La géographie française face à la notion d'échelle. Une ... - HAL-SHS
1°) L'élaboration d'une classification des grandeurs géographiques ... Professeur
à Strasbourg, figure respectée de la géomorphologie ? même si considéré par
.... En revanche, l'examen de quelques formulations postérieures va nous .... Les
développements cruciaux pour notre sujet se situent dans le troisième point ...
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La géographie française face à la notion déchelle. Une approche par les significations et les contenus épistémologiques
Olivier Orain
La nouvelle question dépistémologie figurant au programme de lagrégation de géographie diffère des précédentes. Elle met en effet laccent sur deux termes, « temporalités » et « échelles », qui pourraient sembler secondaires dans le corpus réflexif et théorique de la discipline, surtout si lon sinscrit dans la longue durée dun « grand xxe siècle », des années 1890 (époque des premiers succès institutionnels de lécole française de géographie) à nos jours. Entendons-nous bien sur la signification de « secondaire » : de nombreux géographes ont inclus dans leurs travaux des considérations sur le temps et/ou sur les échelles, et ce à différents niveaux ; en revanche, elles ne revêtent pas le même caractère crucial que les réflexion sur « région », « milieu », « paysage », « espace » ou « territoire », entre autres. Elles ne suggèrent pas une identification immédiate à la géographie (dans le cas de « temporalité ») ou un enjeu majeur de définition (dans le cas d« échelles »). Pour autant, cette position en arrière-plan ninvite pas à les tenir pour sans importance. On assiste même, depuis une vingtaine dannées, à une montée en puissance de la thématique des temporalité(s). On ne saurait (à mon avis) en dire autant pour les échelles. En revanche, les géographes estiment dans leur grande majorité que ces dernières font partie des « choses » (le terme est délibérément vague pour linstant) vis-à-vis desquelles ils doivent se sentir à laise et dont la maîtrise fait partie du « métier ».
Dans presque toutes les initiations à la géographie, en classe de sixième comme à lentrée à luniversité, nombre denseignants développent des définitions et des exercices visant à affermir une juste manipulation des échelles, en particulier cartographiques. Et ils ordonnent la condamnation systématique des documents qui pourraient les escamoter, à commencer par les travaux cartographiques des apprentis. Dans dautres types dexercices comme le commentaire de cartes ou le dossier thématique, nombreux sont les pédagogues qui recommandent, voire stipulent, un autre type de recours aux échelles, assez souvent nommé « raisonnement multi-scalaire ». Au travers de ces deux cas despèces je voudrais dégager une caractéristique éminente des échelles pour la majorité des géographes : leur évidence. Une fois la difficulté technique, arithmétique, surmontée, lapprenti-géographe est supposé jongler avec les échelles comme avec un outil familier. Outil ? Le terme est-il encore admissible quand il sagit dexaminer un problème quelconque (lurbanisation, la diffusion du SIDA, la globalisation des échanges céréaliers, etc.) à plusieurs niveaux ? Ne faut-il pas plutôt parler de démarche ? Et au nom de quoi ériger cette opération en nécessité ? Et le terme « échelles » a-t-il seulement le même sens ?
Ce cours vous semblera certainement différent des livraisons précédentes, par son abord moins « objectif ». Son ambition est de poser des questions sur la façon dont les géographes ont, à partir dune certaine époque, développé un discours théorique sur ce sujet particulier. Plus précisément, ce que je vous propose est une tentative pour interpréter et discuter lapparente évidence des échelles pour les géographes français. Faute davoir suffisamment daperçus sur dautres traditions nationales sur cette question en particulier, je me suis abstenu dexaminer en détail les formulations de géographes étrangers, sauf lorsquelles ont donné lieu à des traductions ou à des citations significatives. Au demeurant, lensemble des analyses que lon trouvera ici na pas la prétention de fournir une description exhaustive ni un récit achevé. La question des échelles en géographie pourrait faire lobjet dun travail de thèse, voire de plusieurs. Ceux-ci nexistant pas, il sagit davantage de défricher le terrain, de vous inciter à faire quelques lectures indispensables, que de vous fournir une vulgate ou un digest. Ce serait même à lopposé de ce que lon doit attendre dune réflexion épistémologique : telle que je le conçois, elle est dabord un examen des pratiques ordinaires de la science, parfois les plus anodines, dont elle a à sétonner pour les mettre en perspective. Ce faisant, elle revêt un caractère spéculatif qui se prête mal à la synthèse définitive.
Dans une première partie intitulée « Quand léchelle devient visible », jai essayé de baliser un processus de réflexion, amorcé dans les années 1950 et arrivé à son apogée à la charnière des années 1960 et 1970, qui a sorti les échelles de leur statut doutil technique secondaire pour en faire une composante de la réflexion théorique. À ce titre, il me semble que pour bon nombre dauteurs léchelle est devenue bien plus quun instrument « scopique » (comme le microscope ou le télescope), dont on peut faire varier la focale pour scruter des ensembles plus ou moins vastes. Elle renvoie à des niveaux de réalité différents, plus ou moins autonomes, plus ou moins interdépendants. Il en découle une conception largement intuitive de discontinuités dans le réel qui nécessite à tout le moins dêtre exposée.
La deuxième partie (Critique du réalisme scalaire) entend suggérer une attitude précautionneuse vis-à-vis de la « démarche multiscalaire ». Jinsiste sur un effet assez gênant des réflexions sur les niveaux dobservation : au lieu de nourrir des recherches et des interrogations, elles ont laissé la place à une sorte dimpératif (« Il faut étudier les phénomènes à plusieurs échelles ») qui nest que très rarement argumenté. Il en découle une vulgate dont les fondements philosophiques méritent dêtre réexaminés, et ce dautant plus que lintérêt du changement déchelle nest pas à mon sens un absolu mais une opération (sinon une manuvre) de recherche. À travers un article de J.-B. Racine, C. Raffestin et V. Ruffy, jessaie de suggérer que son intérêt nest justifiable que dun point de vue heuristique (il aide à penser), et ne saurait déboucher sur une quelconque doctrine.
I Quand léchelle devient visible
Parmi les objets familiers aux géographes, les cartes tiennent une place à part. Serait-ce dû au fait quils en consomment et en produisent, confortant la langue ordinaire qui « met dans le même panier » les cartes topographiques de lIGN et les cartes thématiques les plus abstraites ? Nombreux sont ceux qui lient intimement la classe dobjets ainsi désignés avec la discipline, au point parfois de déboucher sur des définitions dangereuses, du type : « être géographe, cest faire ou utiliser des cartes ». Sans partager une conception aussi réductrice, on ne peut que reconnaître limportance particulière de ces types de représentation dans une discipline qui dune manière générale affectionne toutes les formes dimage. Cette affinité permet daborder la relation spéciale des géographes aux échelles : producteurs et consommateurs de cartes visant une représentation du réel par réduction, il leur incombe de maîtriser le concept arithmétique qui fonde cette dernière (grosso modo il sagit dune règle de trois : connaissant le rapport 1/n qui est mon « échelle », je peux déterminer la taille « réelle » dun objet quelconque à partir de la taille « réduite », et inversement). Même sil peut poser problème à certains, le concept de base est particulièrement simple et sans ambiguïté majeure. Au demeurant, jusque dans les années 1950, le terme déchelle avait une fonction strictement instrumentale : il servait à préciser le niveau de réduction opéré par une carte, et cest tout ce qui avait une grande importance rationnelle, pour éviter de faire des confusions entre des représentations peu ou pas du tout commensurables
À partir des années 1950, notamment après larticle de Jean Tricart, « La géomorphologie et la notion déchelle », sest amorcé un mouvement denrichissement du contenu du terme : léchelle nest plus seulement un simple rapport, elle désigne un niveau dobservation pertinent. Pourtant, cet enrichissement de sens na pas forcément été perçu comme tel : ce nest que durant les années 1970 que certains auteurs, contrariés par lambiguïté de la signification du mot, ont appelé à une distinction serrée entre « échelles » et « ordres de grandeur » ou « niveaux dobservations ». Dans la pratique majoritaire, la distinction nest presque jamais faite. Par une sorte de raccourci pratique, la situation spécifique du rapport à des cartes à échelles différentes a été généralisée et appliquée non plus à des problèmes techniques de représentation mais au cadre dobservation (et à ce quil contient). En ce sens, un outil technique modeste mais universel a été tiré de sa banalité et chargé dune signification moins anodine. Il a acquis de la substance.
Cette première partie sintéressera aux étapes de ce processus de mise en avant des échelles comme niveaux dobservation, en montrant quelle correspond à un contexte scientifique assez bien déterminé. Ceci posé, on pourra faire observer que lidée de sintéresser à la différenciation des niveaux dobservation nétait pas neuve : elle joue un rôle important chez des géographes plus anciens, notamment Camille Vallaux ; et elle est le support de toute description régionale « classique ». Enfin, je minterrogerai sur les problèmes que fait naître la conversion du discours sur les échelles-niveaux en ce que jappelle la « vulgate multiscalaire ».
1°) Lélaboration dune classification des grandeurs géographiques
Les décennies daprès-guerre (1945-1970) ont vu saccroître fortement le fossé entre une géographie humaine descriptive, compilatoire, rétive aux généralisations, et une géographie physique (dominée par la géomorphologie) nettement plus sensible au modèle des sciences expérimentales, divisée en spécialités largement autonomes sinon compartimentées, et soucieuse de disposer de théories générales. Aussi ne faut-il pas sétonner de ce que la réflexion théorique sur les échelles-niveaux dobservation sest développée dans un premier temps en géomorphologie, puis dans les autres compartiments naturalistes de la géographie, avant de diffuser assez tardivement en dehors de ce cadre, et par lentremise dauteurs (Roger Brunet, Olivier Dollfus) marqués par une solide formation physicienne.
À ma connaissance, larticle déjà mentionné, « La géomorphologie et la notion déchelle » (1952), constitue le point de départ du processus qui nous intéresse. Professeur à Strasbourg, figure respectée de la géomorphologie même si considéré par certains comme un dangereux avant-gardiste , J. Tricart est de ceux qui ont le plus contribué à leffort de discussion de la théorie classique des cycles dérosion, débouchant dans les années 1960 sur un projet de géographie physique globale dinspiration systémiste, dont Georges Bertrand sera la figure de proue. Ces précisions ne sont pas sans importance, car tous les géographes physiciens français uvrant dans cette perspective intégrative sont les principaux instigateurs dun discours sur les échelles, et J. Tricart leur principale référence à lintérieur de la discipline.
