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communaute française de belgique - TEL (thèses

Répartition des échantillons de lait collectés par classe selon leur qualité physico - ..... dont la finalité est d'aboutir à l'amélioration de l'état du sujet qu'elle étudie. .... sur la base d'un examen de pratiques observées et d'enquêtes auprès des ...... productions animales uniquement basés sur de plus intenses prélèvements sur ...




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COMMUNAUTE FRANçAISE DE BELGIQUE
Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux
Unité de Zootechnie

Typologie des systèmes d’élevage bovin laitier au Maroc en vue d’une analyse de leurs performances


Mohamed Taher Sraïri


Dissertation Originale présentée en vue de l’obtention du grade de Docteur en sciences agronomiques et ingénierie biologique



Promoteur :
Professeur André Théwis





- 2004 -



COMMUNAUTE FRANçAISE DE BELGIQUE
Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux
Unité de Zootechnie

Typologie des systèmes d’élevage bovin laitier au Maroc en vue d’une analyse de leurs performances





Mohamed Taher Sraïri


Dissertation Originale présentée en vue de l’obtention du grade de Docteur en sciences agronomiques et ingénierie biologique


Promoteur :
Professeur André Théwis





- 2004 -























Copyright. Aux termes de la loi belge du 22 mars 1886 sur le droit d’auteur, seul l’auteur a le droit de reproduire cet ouvrage ou d’en autoriser la reproduction de quelque manière et sous quelque forme que ce soit. Toute photocopie ou reproduction sous autre forme est donc faite en violation avec la loi.
Sraïri Mohamed Taher (2004). Typologie des systèmes d’élevage bovin laitier au Maroc en vue d’une analyse de leurs performances (thèse de Doctorat). Gembloux, Faculté universitaire des Sciences agronomiques. 200 pages, 45 tableaux, 29 figures.

Résumé :

Une grande diversité des types d’élevage bovin laitier existe au Maroc. Afin d’en clarifier les performances zootechniques et d’en saisir les performances économiques, une série de suivis d’élevage a été mise en œuvre, dans le cadre de l’application d’une démarche de type systémique dans différentes zones agro -écologiques du pays : la zone suburbaine de Rabat - Salé et le périmètre irrigué du Gharb. L’élaboration d’une typologie de fonctionnement des étables a ainsi montré la grande similarité des classes d’élevage par région : la présence de fermes de type allaitant, suivie de nombreuses fermes déficitaires en raison de gaspillages des ressources alimentaires, des concentrés notamment, de fermes produisant du lait avec peu de concentrés se regroupant sous l’appellation « élevage extensif » et de très rares étables qui peuvent être considérées comme spécialisées en lait. Paradoxalement, il a même été démontré que l’élevage laitier semblait plus intensif en zone suburbaine qu’en irrigué, dû aux facilités financières des éleveurs citadins pour l’achat d’aliments concentrés. Le détail des pratiques d’élevage et de leurs incidences a révélé le caractère singulier de la production laitière dans des étables étatiques où le pic d’intensification atteint est entièrement tributaire d’un milieu d’élevage entièrement artificiel : concentrés et traitements vétérinaires. Dans la région d’agriculture totalement pluviale de Ben Slimane, cette logique d’intensification bute sur l’aléa climatique et rend les résultats économiques très vulnérables, car pour maintenir un niveau de rendement laitier élevé, il ne peut y avoir d’autre voie que le recours aux concentrés. Enfin, en région suburbaine, les données structurelles des étables font qu’elles pratiquent dans leur majorité un élevage « hors - sol », lui aussi très dépendant des apports en concentrés. Les conséquences sur la qualité du lait sont néfastes, puisque le taux butyreux est inférieur à la norme minimale acceptable par les usines laitières au Maroc, de 35 g/kg dans 2 des 5 fermes étudiées. La qualité hygiénique du lait est mauvaise pour tous les échantillons considérés, sans aucune exception. L’ensemble de ces considérations imposent de penser à des stratégies d’appui technique prenant en compte cette diversité d’étables et de logiques d’élevage, même en proposant des rations riches en concentrés, pour améliorer la productivité laitière et la rentabilité du cheptel bovin.






Sraïri Mohamed Taher (2004). Typology of dairy cattle systems in Morocco for the analysis of their performances (Ph. D. thesis). Gembloux, Faculté universitaire des Sciences agronomiques. 200 pages, 45 tables, 29 figures.

Abstract :

A great diversity of cattle rearing practices prevails in Morocco. In order to clarify their consequences on dairy farms technical performances (milk yield and reproduction traits) and economic profitability, a series of follow-up were achieved. This consisted in an application of a systemic approach to dairy farms located in two different regions of the country: Rabat - Salé as a suburban area and the Gharb plain as an irrigated perimeter. The design of a typology of farms has revealed important similarities between regions. There were farms with a beef orientation, and numerous farms which could be qualified as concentrates wasters and who had consequently negative profitability, and also farms who adopted extensive milk production, mainly based on roughages. The last category gathered very few farms which could be considered as dairy specialised units. Paradoxically, it was shown that milk yield per cow was better in suburban zone than in the irrigated plain because of farmers’ abilities to purchase additional concentrates. Whenever detailing rearing practices and their consequences, it appears that state farms illustrate a singular way of dairying in Morocco, as the peak of intensification they represent was totally linked to artificial conditions: huge amounts of concentrates per cow and heavy veterinary treatments. In the Ben Slimane rainfed agricultural plateau, this logics of intensive dairy farming had a severe constraint: drought which affects profitability per cow and induces purchases of concentrates as the only way to maintain high milk yields (> 5 000 kg) per cow. Finally, in the suburban area, it has been shown that milk production relies mainly on concentrates purchases, as farms are generally suffering from limited forage area. Consequences on milk quality are dramatic, as fat content does not respect normal value of 35 g/kg in two out of five farms. On another hand, milk hygienic quality can be described as very poor in all the studied farms. All together, these conclusions dictate adapted development measures for each of the identified groups, with a particular accent on equilibrated rations even with high levels of concentrates. This would be compulsory to improve the average milk yield per cow and to maintain profitable farms.






























Table des matières

Introduction généralep. 1Partie I. Problématique et cadre théorique des analyses systémiquesp. 9 I. 1 Problématique généralep. 10I. 2 Recherches systémiques et élevage bovin laitierp. 13I. 2. 1 Introductionp. 13I. 2. 2 Terminologie et concepts des recherches sur les systèmes agricolesp. 15I. 2. 3 Déterminisme et évolution des recherches sur les systèmes agricolesp. 19I. 2. 4 Applications des recherches sur les systèmes agricoles aux activités d’élevagep. 20I. 2. 5 Outils et méthodes des recherches sur les systèmes d’élevage : cas des bovins laitiersp. 24I. 2. 6 Atouts et limites des recherches sur les systèmes d’élevage laitierp. 29I. 2. 7 Conclusionp. 32Partie II. Evolutions des filières laitières au Maghrebp. 35II. 1 Étude des filières laitières maghrébines : introductionp. 36II. 2 Cadre naturel de l’agriculture et de l’élevage au Maghrebp. 38II. 3 Politiques laitières dans les pays du Maghrebp. 42II. 4 Performances des filières laitières au Maghrebp. 46II. 5 Développement des filières laitières au Maghrebp. 55II. 6 Conclusions : perspectives des filières au Maghrebp. 57Partie III. Etablissement de typologies d’élevages de bovins au Marocp. 59III. 1 Etablissement de typologies d’étables au Maroc : hypothèses et modalités de travailp. 60III. 2 Typologies d’élevages bovins dans la zone suburbaine de Rabat - Salép. 63III.2.1 Introductionp. 63III.2.2 Présentation de la zone d’étude et méthodologiep. 63III.2.2.a Zone d’étudep. 63III.2.2.b Méthodologiep. 65III.2.3 Résultats et discussion p. 67III.2.3.a Caractéristiques générales des exploitations suburbainesp. 67III.2.3.b Analyses statistiques multidimensionnellesp. 68III.2.3.c Discussionp. 73III.2.4 Conclusionp. 76III. 3 Typologie d’élevages bovins dans le périmètre irrigué du Gharbp. 78III.3.1 Introductionp. 78III.3.2 Présentation de la zone du Gharb et méthodologiep. 78III.3.2.a La zone du Gharbp. 78III.3.2.b Méthodologiep. 80III.3.3 Résultats et discussionp. 82III.3.3.a Caractéristiques générales des exploitations pratiquant l’élevage bovin dans le périmètre du Gharbp. 82III.3.3.b Analyse de la diversité des exploitations d’élevage bovin : la typologie p. 83III.3.3.c Les stratégies des éleveurs : l’analyse des cas types p. 88III.3.3.d Lait et/ou viande ? Les perspectives d’avenirp. 92III.4 Analyse comparative des systèmes d’élevage bovin en zones irriguée et suburbainep. 95III.4.1 Introductionp. 95III.4.2 Méthodes de travailp. 95III.4.2.a Echantillon d’étudep. 95III.4.2.b Comparaison intra et inter régionp. 96III.4.3 Résultats et discussionp. 97III.4.3.a Aperçu général sur les caractéristiques des exploitations et des performances laitièresp. 97III.4.3.b Evaluation des différences entre régions de l’activité laitière des exploitations agricolesp. 99III.4.3.c Résultats des analyses statistiques multidimensionnellesp. 100IV.4.3.d Discussion des résultats de la typologie comparative des étables laitières à Rabat - Salé et dans le Gharbp. 106III.4.4 Conclusion p. 108III. 5 Synthèse générale des typologies d’élevage bovin et implications pour des études de casp. 110Partie IV. Etudes de cas d’élevages de bovins laitiers au Marocp. 113IV.1 Performances et modalités de l’élevage laitier en étables étatiques : cas de six fermes de la SODEAp. 114IV.1.1 Introductionp. 114IV.1.2 Méthodologie de l’étudep. 114IV.1.2.a Bilan de diagnostic de gestionp. 114IV.1.2.b Analyse des performances par les paramètres de conduitep. 116IV.1.2.c Analyses statistiquesp. 117IV.1.3 Résultats des étables laitières étatiquesp. 117
IV.1.3.a Pratiques d’élevage et performances des vaches sur les Unités de Production étudiées
p. 117IV.1.3.b Performances de production et alimentation des vaches laitièresp. 119IV.1.3.c Performances de reproductionp. 120IV.1.3.d Performances économiques du cheptel bovinp. 121IV.1.3.e Facteurs explicatifs des performances des vaches par unité de productionp. 122IV.1.3.f Classement des unités de productionp. 125IV.1.4 Conclusionp. 127IV.2 Résultats économiques et techniques d’une unité de production laitière dans la région d’agriculture pluviale de Ben Slimanep. 128IV.2.1 Introductionp. 128IV.2.2 Présentation générale de la région de Ben Slimane et de l’exploitation étudiéep. 128IV.2.3 Analyse des paramètres de production et de rentabilité de l’étable de la zone pluvialep. 130IV.2.4 Le troupeau bovin et les variations de ses performances de production et de rentabilitép. 131IV.2.5 Conclusionp. 136IV.3 Suivi continu d’élevages laitiers suburbains : résultats de sept étables p. 137IV.3.1 Introductionp. 137IV.3.2 Méthodologie de l’étudep. 137IV.3.3 Situation générale des exploitations et de leurs moyens de productionp. 138IV.3.4 Alimentation, production laitière et reproduction du cheptel bovin des fermes suburbainesp. 139IV.3.5 Evaluation des résultats économiques des fermes laitières suburbainesp. 142IV.3.6 Modélisation du rendement laitier moyen par vachep. 142IV.3.7 Conclusionp. 144IV.4 Incidences des pratiques d’élevage sur la qualité du lait dans cinq étables suburbaines de Rabat - Salép. 145IV.4.1 Introductionp. 145IV.4.2 Méthodologie de l’étudep. 145IV.4.3 Résultats et discussionp. 147IV.4.3.a Performances de production des fermes étudiées et évaluation de la qualité du laitp. 147IV.4.3.b Pratiques d’élevage et qualité du lait : établissement d’une typologie de laits au Marocp. 155IV.4.4 Conclusionp. 159Partie V. Conclusion générale et recommandationsp. 161V.1 Conclusion généralep. 162V.2 Recommandationsp. 167 Publications en relation avec la thèse et références bibliographiquesp. 177VI.1 Publications en relation avec la thèsep. 178VI.2 Références bibliographiques consultéesp. 181



















Liste des tableaux

Tableau 1. Quelques exemples de liens linguistiques entre les mots « cheptel » et « richesse »p. 15Tableau 2. Classification des interactions au sein d’un système de production agricolep. 16Tableau 3. Matrice pour la représentation des systèmes d’élevagep. 22 Tableau 4. Caractéristiques schématiques de deux démarches différentes pour la recherche et l’actionp. 27Tableau 5. Les composantes, éléments et paramètres des systèmes d’élevagep. 30Tableau 6. Implications des caractéristiques des élevages sur les essais en milieu paysanp. 32 Tableau 7. Variations des précipitations au Maroc : cas des stations de Rabat - Salé et de Béni Mellalp. 40Tableau 8. Niveau d’importation des produits laitiers dans les pays du Maghrebp. 43 Tableau 9. Evolution de l’importation de génisses laitières au Marocp. 47Tableau 10. Evolution des importations de poudre de lait industriel au Marocp. 48 Tableau 11. Evolution de la consommation des produits laitiers au Marocp. 49Tableau 12. Ecarts entre les prix à la production et à la consommation au Marocp. 50 Tableau 13. Prix à la production et coûts de production de denrées agricoles de base en Tunisie en dinars par tonne (année 1975)p. 53Tableau 14. Variables décrivant les fermes laitières suburbaines et leurs symbolesp. 66Tableau 15. Caractéristiques générales des étables de la région de Rabat – Salép. 67Tableau 16. Résultats de l’ACP - Définition des axes : Région de Rabat – Salép. 69 Tableau 17. Eléments d’élaboration de la typologie des étables laitières de la région de Rabat – Salép. 73Tableau 18. Contribution des variables aux axes de l’ACP : région du Gharbp. 83 Tableau 19. Les différents types d’éleveurs de bovins dans l’arrondissement de Sidi Allal Tazi (périmètre du Gharb)p. 85Tableau 20. Caractéristiques des cas - types d’élevages bovins du périmètre irrigué du Gharbp. 92Tableau 21. Variables décrivant les fermes laitières des zones suburbaine de Rabat - Salé et irriguée du Gharb et leurs symbolesp. 97Tableau 22. Paramètres moyens de structure et de fonctionnement décrivant les 118 fermes laitières étudiées dans les zones suburbaine et irriguéep. 98 Tableau 23. Comparaison générale des fermes laitières au périmètre irrigué du Gharb et dans la ceinture suburbaine de Rabat – Salép. 99Tableau 24. Résultats de l’ACP intra région : définition des axesp. 103Tableau 25. Caractéristiques moyennes des types d’élevage bovin identifiés par la classification ascendante hiérarchiquep. 105Tableau 26. Valeurs énergétiques des aliments utilisés et quantités moyennes ingérées par les vachesp. 116Tableau 27. Superficie et occupation du sol dans les six étables étatiques étudiéesp. 118 Tableau 28. Races et effectifs des vaches dans les six étables étatiques étudiéesp. 118Tableau 29. Caractérisation de l'alimentation des vaches laitières dans chaque unité de production (moyennes et écarts types)p. 119 Tableau 30. Performances moyennes de reproduction du cheptel bovin dans les six étables étatiques (écarts types)p. 121Tableau 31. Performances économiques moyennes de la production laitière dans les six étables étatiques (écart type)p. 122 Tableau 32. Comparaison des étables étatiques par rapport à leur productivité laitière et aux résultats de reproduction des vachesp. 126Tableau 33. Variations de l'assolement et de l’alimentation des vaches de 1994/95 à 1996/97 dans une exploitation laitière de Ben Slimanep. 132 Tableau 34. Test d indépendance statistique (Dz) de la monte naturelle par rapport à l insémination artificiellep. 133Tableau 35. Rentabilité de la production laitière au cours des trois années d'étude de l'élevage de Ben Slimanep. 135 Tableau 36. Paramètres structurels des fermes suburbaines étudiéesp. 139Tableau 37. Paramètres d’alimentation des vaches dans les fermes suburbaines étudiéesp. 139 Tableau 38. Caractéristiques de la reproduction et rendement laitier par vache des fermes suburbainesp. 141Tableau 39. Performances économiques des vaches laitières dans les fermes suburbainesp. 142Tableau 40. Caractéristiques structurelles des élevages suburbains étudiés pour leurs paramètres de qualité du laitp. 148 Tableau 41. Caractérisation de l’alimentation et des performances laitières des vaches en étables suburbainesp. 151Tableau 42. Paramètres économiques de la production laitière dans les étables suburbainesp. 152Tableau 43. Caractéristiques des différentes classes de qualité du lait en élevages suburbainsp. 154 Tableau 44. Répartition des échantillons de lait collectés par classe selon leur qualité physico-chimiquep. 157 Tableau 45.Caractéristiques des différentes classes de qualité du lait en étables suburbainesp. 159 














Liste des figures

Figure 1. Représentation simplifiée des différences entre les systèmes agricoles des pays développés et les systèmes agricoles plus extensifs et multifonctionnels des pays en développementp. 24 Figure 2. Evolution de la production laitière bovine dans les pays du Maghrebp. 46 Figure 3. Evolution de la taille du cheptel bovin dans les pays du Maghrebp. 47Figure 4. Evolution des indices des prix unitaires du lait à la production et de la poudre de lait importée en Algériep. 51 Figure 5. Evolution des indices des prix de l’aliment pour vache laitière et du lait à la production en Algériep. 51Figure 6. Evolution des indices de la production du lait de vache et du prix du lait perçu par les éleveurs en Algériep. 52 Figure 7. Localisation des zones d’établissement de typologies d’élevages bovins au Marocp. 61Figure 8. Carte administrative de la région de Rabat – Salép. 64Figure 9. Projection des variables techniques et économiques des fermes laitières suburbaines sur les axes factoriels 1 et 2 définis par l’ACPp. 69Figure 10. Projection des groupes de fermes laitières sur le plan principal défini par l’ACPp. 71Figure 11. Représentation synthétique de la typologie des élevages laitiers suburbainsp. 72 Figure 12. Carte administrative du périmètre irrigué du Gharbp. 80Figure 13. Cercle des corrélations des variables de l’ACP : étables dans la zone irriguée du Gharbp. 84 Figure 14. Représentation schématique de la typologie des élevages bovins dans le Gharbp. 85Figure 15. Gradients de production de lait et de viande dans les différents systèmes d’élevage bovin au Gharbp. 88Figure 16. Projection des variables sur l’axe factoriel issu de l’ACP inter régionsp. 101Figure 17. Projection des exploitations des régions suburbaine de Rabat - Salé (R) et irriguée du Gharb (G) sur l’axe factoriel issu de l’ACP intra régionsp. 102 Figure 18. Projection des variables techniques et économiques caractérisant les fermes laitières sur le plan principal défini par l’ACP intra régionsp. 104Figure 19. Localisation des UP laitières de la SODEA étudiéesp. 115Figure 20. Effets des quantités de concentrés par kg de lait sur la moyenne économique dans les étables étatiquesp. 122Figure 21. Relation entre la moyenne économique et la consommation moyenne annuelle de concentrés par vache dans les étables étatiquesp. 123Figure 22. Incidence de la consommation de concentrés par kg de lait sur le bénéfice moyen par vache dans les étables étatiquesp. 124 Figure 23. Effet de la durée du travail (en jours) par Unité Gros Bétail bovine sur le bénéfice par vache dans les étables étatiquesp. 125Figure 24.Situation de l’exploitation laitière étudiée en zone d’agriculture pluvialep. 129Figure 25. Structure du produit brut (A) et des charges d'élevage bovin (B) dans une exploitation laitière de la zone pluviale de Ben Slimanep. 134Figure 26. Corrélation entre le rendement laitier et la consommation de concentrés par vache en étables suburbainesp. 143 Figure 27.Calendrier fourrager des fermes laitières suburbaines étudiées pour leurs paramètres de qualité du laitp. 149Figure 28. Variations des taux butyreux et protéiques annuels moyens en fonction des exploitations étudiéesp. 153 Figure 29.Projection des variables de qualité du lait sur le plan principal de l’ACPp. 156 




Liste des abréviations

ACP : Analyse en Composantes Principales
APV : Age au Premier Vêlage
BV : Bénéfice par Vache
CAH : Classification Ascendante Hiérarchique
CAT : Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales (%)
CIHEAM : Centre International des Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéennes
CV : Coefficient de Variation
DH : Dirham marocain (au 1er novembre 2004, 1Euro = 11,22 Dirhams)
DPA : Direction Provinciale de l’Agriculture
FCC : Ratio Fourrages/Concentrés dans le bilan énergétique global des vaches
FEZ : Fédération Européenne de Zootechnie
FMAT : Flore Mésophile Aérobie Totale
IA : Insémination Artificielle
IVV : Intervalle vêlage - vêlage
j : jour
MADR : Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural
MADREF : Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural, des Eaux et Forêts
MAMVA : Ministère de l’Agriculture et de la Mise en Valeur Agricole
MARA : Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire
ME : Moyenne Economique
ORMVA : Offices Régionaux de Mise en Valeur Agricole
PCC : Pourcentage des apports énergétiques dus aux concentrés dans les rations de vaches laitières
PRK : Prix de Revient du kg de lait
PSB : Pulpe Sèche de Betterave
RSA : Recherches sur les Systèmes Agraires
RSE : Recherches sur les Systèmes d’Elevage
SAU : Superficie Agricole Utile
SFP : Surface Fourragère Principale
SODEA : Société du Développement Agricole
UFC : Unités Formant Colonie
UFL cc/kg lait : Nombre d’UFL des concentrés par kg de lait produit
UFL cc/v/an : Nombre d’UFL des concentrés par vache et par an
UFL : Unités Fourragères Lait
UGB : Unité Gros Bétail
UP : Unité de Production
UTH : Unités de Travail Humain
VAL : Valeur des ventes d’Animaux (Bovins) par rapport aux ventes de Lait (%)
VIR : Variation d’Inventaire Relative
VP : Vaches Présentes
VT : Vaches Traites
Dédicaces

A mes très chers parents, pour tous les efforts que vous avez consentis pour mon éducation et ma formation.

A mon frère Ikbal et à ma sœur Selwa et aux membres de leur petite famille respective. En témoignage de votre constante attention à mon égard, moi l’aîné, éternel égaré.

A ma grand-mère Aïcha, qui m’a inculqué à un âge très sensible la recherche de la perfection et dont la sagesse n’a d’égale que la gentillesse. Puisse Allah exaucer toutes tes prières et t’accorder santé et longue vie.

A tous les membres de ma grande famille, pour vos encouragements et votre présence aux moments les plus durs.

A tous mes amis et à ceux qui m’ont permis de parachever ce travail sans jamais me décourager. Les citer exhaustivement serait trop long. Ils se reconnaîtront.














Remerciements

Placée sous le sceau de ma responsabilité personnelle, cette thèse doctorale n’en est pas moins le fruit d’intenses collaborations. En premier lieu, je me dois d’exprimer ma profonde gratitude à Monsieur le Professeur André Théwis, responsable de l’Unité de Zootechnie de la Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux (FuSaGx), promoteur de cette thèse, pour m’avoir accepté dans son laboratoire et pour la confiance qu’il m’a accordée. Son soutien, tant moral que matériel, continuel, même aux moments de doutes, ses lectures critiques des travaux réalisés et ses qualités humaines ont largement contribué à l’aboutissement de ce type de projet de thèse.

Par ses conseils éclairés et le temps qu’il leur a consacrées, Monsieur Rudy Palm a largement facilité les interprétations statistiques des matrices de résultats d’enquêtes. Je tiens à lui témoigner toute ma reconnaissance pour l’initiation approfondie aux méthodes d’analyses multidimensionnelles, et à leur exploitation dans mes travaux.

Ce travail est entièrement tributaire de la patience et de la qualité de l’accueil que m’ont réservées les éleveurs de bovins laitiers dans différentes régions du Maroc (Ben Slimane, Gharb, Rabat - Salé). J’ai beaucoup appris en leur compagnie, car ils ont su m’inculquer leurs considérations pour les vaches et leurs productions. En outre, je suis particulièrement redevable à Messieurs Mohammed Abidi et Mohammed Boukraj de la Société du Développement Agricole, à Monsieur Khalid Mékouar, éleveur privé à Ben Slimane, à Messieurs Mohammed El Qsibate et Anass Elayachi et Madame Btissam Kessab de la Société Centrale Laitière et aux gestionnaires de différentes associations d’élevage (Rabat - Salé, Gharb), pour l’aide qu’ils m’ont prodiguée.

Les enquêtes et les contrôles de performances rapportés dans cette thèse et qui en constituent le fondement, ont été accomplis en compagnie d’étudiants que j’ai encadrés lors de leurs travaux de fin d’étude à l’Institut Agronomique et Vétérinaire (IAV) Hassan II. Les remercier est pour moi un immense plaisir, car j’ai le plus souvent éprouvé une réelle satisfaction à leur faire partager les joies du dialogue avec les éleveurs. Que Messieurs Issam Hasni Alaoui, Mounir El Khattabi, Aziz Lahyani et Rachid Lyoubi, et Mesdames Najat Kiade et Jeanne Marie Leblond trouvent ici une vraie reconnaissance pour leur labeur.

A cette occasion, je voudrais rendre hommage aux personnes à l’IAV Hassan II, qui m’ont permis de mener à bien les nombreux et nécessaires déplacements sur le terrain ainsi que les analyses d’échantillons de lait et d’aliments de bovins. Que les chauffeurs qui m’ont accompagné avec les étudiants, le staff administratif du Département des Productions Animales et Madame Malika Bennani, et Messieurs Mohammed Chichi et Ahmed Mourtaki, pour leur aide précieuse au laboratoire, soient assurés de ma considération sincère.
Je voudrais aussi exprimer mes sentiments les plus chaleureux à tous les membres (enseignants, assistants de recherche, étudiants et employés) de l’Unité de Zootechnie de la FuSaGx pour l’accueil et pour les moments qu’ils ont bien voulu partager en ma compagnie. Une pensée particulière à Mademoiselle Geneviève Jean, pour les multiples coups de main (le masque sur Powerpoint ! le Bricolage !), ô combien salutaires, relatifs à mon installation, à mes petits ennuis, notamment informatiques, et au suivi de l’acheminement du courrier.

Un grand merci à Mesdames Michelle Moreau Van Marsenille et Françoise Strouven qui m’ont toujours gentiment accueilli à Gembloux. De même, je ne pourrais oublier Madame Anne Willocq qui m’a maintes fois, avec un sérieux et une gentillesse inégalés, rendu service, des premiers pas menant à l’inscription à Gembloux jusqu’aux démarches finales pour la défense de ce travail.

L’aide octroyée par le Gouvernement belge (Coopération Technique Belge, C.T.B.) sous forme d’une bourse d’étude a été déterminante pour la réalisation de ce travail. A cet égard, je voudrais remercier plus particulièrement Madame Christine Leroy, Mademoiselle Amal Hadaj et Monsieur Célestin Misigaro qui se sont occupés de mon installation et des détails relatifs à mes séjours en Belgique. Je voudrais aussi mentionner l’aide matérielle que m’a prodiguée la Coopération Universitaire au Développement (C.U.D.), sous forme d’un programme « micro-réalisation » et qui a permis d’effectuer les analyses relatives à la qualité du lait in situ.

Je dois aussi mentionner que ce travail n’aurait pu être effectué sans les fréquentes autorisations de longs séjours en Belgique que m’a délivrées le Directeur de l’IAV Hassan II, le Professeur Fouad Guessous. Je lui suis aussi reconnaissant pour ses encouragements.

Que Messieurs Yves Beckers, André Buldgen, Nicolas Gengler, Jean Pierre Lambotte, Philippe Lebailly, Rudy Palm, Mohamed Raki et André Théwis, membres de la Commission du suivi de cette thèse, trouvent ici l’expression de mon profond respect pour leurs remarques constructives et leurs critiques judicieuses de mes travaux. Je vous suis redevable de l’amendement et de la bonification de cette thèse. Un grand merci aussi à Messieurs Bernard Faye et Lebailly Philippe d’avoir accepté d’être les rapporteurs de cette thèse.

Une pensée amicale pour mes collègues du Département des Productions Animales, qui m’ont adopté dans leur structure. De même, je voudrais ici témoigner de mon estime pour mon collègue Abed Hamama, professeur à l’IAV Hassan II, pour m’avoir aimablement permis d’utiliser l’infrastructure de son laboratoire de recherche pour la caractérisation de la qualité hygiénique du lait.

Finalement, je ne pourrais clore cette page sans remercier mes collègues chercheurs Alain Bourbouze et Bernard Faye, en France, pour le suivi et l’intérêt qu’ils ont accordé à mes travaux et pour les collaborations fructueuses que nous avons développées, afin de mieux comprendre les logiques et les incidences des pratiques adoptées par les éleveurs de bovins laitiers au Maroc.

Introduction générale




















Le développement de l’espace rural et agricole au Maroc a toujours été un défi pressant pour les pouvoirs publics, constituant un pivot des politiques suivies par le pays, car il est le principal garant de la cohésion et de la stabilité [Leveau, 1972]. A cet égard, dès l’Indépendance du pays en 1956, différents plans régionaux et sectoriels de promotion des productions agricoles ont été conçus : projet DERRO (Développement Economique et Rural du Rif Occidental), projet Sebou, opération labour, plan sucrier, plan laitier… Outre la création de richesses et de travail dans le monde rural, ces opérations intensivement encadrées et subventionnées par l’Etat marocain visaient aussi l’approvisionnement en denrées de première nécessité d’une population jeune et en croissance démographique accélérée, aspirant à davantage de produits alimentaires de qualité et de haute valeur nutritionnelle (protéines animales notamment).

