Td corrigé annales du midi - SITAmnesty pdf

annales du midi - SITAmnesty

Arbres i ot et herbes a fuison. Un castelet ot ...... fait pour ma part. M. V. corrige en : s'et s'affraire et s'atoque et intro- ...... vrage correspondent à cette classification générale. Mais M. D. ..... entraves ii l'exercice du culte, conversions forcées, surveillance ...... bayes de Vézelay, de Saint-Denis, de Meaux, de Saint-Riquler,.




part of the document



age des moines qui, aux grands
déserts proches de Montpellier, gardent la « maison » du
saint, et les jongleurs se réclament de la « légende » authen-
tique, c'est-à-dire d'une Vie latine de saint Guillaume.

A vrai dire, plusieurs poètes, celui des Narbonnais par
exemple ou celui du Couronnement de Louis, qui racontent
la jeunesse de Guillaume d'Orange, ne font nulle allusion à sa
fin pieuse. S'ils s'en taisent, c'est peut-être qu'ils ignoraient
cette tradition; c'est peut-être, et aussi bien, qu'il n'était pas
de leur sujet d'en parler et qu'ils la supposaient d'ailleurs
bien connue de leur public. Toujours est-il que maints d'entre
eux la rapportent plus ou moins clairement. Dans la Chanson
de Guillaume, par exemple, quand le héros revient de la
bataille, vaincu et désespéré, il ditùGuibourc :

i'tS'À « Or m'en fuirai en estrange régné
A saint Michiel al Péril de la mer
Ou a saint Piere, le bon apostre Deu,
Ou en un guast ou ne soie trovez :
La devendrai hennites ordenez,
VA tu nonein, si fai ton chief vêler.
— Sire », dist ele, » ço ferura nos assez,
Quant nos avrom nostre siècle mené. »

Ces vers indiquent, semble-t-il, que le poète connaissait la
Iraditiou ilu maniage de son héros et a voulu lui prêter ici le
presseuliineul fie su destinée'.

1. ^serl (Montpellier. lS7;j): .1. Renonvier, Histoire, antiqui-
tés et urchitectonique de l'abbaye de Saiiit-Guilhem (ouvrage accompa-
gné de pUiiclies iniércssunlcs); W. Cloetta, Archiv de Herrig, t. XCIIL
pp. 4'2".>-31 ; etc.



LÉGENDES DU' CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. U

le Verdus, se précipite de la montagne et creuse dans l'Hérault
un gouffre noir :

Une fontaine i a lés un rocier...
L'aighe i tornoie entor et environ...

Le pont jeté sur cet abîme, et que décrivent nos poètes.
n'a pas disparu : il avait été construit à frais communs, entre
1026 et 1048, par les deux abbayes d'Aniane et de Gellone';
assis sur la pierre vive et bâti en pierres dures, il a, depuis
neuf siècles, résisté aux crues. Je ne sais si les passants,
comme les pèlerins d'antan, continuent à jeter des pierres
au démon emprisonne dans le gouffre; mais le pont garde
ce nom : le Pont-du-Diable, et le folk-lore local y voit tou-
jours l'œuvre de saint Guillaume-. Un piton de 275 mètres
d'altitude surplombe le bourg : à la cime, on voit une tour
et les restes d'un château fort, qui servait sans doute de
refuge en cas de péril aux moines de l'abbaye; à mi-côte, une
tour carrée, qui doit être le castelet du Montage Guillaume :
c'est probablement le castrum Virduni des chartes; aujour-
d'hui on l'appelle, et c'est une survivance de la légende, le
Cabinet du Géant-'. Au milieu du bourg, la belle église de
Saint-Guilhem, dont la nef principale date du xii® siècle, mais
dont les assises sont carolingiennes; on y vénère encore quel-
ques parcelles des reliques du saint; jadis on y montrait son
tombeau.



1. Voir la convention passée entre les deux abbayes à la p. 23 du Car-
tulaire de Gellone, publié par MM. Alaus, Cassan et Maynial (1898).

2. « Quand Guillaume, duc de Toulouse, dit le marquis au court-nez.
qui allait souvent visiter son ami saint Benoît au couvent d'Aniane, vou-
lut construire un pont sur l'Hérault, au lieu ordinaire de sa traversée, le
diable renversait la nuit ce qui avait été édifié à grand'peine pendant le
jour. Guillaume finit par se lasser; il appela le diable et fit un pacte avec
lui aux conditions ordinaires : le premier passager lui appartiendrait. Le
saint duc, plus rusé que Satan, fit connaître le marché à tous ses amis
pour les préserver; puis, il lâcha un chat, qui, le premier, traversa le
pont et dont le démon fut bien obligé de se contenter. Depuis ce temps,
dans ce pays, les chats appartiennent au diable et les chiens à saint
Guilhem. » (P. Sébillot, Les travaux publics et les tnines dans les tra-
ditions et les superstitions de tous les pays, Paris, 1894, p. 1.51.)

3. W. Cloetta, art. cité, p. 430.



12 JOSEPH BÉDIER.

Ainsi, les poêles du xu^ siècle savent nous décrire le pay-
sage de Gellone, et fidèlement : en témoins oculaires ou
d'après des témoins oculaires. D'autres poètes se réfèrent à la
vie authentique de saint Guillaume, telle que la conservaient
les moines de là-bas. Avertis par nos poètes, conduits par
eux vers la « maison » du saint, entrons-y.



*



Elle n'est plus aujourd'hui qu'une église paroissiale, mais
elle est entourée des restes d'une abbaye qu'occupaient encore
au xviii" siècle les bénédictins de la congrégation de Saint-
Maur ; ceux-ci y avaient remplacé d'autres bénédictins ; du
ix« au xviii® siècle, les fils de saint Benoît ont toujours habité
ces lieux.

En effet, en 782, Wiliza, fils du comte de Maguelonne, se
retira du siècle. En l'honneur de saint Benoît de Nursie,
changea son nom goth de Witiza en celui de Benoît et fonda
le monastère d'Aniane. 11 prit une influence dominante sur le
fils de Charlemagne, Louis, alors roi d'Aquitaine, et, protège
par lui, il couvrit la Septimanie, l'Aquitaine, la France du
Nord (le monastères, dont le plus célèbre est l'abbaye d'Inde
près d'Aix-la-Chapelle. Il devint ainsi ce réformateur de l'or-
dre bénédictin que l'église vénère sous le nom de saint Benoît
d'Aniane. Or, en l'an 804, un comte, nommé Guillaume,
s'elunt lié d'amitié avec lui, renonça à ses dignités mon-
(laiues et se retira dans le monastère d'Aniane; peu après,
il ttnjda, a peu de distance et comme une colonie d'Aniane,
uue maison religieuse qu'il fil construire à ses frais et qu'il
enrichit par de grandes donations de terres; il s'y retira
eu 8UG et y mourut sous le froc quelques années plus tard ;
c'est l'abbaye de Saiut-Guilhem -du- Désert , qui s'appela
d'abord et longtemps l'abbaye de Gellone.

Auiane et Gellone, l'abbaye-mère et l'abbaye-fille, ayant été
dès leur origine de florissantes maisons, nous ont laissé des
cartulaires importants, dont quelques pièces concernent Guil-



LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D*ORANGE. 13

laume ; de plus, elles nous ont transmis chacune une relation
de sa vie •.

Considérons d'abord les deux documents principaux sortis
d'Aniane. Par un acte daté du 15 décembre 804 2, Guillaume,
pour subvenir aux besoins des religieux de Gellone, fait do-
nation de terres sises dans le pagiis de Lodève et dans le
pagus de Maguelonne, sous condition que Gellone demeu-
rera à perpétuité une dépendance de l'abbaye d'Aniane; il
dit qu'il fait cette donation pour le salut de son âme et pour
le salut de ses parents, qu'il énumère :

« Ego enim in Dei nomen Vuilhelmus .C. recogitans fragilitatis
meae casus humanum, idcirco facinora mea minuanda vel de pa-
rentes meos qui defuncti sunt, id est genitore meo Teuderico et
genetrice mea Aldaue, et fratres meos Teodoino, et Teoderico et
sorores raeas Abbane et Bertane, et filios meos et fllias meas
Vuitcario et Hidehelmo et Helinbruch, uxores meas Vuiiburgh
et Cunegunde, pro nos omnibus superius nominatos dono... »

Sur quoi nous nous en tiendrons pour l'instant à remarquer
que l'une de ses deux femmes s'appelait, comme la femme du
Guillaume des chansons de geste, Guibourc.

Outre cet acte de donation, Aniane nous ofïre un récit de la
vie de saint Guillaume. Ce n'est pas un ouvrage à part, c'est
seulement un court chapitre de la vie de saint Benoît
d'Aniane; mais son ancienneté en fait le prix. La vie de saint
Benoît d'Aniane a été, en effet, composée en 823, peu après la
mort du saint, par un de ses disciples, Ardon, surnommé
Smaragdus. Au cours de son récit, Ardon en vient à parler,



1. Voyez sur Aniane la Gallia christiana, t. VI, col. 730 ss.; sur Gel-
lone, la Gallia christiana, t. VI, col. 580-601 . Voyez, en outre, Ch. Eévil-
lout, Ehide historique et littéraire sur l'ouvrage latin intitulé Vie de
saint Guillaume [Publications de la Société archéologique de Montpel-
lier, 1876), et Wilhelm Pûckert, Aniane und Gellone, diplomatisch-
kritische UntersucJcufigen zur Geschichte der Reformen des Benedic-
tiner-Ordens im IX. und X. Jahrhundert, Leipzig, 1899 ; on trouvera
dans le livre important de M. Pûckert tous les renseignements biblio-
graphiques désirables.

2. La meilleure édition qu'on en ait est celle de M. Eévillout, ouvr.
cité, p. 79.



a JOSEPH BEDIER.

comme il est naturel, du grand ami de Benoît, Guillaume, et
de leur fondation commune.. Gellone. Voici en quels termes* :

« Le comte Guillaume, qui était illustre entre tous à la cour
de l'empereur, s'attacha à saint Benoît \bea(o Benediclo) d'une
amitié si forte que, prenant en mépris les dignités mondaines,
il choisit son ami pour le guider dans la route salutaire qui le
conduirait au Christ. Ayant enfin obtenu la permission de se
retirer du siècle, apportant de grands présents d'or et d'argent
et encore revêtu de riches vêtements, il rejoint le vénérable
Benoît. Sans souffrir aucun relard, il fit tondre sa chevelure,
et, le jour des apôtres Pierre et Paul, dépouillant ses haliits lis-
sés d'or, il prit avec joie la vêture des serviteurs du Christ. Or,
à quatre milles environ du monastère du bienheureux Benoît
(beati viri Benedicli), s'étend une vallée, nommée Gellone ; au
temps où il vivait encore dans les honneurs du monde, l; comte
Guillaume y avait fait construire une cella; il s'y abandonna au
Christ, pour le servir le reste de sa vie. Né de parents nobles, il
voulut se rendre plus noble encore en embrassant la pauvreté
du Christ... |il y parvint , et chacun le reconnaîtra si je rap-
porte ici quelques traits de sa pieuse vie. En efl'et, Benoît, notre
vénérable père, avait déjà établi de ses moines dans la cella
de Gellone : pénétré par leurs exemples, en peu de jours Guil-
laume les surpasse dans la pratique des vertus qu'il apprenait
d'eux. Avec l'aide de ses fils qu'il avait mis à la tête de ses com-
tés \adiuvanlibus eum filiisquos suis comilatibus praefeceral), aidé
aussi par les comtes ses voisins, il eut vite fait d'achever la
construction du monastère qu'il avait entreprise.

« Gellone est un lieu tellement séparé du monde que celui qui
l'habite, s'il aime la solitude, n'a rien à souhaiter. Des monta-
gnes couronnées de nuages l'environnent, et, pour en trouver
l'accès, il faut être conduit par le désir de la prière. Ces lieux
sont pleins d'une telle aménité que, si l'on a décidé de servir
Dieu, l'on ne désire pas un autre séjour. On y voit aujourd'hui
des vignes -que Guillaume y fit planter, et une abondance de jar-
dins pcuplùs d';irbi'os d'espèces variées. Il acheta pour Gellone

1. \ lia Jic/iedicd, uhbutis Aninncnsis et Indensis, auctore Ardone
(Momtme/ita Gei'umuiae historica, SS.,t. XV, p. I!t2). La chapitre qui nous
intért'sse est le »> do l'OdilioTi do Waitz, le 42» de l'édition de Mabillon
(Act't sanctorio» ord. lien., snec. IV, I, p. 192; éd. de Venise, p. 184).



LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 15

de très nombreuses propriétés; à sa demande, le sérénissime roi
Louis les accrut grandement en lui attribuant, sur ses domai-
nes, des terres de labour. Il donna à l'église des vêtements
sacerdotaux en grand nombre, des calices d'argent et d'or, des
vases sacrés ; il apporta avec lui des livres très nombreux, il
revêtit les autels d'or et d'argent.

« Une fois entré dans cette cella. il s'abandonna tout entier au
Christ, sans plus garder aucun vestige des pompes mondaines.
Rarement ou jamais un moine le rencontrant réussit à s'humi-
lier devant lui assez bas pour ne pas être vaincu par lui en
humilité. Souvent nous l'avons vu charger une bouteille de vin
sur son âne, monter lui-même sur l'âne, et portant un gobelet
suspendu à son dos, aller porler à boire aux frères de notre
monastère [d'Aniane] pour les rafraîchir pendant quils mois-
sonnaient. Aux vigiles il veillait mieux que personne. Il tra-
vaillait au pétrin de ses propres mains, à moins qu'il ne fût
occupé ailleurs ou empêché par la maladie. Il faisait la cuisine,
quand c'était son tour... 11 aimait le jeûne et il ne lui arrivait
guère de recevoir le corps du Christ sans que ses larmes cou-
lassent jusqu'à terre. Il recherchait avidement la dureté pour sa
couchette; mais, à cause de sa faible santé, notre père Benoît,
malgré ses résistances, lui fit mettre une paillasse. Plusieurs
disent que souvent il se flt flageller par amour du Christ, sans
autre témoin que celui qui l'assistait. Au milieu de la nuit, tout
pénétré par le froid de l'hiver, couvert d'un seul vêtement, sou-
vent il s'est tenu debout dans l'oratoire construit par lui en
l'honneur de saint Michel, vu par Dieu seul, et vaquant à la
prière. Après peu d'années, riche des fruits de ces vertus et
d'autres vertus encore, sentant que son dernier jour approchait,
il lit annoncer par écrit sa mort, comme si elle s'était déjà pro-
duite, à presque tous les monastères sis dans le royaume de
Charles. Et c'est ainsi que, emportant la moisson de ses vertus,
à l'appel du Christ, il émigra de ce monde. »

Cette charte de donation du 15 décembre 804, cette tou-
chante esquisse de la vie du moine Guillaume, voilà, à peu
près, avec quelques lignes sur Guillaume insérées dans le
Chronicon Anianense \ tous les documents que nous fournit

1. A l'année 806 (Mon. Genn. hist., I, p. 308).



J6 JOSEPH BEDIER.

l'abbaye d'Aniane. Si nous nous tournons vers Gellone, sa
voisine, nous en trouverons de plus copieux, mais que
depuis longtemps la critique a dénoncés comme étant falsifiés
ou fabriqués. Au contraire, on regardait volontiers les docu-
ments d'Aniane comme purs de toute altération; bien à tort,
comme l'a récemment montré M. W. Pûckert.

Comment, à première vue, soupçonner aucune fraude dans
le chapitre de la Vie de saint Benoît que l'on vient de lire, si
édifiant et si naïf? Ardon n'était-il pas presque le contempo-
rain de Guillaume? N'avait-il pas pu voir les vignes plantées
par lui? ou connaître ceux qui avaient vu Guillaume, monté
sur son baudet, passant par les blés au soleil des jours de
moisson ? Mais M. Pûckert ne soupçonne pas le vieil Ardon ;
il soupçonne des moines d'Aniane, venus plusieurs siècles
plus tard, d'avoir émaillé la prose d'Ardon d'interpolations
intéressées. Il en relève plusieurs indices*, que voici.
Dans le chapitre que je viens de traduire, il est dit que Guil-
laume, en se retirant du siècle, avait mis ses fils à la tête de
ses comtés {/îlii, quos suis comitatibus praefecerat); com-
ment Ardon, qui écrivait sous Louis le Pieux, en 823, aurait-il
ignoré que Guillaume ne possédait pas ses comtés en alleu,
qu'il ne pouvait les transmettre à ses fils, qu'il n'était qu'un
comte bénéficiaire? Comment Ardon aurait-il dit une chose
si contraire au droit public de son temps? En outre, en ce
chapitre relatif à Guillaume, Benoît d'Aniane est appelé par
deux fois beatus Benedictus : comment cette allusion à sa
sainteté est-elle possible, si ces lignes ont été écrites peu après
la mort de Benoît, en 823? Par tout le reste de son ouvrage,
le vrai Ardon nomme souvent son héros : nulle part il ne l'ap-
pelle comme ici beatus Benedictus. Enfin, le vrai Ardon
nomme d'autres colonies d'Aniane : toutes celles qu'il nomme,
les plus modestes et les plus obscures, comme les maisons
benédiia.ç^, p. lO-i.



LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 21

que se perdit lors du pillage de l'église pendant la Révolution;
mais deux parcelles en furent miraculeusement retrouvées :
l'un des évêques récents de Montpellier portait l'une enchâs-
sée dans sa crosse; l'autre se voit encore dans l'église de
Saint-Guilhem-du-Désert. « A chaque page du Cartulaire de
Gellone, écrit l'abbé Vinas^, on lit : Nous donnons à la sainte
croix de Gellone, à l'étendard de la croix, au vénérable, au
salutaire, au vivificateur, au très saint, au très glorieux bois
de la croix du Seigneur, déposé à Gellone, tel village, telle
terre, telle manse, situés aux diocèses de Montpellier, ou de
Maguelonne, ou de Nîmes, à Agde, à Beziers, à Rodez, à Albi,
à Uzès, à Viviers, à Léon, à Astorga, à Braga. » Cette relique
bienfaisante, l'auteur de la Vita s'attache à l'authentiquer :
c'est le patriarche de Jérusalem, dit-il, qui l'avait envoyée à
Charlemagne, « dans la première année où celui-ci était
devenu empereur ». Quand le comte Guillaume voulut se reti-
rer du siècle et qu'il dit adieu à Charles, celui-ci lui offrit de
ses richesses tout ce qu'il voudrait en emporter. Guillaume
n'en voulut rien prendre, mais supplia l'empereur de lui
donner pour son monastère de Gellone ce morceau de la croix.
L'empereur hésite à se séparer du plus précieux de ses tré-
sors; il cède enfin : « Prends, cher ami, cette dernière récom-
pense de tes services; emporte-la comme un gage de mon
affection et de mes regrets; chaque fois que tu la reverras,
elle te rappellera Charlemagne. »

On voit la portée de ce récit, et c'est une des pièces de résis-
tance de la Vita : si c'est Gellone, non pas Aniane, qui pos-
sède cette relique, c'est donc que Gellone n'a jamais été
l'humble cella que disent ses ennemis. Or il faut savoir que
les moines d'Aniane aussi montraient un morceau de la vraie
croix : ils prétendaient eux aussi que le patriarche de Jéru-
salem l'avait envoyé à Charlemagne : c'était donc la même
relique que les deux abbayes se disputaient; mais ceux
d'Aniane assuraient que Charlemagne la leur avait donnée.
Pour accréditer cette histoire, ils l'avaient insérée dans le

1. Visite rétrospective à Saint-Guilhem-du-Désert, p. 14.



22 JOSEPH BÉDIER.

Chronicon Anianense^. Comme l'a 1res bien remarqué
M. Pùckerl^, c'est de cette interpolation que part l'auteur de
la VUa sancti Wilhelmi (il en reproduit certaines expres-
sions, etc.). Ici encore, il a donc recouru à son procédé
familier : pour ruiner les documents de l'abbaye rivale, il
commence par les exploiter; ici encore, il falsifie un faux
d'Aniane.

Toutes ces observations mettent en lumière le caractère
vrai de la VUa : l'auteur s'empare de tous les documents
adverses, — le chapitre d'Ardon, l'acte de donation, le Chro-
nicon Anianense, — et les modifie au profit de son monas-
tère; il s'agit de combattre pied à pied chacune des préten-
tions d'Aûiane et de revendiquer l'indépendance de Gellone.
La VUa n'est donc pas un libre jeu d'imagination que se serait
permis un moine isolé au fond de sa cellule : c'est une œuvre
concertée, composée savamment à une époque critique de la
vie du monastère. Orderic Vital l'appréciait avec justesse :
« elle a été faite avec beaucoup d'art par des docteurs reli-
gieux et lue respectueusement par des lecteurs studieux
devant la communauté de tous les frères^, i



Si tel est bien le caractère de la VUa, quelle surprise de
rencontrer, en ce document hagiographique si prudemment
combine, des emprunts aux chansons que colportaient des
jongleurs mépiisés!

En ellel, le biographe de Guillaume, a l'exemple d'Ardon,
ne peint guère son héros que sous le froc. De sa vie anté-
rieure, pas.sée parmi les grandeurs du monde, il dit quelque
chose pourtant; et ces quelques traits de sa vie séculière,



1. Mon. Germ. hist., SS., I, pp. 309 et 810.

'J. Voyez .son cxci-llonlo discussion, ouvr. cité, pp. ll'J-l'-i4.

?i. « Quae II rclixiosis ilocLoribiis solerior est otiita ot a' stiidiosis locto-
rihns rcxcrcnU'i- iocui esi in (•..niiiiuni fralnuii aiiiiiciiLia. » (Ord.ric Vital,
UistDria ecclesiastica, liv. VI, éd. de la Société de riiisioiio de France!
t 111. p. f).)



LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 23

c'est à des chansons de geste qu'il les prend. Son saint Guil-
laume, après son entrée dans le cloître, c'est le Guillaume
d'Ardou; avant son entrée dans le cloître, c'est Guillaume
d'Orange, le Guillaume des jongleurs.

Ainsi, nos trouvères parlaient du sanctuaire de Saint-Guil-
hem en hommes qui l'ont fréquenté, ou se réclamaient de la
vie authentique du saint, gardée en sa « maison ». Avertis
par eux, nous lisons cette Vita, composée par les moines de
Gellone vers 1122, c'est-à-dire antérieurement à tous les
textes poétiques conservés. Nous interrogeons cette Vita que
les jongleurs invoquaient comme leur autorité, et voici qu'à
leur tour les moines s'y réfèrent à des chansons de jongleurs.

De la ce problème : comment, en quelles circonstances ces
jongleurs du nord de la France ont-ils pu entrer en relations
avec ces moines enfermés au fond d'une vallée sauvage du
diocèse de Lodève? Réciproquement, comment, par quel mira-
cle ces moines, relégués dans une vallée perdue du diocèse de
Lodève, ont-ils pu connaître seulement ces chansons colpor-
tées par des jongleurs du nord de la France, et, chose plus
étrange, accueillir dans un grave texte hagiographique les
fables de ces jongleurs?



Mettons d'abord en pleine lumière la réalité du fait : que
les moines de Gellone, auteurs de la Vita, connaissent et
exploitent des chansons de geste.
Il suffit de transcrire ces deux passages bien connus :
1° Au début de la Vita, l'hagiographe déclare qu'il ne dira
rien de la vie de Guillaume dans le monde, car, dit-il,
cette « geste séculière » de son héros est célébrée dans tout
l'univers et chantée partout; et c'est une première allusion
à des chansons de geste :

« Quels sont les royaumes, quelles sont les provinces et les
nations, quel es sont les villes qui ne célèbrent pas à l'envi les
exploits du duc Guillaume, la force de son âme, la Arce de son
cœur, ses nombreux et glorieux triomphes à la guerre? Quelles



24 JOSEPH BÉDIER.

assemblées déjeunes g. — 3. Guillaume de Châteauneuf : 1215 : i.< vente
par Guillaume de Châteauneuf, doyen de l'église du Puy, à l'église de
Notre-Dame de Croissance [H. -Loire, arr. du Puy, cant. de Saugues]...
de tous les droits qu'il possède dans le territoire, tenement et village de
Chalmeis...; confirmé par Garin et Raimond de Châteauneuf, frères du
vendeur [Inv. Arch. Loz., G 412, p. 91) — 1245, 2 septembre : voy. III,
Garin. — Il est encore identique, sans doute, à Guill, de Châteauneuf qui
prêta, en 1219, hommage pour sa portion du château de Châteauneuf {Inv.
Arch. Loz., G 118, p. 31), qui figura à côté de Guignes Meschin etd'Odilon
Garin en 1224, et qui fut père de Guignes de Châteauneuf, mentionné
pour l'an 1268 et l'an 1276 [Inv. Arch. Loz.. 120-121, p. 132) — 4. Raimond
de Châteauneuf : 1245, voy. sous Guillaume.

