Les anaphores grammaticales
Il ne sera terminé que cinq ans plus tard, durant l'été 1832. Cet enchaînement de
phrases est incorrect : lorsque le lecteur commence à lire la seconde phrase, il
décode le sujet « Il » comme une reprise du sujet de la première phrase : « l'
auteur » ; poursuivant sa lecture, il doit rectifier son interprétation et l'adapter au
sens ...
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exercices de rédaction
Semestre de Printemps 2012
Les phénomènes de
reprise
Principes et exercices
Raymond Delley
EXERCICES DE REDACTION
Les phénomènes de reprise
La cohérence dun texte tient, pour une grande part, à la clarté avec laquelle des éléments (idées, faits, objets) déjà évoqués sont repris dans de nouvelles phrases. Les formules et les procédés qui servent à ces reprises sont habituellement désignés sous le terme danaphore grammaticale. Tout le problème, ici, est de mettre en uvre, dans chaque cas particulier, le type danaphore qui assure la continuité la plus claire et la plus précise. Dans lextrait suivant, nous avons marqué en caractères gras les formules qui, dune manière ou dune autre, renvoient au contexte antérieur.
Lhomme, selon Rousseau, est séparé de lui-même par la société. Cest elle qui provoque le passage de lamour de soi à lamour propre. Lamour de soi, toujours vertueux, dirigé par le Bien, est corrompu par lintérêt. Celui-ci nous rend infidèles à nous-mêmes. Rousseau na pu échapper à cette contamination, cest pourquoi il confesse « le bien comme le mal avec la même franchise ».
On remarquera tout dabord la variété des moyens à disposition. Une lecture attentive nous montrera également que, dans certains cas, il y avait plusieurs possibilités de reprises. Ainsi, dans la dernière phrase, lauteur reprend le nom de « Rousseau », ce qui semble indispensable pour éviter toute ambiguïté. Il aurait pu, cependant, utiliser des variantes, comme « Jean-Jacques », ou « lauteur des Confessions », ou encore « notre auteur », avec des inflexions sémantiques différentes et dont il devait évaluer la pertinence.
Les anaphores pronominales
Les anaphores pronominales évitent la répétition dun nom ou dun groupe nominal. Elles sont donc sémantiquement vides et ne sont pertinentes que si lidentification du nom auquel elles renvoient se fait sans aucune hésitation. Même si leur emploi semble évident, elles sont souvent choisies sans assez de discernement et à lorigine de bon nombre dincohérences et de fautes dexpression.
A. La représentation totale
Ces anaphores pronominales reprennent un nom ou un groupe nominal dans son intégralité. Ces reprises sont généralement assurées par les pronoms personnels (3e personne), certains démonstratifs et les relatifs.
Rousseau se tourne alors vers lautobiographie. Il rédige ses Confessions, qui loccuperont plusieurs années. Plus tard, il rédige les Rêveries du promeneur solitaire. Celles-ci resteront inachevées.
Insistons sur le fait que le pronom personnel de 3e personne reprend implicitement le thème, et non le propos. Il renvoie donc le plus souvent au sujet de la phrase précédente.
*Lauteur a commencé à rédiger son roman au cours de lhiver 1827. Il ne sera terminé que cinq ans plus tard, durant lété 1832.
Cet enchaînement de phrases est incorrect : lorsque le lecteur commence à lire la seconde phrase, il décode le sujet « Il » comme une reprise du sujet de la première phrase : « lauteur » ; poursuivant sa lecture, il doit rectifier son interprétation et ladapter au sens de la phrase. Ce genre de correction rétroactive embarrasse la lecture, en gêne la fluidité, brouille la cohérence du texte.
Marie a passé toute la journée avec son amie Julie. Elle lui a raconté tous les événements de sa vie récente.
Lemploi des pronoms personnels (sujet, COD ou COI) amène souvent des ambiguïtés qui peuvent être aisément levées grâce à des anaphores dun autre type : « ce dernier », « celui-ci », « anaphore lexicale ».
Marie a passé toute la journée avec son amie Julie. Cette dernière (celle-ci) lui a raconté tous les événements de sa vie récente.
B. La représentation partielle
Certains pronoms représentent une partie seulement du groupe nominal. Ce sont les possessifs, certains démonstratifs, le pronom « en », les indéfinis et les numéraux.
Jai acheté deux exemplaires de ce livre. Jen ai offert un à mon ami. Jai gardé lautre pour moi.
Les tragédies de Racine ont des sources diverses : certaines, comme Phèdre ou Iphigénie, puisent dans la mythologie grecque ; dautres, Britannicus ou Bérénice, viennent de lhistoire romaine ; les deux dernières sinspirent de la Bible.
Jai examiné tous les livres de sa bibliothèque, mais je nai pas trouvé celui que je cherchais.
