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Psychosociologie clinique du harcèlement moral au travail et ... - ORBi

Applications à la production d'énergie, à la datation et au secteur médical. Prérequis / .... Introduction aux matériaux et aux techniques de gestion de l' énergie. ...... 5 ECTS, volume horaire: 50h CM: 20 TD: 30 , responsable : Daniel Perrin ...... réarrangement de Wolff; réarrangements en milieu basique : benzilique, Favorskii).




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Psychosociologie clinique du harcèlement moral au travail et de ses liens avec l’hyperconflit


Approche processuelle, intégrative et dynamique de deux modes de relations de travail pathogènes













Université de Liège
Mai 2007
Remerciements

Pour votre présence, votre soutien, votre écoute, votre patience et votre affection au cours de ce doctorat et bien au delà,

A mes parents ;

A Sophie ;

A Elise et Roman.

Merci à Annick, Caroline, Marino, Pascal, Samira, Tiber et Vinciane pour leur fidèle et inestimable amitié.

Merci à Jean-François Leroy pour m’avoir offert l’opportunité de faire mûrir mon projet, de l’avoir soutenu, de m’avoir guidé, de m’avoir aidé à développer ma réflexion et d’avoir permis l’aboutissement de ce travail.

Merci à Jean-Pierre Brun pour m’avoir encouragé dès le début de ce projet, m’avoir orienté et avoir soigneusement lu et accompagné mon projet.

Merci à Olgierd Kuty pour son accompagnement, ses encouragements et ses conseils.

Merci à Frédéric Shoenaers et Bernadette Mouvet pour leurs conseils, leurs commentaires et leurs encouragements lors du DEA.

Merci à mes collègues pour leur écoute bienveillante et leur contribution à ma réflexion : Antigone, Aurélie, Frédéric, Isabelle, Manu, Martine, Patrick, et tout particulièrement Sophie pour sa contribution à mon travail et son amitié.

Merci aux commanditaires et partenaires des différentes recherches, spécifiquement l’Institut National de Recherche sur les Conditions de Travail ; le Service Public Fédéral Belge de l’Emploi, du Travail et de la Concertation Sociale et le Fonds Social Européen.

Et enfin, merci aux personnes qui peuplent ces personnages et lieux symboliques qui m’accompagnent : Shéhérazade, les Inukshuks et Tante Alice.



Table des matières




PREMIERE PARTIE : La construction de la problématique de recherche151. A l’origine, un triple constat : polymorphie, complexité, liens avec le conflit172. A la recherche d’un Modèle d’Analyse183. Finalité et objectifs224. Les quatre gammes de résultats : éléments descriptifs, processus, résonances et configurations235. Un modèle intégrateur, processuel et dynamique245.1. Description générale du Modèle d’Analyse245.2. Les intentions générales du Modèle d’Analyse et ses liens avec les intentions, gammes de résultats et objectifs de recherche245.3. Le champ d’application du Modèle d’Analyse266. Une démarche en trois étapes277. Le positionnement de ce travail par rapport aux connaissances actuelles28DEUXIEME PARTIE : L’approche théorique31Chapitre I : Le harcèlement moral au travail351. Préliminaire372. Le harcèlement : un terme familier ?372.1. Les termes utilisés aujourd’hui382.2. Les premières études sur la question403. Une étude des définitions de harcèlement moral et autres phénomènes associés413.1. Origine de définitions et termes étudiés413.2. Méthode d’analyse des définitions423.3. Premier pôle sémantique : les conséquences463.4. Deuxième pôle sémantique : les comportements473.5. Troisième pôle sémantique : l’intentionnalité483.6. Quatrième pôle sémantique : les ressources des protagonistes494. Décrire le harcèlement moral au travail  504.1. Conséquences504.2. Comportements typiques : typologies de Leymann ; Hirigoyen ; Garcia, Hue, Opdebeek et Van Looy ; Brun et Kedl554.3. Mise en perspective des typologies 564.4. Persistance, durée, fréquence, variété : les éléments quantitatifs et qualitatifs des comportements de harcèlement moral au travail644.5. Harcèlement moral et (hyper)conflit au travail64
5. Les causes et explications du harcèlement moral665.1. Les explications organisationnelles au harcèlement moral au travail : un objet, deux approches675.2. L’approche organisationnelle radicale685.3. L’approche organisationnelle fonctionnaliste685.4. Les explications groupales 725.5. Les explications interpersonnelles 765.6. Les explications personnelles77 6. Le succès de la notion de harcèlement en question836.1. La construction sociale du harcèlement 847. Le harcèlement comme révélateur d’une nouvelle manière de penser le social. Le parallèle avec la notion d’exclusion sociale847.1. De la classe opprimée à l’individu fragilisé : vers une vision psychologisante du monde ?867.2. De nouvelles figures emblématiques878. Les nouvelles réalités du travail888.1. Une nouvelle idéologie et de nouvelles pratiques managériales898.2. L’autonomie en question : est-elle réelle ? quel est son prix ?928.3. Le harcèlement : une dérive typique de nouvelles formes de management ?958.4. Les effets paradoxaux de la mise en avant de la notion de harcèlement96Chapitre II : L’hyperconflit au travail - Un éclairage oblique sur le harcèlement moral au travail991. Pourquoi étudier les formes les plus graves de conflit au travail?1012. Vers la notion d’hyperconflit 1013. Les modèles d’escalade conflictuelle : un pilote pour la réflexion sur les caractéristiques des hyperconflits1024. Une étude pour identifier les caractéristiques des hyperconflits1084.1. L’espace – temps 1094.2. Les processus1114.3. Les conséquences1175. Les relations de travail pathogènes121TROISIEME PARTIE : Le Modèle d’Analyse1231. Premier axe : les différents niveaux d’analyse1251.1. Fondements théoriques1251.2. Les niveaux choisis dans ce travail1262. Deuxième axe : le mode relationnel 1272.1. Fondements théoriques1273. La construction du Modèle d’Analyse 1303.1. Un premier modèle pour décrire les processus relationnels, les résonances et les configurations 1303.2. Un second modèle pour penser la complexité des processus, résonances et configurations1333.3. L’utilisation des modèles140
QUATRIEME PARTIE : Méthodologie1411. Le cadre épistémologique1432. Une recherche en trois étapes1462.1. Les études de cas d’accompagnement clinique1462.2. Les entretiens semi-directifs de recherche1472.3. Les analyses de cas en organisation1483. Questions éthiques1494. La méthode de recherche1504.1. L’entretien, méthode centrale 1504.2. L’entretien non directif de recherche ou E.N.D.R.1514.3. L’entretien semi-directif1544.4. L’analyse des données1594.5. Regard critique sur le dispositif méthodologique1634.6. La validation des données et des analyses1654.7. Préparation et encadrement de la démarche liés au choix de travailler « à mains nues »166CINQUIEME PARTIE : Les résultats de recherche169Chapitre I. : Approche préliminaire - les éléments statiques des situations de harcèlement moral au travail1731. Les éléments descriptifs des situations étudiées1752. Informations signalétiques : le genre de la victime et du harceleur, le sens du harcèlement, le contexte global1753. Les éléments de la situation : conséquences, comportements, coping1803.1. Conséquences1803.2. Les comportements de harcèlement 1833.3. Les stratégies de coping 1914. Conclusions 1984.1. Conclusions sur les conséquences, comportements et copings1984.2. Conclusions transversales199Chapitre II : Approche exploratoire – premiers regards sur les processus relationnels, résonances et configurations203I. Introduction des études de cas205II. Le cas de Lucie2071. Présentation générale du cas2071.1. Les protagonistes2071.2. Résumé du cas du point de vue de Lucie2072. Analyse par niveaux2082.1. Processus organisationnels2082.2. Processus groupaux2122.3. Les processus interpersonnels2142.4. Les processus personnels2153. Résonance entre les différents niveaux 2164. Conclusions à partir du cas de Lucie 218III. Le cas de Jean-Philippe2211. Présentation générale2211.1. Les protagonistes principaux2211.2. Résumé du cas du point de vue de Jean-Philippe.2212. Analyse par niveaux2222.1. Le niveau organisationnel2222.2. Le niveau groupal2282.3. Le niveau interpersonnel2302.4. Niveau personnel2333. Résonance entre les différents niveaux 2354. Conclusions à partir du cas de Jean-Philippe236III. En conclusion de ces études de cas 239Chapitre III : Approche confirmatoire – étude et quantification des processus, résonances et configurations241I. Présentation générale2431. Introduction2432. Résultats des analyses de cas.2442.1. Répertoire des différentes catégories issues du regroupement des fragments de discours2442.2. L’organisation des données dans le Modèle d’Analyse 2453. Mode de présentation des différents éléments recueillis dans l’étude des situations de harcèlement 250II. Identification des processus et éléments de contexte 2501. Zone 1 : processus personnels du harceleur2501.1. Le fonctionnement psychopathologique du harceleur 2501.2. Un mode de fonctionnement orienté vers la poursuite d’enjeux personnels 2512. Zone 2 : processus personnels du harcelé2532.1. Etat de faiblesse psychologique du harcelé2532.2. La défense de valeurs professionnelles ou personnelles2533. Zone 3 : le niveau interpersonnel2543.1. Processus symétrique d’affrontement entre harceleur et harcelé2543.2. Processus symétrique d’opposition entre harceleur et harcelé2583.3. Processus complémentaire de domination-soumission2594. Zone 4. Les processus groupaux à l’égard du harceleur2624.1. Processus symétrisant de rébellion à l’encontre du harceleur 2624.2. Processus complémentarisant de soutien des collègues au harceleur 2635. Zone 5 : processus groupaux à l’égard de la relation de harcèlement 2645.1. Processus complémentarisant d’absence de réaction des collègues par rapport à la situation de harcèlement moral 2646. Zone 6 : les processus groupaux à l’égard du harcelé2666.1. Processus symétrisant de soutien passif du groupe des collègues à l’égard du harcelé 2666.2. Processus symétrisant de porte parolat de la victime à l’égard de son groupe2686.3. Processus complémentarisant d’hostilité du groupe des collègues à l’égard du harcelé270
6.4. Processus complémentarisant de marginalisation du harcelé par rapport au groupe2726.5. Processus complémentarisant d’évitement du harcelé de la part du groupe de collègues2737. Zone 7 : processus relationnels au sein du groupe2747.1. Processus symétrique de conflit groupal2747.2. Processus symétrique de solidarité groupale2758. Zone 8 : les processus organisationnels à l’égard du harceleur2768.1. Processus symétrisant de réprobation de l’organisation à l’égard du harceleur 2768.2. Processus complémentarisant de renforcement des comportements du harceleur de la part de l’organisation2778.3. Processus complémentarisant d’absence de régulation du pouvoir exercé par le harceleur 2798.4. Processus complémentarisant : les relations « incestuelles » au bénéfice du harceleur 2809. Zone 9 : les processus organisationnels à l’égard de la situation de harcèlement 2859.1. Processus complémentarisant d’absence de réaction de l’organisation par rapport à la situation de harcèlement2859.2. Processus complémentarisant de participation de l’organisation au harcèlement2879.3. Processus complémentarisant de harcèlement moral organisé à l’encontre de la catégorie socio-professionnelle dont fait partie la victime28910. Zone 10 : les processus organisationnels à l’égard du harcelé 29110.1. Banalisation de la situation du harcelé29111. Zone 11 : processus relationnels au niveau organisationnel29211.1. Processus symétrique de conflits entre instances de l’organisation29211.2. Processus symétrique de compétition au sein de l’organisation29611.3. Processus complémentaire de maltraitance managériale29711.4. Processus complémentaire d’ultra soumission à l’autorité29812. Eléments non relationnels de contexte 29913. Conclusions et éléments quantitatifs sur les processus 305III. Identification des configurations et résonances3101. Cinq configurations principales, deux configurations mixtes3102. Configurations archétypales, hybrides et mixtes3113. Les configurations « pures »3113.1. La victime type  3113.2. Le combattant isolé3133.3. Le héros malgré lui3143.4. Le représentant 3173.5. Le sauvé3194. Configurations mixtes 3194.1. Le combattant isolé combiné au représentant3194.2. Le héros malgré lui combiné avec la victime type3205. Conclusions et éléments quantitatifs sur les configurations et les résonances322IV. Discussion et conclusions à partir de l’étude des témoignages3251. Discussion 3252. Conclusions sur les processus, les résonances et les configurations326Chapitre IV : Approche confrontatoire – regards croisés sur les processus, résonances et configurations 329I. Introduction 3311. Contexte général 3312. L’utilisation du Modèle d’Analyse dans les analyses de cas en organisations331II. Le centre de R & D industriel (Chemical Research and Developpement)3331. Introduction3332. Contexte organisationnel3332.1. Le Service Informatique et Documentation3342.2. Les personnes interviewées334III. Résultats de l’analyse3351. Eléments descriptifs3351.1. Conséquences3351.2. Comportements3361.3. Stratégies de coping3372. Analyse des processus niveau par niveau3382.1. Zone 1 : les processus personnels du harceleur3382.2. Zone 2 : processus personnel d’Anne3392.3. Zone 3 : le niveau interpersonnel3392.4. Zone 4 : Les processus groupaux à l’égard de Xavier3422.5. Zone 5 : le processus groupal à l’égard de la situation 3502.6. Zone 6 : le processus groupal à l’égard de Anne3502.7. Zone 7 : processus groupal3512.8. Zone 8 : processus organisationnels à l’égard de Xavier 3522.9. Zone 9 : le processus organisationnel à l’égard de la situation de harcèlement3532.10. Zone 10. Processus organisationnels à l’égard de Anne3542.11. Zone 11 : processus organisationnels3542.12. Zone extérieure3553. Discussion du cas 3623.1. Configurations et résonances3623.2. L’évolution des configurations : vers un retournement de la situation ? 3643.3. L’isolement du harceleur3653.4. L’effet paradoxal de la concentration des ressources3663.5. Les deux modes de dérive d’une relation3663.6. Les modalités du lien entre conflit et domination3664. Conclusions de l’étude de cas en organisation367SIXIEME PARTIE : Discussion 3691. La dimension idéologique de l’étude du harcèlement moral au travail : notre projet, ses limites et ses apports3712. Les caractéristiques de l’échantillon : limites et intérêts373
3. Le Modèle d’Analyse3744.1. La validation3744.2. Perspectives d’intervention ouvertes par le Modèle d’Analyse3754.3. Perspectives pour l’utilisation du Modèle d’Analyse dans d’autres contextes379SEPTIEME PARTIE : Conclusions3811. Résultats : les points-clés3832. Du harcèlement moral au travail à la relation de travail pathogène : pour une psychosociologie clinique des relations de travail pathogènes3872.1. Vers la notion de relation de travail pathogène3872.2. Le harcèlement moral au travail et les autres relations de travail pathogènes3882.3. Pour une psychosociologie clinique des relations de travail pathogènes389HUITIEME PARTIE : Compléments 391Glossaire des termes spécifiques à ce travail393Bibliographie395Annexes411














Le plus intime de l’être humain nous renvoie au plus essentiel du social. 


Eugène Enriquez (1983)













PREMIERE PARTIE :

La construction de la problématique
de recherche


1. A l’origine, un triple constat : polymorphie, complexité, liens avec le conflit



C’est en 1999 que nous avons rencontré pour la première fois une personne qui se disait victime de harcèlement moral au travail. Ce fut pour nous le départ de huit années de recherche et d’intervention sur cette question au cours desquelles nous avons réalisé plusieurs centaines d’entretiens individuels, mené une quinzaine d’interventions en organisations, animé plusieurs communautés de pratiques, supervisé et accompagné une trentaine de professionnels, réalisé des expertises judiciaires et publié une dizaine d’articles scientifiques sur le sujet. Toutes ces démarches nous ont conduit à nous questionner profondément sur ce phénomène et ont suscité notre désir d’aller au-delà des visions simplificatrices que l’on propose souvent pour en délimiter les contours, les manifestations et les déterminants. C’est de ce parcours que cette thèse de doctorat va rendre compte.
Notre réflexion s’est construite au départ de trois constats : le caractère polymorphe des situations de harcèlement moral au travail, leur complexité, et le fait qu’elles entretiennent des similitudes étroites avec les situations de conflit les plus graves.
Concernant la polymorphie des situations, nous nous sommes rendu compte que, si toutes les personnes qui s’estiment victimes de harcèlement moral au travail font référence à la même définition de leur problème, les cas présentent toutefois des différences énormes entre eux. Ce constat de la diversité des cas de harcèlement moral recoupe l’observation de plusieurs auteurs. Lhuilier (2005), par exemple, estime que la référence au harcèlement, par le jeu combiné de la métaphore et de la métonymie, permet de condenser les peines et autres mal êtres vécus au travail (p. 128), et Elcheroth (2005) parle d’inflation sémantique faisant du harcèlement moral un fourre-tout des malaises sociaux les plus divers (p. 159). Liefooghe et Mac Kenzie (2001) partagent ce point de vue et y voient là une manière pour les travailleurs en souffrance de se faire mieux entendre. Ainsi, selon ces auteurs, certains travailleurs utilisent aujourd’hui le terme « harcèlement » de manière abusive pour se plaindre des relations employé - employeur dans l’organisation et donner plus d’impact, par l’utilisation de ce terme fortement chargé socialement, à leurs plaintes concernant des difficultés grandissantes au travail (p. 375) 

Même si cela ne constitue à nos yeux qu’une partie de l’explication du recours massif à l’expression de « harcèlement moral », il n’en reste pas moins que nous pouvons nous accorder avec tous ces auteurs pour dire qu’elle sert à exprimer des souffrances liées aux relations de travail assez différentes les unes des autres et qui débordent le cadre strict de sa définition.

D’autre part, la complexité des situations que nous avons rencontrées contraste de manière spectaculaire avec le caractère linéaire des définitions qui sont proposées le plus souvent dans la littérature. Présenté généralement comme l’exercice unilatéral d’une violence posée par une personne – le harceleur - à l’encontre d’une autre – le harcelé -, l’étude en profondeur des situations nous montre que le harcèlement recouvre une réalité bien plus complexe. Les comportements des personnes concernées sont souvent ambigus, la distinction des rôles est plus compliquée à opérer qu’il n’y paraît a priori, des processus relationnels divers s’entremêlent, et l’environnement – collègues, hiérarchie, direction, mais aussi organisation du travail, culture de l’entreprise, process de production, règles institutionnelles,… - entretient des rapports complexes avec la relation interpersonnelle de harcèlement. Un constat similaire est posé par Brun et Kedl (2006), qui concluent dans un récent article que le phénomène du harcèlement psychologique est loin d’être simple et qu’il s’agit au contraire de situations complexes (p. 399).

Enfin, selon notre expérience et celle d’autres praticiens (Hansez, Faulx & Mahy, n.d.), de nombreuses situations qui sont présentées comme du harcèlement moral au travail revêtent des caractéristiques qui les apparentent aux formes les plus graves de conflit. Nous avions déjà formulé cette observation suite à l’analyse clinique de 184 situations de harcèlement, en concluant que dans les situations de harcèlement moral, nous sommes fréquemment confrontés à une logique que nous appelons « d’hyperconflictualité ». Avec les années et l’enkystement du conflit, chacun des acteurs de l’interaction s’appuie sur un raisonnement qu’il trouve logique et fondé. Il a construit un « univers conflictuel » (…). L’ensemble des acteurs se retrouve happé par le processus et l’ensemble du milieu professionnel finira par se structurer autour de la dynamique conflictuelle (Geuzaine & Faulx, 2003, p. 13). Cette conviction que le harcèlement moral est lié de manière complexe au conflit grave ou hyperconflit, concept dont nous définirons les contours dans l’approche théorique, constitue une hypothèse fondatrice qui nous amènera à intégrer cette question à toutes les étapes de notre travail, qu’il s’agisse de l’approche théorique ou des parties méthodologiques et pratiques.



2. A la recherche d’un Modèle d’Analyse



De ce triple constat a découlé un besoin que nous avons éprouvé tant lors de nos recherches que dans le cadre des interventions que nous menions : celui de disposer d’un modèle d’analyse nous permettant d’appréhender à la fois le caractère polymorphe, complexe et possiblement (hyper)conflictuel des situations de harcèlement moral au travail.

La consultation de la littérature nous a apporté de nombreuses réponses sur les différentes manifestations et déterminants du phénomène, mais n’a répondu que partiellement à ce besoin.

Un examen de la manière dont a été abordé le harcèlement moral depuis son émergence scientifique jusqu’à l’époque actuelle apporte un éclairage sur ce constat. De manière générale, le harcèlement moral au travail a d’abord été abordé comme une blind box dont on s’est efforcé d’identifier les entrées et les sorties : des comportements types venant d’un agresseur et des conséquences pour la victime.












Figure  SEQ Figure \* ARABIC 1 : Modèle de la blind box


Par la suite, les chercheurs ont tenté d’identifier des facteurs qui pouvaient conditionner le risque d’apparition du harcèlement moral. Par le biais, la plupart du temps, de méthodes statistiques, ils ont éprouvé des hypothèses de liens entre des facteurs socio-démographiques, organisationnels, groupaux ou encore individuels et l’occurrence du phénomène. La logique est toujours celle de la blind box, mais contextualisée par des facteurs environnants.















Figure  SEQ Figure \* ARABIC 2 : Modèle de la blind box et facteurs de contexte


Bien que les premières recherches se soient, la plupart du temps, focalisées sur un mode d’explication particulier (la personnalité de l’agresseur, les facteurs organisationnels, le fonctionnement groupal, …), quelques auteurs ont alors mis au point des modèles multifactoriels. C’est le cas de Zapf (1999, p. 71), comme on peut le voir dans la figure qui suit.


Causes Harcèlement Conséquences
























Figure  SEQ Figure \* ARABIC 3 : Modèle de Zapf (1999)


Grâce à ce type de modèle, une vision de plus en plus riche du phénomène est devenue possible. Leur inconvénient est cependant de procéder par juxtaposition des différents facteurs explicatifs plus qu’à leur intégration. Le modèle de Einarsen, Hoel, Zapf et Cooper (2003, p. 23), plus complet encore, donne une bonne vision à la fois des apports et des limites de ces représentations mutlifactorielles. Leur apport est incontestable en ce sens qu’elles donnent à voir la diversité de la recherche et des approches, et suggèrent qu’il y a des interactions entre les diverses catégories de facteurs de risque. Elles montrent ainsi que le harcèlement moral au travail est un phénomène « multi-déterminé ». Par contre, elles ne permettent pas de décrire comment ces facteurs interagissent les uns avec les autres pour générer le harcèlement moral, et ainsi de comprendre comment il se développe. Le mystère concernant ce qui se passe à l’intérieur de la blind box reste entier.
































Figure  SEQ Figure \* ARABIC 4 : Modèle de Einarsen, Hoel, Zapf et Cooper

Il faut ajouter que, si toutes ces approches ont donné lieu à de nombreuses découvertes sur les facteurs de risque, elles débouchent cependant sur un constat en partie décevant comme en témoignent ces propos de Di Martino, Hoel et Cooper (2003), spécialistes des approches statistiques à grande échelle : aucun profil définissant l’auteur du harcèlement/ persécuteur et du harcelé /victime n’a pu être dégagé, aucun profil non ambigu n’a été trouvé concernant les situations susceptibles de générer la violence, aucun profil d’organisations ou de groupes les plus à risque de violence n’a été établi (p. 23).

L’état des connaissances scientifiques actuelles sur le harcèlement moral aboutit donc aujourd’hui à une description des principales manifestations du harcèlement et, dans une certaine mesure, à un inventaire des conditions dans lesquelles il y a un risque qu’il apparaisse, mais beaucoup moins à la compréhension des processus à l’œuvre dans ces situations ; comme une maladie dont on connaîtrait les principaux symptômes et dont on saurait par qui, où et quand elle a le plus de probabilité d’apparaître, mais dont on ignorerait encore comment elle se développe, comment elle évolue et quels sont ses mécanismes internes de fonctionnement.

Si on retrace cette évolution du point de vue historique, le stade de la « découverte » a eu lieu au seuil des années 90, et a permis aux chercheurs de montrer la plupart des conséquences pour les personnes touchées ainsi que les comportements types qui causaient ces conséquences. Puis, au milieu des années 90, est venu le temps de l’épidémiologie : dans chacun des pays européens, on a évalué le nombre de personnes qui souffraient de harcèlement, et identifié des facteurs de risque. Aujourd’hui, le défi de la recherche est d’identifier plus précisément comment fonctionne le phénomène, quelles sont ses différentes formes, comment interagissent les facteurs de risque au sein des situations, bref de mieux comprendre la variété et la complexité des situations. C’est à ce stade de la recherche que se situe notre travail. En l’absence de modèle qui convenait à notre démarche, il nous est donc apparu nécessaire de créer un modèle d’analyse original que nous présenterons après avoir exposé plus précisément les objectifs et gammes de résultats poursuivis par notre recherche.




3. Finalité et objectifs



La finalité de notre travail de doctorat est de contribuer, à l’aide d’études de cas, à la description et à la compréhension du phénomène de harcèlement moral au travail et de ses liens avec l’hyperconflit, via une posture méthodologique qui consiste à utiliser et valider un modèle original permettant une approche processuelle, intégrative et dynamique du phénomène.

Cette finalité se décline en quatre objectifs, correspondant chacun à une « gamme de résultats » dont la signification sera exposée ci-après.

Objectif 1 : identifier et quantifier des éléments statiques typiques des situations de harcèlement moral : comportements des harceleurs, conséquences sur les victimes, stratégies de réaction des victimes, genre des protagonistes, secteur d’activité.

Objectif 2 : identifier, analyser et quantifier les processus relationnels interpersonnels, groupaux et organisationnels à l’œuvre dans les situations de harcèlement moral au travail

Objectif 3 : identifier, analyser et quantifier les résonances entre processus c’est-à-dire comment les processus interagissent entre eux

Objectif 4 : identifier, analyser et quantifier les configurations de processus qui se présentent dans les situations harcèlement moral au travail.

Pour rencontrer ces objectifs, la démarche méthodologique mise en place consistera, dans un premier temps, à créer un modèle d’analyse des situations de harcèlement moral au travail, et ensuite d’en éprouver la praticabilité comme support à l’analyse de situations de harcèlement moral au travail.



4. Les quatre gammes de résultats : éléments descriptifs, processus, résonances et configurations



Dans ce travail, nous poursuivons quatre gammes de résultats : des éléments statiques, des processus relationnels, des résonances et des configurations.

Par éléments statiques, nous entendons des données de bases issues des cas, à savoir d’une part des informations signalétiques (genre des protagonistes, secteur et type d’activité, position hiérarchique des protagonistes), et d’autre part des informations relatives au cas (conséquences pour la victime, comportements du harceleur, stratégies de défense de la victime). Cette première gamme est donc apparentée à une approche descriptive du phénomène, constituant un socle pour les analyses ultérieures.

Par processus relationnel, nous entendons un ensemble de comportements des acteurs – qu’il s’agisse d’individus, de groupes ou d’ensemble plus larges - qui interagissent entre eux pour constituer un processus relationnel global dont on peut caractériser le mode de fonctionnement. Notre conception du processus est issue de la notion de processus stochastique, défini comme une séquence d’événements qui présente un caractère aléatoire associé à un processus de sélection, de sorte que seuls certains résultats auront la probabilité d’être durables (Wittezaele & Garcia, 1992, p.  422). Ainsi, la notion de processus est associée à une forme de répétitivité, au fait que certaines réponses deviennent plus probables que d’autres. Un processus implique donc redondance, contrainte, pattern (Bonami, 1993, p. 20). Ce sont ces patterns, ces redondances, ces processus que notre Modèle d’Analyse a pour objectif de dégager. En l’occurrence, ce sont des patterns comportementaux que nous allons étudier, c’est-à-dire des enchaînements répétitifs de comportements entre des acteurs.

Les résonances sont des modes d’interactions entre plusieurs processus. La métaphore de la résonance est utilisée dans ce contexte de recherche pour illustrer la manière dont les différents processus s’influencent les uns les autres. Nous distinguons deux modes de résonances : la rétroaction positive, appelée aussi effet larsen (les processus s’amplifient réciproquement), et la rétroaction négative, appelée aussi régulation (les processus limitent respectivement leurs impacts). Ainsi, nous essayerons de voir dans quelle mesure certains processus personnels, interpersonnels, groupaux et organisationnels se renforcent ou au contraire se déforcent les uns les autres.

Enfin, en mettant en lien les différents processus, nous pourrons décrire des configurations, c’est-à-dire des modes de répartition des différents processus au sein du Modèle d’Analyse, correspondant à différents cas de figure des situations de harcèlement moral. Les configurations seront extraites à partir de l’étude des processus relationnels présents à chaque niveau dans les situations.



5. Un modèle intégrateur, processuel et dynamique



5.1. Description générale du Modèle d’Analyse


Le Modèle d’Analyse que nous avons développé, et qui sera décrit en détail dans le chapitre qui lui est consacré, est fondé sur deux axes.

Le premier axe distingue et met en relation plusieurs niveaux d’explication et de compréhension de la situation, c’est l’axe « niveau d’analyse ». Il définit quatre niveaux d’analyse : le niveau personnel, le niveau interpersonnel, le niveau groupal et le niveau organisationnel, et permet d’approcher le mode de fonctionnement propre à chacun de ces niveaux afin d’en identifier le(s) processus relationnel(s) qui le caractérise.
Le deuxième axe distingue deux modes de relations : un mode symétrique et un mode complémentaire. C’est l’axe « mode relationnel ». Il permet de distinguer des processus relationnels « équilibrés » et des processus relationnels « déséquilibrés ». Cette dimension est particulièrement importante pour la compréhension de la place de l’hyperconflit dans les situations de harcèlement, comme on le verra ci-après.

Ce modèle répond aux trois constats formulés en introduction de ce travail en ce sens qu’il permet d’aborder les situations de harcèlement moral au travail dans toute leur diversité et leur complexité, en ne concevant pas la relation interpersonnelle de harcèlement uniquement comme un strict rapport de victimisation d’une personne à l’encontre d’une autre, et permet spécifiquement la mise en perspective du harcèlement moral et de l’hyperconflit, élément qui, comme nous l’expliquerons dans les lignes qui suivent, constitue pour nous un point essentiel dans la compréhension des situations


5.2. Les liens entre le Modèle, le type d’approche, les gammes de résultats et les objectifs de recherche


Partant du postulat que seul un modèle d’analyse focalisé sur ce qu’il se passe l’intérieur de la blind box pourrait nous aider dans la compréhension des situations que nous rencontrions, le modèle que nous avons créé est né de la volonté de développer une approche qui ne soit pas seulement multifactorielle, mais également processuelle, intégrative et dynamique. Par une approche multifactorielle, nous entendons l’identification d’éléments statiques, c’est-à-dire d’éléments descriptifs des situations de harcèlement moral. Dans le cadre de notre travail, ces éléments servent à fonder les analyses ultérieures qui seront faites à l’aide du Modèle d’Analyse et constituent une étape préliminaire à son application.

Par une approche processuelle, nous signifions une manière d’étudier le phénomène qui permet de dépasser ces éléments statiques afin d’appréhender le déroulement des situations. Comme nous l’avons exposé ci-dessus, notre démarche consistera à identifier des processus ou modes de fonctionnement à partir de l’observation d’enchaînements répétitifs de comportements.

Le terme intégrateur se réfère au fait que notre modèle intègre plusieurs niveaux d’analyse, et permet ainsi de rendre compte des interactions réciproques (ou résonances) qui se tissent entre des processus se situant à plusieurs niveaux d’explications. Ainsi, le Modèle d’Analyse permet d’élucider comment les différents processus s’influencent entre eux et se répondent réciproquement.

Le terme dynamique, enfin, correspond au fait que le modèle permettra l’étude des équilibres ou déséquilibres de forces qui se jouent dans une situation de harcèlement, et débouchera sur l’identification des configurations.

Le tableau suivant montre les liens entre l’utilisation du modèle, le type d’approche, les gammes de résultats et les objectifs de recherche.


Utilisation du Modèle d’AnalyseType d’approcheGamme de résultatObjectifObservations préalables à l’utilisation du Modèle d’AnalyseApproche multifactorielleEléments statiquesObjectif 1 : identifier et quantifier des éléments statiques typiques des situations de harcèlement moral : comportements des harceleurs, conséquences sur les victimes, stratégies de réaction des victimes, genre des protagonistes, secteur d’activité.
Utilisation du Modèle d’AnalyseApproche processuelleProcessusObjectif 2 : identifier, analyser et quantifier les processus relationnels interpersonnels, groupaux et organisationnels à l’œuvre dans les situations de harcèlement moral au travail.
Utilisation du Modèle d’AnalyseApproche intégrativeRésonancesObjectif 3 : identifier, analyser et quantifier les résonances entre processus c’est-à-dire comment les processus interagissent entre eux.
Utilisation du Modèle d’AnalyseApproche dynamiqueConfigurations des équilibres de forcesObjectif 4 : identifier, analyser et quantifier les configurations de processus qui se présentent dans les situations harcèlement moral au travail.
Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 1 : Utilisation du modèle, type d’approche, gammes de résultats et objectifs de recherche


5.3. Le champ d’application du Modèle d’Analyse



Le Modèle d’Analyse sera appliqué à toutes les situations de harcèlement moral que les personnes nous exposeront, même si celles-ci ne cadrent pas strictement avec les définitions habituelles.

On peut donc dire que notre travail porte sur des « situations de harcèlement moral présumé », c’est-à-dire des situations dans lesquelles une personne s’estime victime de harcèlement. Lorsque nous utiliserons les termes harcèlement, victime et harceleur, nous adopterons donc le point de vue de la victime, même si d’autres personnes impliquées  dans le cas considèrent qu’il ne s’agit pas de harcèlement. Notre position est de prendre d’abord les situations telles qu’elles sont racontées en nous intéressant aux informations qui ressortent du discours des personnes qui définissent la situation comme du harcèlement. La prise de recul sera opérée dans un deuxième temps. C’est pour nous la meilleure manière d’analyser la diversité des situations et de les mettre en perspective avec les différentes définitions et conceptions du phénomène. 

Nous rejoignons en cela Brun et Kedl (2006) qui affirment que c’est en s’intéressant aux histoires telles qu’elles sont racontées que l’on peut le mieux comprendre la complexité du phénomène du harcèlement. Or, l’objectif de notre modèle est précisément de conceptualiser cette complexité, et cela en étudiant les liens entre les différents niveaux de compréhension et modes relationnels.

6. Une démarche en trois étapes



Dans notre travail, l’obtention des résultats de recherche se fait à travers trois étapes :
l’étude de cas provenant de l’accompagnement clinique de victimes de harcèlement moral au travail,
l’étude de témoignages de victimes de harcèlement moral au travail sur base d’entretiens semi-directifs,
l’étude de cas d’une situation de harcèlement à partir d’entretiens semi-directifs en organisation.

La succession de ces étapes s’inscrit dans une intention globale de complexifier progressivement le regard que nous allons poser sur les situations. En effet, dans la première étape, nous nous intéressons à la manière dont la personne vit son problème, avant de multiplier peu à peu les points de comparaison.

De manière générale, les deux premières étapes permettent de comprendre le harcèlement moral tel qu’il est vécu par la personne qui s’en sent la victime. Ces rencontres donnent accès à la compréhension au sens intellectuel mais aussi clinique du terme.

D’autre part, en procédant par deux types de relations, l’accompagnement clinique et l’entretien semi-directif de recherche, nous enrichissons notre réflexion scientifique sur les situations de harcèlement.

Les études de cas en organisations, troisième étape du cheminement, donnent accès à un matériau d’une complexité encore supérieure. Disposant là d’une multitude de points de vue sur une même situation, cela nous permet de nourrir une réflexion critique, sans nier la souffrance des « victimes », mais en intégrant le point de vue d’autres acteurs.

Ainsi, en procédant par trois démarches, nous nous écartons progressivement d’un point de vue unique dans lequel nous mettons en œuvre de l’écoute individuelle pour multiplier les sources et développer un regard de plus en plus complexe sur la problématique étudiée.

Chaque étape revêt un statut particulier qui définit sa place dans notre démarche d’étude du phénomène. La première étape, procédant par l’analyse approfondie d’un petit nombre de cas, revêt un statut exploratoire. La deuxième étape, qui est fondée sur l’étude d’un nombre plus important de situations, a un statut confirmatoire. Enfin, la troisième, qui permet le retour sur les données avec une analyse issue d’un matériau plus complexe, a un statut confrontatoire.


7. Le positionnement de ce travail par rapport aux connaissances actuelles



Le harcèlement moral fait l’objet de travaux scientifiques depuis une quinzaine d’années. Dans ce contexte, le positionnement épistémologique et praxéologique de notre travail présente plusieurs spécificités qui visent à apporter une contribution nouvelle à l’étude du phénomène. Pour s’en rendre compte, il est utile de reprendre les tendances principales de la recherche en la matière.

Si nous revisitons ces quinze années d’étude du harcèlement, on peut d’abord dire qu’elles ont amené à deux conclusions largement partagées au sein de la communauté scientifique.

1. Le harcèlement moral est un phénomène qui n’est pas uniquement sorti de l’imagination de quelques scientifiques ou de quelques travailleurs aux tendances paranoïaques. Certes, beaucoup de questions subsistent sur la manière de le diagnostiquer, sur les contours à donner à cette notion, sur la prévalence réelle du phénomène dans les organisations et son caractère marginal ou non, mais l’existence du phénomène est aujourd’hui attestée.

2. Le harcèlement moral provoque des conséquences néfastes pour les individus qui en sont les victimes et les organisations qui en sont le siège. De nouveau, la qualification de cette souffrance est sujette à débat, mais son existence est reconnue par l’ensemble des chercheurs.

A l’heure actuelle, nous ne voyons pas d’autre point qui fasse unanimité (ou presque) dans la communauté scientifique. Ces deux points, présence avérée et conséquences néfastes, suffisent toutefois à justifier l’importance de l’étude de ce phénomène.

Nous allons maintenant décrire quel sera l’apport de notre travail dans le paysage des connaissances et recherches actuelles, à partir de quatre observations sur les grandes tendances en la matière.

1. Qu’elles procèdent par des méthodes quantitatives ou qualitatives, les études sur le harcèlement moral au travail se sont intéressées à des éléments plutôt statiques. Ainsi, les premières études quantitatives ont permis de donner des indications précieuses sur la fréquence à laquelle se produisait le phénomène de harcèlement (du moins selon l’estimation des victimes supposées) et de déterminer des groupes à risque sur base de critères comme le genre sexuel, l’âge, le secteur d’activité de l’organisation, le niveau d’étude et le type de profession, pour citer les plus fréquemment abordés.

Elles ont été d’une importance cruciale dans la prise de conscience du public sur l’importance du phénomène et la nécessité de le prendre en charge.

Ces enquêtes ont aussi permis de dégager des facteurs de risques organisationnels relatifs au contexte dans lequel se déroulait le harcèlement. C’est le cas par exemple des études menées par l’équipe d’Ada Garcia (2002) en Belgique ou par Paolli et Merllié (2001) pour le compte de la Fondation Européenne pour l’Amélioration des Conditions de Travail. D’autres études, plus qualitatives, ont abordé les conséquences pour les victimes, en réalisant des observations sur la symptomatologie physique et psychologique des personnes confrontées aux situations de harcèlement.

Il est plus rare de disposer de données relatives à la compréhension processuelle du phénomène, et d’obtenir des informations sur la manière dont agissent les facteurs de risque identifiés. Comme le signalent Brun et Kedl (2006, p. 3), rares sont les travaux scientifiques qui abordent l’histoire interne des cas de harcèlement psychologique, les difficultés d’exprimer ce qui est vécu, les doutes que l’expression des faits peut soulever et les ambiguïtés que cache la complexité des situations.

A titre d’hypothèse, une raison méthodologique pourrait expliquer cette carence. Les enquêtes à grande échelle, qui ont fait l’objet de nombreux financements, procèdent la plupart du temps par questionnaires. Avec ce type de méthode, on obtient des données permettant de dégager des facteurs généraux, mais on a beaucoup plus difficilement accès au récit détaillé des victimes sur la nature des interactions, l’enchaînement des actes du harceleur et du harcelé ou encore les interactions entre le fonctionnement interpersonnel, groupal et organisationnel à l’œuvre dans les situations. Le L.I.P.T.  ou le N.A.Q., qui ont connu un grand succès, s’insèrent typiquement dans cette orientation de recherche en proposant une liste de comportements au sujet desquels la victime est invitée à dire si elles les a subis ou non, et une liste de troubles physiques et psychiques dont elle doit évaluer la présence chez elle.

Pour notre part, en nous situant dans une perspective intégrative et processuelle, nous cherchons à décrire la manière dont les différents « facteurs », ou pour mieux dire, dont les différents processus agissent et se répondent entre eux. Notre démarche vise également à utiliser de manière complémentaire des données chiffrées et une approche clinique et qualitative des situations.

2. Les recherches sont généralement dominées par un angle de vue particulier sous-tendant un présupposé explicatif favorisant plutôt, selon les cas, les dimensions sociétales, organisationnelles, groupales, interpersonnelles ou individuelles. Des options assez différentes ont ainsi été prises dans l’étude de la question. Certains en font un phénomène dépendant étroitement de l’organisation du travail. C’est le cas de tout le courant initié par Leymann (1990 ; 1996b), ainsi que des études sur le harcèlement organisé, comme celles de Durieux et Jourdain (1999). D’autres partent du contexte social, économique et culturel, en s’interrogeant sur la manière dont il peut produire le phénomène. C’est le cas, par exemple, pour de Gaulejac (2005b) ou Dejours (2003). D’autres encore ont donné la priorité aux dimensions interactionnelles ou individuelles, comme Hirigoyen (1998).

Nous allons, pour notre part, adopter une posture non seulement multi-focale du phénomène, en nous nourrissant des diverses approches qui ont prévalu aujourd’hui dans l’étude du harcèlement, mais également intégrative, en proposant un axe de lecture transversal valant pour tous les niveaux d’analyse : le mode relationnel. Si peu d’auteurs ont tenté de mettre en rapport de manière intégrative les divers niveaux d’analyses, nous faisons pourtant le pari que c’est dans l’interaction de ces niveaux que peuvent se trouver des éléments essentiels d’étude et de compréhension des situations.

3. Comme le fait remarquer Lapeyrière (2004), la plupart des études se basent sur l’étude de témoignages de victimes. Les études réalisées à partir du point de vue des collègues sont très rares, celles qui font appel au point de vue des harceleurs présumés sont exceptionnelles. L’étude des témoignages de victimes est évidemment fondamentale pour comprendre ce que vivent ces personnes, mais pose question sur la possibilité de mise à distance en contraignant le chercheur à travailler sur base d’un matériel « unidirectionnel ». Pour répondre à ce problème méthodologique, notre travail de doctorat mise sur la complémentarité de trois modes et sources de recueil d’information : témoignages de victimes, accompagnement clinique de victimes et interviews en organisations. A ce titre, nous adoptons de nouveau le point de vue de Lapeyrière (2004) pour qui l’étude de témoignages de victimes et de résultats d’interventions en entreprises constituent des approches complémentaires. En effet, selon elle, l’étude des récits de victimes donne des informations précieuses pour identifier le processus de harcèlement et ses conséquences, alors que les études des interventions en organisation vont permettre, par la diversité des personnes rencontrées et l’étude des interactions entre l’intervenant et l’entreprise, d’accéder à la façon dont se construit le harcèlement (p. 29).

4. Le conflit au travail et le harcèlement ont souvent été comparés, opposés, différenciés ou rapprochés, mais peu étudiés simultanément. Alors que la question du conflit est très présente dans l’étude du harcèlement, comme l’ont montré par exemple Keashly et Nowell (2003), on sait peu de choses sur la manière dont ils interagissent entre eux. Notre modèle permettra d’éprouver l’hypothèse selon laquelle le conflit et le harcèlement peuvent coexister au sein d’une même situation, et d’étudier les modalités de cette co-occurrence.

En conclusion, on peut dire que l’originalité de notre travail réside donc d’abord dans la mise en lien d’éléments qui ont été plutôt éclatés dans la recherche actuelle : mise en lien du conflit avec le harcèlement, mise en lien de différentes approches théoriques du harcèlement et du conflit, mise en lien des explications organisationnelles, groupales, interpersonnelles et personnelles, mise en lien de données quantitatives et d’analyses qualitatives, mise en lien des témoignages de victimes supposées avec ceux des témoins ou des agresseurs, mise en lien de variables contextuelles et de processus relationnels, mise en lien de processus apparaissant à divers niveaux, mise en lien d’une approche de recherche et d’une approche clinique.

Ceci implique dès lors un deuxième trait particulier de notre travail : l’étude qualitative et approfondie de situations particulières.

En outre, le fait de travailler sur des situations de harcèlement moral très différentes pour en explorer la variété constitue un autre trait spécifique de notre démarche puisque de nombreuses recherches portant sur le harcèlement moral s’efforcent d’étudier le harcèlement moral en tant que tel et d’éliminer, tant que faire se peut, les situations qui n’en relèvent pas, les considérant comme un « bruit » par rapport à l’objectif premier de leurs démarches. Au contraire, nous considérons ces situations qui sont annoncées comme du harcèlement mais qui revêtent des caractéristiques « inattendues » comme une richesse à étudier en tant que telle.

Enfin, le Modèle d’Analyse utilisé étant une construction originale, il constitue bien entendu un trait tout à fait spécifique de notre travail.












DEUXIEME PARTIE :

L’approche théorique

Présentation de la deuxième partie



Le premier chapitre de l’approche théorique porte sur l’objet principal de notre travail : le harcèlement moral au travail. Nous étudierons d’abord les différentes définitions qui ont été proposées afin de voir quels sont les points essentiels qui s’en dégagent, pour ensuite décrire les principales manifestations du phénomène. Nous nous pencherons ensuite sur les explications qui sont proposés à différents niveaux : organisationnel, groupal, interpersonnel, individuel. Nous terminerons par une réflexion sur la construction sociale du harcèlement.

Le deuxième chapitre porte sur l’hyperconflit au travail. En effet, comme de nombreux auteurs l’ont montré, le harcèlement étant un phénomène critique, les dimensions conflictuelles qu’il charrie sont elles aussi critiques. C’est donc avec les formes aggravées de conflit que le harcèlement moral entretient un lien tout particulier, d’où notre choix de consacrer un chapitre à cette question. Il s’appuie sur deux points d’ancrage : les modèles d’escalade conflictuelle décrits dans la littérature d’une part, et une étude que nous avons menée sur la question spécifique des hyperconflits d’autre part.











Chapitre I
Le harcèlement moral au travail


1. Préliminaire



Au printemps de l’année 2000, la troisième Enquête Européenne sur les conditions de travail fait apparaître des résultats spectaculaires au sujet d’un phénomène dont on commence à parler de plus en plus : le harcèlement moral au travail. Menée dans les quinze Etats Membres de l’Union Européenne et se basant sur le sondage de quelque 21.500 personnes, elle conclut que 9 % des travailleurs européens ont fait l’objet d’intimidation ou de harcèlement moral, soit 13 millions de personnes harcelées dans l’Europe des quinze.

Quelques mois plus tard, en Belgique, un fait-divers fait l’objet d’une émission télévisée à une heure de grande écoute : un facteur a mis fin à ses jours en raison, selon ses proches, d’une situation de harcèlement moral au travail.

Quel est donc ce phénomène, dont personne n’avait entendu parler quelques années plus tôt et pourtant si répandu, dont les conséquences peuvent s’avérer à ce point dramatique ? Telle pourrait être la question introductive de ce chapitre consacré au harcèlement moral au travail.



2. Le harcèlement : un terme familier ?



Au cours de ces quinze dernières années, la notion de harcèlement moral a connu une aventure sociale qui a de quoi étonner et interpeller.

D’une part, la rapidité avec laquelle elle s’est répandue au sein de la communauté scientifique, suscitant un nombre considérable de publications sur une thématique qui avait été plus ou moins inexistante dans la recherche organisationnelle jusqu’aux années 90 (Zapf & Einarsen, 2001, p. 369), est exceptionnelle dans le champ des sciences humaines. Lorsque l’on songe que l’article fondateur de Leymann fut publié en 1990, et qu’en 1996, Schuster notait qu’il existait très peu d’études sur le mobbing, il s’avère impressionnant de constater que, quelques années plus tard, le champ de recherche s’est développé de manière très rapide en 5 ou 10 ans (Hoel, Rayner & Cooper, 1999), et que les communications scientifiques sur ce thème se comptent maintenant par centaines.

D’autre part, on connaît peu d’exemples de sujets développés par des chercheurs en sciences humaines qui se soient si vite et si rapidement répandus dans la société civile. Ainsi, le harcèlement moral a connu, depuis les années 90, un engouement important de la part du public (Spurgeon, 1999), relayé par plusieurs best sellers, comme les livres d’Hirigoyen et de Leymann, au point que certains ont parlé de surmédiatisation (Viaux, 2004, p. 164). Du point de vue politique, cette question est passée du statut de simple aléa de la vie sociale à celui de pratique illégale si l’on en juge par les lois édictées en Suède, Norvège, Belgique, France, Italie ou encore au Québec. Le monde des organisations, quant à lui, a connu l’émergence de directives, de demandes syndicales, de règlements internes, de dispositifs de personnes de confiance, de démarches d’analyses des risques, de nouveaux professionnels chargés de s’occuper de cette problématique.

Le harcèlement moral au travail est donc devenu un thème incontournable pour le monde politique, pour celui des organisations, celui des médias (Spurgeon, 1997) et celui de la recherche scientifique.

Toutefois, si on peut dire que le harcèlement est un terme familier au grand public, il n’en reste pas moins, comme le dit Lapeyrière (2004, pp. 30-31), que les images fortes véhiculées par les médias l’emportent sur la subtilité des définitions qui sont mal connues. Un des problèmes est que ce terme fait l’objet de beaucoup de définitions différentes qui, par certains aspects, ne concordent pas entre elles (Rayner & al., 1999). Ainsi, quand une personne se plaint d’en être victime, elle se fait l’interprète d’un concept flou, sujet à discussion tant dans la communauté scientifique que dans les médias ou chez les praticiens. A ce sujet, une étude menée par Liefooghe et MacKenzie (2001) dans une entreprise de télécommunications montre que les employés utilisent le terme bullying (un des vocables utilisés en anglais pour désigner le harcèlement) pour parler de phénomènes très différents et ayant trait massivement non pas à des relations interpersonnelles, comme le suggèrent la plupart des définitions, mais à des pratiques managériales qui les mettent sous pression ou en insécurité.

Ce constat se confirme par la consultation de la littérature sur le sujet, où l’on s’aperçoit que les cas décrits peuvent rendre compte de réalités fortement contrastées. Le harcèlement y apparaît comme un phénomène multiforme et bien des problèmes bien différents s’expriment à travers cette notion (Hirigoyen, 2001a ; de Gaulejac, 2005 ; Sanchez-Mazas, 2005 ; Koubi, 2005 ; Monroy, 2004 ; Elcheroth, 2005, Lhuilier, 2005, Liefhooghe & Mac Kenzie, 2001).

Le choix même du terme « harcèlement » est à ce titre révélateur. Comme le relève Koubi (2005, p. 20), il s’agit du seul morphème que retient la terminologie française pour traduire plusieurs termes anglais : harrassment, mobbing, bullying, employee abuse, bossing, stalking. Or, ces termes recouvrent des réalités très différentes.

Enfin, plusieurs études mentionnent que les psychologues, les médecins du travail, l’entourage des victimes, ou encore les directions, les salariés et les syndicats rencontrent des difficultés lorsqu’ils doivent comprendre ou diagnostiquer des situations de harcèlement, tant les définitions s’avèrent nombreuses et les configurations variées (Hirigoyen, 2001a ; Gruslin, Italiano & Faulx 2002 ; Geuzaine & Faulx, 2003 ; Lapeyrière, 2004).

Nous allons donc faire le point, dans les lignes qui suivent, sur la notion de harcèlement moral en passant en revue les différents termes utilisés pour y faire référence et les différentes réalités qu’ils recouvrent, tout en soulignant les controverses qui animent le débat sur cette question.


2.1. Les termes utilisés aujourd’hui


Un grand nombre de termes sont apparus pour désigner les phénomènes d’agression venant d’un collègue, d’un subordonné ou d’un supérieur et conduisant à des problèmes sociaux, psychologiques et psychosomatiques pour la victime. Dans la littérature anglophone, on emploie les termes mobbing, harassment, bullying – ce dernier étant déjà connu dans le contexte de la victimisation scolaire avec les travaux d’Olweus (p.e. 1991) -, victimisation, et psychological terror. Ces cinq premiers termes recouvrent, selon Einarsen, Hoel, Zapf et Cooper (2003b), des réalités assez proches. On rencontre également workplace harrassment (Brodski, 1976), emotionnal abuse (Keashly, 1998), et mistreatment (Price Spratlen, 1995). Dans la littérature francophone européenne on trouve essentiellement l’expression harcèlement moral, utilisée par exemple par Hirigoyen (1998) en France, par Kunzi & al. (2006) en Suisse et par Garcia & al. (2002) en Belgique, alors qu’au Québec, on parle plutôt de harcèlement psychologique (par exemple Soares, 2005 ; Brun & Kedl, 2006).

De manière générale, les trois termes les plus souvent rencontrés sont harcèlement (moral ou psychologique), mobbing et bullying. Si aujourd’hui, on a tendance à les utiliser presque comme des synonymes, ils ont des origines et des connotations différentes. Un regard sur leur étymologie va pouvoir nous éclairer sur la question.

Harceler a pour origine herser ou herceler qui signifie labourer un champ à l’aide de la herse, instrument agricole destiné à briser les mottes de terre. Il s’agit donc d’un travail répétitif de destruction d’agglomérats de matière (Garcia, Hue, Opdebeek & Van Looy, 2002, p. 3). Ainsi, aux XIIe et XIIIe siècles, herser signifie « malmener » (Ancibure & Galan-Ancibure, 2006, p. 10). Selon ces auteurs, son dérivé, harcèlement, est calqué sur l’anglo-américain harassment, alors que l’espagnol lie acosar (harceler) à la chasse (caza) (p. 10). Ceci nous donne une bonne idée de l’univers sémantique qui a précédé l’apparition de la notion moderne de harcèlement dans son sens psychologique. La métaphore agricole évoque une idée de normalisation et de soumission, par analogie avec les sillons rectilignes tracés par l’outil (Ancibure & Galan-Ancibure, 2006), et éclaire les différents aspects du harcèlement : l’activité, la répétition, la relation de domination, l’exercice d’un pouvoir, la violence, le caractère insidieux, l’impuissance de la cible (Garcia, Hue, Opdebeek & Van Looy, 2002, p. 34).

L’origine du terme mobbing est toute différente. En anglais, mob signifie masse, foule, cohue, et le verbe to mob signifie molester ou malmener. Du point de vue étymologique, le terme mobbing a été utilisé initialement dans une traduction anglaise de Lorenz, pour désigner les comportements d’attaques collectives d’animaux à l’encontre d’un animal seul, généralement un prédateur (Schuster, 1996, p. 294). De cette origine, on peut dégager trois éléments qui constituent l’univers sémantique originel du terme : l’aspect collectif, la connotation d’agressivité, la volonté d’éloignement d’un intrus (Kunzi, Vicario, Kunzi & Jeandet, 2006, p. 29).

Enfin, le terme bullying vient de l’anglais to bully, qui signifie brutaliser, malmener. Comme le rappelle Schuster (1996), il a été introduit dans le débat scientifique par Olweus vers la fin des années 70 pour désigner un enfant terrorisé ou systématiquement victimisé par ses pairs. Outre le milieu du travail, ce terme est également utilisé aujourd’hui pour rendre compte d’agressions survenant dans d’autres contextes comme l’armée, les activités sportives ou la vie familiale (Kunzi, Vicario, Kunzi & Jeandet, 2006). Bien que ressemblant au mobbing, le bullying revêt une connotation différente. Le bullying est souvent relié à une attaque physique qui vient d’une personne unique, généralement le supérieur hiérarchique (Zapf, 1999). L’idée d’une cible est donc davantage présente dans le bullying, qui est considéré généralement comme une forme d’attaque plus claire, moins insidieuse que le mobbing ou le harcèlement, même si ces deux dernières notions intègrent également certains comportements explicitement agressifs.

L’origine de ces trois termes illustre l’univers sémantique des problématiques que nous allons étudier ici : des phénomènes d’agressions qui recouvrent aussi bien des dimensions physiques que psychologiques, pouvant relever de l’agression caractérisée comme de comportements plus insidieux, généralement répétitifs, exercés par des personnes isolées ou des groupes à l’encontre d’une ou plusieurs personnes dans un contexte professionnel, et comprenant une dimension d’éviction sociale ou de domination interpersonnelle. Pour notre part, c’est l’expression harcèlement moral que nous avons décidé de retenir dans ce travail, conformément à la plupart des références francophones européennes.


2.2. Les premières études sur la question


Dans la préface de la réédition de son ouvrage Travail, usure mentale, Dejours (2003) décrit quatre formes de pathologies au travail : les pathologies de surcharge, incluant les troubles musculosquelettiques, les lésions par efforts répétitifs, les lésions d’hypersollicitation, le karôshi (mort par accident vasculaire liée à la surcharge de travail) et le « burn out » ; les affections posttraumatiques consécutives à l’exposition à un accident du travail ou une agression, à des violences pathologiques ou comportements d’agression à l’égard de collègues ou d’équipements matériels ; les pathologies cognitives et le harcèlement moral. Il ajoute que, de ces quatre formes de pathologies, c’est la dernière qui a fait l’objet de l’attention des scientifiques le plus récemment.

On cite généralement Leymann comme l’auteur qui a le premier jeté les bases de l’étude du harcèlement moral au travail comme on l’entend aujourd’hui. Effectivement, en 1990, dans un court mais très important article, il définit le mobbing comme un moyen hostile et non éthique de communication dirigé de manière systématique par une ou plusieurs personnes à l’encontre d’un individu (Leymann, 1990, p. 120).

Leymann élargira plus tard sa définition, et parlera d’un mode de communication hostile et non éthique, dirigé de manière systématique par un ou plusieurs individus généralement à l’encontre d’un individu qui, de ce fait, se trouve dans une position d’impuissance et d’impossibilité à se défendre (…) (Leymann, 1996b,t p. 168).

Avant lui, Brodski(1976), dans son ouvrage The Harassed Worker, avait ouvert la voie vers l’étude de ce qu’il définissait comme des tentatives répétées et persistantes menées par une personne pour tourmenter, épuiser, frustrer ou provoquer quelqu’un d’autre (p. 2). Il y définissait cinq catégories de comportements harcelants au travail : le harcèlement sexuel, les insultes, l’abus physique, les pressions du travail ainsi que le phénomène de bouc émissaire.

Aujourd’hui, le nombre de définitions proposées est tel que seul un examen approfondi permet d’en décrire les composantes essentielles. C’est la démarche que nous allons entreprendre dans la section suivante.

3. Une étude des définitions de harcèlement moral et autres phénomènes associés



3.1. Origine des définitions et termes étudiés


La définition du harcèlement moral au travail est une question épineuse. Comme pour beaucoup de concepts en sciences humaines, les points de vue sont variés et des nuances parfois importantes apparaissent lorsque l’on met en regard la manière dont les différents auteurs tracent les contours de ce qui pour eux est du harcèlement.

Nous avons donc décidé de commencer ce périple au cœur de la notion de harcèlement par l’analyse d’un nombre important de définitions. Pour réaliser ce travail, nous nous baserons sur des définitions qui ont été données à l’expression harcèlement moral au travail, mais également à des termes ou expressions jugés synonymes comme bullying, mobbing, harcèlement psychologique ou harassment. Nous intégrerons également dans notre corpus de définitions des phénomènes apparentés, supposant tous la présence du processus d’agression d’une victime sur le lieu du travail de la part d’un collègue, d’un subordonné ou d’un supérieur : workplace abuse, emotionnal abuse, workplace deviance, workplace aggression, workplace incivility, abusive supervision, ethnic harassment, scapegoating, workplace trauma, violence psychologique au travail.

Pour constituer notre corpus de définitions, nous nous sommes référés d’abord à la littérature scientifique en anglais et en français. Pour entrer dans ce corpus, les définitions doivent avoir été publiées dans des articles soumis à la revue par les pairs ou, dans le cas de définitions provenant d’ouvrages d’auteurs, avoir été citées au moins dans un autre article. Nous avons choisi de retenir des définitions qui étaient issues de différentes approches : de travaux cliniques, de démarches d’enquêtes, de démarches psychosociologiques ou encore sociologiques.

Ensuite, afin de prendre en compte la dimension juridique qu’a prise aujourd’hui le harcèlement moral au travail, nous avons intégré également des définitions figurant dans des textes de lois ou des réglementations internationales.

Ces deux corpus, littérature scientifique et textes juridiques, constituent des sources complémentaires. En effet, si la question de la définition préoccupe tant les chercheurs que les juristes, les intentions des auteurs sont quelque peu différentes. Les scientifiques tentent généralement compte de rendre compte de leurs observations, de leurs constructions théoriques ou de leurs modèles praxéologiques, là où les rédacteurs des textes de lois vont s’efforcer d’aider les acteurs du monde judiciaire à identifier ce qui relève du phénomène en question afin de leur permettre de statuer et de prendre des décisions sur des cas précis. A ce titre, la mise en commun des corpus constitue donc une manière de donner à l’étude des définitions un caractère plus complet.

Sans prétendre à l’exhaustivité de la liste ainsi réalisée, c’est donc sur la diversité à la fois des termes de référence et des sources que nous allons construire notre réflexion sur la définition du harcèlement moral au travail et des autres phénomènes associés. Nous leur attribuerons le vocable général de « phénomènes de victimisation au travail », puisqu’ils ont pour point commun, selon la proposition de Einarsen, Hoel, Zapf et Cooper (2003), la présence d’un processus conduisant une personne à être victime, sur le lieu du travail, de comportements posés par son supérieur, son collègue ou son subordonné.


3.2. Méthode d’analyse des définitions


Pour procéder à l’analyse de ces définitions, nous partirons de la réflexion de Quine (1999), qui commentait les éléments saillants des définitions du bullying. D’après une revue de la littérature qu’il avait faite à l’époque, il affirmait que les auteurs décrivent ce phénomène à partir de trois éléments essentiels : la présence de comportements hostiles persistants, l’existence d’effets négatifs sur la victime et le fait que la définition soit centrée sur les effets sur la victime plutôt que les intentions de celui qui agresse.

En citant les comportements hostiles et les conséquences sur la cible, Quine mentionne deux traits essentiels de toutes les définitions de harcèlement. Schématiquement, il décrit là l’input et l’output du processus. Ces deux aspects sont susceptibles de se retrouver dans l’ensemble des définitions que nous allons étudier. C’est la raison pour laquelle ils constitueront le point de départ de notre réflexion.

Notre méthode d’analyse des définitions consistera dès lors à identifier ce qui est dit des comportements et des conséquences dans toutes les définitions. Les comportements et les conséquences agissent donc comme des « pôles » sémantiques : tout ce qui concerne ces deux sujets sera répertorié et classé en catégories. Nous appellerons ces catégories les composantes et sous-composantes de ce pôle sémantique.

Par la suite, nous soumettrons toutes ces définitions à un nouvel examen pour voir si d’autres sujets reviennent dans plusieurs définitions. Si tel est le cas, nous en ferons de nouveaux pôles sémantiques extraits a posteriori. Toutes les définitions seront alors relues pour permettre de répertorier ce qui concerne ces nouveaux pôles sémantiques, afin d’en faire émerger les composantes dans une démarche similaire à celle qui a été exposée pour les pôles sémantiques définis a priori.

Les 40 définitions étudiées sont les suivantes. Elles sont classées par ordre chronologique, ce qui permet de constater, s’agissant de celles qui traitent du harcèlement, du mobbing et du bullying, un effet de « variations sur un même thème », c’est-à-dire que les traits principaux sont presque toujours les mêmes, bien qu’ils soient déclinés de manières qui peuvent être assez différentes.

Harassment Repeated and persistent attempts by one person to torment, wear down, frustrate, or get a reaction form another. Il is treatment that persistently provokes, pressures, frightens, intimidates, or otherwise discomforts another people (Brodski, 1976, p. 2).Scapegoating One or more persons during a period of time are exposed to repeated, negative actions from one or more other individuals (Thylefors, 1987, p. 2).Mobbing / Psychological terror Psychological terror or mobbing in working life means hostile and unethical communication, which is directed in a systematic way by one or a few individuals mainly towards one individual. (Leymann, 1990, p. 120).Workplace trauma The actual disintegration of an employee’s fundamental self, resulting from an employer’s or a supervisor’s perceived or real continual and deliberate malicious treatment (Wilson, 1991, p. 48).Bullying Bullying emerges when one or several individuals persistently over a period of time perceive themselves to be on the receiving end of negative actions from one or several persons, in a situation where the target of bullying has difficulty in defending him or herself against these actions (Einarsen, Raknes & Matthiesen, 1994, p. 383).Work harassment Repeated activities, with the aim of bringing mental (but sometimes also physical) pain and directed towards one or more individuals who, for one reason or another, are not able to defend themselves (Björkvist, Osterman & Hjelt-Bäck, 1994, p. 174).Abusive behaviour / emotional abuse Hostile verbal and nonverbal behaviors that are not tied to sexual or racial content, directed by one or more persons towards another that are aimed at undermining the other to ensure compliance from others (Keashly, Trott & MacLean, 1994, p. 342).Workplace deviance Voluntary behavior that violates significant organizational norms and, in so doing, threatens the well-being of the organisations or its members, or both (Robinson & Bennett, 1995, p. 555).Workplace aggression Efforts by individuals to harm others with whom they work, or have worked, or the organisations in wich they are currently, or were previously, employed. This harm-doing is intentional and includes psychological as well as physical injury (Baron & Neuman, 1996, p. 38).Mobbing Mobbing includes behaviors such as giving a person humiliting or senseless tasks to do, socially isolating a person, verbal threats, physicial maltreatment, sprending rumours od making fun of an individual’sprivate life (Zapf & Leymann, 1996, p. 161).Mobbing Psychological terror or mobbing in working life involves hostile and unethical communication, which is directed in a systematic way by one or a few individuals mainly towards one individual who, due to mobbing, is pushed into a helpless and defenseless position, being held there means of continuing mobbing activities. These actions occur on a very frequent basis (statistical definition ; at least once a week) and over a long period of time (statistical definition : at least six months) (Leymann, 1996b, p. 168).Mobbing Enchaînement sur une assez longue période, de propos et d’agissements hostiles, exprimés ou manifestés par une ou plusieurs personnes envers une tierce personne (la cible) (Leymann, 1996, p. 27).Bullying Bullying is a problem in some workplaces and for some workers. To label something bullying it has to occur repeatedly over a period of time, and the person confronted has to have difficulties defending himself/herself. It is not bullying if two parties of approximately equal ‘strength’ are in conflict or the incident is an isolated event (Einarsen & Skogstad, 1996, p. 191).Generalised workplace abuse Violations of workers’ physical, psychological and/or professional integrities … nonsexual yet psychologically demeaning or discriminatory relationships (Richman, Rospenda, Nawyn & Flaherty, 1997, p. 392).Worplace bullying Offensive, intimidating, malicious, insulting, or humiliating behaviour, abuse of power or authority which attempts to undermine an individual or group of employees and which may cause them to suffer stress (Unison, 1997).
Harcèlement psychologique au travail Toute action qui porte atteinte, par sa répétition ou sa gravité, à la dignité ou à l’intégrité d’une travailleuse ou d’un travailleur (…). Il peut prendre différentes formes et se traduire notamment par des insultes, des humiliations, des menaces, du chantage, des accusations parfois ouvertes, parfois exprimées à demi-mot, des insinuations non fondées, des représailles injustifiées, des critiques constantes portant plus sur la personnalité que sur le travail accompli (Au bas de l’échelle, 1998, cité dans Soares, 2002, p. 6).Bullying All those repeated actions and practices that are directed to one or more workers, which are unwanted by the victim, which may be done deliberate or unconsciously, but do cause humiliation offence and distress, and that may interfere with job performance and/or cause an unpleasant working environment (Einarsen, 1998).Bullying Bullying is destructive behaviour. It is repeated aggression, verbal, psychological and physical, conducted by an individual or group against others. Isolated incidents of aggressive behaviour, while no to be tolerated, should not be described as bullying. Only inappropriate aggressive behaviour that is systematic and enjoyed is regarded as bullying (O’Moore, Seigne, McGuire, & Smith, 1998, p. 568).Bullying Persistent intimidation which humiliates and demoralises another person or other people, not always conscious and deliberate, that can result from poor management in organisations or bad behavours by individuals and based on the abuse of power (Weathley, 1999, p. 16).Harcèlement psychologique au travail Une souffrance infligée sur le lieu de travail de façon durable, répétitive et/ou systématique par une ou plusieurs personnes à une autre, par tous moyens relatifs aux relations, à l’organisation, au contenu et aux conditions de travail en les détournant de leur finalité, manifestant ainsi une intention consciente ou inconsciente de nuire, voire de détruire (Drida, Engel & Litzenberger, 1999, p. 92).Workplace bullying Workplace bullying can be defined as unwanted, offensive and deliberately humiliating behavior towards an employee or group of employees. Bullying can entail unpredictable, unfair and often vindictive attacks on an individual’s personal or professional performance. Bullying usually, but not exclusively, entails an abuse of management power or position. Bullying can lead to anxiety, loss of self-confidence, stress-related illness, physical ill health, mental distress and suicide (IRS, 1999).Mobbing Mobbing at work occurs if someboby is harassed, offended, socially excluded or has to carry out humiliating tasks and the person is in an inferior position (Zapf, 1999, p. 3)Workplace incivility Low-intensity deviant behavior with ambiguous intent to harm the target, in violation of workplace norms for mutual respect. Uncivil behaviors are characteristically rude and discourteous, displaying a lack of regard for others (Andersson & Pearson, 1999, p. 457).Abusive supervision Subordinates perceptions of the extent to which supervisors engage in the sustained display of hostile verbal and nonverbal behaviours, excluding physical contact (Tepper, 2000, p. 178).Ethnic harassment Threatening verbal conduct or exclusionary behavior that has an ethnic component and is directed at a target because of his or her ethnicity … behaviors that may be encountered on a daily basis and may contribute to a hostile environment, particularly for ethnic minorities (Schneider, Hitlan & Radhakrishnan, 2000, p. 3).Workplace bullying The deliberate, hurtful and repeated mistreatment of a Target (the recipient) by a bully (the perpetrator) that is driven by the bully’s desire to control the Target...encompasses all types of mistreatment at work ... as long as the actions have the effect, intended or not, of hurting the Target, if felt by the Target (Namie & Namie, 2000, p. 17).Bullying A situation where one or several individuals persistently over a period of time perceive to be on the receiving end of negative actions from one or several persons, in a situation where a target of bullying has difficulty in defending him/herself against these actions. We will not refer to one-off incidents as bullying (Hoel & Cooper, 2000, p. 6).Emotional abuse at work Interactions between organizational members that are characterized by repeated hostile verbal and nonverbal, often non physical behaviors directed at a person(s) such that the target’s sense of him/herself as a competent worker and person is negatively affected (Keashly, 2001, p. 212).Bullying Repeated and persistent negative acts that are directed towards one or several individuals, and which create a hostile work environment, In bullying the targeted person has difficulties defending himself ; it is therefore not a conflict between parties of equal strength (Salin, 2001, p. 431).Harcèlement psychologique au travail Tous agissements répétés visant à dégrader les conditions humaines, relationnelles, matérielles de travail d’une ou plusieurs victimes, de nature à porter atteinte à leurs droits et leur dignité, pouvant altérer gravement leur état de santé et pouvant compromettre leur avenir professionnel (Conseil économique et social, 2001, p. 59).Harcèlement moral au travail Constitue un harcèlement moral au travail, tous agissements répétés viant à dégrader les conditions humaines, relationelles, matérielles de travail d’une ou plusieurs victimes, de nature à porter atteinte à leurs droits et leur dignité pouvant altérer gravement leur état de santé et pouvant compromettre leur avenir professionnel (Debout, 2001, p. 1)Bullying Bullying differs from ordinary workplace conflicts in the respect that it consists of repeated and prolonged infringements of an employee’s personal dignity (Mikkelsen & Einarsen, 2001, p. 394).Mobbing Toute conduite abusive (gestes, paroles, comportements, attitudes, …) qui porte atteinte, par sa répétition ou sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne, mettant en péril l’emploi de celle-ci ou dégradant le climat de travail (Hirigoyen, 2001a, p. 67).Mobbing Mobbing can be describe as humilating, intimidating or hostile behaviour, directed at always the same person, which takes place frequently and over a long period of time and against which the victim has difficulties defending him- or herself (Hubert & van Velhoven, 2001, p. 416).Harcèlement moral Il s’agit d’un comportement négatif entre collègues ou entre supérieurs hiérarchiques et subalternes, par lequel la personne concernée est humiliée et agressée à maintes reprises, de manière directe ou indirecte, par une ou plusieurs personnes, dans le but- et avec comme résultats – de l’exclure (Comité consultatif pour la sécurité, l’hygiène et la protection de la santé sur le lieu de travail de la Commission européenne, 2001).Harcèlement moral Toutes les conduites abusives et répétées de toute origine, externe ou interne à l’entreprise ou l’institution, qui se manifeste notamment par des comportements, des paroles, des intimidations, des actes, des gestes, et des écrits unilatéraux, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’un travailleur ou d’une autre personne à qui la loi s’applique lors de l’exécution de son travail, de mettre en péril son emploi ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant (Législation belge du 11 juin 2002).Harcèlement moral Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (Législation française, article L 122-49, paragraphe 1 du code du travail, 2002)Bullying Bullying at work means harassing, offending, socially excluding someone or negatively affecting someone’s work tasks. In order for the label bullying (or mobbing) to be applied to a particular activity, interaction or process it has to occur repeatedly and regularly (e.g. weekly) and over a period of time (e.g. about six months). Bullying is an escalating process in the course of which the person confronted ends up in an inferior position and becomes the target of systematic negative social acts. A conflict cannot be called bullying if the incident is an isolated event or if two parties of approximately equal “strength” are in conflict (Einarsen, Hoel, Zapf & Cooper, 2003, p. 15).
Bullying A student is being bullied or victimised when he or she is exposed, repeatedly and over time, to negative actions out the part of one or more other students (Olweus, 2003, p. 62).Violence psychologique Exercice intentionnel d’un pouvoir à l’encontre d’une personne ou d’un groupe portant préjudice à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social (Di Martino, Hoel & Cooper, 2003, p. 4).Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 2 : Liste de définitions de phénomènes de victimisation au travail


3.3. Premier pôle sémantique : les conséquences


Deux types de conséquences figurent dans les différentes définitions : les conséquences pour la « victime » ou « personne-cible », d’une part, et les conséquences pour l’environnement de travail d’autre part.

Concernant les conséquences sur la cible, l’attention a été dirigée principalement sur l’impact psychologique (15 définitions) et physique (10 définitions). On relève également l’impact sur la vie professionnelle du sujet (7 définitions), l’atteinte à la dignité (8 définitions) et aux droits (3 définitions). On peut s’étonner du peu de visibilité donné à la question de la « violation de droit », qui s’explique peut-être par le caractère récent de l’apparition du thème dans les milieux juridiques. Enfin, on voit apparaître dans les définitions des conséquences abordées de manière plus rare comme la vie sociale du sujet (1 définition), le suicide (1 définition), le développement moral (1 définition), etc.

Concernant les conséquences sur l’organisation, les auteurs abordent deux grandes catégories : d’une part, les conséquences sur les conditions de travail (4 définitions), d’autre part, les conséquences sur le climat social de l’organisation (6 défintions).

Dans les définitions étudiées, on peut donc remarquer une attention plus forte portée aux conséquences sur la cible que sur l’environnement. A une exception près, toutes les définitions qui parlent des conséquences sur l’environnement mentionnent également les conséquences sur la cible, alors que l’inverse est loin d’être vrai. Au total, et à titre indicatif, on dénombre 49 occurrences de conséquences pour la cible pour 10 occurrences de conséquences organisationnelles.

Ceci peut sembler étonnant dans la mesure où l’étude des causes du harcèlement moral au travail s’est, au contraire, fortement centrée sur les facteurs organisationnels à la base du phénomène. Il semble que l’on assiste à un renversement des perspectives dans l’approche des causes et des effets : l’étude des causes se penche essentiellement sur les facteurs organisationnels plutôt que personnels, alors que celle des conséquences s’est penchée essentiellement sur les effets sur les personnes plutôt que sur l’organisation.

Cette vision tronquée est symptomatique de la manière souvent simplificatrice dont on présente et explique le phénomène de harcèlement moral. Cette tendance peut s’expliquer par plusieurs facteurs. D’abord, la forte médiatisation et la volonté de sensibiliser le grand public a généré la tentation de négliger certains éléments de contexte ou certaines nuances capitales au profit d’une vision caricaturale, plus spectaculaire et convenant mieux aux courts formats de communication des affiches, tracts ou émissions destinées au grand public.

Il s’agissait aussi probablement d’aller à l’encontre des idées reçues qui stigmatisaient l’inadaptation des personnes à leur environnement de travail pour proposer une vision alternative, et montrer que l’environnement pouvait être responsable de la situation.

Quoi qu’il en soit, il semble donc bien que la question des conséquences, tant pour la « cible » que pour l’environnement de travail, constitue un trait majeur des phénomènes de victimisation au travail. Toutefois, il est à noter, d’une part, que les conséquences sont décrites de manière assez variée selon les auteurs et peuvent recouvrir différents domaines, et d’autre part, que ces manifestations peuvent être communes à d’autres phénomènes de souffrance au travail, ce qui situe les conséquences comme un pôle nécessaire mais non suffisant de la victimisation au travail.


3.4. Deuxième pôle sémantique : les comportements


A partir du travail d’inventaire des différents éléments des définitions traitant des comportements posés par l’agresseur, deux composantes peuvent être retirées : les caractéristiques de ces comportements et les types de comportements.

En ce qui concerne les caractéristiques de comportements, on retrouve deux éléments essentiels de la définition de Leymann que sont la fréquence et la durée.

La fréquence - le fait que le processus soit constitué d’actes répétitifs et récurrents - semble faire l’objet d’un assez large consensus (26 définitions). Ceci nous renvoie à l’étymologie de « harceler » (« herseler », passer la herse, d’où tourmenter) qui met l’accent sur l’action de soumettre quelqu’un sans répit à des petites attaques réitérées, à des assauts renouvelés (Garcia, Hue, Opdebeek & Van Looy, 2002, p. 3).

