2018 rapport parlementaire
Enfin, toute une population scolaire tend à échapper aux écrans radars de ....
services de milieu ouvert, car l'engorgement touche toute la chaîne du procès
pénal. ..... police/justice ne semble pas devoir être corrigée à plus ou moins long
terme, ... INHEJS, Estimation des marchés des drogues illicites en France,
synthèse, ...
part of the document
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______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de lAssemblée nationale le 31 mai 2018
RAPPORT DINFORMATION
DÉPOSÉ
en application de larticle 146-3, alinéa 6, du Règlement
PAR LE COMITÉ DÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES POLITIQUES PUBLIQUES
sur lévaluation de laction de lÉtat dans lexercice de sesmissions régaliennes en Seine-Saint-Denis
ET PRÉSENTÉ PAR
MM. François CORNUT-GENTILLE et Rodrigue KOKOUENDO
Députés
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P65_2644" 5
I. LA SEINE-SAINT-DENIS, LE TERRITOIRE DES PARADOXES HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P87_9097" 8
A. UN DÉPARTEMENT CINQUANTENAIRE HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P88_9150" 8
B. 50 ANS DE POLITIQUES PRIORITAIRES À LUVRE HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P145_15419" 10
1. Des politiques éducatives prioritaires confrontées à de maigres résultats HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P165_21067" 12
2. Des politiques prioritaires qui ne permettent pas à la population de percevoir un renforcement de la sécurité HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P222_34271" 16
3. La justice, oubliée des politiques prioritaires HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P239_38813" 18
II. À LORIGINE DES BLOCAGES EN SEINE-SAINT-DENIS : LA MÉCONNAISSANCE DU TERRITOIRE ET DE SES HABITANTS HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P258_45614" 21
A. LÉTAT IGNORE LE NOMBRE DHABITANTS VIVANT DANS LE DÉPARTEMENT HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P263_47383" 21
B. LES FAITS SOCIAUX QUE LÉTAT NE SAIT PAS ÉVALUER HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P286_58384" 25
1. Le niveau scolaire réel des élèves HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P290_59211" 25
2. La réalité de la délinquance HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P295_61574" 26
3. Léconomie souterraine HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P302_64723" 27
4. Les marchands de sommeil et le logement insalubre HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P320_69911" 28
5. Et tous les autres
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P324_72305" 29
C. QUAND LA SEINE-SAINT-DENIS APPREND À SE CONNAÎTRE HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P334_77562" 31
III. LA PUISSANCE PUBLIQUE FACE À LA RÉALITÉ SOCIALE DE LA SEINE-SAINT-DENIS HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P348_80896" 33
A. SEINE-SAINT-DENIS VERSUS PARIS : QUAND LE PÉRIPHERIQUE FAIT MUR HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P357_84861" 34
1. Le difficile dialogue entre les services déconcentrés et leur administration centrale HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P360_85910" 34
2. Élus locaux, associations face à lÉtat HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P376_91114" 36
3. Quand les rapports et avis saccumulent HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P384_94610" 37
B. UNE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES ÉTATIQUES EN ÉCHEC HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P390_96380" 38
1. Des sous-effectifs à mission égale HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P392_96655" 38
2. Des débutants pour affronter un territoire complexe HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P452_106040" 41
3. Des effectifs instables HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P506_111457" 43
4. La souffrance au travail des personnels de lÉtat HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P551_116469" 45
IV. REDONNER SA FORCE À LACTION PUBLIQUE HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P564_122446" 48
A. LE PLAFOND DE VERRE DES POLITIQUES PUBLIQUES EN SEINE-SAINT-DENIS HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P566_122615" 48
1. La face cachée des politiques prioritaires HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P568_122849" 48
2. Le pis-aller des effectifs supplémentaires HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P578_130619" 50
3. Leffet pervers des primes et bonifications HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P587_136016" 52
B. POUR UNE REFONDATION DE LACTION PUBLIQUE HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P594_139170" 53
1. Oser questionner les évidences administratives HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P597_139861" 53
2. De lévaluation parlementaire à la restauration de laction publique HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P618_151372" 56
PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P638_160334" 61
CONTRIBUTION DE MME SYLVIE CHARRIÈRE, DÉPUTÉE, MEMBRE DU GROUPE DE TRAVAIL HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P669_164368" 63
EXAMEN PAR LE COMITÉ HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P709_173260" 67
ANNEXE : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P716_173808" 69
INTRODUCTION
Genèse du rapport
Le 5 octobre 2017, le Comité dévaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de lAssemblée nationale a inscrit à son programme de travail, à la demande du groupe Les Républicains, une évaluation de laction de lÉtat dans lexercice de trois de ses missions centrales en Seine-Saint-Denis. Le CEC, présidé par le Président de lAssemblée nationale et composé de 36 membres, a pour mission de mener des études dévaluation et des contrôles des politiques publiques et peut présenter des recommandations dans ce domaine.
La mission dévaluation de laction de lÉtat en Seine-Saint-Denis a été confiée à Monsieur François Cornut-Gentille (député de la 2ème circonscription de la Haute-Marne ; groupe Les Républicains) et à Monsieur Rodrigue Kokouendo (député de la 7ème circonscription de Seine-et-Marne ; groupe La République en Marche).
Le groupe de travail constitué pour assister les rapporteurs était composé de Madame Laëtitia Avia (députée de la 8ème circonscription de Paris ; groupe La République en Marche), de Madame Anne Brugnera (députée de la 4ème circonscription du Rhône ; groupe La République en Marche), de Madame Sylvie Charrière (députée de la 8ème circonscription de Seine-Saint-Denis ; groupe La République en Marche), de Madame Élise Fajgeles (députée de la 5ème circonscription de Seine-Saint-Denis ; groupe La République en Marche), et de Monsieur Stéphane Peu (député de la 2ème circonscription de Seine-Saint-Denis ; groupe Gauche Démocrate et Républicaine).
Le choix de lapproche territorialisée et de la Seine-Saint-Denis
Cest la première fois dans lhistoire parlementaire quune mission dévaluation est réalisée sur un territoire donné. Il est en effet très vite apparu quune approche territorialisée de lévaluation permet de rendre compte, de manière fine, des spécificités dun territoire et de ladéquation des moyens daction de la puissance publique à ces mêmes spécificités.
Les territoires, terreaux des politiques publiques, ont fait lobjet, sous tous les gouvernements successifs, de nombreux plans dactions et de stratégies. Force est de constater que les plans se succèdent, mais que les difficultés économiques, sociales, culturelles, sanitaires
des territoires demeurent.
« Les correctifs mis en place il y a plus de 10 ans, se sont étiolés et estompés : la rénovation urbaine sest totalement arrêtée depuis 4 ans, le programme de réussite éducative baisse, les zones franches urbaines ont été vidées de leur substance, le fonds de cohésion sociale a quasiment disparu, le soutien à lapprentissage et le plan de services à la personne ont été très réduits », rappelle Jean-Louis Borloo dans son plan dactions pour les quartiers prioritaires présenté au Premier ministre le 26 avril 2018.
Le choix de la Seine-Saint-Denis pour cette première évaluation parlementaire territorialisée sest imposé comme une évidence.
Le département de la Seine-Saint-Denis est le seul territoire de France que lon désigne plus volontiers par son identifiant numérologique que par son véritable nom : le 9-3. Comme si deux chiffres pouvaient résumer la complexité de ce territoire.
Ce département, contrasté et si souvent stigmatisé, fait office de véritable laboratoire détude au regard de son dynamisme et de toutes les problématiques quil concentre, et des nombreux efforts impulsés par les politiques publiques pour y remédier. Lobjectif de ce rapport nest pas de dépeindre une énième caricature des zones sombres du département, mais bien den montrer tous les paradoxes et lincapacité de lÉtat à y adapter suffisamment et suffisamment vite ses politiques publiques.
Le choix des domaines dévaluation
Les rapporteurs ont retenu trois politiques dévaluation : léducation, la sécurité et la justice. Lévaluation croisée de ces trois domaines dintervention de lÉtat permet de faire un état des lieux sur un territoire donné des atouts et des failles de laction publique propre à chaque politique publique, tout en en soulignant les problématiques communes et les propositions damélioration qui en découlent.
Au regard de la complexité du territoire, de la vitesse à laquelle il évolue et de la nécessité den avoir une compréhension globale, le présent rapport ne peut néanmoins faire léconomie dun examen des problématiques auxquelles la Seine-Saint-Denis est confrontée, en dehors de léducation, de la sécurité et de la justice. La prise en compte des secteurs du logement, de la santé publique, des transports
est essentielle pour appréhender les dynamiques du département.
On ne trouvera donc pas dans ce rapport un bilan détaillé des trois politiques publiques précitées en Seine-Saint-Denis. Lobjectif est tout autre : à travers trois politiques publiques en Seine-Saint-Denis, il sagit en fait de sinterroger sur lefficacité de laction de lÉtat. Aussi, au-delà de lanalyse des statistiques et de lactivité des différents outils de laction publique, loriginalité de ce travail est de sattacher à la question à la fois évidente et centrale mais jamais réellement posée de lefficacité de laction de lÉtat en Seine-Saint-Denis.
Remerciements
Pour mener cette première évaluation territorialisée, les rapporteurs ont tenu à entendre un grand nombre dacteurs de terrain, afin de récolter des témoignages concrets des forces et des faiblesses de laction de lÉtat en Seine-Saint-Denis.
121 acteurs ont été auditionnés par les rapporteurs. Ces acteurs comprennent à la fois des responsables de terrain dans les trois domaines détudes, des anciens responsables, des chercheurs et des experts. Parallèlement, les députés ont effectué trois déplacements en Seine-Saint-Denis et ont pu constater, sur le terrain, à la fois lengagement de nombreux acteurs mais aussi les graves dysfonctionnements de laction publique.
Les rapporteurs tiennent à remercier lensemble des acteurs qui ont accepté de leur faire part de leur expérience et de leurs recommandations pour améliorer laction de lÉtat en Seine-Saint-Denis, ainsi que ceux qui ont spontanément adressé une contribution écrite.
I. LA SEINE-SAINT-DENIS, LE TERRITOIRE DES PARADOXES
A. UN DÉPARTEMENT CINQUANTENAIRE
Département jeune, la Seine-Saint-Denis a été créée par la loi du 10 juillet 1964 portant réorganisation de la région parisienne qui a supprimé les trois départements de la Seine pour donner naissance à sept nouveaux départements dans la région Île-de-France.
Aux portes de Paris, reliée à la capitale par plusieurs lignes de métros, de trains et de bus, sillonnée daxes autoroutiers empruntés quotidiennement par des milliers de véhicules, la Seine-Saint-Denis est le 5e département de France par le nombre dhabitants (1,6 million dhabitants ; estimation INSEE au 1er janvier 2018). Cette population est jeune (43,4 % ont moins de 32 ans contre 36,2 % pour la moyenne métropolitaine) et en forte croissance démographique (+ 9,7 % entre 2005 et 2015 contre + 3,7 % pour la France sur la même période).
Avec 6 909 habitants/km2, la Seine-Saint-Denis est le 3e département le plus densément peuplé de France, derrière deux autres départements franciliens (Paris et les Hauts-de-Seine). Cette densité et la situation géographique exceptionnelle du département lui permettent daccueillir des infrastructures uniques comme le Stade de France ou encore lessentiel des équipements des prochains Jeux olympiques de 2024. Le département compte également le plus grand nombre détablissements culturels labellisés par lÉtat dont la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis (Bobigny) et le Théâtre Gérard Philipe - Centre dramatique national (Saint-Denis). Plus de 22 000 étudiants sont, par ailleurs, accueillis à luniversité Paris 8 à Saint-Denis.
Sur le plan économique, la Seine-Saint-Denis est le nouvel eldorado des grands groupes industriels et de services qui y localisent leur siège social : SNCF, VEOLIA, SFR, GENERALI, BNP PARIBAS, DARTY, UBISOFT. La proximité de la capitale et de laéroport de Roissy, le réseau de transports en commun en plein développement alliés à un foncier abordable expliquent cette dynamique économique. Le chiffre daffaires déclaré par les entreprises de Seine-Saint-Denis sélève ainsi à 162 milliards deuros (cumul sur 12 mois glissant au 30 juin 2017) faisant du département le 3e contributeur national de la TVA.
Ce dynamisme démographique, économique et culturel ne saurait pourtant faire oublier les difficultés du territoire et de ses habitants.
Selon le ministère de lÉducation nationale ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P95_11631" 1), la population de la Seine-Saint-Denis cumule les difficultés économiques, familiales et culturelles, et présente, de ce fait, les risques déchec scolaire les plus élevés. Le département est en effet le seul qui, en métropole, concentre tous les types de difficultés : des fragilités sociales (près de trois habitants sur dix sont pauvres), des fragilités familiales (près de 23 % des enfants vivent dans une famille monoparentale, contre 19,5 % en moyenne en France) et des fragilités culturelles (le taux denfants dont le parent de référence est sans diplôme est de 39,9 %, contre 21,9 % en moyenne en France, et près de 44 % des enfants de 0 à 17 ans ont des parents immigrés).
La population de Seine-Saint-Denis dispose du plus faible niveau de vie de la France métropolitaine. Le revenu disponible par unité de consommation sétablit à 16 726 euros (France : 20 369 euros ; Île-de-France : 22 522 euros). Le département présente le taux de chômage le plus élevé de la région Île-de-France (et le 8e plus élevé de France) avec 11,4 % (France : 8,6 % ; Île-de-France : 7,7 %) au 4e trimestre 2017.
SEPT INDICATEURS CLEFS SUR LA SEINE-SAINT-DENIS
Seine-Saint-DenisHauts-de-SeineÎle-de-FranceFrance métropolitaineRevenu disponible médian mensuel par UC1 394 ¬ 2 163 ¬ 1 877 ¬ 1 697 ¬ Taux de chômage12,7 %7,5 %8,7 %9,7 %Taux de pauvreté28,6 %12,2 %15,6 %14,7 %Part des familles monoparentales pauvres34,1 %20 %23,9 %29,9 %Taux de ménages bénéficiaires de minima sociaux23,5 %9,6 %12,7 %13,6 %Allocataires du RSA
Dont RSA avec majoration isolement81 28310,5 %29 7423,3 %321 2535,1 %1 621 4225,1 %% de population vivant dans un quartier de la politique de la ville (QPV)39 %6 %15 %13 %Source : Observatoire départemental des données sociales (ODDS) de Seine-Saint-Denis, janvier 2018 (données 2014 et 2016).
La Seine-Saint-Denis affiche le taux de criminalité pour 1 000 habitants le plus important de France métropolitaine. Si les atteintes aux biens sont nombreuses (84 000 en 2017, soit 40 % de plus que dans les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne), la délinquance enregistrée est caractérisée, avant tout, par sa violence (en 2017 ont été répertoriés plus de 11 000 vols avec violence et 30 000 agressions violentes). Linsécurité déclarée par les habitants ne cesse, elle aussi, de progresser. En 2015, la Seine-Saint-Denis était, au sein de lÎle-de-France, le département qui comptait le plus de victimes parmi ses habitants (soit 55,4 % des enquêtés) ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P143_14751" 2). Pour les faits de trafic et revente sans usage de stupéfiants, la Seine-Saint-Denis rassemble 18 % des faits commis en France en 2017 (1er département métropolitain).
Le 9-3 est donc un territoire de forts contrastes entre des sièges sociaux flamboyants et une pauvreté réelle, entre une démographie dynamique et jeune et des problèmes sociaux et économiques endémiques.
B. 50 ANS DE POLITIQUES PRIORITAIRES À LUVRE
Ne pouvant ignorer les difficultés de ce territoire aux portes de Paris, lÉtat a mobilisé tous ses leviers daction publique pour redresser la Seine-Saint-Denis. Traduction de ce volontarisme étatique affiché, de mai 2007 à avril 2018, la Seine-Saint-Denis a reçu le nombre record de 2 700 visites officielles, soit une moyenne de 20 visites par mois ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P147_15840" 3).
La Seine-Saint-Denis est devenue au fil des décennies le territoire par excellence des politiques publiques dites prioritaires. Elle a expérimenté tous les dispositifs instaurés par tous les gouvernements et qui se sont succédé depuis le début des années 1990 :
Contrat de ville, zone urbaine sensible, zone de redynamisation urbaine, zone franche urbaine, contrat urbain de cohésion sociale (
),
Zone déducation prioritaire, réseau déducation prioritaire, réseau ambition réussite, réseau de réussite scolaire (
),
Plan local de sécurité, contrat local de sécurité, groupement dintervention régional (
).
Cest ainsi quaujourdhui, en Seine-Saint-Denis :
39 % de la population réside dans un des 63 quartiers de la politique de la ville ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P154_16693" 4) ;
58 % de ses écoliers et 62 % de ses collégiens sont inscrits dans un établissement déducation prioritaire ;
4 zones de sécurité prioritaire, réparties sur 6 communes, ont été instituées.
Ces modes dintervention publique concentrent sur des territoires aux caractéristiques socio-économiques prédéfinies des moyens humains, financiers et juridiques sans commune mesure avec ceux déployés sur les autres territoires de la République.
La raison dêtre de ces politiques prioritaires est la conviction que seul un effort massif et intense de laction publique permettra aux territoires en difficulté de sortir de la spirale négative dans laquelle ils sont enfermés.
Le volontarisme politique affiché est de tous les gouvernements, de toutes les majorités. À loccasion de leurs nombreux passages dans le département, ministres, Premiers ministres et Présidents de la République rivalisent de déclarations marquant la puissance de lengagement de lÉtat :
« La nation a engagé un effort sans précédent pour légalité des chances, un effort qui est nécessairement de longue haleine, un effort qui porte ses fruits, mais qui ne sinscrira véritablement dans la réalité de chacun que sil est poursuivi avec détermination et dans la durée. Cest tout lenjeu des années qui viennent. Face à ce défi, il ny a pas de place pour la division ou les faux débats : la clé, cest lengagement massif de lÉtat, dont cest lune des missions essentielles. La clé, cest le rassemblement de tous les Français autour de cet objectif. » (Jacques Chirac, 9 janvier 2007)
« Nous déployons des efforts considérables en faveur de la Seine-Saint-Denis. Les dépenses totales de lÉtat, hors rémunération des fonctionnaires, pour la Seine-Saint-Denis sont en augmentation constante : 4,57 milliards deuros en 2006, 4,9 milliards en 2007, 5,16 milliards en 2008 et 5,57 milliards en 2009. (
) je souhaite que lavenir de la Seine-Saint-Denis simpose comme une priorité nationale. » (Nicolas Sarkozy, 20 avril 2010)
« Légalité, cest aussi le renouvellement urbain : permettre de vivre mieux dans un endroit plus beau, plus économe des ressources naturelles, des ressources rares, dans des endroits qui peuvent être aussi connectés. Cest notre conception de la politique de la ville, doù la présence ici du ministre. Des moyens ont été ciblés dans 200 quartiers qui concentrent les plus grandes difficultés sociales, où les niveaux de revenus sont les plus modestes. Pendant dix ans, 20 milliards deuros y seront investis. Cest lapport de lÉtat qui crée leffet de levier et qui permet davoir cette mobilisation ». (François Hollande, 20 octobre 2015)
« La méthode sera simple, au-delà des engagements de court terme que jai pris et qui sont dans les textes budgétaires en cours de négociation ou qui arriveront dans les prochains jours, cest celle dabord dune véritable mobilisation nationale. Cette mobilisation nationale doit en quelque sorte finaliser un plan de bataille structuré. Les ministres auront à la construire et je veux remercier Jean-Louis Borloo davoir accepté de remettre les gants pour aider à la bataille. » (Emmanuel Macron, 14 novembre 2017)
Le Gouvernement dEdouard Philippe a déjà présenté des stratégies ciblées et mis en place plusieurs mesures pour soutenir les territoires en difficulté. Le vote, dans le cadre du budget pour 2018, dune majoration de 30 % du complément mode de garde pour les familles monoparentales découle dune volonté de lutter contre la pauvreté des familles. Lexpérimentation de la Police de sécurité du Quotidien (PSQ) vise également à répondre au malaise exprimé par les forces de lordre et au sentiment dinsécurité des Français. À la suite de la présentation du rapport de Jean-Louis Borloo sur les banlieues en avril dernier, un plan dactions sera prochainement lancé. Sil est encore trop tôt pour pouvoir dresser un bilan de ces mesures, ces dernières témoignent tout de même de leffort continu des Gouvernements pour définir des solutions pour les banlieues en difficulté.
1. Des politiques éducatives prioritaires confrontées à de maigres résultats
En ce qui concerne les dispositifs déducation prioritaire, les évaluations font état de résultats faibles ou limités. La politique déducation prioritaire ne parvient pas à réduire les écarts de réussite.
Les grandes étapes des politiques prioritaires éducatives
Les zones déducation prioritaire (ZEP) ont été mises en place par la circulaire du 1er juillet 1981, préparée par Alain Savary, ministre de lEducation de François Mitterrand, et qui précise que lobjectif des zones prioritaires est « de contribuer à corriger linégalité sociale par le renforcement sélectif de laction éducative dans les zones et dans les milieux sociaux où le taux déchec scolaire est le plus élevé » et à « subordonner laugmentation des moyens à leur rendement escompté en termes de démocratisation de la formation scolaire ». 53 écoles et 8 collèges étaient classés dans 5 zones prioritaires en Seine-Saint-Denis dès 1982, sur les 363 créés au niveau national.