Les anaphores lexicales
Les anaphores lexicales (parfois également appelées nominales) sont construites à partir dun nom et dun déterminant défini : article définis, adjectifs possessifs ou démonstratifs.
A. Lanaphore fidèle
Dans le cas dune anaphore fidèle, on reprend le nom à lidentique, avec un simple changement de déterminant. On passe dun indéfini à un défini ou à un démonstratif.
Cette année-là, il écrivit un roman et un recueil de poèmes : le roman parut lannée suivante.
Il rencontra un ami quil navait plus vu depuis des années. Cet ami lui avait autrefois été très proche.
De manière quelque peu schématique, on peut dire que larticle défini sutilise dans la reprise dun terme qui, dans le contexte antérieur, est coordonné avec un ou plusieurs autres termes. Il sagit donc dun cas particulier, ce qui explique que, dans le cas de lanaphore fidèle, lemploi du démonstratif soit plus fréquent. On ne confondra pas la fonction anaphorique du démonstratif avec son emploi comme déictique :
Est-ce que vous avez déjà rencontré cette personne quelque part ?
Nous sommes allés écouter une conférencière qui parlait de luvre de Jean-Jacques Rousseau. Cette personne nous a passionnés durant presque deux heures.
B. Lanaphore infidèle
Lanaphore infidèle est une reprise dun nom ou dun groupe nominal avec changements lexicaux. On distingue différents cas :
1. Un nom peut être représenté par un groupe nominal à valeur descriptive, évaluative, argumentative.
Stéphane Mallarmé a renouvelé la poésie du XIXe siècle, ce poète génial a eu de nombreux disciples, dont Paul Valéry.
2. Un nom est repris par un synonyme ou équivalent, ou par un hyperonyme.
Perrault, lauteur des Contes, joua un rôle important dans la « Querelles des Anciens et des Modernes ». Cette controverse occupa le devant de la scène littéraire durant quelques années.
Les Rêveries mettent un point final à lentreprise autobiographique de Rousseau. Cette uvre (cet ouvrage, ce livre, cet écrit) en constitue le point dorgue.
C. Lanaphore conceptuelle
Lanaphore conceptuelle condense, résume le contenu dune phrase, dun paragraphe ou de tout un fragment textuel antérieurs. Cette reprise prend souvent la forme dune nominalisation à partir dun verbe ou dun adjectif, lesquels ne figurent pas nécessairement dans le contexte antérieur.
Peu de temps après, il rompit avec la société parisienne. Cette rupture le plongea dans un isolement presque total.
Sa dernière pièce a été jouée devant un public nombreux et enthousiaste. Ce triomphe (ce succès, cette réussite) a illuminé les derniers jours de lécrivain.
Une ressource de lanaphore conceptuelle : le groupe nominal de reprise peut prendre une orientation argumentative, positive ou négative.
Il reprit son ouvrage et en modifia la fin, pour se conformer au goût de son public. Cette lamentable palinodie est révélatrice du véritable caractère de cet auteur.
D. Lanaphore associative
Le groupe nominal anaphorique na pas de relation directe avec lélément quil reprend. Il est associé à ce dernier par une relation stéréotypique qui repose sur une connaissance générale du monde, partagée par la communauté linguistique. Ce type danaphore, particulièrement riche et complexe, a été étudié de manière systématique par Georges Kleiber.
Rousseau est né à Genève, son père était un citoyen respecté.
Rien nétait si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons formaient une harmonie telle quil ny en eut jamais en enfer. (Voltaire)
Ils ont aimé passionnément son dernier roman. Les personnages, les descriptions de lieux, lintrigue, tout leur plaisait.
La vie de Rousseau se présente comme un enchaînement de périodes contrastées. Lenfance fonde une aptitude au bonheur que rien ne pourra altérer. Ladolescence confronte le jeune Jean-Jacques avec le monde, ses injustices, sa brutalité.
La vie de Rousseau nest pas sans moment de faiblesse : le peigne de Mademoiselle Lambercier ou le ruban de Marton en témoignent.
Les anaphores grammaticales
tableau synoptique
Nom /
Groupe nominal
Segment
de texte
Anaphore
pronominale
totale
partielle
Anaphore
lexicale
fidèle
conceptuelle
infidèle
associative
Exercice I
Les phénomènes de reprise
Voici dix situations textuelles : les passages en caractères gras doivent être repris par une anaphore nominale. Il y a presque toujours plusieurs solutions. Il est important que lanaphore reprenne la totalité du passage, avec le plus de précision possible. Les extraits proposés vont du plus simple au plus complexe.
On se rappellera que lanaphore conceptuelle à la fois reprend, résume et réoriente un ou plusieurs énoncés antérieurs. Elle sera donc particulièrement utile en fin de paragraphe (conclusion) ou en début de paragraphe (transition).
Dans ses grands ouvrages théoriques, Rousseau propose des remèdes pour guérir lhomme des maladies qui le rongent. Seulement, (1)
sont incompatibles entre eux (elles).
