Histoire de Tamié - Abbaye de Tamié
»[9]. Saint Pierre 1er de Tarentaise, saint Jean abbé de Bonnevaux puis .....
Après le feu, la guerre : Agnès de Faucigny, veuve de Pierre II de Savoie, ...... Or
le règlement de Tamié corrige la fin en : .... ladite abbaye en 1706 »[249] par les
pères Joseph Molly et Joseph Chiron. ...... [274] - Un épisode de la vie du Dr
Claraz.
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BRUNO-JEAN MARTIN
HISTOIRE DES MOINES DE TAMIÉ
ET DE QUELQUES AUTRES
Le Hénaff éditeur
Saint-Étienne - 1982I.S.B.N. 2-86502-027-4
AVANT-PROPOS
« Le premier lieu où lon rencontre ceux que lon aime, cest leur histoire ». Cette phrase de Lacordaire suffirait, sil en était besoin, à justifier le présent livre, et son titre : « Histoire des moines de Tamié ». Quel serait lintérêt de parler du lieu, des bâtiments, des possessions du monastère et de leur fluctuation dans lhistoire, en oubliant ceux qui ont habité ici, et ce quils venaient y chercher ?
La tâche, cependant, nest pas simple. Il est facile détablir une carte des biens de Tamié, aisé de relever des plans. Mais létat de la communauté, ses sentiments, son degré de ferveur ou de tiédeur, toutes ces notions trop souvent nous échappent. « La vraie vie est ailleurs ». Peut-être fuit-elle les historiens ; ne leur laisse-t-elle, pour les consoler, que quelques traces : un livre de comptes, une devise en marge dun livre, une lettre dont on ignorera à tout jamais la réponse. Faut-il alors rétracter le titre même de cet ouvrage, linscrire au catalogue des vaines entreprises, et parler de Tamié en renonçant à tirer de lombre ceux qui, au jour le jour, étaient Tamié ?
La phrase de Lacordaire mencourage ; une rencontre, par-delà le temps, de ceux que lon aime, voilà bien comment se présente ce livre, et sa genèse.
Il y a bien longtemps que les moines de Tamié sintéressent à ces frères qui les ont précédés, et qui leur sont à la fois si lointains et si proches. Le premier souci des moines de la Grâce-Dieu qui vinrent restaurer Tamié en 1861 fut de se rattacher au passé ; quatre ans plus tard, louvrage dEugène Burnier faisait redécouvrir à la Savoie le nom de labbaye de saint Pierre de Tarentaise.
Dès le début de son abbatiat, en 1923, Dom Alexis Presse se mit à fouiller le passé de son cher Tamié avec lardeur quil mettait en toutes choses. Sur ses encouragements, labbé Garin fit paraître en 1927 une nouvelle « Histoire de Tamié ». Louvrage, à vrai dire, recopiait sur [6] bien des points le précédent ; il se révéla vite insuffisant. Moins que la chronologie des abbatiats ou la généalogie des illustres familles, on aurait voulu en savoir davantage sur la vie du monastère et les sentiments de ses habitants... Par chance et aussi parce que Dom Alexis avait un « flair » et des talents tout particuliers pour retrouver les pièces darchives, beaucoup de documents nouveaux furent, successivement, mis en lumière ; de petites feuilles couvertes dune minuscule écriture sajoutaient à dautres pour former de volumineux dossiers.
Cest ainsi que pendant cinquante années, le travail patient des archivistes de labbaye a préparé le présent ouvrage. Il doit beaucoup aux recherches du P. Anselme Dimier, pour qui rien de cistercien nétait étranger, et à linlassable travail du P. Louis La Bonnardière : Des années durant, il se rendit, chaque semaine, aux archives départementales, recopiant minutieusement les documents, se laissant enfermer, avec un quignon de pain, pour travailler encore durant le temps de midi, susant les yeux, par économie, derrière dindescriptibles lunettes... Avec le renouveau de ces dernières années, le besoin dune histoire tenant compte de toutes les données nouvelles se fit plus pressant : la communauté la souhaitait, les nombreux amis de Tamié, visiteurs ou retraitants, la réclamaient. Le P. Anthelme Arminjon se mit alors à louvrage. Cest à lui que lon doit non seulement le titre mais encore le « premier jet » de ce livre. En 1979, P. Anthelme étant parti pour le Zaïre, je fus chargé de la révision de son texte. Des circonstances imprévues, des renseignements inédits glanés à la Grande-Trappe et aux Archives Vaticanes ont fait que la simple révision a pris le plus souvent lallure dune refonte complète. Mais tel le mauvais maître dont parle lÉvangile, jai moissonné là où je navais pas semé.
Après les archivistes de labbaye, il me faut remercier tous ceux qui, sur tel ou tel point, ont bien mérité de « lHistoire des moines de Tamié », M. labbé Hudry, et, avec lui, tous les historiens savoyards, dont les remarques furent précieuses ; Christian Regat, dAnnecy, qui a admirablement étudié labbatiat dArsène de Jougla ; le P. Lucien, de la Grande-Trappe, qui ma communiqué tant de renseignements sur les rapports de Dom de Somont et de Rancé ; le P. Jean Coste, archiviste de la Société de Marie, qui ma introduit et patiemment guidé dans le dédale des Archives Vaticanes.
Jai préféré, pour la période récente, passer la plume aux moines de Tamié, témoins directs de cette histoire : le chapitre sur Dom Alexis Presse doit beaucoup au P. André Fracheboud, et celui sur les abbatiats récents jusquà Dom François de Sales, au P. Jean-Marie Escot. La communauté sest chargée elle-même de la rédaction du dernier chapitre : le lecteur ne sera pas étonné que lon y passe de [7] limpersonnel au « nous » et se réjouira, au contraire, dentendre les moines sexpliquer directement sur cette période, si décisive à tous égards.
Cette impressionnante liste de collaborateurs explique pourquoi je tenais à présenter cette histoire comme oeuvre de lamitié. Elle unit les premiers moines de Tamié à ceux daujourdhui ; elle relie tous ceux qui ont contribué à ce livre à tous ceux qui le liront, pour qui le nom de Tamié est évocateur de silence et de paix. Et lorsque lhistoire se tait, la prière - cette autre forme de lamitié ne peut-elle prendre la place ?
À Tamié,
en la fête de la Dédicacede Saint-Jean de Latran,9 novembre 1981B.J.M.
TAMIÉ AVANT TAMIÉ
Lhistoire des moines de Tamié et de quelques autres sinaugura en lan 1132. Sans doute avait-elle commencé bien avant. Elle avait laissé un nom : Tamié, dont il faudrait peut-être expliquer lorigine.
Le mot viendrait du citoyen gallo-romain Tamidius, son ancien propriétaire, pensent les uns ; dautres le font venir de deux mots latins signifiants « au milieu » (stans medium) : peut-être la frontière des deux comtés de Genevois et de Savoie. Mais « au milieu » cest également un idéal proposé à ses habitants ; la fameuse « discrétion » bénédictine...
Quant aux moines qui allaient occuper ce site, ils avaient déjà derrière eux un long passé. Dès les premiers siècles du Christianisme, il navait pas manqué dhommes et de femmes pour vouloir suivre jusquau bout les conseils du Christ : « Si tu veux être parfait... vends tout ce que tu as et suis-moi ». Ainsi ce paysan aisé de la vallée du Nil, Antoine, qui se retira vers 270 dans le désert de la Thébaïde, après avoir entendu cet appel du Seigneur : de nombreux disciples suivirent son exemple. Un contemporain, Pacôme, organisa une sorte de vie collective des ascètes du désert : de là, linstitution monastique ne cessa de se répandre dans le monde chrétien.
Tout cet héritage des «Pères » du désert, saint Benoît le recueillit voici 1500 ans.
[9] Né en Ombrie vers 480 et fondateur de labbaye du Mont-Cassin, entre Rome et Naples, Benoît eut pour dessein de créer une « école du service du Seigneur » (4). Pour cela il écrivit une Règle, imprégnée dun idéal de sagesse et de discrétion ; devenu comme une méthode éprouvée pour appliquer lÉvangile à la vie quotidienne, ce vieux texte, toujours jeune, est encore aujourdhui à la base de la vie monastique occidentale.
Les meilleures institutions, par malheur, se sclérosent. Parce quil désirait revenir à la pureté de la vie monastique et à lobservance primitive de la Règle de saint Benoît, loin des commentaires dont on lavait alourdie, un abbé bénédictin, Robert de Molesme, fonda en 1098 Cîteaux. Cette réforme sétendit comme un incendie, grâce à un jeune homme venu rejoindre les premiers cisterciens : Bernard. Devenu abbé dune des premières fondations, Clairvaux, cet homme frêle et maladif imprima de telle sorte sa marque sur son temps que lon a pu appeler son siècle « le siècle de saint Bernard ». A sa mort, en 1153, il avait fondé soixante-cinq monastères ; son oeuvre était immense, son activité politique, capitale. LOrdre cistercien, si mince à son arrivée, comptait désormais trois cent quarante trois abbayes. Sil navait pas été le seul à oeuvrer à cette tâche, il lui avait donné, par son rayonnement, une impulsion telle, quil fallait le considérer comme le second fondateur.
Lépoque était favorable aux réformateurs monastiques. Dautres formes de vie religieuse avaient vu le jour : la Chartreuse, Grandmont, Fontevrault. Aucune pourtant ne connut le rayonnement, létendue, le prestige de la famille cistercienne. Cest dans ce contexte que se place la fondation de Tamié.
1
LA FONDATION
Au point de départ...
« Dieu dans sa bonté propageait et gouvernait alors lordre cistercien ; Amédée, comte de Maurienne et marquis dItalie pria Dom Pierre, archevêque de Tarentaise, de chercher dans son comté, pour cet ordre, un lieu de culte ».
Ainsi commence la notice de fondation du monastère, le plus ancien document de notre histoire. Il met en scène ses protagonistes : le comte de Savoie Amédée III et larchevêque Pierre 1er de Tarentaise. Le comte savait bien quétablir un foyer de vie monastique, cétait prendre : « le chemin le plus direct qui mène à la civilisation ». Quant à larchevêque, moine, puis abbé de la Ferté en Bourgogne (la première fondation de Cîteaux) il sétait fait connaître dans la région lors de son passage au cours de deux voyages en Italie. « Intercepté » par les habitants de Moûtiers en quête dévêque, il fut installé en 1124. Si attaché à son ordre quil en garda, devenu évêque, lhabit et les coutumes, on comprend quil se soit empressé de trouver un lieu pour la nouvelle fondation. Il le découvrit « en un endroit appelé Tamié (Stamedium), favorable à létablissement dune maison cistercienne » cest-à-dire un vallon suffisamment écarté, et où lon puisse trouver de leau et du bois pour la construction.
La route de Milan à Genève ne passait pas, alors, par le col, mais utilisait le replat, faisant un détour par St-Sigismond, Thénesol, Marthod, Ugine. Contrairement à ce que lon a souvent dit, il ne [12] semble pas, alors, que Tamié ait été fondé pour servir détape sur un chemin fréquenté. Un lieu « apte à létablissement dune maison cistercienne » ne pouvait être, à une date si proche des origines de lordre, quun site isolé. Mais cet isolement dura peu : cinquante ans après la fondation, Geoffroy dHautecombe trouvait lemplacement mal choisi, sur un passage fréquenté. Lexistence de labbaye, la sécurité quelle apportait, avaient suffi pour que se développe la route du col. Ainsi, dans ce site contradictoire, sinscrivait déjà le destin de Tamié, à lécart sur la montagne, et pourtant sur la route des hommes.
Larchevêque Pierre demanda aux seigneurs du lieu - les vassaux du comte et ses propres diocésains - lautorisation de sétablir sur ces terres en friche ; labbaye de Bonnevaux, en Dauphiné, fournirait une petite colonie de religieux, moines de choeur et frères convers, et la vie monastique pourrait commencer. Tout ce beau monde fut convoqué pour le 16 février 1132, et cest ce dont témoigne la notice de fondation.
« Lan 1132 de lIncarnation du Seigneur, par la grâce de Dieu et son immense bonté, monseigneur Pierre archevêque de Tarentaise avisa dans son diocèse un endroit appelé Tamié et qui lui parut propre à létablissement de moines cisterciens. Il en demanda la cession à ses propriétaires, Pierre, Guillaume et Aymard de Chevron... ensuite il [13] convoqua là Dom Jean, abbé de Bonnevaux en Dauphiné, et les trois frères de Chevron : Pierre et son épouse, Guillaume, son épouse et leur fils Guillaume... donnèrent à Dieu, à sainte Marie, à Jean abbé de Bonnevaux et aux frères qui y serviraient Dieu... tout ce quils possédaient à Tamié. ».
Comme lécrivait le P. Dimier, cest « une assemblée de saints qui présida à linstallation des moines. ». Saint Pierre 1er de Tarentaise, saint Jean abbé de Bonnevaux puis évêque de Valence, saint Amédée de Clermont, seigneur dHauterives, qui mourut moine de Bonnevaux, et le dernier témoin de la liste, F. Pierre, qui resta à la tête de la nouvelle maison, premier abbé de Tamié et futur archevêque de Tarentaise.
Saint Pierre de Tarentaise
Labbé fondateur mérite que lon sattarde un peu sur lui. Il était né en 1102, sans doute à St-Maurice-lExil, près de Vienne. A 20 ans, il entrait à labbaye toute proche de Bonnevaux. Sous la conduite de labbé Jean il se forma à la vie cistercienne, jusquau jour où il fut désigné pour prendre la tête de lessaim de frères qui partaient fonder Tamié... De labbaye de Bonnevaux, témoin des premières années de vie monastique de Pierre de Tarentaise, il ne reste pas pierre sur pierre, hormis une grande croix, et linscription :
«Ici fût Bonnevaux, la mère des saints... ».
On imagine sans peine les travaux et les soucis de la fondation et de la construction de Tamié. Tout était à faire. Cependant larchevêque et le comte noubliaient pas labbaye dans leurs libéralités. Elles permirent de faire face aux besoins les plus pressants et de constituer les premiers domaines, - les granges - que les frères pouvaient exploiter. Et voila notre abbé, «par monts et par vaux », partant visiter ses frères au travail... « Il se rendait à pied jusque dans les cabanes les plus éloignées, et grimpait à quatre pattes jusquaux plus lointains alpages », nous dit naïvement son biographe et ami, Geoffroy dHautecombe. Cependant, pendant les dix années que notre saint Pierre passa à Tamié, sa vie fut dabord la vie du moine, vie de solitude et de prière; Geoffroy rapporte que pendant que la communauté reposait, Pierre avait coutume de passer la nuit en oraison, au chevet de léglise, sur le petit tertre qui a conservé le nom de « crêt St-Pierre ».
Cest au cours de ces années que se plaça peut-être la visite de saint Bernard à Tamié, sans doute au cours dun voyage en Italie, en 1135. Un petit oratoire, au sommet du col, marquerait le souvenir de la rencontre des deux saints.
Saint Bernard ne fut pas le seul voyageur. Tant dhospitalité, tant dactivité charitable firent remarquer le saint abbé, de sorte que, le [14] siège de Tarentaise étant devenu vacant, lon pensa naturellement à lui comme archevêque. Il fallut faire violence à son humilité ; le peuple et le clergé de Tarentaise le réquisitionnèrent, « langarièrent », nous dit Geoffroy. Il accepta enfin. Ne pouvait-il pas garder le meilleur de la vie du moine, lamour de Dieu et des pauvres, la «passion de lÉglise »... Et puis il restait tout près de Tamié : cest lui qui procéda, le 20 octobre 1150, à la dédicace de léglise : la construction avait duré 18 ans.
Son épiscopat, comme son abbatiat, pourrait se résumer en trois mots : simplicité, charité, paix. Le chroniqueur cistercien Hélinand de Froidmont ne prétendait-il pas transmettre lessentiel de la vie de notre évêque en écrivant : « De 1102 à 1174, sous le comte Amédée, vécut saint Pierre qui aima les pauvres et partagea avec eux son pain ». De fait, cette simplicité avec les petits, cette grande charité envers les pauvres sont les traits caractéristiques de notre saint. Geoffroy dHautecombe rapporte que sur la route de Rome quils parcouraient ensemble, Pierre partageait si largement avec les pauvres de rencontre le contenu de sa musette, quune fois celle-ci vide, il prélevait encore sur la portion de son compagnon de voyage, qui nosait refuser, sans trouver toujours la chose à son goût !
Une rue de Moûtiers porte encore le nom dune institution charitable - le Pain de Mai - quil fonda sur ses revenus darchevêque ; il sagissait dune distribution de soupe à tout venant, faite les vingt-huit premiers jours du mois de mai, au moment de la difficile soudure entre la récolte passée souvent épuisée, et la nouvelle encore à venir.
Quant à son oeuvre de paix, toute la chronologie de son épiscopat est lénumération de ses missions pacifiques. Dabord entre le Pape Alexandre III et lempereur dAllemagne Frédéric 1er Barberousse, qui, pour régner plus sûrement à Rome, y avait placé un antipape, Victor IV. Sur ce point, Pierre travailla activement à rallier la chrétienté au pape légitime. Si grand était son ascendant que lempereur nosa sévir contre lui : « Si je malmène les hommes, disait-il, ils le méritent ; mais comment faire la guerre à Dieu ? » Un jour, en tournée de propagande pour cette juste cause, Pierre sarrêta chez les moines de Bithaine en Franche-Comté. Pour le contrer, larchevêque de Besançon, Herbert, partisan de lempereur et de lantipape, sannonça lui aussi. Craignant pour la paix de son « Béthanie » (dont Bithaine est le nom déformé) labbé de ce monastère tenta déloigner Pierre, qui, amusé, feignit de croire que cest la place qui lui manquerait : « un tout petit coin me suffira ».
Pierre apaisa encore par-ci par-là bien dautres querelles mineures ; ainsi entre moines et chanoines en litige sur le droit de pêcher les truites du lac de Joux : les chanoines furent autorisés à [15] pêcher au filet un jour et une nuit par semaine, et à la ligne tant quils voudraient....
Ce sont deux saints cependant que Pierre eut le plus de mal à mettre daccord : le Bx Humbert, comte de Savoie, avec lévêque de Belley saint Anthelme.
Notons enfin ses efforts pour réformer le clergé de son diocèse et les chanoines de son chapitre ! Nous en trouvons lexpression dans le seul écrit qui nous soit resté du saint, le partage des biens entre larchevêque et le chapitre, qui est presque son testament (il fut rédigé quatre ans avant sa mort).
« Dès que, malgré mon indignité, je fus mis en possession du siège de Tarentaise, jai longuement, intensément réfléchi en moi-même, cherchant comment instituer dans cette église de Tarentaise un clergé selon lidéal de la primitive église dont il est écrit : la foule des croyants navait quun coeur et quune âme, et personne nappelait quoique ce soit son bien propre ; mais tout leur était commun et lon partageait selon les besoins... ».
Après avoir été envoyé par le Pape en Normandie, pour tenter de réconcilier roi de France et roi dAngleterre, ses forces le trahirent au cours dune dernière mission : Pierre mourut chez les cisterciens de [16] Bellevaux en Franche-Comté, le 14 septembre 1174, « gardant comme en toutes circonstances le sourire ». Il eut encore la force den faire la grâce aux moines qui lentouraient dans son agonie.
... et quelques autres
La personnalité du premier abbé ne doit pas nous faire oublier ses compagnons... Les chartes nous livrent les noms de quelques-uns de ces moines :
F. Jean, déjà prieur à Bonnevaux, et qui garda ses fonctions à Tamié ; les frères Audemar et Guitfred, témoins de la fondation ; F. André, qui suivit saint Pierre à Moûtiers. Parlons aussi de F. Amédée dHauterives : grand seigneur dauphinois, cousin de lempereur dAllemagne, humble frère convers. Spécialiste des fondations, (il participa à celles de Mazan en Vivarais, de Montpeyroux en Auvergne, de Léoncel près de Valence), il défrichait, plantait jardins, vergers, acquérait dautres champs... puis craignant dêtre considéré comme le fondateur et de recevoir ainsi sa récompense, il retournait, lâme en joie, à son monastère de Bonnevaux.
Citons pour terminer le propre successeur de saint Pierre à la tête de Tamié, le bienheureux Bernard de Maurienne, qui après un abbatiat de cinq années (1141-1146) connut la même mésaventure : Il fut élu évêque de St-Jean-de-Maurienne, où il mourut le 15 avril 1156. Geoffroy dHautecombe rapporte de lui cette anecdote : Le bienheureux Bernard sétait rendu au Betton, monastère de cisterciennes de son diocèse, que gouvernait alors la propre mère de saint Pierre de Tarentaise, entrée en religion à la suite de son fils. Celle-ci se confessa à lévêque et reçut de lui cette pénitence : demander à son fils une copie des Commentaires de saint Augustin sur les psaumes, manuscrit que saint Pierre avait fait exécuter autrefois. A la première visite de larchevêque de Tarentaise, sa mère lui demanda aussitôt « Mon fils, est-on tenu daccomplir la pénitence sacramentelle ?» « Naturellement ! », répondit-il. « Alors aie pitié de lâme de ta mère à qui lon a imposé la pénitence que voilà... ». Le commentaire sur les Psaumes passa au Betton, où on le conserva pendant longtemps, jalousement, en mémoire du saint.
2
LA VIE AUX ORIGINES
Un pacte de Charité.
« Ainsi que laffirme saint Luc, la multitude des croyants nétait quun coeur et quune âme ; personne ne disait être sien ce qui lui appartenait, mais on mettait tout en commun... Ce nest pas seulement à Jérusalem que florissait cette divine école de la primitive Église ; elle florissait aussi à Antioche, sous la conduite de Paul et de
Barnabé ; et cest là que les disciples pour la première fois reçurent le "nom de Chrétiens" ... Il est manifeste que le nom, la vie, et la discipline des moines remontent à ces premiers temps... ».
Lorsquà la fin du XIIe siècle les cisterciens voulurent retracer leur histoire, qui nen était, pourtant, quà son tout début, ils le firent en se rattachant à lidéal de la primitive Église, ainsi quen témoigne le passage ci-dessus de lExorde de Cîteaux. Cest le même idéal, nous lavons vu, qui habitait Pierre de Tarentaise cherchant à réformer le clergé de son diocèse.
Cette « divine école de la primitive Église », les premiers cisterciens pensaient quil ny avait pas de façon meilleure de la faire revivre quen suivant la Règle de saint Benoît «dans sa pure et simple intégrité ». Il ne faut pas entendre par là que les moines de la tradition bénédictine antérieure - en France, ceux de Cluny - vivaient fondamentalement autre chose : mais, avec le temps, ils avaient introduit une multitude de traditions surannées et extrêmement disparates. Alors, aux usages et aux interprétations de Cluny, les nouveaux moines préféraient les usages et les interprétations plus [18] simples, plus strictes, laissées par leurs « Pères fondateurs », Robert de Molesme et ses successeurs à la tête de Cîteaux : les abbés Albéric (ou Aubry) et Etienne Harding.
Parce quils étaient vêtus de laine non teinte, par simplicité, on appela les premiers cisterciens « moines blancs », pour les distinguer des clunisiens, vêtus de noir. Au demeurant, même si des querelles opposaient les deux ordres, la même tradition spirituelle les unissait.
« Ni vous ni moi ne sommes seuls, mais nous sommes lÉglise, si nous savons conserver lunité de lEsprit par le lien de la paix, écrivait Bernard. Lorsque je suis rentré à Cîteaux, ma conduite ne comportait aucun blâme envers Cluny, dont je connais les mérites. Simplement, parce que jétais un homme faible devant le péché, lhygiène de mon âme exigeait une nourriture plus forte... ».
Plusieurs traits fondamentaux de la réforme cistercienne furent loeuvre de labbé Albéric : pauvreté poussée aussi loin que possible, remise en honneur du travail manuel.
Etienne Harding, de son côté, fut lauteur de la pièce essentielle de la législation cistercienne, celle qui fondait véritablement un Ordre : la Charte de Charité.
«Par le présent décret les frères, soucieux de prévenir tout naufrage de la paix entre eux-mêmes, ont mis au clair et expliqué pour eux comme pour ceux qui viendront après, de quelle façon ou plutôt par quel effet de charité leurs moines, séparés selon le corps parce que leurs abbayes se trouvent dans des régions différentes du monde, pouvaient cependant rester indissolublement unis quant à lâme ».
Cette charte mettait en place deux points fondamentaux, encore en usage de nos jours : le principe de la « Visite Régulière » et linstitution du « Chapitre Général ». Par la visite régulière, chaque monastère restait en lien avec le monastère qui lavait fondé (Bonnevaux pour Tamié) ; chaque année, labbé de la maison fondatrice venait contrôler la régularité de la vie dans les fondations. Tous les abbés cisterciens sassemblaient annuellement, à Cîteaux même, pour le chapitre général : celui-ci assurait entre les abbayes une intense circulation de vie, un esprit de famille, des échanges de tous ordres ; au besoin, corrigeait les abus.
Cest ainsi que sur la remarque de labbé de Bonnevaux, Hugues, le chapitre général de 1190 condamna labbé de Tamié, Pierre de St-Genis, à rester 40 jours hors de sa stalle et à 6 jours de pénitence dont un au pain et à leau - pour avoir laissé vendre du vin au détail (littéralement, «à la cruche ») dans un domaine de labbaye, et pour avoir prêté un moine à larchevêque Aymon de Tarentaise, « le livrant ainsi aux affaires du siècle ».
[19] Oeuvre de Dieu et accueil des hommes
Linstitution du chapitre général maintenait dans tout lOrdre une unité de pratique et dobservance qui nous permet de nous représenter avec assez de précision la vie dans une abbaye telle que Tamié, même si les documents précis concernant le quotidien de celle-ci font parfois défaut.
Les bâtiments primitifs de labbaye de Tamié étaient situés un peu en contrebas, au Nord des bâtiments actuels ; les matériaux anciens ayant été réutilisés pour la reconstitution, il ne reste guère du premier monastère que les fondations, quont fait apparaître des fouilles commencées en 1926.
On reconnaît facilement léglise, au plan très simple, suivant lusage cistercien ; labside est en demi-cercle, au lieu du chevet plat le plus souvent adopté, par simplicité, dans les églises de lordre. Voilà donc le lieu dans lequel «ne préférant rien à loeuvre de Dieu », les premiers moines de Tamié se retrouvaient pour la prière liturgique, lOffice Divin.
Dès avant le jour, loffice de Vigiles, ou Matines, rassemblait la communauté ; au lever du soleil, les prières de Laudes et de Prime étaient suivies de la lecture du martyrologe et dun chapitre de la Règle, lecture qui donna son nom - chapitre - à la salle où elle avait lieu. La matinée était coupée par loffice de Tierce, et ceux de Sexte et de None encadraient la pause de midi. Le soir venu, Vêpres et Complies réunissaient une dernière fois la communauté, avant le repos de la nuit. A lexception de Prime, ces mêmes offices rythment encore, de nos jours, la prière des monastères.
Les jours ordinaires, la célébration de la messe avait lieu après Prime en hiver ou après Tierce en été. Les dimanches et fêtes, une première messe, où lon communiait, était célébrée après Prime, et une seconde était chantée après Tierce. Les décisions du chapitre général prescrivaient des ornements les plus simples possibles : des chasubles de laine, ni tapis, ni fleurs, deux chandeliers. « Pour les cisterciens, la fête se fait au choeur, mais surtout dans le coeur ».
Les fouilles ont mis à jour, au nord de la chapelle, les soubassements de la salle du chapitre. Là se réunissaient les moines ; là se traitaient les affaires du monastère, là labbé commentait la Règle de saint Benoît, dont il avait un exemplaire, sur un pupitre, en face de lui. Cette salle était le lieu ordinaire de la sépulture des abbés.
Des autres bâtiments, on ne décèle quun plan indistinct. Daprès la disposition traditionnelle des monastères de lordre de Cîteaux, on trouvait après le chapitre : le parloir, la salle des moines (la salle de lecture) - et sans doute, au-dessus, le dortoir, communiquant parfois directement avec léglise. Une petite pièce souvent attenante à la salle des moines devait être bien utile à Tamié : le chauffoir, seule pièce du [20] monastère où, en principe, lon entretenait un feu continuellement. « On venait y graisser ses chaussures, le moine-barbier y faisait la tonsure des frères, les copistes lutilisaient pour réchauffer leur encre » (7). Ces copistes, nous les voyons justement intervenir en 1164. Labbé Bertrand de Morimondo (dans le Milanais) demande à son homologue de Tamié, Pierre dAvallon, deux moines experts en calligraphie, pour un an. Trente-deux ans après linstallation, les copistes de Tamié faisaient déjà école. Mais navons-nous pas vu les abbés Pierre de Tarentaise et Bernard de Maurienne se montrer amis des livres ? Ces livres, que leur rareté rend précieux, sont rangés le plus souvent dans une petite pièce, parfois une simple niche du cloître : larmarium ; les moines peuvent les prendre pour les moments de « lectio divina », lectures prévues par la Règle pour la nourriture spirituelle de chacun.
Restent, pour terminer notre visite, les bâtiments dexploitation du monastère ; nous y reviendrons ; et puis, surtout, à Tamié, lhôtellerie, les bâtiments réservés à laccueil des visiteurs, des pèlerins et des voyageurs. Activité si importante à Tamié sinon à lorigine, du moins très rapidement quen 1191 le comte de Genève déclarera « Les religieux de Tamié et toutes leurs granges seront exemptés de tout impôt dans notre comté, mais ce nest quen tant que lOrdre cistercien a décrété de donner par esprit de charité, et a coutume de donner, lhospitalité aux voyageurs ».
« Où trouver un si grand prodige, écrivait saint Bernard, quand un si grand nombre de jeunes gens, un si grand nombre dadolescents, un si grand nombre dhommes dorigine illustre, vous tous enfin que je vois là, vous vous considérez comme prisonniers dans une prison aux portes ouvertes, sans chaînes aucunes, retenus seulement par la crainte de Dieu... Quel échange avantageux, mes très chers frères ! En délaissant tous les biens que vous pouviez avoir dans le monde, vous avez mérité de devenir le bien personnel de lauteur du monde, et lui-même sest fait votre propriété bien à vous, puisque, nous en sommes certains, il est la part dhéritage de ceux qui sont à lui ».
Les travaux et les jours.
« Quils sachent donc quils seront vraiment moines lorsquils vivront du travail de leurs mains» (11). Cette petite phrase de la Règle de saint Benoît navait pas échappé aux réformateurs cisterciens. On les vit donc labourer la terre « de leurs mains », au lieu de vivre de dîmes et de dons, comme les «moines noirs » le faisaient depuis cinq siècles. Les frères partaient, aux champs ou dans les bois, en silence, loutil sur lépaule, le scapulaire de laine sombre au vent.
Lété, le travail se répartissait entre le matin, depuis le chapitre [22] jusquà Tierce (6 h 30 - 8 h 30) et laprès-midi, de la fin de la sieste à None (13 h - 15 h). Au moment des moissons, on pouvait même travailler depuis la messe du matin jusquau coucher du soleil ; les offices étaient alors récités sur place, au milieu des champs. Lhiver, en période de jeûne, le travail était à la suite, depuis le chapitre jusquà lheure de lunique repas (environ de 9 h à 13 h). Labbé Albéric avait décidé que les moines qui chantaient au choeur, alors presque toujours prêtres, pourraient se faire aider par des frères laïcs, non instruits, appelés « convers ». Leur prière était le travail, et ils lalternaient avec la récitation des 150 « Pater » de leur office.
Un monastère navait pas toujours à proximité tout ce qui lui était nécessaire pour vivre en circuit fermé : bois, pacages, vignobles, terres arables et labourables ; aussi chaque monastère sassurait de la possession de domaines parfois éloignés, les granges (du latin grangiae : exploitation agricole). Ce sont elles quallaient exploiter les convers, sous la direction dun maître de grange ; sil le fallait, on embauchait même des ouvriers.
A Tamié, la rigueur de lhiver et les nécessités de laccueil demandèrent, dès lorigine, des terres meilleures, sous des cieux plus cléments, pour subvenir aux besoins des voyageurs et de la communauté. Aux abords immédiats du monastère, à Seythenex, Faverges, Plancherine, Tournon, Mercury, on se préoccupa de fonder des domaines productifs : les premières donations en témoignent. Le jour même de la fondation, le monastère recevait, du seigneur du lieu, la grange de Bréda, sous Avallon. Dans lannée, Pierre 1er, archevêque de Tarentaise, « sous linspiration de Dieu se rendit avec quelques frères auprès du comte Amédée de Genève, lui demandant pour le salut de son âme et de celles de ses ancêtres sa propriété de Bellocey (sur le plateau des Glières) pour les frères du mont-Tamié. Bien que ce domaine lui fût très cher, il le donna avec joie, pour lamour du Christ ». Moins de dix ans après, le comte de Savoie, Amédée, donne à Montmeillerat (en face de Montmélian) une vigne et son cellier. « Toutes ces largesses nallaient pas sans indication du prix payé en contrepartie », observe Félix Bernard. Les terrains donnés nétaient pas toujours les meilleurs; qui se trouvaient déjà occupés et exploités. Les concessions ressemblaient parfois à des contrats de travail, à des programmes de travaux publics : il sagit, à Mercury, de protéger les rives du « terrible Chiriac » ; de domestiquer, à Montailleur, le « torrent de la gorge des Pères » (il a gardé leur nom !), à Cruet celui de la Crousaz, à Arbin, les sources de Fontaniaux. La métamorphose des terrains se traduit parfois par un nom nouveau : la terre des Fougères devint Pontcharra, cest-à-dire « le pont-aux-chars-de-blé » ; Montmeillerat, le mont amélioré, fut le nom nouveau du site appelé jusque là Reculat.
[23] Avec le temps, les laboureurs de la première heure, défricheurs de terres incultes, ingénieurs des eaux, devinrent grands propriétaires. Toujours très bien administrée, la propriété foncière cistercienne se distinguait par une heureuse concentration ; les « moines blancs », disait-on, excellaient à arrondir leur patrimoine. Mettant en valeur rationnellement son domaine, une abbaye ne pouvait que prospérer. Si, plus tard, on reprocha aux monastères leur richesse - germe de décadence - ces richesses nétaient que le fruit dune sage exploitation par des moines qui, vivant pauvrement, ne pouvaient faire autrement que déconomiser. Paradoxe quau demeurant, limmense charité des monastères faisait mieux accepter.
« En lordre blanc il y a grand bien », écrivait Guyot de Provins, pourtant peu tendre à légard de ces moines qui projettent de conquérir «tout le terrain que lon voit de leur abbaye ». Il va de soi que les immenses domaines, et, peut-être plus encore, la clairvoyance de lexploitation des cisterciens (une politique de remembrements avant la lettre) pouvaient inspirer bien des jalousies.
[24] Le domaine de Tamié.
Examinons maintenant le domaine de Tamié. On trouvait au pied de labbaye les fermes de La Cassine et du Pommarey (un ancien verger, comme lindique son nom) ; en direction du col, les granges de Martignon et de Malapalud où étaient parqués les troupeaux qui, lété, « profitaient », non sans rivalités, dans les montagnes de lEst : lAulps du Four, le Drison, la Bouchasse, Orgeval, qui comprenait maison, bergerie, et pèlerinage... Au Nord, on rencontrait la « vallée industrielle » du Bard, aux nombreux artifices : moulins, « reisses » (scieries), battoirs, foulons. De lautre côté du col, le voyageur tombait sur la maison forte de Plancherine, village dont labbé était seigneur temporel ; proche de Tournon, labbaye possédait les granges de Mercury, Gilly, lHôpital-sous-Conflans, les deux granges de Montailleur. En Haut-Grésivaudan lIsère traversait un véritable « archipel monastique » : les granges de Montmeillerat à Sainte-Hélène, de Servette à Chapareillan, de Clarfay près dAllevard.
Les cessions de ces domaines étaient faites en famille : en 1238 « Bonne fille de Cernon et Jean Rolland son mari cèdent à labbaye... » « André de Crolles et son fils Pierre donnent à F. Jacques, convers de Tamié et maître de la grange dAvallon... ».
Plus à louest, en Bugey Savoyard, entre le lac dAiguebellette, le Rhône et son affluent, le Guiers, Tamié eut très tôt des possessions. En 1145, treize ans seulement après la fondation, une bulle du Pape Eugène III (un cistercien) enjoignait aux évêques de Maurienne, Genève et Belley de faire rendre justice aux moines pour leurs terres situées à Pont-de-Beauvoisin. Plus tard, on compta les granges de Ste-Catherine-dEvresol à La Bridoire, et, limitrophe, la maison forte de Lorden à Verel-de-Montbel. Labbé y avait droit de justice, et y percevait la moitié des amendes ! Il est vrai quil devait, en contrepartie, pourvoir à lentretien du curé. Les granges du duché de Genevois ségrènent autour du lac dAnnecy : Loverchy, Seynod, La Césière près dArgonney, Malaz-en-Saconges, Veyrier, les Chosaux, et, plus à lEst, près de Thônes, la grange de Bellocey-dAllex. Sur la route de Genève enfin on trouvait les granges de Longchamp à Groisy et celle de Champagnier à Menthonnay-en-Bornes, la plus septentrionale.
On comprend ce que ladministration dun tel domaine pouvait comporter de difficultés et de litiges en puissance : nous les voyons grandir en même temps que les possessions, dès le XIIIème siècle. Les actes du chapitre général enregistrent les plaintes des moines de Tamié, contre les moines de Chézery, en 1200 ; contre ceux dAulps, en 1202 et 1203 ; des médiateurs sont désignés, «pour quà lavenir on nen entende plus la clameur ». En 1210, cest larchevêque de Tarentaise Aymon et la comtesse Marguerite de Savoie qui sentremettent pour régler un différend avec les prieurs de Cléry et de [25] Gilly ; en 1212, les cisterciens de Tamié sallient à ceux de Bonnevaux et dHautecombe contre les chartreux, à propos de pâtures ; le pape Innocent III doit déléguer des arbitres pour terminer laffaire. Enfin en 1216 les moines de Chalais et de Tamié se contestent la possession de la grange de Belmont (vers Pont-de-Beauvoisin) ; laffaire sétouffe moyennant 14 livres (monnaie) que les moines de Chalais versent à ceux de Tamié, représentés par Pierre Dieu-lo-fit « maître de la grange dÉvresol et chapelain du Pont » et Didier, convers et bouvier (custos boum).
Des abbés et des moines...
Après les biens, parlons un peu des hommes... A Bernard, élu évêque de Maurienne en 1146, succéda un Robert, puis, vers 1150, un Pierre. En 1156 et 1163 nous trouvons un Guy de Beaufort ; le « Guillaume, abbé » qui reçut en 1162 le chevalier Viniter de Saint-Didier est peut-être le même. Pierre dAvallon, surnommé Aschérius (fabricant dacier) lui succéda. Bonnevaux, labbaye-mère, en conformité avec les principes de la « Charte de Charité », lappela comme abbé en 1168. Guy de Cevins lui succéda à Tamié, jusquen 1172.
Le long exercice (1172-1207) de labbé Pierre de Saint-Genis contraste avec cette énumération « dabbatiats de poche ». Pierre fit accorder à labbaye des privilèges de protection par les papes Alexandre III, Lucius III et Innocent III. Les donations, pendant ce temps, continuaient daffluer, comme, en 1176, celle de Pierre de Cevins, le frère de labbé précédent. En 1177, Guillaume de Chevron, le fils de lun des fondateurs, se « donne » lui-même à labbaye où « ses pères, frères et mère reposent ». Ces actes ont lavantage de faire connaître le nom de quelques moines de ce temps-là : Witfred et Aymon de Seythenex, convers, Siboud, cellérier (économe) et un André « frère de Pierre, archevêque de Tarentaise, dheureuse mémoire ».
Le successeur de Pierre de Saint-Genis, Girold de la Tour, vint de Bonnevaux ; il exerça sa charge de 1207 à 1222. Nous avons vu plus haut les premiers procès arriver pendant ce temps ; Girold connut également des déboires dans ladministration des religieuses cisterciennes, dont certains monastères dépendaient de Tamié. Il se vit chargé, en 1213, de communiquer les décisions du Chapitre général à la prieure et aux moniales du Betton, en Maurienne. Pour ne lavoir pas fait, le chapitre de 1214 le condamna à quatre jours de pénitence. Tamié était aussi en relation avec le monastère de Ste-Catherine-du-Semnoz, aux portes dAnnecy ; un moine nommé Hugues de la Chambre construisit en 1220 un « lavoir » pour les moniales.
[26] À Girold succédait un Humbert dAvallon, surnommé « excellent médecin » ; cest là tout ce que nous savons de lui. En 1223 labbé était Berlion de Pont-de-Beauvoisin ; il arbitra en 1225 avec lévêque de Maurienne un litige opposant larchevêque de Tarentaise et le sire de Beaufort, Guillaume. Des chartes datées de son abbatiat nous livrent quelques noms de moines : Pierre de Maurienne et Pierre de Plancherine, un autre Pierre, portier (claviger) du monastère.
Un nommé Guillaume, « métral et syndic de Cruet », se donna, lui et ses biens, par testament fait dans linfirmerie de Tamié en 1232.
A Berlion succéda une constellation dabbés : Guillaume de Boges, cité en 1234 ; Pierre de Seythenay (1237-1242), Berlion de Bellecombe (1242-1245), Guy ou Guigues (1246-1250), appelé ensuite à Bonnevaux. Guigues se vit chargé de missions, à deux reprises, par le pape Innocent IV, auprès de labbé de St-Michel-de-la-Cluse, puis auprès du prieur de Chamonix. Il obtint du même pape une bulle « contre certains perturbateurs qui prétendaient contraindre le monastère à payer les dettes de ceux qui sy faisaient enterrer » !. Le comte de Savoie Amédée IV sintéressa lui aussi à Tamié : il assura le monastère de sa protection, par un diplôme de 1249; il sattribuait, en même temps, un certain droit de patronat sur labbaye : naissance de prétentions qui auront, dans la suite, de graves inconvénients.
Dom Jean, au court abbatiat, reçut du chapitre général de 1251 lordre de visiter le prieuré de Ronne fondé par les religieuses du Betton. Labbé Jacques dAmeysin (1253-1262) termine notre série. Le chapitre général de 1257 lautorisa à fêter liturgiquement saint Pierre de Tarentaise, canonisé en 1191. Les pères du Chapitre, attentifs à maintenir une parfaite uniformité, ne concédaient que parcimonieusement des fêtes particulières aux monastères. Les soucis de lOrdre, cependant, nétaient pas seulement liturgiques : une querelle autour de lélection de labbé de Cîteaux, ouverte en 1262, ne fut close quen 1265 par la promulgation, par le pape Clément IV, de la bulle « Parvus fons », qui réorganisait lOrdre. Elle ne fit quassurer un peu de répit, à lheure où approchait la « grande épreuve ».
3
LA DÉCADENCE
Les malheurs des temps.
« Labbé de Bonnevaux, sil le juge utile, est autorisé à disperser la communauté de Tamié ». Cette décision, inattendue, éclata comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu, au chapitre général de 1262. Que sétait-il passé ? Une autre décision de ce même chapitre général semble lexpliquer : la dispense, pour Hautecombe, de recevoir des hôtes pendant trois ans « parce quelle héberge les moines des deux abbayes-soeurs qui ont été détruites ». Un incendie avait-il ruiné Tamié ? Dix ans plus tard, en lÉpiphanie 1273, le comte Philippe de Savoie mandait à tous ses châtelains daider de tout leur pouvoir les moines de Tamié, « dont labbaye a été de nouveau détruite par un incendie ». Jusquen 1678 la plupart des bâtiments du monastère étaient couverts de chaume ou « à tavaillons » - ces petites planchettes de bois remplaçant la tuile ou lardoise. Que ces mêmes bâtiments aient donc brûlé tant de fois est bien explicable. Un peu plus tard une lettre du comte de Genève invitait les habitants de lenviron à aider pour la reconstruction de la maison de Tamié... « à cause de lincendie arrivé lan 1314 ». Dans ces conditions, il était difficile de recevoir des hôtes. Si grande cependant était limportance de ce devoir dhospitalité, que Tamié dut sen faire dispenser officiellement, au chapitre général de 1267, dispenses renouvelées en 1269, 1275 et 1294.
Aux ravages de lincendie sajoutaient des difficultés financières : en 1273, les meuniers dArbin, qui utilisaient leau jadis domestiquée [28] et canalisée par les moines, avaient refusé de payer les redevances dues à labbaye. Les besoins financiers étaient si pressants quil fallut prendre les grands moyens. Le pape Grégoire IX, en cette fin doctobre 1273, se rendait au concile oecuménique de Lyon. Le prieur de Tamié, avec ceux dHautecombe et dAulps, partit à sa rencontre chez les cisterciens de Morimondo, vers Milan. Ils se joignirent au cortège, et sans doute traversèrent-ils avec lui toute la Maurienne, jusquà Montmélian, où lon logea le « Seigneur Pape » dans la citadelle, tandis que sa suite devait se contenter de paille (fraîche) achetée pour la circonstance. Le prieur de Tamié dut parler des meuniers à Grégoire IX, car le 1er septembre 1274, le pape, encore à Lyon, enjoignait au prieur dArbin « de faire payer par censures ecclésiastiques ceux qui devaient à Tamié ». Ce ne fut sans doute pas suffisant pour renflouer les caisses du monastère, pas plus que les rares aumônes, telle celle dHenri de Chevron, qui, dans son testament de 1276, donne quelques terres et « toutes ses vaches et leurs veaux » à labbaye de Tamié.
Après le feu, la guerre : Agnès de Faucigny, veuve de Pierre II de Savoie, légua le Faucigny à sa fille Béatrice, qui lapporta en dot au Dauphin. Les Savoyards se virent pris en tenaille, au Nord et au Sud, doù une guerre latente de 1285 à 1355. En 1305 Édouard de Savoie écrivait à son châtelain de Pont-de-Beauvoisin « quau cas où le Dauphin de Viennois et ses gens voulussent entrer dans le pays, il requière le gouverneur dÉvresol (sans doute le maître de cette grange) quil ait à faire venir ses gens pour la défense du pays ». Par contre, vingt ans plus tard, le comte défendit à ses châtelains de Tournon, Ugine et Faverges de contraindre les hommes de Tamié cest-à-dire ceux qui étaient employés sur les terres du monastère - daller en ses chevauchées. Mais que les hommes de Tamié fussent ou non de la bataille, ces luttes nallaient pas sans leur cortège de ruines et de déprédations. Les possessions de labbaye étaient toujours prises entre deux feux : en 1313, le Dauphin Jean prenait sous sa sauvegarde labbaye de Tamié, ordonnant que soient restitués les biens du monastère situés à Avallon, la Bussière et Belle-Combe : ceux-ci avaient été confisqués à la suite dune accusation de complicité dans la prise du château dAvallon par les Savoyards.