En revanche, on trouve de manière moins consensuelle la notion de durée ou de persistance, qui suggère que le processus doit s’étaler sur un certain temps (15 définitions). A ce sujet, Leymann est le seul auteur à avoir proposé un seuil de durée, en l’occurrence six mois, pour pouvoir parler de harcèlement.

De manière plus marginale, deux définitions évoquent la question de la déviance par rapport à une norme. Elles font toutes deux référence à des normes « organisationnelles ». Pour important qu’il soit, cet élément n’est toutefois pas sans poser question dans la mesure où certaines organisations peuvent avoir des normes autorisant, justifiant, voire encourageant des pratiques ou des comportements violents (voir par exemple Ashforth, 1994, Ashforth 1997 ; Weathley, 1999 ; Liefhooghe & Mc Kenzie, 2001). On notera que la question des normes juridiques n’est pas abordée, même si on se trouve dans un contexte législatif qui s’efforce de réglementer les comportements violents au sein des entreprises. Enfin, dans deux définitions, on parle de comportements non-souhaités, ce qui nous semble être une manière de placer la norme au niveau de la victime.

Le type de comportement offre un tableau contrasté. Nous ne nous intéressons pas ici aux comportements particuliers qui sont cités dans les définitions, thématique dont nous discuterons plus loin, mais à la manière dont ils sont caractérisés. Selon les définitions, ils sont ainsi qualifiés de maltraitants (1 occurrence), intimidants (2), malveillants (1), humiliants (3), insultants (1), abusifs (2), négatifs (5), hostiles (6), non éthiques (2), offensifs (2), destructifs (1), menaçants (1) ou encore blessants (1).

De manière générale, on voit que les types proposés sont très divers et qu’aucun item ne se profile de manière dominante. Ainsi, si toutes les définitions font référence à des comportements « hostiles », la caractérisation de l’hostilité est très différente d’un auteur à l’autre. On est au-delà d’une simple collection de synonymes : il s’agit de termes qui recouvrent des formes d’agressions différentes tant en manifestations qu’en conséquences sur l’individu.

En conclusion des deux premiers pôles que nous venons de développer, on peut noter que les conséquences et les comportements sont repris dans la plupart des définitions étudiées même si c’est parfois de manières assez différentes. A ce titre, ils constituent la base d’un consensus sur la manière de définir les phénomènes de victimisation au travail.

Si les comportements et les conséquences constituent ainsi un socle pour la définition des phénomènes de victimisation au travail et spécifiquement du harcèlement moral au travail, on peut toutefois noter qu’une telle définition offre assez peu de possibilités de compréhension du phénomène. Ceci est conforme à notre observation selon laquelle l’approche est celle de la blind box dont on connaît les inputs, les comportements posés par le harceleur, et les outputs, les conséquences pour la victime et son environnement.

Pour aller plus avant dans cette étude du harcèlement par ses définitions, nous avons sélectionné deux autres sujets qui sont abordés par plusieurs auteurs, et qui constituent des fenêtres dans la blind box : celle de l’intentionnalité de l’agresseur et celle du déséquilibre des ressources entre les protagonistes.


3.5. Troisième pôle sémantique : l’intentionnalité


Certains auteurs considèrent que l’auteur doit agir intentionnellement pour qu’il s’agisse de victimisation au travail. Cela se décline sous divers termes : certains utilisent l’adjectif « délibéré », d’autres estiment que l’agresseur doit agir « volontairement ».

La question est toutefois complexe. Ainsi, dans certaines définitions, on trouve des formulations grammaticales qui indiquent l’intentionnalité sans la nommer en tant que telle comme chez Keashly, Trot et Mac Lean (1994) qui parlent de hostile verbal and non verbal behaviors (…) that are aimed at undermining the other to ensure compliance from others. Andersson & Pearson (1999) parlent eux d’ ambiguous intent. D’autres distinguent l’intention consciente de l’intention inconsciente (Drida, Engel, & Litzenberger, 1999). Hirigoyen définit cette différence de la manière suivante : l’intention consciente signifie « j’ai envie de lui faire mal », et l’intention inconsciente s’exprime en « je ne veux pas lui faire de mal mais c’est plus fort que moi, je ne peux pas m’en empêcher » (Hirigoyen, 2001a).

A contrario, on trouve dans certaines définitions l’expression comportements ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l ’intégrité physique ou psychique d ’un travailleur (…) (Loi belge du 11 juin 2002 contre la violence, le harcèlement sexuel et le harcèlement moral au travail), ou encore devrait ou aurait dû savoir qu’il affecterait par ce comportement la tranquillité de la personne visée (…) (Article 442 bis du code pénal belge portant sur le harcèlement), ce qui suggère que l’on pourrait parler de harcèlement sans pour autant qu’il y ait une intention de provoquer un effet nocif sur la cible. C’est également l’avis de Weathley (1999) selon lequel le harcèlement peut être inconscient ou délibéré. Enfin, de nombreuses définitions n’abordent pas cette problématique, laissant plutôt supposer que ce critère ne constitue pas une composante nécessaire pour parler de harcèlement. Cette dernière catégorie de définitions a plutôt comme optique de décrire le processus indépendamment de la volonté des acteurs d’y entrer et de le perpétuer. Sur cette question, les auteurs des définitions apparaissent donc fortement partagés.

Néanmoins, si on compare les définitions portant sur le harcèlement (harcèlement moral, harcèlement psychologique, mobbing, bullying) avec celles portant sur les autres phénomènes de victimisation au travail, on constate que l’intentionnalité est requise uniquement pour cette deuxième catégorie. Les définitions portant sur le processus de harcèlement, elles, soit ne se prononcent pas, soit indiquent que le processus peut être intentionnel ou non. Le caractère potentiellement non intentionnel semble donc plutôt caractéristique du harcèlement moral.


3.6. Quatrième pôle sémantique : les ressources des protagonistes


Une dernière question a attiré notre attention en raison de sa présence dans 14 définitions : le déséquilibre des ressources dans la relation. Pour tous les auteurs qui abordent cette question, les phénomènes de victimisation au travail sont caractérisés par une inégalité de forces entre les protagonistes. C’est le cas pour les définitions qui abordent le harcèlement aussi bien que pour celles qui portent sur d’autres phénomènes de victimisation au travail. A l’intérieur de ce raisonnement, on trouve deux manières de voir le déséquilibre.

Dans 8 définitions, on considère que l’on doit constater un déséquilibre « objectif » dans les ressources ou le pouvoir dont les acteurs disposent. Nous avons retenu les termes « abus de pouvoir / inégalité des ressources » pour décrire cette première composante du pôle « ressources ». Cette inégalité est décrite notamment en terme de « forces inégales ». La question de savoir quelle est la nature de ces « forces inégales » reste ouverte : il peut s’agir de pouvoir hiérarchique, mais également de pouvoir psychologique, comme le montre par exemple Hirigoyen (1998).

D’autres auteurs abordent cette question de l’inégalité par un autre angle. Nous avons appelé cette deuxième composante du pôle ressources « difficulté de se défendre, impuissance » (6 définitions). Cette impuissance peut résulter de deux difficultés distinctes : soit disposer de moins de ressources que son « agresseur », soit être dans l’impossibilité ou la difficulté à mobiliser les ressources dont on dispose. Dans le dernier cas, on est donc pas dans une différence « objective » de ressources, mais plutôt dans une différence dans la capacité à les mobiliser. Ce point de vue est recoupé partiellement par les études qui montrent que les victimes de harcèlement moral au travail ne parviennent pas à mettre au point des stratégies efficaces pour mettre un terme à la victimisation dont elles sont l’objet (Zapf & Gross, 2001). Malheureusement, la nature de ces ressources et la raison pour laquelle elles ne peuvent être mobilisées n’est pas explicitée par les auteurs. Par exemple Björkvist, Osterman et Hjelt-Bäck (1994) mentionnent que les personnes ne peuvent se défendre seules « pour une raison ou une autre ».

Finalement, au terme de cette étude de 40 définitions, il ressort l’image suivante : les conséquences sur la cible et les comportements hostiles venant de l’auteur constituent des traits généraux de la plupart des définitions des phénomènes de victimisation au travail, même si la nature, le type, les modalités de ces conséquences et de ces comportements peuvent être assez différents d’un auteur à l’autre. Ensuite, la question de l’intentionnalité semble importante pour plusieurs auteurs, mais avec des conclusions complètement différentes. Les uns en font un trait nécessaire, les autres considèrent au contraire que l’on peut parler de victimisation au travail sans qu’il y ait intentionnalité. Sur ce point, les définitions du harcèlement se caractérisent par le non recours au critère d’intentionnalité. Enfin, la question du déséquilibre des ressources, lorsqu’elle est rencontrée, penche dans le sens d’un déséquilibre en faveur de l’agresseur, qui résulte soit de ressources effectivement supérieures, soit d’une capacité de mobilisation de ressources supérieures chez l’agresseur.



4. Décrire le harcèlement moral au travail 



4.1. Conséquences

Etant donné que les défintions s’accordent pour estimer que le harcèlement moral provoque des conséquences néfastes, il est intéressant d’en situer les principales.

De manière générale, le harcèlement provoque des troubles importants du bien-être des individus qui en sont victimes et même témoins (Soares, 2002). Ces conséquences portent sur des aspects physiques, psychologiques, professionnels, financiers et sociaux.

Concernant les troubles physiques, on peut citer les affections suivantes : maladies cardio-vasculaires, maladies dermatologiques, pertes ou prises de poids rapides, troubles digestifs, troubles endocriniens, hypertension artérielle, vertiges, épuisements, troubles du sommeil ou encore troubles sexuels (Hirigoyen, 1998 et 2001a ; Garcia, et al., 2003).

Les troubles psychologiques générés par le harcèlement sont nombreux : syndromes posttraumatiques (Leymann & Gustaffson, 1996 ; Leymann, 1996 ; Soares, 2005 ; Tehrani, 2003 ; Gold, 2003 ; Matthiesen & Einarsen, 2004), syndromes d’anxiété généralisée, problèmes obsessifs et dépressifs (Groeblinghoff & Becker, 1996 ; Niedl, 1996 ; Leymann & Gustavson, 1996 ; Mikkelsen & Einarsen, 2002), honte et humiliation (Hirigoyen, 2001a), dépression, sentiment de dévalorisation ou de culpabilité, perte de tout désir ou manque d’intérêt (Hirigoyen, 1998 et 2001 ; Faulx & Geuzaine, 2000 ; Einarsen, 2000), désillusion, mélancolie, phobies sociales, compulsions, anxiété, désespoir, psychoses et modifications psychiques, état dépressif chronique ou rigidification de la personnalité avec apparition de traits paranoïaques (Einarsen, 2000 ; Hirigoyen, 2001a).

Leymann (1996a) a réalisé une étude à large échelle de la symptomatologie du harcèlement moral au travail. Cette étude donne une bonne idée du profil clinique des victimes de harcèlement moral, qu’il classe en sept catégories. L’auteur fait en outre un rapprochement explicite avec le syndrome de stress posttraumatique, qu’il formule ainsi : si la victime d’un mobbing fait état de symptômes de stress qui se sont condensés en réaction posttraumatiques, la réaction dont elle souffre résulte probablement de l’exposition prolongée à un mobbing très sévère (Leymann, 1996, p. 140).

Le rapprochement entre les conséquences du harcèlement et le syndrome de stress posttraumatique étant probablement l’orientation clinique qui compte le plus de publications, nous avons ajouté aux résultats de Leymann les rapprochements avec les critères diagnostiques du DSM IV sur les troubles anxieux et posttraumatiques. Cela permettra de voir sur quelles manifestations se basent les nombreux auteurs qui affirment qu’il y a des conséquences communes entre ces troubles et les effets du harcèlement.
Profil du patientSymptômesRapprochement avec les critères diagnostiques du DSM IV1. Patients cherchant les raisons de ce qui leur arrive et qui, faute de les trouver, perdent de leur assurance et deviennent irritablesTroubles de la mémoire
Difficultés de concentration
Abattement
Apathie
Irritabilité
Agitation
Comportements agressifs
Sentiment d’insécurité
Sensibilité exacerbée envers les déceptionsActivation neurovégétative des états de stress posttraumatique 
Troubles du sommeil
Irritabilité ou accès de colère
Difficultés de concentration
Hypervigilance
Réaction de sursaut exagérée
Etat de stress aigu 
Mauvaise concentration
Irritabilité
Hypervigilance2. Patients commençant à présenter les premiers troubles psychosomatiquesCauchemars
Maux de ventre
Diarrhées
Vomissement
Manque d’appétit
Gorge serrée
Pleurs
Solitude, repli sur soi, appauvrissement des contactsSymptômes somatiques du trouble d’anxiété généralisée
Diarrhées
« Boule dans la gorge »
Trouble associé : phobie sociale3. Patients ayant été exposés au stressPoids sur la poitrine
Crises de sueurs
Bouche sèche
Battements de cœur
Palpitations
Difficultés de respiration
Coups de sangTrouble d’anxiété généralisée 
Bouche sèche
Agitation
Réponses de sursaut exagéré
4. Patients ayant été exposés de manière prolongée au stressDouleur dorsale
Douleur cervicale
Douleurs musculairesTrouble d’anxiété généralisée 
Anxiété
Fatigabilité
Tension musculaire
5. (non défini)Difficultés à s’endormir
Interruptions du sommeil
Réveil prématuréActivation neurovégétative des états de stress post traumatique et manifestations neurovégétatives des états de stress aigu 
Difficultés d’endormissement ou sommeil interrompu
Irritabilité ou accès de colère
Difficultés de concentration
Hyper vigilance
Réaction de sursaut exagérée6. (non défini)« Jambes en coton »
Perte d’intérêtA rapprocher du groupe 47. (non défini)Vertiges
TremblementsA rapprocher du groupe 4Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 3 : Symptômes des victimes de harcèlement moral au travail

Au vu de ce tableau, on comprend mieux cette analogie entre la clinique du harcèlement moral au travail et celle du stress posttraumatique sur base de la symptomatologie. Néanmoins, ce rapprochement pose question dans la mesure où le stress posttraumatique est consécutif à un événement ponctuel alors qu’une des caractéristiques du phénomène de harcèlement est justement de se dérouler dans la durée sans qu’il y ait nécessairement d’incident traumatique majeur. Si les tableaux cliniques des victimes peuvent être rapprochés, on doit donc se garder de conclure hâtivement à une proximité de processus entre les deux phénomènes.

A côté de ces symptômes physiques ou psychologiques, qui constituent l’essentiel des conséquences observées par les chercheurs, on peut également citer les problèmes financiers et occupationnels (Niedl, 1996), l’exclusion professionnelle (Leymann, 1996a), l’isolement et la stigmatisation sociale (Faulx & Geuzaine, 2000a), la perte de satisfaction professionnelle (Einarsen, & Racknes, 1997 ; Garcia et al., 2002) et enfin le suicide (Leymann, 1996).

Pour ce qui est des conséquences sur l’organisation, les auteurs insistent sur le fait que le harcèlement moral est également néfaste et coûteux pour l’entreprise (Weathley, 1999) et cela à divers points de vue : démotivation, croissance des coûts de production, réduction de la productivité, diminution des soins apportés aux moyens de production, hausse des charges indirectes et des charges dues à l’absentéisme, diminution de la flexibilité vis-à-vis des changements, augmentation de la rotation du personnel (Niedl, 1996), climat social problématique, déficit de support social, affaiblissement des flux d’informations (Walter, 1995), réduction de la performance de l’ordre de 60 % (Paparella, Rinolfi & Cecchini, 2004), dégradation du climat social et du support social, affaiblissement du flux d’information (Zapf, 1999). Hoel, Einarsen et Cooper (2003) estiment, de leur côté, que pour évaluer le coût du harcèlement pour l’entreprise, il faut prendre en compte au moins les conséquences suivantes : absentéisme, turn over et coûts de remplacement, impact sur la productivité et la performance, litiges et compensations, perte de réputation et d’image. A cette liste, il faut encore ajouter un ensemble de coûts générés pour combattre le mobbing une fois qu’il a été repéré dans l’entreprise (Faulx et Geuzaine, 2000b). Au total, selon une étude menée par le Bureau International du Travail, le coût du harcèlement moral au travail tourne autour de 150.000 euros par an pour 1000 employés (Paparella, Rinolfi, Cecchini, 2004).


4.2. Comportements typiques : typologies de Leymann ; Hirigoyen ; Garcia, Hue, Opdebeek et Van Looy ; Brun et Kedl


Le deuxième pôle qui se dégageait de l’étude des quarante définitions que nous avons réalisée était celui des comportements venant de l’agresseur. A ce sujet, on peut relever plusieurs typologies comportementales dans la littérature. Selon ces typologies, le harcèlement est constitué des catégories de comportements suivantes : empêcher quelqu’un de s’exprimer, l’isoler, le déconsidérer auprès de ses collègues, le discréditer dans son travail (Leymann, 1996a), lui donner des tâches humiliantes ou dénuées de sens, l’isoler socialement, le menacer verbalement, le maltraiter physiquement, répandre des rumeurs ou se moquer de sa vie privée (Zapf & Leymann, 1996), porter atteinte à sa dignité ou à son intégrité physique ou psychique et mettre en péril son emploi et/ou dégrader le climat de travail (Hirigoyen, 2001a), porter atteinte à sa personne et porter atteinte à son emploi (Garcia & al. 2002). Dans une des études les plus récentes sur cette question, Brun et Kedl (2006) ont fait émerger les comportements suivants : les propos et gestes vexatoires, les atteintes aux conditions de travail, la menace de congédiement; la mise en échec de la personne, l’ isolement, les accusations, le dénigrement; l’intimidation; la surveillance excessive; le refus de communiquer; l’atteinte à la réputation/dignité, la déstabilisation/comportements ambivalents; la discrimination, l’atteinte à la vie privée; la menace à l'intégrité physique, les propos à caractère sexuel.


4.3. Mise en perspective des typologies


Au cours de travaux antérieurs, nous avons réalisé une typologie sur base de nos observations cliniques qui se présente en sept catégories (Faulx, 2003). Cette typologie servira de base à la mise en perspective des différentes typologies précitées.
Avant de présenter notre typologie, nous allons en exposer les intentions. D’abord, nous avons voulu différencier les comportements qui relèvent de l’agression et entrent dans la défintion de la violence au travail de ceux qui, pris isolément, ne constituent pas des agressions caractérisées, mais qui, lorsqu’ils sont répétés, revêtent un potentiel dommageable. Ce dernier aspect est en effet une des grandes découvertes faite dans le cadre de la mise en lumière du harcèlement. Pour mieux comprendre et différencier les situations de harcèlement moral, il nous paraissait donc important de créer deux catégories différentes pour parler des comportements d’attaque de la personne (que ce soit sur des aspects personnels ou professionnels).
Pour opérer cette distinction, nous nous sommes référés à la réflexion qu’ont mené Chappel et Di Martino (2000) sur la définition de Wynne et al. (1997), fruit de la réflexion d’un groupe d’experts réunis par la Communauté Européenne. Selon eux, la violence au travail comprend tout incident au cours duquel des personnes sont victimes de comportements abusifs, de menaces ou d’attaques dans des circonstances liées à leur travail et impliquant un risque pour leur sécurité, leur bien-être ou leur santé (p. 3). Les trois éléments suivants sont relevés par Chappel et Di Martino : les comportements abusifs (impliquant le recours à la force physique ou à la pression psychologique), les menaces et les attaques. Par opposition à cette notion de violence, Di Martino, Hoel et Cooper (2003) proposent de parler de « brimades » pour les comportements offensants, intimidants, cruels, malveillants qui ébranlent un individu ou un groupe. En épousant cette manière de voir les choses, nous avons créé deux catégories distinctes : les agressions et les brimades.
Ensuite, nous avons voulu rendre compte de la question sous un angle légal, eu égard aux prolongements juridiques de la question du harcèlement au cours des dernières années. Nous avons donc créé la catégorie déni de droits.
Nous avons également souhaité rendre compte de formes indirectes de harcèlement, c’est-à-dire de comportements qui ne relèvent pas de brimades ou d’agressions directes, mais d’actions sur l’environnement humain ou professionnel conduisant à une forme d’autonomisation du processus de harcèlement. Il s’agit des catégories « utilisation de tiers » et « mise en échec professionnel ».
Enfin, nous avons créé une catégorie pour tout ce qui concernait les comportements contradictoires ou paradoxaux. En effet, il nous a semblé important de mettre le doigt sur cet aspect du processus de harcèlement même si peu de typologies l’ont abordé jusqu’à présent. Nous l’avons dénommée « attitudes ambivalentes ».
Nous sommes ainsi arrivés à créer sept catégories :
Agressions : dans cette catégorie, nous avons repris les agissements qui rentrent dans les définitions de la violence au travail.
Attitudes ambivalentes : il s’agit ici d’enchaînements de comportements qui sèment le trouble en raison de leur côté ambigu, ambivalent, contradictoire ou paradoxal.
Brimades : cette catégorie reprend les attaques qui ne correspondent pas à la violence au sens classique, mais les agissements qui, répétés ou intervenant dans un certain contexte, sont ressentis comme des formes de violence.
Déni des droits : les comportements de cette catégorie ont pour trait distinctif une atteinte aux conditions de travail telles qu’elles sont définies dans le contrat de travail ou telles qu’elles sont explicitement installées dans l’organisation.
Isolement : nous regroupons ici tout les comportements d’évitement volontaire ou de mise à l’écart. Il peut s’agir donc aussi bien de l’isolement physique que de l’isolement social ou encore de la mise à l’écart des réseaux relationnels.
Mise en échec professionnel : cette catégorie de comportements comprend tous les actes qui ont pour effet de mettre la personne en difficulté sur le plan professionnel. Il ne s’agit pas d’attaques ou de critiques du travail, mais d’éléments qui vont faire en sorte que le travail sera effectivement de mauvaise qualité, hors délai ou non réalisé, tout simplement. La mise en échec professionnel est à distinguer des attaques sur la qualité professionnelle des personnes, lesquelles relèvent de la catégorie « brimades ». Ici, il ne s’agit pas d’un comportement hostile, mais plutôt d’une manière de mettre l’autre dans une position difficile qui va alors générer possiblement des attaques. La différence est de taille, car ce type de comportement est susceptible de déboucher sur une forme d’autonomisation du harcèlement. En effet, la personne mise en échec va en quelque sorte justifier les attaques dont elle est l’objet en devenant effectivement incompétente ou socialement problématique, ce qui pourra amener d’autres personnes à la harceler ou en tout cas à estimer les attaques légitimes.
Utilisation de tiers : les comportements de cette catégorie ont pour trait distinctif l’intervention ou l’utilisation de tiers dans le processus de harcèlement. Il s’agit d’une forme de harcèlement indirect par laquelle d’autres personnes (collègues, clients, …) deviennent, volontairement ou non, consciemment ou non, les acteurs du processus harcelant.

En mettant en perspective notre typologie avec d’autres typologies comportementales, on peut dresser le tableau comparatif suivant. Les comportements étiquetés L font référence à Leymann (1996a), G à Garcia et al. (2002), D à Delvaux (2004), R à Ravisy (2004), B à Brun et Kedl (2006), F à Faulx (2003). Ce tableau donne une bonne vue d’ensemble des différents comportements de harcèlement relevés par les différents auteurs.

AGRESSIONSAtteinte au poste de travailoccasionner des dégâts au poste de travail de la personne (L)
occasionner des dégâts à son matériel de travail (G)
vider son bureau (D)
fouiller dans ses tiroirs (D)
entrer dans son bureau sans frapper (D)Comportements agressifs agresser sexuellement avec contact physique (effleurements, attouchements, caresses, viol) (L-G)
agresser physiquement la personne (L)
avoir des gestes agressifs envers elle (G-D)
crier sur la personne (D)
répondre de manière agressive à la personne (D)Menaces et terreurmenacer l’intégrité physique (B)
intimider la personne (B)
lui envoyer des colis piégés (F)
exercer un racket à son encontre (G)
traquer la personne (G)
la terroriser par des appels téléphoniques (L), des e-mails
menacer la personne de violence physique (L-G)
menacer verbalement ou par écrit (L)
proférer des accusations mensongères concernant la personne (F-D)
pratiquer la surveillance de manière excessive (F - B)
menacer de licenciement (D - B)
exercer un chantage à l’emploi (G)
inciter la personne à démissionner (G-D)
exercer un management de type dictatorial (D)
espionner la personne dans son travail (D)
faire preuve d’une autorité exagérée (D)
exercer un contrôle excessif (G)
monter un dossier à l’insu d’une personne (F)
ISOLEMENTIsolement relationnelrefuser de collaborer avec elle (G)
ne pas l’inviter aux fêtes du personnel (D)
parler comme si elle n’était pas là (F)
ignorer sa présence (L)
éviter les contacts visuels avec elle (R)
éviter physiquement la personne (L-D)
communiquer avec elle uniquement par écrit (D)
ne pas la saluer, lui dire « bonjour » (D-R)Isolement physiquemuter la personne (G-R)
lui attribuer un poste de travail éloigné (L-D)
démanteler son équipe de travail (par restructurations successives) (D)
modifier son numéro de téléphone de manière unilatérale (D)
isoler la personne (B)Isolement communicationnel déformer les propos de la personne (D)
interdire à des tiers de lui adresser la parole (L-G)
empêcher la personne de s’exprimer (L-D)
ne plus se laisser adresser la parole par elle (L-R)
ne plus lui parler (L)
l’interrompre (L-D)
refuser de communiquer (B)Isolement professionnelorganiser des réunions à l’insu de la personne (D)
prendre des décisions à l’insu de la personne (D)
ne pas répondre à ses courriers, ses demandes (D)
ne pas lui communiquer des informations importantes (D
BRIMADESRumeurscalomnier (L-D-R)
médire (L-D-R)
lancer des rumeurs (L-G-D-R)Humiliations, critiques et disqualificationtenir des propos vexatoires (B)
la contraindre à un examen psychiatrique (L)
prétendre qu’elle est une malade mentale (L)
l’insulter oralement ou par écrit (L-D)
nier les problèmes de santé de la personne (D)
attaquer ses croyances religieuses (L)
attaquer ses convictions politiques (L)
se moquer des origines, de la nationalité de la personne (L-D)
se moquer d’elle concernant sa vie privée (célibat prolongé, enfants, parents…) (L-G-D)
se moquer d’elle par rapport à un trait physique (apparence, handicap, infirmité…) (L-D-G)
imiter la personne (attitudes, voix, démarche…) (L)
mettre en doute ses capacités et compétences (R)
lui poser tout le temps les mêmes questions (D)
critiquer le travail de la personne (L-G-R) Attaques sur base du genrela harceler sexuellement par téléphone, par e-mail (L-D-G)
faire étalage de matériel à caractère pornographique (photographies, textes, vidéos…) (G)
faire des propositions à caractère sexuel à la personne (G)
tenir des propos à caractère sexuel (G)
déshabiller du regard (G)
tenir des propos à caractère sexuel (B)UTILISATION DE TIERSCréation d’un climat de travail agressifsusciter des rivalités (F)
favoriser certaines personnes contre d’autres (F)
dégrader l’ambiance de travail (D)
Implication de tiers menacer le travail des membres de sa famille (D)
inciter les collègues à se moquer d’elle, à la dénigrer (D)
utiliser des tiers afin de disqualifier le travail de la personne (D)
mettre à l’écart les personnes soutenant la victime (D)
la dénigrer auprès des personnes externes à l’entreprise (D)
dénigrer la personne auprès de ses collègues (F-L)MISE EN ECHEC PROFESSIONNELManipulation des tâches / du travailconfier à la personne des tâches inadaptées à son niveau de compétence (inférieures ou supérieures) (L-G-D-R-F)
lui confier de multiples tâches (surcharge) (L-G-D-R)
ne plus confier aucune tâche à la personne (L-G-D-R-F)
lui confier des tâches contradictoires (D)
lui confier des tâches absurdes (L-F-D-R)
lui confier des tâches inutiles (L-G)
lui confier des tâches peu valorisantes (D)
modifier de manière unilatérale les tâches qui lui sont dévolues (D)Hostilité environnementale confier à la personne des tâches dangereuses (L)
lui confier des travaux insalubres (G)
lui confier des tâches pénibles, dures (F)
Entraves au travail simuler des fautes graves (F-R)
geler ses projets sans explication (D)
diminuer sa marge de manœuvre (D)
empêcher toute autonomie dans le travail (D)
déformer ou dissimuler de l’information à la personne (G-D)
ne pas réaliser le travail demandé par la personne (D)
ne pas mettre le matériel nécessaire à disposition de la personne (D)
ne pas lui donner la formation adéquate (D)
fournir des réponses contradictoires à ses demandes (D)
lui fournir des consignes de travail contradictoires (D)
lui fournir des consignes de travail floues (R-F)
lui faire perdre du temps (D)
mettre en cause les décisions prises (D)
ne pas tenir compte des idées (R)
porter atteinte aux conditions de travail (B) DENI DES DROITSne pas respecter le contrat de travail au niveau des horaires et du statut (D)
lui refuser des congés de maladie (D)
lui refuser les pauses légales (D)
ne pas lui accorder les congés légaux (D)
changer ses congés à la dernière minute (D)
ne pas donner de bureau à la personne (D)
installer la personne dans un bureau insalubre (D)
supprimer des avantages extralégaux sans raison (D)
ne pas respecter la procédure interne de recrutement (D)
refuser de payer ses heures supplémentaires (D)
refuser d’augmenter son salaire depuis une longue période (D)
évaluer inéquitablement le travail (R)
retirer du matériel, des outils de travail (G-R)
refuser d’aménager ses horaires (D)
modifier de manière unilatérale les conditions de travail de la personne (D) 
ATTITUDES AMBIVALENTESdéstabiliser (B)
poser des comportements ambivalents (B)
alterner les agressions et promesses ou excuses (F)
la complimenter et l’insulter en alternance (F)
lui accorder une promotion et la sanctionner (F)
l’inciter à poser des comportements puis lui reprocher (F)
alterner les signes d’amitié et d’hostilité (F)
témoigner en alternance de la sympathie et de la méchanceté à la personne (F)Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 4 : Mise en perspective des typologies comportementales du harcèlement

4.4. Persistance, durée, fréquence, variété  : les éléments quantitatifs et qualitatifs des comportements de harcèlement moral au travail


La question de la fréquence et de la durée des comportements a été évoquée dès les premières recherches pour différencier le harcèlement de « simples » faits de violence au travail. Comme l’avancent Zapf et Gross (1996), on ne peut pas parler de harcèlement s’il s’agit d’un seul événement. Pour Hirigoyen (2001a, p. 12-13), chaque attaque prise séparément n’est pas vraiment grave, c’est l’effet cumulatif des microtraumatismes fréquents qui constitue l’agression.
En effet, sur le lieu de travail, on peut observer couramment des comportements qui figurent dans les listes de comportements de harcèlement tels que des moqueries, des insultes, des rumeurs, de l’isolation sociale ou des critiques de la vie privée. La banalité de ces comportements peut d’ailleurs expliquer pourquoi le harcèlement n’a pas été clairement isolé et considéré plus tôt comme un phénomène abusif à part entière (Faulx et Geuzaine, 2000b).
Leymann propose de parler de mobbing dès que les comportements de harcèlement se produisent au moins une fois par semaine pendant au moins six mois (Leymann 1996a). Le critère de durée est toutefois sujet à discussion. Un mémoire portant sur les travailleurs intérimaires a ainsi mis en évidence que, dans certains cas, il pouvait être pertinent de parler de harcèlement moral pour caractériser une situation de travail pénible d’une période inférieure à six mois (Balhan, 2002). On notera d’ailleurs que le législateur, que ce soit en Belgique, en France, au Québec ou dans les pays scandinaves, ne définit jamais un seuil de durée ou de fréquence.
Enfin, en ce qui concerne la variété, certains auteurs estiment que lorsqu’une personne est victime de harcèlement moral, son ou ses agresseurs utilisent généralement un arsenal assez varié de comportements agressifs (Zapf, Knorz & Kulla, 1996). La victime subit alors une série d’attaques, d’humiliations, de critiques, de dénégations de ses droits et se voit enfermée dans un processus d’exclusion.

A côté des comportements en tant que tels, les auteurs ont donc insisté sur le fait de prendre en compte le « processus harcelant » dans son ensemble, et spécifiquement la durée et la fréquence des actes.


4.5. Harcèlement moral et (hyper)conflit au travail


Pour terminer cette section consacrée à la description du harcèlement moral au travail, il est utile de voir comment il a été mis en perspective avec un autre phénomène qui lui ressemble en partie et qui nous intéresse particulièrement dans le cadre de ce travail : le conflit au travail.
Dans la littérature sur le harcèlement, le conflit est souvent abordé. Hoel, Rayner et Cooper (1999) parlent à ce sujet d’une connexion implicite entre conflit et bullying.
On peut même parler dans certains cas de confusion pour les auteurs qui utilisent les deux termes indifféremment. Un exemple particulièrement éloquent de cette forme de glissement entre les deux thématiques peut être observé dans le récent ouvrage de Kunzi et al. (2006) consacré au harcèlement moral : la partie théorique porte sur le harcèlement et la partie sur les modes d’intervention parle de « modes d’intervention sur les conflits ».
Des similitudes importantes lient donc le harcèlement et le conflit. Einarsen, Hoel, Zapf et Cooper (2003) parlent d’une ligne mince de différenciation entre les deux : même si les luttes et conflits interpersonnels constituent une part naturelle des interactions humaines et ne doivent pas être considérés comme du harcèlement, il pourrait exister une ligne mince entre une lutte entre deux parties et les comportements agressifs utilisés dans le harcèlement (p. 19).
Il importe donc de partir à la recherche des points communs qui justifient des tels rapprochements entre les formes aggravées de conflit (ou hyperconflits) et le harcèlement moral ou plus généralement les phénomènes de victimisation.
Deux traits communs majeurs ressortent de notre consultation de la littérature sur les deux phénomènes. D’abord, dans les deux cas, on trouve la présence de la souffrance. Cette souffrance, localisée chez la victime dans le cas du harcèlement moral au travail, est également présente pour les personnes en situation de conflit si on réfère à la définition de Thomas (1992) qui considère que la présence d’une douleur physique ou psychique (p. 653) est un élément nécessaire pour parler de conflit. De même, dans plusieurs modèles d’escalade conflictuelle, que nous abordons ci-après, les auteurs mentionnent la souffrance des protagonistes lorsque l’on atteint des stades avancés dans le processus de dégradation relationnelle.
D’autre part, tant dans les hyperconflits que dans les situations de harcèlement, on trouve des comportements violents. D’après Zapf (1999), les conflits aggravés (highly escalated) ouvrent la voie à des comportements hautement agressifs, et nous verrons plus loin que la consultation des derniers stades des modèles de Glasl (1982) et Scott (1984) confirment ce point de vue. Certains font un rapprochement plus direct encore, estimant que dans les situations de conflits aigus, les personnes peuvent se soumettre réciproquement à des comportements qui relèvent du harcèlement (Einarsen, Hoel, Zapf & Cooper, 2002, p. 19).
D’un autre côté, les auteurs qui ont mis les deux thématiques en perspective se sont attelés à montrer qu’il s’agissait bien de deux phénomènes différents. Deux questions ont été abordées : comment s’effectue le passage du conflit au harcèlement, et quelles sont les différences de fond entre les deux phénomènes.
De manière générale, selon l’approche fonctionnaliste du harcèlement moral, et pour beaucoup d’auteurs, le harcèlement serait un dysfonctionnement notamment lié à la dégénérescence d’un conflit (Poilpot-Rocaboy, 2003). Ainsi, selon Leymann (1996a), le mobbing découle toujours d’un conflit : sans conflit, pas de mobbing. Cet auteur considère le harcèlement comme le stade avancé d’un conflit qui a dégénéré, tout comme Bjorkvist (1992) ou encore Van de Vliert (1992). De même, le bullying pourrait être considéré comme un conflit destructeur qui a atteint des points de non-retour (Hoel, Rayner & Cooper, 1999, p. 221), la résultante d’une escalade de conflits interpersonnels (Einarsen, Hoel, Zapf & Cooper, 2003, p. 19), une forme particulièrement haute (escalated) de conflit (Keashly & Nowell, 2003, p. 349), un conflit d’un haut niveau d’escalade qui n’a pas été résolu (Zapf, 1999, p. 72) ou encore une forme non résolue de conflit qui a atteint un haut niveau d’escalade et est devenu déséquilibré (Zapf & Gross, 2001, p. 499).
Hirigoyen (1998) défend une thèse différente, considérant que s’il y a harcèlement moral c’est que, justement, aucun conflit n’a réussi à se mettre en place en raison de la relation de domination qui s’est installée. Ce faisant, elle considère elle aussi que le conflit et le harcèlement sont deux phénomènes distincts.
Concernant la différence entre les deux phénomènes, le trait majeur que nous avons vu figurer dans la littérature est le fait que les phénomènes de type harcèlement moral, contrairement aux conflits, qu’il s’agisse d’hyperconflits ou non, supposent l’inégalité des forces en présence ou l’inégalité de ressources mobilisées par les protagonistes. Einarsen, Hoel, Zapf et Cooper (2003, p. 10) notent d’ailleurs qu’un point central dans beaucoup de définitions est le déséquilibre du pouvoir entre les deux parties. Dans cet ordre d’idées, Einarsen et Skogstad (1996) estiment que, pour qu’une personne puisse être considérée comme victime de harcèlement, il faut une différence réelle ou perçue de pouvoir et de force entre le persécuteur et la victime. Zapf et Gross (2001) précisent que si les parties en conflit sont de force égale, on ne peut pas parler de bullying. On retrouve aussi une conception proche chez les auteurs qui estiment qu’une des caractéristiques des phénomènes de type harcèlement est que les personnes ont des difficultés à se défendre. C’est le cas notamment d’Hubert et van Velhoven (2001), ou de Keashly et Nowell (2003) qui retiennent comme traits typiques du harcèlement le fait qu’une des deux parties soit dans l’incapacité de se défendre, et qu’il existe un déséquilibre de pouvoir entre les parties (p. 340). Salin (2001) fait la même différence. Elle affirme que dans le bullying, la personne-cible a des difficultés à se défendre, et ajoute : ce n’est donc pas un conflit entre parties de forces égales (p. 431).
Pour Hirigoyen (2001a), l’idée d’asymétrie de la relation est également au cœur de la différence entre conflit et harcèlement. Ainsi, selon elle, dans un conflit, on reconnaît l’existence de l’autre comme interlocuteur et son appartenance au même système de référence, alors que dans le harcèlement moral, il ne s’agit plus de relation symétrique comme dans le conflit mais d’une relation dominant-dominé dans laquelle celui qui mène le jeu cherche à soumettre l’autre et à lui faire perdre son identité.
Si on ajoute la présence de conséquences pour la cible et l’existence de comportements hostiles répétés et persistants posés par l’agresseur, on peut donc dire que le harcèlement se caractérise par le déséquilibre des forces en présence, ce dernier point constituant un trait majeur de différenciation par rapport au conflit, grave ou non.



5. Les causes et explications du harcèlement moral



Notre présentation des causes et explications du harcèlement moral sera structurée en fonction du niveau d’explication : les explications organisationnelles, les explications groupales, les explications interpersonnelles et les explications personnelles.






5.1. Les explications organisationnelles au harcèlement moral au travail : un objet, deux approches


Les facteurs organisationnels du harcèlement moral ont rapidement été mis sous les feux des projecteurs. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, bien que décrivant une relation entre deux personnes, le harcèlement n’a pas été développé initialement comme une thématique exclusivement interpersonnelle et détachée des contraintes environnementales. Ainsi, les premiers auteurs de l’école germano-scandinave ont mis en évidence que son apparition était notamment liée à des éléments relatifs aux caractéristiques des tâches, à l’organisation du travail, aux modes de management, à l’environnement social, au climat et à la culture de l’organisation. Même Hirigoyen, souvent prise en exemple de la « dérive psychologisante » du concept, s’est préoccupée des éléments contextuels. Ainsi, dans une communication donnée à Bruxelles en 2001, elle écrivait qu’une prévention efficace doit agir sur différents facteurs, tant au niveau des personnes que des méthodes de management et des contextes qui favorisent la mise en place du harcèlement (Hirigoyen, 2001b, p. 15).

Toutefois, si les auteurs de l’école germano-scandinave ont centré leur attention sur les facteurs organisationnels, ils n’en considèrent pas moins que la source du harcèlement moral est à chercher dans un dysfonctionnement des relations interpersonnelles. Pour eux, l’organisation joue un rôle important mais essentiellement contextuel dans la mesure où elle va favoriser ou limiter l’apparition du harcèlement. Dans cette optique, elle est en quelque sorte le décor qui va influencer la manière dont le jeu interpersonnel va se dérouler. Comme le disent Liefooghe et MacKenzie (2001), les éléments organisationnels sont vus comme des facteurs environnementaux qui peuvent faire en sorte que des conflits évoluent vers des situations de harcèlement ; la focalisation reste donc centrée sur l’individu. Cette approche est appelée « approche fonctionnaliste » par Poilpot-Rocaboy (2003). On y considère que l’organisation laisse se développer le harcèlement par incompétence à gérer les situations, voire par « lâcheté », mais qu’elle le subit néanmoins. Les tenants de cette approche vont d’ailleurs donner des conseils aux organisations sur la manière de résoudre les situations qu’elles hébergent malgré elles (par exemple Künzi & al., 2006).

Une autre approche considère de manière différente l’impact de l’organisation, voire de la société capitaliste, sur l’apparition du harcèlement moral. Dénommée « approche radicale » par Poilpot-Rocaboy (2003), elle voit l’organisation comme un instrument de domination ou une prison du psychisme, et estime qu’elle constitue la cause principale du harcèlement. Elle s’intègre dans un mouvement qui propose de dépasser l’approche personnelle et interpersonnelle du harcèlement et de s’intéresser aux processus organisationnels ou sociétaux qui agissent en sous-main du phénomène (par exemple Sanchez-Mazas & Vranckx, 2005 ; Le Goff, 2000). Les tenants de cette approche considèrent donc que le harcèlement peut être attribué à l’organisation et à ses pratiques. Nous verrons plus loin que la sociologie clinique et la psychodynamique du travail se reconnaissent davantage dans cette manière de considérer le rôle de l’organisation dans l’apparition de ce phénomène.

Une illustration particulièrement éclairante du contraste entre ces deux approches est la manière dont ils envisagent la responsabilité des ressources humaines à l’égard du harcèlement. Poilpot-Rocaboy (2003) note en effet que, selon que l’on adoptera le point de vue de l’approche fonctionnaliste ou de l’approche radicale, on va arriver à des visions très différentes du rôle joué par les services de Gestion des Ressources Humaines. Dans la première approche, ils seront considérés comme déficients, inefficaces, dépassés par le phénomène et incapables de l’endiguer, alors que dans la deuxième, ils seront au contraire vus comme redoutablement efficaces, arrivant à susciter des départs volontaires de travailleurs indésirables aux yeux de l’organisation ou capables de tirer au maximum profit des personnes qu’elle emploie, ou, devrait-on plutôt dire, qu’elle exploite.

Une autre illustration du contraste entre ces deux approches peut être développée au sujet de la légitimité du pouvoir en lien avec le harcèlement vertical. Suivant les observations de Liefooghe et MacKenzie (2001) sur ce sujet, on peut avancer que, pour un tenant de l’approche fonctionnaliste, si un supérieur harcèle son subordonné, il use de son pouvoir de manière illégitime par rapport à l’organisation. Il le détourne, en quelque sorte, à des fins non voulues par celle-ci. Un tenant de l’approche radicale va au contraire estimer qu’il utilise son pouvoir en s’appuyant sur la légitimité que lui confère l’organisation pour agir de la sorte.

Ces deux approches diffèrent aussi sur le plan de l’orientation méthodologique. En effet, l’approche fonctionnaliste a donné lieu à des travaux dans lesquels figurent des résultats chiffrés nourris par de nombreuses données de terrain, alors que l’approche radicale a davantage développé une réflexion sur les causes du harcèlement, et souvent un discours critique sur la notion même de harcèlement moral que nous aborderons dans le point consacré à la construction sociale du harcèlement.


5.2. L’approche organisationnelle radicale


Pour les auteurs de ce courant, le harcèlement va être stimulé par la logique managériale, organisationnelle ou idéologique de l’organisation. Ils considèrent que celui-ci est une conséquence logique d’un mode de management qui prône des mécanismes de domination divers. Ainsi, Ashforth (1994, p. 722) estime que le comportement tyrannique peut être favorisé par les valeurs et normes de l’organisation, et ajoute qu’il peut en résulter des comportements qui relèvent de l’arbitraire, du rabaissement de l’autre, du manque de considération, du passage en force en situation de conflit, du découragement des initiatives et de la punition imméritée. Afin de montrer à quel point le comportement tyrannique peut être légitimé par l’organisation, il utilise l’expression de tyrannie institutionnalisée (p. 761).

La sociologie clinique et la psychodynamique du travail ont également abordé le harcèlement moral au travail dans cette perspective dite radicale.

La sociologie clinique, portée notamment par de Gaulejac, s’est intéressée depuis ses débuts à la manière dont les structures collectives déterminent les destins individuels (Mendel & Prades, 2002). Il était donc naturel qu’elle étudie le phénomène du harcèlement moral. A ce sujet, de Gaulejac reprend les théories d’Enriquez (1998) qui considère que le mode de fonctionnement d’une entreprise peut favoriser des comportements névrotiques, pervers ou paranoïaques. De Gaulejac (2005a ; 2005b) estime, dans cette optique, que l’organisation peut mettre en œuvre des modes de management qui favorisent le harcèlement moral. Pour lui, la cause majeure du harcèlement provient de trois tendances managériales qui mettent le système sous pression : l’écart entre les objectifs fixés et les moyens attribués, le décalage entre les prescriptions et les activités concrètes et l’écart entre les récompenses espérées et les rétributions effectives.

Dans une perspective similaire, Dejours, figure de proue de la psychodynamique du travail, estime que le harcèlement moral serait une forme clinique de l’aliénation sociale dans le travail résultant de contraintes psychiques exercées de l’extérieur sur un sujet par l’organisation du travail, par les modes de gestion et d’évaluation ou de direction de l’entreprise  (Dejours, 2003).

La sociologie clinique et la psychodynamique du travail se rencontrent particulièrement lorsque l’on considère que les logiques d’emprise idéologique mises en place dans certaines organisations, et décrites notamment dans L’emprise de l’organisation (Pagès, Bonetti, de Gaulejac & Descendre, 1979), peuvent œuvrer dans le sens de la banalisation du mal et fournir des rationalisations aux individus pour qu’ils acceptent de devenir bourreaux ou victimes dans le cadre d’une idéologie fondée sur le postulat de la guerre économique (Dejours, 1998).

D’autres auteurs se situent également dans cette réflexion sur la manière dont le harcèlement peut être orchestré par une organisation. Dans cette optique, Guillet (2005) a étudié le harcèlement organisé dans les sectes. L’analogie entre le fonctionnement d’une secte et celui de certaines organisations a été avancé par plusieurs auteurs qui utilisent le terme de dérive sectaire de l’organisation (Fournier & Monroy, 1999). On peut trouver l’origine de telles réflexions dans l’étude de Pagès et al. (1979), qui rapprochait certaines organisations de systèmes religieux avec leurs dogmes, leurs écritures sacrées, leur hiérarchie, leur masse de fidèles et leur dieu que l’organisation incarne (p. 82). Enfin, Durieux et Jourdain (1999) ont étudié les pratiques de harcèlement moral menées par des consultants spécifiquement formés à cette intention, donnant là un exemple particulièrement frappant de la manière dont une organisation peut créer intentionnellement des situations de harcèlement.


5.3. L’approche organisationnelle fonctionnaliste


Ce courant est le plus prolifique de toute la littérature sur le harcèlement. En effet, dans la lignée des travaux de Leymann, de nombreux auteurs se sont penchés sur la manière dont les caractéristiques organisationnelles peuvent influer sur le développement de situations de harcèlement. Ces recherches ont pour objectif commun l’identification de facteurs de risque. Nous allons passer les principaux en revue.

5.3.1. Secteur d’activité

Selon plusieurs auteurs, le secteur public est davantage touché que le secteur privé (Einarsen & Skogstad, 1996 ; Einarsen, 2000, Leymann, 1996, Garcia, Hue, Opdebeek & Van Looy, 2002), et globalement, les études scandinaves font ressortir le secteur tertiaire comme étant le plus à risque (Garcia, Hue, Opdebeek & Van Looy, 2002).

Si on examine plus précisément ces secteurs, selon une enquête de la Fondation Européenne pour l’Amélioration des Conditions de Travail, les secteurs les plus touchés par le harcèlement sont l’Etat, les administrations, l’immobilier et le secteur des banques et assurances. Leymann (1996a) observe que le risque d’être victime est plus faible dans les secteurs de la production et de la santé et plus élevé dans l’enseignement. Au contraire, pour Einarsen et Skogstad (1996), c’est le secteur de la production qui est le plus touché. Une conclusion similaire est obtenue par Hubert et van Veldhoven (2001) : dans leur enquête portant sur onze secteurs aux Pays-Bas, c’est bien l’industrie qui, en pourcentage, est le secteur le plus touché, suivie par les administrations publiques et le secteur des soins de santé. Rayner et al. (2002) arrivent à la conclusion que le harcèlement touche davantage le personnel des prisons, des postes et télécommunications et de l’enseignement. Enfin, dans l’étude belge menée par l’équipe d’Ada Garcia (Garcia, Hue, Opdebeek & Van Looy, 2002) et définissant douze secteurs d’activité, celui des administrations publiques se dégage nettement comme le plus exposé au harcèlement. Trois autres secteurs ont des prévalences supérieures à la moyenne nationale : l’enseignement, le secteur financier et les transports.

Au delà du constat de la forte diversité des résultats, il est à préciser que tous ces chiffres issus d’enquêtes proviennent du témoignage de personnes qui se sont estimées elles-mêmes comme victimes de harcèlement moral au travail, ce qui implique de considérer tous ces chiffres avec la prudence requise.

5.3.2. Caractéristiques et organisation du travail

Il semble que l’apparition du harcèlement soit étroitement liée aux caractéristiques du travail. La surcharge de travail semble propice à l’apparition du harcèlement de même que le déficit qualitatif (obligation d’effectuer un travail inutile, répétitif, ennuyeux) (Leymann, 1996a), la monotonie (Leymann, 1996b), les tâches à complexité élevée mais avec peu de contrôle sur le temps (Vartia, 1996) ou le manque de clarté des objectifs (Zapf, 1996).

Concernant l’organisation du travail, l’obligation de coopération et la dépendance des travailleurs entre eux (Vartia, 1996) ainsi que le manque d’autonomie (Zapf & Leymann, 1996) semblent également stimuler l’apparition du harcèlement


5.3.3. Management

De nombreux auteurs considèrent que le développement ou non du harcèlement est intimement lié à l’action des managers (par exemple Hoel, Rayner & Cooper, 1999 ; Resch & Schubinski, 1996 ; Leymann, 1996a).

Ils avancent plusieurs raisons à cela. D’une part, ils estiment que l’incompréhension et l’inertie de l’encadrement sont des facteurs facilitant l’apparition et le développement du harcèlement (Leymann, 1996a ; Leymann, 1990 ; Weathley, 1999).

D’autre part, ils invoquent un lien entre management et harcèlement qui peut être direct (les managers sont des harceleurs potentiels), ou indirect dans la mesure où les managers, chargés d’une bonne partie de l’organisation du travail et de la gestion du climat humain, maîtrisent une partie importante des facteurs de risque.

A ce titre, Leymann (1996a) cite une série de manquements chez les managers qui peuvent conduire au mobbing : l’incapacité à chercher ensemble des solutions aux problèmes, l’incapacité à donner au groupe une homogénéité sociale suffisante, l’incapacité à créer de bonnes relations entre les personnes.

Selon Hirigoyen (1998), le management de type « laisser-faire » laisse le champ libre à l’apparition du harcèlement. A l’inverse, Crawford (1997) estime que des organisations caractérisées par des structures hiérarchiques rigides ont plus de chances de connaître du harcèlement.

La synthèse des deux points de vue est, dans un certain sens, proposée par Einarsen (2000) pour qui le manque de « leadership constructif », c’est-à-dire selon lui ni « laisser-faire », ni autoritaire, constitue une porte d’entrée au harcèlement. Tout comme pour les secteurs d’activité, l’étude du style de management comme facteur de risque aboutit donc à des conclusions plus que contrastées.

5.3.4. L’environnement social

On peut citer comme facteurs de risques liés à l’environnement social le manque d’informations, le manque de possibilités de discuter des tâches et objectifs, un mauvais climat de communication, un manque de possibilités de communication, peu de soutien des collègues (Zapf, 1996).

D’autres études (par exemple Vartia, 1996 ; Leymann, 1996 ; Zapf, 1996) montrent également que les méthodes se basant sur l’autorité créent davantage de harcèlement que les méthodes coopératives, et qu’une atmosphère axée principalement sur la compétition et un mauvais climat social a également une influence sur l’apparition du harcèlement.

Dans la lignée du courant fonctionnaliste, on estime que plus il y a de conflits dans une organisation, plus il y aura de chances que ces situations de conflit dégénèrent en harcèlement moral au travail. L’explication donnée à l’impact de ces facteurs est donc lié au fait qu’un mauvais climat social, peu coopératif et peu communicatif, facilitera l’apparition de conflits et donc de harcèlement.

5.3.5. Culture

Enfin, plusieurs auteurs estiment que la culture de l’organisation peut promouvoir ou non des situations de harcèlement. C’est le cas notamment de Weathley (1999) qui parle liens forts entre la culture organisationnelle et le bullying (p. 79), ou encore de Crawford (1992, p. 153) qui parle de l’éthos de l’organisation pour décrire comment un système renseigne ses membres sur les normes comportementales auxquelles ils sont censés se soumettre. Il indique que l’éthos peut favoriser ou non des rapports violents entre membres de l’organisation.

Ce dernier a développé le concept d’ organisation saine  (p. 152) pour caractériser les organisations dont le mode de gestion et la culture constituent la meilleure prévention aux problèmes de conflits extrêmes. Afin de dépasser le caractère possiblement tautologique de l’expression d’organisation saine (une organisation saine favorise une gestion saine des relations), il développe quelques traits essentiels de celles-ci. Selon lui, ces organisations considèrent qu’il est un besoin fondamental pour les individus d’être valorisés pour leurs contributions à l’organisation, et que les groupes fonctionnent mieux si les individus y ont un rôle reconnu et que leurs idées et leur expérience sont respectées. Elles considèrent également que les individus sont différents et que ces différences doivent être acceptées et utilisées, c’est-à-dire que les attentes ne doivent pas être les mêmes à l’égard de tous. Enfin, les valeurs de ces organisations reposent sur la promotion de bonnes relations et l’acceptation d’affronter les problèmes plutôt que de les dénier.

Dans le même ordre d’idées, Walter (1995) estime que les entreprises ont trop souvent tendance à considérer le conflit comme un sujet tabou. La mise en place d’une culture d’organisation dans laquelle les conflits sont abordés ouvertement constitue, selon lui, la meilleure protection contre les tracasseries sur le lieu de travail.

Enfin, nous avons vu plus haut également que la culture managériale est abordée dans le courant radical comme un des éléments qui peut stimuler l’apparition du harcèlement. C’est une thèse qui est défendue par Ashforth (1994) qui fait en quelque sorte un pont entre l’approche radicale et l’approche fonctionnaliste. D’autres auteurs comme Le Goff (2000), de Gaulejac (2005a) ou Koubi (2004) rejoignent ce point de vue. Nous y reviendrons lorsque nous parlerons des nouveaux modes de management.


5.4. Les explications groupales


Les travaux sur la victimisation en contexte scolaire, plus anciens que ceux sur la victimisation au travail (les recherches d’Olweus sur le bullying at school remontent aux années 70), ont été les premiers à identifier la dynamique du groupe de pairs comme une dimension fondamentale dans l’étude de la question. Ainsi, Olweus avait identifié quelques mécanismes groupaux fondamentaux qui interviennent dans la perpétuation d’une situation de maltraitance d’un enfant par ses condisciples : la contagion sociale, un contrôle faible ou une inhibition insuffisante des tendances agressives, une dispersion de la responsabilité et des changements cognitifs sur la perception de l’agression et de la victime (Olweus, 2003).

Dans l’étude du harcèlement moral au travail, certains auteurs mettent en lumière qu’à côté du comportement des managers, celui des collègues constitue également un élément qui va influencer le risque d’apparition et de développement de telles situations. Weathley (1999) insiste ainsi sur le fait que les collègues qui assistent aux situations de harcèlement qui se déroulent entre les protagonistes peuvent constituer des témoins ou des personnes à qui la victime peut se confier, voire des personnes qui peuvent la soutenir à condition qu’elles ne soient pas trop habitées par la peur de se voir incluses dans la situation.

Crawford (1997) défend même l’idée que tous les travailleurs devraient être considérés comme responsables de ce qui se passe dans leurs groupes de travail. Selon lui, ce serait l’organisation elle-même qui serait irresponsable de créer des groupes tout en acceptant une absence de responsabilité de ses membres quant à ce qui s’y passe (p. 224).

Enfin, pour Leymann (1996a), l’impact du comportement de l’entourage est capital, et cela pour deux raisons essentielles : le soutien social constitue un des principaux facteurs de résistance au mobbing, et le mobbing aura beaucoup moins de chances de se développer si l’entourage peut y faire obstacle.

Dans les lignes qui suivent, nous examinons les études qui portent plus précisément sur la dynamique des groupes et des équipes de travail en lien avec la problématique du harcèlement moral.

5.4.1. L’explication à partir de la théorie du bouc émissaire

Bien avant d’être appliqué au harcèlement moral, le phénomène du bouc émissaire a été étudié dans le contexte de la dynamique des groupes restreints et plus largement en tant que mécanisme social (par exemple, Girard, 1982). Selon Gemmil (1989), ce phénomène est présent dans la plupart, sinon tous les systèmes sociaux. Cet auteur défend l’hypothèse selon laquelle l’anxiété et les conflits sont réorientés vers un individu qui devient le bouc émissaire. Son rôle, celui d’être persécuté, permettra au groupe de survivre aux tensions. Cette manière de voir les choses, développée hors du contexte d’étude du harcèlement moral au travail, a été reprise par plusieurs auteurs dans le cadre de ce phénomène.

Pour Garcia, Hue, Opdebeek et Van Looy (2002), cette approche du harcèlement consiste à considérer que l’anxiété et les conflits vécus au sein d’un groupe se réorientent vers un individu qui devient le bouc émissaire (p. 71). Leymann (1996a) se pose la question ainsi : quand et dans quelles circonstances un groupe éprouve-t-il le besoin de se défouler et de chercher à cet effet un bouc émissaire ? (p. 174). Pour lui, c’est le cas notamment lorsque le groupe se sent menacé dans son fonctionnement et sa survie par le système dans lequel il est intégré.

Selon plusieurs auteurs (Garcia et al., 2002 ; Delvaux, 2004), ce raisonnement s’appuie sur la théorie de la frustration – agression, postulant que toute frustration mènerait à une agression, même invisible, et que toute agression résulterait d’une frustration, même invisible (Leyens & Yzerbyt, 1997, dans Delvaux, 2004, p. 20). Si cette théorie est critiquable pour son caractère linéaire et par trop définitif (Delvaux, 2004), elle offre néanmoins un appui à ceux qui estiment, comme Cox et Leather (1994), que le harcèlement pourrait constituer une réponse aux frustrations vécues au travail.

Plusieurs auteurs qui ont étudié les phénomènes de harcèlement en lien avec le concept de bouc émissaire ont montré que la victime présente généralement une différence avec les autres membres du groupe (Thylefors, 1987 ; Zapf, 1999 ; Schuster, 1996). On peut citer les différences de genre (Lindroth, 1993 cité dans Schuster, 1996),, un handicap (Schuster, 1996), ou l’existence d’une différence de statut social ou une personne nouvelle dans un groupe déjà constitué (Zapf, Knorz & Kulla, 1996). Hirigoyen (2001a) cite comme personnes plus susceptibles d’être victimes de harcèlement moral : les personnes atypiques sur le plan du genre, de la race ou de différences plus subtiles.



5.4.2. Cohésion et responsabilité groupale

Pour certains auteurs, l’absence de solidarité groupale constitue un contexte à risque (Drida, Engel & Litzenberger, 1999). Ce fonctionnement est lié, selon eux, à la dissolution du sentiment de groupalité : les membres du groupe se vivent comme une collection d’individus davantage que comme un ensemble. Lorsque des incidents se produisent, le groupe est passif, chacun « rentre en lui-même » et observe la passivité de tous les autres.

Toujours selon Drida et ses collaborateurs, cette absence de réaction peut s’expliquer par les émotions de peur qui dominent le groupe. Dans un tel cas, cela conduit à des stratégies d’évitement systématique de la confrontation : chacun se protège avant tout, redoutant les représailles. Certains fantasmes collectifs peuvent alors apparaître : les personnes pensent que réagir ou s’opposer aux comportements hostiles d’un ou plusieurs membres les conduiraient à une position dans laquelle elles risqueraient d’être détruites à leur tour. La peur d’être l’objet d’attaques facilite ainsi la logique de protection individuelle au détriment d’une action collective.

De plus, les absences de réaction de collectifs face à des incidents critiques sont bien connus en psychologie sociale, et provoquent deux effets qui nous intéressent particulièrement ici et que l’on trouve déjà chez Olweus.

Le premier est l’émiettement de la responsabilité. Autrement dit, personne ne se considère comme personnellement responsable, puisque tout le monde pourrait réagir et que personne ne le fait. Le second est relatif au traitement de l’information et aux conclusions qui sont faites à partir d’un événement en fonction de la réaction d’autres observateurs. On sait que le fait d’observer la passivité d’autres personnes amène à décoder une situation comme n’étant « pas si grave ». Le raisonnement peut être schématisé de cette manière : « puisque les autres ne réagissent pas, c’est donc que cela n’est pas aussi grave que cela en a l’air. Je ne vais donc pas réagir ».

5.4.3. Les normes de groupe

La passivité d’un groupe face à des comportements hostiles peut aussi se comprendre par l’étude des normes groupales. On appelle normes groupales les règles de conduite du groupe, à savoir ce qui sera valorisé, prescrit, encouragé ou au contraire découragé voire réprimé en fonction d’un « code de valeur» (Mucchielli, 1983, p. 105). Ce code de valeur est souvent implicite, tout comme les prescriptions comportementales qui en découlent.

Si le groupe est régi par une norme de passivité, cela fait en sorte que les personnes n’osent pas réagir à la situation de harcèlement. Quiconque aurait un comportement différent des autres (comme prendre la défense du harcelé) risquerait non seulement de s’attirer les foudres du harceleur, mais aussi de se mettre à dos le groupe dont il menace le mode de fonctionnement habituel. Défendre quelqu’un serait donc un comportement qui s’inscrirait à contre-norme.

Une autre explication de l’impact de la norme est apportée par Leymann (1996a) qui explique que le groupe de travail, lorsqu’il est en difficulté, maintient son équilibre au prix d’un renforcement de ses normes et ne peut tolérer qu’un individu en dévie. Si c’était le cas, toute déviance à la norme serait punie par la coercition et l’exclusion, faisant du déviant le bouc émissaire du groupe.

Enfin, la troisième explication porte sur la déviance des victimes par rapport à la norme du groupe. Selon ce point de vue, les normes de groupe ont ainsi un effet sur la « sélection » d’une victime éventuelle. Dans ce cadre, un individu qui présente des écarts aux règles implicites du groupe, autrement dit qui transgresse ses normes, présente plus de chances de se retrouver dans une position de victime. Certains auteurs ont d’ailleurs montré que la capacité à percevoir ces normes implicites était un social skill (« savoir-faire social ») essentiel pour l’intégration dans un groupe, et qu’un déficit en la matière pourrait faciliter le fait de devenir victime de harcèlement (Zapf, 1999). Dans le même ordre d’idées, Zapf et Einarsen (2003) citent quelques travaux sur les caractéristiques particulières des victimes qui leur permettent de formuler une hypothèse sur l’impact des normes de groupes sur le phénomène de harcèlement. Ainsi, dans une étude menée par Zapf (1999), on observe que 69 % (pour 40% dans le groupe contrôle) des victimes se sentaient plus consciencieuses que leurs collègues, et par là s’écartaient de la norme, alors que 62 % (41 % dans le groupe contrôle) étaient plus orientées vers les résultats que leurs collègues. Coyne et al. (2000) ont trouvé que les victimes de harcèlement étaient davantage respectueuses des règles, honnêtes, ponctuelles et précises.

L’explication proposée par Zapf et Einarsen (2003) est que de tels profils créent des « clash » avec les normes groupales. Ces personnes, qui « savent mieux que les autres », ont tendance à être pointilleuses, à insister sur leur point de vue propre, à être très critiques. En cela, elles menacent l’estime que leurs collaborateurs ont d’eux-mêmes. A vouloir être trop conformes à l’attente managériale, elles finissent par se mettre en difficulté par rapport à leurs pairs, et le management finira par prendre une décision en faveur du groupe plutôt qu’en la leur.

5.4.4. Les représentations groupales et la construction de « mythes » groupaux

La création de « mythes » autour d’une personne victimisée a été mise en lumière dès les premières études sur le sujet (Leymann, 1996a). Par création de mythes, on signifie que les individus qui composent le groupe vont construire des représentations par rapport à la victime qui vont devenir les seuls cadres de référence pour interpréter ses comportements. L’utilisation du terme « mythe » semble donc ici se référer plutôt à des représentations partagées ou des modes de compréhension et de décodage du réel qu’à un univers réellement mythique. Nous supposons que l’usage de ce terme fort a été choisi par Leymann dans le but de montrer à quel point ces représentations étaient puissantes et résistantes à la remise en question.

Dans ces « mythes », le plus souvent, la personne est considérée comme défensive, agressive ou mentalement dérangée. Au fur et à mesure que progresse le harcèlement, la prédiction se vérifie et s’auto-alimente : la victime devient effectivement défensive, puis agressive, commence à connaître des problèmes physiques et psychiques etc.

Lorsque les mythes sont partagés par l’ensemble du groupe, un cadre de référence est alors construit : c’est le cadre, par exemple, de la maladie mentale. A ce moment, toutes les actions de la victime, sensées ou non, sont interprétées à la lumière de ce cadre. Toute tentative de résolution du problème, toute communication de sa part est interprétée comme l’action d’une personne psychiquement dérangée.

Ce phénomène a d’autant plus de chances de se produire qu’agresseurs et agressés ne disposent pas de la même information : la victime subissant les agressions de plusieurs personnes, elle doit répondre à un nombre d’agressions supérieur à celui que peut percevoir chaque agresseur individuellement (Leymann, 1996a). Les agresseurs ne se rendent pas compte de la violence de l’agression du point de vue quantitatif, ce qui les conduit à trouver les attitudes de la victime excessives et confirme le « mythe ». D’ailleurs, la plupart du temps, ils « tombent des nues » lorsqu’on les informe de l’état pitoyable de la personne qu’ils ont, intentionnellement ou non, harcelée.

5.4.5. Le fonctionnement de l’équipe de travail

Enfin, certains auteurs ont insisté sur le lien entre le fonctionnement des équipes et la présence ou non de phénomènes de victimisation dans l’organisation. Pour Weathley (1999), l’organisation sera plus résistante au bullying si les équipes de travail qui la composent se caractérisent par une capacité à reconnaître les apports de leurs membres et à respecter leurs idées et leurs expériences. Dans le même ordre d’idées, Leymann (1996a) considère que les groupes qui ont la capacité de chercher des solutions concertées aux problèmes et qui développent une certaine homogénéité sociale ont plus de chances d’éviter que des conflits ne dégénèrent en harcèlement. Il insiste à ce sujet sur le rôle capital des managers à aider les équipes à se développer dans ce sens.


5.5. Les explications interpersonnelles


Les explications interpersonnelles sont fondées sur l’étude des modes relationnels entre harceleur et harcelé. L’hypothèse la plus connue est celle proposée par Hirigoyen (1998 et 2001a) : l’existence d’un mécanisme de séduction perverse de la part du harceleur sur le harcelé. L’auteur décrit que la séduction perverse se passe en deux temps. Au cours de la première phase, l’agresseur exerce sa séduction sur la victime et son entourage. Cette phase, dénommée « phase du décervelage », consiste en une mise sous emprise de l’autre. On trouve cette explication également chez Denis (2002) au sujet de la relation d’emprise, un mode d’interaction qui comprend un mécanisme de dépossession de l’autre.

La violence, les comportements harcelants et les agissements hostiles répétitifs interviennent alors dans une seconde phase (Hirigoyen, 1998). Il s’agit d’une relation de manipulation, fondée sur des distorsions de la communication : mentir, manier le sarcasme, disqualifier, mépriser, tourner en dérision, par exemple, ou encore même dénier son existence (Hirigoyen, 2001a).

Cette explication par le « scénario pervers » est bien interpersonnelle, et non uniquement personnelle. Hirigoyen en décrit d’ailleurs le caractère circulaire : les comportements de l’agresseur provoquent l’anxiété de la victime, qui y réagit de manière défensive, déclenchant de nouvelles agressions.

Cette vision constitue une alternative à la théorie de la dégénérescence du conflit, défendue par le courant fonctionnaliste, qui consiste à voir le harcèlement comme un conflit interpersonnel qui, à force de s’aggraver sans être géré adéquatement, est devenu une situation dans laquelle une des deux parties va être harcelée.

Adoptant une perspective différente, Aquino et Lamertz (2004) défendent l’idée qu’il faut dépasser une conception rigide des rôles d’agresseur et de victime, et travailler davantage sur des patterns relationnels dans lesquels, d’ailleurs, il peut y avoir des inversions de rôles. Pour eux, une clé du processus de victimisation se situe dans les interactions sociales de rôles plutôt que dans les personnalités. Ils définissent alors deux rôles de victimes (provocatrice ou soumise) et deux rôles d’agresseurs (dominant ou réactif), et aboutissent à quatre formes de victimisation. Pour eux, la victime provocatrice pose des comportements agressifs qui poussent d’autres à se montrer également agressifs contre elle. La victime soumise au contraire monte une vulnérabilité qui favorise la prise de rôle complémentaire chez son protagoniste. L’agresseur dominant est caractérisé par des comportements autoritaires, coercitifs, sévères, punitifs. L’agresseur réactif, lui, pose des actions coercitives ou agressives en réaction aux comportements de l’autre (comme des violations de normes ou des menaces identitaires à son égard), mais s’il n’est pas exposé à de telles actions, il ne posera pas de comportements agressifs. A partir de là, les quatre modes relationnels sont caractérisés par leur caractère épisodique ou non (c’est-à-dire lié à des circonstances particulières et intervenant de manière irrégulière) et leur degré d’institutionnalisation (la relation d’agression s’intègre dans l’ensemble de la relation) de l’agression. Les auteurs dressent alors le tableau suivant.

Agresseur dominantAgresseur réactifVictime soumisePeu épisodique
Hautement institutionnaliséPeu épisodique
Peu institutionnaliséVictime provocatriceHautement épisodique
Peu institutionnaliséPeu épisodique
Hautement institutionnaliséTableau  SEQ Tableau \* ARABIC 5 : Patterns relationnels selon Aquino et Lamertz (2004)

Concernant les approches interpersonnelles, on peut donc dire que deux modes d’explication dominent actuellement le débat : la dégénérescence du conflit et la séduction perverse, auxquels il faut ajouter cette tentative plus marginale de définir des modes d’interactions à partir des rôles adoptés par les protagonistes.


5.6. Les explications personnelles


Les explications personnelles peuvent se classer en deux grandes catégories : les explications centrées sur la personnalité et le mode comportemental d’une part, et les explications centrées sur le profil social de la victime.

5.6.1. La personnalité et les comportements

Suite à leur revue de la littérature sur le workplace bullying, Hoel, Rayner et Cooper (1999) concluent que la recherche sur la relation entre bullying et personnalité n’est pas concluante. Ce point de vue est très largement partagé par la communauté scientifique.

Pour autant, cela ne signifie pas que les recherches sur les éléments personnels n’aient produit aucun résultat intéressant, ce qui pousse Zapf (1999) à affirmer qu’il y a des facteurs organisationnels et sociaux aussi bien que des facteurs personnels du côté de l’agresseur et de la victime qui peuvent provoquer le harcèlement.

Cependant, un problème méthodologique majeur se pose. Lorsqu’on examine les caractéristiques comportementales et personnelles des victimes, la question est de savoir s’il s’agit d’une cause ou d’une conséquence du processus de harcèlement. A titre d’exemple, Schuster (1996) s’interroge sur le lien entre dépression et harcèlement, et rappelle qu’il n’existe aucune étude qui permette de savoir si un nombre élevé de personnes souffrant de dépression parmi les victimes est une conséquence ou une cause du harcèlement. En effet, comme le montre Leymann (1996a), être soumis à une situation qui génère du stress posttraumatique peut provoquer des modifications importantes sur la personnalité de l’individu. Vartia (1996) propose de boucler la boucle : pour cet auteur, la personnalité des victimes peut être à la fois une cause et une conséquence du harcèlement.

Moyennant cette mise en garde, il est intéressant d’explorer les profils de victimes mis en exergue par certains auteurs. Randall (2001) est un de ceux qui est allé le plus loin dans l’étude du lien entre caractéristiques personnelles et exposition au harcèlement. Il essaie notamment de voir si le mode parental auquel une personne a été exposée pourrait être lié à une probabilité plus ou moins grande d’être harcelée. Selon son expérience, deux groupes se dégagent. Le premier groupe de victimes est constitué par des personnes qui ont été surprotégées dans leur enfance, ce qui les a amenées à une forme d’innocence sociale et de naïveté associée à des comportements de dépendance qui en font des cibles potentielles. Le second groupe est composé de personnes qui ont été rejetées de manière précoce, avec des parents froids, distants ou même hostiles. De ce fait, elles ont appris à être soumises afin d’éviter la confrontation et le rejet parental, comportement qui va là aussi en faire des personnes susceptibles d’être harcelées.

Zapf (1999) fait l’hypothèse que les victimes pourraient présenter des symptômes d’anxiété ou de dépression qui préexistent à la situation de harcèlement ainsi que des déficiences d’habiletés sociales. Elles auraient notamment tendance à éviter systématiquement le conflit. Mais cela ne constitue le profil que d’une partie des victimes rencontrées par cet auteur. Le second profil reprend des personnes très investies dans leur travail, volontaires, compétentes, reconnues et occupant des postes à responsabilités, ayant une carrière florissante derrière elles et sur qui beaucoup d’espoirs avaient été fondés avant qu’elles ne tombent en disgrâce.

Hirigoyen (2001a) identifie cinq traits individuels qui amèneraient à une moins bonne défense de la victime : le manque d’estime de soi, le besoin exacerbé de reconnaissance, la méticulosité, l’investissement excessif dans le travail et la sensitativité (hyperémotivité anxieuse). Elle identifie aussi comme sujets à risque les personnes trop compétentes ou prenant trop de place, les personnes qui résistent au formatage ou qui font de mauvaises alliances, les personnes moins performantes ou temporairement fragilisées par des difficultés personnelles.

Dans une étude de Coyne, Seigne et Randall (2000), on voit que les victimes de harcèlement sont, par comparaison au groupe-contrôle, plus soumises, consciencieuses, traditionnelles, dépendantes, calmes, réservées, anxieuses, sensibles, évitent volontiers les conflits et ont des difficultés à développer des stratégies adaptatives efficaces. De leur étude sur la personnalité des victimes, Matthiesen et Einarsen (2001) arrivent à la conclusion qu’il s’agirait le plus souvent de personnes hypersensibles, soupçonneuses et dépressives qui auraient tendance à exprimer leurs souffrances et leurs détresses par des symptômes psychosomatiques. Vartia (1996) parle, pour sa part, de faible estime de soi, d’un niveau d’anxiété élevé, d’un caractère introverti et soumis. Pour Balicco (2001), enfin, le groupe des victimes est composé de personnes trop directes ou trop franches qui « se font remettre à leur place », de personnes désinvesties ou, au contraire, surinvesties de leur fonction.

On le voit, le tableau des victimes de harcèlement moral au travail est assez contrasté et il est difficile au stade actuel des recherches d’identifier un profil type. Néanmoins, on peut faire ressortir, de manière un peu caricaturale, deux « profils à risque » : d’une part un profil « mou » (personnes anxieuses, évitant le conflit, sensibles, …) et d’autre part un profil « dur » (personnes franches, déterminées, adoptant des positions hautes).



5.6.2. Les stratégies des victimes

Afin d’étudier les stratégies des victimes pour tenter de faire face à la situation de harcèlement, plusieurs auteurs se sont référés au concept de coping en situation de stress.

La légitimité de ce raisonnement s’appuie sur le fait que le harcèlement moral est régulièrement présenté comme une forme sévère de stress social au travail (par exemple Hoel, Rayner & Cooper, 1999). Dans cette optique, on considère qu’être confronté au harcèlement nécessite, tout comme le fait d’être confronté au stress, la mise en place de stratégies destinées à supporter ou transformer la situation qui est à l’origine du malaise vécu par la personne.

En matière d’étude des copings, il est classique de différencier les problem focused copings (centrés sur la modification des stimuli stressants) des emotion focused copings (centrés sur le contrôle de l’impact émotionnel de la situation stressante) (Dewe, 2000).

Swhartz et Stone (1993), pour leur part, définissent huit catégories de coping : la distraction (focaliser son attention ailleurs que sur le problème), redéfinir la situation (voir le problème autrement), l’action directe (penser à des solutions possibles, faire quelque chose pour essayer de résoudre le problème), la catharsis (expression émotionnelle pour réduire la tension), l’acceptation de la situation, la recherche de support social, la relaxation, le recours à la religion (chercher ou trouver un réconfort spirituel).

Leymann (1996a) définit quatre manières différentes de faire face à une situation de harcèlement moral, en se référant au modèle de Farell (1983) : exit (stratégies de fuite, par exemple abandonner le travail, quitter l’entreprise ou penser à la faire, demander sa mutation), loyalty (stratégies fondées sur la démonstration de la loyauté, par exemple défendre l’organisation face aux critiques extérieures, attendre en espérant que cela s’arrange, ne rien dire), voice (recherche active d’amélioration des conditions de travail par la communication, par exemple discuter avec un collègue ou un supérieur, dénoncer les faits, suggérer des améliorations, demander de l’aide), et neglect (stratégies de rupture par rapport au travail, par exemple s’absenter, laisser la situation empirer, développer des attitudes négatives vis-à-vis du travail, développer des comportements d’obstruction, multiplier les retards ou les erreurs).