Les ZEP ont successivement fait lobjet de nombreuses mesures daménagements : la circulaire du 7 décembre 1992 est revenue préciser les modalités de fonctionnement et dévaluation des ZEP. Celle du 3 février 1994 a inscrit les ZEP dans les dispositifs « politique de la ville ».
Les réseaux déducation prioritaire (REP), dont la création en 1997 est accompagnée dune révision de la carte des ZEP, intègrent de nouveaux établissements en difficulté. Un an plus tard, ont été institués les contrats de réussite. En 2000, léducation prioritaire scolarise 1,7 million délèves, avec 338 écoles et 61 collèges classés en REP.
La circulaire du 30 mars 2016 crée 253 RAR (Réseaux Ambition Réussite) qui visent à augmenter le nombre deffectifs dans léducation nationale, tandis que les autres ZEP et REP deviennent les RRS (Réseaux de Réussite Scolaire).
Lentrée en vigueur dune nouvelle politique déducation prioritaire à la rentrée 2015 a vu lapparition des réseaux REP+ qui concernent les établissements les plus en difficulté.
Si certains chercheurs ont pu observer des effets de court terme positifs de la réduction de la taille des classes sur les acquis des élèves au primaire, force est de constater quau collège, les élèves scolarisés en éducation prioritaire maîtrisent moins bien que les autres enfants les compétences de base. À titre dexemple, en 2015, en début de sixième, seuls 36 % des élèves en REP+ et un peu moins dun élève sur deux en REP maîtrisaient à la fois la langue française, les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique, contre deux tiers des élèves hors éducation prioritaire. En 2016, à la fin de la troisième, 64,3 % des collégiens en REP+ maîtrisaient la langue française, contre 78,5 % hors éducation prioritaire ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P174_24054" 5). Ces chiffres montrent que la politique déducation prioritaire ne parvient pas à réduire les écarts de réussite entre les établissements qui en bénéficient et les autres. En outre, elle ne produit pas deffets de long terme sur le niveau de scolarité atteint.
La Seine-Saint-Denis affiche une proportion de redoublants qui, même si elle est orientée à la baisse, reste bien plus élevée que dans lensemble de lacadémie de Créteil et de la France.
PROPORTION DÉLÈVES VENANT DU PUBLIC AYANT AU MOINS UN AN DE RETARDDANS LEUR SCOLARITÉ
(En %)
Élèves entrant en 6èmeÉlèves entrant en 3ème2007201720072017France métropolitaine et DOM15,97,926,312,8Académie de Créteil16,28,727,915,2Seine-Saint-Denis20,710,933,218,5Source : ministère de léducation nationale.
Le ministère de léducation nationale souligne cependant la forte baisse du taux de décrochage en Seine-Saint-Denis, qui serait passé de 10,3 % en 2014 à 6,6 % en 2017, soit une baisse dun tiers en trois ans ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P207_25177" (6). Les « décrochés » sont des élèves inscrits dans un établissement scolaire en année N1 quon ne retrouve pas dans les bases de ces établissements en année N et qui sont sortis du système scolaire sans avoir validé la formation dans laquelle ils sétaient engagés (diplôme ou qualification).
Il est cependant légitime de sinterroger sur la fiabilité de cette dernière statistique. La proportion des décrocheurs est mal appréhendée car elle doit être évaluée par rapport à une base démographique le nombre dinscrits dans les établissements qui est elle-même fluctuante, en raison des changements fréquents de structure ou de commune décidés par les familles : la « mobilité scolaire » est en effet très élevée en Seine-Saint-Denis puisquelle concerne, chaque année, à peu près 10 % des élèves. Lestimation de la proportion de décrocheurs est donc établie de manière indirecte, à partir du recensement : le ministère de léducation nationale identifie ainsi la part des jeunes de 16 à 25 ans « sans diplôme », ou possédant au mieux le diplôme national du brevet, et qui ne sont pas inscrits dans un établissement denseignement. Le recensement 2014, le dernier disponible, indique que celle-ci sélevait à 13,9 % en Seine-Saint-Denis. Ce chiffre est à mettre en perspective avec celui mis en avant par le ministère du travail qui calcule la part de jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, à laide du recensement de la population sur la tranche dâge des 15 à 24 ans. Ce pourcentage sélève alors à 21,9 % en 2014, ce qui représente, pour le département, 44 856 jeunes.
Il convient également de ne pas ignorer les situations scolaires de grandes difficultés exposant à un risque élevé de décrochage, telles que les décrocheurs cognitifs, présents dans un établissement mais présentant de grandes difficultés scolaires, une extrême passivité ou une agitation en cours. Aucune statistique départementale nest à ce jour disponible. Seules les données recueillies par lOCDE dans le cadre des évaluations PISA permettent de quantifier, au niveau national, lun des aspects du phénomène, labsentéisme : 24,8 % des élèves de 15 ans déclarent avoir séché des cours (contre 9,5 % en 2000, lors de la première enquête) et 11 % déclarent avoir volontairement manqué lécole durant une journée ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P210_27764" 7).
Relèvent également de ces situations les élèves temporairement exclus de leur établissement. Selon le sociologue Benjamin Moignard, certains mois en Seine-Saint-Denis, ces élèves représentent, chaque jour, léquivalent dun collège entier, un collège « fantôme » : en moyenne, 870 élèves sont exclus, chaque jour, en octobre dans le département (442 en novembre et 425 en mars). Ce volume délèves rend « matériellement difficile leur suivi éducatif et scolaire » et lexclusion devient, de fait, une mesure déloignement de létablissement, qui tend à se répéter ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P212_28666" 8).
Il existe également une forme subie dexclusion scolaire : labsence denseignant devant les élèves. En dépit des postes créés depuis cinq ans, la continuité de lenseignement nest toujours pas assurée en Seine-Saint-Denis, pour une raison « mécanique » qui tient à linefficacité du dispositif de remplacement des absences de courte durée. Ce phénomène dénoncé par les associations de parents délèves peine à être chiffré au niveau du département. Or, compte tenu des difficultés des élèves, labsence denseignants est plus dommageable quailleurs. Une enquête de terrain de la Cour des comptes, menée auprès dun échantillon détablissements, a mis en lumière léchec du remplacement de courte durée (moins de 15 jours) au collège et au lycée : le taux de couverture de ces absences était compris entre 5 et 20 % en 2015-2016. Léducation nationale ne fournit quant à elle que des chiffres à léchelle de lacadémie.
Dans le premier degré, le taux defficacité de la suppléance devant élèves (cest-à-dire la couverture du « besoin de suppléance » induit par les remplacements denseignants qui nont pas vocation à durer toute lannée scolaire, congé maladie ordinaire ou congé maternité par exemple), est particulièrement bas : 51,26 % en 2015-2016, contre 62,50 % pour le Val-de-Marne, 75,23 % pour la Seine-et-Marne et 78,41 % pour toute la France.
Le pourcentage de remplacement des enseignants en Seine-Saint-Denis nest pas une fin en soi. Ce qui importe est la perte de temps scolaire pour les élèves, temps scolaire quils ne peuvent rattraper ailleurs. Selon des estimations données par les associations de parents délèves, cette perte serait dune année sur lensemble de la scolarité des enfants de Seine-Saint-Denis. La profusion de moyens des établissements REP et REP+ perd de son sens si, au final, les enfants de ces établissements en zone difficile qui en ont le plus besoin, bénéficient de moins de cours que les autres.
Enfin, toute une population scolaire tend à échapper aux écrans radars de léducation nationale : les enfants instruits dans les familles et dans les établissements hors contrat. En 2017, 117 enfants de Seine-Saint-Denis étaient instruits à domicile, 1 520 dans une école hors contrat et 373 dans un collège hors contrat. La loi permet aux responsables dun enfant soumis à lobligation scolaire de respecter celle-ci en assurant eux-mêmes linstruction dans la famille ou en inscrivant lenfant dans un établissement privé qui na pas conclu de contrat avec lÉtat. Dans limmense majorité des cas, ce choix est motivé par le souci légitime de répondre aux besoins éducatifs particuliers dun enfant, par exemple lorsque celui-ci est en situation de handicap et que le système scolaire « ordinaire » ne lui propose pas un accompagnement adapté.
La croissance ultra-rapide, à trois chiffres, de linstruction dans la famille et de lenseignement privé hors contrat en Seine-Saint-Denis est suivie avec attention par les magistrats et les policiers, le second phénomène ayant conduit à demander au service du renseignement territorial de cartographier les structures scolaires concernées. En effet, certaines écoles coraniques récemment ouvertes veulent assumer, au-delà de lenseignement religieux, une mission dinstruction, faisant « contrepoint » à celle dispensée par le service public de léducation.
La politique déducation prioritaire produit des effets de stigmatisation. Le dispositif des RAR, ancêtre des réseaux REP+ qui a été appliqué de 2006 à 2010, a notamment conduit à des effets massifs de contournement de la carte scolaire. En effet, pour les élèves qui résidaient à proximité dun tel collège, la probabilité de scolarisation dans létablissement public du secteur scolaire était divisée par deux par rapport aux autres élèves résidant à proximité de leurs collèges de secteur. Ces stratégies dévitement, fait des familles les plus favorisées, ont eu pour conséquence de diminuer la réussite moyenne des collèges RAR ; les élèves partis étaient aussi ceux qui avaient les meilleurs résultats scolaires.
Les moyens mis en uvre par la politique déducation prioritaire sont donc contrebalancés par les effets négatifs dus à ce que les sociologues appellent des « effets de pairs » : la mixité sociale et scolaire étant moins forte dans les établissements concernés, le niveau des élèves est tiré vers le bas. On peut même penser, comme les économistes Marion Goussé et Noémie Le Donné, que lextension géographique de léducation prioritaire et la dilution de ses moyens ont répandu les effets négatifs liés à la labellisation ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P220_33641" 9).
Au total, alors que le discours officiel de lÉducation nationale vante lampleur des moyens mis en uvre ainsi quune réduction des écarts sociologiques, il faut bien constater quil reste beaucoup à faire. Certes, sans ces efforts significatifs, léchec serait assurément pire encore : mais est-il vraiment acceptable de sen satisfaire ? La réalité reste bien quen zone prioritaire les élèves demeurent moins scolarisés quailleurs.
2. Des politiques prioritaires qui ne permettent pas à la population de percevoir un renforcement de la sécurité
Les grandes étapes des politiques prioritaires en matière de sécurité
Les dispositifs prioritaires en matière de sécurité sont relativement récents. Nous pouvons en relever principalement deux.
La circulaire du 22 mai 2002 a créé les groupes dintervention régionaux (GIR) qui réunissent, dans chaque département dÎle-de-France, lensemble des services concernés par la lutte contre léconomie souterraine, y compris ladministration fiscale. Ils sont composés de gendarmes, de policiers, dagents des douanes, des impôts, de lURSSAF, mais aussi de linspection du travail.
Encadrées par une circulaire du 30 juillet 2012, les zones de sécurité prioritaires (ZSP) correspondent à des territoires ciblés dans lesquels des actes de délinquance ou dincivilités sont structurellement enracinés. Elles concernent à la fois des cités sensibles soumises à des épisodes récurrents de violences urbaines, des centres-villes dont la physionomie est dégradée en raison de nuisances diverses, ou encore des zones périurbaines ou rurales.
En matière de sécurité, le bilan des Zones de sécurité prioritaire (ZSP) savère décevant en Seine-Saint-Denis, qui en compte quatre, réparties sur le territoire de six communes (Saint-Denis, Saint-Ouen, Aubervilliers/Pantin et Aulnay-sous-Bois/Sevran), et qui ont fait de la lutte contre le trafic de stupéfiants leur priorité.
La mise en place des zones a été suivie par un pic dactivité en 2013 : + 28,5 % de faits constatés et + 15 % de personnes mises en cause (PMC) en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, ainsi que 4,3 millions deuros davoirs criminels saisis en lien avec ce trafic. Ces chiffres peuvent être interprétés comme une efficacité retrouvée des forces de police sur le terrain. En 2015, la mobilisation des forces de police contre les menaces terroristes a entraîné une baisse des faits constatés de 12,5 % et des PMC de 27,5 %. Depuis, les courbes des faits constatés et des PMC sont reparties à la hausse, mais alors que de lavis de tous le phénomène est en forte croissance les saisies liées au trafic ont brutalement chuté, passant de 1,5 million deuros en 2014 à moins de 500 000 euros (497 148 euros précisément) en 2017.
ÉVOLUTION DES FAITS COMMIS POUR TRAFIC ET REVENTEDE STUPÉFIANTS EN SEINE-SAINT-DENIS*
INCLUDEPICTURE "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014-2.gif" \* MERGEFORMATINET
* Services concernés : SDPJ 93 et DTSP 93.
Source : Préfecture de Police.
La population ne perçoit pas un quelconque surcroît de sécurité dans son quotidien. Lenquête de victimation de lInstitut daménagement et durbanisme dÎle-de-France (IAU) montre que, parmi les Franciliens interrogés, les habitants de Seine-Saint-Denis sont les plus enclins à éprouver un sentiment dinsécurité (61,7 % des interrogés dans ce département, contre 55,3 % dans la région) et à avoir peur dans le quartier le soir (35,5 % contre 23,5 %) ou dans le train (33,7 % contre 26,6 %) ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P234_37392" 10).
Lanalyse des précédents sondages met en évidence le fait que, dans ce département, « les peurs concrètes sont à leur acmé et le risque de victimation est vécu comme lune des insupportables conséquences dune assignation à résidence à laquelle on ne peut échapper faute de moyens » : les enquêtés se voient donc comme « relégués dans un cadre et des conditions de vie quils napprécient pas » et jugent sévèrement leur quartier, avec ses bandes de jeunes qui traînent et ses problèmes de drogue et de vandalisme ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P236_38046" 11).
Ce climat particulier nourrit lattitude très critique des habitants du département à légard du « service rendu » par les forces de sécurité. Les données recueillies par le politologue Sébastien Roché indiquent, à titre dexemple, que dans les logements sociaux de Seine-Saint-Denis, plus dun tiers (34 %) des personnes interrogées déclarent que la police est présente mais laisse « tout passer » soit deux fois plus que dans la France « hors HLM » (16 %) ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P238_38727" 12).
3. La justice, oubliée des politiques prioritaires
Si limage de la police est détériorée en Seine-Saint-Denis, celle de la justice est également atteinte. Auditionné par les rapporteurs, M. Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois, a confirmé cette détérioration aux yeux de la population de sa commune, du fait du « temps très long de la justice ». Les délais de la justice pénale mais aussi ceux de la justice civile sont tels en Seine-Saint-Denis que lÉtat a été condamné en octobre 2017 par le TGI de Paris qui a constaté que lÉtat a manqué à son devoir de protection juridictionnelle des individus. Ces délais créent un sentiment dimpunité des délinquants qui, selon le maire de Clichy-sous-Bois, prévaut au sein de la population lorsquelle constate que les auteurs dinfractions sont convoqués longtemps après avoir commis les faits.
La justice de proximité, dispensée par les 8 tribunaux dinstance du département, néchappe pas à la critique : au tribunal dinstance dAubervilliers, le délai daudiencement est de douze mois, contre deux mois à Paris. Ceux de Bobigny et de Saint-Denis ont des délais daudiencement un peu plus courts (respectivement 9 et 8 mois), mais encore très supérieurs à la moyenne nationale des tribunaux dinstance (5,7 mois).
À Aubervilliers, la durée moyenne de traitement des affaires dans le tribunal dinstance est de 8,6 mois contre 4,4 mois par exemple au tribunal dinstance du 18ème arrondissement de Paris, et 4,6 mois dans le 15ème arrondissement.
Les délais de signification des jugements sont également trop longs dans la plupart des juridictions du département. Au tribunal pour enfants du TGI, la plupart des jugements ne sont pas signifiés tout de suite, et pour certaines affaires, la signification peut prendre jusquà un an et demi ou deux ans.
Le délai moyen de transmission des décisions au casier judiciaire national est de 6,8 mois au TGI de Bobigny contre 4,8 en moyenne nationale.
Enfin, le délai dexécution des peines est également excessif à Bobigny, du fait de la disponibilité insuffisante des greffiers, magistrats du parquet et de lapplication des peines, services de milieu ouvert, car lengorgement touche toute la chaîne du procès pénal.
Le rapide bilan ainsi dressé de laction de lÉtat en Seine-Saint-Denis interpelle. Les difficultés du territoire et de ses habitants persistent voire saggravent malgré la mise en uvre de politiques dites prioritaires générant la mobilisation dimportants moyens humains et financiers, malgré larrivée de sièges sociaux de groupes internationaux, malgré lorganisation dévénements mondiaux et malgré une manifeste volonté politique dagir depuis plusieurs décennies.
LÉtat recule en Seine-Saint-Denis car le département fait en fait face à un triple déni.
À court terme, lÉtat surinvestit humainement et financièrement dans ce département. Des ministres aux différents Présidents de la République qui se sont succédés, laccent a toujours été mis sur lampleur des moyens dévolus à la Seine-Saint-Denis comme à tous les territoires en difficulté. Ces manifestations dengagement évitent de reconnaître que la seule surmultiplication des moyens à court terme naboutit pas à de meilleurs résultats à long terme.
Le déni est également sur le moyen terme en faisant croire que linstallation des grands groupes dans le département permettrait, par le surcroît de richesse économique quils apportent dans le département, une fontaine de jouvence pour le département. Comme le souligne Didier Leschi, ancien préfet à légalité des chances de Seine-Saint-Denis, « [la Seine-Saint-Denis] est le département dÎle-de-France où sont créés le plus demplois, mais les entreprises nouvellement arrivées ne recrutent pour ainsi dire pas dans le bassin demploi où elles sont implantées. Cest ce qui se passe, par exemple, à la Plaine-Saint-Denis, qui est léquivalent du quartier daffaires de la Défense dans le nord de Paris » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P250_42968" 13). À lannonce du départ de SFR de Saint-Denis programmé pour 2018, les élus locaux reconnaissent à demi-mots que le retour pour léconomie locale était faible : les commerces « vont forcément en pâtir même si SFR avait sa propre offre de commerces dans le bâtiment » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P251_43383" 14). À rebours des déclarations optimistes lors de linauguration, seulement quatre ans plus tôt.
Sur le long terme, lorganisation de grands événements mondiaux est présentée comme le commencement dune ère de prospérité pour le département. Ainsi, lors de la construction du Stade de France, en vue de la coupe du monde de football en France en 1998, Alain Juppé, alors Premier ministre, affirmait que : « linstallation dun équipement phare peut être loccasion pour donner une impulsion décisive à une politique de la ville. Une politique qui désenclave, qui rapproche, qui redonne une fierté et assure un vrai développement » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P253_44157" 15). Limpulsion est restée sur la piste dathlétisme du Stade de France. La tentation est grande de se bercer à nouveau dillusions avec les futurs Jeux olympiques de 2024.
Il est de plus en plus difficile dignorer ces dénis. Dautant plus que les difficultés de la Seine-Saint-Denis sont emblématiques des difficultés daujourdhui de lÉtat et de la République. Plusieurs Présidents de la République lont perçu en accordant au département une attention particulière. Ainsi, lorsque Nicolas Sarkozy se déplace en personne le 20 avril 2010 à Bobigny pour installer le nouveau préfet, son discours ne sadresse pas aux seuls habitants du département mais à tous les Français. Car léchec ou, pour le moins, les failles de lÉtat dans ce département sont révélatrices des failles dans toute la France. De même, ce nest pas un hasard si, depuis cette même ville de Bobigny, Emmanuel Macron annonce sa candidature à lélection présidentielle en décrivant une France en difficulté.
Pourquoi laction de lÉtat en Seine-Saint-Denis est-elle sans cesse mise en échec ? Quelles sont les sources de cette impuissance publique chronique aux portes de Paris, à quelques encablures des lieux de pouvoirs ?
II. À LORIGINE DES BLOCAGES EN SEINE-SAINT-DENIS : LA MÉCONNAISSANCE DU TERRITOIRE ET DE SES HABITANTS
Dans son rapport doctobre 2006 dressant « le bilan et les perspectives davenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine dannées » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P260_45910" 16), le sénateur Pierre André observait avec justesse que « la Seine-Saint-Denis souffre de dysfonctionnements institutionnels, qui hypothèquent lefficacité des nombreux moyens dont elle dispose et qui lempêchent dutiliser pleinement ses atouts géographiques, démographiques et économiques. » Il imputait principalement les dysfonctionnements institutionnels à la faiblesse des intercommunalités. Une décennie plus tard, le reproche fait aux collectivités territoriales nest plus de mise sans que pour autant la situation se soit améliorée. Aujourdhui, cest donc lautre acteur de laction publique quil convient de questionner : lÉtat.
Les visites et rencontres menées par les rapporteurs en Seine-Saint-Denis, les auditions et tables rondes dacteurs, chercheurs et dirigeants, les témoignages danciens cadres de ladministration, délus mais aussi dhabitants permettent de révéler une réalité de laction publique étatique très éloignée de celle portée par les discours et réponses officiels.