Quand les soldats nétaient pas là pour fourrager, les chasseurs prenaient le relais de la malfaisance : le 20 mars 1324, le comte Édouard le libéral dispensait Tamié de nourrir piqueurs et meutes de chasse, rappelant que grâce analogue avait déjà été octroyée par Amédée IV son ancêtre.
Une procuration de 1343 passée par toute la communauté nous donne une liste de 21 signatures. Les frères convers et les novices ny figurant pas, on peut estimer au moins à une trentaine le nombre des religieux à ce moment-là. Le temps des épreuves nétait cependant [29] pas terminé pour eux. Au feu et à la guerre sajouta bientôt la maladie. Connue sous le nom de « Peste Noire », la peste bubonique apparut en Europe en 1346, apportée dOrient par des navigateurs ; elle poursuivit ses ravages jusquen 1352, emportant, en six années, un tiers de la population de lEurope. Un distique bourguignon résumait la situation :
« En lan trois cent quarante neuf,De cent ne demeuraient que neuf ».
La perte de population entraînée par lépidémie fut telle quil fallut plus dun siècle pour sen relever. Sur 226 feux (familles) dénombrés en 1334 à Pont-de-Beauvoisin, il nen restait en 1420 que 77 ; sur 71 comptés à La Bridoire, 37. On ne sait pas avec précision si les ravages de la peste se firent sentir à Tamié ; de toute manière, lépidémie avait tari le recrutement, et des moines et des convers.
Faute de bras, les moines durent céder les domaines à qui pouvait encore cultiver ; les actes de la fin du XIVème siècle portent trace de quantité dalbergements consentis par labbaye. En 1352 le chapitre général autorisait lalbergement de « biens stériles » des granges de [30] Champagnier, à Menthonnay-en-Bornes, et de Ravoiry, à la Balme de Sillingy. En 1356 albergement à St-Franc ; en 1358 une demi-douzaine dalbergements étaient consentis aux alentours de la Bridoire. « Quand, vers 1360, la vaste grange dÉvresol ne trouve plus ni convers ni salariés disponibles par suite des mortalités qui ne cessent pas, labbé de Tamié alberge à presque chacune des familles subsistantes ». En 1442 une bulle datée du concile de Bâle confirme un albergement à Bellocier «en raison du manque de main doeuvre depuis 90 ans ».
La décadence était générale et ses causes multiples. La guerre de Cent Ans eut pour les monastères savoyards la conséquence fâcheuse de rendre difficiles les relations avec lOrdre. Quant au grand Schisme dOccident (1378-1417) il divisa la chrétienté en deux, puis trois obédiences ; on vit deux papes saffronter, et le concile tenter vainement de refaire lunité de lÉglise. « Les abbés des monastères de notre Ordre disent que leurs maisons ont été accablées dans les temps passés, et plus encore maintenant ; en beaucoup dendroits les destructions ont été totales, de par la malice des temps, les malheurs de la guerre, et le manque douvriers... », gémit le Chapitre général de 1402 «... ne sommes-nous pas arrivés à la fin des temps ? Liniquité abonde, la charité sest refroidie ; ne pourrait-on pas croire à la venue prochaine de celui que famine et stérilité précèdent, lAntéchrist ? ».
Le grand relâchement...
LAntéchrist nétait pas aux portes ; seulement le relâchement. Nous en étions resté à labbé Jacques dAmeyssin, en 1262. Les abbés Anthelme de Faverges (1263-1276), Anselme dAllevard (1277-1304) et Hugues de la Pallud (1305-1322) eurent le souci de la reconstruction du monastère après les incendies. En 1280, un Daniel, moine de Tamié, avait été élu évêque dOristano en Sardaigne ; il décéda avant davoir pris possession de son évêché. Suivirent les abbatiats de Jacques Pascal dYenne (1322-1343) et de Jacques de Ribot ; prieur du monastère, il fut élu abbé en 1343. Il mourut en 1348 victime ou non de la peste, et Raoul de Sethenay lui succéda. Celui-ci fut élu deux fois « définiteur » (cest-à-dire lun des 25 abbés que le pape Benoît XII avait adjoints à labbé de Cîteaux, pour le bon fonctionnement de lassemblée) aux chapitres généraux de 1356 et 1357.
Nous savons par la chronique de Morimondo quil envoya F. Maurice, de la Motte-en-Bauges, en compagnie de deux moines dHautecombe, au monastère de San-Stefano près de Terracine.
Labbé Gérard de Beaufort fut élu le 12 avril 1358, trois jours seulement après le décès de Raoul. Cest Gérard de Beaufort qui [31] consentit à la plupart des albergements ; il mourut en 1380. Si son élection semble avoir été régulière, on ne peut pas en dire autant de celle de son successeur, Guillaume Guinand de Narbonne. Moine et professeur de théologie au monastère de Fontfroide (diocèse de Narbonne), il fut ensuite abbé du Thoronet (au diocèse de Fréjus). Cest de là quil fut désigné pour labbatiat de Tamié, en 1381. Ces dates correspondent au début du « Grand Schisme » : en 1378, à la mort de Grégoire XI, dernier pape légitime dAvignon, rentré à Rome en 1377, le collège des cardinaux se divisa et élut deux papes ; le pape de Rome, Urbain VI, et son compétiteur en Avignon, Clément VII. Celui-ci - Robert de Genève - était né à Annecy, et était de cette lignée des comtes de Genève qui firent des libéralités à labbaye de Tamié. Entre les deux papes, la chrétienté se partagea. Au diocèse de Narbonne, imitant en cela son archevêque - nommé par Clément-VII labbé de Fontfroide sempressa de reconnaître comme légitime lantipape Clément VII. Ne peut-on pas penser que Guillaume fut nommé abbé du Thoronet par Clément lui-même ? Labbaye du Thoronet, à la suite dune révolte des moines en 1328, était tombée en décadence totale, et donnée en « commende » par les papes dAvignon.
Le Savoyard Clément VII naurait-il pas ensuite disposé en faveur de Guillaume de labbaye de Tamié, que les moines le veuillent ou non ? La Gallia Christiana nous apprend justement que Guillaume fut en procès avec frère Nicod de Missy - qui était peut-être le candidat des moines -pour la possession de labbaye. La querelle fut arbitrée par les abbés de St-Sulpice et de Bonnevaux, et Guillaume resta maître du terrain.
Le même processus se retrouve lors de la désignation de son successeur, Pierre Castin. Celui-ci apparaît sur les registres de la Chambre Apostolique, comme abbé de Tamié, le 9 février 1391; il est alors qualifié «dancien abbé de Sénanque, transféré au monastère de Tamié ». Ne peut-on pas voir là encore lactivité de Clément VII, toujours prompt à sassurer des fidélités en distribuant des bénéfices ? Lantipape Clément VII avait bien pu tirer son compatriote Pierre Castin de labbaye dHautecombe, pour le placer à Sénanque.
Au demeurant le nouvel abbé préférait à son monastère le séjour de la cour du comte de Savoie où il était en faveur. Tout cela coûtait cher. Labbé dissipa les revenus du monastère, et le chapitre général de 1397 demanda à labbé de Bonnevaux denquêter sur les agissements de Pierre Castin, moine dHautecombe, qui sétait rendu coupable dexcès, non précisés, dans une grange, et de lui faire réintégrer son monastère dorigine. la suite de cette enquête le chapitre de 1399 défendit à labbé de Tamié dexercer tout pouvoir spirituel ou temporel, lui demandant de résider en labbaye, et non en la grange dÉvresol, et de se présenter, en personne, au prochain chapitre pour [32] répondre de sa conduite. Conduite qui nous est connue par un document non daté, antérieur de peu à 1400: une plainte des religieux de Tamié au comte Amédée VIII. Labbé, disaient-ils, avait accensé la grange dÉvresol à lun des leurs, Rodolphe de Sethenay ; plus tard, labbé, toujours prompt à dilapider les biens du monastère avait fait chasser Rodolphe et occuper la grange ; or le monastère ne saurait vivre sans le revenu de cette grange.
On ne sait ce que fit le comte. Toujours est-il que cette plainte nous montre un abbé non résident, exploitant sans vergogne un monastère quil considère comme son bien propre, et ne laissant même pas de quoi vivre à ses religieux. Le chapitre général de 1400 dut déposer purement et simplement P. Castin, chargeant les abbés de Bonnevaux et de St-Sulpice dinstaller un nouvel abbé, « quil soit élu ou désigné ». Le nouvel abbé fut Pierre de Barignie, jusqualors prieur du monastère de La Chassagne «désigné le 22 octobre 1400 par le pontife Romain » (Boniface IX). Pierre Castin ne se le tint pas pour dit. Son successeur avait été désigné par le pape de Rome ? il fit appel en Avignon le schisme continuait à lantipape Benoît XIII. En témoignent des lettres décernées le 8 mai 1403 au prévôt de léglise dEmbrun par Benoît XIII, sur la supplique de Pierre Castin abbé de Tamié, pour citer en justice les abbés de Bonnevaux, de St-Sulpice, des moines de Tamié et « un religieux de la Chassagne ». Force de loi resta à Rome : en 1417, le concile de Constance mit fin au schisme en élisant le pape Martin V. Le cardinal Jean de Brogny, chancelier de lÉglise, originaire dAnnecy, et qui avait joué un rôle décisif au concile, couronna le nouveau pape. Jean de Brogny programma sans doute litinéraire de retour jusquà Rome de Martin V, par Annecy, Talloires, et Tamié, où il sarrêta le temps de concéder à Pierre de Barignie, enfin confirmé dans ses droits, lusage de la mitre aux messes solennelles. Pierre renonça à sa charge en 1420.
Claude Paret, qui lui succéda, fut élu cette fois régulièrement par les religieux, et une bulle de Martin V confirma son élection le 7 octobre 1420. Claude Paret fit partie de la délégation de 25 abbés cisterciens envoyés au concile de Bâle, qui souvrit le 2 juillet 1431. Le pape Eugène IV désapprouvait la tenue de ce concile. Une lutte dinfluence sengagea entre concile et pape, lutte qui aboutit en 1439 à la désignation par le concile dun antipape, le propre duc de Savoie Amédée VIII, qui prit le nom de Félix V. On ne sait si Claude Paret fut du nombre de ses électeurs. La légende voudrait que tant son hommage à Félix V, celui-ci lui aurait demandé quelle faveur il implorait. Labbé supplia le pape de ne jamais permettre que son monastère tombât en commende. Ce que Félix aurait aussitôt promis. Promesse bien étonnante de la part de notre antipape, qui, dans son court pontificat (un an à peine) donna sept abbayes en commende [33] à ses fidèles, dont Hautecombe et Aulps. Labbatiat de Claude Paret, au demeurant, fut sûrement assez recommandable pour quon lui confiât la responsabilité spirituelle de deux abbayes de religieuses : Bonlieu et Ste-Catherine qui dépendaient auparavant dHautecombe. Son successeur recevra en 1459 le monastère des Ayes, qui relevait dAulps.
Fulgens sicut stella
Jacques Fournier, cistercien élu pape en 1334 sous le nom de Benoît XII, soucieux de la réforme de son ordre, promulgua, à peine installé sur le trône pontifical, la bulle « Fulgens sicut stella ». « Brillant comme létoile du matin dans un ciel chargé de nuages, le saint Ordre cistercien, par ses oeuvres et son exemple, partage les combats de lÉglise militante... Fidèle au service du culte divin, afin de travailler à son salut et à celui des autres ; assidu à létude des Saintes Écritures, afin de parvenir à la parfaite connaissance des biens den haut ; prompt et dévoué aux oeuvres de charité, afin daccomplir la loi du Christ, cet Ordre a mérité détendre ses sarments dune mer à lautre, parvenu de degrés en degrés au terme des vertus ».
Cette bulle donnait un nouvel essor aux études, tentait de mettre de lordre dans les finances des monastères, rappelait les règles essentielles de la vie cistercienne. Elle est le témoin quen dépit des défaillances, lOrdre demeurait, dans son ensemble, fidèle à lesprit de ses Pères.
Quen était-il exactement à Tamié ?
Les vingt religieux cités en 1343 (cf. infra, note 11) semblaient indiquer une vie régulière à peu près normale ; tout dut seffondrer entre la Grande Peste, les guerres du XIVème siècle finissant, et le Grand Schisme... A dater de ce temps, labbé de Tamié fut très souvent noté parmi les absents au chapitre général, surtout entre 1393 et 1410. Il ne semble pas quil ait eu davantage le souci denvoyer des étudiants dans les maisons détude de lOrdre ; la bulle de Benoît XII prévoyait que les maisons comptant de vingt à trente moines eussent à désigner au moins un religieux pour aller étudier au collège St Bernard, à Paris. Le chapitre général dut semoncer labbé pour ne lavoir pas fait, en 1394, 1402, 1403. On retrouvera les mêmes mentions tout au long du XVème siècle.
Le chapitre général de 1406 résumait la situation : « les observances régulières sont presque entièrement ruinées à Tamié ».
Il commettait labbé de Clairvaux pour essayer de réformer labbaye.
Les affaires traitées en justice à la châtellenie de Tournon ne nous édifient pas davantage : « en 1438, Dom Pierre Buffet se concerte avec [34] Etienne Bornoz, de Verrens, et quelques autres, pour aller frapper Thomas Bornoz. En labsence de ce dernier, les complices sen prennent à ses biens, brisant la barre qui fermait la porte, ainsi que les meubles... ».
Est-ce à dire que tout est perdu à Tamié ? Un témoignage de la fin du XVème siècle nous rassure un peu. Il émane de Jacques de Bugnin, natif de Lausanne, chapelain de la cathédrale de Lausanne et curé de St-Martin-de-Vaud. En 1476, celui-ci renonça à ses bénéfices et entra chez les cisterciens... à Tamié. Cest là quil écrivit les 1019 vers du « Congié pris du siècle séculier », ouvrage achevé, comme il le dit lui-même :
« La veille du benoist saint Martin,
lan mil estant quatre cent et octante
dedans juillet fut parfaicte la fin
de cette oeuvre, à plusieurs ignorante,
par un prieur converti en sauvage
tenant propos selon le temps courant
en la forêt de Thamy cet ouvrage
fut accompli, à laide à Dieu concourrant » (1004-11).
Son poème est une sorte de pot-pourri de proverbes, quil a, comme il dit, « mis à tas », et rédigé en courtes sentences de deux vers, classés par ordre alphabétique. On a ainsi une série daphorismes sur toute espèce de sujets, commençant successivement par Adieu, Aujourdhui, Espoir, Garde-toi... etc. Jacques na aucune prétention littéraire ; il dit lui-même que sa langue est « du pays de Savoye » (v.50) ; il cherche cependant à porter à ses lecteurs «confort et joye » (v.52). On ne saurait dire que le contenu des sentences compilées par Jacques de Bugnin soit très original. Cest un compendium de sagesse populaire, prônant le juste milieu.
« Ne soys ne trop fol ne trop sage,
tiens le moyen en ton usage » (624-625).
avec pourtant une piété sincère :
« Belle chose est soy connaître (141-142) Et les biens de Dieu reconnaître »
où lon retrouve les thèmes traditionnels du Moyen âge, comme la pensée de la mort
« Hélas, advise en ton trépas,
Quar la mort te suyt pas à pas » (373-374)
et des élans de foi :
« Hélas, il est bien fort heureux (350-351)
qui nest que de Dieu amoureux »
le tout sur un fond dhonnête humanité, saine et réjouie :
« Que vault le lieu, dictes, beau sire,où lon ne peut chanter ne rire ? Riens » (823-824).
En définitive, loeuvre révèle une personnalité attachante ; que Jacques de Bugnin prenne congé du « Siècle séculier » ne lempêche pas de le faire avec humour :
« Au boys men vais vivre soubz le ramage
Je prends congé du siècle séculier ».
Peut-être ne resta-t-il pas à Tamié. Le nécrologe de labbaye de Talloires signale le décès en 1486 dun Jacques de Bugnin, enterré dans le cloître, près de la porte du chapitre. Au moins est-il, dans la noirceur du siècle, un témoignage dactivité littéraire et spirituelle à Tamié !
4
LES PASTEURS ENDORMIS
Des nominations contestées.
« Où le pasteur voulontiers dort,le loup et luy sont dun accort »
écrivait Jacques de Bugnin. Les abbés de la fin du XVème siècle et du XVIème siècle ressemblent fort à des pasteurs endormis pactisant avec le loup, un loup qui pourrait être le duc de Savoie. Après les papes, dAvignon ou de Rome, disposant de labbaye en faveur de leurs partisans, il semble que ce soit, à partir du milieu du XVème siècle, le duc de Savoie qui ait pris linitiative de la désignation de labbé de Tamié.
« Il est certain que le pape Nicolas V en 1454 accorda des bulles en faveur de labbé Georges Jocerand, à la supplication, cest-à-dire nomination, du duc Louis », notait, en 1724, le président Raiberti, faisant pour le compte de la maison de Savoie des recherches sur la question. Nicolas V délégua le prieur de Talloires pour enquêter sur Georges Jocerand de Cons ; la nomination du duc, à vrai dire, rendait lenquête de pure forme. Celui-ci exerçait un droit que lui avait octroyé une « promesse » de Nicolas V, datée de janvier 1451, accordant au duc Louis que, dans son domaine, nul ne serait sans son aveu institué évêque ou abbé. Confirmé par huit pontifes, cet acte fut le point de départ des prétentions des ducs de Savoie sur les nominations ecclésiastiques, jusquau concordat de 1727.
Georges Jocerand de Cons fut donc installé. Nous savons que sous son mandat trois frères de Tamié furent ordonnés sous-diacres à] [37] Moûtiers, aux quatre-temps de septembre 1467. Un testament de 1471 nous livre également le nom du prieur : Jean Corbel teste en faveur de son fils Claude « Prieur de Tamié ». Georges Jocerand dut mourir à la fin de lannée 1471, puisque par lettres patentes données à Verceil le 24 janvier 1472, le duc Amédée IX faisait savoir que de par bulles papales accordées à sa demande et à celle de la duchesse Yolande, labbaye de Tamié était « confiée » - cest le sens du mot commende - à Urbain de Chevron, son « conseiller et protonotaire apostolique ». Urbain était depuis 1454 trésorier et sacristain de la collégiale dAiguebelle en Maurienne, prieur de St Sulpice, chanoine de Lausanne, Genève et Maurienne, curé de Châtillon, et, en 1464, de St-Gervais. Cétait donc un homme bien en cour, richement doté de bénéfices ecclésiastiques ; Tamié nen faisait quun de plus. Cela ne se passa pas sans résistance ; en juillet 1472, lofficial de Tarentaise, par délégation de Sixte IV, citait à comparaître Claude Corbel - prieur en 1471 pour répondre « dinjustices » à légard dUrbain de Chevron. Claude était-il le candidat des moines ?. Le chapitre général de 1472 de son côté, prit fait et cause pour un autre moine de Tamié, Jean Thomé, aumônier des cisterciennes des Ayes ; le chapitre défendit aux moniales de se confesser à un autre que leur aumônier et dobéir à «un certain Urbain qui se prétend commendataire de Tamié ».
Quoi quil en soit, Urbain paya le 30 juin 1473 la taxe due à la chambre apostolique pour son élection.
Urbain de Chevron avait dautres soucis. La duchesse de Savoie, Yolande, avait, contre son propre frère, le roi de France, pris parti pour Charles le Téméraire. Le duc de Bourgogne tomba dans les batailles de Granson et Morat ; et cest Urbain que la duchesse Yolande envoya pour négocier avec les Suisses une paix difficile. Cette mission accomplie, les chanoines de Genève, pour faire pièce à la maison de Savoie, qui menaçait de confisquer lévêché de Genève à son profit, élurent évêque Urbain de Chevron.
Mais de plus puissants concurrents convoitaient le siège : le duc pour son oncle ; le pape Sixte IV, pour son neveu. Urbain renonça. Il fut en compensation ! - promu le 28 mai 1483 à larchevêché de Tarentaise, et payait, le 7 juin, les 110 florins de droits au trésor pontifical.
Il nen restait pas moins abbé de Tamié, ainsi que le précise lenregistrement par la chambre apostolique de sa nomination. Il ne profita pas longtemps de son évêché, et mourut au début de 1484.
Avec sa mort souvrent une vingtaine dannées assez confuses, pendant lesquelles labbatiat de Tamié fut fort disputé. Le 24 janvier 1484 Augustin de la Charnée, prieur, payait au trésor romain les [39] 106 florins dus pour son élection dabbé de Tamié. Orle 13 mars de la même année Jean-Jacques Sclafenatus, évêque de Parme et cardinal du titre de Ste-Cécile, payait lui aussi la redevance, en tant quabbé commendataire de Tamié. Sclafenatus avait 24 ans, et était bien en cour auprès de Sixte IV, qui navait pas trop de scrupules à doter ses favoris de bénéfices, et à trouver vaille que vaille un peu dargent pour des finances pontificales en déficit chronique.
Augustin de la Charnée dut finalement rester seul en lice ; une bulle de Sixte IV, du 28 avril 1484, confirma son élection, tout en mentionnant quil y avait conflit sur ladministration des biens du monastère, entre lui et un moine de Tamié, Jean Parizot. Les anciens historiens présentent Augustin comme un conseiller avisé du duc Charles 1er ; aussi passa-t-il plus de temps à la cour du duc que dans son monastère.
Augustin de la Charnée mourut le 27 mai 1492, et trouva un successeur en la personne dUrbain II de Chevron, élu le 30 mai, et qui sacquittait de ses droits envers la chambre apostolique le 3 juin 1492. Quelques années plus tard, Urbain renonçait à son monastère en faveur de son neveu, Jacques-François de Chevron, qui paya le trésor romain le 19 mars 1500. Or Jacques-François avait 8 ans ! Le pape Alexandre VI accepta sa nomination, sous condition que dici sa vingt-et-unième année Jacques-François prenne lhabit de lOrdre et fasse profession. En attendant on lui adjoignit un administrateur, Guillaume Royer, chanoine de Tarentaise. Mais Jacques-François décédait en août 1506.
Il semble qualors, le 31 août 1506, les moines aient élu abbé leur prieur, le breton Alain Lacerel, moine de Boquen au diocèse de St-Brieuc. Le 3 septembre labbé de Bonnevaux confirma lélection. Alain en demanda confirmation, par bulles, au pape Jules II ; celui-ci commit lofficial de Tarentaise pour sinformer sur les mérites du candidat, le 26 du même mois. Alain reçut en octobre la bénédiction abbatiale, des mains de larchevêque de Tarentaise, Hugues de Châteauvieux.
Le 21 novembre, il payait la chambre apostolique par lintermédiaire de son procureur, Gérard Lozt ; la formule denregistrement note expressément que le même jour on lui remit ses bulles de confirmation. Or, ce 21 novembre, pendant que F. Gérard payait à Rome pour les bulles dAlain Lacerel, le pape Jules II donnait de Bologne au cardinal de Ste-Sabine, Fatius Santorius, une bulle par laquelle il cassait et tenait pour nulles toutes les élections ou confirmations délections faites à Tamié, nommant comme abbé commendataire Fatius Santorius, «la charge abbatiale ayant une parfaite convenance avec la dignité cardinalice ». Le pape demandait à lévêque de Maurienne et à lofficial de Tarentaise de mettre le cardinal en possession [40] de son monastère, à la seule condition pour lui de ne pas diminuer le nombre des moines, pour que loffice divin continue à se célébrer.
De fait, Jules II ne se montrait guère plus délicat que Sixte IV pour la provision des bénéfices. Fort de son bon droit Alain Lacerel dut intenter un procès ; linventaire général des archives de labbaye porte, sans date, mention dun procès entre Dom Lacerel et « un cardinal qui le troublait dans lexercice de sa fonction abbatiale ».
Nous nen savons malheureusement pas plus sur cette curieuse affaire. Sans doute Dom Lacerel gagna-t-il son procès ; ce fut heureux pour le monastère, car lui et son successeur, Breton comme lui, apportèrent une note de régularité.
Les Bretons à Tamié
Alain Lacerel devait sintéresser à la maison forte de Plancherine, dépendante de labbaye ; peut-être y résidait-il ; en 1509, il fait faire ladduction deau « par borneaux (conduits de bois) de la fontaine de Duy, sous Versonnaz, à la maison de Plancherine ». Tamié fut bientôt prise dans les troubles occasionnés par les démêlés de François 1er et des Suisses ; des bandes de brigands, appelés « Harpagons » occupaient les passages et rançonnaient les voyageurs ; une bande stationnait au col de Tamié.
Le faible duc Charles accorda, en juillet 1515, sa protection à labbaye. Il faut croire quelle eut quelque effet, puisquun bourgeois flamand, pélerin de St-Claude, qui, le 27 novembre, fit en sept heures de cheval le trajet dAiguebelle à Faverges, sous la pluie et par «le pire chemin du monde » ne se plaignit pas de mauvaises rencontres, mais au contraire de nen avoir pas fait du tout.
Alain Lacerel fut «définiteur» de lOrdre au chapitre général de 1512 ; il y est qualifié de «docteur en théologie ». En 1518, labbé de Cîteaux lui confia, ainsi quà labbé de Montheron, au diocèse de Lausanne, la charge de rétablir la discipline chez les moines dHauterive et les moniales du diocèse de Fribourg. Tamié navait donc pas trouvé en lui un trop mauvais abbé.
En 1520, Dom Edme de Saulieu, abbé de Clairvaux, fut mandaté par le chapitre général pour porter à Léon X la plainte de lordre cistercien contre la commende. Il fit, sur le chemin de Rome, la visite canonique des monastères rencontrés. Son chapelain, Dom Claude Brouseval, et son valet de chambre, Jehan Gallot, nous ont laissé un récit du voyage... Le 13 septembre 1520, Dom Edme était à Faverges, où le procureur de Tamié vint à sa rencontre. Là, raconte Gallot, « Nous bûmes, puis à cheval, nous vînmes, toujours montant inter [42] montes asperrimos, au gîte dudit Estamy (Tamié), bon monastère où lon nous fit bonne chère. Monseigneur visita illec, et il y avait pour lors deux abbés, et XII religieux, assez bien faisant loffice, mais ords (malpropres) et sales en leurs habits, ignorant lordre et les cérémonies, pour les (à cause des) commendes précédentes. Nous vîmes audit monastère de léponge de Notre-Seigneur... ». Ainsi tout nétait pas parfait, mais la vie à Tamié était à peu près régulière ; rien de comparable avec dautres monastères rencontrés en chemin par Dom Edme, tel celui de Bonmont, dans le canton de Vaud, où il ny avait « forme de religion, sinon dans lhabit... pour ce que le monastère était en commende depuis 36 ans des mains dun paillard de Genève... ». Sur la route du retour, le mercredi Saint de lannée suivante, 26 avril, Dom Edme rencontra encore à Montmélian « le viel et le jeune abbé de Estamy ».
Ce jeune abbé de Tamié était sans doute Dom Etienne Giquel, un autre Breton, « mis en possession le dernier jour de février 1520 en suite des provisions du pape Léon X » et que Dom Alain Lacerel avait sans doute demandé comme coadjuteur. Etienne fut béni le 16 août 1523 ; Dom Lacerel ne serait mort que le 20 août 1527.
Une transaction du 21 mai 1532 nous donne, outre le nom de labbé, les noms de neuf religieux, dont le prieur, Michel Oyl. De Dom Etienne on rapporte ce trait qui nest pas seulement pittoresque : « Il ordonna quune lampe brûlerait pendant la nuit dans chaque grange de Tamié, afin que les voyageurs perdus au milieu des ténèbres se guidassent par ce fanal ».
La pierre de scandale
A ces deux vénérables abbés succéda, pour le malheur de labbaye, un homme qui fut « pierre de scandale » : labbé Pierre de Beaufort. Il naquit vers 1520, au château de Villard-Chabot, à St-Jorioz. Cadet de famille, il fut «poussé vers lÉglise » ; sa famille, illustre, (son aïeul avait été chancelier de Savoie) semploya à le pourvoir de bons bénéfices. En 1523, petit Pierre, encore enfant, était déjà curé-commendataire de léglise St-Christophe-dArgonnex; à 8 ou 10 ans, il était chapelain de St-Jorioz ; à 13 ans, vicaire perpétuel de lendroit. Crée protonotaire apostolique en 1533 par le cardinal de Torrenodo (le « cardinal de Maurienne ») il devenait abbé commendataire de Tamié en 1537, âgé au plus de dix-sept ans. Prieur de Bellevaux en 1538, vicaire général de Cîteaux en Savoie et en Dauphiné, Pierre porta une éclatante titulature pour un sombre exercice !.
Lannée où Tamié fut livré à Pierre de Beaufort, François 1er envahissait la Savoie. Pierre vécut 26 ans de son abbatiat sous loccupation française, prêtant hommage de fidélité, le 19 août 1547, au roi [43] Henri II, ce qui ne lempêcha pas de prêter le même hommage le 30 octobre 1576 au duc Emmanuel-Philibert de Savoie : le pouvoir avait changé de mains. Le duc le confirma, contre labbé de Chézery, dans sa charge de «visiteur» des maisons de lOrdre en Savoie. Celles-ci nécrivaient pas les meilleures pages de leur histoire. Un arrêt du parlement de Chambéry, du 27 février 1557, invitait labbé de Cîteaux ou ses vicaires à réformer labbaye de Bonlieu, à la suite dune intrigue entre les religieuses et le prieur des dominicains dAnnecy. Les choses nallaient pas mieux au Betton. Sur remontrance du procureur général, le parlement de Chambéry rendit le 19 décembre 1552 un arrêt ordonnant «quon fît les réparations nécessaires à léglise et au couvent, et que les soeurs soient réformées pour vivre désormais selon leur ordre... ».
Toutes choses à quoi fit écho le chapitre général de 1557 en confiant la charge de réformateurs en Savoie aux abbés de St Sulpice... et de Tamié. Le réformateur navait cependant point la réputation de vivre lui-même en réformé ; il abritait ses sept bâtards dans la maison-forte de Plancherine, que pour cette raison la malignité publique surnommait « la Tour Gaillarde ». Deux ans avant sa mort, il intenta enfin un injuste procès contre une nièce fort riche mais veuve et sans autre recours que lui-même. On songe à lironie des patentes et bulles qui le nommaient protonotaire apostolique et commendataire de Bellevaux ; « de bon deviens meilleur », lui conseillait, dans les premières, le cardinal Torrenodo ; et dans les secondes, le pape Paul III lexhortait à tenir «dignement son rang, comme lexige la dignité abbatiale ».
Durant ces 48 ans dabbatiat, la communauté napparaît guère dans les documents darchives ; le procès verbal dengagement dun « rendu » (serviteur de labbaye) le 15 avril 1555, nous donne les noms du prieur Jean Gabilhot et de 12 moines, originaires en majorité des environs : des Combes de Tamié, Faverges, Plancherine.
Ce sont 12 moines et un novice que nous trouvons en 1584, lors de la mise sous séquestre des biens du monastère, au décès de Pierre de Beaufort. Les commissaires du duc saisirent les papiers de labbé, qui se trouvaient à Plancherine, et entendirent les plaintes des religieux : Pierre de Beaufort sétait emparé de la mitre, fort riche, et de la crosse des anciens abbés ; labbaye menaçait ruine, et les revenus que labbé laissait étaient si minces que plusieurs religieux avaient dû quitter le monastère, pour chercher subsistance ailleurs ; sans compter avec la dépense «de plusieurs gens circumvoisins, qui étant venus à la sépulture sont toujours ici en mangeaille et grande dépense... et quil y a quatre tonneaux à donner aux pauvres qui ont accompagné le corps ».
Pierre de Beaufort sétait fait donner par le pape un coadjuteur en la personne de Jean de Chevron, clerc de Tarentaise. Le duc le [44] désigna pour succéder à Pierre de Beaufort, et, par un semblant délection, les religieux, qui ne pouvaient guère faire autrement, lélurent, sous la réserve quil ferait confirmer lélection par labbé de Bonnevaux, et quil prendrait lhabit de lOrdre (cétait la moindre des choses !). Jacques Dufas, abbé de Bonnevaux, confirmait lélection le 28 février 1584. Le Pape Grégoire XIII se montra moins accommodant, et refusa à Jean de Chevron linvestiture canonique ; nagréant pas la « désignation » par le duc de Savoie. Après une longue procédure, Jean de Chevron fut tout de même installé dans sa charge abbatiale, non sans avoir pris lhabit au monastère, et fait profession. A ces débuts difficiles succéda un abbatiat apparemment sans histoire ; on sait seulement que labbé Jean rédigea des « statuts et ordonnances pour le régime de vivre des rendus et donnés ». Il se démit en 1595 en faveur de François Nicolas de Riddes, et se retira à Bonvillard, dont il était coseigneur il mourut sept ans après, en 1602. Cette fin tranquille mettait un terme aux « années sombres » de lhistoire de labbaye ; laube des réformes commençait à poindre.
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LAUBE DE LA REFORME
Du temps de Monsieur de Genève
« Humble abbé de la dévote abbaye N.D. de Tamié, Ordre de Cîteaux, vicaire général du susdit ordre en province de Savoie et Dauphiné, aumônier de Son Altesse et sénateur au Souverain Sénat de Savoie... » : tel se présente, dans sa titulature la plus complète, Révérendissime Messire François-Nicolas de Riddes, qui exerça, de 1595 à 1645, labbatiat le plus long : un demi-siècle. Il était né à Flumet vers 1565, dixième de dix-sept enfants ; il y mourut quatre-vingts ans plus tard. Très attaché à sa famille, il eut souvent à arbitrer les conflits entre ses neveux ; en témoignent de nombreux actes, signés pour la plupart dans la maison forte de Plancherine, où il paraît résider plus volontiers quau monastère. Il était également très assidu aux séances du Sénat : nommé le ler janvier 1608, il appartint à la première chambre, que présidait Antoine Favre, lami de saint François de Sales ; peut-être prit-il part, avec lui, à la rédaction du célèbre « Codex Fabrianus ». Labbé de Riddes fut dabord prieur dAulps, puis coadjuteur de Dom Jean de Chevron, qui se désista en sa faveur. Nommé par le duc Charles-Emmanuel en 1595, le pape Clément VIII le confirma dans ses fonctions, tout en refusant dadmettre le droit de nomination revendiqué par le duc.
En 1602, François de Sales, qui nétait encore que coadjuteur de Mgr de Granier, reçut à Thonon François-Nicolas de Riddes du 2 au 5 juillet, à loccasion dun pèlerinage à N.D. de Compassion. Peut-être évoquèrent-ils létat des monastères de Savoie, dont ceux de lOrdre de Cîteaux. [46] En 1603, François de Sales écrivit au nonce à Turin, Mgr Tolosa : « Il est certain que le relâchement de tous les monastères de Savoie, excepté ceux des chartreux, est tellement invétéré quun remède ordinaire ne suffirait pas à les assainir. Pour réussir, il faudrait un réformateur de grande autorité et prudence, muni de très amples pouvoirs dont il userait selon les occasions ; je dis non seulement très amples, mais absolus et sans appel, car les moines sont très expérimentés et habiles dans la chicane. Et pour leur enlever tout moyen de se soustraire à la réforme, il faudrait que Son Altesse Sérénissime fît intervenir son Sénat de Savoie, car sans cette intervention on nobtiendra rien ».
Trois ans plus tard, le nouvel évêque de Genève adressait au pape Paul V un rapport dans lequel on lisait : « il est surprenant de voir à quel point la discipline régulière est partout ruinée dans les abbayes et prieurés de ce diocèse ; jexcepte les chartreux et les mendiants. Chez tous les autres largent sest changé en scories et le vina été mêlé deau, bien plus, sest transformé en venin. Aussi font-ils blasphémer les ennemis de Dieu, qui disent chaque jour : Où donc est le Dieu de ces gens-là ? ... Les portes des monastères des soeurs cisterciennes sont ouvertes à tous : aux moniales pour sortir, et aux hommes pour rentrer ». Dom François-Nicolas, qui avait été prieur dAulps et qui avait désormais la responsabilité de toutes les maisons cisterciennes de Savoie, ne connaissait que trop bien cette triste situation. Il pensa commencer par réformer sa propre abbaye.
En 1608, dès larrivée sur le siège de Tarentaise dun nouvel archevêque, Mgr Anastasio Germonio, François-Nicolas de Riddes vint le supplier de se rendre à Tamié pour visiter labbaye et lui donner son appui pour remettre de lordre. Larchevêque arriva à Tamié le 20 novembre, mais la résistance des moines fit échouer ce projet. Saint François de Sales fera, dans une lettre, allusion à cette tentative : « Cest une grande besogne davoir à faire à des religieux qui remueront toutes choses par après pour empêcher les effets de notre intention, quoique juste et sainte. Nous avons lexemple de Mgr de Tarentaise, plus fort, plus habile et plus hardi que nous, et qui navait affaire quà un seul couvent ». Et ce couvent était Tamié.
Le 29 mai 1633, Benoît-Théophile de Chevron-Villette, bénédictin devenu archevêque de Tarentaise, viendra comme son prédécesseur faire une visite canonique de Tamié avec lespoir dy ramener la régularité monastique. Mais ce sera peine perdue.
Dom de Riddes essaya aussi de réformer N.D. dAulps, où la décadence était extrême. Malgré le soutien de saint François de Sales, ce fut aussi un échec : lévêque de Genève le constatait dans une lettre du 12 juin 1621 au duc Charles-Emmanuel « De réformer les religieux dAulps qui y sont maintenant, cela est impossible. M. de Tamié a fait ce quil a pu pour cela ».
[47] Les efforts conjugués de M. de Tamié et de M. de Genève furent plus efficaces dans deux abbayes de moniales cisterciennes : Ste-Catherine et les Ayes.
[48] Notre-Dame-de-Sainte-Catherine-du-Semnoz, aux portes dAnnecy, nétait plus alors quune maison déducation pour les jeunes filles de la noblesse, où la vie, assez frivole, navait plus que de très lointains rapports avec les observances cisterciennes. Le 4 mars 1607, chez le marquis de Ballon, labbé de Tamié avait, au cours dune cérémonie très mondaine, reçu les voeux de Louise de Ballon, alors âgée de seize ans, et donné lhabit à sa jeune soeur Gasparde.
En 1617, François de Sales fit faire une retraite à Louise de Ballon, dont il était le cousin et le confesseur. La jeune moniale y prit la décision de revenir coûte que coûte à la stricte observance cistercienne. Dom de Riddes ne put quapprouver ce renouveau spirituel qui se manifestait à Ste-Catherine. Mais les religieuses anciennes sopposaient farouchement à tout rétablissement de la clôture. Alors Louise de Ballon et quatre autres religieuses décidèrent de quitter Ste-Catherine pour fonder un nouveau monastère, où lon observerait fidèlement la Règle de saint Benoît et les observances cisterciennes. Labbé de Cîteaux, Dom Nicolas Boucherat, donna son accord en 1622.
Le 1er août, labbé de Tamié, en la double qualité de vicaire général de lOrdre en Savoie et de commissaire extraordinaire de labbé de Cîteaux, se rendit à Ste-Catherine pour autoriser la fondation du monastère réformé de Rumilly. Les cinq religieuses qui aspiraient à cette réforme quittèrent aussitôt Ste-Catherine où la vie nallait cesser de se relâcher jusquà la suppression pure et simple de labbaye, par ordre du roi de Sardaigne, en 1771. Au moment même où la mère Angélique Arnaud, de son côté, réformait Port-Royal, la mère de Ballon, labbé de Tamié et lévêque de Genève venaient de créer la nouvelle congrégation des Cisterciennes réformées dites « Bernardines de la Divine Providence ». La mère de Ballon, supérieure générale de la congrégation, fonda quinze monastères ; ils seront vingt-cinq à la veille de la Révolution. Elle publia, en 1631, des constitutions fortement marquées par la spiritualité de saint François de Sales.
Celui-ci et labbé de Tamié allaient encore porter la réforme à labbaye des Ayes, où la décadence était aussi criante quà Ste-Catherine.
En 1617 et 1618, François de Sales vint prêcher le carême devant le parlement de Grenoble et se rendit aux Ayes où il ne cacha pas aux cisterciennes quil désapprouvait leur conduite. Labbé de Tamié, venu aux Ayes en 1611 pour donner la bénédiction abbatiale à Adrienne de Chambéran, puis en 1617 pour recevoir la profession de Louise de Borel de Ponsonas, leur tint le même langage. Certaines dont Louise de Ponsonas, décidèrent de revenir à lobservance de la Règle ; mais comme à Ste-Catherine, la réforme de labbaye elle-même se révélait impossible. François de Sales et Dom de Riddes [49] envoyèrent les religieuses décidées à se réformer auprès de la mère de Ballon, à Rumilly, où la mère de Borel de Ponsonas devint maîtresse des novices.
Le 22 novembre 1624, leur temps de formation accompli, les moniales des Ayes quittaient Rumilly et installaient à Grenoble, dans le couvent de Ste-Cécile, un monastère de bernardines dont la supérieure fut la mère de Buissonrond. Comme à Rumilly, la mère de Ponsonas y fut maîtresse des novices. Quand elle devint supérieure, en 1631, le monastère de Grenoble prit ses distances par rapport à Rumilly ; en 1636, la mère de Ponsonas fit imprimer ses propres constitutions, moins marquées par la spiritualité salésienne et plus proches du Cîteaux primitif. Ce fut la scission et la naissance des bernardines de saint Bernard, qui ne comptèrent jamais plus de trois monastères.
Les réformes de Ste-Catherine et des Ayes atténuèrent sans doute le sentiment déchec que durent éprouver François de Sales et labbé de Riddes en face de lopiniâtreté des cisterciens de Savoie enlisés dans la médiocrité. Encore faut-il observer que le salut se fit par la fuite, et quil y eut fondations nouvelles, et non réforme danciens monastères ; quant à la réforme de Tamié, il eût fallu, pour quelle aboutisse, que labbé acceptât de se réformer lui-même; déjà sincèrement religieux, tout vénérable et rempli de vertus, il ne manqua à François-Nicolas de Riddes quun peu dhéroïsme.
Prévoyant, Dom de Riddes avait dès 1614 choisi son neveu, Guillaume de Riddes, pour lui succéder à Tamié Le duc Charles-Emmanuel le nomma et le présenta au pape Paul V, qui naccorda la bulle de confirmation au titre de coadjuteur quen tenant pour « nulle et non-advenue » la «nomination » ducale. Guillaume de Riddes mourut prématurément et son oncle dut, à 70 ans, demander un autre coadjuteur. Le pape Urbain VIII le lui accorda en la personne de François-Nicolas de la Forest de Somont, le 15 juin 1635. Lélu avait alors 22 ans et était profès de Tamié, docteur en droit civil et en droit canonique ; en 1633, alors au collège des jésuites de Dole, il adressait un discours à son abbé lors dune soutenance de questions philosophiques. En 1639, il siégea lui-même parmi les maîtres du jury du collège St-Nicolas dAvignon. Juriste, il batailla contre le fermier de Lorden qui négligeait dentretenir les bâtiments, contre les commendataires dAulps et de Chézery, contre labbé de Clairvaux... En 1650, il pria le notaire Roget détablir «linventaire général de tous les titres et documents » de labbaye de Tamié ; complété par ses successeurs, encore en partie conservé, cet inventaire des archives est une des sources précieuses de lhistoire de labbaye. Dom de Somont mourut à Plancherine le 2 octobre 1659. Trois magistrats de la cour des comptes vinrent, par ordre du duc, mettre labbaye sous séquestre, et en confier ladministration à un économe, [50] Vincent Carrier. Cependant, le 4 octobre, Jean-Antoine de la Forest de Somont, neveu de labbé défunt, était nommé abbé de Tamié : il avait 14 ans, et venait de rentrer comme novice au monastère. Il dut attendre ses bulles de confirmation jusquen 1665 ; alors étudiant au collège St-Bernard, il laissa ladministration du monastère au prieur et à son procureur, Dom Sautier.
Sans gloire et sans excès.
Quen est-il de la vie quotidienne à Tamié sous les abbés de Riddes et de Somont, au temps des réformes manquées ?
Quelques documents nous la fixent un peu. Un rituel ancien, actuellement à la Bibliothèque Nationale mais en possession du monastère en 1612 porte, griffonnées dans les marges, les traces de quelques moines et lécho de leurs pensées familières. Nous lisons ainsi quelques sentences édifiantes :
« Le cloître sous la contrainte, cest la mort ;
de plein gré, cest la vie »
« Par un séjour dans le cloître,
Tu achèteras une demeure dans les cieux ».
« Un voeu secret rompu, cest un péché ;
Un voeu public rompu, cest un péché
et un scandale ».
« Les principes corrompus corrompent ce qui en découle ».
Un peu plus loin, nous trouvons lauteur de ces aphorismes : « Frère Pierre de Genève Coursinge », avec sa devise :
« CoursingeBon fils sans faute ».
Autre signature rencontrée, celle de François Bachassel, qui avait fait lemplette du livre : « Jai acheté ce livre peu cher : cinq florins. Si quelquun le trouve, quil me le rende, je lui donnerai une juste récompense ». Suivent enfin les avis de décès de quelques religieux, et la mention dune prise dhabit, en la fête des saints Innocents, lan 1620.
La visite pastorale de Mgr Benoît-Théophile de Chevron-Villette, le 29 mai 1639, nous vaut une description de léglise abbatiale, que lon avait tendue de drap vert pour la circonstance. On fit vénérer les reliques à larchevêque : la main de saint Pierre de Tarentaise dans un reliquaire dargent, un os du bras de saint Bernard, du bois de la vraie Croix... deux bourses remplies de reliques, avec linscription « saints dont Dieu seul connaît les noms » (!). Nous savons, toujours par cette visite, que le Saint-Sacrement était [51] conservé dans une pyxide dorée, et que le maître-autel sornait dun groupe sculpté représentant la Vierge et saint Bernard. La sacristie, enfin, senorgueillissait dune mitre précieuse, garnie de perles, et dun jeu dornements de brocatelle blanche, donné par un des serviteurs de labbaye, Simon.
