maladies invalidantes. On retrouve les premières traces modernes de la maladie à partir des années 1840 dans des dénominations telles que les "paralysies infantiles". C'est une maladie contagieuse propagée par un virus mis en évidence en 1931, alors que des épidémies de " polio " se propageaient en Europe et en Amérique du Nord.
C'est une maladie infectieuse aiguë très grave par "ses séquelles motrices définitives". Et ce n'est pas notre témoin Abdel qui peut témoigner du contraire. La gravité de ses atteintes à la jambe droite lui occasionne une claudication très invalidante sous les regards de tous. C'est une maladie des pays " à mauvaise hygiène" où l'endémie y est permanente avec une recrudescence saisonnière " estivale automnale". La contamination est orale et sa transmission digestive. Actuellement, l'Afrique voit une remontée des cas de poliomyélite.
La découverte du vaccin contre la poliomyélite par Jonas Salk, et surtout la découverte du vaccin oral préconisé par l'O.M.S depuis 1956 par Albert Sabin de l'université de Cincinnati, a permis son éradication dans les pays modernes. La région du Maghreb ne fait pas partie des pays à recrudescence forte pour cette endémie, il faut donc chercher plus finement les causes de la contamination d'Abdel dans les années 1970-1980 dans la partie de la Tunisie où il a passé son enfance.
On constate qu'aujourd'hui le continent africain est un foyer de recrudescence de la poliomyélite à partir du Nigeria comme le souligne le journal l'Intelligent d'Abidjan.
Enfin, nous terminerons notre tour d'horizon par la France en signalant qu'aucun cas de "poliomyélite paralytique" n'a été déclaré depuis 1996, que le dernier cas "autochtone déclaré" le fut en 1989. Le dernier cas "importé" déclaré le fut lui en 1995. La vaccination, qui a été rendue obligatoire par la loi du 01 juillet 1964, a été efficace puisqu'on constate l'éradication de la maladie en France jusqu'à ce jour.

Le passage des "3C" aux "3S"

Les données des entretiens permettent de montrer que l'on retrouve un peu de l'exclusion, un peu du stigmate, dans la figure de l'étranger. Que peut-on penser alors de l'étranger qui porte en plus un handicap physique ? On peut sans trop se tromper dire que ce cas singulier fait force de généralisation, car souvent ils sont un peu "handicapé" d'un peu tout cela à la fois. On retrouve le vocabulaire dépréciatif qui marque les souffrances d'Abdel à travers ces lettres dans des termes tels que "infirme, invalide, bon à rien, retardés, etc". Abdel parle des difficultés occasionnées par les petits obstacles de la vie. Un escalier devient vite une "montagne" qu'il est difficile de gravir. Dans son travail, il nous parle de "remplacement", de "vacataire et de vacations". Pour lui, le concours du C.A.P.E.S pour devenir fonctionnaire titulaire, représente comme pour beaucoup d'autres personnes dans sa situation, un parcours du combattant, une longue galère pour accéder à ces postes de l'Education Nationale. Peut-être que son départ pour la Tunisie marque-il le fait qu'il soit, un perdant ici mais qu'en sera-t-il au pays, pour celui qui revient ? Sera-t-il forcément un gagnant là bas ?
Il se peut qu'il redevienne un étranger en Tunisie, dans son propre pays comme lorsqu'il était en France ! On retrouve un peu ce cas dans le syndrome de "immigrés/émigrés" au sens d'Abdel Malek Sayad.
La souffrance et la maladie d'Abdel réapparaissent quand il nous parle de l'euthanasie en Tunisie, pays maghrébin, certes laïc, mais cependant inscrit profondément dans la culture de l'islam.
Le petit garçon handicapé qu'il a dans sa classe à l'heure actuelle, lui rappelle peut-être aussi sa propre histoire. Il est le miroir de ce qui s'est passé pour lui dans sa jeunesse. Il partage sa condition.
Abdel est une personne de taille moyenne qui souffre d'une forte claudication d'une seule jambe qui l'handicape doublement car il n'aime pas être sous le projecteur du regard des autres !
On le considère comme une personne très discrète dans le milieu professionnel et social. Nous avons eu l'impression d'une grande tristesse dans ses propos.
Abdel nous parle dans la ligne trois : "de quelques soucis de la vie", qui ne lui ont pas permis de m'écrire avant. La peur de décevoir sa mère, là-bas en Tunisie, le met en état de fragilité. Le fait, de ne pas pouvoir aider les autres personnes comme il le voudrait, l'exaspère. Ils nous parlent aussi de "la pesanteur" du regard des autres. La compassion ou une aide "trop poussée" limite Abdel dans son autonomie, dans ses choix de vie et ce dans de nombreux aspects de la vie sociale voire familiale. A partir de ces constats, il se considère peut-être comme un enfant que l'on guide, que l'on accompagne, avec un souci trop pressant et trop constant par rapport à sa personne. Cela est significatif lorsqu'il parle de son épouse et de sa famille proche.
Nous nous sommes écrits plus d'une dizaine de fois. Certaines réponses ont mis de quatre à huit mois avant de me parvenir ! Les seules personnes qui étaient concernées par des délais de réponses aussi longs, furent les retours épistolaires des sujets infirmes moteurs cérébraux étant donné la gravité de leur état. Cependant ce délai devenait presque la norme pour une majorité des autres interlocuteurs ; cela devenait significatif à notre sens sur les problèmes des temporalités concernant les personnes en situation de handicap.
Les difficultés sont apparues d'avril 2004 à septembre 2004 où il repart "définitivement" chez lui en Tunisie. Il m'écrit, après cinq mois d'interruption de nos échanges une lettre de "rupture" sur nos entretiens plus personnels. Il fera silence sur des analyses plus intimes mais continuera les échanges plus professionnels.
Il revient sur le regard que portent des institutions telles que l'école, l'université, les commissions du handicap, les commerces sur les personnes différentes. Il me parle du taux d'invalidité de moins de 80 %, de la catégorie B selon la C.O.T.O.R.E.P, et du seuil qu'il ne veut pas franchir pour ne pas dépendre des autres. En effet, il ne veut ni dépendre de l'aide sociale ni de quiconque, ne percevoir aucun dû gagné "sur" la charité ou la pitié des autres. Il exècre cela. Sa fierté, peut-être, est de ne rien devoir à personne, surtout de ne rien demander à personne par compassion. Le regard de l'autre est toujours omniprésent chez lui, il lui fait mal, presque plus mal que ses séquelles de poliomyélite. Des formes de résistance existent afin de se protéger, afin d'exister. Son refus de m'en dire plus sur le plan anthropologique en est sûrement une de ces manifestations.

Quels sont les moments de soins, d'accompagnement de soi sans trop de contraintes, sans trop se faire prendre pour un enfant que l'on cocoone plus que de raison ? Quelles sont alors les limites qu'a accepté notre ami ? On retrouve ici la figure de la personne "extra ordinaire" qui passe un C.A.P.E.S dans la difficulté, qui est doctorant mais qui ne sollicite qu'une aide minimaliste pour réussir. Le regard des autres dans le même temps devrait détecter ses combats. On pouvait s'attendre à quelques moments d'altérité, de soins sociaux institutionnalisés pour ces personnes mais en réalité, on est encore souvent dans des "parcours du combattant".
L'autonomie et le choix de ses propres actions pour la personne handicapée sont du domaine de la scansion, du psittacisme, très souvent vécus comme des "leitmotiv" répétés mais peu réalisés concrètement. Il faut, il faudrait...
D'avril à juin 2004, il m'envoie encore des articles de Mr M. Gharbi parus dans les quotidien Le matin en Tunisie avec des titres très poétiques comme : "La quête des lumières se moque de différences, L'intégration scolaire des enfants porteurs de handicap." puis je reçois un dernier article intitulé : "N'est pas handicapé celui qu'on croit !". Il est question d'enfants avec de légers handicaps mentaux, de "porteurs" et de "non porteurs" de handicaps, d'intégration dans des classes normales. On peut lire qu'il est urgent d'aller chercher de la documentation à l'étranger pour comprendre encore mieux le handicap.

Singularité et généralité : s'isoler ou être utile ?

On trouve peu d'aspects positifs dans ses analyses sur la situation de handicap. Il s'agit encore d'images tronquées, de regards que l'on porte de façon dépréciative sur la personne handicapée. C'est cette image qu'il faut soigner à l'intérieur des consciences de certains, qu'il faut adoucir pour d'autres.
Il faut continuer à travailler avec Abdel car le réseau de connaissances s'est bâti avec lui, il doit se bâtir sur la longue durée et toute perte de contact nous serait préjudiciable. A ce jour, je n'ai plus de nouvelles de lui.
En ce qui concerne son "stigmate", il avait d'énormes difficultés de marche avec une "boiterie" très importante due à une poliomyélite d'atteinte tardive avec des séquelles importantes à une des jambes, il se fatiguait très vite. Quand notre collègue l'a recruté, il y a quelques années, il avait débuté un doctorat en lettres anglaises à la Sorbonne, mais il a arrêté cela aussi. Beaucoup de souffrance donc à travers les simples mots partagés par lettres comme à travers les prudents mais significatifs, "j'ai quelques soucis de la vie, c'est un peu délicat en ce moment,". Ces mots qui parlent plus du soin qu'il a pour l'autre. En effet, il s'excusait souvent de ces "maux", de ses inquiétudes qui importunent ou dérangent inutilement cet autre que je représentais. J'ai bien senti le blocage psychologique, le trouble que certains articles ont jeté en lui. Des traumas non encore résolus qui viennent de très loin.
En ce qui concerne sa prestance physique, j'ai su par des entretiens avec des proches que c'était quelqu'un de discret qui doutait, caché qu'il était derrière une probité, une honnêteté ainsi qu'une grande exigence dans l'enseignement. En fait, ces qualités paradoxalement se sont retournées contre lui, il a été très critiqué par certaines personnes. Le fait d'être un étrange étranger doit y être pour beaucoup. Seul son collègue responsable, de l'unité d'anglais, l'a soutenu tout du long de l'année universitaire. En outre, notre collègue lui a obtenu un poste en collège où il fut perçu comme quelqu'un de très consciencieux, possédant une grande force de travail, mais son rôle de "vacataire" lui pesait lourdement.
Il a rencontré des problèmes avec l'institution, une lettre en témoigne que nous ne pouvons pas publier ici. Elle fut tout d'abord portée par une certaine démagogie, puis par de la moquerie sur un lit de méchanceté primaire, tout cela m'a fait que renforcer son extrême sensibilité et l'a dévalorisé un peu plus dans une spirale dépréciative que connaissent bien les personnes handicapées. Nous préférons au terme "handicapé", le vocable germanique "behindert" qui signifie empêché dans la mesure ou cet empêchement est exogène, on peut lever les barrages !
En ce qui concerne le soin qu'il a pour l'autre, on remarquera les nombreux témoignages d'amitié que l'on retrouve dans ses lettres, ses appels téléphoniques et ses petits "dons-cadeaux" qui m'ont permis de constater sa sincérité, son attachement à la parole donnée qui est pour lui une valeur sûre. En effet, son silence, j'en suis intimement persuadé, tient plus à des problèmes personnels non résolus qu'à l'abandon du contrat que nous nous étions fixés pour cette recherche. Il est parti définitivement pour la Tunisie en 2004. Malgré le "secret" des raisons qui l'ont poussé, on sent poindre les liens étroits entre son départ et les nombreuses souffrances qui tiennent à son handicap physique, à son statut "bâtard" d'enseignant vacataire, d'enseignant non titulaire, au problème du manque de racines ainsi qu'à des formes de xénophobie larvées. Son épouse avec laquelle je me suis entretenu, n'a rien laissé filtré quant à d'éventuels difficultés ou souffrances psychiques, physiques ou problèmes familiaux. La vérité de sa situation doit pourtant se situer dans ces différentes trajectoires...
On retrouve ce cas qui devient souvent une généralité dans l'immigration, où les personnes fragiles, très sensibles sur le plan identitaire sont en souffrance, voire même en dépression. Une dévalorisation de soi, un manque de retour des reconnaissances sociales s'installent rapidement car ils ne trouvent pas autour d'eux le soin, l'altérité qui doit caractériser l'accueil de "l'étrangeté et de l'étranger".





Récit no 2. À propos de Yohan : "Et maintenant entre quatre murs !"



Pas de problème !

C'est par ces mots que Yohan m'a quitté en acceptant nos futurs entretiens. Nous sortions d'une première rencontre avec l'association universitaire "Etudihand" où je lui exposais le protocole puis le contrat qui allait nous lier. Après la réunion, il accepta de finaliser avec moi l'échéancier de nos futurs entretiens. Au mois de mai 2003, je lui envoie comme promis (comme d'ailleurs aux autres personnes) une missive où je lui signale que je travaille sur une étude de sociologie avec l'aide et l'expertise directe de la personne handicapée dans différents milieux de la vie quotidienne autour de cas singuliers. "Je sollicite votre aide pour communiquer et dialoguer avec moi. En effet ce sont vos paroles, vos écrits ainsi que vos réflexions qui sont les sources de mon travail, j'ai donc besoin de vos avis éclairés. Si vous désirez dialoguer avec moi, j'en serai très satisfait. Je sais aussi que vous êtes très pris dans votre vie, que votre quotidien doit être parfois difficile."
Effectivement ne pouvant pas écrire, il souhaite le faire par entretiens en face à face après avoir lu mes documents qu'il m'a demandé d'agrandir en grandes polices (de 16 à 18 car après deux ans d'étude une certaine fatigue oculaire s'est installée chez lui). Sur le plan méthodologique, j'avais demandé dans la mesure du possible que tous me restituent des traces écrites par retour de courrier pour préparer mon intervention. Nous avons donc balayé les trois documents sur la place du handicap et des personnes handicapées, puis sur le corps, le cri et le coeur qui étaient les supports de réflexion communs à tous, lors de notre première rencontre. Il ne peut pas écrire du tout car son infirmité motrice cérébrale (I.M.C) "athétosique" ne lui permet aucune forme d'écriture graphique, sauf à frapper avec le seul pied qu'il contrôle sur une petite boule pneumatique caoutchoutée qui par les chocs sur certaines parties, fait se déplacer un curseur sur l'écran d'un ordinateur. Cette technique, il l'a fait pour me donner une première feuille dactylographiée et cela lui a pris plusieurs heures pour une page au format A4 (21/29.7) ! Malgré la résection de certains filets des nerfs moteurs pour supprimer les tremblements les plus incontrôlés de ses jambes, l'athétose persiste, elle est pourtant moins puissante. Notre ami voudrait aussi par destruction de certaines micro-zones cérébrales supprimer les mouvements violents de ses bras.
Je me suis donc déplacé dans une petite ville du Loiret pour le rencontrer. Nous avons, en commun accord, décidé que nous dialoguerons chez lui pour des raisons d'accessibilité. Il fut difficile de recueillir comme pour les autres interlocuteurs plus de quelques lignes par entretiens mais ceci constitue un exploit car ses paroles rares en quantité, concentre en qualité des trésors d'émotion et d'intelligence. Mais il y a plus difficile encore, telle cette personne, atteinte par le "Locked-in syndrom", qui écrit par le média d'un système informatisé de reconnaissance du mouvement en ne clignant que d'un seul œil !

Un dialogue qui s'engage

Courant octobre/novembre 2003, nous nous sommes mis en contact par l'intermédiaire de Bernard et Nicole membres d'une association d'étudiants handicapés lors d'une réunion bilan de fin d'année. Puis le 05 décembre 2003, il reçoit un peu avant, comme tous les enquêtés, les documents servant de base aux différents entretiens. Il a tenu à préparer auparavant au service universitaire, avec un auxiliaire de vie, un texte composite pour m'informer de "son" Infirmité Motrice Cérébrale (I.M.C) avec la guidance à distance de Guy Tardieu : le professeur en neurologie qui dans les années 1950-1960 fut le pionnier de ce type de syndrome.
Le 06 septembre 2004, chez lui durant trois heures nous engagons le dialogue. Je le comprends de mieux en mieux au fur et à mesure de l'avancée dans la conversation. Sa parole difficile à comprendre du prime abord, s'apprivoise dans le calme et la concentration des échanges attentifs. Les entretiens sont toujours riches mais fatiguants ; ils constituent des moments rares où silences et profondeurs se côtoient, où les intelligences se parlent au-delà du handicap. Il me précise la façon dont il vit avec "sa maladie" qui n'en est pas une. Nous y reviendrons le 08 juin 2004 lors de l'entretien no3 chez lui pour faire le bilan sur les articles et les points à revoir afin surtout de préparer la conférence commune que nous allons effectuer devant les étudiants de la filière A.P.A., acronyme des activités physiques adaptées
Durant les mois de janvier à mai 2005, nos rencontres s'espacent car on lui a proposé un stage dans un centre spécialisé pour apprendre l'autonomie. Les listes d'attente ainsi que les espoirs souvent déçus commencent à le déprimer. La situation familiale devient difficile car personne ne peut réellement "souffler", le syndrome d'enfermement "entre quatre murs" se profile, lui pour qui l'altérité n'est pas seulement une figure de rhétorique.


Je suis heureux de travailler à ce projet !

Voici ce que je proposais à tous ceux qui voulurent bien témoigner dans cette recherche, et à Yohan en particulier malgré la sévérité de son handicap : "Si vous en êtes d'accord, nous allons donc converser longuement autour de nombreux thèmes qui sont issus d’articles trouvés dans la presse "standard" autour du handicap et de la personne handicapée. Ce sera un peu de vous-même aussi dont nous parlerons. Nous aborderons quatre thèmes principaux qui seront axés sur : le corps (dans ses multiples dimensions.), le cri (révolte, joie, revendication, etc.), la cognition (écoles et savoirs) et enfin le cœur (émotion, pitié, ...) qui nous tiendront en "contact" durant de longs mois. Durant plusieurs mois (voire années pour certains !) nous dialoguerons autour de ces thèmes sur des allers-retours épistolaires (mais aussi grâce à toutes formes de communication à votre convenance) jusqu'à épuiser les domaines qui vous intéressent. Nous utiliserons tous les moyens pour favoriser le recueil de votre parole. Vos écrits seront les bienvenus. (courriers épistolaires, cassettes audio ou vidéo, mail, dialogue par Internet et visioconférences), car il me sera quelquefois difficile de vous rencontrer aussi souvent que je le souhaiterais. La distance géographique, vos obligations et vos soins constituent des incontournables. Le temps, "un temps plus long que les autres temps" m’est nécessaire pour que nous puissions échanger de façon constructive et profonde. Dans une première étape, je vous demanderai de vous présenter pour voir où vous en êtes actuellement au niveau professionnel et au niveau personnel, un genre de Curriculum Vitae pour situer votre histoire de vie et ceci en toute confidentialité."
Il est vrai, comme le souligne l'historien Théodor Zeldin (1999), qu'après avoir conversé avec Yohan on sort légèrement différent ! Il a tenu toutefois à honorer tous les rendez-vous, malgré la fatigue, du fait de son état physique et moral quelquefois difficilement compatible avec les longs débats comme nous le verrons par la suite quand il décrit "sa maladie". Le "je" de la première personne ainsi que le "tu" marquèrent le passage privilégié avec la personne " en chair et en os" caractérisant l'approche "très incarnée" de ce tome II. La double écriture, fixant le va-et-vient entre nos paroles, des parcours de vie entrelacée, s'apparente au dialogue entre interlocuteurs "égaux", un échange entre "pairs" au sens où l'entend Charles Gardou (2005) quand il insiste et justifie ce vocable. Par ailleurs comme avec beaucoup d'autres d'interlocuteurs, le "tutoiement" fut vite de rigueur. "Je suis heureux de pouvoir t'aider et de travailler à ce projet."
Sur le mode du "dialogue entre pairs", nous aborderons vite, sans "tabou" aucun, sans complaisance aucune, plusieurs sujets délicats à partir d'articles sur la mort, le suicide, la sexualité ainsi que sur les limites de l'intégration pour les handicaps les plus graves. L'originalité, est basée sur le fait que la personne handicapée parle de son handicap, à travers le handicap des autres, quand celui-ci ne peut être "parlé" directement. L'article sert ici de procuration, mais Yohan pour sa part n'a évité aucun sujet même en ce qui concerne l'analyse de la détresse sexuelle des personnes handicapées. C'est parce que ces personnes sont à la tête chacune, d'un réseau de savoirs spécifiques, qu'elles constituent d'excellents intermédiaires "entre les connaissances extraites des disciplines et la culture", qu'elles sont quelque part un "sociologue profane, un "expert profane" de sa propre situation de handicap. Pour ce qui est d'un sujet sensible comme la sexualité quels meilleurs savoirs peut-on accumuler que ceux issus des personnes concernées en premier chef. Le dialogue s'appuiera sur des enquêtes qui seront utilisées comme fonds de réflexion. L'épistolaire par la prise de parole médiée par la technique (audio, mails, Internet, courriers, enregistrements etc.) sera privilégiée, étant donné, la difficulté spatio temporelle pour apprivoiser les différents types de handicap ! Pour répondre à Henri-Jacques Sticker, une écoute longue et patiente dans le soin qui est aussi tact et éthique (tactique aussi pour aller plus loin dans l'apprivoisement de l'un et de l'autre), peut simplement aider ou changer mais aussi aller en profondeur dans une recherche microsociologique du quotidien étrange que vit la personne handicapée. Pour accéder aux réseaux des réflexions pertinentes, il faut déjouer les angoisses et les lourdeurs de la vie quotidienne pour passer outre les fragilités singulières en accédant à "l'étrangeté" des situations pour mieux interroger des situations devenues "sociales. " Les quelques lignes ci-dessus ont été redites sous formes plus simplifiées et de visu à nos témoins pour mieux situer notre collaboration.
Yohan a tenu à travailler sur toutes ces questions avec une tierce personne à partir des sites d'Internet pour me faire un exposé et un cadre de travail et pour m'aider dans mes investigations sur son handicap jugé par ses amis comme très lourd. "Mais j'ai de la chance ! ", répète t-il à l'envie, "moi j'ai toute ma tête ! " Etrange donc pour ce jeune homme qui a eu la malchance d'être du mauvais coté du "hasard". Or le handicap souligne Charles Gardou (2005) "n'est qu'un des aspects spécifiques des problèmes généraux de notre humanité. Il ne fait qu'en jouer le rôle d'amplificateur. Le sort peut amener celui-ci ou un autre, sans aucune prévisibilité ni équité, à en être victime. Parce qu'il relève de l'ordinaire de la vie, il est à prendre en compte chaque fois que l'on pense l'homme et ses droits, que l'on éduque ou que l'on forme, que l'on élabore des règles et des lois, que l'on conçoit l'habitabilité sociale ou que l'on aménage les espaces citoyens, etc. C'est de cette seule manière que pourra s'accomplir la désinsularisation de ceux qui ne sont pas du bon côté du hasard." Pour explorer ce lieu, nous avons posé les questions suivantes à notre interlocuteur qui portèrent en première intention sur une présentation de soi, de son handicap, puis sur son histoire particulière parmi les "12 millions de personnes qui souffrent d'un handicap" comme le signale le titre du document I.N.S.E.E/H.I.D (2000 ; 2003) qui insiste sur le noyau dur du handicap composé d'environ deux millions de personnes. En deuxième intention, les questions portèrent plus précisément sur une réflexion plus personnelle à partir des articles ; l'un "Le cri de Mino" qui traitait de l'euthanasie, de la mort puis l'autre celui sur "Les mères courage" qui parlait de maternité dans sa relation avec le handicap.
Nous avons travaillé durant l'année 2002 par entrevues informelles au gré des rencontres personnelles et universitaires. Avant le premier entretien, une mise en perspective fut initiée à distance, sur les notions de "valide et invalide" ainsi que sur les rapports "aux temps sociaux" pour les personnes handicapées, sur "la fragilité, le courage et la douleur" qu'il faut pour assumer un quotidien toujours difficile, par le tutorat dont il bénéficiait pour ses études.

"Pour moi le problème, c'est l'école et cela reste un problème en France car elle accumule encore un grand retard. Le problème, c'est de trouver des enseignants. Et c'est pour nous de trouver après une place de la société mais cela reste une grande question non résolue.
Il y a une barrière pour beaucoup, mais pour moi, personnellement, je n'ai eu aucun problème sur le moment mais avec le recul, trente ans après aurais-je eu la même chance ? Malgré la science et les progrès, le temps s'accélère. Aujourd'hui le temps et le travail semblent être une ligne limite".
En situation de handicap, la compréhension pour un handicapé est une question de temps : ce temps pour comprendre et intégrer est trop rapide pour lui, c'est une question de fatigue pour lui et pour la personne qui doit l'aider constamment. Cela coûte cher. La situation n'est guère plus positive en 2004 par rapport à la loi de 1975. Je suis occupé, j'ai des occupations mais pour ma dignité, mon statut social, il serait bon de travailler car j'ai fait des études."
Sa maman, en passant pour nous proposer du café, intervient : "Jouer aux petits chevaux ou au Scrabble à l'atelier A.P.F du coin, cela ne fait pas sérieux !"

On coûte cher à la société, mais les enfants eux...!

Les premiers échanges directs ont permis de préciser quelques points de son curriculum vitae ainsi que sa position actuelle après la fin de sa maîtrise universitaire. Cela c'est déroulé chez lui durant trois heures sur un lit médicalisé car il était très fatigué ce jour là.
Il voulait revenir sur son accident de naissance, par une hyper oxygénation appliquée par son père affolé alors qu'il était en train de mourir. Sa mère, présente au début de l'entretien, voulait sur ce point me donner quelques éclaircissements personnels. Par tact, par respect pour les deux partis je n'ai pas souhaité revenir sur l'accident de naissance. J'ai demandé à sa mère de laisser la parole de son fils s'exprimer sans sa présence, ce qui fut le cas par la suite. Le handicap est souvent une "affaire de femme" dans ce rapport très fusionnel "mère/enfant" qui fait que la souffrance de l'un se communique à l'autre, que la parole de l'un devient la parole de l'autre.
Dans l'histoire de notre double écriture, Yohan est parti à rebours de la fin de sa maîtrise universitaire actuelle en administration économique et sociale (A.E.S) pour finir par la scolarité de son enfance. L'école pour lui fut d'une importance capitale. Il a tenu tout d'abord, à remercier les professeurs qui depuis la terminale lui ont permis de passer tous ces contrôles par questionnaires à choix multiples (Q.C.M). Il n'avait en effet qu'à rendre des contrôles terminaux. À ce sujet, je rapporte plusieurs anecdotes à propos de professeurs qui ont bien failli avoir de graves problèmes pour avoir fait passer des évaluations "adaptées" à certains étudiants handicapés. On parle maintenant de discriminations positives, formes euphémisées s'il en faut. A la faculté de Nanterre, Yohan a passé sa première année de D.E.U.G en deux ans. Il avait à rendre un devoir particulier pour chaque professeur dans chaque matière et un rendu d'évaluation soit par Q.C.M, soit par oral. Il y avait huit à dix matières à l'examen. Il devait passer quatre à cinq matières dans l'année et ce, jusqu'à la maîtrise qu'il a aussi passée en deux ans. Il remercie aussi le service d'accueil et de suivi des étudiants handicapés qui a mis en place un tutorat et lui a permis d'avoir un étudiant pour l'aider dans la vie quotidienne ainsi que dans la vie pédagogique de l'université.
Il a posé la question à un célèbre professeur d'économie à Nanterre en ce qui concernait le fait d'être avantagé dans les examens. Il lui répondit que les Q.C.M à choix multiples et les oraux, dans son cas, n'étaient vraiment pas un avantage (on parle de discrimination positive !). Yohan a donc réussi sa première année en deux ans à Nanterre, et sa deuxième année à Orléans en deux ans.
Yohan nous parle de son "athétose" ainsi que des enfants qui la subissent, cela lui semble primordial de partager les savoirs à ce sujet. Il a suivi un guide nosographique sur l'infirmité motrice cérébrale car il ne peut pas écrire seul, une telle masse de données. Nous avons tous les deux repris l'ensemble des recherches qu'il avait faites sur Internet pour les croiser avec des questionnements plus individualisés.
"Mon athétose se manifeste par des mouvements brusques incontrôlables. Ces mouvements ne sont pas réguliers. Ils peuvent apparaître n'importe quand : quand l'enfant veut faire quelque chose, mais aussi quand il ne fait rien. La fatigue et les émotions développent l'athétose. L'athétose peut concerner n'importe quel muscle du corps. Elle peut être dangereuse quand elle touche les muscles de la déglutition : on peut avaler de travers et faire une "fausse route" qui peut aller dans les poumons.
Comme certains muscles sont contractés tout le temps, à partir de l'âge de 3 ou 4 ans, cela provoque des problèmes orthopédiques. Par exemple, les tendons et les muscles se raccourcissent et certains mouvements deviennent complètement impossibles. Cela peut aussi provoquer des déformations de la colonne vertébrale : des scolioses (déformation sur le côté), des lordoses (le ventre part en avant) ou des cyphoses (le dos se tient bossu). Enfin, parfois "ça" peut provoquer des luxations de la hanche : l'os de la cuisse, le fémur, sort de sa loge dans le bassin. Pour empêcher tous ces troubles on peut mettre des corsets, des attelles et des coquilles en plâtre."
Les lignes qui vont suivre sont écrites à plusieurs mais pilotées par les soins de Yohan.
"Un enfant I.M.C sur deux présente des troubles épileptiques. Il y a divers types d'épilepsies. Le plus connu, c'est quand le malade s'écroule et tremble de tout son corps. Il perd conscience. Mais il y a des formes qui peuvent ne toucher qu'une seule partie du corps ou même qui peuvent simplement provoquer une perte de conscience très courte sans que le malade ou son entourage ne s'en rendent compte. Ce qui se passe, c'est une décharge d'électricité dans le cerveau. Les cellules du cerveau qui la subissent ne fonctionnent plus du tout. Cela ne dure pas longtemps et ce n'est pas trop grave pour le cerveau mais si les crises se répètent très vite, alors l'épilepsie peut être dangereuse : des cellules sont détruites dans le cerveau.
Quand ils sont bébés, les enfants atteints d'I.M.C ne peuvent pas jouer comme les autres enfants. Il y a des choses importantes qu'ils ne peuvent pas apprendre comme par exemple, l'espace, les distances, certaines parties du corps. Les enfants qui ont des problèmes de parole discutent beaucoup moins souvent que les autres enfants. Alors ils apprennent moins bien à parler. Ceux qui ont des problèmes de vision connaissent mal le monde autour d'eux. Au bout du compte, tous ces enfants présenteront un retard, surtout à l'école. Pour les cas les plus graves, ce retard ne sera jamais rattrapé.
D'un autre côté, quand les enfants deviennent adolescents, ils ont du mal à vivre leur handicap. Ils sont perturbés. Certains ont des crises de tristesse. D'autres pleurent facilement pour des petites contrariétés. Certains s'énervent pour un rien. D'une manière générale, les enfants atteints d'I.M.C sont toujours nerveux, ils sursautent au moindre bruit. Ils adorent rire mais ils sont très sensibles."
A travers ces quelques phrases dites pour d'autres, on distingue en filigrane les phases difficiles qui reviennent comme des points de cristallisation des souffrances perçues dans les expressions telles que, "on coûte cher ", "on nous cache", ou encore la dualité entre "les rigolades et les coups de cafard"qui ponctuent la vie des enfants dans ces situations".
Nous avons cru percevoir comme une excuse d'être là, à presque gêner les autres en ne pouvant pas les aider en retour. C'est encore lui qui me souhaite "bon courage" pour la suite de mon travail. Lui qui doit traverser encore de trop longs, de trop difficiles moments dus en partie au manque de perspectives d'intégration des handicaps les plus lourds !

On fait le bilan, j'ai des choses à dire !

Il nous a souvent sollicité pour avoir des nouvelles dès lors que je le laissais sans nouvelles. Nous avons donc programmé, chez lui, au début du mois de septembre 2004, dans son appartement une rencontre sur un entretien libre et informel pour faire le point sur la suite de notre collaboration et boucler la recherche des derniers documents sur le corps : le corps "physique", le corps "raison". Nous avons aussi préparé ensemble une intervention sur un cours magistral et des travaux dirigés dont le thème était " le corps, différence et motricité". Notre entretien "'échauffement linguistique" (il fallait se réhabituer à nos voix et aux flux de paroles) compris, a duré près de trois heures. J'ai nommé ce moment "échauffement" car à l'instar des athlètes il nous permettait un réajustement de l'un à l'autre pour parcourir l'épreuve.
Yohan revenait de Saint-Jean des Monts où il a profité de la mer avec le système "tiralo", qui comme son nom l'indique permet de mettre à l'eau des personnes lourdement handicapées.
Il est aussi revenu sur l'histoire de son baptême de parapente effectué à quelques mètres au-dessus du sol avec l'aide d'un accompagnateur pour le guider. Il a fait aussi de la voile, un sacré pari pour un I.M.C ! Il est clair que Yann aime beaucoup le sport, qu'il a découvert au lycée de Vaucresson, dont les enseignants d'éducation physique et sportive ont milité et militent encore pour donner un maximum de chances aux lycéens (éénnes) pour une intégration dans une mixité sociale bien pensée.
Il me parle aussi de l'association des paralysés de France (A.P.F) qui voudrait effectuer un changement institutionnel radical pour renouveler ses cadres, ses manières de faire. Une révolution des comportements pour que l'acteur social, la personne handicapée, prenne elle-même son destin en main. Ce changement assez remarquable fait un peu peur, aux membres de cette association, car il modifie, sous la pression de la loi 2005 qui va s'inscrire dans un nouveau cadre social, leurs habitudes relativement confortables. Ils veulent que les personnes handicapées se prennent en charge de manière plus autonome et surtout de manière plus institutionnelle voire politique.
Il s'exprime enfin sur les espaces culturels, sportifs et institutionnels où les personnes valides et invalides travaillent ensemble, c'est la mixité sociale. Il trouve cela intéressant mais il faut aussi, comme il le dit, "être entre soi", pour faire perdurer les habitudes familiales et certaines amitiés ; pour rester, par une petite mise à l'écart de temps en temps avec d'autres comme lui. Mais il n'exclut à aucun moment le fait d'être tous ensemble dans le grand bain social.
L' "être entre soi " permet de souffler un peu et de partager certaines souffrances, certains tracas de la vie quotidienne de la personne handicapée.
Il me parle enfin du manque cruel d'institutions de proximité pour accueillir les infirmes moteurs cérébraux et les grands handicapés. Il me montre l'article qu'on a écrit sur lui où on parle du "seuil de pauvreté." Il me donne deux cassettes qu'ils ont enregistrées avec sa mère, l'une sur les jeux Paralympiques d'Athènes en 2004 et l'autre datée de 1995 où il était au lycée de Vaucresson avec Jean-Pierre Claude, professeur d'éducation physique et sportive, qui a fait un travail immense pour l'intégration des personnes lourdement handicapées. Il a connu aussi Philippe Aubert un étudiant courageux, très médiatisé en 2004, lui aussi, car il s'attaquait à un doctorat de sociologie à l'université de Nancy II.
"Tu vois que je suis occupé, j'ai des occupations. Mais pour ma dignité, mon statut social, il serait bon de travailler car j'ai fait des études. C'est intéressant l'accès à la culture car "les valides et les non valides" ensemble pourraient travailler pour mieux connaître chaque problème des uns ou des autres. Tous les ans au lycée de Vaucresson, il y avait un metteur en scène qui venait pour nous faire faire du théâtre. Cela créait une occupation et des relations dans l'activité culturelle proprement dite, dans les aspects sociaux, cognitifs ainsi que dans les amitiés. Donc pour l'école aujourd'hui ce n'est pas évident pour nous (il se réfère donc aux articles envoyés). Il faut du temps et de l'argent pour réaliser tout ceci" !

Stigmates, douleurs et affects : questions/réponses sur ma maladie.

Nous sommes revenus sur la "maladie/handicap" de Yohan aujourd'hui lors de ce premier entretien. Il s'agite beaucoup sur son lit médicalisé. Je commence par lui poser des questions sur l'origine de ces mouvements incessants, sur la fatigue que cela engendre. Sa mère me dit qu'il dépense l'équivalent de la dépense énergétique d'un mineur de fond, ou d'un marathonien entre 4000 et 5000 kilocalories ! Une intense sudation marque corporellement son émotion en termes soient positifs, soient négatifs. C'est le corps palimpseste, le corps "scripturaire" dont parle J.-P. Resweber (2001 ; 2005) et dont nous avons montré le nouage autour des catégories des "3C". Sur le corps de Yohan on peut lire ses affects à "fleur de peau". Il faut prendre le temps de faire sa connaissance dans le soin et le tact et parler à son intelligence.
Yohan est atteint d'une infirmité motrice cérébrale de type "athétosique". Cette athétose frappe les enfants à la naissance, ils ont en général un quotient intellectuel très bon, mais de grandes difficultés pour le contrôle de leurs gestes qui donnent lieu à des grimaces et à des contorsions incessantes. De plus, il existe une expression orale difficile (que j'ai vite résolue par une écoute attentive). L’athétose pure est caractérisée par le passage du tonus très bas à un tonus très élevé. On retrouve aussi des mouvements incontrôlés involontaires de la tête, une incontinence salivaire, un mouvement de reptation de la langue, et les formes graves peuvent aller jusqu'aux états grabataires. L’athétose est consécutive à l'atteinte du système extrapyramidal en particulier des noyaux gris centraux. Je questionne Yohan sur chaque sujet, il me répond dans "la foulée" :
- Comment devient-on I.M.C ? À quel âge ?
"Jamais après deux ans et pour moi se fut un accident de naissance, une hyper oxygénation accidentelle qui, en me sauvant, m'a rendu paradoxalement infirme moteur cérébrale par atteinte des centres moteurs."
- Qu'est-ce qui se passe quand ça apparaît ?
"C'est à un mois que sont apparus les premiers problèmes, mon poids était normal. Je faisais certains gestes à l'envers !"
- Tu souffres, quel est le problème ?
"Mais je ne souffre pas, je n'ai rien aux yeux et je peux manger sans problème. J'ai de la chance car j'ai toute ma tête, moi ! (Et c'est l'anecdote de la différence avec la maladie mentale !) La souffrance et le mal, oui, je les connais ! Le mal au cœur et au moral ! [Il appelle aussi cela quand cela va très mal : "le gros cafard", une forme de dépression je suppose]."
- Peut-on en guérir ?
"Non, pas pour le moment car c'est un polyhandicap malgré les progrès médicaux. Les solutions semblent être plutôt sociales. Moi je suis content car je peux encore progresser.
J'ai réussi à marcher pendant mon primaire au centre de Malesherbes qui était un centre d'éducation motrice et de rééducation mais il privilégiait la rééducation par rapport à l'école et donc pour l'entrée au collège je suis parti à la Bollière dans le Loiret et on a privilégié l'intellect. Une anecdote sur mon autonomie...Avant je mangeais des gâteaux et des pâtes tout seul, maintenant plus rien, c'est fini !"
- Quels sont les principaux troubles moteurs ?
"Petit, je faisais quelques pas et cela jusqu'à l'adolescence puis jusqu'au collège. Le centre de Malesherbes a choisi pour moi car je me débrouillais bien dans les études et j'ai été sollicité pour continuer le travail scolaire au détriment de la rééducation. Il n'y a plus rien à Malesherbes actuellement..."
- On parle souvent de la spasticité, qu'est-ce que cela recouvre exactement ?
"La spasticité et la transpiration [très abondante] sont une grande gêne, c'est les biceps des bras et des jambes qui se contractent constamment. [Il me raconte l'anecdote du marathonien]. Quand j'ai une émotion, je me contracte puis transpire comme un sportif, l'énergie dépensée est celle d'un athlète du marathon 4000 à 5000 kcal !
Je pense trop à faire des efforts [de contrôle sur moi même] et j'obtiens le contraire. C'est à cause de la spasticité et cela même quand je suis content ! Pendant les vacances d'été 2004, ils vont essayer à Chartres de continuer la rééducation ; certains disent que c'est bon, d'autres non ? "
- Qu'est-ce que l'athétose ?
"Je suis infirme moteur cérébral que l'on dit "athétosique", je fais des mouvements brusques et incontrôlables, on m'attache les bras au fauteuil et on m'a coupé des nerfs moteurs au niveau de la cuisse pour limiter les mouvements brusques des jambes."
Je lui remémore l'anecdote de la "bagarre" quand il a voulu me "frapper" lors d'un entretien. Il éclate de rire ! Tiens, ils ont aussi de l'humour !
"Je cherche, les coordonnées d'équipes de neurochirurgie pour intervenir sur le cerveau, sur certains centres moteurs pour limiter les mouvements de mes bras, peux-tu m'aider ?", me demanda-t-il un jour. Les muscles qui contrôlent la déglutition ne sont pas touchés chez notre jeune ami, car malheureusement dans certains cas même les repas peuvent être dangereux.
"Pas de problème de fausse route, moi, je mange bien et de tout !", ajouta-t-il !
Nous parlons aussi de l'ataxie Qu'est-ce que c'est exactement, Yohan ?
"Je ne marche plus depuis le collège de la Bollière. Si je suis calme, tout va bien pour le reste [de la motricité]. Excité et énervé, je fais n'importe quoi avec ma mère c'est de l'énervement inutile. Il faut que je trouve un autre moyen pour mon entourage."
[Sa mère entre] avec un geste dur pour essuyer sa sueur lors d'un entretien. Elle parle à sa place je le lui signale. "Sur la sexualité : il ne faut pas rêver !" Je lui répète que je voudrais en parler seul à seul avec Yohan ! "Oui, entre hommes !" "Non, tous les deux, Madame en entretien ethnographique !" Elle comprend mieux mon sérieux ! Elle semble excédée, fatiguée car Yohan est dépendant d'elle. Le handicap est souvent une histoire de femmes et de mères. [Des "Maman", "Mutter","Mem" criés face à la mort dans les "no man land" des tranchées de 14-18, à la longue rééducation des gueules cassées dans la vie des années folles, le travail patient des femmes pour leur "réparation" en constitue une preuve irréfutable !]
- Je lui demande de décrire les troubles visuels dont il souffre.
"Je n'ai rien de ce côté là sauf de la fatigue oculaire quelquefois mais c'est trois fois rien [mon I.M.C] à côté de certains. Je peux lire sans problème deux heures en mettant de grandes feuilles contre le mur pour passer facilement avec le fauteuil. Je n'ai rien au niveau de l'audition, pas de surdité. Je regarde souvent la télévision qui est pour moi une grande source de savoir."
- Quels sont les troubles orthopédiques associés à ta situation ?
"J'ai une coquille sur le fauteuil électrique [qu'il pilote avec la bouche et le menton en touchant une balle en mousse] et j'ai toujours fait du sport même au baccalauréat au lycée de Vaucresson, du tir pendulaire aux fléchettes, du cross piloté, etc. Je vais voir avec Chartres pour de la natation et j'ai fait une entrée dans la mer cet été [juillet/août 2004] avec le système "tiralo" à Saint-Jean- des monts où l'A.P.F possède un centre de loisirs."
- On parle souvent des troubles épileptiques et psychologiques ?
"Je n'ai rien de cela et je n'ai jamais eu de crise. Les médicaments cela fait du bien mais est ce que ce n'est pas dans la tête aussi ? Je prends, comme je l'ai déjà dit, du Valium à 1% en gouttes et du Dantrium 12, 12 et 25 mg. Je me sens quelque fois inutile car je ne peux pas aider surtout ma mère pour qu'elle se repose."
Il me parle de l'anecdote de mettre les I.M.C à l'hôpital même s'ils ne sont pas malades pour simplement donner un peu de vacances à la famille !
"J'ai eu une crise de cafard en janvier et j'ai pris du Dantrium pendant deux à trois mois. Tout est arrivé en même temps en janvier donc gros cafard !"
- Quels sont les traitements spécifiques pour ton I.M.C ?
"Je ne fais pas de kinésithérapie pour le moment [je lui propose de la natation et il semble bien intéressé par le milieu aquatique. Je prends du Valium pour les tremblements et pour me calmer (20 mg) et du Dantrium qui est un décontracturant musculaire comme le Myolastan.
A Chartres je vais refaire du kiné mais pas d'orthophonie ni un travail d'aide psychologique. Cela va me changer les idées et je vais rencontrer des copains, il faut casser le rythme familial ! [Yann veut parler de ce qu'il doit "impose aux autres" du fait de son handicap.]"
Yohan pour conclure nous signale qu'il a une I.M.C athétosique. "Je bouge beaucoup et c'est très gênant pour tous. La liste des troubles n'est pas exhaustive mais pour moi, c'est trois fois rien par rapport à ce qui est écrit !" [Sur le compte rendu nosographique du neurologue Guy Tardieu, la liste des troubles est très (trop) longue. Certains jeunes gens en cumulent vraiment beaucoup...]
"J'ai conscience que ces mouvements c'est gênant ; plus je contrôle et moins j'arrive...Il me faut une aide extérieure pour faire souffler l'entourage.
Je dois partir à Chinon pendant trois ans car c'est prioritaire pour moi pour apprendre l'autonomie. A Chinon on va m'apprendre à gérer seul ma vie, par exemple prendre le train, faire les repas et créer des projets soi-même sans aide et surtout communiquer avec tous les secteurs du social..."

Mais de tels foyers adaptés aux personnes I.M.C comme ceux-ci sont très peu nombreux. Il faut faire de plus un va-et-vient entre ces milieux spécialisés et la vie sociale normale pour ne pas décrocher socialement. Etre entre nous mais aussi être parmi les autres. A l'heure ou nous écrivons ces lignes c'est-à-dire en juin 2005, malgré les promesses, rien n'avance et notre ami est toujours sans solutions.

Le passage des "3C" aux "3S", au cœur de sa singularité.

"Ma naissance est liée à un accident : le médecin ayant trop attendu, il m’a déclaré mort lors de ma naissance, c’est alors que mon père, qui n’est pas médecin, je l'ai dit, m’a mis le masque à oxygène. Or, trop d’oxygène a tué des cellules nerveuses, d’où mon handicap.
Suite à cela, j’ai dû passer quelques semaines en couveuse avant que ma mère puisse me prendre. Pour elle, j’étais redevenu normal !
Vers quatre mois, ma mère s’est rendue compte que je faisais des gestes de façon anormale. C’est alors qu’elle s’aperçut que j’étais atteint d’un handicap. Elle a cherché un kinésithérapeute dans le but de rectifier mes mouvements.
A l’âge de trois ans, elle me fit rentrer dans un centre de rééducation à Augerville-La-Rivière dans lequel j’étais interne jusqu’à l’âge de dix ans (de la maternelle au CM2). Ce centre était basé essentiellement sur la rééducation (kiné, ergothérapie et orthophonie) ce qui m’a permis de pouvoir me tenir debout et faire quelques pas.
Ayant accompli mon primaire avec succès, ma mère a dû chercher un collège pouvant m’accueillir dans ses locaux sachant que je tapais à l’ordinateur avec mon pied (ce qui me prenait beaucoup de temps). Ma mère a trouvé les coordonnées du Collège de La Bollière. Elle les a contactés pour voir s'il était possible de m’insérer dans cette école. Une personne du centre de soins est venue me voir à Augerville-La-Rivière, celle-ci a remarqué que j’étais apte à rentrer dans ce collège. C’est alors que celle-ci s’occupa de moi durant les cours (prise de notes, aide aux contrôles et aux devoirs, repas et toilettes). Ma première année passée au collège était un mi-temps afin de pouvoir continuer la rééducation à Augerville-la-Rivière, le jeudi et le vendredi. Un cahier de liaison circulait entre le collège et le centre afin de pouvoir réaliser des devoirs liés à mon niveau (6ème). Il était prévu que je fasse une autre année de 6ème afin d’être plus complet mais mes résultats étant très satisfaisants, les professeurs m’ont directement fait passer en 5ème.
Trois ans après, étant en classe de 3ème, il a fallu trouver un lycée permettant de m’accueillir. Cette épreuve fut difficile nerveusement car j’avais peur de ne rien trouver. C’est seulement au mois de juin, après de longues recherches, que nous avons trouvé le Lycée Toulouse-Lautrec de Vaucresson (92).
Mon handicap ne m’empêche pas d’avoir des activités comme les personnes valides, il suffit seulement qu’elles soient adaptées et assistées par une tierce personne. J’ai ainsi pu, entre autres, passer 15 jours au Vietnam ou bien passer une semaine en voile. De plus, le lycée qui m’a accueilli, m’a fait découvrir le sport. En effet, cette matière, que je pensais inaccessible, m’a été offerte grâce aux professeurs de sport, ainsi qu’aux éducateurs, car chaque sport était adapté suivant le handicap (parcours en fauteuil roulant électrique, foot-fauteuil, tennis-fauteuil, tir pendulaire aux fléchettes, sarbacane, golf à bouche, etc…).
Beaucoup de personnes craignent d’aborder une personne à mobilité réduite. Pour elles, cela représente la peur de la différence."
Dans les derniers entretiens, j'ai trouvé un jeune homme plein de doutes, de fatigue avec des paroles sursaturées de souffrance à peine voilées. C'est encore le chapitre scolaire qui nous a permis de reprendre de l'optimisme pour l'avenir. S'il n'existait pas de solutions avec le centre "super spécialisé", nous avons envisagé une reprise d'étude pour un master dans le cadre du L.M.D. Je l'interroge sur ses capacités à mémoriser autant de données et de savoirs différents ?
"A l'aide d'adhésifs, on me colle les cours contre le mur (ou sur un plan incliné) et, avec mon fauteuil électrique, je déambule pour les visualiser puis les apprendre puisque mes yeux fonctionnent très bien. De plus, je suis visuel et c'est devenu une habitude de travailler ainsi. Avec des articles ou des cours, j'ai aussi un pupitre en bois et je fais une lecture directe. J'avais une très bonne mémoire, maintenant avec la prise de Valium et de certains types de neuroleptiques légers pour éviter les tremblements, ma mémoire baisse."
La période, qui suivit l'arrêt de ses études après l'obtention d'une brillante maîtrise, fut très difficile à vivre. En effet, il s'est plaint d'être entre quatre murs. Je lui demandais alors pourquoi il ne comptait pas reprendre ses études en master.
Il m'a raconté une anecdote lors d'un entretien/témoignage face à des étudiants (tes) à l'université de Nanterre. Une jeune étudiante lui avait dit : "Vous êtes courageux, vous auriez pu ne rien faire du tout !" Yohan lui répondit : "Et vous, qu'auriez-vous fait-vous à ma place ?" - "Et bien la même chose que vous ! ", lui dit-elle. Il lui rétorqua alors : "Eh bien, pour moi, mademoiselle, c'est la même chose que pour vous !" Il voulait lui signifier, m'a-t-il dit, qu'il est avant tout un être humain comme tout le monde avec la même intelligence et les mêmes besoins. Lui est travailleur, passionné, à l'écoute des autres..Il aurait pu en être autrement, certes mais ce ne fut pas le cas !
Ce jour là, nous avons abordé les questions qui concernent la mort, l'euthanasie, le suicide car pour notre interlocuteur aucun sujet ne fut tabou.
"Je crois , me disait-il, que pour l'euthanasie il ne faut pas en abuser ; ce n'est pas parce que je suis lourdement handicapé que je pense souvent à cela. Pour l'euthanasie, il faut que ce soit la fin ou une souffrance extrême... Là oui!... Mais autrement non !
Jusqu'à maintenant, j'ai vécu avec mon handicap... Pour moi ce n’est rien, (il a insisté sur le "rien" par rapport à des personnes qui souffraient encore plus que lui !) car j'ai ma tête et je peux communiquer, de plus j'ai toujours vécu comme cela. Celui qui a connu la vie valide, c'est plus dur pour lui à cause de son passé. Ce doit être horrible d'un jour à l'autre de devenir handicapé, car pour moi c'est ma vie depuis tout petit."
En ce qui concerne la douleur, comment la gères-tu au quotidien, car on sait que les I.M.C concentrent malheureusement de nombreuses déficiences ?
"Non, je n'ai pas mal...Cela me fait mal au coeur plutôt vis-à-vis de ma mère. Je voudrais l'aider et je ne fais qu'empirer les choses, car quand on me dit "calme, calme !", cela bouge partout, et encore plus. Je n'ai pas le moral à cause de cela, car je sens qu'elle est fatiguée, je n'y arrive pas, je n'arrive à rien faire pour elle.
Je suis très conscient qu'elle souffre, c'est très dur pour moi... Pour cela de la vie au quotidien [ne pas pouvoir faire des petits quelques choses pour les autres]... C'est à cause de moi. Je n'arrive pas à progresser."
L'anthropologue Robert Murphy (1990) dans son très beau livre The body silent, nous relate des faits similaires quand il cite aux pages 132-133 que : "N'ayant pas encore pris connaissance, en 1977 de ce qui avait été écrit sur la sociologie de l'invalidité, je n'identifiais pas immédiatement le schéma caractéristique du comportement visant à éviter quelqu'un. (...) Mais pourquoi, en effet, devrait-on avoir honte de son infirmité ? Ce qui est plus mystérieux encore, pourquoi devrait-on en éprouver un sentiment de culpabilité ? (...) Pourtant cette sensation de culpabilité existe, chez les handicapés physiques, à l'état endémique. Une jeune femme, née sans membres inférieurs, m'a dit qu'elle se sentait coupable de son état depuis l'enfance - impression que ressentaient aussi ses parents et dont elle avait probablement hérité." A partir de ce constat les questions portèrent sur les conflits, les cris de rage dans les luttes sociales, puis les cris de joie lorsque l'on gagne. Yohan nous dit qu'il fait parti de l'association des paralysés de France (A. P. F.), "cela m'occupe je fais du Scrabble et de la musique". À la question faites-vous des actions fortes pour revendiquer, il me répond "qu’il y a très peu d'adhérents donc peu qui viennent aux actions. Il y a eu une grande manifestation en 1998 à Paris avec tous les handicapés avec un train spécial pour nous y emmener. La cause a été entendue dans toute la France. Ainsi alerté, il faut des obligations, il faudrait des locaux pour les handicapés, des foyers avec une aide humaine intelligente pour avoir une certaine autonomie, une certaine intimité ausssi. Et quand mes proches seront âgés, comment fera-t-on ?
Il n'y a de la place nulle part ici à Orléans, il faudrait que j'aille à Paris, mais cela ne m'intéresse pas, il faudrait tout recommencer et je serai seul."
Je lui fais remarquer, sur la base de l'article sur L'exil en Suède (Cf. annexes I) qu'on nous signale que là-bas, il y a un accompagnement même la nuit ! En partant de ce constat, voudrais tu partir, Yohan, en Suède comme cette jeune dame ? 
"Cela prouve que l'on est en retard, je serai heureux de trouver quelqu'un à côté de moi pour m'aider et aider mes proches à souffler. Si quelqu'un m'aide, il faut que j'apporte quelque chose par exemple de l'humour... Un peu comme un don et le contre don Yohan ! Oui... !... Se "brancher" comme avec Bernard l'aveugle au restaurant universitaire : "Et salut, l’infirme!... Salue l'aveugle!... Et mange propre ! "
Voici un exemple de l'humour de Yohan, un humour qui le ravit. Il exprime son bonheur, sa joie à travers cet humble humour qu'il donne aux autres comme un cadeau, c'est sa contribution à l'intersubjectivité.
Il me parle ensuite du handicap physique par rapport au handicap mental, il veut les différencier, car lui, il a toute "sa tête". Je lui rétorque que cela va faire un ghetto pour le handicap mental. "Oui, tu as raison... C'est délicat ! Il faut réfléchir sur les deux domaines pour mieux les comprendre sans exclure".
Il termine notre entretien par une discussion sur le fait "d'enlever la barrière... de parler, d'écouter les personnes handicapées directement, car dans la rue, c'est à ma mère que l'on s'adresse, pas à moi, alors que je peux comprendre et parler. Il faut le temps pour intégrer tout ceci".



Récit no 3. À propos de Serge : "Deux personnes dans le même corps !"



Je suis myopathe de Duchenne !

Notre rencontre durant l'année 2002 a été initiée par le directeur d'un service universitaire ? Ce dernier connaissait Serge puisqu'il était président d'une association étudiante. C'est ce même Serge, qui écrit dans notre premier échange épistolaire, lors de sa présentation qu'il est "myopathe de Duchenne" avant même de me raconter l'histoire de sa scolarité. L'école, toujours l'école vient en première ligne dans les constructions de la personne. Voici la synthèse qu'il m'a faite sur son curriculum vitae des premières années "d'un myopathe de Duchenne".
"Monsieur Zicola, comme prévu, je vous envoie cette lettre décrivant l'ensemble de mon parcours scolaire assez succinctement.
Je suis myopathe de Duchenne et j'ai pu suivre une scolarité quasi normale avec peu d'obstacles. Pour l'école maternelle, l'accueil n'a pas posé de problèmes. Pour l'entrée au C.P, il a fallu négocier avec la directrice, mais qui a été très vite d'accord. Jusqu'à la sixième, ma scolarité s'est déroulée dans les écoles communales. À partir du collège, l'établissement ne m'a pas accepté, nous avons dû chercher un autre établissement. Nous avons eu la chance de trouver un collège adapté à Orléans la Source "la Bollière" qui est un établissement unique dans le Loiret. Il s'agit d'une structure qui accueille une quarantaine d'élèves handicapés parmi une population valide. Les handicaps sont divers : moteurs, sensoriels...
Dans ce collège tout est accessible, mais j'ai eu quelques difficultés avec les professeurs. Comme je marchais encore, ils ne concevaient pas mon besoin de faire des photocopies. Cet établissement est jumelé à un centre de soins permettant de dispenser les soins nécessaires, en fonction du handicap, lors des heures de permanence. Pour mon cas, il s'agissait de séances de kinésithérapie. Cela a facilité ma scolarité, car je n'avais plus ces soins à effectuer, quand le soir, je rentrais chez moi. Ainsi, la période du collège s'est bien passée pour l'adaptation et les soins, malgré l'incompréhension des professeurs. À partir de la seconde, le ballet des opérations chirurgicales a commencé. J'ai été opéré du dos au mois de mars 1992. J'aurais pu redoubler, mais les professeurs ont préféré me faire passer en première.
Cette année-là fut difficile, car il a fallu rattraper le retard et gérer la fatigue due à l'opération. J'ai commencé l'année avec six de moyenne dans quatre matières, grâce à ma volonté et à mon travail, j'ai pu obtenir la moyenne de dix à la fin de l'année. Cela m'a permis de passer en terminale, mais j'ai échoué à l'épreuve de français. La terminale a été une dégringolade de mon niveau, ce qui m'a coûté le bac. De plus, je devais me faire opérer des pieds et des hanches durant les grandes vacances, tout ceci n'était pas très encourageant. Cette intervention a été moins difficile et j'ai pu décrocher le bac à la fin de ma seconde terminale, fatigué mais content.
L'arrivée en faculté a changé beaucoup de choses. Je bénéficiais toujours du centre de soins pour la kiné, mais il n'était plus chargé de mon accompagnement. Celuici était réalisé par l'association "Etudihand" d'Orléans dont le président était Monsieur Bruno G. Au départ, un seul objecteur était chargé de l'accompagnement. Il m'aidait le midi, pour aller aux toilettes et pour le repas, il m'emmenait aussi au centre de soins. Comme il continuait ses études en même temps, il ne pouvait pas s'occuper de moi tous les jours, Monsieur G. engagea un C.E.S pour compléter le travail de l'objecteur. D'autres personnes handicapées sont arrivées ensuite et l'association a recruté deux objecteurs. Des problèmes financiers sont apparus lorsque le gouvernement a décidé de financer seulement la moitié des salaires des objecteurs, le reste étant à la charge de l'organisme employeur, l'association dans mon cas. Dès lors, l'accompagnement devenait payant ainsi que les photocopies et le transport avec le véhicule de l'association, ce qui impliquait un problème financier jusqu'à la fin du contrat des objecteurs. Comme l'objecteur de conscience allait disparaître, nous avons demandé à l'université de pouvoir bénéficier d'emplois jeunes financés par elle vers le mois de septembre. Notre dernier objecteur finissait fin mars de l'année suivante. Or, arrivés à cette période, nous n'avions aucune certitude, j'ai même pensé arrêter mes études. En attendant, l'université nous finançait un C.E.S pour s'occuper de nous. À l'époque, nous étions deux handicapés lourds à avoir besoin d'aide. À la rentrée suivante, les emplois jeunes étaient arrivés et nos problèmes d'accompagnement et financiers étaient résolus. Depuis, j'ai pu poursuivre mes études sans problèmes logistiques, j'ai terminé par l'obtention de ma maîtrise en juin dernier. Voilà, j'espère que cela vous sera utile."

J'espère que cela vous conviendra !

Dans la rythmicité de notre dialogue, les périodes de pause furent souvent longues et je devais relancer constamment. J'ai compris par la suite, la cause de ces temporalités, dans "l'économie de sa maladie", comme le suggère les médecins, par les soins constants qu'il faut lui prodiguer pour une qualité de vie acceptable. Il m'a souvent quitté sur des échanges par courriel par un "voilà j'espère que cela vous conviendra !" puis rapidement par un "...te conviendra !" comme s'il fallait me faire plaisir. Notre analyse nous portait à croire, cela est d'ailleurs confirmé par de nombreux témoignages, qu'un subtil jeu de masques s'organise dans les vies des personnes handicapées. Comme si la compensation, l'aide se paient en retour par une docilité sociale. Mais Serge s'est très vite "lâché" comme il le soulignera plus tard.
Notre première rencontre en face à face se déroula au service d'accueil et de suivi des étudiants handicapés entre les mois de mai et juin 2002, il m'avait dit : "Cela m'intéresse, je souscris à votre projet, ça marche !" selon l'expression estudiantine qu'il utilise fréquemment. Nos échanges s'étalèrent "lentement" sur plus de trois ans. Les moments phares furent inscrits aux dates suivantes ; le 02 juillet 2002, il m'envoie son curriculum vitae ainsi que sa présentation par un premier retour par Internet ; le 12 février 2003 viennent enfin les réponses aux questions, et des réflexions intéressantes telles celles-ci : "En lisant l'article, j'ai pu constater que notre société a besoin d'actualiser les informations réelles sur les handicaps. Il faut aussi que la société accepte notre existence et qu'elle fasse tout ce qui est possible pour nous permettre une intégration totale. Cela signifie adapter les villes, magasins, restaurants, cinémas, etc..., et aussi pouvoir trouver du travail, ce qui implique, en premier lieu, l'intégration en milieu scolaire. Je suis contre les "ghettos" de personnes handicapées dans les centres. Voilà pour ce que j'ai à dire, j'espère que cela vous conviendra ! À bientôt, Serge".
Au début de l'hiver le 12 décembre 2003, il m'envoie ses réponses sur le cœur, les émotions, ainsi que l'empathie, au sujet de l'article de "Mino qui attend la mort". Cet article représente une transition pour pouvoir interroger de façon indirecte le grave problème éthique que représente l'euthanasie, avec comme corollaire le suicide, donc la mort, lorsqu'on est confronté à de très lourds handicaps. On pourra voir à ce sujet les biographies des auteurs qui parlent de leur "grave" handicap tels que J.-D. Bauby, 1997 ; Ph. Vigand, 1999 ; M. Chevalet, 2005 ; R. Besse-Saige, 1994...où on voit apparaître dans le texte ces quelques mots qui parlent de "du geste ultime" dans les moments de grande désespérance.
Le 22 décembre 2003, c'est le retour des articles sur les rapports des "valides versus les non valides", ainsi que sur le vocabulaire qui sert à étiqueter les personnes handicapées. "Je crois", m'écrivait-il, "que cette notion se base sur un système de référence établit par la société. Dans ce cas les non valides seraient les personnes qui ne peuvent intégrer la société. Ils ne seraient pas adaptés à la société mais ne serait-ce pas possible que ce soit la société qui ne serait pas adaptée à tous les individus. De cette façon, ce serait la société qui créerait les invalides. Voilà j'espère que cela vous ira, c'est une réflexion qui m'est venu ainsi, j'espère que cela vous conviendra."
Le 18 mars 2004, après une longue période de "silences épistolaires", nous avons effectué un entretien de plusieurs heures sur les documents un, deux et trois. Une des lettres intermédiaires, qu'il m'avait envoyée avait ce titre révélateur : "Enfin les réponses tant attendues !" Le temps de réponse, à des demandes ou sollicitation diverses, semble une valeur élastique à étudier dans la relation avec la personne handicapée. Cette observation, sur ce "temps de latence" des réponses, va devenir une constante qu'il conviendrait de repréciser avec la société toute entière, dans la mesure où malgré une "hyper communication", il devient difficile de rencontrer l'autre.
Le 14 juillet 2004, Serge me donne ses réponses sur la fragilité humaine et les situations de vulnérabilité ainsi que l'article sur le Téléthon où il est en "vedette" dans la presse locale. Serge nous signale que : "Bon, alors sur le Téléthon eh bien, c'est une chose formidable pour avoir fait avancer la recherche. Ça c'est clair que sans le Téléthon, on aurait aucun espoir. Maintenant, ça se justifie d'autant plus que, justement, on comptait un peu [sur le fait] pour que l'État s'engage et puisse prendre la suite du Téléthon, c'est l'objectif. En ce moment, on est dans l'effet inverse, donc ça justifie encore plus le Téléthon, qui est quand même très important, et c'est vrai qu'il n'y a rien à dire là-dessus. Bon après, les choses qui me dérangent, ça n'a rien à voir avec le Téléthon, c'est le côté médiatique, qu'on soit obligé de faire un peu "bête de foire", parce que c'est quand même ça, pour que les gens puissent payer, afin de nous aider. Et ça, ça m'a toujours dérangé. Et ça, je peux pas faire partie de ça. Moi je participe au Téléthon mais il est hors de question que je m'avilisse, parce que pour moi c'est s'avilir. C'est quand même, insister sur la pitié des gens. La pitié, ce n'est pas un beau sentiment comme on pourrait le croire, comme "certains" pourraient le croire, au contraire" !
Le 8 décembre 2004, Serge me renvoie ses remarques ayant comme support les documents portant sur le corps (cognition, maladie et sport). Il m'écrit le compte rendu suivant.
"Je viens de lire les articles autour du corps, ce qui me changera des problèmes d'intégration scolaire. J'ai bien apprécié tous ces articles même si certains sont décourageants parfois.
Je crois que le corps reste très important même pour des personnes qui ont un handicap physique. Le corps ne doit surtout pas être considéré comme son ennemi sinon on court à la catastrophe. Le corps et l'esprit font partie d'une personne, l'un détermine l'autre. Pour mon cas, mon esprit est plus utile que le corps car il fonctionne normalement. Mais je n'en considère pas l'un comme antagoniste à l'autre. Certes, j'avais une tendance naturelle à le faire mais qui a bien changé depuis que je suis cette nouvelle kiné. Ainsi je redécouvre à nouveau mon corps, ma vie s'en trouve fondamentalement changée ! Si je me bats pour guérir, c'est pour enfin réunir le corps et l'esprit, lorsqu'un est plus important que l'autre, on se sent incomplet.
Je suis très admiratif envers les sportifs handicapés. Je trouve que ce se sont réellement eux qui accomplissent des exploits maintenant que les sportifs qu'on connaît sont sûrement à la limite physique du corps. Ce qui explique l'importance du dopage. Ce qui est beau pour "mes collègues" sportifs c'est qu'ils ont déjà un handicap à gérer, ce qui n'est pas simple, de plus ils essayent d'atteindre un niveau hors du commun, les deux combinés, c'est simplement surhumain ! Il est d'ailleurs inadmissible que certaines disciplines sportives ne soient pas autorisées pour toute sorte de handicaps dans un pays qui se veut celui des droits de l'homme.
Au sujet de l'article sur la sexualité des personnes handicapées, il s'agit d'une question qui m'est apparu il y a peu lors de mes séjours dans les centres de réadaptation. Cet élément existe et c'est vrai qu'on évite de poser ce genre de problèmes. Il s'agit d'un besoin naturel qui peut rendre agressif n'importe qui s'il n'est pas effectué. On souhaite aider la personne pour qu'elle soit autonome, cela aussi à mon sens est un droit aussi important que celui de l'euthanasie. Il est vrai que je souhaiterai que les centres en tiennent compte comme dans pays européens qui le font déjà. Ce qui me gêne le plus au-delà de tout cela, si nous étions dans une société qui intégrait totalement les handicapés, ce problème ne se poserait même pas, on n'aurait pas besoin de compenser. Nous aurions une vie normale avec une compagne ou un compagnon, la compensation serait inutile.
Au sujet du troisième article, je suis d'accord que la nudité d'une personne handicapée ne devrait pas choquer. Je trouve ce point de vue important même si je pense qu'il y a d'autres soucis à régler en premier. Voilà, j'espère que cela te conviendra".

Enfin en mai 2005, lors d'une réunion institutionnelle, nous convenons d'une relance, peut-être à partir de l'élaboration d'un livre, sur les nouvelles techniques qui améliorent la vie des myopathes de Duchenne qu'on croisera avec son histoire personnelle dans une double écriture. Il est plus que favorable à ce projet.
"Sur cette écriture, justement", me disait-il, "je pense qu'au niveau du travail "classique", il y a quelque chose de très, trop lourd à gérer pour nous.
Moi, si j'ai fait le choix d'écrire, c'est que je voulais pas "m'emmerder" avec des détails. Et puis aussi parce que j'ai remarqué que finalement, si j'écrivais, j'aurais autant de difficulté à vouloir devenir écrivain qu'à vouloir devenir comptable, par exemple ! Je n'aime pas la comptabilité, je veux dire à devenir, je ne sais pas, prof, par exemple. J'aurais eu autant de mal. Alors je préférais me défoncer et faire un truc qui paraît quasiment impossible. De toute façon j'aurais autant de problèmes dans un sens ou dans l'autre. Alors autant faire ce qui me plaît. Donc c'est vrai que j'ai un peu arrêté pour ça, mais quelque part je me suis rendu compte que pour moi, l'écriture, c'est très important. Pour moi c'est la base ! " (lignes 418 à 425)

Le physique et le psychologique ...ma maladie !

"Lorsqu'on est atteint d'une myopathie, nous sommes fragiles physiquement. Cette fragilité physique en entraîne une plus psychologique. Pour ma part, je dois compter sur une fatigabilité très importante. Dès lors, des phases de découragement peuvent apparaître. En dehors des nombreuses conséquences physiques, la réaction de l'entourage est fondamentale. En cas de malaise des parents par rapport à leur enfant, une autre origine de fragilité peut intervenir. Ensuite, la vision du handicap dans la société peut être stressante pour une personne handicapée. Le regard des autres peut devenir une autre cause de fragilité, il faut arriver à être fier de soi, une chose qui est considérée comme impossible par la majorité des "marchants". C'est leur façon de voir qui est difficile à vivre, le regard plein de pitié est effrayant et rajoute à nos difficultés. Une autre difficulté apparaît dans les relations amicales. Lorsqu'on est handicapé, il faut aller les chercher. D'un certain côté, ce n'est pas un mal mais cela le devient quand on n’est pas toujours bien accueillis. Même si la relation est établie, certains l'empêchent d'avancer plus loin, le sentiment d'être laissé à l'écart apparaît. Le déroulement des études accompagnées d'un handicap n'est pas aisé non plus, l'aspect logistique apparaît et alourdit considérablement le stress des études. Je pense que j'en oublie, mais dans une situation de handicap, il faut faire face à toutes ces choses là.

Première chose sur la question, a-t-on plus de courage que les autres pour porter cette contrainte permanente ? Je dirais que tout dépend de la nature du handicap. Si l'on est né avec ou non. Un accident est différent car la contrainte arrive d'un seul coup. On passe brutalement d'une situation de valide à celle de personne handicapée. Donc, j'ai toujours été handicapé, seul le degré évoluait en fonction que je grandissais. J'ai donc construit mon équilibre dans cette situation. Je ne dis pas que c'est plus facile mais on apprend petit à petit à gérer les inconvénients quand ils arrivent. Pour faire face à tout cela, je ne pense pas que l'on ait plus de courage mais c'est conseillé ! Et encore, c'est peut-être plus que du courage. Personnellement, je trouve que lorsqu'une situation, telle qu'un gros souci intervient ou dans un autre cas difficile, il y a un choix qui s'offre à nous, soit on se laisse aller et on déprime ou alors on se bat. Dans le cas d'une déprime, rien ne s'arrange, les problèmes et la souffrance sont là et rien n'est présent pour les atténuer. On ne veut pas se battre de peur d'avoir mal. Quand on se bat, les problèmes et la souffrance sont les mêmes, mais on se sent nettement mieux. On fait tout pour essayer d'aller mieux et cela fait beaucoup de bien. Certes, en se battant, on souffre mais comme on a agit, on contrôle cette douleur. On peut ainsi gérer notre vie, de toute façon quoi qu'on fasse on doit gérer sa vie avec les possibilités que nous avons. Pour finir, je dirai que nous n'avons pas vraiment le choix, si l'on veut vivre sa vie au mieux et pouvoir construire quelque chose, il faut se battre. Sinon, on passe à côté et c'est dommage, même si ce n'est pas toujours facile. Pour finir, je dirais que nous avons tous du courage enfoui en nous et qu'il faut simplement le réveiller lorsqu'une situation extrême intervient, je crois qu'un handicap en est une".
La myopathie de Duchenne fait apparaître une souffrance multiple, dans les paroles que nous venons de transcrire le terme apparaît plusieurs fois, elle se décline avec des variantes "singulières" dans des expressions comme, "on souffre, se battre, cette douleur, avoir mal..."

On double l'espérance de vie !

Serge, dans notre un très long entretien où nous avons abordé tous les thèmes restés en suspens, (un énorme retard avait été pris) me parla d'une technique révolutionnaire pour lui, qui suscite un immense espoir. Mais avant cela, je voulais qu'il me parle des douleurs réelles qu'il endure depuis si longtemps.
Ça fait donc mal au quotidien ?
"Oui complètement. Une douleur lancinante qui n'est pas vive. C'est ça qui est assez bizarre, c'est que j'ai su que j'avais mal quand je l'avais plus."
C'est quand même assez, assez étonnant. Il vient de me parler d'une technique qui lui fait beaucoup de bien mais qui provoque déjà des polémiques dans les milieux médicaux. "Et cette méthode là", dit-il, "c'est une méthode basée sur le drainage lymphatique. C'est la technique du drainage lymphatique, mais le drainage lymphatique ne sert à rien, adaptée aux muscles. Donc c'est simple, il encourage la circulation sanguine en faisant des massages en profondeur en fait, qui permet d'évacuer l'acide lactique et là, le muscle redevient chaud, redevient souple et peut fonctionner normalement.
Pour moi, c'est clair on double l'espérance de vie. Parce que pour les myopathes, c'est 20 ans. Déjà sans trop, je pense qu'avec les kinés "classiques" on peut tenir jusqu'à 40. Et là, j'estime qu'on double l'espérance de vie. Il faut que cette méthode soit diffusée. Parce que mon kiné va être à la retraite dans 7 ans, il ne faut pas que ça disparaisse. Celle qui a inventé ça est âgée de 75 ans donc qu'il y a tout un truc. Il faut encourager tout le monde à faire ça. Ça vient, c'est long mais j'espère que j'y arriverai.
Justement on a travaillé là-dessus samedi dernier pour que tout le monde en profite. En fait, c'est tout simple."
Je lui demande ce qu'on observe à partir de ces constats et en rapport avec la myopathie Duchenne ?
"Au niveau musculaire, on fait un effort physique. Après l'effort physique, il y a une contraction donc après, il y a une crampe. Ça arrive régulièrement. Et ceci n'est pas encore le problème. Donc la crampe est due tout simplement à l'acide lactique dans les veines. C'est juste ça ! Nous, on ne peut pas l'évacuer seul. Ce qui veut dire que quand on fait un effort physique et qu'il y a une crampe, on la garde. Donc après, on utilise un muscle avec la crampe et on recrée une autre crampe et à la fin on fait des contractures énormes, ce qui fait que le muscle devient dur, froid et à la fin, c'est là, que l'atrophie musculaire intervient.
En l'an 2000, j'ai eu des "emmerdes" pas possibles. Tout s'est mis à "déconner". Et c'est vrai que j'avais plus cette patience. Et quand j'allais mieux, j'avais trop de stress. Donc vraiment, il a fallu que [je m'aperçoive] que j'étais au bout, que j'en avais marre..."
Quand je lui parlais de dépression parce que de nombreuses personnes handicapées la traversent ; en font l'expérience, il répond par la négative.
"Non, non justement, bien avant la dépression justement. Je ne pense pas que ça me serait arrivé mais un état de stress perpétuel et au niveau physique, je m'en ressentais. Au niveau santé, j'arrivais plus à gérer le stress en fait. J'arrivais plus à gérer le stress lié à la logistique, pas lié aux études. Mais lier les deux en même temps, ce n'est pas évident. Donc c'est ça la difficulté, mais en même temps j'ai été au bout de mes objectifs et puis j'avais envie de créer quelque chose, parce que les études, c'est bien mais y' a rien de concret. Et puis j'avais [l'idée] d'autres bouquins, ils voulaient sortir, tout ça. Et donc depuis que j'ai arrêté les études, il s'est passé quand même beaucoup de choses. Donc déjà, pendant six mois, le fait de me retrouver tout seul chez moi, c'était un soulagement. Je pouvais enfin être à mon rythme, me reposer. Et c'est vrai que là je profite en même temps que j'écris pour décompresser, faire le bilan de tout ce que j'ai fait au niveau des études pour pouvoir ré attaquer après et reprendre de l'énergie. Même si j'attaque après, ce ne sera pas autant que les études, c'est certain.
Tout est basé là-dessus, sur la méconnaissance. C'est quand même dommage que juste un aspect technique puisse avoir autant de répercussion quoi, c'est terrible. Parce que moi, franchement, ça me fait, ça me "fout" la trouille, c'est clair, il faut le dire, d'arriver en fauteuil, tout ça et de voir le sourire de certaines personnes partir dès qu'on arrive."

Écouter la critique ! Aller au-delà de tout ça !

"Et donc c'est vrai que moi, Serge, c'est ce que je disais toujours c'est qu'on n'a pas beaucoup d'énergie mais il faudrait en avoir tout de même, quatre fois plus qu'un "être valide" ! Donc c'est un peu aberrant tout ça ! Bon bien, c'est sûr, qu'il y a beaucoup de choses à dire, beaucoup de critiques à faire un peu faciles parce qu'on ne fait peut-être pas, on ne peut peut-être ne pas faire grand chose mais s'il y a une critique, il faut peut-être écouter la critique. Je pense qu'il faut en faire un problème de fond. On ne peut pas le traiter simplement, parce que tout ce problème du handicap, va bien au-delà des clivages sociaux et politiques. C'est complètement aberrant parce que, ce n'est pas un gouvernement qui va "pondre" une loi en cinq ans, ça ne sert à rien ça. Ce n'est pas à chaque gouvernement de faire son petit truc et tout, non ! C'est un travail de fond qu'il faut faire depuis le début et ça va au-delà des clivages politiques. Tous les hommes politiques, qu'ils soient de gauche ou de droite, doivent faire ça. Surtout que pourquoi ? C'est tout simple. Encore, si on ne se dirait pas le pays des droits de l'Homme, jusque-là il n'y aurait aucun problème ! Non mais c'est vrai. Mais on parle du "pays des droits de l'Homme", et on n'est même pas capable d'accueillir des personnes handicapées dans les universités ou autres. Et c'est vrai qu'il y en a beaucoup, il y a des choses qui me dérangent dès fois dans les syndicats étudiants qui se battent pour pas grand-chose. Ils se battent, oui, pour des choses mais … l'accueil des personnes handicapées, ce n'est pas une cause, c'est quelque chose de fondamental et très important. Et je ne vois pas beaucoup de gens prêts à se battre pour ça. Alors que c'est bien plus important que tout. Je veux dire, on a parlé de droit de vote pour les hommes, après pour les femmes, c'était normal. Le droit de vote nous, on l'a, c'est pas le problème mais il faut que nous, on ait autant de droit que les autres personnes, c'est tout. Donc je ne pense pas qu'une loi suffirait, ce n'est pas possible. Bon, après, la loi elle est bonne ou mauvaise. Peut-être qu'il faudrait qu'elle soit complétée mais je pense qu'une loi ça ne suffit pas. Il faut aller au-delà de tout ça.
Et puis il faut aller dans, vraiment dans les profondeurs. Le handicap c'est quoi ? Qu'est-il vraiment possible de faire ? Il faudrait vraiment effectuer une analyse quasiment sociologique, mais de société [sociétale, au plus près] quoi. Il faut faire quelque chose parce que … parce que c'est pareil, les gens pensent que le handicap, il y a handicap et handicap. Il faut voir toutes les sortes de handicaps qu'il y a. Donc il y a tout ça. Et puis je pense qu'il y a un autre problème, c'est qu'il est temps de faire quelque chose pour les personnes handicapées parce qu'on est une société qui vieillit et que le handicap est lié à l'âge aussi, et que pour l'instant, il [n'existe] pas grand-chose de fait. Et que donc, il faut arriver à faire ça. Après il y a un autre problème, c'est quand un handicap touche dès l'enfance. Parce qu'un handicap comme par exemple, on est écrivain, ou peu importe, on est journaliste, on a un accident, paf ! On est reconnu [connu] donc on peut retravailler derrière, ce n'est pas un problème. Mais quand on n'a jamais travaillé, quand on n'a jamais eu de reconnaissance et qu'il faut le faire avec le handicap alors c'est très difficile, et bien le problème il est là ! Parce que je vois pour les personnes âgées par exemple, [le problème de] la retraite. Mais nous, on ne peut même pas commencer à travailler donc on ne peut pas avoir la retraite. C'est comme le premier boulot où on nous demande d'avoir de l'expérience alors qu'on ne peut pas avoir d'expérience, si on n'a pas de premier boulot…Il connaît notre témoin "Yohan" (récits no 2), il insiste sur le fait que malheureusement c'est vrai les I.M.C comme Yohan donnent l'impression qu'ils sont débiles. Il faut dire les mots tels qu'ils sont, alors que ça n'a rien à voir. Et c'est là que c'est difficile parce que justement là, c'est encore lié à l'image. Ce qui est difficile pour moi à gérer aussi, c'est que je me sens deux "moi" [double]. Dans mon esprit, je me sens deux. Il y a le myopathe qui s'est développé par rapport à ce qu'il a eu et l'être qui aurait pu exister et qui existe quand même, qui est là. C'est à dire, c'est vrai que j'aurais voulu être policier, enfin faire des choses physiques. L'être physique est au fond de moi. Il est toujours là, j'arrive à l'exprimer par les bouquins. Il arrive à vivre dans les bouquins. Et c'est vrai que ce n'est pas toujours évident parce que pour voir au niveau de l'entente avec des copains et autres, moi je dois gérer deux choses. Je dois gérer le handicap qui est une partie [mon être] et ce que je suis aussi au fond de moi. Et il faut arriver à faire le lien des deux. Parce que sinon se crée une dualité, ce n'est pas bon".

Pour nous chercheurs, nous trouvons dans ce récit un immense champ de questionnement ethnographique sur le soin et l'accompagnement pour "nos pairs les plus vulnérables" comme le suggère aussi Charles Gardou (2005). Pourquoi, comme le déclare Serge, le monde médical pose-t-il des barrières sur la diffusion au public de notre solution de soin qui transforme la vie des "myopathes" ? Il doit se reposer, "reprendre de l'énergie", selon son expression souvent exprimée. Le rendez-vous a été pris pour témoigner sur tout cela dans quelques temps. Le temps de la personne handicapée est un temps posé, réflexif... Pensif. A bientôt donc.



Récit no 4 : À propos de Bernard : "Je vois un gros cube rouge !"



Une triple rencontre !

Je me suis aperçu que je venais interroger plusieurs personnes à la fois : le collègue, la personne handicapée par un glaucome de naissance, l'enseignant chercheur, ainsi que le patient en psychanalyse. Je suis ressorti des deux premiers entretiens épuisés comme après un match de rugby difficile ! Puis, plus tard, un autre paramètre s'est greffé sur cette "triple rencontre" lorsqu'il m'a choisi pour lui succéder au niveau plus politique dans l'accompagnement du handicap à l'université. Sur ce sujet, j'ai longtemps tardé à accepter pour des raisons éthiques, déontologique et politiques. Plusieurs rencontres se sont interpénétrées mais rapidement (avec mes résistances épistémologiques aussi), son esprit clair et vif, a bien analysé qu'il ne fallait point mélanger les genres. C'est bien moi, en tant que chercheur, qui menait les entretiens ! On a souvent éprouvé les limites des micro combats entre "sciences dures et sciences molles" : en l'occurrence pour ce qui nous concerne les sciences économiques "versus" les sciences humaines et sociales. L'ethnographie, étant encore, pour certaines sciences une approche floue, incertaine épistémologiquement. Notre histoire commune commença par "l'intermédiaire" d'une collègue dans l'administration universitaire, au courant du travail que je menais sur le handicap, me fit rencontrer Bernard vers la fin de l'année 2001, début 2002. A la fin d'une de nos premières rencontres, quand je lui demandais, comment il me percevait, lui qui ne distingue qu'une minuscule lumière dans une minuscule fenêtre optique sur une distance très courte, il me rétorqua : un gros cube rouge. Ce jour là, je portais un anorak rouge vif. Notre dialogue dure depuis bientôt quatre ans.
Voici ce qu'il a bien voulu dire de lui. Je lui laisse la parole.

"J'ai envie de faire une présentation à l'inspiration. Je veux dire tout ce qui me vient à l'esprit. Je vais quand même dire mon vrai prénom. Je m'appelle Bernard. J'ai 39 ans, bientôt 40. Je suis célibataire, et pour l'instant, fier de l'être. J'exerce la profession d'enseignant chercheur depuis 1989. Pour cadrer un peu plus mon histoire de vie, je peux peut-être partir sur des grands temps forts de ma vie.
J'ai été élevé de façon globalement assez harmonieuse par des parents qui m'attendaient, qui me désiraient et qui ont mis tout en oeuvre pour que je sois là où j'en suis aujourd'hui. Cela a été une histoire assez moyenne, en tout cas dans mon enfance, mon adolescence et mon début d'âge adulte. Je dirai par trois grandes étapes qui sont essentiellement des étapes de nature scolaire. C'est important que je dise cela de cette façon parce que pour moi jusqu'à l'âge de presque 30 ans, c'est le domaine scolaire qui a compté. En fait, je ne me rappelle pas bien de ce qui s'est passé avant l'école maternelle et avant l'école primaire. Je me rappelle simplement de l'un des premiers accrochages qui a eu lieu au sujet de mon handicap. Je n'ai pas pu faire l'école maternelle parce que les instituteurs de l'époque ne se sentaient pas prêts à m'accueillir. Je suis donc resté chez mes parents, plus précisément chez ma mère, parce que mon père travaillait beaucoup.
On a dit que l'instituteur n'était pas prêt et cela ne s'est pas fait. A la fin des années 60, on parlait très peu d'intégration. Je suis rentré en C.P. à 5ans et demi. Je suis du mois de janvier, soit je rentrais à cinq ans et demi, soit je rentrais à 6 ans et demi. Je suis donc rentré à cinq ans et demi avec un an d'avance. A l'époque, j'étais déjà très intelligent ce qui m'a aidé ! Cette remarque me fait pensé à un sketch de Pierre Desproges. Je suis donc rentré dans une école, on va dire de "malvoyants", qui se trouvait à Tours.
Aux dires de mes enseignants, j'étais un enfant brillant qui posait plein de questions. Certainement des questions qui dérangeaient beaucoup le corps enseignant parce que c'étaient des questions hors programme. En même temps, j'avais une difficulté de comportement : je ne mangeais pas du tout jusqu'à l'âge de douze ans. J'étais quelqu'un d'extrêmement difficile, extrêmement exclusif dans mes relations, notamment avec ma mère. Mais même à l'école je ne mangeais pas du tout. Et c'était d'ailleurs un traumatisme, parce que la psychologie à l'époque voulait qu'on oblige les enfants à manger. C'était, c'est vrai, dramatique. J'avais déjà une aversion pour le sport à l'époque. J'essayais à chaque fois que je le pouvais d'esquiver les choses. Je suis resté dans cette école, jusqu'en C.M.1, date à laquelle on s'est rendu compte que j'étais vraiment une nullité en orthographe. C'était lié au fait que je ne voyais pas suffisamment. J'ai oublié de préciser que le "visuel" que j'avais, et que j'ai encore, me permettait d'écrire en écriture dite normale habituelle, mais que je ne pouvais pas me relire. Du coup, je faisais des fautes d'orthographe et je ne m'en rendais pas compte. On s'est dit "mais il lui faut faire du braille". Là, on m'a mis au braille pendant un an et à la fin de cette année-là, la classe de braille s'est arrêtée. On parle des pénuries budgétaires d'aujourd'hui, mais déjà, à l'époque, sans doute y en avaient-ils. Cela a été la première grande charnière de ma vie, puisque je suis passé d'une école à Tours à une école à Angers : l'école de Monteclaire ; école que j'ai fréquentée pendant 6 ans. Mes parents habitant Tours, j'étais en pensionnat. Cela représente une période où j'ai beaucoup sublimé mon handicap. Je vais peut-être faire une remarque incidente ici car si je ne donne pas quelques explications, il sera difficile ensuite de comprendre mon histoire de vie. Je précise donc que j'ai fait un travail "thérapeutique" sur moi et qu’il y a des choses que je dis aujourd'hui après ce travail thérapeutique dont je n'avais pas conscience à l'époque. Notamment ce que je vais dire là, c'est que dans l'idée que je m'en faisais, j'ai vécu de façon très heureuse à Angers, bien que séparé de mes parents. Mais avec le travail analytique, c'était pour faire plaisir à mes parents, je ne pouvais pas me permettre de leur montrer ma souffrance parce que cela les faisait trop souffrir et que j'avais senti qu'ils avaient cette souffrance. Du coup, je ne disais rien. En réalité, c'est très éloquent. Le petit enfant que j'étais ne comprenait pas cela, mais l'adulte se rend compte de cela aujourd'hui. Le jour où mes parents m'ont amené, je suis allé vers mon institutrice et j'ai dit "bon, maintenant on va en classe". Je n'ai jamais dit au revoir à mes parents. Maintenant, avec le recul, je sais que cela a été une réelle souffrance pour eux et pour moi. Ce geste était une façon de cacher ma souffrance. Finalement, c'est une façon de fuir.

Je suis un faux enfant unique puisque parmi mes anormalités, j'ai aussi celle-là, c'est à dire que mes parents sont des gens qui ont divorcé l'un et l'autre. Ils ont eu, en fait, ma mère a eu une fille en dehors de moi. Je parle d'un premier mariage. Elle a eu une fille. Mon père a eu deux fils d'un premier mariage. Ils ont divorcé et ils se sont mariés ensemble et ils m'ont eu. Donc, je suis l'unique des deux. Mais j'ai des demi-frères et des demi-sœurs. Ce qui d'ailleurs n'était pas sans poser de problèmes parce que finalement, je ne pouvais jamais me comparer à des gens qui voyaient et je ne pouvais pas être dans la revendication syndicale en disant : "lui, tu le laisses sortir et moi, tu me laisses pas sortir", par exemple. Il y avait des problèmes comme ça où des fois, je me sentais un petit peu emprisonné. Mais ces années ont quand même été de belles années où j'ai beaucoup appris... C'étaient des parties importantes de ma vie. Je m'en suis rendu compte très récemment parce que j'ai eu envie d'aller revoir le bâtiment où j'étais, et il y a eu beaucoup d'émotion à ce moment-là, des émotions fortes. C'est un bâtiment maintenant qui fait de la biologie moléculaire, c'est un bâtiment qui fait la bibliothèque universitaire de pharmacie, c'est complètement autre chose. Mais cela a été un moment très émotionnel pour moi qui a rappelé un certain nombre de choses de ma vie amicale, de ma vie amoureuse aussi et puis des choses qui ont été fortes. Cela a été 6 années où à la fois je me suis "démerdé", et à la fois j'étais un petit enfant chétif. En taille, je parle. Un petit enfant dont on abusait un petit peu par moment. C'était une période où c'était difficile aussi. C'était difficile essentiellement de ce point de vue-là. J'avais le sentiment que personne ne me défendait vraiment et que pour faire sa place au soleil, il fallait se battre. Ce n'était d'ailleurs pas lié à mon handicap, c'était plus lié au fait que je ne me défendais pas quand on m'attaquait".
On retrouve encore et toujours dans les témoignages le poids de l'école dans le combat que mènent les parents pour la valorisation des jeunes enfants handicapés.