Le premier de ces constats est la méconnaissance par lÉtat de plusieurs dimensions du territoire et des habitants de Seine-Saint-Denis.
A. LÉTAT IGNORE LE NOMBRE DHABITANTS VIVANT DANS LE DÉPARTEMENT
Dès les premières auditions, les rapporteurs ont perçu lincapacité des différentes administrations à sentendre sur un chiffre central de laction publique : le nombre dhabitants résidant en Seine-Saint-Denis.
« Le mot [statistique] avait déjà fait son apparition au 17e siècle, calqué sur le latin moderne statisticus, relatif à lÉtat, via litalien statistica dérivé de statista, homme dÉtat, lui-même dérivé du latin status, état, au sens de position, situation, et aussi forme de gouvernement. En latin médiéval, status signifiait aussi inventaire (comme en comporte un état des lieux) : on pourrait dire que le premier objet de la Statistik fut de dresser un état de lÉtat. » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P266_48222" 17).
La connaissance du territoire, des habitants qui y vivent est donc étroitement liée à la capacité de la puissance publique à agir en tant que telle. Or, pour ce qui concerne la Seine-Saint-Denis, ce préalable évident nest manifestement plus rempli depuis un certain temps.
Selon les estimations publiées par lINSEE, la Seine-Saint-Denis compte 1 646 105 habitants au 1er janvier 2018. Parmi ces derniers, on dénombre plusieurs centaines de milliers de personnes de nationalité étrangère en situation régulière (en 2014, 423 879).
Cette dernière donnée est cruciale à plusieurs titres : le département est un sas dentrée de la France par laéroport Roissy-Charles-de-Gaulle qui accueille chaque année 65 millions de passagers dont 35 en entrée sur le territoire. Sur le flot dentrants figurent des personnes désireuses de demeurer en France mais ne disposant pas des titres de séjours les y autorisant. Sils ne figurent pas dans les statistiques officielles, ces hommes, femmes et enfants sont une réalité démographique avec laquelle les pouvoirs publics doivent compter. Or, ces derniers narrivent pas à les dénombrer. Selon les estimations des interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs, ces personnes en situation irrégulière seraient entre 150 000, 250 000 personnes, voire 400 000. Soit un ajout supplémentaire équivalent à la population de lAriège (152 321 habitants), du Jura (259 000 habitants), voire des Landes (411 757 habitants). La marge est grande.
Les méthodes statistiques actuelles de recensement de population déployées par lINSEE nappréhendent pas cette réalité. La disparition des enquêteurs et le recours aux échantillonnages constituent une perte qualitative dans le recueil et la finesse des données.
Au niveau local, le fichier des titres de séjour AGDREF est la source principale de connaissance des flux de population étrangère : ce fichier a ainsi enregistré, en 2016, près de 287 000 titres de séjour délivrés en Seine-Saint-Denis, dont 213 000 renouvellements et 74 000 premiers titres. Cependant cette base dinformation est peu fiable pour mesurer le nombre détrangers effectivement présents dans le département, car elle ne prend en compte que les seuls titres de séjour en cours de validité. De plus, lorsque les personnes déménagent, elles nactualisent pas forcément leur adresse dans ce fichier.
La mesure des demandes de régularisation constitue aussi un indice, mais également insuffisant, car il peut se passer des mois ou des années avant quune personne étrangère demande à régulariser sa situation ; elle reste donc inconnue jusque-là.
Au niveau européen, des discussions ont été engagées afin de mettre en place un système dinformation destiné à suivre les entrées et les sorties dans et hors de lespace Schengen. Celui-ci devrait enregistrer les entrées à larrivée sur un territoire national et les départs à la sortie, tout en imposant aux détenteurs de visa de présenter leur passeport ainsi quune vignette spécifique. Cette obligation de passage et denregistrement constituera un progrès par rapport à la situation actuelle, mais les données qui en seront issues ne permettront pas pour autant de mesurer le nombre de personnes en situation irrégulière en Seine-Saint-Denis : elles indiqueront que 1 000 personnes sont entrées dans le département, que 600 en sont sorties, mais pas où se trouvent les 400 autres.
Les outils les plus réactifs pour la connaissance de la population étrangère en situation irrégulière sont ceux de la caisse primaire dassurance maladie qui reçoit les demandes daide médicale de lÉtat (AME), et de la caisse dallocations familiales qui, par son fichier dallocataires, détient une connaissance des caractéristiques des bénéficiaires et de leur famille, avec des données au niveau infra-communal. Le phénomène du non-recours aux droits nuancera cependant, là encore, lexhaustivité des informations disponibles.
La seule certitude est lincertitude dans laquelle lÉtat est plongé concernant le chiffre détrangers en situation irrégulière en Seine-Saint-Denis. Incertitude que traduisent les estimations reconnues comme « officielles » données par le directeur de limmigration du ministère de lintérieur, entendu par les rapporteurs : « le chiffre de 150 à 200 000 personnes est crédible, si lon sappuie sur le calcul consistant à multiplier par trois les 56 000 ou 57 000 bénéficiaires de lAME, un chiffre déjà minoré par rapport au public potentiellement concerné, car il exclut tous les étrangers qui ne remplissent pas lun des deux critères dadmission à cette aide ». Cette estimation également reprise par M. Pierre-André Durand, préfet de Seine-Saint-Denis, lors de son audition par les rapporteurs, et qualifiée de « crédible » se laisse une marge derreur de 33 %...
Tous les interlocuteurs des rapporteurs ont souligné le caractère explosif du sujet, à la fois par ce que recouvre cette réalité sociale méconnue que par les coûts importants que supposerait la prise en charge de cette population en termes de besoins demploi, daide sociale, si elle venait à être considérée de manière officielle par les autorités, même restant dans lirrégularité au regard du droit au séjour.
Selon lINSEE, pour ce qui concerne la population étrangère régulière, « parmi les 36 communes de France métropolitaine comptant plus de 10 000 habitants et dont plus de 30 % de la population est dorigine étrangère, 15 sont situées en Seine-Saint-Denis ». Et de préciser « pour autant, cette population immigrée nest majoritaire dans aucune commune. Les maximums sont atteints à La Courneuve et Aubervilliers (43 %). Dans ces deux communes, plus de huit enfants sur dix (de moins de 25 ans) ont au moins un parent immigré (88 % à La Courneuve ; 84 % à Aubervilliers) » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P278_54373" 18).
Cette réalité amène assurément à sous-estimer la réalité sociale de la Seine-Saint-Denis eu égard au poids de la population étrangère irrégulière. Or, affronter la réalité dans un cadre daction publique exige dêtre plus précis que « des approximations à partir de calculs de coin de table » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P280_54836" 19), selon les termes de la démographe Michèle Tribalat.
Pour identifier des phénomènes urbains de ghettoïsation, pour expliciter des difficultés scolaires, pour lutter contre les discriminations, pour adapter les moyens de la police et de la justice à une population spécifique, se pose alors la question de létablissement de statistiques dites ethniques. Dans son avis rendu le 16 mai 2007, la Commission nationale de linformatique et des libertés (CNIL) a estimé que « pour lutter contre les discriminations, encore faut-il pouvoir les identifier les mesurer ». Aussi, selon la CNIL, « lintégration de questions sur la nationalité et le lieu de naissance des parents peut être admise dans le cadre denquêtes spécifiques adossées au recensement. » Mais dajouter : « de telles questions pourraient aussi être posées dans le cadre du recensement de la population dès lors que toutes précautions méthodologiques auraient été prises pour garantir la protection des données et que lacceptabilité publique de ces questions aurait été préalablement testée ».
Cette dernière condition ne semble pas aujourdhui remplie. Il appartient aux plus hautes autorités de lÉtat de mobiliser ses services statistiques pour préciser sa connaissance du sujet. Dans son avis sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit dasile effectif, le Conseil dÉtat indique dès les premières lignes que « dans ce domaine plus encore que dans dautres, au regard notamment des tensions et des passions qui traversent le pays, une approche documentée, appuyée par un appareil statistique complet, est seule de nature à permettre les débats de principe quexige la situation et à justifier les décisions délicates quelle appelle, ainsi quà entreprendre la nécessaire pédagogie qui doit les accompagner » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P283_56858" 20). À ce jour, cette approche documentée nexiste pas. Le débat, pourtant absolument nécessaire, nest même pas esquissé.
Définir et mener une politique publique à partir de données démographiques affichant une marge derreur et donc dimprécision aussi grande ne peut pourtant mener quà léchec de lÉtat, et en conséquence de la République. En dépit des conséquences évidentes des insuffisances de loutil statistique actuel, personne ne semble vouloir prendre le problème à bras le corps. Lors des auditions menées par les rapporteurs à lAssemblée nationale, les dirigeants de lINSEE ont pris pour un procès en légitimité le seul fait de soulever la question de la validité du recensement de la population, notamment concernant le nombre dhabitants dans les vastes camps rom du département. Linstitution se sentant attaquée préfère se murer dans ses habitudes plutôt que de mobiliser ses compétences internes pour répondre aux défis posés. LÉtat nest pas plus proactif. LINSEE est rattaché au ministère de léconomie et des finances et aucune instruction ne lui est donnée pour améliorer ou repenser ses outils en fonction des réalités démographiques de notre temps.
La population étrangère irrégulière nest pas la seule réalité sociale que lÉtat narrive pas, sciemment ou non, à évaluer.
B. LES FAITS SOCIAUX QUE LÉTAT NE SAIT PAS ÉVALUER
En juin 2009, dans un rapport consacré au droit au logement, le Conseil dÉtat constatait que « lÉtat ne dispose plus dun appareil statistique et de lexpertise suffisants pour conduire la politique du logement ». La haute juridiction administrative conseillait de porter « les efforts de connaissance (
) sur les personnes hébergées et non logées, dont le nombre et les conditions de logement restent mal appréhendées. » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P288_58893" 21)
Une décennie plus tard, les rapporteurs ont pu constater, au fil de leurs entretiens, que rien na été entrepris sur ce point et que de nombreux autres faits sociaux, également majeurs, échappaient à la connaissance de lÉtat.
1. Le niveau scolaire réel des élèves
Il en est ainsi du niveau scolaire réel des élèves de Seine-Saint-Denis : léducation nationale ne dispose pas doutils lui permettant de mesurer, de façon régulière et standardisée, les acquis, les niveaux et les compétences des élèves par bassin déducation, par établissement ou par dispositif pédagogique. Ainsi, le dispositif « Lire, écrire, compter » (LEC), qui permet de vérifier, avec la même dictée, les performances en orthographe des élèves de fin décole primaire et qui a révélé la forte augmentation du pourcentage délèves effectuant 25 erreurs ou plus (5,4 % en 1987, 11,3 % en 2007 et 19,8 % en 2015) ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P292_59917" 22), ne peut nous renseigner sur le niveau des élèves de la Seine-Saint-Denis alors que linformation serait évidemment très précieuse.
Il est évident que ce sont les professeurs, via les exercices et les contrôles effectués en classe et les évaluations nourrissant le livret scolaire, qui ont une idée précise du niveau de leurs élèves. Ainsi, les enseignants de telle école savent parfaitement quun tiers des élèves de CE2 ne savent pas lire. Dans le même esprit, dans un collège « difficile », un professeur de français naura toujours pas débuté le programme à la mi-décembre, car il devra consolider les « bases », comme lemploi du verbe, qui ne sont pas maîtrisées par de nombreux élèves. Mais lexploitation de ces informations essentielles ne sort pas du cadre de létablissement.
En outre, le ministère de léducation nationale ne sait pas quel est le niveau réel des élèves des établissements de Seine-Saint-Denis, en dehors des résultats du brevet des collèges et du baccalauréat. Il ne peut donc pas estimer lefficience des réformes pédagogiques, des dispositifs prioritaires dans ce département. Dautant plus que, lors de leur déplacement dans plusieurs établissements scolaires, il a été démontré aux rapporteurs la déconnexion entre le niveau réel des élèves et leurs résultats officiels aux examens. Comme dans toute la France, lobjectivité des notes doit céder devant limpératif de résultats.
2. La réalité de la délinquance
Les statistiques officielles sur la délinquance sont imparfaites. Elles nenregistrent quune partie des actes commis, qui plus est sans le souci de la précision.
Les services de police et de gendarmerie alimentent létat 4001, outil denregistrement des crimes et délits. Mais nest enregistrée que la délinquance « rapportée et constatée », donnant lieu à la rédaction de procédures. Tous les faits dincivilités et de nuisances, qui contribuent largement au climat dinsécurité que ressentent les habitants comme les occupations de hall dimmeuble y échappent. De même, la rigidité de loutil limite lenregistrement à 107 infractions. Celles commises en milieu familial ou par le vecteur dinternet ny sont pas spécifiquement recensées. Tous ces éléments créent un « décrochage » entre les données officielles sur la délinquance et le vécu des habitants de Seine-Saint-Denis.
Côté justice, le logiciel de la chaîne pénale Cassiopée, développé à partir de 2010, est inégalement renseigné par les tribunaux et cours dappel : la cour dappel de Paris ny a pas recours ; les juges dinstruction du TGI de Bobigny utilisent un autre logiciel. Comme le souligne la mission dinformation sénatoriale sur le redressement de la justice présidée et rapportée par M. Philippe Bas, « labsence dune évaluation statistique complète et fiable de lactivité de la justice, de sa qualité et de son efficacité nuit incontestablement à sa performance » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P299_63167" 23). La chancellerie manque en effet doutils essentiels pour disposer dune véritable expertise statistique. Le taux et le délai moyen de mise à exécution des peines ne sont pas connus, le taux de récidive, le niveau du stock daffaires et son ancienneté ne sont pas renseignés...
Pour parachever le tout, létat 4001 des services de police et de gendarmerie ne peut être relié aux informations et statistiques tenues par les parquets. Cette absence de données communes police/justice ne semble pas devoir être corrigée à plus ou moins long terme, même si leur nécessité est affirmée depuis longtemps : ainsi, en avril 2013, alors ministre de lintérieur, Manuel Valls déclarait : « je souhaite quau cours de cette année 2013, cet outil statistique soit beaucoup plus performant, soit aussi relié aux statistiques du ministère de la Justice, cest aussi la volonté de Christiane Taubira, pour que nous ayons une statistique sur la délinquance qui soit indépendante, incontestable, et qui ne provoque pas en permanence ces polémiques. Nous avons besoin dun outil statistique, pas pour polémiquer, mais tout simplement pour mieux agir, et pour que laction de la police, de la gendarmerie, des douanes et de la justice, soit la plus efficace possible » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P301_64627" 24).
3. Léconomie souterraine
Étroitement liée aux faits de délinquance, léconomie souterraine demeure une grande inconnue pour le ministère de lintérieur et celui de léconomie et des finances. Drogues, contrefaçons, trafics humains sont massivement présents dans léconomie réelle du département. Ils génèrent des revenus dont nul ne conteste lexistence : les organismes sociaux et les services fiscaux de Seine-Saint-Denis constatent une surreprésentation des paiements en numéraire aux guichets ; la justice nest pas dupe de la finalité de certaines sociétés en liquidation judiciaire, créées via des montages financiers complexes donnant lieu à létablissement de fausses factures et fiches de paie ; limmobilier demeure un mode toujours recherché de blanchiment.
Comment estimer quelque chose qui nest pas visible ? La difficulté de la tâche néchappe pas aux rapporteurs. Tâche qui, contrairement aux étrangers en situation irrégulière, ne semble pas impossible pour lINSEE. En effet, le 30 janvier 2018, lInstitut a indiqué que, dorénavant, les comptes nationaux intégreront, à la demande de loffice européen des statistiques Eurostat, « la consommation de stupéfiants et les activités liées à cette consommation ». En réalité, seule la consommation de stupéfiants sera estimée.
La taille du marché de la drogue en France : une estimation incomplète et biaisée
La consommation de stupéfiants sera estimée, en étant « valorisée » à son prix de vente final au consommateur, qui inclura la rémunération des producteurs et des trafiquants français réalisant leurs marges.
Ce prix ne prendra donc pas en compte :
la rémunération des producteurs étrangers ;
les sommes générées par le blanchiment dargent provenant du trafic via la détention dactifs sur le territoire national ou à létranger.
Pour estimer la valeur de la consommation de stupéfiants, lINSEE sappuie sur lexpertise de lInstitut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHEJS), dont la méthodologie est empirique. Les chercheurs de cet organisme utilisent, en effet, les données disponibles sur la demande de stupéfiants, notamment celles sur les prévalences dusages, les modes de consommation et le prix et la qualité des drogues vendues au détail. Or, comme lont rappelé ces mêmes chercheurs, ces éléments sont affectés de deux biais principaux :
un biais inhérent aux enquêtes déclaratives menées auprès des consommateurs de drogues, le phénomène de sous-déclaration étant accentué en matière dusages illicites ;
un biais résultant de lestimation des prix des drogues illicites considérées. LInstitut utilise en effet un prix médian établi par lOffice central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants et lObservatoire français des drogues et des toxicomanies, qui masque, de ce fait, la très grande dispersion des prix en fonction des territoires et des organisations criminelles.
Comme le souligne lINHESJ, « la prudence reste de mise tant dans lexercice destimation de la taille des marchés des drogues illicites que dans celui de son analyse », lobservation des marchés souterrains ne pouvant quêtre partielle.*
La valeur de la consommation de stupéfiants est estimée, dans ce cadre, à 2,8 milliards deuros, auxquels il convient, selon lINSEE, de soustraire 400 millions deuros, soit la valeur estimée des importations de stupéfiants.
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* INHEJS, Estimation des marchés des drogues illicites en France, synthèse, octobre 2015, p. 5.
Comme il a été précisé lors des auditions, malgré la perte de recettes pour lÉtat, la direction départementale des finances publiques de Seine-Saint-Denis na pas reçu dinstructions particulières pour appréhender léconomie souterraine. Son action demeure ciblée sur la fraude fiscale de léconomie « déclarée ».
Les estimations de léconomie souterraine communiquées notamment dans la presse par de doctes experts continueront donc encore à susciter le sourire des acteurs de terrain. Ainsi, lorsque le chiffre daffaires du trafic de cannabis en Seine-Saint-Denis est évalué à un milliard deuros par an, il convient immédiatement de le comparer avec celui des ventes dans les grandes cités marseillaises, qui peut atteindre 600 à 700 000 euros par jour, comme à La Castellane où la comptabilité des trafiquants a été retrouvée.
Au même titre que les données démographiques, les approximations officielles autour de lampleur de léconomie souterraine tendent à mésestimer les moyens humains, juridiques et organiques de lÉtat nécessaires pour lutter contre. Que ce soit à la direction départementale des finances publiques de Seine-Saint-Denis, dans les services de police ou au TGI de Bobigny, le sous-dimensionnement des personnels spécialisés dans la lutte contre léconomie souterraine et le blanchiment dargent trouve son origine directe dans lincapacité, ou le refus, de lÉtat den chiffrer la réalité.
4. Les marchands de sommeil et le logement insalubre
Le phénomène des marchands de sommeil et du logement indigne échappe aussi à la statistique publique. Lhabitat privé dégradé joue le rôle de parc social en Seine-Saint-Denis et constitue une cible de choix pour les marchands de sommeil, qui recherchent « la rentabilité locative maximale face à une population précarisée » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P322_70308" 25). Ces trafiquants dun nouveau genre sont dailleurs de plus en plus présents dans les procédures judiciaires de vente immobilière, pour acheter à bas prix des biens qui leur permettent daccroître leur « offre » de logements. Un F3 acheté dans ce cadre ne coûte, en effet, que 5 000 à 7 000 euros et peut être loué « à la découpe » 400 euros par mois les petites pièces, 700 euros la plus grande. On mesure alors la rapidité du retour sur investissement. Le profil des marchands de sommeil est en outre varié car les possibilités denrichissement sont illimitées et difficilement détectables : il peut sagir de familles étrangères, qui se spécialisent dans « loffre locative » auprès de compatriotes, de Français de classe moyenne qui profitent de la situation comme ce membre de la police aux frontières (PAF), dont on a découvert quil était propriétaire de 55 logements au Chêne Pointu, une grande copropriété de Clichy-sous-Bois ou de personnes aisées, très diplômées et sans scrupules comme ce chirurgien se déclarant résident égyptien, qui a reconverti une clinique privée désaffectée en « immeuble dhabitation ».
Le terreau sur lequel prospèrent les marchands de sommeil est étudié au plan local, notamment par des services municipaux ou des cabinets de conseil. Le taux de parc privé potentiellement indigne atteindrait ainsi 7,5 % en Seine-Saint-Denis, avec des pointes de 20 % à 40 % près de Paris. Malgré ces taux, le phénomène, en forte accélération, ne fait lobjet daucun chiffrage ministériel. Et nest pas près de lêtre : la structure chargée de le combattre au sein de la sécurité publique de Seine-Saint-Denis a vu ses effectifs spécialisés travaillant à temps plein passer de 8 à 3 fonctionnaires
5. Et tous les autres
Dautres pans entiers du quotidien des habitants de Seine-Saint-Denis échappent au regard statistique : létat de santé, le coût des soins, les délais dattente, laccès au crédit et aux services, la qualité de vie
Que dire alors du ressenti des habitants ?