III. Garin de Châteauneuf (II, 1) eut plusieurs fils dont Garin de
Châteauneuf, son successeur. — 1245 : « Hommage [à l'église de Mende]
de Garin de Châteauneuf, autorisé par son oncle G(uillaume) et non Garin,
d'après II, 3) de Châteauneuf, doyen de l'église du Puy, et par Bernard
de Châteauneuf (cf. P. Ans., 813-4), son frère; il reconnaît tenir en fief
franc, de l'église de Monde, les châteaux de Saint-AIban, d'Apchier et de
Montaleyrac, avec leurs droits et appartenances, les aubaines ou affars
de Montrocoux, de Randon et de Châteauneuf [Inv. Arch. Los., 974,
p. 19; l'autorisation de la part de G. et de B. tient non pas à la minorité
de Garin, mais au fait qu'ils partageaient avec lui la possession de ces
terres). — Il ne vivait plus en 1252. A cette date, « Odilon de Mercœur,
évêquo de Mende, à la requête de Garinet de Châteauneuf, assisté de son
aïeuL maternel Pons de Châteauneuf [sa mère fut Béatrix de Châteauneuf];
de B. de Châteauneuf, son oncle [v. ci-dessus]..., lui donne un tuteur et
curateur, à l'elfet de reconnaître les fiefs qu'il tient de l'église de Mende »
[ibid.]. Ce Garinet n'atteint l'âge de dix-huit ans qu'en 12.57. — Voy. ihid'
et dans P. Ans.) sur les dates postérieures, ainsi que sur le conflit des



52- STANISLAS STRONSKI.

comtes de Rodez et des évêques de Mende au sujet du fief sur la seigneu-
rie d'Apchier, qui tint sans doute à ce fait que, en leur qualité de sei-
gneurs en partie de Chàteauneuf, de Eandon, etc., ils relevaient de l'église
de Mende, tandis que, en leur qualité de seigneurs « d'Apchier, de Saint-
Alban, de Montaleyran et leurs dépendances » (cf. Inv. Arch. Loz.. l. c,
an. 1261), ils relevaient des couUes de Rodez (N'Uc aiquel, dans 16-2, 1,
V. 5, le troubadour Garin d'Apchier fait une allusion, est, sans doute, le
comte de Rodez).

Le fait que les soigneurs d'Apchier — (la mention sur la femme de
Garin, n. I, explique comment ils le sont devenus) — portaient le titre
« de Chàteauneuf » et avaient des possessions en Chàteauneuf et en Ran-
don (I, an 1181); II, 1, an 1207-1214; II, ;J, an 1219; III, an 124.:)) attestent
qu'ils étaient une branche de la famille de Randon. Quand et comment
s'en est-elle séparée? Il faut se i-apporter à notre table de la famille de
Randon. Le P. Anselme croit que Garin de Chàteauneuf (I) fut fils de
Guillaume de Randon qui correspondrait à notre Guillaume de Randon,
n. 2 (1148-1 176, 86). Cela n'est pas probable, parce que ce Guillaume eut
un fils, Garin de Randon (n. 3^;, attesté pour l'an 1198, et il ne peut pas
avoir eu deux fils du même nom. Il ne peut pas non plus avoir été frère
de Guillaume, puisque celui-ci eut un frère, Garin, qui était mort avant
l'an 1162, comme il paraît résulter de la mention rapportée sous cette
date, et, ici encore, Guillaume, qui avait plus qu'un frère (v. 2, an 11.52-9),
ne peut cependant pas avoir eu deux frères du nom de Garin. Deux
éventualités restent : ou bien ce Garin, tige des seigneurs d'Apchier, est
fils d'Odilon signalé pour l'an 1126, ou bien il est fils de Garin, qui était
frère de Guillaume et qui mourut avant 1162.

Quel est Garin, le troubadour? Une réponse définitive ne paraît pas
possible. En tout cas, il faut abandonner complètement la tendance de
M. Appel et de M. Witlhoeft à placer son activité poétique au xiir siècle
surtout. Le seul fait précis, c'est la mention, dans 162, 2, sir. III, d'Aza-
laïs, femme (depuis 1171) de Roger II de Béziers (régn. 1167-1194), morte
avant la fin du xii« siècle (voy. Appel, loc. cit., et Witthoeft, p. 36).
Aucun fait n'oblige à accepter une date quelconque du xiii« siècle dans
aucune des pièces du confiit Garin-Torcafol, qui se suivirent naturelle-
lemcnt toutes d'assez près. Le fait que Garin est un troubadour du
XII* siècle, ou bien poétisant surtout au xii« siècle, s'accorde bien avec la
mention de la biographie que ce fut lui qui « fetz lo premier descort que
anc fo faitz ». - - Mais il reste encore douteux si c'est avec Garin I,
attesté en 118(1, ou bien avec Garin II, attesté entre 1180 et 1215, que
nous avons all'aire. Or, plusieurs allusions contenues dans les invectives
de Torcafol contre Garin d'Apchier paraissent indiquer qu'il s'agit du
vieux Garin, qui céda en 1180 sa seigneurie à son fils aîné : l" Torca-
fol — (qui est lui-même appelé par Garin viellz, fJacs, plaides (162,
2, V. 1 ; 162, 4, V. 5; 162, 7, v. 1) ou bien iovenz... l'en faill J62, 5, v. 5)
et ses iocen e ses vigor (162, 5, v. 48), mais qui n'était pas d'une extrême
vieillesse, comme l'indique 162, 7. vv. 18-21 : Tossa.., outra doas messos
Son auria drut de vos) — insiste à plusieurs reprises et avec beaucoup
d'ai)lomb sur la vieillesse de Garin; s'il dit Viellz Comunal (162, 8, v. 1)
ou bien : ! — 2470 beil (?) est traduit par « œil » qui se dit pour-
tant oueil partout ailleurs, par ex. aux vv. 572, 876, 979, 2537. — 2471
arrajous {'radiolos) n'a pas exactement le même sens que array. Ce
n'est pas le « rayon », c'est le « rayonnement », l'acte de rayonner, de ré-
chauffer, lioutà-sà l'arrajou. c'est se mettre à l'endroit où le soleil darde
ses rayons, chauffe le plus — 2480 cariau m'étonne. Cette forme existe-
t-elle dans le patois d'aujourd'hui? En somme. Mistral, le seul qui la
donne, n'en connaît pas d'autre exemple que celui-ci qui pourrait être une
coquille pour : courau — graone = « gravier ». — 2483-4 la traduction
n'est pas construite.

V. 2b01 p lichens ne signifie pas « puissance », mais « puis » et s'oppose
à are: « celui-ci maintenant a le bon droit et [mis il n'en a guère. »
Cf. Lespy, 5. v°. Fondeville, Calvinisme, v. 1470. — 2508 « cela, c'est être
aussitôt dedans que dehors, à la façon des bohémiens joueurs ; » — de cartes?
d'instruments de musique? A cette époque, joufjaire doit plutôt indiquer
un jou(iur do cartes ou autres jeux de hasard. — 2518 ce vers ne m'est pas
clair, et il ne me paraît pas surtout avoir le sens qu'on lui donne. Per
l'un et j)er l'autre se rapportent probablement à costats. « Vous enten-
dez celui-là [le Gascon] d'un côté et de l'autre les ligueurs. » Aiigits
peut encore être un impératif : c< entendez.,. » — 2520 ligne, corr. : ligue,
allusion à la fois à la Ligue des Grecs contre Troie et à la Ligue des
Ligueurs. — 2.523 Gracie, corr. : Grecie: c'esi l'identification qui continue
entre les Grecs et les Ligueurs. — 2537-39 nous avons ici, si nos souve-
nirs du Musée du Prado ne nous trompent point, le portrait physique
fort exact de Philippe II. Ce prince avait, en effet, les sourcils très rele-
vés, les i)ommcttes rouges, les cheveux roux et le nez quelque peu en
forme de museau. — 2542-3 ces vers font sans doute allusion aux terri-
bles maladies dont souffrit Philippe II dans les dernières années de sa
vie, qui sont aussi celles de son intervention la plus active en Erance. Il



MELANGES ET DOCUMENTS. 75

eut les reins et les flancs couverts d'ulcèreb et fut privé de l'usage de ses
jambes. — 25^0 ce « seignor Cousconil » pourrait être le fameux général
Alexandre Farnèse, qui obligea Henri IV à lever le siège de Paris. Parmi
les sens de Cousconil, Mistral en enregistre un assez grossier. — 2547
peu mange ou per la punte : du côté du manche ou du côté de la pointe.
— 2548 Mistral nous apprend qu'en Provence on dit généralement : lou
(jrun Caire; il devait en être de même en Gascogne. — Madril. Cette
forme de Madrid est curieuse en ce sens qu'elle se retrouve dans l'adj.
madrileno. De plus, les paysans des environs de Madrid et même les
habitants des bas quartiers de la capitale disent los Madriles au lieu de
Madrid. — 2555 la rnatèro à L. S. est un piège à oiseaux fait de la façon
suivante : une fosse carrée sur laquelle on tend comme un toit une motte
de terre \viato] munie de tout son gazon, au moyen d'un bâtonnet verti-
cal. Ce bàlon, en sa partie infériiure, porte sur le pis7ial ou pisualh,
morceau de bois fourchu, à l'endroit oii les deux branches de la fourche
se rejoignent, ces deux branches d'ailleurs s'étendant vers l'intérieur de
la fosse, sur le vide. L'oiseau arrive, voit l'appât au fond de la fosse, se
perche sur la fourche, fait tout basculer par son poids et reste prisonnier
dans la niatcre. La meilleure traduction française me parait être '•
. Pourquoi ne pas
conserver les expressions hardies de l'auteur? Un « chèvrefeuille » de
bons fruits est-il bien plus étonnant qu'une « fourmilière » de blés?
Le chèvrefeuille est sans doute symbole d'abondance par sa végétation
luxuriante et touffue. De plus, nous avons ici une sorte de litanie à la Gas-
cogne, où Ader use de toute la liberté d'expression permise dans ce genre
de prières. — 2648-9 « que notre Gascogne soit la reine secrète », c'est-
à-dire : qu'elle soit reine sans en avoir le titre officiel. Y aurait-il là quel-
que allusion à quelque maîtresse gasconne de Henri IV, à quelque
Laure? Ader veut-il dire qu'en donnant à Henri IV de vaillants soldats
la Gascogne lui donnera ses vrais fils et sera sa vraie femme, quoiqu'en
secret? Je ne sais, inais le sens littéral n'est pas douteux. A la même
époque on disait que le prince de Condé était le « capitaine muet »
(c.-à-d. secret, de la conspiration d'Amboise. Citons encore Dastros, I,
269, 14 « yo mudo paraulo » — 2660 de detras ii7i Barthas « de derrière
un buisson. » Cf. Doujat : « bartns, buisson, broussaille ». — Dastros
fait aussi l'éloge de Du Bar tas, I, 116, 811 sq. — 2665-6 « et que la race
de ce roi gascon durei'a tant qu'à aucun autre au monde jamais plus il ne
fera place ». — 2667-8 « Ensuite Vulcain représente sur le bouclier, tout
au bord, avec des replis ondoyants, la mer qui va et vient. » — 2670 Naus
ne saurions bien comprendre ce vers et ce passage si on ne nous avertit
pas en note qu'il est un poisson de mer appelé : lou rey ; cf. Mistral s. v".
— 2672 coume rei : jeu de mots sur le double sens de rei : 1° roi ; 2° pois-
son de mer appelé roi. Le mot a ici les deux sens à la fois. Coume rei ne
signifie pas, d'ailleurs, « comme un roi », mais « comme roi, en sa
qualité de poisson roi ». — 2686 « que finalement de tout le monde ils ne
reçoivent que des couronnes ». A moins que en fin ne soit un latinisme
et ne signifie : « jusqu'à la (in » qui se dirait dans le pur gascon d'Ader :
« dequie la fin et à L. S. duico la fin ». — 2687 Ha « va I » C'est l'excla-
mation pour faire avancer les bêtes encore aujourd'hui*.



m. — Lou Catounet.

P. 183, 10. Bei-in. Cervantes cite cet auteur dans le D. Quichotte,
part. II, chap. xxxiii ; « Todo cuanto aqui ha dicho el buen Sancho, —
dijo la Duquesa, — son sentencias catonianas, ô, por lo menos, sacadas
de las mismas entranas del mismo Micael Verino ». Voir la note de Cle-
mencin à ce passage. Remarquons que Cervantes, tout comme Ader, asso-
cie Caton et Verino. Quant à la vogue du Caton en Espagne, ajoutons à
ce que nous en avons déjà dit plus haut dans I, hitroduclion , que le
premier livre de lectui-e s'appelle encore là-bas Catô?i : « livre composé
de phrases et de périodes courtes et graduées pour exercer à la lecture les
débutants». Acad., s. v». — «Pourquoi ne vas-tu pas à l'école ? » demande

1. J'ajouterai à ce que j'.ai dit à propos du v. 1901 que « lou bouymc désigne aujour-
d'hui à Aignan (Gers l'étui en bois où lo faucheur met sa pierre à aiguiser la faux. Cet
objet a passablement la forme d'un carquois et il se porte le plus souvent sur le bas-ven-
tre, pendant d'une ceinture » .



78 ANNALES DU MIDI.

dans les Cuenfos color de rosa de Trueba (xix" s.) un riche monsieur à
un enfant. « Parce que je n'ai pas de quoi acheter un Caton », lui ré-
pond celui-ci. — P. 184, 3 s'empare de bous signifie exactement : il
s'appuie sur vous. — P. 184. 1. 8 aue pic ou pelade, expression relevée
par Doujat s. v» pic. Ce sont deux façons différentes de se procurer un
morceau de quelque chose : en le coupant (pic) ou en l'arrachant {pelade).

— P. 184, 8 et 9 da deu pe... da deu nas : ces deux expressions se
retrouvent réunies dans Dastros, II, 30, 8. — La seconde se lit encore
dans Dastros, t. I, p. iv, v. 3, et est, de plus, donnée par Doujat s. v 7ias
avec le sens : « hocher la tête, rejeter, mépriser ». — P. 185, 1. 5 parla
dab sa cohe, cf. Doujat s. v° : cofo : bol i parla d'an sa cofo, je veux
parler à lui tète à tète, quand on veut faire des reproches à quelqu'un. » —
III, 4 à rapprocher Garros, Hannibal, 104 :

Aixi tu serviras oey-mes d'e>ise)'iament

A tots, que lo maïc hà no dura longament...

— IV, 2 haubareu. Il est probable, en effet, que le sens pri?nitif de hauba-
reu ou aubareu est celui de « hobereau », oiseau de proie (cf. Mistral •
aubaJieu). Cependant, au français « hobereau », dans ce sens-là, corres-
pond dans notre auteur Gefit.x. 224 houbreau, ce qui laisse supposer que
le mot ne s'employait plus dans le domaine d'Ader avec son sens propre et
primitif, mais avec son sens figuré et dérivé qu'il a encore aujourd'hui à
L. S. de « écervelé, bruyant, tapageur ». Quiti aubarèu! quino auba-
rèlo! dit-on de celui ou de celle qui mène grand bruit, surtout dans les
auberges. Par suite, la traduction qui nous paraît convenir le mieux
n'est pas « pique-assiette » mais « casseur d'assiettes ». Notons que Das-
tros, I, 113, 706, emploie encore haubaréou au sens de oiseau de proie,
et que nos deux auteurs lui donnent la même épithète de « bolo-haut ».

— V, 2-3 :

Bési, )iou-t arridis dou rney niau
q'ùan loii mey sye bieil, lou tou que sera )iai(

Hourcadut.

— JX, 2 peut-être serait-il possible et utile de conserver lo subjonctif
du gascon : « ... n'en puissent... » — XI, 1-2, l'esp. dit :

sirve à sefior

y sabras de dolor.

— XIII, 2 esla-s-en en « s'en rapporter à » s'emploie oncore'aujonrd'liui
et l'on trouvera un autre exemple de cette expression dans Dastros, t. I,
p, XII, v. 12. — Je traduirais qu'en haran d'une façon i)lus précise par :
« que décideront. » Encore aujourd'hui à L. S., après avoir longuement
parlé d'une atfaire, on termine en disant : é bé, qué-n hèm? « hé bien,
que décidons-nous? » — les getis de ben sont les gens de bien que l'on a
pris i)Our arbitres pour tâcher d'arranger une affaire sans aller en justice.

— XIV, 2 riche poulenl pourrait bien ne pas signifier : « riche et opu-
lent, mais « i)iiissammont riche ». Noter que l'expression usuelle aujour-
d'hui ilans le Gers est : rich-opulén. Nous mettons le trait d'union
Itour indiquer que ces doux mots doivent se prononcer d'une haleine, sans
virgule. Peut-être on était-il de même de riche-poutent. En somme, il ne
s'agit que de richesse dans ce quatrain. Dans l'expression bes e cabaus,



MÉLANGES ET DOCUMENTS. 79

bes nie paraît signifier, comme aiijourd'lmi à L. S., « les biens immeu-
bles » et cabaus « les « capitaux » ou « biens meubles ». Cf. Doujat :
Cahal. — XVIII, 2 empacha-s « se tromper » aurait besoin d'une note
justificative. Ce mot ne signifierait-il pas plutôt : « tarder s>, ce qui est un
gros défaut dans les dons que l'on fait. Empaches dans le Gent, v. 1397,
est employé comme synonyme de destrics, au sens de : « chose qui
entrave, retarde.» Cf. Doujat, empacli et empaches. — 4. Cf. Le Guide
des Gascons... (Paris, Garnier, 1858), p. 171, n° 11 : « un bienfait repro-
ché n'est compté pour rien ». — XIX, 4. Que lampournè remonte à
lampous)iè, cela est encore attesté par la forme lampoyiiè, Garros, Epist.,
I, 100 :

leicha ans tauernés

Ans turliiretz, marmytos, Imnpoynes...

Lo descridat mestie de gaynardiza.

Quant au changement de s en y devant consonne, il se retrouve dans
Garros, et il est fréquent dans toute une partie de la Gascogne, à l'ouest.
A propos du changement de s en r dans lampouriié, peut-être pourrait-on
citer aux vv. 9i39, 1379, 1477 eshalaiirit qui correspond au prov. esbaluusit ;
galère » truie mère » à Cazères (Landes) à côté de galese (Lespy) ; dans
la trad. gasconne de la Disciplina Clericalis : cordurey pour costurey
(dans Mistral : courdurié] ; dans Uastros, I, 178, 482 et ailleurs : wrma
pour usma; enfin, et surtout (car la position de l's est ici la même) :
piiDiache et pusnache dans Lespy. — [Le passage de s k r devant con-
sonne se produit actuellement dans le patois d'Arrens en plusieurs cas,
notamment devant d : hé sun tur dus se dit couramment pour : tus dus,
au témoignage de M. Camélat. V. Revue des patois gallo-ronians , Ca-
mélat, le Patois d'Arrens et Réclams de Biar)i et Gascoiigne, 190-5,
p. 124. — G. M.] — Quant aux deux radicaux lamp et ramp, je note
qu'ils existent aussi bien au Midi qu'au Nord et avec des sens sensible-
ment voisins. Nord : lamponner et raniposner ; Midi : lampourna et
rampoutia (Mistral) ; ce dernier avec le sens de « cramponner » qui n'est
pas très loin de celui de lampourna, s'il est vrai que les cancaniers soient
facilement bavards et les bavards facilement crampons. Avons-nous là
deux radicaux difterents ou deux doublets phonétiques d'un même radi-
cal ? C'est ce que nous dira sans doute un jour M. J. dans une addition
à son suggestif article des Annales, XVII, 75. En attendant, notons dans
Doujat rampoyno « quelque relique de fièvre » et dans Garros, Egl. 7 :

Si beue vos, jo n'e que de rauipoyna

et dans Dastros (cité par Mistral, s. v rampogno) :

Si)i pan 7ii car, vin ni ramjjoino

ou rampoyna, rarnpoino semblent signifier « de la piquette ». — XX, 2
d'humbles parents ne te font pas de honte », ne sont pas pour toi un
déshonneur. Hèn est un indicatif et non un subjonctif-impératif. — XXI,
2 esburba-s me paraît le même mot que le vieux français : s'esbriver. —
Remarquer de la doun= dou?i, qui se retrouve dans Gent, v. 2449, dans
Dastros, I, 263, 14, et qui est donné par Doujat : de là oun où, auquel lieu,
en quel endroit (sans interrogation). » — 3 truque-taiilés, cf. Doujat :
« truco-tauliés, fainéant, vaurien, vagabond. » Le sens de taulé est bien



80 ANNALES DU MIDI.

celui que nous avons fourni à M. J.. et qui se retrouve Geiit, v. 2100. —
Garros, Egl. G, nous dit d'un joyeux compagnon qu'il se fit herniite :

... aprop aue gaturlejat

e dam. taiis gens com et bandolejat...

triicat taules, heyt deu balandureu...

— 4 enjourrit à L. S., c'est le contraire d'un « désgourdit ». c'est un
meurt-de-peur, un trenibleur. Nous retrouvons ce mot uans Dastros.
I, 15, 218 sq., parmi les injures que l'été adresse à l'hiver, et avec le sens
bien net de ' « engourdi, meurt-de-froid » :

Mésjoii é bergouignasso qui m'auch
m'eygrim' ataii contro aqiiet bauch
coiïo-tisous é coïio-cene
d'ijouer que. nou bau pas lou pêne,
perdut, eticheprit, enjourrit,
barbo-gilut, barbo-lourit...

M. J. a eu tort d'assimiler enjourrit à Venjaurit de Mistral et de Dou-
jat, qui se retrouve aussi dans Dastros, II, 324, 1. Il faut donc traduire
i< enjourrit » par : « engourdi » ou terme synonyme, « empaillé », par
exemple. — XXIV cf. Ilourcadut, n» 213 :

Dap cen chagris nou pnguéren pas n dente.

Le Guide des Gascons , p. 171, n" 9 : « cent heures de chagrin ne paient
pas un denier de dettes ». — XXX, 2 arrebrec : c< rebrec, un reste, un
hiiiUon ; rebrega, chUXonnev; rebregat , chilTonué, liaillonné, soupi (?! »
Doujat. — XXXIII, 1 alielequade Doujat, s. v» aferlecat renvoie à
afizoulat, afusculat, où il donne un sens qui justifie la traduction de M. J.

— XXXV, 1-2 ces deux dernières lignes de la p. 225 doivent être reportées
à XXXIII, v. 1-2. — 3 car rida, « quereller, agacer, harceler » (Doujat).
Garros, Egl. 8, 87 : « tarridu los talens, » éveiller la faim, mettre en
appétit ». — Id. J. César, 12 :

U)i tant espauentos miracle de natura
me turrida lo co d'assaja l'aventura

« m'incita à tenter l'aventure » — Id. Epist. 1, 74 :

... leixa aqcra costuma,
jterqe l'amie aixi tu perderes,
e l'enemic qui drom tai'ridares

V ... lu réveillerais l'ennemi qui dort. » — XXXVII, 4 cf. Hourcadut,

"" ^-'-^ •

Lou qui n'a pas di/iès en bousse

Que ca'à abé paraît le en bouque.
llita Lill, :i.

(Jiiien no tiene miel en la orza téugala en lu boca.

— XXXVllI, 1 noter le sens fort curieux de niaynatjario chez Dastros.
I. ?', 11) :

Que tiare ses jou la gario
e fout auto maynatjario,

= oiseau de basse-cour. — XXXIX, 3-4 cf. Ilourcadut, n" 107 ;



MÉLANGES ET DOCUMENTS. 81

Tan ba lou péga enta la ho/in
qu'à la fi, lou tutou qu-i dantoure,

mieux présenté à L. S. :

Can ta soubén ban à la hoim

ke-y dèchon l'arrémèro oxi lou tutoun.

— XLII, 3 letre-herits. Dastros, I, 70, 142 et 195, 4, emploie ce mot au
sens de « savant » sans la moindre nuance de raillerie. Garros l'emploie
en bonne part, Egl. 5, 45. Doujat note que « letroferit se dit le plus souvent
par risée ». — XLIII, 4, àe a de beres on peut encore rapprocher : a de
maies, Gent, vv. 1164, 1895, et a de passetenips, ibid., v. 1894. Cf. un
proverbe français qui a cours dans mon pays : « Amis comme deux frè-
res, mais les bourses ne sont pas sœurs. » — XLV, i pèche : pour ce sens
de pèche = « faire manger, nourrir. » Cf. Dastros, I, 45, 232 ; 112. 684 ;
162, 12; 188, 791. — XLVIII cf. Hourcadut, n" 31 :

Lou qui né tribaille pas pouri
que calera que tribailli roussi,

— LU, 4 Hita, 620, 4 :

Hace andar de caballo al pedn el servicio.