L’agriculture marocaine a souvent été décrite comme étant caractérisée par une dualité flagrante opposant d’une part, une grande majorité de petites exploitations de type vivrier avec des moyens de production sommaires (plus de 80 % des agriculteurs, selon le dernier recensement général de l’agriculture, RGA), à d’autre part, des exploitations à caractères structurels (superficie, capitaux, savoir-faire) nettement plus évolués [MADRPM, 1999]. C’est dans ce genre de réalité que plusieurs auteurs [Akesbi, 1996 ; El Khyari, 1985] trouvent une explication à son manque de compétitivité, avec des bilans bien plus que mitigés depuis l’Indépendance. S’il est clair que pour la majorité des produits vitaux pour l’alimentation de la population et la balance des paiements (céréales, viandes et lait, produits d’exportation tels qu’agrumes et primeurs), des progrès en matière de couverture des besoins ont été réalisés, il n’en demeure pas moins que le pays reste très tributaire des importations de céréales et de produits animaux, notamment après des années de sécheresse. Pour les produits d’élevage, les niveaux de consommation actuellement enregistrés sont de l’ordre de 12 kg de viande blanche per capita par an, 15 kg de viandes rouges (8 kg de viandes ovines et caprines, 7 kg de viandes bovines) et 44 équivalents litres de lait. Ces chiffres ont connu des évolutions divergentes, avec une augmentation marquée de la contribution des viandes blanches, suite à un essor considérable du secteur de l’aviculture industrielle (de 15 % de la production totale des viandes blanches en 1968 à près de 82 % de cette production en 2003). En parallèle à cette croissance soutenue du secteur de la production avicole intensive, surtout liée à une volonté individuelle d’investisseurs privés, l’Etat marocain a concentré ses efforts sur la satisfaction des besoins de la population en protéines animales d’origine laitière. En effet, juste après la décennie 1960, les autorités agricoles se sont penchées sur l’élaboration d’un plan laitier, outil de base pour la promotion de la production bovine au Maroc. A la clef, se profilait un projet d’envergure puisque concernant la quasi totalité des exploitations agricoles du pays, étant donné qu’elles possèdent dans leur immense majorité quelques vaches. L’objectif principal visé était d’assurer pour chaque Marocain un apport quotidien de 1/3 de litre de lait à l’horizon 2000, à partir d’une situation initiale de 100 ml, soit une augmentation de la production totale annuelle de 400 à plus de 2 000 millions de litres de lait [MADRPM, 1998b]. Il s’agissait, en fait, de réaliser des objectifs directs d’accroissement de la production laitière à un rythme de 6 % par an, et indirectement de contribuer à l’amélioration des performances viandeuses du cheptel, en favorisant les croisements avec les races à lait plus efficaces en terme de croissance que les races locales. Pour la concrétisation de ces objectifs, le plan laitier, dont le lancement officiel a eu lieu en 1975, était intensément soutenu par plusieurs mesures d’accompagnement, toutes fortement financées par les bailleurs de fonds internationaux, à l’instar de nombreux autres projets laitiers à travers le monde (opération Flood en Inde, opération Milk Collecting Centres, MCC, en Malaisie...) [Nestel, 1984]. Ainsi, en aval de la filière, l’Etat marocain, dans un souci de fournir un débouché fiable au lait produit, a encouragé la constitution d’un réseau de collecte très dense, et a accompagné la construction d’usines laitières, tout comme il a fortement taxé les importations de poudre de lait [Bourbouze, 2002]. Il a aussi instauré le contrôle du prix du lait à la production et à la consommation, en s’assurant d’éviter toute distorsion des termes de l’échange qui serait fatale aux éleveurs. Par ailleurs, en amont, tout un ensemble de décrets pour l’aide aux producteurs a été adopté. L’importation de génisses laitières gravides, la vulgarisation de l’Insémination Artificielle (IA), la mise en place d’unités d’élevage pépinières et l’ébauche du contrôle laitier ont été autant d’opérations destinées à créer rapidement un matériel génétique bovin amélioré pour ses caractères laitiers (du moins, en comparaison avec les populations bovines de type local), adapté aux conditions d’élevage prévalant dans le pays. De plus, de nombreuses interventions des services agricoles de l’Etat ont été planifiées au niveau des étables, pour garantir la diffusion dans le monde rural des techniques d’élevage laitier intensif. Ainsi, l’ensilage de maïs, la vulgarisation de nouvelles cultures fourragères (le sorgho, le ray-grass, la betterave…) et des techniques culturales nécessaires à leur réussite, l’initiation à la traite mécanique, la propagation de sous-produits agro - industriels non conventionnels (pulpes d’agrumes, pulpes de caroube, tourteaux de tournesol, urée…) ont été testés.

Il est vrai que l’ensemble de ces aides et interventions étatiques a rapidement créé un engouement pour l’élevage laitier. Celui-ci s’est fait ressentir non seulement dans les zones irriguées où les autorités agricoles, au travers de coûteux investissements en équipements hydrauliques (barrages, adductions d’eau, stations de pompage), ont largement milité pour l’implantation d’étables performantes, mais aussi dans les zones d’agriculture pluviale favorables (plus de 400 mm de pluviosité par an, ce qui est suffisant pour une production fourragère) et dans les abords des grandes agglomérations urbaines. Ceci a engendré un accroissement notable de la production laitière marocaine, dans des proportions nettement supérieures aux résultats obtenus dans des pays limitrophes [Bourbouze et al., 1988]. Toutefois, cet élan vers la spéculation bovine a commencé à régresser de manière notable à partir des années 1990, pour diverses raisons, dont le désengagement de l’Etat et la diminution de la protection de la filière laitière ne sont pas des moindres [Akesbi, 1997]. En effet, plusieurs subventions à la production (notamment pour l’importation de génisses, l’acquisition de matériel de traite) ont été progressivement supprimées. Par ailleurs, les termes mêmes de la commercialisation du lait se sont détériorés, avec une augmentation de la plus-value dégagée par les usines de transformation, au détriment des éleveurs. De plus, l’avènement de nombreux épisodes de sécheresse à partir des années 1980 [Barakat et Handoufe, 1998], a fortement pesé sur les capacités de production fourragère. Un décalage perceptible des performances du cheptel bovin par rapport aux prévisions du plan laitier a lors commencé à se faire sentir. En effet, en l’an 1998, les réalisations ne représentaient même pas 50 % du volume projeté par les initiateurs de ce projet [MADRPM, 1998b].

Néanmoins, en raison des nombreux rôles, autres que productifs (restitution de fertilité aux sols, emplois de main-d’œuvre, affirmation de statut social…), assumés par le cheptel bovin, l’activité de production laitière avec des vaches de type pie-noir, autrefois cantonnées aux seuls domaines de la colonisation et chez les notables locaux, s’est définitivement ancrée dans le paysage rural du Maroc. Ce constat de diffusion de bovins de races Frisonne et Holstein directement issues de l’importation, auxquelles se mêlent les populations locales et leurs nombreux croisements, contribue à créer une réelle diversité génétique, dans les nombreux agro - écosystèmes du pays. C’est ce qui nous a interpellé, dans un contexte général de la filière laitière mouvementé et en pleine évolution.

Aussi, pour étudier l’insertion des troupeaux de vaches dans différents types de situations d’élevage au Maroc (zones irriguées, zones d’agriculture pluviale, ceintures périurbaines), et en vue d’analyser les performances tant techniques (valorisation des aliments concentrés, intervalles entre vêlages, productivité en lait par vache par an...) qu’économiques (rentabilité par vache et coût de revient du litre de lait) du cheptel bovin, avons-nous songé à appliquer des diagnostics zootechniques. Ceci serait une première évaluation de la durabilité de ce genre de systèmes de production, encore plus menacés par l’option d’ouverture totale du marché marocain prévue par les accords de libre-échange ratifiés par le pays.

Une autre perspective dégagée par ce travail serait de construire des références sur les modes de fonctionnement et les performances techniques et économiques auxquelles aboutissent les étables laitières, en conditions réelles, dans un contexte dominé par le désengagement de l’Etat, et la rareté pour ne pas dire l’inexistence de données fiables sur les résultats des élevages. Il nous faut mentionner ici que moins de 5 % des vaches laitières de race Frisonne pie-noire et Holstein sont soumis au contrôle laitier, et que de nombreux vices de forme entachent cette opération. Par ailleurs, ce relevé des performances reste cantonné aux seules « grandes » étables, qui pour une affaire de prestige social et d’influence locale, continuent de bénéficier des apports des services techniques de l’Etat. Il va sans dire que l’écrasante majorité des éleveurs n’en ont pas vent du tout, et dans pareilles circonstances, cette opération ne saurait avoir un impact, même infime, sur l’organisation de l’amélioration génétique bovine au Maroc [Sraïri, 2002].
De plus, comme l’agriculture marocaine est officiellement exonérée d’impôts sur la plus-value qu’elle dégage depuis 1984, par une décision royale visant à se rapprocher des masses paysannes, les agriculteurs, en grande partie illettrés, ne sont pas contraints de tenir à jour des documents comptables dûment certifiés. Aussi, les évaluations de rentabilité de leurs activités demeurent-elles fort sommaires, souvent basées sur des approximations.
Toutes ces carences structurelles de l’organisation de la production laitière au sein des exploitations agricoles au Maroc, dans les plus nanties comme dans les plus humbles, ô combien plus nombreuses, plaident pour la constitution de références qui puissent éclairer la recherche zootechnique et même les décideurs sur la situation du secteur de l’élevage laitier au Maroc, sur les niveaux de performances réalisées et sur la rentabilité des étables. Un autre objectif majeur est de comprendre la diversité des étables pour entreprendre sur le long terme des actions de développement ciblées.

Comme de nombreux chercheurs [Faye et Alary, 2001 ; Ørskov, 1999 ; Bradford, 1989] ont récemment mis en exergue les limites de la zootechnie dans ses approches classiques (i.e. essais monofactoriels de comparaison de rations alimentaires ou de races animales) pour relever les défis du développement des élevages des petites exploitations dans les pays du Tiers-Monde, nous avons opté pour les méthodes de recherche systémique en tant qu’outil directeur de ce travail. A cet égard, il faut mentionner que ces approches qui consistent à travailler en concertation avec les éleveurs pour identifier les contraintes de production inhérentes à leurs exploitations agricoles et même influer sur les pratiques qu’ils adoptent, sont devenues fort courantes [Stür et al., 2001 ; Arriaga-Jordán et al., 2002]. Elles sont toutes du ressort de la participation des chercheurs à l’amélioration des résultats des élevages, dans une inédite tentative de la recherche agronomique à s’impliquer concrètement dans le vif du sujet qu’elle prétend dominer : les exploitations agricoles. Ceci est en relation avec sa nature même de recherche de type systémique, qu’Alrøe et Kristensen [2002] définissent comme une recherche dont la finalité est d’aboutir à l’amélioration de l’état du sujet qu’elle étudie.

Par conséquent, ce travail de Doctorat se propose de construire des typologies d’élevages de bovins laitiers au Maroc, selon une conception qui voudrait trouver des solutions à chaque situation de production ou même carrément à chaque exploitation agricole, en application des préceptes de l’approche systémique [Köbrich et al., 2003]. Ces outils synthétiques pourraient servir de base pour la conception d’interventions ultérieures à des fins de développement. En second lieu, il s’agit de décrire et d’analyser plus en détail les pratiques adoptées par les éleveurs de vaches laitières en matière d’affouragement et d’exploitation de leurs troupeaux, d’évaluer les résultats économiques que dégage le cheptel bovin et de procéder à une analyse préliminaire des déterminants de la qualité du lait et de ses variations mensuelles.

La présente étude se compose de cinq parties distinctes. La première présente la problématique globale dans laquelle s’insère la conception de ce projet de recherche et son originalité par rapport aux études antérieures qui se sont focalisées sur l’élevage bovin au Maroc. Elle est complétée par un tableau exhaustif du cadre théorique supportant ce travail, à savoir l’utilisation des méthodes dites systémiques comme outil d’analyse des étables laitières. Ainsi, dans un premier chapitre nous présentons les objectifs, les intérêts et l’originalité de ce travail. Nous traitons ensuite en détail dans le deuxième chapitre les aspects sous-jacents à la problématique de la recherche et à ses fondements théoriques et pratiques, à savoir l’application des méthodes systémiques aux activités d’élevage, principalement à la production bovine laitière.

La deuxième partie est consacrée au contexte global de la filière laitière au Maroc, et à ses évolutions comparées par rapport à celle des autres pays maghrébins (Algérie et Tunisie). Dans cette partie, sont ainsi détaillées toutes les péripéties qu’a connues la filière lait, de l’amont (l’environnement des ateliers laitiers) à l’aval (transformation et commercialisation des produits laitiers) au Maroc, avec pour objet principal le plan laitier de 1975, ses conséquences et ses remaniements.

Dans la troisième partie, nous entamons la présentation des protocoles de recherche et des résultats obtenus lors de l’élaboration de typologies d’élevages en tant qu’outil synthétique décrivant la diversité des exploitations agricoles à cheptel bovin laitier.
Un premier chapitre est consacré aux hypothèses générales qui ont été prises en considération pour l'élaboration de ces typologies d’élevages, notamment en rapport avec la localisation géographique des zones retenues et à leur analyse comparative. Le deuxième chapitre présente les résultats relatifs à la typologie d’élevages suburbains de la région de Rabat - Salé, capitale du Royaume du Maroc. Les performances techniques de 48 étables et leur rentabilité durant la campagne agricole 2000/2001 sont analysées en fonction des autres variables sur lesquelles reposent ces exploitations agricoles.
Le troisième chapitre traite des modalités d’élevage bovin dans le périmètre irrigué du Gharb (Nord Ouest du Maroc), en se focalisant sur 111 élevages de bovins situés dans l’aire géographique de l’arrondissement de Sidi Allal Tazi. La méthodologie d’enquête utilisée est beaucoup plus ciblée sur les rôles assumés par les troupeaux de vaches, et permet de définir différents « cas types » révélateurs de la réalité de l’élevage de bovins dans ce périmètre irrigué.
Le quatrième chapitre consiste en une analyse comparative des modes d’élevage laitier dans les deux zones citées précédemment (Rabat - Salé et Gharb). Les exploitations retenues sont les 48 élevages suburbains étudiés au chapitre 2 de cette troisième partie et 70 fermes d’élevage bovin dans la zone du Gharb, réparties à travers l’ensemble de ce périmètre. Moyennant des analyses statistiques multidimensionnelles poussées, nos investigations visent à mettre en relief un éventuel effet de la localisation régionale sur la dynamique de production laitière.
Dans le cinquième chapitre, une synthèse des enseignements à tirer des typologies réalisées est élaborée. Les implications de ces typologies pour la délimitation de genres de fermes à étudier plus en détail sont ensuite présentées.

La quatrième partie est donc dédiée à des analyses plus poussées d’études de cas des situations d’élevage identifiées lors de l’élaboration des typologies. Tout en revenant sur les justificatifs des choix des situations étudiées, nous présentons aussi la méthodologie adoptée lors de chacun des cas analysés. Il s’agit ainsi de détailler davantage les pratiques d’élevage en vigueur dans une application directe des méthodes systémiques à l’étude des étables laitières.

Sont ainsi analysées les pratiques d’élevage en vigueur dans les étables laitières gérées par une société étatique, la Société de Développement Agricole (SODEA). Pour ce faire, les performances de six étables de la SODEA spécialisées dans la production de lait et réparties à travers différentes régions du Maroc, ont été étudiées au cours de cinq campagnes agricoles (de septembre 1991 à août 1996).

Par la suite, nous traitons des effets des aléas climatiques sur la rentabilité et la productivité d’une étable laitière privée, située dans la région de Ben Slimane (zone d’agriculture pluviale), à laquelle a été décerné le titre d’étable pépinière par le Ministère de l’Agriculture (c’est-à-dire qu’elle devrait être un pôle de fourniture de matériel génétique laitier de qualité supérieure aux éleveurs qui lui sont limitrophes). Dans le cadre de l’approche de type systémique qui oriente ce travail, nous avons analysé les pratiques en vigueur sur cette exploitation et les performances du cheptel laitier de 1994 à 1997.

Nous exploitons les données d’un suivi rapproché de sept étables suburbaines pendant deux campagnes agricoles (de septembre 2000 à août 2002) afin d’élaborer des monographies d’exploitations laitières. Ce suivi a donné lieu à un essai de modélisation des performances de ces étables, présenté au troisième chapitre de cette quatrième partie.

Les facteurs affectant la qualité du lait ont ensuite été précisés dans cinq étables suburbaines. La qualité du lait a été appréhendée à travers des critères physiques et chimiques (pH, densité, taux butyreux, taux protéique) et hygiéniques (Flore Mésophile Aérobie Totale, FMAT) durant l’année agricole 2002/2003.

Nous clôturons ce travail par une conclusion générale (cinquième partie) où nous faisons ressortir, dans leur globalité, les principaux résultats liés au fonctionnement des étables dans différents environnements physiques et sociaux au Maroc, et les synthèses à en déduire. Suite à quoi, une série de recommandations est formulée pour que puisse se perpétuer au Maroc, une filière laitière bovine durable, rentable et bénéfique aux milliers d’éleveurs, petits et grands qui se sont totalement investis dans cette activité.
I - Problématique et cadre théorique des analyses systemiques






















I – 1 Problématique générale

Les crises récentes de l’agriculture (encéphalopathie spongiforme bovine, dioxine, organismes génétiquement modifiés...) ont été à l’origine d’un regain d’intérêt sociétal accru pour les pratiques des agriculteurs. Par conséquent, les opinions publiques en arrivent aujourd’hui à exiger d’avoir un droit de regard sur les processus de production adoptés par les agriculteurs, générant les concepts récents de traçabilité des produits ou encore d’agriculture biologique.

L’élevage a certainement été l’activité agricole la plus concernée par ces crises, à tel point que l’évocation même du nom de ce secteur a acquis aujourd’hui aux yeux du grand public une connotation négative, étant donné la récurrence des scandales liés aux productions animales : pollution des nappes phréatiques par les effluents, encéphalopathie spongiforme bovine ou « vache folle », fromages contaminés par la Listeria, bœuf aux hormones, ou encore fièvre aphteuse ou grippe du poulet [Vissac, 2002 ; Kohn et al., 1997 ; Tamminga, 1992]. Toutes ces considérations constituent un défi certain pour l’avenir des sciences animales et influencent même leurs perspectives de recherche. Alrøe et Kristensen [2002], dans un écrit consacré aux rôles des recherches agricoles face à l’émergence de ces crises, énoncent qu’il y a urgence à repenser la méthodologie de ces investigations. Ces deux auteurs partent du constat que ces sciences ont pour fondement d’influencer les objets qu’elles étudient, en l’occurrence les modes d’exploitation des animaux par les humains, et elles s’inscrivent donc dans la famille globale des disciplines dites systémiques. En ce sens, ces sciences dépendent d’un ensemble de valeurs sociales. Il s’agit donc d’étudier en premier lieu à quel niveau et comment ces valeurs doivent être intégrées dans la construction des objets d’étude ultérieurs (valeurs dites de contexte). En deuxième lieu, il faudrait s’intéresser aux types de relations entre cette nature systémique des recherches agricoles et les critères conventionnels scientifiques de qualité (valeurs dites constitutives). Tout ceci leur ferait perdre leur caractère d’objectivité, selon la définition traditionnelle de ce critère. En contrepartie, Alrøe et Kristensen [2002], s’inspirant des travaux de Luhmann [1995], proposent que les sciences agricoles adoptent une objectivité réflexive comme principe pour accomplir des recherches adaptées. Ceci suppose que les recherches agricoles, de par leur nature systémique, adoptent comme méthodologie de base un cycle auto réflexif qui incorpore simultanément une posture de chercheur acteur et une position de chercheur « observateur détaché ».

Par essence, la philosophie des recherches systémiques a pour vocation d’influer sur l’objet qu’elles étudient. Aussi, les recherches systémiques zootechniques auraient-elles pour objectif de contribuer au développement des exploitations agricoles investies dans la production animale. Cette attitude de recherche fait irrémédiablement évoluer la zootechnie de son cadre de discipline basée sur des sciences « exactes », avec pour fondement des expérimentations en milieu contrôlé, vers une discipline en évolution perpétuelle, apte à être influée par le milieu social et l’évolution historique. Ceci a amené certains chercheurs comme Landais et Bonnemaire [1996] à écrire « quoi qu'en pensent certains chercheurs, la science n'est ni hors du temps, ni hors de la société. L'histoire de la zootechnie montre qu'elle n'échappe pas à cette règle. C'est pourquoi il a été jugé nécessaire, pour développer cette analyse, de ne pas s’en tenir à un point de vue épistémologique uniquement centré sur les caractéristiques des connaissances produites, mais de considérer aussi les acteurs concernés, leur insertion institutionnelle et leurs stratégies d'utilisation de la connaissance ». Ce genre de réflexion a donné lieu, par analogie au Maroc, à la confrontation des motivations de ces corpus distincts que sont les acteurs des recherches en sciences animales et les éleveurs, qui se rejoignent dans ce qu’il convient d’appeler « l’interface zootechnique » [Sraïri, 2002]. Le constat qui en a découlé est bien celui d’un décalage évident entre les recherches actuellement entreprises sur les productions animales et les attentes des éleveurs, qui continuent pour la plupart à ignorer même les attributions des zootechniciens et leurs statuts et fonctions, à la différence du corps des vétérinaires. Dans le même ordre d’idées, mais en Europe, Hodges et Boyazoglu [2002] énoncent que l’enjeu réel pour les zootechniciens d’aujourd’hui est de se pencher sur le sens de leurs travaux, de s’interroger sur leurs objectifs professionnels, sur leur éthique et sur leur rôle dans la société. Ils écrivent ainsi que « cette démarche est sans nul doute difficile ; il est bien plus aisé de ne pas regarder en face les problèmes posés par la société et de s’établir dans un réductionnisme douillet ». Et d’ajouter que « nous (les zootechniciens) partons du principe que la zootechnie telle que nous la pratiquons et l’enseignons est automatiquement bénéfique à la société ; est-ce vrai ? » Finalement, ils concluent que ces considérations sur le rôle du zootechnicien, de la portée de ses travaux par rapport aux exigences de la société, à un moment de crises répétées, « place la crédibilité de la profession au sein du débat » et met « ce monde de spécialistes au pied du mur ».

C’est par rapport à ces considérations épistémologiques, liées à la « philosophie des sciences », ou en d’autres termes à la méthodologie à aborder pour formuler et entamer un projet de recherches zootechniques, que s’insère la problématique générale de l’approche systémique en élevage. Comme le faisait remarquer Bourdieu [1997], il s’agit de « faire savoir ce que l’univers du savoir ne veut pas savoir, notamment sur lui-même ». Ce genre de recherche vise à dépasser le réductionnisme imposé par des disciplines plus fondamentales en relation avec les productions animales (nutrition, génétique, éthologie...) pour proposer ultérieurement l’amélioration et le développement des objets étudiés. Il a dès lors comme fondement scientifique la multicompétence, en guise d’autre forme de pluridisciplinarité [Faye et Barnouin, 1996]. A cet égard, Pluvinage [2002], dans un hommage à l’agronome français René Dumont et à ses approches méthodologiques pour le développement rural, énonce que la richesse des disciplines scientifiques mobilisées (appliquer la science économique à l’agriculture tout en utilisant d’autres enseignements telles les sciences agronomiques, la géographie et l’histoire), « un peu tout le contraire que l’on conseillerait à un jeune scientifique aujourd’hui, est extrêmement efficace ; elle ne prétend pas poser de développements théoriques nouveaux, mais servir à résoudre des problèmes de développement agricole, sur la base d’un examen de pratiques observées et d’enquêtes auprès des agriculteurs ». Pareillement, en analysant les fondements scientifiques des doctrines des vétérinaires français en Afrique subsaharienne et leurs évolutions historiques, Landais [1990] énonce que leurs travaux n’ont pu réaliser les ambitieux desseins qu’ils projetaient. En effet, ils n’ont pas suffisamment intégré d’approches pluridisciplinaires et ont dédaigné les sciences humaines pour traiter la complexité des affaires liées au monde de l’élevage. Ce même auteur rajoute que l’irruption des sciences humaines (sociologie et économie) dans les domaines du technique est plus que nécessaire pour l’étude des élevages et qu’elle demeure, même aujourd’hui, fort timide.

Sur un registre similaire, Coleou [1994], dans une tentative de définir les champs de compétence de l’ingénieur en productions animales au 21ème siècle, s’arrête sur la notion d’ingénieur zootechnicien « grand généraliste », comme « acteur d’interfaces, capable de dépasser la compréhension de la conduite des productions et des mécanismes biologiques » pour « appréhender la complexité de tout système et être préparé à une vision stratégique dans l’espace et dans le temps ». Selon ce même auteur, les zootechniciens devraient pouvoir « organiser, de préférence de manière pluridisciplinaire, les activités centrées sur l’observation, la compréhension du fonctionnement de systèmes complexes que sont les exploitations d’élevage, les systèmes d’élevage ».

Aussi, en réaction à ces constats généraux qui visent à donner à la science zootechnique et à ses dépositaires et autres détenteurs, dans l’acceptation la plus large qui peut lui être imaginée, un rôle actif au sein des sociétés humaines où elle évolue, ce travail de doctorat se propose-t-il d’élaborer des références sur la diversité des élevages laitiers au Maroc. Par la mobilisation d’outils relevant de disciplines diverses (zootechnie classique, économie rurale et statistique), il vise la description et l’analyse de la multitude des pratiques mises en jeu, dans un contexte d’absence de données fiables. Il s’apparente de fait à la démarche de « recherche citoyenne » qu’a développée Vissac [2002], dans ses objectifs de créer de la connaissance zootechnique qui puisse être directement accessible aux éleveurs à partir de leurs pratiques quotidiennes et de leurs incidences : contribuer à connaître la diversité des élevages, dans leur larges déclinaisons, pour proposer, sur des bases réalistes, des voies de leur amélioration.






I – 2 Recherches systémiques et élevage bovin laitier
I-2-1 Introduction
La zootechnie a été définie vers le milieu du XIXème siècle comme « une doctrine nouvelle de la production animale basée sur les sciences expérimentales et dont le caractère fondamental consiste précisément dans la manière de considérer le bétail en économie rurale » [De Gasparin, 1843]. L’ambition était alors de grouper, sous une seule branche scientifique, toutes les formes du savoir dont les retombées contribueraient à l’amélioration des performances des élevages. Si à l’origine, la zootechnie reposait principalement sur les sciences de la vie et les sciences humaines (sociologie, géographie, économie), ces dernières années elle s’est focalisée peu à peu exclusivement sur les disciplines biotechnologiques, n’échappant pas au mouvement de spécialisation qui marque l’époque [Latour, 1995]. Ce développement n’est pas fortuit mais traduit les avancées de la recherche agronomique dans des domaines telle que la génétique, la nutrition, la biologie de la reproduction ou la médecine vétérinaire. Cette tendance a aussi été massivement soutenue par les impératifs productivistes de l’après - guerre [Boserup, 1990]. Néanmoins, les conséquences de cette orientation ont rapidement détourné l’agronomie de sa fonction à appréhender les déboires de l’agriculture, et partant de la société, car Sébillotte [1996] affirme que « plus un seul des problèmes de l’agriculture ne saurait être isolé du reste de la société ». Dans le domaine des productions animales, et de façon similaire, le type de savoirs et de recherches qui devait a priori aider à en démêler les énigmes, c’est-à-dire la zootechnie, a été éloigné de ses préoccupations initiales, à savoir les questions des élevages et de leur gestion [Landais, 1996a]. Par conséquent, dans leur majorité, les thèmes de recherche ne proviennent plus du terrain, mais sont formulés de manière autonome dans les laboratoires. Ceci a progressivement débouché sur une incapacité de la zootechnie à synthétiser et à résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les acteurs des productions animales et à générer des solutions en rapport avec leurs pratiques, leurs stratégies et leur organisation [Béranger et Vissac, 1993].
De ce fait, récemment, de nombreux chercheurs à travers le monde ont souligné les échecs des approches de la zootechnie, dans ses méthodes actuelles, pour résoudre les crises du secteur de l’élevage, aussi bien dans les pays développés [Vissac, 1994 ; Landais, 1996b] que dans les pays en développement [Schiere, 1995 ; Gryseels, 1988 ; Le Grand et Hochet, 1998]. Dans ces dernières contrées, de manière encore plus pressante, la diversité et la complexité des rôles assumés par les animaux domestiques (épargne, outils de production, statut social, impact religieux…) rendent encore plus inadaptés les résultats des dispositifs conventionnels des sciences animales [Ørskov, 1993 ; Bradford, 1988] et imposent l’adoption d’une approche systémique aux questions de l’élevage [Spedding, 1988 ; Ruthenberg, 1980]. D’ailleurs, de nombreux projets de développement qui ont fait abstraction de ce type de méthodes, et qui se sont contentés d’importer des pays tempérés des modèles de développement « clés en main » se sont soldés par des échecs [Zwart et De Jong, 1996]. Ruthenberg [1980] justifie le recours aux méthodes systémiques pour l’étude des productions animales en zones tropicales en invoquant qu’elles représentent bien plus qu’une simple somme de leurs différentes composantes (animaux, plantes, environnement social, économique et politique…), étant donné les nombreuses interactions qui s’établissent entre elles.
De manière plus spécifique, l’élevage laitier est certainement le type de productions animales où l’approche systémique est la plus recommandée, en raison de la diversité des domaines d’intervention des éleveurs de vaches laitières (production fourragère, élevage, gestion de différents types d’animaux...) et surtout à cause de l’ampleur de la filière laitière, de la biomasse végétale jusqu’aux consommateurs [Meyer et Denis, 1999]. Par ailleurs, dans les pays en développement, comme les races locales ont généralement des aptitudes laitières fort limitées [Syrstad, 1990], que la sélection classique serait trop lente à améliorer [Mc Dowell, 1981], et face à l’augmentation des besoins en lait, le seul moyen rapide d’accroître la production est l’importation de vaches des régions tempérées avec les « paquets technologiques nécessaires à leur acclimatation » [Cunningham et Syrstad, 1987 ; Flamant, 1991]. Cette option rend encore plus délicate l’analyse des systèmes de production laitière [Eddebbarh, 1991], avec la diversité du matériel animal qu’elle génère (vaches locales, vaches importées et leurs différents niveaux de croisements) et qui se traduit par l’émergence de plusieurs options pour la production [Mc Intire et Gryseels, 1987] et d’objectifs variables pour les éleveurs, qui induisent de nouveaux horizons pour la recherche [Olesen et al., 2000]. Ceci, dans un contexte d’incertitude pour le maintien d’une agriculture paysanne dans les pays en développement, notamment la production laitière qui est généralement entre les mains de petits éleveurs au sein d’unités familiales, et qui risquent de ne pas faire le poids face à la libéralisation totale des échanges de produits agricoles à travers le monde [Haubert, 1999].
A la lumière de ces éléments, la présente synthèse vise en premier lieu à exposer les champs d’application des recherches sur les systèmes agricoles (RSA), avec une référence spéciale aux concepts et à la terminologie en vigueur dans cette discipline, avant de rappeler son déterminisme historique et ses évolutions. Par la suite, les applications des RSA aux études sur les productions animales seront passées en revue, pour évoquer les outils et méthodes des recherches sur les systèmes d’élevage (RSE), plus particulièrement sur la production laitière bovine. En dernier lieu, les atouts et limites de cette discipline pour l’analyse des systèmes d’élevage laitier seront détaillés.



I.2.2 Terminologie et concepts des recherches sur les systèmes agricoles
Dans toutes les sociétés humaines, les animaux domestiques représentent richesse et / ou pouvoir. La relation étymologique entre les termes « animaux », « capital » et « épargne » a été relevée dans plusieurs langues [Renfrew, 1994] comme le montre le tableau 1. Ces similitudes linguistiques peuvent être expliquées par le rôle fondamental des herbivores dans la transformation de la biomasse végétale issue de l’énergie solaire en produits de haute valeur ajoutée pour la société [Odum, 1971], quel que soit son niveau de développement.
Malgré la large gamme de systèmes agricoles qui se sont constitués à travers le monde, les animaux domestiques y représentent le plus souvent un atout, plus particulièrement pour les agriculteurs ayant accès à de vastes superficies leur procurant des ressources fourragères pour leurs troupeaux. Cependant, avec l’accroissement continu des mises en culture, explosion démographique oblige, une forte pression sur les terres à pâturage, communautaires comme privées, s’est manifestée [Jodha, 1986 ; Hardin, 1968]. Dès lors, les éleveurs ont compensé ce manque en intégrant de plus en plus de résidus de cultures dans les rations de leur bétail [Schiere, 1995]. De ce fait, une multiplicité de systèmes d’élevage s’est constituée, tant par la diversité des modes d’affouragement des animaux que par la quantité d’espèces exploitées et des niveaux d’intensification [Spedding, 1988].