Plusieurs auteurs ont observé que les stratégies de coping face au harcèlement étaient souvent inefficaces. Reprenant le modèle de Farrell, Zapf et Gross (2001) observent ainsi que, le plus souvent, la victime commence d’abord par des stratégies de coping constructives de type « résolution de problème », tente ensuite de manière infructueuse diverses autres stratégies, pour finalement partir de l’organisation. Le schéma le plus fréquent selon eux est VLVNE : voice, loyalty, voice, neglect, exit. Hogh et Dofradottir (2001) constatent pour leur part que les personnes confrontées à des actes négatifs recourent plus régulièrement que les autres aux stratégies d’évitement et de résignation, et que, au contraire, elles recourent moins souvent à des stratégies de résolution de problèmes. Enfin, lorsque Hirigoyen (1998) propose des pistes d’actions à tenter sur le lieu de travail, elle signale que leur réussite est très aléatoire. Les situations de harcèlement semblent donc bien caractérisée par la difficulté de mise en œuvre d’un coping efficace.

Le courant psychanalytique pourrait également apporter un éclairage sur cette question, en transférant notamment la description des stratégies et mécanismes de défense employés par les personnes en situation de souffrance au travail. Dejours (2001) explique ainsi comment la souffrance ne fait pas « craquer » les salariés, qui tentent de s'en accommoder en développant des mécanismes de défense et en s'y résignant, voire en s'associant eux-mêmes à ce processus : le cadre ou l'employé sous pression transfère cette pression à ses collègues ou ses subordonnés, et, de souffrant, se met à son tour à « faire souffrir ». Ce raisonnement pourrait, mutatis mutandis, s’appliquer aux situations de harcèlement.

Dans une perspective proche, Léonetti (1994) a mis en lumière les stratégies de défense des personnes en décrochage professionnel : l’évitement des situations qui seraient sources de souffrance, la dénégation, la projection d’une mauvaise image  sur les autres exclus, et, lorsque son intériorisation devient plus forte, la résignation, l’instrumentalisation de son statut (« jouer » à fond son rôle d’exclu et en obtenir les contreparties) ou encore la surenchère (multiplier les échecs pour se redonner un sentiment de contrôle du type « je me suis exclu moi-même »).

Cette approche des liens entre inconscient et organisation se trouve déjà dans L’emprise de l’organisation (Pagès & al., 1979). Les auteurs y montrent comment les individus passent d’un schéma dans lequel ils se sentent faibles et vivent des angoisses de destruction à un mécanisme de projection et d’identification à l’agresseur. Ainsi, expliquent les auteurs, l’individu se défend contre son angoisse et son agressivité en projetant son désir de toute-puissance sur l’organisation à laquelle il s’identifie. Il se construit alors une image du moi grandiose. De ce fait, son angoisse est refoulée et l’agressivité est redirigée vers l’extérieur et vers lui-même, singulièrement vers son moi faible. Dans un troisième temps, c’est un mécanisme d’introjection qui se met en place : l’individu se crée une organisation imaginaire, et c’est avec elle qu’il a des échanges. Elle devient une partie de lui-même.

Si ces explications n’ont pas été développées jusqu’à présent au sujet du harcèlement moral au travail, l’étude des mécanismes de défense pourrait constituer néanmoins un cadre conceptuel pertinent pour penser les réactions des victimes.

5.6.3. Le profil social

Les deux éléments relatifs au profil social des victimes qui sont le plus abondamment étudiés sont le genre et l’âge.

Contrairement à ce que l’on observe dans le cas du harcèlement sexuel, où les victimes sont majoritairement des femmes (Garcia, Hue, Opdebeek & Van Looy, 2002), le lien entre genre et harcèlement moral est loin d’être évident, et la question est plus controversée.

Plusieurs études obtiennent des écarts non-significatifs entre hommes et femmes et concluent à une absence de lien entre harcèlement et genre de la victime : Leymann (1996b), Leymann, Einarsen et Skogstad (1996), Vartia (1996) ou encore Rayner et al. (2002).

Par contre, Hirigoyen (2001a) obtient une différence marquée avec 70% de femmes et 30% d’hommes. Elle explique la différence entre les résultats français et scandinaves par une différence culturelle liée à une préoccupation pour l’égalité des chances entre les deux sexes en Europe du Nord, alors qu’il règne encore une atmosphère machiste dans les pays latins (Hirigoyen, 2001a). Brun et Kedl (2006) obtiennent 63% de femmes dans une étude menée sur 236 plaintes déposées à la Commission Nationale du Travail du Québec. D’autres auteurs ont trouvé dans leurs échantillons une sur-représentation, parfois très importante, des femmes : Viaud et Bernaud (2000) en France (72, 4 % de femmes) ; Namie & Namie (2000) aux Etats-Unis (75% de femmes) ; Quine (1999) (63 % de femmes) et Ellis (1999) (61 % de femmes) en Angleterre ; Bjorkvist, Osterman & Hjelt-Back (1994) en Finlande ; Zapf, Knorz & Kulla (1996) en Allemagne. Signalons aussi que certaines études, plus rares, obtiennent plus d’hommes que de femmes dans les victimes, comme par exemple chez Seiler-Van Daal (2000) en France (56 % d’hommes) ou dans l’enquête sur les persécutions au travail menée en Belgique et plus particulièrement dans le monde des entreprises flamandes et bruxelloises (55,7% d’hommes). Enfin, dans l’étude de Hoel, Cooper et Faragher (2001), on observe que plus d’hommes sont victimes de harcèlement parmi les employés et les ouvriers, alors que plus de femmes le sont parmi les cadres.

Pour ce qui est du genre des persécuteurs, ceux-ci seraient essentiellement des hommes et il semblerait que les hommes agressent surtout les hommes et les femmes surtout les femmes.

Leymann (1996a) propose ainsi le tableau suivant.

Les hommes sont agressés Les femmes sont agressées -par les hommes dans 76% des cas.
-par les femmes dans 3% des cas.
-par les deux dans 21% des cas.-par les femmes dans 40% des cas.
-par les hommes dans 30% des cas.
-par les deux dans 30% des cas.
L’âge des victimes varie aussi fortement selon les études. Pour certains auteurs, l’âge ne constitue pas un élément significatif quant à la probabilité d’être victime de harcèlement (par exemple Rayner & al., 2002 ; Vartia, 1996).

De nouveau, c’est en termes de surreprésentation de certaines catégories que peut se positionner le débat, et à ce niveau, la diversité des résultats est grande. Leymann (1996a) cite une étude qu’il a menée en Suède au début des années 90 et qui montre une surreprésentation des 21-30 ans. A l’inverse, Einarsen et Skogstad (1996) obtiennent une prévalence plus forte chez les travailleurs âgés. Hirigoyen (2001a) trouve un pic chez les 36-45 ans et les 46-55ans. Garcia et al. (2002) résument ces différences dans les résultats par l’observation suivante : le risque de victimisation semble polarisé au niveau des deux extrémités des catégories d’âge.

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer les liens entre l’âge et le risque de harcèlement.

Du côté des travailleurs les plus jeunes, le risque pourrait s’expliquer par la vulnérabilité des juniors, leur statut hiérarchique inférieur, la précarité de leur emploi ou leur manque d’expérience en milieu professionnel (Garcia, Hue, Opdebeek & Van Looy, 2002), ou le fait qu’ils aient moins de pouvoir et d’autorité, ce qui en fait des cibles d’agression et d’abus de pouvoir plus aisées (Einarsen & Raknes, 1997).

D’un autre côté, les travailleurs âgés sont les plus coûteux à licencier. Le harcèlement intentionnel pourrait donc les toucher davantage (Garcia, Hue, Opdebeek & Van Looy, 2002). De nombreux cas de ce type, touchant notamment des cadres de plus de cinquante ans, ont été décrits par Durieux et Jourdain (1999). Enfin, Hirigoyen (2001a) estime que les travailleurs âgés pourraient être davantage harcelés parce qu’ils sont jugés pas assez adaptables ou performants. Sennett (2006) vient en appui de ces différentes hypothèses lorsqu’il explique que l’organisation tranchante a tendance à traiter les employés plus âgés comme des individus figés, lents et perdant leur énergie (p. 81). Il ajoute que le calcul peut être le suivant : il coûtera moins cher de recruter un jeune talent de 25 ans plutôt de recycler un homme de 50 ans, qui, en plus, risque de s’accrocher à son métier, c’est-à-dire à ses compétences et son savoir-faire passés.

Des éléments plus subjectifs pourraient également intervenir, rendant les travailleurs âgés plus susceptibles de se sentir harcelés. Considérant qu’ils méritent d’être traités avec respect, ils seraient plus sensibles au harcèlement (Rayner et al., 2002), alors que les jeunes interpréteraient de tels comportements comme un jeu, un rituel attendu et toléré (Einarsen, 2000).

On le voit, les hypothèses permettent de justifier aussi bien la plus forte présence des « jeunes » que des « vieux » dans les échantillons. Le débat sur le genre et sur l’âge est donc loin d’être clôturé, et l’observation de la sur-représentation de certaines catégories de population ne donne que des réponses partielles.

5.6.4. Le profil du harceleur


Dans la littérature, la question du profil des harceleurs est assez problématique. D’un côté, de nombreux auteurs se questionnent à ce sujet, de l’autre, il existe très peu d’études empiriques sur les harceleurs. Cela tient évidemment à des questions méthodologiques  (comment recruter une population de harceleurs présumés ?) autant qu’éthiques (est-il acceptable de faire une étude sur les harceleurs ? est-il possible d’obtenir une participation libre et éclairée de telles personnes à une recherche ?).

Ainsi, les commentaires sur les harceleurs relèvent le plus souvent d’inférences faites à partir du discours des victimes. Rifkind et Loretta (1994) se sont penchés sur ce qu’ils appellent les « personnes difficiles » dans les cas de harcèlement sexuel. Selon eux, ces personnes se caractérisent par une estime de soi basse, un manque d’aptitudes communicationnelles comme l’empathie, une tendance à gérer les relations humaines par la peur et à maintenir des hauts niveaux de conflits, une tendance à aborder les relations humaines sous l’angle du conflit relationnel plutôt que du conflit de contenu.

Chez Adams (1992) et Weathley (1999), on trouve des facteurs personnels qui sont supposés augmenter la probabilité de devenir un harceleur au travail :
la confusion entre colère appropriée (permettant d’atteindre un objectif) et inappropriée (provoquant des dommages) ;
le sadisme ;
la recherche d’amour : l’agresseur se sent indigne d’être aimé : sa seule manière d’obtenir la reconnaissance d’autrui est l’agression, ce qui est préférable pour lui à une absence totale de reconnaissance. Ne se sentant pas non plus digne d’être respecté, il visera à obtenir ce qu’il veut par la coercition ;
l’envie : la présence de qualités chez l’autre provoque l’envie, et par conséquent la volonté de détruire afin de faire perdre à l’autre ses qualités et de se débarasser du sentiment d’envie. Des peurs plus objectives peuvent aussi entrer en ligne de compte : peur d’être supplanté par une personne plus performante, peur de perdre son emploi etc.;
la vision égocentrique du monde : les autres sont perçus comme de simples moyens pour atteindre des désirs et des objectifs personnels. Il en résulte une absence de capacité de décentration et donc d’empathie, et une intolérance forte à toute forme de critique ;
l’insécurité : les personnes qui agressent sont celles qui se sentent menacées d’une manière ou d’une autre par leur victime ;
le syndrome « Dr Jekyll & Mister Hide » : l’agresseur semble présenter deux facettes opposées, ce qui rendra d’autant plus difficile la tâche de la victime lorsqu’elle tentera de faire valoir ses droits ;
l’« oversupervision » : besoin de contrôle surdéveloppé de la part de l’agresseur ;
l’incapacité à reconnaître qu’on est dans l’erreur ;
la malhonnêteté.


6. Le succès de la notion de harcèlement en question



Ayant passé en revue les travaux sur le harcèlement, il nous paraît fondamental d’ouvrir maintenant notre propos sur les études faites au sujet de l’émergence de ce concept.

En effet, plusieurs auteurs de différentes disciplines (sociologie, économie, philosophie, anthropologie, psychologie, …) se sont penchés sur les ressorts du succès fulgurant de la notion de harcèlement dans les sociétés occidentales depuis une quinzaine d’années.

On rencontre habituellement deux hypothèses sur « l’apparition » du phénomène de harcèlement moral. Selon la première, on suppose que le harcèlement moral n’est pas un phénomène nouveau, mais une nouvelle manière de concevoir une réalité déjà présente. Pour la seconde hypothèse, le harcèlement moral révèle de nouveaux phénomènes liés à l’évolution du travail depuis la fin des années 80. On a coutume d’opposer ces deux hypothèses, considérant qu’il s’agit soit de la mise en lumière d’un phénomène préexistant, soit d’un phénomène nouveau que des scientifiques ont « découvert ».

Or, il nous semble que, plutôt que de relever d’une antinomie, ces deux hypothèses constituent plutôt les deux faces de ce que l’on pourrait appeler la « construction sociale du harcèlement ».


6.1. La construction sociale du harcèlement


Bonetti (1993) définit le processus de construction des problèmes sociaux comme un formidable travail de la société qui consiste tout d’abord à prélever et extraire des éléments du fonctionnement social dignes d’être érigés au rang de problèmes et à malaxer ces éléments pour leur donner une forme et un sens spécifique à travers des énoncés codifiés (p. 163-164). Or, chaque société va être attentive à des éléments différents. Ceci implique donc que la définition des problèmes sociaux dérive ou est produite par des circonstances socioculturelles spécifiques, de groupe, de catégorie, de société, de contexte historique, d’individu ou de classe (Goode & Ben-Yehuda, 1994, p. 153).

La science n’échappe pas à ce processus. Ainsi, comme le fait remarquer Billiard (2001, p. 8) dans son ouvrage « Santé mentale et travail » : les problèmes sociaux ne deviennent des questions pertinentes que lorsque leur visibilité sociale coïncide avec les avancées scientifiques, celles-ci contribuant en retour à la mise en forme de ces problèmes. Autrement dit, les « problèmes sociaux » sont le résultat d’une émergence de sens étroitement conditionnée au contexte social. Evidemment, ceci ne signifie pas pour autant que cette émergence de sens ne s’appuie sur aucun élément concret d’observation.

Ce processus est en effet double et circulaire dans le sens où l’émergence d’une problématique sociale provient à la fois de l’apparition de réalités observables, et à la fois d’un travail de construction intellectuelle qui tend à leur donner un sens qui va lui-même contribuer à transformer le réel. Comme le dit poétiquement l’écrivain Hervé le Tellier, la langue n’est jamais là pour désigner des petits morceaux de monde, elle est là pour le transformer, pour créer du sens.

Le processus de construction sociale appliqué au sujet qui nous occupe est commenté par Le Goff (2003), qui estime que la notion de harcèlement moral est à la fois le symptôme et le vecteur de la pénétration de nouveaux modes de pensée et d'action dans les milieux professionnels et plus largement.

C’est à la fois cette nouvelle manière de voir les choses et ces nouvelles réalités que nous allons investiguer ici, en considérant le harcèlement moral comme le révélateur à la fois du fonctionnement de notre société et de son cadre de pensée.



7. Le harcèlement comme révélateur d’une nouvelle manière de penser le social. Le parallèle avec la notion d’exclusion sociale



Pour Le Goff (2003), l’apparition du terme « harcèlement moral » révèle un véritable changement de paradigme qu’il faut essayer de cerner si l’on veut comprendre ce qui se trouve en jeu dans le succès de cette notion.

Une première démarche va guider notre réflexion : elle consiste à examiner si d’autres concepts ont connu un succès comparable à celui du harcèlement au cours de la même période.

En effet, ayant constaté la manière dont le harcèlement était passé de l’ombre à la lumière en peu de temps et dont le public et le législateur s’étaient saisis d’une idée proposée par quelques scientifiques, nous avons cherché d’autres exemples d’une telle émergence dans le champ des sciences humaines. Cette démarche nous a amené à poser l’hypothèse d’un parallèle entre les « carrières » respectives des notions de harcèlement moral et d’exclusion sociale.

Ainsi, si l’expression « exclusion sociale » apparaît en tant que telle pour la première fois en 1974 (pour le harcèlement, la première référence connue date de 1976), ce n’est qu’au seuil des années 90 que l’exclusion sociale devient la référence centrale du débat social (Weinberg, 1996, p. 9). Deux ouvrages précurseurs, celui de Lenoir (1974), Les exclus, et celui de Brodski (1976), The Harassed Worker, vont connaître des destins semblables. Les thèmes qu’ils portent resteront marginaux durant une bonne dizaine d’années, comme l’absence de publication sur le harcèlement et la réflexion de Didier (1995) au sujet de l’exclusion sociale le confirment. Puis, tout comme la question du harcèlement moral, celle de l’exclusion va connaître un succès médiatique rapide et devenir une référence presque incontournable (Weinberg, 1996, p. 9). Elle suscite un grand nombre d’interrogations chez les chercheurs quant à la définition exacte à lui donner, tant les formes et les processus apparaissent multiples et complexes (Paugam, 1996). Le même propos est tenu au sujet du harcèlement moral au travail par Lapeyrière (2004).

Faut-il voir dans cette similitude d’évolution une simple coïncidence ? Probablement pas. On peut au contraire opérer un parallèle sur le fond entre l’exclusion sociale et le harcèlement moral au travail.

On notera en effet que ces deux phénomènes traitent d’une problématique commune : le rejet d’un individu (l’exclu, le harcelé) d’un ensemble organisé (la société, le travail) via un processus d’éviction systématique, que l’on appelle dans un cas exclusion sociale, et dans l’autre harcèlement moral.

En prolongeant ce raisonnement, nous allons montrer dans les lignes qui suivent que les notions de harcèlement moral et d’exclusion sociale, qui émergent à des époques très proches, constituent les fruits différents d’une même évolution dans la manière de penser les rapports sociaux, et spécifiquement les relations de travail à la fin du XXe siècle.

En effet, il semble que, depuis les années 90, on aille résolument vers une forme de personnalisation des problèmes sociaux. Comme le fait remarquer Haroche (2005), là où, récemment encore, on parlait explicitement et essentiellement de lutte des classes ou de lutte des places, on invoque désormais plus volontiers la « souffrance au travail » ou le « harcèlement moral » (p. 40). De même, selon Weinberg (1996), là où on parlait surtout dans les années 70 de l’inégalité sociale, on parle aujourd’hui de l’exclusion sociale. C’est cette nouvelle manière de concevoir les choses que nous allons explorer dans les lignes qui suivent.


7.1. De la classe opprimée à l’individu fragilisé : vers une vision psychologisante du monde ?


Ce changement de point de vue qui remplace le thème collectif de l’inégalité ou de la lutte sociale par une attention plus grande portée au parcours d’individus fragilisés est lié, selon Boltanski et Chiapello (1999), à la disparition progressive, à partir des années 80, du modèle des classes sociales.

D’après ces auteurs, la notion marxiste d’exploitation, qui a constitué la pierre angulaire de la critique sociale pendant un siècle, s’estompe peu à peu au cours des années 80-90 en même temps que le cadre général de la classe sociale dans laquelle elle prenait place est abandonné. La manière de penser la société comme un ensemble de groupe sociaux distincts et articulés, que l’on trouve à des époques différentes, migre vers une vision de la société comme un ensemble globalisé d’individus auquel on appartient ou pas.

De nouvelles catégories prennent alors place pour exprimer les « ratés » d’intégration de cet ensemble. C’est le cas de l’exclusion sous ses diverses formes : désaffiliation, désinsertion, disqualification sociale, harcèlement moral au travail.

En suivant Boltanski (1993), on voit que le modèle de l’exclusion relève ainsi d’une topique du sentiment, par opposition à une topique de la dénonciation, cette dernière étant caractéristique du modèle des classes sociales. Ce changement crucial, le passage à la topique du sentiment, permet de désigner les victimes d’un système sans pour autant se référer à l’idée de classe opprimante, alors que dans le modèle des classes sociales, l’explication de la misère du prolétariat reposait sur l’exploitation qu’il subissait de la part d’une classe « dominante » (la bourgeoisie, les détenteurs des moyens de production).

On peut en déduire que le harcèlement moral n’aurait pas pu connaître un tel succès dans un cadre de pensée articulé autour de la lutte des classes. Certes, la notion comporte sa part de dénonciation. Après tout, s’il y a des harcelés, il doit y avoir des harceleurs. Mais, dans la conception originelle du phénomène, ni les uns, ni les autres, n’appartiennent à une classe particulière. Ceci est particulièrement flagrant dans l’ouvrage d’Hirigoyen (1998), qui s’intéresse essentiellement à la relation entre harceleur et harcelé en tant que personnes, non en tant que représentants d’une classe ou d’un groupe social. Plus généralement, Liefooghe et MacKenzie (2001) observent que l’essentiel de la littérature sur le harcèlement aborde la question avant tout comme « quelque chose » qui intervient entre deux individus ou entre un individu et un groupe. C’est donc bien au départ d’une thématique interpersonnelle que se développe cette notion, et la problématique est individuelle davantage que sociale : le harcelé est une personne en souffrance, non le représentant d’un groupe dominé dans le cadre d’un rapport de classes. Dans notre pays, le législateur s’inscrit aussi dans cette évolution de la vision des rapports sociaux au travail, qui se manifeste par une attention grandissante portée aux individus, en adoptant des lois comme la Loi du 11 juin 2002 sur le harcèlement moral et sexuel et la violence au travail ou la Loi sur le bien-être au travail de 1996, autant de lois qui visent la protection de l’individu.

Ceci amène plusieurs auteurs à se positionner de manière critique à l’égard de ce qu’ils considèrent comme une individualisation de problèmes avant tout sociaux. Askenazy (2004) stigmatise cette manière de voir les choses sous le nom de vision psy (p. 39) ou analyse psy (p. 37). Il cite d’ailleurs le harcèlement moral comme l’exemple le plus emblématique de la récupération du discours dominant (p. 39), puisque, selon lui, il permet à l’entreprise de renvoyer des problèmes liés le plus souvent à l’organisation du travail à des relations entre individus. Autrement dit, cette vision psy permet de faire taire la dénonciation et de dissimuler les rapports de classes, en déconnectant les problèmes du lien hiérarchique. Pour Lhuilier (2005), c’est bien cette « vision psychologisante du monde » qui constitue le terreau de l’engouement pour la figure du harcèlement (p. 130).


7.2. De nouvelles figures emblématiques


La personne qui souffre au travail n’est apparue comme un objet digne d’intérêt, semble-t-il, qu’au cours du XIXe siècle. Certes, la notion de souffrance au travail n’est pas neuve. Après tout, une malédiction divine n’affirme-t-elle pas : tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ? Et pourtant, la représentation personnalisée de cette souffrance liée au travail en soi (c’est-à-dire en dehors d’une représentation strictement allégorique ou symbolique) n’est arrivée que bien plus tard. En ce qui concerne le contexte européen, d’après l’historien François Guillet (1986), le premier grand changement survient après 1848. Les événements politiques semblent alors avoir sensibilisé les artistes aux transformations sociales et à leurs conséquences. Ceux-ci commencent à mettre en scène la souffrance du travailleur.

Puis, au début du XXe siècle, viennent les premiers pas de la médecine du travail, avec des services médicaux qui apparaissent dans les grandes entreprises dès 1915. La médecine du travail va ancrer scientifiquement l’existence de cette souffrance, surtout en ce qui concerne les pathologies physiques, et se développer durant l’entre-deux-guerres. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la psychopathologie du travail va s’intéresser à d’autres dégâts de l’activité professionnelle (Billiard, 1999). La souffrance au travail devient peu à peu une thématique légitime, même s’il s’agit essentiellement de la souffrance due à la pénibilité de la tâche, non aux relations de travail.

Les problématiques relationnelles commencent toutefois à intéresser la recherche sur les conséquences néfastes du travail. En 1955, Sivadon écrit que les névroses de travail ont pour origine deux types de situations : les situations d’insécurité et les situations de conflit (Billiard, 2001). Pour lui, les rapports que l’on entretient avec son chef peuvent s’avérer pathogènes.

Durant les années 70, sous l’impulsion du courant féministe, c’est aux personnes harcelées sexuellement au travail que l’on va commencer à s’intéresser (Garcia, Hue, Opdebeek & Van Looy, 2002), une première figure très concrète de la victime de certaines relations au travail.

Durant les années 80, la psychodynamique du travail va se développer, et mettre la souffrance au travail au centre de ses préoccupations (Dejours, 2000). La souffrance psychologique est désormais reconnue scientifiquement et, si l’on en croit le succès de Souffrance en France, socialement.

Enfin, ce n’est que dans les années 90 qu’endosser le rôle de victime de harcèlement devient légitime, et ce d’autant plus que la médiatisation et les dispositions légales viennent confirmer ce statut (Lhuilier, 2005).


8. Les nouvelles réalités du travail


Tout un courant d’auteurs estime que les relations de travail, et les relations sociales en général, se profilent de manière différente depuis quinze à trente ans, ce qui correspond à la période de l’essor du harcèlement comme préoccupation sociale et scientifique. Or, si l’on s’accorde pour dire que le harcèlement s’induit dans un espace social ou politique qui lui offre les moyens de s’épanouir ou au contraire empêche son déploiement (Koubi, 2004, p. 29), il est intéressant, complémentairement à l’explication de l’émergence du harcèlement comme résultant d’une nouvelle manière de penser les relations de travail, d’étudier les modifications intervenant dans cet espace social et politique.

De manière globale, de Gaulejac et Léonetti (1994) résument les caractéristiques émergentes typiques de la société managériale, qui selon eux a peu à peu pris la place de la société industrielle, à savoir :
la mondialisation de l’économie, le renforcement de la concurrence, le renforcement des entreprises multinationales et la déstructuration des sociétés traditionnelles ;
l’automatisation, l’émergence de technologies nouvelles, le développement de l’information et de la communication ;
la mise en place d’instances de régulations économiques, politiques, juridiques, nationales et supranationales ;
l’écart croissant entre le Nord et le Sud ;
la montée des nationalismes, du racisme et d’intégrismes divers (pp. 35-36).

Dans ce foisonnement de transformations sociales, économiques, politiques et idéologiques, il nous a semblé pertinent de nous pencher plus particulièrement sur les travaux examinant le monde du travail et ses évolutions récentes, et particulièrement la thématique des relations de travail.





8.1. Une nouvelle idéologie et de nouvelles pratiques managériales


Le développement d’une nouvelle idéologie managériale est un premier élément qui caractérise l’évolution du monde du travail.

Selon Boltankski et Chiappello (1999), un tournant s’est opéré durant la période qui va des années 60 aux années 90 pour aboutir à la mise en place d’une nouvelle logique managériale développée notamment en réponse aux critiques de Mai 68. Les auteurs vont montrer comment le discours managérial va reprendre des thèmes chers au mouvement contestataire (autonomie, spontanéité, liberté, mobilité, pluri-compétence, créativité, attrait pour l’informel, …), pour les recycler et les mettre au service des objectifs marchands de l’entreprise, créant ainsi une nouvelle idéologie justifiant de nouvelles pratiques de management.

8.1.1. L’émancipation du travailleur : rejet de la domination, autonomie et implication

Une première tendance fondamentale qu’ils ont identifiée est le rejet de la hiérarchie et le refus progressif des mécanismes de dominant-dominé. Comme le dit de la Véga (2005, p. 30), selon les canons du management contemporain, l’idée de domination fait figure d’anachronisme. La hiérarchie, l’autorité formelle, la planification sont délégitimées. C’est la métaphore décrite par Menger (2003) du travailleur vu comme un artiste réalisant un travail complexe dans un contexte d’effacement des logiques hiérarchiques.

Cependant, comme les directions d’entreprise n’ont pas renoncé à l’existence du contrôle dans les organisations, il se pose alors une question fondamentale : quelles sont les modalités de contrôle de ce « néo-management » ?

Pour Boltanski et Chiappello, la littérature managériale prône que les chefs hiérarchiques doivent faire place aux leaders porteurs de visions, qui vont faire en sorte d’assurer l’engagement des travailleurs sans recourir à la force. Cela suppose donc le développement d’une motivation intrinsèque et d’une implication autour du projet de l’entreprise, et non plus de motivations externes à l’individu (comme la récompense, la sanction ou l’obéissance). En effet, dans cette nouvelle vision de l’entreprise faite d’équipes autonomes auto-organisées et libérée de la contrainte hiérarchique, la seule solution est que les personnes s’auto-contrôlent. Comme le montre Ehrenberg (1998), le recul de la régulation par la discipline aboutit à faire de chaque agent individuel le responsable de son action. La fonction de contrôle autrefois dévolue aux chefs se voit donc maintenant transférée vers les salariés eux-mêmes, ainsi que vers les clients (censés être les « rois ») ou plus généralement « le marché », qui « impose sa logique ».

Dès lors, on peut s’interroger sur les ressorts de l’implication des ouvriers, devenus opérateurs, des employés et des cadres, devenus entre-temps managers, dans le projet de l’entreprise. Quels vont être les éléments qui vont les pousser à s’y investir ?

Selon Boltanski et Chiappello, on trouve d’abord l’idée de libération : puisque chacun n’est plus soumis à l’autorité d’un chef, il peut laisser libre cours à sa créativité, sa réactivité, sa flexibilité. On trouve également l’idée d’un développement personnel, stimulé et soutenu notamment par des coachs, une vraie autonomie, fondée sur une connaissance de soi-même et un épanouissement personnel. On trouve aussi le développement de la notion de projet, qui prend le pas sur l’idée de carrière. A travers les projets, les individus grandissent, s’enrichissent, développent des contacts permettant d’accéder à d’autres projets plus intéressants, enrichissants etc. Ils augmentent leur employabilité en développant leur capital personnel. Ces éléments sont particulièrement identifiés dans certaines catégories professionnelles - les niveaux hiérarchiques supérieurs du secteur marchand - mais nous verrons plus loin qu’ils essaiment vers d’autres types de populations.

Ainsi, la nouvelle vision managériale porte la valorisation de l’autonomie et de la participation (de la Véga, 2005). Dejours (1998) va dans le même sens, estimant que le patronat a valorisé des notions comme le développement personnel au travail, l’épanouissement de l’individu par son intégration dans des projets professionnels, par opposition aux syndicats qui ont tardé à considérer la place de l’individu et son bien-être comme préoccupation importante des travailleurs, restant davantage centrés sur des luttes collectives. Billiard (2001) le formule d’une manière différente lorsqu’elle estime que les années 90 sont marquées par l’essoufflement des théories structuralistes, ce qui redonne droit de cité à l’acteur, au sujet, alors même que l’individu s’émancipe, affirme ses aspirations personnelles, et revendique que son travail et son existence aient un sens (p. 8). Ceci génère cependant l’effet pervers suivant : si l’acteur est replacé au centre, il est aussi le premier qui sera blâmé en cas d’échec. Effet paradoxal de l’autonomie : comme le dit Ehrenberg (1998, p. 245) : l’autonomie devient une contrainte de masse pour se repérer et agir dans une société morcelée, elle exige de l'individualité, mais elle la fragilise.

Liés à cette notion d’autonomie, d’autres éléments marquants jouent également un rôle dans le développement des phénomènes de harcèlement : l’individualisme, l’intensification de la lutte des places et de la compétition, l’individualisation de la responsabilité qui l’accompagne, l’affaissement des structures syndicales, l’idéologie de la guerre et la banalisation du mal en sont quelques-uns. Ils contribuent tous, à notre avis, à un même phénomène : une compétition d’individus solitaires encouragée par le contexte social, économique et idéologique, et ouvrent la porte, comme nous allons le voir, à la multiplication des situations de type harcèlement.

Nous nous pencherons d’abord sur les liens entre individualisme et harcèlement en général. S’intéressant à « la généalogie du harcèlement », Birman (2005) affirme que la transformation du sens du mot harcèlement, qui existe en français depuis 1493, et qui aboutit au sens que nous lui connaissons aujourd’hui, s’inscrit dans un changement social et politique radical (p. 64) : le déplacement d’un paradigme holistique vers un paradigme individualiste. Sanchez-Mazas (2005) défend le même point de vue. Pour elle, la notion de harcèlement psychologique s’inscrit dans une dynamique d’individualisation contemporaine et renvoie à un trait marquant de notre époque : la diffraction d’un malaise généralisé sur le mode du singulier (p. 7).

Cet individualisme touche directement le monde de l’organisation. Pour Castel (2006), depuis les années 70, on assiste à un processus de décollectivisation ou de réindividualisation dans l’organisation elle-même qui fait appel à de nouveaux impératifs : responsabilité, autonomie, initiative, nécessité de conduire sa carrière (p. 42). Soares (2002), parle lui de nouvelles formes d’organisation du travail axées sur l’individualisation et l’isolement des individus aussi bien dans le temps que dans l’espace (p. 8), et estime que cela facilite l’apparition du harcèlement, spécifiquement du harcèlement horizontal.

La lutte des places est une autre manifestation de ce processus de compétition individualiste : il ne s’agit pas d’une lutte de classes, mais d’une lutte d’individus solitaires contre la société pour obtenir une place (de Gaulejac & Léonetti, 1994). Comme le dit Monroy (2000, p. 69), le problème n’est pas tant d’être efficace, qualifié, de faire de son mieux, que de gagner. En outre, il attire l’attention sur le fait que le message de la compétition à tout prix est pour le moins paradoxal dans le contexte d’une organisation : « soyez tous les meilleurs, sinon… ». En conséquence, cette compétition de tous contre tous aboutit tout naturellement à la « rupture de la solidarité entre les personnes » (Dejours, 2005).

De cette compétition entre individus intervenant dans le contexte culturel de valorisation de l’autonomie et de la responsabilité, il résulte que celui qui perd sa place ou n’obtient pas celle qu’il convoite n’a qu’à s’en prendre à lui-même (de Gaulejac, 2005b). Cette manière d’interroger systématiquement les événements en référence à sa propre condition, que Lhuilier (2005) appelle le psychologisme, pousse les individus à considérer qu’ils sont la cause de tout ce qui leur arrive. Chacun est donc renvoyé à sa propre responsabilité, à sa propre capacité à « y arriver ou pas ». Il ne peut donc aussi compter que sur lui-même.

Et ce à quoi il s’agit « d’arriver », c’est à satisfaire non plus un désir de faire carrière, mais une obligation de réussite (Aubert, 1993). Une réussite qui s’obtient grâce à l’excellence dont on pourra faire preuve (Aubert, & de Gaulejac, 1991) ; une nécessité « d’être au top » que l’on retrouve au-delà de l’univers professionnel : comme l’a montré Ehrenberg (1991), le culte de la performance est présent dans la plupart des domaines de la vie sociale : à l’école, en famille, dans le sport,… Et produit ses effets négatifs : les maladies de l’excellence (de Gaulejac & Aubert, 1991). C’est le cas dans l’organisation, mais aussi à ses portes, comme le montrent des études sur la culpabilité vécue par ceux qui ne parviennent pas à obtenir un emploi et qui intériorisent cet échec, se vivant comme seuls responsables d’avoir failli à ce « devoir de réussite » (Murard, 2005).

Cet individualisme compétitif va de pair avec la dissolution des mécanismes collectifs de défense, conséquence notamment de l’affaissement des structures syndicales, avec pour preuve tout le processus de désyndicalisation décrit par Boltanski et Chiappello (1999).

Le lien entre individualisme et dissolution des mécanismes collectifs est évidemment circulaire : une culture individualiste est moins propice à produire des stratégies et des moyens collectifs de défense, la faiblesse des moyens de défense collectifs poussent les individus à défendre leur propre intérêt de manière solitaire. Ce faisant, les affrontements collectifs tendent à perdre de leur visibilité et de leur force pour être remplacés par des affrontements d’individus. Or, le contexte actuel tend à en multiplier les formes critiques. Le harcèlement moral est probablement une de celles-là.

A ce sujet, la psychodynamique propose une lecture du contexte actuel qui peut nous éclairer en complément des approches précitées. Ainsi, Dejours (1998) explique que l’exclusion et le malheur infligés à autrui dans nos sociétés, sans mobilisation politique contre l’injustice, viendrait d’une dissociation réalisée entre malheur et injustice (p. 22), sous l’effet de la banalisation du mal qu’il définit comme une atténuation de l’indignation face à l’injustice et au mal (p. 196). Cette dédramatisation ferait partie d’un climat social et culturel néo-libéral dans lequel baignent les personnalités et les contextes de travail, et qui offre des justifications et des rationalisations à la violence exercée sur le lieu du travail. Elle permet donc de supporter la souffrance imposée à autrui, que l’on en soit l’auteur ou la victime. Cette violence devient ainsi à la fois raisonnable et justifiée, au nom, notamment, de l’idéologie de la guerre économique (Le Goff, 1995, p. 8). C’est donc la logique économique qui dirige les relations humaines, et la gestion ne serait plus qu’une application, hors du champ éthique, de la science (Dejours, 1998, p. 134). Au nom de cette logique économique, la souffrance est déniée et le « sale boulot » accepté.

Selon Dejours, tout ce processus de banalisation expliquerait la fréquence des situations de souffrance au travail ainsi que l’incroyable résistance des victimes. Ceci se rapproche de ce que de Gaulejac (2005) appelle l’idéologie gestionnaire : un système de pensée qui se présente comme rationnel, s’appuyant sur des arguments scientifiques, alors qu’il entretient une illusion et dissimule un projet de domination. C’est pourquoi, au bout du compte, Dejours estime que le harcèlement est une forme clinique de l'aliénation sociale dans le travail résultant de contraintes psychiques exercées de l'extérieur sur un sujet par l'organisation du travail, par les modes de gestion et d'évaluation ou de direction de l'entreprise (Bréard & Pastor, 2002, p. 39).


8.2. L’autonomie en question : est-elle réelle ? quel est son prix ?


Nous l’avons vu, l’autonomie constitue une valeur clé dans les pratiques managériales actuelles, en lien avec cette idée d’individualisme compétitif. Une lecture critique nous amène alors à poser une double question. La première porte sur la réalité de cette nouvelle autonomie ou émancipation. La deuxième porte sur les contreparties, ou le prix à payer, pour ce gain (réel ou non) d’autonomie.

8.2.1. Un travailleur libéré ?

Si nous revenons à la première question, celle de la réalité de la « libération » du travailleur, nous pouvons observer que la plupart des auteurs insiste sur le fait que la fonction d’autorité, voire de domination, si elle s’est effritée dans la forme qu’on lui connaissait précédemment, se voit réintroduite par d’autres chemins, plus discrets mais non moins puissants. C’est ici que l’on touche aux « nouvelles formes de domination au travail » (de la Véga, 2005).

Monroy (2004, p. 2) estime à ce sujet que, alors que la fonction d’autorité fait l’objet d’un déni, la fonction de pouvoir est plus que jamais d’actualité mais sous forme d’emprise beaucoup plus insidieuse, ne laissant plus de place ni au débat ni à la révolte. Dejours (1998) avance à ce sujet que le couple obéissance – désobéissance est remplacé par le couple réalisme – illusion. Autrement dit, s’opposer, ce n’est plus se révolter, c’est être irréaliste. Comme le dit Ehrenberg, commettre une faute à l'égard de la norme consiste désormais moins à être désobéissant qu'à être incapable d'agir (1998, p. 210). L’autorité disparaît, la domination reste…

En l’occurrence, il s’agit d’une domination douce, pour reprendre l’expression de Courpasson (2005), qui explique comment l’organisation met en place des moyens souples pour contraindre et sanctionner les décisions individuelles qui ne sont pas jugées en cohérence avec ses besoins (p. 35). Ainsi, une personne qui refuse de conduire un projet peut être exposée à une constellation de commentaires sur son manque de motivation ou d’adhésion aux objectifs de l’entreprise, isolée de ses pairs, mise sur la touche progressivement, avoir son évolution bloquée et sa carrière mise au point mort, … Au bout du compte, explique l’auteur, par d’autres moyens qu’autrefois, les individus obéissent.

Ces nouveaux dispositifs destinés à susciter la participation, savants mélanges de persuasion, d’incitation et de contrainte (De la Vega, 2005, p. 32), sont autant de figures de ce que Martuccelli (2001) appelle les dominations ordinaires. Un exemple particulièrement éloquent est celui du développement personnel au service de l’entreprise, forme de contrôle subtile et euphémisée (Brunel, 2005, p. 40).

Cette forme de domination ne se limite pas aux cadres. A propos de la condition des ouvriers, Monchatre (2005, p. 8) parle du passage d’une sujétion à une autre, et estime que la subordination ouvrière n’entre pas dans une ère plus clémente et reste marquée par la contrainte, puisqu’à la prescription des tâches se substitue une prescription des comportements via l’imposition d’une nouvelle discipline de travail.

On aurait tort pour autant de penser que les formes classiques de la contrainte ont disparu. D’après Lhuilier (2005), c’est tout le contraire qui se passe, comme si le néo-management faisait flèche de tout bois (p. 117), utilisant, à côté de ces nouvelles formes de domination, également des formes plus classiques comme le renforcement (récompenses, awards,…), l’idéologie, l’érection de modèles (l’employé du mois) et autres modes classiques fondés sur l’obéissance (Sanshez-Mazas & Vranckx, 2005).

8.2.2. Autonomie nouvelle et nouvelles exigences : le prix de l’autonomie

Venons-en maintenant à la deuxième question, celle de la contrepartie de l’autonomie ou de la liberté gagnée par le travailleur.

Pour de Gaulejac (2005b, p. 108), ce que l’individu gagne en autonomie, il le paie en implication. Ainsi, à mesure que le travailleur voit grandir - du moins apparemment - son autonomie, que ses responsabilités et ses compétences s’accroissent, les attentes et la pression qui pèsent sur lui augmentent également. Autrement dit, à payer sept fois plus les ouvriers qu’avant, le capital en veut pour son argent, il attend qu’ils fassent sept fois plus de choses également (de Gaulejac, 2005b, p. 108).

Pour beaucoup d’auteurs, depuis les années 80, les exigences du travail sont devenues plus fortes, alors que les moyens pour y répondre ont été réduits (Lhuilier, 2003, p. 264). La pression qui résulte du « productivisme réactif » s’accompagne ainsi d’une dégradation des conditions de travail et d’une intensification du travail (Askenazy, 2004). Par productivisme réactif ou nouveau productivisme, Askenazy désigne un ensemble de pratiques qui ont commencé à se diffuser depuis deux décennies (pp. 12-13) : polyvalence (capacité à occuper plusieurs postes), polycompétence (capacité à réaliser plusieurs tâches de nature distincte), travail en équipe impliquant l’atteinte d’objectifs très stricts, juste à temps (ou just in time) consistant à assurer la production dans un délai très bref avec des stocks minimaux, satisfaction totale au client en terme de qualité de biens et de services sans que la production de masse soit abandonnée pour autant, normalisation qualité définissant des critères très stricts et contraignants de qualité. Selon cet économiste, ces nouvelles pratiques sont autant de nouvelles exigences qui augmentent considérablement la pression qui pèse sur le travailleur.

De plus, ces exigences ne se limitent pas strictement à la dimension de l’activité professionnelle elle-même. Monroy (2004, pp. 1-2) parle de tentatives de mainmise totale sur les personnes. Pour lui, le savoir-faire, les connaissances et l’effort ne suffisent plus (…), il faut contrôler les croyances, les intentions, les projets, les affinités, les points de vulnérabilité et les mettre au service de la firme. On se trouve donc dans un contexte où on demande aux personnes d’apporter toutes leurs capacités, y compris les plus personnelles, non seulement leurs compétences techniques mais aussi leur sens de l’amitié, leur émotivité, etc.(Boltanski & Chiappello, 1999).

Ces tentatives de mainmise totale dont parle Monroy (2004) sont associées à une confusion des registres entraînant des phénomènes qui relèvent de l’intrusion ou de l’emprise, débouchant potentiellement sur du harcèlement.

Un des grands axes sur lesquels portent ces confusions est relatif à deux organisateurs fondamentaux de la vie humaine : l’espace et le temps. Comme on va le voir, ceux-ci constituent de moins en moins des repères sur lesquels les individus peuvent se construire et s’appuyer, ce qui augmente leur vulnérabilité. Ces limites qui deviennent plus floues les rendent donc plus susceptibles d’être soumis à ces exigences d’implication totale. 

On peut à ce sujet partir de la réflexion générale d’Augé (1992) pour qui le temps et l’espace deviennent de plus en plus difficiles à penser dans ce qu’il appelle la « surmodernité ». La « surabondance événementielle » et la « surabondance spatiale » rendent respectivement l’espace et le temps de moins en moins intelligibles et contribuent, selon cet anthropologue, à créer une prolifération de « non lieux ». Il entend par là l'espace où l'appréhension identitaire, relationnelle et historique est impossible, opposée à l’idée d’un lieu comme espace où s'inscrivent l'identité, les relations et l'histoire de ceux qui l'habitent. Pour lui, la surmodernité représente une accélération de l’histoire, un rétrécissement de l’espace et une individualisation des différences  (Augé, 1994). Il rejoint là plusieurs auteurs utilisant des termes proches qui désignent grosso modo la même évolution sociale : la modernité liquide chez Bauman (2000), l’hypermodernité chez Aubert (2004) ou encore la seconde modernité chez Kauffman (2004).

Les développements techniques viennent appuyer cette évolution : multiplication des moyens de transport, circulation accélérée des biens et des personnes, développement des nouvelles technologies de la communication et des « technologies portables », notamment. Les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) altèrent ainsi la frontière entre vie professionnelle et vie privée, entraînant une confusion de l’espace-temps privé et professionnel (Bardoul, 2003). Jauréguiberry (2003), qui s’est plus particulièrement penché sur l’usage du téléphone portable, a montré comment des critères issus du monde professionnel, comme l’urgence, viennent envahir la sphère privée. De manière plus générale, Ehrenberg (1995, p. 114) parle à ce sujet d’effritement des frontières entre le privé et le public, amenant à la privatisation de la vie publique et publicisation de la vie privée (p. 119).

Dans le même ordre d’idée, pour Senett (2006, p. 12), dans les conditions sociales instables et fragmentaires qui caractérisent ce qu’il appelle la culture du nouveau capitalisme, seul un genre particulier d’être humain peut prospérer, un être humain qui va faire éclater son rapport au temps et à l’espace. Pour y parvenir, il doit, selon cet auteur, répondre à un triple défi, extrêmement exigent : gérer des relations à court terme tout en migrant sans cesse d’une tâche ou d’un travail à un autre, se recycler continuellement et acquérir de nouvelles compétences, abandonner volontiers son passé ou le compter pour quantité négligeable. Sennett ajoute que cet idéal d’homme ou de femme ne correspond qu’à une minorité de personnes, la plupart des gens ayant besoin d’un récit de vie durable, de s’appuyer sur ce qu’ils font bien et de valoriser leurs expériences passées.

Faire face à ces nouvelles exigences est donc extrêmement difficile et nécessite un abandon personnel considérable. Pourtant, à défaut de donner satisfaction, on risque d’être mis à l’écart du jeu organisationnel, d’être « désinséré », somme toute d’être exclu du système. Ainsi, lorsque faire partie du jeu devient une récompense en soi (Courpasson, 2000), on peut imaginer combien les exigences d’implication, de dévouement, de sacrifice, peuvent être exorbitantes. Il faut être, comme on le voit dans des documents d’évaluation utilisés dans plusieurs entreprises, above expectations, c’est-à-dire au-delà des attentes, pour être apprécié (de Gaulejac, 2005b, p. 108).


8.3. Le harcèlement : une dérive typique de nouvelles formes de management ?


En conclusion de ces deux question sur l’autonomie, la réalité ou non de cette « libération » et son prix, on peut dire que, à l’heure de cet étrange mariage de l’obéissance et de la liberté (Le Goff, 1995, p. 11) qui caractérise les organisations aujourd’hui, l’individu se voit doté de nouvelles responsabilités et semble se libérer du poids de la bureaucratie et de l’autocratie, et dans le même temps se trouve soumis à une nouvelle forme de pouvoir et à de nouvelles exigences. D’un côté, il est soumis à des formes de pouvoir plus discrètes mais très puissantes, de l’autre, il est confronté à des exigences qui lui demandent d’impliquer tout son être.

Ceci nous conduit à formuler la question suivante : à côté des explications interpersonnelles ou même organisationnelles qui lui sont habituellement données, le harcèlement moral au travail n’est-il pas la forme nouvelle de l’abus de pouvoir, survenant dans un contexte d’effacement des frontières traditionnelles qui structuraient l’espace social ?

Pour y répondre, nous partirons de la réflexion de Beauvois et Joule (1998), pour lesquels la forme achevée de l’obéissance est la dictature, et la forme achevée du conformisme, le totalitarisme ou la « soumission librement consentie ». Ces deux derniers traits constituent, selon Sanchez-Mazas et Vranckx (2005) et selon Brunel (1998), la forme typique de la contrainte libérale.

Dès lors, dans une organisation qui a remplacé le pouvoir par l’influence, les chefs par des leaders, les cadres par des managers, les contremaîtres par des coordinateurs ou animateurs d’équipe, mais qui, dans le même temps, a maintenu voire intensifié la nécessité de l’obéissance aux dirigeants et intensifié le poids du travail, la dérive comportementale aurait changé de forme. Nous faisons donc l’hypothèse que, autrefois, le chef commandait, et en cas de dérive, abusait de son pouvoir ; alors qu’aujourd’hui, le manager ou le collègue influence, voire manipule, et en cas de dérive, harcèle.

On peut trouver un appui à ces propos dans l’article « approche de droit public et harcèlement », dans lequel Ferreira (2005) met en perspective les notions juridiques d’abus de pouvoir et de harcèlement. Pour cet auteur, le harcèlement constitue une forme d’abus de pouvoir (p. 101) : il exprime une situation illégale dans laquelle une personne qui harcèle utilise sa position et abuse des pouvoirs qu’elle lui confère. Ferreira ajoute que, en droit, pouvoir et harcèlement sont antinomiques : le harcèlement est une situation illégale tandis que la notion de pouvoir induit une capacité légale. Mais plus l’autorité se marie avec l’influence, plus l’hétéro-contrôle se confond avec l’auto-contrôle, plus les abus de pouvoir vont se mêler au harcèlement.

L’image du contexte dans lequel est apparu le harcèlement moral se profile donc de la manière suivante : un monde du travail caractérisé par un effacement des hiérarchies et du pouvoir formel mais dans lequel les mécanismes de domination sont toujours présents, sous une forme plus souterraine et avec des exigences d’implication plus profondes. Dans ce contexte, les frontières classiques qui structuraient la relation au travail et la relation à l’autre s’effacent : frontière entre temps privé et temps de travail, entre espace de travail et espace personnel, entre chef et subordonné, entre pouvoir et influence, entre contrainte et liberté, entre auto-contrôle et hétéro-contrôle. Le tout se déroule sur fond de dissolution des mécanismes collectifs de régulation, de concurrence et lutte des places accrue au nom d’une idéologie managériale fondée sur le postulat de la guerre économique, et au bout du compte, d’une société individualiste qui renvoie chacun à son propre sort et à sa propre responsabilité.

8.4. Les effets paradoxaux de la mise en avant de la notion de harcèlement


Plusieurs auteurs cités précédemment formulent un réquisitoire à l’encontre des lois censées endiguer le phénomène de harcèlement ou de la notion même de harcèlement. C’est le cas de l’économiste Askenazy qui estime qu’elle participe au masquage des rapports d’autorité et que l’on aurait mieux fait de renforcer les protections existantes, et c’est aussi celui du juriste Grumbach (2001) qui redoute que la reconnaissance du harcèlement ne masque l’oppression des salariés dans les cadre des relations de travail patrons/travailleurs sans la replacer dans les autres modes de gestion de l’exploitation (p. 219), du psychiatre Monroy (2000) qui estime que le harcèlement est la contrepartie d’un fonctionnement largement accepté (p. 59), ou encore du sociologue de Gaulejac (2005b,) qui considère que la reconnaissance légale du harcèlement, pour utile qu’elle soit, contribue à individualiser le problème, et minimise qu’il s’agit là d’une conséquence de la pression croissante qui sévit dans le monde du travail (p. 119).

Finalement, tous ces auteurs dénoncent un même écueil : selon eux, les lois sur le harcèlement masquent les rapports de pouvoir en proposant une lecture strictement individuelle. Ce faisant, elles participent d’une idéologie dominante et pourraient renforcer ce qu’elles prétendent combattre : la pression au travail et la souffrance qui en découle.

Et pourtant, dans la plupart des pays qui ont légiféré en la matière, ce sont les partis sociaux-démocrates, identifiés plus à gauche que leurs adversaires libéraux, qui ont porté ces lois. Ils l’ont fait généralement au nom d’une meilleure protection des travailleurs et se sont appuyés sur une littérature de scientifiques souvent militants, prêchant la lutte contre ce phénomène, comme l’indiquent des titres comme Le harcèlement moral au travail, comment y mettre fin (Luyens & Thys, 2004), Workplace bullying (…) what can we do ? (Rayner, Hoel & Cooper, 2001), Bullying at work : How to confront and overcome it (Adams, 1992) ou encore The bully at work: What you can do to stop the hurt and reclaim your dignity on the job (Namie & Namie, 2000).

Et c’est finalement là peut-être que se résume tout le paradoxe de la notion de harcèlement. D’un côté elle se veut un rempart, une limite contre les abus, de l’autre elle semble participer à une idéologie qui les stimule.

En conclusion, on peut donc dire que le harcèlement moral a été identifié récemment à la fois parce qu’il est révélateur d’une nouvelle manière de penser les rapports sociaux, et parce qu’il est le fruit de nouvelles réalités sociales. Ce phénomène se caractérise par l’existence de comportements hostiles venant d’un agresseur qui provoquent des effets néfastes sur une cible et sur l’environnement de travail. Les explications qui ont été proposées au harcèlement se situent à divers niveaux : personnel, interpersonnel, groupal, organisationnel et socio-économique. Enfin, il présente des points communs avec les formes les plus graves de conflit, partageant avec elles la souffrance des protagonistes et la dégradation de la relation, mais s’en différencie notamment par le fait que la relation, dans le cas du harcèlement, est déséquilibrée, alors que les forces en présence sont équilibrées dans les conflits graves.

Ce sont ces formes les plus graves de conflits, les hyperconflits, que nous allons étudier dans le chapitre qui suit.



















Chapitre II

L’hyperconflit au travail
Un éclairage oblique sur le harcèlement moral
au travail

1. Pourquoi étudier les formes les plus graves de conflit au travail ?



Dans notre introduction, nous avons posé l’hypothèse que les situations de harcèlement moral au travail recèlent, dans un nombre non négligeable de cas, des dimensions gravement conflictuelles.

Or, la problématique des conflits graves a été relativement peu explorée dans la littérature scientifique. Certes, les études sur les conflits en milieu professionnel sont extrêmement nombreuses depuis une cinquantaine d’années et certains en font même le concept central dans l’étude des relations de travail (Van de Vliert, Nauta, Euwema & Jansen, 1997). En revanche, peu d’auteurs se sont penchés sur les conflits les plus graves comme objet premier de leurs recherches. Le champ a été également peu défini du point de vue théorique.

C’est pourquoi, afin de remédier à ce manque, nous avons choisi de compléter cette approche théorique en menant une étude de terrain dont l’objectif est de dégager des dimensions caractéristiques des hyperconflits. Cette étude fait suite à des travaux que nous avons réalisé précédemment (Faulx, Erpicum & Horion, 2005), et qui nous ont amenés à développer cette notion d’hyperconflit, définie dans un premier temps comme un conflit qui, du point de vue cognitif, émotionnel et comportemental, revêt une intensité particulièrement forte.



2. Vers la notion d’hyperconflit



Le point de départ des recherches sur le harcèlement moral au travail et des recherches sur le conflit au travail est assez différent. Le harcèlement moral, au contraire du conflit, a été positionné dès le début comme une situation néfaste, dysfonctionnelle, devant être combattue ou évitée. On ne connaît pas, par exemple, d’auteur défendant le fait que le harcèlement est un un phénomène autant bénéfique que négatif, ni d’étude faisant état de ses impacts positifs sur l’évolution ou la flexibilité du système, et encore moins d’ouvrages qui considèrent qu’il faudrait dans certains cas stimuler le développement du harcèlement au sein des organisations qui en manqueraient, ce qui est le cas pour le conflit comme nous le verrons ci-après.

L’expression « harcèlement moral » décrit aussi une situation très particulière au caractère exceptionnel. Au contraire, l’usage du terme conflit est très diversifié et embrasse un grand nombre de réalités différentes en termes de manifestations, conséquences, processus et gravité. Ainsi, dans le langage courant, le terme conflit peut être utilisé comme synonyme de guerre (« conflit armé ») aussi bien que pour désigner des oppositions de buts (« conflit d’intérêts »), des phénomènes sociétaux globaux (« conflit des générations », « conflits sociaux ») ou des différences de points de vue (conflit intellectuel ou « socio-cognitif »).

Autrement dit, le harcèlement moral définit en soi un phénomène « critique », alors que les recherches actuelles tendent plutôt à considérer le conflit comme un phénomène « normal », et d’ailleurs omniprésent dans la vie organisationnelle (Van de Vliert, Nauta, Euwema & Jansen, 1997).

C’est pourquoi, pour désigner les conflits les plus graves, les plus intenses, les plus « dégradés » dirait-on en adoptant le point de vue des modèles d’escalade conflictuelle, nous utiliserons le concept d’hyperconflit.



3. Les modèles d’escalade conflictuelle : un pilote pour la réflexion sur les caractéristiques des hyperconflits



Si nous nous accordons avec Thomas (1992) pour dire qu’il n’existe pas aujourd’hui de consensus sur la définition de la notion de  conflit, nous pouvons a fortiori faire la même observation sur celle de conflit grave. En revanche, les auteurs qui ont développé des modèles d’escalade conflictuelle offrent un cadre de réflexion qui va nous permettre d’élaborer une première réflexion sur les phénomènes hyperconflictuels.

Le but de ces modèles est, à partir d’éléments cognitifs, comportementaux et affectifs, de situer le degré d’avancement d’un conflit. Ils adoptent une perspective temporelle en ce sens qu’ils décrivent des stades d’évolution rendant compte de l’état d’avancement du processus conflictuel, et considèrent généralement que ces stades vont dans le sens d’une dégradation et d’une aggravation de plus en plus forte de la situation. Les modèles de Scott (1984) et de Glasl (1982), que nous présentons ci-après, sont particulièrement représentatifs de cette approche. En effet, ils insistent sur la logique interne des conflits en montrant comment les individus peuvent se trouver dépassés par des mécanismes qui ont leur fonctionnement propre. Nous développerons ensuite le modèle de Leymann (1996) qui se caractérise par le fait que la dégradation de la situation conflictuelle aboutit non pas à l’hyperconflit mais au harcèlement; enfin, ceux de Monroy et Fournier (1997) et de Pondy (1967) nous permettront de voir des modèles d’escalades basés sur une logique circulaire et non linéaire comme les précédents.
Tous ces modèles constituent une première piste sur la question de l’investigation des hyperconflits et de leur différenciation avec les conflits « courants ». Ils ont cela d’intéressant pour notre propos qu’ils montrent des caractéristiques des hyperconflits, repérables dans les stades les plus avancés du processus de dégradation relationnelle qu’ils décrivent.
Scott (1986) propose de distinguer trois grandes phases dans l’évolution des conflits : la tension, la névrose, la pathologie.

PHASEETAPEPhase I : tension.
Durant cette phase, les deux parties sont irritables, sensibles, il y a de la tension entre elles, mais le conflit reste prioritairement centré sur le problèmeEtape 1 : Discussion : la différence se situe essentiellement au niveau des pensées et idées. La coopération est possible et la volonté d’ouverture est présente).
Etape 2 : Débat : certains stéréotypes concernant l’autre partie apparaissent
Etape 3 : Passage aux actes : les tensions se manifestent dans les comportements tels que : ne pas venir aux réunions ou les quitter en cours,… A ce moment, les positions commencent à se cristalliser.Phase II : conflit névrosé
Dans cette phase, on assiste à une déformation de la réalité et au développement d’attitudes négatives entre les parties. C’est le développement des représentations stéréotypées abordées dans le point précédent.Etape 4 : Fixation des images : les représentations développées par les parties sont de plus en plus différentes et de plus en plus stéréotypées et clivées.
Etape 5 : Perdre la face : le processus enclenché se développant, les images se radicalisant, le conflit semble à ce moment échapper au contrôle des parties. Des comportements destructifs apparaissent.
Etape 6 : Menaces : les parties ont le sentiment d’être arrivées à un point de non-retour. Les ponts sont coupés, la confiance en l’autre est presque anéantie.Phase III : conflit pathologique
Dans cette phase, la logique dominante est celle de la destruction. Les références à des valeurs morales ou éthiques deviennent inutiles. Les normes de comportements acceptables sont de plus en plus basses. Etape 7 : Inhumanité : en l’absence d’empathie, des comportements d’agressions apparaissent. Il n’y a plus guère de censure morale.
Etape 8 : Attaque des « nerve centers » : les parties attaquent les éléments qui sont les plus susceptibles de détruire l’autre
Etape 9 : Destruction totale : l’objectif est de détruire totalement l’adversaire
Dans ces trois phases, il y a de moins en moins de contrôle de la situation. Les points d’accords possibles sont presque devenus invisibles pour les parties. Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 6 : Modèle de Scott

Glasl (1982) propose quant à lui un modèle en 9 étapes. Ce modèle a été utilisé dans les études sur le bullying par Zapf & Gross (2001) pour décrire le lien entre conflit et harcèlement.
Etape 1 : Durcissement Dans cette première étape, il existe une confrontation des points de vue mais les protagonistes croient pouvoir encore trouver une issue au conflit par le biais de la discussion. La communication entre les parties est basée sur l’égalité. Etape 2 : Débats et polémiques Cette étape se caractérise par une polarisation des deux parties. Chacune des parties faisant valoir ses arguments et utilise la violence verbale si elle en éprouve le besoin. Etape 3 : ActionsDans cette étape, les parties centrent leur attention non plus sur le discours mais sur les actions. Cette étape est marquée par une dichotomie entre les comportements verbaux et non-verbaux.Etape 4 : Coalitions et imagesLes deux parties, au sein de cette étape, dépensent leur énergie à défendre leur réputation. Dans cette optique la propagation de rumeurs est une stratégie fréquemment utilisée par les protagonistes. C’est également au cours de cette étape que les acteurs recherchent leurs alliés.Etape 5 : « Perdre la face »Le passage à l’étape 5 est particulièrement dramatique dans le sens où au sein de cette étape, on assiste à une série d’attaques personnelles directes et publiques, ainsi qu’à des tentatives d’isolement de l’adversaire.Etape 6 : Stratégie de menacesCette étape est marquée par la profération de menaces de part et d’autres et par la mise en place de ripostes. On observe au sein de cette étape une forte augmentation du stress et des actions agressives.Etape 7 : « Limited Destructive blows » Les menaces prévalant dans l’étape précédente touchent le sentiment de sécurité. La partie adverse est considérée comme susceptible de générer des dégâts et doit donc être éliminée ou neutralisée. Les normes éthiques disparaissent, la communication entre les parties devient très limitée, les parties ne comptent plus sur une issue win win : il n’y a plus d’autre solution que gagner ou perdre. Etape 8 : Eclatement de l’ennemiA ce stade, la destruction des facteurs vitaux pour le système adverse devient plus forte. Les protagonistes s’efforcent de porter atteinte aux leaders et à la cohésion de l’autre groupe pour s’efforcer de le fragmenter. Etape 9 : Destruction mutuelle (« together in the abyss »)A ce stade, l’objectif unique devient l’anéantissement de l’autre, fût-ce au prix de son propre anéantissement.Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 7 : Modèle de Glasl

Comme on peut le constater, ces deux modèles développent des logiques relativement proches. Ils montrent notamment que l’enjeu premier du conflit devient de plus en plus secondaire et que les processus de destruction prennent le dessus sur la volonté d’obtention des gains. Ils mettent également en lumière la gradation dans les manifestations comportementales du conflit, l’hostilité grandissante entre les parties et la rigidification des cognitions de chacune d’entre elles. Ils pointent enfin que le conflit, dans ses stades les plus avancés, atteint un « point de non-retour » qui rend impossible toute solution autre que la destruction mutuelle des parties. En quelque sorte, les parties sont arrivées à une situation « lose – lose ».

Leymann (1996), le père du concept de mobbing, s’est également penché sur la question de la dégradation de la relation conflictuelle en développant un modèle en quatre phases qui aboutit à une issue différente des deux précédents, à savoir non pas à des formes d’escalade conflictuelle, mais au développement du harcèlement moral.

PHASECARACTERISTIQUESLes conflits quotidiens et l’incident critique


Le mobbing et la stigmatisation



L’intervention de la direction et du personnel








L’expulsionCette première phase, pouvant être très courte, est normale. Néanmoins certains conflits vont, pour des raisons inconnues, escalader vers la psychoterreur.

Dans cette étape, la victime est confrontée à un nombre croissant de comportements, qui, vu leur fréquence, détruisent peu à peu son équilibre psychique et sa confiance en soi. Cette étape stigmatise la personne et la rend de plus en plus vulnérable.

A cette étape, l’employeur intervient rendant ainsi le cas officiel dans l’organisation. La direction a tendance à accepter et à dépasser la position du harceleur en adoptant une vision négative de la victime. L’erreur fondamentale d’attribution mène les collègues et la hiérarchie à expliquer la situation par les caractéristiques de personnalité de la victime et non par les circonstances environnementales. A ce stade, la personne soumise devient finalement stigmatisée. Les collègues et la direction cherchent alors à créer des explications pour valider le développement du « mobbing ».

L’étape finale est l’expulsion de la victime de l’organisation. Divers moyens sont employés à cette fin. Il y a d’une part l’auto-exclusion provoquée par l’invalidité de la personne et ses absences répétées. D’autre part, il apparaît toute une série de mesures comme la mise à l’écart et la réduction à l’impuissance, les transferts successifs, les mises en congé de maladie et les décisions administratives d’internement psychiatrique ou le licenciement. C’est à cette étape que les symptômes physiques et psychiques s’accentueront et amèneront la victime à consulter une multitude de professionnels. Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 8 : Modèle de Leymann

Comme on peut le voir, la logique sous-jacente de Leymann est proche de celle de Glasl et Scott. Toutefois, l’issue du processus est toute différente : ce n’est pas une situation « lose-lose » qu’il décrit, mais plutôt un processus de victimisation et d’exclusion d’une des deux parties.

Les modèles de Scott, Glasl et Leymann ont en commun leur côté linéaire. Chaque étape conduit à la suivante, plus destructrice que la précédente. Monroy et Fournier (1997) ont également développé un modèle d’escalade conflictuelle qui se caractérise par une forme circulaire, et non linéaire. L’originalité de ce modèle est de montrer à quel point des processus sous-jacents agissent conjointement à l’évolution du conflit et amènent les acteurs à devenir les serviteurs du conflit, les ambassadeurs d’enjeux qui les dépassent. Il s’agit d’un modèle construit à partir d’exemples qui ne se limitent pas aux conflits au travail, mais qui s’appuie également sur les expériences cliniques de Monroy dans le domaine familial, et sur l’interprétation de conflits classiques par l’historienne Anne Fournier.
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Figure  SEQ Figure \* ARABIC 5 : Modèle de Monroy et Fournier


Quelques éléments d’explications méritent d’être donnés au sujet des différentes étapes.

A/ Jeu interactif des impératifs systémiques possiblement conflictogènesLe système contient en lui les germes d’un conflit qui risque de s’actualiser, et cela en fonction du degré de contradiction entre les impératifs systémiques.B/ Opportunité conflictuelle. Configuration conflictogène. Acteurs saisissant l’opportunité du conflit.Les contradictions dans les impératifs systémiques peuvent provoquer tellement de tensions qu’à un moment donné, une des parties du système va utiliser un fait pour faire éclater le conflit. Ce fait sera allégué comme raison du conflit, et non les contradictions survenues dans le système à cause de l’évolution inhérente de ce système. C/ Consensus conflictuel. Acteurs construisant les outils nécessaires au conflit et les alimentant. Acteur = serviteur.Les acteurs construisent divers outils qui serviront à s’y préparer et à l’alimenter. Ils se mettent au service du conflit.D/ Autonomisation et enchevêtrement des dynamiques construites au service du conflit. Acteurs = victimes.
Une fois que les acteurs ont construit leur « univers conflictuel », le conflit semble se comporter de manière très autonome et leur échapper. Les dynamiques construites au service du conflit s’enchevêtrent et deviennent peu à peu indépendantes, ce qui complexifie encore la situation de conflit. L’acteur devient alors la victime du processus conflictuel mis en place.E/ Auto évolution du conflit. Perte de maîtrise des acteurs sur la dynamique conflictuelleLe conflit est devenu un organisme indépendant avec sa propre dynamique d’évolution.F/ Résolution, enkystement, retour au jeu interactif initial.
Dans le meilleur des cas, le conflit se résout et il aura permis une évolution quelle qu’elle soit. Une autre issue consisterait à un retour à la case départ, c’est-à-dire que recommence le jeu interactif des impératifs systémiques initiaux, ce qui relance le processus conflictuel. On peut aussi aboutir à un enkystement ou une pérennisation du conflit. Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 9 : Modèle de Monroy et Fournier, explications

On trouve un modèle à caractère circulaire également chez Pondy (1967). Il distingue cinq étapes dans le processus du conflit : le conflit latent, le conflit perçu, le conflit ressenti, le conflit manifeste, les répercussions du conflit. La circularité du modèle tient au fait que la dernière étape, les répercussions du conflit, porte les germes de nouveaux conflits latents.

PHASECARACTERISTIQUESConflit latentCette phase contient les sources du conflit. Le conflit latent provient de : la compétition pour des ressources ; la poursuite de l’autonomie ou encore la divergence de buts.Conflit perçuIl peut résulter du conflit latent, mais certains conflits peuvent être perçus sans être latents. Dans ce cas, ils résultent d’une incompréhension entre les positions des parties. Conflit ressenti Cette phase est caractérisée par la personnalisation du conflit. Le conflit manifesteDans cette phase, on voit apparaître les comportements conflictuels ; c’est-à-dire des comportements qui dans l’esprit des acteurs portent atteinte à au moins un objectif d’une des parties. Les répercussions du conflitLe conflit, selon la manière dont il a été géré, va déterminer les situations futures.Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 10 : Modèle de Pondy

En examinant tous ces modèles, nous pouvons voir les grands processus à l’œuvre dans l’évolution des conflits : apparition de comportements violents, disparition des enjeux au profit de la logique conflictuelle, caractère dommageable de plus en plus marqué, instrumentalisation des acteurs au service du conflit.

Pour autant, la question de la spécificité des hyperconflits n’est pas complètement résolue. En effet, la logique temporelle et évolutive qui caractérise ces modèles ne répond pas complètement à notre objectif d’identifier les caractéristiques des hyperconflits par rapport aux conflits « courants ». C’est à cette fin que nous avons mené une recherche sur les indicateurs des hyperconflits.



4. Une étude pour identifier les caractéristiques des hyperconflits



Notre recherche a abouti à l’identification de vingt-quatre indicateurs. Nous les avons regroupés en trois catégories principales, elles-mêmes subdivisées en six sous-catégories. Les trois catégories principales sont l’espace – temps, les processus et les conséquences.

Notre description des caractéristiques des hyperconflits sera articulée autour de ces vingt-quatre indicateurs.


4.1. L’espace - temps


Cette première catégorie principale traite des spécificités des hyperconflits sur deux dimensions : la dimension temporelle, d’une part, et la dimension « spatiale » d’autre part, ce dernier terme étant utilisé, comme nous le verrons plus loin, d’une manière métaphorique.

4.1.1. Le temps

Les trois indicateurs rendant compte de la dimension temporelle des hyperconflits qui ont été identifiés par notre recherche sont la durée, l’enracinement et la répétition cyclique.

La durée fait référence au fait que les hyperconflits s’étalent sur de longues périodes de temps, émaillées de désaccords, d’incidents et d’affrontements divers. L’intensité et la visibilité du conflit ne sont pas nécessairement constantes, mais le processus conflictuel est présent depuis longtemps. Il remonte parfois à une période précédant l’arrivée de certaines personnes impliquées, ou même de toutes, dans le système conflictuel. Ce conflit revêt également  un caractère persistant: il apparaît aux protagonistes comme immuable. De ce fait, les personnes semblent incapables de se remémorer une période non conflictuelle. Elles ne semblent pas non plus en mesure d’imaginer un futur qui ne serait pas conflictuel.

De manière complémentaire, le deuxième indicateur, l’enracinement, fait référence à la (re)construction du passé qui amène les protagonistes à sélectionner et mettre en exergue les faits qui concourent à une interprétation conflictuelle. Ainsi, lorsque les personnes évoquent l’histoire de la relation, elles sont en mesure de fournir de nombreux détails d’incidents, accrochages, ruptures de confiance, trahisons, … bref, d’éléments qui montrent combien le conflit actuel est alimenté par des événements passés. Les références à l’histoire sont très fréquentes et il n’est pas rare que les faits évoqués par les personnes remontent très loin dans le passé, ce qui les amène à mettre en avant l’enracinement profond de leur conflit.

Enfin, la répétition cyclique fait référence à l’existence de comportements constituant des séquences interactionnelles qui fonctionnent « en boucle ». Ainsi, si les comportements prennent des formes différentes, ils semblent s’intégrer de la même manière dans des séquences reproduites à l’infini. On assiste, au sein de la séquence, à la répétition d’un enchaînement de comportements analogues provoquant toujours le même type de réaction, et qui semblent se perpétuer même si les acteurs expriment la volonté de modifier la séquence comportementale. Rien de nouveau ne semble apparaître, confirmant le caractère immuable du conflit. On peut dire, en adoptant un point de vue systémique, que la redondance du système est très forte et que le processus stochastique conduit à une rigidification des modes comportementaux.

Au vu de ces trois indicateurs, la dimension temporelle des hyperconflits apparaît comme à la fois longue et figée par la répétition au présent d’une même séquence comportementale. Ceci peut amener à deux perceptions qui peuvent apparaître antinomiques : celle d’une situation qui se renouvelle sans cesse dans le même temps qu’il n’y apparaît rien de neuf. Aux yeux des protagonistes, le conflit semble bloqué, immuable, impossible à modifier.

4.1.2. L’espace.

La sous-catégorie espace étudie le rapport entre l’hyperconflit et l’ espace entendu au sens métaphorique d’espace social. Il s’agit donc d’indicateurs qui se rapportent à la manière dont s’organisent les relations sociales dans des situations d’hyperconflit. Cinq indicateurs ont été identifiés : l’isolement, l’Effet Urbicande, la communication réticulaire, l’attraction clanique et la médiatisation.

Concernant l’isolement, on remarque que, dans les situations d’hyperconflits, l’espace social est fortement cloisonné, marqué par des phénomènes d’isolement et par l’éclatement des liens sociaux. Ceci se manifeste sous plusieurs formes. On peut voir par exemple des comportements d’évitement systématique entre les parties, qui s’arrangent pour ne plus être en contact l’une avec l’autre. On peut voir également apparaître des formes de mise en quarantaine sociale. Certaines personnes ou certains groupes de personnes sont ainsi mis à l’écart des réseaux sociaux ou s’en excluent eux-mêmes. Globalement, c’est à une diminution du nombre de relations sociales et à un appauvrissement de la variété des liens sociaux que l’on assiste.

Toutefois, parallèlement à cet appauvrissement, de nouveaux groupes et de nouvelles relations sociales vont s’installer en lien avec le conflit. Moins variés et plus rigides, ces nouveaux réseaux relationnels vont progressivement remodeler l’espace social du système conflictuel. Il s’agit de l’effet Urbicande. Cet indicateur illustre comment la transformation de l’espace social en lien avec le conflit va aboutir à une séparation forte entre les groupes et à une limitation des possibilités d’interactions sociales pour les personnes. Ces groupes se construisent soit autour de figures centrales, soit autour de valeurs ou encore autour d’éléments idéologiques et identitaires définis par le conflit. Ses membres ont en commun des liens interpersonnels forts, des valeurs, une perception commune de l’histoire, et surtout une position similaire par rapport à la situation conflictuelle. Au sein de ces groupes, il se développe un sentiment d’appartenance très marqué. Le groupe défini dans le cadre du conflit prend alors progressivement le pas sur les autres formes de regroupement possibles. L’espace social est donc ainsi de plus en plus conditionné par le conflit dans la mesure où ces groupes remplacent les autres formes de réseaux possibles. Les personnes ont de moins en moins une appartenance multiple, leur seule référence identitaire est liée à leur position dans le conflit.

En lien avec ce phénomène de constitution d’un groupe organisé autour du conflit, la communication réticulaire attire l’attention sur la manière dont les modes de communication habituellement utilisés se transforment en lien avec les réseaux ainsi constitués. D’une part, dans le réseau d’appartenance, il se développe des codes spécifiques (clin d’yeux, private jokes, attribution de surnoms, références et sous-entendus liés au conflit, …), et dans le même temps, on voit disparaître un ensemble de communications qui existaient auparavant entre les personnes des différents « camps » : rituelles (salutations, …), informelles non professionnelles (famille, vacances, ...), informelles professionnelles (informations nécessaires au fonctionnement de l’organisation mais non institutionnalisées), formelles professionnelles (informations officielles).

En outre, par un phénomène d’attraction clanique, les groupes constitués autour du processus conflictuel comptent de plus en plus de membres et leur taille devient de plus en plus importante. Ces groupes peuvent aller même chercher des alliés dans des cercles périphériques ou extérieurs à l’espace social initial. Cette forme de recrutement amène de plus en plus de personnes à être identifiées comme faisant partie d’un groupe ou d’un autre sur base de leurs sympathies pour des personnes, sur base d’éléments d’appartenance ou de statut, ou encore sur une base idéologique. De manière complémentaire, de moins en moins d’individus ou d’acteurs sociaux sont localisés et se localisent dans des zones neutres par rapport au conflit.

Enfin, par un effet de médiatisation, l’espace initial du conflit déborde, il devient l’objet de toutes les attentions dans son environnement social et constitue un enjeu pour l’organisation dans son ensemble. Ainsi, tout le système semble observer avec attention la situation conflictuelle, laquelle est de plus en plus débattue, interprétée, discutée et considérée comme un événement clé susceptible de déterminer son avenir.