Selon Didier Leschi, ancien préfet à légalité des chances de Seine-Saint-Denis, « la proximité de Paris est un facteur important de ressentiment car la Seine-Saint-Denis est dans une situation paradoxale. (
) La distance qui sépare ce quil y a de plus riche et ce quil y a de plus pauvre dans ce pays se mesure en stations de métro. Cela génère, fort logiquement, une très grande frustration sociale, en particulier chez ceux qui sen sortent le moins : les garçons. (
) Lorsquil y a enclavement, il nest pas nécessairement lié à labsence de transports. Lenclavement est en partie mental. Il peut effectivement y avoir chez certains jeunes un sentiment de malaise lorsquils passent le périphérique. Allez à Aubervilliers. Cette ville qui est aux portes de Paris est lune des plus pauvres de France, vous verrez que lon est au cur de cette friction. Contrairement à limage que lon sen fait, la Seine-Saint-Denis est très irriguée par les réseaux de transports publics. Métros et RER permettent à une partie de la jeunesse de se retrouver dans le cur de Paris, comme cest le cas dans le quartier des Halles. Dans lautre sens, le trafic de stupéfiants génère un flux de personnes important. Le trafic de drogue, cest un transfert de richesses du cur riche de lagglomération vers sa marge pauvre. » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P327_74002" 26) Comment mesurer cet enclavement mental, cette frustration sociale tels quobservés par ce haut fonctionnaire en bordure du périphérique, et donc y répondre ?
Des phénomènes profonds et structurants pour le département, visibles au quotidien, échappent au regard statistique. Lampleur des trafics dans certains quartiers et les revenus quils génèrent perturbent la vie sociale, y compris là où de prime abord elle devrait être épargnée : lécole, les associations sportives, le logement, la vie municipale. Des systèmes dinspiration mafieuse tendent à sinstaller et à imposer leur diktat, profitant de la faiblesse de la puissance publique. Ces phénomènes complexes et tentaculaires échappent à la statistique publique compartimentée alors que seule leur connaissance autoriserait la reconstruction dune action publique efficace.
Pourtant, les territoires, Seine-Saint-Denis comprise, sont scrutés sous toutes les coutures : statistiques et tableaux de bord prolifèrent. Ministères, directions régionales et départementales, INSEE, CAF, CNAV, Pôle emploi,
Les chiffres prolifèrent mais ne se croisent pas. Les services centraux et déconcentrés de lÉtat travaillent peu en réseau, entre eux comme avec les producteurs locaux de données que sont les communes, les établissements publics territoriaux et les départements. En outre, sagissant des collectivités territoriales, la décentralisation sest traduite par un « ratage statistique », dans la mesure où leurs données sont difficiles à consolider et, par conséquent, peu comparables et peu exploitables. Labsence dinterconnexion entre les fichiers des droits sociaux et les données des communes contribue, elle aussi, à « brouiller » la connaissance des territoires et de leur population, tout comme la vision sectorielle des services, quils soient déconcentrés, communaux ou départementaux. Si celle-ci permet de multiplier les éclairages dans tel ou tel domaine, elle empêche lémergence dune vision globale, qui est nécessaire pour comprendre comment les différentes problématiques se lient entre elles dans les territoires. On constate même une démultiplication des outils par les acteurs, qui sopère au détriment de la mutualisation des données et des connaissances, alors quil faudrait, selon le chef de service de lobservatoire du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, M. Benoît Oudin, adopter la démarche inverse, en développant une « lecture matricielle » de variables connectées les unes aux autres, qui identifie les signaux faibles et les tendances lourdes à luvre ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P330_76807" 27).
Dans cette surabondance de nombres, les trous dans la raquette sont béants. Facebook en saurait-il plus sur les habitants de Seine-Saint-Denis que la statistique publique ?
« Il est entendu que le nombre ne rend pas compte de la réalité dans son intégralité. Il permet cependant den saisir certains aspects, impossibles à appréhender autrement » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P333_77236" 28). Se priver de statistique, cest se priver dun outil qui, certes, napportera pas la solution au problème décelé, mais permettra den découvrir certains leviers, facilitant la réorientation et la réorganisation de laction publique.
C. QUAND LA SEINE-SAINT-DENIS APPREND À SE CONNAÎTRE
Confronté à des situations exceptionnelles que manifestement lÉtat ne cherche pas à mieux appréhender, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis a créé un observatoire départemental dont la mission est la connaissance du territoire et de ses habitants.
Lobservatoire départemental : un outil partenarial utile
Lobservatoire départemental de la direction de la stratégie, de lorganisation et de lévaluation du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis diffuse la connaissance sur le territoire, sur sa population et sur ses évolutions, en recourant à lanalyse cartographique, démographique, économique et sociologique.
Il utilise, à cette fin, les ressources de lINSEE, de lAtelier parisien durbanisme (Apur), de lInstitut daménagement et durbanisme dÎle-de-France (IAU) et du Commissariat général à légalité des territoires (CGET).
En outre, depuis 2016, le département assure le pilotage de lobservatoire départemental des données sociales (ODDS), une structure partenariale initiée par la caisse dallocations familiales en 2011 et qui réunit, outre la CAF, la préfecture, la direction départementale de la cohésion sociale, la direction régionale et interdépartementale de lhébergement et du logement, la direction des services départementaux de léducation nationale, la caisse primaire dassurance maladie, lunion départementale des centres communaux daction sociale et la fédération départementale des centres sociaux.
Chaque partenaire met en partage, sur un site dédié, des données communales, départementales et nationales concernant la population du département et les bénéficiaires des prestations.
Des études en commun sont également réalisées, comme sur la question du non-recours aux droits sociaux, qui se pose avec acuité en Seine-Saint-Denis. Ce travail a notamment mis en lumière une distorsion entre le taux de couverture du RSA et le niveau de pauvreté des communes de Pantin, Bagnolet et Saint-Denis, ce qui pourrait signaler des non-recours importants. De même, si le taux de recours à lallocation personnalisée dautonomie à domicile (APA) des habitants de 60 ans ou plus est supérieur à 12 % à Stains et Villetaneuse, il chute à 8 % à Aubervilliers ou Clichy-sous-Bois, les communes avec les plus forts taux de populations âgées vivant sous le seuil de pauvreté, un différentiel qui pourrait témoigner dune situation de non-recours.*
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* ODDS, Laccès aux droits sociaux en Seine-Saint-Denis, Recours aux prestations sociales et lieux daccueil des usagers : analyses cartographiques et statistiques, novembre 2017, p. 39 et 91.
Le modèle de lobservatoire départemental mériterait à être conforté et enrichi. Ceci suppose quÉtat et collectivités rendent leurs bases interopérables, acceptent de travailler en réseau et fassent appel à des enquêtes qualitatives soit pour affiner des études globales, soit pour apprécier les phénomènes les moins quantifiables.
Au regard de limpuissance publique actuelle en Seine-Saint-Denis, il est heureux de constater que cest la Seine-Saint-Denis qui ouvre une voie indispensable et préalable à la restauration de laction publique.
III. LA PUISSANCE PUBLIQUE FACE À LA RÉALITÉ SOCIALE DE LA SEINE-SAINT-DENIS
Lignorance dans laquelle est la puissance publique face à la réalité sociale de la Seine-Saint-Denis nest pas le fait des agents des services déconcentrés de lÉtat. Ceux-ci se heurtent quotidiennement aux difficultés du territoire. Ils en connaissent lampleur et les ressorts. Leur dévouement constaté par les rapporteurs lors de leurs déplacements en Seine-Saint-Denis doit être connu et valorisé. Pourtant un sentiment dimpuissance, de débordement, dincapacité à redresser la barre prédomine. Leur hiérarchie leur demande beaucoup ; ils en font beaucoup. Mais pour un résultat extrêmement décevant qui leur laisse un sentiment de grande frustration.
Pourquoi ? Le cas du tribunal dinstance dAubervilliers apporte des éléments de réponse.
8 tribunaux dinstance assurent la justice dite de proximité en Seine-Saint-Denis. En théorie 21 magistrats et 97 personnels administratifs y sont affectés pour connaître principalement des litiges entre propriétaires et locataires, des situations de surendettement et de toute affaire civile pour laquelle la demande porte sur des sommes inférieures à 10 000 euros. Les tribunaux dinstance accomplissent également des missions de service public comme la délivrance de certificats de nationalité française indispensables notamment pour sinscrire à des concours administratifs.
Le tribunal dinstance dAubervilliers compte en théorie 2 magistrats et 11 personnels administratifs (greffiers, adjoints
). Au cours de lété 2017, la présidente du tribunal dut faire face à une pénurie de personnel dramatique : la directrice du greffe, deux greffiers et trois adjoints ont quitté le tribunal sans être remplacés. À ces départs sont venus sajouter deux arrêts maladies de longue durée, imputables à la surcharge de travail. Au final, lactivité du tribunal reposait sur 2 magistrats et 3 personnels administratifs effectivement en poste.
Conséquence de cette pénurie, sajoutant à de précédentes difficultés : le délai daudiencement au tribunal a été porté à 12 mois, contre 2 à Paris. Il faut bien mesurer combien cet allongement des délais de justice a des répercussions immédiates sur les justiciables. Ainsi, un propriétaire qui a engagé une procédure pour loyers impayés doit pouvoir assumer les charges de copropriété normalement dues par le locataire pendant de longs mois au risque de voir le syndic de copropriété se retourner contre lui. À une situation dimpayés, la justice est susceptible de créer une seconde situation dimpayés de par son incapacité à juger rapidement de laffaire. Cette lenteur génère des stratégies dévitement de la justice par certains propriétaires qui nhésitent plus à procéder à des expulsions sauvages, sans aucun fondement juridique et sans aucune protection des locataires défaillants.
Confrontée à une situation de crise, la présidente du tribunal dinstance prit la décision de fermer laccueil du public et le service de nationalité française, afin de concentrer ses faibles ressources humaines sur le traitement des contentieux. Cette décision prive les 230 000 habitants du ressort du tribunal de la capacité à passer des concours ou daller enterrer un proche dans son pays dorigine. Gilles Poux, maire de La Courneuve, ne peut que déplorer que « cet état de fait qui pénalise encore une fois des populations qui en ont pourtant encore plus besoin quailleurs, savère être un nouvel exemple de discrimination territoriale » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P355_84581" 29).
Cette situation de crise est révélatrice de plusieurs dysfonctionnements, propres non à la seule justice mais à lensemble de lÉtat, générateurs dimpuissance publique.
A. SEINE-SAINT-DENIS VERSUS PARIS : QUAND LE PÉRIPHERIQUE FAIT MUR
La Seine-Saint-Denis est limitrophe de Paris. Le territoire aux multiples fragilités et difficultés a une frontière administrative commune avec la ville centre du pouvoir et des pouvoirs en France. Combien de territoires, éloignés de la capitale, aimeraient bénéficier de cette proximité pour défendre leur cause. En quelques arrêts de bus, passer dun quartier prioritaire au ministère de tutelle na nul prix pour ceux qui mettent en uvre des politiques publiques.
Au fil des auditions et rencontres, les rapporteurs ont constaté une toute autre réalité. La frontière administrative nest pas que de papier. Elle est une réalité psychologique pour les habitants, cet enfermement moral décrit précédemment par Didier Leschi, ancien préfet à légalité des chances de Seine-Saint-Denis, et un mur de complications et dignorance pour les acteurs. Là où les relations devraient être fluides, tout devient source de complexité et de malentendu.
1. Le difficile dialogue entre les services déconcentrés et leur administration centrale
Le premier dysfonctionnement est la difficulté des agents de terrain à se faire entendre de leur administration centrale.
La présidente du tribunal dinstance dAubervilliers sest trouvée bien seule face à la crise judiciaire locale. Elle prit ses responsabilités, non sans avoir averti sa hiérarchie et ladministration centrale du ministère. Malgré les alertes, mis à part le soutien de la cour dappel par la délégation de deux greffiers, aucune mesure durgence ne fut prise pour éviter la fermeture. Celle-ci devenue effective, il fallut quatre mois avant dobtenir que des postes soient pourvus en nombre suffisant pour permettre une réouverture.
Les magistrats du tribunal de grande instance de Bobigny peinent également à se faire entendre. Dans son discours prononcé lors de laudience solennelle de rentrée du TGI, la procureure de Bobigny a déclaré : « cest quand même assez incroyable. Ce département est le département le plus en difficulté du territoire national (excepté certains DOM). Cest de notoriété publique ! Personne nignore que tous les indicateurs sont dans le rouge et cela suscite une certaine compassion pour ses acteurs (
). Est-ce mission impossible de prendre des mesures exceptionnelles pour un département exceptionnel ? Bon sang ! Avouez que ceci est rageant quand même ! Ne laissons pas le découragement nous gagner ! » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P364_87423" 30).
Cette intervention en des termes rarement employés dans un tribunal, qui plus est lors dune audience solennelle, ne décrivait pas une situation nayant jamais donné lieu à des remontées dinformations. Bien au contraire, les informations remontent depuis longtemps, toujours sans suite quant au renforcement des moyens.
Mais la désormais fameuse démarche « bottom-up » au sein de lÉtat, à savoir la remontée dinformations des services déconcentrés à ladministration centrale, reste le plus souvent enkystée au rez-de-chaussée.
Ainsi, pour léducation nationale, cette déconnexion se manifeste de différentes manières :
lévaluation des enseignants par leur administration porte non sur la réussite des élèves au regard de leurs difficultés spécifiques mais sur le respect des instructions et circulaires, notamment des programmes ;
la circulaire dite de rentrée signée par le ministre en mars de chaque année est un pur produit de ladministration centrale qui se désintéresse pour autant de la réalité de sa mise en uvre dans les établissements
les services statistiques des académies (SSA) sont peu impliqués ou associés aux études de la direction de lévaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de léducation nationale, en raison de labsence de remontées, dans les systèmes dinformation, des résultats des élèves, en dehors des données relatives aux examens du brevet et du baccalauréat ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P371_89053" 31).
En matière de sécurité, la culture du chiffre a gravement altéré le dialogue entre les services de terrain et ladministration centrale. Cette dernière, imposant des objectifs chiffrés en réponse à une commande ministérielle, ne recevait plus que des informations « construites » pour plaire. Suscitant lire des personnels : « tant que lon fera de la baisse des statistiques de la délinquance un enjeu politique, les manipulations continueront » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P373_89884" 32) : rétention de plaintes pour alléger des statistiques mensuelles élevées, déclassement de délits en contraventions, fusions de délit
Face aux dérives constatées, il a été mis un terme à la culture du chiffre sans pour autant rétablir un dialogue serein entre services déconcentrés et administration centrale sous pression de lopinion publique et des ministres.
Ainsi, lincapacité à prendre en compte les remontées du terrain par des administrations centrales prisonnières de leur champ de compétences aggrave lignorance due à la non-appréhension des réalités socio-économiques des territoires par les statistiques publiques.
Ce que lexpérience humaine peut dire à défaut ou en complément de statistiques publiques nest pas entendu par les administrations centrales. Dès lors, il devient de plus en plus difficile de définir et mettre en uvre des politiques publiques efficientes sur des territoires, quelle que soit leur complexité. Alors que la réalité se dérobe, ladministration centrale donne le sentiment de gérer le discours et limage.
2. Élus locaux, associations face à lÉtat
Les difficultés à articuler le terrain et ladministration centrale sont également vivement ressenties par les acteurs non étatiques de la Seine-Saint-Denis : élus locaux et dirigeants associatifs.
Au cours de leur mission dévaluation et de contrôle, les rapporteurs ont perçu auprès des élus locaux un engagement quotidien mais aussi un désarroi face à lampleur de la tâche qui est la leur. Dans ce contexte est intervenue la démission de Stéphane Gatignon, maire de Sevran, le 27 mars 2018, que les rapporteurs ont rencontré. « Je suis usé par la fonction et par les blocages qui viennent den haut » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P379_91799" 33). Cet acte fort fait écho à lappel solennel de Grigny du 16 octobre 2017 par lequel des élus de tous bords font part de leur découragement.
Les associations peinent à partager avec les autres acteurs leurs expériences. En réponse à un questionnaire adressé par les rapporteurs, IDEE 93 (inter-association départementale pour léducation et lenfance) souligne que lobstacle le plus difficile à surmonter sont « les volontés politiques de dépasser les clivages et niveaux de compétences de chaque collectivité (repli), de travailler de façon transversale et coordonnée sur le moyen et long terme avec évaluation régulière des résultats à partir des ressources de chacune ».
Face à une telle situation, force est de constater que les volontés humaines y sont plus fortes quailleurs. Le tissu associatif très développé sorganise pour proposer des solutions palliatives, bien que souvent innovantes, à des situations difficiles. Les rapporteurs ont pu auditionner un représentant de la Cimade 93 qui fait un travail formidable pour accompagner les personnes étrangères dans la défense de leurs droits.
LÉtat a tout intérêt à sappuyer sur les réseaux délus et dassociations pour mieux connaître le terrain et pour proposer des solutions adaptées au territoire de la Seine-Saint-Denis. Le dispositif « devoirs faits », lancé dans les 7 100 collèges de France en novembre 2017, témoigne par exemple dune certaine prise de conscience de la nécessité de mieux accompagner les élèves souvent livrés à eux-mêmes en dehors du temps scolaire ; prise de conscience qui est, depuis longtemps, demandée par les associations locales.
« Nos quartiers populaires sont bouillonnants dinitiatives, ils ont un taux de création dentreprises très supérieur à la moyenne nationale, notamment dans lindustrie de la culture et le numérique. La plupart des personnalités préférées des français viennent de ces quartiers. Les quartiers comme les territoires ruraux et hyper ruraux sont des territoires fragiles qui, à bien des égards, se ressemblent. Ce sont aussi des territoires incompris qui pourtant recèlent des leviers de léconomie de demain. Campagnes et quartiers sont particulièrement innovants, en avance sur bien des points, notamment les solidarités humaines, laudace et la créativité. Pourtant ils se retrouvent dans le sentiment dêtre abandonnés par la République. Nous avons des territoires où la rancur monte mais où les causes de la déshérence ne sont pas traitées réellement. », souligne Jean-Louis Borloo dans son récent rapport sur la politique de la ville.
3. Quand les rapports et avis saccumulent
Si létude transverse des politiques publiques sur un territoire donné est une innovation du présent rapport, on ne compte plus les rapports dédiés à chaque politique publique en Seine-Saint-Denis.
« Les enseignants souffrent particulièrement dune telle situation, et le jeu du barème fondé sur lancienneté, à tendance héliocentrique, amène dans ce département des professeurs jeunes et inexpérimentés, très souvent originaires dautre régions. Ils arrivent dans le département sans avoir été préparés à des conditions de travail extrêmes, sans avoir reçu la formation et laccueil (y compris sur le plan matériel, celui du logement par exemple) qui leur permettrait malgré tout daborder positivement lexercice de leur métier. Confrontés à un environnement dégradé, à des conditions de travail souvent difficiles et tendues, à un accroissement des manifestations de violence, à des temps de transport importants et à la cherté de la vie en région parisienne, ils nont de cesse den partir. »
Ce constat précis et étayé aurait pu être écrit par les rapporteurs. Il la été par le recteur Fortier dans un rapport remis en décembre 1998 au ministre de léducation nationale, Claude Allègre, et à sa ministre déléguée, Ségolène Royal ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P388_95971" 34).
Quadvient-il de ces mines dinformation ? La commande et la réception des rapports, toujours sous lil attentif des médias, priment sur la discussion et la mise en uvre de leurs recommandations.
B. UNE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES ÉTATIQUES EN ÉCHEC
Le second dysfonctionnement, mis en exergue par le cas du tribunal dinstance dAubervilliers est labsence de stratégie de gestion des ressources humaines au regard de la réalité des besoins du territoire.
1. Des sous-effectifs à mission égale
Dès le départ, le tribunal dinstance dAubervilliers partait avec un handicap : comme le révèle le tableau suivant, le tribunal compte deux fois moins de magistrats que les tribunaux dinstance voisins parisiens aux ressorts comparables.
COMPARAISON DES TRIBUNAUX DINSTANCE DAUBERVILLIERSET DE PARIS (18ÈME ET 15ÈME ARRONDISSEMENTS)
Tribunal dinstancePopulation couverte, en nombre dhabitants (données INSEE 2014)Effectifs théoriques de magistrats, selon la circulaire de localisation (21 avril 2017)Effectifs théoriques dagents du greffe, selon le logiciel OUTILGREF (21 avril 2017)Effectifs réels dagents du greffe (au 1er novembre 2017)Durée moyenne de traitement des affaires, en nombre de mois
(2016)Délai moyen daudience-ment sur le fond, en nombre de mois
(2016)TI Aubervilliers229 0432115 (dont 1 arrêt maladie)8,612TI Paris 18e arr. 199 1354127,54,42TI Paris 15e arr.235 3664117,84,62Source : Données INSEE et auditions des rapporteurs.
Ces trois tribunaux dinstance de taille de juridiction similaire ont un nombre similaire daffaires entrantes (4 468 pour Aubervilliers en 2016 contre 4 331 pour Paris 18e et 3 996 pour Paris 15e), nombre sur lequel sont calculés les effectifs, à partir des extractions de la base OUTILGREF. Si les effectifs théoriques de greffe sont quasiment identiques dans ces trois juridictions, pourquoi le tribunal dAubervilliers ne peut-il compter que sur deux magistrats contre quatre pour les tribunaux voisins ? La sanction est automatique : deux fois moins de magistrats génèrent des délais de traitement deux fois plus longs.