Tableau 1. Quelques exemples de liens linguistiques entre les mots « cheptel » et « richesse ».

Cheptel (Français)Dérive du latin « caput » qui veut dire tête, c’est-à-dire nombre d’animauxCattle (Anglais)Lié au mot capital à travers la racine latine « caput » Kassiba (Arabe)Du verbe « kassaba » qui veut dire thésauriser, gagnerGanado (Espagnol)Participe du verbe « ganar » qui veut dire gagner, Vieh (Allemand)En relation avec « fehu » en Vieux Saxon qui suggère richesse et bétailByoto (Polonais)A partir du vieux slave « bydBo » qui veut dire posséder. La relation entre la possession et le troupeau est typique dans différentes langues slaves
Définie comme étant « une combinaison raisonnée d éléments ou de parties interdépendantes et interactives qui se comportent de manière à réaliser un objectif précis via la transformation d’intrants en produits terminaux », la notion de système de production agricole a été récemment adoptée par les agronomes [Mirham, 1972 ; Le Moigne, 1984]. Cependant, cette définition, avec tous ses corollaires, n’a pas arrêté précisément l’objet d’étude des RSA, qui seraient plus une attitude ou une perspective de recherche qu’un type d’investigations [Byerlee et Tripp, 1988]. Ce domaine d’études scientifiques continue donc de souffrir d’un étalage confus de définitions, de méthodologies et d’objectifs, qui justifient de maintes tentatives de formalisation [Merrill-Sands, 1986 ; Fresco et Westphal, 1988]. Néanmoins, d’un avis commun, les RSA ont pour point de départ une vision similaire à celle que se ferait un agriculteur en essayant d’améliorer ses résultats : compréhension de ses pratiques et action à un niveau concret et multidisciplinaire, au niveau de l’exploitation agricole [Landais, 1996a ; Byerlee et al., 1982]. Norman [1980], et plus tard Tripp [1991] vont au delà de cette considération pour mentionner que face à l’urgence d’améliorer les résultats des petites exploitations, notamment dans les pays en développement, les RSA ont eu le mérite d’entamer leurs investigations en postulant que « tout changement agricole planifié doit être organisé autour de la compréhension des conditions et des priorités des agriculteurs ». Pour cet auteur, il est plus qu’important de se focaliser sur l’exploitation agricole en tant qu’objet d’études, ce qui impose de considérer la totalité des interactions qui lient ses différentes composantes (Tableau 2).

Tableau 2. Classification des interactions au sein d’un système de production agricole.

Type d’interactionExemplesInteractions entre culturesInteraction dans l’espaceInteractions liées aux associations de culturesInteraction dans le tempsEffets des précédents culturaux liés aux résidus, à la fertilité et aux mauvaises herbesInteractions entre cultures et élevagesUtilisation des ressources fourragères et des résidus par les animauxRecyclage des effluents d’élevage comme fertilisants des culturesUtilisation des animaux pour la tractionCompétition et
synergie des ressourcesConflits pour l’utilisation de la force de travail entre cultures, élevage et activités non - agricolesCompétition pour l’utilisation de l’eau entre fourrages et cultures vivrièresAtteinte des multiples objectifs des foyers rurauxChoix entre types de cultures et d’élevage et itinéraires techniques pour gérer le risqueProduction et stockage de grains et de denrées animales pour contrebalancer les effets des carences saisonnièresD’après Byerlee et Tripp [1988]
Au préalable d’une recherche sur les systèmes agricoles et d’élevage, il faut clarifier la terminologie en vigueur et les concepts de cette discipline [Hart, 1982]. Ainsi, le mot « système » peut renvoyer simultanément à l’énumération des unités (composantes) qui le constituent [Odum, 1971 ; Shaner et al., 1982], tout comme il peut désigner les modes d’interaction de ces parties [Ruthenberg, 1980]. Par ailleurs, l’adjectif « agricole » véhicule avec lui toute la diversité des activités du monde de l’agriculture, comme l’horticulture, la foresterie, l’aquaculture, le maraîchage ou l’élevage. C’est pourquoi, les chercheurs sur les systèmes agricoles sont contraints de s’imposer des limites, constituant un réductionnisme qui va à l’encontre de la vision globale prônée par la RSA. L’urgence d’établir ces limites comporte alors deux inconvénients : le danger de sous-estimer les retombées d’un système donné sur les autres, ce qui empêche d’appréhender ses réalisations globales [Conway et Barbier, 1990], et la difficulté de se fixer un référentiel d’étude aussi bien dans l’espace que dans le temps. Par exemple, pour les études sur les systèmes d’élevage, plusieurs chercheurs considèrent le troupeau comme unité de base [Roeleveld et Van Den Broek, 1999], mais rien n’empêche de reporter l’effort d’analyse au cheptel d’une région ou d’un pays [Hart, 1982]. L’agrégation de systèmes peut aller au point extrême où toute la planète Terre peut être représentée sous forme d’un seul système [Hopkins et Wallerstein, 1992].
Avec les considérations précédentes, les RSA se posent comme un agrégat d’une gamme d’études multidisciplinaires relatives aux systèmes de production agricole. Simmonds [1986], en essayant de dresser une classification des voies empruntées par la RSA, distingue les RSA au sens strict du terme (RSA sensu stricto), des RSA pour le développement et la vulgarisation, et de la recherche pour le développement de nouveaux systèmes de production. La première, dont le but est une analyse profonde des systèmes agricoles à des fins académiques (Simmonds [1986] pense qu’elle sert surtout de contexte à des doctorats), consiste en une compilation des informations et données issues du terrain [Merrill-Sands, 1986] suivie d’une phase de développement de concepts et de méthodologies de recherche. L’objectif est alors de comprendre les systèmes de manière induite, puisqu’à partir d’un grand nombre d’observations, des lois générales sont élaborées. En revanche, les deux autres visent, en plus d’une phase de description grâce à l’utilisation d’enquêtes [Labe et Palm, 1999], la modélisation des systèmes pour la compréhension de leur organisation, suivie parfois du test de nouvelles hypothèses pour leur évolution.


Simmonds [1986] soutient que ces deux genres d’approche des RSA sont un moyen pratique de tester la viabilité socio-économique des hypothèses de la recherche avant de recommander leur vulgarisation. Tripp [1991] en rappelant les priorités des RSA pour la diffusion de méthodes pour le développement des petites exploitations du tiers-monde estime que celles-ci doivent nécessairement emprunter le protocole suivant :
diagnostic des pratiques des exploitations agricoles et de leurs problèmes ;
planning d’un programme expérimental ;
test de technologies alternatives ;
évaluation des résultats ;
développement et vulgarisation de recommandations.

Une des principales finalités des RSA est de préparer minutieusement le terrain au développement de leur objet d’étude. Or, le développement des systèmes agricoles est globalement déterminé par les relations y liant demande et offre de biens matériels. Elles expriment l’accès à la technologie et aux valeurs fondant un système [Harris, 1988]. Aussi, le développement peut-il se présenter sous diverses apparences, résultat de changements combinés des ressources disponibles ou de la demande. Le mot « développement » se définit comme une évolution vers une croissance naturelle avec différenciation et passage par différentes étapes. Il n’implique donc pas nécessairement une direction irréversible vers un but plus évolué [Crotty, 1980]. Les ressources impliquées dans un processus de développement agricole sont généralement de trois ordres : la terre, le travail et le capital [Bonneviale et al., 1989]. Elles induisent des phénomènes d’offre et de demande qui se concrétisent dans les termes du marché. Ceux-ci déterminent l’accès aux ressources. Par ailleurs, l’évolution d’un système est aussi conditionné par les innovations qui peuvent s’y exercer et qui génèrent des changements dans ces modes de régulation, notamment technologiques et institutionnels.
L’ajustement des fonctionnements des systèmes suite à une perturbation dans les termes de l’offre ou de la demande en intrants a été largement documenté par Grigg [1982]. Cet auteur impute à trois principales causes les évolutions des systèmes agricoles :
l’accroissement de l’exploitation des ressources en sols, soit par intensification des pratiques ou par la recherche de nouveaux espaces pour l’agriculture ;
les changements dans les habitudes de consommation, qui induisent aussi des modifications dans les modes de production ;
l’introduction de technologies et d’innovations qui sont porteuses de changements.

Des réflexions précédentes découlent les nombreuses tentatives de classer les systèmes agricoles [Ruthenberg, 1980]. Généralement, les classifications retiennent deux types de critères, qui sont les variables qui déterminent le comportement du système (variables de structure tels que le climat, les types de sol) et les variables qui montrent les choix stratégiques des acteurs qui y évoluent (pratiques d’élevage, type d’agriculture…).
I.2.3 Déterminisme et évolutions des recherches sur les systèmes agricoles
Les RSA couvrent un vaste éventail d’activités du monde rural. Elles induisent donc qu’elles sont implicitement au centre des préoccupations des agronomes depuis les débuts de l’agriculture. Ponting [1991] rapporte ainsi que 3000 ans av. J.C., les Sumériens avaient déjà pris l’habitude de noter tous les changements liés aux pratiques d’exploitation de leurs systèmes agricoles. Sous l’Empire romain, des auteurs comme Cato ou Columella s’étaient aussi livrés à des travaux sur les systèmes de production de céréales et d’huile d’olive en vigueur dans les différentes régions [White, 1970]. En Andalousie, l’occupation arabe a aussi permis d’élaborer toute une documentation en rapport avec les systèmes agricoles irrigués [Glick, 1970]. Plus récemment, lors du XIXème siècle en Europe, les travaux de Tchayanov en Russie, de Von Liebig et Von Wulffen en Allemagne, ou de Bakewell et de Young en Grande Bretagne se sont tous basés sur une approche de type RSA pour analyser les possibilités d’améliorer la productivité de l’agriculture [Hayami et Ruttan, 1985]. Ces travaux se justifiaient d’autant plus que des cycles de famine sévissaient alors et qu’il fallait nécessairement hausser la condition des agriculteurs. Par la suite, l’expansion coloniale vers les zones tropicales et tempérées chaudes a eu pour corollaire d’ouvrir de nouveaux champs d’application aux RSA, dans un esprit fondamentalement dominé par les grandes écoles de pensée du XIXème siècle [De Wit, 1992].
La majorité des travaux des XVIIIème et XIXème siècles qui ont utilisé une approche de type RSA ont mis l’accent sur une « vision globale de l’unité de production agricole », qui sous-entend une étude holiste de l’exploitation fermière. Ce genre de démarche s’applique lorsque « le tout est bien plus qu’une simple addition des parts » [Schiere, 1995]. A ce stade, ce concept s’oppose au réductionnisme des recherches actuelles [Landais, 1996a]. Beets [1990] mentionne que les pionniers des RSA, au XIXème siècle, étaient pour la plupart issus du monde agricole, et que dans leur travaux, ils conciliaient agronomie et économie. Shaner et al. [1982] ajoutent à ce propos que pour la réussite des RSA l’intégration des considérations économiques est primordiale. Ceci conforte donc l’approche multidisciplinaire qu’adoptent les RSA.
Un autre point central des RSA est la participation des agriculteurs à ses visées et objectifs. Comme déjà vu, les premiers défenseurs de ce type de méthodes étaient pour la plupart eux-mêmes agriculteurs. Par exemple, Young, au Royaume Uni, avait tracé pour cible à ses travaux la détermination de la taille optimale pour la viabilité d’une exploitation agricole [Lord Ernle, 1961]. De même, les principales avancées dans l’amélioration génétique des bovins ont été dues à Bakewell, qui était avant tout éleveur [Trow-Smith, 1958]. La vision globale de ce genre de travaux n’échappait pas à leurs réalisateurs puisque, par exemple aux Pays-Bas, l’utilisation de l’azote en élevage bovin laitier ou encore les premiers essais de vaccination contre la fièvre aphteuse, ont été initiés par des éleveurs travaillant en communauté. Ultérieurement, la participation des éleveurs - agriculteurs aux programmes de RSA est devenue une des modalités les plus courantes de ce genre de travaux, dont de multiples aspects ont été rapportés par Farrington et Martin [1988] et par Merrill-Sands et al. [1991]. Ces auteurs mettent l’accent sur la complexité de ce type d’investigation, notamment en raison du paradigme qui la précède : aucun développement de ces méthodes ne peut se faire sans que les concernés y perçoivent un intérêt, et par essence les intérêts des agriculteurs sont divergents. Même l’acceptation d’une innovation technologique par un groupe d’agriculteurs peut se solder par la mise à l’écart d’un autre groupe encore plus important [Bromley, 1992]. Ainsi, en terme de productions animales, que ce soit pour des techniques d’alimentation du bétail ou même pour l’amélioration génétique, les attentes des éleveurs aux ressources en terres limitées seront totalement différentes de celles des éleveurs disposant d’un vaste accès aux superficies fourragères ; tout comme pour les motifs derrière l’importation de vaches laitières des pays tempérés [Sraïri et Baqasse, 2000]. Par ailleurs, la notion de durabilité spatiale et temporelle peut aussi totalement modifier l’évaluation des situations [Posner et Gilbert, 1991], car le plus souvent l’agriculteur raisonne à très court terme et à l’échelle de sa parcelle, ou tout au plus de son exploitation, tandis que le chercheur en RSA tend à travailler à long terme et sur des niveaux régionaux [Vavra, 1996]. Dans le processus de participation des agriculteurs aux projets de RSA, d’inévitables interactions et échanges entre chercheurs et agriculteurs s’établissent, et elles sont primordiales pour définir les orientations du développement [Schiere, 1995]. Gryseels [1988] et Landais [1983] mentionnent à ce sujet que plusieurs choix de leurs études étaient directement inspirés de discussions avec les éleveurs et autres acteurs impliqués dans les productions animales.



I.2.4 Application des recherches sur les systèmes agricoles aux activités d’élevage
La majorité des études des RSA ont été appliquées ces dernières années aux systèmes de cultures dans les pays en développement, initiées par des organismes internationaux tels que l’IRRI (International Rice Research Institute), le CIMMYT (International Maize and Wheat Improvement Center), l’ICARDA (International Center for Agricultural Research in the Dry Areas), le CIAT (Centre International d’Agronomie Tropicale) ou l’IPGRI (International Plant Genetic Resources Institute), à un moment où les recherches sur les productions animales sont restées à un stade moins avancé [Zwart et De Jong, 1996]. Néanmoins, dans les pays développés, les préoccupations des zootechniciens et vétérinaires commencent à se focaliser sur ce type de recherches, face aux crises récentes du secteur des productions animales (maladies « technogènes », telles que l’encéphalopathie spongiforme bovine, manipulations hormonales, surplus de production…) comme le rapporte Landais [1996b]. Dans les pays en développement, ce genre de recherche a été mené dès les premières implantations de colonisation, et visaient pour la plupart à décrire les systèmes d’élevage et leurs rôles dans l’organisation sociale de ces régions [Couleau, 1968 ; Landais, 1990] et à tester les possibilités d’adaptation d’espèces et de souches plus productives des pays tempérés, notamment les races laitières [De Jong, 1996 ; Jasiorowski, 1991]. A cet égard, des écrits récents font état, sans aucune équivoque, de l’inadaptation des transferts de race allochtones vers des environnements d’élevage difficile et incitent à focaliser plus les efforts de développement vers une conduite plus rationnelle des animaux d’origine locale [Ayalew et al., 2003]
Par rapport aux concepts et objectifs des RSA précédemment cités, les Recherches sur les Systèmes d’Elevage (RSE) conservent exactement la même vision globale et le même souci d’adopter une méthode pluridisciplinaire pour appréhender le fonctionnement des filières animales [Nestel, 1984]. Certes, des différences peuvent néanmoins surgir, et elles sont pour la plupart dues aux caractéristiques propres des animaux et des modes de leur exploitation. En effet, leur mobilité, leurs multiples rôles (prestige social, statut religieux, outil de production, épargne…), la diversité de leurs productions (produits principaux tels que lait, viandes,… et produits secondaires, tels que fumier et excréta, abats, peaux…), et les problèmes d’échantillonnage au sein des unités d’étude, et de durée des investigations sont autant de points qui peuvent séparer les approches conventionnelles des RSA des méthodes à utiliser en RSE [Gryseels, 1988 ; Amir et Knipscheer, 1989]. Néanmoins, les interrelations entre ces deux volets d’étude des questions agricoles sont trop nombreuses pour justifier de les mener de front plutôt que de rechercher à les dissocier. C’est ainsi qu’en élevage de bovins laitiers plus particulièrement, Dobremez et Bousset [1996] insistent sur l’inévitable prise en compte des résultats globaux de l’atelier des vaches et des cultures, ainsi que de leur interaction, pour pouvoir effectuer une analyse d’un système de production laitière. Ceci est valable quel que soit le contexte et justifie davantage les difficultés des RSE, eu égard à la parcimonie de la collecte de l’information dans plusieurs régions en développement [Anderson, 1992]. Cet auteur prévoit aussi une nette amélioration économique des revenus agricoles, si l’épargne pouvait être réinvestie dans le développement des ressources fourragères et la santé animale pour favoriser une interaction dans la valorisation des ressources produites sur l’exploitation (animales et végétales). Par ailleurs des similarités peuvent lier élevage et cultures, puisque les parcelles plantées peuvent aussi assumer une multitude de fonctions [Williamson et Payne, 1965].
La volonté de développer les systèmes d’élevage s’est appuyée sur les outils de classification pour appréhender les leviers d’action afin d’en améliorer les performances [Fresco et Westphal, 1988]. Comme déjà mentionné, les modes de classification considèrent surtout les accès aux ressources et leurs éventuels changements [Hayami et Ruttan, 1985]. Dans ce sens, Schiere et De Wit [1993] proposent sur la base d’une abondante bibliographie, un exemple de classification, sous forme de matrice à deux dimensions, où la disponibilité en ressources pour les éleveurs est exprimée relativement par rapport à un état optimal grâce aux signes « plus » + et « moins » -, et représente un premier axe, et où la place de l’élevage est comparée aux cultures sur le deuxième axe. Par ailleurs, ils distinguent, pour des raisons de commodité de classement et selon des travaux antérieurs [Bromley, 1992], deux types de systèmes d’élevage : à haut et à bas niveau d’utilisation d’intrants exogènes.
Avec ces hypothèses, Schiere et De Wit [1993] aboutissent à une représentation globale des systèmes d’élevage, avec des exemples caractéristiques à travers le monde, tels que figurés dans le tableau 3.
De cette matrice, il apparaît que la tendance à l’expansion, terme consacré dans la terminologie adoptée par ces auteurs pour désigner l’investissement de nouvelles terres, est la caractéristique des zones à fortes disponibilités en terres, peu productives en l’état, où les formes d’élevage les plus communes sont la transhumance et à un degré extrême le nomadisme [Bernus, 1990].

Tableau 3. Matrice pour la représentation des systèmes d’élevage.

TendanceAccès aux ressourcesImportance relative de l’élevage et des culturesTerreTravailCapitalElevageMixteCulturesExpansion+--Trans-humance
NomadismeElevage pastoral : MaghrebCéréales extensivesBas Niveau -+-Hors-sol Achats d’aliments réduitsDehesa espagnole
Elevage montagnardRiziculture
HorticultureIntermédiaire--/+-/+Embouche
Elevage laitier extensifTraitement des pailles
Ley-farming
Agro
foresterie
Agriculture biologiqueHaut Niveau--+Production laitière intensiveProduction périurbaine
Production avicolePlantations industriellesD’après Schiere et de Wit [1993]
Les systèmes d’élevage à bas niveau d’intrants exogènes sont surtout en vigueur dans les régions carencées en sols fertiles ou dans les zones marginales, notamment montagneuses. Dans ces types d’élevage une attention toute particulière est réservée au travail, qui compense en quelque sorte le faible niveau de capitalisation. Zwart et De Jong [1996] mentionnent que la majorité des unités d’élevage dans les pays en développement, surtout celles détenues par de petits producteurs, peut être classée dans cette catégorie.
Les systèmes intermédiaires s’érigent comme une sorte d’alternative aux manques d’intrants dans les exploitations à niveau d’investissement réduit. Ils s’appuient sur une thèse d’équilibre des bilans de fertilité au sein de ces entités [Hayami et Ruttan, 1985]. En d’autres termes, même le recours à des intrants externes à l’exploitation doit être considéré comme un transfert de capital qu’il faut neutraliser par une certaine production. L’un des points de départ du fonctionnement de ces systèmes est la limitation des facteurs exogènes et donc l’ajustement des besoins en fonction des ressources disponibles. C’est dans ce type de système qu’un vaste transfert de technologie, notamment de biotechnologies [Schiere, 1995], a été tenté dans les élevages laitiers des pays en développement (traitement à l’urée des résidus de culture, croisements avec des races locales, micro-irrigation de fourrages…). Néanmoins, les attitudes des éleveurs des pays en développement vis-à-vis du recours à ces rudiments de technologie restent fort mitigées, car ils doivent constamment intégrer dans leur calcul la gestion du risque économique [Couty, 1989].
Les systèmes d’élevage à haut niveau d’inputs exogènes sont par essence les élevages laitiers des pays développés. Ils compensent la rareté des terres de pâturage par le recours forcé aux fertilisants, aux médicaments et même aux aliments pour le bétail. La valeur monétaire de ces intrants est généralement basse par rapport à celle des produits et du travail, ce qui explique souvent leur sur-utilisation, allant même jusqu’à compromettre la viabilité de ces systèmes (pollution par les nitrates, excédents de production…).

Pour conclure sur l’opposition latente qui sépare les systèmes d’élevage laitiers en pays développés à ceux des pays en développement, Brand et al. [1996] ont proposé un schéma récapitulatif et simplifié qui permet de mieux appréhender les niveaux où interviennent ces différences (figure 1).







* Contraintes religieuses, culturelles et socio-économiques  C * Population humaine*Gestion A* Superficie agricole* Disponibilité des intrants* Obligations de travaux en commun*Maladies * Associations paysannes (coopératives) *Disponibilité alimentaire * Taille du groupe familial* Productivité Type de fermes * Accès aux bois de chauffeLait, viande
Animaux de renouvellement “!* Besoins en combustibles* Flux monétaires, Revenus* Accès aux pâturages communautaires* Demande du consommateur B * Taxes et intérêts* Force de traction, fumier* Accès aux marchés* Prix en post - récolte* Conditions climatiques* Stabilité politique* Qualité et type de cultures et de solsD’après Brand et al. [1996]
Figure 1. Représentation simplifiée des différences entre les systèmes agricoles monofonctionnels des pays développés (parties A et B) et les systèmes agricoles plus extensifs et multifonctionnels des pays en développement (partie C à ajouter à A et B).




I.2.5 Les outils et méthodes des recherches sur les systèmes d’élevage : cas des bovins laitiers

Les RSE ont, à l’instar des RSA, toujours privilégié la vision globale pour appréhender un objet d’étude aussi complexe que l’élevage de bovins laitiers. Il est d’ailleurs révélateur à ce sujet que ce soit ce type d’élevage qui ait été le plus souvent utilisé pour illustrer une approche systémique appliquée aux productions animales, en comparaison à d’autres types de spéculations [Chatellier et al., 1997 ; Dobremez et Bousset, 1996 ; Vissac, 1994]. Néanmoins, la plupart des auteurs ayant conduit ce type d’investigations s’accordent sur l’ampleur des méthodes à mettre en œuvre, tant pour la collecte d’une information fiable qui puisse servir de base à l’analyse [De Jong, 1996] que pour les procédures à appliquer [Cordonnier, 1986]. Par ailleurs, une des limitations réelles aux études sur le bétail laitier dans les pays en développement est la difficulté d’y appliquer des protocoles d’étude qui ont fait leurs preuves dans les pays développés [Jasiorowski, 1991].
Brand et al. [1996], dans leur ouvrage consacré à l’appréhension des résultats des élevages laitiers, mettent l’accent sur cinq principaux points qu’il convient de développer :
l’élevage des animaux de remplacement ;
le contrôle des performances de lactation avec comme outil d’étude principal les modalités d’alimentation des vaches ;
le contrôle de la reproduction et ses effets sur le troupeau ;
le contrôle des incidents sanitaires, notamment les mammites et les boiteries ;
les résultats économiques et leur optimisation.
D’autres auteurs tels que Cordonnier [1986], Lhoste et al. [1993] ou Meyer et Denis [1999] reprennent sensiblement un cheminement similaire pour ce genre d’analyses, avec des différences dans les parties les plus détaillées, puisque le premier auteur s’intéresse surtout aux résultats économiques, tandis que Meyer et Denis [1999] mettent en exergue l’étude du processus de production en zone tropicale. Toutefois, dans ce genre de démarche qui consiste à scinder l’exploitation de vaches laitières selon ses composantes principales, certains auteurs [Schiere, 1995 ; Landais, 1996a] mettent en garde contre la primauté des questions particulières (qu’ils dénomment recherches des composantes) par rapport à une vision synthétique. C’est pourquoi, si le recours à ces approches localisées, dans un but de diagnostic et de caractérisation des performances des étables laitières est devenu très courant, il ne constitue pas une fin en soi [Roeleveld et Van Den Broek, 1999].
De nombreux travaux récents se sont focalisés sur la description et l’analyse des systèmes de production laitière, afin de saisir la variabilité spatiale de ce genre d’activités. Dans les pays en développement, ce genre d’activités a souvent pour justification le diagnostic de l’efficience technico-économique de production des systèmes [Lhoste, 1984], l’étude de l’acclimatation des races exotiques en conditions tropicales chez de petits éleveurs, ainsi que l’analyse de l’approvisionnement des centres urbains [Sraïri et Baqasse, 2000 ; Msanga et al., 2000 ; Hanyani - Mlambo et al., 1998 ; Losada et al., 1998 ; Metzger et al., 1995 ; Holman et al., 1992 ; Mbap et Ngere, 1989]. En pays développés, au delà des objectifs précédents, c’est aussi la caractérisation des variations régionales et leurs effets sur les politiques d’aménagement du milieu qui sont visés dans ces travaux [Reinhard, 1999 ; Bonneviale et al., 1989]. La méthodologie retenue varie énormément en fonction du matériel de base disponible, à savoir la quantité de données relatives au fonctionnement des étables laitières et leurs relations avec leur environnement économique et social.
Ainsi, il est possible de remarquer que dans les pays développés ou dans des projets de promotion agricole dans les pays du Tiers-Monde, l’existence de bases de données du genre RICA (Réseau d’Information Comptable Agricole) en France, ou du type DHI (Dairy Herd Improvement) aux Etats-Unis, ou encore SCB (Statistical Central Bureau) en Suède, ou Baobab au Sénégal [Lancelot et al., 1988], qui comportent toutes les observations issues des recensements agricoles et du contrôle laitier, permet de se livrer à des analyses statistiques poussées et régulières sur cette somme d’informations, moyennant les méthodes d’analyse des données multidimensionnelles. Le but est d’exploiter la diversité et le nombre d’informations brassées au cours d’un diagnostic des élevages laitiers [Bonneviale et al., 1989], pour ressortir les facteurs qui influent significativement sur leurs performances. Ceux-ci peuvent être aussi bien liés au milieu (effet étable), à la génétique (race) ou même aux caractéristiques sociales des éleveurs [Chatellier et al., 1997 ; Ledin et Lema, 1996]. Parfois, l’analyse de type systémique basée sur l’exploitation d’une base de données peut être combinée à une expérimentation chez les éleveurs pour tester l’effet d’un paramètre d’élevage (alimentation notamment) sur les caractéristiques des produits, surtout en zone AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) [Coulon et al., 1988]. De même, ce genre de travaux peuvent être l’occasion de se pencher sur l’évolution de certaines tendances des élevages laitiers, comme par exemple les taux butyreux et protéiques du lait [Sargeant et al., 1999]. Dans ces études, Bonneviale et al. [1989] affirment qu’il est nécessaire d’analyser les pratiques des éleveurs, c’est-à-dire leur manière de gérer au jour le jour leurs troupeaux, car comme l’a rappelé Brossier [1973], « les agriculteurs, comme tous les individus, ont un comportement rationnel, c’est-à-dire qu’il y a cohérence entre les objectifs qu’ils cherchent à atteindre et les moyens mis en œuvre». Cette nouvelle dimension acquise par les actions entreprises par les éleveurs, puisqu’ils deviennent objet d’étude et non pas seulement d’analyse, n’est pas sans bouleverser de manière radicale le comportement du chercheur en sciences animales [Landais et Deffontaines, 1988]. Le tableau 4 reprend de manière détaillée les différences fondamentales qui distinguent l’approche systémique de l’approche conventionnelle pour l’étude des élevages.
Tableau 4. Caractéristiques schématiques de deux démarches différentes pour la recherche et l’action.
Démarche analytiqueDémarche systémiqueSeul le résultat compte. Des solutions sont recherchées en priorité aux problèmes  C’est le processus qui est important. Il faut bien poser le problèmeLe complexe est décomposé en éléments qu’il faut analyser Articulation et relation des éléments entre eux et avec le tout Supériorité de l’expert qui sait (schéma descendant de la connaissance) Humilité de l’expert qui cherche à comprendre et qui apprend des choses et des gensL’expert croit à la meilleure solution Il pense qu’il y a plusieurs solutions satisfaisantes Construction d’une théorie fondée sur les mathématiques : priorité donnée au quantitatif. Construction d’un modèle que l’on sait réducteur.Validation par la preuve expérimentale. Validation par l’efficacité dans la transformation du réel.Enseignement disciplinaire (juxtaposition). Transdisciplinarité.Linéarité, monorationalité, monocritère dans la décision Plurirationalité, pluricritère. Indépendance des fins et des moyens. Récursivité des fins et des moyens.Les connaissances sont la découverte de ce qui préexiste (univers câblé). Les connaissances sont construction du réel, elles agissent sur lui.Mise à l’écart des contradictions pour rendre la réalité conforme au schéma. Prise en compte des conflits et des contradictions.L’expert est comme une « abeille » pour laquelle tout est codé. Auguste Comte est la référence historique et épistémologique de cette conception.  L’homme est un « architecte » libre qui construit. Léonard De Vinci semble être le référence adéquate. Adapté de Le Moigne [1984]
Dans leur travail de caractérisation des différences entre exploitations de bovins laitiers, Dobremez et Bousset [1996], en rappelant que cette hétérogénéité n’a jamais été souhaitée par les décideurs [Colson, 1985], insistent sur l’importance des analyses factorielles qui peuvent restituer l’extraordinaire richesse de l’information issue des RSE. Ils soulignent aussi qu’une des finalités de ces analyses est de dresser une typologie des exploitations étudiées, ce qui représente une tendance fort récente des méthodes d’étude des systèmes d’élevage [Landais et Bonnemaire, 1996]. L’objectif est de répondre à la question : qui produit du lait et selon quelles modalités ? La résolution de cette problématique est importante, car au-delà de la simple classification, elle pose tout un ensemble de questionnements sur l’avenir des interventions des décideurs dans le domaine laitier [Perrot, 1990].
Dans le contexte des pays en développement où de telles bases de données sont rarement disponibles, par manque de l’infrastructure nécessaire à la collecte de l’information et aussi en raison des craintes des éleveurs à se voir appliquer de nouvelles taxes [De Jong, 1996], les chercheurs sont le plus souvent contraints d’aller chercher eux-mêmes les caractéristiques des élevages laitiers sur le terrain. Lhoste [1984] rapporte qu’avant d’entamer la collecte et l’analyse de données, il faut tout d’abord commencer par se renseigner sur les niveaux d’organisation influant sur les résultats des élevages. Cet auteur propose un organigramme général déterminant le fonctionnement des systèmes de productions animales, qui constitue comme un inventaire exhaustif des objets d’étude du chercheur intéressé par ces entités (Tableau 5). A travers cette représentation simplifiée à l’extrême du fonctionnement des systèmes d’élevage, il est clairement affirmé que leur compréhension va bien au-delà de la seule connaissance du cheptel bovin.
C’est seulement en se fixant un objectif de collecte des informations, qu’il faut ensuite réfléchir aux voies d’y parvenir, surtout lorsque peu de moyens sont disponibles [Labe et Palm, 1999]. A ce niveau, Roeleveld et Van Den Broek, [1999] distinguent deux types d’approche : l’enquête informelle et le suivi d’élevage. Pour ces auteurs, ces deux volets du travail sont complémentaires et le choix de privilégier l’un par rapport à l’autre est nécessaire lorsque les moyens matériels ne suffisent pas à les assumer pleinement. Un survol de la bibliographie disponible sur les études de systèmes laitiers en zone tropicale montre que les travaux adoptent généralement les deux démarches, allant d’abord d’une description générale des modalités de production basée sur une enquête rapide ou informelle [Hanyani - Mlambo et al., 1998 ; Losada et al., 1998], à une phase plus détaillée avec un formulaire d’enquête plus élaboré et permettant d’avoir une vision plus détaillée du fonctionnement des systèmes laitiers.