Pour filer la métaphore spatiale, ces cinq indicateurs montrent que le conflit a tendance à prendre de plus en plus de place dans l’organisation. De ce fait, il conditionne fortement les relations entre les individus et les groupes.


4.2. Les processus


Les processus constituent la deuxième catégorie d’indicateurs. Au sein de cette catégorie, nous avons repris une distinction classique déjà mentionnée lors de la présentation des modèles d’escalade conflictuelle : les processus comportementaux, cognitifs et émotionnels. Cette section montre donc quels sont les processus à l’œuvre dans les situations d’hyperconflits, déclinés à partir de cette distinction.

4.2.1. Les processus comportementaux

Les deux premiers indicateurs relatifs aux processus comportementaux traitent des positionnements des protagonistes par rapport aux personnes qui vont tenter des démarches de résolution du conflit.

Le premier, la surcompliance décrit une implication forte des protagonistes dans les démarches de résolution du conflit. Ces protagonistes formulent un discours très positif à l’égard des intervenants, médiateurs, consultants etc. auxquels ils expriment tout leur espoir pour que la situation change, et les assurent également de leur engagement dans leurs propositions.

La sous-compliance rend compte du processus presque inverse. Cet indicateur décrit que les protagonistes mettent en place des comportements qui relèvent du blocage des procédures de résolution, de la mise en échec des tentatives de solutions voire du refus de les mettre en œuvre ou de comportements (volontaires ou non) de « sabotage » par rapport à l’intervenant.

Ces deux premiers indicateurs des processus comportementaux font donc apparaître un paradoxe. En effet, on assiste à la fois à des comportements qui vont dans le sens d’un investissement fort (voire d’un surinvestissement) des démarches de résolution du conflit et à des comportements qui vont dans le sens d’un sous-investissement (voire d’un « boycott ») des démarches de résolution. On peut relier cet apparent paradoxe à la tension qui réside entre le désir et la peur du changement. En effet, comme l’a montré Malarewicz (2000), changement et non-changement vont de pair. Ainsi, la mobilisation des forces de changement amène conjointement à la mobilisation des forces de non-changement. C’est pourquoi, selon cet auteur, dans toute intervention, les possibilités de non-changement doivent être évaluées au même titre que les possibilités de changement. Il n’est donc pas surprenant que surcompliance et sous-compliance aillent également de pair.

Le troisième indicateur traite de la dérive des limites comportementales. Dans les conflits habituels, des normes éthiques, morales, légales et sociales limitent généralement le recours à des comportements jugés extrêmes ou au moins déviants par rapport à ces normes. Or, dans les hyperconflits, on observe un estompement voire une disparition progressive de ces normes, amenant les acteurs à considérer comme acceptables des conduites qu’ils auraient jugées inadmissibles dans une autre circonstance. Ainsi, les limites comportementales que se fixent les protagonistes semblent subir une dérive progressive. Ceci recoupe les commentaires que nous avons formulés au sujet des derniers stades d’évolution du conflit des modèles de Glasl et Scott. Glasl (1984) montre en effet qu’à partir du septième stade, les normes éthiques disparaissent et Scott (1982) parle pour sa part d’inhumanité, de disparition de la censure morale et d’absence d’empathie à l’étape sept de son modèle.

A cette dérive des limites comportementales s’ajoute un phénomène d’amplification. L’indicateur escalade met le doigt sur cette forme de surenchère comportementale liée à la dérive de la norme et conduisant les acteurs à se répondre avec des agissements de plus en plus violents. Ceci rejoint à nouveau la septième étape du modèle d’escalade de Scott (1982), où l’on voit apparaître des comportements d’agression. L'escalade symétrique est par ailleurs un phénomène étudié dans les travaux de Bateson (1977) et de Watzlawick et al. (1972). Il décrit le processus relationnel qui survient lorsque chacun des protagonistes cherche à transformer une relation symétrique en une relation complémentaire dans laquelle il occupe la position haute (Bateson, 1977 ; Watzlawick & al., 1972 ; Wittezaele & Garcia, 1992). Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point en détail.

L’indicateur suivant, appelé passage à l’acte, pointe le fait que, dans les hyperconflits, il s’opère une forme de « comportementalisation » de la communication. Les actes remplacent ainsi peu à peu les paroles, le dialogue. Contrairement au précédent, ce que cet indicateur met en lumière n’est pas lié à la violence des comportements posés, mais plutôt au fait que les messages hostiles entre les parties se font au travers d’actes (porter plainte, ne pas venir, claquer les portes, emporter du matériel, …) davantage qu’à l’aide de communications verbales.

Enfin, on observe le recours massif à des tiers à la communication entre les protagonistes : des tiers physiques (collègues, chef, intervenant) ou des tiers symboliques (écrits, objets, ou encore passages à l’acte). De manière complémentaire, les informateurs expliquent que les personnes en conflit alternent souvent entre attaque et fuite, et choisissent le plus souvent la fuite. Ainsi, la plupart du temps, elles évitent la communication, et les quelques rencontres tournent presque systématiquement à l’affrontement. Cette observation recoupe celle de De Dreu (1997) qui montre que les conflits affectifs, qu’il considère comme les plus graves, amènent les personnes à adopter de moins en moins de stratégies constructives, comme la résolution de problème par exemple, au profit soit de l’affrontement, soit de la fuite. Dès lors, les communications semblent impossibles, si ce n’est via des tiers, objets ou personnes. Pour dénommer cet indicateur, nous avons utilisé l’expression de tiers communicant.

Les quatre indicateurs que nous venons de passer en revue sont étroitement liés les uns aux autres. La dérive des limites comportementales laisse la place à l’apparition de comportements qui n’auraient pas été tolérés « normalement », et, par un phénomène d’escalade, ces comportements se multiplient et deviennent de plus en plus violents. Consécutivement, ces passages à l’acte ainsi que l’utilisation de tiers deviennent des substituts à la communication verbale. Celle-ci est en effet devenue impossible ou très difficile, comme le montre Glasl (1984) qui mentionne que dans les derniers stades du conflit, les communications deviennent très limitées entre les parties. L’éclatement de l’espace social décrit précédemment accentue évidemment encore ce phénomène de rupture de la communication.

4.2.2. Les processus émotionnels

Avant d’aborder les processus émotionnels et, dans le point suivant, les processus cognitifs, il est intéressant de noter qu’il est habituel de distinguer les conflits affectifs des conflits cognitifs. Cette distinction entre conflit affectif et conflit cognitif prend plusieurs formes dans la littérature sur le conflit au travail.

Guetzkow et Gyr (1954) parlent de conflits affectifs par oppositions aux conflits « substantifs ». Coser (1956) distingue les conflits orientés vers les buts par rapport aux conflits émotionnels, les premiers relevant d’une poursuite des gains, les seconds résultant d’une frustration dans les relations interpersonnelles. Dans le même ordre d’idées, Carrière (1992) parle d’une dimension cognitive par opposition à une dimension socio-relationnelle ou affective, et plus récemment, De Dreu (1997) a différencier les conflits task related, plutôt à caractère cognitif, par opposition aux conflits affectifs.

Jehn (1997) propose d’ajouter aux catégories de conflit affectif et de conflit cognitif, le conflit de processus. Pour distinguer les deux derniers, il propose de considérer le conflit cognitif comme un conflit centré sur les contenus et objectifs de travail, et le conflit de processus comme un conflit qui relève davantage de la manière dont sont organisées les tâches au sein de l’unité de travail.

Hellriegel, Slocum et Woodman (1992) proposent également une triade proche de la précédente. Selon ces auteurs, on pourrait distinguer trois types de conflits :
le conflit d’objectif : situation dans laquelle les buts ou les issues préférés par les parties semblent être incompatibles ;
le conflit cognitif : situation dans laquelle les idées ou les pensées respectives des parties sont perçues comme incompatibles. Ils montrent ainsi que le conflit se joue aussi en termes de crédibilité, de représentation des rôles et fonctions de chacun, de représentation de la réalité. Autrement dit, un niveau important du conflit à prendre en compte est le fait qu’il est un affrontement de représentations.
le conflit affectif : situation dans laquelle les sentiments ou émotions respectives des parties sont incompatibles.

D’une manière générale et quelque peu caricaturale, on peut dire que les auteurs estiment que les conflits affectifs sont négatifs alors que les conflits cognitifs sont positifs.

Pour De Dreu (1997), par exemple, les conflits cognitifs augmentent la performance des groupes alors que les conflits affectifs réduisent la performance et la satisfaction de ceux qui y sont impliqués. Amason et Schweiger (1997) vont dans le même sens : pour eux, le conflit cognitif peut améliorer la qualité des décisions complexes et l’acceptation des membres entre eux, alors que le conflit affectif est causé par les malentendus et crée de l’animosité entre les membres. Deutsch (1973) estime, quant à lui, que les conflits relationnels réduisent la bonne volonté et la compréhension mutuelle. A l’opposé, les conflits cognitifs augmenteraient les performances de l’organisation, la qualité des décisions, la productivité des groupes. De Dreu nuance ce clivage en signalant que les conflits cognitifs soulèvent fréquemment des dimensions affectives. Cela étant, son raisonnement est le même : c’est bien la dimension cognitive qui est vue comme positive, et la dimension affective, portant les aspects négatifs du conflit, vient ici « polluer » le conflit cognitif.

En résumé, le conflit cognitif est vu comme fonctionnel, intéressant pour le système, positif pour les mécanismes de prises de décisions, alors que le conflit affectif est vu comme dysfonctionnel, préjudiciable pour l’organisation, source de souffrance inutile pour les individus et finalement, plus grave.

Si l’on en croit ces théories, nous devrions donc trouver, dans notre recherche, des indicateurs qui montrent une forte dimension affective ou émotionnelle dans les hyperconflits.

Le premier indicateur évoque explicitement cette question. Appelé impact émotionnel, il pointe le fait que l’énergie émotionnelle investie dans le conflit est importante : les protagonistes mettent en place des processus émotionnels extrêmement consommateurs de temps et d’énergie. En outre, l’économie émotionnelle de ces personnes semble fortement déterminée par ce qui se passe dans le cadre du conflit. Pour le dire autrement, l’humeur générale des personnes est très liée au conflit. Par ailleurs, les enjeux affectifs semblent souvent être plus importants que les intérêts objectifs qui sont mis en scène. Ce résultat recoupe les travaux de Glasl (1994) qui montrent que, dans les conflits fort avancés, l’investissement émotionnel est très intense.

Cet impact émotionnel des hyperconflits est tel que l’on voit apparaître également l’exportation émotionnelle c’est-à-dire que les protagonistes sont tellement marqués par la situation conflictuelle que celle-ci les envahit au-delà de la sphère du travail. Ainsi, les personnes impliquées exportent dans leur vie privée des états émotionnels liés à ce qu’elles vivent au niveau professionnel. Parallèlement, il n’est pas rare que, en retour, les acteurs de la vie privée (conjoint, amis, parents, …) s’impliquent alors dans le conflit et participent au processus conflictuel.

On peut ajouter enfin l’impact de l’histoire préconflictuelle. Souvent, dans les situations d’hyperconflits, la relation a été positive et intense à un moment entre les protagonistes, puis elle s’est dégradée tout en conservant son caractère intense, ce qui rend le conflit d’autant plus difficile à vivre. Dans ce cadre, on voit que les personnes sont fortement interpellées par cette transformation de la relation, et vont développer de la rancœur et le sentiment d’avoir été flouées voire trahies. Elles vont alors considérer comme une circonstance aggravante le fait qu’une personne avec qui elles ont eu une relation positive entre en conflit avec elles, en ayant le sentiment que la relation passée est utilisée à des fins malveillantes ou néfastes pour elles.

4.2.3. Les processus cognitifs

Concernant des dimensions cognitives du conflit, il est utile de signaler que le courant que Ravn (1998) appelle les approches rationalistes du conflit a dominé les recherches depuis les années 50. Ce type d’approche place la poursuite d’intérêts divergents au cœur de la problématique du conflit et le conceptualise comme une partie d’échecs dans laquelle chaque protagoniste poursuit son but de manière rationnelle. Dans cette optique, les cognitions sont considérées comme étant essentiellement dirigées vers l’obtention du « gain ».

Notre étude montre que les processus cognitifs des hyperconflits sont caractérisés par des phénomènes qui dépassent la mise en place de stratégies visant la poursuite d’un intérêt ou d’un objectif.

Le premier indicateur met en évidence la manière dont les personnes impliquées dans des hyperconflits se construisent une représentation de leur « adversaire », qu’il s’agisse d’un groupe ou d’une personne. Il s’agit notamment de processus de « sous-humanisation » de l’autre, d’attribution de surnoms à l’autre partie, de son dénigrement et, de manière globale, de la construction d’une image dégradée et faite de certitudes négatives concernant ses intentions, ses desseins, ses valeurs (ou son absence supposée de valeurs) et sa manière d’être en général. Cet indicateur a été dénommé construction de l’univers conflictuel, en lien avec les travaux de Monroy et Fournier (1997) qui montrent comment les individus construisent des représentations négatives de l’ « ennemi » qui leur permettent de faire face au conflit. Ces auteurs montrent également que de telles représentations s’intègrent dans des références culturelles comme la « culture héroïque » (apologie de la guerre et du conflit, exaltation du héros), l’invocation éthique et la sollicitation des universaux (référence à des causes « justes » et universelles afin de justifier sa position dans un conflit), le réductionnisme blanc/noir (clivages bien/mal, bon/mauvais, juste/injustifié, …). On retrouve des mécanismes cognitifs que les psychologues sociaux ont mis en lumière dans le cadre des conflits intergroupes comme l’apparition de sentiments d’hostilité envers l’autre groupe, le renforcement du sentiment d’unité groupale et le développement de stéréotypes négatifs sur l’autre groupe (Azzi & Klein, 1998)

Or, progressivement, par cet effet de construction de l’univers conflictuel, les deux parties développent des lectures de la situation radicalement différentes avec des références à des visions du monde différentes, des hypothèses explicatives différentes et des valeurs différentes. Elles ont le sentiment d’être sur des modes d’appréhension de la réalité incompatibles. Nous avons appelé ce phénomène la dissociation cognitive. Cette dissociation cognitive va faire en sorte que tout événement, toute parole, tout incident va être compris, décodé, interprété à la lumière des univers conflictuels respectifs, et le sens que les parties vont donner à ces éléments apparaîtra systématiquement en décalage avec les interprétations de leurs adversaires.

Cette dissociation est aggravée par un phénomène de stabilité cognitive. En effet, les personnes impliquées dans des hyperconflits ont tendance à construire des modes d’explication et d’interprétation de la situation très peu susceptibles d’être remis en question. Les protagonistes présentent ainsi une difficulté particulière à entendre d’autres points de vue, à remettre en question leurs présupposés, à modifier leurs certitudes. Ils manifestent également une grande difficulté d’écoute de l’autre ainsi que la réduction voire la suppression de la capacité d’empathie à l’égard de « l’ennemi ». Il en résulte que le système d’explication construit semble ainsi résister à toute tentative de modification. L’univers conflictuel est très cohérent, les différentes représentations s’articulent dans une logique inébranlable, les personnes sont capables de fournir de nombreux arguments, justifications et exemples les étayant.

Cet univers cognitif est d’autant plus rigide qu’il s’auto-confirme et s’auto-alimente. Il s’agit du phénomène d’aliénation conflictuelle. Pour le dire autrement, les événements qui interviennent durant la trame du conflit sont « recyclés » dans celui-ci. Chaque événement, chaque comportement de l’autre partie confirme l’univers conflictuel, valide les représentations que les personnes se font de la situation, de l’autre personne, etc. Ces représentations confirmées vont évidemment en retour modeler les comportements des protagonistes, et par le processus bien connu de la prédiction auto-réalisatrice, vont contribuer à nouvelle confirmation de l’univers de représentations déjà caractérisé, comme nous l’avons dit, par une forte stabilité. Dans ce cadre, on observe également une tendance à mettre l’accent sur les différences et à minimiser les points communs entre protagonistes. Ceci rejoint le biais d’attribution hostile : une tendance à percevoir des intentions ou motivations hostiles derrière les comportements de l’autre partie lorsque ceux-ci sont ambigus (Baron, 1997, p. 180), ce qui va évidemment valider les représentations négatives que l’on se fait de l’adversaire.

Enfin, les protagonistes du conflit vont s’appuyer sur des éléments qui dépassent le simple objet du conflit pour faire référence à des dimensions qui le transcendent : des valeurs, des principes moraux ou éthiques. Dans notre recherche, nous avons attribué à cet indicateur le nom de centre de gravité pour exprimer que l’objet initial du conflit va peu à peu s’estomper pour être remplacé par d’autres enjeux bien plus larges. Dans les hyperconflits, les personnes ne se battent plus au nom d’un intérêt ou d’un gain quelconque, elles le font en invoquant des grands systèmes de légitimité. Les travaux de la sociologie de la justification peuvent ici nous apporter un éclairage sur ce phénomène. Boltanski et Thévenot (1991) montrent notamment que, dans les épreuves de justification (par opposition aux épreuves de force), on ne revendique pas seulement au nom de ce que l’on désire (recherche d’intérêt), mais au nom d’une conception de ce qui est juste dans cette circonstance, au nom d’une valeur générale, publiquement revendiquée face aux autres acteurs. Cette recherche d’arguments et de légitimité finit, dans les hyperconflits, par constituer la partie principale du conflit. Les personnes et les groupes invoquent donc avec force les valeurs qu’ils défendent, les loyautés qu’ils revendiquent, les principes auxquels ils sont attachés et sur lesquels ils entendent bien ne pas céder, l’histoire qu’ils revendiquent etc., et les mettent en jeu dans le conflit.

Du point de vue des processus cognitifs, les hyperconflits mobilisent donc des systèmes de représentations extrêmement forts et en opposition (dissociation cognitive), très stables et difficiles à remettre en question (stabilité cognitive), qui s’auto-confirment sans cesse (aliénation conflictuelle), basés notamment sur des représentations négatives et dégradantes de l’autre (construction de l’univers conflictuel), et qui finissent par dépasser complètement l’objet initial du conflit pour devenir des affrontements de représentations, de valeurs, de principes, de certitudes, de positions idéologiques (centre de gravité).


4.3. Les conséquences


Dans notre recherche sur les caractéristiques des hyperconflits au travail, nous avons dégagé une dernière catégorie d’indicateurs : les conséquences. La première question que l’on peut se poser à ce sujet est relative au caractère positif ou négatif de ces conséquences.

Cette question de la positivité ou la négativité du conflit relance un débat millénaire. Sans nous étendre sur ses implications philosophiques, sociologiques ou psychologiques, nous pouvons voir que, dans le domaine du travail, une connotation négative est souvent associée au conflit, même lorsqu’il n’est pas caractérisé de « grave ». Ainsi, comme le relève Jehn (1997), les managers et employés le considèrent généralement comme un processus négatif qui doit être évité et immédiatement résolu. Les praticiens et chercheurs semblent également le voir comme un ennemi du bon fonctionnement des groupes et de l’organisation et donc comme un état pathologique du système social (De Dreu & Van de Vliert, 1997). Le conflit au travail est alors considéré comme une « maladie » des relations de travail (par exemple, Cosey, 1956).

Par contre, à côté du courant qui se focalise sur ses inconvénients et considère qu’il doit être évité, on trouve une autre perspective, avec des auteurs qui ont développé une vision plus nuancée des coûts et bénéfices du conflit et défendent l’idée qu’il pourrait déboucher sur des conséquences positives. On peut remonter aux travaux de Pondy (1967), pour lequel les conflits peuvent être fonctionnels ou dysfonctionnels. Plus récemment, d’autres auteurs ont insisté sur le fait que le conflit n’est pas nécessairement néfaste ou dysfonctionnel, mais qu’il peut s’avérer être une source de développement pour l’organisation (Bjorkvist, 1997) ou une opportunité de développement social (Ravn, 1998).
De Dreu (1997) insiste sur les conséquences positives des conflits comme la facilitation de la communication intergroupe, la meilleure compréhension et l’obtention d’accords et de décisions d’un niveau d’acceptation supérieur à un accord tacite ou encore la catalysation du développement du groupe, ce qui l’amène à parler d’un niveau optimal de conflit dans un système. En ce sens, il s’inscrit dans les conclusions faites sur les dangers de l’absence de conflit dans les groupes par les psychologues sociaux, notamment à l’occasion de l’identification du célèbre phénomène du « groupthink » (Janis, 1972).

Dans ses travaux plus récents, Pondy (1992) va plus loin en affirmant que le conflit est lié à la stabilité de l’organisation. Il affirme qu’il permet aux différentes tendances de s’exprimer et de s’équilibrer, garantissant ainsi la diversité des réponses comportementales du système et sa capacité à s’adapter. Ceci rejoint l’idée de l’ouvrage collectif Using Conflicts in Organizations (1997) qui propose d’ « utiliser » les conflits dans une perspective de développement de l’organisation et de ses membres, ce qui suppose éventuellement d’en stimuler l’expression ou l’apparition.

Enfin, pour les systémiciens, le conflit peut être vu comme une crise, une invalidation transitoire des règles de fonctionnement investies ou tolérées jusque-là (Monroy & Fournier, 1997), ce qui ne présuppose pas qu’il soit a priori un élément pathologique ou néfaste. Ainsi, ces auteurs ont montré que le conflit remplissait des fonctions systémiques telles que permettre à un système de gérer des incompatibilités de missions qui apparaissent en son sein, créer une mobilisation d’énergie, créer un renforcement d’un système et créer du lien, permettre la mise de risque et éviter l’ennui, clarifier des relations ambiguës en « mettant de l’ordre dans le chaos ».

Selon les résultats de nos recherches, une des caractéristiques de l’hyperconflit tient dans le fait qu’il est surtout porteur de conséquences négatives, et que les conséquences positives précitées disparaissent. Un tel résultat est cohérent avec les travaux de Baron pour qui lorsque les phénomènes cognitifs d’attributions et de stéréotypes et les émotions négatives prédominent, les conséquences positives se muent en conséquences négatives (Baron, 1997, p. 189).

Si on examine les modèles d’escalade, on voit d’ailleurs que, de stade en stade, le caractère dommageable du conflit pour ses acteurs augmente. Cela se manifeste, dans les stades les plus avancés du processus, sous forme d’expulsion, de destruction mutuelle, de victimisation par rapport au processus conflictuel. Le conflit devient alors néfaste, dysfonctionnel.

Dans notre étude, nous avons observé deux types de conséquences. Les conséquences individuelles constituent le premier indicateur de cette catégorie. Elles se marquent au niveau psychique et physique avec des effets néfastes sur la vie privée et professionnelle. Du point de vue des conséquences psychologiques, on peut préciser que les affects sont extrêmement intenses. Il s’agit principalement de sentiments douloureux (détresse, désespoir, tristesse, sentiments dépressifs, …), mais qu’on rencontre également des sentiments vécus comme positifs (revanche, jubilation, …), ainsi que des affects du registre de la colère. Du point de vue physique, on rencontre des troubles musculo-squelettiques, des troubles du sommeil, de la concentration, de la digestion, voire des problèmes cardio-vasculaires. Nos observations confirment plusieurs études qui ont montré les effets dommageables des conflits sur les individus. Par exemple, pour De Dreu (1997), le conflit provoque le stress et l’anxiété. De Dreu & Beersma (2002) relèvent plusieurs études qui montrent un lien entre conflit et satisfaction moindre au travail, conflit et diminution du bien-être au travail, conflit et diminution de l’engagement dans la tâche. Ceci rejoint également la position de Thomas (1992), qui considère que, pour parler de conflit, il faut qu’une des deux parties ressente de la douleur physique ou psychique.

Le deuxième indicateur traite des conséquences professionnelles. Il s’agit ici des pertes subies par l’organisation : perte de rentabilité, accidents de travail, turn over accru, perte de qualité des services, démotivation, etc.

Le tableau qui suit donne une vue générale des différents indicateurs d’hyperconflits recueillis au cours de cette étude, triés par catégories et sous-catégories.




ESPACE-TEMPS








TEMPS DuréeEnracinementRépétition du cyclique
ESPACEIsolementEffet UrbicandeTransformation réticulaireAttraction claniqueMédiatisation
PROCESSUS 
COGNITIFConstruction de l’univers conflictuelDissociation cognitiveStabilité cognitiveAliénation conflictuelleCentre de gravité

COMPORTEMENTALSur-complianceSous-complianceDérives des limites EscaladePassage à l’acteTiers communiquant

EMOTIONELImpact émotionnelExportation émotionnelleHistoire préconflictuelle
CONSEQUENCES

CONSEQUENCES
Conséquences individuelles
Conséquences professionnelles Catégories Sous-catégories Indicateurs
Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 11 : Indicateurs d’hyperconflits

Ces vingt-quatre indicateurs donnent une vision des différentes caractéristiques des hyperconflits. Leur examen global révèle deux tendances communes.

La première concerne la généralisation du conflit, le fait qu’il est transcendé par des forces qui le dépassent. Ainsi, les hyperconflits semblent charrier des processus particuliers qui vont au-delà du différend interpersonnel, au-delà des enjeux « objectifs », au-delà des faits observables. Ils vont notamment générer des phénomènes psychosociaux spécifiques qui vont modifier l’espace social.

La seconde tendance est liée à la cristallisation et la rigidification du système. En adoptant une perspective systémique, on dira que le conflit, dès lors qu’il s’aggrave et devient un hyperconflit, limite la complexité du système social et par là réduit le champ des possibles en termes de comportements, de représentations, de stratégies adaptatives, de relations, de liens sociaux ou encore de prises de positions personnelles. En effet, selon la théorie des systèmes et notamment des systèmes organisationnels, la réduction du réseau d’interrelations amène à la réduction de la complexité : plus un système est complexe, plus il est susceptible d’adopter un nombre important de configurations, moins il est complexe, moins il aura de chances de changer (Malarewicz, 2000 ; Probst & Ulrich, 1989).

On observe donc un double mouvement qui entraîne un impact puissant sur tout le système organisationnel : celui d’un élargissement du processus conflictuel couplé à une réduction de l’espace de jeu du système. C’est peut-être dans ce sens qu’il faut comprendre l’aspect dommageable d’un hyperconflit à la différence des conflits producteurs d’énergie, de remise en question, de renouvellement, bref d’élargissement du champ des possibles.

Sur la question de l’hyperconflit, nous disposons maintenant de deux cadres théoriques précieux pour nos analyses futures. Le premier, les modèles d’escalade conflictuelle, permet de situer l’état d’avancement d’un conflit et d’observer à quel stade de dégradation relationnelle les protagonistes se situent ; le deuxième, les indicateurs des hyperconflits, décrit des caractéristiques spécifiques des conflits les plus graves sur le plan de la temporalité, de la structuration de l’espace social, des processus cognitifs, émotionnels et comportementaux ainsi que des conséquences.

L’approche théorique des hyperconflits nous offre donc un « éclairage oblique » sur les situations de harcèlement moral, avec les précautions que nous avons formulées en début du travail sur le caractère « présumé » de ces situations qui constituent la matière du présent travail.



5. Les relations de travail pathogènes



Dans cette approche théorique, nous nous sommes penché sur deux types de relations dégradées qui peuvent survenir sur le lieu du travail : le harcèlement moral au travail et l’hyperconflit au travail.

Comme nous l’avons montré, un des traits essentiels qui différencie ces deux phénomènes résulte de l’équilibre des forces et de la mobilisation des ressources entre les parties. Nous avons vu que deux scénarios sont proposés par les auteurs pour expliquer comment se fait le passage du conflit au harcèlement : pour les uns (Leymann, Zapf, Einarsen, …), le harcèlement est une forme extrême du conflit, résultant de sa dégénérescence, ce qui suppose que l’un constitue la suite de l’autre. Pour les autres, le harcèlement est un phénomène différent du conflit qui se met en place lorsque le conflit ne peut pas s’exprimer, ce qui suppose que l’un se substitue à l’autre. C’est à la fois le point de vue d’Hirigoyen, qui explique que le harcèlement prend place dans une relation où le conflit ne peut s’exprimer, et d’auteurs comme de Gaulejac, Sanchez-Mazas ou Monroy, qui montrent que, dans des systèmes sociaux qui dissimulent les relations de pouvoir et étouffent ainsi les conflits qui pourraient en résulter, l’autorité va se manifester sous d’autres formes, notamment l’emprise et le harcèlement. Nous verrons plus loin que notre modèle permet d’envisager au moins une troisième possibilité : le fait que les phénomènes de harcèlement et de conflit puissent coexister au sein d’une même situation, mais à des niveaux différents.

Ainsi, les situations de harcèlement moral, qui comportent une dimension de victimisation, peuvent être décrites comme des situations déséquilibrées alors que les situations d’hyperconflit, au sein desquelles les parties mobilisent chacune des ressources équivalentes, apparaissent comme équilibrées.

A côté de cette différence fondamentale, deux points communs apparaissent entre les deux phénomènes. Premièrement, la souffrance des personnes impliquées. D’autre part, le fait que cette souffrance est liée, au moins partiellement, à une relation intervenant sur le lieu de travail.

Pour dénommer ces deux types de situations, nous proposons d’utiliser l’expression de « relations de travail pathogènes ». En utilisant ces termes, nous insistons donc sur la présence d’une souffrance au travail et sur le fait que celle-ci est liée à la qualité des relations qui interviennent sur le lieu du travail. Nous définirons donc la relation de travail pathogène comme une situation dans laquelle une personne ressent une souffrance ou un mal-être lié aux relations qu’elle entretient sur le lieu du travail. C’est avec ce cadre conceptuel élargi que nous allons explorer les situations de harcèlement moral à l’aide de notre Modèle d’Analyse.













Troisième partie :

Le Modèle d’Analyse
Comme nous l’avons annoncé dans l’introduction, notre Modèle d’Analyse a pour objectif de permettre d’étudier les situations de harcèlement moral de manière processuelle, intégrative et dynamique.

Avant de présenter ce Modèle, nous allons d’abord expliciter les deux axes qui sont à la base de sa construction.



1. Premier axe : les différents niveaux d’analyse



1.1. Fondements théoriques


Le premier axe du modèle définit des niveaux d’analyse jugés pertinents pour l’étude des situations de harcèlement moral. Dans notre approche théorique du harcèlement, nous avons opéré la distinction entre quatre niveaux d’analyse : le niveau organisationnel, le niveau groupal, le niveau interpersonnel et le niveau personnel.

Plusieurs manières de découper le réel « par niveaux » ont été proposées, tant dans la littérature sur le harcèlement que dans celle sur le conflit.

Pour Einarsen (1996), trois grands modèles explicatifs traversent les études sur le harcèlement moral au travail. Le premier insiste sur les aspects de personnalité des victimes et agresseurs, le second met en avant les problèmes relationnels et le troisième étudie les facteurs contextuels ou environnementaux liés à l’organisation du travail. Elcheroth (2005) plaide lui pour une articulation de plusieurs niveaux d’explication du harcèlement (p. 161). Il en définit trois : les régulations intra-psychologiques, le contexte interpersonnel (ce qui, dans son approche, comprend les tiers au couple harceleur- harcelé), et le contexte institutionnel.

Cette division par niveau n’est pas propre à l’étude du harcèlement moral. Dans un domaine proche, celui de la violence au travail, Aurousseau (2000) a développé la notion d’ancrage qui, selon elle, se distingue de celle de « facteurs », cette dernière se limitant à isoler des causes afin de déterminer leur influence spécifique dans une vision essentiellement linéaire de cause à effet. Or, explique-t-elle, les ancrages entretiennent entre eux des rapports synergiques et complémentaires, et rendent compte d’un processus itératif caractérisé par l’interinfluence des situations de violence et des ancrages, et par les synergies qui se développent au travers de ces interinfluences (Aurousseau, 2000, p. 14). Les ancrages identifiés par Aurousseau sont les ancrages sociaux, les ancrages organisationnels et les ancrages individuels (comprenant à la fois des dimensions individuelles et interpersonnelles).

Le fait de distinguer différents niveaux de manifestation est présent également dans l’étude des conflits. Jaya (1999), par exemple, distingue cinq types de conflit : le conflit intrapersonnel, interpersonnel, organisationnel, inter-organisationnel et révolutionnaire. Dans la même logique, Dolan et ses collaborateurs (1996) distinguent les conflits intra-individuels (un individu est en conflit avec lui-même), les conflits interpersonnels (deux personnes sont en conflit au sujet des buts à poursuivre, des moyens, des valeurs, des comportements ou des attitudes à adopter), les conflits intragroupes (groupes en conflit au sujet des mêmes problématiques que pour les conflits interpersonnels) et les conflits intergroupes (deux groupes entendus au sens large, y compris des organisations ou des strates sociales, sont en conflit). On trouve une typologie proche chez Rahim et Bonoma (1979), qui distinguent le conflit intrapersonnel, intragroupe, intergroupe et inter-organisationnel.

De manière plus globale, Louche (2001, p. 9) parle de trois niveaux d’analyse ayant cours en psychologie sociale des organisations : un niveau intra-individuel, un niveau groupal et un niveau organisationnel.

Cette manière de procéder par niveaux de compréhension rejoint évidemment les travaux d’Ardoino (1969, 1996). Cet auteur propose une vision de la réalité en six niveaux qu'il s'agit tout à la fois de distinguer et, précision importante, de prendre simultanément en considération. Il s’agit des niveaux individuel, interpersonnel, groupal, organisationnel, institutionnel et historique.

Le niveau individuel fait intervenir les éléments qui se situent au cœur de l’individualité : caractère, personnalité, motivations, aptitudes, désirs, fantasmes, peurs, etc. Le fait de privilégier ce niveau est d’ailleurs un mode culturel classique d’interprétation des conflits dans les sociétés judéo-chrétienne qui ont tendance à individualiser les conflits (Gatlung, 1997).

Le niveau relationnel concerne la sphère des relations interpersonnelles : les modalités d’interaction, les sympathies et les antipathies, les amitiés ou les inimitiés, les problématiques de l’attraction interpersonnelle par exemple.

Le niveau groupal embrasse les phénomènes identifiés par la dynamique des groupes : rôles, leadership et influence, fantasmatique groupale, normes de groupe, cohésion, par exemple. 

Le niveau organisationnel aborde les problèmes de structure, de ressources, de flux, de processus, de hiérarchie organisationnelle et de relations de pouvoir, de management, d’organisation du travail, de culture organisationnelle, … Chez Citeau et Engelhardt-Bitrain (1999), l’organisationnel est tout ce qui relève de la division des tâches, de la distribution des rôles, du système d’autorité, du système de communication et du système de contribution - rétribution.

Le niveau institutionnel dépasse les contours de l’organisation, et aborde des grands ensembles regroupant des organisations : les instances supra-organisationnelles, les normes sociales, les lois, la culture institutionnelle, …

Enfin, il aborde un sixième niveau : l'historicité, que l’on peut définir avec Touraine comme la capacité d'une société à agir sur elle-même et à se transformer.


1.2. Les niveaux choisis dans ce travail


Les niveaux que nous avons choisi de prendre en compte dans notre approche sont ceux qui sont les plus habituellement étudiés par les psychologues sociaux : le niveau interpersonnel, le niveau groupal et le niveau organisationnel, auquel nous ajoutons le niveau personnel, ayant fait l’objet lui aussi d’études en lien avec la thématique qui nous occupe. Pour chacun des niveaux, notre objectif est d’identifier des processus relationnels. Pour rappel, nous entendons par là les interactions qui se créent entre plusieurs comportements des acteurs – qu’il s’agisse d’individus, de groupes ou d’ensemble plus larges - pour constituer un processus relationnel global dont on peut caractériser le mode de fonctionnement.

Au niveau personnel, nous nous centrerons sur tout ce qui concerne les protagonistes : les comportements, les cognitions et les émotions de ceux-ci. On peut parler ici de processus personnels dans un sens toutefois métaphorique dans la mesure où on se figure l’acteur en relation « avec lui-même ».

Au niveau interpersonnel, nous nous intéresserons à tout ce qui concerne la relation entre le harceleur, ou les harceleurs, et la personne-cible. En effet, la notion de harcèlement moral au travail suppose, quelle que soit l’approche, l’existence d’une relation entre un ou plusieurs harceleurs, et une personne qui se sent harcelée. Ce sont donc les interactions qui interviennent entre harceleur(s) et harcelé que nous étudierons à ce niveau. Il portera donc sur des processus interpersonnels.

Au niveau groupal, nous nous intéresserons à ce qui se passe au sein des groupes qui constituent l’entourage professionnel du harcelé et du harceleur, et tout particulièrement au groupe de collègues du harcelé dont la littérature a montré qu’il pouvait avoir un impact majeur sur la relation de harcèlement. Nous analyserons ce qu’il se passe au sein de ces collectifs de personnes qui sont susceptibles d’influencer la relation de harcèlement, voire d’y jouer un rôle actif. Ce sont donc des processus groupaux que nous étudierons ici.

Enfin, pour le niveau organisationnel, nous nous intéresserons aux différents processus intervenant dans l’organisation ainsi qu’aux comportements des personnes qui la dirigent : supérieurs hiérarchiques, management, direction. Pour ce niveau, ce sont donc des processus organisationnels qui feront l’objet de nos analyses.

A ces quatre niveaux correspondent donc quatre angles d’études des situations de harcèlement moral : les processus personnels des protagonistes, les processus interpersonnels entre harceleur(s) et harcelé, les processus ayant cours au sein du groupe de collègues des protagonistes, les processus organisationnels entourant la situation.



2. Deuxième axe : le mode relationnel



2.1. Fondements théoriques


Nous avons vu dans l’introduction théorique que la plupart des auteurs qui mettent en perspective le conflit et le harcèlement (ou plus généralement les relations de victimisation) s’accordent à considérer que ces deux phénomènes se différencient par l’équilibre des forces entre les parties. Il en résulte que le harcèlement constitue une relation de travail pathogène dans laquelle les forces entre les parties (en l’occurrence le harceleur et le harcelé) sont déséquilibrées, alors que l’hyperconflit constitue une relation de travail pathogène dans laquelle le rapport de force entre les protagonistes est équilibré.

C’est pourquoi l’objectif du deuxième axe de notre Modèle d’Analyse est de permettre l’étude de l’équilibre relationnel entre les parties.

Pour ce faire, nous avons décidé de partir de la distinction opérée par Bateson entre schismogenèse complémentaire et schismogenèse symétrique. Ses premiers travaux sur la question remontent à 1935, où il aborde la question de la schismogenèse dans le cadre de l’étude des contacts entre cultures et établit progressivement un cadre conceptuel pour aborder les relations entre clans. Il reprendra ensuite ces notions notamment dans son ouvrage Vers une écologie de l’esprit (Tome 1, 1977 ; Tome 2, 1980), lesquelles seront développées aussi par des auteurs comme Watzlawick, Weakland, Fisch, Helmick Beavin ou Jackson, par exemple.

Selon Bateson, les possibilités de différenciation de groupes peuvent se délimiter en deux catégories (Bateson, 1980, p. 83) : la différenciation ou schismogenèse symétrique et la différenciation ou schismogenèse complémentaire. Par la suite, Watzlawick ses collaborateurs abandonneront le terme schismogenèse, qui s’applique mieux aux relations entre groupes sociaux qu’aux relations entre individus, pour parler plus simplement de relations symétriques ou complémentaires (Wittezaele & Garcia, 1992, p. 47).

De manière synthétique, on dira qu’une relation est symétrique lorsque l’intensité des actions de A est proportionnelle à l’avance prise par B sur A (Bateson, 1980). Il s’agit donc d’un ensemble de réactions analogues, même si les moyens utilisés peuvent être très différents. Les relations complémentaires sont, quant à elles, « dissemblables mais réciproquement appropriées » et se présentent sous forme de rapports de soumissiondomination, assistance-dépendance, maîtreesclave, etc.

De manière plus précise, la différenciation symétrique s’inscrit dans les cas où les individus des deux groupes A et B ont les mêmes aspirations et les mêmes modèles de comportement, mais se différencient par l’orientation de ces modèles. Les membres du groupe A agissent selon des modèles abc à l’intérieur du groupe et xyz dans leurs rapports avec le groupe B ; tout comme le groupe B. Le comportement xyz est donc la réponse standard au comportement xyz (Bateson, 1980, p. 83). Le tout peut conduire à ce que chacun des groupes pose le comportement xyz avec de plus en plus d’excès. L’exemple pris par Bateson est la vantardise : plus l’un va se montrer vantard, plus l’autre va se vanter également. Il ajoute que la symétrie est un terme commode pour désigner les phases conflictuelles de la lutte pour l'occupation du centre.

Dans la différenciation complémentaire, les comportements et les aspirations des deux groupes sont fondamentalement différents. Les membres du groupe A utilisent entre eux le modèle LMN et dans leur rapport avec l’autre groupe le modèle OPQ. En réponse à OPQ, les membres du groupe B utilisent les comportements UVW, mais utilisent entre eux le modèle RST (Bateson, 1980, p. 84). Le tout peut conduire ici à ce que la différenciation aboutisse à l’accentuation des tendances. L’exemple pris par Bateson est la domination – soumission : plus l’un va dominer, plus l’autre va se soumettre et vice versa. Watzlawik et al. (1972) utilisent, pour caractériser les positions qui se dégagent des relations complémentaires, les termes de position «haute» (one-up) et « basse » (one-down).

Selon Bateson, on peut assez facilement classer une relation dans l’une ou l’autre catégorie selon l’accent dominant, même s’il est possible que de petites adjonctions de symétrie dans une relation complémentaire ou de complémentarité dans une relation symétrique viennent nuancer l’ensemble.

Les relations symétriques, on le voit, recouvrent plutôt les notions de conflit, alors que les relations complémentaires sont plutôt caractérisées par des positions inégales (type bourreau - victime, ou harceleur - harcelé). Ce modèle est donc bien indiqué pour distinguer le harcèlement (ou plus généralement les phénomènes de victimisation) et le conflit.

Une telle option nécessite cependant une précision. En effet, la symétrie et la complémentarité sont définies chez Bateson et chez Watzlawick à partir d’éléments comportementaux. Mais ces notions pourraient se définir à partir d’autres points de référence.

C’est ici que les sémantiques disciplinaires peuvent amener à utiliser des termes identiques dans des sens différents. Plus particulièrement, les concepts de symétrie – complémentarité ou de conflit et domination ne recouvrent pas nécessairement la même réalité en psychologie et en sociologie.

Si l’on s’en tient au rôle organisationnel, la différence entre relations symétriques ou asymétriques pourrait se définir non pas à partir des modes comportementaux adoptés par les différents acteurs mais par les ressources qui proviennent de leur statut respectif. Dans ce cadre, on considérerait comme typiquement symétriques des relations entre collègues et comme typiquement complémentaires des relations entre supérieurs et subordonnés.

On définirait alors la symétrie – complémentarité et les positions hautes et basses qui en découlent à partir de critères fondés sur la position socio-organisationnelle. Dans une perspective marxiste, la position haute serait celle dans laquelle le « dominant » maîtrise les moyens de production ou de décision dans l’organisation. On pourrait également estimer que les positions hautes et basses proviennent de la possession inégale d’un capital économique ou culturel.

La notion de domination, présente chez Watzlawick dans une perspective comportementale, revêt également une sémantique tout à fait différente en sociologie. On peut remonter jusqu’à Weber, qui définit la domination comme la chance de trouver obéissance de la part d’un groupe déterminé d’individus. Appliquée aux relations de travail, l’auteur estime qu’elle peut exister au sein d’un contrat formellement libre, comme dans le cas de la domination des employeurs sur les travailleurs.

La perspective que nous adoptons dans ce travail s’inscrivant dans un registre comportemental, une relation symétrique est pour nous une relation qui s’articule autour de comportements et de réactions en miroir, avec une mobilisation de forces et de ressources « équivalentes » pour poser des comportements visant à l’atteinte du centre et, par exemple, des phénomènes d’escalades. Au contraire, nous définissons une relation complémentaire comme un échange fondé sur des rôles et de contre-rôles qui définissent des comportements différents et réciproquement appropriés les uns aux autres, comportant notamment l’apparition de positions hautes et basses.

Ce choix épistémologique ne nie pas pour autant l’existence d’inégalités organisationnelles, sociales, économiques ou culturelles. On retrouvera d’ailleurs probablement leur incarnation dans la symétrie ou la complémentarité des relations entre acteurs sociaux. Mais c’est au travers de leur manifestation comportementale que nous les étudierons.



3. La construction du Modèle d’Analyse 



Notre travail rend compte de la construction progressive d’un Modèle d’Analyse des situations de harcèlement moral au travail. Celui-ci est passé par deux stades d’évolution que nous allons présenter dans les lignes qui suivent. Les deux versions du Modèle permettent d’aborder les processus relationnels, les résonances et les configurations ; le premier dans une approche qui superpose les niveaux, le second dans une approche qui les intègre, permettant ainsi de rendre compte d’un niveau de complexité supérieur.


3.1. Un premier modèle pour décrire les processus relationnels, les résonances et les configurations


Le premier modèle prend comme point de départ le classement des différents processus relationnels sur l’axe de niveaux.

Niveau organisationnel
Le management, la hiérarchie, les processus organisationnelsProcessus organisationnelNiveau groupal
Les collègues, l’entourage professionnelProcessus groupalNiveau interpersonnel
La relation entre harceleur(s) et harcelé Processus interpersonnelNiveau personnel
Le fonctionnement personnel des protagonistes Processus personnelTableau  SEQ Tableau \* ARABIC 12 : Modèle d’Analyse, première version

Lorsqu’on représente ce modèle sous forme de diagramme, on obtient la forme suivante. Au centre du modèle, on trouve la relation interpersonnelle entre harceleur et harcelé. Dans une approche décontextualisée, c’est sur cette zone que se focaliserait l’analyse du cas. Autour de cette relation, les processus ayant cours dans le groupe, et autour de ceux-ci, les processus ayant cours dans l’organisation.










Figure  SEQ Figure \* ARABIC 6 : Modèle d’Analyse, première version sous forme de diagramme

Ce modèle permet également de décrire des interactions entre processus que nous appelons des résonances et que nous avons définies comme des modes d’interactions entre plusieurs processus. Autrement dit, il permet d’étudier comment un processus, par exemple un processus organisationnel, peut « résonner » avec un autre processus, par exemple un processus interpersonnel. C’est pourquoi des flèches lient les différents ensembles. Lorsqu’un processus contribue à renforcer un autre processus et réciproquement, il s’agit d’une rétroaction positive entre deux processus ou effet larsen, analogie utilisée dans ce travail pour décrire un effet d’amplification réciproque de deux processus. Lorsque, au contraire, un processus contribue à affaiblir l’autre processus et réciproquement, et qu’il s’agit donc d’une rétroaction négative entre deux processus, on parlera de régulation entre les processus relationnels.

Enfin, ce modèle permet également de prendre en compte le mode relationnel et de distinguer des processus complémentaires et symétriques. Tous les processus identifiés dans le Modèle d’Analyse, exceptés les processus personnels, vont donc pouvoir être classés en symétrie ou complémentarité. Le code couleur rouge sera utilisé pour le mode complémentaire, le vert pour le mode symétrique.

Ci-dessous, nous présentons un exemple d’utilisation de ce modèle. Dans cette situation, le processus relationnel entre harceleur et harcelé relève de la domination-soumission (processus complémentaire), le groupe connaît une situation de conflit (processus symétrique) et l’organisation est animée par des phénomènes de maltraitance managériale (processus complémentaire).










Figure  SEQ Figure \* ARABIC 7 : Exemple d'utilisation de la première version du Modèle d'Analyse

L’étude des résonances consistera par exemple à voir si le conflit groupal renforce le processus interpersonnel de domination-soumission ou si ces deux processus limitent respectivement leurs impacts. On analysera également si le fait que les résonances se produisent entre des processus appartenant au même mode relationnel ou entre des processus de modes relationnels différents joue un rôle dans les effets de rétroaction positive ou négative.

Ayant classé l’ensemble des processus, on pourra décrire, en plus des processus et des résonances, des configurations, c’est-à-dire des modes de répartition des différents processus au sein du Modèle d’Analyse, correspondant à différents cas de figure des situations de harcèlement moral.

Globalement, on peut distinguer des configurations « pures » et des configurations « mixtes ».

Dans les configurations pures, tous les processus d’un même niveau (par exemple tous les processus groupaux) appartiennent au même mode relationnel. Ainsi, dans une configuration pure, on trouvera, par exemple, des processus interpersonnels qui sont tous complémentaires, des processus groupaux qui sont tous symétriques et des processus organisationnels qui sont tous complémentaires.

Parmi les configurations pures, on distinguera les configurations archétypales (tous les processus de tous les niveaux relèvent du même mode relationnel) et les configurations hybrides (au sein de chaque niveau, les processus appartiennent au même mode relationnel, mais ces modes relationnels diffèrent entre les niveaux). L’exemple figurant ci-dessus constitue donc une configuration hybride.

Enfin, lorsqu’au sein d’au moins un des niveaux, on trouve des processus à la fois symétriques et complémentaires, on parlera de configuration mixte. Dans l’exemple qui suit, la configuration est mixte car, au niveau de l’organisation, on trouve des processus à la fois symétriques et complémentaires.











Figure  SEQ Figure \* ARABIC 8 : Exemple d'utilisation de la première version du Modèle d'Analyse, 2

En résumé, les configurations archétypales sont caractérisées par des processus qui appartiennent tous au même mode relationnel, les configurations hybrides sont caractérisées par des différences inter-niveaux mais pas de différences intra-niveaux, et les configurations mixtes par des différences intra-niveaux, et par conséquent inter-niveau également.


3.2. Un second modèle pour penser la complexité des processus, résonances et configurations


3.2.1. Une représentation intégrée des différents niveaux

Le premier Modèle d’Analyse présentait les niveaux organisés sous forme de cercles concentriques parcourus de flèches pour indiquer les interactions, ce qui constituait un premier pas dans l’approche de la complexité. Le second Modèle permet de montrer comment les différents processus s’enchevêtrent les uns avec les autres, et de mieux rendre compte ainsi de la complexité des processus, résonances et configurations.














Figure  SEQ Figure \* ARABIC 9 : Deuxième version du Modèle d'Analyse

LEGENDE :
1 : processus personnels du harceleur
2 : processus personnels du harcelé
3 : processus interpersonnels
4 : processus groupaux à l’égard du harcelé
5 : processus groupaux à l’égard de la situation de harcèlement moral
6 : processus groupaux à l’égard du harceleur
7 : processus relationnels au sein du groupe de collègues :
8 : processus organisationnels à l’égard du harcelé
9 : processus organisationnels à l’égard de la situation de harcèlement
10 : processus organisationnels à l’égard du harcelé
11 : processus relationnels dans l’organisation

Dans cette représentation, on voit que chacun des niveaux comporte une zone propre qui définit ses processus indépendamment de la situation de harcèlement moral ou de ses protagonistes. On trouve ainsi une zone qui comprend les processus relationnels ayant cours dans l’organisation (zone 11, par exemple, la maltraitance managériale dans l’organisation), une zone qui comprend les processus relationnels intervenant au niveau du groupe (zone 7, par exemple, le conflit au sein du groupe), deux zones qui comprennent les processus personnels de chacun des protagonistes (zones 1 et 2).

On voit aussi, et c’est là un apport majeur de ce modèle, que des zones d’interaction apparaissent (zones 3, 4, 5, 6 et 8, 9, 10).

La zone 3 représente, comme dans le modèle précédent, les processus du niveau interpersonnel.

Les zones 4, 5, 6 et 8, 9, 10 représentent les processus groupaux et organisationnels qui concernent les protagonistes de la situation de harcèlement. Ces zones décrivent donc comment le groupe ou l’organisation se comportent par rapport au harceleur, au harcelé ou à leur relation.

L’ensemble composé des zones 4, 5, 6 sera appelé processus groupal à l’égard de la situation de harcèlement moral (ce qui comprend à la fois les comportements à l’égard du harcelé, du harceleur et de la situation), l’ensemble composé des zones 8, 9, 10 sera appelé processus organisationnel à l’égard de la situation de harcèlement moral (ce qui comprend à la fois les comportements à l’égard du harcelé, du harceleur et de la situation).

Ce modèle permet, comme le précédent, d’aborder les résonances entre les processus. A ce stade, la logique adoptée est similaire à celle du modèle précédent et ne nécessite pas de spécifications particulières.

Le deuxième apport de ce deuxième modèle est de montrer comment le groupe et l’organisation vont agir sur la relation interpersonnelle et influer sur le rapport de forces entre les protagonistes. C’est pourquoi le classement des processus qui se trouvent dans les zones d’interaction sur l’axe symétrie-complémentarité est lié à l’impact que ces processus vont avoir sur la relation interpersonnelle. Dans ce cadre, on pourra dire que certains processus ont pour effet de « complémentariser » la relation de harcèlement, d’autres de la « symétriser ». Par complémentariser, nous entendons contribuer à l’établissement ou au renforcement d’un processus complémentaire sur le plan interpersonnel. Par symétriser, nous entendons contribuer à l’établissement ou au renforcement d’un processus symétrique sur le plan interpersonnel. On parlera ainsi de processus groupaux ou organisationnels à effet symétrisant ou complémentarisant sur la relation interpersonnelle de harcèlement. Etant donné que le point de départ théorique de la situation de harcèlement moral est celui d’une relation complémentaire dans laquelle cette victime est en position basse, on considérera que tout ce qui contribue à renforcer le harceleur ou à affaiblir le harcelé constitue une complémentarisation, puisque cela renforce la relation de « supériorité » du harceleur sur le harcelé. Au contraire, on considérera que tout ce qui contribue à renforcer le harcelé ou affaiblir le harceleur relève de la symétrisation puisque cela permet d’équilibrer le rapport entre les protagonistes.

La figure suivante montre les quatre modalités d’impact sur la relation de harcèlement. On trouve en vert les forces symétrisantes, en rouge les forces complémentarisantes. Nous avons utilisé, pour représenter le rapport de force, le modèle graphique d’une balance.








Figure  SEQ Figure \* ARABIC 10 : Modalités d'impact des processus groupaux et organisationnels

Le tableau suivant permet une visualisation de ces éléments.

…harceleur …harcelé Donne plus de ressources, renforce le…1 Complémentarisation
Exemple : le soutien de l’organisation au harceleur 2 Symétrisation
Exemple : le soutien du groupe à l’égard du harcelé Retire des ressources, affaiblit le…3 Symétrisation
Exemple : la réprobation du harceleur par la hiérarchie4 Complémentarisation
Exemple : l’hostilité du groupe à l’égard du harcelé Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 13 : Tableau des impacts

Quatre cas de figure différents apparaissent donc en fonction de l’impact sur les ressources des protagonistes : les éléments peuvent avoir pour effet de donner plus de ressources au harceleur (1) ou au harcelé (2), ou peuvent avoir pour effet de retirer des ressources au harceleur (3) ou au harcelé (4).

Ce renforcement ou affaiblissement des ressources des protagonistes va donc impacter le caractère symétrique ou complémentaire de leur relation. Ainsi, les processus afférant aux cases 1 et 4 relèvent de la complémentarisation puisque soit ils renforcent le harceleur, soit ils affaiblissent le harcelé ; au contraire, les processus afférant aux cases 2 et 3 relèvent de la symétrisation puisque soit ils renforcent le harcelé, soit ils affaiblissent le harceleur.

Pour décrire les configurations, nous prendrons en compte toutes les zones qui concernent la relation de harcèlement. Nous excluons donc, pour l’étude des configurations, la partie du processus groupal qui est indépendante de la situation de harcèlement (zone 7) ; la partie du processus organisationnel qui est indépendante de la situation de harcèlement (zone 11) ; la partie des processus personnels indépendants de la situation de harcèlement (zones 1 et 2).

C’est donc, pour le niveau interpersonnel, la zone 3 qui nous intéresse ; pour le niveau groupal, les zones 4, 5 et 6 (processus groupaux à l’égard de la situation de harcèlement) et pour le niveau organisationnel, les zones 8, 9, et 10 (processus organisationnels à l’égard de la situation de harcèlement). Nous avons donc trois zones pertinentes pour l’étude des configurations : une zone interpersonnelle, une zone groupale et une zone organisationnelle.

En gris : les processus pertinents pour l’étude des configurations.


Figure  SEQ Figure \* ARABIC 11 : Zones pertinentes pour l'étude des configurations

A nouveau, on peut distinguer des configurations pures et des configurations mixtes. Pour représenter les configurations, on peut utiliser aussi bien le modèle en diagramme que celui de la balance. C’est que nous allons voir à l’aide de quelques exemples, déclinés chaque fois à l’aide des deux représentations graphiques.

Dans la configuration qui suit, le processus interpersonnel est complémentaire, les processus groupaux à l’égard de la situation de harcèlement sont complémentarisants, les processus organisationnels à l’égard de la situation de harcèlement le sont aussi. Il s’agit donc d’une configuration archétypale : tous les processus relèvent d’un même mode relationnel, la complémentarité.



Figure  SEQ Figure \* ARABIC 12 : Exemple de configuration archétypale













Figure  SEQ Figure \* ARABIC 13 : Exemple de configuration archétypale 2

Les deux figures suivantes représentent une configuration hybride : le processus relationnel interpersonnel est symétrique, alors que les processus groupaux et organisationnels sont complémentarisants. Au sein d’un même niveau, tous les processus relèvent du même mode relationnel, ce n’est donc pas une configuration mixte.





Figure  SEQ Figure \* ARABIC 14 : Exemple de configuration hybride















Figure  SEQ Figure \* ARABIC 15 : Exemple de configuration hybride 2

Enfin, le dernier cas de figure est une configuration mixte. Ici, les processus organisationnels sont à la fois symétrisants et complémentarisants. Il y a donc des différences intra-niveau puisque l’organisation joue un rôle ambivalent.






Figure  SEQ Figure \* ARABIC 16 : Exemple de configuration mixte
















Figure  SEQ Figure \* ARABIC 17 : Exemple de configuration mixte 2

Etant donné que le Modèle d’Analyse porte sur les processus relationnels, leurs interactions et les configurations qui en découlent, les autres données, relatives à des thématiques qui ne relèvent pas de processus relationnels (éléments matériels, caractéristiques et organisation du travail, localisation, …), seront placées autour du modèle. C’est là le troisième apport de ce deuxième modèle à savoir opérer la différence entre des processus relationnels et des fonctionnements ou éléments groupaux ou organisationnels plus généraux.


3.3. L’utilisation des modèles


Afin d’assurer la progressivité de la démarche, au cours de la phase exploratoire, les études d’accompagnements cliniques, nous utiliserons la première version du modèle.

Au sein de la phase confirmatoire, les études de cas de témoignages, nous utiliserons la deuxième version du modèle. Ce sera également le cas dans l’étape confrontatoire, l’étude de cas en organisation.











Quatrième partie :

Méthodologie
1. Le cadre épistémologique



Notre doctorat s’inscrit dans le cadre de référence épistémologique de la psychosociologie clinique, d’où son titre : psychosociologie clinique du harcèlement moral au travail et de ses liens avec l’hyperconflit.

Dans un premier temps, nous allons nous pencher séparément sur les deux approches qui constituent les bases de la psychosociologie clinique : la psychosociologie et l’approche clinique.

Pour Lévy, la psychosociologie consiste à étudier groupes et sociétés comme des touts où s’imbriquent le social et le psychique, conduites individuelles et conduites collectives, au travers d’une pratique concrète impliquant les chercheurs (Lévy, Pagès & De Peretti, 1997, p. 17). Ayant décidé de bâtir notre approche autour de la question des liens entre des processus personnels (individuels et interpersonnels) et sociaux (groupaux et organisationnels), une position épistémologique relevant de la psychosociologie était donc toute indiquée. On peut ajouter avec Amado et Enriquez (1996) que le terme « psychosociologie » présente l’intérêt de n’accorder aucune suprématie ni à la sociologie ni à la psychologie, mais seulement de saisir leur intrication permanente.

L’approche clinque suppose, quant à elle, comme le fait remarquer Aubert (1993, p. 70), au moins trois éléments interdépendants : la situation, la relation et la demande. Selon elle, l’approche clinique renvoie à une situation réelle où s’expose une souffrance générant une demande de secours portant sur le sens. Cette demande s’effectue dans le cadre de la relation entre le clinicien et son interlocuteur. La démarche clinique se caractérise également par l’intérêt porté aux situations dans leur diversité (Revault d’Allones, 1997, p. 152). Elle se distingue ainsi de la pensée classificatoire qui tend à modéliser le réel à partir de critères quantitatifs et statiques (de Gaulejac, 1993, p. 12).

Pour aller plus loin dans la définition des contours de la psychosociologie clinique, on peut se référer aux postures praxéologiques et théoriques auxquelles elle renvoie dans les deux disciplines liées à cette approche : la psychologie clinique et la sociologie clinique. En psychologie, le terme clinique est généralement lié à deux notions : celle de trouble et celle d’étude de cas. La notion de trouble, de pathologie ou encore de déviance par rapport à la normalité se retrouve dans des définitions comme celles de Huber (1993) ou de Piedinielli (1994) pour lesquels la psychologie clinique permet d’étudier et de traiter ce qui fait problème, les troubles ou encore la souffrance. L’autre notion se retrouve dans des définitions classiques comme celles de Lagache ou Favez-Boutonnnier pour qui la psychologie clinique est l’étude approfondie des cas individuels (Lagache, 1949), ou l’étude d’une personnalité singulière dans la totalité de sa situation et de son évolution (Favez-Boutonnier, 1959). Nous nous retrouvons donc à ce stade avec les éléments fondamentaux suivants : une souffrance, une attention portée aux cas dans leur singularité, une implication du clinicien dans la relation avec la personne en souffrance.

La locution « sociologie clinique », quant à elle, peut également nous renseigner sur le sens que revêt la posture « clinique » dans un contexte d’étude des phénomènes sociaux. De manière très générale, on peut dire que la sociologie clinique est la partie de la sociologie qui s’intéresse à la manière dont des destins individuels peuvent être conditionnés par des phénomènes sociaux (de Gaulejac, 1997). Elle se caractérise notamment par une sensibilité à la parole des gens et à la souffrance sociale, et insiste sur le fait que les phénomènes sociaux ne peuvent être appréhendés « totalement » que si l’on y intègre la façon dont les individus les vivent, se les représentent, les assimilent et contribuent à les produire (de Gaulejac, 1997). On retrouve donc ce double sens du mot « clinique », celui du cas étudié de manière approfondie, et celui de la souffrance. La notion d’implication du chercheur / intervenant est également très présente dans la sociologie clinique. De manière globale, pour le Laboratoire du Changement Social, qui travaille dans une perspective de sociologie clinique, cette approche entend lier théorie et pratique, recherche et intervention, et analyser l’articulation entre les processus psychiques et les processus sociaux.

En ce qui concerne spécifiquement la psychosociologie clinique, Enriquez (1993, pp. 27-35) en définit ainsi les caractéristiques, qu’il estime semblables à celles de la sociologie clinique. Pour lui, les deux orientations répondent aux critères suivants :
Elles n’ont pas d’objet propre. Il s’agit plutôt d’une manière de regarder les problèmes.
Elles mettent au centre de leurs préoccupations la manière dont les individus et les groupes sont capables de sortir de leurs déterminations sociales et psychiques.
Elles sont préoccupées par les modes d’articulation qui peuvent s’établir entre l’individuel, le groupal et le sociétal.
Elles ne peuvent se départir d’un projet militant relevant de la libération plutôt que de la normalisation.
Elles se présentent comme des sciences ou du moins comme des arts de la recherche et de l’acheminement progressif du sens. Elles cherchent donc à construire le sens ou le laisser lentement se révéler au cours de l’interaction.
Le surgissement du sens implique que puissent être étudiées les différentes instances de la réalité sociale, même si, en fonction des compétences et des intérêts propres à chaque chercheur, certains niveaux seront privilégiés. Pour les psychosociologues, par exemple, ce seront les niveaux interindividuel, groupal et organisationnel qui seront mis en avant.
Elles pensent qu’il ne peut y avoir de connaissance d’un objet sans intervention sur cet objet et sans sa collaboration active.
Le chercheur intervenant tente d’ouvrir le champ des possibles avec le système client, mais il ne peut le faire que s’il comprend sa souffrance, ce qui signifie respecter son mode d’investissement de la réalité et ses modes de défense, aussi aberrants peuvent-ils paraître.
Le chercheur intervenant tient compte tout autant de la vie affective et de la vie inconsciente que des déterminations socio-politiques et socio-économiques.
La sociologie clinique et la psychosociologie clinique sont des approches exigeantes : le psychisme et la personnalité de l’intervenant sont mobilisés comme ceux de l’objet sujet de la recherche.
Enfin, pour ce qui est de la différence entre psychosociologie clinique et sociologie clinique, celle-ci est ténue. Il semble que la psychosociologie clinique s’intéresse plus à des ensembles qui ont une frontière reconnue (les organisations par exemple), alors que les sociologues travaillent davantage en milieu ouvert. La première est plus sensible au travail psychique, la seconde au travail historique. Mais il s’agit là davantage d’une accentuation du regard que de différence essentielle.

Comme le signale Ollivier (2003), pour constituer sa problématique, la psychosociologie clinique doit affronter deux obstacles, que nous devrons donc également surmonter. Le premier consiste à penser que la vie d’une organisation et l’économie psychique individuelle n’ont rien à faire ensemble (p. 56). Le deuxième est de penser l’impact de l’organisation sur l’individu de manière univoque, en conceptualisant les choses sous forme d’une causalité directe entre un système de contraintes et des comportements personnels (p. 56).

Pour continuer cette revue de l’association des termes psychosociologie et clinique, nous partirons du Vocabulaire de psychosociologie (Barrus-Michel, Enriquez & Lévy, 2003) qui consacre une entrée au terme clinique. Selon Barrus-Michel, son auteur, il s’agit d’une approche compréhensive des situations humaines où le praticien est un interlocuteur ou un analyste disponible qui s’est mis en état aussi de recueillir l’expérience (p. 313). Elle y définit aussi quelques traits de la démarche clinique : une relation en tension, qui suggère un échange et une co-construction du sens ; une relation à la fois symétrique (en raison de l’implication du praticien-chercheur) et dissymétrique (du fait que la demande et la souffrance supposent une position de dépendance ou de subordination qui place le praticien chercheur en position de pouvoir) ; une relation contextualisée dans le temps et l’espace. La notion de souffrance est également présente : la pratique clinique suppose aussi la souffrance de celui qui, selon l’étymologie du mot, est dans le lit. La clinique suppose donc qu’il y ait quelqu’un dans le lit et quelqu’un qui se tient au pied du lit et au moins regarde dans une perspective de résolution. Ce dernier est supposé, sinon savoir, au moins permettre l’émergence du sens (p. 314). Cela ne signifie pas pour autant, à notre avis, qu’il va réduire la souffrance en elle-même, mais on peut espérer de cette démarche qu’elle rende une part de maîtrise de la situation à la personne en souffrance, en la laissant moins dans l’incompréhension brute de sa situation.

Elle ajoute enfin qu’une psychosociologie qui se veut clinique ne se proposera pas de dévoiler des faits ou d’atteindre une prétendue objectivité, mais de comprendre les processus par lesquels l’expérience sociale fait sens pour l’individuel et le collectif (p. 316). Ainsi, comme le montre Sevigny (2003), la psychosociologie clinique se démarque de l’approche expérimentale notamment par sa méthode de sélection des variables (p. 131). Si dans l’approche expérimentale, les variables sont déterminées en fonction de l’hypothèse à vérifier, ici, toutes les informations utiles à l’intervenant ou l’intervention seront retenues (p. 132). En outre, l’expérience ne peut pas être considérée comme un système de variables. Des dimensions, des significations peuvent être associées à l’analyse, mais il ne s’agit pas de variables au sens donné dans l’approche expérimentale.

Enfin, dans leur Introduction à la psychosociologie, Citeau et Engehlardt Bitrain (1999) décrivent la méthode clinique en psychologie sociale comme une des trois grandes méthodes en psychosociologie, à côté de l’étude-terrain et de l’expérimentation psychosociale. Pour ces auteurs, la démarche clinique constitue à la fois une orientation de recherche alimentant les perspectives en sciences humaines et une pratique d’intervention auprès de personnes ou de groupes de personnes directement impliquées dans des processus de prise de conscience et de changement. Ils ajoutent que, s’appuyant sur des méthodologies d’enquêtes développées essentiellement autour d’entretiens (cliniques) menés auprès des acteurs directement concernés par la perspective ou la problématique de l’étude, la démarche clinique vise à produire (révéler ou formaliser) des savoirs relatifs à leur expérience propre (p. 32).

A partir de tous ces éléments, nous pouvons donc synthétiser l’approche de psychosociologie clinique que nous allons développer de la manière suivante : l’étude des relations entre l’individuel (niveaux personnel et interpersonnel) et le collectif (niveaux groupal et organisationnel) dans le cadre de situations problématiques et sources de souffrance à partir d’analyses de cas intégrées dans une relation de co-construction du sens avec les personnes concernées.



2. Une recherche en trois étapes



Nous avons mené une recherche en trois temps dont nous allons d’abord donner une vue globale. Les éléments techniques, éthiques et méthodologiques seront abordés dans les parties suivantes.

De manière synthétique, on peut décrire les trois étapes de notre doctorat comme suit :
étude de cas de 2 personnes s’estimant victimes de harcèlement dans le cadre d’un accompagnement clinique (14 entretiens au total) ;
études de cas de 50 personnes s’estimant victimes de harcèlement moral à partir d’entretiens semi-directifs (100 entretiens au total) ;
étude d’un cas en organisation à partir d’entretiens semi-directifs (9 entretiens au total).


2.1. Les études de cas d’accompagnement clinique


La première démarche de recherche a consisté en la réalisation d’entretiens dans le cadre d’une démarche d’accompagnement clinique avec deux personnes qui s’estimaient victimes de harcèlement moral au travail. Ces personnes ont demandé à nous rencontrer dans le but d’être écoutées, soutenues, conseillées.

Nous avons procédé ici à l’application des techniques et principes de l’entretien non directif de recherche, avec une posture psychologique proche de l’entretien de conseil.

Ces analyses de cas revêtent un statut exploratoire dans notre démarche. En effet, au cours de cette étape, notre objectif est de procéder à une première identification des processus organisationnels, groupaux, interpersonnels et personnels à l’œuvre dans les situations de harcèlement. D’autre part, il s’agit également de mettre en lumière la manière dont les interactions opèrent entre les différents processus.

2.1.1. Mode de prise de contact et de participation à la recherche

Les personnes rencontrées ont pris contact avec nous sur base d’informations provenant de diverses sources et qui mentionnaient l’existence d’un service universitaire qui recevait les victimes de harcèlement moral au travail.

Soit elles ont trouvé nos coordonnées via Internet, et notamment sur le site du l’Université de Liège, soit elles ont été renseignées par des professionnels avec lesquels nous avons travaillé (médecins du travail, conseillers en préventions, personnes avec lesquelles nous avons entretenu des contacts dans le cadre de groupes de formation ou de réseaux d’échanges, …).

Les entretiens se sont déroulés dans les locaux de l’Université de Liège.


2.2. Les entretiens semi-directifs de recherche


La deuxième étape a consisté en la réalisation d’entretiens semi-directifs de recherche avec des personnes qui s’estimaient victimes de harcèlement moral au travail. Dans cette partie, 50 personnes ont été rencontrées à deux reprises.

Le but de ces analyses de cas est, de manière confirmatoire, de procéder à l’identification et à la quantification des processus organisationnels, groupaux, interpersonnels et personnels dans les situations de harcèlement, et de mettre en lumière les résonances entre les différents processus. Il s’agit en outre d’identifier et de quantifier les configurations qui ressortent des situations de harcèlement moral au travail.


2.2.1. Mode de prise de contact et de participation à la recherche

Les personnes ont été mises au courant de notre recherche par plusieurs canaux. D’abord, nous avons émis un appel à témoignage dans deux journaux. L’appel à témoignage était formulé après un article sur le harcèlement moral, dans lequel on faisait mention d’une recherche menée à l’Université de Liège sur cette question. Cet appel était formulé comme ceci : les personnes désireuses d’apporter leur témoignage peuvent contacter Daniel Faulx, Université de Liège, Service de Psychologie Sociale des Groupes et des Organisations. Suivaient les coordonnées.

Par ailleurs, sur le site de l’Université de Liège, à la rubrique Service de Psychologie Sociale des Groupes et des Organisations, on trouve ceci : recherche sur le harcèlement moral au travail ou mobbing, entendu comme conduite abusive portant atteinte à la personnalité, la dignité, l’intégrité physique et psychique. Les coordonnées sont également mentionnées.

Enfin, nous avons informé une trentaine de professionnels (médecins, psychologues d’entreprises, personnes de confiance, délégués syndicaux, …) du fait que nous menions des études sur le sujet, et que nous cherchions des témoignages.

Les personnes ont alors pris contact par téléphone. Lors de ce contact, nous leur avons précisé les modalités de rencontre : deux entretiens d’une heure à une heure et demie, au cours desquels nous allions recueillir leur témoignage.

Les entretiens se sont déroulés dans les locaux de l’Université de Liège.


2.3. Les analyses de cas en organisation


La troisième et dernière étape a consisté en des interviews en organisation dans le contexte suivant : une organisation connaissait une situation de harcèlement moral et la personne qui s’estimait victime avait formulé une demande d’aide auprès de sa hiérarchie. L’organisation souhaitait alors recueillir de l’information sur cette situation avant d’entreprendre éventuellement d’autres démarches. A cette fin, elle nous demandait que les personnes concernées soient rencontrées, interviewées et que le contenu de leurs interviews soit consigné dans un rapport.

Au cours de cette étape, nous avons donc mené des interviews semi-directives non seulement avec le plaignant (ou la victime), mais également avec d’autres personnes concernées par la problématique.

Le dispositif a consisté à rencontrer toutes les personnes qui semblaient pertinentes à questionner dans le cadre du cas, et réaliser au moins une interview avec ces personnes, plusieurs si cela s’avérait nécessaire.

Cette étape, au statut confrontatoire, vise à permettre la confrontation avec les données recueillies au cours des étapes précédentes. En effet, dans celles-ci, tant l’identification des processus que l’identification des résonances et configurations se fait sur base du discours des victimes supposées. Ici, nous allons donc pouvoir revenir sur les différentes données afin de voir dans quelles mesures, lors de l’étude complexe d’une situation, elles se confirment ou non.

2.3.1. Mode de prise de contact et de participation à la recherche

La direction de l’entreprise a pris contact avec nous en nous demandant de réaliser des interviews. Elle a pris connaissance de notre existence via un tiers.

Les interviews se sont déroulées dans les locaux de l’entreprise.



3. Questions éthiques


Le recueil et l’analyse des données exploitées dans cette étude ne peuvent s’affranchir d’un questionnement d’ordre éthique et de mesures prises en conséquence en particulier sur trois aspects délicats.

Le premier aspect tient au type de la problématique investiguée. En effet, les personnes interrogées ont témoigné d’événements douloureux et émotionnellement chargés. La plus grande prudence a été de mise dans la façon de les aborder, en évitant d’être intrusif quand la curiosité scientifique aurait pu nous y pousser ou d’être blessant quand notre logique scientifique aurait pu nous amener à être suspicieux. C’est pour cette raison que, lors de nos démarches d’entretiens individuels, nous avons travaillé au plus près de la manière dont celui qui se sent victime décrivait sa situation et avons réfléchi avec lui en fonction de sa réalité.

Le deuxième aspect tient à notre position d’intervenant. En effet, que cela soit dans le cadre d’accompagnements cliniques ou dans celui de l’intervention en organisation, les personnes se sont adressées d’abord à nous avec une demande d’aide, de pistes de solutions, de voies d’issues, non dans l’intention de nous fournir de l’information. Ceci nous impose une posture extrêmement stricte sur ce point : en toute circonstance, la recherche de la qualité de l’intervention, entendue au sens large, a été privilégiée par rapport à la recherche d’information pouvant nourrir le doctorat. Comme le dit Delhez (1991), les objectifs et les moyens de la recherche ou de l’enquête guident la conception et la mise en œuvre du dispositif, puis l’exploitation du matériel recueilli, c’est-à-dire l’avant et l’après de l’entretien. Pendant celui-ci, l’interviewer n’a pas à en être préoccupé (p. 57).

Au cours de l’entretien, notre attention s’est donc totalement orientée vers les personnes et le système organisationnel et social dans lequel nous intervenions. Ce n’est qu’en second ordre que nous avons utilisé les données. C’est pourquoi le recueil de l’information n’est pas basé sur le principe de l’application systématique d’une même démarche, mais est en permanence conditionné par le souci de qualité de l’intervention et des règles de déontologie qui nous imposent, notamment, de veiller à ne pas nuire.

En outre, nous avons mis en place un cadre déontologique spécifique au cours de la troisième étape, les interviews en organisation, qui vient s’ajouter aux principes sus-mentionnés. En effet, ces interviews ont été mises en place suite à une demande de la direction. Notre présence était donc liée à cette demande, non à celle des personnes interrogées. En outre, la direction attendait des « résultats ». Pour ces deux raisons, cette démarche a impliqué de mobiliser des précautions particulières.

Tout d’abord, nous avons veillé à assurer « l’étanchéité » de missions qui auraient pu se télescoper telles que le recueil d’information, le diagnostic et l’intervention. C’est pourquoi nous avons décidé de nous en tenir strictement au recueil d’information et à sa communication sous la forme la plus « brute ». Pour ce faire, nous avons procédé comme suit : au terme des interviews, nous avons produit un rapport écrit et confidentiel à la direction reprenant uniquement les propos des différentes personnes. Nous n’avons émis aucun avis, aucune conclusion personnelle sur la situation. En outre, nous nous sommes assuré que notre mandat ne comprenne aucune participation aux décisions ou aux mesures éventuelles qui pouvaient être prise dans sa foulée, afin de nous tenir à l’écart des implications liées à la dimension d’intervention qui suit souvent une démarche de diagnostic. Ces précautions nous ont permis de rester dans une position d’interviewer, et pas dans celle de diagnosticien ou d’intervenant.

Par ailleurs, toutes les interviews se sont faites avec l’accord des personnes interviewées : les personnes ont pu décider de ne pas être interviewées ou d’être interviewées et que leurs propos soient retranscrits de manière anonyme.

Le troisième aspect tient à la nécessité de confidentialité des données. Nous avons donc « maquillé » les noms de personnes, d’organisme et de lieux, et garanti à toutes les personnes la préservation de la confidentialité.