Un rapport sur les effectifs localisés de magistrats du siège au TGI de Bobigny a été réalisé en février 2016, afin dévaluer le redimensionnement nécessaire à la juridiction. Ce rapport présente une comparaison des ratios deffectifs localisés siège/parquet pour quatorze TGI aux caractéristiques voisines de celles de Bobigny. Le ratio place le TGI de Bobigny au dernier rang, montrant linsuffisance proportionnelle de magistrats du siège. On peut souligner que la méthode se fonde sur un volume de magistrats du parquet localisés qui est lui aussi insuffisant à Bobigny.
RATIO SIÈGE/PARQUET DES TGI DE CARACTÉRISTIQUES VOISINES DE CELLESDE BOBIGNY
INCLUDEPICTURE "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014-3.gif" \* MERGEFORMATINET
Source : TGI de Bobigny.
Comme pour le tribunal dinstance dAubervilliers, la situation de sous-effectif du TGI de Bobigny se traduit par une dégradation de luvre de justice. Selon la procureure de Bobigny, « la situation demeure préoccupante et le demeurera tant que la juridiction ne sera pas renforcée en conséquence des besoins. 418 dossiers dinstruction stagnent dans les rayons, sans réelle perspective ni à court terme, ni à moyen terme » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P434_99475" 35).
La charge de travail pesant sur le tribunal impose aux magistrats de décider de prioriser les affaires à poursuivre, le tribunal nétant pas en capacité de traiter toutes les affaires « poursuivables ». Chaque année, des centaines de procédures sont classées, faute de magistrats pour les traiter, notamment en ce qui concerne léconomie souterraine et la délinquance financière. Les instructions daffaires de trafic de stupéfiants ne se font que lorsquil y a de fortes chances de faire tomber un gros trafic.
Linsuffisance des effectifs en Seine-Saint-Denis à situation égale ne touche pas la seule justice comme en attestent plusieurs rapports de la Cour des comptes.
En matière de sécurité, des communes de Seine-Saint-Denis, comme Bondy et Stains, avaient moins dun policier pour 400 habitants, avec un taux de délinquance (nombre de faits constatés pour 1 000 habitants) supérieur à 100 , alors quau contraire, avec une délinquance de 70 à 80 , des villes comme Étampes (Essonne) ou Gennevilliers (Hauts de Seine) bénéficiaient de plus dun policier pour 400 habitants ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P438_100720" 36). La ville de Saint-Denis compte 1 policier pour 464 habitants alors que le 18e arrondissement de Paris, moins criminogène, bénéficie d1 policier pour 315 habitants !
Au sein de léducation nationale, pour les écoles primaires et les établissements du second degré, les modèles de répartition des moyens se caractérisent par « labsence de critères adossés à une connaissance fine et précise du niveau des élèves, de leurs résultats scolaires et de leurs difficultés » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P440_101336" 37). Dans un référé de juillet 2012, la haute juridiction sétonne de « labsence de corrélation entre les difficultés scolaires constatées sur le terrain et les moyens alloués », qui génère des situations paradoxales où des établissements confrontés à un échec scolaire important peuvent être moins bien dotés que des établissements qui ont des taux de réussite plus élevés ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P441_101838" 38).
La Seine-Saint-Denis est-elle toujours perdante au jeu des modèles de répartition ?
M. Benjamin Moignard, sociologue, a indiqué que le moins bien doté des établissements parisiens est mieux doté que le plus doté des établissements de la Seine-Saint-Denis.
Selon une note de France Stratégie de septembre 2017, la moitié des collèges hors éducation prioritaire apparaît mieux dotée que la moitié des collèges éducation prioritaire classés « REP » de lunité urbaine de Paris, celle-ci englobant les académies de Paris, Créteil et Versailles et, donc, le département de Seine Saint Denis. 10 % des collèges hors éducation prioritaire sont même plus dotés quun collège REP+ sur deux cette catégorie regroupant les collèges les plus « défavorisés » sur le plan social de cette unité urbaine. *
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* France Stratégie, « Élèves, professeurs et personnels des collèges publics sont-ils équitablement répartis ? », La Note danalyse n° 61, septembre 2017, p. 4.
Certains services nationalement non prioritaires mais cruciaux en Seine-Saint-Denis compte tenu de la réalité du territoire, souffrent dune désaffection et donc de sous-effectifs.
Le service départemental de police judiciaire de la Seine-Saint-Denis devrait disposer de 121 policiers. Il nen compte que 108 début 2017. Le seuil théorique na été atteint et dépassé quen 2010 et 2011. Ce service dinvestigation, pourtant attractif pour les personnels, souffre dun nombre insuffisant de postes au regard de lampleur des affaires à traiter.
Au sein de la direction territoriale de la sécurité publique de la Seine-Saint-Denis, les officiers de police judiciaire (OPJ) ne représentent que 9,4 % des effectifs, à rapprocher des 16,9 % à Paris, 12,4 % dans les Hauts-de-Seine et 15,2 % dans le Val-de-Marne. Cette pénurie denquêteurs sexplique, en partie, par des raisons conjoncturelles : les plans de renfort successifs adoptés après les attentats de 2015 ont en effet ouvert des mouvements profilés et spécifiques, qui ont attiré de nombreux agents de la préfecture de police, dont plusieurs OPJ. Les raisons structurelles sont toutefois déterminantes pour expliquer ce déficit de fonctionnaires qualifiés : la nature des missions denquêtes judiciaires confiées aux OPJ dans les DTSP explique la forte désaffection pour les métiers dinvestigation, qui constituent pourtant le cur du métier de policier. Peu de candidats se déclarent intéressés par lacquisition de la qualification dOPJ. Ceci a pour conséquence de tarir le vivier de recrutement des SDPJ et daffaiblir à moyen terme les ressources humaines dédiées à linvestigation.
La médecine scolaire est en crise en Seine-Saint-Denis. Lacadémie de Créteil peine à recruter des médecins scolaires, surtout en Seine-Saint-Denis qui compte 50 % de postes vacants (contre 36 % pour lacadémie). Leurs effectifs nont cessé de diminuer dans ce département, de 38 en avril 2008 à 19 en juin 2017. Depuis, ils ont augmenté pour atteindre 24 fin 2017, avec un ratio de 12 à 13 000 élèves par médecin.
La mise en place dune mesure dassistance éducative par le TGI de Bobigny peut exiger jusquà un an, au risque de mettre le mineur en danger et de décrédibiliser la justice. Le premier délai est celui de la mesure dinvestigation qui demande 2 à 3 mois si elle est conduite par les services de la protection judiciaire de la jeunesse, et 6 à 8 mois si elle est conduite par le secteur associatif. La mise en place de la mesure éducative elle-même par le département exigera ensuite près dun an, les services étant surchargés. Les acteurs partenaires du juge des enfants sont également engorgés : le centre médico-psychologique de Pantin, qui accueille les jeunes jusquà 18 ans rencontrant des difficultés psychologiques, a une liste dattente dun an.
2. Des débutants pour affronter un territoire complexe
Labsence dune véritable stratégie des ressources humaines de lÉtat en Seine-Saint-Denis va au-delà de la seule affectation deffectifs théoriques. Le recrutement des personnels obéit aux mêmes logiques déconnectées des besoins locaux.
Les procédures de recrutement et daffectation mises en uvre par lÉtat ont fait de la Seine-Saint-Denis une école de formation bis pour les fonctionnaires stagiaires ou débutants. En effet, comme les agents chevronnés ne demandent pas à y aller ou très peu , les besoins en moyens humains de ce territoire difficile sont essentiellement couverts par des personnels inexpérimentés, ce qui pèse sur la qualité de laction de lÉtat dans le département.
Les besoins en enseignants de lacadémie de Créteil et en particulier de Seine-Saint-Denis sont couverts par lapport de néo-titulaires cette expression désignant les professeurs qui exercent, pour la première année, leur métier sous un statut de fonctionnaire titulaire et de contractuels.
PROPORTION DES NÉO-TITULAIRES AFFECTÉS DANS LE SECOND DEGRÉÀ LA RENTRÉE SCOLAIRE 2016
Niveau géographiqueTotalDont affectés en établissements « difficiles »*% en établissements difficiles*Total France métropolitaine12 9192 72321,1Académie de Créteil2 6351 13943,2Seine-Saint-Denis1 17575764,4* Établissements difficiles : relevant dun réseau REP ou REP+ ou implantés dans un quartier prioritaire relevant de la politique de la ville (QPV).
Source : ministère de léducation nationale.
RÉPARTITION DES ENSEIGNANTS PAR TRANCHES DÂGE
2016-2017Moins de 30 ans30 à 40 ans40 à 50 ans50 ans et plusSeine-Saint-Denis26,1%33,6%22,0%18,3%Académie de Créteil21,6%31,7%25,1%21,6%France métropolitaine9,5%25,6%34,9%30,0%Source : ministère de léducation nationale.
Dans les établissements scolaires les plus difficiles, comme les collèges REP+, linexpérience de ces enseignants néo-titulaires est une source de difficultés pédagogiques ; leur autorité y est contestée par les élèves.
Les recrutements de policiers, et surtout ceux des gardiens de la paix, reposent à Paris et dans les départements de la petite couronne presque exclusivement sur les « sorties décole ». La préfecture de police est la première bénéficiaire de ces mouvements, accueillant ainsi 60 à 70 % des promotions délèves, dont 15 % rejoignent la Seine-Saint-Denis. En 2017, ce département comptait 715 gardiens de la paix stagiaires, soit 21 % de lensemble des effectifs du corps dencadrement et dapplication relevant de la police dagglomération parisienne. À la différence des enseignants et selon les chefs de service entendus par les rapporteurs, ces policiers débutants, parmi lesquels on compte des majors de promotion, sont souvent très désireux dexercer leurs missions en Seine-Saint-Denis, quils perçoivent comme étant une deuxième école dapplication où ils apprendront leur métier. Ce terrain dexercice reste néanmoins éprouvant pour eux, car ces jeunes « sortis décole », principalement issus de la classe moyenne et venant de province (de zones rurales ou périurbaines), qui bénéficient moins souvent quailleurs du soutien de gradés ou dofficiers expérimentés, partis rejoindre leur région dorigine, ne peuvent avoir les codes ou les réflexes qui leur permettent dadopter les bonnes postures sur la voie publique au risque de se mettre en danger. Avec de tels profils, les risques de dérapages ou dincidents sont élevés, ce qui nourrit le climat de défiance de la population locale à légard des policiers affectés en Seine-Saint-Denis.
La justice de Seine-Saint-Denis néchappe pas au recrutement de « sorties décole » : faute de candidats, les départs en mutation importants que connaissent les greffes des tribunaux de Bobigny ne sont compensés que par des sorties de lÉcole nationale des greffes, des recrutements sans concours pour les adjoints administratifs, voire par des greffiers sous statut de stagiaires, qui demeurent astreints aux horaires de lécole (en clair, les 35 heures), décalés par rapport aux exigences du service. Quant aux postes de magistrats, certains nattirent pas ou très peu de candidats et restent donc vacants ou sont majoritairement proposés à des sortants de lÉcole nationale de la magistrature (ENM) qui, sils sont bien formés, ne peuvent être immédiatement aussi performants que leurs aînés expérimentés. Enfin, 100 % des agents de la maison darrêt de la Seine-Saint-Denis, létablissement de Villepinte, sont des « sorties décole », ce qui met à mal la stabilisation des pratiques professionnelles dans un lieu particulièrement exposé à la violence. La prévention des risques psycho-sociaux est devenue, de ce fait, un enjeu important pour létablissement.
Les magistrats « sortis décole » au TGI de Bobigny
En 2016, le taux de nouveaux magistrats arrivants au siège sélevait à 47,25 %. Il a baissé depuis, grâce à lattention portée par le ministère de la justice à cette juridiction, pour atteindre 16,53 % le 22 septembre 2017. À cette même date, au parquet, sur les 32 substituts du tribunal, Bobigny était le premier poste pour 27 dentre eux.
3. Des effectifs instables
À linexpérience des agents affectés dans le département sajoute linstabilité des effectifs, faisant perdre à laction publique lexpérience nécessaire pour affronter les difficultés de la Seine-Saint-Denis.
35,7 % des professeurs des écoles primaires restent moins de deux ans dans leur établissement (contre 26,5 % en moyenne en France), cette part sélevant, dans le second degré, à près de 50 % (49,5 %), contre un tiers en moyenne nationale. Dans les collèges « éducation prioritaire », il est fréquent que plus de la moitié des professeurs aient moins de deux ans dancienneté dans létablissement. Le turnover peut concerner, dans certains cas, entre 40 % et 75 % des équipes de ces établissements et peut être supérieur, pendant trois années consécutives, à 65 % par an. Or chacun reconnaît que, sans stabilité des personnels, aucun dispositif pédagogique ou éducatif nest en mesure daméliorer le climat ou la réussite scolaire dans un établissement.
ANCIENNETÉ DES ENSEIGNANTS DANS LE POSTE AU COLLÈGE REP+ ROSA LUXEMBURG DAUBERVILLIERS
20122013201420152016Moins de 2 ans66,156,156,456,157,1De 2 à 5 ans14,326,327,324,625,0De 5 à 8 ans12,510,510,98,85,4Plus de 8 ans7,17,05,510,512,5À lautomne 2017, pour la direction de la sécurité de proximité de lagglomération parisienne (DSPAP), 1 917 départs étaient comptabilisés hors du périmètre de la préfecture de police et 271 vers les autres directions de ce périmètre ; pour la direction territoriale de la sécurité de proximité de la Seine-Saint-Denis (DTSP 93), ces chiffres sétablissaient respectivement à 359 et 44. Ces flux affectent aussi bien la « base » 14 % des gardiens de la paix de la DTSP 93 ont changé daffectation en 2017 que les services spécialisés, comme ceux de la police judiciaire où les agents aguerris quittent le département pour les directions centrales ou dautres régions, qui bénéficient ainsi de lapport denquêteurs performants, formés par la Seine-Saint-Denis : 48 policiers en poste au SDPJ 93 au 1er janvier 2015 ny étaient plus en janvier 2018. Sur ces 48 départs, on ne compte que 3 retraites. Le nombre de départs doit cependant être relativisé à deux titres : les personnels ayant quitté le service ont pu aisément être remplacés ; les perspectives de carrière post-affectation en Seine-Saint-Denis participent à lattractivité du recrutement.
Le phénomène de turnover népargne aucune catégorie des personnels judiciaires affectés en Seine-Saint-Denis : ainsi, chaque année, le TGI de Bobigny renouvelle un tiers des effectifs de magistrats du siège. Or, dans les fonctions civiles, un juge sur le départ doit cesser de recevoir de nouveaux dossiers, avec une anticipation dun à deux mois, tandis quil faut du temps à son successeur pour retrouver un rythme de croisière. Par conséquent, si lon retient une perte minimum de deux mois dactivité par magistrat cessant ses fonctions, cela entraîne, au total, compte tenu du taux de rotation des personnels de cette juridiction, 80 mois dactivité perdus par an ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P544_114694" 39). De même, une très grande partie des juges dinstruction quittent leurs fonctions au bout de 2 ans, alors quil faut, en général, une année entière pour quun magistrat prenne intégralement connaissance des dossiers de son cabinet.
Lancienneté dans le poste des personnels judiciaires au TGI de Bobigny
À la rentrée 2017, près de 20 % des magistrats du siège occupaient un poste dans la juridiction depuis moins dun an et plus de 75 % avaient une ancienneté dans leur poste de 1 à 4 ans. Moins de 5 % des magistrats avaient une ancienneté de plus de 5 ans.
Au parquet, près de la moitié des effectifs de magistrats sont renouvelés tous les deux ans. À la rentrée 2017, la moitié des 32 substituts avaient un an dancienneté et 23 avaient entre un mois et deux ans de fonction.
À la fin de lannée 2017, sur 438 fonctionnaires, 113 (toutes catégories confondues) avaient moins de deux ans dancienneté dans la juridiction, dont 8 directeurs des services de greffe judiciaires.
Sous-effectif, recrutement de personnels inexpérimentés, turnover élevé sont autant de manifestations de labsence dune véritable stratégie des ressources humaines des personnels de lÉtat en Seine-Saint-Denis.
Ce turnover des effectifs sobserve à tous les niveaux administratifs. À titre dexemple, au sein de lacadémie de Créteil, 19 recteurs se sont succédé depuis 1972, contre 13 au sein de lacadémie de Versailles et 17 au sein de lacadémie de Lille. De même, 21 préfets ont été en poste en Seine-Saint-Denis depuis 1968, contre 18 dans le Val-de-Marne et dans les Hauts-de-Seine.
4. La souffrance au travail des personnels de lÉtat
Les agents de lÉtat subissent la défaillance de laction publique. Leur souffrance au travail est multiforme et se manifeste en Seine-Saint-Denis de manière aiguë. Le sentiment de perte de sens de la mission est partagé par le policier face aux multirécidivistes provocateurs, par le juge des enfants dans lincapacité de faire exécuter des mesures urgentes dassistance éducative, par lenseignant confronté au désengagement de nombreux parents. À cette incapacité à mener à bien la mission, sajoute un climat de violence chronique où menaces et intimidations à lencontre de toute autorité sont quotidiennes.
Les faits de violence sur les agents de la maison darrêt de Villepinte
En 11 mois, 90 agents ont été agressés physiquement par des détenus en 2017 et ont demandé à bénéficier de la protection statutaire. Cela signifie que, durant cette période, plus dun agent sur deux a été agressé ou quune agression a eu lieu tous les 3 à 4 jours, ce qui représente, pour ladministration pénitentiaire, un énorme coût financier et humain (en termes darrêts de travail, de souffrance psychologique, etc.).
Que dire des signalements abusifs à lencontre des personnels de la police ? Les rapports tendus entre la police et les habitants des quartiers populaires peuvent être instrumentalisés par certains réseaux, ce que laisse penser la multiplication, après chaque interpellation, des plaintes déposées contre des policiers. Linspection générale de la police nationale (IGPN) pouvant en effet être saisie, via une plateforme dématérialisée, par des particuliers, des habitants, qui accusent par exemple des agents de leur avoir volé 20 euros ou leur portable, peuvent par ce biais « saturer » un commissariat de signalements, comme celui dAulnay-sous-Bois où plus de soixante fonctionnaires faisaient lobjet, au début de lannée 2018, de telles procédures. En visite dans ce commissariat, les rapporteurs ont pu directement constater le traumatisme que de tels agissements opèrent sur les personnels.
Le mal-être professionnel des agents de lÉtat en Seine-Saint-Denis se traduit par des absences répétées, notamment par des arrêts maladies. LÉducation nationale le reconnaît elle-même : lenseignement en éducation prioritaire est une source de surexposition aux congés de maladie ordinaire : 50 % des enseignants de collège de réseaux prioritaires ont pris un tel congé, soit 4,9 points de pourcentage de plus que les autres enseignants de collège ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P557_119106" 40). Au TGI de Bobigny, le taux dabsentéisme des personnels de greffe (13 % en 2016) est très supérieur à celui constaté au niveau national (8,4 %). Exception notable : dans la direction territoriale de la sécurité de proximité de Seine-Saint-Denis, le taux dabsentéisme est sensiblement inférieur à la moyenne nationale (5,88 % contre 7,9 % en 2016).
Cet absentéisme sajoute à limprévisibilité des effectifs résultant de la multiplicité des échéances de mutations, différentes selon les catégories, qui empêche de construire des organisations de service durables. Ainsi, les magistrats connaissent principalement deux mouvements par an, en septembre et en janvier, mais peuvent quitter la juridiction à tout moment pour prendre des postes en administration centrale ou en détachement sans perspectives de remplacement à bref délai. Le ressort de Bobigny, par sa proximité de Paris et la qualité de ses magistrats, est une pépinière pour pourvoir ce type demplois. Pour les fonctionnaires de greffe, chaque catégorie connaît également deux échéances annuelles de mutation, mais qui ne coïncident pas avec celle des magistrats. Or les audiences se prévoient longtemps à lavance, notamment pour recevoir des affaires en renvoi, parfois à un an, voire au-delà. Ces incertitudes font peser la crainte permanente de ne pas pouvoir assumer le plan de charge et de multiplier les occasions où magistrats et fonctionnaires remplacent leurs collègues en surcharge de leur propre activité déjà intense.
Enfin, les modifications normatives incessantes conduisent les professionnels de la justice à se mettre à jour en permanence, accroissant le risque derreur pouvant conduire à des nullités de procédure, voire à des remises en liberté pour vice de procédure incompréhensibles pour lopinion publique. Il nest pas rare à Bobigny que, compte tenu de la durée de linstruction de certains dossiers, les règles de procédure applicables à un même dossier changent plusieurs fois. Cette instabilité normative, qui aboutit parfois à des « casse-tête » juridiques, est anxiogène.