Dans cet article fondateur, ce dernier se place demblée sous le patronage des géologues (qui sont la référence ultime des géomorphologues) pour justifier son intérêt pour les échelles :
Dans une communication au Congrès de Philosophie des Sciences L. Glangeaud a récemment insisté sur l'importance de la hiérarchie temporo-spatiale et de la notion d'échelle pour les sciences géologiques. Laissant provisoirement au second plan, dans ce système de coordonnées, l'axe temporel, nous voudrions livrer ici quelques réflexions relatives à l'autre axe, l'axe spatial. Le temps et l'espace constituent, en effet, les cadres fondamentaux de toute pensée pour les sciences d'observation.
L'idée maîtresse de la communication de Glangeaud, sur la question qui nous préoccupe, est celle de la discontinuité, de l'hétérogénéité des coordonnées temporo-spatiales. Ces sortes de clivages se traduisent par des modifications brusques séparant des domaines où les interactions entre phénomènes obéissent à des lois de principe différent. (p. 213)
Il convient dinsister sur le fait que cette sorte de formulation très abstraite en début darticle nétait absolument pas monnaie courante en géographie à lépoque, et que le terme « espace » (et ses dérivés) était loin dêtre dun usage banal à lépoque. En somme, on peut considérer que la terminologie du géologue et philosophe des sciences est réappropriée par J. Tricart dans une situation disciplinaire inédite. En outre, cette déteinte saccorde avec un cadre de pensée que lon pourrait qualifier de « matérialiste » : espace et temps sont, à la suite de Hegel et de Marx, les « cadres fondamentaux de toute pensée », cest-à-dire des abstractions permettant de situer les réalités matérielles (doù limportance du terme « coordonnées »). Mais espace et temps ne sont en aucun cas des « choses » ici, à linverse dune table, dune chaise ou dune usine. La distinction est dimportance, à une époque où lécrasante majorité des géographes français considérait navoir affaire quà du « concret » (une région ou un milieu étant supposés aussi « concrets » quune nappe de charriage ou un village).
Mais quand intervient le concept de « discontinuité », il importe de bien réaliser quil ne sagit pas dune anticipation de ce que lon envisagera plus tard sous lexpression de « discontinuité spatiale », mais de quelque chose de plus global qui engage les diverses sortes dactivité scientifique : quand un astronome sintéresse à lespace, les règles et concepts quil utilise, la physique sur laquelle il sappuie, nont rien à voir avec ce quutilisera un géophysicien spécialiste de la tectonique des plaques, ni a fortiori un géomorphologue travaillant sur des loupes de solifluxion de quelques mètres cubes. En somme, échelle renvoie à lidée de « domaines dobservations » incommensurables parce que les voies pour les aborder diffèrent radicalement.
L'absolu, en effet, n'existe pas en matière scientifique et toute connaissance ne peut être que relative fondée sur l'observation d'un contraste, d'une différence, d'une comparaison donc. C'est pourquoi il est essentiel de rechercher systématiquement ces zones de clivage afin de déterminer avec plus de précision les divers domaines de nos observations, seule solution pour améliorer notre prise de conscience du réel, pour faire progresser notre discipline et remplacer progressivement les nombreuses vues de l'esprit qui s'y trouvent encore par des connaissances objectives.
Il s'agit donc en quelque sorte de déterminer une série d'échelles caractéristiques chacune d'un domaine défini d'observations où la prise de conscience du réel prend une forme originale. Grossièrement, on peut faire la comparaison avec une série de tamis qui permet de séparer des grains de dimensions différentes et dont les propriétés sont, de ce fait, dissemblables : par exemple, sables, limons, pré-colloïdes, colloïdes. La notion déchelle est en effet inséparable de celle de schématisation et la schématisation entraîne nécessairement un choix, une sorte de décantation, au détriment de faits qui cessent d'être observables à une échelle donnée. Le choix des échelles caractéristiques revient donc à déterminer des unités spatiales dobservation, des domaines, comparables à ceux que fournit la séparation granulométrique des sédiments meubles.
Lorsque notre auteur parle de « rechercher systématiquement ces zones de clivage », il ne sagit pas (et il ne sagira jamais) de faire de la géographie une discipline dont lactivité de recherche vise à établir et à argumenter scientifiquement lexistence de « domaines ». En revanche, les définir de façon liminaire est une tâche que J. Tricart sassigne dans larticle et qui lui semble assez essentielle, car elle permet d« améliorer notre prise de conscience du réel ». Le développement qui suit est ainsi dévolu à préciser une série de cinq niveaux significatifs (ou six en incluant léchelle 1/1). Pour chacun dentre eux, lauteur donne un ordre de grandeur, désigne le type dobjets à étudier (« cuvettes océaniques », « arcs montagneux », « talus du front de côte », « ravineaux », etc.), les disciplines de référence en termes de méthodologie (géophysique, géologie, préhistoire, etc.) et les opérations statistiques envisageables. Il opère une articulation significative entre échelle spatiale et « unité de temps correspondante », suggérant comme une évidence un rapport de proportionnalité volume/durée (plus cest gros et plus il a fallu de temps pour que cela se mette en place). Lensemble est résumé par un tableau dont lenjeu apparent est terminologique : « il [lui] a paru nécessaire de proposer quelques termes » pour désigner ces « ordres de grandeur » correspondant à des « réalités » différentes.
Échelle :Nom proposé :Exemples1.000° et en dessousformes métriquesSols polygonaux, loupes de glissement, rideaux, ravineaux, etc.10.000°formes décamétriquesVallons, ravins, corniches rocheuses de 5-10 m.100.000°formes hectométriquesVallées, bassins, escarpements, etc.1.000.000°formes kilométriques
(ensembles régionaux)Mont ou val de 20 ou 30 km de long
Massif montagneux, bassin sédimentaire10.000.000°formes myriamétriques
(ensembles majeurs)Système montagneux (Andes) cuvette océanique (Atlantique Nord)Source : J. Tricart (1952)
Il me semble important de signifier, comme le fait Nicolas Verdier dans son cours, le rôle fondateur de cet article, mais aussi de préciser les limites de lexercice, telles quon peut les déduire de son style dénonciation. Son ressort fondamental est méthodologique : il sagit de se donner des cadres collectifs commensurables et ce afin de proscrire les « vues de lesprit » quune morphométrie trop hâtivement menée, sans prise en compte des ordres de grandeur, pourrait générer : « De la sorte, aucune ambiguïté ou confusion n'est possible » conclut J. Tricart (p. 218). À ce titre, le propos ressortit typiquement à une démarche positiviste. Il sagit de se donner des classifications préalables à valeur analytique, cest-à-dire non démontrées mais concourant à la description par limposition dun cadre stable de référence. Ce faisant, le classement proposé na pas le statut dun travail de recherche, mais davantage dun protocole situé en amont de celui-ci. Indice supplémentaire, le tableau récapitulant larticle, même sil figure à la fin du texte, na rien de solennel. Cette systématique nest pas une fin en soi, un objet de connaissance que lon pourrait en quelque sorte réifier. Insister sur ce genre déléments permet de réaliser labsence dambition théorique (i. e. démontrable) dun texte qui est en somme une « clause de méthode » bien plus quautre chose.
En revanche, lexamen de quelques formulations postérieures va nous permettre de suggérer une progressive substantification du discours sur les échelles, à priori incompatible avec une attitude matérialiste/positiviste. Je ne reviendrai pas sur lensemble des textes qui ont repris ou relayé les idées de Jean Tricart, car ce qui me préoccupe est lidentification dun processus de bifurcation progressive de la signification des échelles (comme ordres de grandeur). À plusieurs niveaux, on pourrait dire que le processus à luvre a échappé à ses acteurs initiaux : il sest développé comme un effet second de leurs élaborations, sans que cette dérive apparaisse rétrospectivement consciente.
2°) Enrichissement de sens et substantification
Larticle fort notoire de Georges Bertrand, « Paysage et géographie physique globale », publié treize ans après le texte fondateur de J. Tricart et trois ans après la reprise qui en est faite dans le manuel Principes et méthodes de la géomorphologie (1965), est un jalon essentiel du processus qui nous occupe. Il importe de prendre conscience de ce que, par bien des aspects, G. Bertrand ne cherche pas davantage que J. Tricart a conférer un statut autre que méthodologique à une « taxonomie » des « échelles temporo-spatiales ». Dans la deuxième partie de larticle, « La synthèse du paysage » qui est le passage qui nous intéresse il insiste fortement sur le caractère « arbitraire » des « découpages géographiques ». Autrement dit, ces derniers sont toujours marqués du sceau de lartifice. « [I]l faut tailler directement dans le paysage global tel quil se présente » (p. 255), écrit-il incidemment. Lidée de que lon pourrait « trouver un système général de lespace qui respecte les limites propres à chaque ordre de phénomènes » (idem) est une chimère. Dès lors, se donner un « système taxonomique » qui « doit permettre de classer les paysages en fonction de léchelle » apparaît comme un préalable qui permet de « les situer dans la double perspective du temps et de lespace ». En somme, on retrouve une fois de plus la double perspective matérialiste (espace et temps sont un système de coordonnées permettant dappréhender les phénomènes) et positiviste (il faut se donner des classifications positives préalables pour, en loccurrence, « rechercher les discontinuités objectives du paysage »). Le propos sadosse, davantage encore que chez J. Tricart, sur le concept de « seuil de manifestation », qui stipule que les causalités explicatives divergent selon léchelle à laquelle on travaille : « les éléments climatiques et structuraux lemportent dans les unités supérieures [« zone », « domaine », « région naturelle »] et les éléments biogéographiques et anthropiques dans les unités inférieures [« géosystème », « géofaciès », « géotope »] ».