— LUI, 4 arrouigne peut signifier « gale « dans certains cas, par ex.
LXXXVIII, 4, mais je crois qu'il a ici comme Gent, v. 1160, son sens le
plus courant de « crasse ». La gale n'attend pas d'être vieille pour déman-
ger. — LIV, 4 « tel s'en dit [ami] et il n'y a pas à s'y fier » ; « dit on » =:
dits O'iïi ou sa dits ou sa dits om, mais jamais se-7i dits. Cf. X, 3;
XXXIV, 4 ; XXXIX, 3 ; XLIV, 2 ; XLIX, 4; LUI, 3. — LVII, 4 bare. On
pourrait ajouter à la note à ce vers, pour donner raison à M. J., des
exemples tirés de Hourcadut, n"» 313, 584 et de Dastros, passim. Nous
nous contenterons du plus caractéristique, Dastros, I, 3, 56 :

Aro pe)' hé, lou mes de niay
bava suu soun d'un branle gay...

— LX, 4 qu'a tu = qu' e a tu = qu' ei a tu = « c'est à toi ». — LXI,
1 groiïa; cf. Gent. v. 1317. — 4 cf. Hourcadut n" 17 :

lou Ihéit caut que hé ?7iinya la soupe réde,

— LXIII. Le début de ce quatrain est interrogatif. L'impératif est ^3re;î et
nonprenes. Il faut donc traduire : « Avec ta femme prends-tu conseil sur
des choses qui ne vont pas plus loin que la maison? [sur des affaires de
ménage, d'administration intérieure). Si ta femme sait que tu as fait quel-
que chose de mal, c'est une affaire réglée, puis touches-y si tu l'oses » :
que je n'entends pas au sens de « frappe si tu oses », mais dans celui de
« touches-y si tu oses, soit aux affaires intérieures, soit aux extérieures ».
Elle profite du fiasco de son nu^ri pour lui enlever même le ministère des
affaires étrangères, si j'ose m'exprimer ainsi. Aquoi prou dit, littérale-
ment : « c'est assez dit », s'emploie à L. S. au sens de : « assez causé, ça
suffit, c'est fini, c'est réglé, c'est une affaire entendue », et indique soit
un accord définitif, soit une rupture définitive des négociations. — LXV, 2
« encore plus qu'il ne leur appartient, qu'il ne. leur est dû, qu'ils ne le

A.NNALES DU MIDI. — XIÏ. 6



32 ANNALES DU MIDI.

méritent ». — LXVI, 3-4 « et le plus souvent tel te cachera qui du doigt
montrera ta cachette ». Notre traduction est moins poétique que celle de
M. J. qui personnifie le méfait, mais nous la croyons plus naturelle et
plus exacte. Atau = • Leurs successeurs
immédiats, en effet, bien que leur nom révèle nettement une
origine gauloise, délaissèrent la technique nationale. « La clien-
tèle avait appris à connaître les pâtes rouges d'Arezzo, solides



86 ANNALES DU MIDI.

et sonores, protégées par un vernis inaltérable, ornées de reliefs
délicats, et séduisantes par l'éclat de leur couleur coralline. Le
nouveau procédé, d'ailleurs, est en partie purement mécanique
et d'une application facile. Il s ; prête aisément à une production
abondante. C'en est fait de l'ancienne méthode, et l'emploi du
pinceau se trouve condamné. »

Pour utiliser leurs riches gisements d'argile, les potiers gau-
lois imitèrent donc la technique de leurs concurrents italiens.
Sans doute, leurs produits conservèrent une lourdeur toute pro-
vinciale. « Le sentiment de la mesure et de l'harmonie, qui a
guidé les potiers d'Arezzo, dépositaires des saines traditions de
l'art grec, manquait à l'éducation des céramistes gaulois. » Mais
il s'agissait d'une concurrence commerciale, dune lutte écono-
mique. L'avantage des Gallo-Romains était dans la modicité des
prix de vente, que permettait une main-d'œuvre peu coûteuse.
Ils eurent vite fait de réduire à néant l'importation italienne.
\ leur tour, ils écoulèrent en Italie les produits de leurs offlci-
368. Ils réussirent bientôt à s'emparer de tous les marchés occi-
dentaux. Ils ruinèrent complètement l'industrie toscane.

Les vases céramiques ornés de la Gaule romaine se classent
en cinq catégories : vases moulés; — vases à reliefs d'applique;
— vases décorés à la barbotine, sans aucun emploi du moule; —
vases à décor incisé, dont l'ornementation est presque toujours
linéaire; — Imitations de vases métalliques, patères et œno-
choés dont le décor est surtout réservé aux anses, vases an-
thropomorphes et zoomorphes. Les grandes divisions de l'ou-
vrage correspondent à cette classification générale. Mais M. D.
a naturellement consacré la plus grosse part de son travail aux
poteries moulées, qui forment le groupe de beaucoup le plus
important. Celles-ci se subdivisent elles-mêmes en pâtes blan-
ches ou jaunâtres, de glaçure jaune ou verte, dont il faut cher-
cher les prototypes dans la vallée du Pô, et en pâtes rouges, à
vernis ruuge, dont les modèles sont dérivés de la technique
arrétine. Les vases à pâtes blanches sont sortis des manufactu-
res de la vallée de l'Allier; on les fabriquait à Saint-Remy-en-
Rolhit. à Vichy et à Gannat. Ils ne comportent qu'un nombre
très restreint de types figurés. Les vases rouges, dont la pro-
duction fut si intense, proviennent de trois régions : la Gaule
méridionale, !;? Gaule du Centre, la Germanie. Les ateliers ger-
mains restent étrangers au cadre que s'est imposé M. Déchelette.



COMPTES RENDUS CRITIQUES. 87

Au cœur même de la Gaule se perpétuait la vie des ateliers
arvernes. « Sur tout le territoire romain, la fabrique de Lezoux
n'est égalée par aucune autre, à partir des premières années du
second siècle. » En 1887, Plicque y avait exploré près de deux
cents fours. M. Déehelette a relevé, sur des estampilles, les noms
de quatre-vingt-seize potiers. Des milliers de vases firent connaî-
tre ces noms dans les provinces les plus lointaines et même au
delà des frontières de l'Empire. Mais les véritables créateurs de
cette industrie d'exportation appartenaient à la Gaule du Sud-
Ouest. Avant les officines gallo-romaines de Lezoux avaient
prospéré celles de la Graufesenque, de Montans, de Banassac,
dans le pays des Rutènes et des Gabales.

La Graufesenque n'est plus qu'un lieu-dit, à 2 kilomètres à
l'est de Milliau, non loin du Tarn. « C'est là, dans une vallée au
sol argileux, fermée par de hautes murailles rocheuses, que la
voie romaine, allant de Segodunum (Rodez) à Luteva (Lodève),
rencontrait une des trois localités connues des Rutènes, le Con-
datomagus, ou Champ du Confluent, de la Table de Peutinger. »
Les fouilles de l'abbé Cérès, conservateur du Musée de i^odez,
qui découvrit le premier gisement en 1882, celles de MM. Hermefc
et de Carlshausen, commencées en 1901, ont permis définitive-
ment d'établir que la Graufesenque, durant la seconde moitié du
premier siècle de notre ère, fut « le centre de fabrication céra-
mique le plus important de tout l'empire romain ». On a retrouvé
de ses produits, en notable quantité, sous les cendres du Vésuve.
Les dix-neuf bols ornés des musées de Pompéi et de Naples ont
livré à M. D. un précieux point de repère pour le classement
chronologique des vases rutènes. D'autres ont été rencontrés
dans plusieurs castella du limes germanique, avec des monnaies
qui ne sont ni antérieures à Vespasien. ni postérieures à Tra-
jan. Tout au nord du Rhin, chez les Bataves, l'ancienne Fictio
(Vechten) possédait un entrepôt des vases de la Graufesenque.
L'Angleterre, l'Espagne, l'Afrique du Nord s'approvisionnèrent
de vases sigillés dans la vallée du Tarn. La technique de ces po-
teries est conforme à celle des vases d'Arezzo. Mais la pâte est
plus dure, ayant subi sans doute à la cuisson une température
plus élevée. Le vernis est plus brillant; ces fabriques rutènes
ont eu aussi la spécialité d'un vernis jaune à veines rouges, qui
imite l'aspect du marbre. Les formes ont changé et ne présen-
tent plus le même profil qu'en Toscane. Enfin les reliefs ne



88 ANNALES DD MIDI.

constituent plus de véritables compositions; la panse se divise
en compartiments où se répètent les mêmes figures. La nature
des types Hgurés permet de distinguer les produits rutènes des
produits arvernes. Sur sept cent quatre-vingt-treize types ca-
ractéristiques de Lezoux et cent douze types caractéristiques de
la Graufesenque, on en connaît seulement vingt qui sont com-
muns aux deux fabriques. Quarante trois potiers de Condatoma-
gus nous ont laissé leurs noms.

Banassac (département de la Lozère, arrondissement de Mar-
vejols) éiait sur le territoire des Gabales. Ce furent dos ouvriers
de la Graufesenque, semble-t-il, qui vinrent s'installer à cet en-
droit. Ils avaient emporté avec eux un petit matériel de poin-
çons-matrices; les types qu'ils durent modeler sur place sont
d'une exécution maladroite et rudimentaire. Mais leur fabrique
sut bientôt se signaler par une spécialité exclusive : ils mirent à
la mode les vases épigraphiques à légendes décoratives. L'in-
scription occupe le milieu de la panse, entre une bordure d'oves
et une zone de fleurons, de feuilles, de personnages ou d'ani-
maux. On y lisait des invitations à boire : « Bois, ami, de mon
vin « {biOe, amice, de meo); « remplis-moi de bière» {cervesa
reple). Certaines formules amoureuses ne sont, peut-être, f(uedes
appels à la dive bouteille : « Salut, ô divine ! » [ave, divina);
«viens à moi, amie » (veni ad me, arnica). Les légendes Bonus
puer, Bona puella, conviennent à des objets offerts en cadeau.
Ces industriels eurent aussi l'heureuse idée d'expédier dans les
diverses régions de la Gaule des vases décorés d'acclamations
ethniques. Les Rémois, les Séquanes. les Lingons, les Trévères
recevaient de Banassac des poteries avec formules appropriées :
Remis féliciter! Lingonis féliciter! Sequanis féliciter! Treveris
féliciter! Hanassac avait également l'Italie dans sa clientèle. On
a retrouvé l'un de ses produits à Pompéi. La période d'activité
de cette manufacture peut donc être fixée approximativement
au dernier quart du i*' siècle. Sous les Antonins, les potiers
Gabales végètent ou bien ont disparu.

Montans s'élève sur la rive gauche du Tarn, à une lieue environ
en aval deGaillac, sur un plateau qui domine d'une soixantaine de
mètres le niveau de la rivière. Ce fut un oppidum assez prospère
au temps d'Auguste, si l'on en juge par les monnaies, et dont la
vitalité s'arrête après Marc Aurèle. Les établissements cérami-
ques de cette localité nous sont connus depuis les intéressantes



COMPTES RENDUS CRITIQUES. 89

découvertes d'Elie Rossignol, qui commencèrent en 18o9; le
musée Saint-Raymond de Toulouse, grâce à un don généreux de
M. Rossignol, possède la série la plus importante des vases
sigillés de Montans. Ici, comme à Lezoux, les ateliers gallo-
romains n'avaient fait que succéder à des ateliers gaulois qui
fabriquaient, dans les derniers temps de l'indépendance, des pote-
ries peintes à décoration géométrique. Parmi les types figurés, les
sujets mythologiques sont en petit nombre; la majorité des
reliefs nous montrent des gladiateurs, des bestiaires et surtout
des animaux. Voisins de la Garonne, « les potiers de Montans
utilisaient la grande voie fluviale qui leur ouvrait en Aquitaine de
larges débouchés ». Aussi exportent-ils de préférence leurs pro-
duits dans le sud-ouest de la Gaule. Leurs vases abondaient sur
le marché de Bordeaux.

Le second tome de l'ouvrage de M. Déchelette est un Cof-pusdea
types figurés et des motifs ornementaux qu'il a pu recueillir sur
les poinçons, moules et vases d3S officines gallo-romaines. Ce
riche inventaire comprend 1185 numéros pour les seuls vases
moulés. 139 pour les poteries à reliefs d'applique de fabrication
arverne et 153 pour celles de la vallée du Rhône; il est illustré
d'environ liJOO dessins. Voici les principales conclusions que
l'auteur a dégagées de ce travail. Les potiers ont puisé leurs
modèles aux sources hellénistiques. Ils n'ont jamais repré-
senté les divinités gauloises. C'est exclusivement sur les
vases à pâtes blanches de Saint-Rémy et de Gannat qu'apparais-
sent quelques rai'es éléments d'origine celtique. Le décor des
poteries routes fut d'abord composé de simples ornements, guir-
landes et godrons ; telle était à la même époque la décoration des
vases d'Arezzo, alors en décadence. Quand les ateliers rutèneset
arvernes adoptèrent le décor figuré, il fallut constituer un réper-
toire de types. On emprunta les motifs non pas à la céramique
italienne, mais à des objets de toute nature, statues, statuettes,
reliefs, intailles; sous l'Empire, les sculpteurs de bas-reliefs
usaient volontiers du même expédient. Presque toute la série des
Vénus est empruntée par les céramistes à des œuvres populaires
de la sculpture gréco-romaine. Les sujets les plus communs sont
naturellement ceux qui étaient à la mode dans l'art décoratif du
Haut Elmpire : Amours et Vénus, Silènes et Satyres, Tritons,
Tritouesses et Néréides. Mercure se manifeste sous une douzaine
d'aspects. Hercule sous une trentaine. Les sujets de genre, les



90 ANNALES DU MIDI.

scènes rustiques, idylliques, familières reproduisent naïvement
ou gauchement, parfois même à contre-sens, des thèmes de l'école
alexandrine. Les scènes de l'amphilhéâ+re et les sujets de chasse
sont répétés à satiété. Le céramiste Libertus, artiste de talent
qui vivait à Lezoïix vers 1 époque de Trajan et qui eut un rôle
prépondérant dans la composition du léperloire lédozien, imita
de préférence la décoration des vases métalliques. Si l'on excepte
les produits de Libertus et de quelques autres, les vases sigillés
de la Gaule romaine n'offrent leplus souvent qu'un décor de rem-
plissage, obtenu à l'aide de poncifs dont le choix ne fut pas tou-
jours intelligent et dont le groupement n'est )»as toujours
fort logique. Mais, déclare judicieusement M. D., « si nous
nous représentons qu'à partir du second siècle le commence-
ment de la décadence des arts industriels n'était pas moins sen-
sible en Italie et dans toutes les provinces, nous serons conduits
à juger avec moins de sévérité l'œuvre des potiers gaulois. Il
sera plus équitable, en effet, d'envisager avant tout le puissant
effort accompli par eux dans le domaine industriel. Tandis que
leurs tours ne cessaient de produire, aux conditions les plus éco-
nomiques et par énormes quantités, une poterie dont les quali-
tés techniques provoquent aujourd'hui l'admiration des céramis-
tes, alors qu'un commerce des plus florissants s'exerçait sur cette
marchandise et la transportait au loin, que devenait l'activité
jadis si féconde des représentants de cette industrie dans les
régions méridionales de l'Empire? Où trouver alors, soit en ter-
ritoire hellénique, soit en Italie, une fabrique comparable à celle
de Lezoux?... C'est à ce titre qu'il est juste de revendiquer pour
les officines de la Gaule romaine un rang des plus honorables
dans l'histoire du travail aux temps antiques ».

Nous savons d'autre part que de nombreuses industries furent
prospères en Gaule, sous l'Empire : telles la métallurgie, la
bijouterie, la verrerie, la laine, le lin. « On rencontrait dans les
petites villes gauloises, dit M. Ferrero, des artisans habiles,
très exactement initiés aux diverses industries orientales et qui
excellaient à les imiter. L'Italie et les provinces danubiennes
leur fournissaient des débouchés. Il semble résulter de ces faits
que la Gaule aurait joué quelque temps, dans le monde antique,
le rôle assumé par l'Allemagne depuis une trentaine d'années.
La Gaule excella dans la vulgarisation industrielle et dans ce
qu'on appelle aujourd'hui la pacotille. Rien d'étonnant à ce



COMPTES RENDUS CRITIQUES. 91

qu'elle ait fini par devenir riche. Richesse considérable, richesse
comparable à celle de l'Egypte. Ces deux provinces furent long-
temps les plus florissantes de l'empire, les plus imposées aussi ».
De cette prospérité économique résulta, d'après M. Ferrero, un
fait politique dont l'importance est capitale : la Gaule fit contre-
poids à l'Egypte et à l'Asie Mineure. « J'estime que, sans la
Gaule, Rome ne fût pas restée capitale de l'empire. »

H. Graillot.



V. Crescini. Manualetto proveuzale, per uso degli alunni

délie FacoUà\di lettere seconda edizione emendata

ed accresciuta. Vérone et^Pa(loue,prucker, 1905; ia-12 de
548 page-,.

C.-H. Grandgent. An Oatline of the Phonology and Mor-
phology of old Provençal. Bostoo, Heath, 1905; petit.
ia-S*^ de xi-159 pages.

La deuxième édition du Manuel de M. 'V. Crescini a été déjà
annoncée sommairement ici (XVII, 448); si nous y revenons
aujourd'hui, c'est pour insister sur quelques points de détail de
l'introduction grammaticale. Cette publication ne pouvait s'ac-
commoder que d'une rapide esquisse de la grammaire proven-
çale; M. Crescini, dont les notes prouvent qu'il est admiiable
ment au courant de la bibliographie du sujet, n'a rien oublié
d'essentiel. Voici les remarques et observations que nous a sug-
gérées la lecture de cette partie du Manualello.

Phonétique. — P. o. La forme valdôtaine zh' < caru est rele-
vée ; à en rapprocher la forme tsi < capul des dialectes franco-
provençaux. — P. 6. L'explication de aigua par * augua ne me
paraît pas admissible. On s'étonne de ne pas voir citée ici la
dissertation de M"e Hiirlimann (cf. i^oma^ita, XXXIII, 461), au lieu
du paragraphe de Meyer-Liibke, qui est vraiment trop bref. Il en
est un peu de même d'ailleurs de celui qui est consacré par
M. Crescini au traitement de a. Il n'aurait pas été inutile de rap-
peler que a fermé est devenu d'assez bonne heure o, du moins
dans de nombreux dialectes; il n'est pas parlé non plus des
formes gasconnes où aa provient de a fermé. — P. 10, Debetz
(avec e ouvert) s'explique par etz {estis). — P. 22. Gallicisme en



92 ANNALES DU MIDI.

parlant de joi est trop vague; on peut préciser et dire poitevi-
nisme; cf. Jeanroy, Poésies de Guillaume IX, p. 12. — P. 33. Le
domaine de it, eh lat. et) devrait être indiqué d'une manière plus
précise. — F. 38. Euz(i vient de * elicem non de llicem. — P. 43.
Probaina renvoie a *prop igina, non à propaginem. — P 44, n. 1.
Le renvoi à Foerster, op. cit., est insuffisant, le volume ayant
été cité vingt-quatre pages avant. — P. 45. J'écrirais lauzenja,
breujar, greujar, et p. 48 manjadoira. — P. 46, 1. 5. A propos de
cj, tj, il fallait mettre en tète du développement les formes
de la Chanson de Sainte Foi, qui sont les plus anciennes. —
P. 52, 1. 8. La forme a-uel est française. — P. 54. Le phénomène
s > i est à rapprocher de t > i, traité à la page précédente, le
processus étant en somme de même nature. — Ibid. Dominicus
est aussi représenté par domergue. au moins comme nom propre.

— P. 57. L'explication de l ^ i dans aitre (allerum) est intéres-
sante, et le rapprochement avec les langues de la péninsule ibé-
rique me paraît s'imposer; mais aiial, aitant représentent acla-
lis, actanium. — P. 61. Conortar ne pré.sente pas au premier
abord le même traitement que preon : l'explication donnée par
M. Grandgent [Old Provençal, p. oO) est plus claire. — P. 63.
L'explication donnée en note pour orne me paraît être la bonne.

— P. 65. C'est hoc + que au lieu de hoc -\- ue qu'il faudrait par
analogie de dunque ; mais cette addition n'est pas nécessaire. —
P. 68, n. 2. Il n'est pas probable que palais soit un emprunt
français; l'emprunt remonterait trop haut, car on prononce le
second a.

Morphologie. — P. 78. Il ne me paraît pas douteux que cabal-
lario représente de très bonne heure, dans le latin vulgaire,
l'ensemble des cas obliques du singulier. — P. 82. Breviari, tes-
timoni ne peuvent pas être comparés à damnalge, etc. : il s'agit
de formes savantes ou demi-savantes. — P. 87-8. Je crois à la
théorie de M. Philipon sur l'origine des noms propres en -on. La
question de l'accent est capitale; l'accentuation germanique
Hugo, Hi'igun n'a pu être changée que sous une influence latine.
La question de s du nominatif me paraît beaucoup moins impor-
tante. — P. 90. Cor (lat. cor) est encore sans s dans la plupart
des dialectes du midi ; il n'en a sans doute jamais eu dans le
parler populaire. — P. 115. Je ne crois pas — d'accord en cela,
sauf erreur. a^fcM. Chabaneau — à 1 existence de l'article el. —
P. 115-6. Los formes de l'article signalées dans Ux Chanson de



COMPTES RENDUS CRITIQUES. 93

Sainte Foi remontent à ipse et ipsa ; la graphie du manuscrit ne
doit pas nous faire illusion.
Additions. — P. 171, l. 24. Lire domine au lieu dç nomine.

La grammaire de l'ancien provençal que publie M. Grandgent
estl-i fruit de longues années de travail, car l'auteur déclare
dans sa préface qu'il s'en est occupé plus ou moins régulière-
ment pendant une période de vingt ans. Il y a des chances à
priori pour que le résultat d'un .si long labeur soit excellent; et
la lecture du petit livre de M. Grandgent confirme en très grande
partie cette présomption.

Le volume comprend, après une courte introduction, la phoné-
tique et la morphologie de l'ancien provençal. Dans l'introduc-
tion le classement des voyelles et des diphtongues (p. 5) n'est
pas des plus heureux, car s'il s'agit de représenter le son de la
diphtongue ue, il est peu logique de mettre sur la même ligne o
et de classer cuec à côté de olh; cf. uei = ai. Ce tableau devrait
être refait.

Nous exprimerons le même désir pour la carte qui est en tête
de l'ouvrage et qui gagnerait à être développée; M. G. aurait
dû ajouter le nom des villes importantes qui se trouvent en deçà
ou au delà de la frontière linguistique. Dans la même introduc-
tion, rénumération des caractères qui distinguent le gascon des
autres dialectes méridionaux fp. 7) est trop brève aussi; il aurait
fallu parler du traitement de II devenu final, puisqu'il est ques-
tion de II intervocalique.

Voici ce qui nous a paru contestable dans la phonétique.
P. 1 1, Rem. 3. Classer reddedi à part, avec tes parfaits en -dedi. —
P. 1i, g îi. L'upsilon n'est pas toujours rendu par m, i; ex. gup-
sos ^jéis (plâtre). — P. 16, Rem. I (e) ; la forme sélse avec le
premier e fermé, dans le languedocien moderne, doit être an-
cienne. — P. 18, R. 6. Le croisement de plexus et de paxillus pour
donner p^ais est peu vraisemblable; il suffit de remarquer, pour
expliquer le changement, que les sonsej eiai sont très voisins .
ce qui explique que ay (habeoi soit si facilement passé à ei. —
P. 21, R. 3. Je ne vois pas qu'il y ait trop de hardiesse à faire
remonter ara au lat. vulg. âora. Le iirec à'pa irait à merveille,
mais la sémantique serait-elle satisfaite ? — P. 24. C'est trop vite
dit que de dire : ioi, ioia, ioios sont d'origine française : il y
aurait lieu au moins de préciser la date et la provenance. —



94 ANNALES DD MIDI.

P. 26, R. 1. Piiu dans ' pû{e)Uicella changé en piu sous l'influence
de pius paraîtra au moins invraisemblable! C'est un développe-
msnt phonétique qu'il faut invoquer, celui de u en i devant
labiale (voy. Thomas, Nouveaux essais, p. 210, n. 1). Je ne crois
pas non plus à l'influence de az (ad) sur vas > ves : le change-
ment s'explique par l'emploi du mot comme proclitique (avec in-
fluence du V initial). — P. 26, R. 2. Aissi venant de eissi s'expli-
que aussi phonétiquement; l'analogie n'a rien à faire dans ce
développement. — Ibid. R. 3. L'influence française dans ti-esanar
est toat à fait contestable. — P. 27. R. 3. Fenit s'explique comme
vezi par dissiinilation vocalique. — P. 32 : Flebilem ne peut pas
àonwQT frevol\ cf. avol ; faut-il admettre ' flebulem ? — P. 33,
R. 4. L'analogie de ferra n'a que faire dans le traitement de
ferre-, cf. auj. tourre et tour, mourre et mour, sorre et sor. —
P. 33, R. o. L'explication de coma par analogie de bona, mala ne
me paraît nullement démontrée. Cet a peut avoir été emprunté
dans des locutions comme les suivantes : com a mi, com aco, etc.