Il est enfin à préciser que tous les acteurs ont été informés du fait que nos interventions s’intègraient dans une démarche de recherche et des règles de déontologie en vigueur.

Nous pouvons ajouter à ces règles les quatre formes d’éthique préconisées par Enriquez (1993) dans sa description des principes de la psychosociologie clinique et de la sociologie clinique.
L’éthique de la conviction, qui permet d’avoir confiance en ses dires et le courage de les énoncer ;
L’éthique de la responsabilité, qui amène à tenir compte du devenir des structures et des hommes et à examiner en quoi le mode d’intervention provoque un changement ;
L’éthique de la discussion, qui amène à être particulièrement sensible à l’autonomie des personnes et à la reconnaissance de l’altérité ;
L’éthique de la finitude, qui donne la force de travailler sur ses limites, en reconnaissant l’existence de pulsions de mort et en comprenant les éléments destructeurs que l’on peut projeter sur les autres.

4. La méthode de recherche


4.1. L’entretien, méthode centrale


L’entretien constitue la méthode fondamentale de notre travail. Une situation rare si on en croit Kauffman (1996), qui signale que les entretiens occupent souvent une place secondaire dans les recherches. Or, selon lui, la richesse du social implique, si le chercheur souhaite s’en saisir, une méthode qui fait surgir cette complexité, ce qui selon son point de vue est particulièrement le cas pour la méthode des entretiens. Même si sa réflexion porte plus particulièrement sur la recherche en sociologie, elle s’applique bien à notre travail et aux convictions qui le sous-tendent.

En effet, nous avons choisi de procéder par entretien dans les trois étapes de notre doctorat. Nous avons travaillé plus précisément avec deux modalités d’entretien : l’entretien semi-directif de recherche et l’entretien non directif de recherche. Sur le plan théorique, on peut différencier ces deux types d’entretien à partir des axes proposés par Dautriat (1956).

Type d’entretienNon directifSemi-directifModes d’intervention de l’interviewerAttitude non directiveAlternance d’attitudes directives et non directivesType de données recherchéesTous les éléments du discoursVariables définies à l’avanceCaractéristiques de l’analyse ultérieure des donnéesQualitativeQualitative et/ou quantitativeButs de l’enquêteEtude de casDivers (champ d’application vaste)Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 14 : Comparaison des types d'entretien d'après Dautriat

Quelques commentaires permettent d’éclairer les raisons de ce choix. Les entretiens non directifs de recherche ont été choisis dans la première étape car ils permettent de répondre à une demande d’aide et laissent de larges possibilités pour une analyse de cas ouverte et exploratoire. Les entretiens semi-directifs ont été choisis comme méthode dans la deuxième étape dans la mesure où notre objectif est de recueillir des informations sur des thématiques prédéfinies afin de pouvoir compiler les résultats d’un nombre important d’entretiens. Nous avons également procédé par entretiens semi-directifs dans la troisième étape afin de pouvoir comparer les visions qu’ont différentes personnes de mêmes situations ou incidents. Pour ces raisons, de manière plus générale, l’entretien, dans ses deux modalités choisies, nous est apparu comme la meilleure posture de recherche pour conduire une démarche d’investigation à la fois systématique et se prêtant à une analyse qualitative fine, tout en respectant les principes éthiques sus-mentionnés.


4.2. L’entretien non directif de recherche ou E.N.D.R.


La méthodologie de l’entretien non directif de recherche (E.N.D.R.) a donc été choisie pour la première étape de notre recherche.

Le fait que les entretiens réalisés dans cette première phase se fassent en réponse à la demande d’une personne qui nous contacte est une dimension importante à prendre en compte. En effet, dans la typologie des entretiens établie par Delhez (1991), l’origine de la demande constitue un des trois traits majeurs permettant de différencier les divers modes d’entretiens, et spécifiquement la différence entre entretien de recherche et entretien clinique. Cela dit, cette distinction sur base de la demande est plus complexe qu’il n’y paraît. Selon Blanchet (1985), elle est souvent discutable et insuffisante. L’auteur montre qu’il existe des niveaux de demandes différents : latentes, explicites, initiales, provoquées, … En outre, comme nous l’avons déjà mentionné ci-dessus, il y a toujours présence d’une forme ou l’autre de demande.

A l’origine créé par Roethlisberger et Dickson dans les années 40, l’E.N.D.R. est synthétiquement décrit par Gighlione et Matalon (1985) de la manière suivante : l’enquêteur propose un thème et n’intervient que pour relancer et encourager (p. 57-58).

L’intérêt majeur de l’E.N.D.R. est de ne pas imposer un pré-découpage de l’objet à l’interviewé (Haas & Masson, 2006). Il faut signaler cependant que l’E.N.D.R. n’est jamais totalement non directif : aucune intervention de l’interviewer n’est indépendante des guides ou schéma implicites qui structurent sa vision du problème (Blanchet, 1985, p. 8). Comme le dit Pagès (2000, p. 154), il n’y a pas d’écoute pure ou innocente : toute écoute est tributaire d’une analyse, d’hypothèses au moins implicites sur le territoire psychique qui intéresse le chercheur, le type de connexions auxquelles il s’intéresse, leurs conditions d’évocation, les dispositifs, les modalités d’implication du formateur-psychothérapeute et les limites qu’elles autorisent.

C’est donc en nous basant sur une attitude non directive, et pas seulement sur une « technique », que nous nous sommes employé à centrer notre attention sur le discours de la personne plutôt que sur nos propres schémas.

Selon Blanchet (1985, p. 40), la non directivité peut se caractériser par quelques attitudes :
reconnaître le sentiment ou l’attitude exprimés dans l’immédiat,
interpréter ou reconnaître les sentiments et attitudes exprimés dans le comportement et le discours en général,
indiquer le thème de l’entretien,
reconnaître le contenu de ce que le client vient de dire,
poser des questions très précises,
donner des informations,
définir la situation d’entretien par la responsabilité du client de l’utiliser.

Sur cette question, on ne saurait négliger l’apport de Rogers. Certes, l’application rogérienne de la non directivité dans un cadre clinique, appelée conseil psychologique, est différente de son application dans un cadre de recherche puisque dans le premier cas, il s’agit d’être efficace par rapport à la personne concernée, non de mener une recherche (Blanchet, 1985). Mais, comme le montre Gottman (1985), cela n’enlève pas pour autant la pertinence de cette pratique dans un travail d’enquête.

Chez Rogers, quatre principes président à la notion de non directivité : la non directivité est une attitude générale de l’interviewer qui se traduit dans son style d’intervention, l’interviewer centre ses interventions sur la personne et non pas sur le problème, la personne doit adresser une demande d’aide dans un objectif de changement, cette demande d’aide crée une situation de dépendance dont l’élucidation favorise l’issue de la thérapie (Blanchet, 1985).



4.2.1. Pratique et méthodologie de l’E.N.D.R. dans le cadre de notre travail

Afin d’être transparent sur le type d’aide proposée et l’articulation avec la démarche de recherche, nous avons donné les précisions suivantes aux personnes lors de l’introduction de l’entretien : la consultation que vous avez sollicitée s’inscrit dans le cadre d’un travail de doctorat que je mène à l’Université de Liège.

Ce doctorat porte sur les situations de souffrance liées aux relations de travail. Le but de ce doctorat est de mieux comprendre ces situations, comment elles se déclenchent, dans quel contexte elles s’installent, quelles en sont les conséquences pour les personnes qui les subissent.

La consultation a pour objectif de vous fournir l’occasion de recevoir de l’écoute et, dans la mesure du possible, du soutien par rapport à votre situation. Vous devez également savoir que nos rencontres sont susceptibles d’enrichir mon travail de doctorat. En vous rendant à ma consultation, vous participez donc à une démarche de recherche, dont je pourrai vous donner tous les détails si vous le souhaitez ainsi que vous informer des résultats une fois que celle-ci sera terminée.

Je m’engage en outre à respecter les trois règles déontologiques suivantes :
le doctorat garantit l’anonymat des personnes ou organisations concernées, soit par le fait que le propos est général, soit par le masquage des noms et données essentielles ;
je respecterai la stricte confidentialité de vos propos ;
ma préoccupation de recherche ne conditionnera en aucune façon les entretiens que je pourrais avoir avec vous.

Pour rappel, si ces conditions ne vous conviennent pas, je peux vous proposer des noms de professionnels qui sont spécialisés en matière de souffrance au travail.

Une fois ces éléments clarifiés avec les personnes, la manière dont nous avons mené les entretiens au cours de cette première phase de recherche s’est fondée sur l’adoption d’une posture non-directive telle que décrite ci-dessus. Ceci ne signifie pas pour autant une attitude passive ou silencieuse de notre part : l’écoute active, telle qu’elle se pratique dans le cadre de l’E.N.D.R., permet des interventions de la part de l’interviewer. La technique d’entretien pour laquelle nous avons opté donnait une large place aux interventions de facilitation (relance, soutien et accompagnement du discours), d’une part, et de réitération (reformulation, synthèse) d’autre part.

Sur un plan méthodologique, la reformulation et la synthèse occupent une place très importante dans nos entretiens dans la mesure où elles permettent de combiner les avantages de l’écoute active et non directive, tout en préservant les objectifs de recherche. En effet, au niveau de la relation, ce type d’intervention est tout à fait cohérent avec une attitude d’écoute et d’accompagnement clinique, et au niveau de la rigueur du recueil de l’information, elle nous permet de valider notre compréhension des éléments apportés par la personne.

Lorsque cela apparaissait pertinent et utile par rapport à la démarche d’entretien, nous avons ainsi jalonné les entretiens de reformulations au cours desquelles nous reprenions les propos des personnes tels que nous les avions compris en vérifiant auprès d’elles qu’elles validaient bien la manière dont nous reprenions leur discours. Au terme d’un ou de plusieurs entretiens, nous avons également procédé par des interventions de synthèse qui nous ont permis de leur exprimer notre vision plus générale du cas et de leur proposer notre analyse de la situation, en les invitant à y réagir.

L’écoute active, d’une part, et les interventions de reformulation et de synthèse, d’autre part, ont donc contribué au développement de la relation d’accompagnement clinique et permis la validation de nos informations et de nos analyses par les personnes. En ce sens, ce mode d’intervention s’inscrit dans la lignée des positions méthodologiques de la psychosociologie clinique, et constitue la concrétisation, en termes de technique d’entretien, de la co-construction du sens.


4.3. L’entretien semi-directif


L’entretien semi-directif a été utilisé dans les deux autres étapes de notre travail. Divers termes, presque synonymes, sont employés pour désigner ce mode de recueil de l’information : entretien semi-directif, donc, mais aussi entretien guidé, entretien semi-structuré, entretien focalisé, entretien centré, entretien semi-ouvert (Poirier, Clapier-Valladon & Raybaut, 1996, p. 220). Gighlione et Matalon (1985) signalent que les termes « entretien clinique » ou « entretien structuré » sont également utilisés comme synonymes d’entretien semi-directif.

Pour construire notre dispositif d’entretien, nous nous sommes d’abord référés aux conditions minimales définies par Gighlione et Blanchet (1991). Pour ces auteurs, l’entretien est une situation conventionnelle de face à face entre un interviewer et un interviewé, initiée à la demande de l’interviewer qui enregistre et conduit l’entretien.

Comme l’expliquent Blanchet et al. (1985), l’entretien focalisé cherche à résoudre un problème méthodologique fondamental : obtenir à la fois un matériel discursif fiable, c’est-à-dire correspondant effectivement à ce que pense la personne interviewée, et à la fois valide, c’est-à-dire conforme aux objectifs de la recherche (p. 51).

Enfin, du point de vue technique, la conduite de l’entretien s’effectue à l’aide de consignes (actes directeurs qui initient le discours sur un thème donné) et de relances (actes subordonnés qui réfèrent à l’énoncé précédent de l’interviewé) (Gighlione & Blanchet, 1991). Le chercheur construit alors un guide sur base de ses hypothèses, sélectionnant les données à recueillir. Il existe ainsi un schéma d’entretien, définissant une grille de thèmes, mais l’ordre dans lequel ils sont abordés est libre (Gighlione & Matalon, 1985). Comme le dit Delhez (1985), cet entretien est donc orienté en fait, même si cela ne devrait pas se sentir, par une liste de thèmes et de sous-thèmes : le guide d’entretien (pp. 48-49).





4.3.1. Pratique et méthodologie de l’entretien semi-directif dans le cadre de notre travail

Lors de la deuxième phase de la recherche, l’entretien a été introduit de la manière suivante, proche de ce que nous avons fait au cours de l’étape précédente, mais en intégrant le fait qu’il s’agit ici d’entretiens semi-directifs de recherche relevant du témoignage.

L’entretien que nous allons réaliser ensemble s’inscrit dans le cadre d’un travail de doctorat que je mène à l’Université de Liège.

Ce doctorat porte sur les situations dans lesquelles une personne ressent de la souffrance ou des difficultés liées aux relations qu’elle vit sur son lieu de travail. Le but de ce doctorat est de mieux comprendre ces situations, comment elles se déclenchent, dans quel contexte elles s’installent, quelles en sont les conséquences pour les personnes qui les subissent.

Nos rencontres sont donc susceptibles d’enrichir mon travail de doctorat. Si vous en acceptez les conditions, vous participez donc à une démarche de recherche, dont je pourrai vous donner tous les détails si vous le souhaitez, ainsi que vous informer des résultats une fois que celle-ci sera terminée.

Je m’engage en outre à respecter les deux règles déontologiques suivantes :
le doctorat garantit l’anonymat des personnes ou organisations concernées, soit par le fait que le propos est général, soit par le masquage des noms et données essentielles ;
je respecterai la stricte confidentialité de vos propos ;

Pour rappel, si ces conditions ne vous conviennent pas, je peux vous proposer des noms de professionnels qui sont spécialisés en matière de souffrance au travail.

En plus de ces éléments, les interviews en organisation (troisième étape) ont été introduites de la manière suivante.

Information sur les objectifs, à savoir : recueillir de l’information sur une situation au sein du service, situation définie par certains comme étant problématique du point de vue psychosocial ;
Information sur notre rôle d’interviewer, particulièrement sa fonction de recueil d’information et non de décision ;
Information sur l’utilisation qui sera faite du rapport et garantie de confidentialité ;
Demande d’autorisation d’enregistrer l’entretien et information quant à la destruction des cassettes au terme de la procédure ;
Demande d’accord de procéder à l’entretien, information sur le fait que l’on peut refuser ;
Demande de levée éventuelle de l’anonymat de l’entretien ;
Démarrage de l’entretien proprement dit.


Après avoir introduit les entretiens, nous avons donc utilisé notre guide d’entretien comme un guide souple, permettant d’orienter nos interventions tout en épousant le rythme, l’ordre de présentation ainsi que le fonctionnement affectif et cognitif de la personne. Nous avons, à nouveau, procédé par des interventions de facilitation et de réitération, mais avons également posé des questions ou orienté le discours de la personne sur les sujets définis dans le guide d’entretien.

La place très importante que nous avons donnée aux reformulations et interventions de synthèse est similaire à celle que nous avons appliqué lors de l’utilisation de l’E.N.D.R.. Ainsi, par rapport à chaque rubrique de notre guide d’entretien, nous avons validé nos informations et analyses auprès des personnes pour vérifier que celles-ci se reconnaissaient bien dans la manière dont nous avions entendu et compris leur situation. Les éléments descriptifs ont d’abord été repris, les éléments d’analyses ensuite.

4.3.2. Le guide d’entretien


Dans les lignes qui suivent, nous présentons les rubriques du guide d’entretien, avec des exemples de questions d’ouverture pour chaque thème, c’est-à-dire des questions volontairement générales qui permettent d’ouvrir l’investiguation sur la thématique en question.

a) Genre et type de harcèlement, contexte organisationnel global

Les premières questions visent à situer quelques éléments généraux d’information sur le genre des différents protagonistes, leur position hiérarchique ainsi que sur le contexte organisationnel global : type d’entreprise, taille, organisation générale, organisation et composition de l’unité dans laquelle se passe la situation.

b) Le récit de la situation

Cette partie de l’entretien est centrée sur le récit de la situation, à partir de trois grandes questions, intentionnellement formulées de manière très générale : Que se passe-t-il entre vous (le harcelé) et l’autre (le harceleur) ? Qu’en est-il au niveau du groupe ? Qu’en est-il au niveau de l’organisation (le management, les supérieurs ; le fonctionnement de l’organisation) ?

c) Les conséquences sur la personne

Dans cette partie, c’est l’ensemble des conséquences sur la vie de la personne que nous investiguons, c’est-à-dire les impacts, de quelque nature qu’ils soient, dont elle estime qu’ils sont liés à la situation de harcèlement moral. Nous sommes partis de questions comme : la situation a-t-elle des effets sur vous ? Lesquels ? Le fait de vous trouver dans cette situation a-t-il modifié certaines choses dans votre vie ?


d) Les comportements de harcèlement

Dans cette partie, nous invitons la personne à s’exprimer en isolant les comportements du harceleur de ses réactions à elle. On s’intéresse donc ici à une vision partielle de la relation, centrée sur les comportements posés par « l’autre », indépendamment ou presque des comportements posés par la personne qui raconte. Les questions sont de ce type : pourriez-vous décrire le comportement de l’autre personne ? Comment se comporte-t-elle vis-à-vis de vous ?

Il y a deux raisons à ce choix. D’abord, la littérature ainsi que les propos tenus par les victimes lorsqu’elles s’expriment « spontanément », c’est-à-dire en dehors d’une forme structurée d’entretien, se caractérisent généralement par cette forme d’unilatéralité du récit. Il faut rappeler à ce sujet que la plupart des définitions décrivent le harcèlement à partir d’actes posés par le harceleur, non à partir d’une forme particulière d’interaction. C’est donc en toute logique que le harcèlement se donne à voir dans un premier temps sous cet angle probablement réducteur, mais extrêmement révélateur de ce que peut vivre une personne.

La deuxième raison est que l’enchevêtrement des actes des protagonistes sera abordé dans la partie consacrée aux stratégies de coping. C’est dans cette phase ultérieure de l’entretien qu’il sera plus aisé de questionner la personne sur les réactions que le harceleur a eues par rapport à ses réactions à elle, et d’ouvrir ainsi sur les processus interpersonnels.


e) Les stratégies de coping et leurs effets

Alors que la partie précédente se caractérise par une isolation de séquences comportementales, la partie consacrée aux stratégies de coping invite la personne à s’exprimer sur la manière dont les actes posés par le harceleur ont suscité des stratégies de coping de sa part, les effets de ces stratégies de coping sur les comportements du harceleur, comment ces comportements ont eux-mêmes conditionné d’éventuelles nouvelles stratégies de coping et ainsi de suite. Les questions sont de ce type : quand la personne agit de telle manière, que se passe-t-il ? Que faites-vous ? Quelles sont vos réactions ? Pourriez-vous me décrire ce qu’il se passe entre elle et vous ? Suite à vos réactions, que se passe-t-il ? Avez-vous tenté des choses pour essayer de changer la situation ?

La partie de l’entretien consacrée aux stratégies de coping permet donc une investigation processuelle de la situation à travers l’enchaînement des comportements des acteurs. Elle débouche sur une vision processuelle, et non plus uniquement sur les actes posés par le harceleur et ses conséquences.

En outre, bien que cette partie vise plus particulièrement le processus interpersonnel qui intervient entre harceleur et harcelé, si d’autres protagonistes entrent en jeu dans les stratégies de coping ou dans les comportements du harceleur, elle sera aussi d’une occasion de commencer à aborder le comportement de l’entourage professionnel.

f) Les réactions de l’entourage professionnel (collègues, supérieurs, direction, autres acteurs)

Nous nous penchons plus particulièrement dans cette partie sur la manière dont l’entourage professionnel réagit à la situation de harcèlement. Prioritairement, nous nous intéressons aux collègues qui sont témoins de la situation et à la hiérarchie directe. Dans une perspective plus large, nous portons un regard sur des acteurs comme le management, la direction de l’organisation, la délégation syndicale ou encore la médecine du travail, par exemple.

Les réactions de l’entourage nous permettront donc, lors de l’analyse, d’aborder les processus sociaux (groupaux ou organisationnels) qui entourent un cas de harcèlement moral, et d’étudier la manière dont ceux-ci peuvent influencer son développement, voire y participer. Ce questionnement permet donc d’aller au-delà du processus interpersonnel et d’approcher les dimensions groupale et organisationnelle. Les questions sont de ce type : qu’en pense la direction ? Il y a-t-il des réactions de sa part ? Quelle est l’attitude du management ? Du chef ? Qu’en pensent les collègues ? Comment réagissent-ils ? Comment décrireriez-vous vos relations avec vos collègues, votre chef, la direction ?

Plus généralement, cette partie sera consacrée également au contexte qui entoure la situation. Les questions sont de ce type : pourriez-vous dire comment fonctionne l’organisation ou le groupe ? Quelles sont ses caractéristiques ? Quel est le genre de relation dans le groupe ou l’organisation ? Quelle est l’ambiance dans le groupe ou l’organisation ? Comment cela se passe-t-il entre les autres personnes ?

g) Les explications données aux situations

Enfin, nous investiguons ici les explications que les personnes donnent à leur situation. Cette dernière partie de l’entretien est la seule qui n’est pas fondée essentiellement sur le récit et la description puisque les personnes sont plutôt invitées à élaborer une réflexion sur leur situation. Elle permet de voir quelles hypothèses explicatives les personnes ont construit pour expliquer la situation qu’elles vivent. Les questions sont de ce type : comment comprenez-vous ce qui vous arrive ? Qu’est-ce qui fait que cela se passe comme ça ? D’après vous, qu’est-ce qui contribue au fait que la situation se passe de cette façon ? Cette situation a-t-elle une signification pour vous ? Quels sont pour vous les éléments qui jouent un rôle dans le fait que cette situation existe, se développe, s’aggrave ?

Cela nous permettra d’investiguer la manière dont les personnes se représentent les impacts des différents niveaux. Vont-elles plutôt insister sur des éléments organisationnels, groupaux, interpersonnels ou personnels ? Quels liens vont-elles tisser entre ces éléments d’explication ? C’est à ces questions que cette partie de l’entretien va permettre de répondre.

Il s’agit là d’un moment fondamental de l’entretien dans l’optique d’une co-construction du sens. Au cours de cette phase, la personne élabore peu à peu son explication, en interaction avec un tiers entre elle et son histoire. Elle tente de donner du sens à ce qui peut sembler absurde. Nous contribuons à cette recherche de sens en stimulant la personne par notre présence, notre écoute et nos questions, tout en évitant de proposer des explications qui viendraient se substituer au « sens émergeant ». Par contre, nous l’encourageons à chercher des liens, à tisser des connexions entre ses représentations et à explorer ses hypothèses personnelles sur la situation qu’elle est en train de vivre.












h) Vue globale du Guide d’Entretien


























Figure  SEQ Figure \* ARABIC 18 : Vision d'ensemble du Guide d'Entretien


4.4. L’analyse des données


Comme le font remarquer Gighlione et Blanchet (1991, p. 57), le discours produit par un entretien de recherche est un ensemble complexe d’énoncés. Il peut se prêter à plusieurs types d’analyses. Nous avons choisi de procéder par analyse qualitative de nature socio-sémantique portant sur le contenu et appliquant les principes de l’analyse thématique et de l’organisation catégorielle.

Nous allons, dans les lignes qui suivent, reprendre chacun des mots-clés : analyse qualitative, socio-sémantique, portant sur le contenu, analyse thématique, organisation catégorielle.

Pour opérer tout d’abord la distinction classique entre approche quantitative et approche qualitative, on peut se rapporter à Bardin (1991), pour qui dans l’analyse quantitative, ce qui sert d’information est la fréquence d’apparition de certaines caractéristiques de contenu. Au contraire, dans l’analyse qualitative, c’est la présence ou l’absence d’une caractéristique de contenu donnée ou d’un ensemble de caractéristiques, dans un fragment de message, qui est prise en considération. On peut ajouter avec Mucchielli (1994, p. 3) que les méthodes qualitatives sont des méthodes des sciences humaines qui recherchent, explicitent, analysent des phénomènes (visibles ou cachés). Ces phénomènes, par essence, ne sont pas mesurables (...), ils ont les caractéristiques spécifiques des «  faits humains ». L’étude de ces faits humains est réalisée avec des techniques de recueil et d’analyse qui, échappant à toute codification et programmation systématique, reposent essentiellement sur la présence humaine et la capacité d’empathie, d’une part, et sur l’intelligence inductive et généralisante, d’autre part.

Du point de vue du cadre méthodologique, si on se rapporte à l’inventaire des méthodes et pratiques formalisées d’analyse de contenu et de discours dans la recherche sociologique française contemporaine réalisé par Jenny (1997), on peut dire que notre analyse de données est de nature socio-sémantique c’est-à-dire qu’elle procède par segmentation du corpus en unités de signification pertinentes et par catégorisation multidimensionnelle conforme aux grilles d’analyse conceptuelle propre à chaque recherche, dans une optique de codage a posteriori ou le chercheur lit le texte et marque lui-même les unités de sens du corpus (p. 67). L’unité de sens est donc le centre de l’analyse, fruit du découpage du texte en  tranches ayant, en elles-mêmes, un sens global unitaire (Mucchielli, 1979, p. 32). Notre démarche a donc consisté à regrouper ensemble tout mot, toute phrase ou portion de phrase ayant un sens complet en soi. (…). Conséquemment, seront regroupés ensemble plus tard tous ces mots, phrases ou portions de phrases recouvrant le même sens (L’Ecuyer, 1990, p. 62).

De manière générale, il s’agit d’une analyse de contenu davantage qu’une analyse de discours, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une analyse qui porte sur les contenus, unités de signification supposées véhiculées par un contenant (le langage), traversant donc ou ignorant sa réalité matérielle (Giust-Desprairies & Lévy, 2003, p. 290). L’opération consistant à sélectionner, condenser, catégoriser, regrouper et organiser l’information, c’est donc une mise en ordre systématique du contenu manifeste d’un discours (Berelson cité dans Giust-Desprairies & Lévy, 2003) que nous avons mise en place.

Pour la mener à bien, nous nous sommes référés aux principes de l’analyse thématique telle que définis par Poirier et al. (1996), qui l’utilisent dans le cadre de l’analyse de contenus de récits de vie. Même si notre mode d’entretien ne relève pas à proprement parler du récit de vie, les principes d’analyse utilisés dans ce cadre nous apparaissent pertinents pour notre recherche, moyennant quelques corrections, dans la mesure où ils permettent d’effectuer une série d’opérations destinées à l’interprétation d’un corpus abondant, multiforme et foisonnant d’information (Poirier & al., 1996, p. 150), avec l’intention d’appréhender sa multiplicité, sa complexité, sa richesse. Afin de préciser cette notion cruciale d’interprétation, on peut se référer à Robert et Bouillaguet (1997) qui, dans leur ouvrage consacré à l’analyse de contenu, la définissent comme l’action d’inférer, d’accomplir une opération logique par laquelle on tire d’une ou plusieurs propositions (en l’occurrence les données établies au terme de l’application des grilles d’analyse) une ou plusieurs des conséquences qui en résultent nécessairement (p. 35). Il s’agit, ajoutent les auteurs, de justifier la validité de ce qu’on avance à propos de l’objet étudié en exposant les raisons de la preuve.

Par analyse thématique, on entend une recherche méthodique des unités de sens par l’intermédiaire des propos tenus par les « narrateurs » relativement à des thèmes (Poirier, Clapier-Valladon & Raybaut, 1996, p. 215). Cette analyse thématique permet l’analyse qualitative de données par la sélection et l’organisation rationnelles des catégories condensant le contenu essentiel d’un texte donné (Kraucauer, 1958, cité dans Poirier & al., p. 243).

Pour procéder à cette analyse thématique, nous avons construit des grilles d’analyse. Il s’agit ici de ce que les auteurs appellent un examen de type classificatoire. Les grilles d’analyse sont élaborées en fonction de la visée théorique qui a déterminé les consignes de recueil des données. En effet, d’une part, le canevas établi pour l’enquête nous fournit a priori les thèmes principaux, d’autre part, le travail d’inventaire nous donne des catégories a posteriori. Le choix de ces catégories (…) < qui > obéit à certaines règles techniques d’exclusion mutuelle, de pertinence, d’homogénéité et d’efficacité, est le fait du chercheur (…). Il faut donc établir des catégories descriptives renvoyant à des variables du texte exclusives les unes des autres, qui découpent et organisent le discours (Poirier, Clapier-Valladon & Raybaut, 1996, p. 165). Concrètement, ils proposent de procéder avec une colle et des ciseaux afin d’avoir toujours les fragments du texte sous les yeux et de pouvoir ainsi changer les fragments de catégories sans devoir revenir au texte d’origine. C’est donc ainsi que nous avons procédé, si ce n’est que nos actions de couper et coller se sont faites informatiquement, chose peu répandue et guère possible en 1983, date de la première publication de l’ouvrage auquel nous nous référons.

Cette coexistence de catégories construites a priori et a posteriori nous a parue particulièrement intéressante pour conjuguer rigueur et créativité, vérification et exploration. En effet, sur le plan de la rigueur, les catégories a priori conduisent à un recensement systématique suivant le plan d’entretien alors que les catégories a posteriori permettent, dans une perspective plus exploratoire, de découvrir d’autres significations, parfois imprévues, qui éclairent le matériel.

Dans notre cas, pour la création des catégories, nous avons procédé en deux lectures/analyses et classification du matériau, comprenant chaque fois la création de catégories a priori et a posteriori.

En première lecture/analyse, nous nous sommes référé aux catégories a priori suivantes : type d’entreprise, statut des protagonistes, conséquences de la situation pour le harcelé, comportements hostiles provenant du harceleur, stratégies de coping. Nous avons ensuite créé des sous-catégories de type d’entreprise, conséquences, stratégies etc., construites donc a posteriori.

Pour la deuxième lecture/analyse, nous avons repris l’ensemble du texte et extrait les fragments de discours qui rendaient compte de la situation de harcèlement afin de procéder à l’étude des processus. Ces fragments ont d’abord été regroupés selon les catégories a priori suivantes : ce qui concerne le fonctionnement personnel des protagonistes, ce qui concerne la relation interpersonnelle entre harceleur et harcelé, ce qui concerne le groupe des collègues, ce qui concerne l’organisation. A partir de ces quatre grandes catégories, dans la même logique que celle décrite dans le paragraphe précédent, nous avons créé des sous-catégories a posteriori à l’intérieur de chacune de ces grandes catégories a priori. Ces catégories rendent ainsi compte des processus relationnels et éléments de contexte à l’œuvre dans le cas étudié.

Une fois créées et dénommées ces catégories rendant compte des processus, nous avons procédé à la classification dans notre Modèle d’Analyse, afin, selon l’expression de Poirier et al., de redonner du corps à un matériel diversifié.


Nous entrons donc ici dans la dernière étape du travail, qui a consisté à repérer les noyaux de sens qui composent la communication et dont la présence ou la fréquence d’apparition pourront signifier quelque chose pour l’objectif choisi (Bardin, 1977, p. 105, cité dans Poirier et al.). Les auteurs ajoutent que le système catégoriel organise le corpus en le structurant. Cela permet donc de rassembler les éléments de l’enquête et de les analyser dans une double perspective horizontale et transversale, donc d’établir un système permettant de ventiler les réponses (p. 166).

4.4.1. Vue d’ensemble de la démarche d’analyse des données.

Nous pouvons donc schématiser notre démarche d’analyse des données de la manière suivante : dans un premier temps, les différents fragments ressortant des entretiens ont été isolés. Ils ont ensuite été regroupés : les passages évoquant le même type de thématique ont été mis ensemble, et un nom de catégorie leur a été attribué.

Ces différentes catégories ont ensuite été listées, et placées dans le Modèle d’Analyse (première version pour la première étape, deuxième version pour les deuxième et troisième étapes), ce qui correspond à la phase d’organisation catégorielle.







Processus de recherche Output






























Figure  SEQ Figure \* ARABIC 19 : Vue d'ensemble du processus de traitement de l'information


4.5. Regard critique sur le dispositif méthodologique


Il est à signaler que d’importants débats ont lieu aujourd’hui sur la question des types d’analyse de contenu, et que, notamment, l’analyse thématique fait l’objet de controverses. Ainsi, Poirier et ses collaborateurs citent la critique cinglante qu’en font Gighlione et Matalon (1991) : l’analyse thématique n’est qu’un méta-discours (…). Alors autant demander au codeur de parler sur le discours des autres. Ce sera plus simple, moins onéreux et presque aussi efficace (p. 166). Pour Poirier et al., de tels propos révèlent une totale méconnaissance de la minutie du décryptage du contenu manifeste et des démarches de mise en ordre, ainsi que de la répétitivité des récits. Ils reconnaissent qu’évidemment, toute analyse de contenu a ses limites car elle est toujours un travail subjectif sur un matériel humain. Mais ajoutent que c’est aussi la même situation pour des analyses qui se veulent objectives, scientifiques, voire automatiques, et qui ne peuvent que camoufler par de savants calculs les biais et les lacunes des questions fermées (p. 166).

Cette controverse ne se limite pas d’ailleurs au mode d’analyse du contenu, mais porte aussi sur le dispositif d’entretien en général. Comme l’indique Kauffman (1996), on peut distinguer deux pôles dans l’utilisation des entretiens en contexte de recherche : comprendre ou décrire, d’une part, mesurer d’autre part. Pour le premier pôle, Kauffman décrit « l’entretien support d’exploration » comme un instrument souple dans les mains du chercheur attiré par la richesse du matériau qu’il découvre (p. 15). Cependant, ce mode d’entretien est, lui aussi, l’objet de critiques virulentes. Ainsi, comme le dit Kauffman, les principes de l’entretien « impersonnel » et des techniques standardisées d’analyses de contenu (autrement dit les techniques apparentées au pôle « mesurer ») ont tendance à se présenter comme les seules méthodes sérieuses disponibles, ce qui est doublement abusif : d’une part parce qu’elles ne représentent qu’une manière particulière de conduire les entretiens et d’analyser le matériau, adaptée seulement à certains contextes (…) et secondairement parce que la preuve de leur efficacité, même dans ces domaines limités, n’est pas encore vraiment faite (p. 19). Cela dit, nous pouvons constater que les tenants de l’approche standardisée se plaignent également d’être dévalorisés, comme le montre assez clairement cet extrait tiré de Jenny (1997) : il ressort notamment que nos collègues étrangers, même ceux qui bénéficient d’un support institutionnel incomparable avec le désert français (dans certains programmes d’enseignement, colloques et manuels de méthodologie, par exemple) et dont les pratiques informatisées sont parvenues à un stade de relative maturité, se plaignent d’une insuffisante reconnaissance par les autorités académiques, voire du mépris implicitement affiché à l’encontre de toute activité logicielle, réduite au rang d’assistance technique subalterne et a priori suspecte (la conception de programmes n’y est pas considérée comme du travail de recherche : ce qui serait inconcevable en France, n’est-ce pas ?!) (p. 66).

Il n’en reste pas moins, selon Kauffman (1996), que cela place le chercheur qui fait le choix de comprendre et décrire plutôt que mesurer dans une posture délicate qui nous est racontée par l’auteur : ne pouvant se résoudre à abandonner ce filon, il devient sourd aux critiques qui l’assaillent, l’enjoignant à faire preuve de davantage de rigueur et de méthode. Il n’est pas contre. Mais quand il essaie d’appliquer les instruments qu’on lui conseille, il perd la trace de son trésor (p. 15). Et Kauffman de déplorer la manière dont, de manière dominante, la recherche se calque sur des critères industriels d’interchangeabilité des hommes et d’impersonnalité des techniques, de « fuite en avant dans la sophistication des outils », et au final, que l’interprétation soit réduite au minimum au profit de la seule exposition des données.

Pour notre part, nous avons choisi, dans le cadre de ce doctorat et en fonction des hypothèses de recherche qui le sous-tendent, de nous situer plutôt dans la lignée méthodologique défendue par Poirier et Kauffman. Ce faisant, nous adoptons également leur recommandation de nous doter de moyens et de balises afin d’assurer la rigueur de la démarche. Citons une fois encore Kauffman (1996), qui, prenant du recul par rapport à l’intensité du jeu des critiques et des contre-critiques, conclut ceci : bien que le travail qualitatif contienne à l’évidence une part d’empirisme irréductible, des principes de rigueur devraient pouvoir être mis en évidence, qui permettent enfin de combattre le laisser aller tout en protégeant la richesse (p. 16).

Ces principes de rigueur recommandés par Kauffman se trouvent incarnés dans notre travail dans deux dispositifs méthodologiques qui viennent consolider les démarches mentionnées plus haut. Le premier concerne la validation des données et des analyses qui en ressortiront, le second concerne la préparation et l’encadrement général de l’ensemble du travail.

4.6. La validation des données et des analyses


Trois méthodes de validation des données et analyses ont été mises en place dans le cadre de notre travail.

La première méthode concerne la validation du discours et de l’analyse par les personnes rencontrées elles-mêmes. Il s’agit donc d’une validation interne. Comme nous l’avons expliqué dans la présentation des différentes méthodes d’entretien, nous avons choisi des techniques d’entretiens qui comprennent des interventions qui amènent la personne à se positionner clairement, dans un premier temps, par rapport à la manière dont nous avons compris les faits relatés, et, ensuite, par rapport aux inférences et analyses que nous faisons. Ainsi, comme nous l’avons expliqué plus haut, nous reformulons et synthétisons de manière systématique les propos des personnes, récapitulons les différents faits ou sentiments rapportés, reprenons les différents éléments descriptifs. Nous faisons également part aux personnes de nos analyses, ce qui leur donne l’occasion de les valider ou non. Cela n’empêche pas, dans un deuxième temps, que nous posions un regard critique sur la situation d’entretien, autrement dit que nous procédions à une méta-analyse, mais la première validation du contenu est donc effectuée au cours de la situation d’entretien elle-même.

La seconde méthode de validation des données est effectuée avec l’aide d’une collègue (Sophie Delvaux) qui assiste aux entretiens avec nous (dans le cas de la première étape), ou lit les retranscriptions de ceux-ci (dans le cas des deux étapes suivantes). Plusieurs collègues ont également procédé au classement des différents processus, comme on va le voir ci-après. Il s’agit donc de validations par les pairs. Dans les trois étapes, nous avons eu recours à une validation en aveugle, c’est-à-dire que chacun a procédé de son côté à l’analyse avant de la confronter à celle de l’autre, pour procéder ensuite à une confrontation-consolidation des deux analyses. Dans le cas de la première étape, où, en raison de la méthode d’entretien choisie, les informations ne sont pas ordonnées ou structurées par rapport aux objectifs de la recherche, nous avons procédé à un travail parallèle avec la collègue qui a assisté à l’ensemble des entretiens : chacun, de son côté, a trié les éléments essentiels, fait la liste des éléments descriptifs et développé une analyse multi-niveaux. Cette technique a donc permis de confronter notre analyse de la situation avec celle d’une autre personne qui a assisté à l’entretien. En cas de point de vue différent sur un point ou l’autre, nous sommes retournés à la transcription pour consolider l’analyse. En ce qui concerne l’étape des témoignages (deuxième étape), nous avons d’abord personnellement procédé à l’inventaire des processus et éléments descriptifs. Ensuite, le classement de chacun des éléments dans le Modèle d’Analyse a été fait, de nouveau, de manière séparée d’une part par nous-même, d’autre part par trois autres collègues. Chacun a donc travaillé de manière individuelle, classant les différents processus dans le Modèle d’Analyse. Par la suite, les résultats ont été croisés, et, en cas de désaccord, nous sommes retournés au texte pour consolider le classement. De manière similaire, dans la troisième étape, nous avons procédé personnellement au recueil et à l’inventaire des éléments descriptifs, avant, de nouveau, de comparer les analyses.

Enfin, le troisième mode de validation consiste en une validation externe puisqu’il s’agit ici de confronter nos observations avec la littérature sur le harcèlement moral et les hyperconflits au travail. En comparant et en mettant en perspective nos résultats avec ceux qui sont formulés par les auteurs, cela nous permet de procéder à une validation par rapport à la communauté scientifique.

D’autre part, au delà de la validation des données elles-mêmes, nous abordons dans la section suivante comment nous avons préparé et encadré l’ensemble de notre travail afin d’assurer la rigueur de la démarche.


4.7. Préparation et encadrement de la démarche liés au choix de travailler « à mains nues »


Notre doctorat peut être décrit comme un travail « à mains nues » au sens où la « clinique à mains nues » se définit comme une méthode qui procède à une investigation psychologique sans recourir aux outils standardisés et étalonnés que sont les instruments psychométriques (Capdevielle & Doucet, 1999 : p. 88). Cette posture a été choisie en raison du fait qu’elle favorise l’appréhension de la complexité et de la globalité des situations étudiées.

Comme nous l’avons vu plus haut, la pratique de l’analyse thématique assume de donner une part centrale à la notion d’interprétation. Faisant ce choix, il s’agit aussi pour nous d’assumer les principes de l’analyse qualitative, qui, comme nous l’avons dit plus haut, échappe à la codification systématique, et repose sur la « présence humaine », d’une part, et « l’intelligence inductive et généralisante » d’autre part. Les divers processus méthodologiques que nous avons utilisés, tels que la création de catégories a priori, la sélection des fragments, l’extraction de catégories a posteriori, le classement des fragments dans les catégories, l’organisation des catégories dans un « Modèle d’Analyse », ne peuvent exclure le risque qui guette quiconque procédant à l’analyse qualitative : celui d’être influencé par ses présupposés, ses convictions, ses a priori.

Avant d’entamer le travail, nous avons donc mis en place plusieurs démarches qui avaient pour objectif de nous préparer à réaliser nos démarches et analyses.

On peut les classer en quatre grandes rubriques.
Des expériences préparatoires. Avant de réaliser les entretiens intervenant dans ce travail, nous avons mené de nombreux entretiens avec des personnes s’estimant confrontées à une situation de harcèlement moral. Le premier entretien remonte au mois de septembre 1999, et notre inscription au doctorat s’est faite plusieurs années plus tard. L’objectif de cette période de maturation était de nous aider à mesurer les effets de projection ou de contre-transfert. Il est à signaler d’ailleurs que nous avons mené 15 entretiens, durant cette phase préparatoire, avec une psychologue clinicienne (Caroline Geuzaine), ce qui nous a permis d’avoir un échange sur chaque situation. Après quoi, nous avons également mené trente entretiens en alternance avec cette personne, entrecoupés de séances d’intervision.
La supervision de recherches nous permettant de fonder nos hypothèses ou nos intuitions. Au sein du Service de Psychologie Sociale des Groupes et des Organisations de l’Université de Liège, nous avons pu suivre et accompagner différentes recherches sur le harcèlement moral au travail. Particulièrement, le mémoire mené par Sophie Delvaux (2004) a validé le modèle souffrance – actes – ressources. A partir d’une démarche de construction d’échelle, Sophie Delvaux a pu aboutir, par analyse factorielle, à une confirmation de l’hypothèse selon laquelle un critère déterminant des situations de harcèlement moral, à côté de la souffrance et des actes hostiles, était le déséquilibre des ressources. Ceci ancrait l’hypothèse de base selon laquelle il s’agissait là d’une dimension cruciale à prendre en compte et a confirmé l’intérêt de travailler sur base d’un modèle opérant la distinction symétrie –complémentarité.
Le partage dans une équipe de recherche. Nos réflexions ont pu être partagées tout d’abord avec notre chef de service, Jean-François Leroy, ainsi qu’avec nos collègues des projets de recherche : Emmanuelle Horion et Sophie Delvaux pour une première recherche, Sophie Delvaux, Patrick Italiano et Aurélie Vivegnis pour une deuxième. Ces deux équipes de recherche ont donc constitué autant d’occasions d’échanger qui nous ont permis de questionner nos propres présupposés. Notamment, lors d’entretiens, d’interventions en organisations, d’enquêtes en organisations, nous avons pu discuter nos impressions, conclusions, résultats.
Des rencontres avec des experts. Enfin, cette préparation est passée également par des discussions avec des experts d’autres pays (tels Michel Monroy, Marie-France Hirigoyen, Claire Bonafons, Jean-Pierre Brun, …), avec lesquels nous avons pu échanger tant sur notre cadre théorique que sur nos postulats méthodologiques.

Par ailleurs, tout au long du travail de doctorat, nous nous sommes entouré des cinq démarches suivantes.
Des entretiens menés et analysés en co-intervention. Comme nous l’avons déjà précisé, les entretiens d’accompagnement clinique ont été systématiquement menés sous l’observation de Sophie Delvaux avec qui nous avons partagé et discuté nos analyses.
Le choix de deux méthodes d’entretien. En choisissant de réaliser d’abord des entretiens non directifs, puis semi-directifs, cela nous a permis d’appréhender l’impact que nous avions sur les personnes interviewées en fonction de notre mode de recueil de l’information, facilitant une critique de nos propres méthodes et postures personnelles.
La validation auprès de professionnels. En tant que membre de plusieurs groupes de réflexion entre professionnels sur le harcèlement, nous avons pu participer à un grand nombre d’échanges entre praticiens (une cinquantaine de journées de travail en tout). Dans tous ces groupes, nous avons présenté nos hypothèses, nos conclusions intermédiaires, nos présupposés théoriques et méthodologiques, et les avons soumis systématiquement à la critique d’autres chercheurs ou praticiens. Ce travail de maturation a été extrêmement précieux pour réfléchir sur notre démarche.
Des contrôles par les pairs. A certains moments-clés de notre doctorat, nous avons procédé à un contrôle par les pairs (cf. supra).
La publication d’articles peer reviewés. Enfin, une dernière démarche cruciale a été de soumettre nos diverses avancées au regard d’experts par la publication d’articles peer reviewés portant sur notre approche théorique (Faulx & Geuzaine, 2000), notre approche et nos conclusions cliniques (Geuzaine & Faulx, 2003), nos conclusions sur les interventions auprès des personnes et auprès des organisations (Faulx, Erpicum & Horion, 2005), notre approche des définitions (Faulx & Delvaux, 2005), les caractéristiques des hyperconflits (Faulx, Delvaux & Manfredini, 2007) et notre approche clinique (Faulx, 2006a). Dans le même ordre d’idées, la défense de notre mémoire de DEA a porté sur une analyse de cas incluse dans ce doctorat et nous a permis de confronter notre manière de mener une telle analyse au regard de cinq correcteurs d’horizons différents : sociologie, psychologie et pédagogie.















CINQUIEME PARTIE :

Les résultats de recherche



Présentation de la cinquième partie

Les résultats de recherche sont organisés en quatre chapitres. Le premier chapitre présente les éléments statiques des entretiens menés avec l’ensemble des victimes de harcèlement moral au travail au cours des trois étapes de recherche.

Ensuite, les chapitres 2, 3 et 4 suivent les trois étapes de recherche : le deuxième chapitre présente les résultats des deux analyses de cas d’accompagnement clinique, le troisième présente les résultats des analyses de témoignages, le quatrième les résultats de l’analyse de cas en organisation.

Sur le plan de la logique de recherche, le premier chapitre constitue une approche préliminaire, le deuxième une approche exploratoire, le troisième une approche confirmatoire, le quatrième une approche confrontatoire.









Chapitre I

Approche préliminaire - les éléments statiques des situations de harcèlement moral au travail
Compte-rendu et réflexion sur les données issues de l’ensemble des entretiens menés avec des victimes de harcèlement moral au travail

1. Les éléments descriptifs des situations étudiées



Cette partie a un statut particulier par rapport aux trois autres chapitres consacrés aux résultats puisqu’elle porte sur l’ensemble des observations faites à partir du discours des victimes, alors que les chapitres qui suivent rendent compte chacun d’une étape de recherche. Nous avons fait ce choix pour donner une vue d’ensemble des caractéristiques principales de notre échantillon et des situations à partir d’éléments descriptifs, c’est-à-dire qui n’intègrent pas encore les dimensions processuelle, intégrative et dynamique.

Au total, nous avons rencontré 53 victimes : deux dans le cadre de l’accompagnement clinique, cinquante dans le cadre des témoignages, une dans le cas des interviews en organisation. Dans ce chapitre, nous allons rendre compte des éléments statiques recueillis auprès de ces 53 personnes.

Cette démarche correspond à la première gamme de résultat (les éléments statiques) et rencontre le premier objectif de notre recherche : identifier et quantifier des éléments statiques typiques des situations de harcèlement moral : comportements des harceleurs, conséquences sur les victimes, stratégies de réaction des victimes, sexe des protagonistes, secteur d’activité.

Dans tous ces entretiens, nous avons obtenu des informations signalétiques et des informations sur la situation de harcèlement.

Pour ce qui est des informations signalétiques, nous avons recueilli les éléments suivants :
le genre de la « victime » (masculin, féminin) ;
le genre du « harceleur » ;
la position hiérarchique respective des protagonistes et le type de mobbing (horizontal, vertical ascendant, vertical descendant) ;
le contexte organisationnel global (taille, type d’activité, secteur).

Les informations relatives à la situation sont les suivantes :
les conséquences pour la victime ;
les comportements constitutifs du harcèlement ;
les stratégies d’adaptation des victimes.



2. Informations signalétiques : le genre de la victime et du harceleur, le sens du harcèlement, le contexte global



Les informations relatives au genre et à la position hiérarchique des différents acteurs ainsi que celles portant sur le contexte organisationnel nous donnent de précieuses indications sur les caractéristiques de notre échantillon de recherche.

Le tableau qui suit permet de donner une vue d’ensemble des différents cas sous un angle signalétique. On y trouve le genre de la victime et du harceleur, le sens du harcèlement, ainsi que le type d’entreprise ou d’organisation dans lequel il se déroule.

Pour rappel, dans la littérature, on parle de harcèlement vertical ou horizontal pour indiquer si le harcèlement intervient entre personnes d’un même niveau hiérarchique (horizontal) ou de niveaux différents (vertical).

Code du casGenre victimeGenre harceleurSens du harcèlement Contexte globalLucieFémininFémininHorizontalPMEJean-PhilippeMasculinFémininHorizontalIndustrie MasculinMasculinHorizontalEntreprise de pneumatiquesFémininMasculinVerticalService Public Fédéral FémininFémininVerticalUniversitéFémininMasculinVerticalInstitutionFémininFémininVerticalBibliothèqueFémininFémininVerticalMuséeMasculinFémininVerticalAdministration communaleFémininMasculinVerticalEcole supérieureFémininFémininVerticalUniversité MasculinMasculinVerticalPrêt hypothécaireFémininMasculinVerticalHôpitalMasculinMasculinVerticalService administratif d’un hôpitalMasculinMasculinVerticalEcole primaireFémininMasculinVerticalAssurancesMasculin MasculinVerticalTransports publicsFémininMasculinHorizontalService médical FémininFémininVerticalAdministration communaleFémininMasculin VerticalPolice localeNon traitéFémininMasculin VerticalCabinet d’avocatsFémininMasculin VerticalHuissiers de justiceFémininMasculinVerticalLaboratoire d’un hôpitalFémininMasculinVerticalA.S.B.L. de formationFémininMasculinVerticalInstitution européenneFémininFémininHorizontalPlanning familialFémininMasculinHorizontalService d’aide à l’emploiFémininMasculinVerticalBanqueMasculinMasculinVerticalCaserne de pompiersNon traitéFémininFémininVerticalService technique de gestion des bâtimentsMasculinMasculinVerticalIndustrie lourdeFémininMasculinVerticalAdministration fédéraleFémininMasculinHorizontalService Public FédéralMasculin MasculinHorizontalPolice localeMasculinMasculinHorizontalPolice judiciaireMasculinMasculinVerticalEntreprise de matériel paramédicalNon traitéMasculinMasculin VerticalEnseignement primaireMasculinFémininVerticalParquet judiciaireFémininFémininVerticalFoyer d’hébergement pour enfantsFémininMasculinVerticalMuséeMasculinMasculinHorizontalAdministration publiqueMasculinMasculinHorizontalOrganisme de pensionFémininFémininVerticalRadioMasculinMasculinVerticalA.S.B.L.MasculinMasculin VerticalUsineMasculinMasculin VerticalOrganisation syndicaleMasculinMasculin VerticalService technique d’une prisonMasculinMasculinVerticalEcole secondaireMasculinMasculinVerticalAcadémie de musiqueFémininMasculinVerticalMutuelle de soins de santéMasculinFémininHorizontalAdministration Féminin MasculinVerticalPME IndustrielleAnneFémininMasculinHorizontalIndustrie Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 15 : Echantillon des victimes pour les trois étapes de recherche

Quelques constatations peuvent être faites à partir de ces données.

Les organisations représentées œuvrent essentiellement dans le secteur tertiaire. 44 situations sont dans ce cas. On y retrouve le secteur des soins de santé (5 cas), l’enseignement et la formation (8 cas), les administrations publiques (11 cas), le secteur culturel (3 cas), les services sociaux (7 cas), des entreprises de services à caractère commercial (8 cas) et les services de polices (3 cas). Le secteur secondaire représente le reste des cas, soit 7 cas.

 EMBED MSGraph.Chart.8 \s 
Figure  SEQ Figure \* ARABIC 20 : Répartition par secteur

Pour ce qui est du genre, on trouve 23 victimes de sexe masculin pour 30 femmes, et 39 harceleurs masculins pour 14 femmes. A ce sujet, on note que les hommes harcèlent des hommes dans 19 cas, les hommes harcèlent des femmes dans 20 cas, les femmes harcèlent des femmes dans 10 cas et les femmes harcèlent des hommes dans 4 cas.

 EMBED MSGraph.Chart.8 \s 
Figure  SEQ Figure \* ARABIC 21 : Répartition par genre

Enfin, on trouve 13 cas horizontaux et 40 cas verticaux.

On peut relever cependant que la représentation plus importante des femmes est conforme à la majorité des études, tout comme la large présence du secteur tertiaire. D’autre part, pour ce qui est du type de harcèlement, on peut constater que notre échantillon est dominé par les situations verticales descendantes (40 cas sur 53), observation également courante dans la littérature.


3. Les éléments de la situation : conséquences, comportements, coping



3.1. Conséquences


L’étude des conséquences a fait émerger quatre grandes catégories qui sont reprises dans le tableau ci-après : les conséquences physiques, les conséquences psychologiques, les conséquences sociales et les conséquences professionnelles.

A titre de résultat général, il se confirme que les situations de harcèlement moral génèrent des conséquences néfastes pour les personnes qui y sont confrontées. On note également la variété des domaines touchés. Dans la partie théorique, nous avons fait apparaître que les conséquences étaient essentiellement de nature psychologique ou physique. Nos résultats confirment cette observation selon laquelle le bien-être des personnes qui vivent des situations de harcèlement moral est touché sur le plan physique et psychique. Par ailleurs, nous avons également trouvé un nombre non négligeable de conséquences sociales et professionnelles.

Le tableau qui suit donne une vue d’ensemble des conséquences dont les personnes ont fait mention dans les différents cas.

Catégorie Conséquences (cas de référence)1. PhysiquesMaux de dos (1, 5, 35)
Douleurs dans la nuque (1, 35)
Maux de ventre (2, 6)
Vomissements (5)
Coups de fatigue, troubles du sommeil, manque de sommeil, hypersomnie, insomnies (2, 5, 7, 10, 15, 20, 21, 34, 36, 40, 45, 48, 52)
Nausées (7, 22, 53)
Détérioration générale de la santé (8)
Sueurs (10, 24, 31)
Accélération cardiaque, palpitations (10, 11, 18)
Boule dans la gorge (15, 49, 52)
Perte de poids (15, 16, 18, 25, 42)
Hypervigilance (20)
Maladie immunitaire (20)
Paralysie (21)
Epuisement (21, 26)
Bégaiement (27)
Tremblements (27)
Arthrite (30)
Tachycardie (30)
Crise cardiaque (33, 43)
Problèmes de santé divers (38)
Ulcère (43)
Perte de goût (45)
Prise de médicaments anxiolytiques, antidépresseurs ou somnifères (12, 15, 34, 36, 44)
Consommation d’alcool (46, 47, 50, 51)2. PsychologiquesPerte de confiance en soi (1, 11, 25, 27)
Idées noires (2, 34, 35, 42)
Sentiment de perte d’identité, sentiment de devenir quelqu’un d’autre (2, 21)
Désespoir (3, 5, 24, 49)
Cauchemars réguliers et angoisses nocturnes (3, 6, 18, 31, 47)
Dépense d’énergie (4, 31, 51)
Sensation d’être ailleurs (4, 15)
Déconcentration (4, 21, 44)
Perte de contact avec le réel (4)
Hypersensibilité (6)
Pleurs (6, Anne)
Angoisse (6, 7, 14)
Nervosité (6, 15, 16)
Dépression (7, 14, 17, 28, 36, 38, 40, 41, 49, Anne)
Tristesse (9, 15, 22, 25, 48)
Envie de revanche (9)
Sentiment d’impuissance (9, 53)
Colère (10)
Enervement (11)
Mauvais état psychologique général (12)
Difficile mais ne se laisse pas abattre, renforce sa combativité (13)
N’ose plus prendre d’initiatives (14, 40)
Irritabilité (15)
Difficulté d’avoir des projets (15)
Crises de larmes (15, 26)
Stress aigu (15, 21)
Obsessions (15)
Idées suicidaires (21, 36)
Abattement (23, 30)
Consommation d’alcool (23)
Remise en question personnelle importante (25)
Doute sur sa stabilité psychologique (25)
Découragement (27, 39)
Vit dans la terreur (27)
N’ose pas décrocher le téléphone (27)
Idées morbides (28)
Changement de caractère : de douce et posée, elle devient combative et acharnée (32)
Se sent « intérieurement assassinée » (32)
Soif de vengeance (34)
Commence à prendre plaisir à la situation (34)
Plus d’énergie (40)
Sentiment d’usure quotidienne (41)
Préoccupation psychologique liée au fait de ne pas savoir trouver des faits concrets (41)
Abattement (53)3. SocialesDésinvestissement familial (4, 8, 35)
Désinvestissement des relations sociales (5, 22, 25)
Agressivité envers l’entourage (11, 14)
Explosions de colère en famille (28)
Se sent incapable de travailler en équipe (40)
Hyperréactivité (18, 31, 40, 49)
Evite les contacts (40, 42)
Développe des comportements qui facilitent l’agressivité de la part des autres (40)
Investissement social dans le harcèlement moral au travail (colloques, a.s.b.l., …) (49)
Vie familiale perturbée (44, 47, 50, 51, 52, 53)4. ProfessionnellesAbsences répétées (1, 11,38, 52)
Perte de motivation au travail (3, 6, 16, 21, 24)
Quitte l’institution (4)
Démotivation (6, 10, 53)
Echec professionnel (8, 9, 53)
Perte de goût au travail (9, 35)
Travaille de moins en moins (10)
Démission (23, 32)
Incapacité de travail de 6 mois au moins (15, 28, 40, 45)
Démotivation professionnelle (39, 47, 49)
Fait un horaire minimal (39)
Pieds de plombs pour aller au travail (39)
Démission (45)Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 16 : Conséquences du harcèlement
 EMBED MSGraph.Chart.8 \s Figure  SEQ Figure \* ARABIC 22 : Répartition des conséquences du harcèlement

Du point de vue quantitatif, ce sont les conséquences physiques qui ont été les plus citées par les personnes. On les trouve dans 39 cas, soit plus de trois quarts des situations. Les conséquences physiques sont également très présentes (35 cas). Les conséquences sociales et professionnelles, qui ont moins fait l’objet de l’attention des chercheurs, apparaissent également dans notre échantillon, même si c’est dans une moindre mesure (présentes respectivement dans 19 et 22 situations).

Si l’on reprend catégorie par catégorie, sur le plan physique, nos observations confirment assez bien ce que l’on trouve dans la littérature, notamment dans le tableau diagnostique dressé par Leymann (1996a) : problèmes de sommeil, de digestion, maux de dos, …

Sur le plan psychologique, les problématiques « lourdes » de dépression (item le plus représenté dans cette catégorie), d’angoisse, de traumatisme ont été observées, confirmant aussi ce qui se dit dans la littérature.

Notre analyse fait également apparaître deux autres types de conséquences psychologiques, plus rarement abordées.

D’une part, on peut observer l’existence de  « dégâts à bas bruits », c’est-à-dire des affects, des sentiments ou des réflexions intérieures dont la manifestation est légère mais qui, selon les personnes elles-mêmes, jouent un rôle important dans leur économie psychique. Ainsi, des conséquences comme la perte de confiance en soi, la difficulté à prendre des initiatives, la nervosité, l’abattement, la difficulté à développer des projets ou encore le sentiment d’usure quotidienne constituent, aux dires des personnes, des problèmes importants dans leur vie de tous les jours, même s’il cela ne débouche pas sur des manifestations spectaculaires.



D’autre part, certaines personnes  ont fait mention de conséquences psychologiques qu’elles jugeaient positives comme l’augmentation de la combativité, l’augmentation de la capacité à résister dans des situations difficiles, voire la prise de plaisir à la situation (sentiment de jubilation, euphorie, …). Ces conséquences « positives » n’ont pas, à notre connaissance, été abordées dans les études sur le harcèlement. Dans un premier temps, on peut se demander s’il ne s’agit pas là d’un mécanisme de défense relevant d’une forme de déni des traumatismes subis. Une autre explication pourrait être que ces éléments révèlent la présence d’un processus conflictuel au sein du cas étudié. En effet, on trouve ce genre de sentiments dans notre étude sur les hyperconflits, ce qui atteste la présence de traits typiques des hyperconflits dans les éléments descriptifs des situations de harcèlement moral.

Ces éléments montrent aussi que des modifications personnelles surviennent suite à des situations de harcèlement moral et que l’on aurait tort de n’observer que les conséquences les plus immédiates. Certains parlent ainsi de remise en question personnelle importante, de changement de personnalité, etc.

Du point de vue des autres conséquences observées, nous avons découvert également à quel point ces situations créaient des problématiques sociales, c’est-à-dire portaient à conséquence dans des relations extra-professionnelles. On y trouve par exemple des conséquences comme le désinvestissement social, le désinvestissement familial, l’agressivité envers les proches ou encore la perte de sexualité.

Enfin, du point de vue professionnel, les personnes rapportent un ensemble de conduites « de retrait » par rapport au travail telles que des absences répétées, la perte de motivation au travail, la perte de goût au travail, le fait de travailler de moins en moins etc. Ce résultat montre que les conséquences professionnelles ne se limitent pas à leurs formes les plus patentes (perte d’emploi, perte de possibilité d’avancement, exclusion du marché du travail, déplacement vers un poste moins gratifiant ou rémunérateur), mais se manifestent aussi par des sentiments ou comportements qui dénotent une dégradation du lien entre l’individu et son travail.

Par ailleurs, si on considère le nombre de domaines touchés, il est significatif de noter que, dans la grande majorité des cas, les personnes ont mentionné des conséquences sur au moins deux catégories, et en l’occurrence, dans plus de la moitié des cas, les personnes ont rapporté des conséquences qui touchent deux ou trois catégories. Les situations provoquent donc, dans la plupart des cas, une perturbation sur plusieurs domaines liés au bien-être de l’individu.

 EMBED MSGraph.Chart.8 \s Figure  SEQ Figure \* ARABIC 23 : Nombre de catégories de conséquences

Deux explications peuvent être proposées par rapport à cette observation. On peut tout d’abord dire que les situations de harcèlement sont perturbantes à plusieurs titres pour les victimes de harcèlement moral au travail.

Nous pouvons également avancer une seconde explication, complémentaire à la première, à savoir que lorsqu’un domaine du bien-être de l’individu est perturbé, cela provoque des perturbations à d’autres niveaux. Ainsi, par exemple, une santé plus fragile diminue les possibilités de contacts sociaux, ce qui peut contribuer à une détérioration de la santé ; cette détérioration génère davantage de congés pour maladie et donc contribue à créer des troubles dans la sphère professionnelle ; un moins bon moral ou une moins bonne santé psychologique débouchent souvent aussi sur une perturbation de la vie sociale, qui elle-même peut se répercuter sur la santé psychologique et ainsi de suite. On le voit, dès lors qu’un des domaines est touché, les conséquences peuvent se répondre et s’entretenir les unes les autres, donnant à la situation un potentiel destructeur encore plus fort.


3.2. Les comportements de harcèlement


Pour classer les comportements de harcèlement, nous avons utilisé notre typologie, présentée dans la partie théorique. A ce sujet, il est utile de soulever un problème méthodologique lié à la démarche de classification, et d’expliquer la manière dont nous avons procédé pour le résoudre.

En effet, le classement de certains comportements peut poser parfois question en raison des « effets secondaires » qu’ils produisent. Ainsi, ne pas inviter quelqu’un aux fêtes du personnel relève de l’isolement de la personne, mais peut déboucher sur une mise en échec professionnel dans la mesure où des informations ou des relations précieuses pour le travail peuvent s’y tisser. Ne pas recevoir de travail est un déni de droit, mais peut également déboucher sur une mise en échec professionne ainsi que sur un isolement dans la mesure où, privée de travail, la personne se voit également privée de relations professionnelles.

Pour effectuer le classement, nous nous sommes référé au caractère premier de l’acte, non à ses conséquences de deuxième ou troisième ordre. La perspective que nous avons prise pour y parvenir est de nous baser sur la manière dont la personne décrit le comportement en question. Ainsi, si elle dit qu’on l’a convoquée à une réunion au cours de laquelle elle a été humiliée, nous analysons comment elle relate l’événement :
si elle explique qu’on avait pris soin de lui rendre la tâche impossible pour la mettre en échec, nous classerons en échec professionnel ;
si elle explique qu’on a voulu la discréditer auprès de telle ou telle personne afin que sa vie au travail s’en voie dégradée, nous parlerons d’utilisation de tiers ;
si elle parle de communications visant à la rabaisser au cours de cette situation, nous parlerons de brimades.

C’est donc la personne qui, par son explication détaillée des faits, permet un classement pour les cas « ambigus ». Le tableau qui suit reprend l’ensemble des comportements de harcèlement rapportés par les victimes.


Catégorie Comportement (cas de référence)1. Attaques de la personneMoqueries (1)
Remontrances et humiliations publiques (2)
Rédaction de rapport occulte (2)
Propos rabaissants (2)
Critique sans ménagements et termes blessants contre le travail (3)
Critique du travail incluant des propos très durs (3)
Lui reproche sa manière d’être (5)
Lui demande de changer (5)
Plaisanteries régulières sur l’homosexualité (7)
Sourires entendus (7)
Reçoit des rapports négatifs (7)
Envoi de lettres de dénigrement (8)
Remarques (9)
Bruit et rumeurs de sabotage (10)
Moqueries (11)
Rumeurs (12)
Accusations mensongères (12)
Rappel du statut non universitaire de manière dénigrante (14)
Allusions graveleuses (14)
Dévalorisation du travail (14)
Infantilisation (14)
Moqueries (15)
Réflexions blessantes (15)
Mépris (15)
Critiques du travail (15)
Dédain (16)
Critique (16)
Remarque par rapport à une maladie (18)
Culpabilisation (18)
Communications en rouge (21)
Accusation de détruire le matériel (22)
Accusations d’incompétence (22)
Moqueries (22)
Attaques par courrier (23)
Mise en demeure (23)
Critiques et accusations publiques (23)
Mise en doute des compétences (23)
Correction minutieuse et critique permanente du travail (24)
Dit à la victime qu’elle n’est pas psychologue alors qu’elle l’est (25)
Accusation de garder les patients pour elle (25)
Attaques sur les pratiques professionnelles (25)
Remet le travail en question (25)
Propos blessants (26)
Surnoms (26)
Sobriquets (26)
Communications méprisantes (27)
Dévalorisations répétées (27)
Mépris (30)
Mise en doute de la qualité du travail (30)
Remarques désagréables (30)
Dénigrement personnel (35)
Sobriquets (36)
Moqueries (36)
Rumeurs (38)
Allusions calomnieuses (38)
Reproches sur des points de détails (38)
Récriminations contre son excentricité (38)
Construction d’un dossier sur lui (38)
Quoi qu’il fasse, il est considéré comme nul (39)
Passe en revue tous les dossiers avec lui et critique toutes ses décisions (39)
Montre son mépris et son désintérêt (40)
Reproches sur la dépression (40)
Critique et dévalorisation du travail (41)
Moqueries (42)
Plaisanteries dans le dos (42)
Railleries (42)
Propositions de pensionner (43)
Rumeurs (45)
Critiques systématiques (45)
Commentaires déplaisants (46)
Discussion sur des détails (47)
Moqueries (48)
Dénigrement (49)
Critiques écrites détaillées (50)
Critiques du travail (52)
Critique de son mode de vie « classique » (52)
Réflexion sur base du genre (52)
Critique de la manière d’être (53)2. AgressionsAgressions verbales (1)
Travaux les plus durs (1)
Insultes (4)
Coups de téléphones insultants au domicile (6)
Propos insultants (6)
Menaces de licenciement (8)
Déplacement des affaires (10)
Colères et hurlements (15)
Menaces de sanctions (15)
Humiliations (16)
Hypersurveillance (16)
Interdiction d’aller faire pipi (17)
Menaces à l’emploi (17)
Note allées et venues (17)
Cris (18)
Pressions (18)
Insultes (18)
Fouille des poubelles (21)
Menaces (21)
Déchire le travail (21)
Cris (22)
Surveillance (22)
Menace de transfert (22)
Revues pornographiques mises sur le bureau (24)
Insultes (26)
Colle sur le siège (26)
Crachats (26)
Menaces et chantage à l’emploi (27)
Cris (27)
Insultes (27)
Menaces : envoi de petits cercueils en bois (31)
Interdiction d’entrer dans le bureau du chef (32)
Diffamation (32)
Agressivité verbale (32)
Réalisation de faux pour l’incriminer (32)
Humiliations (36)
Accusations mensongères (36)
Séquestration (41)
Menaces de licenciement (45)
Contrôle permanent (47)
Interruption des entretiens par surprise (47)
Epluche les comptes personnels (47)
Hurlements (48)
Insultes (48)
Adresse au pouvoir organisateur un relevé des manquements sans l’avoir averti qu’il montait un dossier (49)
Contrôle insistant et excessif (51)
Hypersurveillance (53)3. IsolementFait comme si elle n’existait pas (Anne).
Interdiction de rire et de parler avec ses collègues (2)
Isolement physique (10)
Pas de dialogue possible (10)
Mise à l’écart (21)
Pas de reconnaissance (20)
Isolement physique, mise dans un bureau à l’écart des autres (20)
Isolement physique (22)
Isolement social (22)
Refus de rencontre (23)
Exclue de la table à midi (24)
Personne ne parle à la victime pendant des semaines (25)
Déni – fait semblant qu’elle n’est pas là (26)
Isolé socialement (28)
Ignoré (28)
Isolé dans les combles (30)
Plus d’invitation aux fêtes du personnel (34)
Mis dans un bâtiment tout seul (34)
Empêchée de parler (40)
« Muselée » en réunion (40)
Exclue de toutes les réunions (41)
Pas tenue au courant des fêtes du personnel (41)
Pas invitées aux fêtes (41)
N’écoutent pas (42)
Rupture d’amitié et éloignement de la personne (42)
Mise à l’écart (43)
Mise à l’écart (44)
Interdit qu’on lui adresse la parole (49)
Mise au loin dans une antenne délocalisée (51)
Isoler dans un bureau loin des collègues (53)4. Utilisation de tiersDit du mal de la personne aux autres (8)
Envoie des lettres dénigrantes (8)
Critique devant des tiers (9)
Favorise les rivalités (9)
Collectionne les plaintes de la direction (13)
Mise en compétition des employés (14)
Monte ses supérieurs contre la personne (17)
Pas d’exigence de respect des procédures de la part des responsables (23)
Pas de consignes données aux partenaires (23)
Refus d’intervenir pour donner les informations aux partenaires (23)
Fait circuler une mauvaise image de la personne
Dit tout le mal qu’il pense de la victime à une autre personne afin qu’elle entende (27)
Diffamation auprès du conjoint (32)
Diffamation auprès d’employeurs futurs potentiels (32)
Dit à sa femme qu’il a eu des aventures avec un témoin (35)
Contacte l’état-major pour demander une expertise psychiatrique à son sujet (35)
Diffamation (35)
Manipulation de l’équipe pour qu’elle se retourne contre son chef (35)
Convoqué alors qu’il a des problèmes d’élocution afin que ses chefs le jugent incompétent (35)
Téléphone au domicile des parents (36)
Critiques triangulées (il critique la victime auprès d’autres personnes) (36)
Discute au téléphone avec d’autres personnes en parlant fort et en critiquant la personne (39)
Se plaint de lui auprès de sa hiérarchie supérieure – procureur du Roi (39)
Division du groupe et création de la zizanie (40)
Création d’une ambiance basée sur la recherche de la faute, la confusion vie privée et professionnelle, la construction d’alliance par la séduction ou la menace (40)
Sème la zizanie (40)
Attise les conflits (40)
Détruit son image auprès de ses collègues (40)
Informations sur sa vie privée données à son ex-mari (44)
Critique via un tiers (46)
Ment sur les activités de la victime auprès de tiers pour le discréditer (49)
Fait des remarques à un enseignant devant ses élèves (49)
Encourage une campagne diffamatoire menée par un couple de parents contre un enseignant (49)
Monte des professeurs contre un autre professeur (50)
Présente ses incapacités personnelles aux autres (Anne)
La fait passer pour incompétente auprès des autres (Anne)
Traitée de tous les noms auprès des autres (Anne)
Réflexion désobligeante sur son sujet auprès des collègues (Anne)
Rend ridicule auprès des autres (Anne)5. Mise en échec professionnelRetrait de tâches (5)
Ne donne pas les informations nécessaires au travail (5)
Refuse de lui donner une liste de tâches (5)
Récupération du travail (9)
Fixe les réunions importantes quand elle n’est pas là (9)
Impose des délais impossibles à respecter (9)
Tâches subalternes (10)
Remplacement des tâches valorisantes par des tâches les moins valorisantes (10)
Ne dispose pas des informations nécessaires pour effectuer le travail (11)
Mise dans un travail qui ne correspond pas à sa fonction (11)
Doit effectuer toute une série d’activités (13)
Changé tout le temps de classe et d’activité (13)
Tourne dans toutes les écoles de la commune (13)
Poste décablé (13)
Locaux délabrés (13)
Pas d’instruction concernant le travail (14)
Dédain des questions professionnelles (14)
Demande de la rétention d’information
Suppression de l’accès à l’ordinateur (17)
Refus de donner du travail (17)
Surcharge de travail (20)
Initiatives sabotées (20)
Sabotage (21)
Modification régulière du poste de travail (21)
Collectionne les fautes (21)
Instructions contradictoires (21)
Documents rendus en retard ou incomplets (23)
Submerger de travail (24)
Tâches inutiles (24)
Demande des informations sur le travail et cela est refusé (24)
Rend le travail impossible en s’étendant sur sa vie privée (27)
Instructions contradictoires (27)
Récupération du travail (27)
Privation de matériel (30)
Retrait des tâches (31)
Empêchée d’avoir accès aux documents (32)
Changements de postes intempestifs (32)
Mise en difficulté pour réaliser ses études (33)
Privation de matériel nécessaire au travail (33)
Plus d’invitation aux réunions (34)
Retrait de tâches (34)
Suppression de la chaise et de l’ordinateur (34)
Retrait de la gestion des agents de quartier (34)
Rétention d’information (ne reçoit plus les informations, les notes du parquet, le courrier, …) (34)
Fait faire des photocopies inutiles (39)
Prend des avis dans ses dossiers sans lui demander son avis (39)
Récupération du travail (40)
Contrôle total de l’information entre la direction et l’équipe (40)
Consignes écrites rédigées de manière illisible (41)
Plus de travail à faire (43)
Privé de travail (44)
Retrait de tâches (45)
Privation de mobilier (45)
Privation de tâches (46)
Dipsarition de l’organigramme (46)
Interdit de participer à une réunion dans laquelle des décisions le concernant seront prises (49)
Sabote les initiatives en prétendant téléphoner pour une réservation de salle et ne le fait pas (50)
Fait faire des tâches inutiles (52)
Fait faire des tâches inférieures à la compétence (mettre des courriers dans les enveloppes) (52)
Fait faire des tâches piégées (recevoir des candidats jobistes dont on annonce à l’avance qu’ils ne seront pas engagés) (52)
Embrouille la réponse (Anne)
Dépanne les clients sans prévenir (Anne)
Sabotage du matériel informatique (Anne)6. Déni des droitsRefus d’octroi des vacances (9)
Refus d’octroi des congés (11)
Difficulté pour accorder les congés (16)
Reçoit toujours plus de travail que les autres (24)
Refus d’accorder les congés légaux (27)
Décompte du salaire des jours de congés légaux (27)
Fait prendre en charge des irrégularités qu’il a commises (27)
Exige des choses de la vie privée (que le mari change d’emploi pour ne pas faire de concurrence par exemple) (27)
Placé dans un bureau insalubre non conforme aux normes du RGPT (30)
Licenciement abusif (32)
Plus de travail (34)
Refus d’octroyer la consultation d’un dossier le concernant (38)
Disparition de pièces à conviction en la faveur de la personne (38)
Rétrogradation vers un poste inférieur (45)
Refus de l’augmentation barémique (47)
Changement d’horaire décidé de manière unilatérale (49)
Demande des écrits et de nombreuses justifications non pratiquées en temps normal (50)
Changement d’horaire unilatéral (51)
Retrait d’avantages acquis (51)
Refuse d’accorder les temps de pause (53)7. Attitudes ambivalentesNombreuses promesses non suivies des faits (1)
Ne dit pas bonjour (5)
Favorise / défavorise les uns puis les autres (9)
Alternance d’autorité et de « bienveillance » (14)
Le président s’engage à faire un travail pour aider la victime puis prétend lui avoir demandé de le faire (23)
« Cadeau » d’anniversaire pornographique (24)
Insulte puis salue cordialement (27)
Gestes ambigus du point de vue sexuel (27)
Dans la même journée, félicite puis dit que la personne est nulle (27)
Propose une formation et s’arrange pour que cela ne soit pas possible (27)
Alternance d’agression et de réconciliation (27)
Alternance de comportements doucereux et agressifs (30)
Demande de justification de l’emploi du temps alors qu’il est démis de toute fonction
Donne « carte blanche » puis reproche d’avoir fait sans demander (40)
Critiques alternées de félicitations (41)
Alterne gentillesse et agression (53)Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 17 : Comportements de harcèlement

La figure suivante permet de visualiser les occurences de catégories dans les différents cas.
 EMBED MSGraph.Chart.8 \s Figure  SEQ Figure \* ARABIC 24 : Occurrence des catégories de comportements

Du point de vue des comportements, nous avons obtenu une présence forte de deux catégories mentionnées sous diverses formes dans la littérature (par exemple Leymann, 1996a ; Garcia et al., 2002)  : les brimades, catégorie qui arrive en tête, et l’isolement, qui arrive en quatrième position.