Tableau 5. Les composantes, éléments et paramètres des systèmes d’élevage.
ComposantesÉlémentsParamètresTerritoires villageois etStructurationComposition du fourragesystèmes de culturesRépartition - surfaceProduction primairePhytomasseComposition chimiqueValeur nutritiveUtilisation par le bétailAccessibilitéAppétibilité et ingestibilitéEvolution dans le tempsVariations saisonnièresVariations interannuellesReproduction InterfaceComportement alimentaireBilansBilan fourrager- Matière organique - Fertilité et système de cultureTroupeauStructure (statistiques)Espèces, races et effectifsCompositionDynamiqueReproduction et mortalitéExploitation et croîtAnimalAge, et état sanitaireStade physiologiquePerformances individuellesConduiteDu troupeauDe l’alimentationDe la reproductionProductionViande, lait, laine,…Fumier, traction,…InterfacePratiquesSoins
Conduite
Savoir-faireRôle du bétail (économique et
socio-culturel)Modes de valorisation
du bétailEleveurEthnie, famille, histoireProjetsOrganisation du secteur Besoins / revenusRelations avec la communautéServices de l’élevageInterfaceOrganisation foncièreGestion des pâturagesStratégie : transhumanceD’après Lhoste [1984]
La part de l’analyse économique est prépondérante dans ce genre d’études car elle renseigne sur la viabilité de cette activité et sur les options de production retenues par les éleveurs [Debrah et al., 1995]. Généralement, elle consiste surtout en un calcul de la marge brute des élevages laitiers qui, selon Johnson [1985], représente « la différence entre la valeur du chiffre d’affaires, à savoir la totalité des ventes de tous les produits, tels que le lait, les animaux, et le fumier, et l’ensemble des coûts inhérents au processus de production ». Une autre préoccupation des chercheurs sur les systèmes d’élevage laitier dans les pays en développement revient à s’intéresser aux répercussions de l’aval de la filière laitière sur la structuration des étables laitières [Meyer et Denis, 1999]. A l’opposé de la situation en pays développés, où l’organisation des droits à produire (quotas en Europe) garantit des possibilités certaines de commercialisation du lait, la majorité des producteurs des pays en développement écoulent leurs productions selon des canaux aléatoires et non pérennes. Ainsi, Alary [1999] rappelle la fragilité du système coopératif laitier en Inde face à l’épreuve de la libéralisation, dans un contexte où le gouvernement indien a fortement protégé cette filière, et pose la question de l’avenir des producteurs. Ces derniers s’étaient accoutumés à ce protectionnisme et avaient adapté leurs modes de production en conséquent, optant pour des systèmes très peu intensifiés. Au Maroc, il a aussi été clairement vu que les effets des possibilités d’accéder au marché du lait étaient variables selon les saisons, notamment à cause des changements climatiques et des périodes de célébrations religieuses (mois du Ramadan), et ceci induisait des ajustements certains au niveau de l’organisation de la production [Sraïri et Medkouri, 1999].
L’étude des systèmes de production laitière, dans les pays en développement, est donc une condition préalable à l’amélioration de l’auto - approvisionnement local [Meyer et Denis, 1999]. Elle suppose la prise en compte de toutes les caractéristiques du milieu, qu’elles soient techniques (races animales, climat, savoir-faire...) mais aussi économiques et politiques [Roeleveld et Van Den Broek, 1999]. La complexité de ce type d’études ne peut que revêtir des atouts certains, mais elle comporte aussi des limites.

I.2.6 Atouts et limites des recherches sur les systèmes d’élevage laitiers
Le récent engouement pour les recherches sur les systèmes d’élevage a suscité tout un ensemble d’études pour cerner la durabilité des filières animales à travers le monde [Gibon et al., 1999 ; Heitschmidt et al., 1996]. De manière plus spécifique aux élevages de bovins laitiers, de nombreuses méthodologies d’approche ont été proposées pour en évaluer la réussite économique [Cordonnier, 1986], pour en identifier les acteurs les plus dynamiques, à travers des typologies d’exploitation [Dobremez et Bousset, 1996], ou pour en analyser les ateliers techniques défaillants [Brand et al., 1996]. Ces méthodes ont été appliquées dans divers environnements et ont même été ajustées selon les contraintes de disponibilité de l’information et de possibilités d’analyse, ce qui fait qu’actuellement plusieurs résultats sur les systèmes d’élevage laitier à travers le monde ont été publiés [Meyer et Denis, 1999]. L’approche système appliquée aux productions animales semble être devenue une voie classique pour l’étude des élevages en raison des nombreux atouts prêtés aux RSA, notamment leur vision globale des problèmes des entités de production [Oltjen et Beckett, 1996 ; Ruthenberg, 1980]. En ces moments de doutes pour les filière bovines laitières, tant des pays développés, à cause de la crise productiviste et de ses effets sur l’environnement [Kohn et al., 1997 ; Demeyer et Fievez, 2000 ; Peyraud, 2000], que pour les pays sous-développés, en raison de la mondialisation et de la croissance démographique, les études systémiques des élevages ont pour rôle de dresser un diagnostic complet des modes de production et surtout d’orienter la recherche ultérieure et d’en fixer les priorités [Roeleveld et Van Den Broek, 1999]. Ainsi, après les écrits des années 80 qui expliquaient les échecs des projets de développement des productions animales en zone tropicale par l’absence de vision systémique [Gryseels, 1988], plusieurs auteurs retracent plus récemment des expériences d’amélioration des performances des systèmes d’élevage grâce à une approche globale [Zwart et De Jong, 1996 ; Schiere, 1995 ; Vissac, 1994].

Par exemple, même dans le contexte des pays à fort potentiel de production laitière, les chercheurs essaient d’isoler les facteurs autres que techniques (conduite alimentaire et patrimoine génétique des vaches) qui peuvent influer sur les résultats des systèmes laitiers [Ledin et Lema, 1996]. Certes, ces méthodologies sont complexes, car elles requièrent souvent un travail de longue haleine relativement coûteux et qui nécessite la participation de compétences diverses pour garantir la pluridisciplinarité, mais elles sont une garantie pour éviter de ne pas gaspiller tout simplement les deniers de la recherche, surtout lors de transfert de technologies ou de matériel animal (vaches laitières et leurs produits ou paillettes de spermes ou embryons) des pays développés vers des pays plus démunis [De Jong, 1996 ; Jasiorowski, 1991].

Néanmoins, l’approche systémique est loin d’être une panacée aux problèmes des systèmes d’élevage. Outre les besoins en temps et en moyens nécessaires, ce genre d’approche souffre de la diversité des approches et surtout des difficultés à enchaîner sur un processus de développement [Gryseels, 1988]. Dans les pays du tiers-monde, la diversité et parfois l’antagonisme des caractéristiques des élevages [Amir et Knispscheer, 1989] font que les essais zootechniques qui devraient être menés en milieu paysan pour valider une approche de type recherche - développement ont peu de chances d’aboutir (Tableau 6). De ce fait, les objectifs globaux de la recherche risquent de ne pas être totalement concrétisés.
 
Des observations précédentes, il apparaît que les RSE appliquées aux bovins laitiers sont un outil d’étude dont les résultats peuvent être très avantageux pour caractériser les modes de production de lait dans un pays ou une région donnés. Au delà du simple intérêt académique de ce genre de travaux, ils peuvent se justifier par le fait qu’ils constituent, selon plusieurs auteurs [Meyer et Denis, 1999 ; Simmonds, 1986], une étape de description et d’analyse indispensable avant d’entamer un quelconque processus de développement des élevages laitiers à grande échelle.

Tableau 6. Implications des caractéristiques des élevages sur les essais en milieu paysan.

FacteurCaractéristiques des élevagesImplications pour les essais zootechniques en milieu paysanMobilitéElevéeDifficulté des mesures et du contrôle des facteurs non expérimentauxDurée du cycleGénéralement plus d’un anAugmentation des coûts et perte possible de l’unité expérimentaleSynchronisation du cycleUnités peu synchroniséesDifficulté de trouver des unités comparablesUnités multiplesViandes, peaux, lait, fumier, traitDifficultés d’estimer l’effet du traitementIntrantsPlusieurs typesDifficultés de mesureTaille des unités expérimentalesGrande et indivisibleAugmentation des coûts et du risque pour les collaborateursAttitudes du producteurTabous personnelsDifficultés de marquer les bêtes ou d’en réduire le nombreVariabilité dans la gestionElevéeDifficulté d’isoler l’effet du traitementUnités à observerPeu nombreusesGrande variabilité statistiquePropriétéSouvent partagéeGestion conjointeRessourcesSouvent terres communalesMotivation réduiteAudience cibleFamille paysanne, communautéPlus grande variabilité dans la gestion
D’après Gryseels [1988]




I.2.7 Conclusion

Après la Révolution verte, paroxysme de la vision technicisée et uniformisée pour augmenter la productivité de l’agriculture dans les pays en développement, et son bilan plus que mitigé, l’approche systémique a certainement conquis du terrain comme nouvelle voie d’investigation pour l’agronomie, si ce n’est rien que pour son aspect séduisant d’influer sur les objets étudiés (exploitations agricoles). A cet égard, les études sur les systèmes d’élevage connaissent un regain d’intérêt certain et s’érigent comme outil indispensable pour la constitution de filières animales durables, fournisseurs de produits de qualité, créatrices de travail et de plus-value et permettant de gérer et de préserver l’environnement physique. Leur application à l’élevage bovin laitier est à plus d’un titre nécessaire et commence à se généraliser dans divers types d’écosystèmes, car ce type de production est certainement l’élevage le plus complexe en raison de la longueur de la filière traitant un produit périssable comme le lait. Au delà des différences entre régions et entre groupes d’éleveurs, la formalisation d’une méthodologie pour l’étude des étables laitières et de leur insertion dans leur milieu humain et physique semble être devenu l’objectif prioritaire des équipes de chercheurs s’intéressant à ce type de problématiques. A ce niveau, si la prise de conscience de la nécessité de penser à des filières animales durables est actuellement établie et implique une orientation précise aux objectifs des chercheurs, la variabilité entre régions développées et pays en développement, et surtout la disparité des objectifs des éleveurs entravent la constitution d’une approche de recherche qui soit uniforme avec des méthodes universelles. Les perspectives de recherche demeurent donc largement ouvertes et intiment à tous les concernés par l’avenir de la production bovine laitière, aussi bien les chercheurs que les éleveurs, les pouvoirs publics et les organismes internationaux en charge de la recherche animale, à davantage d’efforts pour arriver à mettre sur pied des réseaux de compétence s’intéressant à ce vaste domaine.











II - Evolution des filieres laitières au Maghreb
















II – 1 Étude des filières laitières maghrébines : introduction

Le Maghreb se présente comme un ensemble géopolitique important de la rive Sud de la mer Méditerranée. Au seuil de l’Europe, les trois pays constituant ce groupe territorial, à savoir le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, forment une transition entre le monde tempéré et le monde tropical. D’ailleurs, certains géographes désignent le Maghreb comme la zone la plus méridionale de la région tempérée, tandis que d’autres le situent dans la sphère subtropicale [Poncet, 1962 ; Balta, 1990 ; Durand-Dastes et Mutin, 1995]. En dépit de son ancrage africain, la Méditerranée reste le véhicule des civilisations qui ont fleuri sur les rives du Maghreb.

L’agriculture et l’élevage représentent des activités essentielles de la vie au Maghreb, par leur rôle d’aménagement du territoire et surtout de régulation sociale [Couleau, 1968], et une majorité de projets de développement et les réformes sociales dans ces trois pays s’articulent inévitablement autour d’eux [Lery, 1984]. L’agriculture au Maghreb, avec sa composante élevage, est une, dans la mesure où elle est méditerranéenne, et elle est aussi multiple étant donné la disparité des milieux géographiques et aussi pour des raisons structurelles de différences entre régions [Tully, 1990]. L’élevage laitier intensif, malgré ses aspects novateurs pour le paysage agricole traditionnel des trois pays (aucun n’a de culture laitière originellement établie et encore moins de races bovines ou de pratiques agricoles orientées spécifiquement vers la production laitière et sa transformation), constitue un axe important des interventions des pouvoirs publics dans le domaine agricole. En effet, pour une meilleure valorisation des maigres ressources fourragères disponibles, des politiques d’élevage privilégiant le secteur laitier ont été instaurées [Bourbouze et al., 1989]. Ces expériences de développement de la production locale sont actuellement en cours, et elles connaissent diverses fortunes, et de nombreux réajustements par rapport aux prévisions initiales, tant pour des raisons endogènes (stabilité sociale, équilibres financiers…) [Bethemont, 2000], que pour des facteurs liés à la conjoncture mondiale du marché du lait et des produits d’exportation de ces pays [George, 1991].

Dans les trois pays, l’exiguïté des surfaces agricoles utiles, le poids des aléas climatiques et des habitudes héritées de l’histoire agraire conjugués à une croissance démographique soutenue créent des impératifs analogues de résolution des problèmes d’approvisionnement alimentaire des populations [Abaab et Elloumi, 1997 ; Akesbi, 1997 ; Chaulet, 1991]. Ainsi, au Maroc, la population a crû entre 1960 et 1995 à un rythme de près de 2,3 % par an pour plus de 2,7 % en Algérie et 2,0 % en Tunisie. Les pouvoirs publics ont tenté par plusieurs moyens d’initier des politiques à même de pallier les insuffisances structurelles et les variations annuelles des productions, notamment pour les produits de base dans les us alimentaires : les céréales, et le lait comme principal fournisseur de protéines animales. Mais ce défi reste d’actualité et se pose avec de plus en plus d’acuité dans un contexte où les trois pays ont entamé des réformes de leurs finances, dans le cadre de ce qui est communément appelé programme d’ajustement structurel [Talha, 1994], et dont les répercussions sur l’essor économique est plus que négatif, car certains jugent que ces types de programmes ont détruit les économies nationales, et donc avili le secteur productif, dont l’agriculture n’est pas des moindres [Chossudovsky, 1998].

Dans cette revue bibliographique, une synthèse globale de l’état actuel et des perspectives de développement de la production laitière dans les pays du Maghreb sera présentée. Pour ce faire, le cadre naturel de l’agriculture et de l’élevage maghrébins sera détaillé (partie II-2), puis les politiques laitières dans les trois pays seront exposées (partie II-3). Ensuite, les performances des filières laitières seront abordées, en mettant l’accent plus particulièrement sur l’amont de ces filières, à savoir les élevages laitiers et leur environnement (partie II-4). Pour conclure, les perspectives de développement de ces filières laitières seront passées en revue, à la lumière de la conjoncture économique interne et aussi en relation avec le marché international du lait (partie II-5).


II – 2 Cadre naturel de l’agriculture et de l’élevage au Maghreb


Lery [1984] distingue, dans les trois pays du Maghreb, deux grands ensembles géographiques, mais dont l’étendue est très variable :

la partie nord, qu’il dénomme Maghreb proprement dit et qui est méditerranéenne et subtropicale, représentant le « pays utile ». Elle couvre près de 8 millions de ha au Maroc et constitue 9 % de la superficie totale de ce pays, pour 6,5 millions de ha et 2,7 % de la superficie de l’Algérie, et pour 3,2 million de ha soit 18 % de la superficie totale en Tunisie ;

au Sud, le Sahara, ou vaste étendue désertique, pratiquement impropre à l’agriculture intensive ; domaine quasi-exclusif des élevages nomades, à l’exception de rares îlots de verdure représentés par les oasis.

D’un point de vue du relief, le Maghreb est essentiellement un pays de hautes terres qui s’abaisse progressivement vers l’Est. Les plaines sont généralement encadrées par des chaînes montagneuses (Rif, Moyen Atlas et Haut Atlas au Maroc, Hodna et Nememcha en Algérie et montagnes de Gafsa en Tunisie). Le relief est, en Afrique du Nord, un facteur fondamental des diversités régionales et des contrastes qui opposent parfois des pays voisins [Balta, 1990]. Les montagnes jouent ainsi un rôle essentiel dans la répartition des activités agricoles et pastorales, et donc dans l’organisation sociale et même politique du territoire [Couleau, 1968]. Ce sont aussi des réservoirs d’eau, car elles alimentent les sources et surtout elles envoient dans les plaines les eaux de ruissellement. A cet égard, le Maroc est particulièrement favorisé avec les chaînes de l’Atlas exposées aux pluies atlantiques [Azzam, 1990].

Globalement, il est donc possible de distinguer trois grands types de régions géographiques, potentiellement utilisables à des fins agricoles, dans les trois pays du Maghreb :

les plaines et collines telles les plaines atlantiques au Maroc (Gharb, Doukkala, Loukkos), avec une intense activité agricole surtout depuis le Protectorat français, les plaines continentales du Maroc délimitées par le Moyen Atlas (Tadla) le Rif (Saïss) et le Haut Atlas (Haouz), et les plaines du Maroc oriental qui représente le 1/8ème de la superficie du pays mais qui ne nourrissent que le vingtième de sa population en raison de la sécheresse chronique qui y sévit, ou encore en Algérie, les plaines du Hodna, les hautes plaines de l’Ouest, caractérisées par de la céréaliculture extensive, les hautes plaines constantiniennes, le Tell occidental sec, les plaines du Chélif, la plaine de Annaba, et en Tunisie, le Tell du Nord Est, et le pays de la Medjerdja ;

les zones montagneuses et de piémont, qui au Maroc se résument principalement aux chaînes de montagne du Rif, des Moyen et Haut Atlas et de l’Anti Atlas, et qui correspondent en Algérie à l’Atlas saharien de l’Ouest, les monts des Ksour, le Djebel Amour, les monts des Ouled Naïl, les monts du Hodna, de l’Aurès et des Nememcha et le Tell occidental et à l’extrême est, l’Atlas tellien de Annaba, tandis qu’en Tunisie il s’agit du Tell et à un degré moindre du domaine de la Haute Steppe ;

les zones d’agriculture oasienne, qui constituent de véritables systèmes agricoles intensifiés, mais très vulnérables [Floret et Pontanier, 1982], dont la participation à la valeur ajouté du secteur primaire reste faible, notamment eu égard à leur éloignement des grands centres de consommation, mais qui peuvent être de véritables pôles de développement locaux [Clouet et Dolle, 1998] .


Le climat, au Maghreb, est un des facteurs clé pour saisir l’évolution des systèmes agraires et leur adaptation aux contraintes environnementales. Etant donné les larges variations intra et inter annuelles du climat que les trois pays connaissent, les résultats du secteur agricole sont très contrastés d’année en année, et ceci induit une forte dépendance du secteur agricole vis-à-vis des caprices climatiques [Bedrani et al., 1997 ; Amri, 1991]. Ceci se répercute même sur les équilibres financiers de ces pays, plus particulièrement le Maroc, et le rend à la merci des aléas climatiques [Akesbi, 1991]. L’Afrique du Nord est en effet une zone de contact et de lutte entre les masses d’air d’origine arctique et les masses d’air tropicale, ce qui se traduit par une pluviosité très intermittente [Isnard, 1978]. Ainsi, les années se suivent sans se ressembler et les moyennes des températures et surtout des précipitations n’ont pas de signification (Tableau 7). Or, le climat domine tout, commandant le régime des cours d’eau, et surtout le type et le rythme de vie agricole. Malheureusement, jusqu’ici, cette variabilité du climat a très peu été prise en compte dans les planifications des schémas de développement agricole, tout comme elle a largement été occultée des préoccupations de la recherche agronomique. Pluvinage [2002], écrit à juste titre qu’au Maghreb, « la question de fond de la science agronomique, c’est que les manières de raisonner issues de l’agriculture des pays tempérés sous-estiment très largement l’aléa climatique ». 


Tableau 7. Variations des précipitations au Maroc : cas des stations de Rabat et de Beni Mellal.

Année90-9192-9394-9596-9798-0002-03Moyenne (90-03)Précipitations (mm)Rabat - Salé566313337728462503469 ( 124Béni - Mellal403188143479359379336 ( 186Source : MADRPM [2003]

C’est pourquoi, face à la variabilité climatique, notamment des régimes pluviaux, les trois pays du Maghreb se sont lancés dans des programmes d’irrigation. En effet, au Maghreb, l’eau est de loin l’agent de fertilité numéro un, quelle que soit la nature des sols [Corbeels, 1997]. Et même dans les régions où il pleut assez, il a fallu aménager des ouvrages d’art pour parer à l’irrégularité des eaux, car le Maghreb ne dispose pas de fleuve, comme le Nil en Egypte, et souvent le débit de ses cours d’eau se réduit à presque rien en période estivale, au moment où les besoins d’irrigation sont à leur niveau maximal [Bouzaidi, 1991 ; Durand-Dastes et Mutin, 1995].

Les politiques d’irrigation au Maghreb revêtent généralement deux aspects distincts :
petite et moyenne hydraulique qui consiste à lutter contre les eaux nuisibles et à construire des barrages d’épandage des eaux de crue ;

grande hydraulique, consacrée à l’édification de barrages, de réservoirs, et d’installations de transport et de distribution d’eau dans les périmètres irrigables ou dans les agglomérations urbaines.


Ainsi, au Maroc, la politique dite du « million d’hectares irrigués », initiée à l’Indépendance du pays en 1956, a permis d’équiper près de 1 004 000 ha en près de 30 ans. En Tunisie, près de 250 000 ha sont actuellement irrigués, et en Algérie les terres irriguées occupent près de 449 000 ha.

Dans une telle conjoncture, l’élevage au Maghreb est très vulnérable, surtout lors des grandes périodes de sécheresse estivale [Lery, 1984]. Certes la mobilité est alors un moyen de contrer les effets néfastes des sécheresses par l’investissement de nouveaux espaces [Bourbouze, 1982]. Mais les récentes crises des domaines de parcours, liées aux fortes pressions qui s’y exercent et à leurs politiques de gestion encore mal définies [Allali, 2000], rendent improbables le seul recours aux terres à pâturages comme facteur de développement d’un élevage intensif à même de répondre aux besoins sans cesse croissants d’une population en essor et dont les modes de consommation évoluent. Dans cette région, les impératifs vivriers ont toujours fait que les ruminants ont été confinés aux seules zones impropres à la mise en culture céréalière, ou à la valorisation des résidus des cultures, notamment des pailles de céréales [Chermitti, 1994]. Il s’ensuit qu’il est impossible actuellement de concevoir des plans de développement des productions animales uniquement basés sur de plus intenses prélèvements sur les parcours, tout comme il est encore plus improbable de compter sur une augmentation des effectifs pour atteindre une satisfaction des besoins des populations [Eddebbarh, 1991]. Aussi, l’augmentation des apports fourragers à partir du domaine irrigué et des sous-produits industriels est-elle devenue impérative [Guessous, 1991]. Mais l’usage est lorsqu’on parle de l’élevage au Maghreb, d’insister d’une part sur la rareté des productions irriguées, dont le résultat est garanti, et d’autre part sur la faible valeur vénale d’un cheptel trop nombreux et mal soigné [INRA, 1965]. Ainsi, Khettouche [1994] énonce que les obstacles au développement des fourrages au Maroc sont surtout dus à un milieu humain non favorable. Selon cet auteur, l’agriculteur marocain considère encore son troupeau comme un moyen d’épargne qu’il ne songe pas à exploiter intensivement pour en tirer un revenu régulier. Ce même auteur soutient la thèse que les pâturages naturels sont peu productifs, car situés sur des sols pauvres peu arrosés et surpâturés. Or, le développement des cultures fourragères, en dépit des rôles cruciaux qu’elles pourraient assurer pour relever le niveau de performances des élevages, reste entravé par l’état d’esprit des agriculteurs maghrébins : d’abord assurer les récoltes de grains, à la base de l’alimentation du groupe familial [Rondia et al., 1985].

Dans les plans de développement des zones irriguées du Maghreb, un intérêt tout particulier a été voué aux cultures fourragères pour une valorisation des atouts agronomiques présentés par ces régions (intégration agriculture - élevage, amélioration de la fertilité des sols, diversification des sources de revenus,....) et, surtout, pour contribuer à augmenter les productions locales en lait [Bourbouze et al., 1989]. Par ailleurs, outre cette amélioration des disponibilités fourragères, les pouvoirs publics des trois pays ont visé à créer un noyau de bovins aux potentialités laitières confirmées, soit par la multiplication de croisements entre bovins locaux et des bovins de type laitier des pays tempérés, dans le cadre de programme appelés « croisement d’absorption des bovins de type local », mais dont les résultats ont été très controversés [Falaki, 1995 ; Slimane et Ouali, 1991], soit carrément par l’importation de vaches laitières réalisant toutes leurs carrières au Maghreb [Djemali et Berger, 1992 ; Sraïri et Baqasse, 2000]. Malgré les multiples mises en garde récentes relatives aux périls que constituent de telles politiques quant à la survie des races locales originelles [Rodriguez et Preston, 1997], sans omettre les bilans plus que mitigés des importations de bétail [Ørskov, 1993], ces mesures constituent actuellement le principal volet d’action des pays maghrébins pour rehausser le potentiel de production laitière local et essayer d’assurer un tant soit peu l’autosuffisance en produits lactés. Elles visent aussi en parallèle à créer de l’emploi en milieu rural et stabiliser des sources de revenus pour les milliers de foyers qui exploitent des bovins.


II – 3 Politiques laitières dans les pays du Maghreb

Les Etats du Maghreb appliquent tous depuis l’indépendance une politique agricole à multiples visées :

sociales et économiques, en faisant de l’agriculture un volet de croissance et de création d’emplois et de richesse ;

politiques en s’assurant la fidélité des populations paysannes qui pourraient être facteur d’instabilité [Wolfe, 1975 ; Leveau, 1972] ;

nutritionnelles en essayant de produire localement les biens nécessaires à la satisfaction des besoins de la population.


Certes, même si l’agriculture ne représente pas plus de 20% de la Production Intérieure Brute (PIB) dans les trois pays, il n’en demeure pas moins que les pouvoirs publics lui accordent une attention particulière. En effet, en raison du poids des affaires du monde rural, les problématiques de développement qui interpellent cette région du monde sont fort complexes [Sethom, 1991 ; El Khyari, 1985]. Les politiques agricoles qui se sont succédées dans les trois pays, en plus de leurs très fortes corrélations aux choix de politique générale adoptés par les dirigeants locaux ont généralement fait une place belle à deux types de denrées : les aliments de première nécessité, tels les céréales et le lait et les produits agricoles destinés à l’exportation, tels que les primeurs, les fruits et légumes ou même le vin [El Khyari, 1985]. Si des succès incontestables ont été réalisés, après que de gros efforts financiers aient été consentis, il n’en demeure pas moins que le bilan reste alarmant notamment pour les produits vivriers de base [Bencharif et al., 1996 ; Talha, 1994]. De plus, la situation est loin d’être homogène pour les trois pays considérés.

En effet, si en Algérie, les options de développement retenues ont privilégié le secteur industriel par rapport à l’agriculture, l’Etat a pris sur lui d’assurer, via d’importants achats sur le marché international, l’approvisionnement de la population locale [Dufumier, 1996]. Aujourd’hui encore, en dépit de la crise financière aigüe l’Algérie demeure un des principaux importateurs mondiaux de lait et de céréales [Chalmin, 1999 ; Bencharif et al., 1996]. Ainsi, les niveaux d’importation en lait dans ce pays ont été plus de 8 fois supérieurs à ceux du Maroc, pour des populations humaines sensiblement égales (Tableau 8).

Tableau 8. Niveau d’importation de produits laitiers dans les pays du Maghreb.

AnnéeAlgérieMarocTunisieT eq. laitkg/hab/anT eq. laitkg/hab/anT eq. laitkg/hab/an19921 721 43766,2298 31912,6236 74224,219941 880 46872,3311 32712,9142 97615,019961 618 48662,7301 43212,3145 67415,419981 786 79065,5209 2629,472 0897,520001 814 62566,0245 25610,263 1256,420021 765 48265,1250 14510,471 4527,0D’après FAO [2003]

En dépit de toutes les ressources dont dispose ce pays, peu d’efforts de promotion de la production agricole locale ont été réalisés, comme cela aurait pu être possible pour la production céréalière [Baghdali, 1990]. Chaulet [1991] s’interroge sur les limites de cette politique agricole des pouvoirs publics algériens qui continuent à être peu sensibles aux dimensions nutritionnelles et sociales de l’agriculture. Elle énonce qu’en maintenant une telle approche, le monde rural risque de devenir un véritable foyer d’agitation, que seules des mesures radicales de réforme agraire pourraient apaiser.

Dans cet ordre d’idées, le secteur local d’élevage laitier en Algérie a ainsi été quelque peu délaissé par les politiques de développement [Bourbouze et al., 1989]. Les performances des vaches laitières sont modestes et Madani et Far [2002] dans une étude récente consacrée à l’élevage bovin dans ce pays, énoncent que «  même dans des conditions d’offres fourragères acceptables, il y a une dégradation du potentiel de production laitière ». Ils citent des lactations standard de 305 j évaluée à 2 579 kg pour des vaches de type Montbéliarde. Et d’ajouter que ce genre de conclusions « milite en faveur du changement des choix techniques et plus particulièrement du type d’animaux et des systèmes d’élevage implantés ». De toutes les manières, avec les récents problèmes financiers que connaît le pays, les pouvoirs publics ont été contraints de songer à stimuler la production laitière [Bedrani et al., 1997]. Néanmoins, les prévisions de la Fédération Internationale Laitière (FIL) attestent que l’Algérie restera un des principaux importateurs mondiaux de produits laitiers [Griffin, 1997], car dans ce pays une importante capacité industrielle de reconstitution du lait entier à partir de poudre de lait importé a été installée. Actuellement, l’Algérie achète près du tiers des quantités mondiales de lait commercialisé (31 %).