— P. 35. R. i. Les doubles formes frair, fraire, etc., ne doivent
rien à des formes comme vair, vaire: pour sorre, sor, cf. supra.

— P. 3j, N. 2. L'alternance entre n et r (dans mongue, morgue)
est une question de pure phonétique; cf. domergue, canorgue, les
noms de lieu en -argues {-anicas), etc. Cf. encore p. 52, 1, où
la même explication revient. — P. 3">, R. 1. L'explication de faim
(facimus) serait mieux à sa place dans la morphologie. — P. 40.
M. G. consacre un paragraphe aux consonnes : pourquoi ne
l'a-t-il pas fait également pour les voyelles? C'était le cas de
citer ici E. Mackel, Die germanischen Elemente..., etc. Ce para-
graphe ne perdrait rien à être un peu plus développé. — P. 53,
R. 2. Puisque M. G. cite les départements où r intervocalique
passe à z, s, il eût pu ajouter l'Aude à l'Hérault et au Gard,
les exemples tirés des archives narbonnaises étant très nom-
breux — P. 54, R. 3. Mezeis n'a pas subi d'influeuce. U s'agit là
de mots très fréquemment usités, où le passage de < à d, puis z
ne présente pas de difficultés. — P. 54, R. 5. Calabre au lieu de
Vadabre, par l'analogie de Calabria, est bien invraisemblable.

— iôîci. Que vient faire ici le « bourguignon » [sor, sobre)? —
P. 61. U n'est pas probable que vezoa (vidua) soit un mot savant,
pas plus (\\XG pi'rdoa,(iic. (voy. ThomsiS, Essais de philologie, p. 90);
c'est le même traitement qui de vèzoa a fait dans les dialectes
modernes x-éuza. — P. 62, leuns pas davantage. — P. 65. Saubia



COMPTES RENDUS CRITIQUES. 95

est aussi languedocien; of. Revue des langues romanes, 1897,
p. 321, § 162. — Fbid. Le processus de cambiare .. cambiar me
paraît mal exposé : que vient faire la forme caniar ? — P. 66,
Asabenlar est évidemment refait sur sabenl; il était inutile de le
rappeler. — Ibid. En employant i pour j partout, M. G. rend les
mots méconnaissables; si piion est un emprunt français, il faut
au moins l'écrire pijon! — P. 66. Cargar et clergue [cierge] exis-
tent dans les dialectes modernes; ils sont évidemment anciens.
— P. 68. Pourquoi êcTwe parage et viaie ? — Ibid. Sazo ne peut
pas venir de stationem. Le provençal, le français et l'espagnol
exigent sationem : la saison est proprement le temps des semail-
les. — P. 68. N. 2. Poizo doit être commun aux dialectes méri-
dionaux. Ce chapitre 3 [Groups ending in y) devra être retouché
dans une deuxième édition. — P. 70, R. 3. Pâlies peut être rap-
proché du lang. mod. tebés, coubés où s est emprunté aux formes
féminines coubézo. lebézo ; *padillus est bien inutile. — P. 76. Le
développement de amygdala présente peu de difficultés si on
lient compte de la forme amendola; ce n'est pas le seul cas où
upsilon a passé à i, e en latin vulgaire; cf. p}'esbilerum ; n épen-
théthique ne fait pas non plus de dilflculté. — P. 77. Batejar
vient de baplidiare.

Mo7'phologie. — P. 101. Le paragraphe 119 sur les dérivés de
ipse devrait être plus développé. — P. 110. Quin et quina me
paraissent représenter qûn, qûno proclitiques, dans des phrases
exclaraatives comme qûn âme; ainsi donc qui unus et non qui-
nam. — P. 130. Il me paraît difficile d'admettre que i de la pre-
mière personne du prétérit de l'indicatif soit dû à l'analogie de
Vi de vei, dei, etc , où il formait le second élément d'une diph-
tongue et avait peu d'i valeur par lui-même.

Un index assez détaillé, mais non complet termine l'ouvrage.

Malgré les réserves que nous avons dû faire sur quelques
points de détail, ce petit livre est appelé à rendre de grands
services. La plupart des grammaires provençales que nous avions
jusqu'ici servaient d'introduction ou d'appendice à des recueils
de textes ; elles n'existaient, pour ainsi dire, qu'en fonction de
ces recueils. C'est ici la première grammaire qui se présente
sous une forme indépendante. Saluons-la avec sympathie et
souhaitons lui bon succès. Quoi qu'elle n'ait pas de prétentions à
être complète, les principaux faits s'y trouvent, et si l'auteur,
comme il est probable, la tient au courant et la fait profiter des



96 ANNALES DU MIDI.

indications de la critique, elle deviendra un manuel indispen-
sable, J- Anglade.



L'abbé J. Lestrade. Les Huguenots dans le diocèse de
Rieux. Auch, Cocharaux, Paris, Champion [1905]; in-S"
de xiii-258 pages. {Archives historiques de la Gascogne,
2* série, fascicule VIII).

La « Société historique de Gascogne », continuant ses publica-
tions de documents sur les guerres de religion, nous donne Les
Huguenots clans le diocèse de Rieux après Les Huguenots en Com-
minges, dans la Navarre el en Béarn. M. l'abbé Lestrade, auteur
de l'une et de l'autre publications, a trouvé les principales
sources de la première dans les riches archives de la Haute-
Garonne (fonds de l'évêché de Rieux). Il a mis. en outre, à con-
tribution les archives de Muret, celles de l'Ariège, celles du Par-
lement de Toulouse et même les archives nationales. Le présent
recueil donne des renseignements nouveaux et précis sur la mar-
che de Montgomery. Ce dernier, appelé par la reine de Navarre
au secours de Navarreins assiégé par Terride, partit de Castres,
traversa le Lauragais, le comté de Foix. le Nébouzan, le Bigorre,
et arriva en B'arn après avoir déjoué la surveillance de Belle-
garde, de Damville et du terrible Monluc. Son armée passa, pil-
lant et, dévastant le pays. 11 est possible de déterminer son iti-
néraire à travers le diocèse de Rieux et aussi les dates exactes de
son passage. Ces détails ne nous apprennent rien de nouveau
sur les rava^(es que causaient les troupes calvinistes ou catho-
liques. Celles-ci, dailleurs, étaient aussi ardentes que celles-là
à s'emparer de tout, même des biens ecclésiastiques; Monluc
nous renseigne à ce sujet.

M. l'ablié Lestrade a eu 1 heureuse idée de ne pas s'arrêter au
xvi«sit''cle;et une s?« partie. Arnoul d'Audrehem fut lieutenant général en Languedoc
durant les années les plus malheui-euses du règne de Jean le Bon.
C'est dire rinlérôt de l'œuvre que M. E. Molinier lui a consacrée.



Le 19 juin dernier est mort M. Jean-Henri-Antoine Doniol, né
à Riom le 20 avril 1818. Ancien préfet, ancien directeur de l'Im-
primerie nationale, il a écrit des ouvrages généraux, dont le prin-
cipal est une Histoire des classes rurales en France (1857), rema-
niée et rééditée en l'JÔO sous le titre de Serfs et vilains au Moyen
âge. Mais ses travaux administratifs, ou d'iiistoire générale, ne
lui faisaient pas perdre de vue l'histoire de son pays d'origine,
comme en témoignent ses éditions du Cartulaire de Brioude
(186?), du Cartulaire de Sauxillanges (1864) et des Lettres du
conventionnel Soubrany (1867).



NÉCROLOGIE. 127

M. Alphonse Picard, libraire-éditeur, à Paris, et l'un des édi-
teurs de notre Revue, est mort le 23 juin dernier. Par sa longue
carrière consacrée presque entièrement à la librairie ancienne, par
la publication de la Bibliothèque de l'École des Chartes, des
Comptes rendus des séances de V Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres et des Séances et Travaux de l'Académie des
sciences morales et politiques , par la publication de nombreuses
œuvres des historiens de notre temps, par sa science bibllogra-
pliique et le concours très précieux qu'elle lui permit de prêter aux
savants et érudits, il tient une large place dans le développe-
ment des connaissances historiques durant la seconde moitié du
xix.e siècle.



CHRONIQUE



L'Académie des Inscriptions a décerné pour la troisième fois le
second prix Gobert n M. A. Richard pour son Histoire des com-
tes de Poi ou. MM. Sama.ran et Mollat obtiennent une partie du
prix Bordin. Au concours des Antiquités de la France, M. L. Mi-
rot reçoit une médaille pour ses deux ouvrages, Isabelle de
France, reine d' Angleterre, comtesse d'Angouléme, et Les insur-
rections urbaines au début du règne de Charles VI; M. Serbat
une antre {Les assemblées du clergé de France de 1561 à 1615);
de môme M. H. d'Allemagne {Les cartes à jouer, du xive au
xxe siècle). Signalons parmi les mentions celles de MM. G. Doï-
TiN {Manuel pour l'étude de l'antiquité celtique), l'nbbé G. Ali-
BEHT {Histoire de Seyne), E. Bonnet {Antiquités et vionuments
du déparle^ncnt de l'Hérault), H. Moris {Cartulaire de V abbaye
de Lérins).

M. Stanislas Stronski, l'érudit et consciencieux éditeur d'Elias
de Barjols. prépare une édition critique des poésies de Folquet
de Marseille.

L'Esquisse historique de la littérature française au Moyen
âge de Gaston Paris, tout récemment publiée (Paris, A. Golin,
19U7), comprerul un l;iljleau sommaire, mais très exact et vivant,
de la littérature provençale, considérée surtout dans ses rapports
avec la littérature française du nord.



Une nouvelle édition des v Essais » de Montaigne. — Le tome I
de l'édition nouvelle «les Essais de Montaigne, due à la munifi-



CHRONIQUE. 129

cence de la ville de Bordeaux, vient de paraître. C'est un somp-
tueux volume in-4o de xxiv-47.j pages, tiré sur papier à bras parla
maison F. Pech et G'^, de Bordeaux, véritable chef-d'oeuvre de
typographie, accompagné d'une héliogravure et de deux photogra-
phies hors texte (prix : 25 francs. — 50 exemplaires numérotés ont
été tirés sur papier de Hollande, grand iu-4o, texte réimposé;
36 seulement sont mis dans le commerce au prix de 100 francs).

Cette édition nouvelle des Essais — l'édition municipale —
doiine pour la première fois le texte authentique et définitif de
Montaigne. Elle a été établie d'après le fameux exemplaire de
Bordeaux, enfin déchiffré et transcrit complètement. Au texte on a
joint toutes les variantes, corrections et repentirs de Montaigne,
en sorte que l'on peut suivre, pour ainsi dire, pardessus l'épaule,
le travail minutieux de l'auteur modifiant et complétant le texte
de 1588. Par un artifice typographique très simple et très clair on
a distingué le texte primitif de 1580 des apports successifs posté-
rieurs. Il est désormais possible de faire l'histoire du livre et de la
pensée de Montaigne. On peut leur appliquer — ce qui n'a jamais
été fait — la méthode historique, la seule rationnelle pour
débi'ouiller cette œuvre complexe. Un appareil critique très soigné
donne toutes les variantes imprimées et manuscrites. Cette édition
résume donc tous les travaux déjà faits sur les Essais et en même
temps présente l'ouvrage sous un jour tout nouveau.

Entreprise grâce à l'initiative de M. de la Ville de Mirmont,
professeur à l'Université de Bordeaux, adjoint au maire, sous les
auspices et avec la collaboration de la commission des Archives
municipales de cette ville, elle a été dirigée avec une sûreté et une
diligence vraiment dignes de l'œuvre par M. F. Strowski, profes-
seur à l'Université de Bordeaux. M. Strowski s'est placé, par ce
beau travail, au premier rang des familiers et des fervents de Mon-
taigne. Il ne s'est pas contenté de donner tous ses soins à l'établis-
sement scrupuleux du texte, besogne délicate entre toutes. Il a
écrit en tête du volume une importante introduction sur l'histoire
des Essais, qui met définitivement en lumière la valeur inestima-
ble de l'exemplaire de Bordeiux. Trois appendices donnent les
variantes très curieuses de ponctuation et d'orthographe, les leçons
des éditions de 15S0 et 1582, enfin un choix de leçons de l'édi-
tion de 1595, qui démontre qu'il convient de n'accorder qu'une
confiance limitée à la vulgate publiée par Mi'e de Gournay.

Ce tomel contient le livre I des Essais. C'est dans ce livre que

ANNA.LKS DU MIDI. — XIX 9



130 ANNALES DU MIDI.

se trouvent, on le sait, quelques-uns des chapitres les plus célè-
bres : ceux notamment du Pédantisme et de VlnstUuUon des
Enfants. L'édition comprendra quatre volumes. Elle sera accom-
pagnée de notices sur les sources de Montaigne, de notes expliquant
les allusions historiques, enfin d'un lexique définitif. Cette œuvre
magnifique, due à l'initiative municipale et aux efforts des érudits
bordelais, est une éclatante manifestation de vie intellectuelle
régionale et une contribution capitale à l'histoire des lettres fran-
çaises *. ^ P. C.

Adoptée par la Chambre après le Sénat, le 12 décembre dernier,
la props une lutte épique et mouvementée
où il n'a pas été toujours combattu à armes courtoises, a été
remplacé dans son double enseignement par M. Henri Mérimée,
qui a en préparation une thèse sur la comédie valenciane. Son
prédécesseur avait, en 1906, publié, coup sur coup, deux volumes,
l'rn de critique littéraire, Molière et le théâtre espagnol, l'autre
d'impressions de voyage, — Propos d'Espagne, — qui peignent
tout entier son talent i)rimesaulier et brillant, trop habile seule-
ment à dissimuler la finesse de son observation et la solidité
de son érudition sous des dehors parfois fantaisistes et volontaire-
ment légers.

La thèse de M. Louis André sur Le Tellier, dont je parlais ici-
mème (1903, XV, p. 569), a vu le jour à la fin de 1906, et a valu à
son auteur, avec un prix à l'Académie des sciences morales, les
félicitations méritées de son jury. La petite thèse était consacrée à
la publication de Deucc Mémoires de Cl. Pelletier, utile contribu-
tion à la connaissance de l'historiographie française au xviie siècle.
M. Louis Thomas poursuit la difficile élaboration de son étude
d'anthropogéographie languedocienne. M. Albert Monod étudie la
défense de la religion contre les philosophes au xvjii« siècle, et
M. Buchenaud étudie le roman social de George Sand. M. .Tules
Goulet achève sa seconde thèse.

Un ancien étudiant de notre Faculté, M. J.-B. Séverac, licencié
de philosophie, a soutenu, au printemps de 1906, ses thèses de
doctorat sur Ce que Nietzche pensait de Sacrale (question un peu
étriquée, peut-être, pour une thèse), et sur La secte des Honiines
de Bien en Russie, travail de sociologie confus et hâtif, mais pré-
sentant (résultat de recherches personnelles) un tableau assez neuf
d'un de ces groupements mystico-anarchistes dont le pullulement
explique, pour une part, l'actuelle décomposition de la Russie. Le
jury a su gré à M. Séverac d'avoir voyagé en Russie pour pré-
parer son travail à l'époque des troubles terroristes , et d'y avoir



134 ANNALES DU MIDI.

couru de sérieux dangers : il lui a conféré la mention honorable.
L'année 1907 sera marquée ici par la soutenance des thèses de
M. V. Durand sur Le Jansénisme au XVIIlo siècle et J. Colbert,
évêque de Montpellier, actuellement sous presse; — M. Cabanes
a présenté pour la licence un bon mémoire surie rôle du clergé
pendant la révolution de 1848, surtout dans le diocèse de Mont-
pellier; — M. Lacroix, professeur au Lycée d'Alais, a donné, pour
le diplôme de hautes études d'histoire, un Mémoire svir les Mémoi-
res de Mme Rolland (éd. Perroud) considérés comme source his-
torique; — M. Grousset prépare, pour le même examen, un tra-
vail sur La situation économiqite de la Lozère pendant la Révo-
lution- et M. Vidal, pour la licence, examine l'importance

\\\?,io\-\(\ViQ à'Un Recueil de lettres inédites sur les événements
politiques de 1651-1652 que possède la Bibliothèque de la Ville
(cod. 41). Ces divers travaux sont sortis de la conférence d'his-
toire moderne à la Faculté des lettres, et se poursuivent sous ma
direction.

Le Comité pour l'histoire économique de la Révolution, formé
au mois de juin 1905, après une première réunion où il a élu pour
président M. Gachon, n'a pas été convoqué en 1906.

La disparition de la Faculté de théologie de Montauban a eu un
contre-coup favorable pour l'Université de Montpellier. Un cours
d'histoire du christianisme primitif a été créé et confié à
M. E.-Ch. Bahut, que sa thèse sur Le Concile de Turin et l'hono-
rable polémi(iue, qui en fut la suite, avec Mk'' Duchesne quali-
fiaient hautement pour celte nomination.

M. Lambert, directeur honoraire du Conservatoire municipal de
musique, a enfin publié le recueil impatiemment attendu de Chants
et chansons populaires du Languedoc , auquel il a travaillé pen-
dant toute sa vie. Ces deux volumes seront désormais le livre fon-
damental du folk lore musical languedocien : le premier comprend
les chants du premier âge, pour endormir, pour éveiller, les rondes
enfantines, les jeux d'enfants, les formules d'élimination, les diffi-
cultés de prononciation, les dictons facétieux sur les noms de
baptême, les incantations enfantines, les rondes ; le second volume
énumère les danses (bourrées, rigaudons, montagnardes, diverses),
les chansons de printemps et la copieuse série des chants d'amour,
— y compris le mariage et ses conséquences : 7)ial maridado,
marit jalous et cougùous (Paris, Welter, 2 vol. in-8", 1906). Le
beau recueil d'Antiquités et monuments du département de



CHRONIQUE. 135

- l'Hérault, de M. Emile Bonnet, est aussi un livre capital pour les
études languedociennes médiévales. L'auteur y a groupé, classé et
décrit tous les monuments (édifices, monnaies, inscriptions, objets
mobiliers) conservés ou trouvés dans le département et actuelle-
ment connus, pour les six périodes préromaine, gallo-romaine,
wisigothe, carolingienne, romane et gothique. C'est un guide par-
fait pour le touriste archéologue et un excellent point de départ
pour continuer des recherches et reprendre des discussions. Il faut
souhaiter que M. Bonnet continue cet inventaire pour la période
moderne, de la Renaissance à 1900 : il ne serait pas moins utile,
et les oeuvres à inventorier ne seraient pas moins importantes.
Signalons enfin deux récentes monographies, l'une purement his-
torique, l'autre d'intérêt universitaire et social. M. Saint-Quirin
(de Gazenove) a étudié Les verriers de Languedoc de 1290 à 1790
(un vol. in-8o, 362 pp. Montpellier, Bœhm, 1904 [en réalité, 1906]),
avec une érudition très précise et très documentée, et il a su faire
revivre, à travers toutes les vicissitudes de son histoire, cette noble
corporation. MM. les docteurs Truc et Pansier ont publié l'Histoire
de rophlalinologle à VÉcole de Montpellier, du XII^ au
XX^ siècle. Après une courte introduction sur les diverses phases
de l'histoire de l'ancienne École de médecine et du Collège de
chirurgie, les auteurs donnent la liste, — biographique et autant
que possible bibliographique, — de tous les oculistes ayant pra-
tiqué à Montpellier depuis le quatorzième siècle, depuis Bienvenu
de Hierusalem et Bernardus Provenzal jusqu'à la création de la
chaire d'ophtalmologie actuelle et de la nouvelle clinique, et ter-
minent par une vue d'ensemble sur l'importance des progrés
accomplis et des services rendus. L'honneur de l'admirable orga-
nisation de cette clinique revient, avant tous, au Dr Truc.

Le Congrès des Sociétés savantes doit se tenir, en 1907, à Mont-
pellier. Il faut espérer que le désir de paraître avec honneur à cette
solennité intellectuelle, et l'appât des palmes académiques qui en
sont la conséquence obligatoire, sinon le motif, stimuleront le
zèle somnolent de nos érudits locaux.

L.-G. Pélissier.



LIVRES ANNONCÉS SOMMAIREMENT



AuRBLLE-MoNTMORiN (R. d'). Samarobriva, Uxellodunum. Pé-
ronne, 1903; in-12 de 26 pages. — Etude étymologique tendant à
prouver que Saynarobriva Ambianorum doit être cherchée à
Péronne, et Uxellodunum à Capdenac.

Dbsdevises du Dezert.

BoNNEFOY (G.), statistique générale avec carte économique du
département du Puy-de-Dôme. Clermont-Ferrand, Monier, 1903,
in-8° de 79 pages (1" fascic des Mémoires de la Société des Amis
de VUniversité de Clermont-Ferrand). —M. B., déjà connu par de
nombreux travaux sur l'histoire administrative du Puy-de-Dôme,
nous donne dans ce mémoire, d'après les documents officiels les
plus complets et les plus récents, une étude détaillée sur le mou-
vement de la population dans le Puy-de-Dôme depuis 1790, sur
la statislique cadastrale du département, la zoologie et la bota-
nique agricoles, le régime des eaux et forêts; des tableaux résu-
ment les données statistiques fournies par le texte. Une carte
très claire et très ingénieuse complète l'ouvrage et fixe dans
l'esprit la physionomie du département. D. d. D.

BouBOUNELLE (H.). Saint-Flour et ses environs. Saint-Flour,
1903; in-12 de 127 pages. - Le guide du touriste à Saint-Flour
occupe dans cette brochure 70 pages environ. Détails sur Saint-
Flour, le viaduc de Garabit, les châteaux du Sailhans. d'Alleuze,
des Ternes et de Roffluc, l'église de Villedien et les eaux de
Chaudes-Aiguës. Quelques indications bibliographiques. Les cha-
pitres sur les châteaux d'Alleuze et du Sailhans sont dus à
M. Léon Belard, archiviste de Saint-Flour. D. d. D.



LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT. 137

Brémond (E.). République de Marseille, i2Hi257 ; son origine,
son organisa lion, sa fin. Marseille, Auberiin et RoUe, 1905; in-S"
de ".t pages. — L'auteur n'a pas eu « la prétention de faire une œu-
vre d'érudition, mais de rappeler des souvenirs oubliés et de
porter à la connaissance de tous quelques-unes des années glo-
rieuses et néfastes de la seule ville qui, avant 1792, a osé pren-
dre, en France, le nom de République ».

Cet opuscule n'est, en effet, qu'un travail de vulgarisation,
rédigé d'après les histoires de Rufli, Papon, Guindon et Méry, etc.
Après quelques pages relatives aux origines de Marseille (où l'on
ne voit pas sans surprise qu'au temps des Phocéens la culture de
l'orange/- florissait en cette ville), l'auteur expose la situation de
Marseille et la généalogie de ses vicomtes, puis la façon dont elle
se libéra de leur autorité. Une deuxième partie traite de l'admi-
nistration et de l'organisation de la république, dont la troi-
sième et dernière partie raconte la fin.

Dans tout cela, non seulement on chercherait en vain quelque
chose de nouveau (M.B. nous a prévenus), mais quelque chose d'in-
téressant: c'est un récit sec et décoloré, peu propre, je le crains,
à attirer les lecteurs et à leur inculquer, comme le voudrait l'au-
teur, l'amour du passé de leur ville. Il s'écoulera sans doute bien
du temps encore avant que l'on puisse donner au public un abrégé
intéressant de l'histoire de Marseille au moyen âge: il faudrait
d'abord que cette histoire fût refaite complètement, autant du
moins que le permettent les trop rares documents qui en subsis-
tent. M. Clerc.

Cohen (G.). Histoire de la mise en scène dans le théâtre reli-
gieux du moyen âge [avec six planches gravées]. Paris, Cham-
pion, 1906; petit in-8o de 304 pages. — Jamais cet intéressant
sujet n'avait été traité avec cette ampleur et cette abondance
d'informations; aussi le volume de M. C. apporte-t-il beaucoup
de nouveau. Le contenu, au reste, en est notablement plus étendu
que le titre, car il n'y est pas seulement question de la « mise en
scène » proprement dite, mais aussi de la condition des acteurs,
des auteurs, du prix des places, etc. Un titre comme « Etudes
sur l'organisation matérielle de l'ancien théâtre français » eût
donc été plus exact. Le théâtre du Midi et celui du Nord ayant
évolué parallèlement, il nous a paru bon de mentionner ici ce
volume, bien que rien n'y concerne spécialement les oeuvres mé-



138 ANNALES DU MIDI.

Pidionales (celles-ci, qui contiennent de iiombreuses indications
scéniques, y sont peut-être même un peu plus négligées que de
raison). L'ouvrage, malheureusement tiré à petit nombre, est
déjà épuisé, bien que tout récemment paru; mais il en sera
publié dans quelques mois une traduction allemande par les soins
de la librairie Klinkhardt, à Leipzig. A. Jeanroy.