Le tableau est la forme par excellence pour donner à voir la « taxonomie ». Celui produit par G. Bertrand est autrement plus riche que les ébauches de J. Tricart. Déjà, la terminologie na plus le caractère frugal et strictement métrique que lon trouvait chez ce dernier. Elle repose sur six niveaux dans les « unités du paysage » (cf. supra), correspondant à peu près à sept ordres de grandeur. Mais surtout, il envisage six champs dapplication particulière : « relief » (la référence est J. Tricart), « climat » (sous le patronage de Maximilien Sorre), « botanique », « biogéographie » et « unités de mise en valeur » (en référence à larticle alors sous presse de Roger Brunet, « La notion de quartier rural »). Il ne sagit pas vraiment de « dire le droit » en toute exhaustivité, mais de faire figurer un maximum de niveaux correspondant, dans chacun des domaines évoqués, aux six « unités de paysage ». Le tableau est loin dêtre complet et homogène. Chaque série thématique na pas le même nombre de niveaux, et ils ne sont pas disposés de la même façon. Le nota bene placé sous le document précise que « les correspondances entre les unités sont très approximatives et données seulement à titre dexemple ». Blancs, décalages et précautions accréditent le caractère spéculatif de lentreprise. Lauteur nentend pas absolutiser ni homogénéiser un « système taxonomique » dont la portée est méthodologique.
Pourtant, la réception ultérieure de cette ébauche montre quelle a été prise au pied de la lettre et érigée en doxa. Cet effet paradoxal (sic !) peut se comprendre pour partie en considérant le surcroît de généralité que le travail de G. Bertrand apporte à la formulation de J. Tricart. Alors que ce dernier restait dans le domaine fermé de la géomorphologie, nous sommes ici en présence dun propos qui se veut intégrateur, en lespèce du « paysage », englobant lensemble des dimensions physiques et anthropiques propres à lentité géographique considérée. Aussi, malgré la modestie des objectifs de notre auteur, il ouvre la voie à une mise en équivalence entre ordres de grandeur et classes dobjets géographiques. La publication dans la même Revue de géographie des Pyrénées et du Sud-Ouest, quelques mois plus tard, de larticle de R. Brunet, « Le quartier rural, structure régionale », a contribué encore un peu plus au processus de globalisation des « échelles », prélude à leur substantification.
Bien plus que son ancien collègue toulousain, R. Brunet entend conférer aux niveaux dobservation une signification indurée, voire objective. Au demeurant, il utilise prioritairement le terme « échelon » qui opère une réification du concept déchelle : on passe de la situation dobservation à ce qui est observé, dun point de méthodologie à une théorie des structures géographiques. Les développements cruciaux pour notre sujet se situent dans le troisième point dun article qui en compte cinq (au cur du dispositif textuel, donc), intitulé « Les quartiers dans le système régional » (pages 85-89). En préambule, R. Brunet précise :
Les efforts de taxonomie dans les sciences géographiques ne sont pas absolument récents, mais ils demeurent peu nombreux et partiels. En langue française, il faut saluer ici le travail particulièrement positif de J. Tricart (Tricart & Cailleux, 1965 ; Tricart, 1965), et, tout récemment, dans cette même revue, de G. Bertrand (Bertrand, 1968). Cependant, il ne sagit toujours que de géographie physique. Est-il possible délargir le champ de la recherche et de proposer une échelle des catégories régionales, au sens plein du mot, et non plus seulement géomorphologiques ou biogéographiques ?
Parler « délargir le champ de la recherche » est significatif du changement de statut de la réflexion, même si R. Brunet sinscrit fermement dans le sillage des auteurs déjà étudiés. En effet, il ne sagit ni plus ni moins que de lédification dune théorie de la région entreprise qui traverse lensemble de la carrière scientifique de notre auteur pour laquelle lélaboration dune « échelle des ensembles spatiaux isoschèmes » a de limportance. Comme J. Tricart avant lui, R. Brunet propose à la fois une déclinaison textuelle (p. 85-87) et un tableau (p. 88). Ce dernier condense les apports de tous ses prédécesseurs : effort terminologique, double notification des grandeurs (en km2 et en termes déchelles), exemples significatifs ; à quoi il ajoute une dimension bibliographique encore plus nette que dans le tableau de G. Bertrand, puisque les auteurs/autorités figurent sous la forme dinitiales présentes « à tous les niveaux » dans la colonne « exemples et correspondances ». Les blancs et les non-recoupements qui existaient dans le tableau de G. Bertrand ont disparu. Celui de R. Brunet a pour effet notable dhomogénéiser complètement le descriptif des niveaux régionaux, ce qui ne laisse plus guère de place à la spéculativité.
Un examen terminologique scrupuleux savère passablement instructif. Dans le texte, notre auteur utilise indifféremment « échelon », « étage », « niveau » et « palier », ce qui ne se justifie pas seulement par la nécessité déviter de laides répétitions. Chez un auteur aussi scrupuleux en matière de langue, la synonymie de fait de mots relevant de registres légèrement différents a une signification décisive : tous les termes se valent dans la mesure où précisément on sintéresse au « fait » régional pris pour lui-même, « fait total » ou « global » par excellence. On constate aussi que « létage
englobe des régions », que « le quatrième échelon
correspond à la notion de pays », que « le cinquième palier est
celui du quartier ». « Englober », « correspondre », « être » : nous sommes dans le langage de linclusion et de léquivalence. Les « échelons » cessent de nêtre quun cadre méthodologique pour finir par incarner des êtres régionaux. Au demeurant, au début de larticle, R. Brunet a pris soin daffirmer que « ces quartiers existent [
] hors de lesprit du chercheur » (p. 83). Tout aussi troublant est le titre du tableau déjà mentionné, « échelle des ensembles spatiaux isoschèmes » : lusage du singulier fait passer le terme du côté de la « taxonomie », alors que les « échelles » (plurielles) sont remplacées par les « ensembles spatiaux isoschèmes ». Faut-il penser que lusage du mot au singulier joue sur plusieurs sens à la fois (« gradation » et « escalier » et « rapport de proportionnalité ») ? Cela paraît assez évident. Ces divers emboîtements et équivalences lexico-sémantiques ont de quoi dérouter si lon sy intéresse de trop près.
Quand on tente de replacer cette construction dans luvre théorique général de R. Brunet, on saperçoit rapidement que les échelles ne furent pas une préoccupation durable pour lui. Bien au contraire, ses élaborations du début des années 1980, autour de ce que lon appelle pour faire bref la « chorématique », tendent à éluder la question des échelles. En outre, ce que notre auteur a voulu retenir du texte de 1969 dans ses écrits ultérieurs, ce sont les affirmations sur les structures relationnelles, érigeant la région (peu importe sa grandeur) en « système de relations ». Alors certes, dun certain point de vue, on peut dire quil est à lorigine dune assimilation des « échelons » aux « régions » conférant aux premiers un caractère substantiel. Mais dun autre point de vue, à la différence de J. Tricart, il na pas soutenu un approfondissement du discours positif sur les échelles dobservation. Dès lors, jaurais tendance à lire ce développement dans la trajectoire de R. Brunet comme un épiphénomène : la question « taxonomique » était particulièrement porteuse dans la géographie de la fin des années 1960 et les géographes physiciens, qui donnaient encore le la en matière de théorisation, mettaient en avant une thématique des discontinuités méthodologiques en fonction des ordres de grandeur. À loccasion dune publication collective de ses élèves toulousains, R. Brunet a produit une de ces synthèses dont il a le secret. Mais elle mapparaît comme un exercice ad hoc, visant surtout à asseoir une notion assez peu évidente le quartier rural qui au demeurant na laissé aucune postérité scientifique, puisque son inventeur lui-même na pas donné suite aux formulations de 1969. Dès lors, ce nest que par un jeu de circonstances fortuites que ce texte et son essai de synthèse multiscalaire ont pu revêtir une valeur normative pour des auteurs divers.
3°) Vers une « vulgate multiscalaire »
Un an seulement après la publication de larticle « Le quartier rural, structure régionale » a paru le « Que Sais-je ? » dOlivier Dollfus intitulé LEspace géographique, suivi en 1971 par un « jumeau » intitulé LAnalyse géographique. Ce sont deux ouvrages assez étranges, mixant les conceptions de la géographie classique avec une culture ethnologique de géographe tropicaliste et des esquisses de géographie théorique et quantitative. La tonalité densemble est fortement didactique, le propos en apparence très ferme. Lun et lautre contiennent des développements sur les échelles : dans le premier chapitre de LEspace géographique, « Les caractères de l'espace géographique », la dernière partie (IV) sintitule « La notion d'échelle appliquée à lespace géographique » (6 pages). On y retrouve le tableau de R. Brunet. Dans le chapitre II de LAnalyse géographique, « Les structures géographiques », deux parties, « Taxonomie et géographie » (II) et « Les niveaux privilégiés de lanalyse géographique » (III), traitent des échelles et des niveaux dobservation (sur 16 pages environ). Fort curieusement, la perspective méthodologique prédomine dans LEspace
, alors que les aspects de théorie spatiale lemportent dans LAnalyse
Le mouvement du premier texte est particulièrement intéressant : O. Dollfus explique dans un premier temps pourquoi il est absurde de comparer des ensembles géographiques de grandeurs différentes. Par la suite, il présente plusieurs « essais de classement des espaces géographiques », lun tiré de « Cailleux et Tricart » (dans un manuel, Le modelé des chaînes plissées), un autre, sans auteur, « basé sur les climats », enfin les deux derniers en un paragraphe qui nécessite un commentaire :
Il est possible de diviser l'espace en fonction des niveaux de développement : les pays sous-développés et les pays développés, avec les étapes de transition ou de dégradation : dans les pays sous-développés il y a une différence très considérable et pas seulement liée à la dimension nationale ou la population entre la Bolivie et le Venezuela, ou dans les pays développés, entre la Suède et l'Italie. Il est possible de découper ensuite chaque espace en fonction de critères spécifiques. R. Brunet, dans un effort de synthèse, présente un classement par ensembles spatiaux isoschèmes, offrant du fait de leur dimension et de leur spécificité une certaine unité. Cette classification (présentée ici sous une forme simplifiée) a le mérite essentiel de situer dans un même ordre de grandeur les diverses données, tant du milieu physique que du milieu humain, qui contribuent à l'organisation et à l'évolution des différentes parties de l'espace.