Pour éviter la confrontation à un territoire jugé trop éprouvant, les fonctionnaires ont développé des stratégies dévitement. Selon Mmes Manon Garrouste et Corinne Prost, « [pour les enseignants,] la désaffection de certains élèves et le manque de mixité scolaire peut rendre leurs conditions de travail plus difficiles, et les conduire à éviter ou à quitter les établissements déducation prioritaire (
) La mise en place des ZEP sest ainsi accompagnée dune hausse de la proportion de jeunes enseignants dans les collèges ZEP, suggérant que les enseignants expérimentés ont choisi dautres établissements. En 1987, les ZEP rassemblaient une part plus forte de jeunes : 19 % de professeurs de moins de 30 ans contre 12 % en moyenne dans lensemble des établissements. Cet écart a continué à saccroître dans les années quatre-vingt-dix. » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P561_122303" 41).
IV. REDONNER SA FORCE À LACTION PUBLIQUE
Confronté à ses propres limites, lÉtat tente dinnover pour sortir de lornière dans laquelle il sest enlisé.
A. LE PLAFOND DE VERRE DES POLITIQUES PUBLIQUES EN SEINE-SAINT-DENIS
De politiques nouvelles en améliorations statutaires, ces innovations semblent cependant se heurter à ce que lon pourrait qualifier de « plafond de verre ».
1. La face cachée des politiques prioritaires
La mise en uvre de politiques spécifiques ou prioritaires vise à sortir les territoires et leurs habitants des difficultés exceptionnelles auxquelles ils sont confrontés. Mais cette politique discriminante tend à stigmatiser le territoire et aboutit, certes involontairement, à en aggraver les difficultés. Ceci est particulièrement observable pour léducation nationale où le dispositif des RAR, ancêtre des réseaux REP+ qui a été appliqué de 2006 à 2010, a conduit à des effets massifs de contournement de la carte scolaire (Cf. supra).
Au-delà de la stigmatisation des territoires, les politiques spécifiques peuvent se heurter à des difficultés locales de mise en uvre transformant les bonnes intentions en course dobstacles : il en va ainsi du dédoublement des classes de CP en REP+ à la rentrée 2017. Lobjectif est de parvenir à un taux dencadrement dun professeur pour 12 élèves environ. Les établissements de Seine-Saint-Denis ont toutefois été moins nombreux à en profiter que ceux des autres territoires, car les communes du département ne disposent pas toujours des moyens ou des locaux nécessaires pour dédoubler physiquement les classes. Par conséquent, la mesure qui cible les élèves les plus fragiles a concerné, dans le département métropolitain qui en accueille le plus grand nombre, une minorité des classes de CP : 47 % dentre elles seulement ont accueilli un maximum de 12 élèves, contre 63,3 % pour la France métropolitaine. Le « dédoublement » sest donc aussi traduit par la constitution de groupes de 13 à 15 élèves, voire plus, notamment en cas de co-intervention dans la classe. Dans ce dernier cas, les effectifs de la classe sont maintenus, mais les élèves bénéficient de lintervention dun deuxième professeur cest le cas de 118 classes dans le département pour 73 classes réellement dédoublées , le plus souvent un enseignant surnuméraire implanté dans lécole au titre du dispositif « plus de maîtres que de classes » entre 2013 et 2016 et réaffecté à la mise en uvre de la nouvelle mesure.
À Aulnay-sous-Bois, la mise en uvre de ce dispositif devait théoriquement porter de 16 à 28 le nombre de classes de CP. Pour les services de léducation nationale, les établissements scolaires de la ville disposaient de suffisamment de locaux pour accueillir les classes dédoublées. Dans les faits, ces salles accueillaient ici une bibliothèque, là des activités pédagogiques. Dans lurgence, la commune dut sacrifier ces espaces pour le dédoublement des CP. Dans deux établissements de la commune, le dédoublement sest traduit par le partage dune même salle de 50 m2 pour deux classes
Autre priorité, la scolarisation des « moins de trois ans » est considérée comme un facteur décisif dimprégnation culturelle et langagière des enfants des familles immigrées. La Seine-Saint-Denis est passée de « quasiment rien » à « très peu ». Après être descendu à 0,62 % en 2012, le taux de scolarisation des enfants de deux ans a atteint 4,95 % à la rentrée 2017 et même 11,60 % en REP+, ce qui reste très en dessous des besoins. À linverse, dans un départemental rural comme la Lozère, ce taux atteignait, pour lensemble de ce territoire, 49 % en 2011 la situation nayant probablement pas beaucoup évolué en sept ans ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P573_126337" 42). Il est vrai que les communes financièrement désavantagées de Seine-Saint-Denis sont freinées dans leur volonté daccompagner cette politique par son coût élevé 50 000 euros par classe par exemple pour la ville de Saint-Denis que représente la construction de ces très petites sections ou TPS, qui nécessitent des équipements adaptés (toilettes, dortoirs attenants, etc.). Cest la raison pour laquelle une ville comme Aubervilliers, qui compte un taux détrangers de 36 % ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P574_127108" 43), na accueilli que deux classes de TPS.
Dans la lutte contre les trafics de stupéfiant, les délinquants se jouent de lorganisation territoriale des forces de police et des contraintes de la procédure pénale. Pour beaucoup dacteurs de terrain, lengagement des forces de sécurité ne permet plus de porter des coups décisifs contre des trafiquants de plus en plus organisés et mobiles. En effet, ceux-ci ont mis au point, ces dernières années, des réseaux de distribution qui reposent sur des « centres dappel téléphoniques », permettant ainsi le cloisonnement des lignes utilisées pour les communications entre les clients, les revendeurs et les livreurs, la rotation des points de deal (« fours »), lemploi de mineurs venant dautres départements, etc., autant de modalités de « déterritorialisation » du trafic qui rendent plus difficile le travail dinvestigation. Ils disposent par ailleurs, sagissant des routes classiques dacheminement depuis les Pays-Bas, des moyens de saturer les capacités de contrôle des douanes, en faisant par exemple embarquer, sur le même vol, vingt « mules » ou passagers qui transportent chacun de 500 grammes à 1 kg de cocaïne. Enfin, lorsque largent généré est réinvesti dans limmobilier, le patrimoine est souvent acheté à létranger, ce qui le met à labri des saisies.
Destinée à répondre à la mobilité de la délinquance, lorganisation de la police dagglomération depuis 2009 a, dans les faits, davantage bureaucratisé quelle na optimisé les moyens de la police. Ainsi, le service de nuit en Seine-Saint-Denis, notamment de la brigade anti-criminalité, est désormais piloté depuis la préfecture de police à Paris. Pourtant destinée à « casser la barrière du périphérique », la police dagglomération a permis de renforcer les effectifs sur Paris au détriment des départements limitrophes dont la Seine-Saint-Denis. Face à cette situation de fait, les directeurs territoriaux ont perdu la capacité dajuster les moyens à la typologie de chaque territoire. Limpuissance vient sajouter à limpuissance.
Les « politiques prioritaires », « grands plans » et autres « mobilisations générales » en faveur des territoires en difficulté, célèbrent avec une constance régulière le triomphe de la puissance publique. Toutefois, force est de constater quils ne viennent pas à bout des problèmes. Parfois ils contribuent même à les compliquer. Ainsi, trop souvent, la créativité organique et réglementaire des administrations paralyse laction des services déconcentrés, les détournant de leur mission première. Ainsi, laffectation de nouveaux effectifs dans tel ou tel département ministériel est régulièrement destinée à la mise en place dun nouveau dispositif et non à combler les insuffisances déjà existantes. Au final, les services demeurent démunis dans leurs missions traditionnelles et se voient allouer des moyens humains sans moyens techniques supplémentaires. La nécessité dagir de façon visible a pris le pas sur la capacité dagir en profondeur.
2. Le pis-aller des effectifs supplémentaires
Laffectation deffectifs supplémentaires dans les territoires en difficulté est une réponse récurrente de lÉtat aux revendications des acteurs de terrain, élus et associations. Croyance ou illusion que lon viendra à bout des difficultés par le seul accroissement des effectifs.
En effet, si toutes les politiques publiques reposent avant tout pour leur mise en uvre sur les agents de lÉtat, leur réussite ou leur échec ne dépend pas de leur seul nombre.
Droite et gauche ont fait des effectifs un des éléments centraux de leur politique de sécurité. Plus de CRS et de forces dintervention pour les uns ; plus de proximité pour les autres. Or, la délinquance, comme il a déjà été indiqué, a appris à se jouer des dispositifs traditionnels que lui oppose lÉtat. Y faire face nécessite surtout de nouveaux moyens techniques, de nouvelles organisations, de nouvelles procédures. Affecter des effectifs supplémentaires avec les outils actuels ne peut améliorer lefficacité quà la marge et laisse souvent de côté le cur des problèmes. Lors de leurs auditions, les rapporteurs ont noté ladhésion des différentes administrations au concept de groupe dintervention régional (GIR) qui réunit autour dune même table différentes administrations comme lintérieur, la justice, les impôts, les URSSAF
Mais, sur le terrain, ils ont également constaté que cette adhésion ne valait pas engagement : dans les faits, les GIR peinent à trouver des interlocuteurs dans toutes les administrations parties prenantes. Plus deffectifs ne remédiera ni à la difficulté des services de lÉtat à agir de concert, ni à linadaptation des outils utilisés.
Ainsi, quels que soient ses effectifs, la police dite de proximité passe à côté des nouveaux phénomènes de délinquance et, comme le reconnaît le préfet Christian Lambert lors de son audition par les rapporteurs, la saturation des points de deal par les CRS nest efficace quun temps et de façon superficielle. On déplace le problème et on finit par stopper lopération notamment par crainte de ses conséquences économiques sur la vie du quartier.
Pour pallier ses difficultés de recrutement en Seine-Saint-Denis, léducation nationale a organisé, à quatre reprises (en 2015, 2016, 2017 et 2018), un concours externe supplémentaire de recrutement des professeurs des écoles, spécifique à lacadémie de Créteil mais ouvert aux candidats de toute la France. Ce concours venait à la suite du concours de recrutement annuel. Se présentaient à ce second concours les candidats ayant échoué au premier. Dès lors, et donc fort logiquement, certains élèves les plus en difficulté de Seine-Saint-Denis ont face à eux des enseignants recrutés sur un concours de rattrapage. Daucuns peuvent sinterroger sur la capacité de ces derniers à accomplir une mission reconnue comme particulièrement difficile.
Dans la même veine, le débat autour du nombre de places en prison tend à placer au second plan des problématiques pourtant majeures comme la faiblesse du suivi psychologique et/ou médical des détenus, ou lincapacité à développer des actions de réinsertion en faveur de détenus qui accomplissent lessentiel de leur peine parfois plusieurs années en préventive.
Ce nest pas grâce à un surcroît deffectifs que, confrontée à une violence endémique au sein de la maison darrêt, la directrice de la prison a créé le « module respect », contrat entre ladministration et le détenu, par lequel ce dernier prend plusieurs engagements (respecter les personnes et les biens, ne pas détenir dobjets interdits, se lever le matin et participer à un programme dactivités), en échange de mouvements libres autorisés par létablissement pour aller tous les jours à la promenade, au sport et à la douche. Inspiré dune expérience espagnole, le dispositif est très exigeant car il impose aux détenus des activités (cours obligatoire sur les valeurs de la République, sur la communication non violente et sur le rôle de la loi ; développement de projets personnels
).
Ce dispositif est proposé à tous les détenus lorsquils arrivent. 1 sur 5 y participent. Selon la directrice de létablissement, il porte ses fruits avec en 15 mois une seule bagarre entre détenus. Mais à ce jour, elle ne bénéficie daucun budget dédié. Et pour cause : ce système de méritocratie suppose un changement dapproche à légard des détenus : une autonomisation et responsabilisation des détenus, une individualisation de la peine plus poussée, qui permettent lallègement de la surveillance pour les mouvements quotidiens. Il impose au-delà de sinterroger sur le système carcéral dans son ensemble. Sans esquiver la problématique du nombre de places dans les établissements pénitentiaires, il est nécessaire de sinterroger, au regard des caractéristiques de la population carcérale, sur la prise en charge psychologique et même psychiatrique des détenus, sur limpossibilité de parvenir à mettre en uvre un travail éducatif pendant les longues périodes de préventive où lincarcéré nest pas encore reconnu coupable et senferme souvent dans un déni de culpabilité,
3. Leffet pervers des primes et bonifications
Dans ses tentatives damélioration de la gestion de ses agents, lÉtat a paradoxalement généré des mesures aboutissant à renforcer plus quà corriger les failles du système.
Pour fidéliser les personnels en Seine-Saint-Denis, la plupart des ministères ont recours à des mesures statutaires dérogatoires : octroi de primes ; bonification de points
Lefficience de ces mesures est sujette à interrogation.
Lexistence de primes spéciales est décisive. Lorsque par sa décision du 20 novembre 2015, le Conseil dÉtat prononça lannulation de larrêté du 17 janvier 2001 définissant les conditions dattribution de lavantage spécifique dancienneté ouvert aux fonctionnaires de la police nationale « affectés dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles », limpact fut immédiat. Les personnels ont vécu cette décision comme le refus de reconnaître les conditions difficiles de leur vie professionnelle et personnelle en Seine-Saint-Denis. Déjà importantes, les difficultés de recrutement pour les services locaux se sont sensiblement aggravées.
Mais loctroi de primes spécifiques ne garantit pas une attractivité et une fidélisation des postes dans les territoires difficiles. Leur montant doit être véritablement discriminant et prendre en compte le coût de la vie, notamment en région parisienne. Or, le nombre des demandes de mutation dans les différents services déconcentrés de Seine-Saint-Denis, lobligation de recruter des néo-titulaires à défaut de personnels expérimentés démontrent quaujourdhui la compensation financière proposée par lÉtat à ses personnels ne suffit pas. Ce constat opéré par les rapporteurs fait écho à celui mentionné par Manon Garrouste et Corinne Prost dans leur contribution précédemment citée : « la prime ZEP naurait pas eu deffet sur la mobilité en 1991 et 1992 : la mobilité est restée aussi forte ces années-là. Ce résultat montre que le montant de la prime accordée aux enseignants en ZEP na pas été suffisamment incitatif » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P592_138221" 44). En un quart de siècle, lÉtat na pas su mettre en uvre un dispositif financier efficient pour fidéliser ses personnels sur les territoires les plus demandeurs de fonctionnaires expérimentés.
Les bonifications de points, autre dispositif dérogatoire, entretiennent plus quelles ne corrigent le système existant. Loin de fidéliser les agents sur le territoire, elles les incitent à le quitter au plus vite. Une fois acquis un nombre suffisant de points dans un délai rapide grâce à la bonification, lagent, généralement un néo-titulaire comme il a été fait état précédemment, na quune hâte : retourner dans sa région dorigine ou demander une affectation dans une zone moins tendue, lui permettant notamment de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale.
B. POUR UNE REFONDATION DE LACTION PUBLIQUE
Les tentatives de lÉtat de proposer des solutions aux difficultés de la Seine-Saint-Denis semblent vouées irrémédiablement à léchec. Pourquoi ?
Les mesures adoptées (dispositifs prioritaires nouveaux, avantages statutaires
) partent du postulat que la crise de laction publique trouve son origine dans la seule insuffisance des moyens ou une inadéquation des mesures législatives et réglementaires. Or, la crise de laction publique est plus profonde. Elle doit conduire à sinterroger non seulement sur lampleur des moyens mis en uvre, mais surtout sur leur nature, leur mode daction et même leur finalité.
1. Oser questionner les évidences administratives
À quoi bon mettre en uvre des politiques publiques si lÉtat méconnaît des pans entiers du territoire et de sa population ? À quoi bon affirmer la priorité de telle mesure si elle doit être menée par des personnels inexpérimentés ou désabusés ?
LÉtat est faible et il feint de ne pas le savoir malgré les impasses dans lesquelles il se trouve, en Seine-Saint-Denis comme ailleurs. Pourtant, en sillusionnant encore sur sa capacité à agir sur le réel, en multipliant les plans, les zonages et autres dispositifs spéciaux, lÉtat ne trompe désormais plus personne.
Reconnaître la faiblesse voire limpuissance de lÉtat reste un aveu culturellement difficile à faire en France. Élevée dans le culte de la puissance étatique et de son infaillibilité, toute une technocratie refuse lévidence. Sans doute par peur de déchoir à ses propres yeux et aussi pour ne pas inquiéter lopinion. Or, en dépit de ce déni, les habitants de Seine-Saint-Denis, comme lensemble des Français, perçoivent de plus en plus clairement, sans forcément les formuler, les limites des capacités de la puissance publique. Le désenchantement à légard de lÉtat, la défiance dune frange croissante de la population à lencontre des institutions et de toute autorité en sont les manifestations les plus évidentes.
Les auditions menées par les rapporteurs, les visites réalisées en Seine-Saint-Denis ont révélé que les agents de lÉtat, quelle que soit leur responsabilité, quelle que soit leur administration de rattachement, ne sillusionnent guère sur leur capacité à agir. Ce qui ne signifie pas pour autant quils se désengagent de leur mission. Ils y sont véritablement dévoués mais désespèrent de limpuissance dans laquelle la routine administrative semble les avoir enfermés.
Sortir laction publique de cet échec programmé passe tout dabord par la reconnaissance de cet échec dont les rapporteurs ont tenté de décrire les ressorts. Car cest bien ce déni des piètres résultats qui condamne à léchec. Cest également, comme on la vu, la méconnaissance des réalités nouvelles qui rend inaptes les outils de laction publique hérités dun autre temps. Afin de sortir de limpasse, il est alors impératif dentreprendre un nouveau type de travail politique en questionnant les fausses évidences et même les ignorances autour desquelles sont aujourdhui structurées les politiques publiques.
Linfaillibilité de la statistique publique en premier lieu. Elle est mise à mal lorsquon aborde le nombre des étrangers en situation irrégulière. Plutôt que de reconnaître son incapacité, la statistique publique sévertue à donner des approximations, comme les rapporteurs lont constaté précédemment. Dapproximations il nest jamais ressorti des politiques publiques efficientes. Dès lors, un changement de paradigme par rapport à la connaissance de la population doit être opéré et pourrait, par exemple, sinspirer des registres de population mis en place par tous les pays européens à lexception de lIrlande, du Royaume-Uni, du Portugal et donc de la France. Linscription au registre, obligatoire pour tous les résidents, permanents ou non, conditionne la délivrance des documents administratifs, laccès aux droits civiques, à limposition des revenus, à linscription scolaire et à laccès aux aides sociales, y compris pour les étrangers en situation irrégulière. Le registre de population peut recueillir un grand nombre de données comme en Allemagne : nom, prénoms, titre universitaire, date et lieu de naissance, sexe, représentant légal, nationalité, appartenance religieuse, nouvelle et ancienne adresse, date demménagement/de départ, situation familiale, renseignements sur le conjoint ou le concubin ainsi que sur les enfants mineurs, informations relatives à la carte didentité ou au passeport, date et lieu du décès ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P604_143938" 45). « Le caractère continu de la mise à jour des données, y compris celle de ladresse de résidence habituelle, constitue la spécificité du registre de population et représente son intérêt majeur pour la production de statistiques démographiques » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P605_144280" 46). Cest un outil administratif de planification et de suivi des politiques publiques. En son absence, le nécessaire débat sur le degré et les modalités douverture de nos frontières nest-il pas inéluctablement voué aux phantasmes et aux invectives ? Peut-on envisager un tel système denregistrement obligatoire en France ? Lopinion publique, prompte à la rébellion, est-elle prête à laccepter ?
Le monolithisme de léducation nationale symbolisé par luniformité des emplois du temps scolaire. Ceux-ci sont déterminés selon un nombre dheures dévolu aux différentes matières avec un plafond horaire pour les enseignants, les obligations réglementaires de service (24 heures hebdomadaires + 108 heures annualisées pour les professeurs des écoles ; 18 heures hebdomadaires pour les professeurs certifiés, 15 heures pour les professeurs agrégés). Le principe fondamental est que lemploi du temps des élèves est identique quel que soit létablissement. Certes, les chefs détablissement disposent de quelques heures dites complémentaires pour développer des projets pédagogiques et dun volant dheures supplémentaires pour reconnaître et rémunérer le temps passé par les enseignants à la réalisation dactivités éducatives en dehors des heures de cours. Mais cette flexibilité est limitée : elle ne permet pas, comme la constaté à deux reprises la Cour des comptes, dassouplir les contraintes horaires hebdomadaires qui pèsent sur lorganisation de la scolarité et de moduler celles-ci en fonction des besoins des élèves. Ainsi, les heures de cours sont programmées de façon rigide sur lensemble du territoire, ce qui empêche toute adaptation locale des rythmes dapprentissage ; a contrario, linflexion du cadre hebdomadaire permettrait à un établissement de « mettre le paquet », à certains moments de lannée, sur telle ou telle matière ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P607_146457" 47).
Remettre en question luniformité des emplois du temps scolaire revient à différencier un peu plus les enseignants selon les territoires, à accepter que le chemin vers le savoir et la connaissance sera différent entre un collège de Saint-Denis et un autre à Bordeaux. Ladministration centrale du ministère de léducation nationale est-elle prête à cette révolution copernicienne ? Les organisations syndicales mettront-elles lélève au cur de leurs revendications ?