Fabrb (C). Austorc d'Orlac, troubadour du Yelay au xin« siè-
cle; élude sur sa vie et son œuv7-e. Le Puy, 1906; in-8" do 20 pages
(Extrait des Mémoires de la Société agricole et scientifique de la
Haute-Loire, t. Xlll)..— Dans la première partie de ce travail,
M. Fabre montre que le sirventés d'Austorc d'Aurillac, Ay Dieus !
per qu'as fâcha tan gran maleza se rapporte, non à la croisade
de 1270, mais à celle de 1247-50. Ses arguments sont en grande
partie ceux que j'avais moi-même invoqués dans un article écrit
avant que le sien ne parût', et qui aboutit naturellement à la
môme conclusion. Mais dans le reste de sa brochure, M. F. fait
certainement fausse route. A la suite de F. Mandat {Histoire poé-
tique et littéraire de l'ancien Velay, Paris, I8i2, p. 428), et de
L. Pascal [Bibliographie du Velay et de la Haute Loire, Le Puy,
'1904, p 401, note 1), il considère l'auteur du sirventés comme
originaire du Velay et non de l'Auvergne. Mais le second de ces
écrivains n'a certainement fait que copier le premier, et celui-ci.
bien qu'il s'appuie sur l'autorité des « manuscrits », n'a utilisé,
comme le prouvent ses propres indications, que les copies de c
exécutées pour Sainte-Palaye (Arsenal. n° 3071); or, on sait que
le manuscrit en question ne fournit, en fait de renseignements,
que trois rubriques, dont l'une mutilée. On se demande donc com-
ment M. F. peut écrire (p. 4 2), que « les manuscrits {sic) de la
Bibliothèque nationale font naître le poète au Puy ». Ce n'est pas,
du reste, au Puy que lui-même veut le faire naître, mais à Orlac,
commune do Pébrac (Haute Loirei.

Supposition inadmissible, car le nom de ce village est toujours
écrit, dans les anciens documents, comme M. F. lui-même veut
bien mo l'apprendre : Ortac ou Orlat. tandis que les formes Aor-
Ihac, Aorllac désignent constamment, dans les textes du moyen
âge, le chef-lieu actuel du CantaP. C'est encore une idée raallieu-

1. (!et article, ri'M^o en août 1905, et qui a déjà paru en tirage à part,
doit faire partie des Méluuçies Chabaneau.
?Z. Voy. par exemple Afinales du Midi, Vil, 437,



LIVRES ANNONCÉS SOMMAIREMENT. 139

reuse que d'identifler avec Austorc l'auteur d'un sirventés bien
connu (439, 1), œuvre d'un « chevalier du Temple », dont le ma-
nuscrit a nous a récemment fait connaître le nom '. Le fait que le
second sirventés est sur le rythme et les rimes du premier
constitue déjà un argument suffisant contre cette identification,
qui n'est au reste proposée ici (p. 17) qu'avec quelque réserve. En
dépit de ces erreurs, M. F. a fait preuve dans ce travail de con-
naissances étendues ^ et d'une critique avisée, et il serait désira-
ble qu'il poursuivît ses études sur les troubadours de sa pairie
d'adoption, A. Jeanroy.

GuÉLON (l'abbé P. F.). Essai sur les marguilleries des Collégiales
de France (d'après un ancien manuscrit). La Collégiale de Sainl-
Gen'es à Cleruiont en Auvergne aux dix-septième et dix-huitième
siècles. Clerraont-Ferraud, Bellet, 4 905; in-8» de 152 pages. —
Le livre de M. l'abbé G. donne un peu moins et un peu plus
que son titre. L'ancien manuscrit découvert par l'auteur est in-
titulé « Registre de la raarguillerie pour la paroisse de Sainl-
Genez en cette ville de Clermont ». Il fallait le faire précéder
d'un historique de la paroisse Saint-Genès, le publier in extenso
avec notes explicatives et l'accompagner d'un index, s'il y avait
lieu. M. l'abbé G. a préféré esquisser une histoire générale des
marguilleries du cinquième au seizième siècle; encore ne la
présente-t-il que morcelée, mêlée à toutes sortes d'épisodes et de
digressions. Du manuscrit on voit de longs fragments, recousus
tant bien que mal à l'aide de quelques phrases de l'auteur; on
ne sait si on a tout le manuscrit ou seulement une partie; on ne
se sent pas en présence du document, mais d'une interprétation
personnelle du texte. A chaque instant, M. G. prend la parole
pour donner son opinion sur tel ou tel fait, tel ou tel person-
nage, pour décrire un objet qui l'a frappé, pour stigmatiser les
idées ou les hommes qui lui sont antipathiques. Le livre, en
somme, serait intéressant si l'auteur avait su se borner à son
sujet. Desdevises du Dezert.

Keller (W.). Das sirventés « Fadet joglar » des Guiraut von
Calanso, Versuch eines hritischen Textes, mil Einleitung . Anmer-

1. Voy. Bertoni, Nuooe rime provenzali, p. 25.

2. Les deux sirventés en question sont reproduits et traduits d'une façon
très satisfaisante, à quelques détails près.



140 ANNALES DU MIDI.

kungen, Glossar und Indices. Erlangen, Junge, 1905; in-S" de
142 pages {dissert, de Zurich). — Les deux manuscrits qui nous
ont conservé ce texte bien connu étant très divergents, M. Keiler
a pris le sage parti de les reproduire tous deux in extenso, ce qui
permet de contrôler très aisément son texte critique. Il y a bon
nombre de passages qu'il n'est pas arrivé à restituer d'une façon
sûre, ce qui ne saurait nous étonner, un grand nombre de cor-
rections et de conjectures ayant déjà été proposées par G. Paris
et M. Paul Meyer, à propos du livre de M. Birch-Hirschfeld (Ro-
mania, VII, 44S). Mais c'est beaucoup d'avoir sous la main tous
les matériaux qui permettent de se livrer à de nouvelles étu-
des. Ce qu'il y a de nouveau surtout dans ce travail, c'est la
très longue et intéressante introduction (pp. 1-47), où l'auteur
n'a pas laissé grand'chose à dire sur le sujet. Il faut signaler
particulièrement ses vues sur l'origine du mot sirventés , qui
aurait désigné d'abord, comme l'avait pensé M. P. Meyer, une
poésie composée par un sirven ou un ancien sirven. Selon M. K.,
les sirventés auraient été à l'origine de deux sortes : les uns, oii
l'auteur aurait fait l'énumération de ses talents (c'est à cette
variété que M. K. rattache, assez arbitrairement, notre texte);
les autres, où sont pr'is à partie les vices du siècle. Mais on
ne s'explique guère ni pourquoi la première catégorie est si pau-
vrement représentée, ni pourquoi la seconde en serait venue à
toucher si fréquemment à la politique proprement dite. — Dans
les notes (pp. GO-130) on remarquera les recherches approfondies
sur les diverses légendes poétiques et sur les instruments de
musique mentionnés par G. de Calanson. L'introduction et les
notes eussent pu aisément être un peu réduites; l'auteur eût pu
laisser de côté certaines hypothèses tout à fait en l'air, celle, par
exemple, qui rattache frémir à frendere (pp. 114-5), ou celle qui
fait de escrimir un substantif, qui aurait le sens de «^' sorcier »
ou de « larron » (p. Il 8). On eût préféré, en revanche, trouver
dans le même volume une édition aussi soigneusement établie
de deux autres textes inséparables de celui-ci ; les deux pièces
de Guiraut de Cabrera et de Bertran de Paris. — Page 76. note
aux v. 49 51, au lieu de Raynaud, lire Raymond; page 115. n. 2,
au lieu de Flury, lire Fluri.

A. Jeanroy.



LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT. 141

Mabilly (F'h.). Les villes de Marseille au moyen âge. Ville supé-
rieure et ville de la Prévôté. Marseille, Astier, 190ï; in-Sode 294 pa-
ges. — L'auteur nous prévionl, dans son introduction, qu'il n'a
pas l'intention de constituer l'histoire des villes hautes de Mar-
seille, c'est à-dire de la ville supérieure qui, avant 1257, avait
l'évêque pour seigneur, et de la ville de la prévôté et de l'œuvre,
qui était sous la seigneurie du chapitre de la Major. Il manque,
pour écrire cette histoire, encore trop de documents nécessai-
res, perdus ou enfouis dans des archives fermées aux investiga-
tions. L'ouvrage se présente donc sous la forme d'une succes-
sion de notes à l'adresse des historiens futurs. De ces documents,
les uns sont simplement analysés, les autres donnés in extenso,
et l'auteur indique tout d'abord, pour faciliter l'intelligence de
ces documents, l'origine des deux villes. 11 s'attache surtout à
mettre en lumière ce qui concerne les villes épiscopale et de la
prévôté, la ville vicomtale étant relativement mieux connue,
grâce aux statuts, publiés et commentés plusieurs fois. C'est donc
une courte histoire des villes hautes avant 1257, puis l'histoire
de l'achat de la seigneurie, à cette date, par les citoyens.

Vient ensuite une topographie, aussi détaillée que le permet-
tent les documents, des villes hautes à partir de 1257. Il y a là
une étude très serrée et extrêmement consciencieuse, et l'auteur
a très heureusement utilisé les actes notariés de la fin du xiii° siè-
cle et du début du xivp pour rectifier les assertions des îiutf urs
de la Statistique des Bouches- du- Rhône, souvent foit arbitraires.
M. M. a pu rectifier, grâce atix mômes documents, l'origine de
plusieurs noms de rues et corriger sur ce point l'œuvre d'Augus-
tin Falire. Quel dommage qu'il n'ait pas ajouté à son ouvrage
une carte ofi toutes ces indications auraient figuré! La topogra-
phie de Marseille au moyen âge est à la fois des plus importan-
tes et des plus obscures encore.

L'auteur étudie ensuite l'administration de la justice, puis la
constitution des municipalités des villes hautes, et enfin ce qu'il
appelle les faits économiques. Il y a là une foule de détails nou-
veaux et curieux sur le prix des immeubles et des marchandises,
l'intérêt de l'argent, etc.

Une biographie des conseillers des deux villes forme la seconde
partie de l'ouvrage. J'aurais préféré qu'ils fussent rangés par
ordre chronologique et non par ordre alphabétique, quitte à allon-
ger la liste alphabétique de la table des matières.



142 ANNALES DU MIDI,

Quelques pièces justificatives terminent l'ouvrage, entre autres
le serment des consuls de la ville supérieure et un extrait de la
convention passée entre l'évêque et le comte.

Sous sa forme modeste, l'ouvrage de M. M., archiviste de la
ville, qui connaît admirablement ses archives, est destiné à ren-
dre les plus grands services : tout historien de Marseille au
moyen âge y trouvera des renseignements d'une véritable valeur
scientifique. M. Clerc.

Faumès (B.). Le Collège 7-oyal et les ot'igines du Lycée de Cahors,
1763-1815. Cahors, Girraa, 1907; in-IG de 26.3 pages et 2 plans. —
L'auteur, professeur d'histoire au lycée Gambetta fCahors), est
doué d'esprit scientifique. Il a consulté pour écrire sa monogra-
phie tous les documents qu'il a pu se procurer et les cite dans de
nombreuses notes. La correspondance des recteurs, les rensei-
gnements confidentiels sont mis à contribution. Il a même
recueilli les souvenirs et impressions d'anciens élèves de l'école
centrale ou du lycée. Aussi, son livre est-il nourri de faits. La
narration est intéressante.

Le collège date du milieu du xvi^ siècle. Il est né avec les guer-
res religieuses. Les Jésuites y enseignent de 1G05 à 1763. Ils
l'accroissent et lui donnent une véritable splendeur. Après la
dissolution de leur ordre, ils y sont remplacés par les Doctrinai-
res. Ceux-ci le tenaient encore lorsque la Révolution vint le
détruire L'auteur retrace cette dernière période, depuis 1763, et
il mène son récit jusqu'en 1815, alors que le lycée a succédé à
l'institution révolutionnaire, l'école centrale. Les bâtiments,
centre d'un véritable quartier des études au \vi*' siècle, sont
demeurés à peu près les mêmes. Nous pouvons suivre leur his-
toire. I/établissement devient collège royal en 1765. Les autori-
tés locales le favorisent. Dès cette époque, elles s'efTorcent de ne
pas laisser absorber complètement par Toulouse les élèves de la
région. Notices sur les professeurs. Les programmes assez larges
et la discipline assez douce des Doctrinaires annoncent les temps
modernes. La Révolution apporta le trouble dans les idées, d;ins
la discipline, dans lu vie des professeurs^ dans le budget de la
maison, dont elle amena la ruine.

L'auteur glisse sur l'école centrale, dont l'histoire a été écrite.
11 se contente d'ajouter quelques précisions à l'ouvrage de Bau-
del, non sans insister pourtant sur les causes d'insuccès qui



LIVRES ANNONCÉS SOMMAIREMENT. 143

la firent échouer, telles que les troubles de l'époque, la vie des
professeurs un peu tropmê'ée à la politique, l'absence déclasses
graduées, chaque professeur étant maître de son programme
sans souci de cohésion avec ceux de ses collègues.

La création de l'Université impériale fit de Cahors le chef lieu
d'une académie, qui comprenait le Lot, le Lot-et-Garonne et le
Gers, et le siège d'un lycée. M. P. retrace les débuts de ce lycée,
la restauration des classes, les programmes. Il ajoute d'abondan-
tes notices sur les professeurs, et promet d'étendre bientôt son
travail à la période contemporaine.

En somme, bon ouvrage, sérieusement documenté et très
vivant. Il est à désirer que de pareilles monographies soient
consacrées à tout établissement notable et ancien d'enseigne-
ment secondaire. M. Décans.

RiBiER (D'' Ij. de). La Chronique de Mauriac par Monlforl, suivie
de documents inédits sur la ville et le monastère. Paris. Mauriac,
1905; in-8» de '260 pages, avec planches. — La Chronique de Mont-
forô a été composée vers le milieu du xvie siècle, par le prêtre
P. de Montfort, curé de Moussanges. M. de Ribier la publie d'après
une copie faite en 1785 par l'abbé Lavergne, prêtre de Mauriac,
et d'après un extrait copié par Dulaure et conservé à la Biblio-
thèque de Clermont, sous le n^ 656.

Cette chronique rapporte les légendes relatives à la fondation
de l'abbaye de Mauriac par sainte Clotilde, femme de Clovis, re-
late quelques faits historiques, signale les pestes et les famines
qui affligèrent Mauriac, et raconte avec grands détails la fête
donnée dans la ville au mois d'avril 1559 pour célébrer la con-
clusion de la paix de Câteau-Cambrésis.

Au texte de la chronique fait suite un volumineux appendice
(pp. 91-260) renfermant un résumé de l'histoire du monastère,
une liste des doyens et diverses pièces parmi lesquelles nous cite-
rons l'état général du revenu des offices claustraux (p. 155);
l'état général des revenus et charges du monastère en 1642
(p. 160); le dénombrement des propriétés, cens et rentes du mo-
nastère en 1669 (p. 168); l'histoire de l'introduction de la Congré-
gation de Saint-Maur, ordre de Saint-Benoît, au monastère de
Saint-Pierre de Mauriac (p. 175) ; la vente comme biens nationaux
des propriétés du monastère (p. 238), qui produisirent une somme
totale de 77,200 francs.



144 ANNALES DU MIDI.

M. (le R. s'est principalement servi des travaux de Dulaure,
du Dictionnaire du Cantalde Delalo, des documents conservés
auï archives du Cantal et dans les archives de sa famille. II est
regrettable qu'il n'ait pas placé en tête de son livre une étude
critique de ses sources, qui aurait certainement ajouté k la valeur
de cette intéressante collection. Dbsdevises du Dezert.

Sahuc (J.). m ''moire géographique et historique sur le diocèse de
Saint- Pons au XV iw siècle. Montpellior, impr. Ricard, 1906; in 8°
de 73 pages. — Les éléments de ce mémoire ont été puisés aux
Archives de l'Hérault et à colles de la Haute-Garonne, y compris
la série B (Archives du Parlement de Toulouse). Si utile qu'il
puisse être, il nous serait difficile de l'analyser, car il se compose
d'une série d'énuraérations rangées sous les rubriques suivan-
tes : Orographie et forets du diocèse; cours d'eau; voies de
communication — cette partie offre beaucoup d'intérêt; — mi-
nes de charbon, assez rares et mal pourvues; institutions judi-
ciaires, d'autant plus compliquées que les appels ressortissaient
aux deux sénéchaussées de Carcassonne et de Béziers, chacune
ayant son ressort dans 1(5 diocèse, tandis que la villa de Saint-
Pons et l'évêque relevaient à leur choix de l'une ou de l'autre;
administration des eaux el forêts; organisation ecclésiastique
par menses, prieurés-cures et rectories sous l'ancien régime, par
cantons en 4801; domaine royal, seigneuries, à commencer par
la seigneurie épiscopale. toutes étudiées dans leur histoire, dans
leurs raodificaiions successives du moyen âge au xviii» siècle;
enfin, communautés au nombre de quarante-quatre, avec indica-
tion de la population, des noms, tènements et des monuments
d'intérêt archéologique. En somme, travail des plus méritoires,

P. DOQNON.

Teilhard de Chardin (E,). Comptes de voyage d'habitants de
Montferrand à Arras en 1479. Paris, 1906; in-S' de 48 pages (E\tr.
de la Bibl. Ec. Chartes, t. LXVII). — En juin 1479, deux ans après
qu'il eut acquis Arras, Louis XI, trouvant trop « autrichois » les
sentiments des gens do la ville, résolut d'en bannir la popula-
tion ot d'y établir de « bons et loyaux sujets ». A cotte fin, les
principales villes du royaume l'.nr- i mises à contribution, dont
quatre de la Basse-Auvergne; Clerraont, Montferrand, Saint
Pourçain et Cussot durent fournir des « ménagers », gens do



LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT. 145

métier, et les trois premières, avec Moulins, un « facteur » ou
négociant. Elles avançaient les frais du voyage; de leur côté,
les corps de métier faisaient chacun une « bourse », c'est-à-dire
réunissaient des fonds destinés à être remis aux émigrants, lors-
que ceux-ci seraient parvenus à destination. — Le voyage, qui
dura du 9 juillet au 22 août 1479, présente des particularités
intéressantes, que M. T. de Ch. a bien su mettre en lumière,
mais que nous ne pouvons énumérer. Sur dix colons partis de
Montferrand, cinq paraissent être restés ensuite à Arras, au lieu
de retourner dans leur pays. En 1482, en 1484, les bannis d'Arras
ayant été autorisés à rentrer chez eux, d'autres encore regagnè-
rent l'Auvergne, sauf trois, peut-être, qui durent, en ce cas,
devenir « Autrichiens » dès le mois de mai 1493. — Quant au
« facteur», on ne voit pas s'il s'est dérangé, quoique les 1,200 écus
qui devaient lui être alloués eussent été réunis, et non sans
peine. — M. T. de Ch. publie avec beaucoup de soin les comptes,
relatifs à cette affaire, des consuls de Montferrand, comptes
commencés le 22 juin 1479 et clos le 22 novembre suivant.

P. DOGNON.

Thiollibr (N.). La porte romane en bois sculpté de Véglise de
Blesle {Haute-Loire). Caen, Delesques, 1905, in-8« de 8 pages,
2 planches (Extrait du Bulletin monumental, année 1903). —
M. ThioUier rapproche cette porte de celles de la cathédrale du
Puy, des églises de Charaalières-sur-Loire et de La Voulte-Chillac,
et les date du milieu du mi« siècle. D. d. D.

Uren'a y Smenjaud(R. de). La Legislaciôn gôtico-hispana [Leges
antiquiores : liber judiciorum) : esludio critico. Madrid, Morerio
1905; in-8'' de 583 pages et 3 planches. — Cet excellent livre est
le fruit du cours professé en 1903, à l'Université de Madrid, par
M. de U. y S. sur l'édition des Leges Visigotho?'um, publiée en
1902 par Zeumer dans les Monumenla Germaniœ. Il se compose
d'une série d'études critiques sur les sources et les textes de la
législation visigothique Le premier chapitre est une bibliogra-
phie très complète du sujei £-1 xix? siècle. Le second chapitre est
consacré aux éditions des textes, d'abord de ceux qui sont anté.
rieurs un Liber judiciorum de Receswinth, c'est-à dire : des frag-
ments de la Lex antiqua an ms 12!6ld i^nvï^AQi' E lictum régis An
manuscritde Holkham, dos fragments nouveaux, dits de l'Edit d'Eu-

ANNALES DU MIDI. — XIX 10



146 ANNALES DU MIDI.

rie. tirés du manuscrit de la Vallicelliana, du Bréviaire d'Alaric
et de la Lex Theiidi régis, de 54H, qui provient du palimpseste de
Léon. L'auteur étudie ensuite les treize éditions de la Lex Yisigo
thorum. C'est naturellement la dernière qu'il examine et critique
de préférence. Il signale (p. 106 8) un certain nombre d'inexacti-
tudes dans les tables de concordance dressées par Zeumer. Il cons-
tate que ce savant n'a pas donné assez d'importance aux manus-
crits espagnols et a négligé de les collationner lui même; il y
aurait trouvé en particulier deux fragments inédits de la Vulgate
{Appendice A, 1-2) et il aurait pu y ajouter aussi un fragment
extrait d'un manuscrit bilingue latin-galicien, déjà édité dans
les Fueros municipales de Santiago (Appendice D). Il regrette, et
ce nous semble avec raison, que Zeumer ait exclu de ses Addita-
menia plusieurs morceaux, tels que le Tilulus primus de electione
principum, \e placilum do Chintila et d'autres fragments admis
dans l'édition de l'Académie d'Espagne ip. 102, 104, 166, 522-523),
ainsi que les quatre morceaux du manuscrit de la Vallicelliana
qui paraissent bien être du droit visigothique et non du droit
lombard. Il rejette également avec raison les doutes élevés contre
l'authenticité de la loi 6, 5, 21 et l'attribue plutôt à Egica qu'à
Waraba. Il donne une explication qui paraît vraisemblable d'un
texte des Addilamenla resté jusqu'ici une énigme : baldrès fariunt
a?'gencotabili. En vieux castillan, bald?-ès ou baldès signifie cuir
fin, peau à gants; il s'agirait donc de peaux équivalentes à de
l'argent comptant.

Le troisième chapitre étudie les phases et l'évolution de la
législation visigothique. D'après le texte de Sidoine Apollinaire
et contre celui d'Isidore de Séville qui fait d'Euric le premier
législateur, M. D. U. admet d'abord l'existence d'une législation
de Théodoric et attribue à un édit de ce prince les fragments du
manuscrit de Holkham qui n'appaitiendraient par conséquent ni
aux Ostiogoths ni à Euric. Pour la législation d'Euric, l'auteur
accepte la vieille théorie des Bénédictins, reprise par Hinojosa,
Cardenas, Brunner, Zeumer, et croit qu'on peut la reconstituer
en partie avec le palimpseste de Paris et la Loi des Bavarois ; il
rejette donc l'opinion deGaudenzi qui voit dans le palimpseste de
Paris des débris du Code de Léovigild. Il fait ensuite d'excellen-
tes observations sur la lex roniana Yisigothorum. Pour \'inte7'-
pretatio en particulier, il accepte et confirme la théorie de Fit-
ting et la nôtre sur l'origine prévisigothique. Il attribue ensuite



LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT. 147

une très grande importance à la revision de Léovigild, qu'il
essaie de reconstitAier (p. 3ol-370). D'après lui, c'est sous Léovi-
gild que la loi de personnelle est devenue territoriale, et il ne
faut pas attribuer, comme on le fait généralement, cette grande
transformation à la loi si obscure de Receswinth (2, 1, 10). C'est
plutôt à la revision de Léovigild qu'au Gode d'Euric qu'appartien-
nent les quatre fragments du manuscrit de la Vallicelliana. Un
de ces fragments est relatif aux énigmatiques jubilii : l'auteur
rejette l'explication qui en fait de.'< lubilii. Ubellarii (emphytéotes
lombards) et les assimile blux Juberii, Juberi, espèces de colons
déjà indiqués par Du Cange pour l'Aragon, et dont la condition
est décrite dans une foule de fueros postérieurs sous les noms de
juberos, juveros, yuveros. Cette hypothèse satisfera-t elle les lin-
guistes? L'auteur étudie finalement l'évolution juridique depuis
Recared jusqu'à Egica, la formation et les enrichissements de la
Vulgate. Il accepte la théorie de Zeumer, la seule défendable
aujourd'hui, qui attribue le liber judiciorum à Receswinth et non
à Chindaswinth, mais il admet une revision du Code d'Ervig par
Egica.

Cette analyse sommaire montre l'importance du travail de
M. D. U. Sa discussion précise et vigoureuse fera accepter une
bonne partie de ses conclusions.