Au Maroc, la situation est bien plus contrastée, car ce pays a retenu l’agriculture comme vecteur principal de développement [Swearingen, 1986], avec, dès l’Indépendance en 1956, une tentative de rééquilibrer l’ancienne approche politique de la puissance colonisatrice aux problèmes agricoles, vers une distribution plus équitable des fruits de la croissance [El Khyari, 1985]. A la différence de l’Algérie, dotée d’importants gisements pétroliers et de gaz naturels, et qui en font sa principale pour ne pas dire unique ressource d’exportation [Aït Amara, 1990], le Maroc a tenté d’exploiter les avantages comparatifs que lui octroient son climat et ses richesses hydrauliques pour développer son agriculture. Outre l’installation de cultures de rente spécialisées pour l’exportation, que certains auteurs critiquent, car ils y voient beaucoup plus une agriculture dévoyée au service d’une clientèle étrangère et qui n’a pas réellement profité à l’ensemble de la paysannerie [Pascon, 1979 ; Akesbi, 1997], d’importants plans de développement de cultures vivrières et de productions animales ont été instaurés : plan sucrier, plan laitier, plan moutonnier… Dans le domaine de la production laitière, une nette amélioration de l’offre a été réalisée, notamment à travers l’application de mesures de protection des prix des intrants et d’appui technique aux éleveurs. Néanmoins, le rythme d’augmentation de la production a quelque peu fléchi ces dernières années, car d’importants cycles de sécheresse ont sévi sur le pays [Barakat et Handoufe, 1998], et les protections sur les prix des intrants utilisés en production laitière ne sont plus aussi nettes [Akesbi, 1997]. Par ailleurs, même en zones irriguées, il a été démontré que la production laitière restait inféodée aux variations climatiques [Sraïri et Ilham, 2000], ce qui montre que les éleveurs de ces régions où a été mis en œuvre un processus d’intensification de la conduite du cheptel bovin (races importées, fourrages irrigués,…), continuent néanmoins de considérer leur troupeau avant tout comme un moyen de diversification de leurs activités. Il s’ensuit des performances du cheptel laitier en zone irriguée insatisfaisantes par rapport aux potentialités des bovins, avec des manques à gagner considérables [Sraïri et Baqasse, 2000].

En Tunisie, une évolution intermédiaire entre celles du Maroc et de l’Algérie en matière de politique laitière est à distinguer. En effet, jusque vers le milieu des années 1980, ce pays était très fortement tributaire des importations en lait pour l’approvisionnement de la population, mais depuis, un ambitieux programme de production laitière locale a été initié, faisant la part belle à une protection des prix du lait et à l’encouragement de systèmes très adaptés aux conditions locales : faibles productions fourragères et utilisation de concentrés. De même, de vastes mesures de protection de la filière laitière ont été adoptées, en matière d’appui financier aux éleveurs (crédits à l’investissement), en relation à l’élevage local de génisses de type laitier, et aussi en liaison à la production fourragère (prime aux multiplicateurs de semences, à l’irrigation…) et aux bâtiments d’élevage [Brahmia et al., 2003]. De nombreuses situations de production laitière « hors-sol » se sont même instituées, dans les ceintures urbaines et dans les régions oasiennes [Salem et al., 1998]. Il va sans dire que dans un tel contexte, l’Etat tunisien continue à assurer l’importation de concentrés pour les éleveurs à des prix intéressants. Les résultats de cette politique font que la Tunisie est devenue totalement autosuffisante en lait (des exportations sporadiques en produits laitiers ont même eu lieu vers la Libye en 1997 et 1998), et que ces dernières années, les pouvoirs publics ont commencé à cibler leur attention beaucoup plus vers une amélioration de la qualité du lait que vers l’augmentation des quantités produites [Djemali et Kayouli, 2003].

À l’analyse de la dynamique des filières laitières au Maghreb, il est évident que pour les trois pays, la caractéristique commune dans le domaine de l’élevage laitier intensif d’après Indépendance (des années 1960 à aujourd’hui), reste ce que Bourbouze [2002] dénomme les « temps longs » du développement. Selon cet auteur, tous les changements qui ont été enregistrés ont finalement nécessité bien plus de temps que ne l’ont imaginé les experts qui les ont planifiés. Ce même chercheur insiste finalement sur les conséquences de cette lenteur par rapport à l’efficience des programmes qui les sous-tendent, et surtout par rapport aux impératifs urgents des besoins de populations en croissance démographique rapide.




II – 4 Performances comparées des filières laitières dans les pays du Maghreb

Le secteur laitier constitue un pôle important pour l’industrie agroalimentaire au Maghreb. Par exemple au Maroc, il représente près de 25 % de la valeur ajoutée des industries liées à l’agriculture, sans parler de sa participation à la création de travail et à l’approvisionnement de la population en une denrée stratégique [MADR, 2003]. La production laitière dans les trois pays a connu un net accroissement (figure 2), qui reflète surtout une intensification plus poussée, liée à des mesures d’encouragement souvent issues de décisions étatiques productivistes et volontaristes [Bourbouze et al., 1988]. Au même moment, les effectifs sont restés globalement stables (figure 3).

 EMBED Excel.Chart.8 \s 
Source : FAO [2003]

Figure 2. Évolution de la production laitière bovine dans les pays du Maghreb (en millions de litres).
 EMBED Excel.Chart.8 \s Source : FAO [2003]
Figure 3. Évolution de la taille du cheptel bovin dans les pays du Maghreb (en milliers de têtes).


Au Maroc, ce mouvement d’intensification initié par le lancement d’un plan laitier en 1975 s’est réalisé surtout à travers l’amélioration génétique du cheptel et l’artificialité du milieu d’élevage, dans un pays où les pratiques d’affouragement des bovins étaient surtout dominées par le pâturage extensif. Ainsi, la part des bovins de race locale a chuté de près de 90 % des effectifs totaux en 1970 à moins de 60 % en 1998, grâce aux progrès de l’insémination artificielle et après une importation massive de génisses laitières pleines (Tableau 9), largement supérieure aux 5 000 génisses prévues par le plan laitier. Toutefois, à partir de novembre 2000, avec la recrudescence des cas d’Encéphalopathie Spongiforme Bovine en Europe, les pouvoirs publics ont définitivement interdit toute importation de génisses, de peur de ne porter préjudice à un secteur de l’élevage déjà fortement ébranlé par plusieurs années de sécheresse. En effet, une éventuelle apparition de cas d’ESB au Maroc aurait définitivement discrédité le secteur de l’élevage bovin.


Tableau 9. Évolution de l’importation de génisses laitières au Maroc (en milliers).

Année80909495969798Génisses importées752517371128Source : MADRPM [1999]


Par ailleurs, les mises à l’eau dans les périmètres irrigués ont fait accroître la superficie emblavée en fourrages, ce qui explique que de majoritairement pastoral au début des années 70, le bilan fourrager est devenu dominé par les fourrages et les co-produits agro-industriels [Guessous, 1991]. Par exemple de 1992 à 1998, la superficie totale en fourrages dans le pays est passée de 167 700 à 220 200 ha. Malgré ces évolutions, les caractéristiques structurelles de l’élevage bovin au Maroc montrent qu’il s’agit encore en priorité d’une spéculation entre les mains des petits éleveurs (moins de 10 ha et une moyenne de 2 vaches par étable) qui accaparent plus de 74 % des effectifs sur moins de 45 % de la superficie totale exploitée [MADRPM, 1998]. D’ailleurs, la moyenne de production par vache laitière reste très faible, de l’ordre de 600 litres par an, témoignant de la prépondérance des femelles de type local peu allaitant et aussi du caractère globalement extensif de la production. Ceci montre, si besoin en est, que l’élevage bovin est avant tout une source de revenus complémentaires, dans un environnement économique et social instable, caractérisé par une pluviosité capricieuse qui remet souvent en cause les semailles vivrières annuelles de céréales [Amri, 1991]. Ceci se présente avec une acuité encore plus pressante en zones d’agriculture totalement pluviale, sans possibilité d’irrigation, qui continuent d’assurer en moyenne plus de 40 % de la production laitière marocaine, mais avec des performances économiques très variables selon les années [Sraïri et El Khattabi, 2001]. C’est pourquoi dans ce contexte, les performances de toute la filière laitière restent limitées par cette réalité et fortement tributaires des aléas climatiques à l’image de la productivité des vaches chez les petits éleveurs dont l’assise financière ne permet pas d’envisager une intensification du système de conduite [Sraïri et Medkouri, 1999]. Aussi, pour pallier le manque de production, les unités industrielles de transformation du lait sont obligées de recourir à des importations de lait en poudre, dont les quantités annuelles sont très variables selon la production locale de lait frais (Tableau 10).


Tableau 10. Évolution des importations de poudre de lait industriel au Maroc (en tonnes).

Années19801990199419951996199719982002Poudre de lait2 52110 07912 51718 4459 2419 1997 1128 124Source : MADR [2003]


Une des grandes réalisations du plan laitier marocain a été de permettre à des centaines de milliers d’exploitations agricoles, souvent situées en marge du réseau routier national, de commercialiser des quantités dérisoires de lait, leur garantissant un revenu stable et quotidien [Bourbouze, 2002]. Ceci a été rendu possible par la constitution d’une infrastructure de collecte du lait, sous forme de centres coopératifs disséminés à travers le territoire marocain. En une vingtaine d’années, le nombre de ces centres est passé de moins de 30 en 1970 à près de 950 en 1998 [MADRPM, 1998a]. Simultanément, la capacité de transformation industrielle du lait est passée de 700.000 à 2.000.000 de litres par jour entre 1983 et 1998. Cette politique de collecte fait qu’aujourd’hui près de 60 % de la production de lait du Maroc est usinée contre moins de 4 % en 1970. Malgré ces acquis, la consommation per capita de produits laitiers au Maroc demeure très faible et n’a pas connu d’amélioration sensible, car les gains de productivité réalisés ces dernières années suivent à peine la croissance démographique (Tableau 11).

Tableau 11. Évolution de la consommation des produits laitiers au Maroc (kg/hab/an).

Année1980199019941996199820002002Lait et dérivés38403637394041Beurre2121112Source : MADR [2003]

Ces niveaux de consommation restent d’ailleurs très inférieurs aux normes nutritionnelles de la FAO et de l’OMS qui préconisent près de 90 kg de lait par habitant par an, ce qui revient à dire que la production nationale du début des années 90 devrait se multiplier par près de 3 pour assurer une telle offre, et même par près de 6, si en plus elle doit tenir compte de l’accroissement démographique prévu d’ici à l’an 2025. Un autre point clé pour cerner les performances de la filière laitière au Maroc est la politique des prix. A cet égard, le tableau 10, montre clairement une dégradation du prix offert au producteur, tandis que la marge à la transformation a évolué à la hausse. Un phénomène similaire caractérise aussi des filières clé comme le sucre et les céréales, et Kydd et Thoyer [1993] reconnaissent que cette propension, directement issue du désengagement de l’Etat suite à l’ajustement structurel, a clairement remis en cause les lignes directrices originelles des plans de développement de l’agriculture marocaine. Ceci est allé à l’encontre de la réalisation de toutes les ambitions du plan laitier, et cet écart est devenu tellement flagrant que dans les zones limitrophes aux grands centres de consommation urbaine, les producteurs commencent à contourner les usines de transformation pour se livrer à la vente directe aux consommateurs, via des points de vente surnommés « laiteries traditionnelles ». En effet, le lait y est vendu plus cher que ce que peut en escompter le producteur lorsqu’il le cède aux collecteurs industriels, et moins cher pour le consommateur que le litre de lait « industriel ». Dans ce genre de laxisme vis-à-vis de la loi, qui prévoit que tout le lait doit nécessairement transiter dans des unités de pasteurisation, chacun (éleveur et petite transformation) pense retirer un bénéfice, mais en faisant fi des précautions sanitaires les plus élémentaires, car ce type de produits sont très peu concernés par les inspections des services d’hygiène [Sraïri, 1999b]. Néanmoins, les pouvoirs publics se doivent de composer avec un pareil secteur laitier informel, car il draine de grosses quantités de lait et il crée de nombreux emplois en zone urbaine et suburbaine [Letheuil, 1999].

Tableau 12. Écarts entre le prix perçu par le producteur de lait et le prix à la consommation au Maroc (en DH marocains).

Année1980199019941995199619972003Prix au producteur (1)1,272,622,943,003,003,003,00Prix au consommateur (2)1,704,105,005,005,205,405,80(1) / (2) x10074,763,958,860,057,755,651,7Source : MADR [2003]

Pour conclure sur la situation de la production laitière au Maroc, il est possible de retenir avec Akesbi [1997] que la « rupture intervenue au milieu des années 80 avec la mise en œuvre de la politique d’ajustement structurel » a eu pour conséquence d’amplifier les tares des modes de production existants, car la logique « d’augmenter les revenus plus que les rendements » s’est trouvée plus exacerbée dans un environnement où « la libéralisation des prix des intrants a surtout induit leur augmentation, alors que les conditions de commercialisation ne permettent pas toujours l’ajustement conséquent des prix de vente ». Mais en fait, il est logique à ce stade de se poser la question de savoir si finalement le caractère extensif de la production, malgré l’instauration d’une coûteuse infrastructure destinée à la rendre plus intensive, est une cause ou plutôt une conséquence de l’actuelle conjoncture des prix. En d’autres termes, les éleveurs préfèrent-ils ne pas trop s’aventurer vers une recherche de productivité maximale qui pourrait être nuisible à leur économie de production, ou plutôt est-ce que ce sont les données de l’élevage (éparpillement des producteurs, faiblesse des productions individuelles...) qui font que le marché n’est pas forcément en leur faveur ? De telles problématiques sont aujourd’hui au cœur des réflexions sur l’avenir des systèmes d’élevage, même dans les pays développés où l’extensification s’érige en alternative pour préserver les marges d’activité [Béranger, 1993].

En Algérie, la situation est relativement différente, car l’approvisionnement de ce pays en produits laitiers reste fortement dépendant des importations. La consommation en produits laitiers y est d’ailleurs relativement plus élevée qu’au Maroc. Ainsi, en 1992, l’Algérien moyen consommait près de 119 litres par an, ce qui le place nettement en accord avec les recommandations de la FAO. Mais près de 85% de cette quantité de lait provient de lait reconstitué importé et subventionné par l’Etat algérien, dont le prix est nettement inférieur au litre de lait frais localement produit : 1,30 dinars par rapport à 5,00 dinars en 1990, selon Aït Amara [1991]. Après la détérioration des prix des hydrocarbures sur le marché international, et suite à l’application des mesures d’ajustement structurel qui prévoient une restriction des dépenses, les pouvoirs publics ont tenté de revoir à la baisse leur niveau de subvention des produits laitiers, notamment en encourageant le prix du lait produit localement [Bedrani et al., 1997], ou tout au moins en essayant de réduire l’écart entre le prix du lait importé et le prix du lait frais produit en Algérie (figure 4). Ceci a été largement facilité par la forte dévaluation de la devise algérienne, le dinar.
Source : Bedrani et al. [1997]

Figure 4. Évolution des indices (100 en 1980) des prix unitaires du lait à la production (en dinars constants 1989) et de la poudre de lait importée (prix en US $) en Algérie.

Pour Bedrani et al. [1997], un changement de politique est intervenu dans les moyens d’approvisionner la population. Ils estiment ainsi que « la politique des bas prix à la production pour maintenir tout aussi bas les prix à la consommation a été supplantée par une politique de hausse des prix à la production locale pour essayer d’entraîner un accroissement des rendements et des productions et, ainsi, diminuer la facture alimentaire ; la subvention à la consommation n’étant plus supportée par les producteurs mais par la rente pétrolière ». Le soutien des prix à la production prend ici la forme d'une prime incitatrice en sus du prix à la production. Ainsi, le prix du lait de vache évolue plus favorablement que le prix du kg d’aliment composé pour vache, jusqu’à 1994, date à laquelle la trop forte dévaluation du dinar, devient préjudiciable pour les éleveurs algériens (Figure 5).
Néanmoins, en dépit de ce retournement de politique, en faveur d’un encouragement à la production laitière locale, il apparaît que la hausse des prix à la production n’est pas encore suffisante pour entraîner, même à moyen terme, la hausse de la production (figure 6). Aussi d’autres contraintes continuent-elles de s’opposer au développement d’une forte activité de production laitière locale en Algérie, notamment l’insuffisance des fourrages irrigués nécessaires à l’élevage laitier intensif.

A la lueur de ces éléments, il est légitime de se préoccuper de savoir si la politique de vérité des prix en Algérie aboutira à une meilleure utilisation des ressources en capital, notamment pour la production laitière intensive. Il convient à ce niveau de préciser qu’en 1996, seul le prix du lait importé continuait de faire l’objet d’une subvention à la consommation, à la différence des céréales, mais avec une nette dimension des niveaux de subvention par rapport à la fin des années 80. Ceci s’est traduit par une chute des niveaux d’importation de lait et surtout de consommation per capita de 119 à 95 kg/an entre 1988 et 1996 [bedrani et al., 1997].


Source : Bedrani et al. [1997].
Figure 5. Évolution des indices (100 en 1980) des prix (dinars constants 1989) de l’aliment pour vache laitière et du lait à la production en Algérie.



Source : Bedrani et al. [1997]

Figure 6. Évolution des indices (100 en 1980) de la production du lait de vache et du prix du lait perçu par les éleveurs (dinars constants 1989) en Algérie.



En Tunisie, jusqu’à la fin des années 80, une forte dépendance de l’agriculture à l’égard de l’étranger était observée, et surtout pour les denrées de première nécessité (huiles végétales, sucres et produits laitiers représentaient alors respectivement 29, 21 et 18 % des importations agricoles totales). Ceci s’est répercuté par l’adoption par les pouvoirs publics d’un certain nombre de mesures, basées sur cinq instruments de politique économique, qui sont i) le développement d’infrastructures agricoles, ii) la mobilisation des ressources naturelles, iii) la formation des agriculteurs, iv) le contrôle des prix des produits, des intrants aux prix à la consommation ; v) la protection du marché intérieur vis-à-vis des concurrents étrangers [Chemingui et Dessus, 1999]. Cette volte-face de politique agricole est intervenue après trois décennies au cours desquelles l’agriculture et l’élevage ont été utilisés, selon Ben Romdhane [1991], comme un large réservoir d’où a été extrait un surplus de capital destiné à financer des activités extra - agricoles. Aussi, avec une politique des prix nettement défavorable à la production agricole locale, c’est tout juste si certains économistes ne parlent pas d’extorsion de fonds à partir de l’agriculture tunisienne, extorsion totalement assumée par la paysannerie tunisienne, et en partie à ses détriments (Tableau 13).



Tableau 13. Prix à la production et coûts de production de denrées agricoles de base en Tunisie en dinar par tonne (année 1975).

ProduitsCoûts de productionPrix des produitsDifférenceBlé dur 75,0 66,0 9,0Blé tendre 71,5 60,0 11,5Orge 61,0 45,0 16,0Viande ovine750,0617,0133,0Viande bovine550,0490,0 60,0Huile d’olives119,0 83,0 36,0Lait frais120,0 65,0 55,0Ben Romdhane [1991]


Cependant, ce type de pratique de distorsion des prix agricoles ne pouvait pas se maintenir indéfiniment, car elle a entraîné une marginalisation importante du point de vue économique des exploitations agricoles de type familial, mais n’a pas pour autant eu pour conséquence leur disparition totale [Gana, 1991].
Aussi, dès le début des années 80, et en particulier vers 1985, des réajustements de politique sont opérés, au titre notamment de la garantie de la stabilité sociale, après les émeutes dites de la faim [Sethom, 1992]. En rapport avec le secteur de l’élevage, ceci se concrétise par un ambitieux projet de développer la production laitière locale, à travers les prestations de l’Office de l’Elevage et des Pâturages (OEP). Toutefois, au niveau des prix du lait à la production aucun changement réel n’est à signaler [Abaab et Elloumi, 1997]. Une augmentation conséquente de la production de lait est cependant enregistrée entre 1980 et 1998, puisqu’elle passe de 245.000 à 670.000 tonnes, obtenue notamment par une intensification des importations de vaches laitières. Ceci a permis de créer des noyaux de bovins dans des étables spécialisées où les performances de lactation sont proches de celles obtenues en pays tempérés [Djemali et Berger, 1992]. Néanmoins, ces auteurs réaffirment que les niveaux de production des bovins restent généralement bien en deçà en petits élevages, hors des stations de recherche, et des grands troupeaux étatiques. Malgré cette tendance, les importations laitières sont allées en déclinant, et la Tunisie a atteint aujourd’hui une situation d’autosuffisance en lait frais, grâce à des importations de concentrés. Par ailleurs, le rôle social assuré par les structures coopératives ont imprimé à la production laitière avec des bovins importés une image d’une innovation technique positive, recherchée même par les éleveurs des régions les moins favorables [Abaab, 1999].


II – 5 Développement des filières laitières dans les pays du Maghreb
Dans les trois pays du Maghreb, les filières laitières sont aujourd’hui plus que jamais soumises à des impératifs d’approvisionnement des populations et surtout à des contraintes macro-économiques liées aux programmes d’ajustement structurel qui y sont appliqués. Il s’ensuit que nombre des mesures initialement prévues, à l’instar de celles pour toutes les autres filières des produits alimentaires de première nécessité, sont en voie d’être relativisées et même les objectifs initiaux corrigés [Kydd et Thoyer, 1993 ; Chemingui et Dessus, 1999]. Mais c’est surtout au Maroc et en Tunisie, qui se sont les plus résolument engagés dans un processus de production locale de lait, que les répercussions de l’ajustement structurel risquent d’être les plus ressenties, puisqu’en Algérie la politique d’importations va se poursuivre.

Au Maroc, les pouvoirs publics, en accord avec les principales parties concernées par la production bovine (associations d’éleveurs et les transformateurs du lait) ont déjà entamé une phase de réflexion sur l’avenir du secteur laitier, à la lueur des derniers développements évoqués plus haut, dans ce qui a été appelé « nouveau plan laitier », et dont les grandes lignes devraient orienter la filière jusqu’à 2020 [MADRPM, 1998b]. Ainsi, à l’horizon 2020 et sur la base d’une estimation de la demande en produits laitiers déterminée par les prévisions de croissance démographique et de variation des habitudes alimentaires, il est attendu d’avoir un besoin de près de 3,7 milliards de litres par an, soit 3,7 fois plus que le niveau de production actuel. Ceci serait nécessaire pour satisfaire les besoins d’une population de 40 millions d’individus pour moins de 30 millions en 1999. La production marocaine devrait ainsi connaître un rythme d’accroissement annuel de plus de 6 % alors qu’elle n’a crû qu’à un rythme de 2,3 % de 1975 à 1998, à l’époque de la pleine apogée des mesures prévues par le plan laitier, avant l’application des mesures de désengagement de l’Etat, prévues par le programme d’ajustement structurel. Néanmoins, les décideurs tablent sur une nouvelle dynamique qui serait due à une politique plus ciblée vers l’intensification de la production en régions propices à l’élevage (surtout les périmètres irrigués et à un degré moindre les zones d’agriculture pluviale « favorables »). Ceci passerait par la concentration des efforts financiers vers les zones laitières, afin de garantir l’adoption par les éleveurs de tout le bagage technique nécessaire à l’extériorisation du potentiel des vaches importées, telles l’insémination artificielle, la rationalisation de l’affouragement des bovins, l’amélioration génétique... Toutefois, il est légitime à ce stade de se questionner sur la réelle portée de ces prévisions, lorsqu’en parallèle les pouvoirs publics ont gelé leur niveau d’intervention dans le secteur de l’élevage bovin, et surtout lorsqu’à partir de 2010, les protections tarifaires relatives aux produits agricoles seront levées [Kydd et Thoyer, 1993]. En fait, il semblerait qu’à l’instigation des bailleurs de fonds internationaux, l’Etat prône une politique de compétitivité de l’élevage, à l’image de la révision globale de la politique agricole antérieure qui consistait à garantir la paix sociale parfois au prix de subventionner l’inefficacité. Cette tentative, certes louable, car visant à lutter contre les manques à gagner, risque cependant de rester lettre morte, si elle demeure uniquement liée au domaine du technique et si elle ne s’appuie pas sur une « réforme des affaires du monde rural plus drastique »  [Akesbi, 1997].

En Tunisie, ce sont de mêmes déterminants de politique économique qui conditionnent le devenir du secteur agricole. Sur la base des recommandations des bailleurs de fonds pour plus de libéralisation et d’ouverture de l’économie du pays [Chemingui et Dessus, 1999], la production laitière est appelée à se professionnaliser et à devenir plus compétitive. Des avancées significatives ont été accomplies à ce niveau, notamment par le fait que des élevages d’élite aient été constitués. Ainsi, Djemali et Berger [1992] citent l’expérience tunisienne d’étables spécialisées en lait qui ont été créées et qui atteignent des niveaux de production nettement plus élevés que ceux des petits éleveurs. De même, Rondia et al. [1985] relatent l’exemple d’une expérience menée dans le Nord de la Tunisie pour implanter, moyennant tout un arsenal de techniques importées, un atelier laitier intensif exploitant près de 100 vaches. Après plus de 10 ans d’expérience, ce projet démontre la viabilité économique de la production laitière, mais il dévoile surtout que cette spéculation est très vulnérable face aux variations climatiques et qu’avec un laisser-aller même temporaire, les fruits de plusieurs années de capitalisation peuvent être perdus.

Par rapport à la situation marocaine, un net clivage entre le Nord de la Tunisie aux potentialités de production fourragère et le Sud aride a favorisé la spécialisation en élevage laitier dans la partie Nord, à l’exception de quelques ateliers laitiers qui se sont développés dans les oasis pour répondre à une demande locale. Mais la forte dépendance des élevages vis-à-vis des aléas climatiques et surtout face aux variations des prix des intrants (aliments concentrés importés surtout !) reste la caractéristique principale des élevages tunisiens. Elle pose de sérieuses questions quant aux perspectives de ce type d’élevage, surtout dans un contexte où les pouvoirs publics négocient l’ouverture du marché aux marchandises importées, et aussi dans une conjoncture où, après les efforts productivistes, la recherche d’un lait de qualité est devenue un objectif affiché [Abaab, 1999].


II – 6 Conclusions : perspectives des filières laitières au Maghreb

La présente synthèse bibliographique a permis de voir que les filières laitières des trois pays du Maghreb sont à une sorte de croisée des chemins en ce début de troisième millénaire. Ce travail a montré que la réflexion sur le développement des systèmes d’élevage dans cette région du monde ne peut que s’inscrire sur une longue durée, à l’image de ce que Bourbouze [2002] intitule « les temps longs du développement ». En effet, les trois filières du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie sont assujetties au défi de l’approvisionnement en lait de populations en plein essor, et ont à composer avec un environnement économique différent selon les options de politique générale poursuivie par les trois pays. Ceci a bien sûr des répercussions fort marquées sur l’amont de ces filières, notamment sur les performances des étables. Ainsi, au Maroc, avec le début du programme d’ajustement structurel, la remise en cause de l’intervention multiforme de l’Etat dans le processus irrémédiable de « vérité des prix », a quelque peu modifié les termes de l’échange pour les éleveurs. Il s’ensuit que la croissance de la production laitière bovine s’est essoufflée et les acteurs de la filière lait essaient de différentes manières de composer avec la conjoncture actuelle : les industriels amplifient les importations de poudre de lait après une année délicate, les éleveurs tentent d’écouler leurs produits à travers d’autres canaux, comme les points de vente de proximité où ils évitent de donner aux intermédiaires ce qu’ils considèrent comme le fruit de leur travail. L’avenir est donc pour le moins incertain, avec en arrière plan l’éternel poids de l’aléa climatique auquel s’est juxtaposé ce que d’aucuns n’hésitent plus à qualifier d’aléa économique [Chiche, 1995]. Ceci rend donc encore plus actuelle une évaluation précise des modes de production laitière en milieu paysan, avec une analyse et une hiérarchisation des facteurs tant techniques qu’anthropiques qui affectent les résultats des élevages de bovins laitiers au Maroc, et que nous nous proposons de mener dans le cadre de ce travail. Cette tentative interviendrait à un moment crucial où les pouvoirs publics ont fait part de leurs intentions d’intensifier davantage la production en ciblant leurs interventions aux seules régions favorables, et il n’est pas exclu que les résultats de notre travail ayant à la base une approche de type systémique, puissent contribuer à faire « remonter vers les décideurs les doléances des éleveurs, et rapprocher ainsi les sphères de décision de la réalité du terrain » [Lhoste et al., 1993].

En Algérie, sans pour autant être caricaturale, la situation est nettement plus contrastée, avec à la base le choix politique des pouvoirs publics de recourir en priorité aux importations de lait pour satisfaire la demande en produits lactés. Certes, dans une conjoncture dominée par les variations des prix des hydrocarbures, l’Etat algérien a aussi initié des projets de développement de la production laitière locale, pour essayer de diminuer ce lourd fardeau économique, notamment en tentant d’égaliser le prix du lait frais avec celui du lait reconstitué. Mais les derniers déboires financiers de ce pays, dont les exportations continuent à être dominées par les seuls hydrocarbures, font que le démarrage d’une production laitière locale significative dans la couverture des besoins reste hypothétique.

En Tunisie, une évolution comparable à la situation marocaine a été observée, avec toutefois une différence notable, en ce sens que ce pays est devenu autosuffisant pour les niveaux de consommation affichés actuellement per capita. Là aussi, les interventions de l’Etat ont été capitales, fondamentalement en rapport avec la mise à la disposition des éleveurs de concentrés peu onéreux et la définition d’une politique laitière privilégiant les zones du Nord où la pluviosité moyenne permet encore une production fourragère pouvant servir de support à des ateliers laitiers. Toutefois, la négociation de l’ouverture du marché tunisien aux produits agricoles étrangers, notamment européens, et la recherche de lait de qualité, sont autant de facteurs de doute quant à la réussite des éleveurs laitiers tunisiens à maintenir le même niveau de croissance de la production.

En définitive, les filières laitières, avec en amont les éleveurs de vaches, constituent un pan d’activité agricole fort stratégique au Maghreb, à cause de la valeur nutritionnelle que revêt le lait et ses dérivés pour des populations dont les niveaux de consommation moyens sont encore loin des normes nutritionnelles internationales. Par ailleurs, l’élevage de bovins laitiers assume dans les trois pays des rôles de création d’emplois et de revenus très importants pour la stabilité sociale. C’est dire que, si les bouleversements macro-économiques qui concernent ces pays ne peuvent qu’induire des variations des termes de l’échange, il est clair que celles-ci auront des répercussions directes sur l’organisation de la production. Ainsi, si au début des années 80, le secteur laitier représentait une aubaine pour les investisseurs au Maroc, à cause des niveaux de protection assurés par la politique des prix, ce qui a même engendré une certaine gabegie [El Khyari, 1985], tout tend à prouver qu’aujourd’hui ce n’est plus le cas. Dans cette évolution, en partie due aux mesures de l’ajustement structurel, mais aussi à d’autres causes plus liées au milieu de production (faiblesse et aléa des précipitations, niveau sommaire de formation des éleveurs, absence de chaîne du froid...), les éleveurs laitiers au Maroc, qui ne sont pas moins de 770 000, se doivent de réagir pour survivre. C’est leur manière de s’adapter face à ce changement de conjoncture, et ses conséquences sur l’organisation de l’élevage que nous nous proposons d’étudier au Maroc, dans trois systèmes agro écologiques représentatifs de la diversité des situations d’élevage : le système irrigué, à vocation laitière, le système pluvial favorable, dont les performances sont liées à la variabilité climatique, et le système suburbain qui se développe suite à une augmentation de la demande en lait par les couches urbaines au pouvoir d’achat plus élevé.






