Les phénomènes et dérives à caractère mafieux, sous couvert de revendications communautaires ou religieuses, affectant lécole, les HLM, les associations sportives, les commerces... Ces faits sociaux constituent un champ détudes sociologiques insuffisamment sollicité par les administrations centrales, concentrées sur leurs outils traditionnels et leur pré carré réglementaire. Or, les violences à lécole, les logements insalubres, les détournements de subventions publiques sont en tout ou partie le fruit de stratégies de privatisation de laction publique par des groupes pour imposer « leur loi » à une population captive. Ces phénomènes déstabilisent en profondeur la société. Élaborés dans de toutes autres circonstances, nos outils daction publique sont inaptes à gérer ces nouvelles problématiques. Ainsi, nous nous attaquons toujours à des symptômes et à des conséquences de ces évolutions que nous connaissons mal. Pourtant, cest à la lumière de ces phénomènes sociaux quil faudra bien repenser les outils et le mode daction de la police ou de la justice.
Ainsi, le refus ou le déni de la réalité par la puissance publique est la première cause de la désespérance des populations, des élus mais aussi des agents. Sans remise à plat des politiques publiques, à savoir de leurs finalités, leur mode dintervention et leurs moyens humains, financiers et juridiques, il est certain que les difficultés de la Seine-Saint-Denis perdureront et même saggraveront.
La difficulté voire limpossibilité de questionner la stratégie et les outils de lÉtat ne doit pas être imputée aux agents et à leurs cadres supérieurs. Confrontés à une situation exceptionnelle, démunis de moyens pour y répondre, ils sont absorbés à « faire tenir la machine » autant que faire se peut. Difficile dans ces conditions de leur imposer en sus dimaginer et mettre en uvre une action publique totalement différente. Comment pourrait-on exiger des personnels du tribunal de grande instance de Bobigny, premier de France par le volume des affaires traitées, hors celui de Paris, de repenser la justice de demain alors quils ne savent pas, en arrivant au tribunal chaque matin, si leur bureau na pas été inondé, si la connexion internet fonctionne, si le chauffage ne les a pas lâchés ? Ils ont assurément beaucoup à dire, mais on ne leur laisse pas la capacité de lexprimer.
Quant aux administrations centrales, la gestion des statuts, lédiction de règlements et circulaires, les comptes rendus au ministre et au Parlement accaparent quotidiennement les personnels. Toute remise en cause des procédures et des fondamentaux est inévitablement perçue comme une remise en cause de la légitimité de leur travail, comme il en a été fait état précédemment concernant lINSEE. Ladministration du parapheur ne peut pas sarrêter sans se sentir menacée.
Si lÉtat ne peut par lui-même repenser son action publique, qui peut le faire ?
Il est à craindre que face à la défaillance de lÉtat se multiplient les contentieux contre celui-ci initiés par des administrés pour faire valeur leurs droits à un service rendu. Le 21 juillet 2017, le tribunal administratif de Pontoise a condamné lÉtat pour manquement ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P615_150474" 48) : des parents dun collégien avaient intenté une action en raison des absences non remplacées de professeurs. La juridiction administrative a reconnu la faute de lÉtat et la contraint à verser un euro par heure de cours non assurée, soit un total de 96 euros. Cette indemnisation a-t-elle réparé le dommage ? Non, bien évidemment. Cette condamnation a-t-elle encouragé lÉtat à prendre les mesures correctrices nécessaires ? 96 euros sur un budget de léducation nationale de 68 milliards deuros ne suffiront pas.
Les recours contentieux ne répareront pas la machine et napporteront pas de réponses aux difficultés socio-économiques des habitants.
Dès lors si ni lÉtat, ni la justice ne peuvent agir, reste le Parlement.
2. De lévaluation parlementaire à la restauration de laction publique
Par son article 24, la Constitution reconnaît au Parlement le pouvoir de contrôler laction du gouvernement et dévaluer les politiques publiques. Parce quil incombe au gouvernement de déterminer et conduire la politique de la Nation, les députés et sénateurs nont pas à user de ces pouvoirs pour se substituer aux ministres et à leur administration dans la définition des objectifs poursuivis et des outils employés. Comme lécrivait en 1997 Philippe Séguin, Président de lAssemblée nationale, « le Parlement ne peut être, dans la logique constitutionnelle qui est la nôtre et que nous partageons avec lensemble des autres pays européens, le lieu où sera éventuellement imposée une politique alternative de celle de lexécutif. Mais, en revanche, il est le lieu où la politique du gouvernement sera expliquée, débattue ou, le cas échéant, infléchie. Celui, aussi, où le gouvernement sera forcé de sexpliquer sous la pression de lopposition, ou pour répondre à linquiétude de la majorité. » ( HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P620_152511" 49)
Parce quils sont représentants de la Nation et concourent par lexercice de leur mandat à la définition de lintérêt général, les parlementaires sont légitimes pour questionner lexécutif sur lefficience de laction publique au regard des constats effectués dans leur circonscription et ailleurs.
Aujourdhui, lexigence nouvelle nest pas le classique contrôle du gouvernement, mais celle de la mise en cause des rigidités et de linadaptation de nos politiques publiques héritées du passé.
Lexercice de ce pouvoir dévaluation sest jusquà présent évertué à évaluer tout ou partie dune politique publique, non à laction de lÉtat dans son ensemble. Or, cest lefficience de la combinaison des politiques mises en uvre qui permet de répondre aux préoccupations des habitants de la Seine-Saint-Denis mais aussi ceux de toute la France. À travers ce rapport impulsé par le Comité de contrôle et dévaluation de lAssemblée nationale avec ses deux co-rapporteurs, François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo, il a été mené un travail dinvestigation et dévaluation des politiques publiques nécessaires à la compréhension des enjeux et des bonnes pratiques.
Cette approche transverse est également attendue par les agents de lÉtat. Comme lont démontré les auditions et les visites de terrain, dans les territoires, les agents des différents services ministériels déconcentrés dialoguent directement et concrètement des situations et difficultés rencontrées. Les réponses apportées relèvent du bon sens mais ne correspondent en aucun cas aux directives de leur hiérarchie respective. Les administrations centrales dialoguent difficilement entre elles. Quand elles le font, cest sous contrainte et dans des délais qui laissent les dérives constatées senraciner dans le quotidien.
Lorsquun réseau de trafic de stupéfiants est identifié au sein même dun établissement scolaire, léquipe de direction et les services de police agissent de concert. Mais tous deux savent pertinemment quen labsence de mesures décidées nationalement pour consolider ce travail interministériel, ils devront dans un délai généralement plus court que long affronter de nouveau le même trafic.
Lorsque les enquêteurs de la police déplorent la pesanteur ou linadéquation des procédures face aux nouvelles formes de la délinquance, les magistrats du TGI partagent leur ressentiment face à limpuissance publique. Mais il ne leur incombe pas de changer les textes. Ceux qui peuvent alerter les ministres respectifs de lintérieur et de la justice, les directeurs dadministration centrale, sont freinés dans leur élan par le syndrome du mauvais messager.
Seuls les parlementaires sont en mesure de faire le lien entre le ressenti des habitants, le vécu des agents et les couches supérieures de lÉtat, ministres et directeurs dadministration centrale, sur des sujets transverses. Les corps dinspection et de contrôle sont limités par le périmètre de leur ministère de rattachement ; la Cour des comptes est focalisée sur lefficience au regard des finances publiques.
Au terme de cette évaluation transverse, des problématiques, perçues jusqualors comme secondaires au regard dune politique publique, prennent une toute autre importance : la connaissance des faits sociaux ; la liaison services déconcentrés/administration centrale ; la gestion des ressources humaines.
Les parlementaires exercent pleinement leur mandat de représentation en interpellant lÉtat sur les dysfonctionnements et difficultés vécus ou ressentis par les Français. Ceci exige une proximité entre le représentant et les représentés.
Le rôle essentiel du Parlement en tant quorgane de contrôle des politiques publiques, qui doit être renforcé, a dailleurs été rappelé par le Président de la République, Emmanuel Macron, dans son discours du 22 mai 2018 sur les banlieues : « que nos parlementaires puissent observer chaque année ces recours [pour les habitants] qui auront été étudiés, et puissent débattre démocratiquement en disant : vous voyez bien que sur tel et tel quartier, on nest pas au rendez-vous et être un aiguillon salutaire de laction du gouvernement, mais aussi un élément de transparence de laction collective (
), quil puisse y avoir un débat dévaluation de léquité territoriale au Parlement. »
Ainsi, par sa dimension territoriale, ce rapport sinscrit pleinement en ce sens et sera accompagné, dans les mois à venir, dun rapport de suivi des conclusions proposées. Le futur rapport de suivi complètera la première phase de lévaluation en sappuyant notamment sur les préconisations dun rapport récent du Comité dévaluation et de contrôle de lAssemblée relatif à lévaluation des dispositifs dévaluation des politiques publiques rédigé par les députés Pierre Morel-À-LHuissier (Agir) et Valérie Petit (La République en Marche).
Concernant les méthodes de contrôle des politiques publiques, les co-rapporteurs ont deux visions distinctes.
Monsieur François Cornut-Gentille, député Les Républicains de la Haute-Marne, estime que contrairement à lidée reçue actuellement très en vogue nul besoin dune expertise technique, juridique ou autre poussée pour accomplir ce nouveau travail. Lévaluation dont on parle et esquissée dans ce rapport, repose essentiellement sur des adresses faites à lÉtat sur des situations de fait, des questionnements sur les priorités données, les modes daction retenus et les moyens mobilisés. Elle est faite non au nom dun quelconque savoir ou dune supposée expertise ; elle est faite au nom du peuple. À lexécutif de proposer des solutions. Toute recommandation parlementaire en faveur de tel ou tel mode daffectation des agents en Seine-Saint-Denis se verrait opposer par ladministration des considérations réglementaires et administratives qui favoriseraient le statu quo. Sen tenir au constat de linefficience du système actuel contraint lÉtat à agir par la seule nécessité de mettre fin à des dysfonctionnements criants. Demain, le principal pouvoir du Parlement ne sera plus dans lédiction de normes inapplicables, dont nous avons pris malheureusement lhabitude, mais dans le questionnement de lÉtat.
En revanche, Monsieur Rodrigue Kokouendo, député La République en Marche de Seine-et-Marne, considère que le contrôle des politiques publiques par le Parlement sappuie à la fois sur un questionnement politique, mais également sur une méthodologie scientifique avec des experts capables danalyser des données scientifiques, pour évaluer les impacts, à toutes les échelles, des politiques mises en place dans les territoires. Les deux co-rapporteurs sentendent à dire que peu importe la direction de lévaluation, le citoyen doit rester au cur du questionnement.
Demain, le principal pouvoir du Parlement sera-t-il dans le questionnement de lÉtat ? Quelques bonnes intentions législatives sont parfois restées lettres mortes, faute de mises en uvre. Toutefois, les bonnes interpellations sont toujours suivies deffets. Cest par ce processus vertueux que laction publique retrouvera sa légitimité et son efficience. Dans ce processus indispensable dans une démocratie moderne, le Parlement acquiert un nouveau rôle majeur nullement en concurrence avec lexécutif mais qui permet au contraire de compléter le travail respectif de chacun et co-construire de meilleures politiques publiques.
PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS
1. La connaissance des territoires et lélaboration des politiques publiques
Proposition n° 1 : Repenser lélaboration des politiques prioritaires en privilégiant lidentification de territoires prioritaires daction, et non plus seulement des domaines prioritaires.
Proposition n° 2 : Évaluer les dispositifs de recensement pour affirmer ou infirmer leur fiabilité.
Proposition n° 3 : Placer lINSEE sous lautorité du Premier ministre pour assurer un meilleur pilotage statistique des politiques publiques.
Proposition n° 4 : Mutualiser, dans le cadre dun observatoire, les données collectées par les services de lÉtat, les collectivités territoriales, les organismes sociaux, les associations, les chercheurs et certains opérateurs (régies de transports et bailleurs sociaux par exemple).
2. La gestion des ressources humaines
Proposition n° 5 : Faire évoluer les critères de répartition des effectifs, afin de tenir compte des spécificités de laction scolaire, policière et judiciaire dans les territoires.
Proposition n° 6 : Renforcer la qualité et la stabilité des équipes pédagogiques en :
- Assurant une meilleure adéquation entre les épreuves des concours de recrutement et les enseignements en classe ;
- Naffectant plus des « sorties décole » en REP+ et en ne suivant plus le rang de classement pour procéder aux affectations afin déviter que les derniers reçus ne débutent tous dans des établissements difficiles ;
- Portant lindemnité denseignement en REP+ à 3 000 euros ;
- Revoyant les dispositifs de remplacement des professeurs absents de courte durée ;
- Augmentant les heures détude au collège et au lycée pour lutter contre le décrochage scolaire.
Proposition n° 7 : Améliorer la formation des policiers et valoriser leur engagement dans les secteurs difficiles en :
- Réformant les conditions de recrutement de la police judiciaire ;
- Axant davantage les programmes de formation sur la relation avec la population ;
- Fidélisant les policiers expérimentés dans les territoires sensibles par des mesures attractives.
Proposition n° 8 : Augmenter et stabiliser les effectifs judiciaires en :
- Mettant en uvre, pour les magistrats, une obligation de durée minimale dexercice de trois ans dans une même juridiction, ainsi quune durée maximale de dix ans ;
- Valorisant les carrières pour les magistrats et fonctionnaires de juridictions au contexte de travail difficile, ainsi quune revalorisation indemnitaire.
3. Le dialogue entre administrations, collectivités et acteurs locaux
Proposition n° 9 : Créer des comités locaux de pilotage des politiques publiques qui réuniraient, chaque semaine, le préfet, les représentants des services déconcentrés, les représentants des administrations centrales et des représentants locaux.
Proposition n° 10 : Donner plus dautonomies aux personnels de gestion locaux (proviseurs, commissaires...) et valoriser leurs initiatives, telles que le module respect expérimenté par la maison darrêt de Villepinte.
Proposition n° 11 : Renforcer la lutte contre les marchands de sommeil.
4. Le contrôle des politiques publiques
Proposition n° 12 : Renforcer le Parlement dans ses fonctions de contrôle des politiques publiques en multipliant le nombre dévaluations territorialisées des politiques publiques (Outre-Mer, zones rurales, Corse...) et en augmentant le nombre de rapports de suivi.
Proposition n° 13 : Accorder au Parlement le droit de demander des enquêtes statistiques directement auprès de lINSEE ; la première pourrait concerner une clarification des méthodes de recensement des personnes en situation irrégulière.
Proposition n° 14 : Mettre en place une évaluation des politiques publiques à six mois, puis à trois ans après leur mise en place, afin de contrôler leur bonne application et dévaluer leur pertinence.
CONTRIBUTION DE MME SYLVIE CHARRIÈRE,DÉPUTÉE, MEMBRE DU GROUPE DE TRAVAIL
La qualité des politiques éducatives est déterminante lorsquil sagit de garantir lunité et léquité sur notre territoire national. Ces politiques sont dautant plus importantes en Seine-Saint-Denis, territoire emblématique concentrant de multiples problématiques : paupérisation, absence de mixité sociale, important flux migratoire et chômage de masse en particulier chez les jeunes.
Il est important de noter quen matière de financement et de politiques éducatives, le ministère de lÉducation nationale nest pas le seul décisionnaire : le ministère de la cohésion des territoires ainsi que les collectivités territoriales contribuent et participent de fait à loffre éducative sur le territoire.
Les difficultés importantes dinsertion que rencontrent les jeunes de ce département doivent nous interpeller. Nous pourrions même aller jusquà penser quune forme de déterminisme social sinstalle progressivement dans le département.
Voici les constats et quelques propositions que nous devons approfondir :
1. Un déficit en ressource humaine
a. Une carence en enseignants
Constats : Ce département, du fait de son image négative et de la spécificité de son public nattire pas les enseignants chevronnés. Il parvient à recruter des jeunes sortant de concours mais bien souvent transplantés, inexpérimentés et mal classés. Certains postes ouverts aux concours sont même non pourvus au vu du faible niveau de certaines personnes sy présentant (le concours supplémentaire de professeur des écoles ouvert depuis 2 ans, na pas amélioré cette situation préoccupante). Cela a pour conséquence un très fort taux denseignants contractuels ainsi quun renouvellement régulier des effectifs, ce qui nuit fortement à la stabilité des équipes, et par conséquent à la pérennisation du projet détablissement. Cela peut entraîner une dégradation du climat scolaire. En effet, la continuité des projets, des règles de vie commune, la capacité à innover, la permanence de certains repères sont très importants pour des publics fragiles.
La qualité de laccueil de ces jeunes arrivant dans le département est aussi très importante. Il faut aller plus loin que le soutien pédagogique.
Propositions :
Créer de nouveaux statuts pour les enseignants (conseiller pédagogique- enseignant expérimentateur, maître formateur permettant à ces enseignants dêtre des « têtes de pont » pour les ESPE) et ainsi, créer des postes à profil.
À la suite dune inspection et dun rapport du chef détablissement, titulariser les contractuels reconduits pendant 5 ans dans le même établissement.
Pouvoir proposer dès leur affectation aux jeunes enseignants, un hébergement par exemple un appartement de fonction à un coût nettement inférieur au marché. De préférence celui-ci sera hors du lieu dexercice.
Attribuer un parrain volontaire à chaque jeune enseignant arrivant dans le département.
Intégrer les lycées au réseau déducation prioritaire (REP/REP+) et mieux structurer en réseau REP+ les temps de concertation, en terme de formation continue et déchange de pratique.
b. Un encadrement à fidéliser
Constats : Nous constatons que dans les directions de lÉducation nationale (DSDEN-rectorat) ainsi quà la tête des établissements scolaires, les cadres restent en moyenne 3 ans, ce qui ne permet pas un suivi de cohorte de qualité, dassurer une mémoire et de vérifier la pertinence des politiques engagées. Nous savons également, quen ce qui concerne les personnels de direction, la personnalité du chef détablissement impacte directement la qualité et le dynamisme de celui-ci.
Proposition : Exiger que les cadres sengagent pour une durée minimum de 5 ans.
c. Une offre péri-éducative incertaine
Constats : Nous lavons constaté à travers la mise en place des temps dactivité périscolaire (TAP), de nombreuses municipalités se sont retrouvées en difficulté car elles nont pas pu trouver la ressource humaine compétente pour assurer des animations pertinentes et de qualité. Cette difficulté se retrouve aussi dans les actions qui sont intégrées au volet éducatif des contrats de ville : aide aux devoirs, cours dalphabétisation,
Propositions : lorsque le maire ne parvient pas à trouver la ressource compétente, loffre péri-éducative doit être prise en charge par lÉtat.
Les centres sociaux doivent être de véritables pôles de proximité de savoir, de culture (alphabétisation, musique, danse,
), daccompagnement des jeunes. Le tarif serait dès lors fixé en fonction du revenu des parents.
Dans certains quartiers, cette offre dencadrement et daccompagnement peut même aller jusquà la création dinternats implantés dans la ville et pourrait offrir à des jeunes volontaires allant de la 4ème à la terminale, en plus dune aide aux devoirs et un cadre de travail serein, des activités culturelles et sportives.
d. Un accès aux soins difficile
Constats : outre la carence en médecins qui affecte lensemble des établissements scolaires, la Seine-Saint-Denis rencontre des difficultés pour assurer dans les établissements la présence dinfirmières. Cette difficulté se retrouve également hors champ scolaire avec une pénurie importante dorthophonistes pour accompagner les enfants rencontrant des difficultés dans lapprentissage de la lecture.
Proposition : Mettre en place des vacations dorthophonistes en REP/REP+.
2. Développer des structures daccueil mère-enfant (2 ans)
Constats : il est difficile pour une mère au foyer, vis-à-vis de la communauté, de mettre son enfant à la crèche par crainte du jugement et aussi en termes dutilité. Amener un enfant à lécole est moins stigmatisant et plus valorisant. Léchec scolaire se construit avant même lentrée à la maternelle en raison dun déficit langagier et des codes sociaux défaillants.
Propositions : Systématiser loffre de scolarisation des 2 ans dans les réseaux REP+ en adossant une école des mamans (pour celles ne travaillant pas ou des papas !) : dans un espace proche une personne prend en charge les mamans pour assurer des cours dalphabétisation, mais aussi une ouverture culturelle, des échanges, la compréhension du monde éducatif, de la représentation, un accompagnement éventuel vers des structures de formation, lemploi
3. Une gouvernance segmentée
Constats : Alors que de très nombreux acteurs contribuent à léducation, à lépanouissement de lenfant de la petite enfance jusquau lycée : parents, protection maternelle et infantile (PMI), crèches, enseignants en école, collège, lycée, tissu associatif, ville, conseil départemental, région, direction départementale de léducation nationale (DSDEN), rectorat, brigade des mineurs, caisse dallocations familiales, réussite éducative, commissions pluri-professionnelles... Chacun déploie une stratégie individuelle à travers un projet éducatif territorial pour le primaire, ou un contrat dobjectifs pour les collèges et les lycées ou lors de réunions telles que celle du comité local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) ou du groupe de prévention du décrochage scolaire (GPDS) ou lors de la signature des contrats de ville.
Cependant, lensemble de ces acteurs ne se réunit jamais pour élaborer un diagnostic partagé, définir une stratégie sur une période donnée, faire des points détapes annuels. Cette stratégie pouvant aller bien au-delà de simples objectifs éducatifs, mais aussi solliciter les autorités compétentes pour créer des structures ou bien encore sappuyer sur le tissu économique pour choisir une filière dans le lycée local.