On ne lit pas sans une sympathique émotion ses plaintes sur
l'indifférence du gouvernement espagnol à l'égard du travail
scientiâque, sur la détresse des Universités d'Espagne, dépour-
vues de fonds, de livres, d'outillage! Les professeurs ne peuvent
guère compter que sur leurs ressources personnelles. On ne sau-
rait trop louer le mérite et l'abnégation des savants qui, dans
ces conditions, produisent et font imprimer des œuvres de
valeur. Ch. Lécrivain.

"Wendel (H.). Die Entwichelung der. Nachtonvokale ans dem
laleinischen ins allprovenzalische. Halle, 1906; in-S" de vi-122 p.
(diss. de Halle). — Le sujet est bien divisé et toutes les parties
en sont traitées avec un soin égal. Cette constatation pourrait
bien impliquer une critique, car certains chapitres pouvaient être
traités plus sommairement et d'autres méritaient mieux. L'au-
teur considère trop l'ancien provençal comme un bloc; il ne
tient pas assez de compte des dialectes, et quand il en parle,
c'est d'une façon vague ou superficielle. L'existence de formes



148 ANNALES DU MIDI.

comme crèder (p. 29) à" côté de creire n'est pas seulement « vrai-
semblable »; elle est rendue certaine par la persistance de ces
formes en Gascogne, où elles sont même les seules usitées. A
propos des mots présentant un r après la voyelle atone finale,
comme azer (p. 32), casser (p. 33), fraisser (p. 34), etc., M. W.
s'obstine à supposer des formes latines tout à fait impossibles,
comme asirum, cassarum, fraxirum. Ce qu'il y a de plus singu-
lier, c'est qu'il a entrevu lui-même ailleurs (p. 68) la bonne expli-
cation, qu'il faut chercher dans une substitution de suffixes'.
C'est aussi une idée bien singulière que de reconstituer, pour
expliquer les formes escandre (p. 29), ord7'e (p. 30), des types
latins scandarum, ordirem\ l'explication, d'ordre purement pho-
nétique, est très simple. Je ne crois pas k l'existence des pré-
tendus adjectifs féminins cobeza r»). Dans les calendriers du
XV' et du XVI' siècle publiés par Misset-Weale, Analecta liturgica flnsu-
lis et Brugis, 1889), je ne le rencontre que trois fois : Kal. Uceciense
{li'èh), Brixinense (1493), Bicterreyise (l.'iSl).

2. Voy. la Gallia christiana, t. II, col. 470; cf. Révillout, p. 55;
G. Paris, dans la Romania, t. VI, p. 471; Cloetta, Archio de Herrig,
t. XGIII, p. 420, etc.



172 JOSEPH BEDIER.

fui l'un des Guillaume qui « se confondirent » avec Guillaume
de Gellone pour former la figure du Guillaume de l'épopée, et
je reconnais volontiers que, des onze ou douze personnages qui
prétendent à cet honneur, c'est celui-ci qui fait valoir les titres
les plus sérieux.

Ces litres, G. Paris les résume ainsi* : « Il est sûr qu'à
l'église Saint-Julien de Brioude on montrait l'écu d'un comte
Guillaume; et il n'est pas moins assuré que ce Guillaume
n'était ni Guillaume d'Orange, ni Guillaume de Gellone, mais
bien Guillaume I dit le Pieux, qui s'occupa beaucoup de
l'église de Saint-Julien de Brioude, la restaura, la dota ma-
gnifiquement et voulut y être enterré. Il est probable que, dès
le xi^ siècle, à Brioude même, on ne distinguait plus bien
entre les deux Guillaume, et que l'attribution identique de la
chanson du Montage et de la Vita a pour sources les asser-
tions des chanoines qui montraient ce trophée aux pèlerins. »

Pourtant, Léon Gautier^ ayant parlé avec quelque tiédeur
de ce prototype du Guillaume épique, M. Antoine Thomas'
est venu à sa rescousse. Il a fait entre Guillaume le Pieux
et Guillaume Fierebrace un rapprochement très ingénieux.
Nous possédons « quelques petites pièces en vers latins du ix«
et du x« siècles en l'honneur des différentes fêtes de l'année,
qui toutes se terminent par une invitation à boire », telle que
celle-ci : Sumile nunc leti preseniis pocula musti. M. A.
Thomas a montré qu'elles ont été composées par des chanoi-
nes de Brioude et que le comte-abbé Guillaume I est nommé
dans l'une d'elles. « Ces vers, écrit-il, nous révèlent de la
façon la plus authentique que la vie qu'on menait à Brioude
sous l'administration du comte Guillaume le Pieux n'avait
rien d'ascétique, et c'est peut-être de là, et non pas de Gel-
lone, que viennent les récits du Montage Guillaume. Il ne
sera donc plus aussi facile que le croit encore M. Léon Gautier
de débouler Guillaume le Pieux de la part légitime qui lui re-
vient dans la formation de la légende de Guillaume d'Orange. »

1. Romcmia, t. VI, p. 471.

2. Epopées françaises, t. IV, p. 98.

3. Romania, t. XIV, p. 579.



LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 173

L'analogie est pourtant vague et fugitive. Ces vers des
chanoines de Brioude nous révèlent que leur vie n'avait rien
d'ascétique; mais le Montage Guillaume ne parle ni en bien
ni en mal des chanoines de Brioude; il ne connaît que les
moines d'Aniane, auxquels il fait mener une vie fort régu-
lière. Ces vers nous révèlent, en outre, que Guillaume
le Pieux aimait les vers latins et peut-être le bon vin, et qu'il
tolérait qu'on le nommât dans une innocente chanson à boire;
mais le Montage Guillaume ne rapporte rien de tel de Guil-
laume Fierebrace : il dit seulement que son appétit formida-
ble épouvantait les moines d'Aniane; les vers composés à
Brioude n'indiquent pas que Guillaume le Pieux ait été gros
mangeur.

Ils n'indiquent pas davantage qu'il ait été un géant. Or, la
Vita témoigne que l'écu conservé dans l'église de Brioude
était d'une grandeur surprenante'. Il y a donc indication (les
géants étant rares par définition) que cet écu avait été choisi
exprès ou fabriqué exprès pour être montré aux pèlerins
comme étant le bouclier du héros gigantesque des chansons
de geste.

Il reste donc simplement que, dans la liste des abbés de
Saint-Julien de Brioude, on trouve un comte-abbé nommé
Guillaume. Le fait n'a rien de surprenant, vu la fréquence du
nom de Guillaume. Que ce personnage ait pu donner son bou-
clier à l'église et qu'il ait pu être un géant, je le veux bien,
n'ayant cure de le débouter de sa prétention d'avoir pris
part à la formation de la légende de Guillaume d'Orange. On
ne suppose pas, en effet, que ce Guillaume le Pieux ait été le
héros de « chants lyrico-épiques » qui se seraient par la suite
« amalgamés » avec ceux qui célébraient d'autres Guillaumes.
Il ne s'agit pas ici de la confusion de deux héros, mais de la
confusion, faite par quelque sacristain, du donateur d'un cer-
tain bouclier avec saint Guillaume de Gellone. Réduite à ces
termes, il ne coûte rien d'accepter cette identification, invrai-



1. Ex quibus clypeus in teniplo hodieque conservattir, qui et ipse
de Wilheltno quis et cujus modi fuerit satis testificatur .



174 JOSEPH BÉDIER.

semblable, mais sans intérêt. Que le bouclier de Gellone ait
appartenu à Guillaume le Pieux ou à tout autre personnage,
ou qu'il ait été commandé par nos chanoines à un fabricant du
voisinage, il n'importe guère. Ce qui importe et ce qui est sûr.
c'est qu'on l'a attribué de bonne heure à saint Guillaume de
Gellone, et que cette confusion (si confusion il y eut) a été
exploitée : exploitée par les chanoines de Brioude qui ont intro-
duit saint Guillaume de Gellone dans leur martyrologe; par les
moines de Gellone, qui ont inséré l'anecdote de Brioude dans la
Vîla; par les jongleurs, qui ont localisé à Brioude une scène
du Montage Guillaume et plusieurs scènes du Montage Rai-
noart. Je ne vois, de ces relations entre deux églises si dis-
tantes, entre deux saints si étrangers l'un u l'autre, entre ces
poèmes de Jongleurs et ces sanctuaires si éloignés de la
France du nord, qu'une explication imaginable : ces sanc-
tuaires se trouvent sur une même route, où religieux et jon-
gleurs s'appliquaient à édifier et à réci'éer les mêmes pèlerins.
Rappelons en passant que saint Julien devint l'un des pa-
trons des jongleurs (cf. l'église Saint-Julien-des-Ménétriers).
Pourquoi? sinon par la même raison qui a imposé le nom de
puis, en souvenir du Puy-Notre-Dame, aux confréries poé-
tiques du nord de la France : parce que des jongleurs nom-
breux hantaient la voie de Gergovie à Nîmes.

4. Nîmes.

A l'issue de cette voie, Guillaume parvient à Nîmes et la
conquiert. C'est la chanson du Charroi de Nîmes. Le Guide
des pèlerins fait ;illusion, comme on a vu, à cette fabuleuse
conquête, et il est facile de relever à Nîmes les traces d'un
culte ancien de saint Guillaume. On y célébrait encore au
xviii» siècle, peut-être y célèbre-t-on encore son office. C "était
un semi duplex., c'est â-d ire une fête assez solennelle'. Un



1. PropriiDii insirpiis ecclesiae cathedralis et diœcesis Nemausensis,
jiissii... D. Cctroli Pritdentii de Becdelièvre, episcopi Nernause>isis...
editnm. Neinausi, 1757. On y trouve un office de saint Guillaume, très
beau, mais malliourpusement moderne, fondé qu'il est sur les A)inales



LÉGENDRS DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 175

brëviairo à l'usage du diocèse de Nîmes, qui date du xv* siè-
cle, indique celte fête au calendrier He 28 ma;)^ En outre, la
[)lus ancienne église qui, à tna connaissance, ait elé mise
(après l'église do Gelione) sous l'invocation de saint Guil-
laume, a été fondée, en 1050, à Nîmes. Elle s'appelait Saint-
Guilliem-de-Vignole ^.



5. Arles.

Si corne ad Arli, ove il Rodano stagna,
Si com' a Pola presse del Quarnaro,
Cho Italia chiude e i suoi termini bagnn,

Faiino i sepolcri tutto il loco varo,

Cosi...

(Dante, Inf., IX. 112)3.

La nécropole gallo-romaine des Aliscamps d'Arles n'est
plus, comme au temps de Dante, bosselée de sépulcres*. Les
sai'cophages qui n'ont pas elé anciennement détruits ont été
dispersés dans les musées de Marseille, de Lyon, d'Arles, de
Paris\ et sur la plaine trop nivelée on ne voit plus aujourd'hui
que quelques restes de l'abbaye de Saint-Césaire, la chapelle
des Porcellets (xiv^ siècle), celle de la Genouillade, et la véné-
rable abbaye de Saint-Honorat.

Le Guide de Saint-Jacques ne manque pas de diriger les



Saiictorum ord. Uenedictini. C'est malheureusement le seul Propre des
saints du diocèse de Nîmes que j'aie trouvé à la Bibliotlièque nationale.

1. Bibl. nat., vélins, 1611b, t. I.

2. Voy. la charte de l'ondation de cette église dans Ménard, Histoire
de Nismes, t. I, p. 164, et Preuves, p. 21. Elle était située hors la ville, à
deux ou trois kilomètres, non loin de la route d'Arles, sur l'emplacement
actuel de la maison de campagne du lycée, à l'endroit qui s'appelle main-
tenant le Mas-do-Ville, jadis Foissac.

3. Voy. Carlo Cipolla, Sulla descrizione dantesca délie tombe di
Arles (Giornale storico délia letteratura italiana, t. XXIII).

4. Sur le cimetière d'Aliscamps, voy. surtout Bouche, Histoire de Pro-
vence, 1864, t. I, p. 314, t. II, p. 142."

5. Sur les spoliations successives qui ont distribué aux quatre coins de
la France les tombeaux des Aliscamps, voy. Millin, Voyage dans les dé-
partements du midi de la France, t. III, 1808, p. ôlô.



176 JOSEPH BÉDIER.

pèlerins vers le Campo santo de la Provence ; Inde visitan-
dum, est, juxia Ay^elatetn urbem, cimiterium, defuncto-
rum loco qui dicitur Aîliscampis ',.. II dit qu'il faut y prier
et y laisser des aumônes; que le cimetière s'étond sur un mille
en long et en large; que c'est le lieu du monde où l'on voit le
plus de sarcophages de marbre et que ces sarcophages portent
des inscriptions indéchiffrables; que sept églises sont con-
struites dans ce champ et que celui qui fait dire une messe
dans l'une d'elles aura pour avocats au jugement dernier
trois des saints qui y sont ensevelis. C'est tout. C'est une sim-
ple description topographique avec indication des avantages
spirituels que les pèlerins y pourront gagner. On s'étonne
d'abord que le Guide ne fasse nulle mention des légendes
attachées à ce lieu. Ce n'est pas que l'auteur les ait ignorées :
les deux plus illustres d'entre elles sont racontées tout au long
dans le Pseudo-Turpin, et l'on a maintes indications que le
Pseudo-Turjnn et le Guide sont solidaires et faits pour le
même public^; l'auteur du Guide aura voulu éviter une répé-
tition oiseuse.

Les légendes purement ecclésiastiques des Aliscamps d'Arles
sont insignes entre les légendes. Elles sont groupées dans une
lettre-circulaire que l'archevêque d'Arles, Michel de Mouriez
(1202-1217), quêtant pour la restauration de l'église Saint-Ho-



1. Ed. Fita, p. 21. Voici la suite du texte : « ... qui dicitur Aîliscam-
pis, precihus, scilicet psalmis et eleemosynis, ut mos est pro defunc-
tis exorare; cujus longitudo et latitudo uno milliario constat. Tôt et
ta7ita vasa marmorea, super terram sita, in nullo ciniiterio nnsquani
possiiit inveniri excepta in illo. Sunt etiatn diversis operibus et litte-
ris latinis insculpta et dictatu inintelligibili, antiqua; quanto magis
longe jierspexeris, tanto magis longe sarcophagos videbis. In eo cimi-
terio septem ecclesiae habentur... » Suit le détail des grâces que l'on y
obtient.

2. Voici l'une de ces indications. Dans la lettre dont nous allons par-
ler, l'archevêque d'Arles, JNlichel de Mouriez, décrivant le cimetière,
écrit : « Cujus cimiterii lo?igiludo et latitudo, sicut in Gestis Caroli
legitur, uno milliario constat. » C'est une phrase transcrite du Guide
(voyez la note précédente). Michel de Mouriez dit qu'il la transcrit des
Gesta Caroli, c'est-à-dire du Psendo-Turpiti : preuve que les deux ouvra-
ges étaient réunis dans le manuscrit dont il se servait, comme ils le sont
dans le manuscrit do la bibliothèque du chapitre de Compostelle, et qu'on
les confondait aisément.



LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 177

norat des Aliscamps, adressa à la chrétienté', et qu'il suffit
de résumer ici : « Aux Aliscamps d'Arles 2 repose le corps de
saint Honorât; dans son église sont vénérés les restes du très
éloquent Hiiaire, de plusieurs bienheureux pontifes d'Arles...,
pour ne rien dire des corps de saint Genès. martyr, de sainte
Dorothée, vierge et martyre, et d'un grand nombre d'autres.
Cette terre est parée de tant de fleurs et de tant de pierres
précieuses que l'on a peine à concevoir qu'elle en ait tant pro-
duit, si bien qu'on peut dire justement : Ceux-là sont une
semence que le Seigneur a bénie... Or, le cimetière des
Aliscamps a été consacré par sept disciples des apôtres : Tro-
phime, qui fut choisi comme évèque d'Arles et sacré par les
saints Pierre et Paul ; Paul de Narbonne, Maximin d'Aix,
Saturnin de Toulouse, Front de Périgueux, Martial de Limo-
ges, Eutrope de Saintes, et autres. Avertis par un oracle,
divin, ils se rendirent à Arles, et ils le bénirent en présence
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui leur apparut sous sa forme
corporelle^... A l'église Saint-Honorat est annexée une cha-
pelle que le bienheureux Trophime, prédécesseur de Denis de
Paris, cousin de saint Paul, d'Stienue et de Gamaliel, fonda,
éleva, embellit et aima de son vivant, en l'honneur de la mère
de Dieu. Là, à l'endroit où s'étaient posés les pieds de Jésus-
Christ, il fit un autel de pierre, en présence de saints nom-
breux, et le consacra avec les sept évêques, disciples de
Jésus-Christ. Il recommanda qu'on l'y enterrât, parce que la
droite de Dieu y avait fait un miracle et parce que la splen-
deur de sa majesté y avait brillé. Il y fut enseveli quelques
années plus tard ; parfois, on y entend chanter les Anges '*... »
Ainsi, Arles, évangélisée d'abord par Trophime, disciple de

1. Gallia christiana novissima, par le chanoine J,-H. Albanès et le
chanoine Ul. Chevalier. Arles, 1900, col. 310-12.

2. In campis qui vulgariter dicuntiir Alisii; plus loin, Aliscampi.

3. Cette légende est décrite avec plus de détails dans le poème proven-
çal sur saint Trophime (voy. Fritz Gœbel, Untersuchimgen ûber die
altproveiizalische Trophimus-Legende , dissertation de doctorat de
Marbourg, 1896) ; elle est racontée aussi par Philippe Mousket (II, 790)
par Bernard Gui (Chabaneau, Le Roman d'Arles, 1889, p. 80), etc.

4. Il ajoute le miracle du Ehône, qui retient, ari-êtées aux Aliscamps,
les barques qui portent des corps au cimetière.



178 JOSEPH BÉDIEll.

saint Paul, se glorifiait d'avoir été la source d'où le christia-
nisme s'était répandu dans les Gaules, et le cimelièi'e des
Aliscamps, Jésus-Christ lui-même s'y était agenouillé. Ces
hautes légendes auraient dû suffire aux pèlerins, semble-t-il.
Il est remarquable qu'elles n'ont pas suffi, et qu'à ces tradi-
tions chrétiennes se sont mêlées des fictions de chansons de
gesle.

Ces fictions épiques, en voici l'analyse : les textes que j'ai
à citer sont tous connus, mais il sera commode de les trouver
groupés selon l'ordre chronologique.

a) Vers 1140. Pseudo-Turpin'^ :

« Adont avoit deus ciraelieros de ^rant dignité : li une estoit
a Arles en Alescans et l'autre vers Bourdiaus, que nostre Sire
beneï par les mains de set evesques... » Revenant de Roncevaux,
Charlemagne fit enterrer Roland à Blaye, Olivier à Belin ; au
cimetière de Saint-Seurin, à Bordeaux, Guaitier de Bordeaux,
Engelier, duc d'Aquitaine... et cinq mille des morts de la ba-
taille. « Après chou, jou ïurpins archevesques et Charles nous
départîmes de Blaves a toute nosire ost et veniraes a Arles par
Gascongne et par Toulouse. Illuec trouvâmes les Bourguegnons
qui de nous estoient départi en Ostreval (in Hosta valle], si
estoient venut atout leur mors [et leur navrez] qu'il aportoient
en lis et en chareltes pour iaus enterrer en Alescans dont Arle
est près. En celle cimentiere furent par nos mains entierré
Estous [li cuens de Langres], et Salomon, et Sanses, le duc de
Bourgongne et Ernaus de Biaulande et Aubris le Bourgueignon,
Guinars, Estourmis, Hâtes, [et Tieris], Yvorins, Berars de Nubles
et Berengiers et Naimes le duc de Baiviere et bien dis mil d'au-
tres. » Pour le repos de leurs âmes, Charlemagne donna de
grandes sommes d'or et d'argent aux pauvres d'Arles. De là,
ajoute Turpin. tourmenté par mes blessures, j'allai me reposer
à Vienne.

C'est une étrange fiction en api)arence que celle qui fait
porter à Arles les morts de Roncevaux. Elle ne s'explique
que si l'on se rappelle toujours (|ue le Pseudo-Turinn n'est

1. Ed. Castets, cliap. xxviii et xxiv. — .lo cite d'après la Iradnrtion
publiée par Tlieodor Aurucher, Municli, 187(), pp. (i4 ss.



LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 179

qu'un écrit de propagande en faveur du pèlerinage de Saint-
Jacques et un vade mecum du pèlerin. Pour qu'il offrît de
l'intérêt aux voyageurs qui suivaient la route de Toulouse,
aussi bien qu'à ceux qui passaient par Blaye et Bordeaux,
l'auteur a disliibué sur les deux, voies et parlagé équitable-
ment entre elles les corps des héros de Roncevaux.

ô) Vers 1140». La Kaiserchronih (v. 14885-14908) « :

« L'empereur Charles investit une place forte, nommée Arles.
Il y resta, en vt'rité, plus de sept ans. Les assiégés n'en avaient
cure, car un canal souterrain leur apportait du vin en abondance
et des vivres. Mais Charles le détourna par grande adresse.
Ne pouvant tenir plus longtemps, les assiégés ouvrirent la
porte. Grande bataille, morts innombrables. « Nul ne pouvait
distinguer les cadavres des chrétiens de ceux des païens; mais
par l'aide de Dieu, l'empereur y parvint : il trouva tous les chré-
tiens mis à part dans des cercueils bien ornés. C'est un miracle
qui mérite d'être à jamais raconté, m

On retrouve dans le Roman d'Arles^ l'histoire de ce canal
souterrain que Charlemagne, assiégeant la ville occupée par
les Sarrasins, détourne. C'est, sans doute, cet aqueluc romain
qui, partant des paluds de Saint-Remy et de Mollèges, suivait
les contreforts de la Cran, passait sous le sol au midi de la
chapelle Saint-Pierre des Aliscamps et pénétrait, toujours sou-
terrain, dans Arles '. Voilà donc, parvenue dès la première
moitié du xiiH BÉDIER.

mas n'avait assisté à cette fête patronale et n'y avait trouvé
l'occasion d'une savante et ingénieuse étude*.

Tous les ans donc, le dimanche de la Trinité, les jeunes
gens du bourg se costument les uns en Sarrasins : turban blanc
et rouge à ganses d'argent, plastron vert orné d'un croissant
rouge, ceinture de soie écarlate et pantalon bleu à bouffantes ;
les autres, les chevaliers chrétiens, portent la cuirasse et le
casque chargé d'une croix d'argent sur le timbre. Tous sont
armés de lances et chaque camp a son étendard : c'est, pour
les chrétiens, une bannière bleue ornée de l'image de saint
Vidian, pour les Maures un drapeau mi -parti de vert et
d'orangé avec des croissants argentés. Ils assistent tous à la
grand'messe, chrétiens et mécréants, fort dévotement, puis ils
escortent le clergé qui, chantant l'hymne de saint Vidian,
porte son buste en bois doré. La procession s'achemine vers la
fontaine miraculeuse où il mourut. « Pendant cette marche
solennelle, les bonnes âmes voient perler des gouttes de sueur
sur le buste doré du martyr. Parvenu sous les ombrages de la
source, le célébrant y lave l'image du chevalier en mémoire
de ses blessures, et les deux armées se déploient face à face
dans un champ dont on a loué la récolte pour l'année. Aussitôt
commencent des évolutions guerrières : les flammes rouges,
noires, blanches et bleues flottent au vent, les cuirasses etin-
cellent, les vestes orange, les turbans rouges resplendissent
dans la verdure, et les chevaux de ferme, affranchis pour un
jour de leurs serviles corvées, représentent du mieux qu'ils
peuvent les fines montures des infidèles et les destriers des
paladins... 2 »

Ce tournoi rustique, qui se termine, comme il sied, par la
capture du drapeau des Maures, est un souvenir, le dernier
sans doute qui survive dans les traditions populaires, de nos
héros narbonnais, car la légende de saint Vidian n'est autre
que celle de Vivien.

1. Mvie)i d'Aliscans et la Uhjende de sai?it VidicDi dans les Ktndes
romanes dédiées à G. Paris, ISyi, p. r^l-l;J'». (Cf. G. Paris dans la
Roma)iia, t, XXII, 18Sio, pp. 142-5.)

2. D'après une description de J\I. Ernest Koscliach {Foix et Commin-
ges, 18G.i), citée par M. A. Thomas.



LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 199

Pour la résumer ea quelques mois, d'après l'office du saint,
le père de Vidian est prisonnier des Sarrasins dans une ville
de Galice, qui s'appelait jadis Lucerna (c'est la Luiserne
sor mer des chansons de geste) '. Pour sa rançon, les Sarra-
sins exigent qu'il leur livre Vidian. L'enfant est livré, mais il
n'est pas mis à mort; il est vendu à une marchande, qui
l'élève comme son fils adoptif. Venu à l'âge d'homme, il dé-
barque à Lucerna et la détruit. — Plus tard, les Sarrasins
ayant envahi le midi de la France, Vidian leur livre bataille
et les poursuit jusqu'à un endroit qui dicilur Al Campestres,
in epîscopaius qui dicilw hodie Convenarum " (et cet al
Campestres semble modelé sur Larchant ou les Archanz).
Mais, blessé, Vidian descend de cheval à Martres, près d'une
fontaine, pour étancher le sang qui coule de sa plaie. Il y est
immolé par les Sarrasins. Les pierres qui entourent cette fon-
taine sont encore rouges aujourd'hui, par un miracle de
Dieu.