La mise en échec professionnel, mentionnée dans des travaux plus récents (Brun & Kedl, 2006), arrive en deuxième position. Elle contient de nombreux comportements qui contribuent à mettre en difficulté les personnes sur le plan de leur travail sans pour autant qu’il y ait de manifestation hostile claire, ce qui va contribuer à les fragiliser dans leur relation au harceleur et à leurs collègues. Les agissements faisant partie de cette catégorie sont très nombreux et variés. Ceci peut s’expliquer par le fait que le milieu professionnel offre une multitude de possibilités de mettre l’autre en échec, que ce soit par la manipulation des tâches, la modification des conditions matérielles, la modification des contrats de travail etc. Cela conduit à une forme de harcèlement indirect puisque la mise en échec provoquera des conséquences néfastes sans qu’il y ait d’acte hostile posé.

La catégorie agression est présente de manière assez importante, arrivant en troisième position, ce qui indique que les situations que nous avons rencontrées ne sont pas uniquement constituées de petits faits dont la répétition va constituer le processus de harcèlement, mais que l’on trouve également des comportements répertoriés dans l’étude de la violence au travail.

La catégorie utilisation de tiers montre, elle aussi, que le harcèlement peut se mettre en place de manière indirecte. En effet, on voit, dans ce type de situation, que des personnes peuvent être impliquées dans le processus de harcèlement sans pour autant être elles-mêmes les harceleuses. Elles sont en quelque sorte « utilisées » par le harceleur. Ceci nous amène à considérer de manière plus complexe les liens entre harceleur et harcelé et à considérer d’autres rôles dans le processus. Cela valide également notre intention de procéder à une approche à plusieurs niveaux, dépassant l’étude du niveau interpersonnel.

Les attitudes ambivalentes constituent la catégorie la moins représentée. Il s’agit aussi probablement de celle dont les comportements sont les plus difficiles à identifier par les personnes.

Par contre, le déni des droits, peu abordé dans la littérature psychologique sur le harcèlement, est présent dans 15 situations, soit plus d’un quart, ce qui montre que ce problème mériterait d’être davantage pris en considération. Ceci donne partiellement raison à Askenazy (2004) qui estimait qu’avant de légiférer sur le harcèlement moral, il aurait été déjà utile de faire respecter les règles figurant déjà dans le code du travail.

En adoptant une autre perspective, si on additionne le nombre de comportements différents posés dans les différents cas, on constate que les personnes ne sont pas exposées à un seul type de comportement, mais bien à un ensemble d’agissements hostiles. Dans plus de la moitié des cas, on compte au moins cinq types de comportements différents. Les situations qui comptent moins de trois types de comportements différents sont, à l’inverse, assez rares (5 situations). Les comportements ne sont donc pas seulement répétés, ils sont également diversifiés.


 EMBED MSGraph.Chart.8 \s 

Nombre de domaines touchés dansns les conflits gravesnsée. la fois du cadre de pernansformer la situation qui est à l'té sourceFigure  SEQ Figure \* ARABIC 25 : Nombre de comportements différents par situation


3.3. Les stratégies de coping


En questionnant les personnes sur leurs stratégies adaptatives, nous avons découvert des modes de réactions très différents selon les cas. A partir de là, nous avons extrait neuf catégories de coping afin de rendre compte des différentes stratégies relevées dans notre échantillon. Ces catégories ont donc été extraites a posteriori, conformément à la démarche décrite dans la partie méthodologique.

- Stratégie 1 : adapter son comportement

Dans cette gamme de stratégies adaptatives, les victimes réagissent aux agissements hostiles en tentant de s’adapter à ce qui leur est demandé, dans l’espoir d’éviter de nouvelles attaques.

On pourrait schématiser le présupposé de la personne de la manière suivante : « je suis dans cette situation parce que je suis mal adapté, je ne corresponds pas à ce que l’on veut de moi, je dois donc modifier mon comportement dans le sens des demandes qui me sont faites ou que je crois percevoir ». En quelque sorte, la personne se considère responsable de ce qui lui arrive et est prête à faire les efforts nécessaires pour améliorer sa situation. Notons que cela peut se faire en réponse à des demandes explicites ou en réponse à ce que la personne imagine que l’on attend d’elle.

Par comparaison à la typologie de Swhartz et Stone (1993), on s’approche des copings d’action directe comme penser à des solutions possibles, rassembler de l’information ou faire quelque chose pour essayer de résoudre le problème.

Ceci constitue une confirmation de l’observation d’Hirigoyen (1998) qui affirme que la volonté d’en faire toujours plus sans jamais y arriver constitue une des caractéristiques liée à la séduction perverse, constitutive du harcèlement moral. Par ailleurs, selon Weathley (1999), les statistiques « d’overworking » (surprestation au travail) sont souvent liées à la présence de harcèlement moral.

Cette stratégie de coping peut elle-même devenir un élément de souffrance de l’individu, et c’est ainsi que nous avons vu plusieurs personnes s’épuiser dans cette quête du « toujours mieux », ne réussissant qu’à se disqualifier encore plus et à renforcer leur sentiment d’incompétence et d’inadaptation.

- Stratégie 2 : demander une transformation du contexte

Cette stratégie constitue une autre réponse au présupposé d’inadéquation entre l’individu et son contexte. La personne vise, par ce coping, à chercher à se maintenir dans sa fonction sans modifier son comportement, mais à demander que ce contexte soit modifié. Ainsi, elle espère réduire l’écart entre les demandes du harceleur et les aptitudes professionnelles ou personnelles qu’elle peut mettre en place. Ces transformations du contexte peuvent porter sur des aspects matériels (aménagement de locaux, mise à disposition de documents ou d’outils adéquats, …) ou organisationnels (demande de précision quant aux tâches à effectuer ou aux critères d’évaluation, demandes de changement dans l’organisation du travail, …).

- Stratégie 3 : tentatives de communication en direction du harceleur

Une autre stratégie de coping que nous avons rencontrée consiste à tenter de communiquer avec le harceleur. Ces tentatives de communication peuvent poursuivre plusieurs buts : exprimer sa souffrance, chercher une explication à l’hostilité exprimée par le « harceleur », chercher des solutions concertées pour améliorer la situation. Elle se rapproche de la catégorie voice dans le modèle de Farell (1983).


- Stratégie 4 : éviter la confrontation

Cette stratégie de coping contient des comportements qui ont pour objectif commun l’évitement de la confrontation avec le harceleur. Elle se rapproche des copings de type évitement chez Lazarus et Folkman (1984) ou exit chez Farell (1983). Cette stratégie pourrait faire penser à la stratégie d’adaptation du comportement lorsque les victimes essaient, en silence, de satisfaire les exigences du harceleur. Néanmoins, dans ce cas-ci, il n’y a aucune tentative d’action sur la situation ou sur soi-même dans l’espoir d’une amélioration. Au contraire, les personnes endurent la relation harcelante en s’efforçant tant que faire se peut d’éviter d’être confrontées aux stimuli stressants, spécifiquement la rencontre du harceleur. Dans certains cas, l’évitement va jusqu’à ce que la personne demande une mutation, un déplacement vers un autre service, un changement d’affectation.

C’est probablement dans le cadre de ce type de stratégie que de nombreuses situations de harcèlement se résolvent par un départ d’un des deux parties, et en l’occurrence, une étude montre que c’est le plus souvent la victime qui est amenée à partir (Delvaux, 2004).

Dans notre échantillon, plusieurs personnes mentionnent que les mesures de déplacement ont été néfastes pour elles en termes de conséquences psychologiques (sentiment d’injustice, frustration, perte d’estime de soi) et professionnelles (dévalorisation, dégradation, perte de statut). D’autres évoquent des cas dans lesquels la demande de déplacement a été refusée.

- Stratégie 5 : contre-attaquer

Cette catégorie de coping reprend les comportements dans lesquels la personne répond aux agressions du harceleur par des comportements offensifs qui peuvent aller de la menace à des formes d’agressions retournées contre le harceleur. On peut rencontrer également des dénonciations ou des mises en cause publiques. De manière générale, ce coping, que certains auteurs appellent le fighting back (par exemple Weathley, 1999), est caractérisé par une tentative de symétrisation de la relation qui lie le harcelé au harceleur.

- Stratégie 6 : faire intervenir un tiers

Ici, la victime demande à des personnes de lui venir en aide. Le tiers peut être interne à l’organisation, et dans ce cas, il s’agit le plus souvent du délégué syndical ou d’un supérieur hiérarchique. Il peut également être extérieur à l’organisation : il peut s’agir d’un Juge, d’un Auditeur du Travail, du Service de Prévention et de Protection, de l’Inspection du Travail ou encore d’un avocat.

- Stratégie 7 : préparer un dossier en vue d’une action future

Dans cette stratégie de coping, on trouve deux gammes de comportements. La première concerne tout ce qui relève de l’accumulation de preuves : documents, courriers, post-it, notes de service, copies de courriers électroniques etc. La deuxième consiste à constituer un dossier de notes ou rédiger une description des faits et sentiments vécus. De manière générale, les personnes se préparent ainsi à une action en justice ou auprès d’une autorité dans l’organisation (Conseiller en Prévention, supérieur hiérarchique, Direction, Ressources Humaines, délégation syndicale, …) à laquelle elles entendent démontrer le processus de harcèlement dont elles sont victimes

- Stratégie 8 : tenir le coup

On trouve ici les copings qui s’orientent vers des comportements destinés à « tenir le coup » face aux attaques dont la personne est la cible. A la différence de la fuite, qui consiste en un évitement systématique, la victime développe ici des stratégies actives destinées à l’aider à supporter la situation. On est ici typiquement dans un emotion focused coping destiné à contrôler l’impact émotionnel de la situation stressante sans intention de modifier le stresseur ou le contexte de celui-ci. Par rapport au modèle de Lazarus et Folkman (1986), on pourra retrouver des stratégies comme la distraction (focaliser son attention sur autre chose) ou l’acceptation de la situation ou encore l’investissement dans d’autres activités et passions.

- Stratégie 9 : résister

Dans cette gamme de stratégies, les personnes tentent de préserver leur mode de fonctionnement, leurs habitudes professionnelles, leurs modes relationnels. Elles le font en refusant d’obtempérer à certaines exigences du harceleur. Nous parlons ici de résistance dans la mesure où, contrairement à la catégorie « contre-attaquer », les personnes posent des comportements qui ne consistent pas en une agression du harceleur, même si elles marquent leur désaccord voire leur opposition à celui-ci.

Le tableau qui suit présente les copings rencontrés dans le cadre de notre étude.

Catégorie Coping (cas de référence)1. Adapter son comportementTravaille de plus en plus ou le plus possible (2, 47)
Travaille le mieux possible (7, 17, 24, 36)
Travaille de moins en moins (10)
Prend des initiatives professionnelles (11)
Agit en subalterne (16)
Obtempère (17)
Tente de s’acquitter de son travail (18)
S’efforce de répondre à tout ce qu’on lui demande (20)
Ne montre jamais ses difficultés ou sa souffrance (20)
Obéit aveuglément (21)
Travaille moins (24)
Se remet en question pour mieux travailler (25)
Optempère à toutes les demandes (27)
Se contient pour ne pas être mal jugé (28)
Dit oui à toutes les propositions (28)
Prend des cours pour s’améliorer en informatique (36)
Travaille pendant son congé de maladie (36)
Est très méticuleux (47)
Adopte des attitudes soumises (52)
Essaie de faire du mieux qu’elle peut (Anne)
Essaie de comprendre ce qu’il veut pour le faire (Anne)
2. Demander une transformation du contexteDemande à sa chef de lui faire une liste de tâches précisant ce qu’elle attend d’elle (5, 46)
Suite à un reproche qui lui est fait parce qu’elle s’est occupée d’une tâche d’importance mineure, demande qu’on lui fixe des priorités (5)
Signale des dysfonctionnements pour que cela soit amélioré (17)
Demande à passer à mi-temps (20)
Essaie de changer l’organisation du travail (42)
3. Communiquer en direction du harceleur Demande des explications (3, 9, 17, 34, 36, 38, 49)
Tente d’exprimer son point de vue sur la situation. Dit qu’elle se sent mal et démotivée, et que l’organisation du travail lui semble problématique (5)
Essaie d’expliquer sa situation délicate d’être pris entre deux services (7)
Elle s’efforce de se justifier auprès du son chef d’établissement, de lui expliquer pourquoi elle agit de la sorte (8).
Demande des entretiens avec le gérant (10)
Communique sa souffrance au harceleur (15)
Tente de dialoguer (21, 43)
Raconte sa situation par écrit (23)
Essaie de s’expliquer (25, 36)
Tente de parler au chef (26, 48, 51)
Ecrit des lettres au harceleur (34, 49)
Se justifie (38)
Propose des solutions (42)
Demande l’organisation d’une réunion (45, 46)
Ironise pour attirer l’attention (46)
4. Eviter la confrontationAbsences répétées (1, 11, 38, 52)
Quitte l’institution (4)
Demande à être changé de poste (1)
Demande à être changée de service (2)
Passe des examens pour être mutée (18)
Demande une mutation (26)
Quitte l’emploi (23, 32)
Se replie sur elle-même (8, 10)
Réduit la communication au minium (16)
Demande son préavis (36)
Travaille le plus possible avec un autre collègue (39)
Démission (45)
Prend des congés de maladie (44, 46)
Part en pré-pension contre son gré (46)
5. Contre-attaquerHurle (11)
Garde copie des contradictions de l’autre et les envoie à toute l’équipe et au supérieur (15)
Affiche mépris et ironie (15)
Se fâche (16)
Renverse une poubelle sur le bureau de l’autre (21)
Répond à chaque lettre avec copie au CA et à tous les coordinateurs (23)
Coalise les collègues et entame des actions collectives de protestation (23)
Dénonce les manœuvres politiques des dirigeants (23)
Réclame la démission du président (23)
Répond du tac au tac (26)
Paroles mordantes (26)
Menaces de tout raconter (26)
Dénonce une chute de budget (34)
Ecrit une lettre publique (40)
S’oppose publiquement aux décisions et les dénonce (40)
Menace de dénoncer des pratiques frauduleuses (50)
Dénonce (50)
Rédige des documents accusateurs (50)
6. Faire intervenir un tiersDemande l’intervention du médecin du travail (1)
Ecrit au recteur (3), écrit au directeur (51)
L’équipe envoie une lettre par tous à la harceleuse (6)
L’équipe développe des projets collectifs pour faire face à la harceleuse (6)
Ecrit un courrier recommandé au Secrétaire Communal (7)
Démarche d’explication avec une collègue (9)
Prend contact avec les autorités pour faire part de sa situation (12)
Va au conseil d’état (13)
S’explique auprès des directeurs d’école (13)
Plainte à l’auditorat (13, 45)
Demande l’aide de la hiérarchie (16, 35, 43)
Fait appel à la médecine du travail (18)
Demande au syndicat d’intervenir (26, 41)
Participe à une lettre collective (30)
Ecrit à l’administrateur (41)
Explique son point de vue au CA (45)
Assigne son employeur au tribunal du travail (47)
Essaie d’obtenir le soutien de ses collègues (49)
Fait appel au PO (49)
Demande d’être entendu par le PO (50)
Obtient le soutien des parents d’élèves (50)
Demande au coordinateur de relayer son point de vue auprès du directeur (51)
Tente de parler au directeur (52)
7. Préparer un dossier en vue d’une action futureTient un journal de bord (13)
Prend des photos (13)
Envisage de porter plainte et s’y prépare (52)
8. Tenir le coupTente de travailler vaille que vaille (3)
Fait des études de pédagogie pour envisager un autre avenir professionnel (13)
Tente de supporter la situation (14)
Fonctionne comme un robot (21)
Consulte un psychologue (27)
S’investit dans des loisirs pour oublier (33, 43)
Reste « zen », pense à autre chose (43)
9. RésisterRefuse les combines (4)
Reçoit les gens qui viennent pleurer dans son bureau (4)
Dit stop aux grossièretés (4)
Garde un comportement professionnel (4)
Refus de faire une réunion avec ses collègues pour s’expliquer (5) Demande à voir les rapports la concernant (5)
S’en tient aux consignes officielles de la direction contre l’avis de son supérieur (8)
Se replie sur son travail d’enseignante contre l’avis de son supérieur (8)
Continue à travailler comme elle l’a toujours fait (8)
Revendique son intégrité professionnelle (11)
Défend les autres (22)
Défend ses valeurs (22)
Ne cède pas (22)
Maintient les réunions de coordinateurs contre l’avis de sa hiérarchie (23)
Tient bon et essaie de travailler le mieux possible (32)
Ne tombe jamais malade (33)
Connaît ses droits (33)
Demande toujours la référence des ordres (33)
Ne se soumet pas (33)
Refuse les combiens (34)
Ne se laisse pas faire (41)
Termine ses entretiens coûte que coûte (47)
Reste imperturbable (47)
Défend les autres (48, 52)
Refuse d’obtempérer lorsque c’est contraire à ses principes (48)
Organise seul les activités que le directeur lui refuse d’organiser (50)
Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 18 : Copings

Comme on le voit, les stratégies de coping utilisées par les personnes que nous avons rencontrées sont variées. C’est pourquoi nous avons souhaité élargir le modèle de référence habituel en matière de harcèlement, le modèle Exit - Voice - Neglect - Loyality de Farrell.

De manière transversale à cette découverte de neuf stratégies de coping, on peut distinguer d’une part des copings « offensifs » (contre-attaquer, résister, faire appel à des tiers), c’est-à-dire des copings qui visent à équilibrer ou renverser le rapport de domination ; et des copings qui relèvent de la soumission (s’adapter, éviter, tenir le coup, demander à changer de contexte), c’est-à-dire des copings qui partent d’une acceptation de l’inégalité de position. Les autres gammes de copings sont plus ambigues sur ce plan : communiquer peut se faire dans une optique plutôt de confrontation (revendiquer, réclamer, protester, …) ou de soumission (demander comment on peut s’améliorer, indiquer sa bonne volonté, …). Quant à préparer un dossier en vue d’une action future, il s’agit d’un coping qui se situe dans la soumission, mais dans l’optique de passer éventuellement à l’affrontement dans un moment ultérieur.

La figure qui suit montre la fréquence d’apparition des copings dans les différentes situations.
 EMBED MSGraph.Chart.8 \s 
Figure  SEQ Figure \* ARABIC 26 : Occurrences des copings


D’un point de vue quantitatif, les copings offensifs et les copings de soumission sont assez proches. Si on somme leur apparition par cas (ce qui signifie que l’on peut trouver plusieurs catégories au sein d’un même cas), on arrive à 42 occurrences de copings offensifs pour 47 occurrences de copings de soumission. Ceci confirme l’idée que le harcèlement moral charrie aussi bien des relations d’opposition que des relations de soumission. L’exploration des processus interpersonnels à laquelle nous procéderons dans le chapitre suivant nous permettra de quantifier de manière globale cet élément.

On peut également noter que les catégories qui comptent le plus d’items sont celles des tentatives de communication avec le harceleur et de l’appel à des tiers (présentes chacunes dans 19 situations). L’importance de la catégorie de l’appel à des tiers nous montre à quel point le harcèlement moral au travail est une problématique contextualisée qui implique d’autres personnes et d’autres processus relationnels également. En effet, les personnes recourent aussi souvent aux autres acteurs de l’organisation qu’à la communication avec la personne concernée.



4. Conclusions



4.1. Conclusions sur les conséquences, comportements et copings

La première conclusion qui ressort de ce premier chapitre consacré aux résultats est que les situations de harcèlement provoquent bien des effets néfastes sur les personnes qui en sont les cibles.

Plus précisément, les catégories de conséquences ont permis de faire émerger l’importance d’étudier non seulement les conséquences psycho-médicales les plus patentes que l’on a tendance a prendre en compte habituellement dans la littérature, mais également, d’une part, les conséquences plus discrètes, et, d’autre part, les conséquences intervenant sur le plan professionnel et social.

Par ailleurs, nos observations mettent en lumière l’existence de conséquences reconnues comme typiques des situations d’hyperconflit, attestant l’existence d’un lien au moins clinique entre les deux phénomènes. Enfin, on a pu voir que les conséquences avaient tendance à produire leurs effets sur plusieurs domaines du bien-être de l’individu.

L’étude des comportements a donné lieu à une liste extrêmement fournie d’agissements jugés harcelants. Chaque situation se caractérise par des comportements spécifiques et généralement diversifiés. Cela va des comportements les plus anodins à des comportements qui relèvent de la violence au travail. On note aussi l’utilisation d’une grande diversité de ressources dans le processus de harcèlement : les collègues et clients sont souvent utilisés (catégorie « utilisation des tiers »), les conditions matérielles de travail (catégorie « mise en échec »), les conditions sociales du travail (catégorie « isolement »), les dimensions légales du travail (« déni des droits »). Le fait que le milieu du travail offre une grande richesse dans les possibilités de mobilisation de ressources pour perpétuer le harcèlement provoque des possibilités infinies d’agissements hostiles et permet notamment l’autonomisation du processus par la manipulation de ces ressources, le harcelé se retrouvant dans un environnement hostile sans même que cela n’implique que le harceleur y prenne part activement.

Pour ce qui est du coping, nous avons pu observer la grande variété des stratégies utilisées par les personnes.

De manière générale, on trouve dans les copings à la fois des tentatives d’adaptation pouvant aller jusqu’à la soumission, et à la fois des coping fondés sur l’opposition. On peut donc parler de copings qui s’intègrent généralement dans des relations de type complémentaire, ce qui est conforme aux observations figurant dans la littérature, mais également de copings s’intégrant plutôt habituellement dans des relations de type symétrique, comme ceux que l’on trouve dans la catégorie « résister » ou « contre-attaquer ». Cet élément dénote évidemment avec les approches et définitions habituelles du harcèlement et le rapproche des relations hyperconflictuelles.

Concernant plus particulièrement le coping qui consiste à adapter son comportement, on notera qu’il peut revêtir des modes comportementaux très différents et même parfois antinomiques. Ainsi, dans certains cas, adapter son comportement amène la personne à travailler moins, dans d’autres, cela la conduit à travailler davantage.

Enfin, on peut remarquer que les tentatives de communications sont très nombreuses, de même que le recours à des tiers.

4.2. Conclusions transversales

Nos conclusions à partir de l’étude des conséquences, comportements et conséquences du harcèlement s’orientent également vers des éléments transversaux aux différentes catégories d’observations.

Tout d’abord, on peut observer que les tiers sont présents tant dans les catégories de comportements exercés par le harceleur que dans les copings posés par le harcelé. Les collègues et supérieurs semblent donc jouer un rôle important comme adjuvant ou comme obstacle au harcèlement. La maîtrise de la ressource sociale constitue donc un élément essentiel et comprendre comment elle est mobilisée par chacun des protagonistes ouvre des voies de compréhension dynamique du phénomène particulièrement riches que nous aurons l’occasion d’aborder dans la suite de ce travail.

Ensuite, cette étude des éléments statiques remet en question les distinctions habituellement pratiquées dans les recherches entre conséquences, copings et comportements.

Premièrement, la différence entre les conséquences et les copings n’est pas aussi tranchée qu’il n’y paraît en théorie. Par exemple, les absences répétées apparaissent généralement dans la littérature comme des conséquences du harcèlement, mais certaines personnes ont estimé que ce comportement relevait du coping, une manière pour eux de fuir la situation problématique. Si on élargit le débat, on peut voir que les conséquences, dans leur ensemble, peuvent être considérées jusqu’à un certain point comme des modes de coping, incluant éventuellement la somatisation par exemple, ce que l’on ponctuera en « conséquence physique » si on la place dans la catégorie conséquences.

D’un autre côté, les copings, peuvent être considérés dans certains cas comme des conséquences, spécifiquement lorsqu’ils ne donnent pas les résultats attendus. Quelques exemples illustreront la remise en question de cette dualité copings – conséquences dès lors que l’on adopte un point de vue circulaire. Ainsi, lorsqu’une personne se met à travailler de plus en plus pour satisfaire une personne sans jamais y parvenir, s’agit-il d’un coping ou d’un mécanisme de défense qui peut être considéré comme une conséquence du harcèlement ? De même, lorsqu’une personne se met à éviter systématiquement le harceleur, s’agit-il d’une conséquence de type psychologique ou d’une stratégie adaptative de type évitement ? On peut également prendre cette question dans l’autre sens. Ainsi, l’agressivité à l’égard du harceleur a été présentée par certaines personnes comme une stratégie (« je deviens agressif pour le forcer à changer de comportement », coping « contre-attaquer »), par d’autres comme une conséquence («  la situation m’a rendu agressif au point que je ne sais plus m’empêcher de l’agresser », conséquence « psychologique »). On le voit, les distinctions classiques entre coping et conséquences sont intéressantes pour décrire les situations, mais méritent aussi d’être dépassées et intégrées dans une explication plus processuelle rendant davantage compte de la complexité.

Une deuxième distinction classique proposée dans la littérature différencie les comportements hostiles et les stratégies de coping. On tend habituellement à considérer que les comportements hostiles viennent du harceleur et les copings du harcelé. Or, comme nous l’avons vu, la complémentarité de la relation est loin d’être aussi évidente. Ainsi, des comportements posés par le harceleur peuvent être vus comme des stratégies adaptatives intervenant en réaction aux comportements du harcelé et, à l’inverse, des stratégies de coping posés par le harcelé apparaissent comme des comportements hostiles à l’encontre du harceleur.

En outre, les copings doivent être considérés comme un ensemble qui prend sens à la lumière de tous les comportements posés par la victimes. Ainsi, faire appel à des tiers constitue généralement une tentative de renversement du rapport de force, mais peut aussi, dans certains cas, s’intégrer dans une stratégie plus globale de soumission et constituer une tentative désespérée de chercher du soutien pour tenir le coup. Adapter son comportement apparaît généralement comme une soumission mais peut, dans certains cas, être intégré dans une stratégie globale contre le harceleur visant notamment à être irréprochable afin de pouvoir contre-attaquer. Cela veut donc dire qu’on ne peut déduire s’il s’agit d’un processus symétrique ou complémentaire sur la seule observation des copings. En effet, c’est l’enchaînement répétitif des comportements du harceleur et des copings de la victime qui permet de parler de processus. C’est donc bien à partir de la description l’ensemble des comportements posés par les deux parties que l’on pourra appréhender le processus relationnel.

Ces mises en lien ancrent notre conviction qu’il est opportun d’étudier les comportements hostiles, les conséquences et les stratégies de coping en adoptant une conception circulaire, c’est-à-dire en les considérant tous trois comme le résultat d’ajustements permanents entre harceleur et harcelé et vis-à-vis du contexte qui les entoure. Ceci plaide pour une étude des rapports entre harceleur, harcelé, groupe et organisation sous l’angle de processus qui entrent en interaction les uns avec les autres.

Cela étant, le fait de procéder dans les entretiens par un questionnement de type « comportements – conséquences – coping » peut être approprié à titre de trame d’investigation dans la mesure où cela épouse des modes spontanés de classification et de présentation des situations. Ces catégories peuvent alors être dépassées dans un deuxième temps, lors de l’analyse. C’est la raison pour laquelle, dans ce travail, nous les avons utilisées comme approche préliminaire à l’étude des processus, résonances et configurations à laquelle nous allons procéder dans les trois chapitres qui suivent.









Chapitre II

Approche exploratoire – premiers regards sur les processus relationnels, les résonances et les configurations
Analyses de cas d’accompagnement clinique de situations de harcèlement moral au travail




I. Introduction




Les études de cas d’accompagnement clinique constituent la partie exploratoire de notre travail.

Dans un premier temps, nous allons étudier les différents processus à l’œuvre dans les deux situations qui feront l’objet de cette partie. Les éléments recueillis seront présentés niveau par niveau, conformément à la première version du Modèle d’Analyse.

Niveau organisationnelProcessus organisationnelsNiveau groupalProcessus groupauxNiveau interpersonnelProcessus interpersonnelsNiveau personnelProcessus personnelsTableau  SEQ Tableau \* ARABIC 19 : Modèle d’Analyse en tableau












Figure  SEQ Figure \* ARABIC 27 : Modèle d’Analyse en diagramme

A partir de là, nous allons mettre en perspective ces processus organisationnels, groupaux, interpersonnels et personnels avec les approches et théories existantes. Ceci nous permettra de rencontrer, dans une perspective exploratoire, notre deuxième objectif de recherche, lié aux processus : identifier, analyser et quantifier les processus personnels, interpersonnels, groupaux et organisationnels à l’œuvre dans les situations de harcèlement moral au travail.

Nous allons ensuite voir comment les différents processus s’articulent et se répondent entre eux, rencontrant ainsi une autre gamme de résultat : les résonances. Nous poursuivrons donc le troisième objectif : identifier, analyser et quantifier les résonances entre processus c’est-à-dire comment les processus interagissent les uns avec les autres. Cette partie de notre étude de terrain nous donne donc l’occasion de vérifier si une analyse multi-niveaux peut donner des résultats fructueux.

Précision importante : les situations que nous allons étudier provenant d’entretiens individuels, c’est donc bien des cas tels qu’ils sont vécus et racontés par les personnes que nous allons traiter, à partir d’une description faite au travers de leur subjectivité. Ce qui va nous occuper ici est donc le fruit d’un travail de co-construction du sens réalisé par une personne en interaction avec nous.

Par ailleurs, il est à signaler que les aspects de quantification évoqués dans les objectifs seront abordés dans la partie suivante, cette dernière comportant un nombre plus important de cas.



II. Le cas de Lucie

Confidentiel


III. Le cas de Jean-Philippe

Confidentiel

III. En conclusion de ces études de cas

Ces analyses de cas, conformément à leur statut exploratoire, nous permettent d’éprouver la validité de l’ensemble de notre démarche.

Tout d’abord, elles confirment la première observation faite en introduction : la diversité des situations de harcèlement moral. En effet, ces deux cas présentent des différences importantes. Le contexte organisationnel global d’une petite entreprise familiale prospère et bien implantée au niveau régional d’un côté, celui d’une entreprise multinationale subissant des menaces pour sa survie et des rachats dans un contexte de mondialisation de l’autre. Au niveau groupal, un groupe divisé et en partie soumis à la logique familiale d’un côté, un groupe rebelle à l’organisation de l’autre. Une relation interpersonnelle de domination – soumission d’un côté, une relation présentant les traits de l’hyperconflit de l’autre. Un processus personnel du harcelé soumis, voulant satisfaire les désirs de l’autre d’un côté, une personne combative et poursuivant une soif de vengeance de l’autre. Les points d’opposition entre ces deux cas ne manquent pas.

Ensuite, ces deux études de cas confirment l’importance de réaliser les analyses sur quatre niveaux : organisationnel, groupal, interpersonnel et personnel. Cette étude à plusieurs niveaux nous a en effet permis de dépasser la simple perception d’une relation d’emprise ou de harcèlement. L’étude des résonances atteste également le caractère complexe des situations de harcèlement moral.

Ces deux premières études de cas confirment donc qu’une approche intégrative, processuelle et dynamique d’un cas de harcèlement moral permet d’accéder à une compréhension plus fine et plus complexe de la situation, qui va au-delà du constat que la présence de certains facteurs environnementaux peut contribuer à son développement.

La troisième confirmation vient de l’existence de processus qui relèvent de l’hyperconflit dans les deux cas. Les processus groupaux et organisationnels sont, selon les cas et même parfois selon les moments des différents cas, tantôt symétriques, tantôt complémentaires. Ce résultat est intéressant à relever et prouve que les situations qui sont dénommées par le terme de harcèlement moral au travail peuvent s’intégrer dans des processus groupaux et organisationnels radicalement différents. Ceci confirme l’intérêt de distinguer et mettre en perspective les modes de relation équilibrés et déséquilibrés. Ce résultat est encore plus significatif à relever pour le niveau interpersonnel dans la mesure où, en théorie, on devrait constater l’existence d’une relation interpersonnelle déséquilibrée. A fortiori, lorsque c’est la personne qui présente sa situation, on pourrait au moins s’attendre à ce qu’elle en fasse un récit sous l’angle de la complémentarité à ce niveau. Or, si c’est le cas chez Lucie, chez Jean-Philippe, en revanche, l’analyse du discours de la personne laisse apparaître que l’on est en présence d’une symétrie interpersonnelle tout au long du cas, révélant un processus conflictuel. Tout ceci valide l’intention première du modèle qui est de prendre en compte deux modes de relations de travail pathogènes : le harcèlement, ou plus généralement la victimisation, d’une part, et l’hyperconflit d’autre part.



Ces analyses de cas exploratoires font également apparaître le phénomène de résonance entre processus. On le voit, les éléments groupaux et organisationnels ne font pas que conditionner la relation de harcèlement, ils sont en lien synergique avec elle. En outre, les résonances peuvent se manifester sous forme d’effets de renforcements réciproques, y compris lorsqu’il s’agit de modes relationnels différents. Ceci valide l’ambition de la version ultérieure du modèle qui est de permettre d’identifier des configurations différentes résultant de modes de répartition différents des processus équilibrés et déséquilibrés.

Ces analyses de cas, par la notion d’impact, mettent également en avant la notion de processus médiateurs des éléments contextuels. Ceci confirme qu’il est indispensable de prendre en compte l’effet spécifique d’un élément groupal ou organisationnel sur la relation pour en comprendre le sens, et de prendre en compte les processus qui lient les protagonistes au groupe et à l’organisation. L’intérêt d’utiliser les notions de complémentarisation et de symétrisation trouve ici une concrétisation dans les deux analyses de cas : ce qui influence la relation entre Jean-Philippe et Isabelle ou entre Lucie et Jeannine, c’est davantage que des processus ou des éléments de contexte vont être symétrisants ou complémentarisants que l’existence de processus symétriques ou complémentaires en eux-mêmes.

Cela valide donc la nécessité de distinguer, d’une part, les processus qui décrivent les processus groupaux et organisationnels à l’égard des protagonistes et, d’autre part, des processus qui définissent des relations ayant cours dans le groupe ou l’organisation de manière générale, indépendamment de la référence à la situation de harcèlement. En effet, ces deuxièmes n’auront un effet sur la relation de harcèlement que par le biais des processus groupaux ou organisationnels à l’égard de la situation. Ceci constitue une confirmation de l’utilité de l’approche des processus proposée dans la deuxième version du modèle qui propose d’étudier comment vont intervenir les éléments groupaux et organisationnels dans la situation interpersonnelle de harcèlement moral au travail.

Ces analyses de cas exploratoires ouvrent enfin sur l’importance de la période de référence lorsque l’on étudie une situation. On voit que les deux cas connaissent une évolution à travers le temps qui transforme le processus interpersonnel autant que les processus groupaux et organisationnels. C’est un élément sur lequel nous reviendrons lors de la présentation de nos études de témoignages.

Cette étape exploratoire confirme donc la diversité et la complexité des situations de harcèlement moral ainsi que leurs liens avec les hyperconflits, et valide l’intérêt de procéder par une étude intégrative, en attestant l’existence de synergies entre des phénomènes de niveaux différents, processuelle, par la démonstration d’enchaînements répétitifs de comportements, et dynamique, par la mise en évidence du jeu d’équilibres et de déséquilibres de forces entre les parties.

Elle a permis également de montrer l’importance de distinguer d’une part des processus ayant une existence propre et indépendante de la situation de harcèlement et, d’autre part, des processus qui lient groupe et organisation aux protagonistes, ce qui constitue la spécificité de la deuxième version du Modèle d’Analyse. C’est cette deuxième version que nous allons utiliser dans le chapitre suivant afin de dégager des récurrences dans les processus, les configurations et les résonances.










Chapitre III

Approche confirmatoire – étude et quantification des processus, résonances et configurations
Etude de 50 témoignages de victimes de harcèlement moral au travail

I. Présentation générale




1. Introduction



Ce chapitre est basé sur des témoignages de personnes qui s’estiment victimes de harcèlement moral. Au départ d’entretiens focalisés, nous sommes parti à l’exploration d’histoires de vie professionnelle que des personnes ont accepté de partager avec nous dans le cadre de notre recherche. Pour bien les comprendre, nous avons mené deux entretiens de recherche semi-directifs d’une heure à une heure et demie avec chaque personne.

Bien entendu, le récit des cas et les analyses que nous ferons sont à prendre avec la même précaution que dans l’étape précédente : il s’agit des situations telles qu’elles sont racontées par les personnes. C’est donc bien à travers le filtre d’un vécu et d’un récit personnel que nous les abordons et c’est à ce titre qu’elles nous intéressent ici : la manière dont les personnes vivent et racontent les situations dont elles estiment qu’elles relèvent du harcèlement.




2. Résultats des analyses de cas



2.1. Répertoire des différentes catégories issues du regroupement des fragments de discours


Les catégories suivantes ont été extraites des analyses d’entretien.

Absence de réaction de l’organisation par rapport aux comportements du harceleur Absence de réaction des collègues par rapport aux comportements du harceleur Absence de régulation du pouvoir exercé par le harceleur Absence de régulation organisationnelleAffrontement entre harceleur et harcelé Banalisation de la situation de la part de l’organisationChangement organisationnelCompétition dans l’organisation Concentration de ressources aux mains du harceleur Conflit groupalConflits entre instances de l’organisationDéfense de valeurs de la part du harceléDomination – soumission entre harceleur et harcelé Etat de faiblesse du harcelé Évitement du harcelé de la part du groupe des collèguesFonctionnement psychopathologique du harceleur Groupe absentGroupe en souffrance au travailHarcèlement moral organisé à l’encontre de la catégorie à laquelle appartient le harcelé Hostilité du groupe à l’encontre du harcelé Maltraitance managérialeMarginalisation de la personne par rapport au groupeMenace concurrentielleOpposition entre harceleur et harceléParticipation de l’organisation au harcèlement Porte- parolatPoste de travail inadapté au harcelé Poursuite d’enjeux personnels de la part du harceleurPrécarité de l’emploi et des postes de travailRébellion à l’encontre du harceleur Relations incestuelles à l’avantage du harceleur Renforcement du harceleur de la part de l’organisationRéprobation du harceleur de la part de l’organisationSolidarité groupaleSoutien au harceleur de la part du groupeSoutien passif du groupe à l’égard du harcelé Statut fragile du harceléUltra-soumission à l’autorité Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 20 : Répertoire des catégories identifiées à partir des entretiens
2.2. L’organisation des données dans le Modèle d’Analyse 


La figure qui suit montre la répartition au sein du Modèle d’Analyse des différents éléments recueillis. Les processus du pôle complémentaire sont inscrits en rouge, ceux du pôle symétrique en vert. En périphérie, on trouve les éléments non processuels.

Pour réaliser cette répartition, nous avons procédé à la démarche de validation par les pairs présentée dans la méthodologie. Dans la suite de ce chapitre, les différents éléments sont expliqués et exemplifiés, et les raisonnements à la base des classements les plus délicats sont exposés.































 Le tableau qui suit montre répartition de tous ces éléments dans les différents cas avec en gras les cas qui sont développés dans le corps du texte. Nous avons repris les éléments qui figurent dans au moins deux situations.

Zone 1 : les processus personnels du harceleur

Fonctionnement psychopathologique du harceleur 3, 6, 7, 43
Poursuite d’enjeux personnels de la part du harceleur 3, 5, 6, 7, 13, 14, 17, 47, 48, 50

Zone 2 : les processus personnels du harcelé

Etat de faiblesse du harcelé 18, 20, 27
Défense de valeurs de la part du harcelé 2, 4, 8, 10, 11, 15, 17, 22, 23, 24, 28, 31, 33, 34, 45, 47, 48, 49, 50, 51

Zone 3 : les processus interpersonnels

Affrontement entre harceleur et harcelé 10, 11, 12, 15, 22, 23, 26, 30, 33, 40, 41, 45, 46, 47, 49, 50, 51
Opposition entre harceleur et harcelé 3, 4, 5, 6, 8, 9,13, 16, 32, 34, 35, 39, 42, 48, 52
Domination-soumission entre harceleur et harcelé 1, 2, 7, 14, 17, 18, 20, 21, 24, 25, 27, 28, 31, 36, 38, 43, 44, 53

Zone 4 : les processus groupaux à l’égard du harceleur

Rébellion à l’encontre du harceleur 6, 14, 23, 30, 53
Soutien au harceleur 9, 26

Zone 5 : les processus groupaux à l’égard de la situation de harcèlement

Absence de réaction des collègues par rapport aux comportements du harceleur 7, 8, 20, 21, 24, 26, 30, 31, 33, 36, 41, 43, 46

Zone 6 : les processus groupaux à l’égard du harcelé

Soutien passif du groupe à l’égard du harcelé 1, 2, 4, 9, 15, 25, 26, 27, 39, 43, 45, 47, 48, 49, 51, 52, 53
Porte- parolat 22, 23, 45, 47, 48, 52
Hostilité du groupe à l’encontre du harcelé 2, 8, 10, 11, 12, 13, 17, 18, 22, 25, 26, 32, 34, 35, 36, 38, 42, 45, 47, 49, 50, 52
Marginalisation de la personne par rapport au groupe 2, 24, 34
Évitement du harcelé de la part du groupe des collègues 3, 5, 22, 24, 28, 40, 49

Zone 7 : les processus relationnels au sein du groupe

Solidarité entre collègues 6, 8, 11, 12, 14, 15, 18, 23, 30, 39, 48, 53
Conflit groupal 9, 22, 25, 35, 36, 40, 45, 47, 52
Zone  8 : les processus organisationnels à l’égard du harceleur

Absence de réaction de l’organisation par rapport aux comportements du harceleur 5, 6, 7, 8, 9, 12, 13, 16, 17, 18, 24, 25, 30, 34, 35, 40, 42, 47, 52
Absence de régulation du pouvoir exercé par le harceleur 2, 4, 5, 6, 9, 10, 13, 20, 21, 24, 27, 30, 34, 36, 40, 41, 44, 45, 50
Relations incestuelles à l’avantage du harceleur 1, 26, 30, 45, 52
Renforcement du harceleur de la part de l’organisation 11, 15, 22, 39, 43, 48
Réprobation du harceleur de la part de l’organisation 14, 35, 53

Zone 9 : les processus organisationnels à l’égard de la situation de harcèlement

Participation de l’organisation au harcèlement 1, 13, 23, 30, 38, 45, 49, 51
Harcèlement moral organisé à l’encontre de la catégorie à laquelle appartient le harcelé 28, 31, 32, 46

Zone 10 : les processus organisationnels à l’égard du harcelé

Banalisation 3, 9, 12, 16, 22, 26, 39, 42, 44

Zone 11 : les processus organisationnels 

Compétition dans l’organisation 1, 3, 9, 10, 14, 22, 25, 28, 35, 46
Conflits entre instances de l’organisation 2, 7, 8, 21, 23, 25, 34, 33, 45, 49
Maltraitance managériale 20, 21, 24, 30, 36, 43
Ultra-soumission à l’autorité 10, 15, 16, 21, 24, 39, 43, 45

Zone extérieure : contextes non relationnels

Absence de régulation organisationnelle 9, 24, 25, 26, 40, 52
Changement organisationnel 7, 8, 10, 17, 22, 28, 32, 46, 51
Menace concurrentielle 15, 49, 53
Concentration de ressources aux mains du harceleur présumé 3, 4
Poste de travail inadapté au harcelé 1, 11, 12
Statut fragile du harcelé présumé 15, 27
Précarité des emplois et des postes de travail 9, 16, 52, 53
Groupe absent 16, 44
Groupe en souffrance au travail 12, 13, 18, 20, 21, 23, 28, 36, 42, 43, 53






3. Mode de présentation des différents éléments recueillis dans l’étude des situations de harcèlement



Pour présenter les différents éléments tirés des entretiens, nous allons procéder niveau par niveau : nous exposerons d’abord les éléments du niveau personnel, puis du niveau interpersonnel, du niveau groupal et enfin du niveau organisationnel.

Quelques précisions sur le mode de présentation s’imposent ici. D’abord, dans un souci de synthèse, contrairement à la manière dont nous avons procédé dans l’étape exploratoire, nous rendrons compte du discours des personnes non pas à l’aide de citations directes de leurs propos, mais en le paraphrasant. Afin de différencier les parties provenant des propos des personnes et celles qui relèvent de nos commentaires ou analyses personnelles, l’italique sera utilisé. Au sein de ces passages en italique, nous utiliserons occasionnellement des guillemets si des citations directes semblent importantes.

Ensuite, on a pu voir dans les études de cas approfondies que les situations pouvaient être évolutives. Or, puisque nous allons procéder ici à un classement des cas dans notre modèle, il se pose la question du moment auquel on considère le cas pour effectuer ce classement. Nous avons pris le parti d’attribuer la catégorie en fonction de la situation telle qu’elle se trouve dans la dernière phase, c’est-à-dire au moment où la personne la raconte, ou, si elle a quitté la situation, juste avant son départ.

Enfin, il est à signaler que, au cours de la présentation des différents éléments, le lecteur pourra rencontrer plusieurs fois la même situation, racontée sous des angles différents. Nous veillerons, lorsque nous aborderons un cas qui a déjà été commenté précédemment, à en repréciser les éléments essentiels tout en évitant les redondances inutiles. Ceci étant, les cas seront présentés dans le but d’illustrer la catégorie, ce qui ne signifie pas pour autant que les extraits ne porteront que sur cet élément. En effet, une mise en contexte est souvent nécessaire pour la compréhension, ce qui nous amènera régulièrement à donner des indications générales en introduisant les cas.

Le gras sera utilisé pour désigner la personne que nous avons rencontrée dans le cadre de notre recherche.
II. Identification des processus et éléments de contexte




Cette section est consacrée à l’étude des processus, conformément au deuxième objectif de recherche : identifier, analyser et quantifier les processus interpersonnels, groupaux et organisationnels à l’œuvre dans les situations de harcèlement moral au travail. Nous commencerons également l’étude des résonances, sur lesquelles nous reviendrons lors de l’analyse des configurations, conformément au troisième objectif : identifier, analyser et quantifier les résonances entre processus c’est-à-dire comment les processus interagissent entre eux.



1. Zone 1 : processus personnels du harceleur








Comme nous l’avons déjà précisé, la notion de processus relationnel au niveau personnel revêt un sens un peu particulier. En effet, dans notre travail, le terme de processus se réfère à des enchaînements de comportements survenant entre plusieurs personnes ou acteurs sociaux. Cependant, les processus personnels seront entendus ici au sens d’éléments qui caractérisent le fonctionnement d’une personne.


1.1. Le fonctionnement psychopathologique du harceleur


Plusieurs personnes estiment que le fonctionnement psychologique du harceleur relève de la psychopathologie, et que cet élément a conditionné leur relation interpersonnelle avec lui.

Illustration : données confidentielles comme toutes les illsutrations qui suivent


1.2. Un mode de fonctionnement orienté vers la poursuite d’enjeux personnels


Ici, les victimes expliquent que le harceleur poursuit des enjeux personnels et que cet élément a conditionné le développement de la relation de harcèlement.

Ces enjeux portent sur deux domaines. Le plus souvent, ce sont des enjeux professionnels qui sont évoqués. Selon les victimes, les harceleurs utilisent le harcèlement comme moyen d’obtenir un meilleur poste, un avancement, une meilleure rémunération, …


Illustration :

Un autre type d’enjeu est évoqué. Il s’agit d’un enjeu de type social plutôt que professionnel : les victimes mentionnent le fait que le harceleur est animé par le désir de « dominer » le groupe, la volonté d’asseoir une influence voire une emprise sur celui-ci, et que, dans ce cadre, le harcelé constitue pour lui une menace, une influence concurrente dont il souhaite se débarrasser. Animé par sa volonté de poursuivre son enjeu personnel, il est donc prêt à harceler une personne qui montrerait trop d’influence.

Illustration :

Si on examine les deux catégories de processus personnels, on peut faire, mutatis mutandis, un rapprochement entre ces deux modes d’explication du fonctionnement des personnes et les deux modes d’explication du fonctionnement des organisations par rapport au harcèlement proposés par Poilpot-Rocaboy, spécifiquement au sujet des services de ressources humaines. On voit ici que la première explication porte sur une déviance psychologique (le mode de fonctionnement psychopathologique du harceleur) alors que la deuxième postule au contraire une grande lucidité, un machiavélisme même, chez le harceleur qui utilise le harcèlement comme un moyen de parvenir à ses fins. Poilpot-Rocaboy observe que, pour certains auteurs, les ressources humaines sont dépassées et que le harcèlement constitue une déviance du mode de fonctionnement normal de l’organisation, alors que pour d’autres, les ressources humaines sont vues comme très efficaces puisqu’elles utilisent le harcèlement comme mode d’exploitation de la ressource humaine.

Cette dualité de l’explication du harcèlement (fortuit / intentionnel ; involontaire / stratégique ; folie / malignité…) semble donc se retrouver aussi dans les modes d’explications psychologiques proposés par les victimes.






2. Zone 2 : processus personnels du harcelé








2.1. Etat de faiblesse psychologique du harcelé


Un état de faiblesse débouchant sur une peur de décevoir, un sentiment de ne pas être à la hauteur, un manque de confiance en soi ou une problématique de dévalorisation personnelle ont été autant d’éléments évoqués par certaines personnes et que nous avons regroupés sous la rubrique « état de faiblesse psychologique ». Dans les différents exemples, les personnes expliquent que cette faiblesse, qu’elle soit momentanée ou caractéristique d’un fonctionnement acquis de longue date au cours de leur histoire personnelle, a conditionné la relation interpersonnelle en les plaçant dans une attitude d’emblée soumise. Prêtes à tout accepter, elles ont alors été entraînées dans un processus interpersonnel relevant de la domination-soumission dont elles ne parviennent plus à sortir, et qui, au contraire, ne fait qu’alimenter leurs sentiments de faiblesse personnelle.

Illustration :


2.2. La défense de valeurs professionnelles ou personnelles


D’autres victimes de harcèlement décrivent qu’un trait marquant de leur mode de fonctionnement personnel tient dans le fait qu’elles défendent, souvent avec ardeur, parfois avec démesure, des valeurs professionnelles, des valeurs personnelles, des manières de travailler, des manières d’être en relation avec d’autres, bref des principes moraux ou idéologiques auxquelles elles tiennent.

Ce processus se retrouve dans de nombreux cas (20 au total). Par exemple

Du point de vue des résonances, contrairement à ce à quoi l’on pourrait s’attendre, cette défense de valeurs ne débouche pas nécessairement sur un processus symétrique au niveau interpersonnel. En effet, l’impact sur la relation est de deux types. Pour certaines personnes, cette attitude ferme a amené à crisper la relation avec le harceleur et a débouché sur des situations d’affrontement qui ont rapidement gagné en intensité du fait que les valeurs défendues dépassaient le cadre de la relation interpersonnelle, phénomène que nous avons d’ailleurs identifié dans l’approche théorique de l’hyperconflit. Pour d’autres, au contraire, cela a également crispé le harceleur mais a amené à une relation dans laquelle elles ont fini par être dominées par ce dernier.

La même observation peut être faite à propos des relations avec le groupe : certaines personnes, par cette manière de défendre des principes, se sont placées en conflit avec le groupe, d’autres ont été victimes de l’hostilité des collègues, qui les jugeaient trop intransigeantes. Ce dernier aspect a d’ailleurs été abordé dans l’approche théorique du harcèlement à titre de facteur de risque individuel. Un troisième cas de figure est apparu : certains sont devenus, en montrant de la détermination, les porte-parole de leur groupe qui s’est reconnu dans ce qu’ils défendaient, et ont ainsi bénéficié de son soutien.



3. Zone 3 : le niveau interpersonnel









3.1. Processus symétrique d’affrontement entre harceleur et harcelé


De manière globale, l’affrontement comprend les situations dans lesquelles les personnes vont poser des actes en miroir dont l’enjeu est « l’occupation du centre », l’éviction de l’autre ou sa domination. Cette catégorie reprend donc les situations décrites comme des oppositions comportementales dans lesquelles les protagonistes mobilisent chacun leurs ressources pour tenter de dominer l’autre et de définir les modalités relationnelles. Ici, la stratégie de coping la plus utilisée relève de la catégorie « contre – attaquer ». On y trouve également de la résistance ou des tentatives de communication dont l’effet est de maintenir le niveau d’affrontement.










Figure  SEQ Figure \* ARABIC 28 : Processus d'affrontement


Illustration :

Le processus d’escalade qui prend place dans l’affrontement réciproque est connu pour être typiquement une dérive des relations hyperconflictuelles, avec une rétroaction positive entre les actes des protagonistes c’est-à-dire que chaque augmentation du degré d’hostilité amène une autre augmentation du degré d’hostilité de l’autre partie et ainsi de suite. Les exemples qui suivent illustrent cette modalité du processus d’affrontement.

Illustration :

Comme on le voit dans ce cas, les deux parties s’affrontement mutuellement et mobilisent des ressources dans l’objectif de prendre le dessus sur l’autre. On observe un effet d’emballement de la situation et d’aggravation de la violence des comportements posés. La situation qui suit en est un autre exemple.
Illustration :



On voit dans ces différents cas que les actes s’inscrivent dans un processus d’affrontement. Les personnes que nous avons rencontrées ne se soumettent pas, et ne se limitent pas non plus à réagir aux diverses attaques en tentant de se préserver. Au contraire, elles contre-attaquent. En outre, on assiste à une escalade dans l’hostilité entre les deux parties. Cependant, il est à noter que dans trois de ces cas, au bout du processus, les victimes finiront par « céder » : Gabrielle démissionne, Guy prend un long congé de maladie, Géraldine également. En quelque sorte, ils sont les perdants du processus symétrique : l’autre personne est parvenue à ses fins. C’est peut-être la raison pour laquelle ces personnes s’estiment victimes de harcèlement moral, même si tout le processus qui a amené à leur éviction est plutôt symétrique.

Comment expliquer que ces personnes, à un moment, perdent la bataille ? Une analyse à plusieurs niveaux intégrant les phénomènes de résonances permet de voir qu’autour de cette relation interpersonnelle d’affrontement, les deux parties se sont efforcées de mobiliser des ressources autour d’elles, et notamment de créer ou d’entretenir des processus groupaux ou organisationnels à leur avantage. Dans les cas d’affrontement, les personnes ont décrit de manière systématique que l’organisation s’était positionnée contre elles, ou avait participé d’une manière plus ou moins active aux agissement du harceleur, en l’encourageant, en le renforçant à tout le moins en le laissant faire. Pour un certain nombre d’entre elles, la relation avec le groupe des collègues s’est également dégradée en lien avec le conflit qui les liait avec le harceleur. Le groupe est ainsi devenu hostile au harcelé ou soutenant pour le harceleur, renforçant ainsi la possibilité pour ce dernier de prendre le dessus.


3.2. Processus symétrique d’opposition entre harceleur et harcelé


L’affrontement peut se manifester sous une forme moins agressive. Dans ce cas, on assiste à des copings de résistance et à une situation d’opposition entre les deux parties. Ici, les personnes ne sont pas agressives envers le harceleur, contrairement à la situation d’affrontement. Elles manifestent toutefois leur intention de continuer à fonctionner comme elles souhaitent le faire et s’opposent au harceleur. Chacun défend une manière de faire et refuse de céder.









Illustration :

Une question qui se pose dans le processus d’opposition, et que l’on peut se poser également au sujet de l’autre processus symétrique, celui d’affrontement, est de savoir comment harceleur et harcelé peuvent tenir si longtemps dans cette relation symétrique. Spécifiquement, on peut se demander comment le harcelé, qui ne bénéficie dans aucun des cas du soutien de l’organisation (et seulement dans certains de celui du groupe), reste dans ce processus au terme duquel il sera évincé.

L’analyse des situations nous apprend que les personnes développent des systèmes de légitimité qui leur permettent de tenir sur le long cours. Elles défendent une loyauté à un groupe, à des principes, à des valeurs professionnelles pour lesquelles elles sont prêtes à « aller jusqu’au bout ». Ceci rappele un des indicateurs des hyperconflits, le centre de gravité, qui montre combien les conflits peuvent transcender les objets initiaux. Se sentant dans une position « juste », elles n’acceptent pas de céder, ce qui reviendrait à donner raison à leur agresseur. Leur combat vise donc un objectif qui vaut la peine d’aller jusqu’à l’éviction : chez Guy, prouver sa compétence professionnelle et l’incompétence de son chef ; chez Gabrielle, défendre des principes et des convictions socio-politiques au sein d’une organisation en opposition à un président qui ne les partage pas ; chez Denise, ne pas céder devant les tentatives d’intimidation d’un collègue ; chez Judith, défendre une « éthique de vie » ; chez Pascal, protéger ses collègues ; chez Marianne, obéir aux injonctions de la direction et se montrer loyale vis-à-vis d’elle, etc.


3.3. Processus complémentaire de domination-soumission


Le processus est ici caractérisé par la complémentarité de deux positions dans la relation : une position dominante d’un côté, avec une personne qui dicte les règles de la relation et impose son point de vue, et une position dominée de l’autre, avec une personne qui s’efforce de se soumettre le mieux possible aux exigences de l’autre. Le coping « adapter son comportement » y est très présent. Dans une optique d’obéissance et de soumission, les harcelés qui se trouvent dans ce processus tentent parfois, quand ils le peuvent, de fuir l’autre physiquement (évitement systématique, absences, …) ou mentalement (agir machinalement en réponse aux injonctions, continuer comme si de rien n’était, faire le vide dans sa tête, obéir servilement et sans réfléchir, …). On trouve alors des copings de la catégorie « tenir le coup » ou « éviter ». On peut trouver également quelques tentatives de communication ou demandes de changement de contexte qui aboutissent à confirmer la relation de domination.

D’autres utilisent des copings de soumission plus actifs, essayant de répondre aux critiques et exigences du harceleur par des démarches de formation, de changement personnel etc. On se retrouve davantage alors dans les copings de la catégorie « adapter son comportement ».

Dans tous les cas, on peut parler ici de processus de domination - soumission dans la mesure où le harcelé opte pour l’obéissance malgré la souffrance que génère chez lui cette situation. Les copings adoptés s’intègrent dans un processus complémentaire puisque ces tentatives d’adaptation basées sur la soumission ne vont nullement diminuer ou mettre un terme aux exigences du harceleur, qui va au contraire intensifier ses exigences.














Figure  SEQ Figure \* ARABIC 29 : Processus de domination - soumission

Illustration :.

Ce cas illustre bien le processus de domination –soumission. Quel qu’en soit le prix pour elle, Jeannine ne refuse jamais une tâche afin de ne pas être prise en défaut. Sa seule stratégie de défense est donc de se soumettre (catégorie de coping « adapter son comportement »), ce qui ne fait, dans le cas présent, qu’accroître la complémentarité.

Illustration

Dès le début de ce cas, on voit qu’Anne se soumet à une injonction de son patron : que son compagnon quitte son emploi. Elle espère ainsi échapper à son mécontentement. La suite va montrer qu’il n’en sera rien et que les comportements de ce type vont se multiplier.


On le voit, les copings de soumission mis en place par les victimes (fonctionner au mieux en faisant abstraction de l’hostilité dont elles étaient l’objet, se soumettre à des exigences qui leur paraissaient pourtant peu acceptables, …) ne changent rien aux comportements du harceleur, au contraire.

C’est un processus semblable qui prévaut dans le cas n° 43, si ce n’est qu’ici, le harceleur ne formule pas de demande particulière. Ce qui est en jeu, c’est que l’autre accepte ses comportements et supporte le fait de travailler avec lui, ce que va faire la victime, Koen.

Illustration :





4. Zone 4. Les processus groupaux à l’égard du harceleur







4.1. Processus symétrisant de rébellion à l’encontre du harceleur


Le processus groupal de rébellion est marqué par le fait que les membres du groupe posent des actes collectifs contre le harceleur. Il peut s’agir de stratégies collectives de défense ou d’attaques à son encontre. Harceleur et groupe sont dans une situation d’opposition, de conflit, de tension.

Il est à préciser que le but poursuivi par le groupe n’est pas de défendre personnellement le harcelé, mais consiste en des comportements qui vont à l’encontre du harceleur. Toutefois, même si ces comportements ne visent pas spécifiquement à aider la victime, cela contribue à affaiblir le harceleur et donc crée une symétrisation de la relation interpersonnelle.











Figure  SEQ Figure \* ARABIC 30 : Processus de rébellion à l’encontre du harceleur


Illustration 

4.2. Processus complémentarisant de soutien des collègues au harceleur


Dans certains cas, les personnes décrivent que des collègues, sans être particulièrement hostiles à leur encontre, manifestent de l’affiliation, de l’amitié, de la connivence ou encore de la sympathie au harceleur. Il existe une « liaison » entre le groupe et le harceleur. Le soutien ne porte pas spécifiquement sur les comportements qui relèvent de la situation de harcèlement, mais crée un lien positif général entre ces collègues et le harceleur. Ce faisant, cela contribue évidemment à renforcer le harceleur dans ses positions, notamment à l’égard de la victime.














Figure  SEQ Figure \* ARABIC 31 : Processus de soutien des collègues

Illustrations :
Comme on peut le voir, les attitudes du groupe à l’égard du harceleur influent sur la relation entre harceleur et harcelé même si elles ne sont pas dirigées contre ce dernier. C’est plutôt ce deuxième cas de figure qui a été mis en lumière dans la littérature par le biais du phénomène de bouc émissaire.


5. Zone 5 : processus groupaux à l’égard de la relation de harcèlement






5.1. Processus complémentarisant d’absence de réaction des collègues par rapport à la situation de harcèlement moral


Nous avons placé l’absence de réaction des collègues par rapport à la situation de harcèlement dans les processus complémentarisants. Il s’agit d’un processus dans lequel les collègues assistent à la situation sans réagir ni dans le sens de défendre le harcelé, ni dans celui d’appuyer le harceleur. Nous nous sommes longuement interrogé, avec les collègues qui ont participé au classement des processus, au sujet de la pertinence de placer cette forme de « laisser-faire » dans les processus complémentarisants. En effet, on pourrait aussi considérer que laisser se perpétuer une situation de harcèlement n’est ni complémentarisant, ni symétrisant, que cela est plutôt ambivalent puisque le groupe ne renforce ni l’une ni l’autre personne. Toutefois, nous avons estimé que cette absence de réaction contribue à entretenir et renforcer une relation complémentaire à partir de deux réflexions. La première est issue de nos rencontres avec les sujets de notre étude, la deuxième vient de la consultation de la littérature scientifique.

Pour les personnes interrogées, cette attitude passive avait contribué à donner plus de forces au harceleur. D’autre part, les écrits sur les situations de violence au travail ou dans les familles considèrent que l’entourage social joue un rôle majeur dans le développement des situations déséquilibrées, et pointent la passivité comme un mode d’encouragement de ces relations. Au bout du compte, nous avons donc placé l’absence de réaction des collègues dans les processus complémentarisants. Cela ne signifie pas de notre part un jugement moral mais plutôt une appréciation de l’impact sur le processus interpersonnel.









Figure  SEQ Figure \* ARABIC 32: Processus d’absence de réaction des collègues


Illustration 

Le cas suivant montre comment l’entourage professionnel peut laisser faire la « disparition virtuelle » d’un individu de l’espace social, comme s’il n’existait plus et n’avait jamais existé.

Illustration 


6. Zone 6 : les processus groupaux à l’égard du harcelé









6.1. Processus symétrisant de soutien passif du groupe des collègues à l’égard du harcelé


Le soutien passif recouvre les cas dans lesquels le groupe des collègues va manifester un soutien à la victime de harcèlement, tout en évitant que celui-ci soit visible. Cela prend donc la forme de communications de soutien au harcelé sans qu’il y ait de manifestation explicite de ce soutien auprès de l’environnement ou du harceleur. Il s’agit généralement de gestes ou de paroles qui ont lieu dans l’intimité et qui indiquent à la personne qu’on la comprend, que l’on éprouve de l’empathie pour elle, mais que l’on préfère que cela ne se sache pas. Il se crée ainsi un processus de connivence entre groupe et harcelé, mais cette connivence est discrète et n’est connue que des partenaires de la relation.


















Figure  SEQ Figure \* ARABIC 33 : Processus de soutien passif à l'égard du harcelé

Dans les cas qui suivent, nous allons voir que tout ou une partie du groupe se montre « discrètement » solidaire avec la victime.

Illustration :

6.2. Processus symétrisant de porte-parolat de la victime à l’égard de son groupe


Le « porte-parolat » consiste en la mise en avant d’un membre du groupe comme porte-parole de ses intérêts. Celui-ci est considéré comme le dépositaire du message du groupe, notamment à l’égard du harceleur et parfois, plus généralement, sur un ensemble de sujets qui concernent celui-ci. Ceci contribue évidemment à doter la victime de force supplémentaires.











Figure  SEQ Figure \* ARABIC 34 : Processus de porte-parolat

Dans le cas qui suit, Gabrielle, coordinatrice régionale dans une a.s.b.l., va devenir le porte-parole du groupe des coordinateurs régionaux.

Illustration 

Dans l’étude des résonances, nous avons déjà montré l’existence d’effets de renforcements réciproques de processus. Ici, le processus de porte-parolat et le processus interpersonnel, en l’occurrence un processus d’opposition, sont en résonance positive : plus le porte-parolat s’intensifie, plus l’affrontement interpersonnel fait rage. Il est d’ailleurs à noter que dans les six cas où le processus de porte-parolat a été identifié, le processus interpersonnel était symétrique. On assiste à un effet larsen entre ces deux processus.


6.3. Processus complémentarisant d’hostilité du groupe des collègues à l’égard du harcelé


L’hostilité du groupe à l’encontre du harcelé comprend les cas dans lesquels le groupe va manifester des comportements agressifs ou violents à l’encontre de la victime. Cela aura pour effet de la fragiliser et de renforcer le pôle complémentaire de la relation interpersonnelle.












Figure  SEQ Figure \* ARABIC 35: Processus d'hostilité à l'encontre du harcelé

Illustration :

Ainsi, dans de nombreuses situations (22 au total), le groupe va manifester une hostilité à l’encontre de la victime du harcèlement. Notons que dans l’esprit de la victime, le groupe n’est pas considéré comme l’auteur du harcèlement mais pose des comportements qui intensifient la pénibilité de la situation interpersonnelle en se montrant hostile contre elle.

Illustration :
Dans plusieurs autres cas, les personnes ont rapporté que leurs relations avec les membres du groupe avaient évolué en lien avec le développement de la situation de harcèlement, pour finalement aboutir à un processus groupal hostile à leur encontre. Le cas de figure le plus fréquent est celui de la victime qui, au début de la situation problématique qui l’oppose au futur harceleur, ne connaît pas de problèmes avec ses collègues et qui, peu à peu, voit le groupe développer de l’hostilité contre elle. Cette hostilité va aller grandissante avec l’intensification de la relation de harcèlement.

De nouveau, on peut trouver l’explication de ces phénomènes dans les résonances entre processus. Dans un premier temps, la personne est intégrée dans son groupe et se trouve dans une situation normale. Puis, de manière conjointe, il se développe une situation interpersonnelle de harcèlement et un processus d’hostilité groupale. Les deux phénomènes se renforcent réciproquement et entrent en rétroaction positive. Plus le groupe se montre hostile, plus le harceleur a le champ libre pour agir à sa guise. Il se sent conforté dans ses actes, gagne en légitimité sociale, trouve dans l’hostilité du groupe des raisons de confirmer le bien fondé de sa position vis-à-vis de la victime. De l’autre côté, plus le harceleur se montre dur avec la personne, plus le groupe voit se développer chez la victime des attitudes soit soumises ou défensives (dans le cas d’un processus interpersonnel de domination-soumission), soit « agressives » (dans le cas d’un processus interpersonnel d’affrontement ou d’opposition). Dans les deux cas, la personne devient la cible du groupe.

Plusieurs hypothèses ont été avancées dans la littérature afin d’expliquer pourquoi les harcelés sont l’objet de l’hostilité du groupe. La première est que, par son comportement, la personne peut menacer l’équilibre ou l’existence du groupe. Elle peut aussi, par ses comportements d’opposition ou de soumission, mettre en difficulté ses collègues car elle n’assume plus son rôle social ou sa fonction professionnelle. Elle peut enfin se différencier des autres et se situer à contre-norme.

L’exemple de Sandrine illustre bien le glissement d’attitude d’un groupe vis-à-vis d’une personne et la manière dont il est lié au processus interpersonnel.

Illustration :

On notera que, dans ce dernier cas, le processus interpersonnel est symétrique. Il y a donc rétroaction positive entre deux modes relationnels appartenant à des pôles différents : l’affrontement interpersonnel (processus symétrique) et l’hostilité groupale (processus complémentarisant).



6.4. Processus complémentarisant de marginalisation du harcelé par rapport au groupe


Dans plusieurs cas, on trouve un décalage de la personne par rapport aux normes groupales. Celle-ci se situe en dehors des règles implicites ou explicites de son groupe, et est considérée comme différente. Cela amènera à un processus de marginalisation de la personne contribuant à affaiblir sa position sociale.









Figure  SEQ Figure \* ARABIC 36 : Processus de marginalisation

Illustration :
Le processus de marginalisation se double ici de comportements d’évitement, processus que nous abordons plus bas.



6.5. Processus complémentarisant d’évitement du harcelé de la part du groupe de collègues



Ce processus est caractérisé par des comportements de fuite de la part des collègues alors que la personne s’efforce de rester intégrée dans le groupe. Il s’agit d’une mise à distance qui dépasse le simple laisser-faire : c’est en toute circonstance, y compris en l’absence du harceleur ou de situation de crise, que cet isolement se fait ressentir. Globalement, l’évitement reprend donc les situations qui relèvent de la diminution des contacts sociaux entre le harcelé et ses collègues. Plus discret que l’hostilité du groupe, ce processus n’a guère été étudié dans la littérature comme facteur de risque, malgré le fait que les comportements d’isolement ou de déni fassent partie intégrante des comportements dommageables posés par le harceleur, ce qui indique leur potentiel destructeur.

















Figure  SEQ Figure \* ARABIC 37 : Processus d'évitement du harcelé

Illustration : le cas n° 3. Anne est assistante à l’université. Alors qu’habituellement, les personnes

Ce processus va avoir pour effet de renforcer la complémentarité en affaiblissant le harcelé du fait de son isolement. Ici, le harcelé se voit écarté du groupe, mis à distance, exclu de diverses activités sociales ou professionnelles qui se déroulent dans le groupe.


7. Zone 7 : processus relationnels au sein du groupe









Dans cette zone, on trouve les processus relationnels ayant cours au sein du groupe indépendamment de la situation de harcèlement moral.



7.1. Processus symétrique de conflit groupal


Dans ce processus, la victime explique qu’il existe un conflit au sein du groupe de collègues dont elle fait partie. Ce conflit ne porte donc pas sur sa personne, même si, dans certains cas, elle estime que cela a constitué un contexte qui a impacté sa situation. Deux modes de liens sont mis en avant par les personnes. Le premier est le parallélisme entre des camps en opposition et l’opposition entre harceleur et harcelé, appartenant chacun à un camp, forme de résonance que nous avons déjà pu observer lors de l’analyse du cas de Lucie.

Illustration :

Concernant les résonances, on voit dans le cas qui précède une première modalité de l’impact d’un contexte conflictuel au niveau groupal sur la situation de harcèlement moral : le fait que harceleur et harcelé appartiennent à des « camps » différents contribue à la dégradation de leur relation, en miroir du conflit des groupes.

Les personnes que nous avons rencontrées mettent en avant une autre modalité d’impact du conflit sur la situation de harcèlement : le fait que les conflits créent une atmosphère générale d’hostilité et d’agressivité entre collègues, facilitant ainsi des normes de comportementales qui valident les comportements harcelants.


7.2. Processus symétrique de solidarité groupale

Dans ce processus, la dynamique du groupe se caractérise par une grande cohésion, un sentiment d’unité groupale, l’apparition de comportements de solidarité : les personnes se soutiennent les unes les autres, se témoignent du support, s’aident les unes les autres, et tiennent un discours sur leur unité et leur cohésion. Elles ont le sentiment de partager un sort commun, des difficultés communes, des projets communs, une histoire commune, …

La solidarité peut être plus ou moins active (depuis des paroles d’encouragement jusqu’à des actes collectifs), et plus ou moins visible (en privé ou en public).

Quant à la victime du harcèlement, elle peut, selon les cas, être incluse dans cette solidarité ou s’en trouver à l’écart.

8. Zone 8 : les processus organisationnels à l’égard du harceleur









8.1. Processus symétrisant de réprobation de l’organisation à l’égard du harceleur


Dans ce cas de figure, le management va manifester sa réprobation à l’égard du harceleur en lui demandant de cesser certains comportements, en le déplaçant ou en lui retirant des responsabilités managériales, par exemple, ce qui va directement impacter les ressources qu’il peut mobiliser.

Peu abordée dans la littérature, cette réaction de l’organisation destinée à protéger le harcelé va constituer, comme nous allons le voir, un frein aux agissements du harceleur.












Figure  SEQ Figure \* ARABIC 38 : Processus de réprobation du harceleur

Illustration 
On voit bien dans ces trois cas que l’intervention de l’organisation, ici incarnée par les supérieurs hiérarchiques, va entraîner une diminution du potentiel d’action du harceleur par rapport au harcelé. Pour la première fois, nous voyons aussi apparaître un effet de résonance procédant d’une rétroaction négative : dans les cas où l’organisation manifeste sa désapprobation à l’égard du harceleur, le processus complémentaire entre harceleur et harcelé et le processus de réprobation semblent non pas se renforcer, mais se réguler.


8.2. Processus complémentarisant de renforcement des comportements du harceleur de la part de l’organisation


Nous parlons ici de renforcement pour indiquer que les représentants de l’organisation posent des comportements qui vont encourager le harceleur dans son mode de fonctionnement. Cet encouragement ne porte pas spécifiquement sur les comportements constitutifs du harcèlement, mais constitue un renforcement général du mode de fonctionnement du harceleur, y compris ces comportements harcelants.

Ici, c’est un système organisationnel dans son ensemble qui va susciter, encourager, provoquer, justifier des déséquilibres dans la mobilisation de ressources jusqu’à soutenir des relations de type bourreau – victime.

















Figure  SEQ Figure \* ARABIC 39 : Processus de renforcement


Illustration : Sans mettre en place de processus actif de mise à l’écart du harcelé, comme on le voit dans le modèle de Leymann, par exemple, l’organisation contribue à fragiliser le harcelé par le biais de cette action renforçante pour le harceleur.


8.3. Processus complémentarisant d’absence de régulation du pouvoir exercé par le harceleur



On trouve ici le fait que les personnes qui exercent le pouvoir ne sont pas soumises à un contrôle rétroactif sur leur manière de l’exercer. Elles peuvent donc, en toute liberté, pratiquer des modes de management ou plus simplement développer des modes relationnels hors du contrôle ou même du regard d’un tiers. L’absence de contrôle permettra alors le développement de la relation de harcèlement par des moyens organisationnels. Il est à signaler que cette absence de contrôle ou de régulation des modes d’exercice du pouvoir peut être lue aussi bien dans une logique descendante (venant des supérieurs de la personne qui exerce le pouvoir ou de groupes les représentant tels que conseils d’administration, autorité politique, comité de direction) qu’ascendante (venant de personnes subordonnées ou de groupes les représentant comme les organisations syndicales par exemple).

















Figure  SEQ Figure \* ARABIC 40 : Processus d'absence de régulation du pouvoir

Illustration 

Une distinction est à faire ici entre le harcèlement organisationnel, c’est-à-dire piloté, orchestré et décidé par un ensemble de personnes disposant du pouvoir, et le harcèlement interpersonnel facilité par le mode d’exercice du pouvoir propre à l’organisation.

Dans ces cas, on le voit, le harcèlement est l’œuvre d’une personne, mais la gestion du pouvoir dans l’organisation lui permet de l’exercer. L’absence de contrôle sur les modes d’exercice du pouvoir permet donc au harceleur de renforcer sa position par rapport au harcelé.



8.4. Processus complémentarisant : les relations « incestuelles » au bénéfice du harceleur


L’expression « relation incestuelle » vient de Michel Monroy (2005) et nous l’avons utilisée lors de l’analyse du cas de Lucie. On indique par là des relations qui, dans le cadre d’une organisation, transgressent les lois hiérarchiques, au même titre qu’une relation incestueuse transgresse les lois générationnelles dans une famille. Il s’agit généralement d’une relation qu’une personne va entretenir avec un supérieur hiérarchique ou avec une personne influente dans l’organisation. Ces relations incestuelles vont octroyer des ressources supplémentaires au harceleur, constituant ainsi un processus complémentarisant.















Figure  SEQ Figure \* ARABIC 41 : Processus de relations incestuelles

Le cas qui suit est une illustration assez parlante des multiples tentatives d’appel à des tiers que va poser un ouvrier afin de se sortir d’une situation particulièrement difficile. Nous allons exposer ce cas plus longuement, afin de montrer comment toutes ces tentatives se sont soldées par des échecs, pour finalement revenir sur la notion de relation incestuelle comme explication de ces échecs.

Illustration :

De manière plus générale, tous les processus de la zone 8, essentiellement complémentarisants, montrent que, pour comprendre l’impact de l’organisation sur le harcelé, il est utile de considérer son positionnement par rapport au harceleur et non de se centrer uniquement sur son positionnnement par rapport à la victime comme on a l’habitude de le faire dans les études sur le harcèlement.



9. Zone 9: les processus organisationnels à l’égard de la situation de harcèlement









9.1. Processus complémentarisant d’absence de réaction de l’organisation par rapport à la situation de harcèlement


Dans ce processus relationnel, les responsables de l’organisation sont clairement au courant de la situation difficile vécue par la personne qui se dit victime de harcèlement moral mais font le choix de ne pas intervenir.

Dans une logique similaire à celle qui a été développée pour le niveau groupal, nous considérons que l’absence de réaction de l’organisation a un effet complémentarisant sur le processus interpersonnel entre harceleur et harcelé.

Il est à noter que l’absence de réaction et le renforcement de la part de l’organisation (cf. supra) constituent deux processus différents. La limite entre les deux repose sur la présence d’une connotation positive donnée aux comportements du harceleur. Ici, les responsables de l’organisation ne formulent pas explicitement d’encouragements à l’adresse du harceleur, mais s’abstiennent toutefois d’intervenir ou de s’informer sur la situation, ce qui amène à « valider » la relation de harcèlement.