En quel sens peut-on dire que Rousseau est un penseur de lhumanisme ? (3)
repose sur trois postulats, quon pourrait résumer en une formule : autonomie du je, intransitivité du tu, universalité des ils.
Ces remèdes sont au nombre de trois : ou bien cest la société et lEtat qui pallient les faiblesses de lhomme, ou bien cest lindividu tout seul qui fuit la société, ou enfin lindividu parvient, par léducation, à séchapper des conventions sociales. (2)
ne va pas sans contradiction.
Si on se détourne, à partir de 1740, de la ville, autrefois le lieu dattraction principal, cest quelle paraît de plus en plus être le lieu de lartifice et de lillusion. (4)
va laisser la place à un goût toujours plus prononcé pour la campagne et ses plaisirs vrais.
Marivaux abandonnera en fin de compte la rédaction de ses deux grands romans, les laissant inachevés. (5)
ne sont pas à interpréter comme des signes de paresse, mais plutôt comme lexpression dune nécessité dordre littéraire.
Plus il avançait dans la rédaction de son uvre, plus simposait à son esprit la nécessité dy consacrer toute sa vie. (6)
le conduisit à se détourner de tout autre intérêt, quil fût privé ou social.
Le lecteur doit attendre la fin de la dernière page du livre pour que lui soit enfin révélé le sens de lhistoire quil vient de lire. (7)
lui fait alors leffet dun véritable choc.
Le héros devine alors quel sort lui est réservé. Il sent que sa vie ne peut que basculer dans le malheur et dans la mort. (8)
ne le retient pourtant pas daccomplir son destin jusquau bout.
Au premier regard, cest le coup de foudre. Elle ne se maîtrise plus quavec peine. Des sentiments de toute sorte la submergent, lempêchent de voir la réalité telle quelle est. Elle sabandonne aux impulsions qui la bouleversent. (9)
lui fait perdre toute raison.
Les assauts de politesse, qui ont pris maintenant un caractère petit bourgeois, étaient extrêmement développés dans la vie de cour du XVe siècle. Cétait une honte de ne pas accorder à un supérieur la place qui lui revenait. Les ducs de Bourgogne étaient anxieux de céder le pas à leurs royaux cousins de France. Jean sans Peur ne manque jamais de témoigner le plus profond respect à sa belle-fille, Michelle de France ; il lappelle Madame, met un genou en terre devant elle.
(10)
est (sont) soigneusement réglé(e)s par létiquette.
Exercice II
Les phénomènes de reprise
Soulignez et commentez les différents procédés de reprise (anaphores pronominales et lexicales) utilisés dans le texte suivant. Dans certains cas, y avait-il dautres possibilités ? si oui, lesquelles ?
« Aucune histoire romanesque, aucune aventure, intrigue politique ou amoureuse n'était de taille à rivaliser avec la vie dans l'escalier d'une maison de campagne », constate Virginia Woolf à propos de Jane Austen. Lauteur dOrgueil et préjugé écrivait en effet sur les banalités du quotidien, sur des réceptions, des pique-niques et des bals de campagne, et elle influença des générations de romanciers anglo-saxons, d'Elizabeth Taylor à Anita Brookner en passant par Henry James ou Virginia Woolf justement. Elle entre aujourd'hui dans la « Bibliothèque de La Pléiade » qui publie le premier volume de ses uvres complètes, (il y en aura deux) préfacé et annoté par Pierre Goubert. Ce tome correspond à la période courant de 1793 à 1813 et réunit ses premiers grands romans, L'Abbaye de Northanger, Le Cur et la raison et Orgueil et préjugé. Tous les trois ont été retraduits pour l'occasion.
Parallèlement paraît une biographie de la demoiselle du Hampshire, dont la vie ne fut pas très exaltante, ce qui rend la tâche plutôt ardue. Jane Austen naît le 16 décembre 1775 dans le presbytère de Steventon où son père est pasteur. Très vite, elle écrit des pièces pour divertir sa famille. Cette passion n'est pas considérée comme une marotte par ses parents, mais bien comme une vocation. Côté vie privée, on lui connaît un seul amour, qui neut pas de suite. Cette idylle malheureuse la poussera un peu plus encore vers l'écriture. A vingt-quatre ans, Jane a déjà commencé trois histoires : Raison et sentiment (accueilli comme « un nouveau roman écrit par une dame »), Orgueil et préjugé, son best-seller, puis Mansfield Park. Elle attendit des années avant d'être publiée, mais connut une relative notoriété de son vivant.
Pour une explication plus approfondie de la distinction entre le défini et le démonstratif dans cette position anaphorique, voir Riegel & alii, Grammaire méthodique du français, PUF, 2009, p. 287-288.
Kleiber Georges, LAnaphore associative, PUF, 2001.