Le nerf de la guerre !

Le 28 avril 2002, je lui envoyais un texte cité par Michel Serres dans une émission de la Cinquième Arte, "La légende des sciences" datant de 1996. Cet extrait se situe dans la critique de la mouvance du darwinisme social mal interprétée, d'ailleurs l'extrait qui va suivre l'atteste, de l'aveu même du grand naturaliste. Il exprime de façon très claire notre position personnelle sur la problématique de l'intégration, du corps à l'école et des espaces de reconnaissances, de valorisation pour la personne en situation de vulnérabilité.
Voici ce passage : "A la fin de sa vie au XIXe siècle, C. Darwin écrit quelques textes où il pense que la survivance du plus apte, est celui qui dans l'espèce humaine invente l'altruisme et que contrairement à ce qu'on pense, le plus fort, celui qui gagne, le "gagneur" comme on dit, le "battant", est peut–être dans l'humanité celui qui nous amène à la régression". A. Jacquard (1981) dans son ouvrage sur "l'éloge de la différence" en fait une démonstration très troublante. L'auteur écrit que "notre richesse collective est faite de notre diversité. L'autre, individu ou société, nous est précieux dans la mesure où il nous est indispensable".
Nous avons échangé sur ces concepts après une conversation téléphonique, puis en direct, sur les rapports entre les projets économiques (financiers) de notre monde et les projets éthiques. Il est vrai qu'on ne peut faire fi des aspects pécuniers, la solidarité coûte chère à la société. Pour l'économiste, l'argent, est bien le nerf de la guerre ! Il me demanda un peu plus tard (en me testant) mon obédience religieuse, curieux qu'il était de mon engouement pour l'objet "handicap" ainsi que pour le sujet "handicapé".
"Salut, m'écrivait-il par mail le 14 février 2003. Je pars quelque peu en vacances sans que le lieu soit encore décidé, mais mon objectif est de me reposer vraiment. J'ai reparlé de toi au Président concernant "notre affaire". Cela devrait prendre tournure courant mars. Je n'en sais pas plus, sinon qu'il y aurait un autre candidat (une candidate). Je ne sais pas lequel ?"
C'est à ce moment, que j'ai compris qu'il avait vu en moi un continuateur de son travail sur le handicap mais qu'il voulait prendre de la distance avec celui-ci pour de multiples raisons.
Bernard, le mardi 2 septembre 2003, vient de recevoir un dossier contenant un questionnaire papier pour préparer notre entrevue. Une série préliminaire de cinq questions sur les articles que nous lui avons enregistrés du fait de sa malvoyance, ainsi qu'une amorce des réflexions qui pourrait se faire à partir des notions de temps, du vocabulaire liés du handicap. Ces questions sont communes à toutes les personnes interrogées afin de rester sur "l'inter connaissance" : concept issu d'une sociologie du quotidien au sens d'Alfred Schütz.
Le 22 décembre 2003, j'effectue le premier entretien avec Bernard sur les articles du Document un. Cela va nous permettre de traiter son histoire de vie, son insertion, ses réflexions globales par rapport à son vécu ainsi que les temps forts sociaux qui l'ont marqué.
La seconde entrevue a lieu le Vendredi 30 janvier 2004, à propos des articles sur "Le cri de Mino" : une dame qui veut mourir et les "Mères courage" : des dames aveugles qui élèvent seules leurs enfants. Cela a généré beaucoup de violence chez lui notamment le premier article. En clair, il a failli ne pas aller jusqu'au bout, car cela lui renvoyait beaucoup trop de choses.
Pour le troisième entretien (le lundi 21 juin 2004), je lui ai fait parvenir un certain nombre d'articles qu'il vient d'écouter.
"L'idée qui ressort pour moi, me dit-il, le côté extrême enfin, que suppose le handicap, c'est-à-dire que l'on va dans l'extraordinaire, avec des gens qui se battent. C'est le cas de l'article de la personne qui est partie en Suède ou même de l'assistante parlementaire. Même si elle est dans ce "double truc" parce que, elle, est dans "j'ai réussi socialement, professionnellement et en même temps, comment je ferai quand mes parents décèderont ?" En gros, pour dire les choses de façon un peu radicale. Et du coup, mon intégration personnelle dans le monde, cela veut dire aller en institution et je ne veux pas y aller. Et puis des gens comme cette puéricultrice enfin, stagiaire dans une crèche qui se fait "lourder" sur un stage parce qu'il n'y a aucune réflexion sur l'adaptation entre le handicap, alors là vraiment au sens du handicap, c'est à dire au sens de l'O.M.S et de la personne elle-même. Moi je trouve que c'est un élément important".
Le dernier entretien du vendredi 26 novembre 2004, se déroule chez Bernard. Il porte sur les documents enregistrés numéro quatre et cinq centrés sur le corps et la connaissance. Bernard est en arrêt pour une dépression passagère, ou plutôt un petit coup de cafard, à cause de problèmes professionnels, de problèmes individuels ainsi que d'une grande fatigue suite aux menues difficultés de la fin de ce cycle universitaire traumatisant.
Il me parle des trois articles sur cinq très orientés car issus d'un journal à tendance politique nettement de gauche !
Il me parle beaucoup de la plainte ainsi que de la "crainte" de la plainte, car pour lui elle "fait", le handicapé et non pas la personne. Il me parle aussi de la problématique du : "comment ne pas peser sur les autres lorsqu'on est handicapé" ? Je demande si ce n'est ce pas là, un "luxe" partagé par ceux qui sont en haut de l'échelle sociale du handicap ? La dernière demi-heure d'enregistrement de la cassette est plus un entretien clinique voire psychanalytique, évidemment elle n'entre plus dans le cadre de ma recherche au sens strict. Je l'utiliserai pour une analyse plus fine ultérieurement sur la souffrance avec les toutes précautions qu'il se doit.
Le jeudi 17 juin 2004, de huit heures à vingt heures, j'accompagne Bernard dans la partie politique du Salon "Autonomic", à Paris Porte de Versailles. Il est rapporteur pour le colloque sur le grand handicap. Il prend des notes avec son appareil informatique en braille le matin de 8 h 30 à 12 h 30 puis l'après-midi il fait une synthèse de la journée devant diverses personnalités. Il termine par : "Tout cela est bien beau, mais ce sont les finances qui sont le nerf de la guerre ! ". L'économiste a parlé !
Pour finir, le jeudi 7 octobre 2004, nous avions "monté" ensemble, un cours magistral à deux voix, entre la sociologie du handicap et les sciences économiques. Ce fut un grand moment d'interdisciplinarité pragmatique ! Ensuite Bernard, maître de conférences en économie, va en solo poursuivre sur la situation de handicap des personnes aveugles ou mal voyantes. Il donnera à nos étudiants son témoignage particulier sur la cécité ainsi que sur la vie en société des personnes mal voyantes.
Comme convenu, je me mis en retrait pour prendre des notes ethnographiques dans ce lieu si singulier pour lui, la faculté des sports et de l'éducation physique.

La cancrisation !

Bernard, suite à de bonnes études primaires puis au collège, part donc pour Paris pour une période difficile.
"J'ai eu à nouveau des problèmes aux yeux liés à mon glaucome. Cela a été difficile de ce point de vue-là. Il y a eu une aggravation, disons que j'ai eu une crise de glaucome assez importante ce qui ne m'a pas fait perdre le reste visuel mais c'était quand même difficile. Cela m'a appris à me diriger dans Paris. Donc il y a eu des choses positives. En tout cas, à la fin de l'année, le brillant garçon que j'étais, n'était plus brillant puisque j'étais candidat au redoublement. Ce qui était un début de "cancrisation" [beau néologisme inventée par lui !] importante. Mais comme j'ai une grosse croyance et que les difficultés de vie servent à rebondir, je me suis dit à ce moment-là : "eh bien, c'est peut-être le moment de l'intégration". Donc, en fait, comme je le disais, il y a eu trois grandes périodes. La première c'était l'école primaire. La deuxième ce fut Angers puis Paris. Et puis la troisième, c'est celle qui vient, c'est à dire le lycée et la faculté. Alors au lycée, je redouble ma seconde... On est en 1979. J'ai aussi une autre qualité parce que je n'ai que des qualités, évidemment. Je m'approche de la perfection (rires).
Non, j'ai une vraie "qualité" qui me sert encore aujourd'hui, c'est que je suis un garçon extrêmement prudent. Et j'avais dit à mes parents, à mon entourage, et [aux membres] de l'institut national des jeunes aveugles (l'I.N.J.A) : "Je m'intègre à Tours, donc au Lycée Descartes, je me donne trois mois." Je vais voir le proviseur du lycée, je me rappelle encore de son nom, le lycée s'appelait Descartes et le proviseur s'appelait J. B. Un type extraordinaire. Bourru comme on ne pouvait pas l'être. On ne pouvait pas faire pire. Je me souviens de cette secrétaire …J'étais allé avec mon père. Je me souviens de plein de choses. J'étais allé avec mon père, il devait avoir un jour de congé ce jour-là. On rentre dans le bureau. Mon père dit : "On a rendez-vous avec Mr B.". Alors la secrétaire pousse cette double porte capitonnée. On peut percevoir, au bruit, que ce sera un grand bureau qu'il y a derrière et j'entends dire "ouais, il attendra comme tout le monde". Alors avec mon père, on s'est regardé et on s'est dit "ça commence bien". On est rentré dans ce bureau et alors, on est tombé sur un type extrêmement chaleureux, contrairement à ce qu'on pensait, qui a vraiment ouvert ses portes. Et, on est en 1980. 1979, c'est l'année de l'I.N.J.A. et 1980-83, c'est le lycée Descartes. On est tombé sur un type extrêmement accueillant, qui m'a donné toute une liste de bouquins à faire enregistrer sur cassettes, qui m'a dit que tout se passerait bien etc. C'était bien. Je rentre en septembre. Le contexte s'était : évidemment il y avait des premières et des terminales qui lançaient des bombes à eau sur les bizuts. Evidemment, je m'en suis prise une dans la figure parce que je ne l'avais pas vu venir. Puis on m'a appelé, je ne savais pas trop où il fallait que j'aille ... Enfin, je suis rentré dans cette salle de classe. Là, quand je te le raconte, je le "revois". Emotionnellement c'est là. Je me mets au fond de la classe. Et, tout prudent que j'étais, il y avait un point que je n'avais pas prévu, qui est arrivé, c'est : "remplissez le document que l'on vous a distribué". Et là, pour dire vulgairement, je les ai à "zéro". Je ne peux pas. Je ne peux pas demander à mon voisin de me le remplir. Je ne peux rien faire. La paralysie totale. Donc, évidemment arrive le temps du ramassage. Moi, je me sentais de plus en plus mal. Plus cela allait, plus je me sentais mal. Et la prof qui voit ça, et bien du coup, elle me remplit le formulaire. Cela a fait attendre tout le monde. Cela a été le seul vrai accroc à Descartes. Le lendemain, j'avais déjà des copains, des copines. J'allais beaucoup vers les autres; cela aide. Je suis quand même quelqu'un de plutôt avenant et cela m'aide énormément. Mais à l'époque, je négligeais beaucoup mon handicap. Je disais "ça n'a pas d'importance" ; "ce n'est pas grave". En même temps, aujourd'hui, je reconnais que je me suis bagarré comme cela n'est pas permis. Je ne leur laissais pas beaucoup de temps de répit. La seconde s'est bien passée. J'y ai d'ailleurs trouvé mon meilleur ami. Enfin celui avec qui j'ai encore des contacts aujourd'hui. Avec qui j'entretiens les meilleurs rapports au monde. Je m'entends bien avec son épouse, avec ses enfants, c'est vraiment quelqu'un de très proche. En fin de seconde je passe en première, quand même. Lorsque j'arrive en 1ère, je me rends compte qu'ils se sont trompés. J'étais le seul à être dans une autre classe. Et ce n'était plus possible de changer. Alors c'est une nouvelle réintégration quelque part avec de nouveaux élèves. Un "c….." de prof de maths, je l'ai eu en travers de la gorge. Parce que le "mec", il écrivait au tableau, il ne disait rien. C'était le seul enseignant qui m'a fait ce coup-là en 3 ans. C'est "vachement" pratique, surtout en maths. Il hurlait quand j'avais un copain qui me dictait au tableau. Un jour, je vais voir le proviseur qui était toujours le même proviseur. Mais cela avait changé. Parce qu'un jour, il avait "engueulé" sa secrétaire, le fameux proviseur, en disant quand Mr Bernard arrive, il faut le faire rentrer tout de suite. C'était fini là, je n'attendais plus comme tout le monde. Quand Bernard arrive, c'est comme Zorro. Il me dit :"Ecoutez, on ne peut rien faire. Vous ferez ce que vous pourrez mais on ne peut rien faire. C'est un récalcitrant". Ceci étant, cela s'est bien passé. Il y a eu le bac de français. Pas trop de problème."
On retrouve encore l'école qui sauve, encore ce lieu scolaire d'une extrême importance dans l'histoire des jeunes enfants handicapés. Lieux difficiles voire traumatisants mais lieux qui doivent écouter aussi bien l'offre que la demande.

Il m'a renvoyé beaucoup de choses !

Suite aux réflexions suscitées par les articles dont il a ressenti la violence, on retrouve dans le texte des traces parlées sur la mort, le suicide, la souffrance.
"Donc, c'était 2003. Et c'était avec ma cousine et je lui ai beaucoup raconté de choses, des souvenirs qui étaient intenses pour moi. C'était une période extrêmement intense. J'avais, c'est bizarre que ce soit cela qui remonte, une amie, à l'époque, que j'aimais vraiment beaucoup et qui est décédée depuis. Elle est décédée alors que j'étais en quatrième, dans cette école-là. A l'époque, j'étais porteur de cette parole-là, tu vois, c'est à dire, que c'est moi qui donnais les nouvelles les plus [graves ou difficile à dire]. J'avais un rôle comme cela, un petit peu trop lourd pour un petit bonhomme ! Parce que j'allais raconter l'histoire d'une jeune fille, mais ce n'était pas une jeune fille à l'époque. A neuf ans, on est encore une enfant. Elle était atteinte d'un cancer, ce n'est pas très simple à gérer ça. Mais bon, j'étais porté à donner des nouvelles comme celle là, à être... J'étais cela, j'étais aussi l'enfant qui, parce que comme je le disais tout à l'heure avec un peu d'humour, même si les chevilles doivent en souffrir, j'étais quelqu'un de brillant et je comprenais dix fois plus vite que la moyenne de mes copains et de mes copines. Ce qui me valait de m'ennuyer en cours.
Le "cri de Mino" sur l'euthanasie, oui ! Il m'a renvoyé beaucoup de choses de ma propre histoire. Notamment toute une violence qui est non-dite sur le vécu du quotidien du handicap, tout en précisant que contrairement à cette personne, dont je respecte tout à fait les affects, mais moi, je n'ai jamais été suicidaire. Des fois, je me suis dit que ce serait mieux mais alors sans jamais, ni passer à l'acte, ni même avoir envie d'y passer. C'était juste :"s'il n'y avait plus à se battre, ce serait pas mal". Alors il y a eu beaucoup de violence. Enfin il m'a renvoyé beaucoup de violence, à la fois sur le vécu au quotidien de ma propre déficience. Donc une violence que je n'affirme pas forcément toujours. Donc que j'affirme très rarement. Et que même, sûrement, je me cache et je pense que c'est une des parties, une des raisons pour lesquelles cet article m'a dérangé. Cela m'a renvoyé aussi sur mon histoire avec ma mère, c'est clair. C'est à dire sur, je parle vraiment du premier, pas du deuxième, sur la violence que j'ai exercée à son encontre alors qu'en fait, cette violence était liée à cette déficience, finalement. C'est à dire la difficulté de vivre avec. Alors, là on est dans, enfin, j'ai conscience de la manière dont je dis les choses. On est à la limite du thérapeutique. C'est à dire qu'en fait là, pour moi c'est clair que cela arrive à un moment où j'avais besoin d'entendre cela. Cela tombe à un moment de ma vie où c'est plus que difficile, y compris sur le plan professionnel. C'est pour cela que j'ai préféré qu'on commence par là.
En ce qui concerne la fusion entre le handicap et la vieillesse. C'est clair que c'est présent dans les discours politique. On veut les fusionner dans une loi pour réaliser une économie d'échelle".

Je lui pose la question, car j'ai constaté une souffrance, surtout de la part de l'entourage des personnes handicapées pour l'avenir des leurs, mais aussi chez la personne handicapée dans la mesure où elle sent qu"elle va devenir "une charge" pour les proches.
Il me répond que, "ce sont deux choses différentes. On peut être vieux sans être handicapé. C'est parce qu'on confond le vieillissement et la dépendance. On peut être vieux sans être dépendant, sans devenir dépendant. Il y a des gens qui meurent de leur belle mort sans avoir jamais été dépendants.
Si ce sont des économies d'échelle pour libérer des fonds administratifs par exemple pour pouvoir gagner sur les prestations, moi, cela me va bien. Maintenant, si ce sont des fonds qui sont économisés sur des personnes, cela me va un peu moins bien."
Le soin, la curiosité de leur éducation que l'on a pour des enfants par exemple, fait qu'on peut se dire, qu'il faut qu’on se rapproche, on va dire, du souci de l'autre c'est plus central pour l'altérité. Il y a des gens qui ont une âme de charité, ou des croyances religieuses pour aider…Faut-il les gommer, les effacer ? C'était à propos des notions de pitié, de charité liées à notre héritage judéo-chrétien au sens de H.-J. Stiker., que je voulais l'orienter sur ce débat dont je ne parvenais pas à savoir s'il voulait soit l'éluder ou soit me l'expliquer.
"Attends ! [Actuellement], j’en suis sorti aujourd’hui, je suis en dehors de la pitié ; mais on n'a quand même pas oublié que le mot charité, ça veut dire "amour" à la base.
Bien sûr c’est un terme un peu galvaudé aujourd’hui ! Quand on dit il faut être charitable… moi, je ne sais pas mais quand tu as un gamin qui pleure, tu le prends dans tes bras et tu le consoles ! Tu ne vas pas le laisser pleurer. Tu as quelqu’un qui a besoin d’une aide pour traverser, tu vas l’aider à traverser ! J’ai envie de dire que c’est là qu’il y aurait besoin de banalisation, si tu veux. Je veux dire que finalement l’autre, il a sa place avec ce dont il a besoin. Moi, je suis désolé, quand j’entends certains de mes collègues, ça me rappelle ça, et là, il n’y a pas de handicap derrière ! Car finalement c’est une affaire humaine. Je me souviens d’un de mes étudiants, qui est devenu un ami après, qui a perdu sa mère, il avait vingt ans. Le collègue lui a dit, je l’ai entendu, ce n’est même pas lui qui me l’a répété, je l’ai entendu, il l’a dit devant moi, il lui a dit : mais de toute façon avec le temps, tu vas oublier. Mais ce n’est pas de ça qu’il a besoin lui, il a besoin de pleurer la disparition de sa mère. Sur le moment, ça faisait dix jours que c’était arrivé. Il a besoin de dire qu’il souffre. Il n’a pas besoin qu’on lui dise que ça ira mieux demain !
Après, il faut se respecter, c’est peut-être… Et bien oui, mais moi, je ne peux pas entendre ça ! Mon collègue en l’occurrence a perdu ces deux parents à quinze jours d’intervalles. Donc on peut concevoir que pour lui, ça soit trop lourd ! Non, écoute, je ne peux pas entendre tes souffrances, moi, je ne peux pas, pas moi. C’est tout ! Mais le handicap, c’est ça aussi. C’est-à-dire que c’est à certains moments, on voit ce genre de peur. Je ne peux pas entendre ta souffrance parce que…. Qu’est ce que ça veut dire si moi demain, je suis handicapé, comment je vais me gérer. C’est un fait épouvantable à penser !"

Entre se faire aider et aider

Il y a eu un grand moment d'enseignement avec nos deux voix qui s'entremêlaient. Le contexte en était celui des cours d'activités physiques adaptées (A.P.A) dans notre U.F.R S.T.A.P.S. lors d'une intervention interdisciplinaire de socio-économie avec Bernard l'universitaire sur la situation de handicap ainsi que son témoignage particulier sur la cécité, sur les difficultés (ou non) de la vie en société pour les personnes mal voyantes.
Il nous cita des anecdotes historiques sur le fait que l'on avait observé que les aveugles ne marchaient pas droit (et pour cause !), donc ils devraient être tous des alcooliques, des traités furent d'ailleurs écrits sur ce sujet !
Il nous a fait faire des exercices de guidage pour aider et non point contraindre la personne en se fondant sur leur demande ; il faut le tact pour accompagner dans le vrai sens du mot, un peu comme la fierté dont font preuve les enfants de ses amis lorsqu'ils le guident dans les rues de Paris ! D'ailleurs, des intimes n'ont aucune crainte à lui confier leurs enfants, de les remettre à ses soins, suprême marque de confiance malgré la cécité. Le guide est valorisé dans la relation à la personne aveugle, on peut le voir dans les jeux paralympiques dans les courses à deux reliés par un fil.
Sur le "vivre" avec une déficience, il nous signale que "celle-ci en est l'élément commun, le dénominateur commun, qui traduit un manque. La base c'est plutôt vivre avec une différence. C'est le parcours commun à la personne handicapée mais cette différence peut se révéler dramatique surtout pour ceux qui l'acquièrent par hasard." Et pour nous c'est travailler sur l'image du corps pour accepter ce que peut ce corps et accepter aussi une "égalifférence", concept que j'ai forgé car il correspond mieux à la situation des personnes handicapées. Bernard insiste auprès des étudiants (beaucoup d'étudiantes en fait), j'avais émis l'hypothèse que le handicap est souvent une affaire de femmes) sur la différence entre handicap (construction sociale) et déficience (manque corporel). Le handicap est comme un accélérateur, un révélateur social de la différence.
La publicité commence à prendre en compte ces hétérogénéités dans les images et les regards. Comme en attestent ces placards publicitaires avec un aveugle, une jeune amputée ou une personne en fauteuil. Cependant la personne est esthétiquement jolie donc c'est une belle "icône" ou elle est en retrait dans une foule floue et grouillante, etc.
Bernard insiste sur l'autonomie et la dépendance qui sont encore une base commune et qui vont de paire de la naissance à la mort. L'autonomie, c'est faire des choses tout seul, mais c'est aussi, et cela peut paraître paradoxal, demander. La limite se situe aux frontières de l'assistance totale et de l'esclavage qui aliènent, perturbent, peuvent mettre à mal le couple : "aidant/aidé".
La dépendance, elle, fait que l'autre est indispensable. Mais le soin, ainsi que le chemin tactique qui l'accompagne, (je veux parler du "tact") doivent être à notre sens, le gardien d'une relation solidaire. Le guide obligé doit devenir ici un accompagnant, un guidant éclairé dans sa relation à l'autre (ce serait mieux à propos), qui doit s'effacer devant la personne handicapée quand c'est elle qui est sollicitée. Ne pas prendre sa place et lui laisser l'initiative.
Sur l'approche systémique, Bernard nous dit qu'il faut accepter l'aide, accepter de se faire décrire par d'autres les lieux et les situations. Il parle de l'aide de la psychanalyse, des médicaments. On peut parler des outrances, des globalités/banalités telles qu'en disent les personnes handicapées par exemple : "tous les valides sont des cons !" et bien "non !", dit-il ! "Car la culpabilité, comme la bêtise et le communautarisme appartiennent à tous !"
L'expertise du handicap appartient aussi aux valides comme aux invalides ! Le regard est réciproque, même pour les aveugles, il y a une interaction entre tous. C'est notre concept de "rétro stigmatisation" que l'on retrouve ici, du style "on est tous des handicapés" ou "c'est vous les handicapés !", Bernard renvoie "dettes et culpabilité" à tous les acteurs sociaux, les autres aveugles, les valides, etc. Il doit n'y avoir aucun ghetto, les étrangers comme les différents sont des richesses, du partage dans la culture anthropologique au sens de Marc Augé.
Alors pour les handicapés, doit-on adapter le système ou les adapter aux systèmes ? Les deux car les phénomènes de vie en société sont complexes mais le système ne peut s'adapter tout le temps ("c'est une question d'économie donc d'argent : il faudra bien que tu l'admettes !", a insisté lourdement mon collègue économiste !)
Il existe aux U.S.A et au Canada une aide technique constante mais l'aide humaine, elle, s'efface peu à peu derrière la techno science axée sur l'objet matériel [dont on attend la providence] ! Mais on ne peut sur le plan humain tout attendre de l'autre sauf pour les lourds handicaps alors il faut être nombreux et faire tourner l'aide et le temps pour rester dans l'altérité sans usure !
La question de l'exemplarité est une mise en lumière exacerbée de ce qu'on attend des personnes en situation de handicap. "Une personne handicapée doit toujours être exemplaire et "encore plus" exemplaire que d'autres, il faut en finir avec cela !", s'insurge-t-il !
On peut tous échouer ou réussir mais la personne handicapée, après la réussite, est considérée comme géniale, comme extraordinaire, "extra exemplaire". Je suis souvent tombé dans cette empathie-sympathie même en tant que chercheur ! Pourquoi seraient-ils si formidables, ceux qui réussissent à parvenir en haut de l'échelle sociale ? Peut-être est-ce en tant que sportif que je résonne, leurs performances au jour le jour avec nettement moins de moyens et plus de souffrance que tout autre personne, me poussent (nous poussent) à employer un vocabulaire emphatique. La vraie performance est, peut-être, celle qui consiste à porter quotidiennement une charge plus lourde que d'autres ! Peu d'entre eux réussissent néanmoins, les témoins de ma recherche montrent des voies particulières, mais très étroites de réussite sociale.
De plus les réussites sont fragiles et ils ne restent pas longtemps des héros. Qui connaît le nom des artistes ou des sportifs dits "handicapés" ?
Pour les petits, les "gens de peu", les "pas connus", lorsqu'ils changent de travail, ce sont leur manque que l'on pointe en premier lieu, toute l'expérience accumulée dans l'ancien travail où ils étaient très bien ne compte souvent plus ! Elyse, par exemple (entretien no8), ne veut pas d'un C.A.T car ce n'est pas son choix ! En Italie, rapporte Bernard, toutes les personnes aveugles ont un travail comme standardiste. En Allemagne par exemple, d'où je reviens après un stage sur une étude du système scolaire (Licence par alternance octobre 2004 voir les articles du docteur J. Bietz, Sport mit Sehgeschädigten, Phillips-Universität Marburg, Hambourg, 1997.), toutes ces personnes qui veulent faire des études sont regroupées dans le Land de Hess à Marburg. Alors, que dire du choix de sa vie.
Pour faire exemple, la personne handicapée doit toujours être "au top" mais beaucoup d'entre-elles ne réussissent presque "rien" ou difficilement sur le plan social. Que faire avec elles dans les études, le travail, la culture…que faire avec les cas ultra graves que l'on retrouve dans les maisons d'accueil spécialisée (M.A.S) par exemple, sinon s'en occuper du mieux possible pour s'honorer soi-même à travers leur humble existence ? Bernard nous dit qu'il se bat tout le temps et plus encore que d'autres…Parce qu'à les entendre presque tous, ce n'est rien une déficience qui conduit à la situation de handicap.

Pour conclure j'aborde la nouvelle loi 2005 où notre interlocuteur est une figure militante autant que marquante par ses compétences ainsi que pour son expertise. Il est aussi au cœur d'un réseau politique qui lui permet d'être "au courant" des avancées, des reculs, de prendre de la distance avec ses outils "d'économiste en situation de handicap". La loi avec son concept central "d'accessibilité à tout pour tous". "Désolé, me dit-il à ce sujet, mais l'économiste n'y croit pas. Le droit à la compensation du handicap (et non pas compensation de la déficience qui est un manque du côté plutôt de la biologie ou de la pathologie) doit être un traitement par l'image sociale, elle doit être individualisée dans l'écoute des besoins réels et singuliers des individus. La cécité est une déficience certes, mais elle peut handicaper différemment les aveugles. L'un va lire le braille, l'autre pas en fonction des lieux de vie et des situations : ici mon handicap sera le braille, là bas dans un autre cas, il faudra un autre relais. La personne doit être au centre de la loi comme l'élève au centre de celle sur l'éducation de 1989. "
Mais dans le fait qu'il n'y ait un peu plus de "discriminations positives" forcées, qu'en sera-t-il des handicaps lourds sur les marches de l'école ou sur le marché du travail ? L'effacement dans certaines sphères sociales aura-t-elle une autre contrepartie ? Que donnera-t-on en échange aux plus fragiles pour qu'ils disparaissent doucement de nos regards ?



Récit no 5 : À propos de Jean-Paul : "Le poids des médailles ! "



Un beau palmarès !

Ma rencontre avec Jean-Paul, sportif et cadre de haut niveau, s'est faite par l'intermédiaire d'un professeur d'éducation physique : ami et collègue à l'université, oeuvrant dans le domaine du "handisport".
J'ai voulu que Jean-Paul témoigne dans notre recherche pour plusieurs raisons. Premièrement parce qu'il est professeur d'E.P.S lui aussi, à ce titre il peut nous fournir des données sur le devenir d'un pédagogue sportif après un accident. La deuxième raison se fonde sur le fait qu'il nous fallait constituer un réseau de savoirs en relation avec la fédération française handisport (F.F.H) pour notre nouvelle filière universitaire centrée sur les activités physiques adaptées. La troisième raison est une curiosité partagée à tisser des relations entre des mondes qui ne se connaissent guère. Il a accepté après un long moment, car du courrier s'était perdu entre Paris et Orléans.
Jean-Paul signale dans son curriculum vitæ qu'il est né en 1955. Depuis 1978, à la suite d’un accident de la circulation, il est handicapé suite à une paraplégie.
Il est actuellement chargé d'enseignement (C.E), issu de la formation des C.R.E.P.S qui ne forment plus les enseignants depuis 1985.
"Fait singulier", me précisa-t-il au cours d'un entretien, "l'accident est survenu avant que je puisse enseigner devant une classe !"
Dès lors, Jean-Paul ne me reparla que très peu de son accident et des souffrances qui suivirent. Je respectais donc son silence sur le sujet, même si dans nos dialogues apparaissaient, ici où là, quelques réminiscences du drame. Nous lui laissons la parole.
"J'ai été enseignant à l’E.R.E.A de Garches (92) de 1979 à 1998, puis détaché au Ministère des Sports (P.O.) depuis 1998 pour la Fédération Française Handisport. Je suis directeur technique fédéral de tennis handisport depuis 1982, date de sa création. Je suis aussi le directeur de sa publication sportive.
En activités annexes, je suis membre du groupe national sous la responsabilité de Mr Jean Eisenbeis, Inspecteur Général pour l'organisation de l'épreuve d'éducation physique et sportive aménagée pour les candidats handicapés moteurs, les déficients visuels et les candidats déclarés partiellement inaptes, aux examens de l'enseignement du second degré."
"Activités annexes", dit-il en toute modestie, mais, oh combien importante, dans le combat pour la pratique du sport à l'école pour les élèves en situation de lourd handicap !
Notre ami pratique le tennis en compétition avec ce palmarès sportif impressionnant dont j'ai extrait quelques titres : champion de France 1ère série en 1983, 1984, 1986 ; champion de France par Equipe en 1983, 1984, 1985, 1986 ; champion du Monde par équipe à Assen (Hollande) en 1990 ; vainqueur de la coupe du Monde par équipe 1992 et 1993 ; vainqueur des Jeux Mondiaux de Stoke Mandeville (ville de premiers jeux paralympiques en 1948) en 1987 et 1989. Son meilleur classement mondial en mars 1991 fut celui de n°10 mondial et enfin pourrait-on dire 15 sélections en Equipe de France. Voilà déjà un bien beau palmarès ! Mais qui lui fait dire que le poids des médailles n'est pas le même pour tous les sportifs, le métal ne brille pas du même éclat pour les "sportifs valides et invalides". Il me signale qu'il existe un problème de performances, de nombre de pratiquants, de représentativité, de couverture médiatique…
Au niveau international, il est devenu vice - président entre 1989 et 1993 puis président entre 1993 et 1997 ainsi que membre exécutif depuis 1997 de l'International Stoke Mandeville Wheelchair Sport Federation (I.S.M.W.S.F.). Son activité de cadre se déploie comme "Technical Officer" entre 1989 et 1992, comme "Technical Officer" (c'est lui qui cite) aux Jeux Paralympiques de Barcelone en 1992 de l'International Wheelchair Tennis Federation (I.W.T.F.) et enfin pour clore les engagements de notre interlocuteur, il est directeur des Internationaux de France de Tennis Handisport depuis 1985. Il fut président du comité d’organisation de la 16e Coupe du Monde de Tennis Handisport en 2000. Que dire de son engagement plus que conséquent dont j'ai mesuré l'ampleur au vue des difficultés que nous avons eu à nous fixer des rendez-vous de travail. En effet, j'ai souvent du courir après ce "globe trotter" en fauteuil !

Cela change…Trèèèèèèèèèèèèèès" lentement !

Une longue conversation par lettre électronique sur son parcours sportif, sur ses attentes ainsi que ses remarques, a commencé à compter du 24 septembre 2003. Etant donné ses nombreux déplacements, c'est lui qui donna le rythme à nos échanges. Une rythmicité et des temporalités de vie qui auraient beaucoup à nous apporter dans nos vies pleines de rapidité. Il me signale, articles de pré entretiens à l'appui, que les choses progressent, certes, mais "trèèèèèèèèèèèèèès" lentement (belle allitération en è) !
"Depuis 1979, une date de référence pour moi, il faut être honnête qu'aujourd'hui, dans certains domaines de la vie quotidienne, c'est quelquefois plus facile. Mais combien encore de stupidités, de retour en arrière, de malaises, d'incompréhension par manque souvent d'une bonne communication, de lucidité et de manque d'éducation, ou d'égoïsme tout simplement. Et comme je crains que tout cela ne soit avant tout qu'une question de culture. Nous travaillons tous à l'échelle d'une ou deux générations ; je crains de devenir très vieux (si j'y arrive !) avant de voir les choses réellement évoluer" Voici donc un florilège de nos conversations afin de restituer le cadre de nos réflexions dont la teneur est loin d'être épuisée.
Le 27 septembre 2003, fut la date de notre première rencontre. Nous avons effectué un long entretien au tennis club de Saran dans le Loiret juste avant les finales de ce tournoi de bonne facture. Jean-Paul venait de Paris pour y jouer contre un des meilleurs français en tennis handisport. Il me signale que grâce aux progrès technologiques, "on a commencé à avoir des gens tétraplégiques qui jouaient, alors qu’au début, on ne pensait même pas que ça soit imaginable. Parce qu'on a tous commencé avec des fauteuils de 20 à 25 kg et après, ils ont été un peu mieux etc…bon enfin ! Puis on a commencé à avoir des concepts de fauteuil qui étaient beaucoup plus légers et on a commencé à avoir des joueurs tétraplégiques qui jouaient [régulièrement en fauteuil électrique]. Et en plus, des joueurs en fauteuil électrique en France, on n'en a pas, comme par exemple aux U.S.A."
Le 17 octobre 2003, j'obtiens des réponses au deuxième questionnaire sur les documents centrés sur le "cœur" autour des mots clefs tels que "euthanasie, courage, pitié, amitié, etc.". Sur l'article numéro un, plein de choses à dire, m'écrit-il.
"Je me demande si c’est l’article qui est volontairement provocateur, exhibitionniste ou si c’est la description exacte des sentiments de cette personne, je pencherai pour un peu des deux. Je pense que l’on en fait un peu de trop dans cet article. Il y a un problème qui me gène par rapport à cette personne car sa volonté de mourir n’est pas tant le fait qu’elle souffre, mais qu’elle ne s’accepte pas et refuse (elle le reconnaît d’ailleurs !) son handicap. Pour les mères aveugles, je ne connais pas [suffisamment bien] ces problèmes".
Il est vrai que mon présupposé était de savoir si la connaissance de son handicap pouvait aider à une meilleure lecture des autres types de situations de handicap. La réponse est loin d'être évidente et mérite à elle seule une recherche.
Par Internet, le dimanche 21 mars 2004, je reçois les réflexions du troisième dossier sur le "cri", autour des images de révoltes, de rage, d'indignation que le handicap suscite. Il signale à mon intention que dans cet article (le premier du dossier trois) un "peu laborieux", peut être parce que sorti de son contexte, "je ne retiens qu’une chose, nous voulons notre place, et non une place que l’on nous désigne", c’est tellement vrai ! A bat les quotas, à bat les emplacements spécifiques hors norme et les places que l’on nous assigne alors qu’elle ne nous plaisent pas mais… pour raison de sécurité ! On "t’handicape" en plus des restrictions de ta liberté de choix et de mouvements".
Notre interlocuteur utilise souvent ces signes (!!, ??, !!??) associés par deux ou ensemble par quatre pour marquer son grand étonnement ou sa grande surprise et enfin les deux à la fois. C'est contre la typographie usuelle mais nous l'avons laissée dans les entretiens "in extenso" sur le cd-rom.
Le lundi 10 mai 2004, je me rends à Paris dans le 20e arrondissement pour le deuxième entretien avec Jean-Paul à la fédération française handisport, la F.F.H. Je le remercie de m’accueillir sur son lieu de ton travail. Je lui pose quelques questions pour compléter la très intéressante lettre qu'il m'a faite sur les cinq articles. Le premier article était celui de Gérard Zribi qui répondait à Pascal Gobry sur le fait de revendiquer que "Tout est pourri " dans le monde du handicap. C’est sur le fond de l’article que je voulais quelques éclaircissements sur l’analyse, qu'il en faisait à partir de son voyage à San Francisco aux Etats-Unis. Les comparaisons qu'il faisait sur la différence et la similitude des handicaps entre nos deux nations, nos deux cultures.
"Donc moi, la perception que j’en ai, elle vient de mon expérience personnelle, bon j’ai pas eu l’opportunité de rencontrer d’autres personnes handicapés là-bas dans le milieu sportif, mais déjà, en tout cas, par rapport à mon expérience en tant qu’individu, pour me rendre à divers endroits. Moi, il y a déjà un confort que j’ai découvert, c’est que partout où on allait, il n'y avait pas à se poser des questions pour savoir si ça allait être accessible [ou pas], si on allait pouvoir aller aux toilettes (l'analyseur "toilette" revient en force, c'est nous qui soulignons ! ), si on allait pas se faire refuser l’accès à certains endroits par mesure de sécurité entre autre, ou en réalité parce que ça fait pas beau dans l’établissement.
C’est vrai que c’est un confort, une quiétude…Sinon, c’est un stress permanent de savoir ce qu’on allait faire ou pas. La grande expérience touristique, type parc d’attractions, c’est extraordinaire. Pas de problèmes pour se garer, il y a une file différente, c’est très bien, c’est pratique, on n’attend pas. C’est même trop protégé, surprotégé, même plus besoin de faire la queue".
Cinq mois après le mercredi 1er septembre 2004, il reprend contact en m'écrivant : "Salut Michaël, voici bien tardivement je le crains, mes commentaires, suite à ton dernier envoi, parvenu hélas à une période difficile pour moi. Je profite donc d'un moment de répit avant de partir pour Athènes pour t'expédier la fiche jointe en espérant que cela pourra t'être utile. A très bientôt j'espère. Bien amicalement, Jean-Paul.
Sur l'article, Le petit théâtre d’Ernest ! Je ne suis pas très sensible à ce genre d’action ! Pour le théâtre encore cela me paraît évident, rien que par le thème de certaines pièces où films ou un ou plusieurs handicapés font partie intégrante du scénario et aussi puisque certaines personnes peuvent avoir cette passion du théâtre ... Que cela soit "ouvert à tous les handicaps" en revanche me fait sourire ! Il ne faut pas rêver, ou alors certains "gros handicaps" ne seront intégrés que dans des pièces marginales où seulement la famille pourra y assister ! Pour la danse, alors là, la plupart du temps c’est n’importe quoi et de surcroît, je trouve cela souvent très niais, mais c’est mon avis et je le partage !"
Assister au spectacle de la troupe messine tempérerait peut être ses propos. Pour un sportif hyper performant, les notions comme la sensibilité, l'émotion, le plaisir et l'esthétique engendrées par d'autres formes d'activités corporelles nécessitent un apprentissage.
Le vendredi, 01 Octobre 2004, Jean-Paul m'écrivait pour un dernier contact officiel avant que je ne rentre dans l'écriture de la recherche.
"Salut Michaël, merci pour ton email. Je n'étais pas à Saran car nous sommes revenus des Jeux Paralympiques seulement mercredi soir ! Notre bilan tennis est très satisfaisant : une médaille d'argent en double messieurs, une de bronze en simple messieurs et une place en demi-finale en simple dame. Content que tu puisses enfin achever ton enquête, je reste à ta disposition si tu as besoin dans la mesure des mes disponibilités qui sont assez réduites en ce moment car j'ai beaucoup de déplacements ! Pour le reste tout va bien".
Il rajoute à la fin de sa missive électronique, son titre de directeur technique fédéral de tennis Handisport. Pour la suite de ce travail, il accepte, comme la quasi totalité des témoins, de rester mon interlocuteur pour la consolidation du projet d'études microsociologiques des situations de handicaps au quotidien.

La paraplégie et le sport

L'histoire de notre rencontre avec Jean-Paul me fait penser à ce qu'écrivait F. Courtine (1999, p. 224.). Celui ci notait que : "Dans le contexte sportif, les activités physiques et sportives non plus pour les personnes handicapées mais des personnes handicapées vont aujourd'hui bien au-delà d'un mode d'adaptation ou d'intégration à la conformité du moment. Elles en contestent l'essence même et contribuent à cette entreprise naissante de déstructuration du handicap tel qu'il a été créé par le mouvement de la réadaptation, au profit d'une culture et d'une autonomie des différences."
Jean-Paul parle peu de son accident si ce n'est à travers celui des autres pour peut être, mieux mettre à distance, son handicap ainsi que le cortège de difficultés qui l'accompagne. Voici les réflexions qu'il me livrait sur un joueur "tétraplégique" qu'il observait au tennis avec un ami lors d'un voyage aux U.S.A.
"Je me rappelle que j’avais un copain qui était à l’école avec moi et qui ce jour là me disait : "P...! Si j'étais comme lui, je me suiciderais !". Je lui dis : "Tu es bête, fais-toi plaisir à jouer !». Et c’est ça l’essentiel. Alors c’est vrai, il n’est pas comme nous. Ils ont un jeu qui est plus lent, ils ont une tactique qui est un peu différente, une mobilité différente. C’est une évidence. Mais ils font un match, ils s’éclatent. C’est ça qui est chouette. Et j’avais fait un petit montage, moi-même. Je l'avais pris en vidéo de façon à le montrer après en France, le niveau du handicap. Et il y en avait un autre qui jouait en fauteuil manuel. C’était un gars qui, visiblement, était un "tétra", un vrai tétraplégique, suite à un accident. Ça se voit tout de suite. Et, et le gars, il avait un harnachement complet. C’était monstrueux. Il était donc, il était dans un fauteuil, maintenu assez haut avec, en plus, une espèce de soutien qui le maintenait d’un côté. Il avait la raquette dans une coque en [dure]. On voyait d’ailleurs, il prenait sa clé avant. Il resserrait comme ça. Je ne l’ai vu qu’une seule fois jouer, ce gars, et je ne l’ai jamais revu nul part. Est-ce qu’il a continué à jouer, je ne sais pas. Et je me suis fait la réflexion parce que le gars, en plus, il avait des attitudes. Je pense qu’il avait dû jouer avant et on voyait qu’il utilisait son fauteuil comme un [truc]. Nous, on joue beaucoup à ce qu’on appelle coup droit en rotation, pour donner un coup de poing dans la balle. Et puis ça facilite le replacement. Et bon là, c’est pas le même mode de replacement en fauteuil électrique, parce qu'ils ont une marche arrière pour se dégager. C’est un petit peu différent, mais néanmoins, on voyait que ce n’était pas le fait du hasard. Je l’ai vu faire plusieurs fois, il utilisait son fauteuil électrique de manière à ce qu’il y ait une légère rotation du fauteuil synchronisé avec la frappe. Ça devait être un peu difficile, ça devait être coton à réaliser ! "
Jean-Paul, qui est né dans les années cinquante, est admiratif devant cet américain lourdement handicapé qui pratique un sport technique avec un fauteuil électrique : objet assez récent. Sa paraplégie, acquise à la suite d’un accident de la circulation en 1978, lui semble légère à côté de son pair sportif d'outre atlantique. Les paroles sont aussi porteuses de souffrance. A propos du vocabulaire dépréciatif sur la personne handicapée, Jean-Paul me disait : "C'est vrai qu'il y a des mots qui... J'ai [réagi] il n'y a pas longtemps, au niveau de la déclaration des sports, dans le guide sur les activités sportives. On faisait une petite description des handicapés qui pouvaient accéder à telle ou telle discipline. Je n'ai jamais marqué, mal-voyant ou paraplégique ou quelque chose comme ça. C'est toujours la personne. Parce qu'on est une personne !
La situation de handicap, les gens ne s’en rendent pas compte en fait, mais ce n’est pas de leur faute, c’est comme ça. Donc c’est une question de culture. Cela veut dire qu'il faudrait qu’ils soient baignés sans arrêt dans une connaissance des choses qui font que…Hé, bien qu'une personne handicapée n’est pas contagieuse et que cela peut arriver à cette personne rien qu'en traversant la rue. Hélas, tristement, régulièrement [surviennent] des accidents avec des chauffards qui renversent des gens dans des abris bus ou sur les passages cloutés. On ne dit pas ce qu’ils deviennent ces gens, quand ils sont morts hélas c’est triste mais il y en a qui restent handicapés et cela on ne sait pas à quel degré ? Maintenant ils sont en fauteuil roulant. Ils ne pouvaient pas s’imaginer qu'une heure avant, ils allaient se retrouver dans la même situation qu'après un "banal" accident de voiture, hélas ou un accident du travail. Et cette personne là, elle réalise qu’après coup. Eh bien oui, … Avant quand j'étais debout…Voilà les handicapés, bien oui…et pour tout c’est comme ça. Hélas, il y a deux manières de faire : soit on éduque, soit on sanctionne".
Après l'accident, toujours dramatique pour le psychisme deux formes de douleurs, de souffrances physiques sont décrites classiquement. Elles sont liées aux problèmes urinaires puis souvent à ceux liés aux escarres. Que se passe-t-il, alors, lors d'un traumatisme médullaire ? Afin d'éclairer le lecteur, les données suivantes sont extraites de lectures croisées issues de sites médicaux, de sites associatifs et enfin des portails accessibles des facultés de médicine francophones. En voici une synthèse pour compléter ce que ne nous dit pas notre interlocuteur : "La moëlle épinière est, comme le cerveau, protégée par une enveloppe osseuse et peut être comparée à un centre de transmissions : la moelle reçoit les informations du cerveau au moyen de câbles de transmission, les axones des neurones cérébraux. Elle les intègre aux informations reçues localement du reste de l'organisme et envoie des commandes au muscle. En retour, la moelle envoie au cerveau l'ensemble des informations sensibles, le toucher, la douleur, le chaud et le froid. Mais, lors d'un choc violent tel qu'il s'en produit lors d'un accident de la voie publique, les vertèbres peuvent se déplacer et provoquer un écrasement ou pire, un cisaillement de la moëlle; Le cerveau a beau envoyer ses messages, les muscles ne les reçoivent plus. C'est la paralysie, dont l'étendue varie en fonction du niveau de la lésion. Une lésion basse entraîne une paraplégie (paralysie des membres inférieurs). Plus haute, il s'agit alors d'une tétraplégie (paralysie des quatre membres). Dans beaucoup de cas, les fonctions urinaires, sphinctériennes et sexuelles peuvent être lésées".
Afin de préciser certains passages ou pour prendre des nouvelles sur les plans professionnels ou amicaux, Jean-Paul me sollicite pour me parler de sa déficience qui, "dieu merci, me lui donne plus de souci en ce moment", tout en m'avouant que certaines fois ce fut "plus délicat". Beaucoup de charges dans ce terme "délicat"...

Etre verticalement heurté !

Notre ami nous donne un certain nombre d'indications sur le vocabulaire, l'accessibilité, l'anthropologie du handicap ainsi que sur les objets liés aux situations de handicap. Il nous renseigne, de même, sur les situations sportives en passant par les activités physiques générales ou spécifiques (sportives, adaptées, etc). Notre ami démarre par cette formule"mi-figue, mi-raisin", qui court au U.S.A, qu'est ce qu'un "être verticalement heurté" ?
"Les personnes ne savent pas ce que c'est ! Si les gens le savaient, oseraient-ils dire encore, un nain ! Ce n'est pas très beau de dire un "nain" ou un "handicapé". Alors, on va parler plutôt de non voyant, on ne va pas dire des aveugles ! Voilà, on va dire non voyant ! On ne va pas parler des personnes [invalides]. Ce qui fait toujours sourire, c'est des expressions comme "station debout pénible", sur les cartes d'invalidité. Ca c'est sûr que j'ai une carte "station debout pénible !". C'est clair, c'est pénible, mais tout est comme ça parce que l'on n'ose pas dire les mots. Bien oui, on est handicapé. C'est comme ça, je veux le dire, il y a des mots pour décrire simplement les choses. Cet exemple nous amène à penser qu'il ne faut pas avoir peur du vocabulaire utilisé les difficultés ne se situent pas à ce niveau.
Autre exemple, les toilettes, l'accessibilité aux toilettes, sont un excellent indicateur pour baliser la situation de handicap. C’est extraordinaire. Tout le monde en a besoin et c’est un stress incroyable en France et en Europe pour savoir où sont les endroits pour aller "uriner". Alors, on fait quoi, "nos besoins entre deux bagnoles" ! C’est terrible. On est très gêné de se retrouver dans certaines situations car cela marque le manque d’intimité, on se retrouve avec des toilettes publiques en France, ou on mixe hommes et femmes, tous confondus et ou les gens vous regardent "salement", presque en malpropre, ils ne comprennent pas.
Et je ne [te] parle pas des Infirmes Moteurs Cérébraux (I.M.C) que l'on comprend encore moins ! Pour les I.M.C, c’est une catastrophe, parce qu’ils ont un comportement physique très difficile et même pour nous en tant qu’handicapés, on a des fois un peu de mal à parler à des I.M.C parce qu’on ne les comprend pas et c’est un peu gênant. C’est difficile [à vivre] et ce n'est pas facile à communiquer avec eux; il faut avoir une bonne connaissance du phénomène pour pouvoir ne pas mettre une barrière, pour être attentif…Je me souviens à l’époque on n'avait pas de fauteuils de tennis hyper perfectionnés. On avait donc des fauteuils normaux pour le sport où on pouvait laisser une balle dans les rayons et une fois j’ai laissé une balle dans les rayons. UN jour, au super marché, un petit garçon m’avait vu pour la première fois, et il me dit : "regarde la balle !", J’ai pris la balle et je lui ai donné. Et tout d'un coup l’approche était différente parce qu’il y avait quelque chose qui attirait l’œil, qui devenait un sujet commun de conversation en quelque sorte donc il y avait un échange possible. Mais bon, on ne peut pas toujours avoir des stratagèmes pour éviter de se retrouver dans des situations blessantes. Et maintenant, ces choses là, je n’y fais plus attention, parce qu'il faut les banaliser, on ne peut pas reprendre [les gens] sans arrêt. Mais je me mets toujours dans la situation ou me souvenant quand j’étais en fauteuil roulant, je me dis forcément une personne qui a cette même approche dès le départ, ça fait mal. Et quelquefois, il y a des personnes handicapées qui sont assez agressives, ce n’est pas une solution mais comment faire …je ne sais pas, il n'y a pas de solutions on se sent un peu désarmé de l’inculture des gens mais ils agiraient de la même manière à l'encontre d'une personne de couleur éventuellement. C’est du racisme à l’état pur. Que cela soit pour un fauteuil, que cela soit pour un noir, un maghrébin, ou quoi que se soit [d'autres], c’est la même réaction : c'est la différence qui fait qu'on a peur. Cela veut dire qu'il faudrait qu'on soit baigné sans arrêt dans une connaissance des choses. On pourrait ainsi diffuser l'information et expliquer qu'une personne handicapée n’est pas contagieuse et que cela peut arriver à tout individu en traversant simplement la rue !"

Le petit quart d’heure !

Peu de personnes en parlent, mais en interrogeant Jean-Paul sur les temps sociaux, deux remarques universelles me sont remontées à la mémoire ; l'une concernant le temps du futur qui pose une vraie question existentielle à l'entourage de la personne handicapée, l'autre concernant le temps de notre interlocuteur sur le petit quart d'heure de sa quotidienneté et qui interroge notre temps à tous. A un niveau plus médical on peut dire, comme nous le rappellent les médecins B. Perrouin-Verbe et F. Louis du C.H.U de Nantes en nous faisant une nosographie des complications pour les personnes paraplégiques vieillissantes, que : "Le développement d'unités spécifiques de prise en charge, d'un suivi approprié font qu'aujourd'hui l'espérance de vie d'un blessé médullaire a considérablement augmenté. Toutefois, la condition du blessé médullaire n'est pas une situation stable. Le comportement fonctionnel de ces blessés est le résultat d'un équilibre ténu entre les problèmes physiques, psychosociaux et les conditions environnementales. Plus que tout autre, le blessé médullaire semble subir un vieillissement prématuré grâce à deux processus simultanés : les effets de l'âge en lui-même, l'influence de la durée post-traumatique sur les différentes déficiences présentées, phénomènes qui sont particulièrement intriqués".
"Au niveau plus personnel et dans l'esprit, on gère comme tout le monde. C'est à dire, que rien n'empêche une personne handicapée d'avoir une vie professionnelle, d'être à l'heure et de respecter les délais. Mais néanmoins, très franchement, au quotidien, moi, j'ai un manque, par rapport à avant, de 13 minutes ! C'est un peu le hasard ces 13 minutes. Pourquoi pas 14 ? Mais quand je me suis retrouvé en fauteuil, au début, je me suis aperçu que j'étais systématiquement en retard, tout le temps. Mais ce n'était pas une volonté de ma part. C'est quelque chose que je n'aime pas. En plus, je ne le supporte pas. Je trouve cela incorrect, voilà le problème. Et puis, pourquoi suis-je en retard ? Et bien, toi par exemple quand tu vas quelque part, déjà tu veux démarrer [rapidement], tu montes dans ta voiture, tu démarres et hop ! Tu es parti. Moi, j'arrive, j'ouvre la porte, je fais plein de trucs, je mets mon fauteuil. (Il parle de lui en disant tu). Déjà, tu as perdu 2 à 3 minutes. Tu n'en sais rien, et puis quand tu vas arriver, tac ! Une petite place. Je me gare, impeccable. Tu as la place. Tu arrives…Mais je ne pourrais peut être pas sortir ? Il faut que je trouve un autre endroit et puis comme ça, ça fait tourner un moment. Je vais perdre 5 à 6 minutes, 10 minutes peut-être plus et puis après, il faut que je sorte le fauteuil, "zut" avec le trottoir, je ne peux pas monter, il faut que je fasse le tour. Et puis j'arrive à cette porte oui enfin, mais non, là, il y a 3 à 4 marches. "L'accès handicapé, Monsieur, il est tout au fond". En général, c'est dans les vide-ordures. L'accès handicapé, c'est un peu lourd, un peu amer, mais c'est comme ça. Alors finalement, je vais avoir perdu mon "gros quart d'heure", tout simplement parce que justement les choses ne sont pas aménagées pour ta vie. C'est là où, en revanche, où je reprends ce qui se fait aux Etats-Unis. Je sais qu'aux Etats-Unis, il y a une place pour handicapés. Je sais qu'elle sera libre parce qu'il n'y en aura pas qu'une seule. Il y en aura donc plusieurs et alors, si elle est prise, qu'il y en aura une pour un autre handicapé. Mais bon, ça, c'est différent. Mais néanmoins, il y en aura une deuxième. Donc, j'arrive déjà plus tranquille. J'ai plus qu'à... le temps que je vais avoir en plus, c'est pour descendre mon fauteuil et aller à l'endroit où cela sera accessible. Donc, c'est vrai qu'en tous les cas, en France actuellement, si tu n'as pas ce petit quart d'heure de battement, tu ne t'en sors jamais. Mais c'est une image, en fait, mais souvent ça revient un petit peu à ça.
Oui, parce que les lois sur l’accessibilité, les lois sur le travail par rapport à ces fameux quotas, sont toujours assorties d’un échappatoire : si vous faites pas ceci, vous aurez une amende. Puis finalement ils préfèrent payer une amende car cela leur reviendra moins cher que de faire pour que les choses soient réellement réalisées. En fin de compte, c'est l’échappatoire qui fait que les choses ne sont pas complètement réalisées. Et ce n’est pas normal, un exemple les fameux radars qu'il y a en ce moment, pour "un km au dessus", on paye, puis voilà on paye, comme pour les lois ça doit être fait, point. Sinon comment imaginer qu’on s’en sorte ! "Est-ce une question d'éducation? A cela Jean-Paul répond : "Je crains qu'éduquer seulement ça ne suffise pas, en tout cas pour une mentalité latine. Je ne sais pas, peut être que les anglo-saxons ont une meilleure perception de ces choses là, qui sait, je ne me rends pas compte ; je ne suis pas anglo-saxon. Je dis ça comme ça. Bref toujours est-il qu'on ne peut qu’espérer que les choses soient mises en application et respectées. A partir de là, il y aura alors peut-être une perception différente de la personne handicapée en France en tout cas".
Le dernier point nous l'avons situé sur le fait d’être des "quémandeurs perpétuels", n'y a-t-il pas quelque chose de l’ordre du traumatisme pour la personne, de toujours "pleurer", pour obtenir son bon droit. Toi, Jean-Paul me dis-tu autre chose ?
"Oui, en fait c’est un peu au delà de la sollicitation d’aides quelconques ou autres. Mais c’est tout de même sur la vie quotidienne, aller dans un cinéma multiplexe par exemple où il y a 6 salles où 2 sont accessibles et les quatre autres pas : je voulais aller voir ce film là, "Eh bien non monsieur, cette salle n’est pas accessible !" mais en revanche vous pouvez aller voir celui-là. Mais celui-là je l’ai déjà vu et ça ne m’intéresse pas du tout. Donc il va falloir négocier dans l’espoir d’avoir quelqu’un qui peut m’aider pour pouvoir aller dans la salle non prévue pour. Accepter d'aller dans la salle non accessible, c’est quand même incroyable ça !
C’est quand même incroyable car on en est à ne plus pouvoir choisir le film qu’on veut voir, où qu’on peut voir et puis ça va être la même chose dans un restaurant car le serveur va faire un tas de "chichi"… pour rejoindre une table là-bas car on va déranger mais si on demande gentiment à la personne, elle ne refusera pas, sauf si c'est un crétin…c’est pour tout comme ça. Ce sont ces exemples pénibles qui jalonnent la vie quotidienne".
Il réagit à l'exemple d'une jeune dame I.M.C qui vivait en pyjama toute la journée car elle n'avait droit qu'à dix minutes de soin pour être coquette. Ces soins étaient donnés par des auxiliaires de vie souvent débordées car trop peu nombreuses et mal rémunérées.
"Si c’est dans le cas d’un centre de rééducation, oui bien entendu mais c’est quand même incroyable qu'on oblige une personne à se coucher plus tôt que la normale tout cela pour que l'autre personne termine son service à cette heure là, parce que elle n'est pas habilitée ou que cette tache n'est pas dans son service. On perturbe complètement la vie de la personne. On l’oblige à négocier sa vie parce que peut-être les horaires de telle ou telle personne ne sont pas adaptés, non pas pour le confort des personnes à charge, mais pour leur confort personnel. C'est quand même incroyable ça. Sous prétexte qu’on se retrouve dans une situation de handicap, on se retrouve devoir négocier pour vivre, pour vivre comme on en a envie. Il faudrait qu’on soit tous fondus dans un même moule, parce que c’est plus facile pour les autres. Donc on nous considère comme des bestiaux, un moment le "mouton" rentre à la bergerie, c’est l’heure, c’est pas parce que les moutons ont envie de rentrer, c’est parce que le berger, a envie de rentrer et de se coucher. Alors, bon ce qu'on peut imaginer pour des bêtes …alors pour des hommes…À l'école on le fait avec des gamins, pas avec des adultes ! "
Jean-Paul, sportif de haut niveau nous montre que le soin porté à la personne est fait de mille petites sollicitudes, du respect des procédures sociales en vigueur ainsi que du respect des lois fondamentales déjà édictées ou qui vont l'être au sein des institutions.



Récit no 6 : À propos de Lyse : " Le sport comme thérapie !"



L'arc c'est ma passion !

La rencontre avec Lyse s'est faite à partir de nos recherches sur le handicap par l'intermédiaire d'un de nos étudiants. Cet étudiant en master que nous guidions pour son mémoire sur le sport adapté rencontra donc des sportives de haut niveau, pour mettre en place son protocole de recherche sur le rôle de la respiration dans un sport de haute précision. Il s'agissait en l'occurrence du tir à l'arc. Notre étudiant nous mit en relation avec une première athlète qui accepta de témoigner en plus de l'expérimentation sur le terrain. C'est par téléphone que nous avons eu notre premier contact dans le but de fixer une première rencontre. Une deuxième dame, qui était aussi archère (une amie sportive atteinte d'une maladie rare, un syndrome indéterminé qui lui occasionne bien des déboires physiques voire sociaux comme nous le verrons plus loin), accepta de même de faire partie de notre étude. Je me retrouvais donc en ce milieu d'année 2003 avec deux nouveaux témoins. Mais revenons à Lyse notre sportive passionnée par le tir à l’arc de compétition. Lyse est née dans les années cinquante à Lamotte-Beuvron dans le Loir et Cher, elle est une sportive accomplie.
"Côté sportif, dit-elle, j'ai fait du basket un an durant, du tennis de table et de la natation. Le tir aux armes, je l’ai pratiqué durant douze ans en particulier le tir à la carabine. J'ai été qualifiée au championnat de France en valide (Valide, précise-t-elle !). Le soir même, j'ai vendu ma carabine pour ne pas devenir comme eux car la mentalité c’était "d’écraser celui qui se trouvait à côté."
Je pratique le tir à l'arc depuis dix ans au niveau national en handisport et au niveau valide. J'en parlerai une autre fois car c'est ma passion et je ne peux pas en parler en deux lignes".
Les futurs rendez-vous sont pris. Elle en parle très peu, mais nourrisson, elle est rapidement atteinte par la poliomyélite aux deux membres inférieurs. Elle n'avait que cinq mois, c'était en 1954.

Faire un échange de connaissances !

A partir du 31 mars 2003, on échange sur des thématiques générales telles que : "Moi et mon handicap, moi parmi la société". Nos réflexions, plus globalement, portèrent aussi dans l'interconnaissance sur les notions de temps et de vocabulaire liés aux situations de handicap. Lyse fut une des rares personnes qui m'adressa un retour par lettres, même quand elle dut réagir aux chiffres de l'article I.N.S.E.E/H.I.D sur le vaste panorama sociologique du handicap en France. Elle m'écrivait sur un ton intéressé :
"Merci de me prendre pour vos recherches, je vais essayer de faire avec vous un échange de connaissances.
J'ai bien apprécié le thème valide/invalide ainsi que les questions sur le temps. On ne peut gérer le temps à notre guise. En ce qui concerne le couple "valide et invalide". On peut dire qu'une personne est valide ou invalide. Les gens regardent un invalide dès que le fauteuil ou les cannes sont présents, c'est visible de l'extérieur mais il y a des gens qui sont invalides mais aucun indice de l'extérieur ne le montre. Beaucoup de personnes invalides, si on leurs appose une étiquette, auront des difficultés par rapport aux autres, mais je pense que le pire pour eux, c'est le regard des autres. C'est cette indifférence. Il y a beaucoup à faire pour réunir les deux approches. Ce que l'on entend le plus souvent d'un invalide, c'est de penser que si une personne l'aide, c'est uniquement par pitié pour lui ! Dans ce cas l'invalide [provoque] le rejet et le fossé entre ces deux personnes se creuse encore plus, et là, l'invalide se referme sur son sort ; mais il faut savoir qu'un invalide, si on lui facilite plus les accès aux trottoirs, aux logements "rez de chaussée", aux écoles, aux loisirs, aux cinémas, aux magasins, il sera bien moins "invalide" qu'on ne pourrait le croire ! Il existe une [vraie] rupture de l'égalité pour un invalide par rapport au valide".
Elle veut partager les connaissances et semble ravie de le faire dans le milieu universitaire. Le dialogue continue avec Lyse, comme avec tous les autres interlocuteurs, à partir de textes plus difficiles que toutes les personnes ont partagés. Nous convenons d'un rendez-vous chez elle le mardi 28 octobre 2003 à 17 h. Elle m'accueille dans son salon bardé de matériels orthopédiques pour faire connaissances et parler de sa situation durant plusieurs heures.
Elle réagit au handicap de ceux qui le sont de naissance et des autres personnes qui ont eu un accident de voiture par exemple.
"Bon, dit-elle, on va partir sur cette base là. Cet [homme ou cette femme], ne possèdent pas du tout les mêmes acquis, l'école n'a pas été du tout pareil. Au niveau de l'éducation, ce n'est pas [comparable]. Il y a tout un ensemble au niveau de la mémoire de la personne. Elle se voit marchant, elle se voit dans les activités qu'elle faisait avant. Donc ça, elle le vit beaucoup plus mal que nous parce qu'elle a un regard en arrière. Elle ne comprend pas pourquoi elle, elle est handicapée, qu'elle se retrouve ainsi du jour au lendemain. Peut-être que c'est de sa faute, peut-être que ce n’est pas de sa faute. Ca c'est à la personne de juger elle-même. Mais au niveau du handicap global, on y met trop facilement tout le monde dans ce handicap, ce n’est pas vrai. Parce que les personnes qui sont handicapées de naissance, n'ont pas eu la même vie, elles ont été tout de suite en centre de rééducation, et séparées de leur famille. Il y aurait beaucoup à dire au niveau du financement de tout cela. Un enfant, qui a toujours été en école spécialisée, n'a pas eu les mêmes avantages qu'une personne qui a eu un accident de voiture à l'âge adulte. Cette dernière a pu déjà faire une partie de sa vie en tant que valide et se retrouver après en tant qu'accidentée. Ceci rentre dans un cadre des handicaps pour tous les avantages qu'il y a après, mais ça ne peut pas être mis sur la même base.
Le 16 août 2004, une lettre de Lyse me parvient par avion de la Martinique en réponse à mon questionnaire sur le corps (articles du dossier no 4) et sur la cognition (articles du dossier no 5).
Elle voulait me donner ses premières impressions, dans la quiétude de vacances bien méritées, sur mes articles sur les savoirs à construire dans les rencontres artistiques, sportives, scolaires voire universitaires.
"A propos de la place du corps [dans] le petit théâtre d'Ernest pour les personnes valides et non valides, je pense que cette activité se fera de plus en plus. Des pièces de théâtre peuvent être adaptées à des personnes handicapées, sachant que les contacts valides et non valides se réalisent de plus en plus. On montre des personnes physiquement handicapées dans des scènes, ce qui ne se faisait pas avant.
A propos de la place du corps handicapé dans le Triathlon, Dominique Benassi ne peut faire ce sport avec le même résultat qu'un valide. C'est la constatation au niveau de la fédération d'athlétisme, il ne peut le faire qu'en handisport. Pour la reconnaissance d'athlète de haut niveau, c'est un autre problème à voir avec la fédération et lui même.
A propos de la place dans l'esthétique du corps déformé, Allison Lapper Prégnant, artiste née sans jambes ni bras mais mère néanmoins, aura sa statue sur un socle à Trafalgar Square en face de l'amiral Nelson. Le débat pourrait être houleux dans une assemblée. Pour moi, si elle a autant de mérite comme artiste et si le sculpteur a pris sa décision de faire de cette personne une effigie, alors pourquoi pas !" Ce n'est aucunement pour Lyse, une "en-torse au bon goût", comme le prône métaphoriquement le titre de l'article".
Dans cette missive, elle me dit à propos du corps pulsionnel, de la sexualité des handicapés que pour elle, "il s'agit de l'éducation des parents, c'est cela qui compte."
"La sexualité est le propre de chacun aussi bien dans sa tête que dans son corps. C'est à l'être humain de se contrôler, pour la libido c'est autre chose, il y a des psychologues pour en parler. Notre corps handicapé est-il notre ami ou notre ennemi ? Une femme qui est très belle et qui se fait faire de la chirurgie esthétique trouve que son corps lui déplait ! Si on fait un complexe de son corps, trop gros ou trop petit pour se priver de se mettre en maillot de bains ou de bien s'habiller. [Voici ses solutions], on a bien le corps qui bouge avec l'âge mais si dans la tête on accepte ce changement, alors on trouvera que notre corps est toujours bien. Toute personne peut vivre, gros ou petit. Il ne faut pas se comparer avec les autres ; c'est là que ça ne va plus !
Pour finir sur l'école qui intègre les différents, on peut dire que les sourds et muets, depuis le langage gestuel, peuvent travailler comme les autres élèves. J'ai des personnes sourdes au travail, il n'y a pas assez de contacts avec eux.
Il y a de plus en plus d'enfants scolarisés en école publique. Je trouve que l'intégration de ces élèves apporte beaucoup de solidarité et d'amitié envers ces jeunes élèves qui seraient [sans cela] à l'écart des autres. Ils vivent beaucoup mieux leur handicap avec les valides, c'est très enrichissant pour les professeurs et il faut qu'il y en ait [en intégration] beaucoup plus".

Chez Lyse, le mardi 7 septembre 04, nous abordons ensemble le statut des athlètes de haut niveau, les compétitions mixtes qui sont développées dans la discipline olympique du tir à l'arc. Le poids des médailles, dont on avait parlé avec le tennisman de haut niveau et cadre technique, Jean-Paul, est aussi à expliciter.
"Oui, j'entends pour l’athlète de haut niveau [handisport], mais je ne sais pas pourquoi il réagit comme cela ! Je n’ai pas très bien compris [cette soif de reconnaissance médiatique] parce que c’est vrai que dans sa catégorie, il ne peut pas être considéré avec les scores qu'il réalise, il serait même le plus fort, il ne pourra jamais faire un score de valide, entendons nous bien ! S'il pouvait être même reconnu avec les valides mais si c’est pour être dernier de la classe, je pense que ça ne l’intéressera pas. Alors, c’est à lui de savoir ce qu’il veut. Dans notre cas à nous, les archers, on sait qu’on peut faire pareil que les autres".

Pour nos derniers entretiens avec Lyse, les mardi 22 juin et lundi 26 juillet 2004, nous convenons de dialoguer par téléphone étant donné les contraintes des uns et des autres. Je réalise le premier contact puis elle me téléphone après mon message Internet pour faire le bilan final de la recherche, parler de la suite des événements, du réseau à construire localement ainsi que de la mise en place d'un protocole pour la mise en commun des ressources. Elle me parle de son amie Elyse qui participe à notre enquête et aux recherches sur le tir à l'arc. Elle est très satisfaite du protocole de recherche qui lui a permis de conserver et améliorer son score et de faire une première place aux championnats de France où elle se trouve en compétition avec les valides. Le travail sur le schéma respiratoire en quatre temps (expérimentation avec des chercheurs en S.T.A.P.S) lui permet de réguler son rythme cardiaque, d'être plus stable sur toute la durée d'un concours. Elle est satisfaite et nous remercie, nous au titre de l'université et l'étudiant qui la suit dans son sport. Elle me donne rendez-vous fin juillet pour boucler nos entretiens communs. Elle me contacte donc en juillet par téléphone vers 18 h pour me dire qu'elle va partir en vacances et qu'elle trouve les derniers documents intéressants, qu'elle va y réfléchir pour préparer ce qu'elle va me dire. Elle trouve les articles sur le corps de l'artiste "handicapée" très intéressant et me parle rapidement de sa vision de l'esthétique et de ses réflexions sur le sujet. Elle me donne des nouvelles de son amie archère qui est "mal en point ". Elle a dû s'expatrier dans le sud de la France, à Font Romeu dans les Pyrénées, pour retrouver son souffle et sa forme. Sa maladie (mal décrite par la science médicale) reprend le dessus rapidement. "Il faut lui agrandir les articles pour ses yeux qui s'affaiblissent eux aussi", me dit-elle. Lyse s'inquiète pour elle.


Dans ses rêves, elle marche ! ²

"J'ai attrapé la poliomyélite à cinq mois en 1954 aux deux membres inférieurs. Je suis restée à l'école jusqu'en C.M.2 à Lamotte-Beuvron en faisant de la rééducation trois fois par semaine. Je me rendais à Orléans en taxi, c'était très fatigant. Pour moi, j'ai été à l'école primaire jusqu'à douze ans et à la rentrée en sixième les professeurs ont dit à mes parents qu'il fallait que je rentre dans une école spécialisée pour le rythme de travail et la rééducation [est-ce la seule raison ?] car je partais trois fois par semaine à Orléans [distante de] trente kilomètres, deux heures de kiné plus le trajet, je partais à quinze heure de l'école et le soir j'étais "crevée" pour les devoirs. A treize ans je suis partie à Berck, un centre héliomarin pour les gens qui avaient des problèmes de scoliose, c’était surtout pour des problèmes osseux.
J'y suis restée durant un an, en ayant grandi de dix cm en quelques semaines à cause de l'air iodé ! J’ai donc grandi trop vite car il y avait beaucoup d’océan, de calcium et tout cela, on se consolide plus vite là bas que partout ailleurs. Ensuite, je suis partie sur Paris en urgence. Et puis, j’ai fait toutes mes études à Paris. A l'école à Berck puis ensuite à Garches [deux centres historiques !], j'ai beaucoup profité sur tous les plans et cela a évité que je reste renfermée chez moi. J'ai pu mener une vie presque normale, sans trop me soucier de mes douleurs, de mes opérations. La vie aurait été plus difficile tout de même si mes parents m'avaient gardée chez eux.
Je suis partie à Garches dans le 92 à l'école nationale de perfectionnement (E.N.P) un centre à côté de l'Hôpital jusqu'à l'âge de dix-neuf ans pour y acquérir un niveau C.A.P de comptabilité. Ce centre, c’est le premier qui a été créé en 1956 pour y recevoir les cas graves de poliomyélite. Maintenant c’est pour les accidentés de la route et tout ! Mais au départ, ce n'était ouvert que pour ça [la polio !].
A vingt ans, je suis rentrée à la poste comme standardiste en tant que travailleur handicapé classée par la C.O.T.O.R.E.P à 80 %. En 1977, je suis partie à la Source un quartier de la ville d'Orléans, au centre des chèques postaux et après un concours j'ai été titularisée et depuis je travaille à la Source."
Il faut ajouter que Lyse m'a avoué qu'elle perdait de l'argent en travaillant. On est comptable de tous les frais que la situation de travail occasionne, mais à contrario elle m'affirme que "la valeur" travail est une source puissante de reconnaissance sociale, comme l'est la place qu'elle occupe dans la hiérarchie sportive, et qui lui permet d'oublier "son infirmité" au quotidien.
Le sport est bon pour la santé mentale c'est un peu le message que Lyse voudrait faire passer malgré les petites ou plus grandes contraintes de la vie. A ce sujet, elle m'a raconté une très belle histoire sur le combat à mener, sur la lutte de tous les jours enfin sur le rêve. Le rêve que l'on fait pour l'avenir.
"Mais il n'y a pas de comparaison entre celui qui a depuis toujours un handicap et l'autre qui l'a acquis par la suite. Il ne pourra pas se comparer à ce qu'il faisait avant. Moi j'ai une histoire comme ça, une personne qui a eu une "polio" mais qui l'a contractée à l'âge de six ans. Et bien, dans ses rêves, elle marche ! Voilà, c'est-à-dire qu'elle n'a pas intégré son handicap. Non, elle ne l'a pas intégré son handicap. Et pour moi, personnellement, tous mes rêves sont toujours avec mon handicap et j'en sors toujours victorieuse. Je veux dire que mon handicap me rend encore plus forte dans mes rêves ! "
Quelle belle démonstration d'optimisme nous est donnée ici jusqu'au cœur de la psyché humaine par rêves interposés. Des rêveries propres à chaque humain qui, quand il souffre, s'y réfugie pour se ressourcer. Pour répondre à Lyse je lui propose de lire ce qu'Alexandre Jollien (2002, page 81) écrit à propos du rêve dans son ouvrage Le métier d'homme : "Je me prends à rêver de milliers de ponts jetés entre les diverses marginalités. Je me souviens de cet ex-toxicomane qui aujourd’hui soigne des enfants malades, je revois ses gestes amples et délicats, la profondeur de ses yeux qui reflètent la joie. Les univers s’approchent, les barrières peu à peu tombent, deux individus meurtris se découvrent semblables devant la différence. La différence exacerbe les réactions : pitié exécrable, curiosité malsaine, préjugés, craintes, tout achève de rendre le rapport à autrui aussi artificiel que douloureux. J’ai même appris l’existence d’une sorte de musée, quelque part en Italie, qui exposait jadis la gent boiteuse, défigurée et naine. Vraiment, l’élan qui a, à priori, poussé vers l’autre se décline de bien des façons ! Parfois, la méfiance le brise, surtout lorsque la convention ou la dissimulation pèse de leur réticence inerte. Au moment de la rencontre, mille peurs, mille intérêts entrent en jeu. Quelle peine pour rétablir l’authenticité, pour que tombent les masques ! Bien souvent, il s’agit de casser la glace, d’opposer, d’imposer un démenti à la première impression".

Je viendrai vous voir !

Les difficultés médicales nées la déficience provoquent des douleurs puis une souffrance physique et psychique. Comment traverse-t-on ces traumatismes quand on est handicapé de naissance ou quand on le devient par infortune plus tard ? Est-ce que certaines personnes ont des avantages par rapport à d'autres à partir de ces infortunes ? C'est par ce questionnement que nous avons exploré les relations entre la douleur paroxystique, la fragilité psychique due au stress du handicap et les aides pour les minimiser aussi bien sur le plan social que moral.
Lyse me disait, "Que pour ceux qui ont, admettons, un accident grave de la vie, il existe des assurances qui couvrent une grande partie des pertes financières. Les gens peuvent aménager leur maison, avoir une aide ménagère, une tierce personne. Alors qu'une personne qui est handicapée depuis tout le temps n'aura pas ces mêmes avantages. Cela ne sera pas reconnu. Ceci fait partie des domaines, pour la sécurité sociale concernant la couverture à 100 %. Ils ne sont pas du tout apportés de la même façon, par exemple en ce qui concerne les aides [financières, matérielles et humaines].
Ces traumatismes occasionnent de la souffrance, pour la personne qui se retrouve en fauteuil du jour au lendemain, qui ne sent plus ses jambes ! Je pense qu’elle souffre beaucoup plus parce que dans sa tête, la vie qu'elle avait avant, et, ce qu'elle a aujourd'hui, sont beaucoup plus pénibles à supporter. Parce qu'au niveau musculaire, ceux qui sont paraplégiques ne marchent plus du tout, ne se retrouvent plus debout. Au niveau urinaire ils ont beaucoup de problèmes. Ils ne l'ont pas vécu (ça !) avant. Ils n'ont pas eu leur enfance comme ça. Donc leur cerveau ne réagit pas pareil que le nôtre. Oui. Vous voyez, quelqu'un en fauteuil roulant qui est handicapé depuis sa naissance, ne fera pas de différence avec la vie qu'il a actuellement. C'est ce qu'on m'a dit dans les réunions." Je confirme à Lyse que ces mêmes propos m'ont aussi été tenus. Son témoignage est recoupé par les scientifiques et de nombreux récits. La nouvelle loi du 11 février 2005 devrait le prendre en compte pour une égalité devant "les infortunes" de la vie.
Elle me relate un épisode sur les douleurs, outre les "petits bobos" classiques des sportifs comme les tendinites, déchirures et autres blessures de compétition, concerne un accident extrêmement douloureux. En ce qui me concerne, me lance-t-elle pendant l'entretien, j'ai vu un psychiatre "comme ça" lorsque j'étais à l'hôpital. En effet, j'ai eu un incident sérieux, une sciatique paralysante des deux jambes. J'avais soulevé un colis de 60 kg. Cela m'a paralysée les deux jambes, donc je me suis retrouvée en fauteuil pendant trois mois. Et, à la clinique de l'Archette, on m'a fait voir un psychiatre. Donc voilà, je lui dis bonjour et tout. Et bien, vous ne me croirez pas mais quand il est sorti, il m'a dit : "Hé bien, quand j'en aurai besoin, pour moi-même, je viendrai vous voir ! " Voilà, ça résumait bien la situation, non !"
Le recours, le secours à l'analyse ou à la psychothérapie ne sont pas plus utilisés dans les situations de handicap que dans d'autres domaines. Les résistances à ces approches thérapeutiques montrent qu'une éducation aux traumatismes ainsi qu'à leur écoute, doit encore faire son chemin dans les esprits de nombreux acteurs sociaux.

Me faire connaître autrement !

Pour ce qui concerne le soin et les positivités sociales à amener aux autres, à partager, Lyse a répertorié les axes suivants qu'il faudrait développer. Elle parle de l'insertion des personnes handicapées, mais réellement par le travail, le sport et surtout l'école. Elle décrit aussi l'allocation personnalisée à l'autonomie (A.P.A) pour les personnes âgées, une approche individualisée et non catégorielle avec une véritable allocation compensatrice ; statistique de L’I N S E E à l'appui. Elle retient des chiffres les 12 millions de la population divisés en 7 groupes, la disparité de sexe et d'âge, la reconnaissance sociale, les 144 666 aveugles partiels ou complets qui ont plus de 70 ans et les 370 000 personnes en fauteuils roulants et enfin les 24 % de personnes en situation de handicap au chômage.
L'étrangeté des situations entre le travail et le non travail est au cœur de l'histoire de Lyse. La valeur travail est cardinale pour cette sportive dans la mesure où elle fonde sa reconnaissance. L'histoire qui va suivre est significative du combat des personnes handicapées compétentes pour l'acquisition d'une place sociale légitime. Voici le récit que nous en faisons à partir d'un article, sur l'éviction d'un travailleur handicapé, paru dans la presse locale. Cet incident a fait beaucoup réfléchir Lyse.
"Merci pour cet article, il m'a beaucoup plu. Cela confirme le besoin de se pencher sur le cas des travailleurs handicapés ou pas, on pourra développer à partir de cette expérience "la rage de vivre" et le fait de vouloir sauter les obstacles qui sont sur notre chemin tous les jours.
Je démarre mon récit du début. Je fais donc ma demande, j’ai mon emploi, j’ai du travail. Et mon receveur vient me dire : et bien justement Lyse, je suis désolé, il faut que tu passes par la C.O.T.O.R.E.P, et après je t’embauche. Il me dit : "Je te promets, je ne prends personne d’autre avant que tu ne sois embauchée." Donc, comme de plus, il avait besoin d’un pourcentage, je lui dis : "oui, oui d’accord !" Je m’inscris, tout ça, je vais à machin…je vais à la réunion de la commission, je ne sais pas je crois que ça ne s’appelle pas la C.O.T.O.R.E.P, mais plutôt la commission du travail à Blois. Je m’inscris donc, il y a des tests à faire le matin et puis il faut être reconnu comme travailleur handicapé. Et à 11h, il y a une personne, la secrétaire, qui reçoit un coup de fil, alors elle dit : "Ah, non, je n’ai pas de place aujourd’hui, non, c’est plein ! Puis elle réfléchit, et finit par dire : " Il n’a qu’à venir dans cinq minutes, je vais me débrouiller."
Voilà, pour la première impression. Et puis elle vient me revoir en me disant : "Vous ne pouvez pas être reconnue handicapée, parce que de toute façon… Je lui répète que : "j’ai bien un emploi" ! Alors elle me rétorque : "Non, non, il faut 4 ans pour que l’on vous trouve du travail". Je finis par lui dire : "Vous n’avez pas à me trouver du travail, j’en ai ! Moi, je veux être reconnue, c’est tout". Alors je lui demande à voir le médecin responsable. Elle me dit : "Ah, non, non, le médecin ne veut pas vous voir". Je lui dis : "Je suis venue pourquoi alors ?" Elle me rétorque qu'ils sont désolés ! Je rentre donc chez moi, je pleure et tout, je me dis que je ne pourrais plus jamais travailler. J’ai un emploi, et on ne veut pas me reprendre. Tu vois la galère ! Ma mère prend un taxi, et m’emmène à Blois au ministère du travail …Elle arrive, je lui explique ce qui s’était passé le matin même. Je lui dis que la secrétaire n’a pas accepté que je rencontre le médecin. On me demande si j’ai un emploi, je lui réponds que : "Oui !" Ma mère dit alors : "Ecoutez, je vous la laisse, si vous voulez me la ramener en brouette …! Moi je m’en vais !" Et bien le directeur nous a payé le taxi, car on avait pris le taxi à nos frais. 15 jours après, je passais devant le médecin de la commission. Mais je n’ai pas revu la [fameuse] secrétaire !
Ce médecin m’a même dit, que si tout le monde était handicapé comme moi, il n’aurait plus de travail ! Parce que c’est vrai que vous êtes reconnu avec aucun problème pour le travail. Je n’ai dit pratiquement pas car il a vu que je marchais [difficilement tout de même car elle oscille entre béquilles et fauteuil manuel]. Mais voilà… C’était pour le déplacement, pour savoir s’il fallait un poste adapté puis dans quelle catégorie me mettre. Savoir si c’était en catégorie, A, B, ou C. Si tu ne peux pas travailler, ou travailler avec un temps partiel, ou si tu peux travailler mais avec un poste aménagé. Moi, c’est ce que j’ai eu. J’ai eu un poste aménagé. Voilà ! J’ai eu le droit de [pouvoir re] travailler. Quinze jours après, mon receveur me prenait, mais tout cela a tenu à un seul papier reçu, et surtout à la vigilance de ma mère. Sans ce regard sur le papier, je n’aurais peut-être jamais retravaillé !"
Pour matérialiser ce petit récit des galères quotidiennes, si souvent rapportées par la presse, elle m'envoie une lettre avec les mots suivants.
"Je vous adresse aussi une photo du journal la Nouvelle République du Centre. J'ai été prise en photo dans mon travail aux chèques postaux, pendant la semaine du handicap de la ville d'Orléans. Cela a permis de me faire connaître autrement que dans les articles sportifs du tir à l'arc (elle souligne en gros caractères !).
Le nouveau Directeur a demandé à me rencontrer pour mieux me connaître lui aussi. Voilà au moins qui aura permis de créer un contact avec mon supérieur".
Pour Lyse, les besoins de chaque personne sont tous différents. Les valeurs, ainsi que les connaissances que nous font partager le monde du travail, de l'école, du sport sont cardinales pour la reconnaissance et l'identité sociale des personnes, des citoyens.



Récit no 7 et 7 bis : À propos de Richard et Paula : " Nés pour embêter les valides !



Voici de façon quelque peu provocatrice la dernière phrase que prononça Richard, alors que nous nous quittions courant mars après les journées portant sur "Cultures et corps différents" à Orléans. Il me disait : "Oui, tu sais maintenant que je suis né, pour embêter (forme euphémisée) les valides ! "
Son épouse qui faisait partie de nos hôtes ce jour là, avait ri de bon cœur, connaissant le caractère très engagé voire militant de son mari. C'est ce couple, Richard et Paula, que nous avons suivi dans différents lieux de Lorraine. Une longue période fut nécessaire pour gagner leur confiance et pouvoir accéder à leurs paroles. En effet, comment faire avec l'un qui n'écrit pas et l'autre qui ne parle pas ? Pour le premier contact, je suis passé par un intermédiaire (Un Gate Keeper au sens de H. Becher, 1963), P. Guillaumet. Il est metteur en scène d'une troupe de "danse/théâtre" pour personne "valide et non valide". Richard et Paula font partie de cette troupe. Je n'ai eu leur adhésion que bien plus tard après avoir fait mille kilomètres pour les voir in situ !
Voici ce que je proposais au responsable artistique de l'atelier afin qu'il prépare ma venue et donne quelques explications au couple qui voulait bien témoigner.
"Je travaille sur une étude de sociologie basée sur les témoignages de la personne handicapée dans différents milieux sociaux, dans des situations de handicap au quotidien. C'est pourquoi je sollicite leur aide pour communiquer et dialoguer sur ce sujet. En effet se sont leurs paroles, leurs écrits et leurs réflexions qui sont les sources de mon travail.S'ils sont d'accord, nous allons donc dialoguer à partir de nombreux thèmes extraits d’articles trouvés dans la presse «standard » autour du handicap et de la personne handicapée. Les quatre thèmes sont : le corps (avec toutes ses dimensions), le cri (révolte, joie, etc.), la cognition (écoles, savoirs, etc.) et enfin le cœur (émotion, pitié, etc).
Le temps, un temps plus long que les autres, m’est nécessaire pour que nous puissions échanger de façon constructive et profonde. Dans une première période (sur feuille libre ci-jointe), je vous demanderai de vous présenter pour voir où vous en êtes actuellement tant au niveau professionnel qu'au niveau personnel.

Deux personnes à mobilité réduite en fauteuil roulant électrique !