De manière assez éloquente, O. Dollfus mélange dans son troisième exemple la question des systèmes de classification emboîtés de la géographie et la question des niveaux dobservation. La question « comment diviser lespace ? » supplante celle des niveaux pertinents dobservation. De cette confusion découle loubli des termes initiaux du problème de léchelle et la substantification de niveaux géographiques auquel on prêtera un contenu « objectif ». Quand lauteur affirme que la « classification [de R. Brunet] a le mérite essentiel de situer dans un même ordre de grandeur les diverses données, tant du milieu physique que du milieu humain
», il ratifie complètement lidée de grandeurs stables, dépassant les variables que lon se donne. Partant, cest le triomphe des « espaces géographiques », qui transcendent et unifient le relief, le climat, le « milieu humain »
Par ailleurs, il introduit dès le premier alinéa un second thème qui, pour le coup, na plus rien à voir avec lesprit des formulations de J. Tricart :
Le problème de léchelle intervient donc de deux manières : au niveau des comparaisons, qui est essentiel pour comprendre la généralité, et donc l'originalité d'un phénomène ou d'une situation, et au niveau des transferts d'échelles à l'intérieur d'un même ensemble. Lorsqu'on étudie un massif montagneux, il est indispensable de connaître sa place dans le système de relief comme danalyser les éléments qui le composent. Les fonctions d'une petite ville se définissent par rapport au réseau urbain dont elle fait partie et par ses relations avec son environnement rural ; elles doivent également être comparées avec celles que possèdent dautres petites villes analogues.
Par lentremise du curieux syntagme « transfert déchelles », sa présentation rebondit sur un thème promis à une gloire académique indéniable : pour étudier un « phénomène géographique », il est nécessaire de faire varier le niveau dobservation. Or, précisément, cette injonction a une portée très différente de celle contenue dans le « programme » discontinuiste, initié par J. Tricart et relayé par G. Bertrand et R. Brunet. Il sagit rien moins que de privilégier les articulations interscalaires au lieu de considérer les discontinuités comme une règle méthodologique. Ce nest pas exactement une antithèse, parce que les termes du discours ont muté, mais cest à tout le moins un autre discours sur les échelles, même sil sadosse au précédent. Au demeurant, la fin du chapitre ne fait que confirmer le glissement vers un plaidoyer « multiscalaire », y compris dans un paragraphe assez maladroit sur les cartes dans lequel notre auteur essaie tout à la fois dillustrer lidée de sélectivité de la représentation à une échelle cartographique donnée et dinciter le lecteur à utiliser des cartes à échelles différentes (pages 27-28).
Dans LAnalyse géographique, le rabattement des « ordres » scalaires sur le problème du « découpage de l'espace géographique » est perpétué et amplifié. Enrichi également, puisque lauteur inclut une dimension que lon qualifierait aujourdhui de « phénoménologique » :
Les différents auteurs sont conscients que le découpage de l'espace géographique repose sur la détermination d'unités caractérisées à leur échelle par une physionomie homogène et une évolution répondant à des modalités comparables. Il est possible, comme le fait le botaniste Long, de déterminer les ordres en fonction du niveau de perception. L'observation banale apprend en effet à percevoir différemment les choses selon la distance qui sépare l'observateur de l'élément observé. Une ville n'apparaît pas semblable vue au ras du sol, à 100 m d'altitude, à 1 000 m, à 10 000 m ou d'un satellite. À chaque altitude, l'observation privilégie une donnée. La ville, vue du sol, se caractérise par laspect des façades des maisons, la largeur des rues, leur animation aux différentes heures de la journée. À 100 m d'altitude on relève l'agencement des immeubles par rapport à la voirie, les types de toits, le système des cours et jardins. À 10 000 m c'est la masse de l'agglomération qui apparaît avec la disposition des quartiers. Ces observations doivent être complétées par une remarque. Certaines choses ne sont intelligibles que vues à une certaine distance. Un tableau impressionniste, un Sisley, n'est pas fait pour être vu à 50 cm. On ne perçoit alors que des taches de couleur, qu'un chatoiement de tons qui n'apparaît pas organisé. En revanche, vu à 4 ou 5 m, le paysage se révèle, le jeu des tons s'ordonne en éléments : une rivière, des arbres, un ciel bleu parsemé de quelques nuages blancs. Il en va de même pour toute étude de géographie où il est nécessaire d« accommoder » son analyse pour comprendre l'agencement de l'espace considéré à une échelle donnée. Cependant la seule perception n'est pas toujours suffisante pour permettre le classement. [...]
Létrangeté du propos réside dans la faculté dO. Dollfus à confondre observation, représentation et codification du regard, à mettre sur le même plan une vue davion et un paysage de peintre. Alors que lintuition dune relativité de lobservation en fonction de lobservateur pourrait être inférée de certains éléments de son discours, celui-ci débouche au contraire sur une mise en équivalence du perceptif et du « fonctionnel », de la subjectivité physionomique et des « structures géographiques ». Les alinéas suivants permettent dailleurs la reprise de la « taxonomie » héritée de R. Brunet, non plus sous la forme dun tableau mais dune typologie (dans laquelle G. Bertrand tient une place éminente). Les discontinuités scalaires sont devenues des « divisions spatiales » et « il apparaît possible de dresser une grille des divers « ensembles spatiaux isoschèmes » (R. Brunet) qui sont autant de « structures géographiques » ». À ce stade, la substantification des échelles me semble acquise. Sarticule à cette typologie une réflexion sur les emprunts aux « disciplines connexes » quune étude à une échelle donnée rend nécessaires. Néanmoins, notre auteur a la conviction que tous les « niveaux » nont pas la même importance pour la discipline, ce qui lamène à parler de « niveaux privilégiés de lanalyse géographique » :
La grande masse des recherches géographiques se situe aux niveaux intermédiaires de l'échelle locale (entre le 6e et le 5e ordre) et l'échelle régionale dans son sens le plus large (entre le 4e et le second ordre). Cet interprète du paysage qu'est le géographe se sent là plus à son aise pour « atteindre la racine des choses ».
Dans cette partie, ce qui prédomine apparemment est un travail de distinction entre « étude locale » et « étude régionale », censé illustrer les différences méthodologiques inhérentes à des niveaux dinvestigation différents. Or, le principal développement (pages 45-53, « La comparaison nécessaire » puis « Banalité et originalité des formes ») pose en généralité le problème de la « structure géographique localisée », unique mais comparable avec dautres par le biais des « formes » et des « types dactivités ». Et de facto la question scalaire sefface, et pas seulement parce que lon se situerait au niveau spécifique de létude régionale. En faisant prévaloir lidée duniversalité de la « structure géographique localisée » et en mettant laccent sur des comparaisons régionales qui supposent résolu le problème de la comparabilité, O. Dollfus sinscrit dans un autre horizon de pensée, latent dans lidée classique de « combinaison », intensément labouré durant les années 1960 par Pierre George, et reformulé par R. Brunet à lépoque des quartiers ruraux. On pourrait parler dune théorie de lêtre géographique : elle stipule quil y a des « êtres géographiques » qui, loin dêtre une « vue de lesprit », sincarnent dans des « situations » (pour parler comme P. George) ou des « systèmes ». Chaque entité est générée par une combinaison particulière de « relations » universelles quune approche à la fois morphologique (i. e. par les formes) et fonctionnelle permet de mettre à jour. Il importe de souligner que ce nest plus lancrage matériel qui légitime lobjet géographique (des formes ou des contours fixes, une homogénéité de « contenu ») mais le système relationnel. Ce faisant, lapproche a quelque chose de très idéaliste, même si elle revendique le caractère réel, cest-à-dire « indépendant du chercheur », du « complexe de situation » (P. George). Lintelligence des situations relève dune compréhension du phénomène singulier autant que dune explication des différentes causalités à luvre. Le géographe apparaît comme une sorte de clinicien des « êtres géographiques », susceptible de diagnostiquer les « facteurs » ou « rapports » en jeu, mais aussi de redonner sa place à lindividualité de chaque « région » ou « espace ». Or une telle définition de la pratique géographique implique de se débarrasser du carcan des niveaux dobservation (ou plus exactement : de loublier). En somme, la clinique des « structures géographiques localisées » suppose de sabstraire des contraintes de grandeur si lon veut pouvoir opérer un va-et-vient entre des situations-types et des « monographies ».
Leffet paradoxal que jobserve dans les ouvrages dO. Dollfus est donc un double mouvement de substantification et de neutralisation des échelles/niveaux dobservation. Alors même quelles font lobjet dun discours doctrinal assez arrêté, celui-ci devient pure nomenclature sans perspective méthodologique ni enjeu théorique. Il sagit daffirmer leur existence et de fournir aux étudiants un vocabulaire standardisé, censé refléter des réalités établies. Par ailleurs il leur est recommandé de moduler le niveau dobservation afin de mieux pénétrer « la racine des choses », à savoir ces entités foncièrement « complexes » quétudie la géographie. Dès lors, quattendre du discours sur les échelles, sinon lénonciation rituelle dun noyau de convictions celles-là mêmes que je me suis efforcé de relever ? Pour cette raison jai utilisé lexpression « vulgate multiscalaire » sans la définir à priori, estimant quil importait de la reconstruire avant de la justifier davantage. Les petits livres dO. Dollfus ont lavantage dêtre relativement prolixes sur la question et dobéir à un style particulièrement doctrinal. Ils représentent tout à la fois un aboutissement et une subversion des conjectures initiées par J. Tricart. Ils cristallisent une attitude à légard des échelles qui sest développée durant les années 1960, mais dont lénonciation fut pour partie orale, voire implicite. De ce point de vue, ils ont une valeur dexemplarité difficile à prouver, neussent été les témoignages que lon peut solliciter, ou les traces plus fugitives que lon trouve dans la littérature didactique. En revanche, il importe de sinterroger sur la pertinence de cette assimilation entre « niveaux » et « espaces géographiques » et dopérer des distinctions (cest le travail par excellence de la critique). Dans la deuxième partie, cest ce que je vais memployer à faire.
II Critique du réalisme scalaire
Dans leur grande majorité, les géographes ont à légard des questions de terminologie une attitude que lon pourrait qualifier de spontanée : ils utilisent la « langue ordinaire », cest-à-dire un français supposé lisible par la majorité dun large public, en lenrichissant de termes techniques divers quils prennent généralement grand soin dexpliciter. Dans ce contexte, ils ont aussi une attitude assez spontanée à légard des notions abstraites, quelles soient revendiquées comme typiquement géographiques (« espace », « territoire », « région », etc.) ou quelles ressortissent à un fonds commun dabstraction (« réalité », « liberté », « idéologie », etc.). Cette pratique suppose une signification acquise et commune de chaque élément du fonds notionnel. Elle est souvent utile pour éviter de rendre une discussion pesante. Elle implique pourtant un risque important de dérive, car la plupart de ces notions ont une grande variété dacceptions. Leur polysémie engendre une labilité du discours qui nest pas forcément apparente, ni pour celui qui le tient, ni pour ceux qui le reçoivent. Il en résulte un manque de rigueur conceptuelle dont les effets seconds sont nombreux : cacophonies, contresens, fausses controverses, etc.