On a reconnu les données de deux chansons de geste : les
Enfances Vivien et Aliscans.

L'important est de déterminer vers quelle époque on a extrait
de ces chansons de geste un office de saint. M. Antoine
Thomas n'avait trouvé la vie de saint Vidian racontée que
sous deux formes récentes : celle d'un récit édifiant dans
une plaquette datée de 1769 et sous la forme d'un office dans
un Propre des saints du diocèse de Rieux publié en 1764, et
il admettait, sans se l'expliquer, « que c'est sans doute aux
environs de 1764 qu'on a imaginé d'adapter au patron de
Martres-Tolosane, qui n'avait pour ainsi dire point d'his-
toire, l'histoire légendaire des exploits de Vivien, neveu de
Guillaume d'Orange ». Mais M. Louis Saltel^ a retrouvé de-



1. La version en prose des Enfances Vivien (éd. Wahlund, p. 271)
place, elle aussi, entre autres textes, Luiserne en Galice : « Le grant che-
min de saint Jacques chevauchent les granz ostz de France et tant vont
que il voient Luiserne a senestre main ».

2. Comminges.

3. Saint Vidian de Marlres-Tolosanes et la légende de Vivien dans
les chansons de geste dans le Bulletin de littérature ecclésiastique
publié par l'Institut catholique de Toulouse, Paris, lUOâ, pp. 37-56.



200 JOSEPH BÉDI12R.

puis, dans les portefeuilles des Bénédiclins conservés aujour-
d'hui à la Bibliothèque nationale, un texte plus ancien de
l'offlce de notre saint. Celte copie date de 1635. et M. Saltet
montre, par plusieurs remarques excellentes, que le manu-
scrit sur lequel elle a été pri^e devait remonter au xv« siècle.
L'original lui-même pouvait être d'une plus haute époque.
J'ajoute que cet office ne devait pas être le plus ancien : dans
la plaquette de 1769, la mère de Vidian est appelée Siace, et
c'est VUislace de la chanson de geste. Ce trait manque au
texte copié en 1635, et pourtant il va de soi qu'il devait se
trouver dans la forme primitive de l'office. D'autre part, une
charte mise en lumière par M. Ant. Thomas', et « qui doit être
des premières années du xii® siècle », montre que dès cette
époque on gardait dans l'église de Martres-Tolosanes, alors
sous le vocable de Notre-Dame, le corps de saint Vidian 2. Il
me semble donc probable que le Vivien épique a commence
d'être honoré à Martres dans le même temps où d'autres sanc-
tuaires se mirent à vénérer d'autres héros uarbonnais. Comme
sept villes se disputaient l'honneur d'avoir donné le jour à
Homère, deux églises, Saint-Honorat des Aliscamps et Notre-
Dame de Martres se seront disputé les reliques de Vivien.

Or, Martres-Tolosane se trouve en plein sur la voie ro-
maine qui suit la vallée de la Garonne^ et qui conduisait de
Toulouse vers Dax les pèlerins de Saint-Jacques.



CONCLUSION.

Je n'ai admis dans cette série que les rapprochements re-
cueillis à même la route, sans me permettre de m'écarter de
la voie suivie par les pèlerins, fîit-ce d'une lieue à gauche ou



1. P. 134.

2. La forme populaire de son nom est ici, comme à Arles, Vezian, Ve-
zian (cf. Thomas, pp. I80 et 131).

3. Voyez E. Desjardins et Aug. Loiignon, Oéognqjliie de la Gaule ro-
maine, t. IV, p. 07, et lu carte de l'état-major au ^-J^oô (Saint-Gaudens,
N.-E.).



LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 201

à droite. Peut-être eût -il été légitime d'être moins rigoureux.
Certes, les pèlerins de Saint-Jacques avaient un trop long
voyage à faire pour se permettre d'autres détours que ceux
que le Guide prévoit. Mais certains n'allaient pas plus loin
que Notre-Dame-du-Puy, certains s'arrêtaient à Saint-Gilles.
D'autre part, si les pèlerins suivaient nécessairement la voie
!a plus courte, les jongleurs, qui les attendaient autour des
principaux sanctuaires, plus ou moins nomades, plus ou
moins acclimatés dans telle ou telle région, pouvaient « rayon-
ner », exploiter à l'occasion d'autres tronçons de routes. Par
exemple, on pourrait admettre que des jongleurs campés à
Narbonne auraient exploité la partie de la voie Domitienne
qui, partant de Narbonne, traverse les Pyrénées au col du
Pertiius, entre en Catalogne pour aller à Gérone et Barcelone.
On obtiendrait ainsi quelques rapports de plus entre nos poè-
mes et les voies romaines. On s'expliquerait mieux que l'un
des fils d'Aymeri de Narbonne soit appelé Ernaut do Gironde,
c'est-à-dire de Gérone, et que l'église de Gérone ait possédé un
office de saint Charlemagne fondé sur des chansons de geste
françaises.

Mais je veux m'en tenir à ce qui est assuré, au fait que, si
nous restons sur la grande route de Saint-Jacques et sur la
chaussée même, sans nous eu écarter jamais, nous y trouvons
localisées un nombre respectable de chansons d'un même cycle,
et que, dans trois grands sanctuaires au moins, les chanoines
de Saint-Julien de Brioude, les moines de Saint-Honorat des
Aliscamps, et ceux de Saint-Guilhem-du-Désert ont collaboré
avec les jongleurs pour exalter la gloire des héros narbonnais.

Je ne crois pas avoir forcé les faits que j'ai groupés. Ce qui
m'en donne la confiance, c'est que, pour la plupart, ils ont
été établis par d'autres que moi. Avant moi, M. P. Meyer a
remarqué que Garin d'Anseûne tire son nom d'une localité
voisine de Narbonne; avant moi, M. H. Suchier a identifié la
terre de Buriene avec Lézignan; avant moi, M. L. Saltet a
remarqué que Martres- Tolosanes se trouve sur l'une des
routes qui menaient à Saint-Jacques; avant moi, M. A. Jean-
roy et M. Ph.-A. Becker ont dit que certaines relations de

ANNALES DU MIDI. — XIX 14



202 JOSEPH BÉDIER.

nos poèmes avec Brioude et Gellone devaient provenir du pas-
sage par ces lieux d'un jongleur-pèlerin; avant moi, M. Fer-
dinand Lot a noté que la Tombe Isoré se trouve sur le chemin
de Saint- Jacques, etc.

Pour moi, je me suis borné à repérer sur la carte les indi-
cations géographiques fournies par nos chansons et remar-
quées par mes devanciers; et, a^'ant marqué ces points, à les
relier par une ligne continue : cette ligne continue s'est trou-
vée reproduire le système des voies de communication que le
Guide de Saint-Jacques de Galice appelle la via Tolosana.

Ayant tracé cette ligne, toute mon originalité (ou peut-être
toute ma chimère) se réduit à dire : ce qui a établi ces con-
cordances entre nos poèmes et cette voie de pèlerinage, ce
n'est pas l'accident, le simple hasard, ^qui aura mené par là
un ou deux, jongleurs vagabonds du nord de la France; ce ne
sont pas des récits de pèlerins isolés qui ont enrichi de quel-
ques épisodes accessoires, de quelques motifs d'ornement des
épopées qui s'étaient formées ailleurs et autrement; ces rela-
tions sont plus intimes et plus profondes.

Sans doute, on peut trouver trop restreint le nombre des
rapprochements que j'ai proposés entre nos légendes et cette
voie de pèlerinage. Mais il ne faut pas oublier que les chansons
du cycle narbonnais, en l'état où nous les avons, sont des
remaniements de romans déjà remaniés ; qu'elles ont beau-
coup erré à travers les provinces de la France, en Picardie,
en Champagne, voire en Angleterre, bien loin des routes de
Saint-Jacques ; que Guillaume d'Orange a été célébré dans
tous les châteaux et dans toutes les foires :

Tel cent en chantent par les amples régnez* !

il ne faut pas oublier que ces chansons ont été appropriées
aux publics les plus divers, et que, par suite, les traces de
leur destination primitive ne peuvent subsister dans ces re-



1. Moniage GiiUlaitme, cite par C. Ilofniaiin, Ucber ein Fragment
des Guillaume d'Orange, p. 50.



LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 203

nouvellements qu'à l'état de survivances presque incompri-
ses. Par exemple, si quelque chose est certain, c'est que le
sanctuaire de Saint-Julien de Brioude a contribué à la propa-
gation de nos légendes, à telles enseignes que saint Guillaume
de Gellone est entré dans le martyrologe de cette église; pour-
tant, chez les remanieurs, qui avaient perdu tout contact avec
la voie Regordane, Brioude n'est-il pas devenu un port de
mer, où aborde une flotte sarrasine? Le nom vénérable
d'Aniane n'a-t-il pas failli disparaître tout à fait de nos poè-
mes rajeunis, altéré qu'il fut de maintes façons, jusqu'à devenir
Gênes-sur- mer? Par ces indices, on peut juger combien de rap-
ports anciens entre la via Tolosana et nos chansons de geste
ont pu être effacés d'un trait de plume par des remanieurs qui
n'en comprenaient plus l'intérêt. Ce qui doit surprendre, en
vérité, ce n'est pas dans ces renouvellements la rareté des
souvenirs de la via Tolosana, c'en est plutôt la fréquence.

Tels qu'ils sont, ces rapprochements dissolvent, semble-t-il,
plus d'un mystère. Jusqu'ici, comment pouvait-on expliquer
que deux de nos chansons de geste fussent exploitées dans
une bourgade de l'arrondissement de Muret, à Martres-
Tolosanes? et que d'autres fussent localisées en Auvergne,
à Brioude? Pour Brioude, on en proposait une explication
hypothétique; pour Martres -Tolosanes, on ne l'expliquait
pas; c'était l'inexplicable. Pour nous, il nous suffit de remar-
quer que cette bourgade et cette ville sont situées sur un
même ruban de route, et que cette route, entre Brioude et
Martres, les chansons de geste du cycle narbonnais la jalon-
nent comme des bornes milliaires.

Cette route, des troupes considérables de pèlerins la battaient
au xi« et au xii^ siècles : c'est l'époque des premières croisades,
et ils sont remplis de l'esprit de ces temps aventureux. Dans
toutes les villes du Midi qu'ils traversent, on leur montre des
ruines faites, leur dit-on, par les Sarrasins. La terre d'Espa-
gne vers laquelle ils s'acheminent est encore en grande partie
occupée par les Musulmans. Sur leur route se dresse un sanc-
tuaire, Gellone, où repose le corps de Guillaume, jadis ennemi
glorieux de ces Musulmans. Ne serait-ce pas là, de l'excitation



204 JOSEPH BÉDIER.

religieuse et guerrière de ces pèlerins, de l'esprit des croisa-
des, des offices liturgiques où l'on célébrait la gloire du saint
athlète de Dieu, des prières sur son tombeau, que serait née
la légende de Guillaume? Ces fictions embryonnaires, les moi-
nes de diverses églises intéressées à retenir les pèlerins et à
les édifier, les jongleurs nomades sûrs de trouver aux abords
de ces églises le public forain et souvent renouvelé qui les
faisait vivre, les ont développées.

Entre les faits dont cette explication rendrait compte, on
peut signaler en passant ceux que Fauriel avait jadis recueil-
lis et qui ont soutenu un temps sa théorie de l'origine proven-
çale de l'épopée. Cette théorie est à peu près abandonnée de
tous aujourd'hui, et à bon droit; pourtant, quand on a accu-
mulé contre elle les arguments qui la dissolvent^ il subsiste
en sa faveur un résidu de faits. Par exemple, s'il n'a jamais
existé une épopée provençale, pourquoi les paysages des chan-
sons de geste françaises sont-ils parsemés d'oliviers? Ce n'est
qu'une formule épique, sans doute, et nos chansons font croî-
tre des oliviers à Laon et à Paris; mais d'où vient cette for-
mule, s'il n'a jamais existé d'épopée provençale ? et encore,
d'où viennent ces formes provençales, Naimeri. Naimer.
Vivian? et, si l'épopée provençale est un mythe d'érudits,
pourquoi l'épopée française s'est-elle passionnée pour le sort
de villes méridionales, de la Provence, de la Septimanie et du
Languedoc? Noire explication répond à ces questions, sans
que j'aie même besoin d'exprimer la .réponse qu'elle leur fait.

Cette explication ne peut prendre corps, je le sais, qu'à une
condition : c'est qu'il soit établi, comme l'a excellemment sou-
tenu M. Ph.-Aug. Becker contre tous ses devanciers, que nous
n'avons nulle raison de croire à l'existence de « cantilènes »
ou de « récits épiques », directement issus des événements, et
qui auraient célébré Guillaume de Toulouse au viii" ou au
ix« siècle, de son vivant même ou à une époque voisine de sa
mort. Il convient, en outre, de montrer que la figure du Guil-
laume épique ne se compose pas de traits empruntés à douze
personnages historiques du nom de Guillaume, ni à cinq, ni à
deux, mais au seul Guillaume de Toulouse et de Gellone. C'est



LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 205

cette double thèse que je m'efforcerai bientôt de sou tenir ^
D'autre part, il y a, semble-t-il, un moyen siir de vérifier si
rétude qui précède a quelque portée, ou si ces concordances
entre certaines légendes de l'épopée carolingienne et une cer-
taine voie de pèlerinage ne sont que des faits curieux, mais
fortuits et négligeables. Fortuits et négligeables, ils resteront
confinés sur cette route, seuls de leur ordre. Mais d'autres
routes conduisaient au moyen âge d'autres pèlerins vers d'au-
tres sanctuaires : vers Aix-la-Chapelle, Cologne et Dortmund ;
vers Saint-Jacques de Galice par Blaye, Bordeaux et Ronce-
vaux; — vers Saint-Pierre de Rome et les ports d'embarque-
ment pour le Saint-Sépulcre; — des fêtes religieuses et des
foires attiraient des pèlerins et des marchands vers les ab-
bayes de Vézelay, de Saint-Denis, de Meaux, de Saint-Riquler,
de Fécamp, etc. Il faudra regarder sur ces routes, aux abords
de ces monastères.

Joseph DÉDIER.

1. Ea un voUime sur la légende de Guillaume d'Orange que publiera
ette année même la librairie Honoré Champion.



JjTJS



CONVULSIONNAIRES DE PIGNANS'



Pigaans, aujourd'hui village du Var, sans importance, a eu
son temps de célébrité au xyiii» siècle. Centre du jansénisme
en Provence, cette modeste localité fut pendant plusieurs
années un sujet d'inquiétude pour l'Église et pour- le gouver-
nement d'alors. Son nom se trouve souvent cité dans la cor-
respondance de gouverneurs, d'intendants, de magistrats et
d'évêques; les ministres eux-mêmes s'en émeuvent; le car-
dinal de Fleury écrit plusieurs lettres sur les affaires reli-
gieuses de Pignans,

En 1736, un événement extraordinaire vint attirer l'atten-
tion de tous sur la petite ville hérétique. Plusieurs mémoires
de témoins oculaires racontent avec abondance de détails le
fait dont voici le récit exact.

Le 16 aoiÀt 1736, — un rapport donne à tort la date du
16 septembre, — à huit heures du soir, arrivent deux gen-
tilshommes dans une chaise de poste à deux roues, dont le
caisson porte par derrière des armes à deux trèfles d'or sup-
portés par des perroquets et que surmonte une couronne de
comte. Un autre gentilhomme et deux valets accompagnent
la voiture à cheval.

1. J3'après un dossier des Archives des Bouches-du-Rhônc, série C
(Intendance de Provence), n» 2296.

Nous devons des remerciements au savant archiviste départemental
adjoint des Bouches-du-Rhône, M. J. Fournier, qui a signalé à notre
attention cet intéressant dossier.



LES CONVULSIONNAIRES DE PIGNANS. 207

Uq assez grand nombre de Pignanais et de gens des locali-
tés voisines escortent ces étrangers avec beaucoup d'empres-
sement et de respect. La plupart sont allés à leur rencontre à
quelques kilomètres. Certains les suivent depuis Cuers, Bri-
gnoles et même Toulon. La population est d'autant plus
intriguée par l'arrivée de ces nouveaux venus qu'un plus
grand mystère les entoure. A peine entrés dans la ville, ils
s'enferment dans la maison d'un sieur Boyer, dont portes et
fenêtres restent closes. Seul l'hôte du logis Lecoq, le père
Lanton, y pénètre, chargé de mets succulents.

La curiosité mise en éveil trouve un aliment, dès le lende-
main, dans les bruits que colportent les voisins de l'habita-
tion suspecte.

Des assemblées religieuses, disent-ils, se tienneat plusieurs
f(\is par jour chez les Boyer, et on y pousse, par intervalle,
des cris sauvages dont ils sont épouvantés.

M. du Puget de La Rivière, en magistrat avisé, fait une
enquête personnelle dont il communique aussitôt les résultats
au premier intendant, M. de La Tour : « Le 20 courant,
écrit-il, on vint me dire sur les deux heures de l'après-midi
que l'assemblée était convoquée et qu'on allait y faire les
mêmes prédications et cérémonies que les jours précédents.

Voici ce que j'entendis Sv^ passer dans la salle basse de la
maison Boyer qui donne sur le jardin et dont toutes les issues
étaient hermétiquement closes. J'ouïs faire la lecture de
l'Ecriture sainte par versets et fort posément. Puis après, ce
furent des hurlements et des cris effroyables, tels que ceux de
quelqu'un qu'on assassine.

Le même homme qui poussait ces beuglements criait par
intervalles à gorge déployée, d'un ton lugubre : « Frappez,
frappez, grand Dieu, venez, la mesure est pleine, allons, sor-
tons. » Ces mots étaient accompagnés de tant de soupirs, de
gémissements et de grincements de dents que de ma vie je
n'ai rien entendu de semblable.

La lecture recommença, suivie bientôt d'un grand silence
qu'interrompit un bruit pareil à celui que ferait la chute d'un
homme en tombant sur le plancher de 4 à 5 pieds de hauteur.



208 G. ARNAUD D'AGNEL.

Puis, nouvelle reprise de la lecture et nouvelle vocifération.
La voix devenait si aiguë, si déchirante, qu'il était impossible
de ne pas y voir la manifestation d'une douleur réelle. »

M. du Puget de La Rivière attendait, anxieux, le dénoue-
ment d'une scène si curieuse, quaud il fut surpris à son poste
d'observation par l'un des sectateurs les plus ardents, le sieur
Brun. Les membres de la réunion, aussitôt avertis, placèrent
près de la cachette où le magistrat se tenait blotti une femme
qui fit un tel vacarme, en battant des pierres dans un mor-
tier, qu'il ne put plus rien entendre.

Du 17 au 22 août des scènes semblables à celle qui vient
d'être décrite se renouvellent au moins deux ou trois fois par
jour. Elles duraient en moyenne deux heures et avaient lieu
le plus souvent l'après-midi, de deux à huit heures, et le soir,
de huit à dix heures.

Non contents de ces excentricités à huis clos, les mysté-
rieux étrangers se livrèrent en public à toutes sortes d'extra-
vagances. Ils sortaient en courant, les yeux hagards, à tra-
vers la campagne et en se tenant plusieurs par la main :
c'étaient de démoniaques farandoles! Ces énergumènes arrê-
taient les passants pour leur reprocher durement l'immoralité
de leur conduite. Ils les menaçaient de la colère du ciel. Plus
les gens étaient timides et naïfs, plus ils étaient jugés sévè-
rement et impitoyablement condamnés.

D'autres fois, on vit ces mêmes personnages et leur cor-
tège d'admirateurs se rendre d'une allure désordonnée dans
un lieu désert, rocailleux et couvert de buissons, où le chef de
la bande se roula furieusement sur les ronces et les pierres en
criant à tue tête : « C'est ainsi, Seigneur, que vous ferez
marcher mes enfants au milieu des épines et à travers les
glaives de leurs ennemis! »

Un matin, ces forcenés et leur suite habituelle firent sou-
dainement irruption dans le couvent des Observantins. Après
avoir dilïamé les religieuses avec véhémence dans les cou-
loirs du monastère, ils continuèrent leurs discours échevelés
jusque dans la chapelle. L'un d'eux s'assit dans un confession-
nal, et déclama longuement contre les confesseurs et les abus



LES CONVULSIONNAIRES DE PIGNANS. 209

(lu sacrement de pénitence. Etant ensuite monté sur l'autel,
il condamna hautement l'usage indigne et criminel que les
prêtres et les fidèles font de l'eucharistie.

Ces actes de fanatisme causèrent dans le pays une frayeur
superstitieuse. Les cerveaux s'échauffèrent, et ce furent, dans
ce milieu méridional, des discussions sans fin. La police put
craindre des échauff"ourées sanglantes.

Pour éteindre ce foyer d'infection, cet incendie de pesti-
lence, selon les termes du temps, la magistrature, alarmée,
jeta en prison les principaux fauteurs du désordre. Malheu-
reusement, quand ces mesures furent prises, les étrangers
avaient disparu, et malgré les perquisitions et les démarches,
il fut impossible de les retrouver.

Les seuls renseignements obtenus furent leur passage à Bel-
gencier et à Saint-Maximin, et leur visite probable à la
Sainte-Baume.

Tel est dans ses grandes lignes et dans ses détails caracté-
ristiques le point de départ de la fameuse affaire des convul-
sionnaires de Pignans.

Cette affaire doit être étudiée dans son origine et ses con-
séquences pour qu'on puisse en saisir la signification et la
portée.

Diverses questions se posent d'elles-mêmes au sujet de ces
gentilshommes mystérieux : leur nom, leur qualité, le but de
leur séjour en Provence, la préparation de leur voyage... Les
réponses, on les trouve dans le volumineux dossier de cette
affaire conservé aux archives départementales des Bouches-
du-Rhône.

En étudiant cette paperasse judiciaire, on constate de quelle
patience et de quelle habileté les juges firent preuve au cours
d'une instruction si laborieuse. Que d'interrogatoires furent
nécessaires pour amener les inculpés à sortir de leur silence
obstiné! La genèse de l'affaire est dans les agissements de
messire Boyer, du chapitre de Pignans.

Ce prêtre, convaincu de jansénisme, avait été enfermé à
Vincennes. A peine sorti de prison, il se lança de nouveau,
avec plus d'ardeur encore, dans les querelles religieuses qui



210 G. ARNAUD D'AGNEL.

passionnaient son époque. C'était le moment où la renommée
de Vaillant était portée à son comble par l'emprisonnement
de ce fou à la Bastille.

En rapports étroits avec les sectateurs de ce prophète ima-
ginaire, le chanoine Boyer conçut le dessein de le faire con-
naître dans son pays natal, où le jansénisme comptait de
chauds défenseurs.

Quelques disciples de Vaillant, célèbres par leur esprit de
prosélytisme, furent invités à faire une tournée en Provence :
ils tireraient les disciples endormis de leur engourdissement
et feraient de nouvelles recrues. Ces missionnaires d'un nou-
veau genre devaient faire à Pignans , dans la maison de
Boyer, un séjour plus ou moins long, suivant les circons-
tances. On tiendrait dans cet asile sûr des réunions fréquentes,
où seraient convoqués les principaux jansénistes de la
région.

Plusieurs prêtres influents et des laïques entrèrent dans le
complot : le chanoine Garnier, de Brignoles, l'abbé d'Arnaud,
d'Aix, le sieur Masseilhon, riche magasinier de Toulon-sur-
Mer, pour ne citer que les plus connus.

On se souvient de l'arrivée des convulsionnaires à Pignans,
de rémotion qu'ils y causèrent et de leurs excentricités.

Il est intéressant de donner sur ces personnages le plus de
renseignements possibles.

Questionné judiciairement à leur sujet, le sieur Masseilhon
répète toujours les mêmes affirmations : l'un des voyageurs
est le sieur de l'Epine, âgé de vingt-cinq ans, connu dans la
secte sous le surnom de frère Amable. Il s'habille de drap
rouge des pieds à la tête. Prophète inspiré de l'Esprit-Saint,
il lit les divines Ecritures et les commente. C'est au cours de
ses convulsions surnaturelles qu'il rend des oracles. Un autre
s'appelle Legrand ; le troisième est M. de Moutfort. Ils ont
avec eux un enfant de huit à dix ans du nom de Benjamin.

Le sieur de Boyer, interroge à son tour, rectifia ces alléga-
tions mensongères et incomplètes. Le soi- plus favo-
rable à leurs réunions secrètes que ce lieu de pèlerinage bâti
en plein désert, sur une haute colline, à une lieue dePignans.
Cachés dans cette solitude, ils y faisaient de longues retraites.
L'assemblée tenue au commencement d'octobre 1736 dura
sept jours. Chacun y avait apporté des provisions de bouche.
M. du Puget de La Rivière incrimine le sieur Audibert pour y
avoir porté quatre pigeons et une douzaine de becfigues.