Lorsque l’on pose la question aux victimes de savoir pour quelle raison, à leur avis, l’organisation laisse se développer en son sein la situation de harcèlement ou ce qui fait que la hiérarchie « ferme les yeux » sur ce qu’il se passe, elles expliquent que d’autres éléments sont considérés comme prioritaires par rapport aux relations de travail. Il peut s’agir d’éléments comme la compétence du harceleur, sa position sociale qui le rend difficilement attaquable, la peur de créer un précédent en attaquant une personne en position de pouvoir hiérarchique, une norme de laisser-faire ou de non intervention dans les affaires d’autrui.











Figure  SEQ Figure \* ARABIC 42 : Processus d'absence de réaction de l’organisation


Dans les deux exemples qui suivent, on va voir que la hiérarchie est au courant de l’existence d’une situation de harcèlement, mais, sans donner explicitement raison au harceleur, va préférer s’effacer.

Illustration 

Dans ce cas, la hiérarchie est mise au courant par Pierre des difficultés qu’il endure, d’autant plus qu’elle est à la base de sa mutation, mais préfère ne pas intervenir au nom d’autres valeurs : le risque pour l’organisation de perdre la face et de créer un dangereux précédent en le remettant à son poste, la protection dont on veut le faire bénéficier, les « relations ».

Illustration : le cas n° 16. Dans un petit service médical, un harcèlement intervient entre un chef (Patrick, médecin) et sa subordonnée (Thérèse, infirmière). Le chef est bien connu de la hiérarchie pour ses comportements déplacés. Il a déjà subi un blâme pour des faits de violence au travail quelques années auparavant. Thérèse se retrouve dans son service suite à une restructuration. La hiérarchie est au courant des comportements déplacés de Patrick : mépris, dédain, critique systématique, humiliation. Elle refuse cependant de réagir.

Dans les deux cas, la hiérarchie est donc clairement au courant, mais préfère ne pas intervenir.

Le cas n° 42 illustre une autre situation de non-implication de l’organisation dans la problématique d’un service, puis dans la situation de harcèlement moral.

Illustration 


9.2. Processus complémentarisant de participation de l’organisation au harcèlement


Dans certains cas, l’organisation va participer activement au harcèlement, posant elle-même des actes hostiles qui accompagnent ceux du harceleur, et lui donnant ainsi un avantage souvent décisif dans l’optique d’occuper la position haute.











Figure  SEQ Figure \* ARABIC 43 : Processus de participation au harcèlement


Illustration 

De manière plus globale, ces trois cas sont caractérisés par le fait que la relation de harcèlement dépasse le niveau interpersonnel. L’organisation, aux yeux de l’individu, participe elle-même au harcèlement, c’est-à-dire que, au-delà d’individus isolés et particuliers, les responsables du système (Pouvoir Organisateur, Conseil d’Administration, Direction, …) vont contribuer activement à la mise en place du harcèlement.

On peut faire ici l’hypothèse que les personnes, par certaines prises de positions ou certains comportements, deviennent en quelque sorte des déviants que l’organisation va alors sanctionner.

Ainsi, elles posent des actes en quelque sorte contestataires, refusant de suivre des règles formelles ou tacites telles que : ne pas critiquer son chef d’établissement (premier exemple), poser des diagnostics complaisants (deuxième exemple), accepter de couvrir des emplois fictifs, s’affilier au syndicat, obéir aux présidents (troisième exemple).

Toutefois, face aux ressources mobilisées par l’organisation, elles seront finalement perdantes et amenées soit à partir, soit à abandonner leur « combat ».


9.3. Processus complémentarisant de harcèlement moral organisé à l’encontre de la catégorie socio-professionnelle dont fait partie la victime


Dans ce processus, les personnes estiment que la hiérarchie a mis en place intentionnellement le harcèlement de personnes appartenant à certaines catégories socioprofessionnelles par d’autres afin de servir les intérêts de l’organisation. Le harcèlement est donc ici la résultante d’une politique organisationnelle, accompagnée de justifications idéologiques, décidée généralement en haut lieu et mise en place par un ensemble de personnes disposant d’un pouvoir important dans cette organisation. A partir de là, ce sont des individus se situant plus bas dans la hiérarchie qui vont mettre en place concrètement les comportements de harcèlement.










Figure  SEQ Figure \* ARABIC 44 : Processus de harcèlement organisé

Illustration 

Dans ces deux cas, comme on peut le voir, les personnes mentionnent l’existence d’un harcèlement dicté par la hiérarchie supérieure de l’organisation. La hiérarchie met donc en place le harcèlement de manière intentionnelle afin de servir des objectifs particuliers (dans un cas faire taire des accusations gênantes, dans l’autre « flamandiser » un service), et l’accompagne d’un discours de justification (pérennité de l’entreprise dans le premier cas, valeurs et intérêts régionaux dans l’autre).

On peut donc parler de politique de l’organisation dans la mesure où il s’agit ici d’une forme de violence au travail non seulement cautionnée, mais également organisée et justifiée par le système. C’est dans le cadre de cette politique que s’exerce le harcèlement.



10. Zone 10 : les processus organisationnels à l’égard du harcelé






10.1. Banalisation de la situation du harcelé


Plusieurs victimes ont évoqué la manière dont les responsables de l’organisation ont réagi lorsqu’elles leur ont fait part de la situation qu’elles vivaient. Elles ont décrit diverses formes de banalisation pouvant aller jusqu’au déni.

Bien que l’on ne se trouve pas dans le cas de l’agressivité déclarée ou de l’hostilité des services du personnel que Leymann (1996) ou Resch et Schubinski (1996) ont décrit, cette banalisation va contribuer à affaiblir le harcelé, et d’autant plus si des processus complémentarisants viennent apparaître du côté des liens entre le harceleur et l’organisation.



















Figure  SEQ Figure \* ARABIC 45 : Processus de banalisation




Illustration 


11. Zone 11 : processus relationnels au niveau organisationnel









Dans cette partie, nous nous penchons sur les processus relationnels à l’œuvre dans l’organisation indépendamment de la situation de harcèlement moral au travail.






11.1. Processus symétrique de conflits entre instances de l’organisation


Plusieurs auteurs (par exemple Leymann, 1996 ; Garcia & Hue, 2002 ; Weathley, 1999 ; Hirigoyen, 2001a) insistent sur le manque de prise en charge des conflits dans l’organisation comme facteur de risque lié au harcèlement moral au travail. Les deux raisons invoquées le plus fréquemment sont relatives à l’existence d’une culture ne permettant pas leur émergence et à l’incompétence des managers en matière de gestion des conflits. Toutefois, le lien qu’ils font entre conflit et harcèlement est intégré à la situation elle-même : ils montrent comment un conflit particulier, mal géré ou non exprimé, a dégénéré en harcèlement.

Un conflit à l’échelle de l’organisation peut-il conditionner des relations interpersonnelles, et si oui, comment ? C’est cette question de la résonance entre le conflit organisationnel et le harcèlement que nous allons étudier maintenant.

Le premier cas de figure que nous avons rencontré est le suivant : plusieurs instances de l’organisation sont caractérisées par des objectifs, des intérêts, des normes, des stratégies et des valeurs différentes. L’existence de conflits entre ces parties de l’organisation va alors impacter la situation de harcèlement moral en confrontant la personne à des demandes contradictoires, fruits d’intérêts ou de valeurs divergents, l’obligeant ainsi à se positionner ou à prendre parti. De manière générale, le premier type de résonance entre le conflit dans l’organisation et le harcèlement moral est donc lié aux contradictions systémiques qui mettent les personnes dans des situations proches de la double contrainte : elles ne peuvent à la fois les satisfaire les deux parties.

Illustration 

Ainsi, le conflit entre les deux directions sur leur vision de l’organisation et sur leurs projets de développement va amener Marianne à être confrontée à des exigences contradictoires.

Illustration :

Le cas n° 2 illustre un cas de figure similaire si ce n’est qu’ici, ce n’est pas par son comportement, mais par sa simple présence qu’une personne va représenter un des deux camps et en cela être l’objet des attaques du harceleur, membre de l’autre « camp ».

Illustration :

On voit ici comment le conflit entre deux instances dans l’organisation vient générer les problèmes d’intégration d’une personne dans un service, et il est intéressant de noter comment les problèmes vont perdurer dans les relations entre Aline et son chef par la suite. En effet, dès le début, elle est vue comme une personne promue par la magistrature. Ce regard va être personnalisé : on va l’estimer arriviste et prétentieuse. Ainsi accusée, elle va réagir en tentant de prouver sa compétence professionnelle, ce qui ne fera qu’aggraver sa situation, comme nous l’avons vu dans la partie consacrée aux processus groupaux. Ainsi, du point de vue du processus organisationnel, on peut dire que le conflit entre magistrature et greffe va nourrir un processus identificatoire pour une personne qui sera toujours perçue comme appartenant à « l’autre partie » de l’organisation et qui ne parviendra jamais à se faire accepter comme membre de son groupe professionnel à part entière par son chef. Le conflit crée donc un problème identitaire : une personne est « cataloguée » dans un camp, sans pouvoir arriver à s’affranchir de l’étiquette qu’elle a reçue malgré elle.

Autre élément d’analyse : la liaison entre le changement organisationnel et les processus de conflit. Certains auteurs comme Monroy et Fournier (1997) ont montré que les situations de changement provoquent des conflits dès lors qu’un système (organisationnel, relationnel, …), est appelé à remplacer progressivement un autre. Cette mutation, organisationnelle dans le cas qui nous occupe ici, va avoir pour effet de cristalliser les positions des acteurs autour de la question de l’évolution du système et donc créer des situations interpersonnelles problématiques, notamment via un autre phénomène que nous avons abordé dans la partie théorique sur le conflit, la dissolution des positions neutres et la pression à prendre parti.

Dans le cas de Marianne (cas n° 8) abordé ci-dessus, pour se sortir de la situation, elle écrira à la direction de la haute école pour lui demander ce qu’elle doit faire. Celle-ci lui demandera de formuler toutes ses récriminations à l’égard du directeur par écrit. Placée dans une position délatrice, cela ne fera encore que dégrader la confiance que son directeur pouvait lui porter. Aux exigences contradictoires s’ajoute donc une pression à prendre parti dans le conflit via des actes qui ne peuvent que déplaire à une des deux parties. Le rejet de Marianne et le rejet du changement semblent ainsi aller de pair, faisant de Marianne une personne exclue en quelque sorte au nom d’un changement lui aussi rejeté.

Le conflit entre instances de l’organisation peut donc faciliter le fait que des personnes se trouvent dans des situations de harcèlement dans le sens où elles sont soumises à des obligations de positionnement social, poussées à prendre parti dans un conflit, prises dans des problématiques identitaires ou encore soumises à des exigences contradictoires. Dans un tel scénario, on voit comment la situation harcelante peut se pérenniser, et cela quel que soit le comportement posé par la personne.

Nous avons identifié une autre modalité de résonance entre conflit dans l’organisation et harcèlement : le fait que harceleur et harcelé appartiennent chacun à un « camp » différent. Dès lors, la relation de harcèlement constitue une occasion d’expression d’un conflit organisationnel. Cet « effet miroir » a déjà été observé avec l’impact du conflit groupal sur la situation de harcèlement.

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De manière plus générale, le cas de Roberta semble relancer un conflit entre chefs de service et services du personnel même si, finalement, René laissera Vincent agir à sa guise.


11.2. Processus symétrique de compétition au sein de l’organisation


Dans certains cas, le processus organisationnel est marqué par une compétition importante entre travailleurs. Ce processus de compétition ne se limite pas aux protagonistes de la relation de harcèlement. Il concerne d’autres acteurs, dépasse cette relation interpersonnelle et s’articule de manière plus complexe, faisant intervenir des tiers qui vont défendre les intérêts d’autres personnes. Quelques exemples vont nous permettre de l’illustrer.

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Autre version, plus indirecte : une personne est mise sous pression et doit absolument réussir un projet si elle veut maintenir sa place. En cas d’échec, d’autres personnes se profilent pour la remplacer. Dès lors, les relations de travail sont fortement influencées par un contexte de lutte pour l’obtention de postes garantissant une place meilleure ou plus sûre dans l’organisation.

Les deux exemples qui suivent illustrent cet impact indirect du contexte de concurrence et de lutte des places en montrant comment cela pousse certaines personnes à créer des relations problématiques non pas avec les personnes avec lesquelles elles sont directement en concurrence, ni même des personnes qui soutiennent leurs « rivaux », mais avec d’autres personnes qui peuvent servir ou non leurs intérêts par rapport à leur tentative d’obtenir ladite place.

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On le voit, la rivalité pour l’obtention d’une place facilite des relations de harcèlement avec des personnes qui ne sont pas impliquées dans cette lutte, mais deviennent des acteurs importants par rapport à celle-ci.


11.3. Processus complémentaire de maltraitance managériale


Autour du cas qui les concerne, les personnes ont également décrit des processus organisationnels caractérisés par des pratiques managériales très autoritaires entrant dans ce que l’on appelle habituellement la « maltraitance managériale » (Hirigoyen, 2001b).

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Dans les cas qui composent notre échantillon, le processus de maltraitance managériale est souvent associé au laisser-faire du groupe par rapport à la situation de harcèlement (5 cas sur 6), comme si les personnes, tétanisées par ce qu’elles vivaient, se trouvaient dans l’incapacité de réagir à l’égard des situations dont elles sont les témoins, que ce soit en faveur de l’un ou de l’autre des protagonistes d’ailleurs.


11.4. Processus complémentaire d’ultra soumission à l’autorité


L’existence d’une relation de domination – soumission très marquée entre le management et les membres du personnel est également mentionnée par les témoins de notre recherche. Les personnes expliquent ici que l’ensemble du personnel apparaît totalement soumis au management, y compris lorsque celui-ci formule des demandes qui relèvent de l’abus de pouvoir, et que ces demandes sont à la source de souffrances importantes pour les travailleurs qui s’y soumettent.

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Dans les cas rencontrés, l’ultra soumission amène à des comportements groupaux qui relèvent du laisser-faire, mais également, dans certains cas, du soutien passif.


12. Eléments non relationnels de contexte


Au cours des entretiens, les personnes interrogées ont mentionné divers éléments qui constituent un contexte à la situation de harcèlement moral mais ne relèvent pas de processus relationnels. Cette partie des résultats se rapproche donc des études sur les facteurs de risques. Même si ces éléments ne font pas partie à proprement parler de notre cible principale d’intérêt, nous les avons néanmoins relevés dans la mesure où ils peuvent venir éclairer les différents processus. Certains contextes concernent plutôt la situation du groupe, d’autres abordent des éléments organisationnels. Par des réactions en chaîne que nous expliquons dans les lignes qui suivent, les personnes nous ont montré comment ces éléments non relationnels pouvaient conditionner des processus groupaux ou organisationnels, qui eux-mêmes débouchaient sur des processus organisationnels ou groupaux à l’égard des protagonistes de la situation de harcèlement.

Groupe absent

Dans certains cas, il n’y a pas à proprement parler de groupe de collègues. Soit la situation se passe dans une unité de travail composée uniquement des deux protagonistes, soit il existe un groupe qui a une place tellement faible dans la situation que les personnes considèrent que c’est comme s’il était absent. Dans les deux cas où cette situation s’est rencontrée, cela a laissé libre cours au fait que les liens entre organisation et harceleur soient de nature complémentarisante.

Illustration :.

Groupe en souffrance au travail

Dans un nombre non négligeable de cas (11 en tout), les groupes professionnels sont dans une situation de souffrance au travail.

Ce contexte agit sur les situations de harcèlement de différentes façons. Dans certaines des situations rencontrées, il semble qu’avec le temps, ces groupes qui vivent des situations difficiles sur le plan professionnel se retournent progressivement contre la personne harcelée, débouchant ainsi sur l’hostilité groupale. Dans d’autres cas, la souffrance vécue au travail rend les personnes apathiques et amène plutôt au laisser-faire. Dans d’autres cas encore, la difficulté professionnelle vécue par le groupe amène celui-ci à défendre le harcelé en tant que représentant de ses difficultés, jusqu’à en faire éventuellement un porte-parole.

Le point commun de ces trois cas de figure est que les effets de résonances entre processus interpersonnel et processus groupal relèvent de la rétroaction positive, et que la souffrance du groupe accentue encore ce phénomène de rétroaction :

si le groupe est hostile au harcelé, la situation de harcèlement qui se développe ne fera que renforcer l’hostilité du groupe qui elle-même renforce les comportements hostiles du harceleur, comme nous l’avons déjà vu plus haut ;
si le groupe est passif par rapport à la situation, le harcèlement en deviendra plus intense ;
enfin, si le groupe est dans un processus de rébellion à l’encontre du harceleur, la situation interpersonnelle de harcèlement va venir intensifier cette position groupale.

Dans ces contextes, la souffrance du groupe vient alors agir comme un amplificateur de ce phénomène de résonance.

Les effets apparemment paradoxaux ou contradictoires de la souffrance au travail du groupe trouvent donc une explication dès lors que l’on s’intéresse aux processus et aux phénomènes de résonance : la souffrance confirme et renforce les effets de résonance.

Si nous nous penchons plus en détail sur la manière dont la souffrance du groupe va faciliter le renforcement de l’hostilité du groupe, on peut dire que les raisons de l’adoption de ces attitudes, cognitions et comportements du groupe vis-à-vis de la personne harcelée sont au moins de deux natures : une qui s’exprime suivant une logique « rationnelle » ou professionnelle, et une qui s’exprime suivant un raisonnement à caractère psychologique. Le raisonnement « psychologique » pourrait se résumer en ces termes : « nous vivons tous une situation difficile – même si elle ne relève pas nécessairement du harcèlement - et nous y faisons face. Pourquoi cette personne n’en ferait-elle pas de même ? ».

La logique « rationnelle », pour sa part, s’appuie sur les préjudices concrets vécus par les personnes en raison de l’incapacité de travail grandissante de la victime du harcèlement. Celle-ci, en perdant en qualité et en volume de travail, oblige ses collègues à compenser par davantage de travail. Dans un système où les personnes se sentent « à la limite », la difficulté est d’autant plus critique que la moindre absence ou perte de rentabilité d’un des membres du groupe se répercute immédiatement sur les autres personnes. Progressivement, les difficultés vécues vont ainsi nourrir une hostilité envers la personne harcelée.

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La souffrance au travail du groupe peut également faciliter le processus de laisser-faire : les collègues sont dans une telle souffrance personnelle qu’ils ne peuvent réagir en tant que groupe à la situation vécue par la victime. Tout occupés qu’ils sont à gérer leurs difficultés, ils laissent faire le harcèlement, voire le renforcent. Cela amène donc à des processus groupaux complémentarisants.

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La souffrance du groupe, quelles que soient les modalités de résonances, contribue donc à amplifier cette résonance entre processus interpersonnel et groupal et donc à aggraver la situation tant dans sa dimension conflictuelle que dans sa dimension de victimisation.

Concentration des ressources aux mains du harceleur

Ici, les caractéristiques de l’organisation vont faire en sorte qu’il sera possible pour un individu d’utiliser des moyens organisationnels dans le cadre d’une relation de harcèlement. Il ne s’agit pas ici des ressources liées à la possession du pouvoir hiérarchique, mais à des ressources matérielles, logistiques, liées aux compétences, etc.

L’effet des ressources est particulièrement spectaculaire lors de l’octroi ou de l’acquisition d’une nouvelle ressource à un harceleur situé déjà en position de pouvoir. Une telle acquisition constitue un moment pivot du cas, donnant à cette personne des moyens décisifs pour asseoir sa relation de domination.

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Poste de travail inadapté ou inadéquat pour le harcelé

L’inadéquation du poste a été évoquée par plusieurs personnes comme contexte qui a facilité le développement d’une situation de harcèlement à leur encontre en les plaçant dans une situation de faiblesse professionnelle.

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Dans le cas suivant, Sandrine va être placée également dans un poste pour lequel elle n’a aucune compétence et va mettre en place des stratégies de défense pour prouver sa compétence, justifier son utilité, et réclamer une place dans laquelle elle peut exercer ses compétences professionnelles. Ces comportements contribueront, selon elle, à accroître ses difficultés.


Changement organisationnel

Les contextes de changement organisationnel ont également été avancés par les sujets de notre recherche comme un élément pertinent à prendre en compte pour comprendre leur situation. Ces changements peuvent être de plusieurs nature : changement dans l’organisation matérielle du travail, changement de politique, changement de management. Ils peuvent provoquer des effets contrastés : le renforcement de situations conflictuelles dans l’organisation, l’apparition ou le renforcement de comportements hostiles envers le harcelé, l’adoption de critères auxquels ne correspond plus la victime amenant à sa mise à l’écart, par exemple.

Illustration :

On voit dans les lignes qui précèdent que les changements organisationnels peuvent être de plusieurs ordres : une réorganisation, un changement du process de travail, des modifications de procédures, une transformation de l’espace, l’arrivée de nouveaux chefs etc. Ces changements perturbent les équilibres sociaux et peuvent éventuellement générer ou raviver des conflits au sein de l’organisation. Cela va alors impacter (ou créer) la relation entre un harceleur et sa victime.

Dans les cas qui suivent, le changement correspond à une nouvelle orientation qui devient dominante dans l’organisation. Dans cette situation, le harcelé semble représenter le passé dont l’organisation souhaite se démarquer aujourd’hui.


Illustration 

Du point de vue du processus relationnel ayant cours dans l’organisation, on peut voir deux types d’impacts du changement sur les situations.

Lorsque les forces organisationnelles sont relativement équilibrées, le changement ravive ces conflits entre groupes, entre instances de l’organisation, entre individus, lesquels conflits stimulent des relations difficiles.

Au contraire, lorsque les forces organisationnelles sont relativement déséquilibrées, c’est-à-dire qu’une des tendances a pris le dessus sur l’autre, c’est l’appartenance à la tendance « perdante » qui va désavantager, mettre sur la touche, mettre hors-jeu une personne en raison de son appartenance à un fonctionnement devenu obsolète, minoritaire ou dont on souhaite se débarrasser.

Absence de régulation organisationnelle

Dans plusieurs cas, les personnes relèvent la désorganisation du travail, l’absence de coordination d’équipe, l’absence de gestion des ressources humaines ou encore le déficit managérial comme autant d’éléments entourant la situation de harcèlement moral au travail. Globalement, ils pointent là une absence de régulation des rapports humains au sein de l’organisation. Le lien qu’ils font par rapport à la situation de harcèlement est que cette absence de régulation laisse le champ libre aux rapports violents dans l’organisation, et donc aux situations de harcèlement moral. C’est une explication que Lucie avait déjà formulée par rapport au fait que l’organisation laisse se développer des relations violentes en parlant d’un patron qui se désintéressait de la dimension humaine.

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13. Conclusions et éléments quantitatifs sur les processus



Après avoir identifié et analysé les processus, nous allons maintenant aborder la question sous un angle quantitatif, ce qui nous permettra de dégager des conclusions générales.

Lorsque l’on consulte la répartition des cas dans notre Modèle d’Analyse, un premier élément frappe immédiatement, c’est la prépondérance des processus interpersonnels symétriques. En effet, alors que le phénomène de harcèlement moral suppose, en théorie, une relation déséquilibrée entre une victime et son harceleur, cette partie de notre étude confirme l’observation faite au cours de la phase exploratoire à savoir qu’il existe également des cas où la personne qui s’estime victime de harcèlement décrit dans son discours des processus symétriques sur le plan interpersonnel. Ceci est d’autant plus marquant qu’ils apparaissent nettement plus nombreux que les processus complémentaires. On trouve ainsi 32 relations interpersonnelles symétriques d’affrontement (17 situations) ou d’opposition (15 situations) pour 18 situations interpersonnelles complémentaires de domination-soumission.
 EMBED MSGraph.Chart.8 \s Figure  SEQ Figure \* ARABIC 46 : Répartition des processus interpersonnels en symétrie et complémentarité

Alors que l’on pourrait s’attendre à ce que la situation présentée par la victime soit décrite comme une relation interpersonnelle déséquilibrée sur le plan comportemental, les personnes décrivent donc majoritairement des processus symétriques. Nous verrons lors de l’étude des configurations que ce résultat étonnant s’éclaire dès lors que l’on prend en compte les processus relationnels intervenant aux niveaux groupal et organisationnel.

Les processus groupaux à l’égard de la situation de harcèlement sont pour leur part à la fois symétrisants et complémentarisants. La situation du bouc émissaire décrite dans la littérature est loin d’être l’unique mode de relation entre les victimes de harcèlement et leurs collègues. Ainsi, à côté de l’hostilité groupale, qui peut s’intégrer dans le phénomène de bouc émissaire, on trouve d’autres processus complémentarisants discrets (insidieux diraient les victimes) comme l’évitement ou le laisser-faire, mais aussi des processus symétrisants qui vont renforcer le harcelé ou affaiblir le harceleur (le soutien groupal ou le porte-parolat de la victime, la rébellion à l’encontre du harceleur).

Sur le plan quantitatif, les processus groupaux complémentarisants qui nuisent à la victime ou dotent de forces supplémentaires le harceleur sont largement majoritaires, avec une forte présence de l’hostilité à l’encontre du harcelé. Du côté des processus symétrisants, c’est le soutien passif qui apparaît comme la catégorie la plus représentée.

En ce qui concerne les processus symétrisants, c’est donc la moins patente des manifestations de soutien qui apparaît en tête (soutien passif), alors que du côté des processus complémentarisants, c’est le processus le plus hostile au harcelé que l’on trouve le plus fréquemment (hostilité à l’encontre du harcelé). Il y a donc une présence plus forte, qualitativement et quantitativement, des processus groupaux complémentarisants.

 EMBED MSGraph.Chart.8 \s Figure  SEQ Figure \* ARABIC 47 : Processus groupaux à l'égard de la situation de harcèlement

Plus encore que le groupe, l’organisation exerce essentiellement une influence complémentarisante. Ainsi, on a pu montrer qu’il existe une grande variété de processus qui contribuent à aggraver l’impact de la relation de harcèlement. Dans certaines situations, c’est par l’action de la direction ou du management que l’impact complémentarisant est relevé. C’est le cas lorsque la hiérarchie renforce le harceleur en étant elle-même hostile au harcelé (contribution au processus de harcèlement), en l’encourageant, explicitement ou non, dans ses manières d’agir (renforcement des comportements du harcelé, politiques organisationnelles, absence de réaction de l’organisation) ou en banalisant la situation vécue par le harcelé (banalisation).

Dans d’autres cas, ce sont davantage des processus agissant au niveau de l’organisation qui jouent en la faveur du harceleur : absence de rétroaction du pouvoir exercé par le harceleur, relations incestuelles au bénéfice du harceleur. Enfin, on trouve dans l’échantillon trois cas dans lesquels l’organisation a marqué sa réprobation à l’égard du harceleur, ce qui constitue les uniques processus symétrisants au niveau organisationnel.

 EMBED MSGraph.Chart.8 \s Figure  SEQ Figure \* ARABIC 48 : Processus organisationnels à l'égard de la situation de harcèlement

Il se dégage de ces trois niveaux de processus relationnels une vision du harcèlement qui permet d’expliquer certains paradoxes du phénomène, notamment le fait que, selon de nombreux praticiens, les personnes qui se disent victimes de harcèlement semblent plutôt impliquées dans des processus conflictuels que dans des situations de victimisation. Ici, on voit que le harcèlement peut relever de processus équilibrés comme déséquilibrés sur le plan interpersonnel mais que, par contre, les forces qui agissent autour de la situation vont plus souvent jouer en faveur du harceleur que du harcelé.

Dans ce dernier cas, malgré toute la combativité qu’il peut mettre en œuvre, le harcelé se sent donc dans un processus déséquilibré même s’il mobilise des comportements qui peuvent s’avérer franchement hostiles à l’autre et qui s’intègrent dans une relation hyperconflictuelle avec celui-ci.

Si l’on se penche maintenant sur les contextes relationnels dans lesquels prennent place des relations de harcèlement moral, du point de vue organisationnel, on trouve à la fois des processus symétriques (conflit et compétition dans l’organisation) et complémentaires (ultra-soumission et maltraitance managériale).
 EMBED MSGraph.Chart.8 \s Figure  SEQ Figure \* ARABIC 49 : Contextes relationnels du niveau organisationnel

Comme nous l’avons vu, les contextes relationnels symétriques comme les contextes relationnels complémentaires peuvent contribuer au développement de situations de harcèlement.

Dans le cas des contextes symétriques, c’est généralement soit en plaçant les personnes dans des situations de double contrainte (conflits de loyauté, de positionnement organisationnel ou d’identité), soit en stimulant l’apparition de relations fondées sur la rivalité ou la concurrence que cela va contribuer à intensifier la relation problématique entre harceleur et harcelé.

Les contextes relationnels complémentaires ont pour leur part tendance à faciliter l’apparition des situations de harcèlement en créant un environnement qui contribue à l’acceptation des comportements violents, maltraitants ou irrespectueux. C’est ici un effet de norme, ou la création d’un éthos de la violence, pour employer la terminologie de Crawford.

Au niveau groupal, deux contextes relationnels symétriques sont apparus : le conflit groupal et la solidarité groupale. Les personnes n’ont pas décrit des mécanismes de domination de certaines personnes sur d’autres dans le groupe, si ce n’est, bien sûr, celles qui les concernaient ou concernaient le harceleur (auquel cas elles ont été reprises dans les processus groupaux à l’égard de la situation de harcèlement). En première analyse, on pourrait faire l’hypothèse qu’elles ont regardé le groupe davantage comme un bloc, focalisées qu’elles étaient sur leur relation interpersonnelle. Toutefois, on sait aussi qu’une des caractéristiques communes aux hyperconflits et aux phénomènes de victimisation intervenant dans les groupes consiste en l’émergence de représentants qui focalisent sur eux la tension groupale. C’est là une explication complémentaire à la précédente : les personnes ne citent pas de processus complémentaires intervenant dans le groupe indépendamment de la relation de harcèlement justement parce que la relation de harcèlement permet au groupe de préserver un mode de fonctionnement équilibré par ailleurs, que ce soit dans le conflit ou dans la solidarité. C’est d’ailleurs une explication que Leymann (1996a) avait relevée au sujet du rôle du groupe dans les situations de harcèlement. Le processus complémentaire est donc bien situé précisément dans la situation de harcèlement, ce qui permet au groupe de conserver son mode de fonctionnement.

 EMBED MSGraph.Chart.8 \s  Figure  SEQ Figure \* ARABIC 50 : Contextes relationnels du niveau groupal

Enfin, un certain nombre de contextes ne relevant pas de processus relationnels sont apparus. Ceux-ci ne constituent pas la cible de notre étude, néanmoins il est intéressant d’en dresser la liste pour constater que les personnes mentionnent essentiellement des éléments liés à l’organisation. Le groupe est concerné dans seulement deux catégories : groupe en souffrance au travail et groupe absent. Conformément aux grandes tendances de la recherche, on détecte davantage de facteurs de risque organisationnels que groupaux. Par contre, en termes d’occurrence, c’est bien un facteur de risque au niveau groupal qui apparaît le plus fréquemment : la souffrance au travail du groupe. Ceci plaide donc pour une plus grande prise en compte des facteurs de risque groupaux.

 EMBED MSGraph.Chart.8 \s Figure  SEQ Figure \* ARABIC 51 : Eléments de contexte des situations de harcèlement


Certains contextes concernent l’ensemble des travailleurs (changement organisationnel, menace concurrentielle, absence de régulation), d’autres touchent plus directement le harceleur ou le harcelé (concentration de ressources aux mains du harceleur, poste de travail inadapté pour le harcelé, …). L’impact de ces éléments sur les situations de harcèlement apparaît assez varié. Ainsi, les contextes de changement ou le groupe en souffrance au travail stimulent aussi bien le déséquilibre que l’équilibre relationnel, et aussi bien des processus complémentarisants que symétrisants.

Par contre, s’ils ont été relevés par les personnes, c’est qu’ils constituaient des éléments qui venaient renforcer les processus à l’œuvre. La notion d’amplificateur est ici intéressante et rejoint d’ailleurs l’idée de facteur de risque, bien qu’en l’élargissant. Dans cette optique, ces éléments agissent en multipliant les effets de résonances, et le risque porte sur les situations de harcèlement, mais aussi d’hyperconflit, c’est-à-dire qu’ils constituent des facteurs de risque d’apparition d’une relation de travail pathogène. A ce titre, le groupe en souffrance au travail, qui joue un rôle d’amplificateur des effets de résonances entre processus groupaux et interpersonnels, et le changement organisationnel, qui peut soit renforcer les tensions, soit renforcer les mécanismes de victimisation, constituent deux illustrations du fait que ces facteurs produisent aussi bien des relations équilibrées que déséquilibrées et pas uniquement des situations de victimisation interpersonnelle.

De manière générale, en rejoignant l’observation formulée au début de ces conclusions sur la prépondérance des processus symétriques au niveau interpersonnel, on peut donc dire que le risque porte sur les situations de travail pathogènes, qu’elles soient symétriques ou complémentaires. Plutôt que des facteurs de risque de harcèlement tels qu’entendus classiquement, les processus relationnels et éléments de contexte agissent plutôt comme des facteurs de risque d’apparition des relations de travail pathogènes sous leurs diverses formes.


III. Identification des configurations et résonances




1. Cinq configurations principales, deux configurations mixtes



Dans cette partie, nous allons étudier les configurations qui se dégagent des différents cas et commenter les résonances qui interviennent au sein de celles-ci.

Nous poursuivons ici à la fois le troisième et le quatrième objectif, à savoir d’une part identifier, analyser et quantifier les résonances entre processus c’est-à-dire comment les processus interagissent les uns avec les autres et d’autre part identifier, analyser et quantifier les configurations de processus qui se présentent dans les situations harcèlement moral au travail.

Cinq grandes configurations ressortent de notre étude : la victime type, le héros malgré lui, le représentant, le combattant isolé et le sauvé.

En outre, deux combinaisons de configurations (ou configurations mixtes) sont apparues : le héros malgré lui combiné avec la victime type, et le combattant isolé combiné avec le représentant.


2. Configurations archétypales, hybrides et mixtes



Lors de la présentation du Modèle d’Analyse, nous avons distingé des configurations archétypales, hybrides et mixtes. Pour rappel, les configurations archétypales sont celles dans lesquelles les trois niveaux appartiennent au même mode relationnel, les hybrides mêlent différents modes relationnels en fonction des différents niveaux, les configurations mixtes, enfin, présentent des modes relationnels contrastés au sein d’un ou plusieurs niveau.

Il ressort des cas étudiés que le niveau de l’organisation ne présente que très rarement des processus mixtes, c’est-à-dire des processus à la fois symétrisants et complémentarisants. Les personnes n’ont donc qu’exceptionnellement décrit qu’une partie de l’organisation les soutenait alors qu’une autre partie leur était hostile, par exemple.

Au niveau groupal, par contre, nous avons rencontré plusieurs situations dans lesquelles on trouve à la fois des processus symétrisants et complémentarisants. Globalement, dans ce cas, une partie du groupe défend la victime alors qu’une autre partie du groupe supporte le harcelé. Cependant, ce cas de figure est minoritaire par rapport aux configurations « pures »  (6 cas sur 50).

Enfin, le niveau de la relation interpersonnelle s’est prêté à un codage unique. En effet, à un temps déterminé de la relation entre deux personnes, le concept de schismogenèse propose une manière de la classifier qui sera soit symétrique, soit complémentaire. Ne mettant pas en jeu plusieurs personnes, par essence, les configurations mixtes ne sont pas pertinentes dans ce cas.

Dans les lignes qui suivent, nous allons décrire plus en détail ces différentes configurations hybrides et archétypales avant d’aborder les configurations mixtes qui les combinent.


3. Les configurations « pures »



3.1. La victime type 


La première configuration, que nous avons appelée victime type, rend compte des situations archétypales complémentaires c’est-à-dire des situations dans lesquelles le niveau interpersonnel est caractérisé par la complémentarité de la relation, avec la victime en position basse, et où les processus groupaux et organisationnels ont un effet complémentarisant, donc accentuent encore cette asymétrie. Pour le dire autrement, le harceleur domine le harcelé et le groupe et l’organisation, en se positionnant du côté du premier, accentuent encore le déséquilibre.

Dans cette configuration, tous les processus en lien avec la situation de harcèlement moral au travail convergent à l’établissement d’une relation complémentaire.







Figure  SEQ Figure \* ARABIC 52 : Configuration de la victime type


De cette configuration se dégage un premier profil de harcelé : celui d’une personne en position basse face à son harceleur, avec un groupe qui participe ou au moins contribue à cette situation, le tout dans une organisation qui, par les comportements de ses dirigeants ou les modes d’organisation, encourage elle aussi, passivement ou activement, cette situation. On y retrouve l’idée de l’évolution en quatre phases du mobbing chez Leymann (1996) ou en trois phases de Resch et Schubinski (1996) : après le deuxième stade de la persécution interpersonnelle, l’hostilité de l’environnement et notamment des services du personnel puis finalement l’éviction du système vont renforcer l’impact de cette relation inégalitaire et maltraitante.

Cette configuration se rapproche aussi des systèmes de maltraitance organisée que nous avons mentionnés dans l’approche théorique. Dans ces organisations, harceleur et harcelé ne sont que les acteurs d’un jeu organisationnel qui les a dotés d’un rôle bien précis et que le système va encourager, comme ces situations de dominations renforcées voire orchestrées par le système social et auxquelles les collègues vont participer. Cette idée est défendue notamment par Dejours dans le documentaire Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés, et on la trouve également chez Durieux et Jourdain (1999) qui affirment l’existence de harcèlements pilotés par des consultants spécifiquement formés à cette fin.

Comme nous avons pu le constater lors de la description des différents cas, dans cette configuration, les phénomènes de résonances vont dans le sens d’un renforcement des processus complémentaires par effet larsen. Pour le dire autrement, les boucles de rétroaction entre les différents niveaux sont positives : le fonctionnement complémentaire de chaque niveau contribue à renforcer la complémentarité du fonctionnement aux autres niveaux.

Ainsi, la relation entre harceleur et harcelé est d’autant plus déséquilibrée que le groupe encourage et contribue à ce déséquilibre : plus le groupe se montre hostile ou rejetant, plus le harceleur se sent validé dans ses attaques et intensifie sa domination. En retour, les phénomènes d’hostilité ou de rejet groupal apparaissent souvent comme un effet de la relation interpersonnelle complémentaire : c’est la mise en position basse de la personne par le harceleur qui va encourager le groupe à renforcer ses agressions ou à tout le moins le pousser à l’évitement de la victime. Groupe et harceleur se renforcent réciproquement dans leurs légitimités et leurs comportements.

Parallèlement, le processus organisationnel renforce l’impact complémentarisant du groupe, en contribuant à créer un système qui encourage des processus groupaux qui vont à l’encontre de la victime. En retour, le fait que le groupe se situe pour le harceleur et contre la victime amène l’organisation à adopter une position similaire.

Par l’effet des boucles de rétroaction entre les différents niveaux, la situation devient donc de plus en plus complémentaire.









3.2. Le combattant isolé























Figure  SEQ Figure \* ARABIC 53 : Configuration du combattant isolé


La deuxième configuration que nous avons découverte a été appelée le combattant isolé : une personne se trouve dans une relation symétrique avec le harceleur, alors que les processus groupaux et organisationnels jouent un rôle complémentarisant, c’est-à-dire vont dans le sens d’encourager les forces favorables au harceleur (ou défavorables au harcelé). Le profil du harcelé est donc celui d’une personne qui affronte une autre personne soutenue par le système social dans son ensemble.

Si cette configuration évoque la précédente en ce qui concerne l’impact des processus groupaux et organisationnels, tous deux complémentarisants, le processus interpersonnel situe la relation sur un mode symétrique. La personne apparaît en lutte contre son harceleur, dans un environnement au sein duquel elle est « seule contre tous ». C’est, selon le point de vue que l’on adopte, le « héros solitaire », la « tête brûlée », « l’incompris », le « marginal », le « mauvais coucheur », le « combattant isolé », …

Nous avons choisi la dénomination de combattant isolé pour rendre compte à la fois de la symétrie de sa position interpersonnelle (combattant) et du fait que la dynamique sociale penche en faveur de l’autre (isolé).

Dans les cas que nous avons rencontrés, les effets de résonance relèvent à nouveau de la rétroaction positive. Plus la personne s’oppose à son adversaire, plus elle endure les attaques du groupe et de l’organisation. Pour inverser la ponctuation, on peut dire que le groupe renforce d’autant plus ses attaques que harceleur et harcelé sont dans un processus d’escalade symétrique. L’organisation et le groupe font bloc contre le harcelé, lequel refuse de se « laisser-faire ». Plus le harcelé va se montrer combatif, plus le système va s’efforcer de le soumettre, en soutenant le harceleur. Les résonances sont donc caractérisées, comme dans le cas précédent, par un effet larsen. Toutefois, cet effet larsen se produit ici entre des processus de mode différent : la symétrie interpersonnelle renforce la complémentarisation des autres niveaux et réciproquement.

Ayant mis la relation interpersonnelle d’affrontement en perspective par le contexte groupal et organisationnel, on peut mieux comprendre pourquoi, malgré une relation symétrique avec le harceleur, la victime s’estime harcelée. Ceci constitue une explication au résultat étonnant que nous soulevions dans la partie consacrée à l’analyse des processus à savoir la prépondérance de relations interpersonnelles symétriques. En effet, en dépit des tentatives qu’elle fait pour tenir tête au harceleur, elle risque d’être systématiquement perdante puisque son adversaire bénéficie de tout le soutien groupal et organisationnel.

Dans cette configuration, on trouve donc des personnes qui s’estiment victimes d’une situation dans laquelle, certes, elles refusent de céder, mais où elles estiment qu’elles n’ont aucune chance d’avoir gain de cause.

Dans les cas composant notre échantillon de recherche, ce type de situation s’est terminé fort mal pour ces personne, épuisées, perdantes dans leur combat contre plus fort qu’elle.

La configuration du combattant isolé évoque les théories fonctionnalistes sur la dégénérescence du conflit, en ajoutant toutefois l’impact de l’environnement qui va faire « gagner » un des protagonistes. En effet, les personnes se trouvent dans une relation (hyper)conflictuelle, une relation qui va se dégrader et se transformer en harcèlement du fait du soutien dont va bénéficier l’autre.


3.3. Le héros malgré lui


































Figure  SEQ Figure \* ARABIC 54 : Configuration du héros malgré lui

Nous avons appelé la troisième configuration celle du héros malgré lui. Dans ce cas, la personne est victimisée dans sa relation avec le harceleur (complémentarité interpersonnelle), alors que ce dernier est soutenu par l’organisation (processus organisationnels complémentarisants), et que la victime est, elle, soutenue par son groupe (processus groupaux symétrisants). Chacun est donc soutenu par une partie du système social.

La personne apparaît, aux yeux de son groupe, comme la victime d’une personne supportée par un système organisationnel. Selon les cas, le groupe considère la victime comme son héros, son porte-parole, ou simplement une personne pour laquelle il ressent de l’empathie et qu’il s’efforce de soutenir.

Chez la victime, la perception d’être harcelée vient du fait qu’elle se trouve être victime d’une autre personne qui, malgré le fait que le groupe réprouve cette situation, est en plus soutenue dans ses comportements de harcèlement par l’organisation. Le soutien du groupe ne fait que valider le sentiment qu’a la personne de se heurter à « plus fort qu’elle », puisque ce soutien ne suffit pas à lui donner les ressources qui permettraient un équilibrage de la relation interpersonnelle.

Cette situation met en outre la personne dans une situation assez inconfortable puisqu’elle n’a généralement pas opté pour des copings « offensifs », choisissant plus volontiers l’adaptation, l’évitement ou les tentatives pour « tenir le coup » (copings de soumission), mais que le groupe l’encourage à tenir bon, la pousse à symétriser la relation.

En examinant les phénomènes de résonance, on peut voir que des effets pervers du soutien du groupe peuvent nuire à la personne. C’est ce qui s’est passé dans les cas que nous avons rencontrés. Ainsi, les résonances relevant de la rétroaction positive, le groupe, en soutenant cette personne, contribuera à renforcer la complémentarité interpersonnelle et les effets de complémentarisation organisationnelle. Elle est en outre d’autant plus attaquable qu’elle se présente en position soumise face au harceleur. Les effets de résonance jouent donc finalement en sa défaveur : le soutien du groupe renforce les attaques du harceleur et l’hostilité de l’organisation. Plus ce soutien est visible et clairement exprimé, plus la complémentarité des autres niveaux se voit renforcée.

Cela dit, le soutien du groupe aurait pu avoir un effet de régulation, une rétroaction négative sur la complémentarité des deux autres niveaux. Autrement dit, le soutien du groupe pourrait, en théorie, limiter la complémentarité interpersonnelle et les effets d’encouragement organisationnel. Le fait que ce n’est pas dans ce sens que vont les cas que nous avons rencontrés est possiblement lié au fait que nous avons reçu des personnes qui ne s’étaient pas « sorties » de la situation de harcèlement, néanmoins, on ne peut ignorer les effets pervers du soutien du groupe dans ce cas.

Si on examine maintenant les effets de résonance entre les niveaux interpersonnel et organisationnel, qui sont tous les deux caractérisés par des modes relationnels appartenant au pôle complémentaire, la rétroaction positive entre ces niveaux ne fait qu’aggraver la situation : plus l’organisation renforce ou supporte le harceleur, puis celui-ci se montre dominant dans sa relation avec le harcelé, et plus, en retour, il va encourager l’organisation à le supporter.

3.4. Le représentant























Figure  SEQ Figure \* ARABIC 55 : Configuration du représentant


Le représentant décrit la situation d’une personne qui se trouve dans une relation d’affrontement avec le harceleur. L’environnement social est divisé : le groupe soutient la victime alors que l’organisation soutient le harceleur.

Comme dans la précédente, chacun est supporté par une partie du système social, mais dans cette configuration, à la différence de la précédente, la relation interpersonnelle est symétrique.

La relation interpersonnelle qui intervient dans ce contexte est donc différente. Là où la personne était un « héros malgré lui », dans ce cas, elle endosse cette position et mène le combat, soutenue par son groupe.

La personne, dans son affrontement interpersonnel, bénéficie donc du soutien de ses pairs. Ceux-ci se reconnaissent dans cet affrontement qui concerne non seulement la relation harceleur – harcelé, mais également le triangle harceleur – harcelé – organisation puisque cette dernière se place du côté du harceleur.

Plus encore que dans le cas précédent, la personne est susceptible de devenir le symbole, le héros, le représentant de son groupe face à un système jugé injuste à son encontre.

Pour la résonance entre l’interpersonnel et le groupal, on voit de nouveau un effet larsen : plus la personne est supportée par son groupe, plus elle se sent encouragée à affronter son « harceleur », à maintenir ses positions contre lui, à prolonger son « combat », ce qui, en retour, encourage le groupe à la soutenir.

Pour la résonance entre l’organisationnel et le groupal, les situations sont plus variées. Dans certains cas, le fait que l’organisation défende l’autre partie va renforcer le sentiment d’injustice qui naît dans le groupe, l’envie de défendre ou en tout cas d’encourager le harcelé. C’est donc une rétroaction positive (2 cas sur 7). Dans d’autres cas, nous avons observé un effet de régulation, c’est-à-dire que le fait que l’organisation se situe dans le pôle complémentarisant a eu pour impact d’affaiblir le soutien du groupe (pôle symétrisant). Ce soutien s’est mué en un soutien passif ou en une disparition des comportements de soutien (5 cas sur 7).

Enfin, la résonance entre l’organisationnel et l’interpersonnel relève de la rétroaction positive dans tous les cas. En réponse aux « comportements d’opposition » manifestés par le harcelé, l’organisation n’en soutiendra que plus le harceleur, qui en retour se sentira encouragé par elle.

Plus généralement, cette configuration amène donc, par ses effets de rétroaction, à des situations particulièrement tendues et généralement critiques. Dans notre étude, les situations qui en relèvent se sont terminées par des départs fracassants ou de longs congés de maladie.

3.5. Le sauvé

Enfin, dans la configuration du sauvé, on trouve une personne en position basse par rapport au harceleur, mais dont les interactions avec les deux niveaux ont pour effet de symétriser cette relation (effets symétrisants). Cette personne est donc soutenue à la fois par le groupe et par l’organisation.





























Figure  SEQ Figure \* ARABIC 56 : Configuration du sauvé

Dans les cas que nous avons rencontré, les effets de résonance entre le niveau organisationnel et le niveau interpersonnel relevaient de la rétroaction négative : le fait que l’organisation et le groupe se trouvent dans le pôle symétrisant a eu pour effet de limiter la complémentarité de la relation interpersonnelle. Les personnes ont ainsi décrit que, suite à la réprobation manifestée par l’organisation à l’adresse du harceleur, celui-ci a diminué ses attaques ou du moins les a rendues moins spectaculaires. Cela ne signifie pas pour autant que la situation n’a pas eu de conséquences sur la victime, et notamment au niveau professionnel : dans deux des trois cas, la victime finira tout de même par demander à changer de poste de travail, ce qui lui sera accordé. Les processus symétrisants au niveau de l’organisation et du groupe apparaissent donc comme des facteurs de résilience mais on se gardera d’une vision angélique de ce genre d’intervention qui peut avoir pour effet davantage de modifier le type d’agissement plutôt que le processus lui-même. Nous aborderons cette question dans la discussion.

4. Configurations mixtes 



Deux configurations mixtes sont apparues dans notre échantillon. Ces configurations mixtes combinent, comme nous allons voir, deux configurations pures.


4.1. Le combattant isolé combiné au représentant























Figure  SEQ Figure \* ARABIC 57 : Configuration du représentant combiné au combattant isolé

Dans ce cas, la victime adopte une position symétrique vis-à-vis de son harceleur. L’organisation, pour sa part, supporte le harceleur. En ce qui concerne le groupe, le processus est mixte : une partie du groupe soutient le harceleur et une autre le harcelé. Le groupe est donc divisé sur la situation, chacun des protagonistes disposant de ses partisans. Le harcelé apparaît entre deux configurations : il n’est ni vraiment un combattant isolé, puisqu’il dispose de certains soutiens dans le groupe ; ni tout à fait un représentant du groupe puisque certains ont pris le parti de son adversaire. Au gré des rapports de force et mécanismes d’influence, le processus groupal va plutôt pencher en sa faveur ou en sa défaveur.

On observe ici des effets miroir : le conflit du groupe se prolonge dans un conflit entre deux personnes, où si l’on veut, le conflit des deux personnes alimente le conflit du groupe. On peut donc dire que les personnes sont « prises en otage » dans le conflit groupal ou, en inversant la ponctuation, qu’elles instrumentalisent le conflit dans le cadre de leur « combat » personnel.


4.2. Le héros malgré lui combiné avec la victime type































Figure  SEQ Figure \* ARABIC 58 : Configuration de la victime type combinée avec le héros malgré lui

Dans ce cas, la victime est en position complémentaire par rapport au harceleur. Quant à l’organisation, elle soutient le harceleur. En ce qui concerne le groupe, le processus est à nouveau mixte, tout comme dans la configuration précédente : une partie du groupe soutient le harceleur et une autre le harcelé. Ceci fait en sorte que le harcelé présente à la fois les caractéristiques de la victime type, avec un harceleur soutenu par le groupe et l’organisation, et à la fois les caractéristiques du héros malgré lui, avec un groupe qui la soutient contre les attaques d’un harceleur supporté par l’organisation.

Les effets d’évolution dynamique créés par ces configurations mixtes ont été relevés dans certains cas de cette partie, ainsi que lors de l’analyse des cas d’accompagnement clinique, nous n’y reviendrons donc pas ici.




5. Conclusions et éléments quantitatifs sur les configurations et les résonances



On obtient la liste suivante pour les différents cas de notre étude.


Numéro du cas et configuration
Occurrences cumulées

Type de configurationConfiguration : héros malgré lui1HybrideConfiguration : héros malgré lui / victime type1MixteConfiguration : combattant isolé1HybrideConfiguration : représentant1HybrideConfiguration : combattant isolé2Hybride Configuration : représentant2HybrideConfiguration : victime type1Archétypale complémentaireConfiguration : combattant isolé3HybrideConfiguration : combattant isolé / représentant1MixteConfiguration : combattant isolé4HybrideConfiguration : combattant isolé5HybrideConfiguration : combattant isolé6HybrideConfiguration : combattant isolé7HybrideConfiguration : le sauvé1HybrideConfiguration : le représentant3HybrideConfiguration : combattant isolé8HybrideConfiguration : victime type2Archétypale complémentaireConfiguration : victime type3Archétypale complémentaireNon traitéConfiguration : victime type4Archétypale complémentaireConfiguration : victime type5Archétypale complémentaireConfiguration : combattant isolé9HybrideConfiguration : représentant4HybrideConfiguration : victime type6HybrideConfiguration : victime type / héros malgré lui2MixteConfiguration : combattant isolé / représentant2MixteConfiguration : héros malgré lui2HybrideConfiguration : victime type7Archétypale complémentaireNon traitéConfiguration : combattant isolé / représentant3MixteConfiguration : victime type8Archétypale complémentaireConfiguration : combattant isolé10HybrideConfiguration : ?Configuration : combattant isolé11HybrideConfiguration : ?HybrideConfiguration : victime type9Archétypale complémentaireNon traitéConfiguration : victime type10Archétypale complémentaireConfiguration : le représentant5HybrideConfiguration : le combattant isolé12HybrideConfiguration : le combattant isolé13HybrideConfiguration : combattant isolé14Archétypale complémentaireConfiguration : héros malgré lui3HybrideConfiguration : victime type11Archétypale complémentaireConfiguration : combattant isolé15HybrideConfiguration : combattant isolé16HybrideConfiguration : combattant isolé / représentant4MixteConfiguration : représentant6HybrideConfiguration : combattant isolé17HybrideConfiguration : combattant isolé18HybrideConfiguration : représentant7HybrideConfiguration : victime type12Archétypale complémentaireConfiguration : sauvé2HybrideTableau  SEQ Tableau \* ARABIC 21 : Liste des configurations apparues dans la deuxième étape de recherche

La répartition quantitative des configurations se présente comme suit.
 EMBED MSGraph.Chart.8 \s Figure  SEQ Figure \* ARABIC 59 : Répartition des configurations

Le combattant isolé constitue la configuration la plus fréquente (18 cas). Elle devance la victime type (12 cas). Ces deux configurations ont pour point commun le fait que les processus groupaux et organisationnels vont dans le sens de renforcer la dissymétrie entre harceleur et harcelé. Dans plus de la moitié des cas (30 au total), les personnes estiment donc que tant le groupe que l’organisation ont contribué à renforcer la position du harceleur ou à les affaiblir. On peut en conclure que, de manière dominante, ce n’est pas tant une relation déséquilibrée que les personnes décrivent (18 cas sur 50, cf. supra), mais plutôt une situation dans laquelle le processus social qui entoure la relation interpersonnelle penche en leur défaveur.

On peut également observer la prépondérance des configurations « pures » par rapport aux configurations « mixtes ».

 EMBED MSGraph.Chart.8 \s 
Figure  SEQ Figure \* ARABIC 60 : Répartition des configurations mixtes et pures

6 configurations sur 50 sont dans ce cas. Cela signifie donc que, la plupart du temps, les personnes décrivent les processus de manière unitaire.

Lors de l’étude des résonances, nous avons montré que les effets larsen étaient dominants. Seule deux configurations, présentent des effets de régulation (rétroaction négative). Le sauvé présente des effets de rétroaction négative entre le groupal / interpersonnel et l’organisationnel ; le représentant présente dans certains cas de la régulation entre l’organisationnel et le groupal.

L’effet larsen se produit à la fois entre des processus relevant du même mode relationnel et entre des processus de modes relationnels opposés. Ceci constitue une découverte dans la mesure où on pouvait s’attendre à ce que les phénomènes de conflits et de victimisation s’équilibrent les uns les autres. Au contraire, on assiste à un renforcement réciproque de chacun des processus, y compris par des effets de contraste, comme on avait déjà pu l’observer dans la situation de Lucie.

Ainsi, en règle générale, les processus du pôle complémentaire se renforcent les uns les autres. Nous l’avons vu notamment dans la configuration de la victime type. Les processus du pôle complémentaire entraînent également un renforcement des processus du pôle symétrique et inversement. Nous avons pu notamment le constater avec les configurations hybrides comme le héros malgré lui, dans laquelle le soutien du groupe provoque un renforcement de l’hostilité organisationnelle et interpersonnelle à l’encontre de la victime, ou encore celle du combattant isolé au sein de laquelle la détermination de la victime à entrer dans un rapport symétrique renforce l’hostilité groupale et organisationnelle. Les situations ont donc tendance à s’extrémiser tant dans leur dimension de victimisation que dans leur dimension conflictuelle.

Les deux exceptions méritent réflexion. D’abord, dans la configuration du représentant, on trouve plusieurs cas de rétroaction négative dans lequel le positionnement de l’organisation contre la victime va limiter le soutien que le groupe lui apporte. L’organisation joue donc un rôle d’aggravation de la condition du harcelé. En revanche, dans la configuration du sauvé, le niveau organisationnel et le niveau groupal, symétrisants, entretiennent une rétroaction négative avec le niveau interpersonnel, complémentaire. Dans ce cas de figure particulier, le positionnement de l’organisation, défavorable au harceleur, a tendance à diminuer la complémentarité interpersonnelle, provoquant ainsi un effet de symétrisation. Si ces cas sont plus rares, ils pourraient se multiplier à l’avenir. C’est en tout cas l’objectif des démarches de sensibilisation auprès des travailleurs et des organisations. Il reste à voir cependant s’il s’agira d’une transformation profonde des processus relationnels ou une adaptation comportementale qui permet de perpétuer les processus sous une forme plus discrète, comme c’est le cas dans les situations que nous avons rencontrées.

De manière générale, on peut donc dire que cinq profils de harcelés se dégagent de notre étude, et qu’au sein des configurations, les effets de rétroaction positive dominent, ce qui signifie que les situations vont généralement en s’accentuant dans leur dimension de victimisation ou de conflit. On trouve deux cas où l’organisation « inverse la tendance », ce qui va dans un cas contribuer à équilibrer la relation entre harceleur et harcelé, et dans l’autre « rabaisser » encore davantage le harcelé.


IV. Discussion et conclusions à partir de l’étude des témoignages




1. Discussion



Les cas que nous avons analysés ont tous un point de départ commun : ils sont le fruit du témoignage d’une personne qui s’estime victime de harcèlement moral au travail.

La comparaison avec les cas d’accompagnement clinique nous permet de prendre du recul et de considérer dans quelle mesure cette approche a conditionné les données recueillies.

Premièrement, les situations ressortant des accompagnements cliniques apparaissent plus complexes que celles qui viennent des témoignages. Le rôle du groupe, notamment, est hybride dans les deux cas, et les positionnements organisationnels apparaissent plus variés. Nous pensons que la démarche de témoignage a pu générer une forme de réduction de la complexité des situations. Dans un témoignage, la personne est engagée dans une démarche de communication qui la pousse souvent à ne sélectionner que des informations qui se mettent au service de sa démonstration, alors que dans la demande d’aide, les priorités peuvent être au contraire de mieux comprendre la complexité, y compris en insistant sur les éléments contradictoires ou paradoxaux. En outre, la démarche de témoignage peut provoquer des effets de modification du récit, pouvant aller jusqu’à sa « caricaturisation » par un effet de désirabilité sociale qui pourrait pousser la personne à présenter sa situation comme « exemplaire » de ce qu’est le harcèlement. Le nombre d’entretiens, moins important dans la démarche de témoignage, a pu également jouer en ce sens. En effet, nous avons pu noter que, dans les entretiens d’accompagnement clinique, la personne commence par aborder sa situation de manière « classique » (faits, conséquences), et que la mise en perspective et l’identification des liens complexes ne vient que par la suite.

Un deuxième effet lié au dispositif a pu également se produire, spécifiquement pour la démarche de témoignage, mais également pour la première étape : l’exagération des rétroactions positives. En effet, les personnes qui se sont présentées pour témoigner identifiaient leur situation comme grave puisqu’elle répondait selon eux à la définition de ce phénomène critique qu’est le harcèlement moral. Ce sont donc des situations qui sont allées en se dégradant que nous avons rencontrées, alors que les situations qui se sont résolues d’elles-mêmes, par un effet de régulation entre processus, n’ont probablement pas suscité la même démarche. Nous pensons donc qu’il est possible que notre échantillon sous-estime, par exemple, le nombre de cas dans lesquels toute ou une partie de l’organisation soutient le harcelé, contribuant ainsi à rééquilibrer le rapport de force en sa faveur (configuration du sauvé).

Enfin, il est utile dans cette discussion de revenir sur l’option que nous avons prise au début de ce travail à savoir de considérer toutes les situations comme des situations de harcèlement moral au travail. Face à la diversité des processus et des configurations, il semble bien que les termes victime, harceleur, harcelé et plus généralement harcèlement moral au travail constituent un cadre trop étriqué pour permettre de penser et rendre compte de la complexité des situations. Plutôt que du harcèlement moral stricto sensu, il se confirme que c’est un ensemble de relations de travail pathogènes que nous avons étudiées, analysées, comparées et quantifiées.


2. Conclusions sur les processus, les résonances et les configurations



Chacune des gammes de résultat a fait l’objet d’une conclusion dans les chapitres précédents. Nous allons maintenant étudier les enseignements qui ressortent de manière générale de ce chapitre.

La première conclusion qui ressort de ces analyses de processus, résonances et configurations est la présence de processus interpersonnels symétriques. Même si nous avons déjà mentionné cet élément lors de la phase exploratoire avec les études de cas d’accompagnement clinique, le fait que cela se reproduise sur un grand nombre de cas constitue un résultat significatif. En effet, on pouvait s’attendre à ce que les situations racontées par les victimes présumées se présentent essentiellement sous forme complémentaire, déséquilibrée en défaveur de la victime. Nous parlons ici de résultat significatif puisque les auteurs considèrent généralement que les situations de harcèlement moral sont effectivement complémentaires, ou à tout le moins qu’elles sont vécues par les personnes comme l’étant. Spécifiquement, on s’attend à ce que la victime décrive au moins le processus interpersonnel de manière complémentaire sous forme d’une relation inégale entre harceleur et harcelé. C’est le cas dans un nombre non négligeable de situations (le processus de domination-soumission est présent dans un peu plus du tiers des cas), mais la majorité des personnes, les deux tiers, décrivent leur relation de manière tout à fait symétrique sur le plan interpersonnel, avec notamment des descriptions d’affrontements comprenant de l’escalade comportementale, typique des hyperconflits.

Ceci met en perspective ce que l’on appelle généralement les « plaintes abusives » pour harcèlement. En effet, une plainte est généralement jugée abusive dès lors que la personne semble dans une relation plutôt symétrique que complémentaire avec le harceleur. La question que nous avons soulevée ci-dessus est de savoir si ces personnes se « trompent » en s’exprimant de la sorte. Après étude des autres processus, nous pouvons voir que la légitimité de se sentir harcelé repose, dans la majorité des cas, non pas sur l’existence d’une relation inégalitaire dans son expression comportementale, mais sur le soutien (groupal et/ou organisationnel) dont bénéficie le harceleur. Dans ce cas, la personne s’estime harcelée non pas parce qu’elle subit un processus comportemental unilatéral, ni parce qu’un groupe ou une organisation l’expose à de la violence unilatérale, mais parce qu’elle est en conflit avec une personne qui bénéficie du soutien, tacite ou explicite, de l’organisation et souvent de celui du groupe. Cela dit, bon nombre de cas se présentent aussi sous forme de domination-soumission. Dans ce cas, le rôle joué par le groupe et l’organisation en la matière vient alors confirmer encore davantage la légitimité de l’invocation du harcèlement. On peut donc dire que les personnes se réfèrent à plusieurs raisons de se sentir harcelées, selon que la relation est déséquilibrée sur le plan comportemental ou selon que l’adversaire, même si elles l’affrontent en mobilisant leurs propres ressources, est soutenu par des forces plus importantes.

Ceci permet de différencier des profils assez différents de « victimes de harcèlement moral au travail », et apporte une autre explication à un phénomène relevé par les praticiens : la stupéfaction des personnes qui se voient désignées comme harceleuses. En effet, les harceleurs parlent plus volontiers de conflit. Certes, il peut s’agir là d’un mode de défense commode, d’une rationalisation, voire d’un fonctionnement pervers comprenant une part de déni. Mais, au vu de nos observations, il pourrait bien s’agir aussi d’un décodage interpersonnel sans prise en compte des forces agissant autour de la relation, auquel cas le fait de parler de conflit serait tout à fait approprié. En effet, comportementalement, la personne désignée comme harceleuse qui vit une situation d’affrontement ou d’opposition et qui la décode au strict plan interpersonnel ne peut se considérer comme l’auteur d’un harcèlement puisqu’elle subit également des actes hostiles de la part de l’autre et se représente donc, à raison, sa relation avec l’autre comme symétrique. Ce n’est que par la prise en compte des processus groupaux et/ou organisationnels qui agissent en sa faveur qu’elle peut comprendre pourquoi elle est désignée comme harceleuse. L’explication proposée ci-dessus constitue donc une voie de compréhension pour les situations dans lesquelles une personne désignée comme harceleuse peut authentiquement considérer que cette accusation est illégitime.

Au sujet des processus groupaux et organisationnels à l’égard des protagonistes de la situation de harcèlement, il est frappant de constater à quel point ce sont les processus complémentarisants qui sont les plus représentés.

Concernant les processus organisationnels, la complémentarité domine de manière écrasante. L’organisation est presque systématiquement complémentarisante. On voit aussi que l’organisation joue un rôle essentiel car dans les rares cas où elle s’est positionnée en faveur du harcelé, la situation, si elle n’a pas disparu, s’est améliorée pour la victime. On peut même extrapoler, dans ce cas, qu’il y ait la possibilité d’un retournement de la situation, le harceleur pouvant se sentir alors harcelé.

Le groupe se montre souvent, lui aussi, du côté du harceleur, avec un grand nombre de cas où les personnes rapportent de l’hostilité des collègues à leur encontre. Toutefois, le fait que les processus groupaux ne soient pas uniquement complémentarisants constitue une découverte intéressante, qui montre que le harcelé n’est pas toujours l’objet de phénomènes type « bouc émissaire ». Dans de nombreuses situations, il est soutenu par son groupe et peut même exercer un rôle de porte-parole ou de héraut de son groupe.

Concernant les phénomènes de résonances, une conclusion importante et nouvelle par rapport à la littérature qui ressort de ces différentes études de cas porte sur la présence majoritaire des effets de renforcement réciproque entre processus. Ainsi, le processus interpersonnel et les processus organisationnels et groupaux à l’égard de la situation de harcèlement créent entre eux des effets synergiques. Loin de se réguler, ils s’amplifient au contraire les uns les autres, y compris par des effets paradoxaux lorsqu’il s’agit de processus de modes différents conduisant la situation vers un niveau de conflictualité ou vers un niveau de victimisation toujours supérieur. Cette dualité des effets produits (conflit et victimisation) constitue un résultat fondamental à prendre en compte, et c’est la raison pour laquelle il est apparu plus opportun, pour dénommer les situations que nous avons rencontrées, de parler de situations de travail pathogènes que de harcèlement moral au travail.

Les contextes relationnels, eux aussi, interagissent avec les situations en ayant tendance à se renforcer. On peut voir ici que des contextes relationnels symétriques ou complémentaires vont contribuer à l’entretien de la situation pathogène mais de manière différente. En règle générale, les processus symétriques favorisent l’apparition de situations pathogènes en mettant de la tension dans le système, alors que les processus complémentaires stimulent les situations pathogènes par un effet de norme, en légitimant des formes de victimisation ou de violence au travail.

Des interactions se produisent ainsi entre le processus interpersonnel, les processus groupaux et organisationnels qui concernent les protagonistes, et les contextes relationnels qui se déroulent dans le groupe ou l’organisation « indépendamment » de la situation. Si l’on ajoute à cela les processus personnels et les élémets de contexte, on aura autant d’éléments qui concourent à donner aux situations tout leur potentiel destructeur. Ces différents niveaux de processus constituent aussi autant de leviers d’intervention dont pourra se saisir l’intervenant. Nous aborderons cette dernière question dans la discussion finale de ce travail.

Enfin, il ressort donc des profils de harcelés très différents. Comme nous l’avons vu, cinq configurations sont apparues : la victime type, le sauvé, le combattant isolé, le héros malgré lui et le représentant, auxquelles il faut ajouter deux combinaisons de configurations (ou configurations mixtes). Ces profils sont autant de figures des relations de travail pathogènes. Or, dans la littérature, quand on parle de harcèlement moral, on se réfère plutôt, selon notre typologie des configurations, à la victime type : une personne victimisée par un harceleur encouragé par le système social. Nous avons pu montrer que les situations présumées de harcèlement moral présentent des configurations bien plus diversifiées.

En reliant certaines de ces configurations avec la littérature sociologique abordée dans l’approche théorique, nous faisons l’hypothèse que la disparition progressive des mécanismes collectifs de défense est susceptible de stimuler des configurations comme le héros malgré lui ou le représentant, nouvelles figures emblématiques de défense d’un groupe qui s’estime maltraité ou bafoué, figures d’autant plus légitimes qu’elles se réfèrent au processus de harcèlement moral, phénomène que la loi, la science et l’opinion publique ont reconnu comme une catégorie légitime. Par ailleurs, la forte présence de la figure du combattant isolé pourrait s’expliquer par le contexte culturel qui valorise les victimes, permettant ainsi à des personnes de tenir sur le long cours une position de « victime combative », seule contre tous.

Par cette approche intégrative, processuelle et dynamique, nous avons pu découvrir à quel point les situations de harcèlement moral au travail présentent une variété qui se retrouve notamment dans les différentes configurations de victimes que nous avons mises en lumière, et qu’elles sont le résultats d’enchevêtrements complexes entre des processus organisationnels, groupaux, interpersonnels, individuels. Cette variété et cette complexité confirment que le harcèlement moral rend compte d’une réalité étirée entre deux types de relations problématiques dont le point commun est de créer de la souffrance au travail : des hyperconflits et des situations de victimisation. Toutes ces situations reflètent donc différentes formes des relations de travail pathogènes.











Chapitre IV

Approche confrontatoire – regards croisés sur les processus, résonances et configurations

Analyse d’interviews en organisation

I. Introduction 




Comme nous l’avons expliqué dans l’introduction générale de notre travail, cette dernière étape d’investigation des situations de harcèlement moral au travail revêt un statut « confrontatoire ». En effet, nous avons travaillé jusqu’à présent sur base du point de vue des victimes supposées. Le fait d’avoir accès à celui de la personne incriminée ainsi qu’à celui des témoins contribuera donc à l’enrichissement de nos données, ouvrant sur une analyse provenant de regards multiples.

L’objectif de cette analyse de cas en organisation est donc d’éprouver le Modèle d’Analyse et les différents résultats que nous avons obtenus au cours des étapes précédentes sur un matériau plus complexe encore.




1. Contexte général



Cette analyse de cas en organisation est basée sur des interviews menées au sein d’une organisation dans laquelle est apparue une situation présumée de harcèlement moral au travail.

A l’origine de cette démarche, on trouve deux éléments fondamentaux.

Premièrement, une demande nous a été formulée, tout comme dans la première étape de notre recherche.

Ensuite, cette demande faisait suite au fait qu’une personne se sente victime de harcèlement moral au travail. Concrètement, une personne s’est plainte de subir du harcèlement moral, et l’a signifié, par écrit, à la direction de l’entreprise. Suite à cela, un responsable de l’organisation nous a demandé de mener des interviews pour recueillir de l’information sur cette situation particulière. Le mandant nous a alors offert la possibilité de rencontrer plusieurs personnes. 


2. L’utilisation du Modèle d’Analyse dans les analyses de cas en organisations



Si cette démarche d’interviews en organisation constitue une occasion rare de mettre en perspective le discours de victimes avec le point de vue d’autres interlocuteurs, une telle position implique quelques précisions sur la manière dont nous allons appliquer le Modèle d’Analyse.

D’une part, il est évident que, puisque plusieurs personnes vont s’exprimer sur une même situation, l’analyse est susceptible de déboucher sur autant de visions de la situation qu’il y a de personnes interrogées. Le Modèle d’Analyse sera donc appliqué sur l’ensemble des propos des personnes, avec la possibilité de montrer d’éventuelles différences de représentations ou de perceptions entre les personnes. Une représentation multiple peut donc se substituer à la représentation unique que nous avons développée jusqu’ici.

D’autre part, dans notre présentation des données, nous regrouperons les propos de plusieurs personnes sur les mêmes sujets, afin de permettre une confrontation interne du contenu des interviews des différentes personnes interrogées.

Enfin, tout comme nous l’avons fait au cours de l’étape précédente, lorsque nous présenterons les fragments d’interviews, nous les contextualiserons, c’est-à-dire que nous reprendrons, chaque fois que cela s’avérera nécessaire pour la compréhension, les passages qui les entourent afin de rendre le propos intelligible sans devoir recourir à la paraphrase.




















II. Le centre de R & D industriel (Chemical Research and Developpement)




4. Conclusions de l’étude de cas en organisation



En ajoutant la complexité qui ressort de l’étude de différents points de vue sur une même situation, cette analyse confrontatoire confirme les processus relationnels identifiés lors des deux étapes précédentes. Elle permet en outre de voir que certains processus complémentarisants identifiés à l’encontre des victimes peuvent toucher également les harceleurs.

Elle confirme également les modalités de résonances découvertes dans le cadre des configurations, notamment la rétroaction négative entre organisation et groupe symétrisants, d’une part, et lien interpersonnel complémentaire, d’autre part, ainsi que la rétroaction positive qui intervient entre les autres processus. Nous pouvons en outre voir, à nouveau, que les contextes relationnels vont agir par le biais des processus médiateurs que sont les positionnements de l’organisation et du groupe par rapport à la situation de harcèlement.

Ce cas prouve aussi l’importance des facteurs de contexte comme éléments déterminants de la construction des processus relationnels par le fait qu’ils transforment les équilibres dynamiques entre les différents acteurs sociaux. A titre d’exemple, dans ce cas, on peut citer la concentration des ressources qui amène à l’adoption de positions hautes de la part du harcelé ou l’évolution de l’éthos de l’organisation qui modifie les systèmes de légitimités.

Par ailleurs, en soulignant les différences de perceptions des configurations entre les protagonistes, nous avons prolongé la découverte faite dans l’étape précédente sur les différentes sources de légitimité de s’estimer harcelé. Cela confirme qu’il existe plusieurs raisons de se sentir harcelé, et celles-ci sont à ce point diverses qu’il est tout à fait possible que les harceleurs se sentent eux aussi dans la position du harcelé.

Enfin, ce cas montre les multiples modalités du lien entre conflit et victimisation : présence du conflit et de la victimisation à différents niveaux, selon les points de vue de différentes personnes, selon les différents moments d’une situation. Ainsi, les processus symétriques et complémentaires s’enchevêtrent et s’enchaînent au sein d’une situation présentée comme du harcèlement moral, mais qui, à nouveau, est composée de formes bien plus diverses de relations de travail pathogènes qui entrent en interactions entre elles et avec les différents éléments de contexte.










SIXIEME PARTIE :

Discussion
1. La dimension idéologique de l’étude du harcèlement moral au travail : notre positionnement



D’abord mis en lumière de manière presque militante par les premiers chercheurs et journalistes qui se sont penchés sur la question, puis déconstruit et critiqué avec tout autant de virulence par ses détracteurs, le harcèlement moral constitue un sujet aux enjeux idéologiques et politiques considérables comme en témoigne la véritable tourmente médiatique (Askenazy, 2004, p. 35) qui a lieu encore aujourd’hui autour de cette question.

Ce débat passionné sur le harcèlement a connu des prolongements jusque dans la vie parlementaire, notamment en Belgique où les travaux préparatoires de la Loi du 11 juin 2002 montrent à quel point se jouaient là des enjeux qui dépassent la simple prise en charge d’une forme de souffrance au travail, certes préoccupante, mais malgré tout relativement marginale.

Ainsi, étudier le harcèlement moral soulève d’emblée une question de positionnement social et personnel qui dépasse le choix scientifique. Favoriser un angle d’approche socio-économique, organisationnel, groupal, interpersonnel ou personnel est porteur d’une vision du monde qui ne peut être détachée d’un projet politique ou idéologique. Les auteurs qui ont abordé la question sous l’angle socio-économique ont, nous l’avons vu, développé un discours critique sur le système capitaliste actuel et plus particulièrement sur le primat des logiques économiques qu’ils accusent de générer voire de stimuler l’apparition de la souffrance au travail. Assez logiquement, ils ont insisté sur les formes collectives de harcèlement davantage que sur les situations « isolées ». Les tenants de l’approche organisationnelle dite fonctionnaliste, qui ont plutôt tendance à attribuer le harcèlement à des facteurs plus conjoncturels liés à l’organisation du travail, se sont positionnés généralement dans une logique « gagnant – gagnant », d’ « efficacité dyadique » dirait-on dans le cadre de la gestion des conflits. Pour eux, combattre le harcèlement est bénéfique tant pour l’organisation que pour les individus puisque les uns comme les autres en sont les victimes. Ils ont insisté sur les effets de « dérive » qui conduisent à ce qui est pour eux un « accident » des relations de travail. Ils se situent ainsi en quelque sorte du côté des personnes et des organisations, souvent dans une « logique managériale ». Les approches interpersonnelles et personnelles, enfin, ont posé la question des mécanismes relationnels, de la responsabilité des individus, de leurs capacités à s’adapter, de leurs traits et caractéristiques psychologiques ou psychopathologiques. Selon les auteurs qui ont abordé la question sous un angle socio-économique, elles participent ainsi à une logique plus libérale.

D’autre part, l’étude de harcèlement moral est généralement liée à des préoccupations transversales révélatrices des contradictions qui traversent aujourd’hui le monde du travail, contradictions qui se radicalisent et contribuent à éclairer l’émergence du débat public sur le harcèlement moral (Lhuilier, 2005, p. 128). Les auteurs expriment donc des prises de positions qui dépassent la question du harcèlement.