Le couple me répond le 02 mai 04 après m'avoir donné de multiples petits bouts d'informations. J'ai du rappeler le contrat et les premières réponses furent plus conséquentes. Ils me confirmèrent la difficulté de leur vie au quotidien.
Avec eux une longue période d'apprivoisement fut nécessaire. Il est vrai aussi que, depuis le colloque, la entre nous communication s'en est trouvée grandement améliorée. Est-ce dû au fait d'une rencontre dans un cadre plus amical ? Richard et Paula se sont complétés alors pour me répondre par de nombreux canaux de communication liés au degré de leur infirmité motrice cérébrale. On peut dire que l'un est la tête, l'autre les jambes ; que l'un est la main qui écrit et l'autre la voix qui parle.
Je les laisserai s'exprimer dans ce récit l'un après l'autre ou l'un avec l'autre ou encore par l'un mais avec la présence de l'autre. Par exemple, dans la présentation qui suit c'est Paula qui parle pour les deux. Voici ce qu'elle m'envoyait par Internet. Elle aime bien écrire avec ce média et elle a de ce fait ce qu'on appelle "une belle plume", une performance pour une dame avec une "I.M.C" athétosique et des troubles oculaires sévères.
"Nous sommes deux personnes à mobilité réduite en fauteuil roulant électrique. Nous sommes infirmes moteurs cérébraux (I.M.C) de naissance. Nous nous sommes mariés, il y a quatre ans. Notre plus grande victoire : vivre seuls en appartement !
Nos deux plus grands bonheurs furent le jour de notre mariage et le jour où on a eu les clés de notre appartement actuel. Et il y a plein de petits bonheurs et de joies. Mais nos problèmes sont plus nombreux que nos bonheurs.
Je suis [personnellement] handicapée de naissance, j’ai 46 ans, en fauteuil roulant électrique, mais, je suis une femme à part entière, j’ai des envies, des ambitions, des problèmes comme tout le monde. Je me bats pour que la ville de Metz soit accessible aux handicapés."
Pour le reste de leur présentation, ils m'invitent chez eux au lendemain d'une répétition où j'ai observé tous les témoins de la troupe. Le Mardi 10 août 2004, je suis donc reçu chez Richard et Paula dans leur appartement flambant neuf à Metz.
Je rappelle les échéances pour la clôture de ma recherche. Nous convenons que le dialogue continuera bien au-delà de cet entretien, un peu comme le note Alexandre Luria avec le cas de "L'homme dont la mémoire volait en éclats". Nous parlons de leur situation présente, des loisirs et du travail.
Ils m'apportent des détails plus fins sur eux mêmes, ainsi que des connaissances plus directes à propos de leur cadre de vie. Richard a 32 ans et Paula, 47 ans. Ils sont mosellans de naissance.
Nous faisons le point sur les différents dossiers, les cassettes enregistrées ainsi que les Email afin que Richard puisse singulariser sa parole. En effet, Paula en mon absence servira de relais pour mon questionnaire. En riant, Richard lui signale qu'enfin il sera à "ses ordres". Nous terminons ce "débat" par des promesses sur les futurs échanges. Le protocole mis en place permettra à Paula de devenir, en quelque sorte, "mon enquêteur" pour interroger son mari. Elle me dit qu'à partir de maintenant, il ne pourra plus avoir d'excuse puisque j'ai son aval pour lui poser des questions.
Les temps forts de cet entretien furent débattus à quatre voix. Le metteur en scène du théâtre m'aidera à la traduction tant que j'aurai encore des difficultés à comprendre leurs paroles parfois peu audibles.
Nous parlons des conflits que rencontre Richard avec les institutions voire certaines associations. En effet, il mène un combat pour palier aux inégalités dues aux situations handicaps mal gérées, et ce est tout azimut ! Nous reparlons aussi des questions que Paula n'a pas bien comprises : sur le corps "ami ou ennemi" du handicapé, sur le temps qui diffère pour certains dans les statuts sociaux, etc.
Je leur dis que leur combat est tout en leur honneur car il leur permet de "rester debout"... Rires aux éclats de tous... Paula me dit : "Debout ! Une dignité plutôt assise !" Re, Rires aux éclats !
Nous avons conversé aussi au sujet des C.A.T qui "cachent", des institutions qui "effacent" les personnes handicapées comme le souligne déjà Alexandre Jollien, le philosophe suisse, "accessoirement I.M.C !"
On a fait la visite de leurs ordinateurs (P.C et portables), un moyen de communication formidable pour les personnes infirmes motrices cérébrales ainsi que pour de nombreux autres handicaps.
Nous échangeons sur le rôle de l'A.P.F locale. D'après cette association le théâtre n'a aucune utilité ! Richard me dit que nous allons nous fâcher si je parle encore de l'association des paralysés de France ! Il dit cela mi figue mi raisin. Pourtant, les associations sont au cœur de la nouvelle loi, au cœur des expertises innovantes, au cœur des conflits d'intérêts. Cette problématique mériterait à elle seule une vaste étude sociologique, la polémique que notre recherche localement met à jour, excède le cadre de cette étude microsociologique. La question reste ouverte.
On parle enfin de cinéma et des films qui ont retenu leur attention où la figure principale, le héros sont des personnages handicapés Les titres dont on a parlé étaient au nombre de trois, Freaks, Le huitième jour ainsi que Les enfants du silence ; les anormaux, la maladie mentale et la surdité…

Pour m'excuser de ce long silence !

Le premier juin 2003, après un contact téléphonique, puis une lettre d'explication à Patrice Guillaumet, nous convenons du jour de ma visite aux répétitions de la troupe. Au programme, je parlerai aux artistes, assisterai au montage du spectacle de danse et me présenterai au groupe. Après cela, de longs moments passèrent sans réponse de nos deux amis, c'était à ce moment précis que je me posais vraiment des questions sur l'utilisation du " temps" par la personne handicapée.
Enfin le dimanche 25 avril 2004, un "petit courrier électronique"contenant quelques lignes de Paula, me parvient pour l'excuser du long silence. J'attendais une réponse pour engager les entretiens d'après leurs observations singulières. "Je vous écris pour m'excuser de ce silence, me dit-elle, excuser moi encore, amitié, Paula".
Le 02 mai 04, Richard et Paula me font parvenir une longue missive par Internet où apparaît "la substantifique moelle" de leurs cogitations toutes directions. On peut scander ces réflexions par le terme de : "à propos de !" Voilà, ci après, quelques-unes des idées qu'ils vont développer.
A propos des tierces personnes ; "en 12 ans de vie en appartement, le plus gros problème a été notre combat quotidien pour trouver une personne compétente pour s’occuper de nous : ménage, cuisine, etc."
A propos des voitures ; "les propriétaires de voitures ne respectent pas les personnes handicapées ni [d'ailleurs] les bébés en poussettes, ils se garent n’importe où, n’importe comment sur les trottoirs et autres places. C’est pour cela qu’on doit rouler sur la route."
A propos des trottoirs ; "certains sont beaucoup trop hauts pour monter en fauteuil électrique, et même en fauteuil manuel et nous cassons des fourches de roues à cause de la hauteur des trottoirs."
A propos des appartements ; "on a mis presque dix ans pour trouver un appartement adéquat, mais ce n’était pas la ville que nous souhaitions ! C’est la vraie galère d’être une personne handicapée !"
Étant donné les difficultés de leurs deux formes d'invalidités motrices cérébrales, j'ai dû trouver un moyen pour la restitution des paroles et des écrits. Pour palier aux problèmes oculaires de Paula, il a fallu rapidement, lui donné à lire des textes en grandes polices de caractères, ainsi que lui enregistrer des cassettes. Il en a été de même pour Richard. Ce dernier a réalisé un auto-entretien par cassettes audio.
Le 12 août 2004, juste après mon départ, les réponses de Paula me parviennent plus rapidement. Ce sont réponses aux questions non élucidées lors d'entretiens directs.
"Je vous envoie, m'écrit-elle, déjà le premier des nombreux documents que vous m'avez demandé. Amitiés. Paula".
Dans ses propos, il apparaît clairement la séparation qui existe entre la femme soucieuse de sa féminité et la personne handicapée, terme plus neutre socialement parlant.
"Pour m'acheter des habits, je vais dans les magasins "normaux". Je ne m'habille jamais avec des fringues pour "handicapés", je trouve que l'habillement adapté pour les personnes comme nous, ne nous met pas assez en valeur. Si je devais porter des joggings et des pantalons tout le temps je suis sûre que mon mari ne serait pas trop d'accord ! Je suis handicapée d'accord, mais pas dans ma tête ! Une petite anecdote, dernièrement, j'ai mon mari qui était en stage de théâtre, je suis sortie pour me payer un coup à boire et je suis entrée à la maison avec 600 ¬ de fringues : une petite folie !"
En septembre 2004, Richard s'enregistre seul, il est face à lui-même. Nous avons dû nous y mettre à plusieurs pour le décoder, pour en expliciter certains détails. Il fut tellement riche que nous l'avons intégré presque in extenso. Des silences ... qui sont quelquefois la marque des moments de souffrance ou de réflexions intenses sur son passé. Cette cassette est un "beau cadeau", mais aussi un moment difficile car fatiguant physiquement et psychiquement. Nous nous sommes mis à quatre, sur plusieurs semaines, mots à mots, pour comprendre et nous habituer au timbre de sa voix.
A Orléans les 24, 25 et 26 mars 2005, j'ai organisé, en tant que chargé de projet sur le handicap à l'Université, les journées sur le corps et la différence. La troupe fut invitée pour montrer sa production devant les étudiants ainsi que devant d'autres membres de différentes institutions locales. Richard et Paula sont venus en retour d'invitation chez nous. Ils m'ont fait un "contre don" amical par leur analyse personnelle de l'accessibilité des chambres d'étudiants dans lesquelles ils logeaient ainsi qu'une liste des erreurs architecturale d'accessibilité sur notre propre logement. Ce jour là, j'ai observé la réaction de mes propres enfants qui furent au cœur de la démarche ethnographique, face à cette situation insolite. L'éducation, essentiellement dans sa composante solaire, semble de plus en plus être une porte d'entrée pour apprivoiser les différences.

Handicap ne veut pas dire maladie !

"Pour moi, la vieillesse, n’est pas un handicap, il faut arrêter les moqueries. Les personnes handicapées subissent leur handicap mais la dépression dont on parle dans les articles n’en est pas un de plus. Etre Handicapé ne veut pas dire être malade !", nous écrit Paula en caractères majuscules.
On retrouve encore dans ce "cri écrit", toutes les ambiguïtés entre le "normal et le pathologique". Les analyses de G. Canguilhem (1966), à propos de ce sujet, nous invitent à penser qu'ici aussi la santé et la normalité sont convoquées : que signifie être en bonne santé dans le cas de handicaps très lourds ? Être handicapé est-ce être forcément malade ? Il peut paraître étrange, d'être en bonne santé et être en même temps atteint d'une infirmité grave, et dire : "d'une tétraplégie ou autres infirmités, ce n'est rien, je n'ai pas mal et je suis parfaitement heureux !" comme le déclarent certains de "des sujets d'études" tout au début de nos échanges.
Paula poursuit en parlant de sa "non maladie" en situation de handicap qui est une "galère" pour eux deux. "Nous sommes deux personnes à mobilité réduite en fauteuil roulant électrique. Nous sommes I.M.C de naissance. Je suis handicapée de naissance, j’ai 46 ans, en fauteuil roulant électrique, mais, je suis une femme à part entière. J’ai des envies, des ambitions, des problèmes comme tout le monde. Je me bats pour que la ville de Metz soit accessible aux handicapés
Ces derniers mois, nous n'étions pratiquement pas à la maison, en ce moment nous passons presque toutes nos journées chez les médecins pour mon dos. Taper sur l'ordinateur n'arrange pas les choses. Il parait que vous avez rouspété avec Patrice, mais ce n'est pas à lui qui faut s'y prendre mais à moi. Il y a des jours où le physique et le moral ne sont pas très fiables. Alors si je n'ai pas été très courageuse en ce moment, ne m'en voulez pas !"
Elle termine par cette formule abrupte qui en dit long sur les souffrances ainsi que les frustrations subies au quotidien : "C’est la vraie galère d’être une personne handicapée !"

Rester tous les jours en pyjama !

C'est Paula qui de nouveau nous parle et Richard qui nous aide à traduire ses paroles. Elle raconte ainsi ses peines et émet des critiques virulentes à l'encontre de l'institution A.P.F de Moselle. Un cri de "rage théâtralisée", d'ailleurs nous parvient de Richard qui me dit ce jour là : "si tu veux qu'on soit ami, ne nous parle plus de cette institution là !" Paula nous relate à propos des institutions, de terribles paroles qui apparemment sont restées au fond de sa mémoire. Il y a environ dix ans de cela, à l'hôpital elle attendait, lorsqu'elle a surpris une voix qui disait de l'autre côté du mur : "Tiens, ils l'ont laissée vivre celle-là !"
Elle réagit ensuite sur l'article de "Mino" qui veut en finir avec la vie.
"Il y a deux problèmes dans le cri de Mino, l’euthanasie et le suicide. Je ne suis d’accord ni sur l’un, ni sur l’autre.
Mino possède le même handicap que moi, mais par rapport à Mino, je n’ai pas essayé de me suicider par contre j'y ai pensé et je l'ai dit plusieurs fois. Mes parents, eux aussi, ont tout essayé pour me faire marcher. Quand j’étais petite, ma mère avait honte de me sortir en fauteuil roulant dans la rue, tant les gens étaient stupides envers mon handicap. Pour résumer, Mino n’a jamais aimé ou elle a peur de la vie !"
Dans la vie plus ordinaire, Paula m'explique que pour les transports, il y a [certes] le G.I.H.P, mais que "cela coûte horriblement cher. Un aller-retour de 60 Km coûte 63 euros, le même en bus coûte 5 euros. Cela n’est pas normal.
Pour trouver des tierces personnes respectueuses et de confiance c'est difficile. En 12 ans de vie en appartement, le plus gros problème et notre combat quotidien, c'est de trouver une personne compétente pour s’occuper de nous pour le ménage, la cuisine… tout ce que l'on ne peut pas faire nous-mêmes." Malheureusement ce couple a eu recours aux services d'une personne indélicate qui a su profiter de leurs situations. (L'affaire A.M.A.P.A). Une "auxiliaire de vie", dont les guillemets dans le texte, sont à noter car elle m'écrivait sur ce sujet qu'il est impossible d'en trouver une qui veuille [bien] faire des toilettes surtout à Metz.
"Elles nous répondent que ce n'est pas assez rémunéré, ou [qu'elles n'ont] pas assez de temps, [en effet] une piqûre prend deux minutes et une toilette bien faite prend trois quarts d'heure à une heure. Où elles viennent tout de même, mais [quand] elles viennent [c'est à] à 11 h 30 et elles font une toilette en 10 minutes : (coucher, habillage etc. [tout compris !]). Il faudrait que l'on reste tous les jours en pyjama ou en jogging ! Pour une femme coquette qui aime se mettre en jupe de temps en temps, ou bien se maquiller, elle ne le peut pas. La coquetterie chez une femme handicapée c'est un luxe ; je me comprends, ce n'est pas le prix, mais quand on demande à son "auxiliaire de vie" ou à une infirmière qu'elle t'habille un peu mieux en mettant une robe ou une jupe ainsi qu'un chemisier et des collants, ou pour me maquiller un peu plus ; [hé, bien] c'est la croix et la bannière ! Elles répondent en général qu'elles n'ont pas le temps. Mais, moi, maintenant, j'ai trouvé une auxiliaire de vie qui m'habille et me maquille comme je le souhaite ! "

Des piqûres d'eau de mer !

Je vais laisser ici Richard seul nous parler de lui. Un beau moment. L'écriture de ces quelques pages ont nécessité de longs mois d'assemblage. On remarquera que le soin, la reconnaissance légitime qu'on ne lui a pas témoigné ni à l'école, ni dans le social, il est en train de les acquérir par son combat militant et par le théâtre où c'est révélé son grand talent au dire de nombreux pairs. Ce document nous est parvenu très tard, une thématisation aurait été difficile à réaliser. Nous avons pris l'initiative de laisser se déployer sa parole. Nous pensons ne pas avoir trahi notre problématique, ni la mise en place de notre méthodologie, c'est toute la difficulté mais aussi la grande richesse des approches ethnographiques, qui se révèlent dans ces cas "de force majeure" ! Certains pourraient y voir un manque de recul, ou une analyse approximative. Je parlerai plus "d'incidents" bénéfiques, qui montrent que l'humain résiste, et qu'à travers ces résistances justement, s'expriment tout le potentiel de futures analyses. Le contact du terrain rend modeste, le retour au terrain rassure.

"Bonjour, je suis né en 1971. J’ai commencé à aller à Berck pour des piqûres d'eau de mer. (Pour lutter contre l'I.M.C !)
Puis on m’a placé dans un institut d'éducation motrice (I.E.M) à l’âge de quatre ans. Ma première école, c’était rue Rochambeau, c’était une école pour éduquer les petits et je suis resté dans cette classe pendant au moins 5 ans. La première année on a appris tout à fait normalement. La deuxième année, comme on a des nouveaux copains et copines, on a dû refaire l’année précédente pour remettre à niveau les nouveaux arrivants. Et ça pendant cinq ans de suite. Pendant cinq ans au lieu de m’améliorer dans ma scolarité, je n’ai rien appris. J’ai eu un accident puis je suis resté pendant 4 à 5 mois en arrêt à l’hôpital et après en rééducation pendant trois mois à la maison.
Puis à la rentrée scolaire, je suis allé à Metz Queuleu. Là aussi, ce n’était pas une classe, c’était une classe-atelier. Le matin on faisait la classe puis l’après-midi des ateliers. On travaillait par [groupe en ateliers.]. J’avais un peu appris à lire et à écrire difficilement. Mais comment rattraper le temps perdu de 4 ans à 10/11 ans. J’en avais marre. J’en ai parlé à mes parents. On m’a pris dans un autre établissement, à Flavigny.
Là aussi c’était une galère ! J’ai fait cinq années là dedans ! On m’a dit : "Votre niveau est trop faible. Il vous faudrait une remise à niveau. " Et là on m’a dit : "Vous avez un niveau de C.E.1", du cours élémentaire 1e année ! C’était vraiment lamentable, quoi, pour mon âge, j’avais 15 ou 16 ans. Presque à la majorité. Je n’ai rien appris, et on m’a convoqué chez le directeur. Ils appelait ça le …un endroit pour trouver un travail pour essayer de travailler. On m’a mis dans un I.M.PRO.
Là aussi, c’était difficile et j’ai piqué des crises de colère parce que au lieu d’avancer dans le travail, je me suis senti repartir à reculons, avant c'était l’école [cela allait] parce qu'après dans l’I.M.PRO, là je faisais des pompons ! Ou de la marche à pieds ! Je n’avançais pas. Plus rien du tout. Là, j’ai reparlé à mes parents. On m’a remis à la classe-atelier I.E.M de Metz Queuleu gérée par l'association des paralysés de France (A.P.F). Là comme c’était un nouveau directeur, on pouvait travailler. J’apprenais la mécanique, le travail du bois, de l’électronique, de l’informatique, de la vidéo, bref, je touchais un peu à tout. Et c’est là que j’ai découvert comment écrire en informatique. Et c'est ainsi que je peux me débrouiller en écriture et en lecture. Je sais lire mais pas correctement. Et pour écrire, j’écris comme je parle ! Je fais des fautes dans les phrases. Mais mon vocabulaire il n’est pas à la perfection. Et là comme je n’apprends rien et que je n’ai toujours rien appris de ma vie scolaire, j'ai un niveau archi nul, mais je suis vachement prévoyant. Je prévois mes arrivées. Et c'est là que je me suis trouvé un atelier-théâtre pour me trouver une carapace parce qu'en dessous de cette carapace, ce n'est pas beau à voir. Je rigole beaucoup, je blague beaucoup mais je m’exprime en déconnant, en blaguant beaucoup parce que je n’aime pas beaucoup écrire, je me répète. "

Peut être ces longues périodes de silences dans nos relations furent nécessaire à Richard, afin que l'on trouve dans cet intervalle de temps un moyen commode pour échanger entre nous. Cet enregistrement-entretien en constitue une preuve.

"Je rajouterai, je croyais qu’après l’école on aurait un travail. J’ai fait des stages. J’ai fait 3 ou 4 stages en tout. Tous ces stages ont été à peu près positifs, à part un seul où dans le rapport de stage on m'a dit que j'étais immature. Mais là, je ne comprends pas pourquoi qu’on m’a dit "immature", parce que comment voulez-vous, montrer de vous le meilleur dans un stage, en si peu de jours, en 15 jours. Comme on ne connaissait pas l’endroit, on travaillait du matin au soir. En soirée, on était fatigué et il fallait aussi montrer notre ["débrouillardise"] et dans le stage là, ils voulaient voir comment le handicapé se débrouiller en ville, en appartement, partout. C’est pour cela qu’ils me disaient que j’étais immature. Cela c’était durant la période scolaire. Et pendant l’école on m’a dit, arrivé à 20 ans, à cet âge donc, on m’a fait croire que j’aurai une place en centre d'aide par le travail : dans un C.A.T. Moi je disais : "D’accord !" Mon avenir était tout tracé et tout. Mais manque de pot, à l’âge de 20 ans, j’ai demandé de rester un an de plus à l’école parce que je ne voulais pas voir mon avenir à la maison à ne rien faire. Finalement je suis resté à la maison. Le 1er jour on regarde la télé, la 2ème semaine on regarde la télé, 1 mois, 2 mois, ça va. Mais le 3ème mois on "s’emmerde" à la maison. Surtout que je me "prenais la tête" avec ma mère.
J’ai trouvé une activité. J’ai pris mon ordinateur. J’ai fait une pancarte. D’abord j’ai fait une pancarte qui disait : "Cherche à rendre service aux gens comme bénévole ! ". Comme cela ne marchait pas, j’ai réfléchi sur une activité et j’ai bientôt trouvé. J’ai fait une affiche en marquant : "débarrasse vos bouteilles vides gratuitement pour les emmener au container à verres". Et là ça a commencé à marcher. J’ai fait ça un an ou deux ans. Puis j’en avais un peu marre de la maison. J’ai trouvé une copine. Cela faisait deux ans et au bout de deux ans ma copine m’a dit : "Tu laisses tes parents et tu viens chez moi !" J’ai dit cela à mes parents. Mes parents ne voulaient rien savoir. Ils ne voulaient pas que je fasse ma vie comme tout le monde. J’ai fugué. J’ai préparé ma fuite avec le kiné parce qu’il fallait dire que j’allais trois fois au kiné dans la semaine. Ça me sauvait un peu parce que je voyais un peu de monde en dehors de chez moi. J’en ai discuté avec mon kiné et mon kiné disait : "Si tu veux, tu mets tes habits chez moi et quand tu en auras assez, tu me préviens et on fait les papiers pour transférer ton dossier chez un autre kiné ". Heureusement que le kiné était là, parce je n’aurais pas été jusque là aujourd’hui. De là, je suis allé chez ma copine avec le taxi. Le soir mes parents appelaient ma copine : "Est-ce que Richard est là ? ", "Non ! Il n’est pas là !". Au bout de trois fois, je leur ai répondu et leur ai dit : "Vous ne voulez pas écouter, c’est pour ça que j’ai fugué. " On m’a menacé de me faire revenir à la maison. Je suis donc revenu à la maison, mais la situation se compliquait. Mon père ne voulait rien savoir et il m’a bloqué à la maison. J’ai (re) fugué pareil, comme la première fois et j’ai coupé les ponts avec mes parents pendant 3 à 4 mois. Et au bout de quatre mois, on a discuté, ils ont mis de l’eau dans leur vin et moi aussi ! On a tous fait des compromis. Ça c’est mon aventure de ma naissance à 24 ans !"

Le lecteur comprendra que nous ne pouvions pas décemment couper ce récit, plein de souffrances et d'interrogations intimes, mais récit porteur aussi de potentialités beaucoup plus positives.

"Deuxième point. Si j'étais reconnu par la C.O.T.O.R.E.P, je pensais que celle-ci me classerait pour un travail dans C.A.T (un centre d'aide par le travail), car me retrouver dans les foyers, je ne voulais pas en entendre parler. Je trouve lamentable que lorsqu'il y a des places en C.A.T, ils ne nous écrivent pas de suite pour nous prévenir nous les travailleurs handicapés. Comment voulez-vous être au courant pour avoir une place en C.A.T ? Si cela se trouve à 21 ans ou 22 ans j'aurais pu travailler, on aurait pu me trouver une place en C.A.T, mais malheureusement je ne savais rien. Je ne savais pas qu’il y avait des places en C.A.T. Ca s’est passé pendant plus de dix 10 ans. Maintenant que j’attends une place en centre, [et ce] depuis plus de 10 ans, hé bien maintenant je n’y crois plus et sincèrement ça ne me dit même plus rien d'y travailler. Parce qu’on gagne beaucoup plus en restant à la maison qu’en travaillant ! Parce qu’en travaillant on divise la paie par deux, qu’en restant les fesses à la maison et à trouver des activités telles que : l’informatique, les réunions de groupes de jeunes à faire des activités. Alors aujourd’hui, si la C.O.T.O.R.E.P, la commission des travailleurs handicapés me dit qu'on a trouvé un poste pour moi. Je refuserai parce qu’il faudrait me remettre à niveau et tout ça.
Et aujourd'hui, j’ai une activité que j’aime bien, le théâtre. J’ai fait une pièce de théâtre cet été et l'histoire de mon personnage, c’était de me remettre [par lui interposé] à l’école… J’ai revécu l’école sur scène et ce fut hyper dur. Parce qu'en répétition ça s'était très bien passé mais quand je l'ai dit devant tout le monde, sur scène, j’ai pleuré et cela c’était très émouvant pour moi.
Je vais vous parler [maintenant] de la vie quotidienne, de la vie accessible pour tous. Je suis révolté aussi parce que je ne comprends pas que depuis le temps qu’il y a des handicapés sur terre, je ne comprends pas pourquoi il y a aussi peu d’aménagement pour les transports en commun. Je prends les transports en commun, les trains par exemple, sur une vingtaine de voitures il y a un emplacement handicapé. Donc on ne peut pas voyager à deux dans le même train. On ne pourrait pas voyager par exemple ma femme et moi, dans le même wagon ou dans le même train, parce qu’il y a une seule place dans le train sur 20 wagons. La loi dit ça. [Je pense qu’il veut parler des règlements de la S.N.C.F et des accessibilités (n.d.l)]
Mais on a tenté l’expérience, là je peux vous dire qu’on peut mettre deux fauteuils électriques sur la même place handicapée dans le wagon. Mais comme le règlement dit une place par train, la loi est donc mal faite au niveau des trains. Je parle maintenant des transports publics à Metz. A Metz, on a les Rapides de Lorraine et les T.C.R.M. (transports en commun de la région messine). Je voudrais les attaquer, parce que là aussi, pour les transports publics je me pose une question : que signifie public pour eux ? Nous les handicapés, dans ce cas là, on est quoi ? Il faut se demander où est-ce qu’on nous met nous, les handicapés, dans le public ou à "la casse" ? Je me pose la question, moi je dis que les handicapés c’est public, il faut se poser les vraies questions, s’ils parlent transports publics, ils doivent aménager leurs véhicules pour un fauteuil, pour une canne, pour un roller (il crée un beau néologisme en disant "rollateur" !), pour tout quoi. Sinon il faut changer le transport public, il faut dire transport valide et pas public, c’est mon opinion ! C’est comme les guichets, les caisses. Les guichets c’est trop [caractéristique], il y en a très peu de ces guichets qui sont à notre niveau, à part à la poste, je ne vois que ça.
Passons aux fauteuils électriques. Moi je me demande si le fauteuil électrique, normalement est un véhicule de route. Je roule sur la route, on me klaxonne aux fesses et on me dit : "allez sur le trottoir !". D’accord sur le trottoir. Je vous donne le fauteuil, allez donc rouler sur le trottoir ! Sur les trottoirs où il y a [souvent] des travaux, où il n'existe pas de "trottoir bateau", où il y a des voitures qui se garent comme "des c...". Parce que pour moi c’est "des c..." ! Il y a des tas d’obstacles comme ça qu’on rencontre dans la ville. Je voudrais que les députés, le président Chirac, se mettent sur un fauteuil électrique et aillent faire un parcours "du combattant". Ils verront les difficultés. Pareil pour les réparations de fauteuil, les pannes d’un fauteuil et tout ça. On dirait qu’ils en profitent du handicap pour récolter de l argent. Là aussi avec notre petite pension, à peine 670 ¬ par mois, on ne va pas loin. Bref, ils ne respectent pas la loi. La loi qui est écrite, quoi, pour le handicap. Encore beaucoup de travail reste à faire, comme dans les bâtiments et les services publics.
Je sais qu’avec ce qu’on gagne, s’il fallait payer la tierce personne, déjà que la tierce personne n’est pas beaucoup payée, parce qu’on n’a pas les moyens de payer avec notre petite pension. On est limité sur les horaires, sur l’heure. On a 3 heures par jour. En 3 heures au prix de 7,& , allez 8 ¬ , on ne va pas loin. Et on n arrive pas à tout faire en 3 heures, le ménage, le repas, la toilette pour ma femme, parce que ma femme on doit l habiller et la laver tous les jours, ça prend déjà une heure, une heure à 8 ¬ . Ce n est pas cher payé. Si l état nous donne les moyens, les outils pour travailler pas de problème, parce qu'ici quand même, il paraît qu'on a l A.M.A.P.A. (Association mosellane d'aide aux personnes âgées). L A.M.A.P.A, quand on leur dit de faire ça, il s’en "foute" carrément et quand on le dit à leurs responsables [de cette association], là encore on n’est pas écouté. Tant qu’ils en seront là à seulement recevoir l'argent à la fin du mois...là, ils sont tous contents !
Une fois je ne voulais pas payer parce que la dame elle téléphonait, mangeait en cachette, sans nous le demander et ce, sur notre compte ! Elle buvait et elle faisait tout sauf travailler. Et on leur a dit à l’A.M.A.P.A : "On ne paie pas !" On ne l’a pas payée et au bout de trois mois on reçoit un huissier, on était obligé de payer, de payer pour rien, on a payé l’A.M.A.P.A pour rien. Là aussi c’était encore, c’est un monde barbare ça, je n’aime pas dire ce mot là. On nous prend pour des tiroirs caisses. On est là que pour payer tout le temps, payer, payer...Même pour les parents du [jeune] "handicapé", ça va de l’enfance à 20 ans, ça va jusqu' à cette limite. Mais après quand le "handicapé" touche son allocation on doit la donner aux parents, ça aussi c’est un peu dégueulasse. Et je connais beaucoup de gens qui sont handicapés et qui sont restés chez leur papa et leur maman. Le "handicapé" il ne voit même pas les sous, c’est les parents qui se les font verser directement sur leur compte, comme ça l’handicapé il ne voit rien. Et je trouve ça hyper dégueulasse. Et il y en a beaucoup [dans ce cas].
Pour conclure, les handicapés c’est des gens comme tout le monde, ils comprennent beaucoup de choses, des fois ils sont même plus intelligents que les valides. Des fois je me pose la question, c’est qui le handicapé, c’est "l’handicapé" lui-même ou c’est le valide ? On se pose la question. Bref, moi je dis à tout le monde, on n’est pas handicapé, mais par contre le reste du globe terrestre, lui, il l'est handicapé. Et beaucoup plus parfois que nous autres !
Michaël, si tu as encore besoin de mes réponses à tes questions, n’hésite pas de m’écrire ou de me laisser un courrier Internet. J’espère que tu auras compris toute ma cassette. Désolé, je voudrais bien écrire sur papier mais j’ai peur que ça serait du petit chinois ! Pour moi je me comprends, mais pour toi, j’ai peur que cela soit vraiment du chinois !

Nous avons mis le temps, mais "ce chinois" fut bien traduit. A Orléans, un peu plus tard, les 25 et 26 mars 2005, nous avons organisé, des journées thématiques intitulées Cultures et corps différents, pour une autre approche motrice. J'ai retrouvé Richard et Paula. Ils y ont participé comme acteurs et comme utilisateur des chambres dites "accessibles" du parc universitaire. A mon domicile, ils m'ont fait un retour sur la journée du spectacle, sur l'accueil universitaire et sur les perspectives des entretiens ultérieurs.
Nous avons pris l'engagement de nous tenir au courant de toutes formes de collaborations possibles comme pour la création d'un grand colloque sur Cultures et différences durant l'année 2006. Ils veulent demeurer au centre du réseau d'interconnaissances au sens du sociologue A. Schütz pour la suite des recherches. Ils désirent aussi rester dans l'ouverture ainsi créer et partager l'aventure des savoirs à explorer pour le futur.
Récit no 8 : À propos d'Elyse : "Tout ce qui était héréditaire, ce fut pour moi !"



Je suis le numéro 5 !

Dans une présentation, d'elle-même, Elyse me signale sa position dans sa grande fratrie, ainsi que la longue liste de ses problèmes depuis sa plus tendre enfance.
"Je m'appelle Elyse, j'ai quarante ans. Je suis handicapée... on va dire que je suis reconnue travailleur handicapé depuis quinze ans. Mais je suis malade depuis l'enfance. J'ai quatre frères et une sœur. Je suis l'avant dernière. Je suis le numéro cinq !
C'était un handicap [les maladies pulmonaires] qui était moins embêtant au début, j'étais asthmatique. Mais le problème, c'est qu'il y a 40 ans, pour faire des cures pour l'asthme, on faisait cela pendant la période scolaire. Ce qui m'a [pénalisée], quand on est gamin, quand on est en cours préparatoire (C.P), si on manque trois semaines, si on a fait de plus deux à trois bronchites avant, donc on manque en moyenne un mois et demi dans l'année scolaire, ça met l'année scolaire en l'air. Pour les bases scolaires, c'est foutu quoi ! Et puis après, il y a le handicap physique qui s'est rajouté un petit peu là-dessus, n'est ce pas !
Donc maintenant, j'ai un handicap respiratoire, je suis sous assistance respiratoire, je suis aussi à la limite de ne pouvoir plus [rien voir] au niveau de ma vision. C'est ce qui me gêne le plus.
Oui, c'est ce qui me [fait souci]. Mon handicap physique me gênerait moins. On peut plus facilement s'adapter avec le fauteuil, les voitures aménagées et tout ça. Parce que la vue, pour moi c'est ce qui m'embêterait le plus. Je sais que je risque de me retrouver non-voyante et ça, ça m'embêterait beaucoup...
Tout ceci est lié à une rubéole. Quand ma mère était enceinte de moi, elle a eu la rubéole. Cela s'est reporté sur les yeux. Donc j'étais devenue très myope et cela s'est constamment aggravé. Bon, il y a deux sortes [de scénario] n'est-ce-pas : soit ça s'arrête et ça stoppe à l'adolescence, soit ça évolue et puis après bien ça évolue quoi. Mais le problème qui se pose, maintenant, c'est que j'approche de la quarantaine, que je prends beaucoup de cortisone, donc la cortisone, c'est très mauvais pour les yeux, c'est pas compatible, et ça joue sur la cataracte, notamment. Quand on est très, très myope, les cataractes s'opèrent beaucoup moins bien. Le problème va se poser là à un moment donné. Donc moi j'aurai une cataracte précoce, la décision va se prendre de l'opérer ou pas. Sachant que j'ai plus que mon oeil gauche !
J'ai beaucoup d'arthrose aussi. Donc ça, c'est héréditaire. De toute façon, comme j'ai dit à ma mère : "Tu en as fait six des enfants et tout ce qui était héréditaire, c'est pour moi !". Mais bon, les médecins m'ont expliqué que du fait qu'elle avait eu la rubéole, j'étais très fragile, beaucoup plus fragile qu'un enfant normal qui n'avait pas eu de problème. Mais comme je leur ai dit "j'ai encore de la chance, je ne suis pas encore folle ! "
Elyse poursuit en parlant du monde du travail dont on connaît toute l'importance pour les personnes handicapées. L'histoire fait une place particulière aux revendications, aux combats de ces mêmes personnes pour l'accès au travail.
"J'ai fait un reclassement professionnel en 1990. Oui, en 1990-1991. J'ai été obligée de l'interrompre parce que j'ai été très malade, j'ai fait des grosses bronchites. Donc, le reclassement professionnel avec l'A.F.P.A. (association nationale pour la formation professionnelle pour adultes), quand on manque de trop, comme ça c'est passé, au bout d'un moment on vous dit non, vous ne pouvez plus continuer, il faut recommencer. Donc en fin de compte, je n'ai eu mon diplôme, moi, qu'en 1993-1994. J'ai travaillé un petit peu à l'Université, au logement universitaire. Et après, c'est là que je me suis fait opérer et c'est là qu'il y a eu, "l'accident" ! J'ai travaillé au logement universitaire en contrat emploi solidarité (C.E.S) pendant, je ne sais plus, un an. Après, je suis retombée malade. Là par contre, j'avais fait une attaque de paralysie. C'est pour cela qu'on s'est décidé à m'opérer."
Après toutes ces mésaventures, elle rencontre le sport. Une nouvelle passion commence. C'est par ce biais que nous nous rencontrons, par l'entremise de Lyse (récit no 6), qui est son amie, sa confidente, ainsi que sa partenaire dans les compétitions de tir à l'arc.

Je préfère rencontrer les gens !

Nous prenons contact par téléphone, courant 2003. Je lui fais part de ma démarche. Je lui fais parvenir les dossiers, puis nous convenons d'un rendez-vous au tout début de l'année 2004.
Elle ne veut pas écrire et préfère les entretiens directs même si cela dure deux heures pour rattraper le retard accumulé. En effet, nous nous rencontrons seulement le 10 février 2004 à 14 h chez elle. Elle vit chez ses parents. Nous conversons dans la cuisine sur la base des documents un, deux et trois. Elle porte un regard très lucide sur le handicap au quotidien. Elle fait partie "des battantes" comme le suggèrent certaines typologies sportives. Elle excelle dans la pratique du tir à l'arc handisport, à l'instar de son ami Lyse, mais dans une catégorie différente.
Nous démarrons enfin l'entretien avec Elyse à Chaingy, le mardi 10 février 2004 autour d'un petit café avec la présence des parents qui souhaitent voir "le chercheur des S.T.A.P.S" ! Rapidement, elle leur demande de vaquer à leurs occupations ! Elle préfère que les trois entretiens se déroulent en même temps. Les supports de connaissances, que devaient constituer les documents écrits, n'ont pas été reçus à temps. Des problèmes au centre de tri postal du Loiret en furent peut être la cause. J'ai dû refaire le dossier complet et agrandir tous les documents car sa cataracte aggrave sa vision. Elle préfère de loin rencontrer les gens et leur parler !
Sa mère me contacte inopinément, le 26 juillet 2004, pour me signaler son hospitalisation. Son état général s'est rapidement dégradé durant l'été. Elle est partie dans un centre de cure dans les Pyrénées pour deux mois près de deux font Romeu à 800 Km de sa ville natale. Elle régresse au niveau de ses différentes pathologies. Elle retourne dans son fauteuil, un tremblement fait qu'elle ne contrôle que difficilement ses bras. Pour le tir à l'arc de compétition, elle doit adapter un nouveau style. C'est ce qu'elle a déjà réalisé au niveau moteur pour poursuivre dans sa passion sportive malgré tous ces aléas.
Elyse est partie dans les Pyrénées en véhicule sanitaire léger pour y rester jusqu'au 12 septembre. Sa mère me donne ses coordonnées, les horaires où elle est disponible, ainsi que son téléphone personnel. Je lui téléphone donc quelques jours après. Elle me raconte que son état de santé s'est détérioré et qu'elle a dû faire un séjour à l'hôpital à Perpignan où cela ne s'est pas très bien passé. J'ai noté de la souffrance dans ses propos et une énorme fatigue. Nous convenons d'un rendez-vous pour parler de tout cela lorsqu'elle reviendra dans le Loiret.
Le mardi 28 septembre 2004, chez Elyse on nous dialoguons sur le dernier document qui parle du corps dans ses différentes dimensions. J'ai fait enregistrer le texte sur cassettes pour qu'elle ne se fatigue pas trop. Elle réagit, comme le montre ce court extrait, sur le poids des média dans la diffusion des connaissances.

"Je n’ai pas eu de problème au niveau scolaire, je n’étais pas encore handicapé. Mais je connais les problèmes, on voit de plus en plus de gens qui en parlent, on en voit de plus en plus à la télé, ce qui aide pas mal [à la compréhension]. Car si il n’y avait pas lé télé, on ne verrait pas tout ça. Avec la télé, les gens aident plus facilement. Le problème c'est qu’ils souffrent, qu’ils ont besoin d’une auxiliaire pour les aider, et ces personnes, nous avons de plus en plus de mal à en trouver. C’est un peu les parents qui se débrouillent pour cela."
Nous avons évoqué dans nos derniers contacts, les Jeux Paralympiques, sujet sur lequel elle a de nombreuses choses à dire.

Le chirurgien a touché la moelle épinière !

En même temps que l'engagement dans le travail qu'elle venait de trouver notre amie subissait une attaque de sciatique paralysante due à une hernie discale.
Il y a quelques années, c'était en 1993, me raconta-t-elle, on s'est décidé à m'opérer. Donc il m'a opéré. Cela c'est bien passé à la première opération, très bien même, mais après neuf mois, il y a eu une récidive d'hernie discale et là, c'est là qu'il a fait la bêtise. Il m'a dit que non, mais il a fait la bêtise."
J'avais remarqué lors de notre première rencontre des fauteuils et autre béquilles un peu partout dans la pièce. J'avais remarqué aussi, au niveau de ses jambes, une mobilité du train inférieur difficile certains jours et impossible d'autres jours.
"C'est à la suite de cette deuxième opération, pour une hernie discale récidivante, que le chirurgien a touché la moelle épinière, sans la sectionner complètement ! C'est pour ça que je peux encore un peu marcher ! C'est quand même important pour moi, par rapport à ceux qui sont complètement paraplégiques. Par exemple, tu vas à des endroits où il n'y a pas de toilettes pour handicapés, je peux quand même y aller. Ceux qui sont complètement paraplégiques, eux, ils sont vraiment coincés.
Non, je ne faisais pas de sport [avant l'accident]. Non parce qu'il faut bien dire que quand on était gamin, les asthmatiques, on n'avait pas droit au sport. Maintenant ça a changé, heureusement ! On n'avait [vraiment] pas droit au sport. Mais moi, pourtant j'aimais bien. Je pensais déjà à essayer le tir à l'arc. Cela me plaisait déjà. Mais, j'ai mis un peu de temps avant de m'y mettre quand même. Il fallait déjà que j'accepte le fait d'être handicapée. Un peu plus que je n'y étais ; il fallait un handicap qui se voit ! Ca change n'est ce pas ! Parce que là, avec mes yeux, j'ai de la chance, j'ai des lentilles, ça ne se voit pas. Mais lorsqu'on a un handicap qui se voit, au début, il faut accepter le regard des gens. Alors au début, on y fait un peu plus attention et après on y prête même plus [la même attention]."
Les maladies et les handicaps s'accumulent aujourd'hui sur la personne d'Elyse. La situation sociale, ainsi que les réseaux qui l'entourent, l'aident dans cette spirale infernale. Elle doit lutter souvent contre l'ennemi qu'elle identifie en tout premier lieu ; c'est pour elle d'abord la douleur. Celle-ci se transforme en souffrance psychique qui réapparaît de façon insidieuse en fonction de circonstances singulières, de petites déstabilisations que l'on ne manque pas de trouver dans les situations de handicap.
Mais, comme elle le disait (et le répète à l'envie), malicieusement, aux médecins : "J'ai encore de la chance, je ne suis pas encore folle !" En disant cela, elle ne fait aucun ostracisme contre "les malades dits mentaux". Dans nos entretiens ultérieurs, elle se montre toujours pleine de soin et de prévention pour ces personnes. Elyse pense qu'il faut les inclure à l'école pour le plus grand bien de tous !

Trouver quelque chose pour ne plus avoir mal !

Nous avons abordé des sujets de réflexions plus durs sur les souffrances extrêmes presque à la limite de la clinique. Nous avons pour cela échangé sur les deux articles, celui sur le cri de Mino qui est tétraplégique qui évoque sa vie intime, sa sexualité, son suicide assisté, et celui sur les mères courages aveugles. On essaie de voir au quotidien, comment ces mères aveugles peuvent élever leurs enfants, enfants qu'elles ne verront jamais de leurs propres yeux. J'ai voulu amener ces thèmes éminemment anthropologiques, au cœur même des vulnérabilités, pour mieux, soit mettre à distance sa propre fragilité ou soit, plus directement pour mieux en parler.
"Je comprends très bien, me dit-elle, que quelqu'un puisse baisser les bras. A la limite, ce n'est pas de sa faute, c'est sa force de caractère qui compte, c'est avec du caractère qu'on s'en sort !
Sur la fragilité, tout dépend de comment on perçoit son handicap. Plus fragile dans certaines circonstances, oui, mais dans d'autres, non ! Il y a des personnes qui sont valides et qui sont plus fragiles que nous. Au niveau mental je parle, n'est ce pas. Pas au niveau santé, c'est pas du tout pareil. Je dis que toute personne a son caractère, on est plus ou moins battant, que l'on soit handicapé ou pas. Pour ma part, il n'y a pas de différence.
Moi, je pense que c'est pareil que pour tout le monde. Même à la limite, une fois que la personne a accepté son handicap, elle sera moins dépressive. Et si elle fait du sport par exemple, elle sera mieux intégrée dans la vie. Mais après tout, elle peut voir la vie d'une autre manière !
Je ne pense pas être plus courageuse qu'une autre, je pense que c'est pareil [que pour tout à chacun]. Il y en a qui disent que je suis courageuse d'accepter [ma situation] comme je l'accepte. Mais moi c'est ma philosophie. Si je n'acceptais pas mon handicap, autant me mettre une balle dans la tête tout de suite ! Après c'est vrai, la souffrance physique fait qu'il y a des jours où je me dis : "C'est vrai que si je pouvais trouver quelque chose pour ne plus avoir mal je ferai n'importe quoi ! ". Même si je ne peux plus bouger, à la limite, je m'en moque, c'est la douleur qui me freine le plus souvent.
Dans les articles journalistiques, ils n'ont pas cherché assez loin je pense, c'est dit par les personnes. Parce que souffrir d'un handicap, si on est handicapé, on vit avec, mais ce qu'on a dû mal à vivre, c'est avec la douleur. Elle est permanente chez moi. C'est tous les jours, tout le temps. C'est ça qui est lourd à porter.
C'est ça qui me gêne le plus. Oui, c'est la souffrance physique carrément... pas moral, la physique. Ce qui fait qu'il y a des jours où cela devient moral quand même ! Parce que quand tu as mal tout le temps, qu'on a toujours mal, comme des fois quand je vais chez le kiné. Il me dit "Alors, comment ça va ?". Je lui dis "Oh bien aujourd'hui, "ça va" ! ". Il sait bien maintenant que quand je lui dis : "Ça va ! ", c'est que j'ai moins mal que d'habitude".
J'ai posé la question à Elyse sur la prise de médicaments anti-douleur pour l'aider dans les moments difficiles ou par exemple, si elle avait rêvé à une opération spéciale pour la guérir totalement !
"La guérison totale, non, mais guérir la souffrance, oui ! Mais la guérison de mon handicap, non pas forcement ! A la limite, si je ne souffrais pas, je m'y habituerai et je pourrai vivre avec. Après on s'habitue, on a des astuces, [on s'adapte] !
Ah bien par exemple .... L'astuce c'est quand on va dans un endroit qu'on ne connaît pas, hé bien on n'y va pas directement. On téléphone d'abord pour savoir si on peut y aller avec le fauteuil. Parce que quand on s'est cassé deux, trois fois le nez, après, on comprend ! On a une autre façon d'aborder les choses, les choses nouvelles. Systématiquement, je me renseigne pour savoir si je peux y aller en fauteuil car je ne veux pas faire des kilomètres pour rien. Mais ça, on s'habitue à ça. Par contre, la chose à laquelle on ne s'habitue pas, c'est la souffrance.
Si on pouvait faire quelque chose pour ne plus souffrir. Là oui, là je le ferai ! Parce que souffrir un peu, ça va, mais souffrir tout le temps, tous les jours.... Je prends des somnifères parce que je ne peux pas dormir à cause de la douleur. Là, d'accord, s'ils pouvaient faire quelque chose là-dessus, oui."
A propos du "cri de Mino" qui parle d'euthanasie, du suicide donc in fine de la mort, mais à contrario, bien que Mino s'en défende, d'espérance pour la vie, je lui demande si la douleur physique exacerbée, pouvait devenir " à la longue", une douleur psychique, qui peut bien entendu causer des dégâts sur des organismes déjà bien fragilisés ?
"En ce qui me concerne, l'euthanasie, je ne suis pas contre. Par exemple pour reprendre le cas de Vincent Humbert qui a fait débat un peu partout, je dis que c'était "son" choix ! Il avait un corps. Il ne pouvait pas s'exprimer mais il avait un corps. Il pensait, il avait donc toute sa tête. Il se rendait compte dans l'état où il était. Il souffrait aussi. Je comprends qu'au bout d'un moment il en avait marre quoi ! Alors, pour lui c'est encore pire, je crois que c'est "le summum" quand même n'est ce pas ! De ne plus pouvoir bouger de son lit, de ne plus pouvoir communiquer juste par le geste d'un doigt. Là quand même, psychologiquement quand même, là je dis que.... Ne pas voir, ne pas pouvoir parler. Là je crois que c'est un truc que je ne pourrais pas accepter non plus. Je disais tout à l'heure que ce qui m'embêterait le plus, c'est si je pouvais "tomber aveugle". Etre en fauteuil, en plus de la cécité, je crois que ça ferait beaucoup ! "

Le sport m'a apporté beaucoup !

Des difficultés, Elyse en côtoie souvent. Elle les porte au quotidien, mais elle a voulu laisser une trace plus optimiste par son témoignage. Elle a voulu laisser ses observations sur le tact, le soin qu'on se devait tous d'avoir les uns envers les autres.
"De la joie et du bonheur pour moi, c'était il y a cinq ans environ entre 1997-98. Ce fut la découverte du tir à l'arc de compétition. Ah, oui, me dit-elle, pour moi le sport m'a apporté beaucoup !
Voilà. Il est vrai que ça m'a fait comprendre aussi, parce que je n'ai pratiqué ce sport, au début, qu'avec des handicapés, que je pouvais aussi le pratiquer chez les valides. J'ai voulu le faire. Parce qu'il y a un truc qui est quand même assez important, c'est que les sportifs [valides] ont une vision positive des sportifs handicapés, et une autre sur ceux qui ne pratiquent pas de sport du tout. Ils ont déjà l'esprit collectif, l'esprit d"équipe, je ne sais pas comment le dire. Ils ne mettent pas les gens à l'écart. Beaucoup moins que [dans d'autres milieux]. Bon, il y en a toujours quelques uns [qui dérogent]. Mais beaucoup moins que des gens qui ne vont qu'au travail, qui ne voient personne. Les sportifs ont un état d'esprit qui se rapproche assez d'un autre sportif [même handicapé]. Ok, tu es handicapée mais ça ne t'empêche pas de bouger. Ils font beaucoup moins les [fiers] quand tu fais mieux qu'eux ! Cependant, dans le regard de certaines personnes, j'ai ressenti une forme de racisme par rapport à mon handicap. Je suis hors norme. C'est une forme de racisme quelque part. Cela je l'ai ressenti quand même. J'ai parlé quelquefois à ces gens qui sont racistes, à propos de la religion, sur les origines ou sur la différence. C'était une dame, je lui ai dit : "Mais vous savez, on peut être raciste aussi par rapport aux handicapés". Elle m'a répondu : "Non, ce n'est pas la même chose !". Alors, je dis "Si, pour moi, c'est pareil !"
Elle aborde la notion de racisme envers la personne handicapée ou plutôt d'ostracisme, devrait-on dire, le terme racisme anti handicapé me parait un mot très dur. Je lui demande si elle se sent comme une espèce de "singularité sociale" ? Doit-on considérer que la personne handicapée est "une race" à part, dans un monde à part ?
"On n'est pas considéré comme les autres. On est "hors norme". Et à l'heure actuelle, il ne faut pas grand' chose pour être hors norme quand même ! Tout de suite pour moi, c'est une forme de racisme, c'est une forme d'exclusion. Pour moi, c'est pareil tout ça ! Il n'y a qu'au niveau du sport que cela se voit beaucoup moins.
Bien sûr avec le tir à l'arc, c'est vrai que c'est un sport où tout le monde peut commencer à n'importe quel âge. C'est quand même pratique. Mais il y a des sports ... bon c'est vrai que ça dépend du handicap mais on peut toujours [en faire en adaptant). J'ai un collègue handicapé qui fait du tennis de table dans un club valide. C'est sûr qu'il ne pourra pas se confronter à des valides. Parce que son handicap fait qu'il ne peut pas rivaliser. Mais il peut très bien faire les entraînements avec eux par contre. Et ça c'est bien, c'est génial !
Moi ça ne me dérange pas de mélanger les deux. Il y a pas mal de sports où on peut être intégré comme en athlétisme où les non-voyants peuvent très bien pratiquer. Et maintenant c'est le seul sport médiatisé, où on montre les championnats du monde, les grands rendez-vous, les courses avec des "handisports". Je trouve ça bien ! "
Je lui rapporte mon entretien avec Jean-Paul (entretiens n5), un sportif de très haut niveau handisport, sur la valeur des médailles handisport, qui pour lui n'a pas la même aura que celle des autres. Nous avons une longue discussion sur ce sujet.
Qu'est-ce que vous en pensez ? Si un jour, imaginons que vous décrochiez la médaille de championne de France de tir à l'arc, quelle valeur aurait-elle pour vous ?
"Alors moi, je ne fais pas une différence entre les handicapés et les autres. Mais là où je fais la différence, c'est lorsque je fais toute l'année des concours avec les valides, je me confronte aux valides. Et ça change tout pour moi, quand j'arrive à gagner un concours "valide". Alors là, je suis [satisfaite] !
Comme la première fois où j'ai gagné un concours valide, j'étais... On m'aurait donné, je ne sais pas quoi... J'aurais décroché la lune ! J'étais heureuse, mais je ne m'étais pas rendue compte que cela faisait trois ans que je me battais pour ce moment. J'ai mis trois ans avant d'y arriver tout de même ! Le jour où j'y suis arrivée, j'étais vraiment... Alors, j'ai dit, maintenant qu'il n'y aurait plus de barrière. Le peu de barrière qu'il restait, je me suis dit qu'après tout, je suis aussi capable de les abattre. Le jour où j'ai pris consciente de ça, j'ai terriblement progressé".
Oui, lui dis-je, parce que c'est une belle performance, d'abord pour soi même, avant d'en être une compétition contre l'autre. Cet exemple, peut servir à toutes les personnes handicapées pour se valoriser dans le quotidien, en étant en action sportive, culturelle ou sous bien d'autres formes encore. Le soin, que l'on se porte à soi, puis de là aux autres (la réciproque peut être vraie aussi !), passe par toutes ses petites victoires quotidiennes.
Elyse me racontait : "Qu'il y a eu des expériences très intéressantes dans une mixité sportive, par exemple faire une course à pied [classique] entre une personne valide et une personne en fauteuil roulant. Vous avez une certaine distance de retard parce qu'en fauteuil, on va plus vite bien entendu. Et puis arrivé à moment de la course, et bien ils étaient à la même hauteur. Même si le gars qui était valide est parti avant, il avait moins de distance à parcourir par rapport à celui qui était en fauteuil, parce que celui-ci, une fois que l'élan est pris, il va beaucoup plus vite avec son fauteuil. Et bien à un moment donné, pratiquement au but, ils sont arrivés pratiquement ensemble. J'ai trouvé ça génial ! Je me suis dit qu'à la limite, ils pourraient intégrer des compétitions, peut-être pas au niveau international, mais au niveau régional et faire un règlement adapté. Admettons mettre un coureur à pied valide et un en fauteuil avec une distance différente à parcourir. Il y a des activités qui sont faisables.
Mélanger, moi je suis tout à fait favorable. Et c'est pour ça que le tir à l'arc me plaît autant, parce qu'on peut tout à fait mélanger les personnes".
A un niveau plus réflexif, nous avons longuement échangé sur les transmissions d'informations de tous types qu'elle jugeait primordiale culturellement de transmettre, pour mieux vivre ensemble, pour mieux se connaître.
"Avant, je lisais beaucoup, énormément d’histoires vécues par les parents, sur les maladies. Je lisais beaucoup, vraiment beaucoup ! Les livres que j’ai lus, ce sont bien souvent des parents qui les ont écrits parce qu’ils ont eu un enfant malade. Ce ne sont pas des écrivains.
Ils témoignent, ce sont des témoignages. Je trouve cela très intéressant, parce qu’ils parlent de termes médicaux, mais à côté ils traduisent plus ou moins en langage courant, de manière à ce que les gens puissent comprendre. Ils parlent de leurs expériences, du fait que les médecins ne leur disent rien alors qu'ils savent la vérité. Ils ne leur disent pas les conséquences qu’il peut y avoir par la suite. Mais c’est surtout les termes médicaux [qui font barrière]. Et s’ils veulent qu’on ne comprenne rien, on ne comprendra rien !
Bien sûr ! Quand on parle de terme comme "hémoglobine, ...", des trucs comme ça, il y a beaucoup de personnes qui ne savent pas ce que c’est. Il y a encore trop souvent des problèmes d’annonce de la maladie. Il y a des médecins qui prennent les gens pour des… Ils rentrent dans leur bureau et disent : "bon, et bien vous êtes séropositif ! ", sans prendre le temps d’apporter les choses doucement. Ils le "balancent" comme ça, annonçant cela comme s’il avait une simple grippe ! Il faut qu’ils prennent le temps, d’annoncer aux gens ces graves maladies, tout de même !
J’en ai entendu beaucoup bien sûr. Il y a une histoire qui m’a émue, il s'agit de "l’affaire Humbert". Personnellement, je suis pour l’euthanasie dans certains cas bien sûr ; il ne faut pas abuser ! Mais je comprends très bien que ce garçon n’ait plus voulu vivre. Il ne pouvait plus rien faire tout seul, ni manger, ni boire… Il ne faisait plus rien ! Communiquer, c’était compliqué ! C’était… Si c’était son souhait, pourquoi ne pas le respecter. Et ça l’institution française, ça la gène. Mais, moi, je dis qu’il faut avoir l’esprit plus large. Elle est très droite, trop droite….Il lui faut toujours rester dans "la normalité" des choses. Moi, je dis pourquoi leur refuser. Un animal, on ne le laisse pas souffrir, pourtant il ne nous demande rien. Il ne sait pas parler le chien ! Pourquoi alors, quand les gens demandent à mourir, ne pas respecter leur choix ?
J’espère que ces problèmes seront réglés dans un sens favorable. Car, ce sont les gens qui sont malheureux. Il faut comprendre aussi. Ils ne peuvent pas se suicider eux mêmes parce qu’ils n’ont pas les capacités de le faire physiquement. Il faut que quelqu’un puisse les aider, leur demande bien sûr ! Il faut prendre aussi le temps, il ne faut pas faire ça à la légère. Attention, parce qu’il y a des gens qui peuvent le demander sur un moment de détresse ! Il faut leur laisser le temps. Mais lui, Vincent, ça faisait très longtemps qu’il le demandait.
Il y a une émission sur le sujet qui est dernièrement passée à la télévision, je l’ai enregistrée. Ça passe très tard malheureusement".
C’est bien le problème. Nombreux sont ceux qui appellent de leurs vœux une médiatisation "intelligente" des grands événements sociaux. Il y a peu d'images qui parlent de ces sujets. Quand il y en a, le débat est rapide, l'information pertinente placée tard le soir comme le souligne Elyse. De même pour la couverture médiatique handisport, elle était en colère à ce sujet, parce qu'on a trop peu parlé des jeux paralympiques.
"Oui, c'est vrai, me soutenait-elle, parce qu’ils (Les média) ne montrent presque rien. Et j’enregistre toutes les nuits, ils remontrent à midi moins dix, et souvent ils remontrent la même chose qu’ils ont montrée la nuit. Ils se foutent de nous, carrément ! Ils nous prennent pour… J’ai trouvé ça très bien qu’ils ont médiatisé ces Jeux Olympiques pour les valides, qu’ils ne médiatisent peut être pas autant les nôtres, bref ! Mais au moins un peu plus tout de même ! Parce que là, ils se foutent de nous ! C’est clair ! On a parlé hier avec Lyse des problèmes en Grèce, à Athènes, avec des enfants qui ont été blessés en allant voir les jeux paralympiques, je n’ai pas entendu cette information là, on a rien entendu du tout ! "
Lors de nos derniers échanges, nous discourons sur le rôle du travail, sur l'accès à la culture, pour exister autrement dans la société ; deux formes extrêmes d'utilité d'identification sociale. En ce qui concerne le travail productif, je lui rappelle que certaines personnes handicapées ne pourront jamais travailler. Dans la troupe que j'observe à Metz, la plupart des artistes qui la composent, ne travaillent pas. Il y a même des handicapés dits "mentaux", qui s'y produisent avec bonheur et compétence. Alors quelle utilité, verrez vous pour ces personnes là ? Le 21ième siècle aujourd’hui est celui de la rapidité, du temps dont on "fait de l’argent". On rationalise tous les processus, car il faut de l’efficacité. La personne handicapée qui ne fait rien, à quoi est-elle utile, dans ce contexte ?
"Et bien, moi, je dis qu’elle a bien le droit de se divertir comme les autres ! Si elle reste enfermée tout le temps chez elle, elle va déprimer [constamment] cette personne. Ce n’est pas parce qu’elle n’a pas la capacité de travailler, qu’elle n’a pas droit aux loisirs. Et tout le reste, bien sûr ! Cela m’agace ces trucs là.
Sous prétexte qu’ils ne peuvent pas travailler, ils ne pourraient pas avoir accès aux loisirs ! C’est ridicule ! Ce n’est pas parce qu’on n’a pas la capacité de pouvoir travailler, souvent ça les rend malheureux ! Mais ça, ils ne se rendent pas compte, même pour les handicapés mentaux. Même avec un handicap mental, il y en a qui sont très lucides sur leur état. Pour les traumatisés crâniens, par contre, c’est très difficile de se concentrer, alors on dit qu’ils sont handicapés mentaux, moi je dis qu’ils ne sont pas si "fous" que ça ! Il faudrait les côtoyer pour voir. Ils ont leur façon à eux de s’exprimer, de parler, d’avoir une conversation. On peut très bien avoir des conversations très intéressantes avec eux, il faut juste prendre plus de temps.
Les gens sont pressés. Ils sont pressés de quoi faire ? Quand ils vont mourir… Un moment donné, il faudra qu’ils se posent, qu’ils réfléchissent sur ce qu’ils ont eu le temps de faire, sur ce qui leur a fait plaisir dans la vie et sur ce qu’ils ont fait par nécessité. Parce que la société a ses limites, parce qu'un jour, il faut qu’ils se posent et qu’ils réfléchissent à ça. Il y en a qui se croient indispensables au travail. Ils se dépêchent toujours pour faire tout le travail comme il faut. Mais le jour où ils vont être licenciés, le patron ne regardera pas s’il était un bon ouvrier ou un mauvais ouvrier. Il s’en "fout" ! Et les personnes, j’en ai connu qui ont tout donné pour leur travail, et qui se sont retrouvées au chômage parce que la "boîte" a fermé, ou pour des raisons "x ou y" qui d’un seul coup se retrouvent tout bête parce qu’ils se pensaient indispensables au travail. Ça, ça leur fait mal à ces personnes là. Et après, ils ont une autre vision du travail. Il faut travailler pour gagner de l’argent d’accord, mais il ne faut pas non plus se tuer au travail ! Il ne faut pas tout faire pour le travail. Il y en a qui ne font que le travail, maison, boulot, dodo ! Ils n’ont pas de loisirs. Et lorsqu'ils sont au chômage parce que la société a fermé, ceux-ci dépriment très souvent.
Tout le monde pense la même chose, donc ce devrait être, la "bagarre sociale". Moi ce qui m’agace, c’est lorsque les parents qui ont un enfant handicapé, doivent se battre, pour le mettre dans une école normale, etc. Quand les parents "baissent les bras" entre guillemets, les enfants se retrouvent dans des institutions. Et ce n’est pas forcément la bonne chose. Je trouve qu’ils évoluent moins bien s'ils ne sont pas dans une école dite "normale". Ce n’est pas parce l'enfant est handicapé, même avec un handicap mental léger, qu’on doit l’empêcher d’aller dans une école normale. Il lui faut plus de temps, tant pis. S’il a deux ans de retard par rapport aux autres de sa classe, ce n’est pas le problème. Si le gamin se trouve heureux d'aller dans une école normale, il évoluera ainsi beaucoup plus vite".

Le maladie mentale se révèle être, pour Elyse, un indicateur puissant pour mesurer l'intégration dans notre société des déficiences mentales et psychiques. Le soin, que doit apporter la société à ces acteurs, doit aller prioritairement à la partie la plus fragile d'elle-même.



Récit no 9 et 9 bis : À propos de Paul et Reine : " Ils nous font confiance !"



Dans ce récit, Paul et Reine qui se définissent, comme des personnes handicapées mentales, vont nous faire partager une part de leur vie quotidienne. Notre conversation se fera à plusieurs voix, les leurs puisqu'ils sont mariés, mêlées à la mienne, qui leur répondra en écho dans ce fragment de vie.
Trois phases seront visibles dans ces entretiens. Pour des raisons liées au temps, à leur "maladie particulière qui fait toujours peur", au temps d'apprivoisement que nécessite l'entrée dans cette forme de handicap, au capital de confiance ainsi que plus prosaïquement à l'éloignement, nous avons dû employer quelques artifices méthodologiques. Dans un premier temps, avec leur accord, je leur ai fait parvenir des cassettes vierges armées des dossiers d'enquête communs à tous nos interlocuteurs. Ils m'ont adressé un enregistrement de présentation. Dans un second temps, après le contact direct avec eux lors de ma visite à Metz, mais n'étant pas prêt pour un long entretien ce soir là, j'ai dû laisser à notre intermédiaire, le soin de les questionner sur les sujets non traités avec ma guidance à distance. Ils étaient angoissés. Avec cette méthode, ils eurent plus de quiétude pour parler à leur guise. Enfin dans un troisième temps, je suis revenu à Metz sur leur invitation pour reprendre la totalité des dossiers ainsi que pour éclaircir quelques points délicats. Le soir, nous étions aux répétitions de "danse ability" puis le lendemain, nous nous rendions à leur domicile pour de longs et riches entretiens.

Une vie qui n’était pas très intéressante !

C'est Paul qui parle pour une longue présentation. Je lui laisse la parole.
"Bonjour Messieurs et Dames, je m’appelle Paul B., j’habite à Metz, au (…). Je suis marié avec une malade comme moi depuis trois ans. Ma vie se résume à faire des courses, des activités qu’on nous propose, sinon rien [d'extraordinaire] ! Les activités qu’on nous propose sont du théâtre, avec la personne qui est en train de m’enregistrer, une chose qui m’a fait ressortir de ma léthargie. Les autres activités, je ne les ai plus suivies pour plusieurs raisons. Premièrement, on me proposait des activités à l’U.N.A.F.A.M. (Union Nationale des Amis des Familles des Malades Psychiques) mais comme tout était rémunéré, c'est-à-dire que je devais payer chaque activité, ayant de petites ressources, j’ai arrêté. Ensuite, on m’a proposé "Z.A.I", une autre association sur Metz, patronné par Monsieur B. qui est diacre à l’hôpital. Mais là, j’ai "bloqué" parce que j’ai des angoisses.
Donc, je n'arrivais pas à regarder toute cette misère, je suis trop "faible" pour voir ces gens là ! C’est à dire des gens qui sont S.D.F, qui sont pourtant des malades mentaux comme moi, ou qui sont certes dans le besoin, mais que je n’arrivais pas à supporter.
Après mes années d’hospitalisation, je vivais seul, j’avais retrouvé du travail, pour un certain temps. Ma vie sociale était bonne, mais en ce qui concerne ma vie privée, il n'y en avait pour ainsi dire pas. Ensuite, j’ai perdu mon travail, je me suis fait ré hospitaliser. Quand je suis ressorti de cette dernière hospitalisation, ma vie se résumait à me lever, à aller manger dans un foyer à Metz qui s’appelle le foyer "G. D", puis de rentrer chez moi. Et le reste du temps, je restais allongé pour passer le temps, donc une vie qui n’était pas très intéressante !
Puis, un jour, je suis tombé sur une dame. On s’est rencontré, on a mangé ensemble. Elle m’a proposé de venir chez elle. Par la suite, j’ai su qu’elle était malade aussi. Je ne voulais pas me mettre avec une personne handicapée car je pensais toujours pouvoir vivre avec quelqu’un de valide ! J’ai constaté que cette dame était autonome à sa façon. Et depuis que je vis avec elle, et bien tout va mieux ! Tout va mieux, je n’ai plus de problème pour me promener en ville, je n’ai plus de problème pour me promener la nuit, chose qu'avant, je m’étais interdite de faire par crainte de mes angoisses, de mes lubies [phobies]. Donc cette fille s’est occupée de moi depuis l’année 1993.
Ensuite étant ensemble, logeant dans un tout petit appartement à deux, nous avons décidé de changer de quartier. Et nous avons pris un appartement plus grand. Et cette fille m’a demandé en mariage, chose que je croyais impossible ! Je l’ai fait ce mariage et depuis tout va mieux. Tout va mieux dans le sens que c’est une femme de foyer, parfois je reconnais que je ne sers à rien ! Elle fait tout à la maison, que voulez vous de plus ?
Ensuite cette fille m’a fait connaître les associations dont je parlais au début de l’enregistrement, et je n'en ai accepté qu’une ; ce fut le théâtre".
L'angoisse, "le blocage" comme il la nomme, se situe en contre point à l'action positive du théâtre. Les rencontres de cet artiste qui s'ignorait, avec un metteur en scène très patient, avec Reine sa femme, vont dynamiser de son point de vue, une vie répétitive et morne.
"Et moi après, poursuivait-il, je l’ai convaincu à venir me rejoindre dans cette activité. Et depuis, nous vivons tranquillement. Bien, sûr nous voyons tous les deux un psychiatre une fois par mois. Mais comme les choses sont devenues [calmes, régulières], ce n’est plus que pour faire un renouvellement d’ordonnance. Il ne s'agit plus de parler comme par le passé d’hospitalisation temporaire.
Pour mon intégration dans le quartier des Sablons à Metz, les gens en pensant que j'étais handicapé, ne me croyaient pas capable de faire des courses pour eux. Et pourtant, je le fais ! Je vais chercher des cigarettes pour ma voisine. Quand la patronne de "Casino" où je fais mes courses à besoin de viande, je demande à ma voisine, qui est mariée avec un boucher chevalin, la viande qu’elle va commander. Je la lui ramène cette viande, je paie et je rends la monnaie très justement !
Ensuite, chose très importante, le mercredi matin dans notre quartier, se tient un marché. Je me lève seul car ma femme est absente. Elle fait le marché mais pas que pour nous ! Pour d’autres personnes aussi qui ont besoin de légumes, qui ont besoin d’un lapin, qui ont besoin d’un paquet de cigarettes, mais ne croyez pas que les personnes qui nous demandent cela sont plus handicapées que nous ! Ce sont des gens valides. Ils ne profitent pas de nous, mais ils nous font confiance.
Après, il m’arrive de temps en temps pendant des conversations de parler de mon cas, je leur dis : écoutez, il ne faut pas trop me bousculer, je suis malade mental. A part les "professionnels" de la profession, les gens du quartier nous considèrent comme des gens normaux.
Avant d’être malade, j’ai fait des études d’électromécanique. J’ai travaillé dix ans en sidérurgie lorraine, qui n’existe plus aujourd’hui sauf dans quelques secteurs.
Ensuite, j’ai dû quitter la région. La sidérurgie m’ayant reclassé en Charente Maritime, comme changeur de lampes, à Rochefort-sur-Mer. J’y suis resté six mois. Et en rentrant sur Metz, j’étais licencié. C’était peut être une chose déclarée d’avance, je ne sais pas. Je suis donc revenu en Lorraine.
Ensuite, j’ai fait ma dépression ; excusez moi pour les années, je vais vous les dire à peu près comme je me souviens. Parlons des années 80, j’ai été hospitalisé sept mois en psychiatrie. Je suis ressorti pour avoir une vie normale. On m’a dit que je pouvais travailler. Chose que j’ai faite. Je suis parti travailler neuf mois en Suisse en tant que dépanneur de ponts roulants. Et pour un handicapé mental, chose très difficile à vivre au quotidien, je vivais en Suisse allemande ! Donc durant neuf mois, je ne comprenais pas ce qu’on me disait. Je déchiffrais mes papiers de travail comme je pouvais. Et le soir, le travail était fait. Mais, là, un comble ! N’ayant pas pris mes médicaments avec moi en Suisse, j’ai été forcé de revenir après une rechute. Me revoici de nouveau hospitalisé ! Je ressors de l’hospitalisation. Encore une fois, on me dit que je peux travailler. Je me pose des questions et je me dis : bon, allons y ! Et me voilà reparti à faire pendant trois ans dépanneur gaz en autodidacte. Rechute ! Le médecin à la troisième sortie me dit que je peux encore travailler, chose que j’essaie de faire de nouveau, mais là gros hic. Je me retrouve dans un C.A.T. Et au bout d’une semaine, moi qui avais tenu des emplois avec des gens normaux, des emplois stables, on me dit que ce n’est plus la peine de revenir. Alors grand étonnement, je vais voir mon psychiatre qui confirme que : "Vous ne pouvez plus tenir une place dans la Société" ! Donc une place au travail. Que faire alors ? En réunissant mes fiches de paye, on fait la demande pour un dossier d’invalidité. Et à mon grand étonnement le dossier est accepté. Et je commence à vivre avec 50% de mon ancien salaire.
Sur la notion du temps. Avant quand je travaillais, ma vie était bien réglée. Je me levais à 4 heures du matin, pour rentrer à 15 heures. Et j’avais mon après-midi de libre. Maintenant que je suis malade, le matin je traîne au lit jusqu’à huit heures sachant qu’il n'y a aucun patron qui m’attend. Huit heures, que vais-je faire ? Je bois un café, je fume une cigarette, je vais me raser, ceci en une demi-heure. Ensuite ma femme se prépare, il est déjà 10 heures. Ensuite, je vais me laver, et il est 10 h 30. Après, comme tous les matins, je fais mes courses. Mes petites courses pour midi. Et il est déjà midi. Chose très importante à dire, lorsque nous avons une chose administrative à régler, vu la notion de temps que j’ai aujourd’hui, je ne suis capable que de la faire l’après-midi. Mon psy me demandait de venir le voir le matin pour changer cette routine. Une fois, ça a marché, mais il m’a pris à midi. Donc, je lui ai demandé de revenir toujours l’après-midi.
Si quelqu’un vient à me proposer une activité matinale, ça me déstabilise. Puisque mon rythme de vie change. C’est déjà arrivé une fois. Mon professeur de théâtre (C'est lui qui souligne, Mon !) est venu me chercher à 9h du matin, heure à laquelle d’habitude je me lève ! J’étais prêt tout en ayant stressé depuis 6h du matin ! Et une fois qu’on était dans sa voiture, j’ai dit "idiot", mais tu vois bien que ça marche ! Et ensuite, la matinée est passée très vite. Ma femme me rejoint au petit théâtre. On rentre à la maison, on est déstabilisé parce qu'il est midi passé. Pourquoi sommes nous déstabilisés parce qu’il est midi passé ? Parce que nous avons l’habitude de manger à midi. Comme nous avions mangé à 14 heures, ça n’allait plus. Ensuite, il y avait activité théâtre avec mon prof. Je "donne" quelques paroles à ma femme, lesquelles je pense, ne me semblaient pas méchantes ! Et tout se dégrade. Et nous n’avons pas pu rester à l’atelier.
Est-ce que je suis plus fragile ou plus costaud que les autres ? Je considère que je suis plus fragile. Etant malade mental je suis sujet à des formes d’angoisses, choses qui ne se soignent pas par des médicaments, donc j’ai dû mal à vivre dans cette société. Si ma femme me quitte pendant dix minutes, ça ne va pas. Si je fais des courses et que la caissière me dit, vous vous êtes trompé, votre paiement, ça ne va pas. Tous ces détails ne vont pas. Par exemple, si je dois faire quelque chose de droit et que ça dévie sur la gauche, au lieu de la droite, j’angoisse. Je vais vous expliquer, les angoisses pour moi commencent quand je n’arrive plus à respirer. C’est une "forme de boule" qui se forme au niveau de l’estomac, qui pousse mon diaphragme vers le haut. Et pour moi, ça bloque. Une infirmière psychiatrique reconnaît ce genre de symptôme, est ce qu’elle a été formée pour ? Mais lorsque je me trouve dans un commerce, en train de régler une addition et que ceci arrive, je commence à trembler et je suis incapable de payer. Donc ma femme m’aide parce qu’elle connaît ce problème dans le sens inverse. Parce qu'elle, quand elle est angoissée, ça la rend plus forte, elle lutte. Moi, je suis plus faible qu’elle et ces angoisses arriveront un jour à me détruire...
On m’a proposé une activité théâtre. Après de nombreuses activités que j’ai essayées de faire, mais qui m’angoissaient et qui m’empêchaient de dormir la nuit. Je suis allé à cette activité théâtre proposé par Madame P. J’ai regardé, je voyais les gens évoluer. J’ai réfléchi et je me suis dit que je n’étais pas capable de faire ça. Et je suis rentré. Six mois après, je suis retourné à cette activité. Ça a fonctionné. Mais comble de l’idiotie, ayant fait cette activité de 17 heures à 19 heures, en 5 minutes tout était détruit, car il fallait que je fasse 500 mètres pour quitter l’atelier et rentrer chez moi. Et pourquoi, allez-vous me demander, c’était déjà détruit après 500 mètres ? Parce qu’il faisait nuit ! Et lorsqu’il fait nuit, je suis incapable de reconnaître la ville, de reconnaître les gens, parce que je crois toujours qu’ils vont m'agresser. Et voilà, je rentrais chez moi, en me disant que ça ne sert à rien. Pour trouver la solution, j’ai dit à ma femme de venir à l’activité avec moi. Comme elle se promène la nuit comme le jour. Pour elle, c’est le contraire, elle a peur le jour et pas la nuit. Alors vous voyez, ça vous étonnera peut être mais c’est comme ça. Et ensuite, je quitte l’atelier et ma femme me parle, me parle. Elle me dit : écoute, il ne fait pas noir dans les rues, il y a les lampes. Tu n’es pas dans une forêt. Je lui ai dit qu’elle avait raison.
Ensuite, toujours en parlant de théâtre, j’ai appris qu’il y avait une activité le lundi soir, mais qui débutait à 20 heures et finissait à 23 heures. Pensez donc à 20 heures en hiver ! Il fait déjà nuit depuis longtemps ! Moi qui suis pas capable de descendre une poubelle dans le noir ! Comment vais-je faire pour rejoindre cette activité ? J’en parle, on me dit que je serai accompagné. J’y vais. Je fais une première tentative sans être accompagné, en n’en parlant à personne. Je fais 50 mètres, deux personnes qui sont tout à fait normales me croisent, je prends peur d’eux. Et je rentre. Je reparle de cela à ma femme qui me dit qu’elle vient désormais avec moi. Et voilà, l’activité du lundi fonctionne" !

Les temps angoissés !

Paul, répond à mes questions laissées en suspens, le vendredi 2 juillet 2004 par l'entremise de leur metteur en scène. Du retard avait été pris dans le déroulement de l'enquête préalable. Nous avons trouvé cette solution à distance qui arrangeait toutes les parties concernées par les entretiens. À partir de mon questionnement. Paul enregistre avec la présence bienveillante du metteur en scène de la troupe qui est son ami et "son maître" comme il dit, car même de légers changements dans le temps et l'espace l'angoisse terriblement.
"Je m’appelle Paul. J’habite à Metz, Je suis marié avec une "malade" comme moi, depuis trois ans. Ma vie avant, se résumait à faire diverses menues activités que je jugeais peu reluisantes. Les "temps angoissés" que j'ai connus avant, laissent la place à une [embellie] depuis mon mariage ainsi que la découverte de ma passion pour la forme théâtrale que me propose Patrice ".
A son domicile, le 21 septembre 2004 avec le même "enquêteur", mis dans la confidence ethnographique par nos soins ; nous nous entretenons sur la problématique des rapports entre le corps et la culture dans le handicap. Il est un peu crispé car le magnétophone le bloque. On arrête pendant une heure pour bavarder de choses et d'autres. Puis l'échauffement vocal puis langagier aidant, il parle sans problème. Le temps qui se déroule l'angoisse à nouveau. Tout est angoisse."C'est mon problème majeur !", nous dit-il, mais doucement les inhibitions se lèvent et nous enregistrons. Paul nous signale que les médicaments l'équilibrent parfaitement par en ce moment.
Il ne veut pas m'écrire par crainte des nombreuses fautes d'orthographe, même si je lui signale que tout sera corrigé par nos soins et surtout qu'aucun jugement ne sera porté par qui que ce soit. C'est pour cette même raison qu'il a donc préféré l'atelier parole, à celui d'écriture car les fautes l'ont bloqué. Il s'exprime avec clarté en étant un acteur particulièrement engagé.
Le chorégraphe/metteur en scène Patrice se sert de ces ateliers pour mettre en scène ses acteurs dans une motricité originale, qui fait un continuum entre la parole, le geste, la danse et la théâtralisation. Il mêle savamment, corps "valide et non valide" dans le jeu créatif où l'émotion se déploie en tous sens. Ces acteurs, qui viennent pour certains d'un centre psychothérapique, reçoivent les visites des artistes dans le cadre des ateliers animés par Patrice, dans et hors des murs de l'hôpital.
Je suis invité officiellement chez Reine et Paul à Metz le 5octobre 2004, durant la matinée entière, pour un entretien approfondi sur tous les sujets nécessitants "une mise au net".
Paul insiste sur l’expression corporelle qui a servi à le "décoincer". "C’est-à-dire qu’avant, me disait-il, je vivais replier sur moi-même. Et tous ces exercices ont abouti par l’association "Parole", à la création d'un spectacle, qui a prouvé que j’étais encore capable de réussir quelque chose ! "
Reine s'approche de nous et commence à s'exprimer. "Et bien pour moi, c’est intéressant, ça me libère de ma maladie. Et bien il y a une chose qui se [déclenche], il y a une espèce de relaxation au début. Ça nous fait oublier le stress qu’on a eu dans la journée. Mais attention, ce n’est pas une relaxation pour y aller à fond, parce que si on y va à fond, on n’est plus capable après, de faire les exercices. Si on est complètement vidé, on ne peut plus faire ces exercices. Et après quand on fait les exercices, ça permet aussi par la suite de demander à mon médecin, d’avoir une diminution d'anxiolytique".

Pas dangereux pour les autres !

Ils vivent cependant, parmi nous, presque en s'excusant de le faire, tellement la maladie mentale fait encore peur. Lorsque tous deux se présentent, c'est en terme de malade en projetant leur déficience devant eux, comme leur première forme d'identité sociale.
Voici ce que Paul me disait quand je l'interrogeais sur le danger réel ou fantasmé qui entoure le handicap dit mental ou psychique.
"Je n’étais pas dangereux pour les autres, mais j’étais dangereux pour moi même. On me le disait assez souvent que j’étais dangereux pour moi même. Si je me retrouvais dans une salle, et que je voulais taper sur le mur, je le faisais, donc j’étais dangereux pour moi-même. Mais je ne voulais pas faire de mal aux autres et je ne me rendais pas compte de ça".
Nous résumons, une longue narration où Reine puis Paul relatent tour à tour : la vie en solitaire, les hospitalisations, le cycle des médications, des sorties, les angoisses de l'échec, etc.
"Oui, dit Paul, tout ce qu’il y a dans la vie, la vie à l'intérieur, à l’extérieur ! Moi aussi, on me l’a dit souvent que je n’étais pas prêt."
Reine ajoute : "Nous n'étions pas encore prêts parce que là bas, chacun avait "sa maladie". Bon, je ne vais pas dire ce que j’avais, mais chacun avait "sa" maladie ! Ça se passe comme ça. Alors ils essaient de nous soigner, ils nous donnent des médicaments, des médicaments mais en fin de compte on a toujours la maladie qu’on avait avant. Ça ne part pas."
Paul signale : "Je trouve qu’ils exagèrent un peu avec leur système de médicaments. Je ne sais pas comment ça se passe dans les autres hôpitaux en France, mais quand on se sent mal, et qu’on va voir l’infirmière qui est de service, vous dites : bon, et bien, il y a ça et ça qui ne va pas aujourd’hui. Elle répond : bon et bien vous en parlerez au médecin. Je vais en parler au médecin, mais le lendemain, je ne m’en souviens plus. Le médecin me convoque et me demande ce que j’ai à lui dire, je lui raconte des bêtises. Tout en racontant des bêtises, il me dit : je vais vous mettre un "Xanax", je vais vous mettre ci, je vais vous mettre ça ! Au repas du soir, même si vous n’avez pas besoin, il faut les prendre le médecin les a prescrits donc il faut les prendre.
Il m’arrive de temps en temps pendant des conversations, de parler de mon cas, mais je leur dis : "Ecoutez, il ne faut pas trop me bousculer, je suis malade mental". A part les "professionnels de la profession", les gens du quartier, [eux] nous considèrent comme des gens normaux !
Avant d’être malade, j’ai fait des études d’électromécanique. J’ai travaillé dix ans en sidérurgie lorraine comme je l'ai signalé au début.
Mais les choses se compliquèrent. Ayant l’habitude d’aller travailler le matin, me levant tous les matins à la même heure, qu’est ce que je fais ? Au lieu d’aller travailler, je vais au café du coin. Et je commence à boire un café, deux cafés, trois cafés…à 10 heures du matin, et là je me retrouve exclus puis rejeté. Je pose la question au directeur du C.A.T pour quelle raison il ne voulait plus que je vienne. Il me répond que je suis trop lent. Chose que j’ai comprise par la suite en parlant au psychiatre : "Ce sont vos médicaments. Mais ne les arrêtez pas". Donc, je dis au psychiatre : "Si j’ai des médicaments, je ne peux pas travailler, et si je ne prends pas de médicaments, je peux travailler mais je ne vois pas comment se déroule les choses. Je dis au psychiatre : "Si je prends des médicaments, je ne peux pas travailler, par [conséquent] il ne faut plus de médicaments !" Et je lui hurle : "Monsieur P., vous êtes un charlatan !" Ce psychiatre va me détruire. Ainsi, je me retrouve pendant 15 jours dans une salle dite d’isolement. Les personnes qui écouteront cela, je ne leur souhaite pas d’y vivre. Je trouve que c’est pire que la prison. Vous avez une piqûre le matin, une piqûre le soir. Et ensuite, si vous vous comportez mal, vous en avez une en plus le midi. Vous faites vos besoins dans un seau. Et vous êtes le dernier servi. Et si votre famille vous contacte, et bien vous êtes absent..."

Maintenant, je regarde ces gens différemment !

"Mais pour la vie courante, mes angoisses m’handicapent tellement qu’il n’est plus possible de faire autre chose, que mes courses, mon théâtre. Si on me demande de travailler, de bricoler, c’est des choses qui arrivent, j’en suis totalement incapable.
Veuillez m’excuser, je parlais de mes angoisses et de ma peur de sortir la nuit. Ça provient bien sûr de ma maladie. Et une chose que je voudrais rajouter. Une fois, j’ai voulu rendre service à des gens, et ces gens m’ont agressé. Pensez ce que vous voulez ! Voilà pourquoi j’ai peur de la nuit. Ce n’est pas parce que je suis malade mental. J’ai peur de la nuit maintenant après m’être fait agressé. J’ai passé trois semaines à l’hôpital pour me faire refaire la face !
Pensez ce que vous voulez [de cela], Monsieur Zicola, nous en parlerons lorsque nous nous verrons ! "
Il sait à présent que nous ne portons, dans ces études, aucun jugement de valeur, il sait que seul le témoignage est mis en avant pour que d'autres soient mieux informés.
"Je regardais "l’autre" [de façon péjorative], ajoute-t-il, lorsque je n’étais pas handicapé. Je me promenais en ville, à l’époque, et je rencontrais à Pierrevillers, quelquefois, des handicapés mentaux. Je me disais : "Ces gens ne servent à rien ! Et on paye encore des impôts pour eux ! "
Ensuite, je voyais des gens en fauteuil roulant. Je me disais : "Mais pourquoi se "casser la tête pour eux". Ils n'auront jamais l’accessibilité. Je n’y croyais pas. Mais depuis ma première hospitalisation, j’ai eu un autre regard sur eux. Maintenant que moi je suis handicapé, je regarde ces gens différemment. Et pour en revenir au théâtre, j’ai appris à bien travailler avec des gens qui sont en chaise roulante, des gens qui sont handicapés moteurs ainsi que des personnes qui sont handicapés mentaux comme moi. J’ai mis quand même beaucoup de temps à accepter le handicap des autres. Même quand j’ai été hospitalisé la première fois, et que je suis sorti après et que j’ai appris que je pouvais retravailler, je me suis dit : je suis sauvé ! Et je rejetais tous les gens que j’avais rencontrés à l'hôpital psychiatrique. En disant, ces gens là, ils sont complètement "cinglés". Aujourd’hui, ça m’arrive encore d’y penser. Un exemple, hier j’étais à la M.A.S, la Maison d'Accueil Spécialisée de Metz pour une petite réunion. Un handicapé mental m’a dit qu’il avait un problème de femme ; les femmes ceci, les femmes cela. Je me suis dit celui là, il est complètement fou. Je suis rentré à la maison, j’en ai parlé à ma femme. Elle m’a demandé pourquoi je recommençais à repenser à cela. Parce que, peut-être, que je me croyais encore supérieur aux autres !
Maintenant, que faire pour améliorer les choses autour du handicap, et bien comme j’ai compris aujourd’hui, on peut aider ces gens là. Comme moi, je suis aidé aujourd’hui. Mais avant d’être malade, lorsque ces gens là me demandaient une pièce, me demandaient de leur ouvrir une porte parce qu’ils étaient en fauteuil, je refusais ! Je me croyais invulnérable ! Maintenant que je suis malade, je vois que moi aussi par moment, j’ai besoin d’aide. Et il me la faut."

Le théâtre, le mariage...la confiance !

Dans cette partie sur les positivités, Reine et Paul insistent sur les bienfaits du théâtre qui libèrent le corps et l'esprit, sur l'accès à l'autonomie pour les "enfermés", sur la victoire que fut leur mariage et enfin sur la confiance sous toutes ces formes dont on voudra bien les honorer.
"A une certaine époque, raconte Paul, on m’a proposé, en discutant avec un infirmier psychiatrique et d'autres personnels, d'essayer le théâtre. J’ai demandé : "En quoi cela consiste ? " On m’a dit d’aller voir à la maison des associations, de voir un professionnel du théâtre qui me mettra sur la voie. J’y suis allé, donc. La première fois que j’arrive, j’y vais encore avec ma femme. On voit des gens qui font des mouvements, ceci, cela. Moi, je me faisais une idée toute autre du théâtre. Parler, connaître un texte par cœur, etc … A la fin de la séance, une dame qui nous a fait participer, me demande si cela m’a plu, je lui dit : "non" ! Je rentre à la maison, je demande à ma femme si cela lui a plu, elle me fait : "non !", également. Je me dis, alors on laisse tomber. Encore une connerie ! Et si les gens de J…" m’entendaient ? Et bien, je m’en excuserai auprès d’eux. Encore une connerie qu’ils ont inventée ! Je suis direct. Six mois après, les vacances étant passées, je revois Mr "P….." qui me dit : essayez, le théâtre…. Oui, le théâtre, c’est bien mais ça va cinq minutes !…. Je lui dis que je viens dans l’après-midi. C’était, il y a trois ans. J’arrive, on fait un rond..."
Ils se mettent en cercle sur le sol pour se parler, nous avons été accueillis de la même façon pour nous présenter personnellement, ainsi que présenter nos travaux devant toute la troupe.
"On se présente, donc, nous relate Paul. Il leur dit : "Ecoutez, n’attendez rien de moi, je suis ni souple, ni ceci, ni cela ! Je ne retiens aucun texte, je ne …." Ils me répondent : "C’est pas grave, c’est pas grave ! " Et me voilà parti ! On y va, j’essaye de venir à toutes les séances. J’en ai loupé une, une seule fois parce que j’étais un peu fâché. Ca devait être la sixième ou septième ! C’était de l’expression corporelle. Alors pour moi, qui suis malade mental, il suffit juste d’enregistrer ce que le prof de théâtre a dit et de le reproduire. Puis tout va bien. Et ensuite, elle nous parle d’un spectacle. Là, ça devient un peu plus difficile. Mais nous nous sommes produits à l’hôpital de J., à la salle des fêtes avec les personnes de l’hôpital de Mirecourt qui eux chantaient. Ils avaient composé certaines chansons et puis ils les chantaient. Et ensuite, nous nous sommes produits sur la scène. On a fait des gestes que Patrice nous avait appris avec des chaises. Alors, moi je quittais ma chaise les yeux fermés, la dame qui était avec moi me laissait la chaise, etc.…. et ensuite on fait une sculpture. La fois d’après, je vais voir mon psy qui me dit : et bien Mr B., vous devenez un artiste ! Je lui réponds : "Non, non, je ne suis pas artiste ! Je n’ai fait que répéter ce que j’ai appris !". Et de séance en séance on arrive à monter une pièce. Je pense que la première fois qu’on a joué cette pièce elle n'a duré que dix minutes ! Oui c’était dans le cadre d’un séminaire. Patrice me dit qu’il y a un séminaire qui va se dérouler [dans la région]. Il y a une troupe qui vient d’Italie, il y a ceci, il y a cela. Il me dit qu'il y a beaucoup à apprendre. Et malheureusement pour des difficultés financières, ça ne devait coûter que seulement cinquante euros, mais à l’époque, on ne les avait pas pour finir le mois. Bref..."
Il a dû "bloqué" comme il le dit souvent. La patience sans borne de Patrice faisant le reste, une nouvelle occasion se présente à notre ami.
"Quelques mois après, j’allais le voir le soir, j’avais le droit d’aller le soir aux spectacles préparés par Alito…et suite à ça, je suis passé sur scène avec mes collègues, avec un rôle à jouer et un texte à dire en même temps, mais qui auparavant, avait été travaillé pendant plusieurs semaines. Je pensais que j’étais incapable de faire ça. Même pour dire la vérité, devant Alito, le fameux chorégraphe américain. J’ai fait la répétition, je me suis bloqué au milieu de la pièce, j’ai regardé mon Patrice, le maître ! Et trou noir. Tout ça pour un détail. Donc, vous voyez que j’ai des difficultés à enregistrer. Il m’a dit de continuer, je dis bien que c’était la répétition du spectacle. Il m’a dit : continue ! Je voyais bien que les autres étaient impeccables, et moi je bloque. Alors, je continue, je continue, je continue… et là, ça se termine. Après le soir, arrive le moment de la pièce…. Bon, ça commence, tout le monde fait son rôle, moi pour dire la vérité, je n’arrive pas sur scène en premier. Et bien, vous savez ce que j’étais en train de faire ? Je reconnais aujourd’hui, que j’ai failli faire louper la soirée, j’étais en train de fumer une cigarette dans un coin ! Et j’étais enfermé à l’extérieur ! Alors je cours, je vois une dame qui marche, je dis : "Veuillez m’ouvrir cette porte, veuillez vite m’ouvrir cette porte !" Et elle me rétorque : "Ne vous affolez pas "Mr B. ". Je lui dit : "Je dois passer dans deux minutes sur scène, qu’est ce que je fais enterrer ici ? Elle me répond : "Toi et ta sacré cigarette !" Et bien moi, avec ma sacrée cigarette, j'ai failli faire tout louper. Et elle tape, elle tape, quelqu’un lui ouvre enfin, et je n'ai eu que le temps de prendre mon bâton et de faire ma pièce !
Ensuite, on a continué à travailler, mon rôle étant toujours le même, mais un peu plus fractionné. Nous nous sommes produits à l’hôpital de Mirecourt. Une chose cependant m'a dérangé, j’aime bien que ma femme soit près de moi. Elle était absente car il n'y avait plus de place dans le véhicule. Je me suis dit : "Ça commence bien ! " Et puis on s'est produit là haut [dans les Vosges]. On avait travaillé un peu plus, j’étais ainsi un peu plus rassuré.
Cette fille (ma femme !) m’a fait connaître des associations, j'en parlais au début de l'entretien et j’en ai accepté qu’une, ce fut le théâtre. Et moi après, je l’ai convaincu de venir me rejoindre dans cette activité
Ensuite étant ensemble, logeant dans un tout petit appartement à deux, nous avons décidé de changer de quartier. Et nous avons pris un appartement plus grand. Et depuis, nous vivons plus tranquillement."