Une preuve de l'importance du mouvement janséniste à
Pignans est la mission qu'y fit prêcher l'évêque de Fréjus sur
le désir exprimé par le cardinal de Fleury. Ce prince de
l'Église avait écrit à M. de La Tour qu'il fallait organiser une
mission et jeter les yeux sur des gens sages et capables d'effa-
cer de l'esprit des habitants, et surtout de leurs cœurs, l'im-
pression funeste que laisse toujours la nouveauté de la doc-
trine et le merveilleux des prodiges.

Les missionnaires furent choisis parmi les plus édifiants et
les plus terribles. L'illustre Bridaine y prêcha avec sa fougue
habituelle. Malgré leur zèle apostolique et leur éloquence, ces
missionnaires ne parvinrent pas, semble-t-il, à vaincre l'en-
têtement de leurs auditeurs.

Dans une lettre du 14 juin 1737, le sieur Grasson, curé-
sacristain de la paroisse, tourne Bridaine en ridicule : « Voici
la mission de Pignans finie sans qu'on y trouve l'ombre de



LES CONVULSIONNAIRES DÉ PIGNANS. 2l9

vaillantisme; j'avais eu soia de l'étouflfer dans sa naissance.
Les missionnaires ont tourné toutes leurs forces contre le jan-
sénisme, mais ils ne l'y ont pas trouvé. Ainsi, ils n'ont com-
battu qu'un fantôme et qu'une chimère.

« Le fameux M. Bridaine a eu le courage, moi présent, de
prêcher aux femmes qu'elles n'avaient plus la foi de leurs
pères, qu'elles y avaient renoncé depuis environ dix ans, et si
on lui eiit demandé en quoi, il eût été dans l'embarras de ré-
pondre, car depuis plus de quarante ans que je gouverne cette
église je n'ai rien recommandé avec autant d'insistance que
la soumission à l'Eglise et à ses décisions. »

Ces lignes, pleines d'indignation ironique, le curé les écrit
pour se justifier du reproche de jansénisme; mais, loin de le
justifier, elles l'accusent. On y sent trop bien la joie qu'éprouve
un pasteur hérétique à voir ses fidèles maintenir obstinément
les erreurs doctrinales qu'il leur a enseignées. En dépit des
prédications et des remontrances épiscopales, en dépit même
des rigueurs exercées contre ses prêtres et ses bourgeois,
Pignans demeura jusqu'à la Révolution la citadelle du jansé-
nisme en Provence.

11 est intéressant pour l'histoire religieuse en province au
xviii^ siècle de constater au sud de la France la répercussion
lointaine des scènes extraordinaires dont Paris était alors
le théâtre. On est frappé du retentissement qu'eurent dans
tout le pays les événements du cimetière de Saint-Médard.

N'est-il pas curieux d'apprendre que les Pignanais avaient
tous dans leurs maisons l'image de saint Paris, et son oraison
dans leurs livres de prières?

Cette étude donne quelque idée de la force et de la cohésion
du parti janséniste en Provence. Il y formait une sorte de
société secrète très bien organisée. Les magistrats se plai-
gnent sans cesse que les novateurs ont des « mouches » dans
les bureaux do l'intendance, dans toutes les administrations
publiques et jusqu'en plein Parlement; aussi sont-ils souvent
instruits à l'avance des mesures prises contre eux.

On y apprend encore que, pour donner une nouvelle impul-
sion à l'hérésie déjà vieillie, ses fauteurs eurent recours,



220 G. ARNAUD D'aGNEL.

entre autres expédients, aux prétendus miracles des convul-
sionnaires. Ces crises d'hj^slérie, plus rares et surtout moins
connues qu'elles ne le sont de nos jours, étaient alors une
nouveauté,, une attraction de premier ordre pour des gens de
la campagne.

Les jansénistes purent croire un instant avoir réussi dans
le choix de ce moyen de propagande, tant les tètes provençales
prirent feu, tant on se passionna sur les bords de l'Arc et de
'Argens pour ou contre les convulsionnaires. Mais les cam-
pagnards revinrent bientôt de leur illusion; après quelques
heures de fièvre et de délire, en hommes méfiants et prati-
ques, ils avaient démasqué les faux prophètes. Autour des
tables de l'auberge du Coq on parlait encore de Frère Amable,
mais pour en rire. On se passait de main en main ses discours
burlesques, dont il avait distribué de nombreuses copies, et
d'aimables farceurs les annotaient de gaietés gauloises.

D'ailleurs, M. de L'Epine et ses suivants étaient de vrais
sauvages, d'autant moins susceptibles de se faire comprendre
et suivre qu'ils ne parlaient pas le provençal.

En résumé, l'une des suites les plus fâcheuses du séjour des
convulsionnaires à Pignans fut le retard apporté au mariage
des sœurs du chanoine Boyer. Quand ces demoiselles, reve-
nues de leurs terribles émotions et de leur surprise, se déci-
dèrent à sortir de leur jardin, de jeunes filles elles étaient
devenues vieilles, et de jolies laides, tant et si bien que le
Frère Amable lui-même ne les aurait pas reconnues.

G. Arnaud d'Agnel.



MELANGES ET DOGUiMENTS



ALEGRET, JONGLEUR GASCON DU XII« SIECLE.

Alegret était un contemporain et probablement aussi un
compatriote de Marcabru qui, dans la pièce Bel m'es quan la
rana chanta, s'adresse à lui en ces termes :

Alegretz, folls, en quai guiza
Cujas far d'avol valen
Ni de gonella camisa?

« Alegret, fou que tu es, comment songes-tu à faire d'un vau-
« rien un homme de valeur et d'une robe une chemise ? »

La pièce de Marcabru paraît être une réponse à celle d'Ale-
gret : Ara pareisson ll'aubre sec, publiée plus loin.

Mais quel est le personnage sur lequel nos deux trouba-
dours différent complètement d'opinion? Quel est le « sei-
gneur » à qui appartient l'Occident (v. 35) et qui (strophe vu)
reçoit les éloges hyperboliques d'Alegret?

Le maître de l'Occident ne peut être à cette époque que
Alphonse VIII, roi de Castille, de Léon et de Galice, qui prit
le titre d'empereur en 1135 et mourut en 1157. C'est à ce
prince, en effet, que s'adresse Marcabru dans quatre de
ses pièces, très vraisemblablement composées en Espagne,



222 ANNALES DU MIDI.

d'après M. P. Meyer^ et « postérieures de bien peu d'années,
selon toute apparence, à 1137 », Al x>rim comens de l'iver-
nail — Pax in nomine Lomini — Emperaîre per mi me-
seis — Emperaire per vostre pretz -.

Mais si les trois premiers « vers » sont ceux d'un « sou-
doyer », d'un troubadour inspiré par l'ardeur de sa foi contre
les Sarrasins, le quatrième est animé d'un esprit bien diffé-
rent ; c'est l'œuvre d'un quémandeur peu satisfait des libéra-
lités de l'empereur et qui a recours même à l'impératrice
pour qu'elle intercède auprès de son mari. Cette poésie, dont
le ton est amer, révèle une déception profonde qui devait se
manifester encore dans Bel m'es quan la rana chanta et
dans Pos Viverns d'ogan es anatz.

Les deux pièces Bel m.' es quan la rana chanta de Marca-
bru et Ara pareisson IV aubre sec développent le thème
habituel sur la décadence de Jeunesse, de Prix, de Prouesse,
sur l'avarice des grands, sur les maris libertins. Nos deux
troubadours ou jongleurs, d'accord sur tous ces points, s'ex-
priment avec une vivacité et une crudité égales. Ils ne diffè-
rent que sur un seul personnage.

Alegret n'en connaît qu'un qui soit sans tache : c'est l'em-
pereur d'Occident.

Marcabru ne voit pas un seul puissant qui aime les festins
et la danse, et la strophe vu d'Alegret est évidemment visée
par les vers : Non sia lauzenja p^airt — Cell qui sa
m,asnad'afama. « On ne doit pas accorder de plates louanges
à celui qui affame les gens de sa maison. » Marcabru termine
par l'apostrophe citée au début de ces lignes.

Alegret se trouve, par conséquent, placé au milieu du
xiie siècle. C'est très certainement à lui que s'adresse Bernart
de Ventadour dans la pièce : Amors e qîteus es vejaire, et
si notre conjecture est fondée, il en ressort qu'Alegret, à qui
Bernart de Ventadour fait jouer le rôle de messager, était un
jongleur.

1. Romania, VI, 124-5.

2. Cette pièce a été éditée pour la première fois par M. Otto Klein, Die
Dichtïmgen des Munchs von Mo7itaudon, p. 98. Marburg, 1885.



MÉLANGES ET DOCUMENTS. 223

Ma chanson apren à dire,
Alegret, a'N Dalferan ;
Porta la n'a mon Tristan
Que sab ben gabar e rire^.

« Alegret, apprends à dire ma chanson à sire Dalferan, porte-la
« ensuite à mon Tristan qui sait bien plaisanter et rire. »

L'œuvre d'Alegret qui nous est parvenue se compose :
1i Auverf/7ie. p. 141 : Maritz que inarit fai sufren
Dell tastnr d'atretal sabor. — Cliez Alegret, cogos a le sens de « coucou,
mari trompeur »; il a bu ici cbez le trompé, et celui-ci (le trompé) doit
aller boire là, c. a. d. chez le coucou ou trompeur.



MÉLANGES ET DOCUMENTS. 229



VIII



Hueymais fenirai mon vers sec,
E parra pecx al non saben
Si no-i dobla [l'Jentendemen,

Q'ieu sui cell que-Is mots escuma
E sai triar los auls dels avinentz ;
E si fols ditz qu'aissi esser non dec,
36 Traga"s enan, qu'Alegreftz] n'es guirens.

IX

Si negus es del vers contradizens,
Fassa's enan, q'eu dirai per quera lec
59 Metr'en est vers dos motz ab divers sens.

Formule i-ythmique (Maus, n» 6130) 8 a 8 b 8 b 7 c 10 d 10 a 10 d (8 cou-
plets unissonants une tornade de 3 vers).



TRADUCTION



I

Maintenant les arbres paraissent secs, les éléments se rem-
brunissent, la clarté de la gente saison s'en va et je vois la
brume fumeuse; de là vient, de par le monde, du découragement
aux êtres vivants et surtout aux oiseaux muets, engourdis par le
temps froid qui vient ainsi les surprendre.

II

Et peu s'en faut que, tout vivant, je ne me dessèche par suite
d'un grand mal qui me frappe cruellement, quand il me souvient
de l'ignoble gent qu'une détestable lésinerie rembrunit. Mais que
peuvent me valoir prières et remontrances? Jamais arbre sec ne
produisit fleur ni fruit, jamais mauvais homme n'a pu être
vaillant.

50 M Av {., mon] C le — ôl M pecx] fais; — 52 C s. non d.; —5-1
M auls] fais; — 55 C E si foldatz. M E sil fais ditz; — 50 C qualegret
n. g., M qalegres n. g.

57, 58, 59 M Si deguns es del uers contradizentz — Not failhira uers de
dir per quem lec — De metrentu très motz de diuers sens.



230 ANNALES DD MiDl.

III

Je vois jeunesse fausse, flasque et sèche; peu s'en faut qu'elle
n'éclate de convoitise; qui fut preux autrefois, maintenant s'en
repent et est bien de méchante écume, car jamais prouesse d'un
seul jour ne fut sens, et si la bonne action ne s'est montrée à la
fin, tout ce qu'a fait le sire (seigneur) ne vaut rien.

IV

Largesse se plaint d'un mal sec, car à peine elle entend, voit
et sent; ce mal s'est accru si insidieusement que présentement il
lui enlève la peau et les plumes; c'est la lésinerie, force tenace
qui grandit tellement et a grandi parmi les plus riches qu'un
seul d'entre eux, pour dire oui, n'ose ouvrir les dents.

V

Ceux-ci sont secs, dedans et dehors; chiches d'actes et prodi-
gues de vent. Et ils paient avec rien, car telle est leur coutume ;
ils sont fastidieux, lâches et dégénérés; sur mille, je n'en vois
pas un seul sans quelque tare, si ce n'est le Seigneur à qui appar-
tient l'Occident (l'Empereur d'Occident).

VI

Car lui n'a pas le cœur flasque ni sec. tel que l'ont, de par le
monde, cent souverains; en lui s'appuie et s'attache Prouesse;
du moins avec des ailes s'envole son mérite parmi les vaillants
au-dessus de tous les autres, et j'entends dire à chacun qu'il est
le meilleur des rois les plus renommés.

VII.

Par les maris amants, je vois galanterie devenir sèche, car ils
sont complaisants entre eux; celui qui laisse sa femme pour
prendre celle d'autrui voit sortir sur son front une bosse qui lui
sera désormais apparente tant qu'il vivra, et il convient bien
que dans le hanap où ici a bu le mari trompeur, [chez celui-ci]
là aille boire le mari trompé.

VIII

Désormais je finirai mon vers sec, et il paraîtra sot à celui qui
ne sait pas, s'il ne prête une double attention, car je suis celui



MÉLANGES ET DOCUMENTS. 231

qui écume les mots et sais trier les termes impropres des ex-
pressions choisies, et si un fou dit qu'il n'a pas dû en être ainsi,
qu'il se mette en avant, car Alegret s'en porte garant.

IX

Si quelqu'un vient contredire ce vers, je ne te ferai pas défaut,
ô vers, et je dirai pourquoi il m'a été permis de mettre en toi trois
mots ayant des sens différents. (M).

Si quelqu'un vient contredire ce vers, qu'il se mette en avant
et je lui dirai pourquoi il m'a été permis de mettre en ce vers
deux mots ayant [chacun] des sens différents. (C).



Dompna, c'aves la segnoria
De joven e de cortesia
E de totas finas valors,
Onrada sobre las raeillors,
o Fons de totas flnas beutatz,

Cui Dieus a totz buns aips donatz
Per Dieu e per franca merce.
Sens cui hom non pot valer re,
E pueis per cortesi 'après,

40 E per amer que tan m'es près

Del cor, que-m fai languir soven,
E pueis, bella dompna, eissamen,
Per tôt zo c'az amor ataing.
Car neguns bens no vos sofraing,

15 Vos prec, que zo qu'eu vos vueil dir
Deignes escoutar e auzir.
E s'al re mos dires no'm val,
Al mentz no m'o tengues per mal,
Que tant es granz vostra valenza

ÎO E vostra beutatz, c'ades genza,

Qu'eu non cre que si 'homs viventz
(Tant es granz mos fols ardimentz).*



2 e [ms. ne — 14 no vos] nis, nous.



238 ANNALES DU MIDI.



II



SUR DEUX PASSAGES DU MOINE DE MONTAUDON
ET DE TORCAFOL.

Le poiul de départ des préseatos recherches se trouve dans
quelques allusions de pièces provençales, dont le trait com-
mun paraît être d'accorder des droits au trône de France,,
vers la fin du xii"" siècle, à des personnages qui n'ont jamais
pu avoir de pareils droits.

Dans sa pièce bien connue contenant un dialogue avec le
senhor dieu (305, 12), le moine de Montaudon fait l'allusion
suivante au baron Randou, dont nous nous sommes occupés
ici-même (Annales, XIX , p. 40) : En Randos eut es Pmns
(v. 14). Cette pièce est de 1193/4 {l. c , p. 49). Il faut en rap-
procher deux autres allusions, tirées du conflit poétique entre
Garin d'Apchier et Torcafol (L c p. 50); la première se
trouve dans un passage de 443, 1, où Torcafol dit à Garin
d'Apchier : Tart serez mais reis de Fransa (v. 40); l'autre
allusion (443, 2) se borne à indiquer avec moins de précision
la « ruche » de son adversaire : C'a pauc apchiers nous fo
Franssa (v. 12), mais elle n'en est pas moins intéressante,
car cette information y est présentée non comme sûre, mais
comme un bruit à peine digne de foi. Ce conflit poétique est
aussi antérieur à la fin du xii« siècle (/. c, p. 52 ss.)'.



1. Voy. l'allusion de Montaudon dans Appel, CJirest.', n. 93, p. 1:>2, et
Crescini, Manitaletto', n. 24, p. 258 :

Seii/ier, estai ai acli.t me fan lor amor eslran/ta :

en claitslra un an o dos En Ratidos oui es Paris

per qu'ai perdut los baros : no-rn fo anc fais ni gignos

sol quar vos am e-us servis el e ?;iOS' cors crei que'n planha.

Evidemment, En Randos oui es Paris n'est pas clair (le ms. N,
f° 284 d, que j'ai eu l'occasion d'examiner, a la même leçon pour le v. 14
{E7i Ra>idons cui es j)aris), et pour le v. 16 [Ele mos cors cre quen
jtlaigna, comme IK et comme dans Appel, Chrest.). On lit même dans
Selbach (SlreUgedicht, % 32, p. 39) : « Il se plaint d'avoir perdu la grâce
des barons, à l'exception du seigneur Randon (Philippe-Auguste) », et de



MÉLANGES ET DOCUMENTS. 233

Si nous rapprochons toutes ces allusions, c'est parce que
nous avons vu (/. c) que Randon, protecteur des troubadours,
et Garin d'Apchier, troubadour lui-même, étaient issus de la
même tamille. Dans ces conditions, il paraît sûr que nous
avons affaire à une légende ou une tradition de famille pro-
clamant l'origine royale de cette maison.

Mais de quel genre peut bien avoir été celte légende? Sur
quoi s'est-on appuyé pour affirmer la descendance royale
d'une famille des barons méridionaux?

Certains indices nous permettent de rattacher cette légende
et ces allusions au grand trésor des chansons de geste.

Retenons de l'ensemble de nos informations sur la maison
Randon-Apchier, réunies dans l'article cité, deux faits qui
demandent une explication. Le premier est celui de l'origine
royale, dont on parle vers la fin du xii^ siècle. Le second est un
surnom que l'on trouve, non sans surprise, dans cette famille,
celui de « Mesquin » : il apparaît pour la première fois avec
Guignes Mesquin, successeur de Randon, « cui es Paris »,
seigneur indépendant en 1207, mort vers 1242-3, et né, par
conséquent, dans le dernier quart du xii^ siècle {l. c , p. 46);
il apparaît pour la seconde fois avec Guignes Mesquin, neveu
du précédent, attesté entre 1229 et 1269-78 (cf. /. c, p. 45-6),



même Crescini (Mamialetùo^, p. 537) se deoiande si Randon n'est pas le
roi de France. Cela est naturellement impossible. M. Appel dit (p. 344) :
c< Paris, Parizot, ïarn-et-Garonno? », ce qui est aussi improbable. —
Voici dans le conflit poétique Garin d'Apchier-Torcafol les deux passages
qu'il convient de rapprocher de celui-ci. Tovcafol dit à Garin (443, 1,
?vv. 37-40) : Viellz e pus blancs d'un colom Be'tis menon de toni en
tom E no sahetz qui ni corn : Tart serez mais i-eis de Fransa. Il est
vrai que esser feis de Fransa paraît avoir été une locution pour dire
« être heui-eux », comme par exemple dans ce passage (239, 1 ; Suchier,
Benkmœler, 333, str. III, vv. 19-24) : ... C'assatz m'a mais drutz de
son benvoler Quant de sidonz pot vezer la semblansa, Lo dous esgar
la simpla contenansa, Denant la gent ab lei solaz aver, E son gent
cors esgardar e vezer : la en cellat non sia rets de Fra?isa. Mais l'en-
droit cité, relatif à Garin d'Apchier, n'a pas l'air d'avoir ce sens. D'au-
tant plus qu'il y a encore cette autre allusion dans 443, 2 (Witthoeft,
op. cit., 57, et Appel, Prov. i?iéd., 305-7, str. II, vv. 12-16), où Torcafol
dit à Garin : ... C'a pauc apchiers no-us fo Franssa Oti parloti aissi
cum porcs ruz; Primiers comtes la novella, Ses colp enchauzaz e
vencuz, E fo ben messagiers crezuts.

ANNALES DU MIDI. — XIX 16



234 ANNALES DU MIDI.

ce qui prouve qu'il s'agit biea d'un surnom, noa pas indivi-
duel, mais attaché à une tradition de famille; et l'on sera
d'accord pour reconnaître qu'un mot dépréciatif comme
« mesquin » n'a pu être officiellement adopté que par suite de
raisons toutes spéciales'.

Or, dans le nombre des légendes remontant aux chansons
de geste, il y en a une qui est susceptible d'expliquer à la fois
ces deux faits obscurs.

On sait que parmi les remaniements italiens des chansons
de geste françaises, de la fin du xiv» et du commencement
du XV® siècle, dont l'auteur est Andréa de' Magnabotti da
Barberino di Val d'Eisa, il y a un roman en prose qui, d'après
le nom de son héros, porte le titre de Guerino MescMno- .

1. Il est vrai que tneschin (ou ses dérivés) apparaît ailleurs en qualité
de surnom. On trouve dans un document tourangeau de 1247 la mention
d'un Mathaei le Meschin dois Tiiro)iensls, celle d'un Stephanus Mes-
chineau et d'un Nicolaus defiaictus le Meschin {Rec. des hist. des
Gaules et de la Fr., t. XXIV : Etiquetes adm. du régne de saint Louis,
p. p. L. Delisle; Paris, 1904, partie II, pp. 105, 128, 192). Ajoutons le
nom du poète Jean Mescliinot (né probablement à Nantes). Mais il s'agit
ici d'un surnom appliqué à des non-nobles, et le cas est tout différent.

2. Ce roman, transformé en livre populaire, jouit aujourd'hui encore
d'une vogue extraordinaire. En revanche, il a été, do tous les textes ita-
liens dérivés des chansons de geste, le moins étudié par la critique
savante; la question la plus importante, celle de ses relations avec l'en-
semble des gestes , n'a pas même été abordée. (Aucune mention dans
G. Paris, Histoire poétique; le titre seul dans L. Gautier, Les époi:>ées
françaises, II, p. 315, et l'ien dans sa Bibliographie des chans. de
geste, 1897; rien dans Ph. A. Becker, Der sudfr. Sagenkreis, Halle.
1898, où les autres remaniements d'Andréa sont énumérés, p. 10;
M. H. Hawickhorst, dans son travail Ueber die Géographie bel A. de'
Magnabotti, publ. dans Romanische Forschungen, XIII, 689-784, a dû
renoncer (p. 701) à un examen approfondi de Guerino MescJiifio, parce
qu'il n'avait à sa disposition que des éditions modernes, mais ce travail
apporte néanmoins un certain nombre d'identifications géographiques
concernant ce roman, pp. 721-2, 784. — Quelques précieuses informations
sur les mss. et les éditions se trouvent dans les Ricerche i)ito)'no
ai Reali di Francia, de M. P. Rajna (Bologne, 1877, pp. 314-316), et dans
R. Renier, Discesa di Ugo d'Alvernia ail' inferno (pp. xcvi-civ et
cf. cv-cxL et CLiv-CLxn). M. Renier a connu sept mss. de Guerino et
il n'en compte pas moins de dix-sept éditions antérieures à 1555. — La
Bibliothèque nationale de Paris possède l'édition princeps, que M. Renier
n'avait pu voir (Padoue, 1473, par Bartholomeus de Valdezochio ;
Rés. Y' 198), la troisième (Venise, 1477, par Gorardus de Flandria;
Rés. Y' 199), celles de 1483 (Rés. Y» 338), de 1520 (Rés. Y' 777), de 1525



MÉLANGES ET DOCUMENTS. 235

Dans ce roman, nous rencontrons d'abord le surnom de
Mesquin, et il faut remarquer que ce surnom y est particu-
lièrement mis en relief, car le héros est très souvent appelé
tout simplement Meschino^. Nous y voyons aussi ce héros
entrer dans l'ensemble de la généalogie légendaire de la
grande maison royale française : un passage de Ouerino Mes-
chino et un autre des Storie Nerbonesi l'attestent explicite-
ment 2. Voici quels seraient les degrés de cette généalogie :

(Rés. Y' 1014); la traduction française de 1530 y est conservée en plu-
sieurs exemplaires (Rés. Y* 778, 779, 855, 856). Les premières éditions
sont, comme l'a vérifié M. Renier, conformes aux manuscrits.

1. Voici, d'après le roman, l'histoire de ce surnom et son origine (éd. 1»
et 3«, chap. iv, sur le mariage et la vie conjugale de Milone et Finixia) :
« FA secondo mexe corne plaque a dio le ingravido de tino filio mas-
chio e parturito lo batixo e fece li ponere nome Guerino che fue el
nome de laiio de Millone... ». Le chap. vi est consacré à l'enlèvement
de l'enfant et sa vente à une famille où la maîtresse de la maison était
d'abord mal disposée contre lui : « Ma quanto sape la uerita da fami-
gli como li era tocato in parte no?i sene chura & fecelo batizzare cre-
dendolo chel non fusse batizato perche lo iera ciisi belo & tanto
pouero uenduto in fasse per schiauo gli puose nome el Meschino