Larchevêque visita aussi réfectoire, chapitre, et le choeur des religieux, où il trouva toutes choses «satis honesta ». Dautres documents témoignent de la régularité du culte. Les comptes de la sacristie, tenus par Dom Sigismond Losserand, gardent la trace des pèlerinages venus des paroisses voisines : en 1659, le 21 avril, cétait la paroisse de Conflans qui montait à Tamié; le 26 mai, Plancherine et Verrens ; et ainsi de suite, en tout onze paroisses des environs montèrent à labbaye cette année-là. Du produit des aumônes Dom Losserand acheta de lhuile pour la lampe du sanctuaire, des cordes pour les cloches, et paya le nettoyage de lhorloge.
Nous avons une idée assez précise de la vie au monastère surtout par deux séries de comptes faits dans les années précédant immédiatement la réforme : en 1660-1661, alors que labbaye est encore sous séquestre, en attendant lentrée en charge de Dom de Somont ; et de 1674 à novembre 1677. Ces comptes fourmillent de notations pittoresques. Suivons nos religieux au réfectoire en 1660-1661. Ils étaient alors dix. Lon achetait beaucoup doeufs (jusquà quarante douzaines par mois !), un peu de viande, et, en carême, du merlu et de la morue, quil fallait aller chercher à Chambéry. Les truites qui apparaissaient régulièrement devaient avoir moins lointaine provenance, et rien ne précise celle des dix douzaines descargots achetés le 20 mars.
Les légumes provenaient du jardin, que lon avait soin de pourvoir en graines. Aussi ne voit-on figurer dans les comptes que des achats dépinards et de riz. Par contre, on faisait emplette dépices (on mangeait épicé au XVIIème siècle encore). Paraissent ainsi dans les comptes moutarde, anis vert, poivre, cannelle, muscade, et clous de girofle ; des fruits secs aussi, dattes, figues, raisins de Corinthe, amandes ; en carême, deux mesures de châtaignes, et, parfois, des « oranges ». M. le curé « de quelque nouveau saint chargeant toujours son prône », il y avait bien des occasions à fêter. On vit ainsi paraître sur table le 30 octobre deux gelinottes, le 16 juillet des fraises, le 10 août était-ce pour fêter saint Laurent - deux gigots et un « roignon » de mouton quil fallut aller acheter à Faverges. Il y avait aussi les devoirs de lhospitalité : le 7 octobre, le cellérier notait la dépense « pour un coq dInde lorsque M. le prieur de Thalloires fut icy avec deux de ses religieux ».
Les renseignements abondent de même dans les comptes de 1674 à 1677, alors que le monastère comptait toujours une dizaine de moines et quelques frères. Encore que lon aperçoive guère les [52] religieux que par leurs « à côtés » : le tabac à priser et le fusil de Dom sous-prieur, qui devait aimer la chasse ; le vestiaire de Dom de Quernerry, aumônier du régiment de Genevois, qui se chaussait de bas «de Poitou » et shabillait de «serge de Londres ». Les fonctions de ce dernier lobligeant à ménager sa monture, on le voit se faire acheter « du souffre et du sénégré » (une variété de luzerne) pour soigner son cheval.
Les pauvres apparaissaient aussi au monastère ; les religieux, même sans grande ferveur, noubliaient pas « que cest en eux principalement que lon reçoit le Christ ». On leur faisait aumône le jeudi saint ; le 18 mai 1675, on trouve la mention de « six florins daumône à certain estranger nommé la Bergery », et lon achetait, le 2 juin, moment difficile pour ceux qui nont à compter que sur une maigre récolte, pour 115 florins, 60 mesures de blé « pour les pauvres ».
De mauvais bâtiments et un beau domaine.
Le procès verbal de la mise sous séquestre du monastère, en octobre 1659, nous renseigne sur létat des bâtiments. État bien déplorable : quantité de réparations étaient nécessaires ; les toitures de paille avaient pourri depuis longtemps. Deux charpentiers et deux maçons, convoqués pour expertise, le constatèrent : « Il est nécessaire de refaire à neuf le couvert de léglise du côté de bise ; si le dessus du clocher est tout à fait neuf, les deux corridors ou galeries du côté de la nef sont pourris pour y avoir longtemps plu dessus... à part le cloître voûté et couvert de neuf à tavaillons, tout le reste couvert à paille, est de très petite valeur et grandement en danger du feu ». A léglise, il y avait « deux fentes qui sont lune à la muraille de lhorloge et lautre à la chapelle des dix-mille martyrs... ». Beaucoup de pièces étaient inhabitables, les fenêtres manquantes, les escaliers pourris, les cheminées défectueuses. Tout cela ne devait guère inciter à mener une vie régulière normale.
Le domaine était sûrement mieux administré. Une dizaine de fermiers du monastère furent convoqués lors de la saisie de 1659. Le procès-verbal nous apprend aussi létat du bétail, douze chevaux, soixante bêtes à cornes, dont trois paires de boeufs « à la grande grange de Tamié ». Ce sont les comptes de 1674 à 1677 qui nous donnent le plus de renseignements. Labbaye employait alors de nombreux domestiques : Georges, «jadis laquais de M. labbé » (F.N. de Somont), Mareschal, La Vallée, Aimé Petitpas, Pierre Bonnet... Celui-ci avait des ennuis avec les militaires de passage ; en 1675, on donnait « 18 sols au petit Bonnet pour sacheter des cravates, les soldats lui ayant pris les siennes ». Les valets étaient bien traités. Sans [53] parler «de la viande de boeuf pour le carnaval des valets », achetée en février 1675, ils étaient nourris, logés, habillés, payés, et soignés : pour la maladie de lun deux, toujours en 1675, le médecin vint trois fois, donna cinq lavements et fournit « 5 onces de syrop violat ».
De bons rapports aussi avec les fermiers : en 1677, M. Dupasquier « le Suisse » vint sinstaller comme fermier de labbaye à la grangerie neuve du pré de linfirmerie. Le procureur lui fit des facilités « Nous avons promis par bail à ferme de leur avancer cent ducattons pour achepter du bétail... », notait-il.
Lon embauchait un nombreux personnel temporaire, pour les semailles comme pour les foins :
« J.L. Mathias a servi avec ses boeufs onze jours pour les semailles ; Bernardin granger de Villard à servi six jours... » : On relève ainsi une dizaine de noms en mai 1675.
« Nous avons donné à prix fait à Jean Lombard et à Jean Sancy de faucher le grand pré : il faut mettre les mules, conduire à la grange, pour le prix de quatorze ducattons... » (juillet 1677).
En 1675, on achetait un veau « pour les ouvriers des vignes de
[54] lhopital ». Peut-être y faisait-on de lalcool : on trouve lachat de deux paires de cornues et d« un alambiq que lon a eschangé contre un viel ».
Le bétail devait être nombreux à la montagne ; une dizaine de bergers sen occupaient ; sans compter «ceux qui ont porté et rapporté les chauderons de la montagne ». Chaudrons qui servaient sans doute à faire le fromage. On trouvait déjà en 1660 trace « des trois muletiers qui sont allés chercher le reste du fromage à Orgeval ». En 1674 eut lieu une « vente de fromage de lalpeage du haut du Four » ; en 1675 lon envoyait « F. Michel en Dauphiné pour avoir un homme pour faire le fromage ». Lon faisait aussi «racommoder la serrure de la fromagerie de labbaye ».
Y travaillait-on déjà ? En tous cas lon achetait à plusieurs reprises de la « matière à faire de la présure », et lon faisait monter des charges de sel « à la montaigne ».
Enfin la forge fonctionnait, elle aussi, pour le service de labbaye. En 1674 on faisait faire un soufflet neuf et une enclume que Dom Gaillard va voir faire à Faverges; quant au fer, il était pris à Me Audé, le fermier des mines de labbaye, à la Bouchasse. Le travail au moins, à Tamié, restait régulier.
6
LA DIFFICILE RÉFORME
Le renouveau dun vieil Ordre.
À Tamié « malgré la décadence de la régularité, (on a) toujours célébré loffice divin avec décence et exactitude, et fait laumône à la porte avec beaucoup de soin et de fidélité, à lexemple de saint Pierre qui y avait bâti un hôpital dans les commencements, pour les pauvres et les passants ; et nous devons sans doute regarder cette attention pour loffice divin et cette charité envers les pauvres comme des motifs qui ont engagé la divine miséricorde à ne pas abandonner entièrement cette maison, et qui lont porté dans ces derniers temps à susciter un autre Zorobabel et un autre Esdras dans les personnes de M. de Somont et de M. Cornuty, pour y rétablir lobservance de la Règle de saint Benoît, et en réparer les ruines... ».
Cest ainsi que, près dun siècle après les événements de la Réforme à Tamié, le maître des novices Dom Pasquier en présentait les circonstances. Dans le désir naïf de faire apparaître avec plus déclat la sainteté des réformateurs et lampleur de la transformation de Tamié, Dom Pasquier avait, dans sa Relation, forcé quelque peu le tableau de cette histoire, à limage de ce personnage de Cazotte qui, ayant à faire un clair-obscur, avait mis tout le clair dun côté et tout lobscur de lautre. Voulant donner à labbé de Somont les couleurs dun saint Paul, Dom Pasquier, et avant lui les chroniqueurs de la Trappe, Le Nain, Gervaise, lavaient présenté comme un zélateur de la réforme dautant plus ardent quil en avait été le persécuteur acharné. La vérité oblige à nuancer quelque peu ce récit.
[56] Si, à un moment donné, Rancé incarna la réforme de lOrdre cistercien, toute la réforme ne fut pas Rancé. Nous avons vu saint François de Sales et François-Nicolas de Riddes préoccupés déjà de ce problème ; réussissant à fonder une congrégation nouvelle, ils nétaient pas parvenus à redonner vie aux anciennes maisons tombées en décadence. Toutefois, si cette décadence était générale, le désir de réforme létait lui aussi : il sinscrivait dans le mouvement général de renaissance religieuse, parti, depuis le Concile de Trente, du choc provoqué par la crise protestante. Dès laube du XVIIème siècle, Cîteaux esquissa un projet de restauration, au cours de ce chapitre de 1601 où siégeait, comme auditeur des comptes, F.N. de Riddes. Les décisions de cette assemblée eussent suffi à réformer lOrdre si lon en avait tenu compte : elles restèrent lettre morte. Cependant, labbé de Clairvaux, Dom Denis Largentier, et quelques compagnons sétaient engagés à observer la Règle de saint Benoît sans égards aux mitigations. « LÉtroite Observance » était née, mouvement que lon appela aussi les « Abstinents », parce quun des points de leur programme était un retour à labstinence perpétuelle de viande, pratique qui était tombée en désuétude.
Labbé de Cîteaux, Dom Nicolas Boucherat, approuva chaleureusement la réforme ; mais pour lui, la paix et lunité de lOrdre passaient avant tout. La pondération de Dom Largentier assura la coexistence pacifique des réformés et des non-réformés jusquen 1623, lorsquil fut question, au chapitre général, dorganiser en congrégation autonome lÉtroite Observance. Ce fut une levée de boucliers ; les protestations étaient faites dans le but, en vérité sage et légitime, de préserver lunité. Dom Largentier et Dom Boucherat moururent sur ces entrefaites et le cardinal de La Rochefoucauld, que Louis XIII et le pape Grégoire XV avaient chargé de la réforme des religieux en France, intervint lourdement en faveur de la réforme ; ce fut le début dune querelle de quarante ans. Richelieu sen mêla, et se fit même offrir le titre dabbé général de Cîteaux ; à sa mort (1642) il navait fait quenvenimer le conflit. Lors de la Fronde des parlementaires, lÉtroite Observance ayant la faveur de la cour, la Commune eut le soutien des Parlements ; la guerre des Observances continua ainsi jusquà ce quà la mort de Mazarin (1661), Louis XIV ayant pris lui-même la direction de lÉtat, lon eut recours à larbitrage de Rome. Labbé de Cîteaux, Dom Claude Vaussin, alla lui-même plaider la cause de la Commune Observance auprès du pape Alexandre VII, en appelant, au nom de lunité à préserver, à une réforme générale de lordre sous le contrôle dune congrégation romaine. A leur tour, les abbés de lÉtroite Observance envoyèrent, pour plaider leur cause, labbé du Val-Richer et labbé de la Trappe nouvellement réformée : Dom Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé.
Fin lettré et abbé mondain, bien en cour, Rancé sétait converti [57] en 1657. Il décida de ne garder, de tous ses bénéfices ecclésiastiques, que la charge dabbé commendataire de la Trappe, dans le Perche, et den devenir labbé régulier. Entré au noviciat de lÉtroite Observance, à Perseigne, en juin 1663, il fit profession et reçut la bénédiction abbatiale lannée suivante. Quelques mois seulement après, il partait pour Rome représenter les réformés...
Dix-huit mois de négociations aboutirent à la promulgation, le 19 avril 1666 de la constitution apostolique « In suprema », par le pape Alexandre VII. Commentaire de plusieurs chapitres de la Règle de saint Benoît, la constitution proposait une solution moyenne : les monastères qui avaient adopté labstinence devaient la conserver ; dans les autres, la viande était autorisée trois fois par semaine, en dehors de lavent et du carême. Le collège St-Bernard, partagé entre les deux observances, était placé sous lautorité du chapitre général ; dix représentants de lÉtroite Observance siégeraient au définitoire de celui-ci. Code officiel de la discipline cistercienne jusquà la Révolution, ce document était largement favorable à la réforme et pouvait servir de base de départ pour létendre, progressivement, au plus grand nombre de monastères.
Au chapitre de 1667, Rancé, déçu, prit fait et cause contre les décisions romaines, ne réussissant quà sattirer un blâme de la part du pape. Dès son entrée à Perseigne, Dom Armand-Jean aurait voulu aller plus loin encore que lÉtroite Observance ; léchec des négociations avec Rome le confirma dans ses vues, et, faute de pouvoir corriger lOrdre lui-même, il se retira dans son monastère de la Trappe pour sy consacrer à la réforme quil y avait, lui, instaurée.
Dom de Somont et la guerre des Observances
Retournons en 1659 ; Jean-Antoine de la Forest de Somont, à 14 ans, venait de rentrer au noviciat à Tamié. Désigné comme abbé par le duc Charles-Emmanuel II à la mort de François-Nicolas de Somont, son oncle, le jeune homme était parti terminer son noviciat à Cîteaux ; il y fit profession entre les mains de Dom Claude Vaussin. En 1662 celui-ci envoya Dom de Somont continuer ses études au collège St-Bernard, à Paris. M. de Somont, entre temps, était allé visiter son abbaye de Tamié, en mai 1661. Là, il avait fait la connaissance de Jean-François Cornuty. Celui-ci venait de terminer ses études chez les jésuites de Chambéry, et avait aussitôt pris lhabit à labbaye de Tamié ; son frère aîné, Pierre, y exerçait la charge de procureur.
Jean-François avait un peu plus de vingt ans. Son abbé, de quatre ans plus jeune, lemmena avec lui au collège cistercien de Paris. Nos deux étudiants furent donc mêlés de près aux péripéties de la [58] « guerre des observances », dautant plus que des religieux provenant de maisons réformées et non-réformées se côtoyaient journellement au collège. En 1664, Jean-François senfuit du collège pour rejoindre le noviciat de lÉtroite Observance, au monastère de Perseigne, dont le prieur, un Irlandais, Dom Alain Morony, avait peut-être été lun des professeurs de Jean-François au collège St Bernard.
Dans lété 1665, Dom Morony quitta Perseigne pour rejoindre Rancé à la Trappe ; son année de probation expirée, Jean-François Cornuty le suivit. Rancé, de Rome, lui écrivit quil lacceptait avec joie.
Dom de Somont essaya de faire revenir son religieux par tous les moyens ; finalement il laissa entendre à Rancé «quil avait lintention de remettre le bon ordre dans son abbaye de Tamié, et quil était bien aise que son novice se formât à la Trappe, afin quil fût en état de le seconder dans son dessein ». Dans sa Relation, Dom Pasquier ny a vu quune manoeuvre pour récupérer J.-François Cornuty, doutant de la sincérité du désir de réforme de Dom de Somont dès 1667. En fait, le 22 avril de cette même année labbé de Tamié écrivait au duc Charles Emmanuel II, lui demandant protection :
« pour le dessein que jai détablir la réforme et la vie régulière dans toutes les maisons dhommes et de femmes de lordre de Cîteaux qui sont dans les états de Votre Altesse Royale ; et qui sont sujets à ma juridiction spirituelle, comme vicaire général de mon Ordre en Savoye. Et comme nous parlerons de ces matières au Chapitre Général que nous allons tenir à Cisteaux au mois de May prochain, je supplie humblement V.A.R. de maccorder quelques lettres de recommandation pour appuyer de son autorité létablissement de ladite réforme... ».
Sans doute Dom de Somont pensait-il à une réforme sur la base de la constitution dAlexandre VII. Elle devait être promulguée solennellement au cours du chapitre général auquel il est fait allusion, et où Dom de Somont était secrétaire. Ce nétait déjà pas si mal ; Rancé, en tous cas, y voyait le minimum requis, sans lequel la conscience du moine ne pouvait être en paix.
Dom de Somont fut ordonné prêtre en 1669 par larchevêque de Paris, Mgr de Péréfixe ; en 1671 le successeur de Dom Vaussin à la tête de Cîteaux, Dom Jean Petit, lui conférait la bénédiction abbatiale. Dom de Somont resta cependant à Paris pour préparer son doctorat en Théologie. Dom Cornuty, pendant ce temps, avait été envoyé par Rancé à labbaye de Foulcarmont ; il fut ordonné prêtre à Rouen, en 1672. Dom de Somont avait su gagner la confiance de labbé de Cîteaux ; en 1672 labbé de Tamié était définiteur au chapitre général, et son monastère était choisi comme noviciat pour la province de Savoie. Ce chapitre fut lun des plus agités de lhistoire de lOrdre ; les quatre premiers abbés firent bloc avec les [59] réformés pour contester la méthode de gouvernement, trop personnelle, de labbé de Cîteaux ; Dom de Somont se rangea du côté de ce dernier, Dom Jean Petit.
La mort, en 1673, de labbé de Prières, Dom Jean Jouault, laissa Rancé seul à la tête de lÉtroite Observance. Il y déploya son tempérament combatif. Déçu par Rome, il se tourna vers le roi Louis XIV, auquel il fit appel. Ce dernier renvoya laffaire devant une commission spéciale et le Conseil dÉtat. Les historiens de la Trappe et Dom Pasquier ont écrit que le Conseil était près de rendre une sentence en faveur de la réforme, et quune intervention in extremis de Dom de Somont, poussé par labbé de Cîteaux, auprès du Prince de Condé, retourna la situation et fit rendre un arrêt contraire. « Faute irréparable, tâche ineffaçable dans la mémoire de M. de Somont ». Les reproches de Rancé auraient, par la suite, décidé de la conversion de M. de Somont.
Les choses ne se passèrent sûrement pas de façon si brutale. Si Dom de Somont appuya certainement, de tout son crédit, labbé de Cîteaux contre Rancé, des arguments de politique étrangère pesèrent au moins autant en faveur du statu quo. Louis XIV, au demeurant, même favorable à la réforme dans un premier temps, ne pouvait que suspecter une entreprise qui, à ses yeux, attaquait, en labbé de Cîteaux, le principe dautorité.
La réforme de Tamié
Tout cela nenlève rien au fait quen septembre 1677 Dom de Somont se rendit à la Trappe pour prier Rancé de lui prêter quelques religieux pour réformer Tamié. Il avait pu combattre les positions de Rancé quant au gouvernement de lOrdre, mais lefficacité et la réussite de la réforme à la Trappe était hors de cause. Rancé écrivit alors à Jean-François Cornuty, toujours à labbaye de Foulcarmont :
« M. labbé de Tamié, mon très cher père, est venu nous voir, et nous a tellement persuadé du véritable dessein quil a détablir la réforme dans sa maison, que jai cru quil ny avait nulle apparence de ne pas vous dire de laller secourir dans une résolution si sainte et si généreuse... ».
Dom de Somont aurait alors donné une preuve de cette résolution en faisait démolir la résidence des abbés de Tamié à Plancherine, celle que les frasques de ses prédécesseurs avait fait surnommer « la Tour Gaillarde ». Le 14 octobre 1677 Rancé donna à Dom de Somont quatre religieux : Dom Jean-François Cornuty et Dom Alain Morony, son ami irlandais ; Dom Anselme Gillet et F. Antoine Noël, qui avait été, dans le monde, le propre valet de chambre de Rancé. Les quatre hommes arrivèrent le 15 novembre à Tamié, où ils inaugurèrent [60] symboliquement la réforme en rétablissant loffice de nuit, le 21, fête de la Présentation de Notre-Dame au temple. Les religieux non réformés devaient alors être une dizaine. Dom de Somont ne rejoignit son abbaye que début décembre.
On procéda alors à des travaux dinstallation : rééquiper le réfectoire, faire fabriquer des lanternes pour loffice de nuit... Les deux observances coexistaient : pour le réfectoire, par exemple, lon achetait des raves, des châtaignes et des lentilles pour la « Réforme », et en même temps, du boeuf pour ceux qui ne voulaient pas sy plier. Dom Alliod, le sous-prieur, et Dom Pierre Cornuty acceptèrent la nouvelle observance ; Dom de Somont dut essayer de renvoyer les opposants dans des maisons non-réformées, mais tous ne quittèrent pas Tamié sur-le-champ. Dom de Quernerry, lhomme aux « bas de Poitou », ne demanda son congé pour se fixer en Italie quen 1680 ; Dom Albert Ruffin de la Biguerne ne partit pour Theulay quen 1691.
La direction de la maison passait cependant aux réformés ; Dom Morony fut prieur, Dom Jean-François Cornuty maître des novices et cellérier tandis que son frère Pierre restait procureur pour lextérieur. Devant lincommodité des bâtiments de labbaye, en mauvais état, dispersés comme « un méchant petit village », décision fut prise de rebâtir à neuf un nouveau monastère, sur un terrain libre, un peu plus haut. Dom Jean-François Cornuty aurait dressé lui-même les plans du nouveau bâtiment - labbaye actuelle -. Son frère Pierre, expert au maniement des affaires, ne dut pas être non plus étranger à la conduite des travaux, qui durèrent plus de vingt ans. En 1695 on enterrait encore F. Antoine Noël dans lancienne abbaye, mais en 1698 la croix du nouveau clocher était placée.
La charge de vicaire général de lordre en Savoie retenait souvent à lextérieur Dom de Somont. En mars 1678 il faisait la visite régulière du Betton ; en mai celle des Ayes ; en juillet celle de Chézery ; en août celle de Ste-Catherine, puis celle de Bonlieu. Il retourna à Chézery en septembre 1679 ; il était à Aulps en octobre, à Hautecombe en novembre, sefforçant dans toutes les abbayes visitées de faire respecter les règlements dAlexandre VII.
En mai 1679 des nouvelles inquiétantes de Tamié parvinrent à Rancé ; il écrivit aussitôt à lévêque de Grenoble, le cardinal Le Camus, qui avait hébergé les quatre premiers réformés lors de leur voyage de 1677 :
Si toutes choses ne sont pas comme on me mande, écrivait-il, il y en a eu au moins assez pour avoir donné lieu aux mauvais bruits que lon a fait courir de leur conduite ».
Rancé ne dut pas recevoir de réponse apaisante, car en janvier 1680 il écrivait cette fois à Dom Cornuty : [61] « Cest avec beaucoup de déplaisir que je suis contraint de vous dire que jai reçu des lettres de Savoie écrites de différents endroits, par des ecclésiastiques de piété, qui me mandent que nos religieux vivent à (Tamié) comme sils avaient perdu toute mémoire de leurs devoirs, ou quils ne les eussent jamais connus, quils suivent en tout leurs volontés, que leurs caprices sont leurs règles, que lun veut travailler, lautre ne le veut pas, lun veut prier, lautre nen demeure pas daccord, les uns sont contents de la nourriture commune, les autres sen plaignent, les uns veulent garder le silence, les autres trouvent des raisons pour parler avec autant de liberté que sils nétaient pas obligés de le garder Mes uns rompent leurs jeûnes dès le matin, les autres les font aller jusquau soir.
On prétend que vous les avez poussés malgré eux à porter les jeûnes du carême jusquà cinq heures du soir ; et que tout le pays qui saccommode à peine de labstinence quelque commune et modeste quelle puisse être en a été scandalisé. On veut enfin que vous viviez sans concert, sans union, sans dépendance, et dans une division continuelle. On ajoute quon vous a reçus à (Tamié) tanquam Angelos Dei ; ce sont les termes dont on se sert, et cependant que toute cette bonne opinion sest dissipée, que vous êtes devenus la fable et la raillerie du monde à plus de 25 lieues du monastère : et quon dit communément que les religieux de la Commune Observance ont plus de règle, dhonnêteté, et de sagesse dans leur conduite que ceux de la Réforme. Voilà, mon cher Père, les beaux avis quon me donne ; vous jugez bien avec quelles dispositions je puis entendre daussi bizarres nouvelles que celles-ci. Car quoi que je ne puisse me persuader que les choses soient en létat quon me les figure, je crois néanmoins fort aisément quelles sont bien éloignées de ce quelles devraient être ».
Il est bien difficile, faute de documents précis, de se faire une idée de ce qui avait pu ainsi donner prise à la critique. Les fréquentes absences de Dom de Somont, la coexistence de nombreux domestiques, de réformés et de non-réformés, et surtout tout ce que supposaient les travaux de reconstruction entrepris, tout cela ne devait guère faciliter la vie religieuse. Cest ce que semble vouloir dire Rancé, écrivant en septembre 1680 à Dom Cornuty :
« On attendait de vous, dans le pays où vous êtes, beaucoup de retraite, de récollection, de règle, de silence ; et on vous a vu dans une dissipation de laquelle on a été surpris ».
Une autre lettre à un abbé de lOrdre, à propos de la situation à Tamié, va dans le même sens :
« Je vous dirais que depuis quelques mois nos religieux mont demandé de revenir, se fondant sur ce quil ny avait aucun bien à faire dans ce païs-là... Je ne scais quelle est la cause de ce changement, si ce [62] nest quon a chargé les religieux doccupations extérieures, et quon les a ainsi tirez de lassujettissement du cloître. On mécrit aussi que Monsieur labbé ne veille point assez sur eux... ».
De fait, le 11 octobre 1681, Dom Alain Morony et Dom Anselme Gillet obtenaient leur congé pour rentrer à la Trappe et à Perseigne ; Jean-François Cornuty les accompagna, fit une visite à Foulcarmont ; son congé portait expressément quil devait, lui, revenir au plus vite : Quam primum remeari debere. A son retour, il se retrouva prieur, chargé bientôt de toute ladministration de Tamié : Le chapitre général de 1683 nomma Dom de Somont procureur de lOrdre auprès de la Curie romaine, et il le resta jusquen 1690.
Pendant ce temps, à Tamié, les choses sapaisaient tout doucement : le 8 octobre 1683, Rancé, ayant repris confiance, écrivait à Dom Cornuty :
« Je vous avoue que je regarde Tamié comme la Trappe, et que je vois ce que vous faites en ce pays-là comme si vous le faisiez ici. »
Les novices, pourtant, naffluaient pas dans la nouvelle abbaye. Il y avait trois candidats au moment de la réforme ; puis on dut attendre 1690 pour voir arriver un religieux Célestin, qui ne resta pas, et deux frères, Jacques et Jean-Joseph Pasquier, les fils de ce fermier de la Cassine à qui Dom Cornuty avait fait, en 1677, des facilités pour sinstaller. En 1696 et 1697 il y avait eu huit entrées, mais trois novices seulement avaient persévéré ; en 1698, 1699 trois entrées, suivies dun départ au bout de quelques mois... puis, jusquen 1703, plus personne au noviciat.
Noviciat que Dom de Somont aurait bien voulu, conformément à une vieille décision du chapitre général, étendre à toute la province de Savoie ; il composa à cet effet, en 1701, un mémoire destiné au Sénat de Savoie.
Les soucis, ses charges dans lordre, les incessants voyages avaient usé labbé de Somont. On dut le ramener, malade, depuis les Ayes où il effectuait la visite régulière ; il neut même pas la force datteindre labbaye, et mourut au grand cellier de Tournon, le 12 décembre 1701. Le cardinal Le Camus, sadressant aux religieux de Tamié, fit son oraison funèbre en disant : « Vous avez enterré là un grand homme et une grande bibliothèque ».
Un Savoyard, religieux de la Trappe, Dom Malachie de Garneyrin, qui avait la préférence du duc, fut élu tout dabord ; il naccepta pas. Le choix des électeurs se reporta alors tout naturellement sur Jean-François Cornuty pour succéder à Dom de Somont. « Élection trouvée agréable à tous, sauf au Rd Dom Cornuty, qui, ne layant voulu accepter, aurait requis quil fut procédé à une nouvelle élection... ». Élu une deuxième fois, Dom Cornuty finit par accepter ; labbé de Cîteaux, Dom Larcher, confirma lélection le 12 mars, et Dom Cornuty fut installé le 4 avril. Usé lui aussi par les soucis [63] gravement malade, il neffectuera guère quune visite régulière, à Hautecombe, en 1704.
Quand il mourut, le 4 août 1707, Tamié comptait onze moines, cinq convers et trois oblats ; mais il ny avait plus de noviciat depuis 1703, et la communauté vieillissait. Le prieur était le propre frère de Jean-François, son aîné, Dom Pierre Cornuty, qui, à 74 ans, remplissait aussi les fonctions de cellérier, depuis plus de trente ans ; il résidait depuis longtemps déjà à Tournon. La réforme, si péniblement mise en place, allait-elle pouvoir durer ?
7
UN SIÈCLE ET UNE RÉUSSITE
Dom Arsène de Jougla ou la réforme consolidée.
À la mort de Jean-François Cornuty, la Savoie, prise dans les péripéties de la guerre de succession dEspagne vivait sous occupation française depuis près de quatre ans. Pendant sa maladie Dom Jean-François avait écrit à Louis XIV, lui demandant la grâce pour les moines de Tamié délire librement leur abbé. Louis XIV avait accepté. Cependant, au moment délire un successeur à Dom Cornuty, le Roi, tout en garantissant lentière liberté des électeurs, avait fait connaître sa condition :
« Que ne soient admis que des sujets de ma domination et affectionnés à mon service ».
Le président du Sénat de Savoie, M. de Tencin, un Français, était chargé de veiller à lapplication de cette clause ; mais tous les religieux éligibles étaient savoyards... Les moines se rappelèrent heureusement que sept ans plus tôt le duc de Savoie avait proposé à leur choix Dom Cornuty, lélu, ou un religieux de la Trappe, né à Chambéry mais naturalisé français, Dom de Garneyrin. En fait celui-ci avait été désigné en 1705 pour être labbé dune fondation de la Trappe, le monastère Toscan de Buonsolazzo. Aussi refusa-t-il mais, généreux, proposa son prieur et maître des novices : Dom Arsène de Jougla. Tamié lui fit confiance et le 31 octobre 1707 lélisait à lunanimité.
Lélu, âgé de quarante ans, avait été, au dire du duc de Saint-Simon, « Un curé fort bien fait et qui ne vivait pas trop en prêtre... il était frère dun M. de Paraza, conseiller au parlement de Toulouse ». Il avait été converti par Catherine Tessier-Dalmeyrac, dite [66] « Mademoiselle Rose », qui était une « célèbre béate à extases et à visions, à conduite fort extraordinaire, qui dirigeait ses directeurs et qui fut une vraie énigme... ». Toujours au dire de Saint-Simon, cette « vieille Gasconne », extrêmement laide, « persuada ce curé de quitter son bénéfice, de venir à Paris, et de se faire religieux de la Trappe. Ce dernier point, elle eut une peine extrême à le gagner sur lui, et il a souvent dit, avant et depuis, quil sétait fait moine de la Trappe malgré lui. Il le fut bon, pourtant... ».
Novice en 1700 il était, cinq ans après, un des dix-huit religieux de la Trappe envoyés en Toscane à lappel du grand-duc Côme III de Médicis pour implanter la réforme dans lantique monastère de Buonsolazzo, pour lors à labandon. Cest de là que le vote unanime des moines de Tamié le tirait.
Il arriva à Tamié le 22 mai 1708, et demanda au Sénat confirmation de son élection. Il lui fallut attendre pour cela le retour de la paix, cinq ans plus tard, aussi ne reçut-il la bénédiction abbatiale quen 1713. Ce retard gêna beaucoup Dom Arsène, qui attendait de cette bénédiction la grâce nécessaire pour remplir sa charge.
« Pour avoir le nom et la dignité dabbé, écrivait-il, ce nest pas toujours à dire que lon en ait les qualités et le mérite ». Il décida finalement de suppléer à la bénédiction par une retraite dune dizaine de jours, en septembre 1708, dans les alpages de labbaye, à Orgeval.
« Jai différé jusquici, écrivait-il à ses moines, dentre au chapitre et de vous distribuer selon mes obligations le pain de la parole, dans lespérance que je serai bientôt béni, et que je recevrai grâce pour cela dans cette sainte cérémonie... Cependant comme dans les conjonctures présentes mon conseil juge à propos de la renvoyer encore, jai cru que je devais y suppléer par une retraite et une prière de huit à dix jours... Voilà lunique raison qui ma fait monter sur cette montagne, et qui moblige à présent den descendre pour un moment par cette lettre, pour vous demander le secours de quelques prières particulières ». Redescendant du Sinaï, Dom de Jougla se heurta au veau dor en la personne dun de ses électeurs, Jean-François Reydelet, qui contestait maintenant la validité de lélection pour présenter sa candidature à laquelle personne navait songé. Après bien des péripéties dom Arsène sen « débarrassa » en lenvoyant à Cîteaux. Formé à la rude école de la Trappe, le nouvel abbé accentua le caractère austère de la réforme à Tamié, supprimant la récréation quotidienne, instaurant deux heures de travail manuel effectif chaque jour. Il conserva cependant la promenade communautaire hebdomadaire, se gardant dintroduire à Tamié les prouesses ascétiques de la Trappe et de Buonsolazzo.
Tout en prenant en main la charge spirituelle de la maison, Dom Arsène soccupa aussi de sa marche matérielle, et prit des mesures pour assurer une meilleure entrée des revenus : cest ainsi quil entreprit [67] de faire rénover les rentes de labbaye, et intenta des poursuites contre les débiteurs du monastère.
Enfin, début 1709, sept entrées successives permirent de rouvrir le noviciat. Après les difficultés du début, la réforme de Tamié semblait connaître sous Dom de Jougla un nouveau souffle.
[68] Les mésaventures du Vicaire en Savoie.
Heureux à Tamié, Dom Arsène le fut moins lorsquil eut à remplir le rôle difficile de vicaire général de lOrdre de Cîteaux en Savoie. Courageusement il entreprit de faire refleurir la vie en sept abbayes naguère ferventes mais pour lors si malades quelles ne voulaient plus guérir. Hautecombe, Aulps, Chézery, monastères dhommes, Ste-Catherine, Le Betton, Bonlieu, Les Ayes, monastères de femmes, avaient en commun leur répulsion pour toute réforme et leur aversion pour le réformateur possible quelles redoutaient en labbé de Tamié.
A Ste-Catherine-du-Semnoz Dom Arsène trouva une dizaine de moniales bien peu ferventes, dirigées (le mot était là bien impropre) depuis plus de quarante ans par une vieille abbesse, mère Christine Carron de Saint-Thomas-de-Coeur, tante du premier ministre. Laumônier, Dom Gaspard Masson, était là comme le loup dans la bergerie, ayant en mains tous les titres et papiers de la maison, et une procuration de labbesse. Il était devenu le maître absolu de la maison, abusant de la faiblesse de caractère de cette vieille femme de soixante-dix ans totalement inconsciente de la situation. Ne prenait-il pas tous ses repas avec elle, lui rapportant tous les péchés dont les moniales sétaient accusées en confession, pour quelle les punisse ?
Dom Arsène ne pouvait rien faire tant que le Sénat navait pas enregistré ses patentes de vicaire général. Cependant, apprenant que labbesse était dangereusement malade, il se risqua à Ste-Catherine, le dimanche 10 décembre 1713, accompagné de son secrétaire Dom Jean Curton, du prieur dAulps et de deux valets. Arrivé, au point du jour et sous une pluie battante, il eut la surprise de se trouver devant une porte verrouillée...
Parut alors laumônier qui ne manifesta pas la moindre intention douvrir aux visiteurs qui attendaient sous laverse. Réprimant sa colère Dom Arsène dit quil était venu prendre des nouvelles de labbesse et la réconforter dans son épreuve. Dom Masson lui répondit que personne ne parlerait à la révérende mère dans létat où elle se trouvait ; quordre lui avait été donné de ne pas ouvrir et quun aumônier ne saurait sopposer aux ordres de son abbesse... Devant les protestations de Dom Arsène il fit semblant daller prendre les ordres de Madame de Saint-Thomas. Puis, quand il eut estimé que labbé et sa suite étaient assez trempés, il revint leur dire son regret : les ordres étaient formels : la révérende mère ne voulait voir personne... Dom Arsène demanda alors quon leur ouvrît léglise pour quils puissent y célébrer la Messe ; Dom Gaspard Masson fit alors de nouveau semblant daller consulter labbesse, puis, au bout dun long moment, revint pour dire naturellement quelle refusait. Dom de Jougla laissa éclater son indignation non seulement les religieuses de [69] Ste-Catherine vivaient sans clôture, mais leur chapelle servait déglise paroissiale ! Quil leur soit au moins permis de sabriter dans une grange voisine : ce fut encore non. Repartant humilié et trempé Dom Arsène apprit alors que labbesse était depuis plusieurs jours dans le coma, et bien incapable de donner ordre ou défense... Il rédigea aussitôt le procès-verbal de cette affaire mouvementée, et lenvoya à Turin, au prince de Piémont.
« Je sais, Monseigneur, ce que je dois à ma vocation, et je nignore pas que les confusions qui sont le partage des disciples de Jésus-Christ le sont encore plus et doivent même faire la joie dun homme de ma profession et de ma robe.
Mais je sais aussi, Monseigneur, que le caractère dont je suis revêtu ne mérite certainement pas ce qui est dû à ma personne, et quil est même des occasions où lon peut et lon doit se souvenir quon est Supérieur, sans sortir pour cela de son état et sans oublier quon est religieux ».
Le 5 janvier 1714 Dom Arsène, le secrétaire du Sénat et un garde du gouverneur se présentaient à nouveau à Ste-Catherine cette fois pour une visite régulière. Dom Masson fut remis à la bonne garde du prieur dHautecombe dont il était moine, et, de là, expédié à Clairvaux.
Cette même année mourait labbesse de Ste-Catherine. Dans la crainte que Dom Arsène ne favorise lélection dune réformatrice les soeurs se hâtèrent délire une moniale sans personnalité, pour agir elles-mêmes à leur guise. Dom Arsène, découragé, acquiesça... et encourut de ce fait la disgrâce du roi Victor-Amédée, qui sestimait lésé dans son droit de nomination. Celui-ci cassa lélection pour imposer sa candidate, une soeur du Betton, Marie-Victoire de Menthon de Gruffy.
Ces mêmes moniales du Betton nétaient guère plus ferventes. Pour sortir librement de la clôture sans la violer, elles avaient fait percer sous la route qui longe labbaye un souterrain débouchant dans les vignes. Par cette subtile casuistique elles se prétendaient en règle puisque, sil était interdit denjamber la clôture, il ne létait pas de passer dessous ! Dom Arsène fit plusieurs visites régulières, toutes inopérantes, et dut lutter jusquen 1725 pour apaiser le « vent de folie » qui soufflait sur labbaye du Betton.
Les moniales des Ayes, près de Grenoble, semblables en cela à celles du Betton, avaient lhabitude de faire une grande consommation de tabac à priser tout au long de la messe et de loffice, sans compter, en dehors, la passion des cartes et du jeu. Dom Arsène devra le leur défendre très expressément au cours de sa visite, en 1716. Mécontente du Visiteur, labbesse, mère Espérance de Girard de Saint-Paul se rappela à propos que Louis XIV lui avait jadis défendu de reconnaître pour supérieur un abbé savoyard. (Labbaye des Ayes [70] était en France). Innocemment elle consulta Versailles : devait-elle tenir compte de cette instruction laissée par le feu roi, à lépoque où France et Savoie étaient en guerre ? En mars 1723 le Garde des Sceaux, M. dErmenonville, lui répondit que lintention du roi était quelle se conformât exactement à cet ordre. Labbesse était donc dispensée de reconnaître pour supérieur labbé de Tamié. Dun trait de plume, Louis XV mettait fin à plusieurs siècles de paternité spirituelle des abbés de Tamié sur les moniales des Ayes.
Pour être moins haut en couleurs, létat des couvents masculins nétait pas meilleur. La commende dont ils étaient affligés était le principe interne de leur ruine. Dom Arsène essaya dobtenir une base juridique pour réformer ces abbayes. Dabord en faisant enregistrer par le Sénat la constitution dAlexandre VII - ce règlement que depuis 1666 le Sénat de Savoie, par nationalisme, refusait dentériner. Ce fut fait, enfin, en 1715.
Dom Arsène avait espéré davantage : rénover Hautecombe, Aulps et Chézery en les vidant pour y installer des religieux formés dans un noviciat commun, à Tamié : vieux projet datant du chapitre général de 1672, et que ni Dom de Somont ni Dom Cornuty navaient pu réaliser. Dom Arsène avait réussi à intéresser à ce projet le roi (alors duc) Victor-Amédée lors de son séjour à labbaye en 1711 ; celui-ci comptait en plus sur des moines de Tamié pour établir une fondation aux portes de Turin, à Superga. Dom de Jougla engagea la dépense de construire des cellules pour douze novices. Au bout dun an pourtant le noviciat fermait, Aulps, Hautecombe et Chézery en ayant ouvert un, concurrent, à Aulps. Le roi renonça à son projet... et les subventions promises ne furent jamais versées.
En dépit de léchec du « noviciat provincial », celui de Tamié restait florissant : de 17 à la mort de Dom Jean-François Cornuty, les religieux étaient 36 en 1727, en comptant 12 oblats et 3 convers. Lâge moyen sétait par contre élevé de 41 ans à 48 : ce qui était dû à lentrée de prêtres ou de religieux dautres ordres déjà relativement âgés, le record étant détenu par lex-curé de Sévrier, André Lentillon, qui prit lhabit à 65 ans. Les 18 ans dun jeune voisin, Claude Pasquier (lauteur de la « Relation »), fils du fermier de La Cassine abaissaient cette moyenne. Son père, Théodule, de son côté, devenait oblat, rejoignant ainsi deux de ses frères, Jacques et Jean-Joseph, déjà moines depuis 1690 ! Le recrutement restait local, assuré de moitié par le seul diocèse de Genève. Il y avait, bien sûr, des exceptions, tels les trois aumôniers successifs du Betton, Thomas du Halde, ancien dominicain originaire de Bayonne, Pacôme le Clerc, aussi dominicain, de Poitiers, et Claude Joseph Lagarde, qui avait été curé de Notre-Dame la majeure de Narbonne. Il est vrai que tous trois étaient des disciples de la fameuse « Mademoiselle Rose »...
Jamais moine ne connut un aussi grand bouleversement de son [71] état civil que F. Malachie : Né à Kashel en Irlande, il avait quatre ans lorsque ses parents avaient fui lîle et la persécution religieuse qui sy déchaînait : appelé Sir John Boyton of Thomas Town, il sappella désormais F. Malachie de Béthune de Ville-Thomas ! La sélection était sévère ; avant daccepter les postulants Dom Arsène les mettait à lépreuve : après leur avoir permis un premier contact avec la vie monastique, il les renvoyait, un certain temps, dans le monde, avant de leur donner lhabit.
Dom Arsène mourait le 24 juin 1727, dans la 61ème année de son âge et la 20ème de son abbatiat, laissant une communauté florissante dans des bâtiments neufs enfin achevés, où vivaient 36 religieux et 28 domestiques. On pouvait dater de son abbatiat la véritable réussite de la réforme. Ses successeurs neurent quà la conforter.
Les abbés de Tamié jusquà la Révolution.
Le jour même de la mort de Dom Arsène les religieux envoyèrent à Turin leur procureur, Dom Maniglier, pour soutenir leurs droits devant le roi et son ministre, leur demandant de leur permettre selon les statuts de lOrdre, lélection dun abbé régulier.
Cela nempêcha pas le président Raiberti, sénateur mandaté par le roi, de monter à Tamié pour mettre labbaye sous séquestre en attendant la décision royale. Le président Raiberti établit même un rapport pour le roi, sur le sujet de lélection abbatiale, daprès les pièces trouvées aux archives de labbaye.
Trois mois sécoulèrent. Victor-Amédée II fit consulter labbé de Cîteaux, Dom Edme Perrot, puis par lettres patentes du 24 septembre 1727, il désigna le sous-prieur de labbaye, Dom Jacques Pasquier, pour succéder à Dom de Jougla. Choix abusif mais qui interprétait équitablement, pour une fois, les voeux de la communauté. A peine eut-il connaissance du décret royal que Dom Jacques Pasquier écrivit à Turin pour décliner lhonneur qui lui était fait. Labbé de Cîteaux fit la réponse en commettant le prieur de Chézery pour installer le nouvel abbé et enjoindre aux moines de suivre la volonté du roi, ce qui fut fait, le 2 mars 1728. Six ans plus tard, un roi succédant à lautre, Charles-Emmanuel III écrivait au Sénat :
« Nous avons cru devoir chercher une règle qui soit juste pour tous... et qui mette par conséquence à couvert notre conscience aussi bien que le droit...
Lorsque la cour de Rome a voulu dans les temps passés pourvoir à labbaye de Tamié, nos prédécesseurs nont pas manqué de proposer leur droit de nomination... ». De ces recherches, conclut le roi « Il résulte évidemment que nous navons aucun juste fondement pour la nomination de labbé de Tamié ou des trois abbesses du Betton, de [72] Bonlieu et de Ste-Catherine qui en dépendent, mais que nous devons laisser la liberté aux élections capitulaires et exiger seulement que lon en rapporte la confirmation de labbé général par rapport à Tamié, et quant aux abbesses, de labbé de Tamié même, comme vicaire général de lordre, sans que la cour de Rome y ait la moindre ingérence ».
Cette lettre royale restituait aux moines une liberté délection quils avaient perdue depuis la fin du XIVème siècle... heureux aboutissement dune affaire qui fut la principale du court abbatiat de Dom Pasquier (1727-1734).