C'est Reine qui parle maintenant de son statut de citoyenne, on sent que l'institution psychiatrique lui "a gâché" de longues années d'existence, ainsi qu'une partie de sa dignité.
"Pour moi, me dit-elle, parfois j’ai eu l’impression qu’on était "refoulé" de la société. Parfois, je pense à ça".
Elle nous raconte qu'elle avait perdu ce droit de vote en étant sous tutelle. La personne qui est sous tutelle n’a pas le droit de voter.
Reine confirme que la mairie de Metz lui avait écrit pour ne pas qu'elle aille voter. Elle s’était inscrite pourtant à la Mairie. L'un d'eux avait reçu sa carte d’électeur et l'autre a reçu une lettre recommandée qui lui signifiait que d'après son statut de tutelle, elle n’avait pas le droit de voter.
"Pour le travail, j’ai fait trois ans de C.A.T à Orléans, ça marchait bien et après par la suite, je suis tombée malade. Donc je ne pouvais plus travailler. Mon médecin m’a dit d’arrêter de travailler car dans mon état actuel, je ne peux pas travailler. J’ai fait depuis, treize ans d’hôpital psychiatrique sans jamais sortir, rien...On était infantilisé. Oui, on nous prenait pour des enfants et j’ai souffert. Oui, je demandais à sortir et on me disait, vous n'êtes pas prête ! Parce que moi, normalement je suis sous curatelle, et c’est quelqu’un qui gère mon argent. Et puis, quand j’ai changé de personne je suis passée sous tutelle. Et pour se marier, il faut être sous curatelle".
Le parcours du combattant fut un chemin bien long ! Mais, actuellement, ils sont mariés et autonomes.






Récit no 10 : À propos de Jean : "Négocier en permanence !"



Né par un soleil étincelant !

Note interlocuteur, étudiant en D.E.S.S, est un jeune homme plein d'humour qui ne mâche pas ses mots. Son témoignage se situe à la confluence des approches intégratives et compensatrices autour des plus lourdes situations de handicaps. Il insiste sur l'équilibre entre l'autonomie : sel de la vie et les aides de toutes sortes, en se gardant bien de ne pas tomber dans ces travers : l'assistance.
"Je me présente à vous, même si vous me connaissez déjà un peu".
En effet, avant de le rencontrer réellement, de nombreuses personnes m'avaient parlé de lui, j'en avais donc un portait par anticipation.
"Je suis donc Jean, né le 11 août 1979 par un soleil étincelant ! Je suis atteint d'une amyotrophie spinale infantile de type 2. J'ai suivi une scolarité tout à fait normale dans des établissements non spécialisés. J'ai fait le collège à Lifou, une des îles Loyautées de Nouvelle-Calédonie. Nous avons dû déménager à Nouméa dans la mesure de l'inexistence de lycée sur l'île. Puis j'ai fini mon lycée à Paris dans un établissement accueillant des gens en fauteuil, 30 % de l'effectif. Je suis ensuite parti à Grenoble où j'ai eu la chance d'être pris dans une structure unique en France, où je bénéficie d'un studio universitaire intégré dans une résidence universitaire normale. Un service d'auxiliaires de vie se trouve au sein même de la résidence ce qui nous permet de gérer à la fois notre autonomie et notre vie estudiantine, peut-être pourrais-je vous parler de tout cela plus en détail si nous nous rencontrons. Après divers "obstacles", comme par exemple, ces gens qui m'ont dit : "Mais qu'est-ce que tu vas faire dans la biologie, alors que tu es handicapé ?". Mais ces personnes omettent souvent la place de plus en plus prépondérante de l'outil informatique dans le milieu de la biologie, et ils oublient aussi que la société actuelle fait que l'on se doit d'être de plus en plus polyvalent. C'est donc dans cette optique que je me suis engagé et que je me spécialise petit à petit vers la voie de la bio-informatique.
Sinon au niveau plus personnel, je suis un "fou" de cinéma et d'ailleurs, à ce propos, je trouve qu'on ne voit pas assez de personnes en fauteuil dans le monde médiatique français. Deux réels problèmes apparaissent dans le 7e art. Le premier étant le fait que ce sont des valides qui jouent le rôle du handicapé, comme s’il n'y avait pas de personnes en fauteuil sachant jouer ! Le deuxième problème étant qu'on ne voit des personnes en fauteuil que si le film traite du handicap, nous faisons partie de la société que quand cela arrange tout le monde sinon ...). Je pense que le 7ème art est un bon moyen, pas assez exploité pour changer la vision des gens, en faisant jouer des personnes en fauteuil dans des rôles tout à fait banals et dans des films qui ne traitent pas du handicap , comme dans le vie quoi ! On fait partie de la société, non ! C'est pour cela que j'essaye de réaliser des petits courts métrages entre amis étudiants. Sinon mes autres passions sont bien sûr la musique, que j'ai pratiquée pendant plusieurs années avec huit ans de solfège, du saxo soprano, du synthé, du chant. J'ai joué aux échecs que j'ai pratiqués dès l'âge de six ans en étant classé. Actuellement je fais de la biologie bien sûr, de la plongée sous-marine et tout ce qui touche à la mer [en plus] du ski en fauteuil, des voyages car j'ai eu la chance de beaucoup voyager."
Jean m'écrivait tout ceci en espérant que ce texte pourrait m'apporter un "plus" sur lui-même. Il communique par le moyen épistolaire, avant de nous rencontrer à Grenoble sur le campus "super accessible", selon ses dires.

Nous donner une place dans la société !

La chrono-thématique de notre rencontre débute en 2002 par un thème centré sur les études supérieures. Un texte dont le père me présente tout l'intérêt dans le cursus de son fils. Un père qui voulait piloter avec moi les entretiens mais très vite, nous avons dû lui signifier que c'est la parole d'une seule personne qui prévaut dans ce récit. C'est d'abord celle de son fils, la sienne ne venant qu'en complément. C'est vrai aussi, comme le signalaient de nombreux parents que j'écoutais dans les marges des entretiens, que ce handicap est souvent porté par l'entourage. Un fardeau lourd à porter qui logiquement va se porter à plusieurs.
En septembre 2002, nous recevons un texte sur la poursuite de ses études dans l'enseignement supérieur. Ce document m'est parvenu par le biais son père accompagné par la photo de son fils prise lors d'un colloque sur le thème "Etudes et handicap" à l'Université. Son père, enseignant à la faculté, tout comme nous, connaît le poids des études dans la reconnaissance sociale des personnes handicapées. Il sait aussi le "parcours du combattant" du plus grand nombre pour y accéder et ce, malgré les discours très optimistes sur le sujet.
Depuis une vingtaine d'années, la scolarisation des enfants et adolescents handicapés dans le primaire et le secondaire a connu des progrès particulièrement importants, favorisant l'accès croissant d'étudiants handicapés à l'université.
Ces progrès se sont accompagnés de la nomination, dans nombre d'universités et de grandes écoles d'un responsable ou chargé de l'accueil des étudiants handicapés. Son rôle est de servir d'interface entre l'étudiant, sa famille et l'université.
En cas d'hospitalisation du candidat au moment des épreuves, le responsable de l'établissement d'enseignement supérieur doit prendre en collaboration avec le responsable du centre hospitalier, les dispositions nécessaires pour permettre, autant que faire se peut, le déroulement ultérieur des épreuves.
Le 10 septembre 2002, après un premier contact par téléphone pour une présentation protocolaire, Jean m'envoie par Internet quelques réflexions philosophiques telles que celles-ci.
"Je n'irai pas jusqu'à dire que "la vraie doctrine, c'est la doctrine de la faiblesse !" Mais il est clair que "notre richesse collective est faite de notre diversité". Effectivement, le peu de capacités physiques qui nous reste en tant que personne handicapée, peut nous donner une place dans la société, ou une situation sociale. Je pense que nous pouvons apporter beaucoup de choses aux personnes valides, telle qu'une remise en question, ou tel que le fait de relativiser certains événements de la vie."
Le 24 février 2003, je reçois, dans une longue lettre qu'il venait de dicter à un ami ou à son frère, la primeur des questions posées par le premier dossier avec des précisions sur son Curriculum Vitae.
Après une assez longue interruption, une nouvelle missive me parvient le 28 août 2003. Une longue lettre écrite par le frère cadet quand il rentre chez lui dans le Loiret. J'ai souvent dû rappeler notre contrat pour les échéances, les temporalités de recueil de données. Il me répond du campus de Saint-Martin d’Hères quelque temps après ces vacances.
"Bonjour Mr Zicola, Je vous fais parvenir mon analyse de ces articles, je n’ai toujours pas utilisé la cassette que vous m’avez envoyée et que j’ai toujours à Grenoble pour la simple et bonne raison que je n’avais pas le matériel nécessaire pour enregistrer ma voix. Je la garde pour une prochaine fois. Pour ce qui est de mes analyses, il est vrai que je dérive certaines fois, mais j’espère que cela vous conviendra quand même. À la prochaine fois, Jean. "
Le 22 décembre 2003, Jean dicte à son frère une très longue lettre critique sur le dossier no2 autour de la thématique du " cœur" : la pitié, l'émotion, la compassion...
"Le premier point qui me choque à propos de cet article, est le vocabulaire employé. Effectivement, le journaliste dit, et je le cite : "Elle est I.M.C, infirme moteur cérébral tétraplégique !", si l'on veut ! Ce qui, pour ma part, ne veut absolument rien dire. Elle compare I.M.C et tétraplégie, cela n'a rien à voir ! L'I.M.C touche généralement tout le corps, tout ce qui est moteur et non pas seulement les quatre membres. Les mouvements incohérents ne sont présents que chez certains I.M.C puisqu'il existe plusieurs formes par exemple l'I.M.C athétosique, l'I.M.C spastique, etc. Je dirai, pour résumer, que nous avons à faire, comme souvent, à une journaliste qui n'y connaît strictement rien au handicap et qui plus est, se préoccupe plus du caractère sensationnel de son article comme le montre bien le titre, Le cri de Mino qui attend la mort. "
Les 29 et 30 mars 2004, je me suis rendu à Grenoble sur son lieu de vie pour une rencontre bilan avec Jean. Le premier entretien informel et très amical, s'est déroulé sur le campus, puis le second chez lui dans son appartement très moderne et adapté pour son type de handicap.
Il paraissait assez angoissé surtout pour son avenir en ce qui concerne la possibilité d'avoir un travail et un appartement sur Grenoble. En effet, cette ville est très adaptée aux personnes en situation de handicap, cependant elle semble atteinte aussi par une limite d'accueil. Il me signale qu'il ne faut pas faire de l'université de Grenoble avec plus de 80 000 étudiants, un ghetto pour le handicap. Le vocable de "handicapland" a été évoqué pour parler de cette situation !
Il me parle aussi des réalisations, "des négociations permanentes" à effectuer, car il faut sans cesse être diplomate, être un "sociologue expert" du handicap pour parlementer, afin d'obtenir la moindre chose ! Rien n'est jamais acquis !
Il me parle ensuite des conflits entre handicapés. En effet, il existe des tensions entre les personnes handicapées et leurs situations particulières de chacun sur le campus. Il souligne la barrière des 20 ans pour l'obtention de l'allocation d'adultes handicapés. (A. A. H). Nous avons aussi évoqué le don et le contre don dans les aides à apporter mais aussi à recevoir, ainsi que la possibilité de son intelligence au service du collectif. En cela, la personne handicapée peut être utile comme n'importe lequel d'entre nous.
Le mardi 30 mars 2004, dans le dernier entretien avec Jean, nous revenons sur certains points comme les "discriminations positives" et la "ghettoïsation" qui touchent les personnes handicapées dans cette post modernité aux limites identitaires floues voire incertaines.
"Il ne faut pas que ça se transforme en ghetto, m'indique-t-il, parce qu'en fait, ça peut amener à l'effet contraire finalement : à la non-intégration. Le fait que les personnes en fauteuil se mettent toute ensemble. Cela arrive souvent d'ailleurs, par exemple avec les personnes qui sont sourdes, les sourds profonds. Ils sont toujours entre eux et finalement, ils n'arrivent pas à s'ouvrir dans la société, souvent ils n'arrivent pas trop à s'intégrer."
Encore une longue absence de sa part, puis enfin un mail par Internet me parvient le dimanche 17 octobre 2004 à propos des derniers dossiers, le corps sous toutes ses dimensions. Il s'exclame au début du texte.
"Enorme mea coulpa ! Il est vrai que je n'ai pas beaucoup de temps en ce moment. Il faut que je me mette en recherche de stage, en recherche de logement, en recherche de financement pour du matériel médical et l'adaptation, en recherche de cabinet infirmier qui puisse me prendre en charge dés le mois de juin (et ça c'est pas du tout gagné à Grenoble !), en recherche d'auxiliaires de vie, en recherche de la meilleure organisation possible au niveau financier mais aussi physique. Faut-il une auxiliaire le matin ou une infirmière ? Faut-il une aide d'association ou un chèque emploi service ? Peut-on cumuler infirmières libérales et d'autre cas... etc... Enfin bon, je vais arrêter de me plaindre voilà quelques analyses !"
Rien n'est jamais définitif, c'est toujours un combat permanent. Jean nous invite à nous questionner sur l'intégration des handicaps les plus lourds.

Si j'ai des enfants, je ferais un diagnostic prénatal !

"Il est difficile d'avoir un avis défini sur cet arrêt "Perruche". Si on se place du côté des personnes handicapées, on comprend tout à fait l'absurdité du fait d'indemniser quelqu'un qui vit, mais d'un autre côté, on peut comprendre les parents qui font appel à un diagnostic prénatal. Ainsi moi-même, si j'ai des enfants, je ferais un diagnostic prénatal. Pourquoi faire le jugement de ceux qui ne se sentent pas capables d'élever un enfant handicapé ? Il est vrai aussi que cette indemnisation peut entraîner une certaine ségrégation dans le monde du handicap. Cette analyse concerne plus une approche politico-institutionnelle des diagnostics avec toutes les dérives que cela suppose."
Nous avons dialogué sur ce sujet, étant donné qu'il a affecté la justice française, l'éthique médicale durant de longs mois. A un niveau plus personnel, plus quotidien Jean a situé sa maladie en nous disant...
"Je suis atteint d'une amyotrophie spinale infantile de type 2, qui est en fait une maladie génétique récessive dont la mutation se porte sur un gène codant pour une protéine intervenant dans la survie des motoneurones. On me confond souvent avec un myopathe, car au final, cette maladie touche les muscles, or ce sont les messages qui n'arrivent pas jusqu'aux muscles."
L'encyclopédia Universalis (1999) décrit "les maladies familiales dégénératives" qui peuvent intéresser les différents étages du névraxe et des différents systèmes. D’autres formes touchent assez électivement le système nerveux périphérique comme, "l’amyotrophie spinale infantile de Werdnig-Hoffmann". C'est la maladie de Jean.
On retrouve avec cette présentation de la maladie de notre ami, ce que disait Alexis Ridray (2004) : "Cette différence entre les autres et moi c'est la délétion hétérozygote de l'exon 7 du gène S.M.N, le survival motor neuron qui code pour la protéine du même nom, se trouvant sur le chromosome 5. Une simple ligne qui déroge sur les milliers de pages d'une encyclopédie ! "
Jean insiste sur le manque de connaissances que le public possède sur ces maladies génétiques. Il émet une critique dans le sens o% les journalistes mélangent de nombreux syndromes et déficiences.
L'association française pour les myopathies (A.F.M) insiste, par rapport aux maladies rares, sur le fait que "contrairement à ce que l’on pourrait croire, les maladies rares et les maladies génétiques nous concernent tous. Elles touchent 4 à 6% de la population, soit 3 millions de Français et 25 à 30 millions d’européens. 80% de ces maladies sont d’origine génétique. Parce que, dès 1987, l'A.F.M a compris qu'il n'était pas possible de guérir une maladie sans acquérir la masse des connaissances qui permettront d'en soigner plusieurs, elle a choisi d'intervenir au-delà du champ des maladies neuromusculaires, qui sont toutes des maladies rares, ainsi que sur les problématiques plus globales des maladies génétiques et des maladies rares. Si chacune des 6 à 7 000 maladies rares rencontre des problèmes spécifiques, elles ont en commun, de ne pas bénéficier de traitement curatif, d'accéder difficilement à un diagnostic et à des soins et, au bout du compte, d'exclure les malades de la vie sociale. Une vision transversale et globale est impérative pour mettre en oeuvre des politiques efficaces en matière de recherche, de développement de médicaments, d’information, de prise en charge."

Rien n'est jamais acquis !

Jean parle maintenant de souffrance à travers sa propre expérience et celles d'amis de son entourage. Il parle très facilement de tous les sujets. Sa verve naturelle, en fait un observateur pertinent. Il a souvent remarqué des conflits entre handicapés, plus précisément entre les personnes qui deviennent handicapés par accidents, entraînant une paraplégie voire une tétraplégie, etc.
"Souvent, ils ont du mal à accepter leur handicap et finalement comme ils ne peuvent pas s'accepter eux-mêmes, il y a un rejet des autres handicapés en retour. Un rejet complet ! C'est un conflit sans être un conflit. On peut affirmer qu'effectivement, ils n'arrivent pas à accepter les autres.
C'est compliqué. C'est-à-dire que pour les grandes causes, oui, on est tous ensemble. Mais dans le quotidien, il y a cette existence du rejet des autres handicapés."
On retrouve, à de nombreuses reprises dans les récits, le fait suivant : les personnes sont handicapées de naissance ou le deviennent, trouverons toujours plus handicapées qu'elles même. Elles rejetteront prestement toutes formes d'aides, d'indemnités trop ostentatoires. Elles se diront en fin de compte, qu'elles ont la chance d'avoir toute leur tête ! Le handicap mental ou psychique devient la limite extrême de l'acceptabilité de la souffrance, de la douleur ainsi que du poids des regards dépréciatifs.
Pour le handicap de façon plus générale, Jean espère que la politique énoncée en matière de handicap par le gouvernement sera suivie d'effet et que le handicap sera réellement une priorité nationale. "Effectivement, il existe de nombreuses aberrations dans le système français concernant les prestations, par exemple la suppression de l'allocation aux adultes handicapés (A.A.H) et de l'allocation compensatrice pour une tierce personne (A.C.T.P) lorsque l'on travaille. C'est la même suppression qui intervient si votre conjoint travaille, c'est-à-dire qu'ils [les décideurs politiques] vous rendent dépendants de vos conjoints, ce qui est carrément malsain. En fait, j'ai l'impression que le système est fait pour ne pas intégrer les personnes handicapées.
Pour ce qui est du thème de l'article sur l'euthanasie et la loi, je trouve cela totalement ridicule et dépourvu d'intérêt. Il y a dans la vie, des valides qui se battent et d'autres qui se laissent aller. Je crois que de ce point de vue là, les handicapés sont, pour une fois, égaux aux valides ; certains vont tout faire pour s'en sortir, et d'autres non. On peut dire que l'histoire de "Mino" ne m'attendrit absolument pas. Personnellement, je connais plusieurs personnes I.M.C, qui sont, aux vues de la photo de Mino, plus handicapées qu'elle ! Cela ne les a pas empêchées de réussir dans la vie, la condition [sine qua non] étant, bien sûr de se battre car rien n'est jamais acquis, que l'on soit valide ou handicapé !
En résumé : l'euthanasie, je ne suis pas forcément contre, à condition qu'elle soit faite pour des personnes souffrant physiquement véritablement et étant destinées à une mort certaine et douloureuse. Je pourrais citer de nombreuses personnes qui sont devenues handicapées du jour au lendemain, paraplégiques ou tétraplégiques, qui ont toutes à l'unanimité, voulu mettre fin à leurs jours à l'issue de leur accident. Ces mêmes personnes, sont aujourd'hui, pour la plupart, mariées avec des enfants ou font des études, ... et sont heureuses ! Je ne dis pas qu'elles ont accepté totalement leur handicap, mais juste qu'elles ont su compenser. Et d'après leur dire, le pari de la vie en valait la chandelle. Ces personnes n'auraient pas pu connaître ces bonheurs si elles avaient été "euthanasiées" ou si elles s'étaient suicidées. Je pense qu'il ne faut pas euthanasier une personne, qui sous l'influence d'une dépression passagère, le voudrait. Il y a toujours moyen de remonter la pente !"
L'angoisse du présent est visible lorsqu'il parle des "négociations permanentes" : "Une personne handicapée doit être diplomate, être un sociologue expert du handicap et parlementer sans cesse pour obtenir la moindre chose. Rien n'est jamais acquis."
La peur de l'avenir se traduit, elle, par ce que Jean désigne sous le terme de "structures permanentes", ou plus précisément par leur manque.
"Cette angoisse, insiste-t-il, encore une fois, est due à la saturation du Conseil Général de l'Isère. Il y a saturation des cabinets d'infirmiers, c'est-à-dire que lorsque le moment sera venu de sortir de l'Université, il va falloir que je trouve un appartement, monter [des dossiers], tout ça. Ça va être encore un problème, monter des financements et tout ça pour m'aider à faire adapter un appartement. Mais plus que ça, il y a tout le problème de trouver des personnes, des aides, de trouver des auxiliaires de vie. Ça encore, ça se fait relativement bien. Mais trouver des infirmiers pour faire les levers et les couchers, c'est presque du domaine de l'impossible. Pourquoi ? Parce que justement il y a trop de personnes en fauteuil. Trop de personnes en fauteuil ! Et on nous donne des taux d'A.C.T.P quelquefois assez misérables et qui ne sont pas en accord avec [notre] handicap.
Je parle surtout des gens qui ont un handicap assez lourd, mais le fait qu'on soit dépendant, fait qu’on est obligé de faire avec les personnes, avec les aides humaines, et donc forcément, on est souvent amené à négocier, à parlementer, à marchander. Mais ça c'est à tous les niveaux ! A la fois au niveau de l'administratif et à la fois au niveau humain. Parce qu'effectivement, ça arrive. Il arrive quelquefois que des gens s'occupent de nous et que le courant ne passe pas. Il n'y a rien qui passe, donc forcément, on est obligé de faire avec ! Par exemple des petits trucs du genre voilà, j'ai besoin de me coucher plus tard. J'essaie de m'organiser pour pouvoir le faire. Comment je fais ? Avec qui ? Avec quelle personne ? Donc voilà, c'est toujours des petits moments comme ceux là. Et puis les arcanes institutionnelles, ça, administrativement, on commence à bien connaître !
Oui, tout ceci, quelque part c'est un peu soûlant. Et puis il y a des gens aussi qui s'amusent à... qui aiment ça, qui aiment qu'on leur demande et redemande, qu'on les supplie ! C'est vrai que c'est un peu soûlant des fois. Tout dépend de sa personnalité, il y en a qui vont se laisser vite dépasser, ... d'autres vont essayer de passer outre, d'y aller. Mais c'est vrai que dans l'ensemble, oui, ce n'est pas toujours humiliant, mais bon, on se sent rabaisser ! "

L'intégration peut se voir améliorer grâce à l'éducation !

Jean nous livre dans la suite de l'entretien en une série de recommandations utiles pour le partage des connaissances sur la situation de handicap. C'est au sujet de l'école et "des soins" qu'elle doit procurer à tout enfant.
"J'ai l'impression qu'il y a un amalgame entre éducation et intégration. Je pense que la vraie question qu'il faut que l'on se pose est la suivante : veut-on privilégier plutôt l'éducation ou plutôt l'intégration ? Il est très difficile de répondre directement à cette question. Peut-être que l'intégration peut se voir améliorer grâce à l'éducation. Dans tous les cas, il apparaît que l'éducation reste un facteur important et que de toute façon, il faut la privilégier, quel que soit le handicap !
Il est important que tout enfant suive une éducation normale ou une éducation spécialisée. J'entends par spécialisée, l'aménagement dû à divers soins obligatoires tels que la kinésithérapie, les soins infirmiers, etc. Finalement une spécialisation souple qui s'appuie sur à un aménagement temporel du programme scolaire ou un aménagement ergothérapique suivant le handicap moteur de l'enfant.
Mais il ne faut pas négliger l'intégration. Elle est importante pour l'épanouissement de la personne, pour son bien-être... Mais c'est là qu'intervient le problème majeur actuel. J'ai un peu l'impression, en ce moment, que trop systématiquement, les enfants handicapés sont mis dans des classes spécialisées.
Grâce à ces classes spécialisées (C.L.I.S et autres) la société peut mettre à l'écart les enfants handicapés tout en ayant la conscience tranquille.
Effectivement, l'éducation est importante, mais si on peut avoir en plus l'intégration, j'entends par intégration un lieu dans des classes normales, des classes pour "valides", c'est quand même une autre dimension ! Pour moi tout enfant handicapé moteur pouvant être intégré dans une classe normale doit l'être.
Ce qui est ahurissant, c'est que dans la plupart des cas, effectivement l'enfant peut être intégré dans une classe normale sans aménagement, ou avec un petit aménagement (photocopies des cours par exemple,...) et que celui-ci est mis [presque systématiquement] dans une classe spécialisée. J'y suis allé peut-être un peu fort dans mes propos précédents, avec le fait de dire "la conscience tranquille", mais c'est ce que je note, ce que j'observe actuellement.
Et je pense que ceci est dû à un manque de volonté, non pas des politiques, mais de l'administration et des équipes éducatives. Ils ne suivent pas le mouvement. Ils se permettent quand même de dire que l'accueil d'enfants handicapés, ne "s'improvise" pas ! Mes parents ont aussi entendu ce genre de phrases lorsque je suis entré en primaire et que l'on m'a refusé dans l'établissement qui était [pourtant] à côté du lieu de travail de mes parents.
Il ne faut pas "infantiliser" les enfants. Le rôle des parents est capital pour garder le contact avec le monde réel, avec le monde tel qu'il est.
Un petit exemple, j'ai connu au lycée, une personne qui avait le même handicap que moi, mais qui au niveau esprit était complètement infantilisé, et ceci était dû au fait qu'il n'avait jamais vécu dans un milieu "normal" et avait fait toute sa scolarité dans des centres spécialisés. Il était donc incapable de se projeter dans l'avenir, mais aussi dans le présent, dans des gestes quotidiens comme par exemple, tout simplement, choisir ses habits le matin, alors que physiquement il pouvait suivre une scolarité normale.
Mais il ne faut pas oublier, que les parents y sont pour beaucoup, c'est à eux de faire vivre sainement le handicap à leur enfant sans s'apitoyer ni sur leur sort, ni sur le nôtre, et sans (se) culpabiliser, car ces attitudes occasionnent des dégâts importants sur l'enfant. En conclusion, il faut de toute façon, rester dans un système qui effectue du "cas par cas", car chacun de ces enfants possède un handicap différent, n'évoluant pas forcément de la même manière.
A propos de ces "belles réussites" (les exemplarités) qui peuvent servir d'exemple c'est à dire, permettre de reprendre courage, pour ceux qui sont touchés par les aléas du sort. J'ai d'ailleurs quelques copains et connaissances I.M.C à donner en exemple. Ce sont des amis tels que, Jeanne qui est à Bordeaux en D.E.S.S d'Informatique, Olivier C. qui vient de finir sa maîtrise de droit, Olivier M. qui malgré son lourd handicap est professeur d'Anglais en lycée, Monsieur D. qui est marié et a des enfants. Le fait que ce dernier ne parle pas et soit obligé de s'attacher les mains à cause de ses mouvements incohérents, le met, pour ma part, au rang des exemples d'intégration [plus que réussie]. Il travaille en utilisant ses pieds ! "
Plus loin, Jean nous relate le cas émouvant des mères aveugles, qu'il oppose aux histoires plus médiatiques jouant sur "des faits trop bien construits pour être vrais ! ".
"Je préfère ce genre d'article où l'on met en avant des personnes handicapées qui réussissent, non pas pour "éliminer" (il veut dire les effacer de la mémoire quotidienne : de ceux là on n'en parle pas !) les autres qui n'ont pas forcément su s'en sortir, par une sorte de honte mal placée, mais plutôt pour montrer aux gens valides qui s'extasient devant tel parcours idéal, le pourquoi, les causes de cette réussite. Un moyen de dire aux gens que cette personne handicapée a réussi grâce à l'existence de telle ou telle structure et que ces mêmes structures ne sont pas forcément difficiles à mettre en place. Je prends, pour exemple, le fait que je suis dans une résidence universitaire normale avec des valides, seulement, je bénéficie d'un studio plus grand et adapté, et je bénéficie d'un service d'auxiliaires de vie directement sur place géré et créé par divers organismes dont le C.R.O.U.S. Est-ce que cette structure, dans son entité même, dans son organisation, est elle une chose incroyable ? La réponse est non ! Combien y a-t-il de structures ou d'organisations similaires en France ? La réponse, c'est une seule ! Il en est de même pour le lycée où j'ai fait ma première et ma terminale. Combien y a-t-il de lycées comme celui-ci, qui ne sont pas ces centres spécialisés, mais juste un lycée à part entière avec un centre de soin et un internat ? Réponse : un seul !
La base du problème est là : il n'y a absolument pas assez de structures en France, et je tiens à préciser, qui ne soient ni des centres, ni des institutions spécialisées. Les causes de ces lenteurs peuvent être multiples : freins dans les administrations et dans les lois françaises ; des politiques, des professionnels et des intervenants trop enfermés dans l'égoïsme, etc.
Pour continuer sur ma lancée, je tiens à préciser que les deux structures auxquelles j'ai fait allusion précédemment, n'acceptent, au jour d'aujourd'hui, plus que les personnes de la région même ! Tout simplement parce que ces structures sont uniques et de ce fait très demandées, très prisées, par les personnes handicapées désirant étudier et venant de toute la France. Cet article met donc en avant des personnes aveugles s'en étant sorties grâce, par exemple, à des personnes telles qu'Edith Thouveille qui a mis en place un groupe de paroles pour mères aveugles, le seul en France. Comme par hasard, le terme qu'elle emploie est celui qui revient tout le temps, lui ou ses synonymes : unique, un, rare, ... Je parlais tout à l'heure de l'égoïsme des professionnels intervenants. Ils ne veulent pas se faire "chier" à agir dans le sens de l'intégration car cela demande du temps et de la bonté alors ce sont toujours des personnes isolées (toujours le même terme : rare, unique, un, seul) qui décident d'agir et qui agissent réellement. Le pire est que ces mêmes personnes généralement mal acceptées par les autres professionnels qui eux se sentent fautifs de ne pas avoir agi. J'irai même plus loin dans les termes, qui se sentent "minables et merdeux !" Cela peut même pousser ces mêmes professionnels "minables" à faire des choses qu'ils ne voulaient pas faire à la base ; c'est d'ailleurs pour cela qu'ils n'ont pas agi : pourquoi s'embêter quand on peut être tranquille ? Edith Thouveille en fait référence dans cet article en affirmant que "dans le milieu médical, on passait pour les "loufs" !... Qu'est-ce qu'ils ont besoin de s'occuper d'elle, y en a pas tant que ça ! (En parlant des femmes enceintes aveugles).
Le lieu où se rejoignent mes deux discours sur les deux articles, est situé dans cet espace de luttes pour s'en sortir et de joies qui y succède. Je la cite encore :"Elle raconte la force qui émane de ces femmes, leur manière admirable de conduire leurs enfants sur le chemin de l'autonomie, leur incroyable joie de vivre".
Cet article était très sympa à lire et par rapport au premier, on peut sentir le sérieux de la journaliste qui est confirmé à la fin par le fait que celle-ci se soit aidée d'un travail réalisé depuis deux ans par Delphine Warin sur les mères aveugles."
Jean insiste sur l'autonomie que lui procure Grenoble.
"Alors, la première chose, c'est que la ville est très accessible, avec les différents trams qui vont à peu près partout, dans les petites villes alentour ainsi que sur tout le campus. Et puis c'est vrai qu'il y a pas mal d'associations d'auxiliaires de vie. Mais c'est vrai que le principal problème à Grenoble, on en revient encore à la saturation, c'est au niveau infirmier où tous les cabinets d'infirmiers sont complètement saturés ! Les structures comme "Prélude", des structures entre guillemets "universitaires" qui permettent d'accueillir des jeunes étudiants handicapés en leur permettant de gérer à la fois leur autonomie et leur vie estudiantine au début parce que c'est quand même assez difficile. Généralement on sort de chez nos parents. On y connaît rien pour ce qui est "paperasse" et tout ça. Donc c'est vrai que c'est important au début, au quotidien. Et donc on a un service d'auxiliaires de vie, directement dans notre résidence universitaire. Ce qui est encore mieux puisqu’au niveau de l'intégration, là, c'est vraiment "nickel". On est "au coeur de l'action" !
En ce qui concerne l'expertise à partager il est évident que c'est primordial. Souvent on fait des grandes lois, on fait des grands mouvements, et c'est toujours des valides qui les font [...] C'est vrai que c'est quand même nous qui sommes les principaux acteurs. Il faudrait peut-être nous demander notre avis quelquefois ! Et puis la diplomatie revient toujours à la négociation. Il faut savoir arrondir les angles, il faut savoir dire les choses. Et puis comme on est dépendant, il ne faut pas être hypocrite, mais quelquefois cela revient à cela. Mais par rapport à l'expertise, j'en parlerai plus à un niveau politique, à un niveau administratif. Mais même dans la vie au quotidien, on nous prend pour des "dépendants" du savoir. On le voit souvent lorsque je me balade souvent avec des potes .Les gens que se soit dans un restaurant, que ce soit dans un cinéma, que ce soit n'importe où, vont s'adresser préférentiellement aux valides. Pas à la personne en fauteuil, alors que c'est moi qui suis concerné. Pas plus tard qu'il y a une semaine, je suis allé au cinéma, il y avait un problème, il n'y avait plus de place pour personne handicapée. Le gars parlait au copain valide. Alors mon ami valide, forcément, leur dit : "Ecoutez, vous vous débrouillez avec eux. Moi, je ne sais pas faire !" Alors moi, je suis parti directement, après lui avoir dit : "d'ailleurs, vous pouvez me parler à moi, il n'y a pas de problème ! ". C'est complètement aberrant quoi ! J'ai une copine handicapée qui m'a dit l'autre jour lorsqu'elle est partie à la Réunion, que dans l'aéroport, les gens parlaient à sa copine valide, en demandant quelquefois : "Est-ce qu'elle peut parler ?". Et la copine valide leur disait "Ecoutez, demandez-lui, vous verrez ! ". Et ça, mais c'est tout le temps, tout le temps. En permanence. Et ça revient à ce qu'on disait tout à l'heure, c'est cette espèce de premier sentiment qu'on a par rapport aux gens en fauteuil, aux gens en fauteuil ou aux gens handicapés d'ailleurs, c'est le "rabaissement". Cet espèce d'amalgame entre handicapés mentaux, handicapés moteurs, est-ce qu'il comprend, est-ce qu'il est capable de ? Malheureusement on revient souvent à ça ! "
Notre interlocuteur nous invite à penser, que toutes ces personnes dépendantes, sont d'abord, des hommes et des femmes avant toutes choses, avec des différences qu'il faut approcher, comprendre et intégrer. Profitant du fait que Jean a voyagé, qu'il a vécu dans des cultures différentes, je lui ai demandé quels soins avaient ces pays pour le handicap, comment se traduisaient les regards, les angoisses, les peurs (ou non) qu'on portait sur les sujets handicapés ? Il nous a entretenu ensuite de son expérience de l'Australie et de la Nouvelle-Calédonie. Je l'ai naturellement interrogé sur la façon dont on percevait le handicap dans ces différentes cultures (voire dans l'interculturalité) ?
"Cela me fait penser à la première fois où je suis arrivé au collège, à Lifou, en Calédonie. J'avais les regards de 400 élèves tournés vers moi, ils me regardaient tous ! Bon, il faut dire que j'étais handicapé, j'étais blanc et j'étais en fauteuil électrique ! Du jamais vu, ici ! Donc j'avais 400 élèves qui me regardaient ! Cela a duré une semaine et puis après, j'étais complètement intégré. Mais c'est vrai qu'ils n'ont pas du tout la même approche par rapport au handicap qu'en France.
Comment le traduisaient-ils par rapport au quotidien ? Beaucoup plus naturellement. C'est à dire avec un petit recul parce que finalement, c'est étrange. Et puis après, une fois qu'on connaît [tout va bien]. Il y a un certes, un fauteuil électrique mais avec une personne dessus ! Il y a une personne qui parle et puis voilà ! Alors qu'en France quelque fois, on a l'impression qu'il y a du mal à avoir ce passage vers la personne en fauteuil. "
Au sujet des cultures ordinaires, des échanges au quotidien, c'est l'amitié qui prédomine. Jean parle de son ami pudiquement. A travers cet exemple, retrouvé des dizaines de fois dans les entretiens, le soin premier bienfaiteur se situe dans une amitié donnée et reçue en retour.
Comme en témoigne Jean : "Alors moi, je vais prendre l'exemple d'un de mes meilleurs amis, Marcel qui est myopathe, qui a 27 ans. Ce qui est quand même assez rare, 27 ans. Et donc lui, il ne peut rien faire [...], il bouge tout avec un pouce ! Sa souris d'ordinateur, sa porte, tout ! Tout est géré dans sa chambre depuis son pouce ! Il est aussi sous respirateur, sous assistance respiratoire. Il est très, très handicapé. Sous respirateur, avec les machines, le coucher prend 2 heures, le lever ça prend 2, 3 heures !
Même lui il le sait que de toute façon... Pour moi c'est un exemple ce gars. C'est un exemple parce que tu vois, malgré son lourd handicap, il va partir en Corse. Je suis déjà parti en Corse avec lui ainsi qu'à Amsterdam. Mon ami est parti l'année dernière en Angleterre, à Londres. Il organise lui-même son voyage. Il trouve son auxiliaire de vie, il trouve des gens. Dès fois il trouve des gens, justement, ça revient à ce que tu disais grâce à un échange. Alors comment il fait ? Il utilise son intelligence. Il met son intelligence au profit des autres. Parce qu'il est très, très intelligent. Il est thésard en cristallographie je crois. Il donne aussi des cours particuliers. Voilà, il utilise son intelligence pour cela. J'ai un autre copain, c'est pareil pour lui il utilise son intelligence, il utilise tout son matériel informatique. Il a beaucoup de matériel du fait qu'il soit handicapé, il a beaucoup de matériel informatique. Et donc voilà, il compense comme ça. Il aide les gens : "tiens, je te scanne ça ! ", "viens, je te grave ça !". Et puis voilà quoi. Il y a toujours moyen d'échanger ! L'échange..."
Jean nous confie à propos du soin par les média. "Bon le Téléthon, c'est qu'il faut faire évoluer le truc [la recherche] donc donner de l'argent aux chercheurs, ça c'est OK. Moi il y a un aspect qui m'énerve dans le Téléthon. Déjà premièrement, cette espèce d'apitoiement permanent, j'appelle ça le "Charity show", j'appelle ça [comme cela] ! Moi ça me gonfle un peu dès fois. Je veux dire, d'un côté je veux qu'on demande de l'argent aux gens, mais bon il ne faut pas non plus en faire trop dans l'apitoiement ! Et le deuxième aspect, c'est qu'on ne montre que des enfants, on ne montre pas les gens qui sont vraiment, là derrière, et qui finalement galèrent, galèrent parce qu'il existe un manque d'argent. Effectivement au niveau des chercheurs c'est flagrant, mais il y a un manque d'argent autrement plus évident qui permettrait aux gens qui eux, sont des gens lourdement handicapés, de vivre dans de bonnes conditions. En fait, j'ai l'impression que voilà, ça revient à ce que je disais aussi, par rapport à ce que je disais sur les enfants et l'intégration. On les intègre, on les met dans une institution, on s'en débarrasse un peu ! On dit aux gens de donner de l'argent pour qu'il y ait moins de gens en fauteuil dans l'avenir, moins de gens handicapés, mais ceux qui sont déjà là, on n'en parle pas trop. On ne parle pas de ces gens qui galèrent qui ont, je ne sais pas 40 ans, 50 ans, enfin tous les âges quoi ! On parle pas de ces gens-là qui galèrent et qui demandent de l'argent parce qu'il faut payer telle ou telle facture, il faut payer tel achat en plus, etc. Par exemple la réparation du fauteuil, voilà, je vais avoir une réparation de fauteuil, je vais m'en tirer pour je ne sais pas combien, voilà le quotidien !"








Récit no 11 : À propos de Jacques : "Merci la vie ! "



Haltérophile de haut niveau !

C'est une rencontre singulière, elle aussi, avec un homme "impressionnant" qui malgré sa tragédie, me disait qu'il est un homme encore plus "grand" aujourd'hui qu'il ne l'était hier lorsqu'il se trouvait paradoxalement "entier" !
"Je suis bien meilleur que je ne l'étais par le passé et merci la vie ! "
Il nous a envoyé son curriculum en nous précisant par téléphone qu'aucun sujet ne le rebute et que l'anonymat n'était pas nécessaire mais nous avons, comme pour tous nos interlocuteurs, assurés néanmoins celui-ci. Jacques est né le 1 Août 1964 à Creil dans le département de l'Oise. Il habite aujourd'hui à Orléans. Il est de nationalité française; Il possède le permis de conduire. Il a effectué son service militaire.
Il a été agent de protection du 4/01/1986 au 01/03/1991. Puis ce fut le terrible accident qui le priva de ses membres inférieurs. Du 28 novembre 1994 au 5 avril 1996, il a effectué une formation en montage câble en électronique professionnelle au C.R.P les Rhuets. Il se passionne pour le sport. Il mesure 1,85 m et pèse 100 kg, donc bien entendu, il s'est vite orienté vers le basket-ball handisport qu'il a pratiqué de 1992 à 1997. Il excelle aujourd'hui en haltérophilie handisport depuis août 1997 et ce, à très haut niveau.
Pour lui, les idées-forces à développer sur le handicap, sont à chercher, à analyser, à compléter dans les approches suivantes ; l'accessibilité des handicapés aux bâtiments, aux transports, à l'éducation car ceux qui sont en charge des transports doivent l'assurer pour tous ; l'augmentation du nombre d'enseignants spécialisés car 1/4 des jeunes handicapés moteurs accueillis en établissements d'éducation spéciale ne sont pas scolarisés.
Pour amorcer nos échanges, je lui avais demandé (à lui, comme à nos autres témoins) de me renvoyer de "libres écrits", sous les formes à leur convenance pour fixer les premières réflexions qui leur tenaient le plus à cœur de développer par rapport aux dossiers servant de base à tous.
"Pour le déplacement et l'autonomie, je pense, nous confia-t-il, qu'il faut obliger ceux qui sont en charge des transports, de faire aménager leurs infrastructures et leurs véhicules. C'est une cause importante à gagner pour nous. Pour une personne handicapée qui souvent, paye les mêmes tarifs et prestations que les autres, c'est un combat qu'il faut investir car ne pas aménager ou encore participer à un "fond d'indemnisation" signifie de ne pas permettre à un handicapé de se déplacer et de se sentir autonome.
Le deuxième point, concerne l'augmentation des classes d'intégration et le nombre des enseignants spécialisés. Si les handicapés moteurs n'occupent pas de postes importants dans l'administrations ou dans d'autres fonctions" exigeant un travail intellectuel", ce n'est sûrement pas dû à des incapacités propres aux handicapés, mais à un facteur extérieur qui est un système (programme) éducatif inapproprié. Cette situation est peut-être le résultat d'une perception de "l'handicapé" comme étant un "attardé" très souvent incapable de rivaliser pour les premières places en société.
Je pense que l'article du premier dossier parle de compenser cela (les situations difficiles) pour l'handicapé en décrivant brièvement "l'allocation compensatrice individualisée".
Jacques est père d'un enfant, un grand bonheur pour lui, qui lui a permis de s'accrocher à la vie. Il nous gratifie en fin d'entretien d'un : "Merci la vie ! " Il nous l'avait déjà écrit, ce jour là, il nous l'a redit.

Les trois mondes que je connais !

Nous avons des contacts téléphoniques réguliers, mais nous nous rencontrons moins régulièrement entre 2003 et 2005. C'est l'occasion de parler de sa vie quotidienne, une vie où le sport a désormais pris une énorme place. Le monde du travail, un monde qu'il connaît bien, qui lui est cher, commence à lui poser de sérieux problèmes ! On remarquera un vide temporel de près de cinq mois dans nos relations car, et je l'ai su par la suite, en plus de son handicap au quotidien, il a du lutter contre une "terrible maladie". Les longues périodes de silences ont trouvées leurs justifications ainsi que les auto enregistrements qu'il m'a fait parvenir malgré tout pour honorer sa parole. Tout cela fut fait dans la plus grande discrétion, presque dans l'anonymat !
Jacques, le 29 janvier 2003, m'envoie une longue lettre écrite de sa main, qui relate de libres paroles à propos de son votre vécu, une présentation sportive ainsi qu'un curriculum très détaillé.
En Février 2003, les réponses de Jacques sur les "trois mondes qu'il connaît le mieux" me parviennent. C'est à partir de ces premiers matériaux que nous j'ai préparé la véritable rencontre de face à face avec lui. Il compare les deux situations à partir de l'article.
"Une personne à qui il manque un pouce, est considérée elle aussi comme une personne handicapée, à côté des familles qui ont des enfants possédant un handicap très, très, lourd ce n'est pas normal car il y a le même traitement pour les deux situations. Moi, je trouve ça un petit peu énervant parce qu'on leur remet un "macaron G.I.C. bleu" pour se mettre sur le emplacements handicapés, je trouve ça un petit peu aberrant ! Je veux dire, où commence le handicap, ou s'arrête le handicap ? Les trois choses importantes sont à mes yeux, le droit au travail, le droit à la scolarité et le droit au sport, le reste peut venir après ces trois choses là ! Il faut que cela soit quelque chose qui soit vu et suivi de très près. Le monde du travail, le monde "vers" la scolarité, le monde du sport ce sont peut-être les trois [domaines] que je voudrais suivre."
Sur le dossier no2 traitant de la thématique du " cœur", du 19 septembre 2003, Jacques me fait parvenir une cassette de ses analyses sur l'euthanasie et le suicide, sur la maternité et l'amour et enfin sur le temps et l'invalidité. Le contexte particulier de l'auto entretien fut le dernier avant notre entretien direct. Nous convenons d'une date pour établir le bilan, détailler des questions intimes sur les sujets anthropologiques qu'il ne cesse de soulever dans son discours. Il me disait : "Il faut savoir qu'actuellement pour une personne handicapée, pour certains peut-être, mais pas pour tout le monde, c'est très, très dur de se situer dans le social. C'est quelque chose de très, complexe. Et, on essaye de faire évoluer certaines situations. Il y a, à débattre là-dessus, il y a vraiment à débattre."
Le mardi 24 février 2004 il me reçoit chez lui dans son salon, il revient de l'hôpital. Par la suite il m'avouera la raison de ce silence de près de six mois.
"J’ai pris un peu de retard parce que j’ai eu quelques soucis de santé. Donc, là aujourd’hui, je vais répondre à un document seulement, parce que cela me pèse un petit peu, ces soucis de santé." On travaille donc sur la relation entre le sport et le handicap, le poids des médailles ainsi que le courage d'affronter la vie en situations de handicap. C'est notre première rencontre.
La deuxième rencontre se déroule chez Jacques le mardi 21 septembre 2004. Pour anecdote. Après un débat passionné et passionnant, l'enregistrement n'est pas parti, et on recommence la totalité du débat !
Un dialogue extrêmement riche se déploie, j'en rapporte la primeur dans les lignes qui vont suivre sous forme d'une synthèse.
Je lui disais que je me m'étais fortement questionné après ces longues interruptions de nos relations et je lui en demandais les raisons ? Je lui demandais aussi où il en était avec "sa santé".
Il ne parla alors de son "cancer", le mot terrible était lâché, qui avait nécessité une hospitalisation avec une angoisse à la clef quant à sa guérison. Il avait dû tout, arrêter, même le sport de compétition ! Je savais à présent, les motifs de nos rencontres tardives.
Il me raconta l'anecdote "de la lingette".
"Récemment, après avoir rencontré un ami et lui avoir annoncé ma grave maladie, je lui ai donné une poignée de main pour le saluer ! La personne, un soi-disant ami, va s'essuyer la main, en sortant une lingette de sa poche ! "
Il me raconta ensuite, les escarres avec la douleur terrible qu'elles provoquent sur le corps ainsi que les balafres et les "cicatrices mnésiques" qui s'impriment dans la tête des personnes. La douleur reste inscrite dans le cerveau "pour toujours", même après avoir quitté l'hôpital, même après avoir été soignée avec des médicaments antidouleur !
On a parlé ensuite du dopage en l'haltérophilie, ainsi que des jeux olympiques qui se dérouleront à Pékin en 2008. Il est favorable à des épreuves en alternance surtout dans les mêmes lieux olympiques pour reconnaître à la personne handicapée un statut de sportif à part entière.
En ce qui concerne le regard sur handicap, il insiste sur le fait : "Qu'il faut changer le regard sur les personnes, mais que si cela ne change pas, et bien, les handicapés ne sont pas ceux qu'on pense mais peut-être les autres, qui ne font pas l'effort intellectuel et social du vivre ensemble ! "
On retrouve dans cette dernière phrase, ce que j'ai décrit sous le terme de " rétro-stigmatisation". Nous l'avions déjà signalé dans le tome I de cette recherche.
Il ne parla enfin de la guérison totale. Sur ce sujet, il me redit : "Qu'il préfère rester dans l'état actuel car il est un autre homme et qu'il est bien mieux en tant qu'homme aujourd'hui, même sans ses deux jambes !"
Il va juste se réfugier dans le monde onirique quelques instants pour jouer au football avec son fils. Voilà son rêve ultime !

Les "membres fantômes !

Un dramatique accident va survenir, le 01 mars 1991, dans le cadre de son travail.
"J'ai glissé du quai sous un train en marche. Je suis transporté d'extrême urgence par le S.A.M.U. d'Orléans pour des polytraumatismes consécutifs à un accident de travail. Le 02 mars 1991, je suis hospitalisé dans le service de réanimation. Je suis la victime d'un accident de train le 1er mars 1991 ayant entraîné une amputation traumatique des membres inférieurs, au premier tiers supérieur de la jambe gauche ainsi qu'au premier tiers inférieur de la cuisse droite.

Ce terrible accident a entraîné le bilan lésionnel suivant, premièrement une amputation traumatique du tiers supérieur de la jambe gauche et du tiers inférieur de la cuisse droite puis on a procédé à la régularisation des moignons au bloc opératoire, Deuxièmement, j'ai encore subi un traumatisme thoracique avec pneumothorax gauche, sans fracture de côtes. Ensuite, j'ai bénéficié de greffes cutanées étendues au niveau des deux moignons, dans le service du Professeur Hasquelet à l'hôpital Avicenne à Paris.
Actuellement, l'état cutané des deux moignons est excellent. Je suis appareillé à l'aide d'une prothèse tibiale contact à gauche et d'une prothèse fémorale contact à droite, avec un genou libre et un pied articulé. Bien entendu, le fauteuil roulant reste le mode de déplacement privilégié pour les longues distances."
Il me rappelle un soin, que je connaissais jadis, lorsque j'avais effectué quelques études paramédicales, c'était le soin de la terrible escarre, douleur bien connue de quelques uns de mes interlocuteurs.
"Les escarres, moi, je veux dire que je n'ai jamais été touché personnellement. Par contre, j’ai beaucoup de gens autour de moi qui ont été touchés par elles. Et c’est quelque chose "d’horrible". C’est quelque chose d’horrible parce qu'il y a la douleur, une montée de fièvre. C’est quelque chose d’horrible parce que ça laisse des cicatrices. C’est ce qu’il faut se dire. Il y a aussi des opérations très lourdes. Parce qu’on est obligé de se faire retirer un muscle à certains endroits pour reboucher cet escarre, et refaire quelque chose de propre. Et c’est quelque chose qui vous laisse des cicatrices. Alors ça fait bizarre mais le plus "drôle" insista-t-il c'est la cicatrice mnésique que cette blessure laisse dans le cerveau. Je veux dire que aussi que c’est [une lésion] de vraiment pas beau tout de même !
J’ai un copain, poursuit-il, qui est haltérophile, alors, lui, il a eu un très grave accident de la route, il a été démoli du bassin. Alors, lui, je veux dire que dans son accident, il a eu des balafres dans le dos, il a eu de la chirurgie réparatrice. Moi, je l’ai vu torse nu à une pesée, il avait des grandes balafres dans le dos, les traces des opérations pour lui reconstruire l’omoplate. J’étais assez surpris, parce qu’on lui avait reconstitué toute l’omoplate ! Et il est capable de porter des barres ! Je veux dire que la chirurgie fait de belles choses. Mais pour en revenir à toutes ces balafres, à toutes ces cicatrices au niveau du corps, c’est quelque chose qui vous meurtrit, qui vous touche. Ça vous laisse des séquelles. Pas seulement des séquelles mais des blessures qui restent. Ça vous laisse des traces, des blessures qui vous font mal. Parce qu'il faut se dire quelque chose, on aime tous avoir un beau corps. On aime bien être élégant, et avoir une belle [esthétique]."
Jacques nous renseigne ensuite sur le phénomène des "membres fantômes", qui accompagne les amputations.
"Moi, je ne les ai pas en permanence. C’est déjà quelque chose de positif par rapport à celui qui vit constamment avec, qui est amputé, et qui a mal assez souvent. Moi, ça m’arrive quand il y a changement de température, en l’hiver, où j’ai la sensation de sentir vraiment toute ma jambe. Parfois, c’est tellement violent que je suis obligé d'y aller au "coup de poing" sur le moignon ! Je ne supporte plus la douleur ou les irritations. Ça donnerait presque envie de marcher ! C’est vrai ! On ressent cette jambe qui n’est plus là, et parfois ça donnerait presque envie de se mettre debout et de marcher ! Pourtant, on sait très bien que la chute sera terrible.
Certaines personnes ont des"petits bobos", des "petits riens", ils se plaignent très souvent, constate-t-il. Que faudrait-il leur dire, lorsque que nous, tous les matins, on sait qu’il faut se lever, qu'on a eu des douleurs la nuit, … Je veux dire que parfois par rapport aux membres fantômes, je passe des nuits blanches… Mais cela ne nous empêche pas d’aller au travail. On se dit qu’il faut y aller, qu'on ne va pas s’arrêter parce qu’on a eu mal toute la nuit !
Mais, bon, tant que les mentalités n’auront pas évolué sur le fait qu’il est nécessaire de posséder une bonne connaissance du handicap, entre les chefs d’entreprise et les professionnels qui prétendent connaître le handicap, ce sera dommage [et dommageable] ! C’est vraiment dommage car on ne peut pas faire évoluer les choses dans cet esprit."

Le coup de la lingette !

Le passage, d'une réflexion plus collective à travers les autres ("les 3C") à celle plus intime, centrée sur le soi ("les 3S"), je l'ai situé dans l'extrait qui va suivre où il s'est imposé à nous avec toute sa force évocative.
"Il n'y aura pas toute la cassette de remplie à cause de petits ennuis de santé comme je le signalais au début. Je suis désolé car j’ai dû partir à l’hôpital, mais je tenais à tout prix faire cette cassette. Comme je l'expliquais, j’ai des douleurs aux membres fantômes qui m’ont posé de gros problèmes. J’essaierais de faire mieux la prochaine fois. J’essaierais de bien répondre aux autres documents. Je vous remercie. À bientôt."
On sent cette souffrance qui pointe car il traverse le deuxième trauma de sa vie sous forme d'une pénible maladie. L'article de "Mino" sur l'euthanasie devait faire parler à distance nos témoins mais dans le contexte particulier de sa propre douleur, comment allait réagir notre ami. Voici son éclatante réponse.
"Et à savoir que, personne ne peut l'aider [Mino]. Ce n'est pas, ce n'est vraiment pas évident. Donc, moi, je voudrais, dire qu'il faut rencontrer, je pense un médecin et lui demander son avis dans un premier temps. Il faudrait aussi rencontrer une famille où, un membre de celle ci voudrait mettre fin à sa vie parce qu'il souffre et, je crois qu'en France, on n'a pas le droit de laisser souffrir les gens. Je crois qu'il faut voir à approfondir avec un médecin. Il faut se demander pour quelles raisons cette personne en est arrivée à un moment de sa vie où la mort ne l'impressionne plus. Et c'est vrai que chez beaucoup de gens, la mort fait peur. Et je pense que quand on en est arrivé là...
Je sais que si j'étais atteint d'un handicap très grave, je ne voudrais pas être un fardeau pour la famille. Je suppose que je demanderais à ce qu'on soulage mes souffrances. Parce que je me verrais pas [souffrir]. Vous voyez, parce que là l'article que vous m'avez envoyé, on en discutait la dernière fois en famille pendant les vacances du mois d'août. Je leur disais : moi, si mon handicap avait fait que je sois touché plus que je ne le suis, j'aurais demandé à... ce qu'on mette fin à ma vie ! Parce que je n'aurai jamais supporté d'avoir de telles souffrances ou d'être à la maison avec un système respiratoire, de ne même pas pouvoir me déplacer comme je le voudrais. Et je crois qu'il faut débattre là-dessus parce que vous savez des personnes qui ont un grave handicap, ils ne peuvent pas vivre leur vie comme ils le désireraient parce qu'ils sont toujours obligés de dépendre de systèmes tels que les bouteilles d'oxygène, tout un tas de sondes, de machins, vous voyez ? Je pense qu'on ne devrait pas interdire l'euthanasie. Je trouve personnellement que si on veut mettre fin à ses jours, eh bien, moi je dis qu'il ne faut pas l'interdire [formellement]. Vous voyez, quand je vois que dans l'article chaque soir, dans son lit, Mino réfléchit, pense et rêve qu'elle marche. Mais en fin de compte, je vais vous dire quelque chose, nous qui sommes en fauteuil roulant, on rêve tous qu'on marche, c'est clair ! Moi je sais quand je rêve, je rêve que je marche ! Je ne me suis jamais vu en fauteuil roulant ! Donc je crois que la nuit devient un espace de liberté, on peut se permettre même d'aller faire un footing ! Mais en restant [alité] tout devient cérébral. Je dis que l'euthanasie c'est quand même longuement réfléchi pour certaines personnes handicapées qui veulent mettre un terme, une fin à leur vie. Il faut je pense respecter ces gens et leur décision, je pense qu'on n'a pas le droit de se mettre "entre" ces décisions-là. C'est quelque chose de mûrement réfléchi pour cette personne. C'est quand même un acte intime. C'est réfléchi à [plusieurs], mais cela reste surtout intime. Intime entre la personne et la famille. En fin de compte, je pense qu'en France il y a tout de même des médecins qui prennent en compte le désarroi ainsi que la souffrance de ces personnes. Mais, les médecins ne veulent pas se mettre en faute, dans l'interdit, sachant qu'ils risquent leur carrière, leur place, parce que cela sera considéré comme un meurtre. Il conviendrait peut-être de revoir avec les politiques pour ne pas interdire. Cette expression "euthanasie" fait peur dans certains cas. Elle soulage sans doute une personne handicapée, mais fait très, très mal dans la famille. Il faut arriver à trouver des accords, comme je disais, de ne pas faire de l'euthanasie sur n'importe qui, pour n'importe quoi. Surtout de pas faire ça dans l'illégalité. J'ai passé longtemps, j'ai passé deux ans dans un centre de rééducation. J'ai entendu des choses, des gens qui voulaient mettre fin à leur vie parce qu'ils ne supportaient pas de se voir dans un fauteuil. Mais, quand vous discutez avec ces gens-là, moi je crois qu'il faut les écouter, il faut écouter, il faut parler [absolument]. Parce que le handicap fait peur, ça c'est clair. Vous savez les valides, les valides quand ils voient quelqu'un en fauteuil roulant, ils se demandent de quelle planète on vient ! Il ne vient pas d'une autre planète ! C'est le valide qui se projette, ou plutôt qui n'arrive pas à se projeter dans l'avenir, se dire qu'il faut qu'on vive tous sur le même "pied d' estale". Ce n'est pas évident, ce n'est vraiment pas évident. Moi je dis que la personne qui désire mourir, c'est que la mort ne lui fait plus peur, puisqu'elle en est arrivée à se dire : "Ça va être un soulagement pour moi, un soulagement pour ma famille ...C'est le moment de partir et il faut qu'on fasse quelque chose pour moi !"
Il va maintenant, nous parler de lui, de ses douleurs, des ses doutes, mais aussi des ses certitudes qui le renforcent pour sa lutte au quotidien. Ces forces de la vie qui poussent toujours en avant les uns valides comme les autres moins chanceux biologiquement. Il reprend une partie du texte qu'il complète à partir de témoignages personnels. J'ai laissé quelques redites pour plus de clarté.
"Je connais beaucoup de gens qui sont dans des fauteuils et qui disent "je voudrais bien mettre fin à ma vie". Il y a toujours des individus qui possèdent un "petit handicap", mais avec toujours cette flamme, vous savez, qui étincelle dans notre cœur. Et je crois que c'est aussi bien pour les valides que pour les invalides. J'estime qu'il faut voir à ne pas laisser ces gens-là de côté. Je sais que si j'étais atteint gravement, je ne voudrais pas être un fardeau pour la famille, je demanderais donc à ce qu'on soulage mes souffrances. Parce que je ne pourrais pas me voir diminué. Vous voyez, par rapport à l'article que vous m'avez envoyé, on en discutait la dernière fois avec ma famille pendant les vacances du mois d'août. Je leur disais, que si je devais être touché plus que je ne le suis actuellement, je demanderais à ce qu'on mette fin à ma vie. Parce qu'il faut savoir qu'une personne handicapée, très lourdement handicapée, qui veut mettre à sa vie, vous savez, je pense que ça va être un moment de désespoir pour la famille, car il s'agit de "se tuer"en fin de compte ! Et moi je pense que ça doit être un soulagement. Si, en France cette loi était votée, il faudra passer du temps afin de rencontrer les familles, de leur demander quels ont été les moments de bonheur et quels ont été les moments de galère, de tristesse. Il faut peut-être laisser passer 5, 6 ans, 7 ans puis rencontrer une famille, même ailleurs [en Europe], peut-être aux Pays-Bas ou en Belgique, lui poser la question de savoir qu'est-ce que cela leur a apporté, qu'est-ce que cela a libérée ? C'est clair qu'elle a été libérée, que ça doit être un moment de délivrance pour la famille. Certes, un moment de délivrance, mais sans que cela ne retire aucunement tout l'amour qu'ils avaient pour cette personne ! Je tiens à bien faire la différence parce que, que sa maman, son papa, son frère, son fils, qu'ils soient en fauteuil ou pas, qu'il y ait un handicap ou non, il y aura toujours cet amour, il y aura toujours ce moment intime qu'il y a entre les parents et l'enfant. Ce temps doit être un moment de délivrance pour les deux parties, aussi bien pour la personne handicapée que pour la famille. En résumé, pour la personne qui veut l'euthanasie, il faut considérer la souffrance de certaines personnes handicapées, quand ils arrivent à être placées dans des instituts, à l'hôpital et qu'ils savent qu'ils vont être placées sur machine respiratoire et toutes ces choses là. Je dis, c'est bien ce qu'on fait pour sauvegarder les patients, car la mort fait vraiment peur à tout le monde, ça c'est clair. Mais est-ce qu'à notre époque, si une personne demande à mettre fin à sa vie, est-ce qu'il faut le lui interdire ? Est-ce qu'il faut essayer de la sauvegarder jusqu'à l'état "de légume" ? Il y a certaines familles qui voudront à tout prix garder cette personne parce que vous gardez toujours un espoir pour qu'elle revienne. Mais à se dire que le handicap sera encore plus lourd, que la situation sera encore plus dur à supporter ; vous savez, tant que la personne a encore un moment de lucidité, qu'elle veut pratiquer l'euthanasie, moi je dis qu'il faut que les deux parties en parlent. Le patient, le médecin et ensuite le médecin avec la famille. Le soulagement peut venir du fait de se dire : "Bon bien, elle a vécu des moments d'enfer, des moments où, cette personne en avait assez du fauteuil ! " Il ne faut pas rester, sur des moments de tristesse. Il faut essayer de garder les meilleurs moments du vécu, les moments de bonheur. De toute façon, il faut bien se dire quelque chose, on a tous peur de la mort. Nous ne sommes que de passage sur cette terre. Je veux dire on est là pour 40, 60, on est là pour 70 ans. On n'en sait rien, on ne sait pas ! Demain, ça peut être une connaissance à moi qui peut partir. Il faut bien réfléchir car si une personne a décidé et veut mettre fin à sa vie, je ne parle pas de suicide ! Parce que ça c'est encore un autre thème qui est vraiment un peu spécial parce qu'il y a suicide et suicide ! Il y a les appels au secours et la personne qui n'en parle pas, et dont on n'a jamais compris, pourquoi elle s'était suicidée. Donc l'euthanasie, moi je pense qu'il faudrait l'autoriser, mais l'autoriser dans certains cas. Je dis bien dans certains cas où c'est du "réfléchi" avec un médecin, du "réfléchi" avec la famille et surtout avec l'intéressé, surtout l'intéressé, parce que l'intéressé, c'est lui qui fait la demande de mettre un terme, une fin à sa vie. Et, si les trois parties se sont bien entendues, alors on va ainsi soulager certaines souffrances, les souffrances morales, ainsi que les souffrances surtout physiques, parce que vous savez, d'être dans un fauteuil roulant ..."
Sur le lieu particulier que constitue le "fauteuil roulant", il insiste sur les douleurs physiques puis mentales, qui durent et se remplacent en alternance, en se cumulant quelquefois. Il souligne le passage de l'être debout, les "marchants" d'après le vocable suggestif de Serge, à l'être "assis" qui doit se battre pour une "nouvelle" dignité. A ce propos, Jacques nous précise les circonstances de son accident.
"La douleur physique, au niveau de mes amputations, on ne peut pas dire que j'ai eu véritablement du mal. C'est vrai que ce fut instantané, quand je dis instantanément (il dis en fait "instinctivement" !), je veux dire que cela a été coupé net ! Je suis resté "clair" pendant quelques minutes, puis il y a eu un coma. Les choses qui m'ont fait le plus mal, où j'ai eu le plus mal, c'est les drainages de peau. Et là après, "ça" a commencé à tuer le mental parce que je ne voulais pas voir mon handicap. Un jour, en centre de rééducation, j'ai vu la kinésithérapeute qui m'a dit à propos du fauteuil roulant : "Parce que vous croyez qu'on peut accepter comme ça son handicap du jour au lendemain ?". Je lui répondis : "C'est pas possible ! Il va me falloir un an, il va me falloir deux ans, quatre ans, cinq ans, je ne sais pas, j'en sais rien !" Et elle m'a mis devant le miroir. Là, de voir le fauteuil, de voir deux membres en moins, là je me suis dis : "Oui, je suis handicapé, là je peux le dire ! " Je me cachais par rapport à ça. Et je crois que ça a été une épreuve, et puis après on l'accepte, d'être une personne handicapée, on l'accepte...Mais au fond de soi, il y a toujours un manque de quelque chose !
La douleur, c'est là qu'on la ressent, c'est quand on passe des épreuves "très douloureuses", Et là on commence à broyer un peu de noir. On se redit quelquefois : " Oui, je suis en fauteuil, mais ça dure au plus une journée. Mais c'est vrai que de toute façon le handicap en se le prendra toujours de plein fouet, ça c'est clair ! Quand je dis que le handicap, on se le prend de plein fouet, c'est qu'il y a des "gens" qui vous le rappelleront sans cesse, qui vous le mettront toujours en face !"
Il me raconta par la suite l'anecdote de la contamination par le "le coup de la lingette" pour bien me le montrer, de façon peut être exacerbée, mais néanmoins réaliste. De multiples occasions se présenteront pour indiquer à la personne handicapée sa véritable place sociale de "handicapé", comme le dit Jacques. A contrario, l'amitié et la reconnaissance des compétences, entre autre chose seraient, aux dires de pratiquement tous nos témoins, un antidote à l'effacement dont parle dans son ouvrage H.-J. Stiker.
Je vais commencer par l’histoire de la lingette. Parce que ça c’est quelque chose qui m’a marqué. Et qui n’a pas marqué que moi, ça a marqué mon fils aussi. Ça m’est arrivé à moi, ce n’est pas arrivé à quelqu’un autour de moi. En 2003, je n’ai pas eu de chance car j’ai été touché par cette "fameuse maladie" qui est le cancer. Et beaucoup d’amis n’étaient pas au courant. C’est un truc qui m’a un peu… c’est quelque chose qui m’a révolté. Le cancer est quelque chose qui est établi, mais le jour où vous en parlez, ça fait un peu bizarre. Après mon accident je revois cette personne, je lui dis bonjour, elle avait appris que j’étais atteint d’un cancer, elle a sortit une lingette pour se nettoyer les mains ! Ça, ça m’a…. Déjà moi, ça m’a fait quelque chose, et mon fils ça l’a… J’ai dit à mon fils : "De toute façon, c'est la bêtise humaine, on ne peut pas la changer !" Mais c’est vrai que ça fait drôle. Ça m’a surpris. Parce qu’on pourrait aussi se nettoyer les mains parce que je suis en fauteuil roulant ! Mais là parce qu’on apprend que j’ai un cancer ! Ça fait drôle tout de même. J’ai eu un moment, une pensée, pour une personne que j’avais côtoyée, lorsque j’étais suivi sur Paris pendant ma chimiothérapie. J’ai rencontré une personne qui était atteinte du S.I.D.A. Et bien, j’ai eu cette pensée pour cette personne. Je me suis dit lorsqu'une personne est atteinte du S.I.D.A, quand elle ne l'annonce pas, on lui dit bonjour naturellement. Par contre le jour, où elle le dit, il y a des réticences. Moi, j’ai ressenti la même chose par rapport à cette personne. Ça m’a fait du mal. Mais bon comme je suis quelqu’un de très fort là-dedans, je me suis dit : "Ne t’arrête pas à ça, parce que cela ne t ‘empêchera pas de vivre, ça ne t’empêchera pas de voir toutes les belles choses qu’il y a encore à voir !"
Notre ami garde un regard optimiste sur les êtres et les choses. Je constate en tant qu'observateur, qu'il existe encore ce réflexe de protection contre certaines formes de contamination. Notre survol historique autour du handicap a montré d’où peuvent provenir ces peurs et ces réflexes archaïques.

J’ai rêvé qu’on jouait au football !

Contre ces mauvais réflexes, Jacques nous propose des recettes simples pour nos quotidiens. On doit changer les choses par une éducation du ou par, le regard, le cinéma, l'école, le sport. Il faut absolument aussi faire un effort sur la patience, l'écoute enfin sur l'approche des intimités. Ce fut notre dernier entretien officiel celui où l'ethnographe avait oublié de lancer l'enregistrement !
Je rassemble mes notes pour relancer tout ce qui a "été perdu" ! On a parlé de la sexualité, il avait une position assez singulière en rapport au handicap lourd des tétraplégiques. "J'aimerai bien que vous me disiez quelques mots sur ce sujet difficile", lui avais-je demandé.
"Il faut arriver à se dire les choses, me dit Jacques, le handicap n'est pas [un arrêt de la vie]. Vous allez avoir des gens en fauteuil roulant qui au niveau de la tête fonctionnent très bien parce que la personne va pouvoir aborder le dialogue avec une femme. Je veux dire quelque chose, aujourd’hui, le handicap fait moins peur aux femmes qu’il ne le faisait, il y a une vingtaine d’annéesencore. Parce que maintenant, on est arrivé comme je le disais, par rapport à la connaissance à un dialogue de plus en plus, en face à face avec une femme. Maintenant beaucoup de gens [valides] vont sur Internet pour faire connaissance avec une femme, que nous non ! On est tellement spontané, on parle plus ouvertement des choses. Si une femme me demande : "Tiens qu'est-ce qui t’est arrivé comme accident ?" J’en parle ouvertement. Je lui dit : "Bon voilà, j’ai perdu mes deux jambes dans un accident ! " Je ne me pose aucun problème pour avoir un dialogue avec une femme. Par contre, il risque d’y avoir certaines difficultés avec les tétra ou paraplégiques. Je ne sais pas s’ils sont obligés de passer par un dialogue plus simple que le mien ou plus approfondi, parce que certains paraplégiques ne peuvent pas déclencher une érection comme tous les hommes "normalement constitués". Ils sont obligés d’expliquer que s’ils veulent avoir une relation, ils sont obligés de prendre un comprimé ce soir là, pour les aider. Je parle de cela, mais avec une petite connaissance car j’en ai entendu parlé autour de moi. Il faut peut être vérifier un peu plus ce schéma, ou interroger une personne paraplégique qui pourra mieux l’expliquer que moi."
Je lui explique que je l'ai fait, et que ce qu'il disait, était fort juste dans son analyse. J’en ai eu la confidence éclatante par un long entretien. Pour stimuler la libido, il y a non seulement des médicaments mais des piqûres et des appareillages ainsi que des protocoles médicaux plus ou moins contraignants. C’est encore plus ahurissant quand un collègue chargé de projet et de suivi du handicap d'une grande université parisienne, me raconta à l'occasion d'un colloque, durant plusieurs heures, le "parcours du combattant" pour pouvoir faire un enfant, lorsqu'on est un "paraplégique" comme lui ! Il y bien une différence, entre le jeu de la séduction pour avoir des relations intimes, à opposer au projet de concevoir un enfant dans ces situations de handicap.
"Il faut se dire quelque chose quand on fait l’amour avec une femme dans [ces conditions], hé bien, qu'au bout d’un moment, il faut s'arrêter parce qu'on est obligé de se faire une piqûre ! Je crois que ça doit casser quelque chose. À moins que la femme se dise qu'il faut respecter, je ne sais pas, je n’arrive pas à le concevoir !
Pour certaines personnes handicapées, il faut un intermédiaire, parce qu'il y a certains handicaps où il faut expliquer à la fille, à la partenaire [le procédé] qu'il faut utiliser. Ce n’est pas quelque chose de naturel ? C’est quelque chose de vrai pourtant. Dans certains pays, ce sont des choses qui sont pratiquées, on fait appel à des prostituées, où on est obligé d’expliquer à cette fille que cette personne est en fauteuil mais il faut la stimuler. Ça peut passer par beaucoup de d'étapes par exemple, la fellation, la masturbation, etc. Ça peut passer par énormément de situations. Et c’est vrai qu’il faut permettre à la personne, veut cela et celle qui fait cela, il faut qu’elles en passent par un dialogue sans peur ni tabou ! Parce que ça peut faire peur de rencontrer une personne qui est dans un fauteuil roulant. Ils sont obligés d'en passer par là, lui, elle et l'intermédiaire.
Je lui rappelle les critiques virulentes, les problèmes juridiques et éthiques que posent le recours aux prostituées ou aux "accompagnatrices sexuelles" comme en Allemagne au centre de Trebel (ARTE dans l'émission du 29 septembre 2003) même s'il s'agit des plus lourds handicaps pour l'accès "aidé" à ce besoin légitime que constitue la sexualité humaine.
"Je suis quelqu’un d’ouvert", poursuit Jacques, c’est comme pour le droit à la connaissance, pourquoi n'aurait-on pas le droit à la sexualité ? Ce n’est pas quelque chose d’interdit ? Ce n'est pas au gouvernement de dire, ce n’est pas un sujet tabou ! Tout le monde a le droit de s’épanouir, tout le monde a le droit d’avoir des relations. Il n’il y a pas de honte, faire l’amour ce n’est pas quelque chose de sale ! C’est tout de même quelque chose qui apporte du plaisir, du bonheur aux personnes. C’est ouvert à toutes personnes qui le veulent et ce malgré le handicap ! "
A propos du rêve qui devient un monde pour s'échapper, Jacques insiste pour que cet espace soit "un truc réservé" !
"En fin de compte, cela nous est réservé à moi, mon fils, ou mon amie. Parfois, je dis à mon fils : "Tiens papa, il a rêvé de toi cette nuit". Il me dit : "Ah oui" ! Je lui dis que j’ai rêvé qu’on jouait au foot tout les deux ! Mais il n' y a pas que le foot, c'est aussi courir ensemble, beaucoup de choses ! Mais il y a une situation qu'il faut bien expliquer aux gens, qui est difficile à comprendre ; c’est quand on est amputé, il faut bien se dire que du cerveau, on ne vous a pas amputé ! Lui, il réfléchit toujours pour quatre membres ! Pour lui, le bas est toujours là, ça bouge ! "
Notre ami, avec beaucoup humour, nous incite à nous adresser toujours à l'intelligence. On peut ne pas être d'accord avec les théories d'Howard Gardner (1983, 1996) sur Les intelligences multiples ou celles concernant La défectologie de L. S Vygotski (1924-1934), j'ai néanmoins constaté empiriquement d'abord puis plus scientifiquement ensuite, qu'une porte pour les progrès, reste toujours ouverte dans le monde des vulnérabilités humaines.
"Oui, il faut bien arriver à comprendre. Lorsque vous êtes amputé, le cerveau lui "gamberge" toujours pour quatre membres. C’est ici qu'il faut leur expliquer qu’on a des "douleurs fantômes", les gens n’arrivent pas à comprendre cela. Ils ne comprennent pas grand' chose ! Alors, on est obligé de répéter, et ça me prend "la tête" parce que je me demande s’ils comprennent réellement ? Il faut se dire que parfois quand "le mal fantôme" commence, c’est bien sympathique ! Mais au bout d’un moment la violence de la douleur n’est plus du tout supportable. On se dit qu’en massant le moignon, on va peut être trouver une zone qui avait un rapport avec les doigts de pied par exemple ! Lorsque vous êtes amputé ce que vous ressentez le plus, c’est les doigts de pied ! C’est vrai qu’en palpant ici ou là, je me dis que je vais toucher des zones où je vais ressentir plus, le gros orteil que les autres doigts de pied ! Est ce que c’est moi dans ma tête, je ne sais pas. Il y a vraiment une zone où j’appuie [particulièrement].
Je n'en ai jamais parlé au médecin parce que je me dis que j’ai plus vraiment de traitement. Cette situation n’arrive qu’en période d’hiver, 4 ou 5 fois seulement. Mais le problème c’est que ça vous arrive souvent la nuit, pas le jour. Alors vous êtes bien en train de dormir et t puis d’un seul coup, vous avez le moignon qui se met à bouger tout seul. Là, je me dis : ah, ah, ça ce n’est pas bon. Mais ça me le fait qu’à la cuisse. Donc je tâte, je touche et parfois ceci va me "prendre la tête", je mets des coups de poings parce que ça ne passe pas. Et puis, ça se calme. Pourquoi cela se calme ? Parce que d’une le moignon a doublé de volume ! Je l'ai tellement martelé que….
Il est vrai que ce n’est pas une solution du tout ! Mais après, je retrouve le sommeil. Et parfois je retrouve le sommeil 2 à 4 heures après, parce qu'il faut se dire que cela peut durer un quart d’heure à vingt minutes comme 2 ou 3 heures parfois. Et c’est vrai que ça fait mal, ça fait vraiment mal."
Il faut que l'entourage au sens large, écoute les paroles des personnes handicapées, que les connaissances soient partagées pour que tous les partenaires soient informés. C'est bien le but du témoignage de Jacques avec un travail social sur le temps et de la patience.
"Non le temps social n'est le même, parce que c'est tout un tas de démarches, c'est tout un tas de problèmes pour faire valoir notre statut au niveau de la vie sociale. A savoir qu'encore actuellement c'est très difficile, très complexe, pour une personne handicapée de se situer dans le [monde] social. On est en fauteuil roulant pour faire une tache, il y a le temps de se garer, le temps de sortir le fauteuil, de passer dans le fauteuil, de fermer la portière. Un valide, lui, il est garé, il est déjà dans le magasin facilement depuis 5 minutes ! C'est clair que les personnes handicapées auront toujours un décalage par rapport au temps, donc on fait avec, voilà. On a un décalage permanent sur beaucoup de choses. Une personne handicapée n'a pas le même temps social à cause même du système pour se déplacer. À savoir qu'il faut toujours se battre. Un exemple quotidien, nous le vivons sur l'agglo orléanaise, si on veut rentrer dans le tram, vous êtes toujours obligés de vous excuser ! Patati et patata". Il [conviendrait] de faire évoluer les choses, mais on ne peut pas les faire évoluer seul. Il faut les faire évoluer avec beaucoup d'autres personnes de la base jusqu'au gouvernement. Nous n'avons pas la même vision, plus la même orientation que nos [contemporains], et ceci pour la raison suivante, c'est qu'on est peut-être moins stressé que les valides, on s'affole peut-être moins sur certaines choses. Dans le système administratif, quand on fait la queue dans certaines administrations certains valides s'affolent, il s'énervent, alors que nous autres, nous savons ce qu'est la patience ! D'attendre, on sait ce que c'est ! Etant donné qu'on est en fauteuil, on voit les choses différemment. On est moins stressé, on est moins pressé, parce qu'on se dit qu'il y a qu'une seule vie et qu'il faut en profiter un maximum ! C'est pour cette raison que le système valide/ invalide peut se comprendre, parce qu'on peut discuter ensemble, mais il y aura toujours ce système de rapidité que le valide aura et que nous, personnes en fauteuil, on aura peut-être moins. Je veux dire, pas être moins rapide, parce qu'en fauteuil, il y a certains qui roulent vite. Je crois néanmoins que c'est tout de même, deux mondes complètement différents. Le monde du handicap et le monde du valide. C'est clair qu'il y aura toujours un gain de rapidité pour eux et, pour nous, il y aura toujours des actes qui seront toujours un peu plus longs à réaliser. Il s'agit de ne pas être pressé, il faut savoir attendre. Nous, les personnes handicapées, nous sommes des gens très, très patients. Mais il y a des jours où on s'énerve aussi et ça fait de sacrées tornades quelquefois !

A propos de la reconnaissance du handicap sensoriel, il me cite l'histoire du labrador d'une dame atteinte de cécité. La lecture de l'article sur les mères aveugles, lui aura permis de faire remonter en lui des réflexions très pertinentes sur la problématique de vie des aveugles.

"Moi je dis que c'est fort, surtout ceux qui se déplacent avec un chien. J'ai le souvenir d'une aventure qu'il m'est arrivé il y a deux ans. Pas loin de chez moi, une dame qui est donc non-voyante qui est guidée par un chien. On a dû lui apprendre au chien, je pense, à repérer tous les obstacles : poteaux, panneaux, arbres, personnes, etc. Mais là, je peux vous dire, quand il a vu un gros garçon de 95 kg, dans un fauteuil roulant, débouler comme j'ai déboulé, le chien a voulu me mordre ! La dame fait : "je ne comprends pas ?". Et je lui dis : "Attendez, madame, je suis en fauteuil roulant, le chien a eu peur ! ". Et ça c'est vu parce qu'il a protégé sa maîtresse en se mettant devant elle pour lui interdire de marcher. Il m'a montré les crocs. Un labrador ! Je peux vous dire que normalement les labradors c'est doux ! Mais, je ne rigolais plus trop ce jour-là ! Et maintenant je dois dire que c'est quelque chose qui a dû être dépassée chez le chien, parce qu'avec la dame, on se voit assez fréquemment maintenant, puisqu'on habite dans le même quartier. Quelquefois on prend le tram ensemble. Et le chien me fait la fête ! Donc je pense qu'il a fallu apprivoiser, ce nouveau mode de véhicule, jamais vu durant son dressage. Il n'y avait peut-être pas. Je ne sais pas. Mais là, c'est assez impressionnant quand même. Le monde des mal-voyants et des non-voyants c'est quelque chose de fort !"