Dans le cas qui nous intéresse, il ny avait pas de labilité au départ. Marie-Claire Robic a pu écrire que « [d]ans la géographie française de la fin du xixe siècle, et sous réserve dinventaire, le terme déchelle semble réservé à la cartographie. » Je serais tenté daller plus loin et daffirmer que, jusquaux réflexions de Jean Tricart, l« échelle » demeure pour lessentiel une opération simple liée à la carte. En revanche, ainsi que je me suis employé à le montrer dans la partie précédente, il y a eu un très fort enrichissement des significations entre 1952 et le début des années 1970. Le paroxysme a sans doute été atteint avec les manuels dOlivier Dollfus, même si dautres auteurs pourraient être étudiés dans une perspective similaire, tel Yves Lacoste. Or, précisément, la familiarité des géographes avec le terme « échelle » a eu une conséquence redoutable, quon pourrait imager sous la métaphore dun « effet boule de neige » sémantique. À force de revisiter le contenu du mot, ils en ont surchargé le sens, au risque dentretenir force confusions. Pire peut-être, la doctrine de létude « à plusieurs échelles », vidée de tout examen épistémologique, tourne à lexercice académique dénué de fondements scientifiques. Dans une discipline qui sest débarrassée de sa doxa quasi séculaire durant les années 1970, ce point de doctrine fait partie du minimum que les courants très divers de la géographie post-classique semblent vouloir partager. Face à cela, les pages qui suivent ont pour objectif de déconstruire linjonction et desquisser des catégories plus nombreuses et diverses que les « échelles » recouvrent et occultent trop souvent, en y adjoignant une critique de ce que je qualifierais dattitude « réaliste » et « ontologique » à leur endroit.
1°) Fondements du « réalisme scalaire »
Dans un article peu connu mais tout à fait stimulant, Jean-Bernard Racine, Claude Raffestin et V. Ruffy ont dès 1980 posé la question non pas de la nature mais du statut de léchelle dans la réflexion géographique. Avant dexaminer plus avant les propositions quils ont pu avancer, il est intéressant de noter leur souci de démarquer un concept déchelle géographique de la notion cartographique :
En effet, les géographes, pour avoir sacralisé la carte topographique, ce premier modèle géométrico-mathématique, ont adopté le concept d'échelle tel qu'il a été défini et employé par la cartographie. Les conséquences de cet emprunt ont été considérables pour la géographie car celle-ci ne dispose pas en fait d'un concept propre d'échelle et il n'est pas évident que celui de la cartographie soit approprié. La cartographie est un instrument à disposition mais elle n'est pas la « géographie ». Il est parfois nécessaire de rappeler certains truismes. [
]
L'échelle cartographique rend compte de la représentation de l'espace en tant que « forme géométrique » tandis que l'échelle qu'on pourrait, et qu'à de multiples égards on devrait, qualifier de géographique rend compte de la représentation du rapport que les sociétés entretiennent avec cette « forme géométrique ».
Qualifiant cette « adoption » du concept d« échelle cartographique » de « virulent problème », nos auteurs sinscrivent par delà la question dune importation conceptuelle peu satisfaisante à leurs yeux dans une perspective que les travaux de J.-B. Racine comme de C. Raffestin nont cessé de nourrir dans la décennie 1970 : une dénonciation inlassable du « réalisme géographique ». Que faut-il entendre par là et en quoi est-ce important par rapport à la thématique des échelles ?
Nos auteurs ont été parmi les premiers à dénoncer une attitude générale parmi les géographes classiques ériger les objets étudiés en « réalités » données une fois pour toutes, visibles le plus souvent, indépendantes du chercheur, et que le géographe naurait en somme quà consigner (sur des cartes, entre autres). Dans les années 1970, cette idée dune réalité donnée a commencé à être très fortement critiquée. Un consensus sest établi entre « nouveaux géographes » pour estimer que le « réel » est inconnaissable en soi et que lon dispose toujours de schémas préalables pour lordonner ou lui donner du sens, ce quà lépoque on appelait, à la suite de Jean Piaget, des « construits ». Dans cette perspective, il est nécessaire de disposer de « problématiques » susceptibles de définir et de préciser dans quel cadre dinvestigation on entend « fracturer le réel » (C. Raffestin). Or, précisément, ce que les cartes topographiques (et leurs échelles) véhiculaient aux yeux du plus grand nombre était une sorte dapproximation commode des « réalités géographiques », encourageant une posture réaliste et un oubli des enjeux de représentation propres aux cartes, lesquels pouvaient savérer incompatibles avec une problématique sociale.
Pour abonder dans ce sens, même si le matériau argumentaire est différent, il suffit de se rappeler ce que les échelles sont devenues dans la tradition de réflexion dont sest inspirée la vulgate scalaire : elles ont fini par être considérées comme des dimensions objectives de l« espace géographique », déclinables en une gamme stéréotypée et pouvant incarner lensemble des classes correspondant aux divers « échelons » d« êtres géographiques » (ainsi chez O. Dollfus, voire chez R. Brunet en 1969). Dans une telle conception, chaque « niveau » sinscrit dans un ordre de grandeur à peu près homogène et a une « réalité » au moins relationnelle. Dès lors, on se débarrasse de la précaution qui voudrait que la détermination des niveaux pertinents et des discontinuités soit liée au type de phénomène étudié (pour rester très général : géomorphologique, climatique, mais aussi politique, social, urbain, etc.). La structuration multiscalaire transcende les divers ordres de « contenu ». Lhypothèse est royale pour légitimer la géographie ! En revanche, elle ne résiste guère à nimporte quel test. Le tableau de G. Bertrand suffirait déjà à instiller le doute quant à une homogénéité scalaire déventuels échelons naturels. Sagissant de géographie humaine, le simple fait denvisager des ordres de grandeur à caractère universel et indépendants dun cadre de recherche donné me semble problématique. En outre, cela revient à dénaturer ce pour quoi sont faites les échelles, cest-à-dire une comparaison circonstancielle de grandeurs qui na de sens que dans une situation dinvestigation donnée
Une autre objection concerne les discontinuités, en particulier à propos de phénomènes sociaux. Le modèle des « paliers » séparés par des discontinuités majeures nest en effet pas le seul descriptif envisageable. Dans leur article de 1980, J.-B. Racine, C. Raffestin, & V. Ruffy proposent un modèle en gradient qui pourrait tout autant se défendre en généralité :
Source : Racine, Raffestin & Ruffy (1980)
Dans le schéma reproduit ci-contre, il est assez évident que lon a une théorisation de léchelle qui na strictement rien à voir avec les postulats discontinuistes de la tradition des années 1960. Au demeurant, la légende génère une certaine ambiguïté par rapport au texte, car lidée que léchelle est une « métaphore » est absente de ce dernier (jaurai ultérieurement loccasion de revenir sur la signification dune telle qualification). Il importe déjà de réaliser que ce modèle saccompagne dune évacuation complète de lidée de « trames spatiales » spécifiables. En revanche, il comporte une dimension méthodologique tout à fait conséquente, ce en quoi il renoue dune certaine manière avec la visée initiale dun Tricart. En effet, il contribue à préciser la corrélation entre léchelle que lon se donne et le type dinvestigations envisageables, réflexion qui avait disparu des nomenclatures à portée « ontologique ».
En évoquant cette représentation alternative, mon ambition nest pas de la désigner comme plus « vraie » que celle qui prévaut chez les adeptes des « niveaux » mais de suggérer quil y a des façons diverses de théoriser les échelles, en fonction du but quon leur assigne et de lunivers conceptuel dans lequel on inscrit sa recherche. À ce titre, il est évident quune recherche portant sur des représentations collectives (ou individuelles) ne saurait théoriser léchelle de la même manière quune recherche portant sur des « modèles » supposés à tout le moins méconnus par les dites représentations : on peut faire lhypothèse dune organisation fractale du périurbain ou « en anneaux de von Thünen » de lagriculture ouest-européenne, sans imaginer que ces représentations savantes ont diffusé pour devenir des conceptions socialement partagées
Et si ces « modèles » peuvent intéresser les spécialistes des représentations, ce sera en tant quarguments mobilisés par des discours savants ou politiques dans le cadre de discussions autour denjeux territoriaux
Il se trouve que la majorité des géographes a longtemps considéré avoir affaire à des « faits objectifs », ce qui encourageait une attitude réaliste à légard des échelles, renforcée par les stratagèmes réalistes de la cartographie officielle et lexistence de séries distinctes de cartes à des échelles diverses. En somme, les contingences dun instrument considéré comme de premier plan ont largement renforcé une posture intuitive.
Pour peu que lon accepte de renoncer pour partie ou entièrement à lidée réaliste de niveaux scalaires universels, est-on amené pour autant à perdre toute considération pour la catégorie « échelle » ? Certes non ! Simplement, il sagit de repenser ce que lon peut en attendre. En tant que paramètre de la recherche, la réflexion sur les ordres de grandeur me semble utile en ce sens quelle implique des mesures et des « manuvres » (pour parler comme Racine, Raffestin et Ruffy) qui font avancer une enquête, une réflexion, une théorie. Elle a en ce sens un intérêt heuristique (« elle aide à trouver ») plutôt quontologique (en tant quelle serait porteuse dune vérité universelle).
2°) Échelles et heuristique
Dans larticle que jutilise depuis le début de cette seconde partie, nos auteurs répondent à une question assez rarement formulée et pourtant dévidence : à quoi ça sert, en fait, les échelles, pour un géographe ? Leur réponse mérite dêtre présentée et commentée :
Depuis quelque années, les auteurs de ce texte ont entrepris une réflexion ayant d'abord pour but d'affirmer la nécessité d'une problématique explicite au départ de toute recherche, réflexion qui se poursuit actuellement au niveau de l'explicitation des concepts et des procédures par lesquelles nous abordons la connaissance et la pratique que les sociétés ont de l'espace. C'est à ce niveau qu'intervient par exemple le problème clé de l'échelle à travers lequel peuvent être précisées les conditions et les manuvres nécessaires pour réaliser des observations cohérentes et pour les interpréter dans le cadre d'un système conceptuel explicite.