III - Etablissement de typologies d’elevages de bovins au Maroc
















III – 1 Etablissement de typologies d’étables laitières au Maroc : hypothèses et modalités de travail

La conduite de méthodes d’analyses systémiques relatives aux élevages de bovins laitiers au Maroc requiert la prise en compte d’une multitude de variables, à commencer par la diversité des situations de production qui se matérialisent à travers le pays. C’est pourquoi, au départ de ce travail, une série d’hypothèses visant à en assurer la faisabilité a été élaborée. Elle a orienté nos investigations, en premier lieu, vers la distinction puis la caractérisation des différences entre catégories d’éleveurs, notamment sur la base des particularités de conduite des troupeaux et aussi sur les variables structurelles (patrimoine foncier et effectifs animaux).
Les travaux ont principalement porté sur des suivis annuels des résultats d’élevage (lactation, reproduction, alimentation et économie). Il fallait ainsi au départ se rendre à l’évidence de l’obligation de récolter par nos propres moyens les données sur les performances du cheptel bovin et sur les choix de conduite adoptés par les éleveurs, en l’absence de base de données préalablement établies par les organismes censés assurer l’encadrement de ces troupeaux. Les protocoles de suivi des exploitations choisies ont été effectués dans deux zones différentes du pays : la région suburbaine de Rabat - Salé, capitale du Royaume du Maroc, en tant qu’illustration de la dynamique des élevages bovins à l’abord des villes, et la plaine irriguée du Gharb, exemple témoignant des types d’étables qui se sont développés sous l’impulsion des investissements de l’Etat pour l’aménagement hydro agricole du monde rural. Ces deux genres de situations d’élevage retenues correspondent aux zones identifiées par les pouvoirs publics comme dotées de potentialités certaines pour l’élevage bovin laitier intensif au Maroc [MADRPM, 1998b]. Ceci est lié à leur localisation géographique favorable, d’un point de vue des précipitations annuelles, ou en raison de l’irrigation et / ou de la proximité des consommateurs et des intrants d’élevage.

Après ces clarifications relatives aux choix des régions d’étude de l’élevage bovin laitier au Maroc, nous avons entamé l’analyse des systèmes bovins à proprement parler par des constitutions de groupes d’étables, dans une tentative de dévoiler les grandes stratégies retenues par les éleveurs, et de repérer les similitudes et différences entre régions et fermes. Ceci a donné lieu à la constitution de deux typologies régionales (une dans la zone suburbaine de Rabat - Salé et l’autre dans le périmètre irrigué du Gharb). La première étude régionale (Rabat - Salé) est rapportée dans le deuxième chapitre de cette troisième partie, tandis que la deuxième (périmètre du Gharb) en représente le troisième.
La figure 7 illustre la localisation géographique au Maroc des deux zones ayant fait l’objet de ces études de typologie des systèmes d’élevage bovin.














Figure 7. Localisation des zones d’établissement de typologies d’élevages bovins au Maroc.

 Périmètre irrigué du Gharb Région suburbaine de Rabat - Salé

Ces typologies peuvent être considérées comme des outils synthétiques permettant de porter un jugement global sur les modes de production laitière en vigueur dans les deux régions. En effet, Petit [1985] rappelle que les typologies d’exploitations agricoles dans une région donnée, basées sur des analyses statistiques multidimensionnelles, permettent d’esquisser une image fidèle de la réalité des pratiques qui y sont adoptées.
Aussi, dans ce travail, avons-nous adopté une démarche similaire, à savoir l’usage des méthodes d’analyses statistiques multivariées (des analyses en composantes principales et la classification ascendante hiérarchique) pour décrire au mieux les données collectées et identifier les diverses tendances de l’élevage laitier pratiqué dans les deux zones.

Suite à l’établissement de ces typologies d’étables pour chacune des régions, il nous a semblé judicieux d’expliciter davantage les similitudes et différences entre les deux types de localisation géographique, afin de bien mettre en relief les variables les plus influentes qui déterminent les résultats des élevages de bovins. Ceci a donné lieu à une analyse comparative des deux zones qui fait l’objet du quatrième chapitre de cette partie III.

Cette partie se clôt par une synthèse générale des enseignements qui peuvent être tirés de ces typologies d’élevage de bovins au Maroc. En effet, dans le cinquième chapitre sont présentées les conclusions globales en rapport avec les différents types d’étables distingués et les conséquences que nous en tirons pour la sélection d’objets d’études à approfondir dans la suite de ce travail de doctorat.

III – 2 Typologie d’élevages bovins dans la zone suburbaine de Rabat - Salé

III-2-1 Introduction

De nombreuses publications récentes insistent sur les rôles clés appelés à être assumés par l’élevage dans le développement agricole des pays du Tiers-Monde [Delgado et al., 1999 ; Faye et Alary, 2001]. A cet égard, Delgado et al. [1999] parlent même de révolution au sein du secteur des productions animales, notamment à l’abord des villes, pour accompagner la croissance démographique et encore plus l’urbanisation des populations. Plusieurs travaux se sont focalisés sur les difficultés d’installation de systèmes d’élevage performants dans les ceintures urbaines, comme le manque de terrains agricoles ou les aléas liés à la gestion des effluents [Centrés, 1996 ; Ben Salem et al., 1998]. En revanche, d’autres recherches ont mis en exergue les avantages comparatifs offerts par la proximité de la ville pour l’émergence d’ateliers de vaches laitières, telles que la présence de marchés porteurs pour l’écoulement des produits ou la disponibilité des intrants et services d’élevage (circuits d’insémination artificielle, aliments concentrés...) [De Boer, 1985 ; Metzger et al., 1995].
Dans cette optique, l’élaboration d’une typologie d’étables suburbaines serait un outil intéressant pour le développement de l’élevage laitier. Elle permettrait de dresser, un premier état des lieux du fonctionnement des exploitations agricoles productrices de lait dans un contexte dominé par l’absence de références fiables et actualisées (pas de bases de données sur les performances des vaches étant donné la rareté du contrôle laitier). Par ailleurs, pareille typologie constituerait aussi un moyen de cibler les interventions ultérieures du développement agricole en adaptant les mesures à chaque mode d’élevage dûment identifié.


III-2-2 Présentation de la zone d’étude et méthodologie
III-2-2-a Zone d’étude

La zone suburbaine de Rabat - Salé couvre une superficie de 161 225 ha. Elle groupe une population de 1 667 000 personnes dont à peine 1 % (17 000) peut être considéré comme rural, tandis que le reste se concentre dans la grande conurbation s’étendant du Nord au Sud, de Salé à Rabat et Témara.
La zone jouit d’un climat de type méditerranéen à influence océanique, avec deux grandes saisons :

une saison sèche et chaude, estivale qui s’étend de mai à octobre, caractérisée par l’absence de précipitations ;
une saison humide hivernale, de novembre à avril, avec la concentration de la majorité des précipitations.

Sur les dix dernières années, la pluviosité moyenne annuelle a été de 469 mm
Au niveau de la pédologie, la zone est caractérise par des sols sableux sur sa frange littorale et des sols argilo-limoneux à l’intérieur des terres. La région suburbaine de Rabat - Salé est réputée pour sa vocation horticole, principalement le maraîchage de saison qui repose sur l’utilisation des eaux à partir d’une nappe phréatique abondante [DPA, 2003].
Les exploitations agricoles sont au nombre de 10 390 et reposent sur une SAU totale de 68 800 ha (60 100 ha sous le régime pluvial et à peine 8 700 ha irrigués). Comme dans de nombreuses autres régions du Maroc, les fermes de moins de 10 ha sont les plus fréquentes : 87 % du total. Elles n’exploitent cependant que 18 680 ha soit à peine 27 % de la SAU.
Dans le secteur des productions animales, outre une aviculture industrielle qui a vu son essor aux débuts des années septante du siècle dernier, l’élevage bovin laitier est traditionnellement bien représenté. Les effectifs bovins se chiffrent à 63 000 têtes dont 5 700 représentés par les bovins de type laitier de race importée : la Frisonne pie-noire et la Holstein. Le reste est constitué d’animaux de race locale faiblement laitière et de ses nombreux degrés de croisement avec les bovins importés.

La figure 8 illustre la situation administrative de la zone de Rabat - Salé.


Figure 8. Carte administrative de la région de Rabat - Salé.

III-2-2-b Méthodologie
Collecte des données

Une enquête détaillée des modes d’élevage laitier suburbain a été conduite dans le périmètre suburbain de Rabat - Salé, capitale du Royaume du Maroc. Ce travail s’est basé sur un suivi de 48 étables et a visé la caractérisation des pratiques de conduite du cheptel bovin et des performances technico-économiques qui lui sont associées. Les élevages ont été sélectionnés en coordination avec l’association locale des éleveurs (Association Chellah des Eleveurs de Bovins, ACEB). L’objectif principal était d’avoir simultanément un nombre conséquent de types différents de fermes laitières en relation avec les paramètres de taille (nombre de vaches, superficie agricole utile,…) et qui soient représentatifs de la variabilité régionale. Les données relatives à la taille de ces ateliers laitiers, à leur gestion technique (alimentation des vaches, reproduction, performances laitières,…), et à leurs résultats économiques (bénéfice à l’issue de l’exercice agricole) ont été déterminées. Un formulaire de dix pages spécifique à chaque exploitation a été élaboré. Il a été complété en effectuant quatre contrôles par ferme, séparés d’environ 80 jours afin de déterminer au bout du compte les revenus et les dépenses liées au cheptel bovin à l’issue de la campagne agricole 2000/2001.

Analyse des données
Une typologie des systèmes d’élevage laitier suburbain de Rabat - Salé a été élaborée à partir des données collectées. Elle a considéré tous les éléments définissant un système d’élevage à savoir l’éleveur (revenus, patrimoine et historique), le cheptel bovin (composition et résultats technico-économiques) et les ressources mobilisées dans le processus productif [Gibon et al., 1999]. Les analyses statistiques ont été effectuées par le logiciel SAS [1998], par le recours aux procédures PROC FACTOR, PROC PRINCOMP et PROC CLUSTER. Un ensemble de dix variables quantitatives a été retenu pour la description des étables et de leurs activités (Tableau 14). Une analyse en composantes principales (ACP) été appliquée aux données, préalablement centrées et réduites, pour détecter les variables les plus déterminantes pour l’explication des activités des exploitations retenues. Ensuite, une classification ascendante utilisant le critère de Ward pour l’analyse hiérarchique a été effectuée afin d’aboutir à la typologie globale des exploitations laitières suburbaines. Une partition en quatre classes d’éleveurs a été retenue pour synthétiser la diversité des situations d’élevage rencontrées. En effet, le passage à cinq classes n’améliore le coefficient de détermination R² que de 8 % (de 53,1 à 61,3 %), et en outre cette cinquième classe n’est autre que la scission du groupe 3 (celui qui comporte le moins d’étables) en deux classes peu intéressantes pour la synthèse des tendances observées.


Tableau 14. Variables décrivant les fermes laitières suburbaines et leur symbole.

VariablesSymboleSurface Agricole UtileSAUEffectifs des vaches présentesVPVariation d’inventaire Relative (en UGB)VIRMoyenne économique (kg de lait par vache par an)MEUnités Fourragères Lait des Concentrés par kg de laitUFL cc/kg laitUnités Fourragères Lait des Concentrés par vache par anUFL cc/v/anFourrages /concentrés dans le bilan énergétique (%)FCCValeur des Animaux par rapport au Lait (% des ventes)VALCharges Alimentaires sur Total des IntrantsCATBénéfice par vacheBVBV : Bénéfice par Vache ; CAT : Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; FCC : ratio Fourrages/Concentrés ; ME : Moyenne Economique ; UFL cc/kg lait : Unités Fourragères des concentrés par kg de lait ; UFL cc/v/an : Unités Fourragères des Concentrés par vache et par an ; VAL : Vente des Animaux par rapport au Lait ; VIR : Variation d’Inventaire Relative.

Les variables précédentes ont été retenues afin de rendre compte des principales options retenues par les éleveurs pour la conduite de leur cheptel bovin et leurs répercussions sur les performances technico-économiques :

modes d’affouragement des troupeaux et valorisation de l’énergie des concentrés, traduits par les variables UFL cc/kg lait, UFL cc/v/an et FCC ;
performances laitières du troupeau, illustrées par la variable ME ;
choix de production entre lait et viande et effets sur l’économie de la production bovine, illustrés par les variables CAT, VAL, VIR et BV.


Ces différentes variables ont été déterminées comme suit :

- Vaches Présentes, VP = (VPcontrôle, i / 4 (i variant de 1 à 4 : 4 passages/ferme/an) ;
- Variation d’Inventaire Relative, VIR = (( UGBinitiales - ( UGBfinales(/ VP ;
- Moyenne Economique, ME = (Production laitière annuelle Totale, PLT)/VP ;
- UFL cc/v/an = ( apports énergétiques des concentrés/VP ;
- UFL cc/kg lait = ( apports énergétiques des concentrés/PLT ;
- Valeur des animaux/lait, VAL = ((Ventes bovins/(Ventes Lait) x 100 ;
- Charges Alimentaires/Totales, CAT = ((dépenses alimentaires/(dépenses) x 100 ;
- Bénéfice par Vache, BV = [(Ventes (bovins + lait)]/ VP].

Ce sont ces mêmes variables qui serviront à la caractérisation du fonctionnement et des performances des étables laitières dans tous les autres travaux ultérieurs.

III-2-3 Résultats et discussion

III-2-3-a Caractéristiques générales des exploitations suburbaines

Les paramètres moyens décrivant les étables retenues sont résumés au tableau 15. Il est possible de voir que pour les variables structurelles, l’écart type est supérieur à la moyenne, traduisant une dispersion fort importante. Ainsi, la superficie agricole utile (SAU) moyenne est de 18,4 ha, variant de moins de 1 ha pour des unités de petite taille à 386 ha pour une ferme étatique établie sur un domaine récupéré des terres de la colonisation. La superficie réservée aux fourrages ne représente que 31,7 % de la superficie total et elle est principalement emblavée en avoine, orge et lupin (cultures pluviales) et en luzerne et maïs (cultures irriguées estivales).

L’effectif moyen de vaches par étable était de 12,6 ± 15,6 vaches, démontrant la présence dans l’échantillon de travail d’étables très diverses (petits élevages, fermes privées spécialisées et ferme étatique). La structure génétique du cheptel bovin était dominé par les vaches de type Holstein (98 % de l’effectif total) suivi des vaches de type croisé (locales x Holstein). Le rendement laitier moyen par vache était de 3 218 ± 1 087 kg. L’analyse quantitative du bilan fourrager montre que les aliments grossiers ne représentent que 46,3 % de la valeur de l’énergie dérivée des concentrés. Les dépenses relatives à l’alimentation du cheptel bovin constituent en moyenne 81 % des dépenses totales. L’excès de concentrés est la caractéristique principale des bilans alimentaires des étables suburbaines en raison des carences en fourrages combinées à l’absence de rationnement.

Tableau 15. Caractéristiques générales des étables de la région de Rabat - Salé.

ParamètresMinimumMoyenne (écart-type)MaximumSAU (ha) 0,0 18,4 (61,4) 386VP 1 12,6 (15,6) 90VIR (UGB) -3,02 - 0,22 (0,85) 1,53ME (kg) 1 130 3 218 (1 087) 6 602UFL cc/v/an 711,4 2 209 (758) 3 857UFL cc/kg lait  0,39 0,83 (0,28) 1,58FCC (%) 8,9 46,3 (40,2) 95,0VAL (%) 0,0 0,52 (0,86) 4,06CAT (%) 47,8 81,0 (15,1) 100,0BV (DH)* - 8 706 1 553 (4 287) 12 133BV : Bénéfice par Vache ; CAT : Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; FCC : ratio Fourrages/Concentrés ; ME : Moyenne Economique ; UFL cc/kg lait : Unités Fourragères des concentrés par kg de lait ; UFL cc/v/an : Unités Fourragères des Concentrés par vache et par an ; VAL : Vente des Animaux par rapport au Lait ; VIR : Variation d’Inventaire Relative.
DH* : Dirham marocain : 1 Dh H" 0,09 Euro


Les performances de reproduction du cheptel bovin, calculées pour 45 vaches seulement, car la majorité des fermes ne tiennent pas de registres actualisés des données de la reproduction, étaient médiocres avec un intervalle vêlage-vêlage moyen de 429 jours. En effet, même si l’insémination artificielle (IA) est très fortement implantée dans la région (46 des 48 fermes retenues y ont exclusivement recours sans présence de taureaux), rares sont les fermes à procéder à une évaluation régulière de ce service. La multitude des stratégies de gestion du stock animal (ventes ou rétention de bovins) résultent en une large gamme de performances économiques, de situations rentables avec un bénéfice par vache maximal de 12 133 DH par vache à des fermes déficitaires (perte de 8 706 DH par vache). Avec pareil type de situations, seul un traitement multidimensionnel des observations peut clarifier les corrélations entre variables et restituer une hiérarchisation des fermes.



III-2-3-b Analyses statistiques multidimensionnelles

L’objectif principal des analyses statistiques multidimensionnelles est de mettre en relief les liens entre les variables descriptives caractérisant les résultats techniques et économiques des étables et de créer ultérieurement des groupes homogènes d’étables. Les ACP ont été effectuées dans un processus à deux étapes. Dans un premier temps, une ACP initiale a montré que deux étables parmi les 48 retenues étaient totalement « hors-norme », en raison de paramètres structurels très différents de la moyenne enregistrée (il s’agissait en fait de l’étable étatique avec 386 ha de superficie agricole et un cheptel de 90 vaches, et d’une étable privée totalement « hors sol », constituée d’une vache dans une maison). Par conséquent, les axes factoriels obtenus étaient liés aux variables structurelles (superficie arable et effectifs de bovins), ne permettant pas de discerner des classes d’étables selon les pratiques d’élevage qui y sont adoptées. C’est pourquoi, ces deux fermes ont été mises à l’écart de l’échantillon général et une deuxième ACP a été effectuée. Les résultats montrent que les trois premiers axes factoriels expliquent 81,3 % de la variabilité totale et qu’ils sont surtout corrélés aux variables traduisant les pratiques d’alimentation des vaches (allocation en concentrés par vache par an, part des fourrages par rapport aux concentrés dans le bilan alimentaire), les ventes de bovins et leurs incidences sur le rendement laitier (Tableau 16). La projection des variables quantitatives sur le plan principal (défini par les axes 1 et 2) est reportée dans la figure 9.



Tableau 16. Résultats de l’ACP - Définition des axes : Région de Rabat - Salé.

AxeDéfinition de l’axeProportion Variation cumulée VariablesCorrélation à l’axe(%)(%)UFL cc/kg lait 0,891CAT 0,7333,3FCC - 0,792BV 0,8625,547,3VIR - 0,69VAL0,743ME - 0,7122,581,3UFL cc/v/an - 0,65BV : Marge Brute par Vache ; CAT : Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; FCC : ratio Fourrages/Concentrés ; ME : Moyenne Economique ; UFL cc/kg lait : Unités Fourragères des concentrés par kg de lait ; UFL cc/v/an : Unités Fourragères des Concentrés par vache ; VAL : Vente des Animaux par rapport au Lait ; VIR : Variation d’Inventaire Relative.

Le premier axe explique 33,3 % de la variation totale et il est corrélé positivement aux variables UFL cc/kg lait (r = 0,89), CAT (r = 0,73) et négativement à FCC (r = - 0,79). Ce premier axe peut ainsi être interprété comme un témoin de la valorisation de l’énergie des concentrés en lait et de la part des aliments par rapport aux charges totales. Il illustre aussi le ratio d’utilisation de l’énergie des fourrages par rapport à l’énergie issue des concentrés.

Le deuxième axe de l’ACP explique 25,5 % de la variation totale et il est corrélé positivement à la variable BV (r = 0,86) et négativement à la variable VIR (r = - 0,69). Il oppose les fermes rentables à variation d’effectifs négatives (qui ont perdu du matériel animal), aux fermes déficitaires qui ont conservé du matériel animal.
Il peut être considéré comme l’axe distinguant les fermes rentables des fermes déficitaires, en partie du fait des dynamiques de variations d’inventaires.

Le troisième axe (22,4 % de la variation totale) distingue les fermes avec ventes d’animaux importantes par rapport au lait, avec faibles utilisations de concentrés par vache et un rendement laitier réduit, des fermes avec les caractéristiques opposées.
Il peut être considéré comme l’axe distinguant les exploitations laitières des exploitations à vocation de production de viande.

La classification réalisée sur les 48 moins les 2 exploitations excentrées, c’est-à-dire sur 46 observations, a été conçue pour faire ressortir 4 groupes d’élevage. La projection des 4 groupes d’exploitations est reportée sur la figure 10.


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BV : Bénéfice par Vache ; CAT : Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; FCC : ratio Fourrages/Concentrés ;  ME : Moyenne Economique ; UFL cc/kg lait : Unités Fourragères des concentrés par kg de lait ; UFL cc/v/an : Unités Fourragères des Concentrés par vache ; VAL : Vente des Animaux par rapport au Lait ; VIR : Variation d’Inventaire Relative.

Figure 9. Projection des variables techniques et économiques des fermes laitières suburbaines sur les axes factoriels 1 et 2 définis par l’ACP.






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0 -----11---------------------------------------------------------*-26
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-4 -3 -2 -1 0 1 2


Figure 10. Projection des groupes de fermes laitières sur le plan principal défini par l’ACP.
Le groupe 1 correspond à 17 exploitations, classées en majorité en valeurs négatives sur l’axe 2 avec des valeurs moyennes proches de zéro pour les projections sur les axes 1 et 3. Ce groupe est celui des fermes d’élevage bovin déficitaires qui ont tendance à privilégier une légère rétention de matériel animal (variation d’inventaire positive de 0,2 UGB par vache présente). La conduite alimentaire et la productivité en lait peuvent être qualifiées de moyennes par rapport à l’échantillon d’étables enquêté. Le résultat économique est négatif, de - 1 704 DH par vache.
Le groupe 2 rassemble 12 exploitations ayant en majorité des valeurs de projection positives sur l’axe 2 et négatives sur l’axe 3, avec des valeurs dispersées autour de l’axe 1. Ce sont donc des exploitations laitières strictement positives au niveau de la rentabilité par vache. Cette rentabilité est globalement due à des rendements importants de lait par vache (4 231 kg). C’est le groupe qui correspond à un début de spécialisation laitière due à de plus fortes consommations de concentrés que dans le groupe 1.
Le groupe 3 est composé de 8 exploitations. Leur caractéristique majeure est d’être projetées négativement sur l’axe 1 et presque toutes positivement sur les axes 2 et 3. C’est donc le groupe des exploitations à résultats économiques positifs (4 488 DH par vache), grâce à un prix de revient du kg de lait maîtrisé, issu d’une part importante d’aliments grossiers (fourrages auto produits) dans le bilan alimentaire global des vaches. Ainsi, les fourrages constituent 98,4 % de l’énergie apportée par les concentrés. Toutefois, le rendement laitier annuel par vache est limité à 3 310 kg.
Le groupe 4 est constitué de 9 exploitations ayant toutes une projection positive sur les axes 1 et 2 et dispersées autour de l’axe 3. Ce sont par conséquent les élevages qui abusent de concentrés (2 826 UFL par vache et par an), sans véritablement en tirer profit au niveau de la productivité laitière (2 852 kg par vache). La rentabilité qui est observée est totalement due à la décapitalisation avec la perte de 1,20 UGB par vache présente comme variation d’inventaire sur l’exercice agricole 2000/2001. C’est donc le groupe qui illustre la situation des étables « hors - sol », dont le seul moyen d’assurer un semblant d’équilibre économique repose sur une vente massive d’animaux. La figure 11 résume les éléments saillants de la typologie établie.












Figure 11. Représentation synthétique de la typologie des élevages laitiers suburbains.
Le tableau 17 récapitule, par classe d’élevages, les valeurs des variables les plus influentes et leurs incidences sur les résultats techniques et économiques des étables laitières suburbaines.

Tableau 17. Eléments d’élaboration de la typologie des étables laitières de la région de Rabat - Salé.

Groupe ou élevage 1234SODEANombre d’étables1712891VIR (UGB/vache)0,200,04-0,17-1,20-0,17ME (kg de lait)2 5794 2313 3102 8526 602UFL cc/v/an1 8732 5821 6512 8263 857UFL cc/kg lait0,850,730,551,230,58FCC (%)40,923,798,46,322,0CAT (%)90,676,359,391,975,5VAL (%)16,622,762,6114,653,1CTL (DH)4,322,632,544,602,54BV (DH)- 1 7042 2564 4883 2186 093BV : Bénéfice par Vache ; CAT : Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; FCC : ratio Fourrages/Concentrés ; ME : Moyenne Economique ; UFL cc/kg lait : Unités Fourragères des concentrés par kg de lait ; UFL cc/v/an : Unités Fourragères des Concentrés par vache ; VAL : Vente des Animaux par rapport au Lait ; VIR : Variation d’Inventaire Relative.


III-2-3-c Discussion

Les systèmes d’élevage sont généralement définis par les interactions qui s’établissent entre éleveurs et leurs troupeaux, conditions environnementales et ressources [Lhoste, 1984]. Dans ce travail, il s’est avéré que les variables reflétant les pratiques d’élevage, par exemple, l’alimentation et les ventes de bovins, étaient prédominantes dans la définition de systèmes laitiers différents.
Aussi, l’accent doit-il être mis sur les résultats généraux issus de la typologie établie, qui a pris en compte tous les paramètres décrivant les élevages laitiers suburbains, notamment ceux de tailles différentes. Selon une méthodologie assez proche, Kaminiecki et al. [1999] ont mis en exergue des différences notables dans les systèmes d’élevage laitier familiaux en Pologne. De même, Laval et al. [1998] ont aussi eu recours aux méthodes multidimensionnelles pour évaluer la diversité des élevages de camélidés au Rajasthan, en Inde.
La typologie montre quatre groupes d’élevages avec des dynamiques de production bovine différentes. Les exploitations du groupe n°1 sont très différentes du reste, caractérisées par la faiblesse de l'utilisation des concentrés (1 873 UFL par vache par an à comparer aux 2 209 UFL en moyenne pour les vaches des 48 exploitations impliquées dans cette typologie). En conséquence, le rendement laitier moyen par vache y est aussi inférieur à la moyenne générale (2 579 kg à comparer à 3 218 kg). Ce genre d’exploitations laitières souffre du manque de moyens financiers pour l’achat de concentrés afin de pallier l’exiguïté des surfaces fourragères, ce qui affecte négativement le rendement laitier et partant, les résultats économiques par vache. Aussi, les résultats économiques y sont négatifs, car dans l’absolu, la faible productivité laitière ne permet pas de compenser les charges fixes d’entretien du cheptel.
Les exploitations des groupes 2 et 3 représentent 20 des 48 exploitations retenues et ont pour caractéristiques saillantes une marge brute positive combinée à des performances laitières moyennes supérieures à la moyenne générale de 3 218 kg par vache par an. En fait, c’est surtout la contribution des fourrages aux apports énergétiques totaux qui varie d’un groupe à l’autre (ratio fourrages/concentrés respectivement de 23,7 et 98,4 %). Dans le groupe n°2, on remarque que ces rendements laitiers supérieurs à la moyenne sont principalement générés par une valorisation efficiente des concentrés alimentaires, tandis que dans le groupe n°3, la rentabilité économique est surtout liée à d’importantes allocations de fourrages par vaches. Le groupe n°2 reflète ainsi un début de spécialisation laitière marquée (rendements laitiers par vache supérieurs à 4 000 kg avec les plus importantes consommations de concentrés, et des ventes de bovins réduites).

L’étable étatique de la SODEA qui a été mise de côté pour réaliser les analyses multivariées, compte un effectif de 90 vaches, qui produisent une moyenne de 6 602 kg, sur 386 ha de superficie agricole. Elle peut être considérée comme illustrant un pic de spécialisation laitière dans les conditions marocaines, et en comparaison aux autres étables étudiées en zone suburbaine. Dans une étude antérieure d’étables laitières appartenant à la même société, des pratiques similaires de conduite du cheptel bovin (rendement de l’ordre de 6 000 kg de lait par vache, utilisation excessive de concentrés par vache…) avaient été identifiées [Sraïri et Kessab, 1998].

Dans le groupe n° 4, il y a 8 élevages de bovins qui sont certes excédentaires (bénéfice moyen de 3 218 DH par vache), mais dont les performances économiques ne reflètent nullement un savoir - faire en termes d’élevage laitier. En dépit d’une consommation de concentrés supérieure à la moyenne de toutes les étables étudiées, le rendement laitier moyen par vache y est inférieur à ce qui est observé pour l’ensemble des étables sélectionnées dans ce travail (2 852 et 3 218 kg respectivement). Dans cette catégorie d’élevages, des gaspillages d’énergie issue des concentrés sont apparents, puisque pour chaque kg de lait produit, il faut 1,23 UFL issues des concentrés. Ceci traduit la participation des concentrés dans la couverture des besoins d’entretien des vaches, tendance exacerbée par des rations déséquilibrés en azote total et en minéraux [INRA, 1988].

Considérés de manière globale, ces résultats démontrent la faiblesse des rendements laitiers dans des étables pourtant dotées dans leur écrasante majorité de vaches de type laitier (Holstein et Frisonne pie-noire). Au delà de la diversité des stratégies d’élevage identifiées, c’est l’adaptation même de ces bovins au contexte suburbain au Maroc qu’il convient d’analyser, sans parler des innombrables cas de carrières de vaches écourtées par manque de savoir - faire, comme nous l’avons rapporté dans d’autres régions du pays [Sraïri et Baqasse, 2000]. A l’instar des résultats de nombreuses autres publications [Madani et Far, 2002 ; Debrah et al., 1995 ; Ørskov, 1993], l’option même de femelles à hautes potentialités laitières importées de pays tempérées et insérées dans des environnements d’élevage contraignants est remise en question par nos observations de terrain et par les suivis de performances. En effet, seules les 8 exploitations du groupe n°3 que nous avons qualifié de spécialisées et auxquelles il faudrait ajouter l’étable étatique de la SODEA peuvent être considérées comme tirant profit du potentiel laitier des vaches importées. Le reste, pour des raisons très diverses (manque de technicité, absence de facilités de trésorerie, visées viandeuses plutôt que laitières…), aurait très bien pu s’accommoder de bovins avec des aptitudes laitières moindres et disposant de meilleurs facultés d’engraissement que les races Holstein et Frisonne pie-noire. Ces observations convergent vers les recommandations de Faye et Alary [2001], à propos de l’émergence de systèmes d’élevage durables et compétitifs dans les pays en développement. Ces auteurs indiquent que le nécessaire accroissement de la production laitière dans les pays du Sud « ne peut pas se faire par une simple adaptation des méthodes d'élevage des pays du Nord, mais doit intégrer les enjeux sociaux et environnementaux particuliers et s'inscrire dans un objectif de développement durable ».