On retrouve, avec cette anecdote du labrador, cette phase souvent décrite par nos témoins "d'apprivoisement " du handicap, le chien a bien compris la différence en faisant la "fête" à l'être humain après avoir montrer les crocs au fauteuil. Jacques poursuit sur ce monde des aveugles et il y rajoute son monde à lui, le sport.
"Malgré le fait que je sois sportif de haut niveau, je côtoie, des sportifs qui pratiquent du sport mal-voyants ou non-voyants. J'ai, le souvenir, il y a deux ans quand j'ai organisé une épreuve à Orléans, d'un haltérophile que je ne connaissais pas. C'était un dimanche. On m'a appelé pour me dire : "Voilà, on a un athlète à présenter, mais, il est non-voyant en plus de ça il est sourd ! ". Je peux vous certifier que la situation m'a fait un petit peu peur et j'ai appelé mon directeur technique fédéral (D.T.F) en lui expliquant ce qui m'arrivait. Il m'a dit : "Non, non, il n'y a pas à s'inquiéter. Tout fonctionne à partir du front". Je peux vous dire que le jour de la compétition, je n'étais pas bien certain sur ce que j'allais faire. Cette personne là, m'a [littéralement] sidéré, parce que je m'étais dit : "Comment il va faire sans voir et sans entendre ? "En fin de compte vous voyez tout fonctionne dans la coordination et j'ai été "bluffé" ! En étant sur un fauteuil roulant, je ne peux pas vous dire que je sois resté sur "le cul "mais quelque chose comme ça quoi ! Par exemple pour bien coordonner le démarrage de barre, on lui tapotait sur le front une fois ! Pour descendre la barre c'était deux fois ! Pour remonter la barre c'était trois "tapées "et pour reposer c'était un tapé sur le front .... Il s'est qualifié pour les championnats de France mais alors, à l'aise ! Quelqu'un de vraiment à l'aise ! Mais imaginez-vous malvoyant et sourd, je n'ai pas vraiment dialogué parce qu'il était assez renfermé ! Il rigolait assez bien avec son entraîneur car j'ai remarqué qu'ils se parlaient en braille ! C'est quelque chose qui m'a impressionné ! "
Jacques par cet exemple nous invite a réfléchir sur le fait que de petites choses, comme ce qu'il nous a décrit dans le domaine du sport, font le soin que l'on porte à l'autre, une tape, un bon mot, un regard de fierté, etc. Le monde institutionnel devrait prendre des leçons de vie sur ces actes du quotidien. Pour terminer Jacques va nous livrer, son analyse, et quelquefois sa virulente critique au sujet du monde du travail et du monde culturel.
"Je pense que si on devait faire évoluer les choses, il faudrait que dans chaque administration, il y ait une personne pour recruter les personnes handicapées. J’ai rencontré des responsables en relations humaines qui ne connaissaient pas le monde du handicap ! Un comble [pour le terme humain] ! On n'est pas du bétail ! Il faudrait voir à faire changer les mentalités, et peut être "renvoyer" certaines personnes en dans administration pour y mettre des personnes en fauteuil roulant ou ayant d'autres handicaps. Et je pense que ça ferait beaucoup changer les mentalités dans les mairies, dans les administrations comme dans les impôts, les banques…..De plus, il faut se dire que les personnes handicapées ont une joie de vivre certaine, ils ne sont pas toujours en train de "pleurer sur leur sort". On aime bien rigoler, on aime bien faire la fête aussi ! J'estime qu’une personne handicapée dans une entreprise avec des valides, peut apporter beaucoup de chose. Quand vous entendez des valides qui disent : "Oui, j’ai mal à la tête… Je vais pas m’en sortir !" Alors que nous, tous les matins, on sait qu’il faut se lever, on a eu des douleurs la nuit, … Comme pour moi, en rapport aux membres fantômes. Je passe des nuits blanches, mais cela ne nous empêche pas d’aller au travail. "
Il nous avait déjà dit à ce propos : "On se dit qu’il faut il y aller, donc on y va. On ne va pas s’arrêter parce qu’on a eu mal toute la nuit, tout de même ! "
"Tant que les mentalités n’auront pas évolué, sur le fait qu’il faut qu’il y ait une bonne connaissance du handicap entre les chefs d’entreprise et les "experts" du handicap, ce sera très dommage ! C’est vraiment [navrant], car on ne peut pas faire évoluer les choses ainsi !
On n'est pas des "tas" incultes. Je pense que s’il y avait des gens qui avaient un peu plus la tête sur les épaules, ils pourraient faire des films sur la violence en rapport avec le handicap. Ça changerait peut être le comportement de certaines personnes valides. Pour ma part, j'estime qu’on pourrait faire des films sur des belles histoires, pas spécialement pour faire "pleurer" les gens, mais peut être que dans les films, on pourrait se permettre de montrer "certaines" choses !
Un peu comme dans Nationale 7 ou pourquoi pas une histoire comme une comédie par exemple, une comédie rapportée au sport qui deviendrait affective. Montrer qu’une personne handicapée peut avoir une relation avec une femme sans montrer quoi que ce soit de déplacé. Faire comprendre qu'au cinéma, une personne ayant un corps meurtri peut montrer des choses, peut susciter de l'émotion, comme m'importe quel acteur ! "
Je lui remémore le fait, que certains films, ont effectivement aidé à changer le regard de nos contemporains. Il existe des longs métrages comme, les enfants du silence, Rain Man, Nationale 7, ou encore Elephant man pour ne citer que ceux, qui reviennent assez souvent dans les retours du questionnement sur le handicap au cinéma. Il y a eu aussi, Freaks, la célèbre œuvre cinématographique qui toucha et touche encore un large public. Elle montrait des personnes de petites tailles, des difformes, des étranges qui se rebellaient dans ce monde particulier du cirque au début de XXe siècle. Effectivement, ce fut la première fois au cinéma, où l'on assistait au jeu scénique de personnes handicapées qui jouaient leur propre rôle.
Jacques nous confirmait que la plupart des personnes qui jouent des rôles de personnes handicapées à l'écran sont des personnes valides !
"Je prétends qu’on pourrait éventuellement faire des films avec des personnes handicapées. Qu'est-ce qui l’empêche ? Rien. Récemment, cet été, j’ai vu une série qui passait, il y avait une personne en fauteuil roulant, je ne sais plus sur quelle chaîne j’ai vu ça ! L'acteur était valide ! Ce n’était même pas une vraie personne handicapée. C’était une série policière qui n’est pas restée longtemps. Je ne l’ai vue que deux fois, deux vendredis, la mais la personne qui jouait le rôle n’était pas une personne handicapée. C’était une personne valide, c’est dommage."
Un acteur handicapé est avant tout un acteur, dans un registre identique, un athlète handicapé, c’est d'abord un athlète, un sportif. Ceux qui sont en charge d'artistes, d'acteurs, de sportifs, de musiciens, enfin de ceux qui œuvrent dans le vaste monde de la culture, sont toujours quelque peu agacés qu’il faille mettre constamment en avant leur handicap avant leurs qualités et compétences ! L'invalide ou le déficient de "quelque chose", pour paraphraser Jacques, revient insidieusement souvent au premier plan, tapi derrière la compétence, caché derrière la qualité d'un jour de ces acteurs sociaux, que l'on montre en exemple de temps en temps.
"Il y a eu des reportages qui ont été faits sur moi avec France 3, mais quand je vois la manière dont on a traité les jeux paralympiques… On disait sur untel : "Il a eu un accident, la vie a été dure avec lui, etc". Il faut arrêter ces [lamentations], arrêter tout ça ! On doit nous prendre comme on est. On fait des résultats comme toutes personnes. Moi je dis qu’il faut arrêter. Il faut nous voir comme des hommes et des femmes à part entière. Il ne faut pas oublier que ce n’est pas parce qu’on est en fauteuil qu’on n’a pas certains droits.
On vote comme tout le monde ! On a des relations avec des femmes comme tout le monde ! On a des vies de famille comme tout le monde ! Pour ceux qui en doutait !
Aux prochains Jeux Olympiques, à Pékin puis à Paris, tant mieux si c’est à Paris, on pourrait intercaler les épreuves des Jeux Paralympiques. C’était déjà en discussion, j’ai déjà entendu ça, mais est ce que ça se fera un jour, je ne sais pas. Mais bon, c’est vrai que ceci prendrait peut être plus de temps. Au lieu de 15 jours, ça prendra peut être un mois. Mais je veux dire qu’en tant que personne sportive avec un handicap, on aurait droit au même public que les valides. Lorsque vous voyez que les autres sportifs ont des stades complets de spectateurs, et quand vous regardez les tribunes paralympiques, cela fait une grande différence ! Je dis qu’il faudrait mélanger. La délégation française partirait avec une seule délégation. On aurait les mêmes statuts.
J’ai vu cette mixité à l'œuvre ponctuellement, dans certaines épreuves, pareillement à Barcelone, à Atlanta, à Sydney, et à Athènes mais c’est tout ce que vous voyez. Vous ne verrez pas par exemple le lancement du poids, où on va faire [concourir] des personnes avec un handicap. Les Jeux devraient se dérouler tous les 4 ans avec une seule délégation. Il n’y aurait plus le "handisport" qui arrive seul, après les autres. Je vois que nous, le handisport, on ramène plus de médailles que les valides, il ne faut pas l’oublier ! Certains d'entre nous possèdent déjà un beau palmarès, il conviendrait d'avoir pour nous, tout de même, une plus grande reconnaissance qu’on en a actuellement. Parce qu’on nous donne le statut de sportif de haut niveau, c’est bien ! Mais la vraie reconnaissance, où est-elle ?
Autre exemple, au sujet du monde du travail, des politiques sociales, je pense qu'un organisme comme Prométhée, est un organisme qui pour ma part ne me semble pas trop fiable. J’ai même poussé un petit "coup de gueule" envers eux. Je les ai connu à l'issue de mon accident en 1991, je les ai connu en 1994 après avoir effectué la formation de monteur câbleur à Vouzon. Je pense qu’ils grossissent énormément leur fichier pour dire qu’ils ont un nombre important de personnes handicapées. J’ai [donc] été très surpris quand je leur ai demandé quelle était la population au niveau du handicap qui recherchait un emploi. Parce je m’étais mis en tête qu’on était énormément en fauteuil roulant. La personne qui m’avait reçu, avait sorti la semaine avant, les listings sur les personnes en fauteuil, on était que cinq ! Donc, c’est quand même énorme ! À savoir qu’au niveau de l’emploi, une personne qui est atteinte du S.I.D.A est aussi considérée comme une personne handicapée ! Une personne qui fait des crises d’épilepsie est considérée comme une personne handicapée ! Ce qui signifie qu'une personne qui est en fauteuil roulant aura plus de mal à trouver un emploi en entreprise ou même à décrocher un stage dans ce contexte. Elle aura plus de mal qu’une personne qui peut marcher, mais qui répond aux standards très larges des handicaps ! De toute façon, il est clair que cette situation est bien connue voire reconnue. C’est à nous de faire avancer, de faire évoluer les [points de vue]. Mais, je veux dire je pense que le système est très mal fait parce que je ne comprends pas qu'encore aujourd’hui, ce doit être nous, les personnes handicapées qui sommes obligées de faire évoluer les choses ! Quand j’entends, J. Chirac qui nous annonce en 2003, la priorité aux personnes handicapées, je suis désolé mais l'année 2003 est passé, nous sommes début 2005, on constate qu’il y a rien. Moi, je n’ai rien vu de concret, sur l’agglomération 45, ça c’est clair !
Est que c’est notre problème ? Est-ce que c’est nous, les personnes handicapées, qui ne sommes pas trop à l’écoute ? Ou est ce que c'est les valides qui pratiquent "le système de l’autruche ? Est-ce qu’ils écoutent ? Je ne sais pas. Je ne comprends peut être pas très bien la situation ! Il conviendrait dans la mesure du possible pour l’emploi d'avoir une personne en fauteuil roulant en entreprise comme conseiller [pour l'accueil]. Il y aurait peut être moins de personnes qui seraient ignorantes du handicap sachant qu'il fait peur de prime abord. Une personne en fauteuil roulant, ça peut arriver demain à tous, c’est l'inconnu, le hasard. Les gens vous posent un "milliard" de questions pour savoir ce qui vous est arrivé. Mais, je vais vous dire, je préfère de loin les questions d'un enfant, parce qu'il va être vrai, étant ignorant de notre état, de celles d'un adulte qui est plus "sournois". L'adulte questionnera plus dans le soupçon, alors que l'enfant lui, c’est spontané. Il va vous dire : "Pourquoi, as-tu une seule jambe ? Pourquoi es-tu en fauteuil roulant ? "
Notre synthèse, sur ces derniers points de l'entretien avec Jacques, nous montre que le premier des soins sociaux est constitué par le respect, par la non suspicion systématique ; c'est d'abord, faire confiance !







Récit no 12 : À propos de Georges : "Le travail ne me fait pas peur !"



J'ai rencontré un homme extraordinaire !

Le mode de communication que Georges a privilégié avant notre rencontre fut le mail, avec l'écriture de longues lettres où il soulignait les idées forces en les mettant en majuscules. J'ai souligné ces expressions dans ce récit, en les faisant apparaître en italique ; récit fait de nos écritures entrelacées.
Dans ce témoignage sur la situation de handicap au quotidien de Georges, on remarquera le poids énorme des études dans son cursus. Le savoir est pour lui une quête primordiale qui contrebalance largement les sacrifices qu'il doit consentir journellement. Une très grande partie de sa scolarité atypique s'est faite en autodidacte.

"Je suis donc handicapé de naissance et je "possède" la maladie de Little. Après des études très brèves dans un centre de formation professionnelle, ne trouvant aucun emploi, j'ai rejoint la Maison d’Accueil Spécialisée (M.A.S) de Novéant/Moselle. Après douze années passées dans ce centre, je me suis décidé à habiter Metz où je me suis inscrit en faculté pour passer le diplôme d'accès aux études universitaires D.A.E.U, "espèce" d’équivalence au baccalauréat, je l'ai eu après trois années de rattrapage et de courage ! Puis j'ai fait un diplôme qui s'appelle : diplôme universitaire de sciences humaines et sociales. Puis, j'ai voulu travailler comme C.E.S à l'Association des Paralysés de France (A.P.F) qui au bout de deux années m'a remercié ! J'avais comme fonction rédacteur en chef d'une revue. Puis ce fut le chômage pendant deux années et j'ai repris les études en faculté pour faire une année en "Lettres modernes" que j'ai "loupée", à cause de l’allemand. J'oubliai de vous signaler que je n'ai jamais été scolarisé à part ces deux années à Grenoble. Donc après cette première année de lettres, je me suis retrouvé en psychologie, mais là aussi j'ai "raté" car il y avait des statistiques au cours de cette année. J'ai enfin rencontré un homme extraordinaire, Mr "R.", qui voulait avoir à Metz un D.E.U.G de philosophie. J'ai donc fondé une association pour l'aider au niveau de l'éducation nationale. Nous avons travaillé ensemble pour que ce projet se mette en place. Le D.E.U.G mis en place en 1998 ; j'ai eu mon premier diplôme c'était le D.E.U.G de philosophie, puis la licence et aujourd'hui je viens d'obtenir la maîtrise de philosophie et d'ethnologie. Voilà à peu près mon parcours, je vous signale que j'ai 55 ans et que je suis poète à mes heures ! J'ai déjà fait des articles à ce sujet. Voilà cher Monsieur mon parcours succinct. "
Il me demande à la fin de sa présentation, sachant les champs de savoirs que nous étudions ainsi que notre contact commun avec monsieur "R", si je pouvais lui conseiller des livres philosophiques. "Je suis preneur", m'écrit-il en rajoutant que : "Le travail ne me fait pas peur ! "
Ce jeune étudiant âgé de56 ans, m'a avoué par la suite que les études universitaires sont, l'une de ses principales "raisons de vivre".

Cher Monsieur, cher ami, bien à toi, etc...!

Nous avions fait connaissance sans qu'il ne s'en aperçoive, bien avant notre première rencontre officielle. C'était lors d'une visite doctorale à notre directeur de thèse que nous avons en "commun" à l'université. Je l'avais entrevu à l'époque, dans les couloirs du département de sciences humaines et arts (S.H.A) de l'université de Metz. Une personne en fauteuil atteinte d'une pathologie lourde et bien "visible" se rendant à un cours de maîtrise, ne passe pas inaperçu. Ma présence pour lui, passa totalement inaperçue ce jour là ! Notre relation épistolaire était à l'origine marquée par le doute puis dans le temps des échanges, les courriers Internet se terminaient par des expressions de plus en plus amicales, et finissaient par le tutoiement. Notre rencontre "réelle" dans le restaurant d'un C.A.T, marqua le passage du témoin pour mon travail à une relation de chercheur à chercheur. Dans cette partie à propos de échanges, j'ai laissé les fins de lettres pour montrer l'évolution de nos rapports à travers les formules de politesse.
"Bonjour et merci", m'écrivait Georges dans la lettre du 11 décembre 2002 reçue par Internet depuis la chambre d'une M.A.S.
"Je suis donc handicapé de naissance et je possède la maladie du Little. Après des études très brèves dans un centre de formation professionnel, ne trouvant aucun emploi, j'ai rejoint une Maison d’Accueil Spécialisée Le travail ne me fait pas peur, si vous pouviez me conseiller des livres philosophiques, je suis preneur ! Bien à vous, votre ami et merci de bien vouloir m'aider. Georges."
Le Dimanche le 15 décembre 2002 à 10 h 06, je reçois par Internet, un long retour où il exprime son impossibilité de m'aider pour l'écriture des articles ! Dans le même temps il me demande mon aide car notre ami commun lui avait donné mon accord pour une aide au-delà des simples entretiens.
"Monsieur, je vous fais parvenir ce petit mot, car je voudrais vous demander des conseils sur le mémoire de philosophie concernant les personnes handicapées ; large débat, je vous l'accorde ! Je n'arrive pas très bien à formuler ma problématique, aussi je vous demande si le sujet suivant pourrait être une bonne problématique : "Les personnes handicapées peuvent-elles vivre comme les autres ?", si je prends cette problématique, il faudra que je fasse état d'un certain ouvrage de M. Heidegger "l'être et le temps", qu'en pensez-vous ? Il me serait agréable aussi que vous puissiez me donner une bibliographie concernant l'approche du corps envers les personnes dépendantes, et aussi quelques "trucs" pour présenter mon mémoire. Je pense qu'il y a un léger malentendu entre nous, je ne pourrais faire des articles pour vous, bien que cette démarche m'intéresse beaucoup, cependant, je suis étudiant en maîtrise de philosophie et d'ethnologie et en plus, je suis président de deux associations, donc ce n'est pas de la mauvaise volonté de ma part, j'attends de vous quelques conseils sur l'élaboration de mon plan de mémoire de philosophie. En espérant que vous recevrez cet email dans de bonnes conditions, je vous prie de croire, cher monsieur en mes sentiments cordiaux. "
De septembre 2003 à début décembre 2003, le contexte change. Mes réponses se font plus pressentes, car un malentendu entre nous persiste. Il me demande de trouver "un autre handicapé" pour mes recherches alors qu'il connaissait, avait accepté l'ensemble du protocole ! J'ai dû, très fermement, lui remémorer le respect de la parole donnée. J'ai aussi rappelé, au futur anthropologue qu'il ne manquera pas de devenir, les notions "de dons et contre dons". Nous en sourions encore tous les deux aujourd'hui !
"Cher ami bonjour", lui répondis-je, "c'est vrai que vous n'êtes pas le seul handicapé ! Mais notre ami commun nous a mis en relation pour que je puisse avec votre soutien, faire avancer ma compréhension de la vie sociale des handicaps lourds en institution. C'est à votre intelligence que je m'adresse et non pas à votre seul handicap. De plus, il y a peu d'étudiants qui ont un parcours tel que le vôtre (philosophie et ethnologie) c'est précisément cela qui m'intéresse : quelques lignes de temps à autre fruit de vos réflexions m'aideraient bien pour mon travail. De plus vous me l'aviez promis !
Nous traitons d'intelligence à intelligence ; c'est cela qui m'importe ; c'est vous qui me rendez service par vos réflexions et votre conversation même si vous avez besoin de plus de temps que les autres. Il me faut des certitudes comme à vous-même je pense pour avancer. Vous avez l'impression d'un harcèlement de ma part mais il n'en est rien, j'aimerais juste que continuions à converser tranquillement comme d'ailleurs vous vous étiez engagé à le faire avant de nous voir pour des entretiens directs."
Le ton est donné. Tout va s'arranger bien vite.
Le 03 décembre 2003, je reçois par le canal d'Internet des excuses ainsi qu'un tutoiement amical ! Il est vrai que nous nous étions entretenus longuement par téléphone quelque temps auparavant.
"Salut Michael ! Comme tu le vois je n'ai pas oublié, mais j'avais beaucoup de travail : je ne sais pas si tu le sais, mais en dehors de mes études universitaires, je suis président d'une association de personnes handicapées à Novéant. Et je suis aussi président du conseil de la vie sociale de l'établissement où je suis hébergé, donc cela fait tout de même beaucoup de travail et de réflexions.
Si tu veux m'envoyer des pièces jointes avec Word, je te recommande cette adresse que je viens de créer, il n'y a pas très longtemps. Si tu pouvais m'envoyer des idées de lectures sur le corps, le rite et l'esprit des personnes handicapées, cela me rendrait bien service. Merci de bien vouloir me répondre assez rapidement pour que je puisse travailler. A plus tard et excuse-moi encore pour ce retard. A plus. Amitiés .Georges !"
Le 21 avril 2004, la teneur du texte échangé se veut une synthèse entre deux moments comme s'il voulait effacer les premières incompréhensions, les échanger avec un partage plus équitable des savoirs.
"Cher ami, je m'excuse de ne pas avoir eu le temps de travailler plus sérieusement avec vous, mais, je m'occupe de beaucoup de choses au niveau du centre où je suis hébergé. En effet, j'ai fondé une association, qui fonctionne assez bien et qui a pour but de faire [naître] une interaction entre des personnes handicapées et des personnes valides, je vous en reparlerai lors de notre rencontre le 4 mai 2004. J'attends de tes nouvelles avant le 4 mai 2004. Bien à toi, Georges."
L'analyse de l'institution vue par Georges me parvient le samedi 29 août 2004.
"Salut Michael, je t'envoie un premier volet sur l'institution, il y aura encore d'autres réflexions sur ce sujet, mais les examens approchent. Alors il faut que je m'en occupe ! Ta question demande effectivement une analyse très fine de l'institution. Mais, je vais essayer de la faire sans trop d'esprit critique. Il ne serait pas honnête de ma part de dire que les personnes handicapées n'ont guère besoin de cette "grande machine" que représente l'institution. Dans un autre volet, j'indiquerai, le côté relationnel entre résidents et personnels, puis, nous nous intéresserons à l'un des aspects assez important c'est la typologie décrite par : "c'est le chouchou de ces dames" ; nous appellerons ce phénomène " transfert et contre-transfert" à la M.A.S ! Bien à toi. Georges."
Le lundi 25 avril 2005. Il m'accueille au début de sa missive électronique par un : "Salut Michael, je te remercie de ta réponse ! ". Il poursuit. "Je passe, mon D.E.a, le 24 mai à 16h00. Oui, tu as raison, je me bats contre les rigidités de l'institution, puisque je suis président du conseil social de mon établissement, mais il me faut beaucoup de diplomatie pour que ces "messieurs" comprennent que nous ne sommes pas des objets, mais des hommes et des femmes, qui malgré un handicap, ont le droit au respect, et à une certaine identité sociale. C'est un combat qu'il faut mener à bien, qu'en penses-tu ? Je réfléchis à "mon avenir". A savoir, j'aimerais faire une thèse, dont la cible essentielle est l'institution, quelle place a le résident dans l'institution et pourquoi met-on systématiquement des personnes handicapées dans des institutions, car ce genre de démarches revient cher à l'État. Je sais que je ne pourrais plus avoir de bourse d'études au niveau de la thèse, car je suis trop vieux, donc inutile pour ceux et celles qui recherchent de la production (quelle société ! Si tu as des tuyaux pour cette affaire de bourse, fais-moi-le savoir.). Si je n'avais que 24 ans, j'aurais droit à une bourse de recherche, mais hélas, je n'ai pas pu" rattraper le temps perdu" entre les différentes étapes de mon existence.... Amitiés et merci, ton ami Georges."
Le ton change ainsi que nos relations qui se situent à un niveau autre que celui dépassé maintenant de chercheur à interlocuteur.
"Salut, mon cher Michael !", m'écrit-il le vendredi 6 mai 2005, je joins à ce message mon mémoire. Dis-moi juste si tu l'as bien reçu. Ce que je voulais te dire, c'est que le regard envers les personnes handicapées évolue avec le temps, mais aussi grâce aux efforts de chacun. Si tu prends comme paradigme la personne handicapée qui fait des compétitions sportives, je doute que le grand public prenne conscience des autres catégories de personnes handicapées. Il ne faut surtout pas ignorer celles et ceux qui doivent se reconstruire avant d'accepter leur handicap. "
Le mercredi 11 août 2004, c'est le grand jour, on se rencontre au restaurant du C.A.T près de la gare ferroviaire de Novéant puis à la fondation Bompard chez lui dans sa chambre, spécialement aménagée, pour la suite de nos entretiens. Avec son accord je prends des notes sur la totalité de la journée.
Je recadre le projet, lui remémore les nombreux rendez-vous manqués, dont le dernier au Colloque Foucauld à Université de Metz où son fauteuil électrique est tombé en panne ! De grands éclats de rire fusent de toutes parts ! Il ne parle de toutes ses actions dans l'association, à la mairie, à l'université. Il a 56 ans. Il vit, dans une chambre médicalisée suite à sa colopathie, à la fondation Bompard qui compte environ 250 pensionnaires lourdement handicapés. Il a obtenu l'A.A.H, et ajoute qu'il vit avec 60 ¬ d'argent de poche par mois, une véritable misère !"
Le vendredi 13 août 2004. "Mon cher Michaël, je te remercie de ta visite qui m'a vraiment fait plaisir. Je suis d'accord pour travailler avec toi, aussi aujourd'hui, je te propose une sorte de réflexion sur la place des personnes handicapées en situation de dépendance. Merci de tes encouragements. Georges." Post Scriptum : "Si tu trouves des sites intéressants, pense au don et contre don de Marcel Mauss ! Hum !!!!!!! Amitiés, Georges. "
Par cette boutade, il me signifie son accord, son acceptation pour des échanges futurs. Sa maladie, son implication ainsi que ses études marquent ses temporalités sociales, c'est à moi de me mettre à leur diapason. Cette règle, si l'on veut entrer dans l'espace/temps de la personne handicapée, est à prendre en compte prioritairement.




Je possède la maladie du Little !

Notre ami nous parle brièvement de sa propre maladie, mais à contrario il fait parler par procuration d'autres personnes qu'il a interrogées dans son étude sur le "polyhandicapé et l'institution". Il situe dans ces "machines institutionnelles", les blessures, les douleurs invisibles des êtres qui y vivent. L'ultime handicap doit être associé à la dignité sociale. C'est ce que relatent de rares films "extrêmes" sur des handicaps ou les déficiences mentales et physiques s'associent pour le pire. Le meilleur, lui, étant dans les soins que l'entourage peut prodiguer à ceux qui ne peuvent même plus communiquer.
"Je suis donc handicapé de naissance et je possède la maladie du Little". A cette maladie, il associe la notion de "honte", comme exemple, il apporte via des extraits de son mémoire de D.E.A, le témoignage de "René", lui aussi atteint du syndrome de Little, et qui concerne l'anecdote du fou rire !
"Cette pathologie assez méconnue du grand public, a pour caractéristique des gestes involontaires de la part de la personne qui en est atteinte. Parmi ces gestes, il y a ce fameux "rire nerveux", que le sujet est incapable de maîtriser. Cette réaction d’ordre psychologique est due à une grande émotivité. Celle-ci est difficile à supporter pour celui qui en est atteint. Une très grande honte l'envahit, et bien des fois cette hilarité d'ordre nerveuse n'est guère comprise et pour cause.
Pour bien comprendre cette pathologie et sa caractéristique, il faut expliciter le mécanisme de cette hilarité, qui donne des complexes à celui ou à celle qui subit ce phénomène : cette personne peut tomber dans une mélancolie, toute une journée, puis le soir au moment du repas, se met à rire dans l'incompréhension de son entourage. Pour appuyer nos dires, nous avons eu un témoignage assez significatif. René est I.M.C. Il se trouve dans un collège de la région parisienne, et suit normalement ses études, mais, il a dû faire face à des situations qu'on peut aisément imaginer. En plein cours d'histoire, René se met subitement à rire devant toute la classe ! Tous les regards se jettent sur lui, René devient rouge de honte ! Le professeur, lui demande la raison de ce rire. "Je ne le fais pas exprès, Monsieur, excusez-moi." Un grand silence se fait dans la salle, et le cours continue, comme si rien ne s'était passé. Puis soudain, alors que ses camarades écrivent tranquillement, René recommence à rire.
René se cache, car une certaine peur l'envahit. A la récréation, les commentaires vont bon train. Des groupes d'enfants forment un cercle et chuchotent : René les écoute avec une grande peine, on peut aisément s'imaginer ce qu'ils se disent : "Mais, il est complètement idiot, il va se faire renvoyer, s'il continue.", un autre, lui répond : "Oui, mais tu sais, il parait que ce n'est pas de sa faute ! ""Tu parles, il veut attirer l'attention et c'est tout ! "
Les gestes involontaires, incompris par l'entourage, entraînent chez la personne handicapée, une peur de sortir et une peur des autres. Ce sera très certainement le motif d'une frustration sur le plan psychique se traduisant par le : " Je ne suis pas comme les autres" ce qui est normal, puisque celui-ci a été atteint dans son fort intérieur !
La maladie de Little touche à peu près 7% de la population française. Que peut-on dire de cette pathologie ? Elle a encore d'autres caractéristiques, qui naturellement gênent celui ou celle qui en est atteint, il y a aussi ceux qui ne peuvent pas articuler, ni manger sans l’aide d’une tierce personne. Ces facteurs impliquent une dévalorisation de l’individu. C’est ce qui arrive à René dont le nerf sympathique est défectueux ! Le rôle du psychologue est de constater que René n’est pas idiot, mais qu’il présente une sorte d’angoisse, qui se manifeste par un fou rire, assez gênant pour lui, mais aussi pour l’entourage. Une interrogation nous vient tout naturellement à l'esprit, comment peut-on s'attacher à cet être qui est pris de fou rire et dont les camarades de classe se moquent ? Comment l'aider à supprimer ses crises d'angoisses ?
Comment redonner confiance à ce garçon, qui finalement veut être considéré comme les autres ? Mais l'attitude des personnes qui l'entourent ne répond pas du tout à ce sentiment d'angoisse. Angoisse pourquoi ? Il est intéressant de connaître l'état d'esprit de ces personnes qui vivent avec leur handicap et qui, hélas, bien souvent ne peuvent s'exprimer. Leur désir est si grand d'être considéré comme les autres, que cela devient presque une idée fixe. "
Cette "idée fixe", sur le fait d'être "considéré comme les autres", doit traverser mainte fois l'esprit de Georges. Dans le long récit, qu'il a réalisé sur le petit René, c'est un peu de sa biographie qui transparaît à travers les peurs, les blessures du moi ainsi que la soif de reconnaissance sociale.

Le concept d'affection compte beaucoup !

Ma position universitaire dans une faculté d'éducation physique et de sport lui fait craindre mon orientation uniquement ciblée sur le sport de compétition dans le monde de "l'élite du handicap". Il a fallu que je lui reprécise les données de ma problématique. Les premières phrases qui vont suivre sont, elles, significatives des souffrances latentes qu'il veut faire émerger à travers les paroles des pensionnaires. Il veut faire parler les autres (et à travers eux, un peu de lui aussi !) dans ces centres qui recueillent les personnes les plus lourdement handicapées et qu'il connaît mieux que quiconque.
Georges m'écrit. "Je parle naturellement des personnes, qui ne font pas de "sports de compétition ", car je sais que ta démarche va dans ce sens-là. Or, mon cher ami, il faudrait porter un regard sur la personne handicapée, qui vit dans un centre en raison de son handicap, mais aussi parce que cette personne n'a pas eu l'opportunité de faire cette rencontre qui détermine sa vie sentimentale. Imagine, une personne complètement "hors circuit" sur le plan de la société ! Il n'a aucun moyen de se faire une idée de ce que représente cette société, de se rendre compte des avantages de vivre avec l'autre ou des inconvénients, selon la personnalité de chacun. Le concept d'affection compte beaucoup pour une personne handicapée, il y a, si tu veux une espèce de manque, que nul ne veut dénoncer, ni exprimer. Il faut que des personnes handicapées puissent dénoncer cet état de fait. Comme je te l'ai dit, mon sujet de thèse portera sur l'institution ; de quelle manière [la personne handicapée] qui se trouve dans une institution peut t-elle trouver sa place dans cette société ? Vaste sujet de réflexion ! "
Il me demande aussi une multitude de renseignements sur une bibliographie traitant de l'institution de façon exhaustive, et sur des logiciels qui corrigent les fautes d'orthographe, ainsi que sur les bourses, sur les thèses, etc. Ceci pour signaler que la vie quotidienne est aussi, pour cet érudit de 56 ans, boulimique de savoirs, une source de souffrance. En effet avec un handicap de Little, avec en "prime" ses problèmes associés, il est difficile d'aller en cours au campus depuis une M.A.S située à l'autre bout de la région. Les livres doivent être lus par centaines et annotés, les entretiens menés dans toute la région, le personnel de la maison spécialisée doit être un "minimum complice", etc. Tout cela en fauteuil électrique, pas trop sophistiqué, car un plus sophistiqué constituerait un véritable luxe, tout cela avec le sourire si possible !
"Oui, tu as raison, je me bats contre les rigidités de l'institution, puisque je suis président du conseil social de mon établissement, (il me l'avait déjà signalé dans sa présentation), mais il me faut beaucoup de diplomatie pour que ces "messieurs" comprennent que nous ne sommes pas des "objets", mais des hommes et femmes, qui malgré un handicap, ont droit au respect, et à une certaine identité sociale. C'est un combat qu'il faut mener à bien, qu'en penses-tu ? Je réfléchis à "mon avenir", à savoir j'aimerais faire une thèse dont la cible essentielle est l'institution, quelle place a le résident dans l'institution et pourquoi met-on systématiquement des personnes handicapées dans des institutions, car ce genre de démarches revient cher à l'État. Je sais que je ne pourrais plus avoir de bourse d'études au niveau de la thèse, car je suis trop vieux, donc "inutile" pour ceux et celles qui recherchent de la production.
Comment revendiquer lorsque nous sommes en institution ? Lutter c'est aussi les levées de silence, des échanges d'informations, des relations réelles entre "handicapés" et "valides". Savoir poser un regard critique sur ce qui mobilise, sépare, rassemble. Sur les points où la seule assistance, institutionnelle ou autre, tend à étouffer des possibilités et des potentiels que chaque être humain porte et tente de vivre. Encore faut-t-il trouver le moyen de connaître ce potentiel et d'y faire face, naturellement.
Il faut oser entendre ce que disent et désirent les principaux intéressés. Cesser d'être soumis au langage du pouvoir qui masque, par le compassionnel, son "diktat" : la docilité contre le droit de "survivre".
Je suis entièrement d’accord avec l’auteur de ce texte. Mais le fait d’être en institution est une sorte d’handicap, car ne pouvant pas agir, sous peine de pression, beaucoup de résidents préfèrent se taire, et laisser faire.Tout va bien, rien à dire, une toute petite place suffira, merci ! Avoir droit de cité va plus loin, il se prend, se donne et se partage. La vie est [elle-même] un élément insoumis. Il y a chez chacun de nous non assimilable, un mystère, qui échappe à l'insertion mais qui peut la permettre. C'est notre devenir, notre mémoire, tout ce qui se "décale" [va à l'encontre, est en décalage] d'une identité fermée, intégriste, subie ou revendiquée.
Trop d'insertion, un forçage à rentrer dans les rangs, amène à être incorporé, assimilé, digéré... exclu ou excluant. Trop peu d'insertion sociale conduit à l'impossible, au nulle part : rues ou prisons, placards. Dans la réalité quotidienne, ce sont les "c'est déjà bien", "ce n'est pas si mal", "attention qu'ils ne nous - leur - enlèvent pas ..." qui régissent aussi l'immobilisme dans lequel les C.A.T fonctionnent, qui participent à banaliser le fait que des vies sociales sont réduites à 35 heures de fatigue, aux transports épuisants, pour un salaire amputé et ne doivent pas prétendre à autre chose ! La peur de regarder nos peurs en face, sous couvert de sauvegarder un reste de convivialité illusoire travestie en progrès.
Sans autres avancées, sans faire passer les revendications des handicapés, qui se regroupent sans être vraiment entendus, nous risquons de favoriser des lieux intégrés et mornes où la principale (mais non unique) violence serait l'absence d'aventure et d'apprentissage pour les handicapés. Ceux-ci forment [alors] une de ces sous [humanité].
Je pense que tu seras satisfait, il faut dire que l'institution nous place dans le registre "dominant/dominé", car comme tu as pu le constater, il y a un non-dit dans cette relation entre le personnel et nous. J'attends tes réflexions par rapport à ce problème institutionnel."

En effet, lors de ma visite, certains des membres du personnel soignant lui avaient plus adressé la parole durant la période de notre heure de visite, que durant les longs mois qu'il passe pourtant avec eux quotidiennement ! C'est un paradoxe bien étrange qu'il faudrait analyser à l'aune des routines, de l'ennui, des répétitivités quotidiennes...


Le chouchou de ces dames !

Je rapporte ici, avec lui sous forme d'une synthèse de nos entretiens, les nombreuses pistes sur lesquelles Georges voudrait que l'on travaille pour avoir une vision plus claire, plus positive du handicap en institution.
"A propos de mes constatations sur l'identité des "résidentes". Sur le plan de l'identité de la personne handicapée, force est de constater que nous sommes pas encore reconnus en tant que personne faisant parti d'une société, qui se veut moderne. Les centres fonctionnent très bien, mais il manquerait une véritable politique de reconnaissance. Être handicapé, pour moi, ne pose aucun problème, cependant, j'aurais bien voulu avec les diplômes que j'ai obtenu, devenir éducateur, mais parce que je ne peux pas le cumuler avec le fait d'être résident, je ne peux donc en aucun cas travailler ! Mon image et la représentation que les autres ont de moi, me reviennent à chaque fois que je parle de travail. Le corps [qui travaille, aime et communique] est un facteur prépondérant qui est encore ancré dans l'esprit des personnes qui nous côtoient journellement. Nous vivons dans une société, où des personnes "fragilisées" sont aidées, certes, mais elles ne peuvent en aucun cas se permettre de demander une véritable situation avec un salaire normal. Alors que notre société dit souvent "les personnes handicapées sont des personnes à part entière", etc. Si nous sommes des personnes à part entière, pourquoi ne sommes-nous pas en droit de demander un travail comme nos "camarades valides" ? Premier constat !
L'autre constat concerne la personne handicapée elle-même, elle manque de confiance en elle, mais il faut dire aussi, quelle est sans instruction, ce n'est pas une critique, mais bien une constatation. Personnellement, je n'ai jamais été scolarisé car dans les années 1950, on ne parlait jamais de l'enfant handicapé et encore beaucoup moins de scolarisation des personnes ayant un lourd handicap. Donc je n'ai jamais connu le lycée ou le collège, sauf les deux ans où l'on m'a placé dans un centre de formation professionnel à Grenoble. Donc, comme tu le vois, il y a eu des progrès de fait ! Le corps, tout comme le ressenti de la personne en fauteuil, constitue un facteur important dans le registre de l'acceptation ou non du handicap. Ce qui est capital à mon sens c'est "le toucher et la préhension", c'est-à-dire la prise de conscience que nous avons un corps différent. On peut en prendre conscience par le toucher, le regard envers ce corps qui est inerte et sans défense, sans ressources, seule solution peut-être pour avoir une certaine espérance dans l'avenir. Mais de quel avenir s'agit-il, outre le placement par la C.O.T.O.R.E.P dans un centre pour personnes handicapées.
Autres problèmes rencontrés, pour nous qui sommes conscients que nous ne sommes pas comme les autres, c'est celui de la relation amoureuse avec une jeune fille valide ou non valide. Selon les circonstances de la vie, ceci apparaît encore comme un sujet tabou, et pour cause ! Il n'est pas faux de constater que là aussi subsiste un véritable problème. En effet généralement, on peut constater deux ou trois cas de figures : un couple qui s'aime puis brusquement le handicap arrive. Il faut placer la personne (un homme dans 3 cas sur 4 !) car la femme ne peut faire face à "cette lourde charge". Cette dame soit elle reste par amour "cela arrive tout-de-même", soit elle ne se sent pas capable de faire face à cette situation nouvelle et, espace ses visites pour finir par quitter ce "mari, un peu encombrant pour vivre une existence normale". Très souvent hélas, c'est ce cas de figure qui se produit. Il n'est pas question dans mon discours de faire le procès, qui se comprend dans l'absolu, mais de relever ce fait. L'attrait physique joue encore un rôle important dans le commencement d'une relation amoureuse, cela joue très certainement dans le fait que la personne handicapée perd "par le fait d'être handicapé" d'une certaine valorisation esthétique, qu'elle avait auparavant. Ceci constitue une donnée qu'on ne peut contester. Une jeune fille a toujours cet idéal de l'homme "musclé, grand et beau" dans son esprit. Alors, lorsqu'elle voit un fauteuil dans la rue, elle aura un regard "peut-être autre que celui de l'amour" !
A propos de mon analyse sur l'institution. Ta question demande une analyse très fine de l'institution. Mais, je vais essayer de la faire sans trop "d'esprit critique" car il ne serait pas honnête de ma part de dire que les personnes handicapées n'ont guère besoin de cette grande machine que représente l'institution. Imaginons un instant qu'un garçon âgé de dix-huit ans, se trouvant en fauteuil électrique ou non, qui a eu le courage de suivre une scolarité normale et qui, après des promesses d'avenir, se retrouve "placé dans une institution", car on n'a pas encore trouvé de solution pour ce "brave gars" ! Qu'est-ce qui se passe pour lui ? Évidemment, l'assistante sociale de sa ville vient chez lui et on peut aisément imaginer ce dialogue : "Bonjour David, tu vas bien ? " Tu parles, il ne peut ni parler, ni manger, sans l'aide d'une autre personne. Avec la tête, il dit que oui, là, naturellement intervient Mme Sanchez, la mère qui parle pour lui : "Vous comprenez, mademoiselle, je ne peux le garder à la maison, car, il s'ennuie, et s'énerve pour un rien. Bien sûr, je sais qu'il a fait des études normales, mais, il faut bien se rendre à l'évidence, "personne" n'en voudra. Le "personne" ce sont les employeurs bien entendu, la jeune assistante sociale (A.S), lui rétorque : "Ecoutez, chère madame, ce que je vois dans l'immédiat, c'est tout simplement de le placer, aussi, je vais faire un dossier C.O.T.O.R.E.P, pour faire une demande de placement provisoire ou définitif, mais vous savez, Mme Sanchez, cela mettra du temps". David, entend ces paroles, son moral est encore plus bas, il se dit : "moi qui croyait pouvoir être comme les autres et travailler dans une entreprise, j'ai tout de même un C.A.P de secrétaire, tout de même ! "Après des mois d'attente, Mme Sanchez, reçoit une lettre, en disant que sa demande de placement pour son fils est prise en compte. Aussitôt, elle téléphone à son assistante sociale, qui lui répond : "oui, je suis contente pour vous, chère madame mais vous savez, il vous faudra attendre, avant que la C.O.T.O.R.E.P puisse examiner votre cas." Tout ceci pour dire que le placement dans une institution ne se fait pas comme cela. Nous sommes dans un [pays] de systèmes et de structures, que ce soit en matière de santé ou d'administration. La personne handicapée ne possède, en réalité, guère le choix de sa vie. En effet, force est de constater que si nous sommes trop handicapés, la seconde section de la C.O.T.O.R.E.P, nous place, sans vraiment nous demander notre opinion. Nous ne sommes pas encore pris en compte comme des individus normaux, mais visiblement comme des "pions" que l'on déplace selon les circonstances du moment ! Naturellement, ce que je vais essayer de faire maintenant, c'est de brosser un portrait le plus exact possible sur l'institution et ses avantages, car il y en a ! Mais aussi des désavantages, dont, ni les pouvoirs publics, ni les responsables et encore moins le personnel, n'ont pris conscience. Personne n'a bien mesuré les implications, qu'un placement [non maîtrisé] implique pour l'avenir d'une personne handicapée, En premier lieu : il y a la notion de liberté, qui entre automatiquement en jeu. Je ne fais que des constatations sans aucun jugement de valeurs. Donc, la notion de liberté se concrétise par le premier entretien avec le directeur de l'institution (Ce dernier remet, soit à la famille, ou à la personnes handicapée, elle-même, une sorte de petit livret, appelé "Règlement intérieur". Dans celui-ci, il est stipulé beaucoup de choses, entre autres qu'il est formellement interdit de sortir hors de l'établissement sans en avoir averti le (la) chef de service huit jours avant la date. Ceci est déjà porteur d'un manque total de liberté, car la personne handicapée devra prévoir un calepin pour noter ses activités. Il suffit que cette dernière n'ait pas la chance de se servir de ses mains, il lui faudra attendre l'auxiliaire de vie, pour faire cette tâche ! A condition, naturellement qu'elle possède le temps de le faire. Il est triste de constater que le facteur de la temporalité soit un facteur omniprésent. Ceci est dû, sans aucun doute à la diminution de personnel. Dans toutes les institutions, que ce soit les foyers pour personnes handicapées, ou personnes âgées, ou encore ce qui est encore plus grave les hôpitaux, sont touchés par ce phénomène. On dit très souvent que le temps, c'est de l'argent, et ceci s'avère exact dans l'organisation du personnel, entre les réunions normales avec les médecins, les psychologues et les ergothérapeutes, nous sommes en droit de nous demander ; mais à quel moment ces personnels possèdent-ils le temps d'écouter les résidents ? A travers les gestes et les mots, comment prennent-t-ils le temps de faire une analyse puis une interprétation concrète du "sujet/objet" ! On peut s'interroger sur cette non connaissance de l'individu vivant en institution. De nombreux facteurs entrent en jeu, le principal se trouve dans cette temporalité [galvaudée]. En effet, on peut considérer que cette notion de temporalité [donnée "a minima"] empêche une appréciation objective ou subjective de la personnalité des résidents, car ils ont comme tout à chacun une personnalité qui n'est pas toujours respectée dans les institutions ! Un exemple précis, une équipe d'aide soignante se réunit pour planifier une sortie. Un certain nombre de résidents sont choisis pour aller au cinéma. Parmi eux, il y a Vincent, qui est tétraplégique ! Personne n'aura le respect de l'avertir de cette fameuse sortie, il n'apprend la nouvelle que deux jours avant l'évènement. Quelle réaction de Vincent ? Peut-être a t-il prévu autre chose à faire ? Cela revient à dire presque qu'il se sent obligé d'accepter cette sortie, car autrement, le service des loisirs en tirera "les conséquences" ! La notion de respect est importante dans la relation à l'autre, elle dénote une "certaine intelligence" de la part du soignant. Certes, il est vrai aussi, qu'il y a dans l'institution des personnes handicapées, qui ne sont jamais contentes, qui critiquent toutes les actions que le personnel met en place. Il y a aussi un phénomène dans certaines structures qu'il est bon de noter c'est le concept "d'ennui". Les structures ne possèdent pas toujours un service d'éducateurs chargé d'occuper ces personnes qui parcourent les couloirs pour pallier à leur ennui. Tandis que certains se réfugient devant le petit écran, d'autres fument tout en observant ce que fait le soignant... Cette attitude dénote un manque d'argent pour élaborer un véritable projet éducatif, qui aurait le grand avantage pour que le (la) résident ne trouve plus le temps aussi long. Ceci est une première réflexion bien réelle de l'institution. Le manque de personnel aggrave d'autant plus cette situation, avec notamment l'instauration des 35h (sic). Il est à noter aussi que dans les grandes structures, il y a trop de hiérarchisation, ce qui est néfaste concernant les demandes "nombreuses" des résidents. Exemple la lumière de la chambre d'Isabelle ne fonctionne plus ! Elle doit demander à l'auxiliaire de vie de faire un bon pour réparer cette fameuse lampe. Ce bon va effectuer un voyage entre divers services, d'abord sur le bureau de l'infirmière en chef, puis celle-ci le transmet au directeur général, lequel mettra sa signature au bout d'un certain temps. Alors qu'Isabelle attend toujours sur l'ouvrier pour remédier à ce problème : ceci peut durer deux semaines, voire un mois ! Dans un autre volet, j'indique ici les observations que j'ai effectuées sur le pôle relationnel entre résidents et personnels, qui ont mis en évidence un aspect assez important caractérisé par l'expression : "C'est le chouchou de ces dames !" Nous appellerons ce phénomène le transfert et le contre-transfert en institution. "
Cette expression permet de situer les négociations permanentes, les marchés et les petits "népotismes" de la vie quotidienne pour "exister" dans certains lieux. Il existera toujours des favoritismes et des "ayants droit" plus que d'autres. Georges voudrait décoder ces observations, pour en analyser les articulations ainsi que les faces cachées.

Au sujet des phénomènes de rejet au sein de l'institution, Georges m'envoie l'ensemble de D.E.A avec le titre suivant : Le corps, les rites, l’esprit des personnes handicapée. Il me précise que : "Cette étude a pour objectif de porter à la connaissance de ceux qui ne connaissent pas du tout cette catégorie de personnes, de mieux faire apparaître leurs difficultés, à travers un long cheminement [réflexif], tant en ce qui concerne les parents, que les handicapés eux-mêmes, ainsi que les formes des rites qui leurs servent un peu de "points de repères". Puis, nous rendrons compte des questionnaires concernant l’opinion des parents de personnes handicapées. Nous montrerons les nombreuses difficultés des personnes handicapées, qui très souvent rencontrent des situations de dépendance ou la "honte" initiée par les divers entourages. En effet, [l'instauration] d'une certaine honte de la part de l’entourage provoquait des conséquences désastreuses pour ces personnes, dont "l’aspect" n’était pas fait pour améliorer les choses !"
Georges avait placé son travail dans une perspective historique pour bien montrer les permanences des comportements des acteurs sociaux de notre temps vis-à-vis de la personne handicapée. "C’est d’ailleurs à cette dernière période", souligne-t-il, "que se produisit une nouvelle démarche, celle de l’interaction entre les personnes handicapées et les nombreuses administrations. Chacun de nous connaît, et reconnaît les qualités, mais aussi les failles administratives, qui ont parfois pour conséquences des situations "affreuses" et surtout incohérentes. "
A propos de notre rencontre du début août 2004, nous démarrons notre entretien (qui va durer une journée entière !), au restaurant du C.A.T à proximité de la gare ferroviaire de Novéant. Nous poursuivrons à la fondation Bompard et terminons en fin d'après-midi chez Georges dans sa chambre où l'informatique constitue pour lui, "le lien" avec le monde du savoir.
Dans un premier temps nous nous rencontrons amicalement autour d'un repas de deux heures au restaurant du C.A.T. où nous faisons plus ample connaissance. Il me livre de multiples anecdotes qui constituent autant d'appels pour de plus fines observations/investigations ethnographiques (à venir) que de pistes, pour améliorer la compréhension des mécanismes des situations de handicap.
Il souligne certains temps forts de sa vie.
"Pour les études je suis un autodidacte", me raconta-t-il avec fierté. "Pour les cours à l'Université je me lève à cinq heures du matin et je reviens au centre à 19 heures quelquefois pour des cours que l'on annule au dernier moment ! En moyenne je pars pour quatre heures de cours quotidien."
Un "intellectuel" chez les personnes lourdement handicapées, cela ne va pas sans poser de nombreux problèmes : jalousie du personnel, limite entre normalité et anormalité, arrogance consciente ou inconsciente des uns et des autres, jeu pervers entre diplomatie et dépendance. Il entend qu'un "fauteuil" plus moderne est un luxe, que les études ne peuvent pas constituer un véritable travail !
"On nous fait payer socialement le fait d'être des "handicapés de naissance". Les indemnités et les droits sont minima pour nous dans ce cadre. La différence entre le handicap de naissance et les autres se fait d'abord par rapport à l'aspect financier !
A contrario, on trouve aussi ceux qui "profitent" du système et des aides humaines en affirmant : "Vous êtes à mon service, j'ai tous les droits ! ". Ainsi certains dévalorisent le travail et le combat au quotidien des autres personnes pour exister socialement."
Il me fait part de toutes ses actions dans le détail pour me montrer tout le travail et toute les implications qui sont inscrites dans sa personne. Je ne suis pas "un paresseux" m'a-t-il dit un jour lors d'un échange par mail après la rupture du contrat qu'il s'était fixé avec moi. Je lui réaffirme ma collaboration car nous partageons le même objet scientifique. Nous en sommes ravis tous deux.
Nous revenons sur la typologie générale des trois "C", pour entrer dans celle plus personnelle des trois "S". Sur la sexualité par exemple, il me dit : "Qu'au départ, il faut tout se dire dans le couple." Il me dit sa grande difficulté à vivre cela, ici et maintenant, dans les institutions ! Sur le corps sportif, il semble dubitatif et opposé à la performance. Il insiste sur le fait que le sport "doit être pour tous et en particulier pour les plus démunis". Il me donne l'exemple des "grabataires" du centre qui n'ont rien à faire, à ce sujet on peut croiser son analyse avec celle d'Alexandre Jollien qui fait le même constat en Suisse dans les années 80.
Dans un deuxième temps, il me fait visiter le centre ultramoderne et ultra médicalisé qui accueille dans tout l'est de la France les handicapés les plus lourds. On comprend aisément pourquoi toutes ces personnes se retrouvent ici. Nous faisons le tour des lieux, rencontrons des personnes qui y vivent, certains personnels dont une ergothérapeute qui parle avec nous et dont ma présence " celle d'un universitaire qui fait sérieux" semble améliorer le dialogue avec Georges "étudiant mieux crédible" Il me dit à son sujet "qu'elle n'a jamais autant parlé avec lui !" Il semble, dans cette atmosphère particulière, y avoir de nombreux non-dits et résistances autour de sa personne.
Il me présente son outil informatique qui lui permet de rester au contact avec le monde et les autres. Il me demande certains logiciels pour améliorer sa productivité et me parle de ses difficultés en orthographe qui représente un "handicap". Il lui faudrait un correcteur puissant qui pourrait être d'une très grande utilité. Mais tout est très cher, les études doctorales qu'il envisage le sont aussi et ses revenus, eux, sont faibles. Le combat pour progresser dans la connaissance est une lutte perpétuelle.
Ce terrain particulier, que sont ces centres, nous fait ressentir plus aisément les résistances, les mécanismes du transfert selon les concepts freudiens car on partage d'emblée avec les sujets/acteurs : conflits, révoltes et angoisses voire traumatismes.
Georges met en valeur, la construction lente et progressive des relations, afin que le dialogue se fasse "d'intelligence à intelligence", seule façon de "s'en sortir", selon lui.
Il a observé une forme de "racisme" entre les personnes dites "grabataires" et les personnes dites "handicapées mentales" ! Il existerait une violence au cœur même de la grande détresse : une enquête dans ces lieux où rien ne semble bouger, serait à bâtir.
Pour contrebalancer ces aspects négatifs, il a beaucoup insisté en fin d'entretien sur les bonheurs, les joies et l'amour à faire émerger dans le handicap ; c'est je crois un des thèmes de son travail d'ethnologie pour l'avenir. Cela constitue un vaste programme dans ce cadre très singulier. Lutter contre les toutes ces discriminations passe par des possibilités de choix plus larges pour les personnes concernées. Pouvoir revendiquer, jouer, aimer, bouger beaucoup plus que ce qui existe, que ce qui est accordé par l'Etat ou l'institution.
Alors, Georges, est-il un homme extraordinaire qui effectue des actes ordinaires ou bien est-il, un homme ordinaire qui effectue des choses extraordinaires ?



Récit no 13 : À propos de Roland : " Nous sommes des handicapés du savoir !"



Roland et moi-même avons fait connaissance par l'intermédiaire d'un intervenant à l'université. Il avait pensé que Roland serait un bon témoin pour mes recherches. Ils travaillent tous deux ensemble dans le même institut qui accueille des jeunes lycéens sourds.
Ce collègue fut donc naturellement chargé des premiers contacts qui furent très positifs et amicaux. Son témoignage est intéressant, car il est enseignant dans un institut de jeunes sourds en étant lui-même atteint de surdité. C'est aussi un sportif accompli.
Je lui envoie les dossiers et le protocole par lettre et par Internet. Il me répond en me donnant son accord avec enthousiasme. Les semaines passent sans aucune nouvelle, je décide de le relancer. Il est toujours d'accord, il me le fait savoir, c'est parfait ! Puis encore un silence "assourdissant" de plusieurs semaines. Je décide un dernier rappel de contrat, par ailleurs, exprimé assez fermement ! Après quatre lettres, plusieurs emails ainsi que quelques appels téléphoniques relayés par ses proches, il me promet enfin de me répondre ! Il me répond effectivement par un geste concret, des échanges épistolaires très riches commencent. Tout le temps perdu s'est effacé dans la phase "d'apprivoisement", le jour de notre premier entretien.
"Je ne voulais en aucun cas, m'écrivait Roland en gage de sa bonne volonté, considérer ce travail à la légère, il demande trop de réflexion et de recherche, un certain temps m'est nécessaire que je n'arrive pas actuellement à gérer. La seule solution qui me reste est de bloquer quelques jours des congés scolaires en février qui sont tous proches pour faire ce travail... Car je vous l'ai promis !
Je suis vraiment désolé de vous avoir quelque peu "oublié" et pourtant ce n'est pas le cas, car je m'en veux de ne pas pouvoir dégager un peu de temps pour travailler sereinement sur votre dossier.
Lorsque vous m'avez contacté la première fois, je m'étais dit que ce travail que vous me proposez était faisable, car à l'époque, j'avais en charge l'enseignement préparatoire en B. E. P. d'électricité pour un groupe de jeunes sourds en intégration, un enseignement que je maîtrise bien, étant donné l'avance confortable que j'ai dans mes préparations. Le "hic", c'est que depuis, j'ai été affecté à un autre enseignement, celui des "bacs pros" et comme je n'avais encore aucune notion sur le référentiel de ce diplôme, que je n'avais encore jamais abordé un tel programme pédagogiquement parlant ! J'ai donc concentré, et maintenant encore, la totalité de mon temps libre pour m'informer, assimiler et me former à cela. De plus, je suis secrétaire du C.E de mon établissement... Je vous ai ainsi un peu "oublié" et j'en fais amende honorable !
Je comprends votre situation à attendre, à espérer si longtemps, et peut-être avec de l'angoisse, des documents qui vous sont sans doute indispensables. Je m'en excuse une fois encore... Rien ne m'est simple actuellement.
Le sujet est très vaste et il m'est difficile de découper mon temps. Mais tant qu'il reste encore de petits délais, rien n'est perdu. Je dois vous dire également que dès lundi 19 avril 2004, je serai en route vers Houston aux U.S.A, puis à Mexico. De retour le 28 avril. Donc pour le rendez-vous que vous sollicitez, il faudra peut-être en reparler après mon retour pour fixer une autre date. Je vous contacterai. A ce sujet, pouvez vous déjà me dire par courriel, les thèmes précis que vous désirez aborder avec moi. Lorsque j'ai commencé à me pencher sur vos questions, cela m'a donné l'impression de préparer un mémoire, car comme je l'ai dit, le sujet est très étendu. Nous verrons tout cela ensemble. De vive voix, ce sera peut-être plus opportun ? Ne vous inquiétez pas pour communiquer, si j'ai peut-être quelques difficultés, cela se passe en général en réunion où plusieurs personnes parlent en même temps, mais dans un dialogue à deux, pas de problème ! Depuis mon enfance, lorsque je suis devenu totalement sourd à la suite d'une méningite, j'ai bénéficié d'une bonne rééducation. Je maîtrise bien la lecture labiale, moyennant un certain temps d'adaptation."
Le contact est désormais établi entre nous, nous sommes partis sur de bons rails.

Je ne suis pas né sourd, mais je le suis devenu !

"Alors moi, je ne suis pas né sourd mais je le suis devenu à la suite d'une méningite entre 6 et 7 ans. Je suis actuellement professeur pour élèves sourds, je suis marié, père de deux enfants, j'ai 58 ans et mon épouse est une dame sourde de naissance. J'ai été scolarisé normalement jusqu'à ma surdité, ensuite mes parents m'ont mis dans une institution spécialisée à Albi.
Oui, Albi, j'y suis resté jusqu'à l'âge de quinze ans, j'y ai passé mon certificat d'études. C'est une première forme d'intégration ! J'ai donc passé mon certificat et c'est ma plus grande fierté ! Je préfère mon certificat d'études à mon bac ! C'est parce que c'était mon premier diplôme. Et puis, dans cette école on ne pouvait plus me garder car on ne savait plus quoi faire avec moi, alors on m'a proposé un apprentissage, je suis allé apprendre l'électricité à Nantes pour passer un certificat d'aptitude professionnelle : le C.A.P.
A Nantes, dans un institut spécialisé pour sourds, j'ai passé un C.A.P d'électricien et puis pendant ma formation à Nantes, j'ai découvert le dessin industriel.
J'ai fait du dessin industriel et j'ai trouvé ma voie. Ensuite, je suis venu à Orléans pour préparer un C.A.P de dessinateur …Ma première grande surprise, une surprise énorme …C'est que j'ai découvert un professeur sourd à Orléans ! C'est lui qui m'a formé au dessin industriel. Les professeurs sourds n'existaient pas à l’époque. J'y ai découvert ma vocation, celle de devenir enseignant, mais pour le devenir il faut le baccalauréat ; où le préparer ? A ce moment là, il n'y avait pas d'intégration, du moins officiellement. Aucune école pour sourds ne préparait, à cette époque, à des études du second degré … C'était dans les années 1965/1970. L'institution n'avait pas le niveau ou l’habilitation pour dispenser un enseignement qui préparait au baccalauréat. J'ai donc opté pour des cours par correspondance …A cette époque la majorité de mes amis sourds sont passés par là, par la correspondance car c'est la meilleure façon.
Cela s'appelait à l'époque, le Centre national d'enseignement par correspondance, le C.N.E.C de Vanves.
Beaucoup [d'entre nous] passaient par le C.N.E.C. Je préparais donc le baccalauréat de technicien F1 option mécanique …Et j'ai enseigné par la suite, durant de longues années le dessin industriel pour préparer les élèves sourds au C.A.P et au B.E.P …Et puis comme le C.A.P de dessinateur a disparu des brevets de l'éducation nationale, je me suis reconverti dans la formation à la maintenance, dans la maintenance mécanique. J’enseignais déjà avant, mais le Baccalauréat que j’ai réussi a en quelque sorte "validé" mon statut [de véritable enseignant]! Dans le même temps j'ai fait mes premiers pas d’accompagnement en intégration, au Lycée Régional Professionnel Françoise Dolto, à Olivet. "
Tout le monde parle d'intégration, je lui ai demandé, selon lui, ce que signifie réellement cette notion d'intégration ?
"Il y a plusieurs formes d’intégration. La première c'est l’intégration individuelle avec 3 ou 4 élèves sourds ensemble dans les classes "d’entendants" en Lycée, en collège ou en primaire avec un accompagnement total, consistant en un professeur spécialisé, qui reste en permanence auprès de son ou ses élèves. La deuxième forme c'est l'intégration partielle, c'est à dire sur des classes ponctuelles qui posent problèmes : classes de lettres, histoire-géo, philosophie, là où il y n’y a que du "bla-bla"…. Une observation notoire, il n’y a jamais d’accompagnement aux cours d’E.P.S., c’est inutile… Une autre forme est constituée par l’intégration collective. C'est une classe entière de sourds qui est crée au Lycée, au collège, au primaire. Cela prend le nom de "classe annexée", et des professeurs spécialisés y travaillent en permanence. L’intégration dite individuelle est cependant dominante.
L’expérience que j’ai de cette intégration, vécue au quotidien, m’a permis d’observer que les élèves sourds, s’ils sont plusieurs, restent toujours entre eux sur la cour, dans les couloirs, à la cantine. Cela vient de leur notion d’appartenance à la communauté linguistique qui est la leur. Ils aiment se retrouver ensemble pour bavarder, rire, se "chambrer" avec leurs mains qui "chantent" la joie !"
Roland, aujourd'hui proche de la retraite, est sollicité de toute part étant donné les multiples compétences et passions qu'il cultive toujours dans le monde du sport, du savoir scolaire, ainsi que dans l'univers du social.

...Ne jamais répondre par un détestable silence !

Le mercredi 18 février 2004, le contexte change, le ton change aussi, Roland me répond après de multiples lettres, relances, et plusieurs coups de téléphone ainsi que de nombreux mails. Le témoignage de ce professeur sourd dans un institut de jeunes sourds en intégration m'est précieux pour le compléter avec celui de Marie. Il m'écrit enfin. La promesse tombe de faire vraiment quelque chose. Il me répétait encore.
"Je ne voulais en aucun cas, considérer ce travail à la légère, il demande bien trop de réflexion et de recherche, un temps que je n'arrive pas actuellement à gérer. La seule solution qui me reste est de bloquer quelques jours des congés scolaires de février 2004 pour faire ce travail... Car je vous l'ai promis !"
Le dimanche 18 avril 2004, nous échangeons par courriel, car il me fallait sa matière "à penser" pour préparer mon intervention, lui avais-je écrit, maintenant que rendez-vous était tout proche.
Je lui ai demandé une entrevue pour la semaine du 18 au 25 avril 2004, pour faire connaissance d'une part et parce que nous sommes voisins d'autre part ! Il me répond rapidement, mais ... Pour me dire qu'il allait partir au bout du monde !
"En effet, les vacances sont studieuses sur l'académie d'Orléans. Ma fille travaille à la Faculté de droit pour préparer le D.E.S.S de gestion. Je dois vous dire que je n'ai toujours pas été en mesure de "monter" sur papier les témoignages que vous me demandez. Lorsque j'ai commencé à me pencher sur vos questions, cela m'a donné comme l'impression de préparer un mémoire, car comme je l'ai dit, le sujet est très étendu. La surdité telle que je la vis depuis mon enfance est-elle un handicap ? Voilà une belle problématique !"
On recule encore l'échéance, mais enfin en juillet 2004 c'est le grand oral !
Le premier entretien avec Roland se déroule le mercredi matin 12 juillet 2004 chez lui dans une petite ville du Loiret. Le 26 mars 2005, il corrigera par le détail les flous qui resteront à l'issu de cette première entrevue, flous qui étaient principalement dus à l'interférence entre les trois formes de communication utilisées entre nous ! Son épouse, en langue des signes, lui a rappelé ses engagements. "Pensez donc un rendez vous pris depuis près d'un an !" Il me fait un signe d'excuse plein d'amitié. L'entretien devient vite facile car il lit très bien sur mes lèvres, il oralise de façon très audible. Le contact est aisé. C'est une personne gaie, directe, sympathique et fine d'esprit. Je ne me sens pas comme une personne handicapée mais les sourds sont des "handicapés du savoir", précise-t-il presque d'emblée !"
Le jeudi 30 Septembre 2004, il commence son courrier Internet par un "Bonjour, cher ami !". Le courant amical puis intellectuel passe entre nous, puisqu'il me signale qu'il comprend bien maintenant les questionnements de ma recherche. Il poursuit .Pour l'instant, je n'ai encore rien reçu de tes écrits sur notre rencontre de juillet dernier. Peut-être demain ?"
Il les reçoit comme convenu, le lendemain même.
"Cela me fait plaisir de te transmettre quelques pistes de réflexion et je m'efforcerai de les noter, lorsqu'elles passeront dans ma tête vouée, "aux quatre vents", en cette période de rentrée "galère" !
J'ai suivi les jeux paralympiques à travers le journal "L'Equipe" et aussi maintes fois à la télé. Cela n'a pas - et c'est dommage- la même portée médiatique que les J.O des "valides". Certaines fois, il m'arrive d'être sur le bord de "chialer", non pas parce que ce sont des handicapés, mais parce que quand ils gagnent, leur joie est incroyable, émouvante, communicative ! C'est très fort ! Ce sont de super champions ! Je connais les "méandres", par lesquels où il faut passer, pour le classement de ces athlètes, par type et degré de handicap. Ils sont déterminés par des médecins spécialisés et des kinés ; je me demande où les sourds pourraient être classés. Le cercle est vicieux... Pour le cinéma, je n'ai pas fait de recherches depuis. Pour le rugby, qui reste ma grande passion avec l'athlétisme, je serai content d'en "disserter" avec toi. Par ailleurs; ma fille m'a demandé tes coordonnées, car l'un(e) de ses ami(e)s désire préparer un diplôme universitaire de sport pour ensuite enseigner chez les sourds. Je me suis permis de les lui transmettre...Je me suis aussi permis de te tutoyer car je me sens plus à l'aise...Et moi, le chercheur, de ce fait, je suis adopté !
Le lundi 10 janvier 2005, Roland me fait parvenir ses réflexions, ainsi qu'un gros "bloc" d'excuses et ses vœux !
"Bonne année, Michael ! Et encore merci pour tes voeux. Un journaliste à l'Equipe Christian Montaignac a écrit récemment : "C'est si précieux d'être en correspondance auprès de celle ou de celui qui vous écrit comme je l'ai été et le resterai avec le soin particulier de ne jamais répondre par un détestable silence. Je dois me faire violence pour méditer sur ce passage, car tu attends ma réponse depuis un "gros" moment, et je m'empresse de ... Comment dire ? Je ne trouve pas les mots : "M'excuser", c'est trop faible, trop facile... En ce moment, je "merde" de partout. Je me demande si ce n'est pas la proximité de la retraite, en octobre prochain, qui donne des idées à mes employeurs pour me trimballer à droite et à gauche à des heures impossibles, me convier à une multitude de réunions.a côté de cela j'ai d'autres devoirs : je suis allé à C1ermont samedi pour officier à la perche et hier au parc expo pour la même fonction. J'ai aussi un devoir envers toi et j'y pense. Ces jours-ci, et s'i il n'est pas trop tard pour toi, je vais reprendre tes écrits que tu m'as mailés en septembre et y ajouter mes réponse ou mes compléments (En rouge ou dans une autre couleur), à moins que tu préfères venir à la maison comme l'autre fois.
Ce vendredi le 25 mars 2005. Comme presque tous les jours désormais, je suis debout dès 4 heures pour préparer ma journée. Je ne peux pas faire autrement. Le soir, ou, je suis occupé, ou je suis "lessivé" et quand on l’est, plus rien ne passe par la tête et je vais au "pieu" de bonne heure…
Depuis les derniers congés de Noël, un collègue est parti à la retraite et sa remplaçante est partie presque illico en congé maternité, si bien que c’est moi qui depuis fait le double boulot au Lycée, mais aussi au C.F.A (centre formation pour adulte) avec un apprenti électricien illettré, mais très logique et terriblement intelligent. Il est très difficile, paraît-il de trouver des professeurs spécialisés. La pression est permanente et je ne sais plus comment l’évacuer : elle arrive de partout ! Et pourtant, il n’est pas un jour où je me dis : "il faudra bien que je trouve un créneau pour terminer l’entretien avec Michaël !" C’est ce que je vais faire demain samedi, à la même heure que ce matin. C’est la seule solution et je me l’impose comme "ultimatum" !
Plus que jamais je trouve le temps long ; le décompte est lent. Il me reste encore 189 jours avant de "pouvoir jouir des délices du port ", comme disait Racan. Hier matin, j’ai fait une centaine de kilomètres tout autour d’Orléans pour visiter quelques un de mes élèves en période de formation en entreprise : le stress est permanent, car ne sachant jamais à l’avance si l’on arrivera bien à communiquer, à se faire comprendre par les responsables de l’entreprise. Quelque part dans toutes les têtes, nous les sourds seront toujours un peu "spéciaux". C’est ainsi…"

Les sourds sont des "ratés" de la pédagogie !

Il introduit le questionnement sur "sa maladie", le handicap sensoriel selon les terminologies médicales par cette projection personnelle, qui concerne, cependant, l'ensemble des sourds.
"La surdité telle que je la vis depuis mon enfance est-elle un handicap ? Cela dépend de quel coté de la barrière l'on se met, car les sourds ont leur propre langue difficilement compréhensible par la "majorité", ou alors doit-on se considérer comme une minorité linguistique, sociologiquement parlant ? Il y a aussi beaucoup à dire sur la communication inscrite en sociolinguistique (mais aussi en psycholinguistique) et la surdité dans la vie de tous les jours plutôt dans le domaine de la psychologie.
Une précision cependant, j’ai spontanément prononcé ce terme "handicapés du savoir" ! Cela ne veut surtout pas dire que les sourds ne seraient pas "capables" d’acquérir du savoir. Ils ont le potentiel pour accéder à la culture et au savoir, pour peu qu’on les leur transmette via leur propre langue, celle des signes ou par écrit. Pendant très longtemps les sous-titres n’existaient pas à la télévision, un peu au cinéma, car la grande majorité des sourds souffrait de ce handicap que constituait (Et constitue encore), l’illettrisme… Par rapport à l’entendant qui, dès sa naissance perçoit le monde par l’oreille, il existe un décalage important pour le sourd. A l’âge de cinq ans par exemple, le petit entendant connaît déjà beaucoup de choses alors qu’au même âge, le petit sourd ne connaît que ce qu’il perçoit par ses yeux, c’est à dire trois quarts de données en moins ! C’est pour cela que j’ai prononcé ce terme "handicapés du savoir", pour faire la distinction entre le handicap tout "court" et à fortiori, le handicap auditif ! Peut-être, devrais je définir d’autres termes, par exemple comme dans l'expression, les sourds sont des "ratés de la pédagogie" !
Oui, les deux types de sourds le sont, les sourds de naissance, devenus sourds, mais aussi les malentendants."
Roland précise cependant, pour les sourds de naissance et pour quelques autres qui sont devenus sourds, qu'ils peuvent être de "culture sourde", c’est à dire pratiquant couramment la langue des signes. Les autres qui baignent dans la culture entendante, sont généralement considérés comme "marginaux" par la communauté des sourds !
Il y a une énorme différence entre pré et les post linguaux, une énorme différence même car, ceux qui sont devenus sourds après leur naissance, vers 4 à 5 ans après [ceux là] maîtrisent bien la langue française.
Ils possèdent donc une bonne maîtrise en général, un sourd tardif acquière plus aisément cette bonne maîtrise du français, les autres sourds, qui en plus de leur surdité, sont pour beaucoup des illettrés, deviennent corrélativement, des "handicapés du savoir" ! Des deux cotés de la surdité, qu’elle soit tardive ou de naissance, ces handicapés du savoir ne maîtrisent pratiquement ni la lecture ni l'écriture. Ils ne lisent pas. Lire, pour eux est un supplice ! L'écrit représente une énorme difficulté et la lecture une énorme lacune."
A la question : "Y a-t-il aujourd'hui un moyen d'améliorer les choses ? Roland marque une grande hésitation, puis il répond plus "douloureusement" aux questions sur ce sujet. Ce silence marque le travail énorme qu'il a du accomplir, l'abnégation de tous les instants pour faire infléchir le destin tout tracé du "sourd".
"On travaillait 15 heures par jour à Albi, oui 15 à 16 heures par jour dont la moitié en français, en grammaire, en orthographe et on avait [en plus] des séances de lecture sur les lèvres, beaucoup de dictées…
C'est pratiquement impossible de devenir professeur lorsqu'on est du mauvais côté de la surdité, impossible ! Car pour être professeur, il faut maîtriser le français, c'est la moindre des choses et il faut avoir de la logique dans la réflexion. Bien entendu les sourds ont de la logique mais ils n'arrivent pas toujours à l'exprimer. Mais avec la langue des signes, la langue des signes françaises (L.S.F), nous sommes "balèzes" ! Le langage parlé complété (L.P.C) n'est pas un langage pour exprimer le fond de sa pensée. C'est un outil… C'est un outil pour éviter les ambiguïtés de la langue, par exemple, pour mieux reconnaître les différences entre les mots "chapeau" et "chameau"…
Le langage parlé complété est un langage complété, supplémentaire pour éviter les ambiguïtés pour discriminer les lettres "p" et "m" dans chapeau et chameau. La langue des signes, elle, c'est une langue, c'est un langage, c'est très profond et elle est accompagnée [par toute une gestuelle], par des mouvements du corps, l’expression du visage… Christian Cuxac, docteur en linguistique, professeur à la Sorbonne, a établi que la langue des signes est une vraie langue, avec sa syntaxe, sa grammaire, etc. Pourtant, encore de nos jours les personnes qui gravitent autour de la surdité s’acharnent à refuser de reconnaître un statut de langue à la L.S.F. Il a été récemment crée par C. Cuxac une licence professionnelle d’enseignant de la langue des signes équivalente à celle des Lettres. Les partisans du L.P.C sont en train d’en créer une pour le L.P.C ! La langue des signes est une langue de communication entre sourds. Je veux dire une langue, certes minoritaire, mais vivante et pratiquée au sein de la communauté des sourds."
Mais il existe toujours la barrière du langage, une barrière de la communication avec les autres personnes. On va ainsi reparler du premier article sur l'enquête I.N.S.E.E, 12 millions de français subissent un handicap, car elle montre que les sourds comptent parmi les personnes handicapées avec le vocabulaire qui les désigne en cet état. Comment vous situez-vous, vous, Roland, dans ses vocables de "handicapé, valide, invalide ? " Les sourds, selon vous, sont-ils des handicapés ? "
"Non, nous sommes différents ! Mon handicap est plus d’ordre social, que physique !
La première fois ou je suis rentré au lycée il a fallu beaucoup de temps pour s'adapter, il a fallu vraiment du temps …le personnel et les professeurs ne connaissaient quasiment rien à la surdité. J'étais en marge et petit à petit nous sommes arrivés à nous entendre, nous "entre-adapter", nous tolérer. [Nous avons appris] à communiquer et le courant passe bien. Mais il y a toujours un petit quelque chose, un, je ne sais pas quoi qui résiste !"
Après le concept d'intégration, on commence à entendre celui "d'inclusion" un peu moins connoté historiquement. Roland situe le décalage entre les acteurs sociaux sur cette marge. Roland précise à son sujet.
"L’intégration est une décision politique ! Tous les sourds sont contre et cela se comprend. Longtemps, j’étais de ceux-là. A présent je soutiens "corps et âme" l’intégration à condition qu’elle soit librement consentie, concertée et bien organisée. C’est une ouverture vers une autre culture, d’une richesse différente de la nôtre. Je ne dis pas plus riche, mais différente et qui nous apporte beaucoup. Je souhaite que cette politique d’intégration soit poursuivie, moyennant une participation de tous les acteurs à tous les niveaux et que, pour ce qui les concerne, les sourds soient consultés, que leur avis fasse poids [pèse]. Nous n’accepterons jamais que l’on décide sans nous ce que l’on doit être, c'est-à-dire, ce que les entendants voudraient qu'on soit ! Par ailleurs, c’est cette politique d’intégration qui a réveillé et mobilisé les sourds il y a quelques années, car la communauté sourde se sentait directement menacée par la destruction de ce qui a été et reste toujours le berceau de sa culture, ainsi que le lieu premier d’apprentissage de sa langue : les établissements spécialisés."

Du courage, il en faut !

Du courage, il en faut, de toute façon, à tout instant de la vie. Je suis secrétaire d'un comité d'entreprise (C.E), c'est un poste à responsabilité, mais la première fois que j'ai pris ce poste avec l'accord des collègues, il m'a fallu du courage ! J'y suis habitué maintenant et mon problème se situe dans les réunions collectives, même avec un interprète, c'est difficile d’avoir à temps mon tour de parole. Je suis souvent en retard pour demander mon tour de parole. Cela me gène.
Quelquefois, je dis aux gens d'attendre un peu après qu'ils aient fini de parler…Je leurs demande une fois ou deux…et puis bof ! Je ne pense pas qu'on se moque de nous ou que c'est un manque de respect. C’est surtout inconscient, personne ne le fait exprès, mais personne n’y pense [systématiquement]. Je trouve que cela n'est pas normal, qu'il y ait des interprètes dans notre établissement, ce n'est pas normal, parce que les éducateurs, les enseignants et le personnel administratif qui travaillent dans notre école devraient maîtriser la langue des signes !
Personnellement, à propos de mon "rôle et de mon statut" d'enseignant, je serai un peu dur envers la formation des professeurs spécialisés pour les sourds, car toute cette formation est gérée par des entendants, ils se prennent pour "des experts", mais les vrais experts ce sont les sourds ! Il ne faut pas l'oublier ! Ils (les sourds) ne sont pas consultés sur les programmes d'enseignement, on les tolère comme professeurs, on les tolère mais jamais on ne leur donnera un poste à responsabilité, un poste de directeur par exemple (Voir la révolte à l'université de Gallaudet, in O. Sacks (1990, 1996) ; la vie de "Marie" la jeune sourde implantée à l'université (récit 15) et "Bernard", l'aveugle dans sa course au directorat (récit 4), etc.)
Ainsi, pour devenir directeur de l'établissement, lorsque notre directeur est parti à la retraite, j'ai demandé quels étaient les critères pour postuler, j'ai demandé si en particulier s'il fallait "entendre", on m'a dit que : "Oui !" Condition sine qua non !
Je lui disais mon étonnement. Il faudrait des cours, pour au moins, avoir une base commune de communication. Je pensais que c'était la moindre des choses, un minimum, une évidence dans un centre comme le sien ! Tout est donc dit. On parle de vous, en terme élogieux, mais à compétences égales il y a blocage pour ces postes à responsabilités sociales, le mur c'est bien le handicap !
Roland me livra une anecdote sur ce sujet des compétences à partager.
A Gallaudet un chauffeur de bus a été embauché car il connaissait la langue des signes. Un autre, la première fois qu'il a été embauché, au bout d'un an de formation ne signait toujours pas : ils l'ont viré ! Et le premier lui qui signait bien a été embauché définitivement : normal ! Ce devrait être le minimum dans notre établissement qui gravite autour de la communication, tout le monde devrait signer, comme à Gallaudet. Les sourds ont une bonne capacité intellectuelle mais ne maîtrisent pas bien le français, donc il faut un code commun.
Je réfute pour nous, ce mot de personne handicapée, nous sommes [juste un peu] différents. Nous sommes plus (davantage), des handicapés sociaux que des handicapés physiques ou sensoriels. C'est comme dans le terme "invalide", il y a un manque... Je sens tout de même un manque dans ce propos ! "
A la question, est-ce que le rêve ultime pour lui, est de guérir de "la surdité" à tout prix ou bien, d'être un entendant comme les autres ? Voici ce qu'il nous dit.
"J'espère un "miracle", oui j'espère, car dans ma tête je suis entendant ! Si jamais ce miracle advient, je crois que je garderai ce secret. Il me faudra beaucoup de temps pour réaliser. Je me demande si, par contre, cela me deviendrait insupportable d’entendre tous ces bruits de la vie auxquels je ne suis pas habitué. Je connais l’histoire d’un aveugle qui en a eu subitement " plein la vue", donc il a "vu" des choses que dans sa tête d’aveugle il ne s’était jamais imaginé. Il a été plus déçu, qu’heureux, et a mis fin à ses jours ! C’est cela qui me fait peur ! "

Le sport est une culture universelle !

Roland nous livre dans la synthèse qui va suivre, les domaines qui peuvent aider à "briser la glace", à apprendre "à vivre et à parler ensemble". Il nous livre par petits dévoilements, quelques uns de ses secrets pour mener à bien, l'immense combat pour le savoir qu'il a du mené.
A propos du sport et la communication corporelle. Il n'y a pas de barrière dans le sport car c'est une culture universelle ! C’est pour cela que j’ai dit tout à l’heure qu’en intégration scolaire, il n’y a jamais d’accompagnement de professeur spécialisé dans les classes ou les cours d’E.P.S !
Sur le sport, en général tous les sourds sont bien acceptés dans les clubs. S'ils montrent leurs capacités physiques les sourds sont acceptés sans problème…Mais les sourds sont quand même un peu "en marge". J'ai le souvenir de mon passage dans l'équipe du R.C.O (un club de rugby du Loiret) dans laquelle j'ai joué pendant huit ans. Je venais d'Albi où j'avais déjà joué pendant huit ans, en général j'étais affecté au poste où il n'y avait pas beaucoup de "responsabilités" par exemple, à l'aile ou à l'arrière. Maintenant, oui [se sont des postes complets oui, complets et difficiles], mais autrefois, c'était des postes où on ne faisait pas grand-chose; il fallait bien taper en touche et ne pas se louper sur les placages.
Actuellement je suis licencié comme officiel d'athlétisme option "sauts" à l’E.C.O Orléans. Dans ce club est aussi licenciée l’une de mes élèves sourde, Mélaine You-Adjé. Je m’aperçois avec émerveillement, à quel point, elle est bien intégrée dans le groupe des filles qu’elle a contribué à hisser en Nationale. Pour cette jeune fille pleine de vitalité et qui s’entraîne beaucoup et joyeusement (43,29 m au javelot cadettes, l’été dernier), l’athlétisme est une fête !"
C'est comme cette fête "pour tous" les continents, intronisée tous les quatre ans par des jeux olympiques ainsi que "leurs petits frères", les jeux paralympiques, lui demandais-je ?
"Ces sourds se sont des athlètes normaux et leur seul problème reste le départ des courses de sprint aussi bien en athlétisme qu'en natation, problème qu'il est possible de résoudre par adjonction d'un flash lumineux. (Cela s'est déjà vu en finale du 200m brasse des Jeux Olympiques "valides" de Sydney où le "sourd-muet" sud-africain Parkin a remporté l'argent dans le temps remarquable de 2 min 12 s 50. En sport, les sourds ne sont pas du tout handicapés. Je me demande pourquoi les associations sportives de sourds devraient s'affilier à une fédération handisport ? S'ils ne le font pas, ils n'auront pas de subventions, et s'ils le font, ils n'ont pas le droit de participer car ils sont considérés comme valides !
A propos des professions et soins professionnels. Je travaille actuellement en intégration en Lycée. Après avoir enseigné la maintenance industrielle, je forme depuis 4 ou 5 ans aux métiers de l'électricité.
Depuis les années 2000. J'ai dû négocier ce passage par une reconversion entre la mécanique et l'électricité
Depuis 1999, je suis enseignant en électricité en intégration au lycée de Fleury les Aubrais. Ma carrière a pris pour la deuxième fois une nouvelle orientation. Après avoir, pendant de longues années, formé des générations d’élèves au dessin industriel, j’ai enseigné la maintenance des systèmes industriels, puis l’électrotechnique. A chaque fois j’ai suivi des stages de reconversion et de mise à niveau (automatismes, électrotechnique, électronique, électronique de puissance, pneumatique, hydraulique), d’une durée totale d’environ 1200 heures. Ce lycée de Fleury est un lycée pour tous et où il y a une classe d'intégration. Cette année, cinq élèves sourds qui sont dans une classe d'entendants, sont en intégration individuelle pour préparer un B.E.P et un Bac professionnel. C'est un lycée très ouvert et je m’y sens bien.
Nous sommes deux professeurs dans cette classe en intégration, un entendant et moi-même. Nous avons de bonnes relations avec les autres professeurs du Lycée, nous sommes [en effet] deux professeurs venant du "privé" et nous pourrions être considérés comme une forme d’"intrus" !
Tous les matins, quinze minutes avant les cours, il m'est expliqué le contenu de ceux-ci et comme je connais le sujet, comme je connais le programme, on suit le même rythme à peu de choses près ; par contre je fais beaucoup de dessins au tableau alors c'est tout le monde qui en profite les élèves sourds, bien sûr, mais aussi les entendants tout en écoutant le professeur.
A propos de la famille pour souffler "entre soi". Mon épouse est sourde de naissance comme je l'ai signalé dans ma présentation, je l'ai rencontrée à Châteauroux. Un sourd qui cherche un conjoint bien souvent va chercher très loin ! Les sourds n’hésitent pas à faire des kilomètres pour rencontrer un autre sourd ! J'ai deux enfants entendants, une fille de 27 ans qui a un D.E.S.S en économie de gestion ainsi qu'un garçon qui lui aussi a un D.E.S.S de management, c'est notre fierté ! Nous sommes une famille qui pratiquons la langue des signes.
Nous sommes bilingues, nous [pratiquons] la langue des signes en liaison avec la langue française. Oui, on peut dire que nous sommes bilingues ! C'est surtout avec ma femme que j'utilise la langue des signes, étant donné qu'elle maîtrise la langue française à la façon de la majorité des membres de la communauté des sourds, c’est à dire mal ! Avec nos enfants, nous pratiquons le bilinguisme, c'est à dire que nous parlons à la fois en Français ou en langue des signes suivant les interlocuteurs. Avec Joëlle (mon épouse), les enfants utilisent la L.S.F plus adaptée et avec moi plutôt du français signé, [à savoir] la syntaxe normale du français bien articulée avec quelques signes manuels à l’appui.
A l'institution des jeunes sourds de Saint Jean de la Ruelle, où je suis affecté, il y a 130 enfants sourds, je ne me considère pas comme handicapé, je ne me sens pas handicapé.
Au lycée par contre je me sens un peu en marge. C'est différent, j'ai de bonnes relations, mais je suis quand même différent ! [Quelles sont les sensations intimes, quels sont les non dits sur lesquels repose cette analyse de la différence ?] Ma différence est acceptée et respectée et je suis reconnaissant envers tous mes collègues du Lycée. J’ai néanmoins le sentiment que dans une situation de débat où nous sommes au minimum trois, deux entendants ou plus et moi-même le sourd, ce n’est jamais à moi que l’on adresse la parole en premier ! Quand je pose des questions, c’est toujours à un autre qu’on répond. D’où cette sensation un "chouïa irritante" d’être inconsciemment marginalisé. C’est un exemple parmi d’autres.
Avec mes voisins du quartier, nous n’avons mon épouse et moi-même absolument aucun problème. Nous menons en commun une vie normale, conviviale. On s’engueule un peu, parfois sur les problèmes généraux de la politique de notre ville !
A propos des voyages pour rencontrer les autres et leurs cultures. J'ai passé un mois aux Etats-Unis, là-bas c'est vraiment merveilleux pour les sourds. Je dis bien merveilleux avec une université pour 1500 étudiants sourds. Je pense que vous le savez, c'est "Gallaudet University", à Washington. Nous n'avons rien d’équivalent en France, il faut savoir qu'aux États-Unis, il y a une loi efficace contre la discrimination. C'est très important... Nous n'avons pas cela en France.
Un exemple. La majorité des policiers maîtrisent la langue des signes partout aux États-Unis, quand on est interpellé si on voit que l'on est sourd, on utilise de suite la langue des signes ! Dans le monde la langue des signes n'est pas une barrière, elle est la même à peu de choses près (variantes) dans tout l'univers. C'est tout le temps la même avec quelques adaptations nécessaires. Il est remarquable d’affirmer, que les sourds savent par avance, qu’ils trouveront des amis dans chaque pays du monde ! Ils sont moins étrangers ailleurs qu’ils ne le sont chez eux ! A Gallaudet, ils forment des avocats sourds, des médecins sourds et même des pilotes d'avions sourds et nous n'avons pas cela en France, c'est incroyable !
Il y a une énorme différence entre vivre sourd aux Etats-Unis et vivre sourd en France, il n'y a pas de discrimination là-bas.
Il existe encore en France des conflits dans le "monde " de la surdité, entre l'oralisme et la langue des signes, c'est vieux comme le monde ! Aujourd’hui encore, certains professionnels de la surdité déconseillent aux familles qui ont des enfants sourds de fréquenter les associations de sourds ! C’est aberrant, injuste, discriminatoire. Pire, dans un pays comme le nôtre, cela va même à l’encontre des droits les plus élémentaires. Pour ces personnes, il ne saurait y avoir d’autre modèle, pour le sourd, que celui de "l’entendant" ! C'est-à-dire, ce qu’il ne sera, jamais !
Dans les années 1900, il y avait beaucoup de professeurs sourds à Paris, surtout à Paris mais aussi à Bordeaux. C'étaient des "génies", je citerai Laurent Clerc qui fut à l’origine du mouvement, avec Thomas Gallaudet, de cette fameuse université, mais aussi Ferdinand Berthier, Massieu…etc. C'étaient, eux, de sacrés formateurs mais depuis le congrès de Milan en 1880 ce sont des enseignants et des religieux entendants qui prirent le relais, c'étaient des "imbéciles". Ils ont décidé d'exclure la langue des signes de l’enseignement et de choisir l'oralisme comme principal appui de la pédagogie. A partir de ce moment précis, tous les professeurs sourds ont été "virés" ! Ces conflits ne sont pas complètement éteints et si on souffle sur leurs braises, ils se rallumeront… Il y a beaucoup d'enseignants entendants qui accusent la langue des signes d'être la cause de la faiblesse des sourds en français, encore maintenant, ils l'accusent de [construire] cette faiblesse en français ; mais ce n'est pas vrai ! A mon avis ce n'est pas possible, parce que pour apprendre le français, il faut savoir comment faire [c'est-à-dire ? comprendre les cours, les instructions les consignes…)] et pour savoir comment faire, il faut une formation pour apprendre à apprendre et cette formation vient de la langue des signes.
En 1975, la langue des signes est revenue, avec elle les professeurs sourds sont "revenus" aussi, mais j'ai peur qu'avec la nouvelle loi sur le handicap, ils vont de nouveau disparaître ! Les établissements spécialisés pour jeunes sourds ont pris l’habitude d’enrôler des enseignants et éducateurs sourds depuis les années 1975/1980. Avec la nouvelle loi qui donne la même chance à tous les citoyens, en particulier pour fréquenter l’école et accéder aux savoirs, ces dispositions vont être prises en charge par l’Education nationale. Nous, les sourds, sommes inquiets face aux intentions du "mammouth" ! Est-ce qu’ils accepteront les enseignants sourds ? Rien actuellement ne nous l’affirme.
"Aller ailleurs pour ce former ? ". Certes, précise –t-il, "mais il faut avoir les moyens (un bon bagage et du fric ou une bourse, etc,) et ce n'est pas à la portée de tout le monde. Il y a beaucoup de sourds qui vont faire leurs études aux Etats-Unis, beaucoup aux Etats-Unis car il n'y a rien en France. Là bas, ils font passer des tests aux étrangers, ils demandent une bonne maîtrise de l'anglais, ainsi que de la langue des signes américaine (A.S.L) bien sûr ! Tous ceux qui réussissent à aller à Gallaudet par exemple, pendant deux ou trois mois et j'ai des témoignages sur cela, se sentent rapidement perdus, trop seuls. Ils font quelquefois des dépressions, mais il y a des cellules psychologiques pour les aider !
Peut-on avoir une université comme Gallaudet en France ?…Il faudrait changer les mentalités…Oui, vraiment changer les mentalités. En France, l'enseignement des sourds est géré et décidé uniquement par des entendants, tandis qu'aux U.S.A il est géré par des sourds et le président de l'université est sourd lui-même ! Oui ! Notre rêve serait qu'il y ait une université pour les sourds en France !
Aux U.S.A, Il y a une deuxième université plus technologique à Rochester, état de New York, près de la frontière canadienne, pas loin des chutes du Niagara, pour sourds et entendants mélangés. Par contre à Rochester il est privilégié l'oralisme plutôt que la langue des signes, mais c'est très bien aussi et j'ai été impressionné ! Les entendants et les sourds vivent ensemble en harmonie. Les sourds parlent entre eux en A.S.L et avec les entendants en "anglais signé ou Ameslan" à dominante oraliste. C’est une politique choisie et décidée communément par l’université de Rochester à travers le National Technical Institute for the Deaf (N.T.I.D). A Gallaudet, dès qu’il y a au moins trois personnes en conversation, tout le monde signe, c’est la règle !

A propos de la culture. L'article sur la sexualité des personnes handicapées gravement atteintes, m'a beaucoup impressionné ! J'imagine mal une éducatrice qui pousse [volontairement] un handicapé en fauteuil roulant pour qu'il aille voir une prostituée ! Ils y vont donc ensemble, l’éducatrice le déshabille, cela existe mais il n'y a plus d'intimité ! C'est cela qui m'a choqué quand j'ai vu le film "Nationale 7" ! Je m’imagine handicapé avec de fortes envies de "rencontrer une femme "…Je préfèrerais y aller seul, avec une éducatrice à la rigueur, mais pas avec un éducateur ! Pour nous les sourds la sexualité est normale, sans problèmes, mais pour ces personnes handicapées…
Le cinéma c'est important. Nous les sourds nous somme reconnaissants envers Emmanuelle Laborit qui a beaucoup contribué à nous faire connaître. Maintenant dans la rue, les gens ne nous regardent presque plus comme des "bêtes curieuses" ! Lorsqu’on voit des sourds, on n’y fait plus attention, mais autrefois on nous regardait [mal]. Ce fut pendant la période où la Langue des signes était bannie, de 1880 à 1975. J’avoue moi même avoir eu honte de signer dans la rue, je l’évitais au maximum, je fuyais même des copains sourds de rencontre pour ne pas à être obligé de signer en public ! Depuis qu'Emmanuelle Laborit s'est fait connaître, les sourds se sont fait connaître aussi ! J’ajoute un extrait des travaux de Bernard Mottez, sociolinguiste, maître de recherches au C.N.R.S, centre des Mouvements Sociaux, à propos des sourds : "De ce changement dans les mœurs, je vois plusieurs indices. Le principal me paraît l’attitude différente qu’adoptent aujourd’hui de nombreux sourds vis à vis de leur langue. Beaucoup de personnes sourdes en sont honteuses, pensent qu’elle est inférieure au Français et n’osent pas l’utiliser en public, de peur de se faire remarquer, voyant en elle la marque visible de ce qu’on leur a appris à ne pas être fier et à devoir se cacher ou se corriger : d'être sourd. Il ne saurait y avoir honte à être sourd. Il y a surtout à être les dépositaires d’une langue aussi originale et à être les seuls à en avoir la maîtrise, à en avoir quelques motifs de fierté."
Il me disait que c'est important, très important…Pour la connaissance de la surdité, ainsi que pour leur reconnaissance tout en retrouvant dans sa mémoire, le titre du film... Les enfants du silence ! "Ce film qu'il faut regarder bien sûr, mais en version américaine, en langue des signes américaine (A.S.L) évidemment !
Les médias, à l'instar du cinéma par son langage "imagée", font une place de plus en plus importante aux sourds. Le sous-titrage ainsi que des émissions culturelles mixtes voient le jour. La société ne porte plus le même regard sur la surdité et surtout les sourds ne se voient plus de la même façon. En effet, il existe de nombreux livres, émissions télévisuelles, films et de pièces de théâtre qui rapprochent les personnes des deux cultures.
Pour les entendants c'est la surdité qui fait barrière, peut être que nous n'avons pas toutes les compétences pour assumer toutes ces responsabilités…C'est un peu comme si on nous disait,"sois sourd et tais toi " ! Peut-être que je suis sourd, avec une bonne culture d'enseignant, et pas plus ?"
On éprouve toujours de la méfiance envers ce qu’on ne peut contrôler. On se méfie toujours de ceux qui, d’une manière ou de l’autre font ou semblent faire bande à part. On tient soigneusement à l’écart ceux qui parlent entre eux une langue qu’on ne comprend pas, donc appartenir à cette minorité linguistique, cela veut dire être l’objet de la part de la majorité d’une certaine méfiance, d’un certain mépris. Aux USA, on ne regarde pas la surdité, mais les capacités et les compétences. Ici, en France, on regarde d'abord la surdité ! "
Mais le droit de grandir dans le savoir, de progresser et de gravir par son mérite d'autres échelons ; c'est un droit pour tous, non ?
C'est véritablement une bonne problématique, Roland !