Il va sans dire quune telle définition élargit considérablement le champ dapplication du terme. En première approximation, on pourrait donner pour équivalent « cadre expérimental », en y associant lidée de protocole ou de régulation rationnelle. Il faut aussi conserver une idée de variation (ou dajustement) des grandeurs. Plus loin, un exemple « banal » permet de mieux comprendre là où les auteurs veulent en venir :
Supposons que nous devions nous rendre chez une personne qui habite un lieu inconnu de nous. La personne en question va nous donner un nombre très restreint d'information, mais jugé comme suffisant pour nous permettre d'arriver chez elle. Que fait-elle en somme ? Elle découpe dans l'ensemble des éléments réels un sous-ensemble pertinent qu'elle nous communique. Si le découpage est cohérent et pertinent l'action d'aller chez cette personne sera possible et réussie. Pourtant, par rapport à la réalité, la représentation communiquée est extraordinairement pauvre et élémentaire. Cela n'empêchera pas une action efficace. II y aura « oubli » volontaire d'une foule de détails que nous découvrirons lors du trajet réel. Le choix d'un sous-ensemble est nécessaire d'abord parce qu'il est impossible de faire une description exhaustive et parce qu'ensuite... il est impossible de mémoriser une telle description.
En première approximation, on peut donc définir l'échelle comme une fonction de l'oubli cohérent qui permet une action réussie. L'échelle apparaît dès lors comme un filtre qui appauvrit la réalité mais qui préserve ce qui est pertinent par rapport à une intention donnée.
En somme, dans une perspective « constructiviste », léchelle apparaît comme lopération dajustement qui permet de sélectionner dans le réel les paramètres qui rendent intelligibles une situation et dagir sur elle. En ce sens, la perspective est également « pragmatique », dans la mesure où la connaissance se structure en fonction dune action pertinente à mener. Cela éclaire laffirmation liminaire des auteurs : « il est vrai que l'on ne peut plus accepter aujourd'hui qu'une recherche soit conduite sans que l'échelle soit clairement spécifiée » (p. 87). Ceci revient à dire que les présupposés (« intentions ») et protocoles dune recherche doivent être articulés et explicités demblée. Le point est capital au point dêtre souligné par les auteurs : « l'échelle se présente comme médiatrice entre l'intention et l'action. » (p. 93).
Le pouvoir sur les choses dépend donc d'une représentation adéquate des ensembles « d'objets » qui constituent notre environnement. Le propre de l'homme c'est de pouvoir jouer successivement ou simultanément sur plusieurs échelles. Dès lors le géographe, en proposant pour un ensemble donné diverses représentations, diverses caricatures ou modèles prépare en somme des « plans » pour des actions futures. Le choix d'une représentation fonctionnelle dépendra de la relation de pouvoir que l'on veut avoir compte tenu des ressources disponibles et des coûts qu'on peut accepter. Ibid., p. 93.
On commettrait à mon sens un contresens assez grave en prenant le « jeu déchelles » de la vulgate comme illustration de ce que nos auteurs entendent affirmer. Car ici, lidée de « cadre conceptuel » joue à plein, et ne saurait être réduit à un jeu de grandeurs discontinues. En outre, à la différence des échelles subies de la vulgate scalaire, celles qui sont envisagées ici sont la résultante dune spéculation pluraliste. Un exemple semi-théorique, nourri par des expériences daménagement, est proposé pour permettre aux lecteurs de mieux comprendre le propos.
Source : Racine, Raffestin & Ruffy (1980)
Posons que nous avons un ensemble de 19 villes réparties dans un ensemble de 35 territoires. Chaque ville, comme chaque territoire, peut être définie par des coordonnées. [
] Dès ce niveau, le choix d'une problématique a déterminé une abstraction ou « oubli cohérent » puisqu'on ne considère la conjonction de ces deux ensembles qu'à travers le phénomène urbain et que l'on ne prendra en compte que 19 territoires au lieu des 35 que comporte l'ensemble territorial. Une pure problématique urbaine a déjà pour conséquence de contracter l'espace c'est-à-dire de modifier l'échelle cartographique.
Supposons par exemple que pour des raisons d'aménagement, nous adoptions une stratégie de valorisation de tous les centres urbains
de manière à ce que soit maximisé le « vécu » des populations des différentes villes. Il ne peut s'agir que d'une politique qui tend à empêcher la fuite des centres de 2e ordre vers ceux du 1er ordre et la fuite de ceux de 1er ordre vers le centre primatial. On a donc affaire à une stratégie de décentralisation régionalisante en matière de population urbaine (Fig. 3B), [
] C'est au fond une relation de pouvoir qui est symétrique par rapport à la population urbaine puisque la finalité est de chercher à conserver le réseau en l'état. [
]
À l'inverse, on peut choisir une stratégie dite de concentration organisée qui tend à ne valoriser que le centre primatial, parce que les ressources sont rares, et que d'autre part on estime qu'il faut privilégier un seul centre. Dans ce cas on ne prend plus en compte qu'un seul élément urbain (1/19) et un seul territoire (1/35). Le centre primatial est alors l'élément pertinent représentatif de l'ensemble urbain. Tout converge alors vers le centre primatial qui constitue le seul point de cristallisation et d'organisation (Fig. 3C).
[
] Mais il existe bien évidemment une situation intermédiaire ou échelle moyenne qui consiste à prendre en compte le centre primatial et les six centres de 1er ordre. Dans ce cas, la problématique, qui n'est pas celle du juste milieu, consiste à prendre en compte tout à la fois le vécu et l'organisé. Il s'agit en quelque sorte d'une optimalisation des deux tendances, non pas contradictoires en elles-mêmes, mais dialectiques dans la mesure où l'on prend en compte une décentralisation concentrée sélective sur les points forts du réseau (Fig. 3D) [
]
Le document ci-dessus est bien évidemment un montage, qui de surcroît escamote une partie des difficultés et des subtilités du texte-source. Il permet néanmoins (jespère) à un lecteur qui ne dispose pas du texte complet dappréhender correctement la façon dont les auteurs illustrent et formalisent leur concept déchelle. On ne pourra que constater à quel point celui-ci est relatif à une situation de recherche, et non pas un « donné » considéré comme objectif. Il apparaît tout à la fois comme un régulateur méthodologique (en ce sens il relaie lidéal classique de comparabilité grâce aux échelles) et comme une sorte de paradigme (dans un sens restreint par rapport aux définitions de Thomas Kuhn), cest-à-dire une façon de poser les problèmes, de les dimensionner et de les traiter. En ce sens, on peut dire quelle a un rôle heuristique.
Dans une acception géographique ordinaire, lexemple développé par nos auteurs est « monoscalaire », dans la mesure où la trame urbaine et territoriale qui sert de référent est toujours la même. La redéfinition opérée est susceptible de décontenancer, car elle va à lencontre du sens commun. Elle peut aussi sembler trop extensive, car elle étend considérablement la portée du terme « échelle » : est-ce nécessaire, sachant quil existe déjà des mots ou des expressions pour « prendre en charge » cet ajout de signification ? Peut-on également ignorer labsence déchos qua suscités larticle ? Et a-t-on la garantie que cet « exemple » soit davantage quun formalisme dont on pourrait faire léconomie, sachant que les auteurs ne précisent pas ce quil ajoute à un discours aménagiste « ordinaire » ?
Ces questions, pour cruelles quelles puissent paraître, nôtent rien à lintérêt de la tentative. Après tout, J.-B. Racine, C. Raffestin, & V. Ruffy ne font que redéployer dans une perspective opératoire (i. e. justifiée ? intelligente ?) cette idée de la vulgate qui voudrait quen changeant déchelle on change dordre des « réalités ». À ce titre, on pourrait dire quils « retournent » un argument synthétisé par Yves Lacoste en 1976 dans une perspective plus classique.
À mon sens, c'est là que se situe, dissimulé derrière des pratiques tout à fait empiriques qui se présentent souvent comme des commodités pédagogiques, un des problèmes épistémologiques primordiaux de la géographie. En effet, les combinaisons géographiques que l'on peut observer à grande échelle ne sont pas celles que l'on peut observer à petite échelle. [...] Mais, comme certains phénomènes ne peuvent être appréhendés que si l'on considère de vastes étendues, alors que d'autres, de tout autre nature, ne peuvent être saisis que par des observations très précises sur des surfaces très réduites, il en résulte que l'opération intellectuelle qu'est le changement d'échelle transforme, et parfois de façon radicale, la problématique que l'on peut établir et les raisonnements que l'on peut former. Le changement d'échelle correspond à un changement du niveau d'analyse et devrait correspondre à un changement au niveau de la conceptualisation.
La combinaison de facteurs géographiques qui apparaît lorsqu'on considère un certain espace n'est pas la même que celle qui peut être observée pour un espace plus petit qui est « contenu » dans le précédent. Ainsi, par exemple, ce que l'on peut observer dans le fond d'une vallée alpestre et les problèmes que l'on peut poser à propos de cet espace et des gens qui y vivent diffère de ce que l'on voit lorsqu'on est sur un des sommets, et cette vision des choses se transforme lorsqu'on regarde les Alpes d'avion à 10 000 mètres d'altitude.
À la différence dY. Lacoste, nos auteurs niraient pas écrire que « le changement d'échelle transforme [
] la problématique », dans la mesure où cest la problématique qui peut suggérer un changement déchelle ! Considérer cette dernière opération comme un acte contraint implique de rester soumis à la conception cartographique des échelles, au lieu de choisir les perspectives pertinentes en fonction du problème que lon se pose. Au demeurant, lensemble de lextrait cité ci-dessus pourrait laisser accroire quil y a un abîme entre le style épistémologique des uns et de lautre. En fait, il faudrait être davantage nuancé. Il y a dans la réflexion dY. Lacoste toutes sortes de point de convergence qui sont autant de dépassement de la posture réaliste classique. La critique de « Vidal la Blache », pour inappropriée quelle soit à propos de cet auteur en particulier, met le doigt sur divers problèmes inhérents au paradigme classique, avec cette particularité dune articulation directe de la discussion avec une réflexion sur les échelles.
Le mérite majeur que l'on reconnaît à Vidal la Blache est d'avoir montré, par l'analyse monographique approfondie des « réalités régionales », la complexité des interactions qui s'étaient établies au cours de l'histoire entre les faits physiques et les faits humains. Le cadre que Vidal donne à ses observations et à ses réflexions est la « région » qu'il présente comme la « réalité géographique » par excellence.
Cette démarche qui postule la possibilité de reconnaissance immédiate des « individualités géographiques », cette illusion ou ce stratagème de la familiarité avec le réel qui laisse croire que la description réunit tous les éléments possibles, alors qu'elle résulte en fait de choix très étroits, vont permettre aux géographes d'éluder des problèmes épistémologiques fondamentaux..