Pour des perspectives de développement de l’élevage laitier dans la zone suburbaine de Rabat-Salé, il est évident que la mise en œuvre de programmes de recherches et d’appui technique adaptés aux contraintes typiques à ces régions (rareté des fourrages et importante charge animale par ha) est urgente au Maroc. Le conseil technique dans le domaine de l’alimentation du cheptel bovin laitier, à travers la vulgarisation du rationnement, en utilisant des quantités appropriées de fourrages de bonne qualité et avec les concentrés disponibles localement, devrait avoir des répercussions plus que positives. De même, la généralisation des méthodes d’exploitation rationnelle des fourrages et de conservation des excédents saisonniers par l’ensilage ou le fanage pourrait constituer une autre voie prometteuse de développement des performances des étables laitières. Du fait de la très vaste adoption de rations riches en concentrés, c’est principalement leur intégration dans des formules adaptées aux divers fourrages qui fait encore défaut. D’autre part, les traitements hormonaux des vaches à problème de reproduction et la généralisation de l’évaluation de l’insémination artificielle peuvent aussi représenter des voies d’action prioritaires pour augmenter l’efficacité reproductive du cheptel bovin, dans un contexte où très peu d’exploitations possèdent des documents actualisés en rapport avec la reproduction des vaches. De manière similaire, les traitements prophylactiques des affections parasitaires devraient être conçus et appliqués à un moment où peu d’élevages adoptent des programmes prophylactiques raisonnés.

En définitive, la majorité des éleveurs chez lesquels s’est déroulé ce travail éprouvent un besoin d appui technique rapproché, notamment les 36 étables détenues par des structures de taille réduite sur moins de 5 ha, et qui représentent plus des T! des exploitations visitées. Toutefois, les mesures en faveur des élevages laitiers doivent être ciblées pour éviter les échecs de transferts de technologie ayant eu lieu au préalable avec les traitements des pailles à l’urée [Wanapat et al., 1998 ] ou avec la technique du ley farming [Amine, 1993 ; Christiansen et al., 2000]. Ainsi, dans un premier temps, les techniques nécessitant des moyens en capitaux importants devraient être évitées et réservées uniquement aux exploitations agricoles ayant les moyens de s’en accommoder. En effet, il s’avère en fin de compte que les pratiques d’élevage les plus communes privilégient la contribution maximale du pâturage et des fourrages spontanés (en cas de pluies) conjuguée à la mobilisation des réserves corporelles des femelles ; pratiques ne nécessitant aucun investissement monétaire, et en partie imposées par l’état général de la trésorerie des éleveurs [Sraïri, 2002]. Il faut mentionner que des travaux de recherche à philosophie similaire sont actuellement en cours pour favoriser le développement d’élevages laitiers, par des formulations alimentaires équilibrées pour des exploitations agricoles de type traditionnel, sans bouleverser l’organisation générale qui y prévalait. C’est le cas au Mexique, où Arriaga-Jordan et al. [2002] ont mesuré l’impact de trois niveaux de complémentation en concentrés sur les performances laitières en élevages bovins de petite taille. Mais il faudrait, pour en garantir le succès, sélectionner les exploitations les plus réceptives (éleveurs instruits et motivés) tels que l’ont mentionné Roeleveld et Van Den Broek [1996]. Par la suite, ces éleveurs pourraient servir de courroie de transmission de ces techniques à leur entourage. Dans pareil contexte, les typologies d’élevage suivies d’actions de développement ciblées qui valorisent au mieux les moyens disponibles sont indispensables. Elles garantissent la viabilité et la durabilité de cette activité qui représente à l’heure actuelle une voie prometteuse pour améliorer les revenus des agriculteurs suburbains [Dieye et al., 2002]. Ceci devrait être considéré à sa juste valeur par les organismes de développement et par les décideurs en charge du secteur de l’élevage bovin au Maroc.


III-2-4 Conclusion
Ce suivi de 48 étables laitières dans la ceinture suburbaine de Rabat - Salé, capitale du Royaume du Maroc, a confirmé l’existence d’une large variété de modes d’élevage bovin. Ceci peut être expliqué en partie par la diversité des statuts conférés par les éleveurs à leur troupeau (laitier spécialisé, allaitant et/ou mixte), aux différents modes d’alimentation du cheptel, et aux poids des ventes de bovins dans le chiffre d’affaires total. Même si 98 % des vaches sont de génotype laitier (Holstein Friesian et croisées Holstein Friesian x locales), le rendement laitier moyen par vache demeure faible (3 218 kg) avec d’amples variations, de 1 130 à 6 602 kg, et les bénéfices dégagés par vache fluctuent de situations positives à d’autres négatives. Les analyses statistiques multidimensionnelles ont permis d’identifier quatre groupes distincts d’élevages, sur la base de variables tels que le rendement laitier par vache, les modes d’alimentation du cheptel bovin et les ventes de bovins, sans aucun lien avec les paramètres de taille. Par conséquent, cette typologie préliminaire pourrait servir de base de réflexion pour la promotion des performances du secteur bovin suburbain, notamment par l’adoption de mesures adaptées aux besoins des différentes catégories d’éleveurs. Une large frange d’élevages est groupée dans des catégories caractérisées par une relative rentabilité de l’activité laitière (groupes 2, 3 et 4, ce qui représente 29 fermes), mais pourrait aboutir à de meilleures productivités et à des résultats économiques accrus par des techniques favorables à l’intensification (alimentation, traite, accouplements raisonnés...). Comme les résultats montrent que les variables liées aux modes d’alimentation des vaches sont déterminantes pour distinguer les types d’étables, toute mesure ultérieure de développement devrait se focaliser en priorité à l’amélioration des pratiques actuelles des éleveurs, caractérisées par l’absence de rationnement, et l’usage irraisonné de concentrés. En définitive, l’élaboration suivie de la vulgarisation des tables alimentaires des matières premières les plus usitées (fourrages et concentrés) et la conception de rations propices à l’augmentation de la production laitière, semblent être des leviers d’action prioritaires. La validation de leurs effets par des essais dans des élevages privés en garantirait la diffusion.



III – 3 Typologie d’élevages bovins dans le périmètre irrigué du Gharb

III-3-1 Introduction
La politique laitière au Maroc a privilégié les zones irriguées comme principaux centres de production. En effet, étant donné les garanties de disponibilités en eau, dans un pays aride avec des aléas climatiques pesants, les étables laitières auraient une base fourragère pérenne dans ces périmètres dotés d’équipements hydrauliques coûteux. D’ailleurs, les réalisations convergent vers ces hypothèses, puisque près de 70 % de la production annuelle du Maroc en lait émanent des périmètres irrigués qui ne représentent que 13 % de la SAU totale du pays [MADR, 2003].
A cet égard, le périmètre du Gharb a été identifié depuis longtemps comme le plus favorable à l’implantation de projets d’élevage laitier intensif de par sa localisation géographique au Nord du Maroc, le faisant bénéficier d’une pluviométrie suffisante pour les cultures fourragères, et aussi en raison de ses ressources hydrauliques (barrages en amont de la plaine) et en sols [Projet Sebou, 1961].
Par conséquent, l’objectif de cette étude est de caractériser les systèmes d’élevage qui se sont implantés dans cette région et de vérifier si l’intensification laitière qui devrait découler de ces facteurs favorables s’est réellement uniformisée à tous les élevages bovins de la zone.

III-3-2 Présentation de la zone du Gharb et méthodologie
III-3-2-a La zone du Gharb

La région du Gharb se situe dans la partie Nord-Ouest du Royaume du Maroc. Elle est limitée à l'Ouest par l'Océan atlantique, au Nord par la région de Tanger-Tétouan, à l'Est par les deux régions de Taza - Al Hoceima -Taounate et de Fès - Boulemane, et au Sud par les régions de Meknès - Tafilalet et de Rabat - Salé - Zemmour - Zaër.
Elle s'étend sur environ 8 805 km², soit près de 1,23 % de la superficie du Maroc.
Le périmètre du Gharb se présente sous forme d’une large cuvette très basse, bordée de hauteurs la privant de tout exutoire naturel (collines prérifaines, plateau de la Maâmora, dunes du Sahel). Il affiche la plupart des caractéristiques classiques des régions deltaïques : reliefs très plats, sols argileux, excès d’eau en hiver et fréquentes inondations.
Cette région se caractérise par un climat méditerranéen tempéré. Les précipitations annuelles moyennes sont de 600 mm dans les zones côtières et montagneuses, et diminuent à mesure qu'on se dirige vers le Sud-Est, où elles ne dépassent guère 450 mm. Les pluies enregistrées sont concentrées dans la période allant de fin novembre à fin mars.
Les températures sont tempérées par le voisinage maritime et varient, en moyenne, de 13°C en hiver à 26°C en été. Durant les périodes du chergui (vent chaud de Sud-Est d’origine saharienne), des valeurs proches de 50°C peuvent être enregistrées.

Dans le cadre de la politique marocaine des barrages, la région du Gharb constitue de loin l’élément le plus important [Popp, 1984]. Elle représente près du quart de la surface du million d’ha destinée à être irriguée. Elle dispose de ressources hydriques considérables, estimées à 6,75 milliards de m3, dont la près de la moitié (3,5 milliards de m3) est réservée à l’irrigation. Les eaux de surface sont constituées par le fleuve Sebou et ses affluents (Beht, Ouergha, Rdom, Fouarat, Oued Tiflet ). Les ressources des nappes phréatiques sont évaluées à 900 millions de m3 ; elles sont accessibles à des profondeurs se situant entre 5 et 30 m. Ces eaux se caractérisent par leur bonne qualité, à l'exception de celles des zones de Mograne et Sidi Allal Tazi, affectées par la salinité.

Les données démographiques disponibles montrent que la population de la région est estimée à 1 744 000 habitants dont 700 000 urbains (40,1 %) et 1 044 000 de ruraux (59,9 %).
Des terres fertiles, un climat tempéré humide, ainsi que des ressources en eaux abondantes, font de la région du Gharb, une zone agricole de première importance à l’échelle du Maroc. Sans omettre des conditions écologiques favorables (précipitations, types de sols…) et une déclivité minime qui la rendent adapté à un haut degré à l’aménagement hydroagricole. C’est pourquoi, dès les premiers temps de la colonisation française au Maroc, son potentiel agricole prometteur était reconnu : Michaux-Bellaire [1912] affirmait que « le Gharb est un pays de plaine, riche et fertile ».
Les terres à vocation agricole couvrent une superficie de 603 000 ha, dont 130 000 sont irrigués. Un total de 145 000 autres ha est aussi identifié pour être équipé en moyens d’irrigation dans les futurs plans de mise en valeur.
L'agriculture, l'exploitation des forêts ainsi que la pêche, constituent la locomotive du développement régional. Ces secteurs emploient 53,3 % de la population active.
Au niveau du secteur des productions animales, le périmètre du Gharb se caractérise par un cheptel bovin de 222 720 têtes. Les bovins de type amélioré (Holstein et pie noir) ne représentent que 27 % du total en dépit des potentialités intéressantes qu’offre la zone pour l’affouragement de vaches à hautes capacités laitières [ORMVAG, 2003]. La production laitière annuelle dans le périmètre du Gharb est de 105 millions de litres (10,4 % de la production du Maroc).
La figure 12 montre la situation géographique du périmètre du Gharb.
Figure 12. Carte administrative du périmètre irrigué du Gharb.


III-3-2-b Méthodologie
Collecte des données
Dans un premier temps, confrontés à l’imprécision des statistiques disponibles auprès de l’Office Régional de Mise en Valeur Agricole du Gharb (ORMVAG), entité administrative qui coordonne les efforts de développement agricole à l’échelle du périmètre irrigué, nous avons mis en place une enquête auprès de 111 éleveurs de l’arrondissement de Sidi Allal Tazi, qui ont été visités de mars à juin 2001. Ils ont été choisis de manière aléatoire en veillant à couvrir les différentes zones, avec le souci d’élargir le plus possible l’échantillon sur des types variés. Une seule condition a donc été portée sur le choix des éleveurs enquêtés : pratiquer la traite, quelle que soit la quantité de lait obtenu, quels que soient le but (autoconsommation ou vente) et le mode de commercialisation. Le questionnaire, volontairement succinct, comportait quatre types d’informations à collecter : (i) les structures d’élevage (SAU, effectifs bovins, matériel d’élevage), (ii) les grands traits de la conduite du troupeau (modes de reproduction, cultures fourragères, apports en compléments…), (iii) les quantités et le devenir des produits animaux, lait et viande, (iv) la composition de la famille et la main d’œuvre. Un guide d’entretien complémentaire permettait par des questions ouvertes d’analyser les problèmes plus généraux,  tels que les contraintes, les projets, et les fonctions du cheptel.
Analyse des données

Pour élaborer une typologie et mettre en relation les différentes variables décrivant chacune des 111 exploitations agricoles, les données collectées ont fait l’objet d’un traitement par ACP, sur des variables par conséquent quantitatives sur des valeurs centrées réduites. Dix variables ont été sélectionnées : les éléments structurels de base (SAU, nombre de vaches laitières et nombre d’Unités de Travail Humain d’origine familiale, et UTH salariée), les éléments de diversification des activités agricoles (Pourcentage des surfaces allouées aux fourrages par rapport aux autres cultures, pourcentage des Unités Gros Bétail de bovins par rapport aux autres espèces), les critères techniques permettant de juger les stratégies alimentaires en lien direct avec la production laitière (nombre de mois de distribution de fourrages en vert et nombre de mois de distribution de concentrés aux vaches), et la régularité et les revenus issus de la vente du lait (quantités de lait commercialisé, nombre de mois de livraison par année).
Dans un second temps, afin de restituer l’ensemble des itinéraires techniques en vigueur sur les exploitations, d’évaluer les contraintes techniques, économiques et sociales, et comprendre les stratégies des éleveurs dans ces systèmes dits « pilotés », nous sommes revenus enquêter deux à trois éleveurs pour chacun des sept types identifiés, en sélectionnant les individus qui nous paraissaient les plus représentatifs et les plus coopératifs de leur classe. L’objectif de cette enquête approfondie était de cerner tous les aspects liés à l’élevage (conduite des cultures fourragères, conduite des troupeaux, analyse économique succincte par le calcul de la marge brute générée par le troupeau bovin) et aux stratégies familiales. Type par type, nous avons alors tracé un profil moyen (que nous appelons un cas-type) sur des critères autant sociaux qu’économiques ou techniques. Le cas-type n’est donc ni un modèle, ni le résultat d’une analyse statistique fondée sur des calculs de moyenne, mais la recherche d’une explication cohérente d’un système complexe - le système d’élevage - autour d’une représentation fabriquée à partir de deux ou trois exemples concrets.
III-3-3 Résultats et discussion
III-3-3-a Caractéristiques générales des exploitations pratiquant l’élevage bovin dans le périmètre du Gharb
La SAU des exploitations est comprise entre 0 et 275 ha avec une moyenne de 17,5 ha. Ce résultat, nettement supérieur aux données de toute la plaine du Gharb, s’explique par notre décision de faire représenter dans l’échantillon de grosses étables (privées ou étatiques), ce qui tire les résultats vers des moyennes plus élevées. Au total, 63 % des éleveurs ont une SAU inférieure à 10 ha et 43 % à 5 ha. Le mode d’appropriation privée, « melk », et le collectif sont les statuts fonciers les plus représentés, mais on rencontre également des agriculteurs établis sur des lots étatiques de la réforme agraire. Dans 56 % des cas, la main d’œuvre est essentiellement familiale, sans embauche de salariés permanents. Environ 30 % des exploitations ont une main-d’œuvre mixte (familiale et salariée) et 14 % des exploitations ont une main-d’œuvre d’origine exclusivement salariée. L’agriculture familiale (2,6 UTH par exploitation) est largement représentée dans cet échantillon. Les exploitations étant faiblement mécanisées, les travaux d’entretien sont réalisés manuellement ; les gros travaux de mise en cultures sont effectués soit par traction animale ou de façon mécanique (location de matériel).
La part des cultures fourragères au sein de l’assolement varie de 0 à 100 %. On relève à ce propos trois grandes tendances pour caractériser cette variation , (i) une spécialisation en élevage, avec 26 éleveurs ayant 100 % de leur SAU réservés aux cultures fourragères, (ii) une diversification de type polyculture/élevage pour 41 exploitations très diversifiées avec moins de 20 % de Surface Fourragère Principale (SFP) au sein d’un assolement en général très complexe, car les potentiels (irrigation, climat, sols) de la zone ont favorisé l’émergence d’une multitude de systèmes de cultures de type industriel (canne à sucre, betterave, riz...), maraîchères ou plus extensives (céréales ou oléagineuses), et (iii) un système extensif pour 8 exploitations qui ne disposent d’aucune culture fourragère, les aliments grossiers provenant de la vaine pâture, ou étant totalement achetés.
Les origines des troupeaux sont très diverses. On trouve des troupeaux de races pures importées (principalement Holstein et Frisonne Pie Noire), des vaches de type croisé issues des innombrables croisements et métissages entre des bovins de populations locales et des bovins de race pies noires, et enfin des vaches locales. La présence de grands troupeaux de race locale a été relevée dans les zones plus reculées et moins mises en valeur de l’arrondissement. La taille des troupeaux varie entre 1 et 81 vaches laitières, 58 éleveurs (52 %) possèdent des troupeaux de moins de 6 vaches. Plusieurs fermes élèvent aussi un troupeau d’ovins. Mais en terme d’Unités Gros Bétail (UGB), les bovins représentent plus de 84 % des effectifs, ce qui prouve l’importance des vaches dans le système global des productions animales dans un périmètre irrigué tel le Gharb.
Toutefois, face à l’hétérogénéité des données collectées issues de la diversité des exploitations agricoles, un traitement statistique multidimensionnel s’impose.
III-3-3-b Analyse de la diversité des exploitations d’élevage bovin : la typologie

Après un premier traitement ACP, 4 individus qui représentent de très gros élevages laitiers, sont apparus comme très fortement excentrés sur le plan des axes 1 et 2, et déviaient la signification de l’ACP vers des axes de taille (corrélé uniquement aux variables de structure, telles que Vaches présentes et Superficie Agricole Utile). Un deuxième traitement, portant sur 107 individus, s’est donc révélé nécessaire en excluant ces 4 premiers pour affiner l’analyse. Quatre autres types ont alors été identifiés à partir de l’analyse des 3 premiers axes qui expliquent 73 % de la variance (Tableau 18).
Tableau 18. Contribution des variables aux axes de l’ACP : région du Gharb

AxeDéfinition de l’axeProportion Variation cumulée VariablesCorrélation à l’axe(%)(%)LL - 0,83PL - 0,7939,31MC - 0,77SFP - 0,65FV- 0,57SAU- 0,712UGBb/UGBt 0,6121,160,4UTH F- 0,56NVL- 0,723UTHS- 0,5612,372,6FV : Mois avec distribution de fourrages verts aux vaches, LL : Mois avec livraison de lait, MC : Mois avec distribution de concentrés aux vaches, PL : Production laitière de l’étable, SAU : Superficie Agricole Utile, SFP: Surface fourragère principale, UGBb/UGBt : ratio UGB bovines/UGB totales, UTHS : Unités de Travail Humain Salariées, UTH F : Unités de Travail Humain Familiales, VL : Nombre de Vaches Laitières.

Le plan principal (défini par les axes 1 et 2) permet notamment une bonne discrimination graphique (figure 13) : en abscisse le degré d’intensification (variables explicatives : l’importance du fourrage, de la complémentation en concentrés, de la production laitière livrée), en ordonnée la diversification/spécialisation (variables explicatives : SAU, ratio UGBb/UGBt qui évoque la présence d’un troupeau ovin en général). Nous identifions ainsi finalement cinq types : les grands élevages spécialisés en lait (i) ou petits troupeaux avec intensification laitière (ii), les systèmes polyculture-élevage livrant du lait toute l’année (iii) ou de manière saisonnière (iv) et les élevages extensifs viande ne produisant du lait que pendant quelques semaines (v). La figure 14 résume les grands traits distinctifs des cinq types d’élevage bovin identifiés.
Nous avons ensuite souhaité valider cette typologie en la soumettant à un groupe de neuf experts qui ont suggéré après discussion de distinguer des sous types importants qui n’étaient pas perçus dans l’analyse. Ce genre de méthodologie pour l’affinage des résultats de typologies d’exploitations agricoles est recommandé lorsque les expertises locales permettent de cerner davantage les réalités des pratiques en vigueur, surtout en cas d’enquêtes rapides, telles que nous les avons effectuées. Parfois, l’élaboration de typologies de fermes peut même se dispenser d’enquêtes longues et reposer uniquement sur les avis des techniciens locaux : c’est la typologie « à dires d’experts » [Perrot, 1990]. Dans ce travail en particulier, en tenant compte de l’avis des experts de l’élevage du périmètre irrigué du Gharb, dans le type (iv) est apparu la nécessité de différencier le système riz - bersim où le fourrage est produit en dérobé. Dans le type (v), le cas des élevages extensifs de petite taille, propres aux éleveurs sans terre ayant des revenus extra agricoles, a aussi été retenu.


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LL : Mois avec livraison de lait, PL : Production laitière de l’étable, MC : Mois avec distribution de concentrés aux vaches, SFP : Surface fourragère principale, FV : Mois avec distribution de fourrages verts aux vaches, SAU : Superficie Agricole Utile, BOV T : Nombre d’UGB bovines totales, UTH F : Unités de Travail Humain Familiales

Figure 13. Cercle des corrélations des variables de l’ACP : étables dans la zone irriguée du Gharb.


Figure 14. Représentation schématique de la typologie des élevages bovins dans le Gharb.

Sept types distincts sont ainsi retenus, correspondant à des éleveurs dont le profil sociologique est assez facile à caractériser (tableau 19).


Tableau 19. Les différents types d’éleveurs de bovins dans l’arrondissement de Sidi Allal Tazi (périmètre du Gharb).



TYPES
Eleveurs laitiers spécialisésEleveurs en systèmes de polyculture / élevageEleveurs extensifs sur parcoursGrand cheptelPetit cheptelLait permanentLait de saisonRiz-bersim Lait saisonElevage allaitantHors solIdentitéGrand laitier
(GL)Petit laitier
(PL)Cultures et lait
(PLP)Cultures et lait
( PLS)Riz/bersim Lait
(RBLS)Grands allaitants
(GA)Sans terre
(ST)Effectif enquêté431224311

Le type GL correspond aux gros élevages laitiers de la zone côtière dont les paramètres de structure (SAU, effectifs en vaches laitières) sont largement supérieurs à la moyenne. Tous leurs bovins sont d’origine importée de race Holstein. La SFP occupe une place prédominante sur ces exploitations (82 % de la SAU). Les fourrages sont distribués toute l’année soit en vert soit sous forme d’ensilage, et les vaches sont supplémentées en concentrés durant toute la lactation. Le zéro-pâturage est de rigueur dans ces exploitations, à l’instar de la majorité des systèmes intensifiés d’élevage bovin au Maroc. La productivité moyenne est de 4 300 kg de lait par vache laitière présente/an. Enfin, la main d’œuvre est exclusivement d’origine salariée. Trois de ces exploitations appartiennent à des industriels détenteurs de capitaux qui ont fait le choix d’investir dans l’agriculture, bénéficiant ainsi de l’exonération d’impôts. Mais leur souci majeur est la rentabilité économique qu’ils tentent d’atteindre en visant l’intensification maximale du rendement laitier par vache. La quatrième exploitation est une ferme expérimentale étatique d’où la présence importante de main d’œuvre (38 salariés).

Le type PL, petit laitier spécialisé, comprend 31 individus, et se caractérise par une SAU moyenne de 6 ha par exploitation dont plus de 80 % sont réservés aux cultures fourragères, un troupeau de 9 vaches laitières en moyenne, une distribution tout le long de l’année de fourrages verts aux vaches, et par la mise à disposition des vaches de concentrés durant toute leur lactation. Le rendement laitier moyen est de 2 900 kg par vache présente/an. La livraison de lait n est pas saisonnière, étalée sur toute l année. La main d Suvre est d origine familiale et/ou salariale. Plus de T! de ces éleveurs, dont certains sont des bénéficiaires de l’opération « jeunes promoteurs », embauchent des salariés permanents. Ce type peut ainsi être considéré comme celui des éleveurs aux moyens de production plus modérés mais qui accordent à l’élevage laitier une place privilégiée dans leur système de production.

Le type PLP, polyculture-élevage et production laitière permanente, est composé de 22 individus qui se caractérisent par une SAU moyenne de 39 ha, nettement supérieure à la moyenne générale et par un troupeau moyen de 8,5 vaches laitières. Cette classe présente tous les aspects de la diversification des activités aussi bien au niveau de l’élevage que des cultures. Ainsi, un troupeau ovin est présent chez tous les éleveurs et il peut parfois être plus important que le troupeau bovin lui même (en terme d’Unités Gros Bétail). Au niveau des productions végétales, moins de 30 % de l’assolement est réservé aux cultures fourragères, le reste étant occupé par des productions telles que le maraîchage de plein champ, les céréales, les oléagineux, et la betterave sucrière. Au niveau de la conduite alimentaire des vaches, les fourrages sont distribués en vert de décembre à juillet, déterminant de ce fait une période difficile dite de « soudure » d’août à novembre, où seules de la paille et les chaumes de céréales sont disponibles pour le cheptel bovin. Néanmoins, les concentrés sont distribués toute l’année chez la majorité des éleveurs. Les niveaux de production de lait sont de 1 800 kg par vache laitière présente/an.

Le type PLS, polyculture-élevage et production laitière saisonnière, est le plus important et il se compose de 43 éleveurs. Ces exploitations se distinguent par l’exiguïté des superficies (4,6 ha en moyenne) et par des troupeaux bovins de 4,5 VL en moyenne. Les productions agricoles sont plus ou moins diversifiées et la part réservée aux cultures fourragères est inférieure à 40 % de l’assolement. Les autres productions végétales sont le blé et le maraîchage. L’alimentation du troupeau est déficiente pendant près de la moitié de l’année. Il en résulte une livraison de lait très saisonnière, qui s’arrête de juin à novembre, moment où sont exploitées massivement les chaumes de blé. Celles-ci, beaucoup d’éleveurs aimeraient les ériger en transition vers les futurs fourrages verts de la fin de l’automne. Cette période est malheureusement trop longue, et il s’ensuit d’inévitables carences, d’abord protéiques, puis énergétiques et minérales [Outmani et al., 1991]. C’est le temps des « vaches maigres », où il faut puiser sur d’hypothétiques et rares stocks de paille ou de foin, ce qui compromet, dans bien des cas, aussi bien les lactations en cours que les fonctions biologiques du troupeau (la reproduction en premier lieu). Cette classe est donc typiquement celle des éleveurs de bovins pour lesquels la production laitière est reléguée au second plan, les vaches étant d’abord à vocation allaitante.

Le type RBLS, très proche du précédent, et que nous n’avions pas identifié dans un premier temps, correspond aux exploitations des coopératives de la réforme agraire dont l’assolement est fondé sur la succession riz - bersim. Le bersim (trèfle d’Alexandrie), qui est difficile à conserver du fait de sa haute teneur en eau, assure un affouragement en vert de novembre à mai. Les vaches sont nourries le reste de l’année d’un peu de mauvais foin de bersim, de paille et de concentrés achetés. La production laitière est de ce fait très saisonnée (de novembre à mai).

Les types GA (grands troupeaux à tendance allaitante) et ST (éleveurs sans terre et petits troupeaux), exploitent des troupeaux de race locale menés sur parcours, et sont représentés dans notre enquête par 11 individus qui se caractérisent par une SAU inférieure à 1 ha. Mais les effectifs en vaches sont très variables, allant de 3 à 50. Aucune culture fourragère n’est pratiquée, et les éleveurs mènent leur troupeau sur des pâturages tantôt à proximité de leurs lieux de résidence, tantôt sur les pâturages collectifs de la forêt domaniale. La distribution de concentrés se fait de manière très sporadique, à l’occasion de l’engraissement d’un bovin destiné à la commercialisation, ou pour une utilisation marginale du lait produit dans les semaines qui suivent un vêlage. Ce lait réservé à l’autoconsommation familiale est destiné exceptionnellement à la vente, mais certains éleveurs, se référant à la coutume, refusent de vendre le lait.

Remarquons pour conclure provisoirement que ces différents types d’éleveurs ne sont pas répartis au hasard dans l’espace : les « grands laitiers » sont installés dans la bande côtière, les « jeunes promoteurs » de type PL, plus exigeants sur les conditions de vie, sont proches de la ville de Kénitra, les systèmes « riz - bersim » sont dans les périmètres proches de Sidi Allal Tazi, les systèmes allaitants sont plus à la périphérie et proches de la forêt. Par ailleurs, un gradient de la part du lait dans les recettes totales d’élevage a été mis en évidence et il confirme l’extrême hétérogénéité des stratégies des éleveurs d’un type à l’autre (figure 15).

Figure 15. Gradients de production de lait et de viande dans les différents systèmes d’élevage bovin au Gharb.


III-3-3-c Les stratégies des éleveurs : l’analyse des cas types

Les enquêtes approfondies menées auprès de quelques éleveurs représentatifs de chaque type nous ont donc permis de dessiner sept « profils » qualifiés de « cas - types ». Pour chacun d’eux, nous expliciterons les enjeux et les objectifs au travers de quelques indicateurs, notamment économiques. Les bénéfices dégagés par vache sont calculés par différence entre les produits bruts et la somme des charges opérationnelles, frais d’irrigation et salariat compris. Le tableau 20 résume ces différents points.

Le cas type GL (grand troupeau laitier) est une exploitation privée de 20 ha, avec un élevage de 74 vaches laitières de type Holstein (le propriétaire engage par ailleurs des investissements dans d’autres unités agricoles spéculatives telles que bananes, fraises, avocats…). La main-d’œuvre est exclusivement salariée (9 travailleurs permanents). L’exploitation dispose d’importants investissements en bâtiments et en ateliers relatifs à une conduite intensive du cheptel (salle de traite, annexes de stockage…). L’exploitant recherche une forte productivité. Il applique l’insémination artificielle (IA) dans la mesure du possible mais, par sécurité, s’assure le concours d’un bon taureau. Toute la SAU est réservée aux cultures fourragères. L’assolement comprend une culture associée de lupin et triticale, suivie d’un maïs d’été. Ces fourrages se conservent facilement en ensilage, assurant une couverture en fourrages pour le cheptel toute l’année. Le rationnement des vaches laitières est calculé en fonction de leur niveau de lactation, ce qui n’est pas fréquent. Les vaches sont conduites en trois lots : les hautes, moyennes et faibles productrices. Les concentrés sont tous achetés de l’extérieur. Leur part dans le rationnement est élevée (64 % de la MS ingérée), soit 14 kg/jour/pour une vache laitière produisant plus de 20 kg de lait/jour. Il est vrai que le chargement animal, près de 4 VL par ha de SFP, impose cette pratique. Le bénéfice par vache est de 4 228 DH, soit environ 420 ¬ , le lait représentant 75 % des recettes totales de l élevage. Le propriétaire étant par nécessité un absentéiste, le problème essentiel est lié à la technicité des ouvriers et du gérant. L’avenir de ces unités étant très lié à leur rentabilité, elles sont menacées de disparaître car la conjoncture ne leur est pas favorable : stagnation du prix du lait, intrants coûteux, blocage des importations de génisses.