Récit no 14 : À propos de Carole : "Je veux témoigner !"



"Je veux bien témoigner dans votre travail ! Elle n'a écrit cette demande sur un bout de papier, accompagné d'un "souffle" ainsi que d'une gestuelle expressive. De ce fait, elle me l'a presque exprimée, car il faut signalé que Carole, elle est "quasiment" muette. Un soir de mars 2003 à Metz, où je venais rencontrer les artistes que je suivaient, profitant des répétitions de la troupe de "Danse Ability", elle s'est spontanément présentée pour me rencontrer et me raconter son histoire, à l'instar de Nicole et Philippe, les "retardés mentaux" de l'émission de France Inter en 2003, année européenne du handicap.
Et puis un silence total s'est installé malgré deux ans de relance ininterrompue, et ce avec l'accord toujours assuré de la jeune Carole. Le vendredi 15 octobre 2004, muni d'analyses indirectes qui m'ont été données par des tiers, je décide de clore cette étude, mais d'en écrire tout de même le déroulement. J'en ai dressé un bilan avec les données existantes, l'analyse envoyée par l'équipe d'accueil d'un foyer où résidait Carole ainsi que des enquêtes sur les C.A.T. et autres institutions que j'avais collectées au cours de mes recherches.
Après quatre envois de dossiers plus que conséquents, plusieurs coups de téléphone à la famille, au référant, à institution ainsi qu'à la direction, je m'obtiens que des réponses évasives puis des blocages de toutes parts. Les personnes elles qui l'emmènent au théâtre ne peuvent plus le faire donc je ne peux plus, même de façon indirecte, la joindre sous quelques formes que ce soit. Elle disparaît même de l'atelier "Danse Ability". Notre intermédiaire à Metz, le metteur en scène de la troupe, me révèle que les résidents du C.A.T, d’où venait Carole, ne pourront plus venir aux séances car, "ils sont trop fatigués pour le travail du lendemain !" Ce sont les paroles de la direction.
Je relève intuitivement de graves dysfonctionnements dans la structure. Peu de temps après une éducatrice "Madame G" témoigne dans un courrier très abondant de ces dysfonctionnements.Elle me fait part de l'histoire de Carole. Une longue analyse collective de huit pages me parvient par courriel en date du 24 octobre 2004.
Voici ce qu'elle m'écrivait.
"Veuillez trouver ci-joint Mr Zicola, le signalement que toute l'équipe éducative, a fait au sujet du fonctionnement de notre structure, ainsi que la chronologie des problèmes rencontrés pour la réalisation de votre enquête avec Carole.
Cela vous aidera peut-être à analyser le comportement inqualifiable du collègue référant de Carole. Actuellement ce collègue oeuvre plus dans la "médiatisation" de la structure que dans le suivi du résident. Au regret de n'avoir pas pu plus vous aider [plus]. "

Un contrat a été établi et une parole donnée !

Nous dû renvoyer une lettre de cadrage début décembre 2003, avec une injonction ferme et réitérée mis sur l'engagement de la parole donnée.
"Monsieur, Madame, chers amis et chères amies. Nous avions convenu de nous écrire régulièrement afin enfin que nous puissions échanger sur le handicap et la personne handicapée dans notre société. J'ai absolument besoin de vos réflexions et de vos données pour mon travail. Il faudrait me donner une trace écrite même réduite (des premiers documents des dossiers envoyés il y a quelque temps déjà) dans les 15 jours qui viennent. Vous vous étiez engagés fermement à m'aider pour ce travail.
Pouvez-vous me répondre soit directement, (Tous les frais étant à ma charge comme convenu dans le contrat passé entre nous), soit par la mise en place d'un rendez-vous pour un entretien (C'est moi qui me déplacerait bien en tendu).
Votre témoignage ainsi que votre réflexion nous serons très utiles car beaucoup de personnes parlent du handicap à la place de la personne "handicapée", la privant ainsi de toutes les richesses de sa parole, de ce qu'elle pense vraiment de sa situation sociale et humaine. Les témoignages réels et sincères sont rares et vous comprenez bien combien les vôtres me sont précieux. Je sais bien que tout le monde a énormément de travail et que vous êtes tous et toutes impliqués dans des tâches lourdes et coûteuses en temps. Néanmoins, je me permets de vous rappeler la parole donnée et je vous remercie pour la suite des événements mêmes s'ils étaient négatifs, mais dans ce cas aussi, faites le moi savoir. Je vous serais gré de me répondre pour que les échanges, continuent entre nous."

Il y a un problème de relais !

Après de multiples contacts très chaotiques, entre décembre 2003 et mars 2005, par courriels, téléphone, dossiers, etc, je subis, sans que ce soit explicite, un blocage permanent, insidieux. L'institution se referme. Après une enquête sur l'entourage proche, je décide d'écrire cette histoire par recoupement avec d'autres problèmes institutionnels plus graves que l'on commence à mettre en évidence dans le reste de la France.
Le 10 août 2004, lors de ma visite, Carole insiste avant la répétition pour témoigner dans ma recherche et puis... plus rien.
Le dimanche 22 août 2004, je constate que pour Carole il y a un problème de relais entre les éducateurs et son référent qui répond par l'affirmative et fait constamment volte face !
Après mes visites à Metz toujours rien, ce malgré la promesse des dirigeants du centre. A ce jour les quatre dossiers n'ont pas été donnés à Carole pour amorcer quelques idées. En effet, elle ne peut pas parler mais elle sait écrire et se faire comprendre.
Début septembre 2004, je fais un dernier bilan avec mes observateurs, puis je prends la décision de l'inclure dans la recherche comme les autres témoins. Notre analyser commune, avec l'équipe des formateurs, montre les raisons de ces si nombreuses difficultés dans un contexte de violence institutionnelle.
Le 23 octobre 2004, enfin je reçois des nouvelles sur la trajectoire de Carole. Des précisions du "deuxième cercle" qui entoure la jeune femme, celui qui travaille sur le loisir et la vie quotidienne des résidents.
"Carole a été accueillie au foyer il y a un peu plus d’un an, elle travaille dans un autre foyer que celui jouxtant notre structure comme Dominique d'ailleurs, un autre résident qui vient aux ateliers. Tous les jours ils sont emmenés par le G.I.H.P pour prendre un bus qui les emmène au centre d'aide par le travail (C.A.T). Carole et Dominique se connaissent depuis un certain temps. "
Simultanément au courriel du 23 octobre 2005, complété par une longue mise au point avec notre intermédiaire par téléphone, Madame "G" m'écrit une très longue lettre où ils analysent en équipe, les obscurs disfonctionnement de son institution. Que l'équipe en soit remercié publiquement, ici, dans cette étude car il est bien difficile de témoigner en toute "lucidité", voire objectivité dans de telles situations.
"Pour comprendre la confrontation quotidienne du personnel avec les exigences, les sollicitations et les mécontentements de la direction, l’équipe au complet tient à faire un signalement des pratiques de Mlle "N". Suivant le bon sens et les conseils venant d’autres institutions travaillant avec le foyer, chaque membre du personnel tient également à se couvrir face à des dysfonctionnements dus à des agissements de la direction. Les témoignages écrits ou dits par les équipes précédentes nous amènent à penser qu’il existe peut- être un dénominateur commun entre les différentes situations difficiles vécues ces dernières années."

Enfin à la fin du mois de juillet 2005, e rencontre de nouveau Patrice Guillaumet le metteur en scène et animateur des ateliers de Metz, pour faire le point à propos de la mise en place future d'un colloque sur "Corps et différences" à l'université. Nous reparlons de Carole. Il m'apprend son retour à l'atelier, preuve d'un déblocage institutionnel par la démission de certains membres de la direction. Il faudra que je réinterroge Carole plus tard sur les pertes et les gains de telles situations.

Carole tient beaucoup à communiquer !

Carole a été accueillie au foyer il y a un peu plus d’un an, elle travaille dans un autre foyer que celui jouxtant notre structure comme d'ailleurs, Dominique. Tous les jours ils sont emmenés par le G.I.H.P pour prendre un bus qui les emmène au C.A.T de Varize distant d’une quinzaine de Kms. Tous les deux dépendent de : Association Familiale pour l'Aide aux Enfants Déficients de l'Agglomération Messine (A.F.A.E.D.A.M.). Les moyens de transport du G.I.P.H. les ramènent au foyer vers 17h 30.
Carole et Dominique se connaissent depuis un certain temps. Il y a deux ans environ puis Carole l’a rejoint quelques mois après. Ils ont chacun leur chambre mais se comportent en couple à l’intérieur comme à l’extérieur de la structure. Leur participation à l’activité théâtre date de plus d’un an. Carole ayant rejoint l’activité à son arrivée au foyer. Malgré ses difficultés à s’exprimer oralement, Carole tient beaucoup à communiquer, c’est pourquoi les techniques de l’atelier me semblaient particulièrement intéressantes. Aussi, étais-je très intéressée par son attitude, quand vous lui avez proposé de participer à votre travail. Malheureusement je ne pensais pas que mon collègue se défausserait de la sorte et ne vous informerait même pas de son incapacité à poursuivre son entretien.
Je lui ai plusieurs fois demandé où il en était ; d’abord il m’a dit qu’il n’avait pas récupéré les documents qui étaient chez les parents, puis qu’il était très occupé par un projet d’échange européen qu’il a monté avec la direction et un autre partenaire luxembourgeois mais il m’a assuré qu’il allait s’y mettre. Ayant eu un coup de téléphone de Patrice qui me signalait que vous n’aviez toujours rien reçu, je l’interrogeais à nouveau pour savoir s’il avait vu Carole. Après une réponse positive, il me confirma qu’il était "en train de s’en occuper."
Quand vous m’avez appelé sur la route près de Nancy, j’ai demandé à ma passagère de vous donner les numéros personnels du référent de Carole pour que vous puissiez le joindre directement, car il est vrai qu’en composant le numéro du foyer vous n’avez que peu de chances de converser avec lui. Je tiens à préciser que je n’ai jamais été au courant de vos appels au foyer ni par ma directrice ni par le référent de Carole. Ayant repris l’activité théâtre fin septembre, j’ai appris par Patrice que vous n’aviez toujours aucun écrit de Carole. Je sollicitais de nouveau mon collègue qui m’assura qu’il avait tout envoyé mais que la deuxième série s’avérait fastidieuse. Quelle ne fut pas ma surprise après votre appel de vendredi dernier !
Après réflexion je pense que mon collègue n’a jamais songé entreprendre ces entretiens, d’une part parce qu’il est très difficile de transcrire les réponses de Carole et d’autre part étant impliqué dans une autre réalisation il a préféré s’investir dans son projet. Quoiqu’il en soit s’il ne s’en sentait pas capable ou si cela ne l’intéressait pas il aurait du me le dire et vous en informer. Lundi dernier je l’ai de nouveau questionné et il m’a répondu qu’il avait envoyé les réponses par la poste…Il m’a redonné les documents que vous lui aviez fournis !
J’avoue, qu’actuellement, Carole traverse une phase difficile, se traduisant par une sollicitation de tous les instants envers Dominique qui, s’il ne répond pas positivement à ses attentes, est agressé violemment. Elle qui est suivi en orthophonie a beaucoup de mal à parler, il n’y aurait pas de dysfonctionnement organique mais les tentatives d’articulation semblent de plus en plus infructueuses. J’ai essayé personnellement de la faire commenter certaines photos des vacances par le biais de l’informatique mais elle s’est contentée de marquer son nom sous les photos. L’ayant déjà vu avec des magazines de mots fléchés ou de mots codés, je pensais qu’elle pourrait transcrire par écrit ce qu’elle pensait. Je me suis rendu compte qu’elle ne maîtrisait pas l’écrit. Si elle écrit il ne s’agit que d’une copie d’un texte ou d’une phrase, elle est incapable de s’exprimer par écrit. L’aggravation de son élocution allant de pair avec son changement comportemental, je pense que mon collègue a renoncé devant la difficulté d’échange avec elle. Son comportement a beaucoup changé depuis que ses parents prennent plus de distance avec elle, depuis cet été plus précisément. La relation qu’elle entretient avec Dominique est devenue de plus en plus exclusive et les dérives comportementales agressives ont été de plus en plus fréquentes. La semaine dernière, la dernière séance de l’atelier s’est très mal passée. Elle ne supportait pas que Dominique puisse travailler avec d’autres personnes, s’interposant systématiquement dès que quelqu’un s’approchait de lui. Elle criait à qui voulait bien entendre que : "Dominique lui appartenait !" Elle n’était absolument plus réceptive aux consignes de travail. Même dans la vie quotidienne au foyer elle semble s’isoler de longs moments dans une bulle imaginaire, elle monologue très souvent. Actuellement nous sommes dans une impasse avec elle. Quoiqu’il en soit mon collègue aurait du vous tenir au courant de ses difficultés."

L'arriération mentale, le handicap mental est toujours une barrière bien commode pour que les mondes "valides" et "invalides" restent bien à leur place respective.

Infantilisation, sentiment coupable et peur permanente !

En prenant appui sur cet "incident ethnographique", que nous avons jugé utile de décrire étant donné qu'il s'est avéré un excellent analyseur des difficultés, des disfonctionnement de certaines institutions. Ce faisant, nous nous sommes aperçus d'une autre souffrance : celle des personnels. En outre nous avons recoupé cette analyse sur la souffrance des personnes handicapées ainsi que celle des "entourants" avec les nombreuses indications observées dans nos témoignages. Le premier résultat est le suivant : la déficience mentale fait toujours obstacle. Les moyens d'accéder aux témoignages, de cette frange de vulnérabilité particulière dans la vulnérabilité du handicap, sont toujours aussi problématiques.
Nous citons "in extenso" pour ne pas les déformer, les paroles de l'équipe qui font écho aux paroles des résidents. Le "faire confiance" est encore au centre de la communication, ce "soin premier" que l'on se doit de réaliser, pour faire reculer la souffrance institutionnelle, dans des lieux déjà difficiles à vivre tels que ceux décrits ici.

"Pour comprendre la confrontation quotidienne du personnel avec les exigences, les sollicitations et les mécontentements de la direction, l’équipe au complet tient à faire un signalement des pratiques de Mlle N. Suivant le bon sens et les conseils venant d’autres institutions travaillant avec le foyer, chaque membre du personnel tient également à se couvrir face à des dysfonctionnements dus à des agissements de la direction.
Les témoignages écrits ou dits par les équipes précédentes nous amènent à penser qu’il existe peut – être un dénominateur commun entre les différentes situations difficiles vécues ces dernières années.
Bien que les consignes soient affichées, et que les services des éducateurs soient sous forme de protocoles écrits, il nous est impossible de les accomplir entièrement.
La fréquentation de l'établissement suppose quelques accidents de parcours, tels des "gouttes de café" sur le sol. Mais si l'éducateur ne souhaite pas entendre pendant des mois qu'il est capable de laisser vivre les résidents dans "une porcherie", il lui faudra, pour mettre fin aux remarques sur sa personnalité morale et sur son intégrité au niveau de l'hygiène, exercer un contrôle régulier et coordonné avec celui de la directrice, prévu, en moyenne, toutes les 10 minutes !
S'il arrive parfois, que l'éducateur ait le sentiment d'y être parvenu, il ne perdra pas pour autant l'idée qu'il peut néanmoins se voir accusé d'un travail mal effectué un jour où il n'était pas en fonction. Devant témoins et planning à l'appui, la direction maintiendra et affirmera ses dires avec un plaisir non dissimulé. Le flot d'arguments mensongers et déplacés place tous ceux qui l'entourent dans une grande fragilité psychologique car sans plus aucun repères. Cinq tentatives de suicide en l'espace de 3 mois, ont amené une délégation de 5 éducateurs (sur 8) à faire un signalement à l'inspection du travail.
Le "petit" quotient intellectuel des membres de l'équipe, affirmé par elle, à tous ceux qui veulent bien l'entendre, ne lui permet pas de prendre des vacances ou des week-ends car le bon fonctionnement du foyer tient à sa seule [présence] !
Il est courant, selon le seul témoignage de la directrice, qu'elle doit à notre place laver le sol ou accrocher des rideaux. Les salissures que l'on sait provenant de la directrice ou de son chien ne déclenchent pas effectivement "une tornade blanche" dans l'équipe.
Le personnel préfère donc contourner les assiettes des résidents qui servent de gamelle, les cuisses de poulet ou autre déjection traînant devant le bureau de la direction.
Et selon le degré d'exaspération de l'éducateur présent, elle devra effectivement trouver quelqu'un pour le faire, ou le faire elle-même !
Ces moments qu'elle vit, comme dégradants, nous sont reprochés mais étant quotidiennement trop nombreux, l'équipe ne peut entièrement les assumer sans s'humilier à son tour.
Le fait, d'entraîner au quotidien le personnel dans une désorganisation complète au niveau de la prise en charge et de la répartition des rôles de chacun, le place dans le sentiment de ne jamais maîtriser les différents domaines d'action de sa fonction polyvalente au sein du foyer. Que ce soit au sujet de l'entretien des véhicules, des deux cuisines comprenant de nombreux appareils électroménagers, des toilettes, des rideaux, ou des sols, il nous faut, selon la direction acquérir le réflexe de l'éponge et du balai tout en gérant le quotidien, les activités et le suivi de 32 usagers de la structure. Cette fonction n'a jamais été refusée par l'équipe qui s'est d'ailleurs organisée fin 2001pour répartir chaque jour, et équitablement entre les éducateurs, les différents besoins de la structure. Mais ce planning n'a jamais pu fonctionner officiellement car la directrice a toujours fait passer ses attentes en priorité.
C'est ainsi qu'un éducateur responsable pour la soirée, d'un suivi dans le foyer, ou d'un accompagnement vers l'extérieur, se verra investi d'une tout autre mission par Mlle N qui aura tout le loisir de constater ce qui n'est forcément pas fait. Quelle que soit la démarche éducative engagée par les éducateurs, elle sera forcément moins importante que les activités donnant lieu à un article dans le journal, ou à des rencontres avec des personnalités politiques ou autres. Celles ci devant offrir d'hypothétiques subventions dont l'équipe ne ressent pourtant que l'absence se traduisant par des économies de "bout de chandelle" aucunement justifiées. C'est ainsi que l'équipe s'est vue réprimandée pour usage trop intensif des produits d'entretiens, du papier de toilette, des draps et de tout ce qui est consommable !

A la suite de chacune des remarques, sous de faux prétextes impliquant forcément un résident ou un éducateur, ces derniers se sont vu retirer les clés des différents locaux ne pouvant donc plus répondre aux besoins des usagers, sans risquer de se faire accuser de contribuer à la ruine de l'établissement.
C'est au moment de la réunion quotidienne de 16h30 que les consignes et l'organisation du travail de l'équipe éducative sont communiquées par la direction. L'hygiène des résidents, tout autant que celle des éducateurs ainsi que l'organisation des événements médiatiques sont les principaux sujets abordés. Le (trop) peu de temps restant, enfin consacré aux usagers de la structure , invite les éducateurs à poursuivre sans comprendre une action ou une situation éducative "réfléchie" par la direction mais déjà au stade du conflit. A tout moment, sans la cohérence que permet un suivi individualisé, les résidents peuvent être pris à défaut et en flagrant délit de fainéantise ou de malpropreté par Mlle N et ceci, durant une amplitude de 12 heures par jour en semaine et de 4 à 5 heures les samedis, dimanches et jours de congés, la directrice évoluant dans l'établissement dans un but avoué de contrôle.

L'urgence pour la direction étant évaluée uniquement selon ce qu'elle voit ou présuppose voir, elle ne portera aucun intérêt au suivi tenté par l'éducateur. Elle prétextera d'autres situations, souvent sans aucun rapport, mais ayant autrefois échoué, discréditant par ce fait l'éducateur et tout travail ne répondant pas à ses exigences du moment. En fait, la progression d'un usager ne peut être ni soulignée, ni valorisée, dans un temps convenu avec l'équipe et le résident, sans que la direction n'intervienne et n'exige d'autres attentes.
De ce manque de suivi, il en résulte quotidiennement que des personnes, dont les acquis ne sont pas à remettre en question, peuvent être, sans aucune raison, prises à défaut dans leur autonomie par Mlle N qui ne prendra en considération ni le lieu, ni les personnes présentes. Pour une tache, ou une tasse de café qui traîne, il peut en résulter un harcèlement intolérable et difficilement justifiable par l'équipe.

Les sanctions et accusations apparaissent comme aléatoires et dépendantes entièrement de son humeur, ainsi que de la relation avec la personne à cet instant, et il n'est pas rare que, quelle que soit la véracité de l'argument apporté, il n'y aura pour la direction aucune remise en cause. Sa capacité à nous imposer le silence en devenant insultante, lui permet de soutenir toutes ses accusations et jugements sans autre forme de procès.
Ceci est très mal vécu par les résidents, ainsi que par le personnel, dont le travail et les efforts n'ont en fin de compte, aucune importance !
Ceux qui ont tenté de sortir de ce sentiment d'échec en essayant de correspondre aux attentes de la direction ont remplacé cet espoir par de la colère qui empiète forcément sur le travail éducatif et sur le bien être des usagers.
N'espérant plus prendre une place à part entière au sein du foyer, l'équipe ne prend [plus] aucune initiative même insignifiante car ne disposant en fin de compte d'aucune influence sur le projet des résidents.
Mais au delà d'une perte de crédibilité, [l'autoritarisme] permanent dont use et se recommande la direction, implique une infantilisation et un sentiment coupable chez le résident. Cette peur permanente, lui procure le sentiment d'être incapable de répondre aux attentes de l'institution et par là même, à celles de la société.
Un cadre défini et rassurant permettrait pourtant une protection et une égalité de traitement pour les usagers et le personnel. Mais tout laisse à penser que cela nuirait à l'emprise et à l'influence de la direction qui adapte et modifie sans retenue et selon ses besoins, le règlement et tous les principes d'équité que l'équipe tente de placer. Sous couvert des exigences du conseil général, Mlle N nous impose des quotas dans les prises en charge qui doivent être au minimum, selon son calcul, faites par groupe de 5.
Toute tentative de prendre le temps d'un apprentissage fait individuellement est taxée d'idéalisme qui ne ferait qu'entraver la prise en charge du groupe.
Solliciter un usager pour qu'il aille avec l'assistance d'un éducateur à la pharmacie est une démarche plus fastidieuse que d'y aller seul, mais ce qui pour les éducateurs entre dans une logique de socialisation est vu par la direction comme une perte de temps et un déni de notre fonction.
Aider un résident à s'acheter un vêtement est également sujet à réprimande, et ceci même si l'ensemble des usagers est en train de manger avec un encadrement plus que suffisant.
Selon la directrice : "On ne fait pas d'un âne, un cheval de course ! ". [Elle] ne supporte pas ceux qui se prennent au sérieux en prenant du temps pour rédiger les projets. De ce fait, ces derniers sont réalisés en dehors des heures de travail car les projets peuvent paradoxalement être exigés à tout moment par Mlle N. Pourtant si un éducateur nourrit les ambitions médiatiques de la directrice, il peut s'absenter trois soirées sur quatre et cela sur des années, en ne faisant plus aucun cas du quotidien du foyer car de toute façon ce dernier est placé d'office sous sa responsabilité, les autres éducateurs selon la directrice "ne lui servent à rien !"
Environ, un à deux articles sont écrits par l’équipe et publiés chaque mois, avec aussi presque autant d'expositions ou de réceptions qui nécessitent un temps qui empiète forcément sur le travail éducatif.
Sur 4 éducateurs, normalement alloués par la D.D.A.S.S pour le foyer, 2 ont été retirés par la direction du quotidien du foyer, dont une embauche de sa connaissance du 01 juillet 2003 qui sans jamais avoir travaillé en tant qu'éducatrice nous a été présenté dès le premier jour comme responsable des suivis. Les projets à rédiger et dont nous sommes exclus, étant si nombreux, cette personne ne peut de ce fait nous aider dans notre charge de travail, ni partager les astreintes de nuits qui furent nombreuses en été car nous sommes en sous effectif.
Comment peut on tolérer une telle disparité entre les éducateurs qui, pour des raisons qui leur sont personnelles gagnent par leur silence des privilèges acceptés au détriment de l'équipe. Ce schéma d'injustice est reproduit par la directrice avec les résidents, à qui elle offre également des faveurs en espérant une reconnaissance aveugle. Mais les passe-droits sans raisons pour certains font logiquement jurisprudence pour tous, et n'ayant pas comme le personnel de dépendance salariale, les usagers ne tolèrent pas autant les inégalités et en souffrent, s'ils ne peuvent le manifester.
Dans ce souci d'apporter aux résidents le plus de liberté grâce à un droit d'expression, de regard et de décision sur les dépenses et le fonctionnement de la collectivité, l'équipe organise tous les mois depuis 2 ans une réunion institutionnelle. Cela devait être un moyen supplémentaire de solliciter et permettre l'implication, et l'appropriation de leur lieu de vie, mais les comptes rendus de ces réunions mettant perpétuellement en cause la direction, celle-ci a décidé d'y assister avec l'objectif avoué de faire taire toutes formes de revendications. La gestion des budgets repas de 3 résidents par exemple, est quotidiennement reprochée à leur éducateur, qui ne peut comprendre et donc expliquer la disparité de ce qui est alloué à chacun, car cela peut aller du simple au double. A ce sujet, lors d'une réunion devant la chargée de mission travaillant pour le projet institutionnel en accord avec la nouvelle loi 2002, et le lendemain devant le comptable, la direction a élevé en principe éducatif l'inégalité que l'on retrouve dans le monde ajoutant que c'est du ressort de l'éducateur de le faire accepter et non du sien.
La nervosité permanente de Mlle "N" génère des conflits, dans lesquels elle semble se complaire, car, même dans ses rares moments de plaisanteries, elle imposera à l'autre sous couvert d'un humour qu'elle dit être au 3ème degré, des défauts humiliants et risibles à ses seuls yeux. Les seuls moments où son ingérence est réduite sont quand elle trouve, sans distinction, une personne prête à écouter longuement ses critiques faites sans discrétion, sur l'incapacité de "son" personnel et des autres. C'est ainsi que des paris sont faits avec les usagers de la structure sur le devenir professionnel de tel ou tel employé ; que les résidents, déstabilisés, nous confient bien avant la direction, les reproches qu'elle nous faits.
Cela peut être une menace de licenciement pour avoir raté un hachis ou ne pas avoir nettoyé une table en dehors de ses heures.
Un agent d'entretien a été accusé devant les résidents et le personnel, de voler de l'essence. L'ayant appris d'un usager, l'appel téléphonique de son avocat a permis de mettre fin à des soupçons non vérifiés.
Une éducatrice qui, malgré la véracité des preuves impliquant un usager, endosse tous les soupçons depuis un vol commis durant son temps de travail. Suite à cela, le retrait dès le lendemain des clés de 3 bureaux aux éducateurs, et non pas à certains résidents, a également contribué à renforcer l'idée que l'équipe n'est pas digne de confiance.
En échange de certains services, la direction incite constamment les résidents vers "une délation" qui nourrira ses futurs reproches. C'est par ce "bouche à oreille" qu'un éducateur s'est vu, par avertissement oral, menacé de licenciement pour avoir fait pour 20 personnes, un surplus de 100 à 150 g de viande.
La direction implique en permanence une tierce personne qui l'oblige à sévir ou à agir de telle ou telle façon.
C'est ainsi, qu'afin d'entraver une initiative de l'équipe amenant indirectement la directrice à payer ses repas, elle a accusé le directeur du C.A.T attenant de faire au sein de son restaurant de la discrimination envers nos résidents. Monsieur "G" s'en est plus tard défendu en signalant par ailleurs qu'il ne comprenait pas pourquoi ces personnes ne venaient pas manger à l'endroit prévu à cet effet.
Pour une quelconque absence maladie, Mlle N peut nous confier que l'une ne reviendra plus car atteinte d'un mal incurable et l'autre d'une déficience profonde !
Les retraits de primes sur notre salaire sont légion et provoquent un stress supplémentaire lors de la demande de ce qui est dû, et engendre toujours une discussion et une remise en cause du mérite.
Une résidente en fauteuil roulant vivait depuis 4 ans dans une cave, réaménagée en studio, où des escaliers raides comprenant une vingtaine de marches l'obligeait à être dépendante pour la moindre sortie. Après des années de réclamation cette jeune femme fut "déplacée" dans une autre cave, mais plus petite et plus obscure. N'ayant dans ses 15 mètres carré (comprenant la cuisine et une douche) la place pour se retourner, elle manifesta à nouveau son mécontentement en espérant être enfin correctement logée. Interrompue depuis des mois dans son projet d'autonomie, elle est depuis de retour au foyer, où réprimandes et punitions de sorties sont courantes. La seule réaction de la direction a été la recherche par interrogatoire, de l'éducateur responsable d'avoir fait uniquement son travail qui est d'aider une résidente à s'exprimer.
Les exemples de dysfonctionnements sont trop nombreux, et c'est dans un souci de ne pas se focaliser sur ce qui peut apparaître comme des détails, mais qui mis bout à bout forment un contexte de travail ou de résidence, plus qu'intolérable, que chaque membre de l'équipe tient pour disponibles ses signalements personnels et à tout moment vérifiables."

De quelle façon, cette souffrance au quotidienne est-elle évacuée par les résidents et les formateurs ? Un champ d'exploration ethnographique s'ouvre aux observations. Dans quelles mesures, ces lieux nous sont-ils ouverts ? Il demeure encore de nombreuses questions non résolues.



Quelques espoirs !

Des C.A.T se regroupent pour favoriser le passage en milieu ordinaire pour faciliter la sortie des travailleurs handicapés en centre d'aide par le travail (C.A.T) vers le milieu ordinaire et assurer leur suivi en entreprise, telle est la mission que s'est fixée Delta Insertion, un service à l'initiative de plusieurs C.A.T des Hauts-de-Seine. A vocation départementale, cette cellule vient répondre à un besoin que les C.A.T ne peuvent pas satisfaire : l'accompagnement dans l'emploi des travailleurs devenus salariés.
Un autre questionnement c'est opéré en nous après ces révélations autour du cas "Carole", il concerne l'évaluation de ces pratiques dans un "micro contexte", en d'autres termes que faire de ces observations ? Nous avons trouvé une réponse chez Michel Crozier quand il souligne que "si la première attitude du chercheur est bien celle du questionnement général de la réalité à partir une position d'extériorité, celle-ci ne lui fournit aucun critère de jugement, aucune base normative lui permettant d' "évaluer" des pratiques qu'il observe. Il faut donc parallèlement qu'il se garde de tout "ethnocentrisme". Il n'y a pas de "one best way" ni, à plus forte raison, une rationalité extérieure au champ qui puisse reprendre à son compte comme allant de soi. Car il s'agit pour lui non pas d'évaluer, voire de critiquer, les pratiques observées, mais de les comprendre. Si aberrants, contradictoires et dépourvus de sens qu'ils lui paraissent de prime abord, il sait - c'est là le postulat heuristique de base qui commande toute sa démarche - que tous les phénomènes qu'il observe ont un sens et correspondent à une rationalité à partir du moment où ils existent. " 
En effet, c'est une réalité difficile, que nous avons décrite pour l'ajouter aux situations de handicap au quotidien. Aucun jugement ne peut être porté. C'est un constat.
Pendant notre rencontre fin juillet 2005. Nous reparlons de Carole avec Patrice Guillaumet Nous venions de faire le point sur la mise en place d'un colloque sur "Corps et différences" à l'université. Aux toutes dernières nouvelles, la jeune femme revient aux ateliers d'expressions ! Un changement de direction semble avoir levé certains problèmes mais son témoignage direct ne pourra plus se faire dans la temporalité et l'espace de cette recherche. Les difficultés rencontrées, les limites méthodologiques ainsi que les concepts mobilisés, en font un cas intéressant, que nous voudrions reprendre dans l'avenir.







Récit no 15 : À propos de Marie : "Certains ont oublié de m'écouter !"



Qui mérite plus qu'elle pour sa prestation de tous les jours, le vocable de performance ? C'est une véritable histoire de vie qui interroge la place du handicap invisible que constitue la surdité /"surditude" comme la nomme l'association U.R.A.P.E.D.A sur son site Internet. Marie, que nous observons depuis 1993 au collège, que nous avons suivie plus directement au lycée de 1997 à 2000 en tant qu'enseignant, nous livre une partie de son parcours de vie. Elle rentre à présent en master à l'université munie de sa licence "durement, mais fièrement acquise". Rien ne fut facile, rien ne fut donné.

J'ai fait les premiers pas avec l'implant !

Marie nous a envoyé deux curriculum vitae distants entre eux de quelques années. Le premier m'est parvenu directement, alors que le second fut présenté lors d'un colloque à Nancy en 2002 où elle va parler de ses progrès devant les associations qui promeuvent le langage parlé complété. Le second m'a permis d'être informé sur l'évolution de ses activités.
"Je m'appelle Marie, je suis née en 1982 en Lorraine (elle a donc 23 ans à l'heure ou nous écrivons ce récit). Je suis célibataire, j'ai deux frères.je suis "sourde de naissance" mais en intégration dans un milieu scolaire normal. J'ai en outre une bonne connaissance du langage parlé complété, le L.P.C ainsi que de la langue des signes française (L.S.F)."
Elle participe grandement aussi aux mouvements associatifs et sportifs de sa région aussi bien en tant qu'athlète, qu'en tant qu'animatrice pour enfants sourds ou entendants.Voici maintenant sa présentation ainsi que son témoignage devant les auditeurs du colloque en 2002.
"Je m'appelle Marie F., je suis sourde profonde et j'ai 20 ans. Je suis actuellement étudiante en S.T.A.P.S en première année de D.E.U.G à la faculté de Metz.
Toute petite, j'ai appris le L.P.C en imitant mes parents, c'est ainsi que j'ai acquis mon français. Je connaissais très peu la L.S.F. Je fais des études en milieu scolaire en intégration depuis l'âge de 2 ans !
Les dernières années de maternelle et les premières années de primaire, j'ai eu de la chance d'avoir deux institutrices volontaires qui ont appris le L.P.C et qui m'ont aidée pour les études. Par la suite, je n'ai plus eu de codeur en classe, mais j'ai dû développer la lecture labiale grâce au L.P.C. Certains camarades de ma classe me servaient parfois de relais.
Au collège, j'ai fait les premiers pas avec l'implant. J'ai été opérée en décembre 1992 et implantée en février 1993. Je me suis rendue compte que le L.P.C. m'aidait beaucoup à analyser les signes que je percevais. Mon élocution, à ce moment-là, s'est améliorée petit à petit.
Au lycée, j'ai eu de la joie d'avoir, pour la première fois, une codeuse en cours de Philosophie : ma mère, à la demande de mon professeur, qui venait coder le cours, les conversations entre le professeur et les élèves. Son aide a été bénéfique, même si c'est un peu difficile de comprendre la philosophie ! Si elle n'était pas venue en cours, je [me] serais perdue au milieu de conversations impossibles à suivre et recalée au baccalauréat ! Par bonheur, j'ai obtenu mon bac scientifique en 2000 grâce aux aides de la part de mes enseignants, des professionnels, de mes camarades, de ma famille et à ma volonté de réussir.
A la faculté depuis septembre 2000, j'ai complètement changé de méthode de travail. J'ai bénéficié en tant qu'étudiante handicapée des aides proposés par la commission handicap à Metz. C'est surtout l'union régionale des associations de parents d'enfants déficients auditifs de Lorraine (U.R.A.P.E.D.A) qui [me permet d'avoir] une preneuse de notes, des photocopies gratuites, et pour la "première fois de ma vie", une codeuse professionnelle. Cette dernière, M.-A. G. intervient aujourd'hui presque à tous les cours.
A l'exclusion de mes études, j'ai fait d'autres activités que sportives. À 17 ans, et pour la première fois, j'ai abordé l'étude de la L.S.F avec l'U.R.A.P.E.D.A, mais je n'ai pas eu souvent l'occasion de rencontrer les sourds. Depuis ce moment-là, j'ai essayé de les rencontrer en stage de L.P.C, en colonie de vacances où je suis animatrice, aux rencontres organisées par les associations... Plus je les fréquente, plus j'enrichis mon vocabulaire en L.S.F [et ce] le plus souvent possible, ce qui rend la conversation avec les sourds possible.
En conclusion, pour ma part, le L.P.C est une aide à la lecture labiale ainsi qu'à la parole, car avec ou sans implant, je n'arrive pas à comprendre la totalité des paroles uniquement avec la lecture labiale. Avec le L.P.C, je comprends tout !
Mon élocution reste encore incompréhensible pour certaines personnes qui ne me connaissent pas. J'éprouve encore des difficultés à prononcer sans L.P.C et ce code accompagne [toujours] mes paroles.
Franchement, je pense que sans L.P.C, je ne serais pas à la faculté même si je ne peux pas exclure la L.S.F car c'est une langue universelle et puis, car je ne veux pas couper tous les ponts ni avec les sourds, ni même avec les entendants. Cela fait partie de mon identité, l'identité d'une personne sourde vivant dans l'ambiance ordinaire, et c'est aussi l'identité d'un être humain avide de communiquer et de nouer des liens avec les autres malgré les différences. J'utilise donc trois moyens de communication : l'oral, le L.P.C et la L.S.F !
Je suis actuellement en 2ème année de D.E.U.G S.T.A.P.S à l’Université de Metz. Mes résultats de première session sont plutôt positifs mais je ressens actuellement une réelle difficulté dans le travail et dans les relations entre certaines personnes et moi même. J’espère cependant obtenir mon D.E.U.G en un an.
J’ai un projet professionnel de plus en plus précis, car la dernière colonie a été déterminante pour mon avenir.
Je ne regrette pas d’avoir suivi la formation du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (B.A.F.A) pour y vivre une expérience intéressante auprès des enfants handicapés ou non. D’ailleurs, j'ai fait un stage à l'Institut National des Jeunes Sourds (I.N.J.S) de Metz sous la direction de M. G. jusque fin mai 2004 consistant en une séance d’E.P.S par semaine avec une classe de C.M.2 (8 élèves sourds âgés de 10 à 11 ans) avec une pratique en L.P.C ou/et en L.S.F. Cette expérience fut très enrichissante pour moi car cela concerne mon vécu et mon avenir à la fois. J’espère pouvoir la continuer jusqu’à ce que je trouve un poste de professeur [pour enfants] sourds dans un institut."






Devenir professeur d'E.P.S. pour enfants sourds !

Marie nous a envoyé depuis 2001 plus de dix sept courriers accompagnés d'une multitude de données. Elle nous a fait parvenir sa méthode, ses acquis pour aider à mieux comprendre la surdité dans "La machine école". Elle a repris sur des tableaux l'ensemble de son bilan scolaire du primaire à l'université.
"Les enseignants, depuis les années 1988, ont tous fait des efforts, ils ont tous eu des démarches particulières pour m'aider mais certains ont oublié de "m'écouter", n'ont pas pensé que moi aussi, j'avais à dire ou à demander des choses…Mais le bilan de mon intégration est tout à fait positif.
Durant toute ma scolarité, je me suis sentie à l'aise dans certaines activités grâce à mon intégration positive et à mon travail. L'E.P.S est en général, un cours agréable et qui m'a aidé à progresser dans mes problèmes d'équilibre. Ma méthode orale par la lecture labiale, pour comprendre les consignes, plus des écrits de renforcement (feuilles imprimées et communications écrites), m'ont beaucoup aidée à progresser dans le sport."
La motricité humaine sous toutes ses formes, (le sport de compétition, les activités de loisir, l'éducation physique et sportive, etc.) est au centre de sa vie parce qu'elle représente son projet pour l'avenir. En effet, elle voudrait devenir professeur d'E.P.S. pour enfants sourds. C'est aussi notre métier de base et naturellement il est devenu le lieu de notre rencontre avec Marie.
C'est grâce en partie aux notes d'E.P.S qu'elle a obtenu son diplôme du baccalauréat. Et c'est justement ici que se situent le paradoxe et toute l'ambiguïté de cette histoire de vie. Cette discipline motrice aurait pu lui coûter très chère alors qu'elle l'avait fortement investie, étant donné, qu'elle désirait en faire son futur métier, c'est-à-dire professeur de sport pour jeunes sourds ! Les mêmes difficultés faillirent se produire à l'université par manque de connaissance ou simplement par rigorisme administratif intransigeant. Pareillement à Roland notre professeur sourd, le sport est pour elle aussi bien une source d'équilibre, qu'un repos mental dans la mesure où ces codes sont facilement compris par tous, partout et enfin un "catharsis" au sens ou l'entendait Aristote dans l'harmonie de sa vie interne, du regard spectateur des autres, des petites "tragédies quotidiennes" qui coûtent tant dans les économies psychiques des êtres en situation de handicap.

Des sourds profonds ou cophatiques comme moi ! ...

"Il me semble que pour bien mener à l'intégration, les sourds profonds comme moi, il faudrait une information spécifique des difficultés des sourds profonds ou cophatiques comme moi en éducation physique ou en d'autres disciplines d'ailleurs."
La surdité reste un handicap "à part" parce ce qu'il ne se voit pas et que ses incidences sont difficilement mesurables d'où la nécessité d'informer.
Nous avons inclus, dans cette partie plus axée sur la " déficience" de Marie, un rappel sur les troubles moteurs des élèves sourds pour situer leur "performance". Dominique T., orthophoniste à l'Institut d'éducation de la surdité (I.E.S) de Thionville, nous a aimablement fourni une synthèse sur les problèmes liés à la surdité, lors de la rencontre en juin 2000, Nous avions évoqué avec tous les acteurs de l'institution scolaire les" problèmes "de Marie pour son évaluation au baccalauréat. Cette synthèse est issue des cours ainsi que du livre du professeur J.-C. Lafon sur la physiologie de l'audition et les enfants déficients auditifs.
C'est aussi à la demande de Marie que nous nous permettons de reproduire cette information. Elle nous en avait fait part lors de l'envoi de son bilan scolaire. Le savoir à transmettre est capital pour elle, en voici donc un résumé.
"On a tellement l'habitude d'utiliser l'oreille pour capter la parole qu'on pense que la parole n'est qu'acoustique et que l'audition n'est que communication. En fait, l'audition a une toute autre dimension dans notre développement psychophysiologique.
C'est d'abord la fonction d'alerte. Notre vigilance est amorcée par le son beaucoup plus souvent que par d'autres sensations. L'oreille reste ouverte jour et nuit. L'enfant sourd est habitué malgré lui à ne pas s'alerter à des sons qu'il ne perçoit pas. Il ne dispose pas de cette fonction d'alerte acoustique, il doit la remplacer par la vision. L'enfant sourd explore "à la vue" son environnement.
Il est donc obligé de forcer sa vigilance, faute d'alerte permanente. Il devient de ce fait distrait fréquemment, il lui est plus difficile de fixer son attention de façon continue. Il a besoin d'un milieu sécurisant, de quelqu'un qui soit pour lui le garant de l'alerte, d'un environnement stable, sans surprise, pour maintenir son attention à ce qu'il fait.
C'est ensuite la fonction de direction. Lorsqu'un bruit survient, nous levons la tête et nous nous orientons vers l'origine du son pour en connaître le sens. L'oreille indique donc la direction, fonction d'une audition binaurale (des deux oreilles).
Cette réaction d'orientation - investigation se construit dès la première quinzaine de la vie. En cas de surdité unilatérale, l'alerte reste bonne, mais la direction est altérée : il est difficile de reconnaître d'où vient le son.
En ce qui concerne la perception du temps et structure de l'espace : tous nos sens captent des lieux qui nous entourent, en particulier la vision et l'audition. La vision donne la perspective, l'audition, la distance.
Les bruits et les sons existent partout. Nulle part, il n'y a de silence. Nous avons donc perpétuellement une image acoustique de notre environnement sous forme de réverbérations multiples et d'échos.
C'est pourquoi l'aveugle est moins gêné qu'on ne le croit dans l'espace, à condition qu'un bruit intense ne vienne pas masquer les réverbérations et les échos.
Mais réciproquement, le sourd perd une grande partie des informations de l'espace, en particulier la distance qu'il ne peut apprécier que par la vision. L'image du monde extérieur est amputée de ses traits acoustiques, ce qui le rend "plat", avec une perspective sans profondeur, sans volume, parce que cette traduction ne peut se faire qu'acoustiquement.
Les sensations visuelles et auditives sont totalement coordonnées en une seule image. Ces images se construisent, dans la toute première enfance, associées à l'expérience du déplacement dès la première reptation.
L'oreille interne est le siège des récepteurs de l'audition et de l'équilibration (dans le labyrinthe membraneux).
A partir de ce labyrinthe, il y a deux voies : les voies vestibulaires (pour l'équilibre), les voies acoustiques (nerf auditif ou acoustique-vestibulaire, si l'audition est atteinte au niveau interne, beaucoup d'enfants souffrent de problèmes d'équilibre ou vestibulaires).
Dans l'oreille interne, se trouvent deux organes importants : un organe de la statique et de l'équilibre du corps et, un organe de l'audition.
L'oreille est l'horloge du temps. Les fréquences perçues par l'oreille sont des énergies acoustiques marquées par des impulsions qui se répercutent dans l'oreille interne, au niveau de la cochlée, dans les liquides de l'oreille interne et qui donnent des sensations de hauteur et de timbre. Ces intervalles entre les impulsions constituent la base de la sensation de rythme. D'où la difficulté chez l'enfant sourd, sans restes auditifs, de percevoir la notion de hauteur, de timbre et de rythme par manque d'informations de ces impulsions au niveau de la cochlée. Donc les difficultés psychomotrices, chez l'enfant sourd, sont liées à une mauvaise structuration perceptive.
Dès le premier âge, l'enfant ayant une déficience auditive importante ne peut ainsi construire son rythme et son mouvement comme le fait l'enfant entendant.
Un handicap dans ces domaines sensoriels ou moteurs se répercute dans la structuration, la mémorisation, l'organisation motrice des rythmes. Les activités de manipulation d'exploration, de déplacements, de locomotion sont choisies en référence aux fonctions de l'audition : elles ont d'importantes implications éducatives et pédagogiques : la fonction de vigilance, la connaissance de ce qui nous entoure, la notion d'environnement et de distance des objets, la perception du temps et l'organisation motrice ; ainsi que la régulation motrice.
La préparation d'une action est conçue comme relevant d'une anticipation opérée par le sujet, sur la base d'informations spatiales et proprioceptives par exemple : le jeu de quilles, ce jeu d'adresse qui requiert différentes compétences (une bonne coordination visuomotrice, une précision du geste, le réglage du lancer en fonction de la distance.
Il existe une difficulté peu connue même dans la profession : ce sont les problèmes de souffle chez l'enfant sourd. Pour l'entendant, la traduction du souffle est acoustique : respiration, voix, sifflet.
Mais cela ne concerne pas l'enfant sourd, d'où une prise de conscience beaucoup plus tardive que chez les enfants entendants. Il apparaît donc un retard de développement psychomoteur par exemple un retard de l'apparition de la marche. Ce retard est lié au manque de stimuli sonores.

...immergée dans les études !

Nous avons repris quelques unes des réflexions des enseignants interrogés lors des entretiens sur la question des problèmes liés à l'évaluation de Marie au lycée dans la discipline E.P.S. On y trouvera, depuis les années secondaires, des thèmes qui recoupent souvent notre approche du handicap à l'école : le rôle de l'équipe et du projet pédagogique, l'intégration, la solidarité autour des jeunes handicapés, les difficultés au quotidien, le courage, l'effort double, …On donnera la parole à trois de nos collèges, puis à l'ensemble de l'équipe qui a effectué le commencement de l'intégration de Marie. Les départs sont toujours une phase délicate. L'équipe, selon les possibilités de chacun, a voulu laisser une trace d'un "certain savoir faire" pour l'avenir. Enfin la parole reviendra à notre jeune étudiante qui découvre à l'université de nouveaux combats à mener ! Rien n'est jamais acquis ! On recommence tout à l'instar des débuts !

"C’est normal que l’équipe a failli "éclater" car il n’y a pas de projet. S’il existait un projet bien réfléchi c’est un handicap si on peut le classer sur l’échelle, qui serait au plus haut niveau mais il reste d’autres handicaps. Des jeunes avec des handicaps moins voyants (Obésité, maux de dos, asthme ...) qui se font dispenser. Marie est aidée par une maman qui l’a bien suivie, qui est dans la discipline. Si on avait un projet où l’on parle de l’élève et pas seulement un projet centré sur des activités physiques et sportives (A.P.S) Qu’on analyse tous les élèves qu’on touche, on verrait que beaucoup d’élèves ont un "handicap". Ce qui nous permettrait de mettre en place une évaluation en fonction des moyens de chaque élève, ce serait d’avoir des échelles qui prendraient en compte les handicaps. Le cas de "Marie" a mis autant de gêne dans l’équipe car les repères des personnes dans l’équipe, c’est la performance et le sport. Dans l’équipe on entend, c’est comme les maths, on réussit on a vingt, on ne réussit pas, on a zéro !
Or l’originalité de notre profession c’est de pouvoir s’adapter au profil de l’élève. Que chacun puisse faire en fonction de ses possibilités.
Certains pensent que l’élève doit bouger, faire sa propre performance personnelle en fonction de ses capacités, d’autres pensent que l’élève doit agir par rapport à un barème pré–établi. Ce qui fait que "Marie" même en y mettant toute sa bonne volonté ne pourra avoir qu’une note moyenne". (Entretien avec F. G, 1999-2000).
"Je suis très gêné de la façon dont on a parlé du handicap de Marie. En essayant de donner un "pourcentage supérieur" par rapport à son handicap. Le mieux, c’est le cas par cas. Légiférer semble impossible. Une sourde en terminale, c’est très rare. Il faut récompenser ses efforts.
De part ses difficulté au niveau des échanges. Marie a besoin de "feed back" beaucoup plus fréquents qu’il est impossible de mettre en place avec une classe de 30 élèves qui foncent. Le professeur est coincé entre celui qui va avancer… Le professeur doit faire un choix. Le handicap social ne se voit pas. Le professeur a tendance à sanctionner au lieu de comprendre et de discuter."(Entretien avec L. C, 1999-2000).
"Je vais essayer de répondre en deux mots. Je considère que le fait d'accepter la différence, comme par exemple dans la mixité, n'exclut pas de reconnaître et de mettre au point des grilles d'évaluation adaptées à celles-ci (par exemple un but de fille vaut 2 points, etc. et chaque élève le comprend aisément) si l'objectif est de faire vivre ensemble des gens différents. Il ne peut y avoir égalité dans leur performance motrice à proprement parler mais les critères doivent se baser sur la volonté ou la capacité à vivre ou faire vivre cette différence, à l'accepter, à la reconnaître et donc à dévoiler ses propres incapacités, manques et inaptitudes.
Le handicap en tant que tel n'est qu'une exacerbation des différences entre individus, entre le maigre et le gros, le lent d'esprit et l'hyperactif, le "bigleux" et le distrait. Accepter le handicap c'est aussi prendre en compte ces différences là, et, dépasser le résultat pour se donner comme objectif : "le faire ensemble, le partager, et le réaliser qui sert de feed-back positifs." (Entretien avec P. K, 1999-2000).
"Préparer Marie quand on change de sujet ou de contexte. Les prises de notes posent des problèmes donc il faut lui préparer des fiches de consignes, d'exercices, … Certains enseignants proposent de photocopier une partie ou l'ensemble de leur cours. Une autre possibilité s'offre à Marie c'est de recopier le cours sur un camarade sérieux. En cas d'utilisation de la vidéo comme support de cours, il faudrait penser à lui préparer le commentaire par écrit ou en tout état de cause, au moins l'essentiel.
Lecture : laisser le temps à Marie d'avoir pris connaissance du texte avant de passer au commentaire.
Le tiers temps supplémentaire : Marie y a droit lors des examens. Il n'est pas toujours facile en classe, lors de devoirs, de lui accorder ce temps supplémentaire. Parfois même elle n'en a pas besoin. Le modèle est pour elle une référence qu'elle reproduit très bien.
Enfin, son niveau linguistique est bon, cependant, on ne la comprend pas. Elle maîtrise les règles de grammaire mais parfois fait des erreurs dans leur application car le français est appris comme une langue étrangère. Des problèmes se posent quant à la structure des phrases complexes. Des mots simples sont compris oralement car Marie les prononce très bien. Les exigences des enseignants, leur façon de noter sont les mêmes que pour les autres élèves. Il faut à Marie du recul sur le sujet pour mieux le comprendre et revoir ce qui a été fait, à l'égal des autres élèves. Par contre, elle suit les consignes avec plus d'assiduité que ses camarades de 3ème et tient compte des remarques pour progresser, ce qui lui est très bénéfique." (Entretien avec l'équipe pédagogique, 1993-2001).
Nous ne sommes pas sûr du tout que l'ensemble de ces savoirs se soit répercuté d'une équipe d'enseignant à une autre (ni sur la même année, ni en relais pédagogique pour l'année suivante) étant donné les déperditions entre les structures institutionnelles et les cursus scolaires. Peut-être faudrait-il chercher de ce côté les moyens de faire bénéficier à tous de l'expérience de certains, à fortiori lorsqu'il s'agit de progresser dans des situations de vulnérabilité.

Marie dans un entretien par Internet du 28 octobre 2001 me brosse un tableau sur sa situation générale de la faculté face à ses problèmes.
"Bon, parlons de ma situation sérieusement ! Je suis encore en 1ère année S.T.A.P.S car je n'ai obtenu que 9.3 ou 9.4 de moyenne générale et il restait huit places devant moi pour être admise ! Bon, je vais essayer de faire mieux car j'ai une interprète en L.P.C qui vient tous les matins sauf le mercredi, cette année. Ca m'aide beaucoup dans mes révisions. J'aimerais faire une remarque à propos de cette interprète. L'année dernière, je n'ai réussi à l'obtenir que pour deux heures par semaine pendant cinq séances et le reste du temps, je me suis débrouillée pour comprendre les cours faits par une preneuse de notes ou par Mr. G. (photocopiés). Depuis la rentrée fin septembre, j'ai rencontré des problèmes concernant le relevé des notes. Normalement, j'ai obtenu ma demi-année, c’est à dire trois modules acquis, mais reconnaissant le nouveau programme (réforme de 1ère année S.T.A.P.S en 2001/2002), les profs ont établi des nouvelles règles dont la possibilité de garder des notes supérieures à 12 pour les cours magistraux et supérieures à 10 pour les T.P et T.D. En appliquant ces nouvelles règles, je me retrouve sans module dans un nouveau programme et quelques notes à plus de 12 et de 10 et je n'ai plus ma demi année. J'ai dû "me battre" en parlant à l'un des professeur ou en écrivant une lettre au président du jury. J'ai même demandé le statut d'étudiant handicapé à temps partiel ! Quelques jours plus tard, j'ai appris que je pouvais garder des notes à plus de 11 (anatomie 11.9, anthropologie 11.5, physique 11.5) et que ma demande de statut d'étudiant handicapé a été refusé sous prétexte que j'ai déjà eu ma demi année. Ce qui est vrai car j'ai presque ma demi-année malgré les modules non acquis !). Depuis, la rentrée, je ne connaissais personne à part les redoublants et je dois chercher un nouveau preneur de notes car la fille de l'année dernière est admise en 2ème année. Un mois après la rentrée, un professeur d'histoire et d'institutions M. H. connaissait bien quelqu'un qui prend très bien ses notes et me l'a présenté à la pause: elle s'appelle Mylaine et ça tombe bien, elle est dans mon groupe A.P.S.1 ! J'avoue qu'en tenant compte de ma situation à la faculté, à propos des notes et de mon emploi du temps, j'aurai tendance à demander un rendez-vous avec le conseilleur d'orientation pour en faire un bilan et demander un dossier pour I.U.T. d’informatique au Saulcy pour la prochaine rentrée ! Mais maintenant le problème résolu, j'essaie de réussir la 1ère année et après, je verrai bien, une 2ème année ou un I.U.T. informatique. Voilà, je t'ai tout dit !"

Je ressens, là, une injustice !

"L’article sur "12 millions de Français subissent un handicap" décrit et classe de manière croissante, parmi la population, les groupes de déficiences ou d’incapacités. Il ne [donne] aucune solution pour aider le public handicapé mais provoque une réaction de Mr. Chirac et de certaines personnes concernées.
Est-ce suffisant pour améliorer la vie des personnes ayant plus de problème que les uns ? Pourquoi accorde-t-on une allocation aux personnes présentant une déficience plus grave que les autres ?
Je ressens, là, [comme] une injustice le fait que l’état puisse juger en accordant une aide à certaines personnes et [à] d’autres, non !
Je trouve incohérent que les deux premiers groupes, avec plus de 2,3 millions de Français, ne bénéficient pas des aides nécessaires qu’ont les handicapés physiques ou mentaux alors qu’ils occupent une place très importante après les handicapés de naissance ou les accidentés du travail !
D’autant plus que le taux de chômage [chez eux] est élevé, plus de 24 %, (ce n’est pourtant pas la principale cause) mais il prend une place assez large dans les statistiques. Le mépris, le regard "désolant" des personnes vis à vis du handicapé, engendrent l’incapacité de travailler donc le licenciement. Ils engendrent des difficultés pour gérer sa vie quotidienne harmonieusement (hygiène, besoins d’aides, argents…), pour trouver un travail stable, voire la misère !
A ce stade, je trouve que par rapport aux autres pays, à ma connaissance, la France a encore des efforts à faire pour le bien être de la population ! Les promesses de Mr Chirac sont loin d’être réalisées… Aura-t-il le temps de convaincre les politiciens et les citoyens à accepter les besoins réels des handicapés ou des personnes âgées ? A voir …. Mais il semble que cela commence tout doucement…"
Dans le passage ci dessus, ce sont les difficultés des autres personnes que Marie décrit à distance. Sa douleur, elle, va s'exprimer à travers des difficultés physiques dues à un travail "double" des autres. Après un tel parcours n'a-t-on pas le droit de souffler un peu ? Nous allons retrouver ses doutes, sa fatigue, ses douleurs dans des passages comme ceux-ci.
"Bonjour Mike ! Tout d'abord, je vous présente toutes mes excuses mais en ce moment je suis débordée ! J'ai reçu votre lettre pendant mes examens, et après les épreuves, je n'ai pas pu répondre à vos questions pour cause de grosse fatigue avec évidement des problèmes de santé, j'ai en effet très souvent mal au dos [dus à des] "surchargement" de travail. C'est parce que j'ai pris une décision risquée, tenter d'avoir la 2ème année en 1 an. Par contre, je vais essayer de le faire pendant les vacances dans une semaine et demie.
En dépit du "débordement" de boulot, je suis plutôt satisfaite de mes résultats de première session. J'ai pas mal de bonnes notes, enfin correctes dans la majorité des matières ! Donc j'espère avoir mon année dès le premier coup et prendre de bonnes vacances sans faire de colonies car depuis que je bosse à la colonie, je n'avais pas de vraies vacances.
Enfin, on verra bien ! Je m'interroge souvent sur mon avenir. Je suis tentée d'arrêter mes études de S.T.A.P.S et faire une autre formation mais ce n'est pas sûr. Je sais que j'aurai besoin d'avoir un diplôme à bac plus trois afin de pouvoir avoir une poste de professorat de sourd dans un institut."

Voici mes commentaires et mes réflexions ! (Plus générales !)

Marie est la plus jeune de nos interlocutrices (teurs), il était donc intéressant de connaître ses analyses, ses réflexions afin de comparer ses vécus à l'épaisseur plus fine avec celles plus épaisse d'autres situations de handicap dont elle a fait récemment l'expérience.

"A propos du temps qui passe pour les valides et les invalides. Tout d'abord, le temps est la base de la vie quotidienne. Handicapé ou valide, les sujets sont tous des "machines" réglant leurs habitudes ou capables de s'adapter, de s'exposer à des nouvelles situations.
Ils commencent toujours leur journée par le petit déjeuner et la finissent par le dîner. Entre les deux, ils s'organisent pour rendre une journée agréable, voire l'améliorer. Il est de même pour les handicapés, car ils vivent cela du jour au lendemain de façon similaire.
Puis, en gérant leur vie quotidienne, les handicapés sont obligés de se débrouiller, de devenir autonome, voire indépendants à travers les regards des autres valides. Ces derniers sont plus ou moins indépendants de leurs moyens mais certainement pas de la vie quotidienne !
L'apprentissage de l'autonomie ou de l'indépendance se fait en plusieurs étapes dès l'enfance et ça ne se perd pas aussi facilement même si la vie nous réserve toujours des surprises. Tout le monde a une arme pour cela c'est celle de combattre contre l'impossibilité, l'imprévu, voire la mort !
Les handicapés utilisent des moyens à un peu près identiques mais ils [en ont] encore plus [besoin] pour simplifier leur vie. Tout le monde est dépendant des moyens susceptibles de rendre le quotidien agréable.
Finalement, les handicapés et les valides suivent la même logique avec le même mode de vie (autonomie et indépendance) et les mêmes moyens (Internet, téléphone, voiture...). Mais le temps ne les suit pas au même rythme ce qui fait la différence entre la vie des handicapés de celle de la vie "normale".
Les handicapés ne suivent pas les valides dans les mêmes temps sociaux, c'est à dire une période envisagée par rapport à ce qui l'a précédée ou suivie. Cette période est fortement décalée pour les invalides par rapport à celle des "normaux". Dans ce cas, tout le monde […] ne suit pas sar vie au même rythme que les autres [chacun]a ses propres avantages et ses propres difficultés. Mais en ce qui concerne les handicapés, ce décalage est plus présent dans leur quotidien et aussi dans leur vie depuis l'enfance. Au niveau scolaire, par exemple, si le handicap n'est pas décelé assez tôt, l'évolution de l'enfant handicapé sera plus lente que celle de l'enfant normal; dans sa parole, pour prendre les objets et les placer dans l'ordre croissant, pour marcher, pour apprendre à écrire, à lire, à parler avec des mots difficiles ou pas...
Au niveau social, on peut devenir autonome grâce aux moyens sociaux (les aides financières, etc.) ou humains (assistantes maternelles, tierce personne, etc.) voire aux moyens matériaux (téléphone, Internet, voiture, etc.).
Ces moyens dépendent de la technologie, des allocations mais aussi des besoins des handicapés.
Aménager la voiture pour que l'homme "sans jambe" puisse conduire, cela ne se commande pas comme les valides. Il faut le temps d'aménager la voiture et d'installer la personne handicapée dans ces nouvelles dispositions. Ceci prend du temps d'où le décalage temporel. En acquérant le handicap, la personne gagne en "maturité", car elle voit tout de suite que toutes les voies ne lui sont pas accessibles, alors qu'une personne valide ne remarque rien : elle est dans la norme !
À la faculté, un groupe de six handicapés moteurs ne peuvent pas aller en cours sans qu'il y ait un ascenseur dans un bâtiment et moins encore en se rendant dans les autres bâtiments encore plus inaccessibles ! Ils perdent beaucoup de temps dans les trajets puis lorsqu'ils ont fini un cours, ils doivent se rendre à un autre cours, ils prennent environ vingt à trente minutes pour y parvenir sans compter les difficultés pour circuler dans les couloirs, les salles étroites. Ils doivent faire un effort "surhumain" pour rendre leur vie plus agréable, ce n'est pas facile pour eux tous les jours ! Donc il existe un vrai décalage "spatio-temporel" par rapport aux valides.
Autre exemple. Une personne sourde ou aveugle attend les notes d'une preneuse de notes mais celle-ci doit faire des photocopies et souvent la personne handicapée les reçoit deux à trois jours après. Elle est alors en retard dans les révisions par rapport aux valides ! Décalage temporel dans les études mais aussi dans le monde du travail.
Il est difficile pour un handicapé de trouver un travail adapté à lui ! Beaucoup de personnes valides responsables dans une entreprise refusent d'employer un handicapé sous prétexte qu'il ne peut pas travailler dans les bureaux... Il est vrai que "la charte du travailleur handicapé" protège la personne invalide mais elle met quand même beaucoup plus de temps pour trouver un travail qu'un valide. De plus, ce sont les handicapés, les premières victimes du chômage.
Enfin, les handicapés suivent leur quotidien, leur vie à leur rythme. Donc incompatible avec ceux des valides, ce qui crée les inégalités scolaires, socioprofessionnelles, et sociales. Chacun ne se développe pas au même rythme avec les mêmes normes. Malheureusement, l'école fonctionne avec les mêmes normes pour tous.... En gros, le temps n'est jamais identique pour tout le monde même entre les invalides et les valides. La société ne doit quand même pas laisser à la traîne les gens en difficulté. Une société "évoluée" doit prendre en compte nos différences.
Mes réflexions et mes impressions sur l'histoire de Mino qui attend la mort. "Mino", de son vrai nom Dominique Knockaert, est une femme handicapée, elle a vécu toute sa vie dans son fauteuil roulant et voit ses capacités décliner. Elle demande en vain à la justice française de lui autoriser à utiliser l'euthanasie car elle a choisi de mener son combat contre les mépris du système français. Elle a raison de réclamer la reconnaissance de "cette utilisation" dans notre pays : elle veut montrer qu'elle n'est pas dupe ! Elle réussit des études de lettres malgré son handicap ! La société française préfère garder les handicapés, même les plus délicats, en vie avec peu de moyens accordés alors qu'ils souffrent le plus. Mino déteste "ne rien faire" car pour elle, être handicapée à 100 % signifie handicapée à vie, incapable du moindre mouvement, gestes... Mais c'est aussi être "exclue" du système qui ne veut pas d'elle, l'interdiction de passer un C.A.P.E.S de lettres dans le public, en constitue un bon indicateur. Elle n'a plus le goût de vivre longtemps sous cette forme, ses capacités déclinant petit à petit...
Sa maladie remonte à sa naissance et ce n'est ni la faute de sa mère, ni de personne. Peut être si un médecin avait été présent à sa naissance, il aurait pu la sauver. L'autre médecin ne s'est pas aperçu du handicap de Mino et ment en disant qu'elle pourra (re)marcher un jour. Bien sûr, il peut s'agir d'une erreur humaine mais de là à cacher la vérité aux parents, à ignorer Mino, c'est grave. Cela peut causer des problèmes comme une dépression ne trouvant pas d'autres issues pour survivre dans la société, [la maladie arrive]. Ce qui est révoltant, c'est que la société ne fait pas assez attention aux handicapés. Elle préfère fermer les yeux en laissant les handicapés [dé] périr petit à petit ! C'est le cas de Mino, son cerveau fonctionne bien mais pas son appareil locomoteur. Si Mino a acquis de telles capacités intellectuelles, c'est parce que ce sont ses seules armes pour lutter contre la société qui est incapable de donner aux handicapés une seconde chance. Par exemple, Mino avait envie de passer son C.A.P.E.S de lettres, elle aurait pu très bien enseigner avec l'aide d'une personne qualifiée. Cela lui donnerait le goût de vivre pour gagner sa vie même si elle devait être de plus courte durée. Autre exemple, si Mino n'a plus aucune passion à vivre, si elle ne trouve plus d'autres moyens que de voir le temps passer sans bouger, si elle ne veut plus rien faire de sa vie ; elle sera "un obstacle" pour sa famille qui doit se sacrifier pour s'occuper d'elle au prix de bas revenus, de salaires du genre S.M.I.C ! Dans ce cas là, le seul moyen "d'arrêter" les souffrances, c'est aider le malade à partir, à mourir en paix. A qui la faute ? A Personne ! Mais le monde a changé, les français sont favorables à l'euthanasie mais les classes politiques (justice y compris), non !
C'est toujours la loi du plus fort qui gagne en laissant les plus faibles mourir dans "d'atroces" souffrances. Comme les mentalités ont changé, les lois ne sont plus adaptées à tout le monde : les politiciens (et la justice) se voient obligés de se plier à la demande du tiers et de suivre leur évolution. Nous sommes en démocratie ! Ceci dit, les politiciens doivent prendre [en] compte des demandes des handicapés et réfléchir à propos de l'euthanasie et [de] ses conditions. La société ne répond pas à toutes les formes de handicap.
Mon avis est que "j'accorde" à Mino le droit de mourir comme elle le souhaite depuis plusieurs années. Elle a beaucoup plus souffert que les autres, y compris sa famille qui a aussi beaucoup souffert. Imaginons qu'un jour, j'ai un accident de voiture et à mon réveil, je me retrouve tétraplégique, avec dans l'incapacité totale d'utiliser mes membres, mes moyens de communication (en plus ma surdité !). Comment vais-je communiquer avec ma famille ? Même avec les yeux, c'est long et difficile à déchiffrer et si mes yeux ne sont plus en bon état avec des mouvements de l'iris, des clignotements ? Comment puis-je vivre en toute indépendance comme je l'ai fait [jusqu'ici] ? Je n'appelle pas cela vivre et c'est contraire à ma personnalité ! Sauf si les moyens technologiques permettent une réelle avancée, peut-être qu'en dépit du prix, j'accepterai de vivre cela ... Mais pas de la façon actuelle ! Je trouve que ma surdité est déjà un handicap bien lourd, bien difficile à gérer. Cela me suffit !
Sur les mères aveugles courageuses mes réflexions et mes impressions. Le texte sur les "mères aveugles" m'a choqué car je trouve normal qu'un aveugle ait un enfant mais pas la réaction de la part des autres. Prenons l'exemple de la famille de Jacques Bouvart, elle est contre l'avis d'avoir un enfant sous prétexte que Chabba, sa femme aveugle, est handicapée et algérienne !
Etre mère c'est presque inné pour un humain. Ca marche pour les valides, alors pourquoi pas pour les handicapés ? Tout le monde a [le] droit d'avoir des enfants. Il ne suffit pas de voir et d'entendre le bébé, mais le toucher, c'est l'essentiel. Toutes les mamans le font, alors les aveugles peuvent le faire aussi ! N'oublions pas que toute personne handicapée démunie d'une ou plusieurs facultés en développe d'autres. Par exemple, moi qui suis sourde, j'ai développé d'autres sens que l'ouïe. Je repère vite "les intrus" dans un casier rempli d'objets habituels (craies, stylos....) ou j'arrive bien à monter une chaise à partir d'un plan incompréhensible pour la plupart... En tenant compte de mes performances, il est logique que les aveugles développent plus l'ouïe, le toucher, le goût et l'odorat que la vue. C'est ainsi comme ça qu'ils sont capables de deviner les différents bruits qui se trouvent autour d'eux, etc....
Bien sûr, le matériel pour les voyants n'est pas adapté aux aveugles (biberon, température, donner les médicaments, etc....), mais la société peut faire quand même des efforts en inventant ou en bricolant quelque chose. De plus, les aveugles exercent en général un métier bien plus élevé que les sourds ou les handicapés moteurs congénitaux. Ils peuvent devenir juges, avocats, kinésithérapeutes, professeurs et ils peuvent de ce fait nourrir sans problème une bouche de plus ! Ils ont moins de problèmes que les sourds pour poursuivre leurs études.
Je pense aussi qu'avoir un enfant en tant qu'aveugle n'est pas une tâche facile mais les aveugles ont lutté pour avoir un métier, une place respectable dans la société mais ce n'est pas tout à fait le cas pour tous !. Alors, ils continuent leur combat aux côtés de leurs enfants.
Avoir une mère aveugle ne perturbe pas les enfants, au contraire, ils comprennent vite ce qui est arrivé à leur mère et prennent des responsabilités plus tôt en verbalisant, guidant, développant des réflexions, prenant la défense des aveugles, etc. C'est un point fort des enfants d'aveugles par rapport aux autres quant à l'appréhension de l'avenir...
Avoir un tel enfant est une victoire en quelque sorte pour les parents aveugles. Ils montrent qu'ils peuvent faire cela malgré les préjugés sociaux, qu'ils ont su se débrouiller avec leur bébé. Je trouve cela extraordinaire mais révoltant parce que la société ne les aide pas à aménager l'environnement pour élever leurs enfants. Je félicite aussi Edith Thouveille, puéricultrice [de son état], qui a eu l'idée de créer un groupe pour les mères aveugles à Paris. Il faut faire pareil dans toute la France !
Marie à propos des révoltes, des cris de revendication. Personnellement, je n’ai recours seulement qu’à l’allocation handicap en raison de mon âge car je suis encore étudiante donc je n’ai réellement pas été confrontée à des problèmes que rencontrent les handicapés. Par contre, d’après les textes et mes rencontres avec les adultes handicapés, le vrai problème des handicapés se cache derrière les préjugés "des hommes valides".
En effet, le handicap est encore ignoré et les patrons préfèrent "ne pas gaspiller" le budget au profit de l’entreprise et de confier un poste à une personne "normale" mais moins qualifiée et non à une personne handicapée mais qui a des compétences avérées ! Face à cette situation, il est facile d’embaucher un employé "normal" afin d’économiser quelques centimes d’euros…
Cela pousse les "invalides" à cacher leur problème sur les C.V ou les lettres de motivation dans le but d’être embauché en piégeant l’employeur. Cela demande beaucoup d’efforts de la part des handicapés dans la recherche d’emploi. La France a un taux important de chômage dont la majorité représente des personnes jugées "invalides". Pourtant, ces derniers peuvent posséder des capacités presque inimaginables ! Pourquoi ne pas en profiter ? Il suffit de débloquer le peu de budget nécessaire pour aménager un poste destiné aux handicapés Selon la législation, seulement 6% des effectifs dans une entreprise sont "obligatoirement". handicapés. Ce mot [obligatoire] ne fait plus partie du vocabulaire des employeurs qui préfèrent contourner la loi en s’acquittant des amandes, à croire qu’ils sont "handiphobes" ! Ce taux est certes insuffisant pour tout le monde mais c’est déjà un effort considérable, un pas en avant vers la mixité.
Mais, ces employeurs ont raison sur certains points, la majorité des handicapés sont illettrés et sont incapables d’agir comme un être "normal". Ils ne peuvent pas accéder aux postes à responsabilités, faire des études longues… Cependant, ils ont tort car les handicapés évoluent.
Les générations des années 90 et celles d’aujourd’hui accèdent aux études supérieures et réclament un emploi adéquat à leurs compétences, leurs critères…Bref, la France évolue mais les "chefs de l’emploi" restent sur leurs gardes et refusent d’aider les personnes les plus démunies face à l’emploi.
En outre, les personnes, faute d’emploi, utilisent leur "statut handicap" pour recevoir un revenu de la part de l’allocation au point de ne plus travailler (bien sûr, ce n’est pas toujours le cas). J’ai par ailleurs une connaissance qui réside dans les Vosges. Elle est "moins handicapée" que moi, c'est-à-dire qu'elle est sourde "sévère", est âgée de 25-26 ans, et n’a aucun diplôme, aucun emploi. Elle vit de l’allocation adulte handicapé (A.A.H) dans son appartement qu’elle utilise occasionnellement. Elle vit chez ses parents dans le même village. Malgré deux stages différents (pour le ménage et l'aide maternelle), elle refuse toujours de trouver un emploi car selon elle, si elle travaille, elle se trouvera coupée des vivres de l’allocation d'adulte handicapé (A.A.H). Cela m’attriste d'autant plus qu’elle n’a pas le sens de la réalité. Avec un travail, elle pourrait être indépendante mais là, je la trouve dépendante de ses parents et de son allocation en ne "bougeant pas les pouces" !
Cet exemple montre que le responsable des actes de la jeune fille, c’est l’éducation.
En effet, cette éducation fait défaut chez de nombreuses "personnes handicapées" (chez les autres non handicapées aussi !). Elle les sollicite à une ouverture d’esprit, à faire des efforts pour faire un pas en avant. Malheureusement, ce n’est toujours pas le cas de tout le monde. Seule une poignée de personnes "avides" de réussir se battent pour avoir une place dans le monde réel. Je ne peux pas affirmer que les employeurs sont responsables du chômage des personnes handicapées ou que les services allocataires ne subviennent pas assez aux besoins des handicapés. Mais une chose est sûre, c’est que si les informations [relatives aux] handicapés avaient été diffusées partout quelques siècles plus tôt, le monde d’aujourd’hui aurait mieux traiter les personnes handicapés au lieu de les considérer comme "des bêtes", à regarder comme une exposition d'une certaine humanité. Là, on en est très loin…et en retard par rapport aux autres pays tels que les U.S.A, la Finlande, l'Angleterre…
A propos de mes réponses à tes questions sur le corps, l'esthétique en rapport avec le handicap. Je trouve qu'on focalise trop sur la beauté physique et pas assez sur la personnalité de chacun. Je suis "écoeurée" des méprises que l'on fait sur les handicapés, par des regards ou à travers des paroles mal placées.
Certes, la vie est difficile pour eux sur le plan physique, mais il ne faut pas oublier qu'ils ont les mêmes plaisirs que les "valides". Ils sont des êtres humains donc, ils ont avec nous aussi des points communs !
Le premier de ceux-ci est sans doute notre corps, fait de chair, quand elle souligne, qu'en fonction des types de handicaps, on peut le considérer soit comme un ami ou pas.
Ca dépend en fait. Nous dit-elle. Par exemple, un tétraplégique ne peut plus faire des gestes comme nous, mais son cerveau fonctionne à merveille. Son corps lui fait obstacle. Il se sent exclu de la société à cause de son corps, mais il faut dire que ses idées, ou ses créations, ses oeuvres comme Allison Lapper sont très intéressantes à voir ou à juger. Là, il ne faut pas plutôt juger sur leur "incapacité physique", mais plutôt sur leur "capacité mentale" qui les aide à surmonter leur handicap.
Un autre exemple, les sourds, qui sont à ma connaissance, les moins touchés à l'instar des amputés d'un membre. Ces sourds voient que leur corps est leur "bon ami", parce que grâce à celui-ci, ils peuvent communiquer aisément en langue des signes. Ils peuvent aisément faire passer leur message à tout le monde !
Ce mode de communication est maintenant une langue à part entière qui sollicite beaucoup "d'expressivité corporelle" comme si on faisait du théâtre ou de la danse contemporaine !
Je ne peux pas dire si notre corps est notre ami ou notre ennemi, mais il ne faut pas oublier que cela ne concerne pas seulement les handicapés; il existe des "valides" qui sont mal à l'aise en raison de leur obésité, par exemple. Le regard d'"autrui" leur fait prendre conscience de leur corps, car il en dit long. Il est parfois blessant pour la personne concernée. Ce regard est déterminant pour tout le monde pour savoir si notre corps est "ami" ou "ennemi", il n'est jamais facile à vivre avec tout ceci, c'est dur à supporter pour tout le monde, mais il faudrait le surmonter.

A propos de l'école, des facilités d'accès aux connaissances scolaires pour une jeune fille sourde profonde. Pour ma part, oui, l'accès fut facilité mais ce [fut tout de même] difficile à surmonter. J'ai eu la chance d'être intégrée en milieu ordinaire depuis la classe de maternelle à l'âge de 2 ans avec des aides orthophoniques et des soutiens éducatifs. Mais, je n'ai jamais eu de codeuse avant ma deuxième année à l'université. En revanche, on m'a envoyé un interprète en langue des signes (L.S.F), mais je n'étais pas du tout apte à comprendre cette personne, mais c'était obligatoire, car j'étais prise en charge à l'Institut d'Education Sensorielle (I E.S) où il y a un psychologue, un orthophoniste, un éducateur spécialisé pour les soutiens ainsi qu'un interprète en L.S.F pour assister aux cours presque directement. [En direct] Avec cette dernière personne, j'ai eu du mal à comprendre certains signes car je ne pratiquais pas [du tout] la langue des signes mais plutôt le langage parlé complet (L.P.C) car on pouvait oraliser tout en codant. Donc, il m'a fallu des répétitions en cours avec l'aide du cahier, mais c'est un peu perdre du temps. Pour compenser cette difficulté, je relisais mes notes aussitôt le soir, c'est comme ça que je m'en suis sortie !
Ce que je regrette un peu, c'est la formation des maîtres qui est incomplète, c'est à dire qu'il manque des connaissances sur les différents types de handicaps et les possibilités d'intégration (semi intégration, intégration complète, avec des aides, des soutiens...).
Depuis toute petite, je trouve toujours que les maîtres, les professeurs sont réservés par rapport à l'accueil d'un sourd en classe et pensent que celui-ci ne pourra pas aller aussi loin que ses camarades. Certains d'entre eux ne savent toujours pas comment ils vont réagir avec l'enfant sourd sans oublier les autres élèves. D'autres mêmes sont un peu stressés... Il faut toujours qu'une équipe qui suit l'enfant sourd rassure les professeurs lors des réunions. 
Au quotidien, parfois les professeurs me donnaient leurs notes personnelles pour que je puisse les recopier sur mes cours, ou bien je recopiais sur l'un de mes camarades. Actuellement à l'université, j'ai préféré opter pour une preneuse de notes dont je photocopie les cours afin de gagner du temps en faisant des résumés sur mes fichiers, mais pas toujours ! J'ai enfin accès aux connaissances presque directement grâce à une codeuse, mais hélas elle est limitée dans le temps avec cinq heures de code par semaine environ. Malgré ça, j'arrive à comprendre le cours et je fais parfois des recherches personnelles dans les livres ou sur Internet.
Avec du recul, je pense que c'est surtout grâce au L.P.C que j'ai pu avoir accès plus facilement aux connaissances scolaires, mais c'est essentiellement aussi grâce à mon travail, à ma méthode, à mon organisation ainsi qu'au soutien de ma famille !
Partout où je suis passée, j'étais la première élève sourde ce qui demande beaucoup d'expériences de la part des enseignants J'ose espérer que cela leur a été très bénéfique pour de futurs élèves comme moi. Mes enseignants se sont beaucoup questionnés sur ma réussite scolaire en relation avec ma surdité mais surtout ils n'avaient jamais vécu une situation similaire auparavant.
Maintenant, je trouve que de plus en plus d'élèves sourds intègrent le milieu ordinaire. J'aimerais qu'ils bénéficient de la présence, selon leur choix, d'une codeuse ou d'une interprète ainsi que des aides, des soutiens en orthophonie, etc... Mais aussi que les enseignants acceptent de les accueillir sans aucune appréhension. Il faut bien sûr ne pas oublier d'informer et d'expliquer en quoi consiste la surdité ou le handicap de l'élève, c'est important pour tout le monde."

Voici mes commentaires et mes réflexions ! (Plus singuliers !)

"A propos de quelques réflexions très personnelles sur la politique, la culture, le génie, elle et les autres. Je ne sais pas exactement de quoi parle la loi 2005 de la personne en situation de handicap donc, à mon regret, je n'ai pas d'idées... Ce n'est pas parce que je ne l'ai pas lu, mais pour moi, ce n'est pas très clair...
D'après ce que j'ai vu de certains films sur la surdité comme Le témoin muet, ou Regard sur les lèvres, ou encore Le monde du silence avec Emmanuelle Laborit etc..., je ne suis pas très sûre que le cinéma peut aider à avoir une meilleure connaissance de la compréhension du handicap.
Car beaucoup de personnes ont tendance à oublier qu'il existe des handicapés "cachés" comme les sourds oralistes dont moi même je fais partie. Emmanuelle Laborit, malgré ce qu'on en dit, ne représente tous les sourds, mais en réalité des sourds L.S.Fistes ! Elle omet d'autres sourds qui sont "oralistes". Je ne comprends pas bien sa position car enfant, elle était oraliste, mais là, elle s'affirme plutôt comme une L.S.Fiste !
De nombreux autres [types ou formes de handicaps] sont peu évoquées dans les films, mais il existe en réalité bien plus de types de handicaps [non nommés explicitement] comme les autismes, les bègues, etc. Il ne faut pas oublier qu'une personnalité comme K. Reeves (alias Néo dans Matrix) est un autiste "léger" ! Ils sont aussi "des handicapés" bien qu'ils le renient !
Je trouve vraiment dommage que certains films ne parlent pas beaucoup des handicapés, et pourtant c'est d'actualité d'aujourd'hui. Ce qui m'a marquée particulièrement, c'est l'attitude d'Emmanuelle Laborit, je la trouve un peu "décevante" puisqu'elle rejette l'oralisme alors qu'elle parle bien et qu'elle a grandit dans une famille entendante. Je trouve cela très contradictoire."
On dit de toi avec ton degré de surdité, que jamais tu n'aurais dû être là à faire des études, que tu es un genre de "génie" ! Qu'en penses-tu ?
"Être un génie, c'est exagéré comme mot ! Je ne le suis pas du tout ! C'est grâce à mon travail que je suis arrivée en Master, ce qui est rare en effet chez les sourds profonds. Je pense que c'est aussi grâce au L.P.C que j'ai pu assimiler les cours presque directement. Mais sincèrement, c'est surtout grâce à la motivation et à la régularité du travail en plus des heures de soutien. "
Alors, la question qui se pose est de savoir, pourquoi d'autres sourds ou sourdes de naissance ne réussissent pas plus régulièrement des études à haut niveau ?
"C'est sûrement une question d'éducation. La famille doit participer à la réussite de leur enfant. Malheureusement, la plupart d'entre elles (les familles en ce moment) préfèrent laisser l'enfant se débrouiller seul à l'internat, à l'Institut où est enseignée, dans les cours, majoritairement la langue des signes française.
Cependant on doit favoriser de plus en plus l'intégration en milieu scolaire. Mais, beaucoup d'entre eux ont du mal à s'adapter au rythme "courant" car il y a une grande différence de rythme entre l'Institut par rapport à celui des collèges et lycées.
Cela ne veut pas dire que tous les sourds et les sourdes ne peuvent pas réussir des études normales ! Je pense que cela dépend de l'éducation familiale et scolaire mais aussi des efforts fournis pour y arriver. Le travail en soutien orthophonique est bénéfique. La récupération auditive y est aussi pour quelque chose grâce aux appareils et aux implants, car l'apport de ces prothèses aide beaucoup les sourds à comprendre la conversation avec l'aide des modes de communication qui sont le L.P.C et la L.S.F.
Avec la L.S.F, je note une seule différence en ce qui concerne cette langue des signes française ; si une sourde de naissance porte des appareils et "parle" la langue des signes française toute sa vie, elle aura du mal à s'intégrer dans le système scolaire, car la compréhension en L.S.F est très différente du français parlé ou écrit surtout dans son rapport à la syntaxe. Donc même si elle "entend", elle n'a pas toute la mémoire phonétique et elle ne comprendra pas tout le vocabulaire utilisé de façon courante. Attention ! Cela ne veut pas dire qu'il est impossible pour elle de suivre les cours en langue des signes française, c'est juste une difficulté car il y a un risque de confusion entre les deux mots pour un même signe, par exemple : socialisation et société.
Avec le L.P.C, si une sourde appareillée grandit avec celui-ci, elle a plus de chances d'oraliser, de mémoriser tous les phonèmes et par conséquent, elle arrivera donc très bien à suivre en cours. La différence entre "socialisation" et "société" en langue des signes et en langage parlé complété sera naturellement conservé avec l'ajustement des deux codes."