[
] Dès lors, lobservation et le raisonnement se trouvèrent pour lessentiel bloqués a un seul niveau danalyse, celui qui permet d'appréhender « la région », espace de conceptualisation unique choisi pour pouvoir appréhender les étendues délimitées par les anciennes frontières provinciales et surtout les paysages. Or la description des paysages correspond en fait à un certain niveau d'analyse, celui qui permet d'appréhender les formes du relief qui sont considérées comme l'architecture essentielle de ces paysages. Mais ce niveau d'analyse n'est pas celui qui permet d'appréhender convenablement les problèmes économiques, sociaux et politiques.
Le fait de privilégier certains niveaux de l'analyse qui correspondent à certains types d'espace de conceptualisation provoque, pour les raisons qui ont été évoquées précédemment, la déformation, ou l'occultation des facteurs qui ne peuvent être convenablement appréhendés qu'à d'autres niveaux d'analyse. Ces facteurs se trouvent subrepticement écartés du raisonnement par l'effet du véritable filtrage des informations qui consiste à délimiter a priori le type d'espace qui doit être préférentiellement pris en considération. [...]
Quand Y. Lacoste évoque « cette illusion ou ce stratagème de la familiarité avec le réel » et quil dénonce la pseudo-exhaustivité de « la description », il sinscrit pleinement dans le discours de déconstruction du réalisme géographique qui régnait alors. De même, il rejoint C. Raffestin dans lidée que le paradigme classique dispose de « filtres » et dun « certain niveau danalyse » (ce que ce dernier appelait alors la « problématique implicite de la géographie traditionnelle »). Sa réflexion enjoint également de prendre en considération des échelles spécifiques (pertinentes) pour « appréhender convenablement les problèmes économiques, sociaux et politiques ». Jusquà ce point, lenjeu scalaire est le même. En revanche, la théorie de la science sous-jacente est différente : celle dY. Lacoste est résolument inductiviste. Il y a un refus, hérité de son maître Pierre George, de toute idée d« a priori ». Quand il en appelle à une libération du « raisonnement » et à une multiplication des « niveaux de l'analyse », il ny a pas de place pour une problématique rectrice des opérations de recherche. Au contraire, la souplesse du géographe serait en quelque sorte mise au service des « problèmes » et des « phénomènes ». Il sen suit que la méthode à suivre est particulièrement difficile à définir à lavance.
Cette démarche de l'investigation géographique, il faut se garder de la considérer comme déjà construite et assurée. Comment choisir les différents espaces de conceptualisation ? Comment s'assurer de leur adéquation à la connaissance de tels phénomènes et de telle structure ? Quel est l'outillage conceptuel qui convient à chacun d'eux ? Comment opérer l'articulation de ces différents niveaux d'analyse ? Par quel niveau commencer l'investigation ?
Ce qui paraît assuré, c'est que, pour tout ce qui a une signification spatiale, la nature des observations que l'on peut effectuer, la problématique que l'on peut établir, les raisonnements que l'on peut construire sont fonction de la taille des espaces pris en considération et des critères de leur sélection.
Si lon prend au pied de la lettre ce quécrivait Y. Lacoste en 1976, on retrouve lidée que lopération de variation scalaire pourrait être une démarche de première intention pour produire une « signification spatiale ». En ce sens, elle serait éminemment heuristique, puisque cest elle qui fournirait lamorce de la recherche. Par ailleurs, elle nest pas naïve pour autant, car elle suppose des « critères de [
] sélection ». Lennui réside dans limprécision de ces derniers. Le texte densemble laisse parfois supposer que les cartes topographiques à différentes échelles (assorties de « données » diverses ?) pourraient constituer la source empirique initiale. En dautres circonstances, on a au contraire le sentiment dune conception circulaire : il y a des critères parce quil y a des échelles et des échelles parce quil y a des critères. Il va de soi quon ne saurait accepter cette circularité : processus temporel, avec un début et une fin, une recherche a nécessairement une ou des prémisses.
Dans une perspective rationaliste, il va de soi que labsence de théorie ou de problématique explicite nest pas acceptable : soit on accepte labsence dun cadre recteur, et dans ce cas on ne peut produire au mieux que de la « description » incohérente ou impossible à comparer ; soit on masque une intention implicite et cela jette le soupçon sur lhonnêteté ou la régularité des opérations à luvre. On touche là un très vaste débat, qui dépasse de loin le cadre des « niveaux danalyse » ou de la géographie
Je conclurai ces réflexions sur le rôle heuristique des « échelles » en insistant sur lalternative quelles représentent face à une « ontologie scalaire » que je me suis efforcé de mettre à jour dans le cur de mon cours. Quelle que soit la conception de la géographie que nous défendions, nous ne sommes pas obligés de penser quil y a des niveaux dobservation intangibles. Au contraire, nous pouvons faire lhypothèse que la définition dun ou de plusieurs niveaux ici et maintenant fait partie de ce quil faut sans cesse remettre sur le métier. Dans une géographie proprement humaine, ou sociale, il y a des niveaux plus évidents que dautres : lindividu, le groupe, la société. Encore faudrait-il être certain que ces niveaux de socialisation peuvent être réifiés en lespèce despaces (ou de territoires). Certains franchissent le pas avec allégresse. Font-ils uvre utile ? ou convaincante ? Cest un autre débat.
3°) Les échelles et la dialectique tout/partie
Une autre façon de repenser la question des échelles/niveaux dobservation a été suggérée par Marie-Claire Robic dans un article récemment diffusé sur Cybergéo, que je vous recommande daller consulter. Elle y affirme que « linterrelation entre tout et parties est lune des composantes récurrentes de la réflexion sur la proportion et sur léchelle » (p. 2), renvoyant sur ce point à des réflexions du poéticien Philippe Hamon. Il me semble que nous tenons là une piste très suggestive pour inscrire dans des temporalités plus larges la réflexion amorcée sous une forme explicite par J. Tricart en 1952. Effectivement, lacte consistant à désigner un tout et à en rechercher les constituants, ou à examiner les rapports de proportionnalité, dinclusion, etc., entre un ensemble géographique et ses principaux sous-ensembles, sont des opérations omniprésentes dans la géographie, quelle soit « classique », « nouvelle » ou « du vécu ».
Ailleurs, je me suis efforcé de montrer à quel point le fractionnement infini des objets régionaux était un stratagème récurrent de la géographie classique visant à pallier limpossible exhaustivité de la description par une procédure de décomposition analytique. Raisonnée ou non justifiée, celle-ci a un caractère omnipotent et fonctionne comme une espèce dalgorithme, avec une forte proportion de fractionnements régionaux. À cette enseigne, la critique dY. Lacoste quant au caractère « monoscalaire » de la géographie traditionnelle me semble intenable, car elle fait limpasse sur les procédures en question. Cela permettrait également déclairer dune autre manière linjonction multiscalaire, dans la mesure où la littérature disciplinaire régionale pratique de facto cette variation de niveaux tout en sinterrogeant parfois sur des régimes darticulation (par le climat, par les différenciations orographiques, par les « peuples », etc.). Il y aurait là de quoi écrire de nouveaux et nombreux paragraphes
Pour tenter une synthèse forcément réductrice, jaurais tendance à me demander si une échelle géographique ne serait pas en définitive une situation déterminée darticulation entre un « espace géographique » et ses sous-composantes spatiales, considérée par certains (réalistes) comme un donné et par dautres (constructivistes) comme un construit de recherche. Alors, le changement déchelle consisterait à abandonner le statut de « boîte noire » des sous-composantes et à les décomposer à leur tour, au nom du caractère éclairant (heuristique ?) de cette entreprise seconde. Pour bon nombre de théories épistémologiques, cette effraction des boîtes noires est considérée comme lune des pires formes de laxisme méthodologique qui se puisse concevoir et la porte ouverte à bien des dérives
En géographie en revanche, nombreux sont les auteurs à avoir loué les vertus de cette pratique. Le débat nest pas clos.
4°) Échelles et fractalité
Dans une même optique non doctrinale, on pourrait présenter une posture alternative, plus ou moins indifférente aux échelles telles quévoquées précédemment, et qui a trouvé une justification récente dans la géométrie fractale. Elle consiste à supposer léquivalence de tous les niveaux dobservation pour exercer une opération géographique (décrire, identifier une personnalité régionale ou une « situation » complexe, mettre à jour des structures spatiales, etc.). On pourrait aussi montrer que cet abord trans-scalaire na pas attendu la géométrie fractale pour se développer et nest pas forcément perçu comme incompatible avec les préconisations sur la nécessaire variation des niveaux dobservation. Toute la partie structurale de lanalyse spatiale, fondée sur le formalisme géonomique points (peuplement) / lignes (réseaux) /surfaces (espaces homogènes) peut être conçue de la sorte. La chorématique saffranchit elle-aussi souvent de la contrainte scalaire.
Conclusion
Ce qui ressort de cet examen de la conceptualisation des échelles dans la géographie française est une irréductibilité des définitions et des usages à un concept unique, et ce malgré diverses tentatives, dont la profondeur et la force de conviction est malheureusement inversement proportionnelle à leur succès. Il nest quà comparer les élaborations presque contemporaines dYves Lacoste dune part et de nos trois géographes « suisses » de lautre : la position du premier est fameuse et je la tiendrais volontiers pour lune des références implicites de la « vulgate multiscalaire » (sachant quune vulgate na pas forcément besoin de textes canoniques pour être agissante) ; celle de Jean-Bernard Racine, Claude Raffestin et V. Ruffy, à bien des égards plus riche, plus ambitieuse, est demeurée pour le moins confidentielle. Il faut dire quelle est nettement plus dérangeante. Par delà sa phraséologie démystificatrice, la ligne que défend Y. Lacoste conforte (en toute ignorance et bonne foi ?) une orthodoxie méthodologique fondée sur la référence cartographique. Alors que la reformulation proposée dans Helvetica nous invite à nous affranchir radicalement des repères et conforts que les échelles avaient jusque là sembler garantir. Peut-être pêche-t-elle par ce qui fait son charme : un formalisme qui peine à justifier son caractère fécond. Il nempêche que lon aimerait être plus souvent surpris par les réflexions des géographes français sur le sujet.
J. Tricart, « La géomorphologie et la notion déchelle », Revue de Géomorphologie dynamique, 1952, V, n°5, p. 213-218.
Cf. le cours de F. Durand-Dastès dans le fascicule 1 du présent cours dagrégation.