Propositions : Mettre en place des projets éducatifs territoriaux à léchelle dune ville élaborés par lensemble des acteurs prenant part à léducation des jeunes, au travail sur la parentalité, sur loffre de formation, loffre culturelle, laménagement des espaces.
Sassurer grâce à un pilotage rectorat-région que les formations proposées, notamment en lycée professionnel, sont insérantes. Dans le cas contraire, le rectorat et la région redéfinissent leur carte de formation.
4. Une absence de mobilité
Constats : Pour de nombreuses familles, on constate une absence de mobilité à la fois physique, mais aussi psychologique. Cela peut sapparenter à une « auto-assignation à résidence ». Ce phénomène sobserve particulièrement chez de nombreux jeunes qui sautocensurent ou ne souhaitent pas sortir de leur zone de confort.
Proposition : Créer une bourse à la mobilité.
EXAMEN PAR LE COMITÉ
Le Comité a procédé à lexamen du présent rapport dinformation lors de sa réunion du jeudi 31 mai 2018. Au cours de cette réunion, il a autorisé la publication du présent rapport.
Les débats qui ont eu lieu au cours de cette réunion sont accessibles sur le portail vidéo du site de lAssemblée nationale à ladresse suivante :
HYPERLINK "http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6105585_5b0fbed95e892.evaluation-des-politiques-publiques--action-de-l-etat-dans-l-exercice-de-ses-missions-regaliennes-e-31-mai-2018" \t "_top" http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6105585_5b0fbed95e892.evaluation-des-politiques-publiques--action-de-l-etat-dans-l-exercice-de-ses-missions-regaliennes-e-31-mai-2018
ANNEXE :PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS
1. Tables rondes :
La statistique publique permet-elle de bien appréhender la situation sociale de la Seine-Saint-Denis ? (2 novembre 2017) :
- Mme Marie-Christine Parent, directrice régionale de lINSEE Île-de-France, et M. Jérôme Accardo, chef du département des ressources et condition de vie des ménages à lINSEE ;
- Mme Michèle Tribalat, démographe ;
- Mme Brigitte Baccaïni, sous-directrice de lobservation et des analyses au Commissariat général à légalité des territoires (CGET) ;
- M. Benoît Oudin, chef de service de lObservatoire départemental à la direction de la stratégie, de lorganisation et de lévaluation du conseil départemental de Seine-Saint-Denis ;
- M. Marc Kieny, président de la Cimade Île-de-France ;
- M. Ollivier Gloux, directeur départemental des finances publiques de Seine-Saint-Denis.
LÉtat dispose-t-il des outils pour connaître et analyse les difficultés des élèves en Seine-Saint-Denis ? (9 novembre 2017) :
- Mme Fabienne Rosenwald, directrice de lévaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) au ministère de léducation nationale,
- Mme Cécile Métayer, chargée de mission, rédactrice en chef de Géographie de lÉcole ;
- M. Frédéric Delemazure, directeur diocésain de lenseignement catholique de Seine-Saint-Denis ;
- M. Rodrigo Arenas Munoz, président de la FCPE 93 ;
- M. Benjamin Moignard, maître de conférences en sociologie à lESPE de Créteil ;
- Mme Fabienne Gentil, médecin conseillère technique départementale à la direction des services départementaux de léducation nationale de Seine-Saint-Denis.
LÉtat dispose-t-il des outils pour connaître et analyser les phénomènes dinsécurité en Seine-Saint-Denis ? (16 novembre 2017) :
- M. Jacques Méric, directeur de la sécurité de proximité de lagglomération parisienne à la préfecture de police (DSPAP) ;
- M. Jean-Cédric Gaux, vice-procureur du tribunal de grande instance de Bobigny, chef de la division des affaires criminelles et de la délinquance organisée (DACRIDO) ;
- M. François Clanché, chef du service statistique ministériel de la sécurité intérieure ;
- M. Christophe Soullez, chef du département de lObservatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) à lInstitut national des hautes études de la sécurité et de la justice ;
- M. Stéphane Eudier, directeur général de la Sauvegarde de Seine-Saint-Denis ;
- M. Thierry Delpeuch, chercheur au CNRS, chercheur associé à lÉcole nationale supérieure de la police.
LÉtat dispose-t-il des outils pour connaître et analyser les besoins des habitants de Seine-Saint-Denis en matière de justice ? (23 novembre 2017) :
- Mme Christine Chambaz, sous-directrice de la statistique et des études au ministère de la justice ;
- Mme Valérie Grimaud, bâtonnière de lOrdre des avocats du Barreau de Seine-Saint-Denis ;
- Mme Nicole Combot, première vice-présidente du tribunal dinstance de Bobigny, en charge de la coordination des tribunaux dinstance de Seine-Saint-Denis ;
- Mme Aurélie Police, vice-présidente du tribunal dinstance dAubervilliers ;
- M. Jérôme Jannic, directeur de SOS victimes 93.
2. Auditions :
- Mme Manon Garrouste, économiste de léducation, maître de conférences à lUniversité Lille 1, et Mme Noémie Le Donné, sociologue, analyste à lOCDE (30 novembre 2017)
- Mme Céline Berthon, secrétaire générale du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), M. David Le Bars, secrétaire national du SCPN, et M. Jacques de Maillard, directeur adjoint du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) (30 novembre 2017)
- M. Paul Champsaur, ancien président de lAutorité de la statistique publique, ancien directeur général de lINSEE (30 novembre 2017)
- Mme Léa Poplin, directrice de la maison darrêt de Villepinte (7 décembre 2017)
- M. Hugues Besancenot, directeur de limmigration au ministère de lintérieur (7 décembre 2017)
- Mme Fadela Benrabia, préfète déléguée pour légalité des chances auprès du préfet de Seine-Saint-Denis, et M. Sébastien Jallet, commissaire général délégué à légalité des territoires, directeur de la ville et de la cohésion urbaine (7 décembre 2017)
- Mme Béatrice Gille, rectrice lacadémie de Créteil, M. Christian Wassenberg, directeur académique des services de léducation nationale de la Seine-Saint-Denis, et M. Alain Pothet, inspecteur dacadémie-inspecteur pédagogique régional, correspondant académique pour léducation prioritaire (14 décembre 2017)
- M. Jean-Louis Brison, inspecteur dacadémie honoraire, ancien directeur académique des services de léducation nationale de Seine-Saint-Denis (14 décembre 2017)
- M. Patrick Simon, directeur de recherche à lInstitut national détudes démographiques (INED) (14 décembre 2017)
- M. Philippe Galli, ancien préfet de Seine-Saint-Denis (18 janvier 2018)
- M. Christian Sainte, directeur de la police judiciaire de Paris, et M. Pascal Carreau, chef du service départemental de police judiciaire de Seine-Saint-Denis (18 janvier 2018)
- M. Olivier Rey, auteur de « Quand le monde sest fait nombre », mathématicien et philosophe (18 janvier 2018)
- Mme Anne Duclos-Grisier, secrétaire générale adjointe du ministère de la justice, et M. Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires (25 janvier 2018).
- M. Didier Leschi, directeur général de lOffice français de limmigration et de lintégration (OFII) (25 janvier 2018).
- Mme Annick Allaigre, présidente de lUniversité Paris 8, et Mme Brigitte Marin, directrice de lESPE de lacadémie de Créteil (25 janvier 2018).
- Mme Marie-Anne Lévêque, secrétaire générale du ministère de léducation nationale, M. Christophe Géhin, adjoint à la secrétaire générale, M. Jean-Marc Huart, directeur général de lenseignement scolaire (DGESCO), Mme Fabienne Rosenwald, directrice de la DEPP, et M. Alexandre Grosse, chef du service du budget, de la performance et des établissements à la DGESCO (31 janvier 2018).
- M. Serge Castello, directeur de la sûreté chez Transdev, ancien directeur territorial de la sécurité de proximité de la Seine-Saint-Denis (31 janvier 2018).
- M. Tahar Belmounès, directeur général de la caisse dallocations familiales de la Seine-Saint-Denis (31 janvier 2018).
- M. Pierre-André Durand, préfet de la Seine-Saint-Denis, M. Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour ladministration de la préfecture de police, M. François Léger, directeur territorial de la sécurité de proximité de la Seine-Saint-Denis, M. Eric Guillet, sous-directeur des services territoriaux de la police judiciaire de la Seine-Saint-Denis, et M. Luc Bailly, chargé de mission à la préfecture de police (8 février 2018).
- M. Gérard Clérissi, directeur des ressources et des compétences de la police nationale, M. Sébastien Daziano, sous-directeur des finances et du pilotage, M. Stéphane Jarlegand, adjoint au sous-directeur pour ladministration des ressources humaines, et M. Thomas Fourgeot, chef du bureau des gradés et gardiens de la paix (13 février 2018).
- M. Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois (21 février 2018).
- M. Christian Lambert, ancien préfet de la Seine-Saint-Denis (14 mars 2018).
- M. Pierre-André Durand, préfet de la Seine-Saint-Denis (19 mars 2018).
Les rapporteurs se sont entretenus par ailleurs avec M. Patrice Calméjane, maire de Villemomble, M. Stéphane Gatignon, maire de Sevran, et M. Bruno Beschizza, maire dAulnay-sous-Bois.
3. Déplacements :
à Saint-Denis et Aubervilliers le 11 décembre 2017
Mairie de Saint-Denis :
M. Laurent Russier, maire de Saint-Denis
Mme Suzanna De La Fuente, adjointe au maire à lenseignement primaire
M. David Proult, adjoint au maire à laménagement
Collège Rosa Luxemburg (Rep+) dAubervilliers :
M. Franck Gastineau, principal
Mme Marie Helluin, professeure dhistoire-géographie
Mme Clara Zaccuri, professeure de français
Mme Nathalie Conan, professeure de français
M. Mohand Lalam, professeur déducation physique et sportive
Mme Madioula Aïdara, conseillère principale déducation
École maternelle Gérard Philipe (Rep+) dAubervilliers :
Mme Isabelle Équini, directrice
Mme Jocelyne Dauchy, professeure des écoles en très petite section
Mme Marie Souto, professeure des écoles en moyenne section
Mme Natacha Godet, professeure des écoles en grande section
École élémentaire Jules Guesde (Rep+) dAubervilliers :
M. Farid Ouchène, directeur
Mme Lucinda Pereira Da Silva, professeure des écoles en CP
Mme Albertine Robin, professeure des écoles en CP
Mme Adeline Béranger, professeure des écoles en CM2
M. Anthony Carrière, chef de projet du programme de réussite éducative (PRE)
Mme Magalie Massip, référente de parcours éducatif
Mme Valérie Lallour, assistante sociale
Mme Alexandra Monnier, parent délève élue
Mme Hakima Bourai, parent délève élue
M. Éric Muller, parent délève élu
Mme Ourida Ait Amara, parent délève élue
au Raincy, à Sevran et à Aulnay-sous-Bois le 29 janvier 2018
Sous-préfecture du Raincy :
M. François Léger, directeur territorial de la sécurité de proximité (DTSP) de la Seine-Saint-Denis
Table ronde avec les membres de la cellule de coordination opérationnelle des forces de sécurité intérieure (CCOFSI) :
- M. Patrick Lapouze, sous-préfet de larrondissement du Raincy ;
- M. Michaël Sibilleau, sous-préfet, chargé de la direction du cabinet du préfet de la Seine-Saint-Denis ;
- M. Arnaud Guichard, adjoint au chef du bureau de la sécurité intérieure ;
- Mme Monia Maimoun, chef de la section de la prévention de la délinquance et du pilotage des politiques publiques de sécurité ;
- M. François Léger, DTSP de la Seine-Saint-Denis ;
- M. Olivier Simon, commissaire divisionnaire, chef de la circonscription de sécurité de proximité dAulnay-sous-Bois/Sevran ;
- M. Christian Bourlier, commandant de police, chef du commissariat subdivisionnaire de Sevran ;
- M. Frédéric Vesin, chef dantenne à la sous-direction du renseignement (SDDR) de la Seine-Saint-Denis ;
- M. Laurent Fortier, chef de lunité de lutte contre limmigration irrégulière (ULII) de la Seine-Saint-Denis ;
- M. Pascal Bardin, adjoint au chef de lunité de lutte contre limmigration irrégulière ;
- M. Carlos Pujol, adjoint au chef du groupe dintervention régional (GIR) de la Seine-Saint-Denis ;
- M. Pascal Carreau, chef du service départemental de la police judiciaire de la Seine-Saint-Denis ;
- M. Laurent Sierra, directeur des services douaniers à la direction régionale des douanes Paris-Est.
Commissariat de Sevran :
Mme Christian Bourlier, commandant de police, chef du commissariat de Sevran
Mme Valentine Altmayer, adjointe au chef de la sûreté territoriale du 93, ancienne commissaire dAulnay-sous-Bois
Commissariat dAulnay-sous-Bois :
M. Olivier Simon, commissaire divisionnaire
à Bobigny le 5 février 2018
Tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny :
M. Renaud Le Breton de Vannoise, président du TGI
Mme Fabienne Klein-Donati, procureur de la République
Mme Françoise Lestrade, directrice du greffe
M. Rachid Askouban, juriste au conseil départemental de laccès au droit (CDAD)
Mme Catherine Brusaferro, procureure adjointe
M. Nordine Bourabaa, assistant spécialisé en prévention de la radicalisation
Mme Mélanie Leduc, juge de lapplication des peines
Mme Catherine Mathieu, vice-présidente du TGI, coordonnatrice du service des affaires familiales
M. Thierry Baranger, premier vice-président du TGI, coordonnateur du tribunal pour enfants
Conseil départemental de Bobigny :
M. Stéphane Troussel, président du conseil départemental
M. Gildas Maguer, directeur de cabinet
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P95_11632" 1 () Source : typologie de contexte socio-économique des cantons établie par la direction de lévaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de léducation nationale. Sept groupes de cantons, classés selon limpact de leur contexte socio-économique sur les risques déchec scolaire, ont été identifiés par la DEPP, à partir de sept variables (le revenu fiscal médian par unité de consommation, la part des non-diplômés, celle des familles monoparentales, etc.).
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P143_14752" 2 ( IAU, Victimation et sentiment dinsécurité en Île-de-France, Tome 2 : Disparités selon les territoires, mai 2017, p. 18. Près de 10 500 Franciliens, dont 1 300 habitants de la Seine-Saint-Denis, ont été interrogés par linstitut de sondage Ipsos dans ce cadre.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P147_15841" 3 ( Source : Préfecture de Seine-Saint-Denis.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P154_16694" 4 () Les quartiers de la politique de la ville en Île-de-France. INSEE Analyses, n° 57 mars 2017.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P174_24055" 5 () Ministère de léducation nationale, LÉtat de lécole n° 27, novembre 2017, p. 33.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P207_25178" (6 ) Source : service daccueil, dinformation et dorientation (SAIO) de lacadémie de Créteil.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P210_27765" 7 () Christian Monseur et Ariane Baye, Labsentéisme scolaire en France comparativement aux pays de lOCDE : lapport de PISA, contribution publiée par le CNESCO dans le cadre de la conférence de comparaisons internationales sur le décrochage scolaire, décembre 2017, p. 15.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P212_28667" 8 () Conseil scientifique de la FCPE, Les notes du Conseil scientifique, n° 1, mars 2017, p. 3.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P220_33642" 9 ( « Pourquoi les inégalités de compétences cognitives à 15 ans ont-elles tant augmenté en France ? », contribution au CNESCO, septembre 2016, p. 9.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P234_37393" 10 () Victimation et sentiment dinsécurité en Île-de-France, enquête précitée, p. 19.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P236_38047" 11 () Renée Zauberman et al. « Victimation et insécurité en Île-de-France. Une analyse géosociale », Revue française de sociologie, 2013/1 (vol. 54), p. 141 et p. 123.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P238_38728" 12 () Sébastien Roché, De la police en démocratie, Paris, Grasset, 2016, p. 118.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P250_42969" 13 () LESCHI Didier. « Lenclavement est en partie mental ». Entretien à lhebdomadaire LE POINT, 15 février 2017.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P251_43384" 14 () « Saint-Denis : SFR plie bagage pour Paris, la SNCF en approche ». Le Parisien, 9 octobre 2017.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P253_44158" 15 () Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur le grand stade, lorganisation de la coupe du monde et les mesures pour lemploi dans le sport, Saint-Denis, 6 septembre 1995.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P260_45911" 16 () ANDRE Pierre. Rapport dinformation n° 49 fait au nom de la mission commune dinformation sur le bilan et les perspectives davenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine dannées. Sénat, 30 octobre 2006.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P266_48223" 17 () REY Olivier. Quand le monde sest fait nombre. Stock, octobre 2016.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P278_54374" 18 () Une population immigrée aujourdhui plus répartie sur le territoire régional. INSEE analyses Île-de-France n° 70, octobre 2017.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P280_54837" 19 () TRIBALAT Michèle. Aujourdhui les immigrés illégaux ne peuvent pas être reconduits ». Le Figaro, 26 octobre 2017.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P283_56859" 20 () Conseil dÉtat. Avis sur un projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit dasile effectif. 15 février 2018.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P288_58894" 21 () « Droit au logement, droit du logement », Conseil dÉtat, juin 2009.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P292_59918" 22 () DEPP, « Les performances en orthographe des élèves en fin décole primaire (1987-2007-2015) », Note dinformation n° 28, novembre 2016, p. 2.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P299_63168" 23 () Cinq ans pour sauver la justice !, rapport dinformation n° 495 déposé le 4 avril 2017 (Sénat session ordinaire de 2016-2017), p. 106.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P301_64628" 24 () Interview de M. Manuel Valls, ministre de lintérieur, à RMC / BFM le 4 avril 2013.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P322_70309" 25 () Agence nationale de lhabitat, délégation locale de la Seine-Saint-Denis, programme daction présenté le 15 juillet 2017.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P327_74003" 26 () LESCHI Didier. « Lenclavement est en partie mental ». Entretien à lhebdomadaire LE POINT, 15 février 2017.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P330_76808" 27 () Contribution de M. Benoit OUDIN adressée aux rapporteurs.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P333_77237" 28 () REY Olivier. Quand le monde sest fait nombre. Stock, octobre 2016.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P355_84582" 29 () Lettre adressée à Madame Nicole Belloubet, ministre de la justice, le 21 novembre 2017.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P364_87424" 30 () « Personne nignore que tous les indicateurs sont dans le rouge », Le Monde, 2 février 2018.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P371_89054" 31 () Inspection générale de ladministration de léducation nationale et de la recherche, Mieux intégrer les services statistiques académiques dans le service statistique ministériel, rapport n° 2017-076, juillet 2017, p. 9. Cette situation devrait changer avec le déploiement du livret scolaire unique, effectif depuis la rentrée 2016.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P373_89885" 32 () BOUSSON Philippe, responsable SGP-FO pour la région Loire, cité in « Statistiques allégées », AFP, 4 avril 2005.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P379_91800" 33 () AFP. Démission du maire de Sevran, « usé » par le mépris de lÉtat pour les banlieues. 28 mars 1998.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P388_95972" 34 () FORTIER Jean-Claude. Rapport sur les conditions de la réussite scolaire en Seine-Saint-Denis. Décembre 1998. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/984000503.pdf
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P434_99476" 35 () « Personne nignore que tous les indicateurs sont dans le rouge », Le Monde, 2 février 2018.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P438_100721" 36 () Cour des comptes, Lorganisation et la gestion des forces de sécurité publique, juillet 2011, p. 74.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P440_101337" 37 () Cour des comptes, Gérer les enseignants autrement. Une réforme qui reste à faire, p. 53.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P441_101839" 38 () Référé de la Cour des comptes « Égalité des chances et répartition des moyens dans lenseignement scolaire », lettre adressée à M. Vincent Peillon, ministre de léducation nationale, 11 juillet 2012.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P544_114695" 39 () Rapport sur les effectifs localisés de magistrats du siège au TGI de Bobigny, février 2016, p. 21.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P557_119107" 40 () DEPP, « Les congés de maladie ordinaire des enseignants du secteur public », Note dinformation n° 07, février 2015, p. 3.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P561_122304" 41 () « Comment lécole amplifie les inégalités sociales et migratoires ? », contribution adressée au CNESCO, octobre 2015, p. 9.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P573_126338" 42 () Chiffre relevé par la Cour des comptes dans un rapport dobservations provisoires qui na pas été publié mais qui a été repris par le journal Le Monde (Cf. larticle École : les moyens attribués renforcent les inégalités, 12 avril 2012).
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P574_127109" 43 () Il sagit du pourcentage « INSEE » de personnes qui résidaient dans la commune au moment du recensement de 2011 et qui navaient pas la nationalité française (Cf. Observatoire départemental, « La population étrangère par nationalités en Seine-Saint-Denis », Décryptage(s) n° 2, avril 2016, p. 15).
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P592_138222" 44 () « Comment lécole amplifie les inégalités sociales et migratoires ? », contribution adressée au CNESCO, octobre 2015, p. 9.
HYPERLINK "http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1014.asp" \l "P604_143939" 45 () Loi cadre fédérale du 16 août 1980 sur le droit de la déclaration.
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