Avec cette méthode, cette jeune étudiante suit à peu près de façon identique le cursus des entendants car contrairement à la langue des signes française, elle n'a pratiquement aucun retard au niveau du vocabulaire. Elle fait souvent des phrases bien construites. Avec son appareil, Marie, en répétant visuellement les codes que la codeuse "traduit" du professeur, comprend très vite le cours car c'est 100 % de réussite pour la lecture labiale. Elle insiste sur le fait que sans le L.P.C mais uniquement avec la langue des signes française, on arrive péniblement à 80 % de réussite en lecture labiale avec l'appareil.
"Personnellement j'avoue que l'implant m'aide beaucoup à repérer les sosies labiaux et beaucoup plus [encore] avec le langage parlé complété qu'avec la langue des signes française, car le L.P.C est exclusivement oral avec des codes tandis que la L.S.F est exclusivement gestuelle mais avec une syntaxe différente du français."
Sur un plan plus relationnel, comment et où se font les rencontres intimes justement, à travers tous ces codes ? On me dit souvent que les sourds et les sourdes ne se marient qu'entre eux, qu'en penses-tu ?
"Sincèrement, les relations avec les entendants sont difficiles mais on arrive quand même à en établir.
Personnellement, j'ai plus d'amis entendants que d'amis sourds parce que j'ai vécu toute ma scolarité en intégration. J'ai dû "favoriser" et travailler sur l'oral pour que ce soit plus compréhensible à tout le monde.
Il arrive que certains entendants veulent me parler tout en codant ou en apprenant le L.P.C, ce n'est pas long à apprendre, cela demande beaucoup plus de pratique que de théorie. Mais avec les sourds, pas tous, plutôt les L.S.Fistes que les oralistes, j'ai du mal à avoir des relations parce qu'il existe, à mon égard, des préjugés sur les sourds "oralistes". Car pour eux, je ne fais pas partie de leur "monde" parce que j'étudie avec les entendants, je parle le L.P.C qui est différent de la L.S.F et je porte un implant ! C'est ainsi que je me sens rejetée... Cependant je ne perds pas espoir, j'aperçois chez eux, une nette évolution. De plus en plus [de sourds] sont en intégration milieu scolaire et par conséquent, l'intégration à la société devient plus facile.
J'ai rencontré des adultes sourds qui se marient entre eux ou avec des entendants et ils m'ont dit qu'il est très important de trouver "un terrain d'entente" entre eux pour communiquer quelque en soit le moyen de communication (L.P.C ou L.S.F ou encore l'oral).
Certes le couple "mixte" est plus touché par un manque de communication et "d'entente", mais c'est pratiquement identique chez les autres couples ! Pour ce qui concerne le "se marier entre sourds" qui [dure plus que les autres], c'est mythifié car il arrive que les sourds divorcent tout comme les entendants ! "
Alors ces sourds sont-ils des handicapés au sens strict, des handicapés du savoir ou des ratés de la pédagogie comme le signale un enseignant sourd que j'ai interrogé, et toi, comment te qualifierais-tu ?
"Il y a quand même une nuance dans ce terme. Je ne peux pas dire que je suis fière d'être sourde car je pourrais très bien supplier quelqu'un de m'aider dans une action alors que j'ai les réelles capacités pour la réussir. Ce serait un déni de [me] dire handicapée ! Mais être handicapée, c'est avoir une déficience c'est presque négatif de le dire ! Il me faut juste une "compensation" et non "un avantage" par exemple avoir une l'allocation pour mieux vivre, une A.A.H ou des aides pour mieux réussir à survivre dans la société, à l'école ou dans le travail... Je n'aime pas trop l'expression de dire que je suis handicapée car je sais que j'ai les capacités pour réussir aussi bien qu'autrui.
Mais il faut savoir s'adapter à une situation ou à un obstacle à surpasser, il s'en trouvera toujours de plus grand à gravir. Là, je peux dire à mon interlocuteur que je suis juste sourde mais pas handicapée ! Il faut juste me parler normalement, me parler doucement, ralentir le flux des paroles ! Ainsi je m'en sors plutôt bien, c'est l'écrit qui pose plus de problème, car je considère l'exercice raté s'il faut beaucoup le corriger, mais cela dépend en fait de l'interlocuteur qui est plus ou moins compréhensif avec moi !
Nous ne sommes pas des "handicapés du savoir" ! Pour moi, non ! Nous sommes tout simplement handicapés de "la communication", mais pas du savoir. On peut apprendre en observant, c'est comme ça qu'on s'approprie du savoir, voire du savoir-faire. C'est comme si on apprend à résoudre des problèmes lors des situations pédagogiques par exemple en sport, grâce à notre connaissance et à nos aptitudes. Mais c'est sûr qu'on manque toujours des informations auditives qui compléteraient le "savoir", la "culture"... pour mieux se débrouiller dans la société, j'ai toujours cette impression... Peut-être que pour les autres sourds je parle de ceux qui ont du mal avec le français, ce serait le problème du "savoir" dû à une mauvaise compréhension de la langue française, c'est pourquoi on affirme qu'ils sont handicapés du savoir. Je pense que c'est la même chose pour vous, "les entendants", vous croyez tout savoir mais en réalité, vous ne savez qu'à moitié... Mais c'est tous les jours qu'on apprend n'est-ce pas ! Personne n'est parfait !
Je ne sais pas, si une université telle que Gallaudet ou Rochester est possible en France pour les sourds. C'est sûr que ces universités ont une belle réputation pour permettre aux sourds de faire des études supérieures, mais est-ce efficace si on s'enferme sur nous ? Je me vois très mal suivre ces études là, dispensées en L.S.F que je connais mal, pour l'Amérique c'est l'Américan Language Signes A.L.S, et être coupée des contacts avec l'extérieur. Mais c'est possible pour ceux qui désirent faire des études en sachant que cet enseignement est réservé aux sourds. Cependant, le niveau actuel des sourds est encore faible. La majorité des sourds ont un niveau inférieur au baccalauréat, alors suivre l'enseignement supérieur ce serait peut-être trop dur pour eux. Peut-être qu'il faudrait attendre plusieurs années pour avoir un nombre des sourds suffisant pour accéder aux études supérieures (des instituts ou en intégration) afin de créer une université spécifique. Encore faudrait-il proposer différentes filières, actuellement, je suis moins optimiste quant à la politique menée !  
Actuellement, il existe des problèmes de ségrégation chez les sourds ! Certains qui s'affirment sourds considèrent la culture française, la langue française comme "des dangers" pour eux. Du coup, ils s'enferment sur eux-mêmes. Ils ont beaucoup de mal à s'ouvrir, à se débrouiller dans la société tout en revendiquant la L.S.F, la culture sourde, l'identité sourde, voire la "communauté sourde". Personnellement, je trouve ces termes "culture sourde, communauté sourde, identité sourde" plutôt inappropriés, parce qu'ils ne définissent pas vraiment tout, à part la façon de s'exprimer. Ce sont eux qui nous voient comme des dangers qui s'opposent à leur évolution et qui refusent de faire le premier pas vers nous... Et inversement, parce que nous, les sourds oralistes et les entendants, les trouvons ignorants voire"débiles"... Mais, personnellement, ce serait bien de se retrouver pour communiquer, pour ensuite se retrouver avec les autres entendants ou non, cela renforcerait les liens.
A l'heure actuelle, je n'ai pas vraiment l'impression d'avoir toute la liberté de réaliser les "ponts" entre les sourds signants et les sourds oralistes même les "cachés", ceux qui renient leur handicap, comme les malentendants, voire les entendants... Certes il existe d'autres sourds signants plus "ouverts" que les sourds ségrégatifs qui nous acceptent bien eux.
Oui, la guérison, devenir entendante c'est une partie de mon rêve, mais cela ne veut pas dire que je pourrais réellement reconnaître les bruits que j'ai connus avec mon implant, voire comprendre avec aisance sans la lecture labiale... C'est sûr que ce serait dur au début pour moi de ne pas pouvoir "éteindre mes oreilles" !  Mais je pense que ce serait trop brutal pour moi qui ai toujours connu l'implant et les prothèses auditives. Si j'étais née dans un futur où la technologie est beaucoup plus évoluée, peut-être que là, je me ferais opérer plus tôt et ce serait plus facile pour moi d'accepter cette idée utopique ! Mais franchement, c'est mon rêve... où je suis débarrassée des contraintes que je supporte quotidiennement, cependant, il faut être réaliste. Je n'aurais sûrement pas connu le monde des sourds ! 
Mon rêve est de pouvoir travailler un jour dans un centre de rééducation ou dans un institut, voire dans un centre hospitalier... Je n'ai pas encore d'idées pour les entreprises et encore moins pour les centres sportifs ! Quel qu'en soit les lieux, j'aimerais toujours travailler avec les handicapés.
C'est dur pour moi de choisir l'après licence, car je suis intéressée par beaucoup de secteurs différents ! J'essaie de les éliminer un par un en rapport avec mon désir... Ce n'est pas du tout facile pour quelqu'un qui voit enfin de bout du chemin ! " 
En Juin 2005, en guise d'heureuse conclusion à cette étude, une lettre pleine d'émotion, d'amitié vient clore temporairement nos entretiens pour cette recherche. Marie m'annonce son inscription en master d'ergonomie à Nancy avec l'envie toujours intacte de continuer à étudier. Sa petite lanterne du savoir reste toujours éclairée ! Son vouvoiement plein de respect pour le professeur, vient de laisser la place au tutoiement empli de gaieté, qui marque pour nous, son émancipation et son envol pour conquérir demain d'autres espaces de liberté pour elle mais aussi pour d'autres.
A la question d'Axel Kahn, "Et l'homme dans tout ça" ? Nous espérons avoir bien montrer qu'il y avait avant tout des hommes dans ces récits ! Ces dix sept cas singuliers contiennent tous une part de l'universel anthropologique. Ceci nous incite, après ces longues années passées ensemble dans le dialogue de la vie, à penser qu'il y a vraiment de l'humain dans tout cela ! Le singulier peut ouvrir aux analyses les plus larges, en ce sens, il possède une portée de généralisation.
Nos écritures entremêlées nous aurons permis de mettre en tension les savoirs savants issus de la littérature académique, des champs scientifiques, des experts face aux savoirs des profanes, des témoignages des humbles, des paroles ordinaires. Le changement de paradigme entre la personne handicapée et la personne en situation de handicap est pour nous une avancée considérable car ce dernier concept, permet à la sociologie d'en décrire l'évolution, d'anticiper les futures révolutions, mais surtout de réorienter son regard vers d'innovants traitements sociaux qui naissent dans de multiples champs. Une veille scientifique attentive s'impose.
 Les historiens de la grande guerre vont désormais observer du côté des relevés "ethnographiques" des psychiatres et autres "écouteurs" de la souffrance humaine car il n'y a presque pas de données sur les retours dans les foyers. Il existe des vides autour des "3C" qui pourraient décrire les traumatismes endurés. France culture, La fabrique de l'histoire, le jeudi 11 novembre 2004 de 10h à 11h.

 Alexandre Luria, L'homme dont le monde volait en éclats, Editions du Seuil, Paris, 1998, pages 11 à 12. Il parle du soldat Zassetski en le qualifiant de "héros", héros qu'il va accompagner sa vie durant pour suivre l'évolution de son accident neurologique singulier ainsi que pour lui témoigner du soin et de la sollicitude.
 Abdel Malek Sayad, La double absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré, Seuil Liber, Paris, 1998. Le cas d'Abdel est éclairant avec son arrivée en France puis le retour au pays dans un laps de temps de trois ans un peu comme sa rentrée et sa sortie dans notre histoire commune !
 Michel Cassé, Énergie noire, matière noire, Éditions Odile Jacob, Paris, 2004, 333 pages. Cette métaphore sur l'énergie et la matière noire est donnée pour montrer la différence entre l'abandon par le sens commun des situations un peu noires et floues puisque c'est difficile et, l'opiniâtreté des chercheurs pour aller chercher les valeurs, les indices et les traces dans des lieux où ils ne brillent plus que d'un très faible éclat.
 Alexandre Luria, op. cit., page 13, : "Par delà leurs spécificités, les biographies, sont avant tout des études et des récits qui appréhendent des individus comme un tout - qui parlent de leur esprit, de leur vie, de leur monde, de leur survie."
 Worthel Anne. (Sous la direction de), Les droits des personnes handicapés, guide collectif, E.S.F Editeur, Issy-les-moulineaux, 2003 et aussi Christophe Petit, Quels droits pour les personnes handicapées ? In l'école des parents, hors série numéro 2, Place au handicap, septembre 2004, p35 : "Celles-ci [les places] sont par ailleurs réservées en priorité aux personnes qui ont un taux d'incapacité permanente entre 50 % et 80 %, qui n'ont pas droit à la carte d'invalidité mais bénéficient de la carte spécifique station debout pénible."
 Dominique Benassi, athlète sur une jambe de foi. Journal Libération, samedi 27 et dimanche 28 décembre 2003.
La France ne nous considère pas digne de porter ses couleurs en tant que sportifs de haut niveau. Triathlon. Le français s'est battu pour pratiquer son sport au haut niveau. Il vient de décrocher son huitième titre mondial handisport. Par Teddy Seguin
La sexualité des handicapés sort difficilement de la clandestinité. Journal le monde, mercredi 23 octobre 2002.
Ces personnes ont longtemps été considérées comme asexuées et les institutions ont pendant des années préféré fermer les yeux sur leur vie sexuelle. René-Claude Lachal, tétraplégique et directeur de recherche au C.N.R.S, raconte comment il faut taire ses désirs quand on vit dans un fauteuil. Les associations s'indignent de la misère sexuelle, revendiquent la libération de la parole et le "droit au plaisir". Par Mathilde Mathieu.
Découvrir et utiliser le langage du corps. Le petit théâtre d'Ernest fait son séminaire. Journal Le Républicain lorrain jeudi 3 juillet 2003 et le 20 juin 2003. Le théâtre et la danse au service de l'insertion des personnes handicapées. Tel est le thème développé par le petit théâtre d'Ernest au travers d'ateliers entre valide et non valide.
En torse au bon goût. Journal Libération le lundi 7 juin 2004. Au printemps 2005, un corps atrophié trônera à Londres à proximité de l'amiral Nelson : "Allison Lapper Prégnant", oeuvre inspirée du handicap d'une artiste contemporaine anglaise, prendra place pour un an sur la célèbre place de Trafalgar Square. Par Christophe Boltanski.
 Abdel Malek Sayad, op. cit., p. 12.
 C. Frétigné, Sociologie de l'exclusion, L'harmattan, Paris, 1999, page 11, "Ainsi parle-t-on d’exclusion sociale, d’exclusion économique, d’exclusion culturelle, d’exclusion raciale, d’exclusion scolaire, d’exclusion médicale voire d’exclusion symbolique. Couramment, l’exclusion politique et l’exclusion juridique attirent l’attention. Les exclusions du revenu, du logement et du savoir sont devenues des poncifs de la littérature sociale."
 Site Internet, www.endolfpolio.org, Le défi : qu'est-ce que la polio ? , novembre 2004.
 Ibidem, "la poliomyélite est une maladie infectieuse aiguë, essentiellement neurotrope, immunisante, endémique et épidémique due aux poliovirus sauvages (trois sérotypes différents un, deux et trois), et dont la gravité, en termes de santé publique, est surtout liée aux séquelles définitives qu'elles entraîne."
 endolfpolio.org, op. cit., page 4 : "Le virus de polio ne vit que dans l'organisme humain, ce qui en facilite l'éradication. Il pénètre dans l'organisme par la bouche, se multiplie dans les intestins et se propage au sein d'une population par le biais des excréments. Les premiers symptômes ressemblent beaucoup à ceux d'un simple rhume : fièvre, fatigue, maux de tête, vomissements, raideurs de la nuque et des courbatures dans les bras et les jambes."
 Site Internet, http:// medecinetropicale. free.fr, octobre 2004.
 Le journal l'Intelligent d'Abidjan en date du 1 octobre 2004 nous signale que : " Depuis le deuxième semestre 2003, un total de dix 10 pays exempts de poliomyélite en Afrique subsaharienne ont été réaffecté par des poliovirus provenant de zones d'endémie au Nigéria."
 Site Internet :  HYPERLINK "http://www.invs.santé.fr/" http://www.invs.santé.fr : "La répartition par classe d'âge au cours de des années 1977 - 84 montrait une prédominance des cas chez des enfants de moins de cinq ans (67 % des cas)".
 Une anecdote à ce sujet m'a été révélée lors d'un entretien avec un travailleur social qui s'occupe d'immigration. Il me signalait que les jeunes recrues maghrébines effectuant leur service militaire dans leur pays d'origine et venant de France, sont nommés les "étrangers" par les officiers chargés de leur instruction !"
 Le quotidien tunisien La presse, intégration scolaire des enfants porteurs de handicap. La quête des lumières se moque des différences. N'est pas handicapé celui qu'on croit... On n'y parle d'école inclusive, faisant le choix d'intégrer des enfants porteurs de handicap dans les mêmes classes que leurs camarades normaux. Reportages parus d'avril à juin 2004 par Mongi Gharbi.
 Alexandre Luria, op. cit., pp. 12 et 13. C'est Oliver Sacks qui préface l'ouvrage qui nous rappelle que : "Les biographies de Luria se distinguent en outre par la durée exceptionnelle (30 ans) des cas décrits : ni Freud ni aucun autre chercheur ne présenta jamais de cas aussi longs. Mais elles sont surtout uniques par leur style qui allie de rigoureuses descriptions analytiques à une très profonde capacité d'empathie." Et plus loin, "C'est pourquoi ses oeuvres biographiques, par-delà leurs spécificités, sont avant tout des études et des récits qui appréhendent dans des individus comme un tout - qui parlent de leur esprit, de leur vie, de leur monde, et leur survie."
 Au début de ses lettres, la douleur psychique est bien visible et à la ligne 197 c'est massif.
 Deuxième envoi le vendredi 06 juin 2003. Voici une série de documents que je vous fais parvenir par cette missive. "Je vous demanderai de bien vouloir me livrer vos idées et vos impressions de plus ouvertement et le plus personnellement possible car il s'agit bien pour vous de réagir comme "personne dite handicapée" sur ces articles au cœur des handicaps. Je vous demandais donc de me donner vos réflexions et vos impressions mêmes les plus fortes que vous suggèrent ces deux articles. C'est en effet ces avis personnels et singuliers qui feront la richesse de notre dialogue. N'hésitez donc pas à écrire vraiment ce que vous pensez au fond de vous même."
 On parle maintenant plus souvent d'handicap moteur cérébral (H.M.C) au lieu d'infirmité motrice cérébrale (I.M.C) comme si on voulait faire disparaître ce terme d'infirmité du vocabulaire.
 Ph. Vigand, Putain de silence, Le livre de poche, LGF, Paris, 1999 et J.-D. Bauby, Le scaphandre et le papillon, Editions Robert Laffont, Paris, 1997. Le symptôme décrit dans ce livre ressemble à ce que vit certains des handicapés lourdement atteints par le "Locked-in syndrom" ou syndrome d'enfermement. Philippe Vigand dans Putain de silence fait suite à livre bouleversant écrit par Jean Dominique Bauby atteint du même syndrome décédé en 1997.
 Les I.M.C : Guy Tardieu, Classifications des I.M.C. Voir le site de l'A.P.F sur : www.apf.asso.fr et www.apf-moteurline.org. Pour une synthèse moderne se référer au site de la faculté de médecine de Rennes pour faire la part entre I.M.O.C (infirmité motrice d'origine cérébrale) et polyhandicapés sur : www.med.univ.rennes1.fr
 T. Zeldin, Comment Parler peut changer votre vie. De la conversation, pour la première parution 1998 et pour la traduction française, Fayard, Paris, 1999. Comme moi l'auteur pense que : "La sorte de conversation qui m'intéresse est celle dont, au départ, on est disposé à sortir légèrement différent. C'est une expérience dont les résultats ne sont jamais garantis, et qui implique un risque. C'est une aventure dans laquelle, ensemble, nous tentons d'apprêter le monde pour le rendre moins amer." Et Théodore Zeldin ajoute : "j'ai conversé avec des auteurs que je n'ai rencontrés que sur le papier.", pp. 13-14.
 Charles Gardou (2005) utilise ce vocable quand il cite : "L'itinéraire de nos pairs en situation de handicap est fait d'un cortège d'impasses, d'obstacles, de solitudes, de déroutes, d'attentes, de révoltes, d'utopies. Ils donnent à comprendre que des forces insoupçonnées naissent des situations d'apparente faiblesse." Et plus loin : "En réalité, notre société se trouve animée par deux mouvements divergents : d'un côté, une fièvre de modernité et d'avenir, comme dans le secteur des sciences, des techniques et de la communication ; de l'autre, une résistance, voire une immobilité dans les archaïsmes, s'agissant du regard porté sur nos pairs touchés par un handicap." Voir pour plus d'informations le site www.meimon-nisenbaum.avocat.fr/publications_tiers.htm sur les personnes en situations de handicap.
 Il nous a paru intéressant de caractériser les troubles de la sensibilité génitale (Blessés médullaires, spina-bifida, sclérose en plaques (S.E.P), hémiplégiques par accident vasculaire cérébral (A.V.C.), pour cela on prendra appui sur l'analyse de Bernadette Soulier, médecin sexologue, qui note que : "Selon le niveau d’atteinte de la moelle épinière, la sensibilité des organes génitaux sera émoussée ou absente en partie ou en totalité. Près de 50% des hommes ne peuvent pas obtenir une érection permettant un rapport sexuel et 50% des femmes n’ont pas de sécrétion vaginale ni d’orgasme. Les moyens thérapeutiques actuels permettent le rapport sexuel mais ne redonnent pas la sensibilité génitale. Elastique, garrot, érecteur à dépression, Viagra (sidélnafil), injections intra caverneuses (prostaglandine ou alpha bloquant). Les nouvelles molécules agissant au niveau cérébral telles que le chlorhydrate d’apomorphine (Ixense) ou l’Uprima sont inefficaces chez le blessé médullaire. On axera la thérapie sur la découverte du para orgasme. C’est une forme d’orgasme qui apporte détente et plénitude. Il s’obtient en travaillant sur les fantasmes tout en stimulant les zones non paralysées du corps, le cou, les mamelons, les lèvres, la bouche, la nuque, le haut du dos, les seins. Ces zones vont devenir de plus en plus réactives, et quand ils sont bien l’un avec l’autre, à l’écoute de leur corps et de leurs sensations, là le plaisir vient.", in B. Soulier, Aimer au-delà du handicap. Vie affective et sexualité du paraplégique, Ed. Dunod, 2001, 212 pages et aussi, Un amour comme tant d’autres ? Handicaps moteurs et sexualité, Edition Association des Paralysés de France, 2001, 290 pages.
Quelques définitions terminologiques : Infirmité Motrice Cérébrale (I.M.C), traumatisme crânien (T.C), polyarthrite rhumatoïde (P.R), sclérose en plaques (S.E.P), hémiplégie consécutive à un accident vasculaire cérébral (A.V.C)
 Jean-Paul Resweber (2001), op.cit., pp. 44 et 45 : "La pluridisciplinarité suit la logique dialectique du conflit, l'interdisciplinarité, la logique herméneutique de la confiance mutuelle. La transdisciplinarité mène ce double travail à terme. Elle suit une logique mixte, à la fois, dialectique et herméneutique. La part de la dialectique s'exprime dans la volonté de dépasser les perspectives disciplinaires, pour les intégrer dans une perspective plus globale."(...) "La transdisciplinarité repose, au bout du compte, sur un transfert de technologies : les connaissances sont arrachées à leurs champs disciplinaires pour être déplacées sur le champ de l'écriture parlante. Mais la parole est aussi littérature : parole écrite."
 C. Gardou (2005), op. cit., www.meimon-nisenbaum.avocat.fr/publications_tiers.htm .On y trouve les derniers textes médicaux sur le handicap avec une approche transversale.
 Le cerveau est lésé. C'est-à-dire qu'une partie des cellules est détruite. Cette destruction peut être causée par un choc dans un accident, une maladie infectieuse, une hémorragie ou un manque d'oxygène, élément indispensable à la vie des cellules. Les enfants nés prématurément, avant 32 semaines de gestation, avec un poids inférieur à 1500 grammes, risquent plus particulièrement les hémorragies et le manque d'oxygène (anoxie). Mais seulement 6 prématurés sur 100 deviennent infirmes moteurs cérébraux (I.M.C).

 Sur la mort, le purgatoire et la renaissance voici ce que disait en 1990 R. Murphy dans Vivre à corps perdu-Le témoignage et le combat d'un anthropologue paralysé, Terre humaine, Plon, Paris, 1990 : "J'ai demandé au neurologue jusqu'à quel point cette issue risquait d'être mauvaise, et il m'a répondu d'un air peiné : « tenez-vous vraiment à le savoir ? » Non, je n'y tenais pas. Peu à peu, j'ai appris à vivre au jour le jour, à éliminer de ma conscience toute pensée relative à l'issue finale de mon affection, à réprimer toute vision de l'impensable. ", p. 43. (...) "Mon passé est divisé en deux : avant le fauteuil roulant, après le fauteuil roulant. Quand je pense aux années qui ont précédé ma maladie, c'est comme à l'âge d'or, et la période récente est au contraire un temps de mauvais auspices, de sombres augures et d'espérances brisées. Mon histoire n'est plus lisse et linéaire : elle est coupée en deux et polarisée sur la ligne de partage. Et mon avenir à long terme n'existe pas réellement.", p. 45.
 On retrouve souvent cette impression surtout dans les handicaps les plus graves mais aussi chez ceux qui l'acquièrent dans un accident car ils deviennent "un boulet, une gène" pour leurs entourages, selon leurs expressions.
 Yohan nous a prêté une vidéo où on peut visualiser une partie du travail de J.-P. Claude et de son équipe à Vaucresson. On pourra se référer à J.-P. Claude, Contribution à une meilleure intégration en E.P.S, in dossier E.P.S n°23, Edition de la Revue éducation physique et sport, n° 23, Paris, 1995. Nous avons contacté l'auteur pour faire un bilan à l'aube du changement de loi. On complétera par l'ouvrage de J.-P. Garel, EPS et handicap moteur, Les repères pédagogiques, Nathan, Paris, 269 p, 1996.
 B. Allemandou, op. cit., p. 147 : "Lors de la 1er Conférence internationale du service social qui se tient à Paris, en juillet 1928, Suzanne Fouché intervient au nom des infirmes pour la prévention du chômage et demande au service sociale de s’intéresser activement la reprise du travail des « diminués physiques » et de s’employer à la solution des problèmes suivants. Ainsi s’impose l’idée que, puisque les convalescents et infirmes sans qualification professionnelle sont les derniers embauchés et les premiers débauchés, seule la valeur professionnelle pourrait compenser leur déficience physique. Suzanne Fouché rencontrera André Trannoy en 1933 qui, avec des poliomyélitiques, fait le projet de se prendre en charge collectivement. LADAPT les accueillera quelque temps dans ses locaux. Ils fonderont une association qui deviendra l’Association des paralysées de France (A.P.F). Ainsi, de 1929 à 1939, la Ligue fait l’expérience pratique des solutions à promouvoir pour que le malade et l’infirme aient leur place dans la société".
 L'histoire de vie de Philippe Aubert, La tête la première, in journal Libération, Portait du 07/02/2003. L'histoire de Yohan est aussi exemplaire mais une ethnographie des réseaux sociaux serait à corréler entre le handicap, sa médiatisation et le suivi des personnes.
 Les handicapés vivant sous le seuil de pauvreté vont inviter les parlementaires à leur domicile. La république du Centre, le 16/09/2004 .On y parle de pauvreté, de ghetto, du droit à compensation et du rôle central de l'A.P.F.
 U. Galimberti, 1998, op. cit., "Quand la maladie est regardée librement, elle trouve immédiatement une compensation, parce que le regard non clinique considère le malade et non la maladie ; la douleur ne devient pas un spectacle et le corps de souffrance, qui demande à être soulagé, n'est pas occulté par la dimension biologique de l'organisme. Un regard qui écoute et qui parle est un regard radicalement différend d'un regard qui observe et qui passe d'un corps à l'autre pour les dissoudre tous dans le tableau de leurs combinaisons pathologiques, organisé et constitué à partir de la référence du cadavre, dont la dissection a fondé l'acte de naissance de la médecine moderne."
 "Il reste toujours des choses à faire" : entretiens avec M. Rabourdin directrice de la nouvelle M.A.S de Lorris sur les polyhandicapés.Voir aussi le travail de C. Dumas, L'agir interactionnel de la personne tétraplégique. Contribution à l'étude de la relation aidé / aidant dans une approche ergothérapeutique, Mémoire du Diplôme Universitaire des Hautes Etudes de la Pratique Sociale, Université François Rabelais, Tours, 2003.
 C'est ce que raconte le philosophe Alexandre Jollien sur le parcours des jeunes possédant ce type de handicap. A. Jollien, Le métier d'homme", Essai, Préface de Michel Onfray, Editions de Seuil, Paris, 2002. : "Ce jour-là, un foyer pour personnes handicapées mentales m’invite pour une conférence. On vient me chercher à la gare, me conduit au foyer. Je m’installe dans une chambre. Le cafard m’envahit. Le passé, les dix-sept ans d’institution reviennent avec force. Dehors, les cris, les rires. Je ne peux me soustraire à l’angoisse. Je sors. De joyeux individus m’accueillent. Une jeune femme me plaque ses deux mains sur les épaules et lance : « T’es mignon, toi ! » Je souris, incrédule. Je bois un bol de chocolat. Les pensionnaires s’activent pour que l’hôte ne manque de rien et ils déploient avec abondance leur affection. Je suis apaisé.", p. 53.
 Pour Paula (entretien no 7') par exemple qui est I.M.C elle aussi les documents doivent être très grossis pour la lecture.
 "La vue très partielle proposée, des questions essentielles comme le financement du dispositif, les prérogatives de la future Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, le fonctionnement des maisons du handicap ou la répartition des compétences entre l’Etat, les conseils généraux et l’assurance maladie, devant être réglées par d’autres textes législatifs à venir." (...) "Elle n’est pas à la hauteur des promesses présidentielles, tranche l’Association Nationale pour l’intégration des personnes handicapées moteurs (Anpihm). Elle ne se concrétise pas assez en « vrais programmes d’actions », regrette l’Association des paralysés de France (A.P.F). « La question de l’effectivité des droits reste posée », estime l’ U.N.I.O.P.S.S." (...). "Regret tout aussi largement partagé : que le droit à compensation intégral « ne soit pas acté », selon les termes de l’association des accidentés de la vie (F.N.A.T.H) et qu’on en reste aux demi-mesures, avec une prise en charge partielle des aides techniques ou humaines : « Accepteriez-vous de vous coucher tous les jours à 19 heures », faute d’auxiliaire de vie en soirée ?, demande l’A.P.F.", in, les Activités Sociales Hebdomadaires (A. S. H.) du 6 février 2004, numéro 2345, pages 35 à 36, Politique économique et sociale : loi sur le handicap un texte qui doit être amélioré, estiment les associations, pp. 36-37.
 Blandine Grosjean, Gisèle, l'exil pour renaître, journal Libération, l'événement, pp. 3-4, le jeudi 25 juillet 2002. Gisèle nous rapporte de son expérience qu'en Suède, "la société évalue et favorise le projet de vie de chaque handicapé. Ici tous les établissements sont équipés de toilettes accessibles. En France, je ne pouvais pas partir une journée entière. La liberté d'aller aux toilettes, c'est une sacrée liberté."
 "L'ennemi à combattre après mon séjour au centre fut le manque de confiance en moi et l'incompréhension. Il me fallait non seulement accepter et assumer mon anormalité ! Jamais je ne serai tout à fait comme les autres, jamais je ne serai normal. Il ne fallait aussi trouver la force, force pour comprendre l'incompréhensible, pour pardonner l'impardonnable, et si possible avec joie.", in Alexandre Jollien, L'éloge de la faiblesse, 1999, p. 97.
 Claire Magimel, La place du handicap et des étudiants handicapés à l'Université Accessibilités et usages en Ile de France et au Québec, Thèse de doctorat, le 6 décembre 2004.
 L'affaire des photocopies revient souvent comme si le corps professoral pensait que ces actions étaient en concurrence par rapport à leurs cours. Une (ré) interrogation sur ce plan très matériel devrait être reconduite.
 Ces personnels doivent être remplacés donc certaines situations dans l'intégration universitaires des étudiants handicapés deviennent problématiques à partir de l'année 2005. Pour avoir des chiffres sur le handicap et les études supérieures se référer au site officiel ministériel pour l'accueil et le suivi des étudiants handicapés en université sur :  HYPERLINK "http://www.handicap.gouv.fr/dossiers/accessibilite/" http://www.handicap.gouv.fr/dossiers/accessibilite./ compléter aussi par les Etudiants handicapés et leur accueil dans les 83 universités françaises publiques et privées. Un site complet mais sans la pratique physique et sportive pour les étudiants en situation de handicap sur le site : www.195.83.249.62/handi- HYPERLINK "http://www.195.83.249.62/handi-U/" U/
 Entretiens no3 lignes 800 à 803, il s'insurge des moyens qui existent et qui n'arrivent pas. Il précise que : "Le problème de faire une loi, c'est bien, il n'y a pas de problème, mais il faut se donner les moyens." C'est bien de cela dont il s'agit les moyens financiers mais aussi le souci qu'à une société pour le vulnérable.
Triathlon. Le français s'est battu pour pratiquer son sport au haut niveau. Il vient de décrocher son huitième titre mondial handisport, Dominique Benassi, athlète sur une jambe de foi, par Teddy Seguin, journal Libération, samedi 27 et dimanche 28 décembre 2003. Dominique Benassi souligne que : "La France ne nous considère pas digne de porter ses couleurs en tant que sportifs de haut niveau".

 La myopathie de Duchenne est une forme de "dystrophie musculaire progressive généralisée et héréditaire à transmission récessive liée au chromosome X (le locus responsable est situé sur le bras court du chromosome X (X p21)), débutant dans l'enfance et d'évolution grave. Seuls les garçons sont atteints et les femmes sont transmettrices. La myopathie de Duchenne touche à la naissance un garçon sur 3500 chaque année en France. Les dystrophies musculaires progressives sont liées au même gène, le gène dit D.M.D de la dystrophine, le plus long connu de tout notre génome : il est en effet composé de 2,4 millions de bases génétiques. Ce gène code pour la dystrophine, protéine du cytosquelette de la fibre musculaire. La dystrophine sert en effet à la bonne tenue et à la bonne cohésion des fibres musculaires entre elles. Sans elle, la fibre musculaire ne peut plus résister aux forces exercées lors de la contraction, et elle finit par dégénérer. Ce qui explique qu'un déficit en dystrophine soit la cause de l'atrophie musculaire progressive dans ce genre de maladie"
Voir les sites spécialisés tels : http://www.caducee.net/DossierSpecialises/genetique/myopathie-duchenne.asp, et pour une information globale : http://www.med.univ-rennes1.fr/etud/neuro/myopathies.htm de la faculté de médecine de Rennes 1 et enfin : http://www.afm-France.org ou l'A.F.M montre qu'il existe plus de 80 maladies neuro-musculaires dont la dystrophie musculaire de Duchenne.
 "Comme est effrayante, cette myopathie récessive transmise par le bras court du chromosome X (Xp21), provoquant un déficit en dystrophine et dont l'espérance de vie tournait autour de la vingtaine d'années, il y avait quelques temps encore". Service de neurologie, C.H.U de Rennes, docteurs V. de Deburghgraeve et S. Belliard, 1999.
 On trouve dans certains ouvrages et sites des données très négatives telles que des expressions comme : "si la mère est transmettrice de la tare, le malade est grabataire, peut mourir de troubles respiratoires ou cardiaques, etc". Serge de ce point de vue, va redonner de l'espoir en parlant et en communiquant sur cette méthode qui améliore la vie quotidienne, et surtout l'existence à long terme !
 Serge souligne fermement que : "Ça va à l'encontre de tout ce qu'on nous a appris, de ce que les médecins nous ont dit. Donc c'est un travail long. On arrive en ce moment à avancer parce qu'on a eu déjà un truc sur la douleur samedi dernier à Tours. On a réussi à imposer ça. Je pense qu'il y a un début mais ça va être long et c'est dommage parce que c'est des séances de kinésithérapies exceptionnelles. Mais bon, on a encore ce problème-là, on va essayer de gérer ça..."
 Les anglo-saxons y font références dans les termes de "soft and hard Sciences ". C'est le débat sur les conflits que veut dépasser l'approche transdisciplinaire dans le rapport entre sciences humaines et fondamentales.
 Nous signalons ceci car même, le grand sociologue Max Weber, s'excusait de ne point y avoir eu recours en 1905 dans sa préface sur : L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme.
 Monique Vial, 1998, op.cit., pp. 362-363 : "L’enseignement des aveugles est plus oral que l’enseignement ordinaire et utilise beaucoup la lecture faite par le maître. L’enseignement musical y occupe une place importante. Les travaux d’atelier enseignent surtout la brosserie, le cannage, le rempaillage de chaises. Un des objectifs majeurs est de faire sortir les aveugles du rôle de musicien de foire qui a été longtemps le leur." Et plus loin elle ajoute aux pages 366-368 : "On peut toujours objecter – on l’a fait à l’époque – aux éducateurs et aux médecins qui se mobilisent pour les enfants gravement déficients : ceux pour qui vous parvenez à quelque progrès n’étaient pas de véritables déficients profonds. Qui pourraient trancher ? Au demeurant, les descriptions – tant hier que d’aujourd’hui – des progrès de certains enfants, à moins d’être soupçonné de mensonges délibérés, témoignent de la réalité du travail accompli."
 B.Allemandou, 2001, op.cit., pp. 52-56 : "Louis Braille, qui était lui-même aveugle, s’inspira des travaux de Charles Barbier pour présenter, en 1829, son système d’écriture et de lecture en points saillants qui représentent les caractères alphabétiques, mathématiques et musicaux. Il réduit à six gros points répartis en deux colonnes de trois les douze points que le système Barbier exigeait pour chaque signe. L’énorme avantage de son procédé est que le signe ponctué forme une image sous le doigt qui lui permet à la lecture tactile de devenir synthétique." Pour Haüy qui tenait à ce que l’aveugle ne se singularise pas du voyant par son système alphabétique. On peut faire un parallèle avec le débat engagé entre les tenants de la langue des signes et de l’oralisme pour les sourds"(…) "Valentin Haüy est né dans une famille de tisserands aisés, à Saint-Just, en Picardie, le 13 Novembre 1745. En 1751, sa famille s’installe à Paris où il fera ses études classiques avec son frère aîné René. Outre le latin, le grec et l’hébreu, il arrive à pratiquer une dizaine de langues vivantes. Il s’était fait une spécialité du déchiffrement des manuscrits anciens, français ou étrangers, ainsi que des graphies secrètes et des systèmes codés. Elu agrégé puis membre du Bureau académique des écritures, que venait de fonder Louis XVI, il gagne sa vie en traduisant des documents officiels, notariés commerciaux ou privés et peut se prévaloir, en 1786, du titre d’interprète du roi, de l’Amirauté et de l’Hôtel de ville."(…) "Mais le nombre d’élèves augmentant, la société philanthropique décide de réunir école et atelier en une même maison, rue Notre-Dame-des-Victoires : l’institution des enfants aveugles est ainsi née en 1786, ayant pour but d’instruire les élèves aveugles et leur apprendre un travail manuel : travaux de filature et d’impression typographique en relief et en noir. Cette même année, V. Haüy écrit son Essai sur l’éducation des aveugles et reçoit la consécration suprême, le 26 décembre 1786, en étant présenté au roi et à la cour avec les vingt-quatre pensionnaires de son institution."
 Nous avons voulu inclure les produits du quotidien comme réserve de savoirs disponibles, réseaux de personnes, sites Internet, articles divers dans les médias du quotidien, moyens de communication très différents, pour dialoguer avec les différentes personnes de notre étude. J'ai voulu aussi mobiliser des micros réseaux autour du sujet qui analysent les faits du handicap avec moi et ce sur de longues périodes. A. Schütz, op.cit., pp. 17-18, montre que : "Dans l'attitude naturelle de la pensée courante quotidienne, je pose d'emblée l'existence d'autres individus intelligents. Cela implique que les objets du monde sont, en principe, accessible à leur connaissance, c'est-à-dire ou bien qu'ils sont connus d'eux ou bien qu'ils peuvent l'être." (…) "Il est évident que les deux idéalisations, celle de l'interchangeabilité des points de vue et celle de la congruence de pertinence - constituent ensemble « la thèse générale des perspectives réciproques » - sont des constructions d'objet de pensée qui englobent les objets de pensée de mes expériences et de l'expérience privée de mes semblables."
 Il y a eu un grand moment d'enseignement jubilatoire pour lui dans le cours "activités physiques adaptées". Le champ du sport proprement dit, était fort loin de ses préoccupations.
 Le glaucome peut atteindre les enfants précocement. Bernard nous disait : "Il me reste des fragments visuels. Parce que je suis très visuel dans le mode de fonctionnement. Et aussi, beaucoup de sensations. Je me souviens, j'étais avec ma cousine. Cela s'est passé il n'y a pas très longtemps, c'était en février. En 2003, tu vois, je suis gentil, je t'ai conceptualisé les choses dans le temps. Parce que si j'avais dis février, tu aurais pu de poser la question après, de quelle année c'était. Donc, c'était 2003. Et c'était avec ma cousine et je lui ai beaucoup raconté des choses, des souvenirs qui étaient intenses pour moi".
 Voir pour plus de détails l'institut national des jeunes aveugles (I.N.J.A) sur le site : http://www.inja.fr. Un autre exemple caractéristique est celui du nombre des aveugles. Dans la période de préparation de l'enquête, nous avions été informés par l'Inserm que leur nombre était tout simplement inconnu, au niveau national, pour l'ensemble de la France. L'enquête a permis, d'une part, d'établir pour la première fois une estimation assez précise : 217 000 personnes seraient partiellement ou totalement aveugles, dont 33 000 résident en institutions et 183 000 en domicile ordinaire En outre, elle apporte des compléments très importants, comme leur répartition par âge : plus de la moitié des aveugles (115 000 dont 23 000 sont en institution) ont au moins 80 ans et près des deux tiers au moins 70 ans). Voir aussi le site Internet de l'I.N.S.E.R.M pour récupérer en format P.D.F les 600 pages de l'enquête il faut aller sur le site : http://rfr-handicap.inserm.fr/hidenquete/hidacc.htm
 Sur le site très didactique : http://www.merckfrosst.ca/f/health/glaucoma/glaucoma/classify/home.html, on y signale qu'
"Il existe deux formes de glaucome : le glaucome à angle ouvert et le glaucome à angle fermé. Le glaucome à angle ouvert, ou glaucome chronique, représente 80 % à 85 % de tous les cas de glaucome et est dû à une obstruction du système de drainage de l’œil. Le glaucome à angle fermé, beaucoup plus rare, est une forme aiguë très grave de la maladie, pouvant entraîner une cécité dans les 24 à 48 heures en l’absence de traitement. Cette maladie résulte d’un blocage du système de drainage et est dite à angle fermé parce que l’angle formé par la  HYPERLINK "http://www.merckfrosst.ca/f/health/glaucoma/glossary/home.html" \l "c" cornée et l’ HYPERLINK "http://www.merckfrosst.ca/f/health/glaucoma/glossary/home.html" \l "i" iris est nettement réduit."
 H.-J. Stiker, 1987, op.cit., pp.69-95 : la charité, le Moyen Âge, l'héritage judéo-chrétien jusqu'à naissance de l'infirme.
Philippe Ariès, mars 1981, Strasbourg note : qu'une "sorte d'intégration indifférente, fatidique, sans idéologie mais sans combat. Telle serait l'ambiance générale de la société moyenâgeuse face à l'infirmité.", in H.-J. Stiker p. 69.
Dans l'ouvrage de Jean Delumeau, La peur en Occident, du XIVe au XVIIIe siècle, Fayard, 1978, aux pages 131-132, cité dans le livre d'Henri Jacques Sticker à la page 71 : "Voilà donc les diminués au milieu des « cours des miracles », misère et pègre tout à la fois."(...) "Le phénomène de la peur, fondamental à la fin du Moyen Âge et la renaissance, a inclus les infirmes et a abouti à leur enfermement dans l'hôpital général ainsi qu'à la première idée de mettre tout ce monde au travail."
Les "Roumains" (entre autres) qui exposent, aujourd'hui aux bords des routes, leurs stigmates pour vivre chez nous de la charité montrent que cela est toujours bien présent dans notre société. Cela m'a été confirmé dans les entretiens comme me le signalèrent certains d'entre eux, les personnes handicapées profitent aussi de leur état pour avoir certains avantages.
 Sur ce site, http://www.geocities.com/Athens/Forum/3621/Stat.html, on trouvera un premier aperçu des handicaps français et mondial avec des fragments sur les études concernant la cécité en France. Par exemple sur les cécités chez l'enfant, le glaucome représente 11%. P. Mormiche, Le handicap se conjugue au pluriel, I.N.S.E.E Première, Division des Enquêtes et études démographiques, Groupe de Projet H.I.D (Handicaps-Incapacités-Dépendances), N° 742, 2000.

 Pierre Sansot, Les Gens de peu, P.U.F, Paris, 1991.
 Au sens sociologique ou le développe Jean-Yves Trépos au sein du laboratoire de l'E.R.A.S.E à l'université de Metz.
 L'école des parents, 2004, op.cit., p. 53. Le handisport c'est "bouger comme les autres, Sports et jeux pour tous". L'auteur signale qu'après "la deuxième guerre mondiale, les aviateurs de la Royal Air Force, blessés au combat, suivent une rééducation à l’hôpital de Stoke Mandeville, près de Londres. Le docteur Ludwig Guttman, neurochirurgien, est conscient que ces patients ont besoin de distractions et d’exercice pour guérir dans son centre, le jour de l’ouverture des Jeux Olympiques de Londres de 1948, la première rencontre sportive pour les personnes en fauteuil. Les Jeux paralympiques étaient en marche et, au delà de la compétition, l’idée du bienfait d’une activité physique sur un corps amputé ou diminué. La Fédération Handisport, créée en 1977 et reconnue d’utilité publique en 1983, se situe dans la droite ligne de cet héritage." (…)"Handisport organise des activités physiques pour ceux d’entre eux qui sont handicapés physiques, moteurs ou visuels. « Les bénéfices à attendre de la pratique d’un sport sont les mêmes que pour les valides, explique Jean Paul Moreau, président du comité régional Ile de France Handisport. Elle permet de coordonner ses mouvements, de se retrouver par rapport au handicap, et surtout de prendre confiance en soi. » Car si 30% des licenciés font de la compétition, fait moins connu : 30% pratiquent un sport comme une simple activité de bien-être. A Handisport, on tient beaucoup à ces activités de loisir comme la preuve vivante que le sport s’adresse à tous. « Pour un handicap, il y a au moins deux ou trois activités possibles », tient à préciser Jean Paul Moreau. Et, avec un éventail de 46 disciplines et pratiques sportives – 17 sont des disciplines paralympiques (14 d’été et 3 d’hiver) – on n'a pas le temps de s’ennuyer. Les courses en fauteuil peuvent être recommandées à un tétraplégique, un amputé des membres supérieurs ou inférieurs. Un malvoyant aura la possibilité de pratiquer le basket, mais aussi la cyclisme en tandem, le foot, le judo, la natation ou encore le ski."
 M. Jean-Pierre Claude, Mme Monique Pasqualini, op.cit., 1994. La participation des élèves handicapés aux épreuves d’E.P.S des examens scolaires est très importante. En France, ces épreuves comptent autant que les autres disciplines (coefficient 2 au Bac et B.E.P pour l’E.P.S) pour les résultats des examens. En être écarté pour un sportif handicapé de bon niveau peut lui faire perdre un nombre important de points pour son examen et représente pour lui une injustice (9, 10, 11, 12, 13). 7  Circulaire 94-137, Education Physique et Sportive - Organisation et évaluation des épreuves aux baccalauréats, B.T, B.E.P et C.A.P pour les candidats handicapés et les inaptes partiels (1994), Bulletin Officiel de l’Education Nationale, n°15 - 14 avril 1995, p.1100-1138.
 Voir l'article sur Performance ou entretien de loisir par Alain Loret, Décision olympique : l'enjeu politique, Presse nationale Libération le 27 juin 2005, p. 36. La sphère des jeux paralympiques obéit elle aussi à cette logique. L'auteur A. Loret a publié aux Presses Universitaires du Sport, Concevoir le sport pour un nouveau siècle, Juin 2004.
 Il est devenu paraplégique, un handicap acquis à la suite d’un accident de la circulation en 1978.On sait que pour une personne qui devient une "handicapée" les moments de renoncement/acceptation par rapport à son état antérieur sont dramatiques. Il faut accepter une renaissance. Voir page 22 et suivantes du D.E.A de J.-E. Giuliani, le cas d'Anita sur la paraplégie, Université de Metz, mai, 2005.On retrouve cette notion de re"naître" à une vie "autre" dans de nombreux témoignages.
 C'est le cri historique dans, La naissance de la réadaptation que décrit Henri-Jacques Stiker, in, Corps infirmes et société, Dunod, Paris, 1997. Il écrit : "Je crois d'ailleurs percevoir quelque chose de semblable [l'antipsychiatrie qui exige de tous une adaptation à la différence] à travers les cris de groupes minoritaires de handicapés. (...) Il s'est formé des groupes revendicatifs et politisés qui, radicalement, récusent l'ensemble de la législation et des institutions. (...) Autrement dit, nous voulons notre place, et non une place que l'on nous désigne, semblables et différents, égaux et différents, infirmes mais "valides" (valables, valorisés, validés)."
 Paule Paillet, Les handicapés et le sport, informations sociales, numéro 42, 1995, p. 223 : "Deux fédérations regroupent en France les sportifs handicapés. Elles ne sont pas en concurrence car elles s'adressent à des pratiquants différemment affectés. La Fédération Française Handisport (F.F.H) regroupe ceux qui sont atteints dans leur motricité et leur vision : para et tétraplégiques, amputés, infirmes moteurs cérébraux, aveugles. La Fédération Française du Sport Adapté (F.F.S.A) concerne les personnes handicapées mentales atteintes de troubles de la personnalité." (…) "La F.F.S.A permet aux plus lourdement atteints de s'exprimer dans des jeux non codifiés. Adapter le sport aux handicapés implique évidemment des appareils spécifiques. Notre culture réserve le haut du pavé au sport de compétition. Le spectacle médiatique affiche le culte de la performance. Pourquoi les handicapés ne trouveraient-ils pas dans les confrontations avec leurs pairs l'exaltation de leur volonté de vaincre, l'affirmation de leur confiance en eux-mêmes ? Pourquoi n'auraient-ils pas la possibilité d'accéder au haut niveau ?", in Courtine F. : "A quoi sert l'éducation physique et sportive dans le champ du handicap? Effets des pratiques physiques et sportives sur les rapports entre l'infirmité et la société", in Dossier E.P.S n°29, "A quoi sert l'éducation physique et sportive ?" sous la direction de Bernard-Xavier René, C.R.U.I.S.E de Poitiers, Éd. Revue E.P.S, Paris, 1999.
 C'est, je le signalais antérieurement dans nos analyses, à travers ces occurrences que je prenais la mesure des souffrances, non dites, non exprimées mais dont la survenue apparaissait dans les absences et les longs moments en attente des réponses. Un temps à apprivoiser si l'on souhaite apprendre des situations de handicap. Un temps difficile à maîtriser dans des recherches doctorales, mais nous avons choisi néanmoins cette temporalité.
 F. Courtine, op.cit., p.224 : "Aussi en rapprochant le phénomène de l'infirmité de celui du sport, au moyen par exemple des termes du sport adapté ou d'handisport, notre culture « intègre » l'infirmité qui n'échappe plus elle-même aux exigences, aux rentabilités, aux « lois » valables pour tous. C'est notre façon d'apprivoiser l'écart que représentent les hors du commun et de réduire le plus possible cet écart. Les personnes infirmes devenues handicapées, sont vues en cette fin de siècle comme des citoyens à « performer » et comme des sujets qui au moins en principe peuvent et doivent réussir." Henri-Jacques sticker écrit : « la figure du handicap est une manière de penser la non-conformité, la différence dans les limites de notre raison productiviste et technologique, donc aussi de nous la rendre admissible »."
 C'est notre collègue chargé de projet à l'université de Paris, basketteur de haut niveau en fauteuil lui qui me raconta le soir dans un hôtel à la fin de notre colloque l'histoire proprement ahurissante de son accident ainsi que son aventure pour avoir des enfants en étant paraplégique.
Journées nationales des responsables de l'accueil des étudiants en situation de handicap à l'Université, Clermont-Ferrand, les 22 et 23 janvier 2004. Entretien informel de plusieurs heures avec mon homologue d'une université parisienne sur la sexualité des personnes paraplégiques.
 Dans son travail de recherche sur le grand handicap, J.-E. Giuliani (D.E.A d'ethnologie, Université de Metz, mai 2005) parle des trois phases que traversent ceux qui subissent un accident : "l'anéantissement, la sérénité puis la révélation", pp. 16-22.
 Il écrit le terme "paraplégique" entre parenthèses (Lignes 6-7, Entretiens 5 avec Jean-Paul) et ajoute que la date de 1978/79 est une sorte de balise temporelle pour lui, il écrit que 1979 est une "date de référence pour moi" (lignes 67-68). C'est à travers ces quelques mots entre parenthèses qu'une douleur remonte de façon presque invisible.
On pourra consulter ces sites et quelques autres pour se faire une idée plus précise sur le sujet : http://dedland.free.fr/paraplegie-droit.htm puis celui-ci : http://www.ac-grenoble.fr/cam/idd/site_5e4/parapl/main.htm,
http://www.anmsr.asso.fr/anmsr00/44vieillPH/parapl_vieil.html http://www.doctissimo.fr/html/sante/encyclopedie/sa_1084_ie.htm
 Ce que j'ai réalisé régulièrement avec mes dix sept témoins depuis 2001, pour rappeler nos engagements, suivre les réflexions, répondre aux craintes sur le texte, demander des détails sur nos échanges ; enfin, tout ce qui fait perdurer et entretient la relation.
 Op. Cit., page une du site, 2005, http://dedland.free.fr/paraplegie-droit.htm : "La vie après l'accident s'apprend alors en fauteuil roulant et tout est à réinventer physiquement, psychologiquement et socialement. Si beaucoup d'efforts sont faits pour améliorer la qualité de vie et l'autonomie de ces personnes lourdement handicapées, l'essentiel des progrès récemment réalisés se situe dans le domaine médical et résulte de la recherche tant fondamentale que clinique car, il y a une dizaine d'années, on ne parlait pas de possibilité de restructuration de la moelle épinière." (…) "Quelques chiffres : En France, on compte 40 000 paraplégiques et tétraplégiques, dont 1 000 cas nouveaux tous les ans. 60 % ont moins de 25 ans. Ils résultent : - pour 49 % d'accidents de la circulation dont 71% d'accidents de voiture et 29 % d'accidents de moto - pour 21 % d'accidents du travail - pour 16 % d'accidents de sport ski, motocross, parapente, plongeon, rugby, etc... - pour 9% de tentatives d'autolyse (suicide). Il faut noter que 18% d'entre eux sont en état d'éthylisme au moment de l'accident."
 Sur le site très complet : http://www.anmsr.asso.fr/anmsr00/44vieillPH/parapl_vieil.html. La fonction urinaire et son hygiène étaient au centre de la mortalité en ce qui concerne les traumatismes médullaires comme on le souligne sur le site médical des docteurs B. Perrouin-Verbe, F. Louis. Ils rappellent que : "L’existence d'une lésion médullaire a, jusqu'à la 2ème guerre mondiale, constitué un arrêt de mort à plus ou moins long terme. Les causes des décès étaient largement dominées par les complications urinaires. Depuis les années 50, particulièrement depuis ces deux dernières décennies, l'évolution des connaissances sur le plan physiopathologique des dysfonctionnements, plus spécialement végétatifs, le possible dégagement de facteurs pronostiques, l'amélioration des techniques de prise en charge, notamment la révolution conceptuelle du cathétérisme intermittent, ont nettement diminué l'incidence de ces complications".
 Le premier soin à avoir pour l'autre serait de le connaître pour éviter qu'au XXI siècle on confonde la maladie et une situation de handicap. Ce concept de contagion fut retrouvé sous des formes différentes dans de nombreux témoignages.
Op. cit., http://www.anmsr.asso.fr/anmsr00/44vieillPH/parapl_vieil.html., Paraplégie et vieillissement, Copyright A.N.M.S.R, 1997. Ce doute sur l'avenir, sur sa vieillesse, nous le retrouvons souvent porté avec une grande acuité par la personne handicapée elle même du fait de la pression qu'elle fait portée à l'entourage. Ce pessimiste est de règle quand ce n'est pas de la peur ou du désespoir.
 P. Gobry, L'enquête interdite. Handicap : le scandale humain et financier, Editions du Cherche-Midi, Paris, octobre 2002. L’auteur lève une polémique en disant que : "Depuis 1987, la loi oblige toutes les entreprises de plus de vingt salariés à embaucher au moins 6% de travailleurs handicapés. Dans le même temps, elle offre aux employeurs des moyens parfaitement légaux pour contourner cette obligation. Résultat, les entreprises sous le coup de la loi imaginent toutes sortes de schémas d'éviction. Le paradoxe, c'est que les petites entreprises, qui n'ont pas de quota, emploient proportionnellement deux fois plus de salariés handicapés que les autres ! "
 La finalité de ce travail est d'ouvrir un axe de recherche au sein d'un laboratoire en partant des savoirs des individus en situation de handicap pour en analyser les solutions au quotidien puis les diffuser dans un institut plus vaste. C. Gardou (2005) en donne une piste en parlant des I.F.R.I.S.H, un institut de formation de recherche et d'innovation des situations de handicaps. Le réseau des S.T.A.P.S par ses filières activités physiques adaptées (A.P.A) en relation avec les fédérations des sportifs handicapés (F.F.H et F.F.S.A) ainsi que des laboratoires d'ergonomie comme celui d'A.M.C.O (activité motrice et conception ergonomique d'Orléans), qui intègre le handicap, pourraient en être le vecteur privilégié.
 On retrouve les caractéristiques de la maladie "poliomyélite" comme nous l'avons décrite chez Abdel (récit no 1) qui est beaucoup plus jeune que Lyse. Ces années cinquante sont celles précisément du pic épidémiologique de cette maladie invalidante pour les enfants en Europe.
 Voir les annexes no I les documents deux sur la mort et le courage dans les états extrêmes.
 C'est bien cela qui remonte de mon étude car ceux qui ne possèdent pas de réseaux vivent difficilement et comme le souligne F. Dolto il y a vraiment une "difficulté de vivre". Il y a en outre peu d'extraordinaires et beaucoup d'ordinaire, mais n'est ce pas extra ordinaire de vivre tous les jours avec ses stigmates ? Cet opuscule de R. Murphy a déjà été utilisé mais l'histoire de Lyse place le sport au cœur de sa reconnaissance sociale. R. Murphy, op. cit., pp. 13-137. "L'invalidité paralytique constitue, au demeurant, une émasculation de nature plus directe et plus totale. Pour un individu de sexe masculin, l'affaiblissement et l'atrophie du corps menacent toutes valeurs culturelles attachées à la virilité : force, activité, rapidité, vigueur et courage. Beaucoup de handicapés, hommes et femmes, essaient de compenser leurs déficiences en pratiquant l'athlétisme. Les paraplégiques jouent au basket-ball en fauteuil roulant, organisent des courses et des marathons, s'exercent à l'haltérophilie et à nombre d'autres activités analogues. (...) Les "supers infirmes" travaillent davantage que leurs collègues, voyagent sans arrêt, vont à tous les spectacles et participent à tous les événements. De cette manière, ils font savoir à l'univers qu'ils sont non seulement comme les autres, mais meilleurs qu'eux. (...) Il y a beaucoup de personnes de ce genre mais, comme les fameuses « supers mères », elles constituent encore une minorité. Comme on le verra, les handicapés, dans leur immense majorité, sont incapables de surmonter les formidables obstacles physiques et sociaux qui se dressent devant eux et vivent dans la pénombre de la société, condamnés à subsister comme des marginaux."
 Lyse semble très au fait des moyens de compensation financière ainsi que des injustices sociales qui en découlent c'est une des rares personnes qui m'a donnée des informations sur la loi Cordonnier de 1949 : une allocation compensatrice individualisée serait bien car le besoin de chaque personne est différent. La loi de 1949, dite loi Cordonnier, reconnaît à 80 % le statut "d'handicapé" payé par l'état. Cela représente 10 % du salaire par mois. Cela permettrait de changer de vêtement ou prendre une femme de ménage, mais depuis c'est au conseil régional et sous réserve du plafond du salaire. Je travaille à 80 % et je n'y ai pas le droit nous dit Lyse. (Entretiens no6, lignes 34-38)
 Au printemps 2005, un corps atrophié trônera à Londres à proximité de l'amiral Nelson : "Allison Lapper Prégnant", oeuvre inspirée du handicap d'une artiste contemporaine anglaise, prendra place pour un an sur la célèbre place de Trafalgar Square). Par Christophe Boltanski, En torse au bon goût, journal Libération, le lundi 7 juin 2004.
 Lyse souffre encore de séquelles ostéo-tendineuses diverses. Le sport l'aide mais ajoute souvent ses propres blessures. L'orthopédie l'entoure au quotidien. L'orthopédie et maintenant la kinésithérapie occupent une partie de la vie de nos pairs frappés par les infirmités physiques. Le médecin Nicolas Andry de Boisregard pose les premiers repères sur les infirmités enfantines dans son livre L'orthopédie, Paris, 1741, aux pages 131-132, in Jacques Ulmann, De la gymnastique aux sports modernes, P.U.F, 1965 puis Vrin, 3e édition, Paris, 1982.
 On retrouve la ville de Berck et celle de Garches avec plutôt la figure de l’infirme handicapé associée aux pathologies des infirmités physiques. Un bon historique de la géographie de l'infirmité se retrouve dans les ouvrages des auteurs B. Allemandou (2001) et R. Murphy (1990).
 L'école nationale de perfectionnement (E.N.P) établit en 1951 est à l'origine des établissements régionaux d'enseignement adapté (E.R.E.A). L' E.N.P fut créée à partir de la loi du 15 avril 1909 qui établit le principe d'un enseignement spécial et sa mise en œuvre par le ministère de l'instruction publique, on parle aujourd'hui du ministère de l'Education Nationale.
 Francis Fuller insiste "sur les exercices physiques qui sont bons même pour les maladies mentales.", Francis Fuller, Medicina gymnastica, Londres, 1704, in Jacques Ulmann, De la gymnastique aux sports modernes, P.U.F, 1965 puis Vrin, 3e édition, Paris, 1982, à la page 129.
 L'écrivain et scientifique John Hull se montre bien plus pessimiste que Lyse en disant que : "Le rêve suggère aussi que des fragments de mon ancienne vie, ma vie consciente, celle où je voyais, glissent, s'écoulent autour de moi, engloutis par la cécité.", p. 214. John Hull, Le chemin vers la nuit, traduction de Donatella Saulnier et Paule Vincent, Paris, Robert Laffont, 1990 pour l'édition originale et 1995 pour la traduction française. Centaines déficiences sont-elles plus terribles que d'autres à porter ?
 La loi sur le handicap instaure la prestation universelle (18/02/05). La prestation "universelle". Notamment, le projet instaure un droit à compensation permettant la prise en charge des dépenses liées au handicap (prestation universelle). La prestation universelle sera "versée mensuellement" à la personne handicapée, "quels que soient la nature de sa déficience (...) ou son mode de vie" selon des conditions d’âge et de revenu. Elle sera accordée "dans la limite de taux de prise en charge qui peuvent varier selon les ressources du bénéficiaire" (en excluant du calcul des ressources notamment les revenus de l'activité professionnelle de la personne et de son conjoint). Les critères d'âge seront définitivement supprimés dans cinq ans.
 On sent encore la crainte de certains voire la réticence à recourir à ces formes de thérapies. On retrouve quelques approches de la psychanalyse dans cet extrait Le porteur de mauvaise nouvelle. Annoncer le handicap par François Chapireau, Psychiatre des Hôpitaux, Hôpital Erasme, 92160 Antony, in L'école des parents, (collectif sous la direction de Muller G), Place au handicap, Revue de la fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs, Bimestriel hors série no2, Paris, septembre 2004. "Revenons à Freud et à cette grande dame de la psychanalyse anglaise qu’est Mélanie Klein. Quand Freud parle du traumatisme, il dit que la mémoire traumatique est une mémoire sensorielle, affective, que la trace que l’on garde des événements que l’on a pu contenir ou représenter s’inscrit dans notre corps et nos émotions ; le temps se fige, se fixe autour de cet événement traumatique et l’on retrouve bien là la fixation – encore la langage, photographique – extrême des parents à ce moment de l’annonce. Mais Freud parle aussi des souvenirs écrans – idem – en disant qu’il s’agit alors pour nous tous d’un moyen de mettre à l’avant un élément sensé dissimuler quelque chose qui nous est insupportable et irreprésentable." (…) "En aucun lieu, en aucun temps, un tel réel ne se laisse facilement apprivoiser. Il n’existe pas d’annonce heureuse. Il n’existe pas de médecins heureux de faire l’annonce d’un handicap. Il n’existe pas de parents heureux d’être des parents d’un enfant handicapé. Il n’existe pas d’enfants handicapés heureux de l’être. Il n’existe que des histoires singulières, des rencontres singulières. Et nous devons tout faire pour aider les parents à survivre, à vivre ensuite, en renouant avec leur capacité de rêver, de penser ; nous devons tout faire pour aider ces enfants à prendre leur place, toute leur place d’enfant ; nous devons aider les équipes à aider ces parents et ces enfants et nous devons faire en sorte que la handicap ne handicape pas la vie de tous.", p. 11-12.
 La semaine pour l'emploi des personnes handicapées bat son plein au niveau national, mais aucune manifestation n'est organisée dans le Loiret. Une carence symbolique : un quart des travailleurs handicapés sont au chômage. Après dix jours de stage, la jeune Célia, handicapée à 80 %, s'est vu signifier qu'il n'était pas "nécessaire" de revenir. Emploi : les handicapés toujours sur la touche. Personne handicapée en galère. Je me suis sentie humiliée, in Journal la République du centre, mercredi 13 novembre 2002, par Sophie Bouquet.
 "Le travail, c’est cette activité essentielle de l’homme grâce à laquelle il est mis en contact avec son extériorité – la Nature, à laquelle il s’oppose pour créer quelque chose d’humain – et, avec les autres, avec lesquels et pour lesquels il réalise cette tâche. Le travail est donc ce qui exprime au plus haut point notre humanité, notre condition d’êtres finis, créateurs de valeurs, mais aussi d’êtres sociaux. Le travail est notre essence en même temps que notre condition. J’appelle ces pensées légitimation des sociétés fondées sur le travail : leur caractéristique est d’apparaître à un moment particulier de notre histoire, celui où le développement du chômage menace le fondement même de nos sociétés et joue comme révélateur de la fragilité de celui-ci - voire de sa possible disparition - et où une partie de la société fait l'effort pour mettre au jour ce qui était resté jusque-là largement impensé et inexprimé, c’est-à-dire le rôle décisif du travail.", in Dominique Méda, Le travail, une valeur en voie de disparition, Paris, Alto Aubier, 1995, p. 18
 Elle m'a demandé rapidement le tutoiement mais, et ce peut être un indice ethnographique pertinent car dans les moments difficile je devenais le confident, le, "tu", exprimait bien ce fait.
 Cette terminologie ne plait absolument pas au metteur en scène, il nous a signalé en entretien, à ce propos, que pour lui la personne et l'artiste sont premiers.
 Voir le site de l'A.P.F et de l'université de médecine de Rennes, op.cit., ainsi que le récit de Yohan (entretiens no 2)."Les cellules détériorées devraient normalement servir à commander. Sans ces cellules, les différents muscles du corps ne peuvent pas fonctionner correctement. Même la parole et le regard fonctionnent avec des muscles, et si les cellules qui les commandent dans le cerveau sont lésées, alors parole et regard seront eux aussi endommagés. Mais les cellules détruites peuvent également être celles qui servent à comprendre et à analyser les informations que le cerveau reçoit ou même qu'il veut envoyer aux différentes parties du corps. Donc l'infirmité motrice cérébrale ne se contente pas de toucher les fonctions motrices Les troubles moteurs constituent la principale manifestation de l'infirmité motrice cérébrale. Au niveau des muscles, cela ne fonctionne pas bien. Les muscles permettent les mouvements. Or, l'adjectif "moteur" vient du nom commun "motricité" qui veut dire : ensemble des fonctions biologiques assurant le mouvement (définition du Larousse). Les formes principales des troubles moteurs chez les I.M.C sont : la spasticité (des raideurs constantes sur certains muscles), l'athétose (des mouvements brusques incontrôlables) et l'ataxie (se traduit par un manque d'équilibre)." Richard et Paula cumulent plusieurs de ces déficiences. C'est Paula qui est la plus lourdement atteinte.

 "Les "biographies" de Luria se distinguent en outre par la durée exceptionnelle (trente ans) des cas décrits : ni Freud ni aucun autre chercheur ne présenta jamais de cas aussi longs. Mais elles sont surtout uniques par leur style qui allie de rigoureuses descriptions analytiques à une très profonde capacité d'emphatie. Ces analyses décrivent un "syndrome" en le référant à la totalité d'une maladie, d'une disposition ou d'une fonction altérée ; mais ledit syndrome, une fois "anatomisé" de la sorte, est inscrit dans une économie personnelle, rapporté à un individu qui est croqué avec une force et un talent dignes de la plume d'un romancier : le syndrome est toujours relié à la personne, et la personne au syndrome. Luria a-t-il toujours réussi à fondre harmonieusement ces deux éléments ? La réponse appartient aux lecteurs de ce livre, mais l'audace et la nouveauté de sa tentative doivent néanmoins être soulignées – personne avant lui n'avait conçu de "roman neurologique.", in Alexandre Luria, L'homme dont le monde volait en éclats, Préface d'Oliver Sacks, Editions du Seuil, Paris, 1998, pp. 11-12.
 Il est bien rare que ces lieux soient louangés comme le dit l'auteur : "Ce jour-là, un foyer pour personnes handicapées mentales m’invite pour une conférence. On vient me chercher à la gare, on me conduit au foyer. Je m’installe dans une chambre. Le cafard m’envahit. Le passé, les dix-sept ans d’institution reviennent avec force. (...) Les pensionnaires s’activent pour que l’hôte ne manque de rien et ils déploient avec abondance leur affection. Je suis apaisé", in A. Jollien, Le métier d'homme, Essai, Préface de Michel Onfray, Editions de Seuil, Paris, 2002, p. 53.

 En effet, en fonction des handicaps, il fallait adapter les protocoles forts différents pour fixer les données. Une page de données avec Paula pouvait prendre plusieurs jours alors qu'avec Bernard ou Jacques on pouvait avoir 20 à 30 pages en quelques heures. Paroles, écritures, lettres et lettres électroniques les limites sont floues car "in fine" tout devait se transformer en écriture, qui représente de la parole fixée sur un support non périssable immédiatement.
 Op.cit., Université de médecine de Rennes et sites des associations : "Beaucoup d'enfants atteints d'I.M.C ont des problèmes visuels. Certains troubles praxognosiques (ils concernent la faculté d'associer les informations reçues ou envoyées par le cerveau) en font partie, comme on l'a vu. Pour faire simple, on va les présenter en 4 catégories. Quels sont les troubles visuels ? On trouve donc souvent des troubles de la poursuite oculaire concernant la faculté de diriger son regard.
Le strabisme, c'est quand les deux yeux ne regardent pas au même endroit. Si ce dérèglement est fixé, alors il y a un des deux yeux qui finit par ne plus voir. Mais si ce strabisme bouge tout le temps parce que les muscles des yeux ne peuvent pas être contrôlés, alors l'enfant voit tout le temps double et son cerveau n'arrive pas à s'adapter. C'est très difficile d'apprendre à lire avec ce problème. La myopie et l'astigmatie sont des troubles du réglage de la netteté par l'oeil. On peut les corriger avec des lunettes. L'hémianopsie concerne les enfants atteints d'une hémiplégie. Chacun de leurs yeux ne peut voir que d'un seul côté. Là encore cela les gêne beaucoup pour apprendre à lire."
 Une grande folie je suppose car c'est le montant total d'une A.A.H !
 Nous avons tardivement découvert cette méthode qui cadre bien avec cette étude au centre du handicap. P. Vermersch, L'entretien d'explicitation, E.S.F Editeur, Paris, 1994. "En effet, il n’est pas nécessaire d’avoir reçu une formation approfondie pour commencer à utiliser, ne serait-ce que partiellement, les différentes techniques de l’entretien d’explicitation, le plus important étant sans doute de donner du sens au but de l’entretien ; à cela s’ajoute la nécessité de prendre en compte l’intégration des outils aux objectifs professionnels des stagiaires. (...). D’abord, je demande de repérer dans l’entretien toutes les verbalisations qui relèvent du conceptuel (signitif) en les surlignant en couleur ; tout ce qui n’est pas surligné relèvera donc de l’évocatif". Et plus loin l'auteur ajoute : "Pour employer une métaphore, l’attention peut être considérée comme un faisceau lumineux que A déplace, en fonction des relances de B, sur le paysage constitué par ce qu’il évoque. Soit B, par ses relances, fait déplacer ce faisceau de l’attention selon un axe chronologique, c’est-à-dire de façon linéaire ; c’est la fragmentation de l’action qui peut se faire temporellement (et d’abord, et ensuite, etc.) voire selon un degré plus fin de granularité (prise initiale d’information, effectuation, prise finale d’informations). Soit B, par ses relances, fait déplacer ce faisceau de l’attention selon un axe vertical, en épaisseur, pour un instant (feuilletage).", pp. 27-28.
 C'est Dominique Ferté qui nous a permis de faire la différence entre les règles et les usages, entre l'expertise et le bon sens sauvage. Dominique Ferté, De la règle à l'usage, S.A.U.H, CERALP, Grenoble, 2005. Journée sur Le handicap, l'accessibilité l'université : le partage des savoirs et des expertises, Orléans, le Jeudi 23 juin 05.
 La pédagogie de la parole, op.cit., in L'école des parents, 2004, "Cette verbalisation inscrit l’enfant dans la culture ; en lui parlant, nous les considérons comme un être capable de culture et nous le lui signifions. Elle peut s’accompagner d’une mise en gestes, mais c’est ce qui se passe par le regard qui donne tout le sens. Chez les enfants aux déficiences visuelles importantes, le geste et le toucher compenseront. Dans l’ensemble, croiser leur regard et leur donner la possibilité de croiser le nôtre, c’est leur donner la possibilité d’entrer dans un processus de reconnaissance réciproque. « C’est dans le regard des autres que, parfois, on se reconnaît », écrivait Jacques Prévert. Parce que c’est vrai pour nous, c’est vrai pour eux. Nous ne pouvons, au fond, les regarder et leur parler que si nous sommes prêts à voir et à entendre la part d’eux mêmes que nous portons en nous, ce en quoi ils sont des êtres de culture. "

 C'est le groupement pour l'insertion des personnes handicapées physiques ou G.I.H.P. Voici leur mission en résumé. "Le droit au déplacement est la première des libertés et la possibilité de se déplacer librement constitue le vecteur essentiel de l'intégration. Le G.I.H.P milite pour l'accessibilité totale des moyens de transports publics (bus, tramway, métro) pour les personnes handicapées motrices (y compris les personnes en fauteuil roulant) et sensorielles, tant en zone urbaine que pour les déplacements à longue distance. Il rappelle les besoins spécifiques des personnes à mobilité réduite pour les taxis, trains et avions. Le G.I.H.P gère aussi 33 services de transports adaptés par minibus, dans le cadre de conventions de service public avec les collectivités locales. Il s'agit de transports à la demande avec accompagnement en porte à porte, en complémentarité avec les transports publics accessibles. Les services de transports du G.I.H.P emploient 750 personnes, dont 410 conducteurs, et disposent de 400 véhicules : 20 000 personnes utilisent ses services. Mais nos deux interlocuteurs critiquent le fait que de nombreuses instances telles celles-ci deviennent des espaces pour des marchés économiques centrés sur la personne handicapé."
 Nous ne portons pas de jugement sur tels ou tels organismes ou associations, notre approche ethnographique se borne à observer les faits, à reprendre les paroles et à recouper les données en faisceau interrogeable dans une épistémologie la plus rigoureuse possible.
 Des parenthèses de soupçon, surtout lorsqu'on ne sait jamais ce qu'il y a derrière la masque de la personne ? Ce devrait être la vie, une aide pour accompagner un moment de vie.
 On retrouve le rôle capital de l'école qui malheureusement a raté le coche ainsi que la médecine qui elle aussi l'a raté ; il y a seulement trente ans qui nous séparent de cette histoire particulière. Alexandre Jollien raconte aussi la même histoire dans ces mêmes années.

 On retrouve souvent cette situation dans le milieu du handicap, non content que les institutions soient des machines à dénégations, les familles, elles aussi, souvent, n'écoutent pas ou plus la demande. Un des premiers soin à avoir pour l'autre c'est une écoute bienveillante. "Le thème de la conscience intentionnelle que les sciences humaines reprennent à la phénoménologie légitime, à un plan épistémologique, le passage de la philosophie à l'anthropologie. Il se voit, en effet, investi dans un éventail de modèles, comme ceux de l'intersubjectivité, de la responsabilité, de l'être- au- monde, de l'inconscient, du transfert... Qui trouvent un fondement dans le paradigme du souci et de la sollicitude (M. Heidegger) ou du souci de soi (M. Foucault)." (...) "À cette tâche de rechercher peuvent être associées les disciplines qui, sans renoncer à leurs méthodes propres, restent ouvertes à une méthode commune de recherche dite « herméneutique », c'est-à-dire à un travail d'interprétation qui prenne en compte l'écart s'inscrivant entre le plan manifeste le plan latent des conduites humaines, afin d'y lire les langages de la subjectivité à l'oeuvre. Certes, d'une façon privilégiée, la philosophie qui questionne l'impensé, l'ethnologie qui analyse l'inconscient culturel et la psychanalyse qui interpelle « l'adire » du désir peuvent s'inscrire dans une même visée épistémologique, mais elles peuvent être rejointes aisément par celles des autres sciences humaines qui ne marchent pas à reculons vers l'inconscient." (...) "Les gestes de soin, pris entre cura, care et cure convoquent technique, éthique, esthétique et thérapeutique. Ils matérialisent les postures existentielles du souci et, par voie de conséquence, reprennent autant de façons de traiter ce dernier et d'aborder symboliquement aussi bien les choses et les biens, que les êtres et les personnes.", in J.-P. Resweber, Les gestes de soin, Editions le Portique, sous la direction de J.-P. Resweber, Metz et Strasbourg, 2003, pp. 7-10.
 C'est nous qui précisons car on insiste souvent sur la règle mais c'est l'usage qui révèle les difficultés au quotidien. Voir à ce sujet le travail de Dominique Ferté, De la règle à l'usage, C.E.R.R.A.L.P, S.A.U.H de Grenoble, version no 2, les deux ponts, Grenoble, 2003.

 Pour Elyse, il faudrait créer une nouvelle catégorie pour décrire ses difficultés médicales peut être que le terme pluri handicap conviendrait par opposition à polyhandicap à consonances plus gravissime encore. L'entretien avec une directrice d'une M.A.S m'a permis de retrouver et de mettre sur la définition des images qui étaient restées flottantes depuis mon stage chez les "grabataires", comme on le disait à l'époque (1980-1983) dans l'univers psychiatrique.
 B. Allemandou, Histoire du handicap. Enjeux scientifiques, enjeux politiques, 2001, op. cit., pp. 147-150, "Lors de la 1er conférence internationale du service social qui se tient à Paris, en juillet 1928, Suzanne Fouché intervient au nom des infirmes pour la prévention du chômage et demande au service sociale de s’intéresser activement la reprise du travail des « diminués physiques » et de s’employer à la solution des problèmes suivants. Ainsi s’impose l’idée que, puisque les convalescents et infirmes sans qualification professionnelle sont les derniers embauchés et les premiers débauchés, seule la valeur professionnelle pourrait compenser leur déficience physique. Suzanne Fouché rencontrera André Trannoy en 1933 qui, avec des poliomyélitiques, fait le projet de se prendre en charge collectivement. Le L.A.D.A.P.T les accueillera quelque temps dans ses locaux. Ils fonderont une association qui deviendra l’Association des paralysés de France (A.P.F). Ainsi, de 1929 à 1939, la Ligue fait l’expérience pratique des solutions à promouvoir pour que le malade et l’infirme aient leur place dans la société." (…) "Finalement le L.A.D.A.P.T verra se concrétiser sur la scène politique le combat mené en faveur des malades et infirmes, le droit à la rééducation professionnelle étant reconnu avec la création de la Sécurité sociale. L’ordonnance du 03 juillet 1945 établit le principe de la réadaptation, de la rééducation professionnelle et de l’assistance par le travail, accompagné de la création d’une allocation compensatrice pour les aveugles qui travaillent. La loi Cordonnier, du 2 août 1949, étend ce système aux infirmes dont l’infirmité, congénitale ou acquise, entraîne au moins 80% d’incapacité permanente. Sont abrogées les dispositions de la loi de 1942 interdisant aux aveugles et grands infirmes l’accès à l’enseignement public."

 Le fait d'avoir autant les difficultés, de contraintes, fait d'elle une personne dont on soupçonne qu'elle simule, qu'elle est une hypocondriaque. La limite entre normalité, anormalité et pathologie se retrouve encore ici dans des syndromes ambiguës mais réels pour la personne souffrante mais difficilement identifiable par le corps médical. C'est la raison de la défiance de l'hôpital pyrénéen qui n'a pas hésité, malgré la douleur d'Elyse, à la laisser dans le couloir à attendre !
 Des situations handicapantes acquises par des fautes médicales commencent elles aussi, à poser des problèmes juridiques et sociaux. On en parle peu car ils constituent ce que l'on désigne par le vocable "d'erreurs médicales". Erreurs dont quelques unes pourtant ont des conséquences irréversibles.
 Le regard de pitié ou de dégoût est omniprésent dans l'approche des différences. E. Goffman, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, les Editions de Minuit, 1963, pour la traduction française 1975, souligne que : "Les individus totalement et visiblement stigmatisés, quant à eux, endurent une indignité qui leur est propre : celle de porter leur état comme un brassard, en sachant que chacun peut les percer à jour. Notre hypothèse et donc que, pour comprendre la différence, ce n'est pas le différent qu'il convient de regarder, mais bien l'ordinaire. La question des normes sociales demeure certes au centre de l'étude, mais notre intérêt ira moins à ce qui s'écarte extraordinairement du commun qu'à ce qui dévie communément de l'ordinaire.", pp. 149-150.
 Ce site sur, l'Evaluation de la douleur chez le sujet polyhandicapé par le Dr. Geneviève Metton, 2002 est l'un des rares qui situe puis analyse la douleur chez la personne qui ne peut l'exprimer comme le sujet polyhandicapé mais aussi comme Elyse sujet à une poly pathologie. G. Metton donne en la définition suivante : "Le sujet polyhandicapé est très largement exposé à la douleur, en raison de la poly pathologie qu’il peut présenter. Le plus souvent il y est exposé depuis sa naissance : séjours en réanimation, sonde naso-gastrique, ponctions sanguines, etc... "(...) "Le terme de polyhandicap a été développé pour désigner les lésions cérébrales congénitales les plus sévères et remplacer les termes "d’encéphalopathie" et d’"arriéré profond". Les états "pauci [peu] relationnels" de l’adulte secondaires à des lésions cérébrales acquises (traumatisme crânien, tumeur cérébrale, maladie dégénérative du système nerveux central, anoxie cérébrale, etc) peuvent être assimilés au polyhandicap. Le point commun à toutes ces situations est l’absence de communication verbale ou codée, nécessitant donc une approche de la douleur par l’hétéro-évaluation."
 C'est ce que veut nous signifier G. Canguilhem quand il écrit que toute guérison n'est jamais le retour à l'innocence biologique et il ajoute qu'au mot de Kant, "le bien être n'est pas ressenti, car il est simple conscience de vivre ", fait écho la définition de Leriche, "la santé c'est la vie dans le silence des organes". Mais c'est dans la fureur de la culpabilité comme dans le bruit de la souffrance que l'innocence et la santé surgissent comme les termes d'une régression impossible autant que recherchée.", in Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, P.U.F Quadrige, Paris, 1966, Réédition n°8, 1999, p. 180.
 L'affaire Vincent Humbert qui a poussé aux limites éthiques deux mondes, celui de la famille pour une fois associé à celui de la médecine. Une législation est en train de naître depuis 2005 pour protéger les individus et ouvrir de nouveaux espaces juridictionnels.
 "Après la deuxième guerre mondiale, les aviateurs de la Royal Air Force, blessés au combat, suivent une rééducation à l’hôpital de Stoke-Mandeville, près de Londres. Le docteur Ludwig Guttman, neurochirurgien, est conscient que ces patients ont besoin de distractions et d’exercice pour guérir dans son centre, le jour de l’ouverture des Jeux Olympiques de Londres de 1948, la première rencontre sportive pour les personnes en fauteuil. Les Jeux paralympiques étaient en marche et, au delà de la compétition, l’idée du bienfait d’une activité physique sur un corps amputé ou diminué. La Fédération Handisport, créée en 1977 et reconnue d’utilité publique en 1983, se situe dans la droite ligne de cet héritage.
Handisport organise des activités physiques pour ceux d’entre eux qui sont handicapés physiques, moteurs ou visuels (1). « Les bénéfices à attendre de la pratique d’un sport sont les mêmes que pour les valides, explique Jean Paul Moreau, président du comité régional Ile de France Handisport. Elle permet de coordonner ses mouvements, de se retrouver par rapport au handicap, et surtout de prendre confiance en soi. » Car si 30% des licenciés font de la compétition, fait moins connu : 30% pratiquent un sport comme une simple activité de bien-être. A Handisport, on tient beaucoup à ces activités de loisir comme la preuve vivante que le sport s’adresse à tous. « Pour un handicap, il y a au moins deux ou trois activités possibles », tient à préciser Jean Paul Moreau. Et avec un éventail de 46 disciplines et pratiques sportives – 17 sont des disciplines paralympiques (14 d’été et 3 d’hiver) – on a pas le temps de s’ennuyer. Les courses en fauteuil peuvent être recommandées à un tétraplégique, un amputé des membres supérieurs ou inférieurs. Un malvoyant aura la possibilité de pratiquer la basket, mais aussi la cyclisme en tandem, le foot, le judo, la natation ou encore le ski.", collectif sous la direction de G. Muller, Sport et jeux pour tous, handisport bouger comme les autres, in L'école des parents, Place au handicap, Revue de la fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs, Bimestriel hors série no2, Paris, septembre 2004.
 Nous apportons aux lecteurs les précisions suivantes pour plus de clarté. "Deux fédérations regroupent en France les sportifs handicapé. Elles ne sont pas en concurrence car elles s'adressent à des pratiquants différemment affectés. La Fédération Française Handisport (F.F.H) regroupe ceux qui sont atteints dans leur motricité et leur vision : para et tétraplégiques, amputés, infirmes moteurs cérébraux, aveugles. La Fédération Française du Sport Adapté (F.F.S.A) concerne les personnes handicapées mentales atteintes de troubles de la personnalité."
"La F.F.S.A permet au plus lourdement atteints de s'exprimer dans des jeux non codifiés. Adapter le sport aux handicapés implique évidemment des appareils spécifiques. Notre culture réserve le haut du pavé au sport de compétition. Le spectacle médiatique affiche le culte de la performance. Pourquoi les handicapés ne trouveraient-ils pas dans les confrontations avec leurs pairs l'exaltation de leur volonté de vaincre, l'affirmation de leur confiance en eux-mêmes ? Pourquoi n'auraient-ils pas la possibilité d'accéder au haut niveau ?" (...) "Aussi en rapprochant le phénomène de l'infirmité de celui du sport, au moyen par exemple des termes du sport adapté ou d'handisport, notre culture « intègre » l'infirmité qui n'échappe plus elle-même aux exigences, aux rentabilités, aux « lois » valables pour tous. C'est notre façon d'apprivoiser l'écart que représentent les hors du commun et de réduire le plus possible cet écart. Les personnes infirmes devenues handicapées, sont vues en cette fin de siècle comme des citoyens à « performer » et comme des sujets qui au moins en principe peuvent et doivent réussir." Henri Jacques sticker écrit : « la figure du handicap est une manière de penser la non-conformité, la différence dans les limites de notre raison productiviste et technologique, donc aussi de nous la rendre admissible.", in F. Courtine, A quoi sert l'éducation physique et sportive dans le champ du handicap? Effets des pratiques physiques et sportives sur les rapports entre l'infirmité la société, In Dossier E.P.S n°29, A quoi sert l'éducation physique et sportive ?, Sous la direction de Bernard-Xavier René, C.R.U.I.S.E de Poitiers, Éd. Revue E.P.S, Paris, 1999.
Malgré ce dispositif, des conflits commencent à naître, dans ces espaces médiatisés car le handicap, à l'instar d'autres produits, devient un objet économique, un produit marchand comme un autre.
 Voilà le véritable sens du "handicap" pour égaliser les chances. On pourrait s'en inspirer au niveau scolaire ainsi que faire pratiquer des activités mixtes comme le basket fauteuil ou des courses "handicap sensoriel" en privant alternativement la personne valide du sens de la vue ; les combinaisons peuvent varier à l'infini.
 Pour "annoncer le handicap, le porteur de la mauvaise nouvelle" est toujours dans une position difficile comme dans cet extrait écrit par un parent : "J’allais être l’homme le plus heureux du monde, avec le plus beau bébé du monde et je me suis retrouvée sur un ring, le médecin avait des gants en face de moi, il a frappé, j’étais K.O, en sang, en sueur : quand j’ai repris mes esprits, il y avait Pierre qui criait." (...) "Le père de Pierre, porteur d’une spina bifida. (...) L’annonce du handicap est bien ce coup de poing que les parents ressentent. C’est dans leur chair même qu’ils sont touchés, atteints.
Finissons par Bruno Bettelheim qui, à partir d’autres expériences, a parlé des situations extrêmes. Il les qualifie par le fait que l’individu y est « catapulté » sans pouvoir en rien comprendre et qu’il est amené à « toucher le fond » : son seul projet alors ne peut être que de tenter de « survivre ». Les réactions dans ces situations extrêmes sont pour Bettelheim de trois types : se laisser détruire par ces expériences, les nier dans sa tête et dans sa chair, et en dénier toute conséquence durable ou s’engager pendant toute sa vie à lutter contre elles. Les parents d’enfants porteurs de handicap vivent ces réactions.", in L'école des parents, Place au handicap, Revue de la fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs, Bimestriel hors série no2, Paris, septembre 2004, p. 10.
L'école des parents, Place au handicap, Revue de la fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs, Bimestriel hors série no2, Paris, septembre 2004, p. 10.
 Voir à ce sujet le film difficile mais époustouflant, Mar Adentro, de Alejandro Amenabar en 2005. Un ancien marin de Galicie après un accident gravissime à l'age de 25 ans décide doucement de se laisser "partir". Une histoire vraie qui se termine par une mort "filmée" par la télévision espagnole. Ce combat dans la dignité humaine pose encore avec force et humour le problème frontière de la mort par euthanasie. Vivre ou ne plus vivre : à qui appartient la réponse ?
 Ce n'est certainement pas Paul et Reine (Entretiens no9 et 9bis) qui diront le contraire dans le parcours du combattant qu'ils ont dû affronter pour sortir de leur situation, pour enfin avoir le droit de se marier.
 Op. cit., p. 20, La pédagogie du minuscule, in L'école des parents, Place au handicap, 2004. Cet extrait doit faire percevoir aux soignants, aux chercheurs, aux pédagogues ainsi qu'aux parents que : "Ce « minuscule » caractérisant notre démarche avec eux se double d’un paradoxe. Nos attentes et notre espoir sont illimités, alors même que nous savons que, chaque jour, l’évolution est minime. Il arrive, par ailleurs, qu’un problème ponctuel de santé, un déséquilibre, une difficulté relationnelle remettent en cause la dynamique d’acquisition. Tout est instable, fragile. Il nous faut donc regarder sans cesse les potentiels sur lesquels nous pouvons nous appuyer."
Pour certains cela prêteraient à sourire mais derrière ces simples actes, quelle victoire pour les personnes qui n'ont connu que l'univers psychiatrique. C'est une pédagogie des petits pas, du minuscule que l'on doit mettre en place, notre travail nous le confirmera régulièrement;
 Nous avons choisi cet extrait pour la double symbolique du "laminoir institutionnel" et du "métier perdu" de sidérurgiste de notre témoin. "Les structures de l'établissement doivent s'articuler dans une praxis totale dont le but demeure le recouvrement de la santé : « l'hôpital jouerait et du point de vue thérapeutique un rôle analogue à celui du psychanalyste. Il serait l'objet d'investissements successifs de ces conflits ; et la dialectique de la guérison passerait, pour ainsi dire, dans le laminoir de transferts et de projections que la structure sociale de l'hôpital pourrait permettre ».", in E. Goffman, Asylums, 1961 et Asiles, Paris, Les éditions de Minuit, 1968, p. 26.
 Il parle souvent de blocage, c'est le vocabulaire qu'il utilise dans les moments de doute.
 Maladie, dont elle n'a pas même prononcé le nom ; elle m'a juste dit que c'était une très grave maladie dont on ne guérit jamais.
 "L'être humain étant complexe et malléable à la fois, la personnalité est amenée à se corriger ou à se modeler en fonction des évènements, du contexte, des traitements psycho chimiothérapiques etc...La psychiatrie actuelle reconnaît généralement 3 types de personnalités ou structures pathologiques sur lesquels viennent se greffer des troubles mentaux plus ou moins sévères en termes de pronostic selon les cas : la personnalité névrotique : axe des troubles dépressifs et anxieux principalement, la personnalité psychotique : axe des troubles psychotiques et apparentés (schizophrénie etc...), la personnalité limite, entre névrose et psychose.
Notons que les écoles de pensée étant nombreuses, les avis divergent encore quant à cette classification tripartite plutôt formelle.
Le D.S.M-IV T.R ne rend pas compte des concepts de névrose et de psychose, notions nées en Europe. Les deux termes ont disparu du manuel diagnostique américain dès 1980, date de parution du D.S.M-III, ceci dans le souci d'une approche "athéorique" des maladies mentales. Dans le D.S.M-IV T.R, il est question respectivement de "troubles de l'humeur / anxieux" et de "schizophrénie et autres troubles psychotiques". Le terme "borderline" quant à lui correspondrait à celui de limite en France.", in Les maladies mentales des adultes sur le site très détaillé de psymedic : http://web.net-time/psymedic/pages/TroublesMtx.htm
D.S.M-IV T.R : Diagnostic Criteria for the most common mental disorders including: description, diagnosis, treatment, and research findings. This list is a shortened version (incomplete) of the Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders - Fourth Edition (D.S.M-IV), published by the American Psychiatric Association, Washington D.C., 1994, the main diagnostic reference of Mental Health professionals in the United States of America.