On pourra à ce propos consulter un précédent cours du CNED, dû à Gérard Hugonie, « Phénomènes naturels et causalité en géographie » (N 6106 T 02 405), ainsi que les différents manuels inspirés par un projet similaire, tel G. Rougerie et N. Beroutchachvili, Géosystèmes et paysages, Paris, Armand Colin, « U », 1991.
Cette évocation na rien dinnocent : J. Tricart était un marxiste revendiqué, qui avait pour projet de faire de la géographie une science « matérialiste », suivant une norme empruntée à Marx et aux formulations des philosophes soviétiques.
Idem, J. Tricart, op. cit., 1952, p. 213.
Pour autant, la « schématisation » quil revendique ne va pas de soi, puisquil lui faut en passer par une métaphore « grossière[...] » (le tamis de la granulométrie) pour lexpliciter. Labstraction attachée aux échelles telles que lauteur les envisage est en quelque sorte désamorcée par la concrétude de lanalogie, qui renvoie à une expérience plus familière.
Lun des horizons de larticle est de circonscrire le champ dapplication de la morphométrie, discipline visant à mesurer, modéliser et comparer les formes.
J. Tricart, op. cit., p. 217.
Dautres notations incidentes vont dans le même sens positiviste : « L'absolu, en effet, n'existe pas en matière scientifique et toute connaissance ne peut être que relative fondée sur l'observation d'un contraste, d'une différence
» (p. 213).
Cest-à-dire littéralement « transformer en chose » (Le Robert) : on en revient à ce qui a été dit plus haut du statut de lespace et du temps.
G. Bertrand, « Paysage et géographie physique globale », Revue de Géographie des Pyrénées et du sud-ouest, 1968, n°3, p. 249-272.
Il y a divers textes intermédiaires, dont J. Tricart et A. Cailleux, « Le problème de la classification des faits géomorphologiques », Annales de Géographie, n°349, mai-juin 1956, p. 162-186, spéc. 179-186. Mais
Idem. Cest moi qui souligne.
Idem, p. 256.
Phénomène intéressant, larticle est suivi dune note de lecture de J. Tricart intitulée « Quelques réflexions suggérées par larticle de G. Bertrand », dans laquelle il revient longuement sur les « niveaux taxonomiques » après avoir déploré quil y ait là une « notion essentielle et trop négligée ».
Terme grec signifiant « doctrine » ou « foi », que lon retrouve dans « orthodoxie ». Lune des caractéristiques justifiant son usage est lidée dindiscutabilité à priori. La doxa doit être acceptée en bloc.
R. Brunet, « Le quartier rural, structure régionale », Revue de Géographie des Pyrénées et du sud-ouest, vol. 40, 1969, n°1, p 81-100.
En 1966, Roger Brunet a quitté Toulouse pour Reims, où il a été recruté sur un poste de professeur.
R. Brunet, « Le quartier rural, structure régionale », op. cit. Cest lauteur qui souligne. Jai converti les notes de bas de page de lédition originale en références à langlaise dans le corps de la citation.
Cet adjectif a été forgé par R. Brunet pour faire pièce aux expressions « région homogène » et « région uniforme ». Il sagit de désigner une classe dobjets régionaux ayant la même structure (sociale, productive, etc.).
R. Brunet, « Le quartier rural, structure régionale », op. cit, p. 86. Cest moi qui souligne.
De ce point de vue, ce nest pas sans analogie avec leffet produit par les jeux déchelles de certains praticiens de la géographie
Olivier Dollfus Lespace géographique, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1970.
Olivier Dollfus, Lanalyse géographique, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1971.
Sous une forme « simplifiée » et un titre modifié : l« échelle » (des ensembles spatiaux isoschèmes) est devenue « échelles ».
Notez à quel point lassimilation est faite. « Ordres de grandeur » et « espaces géographiques » sont confondus.
Olivier Dollfus Lespace géographique, op. cit., p. 24-25.
Idem, p. 22-23.
O. Dollfus, Lanalyse géographique, op. cit., p. 36-37.
Idem, p. 37.
Idem, p. 42. Lexpression finale est emblématique de cette posture « réaliste » de la géographie classique que jai étudiée dans larticle « Les postvidaliens et le plain-pied du monde. Pour une histoire de la géo-graphie », dans J. Lévy & M. Lussault, dir., Logiques de lespace, esprit des lieux. Géographies à Cerisy, Belin, coll. « Mappemonde », 2000, p. 93-109.
Sur la distinction expliquer/comprendre, je vous renvoie au classique de Karl Otto Appel, Expliquer-comprendre, Paris, éds du CERF, 2000, ainsi quaux travaux de Jean-Marc Besse, « Problèmes épistémologiques de lexplication », Géopoint 2000. Lexplication en géographie, p. 11-18 et « Lintelligibilité du monde humain », in M.-C. Robic, dir., Géographie. Déterminisme, possibilisme, approche systémique, Cours CNED, 2001, fascicule I, « Généralités épistémologiques », 2e partie, p. 1-22.
Cf. O. Orain, « Une clinique par les formes », à paraître dans les actes du Géopoint 2004, La Forme en géographie.
On peut définir la clinique avec Le Robert comme l« ensemble de données obtenues par lobservation directe du malade », mais tant en médecine quen psychothérapie ou quen sociologie (J.-C. Passeron), le terme désigne un diagnostic portant sur un cas qui associe référence à des répertoires (classifications) et souci de la particularité.
Mot qui vient du grec krineïn, « juger comme décisif », dont dérivent kritikos et diakritikos, « qui distingue »
De labile, « qui est sujet à changer », « peu stable ».
M.-C. Robic, « Note sur la notion déchelle dans la géographie française de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle », Cybergeo, n° 264, 24/03/2004, 7 p. (p. 1).
Y. Lacoste, « L'escamotage du problème capital des échelles, c'est-à-dire de la différenciation des niveaux d'analyse », chapitre VI de La géographie, ça sert dabord à faire la guerre, Maspero, 1976, p. 61-72.
Il ny a là rien de spécifique. Dun certain point de vue, le cas d« échelle » est relativement modeste, comparé à ce qui se passe pour des termes plus centraux, notamment ceux qui servent à désigner lobjet de connaissance de la discipline.
Cf. O. Orain, Le plain-pied du monde. Postures épistémologiques et pratiques décriture dans la géographie française au xxe siècle, thèse de doctorat, M.-C. Robic, dir., univ. de Paris I, 2003, spéc. les chapitres IV à VII.
J.-B. Racine, C. Raffestin, & V. Ruffy, « Échelle et action, contributions à une interprétation du mécanisme de léchelle dans la pratique de la géographie », Helvetica, n°5, 1980, p. 87-94. Voir aussi ce quen dit N. Verdier dans son cours au point IV.3.
J.-B. Racine, C. Raffestin, & V. Ruffy, op. cit., p. 87.
Cf. entre autres J.-B. Racine, « Nouvelle frontière pour la recherche géographique », Cahiers de géographie du Québec, XIII, n° 29, 1969, p. 135-168 ; C. Raffestin, « Les construits en géographie humaine : notions et concepts », dans Groupe Dupont, Géopoint 78, Concepts et construits dans la géographie contemporaine, p. 55-73 ; J.-P. Ferrier, J.-B. Racine & C. Raffestin, « Vers un paradigme critique : matériaux pour un projet géographique », LEspace géographique, VII, 1978, n° 4, p. 291-297 ; A. Bailly, C. Raffestin, & H. Reymond, « Les concepts du paysage : problématique et représentations », LEspace géographique, IX, 1980, n° 4, p. 277-286.
« Classe » est à prendre ici dans un sens non positiviste (une catégorie artificielle-logique quon se donne à priori) mais réaliste (il y a des catégories en soi dans la nature que lon retrouve en groupant les individus similaires).
Ce qui est en loccurrence la perspective de J.-B. Racine, C. Raffestin et V. Ruffy.
J.-B. Racine, C. Raffestin, & V. Ruffy, op. cit., p. 87.
Idem, p. 89-90.
T. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, coll. « Champs », 1983.
Encore quil faille éviter les anachronismes : le texte sur lequel nous travaillons date dil y a presque vingt-cinq ans. À lépoque, le livre de T. Kuhn navait pas encore été traduit. J.-B. Racine le connaissait (ainsi quen attestent des textes antérieurs).
Y. Lacoste, « L'escamotage du problème capital des échelles, c'est-à-dire de la différenciation des niveaux d'analyse », Chapitre VI de La géographie, ça sert dabord à faire la guerre, Maspero, 1976, p. 64-65.
Y. Lacoste, op. cit., p. 69-70.
En épistémologie, on distingue fort communément les « inductivistes », qui pensent que les lois générales ne peuvent être établies que sur la base dune mise en série de « cas », sans idée préconçue du chercheur, alors que les rationalistes postulent au contraire la nécessité dune théorie préalable, sans laquelle il ne saurait y avoir de définition dun cadre expérimental.
Y. Lacoste, op. cit., p. 67-68.
Marie-Claire Robic, « Note sur la notion déchelle dans la géographie française de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle », Cybergeo, n° 264, 24/03/2004, 7 p.
Ph. Hamon, « La hiérarchie : littérature et architecture : tout, parties, dominante », dans P. Boudon, dir., De larchitecture à lépistémologie. La question de léchelle, Paris, PUF, 1991, p. 147-166.
Entre autres dans « Les motivations du discours géographique. Contribution à une étude textuelle des écrits des géographes postvidaliens », dans G. Nicolas-Obadia, dir., Geographie(s) et langage(s) : interface, représentation, interdisciplinarité, Institut universitaire Kurt Bösch, Sion, Suisse, 1999, p. 155-169.
Létude de travaux divers danalyse spatiale nous révèlerait également des jeux déchelles assez divers, souvent dans une perspective heuristique et non doctrinale. Mais je ne voudrais pas expédier en deux phrases ou deux paragraphes une question qui mériterait un cours à elle seule
Une « boîte noire » est une partie que lon se refuse dexaminer pour elle-même et qui nintéresse quen tant quelle participe dun ensemble (ou dun système)
Voir P. & G. Pinchemel, La Face de la terre. éléments de géographie, Paris, Armand Colin, 1988, Livre II, « Lespace, création des sociétés humaines », p. 60-217.
Cf. R. Brunet, Le déchiffrement du monde, Paris, Belin, coll. « Mappemonde », 2001.
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