Parmi les plus fréquemment exprimées, on peut citer la lutte contre les discriminations, notamment celles faites aux femmes ; la promotion du respect, de l’éthique, du comportement citoyen en entreprise ; la lutte contre l’ultra-libéralisme et les nouvelles formes de management et de pression au travail ; la lutte contre le psychologisme et la réhabilitation des combats collectifs ; la recherche de rentabilité par le développement de relations de travail économiquement efficaces et la lutte contre le gaspillage des ressources humaines ; l’amélioration de la qualité de vie et du bien-être individuel au travail.

Etudier le harcèlement moral au travail ne constitue donc pas un projet neutre sur le plan idéologique. Il était donc important pour nous, dans un premier temps, de prendre du recul par rapport à ces prises de position qui nourrissent les études sur le harcèlement. C’est pourquoi nous avons décidé de réaliser une approche théorique qui intégrait aussi bien la littérature en psychologie du travail et des organisations que la littérature en psychologie clinique, en sociologie, ainsi que des approches plus juridiques, économiques ou issues des sciences de la gestion.

En procédant de la sorte, nous avons dû surmonter deux obstacles. Le premier obstacle à franchir était, en partant d’une approche qui rendait compte de multiples points de vue, de ne pas « noyer » notre propre projet, ce qui aurait conduit à masquer les valeurs qui sous-tendent notre travail. En effet, nous ne pouvons évidemment prétendre nous situer sans idéologie, sans a priori. C’est pourquoi, dans l’introduction de notre travail, nous avons précisé quel était notre positionnement par rapport à la littérature actuelle. Ce qui a sous-tendu notre approche tout au long de ce travail, c’est de mettre en lien des théories, des approches, des conceptions contrastées et parfois antinomiques du phénomène de harcèlement moral au travail. Tant la « multifocalité » de l’approche théorique que le caractère « multi-niveaux » du Modèle d’Analyse ou encore la diversité des approches de terrain avaient pour but de créer ce dialogue entre disciplines qui nous semblait manquer dans l’étude du harcèlement. Ainsi pourrait donc se résumer le projet qui sous-tendait notre travail : faire se parler les différentes approches et conceptions du harcèlement moral au travail. Cela étant, il est évident que certaines approches et sémantiques disciplinaires ont été favorisées dans la synthèse personnelle que nous avons réalisée. Notamment, les approches psychosociologiques et systémiques, par l’utilisation des travaux d’Ardoino et de Bateson, ont incontestablement constitué des cadres de pensées qui ont conditionné notre manière d’intégrer les différentes théories et données issues des cas.

Le deuxième obstacle était lié au fait que, si cette mise en lien a été particulièrement stimulante, le corpus de connaissances associé à un nombre aussi important de courants théoriques et d’approches praxéologiques constitue un ensemble d’une telle ampleur qu’il est impossible d’en rendre compte exhaustivement. Nous avons donc circonscrit notre description des approches et théories à ce qui s’avérait pertinent pour l’étude du harcèlement moral. La consistance de notre cadre tient donc à la construction d’une approche transversale d’un sujet particulier plutôt qu’à l’application d’une théorie particulière sur ce sujet. Néanmoins, pour permettre que toutes ces connaissances constituent un ensemble cohérent, et éviter ainsi que chaque approche constitue une réponse particulière à chaque cas, constituant lui-même un cas particulier incomparable aux autres, nous avons intégré l’ensemble du corpus à partir d’un positionnement épistémologique, la psychosociologie clinique.

Enfin, nous avons posé plusieurs choix fondateurs qui constituent le « liant » de notre travail : mettre en perspective plusieurs approches et niveaux de compréhension, intégrer la question du conflit, nous intéresser à toutes les situations qui se présentent comme étant du harcèlement, les étudier de manière approfondie. Tous ces choix ont évidemment orienté le recueil des données ainsi que les résultats, et ont eu pour effet de montrer une variété et une complexité importante des situations de harcèlement, ce qui constitue à nos yeux à la fois la dérive possible et la richesse de notre travail.



2. Les caractéristiques de l’échantillon : limites et intérêts



Comme nous l’avons annoncé en introdution, en comparaison avec les grandes études européennes menées par exemple par la Fondation Européenne pour l’Amélioration des Conditions de Travail, la taille de notre échantillon de recherche est restreinte. Procéder par des entretiens longs et opter pour une analyse approfondie plutôt que pour une évaluation de traits communs sur une large population limite évidemment la portée de nos résultats quantitatifs. Cela étant, notre recherche ne se limite pas à sa seule dimension qualitative puisque le nombre de victimes rencontrées permet l’identification et la quantification d’éléments descriptifs, d’éléments de contexte, de processus et de configurations. Il n’en reste pas moins que nos résultats ne peuvent prétendre à la généralisation statistique. Il ne fait aucun doute à nos yeux que tester le Modèle d’Analyse et quantifier les différents processus et configurations sur une population plus large constitueraient des prolongements opportuns à notre recherche.

Par ailleurs, la constitution de l’échantillon est un élément qui pose généralement problème dans les recherches sur le harcèlement moral au travail et la nôtre ne fait pas exception à la règle. En effet, recruter les sujets d’une étude sur le harcèlement moral au travail de manière strictement aléatoire est quasiment impossible.

La première raison tient au fait que, le phénomène étant marginal, il faut d’abord passer par une identification des personnes qui sont touchées par le processus, ce qui implique un tri de la population (a priori ou a posteriori) qui va d’emblée constituer un biais par rapport à une constitution strictement probabiliste de l’échantillon.

Plusieurs modes de sélection sont utilisés dans la littérature actuelle. Le premier est l’auto-identification : ce sont les personnes qui s’estiment elles-mêmes victimes de harcèlement qui font partie de l’échantillon de recherche. C’est cette méthode très répandue que nous avons utilisée dans la deuxième étape de notre travail. On trouve également la sélection sur base de filtres, c’est-à-dire que les chercheurs prennent contact avec des personnes qui, dans leurs réponses à des enquêtes qui portent éventuellement sur des sujets plus larges, répondent à ce qu’ils considèrent être des critères constitutifs du harcèlement. Ils procèdent alors à une investigation plus profonde sur cette population restreinte. Enfin, on trouve également un mode de sélection par le biais de relais, c’est-à-dire que l’on accède à la population via des démarches que les personnes ont posées dans une optique de résolution de leur situation. On sélectionne dans ce cas, par exemple, les personnes qui ont consulté pour des problèmes liés au harcèlement (c’est ce que nous faisons dans la première étape de notre étude, et de nombreux ouvrages et articles de cliniciens procèdent de la sorte), les personnes qui ont déposé plainte auprès d’une instance autorisée (c’est le cas par exemple dans l’étude de Brun et Kedl (2006)) ou encore les personnes dont les entreprises ont fait appel à un service pratiquant l’intervention ou la consultance (c’est cette démarche plus rare que nous avons utilisée dans la troisième étape de notre recherche).

Comme nous l’avons signalé précédemment en comparant nos divers modes d’accès aux sujets de notre étude, chacun de ces modes de sélection oriente la recherche et influencera les résultats.

D’autre part, le fait de recourir à une sélection aléatoire pose question quant à l’éthique de la recherche. Contacter des personnes qui n’auraient réalisé aucune démarche de réponse à un questionnaire ou une enquête, ou qui n’auraient effectué aucune demande d’aide peut poser problème par rapport à la participation libre et éclairée des sujets à la recherche, d’autant plus que nous touchons à une question qui est à la base de beaucoup de souffrances pour les individus.

Devant la quasi-impossibilité de construire un échantillon strictement probabiliste, notre choix a été de croiser les informations qui provenaient de trois modes de participation différents à notre recherche. Ce faisant, cela amène une limite à notre travail puisque les résultats issus des trois parties ne peuvent être considérés comme équivalents, restreignant ainsi possibilités de comparaison. En revanche, cela nous a permis de pouvoir constater les différences qui apparaissaient selon les trois modes en question, et spécifiquement selon deux modes de rencontres individuelles avec les victimes : l’entretien semi-directif et l’accompagnement clinique.



3. Le Modèle d’Analyse



3.1. La validation


Le Modèle d’Analyse constituant une création originale, il ne disposait d’aucune validité a priori. Conformément à la posture de psychosociologie clinique que nous avons adoptée, nous avons mis en œuvre une validation qualitative.

Le premier critère de validité du Modèle vient de sa création en référence à deux cadres théoriques à la fois solides conceptuellement et ancrés par des applications sur le terrain.

Ainsi, les niveaux d’intelligibilité du réel ont fait l’objet de nombreuses publications dans la suite des travaux d’Ardoino. D’autre part, les types de schismogenèse ont également fait l’objet d’études approfondies de la part de Bateson pour être ensuite repris par de nombreux auteurs et notamment par l’école de Palo Alto qui en a fait un des axiomes de la communication (Watzlawick, Beavin & Jackson, 1972).

Le deuxième critère de validité était que les différents éléments issus des différents cas puissent y être classés. Afin de procéder à la validation sur ce plan, nous avons développé une démarche en trois temps.

Dans la première étape de notre recherche, nous avons appliqué un modèle simple en cercles concentriques à deux entrées. Si celui-ci s’est avéré intéressant pour analyser et classer les processus relationnels, il a fait émerger également la nécessité de rendre compte plus finement de la complexité liée à l’enchevêtrement des processus.

C’est pourquoi, dans la deuxième phase de la recherche, nous avons utilisé et testé une nouvelle version du Modèle d’Analyse. Nous avons ajouté à cette démarche personnelle une validation par les pairs (cf. supra). Nous avons pu constater que des processus étaient présents dans toutes les zones, même si certaines étaient plus saturées que d’autres, ce qui a confirmé l’intérêt de les distinguer.

Enfin, en utilisant une nouvelle fois le Modèle sur une analyse de cas issue d’interviews en organisation, nous avons éprouvé son adaptabilité à une richesse et une complexité d’information supérieure. Nous avons pu confirmer à cette occasion que les différents fragments pouvaient être classés dans les différentes zones du Modèle. Cela étant, en termes d’amélioration du modèle, une structuration de la zone extérieure (zone 12) constituerait sans doute une démarche pertinente.

La validation statistique du Modèle constitue une voie de recherche riche d’intérêt à nos yeux pour des analyses ultérieures. Lors de la supervision du mémoire de Sophie Delvaux (2004) qui portait sur les trois dimensions des éléments constitutifs du harcèlement (conséquences pour la cible, comportements posés par l’auteur, déséquilibres des ressources), nous avons déjà eu recours à cette méthode de validation de conclusions qui ressortaient de nos analyses cliniques. Il ne fait aucun doute que poursuivre cette recherche dans la même optique par une validation des différentes zones du modèle serait du plus grand intérêt.


3.2. Perspectives d’intervention ouvertes par le Modèle d’Analyse


Bien que notre travail ne porte pas sur la question de l’intervention en situation de harcèlement moral au travail, notre Modèle d’Analyse ouvre des perspectives en la matière.

Intervenir sur une situation de harcèlement moral est une entreprise complexe et difficile. Au cours d’une recherche menée parallèlement à ce travail de doctorat (Faulx & Antonissen, 2006), nous avons inventorié les grandes pratiques d’intervention qui sont habituellement proposées aux personnes ou aux organisations confrontées au harcèlement moral au travail. Nous allons les passer brièvement en revue avant de montrer l’apport du Modèle d’Analyse dans une perspective d’intervention.

Le premier grand mode d’intervention identifié est l’approche individuelle. Il consiste à offrir aux victimes, et dans certains cas aux harceleurs, une aide personnalisée, des conseils, du coaching, une prise en charge du stress posttraumatique ou encore une démarche thérapeutique. Il constitue une première voie d’intervention largement pratiquée tant par des centres pluridisciplinaires (centres de santé mentale, cliniques du stress au travail, centres psycho-médico-sociaux pour les problèmes vécus au travail, …) que par des praticiens indépendants (psychologues, médecins, psychothérapeutes, …).

L’approche interpersonnelle constitue une deuxième modalité d’intervention qui comprend des pratiques comme la médiation, la conciliation ou l’arbitrage. Ces différents modes d’intervention constituent autant de tentatives de règlement de la situation par l’action d’une tierce partie auprès des protagonistes. Dans la Loi Belge, c’est un des rôles qui est dévolu aux personnes de confiance en harcèlement moral.

On trouve ensuite l’intervention sur les équipes de travail, avec des actions comme l’accompagnement d’équipe, le débriefing posttraumatique en groupe, le coaching groupal, les techniques d’expression, les techniques de gestion des conflits en groupe (Faulx, Delvaux & Horion, 2006).

Enfin, on peut ajouter un quatrième mode d’intervention qui porte sur l’organisation et notamment via des actions sur les facteurs de risques, appelé aussi prévention primaire. En Belgique, c’est typiquement le rôle dévolu aux conseillers en prévention spécialisés dans les matières psychosociales.

3.2.1. Distinguer des lieux d’intervention : niveaux, facteurs et processus relationnels, types d’impact différents sur la situation

Comme tout modèle d’analyse, celui que nous avons développé propose une manière particulière d’ordonner les observations que l’on peut faire sur une situation, en l’occurrence ici une situation de harcèlement. Cette intention générale est fidèle à ce que propose Ardoino (1966) dans son Modèle d’Intelligibilité des Organisations, dont il dit qu’il ne prétend pas être autre chose qu’une certaine manière de mettre de l’ordre parmi les faits considérés (p. 105).

Dans une perspective d’intervention, le premier apport de notre Modèle d’Analyse réside dans le fait qu’à partir de cette mise en ordre des observations, il est possible de rendre compte de ces grands modes d’intervention tout en en proposant une vision plus complète et plus nuancée. Il attire ainsi l’attention de l’intervenant sur douze zones, chaque zone pouvant être considérée par l’intervenant comme un « lieu » possible d’intervention, c’est-à-dire une composante de la situation sur laquelle il peut mettre en œuvre une action. Cela va permettre plusieurs distinctions utiles pour l’intervention, comme nous allons le montrer dans les lignes qui suivent.

La zone 1 comprend les modes d’intervention individuels que l’on peut pratiquer avec le harceleur présumé pour agir sur ses processus personnels : l’aider à réfléchir, l’amener à mettre en place d’autres modes d’intervention, élargir son point de vue sur la situation en prenant conscience de l’effet de ses actes sur la victime, …

La zone 2 renvoie à l’intervention auprès des victimes : soutien, support, psychothérapie, coaching, accompagnement, gestion du stress et autres techniques plus spécifiques encore (Faulx, 2006a ; Faulx 2006b).

La zone 3 recouvre la zone d’intervention interpersonnelle : médiation, conciliation et arbitrage en font partie (Horion, Devacht, Faulx & Delvaux, 2006).

Dans la zone 7, on trouve ce qui a trait à l’intervention sur l’équipe ou le groupe de travail : interventions destinées à transformer la dynamique groupale, sensibilisation, formation, coaching d’équipe, supervision, … (Faulx, Delvaux & Horion, 2006)

Dans la zone 11, on trouve le travail sur les processus relationnels ayant cours dans l’organisation : sensibilisation du management, travail sur les pratiques managériales, conseils aux dirigeants, définitions de normes éthiques, établissement de chartes de comportements,...

Le périmètre extérieur renvoie à tout ce qui concerne les facteurs de risques groupaux ou organisationnels. Ceci permet une première distinction utile entre des facteurs groupaux et organisationnels (zone 12 – périmètre extérieur) et des processus relationnels groupaux et organisationnels (zones 7 et 11).

Le Modèle attire en outre l’attention sur d’autres zones d’intervention possible. Les zones 4, 5 et 6 concernent tout ce qui a trait aux comportements du groupe par rapport à la situation de harcèlement et plus généralement aux processus qui interviennent entre le groupe et les protagonistes de cette situation. Les interventions qui ont trait à cette zone peuvent ressembler à celles que l’on pratique avec le groupe (zone 7), si ce n’est qu’ici, elles visent plus particulièrement la problématique d’une relation harcelante alors que dans l’autre cas, elles visaient le groupe en général. Le même raisonnement s’applique pour les zones 8, 9 et 10 puisque dans celles-ci, l’intervention sur l’organisation concerne spécifiquement son comportement par rapport à la situation de harcèlement. C’est une deuxième distinction qui découle du Modèle, celle de la différenciation entre des processus relationnels globaux, dont on sait qu’ils peuvent influencer la problématique du harcèlement, et des processus relationnels directement liés à la situation.

En étudiant les processus à l’œuvre dans une situation de harcèlement, l’intervenant pourra donc conceptualiser, à l’aide du Modèle, les zones dans lesquelles il considère le plus pertinent de situer son intervention. Comme nous l’avons vu, le Modèle met en lumière également que, bien que ces zones interagissent les unes avec les autres, il est différent d’agir sur la relation de harcèlement elle-même, sur des processus ayant en cours « indépendamment » de la situation de harcèlement (que ce soit chez une personne, un groupe ou une organisation), sur des processus individuels, groupaux et organisationnels qui concernent la situation de harcèlement moral au travail, ou encore sur des éléments de contexte qui ne relèvent pas de processus relationnels.

3.2.2. Distinguer des modes relationnels 

L’identification des processus sur l’axe symétrie – complémentarité est un deuxième apport fondamental du Modèle d’Analyse pour les démarches d’intervention. En effet, pouvoir différencier les processus qui s’apparentent à l’hyperconflit et les processus qui relèvent de la victimisation conduit à des stratégies et des modalités d’intervention qui peuvent être radicalement différentes. Ainsi, dans les interventions sur des situations de conflits ou d’hyperconflits, où les forces sont équilibrées, la littérature actuelle prône l’efficacité dyadique, c’est-à-dire le fait que les deux parties soient gagnantes à l’issue de la résolution du conflit (Van de Vliert, Nauta, Giebels & Janssen, 1999). Or, la possibilité d’obtenir un tel résultat lorsque les forces en présence sont déséquilibrées et que la situation s’apparente à du harcèlement est nettement plus problématique.

En effet, comme le montrent Keashly et Nowell (2003, p. 354), appliquer le label de conflit (..) crée un sentiment de responsabilité partagée pour le harcèlement, amenant à ce que l’on attende de la victime qu’elle gère la situation elle-même ou, dans certains cas, qu’elle soit tenue pour responsable de l’hostilité manifestée par l’autre personne. Les auteurs ajoutent que la notion de responsabilité partagée peut être particulièrement perturbante si on applique certains principes des théories de la négociation à des situations de harcèlement. Cela peut même, selon ces auteurs, s’avérer désastreux pour la cible si elle est mise face à son incapacité à gérer le processus de négociation, contribuant ainsi à diminuer encore plus son sentiment de compétence comme travailleur et comme personne humaine (p. 355). Plus généralement, ces auteurs insistent aussi sur le fait que la victime peut ne pas être en mesure de participer à un processus de résolution comme la médiation par le fait qu’elle a tellement subi un déséquilibre de forces qu’elle devient incapable d’y entrer à armes égales. Selon Keashly et Nowell (2003), dans ce genre de cas, la médiation peut être inappropriée et même dangereuse (p. 353).

Enfin, ces auteurs insistent sur un autre enjeu de la distinction entre situations équilibrées et déséquilibrées : le fait que dans les démarches d’intervention, particulièrement s’il s’agit d’une médiation, les personnes acceptent généralement de se focaliser sur le futur et de ne pas engager d’actions relatives aux faits passés, notamment des actions en justice. Or, s’il y a eu de la violence exercée de manière unilatérale, la question de la légitimité de soustraire les faits violents à « l’examen minitieux par le public » se pose de manière particulièrement aigue.

Pour toutes ces raisons, on voit que l’intervention sur des situations équilibrées ou déséquilibrées amène à des stratégies et à une éthique de l’intervention qui peuvent être extrêmement différentes, d’où l’utilité de disposer d’un modèle qui les met en perspective.

3.2.3. Comprendre les résonances et approcher la situation de manière dynamique

L’étude des phénomènes de résonance constitue une autre source d’information importante dans la préparation et la conduite d’une intervention. Comprendre la nature des rétroactions, positives ou négatives, permet en effet de conceptualiser comment la situation peut s’aggraver en fonction des différents processus et éléments de contexte et sur lesquels mettre la priorité de l’intervention. L’intervention peut alors avoir pour objectif de limiter des effets de rétroaction positive se produisant entre certains processus ou de créer des effets de rétroaction négative. En étudiant l’évolution des différents processus, éventuellement sous l’impact de ses actions, l’intervenant pourra également valider ses hypothèses sur les interactions entre les différents phénomènes ainsi qu’examiner quels processus et éléments de contexte sont en lien les uns avec les autres et dans quelle mesure ils s’influencent. Le concept de rétroaction permet donc une approche intégrative de l’intervention.

L’étude dynamique de la situation, c’est-à-dire l’examen des forces qui agissent en faveur ou défaveur des protagonistes, permet quant à elle de réfléchir à la manière dont les ressources contextuelles agissent autour du cas. Mener des actions qui auront pour effet de diminuer l’impact de forces qui entretiennent ou aggravent la situation constitue incontestablement un axe possible d’intervention dont des recherches ultérieures devraient vérifier la pertinence. Cette approche permet aussi d’attirer l’attention sur les risques de « retournement » de la situation dès lors que l’intervenant contribue à renforcer ou affaiblir l’un ou l’autre des acteurs.

Enfin, la prise en compte des différentes configurations décrivant différentes situations de victimes conditionne également le mode de prise en charge. Intervenir sur une situation dans laquelle la victime est dans un rapport de soumission auquel contribue le groupe et l’organisation n’implique pas le même accompagnement que celui que l’on peut proposer à une personne qui défend une position en étant soutenue par un groupe, par exemple.

Si notre Modèle d’Analyse, par nature, n’est pas un modèle d’intervention, il ouvre donc des perspectives sur cette question en proposant une manière d’aborder et d’étudier les situations de harcèlement moral qui permet de penser la complexité et la variété des situations, et qui met l’accent sur la multiplicité des niveaux d’interventions, l’importance des interactions qui existent entre les différents phénomènes et processus que l’on peut identifier à chaque niveau, l’existence de phénomènes de victimisation aussi bien que de relations conflictuelles ainsi que l’importance des équilibres et déséquilibres de forces. Ces éléments constituent à nos yeux autant de questions cruciales dans l’optique de mettre en œuvre une intervention sur une situation de harcèlement moral au travail, et plus généralement sur une situation de relation de travail pathogène.


3.3. Perspectives pour l’utilisation du Modèle d’Analyse dans d’autres contextes


Les situations de harcèlement moral au travail se caractérisent par trois traits particuliers : une relation interpersonnelle inégale, des conséquences pour une « cible », des actes hostiles posés par un agresseur.

Par extension, d’autres formes de relations inégalitaires qui sont à la source de souffrance et comprennent des actes hostiles pourraient être étudiées à l’aide de notre Modèle. Nous pensons ici plus particulièrement à deux contextes dans lesquels interviennent des relations inégalitaires et qui ont déjà fait l’objet de rapprochements théoriques avec le harcèlement moral au travail : le contexte familial et le contexte scolaire.

Concernant le contexte familial, nous nous référons plus particulièrement aux relations d’abus dans les familles, qui comportent cette différenciation complémentaire entre un auteur et sa victime (Perrone & Naninni, 1996). Le rapprochement entre relations abusives au travail et relations abusives sur la scène familiale est d’ailleurs explicitement fait par Hirigoyen dans son premier ouvrage sur le harcèlement moral (1998), ou plus récemment par Ancibure et Galan-Ancibure (2006).

Lorsque l’on applique notre Modèle au contexte familial, le groupe des collègues devient la fratrie (ou les pairs d’âge et de statut familial), et l’organisation est remplacée par les processus ayant cours dans la famille et la « hiérarchie » familiale (notamment les parents ou personnes assimilées). L’étude des phénomènes de résonance et l’évaluation de l’équilibre dynamique des forces procèdent de la même démarche que celle que nous avons proposée pour l’étude des situations se déroulant de contexte professionnel.

Au delà de l’analogie entre les deux phénomènes (souffrance, violence, déséquilibre relationnel), l’intérêt de l’application du Modèle au contexte familial vient du fait que des questions identiques se posent dans les problématiques d’abus familial et de harcèlement au travail, comme l’enchevêtrement de relations équilibrées (notamment les conflits entre parents) et de relations déséquilibrées, spécifiquement la violence à l’encontre, le plus souvent, des enfants et du conjoint féminin (Jaffe, Crooks & Bala, 2006). Ainsi, Jaffe, Austin et Poisson (1995) montrent l’existence de violence familiale dans la majorité des cas où les séparations sont hautement conflictuelles, et Straus et Gelle (1990) insistent sur le fait que la violence conjugale (entre conjoints, qu’elle soit unilatérale ou équilibrée) et les mauvais traitements infligés aux enfants (situation de victimisation) se produisent souvent dans la même famille. Hoffman et Edwards (2004), pour leur part, montrent que la présence de la violence conjugale fait augmenter la probabilité d’abus entre frères et sœurs. Tout comme dans les cas que nous avons étudiés en contexte professionnel, des relations qui peuvent relever de l’hyperconflit ou de la victimisation se manifestent à des niveaux différents (entre conjoints, entre parents et enfants, entre frères et sœurs), et s’enchevêtrent pour donner aux situations tout leur potentiel destructeur. Concernant plus spécifiquement la distinction entre des relations symétriques ou complémentaires, on peut mentionner Graham-Bermann et al. (1994) qui affirment que les parents peuvent considérer la violence entre frères et sœurs comme mutuelle et donc ne pas prendre en compte les rôles possibles de l’agresseur et de la victime qui existent lorsque la violence a cours au sein de la fratrie. Il existe donc bien, dans l’étude de la violence familiale, des enjeux proches de ceux que nous avons montrés dans l’étude du harcèlement moral au travail : distinguer et mettre en relation les processus relationnels sources de souffrance qui se déroulent à divers niveaux, distinguer et mettre en relation les processus de type symétrique et de type complémentaire, montrer les différentes interactions entre tous ces processus.

Notre Modèle peut également être appliqué à un autre milieu dans lequel les relations de victimisation constituent une problématique importante : le contexte scolaire. La filiation entre les études sur le bullying à l’école et celles sur le harcèlement moral au travail est d’ailleurs directe, comme en témoigne l’influence des travaux d’Olweus dont le concept, justement, de bullying a été repris par la plupart des auteurs anglo-saxons qui ont étudié le harcèlement moral au travail.

Si on applique notre Modèle au harcèlement à l’école, la zone correspondant au groupe des collègues devient les pairs, autrement dit les condisciples de l’élève. La zone de l’organisation correspond à l’organisation scolaire, c’est-à-dire à la fois aux modes d’organisation ayant cours dans le système scolaire et à ce qui concerne la hiérarchie, à savoir l’enseignant, la direction, l’inspection, le Pouvoir Organisateur.

Schuster (1996) a mis en lien les résultats des recherches sur le rejet, l’exclusion et le harcèlement au travail et à l’école. Il y montre notamment que les deux littératures (celle sur le harcèlement moral au travail et celle sur le harcèlement à l’école) se sont développées de manière isolée, mais se réfèrent à un phénomène identique. Les questions posées dans l’étude du harcèlement au travail et dans celle du harcèlement à l’école se recoupent donc largement.

Cet article montre en outre que les littératures se focalisent sur des explications différentes. En l’occurrence, la littérature sur le harcèlement moral au travail se centre sur l’environnement de travail alors que celle sur le harcèlement à l’école se penche davantage sur la personnalité des agresseurs. Schuster plaide à cette occasion pour une intégration des deux cadres théoriques afin de mieux comprendre les deux phénomènes. Dans cette optique, notre Modèle pourrait constituer un cadre commun à des réflexions sur des relations pathogènes survenant à l’école comme au travail.

Ces deux contextes, le contexte familial et le contexte scolaire, constituent donc deux terrains sur lesquels notre Modèle d’Analyse pourrait être appliqué, éprouvé, testé. Ceci ouvre sur d’enthousiasmantes perspectives de croisement de savoir et de pratiques issus de disciplines qui, bien qu’elles se réfèrent à des phénomènes proches, restent encore fortement cloisonnées entre elles.









SEPTIEME PARTIE :

Conclusions
1. Résultats : les points-clés



A chaque étape de notre travail, nous avons présenté des conclusions qui progressaient au fur et à mesure que le chemin de notre recherche avançait. Dans cette partie, nous allons reprendre l’ensemble des conclusions qui ressortent de la partie pratique sous forme de points-clés classés par gammes de résultats.

Concernant les éléments statiques des situations de harcèlement moral au travail :
Les situations de harcèlement moral au travail ont pour conséquence de perturber le fonctionnement physique, psychologique, professionnel et social des personnes qui en sont les victimes. Certaines de ces conséquences sont manifestes et entraînent une perturbation très grave. D’autres sont plus discrètes mais néanmoins importantes pour la vie de la personne.
Les personnes présentent le plus souvent des conséquences sur plusieurs domaines touchant à leur bien-être.
Certaines conséquences du harcèlement sont proches ou identiques aux conséquences observées dans les cas d’hyperconflit.
Les comportements de harcèlement sont très variés et les situations présentent le plus souvent au moins quatre types de comportements de harcèlement qui se combinent entre eux. Les catégories les plus représentées sont les brimades et la mise en échec professionnelle.
Les liens entre les comportements de harcèlement et les conséquences sont de trois ordres : un lien direct, avec des comportements dirigés contre la victime, un lien indirect, amenant à une autonomisation du processus c’est-à-dire qu’il peut y avoir des conséquences néfastes pour la cible sans que le harceleur ne pose d’acte hostile, et un lien « par défaut », qui porte des effets par absence de comportements attendus c’est-à-dire qu’il peut y avoir harcèlement sans que le harceleur ne pose d’acte.
Le milieu professionnel, par les multiples ressources (humaines et matérielles) qu’il contient, permet une grande diversité des comportements de harcèlement, notamment dans les catégories mise en échec professionnel et utilisation de tiers.
Les copings utilisés par les victimes peuvent s’intégrer dans une stratégie d’adaptation voire de soumission, ou au contraire dans une stratégie de contre-attaque ou d’affrontement. Ainsi, les copings peuvent participer au développement d’une relation de victimisation entre harceleur et harcelé ou au contraire contribuer au développement d’une relation hyperconflictuelle.
Les copings en situation de harcèlement moral au travail diffèrent en partie des copings en situation de stress au travail notamment par le fait que le « stimulus » est une autre personne, ce qui amène à une grande présence des copings de communication.
Les copings les plus fréquents sont « faire appel à des tiers » et « communiquer ». Ils peuvent s’intégrer tant dans une stratégie globale de soumission que d’affrontement. Le milieu professionnel, par les multiples ressources qu’il contient, permet une grande diversité des copings.
Les collègues et la tâche apparaissent comme des médiateurs essentiels tant des comportements de harcèlement que des stratégies de coping. Ils sont en quelque sorte « utilisés » dans le cadre de la relation entre harceleur et harcelé.
Les conséquences, comportements et copings constituent des catégories sémantiques qui peuvent faciliter la mise en forme du discours sur le harcèlement, mais s’avèrent limitées pour rendre compte de la complexité des phénomènes. Pour appréhender cette complexité, il est nécessaire de dépasser cette division. En effet, l’étude des situations montre que les comportements et les copings s’entremêlent pour constituer un processus relationnel bilatéral ; et que les copings et les conséquences constituent deux facettes de l’ajustement comportemental de la victime. La distinction est donc en partie artificielle et contribue à isoler les comportements des acteurs, rendant difficile une appréhension processuelle et dynamique des situations.

Concernant les processus relationnels :
Les processus personnels les plus fréquemment observés sont, pour le harceleur, la poursuite d’enjeux personnels, et pour le harcelé, la défense de valeurs sociales ou personnelles.
Les processus qui caractérisent la relation entre le harceleur et le harcelé relèvent plus souvent de la relation équilibrée (symétrique) que de la relation déséquilibrée (complémentaire). Du point de vue interpersonnel, les situations de harcèlement relèvent plus souvent de l’hyperconflit que de la victimisation.
Les copings ont pour effet de confirmer le processus relationnel plutôt que de le transformer.
Les processus groupaux et organisationnels sont de deux types : certains concernent directement la situation de harcèlement moral en agissant sur l’équilibre des forces entre les protagonistes, d’autres constituent des contextes relationnels, c’est-à-dire des processus ayant cours dans l’organisation ou dans le groupe et dont l’influence sur la situation de harcèlement est indirecte.
Lorsque les contextes relationnels agissent sur la situation de harcèlement moral ou sur ses protagonistes, c’est par l’intermédiaire de processus médiateurs, c’est-à-dire en créant des processus groupaux ou organisationnels qui agissent directement sur les protagonistes.
Au sein des contextes relationnels, on peut distinguer des processus symétriques et des processus complémentaires. Pour les processus groupaux et organisationnels qui agissent sur la situation de harcèlement, il sera plus pertinent de parler de processus symétrisants (qui jouent un rôle d’équilibrage de la relation) et de processus complémentarisants (qui jouent dans le sens de déséquilibrer la relation au profit du harceleur).
S’agissant du niveau groupal, les processus complémentarisants sont dominants du point de vue qualitatif et quantitatif.
Parmi les processus groupaux complémentarisants, qui nuisent à la victime ou renforcent le harceleur, l’hostilité à l’encontre du harcelé est celui qui est le plus représenté. Parmi les processus groupaux symétrisants qui agissent en faveur de la victime ou en défaveur du harceleur, c’est le soutien passif qui est le plus souvent représenté, c’est-à-dire que c’est la moins patente des manifestations de soutien qui est prépondérante dans cette catégorie.
Les processus organisationnels sont en très large majorité complémentarisants. Soit ils nuisent au harcelé (contribution au processus de harcèlement, banalisation), soit ils sont favorables au harceleur  (renforcement des comportements du harcelé, politiques organisationnelles, absence de réaction de l’organisation, absence de rétroaction du pouvoir exercé par le harceleur, relations incestuelles au bénéfice du harceleur).
De manière plus générale, si les processus du niveau interpersonnel sont plus souvent symétriques, les processus des niveaux groupal et organisationnel qui interviennent autour de la situation penchent au contraire plus souvent dans le sens de la complémentarisation.
Les contextes relationnels au niveau organisationnel sont aussi bien symétriques que complémentaires.
Les contextes relationnels au niveau groupal sont essentiellement symétriques. La complémentarité au niveau groupal se joue essentiellement autour de la relation de harcèlement, ce qui amène le groupe à ne présenter que très rarement des situations de déséquilibre à côté de cette relation.
Les contextes qui ne concernent pas des processus relationnels dont la fréquence d’apparition est la plus grande sont le groupe en souffrance au travail et le changement organisationnel.

Concernant les phénomènes de résonance :
Les interactions (ou résonances) entre les processus se caractérisent dans la grande majorité des cas par des effets de rétroaction positive, c’est-à-dire que les processus se renforcent réciproquement.
Les rétroactions positives se produisent aussi bien entre des processus relevant du même mode relationnel (complémentaire ou symétrique) qu’entre des processus de modes relationnels différents.
Il existe un cas de rétroaction négative : lorsque le processus interpersonnel est complémentaire et que les processus groupaux et organisationnels sont symétrisants. L’organisation et le groupe diminuent dans ce cas l’inégalité de la relation. Cette situation a été identifiée au sein de la configuration du sauvé.
Un autre cas de rétroaction négative est apparu : au sein de la configuration du représentant, lorsque l’organisation se montre hostile au harcelé, cela peut dans certains cas diminuer le soutien du groupe dont il bénéficie.
Les processus interpersonnels, groupaux et organisationnels entretiennent entre eux des rapports synergiques de rétroaction positive, c’est-à-dire que, mis à part les deux exceptions que nous venons de mentionner, les processus interpersonnels, groupaux et organisationnels se renforcent les uns les autres, conduisant les situations vers des degrés de conflictualité ou de victimisation toujours plus élevés.
Les contextes relationnels symétriques et complémentaires renforcent les processus de la situation de harcèlement. Dans le cas des contextes symétriques, c’est en faisant de la relation interpersonnelle un enjeu du conflit organisationnel, en plaçant les personnes dans des situations de double contrainte, ou encore en stimulant l’apparition de relations fondées sur la rivalité ou la concurrence que cela va contribuer à intensifier la relation problématique entre harceleur et harcelé. Dans celui des contextes relationnels complémentaires, c’est par un effet de création de norme que des relations violentes vont se trouver stimulées.
On observe un lien entre maltraitance managériale et laisser-faire du groupe.
Mis à part le lien précité, les contextes relationnels renforcent aussi bien des processus relevant du même mode relationnel que de modes relationnels différents. Ils contribuent donc plutôt à créer une relation problématique en général qu’une relation d’un mode particulier. La notion de facteur de risque porte donc sur les relations de travail pathogènes en général plutôt qu’uniquement sur les situations de harcèlement moral au travail.
Les éléments de contexte agissent comme des amplificateurs des processus et des phénomènes de résonance. Ainsi, ces éléments de contexte, plutôt que de provoquer des processus symétriques ou complémentaires, renforcent les processus et résonances existants.

Concernant les configurations :
Les situations de harcèlement moral au travail mêlent des processus à caractère hyperconflictuels (symétriques) et des processus relevant de la victimisation (complémentaires).
Les différentes manières dont s’articulent des processus symétriques et complémentaires au sein des situations de harcèlement moral au travail créent des configurations de victime différentes les unes des autres.
On peut identifier cinq configurations qui correspondent à cinq profils de victimes très différents au sein des situations de harcèlement moral : la victime-type, le héros malgré lui, le combattant isolé, le porte-parole et le sauvé.
Chacune de ces configurations donne une légitimité aux personnes pour se sentir victime de harcèlement moral au travail. Cette légitimité peut provenir soit de la l’asymétrie de la relation interpersonnelle, soit du fait que, dans le cadre d’une relation symétrique sur le plan interpersonnel, la victime perçoit que l’autre bénéficie du soutien de l’organisation et/ou du groupe.
Ces différentes configurations éclairent pourquoi des personnes peuvent se sentir harcelées même si la relation interpersonnelle avec le harceleur est symétrique.
Les différences de perception entre victimes et harceleurs résultent de la prise en compte de niveaux différents de la situation. Ceci explique tant les « erreurs de jugement » des victimes et que l’« incompréhension » des harceleurs.
Les configurations sont à ce point diverses qu’il est tout à fait possible que les harceleurs se sentent eux aussi dans la position du harcelé. Ainsi, dans une situation, on peut avoir les deux protagonistes qui se sentent harcelés en se référant à des configurations différentes.
On peut décrire les modalités de liens entre les processus symétriques et complémentaires de quatre manières : apparition de la symétrie et de la complémentarité sur un même niveau, ce qui crée une ambivalence (cette configuration est appelée mixte, avec un niveau qui est à la fois symétrisant et complémentarisant), apparition de la symétrie et de la complémentarité à des niveaux différents (configuration dite hybride), apparition de la symétrie et de la complémentarité à travers le temps (passage d’une configuration à une autre), apparition de la symétrie et de la complémentarité en fonction de la lecture des différents protagonistes (différences de représentations entre les acteurs).
Les configurations évoluent avec le temps.
Les changements organisationnels et groupaux peuvent bousculer les systèmes de légitimité, les rapports de forces, la culture de l’organisation, et transformer ainsi les configurations.


2. Du harcèlement moral à la relation de travail pathogène : pour une psychosociologie clinique des relations de travail pathogènes



2.1. Vers la notion de relations de travail pathogène



Le harcèlement moral au travail définit un phénomène spécifique au caractère exceptionnel. Or, cette expression est utilisée aujourd’hui pour rendre compte de problèmes vécus au travail qui débordent largement son cadre conceptuel. Ceci pose plusieurs problèmes. D’abord, le fait que la notion de harcèlement se soit imposée sur la scène politique, juridique et médiatique rend toute accusation pour harcèlement particulièrement difficile à gérer, et les enjeux des plaintes, notamment, sont considérables pour les individus comme pour les organisations. Ensuite, le harcèlement propose une vision des choses qui constitue souvent un obstacle voire un frein à l’intervention et à l’étude scientifique de la complexité par la présence d’une sémantique marquée par un clivage rigide entre harceleur et harcelé. Comme le disaient déjà Perrone et Nannini (1996) dans le contexte de l’étude des abus familiaux, un champ dont nous avons montré qu’il entretienait des liens étroits avec celui du harcèlement moral au travail : il est nécessaire d’utiliser une théorie et un langage qui permettent le changement. (…). Ainsi, nulle « victime » se sortira de son statut si elle ne peut entrevoir en quoi elle participe de ce statut et donc sa modification ; nul « bourreau » ne pourra sortir de son état s’il ne peut entrevoir la liberté qu’il a de le faire. Les mots de bourreau et de victime sont donc à eux seuls un enfermement. Ils amputent de toute possibilité d’évolution (p. 16).

D’un autre côté, selon Leymann (1996a), nommer le harcèlement est utile socialement parce que cela permet aux victimes de remettre en question un discours pathologisant à leur égard. Ce qui a été nommé devient compréhensible, ce qui est compréhensible est plus acceptable (p. 18).

Le concept de harcèlement moral au travail semble donc nous placer dans une forme d’impasse. En effet, d’un côté, y faire référence stériliserait les possibilités d’intervention et de compréhension, mais de l’autre, ne pas y faire référence pourrait priver les victimes d’une reconnaissance à laquelle elles aspirent. 

Cette apparente antinomie peut être dépassée dès lors que l’on crée, d’une part, une grande catégorie qui rend compte de tous les phénomènes apparentés au harcèlement moral, permettant ainsi qu’ils soient différenciés et reconnus en tant que tels, en conservant cette appellation pour les situations qui en relèvent spécifiquement. Il est donc utile, tant dans une perspective d’intervention que dans une perspective scientifique, d’élargir notre univers conceptuel, théorique et praxéologique.

C’est pourquoi nous avons proposé dans le cours de ce travail de parler de relations de travail pathogènes que nous avons définies comme des situations dans lesquelles une personne ressent une souffrance ou un mal-être lié aux relations qu’elle entretient au travail ou en lien avec celui-ci.

2.2. Le harcèlement moral au travail et les autres relations de travail pathogènes

Pour situer le harcèlement moral au travail au sein de cette catégorie conceptuelle, on peut le définir comme une souffrance engendrée par une relation interpersonnelle au sein de laquelle s’exerce une violence venant d’une personne à l’encontre d’une autre. Il s’agit donc d’une relation de travail pathogène intervenant au niveau interpersonnel. Ceci ne revient pas à nier l’importance des facteurs contextuels, du groupe et de l’organisation. Au contraire, cela permet de replacer leur influence, notamment par l’observation des résonances et l’étude des configurations. D’autre part, la violence exercée se déroulant de manière unilatérale ou en tout cas déséquilibrée, on peut donc dire que le harcèlement moral constitue une relation de travail pathogène intervenant au niveau interpersonnel et à caractère complémentaire.

En utilisant les deux axes de notre Modèle d’Analyse, on peut donc différencier d’une part des relations de travail pathogènes qui sont interpersonnelles, groupales ou organisationnelles, et d’autre part différencier des relations de travail pathogènes à caractère symétrique et des relations de travail pathogènes à caractère complémentaire.

A partir de là, plusieurs types de situations apparaissent. Le cas du bouc émissaire revêt ici le statut de relation de travail pathogène complémentaire intervenant au niveau groupal. En effet, il s’agit de la situation d’une personne qui se trouve victimisée dans une relation inégalitaire avec un groupe. La relation est donc bien unilatérale et se déroule au niveau groupal. On peut ajouter l’emprise groupale ou le bizutage qui ont pour point commun cette relation inégalitaire entre un groupe et une personne qui provoque de la souffrance pour ce dernier.

Les cas de maltraitance managériale, de violence organisée, de politique d’éviction systématique de certaines catégories du personnel, que l’on appelle parfois harcèlement collectif et que nous avons rencontrés dans notre échantillon, entrent dans les relations de travail pathogènes intervenant au niveau organisationnel.

Dans les relations de travail pathogènes à caractère symétrique, le concept d’hyperconflit peut rendre compte des situations qui sont marquées par les phénomènes que nous avons mis en lumière tant dans l’approche théorique que dans les résultats des différentes études de cas. On peut ainsi parler d’hyperconflit au niveau interpersonnel lorsque deux personnes sont impliquées dans une relation symétrique à haut niveau conflictuel qui est source de souffrance pour elles, d’hyperconflit groupal pour rendre compte des affrontements entre un individu et un groupe ou entre deux groupes, d’hyperconflit organisationnel lorsque deux tendances de l’organisation s’affrontent.

Ces différentes formes de relations de travail génératrices de souffrance au travail peuvent se combiner, s’entremêler, entrer en interaction. Les distinguer constitue donc une voie pour éviter la confusion.

SymétriqueComplémentaire InterpersonnelHyperconflit interpersonnelHarcèlement moral au travail
Emprise interpersonnelle
Violence interpersonnelleGroupalHyperconflit groupalBouc émissaire
Emprise groupale
BizutageOrganisationnel Hyperconflit organisationnelMaltraitance managériale
Emprise organisationnelle
Discriminations Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 22 : Types de relations de travail pathogènes


2.3. Pour une psychosociologie clinique des relations de travail pathogènes

Les relations de travail, et plus particulièrement les relations de travail qui génèrent de la souffrance pour les individus, constituent un vaste champ d’investigation pour de nombreuses disciplines et particulièrement la sociologie, la psychologie des organisations, la psychologie clinique et les sciences de la gestion. Carrefour des souffrances sociales et individuelles, elles sont souvent regroupées aujourd’hui sous le vocable commun de harcèlement moral. Il nous apparaît indispensable que le monde scientifique se penche sur toutes ces relations de travail pathogènes.

Notre travail nous a conforté dans la conviction que, en tant que position épistémologique et praxéologique, la psychosociologie clinique fournit un cadre intéressant pour penser et agir sur ces situations. En effet, en mettant au centre de ses préoccupations la manière dont les individus et les groupes sont capables de sortir de leurs déterminations sociales et psychiques et les modes d’articulation qui peuvent s’établir entre l’individuel, le groupal et le sociétal, elle constitue à nos yeux un mode d’appréhension capital de tous les mal-être au travail, et notamment les mal-être relationnels.

C’est pourquoi, par notre travail portant sur le harcèlement moral et l’hyperconflit au travail, nous espérons contribuer au développement d’une psychosociologie clinique des relations de travail pathogènes, que nous entendons comme une approche intégrative, processuelle et dynamique des situations dans lesquelles une personne ressent une souffrance ou un mal-être lié aux relations qu’elle entretient au travail ou en lien avec celui-ci.









HUITIEME PARTIE

Compléments
Glossaire des termes spécifiques à ce travail



Complémentarisation : effet de renforcement de la domination du harceleur sur le harcelé, soit par le renforcement du harceleur, soit par le déforcement du harcelé.
Configuration : mode de répartition des différents processus au sein du Modèle d’Analyse.
Configuration archétypale : configuration au sein de laquelle tous les processus relèvent du même mode relationnel.
Configuration hybride : configuration au sein de laquelle tous les processus d’un même niveau relèvent du même mode relationnel, mais dans laquelle il apparaît des différences de mode relationnel entre les niveaux.
Configuration mixte : configuration au sein de laquelle un ou plusieurs niveaux présentent des processus appartenant aux deux modes relationnels.
Effet Larsen : renforcement réciproque entre deux processus. Correspond à une rétroaction positive.
Eléments statiques : données de bases issues des cas, à savoir d’une part des informations signalétiques (genre des protagonistes, secteur et type d’activité, position hiérarchique des protagonistes), et d’autre part des informations relatives au cas (conséquences pour la victime, comportements du harceleur, stratégies de défense de la victime).
Dynamique (approche) : étude des équilibres ou déséquilibres de forces qui se jouent dans une situation.
Hyperconflit : conflit de haute intensité (voir caractéristiques et indicateurs).
Intégrative (approche) : étude de la manière dont différents processus s’influencent entre eux et se répondent réciproquement.
Processus relationnel : ensemble de comportements des acteurs – qu’il s’agisse d’individus, de groupes ou d’ensemble plus larges - qui interagissent entre eux pour constituer un processus relationnel global dont on peut caractériser le mode de fonctionnement.
Processuelle (approche) : manière d’étudier les situations visant à dépasser les éléments statiques afin d’appréhender le déroulement des situations via l’identification et l’étude des processus.
Régulation : déforcement réciproque entre deux processus. Correspond à une rétroaction négative.
Relation de travail pathogène : situation dans laquelle une personne ressent une souffrance ou un mal-être lié aux relations qu’elle entretient au travail ou en lien avec celui-ci
Résonance : interactions entre plusieurs processus.
Symétrisation : effet d’équilibrage de la relation entre le harceleur et le harcelé, soit par le renforcement du harcelé, soit par le déforcement du harceleur.
Victimisation au travail : processus complémentaire dans lequel une personne est victime, sur le lieu du travail, de comportements posés par son supérieur, son collègue ou son subordonné.

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Annexe 1 : classement des définitions


POLECOMPOSANTESOUS-COMPOSANTEREFERENCE DEFINTIONPôle 1 :
ConséquencesPour la victimePsychologiques / stress, anxiété, démoralisation, estime de soi1, 6, 9, 14, 15, 17, 19, 21, 28, 30, 31, 33, 36, 37, 40Physiques6, 9, 14, 21, 30, 31, 33, 36, 37, 40Suicides21Dignité16, 17, 30, 31, 32, 33, 36, 37Professionnelles / péril à l’emploi, sentiment d’incompétence, modification du contenu du travail, exclusion professionnelle14, 28, 30, 31, 33, 35, 37Atteinte aux droits30, 31, 37Destruction / désintégration du self4Vie sociale 40Divers : bien-être / intégrité / développement moral8, 16, 40
Pour l’environnement de travailClimat de travail, bien-être8, 17, 25, 29, 33, 36Dégradation des conditions de travail17, 30, 36, 37


Pôle 2 :
ComportementsCaractéristiquesDurée1, 2, 4, 5, 11, 12, 13, 19, 20, 27, 29, 32, 34, 38, 39Répétition / Systématique1, 2, 3, 5, 6, 11, 12, 13, 16, 17, 18, 20, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 38, 39
Infraction à la norme / inaproprié8, 18, 23
Non souhaités 17, 21Basse intensité23TypesMaltraitance1Intimidant15, 34Malveillant4, 15Humiliant15, 21, 34Insultant15Abusif33, 36Verbal7, 24, 28Non-verbal7, 24, 28Relatifs à l’organisation ou aux conditions de travail20Négatif2, 5, 29, 35, 39Hostile3, 7, 11, 12, 28, 34Non éthique3, 11Offensif 15, 21Destructif18Menaçant25Blessant26




Pôle 3 :
IntentionnalitéIntentionnalité nécessaire4, 6, 7, 8, 9, 20, 23, 26, 40Peut être intentionnel ou non17, 19, 35

Pôle 4 :
RessourcesDéséquilibréesAbus de pouvoir / Inégalité des ressources13, 19, 21, 22, 24, 29, 38, 40Difficilement mobilisables
Impossibilité ou difficulté de se défendre/ Impuissance5, 6, 11, 27, 29, 34
Annexe 2 : méthodologie de la recherche sur les indicateurs d’hyperconflit


1. Méthodologie générale : le focus group

La méthode des focus groups (ou groupes focalisés) a été utilisée afin de recueillir l’information auprès de professionnels de la gestion des conflits. A l’instar du groupe nominal, le groupe focalisé se pose comme une méthode largement inductive destinée à identifier, analyser et résoudre des problèmes par le moyen de discussions en groupe avec des individus qui ont une expérience directe et, par conséquent, une connaissance pratique (Hamel, 1999). Il s’agit donc d’une méthode qualitative de recherche sociale qui permet de recueillir les perceptions des groupes-cibles, les attitudes, les croyances et les zones de résistance (Simard, 1989). Synthétiquement, on peut donc dire qu’il s’agit d’une forme d’interview de groupe destinée à obtenir de l’information sur ce que des individus pensent et ressentent à propos d’un thème donné (Andrien et al., 1993).

Vaughn, Shay Schumm et Sinagub (1996) décrivent le processus du focus group de la manière suivante : un groupe de personnes sélectionnées auxquelles on demande leur avis sur un thème particulier, composée de 5 à 12 personnes relativement homogènes. Ces personnes (que nous appellerons « informateurs ») sont encadrées par un animateur dont le but est de recueillir des données qualitatives.

Les avantages de cette technique d’interview groupale semi-structurée sont qu’elle favorise la spontanéité des participants, les stimule, provoque des effets « boule de neige » et de synergie dans leur réflexion (Stewart & Shamdasani, 1990).

La technique d’animation s’appuie sur les principes de l’entretien focalisé décrit par Blanchet (1985) comme une technique composite qui vise à obtenir un matériel à la fois fiable, c’est-à-dire correspondant à ce que la personne pense réellement, et valide, c’est-à-dire conforme aux objectifs de la recherche. Il est à préciser que la conduite de l’entretien focalisé est d’abord non-directive. Ce n’est que dans un second temps que le chercheur oriente le groupe en fonction de la question de recherche. Ainsi, nos groupes ont été animés au départ d’une question ouverte générale, et l’animateur a ensuite veillé essentiellement à faciliter les échanges, reformuler et permettre aux participants d’élaborer leurs réflexions et expériences.

La question proposée à l’ensemble des groupes est la suivante : quels sont pour vous les caractéristiques d’un conflit grave ? La discussion a duré entre deux et deux heures et demie, et était encadrée par deux animateurs : le premier animait le groupe dans une perspective d’entretien focalisé, le second s’occupait de la prise de note de l’ensemble des éléments proposés par les membres du groupe.
2. Echantillon


Afin de constituer les groupes, nous sommes partis du présupposé méthodologique selon lequel les professionnels d’un domaine peuvent constituer une base d’information essentielle pour se renseigner sur un phénomène qui entre dans leur champ d’activité et de compétence.

C’est pourquoi notre échantillon est constitué de professionnels qui sont amenés à être régulièrement confrontés à des situations de conflits. Plus particulièrement, il s’agit de conseillers en prévention psychosociaux et de personnes de confiance, de psychologues internes, de consultants, de cliniciens du travail, de délégués syndicaux et de membres des ressources humaines. Ces groupes étaient constitués uniquement de personnes qui gèrent régulièrement des situations conflictuelles sur le lieu de travail. Les fonctions de conseiller en préventions et de personne de confiance étant spécifiques dans le contexte belge, il est utile de donner quelques précisions au sujet de cette population particulière. La loi belge du 11 juin 2002, portant sur la lutte contre le harcèlement moral, le harcèlement sexuel et la violence au travail, prévoit des dispositions particulières par rapport à une législation de 1996 sur le bien-être au travail. Dans une perspective de la prévention des risques, le législateur a imposé la désignation d’un conseiller en prévention spécialisé dans les aspects psychosociaux du travail et, à titre facultatif, de personnes de confiance. Les missions du conseiller en prévention spécialisé sont les suivantes : aide, accueil, conseil et assistance à la victime, réception des plaintes, communication des plaintes à l’employeur, examen des plaintes, proposition de mesures à l’employeur pour mettre fin aux actes de violences ou de harcèlement, rapport collectif mais anonyme de faits de violence, harcèlement moral et harcèlement sexuel au travail.

Or, on sait que sous l’appellation de harcèlement moral au travail, les travailleurs se sont plaints et ont demandé une aide pour une multitude de difficultés qu’ils vivaient au travail, et spécifiquement des situations de conflits (Hansez, Faulx & Mahy, n.d.). C’est pourquoi cette population professionnelle est régulièrement confrontée à des situations de conflits.

Quant à la personne de confiance, dont la désignation reste facultative, son rôle consiste à assister le conseiller en prévention spécialisé, notamment dans l’élaboration des procédures. Ce rôle comprend également l’accueil, l’aide, le conseil et l’assistance à la victime, notamment en réceptionnant une plainte motivée de la victime et en remettant cette plainte au conseiller en prévention spécialisé. Il peut s’agir d’un collaborateur interne ou externe de l’entreprise et ne nécessite aucune exigence en terme de formation et d’expérience.

Notre échantillon se compose de sept groupes de professionnels de l’intervention en situation de conflit.

Répartition par genreRépartition par fonctionGroupe 1 / 10 personnes (S1)8 femmes / 2 hommes6 conseillers en préventions externes
2 conseillers en prévention interne
1 assistant social
1 consultant- thérapeuteGroupe 2 / 11 personnes (S2)9 femmes / 2 hommes6 conseillers en prévention externe
3 conseillers en prévention interne
1consultante indépendante
1 assistant socialGroupe 3 / 8 personnes (P1)8 femmes8 membres des ressources humainesGroupe 4 (C1) / 9 personnes6 femmes / 3 hommes6 délégués syndicaux, 3 permanents syndicauxGroupe 5 (BL) / 9 personnes 6 femmes / 3 hommes6 personnes de confiance, 2 conseillers en prévention interne, 1 membre des ressources humainesGroupe 6 (BB1) / 7 personnes 7 femmes7 conseillères en prévention psychosociale internesGroupe 7 (BB2) / 11 personnes7 femmes / 4 hommes2 membres des ressources humaines, 7 personnes de confiance, 2 conseillers en prévention psychosociale externeTotal : 7 groupes / 65 personnes51 femmes, 14 hommes28 conseillers en prévention, 11 membres des ressources humaines, 2 assistants sociaux, 2 consultants thérapeutes, 3 permanents syndicaux, 6 délégués syndicaux, 13 personnes de confiance
3. Analyse des données


Les focus groups ont permis de recueillir un corpus de données important qui a été traité en suivant les principes de l’analyse thématique ouverte et exploratoire (voir schéma page suivante pour la visualisation de l’ensemble de la démarche).

Par analyse thématique, nous entendons une recherche méthodologique qui identifie les unités de sens par l’intermédiaire des propos tenus par les « narrateurs » relativement à des thèmes (Poirier, Clapier-Valladon & Raybaut, 1996). Cette analyse thématique nous a permis l’analyse qualitative de données par « la sélection et l’organisation rationnelles des catégories condensant le contenu essentiel d’un texte donné » (Kraucauer, 1958).

Pour mener à bien cette analyse thématique, nous avons procédé en plusieurs étapes. La première a consisté en une revue du matériel recueilli groupe par groupe et à sa transcription sous forme d’unités d’information (à savoir la transcription des propos abordés par un ou plusieurs membres du groupe interrogé). Il s’agit donc là de données brutes dans la mesure où ces unités ne sont pas classées, ordonnées ou regroupées mais simplement alignées les unes à la suite des autres. A ce stade, nous avons recueilli 144 unités d’information.

Dans un deuxième temps, nous avons réalisé un thésaurus, à savoir un inventaire lexical organisé qui recense en les regroupant autour d’un mot base thématique tous les synonymes, toutes les formulations personnalisées d’une même rubrique (Poirier & al., 1996). Cette catégorisation nous a permis, comme le suggère Bardin (1977), d’obtenir une « représentation simplifiée des données brutes par condensation ». Nous arrivons dans cette deuxième phase à 59 rubriques dans notre thésaurus. A cette étape, nous avons identifié des rubriques dans lesquelles on ne trouve qu’une seule formulation personnalisée (un avis exprimé par une seule personne dans un seul groupe) dans l’inventaire lexical. Ces « rubriques à formulation unique » (RFU) ont été exclues du thésaurus, ce qui a amené à un thésaurus définitif composé de 49 rubriques dites « de deuxième ordre » (RDO). Toutes les RDO de ce thésaurus sont donc le résultat d’au moins deux formulations.

Nous avons ensuite procédé à la création de catégories a posteriori, obéissant aux quatre règles proposées par Poirier & al. (1996) : exclusion mutuelle, pertinence, homogénéité et efficacité. Il s’agit là d’une classification sur base sémantique regroupant des items traitant d’une même question ou d’un même problème.




















 Nous verrons plus loin que ces éléments suscitent encore de nombreux débats, ce qui ne permet pas de parler, sur ces points, de réel consensus de la communauté scientifique
 A l’exception d’un travail précurseur dans les années 70 (voir approche théorique)
 Leymann Inventory of PsychoTerror, outil de diagnostic des situations du harcèlement moral.
 Negative Acts Questionnaire, autre outil de diagnostic du harcèlement moral au travail.
 Exception faite du niveau personnel. Nous expliquons les raisons de cette impossibilité lors de l’exposé détaillé du Modèle d’Analyse
 On utilise aussi « harcèlement psychologique », « mobbing » et « bullying », généralement considérés comme synonymes ou traductions de « harcèlement moral au travail » bien que leur étymologie soit différente. Nous discutons cette question ci-après.
 Notons qu’il s’agit là du premier article en anglais. Trois publications ont été réalisées par Leymann auparavant. Il s’agit d’écrits en suédois en 1986, 1988 et 1989 présentant le concept et jetant les bases de son futur outil de diagnostic, le Leymann Inventory of Psychoterror (LIPT)

 Les tableaux reprenant les différents éléments ressortant des définitions, classés par pôles sémantiques, composantes et sous-composantes, sont fournis en annexe
 Nous soulignons
 Nous soulignons
 Nous soulignons
 Nous soulignons
 Dans cette colonne, nous ne reprenons pas une liste exhaustive des critères diagnostiques, mais seulement ceux qui se rapprochent significativement de la colonne précédente.
 Nous désignons par là les auteurs qui ont travaillé dans la lignée des travaux de Leymann en Suède, Finlande, Danemark, Norvège, Allemagne et Autriche  : Dofradottir, Einarsen, Gross, Gustaffson, Hogh, Knorz, Kulla, Niedl, Salin, Skogstadt, Vartia, Zapf, etc.
 C’est ainsi que nous interprétons la prise de position de Leymann (1996a), qui explique que la hiérarchie pourrait intervenir, mais que dans la plupart des cas, la hiérarchie préfère ne rien voir ou regarder ailleurs (p. 77).
 Second European Survey on Working Conditions, 1996, réalisé par la Fondation Européenne pour l’Amélioration des Conditions de Travail. L’étude mentionnée s’est déroulée en 1996 et a rassemblé les opinions de 15.000 travailleurs de l’Union Européenne.
 Les études européennes font régulièrement état de 50 % de cas où le harceleur est le supérieur, et bon nombre d’études annoncent un taux de plus de 70% (Zapf, 1999)
 Lindroth (1993), cité dans Schuster (1996) découvre par exemple que deux fois plus d’hommes que de femmes souffrent de harcèlement dans le milieu de l’enseignement maternel
 Que l’on pense au Moyen-âge avec la séparation bellatores, oratores et laboratores (voir par exemple les travaux de Duby), à l’époque de la révolution française avec la noblesse, le clergé et le tiers-état et ou évidemment à la notion marxiste de classes sociales à l’époque de la révolution industrielle.
 Apparaissent des oppositions dichotomiques - les inclus vs les exclus - symbolisés par deux figures protoypiques : le manager et le SDF (de Gaulejac et Leonetti, 1994).
 Terme utilisé par Castel. Dans  Les Métamorphoses de la question sociale (1999), il explique qu’il utilise ce terme pour décrire le parcours de personnes caractérisé par l’absence de participation à toute activité productive et l’isolement relationnel (qui) conjuguent leurs effets négatifs pour produire l’exclusion (p. 17). Pour lui, il y a risque de désaffiliation lorsque l’ensemble des relations de proximité qu’entretient un individu sur la base de son inscription territoriale, qui est aussi son inscription familiale et sociale, se trouve en défaut pour reproduire son existence et pour assurer sa protection » (p. 52)
 Chez de Gaulejac & Leonetti (1994), la désinsertion sociale se caractérise par l’exclusion sous diverses formes : chômage, pauvreté, isolement, stigmatisation sociale et dévalorisation.
 Terme utilisé par Paugam (1996) pour désigner le processus de refoulement hors de la sphère productive et les expériences vécues qui en accompagne les différentes phases (p. 13)
 Le harcèlement moral au travail est décrit comme étant lui-même un processus d’exclusion du marché du travail (Leymann, 1996, p. 74)
 avec toutes les dérives et souffrances que cela peut générer (voir plus bas)
 On ne compte plus les travaux, de sociologues notamment, sur le développement de l’individualisme au cours de ces dernières décennies. Pour notre propos, nous reprendrons les éléments ayant trait plus spécifiquement à la problématique organisationnelle.
 Nous soulignons
 Propos tenus par Dejours dans le documentaire Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés
 Pour Kant, il s’agit là de « catégories pré-conceptuelles de la sensibilité »
 Cette distinction est reprise au sujet des contraintes de travail par Sanchez-Mazas et Vranckx (2005) et par Brunel (1998)
 Cette recherche sera prochainement publiée dans les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale (Faulx, Delvaux & Manfredini, sous presse). La méthodologie se trouve en annexe du présent travail.
 Pour illustrer cette transformation de l’espace social en fonction du conflit, nous prenons comme métaphore la cité d’Urbicande imaginée par les auteurs de fiction Schuitten et Peeters (1985 ; 1996). Cette cité, coupée en deux par un fleuve, a vu se développer sur sa rive nord et sa rive sud deux quartiers aux logiques architecturales opposées, aux conditions de vie et d’habitations radicalement différentes, aux idéologies différentes, et dont les différences, avec le temps, s’accentuaient continuellement. Finalement, les autorités de la ville imposèrent un contrôle tellement strict de la circulation sur les deux ponts qui reliaient les deux parties de la ville qu’insensiblement, les deux moitiés d’Urbicande devinrent deux villes différentes, presque privées de contact (Schuitten & Peeters, 1996).
 Cette distinction ne se rencontre d’ailleurs pas uniquement dans ce domaine et remonte à une longue tradition. Elle a été abordée dans d’autres domaines de la psychologie du travail et des organisations, et cela dès les années 50. A ce sujet, on peut évoquer la Managerial Grid de Blake et Mouton ou les fonctions groupales de Bales.
 Un tel clivage pose question, et on pourrait, à titre d’hypothèse, y voir là un trait culturel de valorisation des dimensions intellectuelles ou cognitives aux dépens de dimensions jugées plus primitives ou moins élaborées, comme les affects, les émotions, les sentiments. Despret (2005, p. 2) montre ainsi que les émotions, par rapport à ce qui relève de la raison, sont considérées dans la littérature scientifique américaine comme des processus primitifs, peu sophistiqués, pathologiques, et cite l’anthropologue Lutz selon laquelle un trait culturel typique de la culture américaine est d’attribuer à l’émotionnel des caractéristiques négatives (irrationalité, subjectivité, chaos).
 Parmi ces approches « rationalistes » du conflit qui considèrent que les individus et les groupes sociaux agissent de manière rationnelle en fonction de leurs objectifs, on peut citer par exemple des théories comme le modèle de choix conflictuel de Stevens (1963) qui considère que chaque négociateur s’efforce de réaliser deux objectifs contradictoires - éviter de faire des concessions et éviter de rompre la relation – , ou la théorie des jeux (Sherif, 1966) selon laquelle les individus et les groupes poursuivent la maximisation des bénéfices et la minimisation des coûts, ou encore la théorie des conflits réels qui suppose que le conflit surgit dans des conditions où les intérêts des groupes sont incompatibles (Azzi & Klein, 1998).
 Croyance puissante au point d’influencer une attitude ou un comportement de sorte que la croyance devient une réalité (Gergen & Gergen, 1984, p. 464).
 Il ajoute deux autres critères : qu’elle l’attribue à l’autre partie et qu’elle n’accepte pas cet état de fait
 La différence entre relation symétrique et complémentaire ne se limite pas à la question de l’équilibre des forces, bien que cela en constitue la dimension essentielle. Pour notre part, c’est bien dans cette optique que nous utiliserons cette distinction.
 Pour faciliter la présentation de l’exemple, nous ne prenons ici qu’un processus par niveau, mais il est évident que dans les situations, on trouvera fréquemment plusieurs processus par niveau.
 Ce mode de représentation ne permet plus de montrer que les protagonistes d’une situation de harcèlement moral au travail font partie du groupe et de l’organisation. Ceci est considéré comme un fait acquis. Le fait de pouvoir représenter les interactions entre processus nous est apparu le plus crucial ici et c’est pour cette raison que nous avons eu recours à ce mode de mise en forme du modèle.
 Nous soulignons
 C’est dans la perspective de dépasser ces deux obstacles que s’inscrit la dimension intégrative de notre travail, puisqu’elle consiste à conceptualiser les liens entre les différents niveaux sous formes d’interactions réciproques (ou résonances).

 Nous soulignons
 Le fait que la demande vienne des personnes, et non de nous, pose des questions essentielles sur la dimension éthique de notre recherche et sur l’articulation entre les démarches de recherche et d’intervention. Ces questions seront abordées dans la partie consacrée aux dimensions éthiques.
 Evidemment, puisqu’il s’agissait de personnes en souffrance, on peut s’interroger sur la nature des bénéfices retirés et il serait naïf d’exclure qu’elles se rendaient à l’entretien avec l’espérance plus ou moins confuse d’être aidées. Comme le montre Blanchet (1985), mener un entretien, fût-il de recherche, sur un thème qui présente un problème pour l’interviewé met inéluctablement en jeu une problématique de demande. A tout le moins, on peut supposer que la démarche de témoignage répond à une recherche de sens de la part des personnes, qui souhaitent ainsi mieux comprendre et mieux faire comprendre leur situation. Nous discutons ces aspects dans la partie consacrée aux méthodes et dans celle sur les dimensions éthiques de notre recherche.

 C’est l’auteur qui souligne
 Ultérieurement, Rogers utilisera d’ailleurs l’expression entretien centré sur la personne plutôt qu’entretien non-directif
 Enoncé rédigé en fonction des recommandations et sous le contrôle du Comité d’Ethique de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université de Liège.
 Exception faite pour le genre (donc la catégorisation est évidente) et pour les comportements du harceleur (donc la catégorisation a été présentée dans la partie théorique)
 Cette phase d’organisation catégorielle est d’application uniquement pour la deuxième lecture/analyse. Pour la première, nous nous arrêtons à la création des catégories.

 Nous avons publié une description de la démarche ainsi que nos observations cliniques dans Geuzaine & Faulx (2003)
 Les deux premiers cas correspondent à la première partie de la recherche (études de cas approfondies), les 50 suivants à la deuxième étape (étude de témoignages), le dernier à la troisième étape (interviews en organisation). Notons que trois cas ont été retirés : les cas 19, 29 et 37, en raison du fait que les personnes ne se sont pas présentées ou n’ont pas souhaité réaliser un deuxième entretien. Nous avons donc rencontré trois autres personnes pour maintenir notre échantillon à 50 sujets dans la deuxième étape.
 Les cas de la première étape sont codé par leur prénom, les suivant par un numéro, celui de l’organisation par le prénom de la victime
 Pour des raisons méthodologiques, les deux entretiens de la première étape de la recherche ne sont pas repris dans l’étude des éléments de la situation. En effet, s’agissant d’une démarche d’accompagnement clinique, nous n’avons pas eu recours à l’adoption d’un canevas systématique d’entretien portant sur les conséquences, les copings et les comportements. Ne pouvant garantir une homogénéité dans le recueil d’information, ces deux cas ont donc été retirés des résultats de cette partie qui portent donc sur 51 et non plus 53 situations.
 Ceci constitue autant d’éléments que l’on trouve chez Leymann (1996), Delvaux (2004) ou encore Garcia et Hue (2002)
 Cet élément sera abordé lors de la mise en lumière des configurations
 Communication personnelle, mai 2005
 Seul le cas n° 35 présente l’organisation comme à la fois complémentarisante et symétrisante
 C’est le cas de Guy, dans son combat contre son chef de service, de Claudia, qui refuse de céder aux exigences de son chef qui lui demande de modifier ses diagnostics, ou encore de Gabrielle, fer de lance des coordinateurs contre le président du Conseil d’Administration de l’a.s.b.l. pour laquelle elle travaille
 La valorisation de la position de victime dans nos sociétés actuelles constitue la thèse défendue dans plusieurs ouvrages récents, notamment « La Société des Victimes » d’Erner (2006) et « Le Temps des Victimes » d’Éliacheff et Larivière (2007).
 Du moins selon les juridictions du travail, si on en juge le nombre infime de plaintes qui ont débouché sur une décision en faveur du plaignant
 C’est ce qu’Aubert (1993) appellerait l’organisation avec un « petit o », par rapport à l’Organisation, qui se situe un niveau au-dessus au sens où elle replace l’organisation du travail décrite comme système de division des tâches et système de division des hommes dans un cadre plus large, l’Organisation (p. 76).
 Une des deux entrées étant en l’occurrence représentée par la couleur rouge ou verte selon de mode relationnel.
 Extrait de Faulx, D., Delvaux, S. & Manfredini, T. (sous presse).

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Comportements posés par le harceleur
(inputs)

Conséquences pour la victime
(outputs)

H M
(blind box)
????

Facteurs groupaux


Facteurs individuels du harceleur
Comportements




Facteurs individuels de la victime
Conséquences

H M

????

Facteurs sociaux

Facteurs organisationnels

Organisationnelles

Leadership
Culture
Stress lié au travail
Organisation du travail

Rumeurs

Isolement social

Agression verbale

Mesures organisationnelles

Attaques de la sphère privée

Agression physique

Attaques des attitudes de la personne

Plaintes psychosomatiques

Dépression

Anxiété

Stress posttraumatique

Obsessions

Harceleur



Groupe social

Hostilité
Envie
Pression groupale
Bouc émissaire

Personne

Personnalité
Qualification
Social skills
Caractéristiques


Facteurs culturels et socio-économiques

Facteurs organisationnels

Actions de l’organisation
Tolérance, support, …

Antécedants individuels, sociaux et contextuels

Comportements harcelants démontrés par le harceleur

Comportements harcelants perçus par la victime

Réactions de la victime

Effets sur l’organisation

Effets sur l’individu

Caractéristiques individuelles de la victime
Facteurs démographiques, circonstances sociales
Personnalité et histoire personnelle

Relation

Harcelé

Harceleur

Groupe

Groupe

3

3

Le groupe

Domination-soumission

Conflit

Maltraitance

Le harcelé




Domination-soumission

Conflit

Maltraitance

Conflit





1

2





4

5

6

7

11

8

9

10

L’organisation

Le harceleur

Le harcelé

Le groupe

3







Harcelé

Harceleur



Harceleur

Groupe

Organisation

Groupe

Organisation

Harcelé

Harcelé

Harceleur

Groupe

Organisation

Groupe

Organisation

Harcelé

Harceleur

Groupe

Organisation

Groupe

Organisation

Organisation

Organisation



Explications de la situation

Conséquences

Comportements

Stratégies de la victime

Réactions de l’entourage (groupe)
Fonctionnement du groupe

Réaction de l’organisation
Fonctionnement de l’organisation

Eléments contextuels généraux

Création de catégories


Regroupement des UIS


Catégories organisées dans le Modèle d’Analyse

Classement des catégories dans le Modèle d’Analyse


Découpage en fragments

Entretiens


Informations brutes (comptes-rendus)


Unités d’informations sémantiques (UIS)

Harceleur

Harcelé

Organisation

Groupe

Groupe




Changement organisationnel

Absence de régulation organisationnelle

Menace concurrentielle

Maltraitance managériale

Compétition dans l’organisation

Ultra-soumission à l’autorité

Conflits entre instances de l’organisation



Organisation

Absence de régulation…

Banalisation



Absence de réaction …

Concentration des ressources

Relations incestuelles

Réprobation…

Harcèlement moral organisé

Renforcement…

Participation de l’organisation

Opposition

Fonctionnement psychopathologique du harceleur


Poste de travail inadapté

Domination - soumission

Etat de faiblesse

Affrontement



Défense de valeurs…

Poursuite d’enjeux personnels…

Absence de réaction des collègues

Soutien passif du groupe


Soutien au harceleur

Marginalisation

Hostilité du groupe

Rébellion à l’encontre du harceleur


Porte- parolat

Évitement

Statut fragile du harcelé

Conflit groupal


Solidarité groupale


Groupe absent

Groupe en souffrance au travail

Précarité de l’emploi


Harceleur



Harcelé



Harceleur



Harcelé



Harceleur



Harcelé



Harcelé



Harceleur


Groupe


Harcelé



Harceleur


Groupe


Groupe


Harceleur



Harcelé



Harceleur



Harcelé


Groupe


Harceleur




Harcelé


Groupe


Harceleur


Groupe


Harcelé



Harceleur


Groupe


Harcelé


Groupe


Harcelé



Harceleur


Harceleur



Organisation


Harcelé



Harceleur



Organisation


Harcelé



Organisation


Harcelé



Harceleur



Harceleur



Organisation


Harcelé



Harcelé



Organisation


Harceleur



Harcelé



Organisation


Harceleur



Harcelé



Harcelé



Organisation


Harceleur



Harceleur



Harcelé



Organisation

Harcelé

Harceleur

Groupe

Organisation

Groupe

Organisation

Harcelé

Harceleur

Groupe

Organisation

Groupe

Organisation

Harcelé

Organisation

Harceleur

Groupe

Groupe

Organisation

Harcelé

Harceleur

Groupe

Organisation

Groupe

Organisation

Harcelé

Harceleur

Groupe

Organisation

Groupe

Organisation

Harcelé

Harceleur

Groupe

Organisation

Groupe

Organisation

Groupe

Groupe

Harcelé

Harceleur

Groupe

Organisation

Organisation

Groupe

Groupe

Groupe




























Transcription dumatériel

Unités d’informations sémantiques (144)

Thesaurus sans RFU

Classification sémantique

Rubriques de deuxième ordre (RDO) (49)

Catégories = Indicateurs (24)

Informations brutes (comptes-rendus)


Focus groups


Thesaurus


Rubriques (59)


Création de supracatégories

Organisateurs de pensées (3)
Catégories d’organisateurs (5)

Le harceleur

L’organisation

10

9

8

11

7

6

5

4





2

1








Le harcelé

3

L’organisation

10

9

8

11

7

6

5

4






2









Le groupe

Le harcelé

Le harceleur

L’organisation

10

9

8

11

7

6

5

4



3

2

3









Le groupe

Le harcelé

Le harceleur

L’organisation

10

9

8

11

7

6

5

4





2

4









3


Le harcelé

Le harceleur

L’organisation

10

3

9

8

11

7

6

5

4

Le groupe





2

5





Le harcelé

Le harceleur

L’organisation

10

9

8

11

7

6

5

4





2

6













3

Le groupe

Le harcelé

Le harceleur

L’organisation

10

9

8

11

7

6

5

4





2

7









3

Le groupe

Le harcelé

Le harceleur

L’organisation

10

9

8

11

7

6

5

4





2

8









3

Le groupe

Le harcelé

Le harceleur

L’organisation

10

9

8

11

7

6

5

4





2

9









3

Le groupe

Le harcelé

Le harceleur

L’organisation

10

9

8

11

7

6

5

4





2

10









3


Le harcelé

Le harceleur

L’organisation

10

9

8

11

7

6

5

4





2

11