Le cas type PL (petit troupeau laitier spécialisé) est constitué d’une exploitation de 10 vaches laitières reposant sur 3 ha loués au domaine de l’Etat. La production est de 5 220 kg de lait par lactation. L’exploitation est entre les mains d’un « jeune promoteur » qui, faute de trouver du travail diplômé dans d’autres secteurs d’activités, s’est lancé dans l’élevage laitier. La présence de salariés permanents est systématique, le promoteur s’occupant beaucoup plus des aspects d’approvisionnement et de gestion technique de l’étable. Toute la SAU est réservée aux cultures fourragères. Leur conduite est intensive afin de combiner un maximum de rendement pour l’affouragement en vert (bersim) et le stockage sous forme d’ensilage (maïs). Les vaches sont toutes d’origine Prim’Holstein, importées par l’intermédiaire d’une usine laitière. Ce choix représente un gros investissement pour l’éleveur, (170 000 DH à rembourser) assuré à la fois par un prêt à court terme consenti par l’usine (remboursement par déduction sur le paiement du lait) et par endettement personnel (prêts familiaux). L’éleveur mesure la production régulièrement afin d’ajuster les rations. Celles ci sont calculées par ses soins après information et même formation auprès de voisins (type GL). C’est le seul groupe où de réelles demandes techniques sont réclamées. Le lait constitue près de 72 % des recettes globales d’élevage. Cependant, l’exploitation continue d’être sévèrement endettée, ce qui interdit tout investissement complémentaire (élevage de taurillons). De plus, elle repose sur des facteurs de production aléatoires (notamment foncier avec la location du terrain).

Le cas type PLP est illustré par une exploitation de 45 ha de SAU, avec 20 vaches laitières, produisant chacune 2 800 kg de lait. Sur les 5 ha de SFP irrigables, on trouve une rotation bersim - maïs grain, menée sans grande technicité. L’objectif de l’éleveur est de privilégier les cultures de rente irriguées, ce qui fait que la SFP n’occupe que 11 % de la SAU. Le cheptel bovin laitier est issu à l’origine de génisses d’importation, remplacées progressivement par les produits nés sur place en utilisant l’IA, avant l’arrêt récent de ce service. L’alimentation est basée sur une succession de fourrages en vert ou ensilé mais aussi sur tous les résidus de cultures (collets de betteraves) les adventices de toutes les cultures de rente et le pâturage des chaumes de céréales. Les aliments concentrés sont distribués durant toute la lactation des vaches. La quantité de concentrés et les proportions du mélange restent identiques quels que soient les fourrages distribués. La culture de betteraves permet d’avoir accès à de la pulpe à prix réduit (0,90 DH/kg). La paille est un produit spéculatif sur ces exploitations et on l’utilise au minimum afin d’en vendre le plus possible. Sur place, elle est donnée broyée avec les concentrés et très peu utilisée en litière. Le bénéfice est de 3 844 DH par vache. Le lait n’assure plus que 54 % des recettes d’élevage car ces éleveurs accordent une certaine importance à l’engraissement des mâles sans en faire une priorité. La complémentarité entre élevage et culture, par les flux qu’elle permet, est ici à son optimum.

Le cas type PLS, très largement représenté dans la zone, correspond au profil d’une exploitation traditionnelle à faible technicité de 4,0 ha, de type familial (famille nombreuse, plus de dix personnes), disposant d’une moto pompe et pratiquant un système de polyculture - élevage sur des collectifs partagés (2,5 ha de blé, 0,5 ha de maraîchage et 1 ha de cultures fourragères). L’élevage bovin y est représenté par 3 vaches laitières croisées. La saillie est assurée par un taureau croisé choisi pour sa bonne conformation et non pour ses antécédents laitiers supposés. L’alimentation s’appuie sur les cultures fourragères, mais les résidus des cultures maraîchères et du désherbage sont distribués au fur et à mesure de leur récolte. Deux phases de transition sont critiques pour l’alimentation du cheptel, (i) entre la culture du bersim et la culture du maïs (de fin mai à juillet) où l’apport en aliments grossiers se fait par la pâture des chaumes de blé, de résidus maraîchers et par la vaine pâture sur les bas côtés des routes, et (ii) entre le maïs et le bersim. (de fin septembre à début décembre) où l’alimentation est assurée essentiellement par la paille et par des résidus divers. Les concentrés sont distribués seulement pendant ces deux phases de transition afin de freiner l’amaigrissement des vaches. La quantité est estimée à 200 kg par VL d’un mélange de pulpe déshydratée de betterave et de son de blé. Ce type d’alimentation n’est pas adapté aux exigences quantitatives et qualitatives liées à la production laitière qui chute fortement lors des phases de transition. La production laitière par vache est de 750 kg par lactation, soit à peu près 500 kg par an, avec un intervalle entre vêlage estimé à 18 mois. Le bénéfice dégagé par ce type d’élevage est de 2 075 DH par vache. Le lait, vendu à des colporteurs, ne représente plus que 37 % des recettes, la préférence allant au veau (sevrage tardif, deux quartiers étant réservés à l’allaitement), puis à l’engraissement des génisses et des taurillons. La contrainte en trésorerie impose souvent des ventes hâtives de bovins, décidées à contrecœur.

Le cas-type RBLS ou « riz-bersim » est un système de polyculture-élevage, décrit par une exploitation reposant sur un lot de 5 ha appartenant à une coopérative de la réforme agraire. Ces exploitations sont tenues de cultiver du riz, étant donné la nature hydromorphe des sols, la sole fourragère s’insère idéalement en dérobé par rapport au cycle du riz (de mai à octobre). A partir du mois de novembre les terres sont semées en blé pour la moitié de la surface et en bersim pour l’autre. L’origine du troupeau est composite avec des vaches croisées et des vaches Pie Noires importées par l’intermédiaire des centres de collecte du lait. La conduite des deux types génétiques étant la même, le potentiel Pie Noire est sous exploité. L’alimentation est typique de ce système : du bersim à volonté pendant six mois, de la paille et des concentrés les six autres mois. La flambée des prix de la paille après une année de sécheresse a obligé l’éleveur à acheter une coupe de bersim dans l’attente de sa propre récolte. Le foin, malgré sa faible qualité, se développe aussi dans ce but, alors que les essais de vulgarisation de l’ensilage du bersim n’ont pas porté leurs fruits (coût trop important, conservation difficile en raison de la teneur en eau proche de 90 %). Le bénéfice n’est que de 2 055 DH par vache. Seuls 34 % des recettes proviennent du lait.

Le cas type GA correspond à un éleveur du type allaitant. Le cheptel bovin est constitué de 50 vaches de race locale (250 kg de poids vif, 450 kg de lait dont 200 à 250 sont traits). L’exploitation est de type familial et repose sur une SAU de 10 ha. Aucune culture fourragère n’est pratiquée, et le troupeau est essentiellement nourri sur parcours forestier, vaine pâture et sur chaumes et jachères. Les vaches prêtes à vêler ou remises en état pâturent les parcelles privées de proximité, mais en général, les zones de pâturage sont éloignées des lieux d’habitation (10 jusqu’à 50 km) et un des membres de la famille est mobilisé pour assurer le gardiennage du troupeau. Les vaches qui mettent bas ne sont traites sur place que durant les deux premières semaines et rejoignent ensuite le troupeau principal. Le lait qui n’est pas autoconsommé par la famille est livré aux centres de collecte et non aux colporteurs peu intéressés par ces producteurs occasionnels. L’orientation de ce système est ainsi complètement tournée vers la viande (93 % des recettes). Les charges sont réduites au minimum pour les animaux, et le bénéfice par vache est faible, de l’ordre de 890 DH, mais la forte taille du troupeau permet de dégager un revenu correct pour la famille.

Le dernier cas-type, ST, est celui des paysans « sans-terre ». L’exploitation agricole, issue de morcellements successifs suite aux héritages, est fortement exportatrice de main-d’œuvre mais élève quelques vaches sur des terrains de proximité. Le troupeau est constitué de 4 vaches dont l’alimentation est totalement basée sur des ressources gratuites. Un enfant non scolarisé se consacre totalement à la tâche de leur trouver un lieu de pacage entre pâturage en forêt et chaumes accordés par d’autres agriculteurs. Si le pâturage ne suffit pas, les femmes vont ramasser des herbes en forêt ou sur le bas côté des routes qui seront distribuées le soir au troupeau. Aucun achat extérieur de fourrages, de paille ou de concentrés n’est prévu pour le troupeau sauf pour les cas exceptionnels (maladie). Les années de très fortes sécheresses, quand les parcours sont improductifs, le troupeau est vendu. Bien que les vaches soient traites pendant les deux à trois premiers mois de lactation, le lait est en totalité utilisé pour les besoins de la famille. Le bénéfice obtenu est de 1 684 DH par vache, la part du lait produit est insignifiante (3 %).
III-3-3-d Lait et/ou viande ? Les perspectives d’avenir

Cette analyse de la diversité des élevages bovins confirme l’extrême hétérogénéité des choix et des pratiques des éleveurs et devrait inciter les pouvoirs publics, les organisations professionnelles d’élevage et les transformateurs de produits animaux à la prise en compte de cette variabilité pour l’instauration de programmes d’encadrement des éleveurs adaptés à leurs multiples attentes.
La typologie établie confirme la multiplicité des rôles du cheptel bovin et la diversité des systèmes d’élevage en vigueur dans le périmètre du Gharb. Il se dégage aussi que l’élevage bovin est avant tout entre les mains de petites exploitations tant par la taille que par le degré de capitalisation [Auriol, 1989]. Par ailleurs, la spécialisation en élevage laitier, tant prônée par les concepteurs du « Plan laitier », est loin de s’être imposée et les niveaux moyens de production demeurent très en deçà des potentialités génétiques des vaches et des atouts de la région (irrigation, disponibilité des nombreux sous-produits agricoles…).

Tableau 20. Caractéristiques des cas - types d’élevages bovins du périmètre irrigué du Gharb.



TYPES
Eleveurs laitiers spécialisésEleveurs en systèmes
polyculture-élevageTroupeaux extensifs sur parcoursGrandes étables (GL)Petit effectif (PL)Laitier permanent (PLP)Lait de saison (PLS)Riz/bersim Lait saison
(RBLS)Elevage allaitant (GA)Sans terre (ST)SAU (ha)203453,55100,5Vaches 74102034504Type de bovins Pie noirePie noire Pie Noire CroiséCroiséBrune d’AtlasBrune d’AtlasF/SAU* %1001002214251000ConcentrésContinusContinusContinus5 mois6 mois1 moisRaresConcentrés / charges (%)
75
72
62
73
39
22
13Lait / produits (%)
75
72
54
37
34
7
3Bénéfice par vache (DH)
4 228
3 630
3 844
2 075
2 055
896
1 644* F/SAU : fourrages par rapport à la SAU

En fait, comme le fait remarquer Bouslikhane [1998(, dans la plaine du Gharb, une grande majorité d’étables n’a pas de véritable ambition de spécialisation laitière, notamment en l’absence du savoir-faire technique. Seuls les deux premiers types répondent aux attentes des décideurs en obtenant des résultats tant techniques qu’économiques assez proches de ce qui a été relevé dans d’autres régions du pays [Lakhdissi et al., 1985 ; Sraïri et Kessab, 1998 ; Sraïri et El Khattabi, 2001]. En revanche, pour les autres types, la production de viande s’impose comme une activité concomitante, parfois même dominante, le lait devant même parfois être considéré comme un sous-produit. Les responsables des usines laitières sont donc en droit de se poser la question de la durabilité et des perspectives de la production laitière.
Le premier phénomène à considérer avec attention est lié au fait que, en dehors des élevages laitiers spécialisés (GL et PL), le troupeau bovin des autres systèmes est typiquement polyfonctionnel, c’est-à-dire (i) très complémentaire des activités proprement agricoles (utilisation des fourrages et sous produits, producteur de fumier notamment pour les parcelles en maraîchage intensif) (ii) assurant les besoins laitiers familiaux (lait, petit lait fermenté ou l’ben, beurre), (iii) valorisant la main d’œuvre familiale sous employée, (iv) assurant les à-coups de la trésorerie (vente de lait, des veaux), et (v) appuyant les investissements lourds par la vente des vaches, taurillons ou génisses au moment opportun.

L’autre problème d’importance concerne la mise en marché du lait et le recul général de la collecte industrielle de lait dans le périmètre du Gharb, exacerbé par l’amplification du phénomène de colportage. Les centres de collecte coopératifs, qui ont joué un rôle clef dans l’émergence de la filière lait, marquent en effet le pas. N’étant que peu éligibles aux crédits bancaires, ces coopératives ne disposent que de capitaux limités pour développer d’autres activités au profit de leurs adhérents et peu réussissent à s’affranchir de l’administration. Un autre dysfonctionnement concerne la régularité des apports et le degré de fidélité des éleveurs vis-à-vis de ces coopératives, à l’image de ce qui a été relevé dans la région limitrophe de Tiflet [Sraïri et Medkouri, 1999]. Les usines laitières insuffisamment équipées en matériel de stockage et de transformation (poudre de lait notamment) gèrent difficilement les excédents laitiers du printemps et ont pour habitude de refouler sans préavis les apports en provenance des centres de collecte qui bloquent à leur tour les livraisons des producteurs...contraints de passer par les colporteurs. De nombreux éleveurs, face à ces incertitudes, manifestent leurs réticences à produire davantage de lait s’ils sont si mal récompensés de leurs efforts : pas de prime à la qualité, pénalités d’origine douteuse et prix n’ayant pas évolué depuis plus de 10 ans [Sraïri et Ilham, 2000]. Certains en viennent à créer leur propre mini-laiterie pour garantir un débouché fiable et rémunérateur. Depuis une dizaine d’années, on voit ainsi monter en puissance des circuits parallèles dits « informels » dans certaines régions, mais en vérité fort bien équipés (camionnettes, bacs réfrigérateurs, boutiques pour la vente en direct de produits transformés...) et organisés pour la collecte directement auprès des producteurs. Incapables de faire face à cette concurrence, certains centres de collecte ont fermé et la principale usine laitière du Gharb (coopérative Colait-Extralait) s’en est trouvée fortement fragilisée, outre ses problèmes de gestion interne. La ville de Kénitra est à présent approvisionnée à hauteur de 25 % par des colporteurs organisés, efficaces et, pour une partie d’entre eux, respectueux de l’hygiène.

Lait et viande peuvent donc être en situation de concurrence et ce n’est pas le moindre paradoxe de voir ces éleveurs, dotés en troupeaux de races laitières spécialisées, accorder de plus en plus d’intérêt à la production de viande. On a vu que dans la plupart des troupeaux (hors GL), les veaux sont tous conservés. Toutefois, seuls les mâles sont engraissés, selon un même modèle (5 mois en stabulation, paille et concentrés) pour dégager une marge brute d’environ 500 DH/taurillon. D’un type à l’autre on note des stratégies un peu différentes : les jeunes promoteurs (PL) n’engraissent au mieux qu’un à deux mâles par an, les systèmes agriculture-élevage (types PLP) gardent toutes leurs génisses et vendent quelques mâles maigres pour assurer l’engraissement des autres sans trop prélever dans le disponible fourrager, tout en préservant le potentiel laitier de leur unité…ce que les élevages PLS et RBLS (riz - bersim) ne font plus, en privilégiant la viande. En système allaitant, le choix se porte évidemment sans concurrence possible vers la production de viande.

La mise sur pied d’un programme d’appui technique aux éleveurs doit donc nécessairement tenir compte de ces différences entre types. Compte tenu de la priorité affichée par les services techniques pour une production laitière destinée à l’industrie, il est clair que les types GL et PL sont les plus susceptibles de s’accaparer l’aide technique. Celle-ci devrait se concrétiser par l’affectation d’agents sur le terrain en phase avec les éleveurs, car pour l’heure ces derniers sont rares à signaler des visites de techniciens du développement. Cet encadrement rapproché doit s’intéresser en premier lieu à la conduite alimentaire des vaches laitières, puisqu’à l’instar de ce qui est rapporté dans d’autres régions du pays, les périodes de soudure et la méconnaissance des méthodes de rationnement et de conservation des fourrages continuent de générer des manques à gagner importants [Guessous, 1991]. A cet égard, le Gharb étant un important pôle de production agroalimentaire (sucreries, conserveries…), une valorisation plus importante des sous-produits industriels devrait être favorisée.
En revanche, il faut que ces mêmes services techniques chargés de la vulgarisation agricole reconnaissent à la production de viande une totale légitimité. Les périmètres irrigués de cette zone ont permis l’émergence d’un système d’élevage bovin de type mixte et non pas « laitier intensif » qui, dans un certain nombre de systèmes, profite de la complémentarité entre agriculture et élevage. Les élevages concernés, les plus nombreux comme on l’a vu, réclament donc une aide et des conseils spécifiques pour gérer au mieux cet équilibre lait/viande qui est véritablement la marque de ces systèmes qui pour survivre doivent être d’une grande adaptabilité. Rien ne s’oppose en vérité à ce que les élevages laitiers intensifs spécialisés et les élevages mixtes associés à l’agriculture se partagent harmonieusement l’espace agraire…et les aides.
III – 4 Analyse comparative des systèmes d’élevage bovin en zones irriguée et suburbaine
III-4-1 Introduction
La politique poursuivie par les pouvoirs publics en matière d’élevage bovin au Maroc a toujours considéré les périmètres irrigués comme le fer de lance de toute amélioration de la production laitière, tant il est vrai que l’irrigation devrait permettre d’amenuiser les effets des épisodes de sécheresse que connaît le pays fréquemment et de favoriser la constitution de stocks de fourrages. Toutefois, depuis le lancement du Plan laitier, en 1975, et plus récemment, aucune étude sérieuse n’a mis l’accent sur la spécificité comparée de la production laitière en zones irriguées par rapport aux régions pluviales et suburbaines du pays. A cet égard, le présent travail vise ainsi à établir une comparaison entre des étables communes dans le périmètre irrigué du Gharb par rapport à leurs homologues dans la ceinture suburbaine de Rabat - Salé. Il s’agira en fin de compte d’identifier si les similarités observées lors de l’établissement de typologies d’étables dans chacune des deux zones considérées distinctement sont réelles ou si elles sont approximatives. En d’autres termes, cela revient à évaluer la pertinence du discours technique des planificateurs de l’élevage laitier par rapport aux atouts supposés de l’irrigation en matière de promotion de production bovine intensive en conditions marocaines. A l’opposé, il se pourrait que des pratiques d’élevage issues des périodes antérieures au lancement du Plan laitier, à un moment où seule une culture d’élevage allaitant était fortement présente dans tout le pays, aient eu une forte rémanence et qu’elles se soient érigées en obstacle majeur à l’efficience de la production laitière, même en zones irriguées réputées favorables.
III-4-2 Méthodes de travail
III-4-2-a Echantillon d’étude

Un ensemble de 118 éleveurs de bovins (70 dans le périmètre irrigué du Gharb et 48 dans la région suburbaine de Rabat - Salé) ont été sélectionnés d’un commun accord avec les associations régionales des éleveurs laitiers. La seule condition considérée pour ce choix était la production de lait sans prendre en compte la structure du cheptel ou le niveau d’intensification laitière. Les proportions par type d’élevage (taille du cheptel et superficie agricole exploitée) ne reflètent pas la réalité, puisque délibérément, un nombre important d’étables de grande taille (plus de 10 ha et plus de 20 bovins) a été retenu, dans les deux régions, afin de disposer d’un nombre suffisant d’individus représentatifs de la diversité des situations d’élevage. Toutefois, sur le terrain, il est évident que les grandes étables étaient nettement moins bien représentées que ce qui est décrit dans ce travail. En conséquence, les résultats de cette étude pourraient ne pas respecter la distribution proportionnelle des différentes tailles d’exploitations, particulièrement en relation avec les paramètres de structure (superficie et effectifs animaux). En fait, les données récentes provenant du dernier recensement général de l’agriculture au Maroc montrent que 84 % des bovins sont détenus par de petites structures, avec moins de 3 bovins évoluant sur moins de 5 ha de superficie agricole [MADRPM, 1998a].

D’un commun accord avec les éleveurs retenus, un suivi d’étable a été instauré. Les données relatives au fonctionnement de l’atelier laitier (alimentation des vaches, type de traite, traitements vétérinaires et reproduction du cheptel) et leurs répercussions sur l’économie d’élevage ont été collectées. Un questionnaire de 10 pages a été rempli pour chaque élevage suite à 4 passages de travail par exploitation. Ces visites étaient séparées d’environ 90 jours pour l’évaluation des résultats globaux des élevages tant sur le plan de la production laitière que de la reproduction et des résultats économiques (bénéfice par vache à l’issue de la campagne agricole).
Dans une étape préliminaire du traitement des données obtenues, nous avons procédé à une analyse de la variance testant l’effet fixe de la région par rapport aux paramètres de productivité et de rentabilité des élevages. A cet égard, le logiciel Minitab a été utilisé [Minitab, 2002].
III-4-2-b Comparaison intra et inter région
Une typologie générale des systèmes d’élevage laitier prévalant dans les deux régions a été établie. Elle a pris en compte les éléments fondateurs d’un système d’élevage, à savoir l’éleveur (ses revenus, son patrimoine et son historique), le cheptel (sa composition, sa dynamique et ses performances), et les ressources mobilisées pour la production laitière. Les analyses statistiques ont été effectuées grâce au logiciel SAS [SAS, 1998]. En premier lieu, un total de 12 variables quantitatives ont été identifiées pour la description des fermes laitières et de leurs activités durant la campagne agricole 2000/2002. Des analyses en composantes principales ont alors servi à détecter les variables qui caractérisaient le mieux les échantillons d’étables dans chaque région. A ce stade, il est alors apparu que deux fermes dans chaque région présentaient des caractéristiques structurelles nettement différentes de la moyenne, résultant en un axe de taille à intérêt synthétique limité, puisque discriminant entre grandes fermes et étables entre les mains de petites structures, généralement paysannes. Par conséquent, nous avons décidé de mettre à l’écart ces 4 exploitations, et nous avons de nouveau effectué une ACP. Il est alors devenu évident que les variables principales expliquant le comportement des exploitations laitières n’avaient plus aucune relation avec les paramètres de taille, mais qu’elles étaient liées au mode d’alimentation du cheptel bovin, au rendement laitier et au poids des ventes de bovins par rapport au chiffre d’affaires global. Un groupe de 10 variables a été finalement adopté, pour la caractérisation définitive de la diversité des pratiques d’élevage rencontrées (Tableau 21).

Tableau 21. Variables décrivant les fermes laitières des zones suburbaine de Rabat - Salé et irriguée du Gharb et leurs symboles
VariablesSymboleCharge Bovine (ha de fourrages/vache)ChargeVariation d’inventaire Relative (en UGB)VIRMoyenne économique (kg de lait par vache par an)MEUnités Fourragères Lait des Concentrés par kg de lait UFL cc/kg laitUnités Fourragères Lait des Concentrés par vache et par anUFK cc/v/anFourrages /concentrés dans le bilan énergétique (%)FCCValeur des Animaux par rapport au lait (% des ventes)VALCharges Alimentaires sur Total des IntrantsCATPrix de Revient du kg de laitPRKBénéfice par VacheBV
Il s’est alors avéré que les axes factoriels obtenus pour les deux régions avaient sensiblement la même signification, nous incitant à effectuer une ACP globale qui permettrait d’obtenir une vision générale relative aux 114 exploitations situées tant en périmètre irrigué qu’en zone suburbaine. Par la suite, afin de mieux expliquer l’effet éventuel de la situation géographique (suburbain par rapport irrigué), nous avons appliqué une ACP inter région grâce au logiciel spécifique aux analyses multidimensionnelles, ADE-4 [Thioulouse et al., 1997]. A l’issue de cette étape, nous avons éliminé l’effet de la région en utilisant une ACP intra région [Dolédec et Chessel, 1997]. En fin de compte, nous avons réalisé une classification ascendante hiérarchique générale (critère de Ward pour l’analyse hiérarchique) sur les scores des 114 exploitations issues de l’ACP intra région (sans effet région). L’objectif était d’établir une typologie dénuée de tout biais lié à la situation géographique. Quatre classes d’exploitations agricoles pratiquant l’élevage laitier ont alors été définies.
III-4-3 Résultats et discussion
III-4-3-a Aperçu général sur les caractéristiques des exploitations et des performances laitières
Les paramètres moyens décrivant les exploitations agricoles retenues dans ce travail sont rapportés dans le tableau 22. En raison de la présence dans l’échantillon étudié de fermes à paramètres structurels très dispersés, la moyenne pour les paramètres de taille (effectifs bovins et superficie agricole) était supérieure à l’écart - type. Par exemple, il y avait 16,3 ± 52,8 ha de superficie arable par exploitation agricole avec plus de 80 % des fermes utilisant moins de 25 % de la surface agricole totale. Dans le périmètre irrigué du Gharb, la sole fourragère représentait 18 % de la surface totale et était emblavée principalement en bersim (Trifolium alexandrinum) qui occupe 60 % de la superficie fourragère, suivi de la luzerne et du maïs (tous trois bénéficiant d’irrigations d’appoint). Dans la zone suburbaine de Rabat - Salé, les fourrages représentent 31,7 % de la superficie totale et étaient à base de cultures pluviales telles que l’avoine, l’orge et les lupins, avec un complément de cultures irriguées estivales (luzerne et maïs) dans 32 exploitations.

Il y a en moyenne 9,6 ± 14,3 vaches par ferme étudiée. Comme pour la superficie arable, il est possible de constater une importante variabilité dans les effectifs de vaches en raison du choix dans l’échantillon de fermes de situations très diverses (fermes spécialisées, fermes étatiques, petites exploitations…). La structure génétique du cheptel bovin est dominé par les vaches des races Holstein et Frisonne (77 % des effectifs totaux), suivies des vaches de type croisé « locales x Holstein ou Frisonne » (21 %) et des vaches des populations locales (2 %). Le rendement laitier moyen par vache était de 2 844 ± 1 105 kg. L’analyse de l’alimentation des vaches a montré que les fourrages ne représentaient que 59,7 % de l’énergie dérivée des concentrés.

Tableau 22. Paramètres moyens de structure et de fonctionnement décrivant les 118 fermes laitières étudiées dans les zones suburbaine et irriguée.

VariablesMinimumMoyenne ± é.t.MaximumSuperficie agricole utile, SAU (ha)0,016,3 ± 52,8388Superficie fourragère, SF (ha)0,04,38 ± 4,0720,8Charge (ha de fourrage/vache) 0,00,38 ± 0,423,4Effectifs de vaches19,6 ± 14,3106Moyenne économique, ME (kg/vache)7272 844 ± 1105 6 602Concentrés/kg de lait, UFL cc/kg lait0,090,70 ± 0,552,3Concentrés/vache/an, UFL cc/v/an159,6 1 734 ± 7573 959,1Ratio Fourrages/Concentrés FCC (%) 12,259,7 ± 50,283,3Ratio Bovins/Lait, VAL (% de ventes)8,362,0 ± 71,376,9Aliments/Charges totales, CAT (%)44,180,4 ± 14,798,9Prix de revient du kg de lait, PRK (DH)1,63,6 ± 1,911,2Bénéfice par vache, BV (DH)- 9 6521 611 ± 258412 522
L’importance quantitative des concentrés combinée à leur diversité qualitative (son de blé, pulpes déshydratées de betterave et d’agrumes, orge grain, maïs, tourteaux de tournesol et de soja) dans des formules alimentaires très variables, a souvent résulté en des rations alimentaires déséquilibrées. Les concentrés servaient alors beaucoup plus d’aliments de base plutôt que de compléments aux fourrages et contribuaient alors plus à la satisfaction des besoins d’entretien des vaches plutôt qu’à la production laitière à proprement parler, surtout dans les situations (fermes à fortes charges animales à l’hectare et saisons défavorables) de carences chroniques en fourrages. Le lait est principalement vendu à travers un réseau de colportage local au prix moyen d’environ 3,2 DH par litre dans l’environnement suburbain, tandis qu’au Gharb, du fait de l’absence de marchés potentiels à proximité, il est écoulé en majeure partie à travers les centres de collecte coopératifs au prix moyen de 2,8 DH.
Les performances de reproduction du cheptel n’ont pu être calculées que pour 117 vaches, en raison de l’absence de fichiers de données régulièrement tenus sur les exploitations. Ces performances étaient quelque peu décevantes, avec un intervalle moyen entre vêlages de 429 jours. Le bénéfice par vache était très variable, de positif (12 522 DH) à déficitaire (- 9 650 DH), avec une moyenne de 1 610 DH. Les charges liées à l’alimentation du cheptel représentaient 78,6 % des charges totales, témoignant de l’importance des pratiques alimentaires, non seulement sur les résultats économiques globaux mais aussi par rapport à la stratégie générale d’élevage adoptée par les gestionnaires d’étables.

III-4-3-b Evaluation des différences entre régions de l’activité laitière des exploitations agricoles

Une comparaison générale des statistiques élémentaires décrivant les étables de Rabat - Salé et celles du Gharb est représentée au tableau 23. Elle montre de prime abord, que les variables liées à l’intensification de la production laitière (rendement par vache, allocation en concentrés par vache, effectifs de vaches par troupeau et ratio des ventes du lait par rapport aux ventes totales) sont plus élevées dans la région de Rabat - Salé par rapport au périmètre du Gharb. Ce résultat semble paradoxal par rapport aux atouts que présente le Gharb, puisque ce périmètre, avec son infrastructure d’irrigation, devrait être plus propice à la production de fourrages et donc garantir de meilleures conditions pour un élevage laitier intensif.

Tableau 23. Comparaison générale des fermes laitières au périmètre irrigué du Gharb et dans la ceinture suburbaine de Rabat - Salé.

ParamètresMoyenne ± écart typeRabat - SaléGharbCharge (ha de fourrages/vache)0,53 ± 0,67 0,47 ± 0,42Variation d’inventaire Relative, VIR (%)-0,22 ± 0,85 -0,06 ± 0,52Moyenne Economique, ME (kg/vache)3 219 ± 1 087a2 588 ± 1 121bConcentrés/kg de lait, UFL cc/kg lait0,73 ± 0,28a0,59 ± 0,38bConcentrés/vache/an, UFL cc/v/an 2 209 ± 758a 1 187 ± 760bRatio Fourrages/Concentrés, FCC (%)60,6 ± 63,1b116,0 ± 126,2aVentes de bovins/ ventes de lait, VAL (%)52,2 ± 86,3 73,0 ± 81,9Charges alimentaires/charges totales, CAT (%)81,0 ± 15,1 77,8 ± 14,5Prix de revient du kg de lait, PRK (DH)3,8 ± 1,8 3,4 ± 1,9Bénéfice par vache, BV (DH)1 553 ± 4 2871 777 ± 3 472a,b Les moyennes avec des lettres différentes sur la même ligne sont significativement différentes (P$?$w$~$$Æ$É$%%N%Q%%%Í%Ð%&Y&`&c&Å&È&/'0'æ'ç'c(x((’(™(œ(_)`)¤)¥)º*»*++À+Æ+ò+ù+, ,öèáÝØÝÒÝØÝÒÌÝÒÆÝÒÝÒݾݸÝØÝÌÝÆÝÆÝÆÝÆÝÆÝØÝÌÝÆÝØÝÌÝ«Ý«ÝÆݾݾÝÒÝÆݾݾݾh¤7)5:CJOJQJ
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