Il eut pour successeur - enfin librement élu - son prieur, Jean-Baptiste Maniglier, le négociateur de Turin en 1727. Labbé de Cîteaux commit Dom Chiron, le sous-prieur, pour installer lélu. Comme tous ses prédécesseurs Dom Maniglier était vicaire général de lordre en Savoie, mais il ne pouvait en remplir les fonctions quen vertu des patentes du supérieur de lOrdre. Labbé de Cîteaux ne les lui accorda quen 1738 et le Sénat les enregistra.
Dix ans plus tard le prieur dAulps, Dom Félix Bron, obtint le titre de visiteur et vicaire général en Savoie à la place de labbé de Tamié, sous prétexte que ce dernier nétait pas en état de remplir les devoirs de cette charge à cause dindispositions. Le Sénat refusa denregistrer les patentes venues de Cîteaux, parce quelles portaient atteinte au droit immémorial des abbés de Tamié. Le 4 juillet 1751 labbé de Cîteaux rétablissait Dom Maniglier dans ses droits.
Les religieux avaient repris possession de bois, pâturages et terres situés à Mercury, sur lesquels ils avaient laissé perdre leurs droits ; en 1740, les syndics de la communauté de Mercury les revendiquèrent, prétendant en avoir toujours joui. Le conflit porté devant le Sénat et examiné avec une sage lenteur dura seize ans (« Ah, Seigneur Jésus, si vous aviez été jugé par le Souverain Sénat de Savoie, vous nauriez pas encore été condamné, proclamait un curé du temps, en procès lui aussi... »).
Dans la nuit du 2 au 3 août 1756, peu avant Matines, la foudre tomba sur labbaye, et frère Jean-François Rivolet en fit un récit naïf et épouvanté, sémerveillant du « double miracle », car la foudre navait blessé personne, et navait pas déclenché dincendie. Pour « remercier Dieu du bienfait dont il nous a comblés »... on décida de chanter, chaque année, le 3 août, les litanies des saints dans le cloître, et de célébrer ensuite une messe daction de grâce (17).
Dom Maniglier mourut le 8 novembre 1757. Le 22 janvier 1758 Dom Jean-Jacques Bourbon, à 61 ans, était élu abbé de Tamié. Un de ses premiers actes dabbé fut de se plaindre au roi de ce que labbaye était. en difficultés financières (18). Pas seulement préoccupé de la propriété de labbaye, Dom Bourbon composa, en 1762, un règlement très précis de la vie du monastère (19).
Jean-Jacques Bourbon mourut en septembre 1769, et Dom [73] Joseph Rogès fut élu le 5 octobre. Lévénement le plus saillant de son abbatiat fut la fusion du monastère de Bonlieu avec celui de Ste-Catherine : là, le recrutement et les finances laissaient à désirer, et la ferveur navait guère progressé depuis Dom de Jougla. Lévêque dAnnecy était pour lors Mgr Biord, un prélat actif et énergique, qui voulait avoir les couvents « sous la main » dans Annecy même ; il lobtint du roi, et Dom Rogès dut faire accepter aux religieuses lunion, qui se fit le 6 novembre 1772 (20). Après les Ayes en 1723, Tamié perdait une nouvelle « Fille ». À la mort de Dom Rogès, en février 1783, les religieux élisaient le maître des novices, Dom Bernard Desmaisons.
« Je me donne lhonneur, peut-être contre les lois de la modestie - écrivait-il à la Cour de Turin le 28 mars 1783 - dannoncer moi-même le choix que les religieux de Tamié ont fait de ma personne pour leur abbé ; vaincu par leurs instances jai enfin consenti... après un long examen je nai su découvrir dautre titre pour parvenir à cette dignité que celui que peut donner la pratique de nos observances durant lespace de 32 ans... ».
Les religieux de leur côté déclaraient :
«Les vertus qui caractérisent le parfait religieux jointes aux rares talents qui lui concilient lestime et la vénération de ceux qui le connaissent, sa longue expérience de ladministration de la communauté en qualité de supérieur et maître des novices, dont il a exercé les fonctions pendant 16 ans, dès longtemps lui méritent notre confiance et ont réuni tous nos suffrages en sa personne, au grand contentement dun chacun, excepté du sien... ».
Durant son court abbatiat Dom Desmaisons se vit reprocher par labbé de Clairvaux, en plein Chapitre général - en 1784 -la sévérité excessive de ses visites régulières.
Cela ne lempêcha pas dêtre élu définiteur au Chapitre suivant, en 1786. Le 12 mai, date à laquelle on fêtait saint Pierre de Tarentaise, il fut invité à célébrer, pontificalement, la grand-messe. Ce fut le dernier Chapitre général de lAncien Régime. Trois ans plus tard les religieux de Tamié annonçaient au roi Victor-Amédée III que Dom Desmaisons « ce flambeau qui les éclairait » sétait éteint la nuit du 19 au 20 juin 1789. Son successeur, Dom Gabet, fut élu le 3 août ; la Révolution grondait en France : elle serait bientôt aux portes de Tamié.
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SOUS LA RÉGULARITÉ
Tamié et ses visiteurs.
En un siècle où lon était curieux de tout, la nouvelle vie menée à Tamié ne pouvait quattirer des visiteurs de marque. Certains nous ont - heureusement - laissé un récit de leur visite.
Ainsi, en 1710, deux savants bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, Dom Martène et Dom Durand passaient par Tamié. Ils étaient envoyés en mission culturelle, avec la charge de collationner les manuscrits anciens dispersés dans les bibliothèques monastiques.
« A trois ou quatre lieues de Taloire est labbaye de Tamied, qui dans la Savoye a la même réputation que la Trappe en France. Dom Arsène Jougla qui en est abbé est français... labbé de Tamied étant mort, les religieux qui étaient déjà réformés lélurent pour leur abbé. Comme il trouva en eux de bonnes dispositions, il neut pas de peine à leur persuader de se réformer davantage... ils répandent lodeur de leurs vertus dans tout le pays, et certainement il est impossible de les voir sans être touché de leur modestie et de leur recueillement. Cette modestie passe des religieux aux domestiques, qui gardent également le silence, se voyent et font leurs ouvrages ensemble sans se parler... Les hostes y sont reçus avec toute la charité et la propreté possible, mais leur appartement est tellement séparé de celui des religieux quils ne peuvent avoir de communication avec eux... La grande retraite des religieux de Tamied nempêche pas quils nayent une bibliothèque. Nous y trouvâmes même des manuscrits, parmi lesquels il y a un ouvrage de Pierre Abailard... Leur chartrier est le plus propre et le mieux arrangé que jaye vu ».
[76] Lannée suivante, 1711, cétait le duc de Savoie lui-même qui venait séjourner à labbaye. Un moine nous a laissé le récit de cette illustre visite :
« (Le duc avait envoyé) chercher et visiter dans le païs quelque lieu propre pour y aller changer dair et boire les eaux... il ny en eut point qui lui plût davantage que notre abbaye, étant dailleurs bien aise de se retirer dans un lieu de piété... nonobstant tout ce que sa cour et dautres personnes purent lui reporter au contraire, en lui disant que Tamié était un lieu très affreux et dun air mauvais ». Le 18 août « Son Altesse Royale arriva avec sa cour vers les neuf heures du matin, monsieur notre abbé et sa communauté lalla recevoir à la porte du monastère au son des cloches, ce prince lui témoignant dabord et à nous bien de la satisfaction, et nous parlant dune manière et avec un air tout à fait gays et riants... ».
Le duc Victor-Amédée et sa cour occupaient tout le corps de logis Nord. Celui-ci ne put suffire à loger les trois cents personnes de la suite du duc, aussi occupa-t-on également les appartements des domestiques, et ce qui pouvait rester de lancienne abbaye.
« Le 22 août, poursuit notre chroniqueur, Son Altesse Royale commença à faire ses remèdes et à boire ses eaux qui ont tout à fait bien opéré... Il na jamais manqué dassister à nos Complies dès le commencement jusquà la fin, et qui durent environ une heure... il a aussi souvent assisté à nos Vêpres qui ne durent jamais moins dune heure ; et tous les jours il entendait la messe basse qui se disait pour lui et sa cour pendant que nous chantions la nôtre de communauté laquelle il achevait encore dentendre, et ensuite il assistait à une bénédiction du Saint-Sacrement qui sy donnait immédiatement après... Le 10 septembre au soir, veille du départ de la cour, Son Altesse entra seule dans le chapitre, toute notre communauté y étant rassemblée pour la lecture spirituelle qui sy fait régulièrement avant Complies ; et en entrant elle nous dit quelle venait un petit moment interrompre notre régularité pour nous dire à Dieu, et là-dessus nous parla durant un petit quart dheure, se recommandant, sa famille et ses États à nos prières ».
Sa famille et lÉtat avaient pour lui un visage : celui du prince de Piémont, son fils et son héritier, prénommé lui aussi Victor-Amédée. Le duc souhaitait pour lui un équivalent du Télémaque, un « Traité de linstitution dun prince »... Il en parla à labbé. Et ce fut alors que reparut cette Mademoiselle Rose qui avait décidé de la vocation de labbé de Jougla. Indésirable en France, elle sétait réfugiée à Annecy et elle suggéra à Dom Arsène un nom, celui dun autre proscrit, loratorien Jean-Joseph Duguet. Inquiété pour ses sympathies dans le parti janséniste, loratorien se cachait à Paris, chez le président Ménars, frère de Madame Colbert. Il accepta de composer louvrage, mais sous le plus strict anonymat.
[77] Le prince-héritier ne lut jamais louvrage qui lui était destiné : il mourait à dix-huit ans le 21 mars 1715. Coup terrible pour le duc - devenu roi par la grâce du traité dUtrechtqui décida dune retraite de trois mois, seul, à Tamié. Cette fois encore il confia à Dom de Jougla ses soucis : tout occupé de son aîné, il sétait désintéressé de son cadet Charles-Emmanuel, maintenant héritier du trône ; comment combler les lacunes de léducation de cet adolescent de quatorze ans ? Cest alors que Dom Arsène lui remit les cahiers de « linstitution dun prince »... on ne sait trop linfluence que louvrage exerça sur le prince, et sur son père...
Détail piquant : le roi était encore à Tamié quand y arriva, incognito, Duguet en personne ! Convoqué par le lieutenant de police de Paris pour un pamphlet quon lui imputait, il avait fui en Savoie dont le souverain nétait point hostile aux Jansénistes ; mais, pas même à lui Duguet ne se révéla comme lauteur de « lInstitution ». Duguet ne resta pas longtemps à Tamié ; à la mort de Louis XIV, le 1er septembre 1715, Duguet repassait la frontière. Mais quand en 1733 Dom Jacques Pasquier alors abbé de Tamié, voulut faire imprimer « lInstitution » chez un libraire Annécien, Duguet sy opposa. Louvrage ne parut que six ans plus tard, à Leyde et à Londres, et fut aussitôt mis à lIndex.
En août 1757, sous labbatiat de Dom Maniglier, le procureur de Tamié (pour lors Dom Bourbon) dut faire les frais du voyage de la duchesse régnante de Parme, fille aînée de Louis XV, qui traversait la Savoie pour se rendre à Versailles. Lintendant qui devait pourvoir aux commodités de son escorte écrivit à Dom procureur pour le prier « de vouloir chasser dans votre environ pour me procurer tous les faisans, gelinottes, perdreaux, lièvres, cailles et roy de cailles, chevreuils et faons » quil sera possible de trouver ; ajoutant des recommandations pour le transport, qui devait être fait « de nuit, et dans de la glace, pour éviter la corruption par la chaleur ».
Tout à la fin du siècle, en 1786 et 1788, sous labbatiat de Dom Desmaisons, Tamié connut les visites du prince de Piémont Charles-Emmanuel et de son épouse Clotilde de France. Cest un rescapé de la Révolution, Dom Bernard Mouthon, qui nous en a conservé le souvenir :
Les souverains « participèrent aux saints mystères avec la plus tendre piété ; et plus dun dévot cénobite put apprendre des rois de la terre comment on doit sapprocher de Dieu. Nous eûmes tous le bonheur de converser avec ces illustres princes, dont le monde nétait pas digne ; mais les exercices et le silence du cloître ne furent point interrompus. En 1788, au mois de juillet, ces mêmes bon princes firent une seconde retraite à Tamié ; prosternés aux pieds des autels, ils semblaient prévoir dès lors combien ils auraient besoin du courage de [78] la foi dans lépouvantable catastrophe qui devait bientôt renverser pour un temps et le trône et lautel ».
Enfin au mois daoût 1788 Tamié recevait la visite dun excursionniste dauphinois, M. Pison de la Gravière, qui se montra enchanté par le site :
« Tamié se trouve situé vers le milieu dun charmant vallon, médiocrement élevé au-dessus de la plaine, dun aspect cependant très retiré... ce vallon offre laspect le plus verd, avec des mélanges de bois bien conservés et des arbres fruitiers de bon rapport. Un ruisseau de belle eau où se rendent encore diverses fontaines, arrose le bas de ce vallon, et va, du côté de Faverges, sur la route dAnnecy, mouvoir aux fabriques de fer appartenant au monastère. La maison nest que dune médiocre grandeur, mais solide et bien entretenue ; léglise, sans décoration, est assez grande et sous une voûte assez élevée ; le clocher dédommage par son élégance... ».
« Nous dinâmes avec les religieux dans leur réfectoire. Tous les détails sont tristes et édifiants ; on ajouta à notre portion, composée comme celle des religieux dun petit potage blanchi avec du lait, dune assiette doeufs brouillés et dune autre dharicots verds, on ajouta, dis-je, une moitié de truite médiocre, cuite au bleu et accompagnée dune burette dhuile et de vinaigre. Vinrent ensuite un morceau de fromage et quelques poires ou pêches peu engageantes. La lecture dune portion de la vie de saint Bernard dura pendant tout le repas, après lequel on sest rendu à léglise, par les cloîtres, en chantant sur une modulation très creuse et très lente, le psaume Miserere. La communauté des religieux se munit incessamment de fourches et de rateaux, et partit en silence pour aller soccuper de la récolte des foins dans les environs. Je nai pas pu, pendant tout le repas et ses accessoires, surprendre un religieux qui ait levé les yeux ou interrompu autrement son air de profond recueillement. Ce sont deux dentre eux qui font le service des tables, et qui, chaque fois quils sen approchent saluent par une très profonde inclination. Labbé, placé derrière la table qui occupe le fond du réfectoire, vis-à-vis de la porte dentrée exerce la police la plus attentive et la plus silencieuse. Tout religieux pour la moindre coulpe vient se coucher de tout son long devant sa table pour demander miséricorde, et labbé ne manifeste sa volonté que par un léger bruit du manche de son couteau ; seul bruit qui, avec la lecture, se fasse entendre dans le réfectoire.
Au reste labbé, nommé Dom Desmaisons, originaire de Chambéry, est un grand et gros homme, de fort bonne mine et du teint le plus vermeil, paraissant âgé denviron cinquante ans. On dirait quil a vécu longtemps dans un monde bien élevé. Sa conversation est animée, quoique modeste, instructive et intéressante. Il ne me surprit pas peu lorsque, sur la demande en termes discrets que je lui en fis, il me [79] répondit quil était entré dans la maison à 19 ans, et quil avait trouvé que cétait tard...
Après la procession du Miserere, que nous suivîmes convenablement, labbé, ayant alors avec lui le religieux procureur de la maison nous conduisit dans un petit appartement particulier, communément et proprement meublé. La conversation devint familière et libre, quoique toujours bien réglée, et lon nous servit du fort bon café, dont M. labbé et le procureur prirent comme nous leur tasse ».
La vie régulière
Pénétrons maintenant plus avant dans la vie des moines de Tamié au XVIIIème siècle. En plus des récits des visiteurs, nous possédons encore plusieurs règlements fort détaillés de la vie au monastère, le plus complet étant celui rédigé par labbé Jean-Jacques Bourbon.
« Lavertissement au lecteur » nous apprend que Dom Bourbon présenta ces règlements trois dimanches de suite à la communauté, à partir du 24 janvier 1762 ; les religieux étaient invités à communiquer leurs observations sur ce texte « pour tranquilliser quelques esprits inquiets et téméraires, qui en avaient paru effrayés ». Dom Bourbon concluait en disant :
« Nous adressons chaque jour des voeux au ciel pour quil plaise à Dieu de rétablir la splendeur de notre Ordre dans son premier lustre ; plusieurs même ont la témérité de dire que cela ne dépend que des premiers supérieurs... que ne diraient pas un si grand nombre dinférieurs si ces premiers lentreprenaient, puisque pour des bagatelles que lon doit et que lon veut faire observer il se trouve des contradicteurs dans une aussi peu nombreuse communauté que celle de Tamié... » (!).
La « préface » revient encore sur la décadence générale de lOrdre : « Dieu néanmoins, par un effet de son infinie miséricorde sest choisi et réservé quelques maisons de lÉtroite Observance sur lesquelles il répand aujourdhui encore ses grâces et ses bienfaits sans nombre ».
Les règlements eux-mêmes sont largement inspirés de lédition de 1701 des constitutions de la Trappe, mais avec quelques particularités de détail qui caractérisent lesprit de Tamié. On y trouve tout dabord beaucoup plus de souplesse et de liberté ; on ne précise pas tout, alors que dans les règlements de la Trappe, la minutie des précisions était poussée à un point qui en devenait intolérable. La communauté de Tamié étant plus petite, on y décèle aussi moins de cloisonnement entre les infirmes et la communauté, de même la [80] distinction choristes/convers nest jamais mentionnée, et les hôtes semblent moins séparés et accueillis plus volontiers. Voyons un peu le détail : par exemple, la « conférence », un entretien spirituel qui avait lieu tous les dimanches après-midi. Le règlement de Tamié simplifie beaucoup celui de la Trappe, ne rajoutant quun charmant paragraphe :
« Celui qui parle aura soin de le faire dune manière qui console ceux qui lentendent, et qui les anime à remplir leurs obligations. Pour cela il y parlera avec douceur, modestie et humilité. On ny fera que des entretiens familiers et par mémoire, sans lire, dans lesquels on évitera avec tout le soin possible de ne rien dire qui puisse faire de la peine à qui que ce soit... ».
Autre particularité, le « spaciement » ou promenade communautaire qui avait lieu, à Tamié, tous les quinze jours. « Alors (les moines) sy parlent les uns aux autres, et sentretiennent mutuellement des choses de Dieu ». La Trappe ne connaissait quexceptionnellement, quatre ou cinq fois par an, une ou deux heures de lecture dans les bois.
[81] Pour ce qui est des hôtes, le règlement de la Trappe stipulait : « On regardera les hôtes qui arrivent au monastère comme y étant envoyés de Dieu. On leur rendra tous les devoirs de lhospitalité, comme la Règle lordonne et avec tant de charité quils naient pas sujet de croire quils sont à charge et que lon est importuné de leur visite ». Ce qui nétait déjà pas si mal. Or le règlement de Tamié corrige la fin en :
« Quils naient pas sujet de croire quils sont à charge mais au contraire quon a plaisir de les voir ». Retouche minime, mais qui, ici encore, dénote un esprit. Après avoir conduit lhôte à léglise, lhôtelier lui montrait sa chambre et là, daprès les règlements de la Trappe « il lui fait la lecture de quelque livre de piété ».
À Tamié on transforme cette prescription en « il aura soin doffrir aux étrangers quelque livre de piété pour en faire la lecture lorsquils le jugeront à propos ». Est-il exagéré de dire que lon trouve plus de souplesse et de liberté dans le règlement de Tamié ? Il se poursuit par une « revue » des lieux réguliers, et dabord du dortoir, qui est en fait le couloir qui relie les cellules.
« Lon ne doit rien changer dans sa cellule des choses quon y a trouvées, comme le lit, la table, la chaise, les images ;... on se couche tout vêtu sur sa paillasse ; le traversin doit être de paille battue ; et cest aussitôt que lon sonne la retraite... ».
La revue continue par les cloîtres, la salle du chapitre, qui est aussi salle de lecture :
« Chaque religieux aura dans le chapitre son tiroir pour y mettre ses livres, quil aura soin de couvrir avant de sen servir... On se servira des pupitres qui y sont seulement pour écrire des choses saintes, et non point des lettres ; si quelquun avait la permission den écrire, il le fera dans sa chambre... Lon aura attention de ne sy point incommoder les uns les autres, pour cela lon ne sy promènera point, et lon ne sy mettra point au fourneau pour se chauffer... ».
Le paragraphe sur le réfectoire donne à Dom Bourbon occasion dénoncer quelques conseils de savoir-vivre, car «lon doit savoir que la politesse et la civilité sympathisent beaucoup avec la solide piété, outre que notre sainte Règle nous lapprend : honore se invicem praevenientes.
Pour ce qui est du travail manuel, le règlement prévoit trois heures par jour : une heure et demie le matin et une heure et demie laprès-midi. La règle du silence y est très stricte : «lorsquon travaillera hors de lenclos on séloignera autant que faire se pourra des ouvriers étrangers et même des domestiques... ».
« Quand on prolongera les travaux de la campagne au delà dune heure et demy, dans les endroits éloignés de labbaye... le Père Abbé accordera un petit rafraîchissement en se reposant environ lespace dun quart dheure... ».
[82] Notons au passage que le tabac (à priser !) na pas disparu de Tamié :
« On ne présentera pas du tabac à qui que ce soit, pas même à ses propres confrères, non plus quaux domestiques et ouvriers... »
Un chapitre spécial est consacré à lOffice Divin, parce que « Lobligation principale dun religieux est de sen acquitter avec la dignité prescrite par la Règle, qui lappelle loeuvre de Dieu par excellence... ».
La bibliothèque est la cendrillon de ce règlement. Dom Bourbon se contentant de prescrire « quaucun religieux ny entrera sans la permission du supérieur, laquelle il naccordera que très rarement, ny ayant rien de si ordinaire aux religieux que daimer à feuilleter des livres inutilement, ou par curiosité... ».
Bibliothèque cependant ample et fournie : un catalogue de la fin du XVIIIème siècle, encore quincomplet, énumère 1450 titres de livres souvent en plusieurs volumes : Écriture sainte et littérature manquent, mais lon dénombre 60 volumes de Patrologie, saint Augustin en tête, et 400 de Théologie (la « Morale » et le « Compendium » dHabert y figurent en une dizaine dexemplaires ; peut-être était-ce les manuels des étudiants ?). Suivent 70 livres sur les Conciles, une centaine de sermonnaires, deux cents livres de piété (dont « Lautel pacifique de la Nouvelle Loi » et « Le Que-dira-t-on des Huguenots rebelles »), trois cents livres dhistoire profane ou ecclésiastique (voire les deux à la fois, comme « Les Annales de lÉglise catholique mariées avec lhistoire de France »). Ne disons rien de la «Gloire du sexe ou les femmes illustres ». Tout cela sans compter les ouvrages de droit, civil et canonique, (65 volumes), les classiques grecs et latins... « LAvis contre la peste », le « Recueil de remèdes faciles et domestiques » et la «nouvelle construction de ruches en bois ».
Le domaine et les forges.
Sur le domaine du monastère, lon ne faisait pas que construire des ruches. Et la reprise en main du spirituel de labbaye correspondit à une reprise en main du temporel.
« En Savoie le début du XVIIIème siècle est marqué par une renaissance de la puissance seigneuriale ; partout les seigneurs restaurent blasons, bancs déglise, girouettes et bois de justice ; ils rétablissent danciens monopoles tombés en désuétude : droits sur les forêts, les rivières, banalité du four, du moulin, de la scie... ».
Tamié entra dans ce mouvement. Un travail préalable de mise à jour des archives de labbaye, permettant de définir exactement les devoirs des débiteurs, avait été réalisé par Dom de Somont ; le résultat en fut comme visualisé par la «Carte Générale des endroits [83] que labbaye de Tamié, fondée en 1132, a possédés et aliénés et de ceux quelle possède encore aujourdhui, savoir : juridictions, maisons fortes, granges, moulins, foulons, battoirs, scie, fiefs, dîmes, censes, montagnes, paqueages, cours deau, pêches ; exemption de leydes, péages, pontonnages et autres privilèges, dressée sur les titres des archives de ladite abbaye en 1706 » par les pères Joseph Molly et Joseph Chiron. Toutes ces données furent exploitées sous labbatiat de Dom de Jougla.
Létablissement du Cadastre entre 1728 et 1738 permit une répartition plus équitable des impôts ; enfin par lédit de 1771 furent abolis par voie de rachat les droits féodaux ; St-Martin-de-Belleville fut la première communauté à se libérer en 1772.
Une particularité de lexploitation du domaine de Tamié au XVIIIème siècle est lintense exploitation des forges. Maints documents en témoignent. En 1750 Jean-Jacques Bourbon, alors procureur, passait contrat avec des habitants de Montailleur pour voiturer 400 douzaines de bennes de minerai de fer, depuis la Croix des Fosses jusquà lentrepôt du village de La Chagne. En 1751 Dom Desmaisons sous-procureur, convenait avec deux bateliers du port de Grésy, de 4 sols pour chaque douzaine de bennes transportées. En 1765 Dom Bourbon, devenu abbé entre temps, écrivait à Mgr de Rolland archevêque de Tarentaise :
« Il ne ma pas été possible denvoyer nos mulets en Chautagne parce que nous en avons perdu trois sur onze ; il ne nous reste par conséquent que huit que nous faisons sans cesse travailler pour ne pas manquer de mines et de charbon au grand fourneau qui est à feu dès le 28 janvier : il consomme chaque jour 60 charges de charbon et 44 quintaux de mine ».
Ce charbon de bois descendait des Bauges où il était produit tandis que le minerai de St-Georges-dHurtières remontait du port de Grésy. Primitivement, semble-t-il le fer descendait aussi de la Bouchasse, mais le gisement alors se trouvait sans doute épuisé ; il avait été, en 1641, albergé à Claude Audé, les moines se contentant de percevoir leurs droits féodaux.
Quelle était la clientèle ? En août 1763 le service des salines de Moûtiers commandait 110 plaques de fer et deux plaques de « gueuse » (fonte, de lallemand Guss). Les forges sétaient semble-t-il spécialisées dans la fabrication des plaques de cheminées.
Aujourdhui encore, au monastère, lune delles orne lentrée du réfectoire ; elle porte la date 1711, et linscription « qui de vous habitera dans les flammes éternelles ? » ; une autre, au réfectoire de lhôtellerie, de 1751, est frappée dune tête de mort et proclame, avec saint Paul, que « le salaire du péché, cest la mort » : Stipendium peccati, mors.
En 1807, lhistorien Grillet rapportait que «sous la direction [84] des anciens religieux les fourneaux étaient en activité pendant 43 semaines de lannée et donnaient, année commune, 1032 quintaux de fer valant 25 800 livres de Piémont » ; 14 ouvriers et employés manoeuvraient un haut-fourneau pour obtenir la gueuse ; il était à feu six mois tous les deux ans ; les deux grosses forges réduisaient cette gueuse en fer que deux martinets mus par eau débitaient en « petits échantillons » : outils agricoles, cercles de tonneaux, etc.
Le 13 juin 1792, deux mois avant linvasion de la Savoie, les finances royales exigeaient des maîtres de forge savoyards un état exact de tout le minerai existant en leurs magasins ; Tamié déclara 3549 quintaux et 32 livres de gueuse mais allégua que « ne faisant exploiter aucune mine et achetant le minéral tout préparé, elle ne croit pas être dans le cas de rien payer aux finances ». Celles-ci neurent sans doute pas le temps de contester, et 18 mois après, le 9 décembre 1793, les usines confisquées étaient accensées aux citoyens Marguet, Guillermin et Bellaz ; le citoyen Clet qui en devint propriétaire en 1806 découvrit et exploita les gisements de la Sambuy. Enfin, en 1838, les derniers possesseurs des forges de Tamié, MM. Frerejean, transférant à Cran ces « artifices », mettaient fin à une industrie vieille de plusieurs siècles.
9
DANS LA TOURMENTE
La Révolution à Tamié.
Le dernier abbé dancien régime, Dom Claude Gabet, était né à Chambéry en 1750, fils dun notaire du Sénat. Après des études au collège des jésuites, il semble avoir hésité sur sa vocation. Une biographie anonyme, du début du XIXème siècle, nous apprend quil aurait eu lintention dentrer chez les dominicains, puis quil essaya le barreau, pour choisir enfin la carrière des armes et entrer, en 1768, dans la première compagnie des gardes du corps, à la cour de Turin.
A lautomne 1777, Claude Gabet accompagna son oncle, curé de Montmélian, lors dune visite à Tamié.
« Dom Rogès proposa en badinant à notre jeune militaire de changer de milice et de mettre le froc à la place de luniforme. Celui-ci répondit sur le même ton et fit entendre à Dom Rogès que sa proposition pourrait bien se réaliser... ».
...Ce qui effectivement eût lieu. Claude Gabet donna sa démission en 1778 et entra à Tamié.
«Le Roi Victor-Amédée III, qui en fut informé, lui conserva son rang et sa paye jusquà ce quil eût fait profession ».
Dom Rogès, puis Dom Desmaisons prirent le jeune profès comme secrétaire ; et le 3 août 1789 Dom Gabet leur succédait à la tête de labbaye.
La situation, à cette date, nétait guère favorable. La Révolution française nétait pas encore passée en Savoie ; mais les liens entre France et Savoie étaient si fréquents, si constants, et plus encore pour [86] un monastère dont le chef dordre, Cîteaux, était en territoire français, que les moines ne pouvaient avoir que loeil fixé sur la frontière... LAssemblée nationale supprima les monastères de France le 13 février 1790, et Cîteaux par le fait même. Dom Gabet, ne sachant plus à qui en référer, hésitait à entreprendre, comme ses prédécesseurs la visite régulière des abbayes de Savoie.
« Je nai point fait de visite régulière depuis que je suis abbé, écrivait-il à lintendant général de Savoie, parce que je nai pas de plus grand plaisir que de goûter avec mes frères les douceurs de la solitude et de la paix que procure la bonne union, et parce que je me suis instruit, en suivant mon prédécesseur, de linobservance des règlements de discipline que lon y dressait, et dont le résultat le plus réel était les frais de voyage... ».
Un peu de la personnalité de Dom Gabet apparaît dans ce dernier trait : homme tranquille jeté bien malgré lui dans la tourmente, plein de délicatesse, avec une pointe dun solide humour... Le nouvel abbé, pour obéir au Roi Victor-Amédée III, visita tout de même Aulps en juin 1792.
La Révolution lui épargna la peine de visiter les autres abbayes. Le 22 septembre 1792 larmée française envahissait la Savoie. Peu de temps avant, Mgr dAviau, archevêque de Vienne, fuyant pour ne pas se soumettre à la constitution civile du clergé, était passé par Tamié, portant avec lui les premières inquiétudes.
Le lendemain de linvasion, 23 septembre, cétait le passage de Joseph de Maistre ; quelques jours plus tard, un fermier de labbaye, François Favre, escortait jusquà Cluses un fugitif de marque : le gouverneur de la Savoie, le comte Lazari.
Les événements, pendant ce temps, se précipitaient : les députés nommés par les communes, réunis à Chambéry, formèrent un gouvernement provisoire et prirent le titre « dassemblée nationale souveraine des Allobroges ». Le 26 octobre les biens du clergé furent déclarés biens nationaux, et le 31 des commissaires furent désignés pour en établir la liste. Les citoyens Thomas, Bouchet, Comte et le notaire Exertier reçurent mission pour procéder, avec le concours de la municipalité de Plancherine, à linventaire complet des biens meubles et immeubles de labbaye. Travail long et minutieux, qui dura des mois, et dont le compte-rendu fut détruit, en 1797, dans lincendie du château de Chambéry.
Vers la mi-avril 1793, le général Kellermann, qui commandait en Savoie, eut avis dun retour offensif des troupes sardes. Il donna ordre à un détachement de son armée de passer le col de Tamié, point stratégique important, et doccuper labbaye. Dom Gabet pensa que lheure de la fuite était venue, et usa pour cela dun stratagème. François Favre, le fermier de Malapalud, y contribua pour sa part. Voici le naïf récit quil nous a laissé de laventure :
[87] «... La divine providence, qui ne manque jamais de secourir ses fidèles serviteurs, permit que les troupes eussent les yeux fermés sur une porte qui tendait du monastère à lenclos du jardin, laquelle servit à mettre en liberté tous les religieux. Favre, après avoir trouvé cette porte en leur faveur se hâta den faire part au R.P. abbé en lui disant : il faut tout de suite vous dépêcher de mettre table ouverte pour tous ces soldats, et surtout ne point épargner le vin ; alors vous verrez que ce soir il vous sera facile de faire évacuer toute votre communauté. En même temps ledit Favre conseilla au R.P. abbé de prévenir secrètement tous ses religieux de se trouver le même soir à lheure de minuit sur les murs du jardin, et que lui-même viendrait les recevoir avec une échelle, et quil préparerait pour la même heure des montures suffisantes pour tous les religieux. Enfin cela réussit très bien : toute la troupe prit du vin par excès, et tous furent assoupis par le sommeil. Cest ce qui fit le bonheur de tous ces religieux qui senfuirent par cette porte prédestinée... ».
Les souvenirs de Favre.
Voilà donc les moines partis à laventure sur les routes. Laissons-les pour un temps, et intéressons-nous à ce quil advint du monastère. Nous le savons en partie par les souvenirs de ce même François Favre qui favorisa le départ de la communauté.
En 1783 Dom Gabet avait demandé au curé du Grand-Bornand « une famille de probité pour travailler dans une ferme du monastère, Malapallud ». On lui avait indiqué François Favre. Il resta à Malapallud jusquà sa mort, nonagénaire, en 1842 ; son fils Jean-François consigna par écrit, à cette date, ses propres souvenirs et ceux de son père.
Favre a le style fleuri. Peut-être a-t-il, avec lâge, un peu embelli ses souvenirs : on ne doit pas douter quil ait, dans tous les cas rendu les plus grands services à labbaye, favorisant la fuite des moines, sauvant, en leur absence, tout ce quil était possible de sauver. Nous lavons vu guidant le vieux comte Lazari : il sauva, de même, bien des prêtres traqués, et en premier lieu le curé de Plancherine, Urbain Ract.
Quelques vieux frères et un infirme, Dom Pichon, étaient restés dans les bâtiments du monastère. On leur permit, pour un temps, dy demeurer. Quant à un autre moine, Dom Gérard Truchet, la Révolution le surprit alors quil était aumônier des religieuses du Betton. Arrêté alors quil sapprêtait à senfuir, il fut envoyé comme tant de prêtres aux pontons de la Rochelle, doù il fut libéré en 1795.
Un commissaire de la République fut envoyé au monastère pour en assurer la garde et la gestion des biens. Cétait lorfèvre Debrit, [89] vénérable de la Loge des Sept Amis de Chambéry, un des chefs du parti révolutionnaire. On lui adjoignit le citoyen Emin, puis, le 24 juin, à la suite dune dénonciation, le citoyen Desgeorges.
Le 30 janvier 1794, le conventionnel Albite, envoyé en mission dans les départements de lAin et du Mont-Blanc, et qui se signala par ses excès contre la religion, décréta la démolition des croix, des autels et des clochers.
À Tamié « les persécuteurs de la religion firent abattre les deux clochers dudit monastère, lesquels et surtout celui de la grande église était le plus beau monument quon pût voir en Savoie... Une dévastation complète fut exécutée dans ce monastère. François Favre a déclaré avoir vu de ses propres yeux entrer ces furieux tyrans de la Révolution dans le temple sacré du monastère... lesquels se sont permis avec audace de profaner tout ce qui y existait encore... Non contents davoir commis toutes ces profanations, ils continuèrent leur atrocité dans cette maison en ramassant une grande quantité de livres de piété, quils transportèrent à deux pas du monastère au pied dun cerisier, et tout devint la proie des flammes ».
Pour ce qui est du clocher, on envoya chercher «les charpentiers Tilliez de Faverges qui avaient construit le couvert du clocher cinq ans auparavant. Cette construction composée de trois dômes lun sur lautre avait une élévation de soixante pieds au-dessus de la tour actuelle. On fit tomber ce beau monument tout dune pièce, et cela se fit par le moyen dun tour placé dans le bois au-dessus du couvent. Après la chute de ce grand ouvrage, qui fut tout brisé, les ouvriers Tilliez se trouvèrent dans la plus grande consternation, songeant de pouvoir conseiller à lun des commissaires de faire recouvrir la tour du clocher ». Emin, en dépit des protestations de Debrit, fit recouvrir le clocher, pensant que labbaye « pourrait servir à lutilité dune caserne ».
En fait, trois spéculateurs obtinrent ladjudication des usines et des forges, à charge pour eux détablir une manufacture darmes à Annecy et de fournir à celle de Chambéry les fers nécessaires. Se bornant à disposer de la gueuse et du fer existant, ils gagnèrent 200 000 livres en numéraire, et transportèrent finalement, comme on la vu, lusine à Cran.
Le 19 Nivôse de lan VIII (9 janvier 1800) ladministration centrale du Mont-Blanc siégeant au château de Chambéry mit en adjudication « un immeuble national provenant de la ci-devant abbaye de Tamié, ledit immeuble estimé par rapport dexpert à la somme de 11 200 francs, consiste en pièces de prés, champs, broussailles, pâturages, terres, avec maison, grange, écurie, cour, jardin, le couvent et léglise de ladite abbaye, le tout joint ensemble à la contenance de 2.716 ares et 28 centiares ».
Six voisins se concertèrent et achetèrent le lot 27 000 francs, en [90] indivis, dans le dessein de le rendre aux moines, sils revenaient. Cétaient lavocat Pierre-Antoine Rivet, de Tournon, François Garin et Charles-Louis Comte, de Faverges, Charles-Emmanuel Perret, de Verrens, Henri Vuillet, du Grand-Bornand, et... François Favre. Mais perdant bientôt tout espoir de revoir les moines, les acquéreurs cédèrent leur part à Me Rivet. Celui-ci vendit le mobilier ; la chaire du réfectoire fut acquise par léglise dUgine et la chaire de léglise par celle de Conflans ; la paroisse du Grand-Bornand acheta le maître autel et le comte de Villette celui de la sainte Vierge pour léglise de Gyez ; la cathédrale de Chambéry reçut les stalles du choeur et les boiseries de la sacristie.
Un peu plus tard, le curé de Plancherine, Urbain Ract, considérant que Tamié menaçait ruine, résolut de faire transporter les ossements des religieux dans le tombeau de léglise de Plancherine. Ce transfert sopéra, en grande cérémonie, le 14 novembre 1810.
Les moines loin de Tamié
Nous avons laissé les moines dans la nuit davril, après leur départ précipité. Les cols vers lItalie étaient inaccessibles, les armées sy affrontant mais la frontière suisse était moins surveillée. Ce fut donc par le Valais, le Grand-Saint-Bernard et Aoste que la communauté de Tamié gagna Turin, un itinéraire denviron 275 km.
Les moines furent accueillis par les Pères camaldules et y restèrent deux ans. Voici comment Dom Gabet présentait la situation, dans une lettre adressée à un ancien fermier de labbaye à Tournon, Blanchin, qui était, pour lheure, caporal aux chasseurs de Maurienne :
« Depuis que je tai quitté, nous sommes venus à Turin et nous avons été placés dans un couvent où nous payons notre pension. Juge, mon cher, si largent que nous avons pu sauver de la gueule du loup ne doit pas être bientôt tout loin ! lété passé, excepté moi, tous nos religieux ont été bien malades et notre pauvre F. François est mort. Tous te remercient bien de ton bon souvenir. Jai reçu vers les fêtes de Noël une lettre de Tamié. Le gros Favre est mort et on me marque que tous les autres fermiers se portent bien, ce qui doit te tranquilliser sur tes parents. On me marque aussi quon a vendu tous les effets de Tamié, même les bois de lit : nous serons à notre aise lorsque nous y retournerons, comme je lespère, sil plaît au Seigneur, qui ne permettra pas que les impies triomphent toujours. Je trouve le temps déjà bien long ; mais il faut vouloir ce que Dieu veut ; nous méritons bien cela et de plus encore par nos péchés. Je sais que vos fatigues sont bien grandes ; mais si tu fais attention que cest pour Dieu et le meilleur des rois que tu travailles, cela doit te donner un courage toujours [91] nouveau. Je te réponds que si je nétais pas religieux, jaurais bientôt un fusil et que je regarderais comme un grand bonheur de donner ma vie pour une si belle et si noble cause...
Adieu, mon cher, et crois-moi pour toujours ton ami.
D. Gabet, abbé de Tamié ».
Voyant diminuer les chances de retour à Tamié, la communauté quitta les camaldules et sinstalla sur les terres de labbaye de Grassano près dAsti. « Après avoir défriché beaucoup de terrain, ils commençaient à jouir de leurs travaux lorsquune grêle affreuse vint ravager la commune où ils habitaient, et détruisit jusquaux espérances dune récolte future. Le petit troupeau, privé de toute ressource par ce malheur, fut forcé de se disperser ».
Aux malheurs de la grêle devaient aussi se joindre les événements politiques : Bonaparte était maître du Piémont depuis avril 1796. A la mort du roi Victor-Amédée III, son fils Charles-Emmanuel IV, à peine assis sur le trône, se vit forcer dabdiquer et de retourner en Sardaigne.
En octobre 1798, Dom Gabet demanda de laide à larchevêque de Turin ; il était réfugié au diocèse de Casal, à N.D. des-Monts, avec « les débris de sa communauté ». Le dernier profès de Tamié, âgé de 26 ans, était venu le rejoindre « après une permission de deux ans chez ses parents ». Dom Gabet aurait voulu lui permettre de faire des études, mais ce nétait guère possible à N.D. des-Monts «vu le travail continuel des mains auquel la nécessité nous force ». Quelque temps plus tard, il semblerait que Dom Gabet se fût retiré à st Jean de Maurienne, y faisant un peu de ministère dans une semi-clandestinité ; en 1801, il promit soumission à la constitution de lan VIII
Cette promesse attira peut-être lattention des autorités sur Dom Gabet, à lheure où le premier consul cherchait à rétablir lhospice du Mont-Cenis.
10
DU MONT-CENIS À LA NOVALÈSE
Au Mont-Cenis
Les guerres dItalie avaient persuadé le Premier Consul de limportance stratégique du passage parle Mont-Cenis. Aussi fit-il établir une route et pensa-t-il rétablir lhospice, fondé au IXème siècle et abandonné en 1794 par les deux derniers religieux. Le 2 ventôse de lan IX un arrêté consulaire marquait « quil sera établi sur le Simplon et sur le Mont-Cenis un hospice pareil à celui qui existe sur le Grand Saint-Bernard. Cet hospice sera desservi par des religieux du même ordre que ceux du Grand-Saint-Bernard ; il ne pourra jamais y avoir moins de quinze personnes dans chaque hospice et les religieux seront soumis à la même discipline et tenus dobserver les mêmes devoirs envers les voyageurs que ceux du Grand-Saint-Bernard ».
En dépit des avances du Premier Consul, le prévôt du Grand Saint-Bernard déclina loffre. Le préfet du Mont-Blanc, M. Sauzey, eut alors lidée de confier la direction de lhospice à Dom Gabet, « homme exercé par état à la bienfaisance et à lhospitalité, et recommandable par les vertus qui, en honorant lhumanité, rendent la religion plus respectable ».
Dom Gabet prit possession de lhospice le 12 octobre 1801. En attendant quil devînt habitable, Dom Gabet y demeura seul quelque temps, allant dormir, le soir, aux Tavernettes. Les ressources étaient fournies par les couvents piémontais spoliés, entre autres labbaye de la Selva, près de Verceil, et celle toute proche de La Novalèse, qui servit bientôt de « camp de base » dans la plaine. Le ministre des cultes, [94] Portalis, à la demande de Dom Gabet, obtint du cardinal Caprara, légat du Saint-Siège à Paris, un bref dinstitution canonique : le Mont-Cenis hérita des prérogatives de la Selva, et Dom Gabet y récupéra son titre dabbé.
Sitôt sa nomination connue, quelques anciens moines de Tamié répondirent à lappel de leur ancien abbé. Ce furent Dom Truchet, laumônier du Betton, libéré en 1795 des pontons de la Rochelle ; en 1801, il avait 60 ans ; Dom Dubois, novice en 1785 ; Dom Chappuis, frère Antoine et frère Maur, qui avait 80 ans ; Dom Dupuis, ancien moine dHautecombe, se joignit aux moines de Tamié.
Les conditions dexistence au Mont-Cenis ne permettaient pas de reprendre intégralement la vie cistercienne. Mais Dom Gabet souhaitait un minimum de régularité. Le conseiller dÉtat Portalis en transmit la demande à Bonaparte :
« Citoyen Premier Consul.
Le prêtre Gabet abbé et directeur du monastère du Mont-Cenis demande de donner à ce monastère toute la consistance dont un pareil établissement est susceptible.
La religion seule peut produire les vertus nécessaires à ceux qui se consacrent à un service pour lequel il faut des encouragements dun autre ordre que ceux qui peuvent venir de la main des hommes. Des laïcs, des séculiers, ne pourraient, par des vues purement temporelles, se vouer à des fonctions qui nappellent sur la terre que des tribulations et des dangers, et qui ne peuvent être soutenues que par lespérance dune récompense impérissable dans le ciel. Daprès ces considérations le prêtre Gabet expose quil ny a que les religieux qui puissent remplir les vues que lon sest proposé en fondant le monastère du Mont-Cenis, vues qui se rapportent autant au bien de la patrie quà celui de lhumanité.
Il désirerait dêtre autorisé à faire observer la Règle de saint Benoît aux personnes qui suniront à lui pour aller au même but... ».
Bonaparte qui naimait guère les moines et qui proclamait « le siècle des institutions monastiques est passé... », accepta. Lhabileté de Dom Gabet à présenter la chose ny était pas pour rien... Le nouvel abbé du Mont-Cenis semploya alors à rédiger un règlement pour la petite communauté.
Déliés de lobligation du silence, les religieux se levaient, davril à septembre, à 4 heures. « Pour ne pas être dérangés par quelque accident », lun deux avait dit les matines la veille ; les autres se rendaient à la chapelle. Pendant la mauvaise saison, ils se réunissaient pour les matines entre 5 heures et 5 heures et demie, «dans un endroit décent où il y avait un poële ou une cheminée », et non à la chapelle. Trente minutes de méditation suivaient les premières prières. Toute lannée, on ne disait régulièrement les heures que si le travail le [96] permettait ; loffice était alors célébré « comme dhabitude », avec le bréviaire de Cîteaux.