 E. Goffman, Asylums, 1961, op.cit., pp. 37-38 : "Je pensais, et je pense encore, qu'il n'est pas de groupe - qu'il s'agisse de prisonniers, de primitifs, d'équipages de navires ou de malades - où ne se développe une vie propre, qui devient signifiante, sensée et normale dès qu'on la connaît de l'intérieur ; c'est un excellent moyen de pénétrer ces univers que de se soumettre au cycle des contingences qui marquent l'existence quotidienne de ceux qui y vivent."
"Les limites de ma méthode et des modalités de son application sont évidentes : je ne me suis permis à aucun moment de prendre parti si peu que ce fût et, l'eussé - je fait, mon champ d'action, la diversité de mes activités, et par là l'ampleur de mon information en auraient été réduits d'autant. Me donnant pour objet l'étude ethnographique de certains aspects particuliers de la vie sociale des malades, je n'ai pas employé les moyens habituels de mesure et de contrôle. J'étais convaincu que les difficultés du rôle et de la perte de temps qu'eût entraînée la recherche de la preuve statistique de quelques assertions m'eussent empêché de recueillir des informations sur le contexte et l'organisation de la vie du malade. Ma méthode connaît encore d'autres limites (...) Pour ma défense, je dirai qu'en cédant à cette partialité on rétablit au moins l'équilibre puisque presque tous les ouvrages spécialisés relatifs aux malades mentaux, présentent le point de vue du psychiatre qui est, socialement parlant, totalement opposé."
 Le témoignage de Nicole et Philippe dans l'émission de Daniel Mermet, Là-bas si j'y suis, les lundi et mardi 15 et 16 septembre 2003 de 17 h à 18 h sur France-Inter. Nous avions retranscrit l'émission pour en faire un témoignage d'appui comme nous l'avions fait pour de nombreuses autres données de cette catégorie, dans cette année 2003, année européenne du handicap. Dans son témoignage Philippe parle "de misère lourde dans le regard des autres". Ces deux témoins "Handicapés déficients mentaux" dialoguent avec une belle lucidité sur un monde qui les désigne comme des citoyens à part. Ils nous donnent leurs témoignages sur leur vie de couple de personnes handicapées. Cette émission a bouleversé la France par l'exceptionnelle lucidité de Philippe sur son état, par la poésie touchante de sa parole. Il connaît Nicole Diederich à qui il rend hommage pour le soin, l'écoute qu'elle a eu pour eux.
 Ce handicap mental, dont on connaît les différentes analyses, dans les nosographies conflictuelles des écoles américaines et françaises. Cf. pour compléter ce sujet : The Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders - Fourth Edition (D.S.M-IV), published by the American Psychiatric Association, Washington D.C., 1994.
"Le champ de la santé mentale est de nos jours, dominé par les courants neuro-scientifiques et biologiques qui veulent à tout prix évaluer, classifier, découper et surtout « biologiser » le comportement humain. La clinique psychiatrique, inféodée au discours de la science et de sa pharmacopée, postule une cause biologique aux phobies, aux dépressions, aux psychoses. Certes l’efficacité des neuroleptiques, quoique relative, est incontestable ; ceci ne nous empêche pas de critiquer la démarche qui vise à confirmer le diagnostic par leurs effets : « Il existe des antipsychotiques, des antidépresseurs (...) Il existe donc des psychoses, des dépressions "
"La psychiatrie classique disparaît donc aujourd’hui au profit d’une médicalisation de la santé mentale. Disparaissent aussi les catégories diagnostiques lui permettant d’établir une distinction entre névrose et psychose. Dès lors, les cliniciens modernes s’en remettent au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (D.S.M). Ce traité d’entités nosographiques, fondé sur une liste de signes cliniques ou de descriptions d’états, ne présente plus aucun souci ni de catégorie ni d’explication ni de structure psychopathologique. Dans sa dernière version (D.S.M-IV), les psychoses sont maintenant regroupées en une seule catégorie clinique, soit la schizophrénie à laquelle s’ajoutent les « troubles » psychotiques divers.", in Qu’est-ce que la psychose ? Conférence grand public, le 28 mai 1999 par Michèle Lafrance, octobre 1999. On complétera par la lecture de l'ouvrage de E. Zarifian, Un diagnostic en psychiatrie pourquoi faire ? , in, La querelle des diagnostics, Paris, Navarin, 1986.

 Reine et Paul qui sont nos témoins mais aussi des acteurs et artistes en actions (dans notre suivi de la troupe de danse ability du petit théâtre d'Ernest de Metz. (entretiens de bouclage et séminaires à Metz de mars à juillet 2003 à 2005, dans notre suivi sur les journée initiées par nos soins et ceux de P. Guillaumet metteur en scène dans le cadre transversal entre l'Université-les Staps-lesAssociations), in Cultures et différences pour une autre approche corporelle, Universités d'Orléans, les 24-25-26 mars 2005.

 Derrière les simples mots de Reine on peut trouver ceci : "Mais ce droit à vivre son corps n’est pas reconnu pour les handicapées mentaux car la dignité de la personne humaine interdirait de les placer dans une situation de maternité : il faudra être pleinement conscient – mais l’est-on dans les cas d’handicaps sociaux comme l’alcoolisme ? – pour éduquer des enfants. Le paradoxe de notre société scientifique est de développer une haptophobie légale par l’interdiction légitime du harcèlement sexuel, de l’inceste, de l’excision, de la pédophilie, au nom de l’indisponibilité du corps ; tout en passant sous silence, au nom d’impératifs non explicites, les stérilisations tubaires, le dopage, les tris d’embryons. L’hypocrisie sert les intérêts des individus correspondant idéalement au profil type du corps fonctionnel et productif. Les autres, chômeurs de longue durée ou travailleurs handicapés, doivent être maintenus dans des structures spécialisées (C.A.T) ou dans des stages dits qualifiants afin de les protéger de la compétition économique qui ne les intégrera jamais.", in Nicole Diederich, Les naufragés de l'intelligence, Editions du V.U.P.S., 1998, et aussi, Stériliser le handicap mental, Editions de l' E.R.E.S., 1998, p. 109.
 Voilà une information rapide sur cette maladie : nom de maladie : Amyotrophie spinale infantile type II, aussi nommé : S.M.A.2, gène : S.M.N1, protéine : protéine de survie du motoneurone, locus : 5q12.2-q13.3
"Le corps humain est constitué de vingt-trois (23) paires de chromosomes. Les emplacements précis des gènes sur ces chromosomes sont appelés des locus. Le locus représente en quelque sorte les coordonnées cartographiques d’un gène sur un chromosome. Les généticiens identifient les gènes en attribuant à chacun un code court et exclusif composé sur le même principe que la codification symbolique courte donnée aux composants chimiques ou aux symboles d’identification de produits de commerce. Le nom d’un gène est souvent associé, mais pas toujours, à la substance qu’il fabrique lorsque le mécanisme biologique cellulaire décode cette substance. Cette protéine ou cette enzyme jouent souvent un certain rôle dans les causes de la maladie. Les traitements des maladies génétiques reposeront vraisemblablement sur la réparation ou l’élimination du produit génique altéré.", in http://www.muscle.ca/content/index.php?id=925Amyotrophie spinale infantile type II (S.M.A2)
 Autour de la structure "Prélude", au cœur du campus, un(e) étudiant(e) en fauteuil peut accéder aux cinémas, aux stations de ski. Nous avons rencontré en entretien, Dominique Ferté, une ergothérapeute qui nous a fait visiter le campus de Grenoble (85 000 mille étudiants), les 29 et 30 mars 2004, pour mesurer l'ampleur du travail effectué sur l'accessibilité à ce jour. Mais le succès fait aussi que ce site estudiantin est actuellement saturé.
 Voir à ce sujet la circulaire ministérielle du 27 mars 1994. 7500 à 8000 étudiants sont inscrits à l'université en 2005. Voir le site handiscol pour des chiffres plus précis et les caractéristiques des personnes handicapées qui fréquentent l'Université française.

 Le projet anti-Perruche à la peine, analyse dans la presse nationale et dans le journal Libération du 09/01/2002. On note qu'il n'y a plus de "mise en cause du médecin ayant commis une faute de diagnostic, et on trouve cependant le principe de réparation personnelle."
 Pour une vision globale sur les myopathies,  HYPERLINK "http://www.med.univ-rennes1.fr/etud/neuro/myopathies.htm" \t "_blank" http://www.med.univ-rennes1.fr/etud/neuro/myopathies.htm, "Les myopathies héréditaires concernent les dystrophies musculaires de l'enfant, de l'adulte, les myopathies congénitales, les myopathies métaboliques, par contre les myopathies acquises concernent les myopathies endocriniennes, les myopathies toxiques médicamenteuses, les myosites.", par les neurologues V. de Deburghgraeve et S. Belliard du service de neurologie, C.H.U de Rennes, 1999.
 Témoignage d'Alexis Ridray sur son parcours à l'université, A la fac comme sur des roulettes, Editions Dianoïa, novembre 2004.
 A.F.M, op.cit., sur le site très exhaustif à l'adresse :  HYPERLINK "http://www.afm-france.org/" http://www.afm-france.org/
 Ibidem. Le plan national "Maladies Rares". Le 20 novembre 2004, Philippe Douste-Blazy ministre de la santé, accompagné du ministre de la recherche et de la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, a annoncé le Plan national maladies rares 2005-2008. Cette annonce met en oeuvre une des dispositions de la loi de santé publique d'août 2004 qui avait retenu les maladies rares comme une des 5 priorités stratégiques de santé publique. Evénement historique dans la reconnaissance des maladies rares, ce plan balaie l'ensemble de la problématique, de la recherche aux soins, à l'information et à la prise en charge. Il se décline autour de 10 axes dont l'A.F.M partage les grands objectifs. Mieux connaître l'épidémiologie de ces maladies; développer l'information; former des professionnels de santé; reconnaître les maladies rares dans le dispositif des affections de longue durée; mieux organiser le dépistage et le diagnostic; poursuivre l'effort en faveur des médicaments orphelins sont autant d'orientations préconisées de longue date par l'A.F.M. L'épine dorsale de ce plan est sans nul doute la labellisation et le financement des centres de références (40 millions d'euros de nouveaux crédits) qui sont, à terme, une réelle avancée dans la prise en charge des patients. Du côté de la recherche, l'Etat, ce qui est nouveau, s'engage sur la durée du plan. Le ministère de la santé bloquera une enveloppe spécifique maladies rares dans son programme hospitalier de recherche clinique (22,5 millions d'euros sur 4 ans) et le ministère de la recherche s'engage à hauteur d'un total de 20 millions d'euros dans un programme pluriannuel de recherche qui se substituera à l'actuel G.I.S, l'institut des maladies rares.
 C'est récemment, la sous pression du parlement, que les sénateurs ont dû faire marche arrière sur un article scandaleux qui pouvait rendre l'intégration scolaire des jeunes quasiment caduque s'il était voté en l'état !
 C'est un projet administratif contre ou avec le concours d'un projet plus anthropologique ? "Par définition aussi, le droit à compensation repose sur une évaluation individuelle des déficiences, en fonction du projet de vie de l’intéressé. Il ne peut se référer à un barème prédéterminé comme les aime l’administration. Il s’adapte et couvre aussi bien des interventions ponctuelles – comme aménager un logement ou acquérir un logiciel spécifique qui permettra de communiquer et de poursuivre des études – que des aides pérennes, telles que l’intervention d’auxiliaires de vie qui autorise l’installation ou le maintien à domicile. Il peut prendre des formes très variées d’aides techniques, animales ou humaines, ces dernières incluant aussi l’aide juridique de la tutelle due aux personnes handicapées mentales ou psychiques surtout si, elle aussi, tend à favoriser le maximum de vie autonome.", Pourquoi rénover la loi de 1975 ! , in Activités Sociales Hebdomadaires (A. S. H.) du 23 janvier 2004, numéro 2343, pp. 41-42.
 Jean nous signale que pour avoir plus d'informations sur ce monsieur : "Vous pouvez poser des questions à mon père puisqu'il le connaît et qu'il habite à St Pryvé St Mesmin."En effet, sa parole serait intéressante sur des sujets brûlants comme la fin de vie, l'ergonomie de la vie au quotidien. De tels témoignages "non médiatiques" pourraient se révéler d'une grande valeur ethnographique. C'est exactement dans de tels lieux que notre recherche devra se déployer pour rassembler les morceaux épars du domaine anthropologique "handicap" au sens de H.-J. Stiker (1982-1997) ainsi que de C. Gardou (2005).
 De fierté mal placée ! Mais c'est lui qui souligne plutôt le terme de "honte" ! Peut être que le handicap de certaines personnes n'est pas assez grave, ou spectaculaire pour mériter qu'on en parle !
 Nos amis, Jean ainsi que Johan, ont participé à la vie de ce lycée pilote. M. Jean-Pierre Claude, Mme Monique Pasqualini, professeurs au Lycée Toulouse Lautrec de Vaucresson insistent sur les faits suivants : "Ce sont même, quelquefois, les handicapés qui invitent les valides dans leurs structures (par exemple : le centre académique d’escalade de Paris est situé à l’Institut National des Jeunes Sourds de Paris ; le lycée Toulouse Lautrec organise les championnats départementaux d’escalade et invite des valides à des rencontres en natation et en athlétisme. Reste le problème des jeunes handicapés intégrés dans les établissements scolaires traditionnels. Il est indispensable de pouvoir les regrouper, si l’on veut qu’ils puissent pratiquer certaines activités tels que les Sports d’équipes (basket en fauteuil, foot-fauteuil électrique, etc.) ou ceux nécessitant des moyens adaptés. Des expériences sont déjà réalisées (ex : à l’Institut National des Jeunes Aveugles de Paris)." Nous avons contacté les auteurs de ces lignes en septembre 2004 pour interroger leurs pratiques et partager leurs savoirs.
 Il s'agit de la loi sur "L'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées" qui a été publiée au Journal officiel le samedi 12 février 2005. Des polémiques subsistent car les demandes une fois encore ne furent entendues que difficilement !
 Etranges, étrangers, étrangetés des modes de vie : de nombreux travaux seraient à mener pour avoir une vue comparative sur la manière de traiter la personne handicapée en Europe et dans le reste du monde. Nous ne manquons pas une occasion lorsque des amis chercheurs de toutes obédiences scientifiques partent en colloque quelque part dans le monde, de leur demander de nous rapporter des renseignements ou de tisser des liens pour le futur (Cameroun, Ethiopie, Canada, Tunisie, Roumanie, etc).
 "Au cœur de la Sologne, dans un cadre préservé, nous proposons des conditions d'hébergement propices au bon accomplissement du parcours d'orientation et de formation professionnelles de nos stagiaires, préalablement orientés par les C.O.T.O.R.E.P. Nous sommes gérés par la F.N.C.P.G-C.A.T.M, reconnue d'utilité publique sous le sigle F.N.P.G par décret de 1948. Notre C.R.P est un centre agréé par l'A.F.P.A, avec près de cinquante salariés. Ils s'assurent que le parcours de 115 stagiaires puisse se dérouler dans les meilleures conditions. En termes de résultats, environ 70% des stagiaires en recherche d'emploi trouvent un poste dans les 6 mois suivant leur sortie du C.R.P (statistiques activité 2004)", in le site : www.lesrhuets.org, Centres de Pré orientation et de Rééducation professionnelle des Rhuets (C.R.P), dernière modification le 22 avril 2005.

 C'est Jacques qui souligne dans son récit ce terme de "l'handicapé ! " sans faire référence de façon péjorative à la personne. Je n'ai pas corrigé sauf dans nos derniers entretiens lorsque nous avons abordé les termes de la loi de 2005. Venant de lui, il nous signifie simplement qu'à travers le vocabulaire, on peut trouver de la violence implicite.
 Le travail de l'I.N.S.E.E dans son enquête sociologique : "handicaps, incapacités, dépendance" (H.I.D) donne une vision d'ensemble du handicap en France. Elle sert de support à l'article, 12 millions de français subissent un handicap, Le Monde interactif et le journal le Monde, les 05 et 09 octobre 2002, par Sandrine Blanchard.
 Voir notre grille symbolisée par la triade des "3C" en ce qui concerne la sémantique autour du cœur dans le handicap. Si la notion de "pitié" est pire que tout pour eux, les gestes d'amour et d'amitié sous toutes les formes aident à la "guérison".
 Il s'agit presque d'un euphémisme, lorsqu'on sait la lutte qu'il a dû mener contre un cancer dans la sphère abdominale. Il m'a avoué, la véritable raison de ce "petit souci de santé", à partir du moment où la guérison était assurée.
 A l'heure de l'écriture finale de ces pages (juillet 2005), nous ne savions pas encore l'échec de la candidature de la France aux jeux olympiques et paralympiques de Paris !
 On aura noté toute l'esthétisation de la rhétorique chirurgicale ! Il est vrai qu'il faut nommer la "maladie" pour l'identifier, c'est une constante dans le milieu du handicap.
 "Présence d’air dans la cavité pleurale, normalement virtuelle, en dehors de tout traumatisme ou de tout geste médical. Le pneumothorax fait suite à une rupture brutale et localisée de l’arbre aérien broncho- alvéolaire, qui se produit au niveau d’une lésion rendant la couche corticale des alvéoles pulmonaires plus fragile qu’elle ne l’est normalement; il se traduit par un point de côté brutal et par une gêne respiratoire modérée; exceptionnellement, notamment s’il vient décompenser une insuffisance respiratoire chronique, il s’accompagne d’une insuffisance respiratoire aiguë.", in dictionnaires de la langue françaises (D.O.L.F) 2005. Il s'agit ici d'un choc traumatique et l'air est présent entre les feuillets de la plèvre.
 Deux sites l'un médical et l'autre grand public traitent de ce sujet difficile qui touche aussi les personnes en fauteuil. (dix dans notre étude). "Les patients souffrant de troubles de la sensibilité ne peuvent percevoir la douleur qui accompagne une pression excessive prolongée et provoque normalement un mouvement même imperceptible qui soulage les tissus. Les troubles de la sensibilité se rencontrent chez, les patients atteints de maladie neurologique : hémiplégie (suite à un accident vasculaire cérébral), les blessés médullaires : paraplégiques, tétraplégiques, les patients souffrant de certains troubles de la conscience, de démence..., certains diabétiques ayant un diabète ancien." (...) "Les patients souffrant de troubles de la mobilité vont avoir des difficultés à échapper à une pression excessive prolongée, même lorsque la douleur liée à celle-ci est perçue. Les troubles de la mobilité se rencontrent chez, les blessés médullaires : paraplégiques, tétraplégiques, les patients post-opératoires immobilisés, les patients souffrant de certains troubles neurologiques : parkinsoniens, hémiplégie etc.", in http://www.escarre.fr/aaz/pression/mobilepb.htm et aussi http://www.chu-rouen.fr/ssf/pathol/escarre.html
 "Le problème des amputations a été souvent évoqué au cours de cet exposé sur la pathologie des artères. La gangrène est, hélas, le lot de nombreuses artériopathies, qu’elle survienne à la suite d’une ischémie aiguë ou qu’elle soit la conséquence ultime d’un appauvrissement circulatoire progressif. C’est donc un constat d’échec, et il est douloureusement ressenti tant par le malade que par le chirurgien qui doit s’efforcer par tous les moyens de l’éviter. C’est dire qu’il faut tout tenter pour garder un membre et, si cela est inévitable, pratiquer une mutilation relativement acceptable. L’amputation de cuisse, chez un homme âgé, fatigué, cardiaque, est catastrophique, car elle n’est guère appareillable et fera du malade un grabataire ou un condamné à la chaise roulante. L’amputation de un ou plusieurs orteils, voire de l’avant-pied, constitue un sacrifice que la plupart des artéritiques peut consentir sans dommage. Elle supprime les douleurs et rend rapidement le malade à une vie normale ou semi-active. Si la gangrène est plus extensive, il faut amputer plus haut en conservant à tout prix le genou, qui est une articulation indispensable : l’amputation se fait au tiers supérieur de la jambe, ce qui autorise la reprise rapide de la marche grâce aux prothèses modernes assurant à l’amputé une complète autonomie et sa réintégration sociale.", in, C. Elbaz, Débat sur le traitement chirurgical de l’athérome, oblitérant chronique des artères du membre inférieur, in Bull. et Mém. de la société des chirurgiens de Paris, Vol. LXI, 1971, et Le problème des amputations, Claude Elbaz, chirurgien, Encyclopédia Universalis, version V, 1999.

 Sur ce sujet on pourra consulter l'article de Benoît Grison, Membres fantômes, in Le dictionnaire du corps, sous la direction de Bernard Andrieu, Editions du C.N.R.S, Paris, 2005.

 Lyse, dans les entretiens no6, dit exactement le contraire ! Le fait d'être handicapé de naissance ou de "l'acquérir" par la suite constitue vraisemblablement une limite. Mais, ou s'arrête le rêve des uns ou des autres, qui peut empêcher Yohan, "l'I.M.C" ou Serge "le Duchenne", de vouloir marcher, courir, naviguer ou faire du delta plane ! C'est rarement ce que propose la société aux handicapés les plus lourdement atteints, pour concrétiser quelques uns de leurs rêves.
 A l'instar du film Mar Adentro, que nous avons cité et analysé dans le tome I de cette étude qui est un modèle du genre (au même titre que le film Shoah et quelques autres), il mériterait donc pour son éblouissant didactisme ainsi que sa force anthropologique, de figurer parmi les documents à montrer dans tous les collèges, les lycées et les universités.
 On retrouve ici dans cette phrase, le premier principe clinique, qui est l'écoute attentive des soucis de l'autre.
 Oui, sur un pied d'estale, sur un même pied d'égalité, je trouve l'expression non seulement poétique mais éthique.
 Ou se faire "tuer" par d'autres. L'éducation passe par tout un accompagnement dont la précision du vocabulaire forme le premier maillon. Le poids des paroles est capital dans cette extrémité anthropologique du dialogue de l'homme avec l'homme.
 Serge entretiens no3 cite les "marchants" en par opposition à ceux qui sont condamnés au fauteuil qui paradoxalement est aussi un moyen de leur liberté.
 On notera la dénomination de cette douleur/trauma/tristesse, qu'il nomme "ça" !
 "Certes dans le psychisme des individus la différence entre une naissance infirme et un accident au cours de l'existence est très fortement ressenti (...) Mes chez les grands protagonistes comme Cooper, Laing et Mannoni (l'anti psychiatrie), on peut discerner beaucoup plus qu'une ambition de guérison ou d'adaptation. Il s'agit pour eux, de reconstituer une sociabilité, c'est-à-dire un vivre ensemble dans la différence (...) Je crois d'ailleurs percevoir quelque chose de semblable à travers les cris de groupes minoritaires de handicapés. De façon générale, les infirmes sont relativement passifs face et dans les institutions que j'ai évoquées. Certains cherchent comme ils le peuvent des solutions individuelles de compensation.", in H.-J. Stiker, Corps infirmes et société, Association des paralysés de France, Dunod, Paris, 1997, pp. 189, 190 et 191.
 On pourra se reporter aux films traitant de ce sujet, à l'instar de Né un quatre juillet ou de Nationale 7, ainsi que les ouvrages tels ceux de B. Soulier, Aimer au-delà du handicap : vie affective et sexualité du paraplégique, Pratiques sociales, Privat, Toulouse, 1994. Ils aident grandement à briser les tabous.

 Cet épisode se déroula durant la longue nuit d'entretien informel, lors des Journées nationales des responsables, de l'accueil des étudiants en situation de handicap, à Clermont-Ferrand, les 22 et 23 janvier 2004. Pendant plus de trois heures notre collègue "paraplégique", nous raconta la conception et la naissance de ses enfants et fatalement les premiers traumatismes issus de son accident inouï !
 Le chemin des autres, Juliette Cazenave, A.R.T.E, document télévisuel, le lundi 29 septembre 2003. Dans ce reportage on parle d'amour et de sexualité. Il existe une approche différente, pour ceux qui ont un handicap de naissance et les autres, sur le plan de la sexualité. Le centre de Trebel en Allemagne fait un éveil à la sensibilité et va jusqu'à proposer des accompagnatrices sexuelles pour la personne handicapée. Il n'y a pas les mêmes références que pour les personnes valides : car c'est surtout de mieux connaître son corps qui importe. On peut croiser ces données avec celles de la presse quotidienne où l'on peut trouver quelques articles sur la sexualité et le corps de la personne handicapée. Mais il faut dans cette réflexion mettre à distance de nombreuses données subjectives, pour ne pas tomber dans un voyeurisme journalistique ou dans une vision déformée de ce problème.
 On peut longuement méditer sur les traces historiques laissées en nous, les images qui peuvent nous venir à l'esprit quand M. Vial signale ce que l'on disait au siècle dernier : "À l’époque actuelle, les unions entre les hommes et femmes sont l’effet du hasard ou d’une passion irraisonnée. (…) Les alcooliques, les rachitiques, les tuberculeux, les syphilitiques, toutes les misères physiologiques, toutes les ignorances, toutes les poussées d’un intérêt pécuniaire mesquin et bas font, en des accouplements souvent monstrueux, la procréation d’individus qu’on voudrait sains et forts, chose qu’on ne peut obtenir que par une sélection scientifique !", in Monique Vial., Enfants handicapés, du XIXe au XXe siècle, Pages 249 à 375, in Histoire de l'enfance en occident. , sous la direction de Egle Becchi et Dominique Julia, Tome 2 du XVIIIe siècle à nos jours, Editions Points Seuil, Paris, 1998, pp. 370-371.
 Howard Gardner, Les intelligences multiples, Editions Retz, Paris, 1996.
 La mise à nu devant les commissions, les excuses pour la gène, les rabaissements, les négociations permanentes deviennent des stratégies utilisées par la personne en situation de handicap avec leurs effets pervers qu'il convient d'équilibrer avec de "sains" coups de "gueule" comme le scandent Richard ou Jean. (dans les récits no7-10.)
 Je partage ce constat de "patience docile" en ce qui concerne les "petites gens" du handicap mais on retrouve celle-ci aussi chez les personnes handicapés situées en haut de l'échelle sociale, qui pourraient se permettre des rébellions plus fortes. Bien souvent elles ne les expriment que du bout des lèvres. Pourquoi ?
 "L'haltérophilie handisport est une discipline réduite à un seul mouvement, le développé couché. Elle est pratiquée par les handicapés ou amputés des membres inférieurs, infirmes moteurs cérébraux, spina bifida et les aveugles. Les tétraplégiques avant retrouvés une partie de l'usage des membres supérieurs sont également admis.", in le site : http://www.yanous.com/pratique/sports-loisirs/sportsloisirs020607.html
 Cf : "L'histoire de ma vie a suscité en Amérique, lors de son apparition, un intérêt général, et tout le monde s'est passionné pour cette jeune fille de 22 ans qui, privée des sens les plus nécessaires, la vue et l'ouïe, dès l'âge de 19 mois, a su y suppléer par le simple toucher, au point d'entreprendre les études les plus ardues et d'y réussir.", in Helen Keller, Sourde, muette, aveugle - L'histoire de ma vie, 1904, collection petite bibliothèque Payot, no 59, Paris, 2001, pp. 7-8.

 Il veut souligner qu'ils ne sont pas une "informe" forme biologique sur un fauteuil. Ils peuvent créer, jouer la comédie si on daigne leur faire confiance. Beaucoup de paroles virulentes furent notées par nos soins dans des moments "off", hors de l'entretien officiel. Je reconstitue donc ces compléments de récits, ces franges de mémoire, armé du carnet ethnographique pour objectiver autant que faire ce peut, ces données à la marge des discours.
 Cela ne perdure que quelques semaines, c'est "l'effet tsunami", du nom de la catastrophe en fin d'année 2004 (25-28 décembre 2004). Il faut comme en pédagogie faire du psittacisme (effet perroquet) pour ancrer les bons soins à apporter (et ce même dans les esprits ! ) par des gestes corporels adéquats.
 Cf : le tome I de notre étude, dans sa partie II, §5, Regards sur la différence par le cinéma : voir.
 Sauf des rôles d'exception, comme ceux des personnages de petites tailles (Willow, Les nains ont commencé petits, etc) ou bien encore des personnages atypiques des rares films tels que, Le huitième jour, Les enfants du silence, etc.
 Il a failli ajouter "le pauvre" ! On sait à présent que la pitié est le sentiment que tous nos témoins rejettent avec la plus grande force. L'attitude judéo-chrétienne, de l'avis unanime, doit faire la place aux actes plus gratuits, plus amicaux. Lorsqu'on interroge les S.D.F souvent on entend dire : "Oui pour la générosité avec en plus un regard franc sur nos personnes". Le minimum c'est un regard droit dans les yeux, car il marque une dignité partagée.
 "En effet, d'un point de vue sociologie, le problème central pour ces groupes est celui de leur place dans la structure sociale." (...) "Les individus totalement et visiblement stigmatisés, quant à eux, endurent une indignité qui leur est propre : celle de porter leur état comme un brassard, en sachant que chacun peut les percer à jour. Notre hypothèse et donc que, pour comprendre la différence, ce n'est pas le différent qu'il convient de regarder, mais bien l'ordinaire. La question des normes sociales demeure certes au centre de l'étude, mais notre intérêt ira moins à ce qui s'écarte extraordinairement du commun qu'à ce qui dévie communément de l'ordinaire.", in E. Goffman, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, les Editions de Minuit, 1963, pour la traduction française 1975, pp. 149-150.
 "Les athlètes qui participent aux Jeux Paralympiques sont atteints de handicaps de type et de niveau variés. Afin de leur permettre de concourir sur un pied d’égalité, ils sont donc répartis dans différentes catégories. Un personnel médical et technique spécialisé, les «classificateurs», procède aux tests d’évaluation de classification. Ces personnes évaluent les athlètes grâce à tout un éventail de procédures et de tests fondés sur leurs aptitudes fonctionnelles à effectuer les mouvements requis par le sport pratiqué. Ce système permet de s’assurer que les athlètes concourant dans la même catégorie ont des aptitudes fonctionnelles égales ou similaires. Le Comité International Paralympique est l’autorité compétente pour toutes les questions ayant trait au cyclisme lorsqu’il est pratiqué par des athlètes handicapés. Ci-dessous sont listées quelques-unes des règles de classification appliquées aux cyclistes.", Cf le site : http://www.athens2004.com/fr/ParalympicCyclingRulesAndClassification
 Ohé Prométhée un réseau d'associations françaises avec 24 associations sur 23 départements qui agissent en faveur de l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Accueillir, orienter, conseiller, préparer, placer les travailleurs handicapés informer, proposer des candidatures, conseiller les employeurs.
Un réseau d'associations unies pour réussir l'insertion des personnes handicapées en entreprise. http://www.ope.org/opweb.htm
 On entend souvent dire que l'on est "tous des handicapés", voici avec un brin d'humour acerbe ce qu'écrit le sociologue "de l'exclusion" C. Frétigné : "L’ordonnancement alphabétique suivant prête à sourire. L’absurde rejoint ici le tragique. Il convient toutefois d’y prêter la plus grande attention dans la mesure où il véhicule une tendance lourde de notre modernité : la dilution du sens dans une logorrhée qui, bien qu’analytiquement stérile et empiriquement limitante, constitue le terrain d’investigation journalier du sociologue. Les exclus sont ainsi : les alcooliques, les agriculteurs de Mayenne endettés à vie, les autistes, les beurs, Eric Cantona, les célibataires, les chômeurs de longue durée, les clandestins, les clochards, les débiles légers, les demandeurs d’asile, les petits délinquants, les détenus, les errants, les femmes, monseigneur Gaillot, les habitants des quartiers sensibles, les handicapés physiques, les homosexuels, les illettrés, les immigrés, les jeunes scolarisés de seconde zone, les juifs, les mal-logés, les marginaux, les mendiants, les mères isolées, les nomades, les perdants, les poètes, les prostituées, les rmistes, les sans domicile fixe, Erick Schmitt dixit the Human Bomb, les séropositifs, les sourds, les suicidés, Bernard Tapie, les toxicomanes, les tsiganes, les usagers de la S.N.C.F célibataires, les vieux, les zonards.", C. Frétigné, sociologie de l'exclusion, L'harmattan, Paris, 1999, p. 12.
On décrit actuellement certaines situations, vécues par ces groupes disparates par un nouveau vocable : les handicaps sociaux.
 Le diplôme d'accès aux études universitaires (D.A.E.U) est un diplôme national qui confère dans tous les domaines les mêmes droits que le Baccalauréat. Le D.A.E.U s'adresse à toute personne n'ayant pas le Baccalauréat ou un titre admis réglementairement en dispense. C'est un examen avec quatre disciplines obligatoires (Arrêté du 03/08/1994, art. 8). Pour plus de détails :  HYPERLINK "http://www.campus-electronique.tm.fr/PresentationDAEU/" http://www.campus-electronique.tm.fr/PresentationDAEU/
 Dans cette exclamation, on devine tous les sacrifices assumés, les critiques subies, les difficultés quotidiennes qu'il a endurées dans le but d'obtenir le diplôme.
 Maintenant on parle de licence 1, 2 puis 3 dans le système européen harmonisé Licence, Master, Doctorat (L.M.D) depuis 2003.
 Quelques repères législatifs sur les  HYPERLINK "http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/N332.xhtml?" maisons d'accueil spécialisées (M.A.S) pour personnes handicapées. Voici des recommandations, elles sont moins abruptes, replacées dans leur contexte : "Vous êtes handicapé de plus de 16 ans, incapable d'assurer seul les actes essentiels de la vie courante : s'habiller, se laver... Votre état nécessite une surveillance médicale et des soins constants, vous avez obtenu un avis favorable de la C.O.T.O.R.E.P (Commission d'orientation et de reclassement professionnel). Celle-ci décide de la forme d'accueil la mieux adaptée et réexamine régulièrement votre situation. La maison d'accueil doit compter au moins un médecin, une infirmière diplômée d'Etat et doit faire appel à des spécialistes. Les frais de soins et d'hébergement sont pris totalement en charge par la sécurité sociale. L'allocation aux adultes handicapés (A.A.H) est réduite dès votre admission, vous ne percevez plus que 12 % de son montant mensuel (soit 71,94 euros) depuis le 1er janvier 2005. Ce pourcentage est majoré en fonction de votre situation familiale.", in http://www.service-public.fr/, dernière mise à jour, décembre 2004.

 Il m'indique que je peux trouver sur le site Internet vivametz.com, dans la rubrique "Associations", des indications sur le handicap et son action personnelle.
 Le nombre de points d'exclamation est à la mesure des malentendus mais aussi du cadeau réciproque que l'on se donne étant donné la vie plus difficile des uns que des autres.
 Se référer à nos annexes no II sur la synthèse des 90 films, où la personne handicapée en est la figure centrale. On citera les principales œuvres comme : Langer gang, Le moindre geste, L'éveil ou Paradox lake.
 Marie Rabourdin, responsable de la future maison d'accueil spécialisée de Lorris nous assure qu'il y a "toujours quelque chose à faire."
 "Paraplégie spasmodique progressive, consécutive à un traumatisme obstétrical, la maladie (ou syndrome) de Little est presque exclusivement observée chez d’anciens prématurés. La lésion anatomique déterminante consiste en une sclérose cicatricielle bilatérale de la substance blanche périventriculaire. Le syndrome associe une paraplégie spasmodique et une "débilité mentale" de degré très variable (et inconstante). Les troubles moteurs s’installent progressivement à la fin de la première année et sont précédés, en général, de manifestations relevant de l’hypotonie musculaire : la tenue de la tête est retardée et imparfaite, la position assise n’est obtenue que tardivement ainsi que la marche sans appui qui n’est d’ailleurs pas toujours possible. La paralysie spasmodique des deux membres inférieurs s’accompagne d’une hypertonie musculaire pyramidale accusée et prédomine surtout aux adducteurs des cuisses et aux jumeaux. Cette hypertonie, accrue lors des mouvements volontaires, entraîne le croisement des cuisses lors de la marche. Les pieds sont en varus équin. Les membres supérieurs, parfois indemnes de tout trouble, sont souvent le siège d’une diminution de la force musculaire et de légers mouvements involontaires. Le syndrome, qui peut, dans certains cas, se résumer à la paraplégie spasmodique, comporte souvent, en outre, une hypotonie de la colonne vertébrale, une dysarthrie, une hypersialorrhée. (en médecine c'est une augmentation anormale de la sécrétion salivaire ndlr). L’intelligence peut être normale, mais un déficit plus ou moins sévère est habituel, conséquence directe du traumatisme obstétrical. Le traitement comporte des moyens orthopédiques et des mesures de rééducation motrice; les résultats obtenus dépendent largement du niveau mental de l’enfant et de sa coopération.", par le docteur J.-P. Aboulker, Maladie de Little, in Encyclopédia Universalis, Version V, 1999.

 De façon plus moderne nous avons voulu ajouté un complément sur les savoirs de ce syndrome que médecins, associations et témoins se partagent (se disputent quelquefois entre experts officiels et profanes).
Le médecin anglais William John Little (1810-1894) décrivit en 1861 un trouble affectant les jeunes enfants et qui se manifeste par une raideur excessive des muscles des jambes, et parfois des bras. W.-J. Little notait que "leur situation ne s'aggrave pas avec les années, les enfants conservant le même contrôle de leurs membres au cours du temps (à la différence des myopathies par exemple). Les difficultés ne s'améliorent pas non plus spontanément, et la contracture des muscles peut entraîner des déformations des os au cours de la croissance de l'enfant. Ces enfants ont du mal à prendre des objets, à se tenir debout ou à marcher (mouvements d'ensemble). Ils ont parfois aussi du mal à parler, à manger ou à écrire (mouvements fins)."
Ce syndrome de Little est généralement appelé aujourd'hui diplégie spastique, et il n'est qu'une des formes que peut prendre une infirmité motrice cérébrale, en abrégé I.M.C. Les anglo-saxons parlent de paralysie cérébrale (cerebral palsy). Ayant remarqué que ces enfants avaient souvent traversé un accouchement difficile, Little pensait que ces troubles venaient d'un manque d'oxygène à la naissance, qui aurait endommagé les tissus nerveux contrôlant les mouvements. Une étude américaine menée dans les années 1980 sur 35000 naissances concluait cependant que les naissances difficiles ne représentaient que 10% des cas. Aucune cause précise n'a pu être trouvée dans la majorité des cas.
Sur le syndrome de Little on croisera les données avec le livre de Bachrach et al, Cérébral palsy; A guide for care de Miller, John Hopkins University Press, ainsi qu'avec le site de l'association A.P.F, www.apf.org, enfin avec les sites plus personnels tels que : http://perso.wanadoo.fr/vivian.bouquet/Little/, 25 septembre 2001.

 Nous en ferons une analyse plus fine dans le récit no14, À propos de Carole. Ces centres très divers pour le public n'ont pas de marquage ou de lisibilité nette. Qui peut faire une différence notable entre par exemple : les M.A.S, les I.M.E-C.A.T, les I.M-Pro, les U.P.I, les E.R.E.A, etc ?
 Voilà quelques troubles associés auxquels il doit faire face (d'autres pensionnaires ont bien moins de chance encore). L'état de notre ami Georges est une position limite entre multi et polyhandicap.
Les autres troubles répandus : l'insuffisance respiratoire chronique, les troubles nutritionnels et les troubles de l'élimination, la fragilité cutanée. Les troubles somatiques. La personne polyhandicapée est très fragile. La mortalité est dix fois plus élevée que chez les sujets normaux à âge égal. Des causes externes comme par exemple un changement de prise en charge, d'établissement, ou de traitement, peuvent s'ils sont mal préparés provoquer une aggravation des troubles et même le décès.
La douleur se manifeste par des déformations, troubles digestifs, et autres troubles, concourant à l'apparition de douleurs parfois importantes chez les personnes polyhandicapées. La personne polyhandicapée est largement exposée à la douleur, le plus souvent depuis la naissance. Ses moyens d'expressions sont réduits, et les causes sont souvent complexes (oesophagites, lésions dentaires, constipations, douleurs orthopédiques, etc.). Familles comme professionnels peuvent "passer à côté" par méconnaissance des critères objectifs de douleur. Par le Docteur Geneviève Metton Evaluation de la douleur chez le sujet polyhandicapé, dernière mise à jour du 05 février 2002, in les sites référencés, www.univ-st-etienne.fr, www.moteurline.apf.asso et aussi P. Collignon, B. Giuiano, A.-M. Boutin, J.-C. Combes, Utilisation d’une échelle d’hétéro-évaluation de la douleur chez le sujet sévèrement polyhandicapé. Douleur et Analgésie, 1997.
 Un jour qu'il se plaignait du dos dans le cadre institutionnel d'une réunion (crises de lordose, scoliose, etc.) et qu'il voulait un fauteuil plus digne, plus confortable pour soulager ses douleurs, voilà ce qu'on lui répondit : "Mais vous n'y pensez pas, mon cher, c'est du luxe !"
 Op., cit., www.univ-st-etienne.fr, www.moteurline.apf.asso. Imaginons le chiffrage par l'état de ces quelques propositions signalées ci-dessous ! (La vie de relation des personnes polyhandicapées, la compréhension puis la communication.)
"La vie de relation des personnes polyhandicapées : Ce point est largement méconnu et sous-estimé, sauf des gens qui vivent auprès des personnes polyhandicapées. Les possibilités d'expression des émotions et de contact avec l'environnement sont souvent préservées, et des acquisitions d'autonomie se font chez tous les enfants bien pris en charge lorsqu'on s'appuie sur les compétences et non sur les manques. A l'inverse, une prise en charge inadaptée ou interrompue entraîne une régression immédiate, et souvent malheureusement irréversible. 
La compréhension : Nous savons aujourd'hui que les polyhandicapés peuvent apprendre. L'accès à l'éducation cognitive est un droit et un devoir dont doit pouvoir bénéficier toute personne polyhandicapée.
La communication : Toutes les personnes polyhandicapées s'expriment, en général dans un langage non verbal qui leur est propre et que leur entourage doit découvrir. Le point essentiel est l'acquisition d'un moyen, verbal ou non verbal, de signifier le oui et le non. A partir de ce point, grâce au jeu des questions réponses, la personne polyhandicapée peut exprimer sa volonté, ses désirs, ses craintes. "
 "Le tintamarre médiatique de ces dernières semaines autour du livre de Pascal Gobry, L'enquête interdite. Handicapés, le scandale humain et financier, a rappelé douloureusement aux familles, professionnels, associations et personnes handicapées qui, depuis cinquante ans, ont construit, avec les pouvoirs publics, un dispositif étoffé de prestations, de services et d'institutions que certaines valeurs, comme l'entraide sociale et la solidarité collective, pouvaient être radicalement remises en question." Par Gérard Zribi, La politique du handicap, un scandale ? Le journal de l'action sociale, pages 30 et 31, décembre 2002.
 Les photos d'Eric Dexheimer sont à regarder sur : www.combatlarevue.net.
 Il me renvoie pour plus de détails sur le site :  HYPERLINK "http://imp1-q.free.fr/horde/util/go.php?url=http%3A%2F%2Fwww.reseauvoltaire.netlarticle&Horde=5c05d183a7a3cdfc213d11e0f6fe5c8b" \t "_blank" http://www.reseauvoltaire.netlarticle/, ainsi que sur les articles du magazine des combats pour le handicap, Handicap, faut-il normaliser les personnes handicapées ? , in Combat, face au SIDA, santé, drogue société, Numéro 31, mars 2003.

 "Par exemple, lorsqu'un enfant perd l'usage de ses sens - la vue et l'ouïe -à la naissance ou juste après, ou encore dans le cas où l'enfant a été élevé dans une pièce sombre par une mère sourde et muette. Les exemples les plus dramatiques sont ceux de Laura Bridgman et de Helen Keller. Leur histoire est trop connue pour être à nouveau relatée ici, si ce n'est pour attirer l'attention sur les quelques points suivants : alors qu'elles avaient perdu à la fois la vue et l'ouïe, on put, après bien des efforts, communiquer avec elles au moyen de la peau ; le toucher par la peau leur permit même d'appréhender le monde des humains dans sa totalité et de communiquer avec lui au plus haut niveau. Jusqu'à ce que chacune de ces enfants ait appris le langage digital - en d'autres termes la communication par la peau -elles étaient de fait complètement coupées de tout échange social avec les autres. Elles étaient isolées, et le monde dans lequel elles vivaient n'avait que peu de sens pour elles ; il leur était presque impossible de s'intégrer socialement. Mais lorsqu'elles réussissent à apprendre langage le digital grâce aux patients efforts de leurs professeurs, le monde de la communication symbolique s'ouvrit à elles et leur développement en tant qu'être humain social progressa rapidement.", in A. Montagu, La peau et le toucher, Edition originale 1971, pp. 68-69.

 J'ai, de nombreuses fois, assisté à ces situations que décrit notre ami, on parle pour eux, on fait pour eux, on réfléchit à leur place.
 De nombreux témoignages itératifs peuvent, à travers toutes les typologies du handicap, être recoupés pour confirmer cette observation.
 Ces images d'ennui sont bien fixées par les films des années 1950 - 70 sur l'univers psychiatrique avec des films comme, Vol au dessus d'un nid de coucou, Shock corridor, etc.
 Cette "forme" de honte est ici, dans son dernier texte envoyé, exprimée pour la première fois, aussi durement. Il doit, "distance scientifique oblige", faire un effort constant entre sa position de chercheur et son implication en sympathie pour le milieu "des résidents", à l'intérieure de ces lourdes machines structurellement nécessaires certes, mais relationellement insuffisantes.
 Nous avions suite aux divers contre temps, trois dossiers et huit mois, à rattraper ! L'ethnographie du handicap n'est vraiment pas faite pour des chercheurs impatients !
 Pour être objectif, on doit signaler les délits et les malversations de profiteurs professionnels du stigmate. Dans les témoignages qui nous ont occupé on retrouve ces observations. Le fait d'être handicapé se révèle être une protection contre les négativités de la vie étant donné la rudesse de celle-ci, mais comme dans tous les groupes humains les tricheurs se distribuent de façon homogène. Les films Aaltra (2004) ou encore Fortune express (1991) en sont de beaux exemples. Ils relatent la revanche contre la vie difficile des personnes paraplégiques qui profitent du quotidien entre farces et petits délits.
 Éduquer les jeunes à voir le rire, la joie chez l'autre. Éduquer le public à voir les plus faibles réussir. C'est un concept à méditer plus dans la pédagogie des minuscules progrès à réaliser pour s'humaniser comme dans l'extrait qui suit :
"Totalement grabataire, Jean ne pouvait ni parler, ni marcher, ni même se tenir assis tout seul. Il savait très bien qu'il ne marcherait jamais, à travers son humble présence, sans parole, sans geste, avec la justesse que donne des vraies tendresses, il avait cependant accompagné chacun de mes pas. Mes jambes devenaient les siennes. On aurait dit qu'il apprenait lui-même a marcher".
"Chaque jour, il me fallait nous remettre à l'ouvrage, résoudre les difficultés, une par une, assurer notre condition, rester debout. Voilà notre travail, notre véritable vocation, ce que j'appelle, faute de mieux le métier d'hommes.", in A. Jollien, Eloge de la faiblesse, les Editions du Cerf, Paris, 1999, p. 24 et p. 34.
 Ne maîtrisant, ni la langue des signes, ni la culture sourde, c'est Gabriel, spécialiste des activités physiques adaptées qui nous aura permis de gagner un temps précieux en étant l'interface humaine de nos échanges.
 Cette comparaison de J. Hull, entre les deux grandes familles des handicaps sensoriels, peut être utile à donner pour comprendre cette "distorsion du temps" relevée entre nous.
"Peut-être toutes les infirmités graves provoquent elles un rétrécissement de l'espace et un étirement du temps. Je pense à mon ami Chris, atteint d'une sclérose en plaques. Sans son véhicule, son rayon d'action ne dépasse pas une vingtaine de mètres. Avec le moteur, qui fait du 6 kms à l'heure, son espace s'élargit."
"On ne veut pas aller plus vite. Le temps, contre lequel on se battait autrefois, n'est plus que le courant de conscience au sein duquel on agit. Pour celui qui à la fois sourd et aveugle, l'espace est circonscrit à son seul corps, mais il a tout son temps."
" Si les aveugles vivent dans le temps, les sourds vivent dans l'espace. Les sourds mesurent le temps en voyants le mouvement. Et s'ils contemplent un monde sans mouvement, les étoiles, une rue déserte où un paysage de montagne, il demeure une cohérence statique. En perdant la conscience de l'espace, les aveugles se rendent moins compte de la permanence. Le monde des aveugles est plus éphémère, parce que les sons apparaissent et disparaissent.", in John Hull, Le chemin vers la nuit, traduction de Donatella Saulnier et Paule Vincent, Paris, Robert Laffont, 1990 pour l'édition originale et 1995 pour la traduction française, pp. 99-101, 115-116, 153, 178, 202.
 Nous en rions aujourd'hui, car ce fut, presque un rappel à l'ordre que je lui assénais !
 Roland affirme qu'il doit travailler le "double" (deux fois plus !) d'un autre enseignant pour se former. Deux heures pour une heure ! Peut-être, est-ce un indice d'échec scolaire des jeunes sourds à l'école, l'effort consenti doit toujours proportionnellement être multiplié par deux. Le récit de Marie (entretiens no 15) va aussi dans ce sens.
 C'est bien la coupure décrite par de nombreux auteurs entre la surdité pré et postlinguale à savoir : "Dans quelle mesure les sourds postlinguaux continuent à « entendre » est une question plus ou moins analogue à celle qui consiste à se demander comment les sujets devenus aveugles tardivement continuent à « voir » et, d'une façon ou d'une autre, continue à vivre dans un monde visuel, à l'état de veille comme dans leurs rêves. John Hull (1990), auteur de l'un des plus extraordinaires comptes rendus autobiographiques qui aient traité de ce problème, écrit : « Pendant mes deux premières années de cécité, les gens pour moi se divisaient en deux groupes : ceux qui avaient un visage et ceux qui n'en avaient pas... Les gens que j'ai connus avant de perdre la vue ont un visage, mais ceux que j'ai connus après n'en ont pas... Avec le temps la proportion des gens sans visage a augmenté".... "En gros, Hull s'enfonça de plus en plus dans sa « cécité profonde » au fil des ans. Ses souvenirs et son imaginaire d'ordre visuel, où son besoin de visualité, furent remplacés peu à peu par la sensation de « voir avec l'ensemble du corps » et de vivre dans un monde autonome et complet, à base de sensations corporelles fondées seulement sur le toucher, l'odorat, le goût et, bien entendu, l'audition - tous sens désormais grandement renforcés chez lui ; tandis que les images et expressions visuelles dont il émaillait toujours ses propos ne remplirent plus qu'une fonction métaphorique.", in Oliver Sacks, Des yeux pour entendre. Voyage au pays des sourds, Essais, Editions du seuil, nouvelle collection augmentée, mai 1990 et 1996, pp. 34- 35. Et aussi, Harlan Lane, The Deaf Experience : Classics in Language and Education, Harvard University Press, 1984 ; Edward Gallaudet, History of the College for the Deaf (1857-1907), Washington DC, 1983, et enfin, la onzième édition savante de l'Encyclopaedia Britannica qui traite longuement et remarquablement de cette question à la rubrique, Deaf and Dumb. (souligné fortement par Harlan Lane)
 Un peu d'histoire sur le C.N.E.D, puisque notre ami Roland nous y convie.
"Pour pallier la désorganisation du système d'enseignement due à la guerre, un service d'enseignement par correspondance est créé. Il connaîtra les aléas de cette période, se voyant doublé d'un service similaire au sud de la ligne de démarcation."
"En 1944, à la libération, sa mission est confirmée sous le nom de centre national d'enseignement par correspondance (C.N.E.P.C). Il reçoit le statut de lycée (au sens de l'époque, plus large qu'aujourd'hui). Il est notamment chargé de prendre en charge la scolarité des enfants malades, des anciens prisonniers et déportés... puis les enseignements sont élargis: commercial, primaire, préparation aux concours d'enseignement..."
"En 1979. Il y avait 200 000 inscrits. Le C.N.T.E devient centre national d'enseignement par correspondance (C.N.E.C), établissement public national à caractère administratif doté de l'autonomie financière. Il est dirigé par un administrateur délégué nommé par le président de la République. Sa mission est de "dispenser et promouvoir un enseignement à distance, notamment en faisant appel aux techniques modernes de communication".
"En 1986, le C.N.E.C devient Centre national d'enseignement à distance (C.N.E.D). Il est placé sous la tutelle du ministre de l'éducation national, et dirigé par un recteur d'académie. La direction générale est installée à Paris.", in www.cned.fr, à la rubrique histoire.
 On notera l'humour, en effet les acquisitions de savoirs dans ces disciplines littéraires sont une difficulté redoutable pour les sourds.
 C'est Marie, qui me disait tout le bien de cette discipline, pour "l'inclusion scolaire" des élèves handicapés.
 Une recherche m'a permis de mieux connaître l'auteur de sa citation. Racan Honorat de (1589-1670). Faux marquis, mais membre authentique de la famille de Bueil, né à la lisière du Maine et de l’Anjou, Racan est élevé aux champs, en Touraine, tandis que son père, maréchal de camp, est tué au service du roi en 1597, et que sa mère meurt à son tour en 1602. Sa quiétude rustique et patriarcale, agrémentée par une correspondance avec Maynard, Guez de Balzac, Conrart, Chapelain, occupée à partir de 1648 par la paraphrase en vers des psaumes, n’est troublée que par des procès, et par la mort d’un fils (1651). Il chante encore la jeune gloire de Louis XIV, et s’éteint à Paris où un procès l’a forcé de revenir. Aimé de La Fontaine, il a introduit dans l’école malherbienne une fluidité de vers, un sentiment rustique, et plus généralement une subjectivité qui l’humanise par un charme original.
 Roland semble vouloir explorer ces pistes. Nous donnons ci après juste quelques repères pour mieux situer le futur débat.
"L’évolution du langage et de la langue chez l’enfant, parler "d’évolution", à propos du langage, est moins compromettant que d’utiliser le terme "développement", qui peut suggérer un processus déterminé surtout par des facteurs internes (sur le modèle de la croissance), ou celui "d’acquisition", qui risque de laisser croire à une prépondérance de l’influence des modèles reçus. Il semble, au contraire, qu’il y ait toujours, en ce phénomène, intrication des "activités" du sujet et de la reprise des discours de l’autre, dans des proportions variables selon les âges, les sujets et aussi les niveaux d’analyse considérés. L’enfant doit apprendre que les sons u et ou (dans "rue" et "roue") distinguent deux mots ; il n’apprend pas de la même façon que l’intonation peut signifier l’approbation ou la critique. Ou bien il doit apprendre, au sens fort du terme, l’accord du verbe avec le sujet. Il n’apprend pas de la même façon qu’un même mot peut s’appliquer à deux objets différents et, inversement, qu’un même objet peut être nommé de plusieurs façons." En ce qui concerne la communication non linguistique et le langage. "Jean Piaget (1966) et ses disciples ont longuement développé l’idée que le langage ne vient pas structurer un réel amorphe et que ce n’est pas d’abord parce qu’il y a des noms qu’on apprend à nommer mais parce que les pratiques consistant à percevoir un objet de différents points de vue, à associer vue et toucher, à attendre le retour de l’objet disparu permettent d’isoler " du stable " dans l’univers." (...) "L.-S. Vygotsky (1962) a bien montré qu’il est vain de vouloir se poser la question d’une antériorité du langage par rapport à la pensée ou la question inverse : il s’agit plutôt de noter les développements respectifs de l’un et de l’autre comme étant à l’origine indépendants et de décrire les restructurations qu’entraîne leur rencontre.", in Psycholinguistique, par Juan Segui, C.N.R.S, Encyclopédiae Universalis, version V, 1999.
 On pourra trouver, sur ce compte-rendu de lecture publié dans l'Information Grammaticale, n°98, Juin 2003, pp. 56-57, des informations primordiales sur la thèse de C. Cuxac soutenue en 2001.
"Dans ce numéro double entièrement rédigé par Christian Cuxac, professeur en Sciences du langage à l'Université de Paris 8, la collection Faits de Langues présente La Langue des Signes Française (L.S.F), numéro impressionnant tant par son volume que par la richesse des informations qu'il contient. C. Cuxac est en contact avec la communauté des Sourds depuis 1975, et cet investissement personnel se fait sentir jusqu'à la dernière ligne.", Christian Cuxac, La Langue des Signes Française (L.S.F). Les voies de l'iconicité, Paris-Gap, Ophrys, Bibliothèque des Faits de Langues n°15-16, 2000, 391 pages.
 Dans la rubrique du Monde interactif dans le journal le Monde des 05 et 09 octobre 2002.
 Ce "petit quelque chose" et le "un, je ne sais quoi", m'intéresse au plus haut point. Un questionnement plus fin s'impose pour mieux comprendre l'interface entre nos "deux cultures".
 J'ai mis un point d'exclamation (il en met même deux dans ses textes). Lorsque son souffle et sa gestuelle accentuaient le propos de façon très intense, on entendait des grands "ouf" expiratoires, ceci montrait qu'il était impressionné !
 Un Gallaudet français est-il possible pour la communauté des personnes sourdes ? C'est un peu le cas de l'université de Grenoble autour de handicap moteur très invalidant on parle péjorativement de "Handicap Land" pour la ville de Grenoble !
O. Sacks, op. cit., p. 215 : "L'atmosphère de Gallaudet m'avait semblé très joyeuse, voire idyllique - je n'avais pas été étonné d'apprendre que certains étudiants répugnaient à quitter la chaleur, la solitude, la protection et le confort de ce petit monde autosuffisant pour s'aventurer dans le redoutable monde extérieur." Et en notes de bas de page p. 215 : "Comme toutes les sous cultures, le « monde » sourd s'est constitué à la fois en réaction contre l'exclusion (par le monde entendant) dont il a été victime et grâce à la formation d'une communauté organisée autour d'un centre différent - centrée sur elle-même."
On complétera avec l'ouvrage d'Harlan Lane, the Deaf Experience : Classics in Language and Education, Harvard University Press, 1984. L'auteur renvoie à deux autres sources car le lecteur y découvrira nombre de vignettes personnelles et d'illustrations fascinantes qui jettent une lumière savoureuse et pittoresque sur l'histoire des sourds. Edward Gallaudet lui-même a écrit une histoire semi autobiographique du Gallaudet College dans son livre. Edward Gallaudet, History of the College for the Deaf (1857-1907), Washington D.C, 1983. Cf. enfin, Jack R. Gannon, Deaf Heritage: A Narrative History of Deaf America, Silver Spring, Md., 1981.
 De nombreux témoins dans le handicap sensoriel font ces analyses, car il existe une peur d'être encore plus diminué qu'avant, de ne plus bénéficier des compensations cognitives. "Renaître" de nouveau après une guérison miraculeuse, comme le rapporte O. Sacks, semble trop coûteux psychiquement.
"Dans son essai ironiquement intitulé, Lettres sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient (1749), le jeune Diderot s'en tient à un strict relativisme épistémologique et culturel - affirmant que les non-voyants sont capables, à leur manière, de se construire un monde entier et suffisant et peuvent se forger une « identité d'aveugle » complète sans se sentir ni handicapés ni inadaptés, il soutient que leur cécité fait problème pour nous, mais pas pour eux, de même que nous leur attribuons à tort un désir de guérison qui nous est propre.... Il est notamment arrivé à cette conclusion en méditant sur le cas de Nicholas Saunderson, mathématicien aveugle et newtonien de renom qui est mort en 1740. La réussite exceptionnelle de Saunderson avait passionné Diderot : bien que n'ayant jamais vu la lumière de toute sa vie, ce mathématicien l'avait si bien conçue conceptuellement qu'il était non seulement devenu (entre autres titres) maître de conférences en optique, mais avait brossé en outre, à sa façon, un tableau sublime de l'univers." (...) "Il était démontré que certaines aires auditives du cerveau des sourds congénitaux (en particulier quand se sont des signeurs natifs) sont réaffectées au traitement des informations visuelles, comme on sait aussi que, chez les aveugles qui maîtrisent le braille, le doigt qui lit a une représentation surdimensionnée dans les zones tactiles du cortex cérébral... On peut donc dire, d'une part, que le cortex visuel risque de rester largement sous-développé s'il n'est pas stimulé visuellement ; d'autre part, une telle différenciation du développement cérébral pourrait être inévitable à partir du moment où la perte précoce d'un sens entraîne le renforcement compensatoire des autres sens.", in Oliver Sacks, Un anthropologue sur mars. Sept histoires paradoxales, 1995, Collection de poche, Points Seuil, Paris, réédition 2003, pp. 205-206.
 On trouve en abondance ces marques de "non confiance" dans les entretiens. L'image historique de l'enfant qu'il faut protéger revient en force. Voir le tome I sur l'iconographie du handicap, dont les images perdurent à travers les époques, pour se transformer sous d'autres formes dans l'actualité de notre quotidien.
 "Dire que les sourds non éduqués s'appuient sur l'association entre la formation kinesthésique, somaesthésique perçue, et une mémoire non linguistique primaire et secondaire, signifie que la syntaxe orale standard joue un rôle minime dans leur communication. Le sourd éduqué, employant des signes qui ont été associés à un lexique oral, ne se sert pas d'une compréhension intuitive de la syntaxe orale pour parler par signes, mais traduit l'information obtenue du système oral dans son système de signes (Cicourel et Boese, 1972 a). L'épellation par les mouvements des doigts et des lèvres est considérée comme signes, même si cela à un rapport étroit avec les lettres orales de l'alphabet et des mots (structures de sons). Cet argument revient à dire qu'un adulte qui apprendrait une seconde langue aurait toujours tendance à traduire dans sa propre langue pour pouvoir comprendre cette seconde langue. La dépendance de celui qui parle naturellement par signes à l'égard de sa mémoire perceptive, somaesthésique et kinesthésique, pour produire et comprendre le langage par signes, met en évidence l'engagement de toute communication dans le contexte de l'interaction, malgré l'existence de systèmes normatifs abstraits de la syntaxe du langage oral. Ceci signifie que la syntaxe orale du langage n'a qu'une valeur limitée pour les sourds qui utilisent le langage par signes et qui ne peuvent pas faire l'expérience du langage oral comme le font ceux qui entendent et parlent. Il leur manque le feed-back nécessaire pour contrôler la production d'un discours et pour assimiler l'information en se fondant sur des différences d'intonation.", in Aaron V. Cicourel, Cognitive Sociology, New York, The Free Press, pour la traduction française La sociologie cognitive, Presses Universitaires de France, 1964, pp. 178-179.
 J'ai volontairement "euphémisé" l'expression dans ce texte, les paroles sont plus rudes à la mesure de l'ire, si bien fondée historiquement, de notre ami !
 Parmi les différents langages gestuels qui existent, l'American Sign Language (A.S.L), qu'on appelle quelquefois l'Ameslan, est celui qu'utilisent le plus communément les personnes sourdes en Amérique du Nord pour communiquer. L'A.S.L est un langage gestuel différent en tous points de l'anglais ou du français; il possède ses propres règles grammaticales et syntaxiques et comporte des mouvements de la main et du bras très précis qui représentent des concepts. La grammaire et la syntaxe sont traduites par l'expression faciale. Les gestes courants ne font pas partie du registre de l'A.S.L et il n'y a pas de langage gestuel universel.

 Bernard Mottez, Les sourds comme minorité linguistique, Centre des mouvements sociaux, 1979. Bernard Mottez est sociolinguiste, maître de recherches au C.N.R.S.
 Le film, les enfants du silence (1986), inspire la pièce de théâtre du même nom de Mark Médoff (500 représentations avec E. Labotit qui reçoit en1993, un Molière pour ce rôle). O. Sacks cite dans son étude du monde des sourds, le roman de Carson Mac Cullers, le cœur est un chasseur solitaire, dans les années 1940.
 Roland m'apprend qu'il y a bien sûr des différences entre les deux langues (l'A.S.L et la L.S.F), néanmoins on comprend vite le fond mais il existe des variantes sur la forme car les américains utilisent beaucoup la dactylologie, cela va très vite, nous en France la fréquence dactylologique est moindre, plus posée. Les américains sont beaucoup plus cultivés que nous en général, beaucoup plus cultivés que nous ! Mais c'est vrai que l'anglais par rapport au français est plus facile. L'anglais est plus proche de l’A.S.L (Américan Sign Language) que le français, de la L.S.F ! Roland m'apprend que quelques heures suffisent pour réussir à communiquer entre eux, avec un cadre commun de conversation, alors que pour nous, il faudrait plusieurs semaines pour à peine se "débrouiller" dans une autre langue !
 Les témoignages de Nicole et Philippe, France Inter, semaine spéciale sur le handicap, lundi et mardi 15-16 septembre 2003, Là-bas si j'y suis, Emissions de Daniel Mermet, France-inter, 17 h à 18 h, 2003. C'est les mêmes Philippe et Nicole qui sont interrogés par Nicole Diederich dans Stériliser le handicap mental, Editions de l' E.R.E.S., Ramonville Saint-Agne, Toulouse, 1998. Ils témoignent sur les difficultés de la grossesse et la sexualité des personnes handicapées mentales aux pages 195 à 198.
 Le tintamarre médiatique de ces dernières semaines autour du livre de Pascal Gobry, L'enquête interdite. Handicapés, le scandale humain et financier, "a rappelé douloureusement aux familles, professionnels, associations et personnes handicapées qui, depuis cinquante ans, ont construit, avec les pouvoirs publics, un dispositif étoffé de prestations, de services et d'institutions que certaines valeurs, comme l'entraide sociale et la solidarité collective, louvaient être radicalement remises en question.", par Gérard Zribi, La politique du handicap, un scandale ?, Le journal de l'action sociale, pages 30 et 31, décembre 2002, versus Gobry Pascal, L'enquête interdite. Handicap : le scandale humain et financier, Editions du Cherche-Midi, Paris, octobre 2002.

 Nous aurions compris un refus justifié. Même une rupture aurait été révélatrice. Des dénégations ont émaillé cette relation du début à la fin, sans que je puisse m'entretenir, avec la seule personne qui vraiment le désirait.
 90 000 personnes travaillent en C.A.T. Voici quelques lignes que nous avons noté "in extenso" sur la souffrance dans ces institutions en écoutant et réécoutant l'émission sur le handicap, Là-bas si j'y suis de Daniel Mermet sur France-Inter, le lundi 15 septembre 2003. Des cris dont voici une synthèse évocatrice voire significative : "Nicole est handicapée des jambes et moi Philippe, j'ai un retard mental. (Il a 49 ans, il est donc né en 1954 avec le cordon "autour du cou" comme il dit.) On vit analphabète, on n'a pas touché beaucoup d'intelligence mais on en a ! (Il a vécu dans une institution pour enfants retardés jusqu'à l'âge de 18 ans, dans les "pavillons blancs", où les éducateurs et les éducatrices les font travailler mais pas lire ni écrire.). Je suis malheureux, dit-il, car je ne sais pas lire mais Nicole, elle, sait lire. On souffre énormément du handicap, du regard des autres etc. C'est une intelligence " force en développement" mais il faut la faire sortir. J'ai fait l'acteur au travail, je fais semblant pour rigoler, pour attirer le regard. Dans ma tête je sens comme un " étranglement", qui vient "enterrer le noyau" donc j'oublie et je reviens au monde. Mon regret c'est que je n'ai pas appris à apprendre. Je travaille à la chaîne pour le S.M.I.C et je fais toujours le même travail. On place pour moi la presque totalité de mon salaire et nous n'avons que quelques dizaines d'euros par mois nous sommes sous tutelle, cela nous fait la "honte" dit Nicole, ça me fait une "boule dans le ventre".
 Le groupement pour l'insertion des personnes handicapées physiques (G.I.H.P) assure que : "Le droit au déplacement est la première des libertés et la possibilité de se déplacer librement constitue le vecteur essentiel de l'intégration. Le G.I.H.P milite pour l'accessibilité totale des moyens de transports publics (bus, tramway, métro) pour les personnes handicapées motrices (y compris les personnes en fauteuil roulant) et sensorielles, tant en zone urbaine que pour les déplacements à longue distance. Il rappelle les besoins spécifiques des personnes à mobilité réduite pour les taxis, trains et avions".
 Le cœur du problème touche ici aussi, la place de l'intimité du corps des personnes handicapées dans l'institution."Mais ce droit à vivre son corps n’est pas reconnu pour les handicapées mentaux car la dignité de la personne humaine interdirait de les placer dans une situation de maternité : il faudra être pleinement conscient – mais l’est-on dans les cas d’handicaps sociaux comme l’alcoolisme ? – pour éduquer des enfants. Le paradoxe de notre société scientifique est de développer une haptophobie légale par l’interdiction légitime du harcèlement sexuel, de l’inceste, de l’excision, de la pédophilie, au nom de l’indisponibilité du corps ; tout en passant sous silence, au nom d’impératifs non explicites, les stérilisations tubaires, le dopage, les tris d’embryons. L’hypocrisie sert les intérêts des individus correspondant idéalement au profil type du corps fonctionnel et productif. Les autres, chômeurs de longue durée ou travailleurs handicapés, doivent être maintenus dans des structures spécialisées (C.A.T) ou dans des stages dits qualifiants afin de les protéger de la compétition économique qui ne les intégrera jamais". Par Bernard Andrieu, A qui appartient le corps ? , in Nicole Diederich., Les naufragés de l'intelligence, Editions du V.U.P.S., Toulouse, 1998, p. 109.
 Plusieurs mois se sont écoulés et nous n'avons toujours rien eu. Par ailleurs nous sommes habitués à effectuer des entretiens difficiles, peut être aussi auraient-ils constitués une limite, à notre méthode d'investigation, mais encore eut-il fallu que j'eusse la possibilité d'expérimenter cette forme d'entretien difficile avec des sujets comme carole.
 Elle m'avait pourtant fourni son adresse ainsi que son téléphone par écrit, directement et sans aide !
 Nous avons voulu à l'occasion de cet incident "ethnographique" reparler de la polémique autour du livre de Pascal Gobry, L'enquête interdite. Handicapés : le scandale humain et financier, qui a soulevé un tollé parmi les associations qui gèrent les 1.000 C.A.T du pays, et plus particulièrement l’U.N.A.P.E.I, dont les adhérents dirigent 600 C.A.T.
"M. Gobry souhaite qu’on ne dissuade pas les lecteurs potentiels de lire son ouvrage qui traite notamment de la fracture sociale et de l’exclusion des handicapés, favorisées par les C.A.T, présentés comme des outils de réinsertion. Les premières victimes de l’omerta qui règne dans toutes les associations d’aide aux handicapés, son évidemment les handicapés eux-mêmes et leurs familles, conclut-il". (...) "Acceptera-t-on enfin de reconnaître les infirmités et les handicaps et la nécessité de créer des structures de des services spécialisés ? Il n’est peut-être inutile de rappeler que 90% des employés sont des handicapés mentaux et psychiques et que pour bon nombre d’entre eux (entre 20 et 30%) ,les C.A.T ont servi d’alternative à l’hospitalisation psychiatrique ou à d’autres structures de santé mentale" (...). "A.N.D.I.C.A.T (l'association nationale des directeurs et cadres de C.A.T) a, depuis plusieurs années sans succès, demandé aux pouvoirs publics d’établir un état des lieux quantitatif et qualitatif des C.A.T et des besoins de leurs employés ; c’est dommage que cela ne se fasse pas car on observerait que les réponses françaises en matière d’emplois adaptés sont parmi les meilleures d’Europe. On disposerait également d’une meilleure visibilité des améliorations qu’A.N.D.I.C.A.T appelle de ses vœux : un statut juridique des employés handicapés plus adéquat que celui (actuel) d’usagers d’établissements sociaux ainsi qu’une élévation de leurs ressources dont le niveau fixé non par les C.A.T mais pour la plus grande part par l’Etat, gêne sérieusement une intégration dans le domaine de l’habitat et de la vie sociale…", in Pascal Gobry, L'enquête interdite. Handicap : le scandale humain et financier, Editions du Cherche-Midi, Paris, octobre 2002. On retrouve ce débat très polémique, sur le site Internet : http// www.amazon.fr
 Nous avons laissé les expressions soulignées, comme dans le texte original, car elles montrent l'exacerbation des sentiments de révolte. L'écriture collective est garante d'une plus grande distanciation par rapport à ces pénibles situations quotidiennes.
 C'est, le contre point du "faire confiance" et du "apprendre à écouter" dans les administrations. "L'écoute est irremplaçable, car elle seule peut permettre de découvrir la réalité du fonctionnement d'un ensemble humain. Nous parlons toujours des finalités, des objectifs d'une institution – de ce qui devrait être mais nous n'attachons pas d'importance à ce qui est." (...) "Le manque d'écoute est ce dont les français se plaignent le plus.", in Michel Crozier, La Crise de l'intelligence : essai sur l'impuissance des élites à se réformer, Inter éditions, Paris, 1995, p. 53 et pp. 49-63.

 C'est le débat dans les institutions entre un projet anthropo-éthique versus un projet administratif. L'approche transdisciplinaire permettrait de trouver un terrain d'entente en tenant compte de l'épistémologie, des savoirs et d'une certaine pragmatique pour inclure réellement "le tiers". C'est enfin le Q.I versus une potentialisation des compétences intactes.
"Je tiens à préciser que l'O.M.S préconise de ne plus utiliser les termes de, débiles, idiots, ... (bien qu'on les trouve encore dans le langage commun) mais celui d'insuffisance intellectuelle. Ces insuffisances comprennent celle de l'intelligence, de la mémoire, et de la pensée.
Cette désignation se réfère à la classification de l'O.M.S qui recouvre l'ensemble des déficiences des moins importantes au plus grave. On parle de retard mental profond, grave, moyen ou léger suivant les déficits de la personne.
Retard mental profond. Ces sont des personnes qui sont susceptibles d'apprentissages simples en ce qui concernent les membres inférieures, supérieures et la mastication. L'autonomie sociale n'est pas concevable. Le langage est quasi-inexistant, réduit à quelques phonèmes et mots. Le comportement est dominé par l'immaturité affective, l'insécurité, l'insuffisance du contrôle émotionnel. Leur Q.I (Q.I, se référant à l'échelle métrique de Binet) est inférieur à 20.
Retard mental grave. Ces sont des personnes qui peuvent acquérir des apprentissages semblables à ceux présentant un retard profond ainsi qu'un apprentissage systématique des gestes simples. Le langage rudimentaire et restreint est utilisé pour l'expression simple des besoins et des échanges concrets. Leur Q.I se situe entre 20 et 35.
Retard mental moyen. Ce retard est compatible avec une certaine autonomie qui, cependant, ne permet guère la pleine responsabilité des conduites. Ces enfants peuvent acquérir des notions simples de communication, des habitudes d'hygiène et de sécurité élémentaire. Ils peuvent accéder à une habilité manuelle simple. Ce sont des personnes qui ne semblent pas pouvoir acquérir des notions de lecture et d'arithmétique. Leur quotient intellectuel se situe entre 35 et 49.
Retard mental léger. Ce retard entraîne surtout une inadaptation à la scolarité en milieu ordinaire. C'est à dire des enfants qui peuvent acquérir des aptitudes pratiques (adaptation possible aux situations), la lecture et des notions d'arithmétiques mais ceci grâce à une éducation spécialisée. Le langage ne présente pas d'anomalie massive. Leur Q.I se situe entre 50 et 70.
Il est cependant nécessaire de ne pas se limiter à l'évaluation du niveau mental pour appréhender la population déficiente intellectuelle. Le Q.I est une vision réductrice de l'intelligence puisque selon les conditions de réalisation des tests, la personne, l'attitude de l'enfant au moment donné, ..., le résultat peut différer. On ne mesure pas vraiment l'intelligence mais le retard ou l'avance d'un enfant sur un autre. De même, il est évident que les catégories et leurs définitions exprimées ci-dessus sont des indicateurs pour spécifier des difficultés d'ordre intellectuel mais ne doivent pas, à mon sens, être prise de manière stricte.", in Le langage chez les enfants déficients intellectuels par Magali Genet (éducatrice spécialisée) sur le site : www.siwadam.com/hmm/enf1.htm#3

 Actualités Sociales Hebdomadaires (A.S.H) du 08 juillet 2005, n° 2415.
 M. Crozier et E. Friedberg, L'acteur et le système, Editions du seuil, Essais, Paris, 1977, pp. 456-457.
 L'U.R.A.P.E.D.A : Union Régionale des Associations de Parents d'Enfants Déficients Auditifs parle de surditude pour qualifier cet état. Je trouve cette expression de surditude bien adapté au combat de Marie.
La "surditude" est un joli mot qui vient du Québec, nous lui attribuons ici le sens de vécu social des surdités, l'ensemble des situations de handicap que vivent les sourds et malentendants sur http://www.urapeda.org/France/sommaire.html
 Le sourd n'est pas un "muet". Voilà quelque chose qui exaspère souvent les parents d'enfants sourds. De plus avec les implants modernes l'accès à la parole est désormais possible. Voici historiquement ce que souligne à ce sujet Monique Vial :
"Le sourd, comme n’importe qui, dispose d’un larynx et de cordes vocales. Le bébé sourd crie et émet des sons différenciés. C’est l’incapacité de son entourage à lui répondre de façon perceptible pour lui, qui amène progressivement l’extinction de sa voix et la contracture de ses muscles phonatoires, qui lui rend si difficile, plus tard, de retrouver cette voix. Lui apprendre à parler, c’est tenter de lui restituer ce qui lui appartient naturellement et lui donner accès à de plus larges possibilités de communication. On ne peut réussir pleinement que si l’on s’y attache dès sa petite enfance, dans des conditions techniquement préparées mais aussi proches que possible, du bain de langage par lequel le bébé entendant apprend à parler avec son entourage.", Enfants Handicapés du XIXe au XXe siècle par Monique Vial in Histoire de l'enfance en occident, sous la direction de Egle Becchi et Dominique Julia, Tome 2 du XVIIIe siècle à nos jours, Editions Points Seuil, Paris, 1998, pp. 364-365.
 Témoignage de Marie au colloque des associations du langage parlé complété (A.L.P.C) à Nancy en 2002, reçu le 04 mars 2003. Ce curriculum vitae est une version plus moderne et actualisée de son histoire récente.
 Dans mes cours, j'utilisais de nombreux artifices pour l'informer : les autres, le tableau, quelques signes, une ardoise véléda, un tableau portatif, etc.
 Op., cit., http://www.urapeda.org : "L'implant cochléaire est composé d'un porte électrodes implanté dans la cochlée, d'un microphone qui capte les sons, d'un processeur (boîtier extérieur du volume d'un paquet de cigarettes) qui code les sons et les transmet aux électrodes via une "antenne". Cette technique est réservée aux "devenus-sourds" profonds qui ne peuvent pas être appareillés d'une autre façon. L'implantation auditive des enfants sourds fait l'objet d'une vive polémique qu'il ne nous appartient pas de trancher. Quel que soit son type, l'utilité de l'appareil auditif est démontrée de longue date, même pour de très jeunes enfants et pour des sourds profonds. Le problème, parfois, ce n'est pas tant l'appareil lui-même que son adaptation, son évolution, l'accompagnement familial et thérapeutique qu'il demande." Il conviendrait de demander l'avis aux personnes comme Marie en termes de gain et de confort.
 C'est avec notre équipe, notre rôle, au service d'accueil et de suivi des étudiants en situation de handicap (S.A.C.E.H) de l'université d'Orléans, que de promouvoir ces actions en faveur des personnes en situation de handicap.
 Le Cued-speech ou langage parlé complété (L.P.C) : "Inventé aux Etats Unis en 1967 par le docteur Otin Cornett, le langage parlé complété (cued-speech) consiste en un corpus de gestes codifiés qui accompagnent le mouvement des lèvres dans l’émission des sons. Le méthode verbo-tonale, mise au point après la Seconde Guerre Mondiale par le linguiste yougoslave P. Guberina, s’appuie sur la différenciation des vibrations de la voix à partir de leur perception corporelle, grâce à des vibrateurs reliés à la fois au bébé et à la mère, ou au maître et à l’élève. Elle s’appuie aussi sur une rythmique, une gestuelle et une éducation posturale qui doivent faciliter la liberté des muscles phonatoires et permettre, avec une voix aisée, l’intonation et les rythmes de la parole". Par M. Vial, Enfants handicapés, du XIXe au XXe siècle, pp. 249-375, in Histoire de l'enfance en occident., sous la direction de Egle Becchi et Dominique Julia, Tome 2 du XVIIIe siècle à nos jours, Editions Points Seuil, Seuil, Paris, 1998, p. 374.
 C'est Marie qui souligne en gras dans le texte ! Voici un bel exemple d'intelligence qui met la complémentarité au service des personnes sans exclure aucune piste et aucune méthode pour gagner une amélioration dans sa vie sociale, relationnelle, etc.
 Des centaines de projets autour des handicaps restent à réaliser dans ce vaste monde qu'est l'éducation nationale. On peut consulter entre autre l'ouvrage de Philippe Meirieu, La machine école, Folio, Gallimard, Paris, 2001, pour construire des pistes pour une intégration efficiente.
 Marie a effectué un énorme travail biographique pour répondre à notre demande. Voir le récit no15 dans les annexes IV sur Cdrom.
 Dans sa Poétique, Aristote justifie la tragédie en lui attribuant un pouvoir de purification (katharsis) des passions du spectateur. Assistant à un tel spectacle, l’être humain se libérerait des tensions psychiques, qui s’extériorisent sur le mode de l’émotion et de la sympathie avec l’action représentée (induisant pitié, colère, etc.). Cette interprétation de la catharsis se rapporte à une conception de la vie comme équilibre et de l’âme comme juste milieu, juste mesure qui est «sommet», comme le précise l’Ethique à Nicomaque (1107 a, b) - conception qui a déjà une longue histoire au moment où Aristote s’en empare. En réalité, Aristote banalise pour ainsi dire la catharsis en menant à son terme un lent processus de laïcisation des pratiques cathartiques largement répandues dans la culture grecque archaïque. Catharsis par Alain Delaunay, chercheur au collège international de philosophie, in Encyclopédiae Universalis, version V, 1999.
 Le "cophatique" concerne la surdité profonde. La cophose décrit une perte auditive totale et la presbyacousie désigne la surdité des personnes âgées. Jusqu'à une perte moyenne de 70 dB, la personne est dite malentendante.
 L'Institut d'Education de la Surdité, aussi sous le vocable "Institut d'Education Sensorielle" (I.E.S), se trouve dans la liste des C.L.I.S. et U.P.I et autres structures d'accueil ou d'accompagnement pour enfants et adolescents souffrant de troubles du langage.
Cette liste des C.L.I.S. et U.P.I, et d'autres structures ou dispositifs d'accueil ou d'accompagnement pour enfants et pour adolescents souffrant de troubles du langage n'est pas exhaustive. Les coordonnées des classes sont fournies dans le second tableau. Une "classe intégrée" est le plus souvent une classe d'un établissement spécialisé transplantée dans une école. Les élèves restent affectés à l'établissement par la C.D.E.S et sont suivis par les personnels de l'établissement. Voir :  HYPERLINK "http://scolaritepartenariat.chez.tiscali.fr/page782.htm" classes annexées ou intégrées, in  HYPERLINK "http://scolaritepartenariat.chez.tiscali.fr/page405.htm" http://scolaritepartenariat.chez.tiscali.fr/page405.htm
 J.-C. Lafon, L'audition et Les enfants déficients auditifs, Collection handicaps et réadaptation, Editeur SIMEP, 1985.
 C'est Marie qui le souligne dans le texte en italique car elle considère que ceci est peu connu. Les éducateurs et pédagogues sportifs devraient en tenir compte dans leurs cours. Par exemple, le soir, Marie peut aisément se perdre en course d'orientation !
 Il est vrai qu'il est plus facile de traquer le "manque" plutôt que de construire les réussites à partir des erreurs mieux comprises. Jacques Fiard, Penser l'erreur en E.P.S, In Dossier n°29, A quoi sert l'éducation physique et sportive ? Sous la direction de Bernard-Xavier René, C.R.U.I.S.E de Poitiers, Éd. Revue E.P.S, Paris, 1999.
 Elle a failli abandonner ! Dans la douleur du récit, elle passe aussi au tutoiement. Ce fut difficile pour elle car nous avons été son professeur mais je lui signale que cela facilite les choses dans des moments difficiles. Le pas est franchi désormais.
 J'ai laissé les néologismes tel : le "handiphobe" de la ligne 664 ou encore ceux de "surchargement", de "débordement de travail".
 Dans l'analyse du premier dossier sur les 16 mots clefs qu'elle avait soulignés, 10 concernaient des expressions décrivant des difficultés sociales ou humaines comme : handicap, difficultés, accidents de travail, inactifs, taux d’invalidité, incapacité, dépendance, maladie, chômage, déficiences. Ceci est révélateur des manques de soins individualisés, d'écoutes personnalisées, de solutions "micro individuelles" dont les grandes enquêtes constatent les déficits sans proposer de solutions pragmatiques et immédiates en ce qui concerne le handicap. Il faut faire vite, car pour certains c'est une urgence vitale.
 Cela nous a fait penser un grand principe de la philosophie phénoménologique "entre la naissante et la mort se situe l'espace de la vie qu'il faut rendre le plus confortable possible !"
 Le handicap est aussi une catégorie du normal ; c'est en ce sens que l'éducation devrait travailler ce concept pour le diffuser. C'est bien la situation dramatique du handicap qui est anormale et non pas l'humain qui la subit, il faut renverser le sens du regard. G. Canguilhem souligne que c'est "d'abord parce que le concept de normal n'est pas un concept d'existence, susceptible en soi de mesure objective. Ensuite, parce que le pathologique doit être compris comme une espèce du normal, l'anormal n'étant pas ce qui n'est pas normal, mais ce qui est un autre normal." (...) "C'est l'anormal qui suscite l'intérêt théorique pour le normal. Des normes ne sont reconnues pour telles que dans des infractions. Des fonctions ne sont révélées que par leurs ratés. La vie ne s'élève à la conscience et à la science d'elle-même que par l'inadaptation, l'échec et la douleur." (...) "Avant la science, ce sont les techniques, les arts, les mythologies et les religions qui valorisent spontanément la vie humaine. Après l'apparition de la science, ce sont encore les mêmes fonctions, mais dont le conflit inévitable avec la science doit être réglé par la philosophie, qui est expressément philosophie des valeurs. ", in G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, P.U.F Quadrige, Paris, 1966, Réédition n°8, 1999, p. 135, pp. 139-149.

 "Chaque homme est, à sa mesure, un cas, une délicieuse exception. Et une observation fascinée, puis critique, transforme souvent l'être anormal en maître ès humanité.", in A Jollien, Le métier d'homme, Essai, Préface de Michel Onfray, Editions du Seuil, Paris, 2002, p. 36.


 Pour les personnes sourdes ; il faut reprendre le sens de certaines phrases, de certaines expressions. Marie veut signifier qu'elle comprend Mino et qu'elle est d'accord avec son geste.
 "Savoir dans quelle mesure les sourds postlinguaux continuent à « entendre » est une question plus ou moins analogue à celle qui consiste à se demander comment les sujets devenus aveugles tardivement continuent à « voir » et, d'une façon ou d'une autre, continue à vivre dans un monde visuel, à l'état de veille comme dans leurs rêves. John Hull (1990), auteur de l'un des plus extraordinaires comptes rendus autobiographiques qui aient traité de ce problème, écrit : « Pendant mes deux premières années de cécité, les gens pour moi se divisaient en deux groupes : ceux qui avaient un visage et ceux qui n'en avaient pas... Les gens que j'ai connus avant de perdre la vue ont un visage, mais ceux que j'ai connus après n'en ont pas... Avec le temps la proportion des gens sans visage a augmenté." (...) "En gros, Hull s'enfonça de plus en plus dans sa « cécité profonde » au fil des ans. Ses souvenirs et son imaginaire d'ordre visuel, où son besoin de visualité, furent remplacés peu à peu par la sensation de « voir avec l'ensemble du corps » et de vivre dans un monde autonome et complet, à base de sensations corporelles fondées seulement sur le toucher, l'odorat, le goût et, bien entendu, l'audition - tous sens désormais grandement renforcés chez lui ; tandis que les images et expressions visuelles dont il émaillait toujours ses propos ne remplirent plus qu'une fonction métaphorique.", in Oliver Sacks, Des yeux pour entendre. Voyage au pays des sourds, Essais, Editions du Seuil, nouvelle collection augmentée, mai 1990 et 1996, pp. 34-35.

 C'est ce que me racontait un interlocuteur aveugle dans une embauche publique. Après accord pour le poste la personne éberluée qui devait le recevoir, se rendant compte de son état, lui dit : "Mais vous êtes aveugle !" - Oui, mais vous ne m'avez rien demandé à ce sujet ! Ce professeur travaille désormais sans problème !
 Dans la classification des déficiences auditives, les médecins distinguent : les surdités de transmission (des ondes sonores) qui sont des atteintes de l'oreille externe et moyenne. Toutes les fréquences sonores sont affectées. Ces surdités ne sont jamais totales. La personne perçoit bien sa voix. Le pronostic audio prothétique est généralement bon. Les surdités de perception qui affectent l'oreille interne, la cochlée, le nerf ou la zone auditive du cerveau. Les fréquences sonores sont plus ou moins bien perçues, la surdité peut être totale, la perception de la propre voix du sujet est affectée, l'appareillage est moins facile, parfois impossible. Les surdités mixtes (transmission et perception) sont les plus fréquentes. Les surdités sont classées selon le degré de perte auditive. Il existe plusieurs classifications dont celle du B.I.A.P (Bureau international d'audiophonologie). La classification des déficiences auditives situe : la surdité profonde avec perte auditive supérieure à 80 décibels, la sévère avec perte de 70 à 80 décibels, la moyenne avec perte de 40 à 70 décibels, la légère avec perte de 20 à 40 décibels. Cf. : Sources le guide barème et U.R.A.P.E.D.A. Le guide-barème actuel résulte du décret N° 92-1216 du 4 novembre 1993 et de la circulaire N° 93/36 B du 23 novembre 1993 et le site http://www.urapeda.org/France/sommaire.html
 Marie utilise maintenant le terme de "personne handicapée", nous sommes en 2004. Un vocabulaire plus positif s'étend dans la société à travers le langage social, nous avons observé ce changement.
 La place sociale des parents en parallèle aux réseaux sociologiques construits font de notre jeune étudiante une privilégiée au départ mais malgré ces avantages tout fut néanmoins difficile. On n'ose imaginer d'autres situations pour des personnes moins entourées relationellement et intellectuellement, ce qui est malheureusement les cas les plus fréquents.
 C'est encore la loi sur "L'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées" publiée au Journal officiel le samedi 12 février 2005.
 Nous ne sommes pas certain de ces titres mais elle n'a cité que des films sur la surdité, la question posée au départ était plus large. On notera cependant la dualité entre les langages de communication au sein de la culture sourde !
 Ces handicaps "cachés" sont intéressants car ils constituent une frange limite peu explorée par l'ethnographie.
 C'est ce que souligne Roland quand il dit : "A présent, je soutiens corps et âme l’intégration aux conditions qu’elle soit librement consentie". (récit no13 aux lignes 345-346)
 Le terme "survivre" est à noter ici ! La société crée le handicap, lequel handicap devient l'analyseur de ses propres carences.
"Le problème du « handicap » est un peu le morceau de poterie découvert dans une fouille et qui permet des indications importantes sur la culture dont il est le vestige." (...) " C'est la société qui produit le caractère handicapant du handicap. Proposition difficilement contestable, de quelque côté que l'on se trouve, à ce niveau de généralités." (...) "la pensée unique et nous faire accepter mollement un néolibéralisme triomphant. Quelques voix s'élèvent, dénonciatrices des dangers d'une telle atonie « de Cornélius Castoriadis à Michel Chauvière, en passant par les analyses de la revue Esprit, etc», mais tout cela ne fait pas un choeur.", H.-J. Stiker, Corps infirmes et société, Association des paralysés de France, Dunod, Paris, 1997, p. 176, p. 181, p. 182.
 Révolte ou humour ? Ceci constitue un bel exemple de rétro-stigmatisation. "Que chacun s'interroge sur ses propres déficiences" nous suggère-t-elle.
 
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