Les religieux se relayaient dans les secours donnés aux voyageurs ; une lampe demeurait éclairée toute la nuit ; à tour de rôle, lun deux se couchait tout habillé «pour être prêt à aller au secours, au premier signal ». Le jour, un moine, et quelquefois plus, suivant les circonstances, et un domestique de service recevaient les passants qui se présentaient. En hiver et par mauvais temps les religieux partaient à la rencontre des civils ou des soldats dont la venue leur avait été annoncée. Ils ouvraient le chemin, installaient les hommes affaiblis sur des traîneaux et les conduisaient à lhospice.
Une quinzaine de domestiques, cuisiniers, bergers, muletiers, lingères complétaient la communauté. Plus jeunes, ils se montraient bien nécessaires aux religieux qui étaient, selon lexpression de Dom Gabet lui-même, «les uns engourdis par la vieillesse et les autres par le froid ».
Dillustres visiteurs.
Des voyageurs de marque vinrent frapper à la porte de lhospice. En 1804, le pape Pie VII sarrêta, à laller et au retour du Sacre. En reconnaissance, le Souverain Pontife envoya un calice à Dom Gabet, accompagné dune lettre flatteuse.
Quelque temps après, Murat, gagnant son royaume de Naples, sarrêta à son tour. Sa voiture étant accidentée, les hospitaliers lui prêtèrent celle de la maison, que, plus tard, le roi leur renvoya remise à neuf.
Napoléon lui-même traversa le col au printemps 1805 ; il faisait route pour Milan dans le but de poser sur sa tête, déjà couronnée, la couronne de fer des rois lombards. «Le Moniteur », journal officiel de lEmpire, du 26 avril, annonça que lempereur «sétait arrêté à lhospice pour donner un nouveau témoignage de son affection à ces hommes qui passent leur vie au milieu des neiges, pour attendre loccasion de secourir les voyageurs trop longtemps obligés de lutter contre les frimas ».
La légende assure que Dom Gabet aurait en la circonstance sauvé la vie de lempereur, arrivé à demi mort de froid à lhospice ; et quen reconnaissance, Napoléon aurait proposé à labbé de lui rendre Tamié. Dom Gabet, malheureusement pour la légende, était absent le jour du passage de lempereur.
Au moins Dom Gabet rencontra-t-il Napoléon lors dun autre passage, effectué en 1807, dans des circonstances plus difficiles. Daprès le récit de lun des porteurs, «on avait entouré les jambes (de lempereur) de bottes de paille et on lavait enveloppé tout entier dans [97] de chaudes couvertures. Ainsi abrité, on lavait transporté à lhospice, malgré le vent, la neige, et quelques chutes le long du trajet, pendant lequel Napoléon montra moins de courage que sur les champs de bataille. On le déposa devant Dom Gabet qui fut fort émerveillé, ainsi que ses religieux, de voir lempereur et roi sortir sain et sauf, quoiquun peu secoué et effrayé, de ce paquet mystérieux... ».
Le deuxième passage du Pape fut, lui, plus dramatique que le premier. Au printemps 1812 Napoléon ordonna de transférer à Fontainebleau le Souverain Pontife déjà en captivité à Savone. Conduit secrètement, sous bonne garde, Pie VII arriva au Mont-Cenis, le 12 juin 1812, entre deux et trois heures du matin. Dom Gabet était à Suse, cest Dom Dubois qui le reçut et linstalla dans la chambre de lempereur. Prévenu par la femme dun aubergiste qui avait reconnu le Pape, Dom Gabet monta au col aussi vite que possible.
Le Souverain Pontife se trouvait extrêmement souffrant, exténué par le voyage. Le docteur Claraz, de Termignon, appelé en toute hâte, demanda à ce que lon diffère le départ de lillustre prisonnier, ce quaccepta, à contre-coeur, le capitaine Lagorce, responsable du transfert. Le docteur Claraz eut encore à soigner le cardinal Pacca, qui sétait fracturé un bras en descendant de sa voiture. Le 15, le Saint-Père reçut lextrême-onction ; plutôt que Dom Gabet, comme on la souvent prétendu, cest sans doute laumônier du Pontife qui lui donna le sacrement. Le cortège repartit enfin pour Fontainebleau, augmenté du docteur Claraz qui accompagna jusquau bout son malade.
Les voyageurs de qualité reçus à lhospice ne tarissaient généralement pas déloges sur ce « temple de lhospitalité et de la bienfaisance ». Encore que le sous-préfet de Suse écrivît en 1813 :
« Les religieux sont dans lusage de ne recevoir avec honnêteté que leurs connaissances particulières, les personnes pour lesquelles ils sont forcés davoir des égards, ou celles dont ils espèrent des services ». Rancune de fonctionnaire ? Linstitution prenait du développement : en 1808, le Mont-Cenis était érigé en commune, Dom Truchet en devenait le maire, avec Dom Dubois pour adjoint. Celui-ci, adjoint au maire au civil et économe de lhospice, chargé en outre dobservations météorologiques, devint un personnage dimportance. Doù une querelle avec le sous-préfet.
En 1811 on confia encore à Dom Gabet lhospice du Mont-Genèvre. Dom Marietti en devint prieur. Puis, à la mort de Dom Gabet, le 21 novembre 1813, Marietti lui succéda à la tête du Mont-Cenis. A cette date-là, et de plus en plus, la communauté préférait au Mont-Cenis le séjour de labbaye de Novalèse, antique abbaye bénédictine mais qui avait appartenu, après le XVIIème siècle, à une branche réformée des cisterciens : les feuillants. En 1816 Dom Marietti prenait le titre dabbé de Novalèse et du Mont-Cenis. Enfin, en 1820, son [98] successeur, Dom Etienne Chappuis demanda lagrégation du monastère de Novalèse, et de sa dépendance du Mont-Cenis, à la congrégation bénédictine du Mont-Cassin, qui se constituait. Ce fut accordé par bulle du Pape Pie VII, datée du 11 septembre 1821. Les derniers liens avec lancien Tamié disparaissaient ainsi.
Les aventures de Dom Mouthon.
On ne peut terminer le récit des années de la Révolution sans évoquer la figure et les rocambolesques aventures de Dom Mouthon. Félix Marie Emmanuel Mouthon, en religion Dom Bernard, était fils de François Joseph Mouthon, docteur en droit et intendant de Suse. Il était né à Turin. Selon son propre récit, il se rendit, «désirant avoir Dieu pour héritage », à lEremo des camaldules, en mars 1782 ; la lecture dune relation sur la Trappe le conduisit à Tamié, le 29 novembre de la même année. Il avait 19 ans. Le voilà secrétaire de son abbé au moment où éclatèrent les troubles révolutionnaires. Il a raconté lui-même la suite de son aventure : «jai eu le malheur et la lâcheté de prêter le premier serment le 24 février 1793. Javais émigré le 15 septembre 1792, lors de linvasion de la Savoie. Forcé dy rentrer par des [99] circonstances extraordinaires et imprévues, le 4 novembre suivant, je fus arrêté à Chambéry, comme prêtre et émigré ; mon procès fut fait tout de suite, et je néchappai que par une sorte de miracle à la peine de mort ».
Le miracle, en loccurrence, fut une intervention de son frère, maire de Carouges. Libéré, Dom Mouthon prêta donc serment, et fut installé comme curé constitutionnel de Carouges, participant, à ce titre, aux festivités civiques et patriotiques.
« Le 10 août 1794, Mouthon célébra la messe sur lautel de la Patrie, profanement orné, lascivement et tumultueusement environné. Les cavaliers rôdaient autour pour offrir des rafraîchissements aux personnes du sexe avec la même liberté et la même galanterie que dans une salle de spectacle. Mouthon, le maire, le procureur syndic, le ministre Monachon et un officier de la légion haranguèrent successivement. La citoyenne M..., traînée sur un char de triomphe et accoudée sur le sans-culotte A... représentait la liberté. Elle foulait aux pieds un sceptre et une couronne de papier. Le sans-culotte avait à la main un livre blanc sur la première page duquel on lisait « les droits de lhomme ». La cérémonie fut suivie dun repas républicain où dix jambons, quatre veaux, huit cents pains de munition et huit moutons furent absorbés. La fête fut conclue par des danses congrues exécutées dans un bois voisin ».
Le frère de Dom Mouthon, commandant de la garde nationale, fut cependant guillotiné à Paris, laissant une veuve et quatre enfants en bas âge. Dom Mouthon, ne voulant pas les abandonner, donna sa démission de fonctionnaire ecclésiastique et entra dans larmée.
Écoutons-le continuer son récit : « Vingt ans se sont écoulés dans loubli de mes premiers devoirs, livré au tumulte des camps et des plus orageuses passions. La dernière étincelle de ma foi se conserva sous les décombres de lédifice. Aussi, dans les stations militaires, aux royaumes étrangers, sil existait une vieille abbaye, un sanctuaire fameux, un couvent de saints religieux, cest là que je désignais mon logement, et lasile fut toujours respecté. Un monastère, entre autres, de pauvres clarisses, en Allemagne, me dut peut-être la conservation du trésor le plus précieux des épouses du ciel...
Du moins jai conservé de la pitié pour le malheur. Des émigrés, des prêtres proscrits furent consolés ; aux uns jouvris ma bourse, aux autres, leur patrie. Mon cher frère, me dit un jour un prêtre vénérable, vous rentrerez un jour dans nos rangs...
Le 5 décembre 1804, jeus le bonheur dêtre admis aux pieds du Saint Père Pie VII ; jétais aide de camp... Je neus pas le courage de faire au vicaire de J.-C. un humiliant aveu ; mais je sollicitai sa bénédiction, quil daigna maccorder. Je fus vivement pénétré des paroles quil madressa, et je crus que lEsprit de Dieu lui avait dit quelque chose de mon terrible secret... Jeus lhonneur dêtre de son [100] escorte quand il se rendit à la métropole, où il allait oindre et couronner un ingrat ».
À la fin de lEmpire, notre ancien moine était colonel. En 1818 il fit amende honorable lors dune retraite ecclésiastique, au séminaire de la Roche. Au cours dun pèlerinage en Suisse, il fut enfin réconcilié par le nonce apostolique, Mgr de Testa-Ferrata.
« Mes premiers engagements me rappelaient auprès de mes anciens confrères établis au monastère de la Novalèse, près de Suse. Je me préparai à ma rentrée dans lOrdre par une visite aux ruines de Tamié... Je fouillai dans les décombres, jy trouvai encore quelques livres déglise, des fragments dimages ; mais lobjet le plus précieux que jobtins de mes recherches fut le bâton pastoral de saint Pierre, premier abbé de Tamié, monument vénérable de la simplicité évangélique. Chargé de ces riches dépouilles, jarrivai à la Novalèse en janvier 1819 ».
Le souvenir du colonel Mouthon, qui avait occupé Suse en 1800, subsistait encore dans la région ; notre moine préféra séloigner au bout de quelques mois, et entrer chez les capucins. Nourrissant son repentir de ces vers de labbé Delille :
« Tous ont persévéré, je fus seul infidèle,
Tous sont restés debout, et moi seul suis tombé ! »,
le F. Félix Mouthon, ci-devant Dom Bernard, entreprit de relater amplement ses malheurs en plusieurs pièces de vers, plus ou moins heureuses.
Un nouveau voyage à Tamié, en 1822, lui inspira lélégie intitulée « Un jour et une nuit dans les ruines de Tamié ». Deux strophes de cet interminable poème peuvent suffire à sen faire une idée :
« Sion, tes portes sont détruites, Le temple tombe, et ses lévites, Loin de toi fuient éplorés. Aux débris de ton opulence Tes harpes dorment en silence Pleurez, anges de paix, pleurez ! »
et encore :
« Il est nuit... Sur le monastère Comme une écharpe mortuaire Déjà son crêpe est déplié Plein de terreur, dans ce présage, Je ne vis plus quun sarcophage Portant ces mots : Ci-gît Tamié ».
En 1827, lors de la restauration dHautecombe, F. Félix reprit lhabit cistercien, employant ses loisirs à composer « Le triomphe de la miséricorde éternelle, ou les sentiments de pénitence de F.M. E. Mouthon... ».
[101] Pour citer E. Burnier, « cet ouvrage noffre rien de remarquable que les sentiments de foi dont lauteur était animé et la sincérité de son repentir ».
La vie sédentaire et peu occupée des religieux dHautecombe ne pouvait convenir longtemps à lex-colonel. Il revint chez les capucins de Suse, fut nommé maître des novices ; il y mourut en 1835 au terme de tant daventures.
« Fais-moi, dans ma détresse, entrevoir ma patrie ;Après lorage enfin conduis-moi dans le port ».
11
TAMIÉ SANS LES MOINES
Les ruines de Tamié.
Les « anges de paix » de Dom Mouthon avaient, de fait, sujet de se lamenter. Depuis la vente comme bien national du monastère, les bâtiments étaient à labandon. Vers 1815 un séminariste de Faverges, M. Maniglier, fit, pendant ses vacances, une excursion à labbaye. Elle était entièrement abandonnée et ouverte à quiconque voulait y pénétrer ; le toit tombait en ruines, les planchers pourrissaient. Muni dune lumière M. Maniglier entra dans les caveaux de léglise et vit un tas énorme de papiers...
Cétaient des sermons, «écrits dans un français correct et contenant une doctrine exacte tant pour le dogme que pour la morale ». Un de ces sermons portait ces mots en titre : Sermon pour quelque Saint que ce soit...
Et M. Maniglier denchaîner avec les souvenirs de son grand-père : « Aux grandes fêtes, de cinq à six lieues à la ronde nous partions de grand matin pour arriver à temps au monastère. Comme je connaissais le plain-chant et que javais de la voix, on me permettait de mêler mes accents à ceux des moines. Le sentiment que jen éprouvais reste gravé dans mon coeur ».
En 1824 lavocat Rivet céda Tamié à une compagnie de spéculateurs français, qui lotirent les terres mais ne trouvèrent pas dacquéreur pour le monastère lui-même, trop vaste et trop endommagé. Ils décidèrent alors de le démolir pour tirer argent des matériaux ; à la même époque, labbatiale de Cluny servait de carrière de pierre. Pour [104] éviter cette destruction, le fidèle Favre alerta aussitôt M. Palluel, de Cléry, qui sassocia à MM. Geny, Delatte et Gibelly, de lHôpital-sous-Conflans. Ceux-ci rachetèrent le monastère 16.320 livres à la « bande noire », le 27 juin 1825. Ils proposèrent alors Tamié au roi Charles-Félix qui venait de racheter Hautecombe et y restaurait la vie religieuse.
« Cette acquisition de la part du souverain peut seule prévenir la démolition de cette antique abbaye en rétablissant sur le col agreste où elle est située une douce retraite à des hommes voués à la contemplation religieuse et une maison de secours aux voyageurs et aux peuples des agricoles les plus voisins (sic).
... La province de la Haute-Savoie se rappelle avec amour et reconnaissance le temps où cette abbaye jouissait de sa gloire. Dans les cas de disette, dans les temps de maladie contagieuses ou épidémiques, la partie pauvre de la population de la campagne allait y chercher et était sûre dy trouver tous les genres de secours ; une pharmacie y était entretenue pour les pauvres et desservie par un religieux instruit.
Lagriculture sur ce point élevé ne pouvait prospérer quentre les mains dune communauté dont les moines se livraient par esprit de leur institution à quelques travaux de la campagne et dont la surveillance, lordre, léconomie, sétendaient sur toutes les parties dune administration rurale et surtout sur laménagement des forêts ; leurs soins embrassaient encore léducation des bestiaux, et les agriculteurs en tiraient avec facilité des extraits de belle race... ». Enquête fut ouverte et le vice-intendant de Haute-Savoie envoya au ministre de lIntérieur un état des lieux confirmant amplement ce quavait constaté M. Maniglier.
« Des gouttières ont gâté les planchers et occasionné la chute de deux ou trois plafonds ; les différentes troupes de passage ont brûlé tous les bois des fenêtres et des portes... ». Cependant le gros des bâtiments était encore en « assez bon état ».
Le secrétaire particulier du roi Charles-Félix, le chevalier de Coloban, et Mgr Bigex, larchevêque de Chambéry, demandèrent à Dom Mouthon denquêter discrètement :
« En 1826, je fis encore un voyage à Tamié ; Je devais rendre compte à un vénérable prélat de létat des bâtiments et lui faire savoir quel en serait le prix. Je reçus lhospitalité dans une ferme voisine et jadis dépendante de labbaye ; le fermier (Favre) en est devenu propriétaire, il y a fait bâtir et consacrer une chapelle, sous linvocation de saint Pierre, premier abbé de Tamié. Trois vieillards, anciens serviteurs du monastère, ayant appris quun religieux de Tamié était apparu sur la montagne, accoururent à la ferme... Nous sommes les enfants de Tamié, dirent-ils... Ne reverrons-nous donc plus ces cérémonies touchantes et solennelles ? Nentendrons-nous donc plus le [105] chant des prières et du majestueux Salve Regina, où toute la grande famille implorait chaque soir lauguste Mère de Dieu ? ».
Il y avait peu de chances, cependant, pour que lon vit à Tamié le retour des cisterciens. Mgr Bigex songeait aux chartreux, et consulta à cet effet le prieur de la Grande-Chartreuse, qui répondit favorablement. A la mort de Mgr Bigex, en 1827, son secrétaire, le chanoine Vibert, écrivait au chevalier de Coloban « que lordre des chartreux est celui qui convient le mieux à Tamié, et quil serait difficile de donner (au monastère) une meilleure destination ». De son côté, Dom Benoît Nizziati, prieur de la Grande-Chartreuse, écrivait au roi Charles-Félix que « le rétablissement dune chartreuse en Savoie ouvrirait un asile aux anciens religieux de ce duché qui eurent la douleur de se voir expulsés des monastères quils possédaient autrefois ».
Des difficultés financières vinrent contrecarrer le projet. Vibert écrivait au chevalier de Coloban :
« Je sais maintenant dune manière certaine que les chartreux ne peuvent entrer dans un couvent que sil est déjà suffisamment doté. Car leurs ressources actuelles sont très bornées, et, bien loin de pouvoir fonder des couvents, ils auraient besoin quon les aidât à soutenir ceux quils ont ».
Mais les idées ne manquaient pas pour occuper le monastère :
« ...On pourrait bien tirer du couvent de Tamié un autre parti, extrêmement avantageux. Comme il est situé au centre des quatre diocèses de la Savoie, il serait très convenable à létablissement dun corps de missionnaires pour toute la Savoie, lequel serait sous la direction immédiate de larchevêque de Chambéry. Il y a déjà dans le diocèse quatre ou cinq missionnaires qui durant huit ou neuf mois de lannée font des missions dans les diocèses de Chambéry, de Tarentaise et de Maurienne... ».
Les missions itinérantes dans les paroisses semblaient alors le moyen le plus sûr pour ramener les populations à une religion bien ébranlée par les années de la Révolution. Doù lintérêt dà peu près tout lépiscopat du temps pour cette oeuvre.
« Dans létat actuel de la société, les missions sont dune utilité plus grande encore : elles sont, jose le dire, presque nécessaires. A la longue et funeste Révolution qui a dévasté notre pays, durant laquelle on na négligé aucun moyen de propager lincrédulité et de diminuer linfluence des ministres de la religion, il y a bien des plaies que lon ne peut guérir et des maux que lon ne peut réparer que par des moyens extraordinaires... ».
Le roi Charles-Félix se rendit aux raisons du Chanoine Vibert, et, le 27 août 1827, il racheta labbaye en sous-main, par lentremise de Mgr Rochaix, vicaire capitulaire administrant le diocèse de Chambéry depuis la mort de Mgr Bigex.
[106] Encore fallait-il trouver quels missionnaires installer à Tamié. Mgr Martinet, évêque de Tarentaise, proposa au chanoine Vibert des oblats de St Charles Borromée, qui pourraient se charger des missions ; ou des jésuites, encore menacés en France, et qui auraient pu trouver à Tamié et un asile et une maison de campagne pour les élèves de leur collège de Chambéry. Ou encore, pourquoi ne pas faire de Tamié un lieu de repos pour grands et petits séminaristes?
Mgr Martinet passa de Tarentaise sur le siège archiépiscopal de Chambéry pendant que Mgr Rochaix lui succédait en Tarentaise. Le 15 juillet 1830 larchevêque entrait en possession de labbaye, et dès septembre il écrivait au curé de Plancherine pour lui faire commencer les travaux de restauration.
Les missionnaires et les rosminiens.
Depuis 1822, quelques missionnaires, regroupés autour du P. Joseph-Marie Favre, travaillaient déjà à la rénovation religieuse du diocèse de Chambéry. Mgr Martinet confia à lun deux, le P. Jean-Baptiste Hybord, lorganisation dun corps de missionnaires à Tamié. Hybord arriva en octobre 1830, commença les travaux, puisant même, pour cela, dans ses ressources personnelles. En 1833 il avait dépensé près de 30.000 francs pour les réparations et employait sur le domaine 21 domestiques ; mais le corps des missionnaires restait à établir, la seule recrue étant le curé de Plancherine, M. Pasquier. Le problème se comprenait aisément : Mgr Martinet, larchevêque de Chambéry, tenait à garder la haute main sur la congrégation, alors quelle devait aussi servir aux trois autres diocèses dAnnecy, de Tarentaise et de Maurienne ; les évêques de ces diocèses hésitaient à libérer pour loeuvre des missions des prêtres sur lesquels ils auraient perdu le contrôle, alors que les effectifs du clergé étaient encore insuffisants, en raison de lhémorragie provoquée par la Révolution.
Pour finir, à lautomne 1833, le directeur des missions de Savoie, le P. Favre lui-même, arriva à Tamié, chargé de constituer un noviciat pour les missionnaires. Trois postulants vinrent de Tarentaise, et le noviciat commença en janvier 1834. Dès février Favre se montrait sceptique sur les résultats possibles :
« Jy suis venu avec répugnance, faisant même le sacrifice du bon sens qui me faisait regarder comme fou et téméraire le projet de commencer une congrégation avec daussi faibles éléments : avec un P. Hybord qui sest matérialisé à Tamié et sy est ruiné la santé ; avec un P. Retornaz qui a une voix si faible et dont les forces sont également épuisées ; avec un P. Molin, mon meilleur novice, mais qui a si peu de santé ; avec un P. Dephanix, dune santé si délicate, et [107] lequel tourne autour de sa conscience comme un écureuil dans sa cage, et enfin avec labbé Favre, le moindre de tous... Je suis vraiment armé à la Gédéon ».
Les détails matériels, de leur côté, allaient mal ; les réparations de la charpente et de léglise coûtaient cher, et la gestion du P. Hybord laissait à désirer.
« Jai été surpris, écrivait Favre à Mgr Martinet, de voir que les imprudences mercantiles du P. Hybord seraient dans le cas de déterminer Votre Grandeur à vendre les terres de Tamié et à fermer les portes du couvent... ».
Finalement les « novices » se découragèrent et... déposèrent leur supérieur, le 29 juillet 1834. « Cest labbé Retornaz, expliqua le P. Favre à Mgr Martinet, qui a monté la tête aux deux autres, les a portés à faire cette incartade et a anéanti loeuvre... ce qui me touche plus que mon intérêt particulier, ce sont les besoins du diocèse, des prêtres et des fidèles. Je regarde loeuvre comme anéantie par limprudence de mes confrères, sans doute à cause de mes péchés et de mes défauts... impossible de la relever. Vous avez visité Tamié, réparé la maison et léglise, fait des acquisitions pour lentretien des missionnaires ; et vous voilà sans ouvriers. Votre seule ressource, Monseigneur, serait dappeler ici une congrégation déjà établie ».
Suivant les conseils du P. Favre, Mgr Martinet pensa trouver les missionnaires quil lui fallait en faisant appel à « lInstitut de la Charité », que venait de fonder, dans le diocèse de Turin, le célèbre abbé Rosmini-Serbati.
En août 1834, alors que Favre venait de donner sa démission, un des premiers compagnons de Rosmini, le P. Loewenbruck, Alsacien rencontré à Milan, avait prêché la retraite du clergé à Chambéry. Le chanoine Chuit, de Chambéry, fut chargé par Mgr Martinet de prendre contact avec le nouvel institut. Loewenbruck, alors supérieur de Domo dOssola, au diocèse de Novare, se montra très favorable au projet savoyard. Cétait compter sans la finesse du cardinal Morozzo, larchevêque de Novare, qui, de peur de voir les rosminiens partir de son diocèse, préféra donner à Mgr Martinet des renseignements évasifs.
« Vous ne devrez pas être étonnés, écrivit Loewenbruck au chanoine Chuit, si le cardinal, quoiquil nous chérisse comme la prunelle de ses yeux, neût pas donné sur nous des informations très favorables mais au contraire un peu froides et languissantes. Intelligenti pauca. Vous ferez de ce barbouillage tel usage que vous croirez convenable ».
Finalement, sur les conseils de Loewenbruck, Mgr Martinet fit intervenir le Pape Grégoire XVI en personne pour recommander la nouvelle fondation, qui entrait en concurrence avec celles que le cardinal Morozzo souhaitait pour son diocèse, et une fondation en [108] Grande Bretagne ! Labbé Hybord, qui était resté à Tamié, partit en juillet 1835, et en août, les PP. Loewenbruck et Molinari prirent possession de Tamié, au nom de lInstitut de la Charité.
« Pour condescendre au zèle pastoral de Mgr larchevêque de Chambéry, ledit institut se charge de former dans ledit lieu de Tamié une maison dont les membres se dévoueront aux missions de son diocèse, sous sa direction. Sa Grandeur espère que le Révérendissime supérieur général dudit institut voudra bien porter à six le nombre des prêtres missionnaires de ladite maison, quand il le pourra convenablement ».
« Oh Monseigneur, écrivait Loewenbruck en avril 1835, combien je suis consolé, en pensant au bien incalculable dont cette oeuvre de Votre Grandeur va devenir la source féconde pour toute la Savoie, qui dici cinquante ans redira avec égal attendrissement, reconnaissance et gloire les beaux noms de François de Sales et dAntoine Martinet ! ».
Une année se passa à mettre au point le spirituel et le temporel. Un estimatif de travaux nous apprend que lon pensa « provisoirement faire du réfectoire une chapelle remplaçant léglise qui exigera une dépense considérable pour être rendue à sa primitive destination ; tandis que le réfectoire est orné de ses boiseries sculptées et bien conservées, dun trône dont les deux marches en bois bien sculptées forment déjà une espèce dautel ».
Entre-temps, on évangélisait. Du 26 janvier au 26 février 1836, le P. Loewenbruck « déjà connu par ses prédications dans plusieurs villes de la France, de lItalie et de lAllemagne », se fit entendre à St Pierre dAlbigny ; mission si fructueuse, grâce « à sa charité et son humilité profonde », que les douze confesseurs appelés en renfort devaient « prolonger leur veille bien avant dans la nuit ».
Le 7 septembre de la même année Mgr Martinet confirma, par lettres officielles, la communauté de prêtres de lInstitut de la Charité. Celle-ci sengageait de son côté à « maintenir en bon état les bâtiments et les immeubles qui lui sont cédés, donner des missions et exercer les fonctions du ministère sacerdotal dans (le) diocèse ». Cet accord fut mis à exécution, et les PP. Loewenbruck et Mecchia donnèrent des missions à Montmélian, Pont-de-Beauvoisin, et Cluses.
« Plus dune fois, la voix sonore de lillustre P. Loewenbruck a été couverte par celle des assistants qui fondaient en pleurs ».
Tout nallait pas si bien cependant. Le P. Rosmini, venu visiter la maison en août 1836, sétait inquiété de la modicité des ressources et de la rigueur du climat, priant larchevêque de trouver une résidence dhiver, en plaine, pour les missionnaires. Mgr Martinet, de son côté, voulait assez maladroitement imposer à la communauté de Tamié le P. Dommartin, un missionnaire diocésain qui avait fait un essai infructueux chez les rosminiens... En juillet 1838, Rosmini voulut [109] rappeler Loewenbruck « pour combiner ensemble le moyen dévacuer Tamié convenablement ». Larchevêque ne laissa pas partir Loewenbruck, qui se brouilla ainsi avec Rosmini. Finalement, dans une lettre plutôt sèche doctobre 1838, le P. Loewenbruck faisait savoir à Mgr Martinet sa décision de quitter Tamié.
« Puisque dans sa lettre du premier de ce mois Votre Grandeur me fait connaître, sans me convaincre, que je suis tout-à-fait indigne de sa confiance, je ne puis décemment rester à la tête des missions dans ce diocèse, aussi je prépare ma malle et la semaine prochaine je quitterai Tamié pour ne plus y remettre les pieds... Au reste, Monseigneur, ce qui me console, cest la ferme persuasion que Votre Grandeur na reçu depuis trois ans aucune plainte au sujet des missions et retraites données par moi en Savoie, et que je ne laisse pas Tamié dans le mauvais état où je lai trouvé en y arrivant ; et que si jy ai mangé du pain, cest à la sueur de mon front, cest-à-dire bien mérité ».
Larchevêque, voyant loeuvre des missions de Savoie une fois de plus compromise, se rendit aux raisons du P. Loewenbruck ; et les missionnaires de Tamié furent transférés à N.-D. de Myans, sans doute dès le début de 1839.
Les projets du Frère Taborin.
Dans un premier temps, les missionnaires de Savoie conservèrent leur propriété de Tamié comme maison de campagne, et Mgr Martinet refusa dy accueillir les oblats de Marie Immaculée, pour la raison quil avait assez dans son diocèse dune seule société de missionnaires. Par lintermédiaire du fidèle fermier J. F. Favre, ladministration diocésaine fit entretenir le domaine. En 1843, le recteur de Myans, le P. Calloud, écrivait à Favre son espoir de voir les missionnaires retourner à Tamié. Pourtant, à partir de 1844 les visites de « prétendants » commencèrent. Mgr Billiet, successeur de Mgr Marti-net décédé en mai 1839, multipliait les démarches pour installer une communauté à Tamié ; auprès de labbé cistercien de Melleray, de celui dHautecombe, de celui de N.D. du Gard ; auprès de la Grande-Chartreuse (une fois de plus), et même auprès de labbé des bénédictins de Gênes. Limportant investissement à faire, le manque de ressources du monastère, firent chaque fois renoncer au projet.
Mais dans le temps même où Mgr Billiet cherchait par bien des moyens à trouver des occupants pour Tamié, quelquun jetait ses regards du côté de la Savoie, cherchant à y faire une fondation. Cétait le révérend frère Gabriel Taborin, fondateur, dans le diocèse de Belley, des frères de la Sainte-Famille, congrégation dauxiliaires du clergé, sacristains et enseignants. Une forte proportion de Savoyards [110] figurait parmi les premières recrues du frère, qui désirait fortement sétablir dans lancien duché.
Gabriel Taborin connaissait Tamié pour avoir fait une retraite auprès du P. Favre, au temps des missionnaires diocésains. En décembre 1842, le F. Taborin écrivait à Mgr Billiet pour lui demander détablir un noviciat à Chambéry, ou, de préférence, à Tamié, « malgré son isolement et son climat froid ». Larchevêque se montra peu empressé daccéder à cette demande. « Ce qui détourne un peu ladministration du Séminaire de vendre Tamié, écrivait-il, cest que les missionnaires aiment beaucoup y passer quelques jours en été ».
Les choses, de fait, traînèrent en longueur pendant quatorze ans ! Mais le F. Taborin tenait à Tamié. La restauration religieuse du XIXème siècle est caractérisée par une floraison dinstituts nouveaux ; mais il est remarquable que presque tous leurs fondateurs ont été en quelque sorte fascinés et par les ordres anciens, auxquels ils pensaient succéder, et par les formes traditionnelles de la vie contemplative. Tous rêvaient plus ou moins dunir dans une formule définitive de vie religieuse action et contemplation, éternel dilemme. Gabriel Taborin, pour sa part, aurait voulu fonder ce quil appelait une « Trappe mitigée » « tant pour les prêtres et les religieux, disait-il, que pour les gens du monde. On y passerait le temps à prier, à méditer, à travailler, comme les chartreux ou les trappistes, mais sous une règle beaucoup plus douce. On y recevrait aussi des hommes de tous rangs qui viendraient y faire des retraites et se retremper dans le bien pendant quelques semaines... ». Tamié semblait à Taborin un lieu prédestiné pour cela, et rien ne leffraya : ni lisolement, ni les réparations, ni la longueur des tractations avec une administration diocésaine qui cherchait à vendre puis reculait au dernier moment, ni même, depuis larrivée au pouvoir de Cavour en 1852, lanticléricalisme du nouveau gouvernement sarde. Au terme de bien des tractations, F. Taborin acheta Tamié le 3 avril 1856, et sy installa pour lAscension, le 12 mai, avec une quinzaine de frères. Lévêque dAnnecy, Mgr Rendu, félicita le F. Taborin : « Croissez, multipliez-vous... devenez envahisseurs pour le ciel, en faisant le plus possible concurrence au diable qui a tant de succès à lépoque où nous vivons ! ».
Les frères ne faisaient pas concurrence quau diable, ils la faisaient aussi aux curés des environs, qui ne virent pas dun très bon oeil leurs paroissiens aller en foule aux splendides cérémonies organisées par les frères. Mgr Billiet, sans grande finesse, régla le problème en ordonnant la fermeture au public de la chapelle du couvent. Le F. Gabriel, dautre part, avait les pires difficultés à trouver des aumôniers selon son coeur pour son nouvel établissement. Là encore, sollicité, Mgr Billiet, qui ne disposait pas dun nombreux clergé, navait rien voulu entendre, dautant que le révérend frère aurait désiré quelquun susceptible de le seconder dans son projet de [111] « Trappe mitigée ». Né aux confins de lAin et du Jura, le F. Taborin connaissait la Trappe de la Grâce-Dieu, dans le Doubs, qui était alors une jeune communauté en plein essor. Circonstance supplémentaire, la Grâce-Dieu avait hérité, par lancien monastère de Bellevaux, des reliques de saint Pierre de Tarentaise... F. Gabriel demanda à labbé, Dom Benoît Michel, un ou deux religieux « soit pour exercer les fonctions daumônier dans votre ancien couvent de Tamié, soit pour imprimer parmi nos frères ce caractère éminemment religieux quon trouve dans votre saint monastère, soit pour mettre cet établissement sur le plan dune Trappe, mais mitigée autant que possible... ». Dom Benoît ne donna pas suite, bien sûr, à une requête si peu conforme à la vie monastique. F. Gabriel crut alors trouver les aumôniers quil cherchait avec larrivée, comme postulants chez les frères de la Sainte Famille, de deux anciens trappistes, lun de Chimay, en Belgique, lautre de la Grande-Trappe, les PP. Angélique et Marie-Benoît. Le français de P. Angélique laissait à désirer ; de plus, il buvait... Le scandale arriva, et P. Angélique partît fin 1859, entraînant le départ de son confrère. Mgr Billiet, alors, offrît un prêtre au [112] F. Gabriel : labbé Duret. Mais lopposition des curés voisins continuait, et larchevêque ne voulait pas revenir sur sa décision de maintenir les portes de la chapelle fermées aux gens du dehors.
En dépit des tracasseries du gouvernement sarde, une seule chose pouvait consoler le F. Taborin : la parfaite réussite du pensionnat qui sétait progressivement installé, en même temps que le noviciat pour les frères, dans le couvent.
« La maison, disait le prospectus, est on ne peut plus convenable pour une maison déducation ; elle a des cours, des cloîtres et un jardin pour les récréations, une source abondante deau pure... tout ce que lon peut désirer sous le rapport de lhygiène sy trouve réuni. Lair du pays est traditionnellement reconnu pour être des plus salutaires... La vue de cette belle maison est imposante, on ne se lasse pas de la contempler, on ne la quitte quà regret. Cest pour répondre aux demandes nombreuses des pères de famille qui désirent placer leurs enfants comme élèves et pensionnaires dans cette aimable et paisible solitude que les frères de la Sainte Famille ont élevé le pensionnat de Tamié ; ils y donnent avec dévouement et zèle linstruction primaire ».
Mais le F. Taborin pensait toujours à sa « Trappe mitigée ». Éconduit par la Grâce-Dieu, il sadressa au P. Barnouin, qui venait de rétablir, à Sénanque, une congrégation cistercienne dune observance moins stricte que la Grande-Trappe. Le climat découragea les provençaux. F. Gabriel sadressa alors aux jésuites de Lyon, songeant peut-être plutôt à lavenir de son collège. Nouveau refus. A ce moment, un frère de la Sainte-Famille demanda son entrée à la Grâce-Dieu. F. Gabriel reprit alors contact avec le monastère franc-comtois en juillet 1861.
« Aujourdhui, écrivit-il à Dom Benoît, quoique létablissement (de Tamié) marche à notre grande satisfaction, je vous dirai que nous souffrons parce que nous navons pas de prêtres parmi nous et que nous ne pouvons pas avoir ceux quil nous faudrait dans cet établissement pour la direction spirituelle des frères et des élèves.
Nous remarquons que les prêtres séculiers ne peuvent ni aller ni convenir pour cet établissement. Nous avons été, hélas ! dans la pénible nécessité de nous servir de prêtres qui étaient le rebut des diocèses ou des échappés de couvents qui nont pas fait le bien quon était en droit dattendre deux. Cette seule considération me détermina, pour un plus grand bien, à céder Tamié à une autre communauté. Ayant toujours eu une profonde vénération pour les trappistes et considérant que ce monastère illustre appartenait autrefois à leur ordre ; dun autre côté ayant appris que par suite de laccroissement de votre sainte communauté de la Grâce-Dieu, Votre Révérence à la pensée de fonder une seconde maison, jai cru devoir vous proposer dacheter cette propriété où vous trouveriez un monastère tout fait, tout réparé à neuf et tout meublé ».
[113] La Grâce-Dieu comptait alors 94 moines ; larrivée de 15 novices posa de façon urgente le problème dune fondation. Léconome de la Grâce-Dieu, le P. Marie-Joseph Sremler, et le P. Casimir vinrent visiter Tamié en août, et, le 12 octobre, la vente était conclue, pour 100 000 francs. Deux jours plus tard, douze moines de la Grâce-Dieu, conduits par le P. Malachie Regnault, débarquaient en gare de Chamousset, alors terminus pour la Tarentaise, et après six heures de marche, arrivaient à Tamié, à dix heures et demie du soir.
12
LES ANNÉES DE PATIENCE
Les premiers prieurs
Dom Malachie, que Dom Benoît Michel envoyait repeupler lantique monastère de saint Pierre de Tarentaise avait, en 1861, 56 ans ; il était profès de la Grâce-Dieu depuis 8 ans. Avec quatre moines déjà sur place, et les douze arrivants, la nouvelle communauté de Tamié comptait 17 membres.
« Nous vous envoyons à Tamié, en Savoie, pour y rétablir labbaye fondée autrefois par notre père saint Pierre de Tarentaise », disait la lettre dobédience remise par Dom Benoît ; « nous espérons quavec la grâce de Dieu, le secours de la sainte Vierge et lintercession de saint Pierre de Tarentaise, vous ferez refleurir dans cette solitude les vertus de nos saints pères, et que par votre fidélité à suivre leurs traces et votre régularité, vous ferez lédification des contrées que vous allez habiter et vous serez toujours la bonne odeur de J.-C. ». La restauration de la vie monastique commença, comme toujours, par des travaux : aménager de nouveau les dortoirs et les cellules, dégager léglise, dont une moitié servait de bûcher et de remise ; le 15 octobre 1862, anniversaire du retour, on pouvait procéder à la bénédiction solennelle dune église modestement décorée, mais reblanchie à neuf. Les travaux continuèrent à lhôtellerie, au cloître quil fallut à son tour reblanchir, tant les écoliers de F. Taborin y avaient laissé dinscriptions... que lon remplaça par des sentences plus édifiantes. En même temps, on arrondissait le domaine en rachetant les terrains avoisinants ; en 1869, la communauté était passée à [116] 38 membres, ce qui faisait pas mal de bras, mais aussi pas mal de bouches à nourrir.
Dom Malachie pensa installer une brasserie, mais labbaye-mère préféra importer sa propre industrie : un moulin de commerce qui, à la Grâce-Dieu, faisait des affaires dor.
« Le P. abbé de la Grâce-Dieu, P. Benoît, envoya le F. Justin qui déclara la rénovation des anciens et pauvres moulins impossible et sur-le-champ il dressa le plan du grand moulin qui coûta 82 000 francs et dont au bout de chaque année on pouvait à peine faire toucher les deux bouts... Heureux encore lorsquon navait pas de perte... Bêtise, grande bêtise de bâtir un moulin dans un pays qui ne possède pas de blé... le moulin faisait cependant ladmiration des visiteurs ! ».
Pour résorber les dettes, on décida de quêter. Deux ou trois moines, munis de lettres de recommandation, parcoururent en tous sens la Savoie, la France, et même lAutriche et lAngleterre.
Le «Moniteur de la Haute-Loire », du 19 novembre 1869, relatait en style épique le passage de P. Jérôme au Puy :
« Nest-ce pas un émouvant spectacle que celui offert à un immense auditoire par lapparition en chaire, au milieu de la pompe du rit romain, de cet humble froc de laine blanche surmonté dune figure ascétique, aux traits énergiquement accentués et portant lirrécusable empreinte dune vie de sacrifice, de dévouement quotidien à la cause sacrée de la religion et de lhumanité ?... Ce ne sera pas en vain, espérons-le, que les sandales du trappiste-voyageur auront foulé le sol de la cité de Notre-Dame ».
Un ancien cordonnier, P. Théodule, qui ne savait pas un mot danglais, fut envoyé jusquen Irlande, et se montrait prêt à aller jusquen Amérique...
« Figurez-vous, écrivait-il à son prieur, un anglais de mon âge, dans nos contrées, chargé de faire ce que je fais ici, et ne sachant que son anglais, eh bien, malgré sa bonne volonté, que pourra-t-il faire ?
... Partout où je me trouve, je my vois étranger. Au domicile je me relègue dans ma cellule ; à léglise, dans les cérémonies publiques ou de communauté, je my vois également étranger ; en rue et dans mes courses, toujours étranger. Mais cest surtout lorsquil sagit de faire des visites pour lobjet de ma mission que je me vois le plus étranger ; et malgré le bon accueil que lon a pu me faire, jai remarqué que lon était toujours plus content de me quitter que de me voir arriver... ».
Les quêtes continuèrent après lélection, en 1871, de Dom Malachie comme abbé de la Grâce-Dieu, et la désignation de Dom Théodore Pitoulet comme prieur de Tamié. Grand voyageur devant lEternel, le nouveau prieur titulaire délaissa un peu sa communauté, en dépit des remontrances de son sous-prieur, P. Éphrem ; en 1875, la [117] communauté était tombée à 29 moines, et les dettes se montraient plus criantes que jamais. Un moine de Tamié, le P. Fulgence Blériot, était lauteur de nombreuses lithographies, dont une image du Sacré-Coeur. Les frères quêteurs partaient diffuser cette image et le culte du Sacré-Coeur, tout en demandant en même temps secours pour le monastère, « ne fût-ce que la modeste somme dun franc, prix de cette pieuse image », disait la brochure qui laccompagnait. Dom Éphrem partît quêter à Paris ; son carnet de route porte dillustres signatures, et quelques appréciations, comme celle-ci, sur labbé Huvelin, ce prêtre à qui lon doit les conversions de Littré et de Charles de Foucauld : « M. labbé Huvelin, vicaire à Saint-Eugène, de la famille du P. Huvelin fondateur du Val-Ste-Marie... ses promesses me semblent sérieuses car cest un excellent prêtre parmi tant dautres ».
Dom Théodore démissionnait en 1875, et Dom Éphrem lui succédait. Puisque la fromagerie rapportait plus que le moulin, Dom Éphrem Seignol préféra tourner ses efforts de ce côté. De plus, botaniste lui-même et avec le concours de son frère, pharmacien à Lyon, il lança dans le commerce toute une série de « remèdes-miracles », « lemplâtre de Tamié », une « liqueur antirhumatismale », des « pilules laxatives et rafraîchissantes » et des gouttes « reconstituantes et anti-nerveuses ». Une brochure vantait les [118] guéri sons obtenues, faisant état des innombrables lettres de remerciement reçues, en provenance de tous les pays du monde... mais les vertus des simples ne suffisaient pas à soigner la pauvre communauté de Tamié.
Quelques novices arrivèrent, cependant, et la situation saméliorait doucement, quand le 29 mars 1879 les décrets antireligieux furent signés par le président Jules Grévy ; toute communauté religieuse non-autorisée avait trois mois pour faire vérifier et approuver ses statuts, approbation le plus souvent refusée. Lannée se passa dans linquiétude ; en 1880, des bruits dexpulsion vinrent mettre le monastère en alarme. Des amis de Tamié, avocats, journalistes, voisins, se rassemblèrent au matin du 6 novembre ; on barricada la vieille abbaye, le tocsin sonna qui semblait « les battements de coeur du couvent ». Une compagnie dinfanterie et une trentaine de gendarmes arrivèrent, défoncèrent la porte ; les moines et leurs amis sétaient enfermés dans toutes les pièces du couvent, il fallut les en arracher et les traîner dehors. F. Michel, un Alsacien, clamait : « cest sans doute parce que jai opté pour la France en 1870 que des Français me chassent de mon domicile comme les Prussiens mont chassé de mon foyer... mais vive la France quand même ! ».
Accueillis aux environs par des voisins, les moines attendirent des jours meilleurs pour rentrer dans leur maison, sur la pointe des pieds, en civil et sans carillon. Dès 1881, la vie cistercienne reprit à Tamié.
Les menaces sur Tamié
De fait, les moines furent bien près de ne jamais revenir. Jean de Durat, abbé de Sept-Fons et vicaire général de la congrégation de Sept-Fons écrivait en avril 1881 à Rome pour demander à la sacrée Congrégation des religieux lautorisation de supprimer Tamié sans avoir à réunir le chapitre général, considérant que le monastère avait toujours végété depuis son rétablissement, tant par manque de ressources que par absence de recrutement. Dailleurs, les moines se trouvaient dispersés en raison des décrets : excellente occasion pour supprimer le couvent et acheter, avec le produit de la vente, une maison de refuge pour les religieux en exil. Accordée le 17 avril 1881, cette demande ne fut jamais suivie deffet, suspendue sans doute par la mort de Dom Jean de Durat, survenue le 10 décembre de la même année 1881. Dom Sébastien Wyart, abbé de Ste-Marie-du-Mont, accepta alors la paternité de Tamié, jusquen 1887, date à laquelle il fut élu abbé de Sept-Fons.
La situation restait incertaine. Or, dans le même temps, Mgr de la Place, vicaire apostolique à Pékin, rêvait dune implantation monastique en Chine, et y travaillait activement depuis 1870. En [119] 1883, il avait obtenu les encouragements de Rome et surtout trouvé une généreuse donatrice, la comtesse Strolberg. Le nouveau vicaire général de lOrdre, Dom Jérôme Guénat, proposa la fondation à Dom Éphrem. « Pourquoi les moines de Tamié ne se transporteraient-ils pas en Chine ? » Le courage manqua. Seuls, Dom Éphrem, P. Fortunat, F. François et F. Joseph furent volontaires. Le départ fut fixé au printemps de 1883. Sur ces entrefaites, Dom Éphrem rencontra à Paris Dom Bosco, et lui demanda sa bénédiction pour loeuvre nouvelle.
« Quel nom donner à ma petite fondation de Chine ? », se demandait Don Éphrem ; «Notre Dame de la Consolation », répondit le saint. Et sur une petite image de la Vierge «la Consolata » de Turin, Don Bosco écrivit ces quelques mots : «que Dieu vous bénisse, vous, vos oeuvres, et que la sainte Vierge vous protège à jamais ».
Fin avril 1883, Mgr de la Place, qui avait tant rêvé de coules et de capuchons, accueillait à Pékin quatre moines. En 1886, labbaye de Tamié, qui narrivait pas à se suffire à elle-même, confia la paternité de N.-D.de-Consolation à labbaye de Sept-Fons. Dom Éphrem, du coup, fut démis de ses fonctions et céda la place à son second, P. Bernard. Avec beaucoup dhumilité, il accepta la décision, déclina loffre de retourner en France, et passa dans lombre les dernières années de sa vie, dans le monastère quil avait fondé, vénéré comme un saint par ses frères chinois. Il mourut le 12 août 1893.
À Tamié, Dom Polycarpe Jaricot succéda à Dom Éphrem. Cousin de Pauline-Marie Jaricot, linspiratrice de la «Propagation de la Foi », Jean-Claude Jaricot avait dabord été le disciple et le collaborateur du P. Chevrier au Prado ; les habitants du quartier de la Guillotière appelaient le P. Jaricot le «Petit Saint » à cause de sa taille, et le P. Chevrier le « Grand Saint » à cause de sa vertu. En 1880 Jean-Claude rentrait à Tamié, et y prenait le nom de F. Polycarpe en même temps que lhabit cistercien. Tamié manquait alors tant de sujets de valeur que trois ans après, alors quil navait pas encore fait de voeux solennels, il était nommé prieur.
Il ferma le moulin en juillet 1887, et introduisit la culture dune variété de pommes de terre rouge, la «trappistine », immédiatement adoptée par les cultivateurs des environs. La communauté passa de 21 membres à 28, mais labbé de la Grâce-Dieu, Dom Laurent, en rafla douze pour renflouer la maison-mère en difficulté. Pour finir, Dom Sébastien Wyart, vicaire général de lordre, envoya Dom Polycarpe comme aumônier des Trappistines de Laval : il garda ce poste jusquà sa mort, en 1907.
Les successeurs de Dom Polycarpe à Tamié vinrent dautres monastères, indice dune situation peu florissante : Dom Thomas dAquin Berthet, prieur de 1888 à 1890, était de Sept-Fons ; Dom Fortunat Maréchal vint de la Grâce-Dieu ; et, après Dom Thomas de [120] nouveau en poste de 1891 à 1901, Dom Albéric Staes arriva du Mont-des-Cats.
Dom Thomas reconnaissait devant le chapitre général de 1888 que la situation nétait brillante « ni au spirituel ni au temporel ». Les abbés de Sept-Fons et de Port-du-Salut durent lui promettre un peu daide. Dautant que labbaye avait, semble-t-il, des difficultés avec le fisc. Ladministration créait toutes sortes de tracasseries, majorant indûment les impôts sur les bâtiments, les revenus, les taxes daccroissement, et autres.
À Dom Thomas démissionnaire succéda lespace de quinze mois Dom Fortunat Maréchal, ancien compagnon de Dom Ephrem en Chine. Il fit «ce quil put » et démissionna à son tour. Ses tribulations, qui le conduisirent de Chine à Tamié, de Tamié à Sept-Fons, puis à Rome, à Port-du-Salut, et enfin à Acey où il mourut en 1919, lavaient fait surnommer « linfortuné Fortunat ».
Dom Thomas reprit le collier pour dix ans, et, cas unique depuis la restauration du monastère, mourut en charge, en 1901. Tamié ne comptait plus alors que 16 moines...
Un moine belge, Dom Albéric Staes, du Mont-des-Cats, vint alors. Son priorat sinscrivit entre deux nouvelles menaces de fermeture : lune par le pouvoir civil en 1901, au temps des « lois scélérates » ; la commune de Plancherine adressa alors au ministre de lintérieur une pétition pour que ses moines ne soient pas inquiétés, et lintervention de Dom Chautard auprès de Clemenceau fit le reste. Mais en 1904 la fermeture du couvent était décidée par le chapitre général lui-même, en raison de la pénurie des vocations. Ce fut lintervention du clergé des quatre diocèses de Savoie qui, cette fois encore, sauva Tamié. Cependant, une annexe à létranger pouvant servir de refuge dans le cas dune nouvelle expulsion paraissait nécessaire. Dom Albéric pensa trouver ce refuge à Rueglio, près dIvréa, au nord de Turin : un domaine paré du nom biblique de Mont-Sinaï. Une fromagerie y donnait beaucoup despoirs, et un client de Milan sengageait à prendre toute la production. Cétait la fortune ! On eut limprudence, ou la perfidie, de rapporter ce projet à une autre maison, exilée en Suisse, vivant aussi de la fabrication du fromage. Elle fit au client milanais les mêmes propositions à meilleur prix, et emporta, avec laffaire, toute espérance de rentabiliser Rueglio. De surcroît, labbé général envoya à Dom Albéric un religieux .de la communauté romaine des Catacombes pour le seconder au Mont-Sinaï. Ce religieux, P. Xavier, avait surtout besoin de changer dair ; pour le malheur de Dom Albéric, il se livra à des opérations financières embrouillées et pour finir senfuit avec la caisse, dans les bras dune veuve... la ruine était totale et le responsable désigné fut évidemment le pauvre P. Albéric.
« Le définitoire naccepte pas votre démission, lui écrivit-on du [121] charge de supérieur de Tamié et vous ordonne de retourner à votre monastère dorigine ».
Au reçu de cette algarade imméritée, Dom Albéric, sans un mot de révolte, regagna le Mont-des-Cats, où il mourut en 1937.
On ne put revendre Rueglio quen 1911 ; entre temps, Tamié descendait encore dune marche dans la déchéance : abbaye autrefois, devenue simple prieuré, elle nétait plus reconnue que comme « grange » de la Grâce-Dieu. Son nouveau supérieur, Dom Bernard Larmes, moine de Fontgombaud, monastère qui venait lui aussi dêtre supprimé, était là plutôt comme liquidateur. Tamié ne comptait plus que trois ou quatre moines, dont le P. Gérard Patuel, qui se tua en montagne, en 1907, à la recherche dune brebis perdue.
Le repli de la Grâce-Dieu
De curieuse façon, le salut de Tamié vint par la faillite de la maison-mère. En 1896, la Grâce-Dieu avait élu pour abbé un profès de Chambarand, le P. Augustin Dupic. Bien doué sous tous les rapports, Dom Dupic était, aux dires de son prieur, P. Bernard Krier, «un abbé décoratif. Sa belle prestance, sa dignité, son bon sourire provoquèrent à lendroit de sa personne un sentiment dadmiration. Par la bonté de son coeur et laménité de son caractère, par la finesse de son esprit et le charme de sa parole, il se faisait aimer de tout le monde, au dehors aussi bien quà lintérieur du monastère ». Dom Dupic, sous son impulsion, vit le noviciat de la Grâce-Dieu se repeupler, les bâtiments et léglise remis à neuf. Mais il ne parvint pas à redresser la situation matérielle. Devant lexcès des dettes, le 8 avril 1909 la vente de la Grâce-Dieu « pour expropriation forcée » fut décidée. Les moines se replièrent à Tamié, abri jugé provisoire, car larchevêque de Chambéry, Mgr Dubillard, un ancien vicaire général de Besançon, ami de Dom Dupic, lui proposait de reprendre Hautecombe, dont la communauté périssait faute de recrutement.
Hautecombe, cependant, appartenait à la lignée de la restauration de Sénanque, « Commune Observance de Cîteaux », soeur et rivale de la « Stricte Observance », à laquelle se rattachaient la Grâce-Dieu et Tamié. La situation se compliquait encore du fait que les rois dItalie, en garantissant lexistence dHautecombe, sétaient réservé la nomination de labbé... Des tractations sans fin durèrent de 1909 à 1922. Dom Dupic aurait bien préféré Hautecombe, mieux située. « Tamié est un lieu historique mais na jamais été florissante. Cest trop haut et trop froid. Un prieuré de quatre ou cinq moines, cest tout ce quil faut. Lété vous pourriez envoyer du secours [123] dHautecombe, et lhiver on reviendrait au bout du lac » écrivait encore, en 1920, Mgr Castellan à Dom Dupic. Mais la querelle entre les deux observances ne put jamais se résoudre, et, finalement, en 1922, ce furent les bénédictins qui sinstallèrent ! Dom Dupic dut avouer que saint Pierre de Tarentaise plaidait au ciel pour Tamié pendant que les moines de Tamié plaidaient sur la terre pour avoir Hautecombe...
Dailleurs, dès 1911, devant les difficultés rencontrées dans laffaire dHautecombe, Dom Dupic avait demandé le transfert du titre abbatial de la Grâce-Dieu à Tamié. Ce fut accordé le 7 février 1911. Tamié récupérait son titre dabbaye, et sa communauté totalisait alors 45 membres, dont 18 prêtres. Les ressources ne suivirent pas, bien sûr, laugmentation des effectifs : en 1913 il fallait vendre les superbes boiseries sculptées du réfectoire, en 1914 organiser une vente dé charité, à Paris, chez un médecin ami de Dom Dupic, Charles Bonnet.
Une nouvelle possibilité était apparue entre temps : une autre fondation en Chine, projet que la guerre vint interrompre.
Douze religieux furent mobilisés, deux ne revinrent pas. Par contre, de 1915 à 1920, Tamié abrita 15 moines de Latroun, en Palestine, expulsés par les turcs. La guerre, de façon inattendue, donna à la fromagerie un essor quelle navait jamais connu : la mobilisation de tous les hommes valides paralysait les « fruitières » concurrentes de labbaye. Aussi, en 1919, Tamié non seulement navait plus de dettes, mais sétait même constitué des réserves.
Ce redressement effectué, Dom Dupic, qui se trouvait épuisé, malade, usé par 25 ans dabbatiat, offrit sa démission au chapitre général de 1921, qui laccepta. Un an de repos lui fut octroyé ; après un voyage en Terre-Sainte, il se trouvait chez un de ses amis et condisciple, à Besse-en-Chandesse, quand il succomba dune crise cardiaque. Cétait le 1er août 1922. Son corps fut ramené à Tamié, ce monastère quil avait sauvé malgré lui.
Le P. Bernard Krier, fidèle prieur de Dom Dupic depuis 1897, fit alors office de supérieur de Tamié, de 1921 jusquau 7 mars 1923.
13
LA VIE DU NOUVEAU TAMIÉ
Le simple exposé des faits marquants de la période 1861-1922 le montre à lévidence : aux soixante-dix ans dabandon ont succédé, pour Tamié, soixante années dinstabilité. Est-il possible de pénétrer plus avant dans la vie du monastère durant cette période agitée ?
Tamié à la recherche de ses origines.
Les premiers moines venus de la Grâce-Dieu eurent, dès leur arrivée, le souci de renouer avec lancien Tamié et avec leurs origines. Au cours de leurs longues courses, les quêteurs ne cherchaient pas seulement à rapporter largent qui manquait au monastère, mais aussi à récolter tout ce que la Révolution avait pu disperser de Tamié. Dom Théodore Pitoulet fut un des spécialistes de ce genre de travail ; dès 1862 il écrivait à un moine de la Grâce-Dieu quil avait récupéré 400 livres de lancienne bibliothèque.
« Nous avons déterré aussi des règlements manuscrits pour les religieux, dautres pour le célébrant et ses ministres ; mais la pièce la plus curieuse que nous avons encore trouvée est un magnifique calendrier perpétuel fait par un religieux de Tamié ; ce calendrier me paraît un vrai tour de force.
Nous avons trouvé aussi chez Mgr le cardinal de Chambéry un manuscrit intéressant sur les réformes de Tamié et sa restauration... Je compte que nos quêteurs découvriront bien des choses éparpillées par toute la Savoie, car cette province na jamais été fouillée ».
[126] En décembre 1862, et lon y vit tout un symbole, un libraire de Paris renvoyait... la clef de lancienne abbaye, quil avait acquise dun maréchal-ferrant dAlbertville.
Un jeune historien qui parcourait alors les registres du Sénat de Savoie pour en retracer lhistoire, découvrit un jour un volumineux dossier qui renfermait les chartes de Tamié copiées autrefois pour établir les droits de nomination des princes de Savoie.
II en fit part à Dom Malachie, et ce dernier lui communiqua les documents entrés à nouveau en possession du monastère. Cest ainsi quen 1865, au bout de trois mois de travail, paraissait lhistoire de labbaye de Tamié, par Eugène Burnier.
« Nous crûmes faire une oeuvre utile à la Savoie, profitable aux Trappistes et peut-être intéressante pour quelques lecteurs », écrivait-il modestement. Sans doute cet ouvrage réveilla-t-il en Savoie le souvenir de la vieille maison cistercienne.
En 1869, P. Grégoire, qui quêtait dans le Jura, retrouva à Vitreux, chez une demoiselle nommée Olympe Boudot, un crâne humain quune inscription désignait comme celui de saint Pierre de Tarentaise lui-même. On sait que le premier abbé de Tamié était mort à labbaye de Bellevaux, en Franche-Comté, qui avait précieusement conservé ses reliques. Une part importante, sauvée des troubles révolutionnaires, était revenue à Bellevaux, lors de sa restauration par Dom Huvelin, et après les nombreux transferts de cette dernière communauté, se trouvait à la Grâce-Dieu. Le souvenir de saint Pierre de Tarentaise navait pas été pour rien dans la décision de racheter Tamié. Et voilà que la petite fondation retrouvait le « chef » du saint fondateur !
Minutieuse enquête fut ordonnée par le cardinal Mathieu, archevêque de Besançon, et, le 21 octobre 1871, la relique de saint Pierre arrivait à Tamié.
« Jai grande confiance quil nous bénira et nous protégera si nous savons nous en rendre digne », écrivait Dom Théodore à Dom Malachie, devenu entre-temps abbé de la Grâce-Dieu.
Les moines de Tamié navaient pas été les seuls intéressés par ce retour des reliques ; les diocèses de Savoie et en particulier la Tarentaise avaient gardé une dévotion toute particulière pour le saint archevêque. En 1873 le cercle catholique dAlbertville organisa, le 29 juillet, une solennelle manifestation de foi et de piété à Tamié. Après une messe matinale (3 h du matin !) à Albertville et à Faverges, les deux groupes se mirent en route chacun de leur côté et firent leur jonction aux abords de labbaye, sous le regard de Mgr Turinaz, nouvel évêque de Tarentaise. Tout le long, on avait chanté des cantiques du genre de celui-ci :
[127] « Rallions-nous à lespérance,
Le rendez-vous est à Tamié
Viens à Jésus, viens, pauvre France, Par son coeur tout sera sauvé ! ».
La longue file des pèlerins, évalués à 7000, défila dans léglise où avaient été placées les reliques, puis on se rendit sur lemplacement de lancien monastère, où un autel avait été dressé ; une longue procession de 150 à 200 ecclésiastiques arriva, précédant la chasse portée par quatre religieux de Tamié. La messe fut célébrée par Mgr Turinaz ; après lévangile, le P. Joseph, capucin célèbre alors dans toute la Savoie, monta dans une chaire installée à lombre dun poirier sauvage, pour faire dabondance léloge de saint Pierre de Tarentaise.
Puis ce furent les agapes fraternelles pour lesquelles les moines distribuèrent largement le pain. Dans laprès-midi, on exposa le Saint Sacrement sur le lieu de lancienne église, et Mgr Turinaz, à lombre bienfaisante du même poirier, put se livrer à tous les feux de léloquence.
« Le papier ne peut en rendre ni la flamme soutenue, ni les éclats subits, ni les éblouissantes splendeurs ».
Enfin, dans léglise, le chant du Salve Regina par les moines mit un terme aux cérémonies, et le pèlerinage prit la route du retour.
1877 ramenant le deuxième centenaire de la réforme, Dom Éphrem fit exhumer du chapitre les restes de labbé Jean-Antoine de Somont, pour les faire placer dans léglise, au milieu du choeur. Larchevêque de Chambéry vint en personne présider la cérémonie, et cétait encore une autre façon de resserrer les liens avec lancien Tamié. Dans le même temps, les lithographies du P. Fulgence Blériot diffusaient tant les richesses artistiques du monastère, anciennes portes, cheminées que le souvenir de Pierre de Tarentaise et celui de la réforme de Rancé.
Au moment des expulsions, en 1880, le chef de saint Pierre fut mis en sûreté ; puis, entre 1885 et 1887, il semble quon lait promené processionnellement dans tous les diocèses de Savoie, peut-être pour donner plus de vigueur aux quêtes. Les difficultés de lheure présente firent, quoi quil en soit, oublier un peu le passé, jusquau moment du repli de la communauté de la Grâce-Dieu. Dom Dupic naurait pas hésité à sacrifier Tamié sil avait pu récupérer Hautecombe. Son rêve ne se réalisa pas, et, au cours de lété 1909, les reliques de saint Pierre possédées par la Grâce-Dieu rejoignaient celles de Tamié. Le monastère avait, à cette heure, bien besoin de retremper un peu sa ferveur dans le souvenir des vertus de son saint fondateur.
[128] Notre-Dame de la Trappe de Tamié.
Reliée à un si riche passé et placée sous un si puissant patron-nage, quen était-il de la vie régulière ? Renouant avec labbaye de Dom de Somont, la communauté venant de la Grâce-Dieu apportait, pour autant, ses propres observances.
On sait comment, en 1790, le maître des novices de la Trappe, Dom Augustin de Lestrange, chercha refuge en Suisse, à la Valsainte. La communauté qui lavait suivi renforça les austérités et les rigueurs de lobservance de Rancé. Il faut bien comprendre ces moines exilés, gardant les yeux fixés sur leur pays où la Révolution se déchaînait ; péniblement affectés par les malheurs de leur pays et de lÉglise, ils soffraient en victimes le renforcement des signes extérieurs de pauvreté, de pénitence, de deuil, prenait ici sa racine. Du fait de ce transfert à la Valsainte des observances de Rancé on prit lhabitude de désigner les monastères de la Stricte Observance sous le nom de « trappe », le monastère primitif devenant « La Grande-Trappe ». Par Darfeld, fondé en 1795 et le Gard, fondé en 1818 par Darfeld, et qui repeupla Bellevaux en 1830, la Grâce-Dieu, héritière de Bellevaux, se rattachait à cette lignée partie des « trappistes » de la Valsainte. Jusquen 1880 environ le monastère de Tamié sintitulera officiellement « Notre Dame de la Trappe de Tamié ».
La présentation de la vie des trappistes, que fait Eugène Burnier dans lintroduction à son « Histoire de Tamié », nous donne, sinon le détail de la vie à Tamié en 1865, du moins lidée quon sen faisait :
« Abstinence perpétuelle de la viande, du poisson, des oeufs, du beurre et de tout assaisonnement sensuel, quon permet seulement aux malades. Les aliments usités sont : du pain de froment dont le gros son a été extrait, des légumes et des racines accommodées au sel, à leau et au laitage, avec de la bière, du cidre ou du vin mélangé deau pour boisson. Observation des jeûnes de lordre, surtout de celui qui commence au 14 septembre pour finir à Pâques. Pendant ce temps, les religieux font un seul repas, vers midi ; à la collation, on ne leur sert que trois onces de pain, et deux en carême. Silence absolu et continuel... Létude nest cultivée chez les trappistes que pour enseigner la théologie à ceux dentre eux quon destine au sacerdoce, apprendre lÉcriture sainte et connaître les Pères de lÉglise. Repos de sept heures pris dans un dortoir commun ; chaque religieux a une cellule ouverte par dessus et fermée au devant par un rideau. Leur couche est faite de planches soutenues par des ais et couverte dune paillasse piquée, de quatre doigts dépaisseur, dun oreiller et de quelques couvertures. Un bénitier et deux images, lune de Jésus en croix et lautre de la sainte Vierge, forment lameublement de la cellule, où on ne trouve ni table ni chaise. Les religieux dorment tout habillés, et ne [129] quittent que la chaussure ; lusage du linge leur est interdit, même en cas de maladie.
Toutes ces austérités corporelles dont on vient de lire le détail ne sont, pour ainsi dire, que lécorce du trappiste : son essence véritable, cest la mortification intérieure, le renoncement absolu à sa propre volonté, et à tous les intérêts du monde ».
Il faut faire la part du style du XIXème siècle, qui aimait à surenchérir sur les « effroyables austérités des religieux » ; mais le portrait est assez ressemblant. Voici, dun autre côté, la lettre dun novice à son curé, en 1874 :
«Je suis charmé du silence et de cet esprit de simplicité qui règne chez nous et surtout de cette vie pauvre et abjecte que lon pratique dans la nourriture et les habits et dans les meubles : vous ne voudriez pas croire les austérités de nos bons pères dans le jeûne, le travail et surtout à chanter les louanges de Dieu : ils se lèvent tous les jours à minuit ou à une heure le plus tard et ne mangent presque jamais avant midi, et ils ont toujours un doux sourire sur les lèvres : moi je rougis quand je vois que je suis grondeur ou impatient, lorsque je vois ces grands hommes si humbles et si joyeux ».
On ne doit pas douter de la sincérité de la vie religieuse menée à Tamié durant toute cette période, de 1861 à 1922. De petits carnets [130] couverts dune fine écriture nous ont conservé le souvenir des résolu- de retraite, pieuses pensées, élévations, méditations quotidiennes. Il faut seulement faire la part de ce qui était dans la mentalité de lépoque, laccentuation du côté pénitentiel, expiatoire, allant jusquau goût morbide : les premières photographies de moines, dans les années 1880, les représentent volontiers entre un crucifix et une tête de mort... Il faudra attendre quelques temps encore pour que lon retrouve toute lampleur de la vocation monastique, toute sa place dans la construction de lÉglise. Deux encycliques de Pie XI, en particulier, marqueront cette étape : Multo plus et Rerum ecclesiae. Cétait en 1926 et 1927...
Par ailleurs, Tamié accueillit. Nous avons vu les visiteurs affluer pour le grand pèlerinage de 1873 ; à partir de cette date, les voyageurs ne cessèrent de passer à labbaye, sans être pour autant guidés toujours par les mêmes motifs. Si, devant le monastère, la chapelle de la Vierge attirait les fidèles de Tarentaise, qui venaient chaque année, au jour de lAssomption, en costume local, faire un pèlerinage devenu traditionnel, lhôtellerie, dont lentrée ne faisait quune grande salle, « pouvait facilement recevoir les visiteurs qui se plaisaient à venir goûter le fromage de Tamié, déjà bien réputé. Mais cest surtout le dimanche, en été, que cette grande salle était bien occupée, car les jeunes gens et les jeunes filles de Seythenex, après avoir bien dansé aux Tilleuls, venaient se rafraîchir à Tamié, avant de regagner leur domicile. Les réunions, un peu tapageuses, étaient surtout agrémentées par les réparties dun jeune P. Léon, portier et hôtelier. Mais cela ne devait pas durer, car, un beau matin, ce bon père mit la clef sous la porte et on ne la jamais revu ».
Tamié naccueillait pas que les danseurs venus de Seythenex. Un jour de lété 1906, deux jeunes parisiens passionnés de chant religieux devisaient dans une des chambres de lhôtellerie. En ce temps, Pie X venait damorcer la réforme du chant liturgique, désirant que le peuple chrétien «prie sur de la beauté ». Tout dun coup, lun deux, Pierre Martin, saisit le poignet de son compagnon, Paul Berthier : « Nous allons nous-mêmes fonder une maîtrise ! », lui dit-il. Les Petits Chanteurs à la Croix de Bois étaient nés. Vingt-cinq ans plus tard, Paul Berthier pouvait écrire : «Quel envol est parti de ces vieux murs blancs, de cette alcôve voûtée, de cette étroite fenêtre doù lon voit une merveilleuse vallée... ».
Tous les retraitants ne partaient pas avec de si beaux projets ; mais les registres de lhôtellerie, tenus à partir de 1911, montrent, jusquen 1922, un passage annuel dune cinquantaine de personnes, Savoyards, Lyonnais ou Parisiens, pour des séjours le plus souvent assez brefs, dun à trois jours, exceptionnellement allant jusquà dix jours. Latines, scripturaires ou sentencieuses (Ibi aer purior, coelum apertius), directes et convaincues (Vive les trappistes !) ou en vers de mirliton, les observations du cahier sont élogieuses, notant la cordialité de laccueil, la généreuse hospitalité, ladmiration pour la vie des religieux. Tamié, qui, aux pires heures de son histoire, navait jamais oublié sa tradition hospitalière, se retrouvait là fidèle à ses origines.
Dindéniables difficultés.
Comment expliquer, alors, les difficultés de la communauté de Tamié ? Si elle trouvait parmi les hôtes de nombreux admirateurs, pourquoi ne trouvait-elle pas plus dimitateurs ? Bien des réflexions peuvent être faites sur les soixante années qui vont de la Restauration à 1923. La première constatation est linstabilité des supérieurs : onze depuis Dom Malachie Regnault jusquau P. Bernard Krier, ce qui fait pour chacun une moyenne dun peu plus de cinq ans ; or, dans le même temps, dautres abbayes, comme Bellefontaine, nont guère quun seul abbé, Aiguebelle trois, etc.
Le recrutement na jamais été satisfaisant, durant la même période. La colonie venue de la Grâce-Dieu en 1861 comprenait 21 personnes ; dès la même année un novice de choeur reprenait le chemin de la Franche-Comté ; en 1862, deux moines, un convers et deux novices convers repartirent, en 1863 deux moines sen allèrent à leur tour, et le va-et-vient continua. De 1861 à 1923, il y a eu 119 entrées de postulants. Sur ce nombre, on compte sept professions de voeux simples et quatre professions solennelles. Mais sur les sept profès simples, un est mort et six sont partis, et sur les quatre profès [131] solennels, un est mort et trois sont partis. Il ny a donc eu aucune profession définitive, si lon excepte un profès simple et un profès solennels morts peu de temps après leur profession. Dautre part, Tamié na connu aucune ordination de prêtre, de 1861 à 1927 ! La dernière remarque est que depuis 1861 Tamié sest trouvé constamment aux prises avec la pauvreté, parfois avec la misère noire. Que dessais, pourtant, que de travaux entrepris ! On essaya dabord de la meunerie ; en 1887 le moulin fut fermé, il navait rapporté que des dettes. Les tentatives de culture intensive, délevage en grand naboutirent jamais à rien de sérieux; la fromagerie seule vint en aide, mais ce fut pendant de longues années quil fallut vivre de quêtes faites au près et au loin. La propriété achetée à un prix trop élevé, la construction du moulin, le canal dadduction des eaux du Bard, le déficit dexploitation, toutes ces causes et dautres encore amenèrent la constitution dune dette considérable. Au prix de restrictions sans nombre, grâce à une économie touchant, disait-on, à lavarice, Dom Thomas dAquin Berthet réussit à réduire cette dette, mais les événements de 1903-1904 la reconstituèrent en grande partie. Larrivée en [132] 1909 du nombreux personnel de la Grâce-Dieu, sans la création de ressources proportionnelles, causa une nouvelle crise. On a vu comment, en 1913, lon en vint à vendre les boiseries du réfectoire, comme, en 1880, lon avait vendu la porte sculptée de léglise et la magnifique cheminée en noyer. n recourut à une vente de charité, à Paris... Seul lessor de la fromagerie, dû aux circonstances favorables, si lon ose dire ! créées par la guerre de 1914, et une gestion plus prudente permirent au vieux monastère de retrouver un équilibre financier, après 1919. Laissons pour terminer la parole à quelques-uns des héros de lhistoire de cette période. En 1927, au moment de la parution de « LHistoire de Tamié » par labbé Garin, Dom Albéric Staes, revenant sur la malheureuse affaire de Rueglio, qui avait motivé son départ, écrivait :
« Une des causes de la ruine de Tamié est venue de la Grâce-Dieu. Je ne sais plus quel abbé a retiré de Tamié en moins dun an une douzaine de sujets pour en enrichir sa maison. Cette saignée a été presque mortelle pour le cher Tamié qui jusquà présent ne sest pas relevé... La fondation dun refuge a épuisé Tamié. Mais le chapitre général voulait que chaque maison eût son refuge en cas dexpulsion, et non sans raison. Les expulsions de 1880 avaient prouvé une triste leçon un peu partout. Les frères de Tamié ont été reçus dans les châteaux du voisinage, où on les employait comme de vulgaires domestiques, auxquels du reste ils étaient mélangés. Après la tourmente quelques-uns se sont fait tirer les oreilles pour rentrer au monastère. La vie du monde leur plaisait.
...Voilà comment je suis arrivé à Tamié, où jai beaucoup souffert. Je navais pas de monde, il me fallait vivre avec ce quil y avait. Je ne pouvais pas dominer lélément morbide ; il ny avait que cela ; lun aspirait à la mitre de Tamié, lautre me tolérait à peine et me reprochait lachat dune douzaine de pots à fleurs, un troisième allait la nuit en compagnie de deux frères convers faire bombance dans une ferme voisine. Je ne me suis jamais considéré que comme un procureur ; aussi notre malle nest jamais sortie de notre chambre».
Lautre témoignage que nous entendrons, émouvant dhumilité, est la lettre dadieu de Dom Dupic à sa communauté, datée du 28 octobre 1921. P. Augustin ne sétait pas senti la force de la lire lui-même et la fit lire par le P. Bernard Krier, son prieur...
« La communauté de Tamié, écrivait-il, na pas toujours été un modèle de régularité et de ferveur. Jen attribue à moi seul la cause. Je nai pas de peine à reconnaître que je nétais pas fait pour gouverner un monastère. Le Bon Dieu me la montré avec plus dévidence encore en menvoyant de bonne heure la maladie et les infirmités sérieuses qui sont la cause déterminante de ma démission. Je serais vivement peiné si japprenais un jour que mon départ a pu devenir la cause initiale de la fermeture de Tamié. Cette communauté na pas [133] démérité, tous les supérieurs majeurs sintéressent à elle et désirent quelle vive. Jespère donc que le bon Maître la maintiendra longtemps encore. Mon départ, vraiment voulu de Dieu, sera en définitive, pour vous, une grâce. Il vous procurera un nouveau supérieur, bon, ferme, et plus valide, qui, par la parole et par lexemple, vous conduira, mieux que moi, dans la vraie ferveur cistercienne ».
Quelques années plus tard, son rêve était exaucé. Tamié nétait pas encore à labri des épreuves, mais les années de patience et de souffrance allaient porter leur fruit.
14
TAMIÉ A LA RENCONTREDE SON RENOUVEAU
Dom Alexis Presse ou la renaissance de Tamié.
« Le défaut de prospérité de Tamié, estimait larchevêque de Chambéry, Mgr Castellan, à la mort de Dom Dupic, ne vient ni du climat ni de la situation élevée et retirée de labbaye, mais du manque dordre et de régularité ».
Une telle situation ne pouvait longtemps se prolonger : mais, sur place, ni le P. Bernard Krier, prieur, ni personne dautre nétait capable de reprendre les choses en main.
On se mit donc en quête dun supérieur. Un moine de Tamié, P. Nivard Renaud, qui jadis avait été étudiant à Rome, se souvint dun de ses compagnons dalors. Il sagissait du P. Alexis Presse, moine de Timadeuc en Bretagne, qui, dailleurs, lors de ses voyages en Italie, avait eu loccasion de faire connaissance avec Tamié.
Le Père Immédiat de lépoque, Dom Jean-Baptiste Chautard, abbé de Sept-Fons, consentit à ce que lon donnât suite à cette idée. Qui était donc ce P. Alexis ? Né à Plouguenast (Côtes-du-Nord) le 26 décembre 1883, le jeune Mathurin Presse sétait présenté à Timadeuc peu avant de franchir le cap de ses vingt ans. La vie était rude, alors, dans ce monastère breton qui comptait tout juste une soixantaine dannées dexistence : travaux harassants, privations débilitantes, offices exagérément longs, esprit assez étroit, plus rancéen que cistercien, le tout dans un juridisme assez exigeant. Lejeune moine, frêle, intelligent et ardent, tenace, sinon entêté, franchit [136] normalement les étapes de la formation, prononça ses vux solennels en février 1908 et, en juillet de la même année, fut ordonné prêtre. En 1910, on lenvoya à Rome pour compléter sa formation théologique, mais il obliqua bientôt vers létude du Droit Canonique. Il devint même maître des étudiants romains. La guerre de 1914-1918 lobligea à rentrer en France ; il retourna encore à la Maison Généralice vers la fin de la guerre, mais Timadeuc le rappela et lenvoya en 1920 à labbaye de Bonnecombe dans lAveyron où lon avait besoin dun professeur. Cest là quen février 1923 lappel de Tamié vint le rejoindre. Immédiatement Dom Alexis partit pour Sept-Fons, puis pour Tamié où Dom Chautard en personne linstalla supérieur. Cétait le 8 mars 1923.
Dom Alexis se mit aussitôt avec ardeur à louvrage. Cependant les difficultés apparurent très vite : plusieurs de ceux-là même qui lavaient appelé, heurtés par les idées très personnelles de leur nouveau supérieur, se détachèrent de lui et se retirèrent à Sept-Fons. Même de son Père Immédiat Dom Alexis ne reçut pas laide quil escomptait. De Timadeuc, son monastère dorigine, non plus. Labbé de Scourmont en Belgique, Dom Anselme Le Bail, Breton lui aussi, se montra plus généreux et lui prêta tantôt un maître des novices, tantôt un chantre.
Malgré cet isolement, Dom Alexis ne se laissa pas abattre. Peu à peu monastère et communauté changèrent de visage. Le 10 mai 1925, un jeune moine, P. Louis La Bonnardière, de Grenoble, fit profession solennelle et affecta par testament tout son avoir à la restauration de léglise. Le lendemain souvrait le chantier. Le chanoine Laurens, de Mende, une compétence en architecture cistercienne, dirigea les travaux, pourvoyant aussi au mobilier, et notamment à la construction dun jubé de bois qui, conformément au rituel cistercien, séparerait le chur des moines de celui des convers. De nouveaux vitraux furent posés, ornés chacun du blason des premières « maisons-filles » de Cîteaux.
A ce moment, Dom Alexis étant supérieur depuis près de deux ans, les autorités de lOrdre consentirent, un peu à contrecoeur, à laisser procéder à une élection abbatiale. Dom Alexis Presse fut élu abbé de Tamié le 25 novembre 1925 et reçut la bénédiction dusage le 15 décembre suivant, des mains de larchevêque de Chambéry Mgr Castellan.
Et le travail reprit de plus belle. Après léglise, le clocher : sa flèche, abattue en 1793, avait été remplacée par un moignon de toit qui devait protéger les murs mais défigurait la silhouette de léglise. En 1928, une nouvelle flèche pointait vers le ciel, différente, certes, de celle dautrefois, mais si bien harmonisée avec les toitures de léglise quon la remarquait à peine. Un autre clocher attendait lui aussi dêtre rétabli, celui du réfectoire, et, dès 1929, on entendit sonner la cloche [137] traditionnelle. Avec esprit de suite, Dom Alexis restaurait chaque année une partie ou lautre des bâtiments du monastère : les cloîtres, le chapitre, la sacristie, le réfectoire, lhôtellerie. A partir de 1926, linstallation de lélectricité, lintroduction de machines agricoles et lachat de la première automobile rendirent la vie plus facile. Lorganisation de la vie économique changea elle aussi : on liquida le cheptel dont lentretien exigeait trop de travail, puis on acheta le lait dans les hameaux des environs. Un seul ouvrier suffisait à ce travail du ramassage du lait... La célébration de lOffice Divin gagna beaucoup à ces changements.
Les hôtes eux-mêmes purent être accueillis en plus grand nombre, soit dans laile nord du monastère, soit dans la maison « St-Pierre », distante de quelques centaines de mètres et aménagée spécialement. Il faut signaler aussi lutilisation de lancien moulin, désaffecté depuis 1887 : un jeune prêtre du diocèse de Sens, le P. Ferrand, sy intéressa, laménagea à ses frais et en fit le siège dune colonie de vacances pour les gars de lYonne, quil baptisa les Florimontains et gratifia dune fière devise, «Ad summa per alta » ! Loeuvre prospéra si bien quil fallut la développer : les écuries de lancien moulin devinrent la maison Ste-Humbeline, pour les enfants plus jeunes, et la grange de Martignon, la maison Ste-Aleth, pour les parents.
[138] Toutes ces transformations attiraient du monde dans le vallon et du recrutement en communauté. Le noviciat se développa grâce aux principes de Dom Alexis, quon trouvait parfois un peu larges. Mais labbé se justifiait en se réclamant de la sagesse de saint Benoît : « Que labbé mesure et dispose toute chose de manière que les forts désirent faire davantage et que les faibles ne soient pas découragés ». Spécialement quand il voyait des aspirations monastiques authentiques tenues en échec par des questions de santé, Dom Alexis passait outre et accueillait.
Parmi les recrues quil reçut émergeaient de fortes personnalités, tel le P. Anselme Dimier. Il savait tout faire, aussi bien confectionner une paire de chaussures que relever un plan dabbaye, ou conduire un cheval de labour. Il devint cellérier. Dom Alexis avait coutume de dire « Dans le monde, douze métiers égalent treize misères ; au monastère cest différent ; plus on est expert de sa tête et de ses doigts et plus on peut rendre service ».
Avant dentrer à Tamié, P. Anselme avait écrit ses souvenirs sur les « Bat dAf » intitulés : « Un régulier chez les joyeux ». Une fois profès, il reprit la plume et écrivit « La vie de saint Pierre de Tarentaise », premier ouvrage dune longue série.
Tous les talents étaient utilisés. Un novice montrait-il quelques dispositions pour le dessin, il devait simproviser du jour au lendemain peintre ou sculpteur. Tel excellait dans lart du fer forgé, tel dans le cuir repoussé, tel autre dans les minuties de lébénisterie.
Dom Alexis était très favorable aux études. Il avait trouvé un professeur solide en la personne de P. Alphonse, un Canadien, ancien rédemptoriste, et thomiste de la plus stricte observance. Devenu Savoyard, P. Alphonse simprégna dun autre grand docteur, saint François de Sales : il lut intégralement et plusieurs fois les 26 volumes de ses oeuvres pour en écrire un vingt-septième, celui des Tables Analytiques.
A Tamié, aux heures détude, le scriptorium ressemblait à une ruche. La Patrologie Latine de Migne avait un grand succès, on butinait dans les Pères de lÉglise, on se lançait dans quelques traductions, et les longs hivers neigeux de Tamié en paraissaient moins longs. Dom Alexis ajouta au culte des saints celui des origines. Il constitua dans une tour du cloître, bien protégée contre lincendie, une bibliothèque cistercienne pour laquelle il se passionna. Les bouquinistes de Paris et Dijon connaissaient bien ladresse de labbé de Tamié toujours à laffût dacquisitions intéressantes, il réussit à mettre la main sur plusieurs manuscrits dun très grand prix et sur de nombreux livres anciens devenus rarissimes. En raison de sa connaissance de lhistoire de lordre cistercien, Dom Alexis fut invité à faire partie de lAcadémie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon, [139] devant laquelle il prononça son discours de réception le 16 décembre 1931. En la capitale de la Bourgogne, le thème ne pouvait être que celui de « La Réforme de Cîteaux ».
Grâce à son abbé, le monastère retrouvait son rayonnement. n le vit bien à lautomne 1932. Cette année-là marquait le huitième centenaire de labbaye. Des fêtes exceptionnelles, réparties sur trois jours, furent organisées. Tout un monde de grands personnages et damis fidèles fut invité. Les cérémonies se déroulèrent en plein air sur lemplacement du premier monastère, où plusieurs processions fort pittoresques portèrent et rapportèrent les reliques insignes du fondateur, saint Pierre de Tarentaise. De sa plume alerte, Dom Alexis en retraça les phases et publia un album-souvenir abondamment illustré.
Cest à cette époque quil publia dans la Vie Spirituelle un article intitulé Une école de sainteté chez les cisterciens. Lauteur y exprimait toute sa foi, la foi granitique du breton, dans lefficacité sanctifiante du premier Cîteaux. Dautres articles avaient précédé, autour des années 1930, dans la Revue Mabillon : lun sur le Martyrologe cistercien, un autre sur Les observances adventices de lOrdre de Cîteaux, un troisième posait la question : Labbé de Rancé a-t-il voulu fonder une observance particulière ?
En 1929, Dom Alexis dédiait au Révérendissime abbé général de Cîteaux, Dom Ollitrault de Keryvallan, une carte monumentale de tous les monastères cisterciens de France, dessinée par un des moines de Tamié. À partir de Noël de cette même année, une modeste « Chronique de Tamié » fut publiée, qui allait au loin porter, aux familles des moines et à tous les amis, des nouvelles de labbaye et même de lordre. Dom Alexis, tout naturellement, fut enfin sollicité lors de la création en 1934 dune revue officielle de lOrdre : Collectanea Ordinis Cisterciensium Reformatorum dont Etienne Gilson saluait la naissance avec joie.
Un autre futur académicien avait beaucoup soutenu Dom Alexis dans son oeuvre de restauration : cétait Daniel-Rops qui manifesta toujours au père abbé, à Tamié, puis à Boquen, une profonde estime. Professeur dhistoire au Lycée de Chambéry, Daniel-Rops reconnaissait bien volontiers quil devait sa « conversion » à Dom Alexis Presse. Aussi encourageait-il toutes ses initiatives.
Cependant labbaye continuait à remonter la pente et à retrouver une vitalité inconnue depuis longtemps. Au chapitre général de 1935, le dernier auquel il assista, Dom Chautard rendit compte de sa visite à Tamié et employa même le terme de « miracle » pour caractériser loeuvre accomplie en douze ans : « Je suis obligé, disait-il, de constater à Tamié un triple miracle : au point de vue du temporel, au point de vue du personnel, au point de vue du spirituel ».
[140] Un conflit douloureux.
Hélas ! Lannée suivante, les choses devaient prendre pour Dom Alexis Presse une tout autre tournure. Après tant de labeurs, le succès était enfin venu, mais à quel prix ! Une peine intime avait littéralement habité tout le temps le coeur de labbé. En haut lieu, Dom Alexis nétait pas persona grata. Un conflit presque habituel, doù, il faut bien le reconnaître, l« hommerie » nétait pas absente, minait son prestige et faisait de labbé de Tamié un signe de contradiction. Son uvre était brillante, mais on accusait son auteur dêtre un brouillon et un révolutionnaire. Ce conflit était dû en grande part au caractère tout dune pièce de Dom Alexis, qui nétait pas du tout diplomate et se heurta fatalement à dautres personnalités de léchelle hiérarchique. Son ami, Dom Anselme Le Bail, lui écrivait le 30 mars 1929, à propos dune publication en projet : « ... A votre place, jélaguerai tout ce qui est de style caustique. Ces phrases enveniment et ne convainquent pas... Je regrette que mon ami garde cette manie de tout condamner amèrement, tous toujours, toujours tout... Vous prenez par cette tactique la voie la plus sûre pour susciter contre votre projet une opposition majoritaire. Ce sera dommage... Si vous voulez réussir, soyez comme votre compatriote dadoption, saint François de Sales ».
Mais le conflit naissait encore plus des idées de Dom Alexis que, pour lépoque, il faut bien qualifier davancées. En somme, cet homme avait trop vécu lhistoire des origines cisterciennes en profondeur, il en avait trop assimilé lesprit pour ne pas constater quà son époque on nen vivait pas assez. Ces idées, Dom Alexis ne les cachait pas, il les aurait plutôt criées sur tous les toits, les articles, fort mal jugés à lépoque, dans la Revue Mabillon en témoignent. Dès lors on en vint à le considérer comme un révolutionnaire dangereux. Dom Alexis comprit que son idéal à lui, il ne pourrait jamais le réaliser à Tamié, où la communauté elle-même nétait pas toute de son côté. Cest alors que lidée lui vint dune fondation faite à titre personnel, en marge de lordre, où lon serait, selon ses conceptions, plus fidèles à saint Benoît et à Cîteaux. Il y avait en Bretagne, pas très loin de son pays natal, une abbaye en ruine, labbaye de Boquen. Il constitua une société civile pour lacheter, et, à loccasion dun voyage à Rome, entreprit auprès des congrégations romaines des démarches qui lui permettraient de mettre son projet à exécution en toute régularité canonique.
Les supérieurs de lOrdre vinrent à le savoir. Dès lors le ciel se fit menaçant... Dom Alexis sentait venir lorage. Au grand étonnement de ses moines, il ne voulut pas se rendre au chapitre général de 1936. n le manda par télégramme. Il partit donc, mais il allait au devant dune condamnation presque unanime. Mis en demeure de choisir [142] entre la vie de lordre telle quon la menait à lépoque et sa fondation de nouveau type, il opta pour Boquen. Ce jour-là, 14 septembre 1936, Dom Alexis sexclut et de lOrdre et de son monastère si passionnément aimé. Page dhistoire extrêmement bouleversante et douloureuse, et pour cet homme et pour ceux qui restaient à Tamié.
Suivre Dom Alexis dans son exode breton ne relève plus de cette histoire. Quil suffise de constater que jamais lancien abbé ne réussit à mettre sur pied une communauté stable et tant soit peu nombreuse. Vers la fin de sa vie il avouait simplement à lun de ses plus intimes collaborateurs : «En fait, si notre essai à Boquen a réussi au point de vue matériel en ce sens que nous avons pu construire un monastère et restaurer léglise, pour ce qui est du but principal ce fut un échec complet et combien douloureux ! Jamais nous navons eu une communauté convenable avec des sujets suffisants et compétents... Vous savez si jai lutté, si jai peiné en ma pauvre vie ; jai échoué en tout humainement parlant, mais jai cette consolation de finir en disant toujours avec saint Grignon de Montfort : Jadore en tout la Providence, Dieu soit béni ».
Dom Alexis Presse est mort à Boquen le 1er novembre 1965, 29 ans après son départ de Tamié, cette abbaye quil avait sauvée.
Dom Marie Godefroid, successeur de Dom Chautard, nomma comme supérieur intérimaire de Tamié un religieux du monastère, le P. Marie Allemand. Dom Marie était né à Grenoble en 1900, et se découvrit à 15 ans une vocation de marin. Sur le point dêtre admis à lÉcole Navale, il fut déclaré inapte à cause de sa vue, au dernier examen. Marie Allemand bifurqua alors vers lÉcole Centrale dont il sortit diplômé. Bien différent de ceux qui lentouraient, une réussite simplement humaine ne pouvait, cependant, susciter son enthousiasme... La grâce, à son insu, le travailla. La prise dhabit de sa sur aînée, au Carmel de La Tronche, fit resurgir sa formation chrétienne un peu estompée. «Je me suis converti à 25 ans, écrivait-il, dun seul coup, par laction de la grâce seule. Du jour au lendemain, Dieu me prenant, en quelque sorte, par la main, sans que jaie fait de moi-même quelque chose de plus que la veille, sinon de consentir à son impulsion, je me trouvais complètement changé ».
Il se présenta à Tamié le 17 juin 1926, et, voulant réaliser la parole de lÉvangile : « Va, vends tout... suis-moi ! » - il vendit sa voiture donna tout son argent et porta ses habits aux Petites Soeurs des pauvres, gardant pour tout bagage lÉvangile et « LHistoire dune âme », de sainte Thérèse de lEnfant-Jésus.
Loeuvre de P. Marie fut une oeuvre dapaisement et dencouragement. La secousse violente qui avait bouleversé labbaye ne devait démoraliser personne. Il fallait continuer, la maison devait vivre.
Normalement le supériorat de P. Marie aurait dû aboutir à une élection abbatiale. Tout le monde sy attendait, mais la Providence en [143] disposa autrement. Peut-être la rigidité de P. Marie inspira-t-elle quelques craintes. Toujours est-il quà la visite régulière de 1938, labbé visiteur comprit que P. Marie ne faisait plus le compte des électeurs. Il le lui fit comprendre, lenvoya à Dom Belorgey, dont lamitié et la chaleur humaine pouvaient le réconforter. Ainsi envoyé à Cîteaux, Dom Marie y reçut mission de soccuper du noviciat, alors très florissant. Mais au moment où P. Marie songeait à se fixer au berceau de lordre, il fut appelé comme aumônier chez les moniales dIgny. Cest là quen 1942, la maladie devait venir le frapper. Hospitalisé à Reims pour une banale appendicite, il fut tout à coup immobilisé par. une hémiplégie. Son état saggravant, on le transféra à lhôpital Saint-Joseph à Paris, où les médecins diagnostiquèrent une tumeur au cerveau. Le malade garda sa lucidité jusquau bout. Quelque temps auparavant il avait écrit :
« Combien dannées encore à vivre ici-bas ? Je lignore, mais volontiers avec Consummata je redirai : Mourir ! Oh, il ny a pas dans la langue humaine un mot plus délicieux. Mourir, cest voir Dieu. Je voudrais mourir pour voir Dieu. Jai soif de Dieu ». Père Marie fut exaucé, il séteignit doucement le 13 janvier 1943.
Dom Thomas et Dom Guérin.
La communauté nétant pas encore en état dengendrer son propre abbé, fit appel à un moine de la maison-mère, Sept-Fons : Dom Thomas dAquin Gondal. Louis Gondal était originaire du Cantal et avait été lélève du futur cardinal Saliège au grand séminaire de Saint-Flour. Après lintermède de la Grande Guerre, il entrait en 1921 à Sept-Fons, accueilli par Dom Chautard, et reçut le nom de F. Thomas dAquin. Il y demeura 27 ans et devint prieur et cellérier. En juillet 1938, Dom Marie Godefroid lenvoyait à Tamié «prendre lair de la ruche », tandis que le P. Marie Allemand prenait le train pour Cîteaux. Le 22 novembre suivant, «Jour de pluie, de froid, de neige, déclairs et de tonnerre », Dom Thomas était élu abbé de Tamié.
La deuxième guerre mondiale, ses préludes et ses séquelles, sera la toile de fond de ces dix ans de supériorat. Septembre 1939 : il semble que les bureaux daffectation se soient un peu amusés : Dom Thomas fut préposé à la réquisition des mulets à Ugine ; P. Guérin, la simplicité personnifiée, affecté au « deuxième bureau », à Lyon ; P. Denis, envoyé chez les « joyeux ». Deux autres eurent les honneurs dune chronique militaire de Roland Dorgelès : « Mobilisé à un poste tranquille de défense aérienne dans le Sud-Est, ce brancardier barbu (P. Guerric) navait pu se résoudre à quitter un autre (P. Anselme), qui, appelé dans un service dadministration, sétait fait verser aux Chasseurs. Il avait donc demandé la même mutation, mais pas dans [144] les délais prévus : alors, le jour de lembarquement, sans attendre la réponse, il sétait joint au 7ème bataillon de Chasseurs Alpins... Je métonnais de la grosseur de sa poche : son bréviaire. Jamais on ne lui a vu darmes entre les mains ; il nétait venu que pour secourir et prier, comme à Tamié, leur abbaye des neiges... ».
Un feuillet mensuel, spirituel et humoristique, tiré à Tamié, faisait le lien entre les «frères absents » des fronts de lEst, des Alpes, de Syrie. Le 10 mai 1940, tous les mobilisés étant en permission, le père abbé inaugurait dans le jardin du monastère une statue de la Vierge, « Notre Dame du Voeu », pour que tous les frères mobilisés reviennent sains et saufs à la maison. A lissue de la cérémonie, on apprenait que, ce matin même, les «Panzer » allemands déclenchaient lassaut.
Le mois suivant, il fut question dévacuer le monastère, mais, sagement la municipalité de Plancherine décréta la «mobilisation sur place ». La guerre fut longue, et la «mobilisation sur place » de M. le maire trouva à sexercer dans le droit dasile qui fut souvent sollicité. Ce furent dabord les Juifs que pourchassaient les nazis. « Lultime solution était de faire passer en Suisse ces hommes et ces femmes traqués... des filières furent mises en place, en particulier par la CIMADE... les passeurs pouvaient compter sur lhospitalité discrète de la Trappe de Tamié pour les hommes, et du couvent de Chavanod pour les femmes ».
P. Anselme « avait connu le docteur S... pendant loccupation, alors quil était traqué par la Gestapo et sur le point dêtre pris, ce médecin juif décida de se cacher à la Trappe... il y resta de longs mois ».
Le monastère accueillit aussi M. Chevrier, de Faverges ; également recherché par les allemands. On lui donna le nom de Dom Cabrol et on loccupa à sculpter le manteau de la cheminée du scriptorium ; il y grava, discrète, sa signature : une chèvre aux prises avec laigle nazi.
Un jour, le père hôtelier accueillait à la même table soldats et partisans des deux camps : Allemands en uniforme, maquisards en civil, un colonel italien et son ordonnance, également en civil, et quelques vrais retraitants qui ne se doutaient de rien. Le père hôtelier était dans ses petits souliers. Sans doute finirent-ils par soupçonner leur identité respective... mais, désarmés par lhospitalité ainsi offerte, ils néchangèrent que des cigarettes.
En ces temps de pénurie, on intensifia les cultures : le moindre lopin de terre était cultivé, on ramassa des faînes dans la forêt, on cultiva du colza pour en extraire de lhuile, on se risqua même à semer du blé. On remplaça par des boeufs les camions et les chevaux réquisitionnés.
Une turbine fut installée au moulin, qui rendit de grands services [145] quand la ligne était sabotée ou cassée par la neige. La guerre enfin achevée, des prisonniers allemands reconstruisirent le mur de clôture avant leur rapatriement.
Dom Thomas, en action de grâces pour les protections toujours reçues, éleva au coeur même du monastère, dans le préau, une Vierge, oeuvre de Georges Serraz : «Le Paradis de Dieu ». « Tant de dangers, au cours des siècles, ont menacé Tamié. Vous lavez toujours gardé ! »..Un parchemin glissé dans le socle de la statue portait la signature des 36 moines à Tamié ce jour-là, 10 juin 1948.
Laprès-guerre vit affluer au monastère de nombreuses vocations. Lorsquon a affronté la mort, on est appelé à se poser les grandes questions de lexistence. Cest alors que certains sont saisis par lAbsolu de Dieu et par un besoin de communion avec Lui : on choisit le cloître pour réaliser cet idéal.
Cette vie contemplative trouva son apologie sous la plume du P. André Fracheboud, qui publia en 1943 une brochure, plusieurs fois copiée ailleurs : labbaye cistercienne de Tamié. n y trouve lécho de ce qui était enseigné au noviciat à cette époque et qui fut répercuté ensuite dans lordre en de nombreuses retraites prêchées.
Une influence est aussi à signaler, celle de Dom Godefroid Bélorgey, abbé auxiliaire de Cîteaux. Il fut plusieurs fois invité à parler à la communauté. Sa spiritualité faite de présence aimante « sous le regard de Dieu » contribua à adoucir laustère rigueur des observances trappistes. Dailleurs, lidéal de référence nétait plus la réforme de la Trappe par Rancé mais bien le premier Cîteaux et la spiritualité des premiers pères cisterciens.
Est digne de mention pour avoir marqué les frères à cette époque, le passage de Notre-Dame de Boulogne sous la forme de cette mission itinérante appelée « le grand retour », qui sillonnait la France en plusieurs parcours. Préparé par une retraite, son passage à Tamié fut marqué par une messe nocturne, les 28-29 juin 1946.
n se souvient aussi du passage des reliques de sainte Thérèse de Lisieux, le 29 avril 1947. Elles aussi voyagèrent en France, à loccasion du cinquantenaire de la mort de cette sainte, dont linfluence spirituelle dans les monastères a été assez considérable en ce milieu du XXème siècle.
Le 12 septembre 1948, Dom Thomas dAquin, élu procureur général de lordre à Rome, donnait sa démission dabbé de Tamié. Premier abbé issu de la communauté depuis 150 ans, son successeur, Dom Guérin Jordan-Meille était né à Cervens en Chablais. Prêtre du diocèse dAnnecy, il était vicaire à Abondance, quand il se mit en relation avec Dom Alexis et lui exposa son désir de vie religieuse, désir déjà ancien mais que les responsables diocésains voulaient éprouver. En 1934, lévêque dAnnecy lui délivrait son «exeat » et le 22 juillet, F. Guérin recevait lhabit de novice. Dom [146] Alexis, une fois parti à Boquen, espéra voir venir près de lui ce novice quil avait encouragé et guidé dans son choix. « Le nid est prêt, venez ! » lui écrivit-il. F. Guérin lui répondit : «Je suis venu pour Dieu, et non pour un homme... » et le 12 octobre 1936, il fit ses premiers voeux pour Tamié.
Devenu maître des novices, puis prieur, cest lui qui, le 13 septembre 1948, communiqua à la communauté le télégramme expédié de Cîteaux, où le chapitre général tenait ses assises : Dom Thomas étant élu procureur, il fallait lui trouver un successeur. Le 19 octobre, le P. Guérin, prieur, était élu. Une heure après, il confiait : « Cela me dépasse ; mais je crois que le Bon Dieu veut voir jusquoù je pousserai labandon ».
Cest avec le début de labbatiat de Dom Guérin quune chronique commença à être régulièrement rédigée, pour lusage interne, relatant les événements de communauté, pour en dégager ce que lhistoire risque den retenir.
Lannée sainte de 1950 fut marquée par un rassemblement insolite à lépoque dans un monastère : une assemblée de quinze évêques et de plusieurs théologiens et observateurs venus réfléchir ensemble sur quelques points de doctrine. Quelques jours plus tard, le pape Pie XII promulguait lencyclique « Humani generis » qui traitait de ces mêmes questions et les tranchait sans appel...
1953 amenait le huitième centenaire de la mort de saint Bernard. On prit la mesure de linfluence, désormais prépondérante, de lidéal cistercien primitif comme modèle de référence ; il fallait que cela fut dit, répété et étudié dans les textes eux-mêmes de ces premiers cisterciens, et, entre tous, saint Bernard. Ce centenaire y contribua largement par des conférences, congrès, expositions, publications. Tamié avait déjà, en 1943, publié une traduction des sermons de saint Bernard pour la fête de la Dédicace.
Dans les bâtiments, une restauration attendait dêtre faite, celle de la partie de léglise dite « des séculiers », la partie réservée aux moines ayant été restaurée déjà par Dom Alexis. Sur le conseil dun architecte dart sacré, M. Novarina, de Thonon, on décapa les murs pour laisser apparaître la pierre brute ; les autels de bois doré venus de la Grâce-Dieu en 1909 firent place à un décor dun extrême dépouillement. Après en avoir déconcerté beaucoup, cette «noble simplicité» finit par devenir aimable, et même désirable pour le reste de léglise. En communauté, toute une jeunesse se formait à la vie monastique, non sans provoquer une sorte de crise de croissance. Dom Guérin était un merveilleux directeur dâmes pour qui se confiait à lui. Frêle et vibrant, il communiait à toute souffrance et savait rendre la [148] paix, mais il ne possédait pas ce don qui fait le chef : maintenir la cohésion entre les tendances diverses dune communauté. Des difficultés sélevèrent quun homme en bonne santé aurait sans doute aisément surmonté. Il donnait sa démission le 10 octobre 1960, non sans souffrance. « Ah ! vous ne savez pas ce que cest que dêtre père et ne lêtre plus ! ».
15
DOM FRANÇOIS DE SALESET LE RENOUVEAU CONCILIAIRE
Avec lélection de Dom François de Sales, le 16 novembre 1960, souvre pour Tamié la période contemporaine. Plus quoeuvre dhistorien, il faudrait faire ici oeuvre de chroniqueur. Mais, vu limportance de cette période postconciliaire, il nous semble opportun de jeter quand même un regard rétrospectif sur ces vingt années daggiornamento à Tamié pour en saisir tous les enjeux.
Paul Berthet est né en 1926, dans une nombreuse famille terrienne de Frangy, en Haute-Savoie. Après quelques années au grand séminaire dAnnecy, il entre à Tamié en 1947 et reçoit le nom de F. François de Sales. Ordonné prêtre en 1953, il est envoyé à Rome pendant deux ans pour y parfaire ses études de théologie. En 1960, Dom Guérin le nomme prieur, ultime préparation à la charge abbatiale quil reçoit en fin dannée.
Deux ans après souvre le Concile Vatican II. Très vite, les moines perçoivent tout ce que cet événement porte comme chance de renouveau pour leur vie. Tamié souvre volontiers à ce vent de lEsprit.
Ces quelques années ont davantage modifié son visage que plusieurs siècles, sans infidélité cependant à son idéal.
En effet, cest toujours lessentiel de la vie monastique, la recherche de Dieu, qui conduit des hommes au monastère et les fait tenir (1).
Tous les secteurs de la vie monastique se trouvèrent renouvelés. Trois causes : les décisions des différents chapitres généraux chargés [150] de cette adaptation (tous les deux ans de 1965 à 1971), lentrée au noviciat de jeunes ayant vécu Mai 1968, et laccueil plus large dhôtes en recherche, nous obligèrent à réfléchir à la manière de rendre plus signifiante, pour nous et pour le monde, le style de vie que nous avons choisi.
Ce fut sûrement une grâce pour Tamié davoir vécu cette période dans la paix, et Dom François de Sales y fut pour beaucoup. Avec sagesse, calme et ténacité, toutes vertus bien paysannes, le P. abbé conduisit ses frères, en veillant par-dessus tout à maintenir lunité de la communauté. Les chapitres de labbé ainsi que des réunions communautaires préparèrent chaque changement important. Après une assez longue période dexpérimentation, une consultation de tous manifesta toujours une large majorité favorable à ladaptation proposée.
Ce « renouveau » sest particulièrement manifesté en trois domaines : la liturgie, la vie de communauté et laccueil.
Une liturgie plus signifiante.
Première chronologiquement et par ordre dimportance, la réforme liturgique a beaucoup marqué notre communauté. Peu de temps après la promulgation de la Constitution conciliaire sur la liturgie, dès Noël 1964, nous avons pu expérimenter la « concélébration eucharistique », pratiquée aux débuts de lÉglise. Ainsi remplaça-t-elle, peu à peu, les messes privées qui doublaient la messe conventuelle chantée. Comme nous étions, à ce moment-là, en train de restaurer la partie monastique de notre église (décapage des murs et élargissement des arches du clocher), nous avons pu aménager à cet effet lautel et lespace réservé à la célébration de leucharistie.
Puis ce fut ladoption progressive du nouveau rituel de la messe, avec lapparition de la langue vivante qui soulignait la remise en valeur de la liturgie de la Parole.
Mais le changement le plus important se fit sentir dans « lOffice Divin ». Dès 1967, Rome accorda deux permissions : la première concernant « lusage du français lorsque lOffice est célébré avec des frères qui ne sont pas prêtres », et la deuxième donnant pouvoir aux instances compétentes de lOrdre de désigner quelques monastères où puisse être expérimenté lun ou lautre des trois nouveaux schémas de redistribution des psaumes dans la prière chorale... Lapplication de ces deux permissions était conditionnée par le vote de chaque communauté. A Tamié le résultat de ces deux votes fut tel que notre monastère fut choisi, avec une vingtaine dautres, pour cette expérience.
[152] Encouragée par ce choix, la communauté se mit à louvrage, et, par étapes, entre décembre 1967 et juin 1968, tout lOffice se trouva refondu et chanté en français. Composé avec les moyens du bord, et grâce aux dons de P. Aelred qui sut écrire des mélodies simples et chantantes, le nouvel Office apparut vite comme une réussite et permit une participation active et priante de tous, y compris des hôtes venant de plus en plus nombreux se joindre à notre prière.
Devant les demandes de retraitants, surtout religieux, religieuses ou prêtres, qui souhaitaient pouvoir soutenir leur prière quotidienne, nous avons été amenés à enregistrer plusieurs disques et cassettes offrant soit une journée dOffice à Tamié, soit un choix de pièces chantées dans notre liturgie. Sans que nous le voulions, ces enregistrements ont connu une diffusion assez grande parmi les laïcs et les communautés religieuses, créant ainsi une sorte de communion spirituelle entre Tamié et tous ceux qui, de loin, sunissent à notre louange du Seigneur.
Progressivement, une collaboration sest établie entre monastères, permettant de profiter des compositions venues dautres horizons et créant un certain répertoire commun.
Le renouveau de lOffice ne se limite pas, dailleurs, au passage du latin au français. Une place plus importante y est donnée à lécoute de la Parole de Dieu, par des lectures plus longues et mieux choisies, et par des temps de silence qui favorisent lintériorisation nécessaire. De même, lintroduction de prières dintercession donne la possibilité de présenter à Dieu les grandes intentions de lÉglise et du monde.
Une vie pleinement communautaire
Le langage de la prière étant devenu celui de la vie courante, cest, en retour, tout le quotidien de la communauté qui sest trouvé changé. Ce fut comme une redécouverte de la vie commune très intégrale des cisterciens, les relations fraternelles bénéficiant de ce nouveau climat. Cette dimension plus fraternelle fut marquée dans les faits, par ladoption, en 1965, du statut sur « lunification des communautés » qui décidait quil ny aurait plus de distinction entre les moines choristes, qui sadonnent en priorité à lOffice et aux études, et les frères convers qui passent plus de temps aux besognes manuelles. Désormais, tous les moines jouiraient des mêmes droits (entre autres celui délire leur abbé), auraient la possibilité dacquérir une formation solide selon leurs capacités et leurs désirs, et participeraient également aux tâches matérielles de la communauté. Cependant, il y a toujours place dans le monastère pour des vocations particulières, suivant le tempérament ou lévolution spirituelle de chacun, certains [154] pouvant aspirer à plus de solitude, dautres à un style de prière plus simple que lOffice chanté.
Autre conséquence de cette «unification », le sacerdoce nest plus considéré comme le couronnement des études monastiques, mais plutôt comme un service des frères et des hôtes, pour lequel le P. abbé propose à lévêque dordonner, suivant les besoins, tel ou tel frère qui, selon lavis de tous, semble être apte à ce ministère.
Assez vite, nous nous sommes rendu compte que le silence traditionnel des trappistes pouvait être une gêne dans les relations fraternelles. Il ne sagissait certes pas de perdre cette valeur essentielle, mais de découvrir tout ce que la parole pouvait avoir de positif lorsquelle est mise au service de la charité.
Cette évolution dans la conception du silence permit lapparition progressive de réunions de communauté, où chaque frère peut partager sur lessentiel de notre vie : « lectio divina », pauvreté, silence, etc.
Par ailleurs, le traditionnel «chapitre des couples » fit place à une « entraide fraternelle » plus vraie, où ceux qui le désirent sefforcent de découvrir ce quil y a de lumière et dombre dans leur comportement et dans celui de leurs frères.
Lancées presque dès le début de labbatiat de Dom François de Sales, les «commissions sont aussi un lieu découte et de partage. Plus directement voulues pour mettre en oeuvre la « coresponsabilité », elles associent chaque frère, dans la limite de ses compétences et de ses fonctions, à la bonne marche de la communauté dans des domaines aussi variés que la formation, laccueil, la liturgie ou les «beaux-arts », sans oublier la gestion et le travail.
Dans le domaine matériel, la fromagerie, sous la direction de F. Marie, reste le principal gagne-pain de la communauté, nous associant étroitement à nos voisins les agriculteurs de Seythenex et, plus récemment, de Saint-Ferréol.
Un élevage de moutons, lancé en 1960 par P. Jean, nous permet à la fois dentretenir la propriété, de nous adonner à certains travaux des champs et de compléter les revenus de la fromagerie.
Ces ressources régulières et suffisantes ont permis à des cellériers entreprenants, P. Irénée, mort supérieur de la Trappe en 1975, et F. Maurice, de refaire lensemble des toitures et de restaurer tous les lieux réguliers : léglise, comme on la vu, le chapitre, le réfectoire et le scriptorium. Est à mentionner spécialement laménagement de trente cellules, inaugurées à Noël 1980, après trois ans de travaux. Destinées au repos de la nuit, elles permettent un sommeil meilleur et cet indispensable espace de solitude que créait, autrefois, le silence beaucoup plus strict.
[156] Une maison ouverte à tous
.Le secteur de laccueil a pris, depuis vingt ans, une extension assez grande, tant en ce qui concerne les hôtes proprement dits, qui viennent passer quelques jours à labbaye, quen ce qui concerne les touristes de passage.
Il faut rappeler ici que, du fait de lagencement des bâtiments, léglise et lhôtellerie ouvrent directement sur la route. Plus que dautres monastères où une clôture matérielle isole ces deux lieux, Tamié se trouve ainsi davantage en contact avec le monde extérieur. Ce fait a permis de recevoir sans difficulté hommes et femmes, et a beaucoup influencé le style daccueil pratiqué à Tamié.
Cet accueil se caractérise, semble-t-il, le livre dor des hôtes en témoigne, par une certaine simplicité et liberté qui donnent occasion aux retraitants de se rencontrer, sils le désirent, ou de vivre un temps de silence plus absolu. P. Claude, hôtelier depuis de longues années, veille discrètement à ce que chacun se sente accueilli et puisse profiter au maximum de son séjour.
Tamié na pas échappé, bien sûr, au développement du tourisme et dès 1968, est apparue la nécessité doffrir aux visiteurs dune heure ce minimum dinformations sur la vie monastique quils attendent. Réalisé par P. Benoît et quelques frères, un montage audiovisuel dit, plus et mieux quune visite, ce que les moines vivent à lintérieur de leur clôture. Pour maintenir, dans les environs immédiats du monastère, une zone plus silencieuse, ce montage, ainsi que le magasin de vente de fromage et de souvenirs, émigrent, pendant les mois dété, dans une petite maison, appelée Saint-Lambert, à trois cents mètres.
Par cet effort daccueil, nous essayons de rester fidèles, non seulement à la Règle de saint Benoît, mais aussi à une tradition remontant aux origines. Geoffroy dHautecombe, le biographe du fondateur de Tamié, nécrivait-il pas en 1184 : « que saint Pierre de Tarentaise laissa en héritage à ses moines sa libéralité et sa compassion pour les pauvres, à tel point que, de nos jours encore, la renommée continue à-désigner les moines de Tamié comme plus accueillants et plus généreux » ?.
Une ouverture à lÉglise et au monde
Suivant en cela lexemple du Concile, nous avons vécu, durant ces vingt ans, une ouverture plus grande à lÉglise et au monde.
La séparation du monde, qui est une constante de la vie monastique, nest pas synonyme de désintérêt pour ce que vivent nos frères les hommes. Une chronique de presse hebdomadaire, faite par lun [157] dentre nous, nous tient au courant des grands événements du monde. Nous profitons aussi de la venue chez nous de certaines personnes qui vivent des expériences intéressantes, ou qui travaillent dans des secteurs importants, pour leur demander un témoignage, dans le but dalimenter et de soutenir notre prière dintercession et de louange.
Les relations avec le diocèse se sont aussi intensifiées et approfondies. Chaque année, nos évêques viennent passer une journée à labbaye, pour nous tenir au courant de la vie de lÉglise en Savoie. Les curés des paroisses environnantes montent aussi volontiers nous rendre visite, et participent aux diverses fêtes de la communauté. Certains événements plus exceptionnels, comme le huitième centenaire de la mort de saint Pierre de Tarentaise le 14 septembre 1974 par exemple, sont loccasion de grands rassemblements, où prêtres et chrétiens de Savoie sont heureux de pouvoir manifester leur attachement à labbaye.
Sur le plan monastique, une collaboration sest progressivement développée avec les autres monastères cisterciens de France, grâce à la tenue régulière de «réunions régionales » où les abbés et des [158] représentants des communautés se retrouvent pour se mieux connaître et débattre des multiples problèmes auxquels la vie monastique est confrontée aujourdhui.
De même, les économes, maîtres des novices ou chantres des divers monastères cisterciens ou bénédictins, se retrouvent périodiquement pour sentraider dans les domaines de la gestion, de la formation ou de la liturgie.
La célébration du quinzième centenaire de la naissance de saint Benoît, en 1980, a été loccasion de manifester cet « oecuménisme monastique » grâce à de nombreuses rencontres inter-monastères à travers la France.
Durant cet abbatiat de Dom François de Sales, Tamié eut aussi la grâce de souvrir plus concrètement à dautres maisons de lOrdre.
En 1974 et 1975, par deux fois, le P. abbé, reprenant, un siècle après les fondateurs de Notre Dame de Consolation, la route de lExtrême-Orient, sen alla visiter les monastères du Japon.
En 1976, Tamié accepta de prendre la paternité de labbaye du Mont-des-Cats, dans le Nord, qui jusqualors dépendait comme nous de labbaye de Sept-Fons dans lAllier. Notre communauté participe ainsi effectivement à cette sollicitude des monastères les uns envers les autres qui est un des fondements de la Charte de Charité.
À lautomne 1978, Dom Jean Chanut, ancien abbé de Cîteaux et aumônier de trappistines zaïroises, vint plaider la cause de la communauté des Mokotos, au Zaïre, où, faute de cadres, de jeunes novices africains ne pouvaient être formés. Il nous demandait deux moines capables de venir en aide à cette fondation, faite par labbaye de Scourmont vingt-cinq ans plus tôt. Après mûres délibérations, consultations et votes, P. Victor, prieur, et P. Anthelme, sous-prieur, partaient pour ce lointain monastère en juillet 1979.
Six mois plus tard, labbé général demandait à Dom François de Sales lui-même dadministrer provisoirement le monastère de Sept-Fons, après la mort subite de Dom Dominique du Ligondès, jusquà ce que cette communauté pût élire son propre abbé. Le 12 décembre 1980, les moines de Sept-Fons choisissaient comme abbé Dom Patrick Olive. Cest alors, quaprès vingt années dabbatiat, Dom François de Sales pensa que le moment était venu de laisser le gouvernement de sa propre maison à de plus jeunes mains, et demanda daller rejoindre en Afrique les frères quil y avait lui-même envoyés.
Le 7 mars 1981, les vingt-cinq électeurs présents choisissaient P. Jean-Marc Thévenet, prieur depuis un an, comme nouveau Père abbé et soixante-troisième successeur de saint Pierre de Tarentaise.
ANNEXE 1
Les étapes de ladmission et de la formation en communauté
Vouloir être moine ne s'improvise pas. Plus que le désir personnel et la bonne volonté, il y faut des aptitudes particulières, et, surtout, un véritable appel de Dieu. Plusieurs étapes sont aussi nécessaires pour éprouver le sérieux de la démarche et permettre un authentique discernement de la vocation.
I - L'ESSAI
Après un indispensable séjour à l'hôtellerie du monastère pour un premier contact et un élémentaire examen des motivations, l'homme en recherche est invité à vivre environ un mois parmi les moines, afin qu'il puisse se rendre compte concrètement de la réalité monastique.
Le regardant est agrégé au groupe du noviciat, et rencontre fréquemment le maître des novices, qui l'aide à s'adapter et à découvrir la volonté de Dieu.
II - LE POSTULAT
Si cet essai confirme son aspiration, le candidat, après un temps de réflexion hors du monastère, fait une demande d'entrée en communauté, en présence de tous les frères assemblés dans la salle du chapitre. Il devient alors postulant.
III - LE NOVICIAT
Si, après plusieurs mois, le postulant persévère dans son projet, sur sa demande, et après accord du P. abbé et de son conseil, il commence le noviciat. Une célébration communautaire au cours de laquelle il reçoit l'habit, marque le début de cette nouvelle étape de deux années.
Pendant ce temps fort de sa formation, le novice assimile par le coeur les grandes valeurs de la monastique. Il y est aidé par le P. maître et le P. abbé afin de répondre toujours plus librement et personnellement à sa vocation.
Au bout d'un an de noviciat, le nouveau frère se présente devant la communauté pour faire le point sur son évolution spirituelle. Chacun peut l'interroger ou l'inviter à tel ou tel effort de conversion.
IV - LA PROFESSION TEMPORAIRE
Le noviciat achevé, le frère se présente pour la seconde fois à la communauté. Par vote celle-ci se prononce sur l'admission du novice à la profession temporaire. Il se lie alors à la communauté par des voeux de trois ans, qu'il pourra renouveler jusqu'à neuf ans.
A la fin de la première année de ses voeux, le frère quitte le groupe du noviciat pour celui des jeunes profès et s'intègre ainsi davantage à la vie de la communauté. Commence alors une nouvelle période de formation caractérisée par des études bibliques et théologiques plus approfondies. Le frère étudiant est stimulé par un travail de groupe, animé par un responsable des études, et soutenu par un accompagnateur personnel.
Un an et demi environ après ses premiers voeux, le jeune profès se présente encore à la communauté. Celle-ci exprime son appréciation par un vote de sondage en vue d'un engagement définitif.
V - LA PROFESSION SOLENNELLE
Au terme de ses voeux temporaires, une ultime présentation du jeune-profès devant la communauté introduit le vote d'admission définitive.
Alors, dans l'église du monastère, le frère promet publiquement et pour toujours obéissance, stabilité, conversion de la vie selon la Règle de saint Benoît. Puis il reçoit la coule, vêtement traditionnel du moine.
La formation n'est pas achevée pour autant. Le frère profès solennel approfondira encore, parfois hors du monastère, ses connaissances spirituelles, intellectuelles et manuelles. De toutes façons, le moine s'est engagé à une vie de formation permanente dont il doit se sentir responsable avec tous ses frères.
ANNEXE 2
Les abbés de Tamié
Les dates sont celles du début et de la fin des abbatiats. Pour les noms les plus anciens de la liste - jusqu'au XIIIème siècle - les dates extrêmes où l'on trouve tel abbé mentionné dans des chartes. Ce qui ne va pas sans une certaine approximation. Par rapport à BURNIER et GARIN, nous avons éliminé certains noms qui ont paru douteux. Cf. les notes des premiers chapitres.
1 - PIERRE DE TARENTAISE, 1132-1141.
2 - BERNARD DE MAURIENNE, 1141-1146.
3 - ROBERT.
4 - PIERRE, 1150-1151.
5 - GUY DE BEAUFORT, 1156-1163.
6 - PIERRE D'AVALLON (ASCHERIUS), 1163-1168.
7 - GUY DE CEVINS, 1168-1172.
8 - PIERRE DE SAINT-GENIS, 1172-1207.
9 - GIROLD DE LA TOUR, 1207-1222.
10 - HUMBERT D'AVALLON, 1222.
11 - BERLION DE PONT-DE-BEAUVOISIN, 1223-1234.
12 - GUILLAUME DE BOGES, 1234.
13 - PIERRE DE SEYTHENAY, 1237-1242.
14 - BERLION DE BELLECOMBE, 1242-1245.
15 - GUY ou GUIGUES, 1246-1250.
16 - JEAN, 1251.
17 - JACQUES D'AMEYSIN, 1253-1262.
18 - ANTHELME DE FAVERGES, 1263-1276.
19 - ANSELME D'ALLEVARD, 1277-1304.
20 - HUGUES DE LA PALLUD, 1305-1322.
21 - JACQUES PASCAL D'YENNE, 1322-1343.
22 - JACQUES DE RIBOT, 1343-1348.
23 - RAOUL DE SEYTHENAY, 1348-1358.
24 - GÉRARD DE BEAUFORT, 1358-1380.
25 - GUILLAUME GUINAND DE NARBONNE, 1381-1391, désigné par l'antipape Clément VII.
26 - PIERRE CASTIN, 1391-1400, désigné par l'antipape Clément VIL déposé par le Chapitre Général.
27 - PIERRE DE BARIGNIE, 1400-1420, désigné par le pape Boniface IX.
28 - CLAUDE PARET, 1420-1454, élu normalement.
29 - GEORGES JOCERAND DE CONS, 1454-1471, désigné par le Duc.
30 - URBAIN DE CHEVRON, 1472-1484, désigné par le duc, commendataire, non-moine.
31 - AUGUSTIN DE LA CHARNÉE, 1484-1492, désigné par le duc.
(A Rome, compétiteur : J.-J. SCLAFENATUS, évêque de Parme, commendataire de Tamié).
32 - URBAIN II DE CHEVRON, 1492-1500.
33 - JACQUES-FRANÇOIS DE CHEVRON, 1500-1506, commendataire, non-moine ; il a 8 ans en 1500.
34 - ALAIN LACEREL, 1506-1527, élu régulièrement.
(À Rome, compétiteur : FATIUS SANTORIUS, cardinal de Sainte-Sabine, commendataire de Tamié).
35 - ÉTIENNE GIQUEL, 1520-1537,désigné en 1520 comme coadjuteur de Dom Lacerel.
36 - PIERRE DE BEAUFORT, 1537-1584,commendataire, mais fait profession.
37 - JEAN DE CHEVRON, 1584-1595,commendataire, désigné par le duc, mais fait profession.
38 - FRANÇOIS-NICOLAS DE RIDDES, 1595-1645,désigné par le duc.
39 - FRANÇOIS-NICOLAS DE LA FOREST DE SOMONT 1635-1659, coadjuteur en 1635.
40 - JEAN-ANTOINE DE LA FOREST DE SOMONT, 1659-1701,nommé par le duc en 1659, son élection ne fut confirmée qu'en 1665.
41 - JEAN-FRANÇOIS CORNUTY, 1701-1707,agréé par le duc.
42 - ARSÈNE DE JOUGLA, 1707-1727,Français, élu par la communauté, pendant l'occupation française.
43 - JACQUES PASQUIER, 1727-1734,désigné par le roi de Sardaigne Victor-Amédée II.
44 - Jean-Baptiste MANIGLIER, 1734-1757, retour à la libre élection.
45 - JEAN-JACQUES BOURBON, 1757-1767.
46 - JOSEPH ROGES, 1769-1783.
47 - BERNARD DESMAISONS, 1783-1789.
48 - CLAUDE GABET, 1789-1793, abbé du Mont-Cenis, 1801-1813.Suppression du monastère, et exil des moines 1793.
Tamié II
Restauration par la Grâce-Dieu, 1861.
1 - MALACHIE REGNAULT, prieur, 1861-1871.
2 - THÉODORE PITOULET, prieur, 1871-1875.
3 - ÉPHREM SEIGNOL, prieur, 1875-1883.
4 - POLYCARPE JARICOT, prieur, 1883-1888.
5 - THOMAS D'AQUIN BERTHET, prieur, 1888-1890 et 1891-1901.
6 - FORTUNAT MARÉCHAL, 1890-1891.
7 - ALBERIC STAES, prieur, 1901-1905.
8 - BERNARD LARMES, supérieur, 1905-1909.
Tamié III
Repli de la Grâce-Dieu à Tamié, 1909.
- AUGUSTIN DUPIC, abbé de la Grâce-Dieu, 1909-1921.
- BERNARD KRIER, supérieur, 1921-1923.
- ALEXIS PRESSE, supérieur, 1923-1925 - abbé 1925-1936.
- MARIE ALLEMAND, supérieur, 1936-1938.
- THOMAS D'AQUIN GONDAL, abbé, 1938-1948.
- GUÉRIN JORDAN-MEILLE, abbé, 1948-1960.
- FRANÇOIS DE SALES BERTHET, abbé, 1960-1981.
- JEAN-MARC THÉVENET, abbé, 1981-2003
- VICTOR BOURDEAU, sup. ad nutum 2003-2004 - abbé 2004.
- GROS (Adolphe). Dictionnaire Etymologique des noms de lieux de la Savoie, Belley, 1935, p. 548-549.
- Cétait déjà lopinion de Geoffroy dHautecombe. Cf. Acta Sanctorum. T. II du mois de mai, col. 322 C. Il va sans dire que cest une étymologie de fantaisie, comme la plupart de celles que nous devons aux clercs du Moyen-Âge. Geoffroy la cite pour les besoins de sa cause. Mais cela ne veut pas dire quelle est sans intérêt.
- Règle de saint Benoît, prologue.
- BURNIER (Eugène). Histoire de labbaye de Tamié en Savoie, Chambéry, 1865, p. 240, document n° 2.Dans la suite nous désignerons cet ouvrage simplement par BURNIER.
- BERNARD (Abbé Félix). Labbaye de Tamié, ses granges, 1132-1793, Grenoble, 1967, p. 15.
- Locum quemdam qui dicitur Stamedium, aptum ad cisterciensem ordinem instituendum. Gallia Christiana, T. XII, col. 379, instrumenta. BURNIER, p. 239.
- Acta Sanctorum, Mai, T. II, col. 322 C.
- Gallia Christiana, loc. cit. ; BURNIER, p. 239.
- DIMIER (Anselme). Saint Pierre de Tarentaise, essai historique, Ligugé, 1935, p. 35.
- Pedes ivit ad longius posita tuguriola fratrum, et ad remotos in alpibus reptitabat aggelos. Acta Sanctorum, Mai, T. II, col. 322 D.
- Angariatus... manualiter assignatus. Cf. RIGUET (chanoine Henri). Printemps en chrétienté, Tamié, 1967, p. 26.
- MIGNE, Patrologia Latina, T. CCXII, col. 1022.
- Angulus nobis quantuluscumque sufficiet. Acta Sanctorum, Mai, T. II, col. 327 E.
- DIMIER, op. cit., p. 65.
- Gallia Christiana, T. XII, col. 383, Instrumenta. Le texte est édité aussi dans BESSON, Mémoires pour lhistoire ecclésiastique des diocèses de Genève, Tarentaise, Aoste, Maurienne, Moutiers 1871, preuve 32, p. 353.
- Walter Mapp, De nugis curialum, dist. Ila, cap. III. In Anecdota Oxoniensa, Medieval and modern series, part XIV, Oxford, 1914, p. 65.
- DIMIER (Anselme), Saint Amédée de Bonnevaux, Bourgoin-Jailleux, 1968.
- Acta Sanctorum. Mai, T. II, col. 326 E.
- Exordium magnum cisterciense ; édition Bruno GRIESSER, éd. Cisterciennes, Rome, 1961. Chapitre II, p. 49 : « Quod a primitiva ecclesia communis vitae traditio coeperit et quod hinc monasticae religionis institutio principium sumpserit ».
- Exordium magnum..., XII, p. 64 de léd. GRIESSER.
- Carta Caritatis, in CANIVEZ (J.M.), Statuta capitulorum generalium ordinis cisterciensis, Louvain, 1933, T. I, p. XXVI. - Nous désignerons désormais cet ouvrage simplement par CANIVEZ - Exordium magnum..., XII, p. 64.
- CANIVEZ, T. I, 1190/36, p, 125.
- Règle de saint Benoît, c. XLIII.
- VERNET (Placide), La messe à Cîteaux, in Liturgie, C.F.C., 1980, n° 32.
- COCHERIL (Maur), « Les cisterciens », in « Les ordres religieux, la vie et lart », Ti, Flammarion, 1979, p. 375.
- Règle de saint Benoît, c. XLVIII.
- BERNARD (Félix), op. cit. p. 21.
- La dédicace des églises, sermons de saint Bernard traduits par les moines de Tamié, Lyon, 1943, p. 14-15.
- Règle de saint Benoît, XLVIII.
- Pour tout ce qui concerne les granges de Tamié, on se reportera avec intérêt à louvrage déjà cité de labbé Bernard, «Les granges de Tamié ». Nous y renvoyons le lecteur.
- BURNIER, p. 240, preuves, n° 2.
- GARIN (Joseph), Histoire de labbaye de Tamié, Chambéry, 1927, p. 81. Nous désignerons désormais cet ouvrage par la seule mention : GARIN,
- COCHERIL, op. cit., p. 387.
- Guyot de Provins, La grande Bible, éd. LECOY, Paris, 1939. La grande Bible de Guyot est un écrit satirique composé vers 1202-1210 ; jongleur converti, Guyot avait été moine à Cluny, après avoir passé quatre mois à Clairvaux. - Pour ce qui est de la propriété foncière de lordre, on disait que les abbés cisterciens du Nord de lEurope, quand ils se rendaient au chapitre général, pouvaient atteindre Cîteaux sans navoir jamais fait halte en dehors du domaine cistercien.
- CANIVEZ, T. II, p. 255, 280, 293.
- BESSON, op. cit., p. 202.
- CHEVALIER (Ulysse), Regeste Dauphinois, Valence, 1915, T. 11, col. 61, n° 6191.
- ROMAN (Charles), Archives de la France monastique, vol. XXIV, T. II, p. 14, n° XC.
- Gallia Christiana, T. XII, col. 725 C. La Gallia donne Robert comme successeur direct de saint Pierre de Tarentaise. Sur la question de lidentification de Bernard évêque de Maurienne avec le successeur de Pierre de Tarentaise, cf. Bernard 1er de Maurienne, par labbé de Tamié (Dom Alexis Presse), Belley, 1933.
- Assiste avec Pierre de Tarentaise à une transaction entre les moines de Saint-Chaffre et le chapitre de Maurienne. Mémoires de lAcadémie de Savoie, 11, 26.
- Gallia Christiana, col. 728 E.
- Gallia Christiana, col. 725 C. Saint-Didier est un hameau de La Bathie.
- La Gallia..., loc. cit., col. 725 C, lappelle par erreur aurifex (orfèvre). Sur les Ascherii, cf. BERNARD (Félix), Lévolution historique en Savoie depuis lâge des meillans et des cités lacustres, Grenoble, 1968, passim.
- Gallia Christiana, col. 725 C.
- Gallia... Id.
- Bulle dAlexandre III, de 1171 ; dInnocent III, de 1205. Cf. Gallia... col. 725 E. - Bulle de Lucius III (1181-1185) citée dans lInventaire Général, f° 4, v° (Archives de Tamié - abrégées désormais en A. T.).Bulle de Lucius III (1181-1185) citée dans lInventaire Général, f° 4, v° (Archives de Tamié). (Abrégées désormais en A. T.).
- - Gallia Christiana, T. XII, Instrumenta, XII et XIII, p. 387.
Guillaume de Chevron se « donne » (reddidit se Deo et Beatae Mariae in domo Stamediensi), cest-à-dire que sans faire de vux de religion à proprement parler, il voue sa personne et ses biens à labbaye, où il bénéficiera dun statut spécial de «donné», ou «rendu », lui assurant assistance, subsistance et participation aux bénéfices spirituels ; situation un peu comparable à celle des « oblats » bénédictins.
- Gallia Christiana, T. XII, Instrumenta, XIII et XX, p. 387.
- Gallia... T. XII, col. 725.
- CANIVEZ, T. II, 1213/47 et 1214/5.
- Il sagissait sans doute de travaux dadduction deau à lintérieur du monastère. Cf. BERNARD (Félix), Les granges..., p. 145.
- Optimus medicus. Cf. Gallia... T. XII, col. 725.
- Gallia... T. XIII, Instrumenta, XVII, p. 390.
- CHEVALIER (Ulysse), Regeste Dauphinois... T. VII, p. 645.
- Inventaire Général, f° 7 et 41. A. T.
- Sur ces abbés, cf. Gallia... T. XII, col. 726 ; BURNIER, p. 245, document 9; CHUSEL (Henri-François), Histoire de labbaye de Bonnevaux, Bourgoin, 1932.
- Registre des Papes... Edition BERGER. Innocent IV, n° 2731 et n° 2817.
- Domum Stamedii... ad nos jure patronatum pertinentem. BURNIER, p. 246, document 10.
- CANIVEZ, T. II, 1251/33, p. 316. Labbé « Vione » cité dans une charte de 1253, qui fut aux archives de Sallanches, est-il le produit dune erreur de lecture, Vione pour Ioannes ? Nous navons pu vérifier sur loriginal.
- CANIVEZ, T. II, 1257/23, p. 429.
- Petitio abbatis Bonae Vallis de dispergendo conventu Stamedii. si expedire viderit, exauditur. CANIVEZ, 111,1262/30, p. 4.
CANIVEZ, III, 1262/41, p. 5.
- Domum Statnedei ... per combustionem de novo fuisse consumptam BURNIER, doc. 11, p. 248.
- Inventaire général, f° 23 v° ; A.T.
- CANIVEZ, III, 1267/20, p.51; 1269/38, p.76; 1275/58,p.148; 1294/62, p.275.
- BERNARD, p.109 ; Inventaire général, f° 2 ; A.T.
- Archives de Gyez, K 2, S 1200.
- Inventaire général, f° 368 ; A.T.
- CHEVALIER (Ulysse) : Regeste Dauphinois, Valence, 1915, T. IV, col. 141, n° 18730.
- BURNIER, p. 249.
- A.T. Les signatures sont celles de Jacques de Ribot, abbé ; Antoine de Saumuaz ; Guillaume de La Balme Jacques de Villette ; Girard de Beaufort, infirmier ; Guillaume de Calibus ; Jacques Relandi de Tournon ; Jacques Sapini de Bonvillard ; Boson Deschamps ; Pierre de Ruplera, chantre ; Guillaume de St-Jorio, portier ; Jean Table de Tournon, sacristain et sous-prieur ; Jean de Yema, sous-cellérier ; Guillaume de la Chagne, cellérier ; Nancelme Dumolard, hôtelier ; Michel de « Monte canoco »; Jacques de Saint Eng... ; Guillaume Daniel de Fossato ; Nochard de la Chambre et le porteur de la procuration, Raoul de Seytenay.
- On ne trouve presque plus de mentions des convers entre 1376 et 1677.
- Lalbergement nétait pas une vente proprement dite. Tout en conservant la « propriété éminente » dun bien-fonds, le propriétaire concédait à lalbergataire le domaine utile, pour une durée plus ou moins limitée (jusquà 99 ans) moyennant deux prestations : « lintroge », versée une fois pour toute, et le « cens », ou servis, payé chaque année.
- Inventaire général, f° 402 v°, f° 436 v° (A.T.) ; BERNARD p. 59.
- BERNARD p. 149-150.
- CANIVEZ, IV, 1402/ 10 & 13, p. 29 et 33.
- Gallia Christiana, XII, 726 ; BESSON, op. cit. p. 238.
- Registre des Papes, édition GAY ; Nicolas III, n° 653.
- Gallia Christiana, XII, 726 ; BESSON, op. cit., p. 238.
- Lélection de Raoul de Sethenay est confirmée par bulle de Clément VI, donnée en Avignon, le 18 avril 1349 (Archives Vaticanes, Registre Vatican 194 f° 395 r). Sur les chapitres généraux de 1356 et 1357, cf. Bibliothèque de Troyes, Mss 739, f° 2 et 3 ; id. Mss f° 415.
- Gérard de Beaufort est donné par la Gallia Christiana et BESSON; il payait le 19 juin 1358 la taxe due à la chambre apostolique pour son élection abbatiale par son procureur, F. Humbert de Valeyries, « syndic du monastère ». (Archives Vaticanes, Obligationes et solutiones 22, f° 222).
Guillaume paye la même taxe le 1er mars 1381 (Archives Vaticanes, Obligationes et solutiones 43, f° 76). Le Guillaume Eyraud de Limoges que la Gallia Christiana, XII, col. 727, donne pour successeur à Guinand est sûrement une erreur de lecture, Eyraud pour Guinand ou Guinaud. Rien nempêche que Guinand de Narbonne ait pu être originaire de Limoges.
- La commende : Selon lintention première, donner en commende une église ou un monastère, cest confier (commendare) temporairement cette église ou ce monastère, dépourvu de supérieur titulaire, à un prélat chargé de son administration. Cette très ancienne disposition en faveur des églises vacantes prit vite laspect dune opération fructueuse pour le titulaire de la délégation, qui ne tarda pas à comporter la jouissance des revenus attachés à ce bénéfice. Vers le XII siècle, la commende, moyennant des fictions juridiques, devint quasi - perpétuelle. Le Grand Schisme offrit une occasion dextension de cet abus, marchandages dont la propriété monastique fit les frais. En France, le Concordat de 1516 mit dans la main du roi la nomination aux dignités ecclésiastiques, et, de fait, poussa à lextrême le système (prise en commende dabbayes par des séculiers).
A Tamié, la question est assez complexe si, dans quelques rares cas, les abbés ont été pris parmi les séculiers (non-moines), ou en dehors de la filiation de labbaye, la plupart en furent issus ; mais, avec lintervention des ducs de Savoie, cest la libre élection qui fut en cause; même pris au sein de la communauté, le candidat fut pratiquement, du XVe au XVIIIe siècle, désigné par le duc.
Sur la commende en général, cf. larticle « commende » de lencyclopédie Catholicisme, T. II, col. 1340-1341.
- Petrus olim abbas de Synaqua ordinis cisterciencis cavallicensis diocesis nunc nominato ad monasterium Stamedei dicti ordinis tarantasiensis diocesis translato. Archives Vaticanes, Obligationes et solutiones 49, f° 61 v°.
- Pour la décision du Chapitre de 1397, cf. CANIVEZ, III, 1397/ 17, p. 687. Pour la décision de 1399, cf. CANIVEZ, III, 1399/33, p. 723. Normalement la correction dun moine dHautecombe relevait de labbé de Clairvaux, abbaye-mère. Si cest labbé de Bonnevaux qui est chargé dintervenir cest que le sujet visé est bien labbé de Tamié, abbaye - fille de Bonnevaux.
- BURNIER, doc. 15, p. 253-254.
- Semper in dilapidationem dicti monasterii vigilans (loc. cit.).
- CANIVEZ, III, 1400/11, p. 737.
- Gallia Christiana, XII, 727. La Chassagne-en-Bresse était un monastère cistercien fondé en 1 162 par Saint-Sulpice, dans larrondissement de Trévoux. Il nen reste rien de nos jours.
- Inventaire général, f° 18 bis, v° ; A.T.
- Gallia Christiana, XII, 727.
- RAIBERTI, État de la relation de plusieurs pièces trouvées dans les archives de Tamié et de quelques-unes tirées des registres du Sénat concernant les droits de S. Majesté sur ladite abbaye. Juillet 1727. Manuscrit, ADS, B 1692, p. 12. - Claude Paret paye la chambre apostolique le 15 octobre 1420, par les mains dAymon de Cheyssieux, prieur de Ste-Marie-Madeleine de Grenoble (Archives Vaticanes, Obligationes et Solutiones, 58, f° 163).
- CANIVEZ, 1430/7 ; T. IV, p. 343.
- GARIN, p. 99 et ss.
- CANIVEZ, III, p. 410, I.
- Id., III, 1393/5 ; 1397/6 ; IV, 1406/9 ; 1409/47 ; 1410/37.
- Ibid. III, 1394/6; IV, l402/12;1403/9; 1422/ 10; 1425/8; 1453/ 17; 1464/33.
- Ibid. IV 1406/16, p. 86.
- GARIN (Joseph) : Tournon en Savoie, Albertville, 1938, p. 132-134.
- Jacques de BUGNIN, « Le congié pris du siècle séculier », édité par Arthur PIAGET, Université de Neuchâtel, recueil de travaux publiés par la faculté des lettres ; Neuchâtel, 1916.
- Converti en sauvage : au sens ancien, ermite, solitaire, « se dit figurativement en morale dun homme qui fuit le monde et qui cherche la retraite » Dic. de Trévoux, V, 1356. - Thamy : Jacques de Bugnin écrit Thamy pour Thamyé, comme il dit moytie (pour moitié) quil fait rimer avec gloutonnie. - Louvrage fut donc achevé la veille de la St-Martin dété, soit le 3 juillet 1480.
- GARIN, p. 107.
- Le congié pris du siècle séculier, v. 642-643.
- RAIBERTI, f° 10.
- BURNIER cite cette bulle (p. 258, doc. 18) daprès une copie du XVIIe siècle conservée au Sénat de Savoie (B 1463, f° 73). Le texte donné par le Registre Vatican 429, f° 3, ne diffère que de quelques mots.
Georges Jocerand payait le 16 avril 1454 la taxe due à la chambre apostolique, par lintermédiaire de Pierre Tarel, clerc du diocèse de Genève. (Archives Vaticanes, Obligationes et Solutiones, 76, f° 118).
- Archives Vaticanes, Miscellanea, Armoire III, T. IX, f° 362-363.
- PLAISANCE (Émile) Histoire des Savoyens, Chambéry, 1910, T. I, p. 287.
- GONTHIER (Abbé J.F.) Oeuvres historiques, Thonon, Masson, 1901, T. II, p. 313.
- Archives de la maison de Corbeau de Vaulserre, n° 31, communication du marquis de Vaulserre, aux archives de labbaye.
- RAIBERTI, f° 11 ; BURNIER, doc. 19, p. 261.
- Inventaire général, f° 9, r° ; A.T.
- Pour la décision du chapitre général : cf. CANIVEZ, T. V, 1472/57, p. 316. Pour la date du paiement des droits : cf. Archives Vaticanes, Obligationes et Solutiones 83, f° 56 v°.
- BURNIER, p. 59-60.
- Le pape Sixte IV « providit ecclesiae Tarentasiensis de persona R. P. Dom. Urbani... cum retentio monasterii Stamedei ». Archives Vaticanes, Obligationes et Solutiones, 83, f° 112 r°.
- BESSON, op. cit., p. 238 ; Gallia Christiana, T. XII, col. 727.
- La mention des deux abbés, J.-Jacques Sclafenatus et Augustin de la Char-née, se rencontre aux Archives Vaticanes, Index Garampi, abbates, M-Z, f 151. - Sur les besoins dargent de Sixte IV, cf. PASTOR (L.) Histoire des Papes depuis la fin du moyen-âge, Plon, 1924, T. IV, p. 369-400. Pour la bulle de Sixte IV, cf. Archives Vaticanes, Reg. Vat. 647, f° 112-113.
- BURNIER, p. 62 ; MORAND (L.), Les Bauges, mémoires et documents, Chambéry, 1889, T. I, p. 219.
- BESSON, Gallia Christiana et Index Garampi, loc. cit.
- La bulle dAlexandre VI est résumée dans la bulle de Jules II citée infra, Reg. Vat. 914, f° 247.
- Gallia Christiana, loc. cit.
- Inventaire général, f° 46 v° ; A.T.
- Pour les droits de confirmation dAlain Lacerel, cf. Archives Vaticanes, Obligationes et Solutiones, 88, f° 91 v°. - Le texte fait mention de la bulle de Jules II, donnée à Urbino le 26 septembre 1506, et se termine par ces mots : « dicto die bullas dicti monasterii data fuerent eodem Gerardo ». - La bulle de Jules II à Fatius Santorius existe, elle, en deux versions, dont seul le début diffère : Reg. Vat. 913, f° 189-191, qui fait mention de la prétention du duc de Savoie au « patronnage » de labbaye, et Reg. Vat. 914, f° 247-249. Le début, plus long, retrace les nominations successives dUrbain II de Chevron, celle de Jacques-François et les décisions dAlexandre VI à ce sujet.
- Sur Jules II, cf. PASTOR, op. cit., T. VI, p. 206-207. La mention du procès dans lInventaire général est f° 32 v° (A.T.).
- Inventaire général, f° 32 v° (A.T.).
- BURNIER, p. 66.
- Revue Savoisienne, 1888, p. 15 ; BOUCHET, « La Savoie daprès les anciens voyageurs », Annecy 1908, p. 43.
- CANIVEZ, VI, p. 416.
- Id. VI, 1518/91, p. 545-546.
Relation dun voyage à Rome... par Dom Edme, abbé de Clairvaux, publiée et annotée par M. HARMAND, Troyes, Bouquot, 1850, p. 21, 24, 87.
- RAIBERTI, p. 13.
- Gallia Christiana, 727 ; BESSON, 238.
- Ce sont Michel Oyl, prieur ; Jean Duchesne, sacristain ; Antoine Rey ; Sigismond Escoffier ; Sigismond P. ; Antoine S. ; Claude Bally ; Jean de la Perrière ; Claude Grillet. ADS, C735.
- BURNIER, p. 69, qui ne précise pas sa source (« une ancienne chronique latine... »).
- Cf. LAVANCHY, Monographie de S. Jorioz, in Mémoires de lAcadémie Salésienne, Annecy, 1893, p. 84.
- ADS C1790.
- ADS SA 206.
- GARIN, p. 117.
- BURNIER (Eugène), Histoire du Sénat de Savoie, Paris, 1865, T. I, p. 188-189.
- CANIVEZ, VII, 1557/42.
- GARIN, p. 122 ; MORAND, les Bauges, II, p. 311.
- Ce sont, outre Jean Gabilhot, Sigismond et Michel Escoffier, tous deux « des Combes de Tamié » ; Bernard et Valentin du Rommoz ; Jacques de Viney; Junyod Gouteret de Plancherine, Jean Chaffarod ; Charles Gros-Jehan, Guillaume Bernard dit « Monachon », Bernard Berthod du Villaret (Faverges), Claude Vert et Charles du Veygier. Le serviteur « rendu » sappelle Claude Rossat. ADS, B 1692.
- ADS, SA 206 ; Inventaire général, f° 17 bis, v°. Ce sont cette fois : Charles de Gimilly, prieur, Jean Chaffarod, Charles Losserand - Gros Jean, précédemment aumônier du Betton, Guillaume Bernard, Philibert de Lucinge, Aymé Pavillet, Hermonod, Jean-Baptiste Dubassat, alias Donnet, Claude Prévost, Jean Doucet, Jean Fourrier de Verrens, Claude Bernard, et Jean Truchet novice.
- RAIBERTI, p. 14.
- Gallia Christiana, 728 ; RAIBERTI, p. 14-16.
- Inventaire général, « procès », p. 4 (A.T.).
- BESSON, p. 239.
- Sur la nomination de Dom de Riddes, cf. BURNIER, p. 266, doc. 24. Dans la préface du Codex Fabrianus, A. Favre note que lidée de cet ouvrage est venue du Sénat, et quil a été réalisé avec la collaboration effective des sénateurs. « Vestrum potius quam meum possem dicere», leur écrit-il. F.N. de Rides a pu travailler aux premiers titres du livre I, qui sont des questions de droit ecclésiastique. Le titre III, au f° XXXII, cite le cas dune abbesse du Betton. Cf. Codex Fabrianus, Lugduni, P. Bordes, 1681 : préface, p. 1-4.
- Gallia Christiana, XII, 727 ; BESSON, p. 239 ; RAIBERTI, p. 16-17.
- Registres de la confrérie N.D. de Compassion de Thonon, f° 38.
- Saint François de Sales, Oeuvres complètes, Annecy, 1911 ; T. XII, p. 240.
- Id., T. XXIII, opuscules, 4ème série, IX, p. 325-327.
- Manuscrit Favre, Archives de labbaye.
- Saint François de Sales, Oeuvres... T. XVII, p. 351 de lédition dAnnecy.
- Id., T. XX, p. 104.
- Sur ces réformes, voir F. MUGNIER, Histoire de Ste-Catherine, in Mémoires et Documents de la Société Savoisienne dHistoire et dArchéologie, Chambéry 1886, T. 24, p. 99-110.
- Supplique de Dom de Riddes, 1614, Cf. Fond du Sénat de Savoie, B 693 ; RAIBERTI, p. 17 et ss.
- RAIBERTI, p. 17 ; Bulle dUrbain VIII, ADS, B 1444, f° 159 ; une copie de lépoque est conservée aux archives de labbaye.
- Bibliothèque de Besançon, Ms 649, p. 36.
- Communication de M. labbé PAULMAZ, aux Archives de labbaye.
- Archives de labbaye et Archives du royaume, Turin, lettere de particolari, paquet FOR (52).
- ADS, abbaye de Tamié, titres et écritures, n° 1-96.
- RAIBERTI, p. 18.
- « Claustrum nolenti mors est et vita volenti / Per claustri cedem caeli mercaberis aedem ». « Occultum votem fractum peccatum est / Manifestum votum fractura peccatum et scandalum est », «principio corrupto principaria corrumuntur ». Bibl. Nat. Paris, Nouv. acq. Lat. 857 (XVIe siècle), page de garde.
- Id. f° 173.
- Les obiit sont ceux de Pierre de la Forest, 23 août 1622 ; Prieur de Gimilly, 1613, 23 janvier ; Aymond Pavillet, 30 janvier ; de Lusinge, 6 février; Georges Bardet, 13 mars. En 1620, Jean Doucet, le 25 août ; en 1622, André Coppier, le 18 février. La prise dhabit est celle de F. Pierre Blanc (id. f° 210-214).
- Ce Simon est sans doute Simon ou Aymon Pavillet, serviteur «rendu » de labbaye, qui apparaît dans de nombreux actes (cf. lobituaire de la note précédente). Pour le texte de la visite, cf. ADS, G 1 et une copie du XIXe siècle aux archives de labbaye.
- Ces paroisses sont Doussard, lHôpital, St Sigismond, Allondaz, Cléry, Marthod, Thénesol, Pallud. Cf. Archives Départementales de Haute-Savoie, J. 588.9.19.
- Aux archives de labbaye. En 1660 le cellérier est Dom Sigismond Losserand ; en 1674-77 Dom Gaillard et Dom Pierre Cornuty est procureur.
- Règle de saint Benoît, LIII.
- ADS, abbaye de Tamié, titres et écritures, n° 1-96, cf. p. 37.
- J.L. Mathias ; Bernardin Granger du Villard ; Bossu ; Michel Alliod ; Bonet ; Perronet ; les frères Bar ; Tribichet ; Louis Perrouse et Pierre Brasey. (Archives de labbaye).
- Voici la liste des bergers : M. Simond ; Glaude Guidet ; Baptiste Sibille ; Maurice Pourjat ; Joseph Garzen ; Nicolas Badolet ; Etienne Pavillet (en 1677) sans compter « Soldat, le berger dOrgeval ».
- De quelle recette ce fromager se servait-il pour faire son fromage sinon celle du Dauphiné ? Et quand en viendront de la Gruyère, ils fabriqueront à leur façon.
- Inventaire général, f° 47.
- Mémoires pour servir à lhistoire de létablissement de la réforme dans labbaye de Tamié... par Dom Claude Pasquier, 1761. Mss, archives de labbaye, p. 2.
- CANIVEZ, VII, 1601, p. 164 et ss.
- Cf. LEKAI (Louis J.), O.C., «Cardinal La Rochefoucauld and the cistercian reform », in American Benedictine Review, vol. VI, n° 4, winter 1955-56 ; p. 427-449. « The antecedents of the Apostolic constitution of Alexander VII « In suprema », in Analecta Sacri Ordinis Cisterciencis Ann. XIV, 1958, fasc. 1-2, p. 117-126.
- CANIVEZ, VII, 1666, p. 426.
- Sur la question de la réforme de Cîteaux au XVIIe siècle, cf. COCHERIL (Dom Maur), op. cit., p. 409-419 ; LEKAI (Louis J.) « The Cistercians, ideals and reality », Kent state University Press 1977, ch. XI « The war of observances ».
- 2 juin 1661 « pour du pain lorsque M. labbé fut ici » (livres de comptes de Tamié, 1660-1661, archives de labbaye).
- Toute cette histoire nest pas très claire. Daprès la « Relation » de Dom Pasquier, J.F. Cornuty aurait, en 1665, soigné Dom de Somont atteint par lépidémie de petite vérole, puis, le laissant hors de danger, se serait enfui secrètement à la Trappe «nayant pour tout bagage que son bréviaire et pour tout viatique un morceau de pain ». En fait daprès les registres de Perseigne Dom Cornuty y commence son noviciat le 23 septembre 1664. Morony gagnant la Trappe dans lété 1665, J.F. Cornuty aura attendu quun an sécoule, et gagné labbaye de Rancé, à son tour, en septembre 1665. Rancé est alors à Rome ; la lettre de Rancé acceptant Cornuty parmi ses religieux est du 19 janvier 1666. Le récit de lodyssée de J.F. Cornuty partant pour la Trappe est passé, via la « Relation », dans louvrage de labbé Dubois, Histoire de labbé de Rancé et de sa reforme, Paris, 1866, T. I, livre IV.
- Relation de Dom Pasquier, p. 40.
- Archives du Royaume de Turin, Lettere di particolari, FOR p. 3.
- CANIVEZ, VII, p. 438 et ss.
- DUBOIS, op. cit., p. 503.
- CANIVEZ, VII, 1672, p. 478 et 511.
- Il ny a pas de raison particulière dattribuer à Dom de Somont, ainsi que le font BURNIER et GARIN, louvrage anonyme intitulé « Le véritable gouvernement de lordre de Cisteaux », édité en 1678 chez Sébastien Cramoisy. Dom de Somont faisait sans doute partie des meilleurs soutiens de labbé de Cîteaux ; mais louvrage en question est le plus généralement attribué à Louis MESCHET, abbé de la Charité, également auteur dune collection de «privilèges de lordre de Cîteaux» qui parut en 1713. BURNIER, GARIN et DUBOIS ne se fondent que sur le témoignage de la «Relation », qui demande toujours à être vérifié.
- Le P. LEKAI est sévère pour Rancé à ce sujet : «The leadership of the Strict Observance devolved to Rancé, whose penchant from quarrels was legendary and whose adherence to moral rigorism was a poor substitute for his Jack of understanding of authentic cistercian spirituality » (The Cistercians, p. 149).
- Le NAIN (Dom Pierre), La vie du R.P... de Rancé, Paris 1715, ire édition, p. 362-363. GERVAISE (Dom François-Armand), Histoire générale de la réforme de lOrdre de Cîteaux, Avignon, 1746, p. 412-413.
- Relation de Dom Pasquier, p. 8.
- Cf. LEKAI, p. 149 (The Cistercians), « It was the inévitable intervention of foreign cistercians abbeys that turned the tide and forced the king to change his mind ; at that critical moment his armies were engaged in inconclusive campaign in Rhineland, the area of the loudest protest ». - Sur Louis XIV, cf. DUBOIS, p. 505-506, qui cite les «Mémoires » du roi : «(Les réformés) qui voulaient paraître plus zélés mais nétaient peut-être que plus factieux... se promettaient de couvrir la cabale quils avaient formée pour saffranchir de la juridiction du général... » et LEKAI (id., p. 150) : The king, althrough sympathetic toward the reform, would not permit Cîteauxs authority to be weakened by the establishment of an independant congrégation ».
- Relation, p. 11. Lettre du 14 septembre 1677.
- Toujours au témoignage de la « Relation ». Ce qui reste encore de nos jours du bâtiment, comme le fait que la «tour» figure toujours sur la carte de 1706 donne à penser que Dom de Somont ne fit pas raser la maison, mais lui ôta seulement son caractère «féodal » en enlevant les fortifications, tout en conservant la girouette au sommet de la tour, symbole du pouvoir de basse et moyenne justice de labbé de Tamié sur la paroisse de Plancherine.
- Cf. livres de comptes de Novembre 1677 à Janvier 1678 (Archives de labbaye).
- ADS, SA 206 « Registre commencé par M. de Somont...» p. 129-130 et 147.
- La dédicace latine gravée sur le globe qui supportait la croix faisait état de la difficulté des travaux et des contradictions suscitées tant par les hommes que par le malheur des temps.
« Post maximos labores superatosMaximasque tum hominum contradictionem tum temporumPerpessas calamitates ».
On se doute de ce que nécessitaient de pareils travaux !
- Cf. Registre de M. de Somont, passim.
- Le NAIN, op. cit., p. 51.
- Carpentras. Bibliothèque Inguimbertine, Mss 625, p. 454.
- Id., p. 458.
- Le NAIN, op. cit., p. 55.
- ADS, SA 206. Registre de M. de Somont, p. 136.
- CANIVEZ, VII, 1683/235, p. 572.
- Relation de Dom Pasquier, p. 54.
- A la mort de Dom de Somont, il y avait 12 religieux de choeur, 3 convers, 3 oblats, et 27 domestiques. (Réduction de 1701, ADS, abbaye de Tamié, titres et écritures n° 1-69).
- Archives de la Chambre, Turin, Patentes de Savoie, vol. 56, p. 538 et ss.
- ADS, SA 206. Registre de Dom Cornuty.
- ADS. Registres du Sénat de Savoie, B 1463, f° 6 ss, et B 1692.
- SAINT-SIMON, Mémoires, édition Sainte-Beuve, Hachette, 1878, T. II, ch. XIII, p. 161 et 163.
- Codex continens selectas ac perutiles epistolas domini Arsenii de Jouglaz..., copie du XIXe siècle, archives de Tamié : lettre IX, du 10 septembre 1708, p. 110.
- ADS, SA 206, Registre... de Jougla, p. 261. Sur le détail de laffaire, cf. Codex continens... epistolas, lettres X à XX.
- ADS, SA 206, Abbaye de Tamié, Registre des entrées 1691-1792.
- Archives de Turin, lettres privées, J, mss 5 ; cf. aussi Cahier de lettres de Dom de Jougla, lettres C XXXV à CL XIII (manuscrit du XVIIIe siècle, Archives de Tamié).
- MUGNIER, Histoire de Sainte-Catherine... Le récit de la visite régulière se trouve dans le Registre... de Jougla, ADS, SA 206, p. 264 et 276-277.
- Visite du Betton, Registre..., p. 279-284. Visite des Ayes, id., p. 284-291.
- MAIGNIEN, Histoire des Ayes..., p. 26-27.
- Registre des entrées, 1691-1792, passim.
- ADS, Abbaye de Tamié, Titres et écritures, n°1-69, paquet 2. Archives du Sénat de Savoie, B 1692.
- Archives de la Chambre, Turin, Provisions aux bénéfices de Savoie, 1715-1733, n° 1.
- BURNIER, p. 293 et ss, doc. 32.
- Patentes de commission, du 2 mars 1727 (archives de Tamié).
- BURNIER, p. 172-173.
- GARIN, p. 244.
- Archives de Tamié. Original et copie de 1874.
- Archives du Royaume, Turin, lettere di particolari.
- Archives de labbaye. Cf. chapitre suivant.
- Archives du Royaume, Turin, Patentes de contrôle, n° 40 ; Lettre privées, R, mss 48. Cf. MUGNIER, Histoire de Sainte-Catherine...
- Archives du Royaume, Turin, lettere di particolari, 16, DES, DEV et PIC paquet 40 pour la lettre de 1789.
- CANIVEZ, VII, 1784/16, p. 789 ; 1786, p. 792.
- MARTENE (Dom Edmond), Voyage littéraire de deux religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, Paris, Delaulne, 1717, T. I, p. 244-246.
- Petit manuscrit de deux feuillets, aux archives de Tamié. Le texte complet a été édité en 1931, sans nom dauteur : « Séjour du duc Victor-Amédée en 1711 », Montpellier, imprimerie de la charité.
- BURNIER, p. 149-151.
- ADS, C 171.
- Le triomphe de la miséricorde éternelle, ou sentimens de pénitence de Félix-Marie-Emmanuel Mouthon, Chambéry, 1828, p. 81.
- Copie du XIXe siècle, archives de Tamié.
- Manuscrit de 100 p., archives de Tamié.
- Règlement de Tamié, p. 2.
- Règlements généraux pour labbaye N. D. de la Trappe, par le R. P. Dom Armand-Jean Bouthillier de Rancé, abbé régulier et réformateur du monastère de la Trappe, de lEtroite Observance de Cisteaux. Paris, F. Muguet, 1701, 2 vol. in-12.
- Règlement de Tamié, p. 10.
- Plan de la vie et des exercices réguliers des religieux de Tamié, manuscrit de 8 p., sans date (XVIIIe), archives de Tamié.
- Règlement de Tamié, p. 18-19.
- Id., p. 22-23.
- Ibid., p. 27-28.
- Se prévenant dhonneurs mutuels (Règle de saint Benoît, c. LXIII). Règlement de Tamié, p. 37.
- Règlement de Tamié, p. 59.
Il est peut-être intéressant dintercaler ici un horaire de journée, en semaine, au temps ordinaire - en dehors du Carême et des jeûnes dÉglise. (Daprès le « Plan de la vie... », cf. note 11).
2 h - Lever.
Matines et Laudes.
5 h - Prime.
Messe conventuelle.
Chapitre.
Messes privées.
8 h 30 - Tierce. Travail.
10 h 30 - Sexte. Dîner.
13 h - None. Travail.
15 h - Vêpres.
17 h - Souper.
18 h 30 - Chapitre. Lecture. Complies.
1/4 dheure de méditation.
20 h - Retraite (coucher).
Tout cela sentend, naturellement, de lheure solaire.
- Règlement de Tamié, p. 66.
- Id., p. 69.
- Copie du XIXe siècle, Archives de Tamié.
- REGAT (Christian), Tamié dans les premières années du XVIIIème siècle, Inédit, 1978, p. 95 (Archives de Tamié).
- Carte murale, de 2,40 x 1,90 m, à labbaye. Cf. BERNARD, Les granges..., reproductions sur la couverture et p. 32 ; liste des lieux cités, p. 231.
- Archives de Tamié.
- GRILLET, Dictionnaire historique, littéraire et statistique des départements du Mont-Blanc et du Léman, Chambéry, Puthod, 1807, T. III, p. 401.
- GARIN, p. 304-306. - Sur lindustrie du fer à Tamié, nous possédons quelques renseignements antérieurs : lInventaire général (f° 368) fait état dune immunité de 1313, pour transporter du fer. En 1483 le même Inventaire mentionne une transaction au sujet des mines de la Bouchasse ; enfin en 1556 le chroniqueur de labbaye de Morimundo parle des «chariots envoyés à Tamié pour y chercher du fer, pour la nouvelle abbatiale (de Morimundo) ».
- Notice anonyme sur Dom Gabet, 1820 environ, manuscrit, A.T.
- Garin, p. 282, ADS C 735.
- Pour linjonction du Roi, voir ADS, Registres ecclésiastiques, n° 34, f° 114v°. Pour la visite dAulps voir : ADHS 6 h 9.
- Pour le passage de Mgr dAviau, voir : LAVANCHY (Chanoine) : Le diocèse de Genève pendant la Révolution française, Annecy, 1894, T. I, p. 32. - Pour celui de J. de Maistre, voir : Les carnets du comte J. de Maistre, Lyon, 1923, p. 19. Sur le comte Lazari, voir : BURNIER, p. 197-198.
- Grand manuscrit Favre, p. 4 ; A.T. Favre raconte ensuite que les soldats, ayant découvert la fuite des religieux, dépêchèrent un messager à Faverges ; Sigismond, un frère de François Favre, sut retenir le messager, lenivra, et subtilisa le message.
- Les sauveurs de Tamié, mémoire concernant les matériaux qui doivent servir à composer lhistoire de labbaye et concernant les fermiers de labbaye et les personnes qui lont sauvée de la destruction. Manuscrit, A.T. Les archives de Tamié conservent encore deux autres cahiers, au contenu parallèle, dits Petit manuscrit Favre et Grand manuscrit Favre.
- Sur Dom Pichon et les frères, cf. ADS L 22, f° 107 v° ; L 1767, f° 330. Sur Dom Truchet, cf. ADS L 22, f° 71; GROS (Chanoine) : Histoire de Maurienne, Chambéry, 1946, T. IV, p. 82.
- Grand manuscrit Favre, p. 6 : A.T.
- Petit manuscrit Favre, p. 7 ; A.T.
- Cf. GARIN, p. 336-337.
- Petit manuscrit Favre, p. 10-11 ; A.T.
- Copie sur loriginal, A.T.
- Notice anonyme sur Dom Gabet, manuscrit, A.T.
- Copie, A.T.
- FRANCOZ (Louise) : Histoire de Dom Gabet, Lyon, 1879, p. 78 GARIN, p. 317.
- MESTRALLET (Michèle) : Le Mont-Cenis, mémoire de D.E.S., 1964, A.T., p. 29.
- MESTRALLET, op. cit., p. 33.
- Dom Dominique Dubois, dAnnecy, avait 38 ans en 1801 ; Dom Etienne Chappuis, né en 1752 à la Roche-sur -Foron, entré à Tamié en 1771, avait 49 ans à son entrée au Mont-Cenis. F. Antoine, (François Marietti, de Bernex, entré à Tamié en 1791) avait 28 ans en 1801 ; F. Maur (Joseph Christin, de Conflans, entré à Tamié en 1748), 80 ans. Par la suite vinrent encore F. Etienne Peytavin, en 1802, et Dom Alexandre Simondi, en 1804. Jusquen 1808 lâge moyen des hospitaliers fut de 50 ans ; tous Savoyards, ils avaient pris lhabit avant 1792. Après 1810, les nouveaux venus, Italiens, étaient beaucoup plus jeunes. cf. MESTRALLET, op. cit. p. 36-37.
- Archives Nationales de Paris, F 19, 6292 Paris ; 3 avril 1803.
- MESTRALLET, op. cit., p. 45-49.
- Travaux de la Société dHistoire et dArchéologie de Maurienne, 5° volume, 1882, p. 168.
- Un épisode de la vie du Dr Claraz... Notes particulières et inédites sur la translation de Pie VII de Savone à Fontainebleau. Chambéry, 1878. Passim.
- MESTRALLET, op. cit., p.91.
- Le triomphe de la Miséricorde Eternelle, ou les sentiments de pénitence de Félix-Marie-Emmanuel Mouthon, Chambéry, 1828, notes finales, 2.
- GARIN, p. 330.
- Le triomphe de la Miséricorde... Passim.
- BURNIER, p. 227.
- Le triomphe..., p. 51.
- Nouveaux documents sur labbaye de Tamié, recueillis depuis le 27 décembre 1865 jusquau 8 février 1866. Manuscrit, A.T., p. 2-5.
- Petit manuscrit Favre, p. 35-45 ; A.T.
- Le triomphe de la Miséricorde..., p. 85. 4- A.T.
- A. T.
- Correspondance du Chanoine Vibert, A.T.
- Joseph-Marie Favre, né en 1791 à Samoëns, mort en 1838 à Albertville. Missionnaire en Savoie de 1822 à 1835, il a laissé le souvenir dun prêtre exemplaire pour sa piété et sa pureté doctrinale. A une époque particulièrement riche de la vie de lÉglise, il encouragea de ses conseils sainte Madeleine-Sophie Barat, fondatrice des religieuses du Sacré-Coeur, Jean-Claude Colin, fondateur des Pères Maristes, le P. Mermier, fondateur des missionnaires de St François de Sales, et le F. Gabriel Taborin, fondateur des frères de la Sainte-Famille de Belley. Laffaire de Tamié fut un des épisodes douloureux de son existence. - Sur sa vie, cf. BOUCHAGE (R.P. François) : Le Serviteur de Dieu Joseph-Marie Favre, Paris, 1901.
- J.B. Hybord, né aux Allues, en Tarentaise, prêtre le 18 novembre 1819; Missionnaire de Savoie en 1822, mort le 6 septembre 1835.
- BOUCHAGE, op. cit., p. 366.
- BOUCHAGE, op. cit., p. 394.
- Antonio Rosmini-Serbati, né à Roveredo, Tyrol, en 1797, mort à Stresa en 1855. Prêtre en 1821 à Padoue, puis étudiant à Rome, il fonde en 1828 à Domo dOssola « lInstitut de la Charité », pour ramener « la foi à la science et la science à la foi ». Son «Nouvel essai sur lorigine des idées », 1830, fut comme lintroduction dune encyclopédie philosophique, quil devait compléter par dautres ouvrages. En 1834 il était curé de Roveredo, et le P. Loewenbruck était supérieur de Domo dOssola.
- Lettre du 24 décembre 1834, A.T.
- Conventions entre lInstitut de la Charité et Mgr Martinet, 5 août 1835; A.T.
- A.T.
- A.T.
- Journal de Savoie, 1836, n° 10.
- Lettre du 3 octobre 1838, A.T.
- Dans une lettre du 5 octobre 1838 Loewembruck pose à Mgr Martinet cinq conditions pour aller sétablir à Myans. Quil ait au moins quatre missionnaires capables avec lui ; quil ait un vice-supérieur chargé du temporel et de léconomat (alors quà Tamié Loewenbruck faisait tout) ; quil ny ait à N.D. de Myans quun seul recteur pour le sanctuaire; quil puisse avoir personnellement trois mois libres par an ; quil ait lassurance dune retraite convenable. De son côté le P. Rosmini écrivait à Mgr Martinet pour lui demander de prolonger lexistence de Tamié deux ans encore, délai indispensable pour que loeuvre commence à porter ses fruits, proposant de remplacer le P. Loewenbruck par le P. Alessio Martin, un des membres de la communauté de Tamié. La mort de Mgr Martinet, le 6 mai 1839, dut arrêter toutes choses. Rosmini renonça au contrat de septembre 1834; Loewenbruck resta à la tête des missionnaires de Myans, au moins au début ; en 1841, il ne figure plus parmi les missionnaires, sans que lon sache la date et les circonstances de son départ. - Sur toute cette question, consulter la correspondance Loewenbruck - chanoine Chuit - Rosmini, A.T., et CARTIER (abbé A.). La Vierge noire de Myans, Myans, 1942, p. 203-206
- La Grande-Chartreuse venait de faire lacquisition de lancienne Chartreuse du Reposoir, en 1846; Hautecombe renonça au projet en 1847, de même Melleray ; un «aventurier », Charles-Louis de lAtteignant de Bainville, avait bien failli entraîner ce dernier monastère dans une aventure douteuse, offrant de racheter Tamié avec son argent personnel pour en devenir labbé... ! Cf. Correspondance, A.T.
- Gabriel Taborin, né à Belleydoux, dans lAin, le 1 novembre 1799. Après un essai de fondation à Saint-Claude en 1824, «lInstitut des Frères de la Sainte-Famille » est canoniquement érigé à Belley en 1838, pour «seconder MM. les curés de la campagne et des villes en qualité de maîtres des écoles paroissiales, de catéchistes, de clercs et de sacristains... ». - Cf. CARLIER (Louis) : Le TRF Gabriel Taborin, Grenoble, 1927. - Pour ce qui est du recrutement en Savoie, sur les 250 premiers candidats, 197 provenaient de la province de Savoie. Le roi Charles-Albert reconnut linstitut en 1842.
- On trouve ces aspirations chez les premiers Maristes, Pères et Frères ; chez le P. Champagnat et chez le P. Colin, qui acheta la propriété de la Neylière pour en faire un lieu de prière. Antérieurement on les trouve chez le P. Gratry, le P. Lacordaire, et même chez Lammenais. - En 1852, voyant quil narrivait pas à obtenir Tamié, F. Taborin essaya de racheter lancien monastère bénédictin du Val-Saint-Benoît, dans le diocèse dAutun.
- Lettre du 26 décembre 1850 au curé de Guérins. Archives des Frères de la Sainte-Famille, Belley.
- Lettre du 8 octobre 1856, à Dom Benoît Michel.
- Né en 1815 à lIsle-sur-Sorgue, labbé Barnouin avait restauré Sénanque en 1854. Affiliée aux cisterciens italiens, la congrégation des cisterciens de lImmaculée Conception fut érigée canoniquement en 1857. En 1858, les moines de Sénanque étaient assez nombreux pour essaimer à Fontfroide.
- Lettre à Dom Benoît Michel, 7 juillet 1861.
- En 1817 un ancien profès de Sept-Fons, Dom Eugène Huvelin, avait racheté labbaye où mourut saint Pierre de Tarentaise : Bellevaux. Il y avait recommencé la vie monastique avec danciens religieux de Sept-Fons. En 1830 des religieux de labbaye du Gard (près dAmiens) vinrent renflouer la communauté, qui se rattacha alors à la réforme de la Trappe. Après un exil en Suisse à la suite de la révolution de 1830, les religieux sinstallèrent en 1834 au Val Sainte-Marie puis en 1849 à la Grâce-Dieu, au diocèse de Besançon. En 1861 Dom Benoît Michel était abbé depuis 1848. - Sur le F. Taborin et Tamié, voir la correspondance, archives des Frères de la Sainte-Famille, Belley, et A.T. ; et la revue. / Lentretien des familles, vol. VIII, 1960, n° 76-90, p. 285, 329, 373, 419, 472, 520, 551.
- Cétaient : Dom Joseph et Dom Jean de la Croix, P. Casimir et F. Placide, les signataires du contrat avec F. Taborin ; Dom Malachie, prieur titulaire, Dom Jérôme et P. Maur ; deux novices, les frères Genès et Albert ; cinq frères convers, Célestin, Théodule, Xavier, Martin, et Raphaël ; deux novices convers, Léon et Irénée ; un postulant qui prit lhabit à Tamié, le 13 novembre 1861 ; le 21 décembre arrivaient encore deux moines de plus, le P. Théodore et le F. Michel.
- Souvenirs dun frère convers anonyme, 1880 environ, manuscrit, A.T.
- Lettre de P. Théodule à Dom Théodore, 3 juillet 1872, A.T.
- Né en 1837 à Saint-Just-en-Chevalet (Loire) Louis Seignol, en religion Dom Éphrem, entra à Sept-Fons en 1854, à 17 ans. Dom Malachie lemmena à Tamié en 1868, pour le nommer maître des novices ; sous-prieur de Dom Théodore, il fut nommé prieur de Tamié le 17 septembre 1875. Il avait alors 38 ans.
- Copie de la supplique de Dom Jean à la S.C. des religieux, A.T.
- Labbaye fut envahie et détruite par lArmée Rouge le 12 juillet 1947, et les moines massacrés. Dans le cours de son existence, N.D.-de-Consolation fut la mère des monastères cisterciens du Japon et de N.D.-de-Liesse, à Hong-Kong, réalisant par là même le voeu de Mgr de La Place.
- Né en 1854 à Menin (Flandres Occidentales), arrondissement de Courtrai; entré en 1884 au Mont-des-Cats.
- Joseph-Théophile Larmes, en religion P. Marie-Bernard, né à Poitiers en 1841. Entré à Fontgombaud, alors abbaye cistercienne, en 1861. Il arriva à Tamié le 1er septembre 1905.
- Né en 1863 à Bellevue-dIschamp, Puy-de-Dôme, A. Dupic entra au grand séminaire de Clermont puis, en 1884, à la Trappe de Chambarand ( Isère ). En 1892 il était aumônier des religieuses de lEspira de lAgly, dans le Roussillon : cest de là quil fut choisi comme abbé de la Grâce-Dieu.
- Né en 1867 au Luxembourg, entré à 17 ans à N.D. de la Providence, refuge autrichien des moines de la Grâce-Dieu, au moment des expulsions de 1880. Il fut prieur à la Grâce-Dieu puis à Tamié, de 1897 à 1926 et mourut en 1948.
- Lettre du 10 septembre 1862, à Dom Théophile; A.T. Le «manuscrit intéressant » est la relation de Dom Pasquier.
- BURNIER, introduction, p. XXXI.
- Lettre du 20 octobre 1871; A.T.
- Les grands pèlerinages de la Tarentaise en 1873, Annecy, 1873, p. 5-45.
- En fait, dès 1806, Darfeld avait pris de lautonomie par rapport à la Valsainte. Dautre part le Gard (dans la Somme) se transporta en 1845 à Sept-Fons, qui devint abbaye-mère de la Grâce-Dieu et par là, de Tamié. - Suivant quils se rattachaient à la Valsainte ou à Darfeld, les monastères furent organisés en deux congrégations autonomes, entre 1847 et 1892. Celle de la Valsainte - revenue, en fait, à la Grande-Trappe - recevant le nom de congrégation de la récente réforme de la Trappe, et celle de Darfeld, revenue, en fait, à Sept-Fons, recevant le nom de congrégation de lantique réforme (de Rancé). Elles sont connues sous le nom de congrégation de la Trappe et de congrégation de Sept-Fons. En 1892, sous limpulsion de Léon XIII, les deux congrégations, plus la congrégation Belge de Westmalle, sunirent pour former lOrdre des cisterciens réformés de N.D. de la Trappe, qui en 1902 devinrent simplement les «cisterciens de la Stricte Observance ». Mais le nom de Trappiste était trop populaire pour disparaître du langage courant... Cf. COCHERIL (Dom Maur), les cisterciens, in Les ordres religieux, la vie et lart, Flammarion 1979, p. 425-439.
- BURNIER, introduction, p. XX-XXII.
- Lettre de Frère Jean Vincent au vicaire de Ballaison, 12 février 1874. F. Jean devait mourir en 1876 des suites dun accident survenu pendant les foins.
- Témoignage dun contemporain, P. Vincent - conférences du Centenaire, 1961, p. 125-128; A.T.
- Les Chroniques de la Manécanterie, n° 3, juillet 1931, p. 5.
- «Ici lair est plus pur, le ciel plus ouvert ». Cet aphorisme dune savante latinité est de 1912. Pour les vers de mirliton, les anciens condisciples de Dom Dupic, de passage en 1913, ne craignaient pas décrire :
Nous emportons de notre séjour à la Trappe.Le meilleur et le plus doux souvenir.Car le Père Abbé nest point du tout un satrape.Et tous nous espérons un jour y revenir !
- La Chronique de Tamié, n° 9, Avent 1931.
- Lettre de Dom A. Staës à Dom Alexis Presse, 25 février 1927, A.T.
- A.T.
- Règle de S. Benoît, ch. LXIV
- Citons encore : Saint Hugues de Bonnevaux, Tamié, 1941; le Cartulaire de N.D.-de-Bonnevaux, Tamié, 1942; La sombre Trappe, abbaye St-Wandrille, 1946 ; Saint Bernard et la Savoie, Annecy, 1948, et la parution du premier volume de plans déglises cisterciennes, commencée à Tamié et que P. Anselme poursuivit à Scourmont après 1948.
- La théologie mystique de saint Bernard, Vrin, 1934, p. 237.
- Pour une plus ample connaissance de lidéal qui se vit à Tamié en 1981, on peut consulter louvrage suivant : « Religieux et moines de notre temps », Cerf. 1980, où lon trouve de la page 59 à 85, le témoignage de neuf frères de Tamié.
- Édités par le Studio SM et par Bayard.
- À noter spécialement linfluence de la CFC (Commission Francophone Cistercienne), à laquelle Tamié donne sa part de collaboration, qui par son travail de création dhymnes et de tropaires offre aux communautés des textes nourris de la tradition biblique et patristique.
- Certains, jeunes ou moins jeunes, demandent à partager la vie monastique pour un temps seulement. Devant le sérieux de ces demandes, il a été prévu un statut de «stagiaire », cest-à-dire un partage temporaire mais intégral de la vie monastique.
- Geoffroy dHautecombe, Vita sancti Petri Tarentasiensis, in Acta Sanctorum, 10 mai.
- Cette sensibilisation aux grands problèmes des hommes sest concrétisée par la constitution dun groupe ACAT (Action des Chrétiens pour lAbolition de la Torture). - Les trois monastères de Savoie : La Rochette, Hautecombe et Tamié, ont publié à cette occasion une plaquette commune intitulée : «Présence de saint Benoît en Savoie ».
- Cf. TAMIÉ AVANT TAMIÉ, note 2.
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